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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

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R A P P O R T D' I N F O R M A T I O N

Présenté à la suite de la mission effectuée en Arménie

du 27 novembre au 2 décembre 2006

par une délégation du

GROUPE D'AMITIÉ FRANCE-ARMÉNIE (1)

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* *

« Arménie mon amie »

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(1) Cette délégation était composée de M. François Rochebloine, Président, et de M.  Alain Moyne-Bressand.

SOMMAIRE

CARTE 44

Introduction 55

Programme de la visite 6

I. Les réalités arméniennes : quelques repères essentiels 88

A. La nation arménienne 88

B. Un territoire 1010

C. Un Etat : la République d'Arménie 1212

II. Les entretiens politiques : confirmation d'une fidèle amitié 1313

A. Entretien avec M. Mher Chahgueldian, président, et les membres du groupe d'amitié Arménie-France 1313

B. Entretien avec M. Armen Roustamian, président de la commission des affaires étrangères 1414

C. Entretien avec M. Tigran Torossian, président de l'Assemblée
nationale
1616

D. Entretien avec M. Vartan Oskanian, ministre des affaires étrangères 1818

III.Les relations universitaires entre l'Arménie et la France,
entre fidélité et innovation
2020

A. L'Université française en Arménie (UFAR) 2020

B. L'Université linguistique d'Etat Brussov 2121

Conclusion 2222

CARTE

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Introduction

Le 30 septembre 2006, l'Année de l'Arménie en France - « Arménie, mon amie » - était solennellement ouverte à Erevan par les Présidents Robert Kotcharian et Jacques Chirac. Depuis cette date, rencontres, manifestations, échanges se succèdent. La mission du groupe d'amitié France-Arménie, qui a eu lieu du 27 novembre au 2 décembre 2006, se situe dans la même perspective. C'est en effet un message de sympathie et de confiance que sont venus porter en Arménie François Rochebloine, président du groupe d'amitié, et Alain Moyne-Bressand.

La qualité de l'accueil réservé à notre délégation par nos collègues arméniens et par les différentes personnalités rencontrées a traduit, tout au long de notre visite, l'excellence des relations entre nos deux pays. Nous tenons à remercier chaleureusement l'Assemblée nationale de la République d'Arménie pour la parfaite organisation de notre séjour. Notre gratitude va également à M. Serge Smessow, notre nouvel ambassadeur à Erevan, pour sa disponibilité et sa grande courtoisie.

Dans ce rapport, nous souhaitons porter témoignage de ce que nous avons vu et entendu au cours d'un séjour, certes bref, mais auquel l'obligeance de nos hôtes arméniens a donné une remarquable densité.

PROGRAMME DE LA VISITE

Mardi 28 novembre

Matin Entretien avec le groupe d'amitié Arménie-France de l'Assemblée Nationale d'Arménie

Entretien avec la Commission des affaires étrangères et la Commission de la défense, de la sécurité nationale et des affaires intérieures

Entretien avec M. Tigran Torossian, Président de l'Assemblée Nationale d'Arménie.

Visite du Mémorial et du Musée du Génocide de 1915

Déjeuner offert par S.E. M. Serge Smessow, Ambassadeur de France en Arménie

Après-midi Visite de l'Université française en Arménie (UFAR)

Dîner offert par M. Mher Chahgueldian, président du groupe d'amitié Arménie-France de l'Assemblée Nationale d'Arménie

Mercredi 29 novembre

Matin Entretien avec M. Gabriel Balayan, vice-recteur, et Mme Naïra Manoukian, responsable du département de Français de l'Université linguistique Brusov, suivi d'une rencontre avec les étudiants du département

Visite du Maténadaran, bibliothèque des manuscrits anciens

Après-midi Concert des «Nouveaux noms de l'Arménie», jeunes chanteurs et instrumentistes et visite du Musée Paradjanov

Visite de l'usine de la Yerevan Brandy Company

Jeudi 30 novembre

Matin Déplacement à Gumri

Entretien avec M. Ghukassian, maire de Gumri

Visite du quartier ANI : terrain de sport, jardin d'amitié

Visite de l'école primaire avec enseignement approfondi en langue française (n°10) et inauguration du gymnase

Déjeuner offert par M. Ghukassian, maire de Gumri

Après-midi Visite du foyer pour personnes handicapées Pyunic à Gumri

Départ pour Etchmiadzine

Entretien avec Sa Sainteté Karékine II, Catholicos de l'Eglise apostolique arménienne

Vendredi 1er décembre

Matin Assistance au débat sur le projet de stratégie de sécurité nationale de l'Arménie au Parlement arménien

Après-midi Entretien avec M. Vartan Oskanian, ministre des affaires étrangères

I. I. Les réalités arméniennes : quelques repères essentiels

A. La nation arménienne

L'Arménie, c'est tout d'abord un peuple, une nation fidèle à ses traditions, courageuse dans les épreuves, solidaire dans sa renaissance.

Un peuple fidèle à ses traditions

La fidélité aux traditions nationales est une des fiertés du peuple arménien. Parmi ces traditions, la religion joue un grand rôle. On ne connaît pas, en Arménie, la séparation des Eglises et de l'Etat, au sens qui est familier en droit français. Car depuis le jour où, en 301, le roi Tiridate III a embrassé la religion chrétienne, l'Eglise apostolique arménienne a été la seule institution permanente de la nation arménienne, au-delà des vicissitudes qui ont vu la vassalisation puis la disparition du royaume, puis, dans les temps modernes, l'effacement de l'Arménie en tant qu'entité politique. De plus, l'Eglise apostolique a maintenu depuis plus de mille cinq cents ans une totale autonomie par rapport à l'Eglise catholique - on parle en Arménie du « pape de Rome » - ce qui a rendu impossible, parce qu'inutile, la constitution d'une tradition analogue au gallicanisme.

Lors de l'audience qu'il a accordée à la délégation le 30 novembre, S.S. Karékine II, Catholicos de tous les Arméniens, a insisté sur l'attitude d'ouverture que l'Eglise apostolique arménienne, dont il est le chef depuis 1999, a toujours adoptée envers les autres confessions chrétiennes. L'Eglise apostolique est présente dans tous les évènements majeurs de la vie publique ; cependant elle n'intervient pas dans le détail des affaires politiques. Il convient d'ailleurs de préciser que, si la majorité des Arméniens appartient à l'Eglise apostolique, il existe des communautés arméniennes catholiques et protestantes.

La délégation a pu également apprécier la vitalité de la musique traditionnelle arménienne en entendant, au Musée Paradjanov, les jeunes musiciens et chanteurs des « Nouveaux Noms de l'Arménie » dont l'enthousiasme se conjugue avec la maîtrise de l'art musical pour exprimer merveilleusement l'âme de l'Arménie.

Une nation courageuse dans l'épreuve

Dans une histoire où les persécutions n'ont jamais manqué, le génocide de 1915 perpétré par la Turquie, par son ampleur et le caractère systématique des entreprises d'élimination physique qui l'ont constitué, laisse une trace ineffaçable dans la mémoire collective du peuple arménien. Le Mémorial du Génocide et le musée qui lui est rattaché rappellent son souvenir poignant. Ceux qui, comme notre délégation, visitent ce haut lieu de la conscience nationale arménienne, comprennent, après avoir écouté les explications données aux visiteurs et regardé les écrits et les documents des collections du Musée, pourquoi la culture du déni, florissante dans la Turquie voisine, est si douloureuse pour les descendants d'un peuple martyr. Ils ressentent aussi plus exactement la portée de la reconnaissance officielle du génocide arménien par la loi du 29 janvier 2001 qui a valu à notre délégation, tout au long de son séjour, de nombreux témoignages de gratitude.

Une nation solidaire

La solidarité de la nation arménienne, que le génocide de 1915 a dispersée sur plusieurs continents, ne cesse de se manifester. Les parlementaires peuvent témoigner, en particulier, de la vitalité des associations arméniennes et de la multiplicité de leurs initiatives de soutien. Cet effort de solidarité, auquel de nombreuses communes de France se sont associées, s'est tout particulièrement déployé après le séisme du 7 décembre 1988, survenu alors que l'Arménie était encore une république soviétique. Il se poursuit de nos jours, comme la délégation a pu le vérifier en se rendant à Gumri le 30 novembre 2006. Elle a visité, successivement, un terrain de sport et de plein air aménagé dans les nouveaux quartiers construits pour reloger les victimes du séisme, l'école primaire avec enseignement approfondi de français dirigée par M. Martin Paschaïan et le foyer pour personnes handicapées Pyunic construit avec le soutien de l'Association Solidarité Protestante France-Arménie (SPFA).

Tel un flot qui se dessèche, le retrait de la puissance soviétique a laissé sur place, comme figés, les équipements et les structures d'urgence installés par l'URSS finissante après le séisme de 1988 : on peut voir aujourd'hui en quelques endroits, le long de la route d'Erevan à Gumri, les squelettes d'immeubles restés inachevés. Mais l'espoir renaît : le visiteur étranger est frappé par la renaissance de cette ville, qui compte aujourd'hui quelque 150.000 habitants, détruite aux trois quarts il y a dix-huit ans, avec de lourdes pertes humaines volontairement minorées par le pouvoir soviétique. Selon les propres paroles du maire de Gumri, M. Ghukassian, lors de son entretien avec la délégation, toutes les démolitions nécessitées par les suites du séisme ont été effectuées. On ne peut que souhaiter aux autorités locales, qui ont déjà consenti d'importants efforts, de conserver la détermination nécessaire et, surtout, de disposer des moyens suffisants pour la poursuite, dans les meilleures conditions d'efficacité et de rigueur, de l'action publique de reconstruction et de développement à laquelle la solidarité entre Arméniens donne une saveur particulière.

B. Un territoire

Deux traits principaux caractérisent le territoire arménien au premier regard : des réalités naturelles difficiles, une situation géopolitique vulnérable.

Les difficultés de la géographie

L'actuel territoire de la République d'Arménie est tout entier situé sur les hauts plateaux du Petit Caucase (90 % du territoire arménien se trouve à plus de mille mètres d'altitude), qu'il partage avec la Turquie voisine. Le climat y est rigoureux et impose sa loi à la production agricole : il faut, l'hiver venant, que les vignerons enfouissent les ceps de vigne dans la terre meuble pour les préserver du gel. La conquête, lopin après lopin, de nouvelles terres cultivables nécessite des efforts auxquels des Européens de l'Ouest ne sont pas habitués.

A l'inverse, le territoire de l'Arménie ne renferme pas de grandes ressources naturelles. Il n'a pas, en particulier, les ressources pétrolières dont dispose son voisin et antagoniste l'Azerbaïdjan. En outre, comme le tremblement de terre de 1988 l'a rappelé à la mémoire du monde, l'Arménie est située dans une zone de haute sismicité : cette caractéristique est à l'origine des inquiétudes que suscite l'activité de la centrale nucléaire de Metzamor, de conception soviétique, implantée sur le tracé d'une faille.

Les incertitudes géopolitiques

Aux handicaps physiques, la situation de l'Arménie actuelle joint une vulnérabilité géopolitique manifeste, que trois observations simples permettent de cerner immédiatement :

- les dimensions du territoire sont relativement restreintes ; la surface du pays équivaut à peu près à celle de la Bretagne ou de la Bourgogne ;

- il n'y a pas entre l'Arménie et ses voisins de frontières naturelles protectrices, au sens que donne à cette expression la tradition de la géographie française : la frontière avec la Turquie est constituée par une rivière ;

- Erevan, la capitale, n'est pas plus éloignée de la frontière la plus proche, la frontière turque, que Paris de Versailles. Le mont Ararat, où échoua, selon le récit biblique, l'arche de Noé, surplombe Erevan comme le puy de Dôme domine Clermont-Ferrand ; mais le mont Ararat culmine à 5.165 mètres, et il se trouve aujourd'hui en territoire turc.

L'Arménie est un pays enclavé. Les conséquences de son enclavement sont aggravées par le conflit avec l'Azerbaïdjan, qui ferme la frontière orientale, et par le blocus imposé par la Turquie en solidarité alléguée avec l'Azerbaïdjan. Les transports nécessaires à l'approvisionnement de l'Arménie et à ses échanges avec le monde extérieur empruntent deux voies : la Géorgie et, au-delà, la Russie, d'un côté ; l'Iran, de l'autre. L'actualité montre à quel point l'ouverture de ces itinéraires est sujette à des aléas politiques sur lesquels l'Arménie a peu de prise1.

C. Un Etat : la République d'Arménie

L'actuelle République d'Arménie est la troisième entité politique qui revendique une telle appellation, après la République constituée le 28 mai 1918 à la suite de l'effondrement de l'empire russe et la République soviétique qui a duré de 1920 à 1991. Au terme d'un processus progressif et habile de détachement dont la question du Haut Karabakh a provoqué puis entretenu le développement, le référendum du 21 septembre 1991 proclame l'indépendance du pays à la quasi-unanimité du corps électoral. Le nouvel Etat exerce sa souveraineté dans les frontières résultant de l'arrangement conclu entre les puissances après la première guerre mondiale. A ce jour, les négociations sur l'avenir du Karabakh, menées dans le cadre du groupe de Minsk, n'ont pas encore abouti.

Force est de reconnaître que les données originelles du problème national et territorial auquel le pays est confronté depuis tant d'années résultent de décisions prises par les grandes puissances du moment en fonction de leurs intérêts politiques et économiques. Il en est de même, largement, aujourd'hui. Cette simple considération devrait conduire à relativiser très sérieusement les jugements parfois portés, y compris en France, sur ce qu'on appelle « l'intransigeance » arménienne, et aussi le recours au principe de l'intégrité du territoire encore invoqué par le sous-secrétaire d'Etat américain lors d'une récente visite en Azerbaïdjan.

Quant au régime constitutionnel de l'Arménie, tel que le définit la Constitution du 5 juillet 1995, il s'agit d'un régime présidentiel. Le président de la République - actuellement M. Robert Kotcharian - est élu pour cinq ans, renouvelable une fois, au suffrage universel. Les 131 députés à l'Assemblée nationale sont élus pour quatre ans, selon un mode de scrutin mixte. 75 sont élus au scrutin majoritaire uninominal, 56 à la proportionnelle sur des listes nationales. La vie politique se caractérise par le grand nombre des partis ; la dispersion corrélative des voix est compensée par la formation de coalitions qui constituent les groupes parlementaires et permettent de dégager une majorité.

Comme tous les pays issus de l'ex-URSS, et mieux que beaucoup d'entre eux, l'Arménie a progressivement appris, au-delà de l'adaptation des normes juridiques, la pratique des règles quotidiennes de la démocratie. Les critiques dont elle est l'objet à ce propos de la part d'organisations internationales et en particulier de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ou du Conseil de l'Europe négligent trop facilement le fait qu'il a fallu deux siècles à nos Etats occidentaux pour en arriver à la vie démocratique qu'ils connaissent aujourd'hui. Cette même expérience autorise simultanément les amis du peuple arménien à souhaiter qu'il poursuive, dans le domaine politique, sa « sortie de l'URSS », selon l'expression de Claire Mouradian2, et qu'il progresse toujours davantage dans la pratique de la démocratie. Comme nous l'avons dit à plusieurs reprises au cours de notre visite, il y a en Arménie une majorité et une opposition, un débat politique, et il est bon qu'il en soit ainsi. Pour sa part, la délégation a voulu témoigner son amitié et son soutien à l'Arménie dans toute sa diversité.

II. Les entretiens politiques : confirmation d'une fidèle amitié

La délégation a pu nouer ou renouer avec ses hôtes arméniens des contacts qui lui ont permis de faire un tour d'horizon complet de la situation intérieure et extérieure du pays. Les pages qui suivent donnent un aperçu de leur contenu ; elles ne peuvent, hélas, rendre l'atmosphère confiante dans laquelle tous les entretiens se sont déroulés.

A. Entretien avec M. Mher Chahgueldian, président, et les membres du groupe d'amitié Arménie-France

L'entretien, qui s'est déroulé dans un climat particulièrement amical, a permis à la délégation de retrouver les membres du groupe d'amitié qui avaient été accueillis en France en juin 2004, à l'exception de M. Hamlet Tamazian, malheureusement souffrant.

M. François Rochebloine rappelle que cette visite coïncidait avec la tenue des élections européennes en France et que les parlementaires arméniens avaient été mis en quelque sorte en situation d'effectuer informellement une de ces missions d'observation électorale que leur pays accueille régulièrement. Il salue les avancées considérables qu'il avait pu constater dans l'application des principes de la démocratie politique en Arménie et souligné que l'organisation d'un véritable débat démocratique entre majorité et opposition était un signe de vitalité pour l'Arménie.

L'Année de l'Arménie en France connaît un grand succès et, ce qui est important, un retentissement certain y compris à l'extérieur de la diaspora arménienne.

Il faut souhaiter que, sur la lancée de cette manifestation, se développent, à côté des liens culturels, des relations économiques, dont l'ouverture de la ligne régulière Air France entre Erevan et Paris est un symbole prometteur.

M. Mher Chahgueldian remercie l'Assemblée nationale française pour son vote sur le négationnisme. Les Arméniens sont conscients, dit-il, des risques, notamment de rétorsion économique, auxquels ce choix expose la France. Comme François Rochebloine, il considère que le développement des relations économiques bilatérales doit être encouragé et il se souvient d'ailleurs des échanges auxquels la visite du groupe d'amitié qu'il préside avait donné lieu, à ce sujet, en juin 2004. Les élections législatives qui vont avoir lieu en Arménie sont importantes pour l'avenir du pays. La législation qui sera appliquée à cette occasion doit beaucoup à l'inspiration du code électoral français.

M. Alain Moyne-Bressand demande des précisions sur le recensement de la population arménienne et sur la présence des entreprises françaises en Arménie. Les réponses divergentes données sur le premier point par plusieurs membres de la délégation montrent que l'image démographique du pays est un problème autant politique que technique.

B. Entretien avec M. Armen Roustamian, président de la commission des affaires étrangères

M. Armen Roustamian, entouré des membres du bureau, présente l'organisation de la commission des affaires étrangères et notamment les sous-commissions constituées en son sein pour le suivi de cinq dossiers particuliers : le règlement de la question du Haut Karabakh, la coopération régionale, la politique économique extérieure, les droits des Arméniens à l'étranger et l'intégration européenne.

L'intégration européenne est le sujet de préoccupation prioritaire. M. Roustamian se félicite de la conclusion, le 14 novembre 2006, entre l'Arménie et l'Union européenne, d'un plan d'action politique de voisinage. Il est bien conscient de la nécessité, pour la réussite de l'entreprise, de relations bilatérales suivies entre l'Arménie et les pays membres de l'Union européenne ; dans ce contexte, les relations avec la France, qui n'ont cessé d'être très étroites depuis l'indépendance, sont d'une importance essentielle.

M. Roustamian insiste : ces relations sont très affectueuses, elles viennent du cœur. Le succès enthousiasmant de l'Année de l'Arménie permet d'espérer qu'elles se resserrent encore.

L'Arménie salue l'œuvre du Parlement français sur le génocide arménien. Les députés arméniens ont beaucoup apprécié le dernier vote de l'Assemblée nationale sur le négationnisme. Allant dans le même sens que les récents débats au Congrès des Etats-Unis, cette initiative donne un nouvel élan à la reconnaissance internationale du génocide arménien ; or, pour M. Roustamian, seule la mobilisation internationale peut conduire la Turquie à mettre les pieds sur terre.

M. François Rochebloine rappelle comment la mobilisation conjointe des parlementaires et de la communauté arménienne a permis à la France d'être le fer de lance de la reconnaissance législative du génocide. Depuis lors, une autre proposition de loi qui sanctionne pénalement la négation du génocide a été adoptée, en première lecture, à l'Assemblée nationale, suscitant les critiques des intellectuels pour qui il n'appartient pas aux politiques de juger l'histoire. Il est difficile d'évaluer les chances d'examen de ce texte par le Sénat avant la fin de l'actuelle législature. En tout cas, le changement de majorité au Congrès des Etats-Unis peut donner un nouvel espoir à ceux qui espèrent un élargissement de la reconnaissance internationale du génocide.

C. Entretien avec M. Tigran Torossian, président de l'Assemblée nationale

M. Tigran Torossian ouvre son propos par un triple remerciement :

- merci pour la participation efficace des députés français, et singulièrement de ceux qui sont présents, au développement de l'amitié franco-arménienne ;

- merci pour la coopération entre les deux Assemblées, qui témoigne d'une attention soutenue aux préoccupations de l'Arménie ;

- merci, enfin, pour l'effort de reconnaissance du génocide, dont l'Arménie n'ignore pas la résonance en Turquie et les conséquences possibles pour la France.

Le président Torossian regrette, sur ce dernier point, que beaucoup de pays et d'organisations se soient mépris sur la portée de la loi française de 2001. Elle ne vise pas des personnes, elle veut affirmer une opposition claire à de tels crimes. Il est déplorable que certains pays se soient donné le ridicule de prétendre rappeler à la France, à propos de cette loi, ce que sont les droits de l'homme.

M. François Rochebloine se réjouit de retrouver, en la personne du président Torossian, un collègue et un ami avec lequel il est heureux de travailler à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE). Il lui exprime le désir d'avoir des éclaircissements de sa part sur le conflit du Haut Karabakh, les relations avec la Turquie et la répression du négationnisme. Sur ce point, M. Rochebloine rappelle que, s'il a évidemment voté la proposition de loi réprimant la négation du génocide de 1915, il persiste à penser qu'il serait préférable, plutôt que de faire un sort particulier à tel ou tel génocide, d'en réprimer systématiquement la négation par une disposition de portée générale.

Réagissant aux derniers propos de M. Rochebloine, le président Torossian exprime son accord avec son analyse. Tous les génocides, quels qu'ils soient, sont une atteinte à l'humanité. La répression générale et sans distinction de leur négation éviterait des manipulations dont on constate la nocivité pour la perception convenable de la question arménienne.

Pour le règlement de la question du Haut Karabakh, selon M. Torossian, les perspectives n'ont jamais été aussi favorables. Deux principes ont été affirmés : l'intangibilité des frontières et l'autodétermination des populations : les négociations menées il y a un an à Paris avaient abouti sur ces points à des conclusions satisfaisantes. Elles ont ouvert la seule véritable possibilité de règlement du conflit et on en retrouve la trace dans la résolution 1416 de l'APCE et dans les conclusions du comité des ministres du Conseil de l'Europe.

Mais, en vérité, Bakou ne veut pas d'un règlement, ajoute M. Torossian. Sinon, comment les autorités azéries pourraient-elles continuer à tenir des discours à tonalité « patriotique » où la « libération » du Karabakh revient comme un slogan, et se dispenser ainsi de répondre aux préoccupations concrètes de la population de l'Azerbaïdjan ? Ce serait aussi admettre que l'augmentation sensible des dépenses militaires de ce pays ne sert à rien, puisque tout le monde sait qu'une solution du conflit par l'accumulation des armements est vouée à l'échec. Un règlement est possible : il aboutira si la pression de l'opinion publique internationale est suffisante.

Avec la Turquie, poursuit le président Torossian, l'Arménie souhaite entretenir des relations correctes, comme avec tous ses voisins. Mais la Turquie formule des préalables inadmissibles à de telles relations. Ce pays est membre du Conseil de l'Europe ; il veut intégrer la famille européenne. Dès lors, sa politique intérieure, notamment à l'égard de la communauté arménienne, et surtout sa politique extérieure, qui comporte la fermeture totale de sa frontière avec l'Arménie, devraient lui poser problème. Il est regrettable que, faisant ainsi l'expérience des méthodes de pression de la Turquie, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe ait consenti sous la menace à ne plus lui appliquer la procédure de suivi.

Répondant enfin à une question de M. Rochebloine sur la centrale nucléaire de Metzamor, le président Torossian a convenu que le développement en cours du programme de micro-centrales hydrauliques, permis par des financements internationaux, ne pourrait constituer une source suffisante d'énergie de substitution. La solution la plus cohérente techniquement serait la fermeture de la centrale de Metzamor et la construction d'une nouvelle centrale. Mais le coût de cette opération est évalué à un milliard de dollars. L'Arménie n'a pas les moyens de la financer, et l'aide européenne ne couvre que les frais des études préparatoires.

D. Entretien avec M. Vartan Oskanian, ministre des affaires étrangères

M. Vartan Oskanian, ministre des affaires étrangères, a reçu M François Rochebloine au ministère le vendredi 1er février, alors que venait de commencer au siège de l'Assemblée nationale arménienne le débat sur le projet de stratégie de sécurité nationale pour l'Arménie. M. Oskanian a estimé que ce projet était un bon texte, sérieusement préparé avec le concours d'experts américains et russes.

Le ministre a souhaité s'exprimer en premier lieu sur le sujet du Haut Karabakh, sur lequel le document sur la stratégie de sécurité nationale définit plusieurs orientations : un accès direct de ce territoire à l'Arménie doit être assuré, et sa sécurité garantie par la communauté internationale. La récente rencontre, à Minsk, du président Kotcharian et du président Aliev a été jugée positive des deux côtés ; les ministres des affaires étrangères ont été chargés de poursuivre les négociations. Sans doute, on note en Azerbaïdjan une rhétorique de relance de la guerre. Mais ce sont des propos à usage interne, qui correspondent à la sensibilité chauvine et militariste de certains courants. Les autorités azéries ont une attitude tout à fait différente lors des négociations, car elles comprennent la nécessité d'un compromis et elles acceptent l'autodétermination du peuple du Haut Karabakh, qui sera appelé à se prononcer par referendum à une date à préciser.

A propos de l'Iran, M. Oskanian a dit la préoccupation qu'inspire au gouvernement arménien la situation de ce pays, très important et très proche pour l'Arménie qui entretient avec lui de très bonnes relations. Un gazoduc reliant l'Arménie à l'Iran est en cours de construction et devrait être achevé à la mi-2007. Le gouvernement arménien est également préoccupé par la menace de sanctions de l'ONU contre l'Iran. De fait ce pays n'est pas prêt à des concessions sur l'acquisition de la technologie d'enrichissement de l'uranium, et il exprime des intentions pacifiques. Il n'est pas convenable de faire appel au droit international pour dénier à l'Iran le droit d'acquérir des technologies modernes dont disposent déjà Israël, l'Inde et le Pakistan.

Avec la Turquie, le ministre assure que l'Arménie est prête à ouvrir des discussions pour l'établissement de relations normales. La reconnaissance du génocide par la Turquie n'est pas un préalable à ces négociations, même si l'Arménie a le droit de prendre toutes initiatives propres à obtenir cette reconnaissance dans le monde entier. De son côté, la Turquie multiplie les conditions, à propos du Haut Karabakh, des frontières, du génocide. Le conflit du Haut Karabakh est une affaire entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan ; la Turquie a tout à fait le droit d'avoir sa position sur ce conflit, mais elle ne peut en faire un préalable. Sur les frontières, l'Arménie s'en tient à la délimitation résultant des traités en vigueur. Enfin la reconnaissance du génocide est un droit moral.

Dans le domaine de l'énergie, l'objectif de l'Arménie est l'autosuffisance de la production d'électricité. Elle a bien noté la pression de l'Union européenne pour la construction d'une nouvelle centrale. Le gouvernement arménien admet le principe de la fermeture de la centrale de Metzamor. Reste, toutefois, à savoir comment remplacer cette source de production : par d'autres types d'installations ou par une centrale de nouvelle génération ?

L'Année de l'Arménie, dont M. Oskanian a salué le succès, doit être pour lui une occasion d'inciter les entreprises françaises à développer leur présence en Arménie. Après le forum économique et la visite de voyagistes français en Arménie, l'Année de l'Arménie aura sa place au Salon de l'Agriculture.

M. François Rochebloine a rappelé au ministre les conditions dans lesquelles la France avait reconnu le génocide arménien en 2001. Le débat a connu un nouveau développement avec l'adoption par l'Assemblée nationale d'une proposition de loi réprimant spécifiquement la négation du génocide arménien. Pour sa part M. Rochebloine aurait préféré l'adoption d'une législation réprimant de manière générale la négation de tout génocide, ce qui éviterait l'impression fausse d'un traitement particulier. M. Oskanian s'est montré réceptif à cette idée.

III. Les relations universitaires entre l'Arménie et la France, entre fidélité et innovation

Le programme de la délégation a comporté des visites dans deux établissements d'enseignement supérieur qui illustrent chacun une modalité de la coopération possible entre l'Arménie et la France dans le domaine universitaire : l'Université française en Arménie et l'Université linguistique d'Erevan « Brussov ».

A. L'Université française en Arménie (UFAR)

L'UFAR, constituée depuis novembre 2003 sous la forme juridique d'une fondation de droit arménien présidée par M. Arthur Baghdassarian, compte actuellement 700 étudiants et une centaine d'enseignants. L'équipe de direction, sous la responsabilité du Recteur Paul Rousset, associe enseignants arméniens et enseignants français de l'université Lyon III.

Son projet est d'offrir aux étudiants arméniens la possibilité de suivre des formations spécialisées à forts débouchés, au terme d'une formation faisant une large place aux stages professionnels et conçue en partenariat avec des entreprises françaises, dont les responsables sont invités à venir présenter leurs propositions à Erevan. Dans le cadre d'une convention avec l'Institut d'administration des entreprises de Lyon III, l'UFAR délivre des diplômes de niveau licence et master respectant les normes de l'Union européenne. On y enseigne le droit, le commerce et la gestion.

L'UFAR propose une approche originale de la francophonie. Les étudiants qui s'y inscrivent ne sont pas tenus d'avoir une connaissance approfondie de la langue française. Mais, en proposant des formations de grande qualité, adaptées aux besoins des entreprises, les responsables de l'UFAR intègrent l'apprentissage ou le perfectionnement du français parmi les atouts qu'elle offre.

Lors de leur visite, les membres de la délégation ont obtenu, au cours d'une rencontre amicale avec l'équipe de direction, toutes précisions sur le projet pédagogique de l'UFAR. Ils se sont ensuite rendus dans un cours où ils ont pu dialoguer avec les étudiants sur les motivations qui les avaient poussés à s'inscrire à l'Université française et sur leurs projets professionnels.

B. L'Université linguistique d'Etat Brussov

L'Université linguistique d'Etat V.Brussov d'Erevan, membre associé de l'Agence universitaire de la francophonie, a pris la suite de l'Institut de formation des enseignants en langues étrangères, fondé le 4 février 1935. Cette origine et la proximité géographique et économique de la Russie expliquent que l'enseignement du russe ait à l'Université une place particulière.

Le département de français de l'Université dispense tous les enseignements correspondant à une formation universitaire de haut niveau en langues étrangères (enseignement du français courant, phonétique, grammaire, lexicologie, histoire du français, stylistique). Les travaux scientifiques qu'il produit comportent la lexicographie, la linguistique comparée et la rédaction de manuels.

La délégation a reçu le meilleur accueil de M. Gabriel Balayan, vice-recteur, et de Mme Naïra Manoukian, responsable du département de langue française, qui lui ont fait part de leur souhait de développer les relations de coopération avec des universités françaises. Elle a pu également s'entretenir avec les étudiants de ce département. Dans un dialogue que l'Université, dans son journal interne, a qualifié fort exactement de « détendu », ses membres ont répondu à de nombreuses questions sur la vie politique en France, les circonstances et le sens de la reconnaissance du génocide arménien par le Parlement français, l'état des relations franco-arméniennes. La conversation a eu lieu dans un français qui fait honneur à la qualité des enseignements de l'Université Brussov.

La délégation a retiré de ses contacts le sentiment que le développement de l'Université française en Arménie méritait d'être encouragé et accompagné, mais que cette action nécessaire ne devait pas conduire à négliger les autres formes de soutien à la présence culturelle française en Arménie et aux autres formations en langue française.

Conclusion

Dans le prolongement de la visite d'Etat du président de la République, M. Jacques Chirac, le voyage de la délégation du groupe d'amitié a confirmé, s'il en était besoin, l'excellence des relations entre l'Arménie et la France et, singulièrement, entre les Parlements arménien et français. Les membres de la délégation n'oublieront pas l'accueil chaleureux qu'ils ont reçu de tous leurs interlocuteurs : de S.S. le Catholicos Karékine II, qui a bien voulu leur accorder une longue et attentive audience, du ministre des affaires étrangères M Oskanian, du Président Torossian, de M. Mher Chahgueldian, président du groupe d'amitié, et de leurs collègues de l'Assemblée nationale, du maire de Gumri, M. Ghukassian. Ils remercient les responsables des Universités, le recteur Rousset, le recteur Balayan, Mme Manoukian ainsi que les animatrices et animateurs des associations qui ont su leur faire découvrir leurs multiples initiatives. Ils ont été, enfin, sensibles à la sollicitude constante dont les ont entourés leurs accompagnateurs du Parlement arménien et à la prévenance de M. Serge Smessow, nouvel ambassadeur de France, à qui ils souhaitent plein succès dans sa mission.

Dans les entretiens officiels comme dans les moments les plus ordinaires, toujours nos hôtes ont mis un point d'honneur à montrer que l'Arménie était vraiment, pour la France et les Français, une amie. Qu'ils en soient tous collectivement et personnellement remerciés une nouvelle fois ! La délégation ne peut que souhaiter que de nombreux élus, et de nombreux Français, se rendent en Arménie pour faire eux-mêmes l'expérience de cette amitié, au cours de l'Année de l'Arménie, bien sûr, et aussi au-delà, ainsi que pour découvrir sa culture et son patrimoine.

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4ème de couverture

Une délégation du groupe d'amitié France-Arménie s'est rendue en Arménie du 27 novembre au 2 décembre 2006, à l'invitation de l'Assemblée nationale de la République d'Arménie.

Ses entretiens politiques, ses visites et ses contacts lui ont permis de mesurer à quel point l'Arménie était proche de la France, comme le rappelle le thème de l'Année de l'Arménie en France, « Arménie mon amie ».

Le rapport voudrait, à travers le compte-rendu des entretiens et en offrant quelques observations actuelles sur la situation arménienne, contribuer au développement de cette amitié.

1  Peu de temps après la visite de la délégation, le retard dans l'acheminement du papier importé d'Ukraine et de Russie obligeait les quotidiens d'Erevan à suspendre leur parution pendant quelques jours.

2 Claire Mouradian, L'Arménie, Paris, PUF, 2002, 3ème édition, p.102 (coll. Que sais-je ?, n°851).


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