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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

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R A P P O R T D' I N F O R M A T I O N

Présenté à la suite de la mission effectuée à Singapour

du 11 au 16 juin 2006

par une délégation du

GROUPE D'AMITIÉ FRANCE - SINGAPOUR (1)

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(1) Cette délégation était composée de M. Bernard DEPIERRE, Président, Député de la Côte-d'Or, de MM. François LONCLE, Député de l'Eure, ancien Ministre, Lionnel LUCA, Député des Alpes-Maritimes, et de Mme Béatrice VERNAUDON, Députée de la Polynésie française.

SOMMAIRE

Carte de Singapour 5

Remerciements 6

introduction 7

A. I. Singapour, modèle singulier de combinaison entre dirigisme et libéralisme 10

A. Présentation du régime politique 10

1. Un régime en apparence parlementaire 10

2. Un Parlement au rôle limité 11

B. L'équilibre ethnique, obsession singapourienne 13

1. Une société multiculturelle créée en réponse aux tensions
intercommunautaires 13

2. La communauté musulmane, principal souci de la politique communautaire 14

C. L'influence régionale : Singapour et l'ASEAN 16

1. Les risques de déstabilisation régionale 16

2. Les relations avec le Pacifique Sud : un aspect encore à développer 17

II. Une stratégie de développement pensée sur le long terme : le rôle des organismes publics 18

A. Un développement planifié et impulsé par l'État 18

1. La planification spatiale : le rôle de l'Autorité de développement urbain (Urban Redevelopment Authority) 18

2. Au-delà de l'Etat-providence : le Conseil du logement (Housing and Development Board) 19

3. Le choix assumé d'un passage à l'économie de services : l'exemple de PSA (Port of Singapore Authority) 20

4. La montée en gamme industrielle, choix stratégique de Singapour : le cas de Jurong Town Corporation et de Biopolis 21

B. Les nouvelles technologies au service de l'amélioration des services publics 23

1. le programme e-government et la réorganisation de services publics autour d'un portail Internet unique 23

2. La dématérialisation totale des procédures judiciaires 24

C. Les menaces extérieures sur le modèle de développement singapourien 25

1. Mettre fin à la dépendance en matière d'approvisionnement en eau 25

2. La dépendance alimentaire : le rôle de l'Autorité vétérinaire et agroalimentaire (Agri-food and Veterinary Authority) 26

III. les recommandations de la délégation sur le développement des relations bilatérales franco-singapouriennes 27

· Approfondir les relations politiques 27

· Encourager les réformes politiques 27

· S'inspirer de la démarche de mise en œuvre d'une administration électronique pour réformer les services publics 27

· Soutenir l'implantation française à Singapour 28

· Prendre exemple pour faire de la mondialisation un atout et une chance 28

B. Conclusion 29

C. Annexes : 30

· Programme de la mission et personnalités rencontrées 30

· Liste des membres du Groupe d'amitié 33

Carte de Singapour

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Source : CIA World Factbook

Remerciements

La délégation tient à remercier ses hôtes singapouriens pour la chaleur de l'accueil qui leur a été réservé et l'intérêt des échanges avec ses différents interlocuteurs et en particulier M. Abdullah Tarmugi, Président du Parlement de Singapour. Elle salue la contribution au succès de cette mission.des liaison officers du Parlement de Singapour, MM. Koh Kiang Chay, A Palaniappan et Mmes Teo Geok Siew et Ang Lee Lee.

Elle souhaite également exprimer sa gratitude à M. Jean-Paul Reau, Ambassadeur de France à Singapour, ainsi qu'à l'ensemble du personnel de l'ambassade, au premier rang duquel M. Yves Carmona, Premier Conseiller, Mme Florence Dupont, Première Secrétaire, en charge des Affaires intérieures, et M. Francis Widmer, Conseiller commercial, qui nous a accompagnés pendant toute la durée du séjour. La réussite de notre mission à Singapour leur doit beaucoup tant pour leur accueil que pour leur très grande disponibilité.

Nos remerciements vont enfin à Son Excellence M. Chew Tai Soo, Ambassadeur de la République de Singapour en France, ainsi qu'à Mme Tan Lian Choo, Ministre Conseiller, et à l'ensemble des services de l'ambassade de Singapour, dont le concours fut précieux pour la préparation de cette mission.

introduction

Une délégation du groupe d'amitié France - Singapour s'est rendue à Singapour du 11 au 16 juin à l'invitation de M. Monsieur Leong Horn Kee, Membre du Parlement de Singapour, Président du Groupe d'Amitié Singapour-Europe.

La délégation, conduite par M. Bernard Depierre, Député de la Côte-d'Or, Président du groupe d'amitié France-Singapour, était composée de MM. François Loncle, Député de l'Eure, ancien ministre, Lionnel Luca, Député des Alpes-Maritimes, et de Mme Béatrice Vernaudon, Députée de la Polynésie française.

Vu de France, Singapour apparaît à la fois comme une réussite et une énigme : une réussite car en quarante ans, une volonté politique sans faille a transformé un comptoir colonial britannique en une nation prospère, qui s'apprête à délaisser un rôle industriel pour s'affirmer demain comme un acteur majeur de l'économie de l'information et des services. Mais reste aussi l'énigme d'un pays qui semble célébrer la libre entreprise tout en laissant subsister un certain contrôle de sa société civile.

Le programme de la mission a été axé sur trois points forts :

· défendre le savoir-faire français et les entreprises qui y concourent pour les grands projets ; de manière plus générale, renforcer et défendre les liens entre la France et une économie des plus compétitive, qui est notre premier partenaire commercial en Asie du Sud-Est et le troisième en Asie après le Japon et la Chine. Cet approfondissement des échanges bilatéraux devrait surtout passer par un développement de l'intérêt pour les formations de haut niveau en France, les grandes écoles et universités françaises cherchant à développer des programmes de coopération avec les universités singapouriennes ;

· renforcer la coopération politique et militaire entre la France et Singapour : suite à l'accord de coopération militaire de 1998, les actions de coopération bilatérale ont été développés, sous différents aspects : consultations, échanges, instruction, formation et présence sur la base aérienne de Cazaux en Gironde d'un escadron de 18 avions de chasse. L'arrivée au pouvoir d'une nouvelle génération de dirigeants, ainsi que la volonté de Singapour de sortir d'un dialogue exclusif avec les Etats-Unis, permet d'envisager de poursuivre cette relation bilatérale forte tout en la renouvelant dans son approche, avec une plus large ouverture aux responsables politiques de demain. Dans ce cadre, une mission de l'Assemblée nationale pouvait jouer un rôle diplomatique permettant de préparer un rapprochement politique et une plus grande intervention de la France dans les problèmes de Sud-Est asiatique, et notamment les menaces terroristes, principal sujet d'inquiétude de la politique singapourienne ;

· enfin, dans le contexte actuel, l'étude des moyens mis en œuvre pour lutter contre la première vague de propagation de la grippe aviaire pouvait permettre tout à la fois d'en tirer des leçons avantageuses et de manifester la solidarité de la France avec les pays du Sud-Est asiatique qui ont été les premiers touchés par le développement de l'épizootie.

Dans le cadre des échanges parlementaires, la délégation a donc été reçue par le Président du Parlement de Singapour, M. Abdullah Tarmugi, ainsi que par le groupe d'amitié Singapour-Europe. Elle a aussi été reçue par le Ministre des Affaires étrangères M. George Yeo et par le Ministre de l'environnement et des ressources en eau, aussi en charge des affaires musulmanes, M. Yaacob Ibrahim.

Ces entretiens ont révélé à la fois l'intérêt des Singapouriens pour un approfondissement des relations avec la France et l'Europe visant à balancer l'influence américaine, ainsi que les craintes face aux menaces qui pourraient remettre en cause l'équilibre et le modèle de développement singapourien.

Les autres visites et entretiens ont eu lieu à la Cour suprême, à l'unité e-goverment au sein du ministère des finances, ainsi que dans les agences gouvernementales suivantes : le gestionnaire des activités portuaires, l'autorité de planification urbaine, l'agence de développement du logement public, l'autorité en charge des questions vétérinaires et d'alimentation ainsi que l'agence en charge du développement de la zone industrielle de Jurong.

Ces visites et présentations ont été riches en enseignement sur le caractère centralisé et planifié du développement singapourien, ainsi que dans les bénéfices extraordinaires obtenus par la mise en œuvre à grande échelle des nouvelles technologies de l'information, notamment pour améliorer la productivité et les bénéfices des services publics.

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A. I. Singapour, modèle singulier de combinaison entre dirigisme et libéralisme

A. Présentation du régime politique

1. Un régime en apparence parlementaire

Singapour a hérité de la puissance coloniale britannique d'un système parlementaire fondé sur un gouvernement responsable devant le Parlement, assemblée monocamérale élue au suffrage universel.

Comme dans les démocraties parlementaires, l'essentiel du pouvoir réside entre les mains du gouvernement, dirigé par le Premier Ministre ; cependant, les deux anciens Premiers Ministres continuent de siéger au sein du Cabinet, Goh Chok Tong (ancien Premier Ministre de 1990 à 2004) au titre de Senior Minister et surtout Lee Kuan Yew (ancien Premier Ministre de 1959 à 1990, véritable fondateur de Singapour et père du Premier Ministre actuel) au titre de Minister Mentor. Cette position en retrait n'empêche pas Lee Kuan Yew de continuer à superviser les questions stratégiques essentielles pour l'avenir de Singapour.

Le rôle du Président de Singapour était historiquement celui largement protocolaire, d'un Chef de l'État d'un régime parlementaire, mais la Constitution a été amendée en 1991 pour prévoir l'élection au suffrage universel direct et donner au titulaire de la fonction un pouvoir de veto sur certaines décisions essentielles, comme l'utilisation des réserves nationales et les nominations aux postes-clés de l'appareil judiciaire. Cependant, la réalité du pouvoir reste aux mains d'une élite qui a forgé Singapour et qui continue à mettre en œuvre une politique de développement à long terme.

Depuis que l'autonomie interne a été accordée à Singapour par les Britanniques en 1959, Lee Hsien Loong est le troisième Premier Ministre qu'a connu l'île-État, signe d'une incroyable stabilité politique. Tout en maintenant une apparente démocratie, le parti au pouvoir assure dans les faits la domination d'une élite qui a mis en place et qui adapte une vision stratégique pour Singapour inchangée dans son essence depuis quarante ans.

2. Un Parlement au rôle limité

Comme dans tout régime parlementaire, les élections législatives rythment la vie démocratique et la dévolution du pouvoir. Le Parlement de Singapour est donc composé de 84 députés élus pour cinq ans au scrutin plurinominal majoritaire à un tour dans le cadre de circonscriptions, auxquels se joignent jusqu'à 6 députés désignés hors circonscription et jusqu'à 9 membres nommés par le Président.

Ce système de nomination permet de tempérer le résultat des élections et de préserver une certaine représentation de l'opposition ; en effet, aux dernières élections de mai 2006, le People's Action Party (PAP), parti au pouvoir depuis l'autonomie interne obtenue en 1959, a obtenu 66,6 % des suffrages et 82 des 84 sièges en jeu. Les deux principaux partis de l'opposition, le Workers' Party of Singapore et la Singapore Democratic Alliance ont chacun obtenu un siège. Au total, dix femmes ont été élues.

Au vu de ce poids écrasant du PAP, beaucoup de commentateurs considèrent que Singapour comme une « démocratie procédurale », ou une « démocratie non libérale ». L'organisation non gouvernementale Random House classe Singapour parmi les pays « partiellement libre » ; The Economist Intelligence Unit la décrit comme un hybride entre démocratie et autoritarisme.

Cependant, les autorités politiques restent sensibles aux critiques qui leur sont adressées : lors d'une conférence tenue à Singapour le 11 janvier 2006 et consacrée à la démocratisation en Asie du Sud-Est, le milliardaire et philanthrope George Soros a condamné le recours aux procès en diffamation politique et déclaré que Singapour ne pouvait être qualifiée de « société ouverte »1. Ces déclarations ont suscité des débats et des répliques de la part des officiels, mettant en avant que l'ouverture de la société de Singapour devait être graduelle mais restait un objectif de long terme.

La campagne électorale de 2006 a été émaillée d'incidents, le PAP étant accusé d'utiliser la censure, la manipulation des circonscriptions et les procès en diffamation assortis de condamnations financières très lourdes pour brider l'opposition. Cela n'a pas empêché Lee Kuan Yew de regretter au cours de la campagne électorale, que Singapour ne dispose pas d'une opposition de classe mondiale, mais d'un « fatras ».

Il convient cependant de prendre en compte que le PAP apparaît comme une machine électorale de premier ordre, s'appliquant à satisfaire tous les besoins de la société (les centres sociaux communautaires sont gérés par the People's Association, liée au PAP). En particulier, le PAP organise un renouvellement progressif de ses cadres ; lors des élections de 2006, un tiers des parlementaires du PAP ont été élus pour la première fois. Les parlementaires les plus anciens sont invités à ne pas se représenter, et à leur place le PAP promeut des candidats issus de la société civile dont le talent a été détecté.

Ce lien avec la société civile ne s'arrête pas après l'élection ; en effet, le parlement ne siège que quelques jours par mois, et trois semaines en continu pour le vote du budget. En dehors de ces périodes, les parlementaires ont donc un emploi ou une occupation, qu'ils combinent avec une session hebdomadaire de rencontre avec les citoyens et des visites dans les blocs d'habitation de leur circonscription.

Aussi le parlement de Singapour exerce-t-il bien les trois missions d'une assemblée parlementaire :

· le vote des lois, les projets de lois devant faire l'objet de trois lectures successives ;

· le contrôle de l'action du gouvernement, avec une session de questions au début de chaque séance ;

· le contrôle financier avec le vote du budget en février-mars.

Cependant, l'absence d'une réelle opposition et le caractère intermittent de son contrôle sur le gouvernement limitent son rôle au sein des institutions et du processus de prise de décision.

B. L'équilibre ethnique, obsession singapourienne

1. Une société multiculturelle créée en réponse aux tensions intercommunautaires

L'expulsion de Singapour de la Fédération de Malaisie en 1965 et donc la naissance de la Cité-Etat comme une nation sont les conséquences des tensions raciales qui ont prévalu entre les habitants d'ascendance chinoise, majoritaires à Singapour, et les Malais, habitants initiaux de l'île et ethnie majoritaire au sein de la Fédération de Malaisie.

Singapour est le second pays le plus densément peuplé de la planète ; en effet, 4,5 millions d'habitants se concentrent sur 699 km². L'essentiel de ses habitants provient d'une immigration continue depuis la création de Singapour par Raffles en 1819. Le groupe ethnique le plus important regroupe les descendants des immigrants chinois, qui représentent 76,8 % de la population. Les Malais, habitants originaires, représentent aujourd'hui 13,9 %. Le troisième groupe est celui des Tamouls originaires du sud de l'Inde, qui représentent 7,9 % de la population. Le reste est constitué de personnes d'autres origines, notamment arabes, juives, thaïs, européennes et eurasiennes. La communauté française comprend environ 4 800 expatriés.

Depuis les émeutes raciales des années 1960, le maintien de l'harmonie entre les groupes raciaux fait partie des priorités du gouvernement de Singapour, et est décliné par une large palette de politiques allant jusqu'à l'obsession de l'équilibre : ainsi, dans chaque nouveau bloc d'habitation construit par le Housing and Development Board, la répartition des nouveaux occupants doit refléter le pourcentage de chaque groupe ethnique dans la population totale, de façon à éviter la constitution de ghettos. Ce même souci de promotion de la mixité ethnique est en vigueur au sein du système éducatif et des forces armées.

Le souci essentiel du groupe majoritaire chinois, qui détient la grande majorité des leviers du pouvoir politique et économique, est donc d'assurer la promotion des représentants des autres ethnies. On peut noter que si les postes-clés du pouvoir sont aux mains de l'élite chinoise, les hautes fonctions protocolaires sont souvent confiées aux membres des autres communautés : l'actuel Président de la République M. Sellapan Ramanathan Nathan) est d'origine indienne, et l'actuel Président du Parlement (M. Abdullah Tarmugi) représente la communauté malaise.

2. La communauté musulmane, principal souci de la politique communautaire

La communauté malaise, essentiellement musulmane, est l'objet de toutes les attentions. Si les langues officielles sont le malais, le mandarin, le tamoul et l'anglais, seule la première a le rang de langue nationale, dans laquelle est formulée la devise nationale et l'hymne « Majulah Singapura » (« en avant Singapour »). L'anglais a été promu comme langue de l'administration ; neutre sur un plan ethnique, elle est aujourd'hui parlée par la majorité de la population et la majeure partie de la signalétique est en anglais. Cependant, le gouvernement a aussi lancé une campagne de promotion du mandarin comme langue commune à l'ensemble des chinois, qui parlent de nombreux dialectes et notamment le cantonais.

Bien que descendant de la population originelle de l'île, la communauté malaise concentre les problèmes et donc les attentions du gouvernement. Elle est la moins éduquée et donc celle qui occupe le rang social le plus bas. Par ailleurs, la religion musulmane majoritaire de cette communauté laisse planer le spectre d'un ralliement aux positions fondamentalistes. Afin d'empêcher le développement de tout sentiment d'exclusion, les politiques gouvernementales s'attachent à favoriser la réussite des Malais tout en exerçant un strict contrôle sur les institutions musulmanes.

C'est l'objectif de l'institution d'un Ministre en charge des Affaires musulmanes, que la délégation a rencontré sur place.

Le ministre, M. Yaacob Ibrahim, est en charge des Affaires musulmanes au sein du gouvernement singapourien depuis 2002. Il a expliqué à la délégation que son ministère, créé par une loi en 1966 pour prendre en charge de la politique envers les musulmans, avait deux domaines d'action principaux :

· l'intégration du droit musulman : le mariage musulman et la charia sont reconnus à Singapour et peuvent être appliqués par des tribunaux islamiques. Cependant, en cas de contestations, chaque partie peut demander à saisir un tribunal civil ;

· un Conseil de la religion musulmane (Singapore Muslim Religious Council) joue un rôle important dans l'organisation des affaires musulmanes (gestion des mosquées et des écoles musulmanes, abattage hallal, organisation du pèlerinage à La Mecque, paiement de la dîme musulmane).

L'objectif de cette politique spécifique envers les musulmans est de favoriser leur intégration avec les autres communautés, en refusant des systèmes de distributions spécifiques de nourriture ou les marques d'appartenance : tous les écoliers sont ainsi censés porter le même uniforme sans distinction.

Cette politique se double d'un strict contrôle du caractère ouvert de l'islam pratiqué à Singapour. Comme dans tout le Sud-Est asiatique, l'islam professé à Singapour est généralement tolérant. Le contrôle du gouvernement vise donc à empêcher toute installation du fondamentalisme parmi la communauté musulmane.

Ainsi, les prêcheurs étrangers font l'objet d'un régime d'autorisation systématique et commun à toutes les religions ; ils restent étroitement surveillés et peuvent être expulsés si leur discours paraît trop virulent. Le vœu du ministre est que les mosquées restent des endroits ouverts.

De même, les écoles privées musulmanes, qui scolarisent une minorité d'enfants musulmans, vont être obligées de revoir leurs méthodes pédagogiques sous le contrôle du gouvernement, afin d'obtenir de meilleurs résultats et de ne pas abriter d'enseignements jugés contraires à la promotion d'une nation singapourienne unie.

La politique de Singapour envers les musulmans consiste donc à prendre en compte leurs besoins spécifiques sans leur reconnaître des droits particuliers et à exercer un contrôle étroit sur le contenu de l'enseignement islamique.

C'est là le paradoxe permanent de Singapour : les valeurs singapouriennes, qui se veulent distinctes des valeurs occidentales, reposent sur la méritocratie et sur la recherche de l'harmonie et de l'équilibre entre des communautés ethniques identifiées au sein de la société ; mais leur objectif ultime est la création d'un sentiment national multiculturel au sein de cette diversité. Cette classification ethnique permet en outre d'identifier et de traiter au plus près les éventuels problèmes de chaque communauté, sans que cela apparaisse comme une rupture de l'équilibre.

C. L'influence régionale : Singapour et l'ASEAN

1. Les risques de déstabilisation régionale

Comme le note le Ministère des affaires étrangères dans sa présentation de la politique extérieure singapourienne2, « la stabilité régionale constitue donc le premier axe de l'action extérieure » de Singapour. En effet, la Cité-État est confrontée à des rapports fluctuants avec ses deux voisins directs :

· Les relations avec la Malaisie, premier partenaire économique, sont essentielles mais difficiles, en raison des contentieux légués par l'histoire ;

· Singapour s'inquiète des risques de déstabilisation de l'Indonésie, qui risquent de favoriser la diffusion de l'islamisme radical et de menacer la sécurité des détroits, élément vital pour Singapour.

C'est pourquoi la participation à l'ASEAN, dont Singapour est l'un des cinq membres fondateurs en 1967, a permis au jeune État de trouver sa place en Asie du Sud-Est et d'entamer un dialogue avec ses voisins permettant de dépasser les conflits potentiels. Singapour a ensuite constamment œuvré à l'approfondissement des liens économiques, avec pour résultat la mise en application de la zone de libre échange de l'ASEAN, l'AFTA (Asean Free Trade Agreement) au 1er janvier 2002. En matière de sécurité et de prévention des conflits, Singapour a été à l'origine en 1994 du Forum Régional de l'ASEAN, l'ARF (ASEAN Regional Forum).

Par ailleurs, l'île-Etat souhaite favoriser l'intégration de la Chine aux échanges internationaux (politique d'« engagement ») et entretient avec elle des relations étroites depuis 1990 (1er partenaire économique de Pékin en Asie du Sud-Est), mais s'inquiète de l'attrait croissant qu'elle exerce sur les investisseurs étrangers aux dépends des pays de l'ASEAN. Singapour regrette aussi que les difficultés traversées par le Japon l'empêchent de jouer un rôle plus important en Asie.

Dans cet environnement difficile, les relations avec les États-Unis restent donc capitales ; Washington reste le garant de la paix, de la sécurité et de la prospérité en Asie du Sud-Est ; le choix du F 15 au détriment du Rafale pour équiper l'armée de l'air singapourienne a pu être partiellement expliqué par cette réalité incontournable.

Cependant, la diplomatie singapourienne s'emploie aussi à développer des relations solides avec l'Union européenne, perçue comme un pôle de stabilité politique et de croissance économique. Singapour est ainsi à l'origine, avec la France, du Sommet entre l'Europe et l'Asie (ASEM), en 1996, et accueille la Fondation Europe Asie (ASEF), destinée à promouvoir les échanges culturels et éducatifs. Prise globalement, l'UE est le 2ème partenaire commercial de Singapour, qui souhaite le lancement de négociations pour un accord de libre-échange. Au sein de l'UE, les relations avec la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni apparaissent comme prioritaires.

2. Les relations avec le Pacifique Sud : un aspect encore à développer

A l'occasion de l'audience accordée par M. George Yeo, Ministre des Affaires étrangères, la délégation a souhaité l'interroger sur les relations que Singapour, en tant que pôle de l'ASEAN, pourrait développer avec les territoires français du Pacifique Sud (Polynésie française, Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna). En effet, la France sort d'une période où les relations avec ses voisins du Pacifique Sud ont été tendues du fait des essais nucléaires pratiqués à Mururoa, et souhaite désormais que ses collectivités s'intègrent mieux dans l'espace pacifique. Afin d'assurer son développement et d'intensifier ses échanges (notamment dans les secteurs économiques de la pêche, du tourisme, etc.) cette région va être conduite à regarder de plus en plus vers l'Asie du Sud-Est.

La délégation a noté avec satisfaction que, selon le Ministre des Affaires étrangères, Singapour considérait que la présence française dans le Pacifique Sud était une « bénédiction » pour les habitants de la zone, en fournissant une bonne administration, une stabilité et la possibilité d'opter pour l'indépendance s'ils le désirent. Ce n'est pas le cas de tous les micro-Etats de la région, dont l'accession à l'indépendance est souvent synonyme d'instabilité chronique.

Aussi la délégation a pris acte de la volonté de Singapour de développer ses relations avec la France du Pacifique et souhaite que l'adhésion récente du gouvernement français au Traité d'amitié et de coopération en Asie du Sud-Est soit l'occasion de promouvoir ces liens.

II. Une stratégie de développement pensée sur le long terme : le rôle des organismes publics

A. Un développement planifié et impulsé par l'État

1. La planification spatiale : le rôle de l'Autorité de développement urbain (Urban Redevelopment Authority)

L'Autorité de développement urbain a été officiellement créée le 1er avril 1974 pour prendre en charge la responsabilité de l'urbanisme sur l'ensemble du territoire. Son rôle est aujourd'hui essentiel pour la ville-État, car Singapour est un pays caractérisé par l'extrême densité de sa population. L'utilisation des terres disponibles se doit donc d'être efficace et maximisée pour permettre à ses 4,5 millions d'habitants de mener une vie harmonieuse sur un territoire de 699 km².

Lors de l'indépendance, Singapour était essentiellement constitué d'un centre ville ancien et congestionné, caractérisé par ses bidonvilles, Un plan concept de développement spatial a été élaboré en 1971 ; depuis, il est réactualisé tous les dix ans, mais il n'a globalement pas connu de modifications majeures. Ainsi, il détaille dans diverses déclinaisons l'affectation possible de chaque parcelle. Chaque développement urbain fait l'objet d'une planification globale (logements, commerces, écoles, transports etc.). Après avoir relogé convenablement toute la population - essentiellement en construisant des tours d'habitation - l'Autorité s'est tournée à partir des années 1980 vers l'amélioration de l'habitat, en créant de toute pièce de nouveaux centres urbains à la périphérie de l'île. Ces unités d'habitation sont reliées les unes aux autres par un système de métro automatique et par des autoroutes urbaines.

Du fait du manque de place, des espaces maritimes ont été remblayés et des zones industrielles développées sur ces îles artificielles. Cette politique de remblai a augmenté le territoire de Singapour de 20 % depuis l'indépendance ; d'ici 2030, il est prévu d'augmenter la taille des terres émergées de 100 km², soit une nouvelle hausse de 16 %.

Aujourd'hui, l'accent est mis sur la protection du milieu naturel et le développement de parcs interconnectés entre eux. De même, le choix de « l'économie de l'intelligence » se reflète par l'augmentation planifiée des espaces dédiés aux centres d'affaires et aux complexes touristiques.

Cette planification stratégique à long terme du développement spatial apparaît comme un modèle de réussite d'un État organisateur du développement : le plan d'urbanisme cherche à prendre en compte tous les aspects nécessaires à la vie des habitants, tout en évaluant constamment sa mise en application et en programmant le redéploiement des espaces déjà développés (notamment la réhabilitation et la mise à niveau des unités urbaines les plus anciennes).

2. Au-delà de l'Etat-providence : le Conseil du logement (Housing and Development Board)

Cette institution singapourienne est apparue à la délégation comme un des aspects les plus intéressants de la mission. En effet, cette agence du logement, mise en place en 1960 juste après l'indépendance, loge actuellement 85 % de la population dans les 800 000 appartements qu'elle a bâtis.

Face aux conditions insalubres des bidonvilles existants, le choix a été fait dès les années 1960 de développer des unités urbaines faites d'immeubles d'une dizaine d'étages, construits par l'agence et proposées initialement à la location mais aujourd'hui destinés à 90 % à l'accession à la propriété (bail de 99 ans).

En effet, le fonds obligatoire de prévoyance, épargne obligatoire, peut être débloqué pour l'achat d'un logement ; le prêt complémentaire dépend de la situation familiale de l'accédant à la propriété, cette politique étant essentiellement orientée vers les familles. De même, les enfants sont prioritaires pour acquérir des logements peu éloignés de leurs parents, afin de maintenir les liens d'entraide familiaux.

La répartition de ces logements obéit en particulier à des critères de diversité ethnique et sociale : chaque communauté doit être représentée dans chaque nouvelle unité d'habitation par un pourcentage identique à celui de sa proportion dans la population totale.

Enfin, l'agence prend en charge la rénovation et la remise à niveau de ses constructions les plus anciennes.

Cette politique du logement représente 3,8 % du budget de l'État et apparaît comme une extraordinaire réussite : Singapour a développé un réel « droit au logement » qui va au-delà de l'État providence tel qu'il est conçu en Occident. Le choix a été fait de développer une forme de logement social collectif, mais destinée en majeure partie à l'accession à la propriété. Par ailleurs, la mixité sociale a dès le début été pensée comme un élément de la réussite de ce projet d'habitat : aucun phénomène de « ghettoïsation » n'est répertorié, alors même que la qualité architecturale est équivalente à celle du logement social en France.

3. Le choix assumé d'un passage à l'économie de services : l'exemple de PSA (Port of Singapore Authority)

La fortune de Singapour s'est bâtie d'abord sur le commerce d'entrepôts. Sa situation géographique à l'embouchure du détroit de Malacca lui a conféré dès la période coloniale un rôle incontournable de port d'échange et de plate-forme commerciale de redistribution entre l'Empire des Indes et l'Extrême-Orient.

L'Autorité portuaire de Singapour (Port of Singapore Authority, PSA) a été mise en place en 1964 ; les fonctions d'opérateur portuaire ont été transformées en une société privée en 1997.

Dès les années 1970, PSA a choisi de développer ses plates-formes en pariant sur le trafic des conteneurs. Depuis 1990, Singapour est donc devenu le premier port mondial pour le trafic des conteneurs (23 millions d'« équivalents vingt pieds », unité de mesure des conteneurs). La place du premier port mondial est actuellement contestée par Shanghai, les deux ports asiatiques se fondant pour l'un sur le nombre de tonnes de marchandises chargées ou déchargées et l'autre sur le tonnage des navires arrivant au port.

Le savoir-faire en matière portuaire de Singapour, que la délégation a pu apprécier lors de sa visite, est maintenant exporté dans plus de vingt pays d'Asie ou d'Europe où PSA gère actuellement des terminaux portuaires. L'accent mis sur l'automatisation du chargement et du déchargement, ainsi que sur la sécurité des échanges, reflète les deux préoccupations essentielles de Singapour, qui souhaite se prémunir contre tout risque d'apparaître comme une plat-forme favorisant les trafics illicites.

Entreprise toujours contrôlée par les holdings nationaux, PSA international est actuellement un symbole de l'expansion de Singapour, qui n'a pas peur d'exporter le savoir-faire développé dans l'économie tertiaire en reprenant la gestion de ports dans toutes les zones économiques en croissance rapide, et notamment en Chine.

4. La montée en gamme industrielle, choix stratégique de Singapour : le cas de Jurong Town Corporation et de Biopolis

Jurong Town Corporation est une agence étatique créée en 1968 pour développer des zones industrielles dans la localité de Jurong, située dans la partie occidentale de l'île principale. A partir des années 1990, elle s'est étendue sur une île artificielle appelée aussi Jurong, constituée à partir de remblais englobant de plusieurs îles existantes pour créer une île consacrée à la pétrochimie de 30 km².

En 38 ans, cette agence a créé 7 000 hectares de zone industrielle et 4 millions de mètres carrés de bâtiments construits pour être loué à plus de 7 000 entreprises locales et internationales. En particulier, JTC a installé 4 usines de microprocesseurs, deux parcs tertiaires, un pôle chimique, un pôle logistique et se consacre aujourd'hui à la création d'un pôle industriel spécialisé dans les biotechnologies, appelé Biopolis.

Biopolis est conçue comme un centre international de recherche et développement consacrée aux sciences biomédicales. Sur le même campus, situés à proximité de l'université et des institutions publiques de recherche, sont regroupés des bâtiments destinés à la recherche biomédicale et au développement, en favorisant la collaboration entre chercheurs publics et privés.

La première phase a conduit en 2004 à mettre à disposition 185 000 m² de locaux à plusieurs agences gouvernementales et instituts de recherche publics et privés spécialisés dans la pharmacie et les biotechnologies.

La seconde phase, destinée à être achevée en octobre 2006, consistera à mettre en place deux nouveaux bâtiments consacrés à la recherche en neuroscience et en immunologie.

Au total, un « biopôle » de 222 000 m² aura vu le jour.

Cette réalisation s'inscrit dans un programme plus large consistant à promouvoir la « société de l'intelligence » : le gouvernement singapourien a anticipé que l'industrie électronique, base de son développement il y a 30 ans, va se désengager progressivement pour se redéployer vers les pays de la région à plus bas coûts, et notamment vers la Chine. Ainsi, la délégation a eu confirmation que des entreprises comme ST MICROELECTRONICS ont progressivement réorienté leurs nouveaux investissements vers ces nouveaux pays depuis quelques années.

La politique industrielle singapourienne vise donc aujourd'hui à attirer de nouvelles industries à haute valeur ajoutée, et à leur fournir les outils de leur développement sur place, plutôt que de chercher à retenir les usines d'assemblage et leurs emplois peu qualifiés.

B. Les nouvelles technologies au service de l'amélioration des services publics

1. le programme e-government et la réorganisation de services publics autour d'un portail Internet unique

Selon les études comparatives internationales, Singapour est aujourd'hui le pays le plus en pointe dans l'accès et l'utilisation d'Internet. Ainsi une étude réalisée par Infocomm Development Authority of Singapore a indiqué que plus des deux tiers des foyers disposent d'un ordinateur et d'un accès Internet.

Si aujourd'hui l'administration en ligne est déjà une réalité - il suffit de 15 minutes et d'un formulaire à remplir en ligne pour créer une société - le plan e-goverment mis au point vise à systématiser son usage et à réformer l'ensemble des services publics autour des flux d'information. Ce plan, dont la réalisation va s'étaler jusqu'en 2010, propose de passer de la notion de administration électronique à celle d'administration intégrée.

D'ores et déjà, un portail unique permet l'accès à l'ensemble des procédures administratives : un système d'identifiant unique permet à chaque citoyen singapourien d'avoir accès à son dossier au sein des différents services publics.

Cette politique globale va de pair avec une sensibilisation et une formation de tous les citoyens à l'informatique : au sein des community centers, des formateurs sont présents pour faciliter le passage à l'informatique des personnes ne disposant pas d'ordinateurs personnels, et notamment des personnes âgées.

Ce programme ne se contente pas de créer un nouveau mode d'accès aux services publics : c'est aussi un aiguillon qui vise à réorganiser le service public en fonction des besoins des utilisateurs, en limitant les procédures (la célébration du mariage ne nécessite plus qu'un seul rendez-vous, celui de la cérémonie en elle-même) et en enrichissant les tâches des agents publics qui sont débarrassés d'une grande partie de la « paperasserie » administrative.

Si l'incitation à avoir recours aux procédures dématérialisées est forte, elle n'a pas pour l'instant mis fin à la possibilité de réaliser ces mêmes démarches administratives de façon traditionnelle par papier. La philosophie du projet est d'inciter les citoyens à se tourner vers ces services en ligne, ce qui permettra d'envisager une complète dématérialisation d'ici quelques années.

2. La dématérialisation totale des procédures judiciaires

Une visite du nouveau bâtiment de la Cour suprême de Singapour a été l'occasion pour la délégation d'examiner la réforme du système de gestion de la justice. Ayant hérité du système juridique de Common Law du colonisateur britannique, la justice singapourienne a connu une hausse régulière du nombre d'affaires à traiter.

Dans le cadre du programme e-government, la solution choisie a été de dématérialiser l'ensemble des procédures : les citations, les convocations, les échanges de pièces etc sont désormais effectuées via le système de remplissage électronique de formulaire (Electronic Filing System) qui non seulement supprime les documents papiers, mais permet aussi l'envoi des documents sécurisés sous format électronique à chacun des destinataires. Contrairement à la pratique française, le passage sur support électronique s'est immédiatement accompagné d'une quasi-éradication de la version papier. Des services d'assistance ont été mis en place afin de permettre aux usagers de se familiariser avec le système dans l'enceinte des tribunaux ou dans les community centers.

De la même façon, depuis 2005 les comptes rendus d'audience, auparavant rédigés par le juge, ont été remplacés par un enregistrement vidéo de l'ensemble des débats. Cet enregistrement, mis à disposition de l'ensemble des parties, fait foi : il a remplacé le procès-verbal établi autrefois, qui n'est plus rédigé par le juge que lorsqu'il apparaît nécessaire à la procédure judiciaire en cours.

Cette réforme a permis de diviser par trois le temps de traitement des affaires, et offert de nombreux avantages : ainsi, si nécessaire, une personne peut déposer par visioconférence - parfois directement depuis sa cellule - sans devoir être présente physiquement au palais de justice.

Le résultat apparaît comme particulièrement intéressant, car le système de dématérialisation a permis de garder l'essence du système de procédure juridictionnelle - qui est la sauvegarde des droits et la garantie que les différentes parties seront entendues impartialement - tout en supprimant les lourdeurs de la procédure traditionnelle et sa le traitement manuel des documents.

C. Les menaces extérieures sur le modèle de développement singapourien

1. Mettre fin à la dépendance en matière d'approvisionnement en eau

A l'occasion de sa rencontre avec M. Yaacob Ibrahim, Ministre en charge de l'environnement et des ressources en eau, la délégation l'a interrogé sur la politique de l'eau à Singapour.

L'approvisionnement en eau est une question cruciale, car en l'absence de rivière, l'île n'est actuellement pas autosuffisante. Aussi l'eau utilisée provient de quatre sources d'approvisionnement :

· l'eau de pluie, collectée et stockée dans des réservoirs (environ 40 % des besoins) ;

· l'eau importée par aqueduc de la Malaisie (environ 40 %)

· l'eau retraitée pour des usages non alimentaires (NEWater) (10 %) ;

· depuis 2005, l'eau produite par l'usine de désalinisation utilisant la technique de l'osmose inverse (10 %).

En 2011, les accords de fourniture signés avec la Malaisie viendront à expiration ; en l'absence d'accord sur le prix à payer après cette date, Singapour a lancé un ambitieux plan visant à augmenter les ressources propres (création de nouveaux bassins de rétention, développement des deux nouveaux modes d'approvisionnement) et à réduire les gaspillages (en faisant passer la consommation de 160 à 155 litres par jour et par habitant) afin d'atteindre l'autosuffisance et de ne plus être dépendant de ses voisins.

Ce faisant, l'objectif est bien de développer tout un nouveau secteur industriel de maîtrise du cycle de l'eau et de devenir un pôle de l'industrie du traitement de l'eau pour toute l'Asie. Singapour peut aujourd'hui proposer ses services aux États connaissant les mêmes difficultés, comme les Maldives, directement ou en collaboration avec le secteur privé.

2. La dépendance alimentaire : le rôle de l'Autorité vétérinaire et agroalimentaire (Agri-food and Veterinary Authority)

Du fait de la faible surface de terres agricoles, Singapour ne produit qu'une faible partie de son alimentation et doit importer le reste, principalement de ses voisins (Malaisie, Indonésie, Thaïlande), mais aussi de plus loin (foie gras français). La question de la sécurité alimentaire est donc une donnée cruciale, car le pays est dans une situation de dépendance alimentaire vis-à-vis de ses fournisseurs étrangers, qui ne disposent pas des mêmes infrastructures sanitaires.

Le cas du plan de lutte contre la grippe aviaire illustre l'approche singapourienne de la sécurité alimentaire.

Malgré les différents foyers qui ont été constaté dans son environnement proche (notamment en Indonésie), Singapour n'a jusqu'à présent pas eu à reporter de cas de grippe aviaire. Cependant, l'AVA a mis en place des mesures de surveillance et de contrôle renforcé de toutes les productions d'origine aviaire. Parallèlement un plan de réponse en cas d'épidémie a été mis en place.

Dans ce cadre, conformément aux recommandations de l'OIE (organisation internationale pour la santé des animaux), l'AVA a suspendu le 28 février 2006 toute importations de volailles et de produits dérivés de France suite à la découverte d'un cas dans l'Ain.

Cet embargo a principalement affecté les exportations françaises de foie gras (100 tonnes par an) et de petites volailles destinées à la restauration (cailles).

A l'issue du délai de 3 mois, aucun autre cas n'ayant été découvert, les autorités vétérinaires françaises ont proposé le principe de régionalisation de cet embargo.

Lors de notre entretien, M. le Directeur général Chua Sin Bin, a donc officiellement annoncé à la délégation la levée de l'embargo singapourien à l'exception de l'Ain et des départements ayant eu recours à la vaccination (Bouches-du-Rhône, Landes).

La délégation s'est félicité de la reprise des importations de produits de volaille française, mais s'est également étonnée que le gouvernement français accepte ce maintien même temporaire d'un embargo touchant notamment la volaille de Bresse alors que la communication à destination des consommateurs français mettait l'accent sur la sécurité sanitaire de l'ensemble des produits dérivés et volailles produits en France.

III. les recommandations de la délégation sur le développement des relations bilatérales franco-singapouriennes

· Approfondir les relations politiques

La délégation a pu juger, par les égards avec lesquels ses interlocuteurs l'ont reçue, que les autorités singapouriennes sont désireuses d'approfondir le dialogue politique mené avec les autorités françaises. A cet égard, elle se réjouit que la France ait signé le Traité d'amitié et de coopération en Asie du Sud-Est.

· Encourager les réformes politiques

Les interlocuteurs que la délégation a pu rencontrer au sein du Parlement singapourien ont montré que le parti au pouvoir savait renouveler intelligemment ses cadres et promouvoir l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle génération. Cependant, le passage de la démocratie formelle à la démocratie réelle nécessite encore une évolution, plus dans les esprits et les pratiques que dans les institutions.

· S'inspirer de la démarche de mise en œuvre d'une administration électronique pour réformer les services publics

Loin de se limiter à un simple mise en place d'un nouveau canal de communication, les nouvelles technologies sont en mesure de permettre une réflexion sur les procédures administratives pour repenser les organisations traditionnelles, en ayant pour objectif d'améliorer le service aux usagers et d'enrichir les tâches des agents publics.

· Soutenir l'implantation française à Singapour

Après les entreprises, les universités et grandes écoles telles que l'ESSEC ont compris que l'implantation à Singapour était une chance et un moteur pour le développement dans toute l'Asie du Sud-Est. Malgré sa faible superficie, Singapour est appelée à devenir un pôle de référence pour l'ouverture à la mondialisation, notamment en Asie du Sud-Est. Il importe donc de promouvoir une implantation française forte et visible à Singapour.

· Prendre exemple pour faire de la mondialisation un atout et une chance

Singapour est un parfait exemple des gains que peuvent engendrer la mondialisation, à condition que les politiques ne visent pas à une simple adaptation mais bien à l'anticipation des échanges et de l'évolution des filières économiques.

B. Conclusion

La délégation du groupe d'amitié est revenue très satisfaite du déroulement de sa visite, dont le programme fut à la fois dense et prometteur. Elle a reçu partout un accueil chaleureux et exceptionnel, qui témoigne de l'intérêt profond des singapouriens pour la France.

Elle espère que les nombreux contacts noués avec les députés singapouriens pourront être approfondis lors d'une prochaine visite en France.

Les relations franco-singapouriennes ont atteint un niveau d'excellence au niveau économique, qui demande à être encore prolongé au niveau politique. Le groupe d'amitié s'emploiera à les favoriser et à mettre en lumière auprès de nos industriels les attraits de son puissant potentiel économique. Il s'attachera également à veiller, en liaison avec notre ambassade, à l'intensification des nombreux champs de coopération bilatérale, que cette mission lui aura permis de mieux appréhender.

Singapour est un pôle de stabilité dans une région d'importance stratégique ; nous partageons souvent les mêmes valeurs et les mêmes objectifs sur la scène internationale ; beaucoup de liens culturels n'appellent qu'à se développer. Cette mission aura montré que nous pouvons et devons aller encore beaucoup plus loin et prendre appui sur l'excellence de nos relations politiques et économiques pour promouvoir un rapprochement plus global dans les domaines de l'enseignement, de la recherche et de la culture.

C. Annexes :

· Programme de la mission et personnalités rencontrées

Dimanche 11 juin 2006

Arrivée à Singapour

Lundi 12 juin 2006

Entretien avec M. Abdullah Tarmugi, Président du Parlement de Singapour

Visite du nouveau bâtiment du Parlement

Déjeuner avec M. Jean-Paul Réau, Ambassadeur de France, et les représentants de l'Ambassade de France

Entretien avec M. George Yeo, Ministre des Affaires étrangères

Dîner offert par M. Abdullah Tarmugi, Président du Parlement de Singapour, à l'hôtel Raffles

Mardi 13 juin 2006

Visite de la Cour suprême et présentation du programme de dématérialisation des procédures juridictionnelles

Rencontre avec le groupe parlementaire régional Singapour-Europe, présidé par Mme la Députée Indranee Rajah

Déjeuner offert par le groupe parlementaire régional Singapour-Europe

Présentation du programme e-government par M. Patrick Sim au Ministère des Finances

Rencontre avec la communauté française à Singapour à la résidence de l'Ambassadeur de France

Mercredi 14 juin 2006

Présentation des activités de Port of Singapore Authority et visite du port

Visite du nouveau bâtiment de l'Ambassade de France regroupant l'ensemble des services de l'État à Singapour

Présentation de l'Autorité de développement urbain (Urban Redevelopment Authority)

Visite du parc zoologique nocturne Night Safari

Jeudi 15 juin 2006

Entretien avec M. Yaacob Ibrahim, Ministre de l'environnement et des ressources en eau et Ministre en charge des Affaires musulmanes

Présentation des activités de l'Autorité de développement urbain (Urban Redevelopment Authority) par Mme Lau Chay Yuen, directrice du développement

Visite du Centre social communautaire Thomson géré par the People's Association

Visite à l'Autorité vétérinaire et agroalimentaire (Agri-food and Veterinary Authority) et entretien avec M. le Directeur général Chua Sin Bin

Visite de l'usine de St Microlectronics

Dîner de remerciements offert par l'ambassadeur de France

Vendredi 16 juin 2006

Présentation de Jurong Town Corporation et visite de Biopolis

Déjeuner avec les conseillers commerciaux français basés en Asie du Sud-Est en présence de Mme Jacky Deromedi, Présidente de la Chambre de Commerce française de Singapour

Départ pour Paris

· Liste des membres du Groupe d'amitié

Président :

M. Bernard DEPIERRE Député de la Côte-d'Or (UMP)

Vice-Présidents :

M. Olivier DASSAULT Député de l'Oise (UMP)

Mme Marie-Hélène DES ESGAULX Députée de la Gironde (UMP)

M. Pierre LASBORDES Député de l'Essonne (UMP)

M. Jean-Marie LE GUEN Député de Paris (SOC)

Membres :

M. Claude GATIGNOL Député de la Manche (UMP)

M. Jacques GODFRAIN Député de l'Aveyron (UMP)

M. Louis GUEDON Député de la Vendée (UMP)

M. Denis JACQUAT Député de la Moselle (UMP)

Mme Janine JAMBU Députée des Hauts-de-Seine (CR)

M. Pierre LELLOUCHE Député de Paris (UMP)

M. Jean-Claude LENOIR Député de l'Orne (UMP)

M. François LONCLE Député de l'Eure (SOC)

M. Lionnel LUCA Député des Alpes-Maritimes (UMP)

M. Patrice MARTIN-LALANDE Député du Loir-et-Cher (UMP)

M. Jean PRORIOL Député de la Haute-Loire (UMP)

M. Didier QUENTIN Député de la Charente-Maritime (UMP)

M. Éric RAOULT Député de Seine-Saint-Denis (UMP)

M. René ROUQUET Député du Val-de-Marne (SOC)

M. Rudy SALLES Député des Alpes-Maritimes (UDF)

M. François SCELLIER Député du Val-d'Oise (UMP)

Mme Béatrice VERNAUDON Députée de la Polynésie Française (UMP)

M. Michel VOISIN Député de l'Ain (UMP)

1 http://www.bloomberg.com/apps/news?pid=10000080&sid=a9FkT1og2axc&refer=asia

2 http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/pays-zones-geo_833/singapour_560/presentation-singapour_1281/politique-exterieure_14812.html


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