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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

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R A P P O R T D' I N F O R M A T I O N

Présenté à la suite de la mission effectuée en Lituanie

du 16 au 21 mars 2007

par une délégation du

GROUPE D'AMITIÉ FRANCE- LITUANIE (1)

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(1) Cette délégation était composée de M. Michel Destot, président, et de MM. Jean-Claude Bateux, Lionnel Luca, Daniel Prévost et Bernard Schreiner.

Table des matières

INTRODUCTION 33

I. Généralités 99

II. Vie politique 1313

A - Les institutions 1313

B - De l'alternance à la coalition minoritaire 1919

1. Brève mise en perspective 1919

2. La fin du gouvernement Brazauskas (octobre 2004-juin 2006) 2525

3. Le gouvernement Kirkilas 3232

III. Economie 3535

A - Une économie dynamique 3535

B - Un secteur en voie de développement : le tourisme 3838

C - Les problèmes de l'énergie 4141

1. La difficile gestion de l'héritage 4141

2. La stratégie énergétique 4646

IV. Politique européenne et étrangère 5151

A - Union européenne : 5151

B - Les relations avec l'étranger proche 5656

C - L'Otan 5959

V. La Lituanie et la France 6060

A - Echanges économiques 6060

B - Présence culturelle 6262

C - Quelques autres domaines de coopération 6565

En guise de conclusion 6666

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INTRODUCTION

La précédente mission en Lituanie de notre groupe d'amitié remontait à février 1997 et ceux qui pourront se reporter au rapport remis alors par le président du groupe, M. Georges Durand, mesureront aisément les transformations subies par ce pays en dix ans. Certes, depuis, nous avions eu des échanges aussi réguliers que possible avec les deux ambassadeurs ; nous avions rencontré les personnalités lituaniennes de passage à Paris et certains d'entre nous avaient eu la chance de se rendre à Vilnius pour des colloques ou des missions - à propos de Kaliningrad ou des questions d'énergie, notamment. En ce qui me concerne, j'ai également bénéficié des apports du jumelage entre Kaunas et ma ville de Grenoble. Il se trouve en outre que nous avons été autorisés à recevoir, en avril 2006, nos collègues du Seimas. Mais cette visite, naturellement, était d'abord à leur usage et nous nous sommes efforcés avant tout de satisfaire leur curiosité à l'égard de notre pays, de nos institutions et de nos « solutions », qu'il s'agisse du nucléaire et des énergies renouvelables, de la gestion des fonds structurels, des transports urbains ou du développement des nouvelles technologies. Nous avons pu, à cette occasion, nouer des relations chaleureuses que nous avons retrouvées intactes à notre arrivée à Vilnius. Cela a permis des échanges francs et confiants sur des sujets parfois délicats.

Il était néanmoins plus que temps d'effectuer une nouvelle visite afin de mieux apprécier l'évolution de la Lituanie depuis son entrée dans l'Union européenne, - éventuellement de dissiper des malentendus, par exemple à propos de notre référendum sur le projet de traité constitutionnel - et de nous informer sur les dossiers les plus urgents pour nos partenaires : essentiellement le dossier de l'énergie et celui de l'entrée dans la zone Schengen.

Notre programme avait été élaboré conjointement par notre ambassade et par le groupe « pour les relations interparlementaires avec la République française ». Mesurant le travail qu'il a exigé, nous renouvelons nos remerciements à Mme Jadvyga Zinkevičiūtė, présidente de ce groupe Lituanie-France, et à Son Exc. Guy Yelda, ainsi qu'à leurs collaborateurs : hôtes impeccables et organisateurs efficaces, ils ont choisi à bon escient nos interlocuteurs, avec le souci d'une approche diversifiée sur chaque thème ; ils ont eu à cœur de nous assister tout au long de ce séjour en allant bien au-delà de ce qui était requis, sachant éclairer opportunément les sujets abordés et nous fournissant une documentation abondante. Grâce à eux, nous avons eu également la démonstration irréfutable qu'il existe en Lituanie une francophilie vivante et, à ce propos, nous tenons à adresser un cordial souvenir à nos collègues du groupe d'amitié qui, bien qu'au nombre de 38, ont pratiquement tous réussi à participer à au moins une de nos rencontres - certains à quatre ou cinq ! Nous avons ainsi été honorés par la présence, lors de la réception à la Résidence, de Mme Prunskienė, ministre de l'agriculture et, en tant que députée, membre du groupe.

Le programme a été le suivant :

Vendredi 16 mars

16 h : entretien avec M. Regimantas Čiupaila, vice-ministre de l'Intérieur, et M. Olegas Skinderskis, Directeur du Département des Relations Internationales et de l'Union européenne du Ministère de l'Intérieur.

19 h : réception et dîner offerts à la résidence de France par Son Exc. M. Guy Yelda.

Samedi 17 mars

9 h 30 : départ pour Druskininkai.

11 h : visite du poste frontière de Raigardas.

13 h 30 : déjeuner offert par M. Justinas Karosas, Président de la Commission des affaires étrangères et député de Druskininkai.

15 h : visite de la ville et du centre thermal.

19 h : dîner informel.

Dimanche 18 mars

10 h : entretien avec M. Ričardas Malinauskas, Maire de Druskininkai ; puis visite de quelques équipements et déjeuner offert par M. Malinauskas.

15 h : départ pour le château de Trakai ; visite du château et de son musée ; concert de musique ancienne.

18 h 30 : dîner offert par M. Alfredas Pekeliūnas, vice-président du Seimas.

Retour à Vilnius.

Lundi 19 mars

9 h : entretien avec M. Vytas Navickas, Ministre de l'Economie.

10 h 15 : entretien avec M. Viktoras Muntianas, Président du Parlement.

11 h 10 : rencontre avec le Groupe d'amitié Lituanie-France.

12 h : déjeuner de travail avec M. Andrius Kubilius, ancien Premier ministre, président de la commission des affaires européennes, et des membres de cette commission ainsi que de la commission des affaires étrangères.

13 h 30 : entretien avec Mme Birutė Vesaitė, présidente de la commission de l'économie, et des membres de cette commission ainsi que de la commission de l'environnement.

15 h : visite guidée du vieux Vilnius.

16 h 30 : remise des prix des concours de la Francophonie à l'Ambassade de France.

18 h 30 : dîner offert par Mme Jadvyga Zinkevičiutė, présidente du groupe d'amitié.

Mardi 20 mars

10 h : visite de l'école française.

11 h 30 : visite de l'entreprise Dalkia. Déjeuner de travail.

13 h 45 : entretien avec les dirigeants de la société Lietuvos Energija.

15 h : visite du centre culturel français.

18 h : vernissage de l'exposition « Les Français à Klaipeda, 1920-1923 » au Musée de l'Arsenal, suivi d'un buffet offert par le ministère des affaires étrangères à l'occasion de la journée de la Francophonie.

20 h : dernière rencontre avec le groupe d'amitié Lituanie-France.

Mercredi 21 mars

Quatre thèmes principaux ont ainsi été traités plus précisément au cours de ces rencontres :

- l'entrée dans la zone Schengen (au ministère de l'intérieur, puis au poste frontière de Raigardas) ;

- les questions énergétiques (ministère de l'économie ; commissions de l'économie et de l'environnement ; visites de Dalkia et de Lietuvos Energija) ;

- la revitalisation des villes, le tourisme et la gestion des fonds européens (Vilnius, Trakai et surtout Druskininkai) ;

- la présence de la France (francophonie, centre culturel, exposition sur Klaipeda, Dalkia encore).

Ils feront donc l'objet de développements particuliers mais, compte tenu du peu de place donné à la Lituanie dans la presse d'information française, il a paru utile de rédiger un rapport à caractère plus général, au sein duquel ces éléments trouveront à s'insérer.

Ce rapport est dédié à la mémoire de trois hommes qui ont en commun d'avoir servi l'amitié franco-lituanienne : Michel Pelchat, président du groupe d'études sur les pays baltes, puis premier président du groupe d'amitié France-Lituanie, à qui M. Landsbergis avait donné mission d'introduire la procédure en vue d'une restitution de la mission de Lituanie à Paris ; Gabriel Kaspereit, qui devenait à Vilnius Ponas Kaspareitis et qui, à Paris, accueillait régulièrement dans sa mairie la communauté lituanienne lors de la fête nationale ; enfin, le recteur Rolandas Pavilionis, ancien président du groupe Lituanie-France, francophone éminent et défenseur intraitable du budget de l'éducation et de la culture.

I) Généralités

La Lituanie n'est pas un si petit pays.

Superficie : 65.200 km2, soit bien plus que les Pays-Bas (40.800), la Suisse (41.300) ou le Danemark (43.000), et le double de la Belgique (30.500).

Population : 3.400.000 habitants (comparable donc à celle de l'Irlande, même si l'écart se creuse depuis quelques années). Densité : 52 habitants au km2.

D'ailleurs, la Lituanie a été placée par le traité de Nice dans la même « strate » que le Danemark et l'Irlande. Mais il faut aussi prendre en compte sa situation géographique, qui en fait un partenaire de choix pour les relations entre l'Union européenne et ses voisins orientaux.

La plus grande et la plus peuplée des trois Républiques baltes, la Lituanie est aussi la moins ouverte sur la mer, totalisant moins de cent km de côtes - dont la majeure partie occupée par les dunes de Neringa Spit et par la lagune de l'embouchure du Niémen. La Lituanie a d'ailleurs longtemps tourné le dos à la Baltique (elle n'a annexé son port de Klaipeda qu'en 1923 : la ville était prussienne, sous le nom de Memel, depuis sa fondation en 1252).

Mesurant 373 km d'est en ouest et 276 km du nord au sud, le pays est bordé par la Pologne (103 km de frontières), l'enclave russe de Kaliningrad (273 km), la Lettonie (588 km) et la Biélorussie (656 km). Les frontières avec l'Union européenne (690 km) sont donc moins longues que les frontières « externes » (929 km) - ces chiffres étant d'ailleurs fournis à titre indicatif, car les évaluations varient de façon surprenante d'une source à l'autre !

Le territoire de la Lituanie est une extension de la grande plaine est-européenne. Façonné par l'érosion due au retrait des glaciers à l'ère quaternaire, le relief est très peu accentué (altitude moyenne : 100 m). La monotonie des plaines est seulement rompue par de petites collines morainiques (38 % de la superficie) : d'abord celles de Samogitie (Žemaitija), puis, de l'autre côté d'une plaine centrale large de 100 km, le vaste arc des « hautes terres » (Auk_taitija) se relevant à mesure qu'on approche de la frontière avec la Biélorussie (point culminant : 293 m à Juozapine).

Témoignent aussi de l'héritage glaciaire près de 3.000 lacs (surtout à l'est), des dépressions marécageuses (environ 6 % du territoire, surtout au nord et à l'ouest, mais la moitié des terres autrefois humides ont été asséchées) et de multiples cours d'eau - 18 de plus de 100 km de cours ; les principaux sont le Nemunas [Niémen, 937 km dont 475 en Lituanie], qui fournit l'essentiel de l'énergie hydroélectrique, et son affluent la Néris [510 km dont 235 en Lituanie].

La mer atténue la continentalité du climat, adoucissant la rigueur des hivers (température moyenne en janvier : - 5°C), mais le climat est plus variable dans l'est. Les étés sont frais, avec de fortes précipitations (température moyenne en juillet : + 17°C). D'où un paysage très verdoyant : la forêt couvre 28 % du territoire, soit 18.000 km2.

Malgré ces conditions naturelles médiocres (forte humidité, sols acides), c'est un pays encore largement agricole (40 % de surface arable).

Avec sensiblement le même relief d'origine glaciaire et les mêmes modestes ressources (tourbe, sable, bois, ambre, un peu de pétrole...) que la Lettonie et l'Estonie, la Lituanie se distingue par une occupation de l'espace sensiblement différente : alors que Tallinn et Riga sont des ports qui rassemblent près du tiers de la population nationale, Vilnius (540 000 hab.), création d'un grand-duché tourné vers les terres ruthènes, est à 300 km de la mer et a laissé se développer un certain nombre d'autres villes importantes, dont quatre de plus de 100 000 habitants : Kaunas (377 000 h.), la capitale de l'entre-deux-guerres, qui se modernise plus lentement mais pourrait tirer de grands avantages de la future Via Baltica, qui la reliera à la Finlande et à l'Allemagne ; Klaipeda (190 000 h.), le seul port ; Šiauliai (130 000 h), Panevežys (120 000 h).

Mais, au sein de l'ensemble « balte », la singularité de la Lituanie est multiforme. Elle est d'abord linguistique : le letton et le lituanien sont les deux seules langues baltes subsistantes tandis que les Estoniens parlent une langue finno-ougrienne. Et, alors qu'il y a intercompréhension entre ces derniers et les Finlandais, il n'en va pas de même entre Lettons et Lituaniens. Ceux-ci se distinguent également par la religion : les premiers sont majoritairement luthériens, les seconds catholiques à 79 %.

Contrairement à leurs voisins, les Lituaniens peuvent aussi s'appuyer sur une tradition nationale ancienne : dès Mindaugas, roi en 1234, ils se sont dotés d'un Etat ; leur grand-duché, sous Gediminas et Vytautas, était un empire multinational - dont la langue de chancellerie était d'ailleurs le ruthène et qui a manqué de peu se rattacher à l'orthodoxie -, le plus grand Etat d'Europe au moment de l'union avec la Pologne. Ce fut aussi le dernier pays païen du continent et le Président Landsbergis nous a rappelé en 1997 que la conversion au catholicisme était déjà une conversion à l'Europe :

« Par notre histoire, notre culture et notre volonté, nous appartenons à l'Europe occidentale. La Lituanie a été le dernier Etat européen à être christianisé, mais il l'a été par sa propre détermination et s'y tient depuis 700 ans. Nous sommes prêts aujourd'hui à confirmer cette volonté et à prouver à nouveau à l'Europe de l'ouest que nous voulons être avec elle. (...) La Lituanie a une situation particulière : elle est à la jonction de l'Europe baltique-nordique (nous sommes les méridionaux de cette région) et de l'Europe centrale à laquelle nous appartenons, en tant que dernier Etat catholique vers l'est. »

A la différence religieuse s'ajoutent des traditions différentes en ce qui concerne les relations avec les voisins. La Lituanie a été dans le même mouvement christianisée (par les Jésuites) et polonisée, puisque, après l'Union personnelle des deux Etats, elle fut progressivement absorbée dans une Respublica vouée à l'anarchie nobiliaire. Elle resta pendant toute cette période un pays agricole, en retard sur les deux autres futures républiques baltes où les propriétaires terriens allemands introduisaient des techniques modernes, favorisant le commerce portuaire, l'alphabétisation et l'implantation d'industries. C. Leonzi, opposant en 1995 l'ultra-libéralisme estonien au dirigisme et au nationalisme économique lituaniens, notait :

« Culturellement, l'Estonie et la Lettonie luthériennes sont longtemps demeurées des provinces industrieuses et commerçantes, sous la domination successive du Danemark, de l'Ordre teutonique et de la Suède, si bien que l'influence germanique y demeure fort sensible. En revanche, la Lituanie rurale et catholique est parée d'un passé de puissance indépendante jusqu'en 1589 et qui, unie ensuite à la Pologne, confina à la mer Noire sous les Jagellon.

De nos jours, ces contrastes demeurent apparents : l'Estonie septentrionale présente une identité nordique accusée [tandis que], indubitablement, la Lituanie demeure intimement impliquée dans les enjeux propres à l'Europe centrale, en particulier par ses relations ambiguës avec la Pologne des confins. »

Ces relations, fort médiocres jusqu'en 1994 en raison d'un contentieux remontant à 1920, se sont fortement améliorées depuis et les deux pays ont défini une stratégie commune, tant en ce qui concerne l'adhésion à l'Union européenne que pour les relations avec les pays voisins (Ukraine, Biélorussie....)

Autre différence importante : bien que très dépendante aussi de la Russie pour son approvisionnement énergétique, la Lituanie qui ne compte que 6,3 % de Russes et qui occupe de surcroît le passage vers l'oblast de Kaliningrad, ne peut avoir avec Moscou les mêmes relations que l'Estonie et la Lettonie, qui comptent encore, respectivement, 25 et 28 % de Russes dont l'intégration fait problème. Cette présence très minoritaire s'explique notamment par la politique des dirigeants lituaniens de l'époque soviétique : Antanas Snieckus, chef du PCL jusqu'à sa mort en 1974, préserva le pays d'une industrialisation massive, et donc de l'immigration qu'elle aurait entraînée. Et si Ignalina, ensuite, a pu fonctionner sans problème avec du personnel russe, c'est que le sort de cette centrale nucléaire a toujours été une question d'intérêt national.

II) Vie politique

A - Les institutions

La Constitution d'octobre 1992 réalise un compromis entre régime présidentiel et régime parlementaire. Ainsi le Président de la République peut dissoudre le Parlement sous certaines conditions, mais le « Seimas » élu ensuite peut à son tour révoquer le Président et convoquer une élection présidentielle anticipée.

Le Parlement ("Seimas") :

Le Parlement monocaméral comprend 141 députés élus pour 4 ans. La loi électorale du 9 juillet 1992, amendée et complétée à plusieurs reprises, organise un système mixte de désignation, associant scrutin de liste proportionnel pour 70 députés et scrutin majoritaire à deux tours (système de circonscriptions) pour les 71 autres. Pour le scrutin à la proportionnelle, il existe un seuil de 5 % des votants (7 % pour les listes fusionnées) et les candidats doivent être présentés par un parti - ce qui exclut les « organisations sociales » - sur une liste d'au moins 25 noms dont chaque électeur peut modifier l'ordre en fonction de ses préférences.

Sont éligibles tous les citoyens d'au moins 25 ans, à l'exception des militaires, policiers, gardes nationaux..., et des personnes liées à un Etat étranger. On peut être candidat à la fois au scrutin à la proportionnelle et dans une circonscription (plusieurs personnalités battues dans leur circonscription ont ainsi été "repêchées"). Les élections sont financées par l'Etat, ainsi que par des fonds collectés par les candidats individuels (dans la limite de 50 fois le salaire mensuel moyen) ou par les organisations politiques (le plafond est, dans ce cas, de 1000 fois le salaire mensuel moyen).

Les élections au scrutin de circonscription ne sont valides que si la participation atteint 40 % des inscrits. Pour le scrutin à la proportionnelle, le seuil est ramené à 25 %.

Les députés doivent prêter un serment de fidélité à la République et ne peuvent occuper aucun emploi dans l'administration, dans l'armée ni dans le secteur privé. Ils peuvent seulement être nommés au gouvernement (devenus ministres, ils ne sont pas obligés de renoncer à leur mandat) et avoir une activité de création.

Le Seimas examine et adopte les lois et les amendements à la Constitution. Ces derniers, pour être adoptés, doivent être votés en termes identiques à au moins trois mois d'intervalle, à la majorité des trois cinquièmes. Le Seimas décide aussi des référendums, fixe la date de l'élection présidentielle, établit les institutions d'Etat, approuve ou rejette la candidature du Premier ministre proposé par le Président ; se prononce sur le programme de gouvernement que lui soumet le Premier ministre ; contrôle l'activité du gouvernement... Il nomme les juges, le contrôleur d'Etat et le président du Bureau de la Banque de Lituanie ; il convoque les élections municipales ; il approuve le budget et en surveille l'exécution, établit les taxes d'Etat, ratifie ou non les accords internationaux, déclare l'administration directe, l'état de guerre et l'état d'urgence et décide du recours à la force armée.

L'initiative des lois revient aux députés, au Président de la République et au gouvernement, mais "un projet de loi peut également être présenté au Seimas par 50 000 citoyens possédant le droit de vote". De même, un référendum peut être décidé, sur des "questions importantes intéressant la vie de l'Etat et du peuple", si au moins 300 000 électeurs le demandent.

Des élections anticipées peuvent être organisées par décision des trois cinquièmes du Seimas. C'est le cas également si le Seimas n'a pas pris de décision sur le nouveau programme du Gouvernement dans les trente jours qui suivent sa présentation, ou s'il a désapprouvé deux fois de suite ce programme dans les soixante jours ; ou, sur proposition du Gouvernement, quand celui-ci est victime d'une motion de défiance.

Durant la session, le Premier ministre, ou un ministre, peut être interpellé à l'initiative d'un cinquième des députés. Si la réponse est considérée comme insatisfaisante, un vote de défiance peut intervenir. Il existe en outre une procédure d'impeachment applicable au Président de la République, aux députés et aux juges des trois Cours constitutionnelle, suprême et d'appel.

Organisation du Seimas

Le Président du Parlement assure l'intérim du Président de la République - et signe les lois qui ne l'auraient pas été par le Chef de l'Etat dans les délais prescrits par la Constitution.

Le Seimas comprend actuellement 15 commissions (Affaires étrangères - Affaires européennes - Affaires rurales - Affaires sociales et travail - Audit - Budget et finances - Développement de la société de l'information - Droits de l'homme - Economie - Education, science et culture - Lois - Protection de l'environnement - Administration d'Etat et collectivités locales - Santé - Sécurité nationale et défense), composées à la proportionnelle. Chacune doit faire rapport de son travail au moins une fois par an. Elles se réunissent au moins une fois par semaine, et peuvent constituer des sous-commissions. Si, dans leur sein, une minorité d'au moins trois députés présente un avis divergent sur le sujet soumis à examen, il doit être fait état de cette opinion en même temps que de la décision de la commission.

La commission des affaires européennes a un statut particulier : alors que les autres comptent de 7 à 17 membres, elle en a de 15 à 25 qui, par exception peuvent être membres d'une autre commission - c'est aussi le cas des commissaires des affaires étrangères - ou du Bureau ; son président est d'ailleurs élu parmi les vice-présidents du Seimas (c'est aujourd'hui M. Kubilius, chef de l'opposition) et parmi ses propres vice-présidents figure, ex officio, le président de la commission des affaires étrangères. M. Karosas, qui occupe actuellement cette dernière fonction, nous a précisé que sa commission se réservait le traitement des questions de politique commune de sécurité et de défense, ainsi que de politique commerciale commune (relations avec l'OMC notamment). Et, à la différence de ce qui se passe en France, ces deux commissions peuvent donner un mandat au Gouvernement avant un conseil des ministres européens.

L'opposition dispose de droit d'un poste de président ou de vice-président dans deux commissions : celle des finances et celle de l'audit.

Dix groupes politiques ont été enregistrés : Parti social-démocrate ; Parti du travail ; Union de la Patrie ; Paysans ; Démocratie citoyenne ; Mouvement libéral ; Nouvelle Union (sociaux-libéraux) ; Ordre et Justice (libéraux-démocrates) ; Union libérale et du centre ; et un groupe des non inscrits qui a, en principe, les mêmes droits que les autres. L'effectif minimum, hormis pour le dernier, est de sept députés.

Le Bureau est composé du Président du Seimas, des vice-présidents (6 actuellement) dont un - M. Kubilius - a le statut de leader de l'opposition, et du Chancelier. Il dirige le personnel, alloue les crédits, autorise les déplacements à l'étranger, répartit les projets à examiner entre les commissions, enregistre les groupes... La Conférence des présidents regroupe le Bureau et des représentants des groupes (en gros, un par tranche de dix membres). Elle se réunit deux fois par semaine durant les sessions et joue un rôle consultatif auprès du Bureau. Sa fonction première est d'organiser le travail du Seimas et des commissions ainsi que de régler l'ordre du jour.

Le Chancelier, chef de l'administration, prépare l'ordre du jour avec le Président, supervise l'examen des projets de loi ainsi que les questions au gouvernement et les interpellations. Responsable du sceau du Seimas, il contrôle le travail du personnel.

Il existe en outre, dans le Seimas actuel, une quinzaine de comités permanents (des pétitions, de la lutte contre la corruption, des problèmes de la centrale d'Ignalina...), et notamment un comité permanent de l'éthique et des procédures qui contrôle le respect du statut et des règlements du Parlement, analyse les motifs de toute absence et reçoit du Procureur général de la République des informations relatives aux activités personnelles des députés.

Il y a deux sessions ordinaires : celle de printemps (10 mars - 30 juin) et celle d'automne (10 septembre - 23 décembre). Une session extraordinaire peut être convoquée par le Président du Parlement, à la requête d'au moins un tiers de l'assemblée, ou par le Président de la République, en cas d'urgence. En général, le Parlement tient quatre séances par semaine : deux le mardi et deux le jeudi - avec une semaine de vacances toutes les trois semaines. La séance du jeudi soir est consacrée aux questions au gouvernement et au débat sur les affaires internes du Parlement. L'ordre du jour du jeudi matin est, une fois sur trois, confié aux groupes de l'opposition.

Enfin, le Parlement peut décider, à son initiative ou à la demande du Président de la République ou du Premier ministre, de se réunir à huis clos.

Le Président de la République :

Le chef de l'Etat est élu au suffrage universel direct pour un mandat de 5 ans, renouvelable une fois. Les candidats doivent être citoyens lituaniens de naissance et âgés d'au moins 40 ans, avoir résidé dans le pays au cours des trois dernières années et être éligibles au Seimas. Ils doivent être présentés par au moins 20 000 électeurs. Est élu celui qui recueille, au premier tour, la majorité des suffrages représentant au moins la moitié des votants si la participation a dépassé 50 % des inscrits, ou le tiers dans le cas contraire. Si ces conditions ne sont pas satisfaites, un deuxième tour est organisé 14 jours après le premier, entre les deux candidats arrivés en tête : la majorité simple suffit alors. L'élu doit renoncer à toutes ses activités politiques.

Le Président dirige la politique étrangère, signe les accords internationaux, nomme les ambassadeurs et le commandant en chef de l'armée, ainsi que le Premier  ministre après accord du Parlement, et il confirme la composition du gouvernement (il ne peut démettre de sa propre autorité un Premier ministre : il lui faut, par décret, demander au Seimas de se prononcer sur une motion de défiance). Il présente chaque année au Seimas un rapport sur la politique intérieure et étrangère.

Il peut demander au Seimas une nouvelle délibération d'une loi. Son veto ne peut être surmonté que par un vote à la majorité absolue du Seimas. Il peut également dissoudre le Parlement dans les cas énumérés supra, étant rappelé que la nouvelle assemblée pourra à son tour décider une élection présidentielle anticipée.

En cas de décès ou de démission et dans les autres cas de force majeure, mais aussi pendant ses déplacements à l'étranger, le Président du Parlement assure l'intérim, - mais ne peut convoquer d'élections législatives anticipées ni nommer ou révoquer des ministres sans l'accord de l'Assemblée.

Le gouvernement

Son effectif est limité à 14 membres, y compris le Premier ministre. Le choix de ce dernier revient au Président de la République, mais il doit être approuvé par le Seimas. Le chef du gouvernement a alors quinze jours pour faire approuver chacun de ses 13 ministres, et trente jours pour faire approuver son programme.

Organisation territoriale :

Les pouvoirs locaux sont organisés en deux niveaux : la Lituanie est d'abord subdivisée en 10 districts ou « comtés » (apskritys) dirigés par des gouverneurs nommés par le Gouvernement, puis en 60 municipalités (savivaldybes), dont 12 urbaines, dirigées par des maires. Les conseils municipaux sont élus pour quatre ans. Les dernières élections ont eu lieu ce 25 février ; les précédentes remontaient à décembre 2002.

Justice

Les juges de la Cour suprême sont nommés par le Parlement sur proposition du Président de la République. La Cour fonctionne comme cour de cassation.

Les juges de la Cour d'appel (installée en 1995) sont nommés par le Président de la République, après approbation du Parlement. Mais le Président nomme seul les magistrats des tribunaux de district et des tribunaux locaux, à partir des recommandations d'un Conseil judiciaire.

Entre 1999 et 2001 a été mis en place un système de juridictions administratives, formé de cinq tribunaux régionaux et d'une Cour suprême, instance d'appel dont les décisions ne sont pas susceptibles de pourvoi en cassation.

La Cour constitutionnelle (créée en 1993) est formée de 9 juges désignés pour un mandat de neuf ans non renouvelable. C'est le Parlement qui les nomme par tiers, tous les trois ans, à parité parmi les candidats choisis par le Président de la République, le Président du Parlement et celui de la Cour suprême. La Cour constitutionnelle est saisie par le gouvernement, le cinquième des députés, les tribunaux et le Président de la République.

En ce qui concerne le Parquet (Procurature), le procureur général, secondé par deux adjoints, est nommé par le Président de la République.

B - De l'alternance à la coalition minoritaire

1. Brève mise en perspective

Six personnalités qui ont marqué l'histoire de la Lituanie nouvelle

Depuis près de vingt ans se sont succédé trois figures tutélaires dont la dernière seule - d'ailleurs la plus âgée - continue de jouer un rôle de premier plan.

La première est bien sûr Vytautas LANDSBERGIS, musicologue né en 1932, qui a incarné pour le monde, et pour les Français notamment, le mouvement pour l'indépendance - Sajudis. Cependant, lorsque les institutions se reconstituèrent en 1992, ce mouvement s'était largement délité, en raison de la renaissance des partis d'avant-guerre, mais aussi parce que M. Landsbergis en avait découragé beaucoup par son intransigeance, par son obsession du danger russe et par son peu d'intérêt pour les questions économiques. Du fait notamment d'une grave crise agricole liée à la restitution des terres, ce fut alors, premier retour au pouvoir des ex-communistes dans ce qu'on appelait les PECO, l'élection à la Présidence de M. Brazauskas.

L'autre grande figure de la politique lituanienne a précisément été, jusqu'à l'an passé, Algirdas BRAZAUSKAS (né également en 1932), ancien secrétaire général du PC lituanien - lequel avait, il faut s'en souvenir, pris ses distances avec Moscou dès 1988 ; M. Brazauskas a d'ailleurs participé au premier gouvernement de 1990-91. Vainqueur aux élections législatives de 1992, Président de la République de 1993 à 1998, M. Brazauskas avait pris sa retraite lorsque l'impasse politique l'obligea, en juillet 2001, à assumer la direction du gouvernement, bien qu'il ne l'eût, semble-t-il, pas recherché (son parti démocratique du travail venait alors de fusionner avec le parti social-démocrate, dont il emprunta le nom).

M. Brazauskas est demeuré Premier ministre pendant cinq ans, ce qui est le record de longévité. M. Kirkilas a pris le relais en juillet dernier.

Lui avait auparavant succédé à la tête de l'Etat Valdas ADAMKUS (né en 1926), un Américano-Lituanien qui s'est illustré dans la dépollution des Grands Lacs mais qui était aussi le directeur de campagne de l'ambassadeur Lozoraitis, représentant de l'Etat lituanien en exil et candidat malchanceux à la Présidence en 1993. Elu une première fois en 1998, battu en 2003 par M. Paksas, M. Adamkus a été élu à nouveau après la destitution de ce dernier (juin 2004). On l'a dit proche des Républicains américains et, en Lituanie, des libéraux, mais ce qui fait à la fois sa force et sa faiblesse, c'est qu'il ne dispose d'aucun parti. Et, s'il s'affirme nettement plus interventionniste que ne l'était son prédécesseur Brazauskas, c'est au nom de la morale politique et de la Constitution.

Face à ces trois hommes qui ont guidé le retour à l'indépendance, puis l'intégration euro-atlantique, trois autres se sont trouvés au centre de soubresauts politiques sérieux, incarnant des tentations populistes et la défiance ressentie par une partie de la population à l'égard d'un cours nouveau qui ne lui est pas toujours favorable.

La première vague populiste, en 1998-2000, fut celle des sociaux-libéraux, autour de l'ancien procureur Arturas PAULAUSKAS (né en 1953). Présenté comme le dauphin de M. Brazauskas, il échoua de peu à la présidentielle de 1998, et fonda un parti social-libéral, la Nouvelle Union, qui, en 2000, remporta suffisamment de députés pour que le gouvernement ne puisse être formé sans lui. Après avoir tenté une alliance avec les Libéraux, les sociaux-libéraux s'allièrent aux sociaux-démocrates, ce qui leur permit de figurer dans la majorité, et à M. Paulauskas de devenir Président du Parlement jusqu'à l'an dernier. Mais, entré dans le jeu politique classique, la Nouvelle Union semble s'être bien affaiblie, avant même qu'elle ne quitte la majorité après le vote de la motion de défiance qui coûta son poste à M. Paulauskas (avril 2006).

Deuxième vague : celle des libéraux-démocrates de Rolandas PAKSAS (né en 1956), un pilote de voltige qui fut d'abord maire de Vilnius, puis Premier ministre conservateur (juin-novembre 1999), avant de se rapprocher de M. Adamkus et des libéraux. A nouveau chef du gouvernement en 2000, il démissionna après la vente de la raffinerie de Mazeikiai à l'Américain Williams, fonda son propre parti, mena une campagne coûteuse sur des thèmes populistes et se fit élire à la Présidence (2003), à la surprise de tous... et en changeant totalement d'électorat. Quelques mois après, il était accusé d'avoir mis en danger la sécurité de l'Etat puis écarté après une longue procédure d'impeachment. Il a soutenu Mme Prunskiene (Union des paysans-Nouvelle Démocratie) à l'élection présidentielle de juin 2004, grâce à quoi elle a figuré au second tour, après avoir devancé le candidat conservateur.

Ayant finalement bénéficié d'un non-lieu de la Cour suprême (décembre 2005), M. Paksas tente aujourd'hui un retour. Il vient d'être élu au conseil municipal de Vilnius.

La dernière vague (2004) est celle du parti du Travail de Victor USPASKICH (né en 1959), un millionnaire d'origine russe (le « roi du cornichon ») qui s'est constitué un véritable fief à Kedainiai. Son succès électoral ne lui a toutefois pas permis de former un gouvernement et il a dû joindre ses forces, largement inexpérimentées, à celles de MM. Brazauskas et Paulauskas. Nommé ministre de l'économie malgré les fortes réticences de M. Adamkus, il a été contraint de démissionner de ce poste, ainsi que de son mandat de député, pour avoir profité de négociations officielles à Moscou afin de faire avancer les intérêts de sa holding Vikonda. En raison de ses relations d'affaires avec Gazprom, on le soupçonne d'être lié, comme M. Paksas, à certains milieux russes. Accusé d'avoir constitué une caisse noire, il a dû s'exiler à Moscou et, bien qu'élu conseiller municipal de Kedainiai en février dernier, il ne semble pas près d'en revenir.

L'émiettement

Depuis 1990, la Lituanie en est à son quatorzième gouvernement (sans compter les gouvernements intérimaires), mais n'a connu que quatre élections présidentielles et autant de législatives. Un tableau permet de montrer comment en 17 ans, on est passé de l'ère de l'alternance à celle des coalitions, maintenant minoritaires.

Chef d'Etat

Majorité parlementaire

Chef du gouvernement

(1990-1992)

M. Landsbergis,

président du Conseil suprême

Conseil suprême

91 Sajudis

Mme Prunskiene (mars 90-janv. 91)

M. Simenas (janvier 91)

M. Vagnorius (janv.91-juillet 92)

M. Abisala (juillet-décbre 92)

1992-1998

M. Brazauskas

1er Président de la République

(1993-1998)

Seimas 1992

76 parti démoc. du travail

M. Lubys (déc. 92-mars 93)

M. Slezevicius (mars 93-février 96)

M. Stankevicius (févr.- novbre. 96)

Seimas 1996

70 Union de la Patrie

M. Vagnorius (décbre 96-mai 99)

M. Paksas (mai-octbre 99)

M. Kubilius (novbre.99- octbre 00)

1ère cohabitation

1998-2003

M. Adamkus

(1998-2003)

Seimas 2000

73 soc-démoc. et soc-libéraux

M. Paksas (octbre 00-juin 01)

M. Brazauskas (juillet 01-novbre 04)

2003-(2007)

M. Paksas

(2003-2004)

2ème cohabitation

M. Adamkus

(2004-2009)

Seimas 2004

Coalition, aujourd'hui minoritaire

M. Brazauskas (novbre 04-juin 06)

M. Kirkilas (juillet 06- )

Jusqu'en 2000 à peu près, on a pu croire que conservateurs et sociaux-démocrates allaient se succéder au pouvoir à chaque élection générale, mais cette évolution vers la bipolarisation a été arrêtée par la montée des populismes et d'abord, pour un temps, par l'émergence d'un mouvement libéral que paraissait incarner M. Paksas. L'alliance entre les sociaux-libéraux et les libéraux-démocrates parut ainsi ouvrir une nouvelle voie, conforme aux vœux du président Adamkus. L'instabilité de M. Paksas et l'affaire Williams mirent fin à cette expérience et ce fut une autre coalition, entre sociaux-démocrates et sociaux-libéraux, qui l'emporta (juillet 2001). Mais le parti « dominant » (qui s'était d'ailleurs présenté aux élections comme une « coalition Brazauskas ») n'avait plus qu'une cinquantaine de députés alors que, dans les parlements précédents, une formation disposait pratiquement de la majorité à elle seule. Les dernières législatives ont encore accusé cet émiettement : les deux partis pivots - sociaux-démocrates et conservateurs de l'Union de la Patrie - n'ont obtenu chacun qu'une vingtaine de députés et le parti du travail, arrivé en tête, n'en avait même pas quarante. Qui plus est, comme on va le voir, il a éclaté depuis - de même d'ailleurs que l'Union libérale du centre : cette tentative de regroupement des libéraux n'aura donc tenu que peu de temps.

Les « affaires »

La chronique politique est emplie d'affaires, mettant en cause quasiment tous les partis. MM. Paksas et Uspaskich ont donc été accusés de collusion avec des intérêts russes, mais M. Valionis, ministre des affaires étrangères, et M. Pocius, chef de la sécurité d'Etat, ont été mis sur la sellette pour avoir appartenu à la réserve du KGB ; le reproche avait finalement paru insuffisant mais, la boîte de Pandore ayant été rouverte avec une nouvelle discussion de la loi de lustration, ils seraient maintenant touchés par l'amendement assimilant ces réservistes à des collaborateurs du KGB. Les privatisations ont également laissé des séquelles et M. Brazauskas lui-même a dû faire face à une accusation d'abus de pouvoir, avant d'être blanchi. Enfin, malgré les précautions, la gestion des fonds européens est devenue un nouveau motif de suspicions : le nom de son fils ayant été cité dans une affaire de ce genre, M. Balcytis, ministre des finances, a préféré démissionner ces jours derniers.

On comprend que M. Kirkilas ait fait de la lutte contre la corruption une de ses priorités - c'était d'ailleurs une des conditions posées par les Conservateurs pour lui accorder leur « soutien sans participation » et cela semblait nécessaire pour contrer la montée du parti de M. Paksas, intitulé à dessein « Ordre et Justice ». Il n'en reste pas moins que la classe politique souffre d'une forte déconsidération, qui retentit sur l'image du Parlement : seules quelques personnalités, dont le président Adamkus et Mme Blinkevičiūtė, ministre des affaires sociales, échappent à ce discrédit.

La prolifération des scandales, réels ou prétendus, a des causes multiples : mobilité des conditions juridiques et économiques propre à un pays encore en transition, inexpérience administrative, état de la presse, difficulté de solder le passé soviétique, présence d'investisseurs russes de toutes sortes désireux de prendre pied sur le marché de l'Union et, plus que probablement aussi, ingérences et pressions russes diverses... La tentation peut en outre être forte d'user d'accusations de corruption pour affaiblir un adversaire politique auquel, souvent, rien ne vous oppose sur l'essentiel. Paradoxalement, la législation elle-même contribue à maintenir les « affaires » sous le feu de l'attention : comme nous l'a expliqué un des deux procureurs généraux adjoints lors de son passage à Paris, le Parquet est tenu d'ouvrir une information chaque fois que la presse produit une allégation de ce genre. Il reste que la démocratie se défend efficacement et l'on ne peut que se féliciter de la façon dont, par exemple, la Lituanie a su surmonter la grave crise présidentielle de 2003.

Le phénomène, toutefois, contribue probablement à une abstention élevée. Pour les municipales par exemple, le taux de participation est tombé de 52 à 36,5 % entre 2002 et 2006 et, pour les législatives de 2004, il était de 46 % au premier tour, de 40 % au second. La présidentielle, auparavant, n'avait mobilisé qu'à peine plus : 48, puis 52 % des électeurs. Pourtant, la Lituanie est, à certains égards, un pays « politisé » En 2005, on y recensait 36 partis, dont 15 à 20 seraient actifs, bien que, l'année précédente, le nombre minimum de membres requis pour leur enregistrement ait été porté de 400 à 1 000. Ils regrouperaient 2,5 % des citoyens alors que la proportion avoisine 1 % en France.

2. La fin du gouvernement Brazauskas (octobre 2004-juin 2006)

2004, année de l'intégration euro-atlantique, mais aussi année d'élections

A peine sortie d'une crise présidentielle (octobre 2003-avril 2004) qui l'avait surprise en pleine euphorie - la croissance avait dépassé 10 % en 2003 - et qui avait failli compromettre son crédit international, la Lituanie eut donc à affronter un troisième défi populiste. Organisées en juin 2004 en même temps que la présidentielle qui vit le retour de M. Adamkus, les dernières élections européennes ont d'abord enregistré la montée du nouveau Parti du travail : il obtenait 5 sièges sur 13, alors que l'Union de la Patrie et le parti social-démocrate devaient se contenter de deux chacun. Puis, en octobre, au premier tour des législatives, les « travaillistes » arrivaient à nouveau en tête : ils remportaient 22 des 70 sièges attribués à la proportionnelle, et leur chef était élu dans sa circonscription de Kedainiai. Mais les espoirs de M. Uspaskich étaient partiellement déçus au second tour : il n'y gagnait que 16 circonscriptions et son parti, s'il devenait bien le premier du Seimas, restait à plus de 30 sièges de la majorité.

Quant à la majorité sortante qui, après trois ans et demi de gouvernement, pouvait tout de même se flatter de son bilan (ne serait-ce que de l'admission dans l'OTAN et dans l'Union européenne, le dernier acte du Seimas sortant ayant été d'adopter le projet de traité constitutionnel), elle n'obtenait que 31 sièges, dont 16 à la proportionnelle.

Seimas sortant

Nouveau Seimas

(différence)

Sociaux-démocrates

54

20

- 34

Sociaux-libéraux (Nouvelle Union)

20

11

- 9

Conservateurs (Union de la Patrie)

10

25

+ 15

Union libérale du centre

21

18

- 3

Parti du travail

-

39

+ 39

Libéraux-démocr. (Paksas)

15

11

- 4

Paysans-Nlle Démocratie

7

10

+ 3

Sans parti

8

6

Action électorale polonaise

-

2

+ 2

Il fut un temps question d'une alliance « arc-en-ciel » entre cette coalition sortante et les conservateurs, qui étaient l'autre parti gagnant, mais les sociaux-démocrates et les sociaux-libéraux conclurent finalement un accord avec le Parti du travail et avec l'Union des paysans-Nouvelle démocratie de Mme Prunskiene (l'adversaire de M. Adamkus au deuxième tour de la présidentielle). L'attelage n'avait toutefois rien d'évident. Si la coalition sortante défendait un programme social (relever le salaire moyen et les retraites, ramener le taux de chômage à 8 % et accroître le PIB d'un tiers d'ici à 2008 pour le porter à 60 % de la moyenne européenne), le Parti du Travail allait beaucoup plus loin : il souhaitait ainsi porter le salaire minimum à 600 litas en seulement 11 jours, réduire les factures de chauffage de 20 %... Il avait également fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille et entendait modifier la Constitution, réviser la loi électorale et combattre la bureaucratie. Mme Prunskiene, quant à elle, défendait le maintien en activité de la centrale d'Ignalina.

En définitive, le programme du gouvernement Brazauskas III, approuvé par le Seimas le 14 décembre 2004, prévoyait notamment de maintenir la production d'énergie nucléaire, d'organiser l'élection directe des maires, de porter le salaire moyen de 1 140 à 1 800 litas..., mais ne disait rien des promesses travaillistes. M. Kubilius, qui avait succédé à M. Landsbergis à la tête des conservateurs, critiqua l'absence d'objectifs concrets en ce qui concerne le rattachement à la zone euro et à la zone Schengen.

Le Seimas approuva dès le 25 novembre la reconduction de M. Brazauskas, par 78 voix contre 38, mais la formation du gouvernement fut ensuite d'une durée sans précédent, M. Adamkus refusant plusieurs des noms proposés pour les ministères susceptibles d'influer sur la distribution des fonds européens. M. Uspaskich fut malgré tout nommé ministre de l'économie et les travaillistes obtinrent quatre autres ministères : justice, intérieur, santé et culture. Les sociaux-libéraux n'en gardaient que deux : affaires étrangères et affaires sociales.

2005 : dégradation du climat politique

Ce gouvernement de centre gauche, à la viabilité jugée par tous incertaine, eut à gérer un certain nombre de dossiers délicats, dans un climat passablement délétère. Il s'agissait d'abord d'assurer l'avenir de la raffinerie de Mazeikiai, grosse contributrice au budget mais dont l'exploitant, Yukos, connaissait de graves tribulations, de réguler les prix de l'énergie et de préparer l'introduction de l'euro. Mais il y avait aussi débat sur la réforme fiscale, sur la gestion des fonds structurels, sur l'organisation des pouvoirs locaux...

Pour ce qui est de la fiscalité, trois lois furent adoptées en juin. Une taxe routière était remplacée par une taxe sociale temporaire, de 4 puis 3 %, venant s'ajouter à la taxe de 15 % sur les bénéfices des sociétés ; la taxe foncière, qui ne s'appliquait qu'aux terrains et aux personnes morales, était étendue aux bâtiments et aux personnes physiques, moyennant d'assez substantielles exemptions ; enfin et surtout, le taux unique de l'impôt sur le revenu était progressivement ramené de 33 % à 24 %.

S'agissant des fonds européens, le souci majeur était de prévenir tout détournement et un accord ne put être trouvé qu'en mars 2006. Contre l'avis des travaillistes qui souhaitaient une plus grande décentralisation, le rôle d'autorité de gestion et de paiement du ministère des finances fut confirmé, cependant que le rôle d'organismes intermédiaires était dévolu à huit ministères (affaires sociales, intérieur, transport, santé, économie, agriculture, environnement et éducation).

Le débat relatif aux municipalités portait à la fois sur les pouvoirs des maires et sur leur mode d'élection. En 2002, au nom de la séparation des pouvoirs, la Cour constitutionnelle avait imposé le transfert du pouvoir exécutif au conseil et à l'administration municipale ; afin de renforcer la position des maires face à ceux-ci, l'idée avait été avancée de les faire élire directement par la population. Il y eut un moment consensus, mais, à la réflexion, les sociaux-démocrates comme les conservateurs craignirent de favoriser le populisme ou les tentations autocratiques, et la réforme fut ajournée - mais, dans l'entretien qu'il a accordé à la délégation, M. Muntianas s'est encore prononcé fermement pour cette élection directe des maires, y voyant un gage de participation accrue dans l'optique de « démocratie citoyenne » que défend sa formation. Il est également partisan de donner aux associations et ONG les mêmes droits de présentation qu'aux partis politiques.

Cependant, l'attention a été souvent distraite de ces dossiers par une série d'affaires. Fut d'abord sur la sellette, en mai, le maire de Vilnius, accusé de recevoir de l'argent du groupe de construction Rubicon ; en juin, la commission de l'éthique jugea que M. Uspaskich avait profité de ses fonctions dans l'intérêt de ses sociétés, à la fois lors de négociations avec la Russie et dans l'allocation de fonds européens. L'intéressé dut démissionner du ministère de l'économie, en juin. Enfin, à l'automne, ce fut au tour du Premier ministre lui-même d'être mis en cause : les soupçons portaient sur les conditions de privatisation d'un hôtel au profit de son épouse. L'opération remontait à dix ans mais, dans la mesure elle avait mis en jeu Lukoil, actionnaire précédent de l'hôtel, les adversaires de M. Brazauskas faisaient valoir le risque de conflit d'intérêts dans le traitement du dossier Mazeikiu Nafta. Le Premier ministre refusa de s'expliquer devant les commissions du Parlement, ce qui n'améliora pas le climat politique, mais la procédure tourna court en janvier.

2006 : une nouvelle crise, gouvernementale cette fois

Avril : le groupe social-libéral quitte la majorité.

A propos d'une affaire relativement mineure (l'utilisation par un fonctionnaire, à des fins privées, d'une voiture du Parlement), l'opposition mit en cause la gestion du Président du Seimas, M. Paulauskas, et déposa une motion de défiance, revêtue de 36 signatures. Le vote, intervenu le 11 avril 2006, réservait une surprise : la motion recueillit 94 voix, soit largement plus des 71 nécessaires. Le groupe travailliste, bien qu'appartenant à la majorité, s'était joint sans prévenir à l'opposition, pour obtenir une meilleure représentation à la tête du Parlement et au sein du gouvernement. De fait, un de ses membres, M. Muntianas, fut élu président du Seimas.

M. Paulauskas ainsi démis, son parti (social-libéral) décida de se retirer de la coalition au pouvoir. Il y eut toutefois des tergiversations en ce qui concerne le sort des deux ministres de la formation : celle des affaires sociales, Mme Blinkeviciute, en place depuis 2000 et très populaire, devait être remplacée par une travailliste, cependant que le ministre des affaires étrangères, M. Valionis, très respecté dans les milieux européens et ayant joué un rôle essentiel dans les relations avec les voisins proches, serait maintenu jusqu'après le sommet Baltique-Mer Noire, début mai, avant de céder la place à un « paysan », l'ambassadeur en poste à Minsk, M. Vaitekiunas. Cette dernière substitution ne se fit toutefois qu'avec le gouvernement suivant, cependant que Mme Blinkeviciute finissait par adhérer au parti social-démocrate, et par retrouver son poste dans le gouvernement actuel.

30 mai : le retrait des travaillistes

M. Uspaskich n'avait donc que partiellement atteint ses objectifs. Une des raisons en est certainement l'hostilité ouverte que lui voue le Président de la République, M. Adamkus, qui ne cessait par ailleurs de dénoncer le mode de fonctionnement du gouvernement - les états-majors des formations de la majorité se substituant au conseil des ministres. Le parti du travail répliquait en essayant d'envenimer l'affaire des « villas » : deux conseillers présidentiels s'étaient logés dans un quartier résidentiel grâce à une hypothèque prise... sur la résidence officielle du chef de l'Etat.

Mais la position des travaillistes devint rapidement très difficile. Tout d'abord, à peine élu à la tête du Seimas, M. Muntianas fit scission en dénonçant l'autoritarisme de M. Uspaskich, et il forma avec sept collègues un nouveau groupe, « Démocratie citoyenne ». Puis le parti subit une vague de perquisitions : on le soupçonnait de tenir une caisse noire, alimentée par des intérêts russes ou par des détournements de fonds européens. Accusé de surcroît de s'être prévalu d'un diplôme imaginaire, M. Uspaskich, qui était alors en Russie, décida d'y rester, alléguant des raisons de santé - et il s'y trouve encore.

Toujours est-il que le parti du travail se retira le 31 mai de la majorité et du gouvernement, de sorte que M. Brazauskas ne disposait plus que d'une quarantaine de députés (en comptant ceux de Démocratie citoyenne), au lieu de 71 - ce qui n'était déjà que la stricte majorité.

1er juin : la démission de M. Brazauskas

Le Premier ministre a démissionné le 1er juin, non parce que minoritaire, mais parce que la Constitution oblige à retourner devant le Parlement dès que plus de la moitié des portefeuilles a changé de titulaires depuis le vote de confiance initial. Dans la foulée, il annonça sa retraite définitive, afin de faire place à une nouvelle génération.

Sa vie politique se concluait sur un demi-échec - l'entrée de la Lituanie dans la zone euro venait d'être retardée --, mais aussi sur une victoire, au moins apparente : le règlement de la question de Mazeikiai, qui empoisonnait le climat depuis plusieurs années. Le gouvernement a en effet obtenu de Yukos, le 26 mai, qu'il cède à un groupe polonais, PKN Orlen, les parts qu'il détenait dans la raffinerie. Il est indéniable en tout cas que M. Brazauskas aura marqué l'histoire lituanienne récente, comme responsable du PC, comme ministre du premier gouvernement après la restauration de l'indépendance, comme Président de la République (1992-98), puis - carrière à la Poincaré - comme chef du gouvernement resté le plus longtemps en place depuis 1991. Et, avant 1988, comme constructeur de centrales hydroélectriques...

Dans les 15 jours suivants, le Président de la République désigna le ministre des finances (social-démocrate), M. Balcytis, comme Premier ministre par intérim, et le chargea de former un gouvernement, en poussant, fortement, à la constitution d'une coalition « arc-en-ciel », à l'allemande.

Juin-juillet : la difficile formation d'un gouvernement minoritaire

Les conversations, menées principalement entre le parti social-démocrate et le parti conservateur de M. Kubilius (le successeur de M. Landsbergis) échouèrent, et chacun des camps entreprit alors de nouer des alliances, mais sans parvenir à dépasser le cap d'une cinquantaine de députés quand il en faut au moins 71. Les 31 travaillistes et les 10 démocrates-libéraux de M. Paksas étant tenus par tous à l'écart, le centre-gauche ne disposait en effet que de 52 députés (23 sociaux-démocrates, 12 Démocratie citoyenne, 9 paysans et 8 centristes libéraux), le centre-droit de 48 (26 conservateurs, 11 du Mouvement libéral et... les 11 sociaux-libéraux de M. Paulauskas, qui avait changé de camp).

Lorsque M. Balcytis se soumit au vote du Seimas le 20 juin, l'investiture lui fut donc refusée. On semblait alors s'orienter vers des législatives anticipées, mais l'hypothèse faisait peur à un peu tout le monde et, en juillet, contre l'engagement de tenir à l'écart le Parti du travail et Ordre et Justice de M. Paksas, le parti conservateur laissa se constituer, sous la houlette de M. Kirkilas, ministre de la défense sortant, un gouvernement minoritaire. Celui-ci est soutenu par les quatre mêmes groupes de centre gauche que M. Balcytis. Le parti social-démocrate a 7 ministres, dont le premier ; les paysans 3 ; l'Union libérale du centre et Démocratie citoyenne 2 chacune.

3. Le gouvernement Kirkilas

Au bout de cent jours, le 25 octobre, le bilan de M. Kirkilas, tel que le dressait l'agence russe Regnum, était assez impressionnant. En 17 conseils des ministres (ils sont maintenant retransmis en direct sur Internet), 350 décisions avaient été prises et 45 projets de loi examinés. Le Premier ministre avait en outre visité 8 pays. Il lui a fallu affronter une crise agricole due à la sécheresse, des manifestations contre la loi sur les retraites, l'arrêt des livraisons de pétrole et l'incendie de la raffinerie de Mazeikiai, ainsi que de multiples tensions avec la Russie. C'est également son gouvernement qui a décidé de reporter à 2010 au plus tôt l'introduction de l'euro.

Par ailleurs, un budget en hausse de 14,4 % a été voté le 19 octobre et la Lituanie a cessé d'emprunter à la Banque mondiale. La reine Elisabeth a été reçue à Vilnius, ce qui a pansé la plaie ouverte en décembre 2005 par les déclarations de M. Blair. Le code de la route a été durci pour enrayer une montée inquiétante des accidents. Le 8 septembre, M. Kirkilas a déclaré officiellement la guerre à la corruption et demandé au Seimas d'élaborer un programme en conséquence. Le 21 septembre, un certain nombre de prestations sociales étaient relevées. Un programme anti-discriminations a été adopté. La restitution des biens juifs a été décidée : elle s'étalera de 2009 à 2020. Enfin, la discussion a été rouverte sur la loi de lustration : les anciens collaborateurs et informateurs du KGB avaient été invités à se confesser en 1999-2000, mais 1 600 seulement l'avaient fait sur un effectif estimé à 4 000. Il s'agissait donc d'ouvrir un nouveau délai de six mois aux autres, mais le débat promettait d'être long et acharné, dans la mesure où il devait porter aussi sur les interdictions professionnelles, au risque d'aller contre les décisions de la Cour des Droits de l'homme.

Cependant, par tempérament comme en raison de la configuration politique, M. Kirkilas a adopté un style consensuel qui va de pair avec des ambitions relativement limitées. Il a défini un certain nombre de priorités - intégration dans la zone Schengen, indépendance énergétique, amélioration de la tendance démographique, réduction des inégalités régionales, développement technologique... - qui ne devraient pas perturber un équilibre politique fragile, mais celle qui compte bien évidemment le plus pour rallier l'opinion à la classe politique, c'est la lutte contre la corruption. Sur ce point, le Premier ministre a même promis de démissionner en cas d'échec. Il peut compter sur le soutien du Président Adamkus qui, dans son discours à la nation de mars 2006, déclarait que, par leur comportement indécent, certains politiques et hauts fonctionnaires étaient « une menace pour l'Etat bien plus grave que les ennemis extérieurs ». Quant au Parlement, il a bien créé en 2005, à l'initiative des sociaux-libéraux (qui en payèrent sans doute le prix avec la motion de défiance fatale à M. Paulauskas), une commission de l'audit qui, en un an, a dénoncé 30 cas graves de violations de la loi ou irrégularités diverses, mais, outre que cet organe fait double emploi avec le Bureau national d'audit, les combats de procédure tendent à l'emporter, en séance publique, sur l'examen des projets concrets, de sorte que M. Kirkilas a récemment fait mettre au vote une résolution de dissolution. Elle a été repoussée, mais le Premier ministre n'excluait pas une démission.

Un feuilleton entre autres illustre la paralysie du Parlement et de l'exécutif. Des députés, notamment de la commission de la défense, ont exigé la révocation du chef de la sécurité de l'Etat, M. Pocius, en raison de son passé de réserviste du KGB, mais aussi de l'arrestation d'un journaliste soupçonné de vouloir publier des informations classifiées. Le Président Adamkus avait déjà choisi son successeur quand M. Pocius a annoncé devant le Seimas qu'il détenait des éléments décisifs contre ses accusateurs. Le Parlement a alors décidé de le maintenir... Et rien ne dit que d'autres rebondissements ne vont pas suivre, d'autant que M. Pocius est concerné par l'amendement à la loi de lustration.

Quant à ce que donneraient des législatives anticipées, on peut comprendre les craintes des sociaux-démocrates et des conservateurs au vu du résultat des municipales : même s'ils demeurent en tête, ils risquent d'avoir encore à négocier des alliances auxquelles ils répugnent.

Les élections municipales se sont conclues le 25 février dernier. Deux semaines auparavant, la Cour constitutionnelle avait jugé contraire à la constitution l'article qui réservait aux partis le droit de présenter des listes, et interdisait donc les candidatures individuelles ou les listes de simples associations. Il était toutefois trop tard pour changer la règle cette fois, et ce sont donc 24 partis qui étaient en lice.

Afin d'éviter les abus constatés par le passé, le vote par correspondance avait été supprimé (le scrutin s'étalant sur quatre jours pour compenser) et la distribution de cadeaux interdite. Certains achats de votes ont tout de même été constatés...

Après l'élection, les journaux ont titré sur les « victoires » de MM. Paksas et Uspaskich. Ce dernier, toujours en fuite en Russie et objet d'une demande d'extradition, a en effet été élu dans son fief de Kedainiai (le parti du travail remporte là 10 sièges sur 27), cependant que M. Paksas arrivait en tête à Vilnius, avec 23 % des voix, et que son parti, Ordre et Justice, se classait troisième au niveau national, avec 12,8 % des voix.

Toutefois, les deux formations « pivots » sont arrivées en tête : le parti social-démocrate au pouvoir l'a emporté en nombre de sièges, le parti conservateur (Union de la Patrie) en nombre de suffrages. Ordre et justice n'est donc que troisième, et le parti du travail sixième, après donc l'Union libérale centriste et les paysans.

Restait à élire les maires, ce qui n'était pas fait dans beaucoup de municipalités lors de notre visite. Les alliances au niveau local sont souvent surprenantes, en effet, et sans rapport avec les alliances au niveau national. A Vilnius, le maire centriste-libéral, M. Zuokas, avait été défait mais il n'était pas exclu qu'il fût réélu avec l'appui des conservateurs, les deux partis totalisant 19 sièges contre 14 à M. Paksas. C'est tout de même le candidat de ce dernier, M. Imbrazas, qui a été élu (sous réserve de recours pendants)... avec l'appui de sociaux-démocrates qui ont ignoré le veto de M. Brazauskas, et de libéraux soucieux de préserver leurs chances de conserver la mairie de Klaipeda.

A Kaunas, ce sont les conservateurs qui l'ont emporté (14 sièges sur 41, contre 7 aux sociaux-démocrates et 4 à Ordre et Justice), mais ils devaient départager deux candidats.

En revanche, à Druskininkai, le maire social-démocrate avait déjà été réélu lors de notre visite : fort de ses réalisations dans cette station thermale, il avait remporté comme la fois précédente 18 sièges sur 25.

III) Economie

A - Une économie dynamique

Indicateurs macroéconomiques

Croissance : de 10,5 % en 2003, elle s'est maintenue ces trois dernières années à plus de 7 % (7,5 % en 2006). Le PIB par habitant avoisine maintenant les 7 000 euros.

Inflation : de 2,7 % en 2005, elle est passée à 3,8 % en 2006.

Dette publique extérieure : 17,5 % du PIB [4,13 milliards d'euros] (dette extérieure totale : 54 % du PIB)

Déficit budgétaire : 346 M € (1,45 % du PIB).

Taux de chômage officiel : de 8,3 % en 2005, il est tombé à 5,6 % en 2006.

Salaire mensuel moyen brut : 435 euros l'an dernier (net : 318 €).

Le déficit commercial se creuse : de 2,5 milliards d'euros environ en 2004 et de 3 millions en 2005, il a dépassé 4 milliards en 2006, les importations ayant crû de 23 % en un an alors que les exportations n'augmentaient que de 18 % (au lieu de 27 % l'année précédente).

Investissements directs étrangers : le stock atteint 8,3 milliards d'euros (env. 35 % du PIB) ; la croissance a été forte en 2006 (1,4 Md €, soit autant que les deux années précédentes cumulées).

Certes, la croissance lituanienne a été inférieure en 2006 à celle des deux autres pays baltes (plus de 11 %), mais elle demeure enviable. Pour le PIB par habitant, la Lituanie a d'ailleurs dépassé la Pologne en 2005 et Eurostat estime qu'elle était à 54,8 % de la moyenne européenne en 2006 (contre 51,3 % pour la Pologne, 53,3 % pour la Lettonie - mais 65 % pour l'Estonie). C'est que la consommation comme les investissements sont stimulés par le développement du crédit bancaire, par l'apport des fonds européens, par des conditions plus favorables pour les affaires, par l'allégement de la fiscalité et par les transferts des expatriés. Jouent aussi la hausse des salaires (de 11 % en 2005 et de 17 % en 2006, soit 30 % en deux ans - 23 % en net) et la baisse du chômage. Les principaux motifs d'inquiétude tiennent à l'inflation et au risque de surchauffe, mais aussi à l'émigration des diplômés, qui pourrait freiner le développement technologique.

En mars 2006, la Banque mondiale a rayé la Lituanie du nombre des pays emprunteurs - en attendant de l'inscrire bientôt sur la liste des pays donateurs.

Les exportations (11,25 Mds d'euros) se font à 63 % en direction des autres pays de l'Union européenne et le pourcentage est à peu près identique pour les importations (15,4 Mds). La part de la CEI est tombée à 21 et 28 % respectivement. Cela étant, la Russie demeure le premier partenaire commercial : elle accueille 12,7 % des exportations et, compte tenu de la dépendance énergétique, 24,4 % des importations en proviennent. Les autres grands fournisseurs sont l'Allemagne (14,8 % en 2006), la Pologne (9,6 %) et la Lettonie (4,8 %). La Lettonie est le deuxième client (11,1 %), l'Allemagne le troisième (8,6 %). Environ le quart des échanges porte sur les « produits minéraux ».

En ce qui concerne les investissements directs étrangers, leur progression en 2006 s'explique essentiellement par la vente de la raffinerie de Mazeikiai à PKN Orlen. La Pologne est ainsi devenue en un an le premier investisseur (+ 1,88 Md d'euros), détrônant la Russie. Viennent ensuite, dans l'ordre, le Danemark (transport maritime, brasserie), la Suède (banque et télécommunications), l'Allemagne, la Finlande, puis la Russie et l'Estonie. Les secteurs d'accueil sont le raffinage du pétrole et la chimie (20 %), puis, à peu près à égalité, autour de 11-12 %, la fourniture d'électricité de gaz et d'eau, les télécommunications et l'intermédiation financière.

L'économie lituanienne est maintenant en très grande partie privatisée - le secteur privé est à l'origine de 90 % environ du PIB, selon le ministre de l'économie, M. Navickas. N'auraient vocation à rester propriétés publiques que certaines entreprises, à caractère de monopoles, du secteur de l'énergie (en particulier le réseau de distribution) et, en raison de l'intérêt militaire du corridor de Kaliningrad, certains segments du secteur ferroviaire.

Les secteurs dans lesquels se distingue la Lituanie sont : les technologies de l'information, les biotechnologies (produits pharmacogénétiques), l'industrie du laser, la transformation des métaux, les équipements automobiles (pour Volvo, Saab et Renault), l'équipement électrique, les plastiques (Klaipeda), les engrais, les industries du bois, du meuble et du papier, les services aux entreprises et l'agroalimentaire. On en évoquera brièvement quelques-uns.

L'agro-alimentaire représentait 21 % de la production des industries de transformation en 2006, mais 31 % de leurs exportations. Celles-ci se sont accrues de moitié depuis l'entrée dans l'Union européenne, cependant que les entreprises subissaient un mouvement de concentration. Ainsi, dans le secteur le plus important, le secteur laitier (un quart de la production agroalimentaire et 54 % des exportations, en valeur), trois groupes seulement assurent la transformation, achetant les trois quarts de la collecte ; la production annuelle est de 1,9 M de tonnes environ et le prix moyen à la ferme (0,196 euro le kg) assure un avantage compétitif. Pour plus de moitié, les exportations se font sous forme de fromage, à destination de la Russie, de l'Allemagne, de l'Italie ou des Etats-Unis.

Après le lait viennent les boissons (17 % de la production agro-alimentaire) - notamment la bière -, la viande (bœuf et porc, 16 % de la production, 6 % des exportations du secteur) et le poisson (7 % de la production, mais 12 % des exportations).

La Lituanie est leader régional dans la sous-traitance pour l'ameublement et dans la fabrication de remorques et de deux-roues, de réfrigérateurs et congélateurs, de téléviseurs avec écrans à cristaux liquides... Elle est également exportatrice d'engrais. Si, pour l'électronique et le textile, elle se heurte à la concurrence asiatique, elle conserve des positions fortes dans le domaine des nouvelles technologies : Ekspla, par exemple, détient 50 % du marché mondial des lasers picoseconde de haute énergie ; les sociétés lituaniennes sont aussi à la pointe pour la production de générateurs de lumière paramétrique ultrarapide et ont mis au point des instruments uniques, par exemple pour la fabrication des écrans de télévision ou pour la chirurgie...

L'économie lituanienne a été dopée par les fonds européens. En 2004-2006, le pays a reçu 1,44 Md d'euros d'aides communautaires et, même s'il est faible, son taux de consommation des fonds de cohésion (8,9 %) a été 18 fois plus élevé que celui de la Pologne en 2005. Il s'est d'ailleurs constamment amélioré : il n'était que de 2 % en 2004 et il a atteint 20 % en 2006. Sur la période 2007-2013, la Lituanie devrait recevoir 10,4 Mds d'euros, dont près de la moitié pour le financement de projets dans le cadre des fonds structurels et le quart pour le financement de projets agricoles.

M. Navickas a affirmé qu'entre 2007 et 2013, 10 à 12 % des fonds structurels doivent aller aux secteurs innovants, que le gouvernement va s'employer à identifier précisément afin de concentrer l'effort sur le plus efficace. Huit parcs industriels sont en cours d'aménagement, de même que des pôles scientifiques et technologiques - cinq rien qu'autour de la capitale. Ce sont au total quelque 1 700 millions d'euros que le ministère de l'économie va pouvoir consacrer à ces infrastructures.

B - Un secteur en voie de développement : le tourisme

En 2005, la Lituanie a enregistré 4,2 millions de nuitées, tous hébergements confondus [contre 7 millions pour l'Estonie] : 1,7 million étaient le fait de 680 000 touristes étrangers. L'excédent de la balance touristique n'a été que de 177 millions d'euros. Cette situation peut certainement être améliorée.

Parmi les visiteurs étrangers, les voisins venaient bien sûr en tête : 95 000 Polonais, 51 000 Russes, 44 000 Lettons, 33 000 Finlandais, 30 000 Biélorusses, 28 000 Estoniens. Cependant, la nationalité la mieux représentée était l'allemande : 137 000 visiteurs. La France, avec 19 000 visiteurs, arrivait après le Royaume Uni (33 000, autant que la Pologne), l'Italie (26 000), les Etats-Unis et la Suède (20 000 chacun).

Le nombre des Français a augmenté de 4,8 % en 2006 - ce qui ne fait malgré tout qu'un peu plus de 20 000 - mais la progression avait été de presque 100 % entre 2003 et 2004, et de 16 % entre 2004 et 2005. Il est à espérer que l'office de tourisme que la Lituanie vient d'ouvrir à Paris, juste après le retour de la délégation, saura arrêter cette décélération et convaincre nos compatriotes de l'intérêt d'un séjour à Vilnius, Palanga ou Druskininkai.

L'initiative vient à point : en 2009, Vilnius sera capitale culturelle européenne. La ville s'y prépare en rénovant ses vieux quartiers sous la surveillance de l'UNESCO et en rebâtissant le château des grands-ducs. Mais le pays recèle bien d'autres ressources et la visite qu'on nous a organisée à Druskininkai nous a convaincus de l'existence d'un potentiel important.

Au milieu de la forêt de pins, sur la rive droite du Niémen, à 130 km de Vilnius, « première station thermale et ville la plus méridionale » de Lituanie, Druskininkai (20 000 habitants env.) a une longue tradition de sanatoriums et de bains de boue de tourbe, mais est surtout renommée depuis le XVIIIe siècle pour ses sources d'eau très salée (jusqu'à 54 g par litre) - « druskininkas » est le saunier - puisées entre 150 et 500 m de profondeur. A l'époque soviétique, elle attirait jusqu'à 400 000 curistes par an, nous a expliqué le maire social-démocrate, M. Malinauskas, ancien champion balte de gymkhana et président de l'association nationale des pouvoirs locaux. Mais, en 2000, lorsqu'il a été élu maire, le flux s'était tari, les dix établissements balnéaires et les hôtels étaient en faillite, le chômage touchait 33 % de la population. Il a fait adopter un schéma de développement destiné à attirer une clientèle en toutes saisons, pour des longs séjours. Il a planifié la construction de 15 équipements, multipliant les investissements par 60. A ainsi été racheté un centre sportif qui sert pour l'entraînement d'équipes étrangères - il a abrité le championnat junior de course d'orientation et le championnat féminin de basket-ball-  ; il a aménagé des courts de tennis, un centre communautaire, rénové l'hôpital central (aujourd'hui l'un des meilleurs de Lituanie) et quatre des cinq écoles, ouvert une filière universitaire et des stations-service, transformé une ancienne gare en centre d'information touristique et ses anciens quais en camping quatre étoiles... Surtout, 10 nouveaux hôtels ont été construits de même qu'un centre de congrès - aménagé sur le thème des civilisations premières - et, sur 25 000 m², un centre balnéaire avec un « Aqua-Park » offrant une multitude d'attractions (notamment 18 saunas inspirés de traditions différentes, des piscines à tourbillon, une rivière, des toboggans...) de sorte que la clientèle y revienne plusieurs fois au cours de son séjour...

La formation du personnel nécessaire n'a pas été oubliée : pour le centre aquatique par exemple, elle a été organisée, sur fonds publics, en Allemagne. Moyennant quoi, de 33 %, le taux de chômage est tombé à 4 %.

La capacité d'accueil actuelle est de 5 000 personnes, sans compter l'hébergement chez les particuliers. Sont encore en projet 12 hôtels, 1 500 appartements, un pont sur le Niémen, un centre de préparation olympique et même des pistes de ski. Mais il faut signaler que dans et autour de Druskininkai abondent les ressources touristiques justifiant des séjours prolongés : musée Čiurlionis, parc naturel de la Dzukija, parc Grutas des sculptures soviétiques (ce « Disneyland du goulag », très controversé lors de son ouverture mais plébiscité depuis par le public, est l'œuvre du père du maire), 50 km de pistes cyclables...

Les résultats semblent être à la hauteur des efforts déployés : environ un million de nuitées en 2006 (les statistiques officielles en enregistraient 840 000 à peu près l'année précédente). D'autre part, les jeux d'eau n'ont pas nui au thermalisme comme certains le redoutaient : au contraire, celui-ci a connu un accroissement de fréquentation depuis l'ouverture de l'Aqua-Park. Quant à M. Malinauskas, il en a perçu les dividendes : le 25 février, il avait à nouveau remporté 18 des 25 sièges au conseil municipal.

S'agissant du parc aquatique, 50 % des investissements réalisés provenaient de l'Union européenne, le reste de l'Etat, de la municipalité et du secteur privé. Pour l'ensemble de la ville, la part de l'Europe s'établit à 20 %. L'essentiel du travail qui reste à faire porte sur la voirie et sur l'aménagement des parcs et squares. Pour ce poste, les financements de l'Etat et les fonds structurels ont été bien en deçà des besoins et le maire envisage d'y consacrer la taxe de séjour que les municipalités sont maintenant autorisées à percevoir - encore qu'il hésite : Palanga, qui a recouru à cet impôt, ne s'en est pas trouvée bien, paraît-il.

Seules interrogations de la part de la délégation, pour le reste admirative devant cette entreprise de réhabilitation de longue haleine, pour laquelle les fonds européens sont venus à temps servir de levier : la facture de chauffage représente le principal poste de dépense pour l'Aqua-Park et les eaux usées ne sont pas retraitées - inutile, nous a-t-on dit : la ressource est profonde et protégée par le granit. Et elle serait si abondante qu'il faudrait en utiliser encore davantage pour éviter une minéralisation excessive.

C - Les problèmes de l'énergie

1. La difficile gestion de l'héritage

La Lituanie a hérité de deux gros équipements qui constituent certes pour elle des atouts économiques, mais qui ont été pendant ces 17 ans une source de préoccupation constante. Il s'agit de la raffinerie de Mazeikiai et de la centrale nucléaire d'Ignalina. Surtout, continue de se poser avec acuité, pour le pétrole comme pour le gaz naturel, la question de la dépendance à l'égard du fournisseur russe et, pour l'électricité, de l'absence de connexion avec le reste de l'Union européenne.

Le pétrole

La Lituanie dispose de quelques puits, produisant d'ailleurs de moins en moins (434 000 tonnes en 2002, 382 000 en 2003, 302 000 en 2004, 216 000 en 2005), mais elle doit importer environ 9 millions de tonnes de brut de Russie. La dépendance n'est toutefois pas univoque : Moscou est tributaire des ports baltes pour exporter environ 20 % de son brut - ou du moins l'était, jusqu'à la mise en service du port de Primorsk (2002), dont la capacité équivaut maintenant presque à celle de l'ensemble des terminaux baltes. Les trois pays, qui avaient rivalisé pour accaparer le transit (la Lituanie en a tiré 12,5 % de son PIB en 2004), sont désormais obligés de revoir la destination, sinon la conception de leurs équipements : les terminaux qui servaient uniquement à exporter deviennent maintenant la porte d'entrée du brut russe.

Il existe ainsi, à Klaipeda, un terminal de transbordement d'une capacité de 7,1 M de tonnes mais, dans le secteur, la pièce maîtresse est la société Mazeikiu Nafta (Pétroles de Mazeikiai), constituée en 1998 et qui se compose de trois éléments :

- la raffinerie de Mazeikiai elle-même. La seule de la région balte, elle peut traiter 10 ou 11 M de tonnes de brut par an, soit 220 000 barils/jour. En 2004, elle en a raffiné 8,7 M de tonnes.

- L'oléoduc (Naftotiekis) de Birzai, branche longue de 460 km de l'oléoduc Droujba, qui relie également Polotsk au port letton de Ventspils. Il a été mis en service en 1968.

- Le terminal de Butinge, construit par la Lituanie indépendante (il a commencé de fonctionner en 1999). C'est un terminal flottant, situé à 7 km de la côte - et à 2 km de la frontière lettone, ce qui ne va pas sans problèmes avec ce pays quand il se produit une fuite. Conçu pour servir aussi bien à l'importation qu'à l'exportation, il est relié à la raffinerie de Mazeikiai grâce au prolongement sur 100 km de l'oléoduc de Birzai. En 2005, malgré une capacité inférieure, Butinge a exporté davantage de pétrole que Ventspils, mais c'était 15 % de moins qu'en 2003 et, alors que la capacité a été portée de 160 000 à 280 000 barils/jour, le volume traité tend à tomber maintenant à 110 000 barils, en raison de la concurrence de Primorsk.

Mazeikiu Nafta (MN) constitue la principale source de revenu de la Lituanie - elle contribue au PIB national pour 10 % -, mais a aussi été une de ses causes de souci, y compris sur le plan politique. En 1995, elle a été privatisée, l'Etat conservant environ 90 % des actions et le reste étant réparti entre les employés. Ce n'est qu'en 1999 qu'une part substantielle du capital fut cédée à l'Américain Williams International, de Tulsa, qui devenait exploitant (operator),... ce qui provoqua immédiatement un conflit entre le Président Adamkus, partisan de cette vente, et le Premier ministre Paksas : selon celui-ci, les investissements auxquels s'obligeait l'Etat pour pouvoir conclure le marché risquaient de conduire à un niveau de déficit dangereux. En fait, Williams se montra surtout incapable de rendre l'entreprise rentable, puis, pris dans le sinistre d'Enron, céda ses parts à Yukos, en septembre 2002, cela sans consulter le gouvernement lituanien.

Yukos offrit de verser, outre 75 M $ pour ses parts, autant en crédit pour la modernisation de la raffinerie, et il garantissait 4,8 M de tonnes de brut par an pendant dix ans. Les pertes, qui s'étaient accumulées entre 1998 et 2002, cessèrent, la modernisation intervint en 2003, un bénéfice record de 265 M d'euros étant enregistré en 2005, mais on sait ce qu'il advint du groupe russe. A l'issue d'un long imbroglio juridique, Yukos accepta en mai 2006 de vendre ses parts (54 %) à la compagnie polonaise PKN Orlen et le mois suivant, le gouvernement décida de céder à la même société 30,66 % des 41 % en sa possession - PKN versant pour le tout 1,8 Md d'euros (dont 725 M à l'Etat).

L'opération n'a pas été menée à bien sans heurts. Fin juillet 2006, une fuite sur la partie russe de l'oléoduc a été suivie de l'annonce de travaux susceptibles de durer un an ou davantage, et cela a été interprété comme une pression de Moscou pour décourager PKN, au profit de sociétés russes. La Lituanie répliqua en menaçant de rendre plus difficile le transit vers Kaliningrad et en important, malgré son coût, du pétrole vénézuélien, aux caractéristiques proches de celles du brut russe. Transneft a protesté de sa bonne foi en faisant valoir que l'oléoduc avait 42 ans et qu'il ne valait peut-être pas la peine de le réparer, mais en refusant une inspection lituanienne ou polonaise. Cette société est suspectée de vouloir construire un autre oléoduc qui déboucherait cette fois à Primorsk, d'où le brut serait exporté par mer...

Comme si cela ne suffisait pas, le 12 octobre éclata à Mazeikiai un incendie qui allait réduire la production pendant plusieurs mois. Les pertes sont évaluées à 38 M €. Les causes du sinistre sont probablement accidentelles, mais il n'empêche qu'il a donné lieu à des soupçons, principalement à l'encontre des pétroliers russes, à nouveau. La production de la raffinerie est tombée au niveau minimal : 15 000 tonnes par jour, contre une moyenne de 27 400 tonnes en temps normal. La raffinerie a néanmoins reçu 8,2 M de tonnes de brut en 2006, contre 9 M l'année précédente et, si le volume des ventes n'a baissé que de 7 % (7,9 M de tonnes, contre 8,5 l'année précédente), le profit net est tombé de 318 à 67 M de dollars.

PKN Orlen a finalement signé mais MN n'est pas tirée d'affaire pour autant. Elle devra en effet continuer de s'approvisionner sur le marché russe. D'autre part, une nouvelle modernisation s'impose pour réduire le taux de sulfures, en vertu de la norme « Auto-oils V » de l'Union européenne. La société prévoit un débit de seulement 6,5 M de tonnes à la raffinerie en 2007.

Le gaz naturel

Il est également importé de Russie, et principalement stocké en Lettonie, qui dispose d'installations souterraines - à Inčukalns, pour 4,2 Mds de m3. Gazprom a passé avec chacun des trois pays baltes des accords à long terme, relativement favorables en raison de leur rôle de pays de transit, mais le prix tend néanmoins à s'aligner sur celui du marché (depuis 2005, il est passé en plusieurs paliers de 84 dollars les mille m3 à 202 dollars) et le projet de gazoduc sous-marin reliant la Russie à l'Allemagne par la Baltique a été reçu à Vilnius comme une fort mauvaise nouvelle. Cependant, depuis 2002, Gazprom est actionnaire à 37 % de Gaz de Lituanie (Lietuvos Dujos), à égalité avec l'Allemand E.ON-Ruhrgas, et il s'est engagé en 2004 à couvrir 90 % des besoins jusqu'en 2015 - la consommation s'est élevée à 3,1 milliards de m3 en 2005.

L'électricité

Le système électrique lituanien a une puissance installée nominale de 4 700 mégawatts (contre 5 900 en 2001) : en sus de la centrale nucléaire (1 300 MW), il se compose de plusieurs centrales thermiques : Elektrenai (1 800 MW), appelée à suppléer Ignalina, Vilnius (384 MW), Kaunas (160 MW), Mazeikiai (110 MW) et Klaipeda (11 MW), ainsi que de centrales hydrauliques, à Kruonis (centrale à réserve pompée ou « hydroaccumulative » de 900 MW) et à Kaunas (100 MW).

En 2005, la part du nucléaire dans la production était de 72,1 % et celle des énergies fossiles (en constante progression) de 22,1 %. Les énergies renouvelables ne contribuaient donc que pour 5,8 % : il s'agissait pour 810 GWh sur 821 de l'hydraulique
- d'ailleurs en recul -, dont 373 GWh fournis par Kruonis.

La production et la distribution ont été séparées en 2002. La seconde est assurée par deux réseaux : l'un de l'ouest, totalement privatisé ; l'autre de l'est, qui ne l'est qu'à 20 %, au profit d'E.ON Ruhrgas.

La société Lietuvos Energija, publique à 97 %, est propriétaire du réseau de transport et opérateur du système et du marché électriques ; disposant des deux principales centrales hydrauliques, elle s'en sert pour assurer l'équilibre entre la production et la consommation. Elle règle également l'importation, l'exportation et le transit de l'électricité. En 2005 et 2006, son chiffre d'affaires a tourné autour de 270 M d'euros.

En 2005, la Lituanie a produit au total 14,3 TWh (13,2 selon Eurostat) et en 2006, 11,9, contre 19,2 en 2004. Cette baisse est due à l'arrêt d'un des deux réacteurs d'Ignalina, effectué conformément à l'engagement pris à l'égard de l'Union européenne, l'autre devant être mis hors de service d'ici à décembre 2009. La production de la centrale est ainsi tombée de 15 TWh environ en 2003-2004 à 10,4 TWh en 2005 (soit une baisse de 32 %) et à 8,5 TWh en 2006 - et ce alors que la consommation finale augmentait régulièrement : elle approchait de 8 TWh en 2005. Le manque à gagner risque d'être important, 30 % de la production étant jusqu'ici exportés : ainsi, entre 2004 et 2005, les ventes d'électricité ont chuté de 45 %. La situation s'aggravera encore à partir de 2009, évidemment - déjà en 2005, lorsque le deuxième réacteur a été arrêté quelques semaines à des fins de maintenance, il a fallu importer de l'électricité d'Estonie et de Russie. La Lituanie perdra une grande quantité d'électricité à bon marché et, dans toute la région balte, des problèmes seront à prévoir lors des pics de demande, puis, à partir de 2015, s'installerait une situation de pénurie. La solution qui consisterait à accroître les capacités thermiques (la géographie limite la ressource hydraulique) ne ferait qu'accroître la dépendance envers les gaziers russes - après 2009 et en l'absence d'une nouvelle centrale nucléaire, « la demande totale de combustible fossile passerait de 6 millions de tep en 2005 à 10,5 millions en 2025 (+ 75 %) ; celle de gaz naturel doublerait pour atteindre 4,8 millions de tep et la part du gaz naturel dans le bilan énergétique primaire passerait de 28,4 à 45 %. » (Document de stratégie énergétique, p. 14)

Les Lituaniens ont donc décidé de construire une nouvelle centrale nucléaire d'ici à 2015, toujours à Ignalina, mais en en partageant le coût (4 Mds d'euros pour 1 600 MW) avec leurs voisins. Un accord politique a été conclu, en février 2006, avec l'Estonie et la Lettonie, et, en octobre, une étude de faisabilité s'est révélée concluante. Tout récemment (mars 2007), la Pologne, qui a besoin d'acquérir de l'expérience pour se doter elle-même d'une centrale nucléaire après 2020, a accepté de s'associer à l'entreprise, mais l'arrivée de ce quatrième partenaire semble accueillie avec réserve par les Lettons et surtout par les Estoniens.

2. La stratégie énergétique

En septembre 2005, Vilnius a sévèrement condamné le projet germano-russe de gazoduc sous-marin, qui menace à la fois son approvisionnement et les revenus tirés du transit. En janvier 2006, la crise du gaz ukrainien a encore aggravé les inquiétudes. La Lituanie a donc salué comme une victoire les conclusions du Conseil européen du 24 mars 2006, en faveur d'une politique énergétique intégrée. Les chefs d'Etat et de gouvernement ont donné mandat à la Commission de travailler à l'intégration des marchés enclavés et d'élaborer un plan pour relier tous les systèmes électriques de l'Union. M. Brazauskas, qui n'avait pas ménagé sa peine, s'est félicité que l'isolement énergétique de son pays ait été reconnu et qu'un nouvel élan ait été donné aux projets d'interconnexion.

Lors de l'entretien qu'il nous a accordé, M. Navickas, comme d'ailleurs d'autres interlocuteurs, s'est appuyé sur le nouveau document de stratégie énergétique adopté par le Seimas le 18 janvier dernier. Comme l'a résumé M. Kubilius, « notre situation en matière d'énergie est l'un des plus "sensibles" de toute l'Union européenne, mais au moins nous savons ce que nous voulons faire. »

L'électricité

Les projets d'interconnexion sont d'autant plus vitaux que, « selon de nombreuses études, au vu des capacités de production actuelles, les trois pays baltes feront face à un manque d'électricité vers 2015 » (M. Dainius, secrétaire d'Etat à l'économie). Or, en 2009, quand la centrale d'Ignalina sera totalement arrêtée et que la puissance installée se réduira brutalement de 1 300 MW, seul le câble électrique entre l'Estonie et la Finlande, d'une puissance de 350 MW, sera en place. La Lituanie vient de commencer de l'utiliser, à proportion de sa contribution, soit 25 %. Le projet de câble sous-marin vers la Suède (700-1 000 MW) ne sera pas encore réalisé - l'étude de faisabilité ne sera remise qu'en septembre - et, même s'il fait maintenant l'objet d'un accord entre les deux pays (Varsovie est devenue plus compréhensive à mesure qu'elle s'intéressait au projet de centrale nucléaire), le « pont électrique » entre la Pologne et la Lituanie (1 000 MW), évoqué depuis dix ans, se fera sans doute attendre longtemps, lui aussi. Dans les deux cas, on parle de 2011 ou (M. Navickas) de 2012.

La construction d'une nouvelle centrale nucléaire résoudrait également beaucoup de problèmes. Les politiques, les milieux industriels militent pour le projet : « Nous avons la main-d'œuvre, le site et l'expertise », fait-on valoir. M. Navickas, de son côté, a insisté sur le fait que le nucléaire constituait un élément d'indépendance énergétique en même temps qu'il contribuerait à l'équilibre écologique en Europe. La population est favorable à l'énergie nucléaire à 60 %. D'autre part, General Electric/Hitachi, Westinghouse/Shaw/Toshiba, AREVA, RosEnergoAtom, Mitsubishi et le Canadien AECL ont exprimé leur intérêt. Reste que cette centrale ne sera pas construite tout de suite et qu'il se pose un problème de « soudure » au-delà de 2009. La possibilité de prolonger la vie du second réacteur a bien été évoquée, mais le commissaire à l'énergie Piebalgs a catégoriquement exclu cette éventualité. Les Lituaniens entendent néanmoins revenir à la charge et, si leurs chances de succès sont médiocres, elles ne sont pas nulles du moment qu'ils ne réclament pas de maintenir ce réacteur en activité jusqu'en 2017, terme estimé de sa durée de vie. Surtout, il conviendrait que la demande soit soutenue par les deux autres pays baltes et par la Pologne, c'est-à-dire par l'ensemble des pays parties prenantes au projet de nouvelle centrale, dans le cadre d'une stratégie énergétique régionale.

Dans un premier temps, la puissance de la nouvelle centrale devait être de 1 600 MW. Il semble aujourd'hui qu'on envisage sérieusement le double, dès lors qu'il ne s'agit plus de couvrir les seuls besoins des pays baltes. En tout état de cause, on ne pourra dépasser ces 3 300 MW compte tenu des capacités de refroidissement du lac Drūkšiai. La Lituanie détiendrait 34 % des parts de la centrale, les trois autres pays 22 % chacun. Le Seimas devrait adopter en ce mois d'avril une loi programmant la construction de la centrale d'ici à 2015 ; quant à la holding qui sera chargée de rassembler les financements et de gérer la construction de la centrale en même temps que la réalisation des interconnexions, le gouvernement a proposé qu'elle soit formée par le regroupement de Lietuvaos Energija et des deux réseaux de distribution, renationalisés. Une fois le calendrier arrêté, il faudra encore choisir le type de réacteur et les partenaires industriels.

Un programme de modernisation des autres centrales a été élaboré : il vise à accroître la part de l'hydraulique et de l'éolien, de préférence au thermique pour ne pas accroître la dépendance au gaz. On en traitera donc à propos du programme d'énergies renouvelables. Cependant, le document de stratégie fait état de projets concernant Elektrenai : fermeture d'unités de 150 MW obsolètes, substitution de produits pétroliers au gaz naturel et surtout réalisation, d'ici à 2010, d'une unité de 400 MW à cycle combiné, afin de maintenir une puissance de 1500 MW. Est également prévue la construction de nouvelles centrales bivalentes à Klaipeda, Siauliai, Panevezys, Alytus..., leur part dans la production d'électricité devant atteindre 35 % en 2025. D'une façon générale, la cogénération sera privilégiée.

Pétrole et gaz

Quant à l'approvisionnement en pétrole, on a vu qu'en août, du brut vénézuélien avait été déchargé pour la première fois à Butinge : 807 000 tonnes au total. Mais le transport par mer coûte cher : les bénéfices du semestre auraient chuté de 20 %. Le mois suivant, il a été question d'un contrat avec la compagnie kazakhe, KazMunaiGas, portant sur la fourniture de 350 000 tonnes, amenées par le rail. Cependant, Transneft, qui acheminait 250 000 barils/jour (soit 12,5 M de t/an) par le pipeline, continue de fournir la Lituanie, par mer, à partir de Primorsk... Le document de stratégie prévoit la constitution de réserves pour 90 jours, pour moitié à la charge de l'Etat.

Pour le gaz, la Russie demeure la seule source d'approvisionnement et on peut craindre que, là aussi, le robinet ne soit coupé - encore que, comme le remarque M. Navickas, cela reviendrait à priver Kaliningrad de gaz ! Toujours est-il que le document de stratégie énergétique prévoit une interconnexion avec le réseau polonais, permettant à la Lituanie de recevoir du gaz norvégien et, à terme, de la Caspienne ; le commissaire Piebalgs aurait promis le financement d'une étude sur ce point. Les trois pays baltes ont également le projet de construire à Riga un terminal pour le gaz naturel liquéfié. D'autre part, les capacités de stockage lettones devraient être considérablement augmentées : aux 4 milliards de m3 d'Inčukalns s'ajouteraient jusqu'à 10 milliards de m3, à Dobele, et ce réservoir souterrain pourrait être connecté au gazoduc russo-allemand « Nordstream ». La Lituanie envisage par ailleurs de se doter d'installations en propre, pour stocker au moins un demi-milliard de m3.

Les énergies renouvelables

Selon le document de stratégie, la part des énergies renouvelables dans le bilan énergétique primaire, de 8,7 % en 2005, devrait passer à 12 % en 2010 (20 % en 2025).

La part de l'hydroélectricité devrait être portée à 15 %, contre moins de 6 % actuellement. Le potentiel est évalué à 1,5 TWh par an. La construction de grandes centrales n'est envisageable que dans le long terme mais les petites centrales (moins de 10 MW) sont devenues rentables et plusieurs ont été construites récemment, pour une capacité totale de 15 MW, et une production de 40 GWh. D'autres micro-centrales devraient suivre. Cependant, le principal projet consiste en la rénovation de Kruonis.

Eolien : la première éolienne, de 0,65 MW, a été construite en 2003. Un parc pilote de 4 MW est prévu près de Klaipeda (la côte est bien sûr la plus propice à ce genre d'équipement) et l'on vise une puissance de 170 MW ou 200 MW pour 2010, de 300 pour 2015.

Le développement des centrales bivalentes (électrocalogènes) devrait s'accompagner d'un recours accru aux « ressources renouvelables indigènes » : s'agissant des ordures ménagères, le potentiel est estimé à 0,8 TWh et des usines d'incinération sont prévues, la première avant 2010 à Vilnius. Pour la biomasse, le potentiel serait de 9,8 TWh par an. Deux projets de cogénération sont annoncés à Klaipeda et Siauliai. Le premier, de 150 MW, utiliserait les déchets ménagers (30 %), la biomasse (40 %) et la tourbe (40 %) et permettrait d'économiser 60 millions de m3 de gaz par an. Le second, de 20 MW thermiques et 9 MW électrique, utiliserait exclusivement la biomasse.

Le document de stratégie indique les objectifs suivants pour 2025 :

- déchets forestiers : 180 000 tep

- paille : 120 000 tep

- « plantes énergogènes » : près de 70 000 tep

- biocarburants (huile de colza, etc.) : 450 000 tep

- incinération : 120 000 tep

Dalkia

Présente en Lituanie depuis 1998, la société se consacre précisément à la gestion de réseaux de chaleur et à la production combinée d'électricité, via des contrats de concession de longue durée - 15 à 30 ans - passés avec des municipalités. Actuellement, elle gère dix réseaux de chaleur, en particulier ceux de Vilnius, d'Alytus, de Marijampole, de Palanga - soit 45 % du marché. Elle dessert plus de 700 000 clients, employant 1 500 personnes (en quasi-totalité des Lituaniens). Sa production annuelle de chaleur se monte à 3,2 TWh (dont 2,3 à Vilnius) et d'électricité à 1 TWh.

Dalkia a défini une stratégie qu'on peut résumer en trois points :

- moderniser les installations de production et le réseau, grâce à un plan d'investissement défini et régulièrement revu avec le concédant. Ainsi plus de 150 millions d'euros ont été investis en cinq ans, dont 110 à Vilnius.

- diversifier les sources d'énergie, en recourant aux énergies renouvelables, spécialement la biomasse. Le prix du gaz ayant doublé en deux ans, c'est un élément de maîtrise des coûts.

- se rapprocher du client : mise au point d'une politique commerciale de « conquête et fidélisation », indexation des prix sur des éléments externes, sous le contrôle d'un régulateur ; remplacement des sous-stations de groupe par des sous-stations d'immeuble, désignation d'un gestionnaire pour 50 immeubles environ, développement d'un projet d'individualisation du chauffage.

A été présentée à la délégation une unité de cogénération qui, précédemment au gaz, fonctionne maintenant avec un mélange de déchets de bois (70 %) et de tourbe (30 %). Elle produit 420 GWh de chaleur et 65 GWh d'électricité et a permis de réduire de 8 % la consommation de gaz et de 90 000 tonnes les émissions de CO2. Dalkia envisage maintenant d'aller plus loin en organisant la récupération et l'incinération des déchets ménagers, de manière à ne plus utiliser du tout de sources fossiles en été et à réduire de 20 % la consommation de gaz de ses unités.

IV) Politique européenne et étrangère

A - Union européenne

M. Muntianas l'a dit nettement : « Nous avons voté le projet de traité constitutionnel, nous n'aimerions pas qu'il soit modifié. » Plaçant beaucoup d'espoirs dans la déclaration de Berlin, il a souhaité que l'Europe clarifie sa position sur la politique commune de voisinage, sur l'élargissement vers l'est et sur les questions énergétiques. Dans l'opposition, le président de la commission des affaires européennes, M. Kubilius, déclare de même : « Pour ce qui est du traité constitutionnel, nous avons fait notre travail. Nous attendons maintenant ce que vont faire les autres. » Mais il insiste sur la nécessité d'une grande idée politique : sans une ambition forte, l'Union restera engluée dans les problèmes bureaucratiques... Egalement conservateur, M. Austrevicius, ancien négociateur en chef avec l'UE, souhaitait de même un document ambitieux, répondant aux espoirs des citoyens de l'Union comme à ceux de leurs voisins : une Europe forte est dans l'intérêt de tous.

Les déceptions et satisfactions d'un bon élève

L'expression revient dans tous les commentaires : la Lituanie s'est comportée en bonne élève de l'Europe. Après un référendum (mai 2003) où le oui l'a emporté à 91 %, elle est entrée dans l'Union le 1er mai 2004. Dotée de sept voix au Conseil et de 13 sièges au Parlement, elle se situe dans le même groupe démographique que l'Irlande, la Finlande et le Danemark. Elle a obtenu que le traité d'adhésion soit complété par deux protocoles : l'un, sur le transit des ressortissants russes de Kaliningrad, préserve ses chances d'adhésion aux accords de Schengen ; l'autre porte sur le démantèlement d'Ignalina et sur la contribution de l'Union à cette opération, douloureuse pour l'opinion nationale. Enfin, sa représentante à la Commission, Mme Grybauskaite a hérité d'une fonction importante : le budget et la programmation financière.

Le 11 novembre 2004, la Lituanie a été le premier pays à ratifier le traité constitutionnel, par la voie parlementaire. En juin 2005, elle s'est ralliée au compromis Juncker sur les perspectives financières et elle a eu motif de se réjouir de l'accord budgétaire pour 2007-2013 : elle devrait bénéficier de fonds de l'ordre de six milliards d'euros.

Cependant, ce dossier fut l'occasion d'une première alerte : Vilnius a été choqué d'entendre M. Blair proposer de réduire de 10 % les fonds structurels. Mais Mme Merkel est venue et a su rappeler à la nécessaire concertation avec les nouveaux Etats membres, y compris les « petits ». En revanche, l'annonce du projet de gazoduc germano-russe sous la Baltique avait été cause d'un véritable traumatisme : la Lituanie y a vu la preuve d'une absence de solidarité. En mai 2006, le report de l'entrée dans la zone euro - pour 0,04 point d'inflation en trop - a été vécu comme une décision politique, économiquement injustifiée et a suscité un surcroît d'amertume. Le même mois, hostile aux réglementations susceptibles de brider sa compétitivité, la Lituanie a été le seul Etat membre à s'abstenir lors du vote sur la directive « services » et, en novembre suivant, elle a fortement contribué à la mobilisation des nouveaux Etats membres contre un autre report : celui de l'entrée dans la zone Schengen.

Toutefois, en mars 2006, les conclusions du Conseil européen en faveur de l'intégration énergétique avaient contribué à un certain apaisement, qu'ont conforté d'autres décisions prises en décembre : adoption du compromis portugais s'agissant de l'entrée dans la zone Schengen, attribution du siège de l'Institut européen pour l'égalité entre hommes et femmes. Par ailleurs le pays se prépare à assumer la présidence de l'Union, au deuxième semestre de 2013.

Une volonté de poursuivre l'intégration

Arrimé à l'euro depuis février 2002 (au taux de 3,4528 litas pour un euro), le litas a été admis dans le MCE2 en juin 2004. La Lituanie espérait obtenir de la Commission et de la BCE le feu vert pour entrer dans la zone euro au 1er janvier 2007 mais, après débats, sa demande a été rejetée en mai 2006 ; pour 0,04 % d'inflation en trop. Après une phase de déception, le gouvernement a repris le dossier. L'adoption de l'euro ne devrait pas intervenir avant 2010, mais un plan de préparation a été élaboré.

M. Čiupaila nous a confirmé la détermination de son pays à intégrer la zone de Schengen au 1er janvier prochain. La Lituanie entend d'une certaine façon prendre sa revanche après sa disqualification pour l'entrée dans la zone euro et le vice-ministre s'est félicité de la récente évaluation de la Commission, qui valait brevet de bon élève. Selon lui, son pays a utilisé au mieux, « de façon transparente et efficace », les fonds européens pour renforcer ses capacités de contrôle aux frontières et il estime que les crédits 2007-2013, joints à une coopération renforcée et à la réforme d'Europol, permettront de faire face à la pression migratoire, réelle à l'est de l'Union même si elle n'est pas aussi visible qu'au sud. Or la Lituanie compte un millier de kilomètres de frontières avec des pays tiers - Russie (Kaliningrad) et Biélorussie - sans parler de ses cent kilomètres de façade maritime.

La Lituanie regrette le retard (deux ans peut-être) pris dans la mise en place du système d'information de deuxième génération (SIS II), condition indispensable d'une participation pleine et entière aux accords de Schengen. Elle semble avoir été tentée d'en faire porter la responsabilité au centre de Strasbourg, alors que les causes en résident plutôt dans une sous-estimation des efforts exigés des nouveaux Etats membres, dans la longueur des procédures législatives nécessaires et dans l'annulation de certains marchés... En tout cas, lors d'une conférence des ministres de l'intérieur des nouveaux Etats membres, tenue à Vilnius en novembre dernier, elle a fortement appuyé la proposition portugaise de compromis : à savoir adopter un SIS I renforcé (« SIS one 4 all »), qui permettrait un raccordement technique au SIS existant et donc une ouverture des frontières intérieures en 2008, comme prévu. Mais aux frais des Etats volontaires. « C'est le seul moyen de sortir de l'impasse », a déclaré le ministre lituanien, M. Sukys, qui a évalué le coût pour son pays à 1 450 000 euros au plus. La décision du Conseil européen en date du 4 décembre dernier lui a donné satisfaction et les Lituaniens se préparent pour l'évaluation de mi-octobre.

Le fonds Schengen s'élève à 200 millions d'euros pour les trois pays baltes. La Lituanie n'avait dépensé à la fin de 2006 que 57 % de sa part et M. Sukys suggèrait d'utiliser le reliquat pour « SIS one 4 all ».

Vilnius a signé à la fin de mars un contrat avec une société israélienne, pour la fourniture de systèmes de radars, d'électro-optique et de vidéo-navigation permettant de surveiller les côtes de jour comme de nuit, quelles que soient les conditions de visibilité.

Dans le dernier chapitre, on évoquera les actions menées en collaboration avec notre pays.

Nous avons d'autre part visité le poste international de Raigardas, l'un des 11 aménagés le long de la frontière avec la Biélorussie. Contrôlant le transit sur la route A4 Vilnius-Gardinas (Grodno), il a vu passer en 2006 112 000 personnes, 11 000 véhicules particuliers et 31 000 poids lourds - le rapport entre voitures et camions s'est exactement inversé par rapport à 2005, où l'on avait compté 36 000 voitures et 11 000 poids lourds. La plupart des infractions constatées relèvent de la petite contrebande et sont surtout le fait de citoyens polonais - à Salčininkai, plus à l'est, où passent deux fois plus de personnes, on relève trois fois moins de ces faits. Les priorités consistent à prévenir aussi bien l'entrée de marchandises illicites, en particulier de contrefaçons, que celle de clandestins. Aucun franchissement illicite n'a été observé, il y a eu 56 reconduites et le nombre de personnes comme de véhicules recherchés n'atteint pas la dizaine. En revanche, 120 refus d'entrée ont été signifiés, dont la plupart pour absence de visa ou pour ressources insuffisantes - dix seulement concernaient des personnes susceptibles de constituer une menace pour la sécurité de l'Etat.

Le poste surveille 38 km de frontière, dont 18 marqués par le Niémen, et ce sur 5 km de profondeur. Comme il s'agit d'une région forestière, les franchissements clandestins pourraient être faciles mais nos interlocuteurs tablent sur la coopération de la population, jalouse de ses champignons et donc prompte à signaler les « égarés ». La coopération avec la Biélorussie est également bonne et permet de juguler l'immigration clandestine : des groupes de deux ou trois, généralement des Asiatiques - un groupe de 22 personnes a bien été arrêté en 2002, mais le cas est resté unique.

Le poste est équipé d'une cinquantaine de caméras, permettant en particulier d'enregistrer les plaques minéralogiques et de filmer l'intérieur des camions. Les mesures de radiations sont systématiques. Nous avons également vu opérer une équipe cynophile (recherche de drogues) et on nous a fait une démonstration de l'équipement de contrôle des documents : systèmes Waldman et Regula, puis VSC 4CX pour une deuxième vérification, stéréomicroscope Leica... On nous a assuré que le temps d'un contrôle ne dépassait pas 15 minutes pour les poids lourds - à cause des papiers de douane -, une voiture de l'Union européenne passant en dix à quinze secondes....

Une stratégie régionale

Les relations inter-baltes ont un temps semblé moins actives, cependant que les changements politiques intervenus en Pologne induisaient un certain refroidissement. Mais Vilnius a maintenant réagi, essayant avec succès de promouvoir un partenariat énergétique. Comme on l'a vu, les quatre pays se sont plus ou moins entendus pour construire ensemble une nouvelle centrale nucléaire et, en novembre dernier, leurs chefs d'Etat se sont réunis pour une conférence consacrée à la coopération régionale.

B - Les relations avec l'étranger proche

Elargissement

M. Karosas, président de la commission des affaires étrangères, admet la nécessité d'une pause, pour réfléchir aux questions institutionnelles, mais estimerait moralement mal venu que les nouveaux Etats membres referment la porte derrière eux. Selon lui, il faut laisser des perspectives aux pays voisins. Et, en manière de plaisanterie, M. Kubilius a répondu à une question sur les frontières de l'Union : « Nous souhaitons qu'elles soient poussées aussi loin que possible vers l'est, car nous ne voulons pas être le rempart de l'Union. » Plus sérieusement, il a expliqué que, pour lui, l'Ukraine, la Moldavie, les pays du Caucase du sud et même - étant entendu qu'elle doit changer - la Biélorussie, ne sont pas moins européens que beaucoup d'autres. M. Austrevicius a d'ailleurs rappelé à ce propos que le territoire de la Biélorussie a un temps été compris dans le grand-duché de Lituanie...

En revanche, plusieurs de nos interlocuteurs se sont montrés fort réservés sur l'adhésion de la Turquie, certains estimant même que les intéressés en avaient abandonné l'idée et se contenteraient d'une formule d'association. Mais d'autres ont fait valoir la difficulté du travail de mémoire auquel on veut obliger ce pays, jugeant que l'Union avait adopté sur ce point une approche erronée.

En ce qui concerne les Balkans, M. Karosas approuve la politique de l'Union : les pays candidats doivent régler leurs différends avant de songer à adhérer et la condition absolue pour pouvoir entrer dans l'Union est d'entretenir de bonnes relations avec ses voisins, sachant qu'il serait bien difficile de régler un conflit qui viendrait à éclater entre Etats membres.

Les relations de voisinage

Vilnius suit attentivement les « conflits gelés » (Moldavie, Géorgie). Avec la Pologne, la Lituanie a soutenu activement la « révolution orange » en Ukraine et elle appuie la candidature de ce pays à l'OTAN et à l'OMC. Elle lui apporte également son aide pour son plan d'action avec l'Union européenne et, ces derniers jours, elle a envisagé une médiation en vue d'aplanir les conflits internes. En octobre 2006, M. Adamkus a exprimé son soutien à la Géorgie aux prises avec Moscou, en entraînant dans sa démarche les présidents polonais et ukrainien.

Plus généralement, la Lituanie souhaite promouvoir une communauté de choix démocratique de la Baltique à la mer Noire et à la Caspienne - comme condition du développement de la démocratie dans toute la région (Ukraine, Géorgie, Moldavie, Arménie, Azerbaïdjan...) : poursuite de l'élargissement et politique active de voisinage sont liées, selon M. Muntianas. Il s'agirait donc d'encourager les réformes en tirant parti de l'expérience balte. Malheureusement, du sommet organisé à Vilnius en mai 2006 dans cette perspective, on a surtout retenu le discours de M. Cheney...

Avec la Biélorussie, cette politique pourrait recevoir une application exemplaire. M. Muntianas est persuadé que seule une action communautaire déterminée peut amener un changement dans ce pays. Il estime par exemple qu'il faut permettre aux citoyens biélorusses de visiter leurs voisins européens, pour susciter une sorte de contagion démocratique. Les visas à 35 euros étant trop chers pour eux, il conviendrait d'envisager la gratuité.

Plus globalement, la politique lituanienne consiste à soutenir l'opposition démocratique en dénonçant les atteintes à l'Etat de droit et aux droits de l'homme, mais en maintenant un « dialogue pragmatique ». Ainsi, en octobre 2006, M. Kirkilas s'est opposé aux sanctions économiques envisagées par l'Union européenne, préférant des sanctions politiques comme une extension de la liste des personnalités interdites de visa ; à la mi-février, lorsque Minsk a été confronté à la hausse du brut russe, le président Adamkus a offert à la Biélorussie d'utiliser le port de Klaipeda et le réseau ferré lituanien pour son approvisionnement. Il a également dénoncé comme contreproductifs les propos de certains ministres, appelant à expédier M. Loukachenko « chez Chavez ». Mais l'Université européenne des sciences humaines de Minsk, interdite par le régime, a été accueillie en Lituanie et reconnue comme 22ème université du pays.

Le cas particulier de la Russie

La faiblesse de la minorité russe et son assez bonne intégration ont facilité les rapports avec Moscou et la Lituanie a pu s'en prévaloir pour se présenter avec constance comme le truchement idéal pour les relations, notamment économiques, avec la Russie. Cependant, à l'approche de l'adhésion à l'Union européenne, s'est posée avec acuité la question de Kaliningrad : les citoyens de l'exclave ne pourraient continuer de circuler sans visa entre l'oblast et le reste de la Fédération. Il a fallu de longues négociations entre l'Union européenne et la Russie pour régler le problème. En novembre 2002, un compromis a finalement été trouvé, aboutissant à la délivrance de « documents de transit simplifiés » ; la Douma a ratifié en mai 2003 la délimitation de la frontière et, à la toute veille de l'adhésion, un second compromis a été conclu sur le transit des marchandises.

La bonne application du compromis est parfois contestée par les Russes, mais on constate qu'il a permis un accroissement de 10 % du transit et, selon M. Čiupaila, ce régime « simplifié » fonctionne en fait depuis trois ans à la satisfaction de tous. Il n'y aurait eu, dans les tout premiers temps, que des malentendus. Le contrôle est presque invisible pour les intéressés et ce dispositif démontre l'aptitude de la Lituanie comme partenaire Schengen : il s'agirait d'une expérience exemplaire.

Cependant, bien d'autres points de friction sont apparus. Comme cela a été dit, beaucoup ont à voir avec les questions énergétiques. Ainsi la Lituanie s'oppose à un forage pétrolier dans la Baltique, à proximité de la péninsule de Courlande. Surtout, elle s'insurge contre le projet russo-allemand de gazoduc sous-marin, qui compromet la sécurité de son approvisionnement et représente une menace écologique grave, et, si elle a abandonné ses suspicions à propos de l'incendie de Mazeikiai, elle juge que les fuites sur l'oléoduc ne sont qu'un prétexte, dissimulant mal des représailles à la suite du rachat de la raffinerie par PKN Orlen.

A cela s'ajoutent les affaires Paksas et Uspaskich, ainsi que des accusations d'espionnage : chute d'un avion militaire russe près de Kaunas (septembre 2005), expulsion d'un diplomate russe en octobre dernier, suivie de l'arrestation à Kaliningrad d'un « agent » lituanien...

Or l'Union européenne est soupçonnée de se montrer trop conciliante avec la Russie, et trop peu solidaire de ses nouveaux membres. La Lituanie a ainsi critiqué la tenue du sommet France-Allemagne-Russie en juillet 2005 à Kaliningrad, pour le 750ème anniversaire de Königsberg, et le projet de gazoduc sous-marin n'a pu que nourrir sa crainte de se voir négligée dans le dialogue entre l'Union et la Fédération.

Estimant que la Russie peut à nouveau et à tout moment rompre les accords conclus, les Lituaniens attendent de l'Union une attitude ferme dans ses négociations avec la Fédération. Toutefois, les relations bilatérales ne sont pas interrompues : ainsi, en novembre, la visite du nouveau ministre des affaires étrangères, M. Vaitekiunas, a été l'occasion d'évoquer des projets de coopération et, ces derniers jours, une délégation de la Douma reçue à Vilnius a promis que le pétrole allait couler à nouveau. Et puis, en tout état de cause, la Russie continue d'être le premier fournisseur et client de la Lituanie, qui, de son côté, a notablement investi à Kaliningrad...

C - L'OTAN

Membre de l'OTAN depuis mars 2004, la Lituanie a réorganisé son armée, lui consacrant 2 % de son PIB. Sa base aérienne de Zokniai sert de base commune pour la protection du ciel balte - c'est actuellement au tour de la France d'assurer cette surveillance, qui compte beaucoup pour la Lituanie, compte tenu de la proximité de Kaliningrad et des intrusions fréquentes d'appareils russes.

La Lituanie a choisi de soutenir les Etats-Unis en Irak, en y envoyant 120 hommes. Cependant, le ministre de la défense Olekas a annoncé en janvier le retrait de 50 d'entre eux, déployés près de Bassorah au sein du bataillon danois faisant partie de la division multinationale britannique. Mais le Président Adamkus s'y est opposé le mois suivant...

Cent vingt autres soldats sont présents en Afghanistan et un bataillon a été envoyé au Kosovo.

V) La Lituanie et la France

A - Echanges économiques

M. Navickas, ministre de l'économie, s'est félicité du niveau de nos échanges et de leur caractère équilibré, mais pour souhaiter aussitôt un effort du côté des investissements : de ce point de vue, la France ne vient qu'au 16ème rang, et sa part dans les IDE n'est que de 1,1 %. Nos entreprises, a-t-il ajouté, auraient tout profit à tirer des infrastructures (zones franches, parcs industriels ou technologiques) dont la Lituanie a entrepris de se doter. Mais le ministre insiste pour que ces investissements, qu'ils viennent de grandes entreprises ou de PME, soient à long terme et bénéficient autant que possible aux secteurs innovants (biotechnologies, lasers, industries pharmaceutique et chimique...).

Actuellement, 500 entreprises françaises exportent régulièrement vers la Lituanie et 60 y ont des bureaux de représentation ou des filiales (Dalkia, Schneider Electric, Bureau Veritas, Sanofi-Aventis et Servier, Bull, etc.)

Commerce : une chute récente de nos importations

Les achats français en Lituanie sont ceux qui ont connu la progression la plus forte en 2004 - 45 % - alors que nos exportations régressaient. La France était alors le quatrième client après l'Allemagne, la Lettonie et la Russie, et le 8ème fournisseur. Au total, le chiffre d'affaires du commerce bilatéral croissait d'environ 20 %.

En 2005, les exportations lituaniennes sont passées de 472 à 667 M d'euros selon le Département des statistiques de Vilnius, de 646 à 706 M selon notre Direction des Douanes - ce fut en tout état de cause un record -, les importations de 320 ou 305 M d'euros à 351 ou 323 selon la source - soit un volume d'échanges supérieur dans tous les cas de figure au milliard d'euros, et un déficit de 316 ou 380 M d'euros pour la France. Les produits pétroliers représentaient près de 39 % de nos achats, les biens intermédiaires 45 % de nos ventes.

Selon le Département lituanien de la statistique, les ventes françaises se seraient établies à 485 M d'euros en 2006, ce qui représente une progression de 38 % mais nous maintiendrait seulement au 8ème rang des fournisseurs, après les Pays-Bas, l'Italie et la Suède. Au contraire, nos importations seraient tombées à 465 M d'euros, soit une baisse de 30 %, et nous passerions au 11ème rang des clients. La balance serait légèrement en notre faveur. Mais notre Direction des Douanes évalue à seulement 418 M d'euros nos exportations, ce qui entraînerait au contraire pour nous un déficit de 48 M environ - nettement plus réduit, toutefois, que les cinq années précédentes.

Si l'on regarde le détail des échanges par produits, on constate que, pour les exportations françaises, presque tous les postes sont en progression, parfois très nette : le premier, les véhicules automobiles, enregistre une augmentation de 50 % ; le suivant (préparations pharmaceutiques) de 38 % ; le quatrième (boissons alcooliques distillées) de 290 % ! La progression est également très forte pour les carrosseries et remorques (+ 140 %), pour le cuivre (+ 94 %), pour les vins et champagnes (+ 79 %), pour les composants électroniques (+ 111 %). Seuls régressent les tissus, les fils et filés, les articles en plastique et le matériel chirurgical. Du côté des importations, n'ont augmenté que les achats d'aliments pour animaux de compagnie (+ 200 %), de certains articles de la filière bois (placages, emballages, meubles de cuisine...), d'appareils électroménagers et de matières plastiques. Les produits de la pêche se maintiennent également. En revanche, les trois premiers postes régressent fortement : les produits pétroliers raffinés tombent de 280 à 88 M d'euros (- 68 %) ; les matériels électriques pour moteurs et véhicules de 140 à 106 M d'euros
(- 24 %) et les produits azotés et engrais de 95 à 83 M d'euros
(- 12 %). Ces seules baisses correspondent, à un million d'euros près, à la baisse totale des exportations lituaniennes. Nos achats de produits pétroliers ont toujours été irréguliers, note la DGTPE, mais, divisés par trois, ils enregistrent cette fois clairement l'effet du ralentissement de l'activité à Mazeikiai.

Selon les Lituaniens, notre part de marché tournerait autour de 3 % pour ce qui est des importations et de 4 % pour les exportations. C'est en tout cas nettement plus que pour les IDE, les investissements directs, que les mêmes sources situent en dessous de 1 %.

Investissements : une faiblesse persistante

Selon notre ministère des affaires étrangères, la France était, au 1er janvier 2006, le 13ème investisseur, avec 106 M d'euros, soit une part de 1,9 % seulement. Selon le Département lituanien des statistiques, notre stock n'aurait été que de 77 M et notre part de 1,1 %. Et, un an plus tard, nous serions au 16ème rang avec 0,98 % du stock d'IDE (81,4 millions d'euros). Quoi qu'il en soit, Dalkia (cf. plus haut) reste une exception : la présence française en Lituanie est le fait de PME. Or, comme le soulignait M. Navickas, nos groupes auraient des occasions de s'implanter :

- dans le secteur de l'énergie : Alstom a été retenu pour la modernisation des centrales de Kaunas et d'Elektrenai en 2005 ; EDF s'intéresse à la privatisation annoncée de Lietuvos Energija et au projet de pont électrique avec la Pologne ; et, bien sûr, Areva, EDF et le CEA auraient vocation à intervenir dans la conception et la construction de la nouvelle centrale nucléaire - nos interlocuteurs se sont tous montrés bien disposés à cet égard.

- dans le secteur des transports : la SNCF est impliquée dans le projet « Rail Baltica », mais des entreprises françaises pourraient aussi contribuer à la réalisation du projet de tramway à Vilnius - préparée par l'exposition d'une maquette du tramway de Nice...

- dans l'agroalimentaire : notre mission économique souligne l'intérêt de plusieurs secteurs où l'expertise française pourrait servir la mise aux normes.

B - Présence culturelle

Mme Zinkevičiūtė a rappelé que, sous la première République, le français était la première langue étrangère et a indiqué qu'actuellement, 19 000 élèves du secondaire apprendraient notre langue. Au total, même si l'effectif est en baisse, ce sont près de 30 000 élèves qui étudieraient le français, dont 40 % à peu près en première langue. Notre langue occuperait maintenant la troisième place après l'anglais et le russe, au terme d'une lutte serrée avec l'allemand.

Un projet régional de formation des professeurs a été lancé en 2001. Par ailleurs, 102 étudiants lituaniens séjournent dans des universités françaises. La coopération universitaire est surtout axée sur les formations en droit et en sciences politiques.

La Lituanie a adhéré à la Francophonie comme observateur, en 1999. Le 20 mars, pour la Journée de la Francophonie, nous avons assisté à la remise des prix décernés à l'occasion de la semaine internationale de la langue française et nous avons pu constater la vitalité de la francophonie en consultant les œuvres de ces lauréats de tous âges.

L'instrument le plus visible de cette vitalité est le centre culturel, placé idéalement au cœur de la vieille ville et qui contribue à l'animation culturelle de la capitale.

Le centre culturel français

Installé depuis 1998 tout près de l'ambassade, dans un bâtiment historique, la maison Frank où Stendhal fit étape en 1812, le CCF remplit trois missions. Tout d'abord, une mission de formation linguistique : en 2006, des cours de français ont été dispensés sur place à 1 280 élèves et, dans d'autres cadres, des cours de spécialité à près de 400 autres - principalement des fonctionnaires lituaniens bénéficiant du plan de formation de l'Organisation internationale de la Francophonie. Le centre mène également des actions de soutien à l'enseignement du français ou à certains projets éducatifs (formation des professeurs, ateliers de théâtre, appui à la section européenne au lycée...) et il organise les certifications en français (DELF, DALF, TCF...).

Seconde mission : l'action culturelle. Pour promouvoir la création contemporaine française, le centre organise des festivals et expositions, ou participe à ceux que proposent les institutions culturelles lituaniennes. Au début de 2006, le festival du cinéma français « Ecrans d'hiver » a enregistré 4 000 entrées. Le CCF intervient aussi au titre de l'ingénierie culturelle : appui à « Vilnius, capitale culturelle européenne 2009 », promotion des stages du ministère de la culture dans le domaine de la gestion de projets culturels, participation à la création du Département de danse contemporaine à l'Académie nationale, soutien à l'organisation d'une première Fête de la Musique, etc.

Enfin, c'est un centre d'information, riche de 14 000 titres (71 % de livres, 13 % d'œuvres audio, 15 % d'œuvres vidéo et 1 % de CD-Roms) et accessible à 720 abonnés actuellement, ainsi qu'un centre d'animation (organisation régulière de conférences-débats) et de promotion des écritures francophones.

L'Ecole française de Vilnius

Gérée par l'association des parents, cette école a été créée en 1992 mais n'a été pleinement reconnue qu'en 2002 ; depuis la rentrée de 2005, elle est conventionnée par l'AEFE. Sept enseignants cette année s'occupent de 41 élèves de maternelle et de 57 élèves de l'école élémentaire - soit 98 au total, dont 18 de nationalité française.

L'école résiste assez bien à la concurrence de deux écoles anglophones, et l'effectif croît régulièrement, en raison de frais de scolarité modiques (9 000 litai pour un enfant français, 5 500 pour un enfant lituanien), mais aussi parce que les parents lituaniens sont sensibles à la valeur ajoutée que représente l'enseignement en français pour la scolarité future de leurs enfants. Cependant, l'école se trouve devant deux problèmes. Le premier tient à la difficulté de regrouper maternelle et école élémentaire sur un même site. En 2005, la municipalité de Vilnius a proposé 700 m2 dans un ancien hôtel particulier du quartier polonais. La maternelle en occupe depuis un an le premier étage, mais le rez-de-chaussée continue d'accueillir un jardin d'enfants polonais. Ce dernier devrait fermer en raison du déclin démographique de la communauté, mais les parents ont manifesté leur opposition et, les élections municipales venant, la décision a été reportée à juin.

En second lieu, le moment semble venu d'ouvrir un cycle secondaire afin que les élèves puissent continuer leur scolarité en français - actuellement, ils ne peuvent le faire que dans le cadre de l'enseignement à distance, assistés par un répétiteur français. Un partenariat a été noué avec un collège du centre de Vilnius en vue d'y regrouper les enfants pour faciliter le travail des répétiteurs ou lecteurs chargés de les suivre, cela en attendant de pouvoir créer des classes bilingues.

C - Quelques autres domaines de coopération

Coopération scientifique

Un Programme d'Actions Intégrées (PAI) concerne une douzaine de projets communs en sciences exactes et entamera en 2007 sa troisième édition.

Coopération militaire

Des stages de formation et de perfectionnement sont organisés en France pour des officiers et sous-officiers lituaniens, cependant que des cours de français spécialisé sont dispensés à Vilnius. A cela s'ajoutent des visites d'experts : notre ambassade envisage ainsi, compte tenu de l'intérêt manifesté par les Lituaniens, des rencontres sur le thème de la professionnalisation des armées. A l'échelle régionale, un instructeur donne des cours de logistique au collège balte de défense de Tartu (Estonie) et un conseiller, officier de la marine nationale, a été détaché auprès de l'escadron balte de déminage.

Coopération institutionnelle et technique

Il s'agit avant tout d'aider à la réforme des administrations et services publics et de former des cadres. Outre les cours de français dispensés chaque année à 250 fonctionnaires (principalement du ministère des affaires étrangères), l'accent est mis sur la formation des gestionnaires de santé publique, sur l'assistance au démantèlement d'Ignalina et sur la coopération avec les services de police (lutte contre la fausse monnaie, le crime organisé et l'immigration clandestine...). Cela n'exclut pas d'autres actions, dans les domaines de l'agriculture, de l'environnement (l'ADEME et Dalkia soutiennent par exemple la filière bois-énergie/biomasse) ou des transports.

Puisqu'il a été question de la préparation à l'entrée dans le zone Schengen, relevons que la France a été sollicitée pour améliorer tant les techniques que la formation des personnels chargés de la protection des frontières. Un jumelage a eu lieu en 2006 sur le thème : « développement d'un système de formation unifié et d'amélioration de la qualification des fonctionnaires de police » ; les responsables des gardes-frontières ont rencontré leurs homologues de la PAF et visité le Centre de coopération policière et douanière de Genève, en vue de s'inspirer de son organisation. Pour 2007 sont prévus un audit des unités cynophiles et la venue d'experts de la lutte contre l'immigration clandestine et contre le blanchiment, ainsi que de fonctionnaires du Service de protection des hautes personnalités. Un deuxième jumelage devrait suivre, portant sur la contrefaçon de l'euro. Cette coopération a eu d'heureuses retombées en France même, avec le démantèlement de réseaux de faux monnayage, de traite des êtres humains ou de vol de moteurs de bateaux.

En guise de conclusion

Revenant de Vilnius, nous ne sommes pas inquiets pour la Lituanie. Certes, la situation politique n'y est pas d'une très grande stabilité et rien n'assure que les prochaines élections permettront de dégager une majorité claire. Mais, pour avoir rencontré des interlocuteurs de qualité, nous croyons que la classe politique et le peuple lituaniens sauront relever les défis qui les attendent. Nous avons constaté, sur l'Europe comme sur les questions énergétiques, suffisamment de convergences pour penser que des alliances permettront de poursuivre sur la lancée, jusqu'à ce que le développement économique - déjà impressionnant - prive les populismes d'aliment.

Encore faut-il que l'Union européenne prenne conscience de l'atout qu'est pour elle une Lituanie porteuse d'un projet régional et que sa position et, plus encore, sa volonté désignent comme truchement pour le dialogue avec la Russie et les Etats de la lisière orientale. De ce point de vue, il n'est pas de petit pays.

Mais cela supposerait aussi que l'Union adopte une attitude ouverte sur la question d'Ignalina et accepte un « sursis à exécution » en considérant l'intérêt, non plus seulement d'un pays - même si c'est déjà beaucoup ! -, mais de quatre au moins. Il serait intolérable que persiste un « îlot » énergétique dont la fragilité offrirait prise à des intérêts déjà bien puissants face à l'Union elle-même : pour un délai de quelques années, ne condamnons pas la Lituanie et ses voisins à une subordination qui serait dangereuse pour nous tous.

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