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le 19 juillet 2002

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N° 30

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 juillet 2002.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR :

- LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant la ratification du protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée,

- LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant la ratification de la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée,

- LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant la ratification du protocole additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants,

PAR M. CHRISTIAN PHILIP,

Député

--

Voir les numéros :

Sénat : 117, 118, 119, 200, 201, 217 et T.A. 78, 79, 80 (2001-2002)

Assemblée nationale : 6, 7, 8

Traités et conventions

SOMMAIRE

___

INTRODUCTION 5

I - LA VOLONTÉ DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE DE
LUTTER GLOBALEMENT CONTRE LE CRIME ORGANISÉ
9

A - LES LACUNES DU DROIT POSITIF DANS LA LUTTE
CONTRE LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE
9

B - L'ÉLABORATION DE LA CONVENTION DE PALERME
ET DES DEUX PROTOCOLES
10

II - L'APPORT DE LA CONVENTION DE PALERME
SUR LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE
13

A - LE RAPPROCHEMENT DES LÉGISLATIONS PÉNALES 13

B - LE RENFORCEMENT DE LA COOPÉRATION JUDICIAIRE PÉNALE 14

C - LA LÉGISLATION FRANÇAISE DEVRA ÉVOLUER EN MATIÈRE DE
CORRUPTION ET ENCADRER LES TECHNIQUES D'ENQUÊTE ADAPTÉES
À LA LUTTE CONTRE LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE
14

III. LA LUTTE CONTRE LA TRAITE DES PERSONNES 17

A - UNE DÉFINITION DE LA TRAITE DES PERSONNES
ADAPTÉE À LA RÉALITÉ D'AUJOURD'HUI
17

B - LA QUESTION DES VICTIMES DES RÉSEAUX DE TRAITE 18

C - UN DROIT INTERNE ENCORE INACHEVÉ 18

IV. LE TRAFIC ILLICITE DE MIGRANTS APPRÉHENDÉ SOUS
L'ANGLE PÉNAL PAR LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE
21

A - LE RÔLE DES RÉSEAUX ORGANISÉS DANS LA PRESSION MIGRATOIRE 21

B - LES PRINCIPAUX APPORTS DU PROTOCOLE 22

1) La définition de nouvelles incriminations pénales 22

2) L' engagement de coopérer pour lutter contre le trafic par voie maritime 23

3) De nouveaux principes concernant la protection des migrants
et leur retour dans le pays d'origine 23

C - L'ÉVOLUTION NÉCESSAIRE DE LA LÉGISLATION FRANÇAISE 24

CONCLUSION 26

EXAMEN EN COMMISSION 27

Mesdames, Messieurs,

La prise en compte de la criminalité organisée transnationale par la communauté internationale a franchi une étape importante en 1988, avec l'adoption de la convention de Vienne contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes. Quatre ans plus tard, était créée la Commission pour la prévention du crime et la justice pénale du Conseil économique et social des Nations unies, installée à Vienne. Cette Commission est devenue un pôle de réflexion sur les différents aspects de la criminalité organisée. Ses travaux ont abouti à l'adoption, le 15 novembre 2000, de la convention de Palerme soumise à l'examen de votre commission.

La convention de Palerme appréhende la criminalité transnationale organisée sous l'angle pénal ; ses objectifs sont la répression des activités criminelles transnationales et l'amélioration de la coopération judiciaire.

En étudiant le droit positif dans le domaine de la lutte contre la criminalité organisée, on constate que de nombreux instruments juridiques ont déjà été adoptés et l'on peut se demander quelle sera l'articulation entre eux. Il apparaît cependant que les instruments antérieurs sont thématiques, consacrés à une forme particulière de criminalité, alors que la convention de Palerme comporte pour la première fois une généralisation de l'incrimination de participation à une organisation criminelle.

La convention de Palerme contient par ailleurs des dispositions complètes et détaillées relatives à l'extradition et à l'entraide judiciaire, ce qui permettra de pallier les cas d'absence de convention bilatérale : il existe de nombreux pays (d'Afrique ou d'autres régions du monde) avec lesquels la France n'a pas signé de convention bilatérale jusqu'à présent.

Deux protocoles ont été élaborés pour compléter la convention :

- le protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants ;

- le protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer.

Les conventions internationales existantes dans le domaine de la traite des personnes sont apparues insuffisamment adaptées pour faire face au développement actuel de formes nouvelles de prostitution et de situations d'esclavage, d'où le premier protocole.

Ces phénomènes suscitent l'inquiétude croissante de la communauté internationale, qui constate la recrudescence des réseaux de type mafieux organisant différents types d'activité - recrutement d'esclaves domestiques, filières et formes nouvelles de prostitution, exploitation de la jeunesse ou du handicap pour susciter vols et mendicité ; il ne s'agit ici que de quelques exemples de ces activités criminelles extrêmement diversifiées et dont le caractère commun est l'organisation des exploitants et la violence systématique exercée à l'égard des victimes.

L'objet du protocole relatif à la traite sera de donner à la communauté internationale des moyens harmonisés pour lutter contre ces phénomènes.

Alors que plusieurs instruments internationaux existent déjà dans le domaine de la criminalité organisée et de la traite des personnes, il n'existe au contraire aucun texte traitant, sous l'angle pénal, du trafic illicite de migrants, objet du second protocole. Le protocole contre le trafic illicite de migrants est le premier instrument qui définit cette infraction et impose aux Etats parties des mesures pour la combattre.

Ce phénomène n'a attiré que récemment l'attention de la communauté internationale. La prise de conscience des pays de l'Union européenne date d'une dizaine d'années au plus, et de façon plus aiguë depuis quelques années avec, par exemple, l'arrivée massive de boat people en Italie ou la survenance de drames tels que celui de Douvres en 2000.

Les Gouvernements des pays de destination sont maintenant conscients que tant la traite des êtres humains que l'immigration clandestine sont très souvent le fait de filières professionnelles, très organisées et aux pratiques très agressives. Les analystes du phénomène constatent des analogies claires entre le crime organisé "classique" (armes, drogue, prostitution) et les passeurs de clandestins. Les trafics d'êtres humains génèrent d'énormes revenus pour les mafias ou groupes qui les mettent en place. Le Centre international pour le développement des politiques migratoires de Vienne évalue ces revenus entre dix et quinze milliards de dollars.

On ne peut que craindre un grossissement du flux des migrants à l'avenir, de la prostitution, de la criminalité organisée transnationale en général. Aussi les pays européens, et les autres pays de destination, ont-ils besoin de règles communes pour se donner des moyens de lutte contre les filières criminelles souvent mieux organisées, comme le déplorent les spécialistes, que les Etats eux-mêmes. Les trois présents textes contribuent à renforcer ce corps de règles communes indispensables.

La Convention et ses deux protocoles additionnels ont été adoptés par l'Assemblée générale des Nations unies le 15 novembre 2000. Ils ont été ouverts à la signature des Etats parties le 12 décembre 2000, lors d'une conférence réunie à Palerme. Le choix par l'ONU de cette ville berceau de la Cosa Nostra sicilienne a été hautement symbolique1. Plus de 130 Etats étaient représentés à cette conférence et 123 d'entre eux ont apposé leur signature à la convention-mère, chiffre sans précédent s'agissant d'une convention à vocation universelle.

La France a signé la convention et les deux protocoles dès le 12 décembre 2000. Ces sont ces trois textes qui sont soumis à l'examen de votre Commission.

I - LA VOLONTÉ DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE
DE LUTTER GLOBALEMENT CONTRE LE CRIME ORGANISÉ

A - Les lacunes du droit positif dans la lutte contre la criminalité organisée

La communauté internationale a élaboré, dans différentes enceintes, des conventions à caractère spécifique, mais aucune ne visait la criminalité transnationale organisée en tant que telle.

On citera par exemple l'importante convention des Nations Unies de 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, la Convention du Conseil de l'Europe de 1990 relative au blanchiment, la Convention de l'OCDE sur la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales. Des conventions pénales ont été adoptées par le Conseil de l'Europe en 1999 sur la corruption et en 2001 sur la cybercriminalité, mais elles ne sont pas encore entrées en vigueur.

Plusieurs instruments ont été adoptés dans le cadre de l'Union européenne à la suite du plan d'action pour la lutte contre la criminalité organisée adopté en 1997. On citera en particulier la décision-cadre du Conseil du 15 mars 2001 sur le statut des victimes dans le cadre de procédures pénales, la décision-cadre du 26 juin 2001 concernant le blanchiment d'argent et la confiscation des produits du crime. Doivent aussi être mentionnées les conventions de l'Union européenne relatives à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes et à la corruption des fonctionnaires, et l'importante convention sur l'entraide judiciaire pénale qui a été adoptée, après des années de négociations, en 2000. Enfin, deux conventions ont été adoptées en 1995 et 1996 sur l'extradition.

Ces différents instruments ont pour effet d'obliger les Etats parties à ériger en infractions pénales certains comportements, en définissant leurs éléments constitutifs. Ils contribuent au rapprochement des législations pénales et facilitent la coopération judiciaire en matière pénale.

Comme on peut le constater, ces instruments internationaux sont ciblés, ou thématiques, visant des activités délictueuses spécifiques. Au contraire, l'apport fondamental de la convention de Palerme sera d'appréhender et de réprimer la criminalité organisée de façon globale, dans l'ensemble de ses activités délictueuses. Il s'agit d'un outil complet et universel de lutte contre les organisations criminelles.

La traite des êtres humains par les groupes criminels a connu au cours des dernières années un développement considérable. Selon le programme des Nations unies contre la traite des êtres humains, plus d'un million de femmes et d'enfants seraient chaque année victimes de la traite.

Les instruments internationaux contre la traite des personnes datent du début du XXème siècle, avec les premières conventions internationales pour la répression de la traite des blanches de 1904 et 1910. La traite des enfants a été prise en compte par une convention de 1921.

Ces premiers instruments ont été unifiés dans la convention des Nations unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui du 2 décembre 1949. D'autres textes se sont développés parallèlement visant à l'élimination de l'esclavage à partir de 1926, jusqu'aux conventions de l'OIT de 1930 et 1957.

Ici encore, le protocole soumis à l'examen du Parlement a été voulu comme un instrument global, qui comporte un ensemble de mesures à la fois préventives et répressives, mais aussi des dispositions en matière de coopération, d'échange d'informations et de formation, et ce qui est particulièrement novateur, des dispositions destinées à améliorer la protection des victimes de la traite des personnes.

Le protocole sur le trafic illicite de migrants sera le premier instrument international abordant, sous l'angle pénal, cette activité criminelle. Ce sera le premier texte à définir cette activité criminelle et à imposer aux Etats parties des mesures destinées à la combattre.

B - L'élaboration de la convention de Palerme et des deux protocoles

La volonté de lutter contre la criminalité organisée sur un plan pénal s'est longtemps heurtée, sur le plan international, à la question de sa définition, dont aucune n'a fait l'objet d'un consensus universel. Les instances internationales ont élaboré des définitions - ainsi Interpol - ou une liste de critères cumulatifs permettant de déterminer qu'un groupe relève de la criminalité organisée - c'est ainsi qu'a procédé le groupe de travail "drogue et criminalité organisée" de l'Union européenne, liste qu'a reprise le Comité d'experts du Conseil de l'Europe.

Dans sa volonté de contribuer à la lutte contre la criminalité organisée, l'Organisation des Nations unies a été confrontée à son tour au problème de la définition. Les premiers travaux, commencés lors de la Conférence ministérielle mondiale tenue à Naples du 21 au 23 novembre 1994, ont abouti à un "Plan mondial d'action contre la criminalité organisée". Parmi les recommandations figurait celle d'adopter une définition commune du concept de criminalité transnationale organisée, et celle de promouvoir une convention internationale de lutte contre ce phénomène.

Un projet de convention a été présenté en 1996 par le Gouvernement polonais, soutenu par les Etats-Unis dans un premier temps et la France ensuite. Un groupe inter-gouvernemental d'experts a été chargé, à partir de 1997, d'élaborer un projet de convention. Les négociations proprement dites ont débuté en janvier 1999 et se sont achevées en juillet 2000.

Les principaux pays du Nord se sont montrés très actifs dans la négociation, notamment la France, les Etats-Unis, le Canada, l'Allemagne et les Pays-Bas. Les pays du groupe des Etats d'Amérique latine et de la Caraïbe sont également apparus très impliqués. Les grands pays du G 77 (Iran, Inde Pakistan, Afrique du Sud, Maroc) ainsi que la Chine et d'autres pays asiatiques ont été très présents dans les négociations. On notera enfin le rôle d'impulsion joué par le G-8.

Les négociations ont été marquées par le clivage Nord-Sud. Les Etats du Sud ont dénoncé leur manque de moyens tant pour négocier que pour appliquer la convention, parfois perçue comme un instrument élaboré par et pour les pays développés. Toutefois, aucune opposition n'a été assez radicale pour faire échouer la négociation.

On soulignera que la position qui a finalement prévalu a été de ne pas formaliser une définition de la criminalité organisée, car on continuait de se heurter à différents écueils, comme par exemple l'amalgame entre terrorisme et crime organisé, demandé par plusieurs Etats qui ont fait valoir les liens qu'entretiennent crime organisé et terrorisme.

Le mandat de la résolution 53/111 de l'Assemblée générale des Nations unies (9 décembre 1998) avait chargé le comité d'experts d'élaborer s'il y a lieu des instruments internationaux de lutte contre le trafic de femmes et d'enfants, la fabrication et le trafic illicites d'armes à feu et le trafic illicite de migrants. Deux de ces thèmes sont traités par les présents protocoles, et on notera qu'un troisième protocole contre le trafic des armes à feu a été adopté le 31 mai 2001.

La négociation des deux protocoles a été menée parallèlement à celles de la convention-mère, et a abouti dans un délai très rapide, en octobre 2000 après seulement sept sessions de négociations. Les protocoles ont également recueilli des signatures en nombre très important dès l'ouverture à la signature à Palerme.

II - L'APPORT DE LA CONVENTION DE PALERME SUR
LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE

La Convention de Palerme a deux objectifs : harmoniser un certain nombre d'incriminations dans les Etats parties et édicter des règles communes pour développer la coopération judiciaire pénale.

A - Le rapprochement des législations pénales

La Convention définit certaines notions fondamentales en matière de criminalité organisée et notamment le "groupe criminel organisé". Il s'agit d'un groupe structuré de trois personnes ou plus, agissant de concert dans le but de commettre une ou plusieurs infractions graves ou établies par la convention, pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel.

Cette définition formulée par l'article 2 de la convention distingue clairement les activités terroristes de la criminalité organisée, contrairement à ce que demandaient certains Etats - l'Algérie, l'Egypte, L'Espagne, l'Inde, le Mexique et la Turquie. L'exigence d'un but lucratif distingue les deux phénomènes, conformément à la doctrine française en la matière. Cependant, l'on considère que les dispositions de la convention peuvent s'appliquer ponctuellement à certaines activités délictueuses menées par des organisations terroristes, dès lors que celles-ci répondent aux conditions définies ; ce pourrait être le cas pour les trafics illicites auxquels se livrent les organisations terroristes pour financer leurs activités.

La convention définit ensuite le caractère transnational des infractions, assez large pour s'appliquer à la plupart des activités criminelles.

Les Etats parties devront prévoir dans leur droit interne les incriminations suivantes :

- la participation à un groupe criminel organisé (article 5) ;

- le blanchiment du produit du crime (article 6) ; la rédaction est inspirée d'instruments antérieurs, comme la convention de 1988 sur le trafic de stupéfiants et celle de 1990 sur le blanchiment ;

- la corruption active et passive des agents publics nationaux (article 7). Les dispositions quelque peu restrictives devraient être complétées à l'avenir par un nouvel instrument en préparation sous l'égide des Nations-Unies ;

- l'entrave au bon fonctionnement de la justice (article 23).

Les Etats devront en outre instaurer la responsabilité des personnes morales participant à des infractions impliquant un groupe criminel organisé (article 10).

B - Le renforcement de la coopération judiciaire pénale

La Convention de Palerme fournit un cadre complet et précis pour une entraide pénale efficace, même entre des Etats qui n'ont conclu aucun accord spécifique d'entraide judiciaire ou d'extradition.

Des dispositions sont prévues pour les aspects suivants de la coopération : saisie et confiscation des produits du crime, extradition, transfert des personnes condamnées.

L'une des innovations consiste en l'inopposabilité du secret bancaire comme motif de refus d'une demande d'entraide. Un motif fiscal sera également inopposable pour refuser l'exécution d'une demande d'entraide. L'un des obstacles les plus courants dans les procédures d'enquête sur la criminalité financière est ainsi levé. Une autre innovation figure dans l'article 18, paragraphe 2 : il s'agit du principe de l'octroi de l'entraide dans les enquêtes conduites à l'encontre des personnes morales.

La convention incite en outre les Etats à conclure des accords bilatéraux ou multilatéraux.

On soulignera que la convention décrit de façon précise et élaborée les différents moyens de coopération auxquels les Etats parties pourront recourir : les échanges d'information, les actions de formation, les enquêtes conjointes, les techniques spéciales d'enquête. Ces dernières recouvrent les livraisons surveillées ou d'autres techniques telles que la surveillance électronique, les opérations d'infiltration, ou l'interception des marchandises.

La convention consacre enfin des dispositions à la protection des témoins contre les actes de représailles ou d'intimidation. Elle enjoint aux Etats parties d'accorder une protection aux victimes.

C - La législation française devra évoluer en matière de corruption et encadrer les techniques d'enquête adaptées à la lutte contre la criminalité organisée

Des incriminations répondant aux exigences de la convention existent déjà en droit interne :

- l'infraction de participation à un groupe criminel organisé, indépendamment de la tentative d'infraction, correspond à l'incrimination de l'association de malfaiteurs prévue par l'article 450-1 du code pénal.

Au sens de la convention, l'incrimination de la participation à un groupe criminel organisé suppose que l'objectif poursuivi soit de commettre une « infraction grave » définie (par l'article 2 paragraphe 1b) comme une infraction punie d'une peine privative de liberté dont le maximum ne doit pas être inférieur à 4 ans ou d'une peine plus lourde.

Depuis la loi du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques, l'association de malfaiteurs en droit interne est applicable à la préparation d'un crime ou d'un délit puni d'une peine d'au moins 5 ans d'emprisonnement, selon l'article 450-1 du code pénal.

Ce décalage entre ces deux dispositions est toutefois sans conséquence en terme de respect des obligations résultant de la Convention dans la mesure où le droit interne ne connaît pas de seuil de peine arrêté à 4 ans d'emprisonnement (article 131.4 du code pénal).

Dès lors, notre droit pénal est conforme aux exigences de la convention puisque les infractions punies d'une peine de 3 ans d'emprisonnement (seuil immédiatement inférieur) ne sont pas couvertes par la notion d'infraction grave, qu'aucune infraction n'est punie de 4 ans d'emprisonnement et que celles punies d'une peine de 5 ans d'emprisonnement (seuil immédiatement supérieur) sont déjà appréhendées par l'article 450-1 du code pénal.

Enfin, les modalités de participation aux activités d'un groupe criminel organisé telles que prévues par le paragraphe 1b sont déjà prévues en droit interne pour l'auteur ou le complice.

Toutefois, une réflexion existe quant à l'avantage d'inscrire dans notre droit une incrimination spécifique d'« association de malfaiteurs en lien avec une organisation criminelle », de même qu'a été adoptée une incrimination d'association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Une telle évolution serait conforme à l'esprit de la convention de Palerme ; elle doit cependant s'accompagner d'une réflexion sur la création de juridictions spécialisées regroupant des moyens jusqu'à présent dispersés, sur le modèle des pôles économiques et financiers.

- la définition du blanchiment retenue par la convention est très largement inspirée de la convention de 1990 du Conseil de l'Europe ; le droit français est compatible avec elle, en particulier les articles 324-1 (blanchiment) et 321-1 (recel) du code pénal. Il convient de préciser qu'en droit interne, le recel et le blanchiment s'appliquent au produit de tout crime ou délit, ce qui satisfait à l'article 6 paragraphe 2.

- les éléments constitutifs des infractions de corruption active et corruption passive d'agents publics nationaux, prévus par l'article 8 paragraphe 1, correspondent aux délits prévus par les articles 433-1 et suivants du code pénal et n'appellent pas d'adaptation du droit interne.

Par contre, le code pénal ne prévoit pas les infractions de corruption active et passive d'agents publics étrangers et de fonctionnaires internationaux prévues par le paragraphe 2, sauf pour ce qui concerne la corruption active d'agents publics étrangers dans le cadre des transactions commerciales et la corruption de fonctionnaires communautaires ou de fonctionnaires des autres Etats membres de l'Union européenne.

Il y a donc là matière à une évolution de notre droit. Toutefois, il convient probablement, l'article 8 paragraphe 2 de la convention n'étant pas contraignant, d'attendre l'issue de la négociation en cours, sous l'égide de l'ONU, de la convention générale de lutte contre la corruption pour s'engager dans une modification du droit positif.

- les éléments constitutifs de l'entrave au bon fonctionnement de la justice correspondent déjà à des incriminations prévues en droit interne comme la subornation de témoins (art. 434-15 du code pénal) ou d'experts (art. 434-21 du code pénal) et les menaces et actes d'intimidation à l'égard des personnels exerçant une fonction publique (art. 433-3 alinéa 2 du code pénal). Elles n'appellent pas d'adaptation du droit interne.

D'autres dispositions de la Convention, bien que rédigées en termes très généraux ou non contraignants, pourraient justifier une modification de notre droit interne, principalement en ce qui concerne la protection des témoins et des collaborateurs de justice. La France apparaît quelque peu en retard dans ce domaine qui appelle une codification plus précise et plus adaptée aux besoins des enquêtes ; Toutefois, en l'absence de dispositif complet de protection des témoins, des actions peuvent être entreprises sur la base de la loi « sécurité quotidienne » du 15 novembre 2001 (articles 706-58 à 706-62 du code de procédure pénale).

L'article 20 relatif aux techniques d'enquêtes spéciales devrait aussi, en toute logique, appeler quelques évolutions : la technique policière de l'infiltration est en France limitée aux enquêtes sur le trafic de stupéfiants, alors que la Convention de Palerme la généralise à l'ensemble de la criminalité organisée. Une évolution sera nécessaire pour l'harmonisation des moyens de coopération pénale entre Etats limitrophes de l'Union européenne, dont certains pressent la France de développer un cadre juridique adapté.

La convention a été signée à ce jour par 141 Etats mais ratifiée par quinze d'entre eux seulement : la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, le Burkina Faso, le Canada, l'Espagne, le Lettonie, la Lituanie, le Mali, Monaco, le Nigeria, le Pérou, les Philippines, la Pologne, le Venezuela et la Yougoslavie.

III. LA LUTTE CONTRE LA TRAITE DES PERSONNES

Votre Rapporteur a mentionné l'existence de conventions internationales de lutte contre l'esclavage et le travail forcé. Il faut souligner que ces instruments avaient principalement pour objet la suppression de ces phénomènes, ou de pratiques analogues, dans les Etats où ils pouvaient subsister, en droit ou en pratique.

L'apport de la Convention de Palerme et du présent protocole est de lutter contre une certaine forme de criminalité, en imposant l'édiction de sanctions pénales et en établissant des mécanismes développés et complets d'entraide judiciaire pénale. En cela, le protocole s'avère être le premier instrument universel dans ce domaine.

A - Une définition de la traite des personnes adaptée à la réalité d'aujourd'hui

Le protocole oblige les Etats parties à ériger en infraction pénale le trafic de personnes, dont l'article 2 établit la définition. Cette définition s'efforce d'englober les formes anciennes d'exploitation - esclavage, servitude, exploitation de la prostitution d'autrui, travail forcé - mais également des formes plus récentes : autres formes d'exploitation sexuelle, services forcés ou prélèvement d'organes.

L'un des intérêts du protocole est son caractère lié à la convention, car toutes les dispositions de celle-ci (la coopération internationale par exemple) seront applicables pour lutter contre la traite. L'amélioration des dispositifs de prévention et de répression devrait aussi contribuer à cette lutte.

L'article 3 précise que le consentement de la victime est sans effet sur la reconnaissance de l'incrimination pour traite de personnes. Cette précision revêtait une grande importance aux yeux des négociateurs français, qui défendent une conception abolitionniste en ce domaine, comme d'autres pays européens - la Belgique, la Finlande, la Norvège, rejoints par de nombreux pays en développement. Nos négociateurs s'étaient en effet trouvés opposés aux Etats réglementaristes, qui voulaient introduire une distinction entre « prostitution volontaire » et « prostitution forcée » : les Pays-Bas, l'Allemagne, l'Australie.

On soulignera qu'à la suite de la négociation de ce protocole, la Commission européenne a présenté une proposition de décision-cadre relative à la lutte contre la traite des êtres humains. Cette proposition, qui a fait l'objet d'un accord des Quinze mais doit encore être formellement adoptée par le Conseil, harmonise les législations des Etats membres en ce qui concerne la définition de la traite des personnes. Elle prévoit notamment des circonstances aggravantes entraînant une peine d'emprisonnement dont le maximum doit être d'au moins huit ans, ainsi qu'une harmonisation des sanctions.

L'Union européenne met également en _uvre des coopérations entre les Etats membres, en y associant les pays candidats. On peut citer à cet égard le programme Stop (Sexual trafficking of persons), qui se déroule depuis 1996.

B - La question des victimes des réseaux de traite

Le protocole consacre un volet assez complet à la protection des victimes de la traite des personnes. La rédaction retenue résulte de négociations difficiles quant au caractère obligatoire ou facultatif à donner aux mesures d'assistance et de protection des victimes. Finalement, les dispositions sont pour certaines, contraignantes et pour certaines, incitatives.

Les Etats sont tenus de fournir aux victimes l'assistance appropriée au cours de la procédure pénale ; ils doivent garantir juridiquement la possibilité d'obtenir la réparation du préjudice subi.

En revanche, les mesures d'aide aux victimes présentes sur leur territoire ont plutôt un caractère optionnel : fournir un logement convenable, une assistance médicale, psychologique et matérielle, des possibilités d'emploi, d'éducation et de formation et, enfin, la possibilité de demeurer sur le territoire à titre temporaire ou permanent.

On observera que le clivage entre Etats soutenant la définition d'un statut très favorable aux victimes et ceux privilégiant un examen des situations au cas par cas se retrouve dans les travaux conduits au sein de l'Union européenne.

Enfin, l'une des dispositions importantes du protocole est l'article 8, par lequel les Etats parties s'engagent à faciliter et accepter le retour de personnes victimes de la traite. L'Etat dont la personne est ressortissante devra délivrer les documents de voyage pour permettre le retour et la réadmission sur le territoire. Ces engagements apparaissent très importants, car ils favoriseront, entre Etats parties, la signature d'accords bilatéraux de réadmission.

C - Un droit interne encore inachevé

Le protocole donne une définition de la traite des personnes reposant sur l'accomplissement, en amont, de certains actes matériels dont la finalité est l'exploitation de la personne.

S'agissant de « l'exploitation » de la personne, le droit français comporte plusieurs incriminations susceptibles de réprimer les différentes formes d'exploitation énoncées par le protocole.

L'arsenal législatif de répression du proxénétisme constitue un dispositif cohérent de répression de l'exploitation sexuelle. Il s'applique au proxénétisme simple (défini notamment comme étant le fait de tirer profit de la prostitution d'autrui, même lorsque cette personne est consentante - article 225-5 du code pénal), de faits matériels qui lui sont assimilés (article 225-6), du proxénétisme aggravé (telles que le proxénétisme commis à l'égard d'un mineur, d'une personne particulièrement vulnérable, d'une personne qui a été incitée à se livrer à la prostitution, soit hors du territoire de la République soit à son arrivée sur celui-ci - article 225-7 du code pénal) et du crime de proxénétisme (lorsque les faits sont commis en bande organisée ou en recourant à des actes de torture ou de barbarie - article 225-8 du code pénal).

De manière complémentaire, le droit positif actuel permet également, sur le fondement des incriminations d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans contre rémunération et de corruption de mineurs (respectivement prévues par les articles 227-25 et 227-22 du code pénal) d'appréhender certaines formes d'exploitation sexuelle des mineurs de 15 ans.

Ce dispositif pourrait encore être complété par de prochaines modifications législatives, actuellement en cours d'examen, telles que celles visant à réprimer le recours à la prostitution d'un mineur. Il en va ainsi de la proposition de loi relative à l'autorité parentale, qui vise à incriminer le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir, en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération, des relations de nature sexuelle de la part d'un mineur qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle (infraction aggravée lorsqu'il s'agit d'un mineur de 15 ans, lorsque l'infraction est commise de façon habituelle ou à l'égard de plusieurs mineurs, lorsque le mineur a été mis en contact avec l'auteur des faits grâce à l'utilisation, pour la diffusion de messages à destination d'un public non déterminé, d'un réseau de communication, ou encore lorsque les faits sont commis par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions).

S'agissant des autres formes d'exploitation, notamment celles liées à l'esclavage, au travail forcé et à la servitude, les articles 225-13 et 225-14 du code pénal répriment l'obtention de services non rétribués ou en échange d'une rétribution manifestement sans rapport avec l'importance du travail accompli, ainsi que les conditions de travail et d'hébergement contraires à la dignité humaine (infractions aggravées lorsqu'elles sont commises à l'égard de plusieurs personnes). Ces infractions reposent notamment sur les notions d'abus de la vulnérabilité ou de dépendance de la personne.

Cependant le code pénal ne connaît pas actuellement d'infraction spécifique de traite des personnes permettant d'appréhender l'ensemble des comportements visées par le protocole.

Cette lacune peut être relativisée dans la mesure où certaines dispositions, telles que celles relatives à la complicité (articles 121-6 et 121-7 du code pénal), permettent de réprimer certains des actes commis en amont des diverses formes d'exploitation.

L'adoption définitive de la proposition de loi n° 3522 renforçant la lutte contre les différentes formes de l'esclavage d'aujourd'hui, adoptée par l'Assemblée nationale le 24 janvier 2002, permettrait de mieux répondre aux exigences du protocole, car la pierre angulaire de cette proposition est bien la création d'une incrimination de traite des êtres humains et la définition des peines de prison et d'amendes qui la sanctionnent.

Enfin, les dispositions relatives à la protection des victimes de la traite des personnes, rédigées en des termes assez généraux, trouvent une traduction dans notre droit positif qui organise déjà la protection de ces victimes, notamment par le recours possible à l'anonymat de leur témoignage et leur prise en charge médico-psychologique, sociale et juridique tout au long de la procédure pénale.

Le protocole relatif à la traite des personnes a été signé par 105 Etats et ratifié par douze Etats : la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, le Burkina Faso, le Canada, l'Espagne, le Mali, Monaco, le Nigeria, le Pérou, les Philippines, le Venezuela et la Yougoslavie.

IV. LE TRAFIC ILLICITE DE MIGRANTS APPRÉHENDÉ SOUS
L'ANGLE PÉNAL PAR LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE

A - Le rôle des réseaux organisés dans la pression migratoire

Il est difficile de chiffrer le flux du passage de l'immigration clandestine. Le nombre de migrants légaux (réfugiés, travailleurs) dans le monde est d'environ 170 millions de personnes. L'Europe en accueille un demi-million par an. Quand aux illégaux établis, l'estimation de Jonas Widgren, directeur du Centre international pour le développement des politiques migratoires de Vienne l'estime à trois à quatre millions et 300 000 à 400 000 nouveaux arrivants chaque année. L'estimation se base sur les arrestations faites par les gardes-frontières de tous les pays d'Europe au sens large, soit 250 000 environ.

Les passeurs appartiennent à des réseaux constitués parties d'organisations à présent mieux connues. Elles émanent souvent d'Europe centrale, constituées d'individus de différentes nationalités, russe, yougoslave, albanaise, notamment. Des filières kurdes irakiennes et pakistanaises sont aussi connues. Plusieurs réseaux ont par ailleurs été identifiés en provenance de certaines provinces chinoises. Une filière musulmane est apparue, travaillant du Proche-orient vers l'Australie.

L'ensemble des frontières est encore, malgré les efforts et les progrès accomplis, concerné par l'augmentation de la pression migratoire. Les frontières aériennes extérieures à l'espace Schengen, en particulier les grands aéroports d'Europe de l'Est, comme Moscou ou Tirana, constituent des lieux de passage de ces filières. Les frontières terrestres connaissent depuis plusieurs années un fort mouvement migratoire à destination du Royaume-Uni ; les principales nationalités représentées par ce flux sont les Irakiens, les Marocains et les Turcs. Les frontières maritimes sont également des lieux d'arrivée, moins en France que chez nos voisins méditerranéens où sont à l'_uvre les filières albanaises, espagnole et grecque.

Notre pays a connu au cours de l'année 2001 une très forte croissance (225%) du nombre d'interpellations de personnes en situation irrégulière : 82 000 personnes ont été interpellées, dont près de 6600 ont été placées en garde à vue et 2500 environ éloignées. La France est utilisée comme pays de rebond par certaines filières, irako-kurdes par exemple, pour faire transiter les clandestins jusqu'au pays cible : la Grande-Bretagne, l'Allemagne, les Pays-Bas et la Scandinavie.

Le rôle des passeurs est très important, comme le montre le nombre des interpellations de passeurs pour aide à l'entrée irrégulière : 859 pour 1999, 1072 pour 2000 et 734 pour 2001. Les interpellations pour aide au séjour irrégulier (logeurs) s'élèvent à environ 200 par an. En ce qui concerne les condamnations prononcées à l'encontre des passeurs, les chiffres suivants peuvent être cités, portant sur les infractions principales : 684 condamnations en 1999 et 743 (donnée provisoire) pour 2000.

B - Les principaux apports du protocole

1) La définition de nouvelles incriminations pénales

Le protocole contre le trafic de migrants par voie maritime, terrestre ou aérienne est un texte à vocation essentiellement pénale. Il engage les Etats parties à intégrer dans leur droit pénal interne un certain nombre d'incriminations.

Ces incriminations sont les suivantes :

- le trafic illicite de migrants, soit le fait d'assurer l'entrée illégale d'une personne dans un Etat partie, acte commis intentionnellement et pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel (il s'agit des articles 3 et 6 du protocole, qui introduisent, il faut le souligner, un élément d'extraterritorialité nouveau par rapport à notre droit interne et par rapport à la convention de Schengen) ;

- la fabrication de documents de voyage ou d'identité frauduleux ainsi que le fait de procurer, de fournir ou de posséder un tel document ;

- l'aide au séjour irrégulier d'un étranger par tout moyen illégal. Cette incrimination a fortement divisé les pays d'origine et les pays d'accueil.

Les Etats doivent également conférer le caractère de circonstance aggravante de ces infractions au fait de mettre en danger ou de risquer de mettre en danger la vie ou la sécurité des migrants concernés ou encore de leur infliger un traitement inhumain et dégradant.

Le protocole a exclu la responsabilité pénale des migrants eux-mêmes. Les pays d'accueil des migrants ont toutefois refusé d'accorder à ceux-ci un statut assimilé à celui des victimes de la traite, comme le demandaient les pays de départ.

On soulignera que les travaux engagés dans le cadre de l'Union européenne poursuivent des objectifs convergents.

Un projet de directive (présenté par la France lors de sa présidence de l'Union) définit les faits d'aide à l'entrée, au transit ou au séjour irrégulier sur le territoire d'un Etat membre et impose d'adopter des sanctions appropriées. Il ne prévoit toutefois pas les infractions relatives à la fabrication de documents de voyage ou d'identité frauduleux. Il est complété par un projet de décision-cadre harmonisant les peines encourues pour ces délits : ainsi, une peine privative de liberté dont le maximum ne peut être inférieur à huit ans lorsque les faits ont été commis avec certaines circonstance aggravantes. Ces textes ont fait l'objet d'un accord politique au conseil "Justice-Affaires intérieures" des 28 et 29 mai 2001, et devront être formellement adoptés prochainement, dès que les réserves d'examen parlementaire auront été levées dans certains Etats membres.

2) L' engagement de coopérer pour lutter contre le trafic par voie maritime

Le protocole généralise entre les Etats parties les mesures d'assistance et de coopération nécessaires pour pouvoir arraisonner et visiter un navire soupçonné par l'une des parties de se livrer au trafic illicite de migrants. Ces mesures doivent permettre de mettre fin à l'utilisation du navire dans ce but. De telles mesures d'assistance et de coopération existent déjà en matière de lutte contre le trafic de drogue.

Le protocole reste un instrument de coopération, et il ne confère pas de pouvoirs coercitifs pour les Etats parties, qui ne peuvent pas s'en prévaloir pour exercer une politique répressive en mer. Le protocole reste en deçà de la convention de Vienne de 1988 sur les produits stupéfiants et les substances psychotropes, dont l'article 17 prévoyait des pouvoirs de police administrative et d'assistance en haute mer, mais également, dans certaines conditions, confiait à des agents spécialement habilités des pouvoirs de police judiciaire pour rechercher et constater l'infraction de trafic de stupéfiants en haute mer.

3) De nouveaux principes concernant la protection des migrants et leur retour dans le pays d'origine

La rédaction des dispositions relatives au retour des migrants a suscité une forte opposition entre pays d'origine et pays de destination. Les premiers souhaitaient notamment qu'il soit fait mention du caractère volontaire du retour du migrant, ce que les pays de destination ne pouvaient accepter.

Le protocole enjoint d'abord aux Etats parties de coopérer dans le domaine de l'information afin que les migrants potentiels ne deviennent les victimes de groupes criminels organisés.

L'article 16 du protocole incite les Etats à prendre des mesures pour protéger les droits des personnes qui ont été l'objet du trafic de migrants et de leur assurer une protection contre toute violence qui peut leur être infligée.

L'un des aspects les plus importants est l'engagement pris par les pays parties à accepter le retour des immigrants illégaux, ce qui implique de délivrer, à la demande de l'Etat d'accueil, les documents de voyage nécessaires pour permettre à la personne de se rendre et d'être réadmise sur le territoire de l'Etat requis. Ce retour doit avoir lieu de manière ordonnée et en tenant compte de la sécurité et de la dignité de la personne.

Comme dans le cas du précédent protocole relatif à la traite, de telles dispositions appellent la signature d'accords bilatéraux de réadmission entre Etats parties au protocole.

C - L'évolution nécessaire de la législation française

Le droit français connaît déjà le délit d'aide à l'entrée et au séjour irréguliers d'étrangers sur le territoire national (article 21 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945) qui s'apparente à la définition du trafic de migrants visé par le protocole.

Cette infraction est punie de 5 ans d'emprisonnement et 30.000 € d'amende (peines portées respectivement à 10 ans et 150.000 € en cas de circonstance aggravante, notamment celle de bande organisée).

Cependant, même si en droit interne les éléments constitutifs de l'infraction sont entendus largement : l'aide à l'entrée, le séjour ou la circulation des étrangers en France peut être directe ou indirecte, par tous moyens matériels (transport, fourniture de faux documents...) sans que soit nécessaire la preuve d'un but lucratif (lequel constitue toutefois une circonstance aggravante lorsqu'il est établi), ils ne sont cependant pas parfaitement identiques à ceux prévus par le protocole.

Le droit interne exige en effet la présence, sur le territoire français ou sur le territoire d'un Etat partie à la convention de Schengen, de l'auteur de l'infraction au moment de la commission des faits (article 21 de l'ordonnance de 1945). L'incrimination est limitée au seul fait d'aider à l'entrée, le séjour et la circulation irrégulière sur le territoire national (sauf pour ce qui concerne les Etats parties à l'accord de Schengen). La notion de territoire au sens de l'ordonnance du 2 novembre 1945 semble en outre strictement définie (article 3 de l'ordonnance précitée).

Ces limites devraient donc justifier, soit une adaptation de l'incrimination, soit l'établissement d'une nouvelle incrimination portant sur l'aide à l'entrée et au séjour d'immigrants irréguliers.

Par ailleurs, le protocole prévoit l'obligation d'introduire pour cette infraction de « trafic de migrants » des circonstances aggravantes actuellement non prévue par le droit interne. Il s'agit de deux cas :

- la mise en danger : l'infraction de mise en danger d'autrui prévue par l'article 223-1 du code pénal n'est pas spécifiquement applicable au trafic de migrants, même si les circonstances de l'infraction sont susceptibles de permettre son application dans certains cas : violation des règles d'habitabilité des navires, risque de mort ou d'infirmité résultant des conditions du transport :

- le traitement inhumain et dégradant : il n'existe pas, en droit pénal, d'infraction relative au transport ou au voyage de personnes dans des circonstances contraires à la dignité humaine.

En outre, l'infraction consistant à « soumettre une personne (...) à des conditions de travail et d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine », prévue par l'article 225-14 du code pénal n'a, à ce jour, reçu aucune application jurisprudentielle autre que les « marchands de sommeil » (ceux qui proposent à des personnes vulnérables des logements indignes). Cependant, cette incrimination peut, en l'état, être juridiquement utilisée pour fonder des poursuites pénales dans le cas de transport illicite par mer de migrants clandestins sur un navire destiné au transport de marchandises, dans des conditions indignes. C'est sur cette base qu'est fondée la procédure en cours concernant le cargo « East Sea » échoué en février 2001 sur les côtes de Fréjus.

En conclusion, l'ensemble de ces infractions ou circonstances aggravantes appellera donc une adaptation de notre droit interne.

Le protocole sur le trafic illicite de migrants a été signé par 101 Etats et ratifié par onze d'entre eux : la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, le Burkina-Faso, le Canada, l'Espagne, le Mali, Monaco, le Nigeria, le Pérou et les Philippines et la Yougoslavie.

CONCLUSION

La Convention de Palerme a prévu un mécanisme de suivi sous la forme d'une Conférence des Etats parties, qui se réunira au plus tard un an après son entrée en vigueur.

On notera qu'à la demande des pays du Sud, un dispositif d'assistance technique est introduit pour les pays qui auraient des difficultés à mettre en _uvre l'instrument. Des fonds devraient être disponibles sur un compte spécifique des Nations unies abondé par des contributions volontaires des Etats parties, qui seront affectées aux pays en développement et en transition.

Plus généralement, votre Rapporteur se félicitera de ce que l'impulsion donnée par l'Organisation des Nations unies continue de produire ses effets, puisqu'un troisième protocole concernant le trafic des armes à feu a été adopté le 31 mai 2001 et que des travaux sont en cours à Vienne pour élaborer une convention globale de lutte contre la corruption.

Toutefois, l'on constate que si le nombre des Etats signataires des trois textes ici examinés est très élevé, le nombre des ratifications reste encore faible, au sein de l'Union européenne notamment. Les Etats-Unis se sont beaucoup impliquées dans la négociation des trois instruments et aucun obstacle ne devrait s'opposer à leur ratification.

Le Gouvernement englobe la question de la ratification des trois instruments dans les échanges diplomatiques bilatéraux qu'il peut avoir avec des pays non encore signataires, ce dont on doit se féliciter. Il serait souhaitable que les autres Etats européens donnent l'exemple et s'impliquent également en faveur d'une large et rapide adhésion, afin de permettre aux trois instruments d'entrer en vigueur.

Les travaux en cours dans le cadre de l'Union européenne répondent aux préoccupations émanant de la communauté internationale, et certains projets de l'Union présentés par la Commission européenne ou les Etats membres depuis 2001 sont directement inspirés de la Convention de Palerme ou des protocoles.

Votre Rapporteur souligne également que les dispositions du protocole relatif au trafic de migrants trouvent un écho dans les conclusions adoptées par les Chefs d'Etat et de Gouvernement lors du Conseil européen de Séville (les 21 et 22 juin derniers) concernant les mesures de lutte contre l'immigration clandestine et l'intégration de la politique d'immigration dans les relations avec les pays tiers.

Pour ces raisons, votre Rapporteur vous propose d'adopter les présents projets de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné les présents projets de loi au cours de sa réunion du mercredi 10 juillet 2002.

Après l'exposé du Rapporteur, M. Richard Cazenave a souhaité savoir si tous les Etats membres de l'Union européenne étaient signataires de ces trois textes ; si les pays candidats à l'accession l'étaient également et enfin si une liste des pays d'origine des migrants avait été établie et si ces pays avaient signé ces textes.

M. Christian Philip a répondu que tous les Etats membres de l'Union européenne avaient signé ces textes, ainsi que tous les pays candidats mais qu'il y avait encore peu de ratifications parmi les pays développés. La plupart des pays d'origine des migrants ont également apposé leur signature, et quelques-uns ont ratifié les instruments.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté les projets de loi (nos 6, 7 et 8).

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La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, les présents projets de loi.

NB : Les textes de la convention et des protocoles figurent en annexe aux projets de loi (nos 6, 7 et 8).

 

N° 0030 Rapport de M. Christian Philip sur le projet de convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée

1 Ce choix a été fait à l'initiative de Pino Arlacchi, vice-secrétaire général de l'ONU et directeur du bureau de Vienne pour la prévention du crime, par le Président de la République italienne Carlo Ciampi et par Leoluca Orlando, le maire de Palerme, en mémoire du juge Falcone, assassiné en 1992, qui avait suggéré une telle convention.


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