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le 27 janvier 2003

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N° 565

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 janvier 2003.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (N° 446) DE MM. RENÉ ANDRÉ ET JACQUES FLOCH, sur la création d'un procureur européen [COM (2001) 715 final / E 1912 et COM (2001) 272 final / E 1758].

PAR M. Guy GEOFFROY,

Député.

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Assemblée nationale : 445.

Union européenne.

INTRODUCTION 5

I. -  LE NÉCESSAIRE RENFORCEMENT DE LA LUTTE CONTRE LES DIFFÉRENTES FORMES DE CRIMINALITÉ TRANSNATIONALE 6

A. L'AUGMENTATION DE LA CRIMINALITÉ TRANSNATIONALE 6

a) Une fraude aux intérêts financiers communautaires souvent liée aux autres formes de criminalité organisée 6

b) L'augmentation des formes graves de criminalité transnationale 7

B. LES MOYENS MIS EN PLACE POUR LUTTER CONTRE LA CRIMINALITÉ TRANSNATIONALE 8

a) L'OLAF et la coopération policière 8

b) La coopération judiciaire 9

II -  L'UTILITÉ D'UN PARQUET EUROPÉEN 11

A. LA PROPOSITION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE ET DE LA DÉLÉGATION : UNE NOUVELLE INSTITUTION AU DOMAINE D'INTERVENTION LIMITÉE 12

a) Les propositions du Livre vert 12

b) La proposition de résolution de la délégation pour l'Union européenne 14

B. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION DES LOIS : UNE TRANSFORMATION PAR ÉTAPES D'EUROJUST AVEC UN CHAMP D'APPLICATION ÉLARGI 15

a) Une démarche pragmatique 15

b) Le texte de la résolution : une transformation par étapes d'Eurojust 16

EXAMEN EN COMMISSION 19

PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION 21

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR 23

MESDAMES, MESSIEURS,

La proposition de créer un procureur européen remonte déjà à quelques années. A la demande du Parlement européen, la Commission européenne a réuni en 1997 un groupe de juristes qui, sous la direction de Mme Mireille Delmas-Marty, a élaboré un corpus juris sur la protection des intérêts financiers de l'Union européenne, proposant la création d'un procureur européen, ainsi que la définition d'incriminations communes à tous les États membres.

Lors de la conférence intergouvernementale de Nice en septembre 2000, la Commission a repris cette proposition, qui a été écartée par les chefs d'État et de Gouvernement au profit d'un organisme de coopération judiciaire, Eurojust. Le Livre vert « sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un procureur européen », présenté par la Commission en décembre 2001, précise les propositions de cette dernière en la matière.

Les débats de la Convention sur l'avenir de l'Europe et la récente contribution présentée conjointement par les ministres français et allemand des affaires étrangères dans le domaine de la justice et des affaires intérieures illustrent néanmoins l'actualité de cette question, qui a donné lieu à un rapport d'information de la délégation pour l'Union européenne concluant au dépôt d'une proposition de résolution, aujourd'hui soumise à notre examen.

Le développement et l'internationalisation croissante de la criminalité organisée amènent en effet à s'interroger sur l'efficacité des moyens mis en place pour lutter contre celle-ci et sur l'opportunité de créer un parquet européen, alors même qu'une telle idée semblait difficilement envisageable il y a seulement quelques années.

Comme la délégation pour l'Union européenne, la commission des Lois s'est prononcée à une large majorité en faveur de la mise en place d'un parquet européen, dont le principe devrait figurer dans le futur traité constitutionnel. Seules des divergences de méthodes subsistent, la commission, dans une approche pragmatique, préférant une transformation progressive d'Eurojust à la création ex nihilo d'une nouvelle structure qui a très peu de chances d'être acceptée par nos partenaires européens.

Sur un certain nombre de points, la position de la commission des Lois peut même paraître plus ambitieuse que celle de la délégation. Elle souhaite ainsi que les compétences du parquet européen ne se limitent pas à la seule criminalité contre l'Europe, mais portent également sur les autres formes graves de criminalité transnationale, comme le terrorisme ou la traite des êtres humains. Elle propose également que la transformation par étapes d'Eurojust soit décidée à la majorité qualifiée, alors que la délégation envisage une extension des compétences du procureur européen à l'unanimité.

Au-delà de ces différences essentiellement formelles, il semble important que, pour la première fois, notre assemblée affirme solennellement sa volonté de soutenir la mise en place d'un parquet européen, chargé de lutter contre les formes graves de criminalité transnationale.

*

* *

I. -  LE NÉCESSAIRE RENFORCEMENT DE LA LUTTE CONTRE LES DIFFÉRENTES FORMES DE CRIMINALITÉ TRANSNATIONALE

Comme le rappelle le Livre vert de la Commission et le rapport de la délégation pour l'Union européenne, la fraude aux intérêts financiers communautaires demeure extrêmement importante, malgré les moyens récemment mis en place pour lutter contre celle-ci. Mais cette forme de criminalité, aussi importante soit elle, n'est pas la seule à constituer « un défi pour l'Union européenne » et à porter « gravement atteinte à sa crédibilité aux yeux des citoyens européens », pour reprendre les termes de la proposition de résolution de la délégation. L'augmentation des autres formes graves de criminalité transnationale, souvent liée à la fraude communautaire, doit également constituer un sujet de préoccupation majeure pour l'Europe.

A. L'AUGMENTATION DE LA CRIMINALITÉ TRANSNATIONALE

a) Une fraude aux intérêts financiers communautaires souvent liée aux autres formes de criminalité organisée

Dans son Livre vert, la Commission évalue à près de 20 % des irrégularités constatées les fraudes intentionnelles au budget communautaire justifiant un traitement pénal. Ainsi, en 1999, le montant des fraudes constatée par l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) et les États membres était évalué à 413 millions d'euros. Des chiffres plus récents, cités par la délégation pour l'Union européenne, font état d'un montant supérieur à 600 millions d'euros. Lors de son audition par le rapporteur, M. Claude Lecou, directeur de l'OLAF, a évalué cette fraude à près d'un milliard d'euros.

L'une des caractéristiques de cette fraude est d'être le fait de réseaux criminels organisés à l'échelle européenne, voire mondiale. Comme l'a rappelé Madame Isabelle Toulemonde, secrétaire générale adjointe du SGCI, ces réseaux, parfois, ne se limitent pas à la seule fraude aux intérêts communautaires, mais sont impliqués dans d'autres infractions à caractère transnational, notamment celle de blanchiment. M. Daniel Flore, dans sa contribution à « L'espace pénal européen : enjeux et perspectives » (1) estime également que « les fraudes au budget communautaire ne se présentent pas de façon isolée, elles sont accompagnées de la commission d'autres infractions, mais plus encore, elles se manifestent fréquemment en liaison avec des phénomènes de criminalité organisée ». Certaines organisations criminelles italiennes, spécialisées dans le trafic de stupéfiants, se sont ainsi « reconverties » dans la fraude à la TVA sur le beurre et l'huile.

b) L'augmentation des formes graves de criminalité transnationale

Outre la lutte contre le terrorisme, l'Europe doit faire face à l'augmentation des formes graves de la criminalité organisée, telles que le blanchiment, le proxénétisme et la traite des êtres humains ou le trafic des stupéfiants.

Selon le rapport Gravet-Garabiol de juin 2000, environ 6 milliards d'euros de fonds illicites auraient été introduits en France en 1999 et 121 milliards d'euros d'actifs établis sur le territoire national seraient sous influence d'organisations criminelles. Pour notre seul pays, l'évaluation des sommes liées au blanchiment est donc sans commune mesure avec celle résultant de la fraude aux intérêts financiers communautaires, même s'il faut minorer ces chiffres pour tenir compte des infractions de blanchiment purement nationales.

Le rapport d'activité de TRACFIN pour 2001 confirme l'importance du blanchiment dans notre pays : entre 1997 et 2001, les déclarations de soupçons ont été multipliées par trois, augmentant de 40 % entre 2000 et 2001. Les 226 signalements enregistrés en 2001 portent sur un montant de 1,32 milliard d'euros.

Le proxénétisme et la traite des êtres humains constituent également une forme de criminalité transnationale en pleine progression. Le rapport d'activité de l'office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) précise qu'en 2001, vingt-quatre filières de proxénétisme, avec, pour huit d'entre elles, des liens avec les pays d'Europe de l'Est, ont été démantelées en France. 49 % des prostituées et 30 % des proxénètes actifs sur le territoire national sont originaires des pays de l'Est et des Balkans. L'analyse des rapports annuels des parquets et des parquets généraux pour 2001 met en lumière l'émergence d'autres réseaux de proxénétisme, principalement belges et néerlandais. Le nombre de condamnations pour proxénétisme aggravé en raison de la pluralité des auteurs a augmenté, passant de 28 en 2000 à 35 en 2001.

Le trafic de stupéfiants est également, en grande partie, transnational. Les rapports des parquets et des parquets généraux pour 2001 révèlent l'existence de trois axes majeurs dans le trafic de stupéfiants : celui des pays du Maghreb, via l'Espagne, à destination de Bordeaux, Marseille, Lyon et la région parisienne, pour le cannabis ; celui des Pays-Bas à destination de l'Espagne ou de la Grande-Bretagne par Lille ou Tarascon pour l'héroïne ; et celui de l'Espagne à destination du sud-est de la France pour la cocaïne.

En termes purement financiers, les sommes en jeu en matière de criminalité organisée transnationale sont donc largement supérieures à celles liées à la fraude aux intérêts communautaires. En termes politiques, il semble évident que l'Europe gagnerait en crédibilité en ne limitant pas ses efforts aux seules fraudes aux intérêts communautaires, auxquelles les citoyens européens sont encore assez peu sensibilisés, mais en intégrant dans sa politique de sécurité la lutte contre d'autres formes de criminalité organisée, notamment le terrorisme.

B. LES MOYENS MIS EN PLACE POUR LUTTER CONTRE LA CRIMINALITÉ TRANSNATIONALE

L'espace judiciaire européen, dont la première esquisse remonte au conseil européen de Bruxelles des 6 et 7 décembre 1977, s'est construit progressivement. Le traité de Maastricht, signé le 7 février 1992, a institutionnalisé la coopération en matière de justice et d'affaires intérieures dans le cadre du troisième pilier. Sur la base de ces dispositions, plusieurs mesures ont été adoptées afin d'améliorer la transmission d'information entre les différents membres de l'Union (magistrats de liaison, réseau judiciaire européen...)

Le traité d'Amsterdam de 1997 a fait franchir un nouveau pas à l'espace judiciaire européen en communautarisant la coopération judiciaire en matière civile et les questions d'asile et d'immigration et en faisant de l'accélération de la coopération en matière pénale l'un des objectifs de l'Union. Le Conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999 a qualifié de « pierre angulaire de la coopération judiciaire en matière tant civile que pénale » le principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice et a décidé la création d'Eurojust.

a) L'OLAF et la coopération policière

-  L'OLAF

L'office européen de lutte anti-fraude (OLAF), qui a succédé en 1999 à l'unité de coordination anti-fraude, est un organe administratif chargé d'effectuer des enquêtes externes dans les États membres et dans certains pays tiers avec lesquels la Communauté a conclu des accords de coopération, ainsi que des enquêtes internes au sein des institutions et des organes communautaires, destinées à lutter contre la fraude. Malgré des pouvoirs d'investigation importants, la qualité des enquêtes de l'OLAF est régulièrement mise en cause. Le comité de surveillance de l'OLAF souligne ainsi l'absence de définition d'une véritable politique d'enquête. Sa trop grande proximité à l'égard de la Commission est également souvent évoquée. En outre, ce même comité de surveillance a mis en évidence des atteintes aux droits de la défense dans le cadre de certaines enquêtes.

Ce fonctionnement peu satisfaisant de l'OLAF a conduit la délégation pour l'Union européenne à soutenir la mise en place d'un procureur européen, qui serait notamment chargé de contrôler les enquêtes de cet organisme. Même si la création d'un parquet européen pourra, à terme, contribuer à limiter les risques d'atteintes aux droits individuels, l'amélioration du fonctionnement au quotidien de l'OLAF et de la qualité de ses enquêtes passe d'abord par une réforme interne, qui est, semble-t-il, en cours de réalisation. Comme l'a souligné Mme Isabelle Toulemonde lors de son audition, la mise en place d'un procureur européen serait sans effet sur la qualité des enquêtes réalisées par l'OLAF.

-  Europol

L'office européen de police (Europol), créé en juillet 1995, a pour mission d'améliorer la coopération policière entre les États membres en matière de lutte contre le terrorisme, le trafic de stupéfiants, la traite des êtres humains, l'immigration clandestine, le trafic de matières nucléaires, le trafic de véhicules, le faux monnayage de l'euro et le blanchiment d'argent. Son activité principale consiste à gérer un système d'information automatisé, alimenté par les États membres et accessible aux unités nationales, aux officiers de liaison et aux agents d'Europol habilités. Son efficacité est actuellement très critiquée, en raison notamment de l'insuffisance d'informations en provenance des États membres, en particulier de la France. La mise en place d'un parquet européen ne pourra cependant porter ses fruits que si elle s'accompagne parallèlement d'un renforcement d'Europol, avec l'attribution de compétences opérationnelles, comme cela est actuellement envisagé.

b) La coopération judiciaire

La coopération judiciaire entre les différents États membres de l'Union s'est progressivement renforcée à partir du traité de Maastricht.

-  Les différents instruments de la coopération judiciaire

L'action commune du 26 avril 1996 a ainsi prévu l'échange de magistrats de liaison entre les États membres, dont la tâche consiste, notamment, à faciliter le traitement des dossiers d'entraide pénale et à améliorer les connaissances sur l'organisation judiciaire des pays d'accueil. Le réseau judiciaire européen, créé en juin 1998, a pour mission de faciliter l'établissement de contacts entre les autorités judiciaires. Il est constitué de 200 points de contacts nationaux et régionaux. Les membres du réseau, qui se réunissent régulièrement, fournissent des informations juridiques et pratiques sur l'entraide judiciaire et, de manière plus générale, favorise la coordination de la coopération judiciaire entre les États membres.

La convention d'entraide judiciaire du 29 mai 2000 a réformé en profondeur l'entraide judiciaire, en instaurant le principe d'une transmission directe des demandes d'entraide entre les autorités judiciaires de l'espace européen. Elle prévoit également l'usage de moyens de communication moderne permettant de procéder à des auditions de témoins par vidéo-conférence ou de faire exécuter des interceptions téléphoniques sur l'ensemble du territoire de l'Union et autorise la mise en place d'équipes communes d'enquête. Ce dernier point a été repris par la décision-cadre du 13 juin 2002, qui prévoit la mise en place de structures temporaires, dirigées par un représentant de l'autorité compétente de l'État sur le territoire duquel les actes d'enquête sont menées, les agents originaires d'un autre État pouvant assister à ces opérations et accomplir éventuellement certaines mesures d'enquête avec l'accord des autorités compétentes de l'État d'intervention.

Enfin, des programmes destinés à mettre en pratique le principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice consacré à Tampere ont été adoptés en novembre et décembre 2000, en matière civile comme en matière pénale, conduisant notamment à l'adoption le 13 juin 2002 de la décision-cadre relative au mandat d'arrêt européen.

-  Eurojust

Instituée par la décision du 14 décembre 2000 avec pour objectifs l'amélioration de la coopération judiciaire entre les autorités nationales compétentes et le renforcement de la coordination des enquêtes et des poursuites, l'unité provisoire de coopération judiciaire (Pro-Eurojust) a fonctionné jusqu'en mars 2002. Cinq équipes, ayant chacune des responsabilités bien définies, ont été créées. En dix mois, cette unité a été saisie de plus de 180 cas, aboutissant à un résultat positif pour une grande partie d'entre eux. Elle a également organisé une quinzaine de réunions de coordination sur des enquêtes portant notamment sur le terrorisme, le trafic d'êtres humains, la fraude et le trafic de stupéfiants.

Le Traité de Nice a consacré l'existence d'Eurojust à l'article 31 du Traité sur l'Union européenne. Le 6 mars 2002, Eurojust a succédé à Pro-Eurojust. Installés à la Haye depuis le 1er décembre dernier, les quinze membres nationaux (2), qui doivent avoir la qualité de juge, de procureur ou d'officier de police ayant des prérogatives équivalentes, travaillent ensemble cinq jours par semaine ; chaque membre national peut être assisté par une ou plusieurs personnes. Malgré la grande souplesse des textes, la majorité des membres désignés sont des magistrats du ministère public. La forme juridique du détachement du membre national et la durée de son mandat sont fixées par le droit national. Eurojust, qui est doté de la personnalité juridique, bénéficie d'un financement mixte des États membres et de la Communauté, les membres nationaux recevant leurs salaires de leur État respectif et les dépenses à caractère opérationnel relevant du budget de l'Union.

Eurojust peut intervenir soit par l'intermédiaire de l'un de ses membres nationaux, soit en tant que collège. En fonction du type de tâche à accomplir, Eurojust peut demander que les autorités compétentes d'un ou plusieurs États membres entreprennent une enquête ou des poursuites sur des faits précis et assurent l'information réciproque des autorités compétentes des autres États membres sur les enquêtes en cours, en liaison avec Europol. Le refus de donner suite à une demande émanant du collège d'Eurojust doit être motivé, sauf dans certains cas lorsque sont en jeu des « intérêts essentiels en matière de sécurité ou le risque de compromettre le bon déroulement d'enquêtes en cours ou la sécurité d'une personne ». Des dispositions sont prévues concernant la conservation, la rectification, la modification et l'effacement des données à caractère personnel, dans un cadre général de protection des données.

Malgré son caractère opérationnel récent, Eurojust a déjà pu traiter un certain nombre dossiers, intervenant pour la France dans des affaires de fraude communautaire, de trafic d'êtres humains, d'immigration clandestine et de trafic de drogues. Lors de son audition par le rapporteur, M. Olivier de Baynast, vice-président d'Eurojust, a donné plusieurs exemples de l'aide apportée par cette structure aux magistrats nationaux, notamment pour l'exécution des commissions rogatoires internationales.

Les États membres ont jusqu'au 6 septembre 2003 pour arrêter le statut et les pouvoirs de leurs représentants. Le projet de loi relatif à la lutte contre la criminalité organisée, actuellement en cours d'élaboration à la Chancellerie, devrait ainsi prévoir les conditions de nomination du représentant national et définir l'étendue de ses prérogatives, notamment en matière d'accès au casier judiciaire et aux fichiers de police judiciaire. Ce texte devrait également consacrer l'existence d'Eurojust dans le code de procédure pénale et rappeler ses compétences, en particulier dans la mise en place des équipes communes d'enquête. Enfin, le projet de loi pourrait transposer certaines dispositions de la convention d'entraide judiciaire du 29 mai 2000 en donnant notamment aux agents étrangers détachés en France dans le cadre des équipes communes d'enquête des pouvoirs de police judiciaire analogues à ceux d'un agent de police judiciaire.

Par ailleurs, le Garde des Sceaux a envoyé le 18 décembre dernier aux procureurs et aux procureurs généraux une circulaire de politique pénale dans le domaine de la protection des intérêts financiers de l'Union européenne, qui recommande notamment de privilégier le recours à Eurojust, rappelant que sa saisine n'est soumise à aucun formalisme particulier. La circulaire énumère les différentes dispositions du code pénal et du code des douanes permettant de sanctionner les fraudes communautaires. On signalera, enfin, que des circulaires relatives à la structure provisoire d'Eurojust ont également été publiées en Autriche, au Danemark, en Italie, au Portugal, au Luxembourg, en Grèce et en Espagne.

Même si le fonctionnement actuel d'Eurojust se heurte à un certain nombre de difficultés, cette structure n'est pas, contrairement à ce qu'affirment certains, une « coquille vide » destinée à faire diversion face à la proposition de création d'un procureur européen, mais une structure récente qui prend progressivement son rythme de croisière et ne demande qu'à évoluer. Tant la circulaire du 18 décembre dernier que les futures dispositions du projet de loi sur la criminalité organisée témoignent de la volonté du Gouvernement actuel de faire de cette nouvelle structure un élément fondamental de l'espace judiciaire européen. De manière plus générale, il semble important que les pouvoirs publics français contribuent à l'application effective des instruments de coopération judiciaire, ainsi que l'ont souligné lors de leur audition par le rapporteur M. Jean-Baptiste Avel, conseiller à la Cour d'appel de Paris et M. Oliver de Baynast.

II -  L'UTILITÉ D'UN PARQUET EUROPÉEN

Malgré les progrès récents réalisés dans la construction de l'espace judiciaire européen, il semble incontestable, qu'à terme, l'instauration d'un parquet européen soit un élément fondamental, même s'il ne constitue pas « la seule réponse pertinente », pour reprendre les termes de la proposition de résolution de la délégation pour l'Union européenne, de la lutte contre la criminalité transnationale.

Dans un souci de pragmatisme, il semble préférable de mettre en place ce parquet européen à partir d'Eurojust, en transformant progressivement cette structure, plutôt que de créer de toute pièce un nouvel organisme, comme le propose la Commission et la délégation pour l'Union européenne, qui aurait des difficultés à s'intégrer dans l'espace judiciaire européen.

A. LA PROPOSITION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE ET DE LA DÉLÉGATION : UNE NOUVELLE INSTITUTION AU DOMAINE D'INTERVENTION LIMITÉE

a) Les propositions du Livre vert

-  Le contenu du Livre vert

Ce document propose la création d'un procureur européen compétent en matière de fraude aux intérêts communautaires. Comme l'a indiqué M. Claude Lecou, le caractère limité du champ d'action du procureur européen s'explique par la compétence de la Commission, restreinte à la protection pénale des seuls intérêts financiers communautaires.

Les missions du procureur européen seraient les suivantes :

· Rassembler les preuves, à charge et à décharge, afin de permettre, le cas échéant, d'engager des poursuites à l'encontre des auteurs d'atteintes aux intérêts financiers de la Communauté et diriger et coordonner les poursuites en recourant aux autorités de police existantes ;

· Renvoyer en jugement, sous le contrôle du juge, devant les juridictions nationales, les auteurs de faits poursuivis ;

· Lors du procès lui-même, exercer l'action publique devant les juridictions nationales, afin de défendre les intérêts financiers communautaires.

Le procureur européen, « choisi parmi des personnalités offrant toutes les garanties d'indépendance et qui réunissent les conditions requises pour l'exercice [...] des plus hautes fonctions juridictionnelles », serait nommé par le Conseil de l'Union européenne à la majorité qualifiée, sur proposition de la Commission et après avis conforme du Parlement européen. Son mandat serait d'une durée non renouvelable de six ans.

Selon le volume d'affaires à traiter et l'organisation judiciaire interne des États membres, un ou plusieurs procureurs européens délégués pourraient être désignés par chaque État membre parmi les fonctionnaires chargés des fonctions de poursuites pénales. Ils seraient habilités par le procureur européen pour accomplir pour tout acte pour lequel ce dernier serait compétent. Le Livre vert ne se prononce pas sur la possibilité éventuelle pour les procureurs délégués de cumuler leurs fonctions avec des fonctions nationales.

Le procureur européen pourrait être saisi par toute personne physique ou morale et pourrait s'auto-saisir. Les autorités nationales et communautaires compétentes dans la lutte contre la fraude aux intérêts communautaires auraient l'obligation de le saisir.

Le principe retenu serait celui de la légalité des poursuites, avec un certain nombre d'aménagements (exclusion des affaires mineures, possibilité de transactions).

Les actes accomplis sous l'autorité du procureur européen seraient soumis au contrôle du juge national exerçant la fonction de juge des libertés. A l'issue de la phase préparatoire, un juge national exerçant la fonction de contrôle du renvoi en jugement confirmerait les charges sur la base desquelles le procureur européen veut requérir et la validité de la saisine de la juridiction de renvoi.

Le Livre vert reste, en revanche, relativement vague sur les relations entre le procureur européen et Eurojust, se contentant d'affirmer que ces deux institutions sont complémentaires et devront coopérer « de manière étroite et régulière dans le cadre de leurs compétences respectives, notamment pour échanger toute information utile ».

-  Les réactions suscitées par la proposition de la Commission européenne

Comme le rappelle le rapport de la délégation pour l'Union européenne, les réactions des États membres aux propositions de la Commission ont été majoritairement négatives. Lors de l'audition publique organisée les 16 et 17 septembre dernier, le Royaume-Uni, le Danemark, la Suède, l'Irlande, l'Autriche, la Finlande et la France se sont opposés au projet de création d'un procureur européen, l'Allemagne et le Luxembourg apparaissant également peu favorables à ce projet. Seuls la Belgique, les Pays-Bas, l'Italie, l'Espagne, la Grèce et le Portugal ont paru plus ouverts aux propositions de la Commission.

Les arguments contre la création du procureur européen, cités par le rapport de la délégation et auxquels le rapporteur souscrit pleinement, sont « l'absence de valeur ajoutée par rapport [...] à Eurojust, qui n'a pas encore eu le temps de se développer », la disproportion « par rapport aux changements institutionnels » qu'une telle création impliquerait et l'incompréhension des citoyens devant la priorité donnée à la répression de la fraude communautaire par rapport à d'autres formes de criminalité organisée, comme le trafic d'être humains ou de terrorisme.

Parmi les personnes auditionnées par le rapporteur, seuls M. Claude Lecou, directeur de l'OLAF, et le représentant du Conseil national des barreaux, avec quelques réserves pour ce dernier, se sont prononcés en faveur de la proposition de la Commission.

Le rapport final du groupe de travail X « Liberté, sécurité et justice » mis en place dans le cadre de la Convention sur l'avenir de l'Europe est également relativement réticent face à une telle proposition : « De très nombreux membres du groupe préconisent d'étudier l'idée de renforcer à moyen ou à long terme-les compétences d'Eurojust de sorte qu'elle soit habilitée à intenter des actions devant les tribunaux nationaux (pour les infractions au détriment des intérêts financiers de l'Union ou pour d'autres formes graves de criminalité). La base juridique du traité relative à Eurojust devrait alors permettre la création d'un parquet européen par un acte du Conseil adopté à l'unanimité avec l'avis conforme du Parlement européen ». Lors de l'examen du rapport en séance plénière le 6 décembre dernier, les positions ont été plus nuancées, le Président Valéry Giscard d'Estaing estimant nécessaire de poursuivre la réflexion sur cette question.

Les propositions conjointes franco-allemandes dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, rendues publiques le 27 novembre dernier, tendent vers la mise en place d'un parquet européen à partir d'une transformation progressive d'Eurojust : « L'autorisation de créer un parquet européen sera introduite dans le traité. Le parquet européen devrait être élaboré par étapes à partir d'Eurojust, pour passer peu à peu de simples pouvoirs de coordination à des pouvoirs de déclenchement de procédures d'enquête, de direction de celles-ci et d'évocation des affaires. Il pourra, notamment, être chargé de la protection des intérêts financiers de la Communauté et de la poursuite de certaines formes graves de criminalité transfrontalière. Le Conseil pourrait décider des priorités de l'action publique au plan européen. Le parquet européen devrait saisir les tribunaux nationaux ».

Conformément à l'article 88-4 de notre Constitution, le Livre vert a été transmis aux deux assemblées du Parlement. Le Sénat a adopté en juillet 2002 une résolution approuvant la création d'un procureur européen proposée par la Commission et demandant, à terme, la mise en place au niveau européen d'une juridiction compétente pour juger les affaires poursuivies par ce procureur, alors que la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale, dans un rapport d'information intitulé « Pour une Europe de sécurité et de justice » déposé en février 2002, a demandé « que soit poursuivie la démarche pragmatique qui, à partir du renforcement progressif des compétences d'Eurojust et sur la base d'une harmonisation publiquement débattue des règles relatives aux sanctions et des normes de procédure, permettra la constitution d'un véritable parquet européen compétent pour toutes les affaires de criminalité organisée, dans le cadre du troisième pilier ».

Après le renouvellement de l'Assemblée nationale en juin dernier, la nouvelle délégation pour l'Union européenne a souhaité reprendre cette question et a déposé le 28 novembre dernier un rapport d'information sur la création du procureur européen concluant au dépôt d'une proposition de résolution.

b) La proposition de résolution de la délégation pour l'Union européenne

On observera, à titre liminaire, que les visas de la proposition de résolution portent sur le Livre vert de la Commission, mais également sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la protection pénale des intérêts financiers de la Communauté, ce qui ne paraît pas indispensable dans la mesure où le sujet principal de la proposition de résolution est d'approuver la création du procureur européen proposée par le Livre vert.

Les deux premiers considérants rappellent la nécessité d'assurer un contrôle juridictionnel de l'OLAF et d'Europol et l'importance, dans cette perspective, de la création d'un procureur européen, pièce centrale de l'espace de sécurité et de justice.

Le troisième considérant souligne l'atteinte à la crédibilité de l'Union européenne que constitue le développement de ce que la délégation appelle la criminalité contre l'Europe, dans laquelle elle range la fraude aux intérêts financiers communautaires, la contrefaçon de l'euro ou des marques et des brevets communautaires et les abus commis par les agents de la fonction publique communautaire.

Les trois derniers considérants insistent sur l'importance de la création d'un procureur européen, « seule réponse pertinente face à ce morcellement de l'espace pénal européen », et souligne l'urgence d'une telle création dans la perspective d'une Europe à vingt-cinq.

A la suite de ces considérants, la délégation formule sept recommandations.

Elle approuve les propositions de la Commission sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un procureur européen et souhaite que le projet de traité constitutionnel adopté par la Convention sur l'avenir de l'Europe prévoit la création d'un procureur européen, dont les compétences, limitées dans un premier temps à la criminalité contre l'Europe, pourraient par la suite être étendues par le Conseil statuant à l'unanimité.

La délégation insiste sur la nécessité d'indépendance du procureur et sur sa responsabilité devant le Parlement européen et les parlements nationaux et devant la Cour de justice.

Elle estime que la création d'un procureur européen devrait s'accompagner de la mise en place d'une chambre préliminaire au sein de la Cour de justice, chargée de contrôler la phase préparatoire du procès et la décision de renvoi en jugement, pour éviter la pratique du « forum shopping », consistant à choisir le tribunal de renvoi en fonction des probabilités de condamnation. Outre la chambre préliminaire, la création du procureur européen devrait également conduire à harmoniser les règles en matière de preuves, à partir d'une liste ouverte des modes de preuve que les États membres reconnaîtraient comme communément admissibles devant les juridictions.

Enfin, consciente des probables difficultés de coordination entre cette nouvelle institution et Eurojust, la délégation recommande que le procureur européen soit membre de droit du collège d'Eurojust.

B. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION DES LOIS : UNE TRANSFORMATION PAR ÉTAPES D'EUROJUST AVEC UN CHAMP D'APPLICATION ÉLARGI

a) Une démarche pragmatique

Ainsi qu'on l'a vu, la proposition de la Commission européenne a suscité de nombreuses réactions négatives. Il paraît dès lors préférable d'adopter une démarche plus réaliste, consistant en une transformation progressive d'une structure qui aura fait ses preuves, Eurojust. Cette démarche est, en outre, conforme à l'histoire de la construction de l'espace judiciaire européen, qui s'est mis en place progressivement. Les rapporteurs de la délégation pour l'Union européenne ne semblent pas loin de partager cette analyse, lorsqu'ils estiment que « cette option « Eurojust renforcé » présente cependant l'avantage, en dépit de ses limites, d'être plus facilement acceptable, à ce stade, par nos partenaire européens ».

La légitimité et la visibilité d'un procureur européen aux compétences limitées à la seule protection des intérêts financiers seraient difficiles à établir, les citoyens européens étant davantage sensibles aux progrès réalisés dans la lutte contre les formes graves de criminalité, comme le terrorisme ou le trafic des êtres humains.

Cette démarche par étapes permettrait, par ailleurs, de mieux tenir compte des réalités nationales, en faisant progressivement accepter par les magistrats de l'ordre judiciaire l'idée d'une coopération renforcée en matière de criminalité organisée, conduisant à terme à une centralisation et une direction des poursuites au niveau européen.

La mise en place progressive d'un parquet européen à partir d'Eurojust permettrait également de résoudre les inévitables difficultés de coordination qu'entraînerait la création d'une nouvelle structure judiciaire. Certes, Eurojust, dans sa forme actuelle, et le procureur européen, tel que proposé par la Commission européenne, relèvent de deux logiques différentes, l'une intervenant dans le cadre du troisième pilier et l'autre dans celui du premier. Mais la suppression envisagée des piliers et l'évolution prévisible des pouvoirs d'Eurojust risquent de conduire très rapidement à des chevauchements de compétences, anticipés par la délégation puisque celle-ci, après avoir proposé que le procureur européen soit membre de droit d'Eurojust, envisage même « une fusion organique entre ces deux instances ».

b) Le texte de la résolution : une transformation par étapes d'Eurojust

Comme le texte adopté par la délégation pour l'Union européenne, les considérants de la proposition de résolution adoptée par la commission des Lois soulignent l'urgence d'un renforcement de la coopération judiciaire liée à l'élargissement programmée de l'Union européenne et la pertinence de la mise en place d'un parquet européen, doté de pouvoirs de déclenchement et de direction des poursuites, pour lutter contre les formes graves de criminalité transnationale. La proposition de résolution rappelle également que le développement de ces formes de criminalité organisée porte autant atteinte à la crédibilité de l'Union européenne que la fraude aux intérêts communautaires et fait valoir que le pragmatisme conduit à envisager la mise en place d'un parquet européen à partir d'Eurojust.

Elle reprend ensuite l'alinéa 1 du texte adopté par la délégation, en remplaçant le renvoi au procureur européen par une référence au parquet européen : le projet de traité constitutionnel adopté par la Convention sur l'avenir de l'Europe devra prévoir la création d'un parquet européen, à partir de la transformation par étapes d'Eurojust.

Cette évolution d'Eurojust pourrait se faire en trois étapes.

La première étape, qui est la phase actuelle, doit permettre un échange pertinent d'information et une incitation à la coordination (organisation de réunions de coordination, suggestion de regroupement des enquêtes et des poursuites). Au niveau national, l'inscription dans le code de procédure pénale du rôle et des pouvoirs d'Eurojust devrait contribuer à faire connaître cette institution. Par ailleurs, une circulaire pourrait clarifier le statut du membre national vis-à-vis des autres autorités nationales. Afin de permettre un échange efficace d'informations, le membre d'Eurojust devrait être associé à la politique d'action publique et bénéficier des mêmes informations qu'un procureur général, en participant aux réunions d'action publique et en étant destinataire des textes et circulaires. Il devrait systématiquement recevoir les rapports des parquets sur les affaires à dimension transnationale relevant de son champ de compétence, afin de pouvoir établir tous recoupements éventuels et être destinataire des messages d'information des services régionaux de police judiciaire et de gendarmerie relatifs aux affaires transnationales.

La deuxième étape consisterait à donner à Eurojust des pouvoirs de coordination propres et une capacité d'appui opérationnelle. Eurojust disposerait d'un pouvoir d'injonction lui permettant, le cas échéant, de centraliser les enquêtes. Outre la désignation d'un chef de fil, Eurojust pourrait également décider du regroupement des enquêtes et des poursuites auprès de l'autorité judiciaire d'un État membre en procédant à un règlement des juges ou à une départition. Enfin, en cas de carence (refus injustifié ou incapacité à mener une enquête internationale), Eurojust pourrait exercer un pouvoir opérationnel propre de substitution lui permettant de déclencher les poursuites. Eurojust pourrait également être doté d'une structure opérationnelle légère qui pourrait servir d'appui lors du déroulement des enquêtes ou des poursuites transnationales complexes. La mise en place de cette deuxième étape devra être discutée dans le cadre des travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe.

La troisième étape se traduirait par la transformation d'Eurojust en un véritable parquet européen, disposant des pouvoirs de déclenchement des poursuites, de direction de celles-ci et d'évocation des affaires. Comme pour le procureur européen, le principe serait celui de la légalité des poursuites, tempéré par quelques exceptions afin, notamment, de permettre les transactions. Cette dérogation aux principes de la procédure pénale française est justifiée par la gravité des faits entrant dans le champ de compétence du parquet européen, faits qui donnent lieu en pratique, quasiment systématiquement, à des poursuites sur le territoire national.

Afin de garantir la mise en place effective de ce parquet européen, la transformation par étapes d'Eurojust devra être décidée par le Conseil à la majorité qualifiée (alinéa 2).

Conformément au principe de subsidiarité et pour garantir son efficacité, le champ d'action du parquet européen devra être strictement défini et limité aux formes les plus graves de la criminalité transnationale, comme le terrorisme ou le trafic des êtres humains (alinéa 3).

Afin d'instituer dès à présent un certain contrôle sur Europol et Eurojust, le texte adopté par la commission des Lois suggère que des priorités d'action publique soient dégagées par le conseil Justice-Affaires intérieures, à partir des rapports annuels de ces deux organismes (alinéa 4).

Enfin, le dernier alinéa de la proposition de résolution rappelle, de manière plus générale, que le renforcement de la lutte contre la criminalité transnationale nécessite la pleine application du principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice, l'harmonisation des incriminations et le rapprochement des règles en matière de preuves (alinéa 5).

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Intervenant dans la discussion générale, M. Jacques Floch a jugé que le texte proposé par le rapporteur était nettement en retrait par rapport à la proposition de résolution adoptée par la Délégation. Après avoir rappelé qu'Eurojust rassemble aujourd'hui des procureurs nationaux qui coopèrent sur des dossiers difficiles, il a indiqué que la Délégation souhaitait ouvrir à un procureur européen la possibilité d'engager lui-même des poursuites - ce qu'Eurojust n'est pas en mesure de faire actuellement -, alors que le texte proposé par le rapporteur ne prévoit aucune disposition en ce sens. Il a estimé que la création d'un parquet européen devait également permettre de développer la coopération judiciaire et de contrôler des organismes tels qu'Europol ou l'olaf, dont l'action n'est aujourd'hui soumise à aucun contrôle judiciaire. Regrettant la « frilosité » de la position du rapporteur, il a estimé qu'elle conduirait à retarder la création d'un parquet européen et risquait d'être en décalage avec les travaux actuellement engagés par la Convention sur l'avenir de l'Europe, le rapport qui sera prochainement soumis à l'assemblée plénière de celle-ci faisant mention de la création d'un parquet européen. M. Jacques Floch a enfin estimé que la divergence des positions respectives du rapporteur de la Commission et de la Délégation faisait ressortir la nécessité d'instituer au sein des assemblées une commission des affaires européennes.

Soulignant l'importance des questions évoquées et se déclarant sensible à l'impuissance exprimée par certains magistrats face à la délinquance transnationale, Mme Brigitte Barèges a souhaité savoir quelle juridiction serait saisie par le parquet européen et s'est demandé si le système ne perdrait pas en efficacité dans l'hypothèse où les juridictions nationales seraient saisies.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

-  Dans le cadre du texte proposé, le parquet européen devra renvoyer les affaires devant les juridictions nationales des États membres.

-  Les divergences avec la Délégation pour l'Union européenne portent principalement sur l'évolution d'Eurojust. La première phase de cette évolution correspond à la situation actuelle, cette structure disposant de simples pouvoirs d'information et d'incitation à la coordination des enquêtes ; dans une deuxième phase, Eurojust devrait disposer d'un pouvoir d'injonction lui permettant, le cas échéant, de centraliser les enquêtes, ainsi qu'un pouvoir de substitution en cas de carence d'un État membre.

-  Le texte proposé ne s'oppose pas aux conclusions de la Délégation, mais tient compte des réalités du terrain, en adoptant une démarche progressive permettant à terme de mettre en place un parquet européen aux compétences élargies, le passage aux différentes étapes étant facilité par un vote à la majorité qualifiée, ce qui est un gage d'efficacité.

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La Commission est ensuite passée à l'examen de l'article unique de la proposition de résolution.

Elle a été saisie d'un amendement de rédaction globale présenté par le rapporteur et d'un amendement de M. Jean-Paul Garraud tendant à préciser les éléments constitutifs du parquet européen. Estimant nécessaire de poursuivre plus efficacement les activités criminelles portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne et rappelant que le projet de loi sur la criminalité organisée, qui sera prochainement soumis au Parlement, devrait permettre de rendre effective la participation de la France à Eurojust, M. Jean-Paul Garraud a jugé souhaitable une transformation d'Eurojust, notamment dans la perspective de l'élargissement, et rappelé que celle-ci serait effectuée à la majorité qualifiée. Il a jugé nécessaire que le parquet européen soit doté de structures efficaces, de nature à assurer une direction centralisée des recherches et des poursuites. Ayant rappelé que la proposition de la Commission européenne ne susciterait pas l'unanimité au sein du Conseil et estimé qu'une position extrême risquerait de compromettre l'objectif poursuivi, le rapporteur a considéré que cet amendement était satisfait par le texte qu'il proposait à la Commission. M. Jean-Paul Garraud a donc retiré son amendement.

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La Commission a adopté la proposition de résolution dans le texte proposé par le rapporteur, figurant ci-après.

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PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION
SUR LA CRÉATION D'UN PROCUREUR EUROPÉEN

Article unique

L'Assemblée nationale,

Vu le Livre vert de la Commission européenne sur la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d'un procureur européen [COM (2001) 715 final/document E 1912],

Considérant que le développement des formes graves de criminalité transnationale, telles que le terrorisme, le trafic de stupéfiants ou la traite des êtres humains portent autant atteinte à la crédibilité de l'Union européenne que la fraude aux intérêts communautaires ;

Considérant que l'intégration prochaine de dix nouveaux États membres dans l'Union européenne rend urgents un renforcement de coopération policière et judiciaire entre les membres de l'Union et l'élaboration d'une réponse pénale adaptée à la criminalité transnationale ;

Considérant que l'instauration d'un parquet européen doté de pouvoirs de déclenchement des poursuites, de direction de celles-ci et d'évocation des affaires constitue une réponse pertinente à la montée de cette criminalité ;

Considérant que ce parquet européen doit, dans un souci de pragmatisme et d'efficacité, être mis en place à partir d'une structure existante, Eurojust, afin notamment de tenir compte de l'expérience acquise au sein de cette structure et d'éviter des difficultés de coordination que pourrait susciter la création d'un nouvel organisme ;

1. Demande que le projet de traité constitutionnel qui sera adopté par la Convention sur l'avenir de l'Europe en vue de la prochaine conférence intergouvernementale prévoit la création d'un parquet européen, à partir de la transformation par étapes d'Eurojust ;

2. Recommande que cette transformation par étapes d'Eurojust soit décidée par le Conseil à la majorité qualifiée, cette procédure étant la seule à même de garantir la mise en place effective d'un parquet européen ;

3. Considère que les compétences de ce parquet européen devraient être strictement définies et limitées aux faits graves de criminalité transnationale, conformément au principe de subsidiarité ;

4. Souhaite que les priorités d'action publique au niveau communautaire soient dès à présent définies par le conseil des ministres de l'Union européenne, afin de donner des orientations à l'action d'Europol et d'Eurojust ;

5. Considère que le renforcement de la lutte contre la criminalité transnationale nécessite également la pleine application du principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice, le rapprochement des règles en matière de preuve, ainsi qu'une harmonisation des incriminations.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR

-  M. René André, co-auteur du rapport de la Délégation pour l'Union européenne sur le procureur européen ;

-  M. Jean-Baptiste Avel, conseiller à la cour d'appel de Paris ;

-  M. Olivier de Baynast, vice-président d'Eurojust ;

-  M. Sébastien Combeaud, administrateur principal de l'Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) ;

-  M. Claude Lecou, directeur de l'Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) ;

-  M. Jean-Paul Lévy, président de la commission textes au Conseil national des Barreaux ;

-  M. Lionel Rinuy, chef du secteur coopération judiciaire du SGCI ;

-  Mme Isabelle Toulemonde, secrétaire général adjointe du SGCI.

N° 0565 - Rapport sur la proposition de résolution sur la création d'un procureur européen (M. Guy Geoffroy)

1 () Editions de l'Université de Bruxelles.

2 () Pour la France, le membre national est M. Olivier de Baynast, avocat général.


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