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le 11 juillet 2003

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N° 954

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 18 juin 2003.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI (n° 756), autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Belgique relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière (ensemble un échange de lettres),

PAR M. ANDRÉ SCHNEIDER,

Député

--

Traités et conventions

SOMMAIRE

___

INTRODUCTION 5

I - LE RENFORCEMENT DE LA COOPÉRATION POLICIÈRE
     ET DOUANIÈRE ENTRE LA FRANCE ET LA BELGIQUE
7

A - LES DOMAINES DANS LESQUELS S'EXERCE
      LA COOPÉRATION BILATÉRALE
7

1) Les trafics illicites 7

2) L'immigration clandestine 8

B - LES PARTICULARITÉS DE LA ZONE FRONTALIÈRE 10

C - UN CADRE JURIDIQUE APPROPRIÉ MAIS
     DES DIFFICULTÉS D'APPLICATION
11

1) Le cadre juridique de la coopération bilatérale 11

2) Le bilan d'application fait apparaître des difficultés dans le domaine
    de la réadmission des étrangers en situation irrégulière
12

D - LES EFFECTIFS DES FORCES FRANÇAISE ET BELGE
      DANS LA ZONE FRONTALIÈRE
14

II - L'APPORT DE L'ACCORD DE TOURNAI 15

A - LA MISE EN PLACE D'UN CENTRE DE COOPÉRATION
      POLICIÈRE ET DOUANIÈRE
15

1) La mission des centres de coopération policière et douanière 15

2) Le centre de coopération policière et douanière de Tournai 15

B - DE NOUVEAUX MODES POUR UNE COOPÉRATION DIRECTE
      PLUS SYSTÉMATIQUE
18

1) Une pratique de coopération instaurée depuis quelques années
      mais qui comporte cependant des insuffisances
18

2) Les moyens de coopération directe prévus par l'accord 20

CONCLUSION 23

EXAMEN EN COMMISSION 25

Mesdames, Messieurs,

Le présent projet de loi a pour objet d'autoriser la ratification de l'accord relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière conclu à Tournai le 5 mars 2001 par les Gouvernements français et belge. Est également soumis au Parlement un échange de lettres signé à Paris et à Bruxelles le 10 juin 2002, destiné à compléter l'accord sur un point particulier.

Cet accord prend place dans une suite d'accords bilatéraux conclus par la France avec les Etats voisins, accords qui s'inscrivent dans le mouvement de renforcement de la coopération policière et judiciaire dans l'espace Schengen. Ce renforcement est le corollaire de la suppression des contrôles aux frontières intérieures de l'espace Schengen et de leur report aux frontières extérieures de ce même espace.

On se souvient en effet que l'accord de Schengen, signé le 14 juin 1985, posait le principe du libre franchissement des frontières intérieures par tous les ressortissants des pays parties à l'accord. A cet accord succédait la Convention d'application signée le 19 juin 1990, qui comportait l'ensemble des mesures dites compensatoires à la libre circulation, destinées à édifier l'espace de sécurité Schengen, ayant vocation à s'étendre peu à peu à tous les Etats membres de l'Union souhaitant en partager les avantages et les contraintes.

Le présent accord se base sur l'article 39 de la Convention d'application, en vertu duquel les services de police des Parties s'accordent, pour la prévention et la recherche des infractions, toute l'assistance prévue par le droit national. L'article 39, paragraphe 4, ajoute que dans les régions frontalières, des arrangements administratifs, ou des accords bilatéraux plus complets, pourront être signés entre Etats limitrophes.

Schengen compte aujourd'hui treize Etats de l'Union européenne. La France a progressivement conclu des accords de coopération avec la plupart de ses voisins.

Les premiers accords ont été ceux conclus avec l'Italie et avec l'Allemagne en 1997. Un accord a ensuite été conclu avec la Suisse, bien que cette dernière n'appartienne pas à l'espace Schengen et que les contrôles fixes soient maintenus sur la frontière commune. L'objectif est dans ce cas de renforcer la coopération bilatérale dans une région frontière extérieure de l'espace Schengen.

Un traité a été conclu avec l'Espagne en 1998, qui faisait suite à une coopération déjà bien établie depuis l'arrangement administratif de 1996. Enfin, est intervenu le présent accord franco-belge.

Un accord de coopération est en outre en cours de négociation avec le Luxembourg.

I - LE RENFORCEMENT DE LA COOPÉRATION POLICIÈRE ET DOUANIÈRE ENTRE LA FRANCE ET LA BELGIQUE

A - Les domaines dans lesquels s'exerce la coopération bilatérale

1) Les trafics illicites

Les deux départements de la région Nord/Pas-de-Calais, situés au carrefour de voies de communication européennes majeures pour la circulation des personnes et des marchandises sont, de par leur position géographique, une zone « sensible » de transit des produits stupéfiants acheminés en provenance ou à destination des Pays-Bas, qui restent une véritable « plaque  tournante » européenne de la drogue.

Le rapport annuel de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), publié en juin, indique que les Pays-Bas, la Belgique, mais également la Pologne, sont les principaux centres de production au monde de drogues de synthèse : ecstasy, amphétamines et ses dérivés. Ces produits ont donc la particularité, contrairement à l'héroïne, à la cocaïne ou au cannabis, d'être fabriqués dans les pays de consommation. Et les pays producteurs n'ont pas, cette fois, l'excuse de la pauvreté. Cette production européenne alimente un trafic qui s'est fortement structuré au cours des années 1990, toujours en hausse. Votre Rapporteur appelle le Gouvernement à continuer de faire pression sur nos partenaires européens pour que ce phénomène alarmant soit combattu avec plus de vigueur.

La lutte contre le trafic des stupéfiants dans le Nord/Pas-de-Calais conduit les autorités françaises à entretenir des relations étroites avec les services répressifs belges afin de contrôler les voies d'acheminement tant terrestres que maritimes. L'augmentation continue de la consommation de stupéfiants des pays de l'Europe du Nord et de la Grande Bretagne, la détection d'unités de fabrication de drogues de synthèse en Belgique exigent évidemment la coopération la plus poussée entre les deux pays.

Les flux de stupéfiants qui traversent les deux départements frontaliers du Nord et du Pas-de-Calais sont essentiellement des flux orientés Sud-Nord pour la résine de cannabis marocaine et Nord-Sud pour les drogues de synthèse (amphétamines et méthamphétamines), ainsi que pour l'héroïne. Pour ce qui concerne la cocaïne, l'orientation des flux d'approvisionnement est moins marquée.

Une part importante des saisies de stupéfiants enregistrées en 2002, en France, est effectuée par les services répressifs de la région du Nord/Pas-de-Calais : ces saisies ont lieu principalement aux frontières routières et ferroviaires avec la Belgique, plus marginalement aux passages maritimes. L'essentiel des stupéfiants saisis n'est pas destiné à approvisionner le marché local de la drogue mais doit être dirigé vers les marchés de pays étrangers tels que la Grande-Bretagne, l'Espagne ou l'Italie.

Evolution des saisies de stupéfiants dans le Nord

 

1998

1999

2000

2001

2002

Cannabis

741 kg

3 120 kg

1 783 kg

3 124 kg

1 673,7 kg

Héroïne

40 kg

24 kg

55 kg

54 kg

52,2 kg

Cocaïne

7 kg

65 kg

16 kg

35 kg

86,4 kg

Ecstasy (cp)

 

993 954

718 550

455 060

180 940

Evolution des saisies de stupéfiants dans le Pas-de-Calais

 

1998

1999

2000

2001

2002

Cannabis

5 439,8 kg

26 606 kg

5 604 kg

3 381 kg

4 144 kg

Héroïne

75,8 kg

1,4 kg

99,1 kg

2,9 kg

3,2 kg

Cocaïne

14 kg

13,4 kg

146,4 kg

59,1 kg

147,8 kg

Ecstasy (cp)

 

447 420

457 774

51 318

167 742

Les interpellations effectuées dans les deux départements révèlent une tendance à la baisse du nombre des usagers interpellés et une reprise des interpellations de trafiquants : trafiquants internationaux, locaux, et usagers-revendeurs. Les interpellations de trafiquants se sont élevées à 1501, dans la région, en 2002, contre environ 1750 en 1998. Les interpellations d'usagers se sont élevées à 8500 pour la même année, contre 10600 en 1998.

Le phénomène du « tourisme de la drogue » dans le Nord-Pas-de-Calais est cependant toujours prégnant. Un grand nombre des personnes interpellées ne sont pas domiciliées dans la région du Nord et y sont interceptées au retour de leur approvisionnement aux Pays-Bas.

2) L'immigration clandestine

Compte tenu de sa situation géographie et de l'attrait du Royaume-Uni, la Belgique était devenue une cible ou une destination de rebond pour les candidats à l'immigration clandestine à destination de l'Europe de l'Ouest.

La pression migratoire irrégulière en provenance de Belgique vers la France reste constante. Ainsi, pour 2002, ont été effectuées 1 634 réadmissions et non-admissions (contre 2 389 en 2001). Sur ces mêmes périodes, 2 663 étrangers en situation irrégulière ont été interpellés en provenance de Belgique par les services de la Police aux frontières (PAF) ; ce nombre était de 2 080 en 2001.

Les nationalités les plus représentées parmi ces immigrants sont les Afghans, Irakiens, Algériens, Roumains, Turcs et les ressortissants des Etats de l'ex-Yougoslavie.

Il faut toutefois noter que la pression migratoire est à peu près identique de chaque côté de la frontière, même si les autorités belges acceptent beaucoup moins de réadmissions dans leur pays.

Pression migratoire à la frontière franco-belge

2001

2002

Evolution

Non admis

2252

1538

- 31,71%

Etrangers en situation irrégulière

2080

2663

+ 28,03%

Porteurs de faux documents

101

119

+ 17,82%

Passeurs

108

86

- 23,37%

Logeurs

20

20

00%

Stupéfiants

473

452

- 4,44%

Réadmis France vers Belgique

137

96

- 29,93%

Réadmis Belgique vers France

1353

1425

+ 5,32%

B - Les particularités de la zone frontalière

La frontière franco-belge est la seule frontière intérieure de l'espace Schengen pour laquelle la France n'a jamais levé les contrôles, en application de la clause de sauvegarde de l'article 2-2 de la convention d'application de l'accord de Schengen. Les flux de circulation restent donc soumis à des contrôles fixes et permanents sur un certain nombre de postes frontières autoroutiers - par opposition aux contrôles mobiles dans une zone de 20 kilomètres en deçà de la frontière terrestre, qui sont devenus le droit commun depuis l'entrée en application de la Convention de Schengen. Malgré la pression constante de la Belgique en faveur de la suppression, ces contrôles sont maintenus à cause de la production des drogues aux Pays-Bas, mais aussi en Belgique,

Actuellement les contrôles prennent des formes multiples : contrôles mobiles à la frontière franco-belge dans la bande des 20 kilomètres, contrôles dans les gares lilloises (TER transfrontaliers) et contrôles ponctuels sur les points frontière, principalement autoroutiers, en ciblant particulièrement les lignes de bus trans-européennes.

Mais il ne faut pas trop concevoir d'illusions sur l'efficacité de ces contrôles, vu l'intensité du trafic, et particulièrement de poids lourds, sur les axes autoroutiers. En outre, la frontière peut être franchie en quelque 200 points de passage carrossables non surveillés.

L'organisation des contrôles dans cette région frontalière est difficile. La frontière est totalement dépourvue d'obstacle naturel ; elle compte, outre les passages non surveillés déjà évoqués, quatre autoroutes parmi lesquelles l'A16 construite aux normes Schengen, c'est-à-dire sans infrastructure de contrôle frontalier.

Contrairement à la Belgique, la France a maintenu quelques infrastructures de contrôle sur ce réseau autoroutier transfrontalier, mais ne subsiste en état que le poste de Saint-Aybert (A2), sur l'axe Bruxelles/Paris. Pour le réseau secondaire, ne subsistent que deux postes, à Bettignies (RN2, département du Nord) et à Hirson (D1050, département de l'Aisne), lesquels ne présentent pas de sensibilité particulière, se trouvant en dehors des routes actuelles de l'immigration irrégulière.

Les autorités belges sont favorables à un démantèlement total des anciens bureaux à contrôles nationaux juxtaposés (BCNJ).

C - Un cadre juridique approprié mais des difficultés d'application

1) Le cadre juridique de la coopération bilatérale

La coopération policière entre la France et la Belgique repose sur les accords bilatéraux suivants :

- la convention du 13 avril 1948 relative au fonctionnement des gares internationales franco-belge de Jeumont et de Quevy ;

- la convention du 30 mars 1962 relative aux contrôles à la frontière franco-belge et aux gares communes d'échange (décret d'application du 8 mai 1964) ;

- l'arrangement administratif du 16 avril 1964 entre la République Française et le Benelux sur la prise en charge de personnes à la frontière, accord actuellement en cours de renégociation.

- l'arrangement administratif signé à Ypres le 16 mars 1995 portant création de trois commissariats communs : cet accord sera remplacé par le présent accord de Tournai.

Sur la base de ces accords, ont pris place d'autres initiatives visant à renforcer la coopération policière transfrontalière.

La coordination des actions entreprises dans ce domaine pour l'ensemble de la frontière du Nord a été confiée au préfet de région, qui l'a attribuée au préfet délégué pour la sécurité et la défense (lettre de mission du ministre de l'intérieur en date du 10 juin 1995).

Une instance de concertation franco-belge a été mise en place, qui réunit chaque année les chefs des services de police. Par ailleurs, deux groupes de travail réunissant des experts ont été créés, l'un intitulé « formation et techniques policières », sous présidence française,  et l'autre « communication et échanges d'information », sous présidence belge.

Par ailleurs, les directeurs des écoles de police de Roubaix (Nord), Bruges et Jurbise, ont signé, le 10 juin 2002 à Tournai, sous l'égide du Ministre belge de l'intérieur, un protocole définissant un programme transfrontalier de formation visant à une mise en commun des moyens.

2) Le bilan d'application fait apparaître des difficultés dans le domaine de la réadmission des étrangers en situation irrégulière

La prise en charge des personnes à la frontière franco-belge est régie par l'accord multilatéral France-Bénélux du 16 avril 1964.

La réadmission a longtemps fonctionné avec les plus grandes difficultés dans le sens Belgique-France, pour plusieurs raisons parmi lesquelles l'incompatibilité du bref délai de rétention français avec les délais exigés par la procédure de réadmission belge. Des améliorations ont été apportées par la partie belge, sans que les difficultés ne soient cependant aplanies.

La première amélioration est le rétablissement de deux points communs d'échange frontaliers où la remise des personnes interpellées peut être effectuée. Ces points sont situés, l'un sur l'autoroute A 22 à Rekkem (Belgique)/Neuville en Ferrain (France), et l'autre sur l'autoroute A 2. Il existe enfin un autre point sur la RN 2 à Havay/Bettignies, qui traite plutôt les extraditions. Il s'agit donc d'une amélioration substantielle par rapport à la situation antérieure d'une absence de permanence ou d'une permanence peu coopérante, entraînant l'obligation pour les agents français de présenter les personnes interpellées au Service central des étrangers à Bruxelles au lieu d'une remise en frontière.

Les difficultés liées aux procédures ont été examinées, et les délais d'examen du dossier de réadmission par le Service des étrangers ont été réduits.

Par ailleurs, les autorités des deux pays ont décidé la renégociation de l'accord de 1964. Le projet de nouvel accord a achoppé sur une difficulté interne à la Belgique, à savoir la désignation du service devant assumer la prise en charge et l'escorte des personnes réadmises ou en transit. A la fin 2002, la question a été réglée et la police fédérale belge devrait prendre en charge ces missions, ce qui laisserait augurer une prochaine avancée du dossier.

Dans l'attente du nouvel accord, des mesures transitoires avaient été convenues par les autorités ministérielles et centrales à Bruxelles, le 12 octobre 2000, notamment :

- la création d'une procédure de « réadmission facilitée » dont l'objectif était de régler la problématique des flux d'irréguliers franchissant la frontière intérieure par l'autoroute A16 (aux normes Schengen, donc sans infrastructures de contrôle transfrontalier). La Belgique acceptait (sous réserve d'un préavis de 48 h annonçant l'opération de contrôle) de reprendre dans un délai inférieur à quatre heures les personnes qui se voyaient opposer un refus d'entrer en France, et la remise devait alors intervenir sur l'autoroute A22 à Rekkem ;

- la définition de modalités d'application de la réadmission sans formalités des articles 3 et 8 de l'accord de 1964. Il s'agissait d'instituer une procédure rapide et d'un formalisme minimaliste : échange de fax entre l'Office des étrangers à Bruxelles et les services de la PAF du Nord, engagement à répondre sous 24 h pour permettre une reprise immédiatement au terme de la garde à vue.

Cette procédure de réadmission sans formalités n'a pas eu l'effet escompté. En effet, une majorité des étrangers en situation irrégulière sont des déboutés du droit d'asile ; or le droit belge ne permet pas d'appliquer la réadmission sans formalités à leur encontre. Les améliorations apportées se sont avérées vaines dans la plupart des cas.

Les statistiques (tableau page 9) montrent clairement que ces dispositions n'ont pas permis d'améliorer l'efficacité de la procédure ni donc des résultats : les autorités belges ont accepté la réadmission de 96 étrangers en 2002, ce qui représente moins de 1% du total des réadmissions effectuées par la France auprès de ses voisins, soit 16 000 procédures en 2002.

La Belgique paraît ne porter qu'un intérêt limité à demander des réadmissions. Cependant, les réadmissions de la Belgique vers la France ont été de 1425 en 2002, en augmentation de 5%. Elle effectue cependant des contrôles frontaliers en gare de Bruxelles-Midi, à l'arrivée des trains Eurostar en provenance de Londres via Lille-Europe (en application de l'article 3.2.2 bis du manuel commun Schengen) et y refoule massivement des personnes étant montées à Lille (la preuve par le titre de transport n'étant pas toujours rapportée), en dehors du cadre formel de l'accord de réadmission.

Il faut souligner que les services de sécurité belges ont connu des bouleversements au cours des deux dernières années, avec la fusion de la Police fédérale et de la Gendarmerie. Il ne reste donc aujourd'hui que deux corps : la police fédérale et la police locale.

D - Les effectifs des forces française et belge dans la zone frontalière

La frontière franco-belge ressort de la compétence des directions zonales Nord (départements du Nord et de l'Aisne) et Est (départements des Ardennes, de la Meurthe et Moselle, et de la Meuse), chacune contrôlant environ la moitié de la longueur totale.

Pour la zone Nord, les effectifs de la police aux frontières déployés dans la zone frontalière franco-belge s'établissent à 347 dont 279 actifs et 48 adjoints de sécurité, soit 322 dans le département du Nord et 25 dans l'Aisne.

Par ailleurs trois fonctionnaires de la direction zonale Nord sont détachés au Centre de coopération policière et douanière de Tournai.

Pour la zone Est, les effectifs PAF s'élèvent à 45 pour les Ardennes ; 26 pour la Meurthe et Moselle ; 11 pour la Meuse, soit un total de 82 (dont 69 actifs, 6 adjoints de sécurité et 7 administratifs).

Au total, la zone frontalière est couverte par 429 personnels.

Les forces de police belges ne disposent pas d'un corps spécialement dédié à la surveillance des frontières. Cette mission ressort des compétences des unités territoriales, à vocation généraliste.

II - L'APPORT DE L'ACCORD DE TOURNAI

A - La mise en place d'un centre de coopération policière et douanière

1) La mission des centres de coopération policière et douanière

Le présent accord comporte des dispositions quasi semblables aux accords précédents, tous inspirés du modèle de convention transfrontalière policière et douanière établi en 1996 dans le cadre du comité de coordination de la politique européenne de sécurité intérieure.

L'article 3 de l'accord prévoit l'implantation de centres de coopération policière et douanière à proximité de la frontière commune. L'article 4 indique qu'un premier centre est mis en place à Tournai, et que d'autres centres pourraient être créés, si cela était jugé souhaitable, par la simple voie d'échanges de notes entre les autorités compétentes.

Les personnels des centres doivent tout d'abord recueillir, analyser et échanger des informations, ainsi que répondre aux demandes des services des deux Etats. Ils jouent aussi un rôle au plan français en facilitant la coopération entre services de police et de douane. Ils coordonnent les mesures d'intervention dans les zones frontalières, en particulier dans les cas suivants : surveillances, recherches, opérations de contrôle contre l'immigration irrégulière, opération de maintien ou de rétablissement de l'ordre public.

Les centres ont encore d'autres missions. Ils doivent remplir une mission d'assistance et de communication spontanée d'informations, missions définies par les articles 39 et 46 de la convention de Schengen. Les personnels des centres doivent assurer un rôle de conseil et de soutien non opérationnel à l'occasion de l'exercice des droits d'observation et de poursuite transfrontalières (articles 40 et 41 de la convention). Enfin, les personnels de ces centres contribuent à la préparation et à l'exécution de la remise d'étrangers en situation irrégulière, « dans les conditions prévues par l'accord France-Bénélux de réadmission et conformément aux dispositions des articles 23, 33 et 34 de la Convention de Schengen ».

2) Le centre de coopération policière et douanière de Tournai

Annoncée par les accords d'Ypres du 16 mars 1995, la création d'un centre de coopération policière et douanière (CCPD) destiné à régler les difficultés en matière d'immigration sur la frontière intérieure a été décidée par les ministres de l'intérieur belge et français lors du Conseil « Justice-Affaires intérieures » tenu le 28 septembre 2000 à Bruxelles. Le présent accord, signé le 5 mars 2001 à Tournai, en confirmait la création dans cette ville belge du Hainaut.

La mise en place du centre a progressé après la rencontre des ministres français et belge de l'intérieur, le 10 juin 2002 à Lille, pour aboutir à l'inauguration officielle du centre par le ministre de l'intérieur belge et le préfet de la région Nord/Pas-de-Calais, préfet du Nord, le 10 septembre 2002.

Le centre réunit dans la même structure policiers, gendarmes et douaniers français, ainsi que des policiers belges de la Police fédérale.

La partie française se compose de 22 fonctionnaires : 13 policiers, 5 gendarmes et 4 douaniers. Du côté français, il s'agit d'un CCPD à dominante Sécurité Publique, la participation de la PAF se limitant à un officier et deux gardiens de la paix affectés en qualité d'opérateurs au point de commandement opérationnel du centre.

En revanche, les effectifs belges ne sont pas au complet : 14 policiers et douaniers sont présents mais une dizaine de personnes doit encore être affectée selon les engagements pris il y a plus d'un an.

Le centre a néanmoins fonctionné 24 heures sur 24 dès son inauguration. L'activité d'échanges d'informations et de renseignements opérationnels est soutenue : 20 000 consultations de fichiers ont eu lieu de l'inauguration du centre à la fin 2002, c'est à dire en trois mois. Il semble que le rythme d'interrogation actuel du centre soit de 11 000 demandes par mois.

La réadmission des étrangers en situation irrégulière interpellés dans la zone frontalière reste de la compétence de la PAF. Cependant, au terme de l'article 7 de l'accord de Tournai, le centre devrait, comme on l'a souligné, contribuer à la préparation et à l'exécution de ces procédures de remise aux autorités belges ou, réciproquement, françaises.

Toutefois, il ressort d'une réunion technique qui s'est tenue le 22 janvier 2003 au CCPD de Tournai que l'organisation interne de la Belgique rend toujours difficile la mise en œuvre de procédures de réadmission accélérées, notamment en ce qui concerne la réponse dans le délai de garde à vue, voire dans les premières 48 h de rétention administrative. Il y a donc une restriction, semble t-il insurmontable, au rôle efficace du CCPD, comme des services compétents, en ce domaine.

L'ampleur de la tâche dévolue au centre de Tournai conduit les autorités à s'interroger sur l'évolution des structures de coopération dans la région frontalière. Le centre se consacre principalement au département du Nord, et aux provinces du Hainaut et des Flandres. C'est pourquoi l'ouverture d'un autre centre situé dans la partie est de la frontière a été évoquée ; toutefois, il est possible que la solution finalement retenue soit de conférer des compétences larges au centre qui se met en place au Luxembourg, au terme d'un accord entre les trois pays.

B - De nouveaux modes pour une coopération directe plus systématique

1) Une pratique de coopération instaurée depuis quelques années mais qui comporte cependant des insuffisances

Si la pratique de collaboration entre services de part et d'autre de la frontière est ancienne, l'action coordonnée des services est quant à elle basée sur les mécanismes de coopération et d'entraide judiciaires prévus par la Convention de Schengen. Ces mécanismes apparaissent fructueux pour la délinquance organisée, mais ils le sont moins pour la petite et moyenne délinquance en zone frontière.

Les contacts opérationnels avec les autorités belges ont été jusqu'à présent assurés par le canal exclusif de points de commandement opérationnels (PCO) implantés, pour la Police Nationale, auprès de la salle d'information et de commandement de la direction départementale de la sécurité publique du Nord et, pour la Gendarmerie, auprès des Groupements de Lille et de Valenciennes. Ces PCO ont traité essentiellement de faits intéressant la petite et moyenne délinquance, les recherches dans l'intérêt des familles et la sécurité routière. Le travail de ces points de commandement doit dorénavant s'articuler avec le CCPD de Tournai.

L'action des services déconcentrés de la PAF dans le domaine de la coopération bilatérale s'est traduite notamment par des contacts directs avec l'Office des Etrangers à Bruxelles et les Districts de Police Fédérale frontaliers, pour les « réadmissions facilitées » ou pour avertir des contrôles opérés à la frontière, dans le cadre de la mise en œuvre des mesures transitoires à la renégociation de l'accord de 1964.

Des rencontres périodiques sont organisées entre enquêteurs des deux pays.

a) Les opérations en commun

Les services des deux pays organisent aussi, sous l'impulsion de la coopération Schengen (qui est à présent, on le rappellera, une coopération intégrée dans les structures « Justice-Affaires intérieures » de l'Union européenne), des opérations programmées en commun. Celles ci peuvent réunir les autorités de deux ou trois pays frontaliers pour des recherches et des surveillances dans un ou des domaines de délinquance ou de criminalité.

En 2002, plusieurs actions de coopération policière ont été organisées sous l'égide du préfet délégué pour la sécurité et la défense (du côté français). Ces opérations associent les services de sécurité publique ou de police judiciaire français et leurs homologues belges. La PAF du Nord y est associée :

- deux opérations « TIMON », opérations bilatérales de lutte contre la criminalité transfrontalière et l'insécurité routière (les nuits des 8 au 9 juin 2002 et du 12 au 13 octobre 2002) ;

- quatre opérations européennes « HAZELDONK » de lutte contre le tourisme de la drogue aux Pays-Bas (les nuits des 26 au 27 avril 2002, du 14 au 15 juin 2002, du 21 au 22 septembre 2002, et du 23 au 24 novembre 2002).

Ces diverses missions n'ont donné lieu à aucun fait notable s'agissant de la lutte contre l'immigration irrégulière ou les trafics internationaux.

En 2003, ont été renouvelées deux opérations « TIMON » (les nuits des 7 au 8 février 2003, des 16 au 17 mai 2003) et une opération européenne « HAZELDONK » (la nuit du 12 au 13 avril 2003).

De façon générale, la coopération policière transfrontalière franco-belge a été axée sur la lutte contre l'insécurité routière et contre la délinquance de droit commun. Les opérations TIMON, WEB et PACK sont mises en œuvre à cet effet, essentiellement sur le pourtour frontalier de la conurbation lilloise, au rythme moyen d'un dispositif par mois.

b) les limites de la poursuite transfrontalière : l'impossibilité d'effectuer une interpellation sur le territoire de l'Etat voisin

Les articles 40 et 41 de la Convention de Schengen définissent une liste de faits punissables autorisant le franchissement de la frontière par des agents pour continuer une observation, ou une poursuite dans le cadre d'un flagrant délit, sur le territoire de l'Etat voisin. En ce qui concerne les poursuites, notre pays n'autorise pas ces mêmes agents à procéder à l'interpellation de la personne poursuivie sur le territoire de l'autre Etat partie. L'interpellation est réservée aux policiers nationaux, selon la décision du 25 juillet 1991 du Conseil constitutionnel.

Le droit des pays voisins de la France - Belgique, Luxembourg, Allemagne - accorde le droit d'interpellation aux policiers et douaniers opérant une poursuite transfrontalière. Cependant, appliquant le principe de réciprocité, la Belgique refuse ce droit aux agents français sur son territoire. La position juridique française est mal comprise des autorités des pays voisins.

De plus, la région frontalière franco- belge comporte d'importantes agglomérations sur ou aux abords immédiats de la frontière. Dans ce contexte géographique et humain, la notion de « délinquance transfrontalière » n'a pas vraiment de sens : il s'agit plutôt d'une délinquance locale qui peut trouver un échappatoire grâce à la signification de la frontière au plan judiciaire, l'arrestation étant invalidée par l'autorité judiciaire.

Cette situation a pour effet de réduire la portée de la coopération transfrontalière ; elle est mal comprise au plan local et difficilement vécue par les agents. Une procédure comportant une poursuite et une interpellation à quelques centaines de mètres de la frontière est annulée par le juge. D'un autre côté, la procédure légale de transmission à l'autorité de police de l'autre pays pour continuer la poursuite ne fonctionne pas toujours. C'est pourquoi une réflexion devrait être engagée pour trouver une solution juridique pragmatique à cette situation peu satisfaisante, qui concerne toutes les régions frontalières.

2) Les moyens de coopération directe prévus par l'accord

L'article 13 de l'accord prévoit la constitution de « groupes mixtes » d'agents, notamment pour la surveillance de manifestations publiques ; ces groupes ne sont pas compétents pour l'exécution autonomes de mesures de police.

L'article 14 énumère plusieurs modes de coopération, parmi lesquels l'élaboration en commun de plans de recherche, la programmation d'exercices frontaliers, ou encore l'organisation de patrouilles constituées d'agents provenant d'unités des deux pays.

Les patrouilles mixtes ont été mises en œuvre à partir de 2002, sous l'égide de l'autorité préfectorale, sur une douzaine de sites. Elles ont reçu pour mission de lutter contre la délinquance violente transfrontalière, aussi sont elles généralement assurées par la Sécurité publique. Néanmoins le service PAF de Maubeuge a également effectué, durant l'année 2002, 23 patrouilles mixtes avec la police d'Erquelinnes (province du Hainaut - Belgique) sur la frontière franco-belge entre Jeumont et Bettignies (département du Nord, arrondissement d'Avesnes). Ces missions n'ont donné lieu à aucune interpellation ou fait notable. Par la suite, du fait essentiellement d'indisponibilités des homologues belges, le nombre de ces patrouilles a baissé considérablement en ce début d'année 2003 (4 ont été exécutées de janvier à mai).

On soulignera que l'échange de lettre joint au présent accord autorise les agents des patrouilles conjointes, tant français que belges, à porter leur uniforme national ainsi que leurs armes de service et à en faire usage en cas de légitime défense. Des échanges de lettres équivalents sont négociés avec les autres Etats frontaliers avec notre pays, afin de compléter les accords bilatéraux de même nature déjà entrés en vigueur.

Pour les autres développements dans un futur proche, on notera qu'une étude technique est en cours pour l'amélioration des liaisons radio transfrontalières entre forces de police française et belge.

CONCLUSION

Après moins d'un an de fonctionnement, le Centre de coopération policière et douanière de Tournai s'est imposé comme une composante importante du dispositif de sécurité de la zone frontalière. Outre son rôle dans l'échange d'information, son rôle d'appui et de soutien est apprécié des services de terrain. Son rôle de coordination permet une meilleure synergie entre les forces de sécurité des deux côtés de la frontière, ce qui facilite le montage d'opérations ou de dispositifs communs de police.

La mise en place de patrouilles mixtes franco-belges a également contribué à rapprocher les personnels et les services et à élargir l'action opérationnelle commune au domaine de la police au quotidien, alors qu'auparavant, les actions conjointes étaient surtout menées par des formations spécialisées dans le domaine de la police judiciaire.

Dans ce contexte positif, quelques remarques doivent cependant être faites.

Tout d'abord, il serait souhaitable que les autorités belges affectent l'ensemble des personnels attendus au Centre de coopération policière et douanière de Tournai, ouvert depuis plus d'un an.

Votre Rapporteur appelle par ailleurs le Gouvernement à obtenir des autorités belges la pleine application des accords existants dans le domaine de la réadmission. On peut rappeler à cet égard que le Conseil européen de Thessalonique, tenu les 19 et 20 juin derniers, a rappelé les objectifs d'une politique européenne en matière d'asile et d'immigration. Il serait peu logique que les Quinze exigent des pays tiers un fonctionnement de la réadmission qui serait déficient au sein même de l'Union.

De leur côté, les autorités belges souhaitent une évolution du droit français vers la reconnaissance du droit d'interpellation aux agents de l'autre pays dans le cas d'une poursuite transfrontalière. Une telle évolution pourrait être encouragée par une disposition intervenant au plan européen, de même que la Convention de Schengen a reconnu les droits d'observation et de poursuite transfrontalière, qui sont peu à peu entrés dans la pratique. Cependant, nos voisins admettent déjà ce droit, et l'Allemagne, notamment, l'admet en faveur des policiers et douaniers français même en l'absence de réciprocité. Il serait souhaitable que des travaux soient ouverts au plan français sur cette question, car d'une part, notre position est mal comprise de nos partenaires, et, d'autre part, l'approfondissement de la coopération au quotidien a semble t-il créé le cadre et le climat propices à une telle évolution juridique.

Les agents français relèvent une dernière difficulté dont la solution aurait pu être apportée par le présent projet. L'accord de Tournai n'a pas prévu la possibilité, pour les agents tant CRS, PAF que douaniers, de pouvoir, lorsqu'ils ont emprunté l'autoroute A-16 pour les besoins du service, faire demi-tour en Belgique pour revenir en France (hors les cas de patrouille mixte ou poursuite déjà prévus). Or ces agents empruntent quotidiennement une portion belge de l'autoroute pour se rendre sur une aire de repos située en territoire français où les contrôles routiers peuvent être effectués. Une disposition adéquate avait été prévue dans l'accord de Mondorf conclu en 1997 avec l'Allemagne, afin de répondre à un tel problème. Une solution semblable doit être mise au point pour éviter des situations d'irrégularité pour les agents français qui se trouvent ainsi sur le territoire belge avec leur arme de service, hors les cas prévus par les accords bilatéraux.

En espérant que la Belgique procèdera rapidement à la ratification de l'accord du Tournai, votre Rapporteur propose à la Commission de donner un avis favorable au présent projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du 18 juin 2003.

Après l'exposé du Rapporteur, M. Jacques Myard a souligné que les difficultés relevées par le Rapporteur faisaient apparaître le caractère utopique d'une partie de la Convention de Schengen. Après avoir supprimé les Bureaux à contrôles nationaux juxtaposés et les infrastructures permettant les contrôles à la frontière, afin de supprimer toute visibilité des frontières, on s'efforce de rétablir des structures et de mettre en place un nouveau système de sécurité. La coopération Schengen ayant été communautarisée par le traité d'Amsterdam, on peut d'ailleurs s'interroger sur la compatibilité de tels accords bilatéraux avec les traités.

M. François Loncle a rappelé les précédents débats tenus par la Commission lors de l'examen de la Convention de Schengen en 1991, dont il avait été rapporteur, et a souligné que rien n'empêche dans ces matières de conclure des accords bilatéraux. Ces accords ont un caractère pragmatique, comportent des dispositions de suivi et des améliorations y sont apportées lorsque cela apparaît nécessaire. Il a approuvé les différentes observations faites par le Rapporteur.

Suivant les conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (no 756).

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La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

N° 0954 - Rapport sur le projet d'accord France-Belgique sur la coopération transfrontalière policière et douanière (M. André Schneider)

NB : Le texte de l'accord figure en annexe au projet de loi (n° 756).


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