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N° 1593

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 11 mai 2004

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES, DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE SUR LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE (n° 992) relatif à la Charte de l'environnement,

PAR M. MARTIAL SADDIER,

Député.

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INTRODUCTION 5

I.- POURQUOI ADOSSER UNE CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT À LA CONSTITUTION? 16

A.- UN CONSTAT : LA NÉCESSITÉ DE RENFORCER L'EFFICACITÉ ET LA COHÉRENCE DES PRINCIPES GÉNÉRAUX DU DROIT DE L'ENVIRONNEMENT 16

1. La prise en compte de l'environnement dans le droit national : des principes généraux peu opérants qui traduisent une vision morcelée de l'environnement 16

2. Les principes environnementaux établis au niveau international : un caractère très général, une jurisprudence peu encadrée 18

a) Au plan communautaire : des principes non définis et un renvoi à la jurisprudence 18

b) Dans les traités et conventions internationaux 19

B.- L'INNOVATION MAJEURE : DONNER UNE PORTÉE CONSTITUTIONNELLE À UN NOUVEAU PACTE ÉCOLOGIQUE 19

II.- QUEL SERA L'IMPACT DE LA CHARTE ? 21

A.- LA NÉCESSITÉ DE DISTINGUER LES DISPOSITIONS DE LA CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT SELON LEUR PORTÉE JURIDIQUE 21

B.- LA CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT S'IMPOSERA AU LÉGISLATEUR 23

C.- LA NÉCESSAIRE CONCILIATION DES DISPOSITIONS DE LA CHARTE AVEC D'AUTRES EXIGENCES CONSTITUTIONNELLES 24

D.- DES INTERROGATIONS SUR LE RISQUE DE CONTENTIEUX 24

TRAVAUX DE LA COMMISSION 27

I.- AUDITION DE M. DOMINIQUE PERBEN, GARDE DES SCEAUX ET MINISTRE DE LA JUSTICE 27

II.- AUDITION DE MME ROSELYNE BACHELOT, MINISTRE DE L'ÉCOLOGIE ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE 37

III.- DISCUSSION GÉNÉRALE 55

IV.- EXAMEN DES ARTICLES 67

Avant l'article 1er 67

Article 1er Adossement de la Charte de l'environnement à la Constitution 68

Article 2 Charte de l'environnement 70

I.- LES CONSIDÉRANTS 70

II.- LES ARTICLES DE LA CHARTE 76

Article 1er de la Charte de l'environnement Droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé 76

Article 2 de la Charte de l'environnement Devoir de prendre part à la préservation et l'amélioration de l'environnement 81

Article 3 de la Charte de l'environnement Devoir de prévention et de limitation des atteintes à l'environnement 83

Article 4 de la Charte de l'environnement Réparation des dommages causés à l'environnement 86

Article 5 de la Charte de l'environnement Principe de précaution 90

1. Pourquoi avoir choisi une constitutionnalisation du principe de précaution et l'avoir doté d'une portée directe ? 91

2. Quel est le champ d'application du principe de précaution ? 93

a) L'incertitude scientifique sur la réalisation du dommage 93

b) Le caractère environnemental du dommage 98

c) La gravité et l'irréversibilité du dommage 98

CHAMP D'APPLICATION DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION 100

3. Quelle forme devra prendre l'application du principe de précaution ? 105

a) Un principe qui doit être appliqué par les seules autorités publiques 105

b) L'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin d'éviter la réalisation du dommage 107

c) Une obligation concomitante de recherche afin d'évaluer les risques encourus 109

4. Le principe de précaution pourra-t-il être invoqué dans le contentieux de la responsabilité pénale ? 110

5. Quel sera l'impact de l'article 5 sur le contentieux ? 110

Article 6 de la Charte de l'environnement Promotion du développement durable par les politiques publiques et exigence de conciliation des trois piliers de ce mode de développement 112

Article 7 de la Charte de l'environnement Droit d'accès aux informations relatives à l'environnement et participation à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement 115

Article 8 de la Charte de l'environnement Education et formation à l'environnement 118

Article 9 de la Charte de l'environnement Concours de la recherche et de l'innovation à la préservation et à la mise en valeur de l'environnement 119

Article 10 de la Charte de l'environnement La Charte de l'environnement, inspiration de l'action européenne et internationale de la France 121

AMENDEMENTS ADOPTÉS PAR LA COMMISSION 125

Article premier 125

Article 2 125

ANNEXES : 127

AUDITIONS RÉALISÉES PAR LE RAPPORTEUR 127

AUDITION DE M. JEAN-FRANÇOIS BERNARDIN, 129

PRÉSIDENT DE L'ASSEMBLÉE DES CHAMBRES FRANÇAISES DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE (ACFCI), 129

M. JEAN-CHRISTOPHE DE BOUTEILLER, 129

DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'ACFCI, 129

MME VALÉRIE DUPERRIER-GUIGARD, 129

ATTACHÉE PARLEMENTAIRE DE L'ACFCI 129

AUDITION DE M. MARTIN HIRSCH, 132

DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'AGENCE FRANÇAISE DE SÉCURITÉ SANITAIRE DES ALIMENTS (AFSSA) 132

AUDITION DE MME MICHÈLE FROMENT-VÉDRINE, 134

DIRECTRICE GÉNÉRALE DE L'AGENCE FRANÇAISE DE SÉCURITÉ SANITAIRE ENVIRONNEMENTALE (AFSSE) 134

AUDITION DE M. HERVÉ BENOIT, 137

CHARGÉ DE MISSION À L'ASSOCIATION NATIONALE DES ÉLUS DE LA MONTAGNE (ANEM) 137

AUDITION DE M. GUY VASSEUR, 139

PRÉSIDENT DE LA COMMISSION ENVIRONNEMENT DE L'ASSEMBLÉE PERMANENTE DES CHAMBRES D'AGRICULTURE (APCA) 139

ET DE M. GUILLAUME BAUGIN, 139

CHARGÉ DES RELATIONS DE L'APCA AVEC LE PARLEMENT 139

AUDITION DE M. BERNARD DE GOUTTES, 141

DIRECTEUR JURIDIQUE D'AREVA, 141

M. PHILIPPE GARDERET, 141

DIRECTEUR DE LA RECHERCHE ET DE L'INNOVATION D'AREVA, 141

MME CHRISTINE GALLOT, 141

DIRECTEUR DES RELATIONS INSTITUTIONNELLES D'AREVA, 141

M. JÉRÉMIE FOREST 141

CHARGÉ DES RELATIONS D'AREVA AVEC LE PARLEMENT 141

AUDITON DE M. CLAUDE BIRRAUX, 144

DÉPUTÉ, PRÉSIDENT DE L'OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES 144

AUDITION DE M. MARC LÉGER, 146

DIRECTEUR, CONSEILLER JURIDIQUE AUPRÈS DE L'ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL DU COMMISSARIAT À L'ÉNERGIE ATOMIQUE (CEA) 146

ET MME FLORENCE TOUÏTOU, 146

ASSISTANTE À LA DIRECTION JURIDIQUE ET DU CONTENTIEUX, SERVICE DES AFFAIRES JURIDIQUES DU CEA 146

AUDITION DE M. PASCAL LABET, 149

DIRECTEUR DU SERVICE ÉCONOMIQUE DE LA CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DES PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES (CGPME) 149

ET DE M. DOMINIQUE BROGGIO, 149

ASSISTANT DU PRÉSIDENT DE L'UNION NATIONALE DES PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES 149

AUDITION DE M. ALAIN CHOSSON, 151

SECRÉTAIRE GÉNÉRAL ADJOINT CHARGÉ DE L'ENVIRONNEMENT ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE À LA CONFÉDÉRATION DE LA CONSOMMATION, DU LOGEMENT ET DU CADRE DE VIE (CLCV) 151

AUDITION DE M. GÉRARD MÉGIE, 153

PRÉSIDENT DU CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE (CNRS) 153

AUDITION DE M. JACQUES PASQUIER, 155

MEMBRE DU COMITÉ NATIONAL DE LA CONFÉDÉRATION PAYSANNE, 155

ET M. PAUL BONHOMO, 155

CHARGÉ DES AFFAIRES JURIDIQUES POUR LA CONFÉDÉRATION PAYSANNE 155

AUDITION DE M. CHRISTIAN ROUSSEAU, 158

PRÉSIDENT DU PÔLE ENVIRONNEMENT DE COOP DE FRANCE, 158

MME MIREILLE RICLET, 158

CHARGÉE DE MISSION ENVIRONNEMENT DE COOP DE FRANCE, 158

MME IRÈNE DE BRETTEVILLE, 158

CHARGÉE DES RELATIONS DE COOP DE FRANCE AVEC LE PARLEMENT 158

AUDITION DE M. CLAUDE-ANDRÉ LACOSTE, 161

DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA DIRECTION GÉNÉRALE DE LA SÛRETÉ NUCLÉAIRE ET DE LA RADIOPROTECTION, 161

M. ALAIN SCHMITT, 161

DIRECTEUR GÉNÉRAL ADJOINT, 161

ET MME DANIELLE DEGUEUSE, 161

CONSEILLÈRE JURIDIQUE APRÈS DU DIRECTEUR GÉNÉRAL 161

AUDITION DE MME CLAUDE NAHON, 163

DIRECTRICE DE L'ENVIRONNEMENT ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE D'ÉLECTRICITÉ DE FRANCE (EDF), 163

M. CLAUDE JEANDRON, 163

DIRECTEUR ADJOINT DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L'ENVIRONNEMENT D'EDF, 163

M. BERTRAND LE THIEC, 163

CHARGÉ DES RELATIONS D'EDF AVEC LE PARLEMENT 163

AUDITION DE M. FRANCIS CHATEAURAYNAUD, 165

MAÎTRE DE CONFÉRENCES EN SOCIOLOGIE À L'ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES 165

AUDITION DE M. GÉRARD DE LA MARTINIÈRE, 167

PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION FRANÇAISE DES SOCIÉTÉS D'ASSURANCE (FFSA), 167

M. CLAUDE DELPOUX, 167

DIRECTEUR DES ASSURANCES DE BIENS ET DE RESPONSABILITÉ À LA FFSA, 167

M. JEAN-PAUL LABORDE, 167

CHARGÉ DES RELATIONS DE LA FFSA AVEC LE PARLEMENT 167

AUDITION DE M. BERNARD ROUSSEAU, 171

PRÉSIDENT DE FRANCE NATURE ENVIRONNEMENT (FNE), MEMBRE DE LA COMMISSION COPPENS 171

AUDITION DE M. PASCAL FEREY, 173

PRÉSIDENT DE LA COMMISSION ENVIRONNEMENT DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES SYNDICATS D'EXPLOITANTS AGRICOLES (FNSEA) 173

ET DE MME NADINE NORMAND, 173

CHARGÉE DES RELATIONS AVEC LES ÉLUS 173

AUDITION DE M. ANDRÉ RÉMY, 176

DÉLÉGUÉ AUX AFFAIRES ÉCONOMIQUES ET STATISTIQUES DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES TRANSPORTS ROUTIERS (FNTR) 176

AUDITION DE MME MARIANNE LAIGNEAU, 178

DIRECTRICE ADJOINTE À LA DIRECTION DE L'INFORMATION ET DES AFFAIRES PUBLIQUES DE GAZ DE FRANCE (GDF), 178

ET MME CHANTAL PHILIPPET, 178

CHARGÉE DES RELATIONS DE GAZ DE FRANCE AVEC LE PARLEMENT 178

AUDITION DE M. PHILIPPE HUBERT, 181

DIRECTEUR DES RISQUES CHRONIQUES À L'INSTITUT NATIONAL DE L'ENVIRONNEMENT INDUSTRIEL ET DES RISQUES (INERIS) 181

AUDITION DE M. PIERRE STENGEL, 184

DIRECTEUR SCIENTIFIQUE « ÉCOSYSTÈMES CULTIVÉS ET NATURELS » DE L'INSTITUT NATIONAL DE LA RECHERCHE AGRONOMIQUE (INRA), 184

M. BERNARD HUBERT, 184

DIRECTEUR SCIENTIFIQUE ADJOINT, CHARGÉ DU DÉVELOPPEMENT DURABLE À L'INRA, 184

ET M. NICOLAS DURAND, 184

CHARGÉ DES RELATIONS DE L'INRA AVEC LE PARLEMENT 184

AUDITION DE M. CHRISTIAN BRÉCHOT, 186

DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'INSTITUT NATIONAL DE LA SANTÉ ET DE LA RECHECHE MÉDICALE (INSERM(, 186

M. VICTOT DEMARIA PESCE, 186

CHARGÉ DES RELATIONS INSTITUTIONNELLES DE L'INSERM 186

AUDITION DE M. MICHEL JOLY, 188

VICE-PRÉSIDENT DES JEUNES AGRICULTEURS, CHARGÉ DE L'ENVIRONNEMENT, 188

MME SANDRINE VIGUIÉ, 188

CONSEILLÈRE ENVIRONNEMENT AU SEIN DES JEUNES AGRICULTEURS, 188

ET MME MARIE-CÉCILE GAMEZ, 188

CHARGÉE DES RELATIONS DES JEUNES AGRICULTEURS AVEC LES POUVOIRS PUBLICS 188

AUDITION DE M. YVES JÉGOUZO, 191

PROFESSEUR DE DROIT À L'UNIVERSITÉ PARIS I PANTHÉON-SORBONNE, 191

PRÉSIDENT DU COMITÉ JURIDIQUE DE LA COMMISSION COPPENS, 191

CONSEILLER D'ETAT EN SERVICE EXTRAORDINAIRE 191

AUDITION DE M. JACQUES AUMONIER, 195

PRÉSIDENT DE LA SECTION HYGIÈNE POUR LES ENTREPRISES DU MÉDICAMENT (LEEM), 195

MME CLAIRE SIBENALER, 195

DIRECTEUR DES AFFAIRES SCIENTIFIQUES, PHARMACEUTIQUES ET MÉDICALES DU LEEM, 195

ET MME ALINE BESSIS-MARAIS, 195

RESPONSABLE DES AFFAIRES PUBLIQUES DU LEEM 195

AUDITION DE MME SOPHIE LIGER, 197

DIRECTEUR ADJOINT DE LA DIRECTION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES, FINANCIÈRES ET FISCALES DU MOUVEMENT DES ENTREPRISES DE FRANCE (MEDEF) 197

MME MATHILDE JACQUEAU, 197

RESPONSABLE JURIDIQUE ENVIRONNEMENT, 197

ET M. GUILLAUME RESSOT, 197

CHARGÉ DES RELATIONS AVEC LE PARLEMENT 197

AUDITION DE M. JACQUES PÉLISSARD, 200

DÉPUTÉ, MEMBRE DE LA COMMISSION COPPENS, 200

PREMIER VICE-PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION DES MAIRES DE FRANCE 200

AUDITION DE MME GENEVIÈVE PERRIN-GAILLARD, 202

DÉPUTÉE, MEMBRE DE LA COMMISSION COPPENS 202

AUDITION DE M. THIERRY CHAMBOLLE, 204

DIRECTEUR DÉLÉGUÉ « ENVIRONNEMENT ET TECHNOLOGIES » DE SUEZ 204

AUDITION DE M. JEAN-MICHEL GIRES, 206

DIRECTEUR « DÉVELOPPEMENT DURABLE ET ENVIRONNEMENT » DE TOTAL, 206

M. JACQUES DE NAUROIS, 206

DIRECTEUR DES RELATIONS INSTITUTIONNELLES DE TOTAL, 206

MME PASCALE KROMAREK, 206

JURISTE DÉLÉGUÉE AUPRÈS DE LA DIRECTION « DÉVELOPPEMENT DURABLE ET ENVIRONNEMENT » DE TOTAL, 206

M. CHRISTOPHE CEVASCO, 206

CHARGÉ DES RELATIONS DE TOTAL AVEC LE PARLEMENT ET LES ÉLUS 206

AUDITION DE M. MAURICE TUBIANA, 209

PRÉSIDENT HONORAIRE DE L'ACADÉMIE NATIONALE DE MÉDECINE, 209

PRÉSIDENT DE LA COMMISSION ENVIRONNEMENT DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES 209

AUDITION DE MME DENISE LESPINASSE, 212

PRÉSIDENTE DE LA COMMISSION DE L'ENVIRONNEMENT D'UFC-QUE CHOISIR, 212

MME LAURA DEGALLAIX, 212

CHARGÉE DE MISSION SUR L'ENVIRONNEMENT À UFC-QUE CHOISIR, 212

ET M. NICOLAS LARMAGNAC, 212

DIRECTEUR DU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT ET DE LA COMMUNICATION D'UFC-QUE CHOISIR 212

AUDITION DE M. DOMINIQUE PARET, 215

DIRECTEUR DES RELATIONS INSTITUTIONNELLES ET DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES DE L'UNION FRANÇAISE DES INDUSTRIES PÉTROLIÈRES (UFIP), 215

M. BRUNO AGEORGES, 215

DIRECTEUR DES AFFAIRES JURIDIQUES ET ÉCONOMIQUES DE L'UFIP, 215

M. JEAN-PIERRE LEGALLAND, 215

DIRECTEUR TECHNIQUE ENVIRONNEMENT ET RAFFINAGE DE L'UFIP 215

AUDITION DE M. JEAN PELIN, 218

DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'UNION DES INDUSTRIES CHIMIQUES (UIC) 218

ET DE M. JACQUES BOUDON, 218

DIRECTEUR TECHNIQUE DE L'UIC 218

AUDITION DE M. FRANCK GAMBELLI, 221

DIRECTEUR DE LA SÉCURITÉ, DES CONDITIONS DE TRAVAIL ET DE L'ENVIRONNEMENT AU SEIN DE L'UNION DES INDUSTRIES ET MÉTIERS DE LA MÉTALLURIGE (UIMM) 221

AUDITION DE M. JEAN-CHARLES BOCQUET, 224

DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'UNION DES INDUSTRIES DE LA PROTECTION DES PLANTES (UIPP) 224

AUDITION DE M. GILLES POIDEVIN, 226

DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL DE L'UNION DES INDUSTRIES DE LA FERTILISATION (UNIFA) 226

AUDITION DE M. JEAN-PIERRE TARDIEU, 227

DIRECTEUR DE L'INSTITUT VÉOLIA ENVIRONNEMENT, 227

M. GÉRARD JEANPIERRE, 227

DIRECTEUR JURIDIQUE DE VÉOLIA ENVIRONNEMENT, 227

MME MARIE-THÉRÈSE SUART, 227

DIRECTEUR DES RELATIONS INSTITUTIONNELLES DE VÉOLIA ENVIRONNEMENT 227

AUDITION DE M. CÉDRIC DU MONCEAU, 229

DIRECTEUR GÉNÉRAL DE WWF, 229

ET MME ROXANE ROGER-DENEUVILLE, 229

JURISTE AU SEIN DE WWF 229

MESDAMES, MESSIEURS,

Toute réflexion sur la place de l'homme dans son environnement doit tenir compte de la complexité des liens qui les unissent : de tout temps, les activités humaines ont façonné la nature ; de tout temps également, les conditions de la vie humaine ont été tributaires des milieux naturels. La place de l'homme dans la nature doit donc être envisagée sous l'angle d'une interaction dynamique et évolutive.

Or, le constat est aujourd'hui le suivant : notre développement économique, social et technique au cours du siècle précédent a incontestablement amélioré notre durée de vie et notre bien-être ; mais, dans le même temps, il a conduit à bouleverser certains équilibres naturels, notre environnement ayant dû s'adapter à la diffusion rapide et massive de nouveaux modes de production et de consommation. L'homme a ainsi acquis sur la nature un pouvoir jamais atteint auparavant, susceptible de mettre en cause non seulement les écosystèmes mais aussi le bien-être des générations futures sur le long terme.

Notre responsabilité vis-à-vis de ces générations ne peut évidemment se mesurer à la seule aune de la qualité de leur environnement futur ; leur bien-être dépendra certes de ce facteur, mais aussi de leur développement. On ne peut en effet se contenter de léguer à nos enfants un patrimoine naturel préservé ; encore faut-il qu'ils disposent des conditions nécessaires à leur développement, c'est-à-dire des conditions favorables aux initiatives économiques et à la recherche. La voie d'une hypothétique « croissance zéro » doit donc être écartée, au profit d'une démarche équilibrée, celle du développement durable, qui vise à concilier des exigences parfois contradictoires : respect de la qualité de l'environnement, développement économique et progrès social.

Aujourd'hui plus que jamais, cette voie est plébiscitée par nos concitoyens : la multiplication et l'ampleur des crises environnementales dues aux activités humaines ont donné lieu à une véritable prise de conscience et parfois à des inquiétudes. Le réchauffement climatique, la manipulation du vivant avec les organismes génétiquement modifiés, la pollution croissante et parfois irréparable de notre environnement sont autant de manifestations de notre capacité d'influer sur les conditions de notre vie, dans des proportions qui n'avaient jamais été atteintes jusque là. Dans le même temps, des phénomènes extrêmes (inondations, tempêtes) nous rappellent notre vulnérabilité et notre dépendance à l'égard de l'environnement. L'opinion s'en émeut et exige légitimement que notre mode de développement soit maîtrisé et assorti de « garde-fous ».

Cette attente prend évidemment des expressions diverses, mais on peut considérer qu'elle concerne l'environnement en tant que cadre de vie et non en tant que sujet de droit à part entière. Rares sont en effet les tenants d'une « écologie profonde » qui souhaiteraient reconnaître des droits subjectifs à la nature ; l'aspiration collective concerne l'homme « environné », immergé dans un milieu dont il perçoit la dégradation comme une atteinte à son bien-être. Cette aspiration se traduit par une sensibilité croissante des Français aux problématiques environnementales et leur volonté que l'homme soit responsabilisé dans son rapport à la nature, tout en garantissant le développement économique et l'innovation scientifique et technique.

Le Président de la République, M. Jacques Chirac, a su prendre la mesure des enjeux et de cette attente. Comme il l'a déclaré lors du sommet mondial sur le développement durable de Johannesburg de 2002, « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer et nous refusons de l'admettre. L'humanité souffre. Elle souffre de mal-développement, au nord comme au sud, et nous sommes indifférents. La terre et l'humanité sont en péril et nous en sommes tous responsables. Il est temps, je crois, d'ouvrir les yeux. Sur tous les continents, les signaux d'alerte s'allument. (...) Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas ! Prenons garde que le XXIème siècle ne devienne pas, pour les générations futures, celui d'un crime de l'humanité contre la vie. Notre responsabilité collective est engagée. Responsabilité première des pays développés. Première par l'histoire, première par la puissance, première par le niveau de leurs consommations. Si l'humanité entière se comportait comme les pays du nord, il faudrait deux planètes supplémentaires pour faire face à nos besoins. (...) Dix ans après Rio, nous n'avons pas de quoi être fiers. ».

Cette prise de conscience se traduit aujourd'hui dans l'action. Sur initiative du chef de l'Etat, qui avait émis cette proposition lors de son discours d'Avranches le 18 mars 2002, nous nous apprêtons à consacrer au plus haut niveau de notre hiérarchie des normes un droit de l'homme à l'environnement qui complètera nos droits fondamentaux aux côtés des droits civils et politiques ainsi que des droits économiques et sociaux. Ce nouveau droit sera complété par des devoirs visant à le garantir, selon une philosophie plaçant l'homme au centre de la nature tout en reconnaissant ses responsabilités vis-à-vis des générations futures.

La Charte de l'environnement constitue un texte fondateur et réaliste. Fondateur parce qu'il s'agit d'inscrire dans notre bloc de constitutionnalité de nouveaux droits et de nouvelles exigences, qui s'imposeront à toutes les juridictions et aux autorités publiques qui auront à garantir l'impératif écologique. Réaliste parce que cet impératif est concilié avec les deux autres piliers du développement durable, le développement économique et le progrès social, ce texte ayant été élaboré selon une démarche originale de démocratie participative destinée à prendre en compte des préoccupations parfois contradictoires pour en dégager l'intérêt collectif.

On doit en effet souligner le caractère inédit de la démarche qui a présidé à l'élaboration de la Charte de l'environnement : la Commission de préparation de la Charte de l'environnement, dite « commission Coppens » du nom de son président, instaurée le 26 juin 2002, a mené ses travaux jusqu'au 8 avril 2003. D'une composition réduite (18 membres), elle a permis de réunir des personnalités aux compétences et aux approches diversifiées, afin que soient représentés tous les acteurs concernés par les problématiques environnementales : des élus, des experts juridiques et scientifiques, des représentants des partenaires sociaux, des associations et des entreprises.

Dans le même temps, une consultation nationale de grande ampleur a été menée : un questionnaire consacré aux attentes et aux propositions en matière d'environnement adressé à plus de 55 000 acteurs régionaux, 14 assises territoriales regroupant plus de 8 000 participants de la société civile ont ainsi permis de prendre la mesure des aspirations environnementales de notre société et de la nécessaire conciliation de celles-ci avec les impératifs économiques et sociaux.

On sait que les conclusions de la commission Coppens n'ont pas donné lieu à un total consensus au sein de cette instance, puisque deux versions alternatives des principes de précaution, de prévention et du principe « pollueur-payeur » ont été proposées dans son rapport ; le point essentiel sur lequel elles différaient consistait en un renvoi à la loi, dans la variante n° 1, des conditions de mise en œuvre de ces principes qui n'étaient donc pas d'application immédiate.

Le choix opéré par les rédacteurs de la Charte a été équilibré et ambitieux, puisqu'il a consisté à privilégier une applicabilité directe pour le principe de précaution et à faire appel au législateur pour préciser les conditions d'application des principes de prévention et de répération.

Dès lors, le travail gouvernemental destiné à rédiger le projet de loi constitutionnelle a pu débuter ; le texte qui nous est soumis est ainsi, sur certains points, relativement différent de celui qui avait été proposé par la commission Coppens. Il reste néanmoins fidèle à son esprit et en préserve la philosophie, en constitutionnalisant l'environnement selon une logique d'écologie humaniste.

Il nous revient aujourd'hui d'examiner ce texte fondamental. La Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire s'en est logiquement saisie pour avis, les questions environnementales figurant dans son champ de compétences. Votre rapporteur pour avis, conscient de l'importance de la réforme proposée, a souhaité mener de nombreuses auditions permettant de recueillir les réactions de l'ensemble des acteurs concernés, sur le fond, par l'application des dispositions de la Charte de l'environnement : acteurs économiques, milieu de la recherche, associations de protection de la nature et de consommateurs, représentants des élus locaux.

Ces auditions ont permis de faire apparaître des interrogations, parfois des inquiétudes. Votre rapporteur pour avis s'est efforcé d'y répondre et, dans un souci de transparence, a souhaité faire figurer le compte-rendu de ces auditions en annexe de son rapport, afin de faire état des principales questions soulevées par la Charte de l'environnement.

A la lumière de ces auditions, il lui semble qu'il est aujourd'hui indispensable de faire œuvre de pédagogie et de répondre à des questions simples et récurrentes : pourquoi constitutionnaliser l'environnement ? Quel sera l'impact de la Charte et les inquiétudes manifestées sont-elles justifiées ?

I.- POURQUOI ADOSSER UNE CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT
À LA CONSTITUTION?

Il s'agit là de la première interrogation à laquelle une réponse claire doit être apportée. En effet, votre rapporteur pour avis a pu constater lors des auditions qu'il a menées que si les acteurs concernés font part, dans leur grande majorité, de leur adhésion à la démarche constitutionnelle, certains en contestent néanmoins la pertinence en faisant valoir que les grands principes généraux du droit de l'environnement figurent déjà au sein du code de l'environnement et que de nombreux textes internationaux et communautaires protègent l'environnement.

Deux arguments doivent être opposés à ces critiques. On constate tout d'abord que les principes généraux guidant nos politiques environnementales sont au mieux peu opérants, au pire d'un caractère si général qu'il revient aux juges d'en déterminer le contenu et la portée, ce qui n'est pas satisfaisant en termes de sécurité juridique, les jurisprudences pouvant en effet se révéler fluctuantes. Mais surtout, la Charte de l'environnement répond aux aspirations de nos concitoyens en consacrant, par un acte politique fondateur, un pacte républicain d'une nouvelle forme, le « pacte écologique ».1

A.- UN CONSTAT : LA NÉCESSITÉ DE RENFORCER L'EFFICACITÉ ET LA COHÉRENCE DES PRINCIPES GÉNÉRAUX DU DROIT DE L'ENVIRONNEMENT

1. La prise en compte de l'environnement dans le droit national : des principes généraux peu opérants qui traduisent une vision morcelée de l'environnement

C'est la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, dite loi « Barnier », qui a posé les grands principes du droit de l'environnement. Ceux-ci figurent désormais à l'article L. 110-1 du code de l'environnement, qui définit les principes de précaution, d'action préventive, du pollueur-payeur et de participation qui doivent « inspirer » les politiques environnementales, « dans le cadre des lois qui en définissent la portée ». Ces principes généraux ne sont pas d'application directe puisqu'il revient à des lois ultérieures d'en préciser les modalités d'application.

En outre, les domaines dans lesquels ces principes doivent guider les actions environnementales sont limitativement énumérés : ils doivent inspirer la protection, la mise en valeur, la restauration, la remise en état et la gestion des espaces, ressources et milieux naturels, des sites et paysages, de la qualité de l'air, des espèces animales et végétales, ainsi que de la diversité et des équilibres biologiques.

Comme l'a justement fait remarquer notre collègue M. Bernard Deflesselles dans son rapport sur la Charte de l'environnement et le droit européen, la formulation ainsi retenue ne vise pas l'environnement dans son ensemble ; elle traduit en effet une logique sectorielle qui ne tient pas compte de la globalité des problématiques liées à l'environnement, comme le démontre la législation environnementale : loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau, loi n° 92-646 du 13 juillet 1992 relative à l'élimination des déchets, loi n° 92-1444 du 31 décembre 1992 relative à la lutte contre le bruit, ou encore loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie.

Or, comme l'ont souligné de nombreuses personnalités auditionnées par votre rapporteur pour avis et notamment des représentants des milieux scientifiques et naturalistes, les questions environnementales sont forcément transversales car l'environnement est un système complexe, caractérisé par de nombreuses interrelations qui nécessitent une approche transversale. La Déclaration de Rio de Janeiro de 1992 a d'ailleurs formalisé cette nécessité en énonçant que « la terre constitue un tout marqué par l'interdépendance ». Si l'article L. 110-1 du code de l'environnement a le mérite de poser des principes fondateurs pour le droit de l'environnement, il n'en pêche donc pas moins par la vision morcelée de l'environnement qui le sous-tend.

Par ailleurs, l'article L. 110-2 du code de l'environnement dispose que « Les lois et règlements organisent le droit de chacun à un environnement sain et contribuent à assurer un équilibre harmonieux entre les zones urbaines et les zones rurales ». Là encore, l'affirmation d'un principe général (le droit à un environnement sain) est d'une portée toute relative, puisqu'il est, en tout état de cause, possible d'y déroger par une loi ultérieure, quand bien même cet article L. 110-2 est posé comme un article de principe. Il ne s'impose donc, en pratique, qu'aux actes réglementaires.

Les tous premiers articles de principe du code de l'environnement, s'ils ont une portée symbolique évidente et ont indéniablement constitué une véritable avancée lors de lors adoption, semblent donc aujourd'hui relativement incantatoires et juridiquement peu opérants car ils découlent d'une « loi-cadre » qui n'a pas donné lieu à toutes les déclinaisons législatives et réglementaires nécessaires - on peut ainsi penser au principe de précaution édicté par l'article L. 110-1, qui n'a été précisé par aucune loi ultérieure. Comme l'a en outre souligné le garde des Sceaux lors de son audition conjointe par la Commission des lois et la Commission des affaires économiques, il est nécessaire d'introduire davantage de cohérence dans cet « édifice juridique », qui malgré son caractère très général, ne permet pas d'appréhender l'environnement dans sa globalité ; or, quel support plus approprié que la norme constitutionnelle pour traduire cette volonté de « donner le la » ?

2. Les principes environnementaux établis au niveau international : un caractère très général, une jurisprudence peu encadrée

a) Au plan communautaire : des principes non définis et un renvoi à la jurisprudence

Notre réglementation environnementale découle en grande partie de directives et de règlements communautaires. Pour autant, les principes généraux guidant ces derniers sont loin d'être établis de manière précise. Ainsi, l'article 174 du Traité instituant les Communautés européennes se borne à énoncer que « La politique de la Communauté dans le domaine de l'environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de la Communauté. Elle est fondée sur les principes de précaution et d'action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement et sur le principe du pollueur-payeur ».

Le traité se limite donc à énumérer les principes devant guider la politique environnementale communautaire, sans pour autant les définir.

Comme le souligne par ailleurs M. Guy Braibant, « la protection de l'environnement est l'un « des parents pauvres » de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne »2. En effet, seul l'article 37 de cette Charte mentionne l'environnement en disposant qu'« un niveau élevé de protection de l'environnement et d'amélioration de sa qualité doivent être intégrés dans les politiques de l'Union et assurés conformément au principe du développement durable ».

C'est finalement la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui a donné au droit à l'environnement une véritable portée et un contenu, alors même que ce droit ne figure pas parmi les droits reconnus par la Convention européenne des droits de l'homme. Pourtant, la Cour a estimé pouvoir utiliser l'article 8 de la Convention, relatif à la vie privée et familiale, pour reconnaître le droit à la protection de l'environnement, jugeant que « des atteintes graves à l'environnement peuvent affecter le bien-être d'une personne et la priver de la jouissance de son domicile de manière à nuire à sa vie privée et familiale sans pour autant mettre en grave danger la personne de l'intéressé »3.

Enfin, certains principes devant guider les politiques environnementales de l'Union et notamment le principe de précaution ont fait l'objet d'une jurisprudence communautaire relativement importante alors même qu'ils sont dépourvus de définition ayant force normative. La Cour de justice des Communautés européennes a ainsi fait référence à ce principe dans de nombreux domaines comme la sécurité alimentaire ou la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine, alors même qu'il n'a pas vocation à s'appliquer au secteur de la santé puisqu'il figure dans le titre XIX du traité instituant les Communautés européennes, qui est relatif à l'environnement. Ce principe est désormais considéré comme un « principe général du droit communautaire », voyant donc son champ d'application étendu aux domaines autres que l'environnement, depuis la jurisprudence « Artegodan GmbH et autres » du 26 novembre 1992 du Tribunal de première instance.

b) Dans les traités et conventions internationaux

Comme l'a souligné le garde des Sceaux lors de son audition par la Commission des lois et la Commission des affaires économiques, on compte aujourd'hui plus de 300 traités multilatéraux qui traitent de l'environnement, soit dans leur intégralité, soit partiellement, mais toujours selon une approche sectorielle et extrêmement générale.

Aussi, si ces textes s'imposent en droit à notre législation, ils sont d'une rédaction trop vague pour permettre d'encadrer notre droit de l'environnement dont on a vu que ses principes généraux étaient déjà peu opérants.

On constate donc que la situation est relativement paradoxale : d'une part, le droit de l'environnement est caractérisé par un véritable foisonnement de principes généraux, tant sur un plan national qu'à l'échelon communautaire ou international ; pourtant, ceux-ci sont mal, voire pas définis, de portée incertaine et donc appliqués par les juges sans réel encadrement.

Nul ne peut contester que cette situation est insatisfaisante. A l'heure où nos concitoyens aspirent à une reconnaissance politique d'un droit à l'environnement, nous n'avons pas franchi l'étape permettant de concrétiser cette aspiration. A l'heure où les préoccupations environnementales suivent une irrésistible ascension, nous nous en remettons aux juges pour décider de la place qui doit être accordée à l'environnement dans les principes généraux de notre droit.

La Charte de l'environnement constitue certes une rupture, mais elle est salutaire. Elle redonne primauté au politique et nous responsabilise vis-à-vis des générations présentes et à venir. En consacrant de nouveaux droits et devoirs au niveau constitutionnel, elle répond aux évolutions de la société qui nécessitent une adaptation de notre pacte républicain.

B.- L'INNOVATION MAJEURE : DONNER UNE PORTÉE CONSTITUTIONNELLE À UN NOUVEAU PACTE ÉCOLOGIQUE

Le Conseil constitutionnel français a déjà pris en compte les préoccupations environnementales dans sa jurisprudence, en reconnaissant de manière indirecte l'intérêt général que présente la protection de l'environnement qui pourrait justifier des atteintes à des droits constitutionnellement garantis, comme le droit de propriété ou l'égalité devant les charges publiques. Il n'a cependant jamais dégagé de droit à l'environnement qui aurait valeur constitutionnelle. Ce pas a pourtant été franchi par de nombreux Etats qui ont souhaité inscrire l'environnement dans leur loi fondamentale. Ainsi que l'a souligné M. Dominique Perben, garde des Sceaux et ministre de la justice, lors de son audition par la Commission des lois et la Commission des affaires économiques, le choix de la constitutionnalisation d'un droit à un environnement protégé et préservé a d'ores et déjà été fait par onze Etats membres de l'Union européenne, sous des formes diverses.

L'inscription de l'environnement dans une norme de portée constitutionnelle correspond donc au courant dominant du droit européen et à cet égard, la critique selon laquelle on créerait une nouvelle « exception française » ne semble pas fondée. On conviendra néanmoins que l'on ne peut se contenter de tirer argument des Constitutions d'autres Etats pour justifier l'adossement de la Charte de l'environnement à notre Constitution. On doit aussi reconnaître que la Charte constitue, à n'en pas douter, une nouveauté sur le plan européen car la France sera le seul Etat à s'être ainsi doté d'un texte « spécialisé » dans l'environnement, les autres Etats ayant choisi de consacrer l'environnement dans le corps même de leur Constitution sans être particulièrement diserts.

La Charte de l'environnement constitue donc une innovation majeure, en plaçant les principes fondamentaux d'une écologie humaniste au cœur de notre pacte républicain. Il ne s'agit pas simplement d'une nouvelle norme juridique ; elle est avant tout un acte politique d'une grande portée symbolique car elle consacre une nouvelle valeur sociale.

Selon le professeur Michel Prieur, « Discuter de la question de savoir si l'environnement peut faire l'objet d'un droit de l'homme est un faux débat. Un anthropocentrisme étriqué est aujourd'hui d'un autre âge »4. Cette affirmation mériterait sans doute d'être discutée tant elle est péremptoire : parler d'un droit de l'homme s'agissant de l'environnement, c'est bien considérer qu'à travers ce dernier, c'est l'homme qu'il convient de protéger.

La Charte de l'environnement est directement inspirée de cette philosophie. Comme l'indique le professeur Laurent Fonbaustier5, « le préambule n'évoque [la nature] et plus généralement l'environnement que tournés vers l'homme, utiles à lui et ne prenant du sens qu'en relation avec lui » : on constate que le préambule de la Charte mentionne en effet explicitement l'homme ou l'humanité dans six « considérants » sur sept. L'environnement n'est donc pas une fin en soi, il est un vecteur et une condition du projet humain ; c'est en cela qu'il mérite d'être préservé.

De fait, la Charte consacre la conception d'un homme « environné », sans franchir le pas de la reconnaissance d'une nature ayant qualité de sujet de droit. Elle répond ainsi aux attentes de nos concitoyens, qui souhaitent désormais que le droit à un environnement protégé et préservé soit placé au même rang que les droits consacrés par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et le Préambule de la Constitution de 1946. Elle s'inscrit en outre dans la tradition universaliste française, en visant « l'homme », « l'humanité », les « sociétés humaines » ou encore les « générations futures » ainsi que les « autres peuples », conforme en cela aux autres textes édictant des droits fondamentaux et notamment la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen et le préambule de la Constitution de 1946.

La Charte de l'environnement constitue donc une nouvelle étape dans l'édifice constitutionnel, permettant de consacrer dans notre loi fondamentale le troisième pilier du développement durable qui a déjà été largement reconnu au plan international.

Le choix d'un « adossement » de la Charte de l'environnement à la Constitution prend ainsi tout son sens. On peut penser que si celui-ci donne lieu à certaines critiques, c'est sans doute moins sa pertinence que son impact qui suscite des interrogations.

II.- QUEL SERA L'IMPACT DE LA CHARTE ?

Votre rapporteur pour avis, après avoir auditionné un grand nombre de représentants de la société civile, est conscient de la perplexité, voire de l'inquiétude que certains d'entre eux ont pu manifester quant aux incidences qu'aura la Charte de l'environnement sur notre édifice juridique. Les interrogations sont multiples, mais toutes traduisent un même souci : garantir la sécurité juridique.

La Charte de l'environnement est un texte de valeur constitutionnelle. Comme tel, elle se doit d'être concise, en conjuguant une rédaction de caractère très général et des dispositions suffisamment précises pour être opérantes et éviter toute ambiguïté. Il s'agit d'un exercice délicat, dont votre rapporteur pour avis estimé qu'il a été mené avec succès. Pour autant, il comprend les craintes émises : une rédaction trop générale ne risque-t-elle pas de donner lieu à des jurisprudences divergentes et fluctuantes ? La possibilité d'invoquer les dispositions de la Charte devant toutes les juridictions n'emporte-t-elle pas un risque de contentieux accru ? Quel sera l'impact de la Charte sur les activités des acteurs économiques et des milieux scientifiques ?

La Charte de l'environnement constituera effectivement une profonde modification de notre droit ; certains vont jusqu'à craindre un bouleversement constant des « règles du jeu » au fil de jurisprudences erratiques qui conduiraient à paralyser toute initiative. Pour sa part, votre rapporteur pour avis ne partage pas cette analyse et considère au contraire que la Charte contribuera à clarifier certains concepts aujourd'hui utilisés de manière parfois maladroite ou abusive - ce point sera développé plus loin. Il lui semble néanmoins indispensable de répondre aux interrogations, qui toutes sont légitimes : il convient désormais de faire œuvre de pédagogie et ainsi bien établir la volonté du Constituant dans les travaux parlementaires.

A.- LA NÉCESSITÉ DE DISTINGUER LES DISPOSITIONS DE LA CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT SELON LEUR PORTÉE JURIDIQUE

Comme l'a déclaré sans équivoque le garde des Sceaux lors de son audition par la Commission des lois et la Commission des affaires économiques, si toutes les dispositions de la Charte - articles et considérants - ont valeur constitutionnelle, en revanche, à l'exception de l'article 5 qui consacre le principe de précaution, les autres articles ne sont pas directement invocables devant le juge et nécessitent l'intervention du législateur.

Il convient ainsi de distinguer, au sein des dispositions de la Charte, trois catégories : les considérants, les articles non directement invocables et l'article 5, de portée directe.

 Les considérants

Si les considérants ont évidemment portée constitutionnelle, ils ne sont pas d'application directe. Comme l'a indiqué avec justesse le professeur M. Bertrand Mathieu, les considérants qui précèdent le texte de la Charte en exposent en quelque sorte la philosophie. Dans l'esprit de votre rapporteur pour avis, ils doivent donc guider l'interprétation qui sera faite des articles de la Charte, mais ne pourront en aucune manière être directement invoqués par les justiciables.

 Les objectifs constitutionnels

Les articles 1er à 4 de la Charte, ainsi que ses articles 6 à 10 sont d'application indirecte. Cela est particulièrement évident pour les articles 3, 4 et 7, respectivement relatifs à la préservation de l'environnement, à la réparation et à la participation du public aux décisions ayant une incidence sur l'environnement : ceux-ci prévoient explicitement une intervention du législateur afin de déterminer les conditions de leur application.

Votre rapporteur pour avis a néanmoins observé que les autres articles de la Charte suscitaient des interrogations quant aux modalités de leur application. La réponse est claire : tous les articles de la Charte, à l'exception de l'article 5, sont d'application indirecte, y compris l'article 1er aux termes duquel « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé ». Ces articles sont à ranger dans la catégorie des objectifs à valeur constitutionnelle, catégorie apparue dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel avec la décision 82-141 DC et qui vise tant des démembrements de l'intérêt général auquel ils se rattachent (comme la sauvegarde de l'ordre public ou la continuité des services publics) que des droits constitutionnels en matière économique et sociale (comme le droit à la santé consacré par le Préambule de la Constitution de 1946).

Ces objectifs, qu'ils se rattachent à la prise en compte de considérations d'intérêt général ou aux droits sociaux dits « de créance » ne constituent pas des droits subjectifs : ils sont soit « des impératifs liés à la vie en société dont la prise en considération s'impose au législateur et qui justifient des limitations apportées à des droits et libertés classiques », soit « des objectifs dont la prise en compte s'impose à l'Etat et qui jouent en quelque sorte un rôle correcteur au regard des principes d'essence libérale. Il s'agit, pour l'essentiel, de principes directeurs qui doivent guider le législateur »6. Ils ne sont donc pas d'application directe.

S'agissant de l'article 1er de la Charte, il constitue, de toute évidence, un droit-créance, comme la jurisprudence du Conseil constitutionnel l'a établi pour les droits économiques et sociaux (citons ainsi le droit à la santé ou celui au travail). Il ne s'agit donc pas d'un droit subjectif dont la réalisation pourrait être obtenue directement d'un juge, indépendamment de toute norme législative ou réglementaire, comme la liberté d'aller et venir, la sûreté, la propriété ou la liberté de pensée. Comme l'indique le professeur Bertrand Mathieu, « En l'état actuel de la jurisprudence constitutionnelle, il n'a pas vocation à devenir un droit subjectif dont un individu pourrait exiger le respect vis-à-vis d'une personne physique ou morale, publique ou privée »7.

De même, l'article 2, qui énonce un devoir, ne peut être considéré comme étant d'application directe. En effet, si l'on établit un parallèle avec des dispositions existantes imposant un devoir, on constate que le cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, qui dispose que « chacun a le devoir de travailler », n'a jamais été considéré comme directement invocable. L'article 2 de la Charte constitue donc un objectif de valeur constitutionnelle, qui est le pendant de celui énoncé à l'article 1er de ce même texte. Il en est de même des articles 6, 8 et 9 qui énoncent eux aussi des devoirs, s'imposant respectivement aux politiques publiques, à l'éducation et à la formation, ainsi qu'à la recherche et à l'innovation.

Bien évidemment, l'article 10 de la Charte énonce lui aussi un objectif, en disposant que la Charte « inspire » l'action européenne et internationale de la France.

 Un principe constitutionnel, d'application directe

C'est finalement le seul article 5 de la Charte qui est d'application directe, en raison des termes « par application du principe de précaution », qui permettent d'établir sans équivoque que les dispositions de cet article énoncent un principe de valeur constitutionnelle et d'effet direct, sans renvoi à la loi.

Par voie de conséquence, cet article sera directement invocable par tout justiciable devant les juridictions judiciaire, civile et administrative.

B.- LA CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT S'IMPOSERA AU LÉGISLATEUR

Comme on l'a vu, la Charte énonce surtout des objectifs de valeur constitutionnelle. S'ils n'ont pas de portée directe comme le principe de précaution, ils ne sont pas pour autant dépourvus de toute effectivité ; notamment, ils permettraient au Conseil constitutionnel de censurer le législateur si celui-ci prenait des mesures allant à l'encontre de ces objectifs. Ainsi, les dispositions de la Charte de l'environnement donneront-elles lieu à un « effet cliquet », le législateur ne pouvant aller à l'encontre des objectifs énoncés ou les méconnaître (par exemple, en adoptant une loi qui porterait atteinte au droit de chacun à vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé).

En outre, comme l'a souligné Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable lors de son audition par la Commission des lois et la Commission des affaires économiques, la Charte confortera le rôle du législateur dans le domaine du droit de l'environnement qui relève aujourd'hui en grande partie du pouvoir réglementaire : certes, l'article 34 de la Constitution, qui détermine limitativement le domaine de la loi, n'est pas modifié par le projet de loi constitutionnelle, mais le renvoi au législateur pour déterminer les modalités d'application des principes de prévention, de réparation et de participation attribue à ce dernier une compétence dans des domaines bien particuliers du droit de l'environnement.

C.- LA NÉCESSAIRE CONCILIATION DES DISPOSITIONS DE LA CHARTE AVEC D'AUTRES EXIGENCES CONSTITUTIONNELLES

La Charte de l'environnement est perçue par certains comme créant un droit absolu à l'environnement. Tel n'est évidement pas le cas ; les incidences de la Charte ne peuvent être appréciées qu'en tenant compte de l'ensemble du bloc de constitutionnalité dans lequel elle s'insèrera.

Comme l'indique le professeur Yves Jégouzo, « l'affirmation de droits nouveaux liés à la protection de l'environnement ne fait pas disparaître les protections qui s'attachent au droit de propriété, à la liberté du commerce et de l'industrie, à l'égalité devant les charges publiques ou à la liberté de circuler. (...) Ce sera en définitive au Conseil constitutionnel qu'il appartiendra de procéder cette conciliation et de trouver un équilibre entre les différents droits et principes constitutionnel »8.

Cette nécessité de conciliation figure d'ailleurs à l'article 6 de la Charte, celui-ci allant même plus loin en disposant que les politiques publiques doivent concilier la protection et la mise en valeur de l'environnement avec le développement économique et social, qui ne figurait pas, jusqu'à aujourd'hui, parmi les objectifs de valeur constitutionnelle.

D.- DES INTERROGATIONS SUR LE RISQUE DE CONTENTIEUX

Votre rapporteur pour avis a pu constater, lors des auditions qu'il a menées, que les inquiétudes les plus vives portaient sur le risque d'un accroissement du volume de contentieux qui serait lié à l'entrée en application de la Charte de l'environnement.

Il serait démagogique de prétendre que la Charte de l'environnement ne pourra pas donner lieu à du contentieux. Comme toute nouvelle norme, elle suscitera des interrogations, des espérances et des craintes, qui se traduiront pour certaines par des recours.

On doit néanmoins souligner deux points importants. En premier lieu, seul l'article 5 de la Charte de l'environnement est de portée directe. Lui seul pourra donc être directement invoqué par les justiciables devant les juridictions. En second lieu, notre société est déjà marquée par une forte judiciarisation. La jurisprudence actuelle sur le principe de précaution n'a pas eu besoin de la Charte de l'environnement pour se développer. Dans certains domaines considérés comme sensibles par l'opinion publique, comme l'industrie nucléaire, les décisions publiques sont aujourd'hui systématiquement attaquées, comme l'a confirmé auprès de votre rapporteur pour avis M. Pierre-André Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. De même, les autorisations d'exploiter des installations classées pour l'environnement ou les décisions d'aménagement sont régulièrement contestées pour des motifs environnementaux.

On ne peut donc exclure que la Charte donnera lieu à des recours ; on ne peut pas, non plus, préjuger de la jurisprudence qui en découlera. Mais on doit relativiser l'ampleur du contentieux auquel la Charte donnera lieu au vu de la judiciarisation actuelle qui participe d'une mutation profonde de notre société.

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La Charte de l'environnement constitue un tournant dans notre histoire constitutionnelle : ce sera la première fois, sous la Vème République, que seront consacrés de nouveaux droits fondamentaux.

Ce texte ambitieux, qui répond aux aspirations de nos concitoyens, suscite des interrogations. Certains le jugent trop général et souhaiteraient y apporter des précisions qui relèvent davantage du niveau législatif que constitutionnel. D'autres estiment la Charte trop détaillée et souhaiteraient qu'elle se limite à une pétition de principe dont la portée normative serait largement amoindrie.

Comme toute norme de valeur constitutionnelle, la Charte s'attache à définir un équilibre délicat qui doit emporter le consensus, en respectant les contraintes inhérentes à l'exercice constitutionnel. Votre rapporteur pour avis estime que la rédaction retenue satisfait à ces exigences. Il revient désormais au Parlement d'expliciter, le plus clairement possible, la volonté du Constituant, celle-ci devant guider l'interprétation de la Charte par les juges.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.- AUDITION DE M. DOMINIQUE PERBEN, GARDE DES SCEAUX ET MINISTRE DE LA JUSTICE

Lors de leur réunion conjointe du 2 mars 2004, la Commission des Lois et la Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire ont entendu M. Dominique Perben, garde des Sceaux et ministre de la Justice, sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement (n° 992).

M. Dominique Perben, garde des Sceaux, ministre de la Justice, a rappelé que cette réforme constitutionnelle répondait à un souhait du Président de la République qui, dans ses discours du 3 mai 2001 à Orléans et du 18 mars 2002 à Avranches, avait émis le vœu de voir le droit à un environnement protégé et préservé reconnu à l'égal des droits de l'homme et des droits économiques et sociaux. Il a expliqué que ce vœu répondait au constat selon lequel des menaces globales pesaient sur notre environnement, comme en témoignaient diverses grandes catastrophes écologiques. Il a indiqué que ce choix de la constitutionnalisation avait d'ores et déjà été fait par onze États membres de l'Union européenne et qu'il s'inscrivait dans la continuité des droits civils et politiques de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et des principes économiques et sociaux du préambule de la Constitution de 1946. Il a fait valoir que, ce faisant, la France se doterait d'un levier pour promouvoir une écologie humaniste.

Revenant sur les motifs d'une constitutionnalisation de l'environnement, le garde des Sceaux a expliqué que, même si de nombreux textes français ou internationaux protégeaient l'environnement, leur rédaction était souvent trop générale, en sorte qu'il était utile de préciser et d'encadrer les principales dispositions du droit de l'environnement : il s'agit, au niveau international, de plus de 300 traités multilatéraux qui, soit dans leur intégralité, soit partiellement, traitent de ce sujet, les principaux d'entre eux étant la convention de Rio sur la diversité biologique et la convention cadre sur les changements climatiques de 1992 ; ces traités n'appréhendent généralement l'environnement que de manière sectorielle et plusieurs déclarations internationales sont dépourvues de portée contraignante. S'agissant de l'Europe, il a rappelé que c'est l'Acte Unique de 1986 qui, consacrant officiellement l'environnement comme une véritable politique communautaire et en dégageant des principes substantiels, tels que ceux d'action préventive, du pollueur-payeur ou d'intégration, a marqué un tournant, avant que le traité de Maastricht de 1992 vienne compléter ces dispositions en inscrivant explicitement le principe de précaution - sans toutefois le définir - comme principe fondateur de la politique communautaire dans le domaine de l'environnement, tandis que le développement durable est devenu un objectif de l'Union européenne en 1999 avec le traité d'Amsterdam.

Le ministre a précisé qu'en droit français, les principes majeurs du droit de l'environnement avaient été formulés par la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, dite « loi Barnier », et figuraient aux articles L. 110-1 et L. 110-2 du code de l'environnement. Il a fait valoir que le projet de Charte constitutionnelle permettrait d'introduire davantage de cohérence dans cet édifice juridique et dans les politiques mises en œuvre sur ce fondement, tout en garantissant la pérennité des principes qu'il comportait. Il a précisé toutefois que, s'il définissait de nouveaux droits fondamentaux, le texte constitutionnel proposé ne créait pas un droit absolu à l'environnement, mais devrait être concilié avec les droits reconnus par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et les principes économiques et sociaux du préambule de la Constitution de 1946.

Explicitant en quoi la réforme proposée permettrait d'imposer des rédactions plus précises du droit de l'environnement, le ministre de la Justice a cité l'exemple du principe de précaution, qui figurait sans définition dans le traité sur l'Union européenne et a été utilisé sans encadrement par les juges. De même, il a fait valoir que la rédaction de la « loi Barnier » était trop imprécise à cet égard, au contraire de ce que sera l'article 5 de la Charte. Il a ajouté que cette constitutionnalisation du droit de l'environnement serait aussi, pour la France, un instrument qui renforcerait sa position dans les négociations avec ses partenaires européens et mis l'accent sur la conciliation qui pourrait en être faite avec le principe d'égalité, afin de développer des législations favorables à l'environnement. A cet égard, il a rappelé que, dans sa décision du 28 décembre 2000 relative à la taxe générale sur les activités polluantes, le Conseil Constitutionnel avait refusé l'adoption de dispositions fiscales favorables à l'environnement au nom du principe d'égalité.

Rappelant ensuite la méthode d'élaboration de la Charte, le garde des Sceaux a expliqué que ce texte avait fait l'objet d'une procédure d'élaboration démocratique, la société civile ayant été largement associée à sa préparation : ainsi, une commission de dix-huit membres présidée par M. Yves Coppens a été chargée de proposer un texte qui puisse servir de base au travail gouvernemental et parlementaire ; par ailleurs, les contributions recueillies à l'occasion du questionnaire adressé à plus de 55 000 acteurs régionaux et des quatorze assises territoriales ont permis de prendre en compte les avis de la société civile et d'alimenter les réflexions de la commission ; c'est sur la base du texte remis par celle-ci au Président de la République que les services de la Chancellerie ont préparé le projet de Charte constitutionnelle, en liaison avec le ministère de l'Écologie et du développement durable. Le ministre a rappelé que ce projet se composait de deux articles, le premier complétant le premier alinéa du préambule de la Constitution et le second ajoutant une Charte de l'environnement au « bloc de constitutionnalité ».

Présentant les principes généraux de la réforme proposée, M. Dominique Perben a indiqué que le Gouvernement avait souhaité établir un équilibre entre les différentes notions en cause et opté en faveur d'une « écologie humaniste », compatible avec les autres intérêts fondamentaux de la Nation - l'indépendance de la Nation, sa sécurité ou sa défense, notamment - et avec le développement durable. Il a rappelé, à cet égard, que, le droit à l'environnement n'étant pas un droit absolu, une conciliation devait être opérée entre ces différents principes : par exemple, le droit à l'information prévu à l'article 7 de la Charte ne saurait concerner les informations protégées par le secret de la défense nationale. Il a ajouté que la proclamation conjointe de droits et de devoirs était une option fondatrice de la Charte, affirmée dès l'origine par le Président de la République : il s'agit respectivement des droits à l'environnement, d'accès aux informations et de participation à l'élaboration des décisions, et des devoirs qui s'imposent pour partie aux individus et aux personnes morales publiques ou privées et, pour partie, aux seules autorités publiques, comme c'est le cas pour le principe de précaution.

Le ministre de la Justice a fait valoir que le projet de Charte constitutionnelle faisait coexister des dispositions de portée normative différente : si toutes les dispositions de la Charte - articles et considérants - ont valeur constitutionnelle, en revanche, à l'exception de l'article 5 qui consacre le principe de précaution, les autres articles ne sont pas directement invocables devant le juge et nécessitent l'intervention du législateur, dans la mesure où il s'agit de droits-créances qui exigent une action positive de l'État pour être effectifs ; toutefois, la jurisprudence constitutionnelle permettrait au Conseil constitutionnel d'exercer son contrôle en se fondant sur des lois déjà en vigueur et d'exiger que les garanties offertes par celles-ci ne puissent être remises en cause.

M. Dominique Perben s'est ensuite attaché à préciser le contenu et la portée de l'article 5 consacrant le principe de précaution, dont il a précisé qu'il n'était pas besoin de renvoyer à l'intervention du législateur pour le rendre effectif. Il a souligné que son champ d'application était limité au risque environnemental, alors que la jurisprudence du Conseil d'État avait déjà étendu l'application de ce principe à la santé publique, tout en précisant que, contrairement à ce que prévoyait la convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, il supposait que soient réunies les deux conditions de dommage grave et irréversible à l'environnement. Il a fait valoir que la gestion du risque consistait en l'adoption de mesures provisoires et proportionnées relevant des autorités publiques, dans le seul champ de leurs compétences, si bien que le principe de précaution ne pourra être utilement invoqué à l'encontre de collectivités locales à raison de décisions qui relèvent de l'État, par exemple des autorisations de culture d'organismes génétiquement modifiés (ogm).

Rappelant que le risque était depuis longtemps encadré par la norme juridique selon deux modalités, préventive - police administrative - et réparatrice - principes de la responsabilité civile et administrative -, il a expliqué que le principe de précaution introduisait une nouvelle modalité dans la gestion du risque et trouvait à ce titre sa place entre ces deux modalités traditionnelles. Il a insisté sur le fait que le principe de précaution était un principe d'action, et non d'abstention, l'objectif du risque zéro conduisant à une logique d'inaction. À cet égard, il a cité un exemple jurisprudentiel significatif : le tribunal correctionnel de Montpellier a jugé, le 15 mars 2001, que la destruction des serres du cirad privait le consommateur des garanties que leur donnait la recherche publique, ce qui tend bien à montrer que ce principe ne saurait avoir pour effet de paralyser l'activité économique ou la recherche scientifique.

M. Dominique Perben s'est enfin attaché à relativiser les inquiétudes suscitées par ce texte et qui lui paraissent liées au malentendu relatif à la portée du principe de précaution, que la réforme constitutionnelle viendrait justement lever : en premier lieu, si la consécration d'un principe constitutionnel peut susciter des recours, il ne suffira pas pour autant de brandir le principe de précaution pour obtenir satisfaction ; en second lieu, il ne pourra y avoir d'incrimination pénale sur le fondement de l'article 5 de la Charte, la loi pénale étant d'interprétation stricte, et la Charte ne remet pas en cause le régime de responsabilité pénale des élus issu de la loi du 10 juillet 2000, dite « loi Fauchon », la violation du principe de précaution ne pouvant être considérée par les juridictions pénales comme « un manquement à l'obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement », éléments constitutifs des délits non intentionnels visés par le troisième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, puisqu'une disposition de la Constitution ne peut être assimilée à une loi au sens de cet article.

Le président Pascal Clément, ayant constaté que les interrogations se concentraient sur l'article 5 du projet de Charte, a d'abord demandé au ministre d'illustrer par des exemples concrets les types de dommages auxquels le principe de précaution avait pour objet de répondre. Puis il l'a interrogé sur la définition des autorités publiques concernées et sur la répartition des compétences en la matière entre les différents échelons d'autorités publiques.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteur de la commission des Lois, a souligné que les auditions qu'elle avait conduites montraient que le projet de Charte de l'environnement rencontrait une attente forte et rejoignait diverses initiatives parlementaires prises depuis une trentaine d'années. Elle a demandé au ministre les raisons du sort particulier réservé au principe de précaution, seul à se voir reconnaître valeur de principe constitutionnel, les autres étant conçus comme des objectifs assignés au législateur. Elle lui a demandé son appréciation sur la crainte, exprimée par certains de ses collègues, d'un dessaisissement du législateur au profit du juge, en particulier du juge constitutionnel, et d'un accroissement du contentieux porté devant les juges ordinaires sur le fondement du principe de précaution. Elle a rappelé que celui-ci, aux termes de l'article 5 de la Charte, avait pour objet de répondre à l'éventualité d'un dommage grave et irréversible à l'environnement, et non à la santé publique ; mais elle s'est demandé, dans la mesure où l'article premier de la Charte consacre le droit à un environnement équilibré et favorable à la santé, s'il ne fallait pas s'attendre à ce que la jurisprudence fasse une lecture combinée de ces deux articles, ayant pour effet d'intégrer la santé publique dans le champ du principe de précaution.

Soulignant enfin que le principe de précaution était conçu comme un principe d'action et non pas d'abstention, elle a fait part de la crainte exprimée par certaines organisations représentatives des collectivités locales que l'article 5 ne décourage l'action des élus locaux en étendant les risques de mise en cause de leur responsabilité. Elle lui a demandé s'il fallait considérer que l'article 5 serait le fondement d'un nouveau régime de responsabilité, sur le plan pénal, civil et administratif.

M. Martial Saddier, rapporteur pour avis de la commission des Affaires économiques, a confirmé l'unanimité du constat des acteurs économiques sur la nécessité d'un texte consacrant le développement durable et indiqué que les auditions effectuées montraient que la démarche ambitieuse consistant à inscrire les principes de l'écologie humaniste au plus haut niveau de la hiérarchie des normes était comprise et acceptée. Il a estimé que l'adossement des grands principes du droit de l'environnement à la Constitution prolongeait une prise de conscience qui s'est traduite par l'adoption de l'agenda 21 au sommet de Rio en 1992, par l'article 174 du tce issu du traité d'Amsterdam, ainsi que par les dispositions de la « loi Barnier » insérées dans le code de l'environnement.

Ayant estimé que les inquiétudes des acteurs économiques étaient souvent liées à une confusion entre principes de précaution et de prévention, il a demandé au ministre de préciser à l'aide d'exemples concrets la distinction entre ces notions. Il lui a fait part de l'inquiétude exprimée au sein de la communauté scientifique, selon laquelle l'article 9 de la Charte s'opposerait aux programmes de recherche ayant une finalité autre que la préservation ou la mise en valeur de l'environnement. Plus généralement, il lui a demandé s'il fallait s'attendre à ce que les principes posés par les articles 5 et 9 de la Charte freinent la diffusion et l'application de découvertes scientifiques et technologiques, au détriment de la compétitivité de la France. Il lui a enfin demandé son sentiment sur la manière dont les élus locaux pourraient apprécier les critères de mise en œuvre du principe de précaution, prendre les mesures requises et veiller à leur évaluation.

En réponse à ces questions, le garde des Sceaux a apporté les éléments d'information suivants.

-  En matière de précaution, la démarche est définie en fonction de l'incertitude d'un dommage grave et irréversible, à la différence d'une démarche de prévention, destinée à répondre à des risques connus et certains. Les ogm, ainsi que les mesures récentes prises à l'encontre d'insecticides, s'inscrivent dans le cadre du principe de précaution ; en revanche, les risques naturels ou technologiques classiques relèvent de la prévention. Le cas particulier du nucléaire paraît appeler une réaction plus complexe, associant mesures de prévention et de précaution.

-  À la notion constitutionnelle de pouvoirs publics, qui renvoie aux autorités de l'État, a été préférée la notion plus large d'autorités publiques, afin d'associer clairement les collectivités locales à la mise en œuvre du principe de précaution. L'exercice des pouvoirs de police générale des maires, fondé sur les notions de sécurité, de tranquillité et de salubrité publiques, renvoie au principe de prévention ; c'est en revanche dans le cadre de l'exercice de leurs compétences particulières que les maires pourraient être appelés à intervenir sur le fondement du principe de précaution, par exemple en matière d'urbanisme. En tout état de cause, les élus locaux ne seront tenus d'agir que dans les limites de leurs compétences.

-  Nombre d'inquiétudes exprimées à l'égard du texte paraissent inspirées par ses rédactions antérieures ; le projet du Gouvernement, élaboré au terme d'un travail long et approfondi, doit apporter une clarification indispensable pour fixer des principes juridiques solides dans le domaine de l'environnement, en réponse à une situation de confusion née en particulier de la multitude de textes internationaux, notamment européens. Seule une révision constitutionnelle pouvait assurer une telle clarification.

-  Le risque de contentieux correspond à une tendance profonde de nos concitoyens. Or le nouveau texte, à rebours de certaines craintes, est de nature à apaiser leurs inquiétudes, en mettant en place les instruments juridiques aptes à répondre aux évolutions scientifiques et techniques à venir.

-  Il n'y a pas lieu de craindre un dessaisissement du législateur : la Charte lui confie au contraire de nouveaux domaines d'initiative, en posant plusieurs objectifs de valeur constitutionnelle qui seront mis en œuvre par la loi. Il incombera au Conseil constitutionnel de concilier, selon une méthode éprouvée, les nouvelles normes avec les autres règles et principes de valeur constitutionnelle, en particulier le principe d'égalité.

-  Il est hautement improbable que le Conseil constitutionnel adopte une lecture combinée des articles 1er et 5 de la Charte pour insérer la problématique de la santé dans le domaine du principe de précaution, puisque la Charte dissocie clairement santé et environnement, et que les travaux préparatoires permettront d'éclairer le juge sur l'intention du législateur à cet égard. L'article 5 n'est destiné qu'à répondre à un risque de dommage grave et irréversible qui pourrait être causé à l'environnement.

-  L'article 9 de La Charte, loin de limiter le champ de la recherche scientifique et de l'innovation, devrait au contraire les stimuler en leur ouvrant des domaines nouveaux, par exemple en matière d'analyse de risques.

-  La Charte n'instaure pas un nouveau régime de responsabilité pénale car, en vertu du principe de la légalité des peines, une incrimination pénale ne saurait être directement fondée sur une disposition de la Constitution. Sur ce point, M. Xavier de Roux a estimé au contraire que les dispositions de l'article 5 de la Charte pourraient être de nature à renouveler le contenu même des incriminations pénales et faire évoluer la mise en œuvre par la jurisprudence des dispositions de l'article 121-3 du code pénal relatives à l'imprudence et aux manquements à une obligation de prudence ou de sécurité. Le ministre a contesté ce propos, en indiquant que l'obligation particulière de prudence ou de sécurité mentionnée à cet article devait être prévue par la loi ou le règlement, mais ne pouvait l'être par la Constitution, car la loi pénale est d'interprétation stricte. Il a réaffirmé que le texte de la Charte était dépourvu d'effets sur les textes régissant la responsabilité pénale des élus. Il a en revanche convenu de ce que l'article 5 de la Charte étendait le champ de la responsabilité en matière civile et administrative, dans le prolongement des régimes existants.

Tout en approuvant la volonté du Gouvernement de conférer une valeur constitutionnelle à la Charte de l'environnement, M. Léonce Deprez a néanmoins fait part de ses inquiétudes quant au risque de développement non maîtrisé de contentieux, favorisant l'apparition d'un véritable gouvernement des juges, en raison des nombreuses interprétations offertes par un principe de précaution insuffisamment défini, alors que la créativité, essentielle au développement, a besoin de sécurité juridique.

Après avoir évoqué les engagements solennels du Président de la République en faveur de la protection de l'environnement proclamés à l'occasion du sommet de Johannesburg, Mme Geneviève Perrin-Gaillard a regretté que ceux-ci ne soient pas mis en œuvre par le Gouvernement, qui a au contraire pris plusieurs décisions récentes en contradiction complète avec ces engagements, à l'instar de la réduction des crédits budgétaires alloués à la recherche, du rejet des amendements socialistes dans le domaine de l'énergie ou de la pseudo-interdiction d'utilisation de certains insecticides. Craignant que l'adoption de la Charte de l'environnement ne soit, dans ces conditions, qu'une manœuvre d'affichage politique, elle a toutefois indiqué qu'aucune formation politique ne contestait la volonté de conférer une valeur constitutionnelle à cette Charte sous réserve, toutefois, que celle-ci énonce clairement la nécessité de protéger l'écosystème, qu'elle introduise sans ambiguïté le principe du pollueur-payeur et qu'elle propose un texte ambitieux en faveur du développement durable. Évoquant le dispositif proposé par le projet de loi constitutionnelle, elle a déploré que l'application des principes énoncés soit, à l'exception notable du principe de précaution, subordonnée à l'existence d'une loi, ce qui risquait de priver la Charte de ses effets. Abordant les dispositions de l'article 5 de la Charte, relatives au principe de précaution, elle a souhaité connaître les raisons qui ont conduit le Gouvernement à conditionner son application à l'existence d'un risque grave et irréversible pour l'environnement, ce qui est, à ses yeux, particulièrement restrictif. Ayant rappelé qu'elle était membre de la commission présidée par le professeur Yves Coppens, elle a demandé au ministre pourquoi le Gouvernement n'avait pas retenu le texte proposé par cette commission, qu'elle a jugé plus équilibré.

M. Yves Cochet a observé que la rédaction de l'article 4 de la Charte, relatif au principe du pollueur-payeur, constituait une régression juridique au regard des dispositions introduites en 1995 par la « loi Barnier », puisque la Charte se contente de prévoir que la personne ayant causé un dommage à l'environnement doit « contribuer » à sa réparation, ce qui signifie donc qu'elle n'est plus considérée comme « responsable » de ce dommage comme le prévoit le droit en vigueur. Évoquant ensuite les dispositions de la Charte relatives au principe de précaution, il a, à son tour, regretté que le texte proposé subordonne son application à l'existence d'un risque grave et irréversible pour l'environnement, tout en soulignant que cette rédaction, particulièrement restrictive, était de ce fait contraire aux stipulations de la charte de Rio de 1992. Après avoir évoqué les modalités d'évaluation des risques par les assureurs, notamment le recours à une échelle de risque, comme en matière sismique ou dans le domaine nucléaire, il a insisté sur l'inexistence d'une telle échelle pour les ogm, le risque maximum lui paraissant atteindre un niveau indicible et indescriptible, ce qui conduit à les soumettre au principe de précaution. Ayant rappelé que le protocole de Carthagène de septembre 2003 accordait aux États la possibilité de refuser l'importation des OGM sur leur territoire dès lors qu'il existait un doute sérieux sur les conséquences provoquées par leur culture, il a souhaité savoir si le Gouvernement entendait faire usage de cette faculté pour s'opposer à l'importation des ogm.

Après avoir considéré que le principe de précaution, tel que rédigé à l'article 5 de la Charte, constituait une avancée substantielle en matière de protection de l'environnement, M. Christian Decocq a insisté sur son articulation avec les dispositions de l'article premier, selon lequel chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé : pour lui, le rapprochement de ces deux dispositions signifie que la préservation de l'environnement n'est pas recherchée pour elle-même - selon une forme d'écologie « radicale », mais constitue une condition nécessaire à la santé, ce qui témoigne d'une conception humaniste de l'écologie, selon laquelle l'environnement est au service de l'homme.

M. François Dosé a interrogé le ministre sur les contentieux auxquels s'exposerait un maire qui s'abstiendrait de prendre des mesures répondant à la demande d'un agriculteur opposé aux ogm. Élu d'une circonscription dans laquelle se trouve un centre de recherche susceptible d'être transformé en centre d'enfouissement de déchets nucléaires, il a souhaité savoir comment le principe de précaution, tel qu'il est déterminé par l'article 5 de la Charte, s'appliquerait à des collectivités locales simplement chargées de donner un avis préalablement à la prise d'une décision publique.

M. Antoine Herth a demandé si la France aurait pu mettre en œuvre le programme électro-nucléaire civil lancé il y a trente ans si, à l'époque, le principe de précaution avait existé. Il s'est inquiété des conséquences paralysantes d'une interprétation excessive de l'article 5 de la Charte, que l'opinion publique pourrait imposer aux autorités publiques. De même a-t-il souhaité savoir comment la protection et la mise en valeur de l'environnement pourraient être conciliées avec l'exigence de développement économique et social pour promouvoir le développement durable, élevé par l'article 6 de la Charte au rang d'objectif constitutionnel. Enfin, il s'est interrogé sur les formes que pourrait revêtir la démocratie participative prévue à l'article 7 et sur les risques de voir ces procédures freiner la prise de décisions ayant une incidence sur l'environnement.

Citant notamment les exemples de la procédure d'autorisation de mise sur le marché des médicaments (AMM) ou de l'exigence d'études d'impact préalablement à la prise de certaines décisions, M. Daniel Garrigue a rappelé que le principe de précaution ne constituait pas une innovation totale en droit français. Il a cependant souligné, d'une part, les inquiétudes que l'article 5 de la Charte lui paraissaient de nature à soulever, notamment au regard de ses conséquences potentielles en termes de judiciarisation de la vie économique et, d'autre part, certaines ambiguïtés de la rédaction proposée : en particulier, les « dommages » mentionnés par l'article 5 incluent-ils ceux causés par des catastrophes naturelles, ou se limitent-ils à ceux du fait de l'homme ? De manière plus générale, il a fait valoir que la conception de la défense de l'environnement sous-tendant la rédaction du projet lui semblait quelque peu réductrice, notamment dans la mesure ou elle devrait être mieux conciliée avec le principe de préservation de la santé humaine.

Il s'est ensuite interrogé sur la cohérence de la démarche proposée, au regard de celle mise en oeuvre à l'échelle communautaire. Rappelant que les traités européens mentionnaient le principe de précaution et que la Commission européenne en avait développé en février 2000 une acception réaliste en conférant aux autorités publiques la responsabilité de déterminer le niveau acceptable du risque environnemental, conception sur laquelle se fondent la jurisprudence du Tribunal de première instance et celle de la Cour européenne, il a souhaité savoir pour quelle raison une telle orientation n'avait pas été retenue par le Gouvernement. Il a regretté dès lors, que, le projet de Charte impose directement des contraintes aux agents économiques, notamment industriels, au risque de les placer dans une situation juridique défavorable par rapport à celle de leurs concurrents européens et de peser sur leur compétitivité.

Rejoignant les propos de M. Yves Cochet sur l'article 5 de la Charte, et évoquant l'incertitude liée aux atteintes susceptibles d'être causées à l'environnement, M. Michel Piron a souhaité savoir qui avait la responsabilité de juger du caractère proportionné des mesures qui seraient prises face à un risque dont on ignore tout. S'agissant de l'article 9 de la Charte, il a indiqué que la « mise en valeur » de l'environnement, à laquelle la recherche et l'innovation doivent contribuer, lui semblait inclure la notion de « préservation » de l'environnement, pourtant mentionnée de manière distincte, sauf à faire prévaloir une sorte de « sacralisation des données existantes ». Il a donc estimé qu'un humanisme soucieux d'écologie était préférable aux excès potentiels d'une certaine  « écologie humaniste ».

En réponse aux intervenants, le ministre a apporté les précisions suivantes.

-  L'insécurité juridique constitue effectivement un frein à l'action des acteurs économiques ; la Charte de l'environnement devrait la réduire et non l'accroître, en conduisant le législateur à intervenir, ce qui permettra d'encadrer la jurisprudence et de dissiper des incertitudes. Le caractère approfondi et technique de la discussion engagée aujourd'hui montre que ce texte ne relève pas de l'affichage ; sa formulation générale et abstraite se justifie par le fait qu'il s'agit d'un texte constitutionnel destiné à faire ensuite l'objet d'applications législatives.

-  La logique du projet de loi est de protéger l'environnement en tant qu'il est celui de l'homme et qu'il conditionne son avenir ; les considérants explicitent d'ailleurs la notion d'écologie humaniste. Compte tenu de la sensibilité de l'opinion publique à ces questions, il y aura lieu de faire preuve d'anticipation pour résoudre les difficultés à venir ; la Charte permettra l'obtention d'une réparation en cas de dommages causés à la nature, sans qu'il soit nécessaire que ces dommages concernent également l'homme.

-  L'article 4 de la Charte ne constitutionnalise pas le principe du « pollueur-payeur », ce qui serait contestable, mais reconnaît un principe de responsabilité plus large et plus exigeant. Sur ce point, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteur, a confirmé qu'il ressortait des auditions que cette disposition permettrait d'obtenir une réparation de dommages qui ne sont pas indemnisables actuellement, tels que le mazoutage de la faune et de la flore.

-  La rédaction retenue pour l'article 5 de la Charte reprend la rédaction de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, qui fait mention des dommages graves et irréversibles.

-  La mise en œuvre du principe de précaution relève de la responsabilité de l'Etat et non de celles des maires ou des conseils généraux qui, lorsqu'ils rendent un avis en matière d'établissements classés, n'engagent pas pour autant leur responsabilité sur la décision finale. Loin de déposséder les autorités publiques de leurs compétences, l'article 5 indique que c'est à elles qu'il revient de veiller au principe de précaution, de procéder à l'évaluation et de prendre des mesures provisoires, sous le contrôle du juge administratif, lequel est familiarisé avec la complexité des situations auxquelles doivent répondre les décisions des autorités publiques.

-  Le caractère immédiatement applicable de l'article 5 de la Charte se justifie par la difficulté d'appréhender à l'avance dans une loi d'application générale tous les champs susceptibles d'être concernés ; en revanche, rien n'interdit l'adoption de lois mettant en œuvre ponctuellement le principe de précaution, par exemple en matière d'OGM. Quoiqu'il soit hasardeux de réécrire l'histoire, si l'article 5 de la Charte avait existé lors du lancement du programme nucléaire français, il n'aurait sans doute pas empêché sa réalisation.

II.- AUDITION DE MME ROSELYNE BACHELOT, MINISTRE DE L'ÉCOLOGIE ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

Lors de leur réunion conjointe du 4 mars 2004, la Commission des Lois et la Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire ont entendu Mme Roselyne Bachelot, ministre de l'écologie et du développement durable, sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement (n° 992).

Le président Pascal Clément, après avoir rappelé que la Commission des lois avait procédé à la fin de l'année 2003 à deux catégories d'auditions - celle de constitutionnalistes, puis celle de membres de la commission Coppens - a indiqué que Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteur au fond au nom de la Commission des lois, avait effectué une cinquantaine d'auditions et que M. Martial Saddier, rapporteur pour avis au nom de la Commission des affaires économiques avait lui aussi procédé à de nombreuses auditions. Il a rappelé que les deux commissions avaient entendu M. Dominique Perben, garde des Sceaux, sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement, qui serait examiné le 7 avril par la Commission des lois et débattu à partir du 14 avril en séance publique.

Après s'être félicité de la coopération des deux commissions saisies sur le projet de loi constitutionnelle, le président Patrick Ollier a souligné que ce dernier constituait un texte fondateur, puisqu'il s'agit de consacrer une écologie humaniste en la portant au plus haut niveau de notre hiérarchie des normes, et a fait part de sa détermination pour que ce projet de loi aboutisse.

Jugeant qu'il constituait une avancée indéniable de nos droits fondamentaux et répondait aux attentes de notre société en matière de développement durable, il s'est déclaré également soucieux, en tant que président de la Commission des affaires économiques, de concilier les exigences environnementales avec les deux autres piliers du développement durable, que sont le développement économique et le développement social, qui reposent sur le dynamisme de notre recherche et des entreprises françaises.

Reconnaissant la difficulté qu'il y avait à rédiger un texte de portée constitutionnelle, mais considérant que la consécration de nouveaux objectifs et principes de valeur constitutionnelle donnerait probablement lieu à une jurisprudence abondante, il a estimé nécessaire de réduire, autant que possible, les divergences d'interprétation en élaborant des normes claires. Il a estimé qu'à cet égard, l'audition de Mme Roselyne Bachelot, ministre de l'écologie et du développement durable, était essentielle, car si la Charte de l'environnement suscite de très nombreux espoirs, elle doit également donner lieu à un large débat et à des explications permettant de dissiper les inquiétudes. Sur ce point, il a souligné que les milieux scientifiques et économiques craignaient que la Charte ne consacrât au plus haut niveau de notre droit une politique risquant de dériver vers l'immobilisme et il a donc jugé indispensable d'éviter tout « faux procès » susceptible de compromettre l'objectif poursuivi avec la Charte, qui mérite de rencontrer un consensus au sein de l'Assemblée nationale et de ne pas faire l'objet d'une opposition politicienne.

Il a par ailleurs indiqué que l'audition du garde des Sceaux avait mis en évidence que le champ d'application du principe de précaution était somme toute réduit, en raison des conditions cumulatives qui devront être réunies pour y recourir. Il a néanmoins jugé que l'on ne pouvait passer sous silence les inquiétudes du monde économique et des élus locaux, suscitées par l'application du principe de précaution par les autorités publiques locales. Il a souhaité savoir si celles-ci pourraient bénéficier d'une aide à l'expertise, notamment pour apprécier les risques encourus et faire le point sur l'état des connaissances scientifiques.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de l'écologie et du développement durable, a précisé que son intervention se situerait dans le prolongement de celle du garde des Sceaux, auquel il reviendra de soutenir la discussion du projet de loi devant la représentation nationale, et viserait à exposer les fondements environnementaux de ce texte historique.

Abordant les objectifs poursuivis par le Gouvernement, elle a estimé que notre génération devrait répondre des mesures prises en faveur de la qualité de l'eau et de l'air, sans lesquels il n'y aurait pas de vie, de la couche d'ozone protégeant la planète, des émissions de gaz carbonique dont chacun reconnaît aujourd'hui qu'ils sont à l'origine du réchauffement climatique, ou de la réduction de la diversité des espèces.

Elle a jugé que nous aurions également à répondre devant nos enfants de l'accélération de l'érosion des sols, qui risque d'accroître les débits de pointe lors de crues torrentielles, et de l'urbanisation importante des lits majeurs des rivières et des fleuves au mépris des règles les plus élémentaires de l'hydrométéorologie et de l'hydraulique.

Indiquant qu'elle pourrait continuer à l'envi cet inventaire de nos erreurs collectives durant le siècle passé, au risque de se voir reprocher de céder à la tentation d'une lucidité tardive, elle a jugé que la connaissance que nous avons aujourd'hui de ces phénomènes nous impose de réagir.

Elle a estimé que la Charte de l'environnement constituait la traduction juridique de cette prise de conscience, comme ce fut le cas autrefois pour les droits de l'Homme puis les droits sociaux, et a souligné que le Gouvernement avait adopté une démarche humaniste, initiée par le Président de la République.

Ainsi, l'article 1er de la Charte a-t-il été rédigé en songeant à la composante anthropique du phénomène du réchauffement climatique, les termes choisis tendant à ne pas conduire, par le biais d'une analyse et d'une politique malthusiennes, à l'attrition de notre système de production et de notre civilisation.

De même, l'article 4 de la Charte a pour objet d'apporter une réponse adaptée aux victimes diffuses d'un pollueur identifié, aux habitants des littoraux souillés par le fioul des pétroliers qui procèdent à des déballastages ou font naufrage du fait d'un mauvais entretien, aux riverains des canaux de certains départements du Nord pollués par les métaux lourds ou encore aux riverains de sites pollués dont le propriétaire n'est pas identifié et sa rédaction a été inspirée par le souci de ne pas provoquer un bouleversement du calcul économique déterminant chaque investissement industriel.

Indiquant que plusieurs articles de la Charte avaient été inspirés par la situation des victimes de l'explosion d'usines à risques ou d'inondations torrentielles, elle a signalé que c'est toutefois en pensant à la nécessité de développer, par la transparence et l'information préventive, une véritable conscience du risque, pour limiter les phénomènes de peur irrationnelle, que l'article 7 de la Charte avait été rédigé, afin de développer la participation et l'information du public et d'éviter ainsi, par exemple, que des salariés ne soient mis au chômage parce que les autorités publiques n'ont pas pu ou pas su convaincre les riverains qu'une usine classée « Seveso » ne constitue pas un risque inacceptable dès lors que l'on respecte les termes des autorisations administratives.

Estimant que la Charte était un texte de synthèse entre les forces contradictoires d'une époque régie par le progrès, la création, l'innovation, mais inquiète des dangers qu'ils recèlent pour la planète et pour l'humanité, elle a ajouté que le temps de l'écologie doctrinaire et idéologique était dépassé, et que la Charte, loin d'être un manifeste inspiré par une idéologie sacrificielle ou une profession de foi politique sans portée, était un texte grave, humaniste et équilibré, comme il sied à une norme de portée constitutionnelle.

Evoquant l'article 2 de la Charte, dont elle a estimé qu'il résumait l'approche équilibrée du Gouvernement, elle a souligné qu'il énonçait un devoir fondamental pesant sur l'ensemble des sujets de droit, trouvant son origine dans le discours du président de la République prononcé le 3 mai 2001 à Orléans, selon lequel « il s'agit de faire prévaloir une certaine conception de l'homme par rapport à la nature. Il s'agit de rappeler ses droits mais aussi ses responsabilités ».

Elle a estimé que l'affirmation de ce devoir était un élément essentiel de la reconnaissance de la responsabilité des êtres humains à l'égard de l'environnement, soulignant le lien entre la qualité de l'environnement et le comportement individuel, chacun devant assumer ses responsabilités dans ce domaine sans attendre une évolution du comportement des autres acteurs.

Elle a indiqué que le Gouvernement avait voulu faire « œuvre d'équilibre », la Charte ne comportant aucun renoncement, ni aucune disposition irréaliste ou doctrinaire, en faisant en sorte que les principes cardinaux qui inspirent le droit positif de l'environnement changent de niveau pour mieux l'éclairer et le déterminer.

Se déclarant consciente du fait que ce projet de loi faisait l'objet de critiques multiples, émanant pour partie de personnes jugeant le texte sans portée réelle, pour partie de personnes estimant qu'il en aurait trop, elle a précisé que ce paradoxe démontrait précisément le caractère équilibré du projet de loi.

Abordant la rédaction de l'article 4 de la Charte, elle s'est associée aux propos du garde des Sceaux soulignant l'innovation que constituait le principe de réparation et sa supériorité sur celui de « polleur-payeur », lequel suscite la crainte, exprimée par nombre des personnes consultées, qu'il ne soit qu'un droit à polluer, alors qu'il est préférable de prévenir les dommages à l'environnement ou, à défaut, de les réparer. Elle a précisé que le terme de réparation renvoie à la responsabilité du pollueur, notion plus large que le principe mercantile du pollueur-payeur et a jugé que la rédaction retenue, selon laquelle le pollueur doit « contribuer » à la réparation des dommages à l'environnement, soulignait le réalisme de la démarche du Gouvernement.

Elle a ensuite précisé que le principe de réparation des dommages prévu à l'article 4 de la Charte trouverait à s'appliquer lorsque le dispositif de prévention de ces dommages, prévu par l'article 3, se révèlerait trop limité, et qu'il permettait d'aller plus loin que ne le fait le droit positif issu des régimes de responsabilité civile et administrative, précisés par la jurisprudence, en ouvrant un droit à réparation d'un dommage à l'environnement même en l'absence de victime directe pouvant demander réparation à l'auteur du dommage.

Abordant ensuite l'article 5 du projet de loi, elle a estimé que certaines critiques portaient moins sur la Charte proposée par le Gouvernement que sur les versions issues de la commission de préparation de la Charte présidée par le professeur Yves Coppens, que le Gouvernement a écartées. Elle a ajouté que la définition, par cet article, du principe de précaution représentait un progrès, puisque ce principe, déjà énoncé par l'article 174 du traité de l'Union européenne selon lequel les politiques de l'environnement sont fondées notamment sur le principe de précaution, n'est pas pour autant défini, ce qui laisse place à toutes sortes d'interprétations et de dérives.

Précisant que le code de l'environnement n'évitait pas cet écueil et que la jurisprudence de ces dernières années avait montré les incertitudes pesant sur la portée et le sens de ce principe, elle a estimé que la vivacité des débats sur ce sujet tenait à cette incertitude qui occulte la véritable utilité de ce principe.

Elle a donc jugé qu'en élevant le principe de précaution au niveau constitutionnel et en lui donnant une définition précise, celui-ci acquerrait une portée plus large et s'imposerait à l'ensemble des normes.

Elle a ajouté que, contrairement aux mesures de prévention, destinées à prévenir un risque de dommage connu, les mesures de précaution ne devaient intervenir qu'en cas d'incertitude pesant sur la réalisation d'un dommage en raison de l'insuffisance de nos connaissances scientifiques. Soulignant que son champ d'application serait donc réduit aux dommages incertains, qui sont moins nombreux que ne peuvent le laisser penser certains commentaires hâtifs, elle a fait observer que ces dommages incertains devraient en outre affecter l'environnement de manière grave et irréversible, ces conditions étant cumulatives et non alternatives. Elle a ajouté qu'il appartiendrait alors aux autorités publiques de veiller à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées prises dans le but d'éviter la réalisation du dommage et de mettre en œuvre des procédures d'évaluation des risques encourus.

Elle a précisé que toutes les personnes concernées, publiques ou privées, pourraient contribuer à ces procédures destinées à lever les incertitudes, ajoutant que le principe de précaution ne devait paralyser ni les activités économiques, ni la recherche scientifique, dans la mesure où cette dernière contribue, dans des conditions de parfaite transparence, à lever les incertitudes et à permettre, le cas échéant, de passer de mesures de précaution à des mesures de prévention.

Evoquant enfin la méthode d'élaboration de ce projet de loi, elle a indiqué qu'elle avait été guidée par une démarche réfléchie et profondément participative, rappelant que la commission pluridisciplinaire présidée par le professeur Yves Coppens avait travaillé pendant près d'une année, au cours de laquelle 14 000 questionnaires adressés à de nombreux citoyens avaient été retournés au Gouvernement, et 14 assises territoriales avec près de 8 000 participants avaient été réalisées.

Elle a estimé que les débats avaient été sereins et constructifs, montrant l'enthousiasme de tous à travailler ensemble pour construire un avenir commun hors des clivages partisans, en s'élevant au-dessus des problèmes quotidiens et des conflits d'intérêts et qu'ils avaient profondément marqué les travaux de la Commission chargée d'élaborer la Charte.

Elle a enfin rappelé que les débats de cette commission, qui a travaillé de juin 2002 à avril 2003, avaient d'abord permis de déterminer quelle forme pourrait prendre une Charte « adossée à la Constitution », puis de recueillir l'avis de spécialistes de l'environnement, de scientifiques et de la société civile sur le contenu même de la Charte, pour aborder enfin les questions éthiques justifiant une modification de la Constitution.

Le président Pascal Clément a tout d'abord observé que jusqu'à présent, les objectifs constitutionnels figurant dans le bloc de constitutionnalité étaient constitués de droits mais non de devoirs, tels que ceux prévus par la Charte de l'environnement. Il a en outre remarqué que ces droits renvoyaient à une législation d'application, comme le droit de grève, alors que tel n'est pas le cas pour les droits et devoirs consacrés par la Charte, qui sont pour certains d'application immédiate. Il a demandé à la ministre si elle tenait à cette application immédiate et a indiqué qu'à ses yeux, le seul amendement qui vaille viserait à revenir sur cette immédiateté, les autres questions étant en regard relativement marginales.

Evoquant l'article 8, il a ensuite souhaité savoir si une réflexion avait été menée afin de promouvoir l'éducation à l'environnement dans les programmes scolaires. Il a enfin demandé si une évaluation de l'impact budgétaire de la Charte de l'environnement avait été réalisée, concernant notamment la mise en œuvre du principe de précaution et celle d'actions de prévention ou de réparation.

Mme Nathalie Koscisuko-Morizet, rapporteure de la Commission des lois, rappelant qu'elle avait procédé à de nombreuses auditions de constitutionnalistes, de membres de la commission Coppens et de « parties prenantes » de la société civile, a observé que trois sujets étaient fréquemment évoqués : en premier lieu, la multiplicité des points de vue au sein de la commission Coppens ; en deuxième lieu, les attentes auxquelles répond la Charte de l'environnement ; enfin, les craintes que celle-ci peut soulever.

Evoquant le processus d'élaboration de la Charte de l'environnement, elle a fait part de la contestation de celui-ci par certains juristes et a souhaité savoir d'une part, quels enseignements la ministre tirait de cette démarche de démocratie participative et d'autre part, en quoi cette expérience avait pu influencer la rédaction de la Charte déposée sur le Bureau de l'Assemblée nationale.

Puis, abordant la question de la nécessité de la Charte de l'environnement, elle a noté que paradoxalement, l'utilité d'une Charte de l'environnement paraissait mieux admise par nos concitoyens que par une partie des élus. Elle a donc demandé à la ministre en quoi la Charte de l'environnement correspondait à un besoin, à la lumière de son expérience de près de deux ans au ministère de l'écologie et du développement durable.

Enfin, évoquant la place de la santé dans la Charte, elle a indiqué avoir constaté, au fil des auditions, que le milieu médical se montrait relativement réticent, notamment concernant le principe de précaution. Jugeant que cette réaction tenait certainement à ce que l'application d'un tel principe poserait des problèmes extrêmement ardus en matière médicale, elle a jugé important d'assigner clairement à la santé et à l'environnement leurs domaines respectifs. En effet, a-t-elle souligné, même si l'article 1er consacre le droit à un environnement équilibré et favorable à la santé, la Charte n'est pas une charte de la santé publique, le principe de précaution s'appliquant en cas de dommage à l'environnement et non pas à la santé publique. Elle a donc souhaité que la ministre puisse contribuer à clarifier la part de la santé dans la Charte, s'agissant notamment du principe de précaution.

M. Martial Saddier, rapporteur pour avis de la Commission des affaires économiques, a tout d'abord tenu à confirmer, au vu des auditions menées, l'unanimité du constat fait par les acteurs économiques quant à la nécessité de l'existence d'un texte consacrant le développement durable. En effet, a-t-il souligné, ces acteurs économiques ont pris conscience que l'homme demeurait dépendant de son environnement, alors que l'impact des activités humaines sur ce dernier n'avait jamais été aussi important. Il a donc estimé que nos choix économiques et sociaux à venir devaient être guidés par ce constat clairvoyant. Il a en outre observé que les avis recueillis cautionnaient également le choix d'un adossement à la Constitution des principes tendant à la protection de l'environnement.

Il a néanmoins souligné que cette démarche, introduisant une réelle nouveauté dans le fonctionnement de notre société, suscitait des inquiétudes compréhensibles de la part des acteurs auditionnés, mais aussi des parlementaires, les interrogations portant sur la portée concrète de la Charte et son impact sur les activités économiques. Il a indiqué que les craintes se focalisaient sur l'apparition d'une nouvelle forme d'insécurité juridique, susceptible de mettre en cause toute avancée et d'handicaper la France dans la compétition internationale.

Après avoir souligné que la Charte de l'environnement, en consacrant un droit à l'environnement, constituait une innovation majeure, il a rappelé que les grands principes du droit de l'environnement figuraient déjà dans le code de l'environnement (principes d'action préventive, pollueur-payeur, de précaution, ou encore de participation) et a demandé quelles raisons avaient conduit à les constitutionnaliser et quelles seraient les conséquences de cette constitutionnalisation, non seulement pour les citoyens mais aussi pour les acteurs économiques.

Rappelant que l'article 5 de la Charte disposait que les autorités publiques devraient veiller à l'adoption de mesures « provisoires et proportionnées », il s'est demandé comment la notion de « proportionnalité » devrait être appréciée et si elle englobait des considérations économiques et financières.

Insistant sur la portée de l'article 10 de la Charte qui permettra à la France de conforter ses positions lors des négociations internationales ou communautaires dans le domaine de l'environnement, il s'est toutefois interrogé sur ce qui adviendrait si une norme ou une décision communautaire (comme la levée du moratoire européen sur les organismes génétiquement modifiés) s'avérait contradictoire avec la Charte de l'environnement.

En réponse à ces questions, Mme Roselyne Bachelot, ministre de l'écologie et du développement durable, a apporté les éléments d'information suivants :

- s'agissant de l'applicabilité directe de la Charte de l'environnement, les inquiétudes évoquées par le président Pascal Clément doivent être nuancées, car seul l'article 5 est d'application directe. La Charte, d'une manière générale, conforte le rôle du législateur en le plaçant au centre du droit de l'environnement, qui relève aujourd'hui en grande partie du pouvoir réglementaire. L'applicabilité directe du principe de précaution se justifie par la définition même de ce principe : sa mise en œuvre suppose une démarche éthique, dans un contexte d'incertitude scientifique. Il invite donc les autorités publiques à inclure cette démarche éthique dans leur processus décisionnel. Renvoyer à la loi les conditions de son application reviendrait au contraire à s'inscrire dans une démarche de prévention, qui ne peut intervenir que lorsqu'un risque est précisément identifié ;

- une formation des élèves à l'environnement sera rendue obligatoire dans l'enseignement scolaire, dès la rentrée 2004, à travers des modules spécifiques. Des expériences pilotes ont d'ailleurs été lancées dans certaines académies sur le contenu de la formation à l'environnement, avec Mme Tokia Saïfi, secrétaire d'Etat au développement durable ;

- l'impact budgétaire de la Charte doit être évalué en le rapportant au coût d'une absence de mesures environnementales, la réparation des dommages environnementaux pouvant représenter une charge nettement plus lourde que celle de leur prévention. En témoignent le coût budgétaire de l'effort de dépollution des sols autour de l'usine Métaleurop, le coût des travaux de consolidation des sous-sols miniers pour limiter les risques d'effondrements causés par une exploitation mal maîtrisée, ou encore l'indemnisation des dégâts causés par les marées noires ;

- le processus très démocratique retenu pour l'élaboration de la Charte s'est avéré particulièrement enrichissant, même si la consultation directe des citoyens a pu être interprétée par la représentation nationale comme une forme de dessaisissement. Les opinions exprimées très librement par les Français se sont caractérisées le plus souvent par un grand sens des responsabilités et de la mesure ; les approches purement idéologiques sont restées très marginales. Ces avis, issus de milieux socio-professionnels aux intérêts souvent divergents, ont permis de dégager un consensus inattendu et de surmonter de grandes différences idéologiques et sociologiques ;

- la Charte est assurément un texte nécessaire dans la mesure où la Constitution est le socle du pacte républicain et où, à l'aube du XXIème siècle, le droit à l'environnement et le droit de l'environnement doivent en faire partie. Il convient de rappeler que ce pacte républicain s'est d'abord construit, en 1789, sur la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui traitait des droits individuels et politiques, puis, en 1946, sur le Préambule de la Constitution de la IVème République, qui traitait des relations économiques et sociales entre les individus. La Charte constitue une troisième étape, par laquelle sont prises en compte, dans le socle constitutionnel, les interactions entre les activités humaines et les milieux naturels, qui peuvent influer sur la recherche du bonheur commune à tous les individus ;

- les inquiétudes exprimées par le corps médical s'agissant du principe de précaution sont étonnantes, dans la mesure où ce principe est déjà utilisé au quotidien dans l'ensemble des activités médicales, qui reposent constamment sur cette exigence éthique. Si l'article 1er de la Charte constate bien un lien entre la santé et l'environnement, lien que le Plan national santé-environnement vise à prendre en compte, les activités liées à la santé ne sont pas, en revanche, directement concernées par son article 5. La santé n'est concernée par ce texte que dans la mesure où l'environnement est le vecteur d'une atteinte à la santé humaine ; ainsi, la protection de la santé des riverains d'une installation polluante entrera dans l'objet de la Charte, mais certainement pas un acte chirurgical ;

- les mesures de précaution n'interviennent qu'en raison de l'incertitude qui pèse sur la réalisation du dommage. Elles n'ont donc pas vocation à perdurer mais doivent conduire, dans la mesure du possible, à régir la période nécessaire à l'accomplissement des travaux de recherche destinés à lever l'incertitude scientifique. A contrario, la précaution ne peut être entendue comme une interdiction définitive : elle ne concerne qu'une période transitoire, le caractère incertain étant intimement lié à l'état des connaissances scientifiques. Cette part d'incertitude sera sans doute la plus délicate à apprécier ; elle suppose une approche dynamique et non statique, la nécessité de lever le doute scientifique conduisant naturellement au mouvement.

M. François-Michel Gonnot a estimé que si l'écoute des rapporteurs et de la ministre permettait de relativiser certaines craintes, la Charte de l'environnement « perturbait » néanmoins profondément un certain nombre de commissaires, faute sans doute d'un débat suffisant à ce stade.

Il a en outre jugé contradictoire que la ministre qualifie la Charte de texte « grave », alors qu'il est affirmé par ailleurs qu'un certain nombre de principes énoncés dans la loi constitutionnelle seraient purement déclaratifs ou sans conséquences. Il s'est demandé si les commentaires destinés à rassurer ne conduiraient pas à vider la Charte de son sens, notamment au niveau international, alors que la France était l'un des premiers pays au monde à se doter d'un texte d'une telle portée.

Il a donc jugé légitime de mesurer l'utilité et les conséquences de la Charte et notamment de son article 5. Dans ce cadre, il a demandé à la ministre si le Gouvernement avait effectué une évaluation interministérielle précise des conséquences de ce texte, notamment dans les domaines de l'industrie et de l'énergie, précisant qu'un certain nombre de filières étaient inquiètes, comme le nucléaire, la chimie, les mines ou les filières d'élimination des déchets.

Notant que dès lors que des droits seront créés, le peuple s'en emparerait tout naturellement, il a déploré que soient parfois évoqués des « droits sans conséquences » et a estimé au contraire que les Français les feraient valoir et invoqueraient le principe de précaution et leur droit à un environnement favorable à leur santé, pour contester, par exemple, la construction d'un nouveau réacteur nucléaire, d'un incinérateur ou d'un aéroport dans leur voisinage immédiat. Il a rappelé que, alors même que ce principe n'avait pas encore valeur constitutionnelle et n'était défini nulle part, il était souvent invoqué, ce qui freinait l'action des autorités publiques notamment pour la construction d'infrastructures.

Il a donc jugé souhaitable que les ministres de l'industrie et de la recherche soient auditionnés par la Commission des affaires économiques afin que les commissaires soient éclairés sur les conséquences de la Charte dans les domaines relevant de leurs compétences.

Puis, il a demandé à la ministre comment elle entendait répondre aux inquiétudes suscitées par la mise en œuvre de la Charte - notamment chez les élus locaux, les industriels, les assureurs ou les chercheurs. A force d'éviter les débats sur ce texte en amont, a-t-il conclu, la discussion de la Charte de l'environnement en séance publique risque d'être houleuse.

Mme Geneviève Perrin-Gaillard a tout d'abord déclaré avoir apprécié la réponse de la ministre à la question du président Pascal Clément et a jugé également indispensable de mieux prendre en compte les coûts environnementaux des décisions.

Ayant pris acte de la volonté du Gouvernement de mener à bien le travail entrepris sur la Charte de l'environnement, elle a souligné, en sa qualité de membre de la commission Coppens, que sa préférence allait à la version n° 2 du texte proposé par cette instance plutôt qu'au projet de loi tel que déposé par le Gouvernement. Elle a rappelé que le texte de la commission Coppens était le fruit d'un consensus, élaboré après une large discussion, et a indiqué que le groupe socialiste déposerait un certain nombre d'amendements à la Charte.

Elle a également regretté que seul le principe de précaution soit inscrit dans la Charte, estimant préférable que les autres grands principes du droit de l'environnement y apparaissent clairement, d'autant plus que ce principe est moins lisible pour la plupart de nos concitoyens que celui de « pollueur-payeur », aujourd'hui bien compris, ou le principe de prévention. Elle a craint que la mention du seul principe de précaution dans la Charte ne focalise l'attention sur cette disposition, par ailleurs utile, et qu'ainsi le Gouvernement ne soit confronté à des difficultés avec sa majorité.

En réponse aux propos de M. François-Michel Gonnot, elle a indiqué qu'elle jugeait bon, pour sa part, que les citoyens s'emparent des droits qu'on leur donnait.

Elle s'est ensuite interrogée sur la référence faite au droit à la santé dans l'article 1er alors que ce droit figure déjà dans le bloc constitutionnel et a jugé souhaitable d'améliorer la rédaction de cet article, en prenant en compte la dimension « philosophique » que la qualité de vie peut revêtir pour nos concitoyens.

Puis, notant que le garde des Sceaux avait indiqué que l'article 5 de la Charte ne concernait pas la santé, mais uniquement l'environnement, elle a souhaité connaître le point de vue de la ministre sur cette question. Elle a rappelé que l'Académie des sciences et l'Académie de médecine étaient en effet, en l'état actuel des explications, fermement opposées à cet article et a jugé nécessaire de lever toute ambiguïté. Mme Geneviève Perrin-Gaillard a indiqué que pour sa part, elle ne partageait pas du tout l'analyse selon laquelle le principe de précaution obérerait la recherche.

Enfin, elle a regretté que le principe d'évaluation ne figure pas dans la Charte, alors que la France ne dispose aujourd'hui d'aucun outil efficace d'évaluation de l'impact environnemental des politiques publiques.

M. Christian Decocq a d'abord souligné qu'une fois de plus, la France était exemplaire, puisque l'adoption de la Charte de l'environnement constituait une grande première juridique. Il a malgré tout estimé que ce texte se situait dans la continuité des grandes lois relatives à l'environnement déjà mises en œuvre par la droite, rappelant que le principe « pollueur-payeur » institué en 1964 datait du général de Gaulle, la Charte constituant l'aboutissement de ce long travail législatif.

Il a indiqué qu'il entendait bien les risques de judiciarisation, évoqués par certains, en raison de la « vaporisation des droits subjectifs » évoquée par le professeur Guy Carcassonne. Mais, s'est-il interrogé, le risque n'est-il pas encore plus grand si l'on ne fait rien ? Il a souligné l'intérêt de bénéficier d'un socle juridique permettant d'encadrer les principes environnementaux et d'éviter des dérives telles que celles auxquelles on a assisté au cours des dernières années, M. José Bové invoquant le principe de précaution tantôt pour justifier les arrachages de plants d'OGM, tantôt pour critiquer les abattages préventifs.

Il s'est ensuite interrogé sur la possibilité d'intégrer, dans l'évaluation du coût des mesures de protection de l'environnement, le « coût évité » grâce à ces mesures.

M. Michel Piron a posé les quatre questions suivantes sur l'article 5 relatif au principe de précaution :

- que sont « la réalisation incertaine » d'un dommage, ainsi que la gravité et l'irréversibilité potentielles d'un dommage incertain ?

- que sont alors des mesures « proportionnées » à une valeur dont le premier caractère est d'être inconnue ?

- qui jugera du bon degré de précaution dans un domaine dont la connaissance est apophatique, c'est-à-dire repose sur le fait de savoir qu'on ne sait pas ? En conséquence, la source du savoir ne deviendrait-elle pas exclusivement juridique ?

- s'il est tout à fait justifié de prendre des mesures en fonction de l'état des connaissances et non des interrogations scientifiques, n'est-il pas risqué voire dangereux, en revanche, de proportionner ces mesures à un étalon inconnu ? Est-ce bien précautionneux ?

Il s'est demandé, en d'autres termes, s'il ne préférait pas la formule « je pense, donc je suis » à « je doute, donc j'agis ».

Répondant aux différents intervenants, Mme Roselyne Bachelot, ministre de l'écologie et du développement durable, a apporté les précisions suivantes :

- en réponse à l'évocation des inquiétudes suscitées par la Charte dans les milieux industriels, il convient d'indiquer que, si cette Charte marque effectivement, comme cela a été souligné dans la presse, un changement de civilisation, c'est bien parce qu'elle adapte le droit à un changement de civilisation, et non pas parce qu'elle produit ce changement ;

- si l'adjectif « grave » a été utilisé pour caractériser l'enjeu lié à l'élaboration de la Charte, c'est, d'une part, parce qu'il s'agit d'un texte important méritant un examen solennel, et d'autre part, parce qu'il traite de questions mettant en jeu la survie de l'humanité ;

- les questions environnementales mettent fondamentalement en évidence la nécessité de restaurer le pacte social qui fonde notre société démocratique. Divers exemples montrent que la mise en place de la Charte intervient dans un contexte de crise de confiance envers les autorités : ainsi, la reprise de l'exploitation de l'usine de la Société nationale des poudres et explosifs à proximité du site d'AZF à Toulouse se heurte non pas à des incertitudes sur les conditions de sécurité nécessaires, car sur ce plan, toutes les garanties ont été prises, et au surplus l'usine a montré sa capacité à résister au choc d'une explosion, mais à la réaction émotionnelle des associations de riverains qui ne peuvent accepter cette réouverture après le traumatisme vécu ; de même, le principe d'émotion l'emporte sur le principe de précaution sur un autre site où toutes les garanties ont été prises pour permettre le stockage de produits toxiques. La préservation de la dimension industrielle et agricole de notre économie passe donc d'abord par la restauration de cette confiance envers les autorités qui est constitutive du pacte social ; l'élaboration de la Charte n'aggravera pas la situation de ce point de vue, mais permettra au contraire de réconcilier l'impératif environnemental et l'impératif économique, en évitant, grâce à un encadrement juridique, que la place ne soit laissée au fantasme ou à l'appréciation subjective ;

- une évaluation de l'impact de la Charte a été bien entendu effectuée dans une approche interministérielle associant notamment le ministère des finances et celui de la santé, et rien ne s'oppose à ce que les ministres de l'industrie et de la recherche apportent des précisions pour les domaines les concernant devant les commissions permanentes chargées de préparer l'examen du texte ;

- le principe « pollueur-payeur » est d'une portée plus restreinte que le principe de réparation qui a été retenu dans le cadre de la Charte ; on peut citer à cet égard l'exemple des oiseaux victimes du mazout lors d'une marée noire, dont la mort constitue un préjudice pour l'environnement qui ne peut donner lieu à indemnisation sur la base du principe « pollueur-payeur », alors que ce même préjudice peut être pris en compte au titre du principe de réparation ;

- les oppositions à l'installation d'incinérateurs ou d'autres équipements indispensables sont alimentées par une perte de confiance dans les autorités, confiance que le Gouvernement s'efforce justement de rétablir depuis deux ans, en prenant diverses initiatives comme la loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages ;

- la prise en compte des « coûts évités » constitue en effet une manière très pertinente d'aborder les questions de protection de l'environnement.

M. Yves Cochet s'est déclaré irrité par l'emploi, dans l'exposé des motifs du projet de loi, de la notion d' « écologie humaniste », qui semble implicitement dénoncer une écologie qui ne le serait pas, la ministre de l'écologie et du développement durable ayant elle-même précisé publiquement qu'elle s'opposait à une écologie « dogmatique et idéologique ». Il a donc souhaité savoir qui étaient, pour la ministre, les tenants d'une telle conception de l'écologie.

Se référant à la rédaction de l'article 5, il a ensuite fait part de ses interrogations quant à la proportionnalité des mesures prises dans le cadre du principe de précaution afin d'éviter la réalisation d'un dommage qui est, par définition, très difficile à évaluer. Citant l'exemple des organismes génétiquement modifiés, il a souhaité savoir ce que pourraient être des mesures proportionnées à un risque indescriptible. Il a également souligné combien il serait difficile d'appliquer cette proportionnalité à des risques susceptibles d'entraîner des dommages non linéaires avec effets de seuil, citant en exemple le risque de disparition du Gulf Stream en raison du réchauffement climatique.

Après avoir souligné les difficultés entourant la mise en œuvre, en matière de lutte contre la pollution, de la théorie des coûts évités évoquée par M. Christian Decocq, faute de base de référence fiable pour établir la valeur d'un milieu non pollué, M. Yves Cochet a ensuite souhaité que des précisions concrètes lui soient apportées sur le partage entre ce qui doit relever du principe de précaution et ce qui doit relever de la prévention. Il a demandé que des illustrations de ce partage lui soient apportées en ce qui concerne le nucléaire, les insecticides comme le Regent TS et le Gaucho et les organismes génétiquement modifiés au sujet desquels il a, en outre, souhaité savoir si le Gouvernement entendait faire usage de la faculté offerte par le protocole de Carthagène de refuser leur entrée sur le territoire national.

M. Francis Delattre a précisé qu'il consacrerait son intervention au principe de précaution défini par l'article 5 dans la mesure où ce principe serait, dans la rédaction actuelle, d'application directe à la différence des autres dispositions de la Charte, qui peuvent présenter certains dangers mais dont la mise en œuvre sera encadrée par l'intervention de la loi.

Il a rappelé que cette applicabilité directe signifiait que ce principe, dont la portée est entourée de très nombreuses incertitudes, entrerait directement dans le droit positif et que toute personne pourrait en réclamer l'application par les tribunaux. Il a jugé que le vrai problème lui paraissait être le fait d'écarter complètement le législateur de la mise en œuvre de ce principe, alors même que des questions fondamentales comme la détermination précise de ce qui relève de la santé publique et de ce qui relève de l'environnement ne sont pas clairement tranchées.

Notant que ce principe était déjà utilisé par certaines juridictions, il s'est interrogé sur la capacité d'un petit tribunal à mettre en œuvre un principe aussi complexe. Citant l'exemple du fipronil, il s'est demandé comment des magistrats pourraient en apprécier le danger alors même que des chercheurs spécialisés, interrogés par le ministère de l'écologie et du développement durable, ne s'estiment pas capables de déterminer si cette molécule est responsable de la disparition des abeilles.

M. Francis Delattre a estimé en conséquence qu'écarter le législateur de la mise en œuvre du principe de précaution, compte tenu de l'étendue des domaines concernés, conduirait à dessaisir le Parlement au profit des tribunaux. Il a jugé particulièrement choquante cette contestation implicite de la légitimité du législateur à intervenir dans ces domaines dont l'importance est pourtant croissante.

M. Robert Pandraud a, tout d'abord, jugé nécessaire, avant le vote du texte par le Parlement, d'en étudier précisément la portée et, pour ce faire, d'entendre les autres ministres concernés, notamment les ministres de l'industrie et de la recherche.

Estimant que le projet de loi n'apportait pas grand-chose au droit existant dans la mesure où il avait essentiellement pour objet de reprendre des principes déjà établis par des normes internationales ou par la jurisprudence, il a jugé utile de faire le bilan des textes et des jurisprudences existants.

Regrettant ensuite que le législateur soit écarté de la mise en œuvre des articles 1er et 5, il a jugé que le projet de loi contribuerait à multiplier de manière extraordinaire les contentieux, non pas principalement auprès du Conseil constitutionnel, dans la mesure où il sera bien difficile à celui-ci d'appliquer ce principe sur des sujets très compliqués dans les délais qui lui sont impartis pour se prononcer, mais auprès des juridictions ordinaires. Il a estimé que la mise en œuvre du principe de précaution par celles-ci aboutirait mécaniquement à un recours accru aux expertises et aux contre-expertises et accélérerait la judiciarisation de la vie administrative, politique et économique du pays.

Prenant l'exemple de la santé, il a noté que, si le champ de l'article 5 n'incluait effectivement pas les actes médicaux, il pouvait, en revanche, comprendre les infrastructures médicales. Il s'est, en conséquence, demandé si les installations de radiologie auraient pu être développées dans un cadre juridique incluant le principe de précaution comme elles l'ont été en son absence. Il a d'ailleurs noté que la même question pouvait être posée pour le chemin de fer dont le développement avait également suscité de nombreuses inquiétudes.

M. Robert Pandraud a ensuite estimé que le dispositif aboutirait à faire trancher des questions fondamentales par des experts plus ou moins conscients et plus ou moins soumis à des conflits d'intérêt, tout en faisant néanmoins peser la responsabilité des décisions, y compris la responsabilité pénale, sur les élus locaux et les autorités politiques nationales.

Il a donc jugé nécessaire de modifier au moins les articles 1er et 5 afin de préserver le rôle du législateur en précisant qu'une nouvelle rédaction envisageable de l'article 1er pourrait être la suivante : « la loi favorise l'accès de chacun à un environnement équilibré et sain ».

Enfin, il a fait part de sa crainte de voir demain, en application de ce texte, le droit de l'environnement déterminé par les tribunaux et non plus par le législateur, suivant en cela une dérive engagée en matière de droit du travail avec l'influence croissante de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation.

Rappelant que le projet de loi soulevait des interrogations, voire des craintes dues aux incertitudes pesant sur la portée de certaines notions, M. Christophe Caresche a appelé à ce que la Charte ne soit pas réduite, à l'issue de sa discussion devant le Parlement, à une déclaration d'intention sans réelle portée normative, comme semblent le vouloir certains tenants de la majorité. Il a, au contraire, souhaité que les notions incertaines soient précisées afin de trouver une application juridique réelle.

Il a en outre invité la ministre à ne pas mépriser « l'écologie dogmatique », estimant que celle-ci pourrait rapidement venir au secours de la nouvelle « écologie  humaniste » proposée par le Gouvernement.

Rappelant que le groupe socialiste considérait que la Charte de l'environnement représentait une avancée, il a jugé que son adossement à la Constitution en faisait un « objet constitutionnel non identifié » et que le Conseil constitutionnel aurait à se prononcer sur sa valeur constitutionnelle ; il s'est donc demandé s'il ne faudrait pas veiller à éviter que le caractère constitutionnel de la Charte ne soit affaibli.

Abordant l'article 5 de la Charte, il a ensuite appelé la ministre à préciser ses conséquences pénales, estimant que si cet article édictait un certain nombre de devoirs, il était par conséquent nécessaire d'instituer certaines sanctions permettant de les rendre effectifs.

Enfin, dans la mesure où la Charte suppose un certain nombre de lois pour en préciser l'application, il a appelé le Gouvernement à informer la représentation nationale sur les mesures législatives que celui-ci entend lui proposer et éventuellement sur leur calendrier, estimant qu'une simple déclaration de principe sans texte d'application traduirait davantage la recherche d'un affichage politique que la volonté de mettre en œuvre cette Charte.

M. Xavier de Roux a désiré savoir si un nouveau régime de responsabilité des autorités publiques pourrait résulter de l'applicabilité directe de l'article 5 de la Charte, qui édicte un certain nombre d'obligations incombant aux autorités publiques en vertu du principe de précaution.

Il a ajouté que le Conseil d'État, prenant de vitesse le législateur, venait de trancher cette question à propos du problème de l'amiante, dans un arrêt du 3 mars 2004, en jugeant qu'il appartenait aux pouvoirs publics « d'arrêter, en l'état des connaissances scientifiques, au besoin à l'aide d'études ou d'enquêtes complémentaires, les mesures les plus appropriées pour limiter et si possible éliminer les dangers ».

Il a noté que cet arrêt du Conseil d'Etat, reprenant partiellement la rédaction de l'article 5 de la Charte, prouvait à l'évidence que le contentieux entourant l'application du principe de précaution serait inévitable, et qu'il se traduirait par la mise en cause de la responsabilité de l'autorité publique. Eu égard à cette décision de la haute juridiction administrative, il a donc interrogé la ministre sur l'opportunité d'une applicabilité directe de l'article 5 de la Charte, estimant préférable d'en préciser l'application par l'intervention du législateur, faute de quoi le juge serait amené à mettre en cause de plus en plus souvent, notamment pénalement, la responsabilité des autorités publiques.

M. François Dosé a interrogé la ministre sur la ligne de partage entre prévention et principe de précaution dans le domaine du nucléaire. Si le fonctionnement des centrales semble aujourd'hui relever du domaine de la prévention, a-t-il noté, la gestion des déchets nucléaires semble à l'inverse relever de la précaution à 100 ou 200 000 ans. Il s'est interrogé sur l'opportunité, dans un même secteur économique, d'appliquer des principes de gestion du risque différents.

En réponse aux divers intervenants, Mme Roselyne Bachelot, ministre de l'écologie et du développement durable, a apporté les précisions suivantes :

- s'agissant de la distinction entre écologie dogmatique et écologie humaniste, force est de constater que, si l'écologie a été souvent ressentie comme l'apanage d'un clan politique, les préoccupations environnementales ont été largement prises en compte, au cours des dernières années, comme l'a justement souligné M. Christian Decocq, par la famille de pensée dont la ministre se sent héritière, comme en atteste notamment la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, dite « loi Barnier », qui a donné une traduction juridique aux principes de prévention, de participation, de réparation, ainsi qu'au principe « pollueur-payeur ». L'écologie a parfois été perçue, à tort, par l'opinion publique comme un objet politicien ou une démarche « contre l'homme », celui-ci étant perçu simplement comme le perturbateur de l'environnement. Au contraire, l'écologie doit conduire à considérer la personne humaine comme un acteur indispensable de la « chaîne du vivant ». Les attitudes et propos extrémistes exprimés sur le dossier de la chasse sont l'illustration d'une conception conflictuelle et presque théologique de l'écologie, dont se démarque la notion d'écologie humaniste ;

- la politique écologique et la préservation de la nature ne s'attachent pas seulement à la sanctuarisation de quelques lieux emblématiques, mais concernent aussi la protection de lieux plus ordinaires. La reconnaissance de la valeur économique des sites naturels constitue un second axe majeur de la stratégie du Gouvernement pour préserver la diversité biologique. On peut penser par exemple aux zones humides, qui, même lorsqu'elles ne sont pas classées, remplissent des fonctions économiques évidentes. C'est pourquoi, en région Aquitaine, les autorités publiques, et notamment l'Etat, ont été invitées à dresser un état des lieux écologiques des sites touristiques et à établir leur valeur économique avant qu'ils ne soient souillés par les « marées noires » provoquées par le naufrage du Prestige ;

- les contours respectifs des principes de précaution et de prévention sont difficiles à déterminer dans les cas de la filière nucléaire, des organismes génétiquement modifiés (OGM), ou encore du fipronil, les deux concepts pouvant a priori être utilisés dans ces domaines. On ne peut ainsi évaluer la nécessité d'appliquer le principe de précaution dans le domaine du nucléaire, sans étudier la problématique du changement climatique provoqué par l'émission de gaz à effet de serre liés aux énergies fossiles. S'agissant des OGM, la démarche est encadrée au niveau international par le protocole de Carthagène, ainsi qu'au niveau national. S'agissant enfin du fipronil, l'existence de fortes incertitudes scientifiques et d'études contradictoires n'a pas empêché le ministère de l'écologie et du développement durable de privilégier depuis l'origine une démarche de précaution, car les concentrations de substances utilisées par les agriculteurs sont très élevées et sans commune mesure, par exemple, avec celles auxquelles l'industrie pharmaceutique a recours ;

- de nombreux parlementaires craignent que l'invocation du principe de précaution ne permette une multiplication des recours devant les tribunaux. Cette inquiétude n'est pas fondée car il est juridiquement très difficile de prouver qu'une autorité publique n'a pas pris des précautions proportionnées pour éviter un dommage dans une situation d'incertitude scientifique. En pratique, le principe de précaution est donc davantage un « argument de tribune » qu'un « argument de tribunal » ;

- la Charte de l'environnement a révélé, et non créé, des inquiétudes qu'il convient de reconnaître et d'atténuer. La difficile conciliation des objectifs environnementaux, économiques et sociaux provoque au sein de la société de vifs débats. La ministre a ainsi évoqué le profond désarroi que lui avaient exprimé les salariés de l'usine Noroxo après que sa fermeture eut été ordonnée, causant la perte de nombreux emplois dans des zones industrielles déjà fortement sinistrées. La décision administrative était pourtant pleinement justifiée et les difficultés qu'elle suscite illustrent la nécessité de la Charte de l'environnement qui vise à replacer les enjeux environnementaux au cœur du débat public pour en appeler à la responsabilité collective, et non à permettre de nouveaux contentieux.

M. Francis Delattre, s'étonnant que la ministre n'ait pas répondu à son interrogation concernant le recours à une loi pour l'application du principe de précaution, a regretté qu'elle ait évoqué, s'agissant du principe de précaution, des « arguments de tribune », et a déclaré que ce serait donc à la tribune que le débat aurait lieu.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de l'écologie et du développement durable, a répété que le principe de précaution relevait avant tout d'une démarche éthique et ne saurait donc renvoyer à la loi. Dès lors qu'il existe des incertitudes scientifiques, a-t-elle jugé, aucun cadre législatif précis ne peut être élaboré ; remettre en cause l'applicabilité directe de l'article 5 de la Charte conduirait donc à exclure le principe de précaution de la prise de décision par les autorités publiques dans de tels cas, ce qui serait absurde.

M. Francis Delattre a pour sa part estimé que les juges ne seraient pas mieux armés que le législateur pour déterminer les conditions d'application du principe de précaution.

La ministre a répondu que les tribunaux ne seraient pas, selon elle, confrontés à une inflation des litiges sur ce fondement, en raison de la difficulté qu'il y aurait à prouver a posteriori qu'aucune mesure de précaution proportionnée n'a été prise par les autorités publiques, en l'état des connaissances scientifiques, et a souligné le faible nombre de recours intentés au nom du principe de précaution.

III.- DISCUSSION GÉNÉRALE

Lors de sa réunion du 11 mai 2004, la Commission a examiné pour avis, sur le rapport de M. Martial Saddier, le projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement (n° 992).

M. François Brottes a tout d'abord fait part de l'extrême indignation du groupe socialiste quant aux conditions d'examen du projet de loi d'orientation sur l'énergie par l'Assemblée nationale. Il a indiqué que ce projet n'avait été communiqué que ce jour même par le Gouvernement, pour un examen en commission devant avoir lieu le lendemain et un examen en séance publique la semaine suivante. Estimant qu'il s'agissait quasiment de « jamais vu », il a déploré le manque de sérieux de l'examen d'un texte aussi essentiel.

Le président Patrick Ollier a pris acte de cette opposition sur la méthode employée, tout en rappelant que le projet de loi était issu d'un large débat public mené dans la France entière, à l'issue duquel a été publié un livre blanc sur l'énergie qui ne peut être ignoré ; il a en outre rappelé qu'avait eu lieu le 17 mars, à la demande de la majorité et de l'opposition, un débat parlementaire sur les questions énergétiques.

Puis, abordant la question de la Charte de l'environnement, le président Patrick Ollier a rappelé que celle-ci résultait d'une initiative ambitieuse du Président de la République, faisant suite à son discours prononcé au sommet de Johannesburg et à son discours d'Avranches, dans lequel il avait émis le souhait que le droit à l'environnement soit adossé à notre Constitution. Il a jugé que la question qui se posait désormais était la suivante : la France est-elle capable de s'engager dans cette voie audacieuse et d'apporter une contribution significative à la défense de notre planète ? Rappelant que notre environnement est quotidiennement soumis à des menaces, il a jugé nécessaire de mesurer l'ampleur du défi à relever et de prendre les mesures qui s'imposent afin d'éviter que des dommages irréversibles ne portent atteinte à notre écosystème ou à la biodiversité. A cet égard, il a estimé que l'adossement de la Charte de l'environnement à la Constitution constituait une excellente initiative.

Rappelant que la Commission des affaires économiques était saisie pour avis sur le projet de Charte, il a souligné qu'elle n'avait pas vocation à se livrer à un travail de réécriture de la Charte ou de la Constitution. Après avoir salué le travail mené par M. Martial Saddier, rapporteur pour avis et a rappelé qu'il avait mené de nombreuses auditions des acteurs du monde économique, il a indiqué son souhait, partagé par le rapporteur pour avis, que le débat parlementaire permette d'apporter les clarifications nécessaires ; il a en particulier jugé souhaitable de bien préciser que la Charte de l'environnement n'était pas incompatible avec le développement économique ou la recherche scientifique, contrairement à ce que certains pensent, leur appréciation reposant sur une réelle confusion.

En effet, a-t-il souligné, de nombreuses critiques sont émises à l'encontre de la Charte de l'environnement sans que celle-ci ait été lue attentivement, et reposent souvent sur une confusion opérée entre prévention et précaution, confusion qu'il a qualifiée de quiproquo. Il a fait remarquer qu'il faisait partie de ceux qui avaient initialement douté de la Charte et qui ont, au fil des explications, mesuré leurs erreurs d'appréciation ; il a indiqué qu'en réalité, le principe de précaution n'aurait à être appliqué que dans un nombre très limité de cas, la très grande majorité des risques relevant en effet de la prévention. Il a ainsi cité à titre d'exemples, l'énergie nucléaire, la pollution des nappes phréatiques, ou la construction d'infrastructures qui relèvent en général de la prévention et non du principe de précaution. Il lui a donc semblé indispensable qu'un débat soit engagé sur l'article 5 de la Charte afin de mettre un terme aux confusions que l'on peut constater à son propos.

Il a par ailleurs rappelé que tous les articles, à l'exception de l'article 5 de la Charte, étaient des objectifs de valeur constitutionnelle, consacrant des droits-créances dénués de portée directe et qui nécessiteront l'intervention ultérieure du législateur ; il a souligné que tel était déjà le cas de certains droits consacrés par le Préambule de la Constitution de 1946, tels le droit au travail ou le droit à la santé.

Soulignant que le Parlement serait regardé par la France toute entière lors du débat sur la Charte de l'environnement, il a jugé que celle-ci était une affaire d'intérêt national et même international et que les parlementaires assumaient donc une responsabilité importante en examinant ce texte. Il a en outre indiqué qu'un accord était intervenu au sein de la majorité afin que ses amendements soient répartis entre la Commission des lois, saisie au fond, et la Commission des affaires économiques, saisie pour avis, cette dernière n'ayant pas vocation à se substituer à la commission saisie au fond.

M. Martial Saddier, rapporteur pour avis, a jugé nécessaire de clarifier certains points avant que ne soient examinés les articles de la Charte de l'environnement, en répondant à des interrogations qu'il a jugées tout à fait légitimes pour les avoir lui-même initialement partagées.

Il a tout d'abord précisé que la Charte étant un texte de valeur constitutionnelle, ce caractère imposait une rédaction à la fois générale, concise et aussi précise que possible afin d'éviter toute divergence des interprétations.

Il a indiqué avoir constaté, lors d'une cinquantaine d'auditions, que la plupart de ces interrogations portaient essentiellement sur trois articles de la Charte : l'article 1er qui énonce le droit de chacun à vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé ; l'article 5 relatif au principe de précaution ; l'article 9 portant sur la recherche et l'innovation.

S'agissant de l'article 1er, il a souligné que celui-ci énonçait un simple objectif de valeur constitutionnelle qui doit, pour être opérant, être mis en œuvre par la loi. En effet, a-t-il précisé, le droit de vivre dans un environnement équilibré et favorable à la santé de chacun ne constitue pas un droit subjectif directement invocable par les particuliers devant les juridictions : il doit être appréhendé de la même manière que le droit à la santé proclamé par le Préambule de la Constitution de 1946, auquel le Conseil constitutionnel n'a jamais reconnu d'applicabilité directe.

Il a par ailleurs souligné que le champ d'application de l'article 5 était strictement circonscrit, tout d'abord parce qu'il concernait les risques de dommages causés à l'environnement et pas ceux causés à la santé humaine. Il a noté que certains tiraient argument de la rédaction de l'article 1er de la Charte, qui établit un lien entre environnement et santé, pour juger que de manière indirecte, par un effet de « ricochet », l'article 5 pourrait être interprété comme s'appliquant au domaine de la santé. Il a indiqué ne pas souscrire à cette analyse. En effet, a-t-il fait remarquer, si l'article 1er énonce que « chacun à droit à un environnement équilibré et favorable à sa santé », a contrario, l'article 5 vise les seuls dommages à l'environnement, sans citer la santé. Il a jugé qu'il convenait d'en rester à cette lecture stricte et littérale de l'article 5 de la Charte, toute interprétation plus extensive étant, selon lui, abusive au regard des intentions du constituant.

Il a ensuite insisté sur la nécessité de garder à l'esprit que le principe de précaution ne concernera qu'un nombre très restreint de risques. Il a à cet égard rappelé que trois conditions devraient être cumulées pour que ce principe soit appliqué : une incertitude scientifique pesant sur le risque ; la gravité du dommage encouru ; le caractère irréversible du dommage.

Remarquant que le critère d'incertitude scientifique était décrié par certains, il l'a jugé pourtant essentiel, puisqu'il permet en effet de bien distinguer la démarche de précaution de celle de prévention. Il a précisé que l'incertitude ne concernait pas l'occurrence du risque, un risque aléatoire mais probabilisable ne relevant pas de la précaution mais de la prévention. Il a indiqué que l'incertitude visée portait en fait sur l'hypothèse même du risque en concernant les « connaissances scientifiques ».

Il a illustré son propos en citant les risques industriels, dont il a souligné que dans leur grande majorité, ils ne relevaient pas du principe de précaution, ces risques étant connus et probabilisables dans des études des dangers ; il a fait remarquer que l'existence même de ces risques ne posant pas question au sein de la communauté scientifique, une démarche de prévention s'imposait et inspirait d'ailleurs largement la réglementation sur les installations classées.

S'agissant des infrastructures comme les autoroutes ou les barrages hydroélectriques, dont la construction peut nuire à la biodiversité, il a jugé qu'elles n'entraient pas non plus dans le champ d'application de l'article 5, le risque d'une atteinte à certaines espèces animales et végétales étant scientifiquement avéré, ce qui conduit à privilégier une démarche de prévention, par exemple en transférant certaines espèces vers d'autres habitats.

Evoquant la présence de nitrates dans les eaux souterraines, il a également estimé que celle-ci ne donnait pas lieu à incertitude scientifique s'agissant de son impact sur l'environnement. Il a jugé que c'était donc la prévention qui s'imposait et qui était déjà largement utilisée, par exemple avec la réglementation des effluents d'élevages et les plans d'épandage.

Dans le domaine nucléaire, il a estimé que là encore, la prévention et non la précaution devait être appliquée et a indiqué que ce point avait été souligné par l'ensemble des intervenants de ce secteur qu'il avait auditionnés. En effet, a-t-il précisé, l'activité industrielle en tant que telle, avec les centrales nucléaires, donne lieu à des risques connus et tout à fait modélisables dans des études probabilistes de sûreté, ce qui appelle une démarche de prévention ; on peut également considérer que la gestion des déchets radioactifs relève de la prévention, puisque le risque consiste en une dispersion dans l'environnement de ces déchets, dont les effets sur la nature sont connus, l'enjeu consistant donc à garantir que les mécanismes de prévention résisteront au temps.

S'agissant du nucléaire à faibles doses, il a rappelé que ses effets avaient été extrapolés à partir des effets constatés à des doses importantes, pour lesquels on dispose de données après les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki. Il a jugé qu'il existait donc une incertitude scientifique mais qu'on pouvait considérer que l'hypothèse retenue pour modéliser les effets des faibles doses constituait en elle-même une application du principe de précaution, déjà largement utilisé dans le domaine de la radioprotection.

S'agissant du réchauffement climatique, il a noté que celui-ci était établi de manière consensuelle par la communauté scientifique puisque ce risque est avéré, quand bien même une incertitude pèserait quant à son ampleur et la part de responsabilité des activités humaines dans ce phénomène. Il relève donc, a-t-il estimé, d'une démarche de prévention.

Enfin, citant certaines installations comme les lignes à haute tension ou les télécabines qui peuvent nuire à la qualité des paysages, il a fait remarquer que leur durée de vie ne permettait pas d'affirmer qu'elles donnent lieu à un dommage irréversible et qu'elles ne relevaient donc pas du champ d'application du principe de précaution.

S'agissant des risques qui pourraient donner lieu à application de ce principe, il a observé que ceux-ci étaient en réalité bien rares et a indiqué que pour sa part, il n'avait pu identifier avec certitude qu'un seul risque environnemental, celui qui serait lié à une dissémination des organismes génétiquement modifiés (OGM) dans la nature. Il a souligné que la Charte se tournait donc résolument vers l'avenir en traitant des nouveaux risques dont les générations futures pourraient avoir à connaître.

Puis, abordant les critiques selon lesquelles la Charte porterait un coup fatal à notre recherche avec son article 9, il a jugé ces craintes infondées, cet article ne devant en aucune manière être interprété comme confinant la recherche et l'innovation aux seules problématiques environnementales. Il a d'ailleurs estimé qu'une telle interprétation, qui émane de certains représentants de la communauté scientifique, était pour le moins surprenante, puisqu'elle se situe à l'opposé de la volonté affichée de reconnaître au plus haut niveau de nos normes l'importance de la recherche et de répondre ainsi aux chercheurs qui craignaient que leurs travaux ne soient paralysés. Il a sur ce point fait remarquer que la déclaration de l'Académie de médecine sur la Charte, dont il est souvent fait état, avait été rédigée avant même que ne soient livrées les conclusions de la commission Coppens. Il a en outre fait remarquer qu'interpréter l'article 9 de la Charte comme restreignant la recherche aux seuls programmes environnementaux serait incompatible avec le principe constitutionnel de liberté de la recherche qui a été dégagé par le Conseil constitutionnel et a signalé que cet article énonçait, comme les autres articles de la Charte à l'exception de son article 5, un simple objectif de valeur constitutionnelle, selon une formulation très générale qui ne vise pas « tout programme de recherche », mais « la recherche » de manière générique. Il a également souligné que le rôle positif de la recherche était non seulement reconnu au niveau constitutionnel par l'article 9 de la Charte mais aussi par son article 5 qui impose une évaluation des risques dans le cadre de l'application du principe de précaution.

Il a enfin abordé la dernière critique récurrente émise à l'encontre de la Charte, critique selon laquelle ce texte donnerait lieu à une avalanche de contentieux conduisant à la paralysie de notre pays. Reconnaissant qu'il serait démagogique de prétendre que la Charte de l'environnement ne susciterait pas de contentieux, puisque comme toute nouvelle norme, elle suscitera des interrogations, des espérances et des craintes, qui pourront pour certaines se traduire par des recours, il a néanmoins souligné que notre société était déjà marquée par une forte judiciarisation. Ainsi, a-t-il observé, la jurisprudence actuelle sur le principe de précaution n'a eu nul besoin de la Charte de l'environnement pour se développer et dans certains domaines considérés comme sensibles par l'opinion publique, tels que l'industrie nucléaire, les décisions publiques sont aujourd'hui systématiquement attaquées. Il a donc appelé les commissaires à relativiser l'ampleur du contentieux auquel la Charte donnerait lieu au vu de la judiciarisation actuelle qui participe d'une mutation profonde de notre société.

S'exprimant au nom du groupe UMP, M. Alain Venot a tout d'abord souligné l'importance de la Charte de l'environnement qui s'inscrit résolument dans l'avenir. Il a rejoint l'analyse du Président Patrick Ollier, jugeant que ce texte était audacieux, la démarche initiée par le Président de la République étant à la fois innovante et courageuse et ne pouvant pas, de ce fait, ne pas susciter des questions génératrices d'une certaine confusion. Il a rendu hommage à la franchise du président Patrick Ollier qui a fait part de ses réticences initiales, ajoutant les avoir lui aussi partagées, et à l'effort d'explication mené par le Président et le rapporteur pour avis qui avait permis de les dissiper. Il a indiqué que le groupe UMP soutenait donc la Charte de l'environnement, tout en étant attaché à ce que des amendements permettent d'en encadrer et d'en améliorer le dispositif sur certains points ; ainsi, a-t-il ajouté, le groupe UMP sera vigilant et participera de manière constructive au travail législatif.

Il a rappelé les principales inquiétudes ayant pu être exprimées. La première d'entre elles, a-t-il indiqué, portait sur l'innovation que constituait l'inscription, dans un texte constitutionnel, du principe de précaution. Observant que celui-ci figurait déjà à l'article L. 110-1 du code de l'environnement, il a souligné que la constitutionnalisation de ce principe constituait une étape supplémentaire importante, mais n'était pas pour autant réalisée « à l'aveugle ».

Il a ensuite indiqué que la deuxième inquiétude portait sur les risques de contentieux liés à l'article 5 de la Charte. Soulignant qu'il n'y avait rien de pire, pour ceux qui ont à appliquer un texte, que d'être incertains quant à la portée et l'interprétation à donner de celui-ci, il a noté que le risque de contentieux concernait en réalité toutes les normes et a insisté sur le caractère essentiel du cumul des critères de gravité et d'irréversibilité du dommage environnemental pour que soit appliqué le principe de précaution. Après avoir observé que l'article 5 ne trouverait à s'appliquer que dans le seul domaine environnemental et non pas dans le domaine sanitaire, il a souligné que contrairement à certaines craintes, cet article ne constituerait pas un facteur d'immobilisme, puisqu'il prévoit que les autorités publiques doivent, par application du principe de précaution, poursuivre la recherche sur les risques encourus.

En conclusion, M. Alain Venot a insisté sur la nécessité que soit adopté, lors de l'examen de la Charte par la Commission des lois, un amendement présenté par M. Francis Delattre, visant à compléter l'article 34 de la Constitution pour prévoir que la loi détermine les principes fondamentaux de la préservation de l'environnement. Jugeant qu'un tel amendement serait de nature à apaiser les craintes les plus importantes, il a réitéré le soutien du groupe UMP au projet de Charte de l'environnement.

Le président Patrick Ollier a fait remarquer qu'un renvoi systématique à la loi ne serait pas forcément opérant, puisque le juge peut écarter celle-ci au profit d'un engagement international ou d'un texte communautaire comme une directive, ce qui n'est pas le cas s'agissant d'un texte constitutionnel. Il a confirmé que la Commission des lois aurait à examiner, lors de sa réunion au fond, un amendement de M. Francis Delattre visant à compléter l'article 34 de la Constitution et ayant donné lieu à un accord au sein de la majorité et a estimé que ce dispositif constituerait un réel progrès.

S'exprimant au nom du groupe socialiste, Mme Geneviève Perrin-Gaillard a rappelé les attentes suscitées non seulement par les déclarations du Président de la République faites à Johannesburg en 2002, mais aussi par le travail mené pendant un an et demi par la commission Coppens, qui avait abouti à proposer de consacrer un droit de l'homme à un environnement sain et équilibré. Elle a regretté que le texte présenté n'ait pas plutôt choisi de consacrer ce droit de l'homme à un environnement sain et équilibré à la suite de l'article 1er de la Constitution, en introduisant par ailleurs dans l'article 34 de la Constitution la notion d'environnement ; elle a en outre jugé le texte de la Charte en retrait par rapport aux propositions de la commission Coppens. Elle a déploré qu'à cet égard les semaines accordées par les reports successifs de l'inscription à l'ordre du jour du projet n'aient pas été mises à profit pour mener un travail en commun avec la Commission des lois visant à lever les ambiguïtés de la Charte.

Le président Patrick Ollier a indiqué que les auditions menées conjointement avec la Commission des lois avaient permis une collaboration approfondie entre les deux commissions.

M. Jean Lassalle, s'exprimant au nom du groupe UDF, a estimé que le texte actuel traduisait un profond malaise, illustré par les difficultés soulevées par la distinction entre prévention et précaution. Il a jugé le texte présenté préoccupant, car reflétant une idéologie qui exclut l'homme du souci de la protection de la nature et de l'environnement. M. Jean Lassalle a regretté que le Président de la République se soit ainsi éloigné du bon sens, tant apprécié des campagnes françaises et qui était naguère le sien, et ait malheureusement cédé aux sirènes d'une certaine idéologie qui n'a plus confiance en l'homme et en la politique. Il a déploré que le projet aboutisse à ériger la protection de l'environnement au même rang que les droits de l'homme en l'adossant à la Constitution. En ce sens, il a jugé que la remarque de Mme Geneviève Perrin-Gaillard était justifiée : il aurait mieux valu inscrire dans la Constitution le droit de l'homme à vivre dans un environnement sain et équilibré, au lieu de s'engager dans une démarche qui conduira à consacrer la transformation des campagnes françaises les plus fragiles en « réserves d'indiens ». Il a indiqué ne pas pouvoir voter ce texte et souhaité qu'il soit ultérieurement soumis à référendum.

En réponse à M. Jean Lassalle, le président Patrick Ollier a rappelé que face à la dégradation actuelle de l'environnement, le devoir de prévenir l'irréparable vis-à-vis des générations futures était impératif. Il a par ailleurs souligné que la Charte se limitait à énoncer que l'environnement est une des conditions de notre santé, ce texte n'ayant pas vocation à être une « Charte de la santé publique » et a rappelé que l'article 1er se bornait à consacrer un droit-créance dépourvu de portée directe. Il a enfin insisté sur la nécessité de bien distinguer précaution et prévention.

M. André Chassaigne, s'exprimant au nom du groupe Député-e-s communistes et républicains, a souligné que si l'inscription de la protection de l'environnement dans la Constitution était une étape nécessaire, il avait pourtant fallu attendre plus de trente ans pour voir ce projet aboutir, puisque dès 1977, M. Edgar Faure avait présenté une proposition de loi constitutionnelle, reprenant les textes émanant de divers groupes, visant à une telle inscription. Il a jugé que la Charte ne devait pas pour autant se limiter à être un moyen de se donner bonne conscience et souhaité qu'afin de ne pas rester une pétition de principe, elle renvoie à des lois organiques permettant de la compléter.

Soulignant l'attachement de son groupe à un droit de l'homme à vivre dans un environnement sain, il a regretté que le texte présenté consacre la protection de l'espace, des végétaux et des espèces vivantes, mais ne mentionne pas la préservation des ressources et des matières fossiles qui donnent lieu à une exploitation intensive. S'interrogeant sur la portée du principe de précaution et estimant qu'il ne devait pas déboucher sur la suspicion et l'inaction mais au contraire se traduire par la recherche de solutions alternatives, la vérification ou le contrôle, c'est-à-dire l'action, il a jugé qu'il devait être encadré par des règles s'inspirant, par exemple, des propositions formulées dans le cadre du rapport de M. Kourilsky et de Mme Viney.

M. Yves Cochet, après avoir salué l'initiative prise par le Président de la République à Johannesburg, a émis la crainte que ce texte n'ait plus aucune portée à l'issue de la discussion parlementaire, au risque de ridiculiser l'initiative prise par la France.

Par ailleurs, M. Yves Cochet, après avoir rappelé que si les écologistes avaient inscrit dès 1974 le respect de l'environnement et le changement climatique au cœur de la campagne présidentielle de M. Jean-René Dumont, la prise de conscience du reste de la classe politique avait malheureusement été trop tardive, a estimé que l'état de la planète était aujourd'hui plus dégradé qu'on ne le pense généralement. Il a souligné que les nombreuses incertitudes existant sur les conséquences de notre mode de vie et de consommation conduisaient de nombreux savants à s'interroger sur les risques qu'ils entraînent pour la survie de l'espèce humaine. Il a jugé dès lors que le principe de précaution ne saurait se restreindre au seul domaine des organismes génétiquement modifiés.

En réponse aux intervenants, M. Martial Saddier, rapporteur pour avis, a précisé les points suivants :

- l'article L. 110-1 du code de l'environnement, au niveau national, comme le traité de Maastricht, au niveau communautaire, font référence au principe de précaution. Or, le juge communautaire n'a pas hésité à qualifier ce principe de « principe directeur du droit communautaire » alors qu'il n'a vocation, selon l'article 174 instituant la Communauté européenne, à s'appliquer qu'aux seules politiques environnementales de la Communauté. Par ailleurs, de très nombreux Etats n'ont pas hésité à inscrire l'environnement dans leur constitution, le Brésil allant même jusqu'à y mentionner ses forêts ;

- un amendement visant à modifier l'article 34 de la Constitution pour y intégrer la préservation de l'environnement doit être examiné par la Commission des lois ; il permettra ainsi au législateur de préciser, par exemple, la nature des mesures provisoires et proportionnées devant être adoptées en application du principe de précaution, dans le respect de l'article 5 de la Charte ;

- le choix d'une Charte de l'environnement résulte d'une initiative du Président de la République et permettra ainsi de placer le droit à l'environnement sur le même plan que les droits civils et politiques issus de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et les droits économiques et sociaux découlant du Préambule de la Constitution de 1946. Ces textes constitueront ainsi les trois piliers du développement durable pour la France, cette innovation ayant une forte portée symbolique ;

- l'opposition du groupe UDF à la Charte de l'environnement est regrettable, d'autant que la Charte représente une réelle avancée en distinguant clairement la prévention de la précaution ; les auditions menées par le rapporteur pour avis ont d'ailleurs montré que la discussion permet de dissiper nombre de malentendus sur ce point ;

- il convient de réaffirmer clairement que l'article 5 de la Charte n'a pas vocation à s'appliquer à la santé humaine. Pour autant, la Charte de l'environnement témoigne bien d'une vision humaniste de l'environnement, comme en témoignent les nombreuses références, dans ses considérants, à l'homme, l'humanité, les générations futures ou le peuple ;

- s'agissant des ressources naturelles, le premier comme le cinquième considérant de la Charte y font explicitement référence ;

- il serait effectivement regrettable que le projet soit vidé de son contenu, même s'il est légitime que la Commission des affaires économiques se montre soucieuse de préserver les capacités françaises en matière de recherche et de développement économique ;

- le principe de précaution est d'ores et déjà appliqué dans certains domaines comme celui des produits phytosanitaires, dont la Commission des toxiques peut d'ores et déjà refuser l'homologation.

M. Pierre Ducout a jugé effectivement nécessaire de mieux protéger l'environnement, comme le propose la Charte de l'environnement, mais a souhaité qu'il soit précisé que l'homme est au centre des préoccupations qu'elle exprime, notamment au travers de son article 1er et a jugé que le rapporteur pour avis était allé trop loin dans la distinction entre prévention et précaution dans son exposé liminaire.

Il a souligné l'importance du principe de développement durable, notion recouvrant le développement des services publics.

Après avoir mis en garde contre une transmission aux citoyens d'une peur systématique vis-à-vis du progrès scientifique, il a regretté que le principe « pollueur-payeur » ne figure pas explicitement dans la Charte de l'environnement, alors qu'il avait occupé une place essentielle à la fin de la précédente législature lors de l'adoption en première lecture par l'Assemblée nationale du projet de loi sur l'eau.

Il a souhaité que la recherche et l'innovation sur l'environnement soient encouragées et s'est enfin interrogé sur la construction juridique à laquelle aboutirait un amendement de M. François-Michel Gonnot visant à permettre au législateur d'intervenir pour éviter une interprétation inopportune du principe de précaution par les juridictions.

M. François-Michel Gonnot a remarqué que si, sur le plan formel, la Charte de l'environnement serait défendue par le Garde des Sceaux, assisté du ministre de l'écologie et du développement durable, les explications fournies par les rapporteurs des deux commissions saisies n'avaient pas encore permis de dissiper l'ensemble des inquiétudes exprimées par les professionnels de la recherche, de la santé, de l'agriculture ou de l'industrie. Il a rappelé avoir demandé, lors de l'audition du précédent ministre de l'écologie et du développement durable, Mme Roselyne Bachelot, que la Commission des affaires économiques procède à l'audition des ministres en charge de la recherche et de l'industrie sur le projet de Charte. Il a ajouté avoir transmis cette proposition par écrit, quelques heures plus tard, à M. Patrick Ollier, président, lequel semblait favorable à cette initiative avant que la Conférence des présidents ne décide de reporter le débat en séance publique à la fin du mois d'avril. Tout en admettant que le changement de Gouvernement avait pu retarder cette démarche, il a regretté qu'aucune audition ne soit encore prévue alors que le projet de loi constitutionnelle doit être examiné en séance publique dans deux semaines. Il a donc suggéré d'organiser ces auditions, afin que les ministres concernés puissent confirmer aux commissaires, au nom du Gouvernement, que la Charte de l'environnement ne doit pas susciter d'inquiétudes particulières quant à son impact sur les activités économiques et la recherche.

Le président Patrick Ollier a rappelé avoir donné son accord à cette demande d'auditions et a jugé cette initiative légitime. Il a toutefois précisé n'avoir été averti que très tardivement par la Commission des lois de la date d'examen de ce texte en son sein, cette situation l'ayant conduit à adapter le calendrier de la Commission des affaires économiques en conséquence. Il a estimé que le rapporteur pour avis avait effectué un travail considérable sur ce texte et a ajouté que la brièveté des délais rendait désormais difficile l'organisation de telles auditions, tout en s'engageant à poursuivre les efforts en ce sens.

M. Antoine Herth, après avoir salué les qualités pédagogiques et l'écoute du rapporteur pour avis, a rappelé être lui-même un des acteurs de la démarche de prévention dans le cadre de ses activités au sein de la Commission nationale de l'agriculture raisonnée. Il a souligné que la mise en œuvre de cette approche pesait déjà considérablement sur les agriculteurs français, confrontés à la concurrence de pays tels que l'Inde ou la République populaire de Chine, qui n'ont pas les mêmes préoccupations environnementales.

Il a par ailleurs souhaité que le principe de précaution ne conduise pas à écarter définitivement les organismes génétiquement modifiés (OGM), sur lesquels des recherches indépendantes et objectives doivent pouvoir être poursuivies, sauf à accepter une dérégulation de la recherche ou l'importation massive de tels produits.

Il a enfin fait valoir que l'inscription des principes environnementaux et notamment du principe de précaution dans le bloc de constitutionnalité trouvait une triple justification : éviter la remise en cause de la protection de l'environnement en cas de changement radical de majorité parlementaire, inciter fortement à l'émergence d'un nouveau modèle de développement en France indépendamment des aléas de la conjoncture économique, et enfin prendre en compte des considérations de long terme qui dépassent largement le cadre d'une législature.

Mme Marcelle Ramonet a tout d'abord souligné que la Charte permettrait de donner une assise constitutionnelle à la notion d'environnement, perçue comme un bien commun et une valeur intemporelle à protéger. Rappelant que l'échelon communautaire était à l'origine de 80 % de la législation française dans le domaine de l'environnement, elle a jugé que la Charte deviendrait une référence au sein de l'Europe.

Elle a estimé que la définition d'un nouvel équilibre entre les activités humaines et le droits des individus à la préservation de leur environnement devait être formulée de manière pragmatique, « dosant » les réponses aux risques et la définition de ce qui est acceptable. Elle a souhaité que ce principe d'action responsable permette de trouver l'équilibre entre un risque zéro qui n'existe pas et celui d'un progrès dédaignant les risques qu'il peut comporter et a jugé indispensable d'écarter, en amont, tous les malentendus susceptibles d'apparaître sur le contenu de la Charte, en dissipant les confusions.

Soulignant la nécessité de garantir aux acteurs économiques la sécurité juridique, elle s'est réjouie que le Gouvernement se soit montré ouvert à une évolution du principe de précaution par voie d'amendements parlementaires, afin de renforcer l'affirmation du droit à l'environnement. Il lui a semblé nécessaire de bien préciser que le principe de précaution ne serait attentatoire ni à notre développement économique, ni à la recherche.

M. Michel Roumégoux a d'abord indiqué que de nombreux députés, conscients de leur responsabilité collective envers la planète et les générations futures, étaient motivés pour voter une Charte de l'environnement adossée à la Constitution. Il a néanmoins remarqué que les tentations procédurières croissantes chez les Français devraient conduire à écarter une application maximaliste du principe de précaution. Il a estimé que ce principe risquait de conduire soit à des interdictions systématiques dès lors qu'il existe des incertitudes, en cherchant à atteindre un hypothétique risque zéro, soit au laisser-faire tant qu'aucun risque précis n'aurait été identifié, selon la méthode d'analyse des risques fondée sur le « principe de familiarité ».

Il a donc appelé à donner à l'article 5 de la Charte une rédaction précise pour éviter les interprétations fâcheuses, et à dégager des règles suffisamment réalistes pour être applicables. Il a enfin souhaité que les mesures prises sur son fondement, en particulier s'agissant de la lutte contre l'effet de serre, permettent d'éviter des catastrophes écologiques, tout en restant proportionnées au danger et en tenant compte de la concurrence en provenance du reste du monde et surtout d'Asie.

IV.- EXAMEN DES ARTICLES

Avant l'article 1er

La Commission a examiné un amendement de Mme Geneviève Perrin-Gaillard portant article additionnel avant l'article 1er, tendant à insérer un nouvel article après l'article 1er de la Constitution, pour prévoir que :

- tout citoyen a droit à un environnement sain, riche d'un patrimoine naturel et culturel diversifié ;

- ce droit s'exerce dans des conditions de développement économique, technologique et de progrès social propre à l'épanouissement des générations présentes et futures ;

- la garantie de ce droit fondamental s'appuie sur des services publics contribuant au développement durable.

Défendant son amendement, Mme Geneviève Perrin-Gaillard a indiqué que si le projet de Charte visait à élever à un niveau constitutionnel le principe de protection de l'environnement, le groupe socialiste souhaitait quant à lui donner valeur constitutionnelle au droit de l'homme à un environnement sain et équilibré et a insisté sur la différence entre ces deux façons d'aborder la question.

Elle a souligné que l'approche retenue par le groupe socialiste consistait à introduire non seulement un nouvel article au sein de la Constitution, mais aussi à modifier l'article 34 de celle-ci pour prévoir que la loi détermine les principes fondamentaux de la protection de l'environnement, par le biais d'un amendement socialiste qui serait examiné par la commission des lois.

M. Martial Saddier, rapporteur pour avis, s'est déclaré défavorable à l'amendement présenté à la Commission, rappelant qu'il avait précédemment fait valoir l'intérêt d'une Charte de l'environnement qui constituera une nouvelle étape dans l'édifice juridique consacrant nos droits fondamentaux pour y intégrer le droit à l'environnement à la suite des droits civils et politiques et des droits économiques et sociaux.

Il a par ailleurs fait remarquer que la dimension humaine était loin d'être absente de la Charte, puisque son seul article premier consacre le droit de « chacun » à un environnement équilibré et favorable à sa santé.

Il a en outre souligné que la rédaction proposée était, sur de nombreux points, satisfaite par les articles de la Charte : la notion de santé est présente dans son article 1er ; les notions de développement économique et de progrès social, ainsi que celle de générations futures figurent dans le dernier considérant de la Charte et dans son article 6 ; enfin, le même article 6 fait référence à la promotion du développement durable par les politiques publiques, qui peut être rapprochée du souci de s'appuyer sur des services publics contribuant au développement durable. Enfin, il a estimé que la référence au « patrimoine culturel » était en décalage avec l'objet de la Charte qui ne vise que les relations de l'homme avec son environnement naturel.

M. François Brottes, ayant souligné l'importance de cet amendement pour le groupe socialiste, a rappelé que l'objectif de celui-ci était d'inscrire dans le marbre de la Constitution, et non pas en périphérie de celle-ci, dans un préambule nébuleux, de portée incertaine, le droit de tout citoyen à vivre dans un environnement sain, ajoutant qu'il attendait une réponse de nature politique à cette proposition.

Le rapporteur pour avis a indiqué que la Charte de l'environnement trouverait place aux côtés de la Déclaration des droits de l'Homme de 1789 et du Préambule de la Constitution de 1946, textes fondateurs dont il a estimé qu'il était difficile de les qualifier de « périphériques » ou « nébuleux ». Il a ajouté que la Charte aurait la même valeur constitutionnelle que celle qui caractérise ces deux textes. Suivant son rapporteur, la Commission a rejeté cet amendement.

Article 1er

Adossement de la Charte de l'environnement à la Constitution

C'est l'article 1er du projet de loi constitutionnelle qui procède à « l'adossement » de la Charte de l'environnement à la Constitution. A cette fin, il complète le premier alinéa du Préambule de la Constitution afin de disposer que le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, « ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2003 ».

Ce faisant, le projet de loi constitutionnelle prend acte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui intègre dans le bloc de constitutionnalité non seulement les articles de la Constitution mais également son préambule et, par voie de conséquence, les normes auxquelles ce dernier renvoie, c'est-à-dire la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 et les droits consacrés par le préambule de la Constitution de 1946.

Le Conseil constitutionnel a ainsi dégagé une définition large de la notion de constitution en droit français dès sa décision 39 DC du 19 juin 1970, dans les visas de laquelle figurait la mention « Vu la Constitution, et notamment son préambule ». Cette jurisprudence a par la suite été confirmée par sa décision 71-44 DC du 16 juillet 1971, qui considérait « qu'au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le Préambule de la Constitution, il y a lieu de ranger le principe de la liberté d'association ».

Le préambule et les éléments qu'il contient sont donc assimilés à la Constitution. Y mentionner les droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2003 équivaut donc à donner valeur constitutionnelle à la Charte, sans pour autant l'intégrer dans le texte même de la Constitution. Comme l'a souhaité le Président de la République, l'article 1er du projet de loi procède donc à « l'adossement » de la Charte à la Constitution.

On ne doit pas sous-estimer l'originalité de cette démarche : en effet, la constitutionnalisation de l'environnement par d'autres Etats ne s'est pas traduite par l'élaboration d'un texte « adossé » à leur Constitution ; le choix a généralement consisté à traiter, dans un ou plusieurs articles de celles-ci, des questions environnementales. La France sera donc le seul pays européen à avoir consacré à l'environnement un texte constitutionnel à part entière.

Le terme de « Charte de l'environnement » est contesté par certains juristes, qui le considèrent inapproprié. C'est notamment le cas du professeur Yves Drago, qui estime que « ce terme, qui est une concession à une mode terminologique, et qui semble correspondre, pour certains, à un mode plus consensuel de création du droit, est mal choisi. Une charte est juridiquement une constitution octroyée par un monarque, comme cela a été le cas pour la charte du 4 juin 1814 octroyée par le roi Louis XVIII après son retour en France »9. A cela on répondra que la Charte de l'environnement est juridiquement ce que le constituant en a décidé, à savoir une déclaration de droits et devoirs fondamentaux dans le domaine de l'environnement, de valeur constitutionnelle. On peut d'ailleurs noter que le terme de « Charte » ne renvoie pas forcément à une constitution octroyée par un souverain, comme en témoigne la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

On notera que dans un souci de parallélisme des formes avec la rédaction actuelle du préambule, les auteurs du projet de loi ont souhaité faire référence à la Charte de l'environnement « de 2003 », le Préambule mentionnant en effet déjà la Déclaration de 1789 et le Préambule de la Constitution de 1946. Au-delà du parallélisme des formes, il s'agit également de marquer une nouvelle étape historique dans la reconnaissance de droits fondamentaux.

Pour autant, le choix de la date de 2003 n'est sans doute pas le plus approprié : si celle-ci correspond sans conteste à l'année durant laquelle le projet de Charte a été élaboré, elle ne renvoie pas à l'année de son adoption.

En conséquence, la Commission a été saisie d'un amendement du rapporteur pour avis visant à corriger la date de la Charte de l'environnement pour viser l'année 2004 et non l'année 2003.

M. François-Michel Gonnot s'est étonné que la Charte de l'environnement soit datée, notant que ce texte aurait sans doute vocation à être unique, et a demandé si ce choix répondait à un souci de parallélisme des formes avec la référence faite, dans le Préambule de la Constitution, à la Déclaration de 1789 et au Préambule de la Constitution de 1946. Le rapporteur pour avis ayant répondu par l'affirmative, la Commission a adopté cet amendement (amendement n° 44).

Puis, la Commission a émis un avis favorable à l'adoption de l'article 1er, ainsi modifié.

Article 2

Charte de l'environnement

L'article 2 du projet de loi constitutionnelle contient le texte de la Charte elle-même. Celle-ci est divisée en deux parties : tout d'abord des considérants, puis les dix articles de la Charte. Comme à l'article 1er du projet de loi, la Commission a adopté un amendement du rapporteur pour avis visant à corriger la date de la Charte de l'environnement pour viser l'année 2004 et non l'année 2003 (amendement n° 45).

La Charte débute par les termes « Le peuple français (....) proclame », puis suivent les articles de la Charte. Le choix de ces termes devrait donner lieu, selon certains, à une adoption de la Charte par voie de référendum et non par le Congrès. En effet, la Déclaration de 1789 fait référence aux « Représentants du Peuple français, constitués en Assemblée Nationale », tandis que le Préambule de la Constitution de 1946 ainsi que celui de la Constitution de 1958, qui ont toutes deux été adoptées par référendum, mentionnent « le peuple français ». Votre rapporteur pour avis estime que cette critique n'est pas véritablement fondée : les nombreuses révisions de notre Constitution par le Congrès n'ont jamais conduit à s'interroger sur la nécessité de réviser le Préambule, afin de substituer aux termes « le peuple français » les termes « les représentants du peuple français ». On notera en outre qu'il n'existe pas de différence, en droit positif, entre les textes constitutionnels selon leur procédure d'adoption.

I.- LES CONSIDÉRANTS

Les considérants de la Charte de l'environnement peuvent être considérés comme l'équivalent d'un exposé des motifs de la Charte. Comme on l'a vu plus haut, s'ils ont valeur constitutionnelle, tout comme les articles de la Charte, ils ne peuvent toutefois être considérés comme ayant une portée directe. On notera qu'au contraire de la Déclaration de 1789 et des préambules des Constitutions de 1946 et 1958, ils ne proclament aucun droit, cette tâche revenant aux articles de la Charte. Ils se bornent donc à exposer la philosophie de celle-ci et permettront de guider l'interprétation qui doit être faite de ses articles.

Leur tonalité est d'ailleurs sensiblement différente de celle qui caractérisent les déclarations de droits existantes. Comme le souligne justement le professeur Bertrand Mathieu, « Si le préambule de la Déclaration de 1789 s'inscrit dans une logique qui est celle du droit naturel, si la phrase liminaire du Préambule de 1946 se situe volontairement dans un contexte historique spécifique, les premiers considérants de la Charte renvoient à des considérations scientifiques sur le lien entre l'humanité et son environnement. (...) La science, qui est à la fois la cause des dégradations causées à l'environnement et l'instrument par lequel on entend les réparer ou les prévenir, est au centre de la logique sur laquelle est construit ce texte. »10.

Ce point mérite d'être souligné avec insistance car certains membres de la communauté scientifique craignent, à tort selon votre rapporteur pour avis, que la Charte ne devienne une déclaration contre la science et la recherche. Il n'en est rien, bien au contraire : la Charte consacre en réalité le rôle de la science au niveau constitutionnel, tout d'abord en s'appuyant sur des faits scientifiquement établis qui traduisent l'esprit objectif dans lequel elle a été élaborée et ensuite dans ses articles 5 et 9 (voir infra).

Les considérants s'inscrivent également dans une perspective historique de long terme : ils traitent de l'environnement comme condition de l'évolution et de la pérennité de l'espèce humaine ; cette perspective s'accompagne d'une vision très universaliste, les considérants faisant référence non pas au « peuple français » ou aux « citoyens », mais à « l'humanité », « l'homme », ou encore aux « générations futures » et aux « autres peuples ». A partir de constats portant sur les liens indissociables entre l'homme et la nature, ils fondent notre responsabilité collective et placent enfin le projet humain au centre des enjeux de la Charte, dans une progression qui débouche sur un choix de société, le développement durable.

Les deux premiers considérants s'attachent à énoncer la dépendance de l'homme vis-à-vis de son environnement naturel. Le premier considérant dispose que « les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l'émergence de l'humanité ». Il reprend ainsi, en des termes quasiment identiques, la rédaction qui avait été proposée par la commission Coppens. On pourrait s'étonner qu'un texte de valeur constitutionnelle fasse mention des conditions d'émergence de l'humanité ; pourtant, ce simple rappel est justifié car la maîtrise technologique dont notre société fait preuve n'efface pas la dualité de l'homme, être à la fois biologique et culturel.

Malgré nos avancées techniques et scientifiques, nous demeurons en effet fortement dépendants des ressources naturelles dont certaines sont pour nous vitales (air, eau, ressources alimentaires) et d'autres sont une condition indispensable de notre développement (ressources énergétiques). C'est ce que traduit le deuxième considérant, selon lequel « l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel », inscrivant ainsi dans une perspective de long terme les liens indissolubles entre l'homme et son environnement naturel.

Comme l'a souligné la commission Coppens, « on peut discuter de la plus ou moins grande intensité de [la] dépendance de l'homme à l'égard de son milieu. On peut s'interroger sur ce que deviendront ces liens avec le progrès des sciences et des technologies. Certains membres de la Commission ont souligné d'ailleurs que l'action humaine a façonné la nature autant que celle-ci a conditionné l'homme, comme le montre la transformation des paysages par l'agriculture. Mais « l'humanisation » de la nature a ses propres limites. (...) Si l'activité humaine a une incidence positive sur le développement de l'homme, on ne peut prétendre qu'il en soit nécessairement de même pour la biosphère dans sa globalité »11.

Le troisième considérant traduit la philosophie universaliste de la Charte de l'environnement, en disposant que « l'environnement est le patrimoine commun des êtres humains ». Cette affirmation est à comparer au paragraphe I de l'article L. 110-1 du code de l'environnement selon lequel « les espaces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, la qualité de l'air, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent font partie du patrimoine commun de la nation ».

La Charte constitue donc une étape supplémentaire, en tenant compte de la globalité de l'environnement puisqu'elle ne renvoie pas, comme l'avait fait la loi « Barnier », à ses différentes composantes mais reconnaît au contraire que celles-ci forment un tout indissociable qui ne peut être segmenté. C'est cette globalité qui permet d'introduire la notion de « patrimoine commun des êtres humains » qui s'affranchit des logiques nationales et administratives : l'exemple du réchauffement climatique ou des atteintes portées à la diversité biologique démontre bien que les problématiques environnementales prennent aujourd'hui une dimension planétaire et ne peuvent être réduites aux seules pollutions locales. Il s'agit donc de témoigner, comme l'indique l'exposé des motifs, de la dimension universelle de la protection de l'environnement. On peut d'ailleurs noter que ce considérant s'inspire largement de la notion de « patrimoine commun de l'humanité » établie en droit international public, tout en s'en distinguant par la référence aux « être humains », qui permet ainsi d'éviter toute confusion avec un concept utilisé dans le droit positif.

Lors des auditions qu'il a menées, votre rapporteur pour avis a été interrogé sur les modalités de conciliation de la notion de patrimoine commun avec le droit individuel de propriété. Il considère, comme l'avait fait la commission Coppens dans son rapport, que le lien entre les êtres humains et leur patrimoine commun n'abolit pas les liens juridiques traditionnels et notamment l'article 544 du code civil mais s'y superpose selon une autre perspective. Ce considérant n'a donc pas vocation à avoir une portée opératoire donnant intérêt à agir en justice ; il s'agit simplement d'affirmer que l'environnement est une richesse partagée, dont la gestion « en bon père de famille » doit être assumée collectivement, afin de pouvoir le transmettre aux générations futures.

La Commission a examiné un amendement de Mme Geneviève Perrin-Gaillard précisant dans ce considérant de la Charte la dimension culturelle et naturelle du patrimoine commun des être humains que constitue l'environnement.

Mme Geneviève Perrin-Gaillard a souligné que l'environnement ne pouvait être réduit à sa composante naturelle et recouvrait également la notion de patrimoine culturel, que celui-ci se manifeste par une diversité en matière de territoire ou d'histoire, qui contribue également à la qualité de vie des hommes. Elle a jugé que l'affirmation dans la Charte d'une telle approche était d'autant plus justifiée que la France soutenait, sur la scène internationale, le projet de convention de l'Unesco sur la diversité culturelle.

Le rapporteur pour avis a estimé que cette approche reposait sur une appréciation tout à fait subjective. Il a rappelé qu'elle avait fait l'objet de discussions au sein de la commission Coppens, et n'avait pas été retenue par le projet de loi, le choix ayant été fait de s'en tenir seulement au rapport entre l'homme et son environnement naturel. Il a enfin souligné les risques juridiques créés par l'introduction d'une notion sujette à interprétation, et a conclu par un avis défavorable sur l'amendement.

Mme Geneviève Perrin-Gaillard a pour sa part estimé qu'en occultant l'aspect culturel de l'environnement, on ôtait toute dimension humaniste à la Charte. Elle a déploré que la rédaction de la Charte marque un recul au regard des travaux conduits par la commission Coppens et que la réduction du patrimoine à sa dimension naturelle ramène le contenu de la Charte à des banalités.

M. François-Michel Gonnot a estimé que la notion de patrimoine, en tant que patrimoine de l'humanité, devait se concevoir plus largement encore que ne le proposait Mme Perrin-Gaillard, en incluant au-delà du patrimoine naturel et culturel, le patrimoine historique, ou archéologique, l'amendement de Mme Geneviève Perrin-Gaillard ayant donc une portée trop restrictive.

Puis, la Commission a rejeté cet amendement.

Alors que les deux premiers considérants de la Charte insistent sur la dépendance de l'homme vis-à-vis des milieux naturels, le quatrième considérant traduit quant à lui une autre dimension des liens entre l'homme et son environnement, en énonçant que «  l'homme exerce une influence croissante sur les conditions de la vie et sur sa propre évolution ». La conjugaison de ce constat et des premiers considérants met en évidence les interrelations complexes régissant les liens entre l'homme et son environnement.

Les pressions humaines sur l'environnement sont aujourd'hui multiples ; la croissance démographique et l'allongement de la vie humaine en constituent la première. Mais la science, la technique et le développement économique nous permettent également d'affecter durablement les équilibres naturels et les conditions de la vie : les progrès des biotechnologies qui permettent de manipuler le génome sont un exemple parmi d'autres de ce pouvoir que nous avons acquis. L'influence de l'homme sur l'environnement, si elle prend des formes variables, atteint pour la première fois l'échelle planétaire avec le réchauffement climatique, l'amincissement de la couche d'ozone stratosphérique ou la réduction de la biodiversité qui, selon le rapport de la commission Coppens, suit un rythme qui semble n'avoir jamais connu d'équivalent au cours de l'histoire de la Terre, même à ses périodes de grandes extinctions.

Le cinquième considérant dresse le constat des effets de notre mode de développement sur « la diversité biologique, l'épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines », en énonçant que ceux-ci sont « affectés par certains modes de consommation ou de production et par l'exploitation excessive des ressources naturelles ».

Ce considérant a suscité des réactions variées parmi les personnes auditionnées par votre rapporteur pour avis. La mention de la diversité biologique a ainsi fait l'objet de critiques de la part de certains membres de la communauté scientifique, qui ont estimé que la préservation de cette dernière ne pouvait être considérée comme un objectif en soi et devait être considérée comme seconde par rapport au développement humain. Les représentants des milieux associatifs de protection de la nature ont pour leur part déploré que cette notion essentielle soit combattue, alors qu'elle couvre l'ensemble des interrelations entre les êtres vivants et est aujourd'hui remise en question par certaines pratiques dont on connaît pour l'instant très mal les mécanismes qu'elles mettent en jeu.

Ces oppositions assez vives résultent en réalité de l'introduction dans notre droit d'une notion perçue comme reconnaissant l'environnement en tant que tel et non en tant qu'il est « pour l'homme ».

Cette appréciation mérite, selon votre rapporteur pour avis, d'être nuancée. Tout d'abord, les considérants qui précèdent ont présenté les milieux naturels comme conditionnant l'existence de l'humanité ; c'est à travers ce prisme qu'il convient donc de lire le cinquième considérant qui établit que les conditions de la vie humaine dépendent d'apports de la nature et notamment de la diversité des espèces animales et végétales. Par ailleurs, ce considérant mentionne l'épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines, plaçant ainsi l'homme, dans sa dimension culturelle, au centre du constat qu'il établit.

Aux yeux de votre rapporteur pour avis, il ne s'agit donc pas de sacraliser la diversité biologique, ce qui n'aurait d'ailleurs pas de sens car celle-ci est évolutive par essence. En revanche, la mention du progrès des sociétés humaines inscrit le constat établi dans une perspective dynamique qui introduit la notion de générations futures et de développement durable figurant dans le dernier considérant.

Votre rapporteur pour avis s'est pour sa part interrogé sur la notion d'« exploitation excessive des ressources naturelles ». Celle-ci suscite également des réactions contrastées ; ainsi, si les environnementalistes estiment que notre mode de production et de consommation met en cause les équilibres naturels avec une rapidité telle que l'environnement ne peut s'y adapter, les acteurs du secteur énergétique tendent quant à eux à relativiser le caractère excessif de l'exploitation de gaz ou de pétrole, en soulignant que l'appréciation de l'intensité de cette exploitation est fortement tributaire des connaissances du moment sur la présence de gisements et des techniques disponibles pour les exploiter.

Le sixième considérant tire la conclusion logique qui s'impose à la lecture des considérants qui précèdent : « la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ».

Rappelons que figure déjà, dans les intérêts fondamentaux de la Nation définis à l'article 410-1 du code pénal, l'équilibre de son milieu naturel et de son environnement. Les autres intérêts fondamentaux énumérés par le même article sont l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire, sa sécurité, la forme républicaine de ses institutions, les moyens de défense de sa diplomatie, la sauvegarde de sa population en France et à l'étranger, les éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et son patrimoine culturel.

La Charte intègre donc désormais, parmi les intérêts fondamentaux de la Nation, la préservation de l'environnement, tout en donnant valeur constitutionnelle à ces intérêts qui jusque là ne figuraient que dans le code pénal.

Ce sixième considérant est extrêmement important en ce qu'il introduit la notion de conciliation de l'objectif de préservation de l'environnement avec d'autres exigences non environnementales. A cet égard, il doit être rapproché de l'article 6 de la Charte qui impose aux politiques publiques de prendre en compte et concilier la protection et la mise en valeur de l'environnement avec le développement économique et social. La préservation de l'environnement ne constitue donc pas un absolu mais un intérêt fondamental de la Nation parmi d'autres, sans qu'aucune hiérarchie soit instituée. Il ne peut donc être exclu d'y déroger pour préserver d'autres intérêts.

Cette délicate recherche de l'équilibre entre des exigences contradictoires est traduite par le dernier considérant de la Charte, selon lequel « afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».

Véritable choix de société présenté comme un objectif de valeur constitutionnelle à l'article 6 de la Charte, le développement durable est ici défini de manière classique depuis le rapport « Bruntland » de 1987 de la commission mondiale de l'environnement et du développement de l'Organisation des Nations-Unies, selon lequel « le développement durable permet de répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins ».

La formulation retenue par la Charte est sensiblement proche de cette définition internationale, dont s'écartent en revanche les dispositions de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, aux termes duquel « l'objectif de développement durable (...) vise à satisfaire les besoins de développement et de santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». On constate que la notion de développement et de santé des générations présentes et futures ne figure pas dans le dernier considérant de la Charte, qui a choisi une approche plus globale en se référant aux « besoins » de ces générations.

La Charte consacre ainsi une approche équilibrée et solidaire des problématiques environnementales, approche qui donne lieu à un large consensus tant il apparaît nécessaire de concilier préservation de l'environnement, développement économique et progrès social. Plaçant l'homme au cœur des enjeux environnementaux, elle fonde notre responsabilité vis-à-vis des générations qui nous succèderont et se pare en outre d'une dimension universaliste en faisant référence aux besoins des « autres peuples » dans la tradition des grandes déclarations de droits précédentes.

La Commission a été saisie d'un amendement de Mme Geneviève Perrin-Gaillard visant à modifier le dernier considérant de la Charte pour reconnaître, dans le cadre du développement durable, des droits aux générations futures, et pas seulement la nécessité de préserver leur capacité à répondre à leurs besoins. Elle a expliqué qu'il s'agissait notamment de mettre ainsi en cohérence le texte de la Charte avec l'article L.542-1 du code de l'environnement, introduit par la loi n° 91-1381 du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs, dite loi « Bataille », qui dispose que la gestion des déchets radioactifs doit être assurée en prenant en considération les droits des générations futures.

Le rapporteur pour avis a émis un avis défavorable, soulignant que l'article L.110-1 du code de l'environnement, qui définit les principes généraux du droit de l'environnement et est donc d'une portée plus large qu'une disposition spécifique aux déchets radioactifs, définit le développement durable en visant simplement la capacité des générations futures à répondre à leurs besoins de développement, sans citer les droits de ces générations. Il a en outre fait état de la définition du développement durable proposée par le rapport Brundtland de 1987 des Nations-Unies, qui repose sur le fait de ne pas compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins, là encore sans mentionner les droits de ces générations. Il a jugé préférable de s'en tenir à la définition traditionnelle du développement durable.

Suivant son rapporteur, la Commission a rejeté cet amendement.

II.- LES ARTICLES DE LA CHARTE

Article 1er de la Charte de l'environnement

Droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé

L'article 1er de la Charte consacre un nouveau « droit-créance », le droit de chacun de « vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé ». La formulation retenue, qui vise l'environnement pour lui-même (environnement équilibré) et dans sa relation à l'homme (favorable à la santé de chacun) est assez éloignée de celle qui avait été retenue par la commission Coppens, selon laquelle « Toute personne a le droit de vivre et de se développer dans un environnement sain et équilibré qui respecte sa dignité et favorise son bien-être ».

La rédaction de la Charte semble plus appropriée, en ce qu'elle vise « chacun », c'est-à-dire exclusivement les personnes physiques, s'inscrivant ainsi dans une écologie humaniste, et non pas « toute personne », termes qui visent également les personnes morales, ce qui n'a guère de sens lorsqu'on évoque leur santé, leur dignité ou leur bien-être.

Ces deux dernières notions ont d'ailleurs été exclues par les auteurs de la Charte, au profit de la notion d'environnement « favorable » à la santé de chacun. Il s'agit ainsi de consacrer l'environnement en tant qu'il est un vecteur de notre santé. Mais, comme le soulignent le ministère de la justice et le ministère de l'écologie et du développement durable, il ne s'agit pas pour autant de créer un lien indissociable entre droit de la santé et droit de l'environnement, qui ont chacun un champ d'application propre ; l'article 1er énonce simplement que la qualité de notre environnement est une des conditions de la protection de la santé.

Lors des auditions qu'il a menées, votre rapporteur pour avis a pu constater de fortes réticences quant à la rédaction retenue. La première critique tend à souligner que le onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 proclame déjà comme particulièrement nécessaire à notre temps le principe selon lequel la Nation garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé.

Ce droit à la santé a certes été reconnu par le Conseil constitutionnel comme un objectif à valeur constitutionnelle, notamment dans sa décision 89-269 DC aux termes de laquelle « il incombe au législateur comme à l'autorité réglementaire, selon leurs compétences respectives, de déterminer, dans le respect des principes posés par le onzième alinéa du Préambule, leurs modalités concrètes d'application ; (...) il leur appartient en particulier de fixer les règles appropriées tendant à la réalisation de l'objectif défini par le Préambule ». Pour autant, le droit à la santé ainsi érigé en objectif de valeur constitutionnelle se formule comme un droit à des prestations de santé et son lien avec l'environnement est pour le moins ténu. Or, comme on l'a vu dans les considérants, les conditions de la vie de l'homme et donc sa santé dépendent de la qualité de son milieu.

Une autre critique porte sur la notion d'environnement « équilibré », qui serait trop imprécise et sans contenu. On ne peut souscrire à cette objection ; comme le souligne l'exposé des motifs du projet de loi, cette notion recouvre le maintien de la biodiversité et de l'équilibre des espaces et des milieux naturels, le bon fonctionnement des écosystèmes et un faible niveau de pollution. On doit par ailleurs noter que la notion d'équilibre est déjà bien connue dans le droit de l'environnement ; on peut par exemple citer l'article L. 110-1 du code de l'environnement qui fait référence aux « équilibres écologiques », ou l'article L. 210-1 du même code qui mentionne le respect des « équilibres naturels ».

Comme le soulignent le ministère de la justice et le ministère de l'écologie et du développement durable, ni le droit communautaire, ni le droit européen ne connaissent de disposition équivalente à l'article 1er de la Charte, qui constituera de ce fait une réelle avancée. On a en effet vu plus haut que seule la Cour européenne des droits de l'homme a consacré le droit de vivre dans un environnement sain, en le rattachant à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, relatif à la vie privée et familiale qui serait affectée par un environnement lui étant nuisible.

La dernière critique émise à l'encontre de cet article de la Charte lors des auditions menées par votre rapporteur pour avis est aussi la plus vive : nombreux ont en effet été ceux qui ont contesté la rédaction selon laquelle chacun a le droit de vivre dans un environnement « favorable à sa santé », au motif qu'elle créerait un droit directement invocable par les justiciables. Alors que l'article L. 110-2 du code de l'environnement se borne à affirmer que le droit de chacun à un environnement sain est organisé « par les lois et règlements », les inquiétudes exprimées ont notamment porté sur le choix de l'adjectif possessif « sa » se rapportant à la santé de chacun, qui est interprété par certains comme consacrant un droit subjectif.

La réponse sur ce point est extrêmement claire : il n'en est rien. Le droit ainsi affirmé est un droit-créance et en tant que tel constitue une obligation pesant sur les pouvoirs publics. On peut le rapprocher des droits économiques et sociaux proclamés par le Préambule de la Constitution de 1946 et qui ont été considérés par le juge constitutionnel comme des droits-créances, tel le droit à des moyens convenables d'existence - aux termes du onzième alinéa du Préambule, « tout être humain qui (...) se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ».

De manière similaire, le droit de chacun de vivre dans un environnement favorable à sa santé ne peut être considéré comme un droit subjectif dont la réalisation pourrait être obtenue directement d'un juge et on ne peut souscrire à l'analyse de M. Michel Prieur12 selon lequel serait consacré un droit individuel qui implique non seulement des prestations positives de la part de l'Etat mais aussi des mécanismes administratifs et juridictionnels de réclamation tant à l'encontre de l'Etat que vis-à-vis des tiers.

Selon la doctrine constitutionnelle classique, l'effectivité de ce droit-créance sera subordonnée à l'intervention du législateur, contrairement aux droits-libertés qui sont directement opposables à l'Etat.

Ce caractère de droit-créance fait du droit énoncé par l'article 1er un objectif de valeur constitutionnelle qui s'imposera au législateur ; comme le souligne le ministère de la justice, ce dernier devra donc le mettre en œuvre dans le respect des autres articles de la Charte et des autres droits de même valeur.

Nombreuses ont été les personnes auditionnées qui ont proposé des rédactions alternatives à cet article afin de viser soit un environnement favorable à « la » santé en général et non pas à la santé de chacun, afin de se placer dans une perspective de santé publique, soit un environnement qui serait simplement « respectueux de la santé ». Il a notamment été souligné que si l'environnement est favorable à la santé d'une personne, il ne l'est pas forcément pour la santé d'autres individus, ce qui justifierait une rédaction en retrait par rapport à la formulation retenue dans la Charte.

La plupart de ces propositions étaient inspirées par une appréciation erronée de la portée de l'article 1er, qui était interprété comme consacrant un droit subjectif. Nous venons de voir que tel n'est pas le cas ; dès lors, toute proposition visant à formuler un objectif de valeur constitutionnelle moins ambitieux, telle la rédaction selon laquelle chacun aurait le droit de vivre dans un environnement équilibré et « respectueux de la santé » ou « qui ne nuise pas à la santé » semble devoir être écartée, car elle conduirait à vider de son sens l'article 1er. Par ailleurs, on pourra faire remarquer qu'une rédaction visant « la » santé en général et non pas la santé de chacun aurait l'inconvénient de viser potentiellement la santé de tous les êtres vivants, ce qui donnerait alors une portée beaucoup trop large au dispositif.

La Commission a été saisie d'un amendement de Mme Geneviève Perrin-Gaillard visant d'une part à préciser que chacun a le droit de vivre dans un environnement « écologiquement » équilibré et d'autre part, que cet environnement doit être favorable à la santé en général et pas à la santé de chacun. Mme Geneviève Perrin-Gaillard a signalé que l'adverbe « écologiquement » permettait de faire référence aux interactions existant entre les espèces et a par ailleurs jugé que l'emploi du terme « sa » se rapportant au mot « santé » conduisait à une conception trop individualiste des liens entre environnement et santé, la santé devant être considérée dans sa globalité, faute de quoi des litiges pourraient survenir.

Le rapporteur pour avis s'est déclaré défavorable à cet amendement, indiquant que l'adjectif possessif « sa » était grammaticalement couplé avec le terme « chacun ». Il a en outre souligné que la substitution proposée par Mme Geneviève Perrin-Gaillard n'offrirait qu'un intérêt très limité, puisque l'emploi de l'adjectif possessif « sa » ne conduit pas à faire du droit énoncé à l'article 1er un droit subjectif qui serait directement invocable. En effet, a-t-il souligné, le droit affirmé à l'article 1er est à ranger parmi les objectifs de valeur constitutionnelle, en raison de l'emploi de la formule selon laquelle « chacun a le droit » de vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé, selon une rédaction analogue à d'autres droits qui ont été appréciés par le Conseil constitutionnel comme de simples objectifs de valeur constitutionnelle, tels le droit à la santé ou le droit au travail.

M. Philippe Tourtelier a déclaré que pour sa part, il n'était pas du tout convaincu par l'argumentation du rapporteur, qu'il a qualifiée de « sémantique ».

S'agissant de l'adverbe « écologiquement », le rapporteur pour avis a estimé que celui-ci soulevait des problèmes d'interprétation et a souligné que la notion d'environnement « équilibré » figurait déjà dans de nombreuses constitutions étrangères, donnant de ce fait lieu à une doctrine abondante à laquelle le juge français ne manquera sans doute pas de se référer.

Mme Geneviève Perrin-Gaillard, avec le soutien de M. François Brottes, a rectifié son amendement, afin que celui-ci vise simplement à substituer à l'adjectif possessif « sa » l'article défini « la ».

M. Yves Simon a soutenu cet amendement, craignant les risques de contentieux que pourrait emporter la rédaction initiale de la Charte.

Après que le rapporteur pour avis eut rappelé que la formule « chacun a le droit » conduisait à ranger l'article 1er parmi les objectifs de valeur constitutionnelle qui n'ont pas de portée directe, la Commission a rejeté cet amendement.

La Commission a examiné un amendement de M. Yves Cochet visant à préciser que l'environnement offert à chacun doit non pas être « équilibré et favorable à sa santé », mais être « (de qualité) » et « satisfaire ses besoins fondamentaux, en particulier la santé et la sécurité ».

Défendant son amendement, M. Yves Cochet a estimé que la notion d'équilibre, en matière écologique, n'avait pas de signification claire, du fait de l'existence de nombreux cycles naturels. Soulignant l'intérêt de la notion de « besoins fondamentaux », citant ainsi le logement ou le fait de se nourrir, il a estimé que les notions de santé et de sécurité avaient une valeur juridique mieux affirmée que la rédaction proposée par le projet de loi pour l'article 1er de la Charte et a souligné qu'elles rencontraient en outre un écho dans le rapport sur l'impact sanitaire de la pollution atmosphérique urbaine en France récemment publié par l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale (AFSSE), selon lequel le nombre de morts ainsi provoquées chaque année est compris entre 6 500 et 9 500 personnes.

Le rapporteur pour avis a émis un avis défavorable en soulignant que la référence à des « besoins fondamentaux » dans un texte de valeur constitutionnelle ouvrirait la voie à des interprétations très variées et contradictoires.

La Commission a alors rejeté cet amendement.

Puis, elle a examiné deux amendements identiques, présentés respectivement par le président Patrick Ollier et M. François-Michel Gonnot, prévoyant que le droit de chacun à un environnement « respectueux » de sa santé et non pas « favorable » à celle-ci

Le président Patrick Ollier a indiqué que le droit à un environnement « favorable » à la santé s'apparentait à une injonction de nature quasiment thérapeutique et a estimé que, s'agissant de droits-créances qui sont des objectifs de valeur constitutionnelle non directement opposables, la rédaction proposée par l'amendement semblait plus adaptée et plus réaliste.

M. François Brottes a estimé que la rédaction prévue par cet amendement semblait moins dynamique et moins exigeante que celle du projet de loi, en particulier pour les individus déjà en mauvaise santé, puisque l'environnement n'aurait qu'à respecter ce mauvais état de santé pour respecter l'objectif établi à l'article 1er.

M. Philippe Tourtelier a suggéré de faire référence, s'agissant des droits de chacun vis-à-vis de l'environnement, à « la » santé en général plutôt qu'à « sa » santé.

Mme Geneviève Perrin-Gaillard a apporté son soutien à cette dernière idée, en soulignant que l'exposé sommaire de l'amendement proposé faisait justement référence à « la » santé pour désigner celle de la population en général, cette ambiguïté témoignant selon elle d'une attitude politicienne de la majorité parlementaire.

Le président Patrick Ollier a rappelé que ce dernier débat avait déjà été tranché et considéré, s'agissant de son amendement, que la notion d'environnement « favorable » à la santé était trop comminatoire.

La Commission a alors adopté cet amendement ainsi que l'amendement identique de M. François-Michel Gonnot (amendement n° 46).

Article 2 de la Charte de l'environnement

Devoir de prendre part à la préservation et l'amélioration de l'environnement

L'article 2 de la Charte constitue une innovation en énonçant un devoir fondamental, comme l'avait souhaité le Président de la République dans son discours prononcé à Orléans le 3 mai 2001 : « Il s'agit de faire prévaloir une certaine conception de l'homme par rapport à la nature. Il s'agit de rappeler ses droits, mais aussi ses responsabilités ».

Cette option a été suivie par la commission Coppens, celle-ci faisant valoir que « la reconnaissance d'un nouveau droit à l'environnement ne peut se concevoir sans l'affirmation de nouveaux devoirs à l'égard de cet environnement » et que si cet équilibre entre droits et devoirs a été occulté au cours des décennies, il rejoint « la tradition qui a inspiré les grandes déclarations de droits »13, comme la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, dont le préambule dispose : « afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs... ».

Cet article de la Charte, selon lequel « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement », consacre donc la responsabilité de chacun d'entre nous à l'égard de l'environnement. Comme l'a souligné Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable, lors de son audition par la Commission des lois et la Commission des affaires économiques, chacun doit assumer ses responsabilités dans ce domaine sans attendre une évolution du comportement des autres acteurs. Votre rapporteur pour avis tient à souligner que cet article n'a fait l'objet d'aucune remarque particulière de la part des personnes qu'il a auditionnées ; il traduit donc un consensus.

Le devoir ainsi énoncé s'impose à tous les sujets de droits, les termes « toute personne » visant les personnes physiques ou morales, publiques ou privées. On peut le mettre en regard du deuxième alinéa de l'article L. 110-2 du code de l'environnement, qui dispose : « Il est du devoir de chacun de veiller à la sauvegarde et de contribuer à la protection de l'environnement ». On constate que la Charte de l'environnement s'inscrit dans une perspective plus dynamique et ambitieuse, puisqu'elle ne vise pas seulement la préservation de l'environnement mais également son « amélioration », tirant ainsi le constat de la dégradation de celui-ci sous l'impact des activités humaines.

On a vu plus haut que cet article de la Charte n'est pas de portée directe. En effet, la rédaction choisie est très proche de celle du cinquième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, selon lequel « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi », droit et devoir qui sont placés sur le même plan.

De manière similaire, le devoir énoncé à l'article 2 de la Charte constitue le pendant du droit affirmé à son article 1er et constitue donc un objectif de valeur constitutionnelle dont la mise en œuvre relève du législateur. Il n'a donc pas de portée directe et comme le souligne le ministère de la justice, la simple abstention d'une personne qui, par ailleurs, ne cause aucune atteinte à l'environnement, n'a pas à se voir opposer directement les dispositions de l'article 2.

On peut enfin souligner que la rédaction retenue à cet article est relativement souple, puisque le devoir qu'elle énonce consiste à « prendre part » à la préservation et à l'amélioration de l'environnement. Il ne s'agit donc pas d'imposer un devoir uniforme à l'ensemble des sujets de droit, quelles que soient leurs activités. Ainsi que l'indique le ministère de la justice, ce devoir sera proportionné à la place et aux responsabilités des personnes qui y sont tenues. C'est donc un souci d'équilibre qui a guidé les rédacteurs du projet de loi, souci qui devra être pris en compte ultérieurement par le législateur.

La Commission a examiné un amendement de M. Jean-Pierre Giran visant à substituer une « ardente obligation » au « devoir » de toute personne de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement.

Mme Josette Pons, après avoir indiqué qu'elle souhaitait cosigner cet amendement, a précisé qu'elle le rectifiait afin de prévoir que toute personne « se doit » de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement. Elle a ajouté que si l'obligation de préserver l'environnement pouvait être absolue, celle de l'améliorer ne devait être que morale.

Le rapporteur pour avis a émis un avis défavorable à cet amendement, faisant remarquer que la formulation proposée constituerait une novation susceptible de donner lieu à une jurisprudence constitutionnelle fluctuante, contrairement aux termes du projet de loi qui, déjà utilisés dans notre bloc de constitutionnalité, ont donné lieu à une jurisprudence désormais bien établie et stabilisée.

Le président Patrick Ollier a rejoint cette analyse en soulignant l'importance du travail accompli par le rapporteur pour avis pour prendre en compte la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Mme Josette Pons a alors retiré cet amendement.

Puis, la Commission a examiné un amendement présenté par Mme Geneviève Perrin-Gaillard, prévoyant que toute personne a le devoir de prendre part à « la sauvegarde et à la protection » de l'environnement plutôt qu'à « la préservation et à l'amélioration » de celui-ci.

Mme Geneviève Perrin-Gaillard a indiqué que cet amendement visait à réduire le caractère subjectif attaché à la notion d'amélioration, celui-ci pouvant conduire à des difficultés lors de l'appréciation de la portée de cet article de la Charte.

Le rapporteur pour avis ayant émis un avis défavorable sur cet amendement en notant que l'amélioration de l'environnement était une obligation plus ambitieuse que sa simple sauvegarde, Mme Geneviève Perrin-Gaillard a retiré cet amendement.

Article 3 de la Charte de l'environnement

Devoir de prévention et de limitation des atteintes à l'environnement

L'article 3 de la Charte est consacré au devoir de prévention des atteintes à l'environnement, que l'on doit distinguer de la réparation des dommages causés à l'environnement qui figure à l'article 4 et surtout du principe de précaution énoncé à l'article 5.

Le devoir de prévention affirmé dans cet article reprend un des grands principes du droit de l'environnement. Ainsi, selon l'article L. 110-1 du code de l'environnement, les politiques environnementales doivent notamment s'inspirer, « dans le cadre des lois qui en définissent la portée », du « principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable ».

Ce principe figure également dans le droit communautaire, puisque l'article 174 du traité instituant la Communauté européenne dispose que la politique de la Communauté dans le domaine de l'environnement est fondée notamment sur les « principes de précaution et d'action préventive » et sur « le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement » sans que ceux-ci soient par ailleurs définis.

La Charte de l'environnement n'introduit donc pas une notion nouvelle, la prévention constituant en effet un pan important de la législation environnementale actuelle. Mais jusqu'à présent, elle était un objectif s'imposant aux seuls pouvoirs publics : il s'agissait d'un principe directeur des politiques environnementales communautaire et nationale.

Le devoir que la Charte énonce, selon lequel « toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir ou, à défaut, limiter les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement » s'impose quant à lui à l'ensemble des sujets de droits, personnes physiques et morales, publiques et privées.

Ce devoir ne leur est pas pour autant directement opposable, puisqu'il est explicitement prévu qu'il reviendra à la loi de déterminer les conditions de sa mise en œuvre, le législateur étant ainsi doté d'un large pouvoir d'appréciation qui lui permettra, comme l'indique le ministère de la justice, d'adapter les exigences de la prévention aux activités en cause et aux personnes qui les exercent. L'article 3 de la Charte n'est donc pas de portée directe.

Il permet par ailleurs de clarifier nettement le contenu de la prévention par rapport aux dispositions communautaires et législatives en vigueur, en disposant que le devoir qu'il énonce consiste à « prévenir ou, à défaut, limiter » les atteintes à l'environnement. Procédant d'une logique de responsabilisation des acteurs dans le domaine de l'environnement, il évite l'écueil qui aurait consisté à énoncer, de manière irréaliste, un devoir absolu de prévention de toutes les atteintes environnementales qui aurait conduit à privilégier le seul pilier environnemental du développement durable au détriment de ses deux autres piliers que sont le développement économique et le progrès social. Aussi les auteurs de la Charte ont-ils opté pour une rédaction pragmatique, selon laquelle lorsqu'il n'est pas possible d'empêcher toute atteinte à l'environnement, il convient, « à défaut », de limiter celle-ci.

Votre rapporteur pour avis estime nécessaire à ce stade de souligner le champ d'application de la prévention par rapport à celui de la précaution, même si l'on reviendra plus longuement sur cette distinction lors de l'examen de l'article 5 de la Charte qui suscite le plus d'interrogations. Comme l'ont souligné à maintes reprises le garde des Sceaux et la ministre de l'écologie et du développement durable, les deux démarches ne doivent pas être confondues ; or, au fil des auditions qu'il a menées, votre rapporteur pour avis a pu constater que les mésusages des notions de prévention et précaution étaient fréquents Ceux-ci sont d'ailleurs alimentés par l'ambiguïté des textes, puisque l'article 174 du traité instituant la Communauté européenne n'opère pas de réelle distinction entre ces deux démarches, en disposant que la politique environnementale de la Communauté est fondée « sur les principes de précaution et d'action préventive ».

Or, prévention et précaution sont deux démarches très différentes : la première concerne des risques avérés, contrairement à la deuxième qui doit s'appliquer en cas de risques potentiels. Ceci ne signifie pas pour autant que la réalisation des risques avérés, qui requièrent une démarche de prévention, n'est pas aléatoire. Comme le souligne le rapport Kourilsky-Viney relatif au principe de précaution, « La distinction entre risque potentiel et risque avéré fonde la distinction parallèle entre précaution et prévention. (...) Les probabilités ne sont pas de même nature (dans le cas de la précaution, il s'agit de la probabilité que l'hypothèse soit exacte ; dans le cas de la prévention, la dangerosité est établie et il s'agit de la probabilité de l'accident) »14.

Comme l'a souligné le garde des Sceaux lors de son audition par la Commission des lois et la Commission des affaires économiques, la prévention est destinée à répondre à des risques connus et avérés, tels que les risques naturels ou les risques technologiques classiques.

Ainsi, même si un risque d'inondation ou d'avalanche est aléatoire d'où une incertitude quant au moment de son occurrence, ce risque est néanmoins connu et appelle donc une démarche de prévention, qui relève aujourd'hui des plans de préventions des risques naturels prévisibles.

Dans le domaine des risques industriels, les études des dangers menées par les exploitants permettent d'établir des scenarii d'accidents en tenant compte de leur probabilité d'occurrence et de leur dangerosité. Si les phénomènes en cause sont fondamentalement aléatoires, ce qui rend absurde toute prétention à un risque zéro, ils n'en sont pas pour autant inconnus : ils peuvent être modélisés et probabilisés. Ils ne peuvent donc être considérés comme des « risques potentiels » au sens du rapport Kourilsky-Viney : l'incertitude ne pèse pas sur l'hypothèse de l'existence du risque, mais sur l'occurrence d'un accident. C'est donc une démarche de prévention qui doit être appliquée, démarche traduite dans notre droit par la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement.

D'une manière générale, votre rapporteur pour avis estime que la démarche de prévention s'imposera, comme aujourd'hui d'ailleurs, dans la grande majorité des situations nécessitant une gestion du risque environnemental. Rares sont en effet aujourd'hui les risques qui ne sont pas avérés grâce au progrès constant des connaissances scientifiques. L'article 3 de la Charte énonce donc un devoir essentiel dans le domaine de l'environnement, devoir qui responsabilise chacun d'entre nous et répond à une véritable demande de nos concitoyens.

La Commission a examiné un amendement présenté par Mme Geneviève Perrin-Gaillard, visant à faire explicitement référence au « principe de prévention » au début de l'article 3 de la Charte.

Mme Geneviève Perrin-Gaillard a estimé qu'il convenait d'ériger, sans ambiguïté, la prévention au rang de principe constitutionnel, rappelant que le Président de la République avait fait de ce principe l'un des piliers de la sécurité écologique lors des premières assises sur la Charte de l'environnement qui se sont tenues à Nantes.

Le rapporteur a émis un avis défavorable sur cet amendement, estimant qu'il serait source d'une grande confusion puisqu'il vise à accorder une portée directe à l'article 3 de la Charte de l'environnement, sans pour autant supprimer le renvoi à la loi qui figure dans ce même article, créant ainsi une équivoque susceptible de donner lieu à des interprétations très divergentes. Il a par ailleurs fait remarquer que doter ce principe d'une portée directe reviendrait, dans le même temps, à balayer d'un revers de main l'importante législation existant aujourd'hui dans le domaine de la prévention des risques environnementaux, telle que la législation sur les installations classées. Il a enfin jugé qu'il serait en pratique délicat d'imposer un devoir de prévention d'application directe à « toute personne » sans que celui-ci soit explicitement détaillé dans la loi.

Mme Geneviève Perrin-Gaillard, soulignant qu'il était pourtant fondamental de rappeler les grands principes environnementaux, a jugé que la Charte de l'environnement marquait à cet égard un recul par rapport aux travaux de la commission Coppens. Elle s'est interrogé sur le rôle du législateur pour préciser la portée de tels principes et a rappelé que les députés du groupe socialiste avaient déposé un amendement visant à modifier l'article 34 de la Constitution pour y inclure la protection de l'environnement, cet amendement devant être examiné par la Commission des lois après avoir été retiré des amendements dont est saisie la Commission des affaires économiques.

Suivant son rapporteur, la Commission a rejeté cet amendement.

Elle a ensuite examiné un amendement présenté par M. Yves Cochet, visant à ne plus renvoyer au législateur le soin de fixer les conditions dans lesquelles les atteintes à l'environnement doivent être prévenues ou, à défaut, limitées.

M. Yves Cochet a précisé que cet amendement, complémentaire de l'amendement précédent de Mme Geneviève Perrin-Gaillard, visait à faire du principe de prévention un principe d'application directe. Il a ajouté que cela ne revenait pas à supprimer toute intervention législative mais à encadrer celle-ci dans le cadre constitutionnel ainsi établi.

Le rapporteur pour avis ayant émis un avis défavorable pour les raisons précédemment évoquées, la Commission a rejeté cet amendement.

La Commission a ensuite examiné un amendement du même auteur aux termes duquel l'article 3 de la Charte énonce le devoir de toute personne de « prendre part à la préservation et à l'amélioration de la qualité » de l'environnement.

M. Yves Cochet a indiqué que cet amendement visait, conformément à l'esprit du texte, à accroître le caractère opérationnel du principe de prévention en invitant chaque acteur économique à des efforts et à une participation active aux actions environnementales.

Le rapporteur pour avis ayant observé que cet amendement visait à écrire, dans l'article 3 de la Charte de l'environnement, ce qui figure déjà à son article 2 et ayant, pour ce motif, émis un avis défavorable, la Commission a rejeté cet amendement.

Article 4 de la Charte de l'environnement

Réparation des dommages causés à l'environnement

Cet article de la Charte introduit une innovation importante dans notre droit, en disposant que « toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi ».

Ce devoir de réparation des dommages causés à l'environnement est à mettre en regard du principe « pollueur-payeur », mentionné à l'article 174 du traité instituant la Communauté européenne sans y être défini et figurant parmi les principes généraux des politiques environnementales à l'article L. 110-1 du code de l'environnement sous une rédaction sensiblement différente, puisque ce dernier dispose qu'en application de ce principe, « les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur ».

On remarquera tout d'abord que l'article 4 de la Charte n'utilise pas le terme « pollueur-payeur ». L'absence de cette référence a d'ailleurs suscité des regrets de la part des représentants du milieu associatif de protection de la nature et des consommateurs qui font valoir que la formule « principe pollueur-payeur », présente tant dans le droit communautaire que dans le code de l'environnement, est désormais bien connue du grand public et mériterait donc de figurer dans la Charte. Comme l'indique l'exposé des motifs du projet de loi, ce terme n'a pas été retenu car il a été jugé, à juste titre, ambigu : il pourrait en effet laisser croire à la reconnaissance d'un droit à polluer, alors que tel n'est pas l'objectif poursuivi par le constituant.

On notera surtout que cet article constitue une innovation majeure en rendant possible la mise en cause de la responsabilité de personnes physiques ou morales ayant causé un dommage à l'environnement.

Le droit positif ne permet en effet aujourd'hui d'engager la responsabilité de l'auteur d'un dommage à l'environnement que dans la mesure où celui-ci donne lieu à un dommage matériel aux biens ou aux personnes. C'est donc à travers ce prisme que sont traitées les atteintes à l'environnement, sans que soit pour autant reconnue la notion de dommage environnemental qui ouvrirait droit à réparation en tant que tel, y compris en l'absence de victimes identifiées.

C'est ainsi qu'en cas de pollutions diffuses touchant les cours d'eau et les sols ou de marées noires conduisant au mazoutage de la faune et de la flore et affectant de ce fait la biodiversité, l'absence de victimes directes pouvant demander réparation à l'auteur du dommage empêche que soit mise en cause la responsabilité de ce dernier. Nos concitoyens ont aujourd'hui de plus en plus de mal à accepter cet état du droit, considérant que la collectivité dans son ensemble subit un préjudice du fait de ces dommages qui dégradent son environnement.

Tirant la conséquence du troisième considérant de la Charte aux termes duquel l'environnement est le patrimoine commun des êtres humains, le présent article consacre désormais au niveau constitutionnel la notion de dommage environnemental, causé à des biens non appropriés (faune, flore, ressources naturelles, équilibres écologiques), qui ouvre droit à réparation lorsque la victime n'est pas une ou plusieurs personnes identifiées mais une communauté de personnes.

Votre rapporteur pour avis n'a été alerté sur la notion de réparation d'un dommage à l'environnement que par les sociétés d'assurances, qui se sont inquiétées que soit envisagée la réparation d'un dommage qu'elles considèrent par nature comme non quantifiable car il n'entraîne pas de préjudice identifié portant atteinte à une situation patrimoniale. On doit reconnaître que l'évaluation du préjudice peut, dans certains cas, se révéler délicate ; mais on peut également estimer que dans la plupart des cas, la réparation pourra être estimée en fonction du coût de remise en état des milieux, le terme de « réparation », très large, ne couvrant pas que la compensation financière.

On doit souligner que l'article 4 de la Charte s'intègre dans le cadre actuel du droit constitutionnel de la responsabilité et, loin de le mettre en question, le conforte et le complète. Il ne remet donc nullement en cause la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui avait déjà dégagé le caractère constitutionnel de la responsabilité civile pour faute sur la base de l'article 4 de la Déclaration de 1789, selon lequel la liberté consiste à faire ce qui ne nuit pas à autrui, ou encore l'exigence constitutionnelle de responsabilité sans faute de la puissance publique sur le fondement du principe d'égalité devant les charges publiques.

En ouvrant ainsi la possibilité de mettre en œuvre la responsabilité d'auteurs de dommages causés à l'environnement, l'article 4 de la Charte s'inscrit en outre dans le courant du droit international et européen. On peut notamment citer :

- le point 13 de la Déclaration de Rio de Janeiro sur l'environnement et le développement adoptée en juin 1992, qui requiert des Etats l'élaboration d'une législation nationale concernant la responsabilité de la pollution et d'autres dommages à l'environnement ;

- la Convention de Lugano du 21 juin 1993 relative à la responsabilité civile des dommages résultant d'activités dangereuses pour l'environnement, adoptée par le Conseil de l'Europe, non encore entrée en vigueur, qui tend à assurer une réparation des dommages causés à l'environnement par les activités dangereuses et prévoit les mesures de prévention et de remise en état ;

- ou encore la proposition de directive communautaire sur la responsabilité environnementale en vue de la prévention et de la réparation des dommages environnementaux qui prévoit notamment un régime de responsabilité sans faute des pollueurs dans le cadre d'activités professionnelles dangereuses et un régime de responsabilité pour faute en cas de dommages à la biodiversité, qui aujourd'hui ne donnent lieu à aucune réparation.

On notera par ailleurs que l'article 4 renvoie à la loi le soin de déterminer les conditions de son application. Comme le souligne le ministère de la justice, le législateur est ainsi doté d'un pouvoir d'appréciation, notamment quant à la définition du fondement de cette nouvelle « responsabilité environnementale » qui pourra, s'il le juge nécessaire, relever de plusieurs régimes distincts, pour faute et sans faute, sans que la Charte n'impose un choix sur cette question.

Le devoir énoncé à l'article 4 fait l'objet de critiques sévères de la part des représentants d'associations de protection de la nature et de protection des consommateurs, au motif qu'il se borne à imposer à l'auteur d'un dommage environnemental de « contribuer » à sa réparation, ce qui ouvre la possibilité d'une réparation partielle du dommage par celui-ci, le reliquat étant éventuellement mis à la charge de la solidarité nationale.

Votre rapporteur pour avis tient à souligner sur ce point que prévoir une réparation intégrale du dommage par son auteur se révèlerait particulièrement inapproprié en matière environnementale. Si l'on peut effectivement envisager une réparation intégrale pour des pollutions très localisées et ponctuelles dans le temps, tel un déversement « sauvage » de substances polluantes dans un cours d'eau, le problème est tout autre en ce qui concerne les pollutions diffuses ou causées par des activités s'étant succédées au fil des années.

En effet, qu'il s'agisse de pollution des eaux souterraines par les nitrates ou de pollution de sites industriels ayant accueilli des exploitants variés sur des périodes allant jusqu'à un siècle, le problème qui se posera sera celui de l'identification de ou des auteurs du dommage : il serait pour le moins inéquitable de faire porter l'intégralité de la réparation au « dernier installé » alors qu'il ne serait responsable que pour une infime partie de la pollution constatée. Il reviendra donc au législateur de définir selon quelles modalités la contribution à la réparation sera déterminée, en faisant preuve de pragmatisme afin de trouver les solutions les plus appropriées en fonction de la nature des atteintes à l'environnement.

On doit par ailleurs noter que dans la doctrine constitutionnelle, le principe de responsabilité n'a pas à donner lieu à une réparation intégrale : en effet, « le juge constitutionnel considère qu'en matière de responsabilité civile, toute faute n'entraîne pas réparation. Il convient donc de distinguer le préjudice subi et le préjudice indemnisable. Ainsi le législateur pourra, à condition de respecter le principe d'égalité, prévoir un système de réparation soit intégral, soit forfaitaire »15. Le Conseil constitutionnel a par ailleurs admis, dans sa décision 82-144 DC, que la charge de la réparation ne soit pas supportée entièrement par l'auteur du dommage.

Signalons en outre qu'une proposition de directive communautaire relative à la responsabilité environnementale impose aux pouvoirs publics de veiller à ce que les exploitants réparent par une remise en état des milieux, les dommages qu'ils ont causés, ou d'agir par eux-mêmes, ce qui équivaudrait à faire appel à la solidarité nationale.

On doit enfin s'élever contre l'interprétation selon laquelle la formulation retenue permettrait au législateur d'instaurer des régimes de responsabilité exonérant totalement les auteurs de dommages à l'environnement de leur responsabilité. Tout au contraire, l'article 4 impose au législateur de mettre en œuvre ce nouveau régime de responsabilité en cas de dommage environnemental et s'oppose à ce que la loi prévoie des régimes d'exonération. Il constitue donc un socle minimal de garanties en deçà duquel le législateur ne peut aller.

La Commission a examiné en discussion commune deux amendements de Mme Geneviève Perrin-Gaillard et M. Yves Cochet ayant le même objet, faisant référence au principe « pollueur-payeur » et remplaçant l'obligation de « contribuer à la réparation » des dommages environnementaux par celle de « réparer » ces dommages.

Mme Geveniève Perrin Gaillard a fait valoir que les Français commençaient à connaître et à apprécier le principe « pollueur-payeur » et a donc regretté qu'il ne figure pas dans le projet de Charte de l'environnement. Elle a par ailleurs souligné l'imprécision et les risques de contentieux attachés à la notion de « contribution à la réparation », l'obligation de réparer intégralement les dommages causés étant à la fois plus claire et plus simple.

M. Yves Cochet a pour sa part rappelé qu'il était prévu en droit français que la responsabilité civile d'une personne est engagée lorsqu'elle cause des dommages, chaque individu étant considéré comme responsable des conséquences de ses actes. Il a considéré que cette philosophie juridique devait conduire les auteurs de dommages à les réparer intégralement, ce qui expliquait que la compagnie pétrolière Totalfina ait été tenue de verser des sommes importantes aux victimes du naufrage du navire Erika. Il a estimé qu'il pourrait en aller de même s'agissant de l'explosion de l'usine du groupe AZF à Toulouse en septembre 2001, bien que les enquêtes n'aient pas encore expliqué entièrement cet accident.

Il a par ailleurs indiqué que la bonne application du principe pollueur-payeur dépendait du niveau des sanctions prévues par voie réglementaire en cas de pollution, mais a jugé que le principe lui-même était excellent.

Le président Patrick Ollier a estimé que vouloir donner un fondement constitutionnel au principe pollueur-payeur revenait à officialiser le droit de polluer, ce qu'il a jugé inacceptable.

Le rapporteur pour avis a tout d'abord souligné que les deux amendements introduisaient une ambiguïté quant à l'existence d'un droit à polluer contre rémunération.

Il a ajouté que la jurisprudence du Conseil constitutionnel n'avait pas dégagé de droit à la réparation intégrale des dommages et a fait remarquer que l'article 4 du projet de Charte de l'environnement s'opposait à ce que le législateur instaure des régimes exonérant totalement les pollueurs de réparer les dommages qu'ils ont causés à l'environnement.

Il a enfin noté que l'obligation de réparer l'intégralité du dommage pourrait être problématique en matière environnementale, s'agissant par exemple de pollutions diffuses durables des sols : l'exploitant d'un site industriel serait-il alors tenu de réparer les dommages occasionnés par des activités antérieurement implantées sur ce site et auxquelles il n'aurait pas participé ?

Le rapporteur pour avis ayant, pour ces motifs, émis un avis défavorable, la Commission a rejeté ces deux amendements.

Puis, la Commission a rejeté un amendement présenté par M. Yves Cochet visant à supprimer tout renvoi à la loi pour la fixation des conditions dans lesquelles les auteurs de dommages environnementaux doivent contribuer à réparer ces derniers, le rapporteur pour avis ayant émis un avis défavorable pour les mêmes raisons que celles exposées à l'article 3 de la Charte.

Article 5 de la Charte de l'environnement

Principe de précaution

L'article 5 de la Charte de l'environnement, relatif au principe de précaution, est indéniablement celui qui suscite le plus d'inquiétudes voire de craintes.

Un grand nombre des personnes auditionnées par votre rapporteur pour avis ont en effet fait part de leurs inquiétudes quant à l'impact qu'aurait cet article. Il est tour à tour suspecté d'être une incitation à l'immobilisme, un encouragement à « l'ouverture systématique du parapluie », un frein à l'innovation, aux investissements, à la recherche, la constitutionnalisation d'un principe d'abstention, ou encore un nid à contentieux qui conduirait à un blocage de notre économie. Ces critiques émanent de la plupart des acteurs du monde économique et de certains représentants du milieu de la recherche.

A l'issue de ces auditions, votre rapporteur pour avis est conscient du travail de clarification et de pédagogie qui s'impose. Il comprend les interrogations, pour les avoir lui-même connues. Elles sont toutes légitimes : la rédaction de cet article de la Charte s'est pliée, comme pour les autres articles, aux exigences de l'exercice constitutionnel et est donc d'une concision extrême, qui conduit certains à s'interroger sur son contenu, sa portée et l'interprétation qui en sera faite. Il importe désormais d'apporter une réponse claire aux questions qui sont le plus fréquemment soulevées.

1. Pourquoi avoir choisi une constitutionnalisation du principe de précaution et l'avoir doté d'une portée directe ?

On a déjà souligné plus haut que le principe de précaution figure dans de nombreux textes, dont la portée est relativement incertaine. Ainsi, lorsqu'il figure dans un traité ou une convention internationale, il est de faible portée car « il est presque toujours présenté, non pas comme une règle d'application immédiate, s'imposant aux citoyens et dont les juges doivent tenir compte dans leurs décisions, mais comme une simple directive destinée à orienter l'action politique, c'est-à-dire inspirer le législateur et l'autorité réglementaire »16.

A l'inverse, dans le droit communautaire, le principe de précaution, qui figure à l'article 174 du traité instituant la Communauté européenne sans y être défini, a fait l'objet d'une jurisprudence non encadrée de la part du juge communautaire qui n'a pas hésité à le qualifier de principe général du droit communautaire qui serait d'applicabilité directe, notamment dans le domaine du droit de la santé, alors même qu'il n'avait vocation qu'à guider les politiques environnementales de la Communauté.

Au plan national, le principe de précaution figure à l'article L. 110-1 du code de l'environnement qui dispose que les politiques environnementales doivent notamment s'inspirer, « dans le cadre des lois qui en définissent la portée », du « principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ». Selon cette rédaction, le principe de précaution n'est donc pas applicable sans le support d'une législation spécifique, dont on a vu plus haut qu'elle n'a jamais été adoptée.

Le juge français est donc placé dans une situation inconfortable qui donne lieu à des jurisprudences diverses : comme l'indique le rapport Kourilsky-Viney, « le silence des juridictions judiciaires contraste avec l'adhésion explicite des juridictions administratives au principe de précaution »17. Alors que le juge judiciaire semble en effet ignorer le principe de précaution, le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 25 septembre 1998 dans l'affaire Greenpeace-France, a pour sa part fait explicitement référence au « principe de précaution énoncé à l'article 200-1 du code rural », devenu l'article L. 110-1 du code de l'environnement, pour motiver le sursis à exécution de l'arrêté du 5 février 1998 qui permettait d'inscrire au catalogue officiel des plantes cultivées en France le maïs Bt, reconnaissant ainsi une valeur normative directe et autonome à ce principe.

On notera par ailleurs que la jurisprudence du juge administratif a reconnu la portée propre du principe de précaution non seulement dans le domaine de l'environnement, mais également dans celui de la santé publique alors qu'il n'existe pour ce dernier aucun support équivalent à l'article L. 110-1 du code de l'environnement. C'est ainsi que dans l'affaire de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), le Conseil d'Etat a considéré, dans un arrêt Pro-Nat du 24 février 1999, que le Premier ministre n'avait pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en interdisant par décret l'emploi de certaines substances d'origine bovine dans les aliments pour bébés et les composants alimentaires, « eu égard aux mesures de précaution qui s'imposent en matière de santé publique ».

On constate donc que la jurisprudence sur le principe de précaution semble loin d'être stabilisée, peut-être en raison du renvoi à des lois spécifiques qui est opéré par l'article L. 110-1 du code de l'environnement. En tout état de cause, on ne peut considérer que la situation actuelle soit satisfaisante, ce principe donnant lieu à une jurisprudence incertaine et non encadrée, puisqu'elle tend à reconnaître son applicabilité dans des domaines autres que l'environnement, contrairement à la lettre de l'article L. 110-1 précité.

Il convient sans conteste de clarifier cette situation, préjudiciable en termes de sécurité juridique. C'est ce à quoi s'emploie l'article 5 de la Charte de l'environnement, qui définit et précise les conditions de mise en œuvre du principe de précaution dans le domaine de l'environnement. La constitutionnalisation de ce principe, conjuguée à une définition précise de son sens et de sa portée, permettra à celui-ci d'être mieux encadré.

Le choix opéré a consisté à doter ce principe de valeur constitutionnelle d'un effet direct, comme en témoignent les termes « par application du principe de précaution ». Ce choix, essentiel, tranche donc nettement avec la formulation qui avait été retenue dans le code de l'environnement.

La portée directe de l'article 5 de la Charte a suscité de nombreuses inquiétudes au sein des personnes auditionnées par votre rapporteur pour avis et il a fréquemment été suggéré de renvoyer à la loi les conditions d'application de cet article, comme cela est le cas pour les articles 3 et 4 de la Charte.

Votre rapporteur pour avis considère que cette suggestion ne peut être retenue. Tout d'abord, renvoyer systématiquement à des lois ultérieures le soin de définir la portée et les modalités de mise en œuvre du principe de précaution ne ferait qu'aboutir à un statu quo par rapport à la situation actuelle : on en reviendrait au choix opéré par l'article L. 110-1 du code de l'environnement dont on a vu qu'il avait fait l'objet d'une interprétation jurisprudentielle non encadrée.

Surtout, le principe de précaution s'oppose, par nature, à ce que son effectivité soit de manière systématique renvoyée au législateur. En effet, il concerne des risques incertains, contrairement à la prévention qui a vocation à être appliquée en situation de risques avérés. Comme l'a très justement souligné Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable lors de son audition par la Commission des lois et la Commission des affaires économiques, renvoyer à la loi les conditions d'application du principe de précaution reviendrait à décrire, de manière exhaustive, les risques pour lesquels il doit être appliqué, ce qui supposerait de les avoir préalablement tous identifiés ; or, comme nous l'avons vu plus haut, les risques identifiés relèvent de la prévention et non du principe de précaution. Ce dernier a vocation à n'être appliqué qu'en situation d'incertitude scientifique : comment la loi pourrait-elle par avance déterminer ces situations ?

Votre rapporteur pour avis estime donc justifiés tant le choix de la constitutionnalisation du principe de précaution que celui de le doter d'une portée directe. Il juge également que la clarification du contenu de ce principe devrait permettre d'assurer une meilleure sécurité juridique, en encadrant plus strictement son usage et son interprétation.

2. Quel est le champ d'application du principe de précaution ?

Le champ d'application du principe de précaution est strictement défini par l'article 5 de la Charte, qui exige que plusieurs éléments cumulatifs soient réunis pour qu'il y soit recouru.

a) L'incertitude scientifique sur la réalisation du dommage

La première exigence qui doit être satisfaite est celle de réalisation d'un dommage « incertaine en l'état des connaissances scientifiques ». Il s'agit là d'une précision essentielle car c'est elle qui conduit à distinguer la précaution de la prévention.

L'incertitude ne concerne pas l'occurrence du risque : un risque aléatoire mais dont l'occurrence est probabilisable ne relève pas de la précaution mais de la prévention. L'incertitude porte sur l'hypothèse même du risque : la question qui doit être posée n'est pas « quand et comment le risque va-t-il se réaliser ? » mais bien : « le risque existe-t-il ? ». L'incertitude qui est ici visée n'est pas probabiliste mais cognitive : elle concerne les « connaissances scientifiques ». C'est cette distinction fondamentale qui devra guider les autorités publiques dans le traitement qu'elles réserveront au risque.

C'est ainsi que dans leur grande majorité, les risques industriels ne relèvent pas du principe de précaution. Comme on l'a vu plus haut, il s'agit de risques connus et probabilisables : les études des dangers permettent d'établir différents scenarii tenant compte de la gravité de ces risques et de leur probabilité d'occurrence ; l'existence même de ces risques ne pose pas question au sein de la communauté scientifique. La démarche de prévention inspire d'ailleurs largement la réglementation sur les installations classées.

De même, la plupart des infrastructures (autoroutes, barrages hydroélectriques) dont la construction est susceptible de donner lieu à une atteinte à la biodiversité ne semblent pas entrer dans le champ d'application de l'article 5 : le risque d'une atteinte à certaines espèces animales et végétales est avéré et l'on doit donc privilégier une démarche de prévention, qui consiste par exemple à transférer certaines espèces vers d'autres habitats.

On peut également considérer que la présence de nitrates dans les eaux souterraines ne donne pas lieu à incertitude scientifique s'agissant de son impact sur l'environnement. C'est donc la prévention qui s'impose et qui est déjà largement utilisée, par exemple avec la réglementation des effluents d'élevages et les plans d'épandage.

Les rejets de substances médicamenteuses dans les cours d'eau donnent lieu à des conséquences parfois spectaculaires sur la faune et la flore. On peut ainsi penser aux effets qu'ont sur la fertilité de certaines espèces piscicoles les perturbateurs endocriniens que l'on retrouve dans les rivières ; mais là encore, l'impact de ces substances est scientifiquement établi et d'ailleurs, toute nouvelle substance doit donner lieu à une évaluation de son impact environnemental préalablement à son autorisation de mise sur le marché.

Il en est de même en grande partie pour ce qui concerne le domaine nucléaire, ce point ayant été souligné par l'ensemble des intervenants de ce secteur qui ont été auditionnés par votre rapporteur pour avis. L'activité industrielle en tant que telle (centrales nucléaires) donne lieu à des risques connus et tout à fait modélisables dans des études probabilistes de sûreté, ce qui appelle une démarche de prévention. On peut également considérer que la gestion des déchets radioactifs relève de la prévention : le risque consiste en une dispersion dans l'environnement de ces déchets, dont les effets sur la nature sont connus ; l'enjeu consiste donc à garantir que les mécanismes de prévention résisteront au temps, puisque ces déchets sont à vie très longue. C'est d'ailleurs pourquoi ils sont enfermés dans des matrices de confinement stables et qu'est élaboré un système de grille de défense, fondé sur l'hypothèse que ces matrices ne sont pas fiables à 100 %.

Le domaine du nucléaire à faibles doses appelle pour sa part une appréciation plus nuancée. En effet, comme l'ont souligné de multiples intervenants auprès de votre rapporteur pour avis, les effets des radiations à de faibles doses ont été extrapolés à partir des effets constatés à des doses importantes, pour lesquels on dispose de données après les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki. Cette extrapolation a été opérée selon une hypothèse d'effet linéaire sans seuil, selon laquelle des effets seraient constatés dès la première dose de radiation, hypothèse qu'il est pour l'instant scientifiquement impossible de confirmer. Il existe donc une incertitude scientifique mais on peut considérer que l'hypothèse retenue pour modéliser les effets des faibles doses constitue en elle-même une application du principe de précaution, qui est déjà largement appliqué dans le domaine de la radioprotection. Celui-ci applique en effet trois principes s'inspirant largement d'une démarche de précaution : le principe de limitation du taux de radiation, celui d'optimisation (le taux doit être le plus bas possible) et celui de justification de l'exposition aux rayonnements.

S'agissant du réchauffement climatique, votre rapporteur pour avis a constaté que les opinions quant à l'incertitude scientifique pesant sur ce risque étaient divergentes. Il a en effet été souligné que si le lien de causalité entre activités humaines et émissions de dioxyde de carbone était établi, de même que le phénomène de changement climatique, le lien entre émissions de CO2 et réchauffement climatique n'était pas avéré ; il est en effet envisagé que le réchauffement climatique soit lié à des évolutions séculaires du climat ou encore à l'activité solaire, sans qu'il soit exclu que ce phénomène puisse être renforcé par les activité humaines. Pour autant, ce phénomène de réchauffement est établi de manière consensuelle par la communauté scientifique : ce risque est avéré, quand bien même une incertitude pèserait quant à son ampleur et la part de responsabilité des activités humaines dans ce phénomène. Il relève donc, selon votre rapporteur pour avis, d'une démarche de prévention.

Se pose évidemment la question de savoir comment identifier les situations d'incertitude scientifique. Comme l'ont souligné des membres de la communauté scientifique, le discours scientifique se sait, par définition, contingent et ne prétend pas à la certitude. Pour autant, on peut dégager sur certaines questions un consensus de la communauté scientifique, consensus (et non pas unanimité) qui conduit à considérer que l'on n'est pas en situation d'incertitude.

C'est donc finalement moins la question de l'identification de l'incertitude qui pose problème que celle de savoir à quels experts il sera fait appel pour déterminer s'il y a consensus. Ce point a été souligné de nombreuses fois lors des auditions menées par votre rapporteur pour avis. En tout état de cause, l'expertise se doit d'être collégiale afin d'éviter l'écueil qui consisterait à y opposer des contre-expertises systématiques. Elle doit également être légitime et indépendante, car elle portera sur des sujets sensibles pouvant donner lieu à des réactions parfois irrationnelles. Cette indépendance pourra sans doute être contestée et c'est pourquoi une grande vigilance sera requise quant aux modalités de choix des experts : nomination par leurs pairs ou par les pouvoirs publics garants de l'intérêt général. Enfin, il conviendra également de s'interroger sur le niveau auquel cette expertise collégiale devra être constituée : échelon national, européen ou international.

La Commission a examiné, en discussion commune, cinq amendements de M. François-Michel Gonnot, visant respectivement à :

- substituer au mot « lorsque » le mot « quand » ;

- préciser que le principe de précaution est appliqué en cas de « risque de dommage » incertain en l'état des connaissances scientifiques et non pas lorsque « la réalisation d'un dommage » serait incertaine en l'état des connaissances scientifiques ;

- substituer, dans l'article 5, le mot « risque » au mot « dommage » ;

- prévoir que le principe de précaution est appliqué en cas de réalisation d'un dommage « aléatoire » et non pas « incertaine » en l'état des connaissances scientifiques ;

- prévoir que le principe de précaution est appliqué en cas de réalisation d'un dommage « hypothétique » et non pas « incertaine » en l'état des connaissances scientifiques.

M. François-Michel Gonnot a indiqué que faute de l'adoption d'un amendement visant à compléter l'article 34 de la Constitution, l'article 5 de la Charte risquait de donner lieu à des contentieux civils et administratifs. Rappelant qu'un certain nombre de députés estimaient que le législateur se devait de définir, dans la loi, un principe qu'il aurait élevé au rang de principe constitutionnel, il a souligné que l'article 5 de la Charte, en l'absence d'un complément de l'article 34 de la Constitution, serait de portée directe et devrait être interprété par le juge, qui se réfèrera, pour le guider dans son interprétation d'un principe constitutionnel, aux débats parlementaires.

Il a signalé qu'il avait déposé vingt-cinq amendements sur l'article 5 de la Charte, afin que les débats parlementaires, au cours desquels le Gouvernement aura à s'exprimer, permettent de bien définir la volonté du constituant et de préciser, autant que possible, le sens des termes employés dans cet article.

M. François Brottes a alors demandé au Président Patrick Ollier sur quel fondement réglementaire celui-ci avait retiré d'autorité l'amendement déposé par le groupe socialiste auprès de la Commission des affaires économiques, visant à compléter l'article 34 de la Constitution.

Le Président Patrick Ollier a indiqué que ce retrait avait été opéré en accord avec le groupe socialiste, qui avait décidé de le faire déposer auprès de la Commission des lois par M. Christophe Caresche.

M. Philippe Tourtelier a noté que la présentation de ses vingt-cinq amendements par M. François-Michel Gonnot était tout à fait incomplète, soulignant que parmi ceux-ci figurait un amendement visant à supprimer, dans l'article 5 de la Charte, les mots « par application du principe de précaution ». Il a jugé la méthode pour le moins discutable, puisqu'un amendement essentiel se niche au milieu d'un foisonnement d'amendements de nature sémantique destinés à « amuser la galerie ».

M. François-Michel Gonnot s'est élevé contre l'emploi de ces derniers termes. En effet, a-t-il précisé, ces amendements répondent au souhait que soit entamée en séance publique une discussion approfondie sur le sens de chacun des termes employés dans l'article 5 de la Charte, afin d'éclairer le juge sur l'intention du constituant.

Après que M. Philippe Tourtelier se fut interrogé sur l'intérêt d'un amendement visant à substituer le mot « quand » au mot « lorsque », M. Yves Cochet a souligné que l'amendement de M. François-Michel Gonnot faisant référence à « un risque de dommage » et non à la « réalisation d'un dommage » modifiait profondément le sens de l'article 5, puisque la réalisation d'un dommage renvoie à un fait objectif, contrairement à la notion de risque.

M. François-Michel Gonnot a indiqué qu'il partageait totalement cette analyse et a réitéré son souhait que ses amendements permettent d'engager une telle discussion lors de la séance publique.

Le Président Patrick Ollier a rappelé que la majorité avait souhaité déposer un amendement visant à compléter l'article 34 de la Constitution pour insérer dans les domaines dont la loi fixe les principes fondamentaux, la préservation de l'environnement, et que cet amendement serait déposé par M. Francis Delattre auprès de la Commission des lois. Soulignant qu'il aurait été personnellement favorable à ce qu'un tel amendement soit discuté auprès de la Commission des affaires économiques, il a signalé le souhait de la Commission des lois qu'un amendement visant à modifier le texte même de la Constitution soit discuté en son sein, souhait qu'il a déclaré respecter. En conséquence, il a suggéré que les amendements de M. François-Michel Gonnot portant sur l'article 5 de la Charte soient rejetés, afin de ne pas compromettre le travail de la Commission des lois, suggestion qui a recueilli l'assentiment du rapporteur pour avis et de M. François-Michel Gonnot.

En conséquence, la Commission a rejeté les cinq amendements de M. François-Michel Gonnot examinés en discussion commune.

Elle a également rejeté deux amendements du même auteur visant respectivement à disposer que le principe de précaution doit être appliqué en situation d'incertitude en l'état « du savoir scientifique » et non pas « des connaissances scientifiques », et à préciser que ce principe est appliqué « bien que l'absence totale de risque soit impossible à établir ».

Puis, la Commission a examiné un amendement de Mme Geneviève Perrin-Gaillard visant à préciser que le principe de précaution est appliqué en cas d'incertitude pesant non seulement sur les connaissances scientifiques mais aussi sur les connaissances techniques.

Après que Mme Geneviève Perrin-Gaillard eut estimé que ces deux aspects ne pouvaient être disjoints lors de l'application du principe de précaution, le rapporteur pour avis a craint qu'un tel amendement ne conduise à rouvrir le débat sur la distinction opérée entre prévention et précaution, les techniques se situant, par définition, au stade de l'application, ce qui suppose que les phénomènes soient connus ; il a donc émis un avis défavorable. M. Yves Cochet a pour sa part estimé que tout au long de notre histoire, il avait été fait appel à des techniques dont l'impact sur l'environnement était incertain. Le rapporteur pour avis a jugé que dans de tels cas, l'incertitude pesant sur cet impact était de nature scientifique et a estimé que l'amendement était en conséquence satisfait par l'article 5 de la Charte. M. Yves Simon a soutenu cette analyse, faisant valoir que c'est la science qui démontre les effets de la technique.

Suivant son rapporteur, la Commission a rejeté cet amendement.

b) Le caractère environnemental du dommage

L'article 5 de la Charte est extrêmement clair : le principe de précaution n'a vocation à s'appliquer qu'en cas de dommage à l'environnement. On ne peut donc considérer que d'autres domaines seraient visés par cette rédaction. Notamment, toute interprétation qui considèrerait que la santé publique a vocation à entrer dans le champ d'application du principe de précaution serait manifestement contraire aux intentions du constituant.

Certains tirent argument de la rédaction de l'article 1er de la Charte, qui établit un lien entre environnement et santé, pour juger que de manière indirecte, par un effet de « ricochet », l'article 5 pourrait être interprété comme s'appliquant au domaine de la santé. Votre rapporteur ne souscrit pas du tout à cette analyse : si l'article 1er énonce que « chacun à droit à un environnement équilibré et favorable à sa santé », a contrario, l'article 5 vise les seuls dommages à l'environnement, sans citer la santé. Il convient d'en rester à cette lecture stricte et littérale de la rédaction qui nous est proposée. Toute interprétation plus extensive serait abusive au regard des intentions du constituant : la Charte n'a pas vocation à être une charte de la santé publique et ne traite de la santé qu'en tant qu'elle est pour partie déterminée par la qualité de notre environnement.

Les intentions du Gouvernement sont d'ailleurs sur ce point très claires, puisque lors de son audition par la Commission des lois et la Commission des affaires économiques, le garde des Sceaux a précisé que le domaine d'application du principe de précaution « était limité au risque environnemental, alors que la jurisprudence du Conseil d'Etat avait déjà étendu l'application de ce principe à la santé publique ». On doit ainsi considérer que ne relèvent pas du champ d'application de l'article 5 de la Charte de nombreux risques qui sont de nature sanitaire, comme les risques de légionellose dus à des tours de réfrigération ou des risques sanitaires liés à des émanations toxiques provenant d'installations classées.

La Commission a rejeté, sur avis défavorable du rapporteur, deux amendements de M. François-Michel Gonnot visant respectivement à prévoir que le principe de précaution est appliqué lorsque la réalisation d'un dommage pourrait « porter atteinte » et non pas « affecter » l'environnement de manière grave et irréversible, et à substituer au mot « manière » le mot « façon ».

c) La gravité et l'irréversibilité du dommage

L'article 5 de la Charte précise que ne doivent donner lieu à application du principe de précaution que les seuls dommages environnementaux qui seraient à la fois graves et irréversibles.

On notera que cette rédaction fait l'objet de certaines critiques de la part d'associations de protection de l'environnement et de consommateurs qui souhaiteraient que la gravité et l'irréversibilité du dommage soient des conditions alternatives et non pas cumulatives. Votre rapporteur pour avis tient sur ce point à signaler que le caractère cumulatif qui a été retenu par les auteurs de la Charte correspond à la rédaction de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, qui vise déjà des dommages graves « et » irréversibles. Cette rédaction semble en effet tout à fait justifiée si l'on souhaite éviter que le principe de précaution ne devienne un principe « bloquant » qui s'opposerait à toute innovation ou toute activité.

L'exigence de cumul des caractères grave et irréversible du dommage conduit à exclure de facto un certain nombre de risques du champ d'application de l'article 5 : ainsi, on peut considérer que la présence de nitrates dans les eaux souterraines, si elle peut nuire gravement à la qualité de la ressource en eau, n'emporte pas pour autant une dégradation irréversible de ce milieu ; il suffit en effet de réduire ou supprimer les rejets pour qu'il retrouve progressivement son équilibre, ce qui suppose une démarche de prévention.

Au total, on doit bien comprendre que les risques susceptibles de donner lieu à application du principe de précaution en vertu de l'article 5 de la Charte sont très rares en raison des conditions strictes et cumulatives qui doivent être réunies.

Votre rapporteur pour avis estime que les cultures d'organismes génétiquement modifiés (OGM) sont sans doute le meilleur exemple d'activités entraînant des risques qui tombent sous le coup du principe de précaution :

- il y a bien incertitude scientifique quant au risque encouru : l'état des connaissances scientifiques ne permet pas, pour l'instant, de savoir quel serait l'impact d'une dissémination des OGM sur l'environnement ;

- ce risque, bien qu'incertain, est environnemental : il consiste en une atteinte qui serait portée à la biodiversité ;

- le risque de dommage est grave et irréversible : grave car il s'agit d'une atteinte au génome et irréversible car il est susceptible de donner lieu à la disparition ou à la mutation de certaines espèces.

On peut également considérer que les risques liés à l'utilisation de l'insecticide Régent ou du Gaucho relèvent de l'article 5 : une incertitude scientifique subsiste quant au lien de causalité entre l'utilisation de ces produits et la surmortalité constatée des abeilles ; ce risque est environnemental ; enfin, le dommage a un caractère grave et irréversible, puisqu'il s'agit de la surmortalité d'une espèce faunistique.

Le tableau ci-dessous permet de récapituler les risques relevant ou ne relevant pas du champ d'application de l'article 5 :

CHAMP D'APPLICATION DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION

Nature des activités

Risques encourus

Applicabilité du principe de précaution

Industries (chimie, pétrochimie, agroalimentaire, mécanique, métallurgie...)

Accident allant jusqu'à l'explosion de l'installation

Pas d'application du principe de précaution :

Les risques sont scientifiquement établis, de même que leur probabilité d'occurrence, qui est établie dans une étude de dangers. Ils relèvent donc d'une démarche de prévention (exemple : plans de prévention des risques technologiques)

Rejets polluants dans l'environnement, pouvant affecter la santé humaine

Pas d'application du principe de précaution :

- Le champ de la santé humaine est exclu du champ de l'article 5 de la Charte ;

- S'agissant des effets sur l'environnement, les risques encourus sont en général scientifiquement connus car les installations ont donné lieu à une étude d'impact. Il faut donc appliquer une démarche de prévention (législation des installations classées, limitation des rejets, mise aux normes)

Infrastructures et ouvrages (autoroutes, barrages, lignes électriques à haute tension, télécabines...)

Perturbation des habitats de certaines espèces, impact visuel sur les paysages

Pas d'application du principe de précaution :

- Les effets sur l'environnement sont bien établis et ne donnent pas lieu à incertitude scientifique ;

- Les dommages ne sont généralement pas irréversibles.

Centrales nucléaires

Incident au sein de la centrale

Pas d'application du principe de précaution :

Là encore, les risques sont scientifiquement établis (divers scenarii sont établis en tenant compte de la probabilité et de la gravité des accidents pouvant survenir, comme la fusion du cœur). D'où une démarche de prévention.

Rejets radioactifs dans l'environnement : question du nucléaire aux faibles doses

Pas d'application du principe de précaution du fait de la Charte :

En réalité, le principe de précaution est déjà appliqué par l'autorité de sûreté nucléaire et les exploitants : des incertitudes existent quant aux incidences des rayonnements à de faibles doses. Une hypothèse « maximaliste » a donc été adoptée, selon laquelle les rayonnements auraient un effet linéaire sans seuil, par extrapolation des effets observés pour de fortes doses. Il s'agit donc d'une démarche de précaution (on considère que dès les plus petites doses, des effets peuvent survenir). La Charte de l'environnement ne modifie en rien le régime existant.

Organismes génétiquement modifiés

Contamination des milieux naturels, atteinte à la biodiversité

Application du principe de précaution :

Les conditions à cumuler sont réunies :

- Incertitude scientifique sur l'impact des OGM sur l'environnement (impact sur le génome d'autres plantes et des espèces animales) ;

- Dommage à la fois grave et irréversible pour l'environnement (perturbation du génome)

Pollution des eaux souterraines par les nitrates

Atteinte à la santé humaine à partir d'un certain seuil de concentration

Pas d'application du principe de précaution :

La santé humaine est exclue du champ de l'article 5

Atteinte aux biotopes

Pas d'application du principe de précaution :

- Il n'y a pas d'incertitude scientifique sur l'impact des nitrates sur l'environnement ;

- Le phénomène n'est pas irréversible (on peut réduire la teneur des eaux en nitrate en réduisant les rejets).

D'où une démarche de prévention (ex : plans d'épandage).

Réchauffement climatique

Atteinte aux équilibres naturels, à la biodiversité

Pas d'application du principe de précaution :

- Le risque de réchauffement est désormais scientifiquement bien établi ;

- Dans l'hypothèse où ce phénomène serait accru par les activités humaines, il n'est pas irréversible (cf. la réglementation des rejets de gaz à effet de serre).

Risques de légionellose avec les tours de réfrigération

Atteinte à la santé humaine

Pas d'application du principe de précaution :

- Pas de situation d'incertitude scientifique ;

- Le dommage ne concerne pas l'environnement mais la santé humaine, exclue du champ d'application du principe de précaution.

Téléphonie mobile

Atteintes à la santé humaine

Pas d'application du principe de précaution :

- Les derniers rapports d'expertise sur ce sujet ont donné lieu à un consensus quant à l'absence d'effets sur la santé humaine, mais ces études sont contestées au motif d'une non indépendance des experts nommés ;

- Le dommage ne concerne pas l'environnement mais la santé, exclue du champ de l'article 5

Transport de produits dangereux

Déversement de produits toxiques dans les milieux naturels (ex : marées noires), atteinte à l'équilibre écologique

Pas d'application du principe de précaution

Si une incertitude peut exister quant à l'impact des substances déversées dans le milieu naturel, il n'y a en revanche pas d'incertitude scientifique quant à la probabilité d'occurrence du dommage : celle-ci dépend de l'état du moyen de transport (qualité des navires à simple ou double coque par exemple). Il faut donc appliquer une démarche de prévention (réglementation des modes de transport employés, des trajets utilisés...)

Rejet de produits médicamenteux (ex : perturbateurs endocriniens, antibiotiques) dans le milieu naturel

Perturbation de la reproduction et du génome de certaines espèces animales

Pas d'application du principe de précaution

L'impact des molécules sur l'environnement est désormais bien identifié. D'ailleurs, avant toute mise sur le marché, les médicaments doivent faire l'objet d'une évaluation de leur impact environnemental.

Utilisation de Gaucho ou de Régent

Mortalité des abeilles

Application du principe de précaution :

- Il n'existe pas de consensus au sein de la communauté scientifique quant à l'impact de ces insecticides sur la mortalité des abeilles. On est donc en situation d'incertitude scientifique ;

- Le dommage à l'environnement est grave et irréversible ;

- Les autorités publiques ont pris des mesures provisoires et proportionnées : suspension de la commercialisation des insecticides mais possibilité d'écouler les stocks ;

- Des recherches sont menées pour évaluer scientifiquement le risque encouru.

La Commission a rejeté un amendement de M. François-Michel Gonnot prévoyant que le principe de précaution intervient lorsque l'environnement est susceptible d'être affecté de manière « sérieuse » et irréversible et non pas « grave » et irréversible.

La Commission a ensuite examiné, en discussion commune, un amendement de M. Yves Cochet tendant à rendre alternatifs et non plus cumulatifs les critères de gravité et d'irréversibilité du dommage pour que soit appliqué le principe de précaution, ainsi qu'un amendement de Mme Geneviève Perrin-Gaillard ayant le même objet. Présentant son amendement, M. Yves Cochet a indiqué que son amendement visait à rétablir la définition du principe de précaution telle qu'établie lors de la Déclaration de Rio de 1992 et a indiqué qu'il permettrait par exemple que soit appliqué le principe de précaution dans le cas de risques graves, pouvant durer des décennies mais n'étant pas pour autant irréversibles. Il a ainsi cité l'exemple du risque d'une explosion des tuyaux par lesquels transitait du gaz moutarde à proximité du site de l'usine AZF de Toulouse, dont l'explosion aurait pu causer des milliers de morts et aurait justifié l'application du principe de précaution. Il a par ailleurs estimé justifié que soit appliqué le principe de précaution dans le cas de risques de dommages irréversibles mais pas forcément graves, citant l'exemple de la disparition de certaines espèces comme les ours polaires. Le président Patrick Ollier s'étant étonné que M. Yves Cochet ne considère pas ce risque comme grave, ce dernier a fait remarquer que de nombreuses espèces disparaissaient naturellement. Déclarant rejoindre l'analyse développée par M. Yves Cochet, Mme Geneviève Perrin-Gaillard, défendant son amendement, a regretté que le texte de la Charte soit en retrait par rapport à la rédaction qui était proposée par la commission Coppens. Elle a en outre jugé que l'exigence du cumul des caractères grave et irréversible du dommage conduirait à ne pas mener de recherche sur ces risques puisque les dommages ne peuvent a priori pas être réparés, alors que des risques graves « ou » irréversibles conduiraient nécessairement à ce que soient initiés des programmes de recherche sur ces risques. Après que M. François Brottes eut signalé que le cumul de risques graves pourrait donner lieu à des dommages irréversibles, la Commission s'est rangée à l'avis défavorable émis par son rapporteur et a rejeté ces deux amendements.

Puis, suivant l'avis de son rapporteur, elle a rejeté trois amendements de M. François-Michel Gonnot visant respectivement à :

- prévoir que le principe de précaution doit être appliqué en cas de risque d'atteinte grave et « définitive » et non pas « irréversible » à l'environnement ;

- préciser que le principe de précaution s'applique en cas d'atteinte au « milieu naturel » et non en cas d'atteinte à « l'environnement ».

3. Quelle forme devra prendre l'application du principe de précaution ?

Nombreuses ont été les personnes auditionnées par votre rapporteur pour avis qui ont émis la crainte que le principe de précaution soit un principe d'abstention, ou, au contraire, un principe d'émotion.

Il n'est, en réalité, ni l'un ni l'autre ; c'est avant tout un principe d'action, comme en témoigne la rédaction retenue pour l'article 5 de la Charte qui dispose qu'en application de ce principe, « les autorités publiques veillent (...) à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin d'éviter la réalisation du dommage ainsi qu'à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques encourus ».

a) Un principe qui doit être appliqué par les seules autorités publiques

Il convient tout d'abord de noter que l'obligation d'appliquer des mesures de précaution pèse sur les seules autorités publiques, à savoir les autorités centrales ou déconcentrées, mais aussi les autorités décentralisées, c'est-à-dire les collectivités locales, comme l'a souligné le garde des Sceaux lors de son audition par la Commission des lois et la Commission des affaires économiques.

Il s'agit là d'une précision importante car l'article L. 110-1 du code de l'environnement est d'une rédaction beaucoup plus large qui fait également porter cette obligation sur les personnes privées. Les rédacteurs de la Charte ont ainsi choisi une voie plus sage et finalement plus efficace, d'autant plus qu'il revient déjà aujourd'hui aux autorités publiques d'imposer l'application des prescriptions environnementales existantes.

Il convient en outre de souligner que, comme l'a indiqué le garde des Sceaux, les mesures prises par les autorités publiques en application du principe de précaution devront l'être dans leur seul champ de compétences, le principe de précaution ne pouvant être invoqué à l'encontre de collectivités locales à raison de décisions qui relèvent de l'Etat. Ainsi, un maire qui déciderait d'interdire par arrêté la culture d'organismes génétiquement modifiés sur le territoire de sa commune ferait une application abusive de l'article 5 de la Charte, les autorisations de cultures d'OGM ne relevant pas de sa compétence.

La Commission a rejeté un amendement de M. François-Michel Gonnot prévoyant que le principe de précaution doit être appliqué par les pouvoirs publics et non par les autorités publiques.

Après que Mme Geneviève Perrin-Gaillard eut retiré un amendement visant à ce que le principe de précaution soit appliqué par toutes les personnes et non par les seules autorités publiques, la Commission a rejeté un amendement de M. François-Michel Gonnot disposant que les autorités publiques « imposent » l'adoption de mesures provisoires et proportionnées et l'évaluation des risques encourus, tout en supprimant les mots « par application du principe de précaution ». Elle a également rejeté un amendement de repli du même auteur visant à supprimer les mots « par application du principe de précaution ».

La Commission a ensuite été saisie d'un amendement du rapporteur pour avis et du président précisant que c'est dans leurs domaines d'attributions que les autorités publiques doivent appliquer le principe de précaution. M. Martial Saddier, rapporteur pour avis, a indiqué qu'il s'agissait ainsi de répondre aux nombreuses craintes qui avaient été exprimées lors des auditions menées, notamment par les élus locaux et les représentants de l'Association des maires de France. Il a jugé que cet amendement permettrait de clarifier notamment la situation dans le domaine des OGM, dont certains maires interdisent la culture sur le territoire de leur commune alors qu'une telle interdiction ne relève pas de leurs attributions mais de celles du ministre chargé de l'agriculture.

M. François Brottes s'est interrogé sur la portée du terme « attributions », citant l'exemple des attributions des maires dans le domaine de la sécurité publique. Le rapporteur pour avis a répondu que cette question était traitée dans le code général des collectivités territoriales, qui définit le pouvoir de police générale du maire ; il a ajouté que le terme « attributions » devait être entendu comme celui d'attribution « de compétences », le président Patrick Ollier précisant que celles-ci sont décrites par de nombreuses dispositions législatives. M. François-Michel Gonnot a jugé nécessaire que ce point soit précisé lors de l'examen du projet de loi en séance publique, tant par le rapporteur pour avis que par le ministre, en soulignant que les attributions des maires ne correspondaient pas forcément aux compétences de ces derniers. Il a jugé indispensable que les intentions du Parlement quant aux termes employés soient précisées afin de guider l'interprétation qui sera faite de l'article 5 par les juridictions.

M. François Brottes a abondé en ce sens, jugeant nécessaire de préciser explicitement, lors de la séance publique, quels sont les textes qui définissent les attributions des maires s'agissant du principe de précaution.

Puis, la Commission a adopté cet amendement (amendement n° 47).

b) L'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin d'éviter la réalisation du dommage

De nombreuses critiques ont été émises à l'encontre de la définition des mesures qui devront être prises par application du principe de précaution.

Celles-ci doivent en premier lieu viser à « éviter la réalisation du dommage ». Il a été fréquemment observé auprès de votre rapporteur pour avis que le choix du terme « éviter » était inapproprié s'agissant de risques qui seraient par définition probabilistes et pour lesquels le risque zéro ne peut exister. Votre rapporteur pour avis convient de la justesse de cette remarque mais tient à souligner qu'elle n'a de sens que lorsqu'on raisonne dans une situation de risque connu, dont on sait qu'il est de nature probabiliste. De fait, les interlocuteurs qui ont jugé que le terme « éviter » était inadéquat se sont placés dans une perspective où l'on connaîtrait la nature du risque encouru ; il n'y aurait donc plus incertitude scientifique quant à ce risque, qui relèverait de la prévention.

Il convient donc d'être bien clair sur ce point essentiel : les mesures requises doivent viser à « éviter » la réalisation du dommage tel qu'il est apprécié au moment où ces mesures sont prises, dans un contexte d'incertitude scientifique et de connaissances incomplètes. Il faut donc éviter le travers qui consisterait à apprécier, a posteriori, la pertinence de mesures adoptées « à l'instant t » en fonction des connaissances acquises « à l'instant t + 1 ».

Les mesures requises doivent être à la fois « provisoires et proportionnées ». Ces termes ont eux aussi fait l'objet d'un certain nombre de critiques. La première consiste à faire observer que la rédaction retenue à l'article L. 110-1 du code de l'environnement serait plus complète et précise que celle proposée dans la Charte, puisqu'elle impose de prendre des « mesures effectives et proportionnées (...) à un coût économiquement acceptable ». La Charte ne fait pas mention de « coût économiquement acceptable », ce qui a souvent été interprété, à tort, comme excluant toute considération d'ordre économique dans l'appréciation du caractère adéquat des mesures de précaution.

Votre rapporteur pour avis ne souscrit pas à cette analyse et considère que l'exigence de proportionnalité des mesures de précaution doit être appréciée au regard non seulement de l'importance du risque encouru mais aussi du coût de ces mesures. Il estime donc que la notion de « coût économiquement acceptable » est comprise dans celle de proportionnalité.

On fera remarquer que cette interprétation pourrait être mise en cause sur le fondement de la distinction opérée entre mesures proportionnées et coût économiquement acceptable par l'article L. 110-1 du code de l'environnement. Votre rapporteur pour avis estime qu'il serait donc opportun de revoir ultérieurement la rédaction de cet article afin de bien préciser, dans la définition du principe de précaution, que la notion de coût économiquement acceptable n'est qu'une composante, parmi d'autres, de la notion de proportionnalité des mesures.

La deuxième série de critiques, émanant surtout des milieux scientifiques, concerne le caractère provisoire qui est requis des mesures de précaution. Il a été suggéré soit de prévoir des mesures « révisables », soit un « suivi des connaissances », afin que les mesures de précaution soient adaptées en fonction de l'évolution des connaissances scientifiques. Votre rapporteur pour avis estime pour sa part que le caractère provisoire des mesures, conjugué à leur nécessaire proportionnalité, ouvre la possibilité de réviser ces dernières si cela se révèle nécessaire : en effet, si les mesures adoptées ne sont manifestement pas « proportionnées » au risque encouru au vu de l'état des connaissances scientifiques, rien n'empêchera les autorités publiques de veiller à l'adoption d'un autre train de mesures provisoire tenant compte des dernières évolutions scientifiques. L'exigence de caractère révisable semble donc satisfaite par la rédaction retenue à l'article 5.

On doit par ailleurs insister sur la garantie que constitue le caractère provisoire des mesures à l'égard de ceux qui craignent que l'article 5 n'aboutisse à un blocage de notre économie.

Nous disposons à l'heure actuelle de peu d'exemples de mesures qui auraient consisté à appliquer le principe de précaution, mais l'exemple des mesures prises par le ministre de l'agriculture concernant l'insecticide Régent semble correspondre en tous points aux dispositions de l'article 5 : en présence d'un risque de dommage grave et irréversible pour l'environnement et d'une réalisation par ailleurs incertaine en l'état des connaissances scientifiques, le ministre a en effet décidé de suspendre la commercialisation de ce produit tout en autorisant que les stocks détenus par les agriculteurs soient écoulés, adoptant ainsi des mesures provisoires et proportionnées.

On doit enfin noter que les mesures de précaution n'auront pas forcément à être directement mises en œuvre par les autorités publiques, qui ont simplement à « veiller à l'adoption » de telles mesures : comme le souligne le ministère de la justice, celles-ci pourront donc également être prises par des personnes privées, de leur propre initiative sous le contrôle des autorités publiques ou à l'invitation de celles-ci, qui disposent à cet égard d'un pouvoir comparable à celui d'une autorité de police administrative.

Suivant son rapporteur pour avis, la Commission a rejeté un amendement de M. François-Michel Gonnot tendant à substituer à la notion d'« adoption » de mesures provisoires et proportionnées par les autorités publiques celle d'« application » de mesures par celles-ci.

Puis, elle a également rejeté deux amendements du même auteur, le premier visant à remplacer la référence à des « mesures » par celle à des « dispositions » provisoires et proportionnées, le second visant à qualifier ces mesures de « temporaires » plutôt que de « provisoires ».

La Commission a ensuite examiné un amendement présenté par M. Yves Cochet, visant à supprimer la référence au caractère proportionné de ces mesures.

Citant le cas des organismes génétiquement modifiés (OGM), qui pourraient provoquer des dommages encore inconnus, M. Yves Cochet a souligné qu'il semblait difficile d'exercer un contrôle de proportionnalité sur des mesures adoptées dans un contexte d'incertitude scientifique, en l'absence de référence pour évaluer l'importance des risques environnementaux et mesurer les dommages.

M. François-Michel Gonnot a également fait part de son grand scepticisme vis-à-vis de cette notion de proportionnalité, cette dernière pouvant générer un important contentieux et des interprétations divergentes.

Le rapporteur pour avis a rappelé qu'il existait une importante jurisprudence relative à cette notion, qui figure par ailleurs à l'article L. 110-1 du code de l'environnement. Il a noté que cette démarche ne présentait pas de difficultés d'interprétation pour les juridictions et a ajouté que la proportionnalité pouvait consister, par exemple, à suspendre une mesure administrative face à un risque incertain. Il a, sur ce fondement, émis un avis défavorable à cet amendement.

La Commission a alors rejeté cet amendement.

Suivant son rapporteur pour avis, la Commission a ensuite rejeté deux amendements de M. François-Michel Gonnot, le premier visant à faire référence au caractère « équilibré » plutôt que proportionné des mesures précitées, le second visant à préciser que ces mesures doivent avoir un « coût économiquement acceptable ».

c) Une obligation concomitante de recherche afin d'évaluer les risques encourus

L'article 5 de la Charte dispose également que les autorités publiques doivent veiller « à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques encourus ».

Cette dernière obligation constitue donc un véritable « aiguillon » pour la recherche scientifique et à cet égard, il est étonnant que certains membres de la communauté scientifique aient considéré que l'article 5 conduirait à porter un coup fatal à la recherche française.

Tout au contraire, il légitime celle-ci en disposant que dès lors que des risques potentiels tombent sous le coup du principe de précaution, une recherche destinée à évaluer ces risques doit être menée. Ainsi, l'article 5 constitue une justification des essais de cultures d'organismes génétiquement modifiés, qui sont aujourd'hui contestés et dans certains cas illicitement détruits par ceux là même qui font valoir les incertitudes scientifiques entourant l'impact environnemental des OGM.

Certaines des personnes auditionnées ont jugé peu pertinent de faire figurer l'obligation de recherche sur les risques encourus après l'obligation d'adopter des mesures provisoires et proportionnées, au motif qu'une évaluation des risques est indispensable préalablement à l'adoption de telles mesures afin de savoir si celles-ci sont appropriées.

Mais cette observation se fonde sur une double confusion : en premier lieu, l'évaluation des risques dont il est fait mention dans l'article 5 est destinée à lever les incertitudes scientifiques sur le risque encouru ; elle vise donc, en quelque sorte, à faire du risque potentiel un risque avéré, à le faire passer du champ de la précaution à celui de la prévention. En faire un préalable à l'adoption de mesures de précaution reviendrait à priver de toute portée l'article 5, qui ne vise justement que les risques potentiels mais suffisamment importants pour nécessiter que soient immédiatement prises des mesures de précaution.

En second lieu, l'obligation de recherche qui s'impose en cas de risque potentiel n'a pas vocation à intervenir « après » les mesures de précaution, mais en même temps : aucune séquence chronologique n'est établie dans l'article 5. L'évaluation des risques doit intervenir de manière concomitante à l'adoption de mesures de précaution, dont le caractère provisoire est justifié par l'évolution des connaissances scientifiques au fil de cette évaluation.

La Commission a rejeté, sur avis défavorable du rapporteur pour avis, cinq amendements du même auteur visant à clarifier la rédaction de la fin de l'article 5 de la Charte de l'environnement, et visant respectivement à mentionner :

- « l'instauration » plutôt que « la mise en œuvre » de procédures d'évaluation des risques ;

- des « systèmes » plutôt que des « procédures » d'évaluation ;

- « l'estimation » plutôt que « l'évaluation » des risques ;

- des « dangers » plutôt que des « risques » ;

- des risques « existants » plutôt que des risques « encourus ».

4. Le principe de précaution pourra-t-il être invoqué dans le contentieux de la responsabilité pénale ?

Il doit être absolument clair que si l'article 5 de la Charte est d'effet direct, ce dernier n'est pas absolu et ne pourrait être utilement invoqué devant les juridictions pénales.

Comme l'a souligné le garde des Sceaux lors de son audition par la Commission des lois et la Commission des affaires économiques, un texte constitutionnel n'est pas un texte d'incrimination pénale, en application du principe selon lequel la loi pénale est d'interprétation stricte (article 111-4 du code pénal) et du principe de légalité des crimes et délits (article 111-2 du même code).

La responsabilité pénale des autorités publiques ne pourra donc être mise en cause sur le fondement de l'article 5 de la Charte : seul sera applicable le régime actuel découlant de la loi dite « Fauchon » n° 2000-647 du 10 juillet 2000, qui a modifié l'article 121-3 du code pénal. Sera donc toujours requise pour engager la responsabilité pénale du fait de délits non intentionnels la violation « de façon manifestement délibérée » d'une « obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement », la Charte de l'environnement, texte de valeur constitutionnelle, ne pouvant être assimilée à la loi au sens de cet article.

5. Quel sera l'impact de l'article 5 sur le contentieux ?

L'article 5 étant d'effet direct, de nombreux interlocuteurs de votre rapporteur pour avis ont émis la crainte qu'il ne donne lieu à un contentieux abondant et à une jurisprudence erratique qui supposerait de longues années avant de s'unifier, tandis que les autorités publiques, sous la pression des médias et de l'opinion publique, seraient tentées de se protéger en utilisant de manière abusive le principe de précaution.

On a déjà vu que l'application de ce principe sera désormais strictement encadrée par la Charte. Votre rapporteur ne prétend évidemment pas que l'article 5 ne donnera lieu à aucun contentieux ; il n'est, en cela, pas différent des autres normes. Mais il convient de relativiser cette appréciation : la jurisprudence actuelle sur le principe de précaution a pu se développer sans que la Charte de l'environnement n'intervienne et par ailleurs, la judiciarisation de notre droit semble être un mouvement qu'il ne sera pas aisé d'infléchir.

En tout état de cause, on peut souligner qu'il serait inutile d'invoquer l'article 5 de la Charte auprès des juridictions pénales, celui-ci ne pouvant constituer, comme on l'a vu ci-dessus, une incrimination pénale.

S'agissant d'un risque d'interprétation erratique du principe de précaution par la jurisprudence, on doit garder à l'esprit qu'en cas de doute, le juge doit s'en remettre aux travaux préparatoires du constituant afin de comprendre la volonté qui était la sienne. Les rapports des deux commissions saisies sur le projet de Charte, ainsi que les débats au sein de notre hémicycle devraient permettre d'aboutir à une interprétation aussi encadrée que possible.

Enfin, on doit relativiser la tentation qui existerait au sein des autorités publiques de recourir abusivement au principe de précaution, car elles ne seront pas soumises à la seule pression des médias ou de « lanceurs d'alerte » : toute application abusive de ce principe pourrait également donner lieu à des recours par les personnes ayant intérêt à agir, au motif que le risque ne se prêterait pas à application du principe de précaution ou encore que les mesures adoptées ne seraient pas provisoires ou proportionnées.

Votre rapporteur pour avis ne peut évidemment préjuger de la jurisprudence qui sera dégagée de l'article 5 de la Charte de l'environnement. Il estime toutefois que les travaux préparatoires du Parlement pourront constituer pour le juge une aide précieuse et plaide donc pour que les débats dans notre hémicycle soient aussi riches et précis que possible.

La Commission a été saisie d'un amendement de Mme Geneviève Perrin-Gaillard visant à insérer un article additionnel après l'article 5 de la Charte de l'environnement, aux termes duquel la recherche et l'innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de l'environnement ainsi qu'à l'application du principe de précaution.

Mme Geneviève Perrin-Gaillard a indiqué que cet amendement visait d'une part à établir, sur la forme, un lien direct entre le principe de précaution et la recherche et l'innovation en plaçant un tel article à la suite de l'article 5, et d'autre part à rappeler le rôle fondamental de la recherche et de l'innovation pour l'application du principe de précaution.

Le rapporteur pour avis s'y est déclaré défavorable, estimant que cet amendement était satisfait. En effet, a-t-il observé, il reprend, dans sa première partie, la rédaction de l'article 9 de la Charte et il est par ailleurs totalement satisfait par la fin de l'article 5 prévoyant qu'en application du principe de précaution, les autorités publiques doivent mettre en œuvre des procédures d'évaluation des risques encourus, c'est-à-dire une recherche sur ces risques. Il a ajouté que la recherche était ainsi doublement reconnue par la Charte, dans son article 5 et dans son article 9.

M. François Brottes n'a pas adhéré à cette analyse, jugeant que l'amendement de Mme Geneviève Perrin-Gaillard permettait de lever les doutes de la communauté scientifique qui craint que le principe de précaution n'aboutisse à paralyser la recherche et l'innovation.

Le rapporteur pour avis a appelé l'attention des commissaires sur l'exposé des motifs de l'article 5, aux termes duquel « Les autorités publiques doivent veiller, concomitamment [à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées], à la mise en œuvre des procédures d'évaluation des risques encourus. (...) Cette formulation a été retenue afin d'éviter, compte tenu de l'expérience acquise dans ce domaine, qu'un usage abusif du principe de précaution ne paralyse toute initiative, en particulier (...) la recherche scientifique ».

Suivant son rapporteur, la Commission a rejeté cet amendement.

Article 6 de la Charte de l'environnement

Promotion du développement durable par les politiques publiques et
exigence de conciliation des trois piliers de ce mode de développement

L'article 6 de la Charte consacre l'objectif de développement durable, qui avait déjà été défini dans le dernier considérant, selon lequel « afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».

En posant comme objectif de valeur constitutionnelle l'exigence de promotion de ce mode de développement par les politiques publiques, terme plus large que celui de « décisions publiques », cet article élargit le champ du développement durable par rapport à l'article L. 110-1 du code de l'environnement, qui assignait cet objectif aux seules politiques environnementales et non à l'ensemble des politiques publiques.

L'article 6 de la Charte précise ensuite les modalités selon lesquelles cet objectif doit être poursuivi.

La première consiste en la prise en compte, par les politiques publiques, de la protection et de la mise en valeur de l'environnement. Est ainsi constitutionnalisé l'équivalent du principe d'intégration qui figure à l'article 6 du traité instituant la Communauté européenne, selon lequel « Les exigences de la protection de l'environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de la Communauté (...), en particulier afin de promouvoir un développement durable ».

On doit souligner que le principe d'intégration a également été défini par la Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement de 1992, qui dispose que « pour parvenir à un développement durable, la protection de l'environnement doit faire partie intégrante du processus de développement et ne peut être considérée isolément. » Il s'agit donc de souligner que les préoccupations environnementales font partie d'un tout et que les objectifs poursuivis en matière d'environnement sont conditionnés, le plus souvent, par des orientations et des choix faits au titre d'autres politiques publiques.

On notera que la rédaction de l'article 6 de la Charte est plus dynamique que celle retenue dans le traité instituant la Communauté européenne et dans la Déclaration de Rio, en ne se limitant pas à une simple préservation de l'état initial de l'environnement : elle reconnaît en effet le rôle essentiel des activités humaines dans la nature en faisant référence à « la mise en valeur de l'environnement », notion qui, en insistant sur l'intervention de l'homme, s'oppose à une sacralisation des milieux naturels qui irait à l'encontre de l'objectif poursuivi, le développement durable ne pouvant être assimilé à une « croissance zéro ».

L'article 6 de la Charte précise en second lieu les termes de la nécessaire conciliation entre les trois piliers du développement durable, en disposant que les politiques publiques doivent concilier la protection et la mise en valeur de l'environnement avec le développement économique et social, qui est ainsi lui aussi consacré en tant qu'objectif de valeur constitutionnelle.

La formulation retenue a fait l'objet de critiques de la part d'associations de protection de la nature et de consommateurs qui ont souhaité en inverser les termes pour disposer que c'est le développement économique et social qui doit être concilié avec les exigences de défense de l'environnement. Votre rapporteur pour avis ne partage pas l'analyse qui sous-tend cette suggestion, selon laquelle la rédaction de la Charte conduirait à faire systématiquement prévaloir le développement économique et social sur les exigences environnementales.

Si la protection et la mise et valeur de l'environnement sont citées en premier lieu, c'est bien parce qu'elles figurent dans une Charte « de l'environnement ». Cette priorité n'est que formelle et n'a pas vocation à s'imposer sur le fond. Le développement durable suppose en effet une approche équilibrée, qui n'opère pas de distinction entre le rang respectif que doivent occuper le respect de l'environnement, le développement économique et le progrès social. Il reviendra donc aux politiques publiques de respecter cette exigence d'équilibre et le cas échant au juge d'apprécier, en fonction de l'espèce, quels doivent être les termes de la conciliation entre ces trois piliers du développement durable.

L'article 6 de la Charte s'inscrit donc ainsi pleinement dans la perspective d'une écologie humaniste. Votre rapporteur pour avis estime qu'il mérite d'y être porté la plus grande attention car il permet de répondre à la plupart des observations qui ont pu être émises à l'encontre de la Charte, suspectée de porter un coup fatal à notre dynamisme économique.

La Commission a examiné un amendement de Mme Geneviève Perrin-Gaillard prévoyant que le développement durable que doivent promouvoir les politiques publiques doit concilier les exigences économiques, sociales et environnementales et visant à supprimer la dernière phrase de cet article aux termes de laquelle les politiques publiques doivent prendre en compte la protection et la mise en valeur de l'environnement et les concilier avec le développement économique et social.

Mme Geneviève Perrin-Gaillard a indiqué que le développement durable ne devait pas donner lieu à une hiérarchisation des exigences de respect de l'environnement et de développement économique et social et a craint que tel ne soit pas le cas dans la rédaction proposée par la Charte qui semble faire prévaloir l'exigence de développement économique et social sur les considérations environnementales.

Le rapporteur pour avis s'y est déclaré défavorable, la notion de développement durable suffisant, par elle-même, à ne pas établir de hiérarchie entre ses trois piliers environnemental, économique et social. Suivant son rapporteur, la Commission a rejeté cet amendement.

La Commission a ensuite examiné en discussion commune deux amendments de M. Yves Cochet, le premier visant à réécrire la dernière phrase de cet article pour disposer que le développement économique et social doit être compatible avec la protection de l'environnement et le second prévoyant que les politiques publiques doivent prendre en compte l'amélioration de l'environnement et non sa mise en valeur.

M. Yves Cochet a indiqué que son premier amendement répondait au constat selon lequel les préoccupations économiques ont souvent la priorité sur les considérations environnementales, à l'exception de quelques rares contre-exemples, comme celui de la déviation d'une autoroute pour préserver une espèce endémique, le pique-prune. Il a précisé que son second amendement était motivé par les dérives auxquelles peut donner lieu la notion de mise en valeur de l'environnement, qui permet de « bétonner » certains espaces naturels, citant ainsi la disposition introduite dans le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux aux termes de laquelle les lacs de montagne pourront désormais être équipés de « paillotes » démontables.

Le rapporteur pour avis s'est déclaré défavorable à ces deux amendements, notant que le premier tendait à établir une hiérarchie entre les trois piliers du développement durable.

M. François Brottes a fait remarquer que les dispositions relatives aux lacs de montagne introduites dans le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux permettraient non pas de construire des « paillotes » mais des stations d'épuration à proximité de ces lacs, ce qui n'est aujourd'hui pas possible ; M. Pierre Ducout a fait remarquer que l'amendement précédemment présenté par Mme Geneviève Perrin-Gaillard permettait d'éviter toute hiérarchisation des trois éléments constitutifs du développement durable.

Puis, la Commission a rejeté ces deux amendements.

Article 7 de la Charte de l'environnement

Droit d'accès aux informations relatives à l'environnement
et participation à l'élaboration des décisions publiques
ayant une incidence sur l'environnement

L'article 7 de la Charte de l'environnement consacre un nouveau droit constitutionnel d'accès aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participation à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement.

Ce droit d'information et de participation, ouvert par la Charte à « toute personne », que celle-ci soit physique ou morale, publique ou privée, est déjà largement présent dans le droit international et communautaire.

Il a ainsi été inscrit au principe 10 de la Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement, adoptée le 13 juin 1992, aux termes duquel « la meilleure façon de traiter les questions d'environnement est d'assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient. Au niveau national, chaque individu doit avoir dûment accès aux informations relatives aux substances dangereuses dans leurs collectivités, et avoir la possibilité de participer aux processus de prise de décision (...). ».

Il a également été affirmé par la Convention d'Aarhus sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice, du 25 juin 1998, entrée en vigueur en droit interne le 6 octobre 2002. Son l'article 1er dispose que « afin de contribuer à protéger le droit de chacun, dans les générations présentes et futures, de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être, chaque Partie garantit les droits d'accès à l'information sur l'environnement, de participation du public au processus décisionnel et d'accès à la justice en matière d'environnement conformément aux dispositions de la présente Convention. ».

Il est éclairant de se référer aux considérants de cette Convention, qui exposent la logique qui a conduit à reconnaître un tel droit. Le raisonnement est le suivant :

1) chacun a le droit de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être et le devoir de protéger et d'améliorer l'environnement dans l'intérêt des générations présentes et futures ;

2) afin d'être en mesure de faire valoir ce droit et de s'acquitter de ce devoir, les citoyens doivent avoir accès à l'information, être habilités à participer au processus décisionnel et avoir accès à la justice en matière d'environnement ;

3) dans le domaine de l'environnement, un meilleur accès à l'information et la participation accrue du public au processus décisionnel permettent de prendre de meilleures décisions et de les appliquer plus efficacement, contribuent à sensibiliser le public aux problèmes environnementaux, lui donnent la possibilité d'exprimer ses préoccupations et aident les autorités publiques à tenir dûment compte de celles-ci.

On doit en outre mentionner la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant l'accès du public à l'information en matière d'environnement, qui, aux termes de son article 1er, a pour objectif de « garantir le droit d'accès aux informations environnementales détenues par les autorités publiques ou pour leur compte et de fixer les conditions de base et les modalités pratiques de son exercice ».

Le droit à l'information et à la participation figure également dans notre droit interne. Ainsi, l'article 42 de la loi n° 96-1236 du 3 décembre 1996 sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie a disposé que les politiques environnementales devaient notamment « s'inspirer », « dans le cadre des lois qui en définissent la portée », du principe de participation « selon lequel chacun doit avoir accès aux informations relatives à l'environnement, y compris celles relatives aux substances et activités dangereuses ».

Puis, l'article 132 de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, s'inspirant largement de la Convention d'Aarhus, a complété ces dispositions figurant désormais à l'article L. 110-1 du code de l'environnement, pour aboutir à la définition selon laquelle le principe de participation recouvre, outre le droit d'accès de chacun aux informations relatives à l'environnement, y compris celles relatives aux substances et activités dangereuses, le droit du « public » à être « associé au processus d'élaboration des projets ayant une incidence importante sur l'environnement ou l'aménagement du territoire ».

La consécration de ce nouveau droit dans la Charte doit être mis en regard de l'article 1er de celle-ci qui énonce le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé et de son article 2 selon lequel chacun a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement. L'article 7 constitue un moyen de faire valoir le droit énoncé à l'article 1er et une étape préalable indispensable pour s'acquitter du devoir prévu à l'article 2.

La rédaction retenue par l'article 7 de la Charte est différente de celle figurant dans le code de l'environnement sur un certain nombre de points.

Elle substitue tout d'abord à la notion de « public » celle de « toute personne », juridiquement plus précise. Elle consacre par ailleurs explicitement un droit, en utilisant la formule « Toute personne a le droit », conférant ainsi une plus grande solennité aux dispositions qui suivent.

Le droit d'accès aux informations relatives à l'environnement est limité aux seules informations détenues par les « autorités publiques », contrairement à ce qui était prévu dans le code de l'environnement. Il s'agit sans conteste d'une sage limitation, car créer un droit d'accès à l'ensemble des informations relatives à l'environnement, y compris celles détenues par des personnes privées, aurait sans nul doute pu poser de graves problèmes de compatibilité avec d'autres dispositions, comme par exemple le secret industriel et commercial qui doit légitimement être préservé. On notera toutefois, comme le souligne le ministère de la justice, que cette restriction du droit d'accès à l'information ne s'oppose pas à ce que le législateur l'étende à des informations qui seraient détenues par certaines personnes privées, notamment afin de prendre en compte les règles qui découlent de sources internationales.

S'agissant du droit de participation, il s'applique à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement. On notera que cette rédaction est plus large que celle de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, qui ne visait qu'une participation « au processus d'élaboration des projets ayant une incidence importante sur l'environnement ou l'aménagement du territoire ».

Votre rapporteur pour avis ne cache pas qu'il estime que la consécration de cette forme de démocratie participative a suscité chez lui quelques craintes, les termes employés étant relativement forts. Il s'interroge en particulier sur la légitimité qui sera désormais reconnue aux élus politiques pour décider de projets d'aménagement dans leurs collectivités locales, en cas d'opposition entre la volonté issue de la démocratie participative et celle émanant de la démocratie représentative.

Il convient néanmoins de souligner que l'article 7 de la Charte ne crée pas un droit constitutionnel absolu à la participation et à l'information, puisqu'il est expressément précisé que ce droit s'exercera « dans les conditions et les limites fixées par la loi » ; il n'est donc pas d'effet direct.

S'agissant des « conditions » d'exercice de ce droit, divers instruments sont d'ores et déjà disponibles : le débat public, les enquêtes publiques de type « Bouchardeau » prévues par le code de l'environnement, ou encore la procédure de concertation prévue à l'article L. 300-2 du code de l'urbanisme pour la modification ou la révision d'un plan local d'urbanisme, la création d'une zone d'aménagement concerté ou d'une opération d'aménagement réalisée par la commune, qui toutes sont susceptibles d'avoir une incidence sur l'environnement.

Le législateur pourra en outre apprécier quelles limites devront être posées à ce nouveau droit d'information et de participation, par exemple pour protéger les secrets légitimes. Comme le souligne le ministère de la justice, ces limites pourront même, dans un petit nombre de cas et sous le contrôle du juge constitutionnel, aller jusqu'à l'exception, par exemple lorsque sera en cause un des autres intérêts fondamentaux de la Nation, ceux-ci étant consacrés comme objectifs de valeur constitutionnelle par le sixième considérant de la Charte. On peut ainsi penser à la protection du secret en matière de défense nationale.

Il convient enfin de souligner que la possibilité offerte au législateur d'instaurer des dérogations ne constitue pas une « exception française », puisque la directive précitée du 28 janvier 2003 concernant l'accès du public à l'information en matière d'environnement permet dans son article 4 de rejeter une demande d'information environnementale si la divulgation de cette information porte atteinte à certains intérêts : confidentialité des délibérations des autorités publiques, sécurité publique, défense nationale, bonne marche de la justice, confidentialité des informations commerciales ou industrielles, droits de propriété intellectuelle, ou encore confidentialité des données à caractère personnel.

La Commission a examiné un amendement de Mme Geneviève Perrin-Gaillard visant à mentionner expressément le principe de participation dans l'article 7 de la Charte. Mme Geneviève Perrin-Gaillard a expliqué que cet amendement avait vocation à être accompagné d'un amendement visant à compléter l'article 34 de la Constitution. Elle a sur ce dernier point vivement regretté qu'il ait été demandé au groupe socialiste, sans fondement réglementaire, de retirer cet amendement qui avait été initialement déposé auprès de la Commission des affaires économiques et a demandé au Président Patrick Ollier de faire part au président de la Commission des lois de son vif mécontentement au regard de telles pratiques.

Le Président Patrick Ollier a fait remarquer que ce retrait avait été accepté par le groupe socialiste, la Commission des lois n'ayant pas le pouvoir de retirer d'elle-même un amendement déposé par le groupe socialiste auprès d'une autre commission.

Puis, la Commission, suivant son rapporteur pour avis, a rejeté cet amendement.

Elle a également rejeté un amendement de M. Yves Cochet prévoyant une application directe de l'article 7 de la Charte par la suppression du renvoi à la loi pour en fixer les conditions et les limites.

Article 8 de la Charte de l'environnement

Education et formation à l'environnement

Comme l'indique la Commission Coppens dans son rapport, « l'exercice des droits et devoirs de chacun en matière d'environnement est indissociablement lié à son éducation et son information. (...) Chacun a besoin, pour adopter un comportement qui ne porte pas atteinte à l'environnement, voire y soit favorable, de connaître les conséquences de ses gestes et choix. L'homme bien informé peut prendre des mesures pour modifier ses comportements, ses modes de consommation et de production de manière à assurer la sauvegarde et l'amélioration de la qualité de son cadre de vie et de celui des générations futures »18.

Partant de ce constat, l'article 8 de la Charte, dans une rédaction très proche de celle qui avait été proposée par la commission Coppens, consacre l'éducation et la formation à l'environnement en disposant qu'elles « doivent contribuer à l'exercice des droits et devoirs définis par la présente Charte ». Il s'agit donc, comme le souligne l'exposé des motifs de cet article, de permettre que se développe une « nouvelle éthique de l'écologie, individuelle et collective ».

Cet article répond ainsi à une forte demande sociale, qui a notamment été soulignée auprès de votre rapporteur pour avis tant par les associations de protection de la nature et de consommateurs que par la plupart des acteurs économiques : les citoyens doivent pouvoir développer leurs connaissances en matière d'environnement, connaître les conséquences de leurs choix et de leurs gestes et prendre conscience de la fragilité des écosystèmes.

On notera que sont à la fois consacrées « l'éducation », qui vise la formation initiale, du primaire au supérieur, et la « formation », qui vise la formation au cours de la vie ; l'apprentissage dans le domaine environnemental n'est donc pas restreint au seul cadre scolaire ou universitaire.

Il est également important de souligner, comme le fait le ministère de la Justice, que si l'article 8 de la Charte marque la reconnaissance de l'importance de l'éducation et de la formation à l'environnement, le contenu de ces dernières n'est pas pour autant orienté par la Charte qui se borne à indiquer qu'elles doivent toutes deux « contribuer » à l'exercice des droits et devoirs définis par la Charte.

En revanche, l'article 8 donne lieu à un « effet cliquet » en établissant un socle de garanties minimales : il ne serait pas loisible au législateur d'adopter une disposition législative qui supprimerait toute formation à l'environnement dans les programmes scolaires. On peut d'ailleurs noter qu'aujourd'hui, l'exigence posée par l'article 8 est satisfaite par les programmes d'enseignement primaire et secondaire qui comportent un enseignement des sciences de la vie et de la terre. En tout état de cause, la suppression de cet enseignement serait donc contraire à la Charte si aucune autre formation à l'environnement ne venait s'y substituer.

La Commission a examiné un amendement de M. François-Michel Gonnot prévoyant que l'éducation et la formation à l'environnement « contribuent » et non pas « doivent contribuer » à l'exercice des droits et devoirs définis par la Charte.

M. François-Michel Gonnot a précisé qu'il souhaitait, lors de l'examen de cet amendement en séance publique, que le Gouvernement précise les intentions du ministère de l'Education nationale quant aux conséquences de l'article 8 de la Charte et indique quelle serait la traduction concrète de ce dernier dans les programmes scolaires. Le Président Patrick Ollier a proposé d'adresser, conjointement avec M. François-Michel Gonnot, un courrier aux ministres compétents afin d'obtenir les précisions demandées. Puis, la Commission a rejeté l'amendement de M. François-Michel Gonnot.

Article 9 de la Charte de l'environnement

Concours de la recherche et de l'innovation
à la préservation et à la mise en valeur de l'environnement

Alors que l'article 8 de la Charte n'a pas soulevé d'objections majeures de la part des personnes auditionnées par votre rapporteur pour avis, l'article 9 a donné lieu à des réactions contrastées de la part de la communauté scientifique. Ils sont pourtant fort semblables, puisque l'article 9 dispose que « La recherche et l'innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de l'environnement ».

Ainsi que l'a souligné la commission Coppens, « Le rôle de la recherche et de l'innovation dans le domaine de la préservation de l'environnement et du développement durable présente deux caractéristiques principales. En premier lieu, les explications et les prévisions fondées sur la démarche scientifique donnent un éclairage indispensable à la prise de conscience des populations et à la prise des décisions des gouvernements. En second lieu, la recherche, la technologie et l'innovation peuvent proposer des remèdes et des perspectives permettant de concilier les aspirations au développement avec le respect de l'environnement et la gestion des ressources »19.

Ce sont ici ces deux aspects du rôle de la recherche qui sont traités, dans une formule globale qui a donné lieu à des interprétations parfois erronées de la part de certains membres de la communauté scientifique, qui ont craint que l'article 9 ait pour objet de confiner la recherche et l'innovation aux seuls programmes environnementaux.

Une telle interprétation est surprenante car elle se situe à l'opposé de la volonté du constituant de reconnaître au plus haut niveau de nos normes l'importance de la recherche et de répondre ainsi aux chercheurs soucieux des risques de paralysie de leurs travaux.

Si la rédaction retenue à l'article 9 est très générale, en visant « la recherche et l'innovation », elle doit être appréciée comme un terme générique qui n'a pas vocation à viser « tout programme de recherche ». L'intention du constituant n'est donc pas d'assigner à la recherche et à l'innovation comme seules finalités la préservation et la mise en valeur de l'environnement. Cela serait d'ailleurs incompatible avec le principe constitutionnel de liberté de la recherche qui a été dégagé par le Conseil constitutionnel ; on peut ainsi citer sa décision 83-165 DC dans laquelle il a considéré que les fonctions d'enseignement et de recherche demandent que la libre expression et l'indépendance des personnels soient garanties, ou encore sa décision 94-345 DC, dans laquelle il a dégagé le principe de liberté d'expression et de communication dans l'enseignement et la recherche.

La généralité des termes choisis dans l'article 9 permet en revanche de souligner la nécessaire transversalité de la recherche environnementale, qui souffre souvent, comme l'ont indiqué à votre rapporteur pour avis de nombreux représentants de la communauté scientifique, d'approches encore trop sectorielles qui se révèlent peu adaptées pour traiter des problématiques environnementales.

Il convient en outre de souligner que le rôle positif de la recherche est non seulement reconnu au niveau constitutionnel par l'article 9 de la Charte mais aussi par son article 5, dont on a vu qu'en imposant une obligation d'évaluation des risques encourus dans le cadre de l'application du principe de précaution, il constituait un véritable encouragement à la recherche.

Enfin, il convient de souligner l'effet « cliquet » auquel donne lieu l'article 9 de la Charte : en introduisant au niveau de la norme constitutionnelle une référence à la recherche et à l'innovation, il conforte en effet la législation existante qui prévoit déjà, dans certains cas, l'intervention de la recherche pour la connaissance et la valorisation de l'environnement. C'est par exemple le cas de l'article L. 321-1 du code de l'environnement, qui prévoit que la politique en faveur du littoral doit avoir notamment pour objet « la mise en oeuvre d'un effort de recherche et d'innovation portant sur les particularités et les ressources du littoral », ou encore de l'article L. 331-14 du même code qui dispose que les organismes gérant les parcs nationaux doivent participer à des programmes de recherche en vue du développement économique, social et culturel de la zone.

Votre rapporteur pour avis estime donc que l'article 9, loin d'être un frein à la recherche, constitue un encouragement à cette dernière, en plaçant celle-ci dans une perspective de développement durable.

M. François Brottes a retiré un amendement de Mme Geneviève Perrin-Gaillard visant à supprimer, par coordination avec un amendement précédent ayant été rejeté par la Commission, l'article 9 de la Charte.

Il a par ailleurs déploré qu'aucun amendement de l'opposition n'ait été retenu lors de la révision de la loi fondamentale, faisant remarquer qu'une approche très différente avait été récemment retenue pour d'autres projets de loi, tel celui encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse. Il a jugé ce choix d'autant plus regrettable que le groupe socialiste avait déposé ses amendements auprès de la Commission afin qu'ils puissent être examinés de façon approfondie lors de la réunion tenue en application de l'article 86 du Règlement.

Article 10 de la Charte de l'environnement

La Charte de l'environnement, inspiration de l'action européenne et internationale de la France

Le dernier article de la Charte pare celle-ci d'une nouvelle dimension en disposant qu'elle « inspire l'action européenne et internationale de la France ».

De fait, une grande partie des problématiques environnementales dépasse nos frontières, comme en témoigne le foisonnement des conventions multilatérales qui visent à apporter des réponses cohérentes à des phénomènes planétaires ; on peut ainsi citer la Convention de Rio de 1992 sur la biodiversité ou encore la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. De même, la réglementation communautaire est extrêmement prolixe dans le domaine de l'environnement et est désormais à l'origine d'une grande partie de notre droit de l'environnement. La Charte de l'environnement ne peut en faire abstraction ; c'est l'objet de son article 10.

Comme l'indique l'exposé des motifs de cet article, les rapports entre la Constitution et les engagements internationaux de la France sont intégralement régis par son titre VI. L'article 10 de la Charte aborde cette question sous un autre angle, qui n'est pas celui de la hiérarchie des normes, mais celui de l'action : « la France s'impose à elle-même une exigence d'éthique et se dote ainsi d'un levier politique pour promouvoir, en Europe et dans le monde, une écologie humaniste, dans une logique d'intérêt commun à tous les peuples et de solidarité avec les générations futures ».

On ne saurait trop insister sur l'importance de cet article, qui devrait contribuer à calmer certaines craintes qui ont été émises lors des auditions menées par votre rapporteur pour avis. Il a en effet souvent été souligné que la Charte, en contribuant à accroître les exigences environnementales dans notre pays, serait à l'origine de graves distorsions de concurrence qui pénaliseraient notre économie.

Mais comme en témoigne l'article 10, la Charte n'a pas vocation à guider les seules politiques environnementales françaises ; on peut d'ailleurs sans peine imaginer que l'initiative française de constitutionnaliser l'environnement dans des termes aussi ambitieux jouera un rôle essentiel dans les négociations communautaires et internationales. La France pourra en effet se prévaloir d'être ainsi devenue un modèle en s'étant dotée de moyens conséquents qui lui permettront de peser sur la prise de décisions et de promouvoir auprès de ses partenaires les exigences du développement durable.

On ne peut évidemment pas exclure un risque de conflit entre la Charte de l'environnement et le droit communautaire. Mais il semble que ce risque soit moins important qu'il n'y paraît.

Tout d'abord, comme on l'a déjà souligné, la Charte dotera la France d'un nouveau poids dans les négociations communautaires.

Mais surtout, comme l'a très justement souligné notre collègue M. Bernard Deflesselles20, des mécanismes de prévention des conflits existent tant dans notre droit interne (par exemple, la saisine du Conseil d'Etat lors d'une négociation pour bénéficier de son conseil juridique) que dans le droit communautaire. On peut sur ce dernier point citer la clause de protection renforcée, prévue à l'article 176 du traité instituant la Communauté européenne, qui permet à un Etat de prendre, sous certaines conditions, des mesures plus strictes qu'une mesure communautaire de protection de l'environnement ; en outre, la clause de sauvegarde, prévue à l'article 95 du traité, permet à un Etat de maintenir des dispositions nationales justifiées par des exigences importantes relatives à la protection de l'environnement, ou d'introduire des dispositions nationales nouvelles postérieures à une mesure communautaire d'harmonisation.

Tant l'article 10 de la Charte que les procédures déjà existantes doivent donc conduire à relativiser le risque d'un conflit entre la Charte et le droit communautaire.

La Commission a examiné un amendement de M. Yves Cochet visant à ce que la Charte de l'environnement « cadre » et non pas « inspire » la politique de la France sur le plan international.

Le rapporteur pour avis ayant rappelé que l'article 10 de la Charte était un levier politique destiné à renforcer la position de la France dans les négociations internationales, tandis que les rapports entre la Constitution française et les engagements internationaux sont régis par le titre VI de la Constitution, la Commission a rejeté cet amendement.

La Commission a ensuite émis un avis favorable à l'adoption de l'article 2 du projet de loi constitutionnelle, ainsi modifié.

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La Charte de l'environnement constitue, à n'en pas douter, une nouvelle étape dans l'histoire de nos droits fondamentaux. En consacrant l'environnement au niveau constitutionnel, elle répond à une forte aspiration de nos concitoyens, tout en veillant à respecter les exigences de développement et d'innovation qui s'imposent dans la perspective d'un développement durable.

Ce texte permettra de forger une nouvelle éthique collective de la responsabilité, fondée sur une logique d'intérêt commun et un devoir de solidarité.

Comme l'a souligné avec force le Président de la République lors de son discours d'Orléans de 2001, nous ne pouvons plus ignorer les enjeux environnementaux et « il faudra, de la part de chaque citoyen et des entreprises, une adhésion pleine et entière aux exigences de cette écologie humaniste, aux exigences qu'elle peut impliquer, une adhésion allant bien au-delà de la simple compréhension des enjeux et du soutien aux idées. Cela demandera une volonté politique inscrite dans la durée et soutenue par toutes les forces vives. Mais c'est l'intérêt général, c'est la clé d'une meilleure qualité de vie et c'est la condition même de la poursuite du progrès économique et social ».

En inscrivant l'environnement dans notre pacte républicain, la Charte constitue une avancée indéniable. Votre rapporteur pour avis souhaite désormais que les débats parlementaires permettent d'en exposer toute la richesse et d'en préciser toutes les implications, afin d'emporter le nécessaire consensus qui doit prévaloir lors de l'adoption d'une nouvelle norme constitutionnelle.

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La Commission a, conformément aux conclusions de son rapporteur, émis un avis favorable à l'adoption du projet de loi constitutionnelle relatif à la charte de l'environnement (n° 992) ainsi modifié.

AMENDEMENTS ADOPTÉS PAR LA COMMISSION

Article premier

Amendement n° 44

A la fin du dernier alinéa de cet article, substituer à l'année : « 2003 », l'année : « 2004 ».

Article 2

Amendement n° 45

Dans le premier alinéa de cet article, substituer à l'année : « 2003 », l'année : « 2004 ».

(article premier de la Charte de l'environnement)

Amendement n° 46

Dans cet article, substituer aux mots : « favorable à », les mots : respectueux de ».

(article 5 de la Charte de l'environnement)

Amendement n° 47

Dans cet article, après le mot : « précaution », insérer les mots : « et dans leurs domaines d'attributions ».

1 () « Environnement et pacte écologique - Remarques sur la philosophie d'un nouveau « droit à » », M. Laurent Fonbaustier, in Les cahiers du Conseil constitutionnel n° 15, 2003, p.140

2 () « L'environnement dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne », M. Guy Pbraibant, in Les Cahiers du Conseil constitutionnel n° 15, 2003, p. 159

3 () Cour européenne des droits de l'homme, arrêt Lopez Ostra c/Espagne, 9 décembre 1994

4 () « Vers un droit de l'environnement renouvelé », M. Michel Prieur in Les cahiers du Conseil constitutionnel n° 15, p. 130

5 () « Environnement et pacte écologique - Remarques sur la philosophie d'un nouveau « droit à » », M. Laurent Fonbaustier, in Les cahiers du Conseil constitutionnel n° 15, 2003, p.141

6 () Bertrand Mathieu et Michel Verpeaux, « Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux », LGDJ, 2002, p. 428

7 () « Observations sur la portée normative de la Charte de l'environnement », Bertrand Mathieu, in Les cahiers du Conseil constitutionnel n° 15, p. 148.

8 () « Quelques réflexions sur le projet de Charte de l'environnement », M. Yves Jégouzo, in Les cahiers du Conseil constitutionnel n° 15, p. 128

9 () « Principes directeurs d'une charte constitutionnelle de l'environnement », Guillaume Drago, AJDA du 26 janvier 2004, p. 133

10 () « Observations sur la portée normative de la Charte de l'environnement », Bertrand Mathieu, in Les cahiers du Conseil constitutionnel n° 15, 2003, p. 146

11 () Rapport de la commission Coppens de préparation de la Charte de l'environnement, p. 9

12 () « Vers un droit de l'environnement renouvelé », M. Michel Prieur, in Les cahiers du Conseil constitutionnel n° 15, 2003

13 () Rapport de la commission Coppens de préparation de la Charte de l'environnement, 2003, p. 20

14 () Philippe Kourislky et Geneviève Viney, « Le principe de précaution », rapport au Premier ministre, 15 octobre 1999, p. 11

15 () Bertrand Mathieu et Michel Verpeaux, « Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux », LGDJ 2002, p. 741

16 () Philippe Kourilsky et Geneviève Viney, Le principe de précaution, rapport au Premier ministre, 15 octobre 1999, p. 55

17 () Ibid., p. 60

18 () Rapport de la commission Coppens de préparation de la Charte de l'environnement, p. 22

19 () Ibid., p. 23

20 () Rapport d'information de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne sur la Charte de l'environnement et le droit européen n° 1372, présenté par M. Bernard Deflesselles


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