Version PDF
Retour vers le dossier législatif

Document

mis en distribution

le 27 septembre 2004

graphique

N° 1798

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 septembre 2004.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 1704) de M. PATRICK BLOCHE ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES, tendant à la création d'une commission d'enquête visant à analyser les conditions de la cession d'une partie d'Editis, premier groupe français d'édition, et à évaluer ses conséquences économiques et sociales dans le secteur de l'édition,

PAR M. Emmanuel HAMELIN,

Député.

--

INTRODUCTION 5

I.- SUR LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION 7

II.- SUR L'OPPORTUNITÉ DE LA CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE 9

1. Concernant les conditions de cession d'Editis 9

a) La cession s'est effectuée dans le respect des procédures réglementaires en vigueur... 9

b) ... même si l'actuelle procédure communautaire de contrôle des concentrations d'entreprise mériterait sans doute d'être améliorée 12

2. Concernant le choix de l'entreprise Wendel Investissement, et non d'un éditeur 13

3. Concernant les risques d'atteinte à la diversité et au pluralisme des contenus 14

TRAVAUX DE LA COMMISSION 17

INTRODUCTION

Le 24 juin 2004 a été mise en distribution la proposition de résolution (n° 1704) déposée par M. Patrick Bloche et les membres du groupe socialiste et apparentés, tendant à la création d'une commission d'enquête visant à analyser les conditions de la cession d'une partie d'Editis, premier groupe français d'édition, et à évaluer ses conséquences économiques et sociales sur le secteur de l'édition.

Selon l'usage, le rapporteur examinera la recevabilité de la proposition de résolution avant de s'interroger sur l'opportunité de créer une telle commission d'enquête.

I.- SUR LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION
DE RÉSOLUTION

La recevabilité des propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête s'apprécie au regard des dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires  et des articles 140 et 141 du Règlement de l'Assemblée nationale.

La première exigence posée par ces textes est de déterminer avec précision, dans la proposition de résolution, les faits pouvant donner lieu à enquête.

En l'espèce, la proposition de résolution vise à analyser les conditions de la cession d'une partie d'Editis et à évaluer ses conséquences économiques et sociales sur le secteur de l'édition.

On peut donc considérer que les faits visés sont formulés de façon suffisamment précise pour justifier, a priori, la création d'une commission d'enquête.

La seconde exigence concerne la mise en œuvre du principe de séparation des pouvoirs législatif et judiciaire et interdit à l'Assemblée nationale d'enquêter sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires aussi longtemps que ces poursuites sont en cours.

Par lettre du 25 août 2004, M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, a fait savoir à M. Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, qu'aucune procédure n'est en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution.

La proposition de résolution est donc recevable.

II.- SUR L'OPPORTUNITÉ DE LA CRÉATION
D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE

Si les conditions de recevabilité peuvent apparaître réunies, il reste à déterminer s'il convient, en opportunité, de créer ou non une commission d'enquête concernant le rachat d'Editis par Wendel Investissement (WI).

M. Patrick Bloche et les membres du groupe socialiste et apparentés développent trois types de critiques pour justifier la création d'une commission d'enquête :

- le rachat d'Editis par WI ne s'est pas opéré dans des conditions loyales et transparentes ;

- un « fonds professionnel d'investissement » a été privilégié au détriment d'un éditeur ;

- enfin, ce rachat comporte des risques d'atteinte à la diversité et au pluralisme des contenus, notamment scolaires.

Le rapporteur s'attachera à démontrer que ces griefs ne sauraient justifier la création d'une commission d'enquête, soit parce qu'ils sont infondés, soit parce qu'ils concernent des choix commerciaux que le Parlement n'est pas fondé à juger.

1. Concernant les conditions de cession d'Editis

M. Patrick Bloche et les membres du groupe socialiste dressent un historique un peu court des événements qui ont conduit au rachat d'Editis par Wendel Investissement. Effectivement, « après plus de vingt mois d'attente, le groupe Lagardère a fait connaître, fin mai, son choix du repreneur d'Editis » en faveur de Wendel Investissement.

Mais en soulignant cette ultime péripétie du feuilleton Vivendi Universal Publishing (VUP), la branche édition de Vivendi Universal, on oublie de rappeler que ces « vingt mois d'attente » ne sont que très partiellement attribuables à l'entreprise Lagardère, contrairement à ce que laisse entendre notre collègue Patrick Bloche.

a) La cession s'est effectuée dans le respect des procédures réglementaires en vigueur...

Un bref rappel s'impose. En août 2002, Vivendi Universal, alors en pleine déconfiture boursière, annonce son intention de vendre VUP. Le rachat par Lagardère est finalisé en octobre 2002. A l'époque, le groupe socialiste ne s'était pas ému outre mesure de l'éventuel abus de position dominante du nouveau géant de l'édition ainsi constitué. Pourtant, le risque était à l'époque beaucoup plus grand de domination du secteur par un acteur puissant.

En 2003, Hachette Livre réalisait 1 300 millions d'euros de chiffre d'affaires, avec notamment des maisons comme Fayard, Calmann-Lévy, Grasset, Stock, Le Livre de Poche ou les Guides Bleus, mais également de nombreuses maisons d'édition étrangères.

VUP réalisait quant à lui, avec des maisons comme Nathan, Bordas, Plon-Perrin, Robert Laffont, La Découverte, Armand Colin, Larousse, Le Robert, Dalloz, Dunod, 10/18 ou Pocket, 696 millions d'euros de chiffres d'affaires (1).

Le nouveau groupe constitué aurait donc réalisé un chiffre d'affaires de quasiment 2 milliards d'euros et donnait naissance au cinquième éditeur mondial. Le groupe Lagardère aurait aussi contrôlé environ 50 % de la distribution du livre en France avec ses deux plates-formes, celle d'Hachette Livre à Maurepas et celle de VUP à Malesherbes et 44 % des circuits de diffusion.

Dans ces conditions, la réglementation européenne relative à la concurrence s'est appliquée. En effet, le traité sur la Communauté européenne vise à garantir l'existence d'une concurrence effective au sein du marché commun. Selon l'article 81 du traité, « sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun ».

Au-delà d'un seuil réglementaire, toute cession doit donc faire l'objet d'un examen par les autorités de la concurrence, nationales ou européennes. Les chiffres d'affaires réalisés par les deux parties étant supérieurs aux seuils de compétence fixés par le règlement communautaire n° 4064/89 du 21 décembre 1989 relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises, le contrôle relevait donc de la compétence de la Commission européenne.

Ainsi, le 5 juin 2003, après que le groupe Lagardère ait notifié auprès de la Commission européenne sa décision de rachat de VUP, celle-ci ouvre une enquête approfondie sur cette acquisition, faisant part de « ses doutes sérieux quant à l'impact concurrentiel de l'opération sur plusieurs marchés », notamment ceux de la vente et de la distribution.

L'enquête vise à examiner les effets de l'opération sur l'économie du secteur et doit permettre une large consultation des acteurs du marché. Il s'agit d'une procédure ouverte et transparente, où chacun des acteurs intéressés peut s'exprimer.

Alors que, le 14 octobre 2003, VUP devient Editis, le 27 octobre, la Commission notifie ses griefs à Lagardère. Elle estime que le rachat d'Editis risque de créer une position dominante sur douze marchés de la filière du livre francophone (2) et que la position dominante de Lagardère risque donc d'être renforcée à la suite de l'opération. Elle demande à l'entreprise de prendre des engagements afin de remédier aux problèmes identifiés. Dans le cas contraire, elle n'autorisera pas le rachat de VUP, devenu Editis, par Lagardère.

C'est dans ce contexte qu'Arnaud Lagardère annonce, le 3 décembre 2003, qu'il ne conservera que 40 % d'Editis, avec, entre autres, Larousse, Dunod, Dalloz et Armand Colin, et que, le 7 janvier 2004, la Commission européenne donne son feu vert pour ouvrir les négociations de reprise des 60 % restants d'Editis par un nouvel acheteur.

La deuxième partie de la procédure, c'est-à-dire les négociations de reprise partielle, ne débute qu'en janvier 2004. Elle est également encadrée par le droit européen et national : toutes les parties intéressées peuvent exercer leur droit d'accès au dossier, répondre à la communication des griefs de la Commission, demander et préparer l'audition orale, élaborer et soumettre une ou plusieurs propositions d'engagement.

Dans ce cadre, en mars et avril 2004, Wendel Investissement - comme Gallimard, Média-Participations et les fonds Paribas Affaires Industrielles (PAI) ou Eurazeo - se déclare intéressé par le rachat d'Editis. Le 19 mai, le groupe Lagardère annonce que Wendel Investissement a été choisi pour des négociations exclusives et l'entreprise annonce, le 28 mai, sa décision de céder les 60 % d'Editis à Wendel.

Le contrôle du respect de la concurrence, notamment dans le cadre des concentrations, étant très strictement encadré par les textes communautaires, et les conditions de cession et de rachat d'entreprises faisant également l'objet d'une réglementation nationale abondante, le rapporteur estime que l'on ne peut pas affirmer que la procédure de sélection n'a pas été « loyale », ni que le vendeur ait fait son choix « sans réelle mise en concurrence des candidats présélectionnés », bien au contraire.

L'accusation de « favoritisme », du fait de la période d'exclusivité accordée à Wendel Investissement est infondée. Cette période, initialement prévue du 19 au 25 mai, s'est finalement prolongée jusqu'au 31 mai, du fait de la complexité financière et juridique de l'opération de cession. Étant donné les sommes en jeu, on peut tout à fait comprendre que les deux parties aient adopté cette solution plutôt que de voir un projet d'accord trop hâtivement bouclé repoussé par la Commission.

Enfin, il est faux d'affirmer que cette période a permis à Wendel Investissement de surenchérir sur les offres des autres candidats car il disposait « d'informations privilégiées ». La période de négociation exclusive a au contraire eu l'avantage d'éviter toute surenchère des candidats évincés, alors même que l'offre de Média-Participations, à 680 millions d'euros, n'a pas été retenue.

Enfin, il n'y avait aucune raison d'entamer un « deuxième tour » de négociations avec les candidats non retenus, puisque cette procédure n'a de raison d'être que lorsqu'il n'y a pas accord de cession à l'issue de la période d'exclusivité.

b) ... même si l'actuelle procédure communautaire de contrôle des concentrations d'entreprise mériterait sans doute d'être améliorée

Le rapporteur s'interroge par contre sur la longueur et une certaine incohérence de la procédure européenne de contrôle des concentrations. Le délai global d'étude d'une concentration d'entreprise par la Commission peut paraître anormalement long et risquer ainsi de mettre en péril l'entreprise rachetée qui, dans le cas d'Editis, de juin 2003 à août 2004, n'avait aucune visibilité sur son avenir... A l'inverse, dans la phase d'examen des dossiers des potentiels repreneurs, les délais sont très resserrés et ne garantissent sans doute pas totalement la transparence de la procédure et les droits de toutes les parties. Ainsi, par exemple, le principe de l'accès à un dossier plus complet devrait peut-être être consacré.

La Commission, bien consciente de ce problème, a adopté un Livre Vert sur la question le 11 décembre 2001 et a procédé à la consultation des États membres, du monde des affaires et de la communauté juridique afin de réviser le règlement communautaire n° 4064/89 du 21 décembre 1989 relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises.

L'analyse menée par la Commission montre que, si le contrôle communautaire des concentrations est « très largement considéré comme un succès », le système actuel possède « un certain nombre de faiblesses (...), touchant non seulement les seuils de chiffres d'affaires, mais également d'autres aspects du règlement sur les concentrations » (3).

La proposition de règlement est actuellement en cours d'examen. Elle a notamment donné lieu à l'adoption d'une résolution le 4 décembre 2003 par l'Assemblée nationale. La mise en œuvre du nouveau règlement devrait sans aucun doute permettre de mettre fin à une grande partie des critiques actuellement formulées sur la procédure.

2. Concernant le choix de l'entreprise Wendel Investissement, et non d'un éditeur

M. Patrick Bloche et les membres du groupe socialiste déplorent ensuite que l'entreprise retenue soit un « fonds professionnel d'investissement (...), Wendel Investissement, présent dans l'appareillage électrique, les vaccins, l'informatique, la certification mais néophyte dans le secteur de l'édition ».

Plus clairement, ils déplorent que Lagardère n'ait pas privilégié un professionnel du secteur, estimant qu'il s'agira là d'un « concurrent peu dérangeant pour ses intérêts stratégiques ». Il va de soi que Lagardère n'avait en effet aucun intérêt à renforcer l'un de ses concurrents...

Il paraît presque incongru de demander à une entreprise privée de ne pas privilégier ses intérêts. Lagardère a choisi son futur concurrent librement, mais dans le respect des dispositions européennes et nationales. Lorsque ce cadre légal et réglementaire est respecté, la représentation nationale n'a pas à juger des choix industriels d'entreprises privées. De plus, Wendel s'était très tôt déclaré intéressé par la reprise d'Editis.

Par ailleurs, M. Patrick Bloche et les membres du groupe socialiste s'inquiètent de la politique patrimoniale de ce type de fonds, « spécialisé dans les acquisitions de sociétés non cotées en bourse, qui se paye sur les résultats de ces entreprises et qui les revend dans un délai de 10 à 15 ans, en bloc ou par "appartements" »

Le rapporteur ne partage pas cette analyse. Wendel Investissement n'est pas à proprement parlé un fonds d'investissement, comme Carlyle ou CVC Capital, qui achètent des entreprises, sans aucune cohérence industrielle, pour les revendre en « appartements » au bout de trois à quatre ans. Wendel est considéré par les économistes comme un « holding industriel », c'est-à-dire un investisseur à long terme qui participe au développement des entreprises qu'il rachète. Ainsi, Wendel a donné des garanties sérieuses aux pouvoirs publics et à la Commission européenne, qui a répété tout au long de la procédure que l'objectif était de voir apparaître, face au groupe Lagardère, une concurrence capable d'offrir une certaine intégration de la chaîne du livre et une grande solidité financière.

Wendel Investissement dispose de ces deux atouts. Comme le souligne l'exécutif de la Commission « c'est un acteur de poids qui possède des ressources très importantes et qui a l'ambition et les moyens de se développer » (4). Le groupe Editis, tel que cédé, devient bien le deuxième acteur de l'édition en France avec un chiffre d'affaires de 560 millions d'euros, contre 1,3 milliard pour Hachette Livre. Le troisième éditeur, France Loisirs, vient plus loin derrière, à 395 millions d'euros.

Si la différence de chiffre d'affaires entre le premier et le deuxième éditeur semble importante, elle est moindre lorsque l'on regarde uniquement le marché français, où Hachette ne réalise qu'un peu plus de la moitié de son chiffre d'affaires, contrairement à Editis. Ainsi, sur certains secteurs, comme en littérature générale ou dans le scolaire, les deux groupes sont à égalité.

Par ailleurs, la solidité financière du groupe est réelle et les déclarations des dirigeants de l'entreprise n'ont jamais varié : « Editis aura la capacité sur ses ressources propres de réaliser des acquisitions à concurrence de 300 millions d'euros au cours des trois prochaines années, tandis que Wendel pourra apporter, si des opérations le nécessitent, des fonds complémentaires(5) ».

Comme l'indiquait Pierre-Louis Rozynès dans un article du Nouvel Observateur (6: « Pour le marché, il vaut mieux un numéro 2 en immédiat état de marche et ouvert aux éditeurs indépendants (7)qu'un numéro 2 qui aurait toujours privilégié sa production à celle de ses diffusés ». M. Serge Eyrolles, président du Syndicat national de l'édition, semble lui aussi serein puisqu'il estime que « au final, les grands équilibres n'ont pas été bouleversés » (8).

Enfin, on ne peut que se féliciter du fait que les maisons d'édition appartenant à VUP soient toutes restées françaises.

3. Concernant les risques d'atteinte à la diversité et au pluralisme des contenus

Le groupe socialiste, relayant certaines craintes du monde enseignant, estime que « la diversité et le pluralisme des contenus éducatifs » sont en danger du fait du rachat de certains éditeurs de livres et manuels scolaires par une entreprise dirigée par M. Ernest-Antoine Seillière, qui, dans le cadre de ses fonctions de président du Medef, s'était ému du contenu des programmes d'économie de l'Éducation nationale.

Il s'agit d'un faux débat ! L'Éducation nationale reste la seule responsable du contenu des programmes scolaires et de leur modification. Les éditeurs ne font que retranscrire et illustrer ces programmes dans les manuels scolaires. Le contenu des livres scolaires mis en vente est donc uniquement dépendant de la politique du Ministère et des réformes qu'il met éventuellement en œuvre.

Plus largement, le débat sur une éventuelle intervention des repreneurs d'Editis dans les choix éditoriaux relève plus du fantasme que de cas constatés. Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple, les Éditions de la Découverte, lorsqu'elles ont été reprises par Jean-Marie Messier, n'ont pas été moins libres de publier que si elles avaient été rachetées par un patron de gauche !

Les dirigeants de Wendel Investissement ont d'ailleurs été clairs : le président du directoire d'Editis, Alain Kouck, a été confirmé à son poste et « afin de garantir l'indépendance éditoriale des maisons d'édition, la gouvernance d'Editis sera organisée autour d'un directoire et d'un conseil de surveillance. Le conseil de surveillance s'engagera à ne pas intervenir dans la ligne éditoriale. Des membres indépendants seront nommés en son sein, garants de cet engagement » (9).

Tout concourt donc à démontrer que les craintes exprimées sont sans fondement. Il convient donc, pour le moment, de s'attacher à suivre l'évolution de l'entreprise dans les mois à venir, et notamment la mise en place du conseil de surveillance.

Il conviendra également de veiller aux effets du nouveau règlement relatif aux concentrations entre les entreprises lorsqu'il sera définitivement adopté.

Enfin, le rapporteur a déposé en janvier 2004 une proposition de loi tendant à la création d'un médiateur du livre. Les récents évènements ont démontré que son examen par la représentation nationale serait opportun. En effet, une telle instance permettrait de mieux garantir la transparence et les équilibres économiques entre les différents acteurs de la chaîne du livre, notamment entre éditeurs et libraires ou entre éditeurs de taille différente. Comme le rapporteur le déplorait à l'époque, « ces rapports de force déséquilibrés expliquent la difficulté à résoudre des conflits de type commercial par la seule négociation contractuelle ou même la difficulté pour un éditeur ou un libraire à saisir les autorités de la concurrence de litiges concernant des relations commerciales avec un concurrent ou un fournisseur. Ceci tend à démontrer l'utilité d'une autorité indépendante pouvant être saisie facilement et favorisant la conciliation des litiges. Cette médiation est attendue par un grand nombre de professionnels, tout particulièrement par les libraires, mais également par des éditeurs soucieux de la préservation des équilibres économiques entre acteurs de la chaîne du livre » (10).

*

Au bénéfice des observations qui viennent d'être formulées, le rapporteur conclut donc au rejet de la proposition de résolution n° 1704.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission a examiné, sur le rapport de M. Emmanuel Hamelin, la présente proposition de résolution au cours de sa séance du mercredi 22 septembre 2004.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Patrick Bloche s'est déclaré extrêmement surpris du ton inutilement polémique adopté par le rapporteur, qui contraste avec la tonalité plutôt consensuelle des deux rapports précédemment examinés. On ne trouve dans le rapport de M. Emmanuel Hamelin aucune argumentation juridique à l'appui de ses conclusions mais uniquement des affirmations et des arguments politiques. Pourtant, la vente de 60 % d'Editis à l'entreprise Wendel Investissement a provoqué des interrogations chez de nombreux acteurs et conduit l'éditeur Odile Jacob à saisir le tribunal de commerce. La seule coupable serait l'Europe qui, si elle a fait son travail de régulation et de contrôle du respect des règles de la concurrence, a prolongé trop longuement les procédures. Il est légitime de demander la création d'une commission d'enquête, afin d'éclaircir une situation obscure et de faire prévaloir l'intérêt général dans un secteur particulièrement déséquilibré depuis quelques années. Si les programmes scolaires ne relèvent évidemment pas des auteurs et des éditeurs de livres scolaires, le contenu de ces derniers n'est cependant pas inséparable du fonctionnement des maisons d'édition. Les craintes sont donc fondées et la proposition de loi tendant à la création d'un médiateur du livre déposée par le rapporteur n'y répond pas, même si l'on ne peut que souscrire à cette volonté d'améliorer les mécanismes de médiation dans ce secteur. Il est regrettable que la commission, qui se saisit régulièrement de nombreux problèmes culturels, délaisse le secteur de l'édition et de la distribution des livres. C'est un sujet dont l'Assemblée nationale ne débat jamais, alors qu'au minimum il serait souhaitable d'envisager une mission d'information, comme cela a été le cas pour les intermittents du spectacle. Il serait en effet vraiment intéressant de travailler sur l'économie du livre.

Le président Jean-Michel Dubernard a approuvé cette dernière proposition et s'est engagé à soumettre au bureau, le moment venu, une demande de mission d'information sur ce sujet.

M. Didier Mathus a considéré à son tour qu'un sujet aussi sérieux méritait une autre réponse et ne justifiait pas le ton polémique du rapporteur. Il est regrettable de lire dans le rapport qu'« il paraît presque incongru de demander à une entreprise privée de ne pas privilégier ses intérêts ». Cela signifie-t-il que seules s'appliquent les lois du marché et que l'Assemblée nationale n'a rien à contrôler ? La France est le seul pays au monde où 80 % de la presse est détenu par des marchands d'armes et de béton. L'édition est aujourd'hui entre les mains de deux groupes puissants, dirigés par Arnaud Lagardère et Ernest-Antoine Seillière. Tous les mécanismes de formation de l'opinion et de l'intelligence sont donc entre les mains d'une oligarchie. Cela doit nous interroger et nécessite en tout cas une vraie réflexion. Il ne s'agit ni de faux débat, ni de fantasme, comme les inquiétudes et la mobilisation de la rédaction du Figaro, suite au rachat du journal par M. Serge Dassault, le montrent.

Le rapporteur a tout d'abord indiqué que l'éditrice Odile Jacob a été déboutée de sa demande et condamnée aux dépens par le tribunal de commerce. Tous les autres candidats ont accepté la vente de gré à gré sans en contester les principes juridiques, et donc la régularité de la méthode. Il n'y a pas davantage d'inquiétude à avoir sur le contenu des livres scolaires, qui ne relève pas des éditeurs. Il ne faut voir aucune polémique, ni dans le ton, ni dans le contenu du rapport, et les phrases mises en exergue par les précédents intervenants ne cherchent pas à choquer mais sont simplement empreintes de pragmatisme. Ce n'est pas le débat qui est refusé, mais la demande d'une commission d'enquête qui ne semble pas opportune. Il n'y a donc pas lieu d'investiguer davantage sur ce cas précis, mais le débat reste ouvert sur ces questions.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission a rejeté la proposition de résolution no 1704.

--____--

N° 1798 - Rapport de la commission des affaires sociales sur la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête visant à analyser les conditions de la cession d'une partie d'Editis, premier groupe français d'édition, et à évaluer ses conséquences économiques et sociales dans le secteur de l'édition, (rapporteur : M. Emmanuel Hamelin)

1 () Source : ministère de la culture et de la communication

2 () Notamment les droits d'édition, les services de diffusion et de distribution - avec la plate-forme Interforum de Malesherbes, et la vente de livres aux revendeurs et par les grossistes.

3 () Point 5 de l'exposé des motifs de la proposition de règlement du Conseil COM[2002]711final/E 2176.

4 () Dépêche AFP, 3 août 2004.

5 () La Correspondance de la Presse, 1er juin 2004

6 () Le Nouvel Observateur, 30 mai 2004

7 () La plate-forme de distribution d'Editis, Interforum, sera amputé de 40% de ses flux entre 2006 et 2007, flux qui seront gérés par Hachette après cette période de transition. Elle devra donc convaincre les éditeurs indépendants de ses atouts pour faire face à cette perte.

8 () La Tribune, 9 septembre 2004

9 () La Correspondance de la Presse, 1er juin 2004. Voir également l'édition du 7 juin 2004.

10 () Exposé des motifs de la proposition de loi n° 1353 déposée par M. Emmanuel Hamelin, 15 janvier 2004


© Assemblée nationale