L’opacité des paradis fiscaux, bancaires et
réglementaires pose trois types de problèmes : une fraude et une
évasion fiscales qui se traduisent par une perte de recettes
fiscales substantielle pour les autres États ; des moyens de
blanchir l’argent sale par l’absence de traçabilité des flux et
d’identification des bénéficiaires effectifs ; une
sous-réglementation qui entraîne des risques de déstabilisation du
système financier mondial. Chacun de ces aspects relève d’une
instance internationale, respectivement l’OCDE, le GAFI et le Forum
de la stabilité financière (FSF).
À cet égard, il est essentiel que les États
prennent des mesures tendant à éviter qu’une régulation lacunaire ne
soit utilisée pour développer des pratiques d’optimisation fiscale
et financière préjudiciables aux États, au système financier
international et aux équilibres économiques mondiaux. Toutefois, la
lutte contre les paradis fiscaux passe aussi par un changement
profond des pratiques de gouvernance des entreprises.
La France et l’Allemagne ont exprimé leur
volonté dans ce domaine. Outre les modalités particulières
d’imposition pour lutter contre la concurrence fiscale dommageable,
ils avancent à raison la nécessité de s’attaquer aux poches
d’opacité en invitant les juridictions concernées à plus de
transparence et de régulation. Cette politique – qui doit être
endossée par l’ensemble des membres du G20 ‑ devra s’accompagner,
pour être crédible, de mesures dissuasives et de sanctions à activer
de manière coordonnée à l’encontre des juridictions qui refuseraient
de coopérer. Après une première période de pression exercée avec
succès sur ces juridictions, la réunion du 2 avril 2009 apparaît
comme le moment décisif de franchissement d’une étape supplémentaire
en démontrant que les États sont unis dans la lutte contre l’opacité
financière, et s’accordent sur des méthodes et des contre-mesures
dans une action de long terme.
PROPOSITIONS AU NIVEAU MONDIAL :
1) En direction des juridictions non
coopératives
– Donner mandat à l’OCDE, au FSF et au GAFI,
de produire chacun une liste de juridictions non coopératives et
d’assurer le suivi de la mise en œuvre effective des engagements
pris. Ce suivi, dont le G20 doit établir les principes et assurer la
supervision, pourrait prendre la forme d’une mise à jour annuelle
des listes rendues publiques, complétée par la possibilité
d’inscrire à tout moment une juridiction qui ne satisferait pas aux
critères de coopération. Donner mandat à ces mêmes organisations
d’établir une gradation des contre-mesures et sanctions.
– Procéder à la conclusion rapide d’accords
d’échange de renseignements ou à la renégociation des conventions
fiscales pour y intégrer l’article 26 du modèle de convention OCDE,
qui établit une obligation d’échanger les renseignements pertinents
pour assurer le respect des lois fiscales nationales, y compris en
levant le secret bancaire. À défaut, suspendre de manière coordonnée
les conventions fiscales liant la juridiction non coopérative à des
membres du G20.
– Mettre en œuvre les instruments
internationaux anti-corruption tels que les Conventions des Nations
Unies Contre la Corruption (CNUCC) et de l’Union Africaine (CUA) en
achevant le processus de leur ratification et en instituant des
mécanismes extérieurs de surveillance de leur application par les
États.
– Prévoir un examen spécifique par le
FMI de la situation des juridictions qui présentent une proportion
prépondérante d’activités financières.
2) En direction
des agents économiques résidents des États du G20
– Imposer des obligations d’information sur
leurs activités opérées dans les juridictions non coopératives
(produits, filiales, succursales) au travers par exemple d’une
annexe à leur rapport annuel certifié, relative aux activités
conduites, aux montages utilisés, aux entités impliquées et aux
risques induits. Ces informations doivent notamment permettre aux
administrations fiscales d’exercer un contrôle sur les flux
financiers induits par certaines pratiques courantes entre sociétés
d’un même groupe, telles que la surfacturation de biens ou services
et le versement de primes à des compagnies d’assurances captives.
– Imposer des obligations comptables et
prudentielles aux entités, fonds compris, exerçant des activités en
relation avec des juridictions non coopératives, en établissant des
contraintes de fonds propres spécifiques et des obligations de tenue
de comptes.
– Alourdir la taxation des opérations en
lien avec les juridictions non coopératives figurant sur la liste de
l’OCDE (retenue à la source, imposition des revenus réalisés à
l’étranger, limitation des exemptions etc.), sauf le cas échéant à
ce que le contribuable apporte la preuve que ses opérations n’ont
pas pour but essentiel d’échapper à l’impôt et se soumette,
s’agissant des personnes morales, à des obligations fortes de
transparence incluant le contrôle sur pièces et sur place par le
régulateur et le superviseur.
– Instituer une obligation de déclaration de
tout mouvement financier vers des juridictions non coopératives, des
ouvertures de comptes pour des résidents d’États du G20 dans ces
juridictions et des montages réalisés par des sociétés financières
ou non financières au profit de leurs clients résidents de ces
États, pour elles-mêmes ou leurs sociétés liées.
– Autoriser le rapatriement sans sanction
pénale mais sans amnistie fiscale des avoirs détenus et revenus
localisés dans des juridictions qui, au terme d’un délai de six mois
suivant la publication des listes noires, y figureraient encore.
3) En direction
des agents économiques domiciliés dans les paradis fiscaux
– Généraliser, lorsqu’une entité établie
dans une juridiction non coopérative souhaite s’implanter dans un
Etat du G20, le système des agréments et de l’intermédiaire
qualifié, imposant :
o
le respect des normes prudentielles et de supervision de l’Etat
d’accueil, à l’entité concernée et ses sociétés liées, avec
institution d’un droit de suite ;
o
la divulgation des avoirs détenus ou revenus localisés dans
les juridictions non coopératives dont le bénéficiaire effectif est
un résident d’un État du G20.
– Interdire la distribution d’actifs par des
entités établies dans une juridiction non coopérative pour l’épargne
grand public.
– Alourdir la taxation applicable aux flux
entre une entité et sa société mère ou des sociétés liées, lorsque
ces dernières sont établies dans les juridictions non coopératives.
– Interdire l’accès des bateaux battant
pavillon de complaisance enregistrés dans les juridictions non
coopératives.
4) Manifester
l’unité des membres du G20 dans une lutte de long terme
– Élever au rang de normes internationales
les critères utilisés par les instances internationales précitées
pour qualifier une juridiction non coopérative ou présentant un
risque systémique du fait d’une régulation et transparence
insuffisantes (tenue d’une comptabilité, enregistrement et
identification des bénéficiaires effectifs, qualité du régulateur et
du superviseur, fréquence et qualité de la coopération avec les
autorités étrangères, etc.).
– Renforcer les modalités de la coopération
entre les autorités des membres du G20 : coopération entre
administrations fiscales, entre les cellules de renseignement, entre
les superviseurs et entre les régulateurs en direction des
juridictions non coopératives et enfin, renforcer la capacité à
procéder à des enquêtes communes.
– Renforcer la coordination entre les
instances internationales (OCDE, FSF, le et FMI) quant au suivi de
la situation et du respect des engagements pris.
– En cas d’échec de l’ensemble de ces
contre-mesures et de persistance de juridictions particulièrement
opaques, prévoir la possibilité pour l’ensemble des États de
suspendre tout flux avec ces juridictions (embargo financier).
Un mouvement existe en faveur de la création
d’un véritable échelon de supervision internationale,
essentiellement par un renforcement du FMI et du Forum de la
stabilité financière (FSF) sous le contrôle des États membres du
G20, enceinte qu’il convient d’institutionnaliser comme instrument
principal de supervision internationale. L’attribution d’un
véritable pouvoir normatif à ce niveau doit être défendue même si un
consensus semble difficile.
Il est nécessaire, d’amont en aval, de soumettre tous les pays à des
inspections et évaluations régulières, de disposer d’une
connaissance précise de l’ampleur et de la nature des flux
financiers, d’identifier les facteurs de risque et d’établir une
« courroie de transmission » avec les régulateurs nationaux pour
qu’ils prennent, le cas échéant, les réglementations qui s’imposent.
Au niveau européen, il s’agirait d’appliquer
les recommandations du groupe d’experts présidé par Jacques de
Larosière pour renforcer la surveillance européenne :
– au niveau macro-prudentiel par la
création d’un Conseil européen du risque systémique, qui
remplacerait le Comité de supervision bancaire de la BCE et
associerait les 27 gouverneurs des banques centrales, les 3 comités
de niveau 3 (assurances, banques, marchés) et la Commission
européenne ;
– et au niveau micro-prudentiel par
la transformation des actuels comités de niveau 3 en quasi-autorités
européennes sectorielles, dotés de pouvoirs substantiellement
renforcés dans le cadre d’un Système européen de supervision
financière[2].
Ces attributions auraient dans de nombreux cas un caractère
impératif et non plus consultatif, et supposeraient donc de sortir
de l’actuelle logique de l’unanimité.
PROPOSITIONS AU NIVEAU MONDIAL :
1) Étendre le
mandat du FMI à la surveillance des marchés et acteurs
financiers, au niveau global et dans chaque Etat actionnaire.
Les statuts du FMI pourraient ainsi être révisés par l’insertion de
dispositions relatives aux « Obligations concernant la stabilité
du secteur financier », sur le modèle de l’actuel article 4
relatif aux « Obligations concernant les régimes de change ».
Cet article prévoirait notamment l’obligation de se soumettre à des
inspections régulières du FMI sur place, portant sur l’étendue des
risques bilantiels et la qualité du contrôle des autorités.
2) Renforcer
l’effectivité du Financial Sector Assessment Program (FSAP),
programme conjoint du FMI et de la Banque mondiale, et des
préconisations des rapports associés sur le respect des standards et
codes (Reports on the Observance of Standards and Codes –
ROSCs).
3) Faire mieux
relayer les observations du FSF (qui a déjà produit nombre de
constats et recommandations sur les vulnérabilités du système
financier) par les organismes internationaux sectoriels (Comité de
Bâle, OICV, IASB, BCE…) et les régulateurs nationaux qui en sont
membres, afin d’aboutir à une convergence des standards de
régulation.
4) Améliorer la
représentativité des pays émergents au FMI et au FSF afin de
renforcer leur légitimité et l’acceptabilité de leurs nouvelles
missions. Cela implique de poursuivre la révision des quotas du FMI,
parallèlement à l’augmentation de ses ressources, et d’élargir la
composition du FSF au Brésil, la Chine et l’Inde.
5) Renforcer le
rôle des régulateurs à l’égard des établissements financiers
qui, par leurs dimensions et leur caractère transnational,
présentent un risque systémique majeur pour le système
financier mondial. Identifier et évaluer les risques résultant de la
concentration des activités au sein de ce type d’établissements.
6) Accentuer,
à défaut de normes communes à l’échelle internationale, les efforts
de reconnaissance mutuelle des principes de régulation entre
l’Europe, les États-Unis, et au-delà la Chine et les grandes places
financières.
7) Établir une
« cartographie mondiale des risques », qui ferait l’objet
d’un rapport annuel conjoint FMI-FSF-BRI et donnerait lieu à
l’alimentation d’une base de données interconnectée des transactions
financières internationales sur tous les marchés (réglementés,
organisés et de gré à gré). Cette base serait déclinée au niveau
européen, avec l’obligation pour les banques de transmettre aux
banques centrales nationales, puis à la BCE selon un reporting
élargi, des informations sur leurs engagements (en particulier
hors-bilan).
8) Élargir le
mandat, les objectifs et les outils des banques centrales,
au‑delà du suivi de la masse monétaire, à celui de l’évolution du
prix des actifs financiers et immobiliers dont il s’agit d’éviter
l’inflation. Leur pouvoir d’alerte en cas de formation de bulles
s’en trouverait renforcé.
III – La régulation des produits et acteurs financiers
Il est nécessaire de mettre en place sous le
contrôle du G20 des procédures permettant de disposer d’une
connaissance complète des acteurs et de leur exposition sur les
marchés, d’harmoniser les principes de suivi et de contrôle des
risques, de mettre en place des incitations saines et de nature à
limiter l’effet de levier et les bulles de crédit ou d’actifs.
PROPOSITIONS AU NIVEAU MONDIAL :
1) Accélérer l’adoption par les États et les
membres de l’Union européenne d’un ensemble de règles applicables
aux agences de notation avec reconnaissance mutuelle des
processus d’enregistrement, qui serait d’ailleurs facilitée
s’agissant des États-Unis et de l’Union européenne si était modifiée
la proposition de règlement européen sur les conditions de
l’enregistrement.
2) Instaurer une procédure analogue
d’enregistrement des hedge funds. Sans chercher à
plafonner arbitrairement le niveau de leur levier, ces derniers
devraient également communiquer aux banques qui leur octroient des
prêts le niveau consolidé du levier sur leur portefeuille.
3) Prévoir, pour les hedge funds
comme les fonds de capital-investissement, des normes
européennes harmonisées de valorisation des portefeuilles et de
bonnes pratiques de reporting aux clients.
4) Prévoir des standards communs sur les
rémunérations des acteurs de marché (traders et arrangeurs) et
des gestionnaires de fonds (« carried interest »)
5) Aménager les lignes directrices du Comité
de Bâle en matière de normes prudentielles et la directive
européenne sur les fonds propres réglementaires (dite « directive
CRD ») du 14 juin 2006, afin de :
o
préciser la définition des fonds propres et des
ratios Tier One et Tier Two, en particulier s’agissant de
l’éligibilité des instruments hybrides, pour mettre fin aux
divergences d’interprétation et assurer la comparabilité des
informations sur la solvabilité ;
o
préciser la périodicité et la méthodologie de la
Value at Risk (VaR) des activités de marché et des « stress
tests » que les banques doivent mettre en œuvre ;
o
affiner la pondération des éléments hors-bilan et des
produits structurés en fonction de leur risque réel ;
o
prévoir la constitution progressive de sur-provisions
en période de croissance du crédit ;
o
fixer à au moins 10 % le ratio de maintien au bilan des
créances titrisées et interdire la titrisation intégrale des prêts ;
o
accroître les exigences d’information sur les créances
titrisées dans les rapports annuels des banques et des agences de
notation.
6) Modifier le régime des normes
comptables afin de :
o
réduire leur procyclicité en limitant l’application de la
valeur de marché aux actifs qui le justifient et en pérennisant la
possibilité de déroger à la règle de la valeur de marché en
cas de fonctionnement non satisfaisant du marché (reclassement au « banking
book » en cas d’illiquidité). Etendre ces facultés au secteur
des assurances ;
o
fixer dans la norme comptable des principes fiables et précis
d’évaluation des instruments financiers en cas de marché illiquide,
en particulier pour les instruments financiers complexes, et
renforcer les obligations d’information sur les méthodes
d’évaluation des instruments financiers alors utilisées ;
o
renforcer les liens entre les instances de normalisation
prudentielles (comme le comité de Bâle), les autorités de régulation
bancaire et le normalisateur comptable international, notamment via
une présence de celles-ci au sein du futur « conseil de
surveillance » de l’IASC (International Accounting Standards
Committee), et renforcer la coordination des normalisateurs
nationaux en amont du processus normatif.
7) Instaurer, dans
les meilleurs délais, une chambre de compensation des instruments
dérivés négociés de gré à gré (OTC), en particulier des dérivés
de crédit. Une telle chambre pourrait être gérée en Europe par la
BCE, qui dispose déjà de l’expérience acquise avec Target II
Securities .
Parallèlement, promouvoir les travaux de l’ISDA en faveur d’une
plus grande standardisation de ces contrats OTC. Standardisation
et compensation centralisée devraient ainsi, à terme, accélérer le
passage de ces produits à des marchés organisés.
8) Harmoniser
autant que possible au niveau mondial, sous l’égide de
l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) puis
du FSF, les principes déterminant le fonctionnement et la
transparence des marchés : franchissements de seuil, ventes à
découvert, définition des investisseurs qualifiés…
9) Clarifier la
responsabilité des dépositaires et sous-dépositaires de fonds,
sur le modèle de la réglementation française (obligation de
restitution des actifs sur demande des investisseurs).
10) Mettre en
place une séparation effective des activités de banque de dépôt
et de banque d’investissement, afin de mieux cantonner les
risques. Ces métiers devraient relever de sociétés et groupes
bancaires distincts, sans possibilité de consolidation comptable.
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