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Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques

Jeudi 15 décembre 2011

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 11

Présidence de M. Bernard Accoyer, Président de l’Assemblée nationale, Président du Comité

– Audition, ouverte à la presse de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, présentant le rapport de la Cour, réalisé à la demande du Comité, sur l’évaluation de la politique publique de l’hébergement des personnes sans domicile

– Évaluation de la performance des politiques sociales en Europe : examen du rapport (rapporteurs MM. Michel Heinrich et Régis Juanico) 17

– Prochaine séance et calendrier prévisionnel des réunions du Comité 33

Salle Lamartine

La séance est ouverte à dix heures cinq.

- Évaluation de la politique d’hébergement d’urgence : audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, présentant le rapport de la Cour sur la politique d’hébergement des personnes sans domicile.

M. le Président Bernard Accoyer. Monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mesdames, messieurs les présidents, mes chers collègues, en décembre 2010, le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques a demandé à la Cour des comptes son assistance pour évaluer la politique de l’hébergement et du logement en faveur des personnes sans domicile.

Monsieur le Premier président de la Cour des comptes, je vous céderai la parole dans un instant pour que vous nous présentiez le rapport de la Cour des comptes. Ce rapport fait suite à un premier, sur la médecine scolaire, que vous nous avez présenté ici même, il y a à peine deux mois.

Avant de vous donner la parole, je tiens à saluer la qualité de la collaboration avec la Cour. Les rapporteurs du CEC ont ainsi été associés aux travaux du comité de pilotage mis en place par la Cour ; de leur côté, ils ont convié les rapporteurs de la Cour à participer aux auditions qu’ils ont conduites ainsi qu’à leurs déplacements sur le terrain. De même, les questionnaires adressés par les rapporteurs du Comité aux différents acteurs de la politique en cause, notamment aux administrations, ont été élaborés après consultation des représentants de la Cour, de façon à éviter des doublons.

Je tiens enfin à saluer l’engagement des deux rapporteurs de la mission d’évaluation de l’hébergement d’urgence pour le Comité, Mme Danièle Hoffman-Rispal pour l’opposition, et M. Arnaud Richard pour la majorité.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Monsieur le Président, madame, monsieur les rapporteurs, messieurs les députés, mesdames, messieurs, c’est un grand plaisir pour moi de venir pour la deuxième fois présenter un rapport d’évaluation devant le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale. J’étais en effet venu en octobre dernier, comme vous l’avez rappelé, monsieur le Président, présenter les travaux de la Cour sur la médecine scolaire. À cet égard, je me réjouis de la publication, il y a un mois, d’un rapport d’information très complet sur ce sujet, qui s’appuie sur l’analyse de la Cour, la complète et en tire des conséquences politiques. C’est là, je crois, un premier exemple très prometteur de ce que peut produire la réunion des forces de la Cour et du Parlement au service de l’évaluation des politiques publiques.

La Cour présente aujourd’hui son rapport sur la politique d’hébergement des personnes sans domicile, afin de contribuer à votre évaluation de cette politique. Il s’agit donc du deuxième rapport produit par la juridiction en réponse à une commande passée par le Comité, sur le fondement de l’article L. 132-5 du code des juridictions financières, issu de la proposition de loi dont vous avez été à l’origine, monsieur le Président de l’Assemblée nationale. Le sujet présente une importance particulière, la privation de domicile étant sans nul doute la forme la plus aiguë du dénuement, et le droit à l’hébergement, la première des solidarités.

Je suis accompagné de Mme Anne Froment-Meurice, présidente de la cinquième chambre de la Cour des comptes, de M. Jean-Marie Bertrand, président de chambre, rapporteur général de la Cour, de Mme Évelyne Ratte, conseillère maître, coordinatrice de l’équipe des rapporteurs, et de M. Michel Davy de Virville, conseiller maître, contre-rapporteur. Ils m’aideront à vous répondre à l’occasion de la discussion qui suivra mon intervention. Sont aussi présents les autres rapporteurs : Mme Marie Pittet, conseillère maître, Mme Marie-Christine Butel, rapporteure, Mme Isabelle Gandin, assistante, Mme Fanny Dabard, stagiaire. Je tiens à saluer la participation de chacun à la synthèse qui vous est aujourd’hui remise sous la forme d’un rapport.

Avant de vous présenter les principaux constats et recommandations de la Cour, je souhaiterais vous exposer brièvement la manière dont la Cour a mené son évaluation. Comme pour sa contribution à l’évaluation de la médecine scolaire, la Cour a été attentive à adapter ses méthodes de travail aux besoins spécifiques d’une évaluation de politique publique, et un protocole d’évaluation a été adopté pour formaliser la méthodologie retenue. Ces adaptations ne remettent pas en cause les principes qui font la force de la Cour : la collégialité de ses travaux et le principe du contradictoire.

Par ailleurs, le champ de l’enquête a été défini comme ne se limitant pas au seul hébergement d’urgence, mais comprenant les diverses formes d’hébergement et modalités d’accès à un logement adapté, prenant appui notamment sur l’accompagnement vers et dans un logement plus pérenne.

La Cour a mené cette enquête essentiellement auprès des services centraux et déconcentrés de l’État, qui sont à titre principal chargés de la mise en œuvre de cette politique publique, en partenariat avec le monde associatif. Il s’agit en fait de la seule des compétences sociales dont l’État ait gardé la gestion directe depuis la décentralisation. Il a été convenu que la contribution des collectivités locales à cette politique publique serait évaluée spécifiquement par le CEC : c’est la raison pour laquelle cet aspect du sujet n’est pas traité dans le rapport.

Les deux rapporteurs de la mission du CEC sur l’hébergement d’urgence, Mme Danièle Hoffman-Rispal et M. Arnaud Richard, ont associé les rapporteurs de la Cour aux nombreuses et précieuses auditions qu’ils ont menées et, symétriquement, ils ont participé à la conduite des travaux de la Cour, à travers un comité de pilotage comprenant également quatre personnalités qualifiées. Je veux ici saluer leur contribution, qui a permis d’enrichir l’approche évaluative de la Cour.

Outre des questionnaires adressés à la plupart des services de l’État concernés, des investigations de terrain ont été conduites à Paris, Lyon et Nantes. De manière plus novatrice, nous avons passé un marché avec l’Ifop, après mise en concurrence, pour qu’il réalise une enquête auprès de trois cents personnes hébergées dans des structures d’accueil et d’hébergement et auprès de cent cinquante travailleurs sociaux. Une telle prise en compte de la perception des acteurs et des utilisateurs d’une politique publique s’avère un outil très précieux pour évaluer cette politique, notamment pour connaître les attentes des citoyens.

Nous avons également étudié plusieurs exemples étrangers, ce qui a permis de confirmer que la question des personnes sans domicile n’est pas spécifique à la France : elle se pose dans des termes proches dans plusieurs pays, notamment de l’Union européenne. Cette analyse confirme aussi qu’un certain nombre des problèmes qui affectent les dispositifs d’hébergement – mouvements de population à l’intérieur de l’Espace européen, demandes d’asile, immigration clandestine – doivent avant tout être abordés dans un cadre européen.

La population des personnes sans domicile, et en son sein celle des personnes hébergées – et non logées – a considérablement augmenté : elle compterait aujourd’hui 150 000 personnes environ, en augmentation de plus de 50 % au cours des dix dernières années. Elle s’est aussi transformée, avec une part croissante d’étrangers, parfois en situation irrégulière, de familles – notamment monoparentales, dont la proportion a sensiblement augmentée –, voire de jeunes ou de personnes exerçant une activité rémunérée.

Face à cette situation, les pouvoirs publics ne sont pas restés inertes : la politique de l’hébergement connaît depuis trois ans une véritable mutation, à l’initiative des associations et sous la conduite de l’État. Ont notamment été mis en place : l’introduction du droit inconditionnel à l’hébergement ; l’adoption, comme dans d’autres pays, du principe du « logement d’abord », qui impose de trouver chaque fois que cela est possible une solution pérenne de logement comme préalable à la réinsertion sociale et à l’employabilité ; un large accroissement de la capacité d’hébergement ; la création d’un délégué interministériel et d’un directeur interdépartemental en région parisienne ; enfin, la volonté de fédérer les associations qui sont les opérateurs de cette politique au sein d’un service public de l’hébergement. Nous savons au demeurant tout ce que cette politique de refondation doit à M. Étienne Pinte, dont je salue la présence.

C’est cette politique de refondation qu’il s’agit d’évaluer. De ce point de vue, le travail important mené par la Cour en moins d’un an nous a permis de mettre en lumière cinq grands constats.

La politique de l’hébergement des personnes sans domicile a été élaborée puis menée par l’État sans que celui-ci se soit donné les moyens d’une meilleure connaissance des populations concernées. Ensuite, si l’accueil des personnes sans domicile a fait l’objet d’efforts indéniables depuis plusieurs années, en nombre de places proposées comme en qualité, son organisation et sa coordination restent insuffisantes. L’accès au logement, l’un des axes stratégiques de la politique du « logement d’abord », souffre d’une offre insuffisante dans les zones où les besoins sont les plus massifs, tant quantitativement que qualitativement. De nombreuses mises à la rue pourraient être évitées par une politique de prévention plus efficace. Enfin, les acteurs demeurent trop nombreux et insuffisamment coordonnés : les relations entre l’État et ses partenaires associatifs restent très largement perfectibles.

Premier constat : la politique de refondation a été définie et mise en œuvre sans que soient connues, à l’entrée dans le dispositif, la demande d’hébergement et ses causes, ni, à la sortie, les populations capables d’accéder immédiatement à un logement. L’administration est démunie et les services déconcentrés soulignent les difficultés à établir une programmation de l’offre quand on méconnaît à ce point les populations concernées. En effet, si de nombreux travaux ont été consacrés au sujet, les données issues des grandes enquêtes nationales sont trop anciennes pour retracer une réalité très évolutive. Des enquêtes thématiques, menées notamment par les associations, apportent des informations intéressantes, qui contribuent de manière déterminante à la connaissance des populations sans domicile, mais elles sont le plus souvent limitées dans le temps et dans l’espace et ne peuvent pas être extrapolées au plan national.

Deuxième constat : la prise en compte des besoins des personnes hébergées reste insuffisante. La politique de refondation prévoyait la mise en place dans tous les départements de services intégrés d’accueil et d’orientation, les SIAO. S’ils jouent un rôle essentiel de plateforme organisant la fluidité des parcours entre l’urgence, l’insertion et le logement, leur mise en place, effective dans la plupart des départements, s’est faite toutefois de manière plus lente que prévue et souvent imparfaite. Dans certains départements, il existe encore une césure entre l’urgence et l’insertion, césure concrétisée par l’existence de deux ou plusieurs SIAO là où l’ambition initiale était qu’il n’y en ait qu’un. Les SIAO ne disposent encore que d’une capacité relative à centraliser les demandes et les offres d’hébergement, et leur articulation avec les centres 115 est à améliorer.

La Cour a constaté que les capacités d’hébergement avaient fortement progressé au cours des dernières années, grâce notamment à la loi instituant le droit au logement opposable, dite loi Dalo, de 2007, et la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion de 2009. Ces deux textes ont d’ailleurs institué un droit opposable, non seulement au logement mais aussi à l’hébergement. Entre 2004 et 2008, le nombre de places d’hébergement et de logement adapté est passé de 51 000 à 83 000, soit une augmentation de 62 %. Si le nombre de structures tournées vers la réinsertion, telles que les maisons relais, a vivement progressé, les places d’urgence continuent de jouer un rôle prédominant. Parallèlement, les conditions d’accueil dans les centres d’hébergement se sont nettement améliorées, grâce au plan dit d’« humanisation » de ces centres : lancé en 2008, et amplifié par le Plan de relance de l’économie en 2009, ce plan d’humanisation a permis de rénover ou de reconstruire près du quart du parc concerné.

Force est de constater cependant qu’en dépit de ces évolutions significatives, les capacités d’hébergement demeurent insuffisantes dans certaines régions au regard du nombre de personnes concernées pour que le droit inconditionnel à l’hébergement soit respecté. Ceci impose le recours, chaque hiver, à des dispositifs spécifiques de mise à l’abri, ce qui est contraire à l’esprit même du droit à l’hébergement. L’insuffisance du nombre de places en centres d’hébergement conduit également à recourir de manière croissante à des nuitées en hôtel, dans des conditions parfois précaires et à un coût lourd pour l’État.

Troisième constat : la sortie vers le logement se heurte à de nombreux obstacles. Le principe du « logement d’abord », au cœur de la stratégie de refondation, implique que l’accès à un logement ordinaire soit privilégié autant que possible, sans passage obligatoire par les structures d’hébergement, sauf bien sûr si la situation de la personne concernée le justifie. La Cour a constaté que la mise en œuvre de ce principe se heurte à deux écueils. En premier lieu, toutes les personnes sans abri ou présentes dans les dispositifs d’hébergement ne sont pas éligibles à un logement : nombre d’entre elles doivent demeurer dans les dispositifs d’hébergement, quand ce n’est pas à la rue. En second lieu, le nombre de logements accessibles aux personnes sans domicile est encore trop faible dans les zones où la demande est forte : malgré les efforts incontestables de l’État pour reconquérir ou effectivement mobiliser les contingents de logements existants, qu’il s’agisse des contingents préfectoraux ou de ceux dits du 1 %, les logements à loyers accessibles aux ménages les plus défavorisés sont en nombre insuffisant, notamment dans les régions très tendues comme l’Île-de-France, le Nord-Pas-de-Calais, ou encore les régions Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur.

L’État s’est pourtant efforcé de mettre en place des dispositifs permettant aux ménages très modestes de se loger dans le parc locatif privé. L’intermédiation locative, qui assure à la fois une sécurité pour les bailleurs et un loyer adapté aux ressources des ménages ainsi logés, mérite de monter en puissance, de même que les dispositifs de garantie des risques locatifs propres à rassurer les bailleurs. Ces dispositifs doivent de toute évidence être développés : à ce jour, ils ne concernent que quelques milliers de logements, alors que l’on estime à 20 000 ou 30 000 le nombre de personnes susceptibles chaque année de quitter les dispositifs d’hébergement si elles pouvaient trouver un logement compatible avec leurs ressources.

Il existe également des formules de logement dit « adapté », intermédiaires entre l’hébergement et le logement : ces « pensions de famille » ou encore ces « maisons relais » sont destinées à ceux dont la situation sociale et psychologique rend difficile l’accès à un logement ordinaire. Bien que le nombre de ces logements adaptés ait doublé entre 2007 et 2010, ce développement reste inférieur aux prévisions : le nombre de places disponibles en fin d’année se situera vraisemblablement autour de 11 000, au lieu des 15 000 prévues dans le cadre de la stratégie de refondation.

Quatrième constat : la prévention ne s’est pas assez développée. Certes, des mesures nouvelles se sont ajoutées aux dispositifs existants dans le cadre de la politique de refondation : création d’un numéro vert, renforcement de la garantie du risque locatif, recours à l’intermédiation locative, mise en place effective des commissions de prévention des expulsions. Toutefois, elles peinent à trouver leur efficacité et ne sont pas encore en mesure de répondre à l’enjeu de l’augmentation des risques d’expulsion que la forte croissance du nombre des impayés de loyers laisse malheureusement présager. La prévention demeure un enjeu essentiel de la politique d’hébergement d’urgence.

La prise en charge de certains publics spécifiques est mieux assurée grâce à une coordination accrue entre administrations concernées, au niveau tant central que local. C’est particulièrement vrai pour les sortants de prison et les personnes souffrant de troubles psychiatriques. En revanche, la prise en compte de la situation des jeunes issus de l’aide sociale à l’enfance, en liaison avec les conseils généraux, est plus problématique. Quant à la situation des demandeurs d’asile, il est regrettable qu’elle ne soit pas traitée en tant que telle dans le cadre de la politique d’hébergement. Cette population reste fixée, souvent pendant plusieurs années, dans le dispositif d’hébergement d’urgence, notamment dans les chambres d’hôtel, sans pouvoir espérer accéder à une forme d’hébergement plus stable ou de logement. Cette situation constitue l’un des principaux obstacles à une fluidification du dispositif d’hébergement et doit donc être prise en compte dans la définition et la mise en œuvre de la politique d’hébergement.

Cinquième constat, enfin : le pilotage de la politique de refondation doit être amélioré.

Une organisation cohérente des services de l’État en charge de la politique de l’hébergement est une condition essentielle de son efficacité. Or ces services sont nombreux : à côté de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), en charge de l’hébergement, et de la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP), en charge du logement, des services des ministères chargés de la justice, de l’intérieur, de la jeunesse ou de la santé sont également concernés. La création, à l’initiative de votre collègue Étienne Pinte, d’une délégation générale, puis interministérielle, pour l’hébergement et l’accès au logement, la Dihal, a certes permis une meilleure animation interministérielle et fortement contribué au dialogue et à la médiation avec le monde associatif. Cependant, en l’absence de moyens financiers et administratifs à sa disposition, la question de l’effectivité de son rôle en matière de pilotage de la stratégie de refondation reste entière. Au niveau déconcentré, les services compétents des ex-directions départementales des affaires sanitaires et sociales ont été touchés par la réforme de l’administration territoriale de l’État, la RéATE, mise en place en 2010. Celle-ci a inévitablement perturbé momentanément l’action des services compétents, désormais les directions départementales chargées de la cohésion sociale (DDCS).

La mise en œuvre de la politique de l’hébergement des personnes sans domicile repose très largement sur les opérateurs associatifs. Elle a été caractérisée, de façon suffisamment inhabituelle pour être soulignée, par la participation des associations à la définition des orientations de la politique de refondation, à l’issue d’une intense et fructueuse période de concertation. Ceci a permis une large adhésion du monde associatif à cette politique. Mais les relations entre ces partenaires se sont progressivement crispées, jusqu’aux tensions de l’année 2011 : grève au Samu social de Paris en mars ; en avril, appel de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale, la Fnars, au refus de signer les conventions proposées par l’administration : en juillet, démission de M. Xavier Emmanuelli, président et fondateur du Samu social de Paris. Seule l’annonce par le Premier ministre, en septembre, du déblocage d’une enveloppe budgétaire additionnelle de 75 millions d’euros sur deux ans a, semble-t-il, permis de répondre aux critiques des associations.

Il est impossible de chiffrer le coût total de la politique publique de l’hébergement du fait de l’absence de données sur le montant des dépenses des collectivités territoriales. Pour l’État, le programme budgétaire consacré à la prévention de l’exclusion et l’insertion des personnes vulnérables constitue le principal poste de dépenses, avec 1,2 milliard d’euros, dont 90 % sont consacrés à la politique d’hébergement. Ce programme a souffert pendant plusieurs années d’un sous-financement chronique, contribuant à une certaine insincérité de la loi de finances, notamment pour l’exercice 2008. L’effort entrepris depuis a permis une meilleure programmation des crédits, à la hauteur des crédits réellement consommés l’année précédente : l’écart entre les deux est passé de 30 % en 2008 à 6 % en 2011. L’ensemble des crédits que l’État consacre à la politique d’hébergement peut être estimé à 1,5 milliard d’euros.

À ces cinq constats répondent cinq axes principaux de progrès pour améliorer l’efficacité de la politique mise en œuvre par l’État dans le cadre de la stratégie de refondation.

Le premier vise à améliorer la connaissance des populations concernées. Il n’est pas acceptable que les services de l’État chargés de conduire cette politique aient une connaissance aussi imprécise de la population sans domicile. Sans négliger les difficultés que j’ai rappelées, il reste possible d’améliorer la connaissance de cette population. À cet égard, la constitution d’une base de données anonymisées, alimentée par les systèmes d’information des nouveaux SIAO est essentielle. Le rapport fait d’autres propositions sur ce sujet, notamment des enquêtes annuelles plus ciblées sur les principales villes concernées par la problématique de l’hébergement d’urgence.

Deuxièmement, il faut améliorer la réponse aux besoins. Les SIAO constituent le pivot du nouveau service public de l’hébergement voulu par la stratégie de refondation. Il faut donc rapidement atteindre l’objectif d’un seul SIAO par département et instaurer une coordination interdépartementale lorsque cela est nécessaire, par exemple en Île-de-France et dans le Nord-Pas-de-Calais.

La politique du « logement d’abord » conduit à s’interroger sur la diversité des structures d’hébergement, qu’il s’agisse des prestations offertes ou des statuts juridiques. Une étude juridique et financière sur l’évolution possible des statuts et des modes de financement des différents types de centres d’hébergement doit être menée, dans le prolongement logique des travaux en cours sur la convergence des coûts et des prestations.

La parole des personnes hébergées doit être mieux entendue et leur participation assurée, en particulier au sein des comités consultatifs des personnes accueillies, qui doivent être généralisés.

Enfin, le problème, que l’on connaît depuis plusieurs années, d’une offre d’hébergement constamment en retard sur une demande toujours croissante, n’a pas encore été vraiment résolu, et ne devrait pas l’être de sitôt, en dépit de premiers résultats obtenus dans le domaine de l’accès au logement. Il n’apparaît donc pas déraisonnable de desserrer la contrainte en matière de stabilisation de la capacité d’hébergement pour créer des places supplémentaires d’hébergement dans les zones tendues, en particulier en accélérant le redéploiement des crédits entre les directions régionales.

Troisièmement, l’amélioration de l’efficacité de la politique de l’État passe par l’augmentation des sorties vers le logement. La démarche en faveur de l’accès au logement est nécessaire mais difficile. Les résultats déjà obtenus ne sont pas encore suffisants pour permettre le désengorgement du dispositif d’hébergement. Il est donc essentiel d’évaluer précisément le volume et le phasage des transferts de moyens des places d’hébergement d’urgence vers le logement adapté.

La reconquête des contingents préfectoraux dans le parc social est un élément central de la politique du « logement d’abord » si l’on veut proposer des logements à prix accessibles aux ménages les plus modestes. Elle doit être accélérée dans les zones tendues. De la même façon, les formules innovantes d’accès au logement, telles que l’intermédiation locative ou les maisons-relais, doivent être développées.

Le quatrième axe de progrès passe par l’amélioration de la politique de prévention. Il conviendrait de pouvoir mesurer l’efficacité des dispositifs de prévention, et pour cela de disposer d’une meilleure connaissance des impayés de loyer, qui sont les premiers signes annonciateurs d’une expulsion locative. Le nouveau dispositif de prévention de ces expulsions pourrait être rapidement évalué.

C’est enfin le pilotage de la politique de refondation qui doit être amélioré. Au niveau central, le pilotage assuré par le délégué interministériel pour l’hébergement et l’accès au logement des personnes sans abri ou mal logées, le Dihal, devrait aller au-delà d’un simple rôle d’animation, de coordination interministérielle et de médiation avec le monde associatif. Cela suppose que ses pouvoirs soient renforcés, de façon à en faire un véritable acteur de la chaîne des décisions administratives et financières.

Au niveau local, la mise en place des plans départementaux de l’accueil, de l’hébergement et de l’insertion, qui constituent l’élément structurant de cette politique, devra être accélérée, de façon à permettre une vraie contractualisation, rendue possible par l’effectivité et l’achèvement des référentiels nationaux des prestations et des coûts.

Enfin, des efforts restent à faire pour développer des outils communs de collecte de données et consolider le tableau de bord interministériel réunissant des indicateurs de suivi, de résultats et de performance, indispensable à la conduite de la réforme. À cet égard, il est également attendu de l’administration qu’elle parvienne à évaluer le coût total de la politique publique de l’hébergement, en distinguant les dépenses de fonctionnement et d’investissement et les différentes sources de cofinancements – associations, collectivités territoriales, usagers eux-mêmes.

Au terme de cette enquête, la Cour fait le constat que les nouveaux objectifs assignés depuis 2007 à la politique d’hébergement des personnes sans domicile ont été formulés de façon explicite et pertinente et font l’objet d’un large consensus. Cependant, les résultats escomptés ne sont pas encore au rendez-vous : il faut du temps pour construire un service public de l’hébergement, coordonner le travail des différentes administrations, organiser l’action des associations et mobiliser une offre de logements. Le calendrier retenu était trop court et les redéploiements opérés en faveur du « logement d’abord » mal évalués et trop rapides. L’enjeu des prochains mois est de continuer d’imprimer un rythme à la réforme, de poursuivre sa mise en œuvre, tout en veillant, par l’optimisation de l’allocation des moyens, à permettre au secteur de l’hébergement de répondre à l’obligation d’accueil inconditionnel des personnes sans domicile, que lui impose la loi, et à assurer la mise en place d’un véritable service public de l’hébergement et de l’insertion.

Mme Danièle Hoffman-Rispal, rapporteure. Vous me permettrez de souligner au préalable la nouveauté de l’exercice auquel nous avons participé, puisque c’était la première fois que des rapporteurs du CEC travaillaient concomitamment avec la Cour des comptes. Ce travail passionnant a prouvé que cette étroite collaboration était utile et possible. Sur le fond, je voudrais citer en premier lieu le rapport de 2008 de notre collègue Étienne Pinte, qui a, ainsi que cela vient d’être rappelé, largement inspiré la « refondation » que nous évaluons aujourd’hui.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Le travail avec les représentants de la Cour des comptes a en effet été passionnant, et l’on doit saluer la précision et la richesse de l’analyse de la Cour. Je voudrais également saluer le travail des collaborateurs du CEC, qui nous ont accompagnés au cours de ces plus de neuf mois d’auditions et de déplacements sur le terrain. Enfin, je voudrais à mon tour saluer le travail original et considérable de notre collègue Étienne Pinte, président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE).

On ne peut qu’approuver les préconisations et les recommandations de la Cour, que ce soit en termes de connaissance et de prise en compte des populations concernées par la politique d’hébergement, qu’il s’agisse de la problématique de la sortie vers le logement, de la prévention des remises à la rue, ou du pilotage de la politique de refondation. Comme vous l’avez dit, monsieur le Premier président, en dépit de l’accroissement significatif du nombre des places d’hébergement et en logement adapté et malgré les efforts conséquents de l’État, le développement de cette politique reste insuffisant, alors que la période que nous traversons le rend tout particulièrement nécessaire.

Dans cette perspective, comment la Cour des comptes apprécie-t-elle l’implication des bailleurs sociaux dans la refondation de la politique d’hébergement et d’accès au logement, comme maillon ultime mais indispensable d’une politique volontariste du « logement d’abord » ?

Mme Danièle Hoffman-Rispal, rapporteure. Notre mission nous a montré avec quelle facilité des ménages en difficulté pouvaient se retrouver à la rue à la suite d’une expulsion. Comment inciter le juge civil à utiliser davantage ses pouvoirs de suspension des jugements d’expulsion ?

Par ailleurs, la Cour recommande de renforcer les pouvoirs du Dihal. Quelle est in fine l’organisation centrale que la Cour estimerait souhaitable pour le moyen ou le long terme ?

M. Arnaud Richard, rapporteur. La recommandation de la Cour d’écourter le délai de traitement des demandes d’asile est-elle de nature à répondre, dans son ensemble, au constat fait par la Cour que la stratégie de refondation a ignoré la problématique de l’hébergement des déboutés du droit d’asile et, plus largement, des personnes étrangères en situation irrégulière ?

Est-il justifié aux yeux de la Cour qu’une politique publique s’appuie sur un aussi grand nombre d’opérateurs privés et de travailleurs sociaux qui ne sont pas des agents publics ?

Mme Danièle Hoffman-Rispal, rapporteure. Plus largement, dans quelle mesure l’État tente-t-il, ne serait-ce que de façon indirecte, d’influer sur le paysage des opérateurs du secteur, par exemple en incitant aux regroupements, ou sur la maîtrise de leur masse salariale, en comparant, par exemple, les coûts des opérateurs à prestations égales ?

Par ailleurs, vous êtes-vous fait une idée des avantages et des inconvénients d’une gestion décentralisée de la politique d’hébergement d’urgence et d’accès au logement des personnes sans domicile ?

M. Arnaud Richard, rapporteur. S’agissant d’une réforme assez bien conçue et concertée, mais dont la mise en œuvre semble quelque peu « patiner », les prochains mois verront-ils apparaître de nouveaux éléments ou des rendez-vous cruciaux, appelés à impacter durablement son devenir et son efficience ? De manière plus globale, la Cour a-t-elle identifié les faiblesses de l’État qui expliqueraient l’insuffisance d’une politique où celui-ci doit être « la force des faibles » ? Ces faiblesses recoupent-elles celles constatées à l’occasion d’autres travaux de la Cour ?

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. C’est à bon droit que vous m’interrogez sur l’implication des bailleurs sociaux, le protocole qui nous lie au CEC prévoyant que les travaux de la Cour ne se limiteraient pas au seul hébergement d’urgence, mais s’étendraient à toutes les formes d’hébergement et aux modalités d’accès à un logement adapté, prenant appui notamment sur l’accompagnement individualisé vers un logement plus pérenne. Dans ce cadre, nous avons constaté que les moyens consacrés au développement du parc de logements très sociaux ont connu une forte progression depuis le plan de cohésion sociale de 2005, notamment en 2009, année au cours de laquelle 20 000 logements très sociaux ont été financés, contre 6 000 par an en moyenne entre 2002 et 2005.

Il est vrai que la programmation des crédits n’a que progressivement pris en compte la carte des besoins. Ce n’est que tout récemment que les financements ont commencé à être recentrés au bénéfice des zones tendues, notamment de l’Île-de-France. Ainsi, la part de la zone A, c’est-à-dire les zones très tendues, qui comptait 19 % du nombre total des logements financés en 2005, s’est progressivement élevée à 27 % en 2009 et 36 % en 2010. Les bailleurs sociaux sont évidemment mobilisés pour la construction de logements très sociaux là où la demande se concentre. La Cour souligne que les loyers de ces logements, particulièrement en Île-de-France, restent néanmoins trop élevés pour une partie des ménages en situation de précarité, contraints de ce fait de chercher à se loger dans le parc privé.

L’enquête de la Cour auprès des services déconcentrés montre que les bailleurs sociaux sont associés au fonctionnement de ces nouveaux dispositifs mis en place par la politique de refondation. Ils participent en particulier aux comités de suivi des services intégrés d’accueil et d’orientation, et des plans départementaux d’accueil, d’hébergement et d’insertion. Ils sont membres des commissions de coordination des actions de prévention des expulsions. Toutefois, nous n’avons pas procédé à un contrôle de l’action des bailleurs sociaux, qui ne relevait pas du périmètre de notre enquête.

Quant au juge civil, ce magistrat exerce ses pouvoirs de façon indépendante dans le cadre de la législation en vigueur. Les expulsions n’interviennent qu’au terme d’un processus construit précisément pour en prévenir, quand c’est possible, la conclusion. C’est ce qui explique la mobilisation des bailleurs en amont, les enquêtes sociales impliquant l’État, le recours au juge, la décision finale du préfet. L’analyse de ce processus confirme avant tout la nécessité de faire porter l’effort de prévention le plus en amont possible de la phase contentieuse. L’augmentation du nombre des impayés de loyers est effectivement inquiétante. Dans un contexte de crise économique, le phénomène doit être mieux suivi et analysé sur le plan statistique. L’estimation qui en est faite tous les six ans par l’enquête logement de l’Insee n’est pas suffisante, c’est évident. Les travaux engagés avec la Cnaf ainsi que la proposition faite par la DHUP aux ministères de l’intérieur et de la justice de fiabiliser la collecte des statistiques sur le contentieux locatif doivent se concrétiser rapidement.

Compte tenu de ces incertitudes, un doute subsiste quant à l’efficacité réelle des mesures de prévention et à leur capacité à faire face à l’augmentation des impayés. On peut être surpris, voire choqué, que, dans ce contexte, n’aient pas été rassemblées des données fiables sur les coûts comparés des mesures de maintien dans le logement et de la prise en charge par une structure d’hébergement. Au-delà du drame que représente la privation du logement par l’expulsion, il est probable que, dans certains cas, le coût du maintien est inférieur à celui des mesures, notamment d’hébergement, qu’elle entraîne. Même s’il ne saurait être question de ne pas veiller au respect des droits du bailleur, cette analyse en termes d’efficience nous apparaît absolument nécessaire.

Dans cet esprit, la question des impayés ne peut être déconnectée de celle de l’augmentation des loyers et de la solvabilité des ménages les plus modestes, dont le taux d’effort pour accéder à un logement, et s’y maintenir, est de plus en plus important. Il est nécessaire que les expérimentations prévues par la stratégie de refondation visant à recourir à l’intermédiation locative pour prévenir les expulsions soient plus largement conduites sur le terrain, puis évaluées par les services. Les réponses des services montrent d’ailleurs que des mécanismes de coordination avaient parfois été mis en place depuis plusieurs années. Les résultats des études qui viennent d’être engagées par l’Agence nationale pour l’information sur le logement et le Conseil général de l’environnement et du développement durable devront clarifier le rôle des commissions qui ont été mises en place et dégager des pistes d’amélioration.

Vous souhaitez savoir par ailleurs si la recommandation consistant à écourter le délai de traitement est de nature à répondre, dans son ensemble, au constat fait par la Cour que la stratégie de refondation a ignoré la question spécifique de l’hébergement des déboutés du droit d’asile et, plus largement, des personnes étrangères en situation irrégulière. Il serait totalement imprudent d’assurer que cette seule mesure peut répondre, dans son ensemble, à un problème d’une rare complexité qui nous est, soulignons-le, commun avec nos principaux voisins européens. C’est cependant, à n’en pas douter, un facteur essentiel de réponse : le dispositif actuel de l’asile est conçu et calibré pour accueillir 35 000 demandeurs par an avec un délai de traitement d’environ neuf mois. Or le flux actuel est de plus de 50 000 demandeurs par an et le délai de traitement moyen est de 19 mois. L’hébergement généraliste subit directement l’impact de cette saturation en accueillant à la fois les demandeurs ne trouvant pas de place en centres d’accueil pour demandeurs d’asile, les Cada, et les déboutés du droit d’asile qui ne quittent pas le territoire français. Le délai de traitement a un double effet : d’une part, il augmente mécaniquement le nombre de demandeurs d’asile qui doivent être logés et, d’autre part, il constitue un facteur d’enracinement qui rend plus difficile le départ pour la majorité des demandeurs finalement déboutés – 75 % d’entre eux. Du fait de l’inconditionnalité de l’hébergement, la circulaire du 24 mai 2011 se contente d’organiser les flux vers les centres d’hébergement de droit commun sans aborder le devenir des populations concernées. Compte tenu de leur situation, ces personnes déboutées du droit d’asile, et donc en situation irrégulière, restent fixées, souvent pendant plusieurs années, dans les dispositifs d’hébergement d’urgence et demeurent logés notamment dans des chambres d’hôtel.

Mme Anne Froment-Meurice, présidente de la cinquième chambre de la Cour des comptes. Sur l’organisation centrale de la conduite de cette politique et ses perspectives d’évolution, la Cour a constaté que la mise en œuvre de la politique de l’hébergement depuis 2008 a reposé sur une coordination plus étroite des services de l’État, tant au niveau central que local. Incontestablement, la création, en 2008, d’un délégué général pour la coordination de l’hébergement et de l’accès au logement, qui est devenu en 2010 le délégué interministériel à l’hébergement et à l’accès au logement, a renforcé la conduite interministérielle de la réforme, notamment dans la phase de concertation – ô combien cruciale – avec les associations et lors du lancement des premières mesures. L’enquête de la Cour souligne cependant les difficultés et les limites de l’action du Dihal, qui ne gère aucun crédit d’intervention et dont l’efficacité repose essentiellement sur sa capacité de négociation et son pouvoir de persuasion.

Dans la perspective de la mise en place d’un service public de l’hébergement et de l’accès au logement, la question de l’organisation à prévoir pour l’avenir afin de préserver le caractère interministériel de cette politique se pose en effet. Les responsables qui ont été auditionnés par la Cour évoquent trois solutions possibles : d’abord, le maintien de la situation actuelle, qui a la préférence des directions d’administration centrale. Cette solution conjugue un pilotage coordonné par les deux directions centrales, la DGCS et la DHUP, toutes deux placées sous l’autorité de la ministre chargée de l’Écologie, du développement durable, des transports et du logement. Elle repose sur le rôle de mobilisation et d’animation exercé par le Dihal avec les autres ministères concernés, de l’intérieur, de la santé, de la justice, de la jeunesse et des sports, et tout le secteur associatif.

La deuxième solution marquerait une évolution. Elle viserait à modifier l’organisation des compétences entre les directions centrales et conduirait à regrouper au sein d’une même entité les missions relevant du logement et celles afférentes à l’hébergement en transférant la gestion des crédits consacrés à l’hébergement et figurant dans le programme 177 à la DHUP, qui deviendrait ainsi le pilote central de la politique du logement et de l’hébergement.

La troisième solution consisterait à créer une agence dédiée à la politique de l’hébergement qui intégrerait les moyens humains et financiers des directions actuellement en charge de la conduite de cette politique. Une variante de cette solution tendrait simplement à prévoir la reprise de cette politique par une agence existante, l’Agence nationale de l’habitat (Anah), l’Agence nationale de la rénovation urbaine (Anru) ou l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé).

Il est apparu à la Cour que la réflexion n’était pas suffisamment avancée pour pouvoir se prononcer sur une réforme de la gouvernance. Elle a considéré par ailleurs qu’il convenait d’attendre les résultats de la politique en cours, qui pourraient utilement éclairer les options à retenir.

S’agissant du bien-fondé de conduire une politique publique en s’appuyant sur un grand nombre d’opérateurs privés non lucratifs et de travailleurs sociaux n’ayant pas le statut d’agent public, il ne faut pas oublier que la plupart des politiques sociales sont précisément mises en œuvre par des opérateurs privés non lucratifs relevant très fréquemment de la loi de 1901. Le secteur associatif a souvent pris la suite de l’action caritative traditionnelle des églises ou s’est imposé en l’absence d’initiatives prises par l’État. C’est le cas pour la politique en faveur des personnes handicapées et des personnes âgées ou de l’accueil de la petite enfance, domaines dans lesquels les structures d’accueil sont généralement gérées par des associations.

Le secteur associatif est donc un partenaire essentiel des pouvoirs publics dans toutes ces politiques publiques sociales. Le maillage territorial qui s’est ainsi constitué, l’expérience et les compétences accumulées sont des atouts considérables dont il paraît très difficile, voire inopportun, de se priver. En revanche, l’État, qui finance les associations gestionnaires par voie de subventions ou de dotations globales, doit être en mesure de contrôler le bon usage des financements accordés à ces associations, le respect des directives d’action qu’il donne et la qualité des prestations fournies. À cet égard, le rôle des services déconcentrés est très important pour pousser les opérateurs à se professionnaliser et à rechercher une plus grande efficience de leur gestion.

Sur ce terrain, la Cour a constaté des faiblesses dans l’exercice par l’État de la tutelle sur les opérateurs de la politique d’hébergement. C’est pourquoi elle recommande que la démarche de contractualisation avec les associations, qui est déterminante pour rationaliser et mieux structurer les opérateurs, soit rapidement conduite.

S’agissant du statut des travailleurs sociaux, les salariés des associations relèvent de conventions collectives auxquelles ils sont très attachés. Le fait qu’ils n’aient pas le statut d’agent public paraît sans incidence sur la qualité des services offerts aux personnes concernées par les politiques sociales.

M. Didier Migaud. S’agissant des initiatives de l’État sur la cartographie des opérateurs du secteur ou sur la maîtrise de leur masse salariale, nous savons qu’une démarche de contractualisation a été engagée avec les associations dans l’objectif d’adapter l’offre d’hébergement à la demande en tenant compte des besoins réels de chaque territoire, d’harmoniser la qualité des prestations et de faire converger les coûts des établissements. Cela montre la volonté de l’État de faire évoluer le paysage des opérateurs en rapprochant l’offre d’hébergement de la demande, et de maîtriser les coûts des établissements, dont plus de 80 % sont constitués par la masse salariale.

L’État a mis en place trois outils – les plans départementaux d’accueil, d’hébergement et d’intégration, le référentiel national des prestations et le référentiel des coûts – destinés à rationaliser l’offre par territoire, et donc à faire évoluer la cartographie des structures et à faire converger l’activité des centres vers des coûts standards issus du référentiel des coûts, ce qui revient à peser sur les dépenses des établissements. Pour l’heure, nous ne sommes pas encore en mesure d’évaluer les résultats de cette démarche, à peine engagée. On peut simplement considérer que la méthode et les outils disponibles sont de nature à rationaliser le dispositif d’accueil et d’hébergement.

Vous nous demandez si nous nous sommes fait une idée des avantages et des inconvénients d’une gestion décentralisée de la politique d’hébergement d’urgence et d’accès au logement des personnes sans domicile : non, car cela ne faisait pas partie du travail que vous nous aviez confié. Notre enquête a porté sur les services de l’État, les associations, mais pas sur le rôle des collectivités territoriales, qui a été laissé à votre appréciation. Cependant, pour juger de l’opportunité de la décentralisation de la politique d’hébergement, il faut bien évidemment tenir compte du rôle des collectivités territoriales et des moyens qu’elles y consacrent d’ores et déjà.

Quant à la question relative aux faiblesses de l’État identifiées par la Cour qui pourraient expliquer les insuffisances des résultats enregistrés, nous avons tenu à souligner la qualité du travail de refonte de la politique de l’État qui a été engagée en étroite concertation avec les associations, dans le cadre du chantier national prioritaire de la refondation 2007-2009. Il n’est pas si fréquent de voir associer un véritable souci de cohérence et d’efficacité de l’action publique avec celui du dialogue avec des associations, diverses et assez peu coordonnées même si elles se retrouvent au sein de la Fnars.

On peut cependant déplorer une mise en œuvre trop lente. Comme c’est souvent le cas, la cohésion interministérielle reste trop faible. Les pouvoirs du délégué interministériel pour la coordination de l’hébergement et de l’accès au logement sont trop limités, surtout dans les quatre conurbations où se situe l’essentiel des problèmes – Paris, Marseille, Lyon et Lille. Nous estimons en outre que la cohérence des calendriers n’a pas été très bien assurée. La lenteur des progrès n’a pas permis de dégager assez vite les gains qui auraient permis de faire face à une reprise de la demande suscitée par la crise et à l’incidence de la pression migratoire. La stabilisation des moyens qui a été tentée en 2011 s’est avérée impossible même si elle doit rester un objectif qui devrait, à terme, pouvoir être atteint.

M. Marcel Rogemont.  Je ferai plusieurs observations.

La première porte sur l’accueil des personnes sans papier. Du fait de la politique menée par l’État, on note une concentration géographique des structures. Or cela a des conséquences localement s’agissant notamment de l’accueil des mineurs, qui relèvent de la responsabilité des conseils généraux. En Ille-et-Vilaine, nous devons ainsi supporter des dépenses très importantes à ce titre. Peut-être faudrait-il mettre en place un système de péréquation pour traiter ces questions. Sans mettre en doute la qualité du travail accompli par les services de l’État, il me semble nécessaire de mener une réflexion complémentaire sur ce point.

Ma deuxième observation a trait à l’obligation d’accueil. Pour les personnes qui quittent les hébergements prévus par les associations de réinsertion et qui bénéficiaient d’un suivi de la part de ces associations, le parcours se termine presque toujours en logement social. C’est sur les organismes HLM que pèse alors la suite. Or cette responsabilité est peu prise en compte. Vous suggériez une intermédiation locative visant à prémunir les bailleurs privés contre des loyers impayés. Pourquoi ne pas prévoir un tel système pour les organismes HLM ? Sinon, ce seront les plus pauvres des plus pauvres qui paieront les conséquences de la politique de l’État. Je rappelle qu’actuellement les ressources des entrants en logement HLM sont à moins de 60 % des plafonds HLM. 

Vous avez parlé de reconquête des contingents préfectoraux : la loi Dalo aurait été inutile si le système avait bien fonctionné.

Enfin, Mme Froment-Meurice envisageait la création d’une agence qui reprendrait une partie des responsabilités des services de l’État. Veillons cependant à ne pas rajouter un opérateur dans le dispositif et à multiplier les filières ! Il vaudrait mieux réfléchir, à mon sens, à une adaptation des services de l’État aux politiques locales de l’habitat, s’agissant notamment de l’organisation des dispositifs et de l’application de la loi Dalo. Le système y gagnerait en simplification.

M. Étienne Pinte.  Je remercie la Cour pour son rapport. Toutes ses analyses correspondent parfaitement à ce que j’ai observé depuis plusieurs années et parviennent aux mêmes conclusions que moi. Je m’en tiendrai à quatre questions.

Premièrement, vous n’avez pas évoqué le recours à l’ordonnance de 1945 sur la réquisition, outil législatif qui prête, certes, à controverse. Alors que deux millions de logements sont vacants et que nous sommes confrontés à une grave crise dans les zones tendues, pourquoi les autorités préfectorales n’ont-elles pas recours à cette ordonnance en cas de problème d’hébergement d’urgence ?

Deuxièmement, s’agissant des impayés, l’une des solutions ne passerait-elle pas par la revalorisation de l’aide personnalisée au logement (APL), qui permettrait à un certain nombre de familles d’éviter de se retrouver en situation d’insolvabilité et, donc, de potentielle expulsion ?

Ma troisième question porte sur le droit d’asile. Représentant l’Assemblée nationale au conseil d’administration de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’Ofpra, je peux vous indiquer que, d’ici à la fin du mois, l’Office aura enregistré 60 000 demandes de statut de réfugié politique au titre de l’année 2011. Vous l’avez dit, il faut compter dix-neuf mois pour arriver à une solution définitive. Or, au terme de ce délai et surtout lorsqu’il y a des enfants, les familles sont, sinon installées, en tout cas en partie intégrées. Ne pourrait-on essayer de coordonner les décisions de l’OFPRA et celles de la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA, sachant que celle-ci accorde plus de statuts de réfugié que l’Ofpra ?

Ma dernière question porte sur le coût de l’hébergement. En 2008, le coût de l’hébergement en hôtel représentait environ un million d’euros par jour. Avez-vous pu actualiser ce chiffre ? Par ailleurs, une meilleure coordination dans les zones tendues ne permettrait-elle pas de réduire le recours à l’hôtel ? De passage dans la région Rhône-Alpes, voilà deux mois, j’ai ainsi constaté, alors que la tension était très grande à Lyon, qu’il y avait des logements vacants à Villefranche-sur-Saône, ville très proche. Une plus grande volonté politique des administrations pourrait rendre plus cohérente la demande de logements sociaux et très sociaux.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, suppléant son président.  Ma question portera sur la prise en charge de certains publics spécifiques.

J’ai noté que votre rapport ne faisait pas allusion aux personnes victimes de violences conjugales, qui sont souvent obligées de quitter le domicile conjugal. Or le travail législatif ayant conduit à une meilleure prise en compte de ces violences, les associations ont de plus en plus de mal à trouver des solutions d’hébergement en urgence, que ce soit pour la victime des violences, souvent obligée de quitter le domicile conjugal, ou pour le conjoint violent dont l’éviction a été décidée par le juge.

Les bienfaits des nouvelles dispositions législatives trouvent ainsi une limite dans la difficulté de leur mise en œuvre. La Cour s’est-elle penchée sur ce problème ? Cela pourrait éclairer le travail d’analyse et d’évaluation de la mise en œuvre de la loi du 9 juillet 2010 que je mène avec notre collègue Danielle Bousquet.

Mme Évelyne Ratte, conseillère maître à la Cour des comptes, coordinatrice de l’équipe des rapporteurs. Monsieur Rogemont, vous regrettez que les personnes sans domicile qui sortent du circuit des associations pour arriver dans un logement manquent d’accompagnement. Ce problème a été identifié dans la stratégie de refondation. C’est ainsi qu’un dispositif spécifique, l’AVDL, l’accompagnement social vers et dans le logement, a été mis en place. Il est financé par l’État et doit permettre aux associations de poursuivre l’accompagnement des personnes après leur départ des établissements d’hébergement. Ce dispositif devrait notamment être financé par le reversement des amendes dont l’État devra s’acquitter pour non-respect du Dalo.

Monsieur Pinte, nous n’avons pas véritablement travaillé sur les quatre points que vous avez soulevés. Nous n’avons pas du tout investigué sur le recours à l’ordonnance de 1945 concernant la réquisition car notre travail d’évaluation portait sur l’évaluation d’une politique publique, qui ne fait précisément pas mention de l’utilisation de cette ordonnance. Nous n’avons pas poussé la curiosité au-delà des contours de la politique que nous avions à examiner. En tout état de cause, l’ordonnance de 1945 est toujours utilisée avec précaution, compte tenu du statut du droit de propriété dans notre univers législatif et de notre mentalité collective.

Sur l’APL, nous n’avons pas fait d’enquête sur la politique du logement dans son ensemble. Nous avons simplement constaté la difficulté à trouver des logements à loyer accessible pour les populations sans domicile. Même les logements de type « PLAI » sont parfois difficiles d’accès. Une piste pourrait consister à élaborer une politique publique définissant un « reste à charge » supportable.

S’agissant du droit d’asile, votre proposition ne peut qu’être retenue. Il serait bon en effet de parvenir à une meilleure coordination entre les deux niveaux d’instruction des demandes de droit d’asile entre l’Ofpra et la CNDA. Mais, là encore, nous n’avons pas fait d’investigation puisque nous n’étions pas chargés d’examiner ce point.

En ce qui concerne le coût de l’hébergement en hôtel, le rapport contient de nombreuses informations. En effet, le coût des nuits d’hôtel n’a cessé d’augmenter d’une année sur l’autre. Nous avons constaté en outre que ce mode d’hébergement, qui concernait essentiellement la région parisienne et éventuellement Marseille et le Nord-Pas-de-Calais, s’est étendu, ces deux dernières années, à d’autres régions. La généralisation de cette forme d’accueil en urgence est à noter. Nous faisons quelques propositions en la matière.

Monsieur Geoffroy, vous avez raison de souligner la situation des femmes victimes de violences. Le problème vient du fait que ce sont souvent les femmes qui partent, et non les hommes comme le voudrait pourtant la logique. Pour l’heure, cependant, sont considérés comme publics spécifiques les sortants de prison, les personnes souffrant de troubles psychiatriques et les jeunes issus de l’aide sociale à l’enfance. Les femmes victimes de violence relèvent en quelque sorte du droit commun, même si leur parcours et leurs besoins sont spécifiques à un moment donné.

M. le Président Bernard Accoyer. Je sais, madame Hoffman-Rispal, monsieur Richard, que vous souhaitiez aborder d’autres points, notamment d’ordre plus financier. Je vous propose de les examiner lors de discussions complémentaires directes avec l’équipe de la Cour, et de faire figurer les éléments de réponse correspondants dans le rapport que vous présenterez le 26 janvier prochain.

Monsieur le Premier Président de la Cour des comptes, je vous remercie, une fois encore, pour cette action exemplaire entre la Cour et les députés. Ce travail en commun permettra d’approfondir des questions dont on mesure ainsi d’autant mieux la portée. Je proposerai au Comité que, comme il est maintenant d’usage, le rapport de la Cour des comptes soit publié en annexe à celui des rapporteurs du Comité, qu’il est prévu d’examiner à la fin du mois de janvier.

- Performance des politiques sociales en Europe : examen du rapport (rapporteurs : MM. Michel Heinrich et Régis Juanico.)

M. le Président Bernard Accoyer. Nous en venons à l’évaluation de la performance des politiques sociales en Europe. Ce sujet a été inscrit au programme de travail du CEC à la demande du groupe UMP. Il intéresse tout particulièrement le président de la Commission des affaires sociales, Pierre Méhaignerie, qui a d’ailleurs participé activement au travail des rapporteurs, de même que Jean Mallot, membre de la même commission, et Anne Grommerch, qui a été désignée par la Commission des affaires européennes.

Le projet de rapport qui vous a été transmis au début de la semaine est complété par deux études réalisées à la demande des rapporteurs. Celles-ci établissent des comparaisons entre la France et quatre autres pays européens, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Suède et, selon le cas, les Pays-Bas ou le Portugal. Ces études ont porté sur deux sujets distincts : d’une part, l’accompagnement des demandeurs d’emploi et, d’autre part, deux politiques familiales – la politique menée en faveur des parents isolés et celle en faveur de la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale.

La première étude a été réalisée par le cabinet Euréval, la seconde par une équipe de Sciences Po. Ces prestataires ont été sélectionnés sur appel d’offres au titre de l’accord cadre dont bénéficie le CEC. Ces deux études ont été transmises et sont sur table.

Nos deux rapporteurs, Michel Heinrich et Régis Juanico, ont produit un travail de grande qualité sur un sujet difficile, et je les en remercie.

M. Michel Heinrich, rapporteur. Je voudrais tout d’abord adresser mes remerciements aux administrateurs du CEC, qui nous ont accompagnés tout au long de cette mission, et à Régis Juanico avec lequel j’ai travaillé en parfaite collaboration.

Essentielle pour l’amélioration du pilotage de l’action publique, l’évaluation de la performance des politiques sociales en Europe n’en constituait pas moins un véritable défi, pour le moins ambitieux, sinon audacieux !

Compte tenu du champ très large de ces politiques, du nombre des pays concernés et des délais impartis, il convenait en effet de trouver les voies et moyens d’envisager cette question dans sa globalité, tout en approfondissant l’analyse dans certains domaines pour pouvoir identifier des bonnes pratiques. Lors de la réunion du CEC du 7 avril dernier, nous vous avions exposé la démarche et les angles d’étude que nous envisagions dans cette perspective.

Pour la préparation du rapport, nous avons souhaité mobiliser une très large palette d’outils d’investigation et d’évaluation. Tout d’abord, le groupe de travail a entendu plus de quatre-vingts personnes, au cours de quarante auditions et tables rondes. Avec mon collègue Régis Juanico, nous nous sommes également rendus à Stockholm, Bruxelles, Londres et Berlin, où nous avons rencontré une quarantaine de représentants des différentes parties prenantes. Parallèlement, des questionnaires ont été adressés aux ambassades et aux Parlements dans quinze pays européens. Enfin, nous avons souhaité, avec l’accord du CEC, ainsi que l’a rappelé le Président Bernard Accoyer, bénéficier du concours de prestataires extérieurs pour la réalisation de deux études comparées concernant les thèmes d’étude retenus.

À la lumière de ces éléments, nous formulons vingt préconisations dans notre rapport, que nous proposons d’intituler « S’inspirer des meilleures pratiques européennes pour améliorer nos performances sociales ».

Concernant les éléments d’analyse transversale, la performance a tout d’abord été définie comme la capacité à atteindre des objectifs fixés, en termes notamment d’efficacité socio-économique pour le citoyen, d’efficience pour le contribuable et de qualité de service pour l’usager.

Afin d’accroître durablement la performance des politiques sociales, il est apparu nécessaire d’inscrire son évaluation dans une temporalité suffisamment longue. Il fallait pouvoir prendre en compte, par exemple, les économies qu’une réforme peut générer à plus ou moins long terme. C’est notamment le cas pour certaines de nos propositions qui sont susceptibles d’avoir ensuite un impact positif sur les finances sociales – je pense par exemple à celles qui visent à favoriser l’accès ou le retour à l’emploi, qu’il s’agisse des mères, seules ou non, ou de l’ensemble des chômeurs.

En tout état de cause, la mesure et le suivi régulier de la performance constitue aujourd’hui un impératif pour la gestion publique, en éclairant le décideur sur la pertinence des choix opérés. C’est aussi une exigence qu’une démocratie moderne doit s’imposer.

Au cours de nos travaux, nous avons pu mesurer combien les comparaisons internationales doivent inviter à la prudence : il ne faut pas porter de jugement trop hâtif, voire erroné, en termes de performance comparée et d’interprétation des nombreux indicateurs disponibles. Par exemple, dans certains pays, les taux d’emploi des femmes sont élevés, mais il s’agit souvent d’emplois à temps partiel, tandis que dans d’autres le taux de chômage est « optiquement » plus faible, mais en réalité masqué pour partie par une proportion beaucoup plus importante de personnes relevant du régime de l’incapacité. De même, en Allemagne, les « mini-jobs » concernent près de 4,5 millions de salariés, qui ne sont quasiment pas inclus dans les chiffres du chômage.

Par rapport aux autres pays européens, la France se caractérise par un niveau particulièrement élevé de dépenses sociales, qui représentent plus de 31 % du PIB : près de 600 milliards d’euros y sont consacrés ! Au cours des dernières décennies, l’augmentation des dépenses sociales a également été sensiblement plus marquée en France que dans d’autres pays européens. Au cours des dernières décennies, cette progression a été plus de deux fois supérieure à celle de la moyenne des pays de l’OCDE.

Par ailleurs, un premier examen des principales évaluations réalisées par les organisations internationales montre que les performances françaises sont le plus souvent au-dessus de la moyenne de ces pays.

La société française connaît ainsi un réel dynamisme démographique : après l’Irlande et l’Islande, la France a le taux de fécondité le plus élevé des pays européens. L’espérance de vie à la naissance y est assez élevée : notre pays est situé au quatrième rang en Europe dans ce domaine.

Il se situe également au quatrième rang pour la durée de la vie en retraite, qui est de 26,5 années en moyenne.

L’efficacité redistributive du système fïscalo-social dans son ensemble est incontestable : le rapport entre le revenu moyen des 10 % aux revenus les plus élevés et des 10 % aux revenus les plus faibles est de 1 à 7 en France après impôts et transferts, contre 1 à 9 en moyenne dans l’OCDE.

Au-delà de ces points forts du modèle français, on enregistre d’autres résultats moins favorables, en particulier la faiblesse des taux d’emploi par rapport à d’autres pays et par rapport aux objectifs européens. Même dans les domaines où les performances françaises sont bonnes, les évaluations soulignent que des progrès sont possibles : par exemple, dans le domaine de la santé, l’OCDE a montré qu’il existe une marge de progrès s’agissant de la lutte contre les inégalités, de la coordination des soins et de la réduction des frais administratifs.

M. Régis Juanico, rapporteur. Après ce premier constat général, nous avons souhaité évaluer nos résultats au regard d’un objectif central des politiques sociales, aujourd’hui pleinement reconnu comme tel par les institutions communautaires – il constitue l’un des objectifs phares de la nouvelle stratégie européenne intitulée « Europe 2020 » – : la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.

Le 17 juin 2010, le Conseil européen a adopté cette nouvelle stratégie pour l’emploi et une croissance intelligente, durable et inclusive, et fait de la réduction de 25 % du nombre de personnes vivant en situation de pauvreté, soit 20 millions de personnes, un des cinq grands objectifs de l’Union européenne.

Outre l’indicateur habituel de pauvreté monétaire à 60 % du revenu médian, l’Union européenne considère également la pauvreté en conditions de vie – dite, dans le langage communautaire, « privation matérielle sévère » – et les ménages dans lesquels personne ne travaille – dits « à faible intensité de travail ».

L’analyse des indicateurs français et européens montre une tendance à l’aggravation des inégalités et de l’exclusion en France. Alors que le taux de pauvreté relatif au seuil de 60 % du revenu médian s’établit à 13,5 % selon l’Insee en 2009, l’indicateur européen, plus complet, révèle que la France n’est qu’à la neuvième place du classement européen, avec 18,4 % des Français concernés par le risque de pauvreté ou d’exclusion.

Le 23 mars 2011, à l’occasion de la remise de son rapport annuel, le Médiateur de la République, M. Jean-Paul Delevoye, avait évoqué « entre 12 et 15 millions de personnes qui seraient actuellement concernées par le sentiment de précarité, c’est-à-dire dont les fins de mois se joueraient à 50 ou 150 euros près ». Selon une enquête Ipsos, 45 % des 35-44 ans disent avoir déjà vécu une situation de précarité, soit une augmentation de 16 points entre 2008 et 2009.

D’après les associations actives dans la lutte contre la pauvreté que nous avons entendues, les publics les plus vulnérables sont aujourd’hui les jeunes, les familles monoparentales, les familles nombreuses et les personnes immigrées. La situation s’aggrave à cause de la crise, mais aussi en raison de la complexité toujours croissante des démarches administratives pour percevoir certains minima sociaux.

Ces associations rejoignent le constat formulé par les économistes de l’OCDE : l’accès à l’emploi est une condition nécessaire, même si elle n’est pas suffisante, pour sortir durablement de la pauvreté. Mais il faut aussi accéder à un emploi de qualité : il convient en effet de ne pas oublier le phénomène des travailleurs pauvres, qui retient aujourd’hui toute l’attention des institutions européennes et des autorités allemandes, et pour lequel le revenu de solidarité active (RSA) a été institué.

C’est pourquoi nous avons décidé de consacrer des développements plus substantiels de notre rapport aux politiques de l’emploi en Europe, à celles visant une meilleure conciliation entre travail et vie familiale, ainsi qu’à la situation particulière des familles monoparentales.

À l’issue de ces considérations transversales sur la performance des politiques sociales, nous proposons plusieurs mesures pour améliorer le pilotage et l’évaluation de ces politiques au regard des pratiques observées dans les autres pays européens.

Nous suggérons ainsi d’organiser chaque année un débat au Parlement sur l’efficacité des politiques sociales, qui porterait par exemple sur des thèmes correspondant à certains des objectifs des programmes de qualité et d’efficience (PQE), annexés aux projets de loi de financement de la sécurité sociale, et dont le choix serait partagé entre la majorité et l’opposition.

Nous proposons aussi de développer le recours à l’expérimentation dans le champ social, en définissant un programme pluriannuel d’expérimentations. Ce programme pourrait être soumis pour avis à la Commission des affaires sociales. Des débats pourraient également être organisés régulièrement en séance publique à l’Assemblée nationale sur les résultats des expérimentations.

Plus généralement, nous recommandons d’améliorer l’évaluation des politiques sociales et d’en tirer tous les enseignements pour une conduite pragmatique des réformes dans la durée, fondée sur une démarche d’amélioration continue des dispositifs.

Il faudrait également renforcer l’évaluation des politiques locales et favoriser les échanges de bonnes pratiques, par exemple par la mise en place d’un tableau de bord commun de comparaison de l’action sociale décentralisée et par celle d’un fonds de « recherche et développement » des politiques sociales locales financé conjointement par l’État et les collectivités territoriales.

Le rapport propose également de s’appuyer sur les outils de 1’ « Europe sociale », encore trop souvent négligée.

À l’occasion des négociations sur les perspectives budgétaires de l’Union européenne pour 2014-2020, il nous paraît indispensable de redéployer le Fonds social européen en fonction de l’objectif européen consistant à sortir 20 millions d’Européens de la pauvreté et de l’exclusion d’ici à 2020. À une échelle très opérationnelle et pragmatique, il faut absolument faciliter en France l’accès des associations innovantes dans le domaine social à ces financements.

De manière plus ciblée, il est également essentiel de conserver un programme européen d’aide alimentaire aux plus démunis après 2014, dans le cadre des engagements de l’Union européenne exprimés dans la stratégie « Europe 2020 ».

M. Michel Heinrich, rapporteur. En ce qui concerne la politique de l’emploi, il faut rappeler en préambule son interdépendance avec la politique macroéconomique ou la politique fiscale. Le poids des cotisations sociales sur le travail en France rend aujourd’hui nécessaire une réflexion sur le financement de la protection sociale : la cotisation payée par l’employeur sur le salaire y est de 29 %, contre 26 % en Italie, 23 % en Suède, 16 % en Allemagne et 0 % au Danemark. Par ailleurs, il faut souligner que l’efficacité de la politique de l’emploi est intrinsèquement liée à la croissance économique, qui appelle une politique volontariste de développement industriel et d’innovation.

Nous nous sommes intéressés à ce qui constitue le point commun des politiques de l’emploi dans tous les pays considérés : l’accompagnement des demandeurs d’emploi pour le retour à l’emploi. Nous nous sommes appuyés sur les travaux du cabinet Euréval, qui a réalisé à notre demande une comparaison des politiques de l’emploi dans cinq pays européens – Allemagne, France, Portugal, Royaume-Uni, Suède – et une synthèse des travaux d’évaluation consacrés, dans ces pays, à l’efficacité de l’accompagnement et des dispositifs qui visent à favoriser le retour à l’emploi. Cette étude vous a été communiquée.

L’examen des profils de dépenses par pays a confirmé nos intuitions : certains pays sont plus efficaces que d’autres et parviennent, grâce à plus de politiques mieux ciblées et plus adéquates, à réduire leurs dépenses, notamment la part des dépenses « passives » – c’est-à-dire des dépenses d’indemnisation – grâce à plus de dépenses « actives ». Tel est particulièrement le cas pour la Suède, où l’on trouve deux tiers de dépenses actives pour un tiers de dépenses passives. Tel est aussi l’esprit des changements que nous proposons.

Par rapport à ses voisins européens, la France se caractérise par plusieurs éléments :

– d’abord, la complexité et l’éclatement des structures d’accompagnement des demandeurs d’emploi – on en dénombre pas moins de huit dans certaines zones – : le célèbre « millefeuille » français ;

– deuxièmement, la faiblesse des effectifs du service public de l’emploi affectés au placement, qui a été particulièrement soulignée par une récente étude de l’Inspection générale des finances ;

– troisièmement, une adaptabilité moindre des ressources humaines et financières. Certains des autres pays européens étudiés paraissent plus réactifs que la France dans l’ajustement des moyens à la conjoncture. Ainsi, le JobCentre britannique a augmenté de 37 % ses effectifs en 2009 pour faire face à la crise avant de les réduire dès 2010.

Les conseillers du service public de l’emploi chez nos voisins ont souvent plus d’outils, de prestations ou d’aides sociales à leur disposition et plus d’autonomie que les conseillers de Pôle Emploi en France : par exemple, au Royaume-Uni, les conseillers du JobCentre Plus versent aussi les allocations logement ou les aides ponctuelles pour le paiement des impôts locaux ; en Allemagne, les conseillers de l’Agence fédérale du travail développent des liens privilégiés avec les entreprises du bassin d’emploi local.

Au regard des expériences locales dont nous avons eu connaissance, notamment celle de Vitré, que connaît bien le président de la commission des Affaires sociales, nous proposons de lancer une expérimentation avec des collectivités territoriales volontaires sur le rapprochement des acteurs de l’emploi, de l’entreprise et de la formation professionnelle sous une direction commune pour identifier et promouvoir les meilleures pratiques.

La synthèse des travaux de recherche réalisés dans le domaine des politiques de l’emploi a mis en évidence des enseignements peu nombreux mais « robustes » sur l’efficacité des politiques de l’emploi.

En premier lieu, les exonérations de charges sociales sur les salaires des moins qualifiés se sont révélées efficaces, mais pourraient constituer une trappe à bas salaire et limiter la progressivité des carrières.

En second lieu, le renforcement et la personnalisation de l’accompagnement des demandeurs d’emploi ont un impact favorable sur le retour à l’emploi, susceptible de générer des économies pour l’assurance chômage.

Par ailleurs, plusieurs dispositifs doivent être mieux ciblés : la formation professionnelle doit être encouragée en période de récession, en privilégiant les formations en alternance, et pour augmenter la qualité de l’emploi à plus long terme. Les contrats aidés sont utiles pour les publics structurellement éloignés de l’emploi ou pour donner un « coup de pouce » temporaire.

Enfin, les évaluations européennes montrent de façon convergente que les prestataires privés ne sont pas plus efficaces que l’opérateur public pour les mêmes missions – si ce n’est qu’on détecte une forme d’émulation entre ces deux types de structures lorsqu’elles interviennent sur le même territoire.

Ces divers enseignements nous conduisent d’abord à préconiser de mettre un terme à l’instabilité juridique et financière relative aux contrats aidés, qui nuit à l’efficacité de ces dispositifs, et de veiller à des durées de contrat suffisantes pour permettre un accompagnement, une formation et une insertion durable des bénéficiaires.

En outre, pour améliorer les performances du service public de l’emploi, nous proposons plusieurs mesures coûteuses à court terme mais susceptibles de générer des économies à moyen terme. En particulier, il faut renforcer et personnaliser l’accompagnement des demandeurs d’emploi en organisant rapidement un premier entretien consacré à l’indemnisation, suivi d’un second sur l’accompagnement professionnel. Les syndicats de Pôle Emploi, les associations de chômeurs, l’Inspection générale des finances – M. Christian Charpy et son successeur, M. Jean Bassères – sont unanimes : le demandeur d’emploi est d’abord préoccupé par sa subsistance et ne peut se projeter dans un avenir professionnel qu’une fois rassuré sur ce point.

Il faudrait aussi intensifier les contacts avec les demandeurs d’emplois : sur ce point, une étude allemande citée dans le rapport et évoquée par l’Inspection générale des finances montre un impact significatif sur le retour à l’emploi.

Il conviendrait par ailleurs d’adopter une approche globale du demandeur d’emploi. Il est nécessaire de renforcer la coordination entre les professionnels du retour à l’emploi et ceux de l’insertion sociale pour développer une culture partagée. Il n’est pas possible de continuer avec un système dans lequel les personnes les plus en difficulté ne sont pas accompagnées vers l’emploi. Mais il n’est pas question non plus de nier leurs difficultés spécifiques.

Nous avons également pu mesurer l’intérêt indéniable des aides à la reprise d’activité – aide au permis de conduire ou à la garde d’enfants – pour débloquer durablement des situations qui paraissent banales, mais sont parfois inextricables : Pôle Emploi parle de « freins périphériques » au retour à l’emploi. Ces aides sont aujourd’hui mal connues et mal utilisées.

Enfin, l’approche globale consiste à intervenir le plus en amont possible de la perte d’emploi. Nous préconisons donc d’intervenir précocement, en contactant le demandeur d’emploi deux mois avant la fin des dispositifs temporaires, tels que les contrats aidés.

Cette approche globale du demandeur d’emploi doit également s’accompagner d’une évolution des conditions de travail à Pôle Emploi. En nous inspirant des pratiques observées ailleurs en Europe, nous préconisons de renforcer les compétences, l’expertise et l’autonomie des conseillers de cet organisme, en renonçant à la généralisation du métier unique – lequel n’existe dans aucun des pays étudiés – tout en encourageant la polyvalence pour ceux qui le souhaitent et en renforçant leur formation.

Reste la question des moyens de l’opérateur Pôle Emploi, sur laquelle nous avons adopté une position commune et affirmée. Au regard des pratiques de nos voisins européens, il nous paraît nécessaire d’adapter ces moyens à la conjoncture et au niveau du chômage – donc d’augmenter le nombre de conseillers pour maintenir le niveau de service en période de crise. Pour cela, nous proposons en particulier un recours accru aux contrats à durée déterminée (CDD).

Enfin, les auditions que nous avons menées nous ont convaincus de la nécessité d’une meilleure prise en compte de la parole des usagers. Nous proposons de confirmer le rôle et l’importance des lieux d’échanges entre les usagers et Pôle Emploi – dans le cadre des comités de liaison – et de confier au Médiateur de cet opérateur la responsabilité d’un rapport annuel plus complet sur la satisfaction des bénéficiaires.

M. Régis Juanico, rapporteur. Concernant l’équilibre entre famille et travail, il convient d’abord de souligner les enjeux majeurs des politiques visant à favoriser l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle.

Au regard des difficultés parfois rencontrées dans ce domaine, qui peuvent être plus aiguës encore pour des parents seuls, ces politiques sont susceptibles de favoriser l’augmentation des taux d’activité des parents, particulièrement des mères, mais peuvent aussi améliorer la qualité de l’emploi.

Les « politiques d’articulation » sont en effet des facteurs de performance, au niveau macroéconomique, en contribuant en particulier à la consolidation des systèmes de protection sociale, mais aussi au niveau des entreprises, notamment en attirant et fidélisant une main-d’œuvre qualifiée et en donnant une image positive de celles-ci.

Ces mesures sont aussi sources de performance et de progrès social : elles contribuent à l’amélioration des conditions de travail, à la prévention des risques psychosociaux, ainsi qu’à la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes. Une enquête de l’OFCE montre qu’à quarante ans, à un même niveau de diplômes et d’ancienneté, il existe un écart de 17 % entre le salaire des hommes et celui des femmes, l’essentiel de cette différence de salaire – soit 70 % – restant inexpliqué.

La France se place au premier rang des pays de l’OCDE pour les différentes aides apportées aux familles. Parmi ces aides, qui représentent 3,7 % du PIB, des moyens importants sont en particulier alloués aux mesures visant à favoriser l’équilibre entre famille et travail, qui constitue un objectif clairement identifié des politiques publiques.

En termes de résultats, la situation de la France est bonne par rapport aux autres pays européens, mais elle pourrait être améliorée.

L’analyse comparée des « politiques d’articulation » fait en effet ressortir plusieurs spécificités françaises, notamment un système socio-fiscal moins individualisé et un congé parental très féminisé, plus long et moins bien rémunéré que dans certains pays, en particulier en Suède et en Allemagne. Par ailleurs, on constate en France une très bonne prise en charge des enfants de trois à six ans, grâce au système des écoles maternelles – qui est envié en Europe – mais aussi, a contrario, un manque de places d’accueil pour les moins de trois ans, les besoins non couverts étant estimés à environ 350 000 places.

La France se distingue par de bons résultats dans certains domaines, en particulier la natalité – nous avons le troisième taux de fécondité le plus élevé de l’OCDE – et l’insertion professionnelle des femmes, qui se fait plutôt à temps plein. Il existe néanmoins des voies d’amélioration afin de favoriser l’égalité des genres, l’accès ou le retour à l’emploi des mères, leurs évolutions professionnelles, de même que pour répondre plus efficacement aux difficultés parfois exprimées par les parents en matière de conciliation.

Pour créer les conditions d’un meilleur équilibre des temps professionnels et familiaux, et avec le double objectif d’aide au retour à l’emploi et d’égalité des genres, nous préconisons plusieurs orientations.

En s’inspirant notamment des dispositifs observés en Suède et en Allemagne, il faudrait aller progressivement vers un congé parental mieux rémunéré – à hauteur des deux tiers du salaire antérieur –, plus court – d’une durée de 14 mois –, en incluant deux « mois d’égalité », qui seraient réservés à celui des parents n’ayant pas pris le reste du congé et qui seraient donc perdus s’il ne les prend pas. Ainsi pourrait-on encourager une participation accrue des pères et mieux partager le congé parental : aujourd’hui, moins de 3 % des pères utilisent ce congé dans notre pays.

Nous proposons également de mettre en place un accompagnement renforcé vers l’emploi et la formation des bénéficiaires du complément du libre choix d’activité (CLCA) et d’accroître à cette fin la coopération entre Pôle Emploi et les caisses d’allocations familiales (Caf).

Le rapport préconise par ailleurs de poursuivre le développement de l’offre de garde de la petite enfance, en particulier en accueil collectif. Celui-ci est très développé dans les pays nordiques, tels que la Suède. Il conviendrait aussi de mieux évaluer les besoins et les disparités territoriales dans ce domaine.

L’accès à des modes de garde de qualité présente des enjeux importants en termes d’égalité des chances, de lutte contre les inégalités sociales et de prévention de l’échec scolaire. Les écoles maternelles sont en particulier un lieu d’apprentissage fondamental du langage, du vocabulaire, de la socialisation et du vivre-ensemble, mais aussi un mode de garde financièrement accessible, notamment à des femmes qui souhaitent continuer à travailler. C’est pourquoi il est important de maintenir, au moins au niveau actuel, la scolarisation des enfants de moins de trois ans, qui n’a cessé de diminuer au cours des dernières années.

Au regard notamment de l’implication des entreprises en Allemagne dans ce domaine, nous proposons également d’encourager le développement de la négociation collective et des bonnes pratiques en milieu professionnel, en confiant notamment à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, l’Anact, une mission de diffusion des bonnes pratiques et d’accompagnement des entreprises en matière d’articulation entre la vie familiale et le travail. Nous souhaitons également favoriser une représentation plus équilibrée au sein des comités de direction des entreprises.

Les directeurs des ressources humaines des entreprises doivent concevoir l’organisation du travail, les horaires et les modes de garde en cherchant à mieux concilier la vie professionnelle et la vie familiale et à encourager une paternité active et un véritable partage des tâches familiales, y compris ménagères, au sein du couple.

Pour reprendre une formule employée par les représentants du ministère de la famille allemand, nous voulons offrir de meilleures opportunités de carrière aux mères et davantage de temps familial aux pères.

Nous avons enfin souhaité approfondir l’analyse sur la question des familles monoparentales, qui sont particulièrement exposées au risque de pauvreté et de précarité, en France comme dans le reste de l’Europe. Je rappelle à cet égard que, selon un rapport récent de l’Insee, les personnes vivant au sein d’une famille monoparentale sont particulièrement touchées par la pauvreté et que près d’un tiers de ces personnes sont pauvres au sens monétaire, soit une proportion 2,3 fois plus élevée que dans l’ensemble de la population.

En France, le taux d’emploi des parents isolés est plus élevé que dans la moyenne des pays de l’OCDE, tandis que le taux de pauvreté est, lui, nettement inférieur. Toutefois, dans les cinq pays européens étudiés, y compris en France, le taux de chômage des mères seules est partout supérieur à celui de l’ensemble des mères.

Au cours de nos travaux, il est apparu que les politiques en direction des familles monoparentales se caractérisent par une certaine diversité en Europe, qui témoigne de différentes conceptions de 1’« État social ». Certains pays, comme la France ou le Royaume-Uni, ont ainsi adopté des dispositifs ciblés en faveur des parents isolés, contrairement à d’autres, dont la Suède. Au cours des dernières années, différentes réformes ont été mises en place dans plusieurs pays européens afin de favoriser l’accès à l’emploi et de lutter contre la pauvreté de ceux-ci.

En termes de performance comparée des politiques, on constate tout d’abord l’absence d’un réel modèle absolu de réussite, du moins parmi les cinq pays étudiés, même si la Suède, puis la France, apparaissent relativement mieux positionnées au regard des principaux indicateurs socio-économiques.

L’analyse permet d’identifier plusieurs leviers de l’action publique de nature à soutenir l’accès à l’emploi des parents isolés – je pense par exemple au caractère rémunérateur de la reprise d’un emploi, mais aussi à l’importance d’un accompagnement adapté et de la prise en compte des frais et des difficultés liées à la garde des enfants, ou à l’accès à des emplois de qualité.

Le développement de politiques volontaristes dans les domaines touchant à la conciliation entre famille et travail et au soutien à l’emploi des femmes et des parents en général, notamment à travers le développement de l’offre de garde de la petite enfance, est également de nature à favoriser l’emploi des parents isolés. À cet égard, il est intéressant de noter que, parmi les cinq pays étudiés, le « premier de la classe » – la Suède – est aussi celui où les parents isolés ne constituent pas une cible spécifique des politiques publiques.

Afin de favoriser un meilleur accompagnement social et professionnel des parents isolés en situation de vulnérabilité, nous proposons notamment d’améliorer l’information concernant les aides aux familles et le dispositif du RSA, de mieux évaluer l’accompagnement par les travailleurs sociaux ainsi que les conditions d’accès aux établissements d’accueil des jeunes enfants des bénéficiaires de minima sociaux – en particulier les parents isolés disposant de faibles ressources –, de renforcer la coordination entre les acteurs et de sensibiliser les agences de l’emploi à ce type de public, au regard notamment de pratiques observées en Allemagne.

Enfin, en nous inspirant de certains aspects d’un programme mis en place au Royaume-Uni, nous préconisons d’engager des expérimentations pour proposer un accompagnement renforcé aux parents isolés, sur la base du volontariat, avec par exemple un parcours intégré d’insertion comprenant notamment des aides accrues pour la garde d’enfants et le retour à l’emploi, voire d’autres options ou droits spécifiques, tels qu’un accès renforcé à la formation ou à un mode d’accueil.

Telles sont les principales conclusions de nos travaux, aussi passionnants que complexes, sur la performance, les enjeux et les métamorphoses de la question sociale en France et en Europe. Nous espérons avoir ainsi ouvert un débat qui, loin d’être épuisé par ce rapport, a vocation à se poursuivre régulièrement au sein de notre assemblée.

M. le Président Bernard Accoyer. Je tiens à remercier et à féliciter les rapporteurs : le travail qui leur a été confié était gigantesque, et il est d’ailleurs appelé à continuer.

M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission des affaires sociales. J’ai lu attentivement le rapport et souhaite que beaucoup de nos collègues fassent de même ! Je tiens également à remercier les rapporteurs, qui ont mené leur travail avec beaucoup de conviction.

Se pose maintenant la question des suites que l’on va lui donner. Je souhaite qu’avec les ministres concernés, et peut-être les directeurs généraux des organismes nationaux concernés, comme la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), ou le délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), nous ayons fin janvier ou début février une confrontation sur trois ou quatre principales mesures concrètes d’amélioration.

Comme l’ont souligné les deux rapporteurs, nous dépensons beaucoup : nous sommes avec la Suède parmi les meilleurs ou les moins mauvais, mais, compte tenu des moyens financiers que nous mobilisons, nous pourrions faire beaucoup mieux !

Quatre mesures principales mériteraient à mon sens d’être retenues. D’abord, l’accompagnement des demandeurs d’emplois, qui s’appuie en effet sur huit structures différentes ! J’ai fait expérimenter une maison de l’emploi hébergeant tous les services concernés, y compris les chambres de commerce, les chambres de métiers, les chambres d’agriculture et le centre d’information et d’orientation (CIO), avec à sa tête un président et un directeur unique : cela a permis d’améliorer substantiellement les prestations, puisque les offres d’emploi proposées à Pôle Emploi ont augmenté de 60 % en un an. Nous avons donc de grandes marges d’amélioration, notamment au regard de notre faible taux d’emploi.

Deuxièmement, des simplifications sont possibles s’agissant de l’instabilité des règles et de la prolongation des contrats, laquelle est nécessaire pour ceux qui ont du mal à retrouver un emploi.

Troisièmement, il y a lieu de préparer les orientations du Fonds social européen pour les années 2014-2020, qui vont se décider en 2012. Le Parlement et les élus locaux veulent-ils y participer pour voir comment le montant de 1,1 milliard d’euros prévu pour la France pourrait être employé au mieux, notamment en matière d’accompagnement pour l’emploi ?

Une autre mesure, qui pourrait donner lieu à un accord entre la droite et la gauche, concerne les écoles maternelles. Je milite pour qu’il n’y ait pas un poste de moins dans l’enseignement primaire – qui est un élément important dans notre positionnement vis-à-vis des autres pays. Mais, dans le même temps, les rythmes scolaires des élèves de douze ou quatorze ans sont totalement inadaptés, avec trop d’heures de cours : la réduction des postes pourrait être concentrée sur le premier et le second cycle du secondaire. Je vois dans des zones rurales des jeunes qui partent à l’école à sept heures et quart et qui reviennent chez eux à dix-huit heures trente !

En tout état de cause, il faut que nous tirions rapidement les conséquences du travail remarquable qui vient d’être réalisé.

M. le Président Bernard Accoyer. J’attache également la plus grande importance à ce que des suites lui soient données : nous allons tout faire dès maintenant pour qu’il en soit ainsi.

M. Jean Mallot. Quand ce travail d’évaluation de la performance des politiques sociales en Europe a été lancé, nous étions nombreux à penser que, compte tenu de l’ampleur de la tâche et de la difficulté de comparer les différents systèmes européens, nos rapporteurs auraient du mal à aboutir. Or, non seulement ils ne se sont pas noyés dans le sujet, mais ils ont su établir des comparaisons entre ces systèmes et faire des recommandations intéressantes : je les en félicite et remercie Pierre Méhaignerie d’avoir suggéré ce thème de travail.

Les rapporteurs ont souligné l’importance des politiques sociales comme amortisseurs de la crise. Une étude récente de l’OCDE indique en particulier que l’accroissement des inégalités a été contenu grâce à ces politiques, même si elle fait aussi apparaître que l’écart s’est creusé en la matière avec les 0,1 % ou les 0,01 % les plus riches.

Cela étant, il faut examiner l’efficience et l’efficacité des dépenses en question, mais de façon fine, et non selon la méthode globale de la révision générale des politiques publiques (RGPP), sujet abordé il y a deux semaines par le CEC. On peut par certaines réorganisations simples, dont on peut aisément convaincre les acteurs concernés, obtenir des systèmes plus efficients et peut-être plus efficaces. Certaines mesures prises dans le passé se sont en revanche révélées inopportunes.

En arrière-plan se pose la question de l’harmonisation sociale en Europe, qui est un vaste sujet d’actualité. Il n’est pas de convergence économique et politique possible sans elle. Nous devrons veiller à ce que cette harmonisation, qui ne doit pas être confondue avec l’uniformisation, se fasse par le haut, sous peine de remettre en cause les bienfaits des politiques sociales.

J’ai relevé dans le rapport l’importance des collectivités territoriales, notamment la spécificité des conseils généraux – dont les politiques sociales méritent également d’être harmonisées à certains égards – : j’ai, à ce sujet, des réserves sur la réforme territoriale adoptée par le Parlement il y a quelques mois, dans la mesure où elle tend à confondre des collectivités dont le rôle est largement différent.

Je relève aussi le besoin de stabilité des règles, notamment concernant les contrats aidés. Les acteurs économiques et sociaux en France ont beaucoup de mal à cet égard : trop souvent, une règle est à peine publiée qu’elle est déjà modifiée !

S’agissant de la politique sociale vis-à-vis des parents isolés, j’apprécie plus l’approche retenue par ce rapport que celle du rapport sur la fraude sociale de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss) : aborder la politique à l’égard des publics défavorisés ou en difficulté, notamment des parents isolés, sous l’angle de la fraude en présupposant qu’ils seraient des profiteurs, est désagréable et inadapté. L’approche proposée ici permettra de régler plus efficacement les problèmes de ces populations, qui doivent faire l’objet d’une politique ciblée, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays.

Par ailleurs, je retrouve certaines conclusions des travaux de la Mecss sur la protection du jeune enfant dans la recommandation n° 12, tendant à instaurer une allocation de congé parental d’un montant plus élevé et sur une période plus courte, de manière à assurer la stabilité économique de la famille tout en maintenant le lien à l’emploi.

Quant à la prise en charge des demandeurs d’emploi, on constate que la réforme de Pôle Emploi est insuffisante : il ne suffit pas de réunir l’ANPE et les Assedic ! J’apprécie à cet égard les recommandations 7, 8, 9 et 10, qui portent sur les entretiens relatifs à l’indemnisation des chômeurs et à leurs projets professionnels en distinguant les deux – chacun devant faire l’objet d’une réponse spécifique –, de même que sur l’approche globale du demandeur d’emploi ou sur la nécessité de renforcer les compétences et l’autonomie des conseillers de Pôle Emploi et d’adapter les moyens de cet opérateur à la conjoncture et au niveau de chômage – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

En conclusion, ce rapport est important et utile ; il comporte des outils méthodologiques et des préconisations précises auxquelles il faut donner suite, que ce soit au sein de la Commission des affaires sociales ou des autres commissions de l’Assemblée nationale.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, suppléant son président.  Ce travail, à la fois dense et clair, est en effet d’un grand intérêt.

La scolarisation des très jeunes enfants évoquée par Pierre Méhaignerie est un point important : je pense comme lui qu’il faut donner toute sa place à l’école maternelle.

Se pose à cet égard la question de la scolarisation des moins de trois ans. Je comprends que les rapporteurs ne souhaitent pas que se poursuive la diminution de la proportion d’enfants scolarisés avant trois ans au moment où l’on souhaite développer une politique d’accueil des tout-petits, notamment dans le cadre de crèches ou d’organismes assimilés. Mais je récuse l’approche caricaturale consistant à être soit systématiquement pour, soit systématiquement contre la scolarisation de ces enfants : toute présentation de ce type est très dommageable. Un enfant peut être adapté à une scolarisation dès l’âge de deux ans alors que son frère, arrivant au même âge et vivant dans les mêmes conditions, ne le sera pas !

Je n’ai pas trouvé dans le rapport d’étude comparative avec les autres pays sur les formules appropriées de prise en charge mixte de ces enfants, dans le cadre d’un dispositif à la fois communal et national. Les dispositifs du type « classe passerelle » me semblent être pertinents à la fois par leur originalité et leur adaptation aux enfants : un travail de recherche mériterait d’être mené dans ce domaine.

Parce que, au-delà de la question du coût, l’intérêt des tout-petits doit prévaloir, il serait intéressant que la Commission des affaires sociales examine la question du meilleur mode d’organisation de la prise en charge des enfants de moins de trois ans, en tenant compte des initiatives étrangères dont les rapporteurs du CEC ont éventuellement eu à connaître lors de l’élaboration de ce rapport.

M. Pierre Méhaignerie. Lors de leur visite à Berlin, les rapporteurs ont-ils eu l’occasion d’évoquer les « mini-jobs » avec leurs interlocuteurs? Si oui, quelle est la rémunération offerte dans ce cadre, et quel est le montant du revenu complémentaire ?

M. le Président Bernard Accoyer. S’agissant de la petite enfance, les rapporteurs semblent privilégier l’accueil collectif. Pour des motifs financiers que l’on ne peut méconnaître et en raison de l’hétérogénéité des besoins, il me semblerait pourtant préférable de favoriser des modes de garde diversifiés. En ce qui concerne l’accueil des enfants de moins de trois ans à l’école maternelle, je pense que, sans remettre en cause le principe, il faut se garder d’édicter une règle absolue. Les très jeunes enfants qui ne maîtrisent pas encore le langage ne sont pas tous à leur place dans des structures où règnent parfois déjà des rapports tendus entre les enfants, et les pédopsychiatres ne sont pas tous favorables à une scolarisation aussi précoce. Dans certaines situations toutefois, pour des raisons sociales, culturelles ou linguistiques, il peut y avoir un grand avantage à l’accueil collectif des très jeunes enfants. Si les places en crèche manquent, il conviendrait alors que les enfants concernés puissent trouver par dérogation une place dans une école maternelle. Il ne me paraît pas judicieux de fixer des règles intangibles quand des réponses multiples sont préférables.

Pierre Méhaignerie a soulevé la question de fond de la suite à donner à nos travaux. Je milite pour que les recommandations du CEC trouvent une traduction législative ou réglementaire. L’Assemblée nationale publie chaque année quelques cent cinquante rapports d’information ou d’évaluation, et les suites qui leur sont données ne sont pas à la hauteur des efforts fournis par les élus et les services. Le CEC doit s’employer avec persévérance à ce que cette situation change. La mission de contrôle et d’évaluation dont le Parlement est investi par la Constitution s’inscrit dans la durée. Si, en se dispersant, on passe trop vite d’un sujet à un autre, on empêche que des suites soient données aux recommandations formulées. Que M. Méhaignerie en soit assuré, j’inviterai la Conférence des présidents à inscrire à l’ordre du jour de nos travaux, pendant la semaine de contrôle, à la fin du mois de janvier prochain, un débat sur les politiques sociales réunissant les ministres concernés, et si possible le directeur général de Pôle Emploi et d’autres personnalités qualifiées concernées. Ce sera une première étape. Elle devra être suivie d’autres, pendant le reste de la présente législature comme au cours de la législature suivante, pour que les conclusions des travaux de premier ordre dont nous sommes saisis ne restent pas lettre morte. Le CEC, à l’avenir, doit éviter un foisonnement excessif de travaux nouveaux, qui nuirait à son efficacité, et je m’attacherai à ce qu’il en soit ainsi.

Sur un autre thème, j’observe également, pour m’en féliciter, que la proposition de résolution concernant la mise en œuvre du principe de précaution, issue du travail collectif et trans-courant du CEC, qui pourrait être débattue en séance publique au début février 2012, constitue une suite importante du rapport du CEC sur ce sujet.

M. Pascal Brindeau. La difficulté inhérente aux rapports comparatifs de ce type est que l’on s’efforce de cerner une question protéiforme, le contenu même de la politique étant envisagé de manière différente selon les pays considérés. Les rapporteurs ont le grand mérite, en ciblant leur ouvrage, d’avoir mis en exergue ce qui fait la faiblesse de notre pays – la politique de retour à l’emploi – et de formuler des recommandations courageuses. Le premier semestre sans travail est une période cruciale pour les demandeurs d’emplois, au cours de laquelle les conseillers du service public de l’emploi jouent un rôle déterminant. On se félicitera donc que les rapporteurs recommandent d’adapter le nombre de conseillers du service public de l’emploi en cas de crise. Cependant, les personnes amenées à se rendre à Pôle Emploi déplorent toutes l’impossibilité dans laquelle on les met de s’adresser à un interlocuteur unique. Je ne suis pas certain que recruter des conseillers sous contrat à durée déterminée stabilisera des relations que les intéressés souhaiteraient plus suivies.

D’autre part, un travail reste à conduire sur les relations entre Pôle Emploi et les entreprises. De plus en plus nombreuses sont les PME de ma circonscription qui, lorsqu’elles veulent embaucher, ne passent plus par le service public de l’emploi, et les agences d’intérim se transforment en recruteurs, ce qui pose un problème réel.

Je remercie les rapporteurs pour leurs propositions intéressantes et je souhaite que le débat annoncé soit centré sur la politique de retour à l’emploi et son évolution.

M. Jean Mallot. Comme le Président Accoyer, je souhaite bien sûr que nos travaux soient suivis d’effet. Pour cela, ils doivent être rappelés sans relâche à l’attention de nos collègues lors de nos débats en séance publique. Ce fut le cas, hier, du rapport d’information sur l’évaluation des dispositifs de promotion des heures supplémentaires prévus par la loi TEPA que M. Jean-Pierre Gorges et moi-même avons rédigé au nom du CEC. En persévérant, nous finirons pas convaincre nos collègues de l’intérêt de l’évaluation des politiques menées.

L’abondance des rapports publiés par l’Assemblée nationale peut donner une impression de foisonnement, c’est vrai. Mais on note, dans ces différents textes, des convergences et des recoupements – cela vaut, ici, pour la prestation d’accueil du jeune enfant, dont la Mecss a traité – qui montrent une cohérence d’ensemble. On se souviendra que les préconisations du rapport sur le médicament publié par la Mecss en 2008 ont finalement été mises en œuvre – malheureusement après qu’eut éclaté l’affaire du Mediator, et à cause de cette affaire.

M. le Président Bernard Accoyer. Je rappelle que l’une des recommandations du rapport de nos collègues Jean-Pierre Gorges et Jean Mallot, relative à la réintégration des heures supplémentaires dans le mode de calcul des allègements généraux sur les bas salaires, dits allègements « Fillon », tel qu’il résultait de la loi TEPA, a d’ores et déjà été retenue par le Gouvernement et s’est concrétisée dans la loi de financement pour la sécurité sociale de 2012.

M. Jean Mallot. C’est vrai, mais il reste encore à faire pour prendre en compte l’intégralité des recommandations du rapport.

M. Michel Heinrich, rapporteur. Nous souscrivons à la proposition de M. Méhaignerie, que je remercie. De fait, les très nombreux éléments contenus dans le rapport et ses annexes font de ce document une mine d’informations.

L’accompagnement personnalisé des demandeurs d’emploi est primordial – selon nombre de nos interlocuteurs, il est plus efficace que les incitations financières au retour à l’emploi.

En Allemagne, plus de 7 millions de personnes ont un « mini-job », un emploi à faible rémunération. C’est la seule source de revenu pour 5 millions d’entre elles, exception faite de quelques prestations sociales. J’ajoute qu’une proportion importante de ces personnes n’est pas comptabilisée en tant que chômeurs. Les employeurs allemands ne nous l’ont pas dissimulé : ce dispositif, que les syndicats apprécient assez peu, constitue pour les entreprises un effet d’aubaine qui contribue grandement à la réduction du coût du travail. En revanche, l’évolution souhaitée vers des « midi-jobs » rémunérés 800 euros n’a pu être constatée dans les faits.

Jean Mallot a insisté, comme nous le faisons, sur la nécessaire stabilité juridique. En réalité, il faut faire davantage, et avoir le courage de renoncer aux mesures dont l’évaluation a montré qu’elles n’ont pas les effets escomptés. Certains pays semblent savoir le faire mieux que nous…

Il est intéressant de comparer les politiques menées par les collectivités territoriales. La Suède procède de la sorte et publie même un classement des collectivités sur la base d’une comparaison de leurs résultats en matière sociale. Sans recommander d’aller jusque-là, nous jugeons utile des comparaisons qui permettent de repérer et de diffuser les meilleures pratiques.

Pascal Brindeau juge que les conseillers de Pôle Emploi ne sont pas suffisamment tournés vers les employeurs. De nombreux observateurs ont en effet souligné que, sur ce point, nos procédures pèchent. La démarche suivie en Allemagne est à cet égard intéressante : le conseiller commence par interroger les entreprises, puis il propose aux demandeurs d’emploi les emplois disponibles.

M. Régis Juanico, rapporteur. Nous avons appris de ces multiples auditions et déplacements en Europe qu’il est très difficile de comparer les politiques sociales : la taille, l’histoire et les traditions des différents pays européens interdisent d’imaginer un modèle unique. Cela n’empêche en rien de s’inspirer, partout, des bonnes pratiques – et il y en a dans notre pays. M. Méhaignerie a relevé dans le rapport que la part de nos dépenses de protection sociale représente environ 31 % de notre produit intérieur brut, ce qui place la France « en tête » en Europe en ce domaine. Je ne dirais pas que l’on pourrait faire « beaucoup » mieux, mais il est vrai que l’on peut faire mieux, et rendre ainsi cette dépense plus efficace.

En ces matières, les performances de la France sont souvent supérieures à celles des autres pays membres de l’OCDE, qu’il s’agisse du dynamisme démographique, de l’espérance de vie, de la politique familiale – sans doute, précisément, en raison de la stabilité de la réglementation qui la caractérise –, de la prise en charge des enfants de moins de trois ans ou du système de redistribution opéré par les prestations familiales. Les politiques sociales françaises sont donc globalement performantes, mais elles pourraient être améliorées dans trois domaines prioritaires.

Il convient en premier lieu de renforcer l’accompagnement des demandeurs d’emploi ; à ce sujet, l’éclatement du service public de l’emploi est particulièrement nocif. Il faut aussi personnaliser les contacts entre conseillers et demandeurs d’emploi, et donner aux conseillers une plus grande autonomie, pour leur permettre de mobiliser davantage les aides existantes, telles que l’aide au permis de conduire et l’aide à la garde d’enfant.

La deuxième amélioration souhaitable concerne le congé parental. Les observations concordent : plus il est long, plus les carrières sont fragilisées, notamment celles des femmes les moins qualifiées. En Allemagne, la réforme du congé parental, qui a été à la fois raccourci et mieux rémunéré, a eu des effets très intéressants : la proportion des pères qui le prennent a significativement augmenté en dix ans.

M. le Président Bernard Accoyer. Les ménages allemands n’ont cependant pas plus d’enfants pour autant !

M. Régis Juanico, rapporteur. Il s’agit là d’une autre problématique des politiques familiales.

La troisième évolution nécessaire est d’ordre culturel et concerne les entreprises. Les directeurs des ressources humaines doivent impérativement réfléchir à une organisation du travail favorable à la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale. Aussi longtemps que les mentalités n’auront pas évolué à ce sujet, aussi longtemps que les femmes ne seront pas représentées à tous les niveaux des entreprises, on n’avancera pas.

Je reviens par ailleurs sur la prise en charge des enfants en âge préscolaire pour souligner que le rapport ne privilégie pas l’accueil collectif : nous parlons de modes d’accueil diversifiés, en y incluant l’école maternelle. Nous considérons que les dispositifs existants doivent tous être conservés, et complétés, car ils constituent un atout pour la compétitivité de notre pays. Pour ce qui est de la scolarisation des enfants de moins de trois ans, notre position n’a rien de dogmatique. Nous ne disons pas qu’il conviendrait de revenir à la situation d’il y a dix ans, quand 30 % des enfants de moins de trois ans étaient accueillis à l’école maternelle, mais qu’il ne faut pas descendre au-dessous de la proportion actuelle, qui s’établit à 13,6 %, car dans certains cas la scolarisation des enfants âgés de moins de trois ans a des conséquences très favorables sur la suite de leur scolarité. Selon la célèbre étude Pisa de l’OCDE, cet effet est d’autant plus positif que la période de pré-scolarisation a été longue. Les pédopsychiatres ne sont sans doute pas tous d’accord entre eux à ce sujet ; pour autant, il nous semble que la scolarisation des enfants de moins de trois ans en maternelle participe utilement de la lutte contre l’échec scolaire. C’est donc une forme de prévention qui réduira les dépenses sociales à terme.

Je le répète, une offre de garde d’enfants diversifiée et complétée est un atout pour la compétitivité de la France.

Conformément aux dispositions de l’article 146-3 du Règlement, le Comité autorise la publication du rapport d’information sur la performance des politiques sociales en Europe.

Le rapport sera distribué et mis en ligne sur le site Internet de l’Assemblée nationale. Il sera transmis au Gouvernement.

En application des dispositions de l’article 146-7 du Règlement, le Comité propose à la Conférence des présidents d’inscrire un débat en séance publique sur ce rapport à l’ordre du jour d’une prochaine semaine de contrôle, en y invitant, si possible, certains responsables des organismes ou services nationaux compétents.

– Prochaine séance

La prochaine séance aura lieu le jeudi 26 janvier 2012 à 11 heures avec l’ordre du jour suivant :

– rapport sur l’hébergement d’urgence (rapporteurs : Mme Danièle Hoffman-Rispal et M. Arnaud Richard) ;

– rapport de suivi des recommandations du rapport sur les dispositifs en faveur des heures supplémentaires  (rapporteurs : MM. Jean-Pierre Gorges et Jean Mallot).

La séance est levée à douze heures cinquante.

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Calendrier prévisionnel des réunions du Comité

Jeudi 2 février 2012 :

– rapport sur l’aménagement du territoire en milieu rural (rapporteurs : MM. Jérôme Bignon et Germinal Peiro) ;

– rapport de suivi des recommandations du rapport sur l’aide médicale d’État (rapporteurs : MM. Claude Goasguen et Christophe Sirugue) ;

Jeudi 16 février 2012 :

– rapport sur l’évaluation des incidences sur l’économie française de la stratégie de Lisbonne (rapporteurs : MM. Philippe Cochet et Marc Dolez).