Léon BLUM

 

BLUM (Léon, André)

Né le 5 avril 1872 à Paris

Décédé le 30 mars 1950 à Jouy-en-Josas (Seine-et-Oise)

 

Député de la Seine de 1919 à 1928

Député de l'Aude de 1929 à 1942

Président du Conseil du 4 juin 1936 au 22 juin 1937

Vice-président du Conseil du 22 juin 1937 au 18 janvier 1938

Président du Conseil et ministre du trésor du 13 mars au 10 avril 1938

Président du gouvernement provisoire et ministre des affaires étrangères du 16 décembre 1946 au 22 janvier 1947

Vice-président du Conseil du 26 juillet au 30 septembre 1948

 

Léon Blum est issu d'une famille israélite originaire d'Alsace. Ses parents négociants en textiles, étaient installés à Paris, rue du Sentier, depuis 1868. Enfant de santé délicate, il poursuit ses études dans plusieurs lycées parisiens, notamment au lycée Condorcet où il acquiert une solide culture. Il fait, à partir de 1890 un bref passage à l'École normale supérieure où il subit l'influence de Lucien Herr avec qui il entrera, dix ans plus tard, au conseil de la société nouvelle de librairie, maison d'édition de la bibliothèque socialiste. Renonçant à l'enseignement il oblique vers les études juridiques, se spécialisant dans le droit public et, à 23 ans, entre comme auditeur au Conseil d'État où il exercera pendant 25 ans.

Déjà il s'est fait connaître comme critique littéraire, collaborant au Banquet, à La Conque, à La Revue Blanche, au Gil Blas et à La Grande Revue. Il succède à Porto-Riche comme chroniqueur théâtral au Matin puis passe à Comoedia. En 1901 il publie les Nouvelles conversations de Goethe avec Eckermann, quelques années plus tard Au théâtre et En lisant, enfin Stendhal et le Beylisme. Dans ces écrits, tout en nuances et en touches délicates et où les tendances dominantes de sa pensée sont déjà exprimées, on est frappé moins par la vigueur du style que par la profondeur du jugement, la précision et la finesse du trait, par le souci de la vérité, la probité intellectuelle poussée à l'extrême, qualités qui caractérisent toute sa vie et font de certains de ses ouvrages une source précieuse pour l'historien. Lié littérairement au milieu anarchisant de La Revue Blanche, Blum, ayant subi parallèlement l'influence de Lucien Herr, se rapproche avec tout un groupe de normaliens, du courant socialiste allemaniste. Il souffre de l'impuissance des groupes rivaux qui, à cette époque, prétendent diriger le mouvement ouvrier ; c'est pourquoi, avec quelques universitaires, il fonde, en 1901, un groupe de l'unité socialiste. L'affaire Dreyfus le convainc de la nécessité de l'action politique. Aussi, s'écartant momentanément de Jules Guesde, il se lie alors à Jaurès, l'aide à imposer l'idée de l'unité socialiste et celle-ci est enfin réalisée en 1905. L'année précédente il lui avait apporté un concours apprécié au moment de la fondation de L'Humanité. Jusqu'en 1920, il écrira dans ce journal de nombreux articles notamment sur les questions ouvrières et sociales. En 1907, il aborde un autre aspect de la vie sociale dans un livre intitulé Du Mariage. La pureté du style y contraste avec l'anticonformisme des idées. Ce livre est alors très discuté.

A partir de 1910, Léon Blum est maître des requêtes au Conseil d'État. Esprit subtil et pénétrant il remplit avec éclat les fonctions de commissaire du gouvernement auprès de la section du contentieux et en cette qualité participe à l'élaboration de la théorie dite de l'imprévision en matière de contrat administratif. Au moment de la déclaration de guerre, le parti socialiste est durement frappé par l'assassinat de Jaurès. Blum qui est son disciple et son véritable héritier spirituel commence alors sa carrière politique active comme chef de cabinet de Sembat, ministre des travaux publics (deuxième cabinet Viviani, cinquième cabinet Briand). L'expérience acquise amène Blum à écrire ses Lettres sur la réforme gouvernementale où, après avoir dressé un tableau des vices du système constitutionnel en vigueur, il conclut que le régime purement représentatif avec délégation intégrale de la souveraineté à la Chambre élue n'est pas une forme de gouvernement démocratique exactement adaptée à la société française.

Au printemps 1919, il rédige un projet de programme pour le parti socialiste, ratifié par le Congrès national.

Le 16 novembre de la même année, à 47 ans, il se présente enfin aux élections législatives et devient député de la deuxième circonscription de la Seine, par 49 379 voix sur 168 047 votants, troisième et dernier élu de la liste Paul Boncour qui s'opposait à la liste d'union nationale conduite par Millerand et est élu aussitôt secrétaire du groupe socialiste. Membre des commissions de l'Alsace-Lorraine, des finances, des travaux publics et de celles des comptes définitifs, il prend d'emblée une part des plus actives aux discussions de la Chambre, intervenant particulièrement dans les matières touchant au droit administratif et dans les questions sociales. En 1920, François Marsal propose de créer de nouvelles ressources fiscales. Blum appuie de ses arguments précis le contre-projet Vincent Auriol, demande la révision des marchés de guerre et rejette enfin l'ensemble du projet dans une déclaration faite au nom de son groupe. Au sein du parti socialiste, Léon Blum est le leader de tendance centriste. Quand l'influence communiste l'emporte et que la majorité décide, au congrès de Tours en novembre 1920, d'adhérer à la IIIe, Internationale, Léon Blum refuse d'accepter les conditions ale cette adhésion considérée par lui comme rance véritable soumission. Il se résigne à la rupture de l'unité du parti que depuis vingt il avait tant contribué à établir et à fortifier. Avec L'Humanité que Camelinat conserve aux majoritaires communistes, il perd un puissant moyen de diffusion.

Sans se décourager, il reconstruit la "vieille maison" socialiste et fonde Le Populaire dans lequel il écrira presque chaque jour désormais. A la Chambre, il propose en 1921 de nationaliser les chemins de fer et de les transformer en services publics. Lors de la discussion des budgets de 1921 et de 1922, il s'intéresse vivement au financement des recherches concernant la radioactivité ; il interpelle ensuite le gouvernement sur ses déclarations, relatives aux accords de Spa et, au nom du groupe socialiste, fait d'expresses réserves sur le budget spécial des "dépenses recouvrables" (1921).

Son plus vif désir est de mettre fin à l'antagonisme franco-allemand. Il estime qu'étant donné les faibles disponibilités du Trésor allemand, il est vain et même dangereux d'exiger le paiement en espèces d'une dette de guerre aussi lourde. Le gouvernement, pense-t-il, devrait obtenir que l'économie allemande collabore à l'exécution des réparations par des versements en nature. C'est dans cet esprit qu'il développe diverses interpellations. Au cours de l'une d'entre elles, adressée en 1922 au gouvernement Poincaré, il critique l'application de l'état de paiement de Londres.

Il s'élève avec indignation contre l'occupation de la Ruhr. Traité par la presse nationaliste d'avocat de l'Allemagne, il mène campagne pendant deux ans pour l'évacuation, montrant le danger d'une mesure violente qui isole la France de l'Angleterre et de l'Amérique.

Au cours de la discussion du budget de 1923 il réussit à atténuer l'impôt cédulaire sur les salaires et s'efforce de mettre fin aux poursuites entraînées par le difficile recouvrement de cet impôt particulièrement impopulaire. Pour la même raison il demande l'ajournement de la discussion du projet portant institution d'un double décime sur l'ensemble des contributions.

Aux élections générales du 11 mai 1924 sa liste du Cartel des gauches est en compétition non seulement avec une liste d'union républicaine comme en 1919, mais aussi avec une liste communiste. Elle obtient néanmoins trois sièges. Léon Blum recueille personnellement 50 807 voix sur 171 927 votants. Ces élections sont une victoire pour les socialistes mais, plus encore, pour les radicaux. Léon Blum fait admettre par ses amis que la participation des socialistes à un gouvernement dont ils n'auraient pas les principales responsabilités serait préjudiciable au parti. Il accorde seulement un soutien conditionnel aux cabinets se réclamant du Cartel. En 1924, il appuie vigoureusement Edouard Herriot et approuve la politique suivie à la conférence de Londres. Fidèle à l'idée de "paix désarmée" chère à Jaurès, il s'associe à la formule "arbitrage-sécurité-désarmement". Entré à la Commission des finances, il y prend vigoureusement la défense des petits contribuables et propose, en vue d'assainir la Trésorerie et de stabiliser la monnaie, l'établissement d'une contribution exceptionnelle et unique sur les capitaux (1925) proposition qui devait être exploitée contre son parti au cours de la campagne électorale de 1928. Il critique ensuite le projet Caillaux tendant à alléger la dette flottante et y oppose un contre projet. En 1926, pour faire obstacle à la fraude fiscale, il propose de transformer les titres au porteur en titres nominatifs. Il prend ensuite courageusement position pour le relèvement de l'indemnité parlementaire malgré la campagne de presse menée contre ce relèvement par les partis de droite qu'il accuse de vouloir rétablir l'électorat censitaire. Il demande d'autre part le rétablissement du scrutin uninominal avec représentation proportionnelle des partis sur le plan national et propose d'accorder aux femmes l'électorat et l'éligibilité (1927).

En janvier 1928, il interpelle le cabinet Poincaré et lui reproche de faire retomber le poids des mesures de redressement financier sur les travailleurs, rappelant que si la dette flottante a en 1926 représenté un danger redoutable et le retour au pair de la monnaie a été rendu impossible, les responsables sont ceux qui, sous les précédentes législatures "ont accumulé tant de dettes et tant d'échéances" et ceux qui en 1924 "ont essayé de tirer sur le terrain financier les représailles d'une défaite électorale" et ont mené campagne contre le franc.

Le scrutin uninominal rétabli en 1928 procure à Léon Blum qui se présente dans la 2e circonscription du 20e arrondissement de Paris son premier échec électoral : il n'obtient en effet au second tour de scrutin, le 29 avril, que 6 801 voix et est battu par Jacques Duclos qui en recueille 8 199. Il se présente un an plus tard le 23 décembre 1929 à Narbonne (1ère circonscription) à une élection partielle provoquée par le décès du socialiste Pélissier et est élu au premier tour de scrutin par 5 886 voix, contre 5 026 à M. Gourgon. Il reprend alors la présidence du groupe socialiste que son ami Vincent Auriol avait assumée par intérim pendant un an, et est un des chefs les plus redoutables de l'opposition sous les ministères Poincaré, Tardieu et Laval. Retrouvant son siège à la Commission des finances, il combat inlassablement les impôts de consommation, dépose aune proposition de résolution relative à la mise en application de la loi sur les assurances sociales et une autre tendant à la réalisation d'économies sur le budget de la guerre (1929) préconisant l'année suivante de charger les Commissions des finances et de l'armée de présenter un rapport sur les ressources de la Trésorerie en leur conférant tous les pouvoirs nécessaires pour ce mandat.

Dès le début de la crise, en 1931, il demande l'ouverture de crédits pour secours de chômage et présente diverses solutions pour l'organisation de ces secours et la lutte contre ce fléau social. Dans le même esprit il interpelle le gouvernement Pierre Laval sur la situation créée par l'offre du Président Hoover puis, de concert avec R. Salengro, sur les mesures que le gouvernement compte prendre en présence de l'aggravation de la crise et du chômage (1931).

Internationaliste convaincu, il est persuadé que les meilleurs instruments de propagation de sa doctrine sont les exemples concrets. Aussi invite-t-il le gouvernement à prendre l'initiative de négociations en vue d'une organisation internationale des transports aériens sous l'égide de la Société des Nations.

Quoique préoccupé surtout de politique générale il ne néglige pas pour autant les intérêts de sa circonscription et propose des mesures en faveur des vignes irriguées. Son action est déterminante dans le vote de la loi viticole. En outre, il inscrit dans le programme du parti socialiste un projet d'assurance nationale contre les risques agricoles.

Il retrouve son siège aux élections générales du 1er mai 1932, au premier tour de scrutin, par 6 226 voix contre 2 924 à M. Faucon.

Mais le groupe socialiste ayant décidé, malgré son avis, de voter contre l'application de l'accord Mellon-Bérenger, proposé par le ministère Herriot, il s'incline par fidélité à la discipline du groupe et contribue à renverser le gouvernement le 14 décembre 1932. Il appuie ensuite les gouvernements Paul Boncour et Daladier.

Le 23 octobre 1933 au cours de la discussion du projet, Georges Bonnet tendant au rétablissement de l'équilibre budgétaire, Daladier, Président du Conseil, accepte un amendement Lassalle établissant un prélèvement exceptionnel sur les traitements et revenus stables et place ainsi Léon Blum dans cette cruelle alternative : ou accepter un texte "portant atteinte à la pensée de son parti" ou renverser le gouvernement Daladier. Plutôt que de toucher à l'intégrité de la doctrine, c'est cette dernière solution que choisit le chef socialiste. Par la suite, il s'opposera inlassablement à toute réduction des traitements, affirmant qu'il faut augmenter le pouvoir d'achat des travailleurs pour mettre fin à la crise dite de surproduction.

Par le dépôt d'une proposition de résolution, il provoque en 1934 la constitution d'une Commission d'enquête dotée de pouvoirs judiciaires et chargée d'instruire sur toutes les responsabilités encourues au cours de l'affaire Stavisky, mais au cours de la journée tragique du 6 février, il offre à Daladier son appui sans réserve.

En 1933 et 1934, il refuse de voter les crédits pour les besoins exceptionnels du ministère de la guerre. Le 18 décembre 1934, il affirme toutefois que le devoir du prolétariat de défendre le sol de la nation peut coïncider avec sort devoir international de classe. Il demande néanmoins l'ajournement du débat car il n'accepte pas "que la nation s'habitue à l'idée de la guerre et en vienne à la trouver naturelle et familière". Il préconise d'englober l'Allemagne dans les conventions générales de désarmement, de contrôle, de garantie et d'assistance mutuelle, souhaitant que la France prenne la tête de la croisade contre le chômage, la misère et la faim.

Le 15 mars 1935, il interpelle le gouvernement Flandin sur sa décision de porter à deux ans, par décret, la durée du service militaire, puis sur la politique étrangère du ministère Laval après l'ouverture du conflit italo-éthiopien. Adversaire de la politique de déflation il a, le 29 novembre 1935, une controverse retentissante avec Paul Reynaud sus la dévaluation qu'il répudie également. C'est pendant cette période que Blum écrit dans Le Populaire une série d'étincelants pamphlets contre les gouvernements Doumergue, Flandin et Laval, dans lesquels il réclame la dissolution de la Chambre afin de redonner la parole au peuple. Devant le danger fasciste "fascisme militaire des Ligues et fascisme jésuitique de Doumergue et de Tardieu", il conclut avec les communistes un accord d'action commune, envisageant même un moment une fusion des deux partis. C'est le prélude du Front populaire englobant les radicaux et dont le signe de ralliement est le poing tendu. Promettant le pain, la paix et la liberté il mène cette coalition à l'éclatante victoire électorale de 1936. La SFIO est la principale bénéficiaire de ce succès. Blum, qui est brillamment réélu à Narbonne le 26 avril 1936 avec 5 000 voix de majorité fait un voyage triomphal aux États-Unis. A son retour, le Président Lebrun lui confie le pouvoir et il constitue un cabinet de 35 membres dont 17 socialistes, assuré du soutien des communistes. En dix semaines, il fait voter par les Chambres les dix lois que dans sa déclaration, il s'était engagé à faire aboutir : amnistie, semaine de 40 heures, conventions collectives, congés payés, plan de grands travaux, nationalisation de la fabrication des armes de guerre, création de l'Office du blé, réforme du statut de la Banque de France, révision des décrets-lois de déflation, prolongation de la scolarité. Pendant la même période, des textes législatifs et réglementaires frappent l'évasion des capitaux, viennent en aide à l'exportation, réorganisent l'assurance-crédit, organisent le marché charbonnier et la retraite des mineurs, aménagent les dettes paysannes.

A l'égard de l'Espagne, alors en pleine guerre civile, il pratique, en accord avec la Grande-Bretagne, une politique de non-intervention à laquelle il rallie la SFIO malgré la participation croissante des puissances fascistes ; mais, devant l'évidence de la menace allemande, il fait accélérer les fabrications de matériels de guerre.

Cependant la victoire électorale de 1936 a rendu le prolétariat conscient de sa puissance et un mouvement de revendications sociales se développe, le plus important et le plus impatient depuis 1848. Il est marqué par de nombreuses grèves et une bagarre à Clichy. Léon Blum réussit à éviter la guerre civile. Bien que les communistes lui demandent de ne pas interrompre la mise en œuvre des réformes sociales, il recommande la "pause", espérant rassurer les milieux d'affaires et mettre fin aux sorties d'or. Mais l'annonce de l'ouverture d'un crédit de 14 milliards pour la défense nationale précipite la dévaluation monétaire. Les difficultés financières le contraignent à demander les pleins pouvoirs. Le 21 juin 1937, le Sénat s'apprêtant à lui voter des pouvoirs limités, il démissionne. Ses discours de 1936-1937 font l'objet d'un recueil : L'expérience du pouvoir.

Vice-président du Conseil sous le premier cabinet Chautemps qui démissionne à la suite d'interpellations sur les causes ayant influencé le marché des changes, il refuse de participer au second. Le 13 mars 1938 il est de nouveau Président du Conseil et en même temps ministre du Trésor.

Il ne réussit pas à constituer un gouvernement "d'unité nationale de Thorez à Paul Reynaud" quoiqu'il ait sollicité et obtenu d'être entendu par la réunion des groupes de l'opposition. Il forme un cabinet composé uniquement de socialistes et de radicaux. Il proteste contre l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne et donne à notre alliée la Tchécoslovaquie, menacée par Hitler, l'assurance que la France tiendrait ses engagements envers elle. Alors que la Chambre des députés s'apprêtait à lui accorder les pouvoirs nécessaires pour mettre la nation en état de faire face aux besoins de la défense nationale, le Sénat le renverse, le 8 avril, sur un projet de pleins pouvoirs financiers. En octobre 1938, il ne réussit pas à amener ses amis socialistes à protester contre les accords de Munich et s'incline devant la décision de la majorité "partagé entre un lâche soulagement et la honte", ainsi qu'il le confesse dans Le Populaire. Cet organe, dont il assume la direction politique, est maintenant son principal moyen d'action. Il y proteste contre la mainmise allemande sur la Bohême, contre la lenteur des négociations franco-soviétiques puis s'indigne de la conclusion du pacte germano-soviétique. Les écrits de cette période ont été réunis en un volume : L'Histoire en jugera.

Le 10 juin 1940, Léon Blum quitte Paris pour Montluçon. Georges Mandel l'appelle à Bordeaux où il arrive le 15. Après la démission du gouvernement de Paul Reynaud, il défend, en vain, le transfert du siège du gouvernement en Afrique du Nord. Il donne, cependant, son accord à la participation de deux socialistes au gouvernement que forme le Maréchal Pétain. Après l'armistice, il gagne Toulouse. Malgré les conseils de ses amis, il refuse de quitter la France. Le 4 juillet, accompagné de Marc Dormoy, il se rend à Vichy. Malgré l'hostilité qui l'entoure, il tente de retenir le groupe parlementaire socialiste d'accepter le principe de la révision constitutionnelle. Mais, trop isolé, le 10 juillet, il renonce à prendre la parole dans la réunion décisive du Parlement qui confie la délégation du pouvoir constituant au Maréchal Pétain. "Je n'ai pas voulu, a-t-il écrit plus tard, faire de ce reniement un spectacle public. C'est cette seule raison qui me paralysa et me cloua la bouche". Il est un des quatre-vingts opposants. Il s'installe ensuite, près de Toulouse, chez son ami Eugène Montel. A la fin juillet, le gouvernement ouvre une enquête sur les responsabilités de la guerre et de la défaite. Le 15 septembre, Léon Blum est arrêté et interné au château de Chazeron près de Chatelguyon, où il entretient une importante correspondance et commence le manuscrit de ce qui sera publié en 1945 sous le titre A l'échelle humaine, méditation sur les erreurs et les illusions des années 1930, engagement pour les idéaux du socialisme démocratique. Il prépare, en même temps, sa défense pour comparaître devant la Cour suprême de justice de Riom. A la mi-novembre, il est transféré à Bourassol, près de Riom et, en octobre 1941, enfermé au Fort de Portalet, dans les Pyrénées, où il tombe malade. Le 30 décembre, il est de retour à Bourassol.

Le procès des responsabilités de la défaite s'ouvre le 19 février 1942. Assisté de ses avocats Maîtres Le Trocquer et Spanien, Léon Blum entend soutenir le procès fait, à travers lui et ses co-accusés, dont Daladier, à la République. Il défend l'action du Front populaire, et montre que son gouvernement a été le premier à accroître sensiblement les crédits pour l'armement. "Nous ne sommes pas, affirme-t-il dans sa péroraison, je le sais, quelque excroissance monstrueuse dans l'histoire de ce pays, parce que nous avons été un gouvernement populaire ; nous sommes dans la tradition de ce pays depuis la Révolution française. Nous n'avons pas interrompu la chaîne, nous ne l'avons pas brisée, nous l'avons renouée et nous l'avons resserrée". Les débats tournent à la confusion du gouvernement de Vichy. Sous la pression des autorités allemandes, le 14 avril 1942, le procès est suspendu. Le Maréchal Pétain, usant de son pouvoir judiciaire, le condamne à la détention.

Ramené à Bourassol, Léon Blum y demeure interné jusqu'en mars 1943. Le régime se fait plus sévère après le débarquement des Alliés en Afrique du Nord en novembre 1942. Le sort de son fils Robert, prisonnier en Allemagne et de son frère René, déporté à Auschwitz, l'inquiète. Il peut communiquer avec le monde extérieur, grâce au dévouement de sa belle-fille Renée et de Jeanne Reichenbach, qui le visitent régulièrement. Il peut ainsi conseiller les dirigeants du comité d'Action socialiste clandestin, constitué au printemps 1941. Il pèse de toute son influence pour favoriser le ralliement des socialistes à la France Libre du général de Gaulle. "Parce que le premier vous avez incarné", écrit-il dans une lettre de mars 1943, "l'esprit de résistance, que vous l'avez communiqué au pays et que vous continuez de le personnifier, nous avons, dès la première heure, reconnu en vous le chef de la bataille qui se joue actuellement et nous n'avons rien négligé pour valider et consolider votre autorité". Mais, en même temps, il demeure fortement attaché à l'existence des partis politiques, et dévoué à la cause du socialisme.

Le 31 mars 1943, Léon Blum est déporté à Buchenwald avec d'autres personnalités françaises et européennes, pour servir d'otages au régime nazi. C'est là qu'il se marie avec Jeanne Reichenbach. Georges Mandel, son compagnon d'infortune, remis aux mains de la justice française, est assassiné par la milice le 7 juillet 1944. Le 3 avril 1945, Buchenwald est évacué. Emmené dans un convoi de prisonniers, Léon Blum est délivré le 4 mai par les troupes américaines dans le Tyrol. Le 14, il revient en France.

Il commence alors la dernière phase de sa carrière politique. Figure désormais autant respectée qu'elle avait été controversée avant 1940, Léon Blum refuse de se repré-senter aux élections législatives. Il entend demeurer en retrait pour mener essentiellement une tâche de réflexion. Il reprend, pour ce faire, sa fonction de rédacteur au Populaire, où il rédige, presque quotidiennement, l'éditorial politique. Il choisit une retraite dans la région parisienne, une ancienne ferme, "Les clos de Metz", à Jouy-en-Josas. Il décline, ainsi, l'offre d'un poste de ministre d'État proposé par le général de Gaulle. Il est vrai qu'il défend désormais une conception différente de l'avenir démocratique du pays.

Après la démission du général de Gaulle, le 21 janvier 1946, les socialistes occupent des positions clefs : Félix Gouin est Président du Conseil, et Vincent Auriol, Président de l'Assemblée nationale. En février, le gouvernement confie à Léon Blum une mission aux États-Unis pour présenter les besoins de l'économie française. Les négociations aboutissent aux "accords Blum-Byrnes" du 28 mai.

Le printemps et l'été sont dominés par la crise politique du parti socialiste. Léon Blum plaide pour une rénovation du socialisme démocratique dans un sens humaniste. Dès l'été 1945, il a joué de son influence pour écarter l'idée d'une unité organique avec le parti communiste, tant qu'un changement radical ne serait pas survenu dans ses liens avec l'URSS. A l'été 1946, il demande à son parti de s'étendre à toutes les classes sociales et propose de remplacer la notion de "lutte de classes" par celle "d'action de classe". Mais, au XXVIIIe congrès de la SFIO, Daniel Mayer, proche de Léon Blum, est mis en minorité par une majorité, conduite par Guy Mollet, qui prône le retour au marxisme. Respecté et honoré, Léon Blum n'a cependant pas été suivi. "Je vous remercie" , dit-il en concluant son discours au congrès, "d'avoir écouté avec bienveillance ces vérités un peu amères et un peu sévères, mais vous le voyez, si mal il y a, le mal est en nous, le mal c'est le manque d'ardeur, le manque de courage, le manque de foi. C'est une espèce d'alibi moral pour lequel vous avez cherché à abuser votre mauvaise conscience".

Après le référendum d'octobre et les élections de novembre à la Première Assemblée nationale de la IVe République, Vincent Auriol, avant la mise en place des institutions, demande à Léon Blum de former un gouvernement intérimaire de coalition. Investi par 575 voix sur 583, il ne peut trouver une formule de coalition entre le PCF, le MRP et la SFIO Il constitue finalement, le 17 décembre, un gouvernement socialiste homogène. Ses cinq semaines d'existence sont marquées par des événements importants. Le 31 décembre, le gouvernement annonce une baisse de 5 % des prix. Le plan Monnet est approuvé. Léon Blum, lors d'un voyage en Angleterre, jette les bases d'un traité d'alliance, qui sera signé en mars 1947. Le 19 décembre, le fragile équilibre d'Indochine est remis en cause, la guerre commence à Hanoi.

Le 22 janvier 1947, Léon Blum remet la démission de son gouvernement au Président de la République élu, Vincent Auriol. Il se réinstalle dans sa maison de Jouy-en-Josas. Dans cette année tournante, il écrit régulièrement dans Le Populaire, et joue pleinement son rôle de conseil auprès de Vincent Auriol et du Président du Conseil, Paul Ramadier. Le 5 mai 1947, il soutient ce dernier, après le renvoi des ministres communistes, contre Guy Mollet, le secrétaire général de la SFIO, qui souhaite la démission du gouvernement. En juin, il approuve le Plan Marshall. Dans les difficultés de l'automne, face à l'opposition sans concession des communistes, à la critique virulente du RPF, et aux troubles sociaux, Vincent Auriol s'adresse, une fois encore, à Léon Blum pour tenter de constituer un gouvernement de Troisième force. Le 21 novembre, devant l'Assemblée au lieu des 309 voix nécessaires, il n'en obtient que 300 et n'est pas investi. Il termine son dernier discours parlementaire dans des termes qui résument bien le sens de sa vie politique : "La phrase qui me hante depuis quelques heures est la sublime phrase de Vergniaud : "Peu importe que le souvenir de ce que nous avons été soit oublié, si la République est sauvée".

Après cette épreuve, il reprend son rôle de vieil homme d'État sans renoncer pour autant à sa passion du journalisme. Il suit attentivement les affaires du pays et est souvent consulté. Il ne reprend une brève activité politique qu'en juillet 1948 pour défendre la Troisième force et renforcer le ministère de coalition formé par André Marie. Il accepte la vice-présidence du Conseil dans un cabinet qui n'a qu'un mois de vie.

Dans la première moitié de l'année 1949, il tombe gravement malade. Il arrête toute activité pendant six mois. Il ne peut reprendre sa collaboration au Populaire qu'à la fin juin. Son dernier combat est pour l'Europe. Il appartient au Comité permanent pour la création d'une fédération européenne. "Il faut créer l'Europe", écrit-il le 20 novembre 1949, "il faut créer l'Europe avec l'Allemagne et non pour elle, avec la Grande-Bretagne et non contre elle".

Le 30 mars 1950, il meurt subitement, victime d'une crise cardiaque. Le 2 avril, des funérailles nationales lui sont faites en présence de Vincent Auriol, Président de la République.