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Semaine franco-russe à l'Assemblée nationale

Lecture croisée franco-russe par la troupe de la Comédie française en présence
de M. Oleg Morozov, Vice-président de la Douma d’État de la Fédération de Russie
et d’une délégation de députés russes

Mardi 8 juin 2010

Lecture croisée franco-russe par la troupe de la Comédie française en présence de M. Oleg Morozov, Vice-président de la Douma d’État de la Fédération de Russie et d’une délégation de députés russes

Voltaire

La Russie sous Pierre le Grand

 

Jeune homme, en 1717, Voltaire a vu Pierre le Grand se promener dans Paris. Le philosophe écrira la première biographie française du tsar, en lequel il célébrera l’idéal du despote éclairé.

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Il n'y a point de vrai souverain que la nation ; il ne peut y avoir de vrai législateur que le peuple ; il est rare qu'un peuple se soumette sincèrement à des lois qu'on lui impose ; il les aimera, il les respectera, il y obéira, il les défendra comme son propre ouvrage, s'il en est lui-même l'auteur. Ce ne sont plus les volontés arbitraires d'un seul, ce sont celles d'un nombre d'hommes qui ont consulté entre eux sur leur bonheur et leur sécurité ; elles sont vaines, si elles ne commandent pas également à tous ; elles sont vaines, s'il y a un seul membre dans la société qui puisse les enfreindre impunément. Le premier point d'un code doit donc m'instruire des précautions que l'on a prises pour assurer aux lois leur autorité.

La première ligne d'un code bien fait doit lier le souverain ; il doit commencer ainsi  : « Nous peuple, et nous souverain de ce peuple, jurons conjointement ces lois par lesquelles nous serons également jugés ; et s'il nous arrivait, à nous souverain, de les changer ou de les enfreindre ennemi de notre peuple, il est juste qu'il soit le nôtre, qu’il soit délié du serment de fidélité, qu'il nous poursuive qu'il nous dépose et même qu'il nous condamne à mort si le cas l'exige ; et c'est là la première loi de notre code Malheur au souverain qui méprisera la loi, malheur au peuple qui souffrira le mépris de la loi. »

Et comme l'autorité du souverain est la seule redoutable pour la loi, il faut qu'à chaque loi ce serment soit fait par le peuple et par le souverain, et que sur l'original écrit et sur les copies publiques il soit pris acte que ce serment a été fait. Tout souverain qui se refuse à ce serment se déclare d'avance despote et tyran.

La seconde loi, c'est que les représentants de la nation se rassembleront tous les cinq ans pour juger si le souverain s'est exactement conformé à une loi qu'il a jurée ; statuer sur la peine qu'il mérite, s'il en a été infracteur le continuer ou le déposer et jurer derechef ces lois, ser­ment dont il sera pris acte.

Peuples, si vous avez toute autorité sur vos souverains faites un code ; si votre souverain a toute autorité sur vous, laissez-là votre code ; vous ne forgeriez des chaînes que pour vous.

Après ce préliminaire, le second point dont le code doit m'offrir la décision, c'est quelle est la sorte de gouvernement dont la nation a fait choix.

L'Impératrice de Russie est certainement despote. Son intention est-elle de garder le despotisme et de le transmettre à ses successeurs ou de l'abdiquer ? Si elle garde pour elle et pour ses successeurs le despotisme, qu'elle fasse son code comme il lui plaira ; elle n'a que faire de l'aveu de sa nation. Si elle l'abdique, que cette abdication soit formelle ; si cette abdication est sincère, qu'elle s'occupe conjointement avec sa nation des moyens les plus sûrs d'empêcher le despotisme de renaître, et qu'on lise dans le premier chapitre la perte infaillible de celui qui ambitionnerait à l'avenir l'autorité arbitraire dont elle se dépouille. Voilà les premiers pas d'une instruction pro­posée à des peuples par une souveraine de bonne foi, grande comme Catherine II et aussi ennemie de la tyran­nie qu'elle.

Si en lisant ce que je viens d'écrire et en écoutant sa conscience, son cœur tressaillit de joie, elle ne veut plus d'esclaves ; si elle frémit, si son sang se retire, si elle pâlit, elle s'est crue meilleure qu'elle n'était.