Accueil > Documents parlementaires > Les rapports d'information
Version PDF
Retour vers le dossier législatif


N° 717

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 13 février 2008

RAPPORT D’INFORMATION

déposé

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

en conclusion des travaux de la Mission d’évaluation et de contrôle (MEC) (1)

sur le financement des projets d’équipement naval militaire

et présenté

par MM. Jean-Michel FOURGOUS et Bernard CAZENEUVE

Députés

___

MM. Georges TRON et David HABIB

Présidents.

____

La mission d’évaluation et de contrôle est composée de : MM. Georges Tron, David Habib, Présidents ; M. Didier Migaud, Président de la commission des Finances de l’économie générale et du Plan, M. Gilles Carrez, Rapporteur général ; MM. Pierre Bourguignon, Jean-Pierre Brard, Alain Claeys, Charles de Courson, Richard Dell’Agnola, Yves Deniaud, Jean-Louis Dumont, Jean-Michel Fourgous, Laurent Hénart, Jean Launay, François de Rugy, Philippe Vigier.

INTRODUCTION 7

I.– DES PROGRAMMES SITUÉS À DES DEGRÉS DE MATURITÉ INÉGAUX 11

A.– LES SOUS-MARINS NUCLÉAIRES D’ATTAQUE BARRACUDA 11

1.– Les caractéristiques techniques du programme 11

a) Un programme développé rapidement mais retardé 11

b) Des sous-marins bien plus volumineux et silencieux que les Rubis 11

c) Un programme au fort pouvoir d’entraînement économique 13

2.– Le remplacement nombre pour nombre en question 13

a) Les progrès qualitatifs permettent-ils une réduction du parc ? 13

b) Des missions spécifiques justifient le nombre des SNA 14

3.– Un calendrier et un coût qui ont fluctué 14

a) Le calendrier n’est plus modifiable 14

b) Un coût élevé mais qui intègre six années et demi d’entretien 15

B.– LES FRÉGATES EUROPÉENNES MULTI-MISSIONS (FREMM) 16

1.– Les caractéristiques générales du programme 17

a) Un rythme rapide 17

b) Des navires modernes, furtifs et rapides 17

c) Des perspectives prometteuses à l’exportation 18

2.– L’articulation opérationnelle des FREMM et des frégates Horizon 18

3.– Un financement incertain 19

a) Un coût unitaire modéré… 19

b) …mais un programme non financé par la loi de programmation 19

c) Vers une réduction du format du programme ? 20

C.– LE DEUXIÈME PORTE-AVIONS 20

1.– Les principales caractéristiques du programme 21

a) Un programme réalisé en coopération 21

b) Un navire aux dimensions respectables 22

c) Le choix d’une propulsion conventionnelle 24

d) Les perspectives pour l’industrie française 25

2.– La coopération franco-britannique 26

a) L’historique de la coopération 26

b) Des différences doctrinales profondes 26

c) Des conséquences techniques substantielles 27

d) Des considérations industrielles nationales 28

e) Bilan mitigé de la coopération franco-britannique 29

3.– Le deuxième porte-avions coûterait plus de 3 milliards d’euros 30

a) Un coût plus élevé que pour le Charles-de-Gaulle 30

b) Un devis évolutif 31

c) Un processus irréversible ? 31

4.– La permanence à la mer du groupe aéronaval 32

a) Un instrument unique de dissuasion et d’intervention 32

b) Le ravitaillement en vol a relativisé l’intérêt des porte-avions 33

c) L’entraînement des équipages du groupe aérien 33

II.– UN FINANCEMENT QUE LA CONTRAINTE BUDGÉTAIRE REND PROBLÉMATIQUE 35

A.– DES BESOINS DE FINANCEMENT QUI IMPOSENT DES CHOIX 36

1.– Les lacunes des documents budgétaires 36

a) Des programmes aux coûts mal connus 36

b) Les principaux programmes d’équipement naval 37

2.– La bosse programmatique 39

a) Des restes à payer conséquents 39

b) L’importance des programmes FREMM, Barracuda et PA2 41

c) Des dépenses supplémentaires sont inéluctables 42

3.– Des cadres d’analyse multiples 44

4.– Les causes de l’impasse budgétaire 46

a) Les défauts de conception des lois de programmation militaire 46

b) Le manque de sincérité des budgets 48

5.– La recherche de solutions 50

a) Améliorer la connaissance des coûts dans le processus de décision 50

b) Des arbitrages pourraient intervenir sur de nombreux postes de dépenses 52

B.– MUTUALISER LES COÛTS DE DÉVELOPPEMENT POUR DIMINUER LES COÛTS D’ACQUISITION 53

1.– Les limites de la politique de développement des exportations 54

a) Les matériels non exportables 54

b) Quel avenir pour les équipements exportables ? 55

c) L’exportation : une démarche délicate, voire périlleuse 56

2.– Les mécomptes des programmes en coopération 58

a) Les déboires des synergies avortées 58

b) Les risques de pillage des savoir-faire 60

c) Les compromis industriels qui affectent la satisfaction du besoin opérationnel 60

3.– Consolidation européenne ou champions nationaux ? 61

a) Les rapprochements s’opèrent surtout dans le cadre national 61

b) Un vrai nationalisme industriel 63

C.– LES ENJEUX STRATÉGIQUES 65

1.– Le contrat opérationnel de la marine 65

2.– Maintenir les compétences et protéger les savoir-faire 66

3.– L’activité industrielle et l’emploi 67

a) La construction navale militaire : une activité structurante 67

b) Quelle mise en concurrence pour la construction et l’entretien des équipements navals militaires ? 68

LISTE DES PROPOSITIONS DE LA MEC 71

EXAMEN EN COMMISSION 75

I.– LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 79

II.– COMPTES RENDUS DES AUDITIONS 81

INTRODUCTION

Les programmes d’équipement militaire représentent pour notre pays des enjeux considérables, et pas seulement sur le plan stratégique.

Leur effet d’entraînement sur des secteurs de pointe de la recherche et de l’industrie françaises, leur caractère de vitrine de l’exportation, leur part dans la guerre économique, en somme, sont trop évidents pour qu’on y insiste.

Pour le budget de l’État, ces programmes représentent un domaine–clef, supérieur à la moitié des dépenses globales d’équipement de l’État. Les décisions y prennent donc une portée particulière : plus de trois milliards d’euros pour le seul coût d’acquisition du second porte-avions, si celle–ci est décidée. Ces charges sont assurées sur 30 à 40 ans selon les programmes, de sorte que leur durée de vie est exactement comparable à la durée de carrière d’un fonctionnaire. Le parallèle est d’autant plus manifeste que le coût de possession des équipements militaires inclut la charge des équipages, durant leur vie active, puis leur retraite.

Autant de raisons justifiant que les décisions en la matière soient pesées mûrement et débattues en connaissance de cause.

Or, paradoxalement, pour la représentation nationale, la clarté est loin d’être de mise, pour des raisons fort diverses. Passons sur les aspects légitimement confidentiels de matières qui sont au rendez-vous du secret de la défense nationale et du secret industriel. Il est plus gênant, du point de vue de la gouvernance, que l’information circule mal au sein du Gouvernement entre la Défense et les Finances, du fait du « jeu de rôle » budgétaire traditionnel. Mais il n’est pas acceptable que la programmation militaire éclaire mal le budget annuel, ni que des choix politiques structurants soient seulement portés à la connaissance du Parlement au stade du fait accompli. Or la situation des finances publiques exige des choix rigoureux.

Comment clarifier les enjeux ? Comment donner tout son sens au vote du Parlement, tant sur les lois de programmation que sur les lois de finances ?

*

* *

Le rôle de la mission d’évaluation et de contrôle (MEC) est d’évaluer les méthodes de décision et de gestion, puis de formuler des préconisations concrètes en vue d’améliorer la gouvernance publique et sa traduction financière. Il était donc naturel qu’elle se voie confier un rapport sur le financement des équipements militaires. Eu égard à l’ampleur du sujet, il a été décidé de s’intéresser particulièrement à trois grands programmes navals : les frégates FREMM, les sous–marins Barracuda et le porte-avions PA2, compte tenu de leur poids prédominant dans la masse des « restes à payer » de la programmation militaire. Cette notion recouvre les paiements à opérer pour honorer les engagements des crédits affectés à la réalisation de ces programmes.

La MEC ne méconnaît pas que les décisions à venir, préparées par les travaux de la commission du Livre blanc et la revue générale des programmes, seront prises dans un cadre plus global, tenant compte du contexte géopolitique, et pourront porter également sur les dépenses ordinaires du ministère de la Défense. La mission constate simplement que l’échéancier des paiements correspondant aux engagements prévus à la fin de 2008 et non couverts par des paiements à la fin de 2006 met en évidence l’importance de ces programmes.

Dans l’échéancier, si les paiements associés au programme Rafale sont les plus importants, avec 7 milliards d’euros, suivis des 5,9 milliards d’euros de l’avion de transport futur A400M, les programmes navals devraient nécessiter pas moins de 4,5 milliards d’euros pour 8 FREMM, 3,1 milliards d’euros pour le PA2 et 3 milliards d’euros pour la poursuite du programme Barracuda.

Encore faut-il préciser que ces montants ne correspondent qu’à la réalisation des autorisations d’engagement déjà ouvertes qui ne portent, pour les FREMM et les Barracuda, que sur une part minoritaire du programme physique annoncé. Le développement de ces programmes n’est donc qu’embryonnaire alors que, selon la prévision, ils doivent coïncider avec la période la plus tendue au plan budgétaire. Telle est la justification du choix de l’examen des trois principaux programmes d’équipement naval militaire.

*

* *

La mission a constaté qu’il lui fallait en premier lieu identifier les facteurs de coût, pas toujours manifestes, de chacun de ces programmes. Ce n’est que dans une seconde partie qu’elle a pu ensuite cerner le cadre des choix futurs : contexte budgétaire de la « bosse programmatique », espoirs fondés sur la coopération et l’exportation, enjeux industriels et stratégiques.

Afin de présenter un diagnostic et des propositions de consensus, la MEC est restée fidèle à sa démarche. Elle a associé majorité et opposition, dans la conduite des travaux comme dans l’élaboration du rapport. Elle a aussi associé la commission de la Défense – à laquelle appartient M. Bernard Cazeneuve – et celle des Finances – dont M. Jean–Michel Fourgous, membre de la MEC, est le rapporteur spécial concerné.

À l’évidence, chacun des deux co-rapporteurs aurait, s’il avait été seul, ajouté des considérations plus personnelles. Ainsi, M. Bernard Cazeneuve aurait insisté pour que la France garde la maîtrise de son outil de défense et aurait exprimé son opposition à l’éventualité d’une plus grande ouverture du capital de DCNS. Pour sa part, M. Jean-Michel Fourgous n’aurait pas manqué de plaider pour le développement de la culture entrepreneuriale et pour la reconnaissance de la priorité à l’exportation au sein de la délégation générale pour l’armement.

Tel qu’il est, le présent rapport exprime pleinement leur position commune et celle de la MEC. Il reflète donc une manière de consensus de l’Assemblée nationale, pour une clarification des choix en matière d’équipement naval militaire.

*

* *

I.– DES PROGRAMMES SITUÉS À DES DEGRÉS DE MATURITÉ INÉGAUX

A.– LES SOUS-MARINS NUCLÉAIRES D’ATTAQUE BARRACUDA

Ce programme est destiné à assurer le remplacement des six sous-marins nucléaires d’attaque de type Rubis. Ces sous-marins devront participer à la maîtrise des espaces maritimes pour assurer la sûreté de la force océanique stratégique (FOST) et la liberté d’action d’un groupe aéronaval. En outre, ils participeront à la projection de puissance dans la profondeur.

Peu de marines dans le monde disposent de sous-marins nucléaires d’attaque. Outre la France, seuls les États-Unis, le Royaume-Uni, la Russie et la Chine disposent de tels bâtiments.

1.– Les caractéristiques techniques du programme

a) Un programme développé rapidement mais retardé

Le programme du sous-marin d’attaque Barracuda a été lancé le 14 octobre 1998. L'évolution des missions ainsi que des considérations financières ont considérablement retardé le calendrier : la conception des Barracuda n’a véritablement débuté qu’en 2002, à une époque où les essais du premier exemplaire devaient débuter en 2008 pour une entrée en service programmée en 2010.

L’étalement de ce programme, qui a également pâti du retard des sous-marins nucléaires lanceurs d’engin de nouvelle génération (SNLE-NG), a conduit à reporter à plusieurs reprises l’entrée en service des six Barracuda : il est désormais acquis que le premier exemplaire n’entrera pas en service avant 2017 tandis que le dernier est attendu pour 2028.

b) Des sous-marins bien plus volumineux et silencieux que les Rubis

Conçus par DCNS et bénéficiant des avancées technologiques des SNLE-NG, les Barracuda seront plus volumineux que leurs prédécesseurs : 99 mètres contre 73, et 5 100 tonnes de déplacement en plongée contre 2 670 pour les Rubis. Paradoxalement, au moment où l’espace disponible à bord s’accroît, l’automatisation de certaines tâches permet une réduction du format de l’équipage : 60 marins seulement seront embarqués à bord des Barracuda contre un peu plus de 70 à bord des Rubis et une centaine sur les SNA britanniques.

L’augmentation de la taille de ces bâtiments, qui resteront néanmoins plus petits que leurs homologues étrangers, a pour but d’améliorer leur discrétion acoustique afin de les rendre les plus silencieux possible. Cette augmentation du volume disponible permettra également d’augmenter l’autonomie de chaque bâtiment qui pourra emmagasiner près de 70 jours de vivres.

Enfin, la taille plus importante facilitera également l’entretien, qui ne devrait pas être plus onéreux que celui des bâtiments de la classe Rubis. Le prix du programme inclut contractuellement les six premières années et demi d’entretien. Le réacteur nucléaire aura une autonomie de dix ans, contre 7 à 8 ans sur les Rubis et sur le porte-avions Charles-de-Gaulle.

PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES DES SNA RUBIS ET BARRACUDA

 

SNA de type Rubis

SNA de type Barracuda

Déplacement en surface

2 385 tonnes

3 650 tonnes

Déplacement en plongée

2 670 tonnes

5 100 tonnes

Longueur

73,60 mètres

99 mètres

Largeur maximale

7,60 mètres

8,8 mètres

Tirant d’eau

6,40 mètres

7,30 mètres

Équipage

70 personnes

60 personnes

Propulsion

1 réacteur nucléaire à eau pressurisée K 48, 1 moteur électrique de propulsion, 1 hélice

1 réacteur nucléaire à eau pressurisée K15 de 150 MW, 2 turbo-alternateurs, 2 moteurs électriques de secours SEMT Pielstick de 480 kW, 1 pompe hélice (hydroréacteur)

Armement

4 tubes lance-torpilles de 533 mm avec 14 torpilles F 17 et missiles surface-surface Exocet SM 39

4 tubes lance-torpilles de 533 mm, missiles de croisière Scalp Naval, missiles antinavires Exocet SM39, torpilles Eurotorp FTL et mines

Profondeur

Supérieure à 300 mètres

Supérieure à 350 mètres

Vitesse maximale

25 nœuds

25 nœuds en plongée,

14 en surface

Entrée en service

1983 à 1993

2017 à 2028

Les Barracuda devraient être les premiers sous-marins français, et parmi les premiers au monde, à embarquer des femmes. En effet, il est prévu, dès la construction, d’aménager des quartiers spécifiques.

La Marine nationale a récemment choisi les noms des futurs sous-marins nucléaires d’attaque du type Barracuda. La tête de série s’appellera Suffren. Elle sera suivie des Duguay-Trouin, Dupetit-Thouars, Duquesne, Tourville et De Grasse, l’ordre d’attribution pouvant encore évoluer.

c) Un programme au fort pouvoir d’entraînement économique

La France n’exportant pas de sous-marins à propulsion nucléaire, les Barracuda ne trouveront pas de débouchés à l’exportation. Le savoir-faire acquis par DCNS sera néanmoins très précieux, de nombreux équipements étant communs aux sous-marins nucléaires et à ceux à propulsion classique.

D’ailleurs, dans un marché largement dominé par l’Allemagne (environ 70 % des ventes mondiales), DCNS a déjà enregistré quelques réussites : depuis 1994, trois sous-marins de type Agosta ont été vendus au Pakistan tandis que dix Scorpène l’ont été à l’Inde (6), au Chili (2) et à la Malaisie (2).

Constatant la qualité de ses matériels, à une époque où le concurrent allemand U-214 connaît quelques déboires techniques, DCNS estime que d’autres pays pourraient s’ajouter à la liste de ses clients, tandis que des premiers acheteurs pourraient passer une nouvelle commande. Un sous-marin Scorpène est vendu 400 millions d’euros ce qui représente 20 TGV ou 8 Airbus A-320.

Hors exportations, le seul programme Barracuda représente l’emploi de 2 300 personnes à DCNS et 200 chez Areva TA entre 2010 et 2020, année à partir de laquelle une décroissance progressive apparaîtra. Pour le seul site de Cherbourg, le nombre d’emplois générés est de 1 700 personnes environ, soit 75 % du site. L’avenir de l’arsenal de Cherbourg dépend donc de la mise en œuvre effective de cette commande. Les emplois induits chez les sous-traitants sont estimés à 1 600, ce qui représente un total de 4 100 emplois en France sur dix ans. La masse salariale concernée, charges comprises, représente donc globalement un ordre de grandeur supérieur à 200 millions d’euros pour chacune des dix années 2010 à 2020.

2.– Le remplacement nombre pour nombre en question

a) Les progrès qualitatifs permettent-ils une réduction du parc ?

Compte tenu de l’augmentation du tonnage et des performances des SNA de la classe Barracuda, certains observateurs, à commencer par le directeur du Budget au ministère du Budget, des comptes publics et de la fonction publique, entendu par la MEC, ont pu s’interroger sur la nécessité de remplacer nombre pour nombre les sous-marins de la classe Rubis.

Le progrès technique et les choix faits en matière de dissuasion n’ont-ils pas permis de réduire de six à quatre le nombre des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de nouvelle génération ?

L’augmentation de la taille des SNA qui est censée faciliter l’entretien, l’amélioration des réacteurs nucléaires qui ne nécessitent plus qu’une IPER tous les dix ans ainsi que la hausse de la productivité chez DCNS sont autant de facteurs qui laissent entrevoir un gain de disponibilité non négligeable. Dans ces conditions, une réduction de la cible est-elle envisageable ?

b) Des missions spécifiques justifient le nombre des SNA

Sur ces interrogations, la marine nationale rappelle que les sous-marins nucléaires d’attaque remplissent trois types de missions :

– ils assurent la protection des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins ;

– ils assurent la protection du groupe aéronaval autour du porte-avions ;

– ils mènent des actions spécifiques sur lesquelles la marine ne peut être diserte mais qui peuvent consister, par exemple, à débarquer des commandos ou à surveiller divers trafics.

Ces trois types de missions sont susceptibles d’être assurées en même temps. C’est la raison pour laquelle la marine estime que trois SNA doivent être opérationnels en permanence. Pour atteindre cet objectif, le parc doit être dimensionné à six unités afin de tenir compte des périodes d’entretien fréquentes sur des mécaniques aussi complexes.

En effet, la hausse de disponibilité attendue, de l’ordre de 10 à 15 % seulement, ne permet pas de faire l’économie d’un sous-marin si le pouvoir politique souhaite pouvoir disposer en permanence de trois unités opérationnelles.

Diminuer le nombre de SNA reviendrait donc à accepter que le nombre de sous-marins opérationnels soit parfois réduit à deux et que toutes les missions opérationnelles ne puissent être remplies. Cela revient à réduire les ambitions de notre pays pour une économie en fin de compte modeste, l’effet de série réduisant le coût marginal de la dernière unité produite.

3.– Un calendrier et un coût qui ont fluctué

a) Le calendrier n’est plus modifiable

La commande des sous-marins Barracuda a été passée sous la forme d’un marché à tranches où la commande de chaque sous-marin est affermie par une tranche conditionnelle.

Le premier sous-marin a été commandé en 2006, le second devrait l’être en 2009. Les autres sous-marins le seront à raison d’un tous les deux ans. La première livraison interviendra en 2017, la seconde en 2019, les autres se succédant au rythme d’une unité tous les deux ans. Le délai entre la commande et la livraison de chacune de ces unités s’établit ainsi à dix ans.

Déjà décalé à plusieurs reprises, le calendrier de ce programme ne peut désormais plus être modifié pour deux raisons principales :

– sur le plan opérationnel, les sous-marins de la classe Rubis sont entrés en service entre 1983 et 1993 ; ils pourront très probablement être maintenus en service pendant 35 ans – ce qui constitue déjà une performance remarquable – mais certainement pas au-delà, compte tenu des contraintes sécuritaires en matière de réacteur nucléaire et de plongée. Ils seront donc retirés du service au plus tard entre 2018 et 2028 : si les Barracuda ne sont pas au rendez-vous, les missions opérationnelles ne pourront plus être remplies ;

– sur le plan industriel, le dernier SNLE-NG (le Terrible) étant en voie d’achèvement, l’établissement DCNS de Cherbourg risque de se retrouver dangereusement sous-utilisé si la série des Barracuda n’est pas mise en chantier selon le calendrier prévu. Dans l’hypothèse d’un nouveau retard ou d’une réduction de la cible, des emplois devraient être supprimés, ce qui conduirait à une perte irrémédiable d’un savoir-faire particulièrement précieux.

Proposition n° – Renoncer à l’étalement dans le temps de tout programme militaire majeur. L’expérience montre que tous les programmes qui ont fait l’objet d’un décalage se sont avérés plus onéreux, notamment parce qu’il a fallu prolonger des équipements devenus obsolètes. Par ailleurs, les contraintes financières ne doivent pas peser seulement sur les armements navals, mais être équitablement réparties sur l’ensemble des programmes d’armement militaires en fonction des priorités stratégiques de la Nation.

b) Un coût élevé mais qui intègre six années et demi d’entretien

Le devis initial du programme Barracuda, en janvier 2001, s’élevait à 5,4 milliards d’euros, soit 6,1 milliards d’euros en valeur 2006. À noter que, selon les indications de la DGA, cette actualisation de 13 %, soit 2,5 % l’an, inclut au moins partiellement l’évolution du coût des facteurs. Elle « découle de l’estimation faite année après année de la hausse moyenne du coût des facteurs de production pour les programmes d’armement », par application d’un barème interne à la DGA.

À l'issue des travaux et négociations conduits en 2005 et 2006, le devis de référence s’est établi à 7,87 milliards d’euros, ce qui correspond à une hausse de 1,77 milliard d’euros.

Selon la DGA, ces surcoûts sont imputables aux facteurs suivants :

– le changement de statut de DCNS oblige désormais le ministère de la Défense à s’acquitter de la TVA ; par ailleurs, l’entreprise est désormais assurée et doit s’acquitter d’une taxe professionnelle, ce qui constitue des frais qu’elle est obligée de répercuter sur ses prix de ventes (2). Ce premier surcoût est évalué à 0,86 milliard d’euros ;

– le tonnage du sous-marin, à l’origine évalué à 4 000 tonnes, a été réévalué pour des raisons techniques à environ 5 000 tonnes, d’où un surcoût de 0,33 milliard d’euros ;

– le résultat des études de sûreté et la hausse du coût de certaines fournitures propres à la chaufferie nucléaire ont induit une augmentation de 0,34 milliard d’euros ;

– diverses évolutions techniques liées à la discrétion acoustique et à la réalisation du système de combat font naître un surcoût évalué à 0,34 milliard d’euros.

Au total, le ministère de la Défense considère que chaque sous-marin devrait coûter 982 millions d’euros. Vos rapporteurs constatent toutefois que si l’on divise par six le montant global du programme, on atteint un coût unitaire d’environ 1,3 milliard d’euros l’unité. Mais ce chiffre intègre, outre la construction, le maintien en condition opérationnelle pendant une durée de six ans et demi.

Les crédits inscrits en loi de finances initiale pour 2008 au titre du programme Barracuda s’élèvent à 253,6 millions d’euros en autorisations d’engagement et à 330,4 millions d’euros en crédits de paiement.

Proposition n° – Le calendrier de réalisation des Barracuda, optimisé à la fois pour des raisons opérationnelles et industrielles, ne doit plus être modifié. Les SNA, à qui il incombe, entre autre, de protéger les SNLE porteurs du feu nucléaire, sont indispensables à la crédibilité de la dissuasion française. Or, la durée de vie des SNA de la précédente génération, les Rubis, ne pourra être prolongée indéfiniment. Toute mesure d’économie devra donc être envisagée sur un autre programme.

B.– LES FRÉGATES EUROPÉENNES MULTI-MISSIONS (FREMM)

Les frégates européennes multi-missions (FREMM) sont des frégates furtives de deuxième génération (après les Lafayette) construites par la France et l’Italie. La marine nationale en commissionnerait 17 entre 2010 et 2015 dont 8 en version anti-sous-marine (ASM) pour remplacer les 10 frégates de la classe Tourville (type F67) et de la classe Georges-Leygues (type F70) ainsi que neuf en version destinée à l’action vers la terre (AVT) pour remplacer les 17 avisos de la classe d’Estienne d’Orves (type A69). Elles seront les premières frégates françaises à être armées du missile de croisière Scalp Naval.

1.– Les caractéristiques générales du programme

a) Un rythme rapide

Le projet des frégates multi-missions a été engagé fin 2002 en coopération avec l’Italie lorsqu’est apparue l’opportunité de réaliser en commun un nombre important de frégates en remplacement de navires entrés en service dans les années soixante-dix ou quatre-vingt : 17 pour la France et 10 pour l’Italie.

En février 2003 a été notifié à DCNS et à son partenaire italien Fincantieri le contrat relatif à la définition du projet de navire répondant aux besoins des deux marines.

Le 16 novembre 2005, huit frégates multi-missions ont été commandées par la France pour une entrée en service des premiers bâtiments en 2011. Les neuf dernières seront commandées dans le cadre de la prochaine loi de programmation (2009-2014).

En octobre 2006, la définition globale du navire a été figée, puis la découpe de tôle de la première frégate, baptisée Aquitaine, a eu lieu à Lorient en mai 2007. Sa livraison, en version ASM, est prévue pour la fin de l’année 2011 tandis que la livraison de la deuxième FREMM est prévue 13 mois plus tard. Si rien ne vient perturber le déroulement du programme, le rythme de livraison prévu est d’une frégate tous les sept mois.

b) Des navires modernes, furtifs et rapides

Déplaçant 5 750 tonnes, ces navires de 137 mètres de long et de 19 mètres de large auront une vitesse maximale de 27 nœuds et leur distance franchissable sera de 6 000 nautiques à 15 nœuds. Elles seront équipées de capacités anti-navires (huit missiles mer-mer), de moyens de défense anti-aérienne (16 missiles Aster 15) et anti-sous-marine (torpilles MU 90) et de capacités de frappe dans la profondeur (16 missiles de croisière navals). Ces navires disposeront en outre d’un hélicoptère de type EC-725 Cougar ou NH-90.

Les frégates AVT seront plus particulièrement destinées à l’appui et au soutien des opérations de projection avec des capacités de frappe dans la profondeur, de recueil de renseignement, de projection de forces spéciales, d’appui et d’escorte de forces amphibies ou logistiques.

Les frégates ASM seront destinées aux opérations de lutte contre les sous-marins dans le cadre de la sûreté de la mise en œuvre de la force océanique stratégique et pour la protection anti-sous-marine des opérations de projection : protection du groupe aéronaval et du groupe amphibie, protection des forces au contact et des voies de communication maritimes. Ces frégates seront, en outre, aptes aux missions de surveillance, de protection et de lutte anti-navire.

L’architecture des frégates a été conçue pour faciliter l’entretien des équipements et bénéficier d’une disponibilité accrue. Fortement automatisées, elles ne seront armées que par 108 membres d’équipage contre 230 sur les frégates de la classe F70 qu’elles remplaceront. Le coût de possession des FREMM en sera considérablement réduit.

c) Des perspectives prometteuses à l’exportation

Les FREMM disposent d’un potentiel certain à l’exportation en raison de leurs performances et de leur prix relativement modéré par rapport à la concurrence, notamment allemande. La perspective la plus prometteuse concerne le Maroc qui s’est engagé, en octobre 2007, à acquérir une frégate multi-missions. La Grèce, qui a signé un accord de partenariat avec Armaris (DCNS) en octobre 2006, pourrait commander jusqu’à six exemplaires de la FREMM.

DCNS propose également à l’exportation la corvette Gowind qui, bien que de dimensions inférieures (1 250 à 1 950 tonnes selon les versions) est directement dérivée du dessin et des avancées technologiques des FREMM. Ce bâtiment est spécialisé dans des missions de défense du littoral, de prévention, de service public mais aussi de lutte anti-sous-marine. Des pays comme la Bulgarie, la Géorgie ou l’Arabie Saoudite ont déjà manifesté leur intérêt pour ce bâtiment.

2.– L’articulation opérationnelle des FREMM et des frégates Horizon

L’attention de la Mission d’évaluation et de contrôle a été attirée par la concomitance dans le temps de deux programmes de frégates : le programme FREMM et le programme Horizon. Ce dernier, qui devait aboutir à l’origine à la construction de quatre bâtiments, a été réduit à deux pour des raisons budgétaires. Le Forbin doit être livré cette année tandis que le Chevalier Paul sera admis au service actif en 2009.

Les frégates Horizon sont beaucoup plus chères que les FREMM puisque leur coût unitaire est évalué entre 900 millions et un milliard d’euros selon les méthodes de calcul contre environ 400 millions d’euros pour une FREMM. La différence de coût entre les deux types de navire tient à l’absence d’effet série pour les frégates Horizon, mais aussi pour partie au fait que les deux frégates Horizon seront un peu plus volumineuses (6 635 tonnes, 153 mètres) mais aussi mieux équipées notamment en matière de radar : elles disposeront en effet d’un radar de surveillance et d’un radar de conduite de tir qui seront situés assez haut sur la mer grâce à leurs dimensions généreuses ; les FREMM, quant à elles, ne seront équipées que d’un seul radar polyvalent placé moins haut, donc moins performant. En revanche, les systèmes d’armes de tous ces navires seront identiques.

Mais les techniques modernes de transmissions de données permettront à une FREMM, lorsqu’elle naviguera de conserve avec une frégate Horizon, de bénéficier des données fournies par le radar de cette dernière. Cette possibilité a conduit la marine nationale à accepter que les équipements des FREMM ne soient pas intrinsèquement aussi performants que ceux des Horizon, ce qui a rendu possible un abaissement non négligeable du coût du programme.

Proposition n° – Renoncer aux « surspécifications » inutiles qui alourdissent le coût des programmes militaires. En l’occurrence, le programme FREMM sur ce point semble exemplaire.

3.– Un financement incertain

a) Un coût unitaire modéré…

La première tranche du programme notifiée le 16 novembre 2005 couvre le développement, la construction et le maintien en condition opérationnelle des 8 premières frégates (6 ASM et 2 AVT) durant 6 ans pour un montant de 4,4 milliards d’euros.

Le coût total du programme FREMM s’élève à 8,5 milliards d’euros pour la construction des 17 frégates ASM et AVT. Le coût par bâtiment est estimé à 450 millions d’euros, hors entretien, ce qui apparaît modéré si l’on compare avec les frégates Horizon ou les 2,5 milliards d’euros dépensés par l’Allemagne pour ses quatre frégates F 125.

Les crédits inscrits au budget de 2008 au titre du programme FREMM s’élèvent à 53 millions d’euros en autorisations d’engagement et à 182,2 millions d’euros en crédits de paiement.

b) …mais un programme non financé par la loi de programmation

Inscrit dans le modèle d’armée 2015 ainsi que dans la loi de programmation militaire pour les années 2003-2008 sans que son financement ait été prévu, le programme FREMM a embarrassé le ministère de la Défense au point que, dès l’été 2003, un financement dit « innovant » a été évoqué : un leasing, ou paiement à crédit associant un partenaire privé.

Cette méthode aurait sans doute permis de respecter la programmation militaire en repoussant le paiement des frégates multi-missions à la loi de programmation suivante. Mais compte tenu de ses effets négatifs sur l’endettement du pays, cette méthode peu conforme à l’orthodoxie budgétaire a été abandonnée en 2005. M. Philippe Josse, directeur du Budget, a estimé, au cours de son audition par la MEC, que cette décision était à porter au crédit du système de décision public… À la même époque, des difficultés budgétaires conduisent l’Italie à étaler la construction de ses 10 FREMM jusqu’en 2023 au lieu de 2017.

Un autre plan de financement est alors imaginé pour la durée de l’actuelle loi de programmation. Selon le modèle utilisé par les Britanniques, il est décidé que 6/19èmes du programme seront financés par le budget du ministère de la Défense tandis que les 13/19èmes manquant le seront par des crédits complémentaires ajoutés à l’initiative du ministère du Budget. Or, Bercy qui n’a pas manifesté d’enthousiasme devant cette nouvelle méthode de financement a inscrit les sommes dues non pas en loi de finances initiale, mais en loi de finances rectificative, avec une interdiction d’engagement des sommes en question, gonflant un peu plus le report de dépenses du ministère de la Défense.

Proposition n° – Ne plus engager de programme d’armement sans les moyens financiers correspondants. En raison de la concurrence économique mondiale à laquelle elle est confrontée, la France ne devra plus lancer un programme d’armement sans qu’aient été dégagées les ressources réelles correspondantes, dans le cadre d’une politique budgétaire soutenable.

c) Vers une réduction du format du programme ?

Compte tenu des difficultés à financer non seulement le programme des 17 FREMM, mais également celui des SNA Barracuda et du deuxième porte-avions, il semblerait que des révisions soient envisagées au sein du ministère de la Défense. Selon des informations parues dans la presse en octobre 2007, la marine pourrait se contenter des huit frégates multi-missions déjà commandées, éventuellement complétée par deux ou trois autres, en contrepartie du financement du second porte-avions.

S’exprimant sur ce point le 12 octobre 2007, le ministre de la Défense M. Hervé Morin ne s’est pas prononcé sur les deuxième et troisième tranches (9 frégates au total dont 2 ASM et 7 AVT) dont le coût de 3,5 milliards d’euros est à rapprocher de celui du deuxième porte-avions.

Or, un étalement alourdit toujours considérablement la facture, induit des différences technologiques importantes entre les différentes tranches (exemple du char Leclerc) et rend nécessaire un coûteux traitement des obsolescences. En outre, il est généralement nécessaire de financer le prolongement de la durée de service des équipements qui ne sont pas remplacés dans les délais prévus (hélicoptères Puma et Gazelle, SNA Rubis…).

C.– LE DEUXIÈME PORTE-AVIONS

Le format du groupe aéronaval français, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, a toujours été constitué d’au moins deux porte-avions, de manière à assurer une permanence à la mer du groupe aérien embarqué lorsque l’un des deux bâtiments est indisponible.

Dans l’immédiat après-guerre, l’acquisition, auprès de la marine américaine, du porte-avions léger Lafayette (15 800 tonnes, 26 avions) et auprès de la Royal Navy du porte-avions Arromanches (18 300 tonnes, 24 appareils) permet à l’aéronavale française renaissante de se réapproprier les techniques si spécifiques du catapultage et de l’appontage d’avions de combat depuis une plate-forme maritime qu’elle avait acquises au cours des années trente avec son premier véritable porte-avions, le Béarn.

En 1955 est lancé le projet de deux porte-avions identiques de 32 000 tonnes et 40 aéronefs qui aboutira, au début des années soixante, à la mise en service du Clemenceau et du Foch.

Au cours des années soixante-dix et quatre-vingt, le ministère de la Défense commence à réfléchir au remplacement, pourtant encore lointain, de ces deux navires. Le projet PH 75 de deux bâtiments à propulsion nucléaire (Bretagne et Provence) entrant en service au cours de la dernière décennie du vingtième siècle est évoqué. Mais des contraintes budgétaires réduisent ce programme à un seul porte-avions (40 500 tonnes, 40 aéronefs) qui, fortement remanié et renommé Richelieu en 1986, puis Charles-de-Gaulle en 1987, entre en service en 2001 lorsqu’est retiré du service actif le porte-avions Foch.

Depuis 1997 et le désarmement du Clemenceau, la marine nationale française ne possède donc plus qu'un seul porte-avions, même si elle peut s’appuyer sur d’autres plates-formes mettant en œuvre des hélicoptères (porte-hélicoptères Jeanne d’Arc, bâtiments de projection et de commandement Mistral et Tonnerre, Transports de chalands de débarquement Foudre et Siroco).

C’est au nom de la permanence à la mer du groupe aéronaval que le gouvernement a proposé au Parlement, dans le cadre de la loi de programmation militaire pour les années 2003 à 2008, d’inscrire le principe de l’acquisition d’un second porte-avions.

1.– Les principales caractéristiques du programme

a) Un programme réalisé en coopération

La loi n° 2003-73 du 27 janvier 2003 relative à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008, adoptée dès la première lecture par l’Assemblée nationale et le Sénat, a inscrit le principe d’un deuxième porte-avions (PA2) dans « les capacités essentielles du modèle d’armée 2015 ». Le système de forces « Frappe dans la profondeur », tel qu’inscrit dans cette loi, prévoit la « commande en 2005 d’un porte-avions pour une mise en service opérationnelle avant la deuxième période d’indisponibilité programmée pour entretien et réparation (IPER) du Charles-de-Gaulle ».

En janvier 2003, le ministère de la défense britannique attribue à BAe Systems, en coopération avec Thales Naval Ltd, la maîtrise d’œuvre du programme de ses deux porte-avions destinés à accueillir des appareils à décollage court et atterrissage vertical. Outre-manche, ce programme est communément dénommé CVF pour Carrier Vessel Future.

En février 2004, le Président Jacques Chirac décide, conformément aux préconisations de l’état-major de la marine, que le deuxième porte-avions sera doté d’une propulsion classique. En novembre 2004, lors d’un sommet bilatéral, le Président Jacques Chirac et le Premier ministre britannique Tony Blair annoncent leur volonté de coopérer dans la construction des trois porte-avions : les deux CVF britanniques et le PA2 français.

Le 24 janvier 2005, la ministre de la Défense, Mme Michèle Alliot-Marie, lance l’opération de conception du deuxième porte-avions et transforme le projet en programme. Au cours de l’été 2005, un rapport établit que la marine nationale « pourrait satisfaire son besoin opérationnel en adoptant le dessin des CVF britanniques, moyennant des adaptations limitées ».

En mars 2006 est signé l’accord de coopération bilatérale entre la France et le Royaume-Uni. Au cours de l’été 2006 est réalisée une revue de conception du projet PA2 sous la présidence conjointe de la DGA et de l’état-major de la marine. En décembre 2006 est remise à la DGA une première offre engageante sur le développement et la réalisation du deuxième porte-avions.

En mai 2007, bien que la décision de construire le deuxième porte-avions n’ait pas été annoncée par le Président de la République, la France commande aux États-Unis les catapultes et les freins d’appontage. Cette décision a dû être prise par le précédent gouvernement : en effet, compte tenu des délais de fabrication de ces mécaniques particulièrement sophistiquées, une commande était indispensable en 2007 pour que le bâtiment, s’il doit être réalisé, soit disponible dès 2015. Si la décision finale devait être négative, le ministère de la Défense résilierait cette commande et verserait des pénalités qui, pour l’instant, sont d’un montant relativement faible (environ un million d’euros).

Enfin, à l’automne 2007, en cohérence avec la loi de programmation militaire promulguée cinq ans plus tôt, le Parlement vient d’adopter, lors de l’examen du projet de loi de finances initiale pour 2008, les autorisations d’engagement, d’un montant de 3 milliards d’euros, destinées à permettre la commande du second porte-avions dans le courant de l’actuel exercice.

Le rapport annuel de performances déposé par le Gouvernement lors de la discussion du projet de loi de finances 2008 nous apprend que l’autorisation d’engagement de trois milliards d’euros constitue « une provision » ajustable ultérieurement. La MEC s’interroge sur l’originalité de la démarche qui donne l’impression d’une certaine précipitation. N’aurait-il pas été plus sage d’attendre les conclusions du Livre blanc sur la Défense, de la revue générale des programmes ainsi que des différents travaux qui sont actuellement menés avant de demander au Parlement de se prononcer ? D’autant que cette nouvelle dépense est engagée alors que le financement d’importants programmes antérieurs (notamment les FREMM et les sous-marins Barracuda) n’est toujours pas entièrement bouclé.

b) Un navire aux dimensions respectables

Ayant tenu compte du fait que le tonnage et les dimensions ne constituent pas l’élément le plus onéreux d’un tel navire, les concepteurs du projet ont dessiné un bâtiment d’un tonnage encore jamais atteint pour un porte-avions européen : 60 000 tonnes. Au fil des dessins, ce tonnage a encore évolué au point d’atteindre désormais, selon DCNS, 70 000 tonnes, ce qui rapproche le PA2 des dimensions des porte-avions américains (80 000 à 90 000 tonnes environ).

L’augmentation des dimensions du navire accroît la surface de son pont d’envol qui atteindra 15 000 m², soit entre celui du Charles-de-Gaulle (12 000 m²) et celui des porte-avions américains de la classe Nimitz (21 000 m²). Une telle surface rend possible un allongement des catapultes qui, d’une longueur de 75 mètres sur le Charles-de-Gaulle, seront portées à 90 mètres, se rapprochant ainsi des standards de l’US Navy. Cet allongement permet de catapulter des appareils de dernière génération lourdement armés comme le Rafale Marine F3, dans des conditions améliorées et sans imposer au navire une vitesse à la limite de ses possibilités, comme cela est le cas avec le premier porte-avions. Un avion peut être catapulté toutes les 30 secondes à une vitesse de 277 km/h.

L’espace d’appontage, particulièrement restreint sur le Charles-de-Gaulle, sera plus généreux et offrira ainsi de meilleures conditions de sécurité. Le PA2 serait capable de naviguer à 26 nœuds en fin de vie. L’équipage serait de l’ordre de 900 personnes contre 1 200 environ pour le Charles-de-Gaulle. À ces marins viennent s’ajouter 800 personnes chargées de mettre en œuvre le groupe aérien.

ÉLÉMENTS DE COMPARAISON ENTRE LE CHARLES-DE-GAULLE ET LE PROJET PA 2

 

Charles-de-Gaulle

PA 2

Découpage de la première tôle

25 novembre 1987

 

Lancement

Mai 1994

 

Admission au service actif

18 mai 2001

 

Déplacement

40 500 tonnes

70 000 tonnes

Longueur

261,5 mètres

283 mètres

Largeur

64 mètres

73 mètres

Tirant d’eau

 

11 mètres

Surface du pont d’envol

12 000 m²

15 000 m²

Surface du hangar

4 600 m²

4 700 m²

Vitesse

27 nœuds

26 nœuds

Propulsion

Deux réacteurs nucléaires à eau pressurisée K 15

Propulsion électrique alimentée par des moteurs diesel et turbines à gaz

Équipage (hors groupe aérien)

1 200

900

Groupe aérien

40 appareils (32 Rafale, 3 Hawkeye, 5 hélicoptères)

40 appareils (32 Rafale, 3 Hawkeye, 5 hélicoptères)

Défense

Système de missiles antiaériens MBDA Aster 15 (longue portée) et Mistral (très courte portée), 8 canons Giat 20F2 de 20 mm

Système de missiles antiaériens MBDA Aster 15 (longue portée), système de lutte antitorpille (SLAT) et artillerie de petit calibre couvrant 360°.

La surface du hangar est annoncée comme à peine supérieure à celle du Charles-de-Gaulle (soit 4 700 m² contre 4 600), bien que les aéronefs y soient un peu à l'étroit. Une zone de maintenance aéronautique, divers ateliers et magasins aéronautiques autorisent l’entretien complet des aéronefs, traditionnel sur les porte-avions français. Les possibilités de stockage en carburant aviation sont de l’ordre de cinq millions de litres.

Le programme PA2 est placé sous la maîtrise d’œuvre de MOPA 2, filiale à 100 % de DCNS. Les principaux partenaires de DCNS sont Aker Yards France, dont les chantiers de l’Atlantique fabriqueraient la coque et les éléments de propulsion, EADS pour les éléments des systèmes de combat, MBDA pour la gestion embarquée des munitions, Bertin technologies pour l’étude des facteurs humains et Thales naval UK pour la définition du périmètre du dessin commun.

c) Le choix d’une propulsion conventionnelle

Le choix d’une propulsion classique, retenue par le Président Chirac en 2004, est en parfaite adéquation avec les objectifs exprimés par la marine nationale. Cette décision ne remet aucunement en cause les indéniables qualités démontrées par le Charles-de-Gaulle en opérations. Le choix réalisé alors prenait en compte d’autres contraintes dont l’analyse n’est pas l’objet de ce rapport.

La réalisation d’un second porte-avions nucléaire, avec les réacteurs de type K 15 qui équipent déjà le Charles-de-Gaulle et les sous-marins de la marine nationale, aurait imposé une limitation du tonnage du bâtiment, sous peine de réduire ses performances. Les avantages décrits plus haut liés aux dimensions plus généreuses de la plateforme auraient été annihilés. En outre, l’évolution permanente de la réglementation en matière d’énergie nucléaire aurait accru la difficulté de l’entreprise et l’aurait rendue aléatoire car l’agrément en ce domaine est préalable à la réalisation. Le développement d’un nouveau réacteur nucléaire aurait renchéri de manière déraisonnable le coût du navire.

À l’inverse, le mode de propulsion conventionnel présente, entre autres avantages, de permettre la réalisation d’un navire aux dimensions et au tonnage plus généreux, avec les avantages décrits ci-dessus en matière d’emploi et de sécurité ; il est censé permettre également une réduction du coût global du navire ; il permet une réduction du format de l’équipage affecté à la propulsion du navire ; il réduit le coût et la durée des immobilisations pour entretien (6 mois au lieu de 15 pour une IPER) et plus encore le coût du démantèlement en fin de vie (30 millions d’euros contre 100 à 150 millions d’euros pour un porte-avions nucléaire). Enfin, il facilite le passage dans certains ports étrangers où la notion d’énergie nucléaire, associée à la puissance militaire, peut ne pas laisser insensible.

En contrepartie, une propulsion conventionnelle ne permet pas de bénéficier de l’autonomie offerte par l’énergie nucléaire. Mais cette autonomie, dont bénéficie le Charles-de-Gaulle, reste relative dans la mesure où les navires qui escortent le porte-avions sont équipés de moteurs conventionnels et ont besoin d’être ravitaillés régulièrement. Le porte-avions lui-même, pour mettre en œuvre ses avions, a besoin de l’assistance régulière d’un pétrolier ravitailleur.

Enfin, la propulsion classique induit un coût de possession maîtrisé. Aux dires des responsables de la marine nationale que la mission a entendus, le coût de fonctionnement du Charles-de-Gaulle s’élèverait actuellement à environ 150 millions d’euros par an dont 80 millions d’euros pour les rémunérations et charges sociales de l’équipage et environ 70 millions d’euros pour le fonctionnement courant du navire. Le coût de possession d’un porte-avions à propulsion conventionnelle serait annuellement de l’ordre d’environ 125 à 135 millions d’euros, soit une économie d’environ 20 %. Selon le vice-amiral d’escadre Philippe Sautter, les 11 bâtiments à propulsion nucléaire de la marine française (dix sous-marins et un porte-avions) mobilisent environ les trois-quarts des moyens consacrés à l’entretien de la flotte, les 115 autres bâtiments se partageant les 25 % restant.

Au total, sur une durée de service de 40 ans, le coût de possession global (y compris pensions de l’équipage) du deuxième porte-avions serait donc compris entre 5 et 5,4 milliards d’euros.

Il est à souligner que, selon des études menées par la marine américaine, la hausse des prix des produits pétroliers à laquelle nous assistons ne modifie pas cet avantage : il faudrait que le cours du baril dépasse 200 à 230 dollars pour que la propulsion nucléaire retrouve un avantage par rapport au diesel.

d) Les perspectives pour l’industrie française

La construction du PA2 constituerait assurément un apport d’heures de travail particulièrement appréciable pour DCNS et Thales ainsi que pour leurs nombreux sous-traitants. Il a été déclaré à la Mission d’évaluation et de contrôle que la construction de ce second porte-avions représenterait pour Aker Yards l’équivalent d’un paquebot de croisière comme le Queen Mary.

Pour DCNS, ce chantier est également très important, au regard de la charge de travail de l’établissement de Brest, mais aussi des autres établissements qui seront certainement sollicités pour construire des éléments. En outre, un tel chantier ne peut qu’être bénéfique à l’image de marque de la société.

La construction d’un second porte-avions permettrait surtout à DCNS de conserver un savoir rare et précieux. En effet, ainsi que nous l’avons vu, seules deux marines au monde sont aujourd’hui capables de mettre en œuvre, à partir d’une plateforme navale, des avions classiques par catapultage et de les récupérer : l’US Navy et la marine nationale française. La Royal Navy et la marine japonaise qui maîtrisaient cette technique lors de la seconde guerre mondiale ont perdu leur savoir-faire tandis que des puissances comme l’URSS (puis la Russie) et la Chine, pourtant peu regardantes en dépenses militaires, n’ont jamais été en mesure de l’acquérir. Il est donc de la plus grande importance stratégique de conserver ces compétences.

Sur le plan de l’exportation, peu de débouchés sont à espérer en matière de porte-avions. En effet, si plusieurs pays cherchent à se doter de plateformes capables de mettre en œuvre des avions par catapultage, il est probable que ces puissances voudront de se doter de cet outil par leurs propres moyens, de manière à affirmer leurs capacités et leur souveraineté. Par ailleurs, même si la France parvenait à convaincre un pays de lui acheter un porte-avions « clés en mains », encore faudrait-il convaincre l’administration américaine de vendre les catapultes que seuls les États-Unis savent actuellement fabriquer.

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, seuls des porte-avions d’occasion ont été exportés dans le monde, l’exemple emblématique pour notre pays étant le Foch, vendu en 2000 à la marine brésilienne pour 50 millions de francs (7,6 millions d’euros) et qui navigue depuis lors sous le nom de Sao Paulo. Mais les porte-avions vendus d’occasion ont toujours été utilisés comme plateformes pour hélicoptères ou pour avions à décollage et atterrissage verticaux.

2.– La coopération franco-britannique

a) L’historique de la coopération

En février 2003, à l'issue du 25ème sommet franco-britannique du Touquet le président de la République française a annoncé « la grande satisfaction des autorités françaises pour ce qui concerne la décision des autorités britanniques concernant la construction des deux porte-avions britanniques, puisque c'est un accord entre BAe et Thales qui permettra de réaliser ces porte-avions. » Et de préciser : « nous allons immédiatement engager les études permettant de voir si nous ne pourrions pas nous associer à cette construction des deux porte-avions, étant entendu que construire trois unités est naturellement plus intéressant sur le plan économique et financier qu'en construire deux ou une. »

Au début de l’année 2005, lorsque la France est associée aux études, le projet britannique est déjà bien avancé. L’inhabituelle configuration à deux îlots au-dessus du pont supérieur au lieu d’un seul, est déjà présente et permet, selon les concepteurs, de réduire l'empreinte des superstructures, les problèmes de compatibilité entre équipements électroniques et, surtout, de libérer de l'espace sur le pont d'envol.

Les études concluent, au cours de l’été 2005, à une « communabilité » de 85 % entre les CVF britanniques et le PA2 français, notamment pour ce qui concerne la coque, les machines et les locaux de vie. Toutefois, certaines exigences françaises (installations de catapultes et de brins d’arrêt, aménagement des hangars d’aviation, accroissement de la capacité des soutes à combustible pour des sorties plus fréquentes, mise en place d’un système de commandement pour une force amphibie et aéronavale) rendent nécessaires de nombreuses adaptations qui augmentent le coût du PA2 et font diverger les deux versions. Des vues d’artistes publiées entre 2005 et 2007 témoignent d’une divergence progressive des deux projets.

Ces différences d’exigences techniques entre la partie française et la partie britannique proviennent des différences d’approches entre les deux marines pour le rôle et l’emploi d’un porte-avions et de son aviation embarquée.

b) Des différences doctrinales profondes

Au cours des années soixante, le Royaume-Uni a développé un avion à l’époque très novateur, le Harrier, dont la conception est fondamentalement différente d’un avion classique : des tuyères orientables permettent à cet appareil d’utiliser la force de réacteurs à la manière des fusées pour quitter le sol soit complètement à la verticale, pour certaines versions, soit après quelques dizaines de mètres de course et avec l’aide d’un tremplin, pour d’autres versions.

Cette révolution dans le processus de décollage et d’atterrissage a suscité à l’époque l’espoir de pouvoir s’affranchir, sur un porte-avions, des catapultes et brins d’arrêts. Le Harrier a ainsi été exporté en Espagne, en Inde et en Thaïlande, pays dotés de porte-hélicoptères, mais aussi aux États-Unis ou le corps des Marines en a acquis plusieurs dizaines pour équiper des plateformes maritimes légères tandis que l’US Navy continuait à utiliser des appareils catapultables.

Cet appareil a toutefois déçu. La nécessité de concevoir une architecture destinée à orienter les tuyères s’est faite au détriment des performances aériennes et le Harrier s’est rapidement retrouvé surclassé par ses concurrents en vitesse, maniabilité et autonomie. Sa confrontation avec les Super Étendard argentins lors de la guerre des Malouines, en 1982, n’a pas tourné à son avantage.

Ayant perdu son savoir-faire dans le domaine du catapultage et de la récupération d’appareils militaires classiques, la Royal Navy a persévéré dans la voie des appareils à décollage court et atterrissage vertical et s’est lancée, en coopération avec les États-Unis, dans le développement du F 35B, la version à décollage court du F 35, encore connu sous le nom de JSF (Joint Strike Fighter). Les Américains, qui achèteront aussi le F 35B pour remplacer les Harrier du corps des Marines, prévoient toutefois d’équiper leurs grands porte-avions de la version catapultable F 35C, dont les performances seront supérieures au F 35B.

Outre les différences techniques en matière d’aéronefs, des divergences doctrinales fondamentales relatives à l’usage des porte-aéronefs perdurent des deux côtés de la Manche : pour les Britanniques, un porte-avions est avant tout un transport d’avions amélioré, chargé de convoyer des appareils vers une base terrestre et, éventuellement, de les mettre en œuvre et de les récupérer depuis la mer, de manière minimaliste. C’est la raison pour laquelle les Britanniques sont beaucoup moins exigeants que les Français quant à la quantité de carburant pour avions stockable à bord de la plateforme.

Pour les marins français, un porte-avions est une véritable base aérienne, chargée de mettre en œuvre et de récupérer des appareils dotés de performances identiques à leurs homologues basés à terre. Le porte-avions doit être capable, en toute autonomie, de procéder à l’entretien le plus complet possible des appareils, changement de moteur ou d’aile compris. Outre les chasseurs bombardiers Super Étendard ou Rafale, le porte-avions français embarque des appareils de guet aérien de type Hawkeye, sorte de gros radar volant permettant d’obtenir une meilleure vision du champ de bataille. Les Britanniques n’ont pas cette possibilité puisqu’il n’existe pas de version du Hawkeye à atterrissage vertical.

c) Des conséquences techniques substantielles

Les choix britanniques en matière de doctrine et d’avions embarqués ont des conséquences directes sur la conception des porte-avions qui les font diverger des porte-avions français :

– les avions à atterrissage vertical n’ont pas besoin de l’aide du vent lors de l’appontage et peuvent donc se poser sur un navire immobile ; à l’inverse, les avions classiques, portés par l’action du vent sur leurs ailes, ont besoin d’une plateforme capable d’avancer rapidement afin de créer un « vent relatif » le plus important possible. C’est la raison pour laquelle le dessin de la coque a été modifié sur la version française, de manière à gagner quelques nœuds en vitesse de pointe ;

– les porte-avions britanniques n’ont pas besoin d’une piste oblique : en effet, le décalage de la piste oblique est destiné à permettre à un avion classique ayant raté son appontage de redécoller de biais, sans percuter les autres aéronefs qui pourraient se trouver stationnés à l’avant du pont. Cette question ne se pose évidemment pas pour un avion qui se pose à la façon d’un hélicoptère. Toutefois, les Britanniques ont accepté d’inclure dans le projet commun une piste oblique, cet élément étant indispensable à la coopération avec les Français ;

– pour un avion qui se pose verticalement, la présence de l’îlot, cette structure servant à la fois de timonerie pour le navire et de tour de contrôle pour l’aviation, ne pose pas de difficulté particulière. Pour des raisons qui leur sont propres, les concepteurs britanniques ont imaginé une structure double, l’une spécialisée pour le commandement du navire, l’autre pour le contrôle de l’aviation embarquée. Or, pour un avion classique qui se pose à 135 nœuds (environ 245 km/h) sur une surface très réduite, cette structure représente un danger physique et peut, en outre, créer des turbulences. Il semble, heureusement, que les simulations menées en soufflerie aient levé les inquiétudes des ingénieurs français quant aux dangers potentiels créés par cette architecture inhabituelle.

d) Des considérations industrielles nationales

Il apparaît que la volonté politique de favoriser l’Europe de la défense en construisant un équipement commun avec le Royaume-Uni ne s’est pas appesantie sur des considérations techniques qui ont pourtant leur importance : s’il est construit, le deuxième porte-avions français sera, in fine, relativement différent des navires britanniques. Certains observateurs ont rapporté à la Mission d’évaluation et de contrôle que seule la partie située sous la ligne de flottaison, coque et système de propulsion, serait commune. Ce ne sera même pas entièrement le cas puisque, ainsi que nous l’avons vu, la coque du PA2 a été retouchée par rapport aux CVF britanniques.

Le 14 novembre 2007, le ministre de la Défense M. Hervé Morin a annoncé devant l’Assemblée nationale que « sur la construction de la coque, il n'y aura pas de coopération avec les Britanniques [...]. Ils ont décidé de lancer leur programme de construction de deux porte-avions et en profitent pour restructurer leurs chantiers navals. » Contre la logique qui prévalait jusqu’alors, le ministre ajoute que l'absence de coopération sur les coques permettra le cas échéant à la France de revoir une partie du dessin du PA2 et de réaliser ainsi des économies…

Privilégiant la restructuration de leurs chantiers navals, les Britanniques ont décidé de construire leurs deux porte-avions séparément, en cinq super-blocs répartis dans quatre chantiers différents regroupés en une « Carrier Alliance ». Le bloc 1 (la proue avec tremplin) sera construit par Babcock Engineering Services (BES) à Rosyth, le bloc 2 (plus les deux îlots) par VT Group à Portsmouth, le bloc 3 par BAe Systems Submarine à Barrow-in-Furness, les blocs 4 et 5 par BAe Systems Surface Fleet à Govan (avec l’assistance du chantier de Scotstoun), tandis que l'intégration finale sera réalisée par VT Group à Portsmouth.

Le PA2, s’il doit se faire, devrait être construit entièrement en France par Aker Yards à Saint-Nazaire et par DCNS à Brest : Aker Yards fabriquera la coque propulsée tandis que DCNS, qui assurera la maîtrise d’œuvre, intègrera les systèmes d’armes et construira les équipements intérieurs.

La coopération franco-britannique s’est donc fortement réduite, au point que, le 15 novembre 2007, DCNS et Aker Yards en furent réduits à signer avec BAE Systems, VT, Thales UK et Babcock Support Services un accord minimaliste prévoyant que « les six signataires se consulteront sur l'opportunité d'acheter ensemble les systèmes de combats ou de communications, les radars, la motorisation conventionnelle de ces trois navires et la maintenance des deux projets. »

Quant à la perspective, pour les Britanniques, d’équiper ultérieurement leurs navires de catapultes et de brins d’arrêt pour utiliser des avions classiques, elle reste très lointaine dans la mesure où la marine britannique ne dispose pas d’appareils catapultables de type Rafale et devrait donc en acquérir, en plus des F 35B déjà très onéreux dont elle cofinance le développement ; en outre la conversion à la technique du catapultage nécessiterait, soit de la part de la France, soit de la part des États-Unis, un transfert de compétences de grande ampleur.

e) Bilan mitigé de la coopération franco-britannique

Au total, la coopération franco-britannique présente un bilan contrasté. Ainsi que la MEC l’a appris au cours de ses travaux, les Britanniques auraient le sentiment probablement fondé, que la participation financière de la France leur aurait permis de réaliser des économies lors de la conception du navire. Lord Drayson, ancien minister for defence procurement du gouvernement britannique, n’aurait-il pas déclaré dans un débat public, sans doute pour les besoins de la cause, que le budget français aurait financé la conception - le design - des porte-avions britanniques ?

Du côté français, les responsables de la DGA et de DCNS reconnaissent que la coopération avec les Britanniques, si elle n’aboutit pas à un résultat aussi satisfaisant qu’espéré, a néanmoins permis de gagner deux années d’études sur les parties communes des navires. En outre, chacun fait remarquer que les essais avant admission au service actif des navires seront plus rapides et moins onéreux s’ils sont partagés. De la même manière, le maintien en condition opérationnelle devrait en être facilité. Enfin, sur le plan logistique, les échanges de pièces de rechange entre marines alliées sont fréquents lorsque les navires se trouvent en opération, éloignés de leurs ports d’attache. Ils en seront facilités entre ces navires, pour ce qui concerne leurs parties communes.

Enfin, la coopération avec le Royaume-Uni sur un projet emblématique tel qu’un porte-avions a pris une forte dimension symbolique : cette amorce de coopération va dans le sens de l’accord de Saint-Malo, signé le 3 décembre 1998 entre la France et le Royaume-Uni, et qui devait être à la base d'une relance du processus de défense européenne.

3.– Le deuxième porte-avions coûterait plus de 3 milliards d’euros

a) Un coût plus élevé que pour le Charles-de-Gaulle

Le Parlement a donc adopté en loi de finances pour 2008 les crédits relatifs au programme du second porte-avions : 3 milliards d’euros d’autorisation d’engagement à titre provisionnel. Si cette adoption a été peu débattue, dans l’attente des conclusions du Livre blanc, la Mission d’évaluation et de contrôle s’interroge pourtant sur le montant, qui paraît élevé, comparativement au Charles-de-Gaulle. Construit entre 1987 et 2001, ce dernier a coûté au total environ 14 milliards de francs, soit 2,1 milliards d’euros. Les responsables de la DGA et de DCNS qui ont été entendus par la Mission ont déclaré que cette somme, réévaluée pour tenir compte de la hausse des prix de la construction, équivaudrait, en 2008, aux 3 milliards d’euros inscrits en loi de finances pour le deuxième porte-avions.

Or, ce coût n’inclut pas les sommes importantes, mais difficiles à comptabiliser, qui ont déjà été dépensées en études. Selon l’état-major des armées, 50 millions de livres sterling (67,2 millions d’euros) auraient déjà été versés aux Britanniques sur les 100 millions (134,5 millions d’euros) réclamés à la France pour avoir bénéficié du travail de conception.

Le double choix de construire un bâtiment à propulsion classique et de coopérer avec les Britanniques était notamment fondé sur la possibilité de réduire les coûts. La Mission d’évaluation et de contrôle constate que cet objectif n’est pas atteint puisque le coût annoncé du PA 2 ne sera nullement inférieur à celui du porte-avions nucléaire Charles-de-Gaulle.

Au coût du porte-avions doivent être ajoutés les frais, encore difficiles à évaluer, nécessaires à l’aménagement des infrastructures des ports militaires de Brest et de Toulon.

Le coût paraît d’autant plus élevé que le Charles-de-Gaulle est opérationnel en moyenne environ 65 % à 75 % du temps, son entretien mobilisant les 25 % qui restent. Pour assurer la permanence à la mer du groupe aéronaval, il s’agit donc d’acheter, pour au moins 3 milliards d’euros, une unité alors que la marine nationale n’aurait mathématiquement besoin que de combler ces 25 % à 35 % qui manquent…

b) Un devis évolutif

Par ailleurs, il est bien précisé que le coût « provisionnel » inscrit en loi de finances initiale n’est qu’approximatif et demandera à être affiné si le Président de la République ne décide pas de renoncer au deuxième porte-avions. Selon le représentant de l’état-major des armées que la Mission d’évaluation et de contrôle a entendu, le respect de cette enveloppe serait déjà problématique et un budget final proche sans doute de 3,5 milliards d’euros serait certainement plus réaliste.

Dans l’hypothèse où le Président de la République donnerait son aval au projet, une évaluation plus précise serait déterminée à l’issue des travaux en cours en impliquant le partenaire britannique et les industriels, lors du lancement du stade de la réalisation du programme.

Sur la base d’un coût fixé à 3 milliards d’euros, les crédits de paiement seraient dépensés sur huit ans selon l’échéancier suivant.

HYPOTHÉSE D’ÉCHÉANCIER DE PAIEMENT DU SECOND PORTE-AVIONS

(en millions d’euros)

2008

2009

2010

2011-2015

Total

81,5

225,14

610,72

2 082,64

3 000

Lorsque le Président de la République rendra publique sa décision, peut-être vers mars 2008, le ministère sera apte à réagir immédiatement et à lancer les travaux dans des délais très brefs si la décision est favorable. Dans l’hypothèse où la décision serait négative, les crédits seraient redéployés.

c) Un processus irréversible ?

Selon l’expression imagée de son représentant, l’état-major des armées a fait en sorte de rester « manœuvrant » quelle que soit la décision politique prise. Toutefois, compte tenu de la lourdeur du projet, des engagements internationaux de la France et des sommes déjà investies, la question se pose de savoir si le processus de construction du deuxième porte-avions n’est pas déjà enclenché de manière irréversible.

En octobre 2006, lors de l’ouverture du salon Euronaval, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense, affirmait son « ambition [...] de rendre ce programme aussi irréversible que possible ». Lors du débat sur la loi de finances pour 2007, elle précisait : « le projet de loi de finances 2007 inscrit 700 millions d'euros pour le développement du PA2 et [on] voit mal un gouvernement renoncer aux sommes investies pour rien. C'est en ce sens qu'on peut parler d’irréversibilité. ».

Les autorisations d’engagement et les crédits de paiement ouverts jusqu’en 2007 au titre du second porte-avions s’élèvent respectivement à un peu plus d’un milliard d’euros et à 250 millions d’euros.

CRÉDITS CONSACRÉS AU SECOND PORTE-AVIONS AVANT 2008

(en millions d’euros)

 

Avant 2006

2006

2007

Total

Autorisations d’engagement

20,9

269,1

710,9

1 000,9

Crédits de paiement

0,01

140

90

250,01

Source : projet de loi de finances pour 2007

Les crédits de paiement restant à ouvrir après 2007 sur les engagements en compte en 2007 atteignent 770,9 millions d'euros.

Proposition n° – Si la décision de construire le deuxième porte-avions est finalement prise, le contrat devra inclure, comme c’est le cas pour les Barracuda et les FREMM, au moins six années de maintien en condition opérationnelle (MCO). D’une manière générale, pour l’ensemble de ses programmes majeurs, la marine nationale devra contractualiser, le plus en amont possible, la disponibilité de ses unités.

4.– La permanence à la mer du groupe aéronaval

Depuis Pearl Harbor et la guerre du Pacifique, le porte-avions s’est imposé, au détriment du cuirassé, comme outil essentiel des grandes marines de guerre. Mais une seule unité ne permet pas d’assurer sa permanence à la mer.

a) Un instrument unique de dissuasion et d’intervention

L’intérêt pour un pays comme la France de disposer d’un porte-avions capable de mettre en œuvre des avions classiques est évident : une telle plateforme permet d’affirmer sa souveraineté bien au-delà de ses eaux territoriales et, en utilisant mers et océans, de s’affranchir des autorisations de survol ou d’escale nécessaires à des avions opérant depuis le territoire national ou prépositionnés à l’étranger. C’est ainsi que les porte-avions de la marine nationale ont permis à la France d’intervenir par voie aérienne au Liban, au cours des années quatre-vingt, qu’ils ont permis à des avions français de porter le feu en ex-Yougoslavie sans survoler aucun territoire tiers, ou de mener des missions de guerre en Afghanistan sans être dépendant de bases terrestres.

Le porte-avions, potentiellement équipé de l’arme nucléaire, sait aussi se transformer en élément de diplomatie « musclée » et contribuer, par sa seule approche, à faire pression sur des régimes qui peuvent se sentir menacés au gré de ses évolutions : l’agitation, parfois l’affolement, que ses pérégrinations suscitent dans les services de transmission de certaines armées, prouve que sa présence n’est pas neutre.

b) Le ravitaillement en vol a relativisé l’intérêt des porte-avions

Toutefois, l’augmentation du nombre de bases terrestres utilisables par les appareils de l’Otan ainsi que le développement des performances des avions de l’armée de l’air grâce à la généralisation du ravitaillement en vol, réduisent l’attrait des plateformes navales (3). C’est ainsi que, lors des missions Héraclès et Agapanthe sur l’Afghanistan, les avions de la marine mis en œuvre depuis le Charles-de-Gaulle étaient utilisés concomitamment avec ceux de l’armée de l’air basés sur place. Et les Rafale de l’armée de l’air, comme ceux de la Marine, étaient ravitaillés en vol par les avions ravitailleurs de l’armée de l’air ou de l’Otan, également stationnés dans la région.

En effet, l’autonomie reste le point faible des avions de guerre modernes (550 à 1 100 km pour un Rafale, selon sa mission). Le ravitaillement à partir d’un autre avion embarqué reste limité et ne permet pas d’augmenter sensiblement l’autonomie d’un appareil en mission de guerre d’autant que la « nounou », qui est un autre chasseur équipé de bidons supplémentaires n’a, lui aussi, qu’une autonomie relativement limitée. En revanche, les ravitailleurs de l’armée de l’air (KC 135, bientôt Airbus A 330 MRTT), malheureusement trop lourds pour se poser sur un porte-avions, peuvent rester en vol de longues heures et ravitailler plusieurs avions à plusieurs reprises. Or, si un Rafale Marine peut être ravitaillé par un appareil de l’armée de l’air, un Rafale de l’armée de l’air peut l’être tout autant…

Si elles restent théoriquement possibles, les très longues missions de guerre conduites depuis le territoire national ou des bases alliées et assorties de plusieurs ravitaillements, posent toutefois la question de l’état de fatigue de l’équipage, souvent composé d’une seule personne et donc de la sécurité globale de la mission.

Pour des pays enclavés et éloignés de toute mer comme l’Afghanistan, le vice-amiral d’escadre Philippe Sautter a admis que des avions basés à Kaboul ou Kandahar étaient plus opérationnels que ceux opérant depuis un porte-avions. Il n’en reste pas moins vrai que dans un rayon d’action limité à une frange littorale d’une profondeur raisonnable, la Marine peut opérer en parfaite autonomie en combinant des appareils armés pour le combat et d’autres pour le ravitaillement. Dans ce cadre-là, le porte-avions reste très précieux.

c) L’entraînement des équipages du groupe aérien

Si d’aucuns peuvent considérer que l’armée de l’air, grâce à ses Rafale et à ses ravitailleurs, peut pallier l’absence momentanée du porte-avions, – c’est le cas actuellement, pendant la première IPER du Charles-de-Gaulle – la question de l’entraînement des équipages du groupe aérien n’est pas résolue de manière satisfaisante.

En effet, les cours théoriques et les entraînements à terre, sur la base de Landivisiau, ne permettent pas de recréer les conditions réelles d’un appontage ou d’un catapultage sur un porte-avions secoué par la houle. Seul cet entraînement dans des conditions réelles permet de maintenir la qualification des équipages pour un exercice qui reste périlleux.

Durant l’immobilisation du Charles-de-Gaulle, la marine nationale n’a donc d’autre choix que de négocier avec l’US Navy la possibilité de permettre à ses équipages de s’entraîner sur un porte-avions américain. Au cours de l’été 2008, deux cents mécaniciens et aviateurs français participeront à bord du porte-avions Theodore Roosevelt à l’exercice JTFEX au large des côtes américaines avec 6 à 8 Rafale et 2 Hawkeye. La durée de l’entraînement des pilotes français sera fonction des contraintes du groupe aérien américain, mais une période de quelques jours de réentraînement à l’appontage sera réservée au profit de tous les pilotes. Les modalités financières sont en cours d’étude avec les autorités américaines.

Cette solution, qui place notre pays dans une situation de dépendance à l’égard de notre allié n’est pourtant pas parfaite. En effet, pour des raisons d’incompatibilité des systèmes de catapultage, les Super Étendards modernisés (SEM) ne peuvent utiliser les plateformes américaines pour s’entraîner. S’ils appontaient sur un porte-avions américain, ils ne pourraient pas en repartir et y resteraient en quelques sortes « prisonniers ». Il est envisagé que les équipages de ces appareils s’entraînent en coopération avec la marine brésilienne sur l’ex-Foch, à condition qu’au moins une des deux catapultes soit encore opérationnelle.

Les exercices communs et les échanges réguliers et réciproques d’équipages sont certes indispensables à la bonne interopérabilité entre les deux marines et ils n’ont d’ailleurs jamais cessé, même au plus fort de la brouille franco-américaine de 2003. Pour autant, confier l’entraînement de nos pilotes à un pays tiers pendant les immobilisations du Charles-de-Gaulle ne peut être pleinement satisfaisant, ni sur le plan technique, ni sur le plan de la souveraineté nationale. En outre, les différences de dimensions et les caractéristiques techniques propres au Charles-de-Gaulle font qu’une période d’adaptation et d’aguerrissement supplémentaire sera nécessaire aux équipages aériens lors de la reprise d’activité du porte-avions, prolongeant d’autant son indisponibilité opérationnelle.

COÛT ANNUEL DE POSSESSION POUR UNE UNITÉ

(en millions d’euros, sauf équipages et durée de vie)

 

FREMM

BARRACUDA

PA2

Travaux liés aux infrastructures (estimations approximatives par unité)

2

6

50

Entretien (MCO)

Annuel

5,3

17

50 à 60

Total MCO sur durée de vie

159

561

Env. 2 000

Munitions de petit calibre (acquisition et entraînement)

Flux annuel de munitions petit calibre pour la marine :
1,5 million d’euros par an

Munitions moyen et gros calibres

(acquisition et entraînement)

2,3

10,46

1

Équipages

108

120 (1)

900

RCS

6,1

7,5

55

Dont RCS relevant des pensions (environ 40 % des RCS)

2,44

3

22

Carburant

2,4

4

19

Total coût annuel de fonctionnement (MCO, RCS, carburants, entraînement) pour une unité

16,1

31,46

De l’ordre de
125 à 135

Durée de vie

30 ans

33 ans

40 ans

Total coût de fonctionnement sur la durée de vie (MCO, RCS, carburants, entraînement) pour une unité

482,55

1 038,18

5 000 à 5 400

(1) Deux équipages de 60 personnes se relaient.

MCO : maintien en condition opérationnelle

RCS : rémunérations et charges sociales

Source : données fournies par le ministère de la Défense

II.– UN FINANCEMENT QUE LA CONTRAINTE BUDGÉTAIRE
REND PROBLÉMATIQUE

La question du financement des programmes d’équipement naval militaire peut être appréhendée sous différents aspects :

– le principal est budgétaire en période de tension : il est patent que le financement de l’intégralité des programmes d’armement en cours ne va pas de soi ;

– ensuite, la méthode tendant à rechercher la diminution des coûts unitaires d’acquisition des équipements par le rallongement des séries, dans le cadre des programmes en coopération ou par le développement des exportations, se révèle d’une efficacité relative ;

– enfin, la révision à la baisse de tel ou tel programme doit également être compatible avec la stratégie globale de défense de la France et prendre en compte les paramètres industriels afin de préserver les capacités indispensables au maintien d’un niveau stratégique élevé. Il est avéré que l’étalement des programmes contribue à augmenter le coût des équipements, comme il est indiqué ci-après.

A.– DES BESOINS DE FINANCEMENT QUI IMPOSENT DES CHOIX

Il est maintenant acquis que les programmes d’armement déjà lancés dans le cadre des deux lois de programmation militaire 1997-2002 et 2003-2008, ou hors de ce cadre, ne peuvent être réalisés dans leur intégralité compte tenu des moyens budgétaires prévisibles. Ce constat découle autant de la contrainte budgétaire que de la dérive des coûts inhérente à la mise en œuvre des programmes d’armement et aux méthodes de programmation.

1.– Les lacunes des documents budgétaires

Le réexamen des programmes d’équipement naval suppose la connaissance du coût présumé de ces programmes. Or, ce coût est étonnamment incertain.

a) Des programmes aux coûts mal connus

Les éléments mis à la disposition du Parlement sont lacunaires. Jusqu’à la présentation du projet de loi de finances pour 2008, dans les projets annuels de performances (PAP) pour 2006 et 2007, l’autorisation d’engagement n’était plus accompagnée, à la différence de l’ancienne autorisation de programme régie par l’ordonnance organique du 2 janvier 1959, d’un échéancier indicatif des engagements et des paiements : seuls les crédits de paiement de l’année étaient connus. Durant deux ans, le Parlement ne disposait donc plus des échéanciers de paiement attachés à chaque programme d’armement, qui avaient permis, dans les anciens « bleus » budgétaires, de disposer d’une vision de moyen terme de l’évolution des dépenses d’investissement.

Cette lacune a été réparée dans le cadre du PAP pour 2008, ce qui a permis de procéder aux constatations dont le détail est présenté ci-après.

Par ailleurs, l’autorisation d’engagement, comme d’ailleurs l’ancienne autorisation de programme, n’est votée que par « tranche » : seules les autorisations d’engagement nouvelles inscrites au budget de l’année du projet de loi de finances sont mentionnées. Celles à ouvrir ultérieurement en fonction des lois de programmation n’y figurent pas.

Dès lors, le suivi de l’application des lois de programmation militaires se heurte à deux écarts. Le premier apparaît entre les tranches annuelles résultant du suivi du « sentier de programmation » et le contenu des budgets successifs : les PAP n’identifient ni les dérives de coûts, ni les arbitrages, ni les restes à financer pour réaliser la programmation. Le second type d’écart s’interpose entre les ouvertures de crédits annoncées au budget et les besoins résultant des contrats passés par l’État. Pour les FREMM, le décalage est encore plus important avec le programme physique prévu, qui porte sur 17 frégates, puisque 8 ont été commandées. Les mêmes observations peuvent être faites pour les sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) Barracuda : des autorisations d’engagement ont été ouvertes pour financer la phase de développement et la construction du premier sous-marin alors que 6 bâtiments sont annoncés.

Les informations transmises aux rapporteurs des commissions parlementaires dans le cadre des réponses aux questionnaires budgétaires sont tout autant insuffisantes puisqu’elles se limitent la présentation de « fiches-programme » synthétiques sans que les modalités de détermination des éléments financiers qui y figurent soient explicitées.

Proposition n° – Le projet annuel de performances et le rapport annuel de performances doivent récapituler, pour chacun des principaux programmes d’armement, les autorisations d’engagement et les crédits de paiement ouverts depuis l’origine ainsi que les changements d’affectation d’AE et de CP survenus depuis l’origine.

Enfin, la réévaluation des moyens budgétaires affectés aux programmes est calculée par application de l’indice des prix à la consommation hors tabac retenu par la loi de finances pour chacune des années considérées (4). Le taux de réévaluation des crédits résultant de l’application de cette règle étant inférieur à celui de l’augmentation des coûts des facteurs des programmes, il en résulte un déport qui s’aggrave avec le temps et qui éloigne le montant des crédits ouverts de la réalité des moyens nécessaires à la réalisation effective des programmes.

Proposition n° – Dans le cadre du passage à la présentation pluriannuelle du budget, les AE et CP à ouvrir au cours des années ultérieures devront être comparables avec le suivi de la « trajectoire de programmation » de la LPM, et rendre compte au moins de toute la période couverte par la LPM.

b) Les principaux programmes d’équipement naval

Le PAP pour 2008 ayant réduit pratiquement des deux tiers le nombre de sous-actions correspondant aux programmes d’armement, les informations disponibles s’en sont trouvées appauvries. Le PAP 2007 distingue, au sein de l’action Équipement des forces navales, 23 sous-actions correspondant à des programmes d’armement ou des ensembles cohérents auxquelles on peut rattacher deux sous-actions de l’équipement de la composante interarmée (dissuasion).

Il est clair que les arbitrages ne pourraient porter sur des équipements au coût significatif, lorsqu’ils sont en cours d’achèvement. C’est le cas du bloc de programmes associés à la dissuasion nucléaire et organisés autour de la mise en œuvre du missile balistique M51 : il s’agit, à titre principal, des programmes afférents au missile lui-même, au suivi de cohérence opérationnelle, à l’achèvement du dernier sous-marin nucléaire lanceur d’engins de nouvelle génération – SNLE-NG – Le Terrible, et à la modification des installations de l’Île-longue pour l’accueil du missile M51.

C’est le cas également pour les deux frégates anti-aériennes Horizon Forbin et Chevalier Paul qui sont terminées et devraient être livrées en 2008 et 2009, des bâtiments de projection et de commandement (BPC) Mistral et Tonnerre qui sont entrés en service.

Trois programmes sont actuellement en débat parce qu’ils engagent pour plusieurs décennies les finances de l’État. Deux ont fait l’objet de contrats fermes de prises de commandes (les frégates FREMM et les SNA Barracuda), le troisième est incertain, celui du porte-avions PA2.

Le programme des frégates européennes multi-missions (FREMM) vise à organiser le renouvellement de plusieurs types de bâtiments avec une série de 17 frégates. À partir d’une architecture générique commune, deux versions au moins seront toutefois développées, une version AVT (action vers la terre) et une version ASM (anti-sous-marine), alors qu’on évoque maintenant une version antiaérienne. L’ensemble du programme représente un coût total de 8,5 milliards d’euros au coût des facteurs de janvier 2006. Ces frégates sont construites en coopération avec l'Italie. Le programme comporte au total 27 frégates, 17 pour la France et 10 pour l’Italie. Pour la France, il est décliné en trois tranches, une ferme et deux conditionnelles. Pour l'heure, seule une tranche ferme a été notifiée fin 2005. Elle comprend les études et le développement, ainsi que la réalisation de six bâtiments spécialisés dans la lutte anti-sous-marine (ASM) et deux dans l'action vers la terre (AVT). La première tranche optionnelle, qui doit être affermie en 2011, porte, quant à elle, sur quatre frégates, soit 2 ASM et 2 AVT. Le programme prévoit enfin la commande de cinq autres navires AVT, intégrés dans une seconde tranche conditionnelle (pouvant être affermie en 2013).

Le programme du sous-marin nucléaire d’attaque futur (SNA) Barracuda est destiné à assurer le remplacement des six sous-marins nucléaires d’attaque de la classe Rubis à partir de 2014. Le coût de ce programme est estimé à près de 7,9 milliards d’euros (au coût des facteurs de janvier 2006). Ces montants incorporent le maintien en condition opérationnelle (MCO) les premières années de vie active de chaque bâtiment.

La construction d’un second porte-avions a pour but d’assurer la permanence à la mer du groupe aéronaval alors que la perspective d’acquisition de deux porte-avions par le Royaume-Uni avait permis d’envisager une coopération. Le ministre de la Défense a approuvé le 26 janvier 2005 le dossier de faisabilité du second porte-avions et lancé le stade de conception du programme. Le PA2 devrait être un bâtiment à propulsion classique, d'un déplacement de 74 000 tonnes, supérieur à celui du Charles de Gaulle.

Un contrat d'études d'avant-projet a été notifié par la DGA le 23 décembre 2004 à un groupement d'entreprises, dénommé MOPA2, constitué de DCNS (65 %) et de Thales Naval France (35 %), et contrôlé maintenant à 100 % par DCNS, à l’issue du rapprochement DCNS/Thales. Le coût global du second porte-avions est maintenant estimé à plus de 3 milliards d’euros, 3,14 milliards d’euros d’autorisations d’engagement ayant déjà été ouvertes pour sa réalisation.

Proposition n° – Le projet annuel de performances doit présenter, pour chacun des principaux programmes d’armement, la correspondance entre le programme physique d’équipements annoncé et les équipements pouvant être réellement financés par les moyens budgétaires prévus, compte tenu des autorisations d’engagement et des crédits de paiement ouverts, affectés et consommés depuis l’origine.

2.– La bosse programmatique

L’expression « bosse programmatique » a été employée devant la Mission par M. Philippe Josse, directeur du Budget, pour qualifier la période immédiatement postérieure à l’actuelle loi de programmation militaire 2003-2008, qui concentre la majeure part des besoins de paiements. Elle est meilleure que celle de « bosse de la LPM » que l’on rencontre souvent, puisque les besoins de paiement ne résultent pas tous de programmes prévus par la LPM, mais également de contrats passés hors LPM. Elle correspond à l’image de la courbe des besoins de paiement qui devraient demeurer relativement faibles jusqu’en 2008 pour croître fortement à partir de 2009.

C’est ainsi que lors de son audition par votre commission de la Défense le 3 octobre 2007, M. Hervé Morin, ministre de la Défense, a précisé que, pour l’ensemble du ministère, « la bosse n’apparaît qu’à partir de 2009 puisque les besoins de paiement établis par la version actualisée du référentiel (VAR) s’établiront à 19,1 milliards d’euros en 2009, à 21,4 milliards d’euros en 2010, à 22,2 milliards d’euros en 2011 et à 23 milliards d’euros en 2012. »

Au-delà des déclarations du ministre, l’écart entre les programmes physiques annoncés et les moyens budgétaires qui leur sont alloués est mis en évidence d’abord par certaines analyses de qualité, notamment celles de la commission des Finances du Sénat, en dernier lieu par le rapport de MM. Yves Fréville et François Trucy sur les crédits de la défense dans le projet de loi de finances pour 2008 (Rapport n° 91 2007-2008, tome III, annexe n° 8).

Il est ainsi établi que la couverture budgétaire des engagements fermes exige l’ouverture (et la consommation) d’au moins une cinquantaine de milliards d’euros après 2008 pour l’ensemble des programmes d’équipement de la défense, alors même que des dépenses supplémentaires sont inéluctables.

a) Des restes à payer conséquents

Les engagements fermes générant des paiements ultérieurs, c’est-à-dire le reste à payer au 31 décembre 2006, s’élevaient pour le total de la mission Défense à 45,248 milliards d’euros, comme le montre le tableau ci-après. Ce montant de 45 milliards constitue un ordre de grandeur réaliste évoqué également par le directeur du Budget et par le vice-amiral d’escadre Christian Pénillard qui avait mentionné, lui, un chiffrage de 44 milliards, lors de leurs auditions par la mission.

Le reste à payer à la fin de 2008 devrait atteindre 47,012 milliards d’euros, en augmentation de 3,9 % par rapport à fin 2006.

Pour la première fois depuis la mise en œuvre de la LOLF, le « bleu » budgétaire présente l’estimation des crédits de paiement qui pourraient être consacrés en 2009, en 2010 puis après 2010 aux engagements non couverts au 31 décembre 2008. Le reste à payer sur engagements effectifs fin 2008 serait couvert en paiements à hauteur de 35,4 % en 2009, 22,8 % en 2010 et 41,8 % après 2010.

Ces éléments qui résultent de la lecture attentive du PAP par les rapporteurs du Sénat ne prennent pas en compte les dotations et engagements du programme n° 152 Gendarmerie nationale. Les restes à payer de la défense, y compris la gendarmerie, s’élèvent à 45,983 milliards d’euros au 31 décembre 2006 et devraient être portés à 48,453 milliards d’euros au 31 décembre 2008.

ÉVOLUTION 2006–2008 DES RESTES À PAYER SUR ENGAGEMENTS
ET ÉCHÉANCIER DES PAIEMENTS

(en millions d’euros)

 

PR 144
(Prospective)

PR 146
(Équipement)

PR 178
(Emploi des forces)

PR 212
(Soutien)

Total
mission Défense

PR 152
(Gendarmerie)

Total
Défense

Engagements

             

Reste à payer fin 2006

1 472,5

35 310,7

6 762

1 703

45 248,2

735,1

45 983,3

Engagements moins paiements pour 2007–2008 (*)

130,2

252

733,7

648,2

1 764,2

705,6

2 469,7

Prévision du reste à payer fin 2008

1 602,7

35 562,8

7 495,7

2 351,2

47 012,4

1 440,7

48 453

Paiements après 2008

             

Paiements à envisager en 2009

786,1

10 231

4 289,1

1 347,7

16 653,9

606,1

17 259,8

Paiements à envisager en 2010

507,6

8 092,6

1 704,4

416,3

10 720,9

261,7

10 982,7

Paiements à envisager après 2010

309

17 239,2

1 502,2

587,4

19 637,7

572,9

20 210,6

Total paiements à envisager après 2008

1 602,7

35 562,8

7 495,7

2 351,4

47 012,5

1 440,7

48 453

(*) Estimation

Ces montants constituent des prévisions pour la fin de l’exercice 2008, ils supposent la consommation effective en 2007 et 2008, pour le seul programme n° 146 Équipement des forces, de 20 071,1 millions d’euros. Les rapporteurs du Sénat ont calculé pour chaque sous-action de ce programme la somme des engagements et des paiements constatés et prévus, ils aboutissent à des données chiffrées légèrement différentes de celles présentées par le PAP à l’échelon du programme. Compte tenu d’une masse d’engagements prévue à 55 371,7 millions d’euros à la fin de 2008, il resterait à payer 35 300,6 millions d’euros à fin 2008 (au lieu de 35 562,8 selon le tableau ci-dessus) sur le seul programme n° 146.

La consommation de plus de 20 milliards de crédits de paiement d’ici à la fin de l’exercice 2008 est fort incertaine : ainsi, la consommation de crédits de paiement en 2007 n’a pas dépassé les montants ouverts en LFI, les reports étant de fait gelés. En conséquence, pour le seul programme n° 146 Équipement des forces, le rapport du Sénat précité faisait état d’une prévision de consommation de 10 649 millions d’euros en 2007 alors que les crédits de paiements ouverts au titre 5 par la loi de finances initiale pour 2007 s’élevaient à 8 741 millions d’euros. Il manque donc plus de 1 900 millions d’euros sur ce seul programme pour satisfaire l’objectif de consommation de 20 milliards d’euros de crédits de paiement. On peut donc considérer que les restes à payer, sauf remise en cause de certains programmes, seront au minimum de l’ordre de 50 milliards d’euros à la fin de 2008.

b) L’importance des programmes FREMM, Barracuda et PA2

Les programmes FREMM, Barracuda et PA2 représentent une part importante de ces restes à payer, alors que les prévisions de paiements effectifs concernent essentiellement la période postérieure à 2010, comme le montre le tableau ci-après.

ÉVOLUTION 2006–2008 DES RESTES À PAYER SUR ENGAGEMENTS
ET ÉCHÉANCIER DES PAIEMENTS (PA2, FREMM, BARRACUDA)

(en millions d’euros)

 

PA2

FREMM

BARRACUDA

Total
3 programmes

Engagements

Reste à payer fin 2006

86,79

4 149,10

1 084,38

5 320,27

Engagements moins paiements 2007-2008 (*)

2 891,30

–332,09

1 466,29

4 025,50

Prévision du reste à payer fin 2008

2 978,09

3 817,01

2 550,67

9 345,77

Paiements après 2008

Paiements à envisager en 2009

240,74

853,50

533,71

1 627,95

Paiements à envisager en 2010

626,82

605,27

544,21

1 776,30

Paiements à envisager après 2010

2 110,53

2 358,24

1 472,85

5 941,62

Total paiements à envisager après 2008

2 978,09

3 817,01

2 550,77

9 345,87

(*) Estimation

Les restes à payer sur les trois programmes devraient fortement augmenter de fin 2006 à fin 2008 et passer de 5 320,27 millions d’euros à 9 345,77 millions d’euros, du fait de l’ouverture d’autorisations d’engagement de plus de 3 milliards d’euros pour le PA2, principalement en 2008 et de 1 902,56 millions d’euros en 2007 et 2008 pour les sous-marins Barracuda. Les 9 345,77 millions d’euros représentent 19,88 % de l’ensemble des restes à payer prévus à la fin de 2008 pour la mission Défense. À titre de comparaison, les restes à payer estimés sur le programme du Rafale à fin 2008 sont de 4 011 millions d’euros.

Les paiements envisagés en couverture de ces autorisations d’engagement sont de 1 627,95 millions d’euros en 2009, 1 776,30 millions d’euros en 2010 et 5 941,62 millions d’euros après 2010. Au-delà des montants en cause, c’est la structure des paiements qui est originale et différente de celle de l’ensemble des programmes de la mission Défense.

En effet, les restes à payer estimés à fin 2008 pourraient donner lieu à des paiements en 2009 à hauteur de 17,42 %, en 2010 à hauteur de 19,01 % et après 2010 pour 63,57 %. Pour les trois programmes d’équipement naval majeurs FREMM, Barracuda et PA2, les paiements sont largement reportés après 2010 alors que les engagements pris sont inférieurs aux besoins réels des programmes.

c) Des dépenses supplémentaires sont inéluctables

● Sur l’ensemble des crédits d’équipement de la défense, il apparaît que les quelque 50 milliards d’euros de besoins de financement après 2010 constituent le plancher de dépenses inéluctables, en l’absence de remise en cause des prévisions physiques d’équipement des forces armées. Ils constituent seulement un plancher de dépenses pour deux raisons.

Premièrement, l’évolution des missions dévolues aux armées exige continûment une adaptation des moyens, donc des dépenses supplémentaires. C’est ainsi que l’armée de terre a obtenu des crédits pour la réalisation de petits véhicules protégés (PVP), moins onéreux que les véhicules blindés légers (VBL), mais permettant une meilleure protection du personnel contre la menace des mines et autres engins explosifs artisanaux employés en situation de guerre asymétrique, en particulier en Afghanistan.

En second lieu, les programmes d’armement ne sont jamais en définitive réalisés au coût initialement prévu et ils connaissent une dérive certaine. Cette dérive, dont les causes seront explicitées ci-après, trouve sa source principalement dans l’écart entre la hausse des prix des marchés d’armement et l’indexation budgétaire ainsi que dans le coût de l’étalement des programmes dans le temps.

● Par ailleurs, les engagements budgétaires ne couvrent pas la totalité des moyens nécessaires à la réalisation des programmes navals FREMM, Barracuda et PA2. Les engagements budgétaires matérialisés par l’ouverture d’autorisations d’engagement n’apparaissent pas couvrir la totalité des trois programmes d’équipement naval annoncés, tout au moins clairement pour les FREMM et les Barracuda. Il est impossible de retracer l’ensemble des autorisations d’engagement dévolues à un programme d’équipement à partir du projet annuel de performances pour 2008 ; celui-ci prend pour base de la présentation des crédits le « reste à payer », soit les engagements moins les paiements effectués au 31 décembre 2006. Il faut donc se reporter au rapport annuel de performances pour 2006, puis tenter de surmonter les difficultés résultant de la réaffectation d’AE ou de l’utilisation d’AE en report. C’est ainsi que l’exercice 2006 a donné lieu à des réaffectations d’autorisations d’engagement du programme PA2 vers le programme Barracuda, pour plus de 800 millions d’euros.

● Pour les frégates multi-missions FREMM, le rapport annuel de performances pour 2006 fait état de 4 624,5 millions d’euros d’autorisations d’engagement ouvertes à la fin de 2006, qui ont donné lieu à 403,6 millions d’euros de paiements à la même date. Ces engagements correspondent à la seule première tranche de huit frégates commandées à la fin de 2005, l’affermissement des deux tranches conditionnelles ultérieures supposerait, selon le rapport sénatorial précité, 1 875 millions d’euros d’engagements supplémentaires en 2011 pour quatre frégates et 2 189 millions d’euros en 2013 pour cinq autres frégates.

Il est à noter que les éléments chiffrés transmis à la MEC par le ministre de la Défense font état d’un coût total du programme de 8 510,6 millions d’euros au coût des facteurs de janvier 2006 et d’un coût de 9 965,5 millions d’euros d’ici à 2021 en euros courants, sans plus de précision.

Les autorisations d’engagement ouvertes au titre des FREMM (compte tenu de 292,40 millions d’euros d’AE prévues en 2007 et 53,04 millions d’euros pour 2008) représentent donc environ la moitié du financement du programme physique annoncé.

● La situation est encore plus étonnante et originale pour les sous-marins nucléaires d’attaque Barracuda. Selon le rapport annuel de performances pour 2006, 1 392,79 millions d’euros d’autorisations d’engagement avaient été ouverts à la fin de 2006, qui avaient donné lieu à 29,62 millions d’euros de paiements à la même échéance. 883,23 millions d’euros d’autorisations d’engagement ont été prévus en 2007 et 1 019,33 millions d’euros le sont pour 2008. Ainsi, alors que le projet annuel de performances pour 2008 fait état d’un seul sous-marin commandé, certaines sources considèrent que la première tranche de crédits comprend les études et seulement le début de la réalisation du premier sous-marin. Selon le projet annuel de performances pour 2008, les paiements associés devraient s’élever à 105,90 millions d’euros en 2007 et 330,37 millions d’euros en 2008.

Les éléments chiffrés transmis à la MEC par le ministre de la Défense font état d’un coût total du programme de 7 873 millions d’euros au coût des facteurs de janvier 2006 et indiquent que « les deux premiers sous-marins seront commandés d’ici mi-2009 ».

La réalisation intégrale des deux programmes FREMM et Barracuda suppose donc l’ouverture d’environ 5 milliards d’euros d’autorisations d’engagement supplémentaires pour les FREMM et de 4,6 milliards d’euros pour les Barracuda, qui devraient s’additionner, pour ces deux seuls programmes, aux restes à payer déjà évoqués.

● Enfin, pour le projet de porte-avions PA2, le rapport annuel de performances pour 2006 fait état de 209,49 millions d’euros d’autorisations d’engagement ouvertes à la fin de 2006, qui avaient donné lieu à 122,75 millions d’euros de paiements à la même échéance.

Les autorisations d’engagement étaient prévues à 49,60 millions d’euros en 2007 (pour les catapultes) et 3 000 millions d’euros ont été votés en loi de finances pour 2008. Au 1er octobre 2007, 33,5 millions d’euros d’autorisations d’engagement avaient été effectivement engagés et 36,9 millions d’euros de crédits de paiement effectivement payés. Avec 3 259 millions d’euros d’autorisations d’engagement au total, le projet de second porte-avions PA2 semble avoir bénéficié d’engagements en correspondance avec les besoins.

Au total, la somme des restes à payer pour les trois programmes FREMM, Barracuda et PA2, sur les seules autorisations d’engagement déjà ouvertes ou à ouvrir à fin 2008 représente 9,3 millions d’euros et il s’y ajoute quelque 9,6 milliards d’euros pour la réalisation effective des programmes physiques de sous-marins et de frégates annoncés.

3.– Des cadres d’analyse multiples

Il est clair que, d’emblée, dès le début de la programmation, il existe un écart entre les programmes physiques et les moyens budgétaires prévus. Selon M. Philippe Josse, directeur du Budget, si la notion de reste à payer est importante, il convient de s’intéresser à deux autres agrégats. Le premier est le « reste à financer ou à engager » qui correspond au montant des autorisations d’engagement affectées à un programme, dont on soustrait celles qui ont été effectivement engagées. Un dernier concept est beaucoup plus programmatique : il fait référence à un modèle nominal de réalisation des programmes d’armement, l’examen de la trajectoire de leur réalisation, qui suppose d’avoir une hypothèse de ressources sur l’avenir. Cette perspective est certainement avec celle de reste à payer la plus intéressante puisqu’elle s’attache à établir l’exact besoin de crédits au regard de la programmation annoncée.

Cette réalité conduit à souligner une nouvelle fois la pauvreté des documents transmis au Parlement lors de l’examen du budget. Cette situation empêche, comme cela a déjà été évoqué, comme cela a été évoqué au 1. ci-avant, de retracer les ouvertures et la consommation d’autorisations d’engagement et de crédits de paiement depuis le début d’un programme comme de mettre en rapport les moyens budgétaires et les objectifs physiques annoncés.

Les lois de programmation militaire donnent lieu à un suivi spécifique des programmes qui y sont inscrits, cette forme de comptabilité distincte du reste du budget s’attache à démontrer qu’elles sont respectées, ou, lorsque la majorité a changé, qu’elles ne l’ont pas été précédemment. Ainsi, il est habituel de considérer qu’il manquait une annuité de crédits environ pour l’exécution de la LPM 1997-2002 et que la loi de programmation 2003-2008 est marquée par le financement de dépenses ordinaires, les surcoûts (essentiellement de rémunérations) résultant des opérations extérieures (OPEX), en gageant les ouvertures supplémentaires par des annulations de crédits ouverts initialement pour les dépenses d’équipement.

Cela étant, il est manifeste que le cadre véritable de suivi des programmes d’équipement des armées par le ministère de la Défense est un document approuvé par le ministre et qui n’est jamais transmis au Parlement, la Version Actualisée du Référentiel (VAR). Pour la conduite des opérations d'armement, le ministère de la Défense a en effet mis en place depuis longtemps une démarche de programmation qui vise à satisfaire au mieux les besoins opérationnels, y compris les besoins nouveaux, tout en veillant au suivi des coûts et des délais. Il est donc procédé à des arbitrages constants entre niveaux de dépenses, calendrier d'acquisition des capacités, et performances techniques des armements. Dans ce cadre, les mesures de nature à assurer une utilisation optimale des crédits d'équipement des armées au regard des données nouvelles de l'année sont proposées au ministre, avant un éventuel arbitrage en conseil de défense.

La VAR constitue donc le cadre de suivi réel des dépenses d’équipement. C’est sur sa base, et compte tenu des besoins effectifs en gestion, que le ministère de la Défense, en accord avec la direction du Budget, procède constamment à des réaffectations d’autorisations d’engagement et de crédits de paiement. À titre d’exemple, la consommation d’autorisations d’engagement pour le programme Barracuda s’est élevée à 1 074,6 millions d’euros en 2006 pour 188,5 millions d’euros ouverts à ce titre par la loi de finances initiale. Comme l’explique le rapport annuel de performances, des autorisations d’engagement ont été réaffectées, principalement à partir des dotations prévues pour le second porte-avions PA2, au sein du programme n° 146 Équipement des forces.

Une grande confusion résulte de cette situation, indépendamment même de l’absence d’information transmise au Parlement. La mise en correspondance des données figurant dans le RAP 2006 avec celles du PAP 2008 met en évidence quelques écarts de chiffres et le rapport du Sénat déjà cité sur les crédits de la mission Défense du projet de loi de finances pour 2008 montre d’autres écarts entre les données présentées pour les programmes d’armement individualisés dans des sous-actions et les agrégats du programme n° 146 Équipement des forces.

Proposition n° – Le Gouvernement doit transmettre au Parlement deux fois par an, lors du dépôt du rapport annuel de performances et du projet annuel de performances relatifs à la mission Défense, la dernière version actualisée du référentiel, accompagnée des explications et justifications des changements d’affectation d’autorisations d’engagement et de crédits de paiement au sein des programmes budgétaires et leurs effets sur le déroulement des programmes d’armement. Des députés et des sénateurs doivent représenter le Parlement à la commission exécutive permanente chargée du suivi des programmes d’armement.

En définitive, cette situation invite les responsables publics à s’interroger à un double titre : d’une part, la sincérité budgétaire est-elle au rendez-vous en matière de programmes d’équipement militaire ? D’autre part, la posture qui, de 2002 à 2007, a consisté à maintenir la fiction d’une exécution rigoureuse de la loi de programmation militaire 2003-2008 était-elle réaliste ?

4.– Les causes de l’impasse budgétaire

a) Les défauts de conception des lois de programmation militaire

La distorsion entre les moyens budgétaires annoncés et la réalité des moyens nécessaires à la réalisation des capacités prévues par la LPM constitue le principal problème qui explique l’impossibilité de réaliser, après quelques années de programmation, la réalité des équipements annoncés.

Les débats de la MEC pendant les auditions ont mis chaque fois l’accent sur cette réalité. Le « ver est dans le fruit » dès le début de la programmation. La meilleure expression de cette distorsion a été l’intervention de M. Éric Querenet de Breville, sous-directeur à la direction du Budget. Les lois de programmation militaire ont été mal pensées : en premier lieu, les coûts des programmes y sont en effet exprimés en coûts objectifs et non en coûts estimés prévisionnels, ce qui constitue un facteur de dérive puisque le biais de budgétisation est en l’occurrence estimé à 30 % environ. Avant même le commencement de sa réalisation, le coût du programme est donc sous-estimé de 30 %. Deuxièmement, les autorisations d’engagement inscrites en loi de programmation n’incluent pas la dérive du coût des facteurs. On est donc confronté à un risque de sous-estimation du prix d’acquisition des programmes qui ne peut s’analyser comme un succès de la négociation de la DGA face aux industriels. Il s’ensuit une dynamique plus forte des révisions des prix pendant la vie des programmes. Enfin, en troisième lieu, l’expression des besoins ne distingue pas un socle de spécifications minimales d’un ensemble de spécifications optionnelles. C’est la critique des surspécifications.

● Sur le premier point, il est patent que la détermination des besoins budgétaires, à raison du coût objectif, n’est pas réaliste. Elle se fonde sur le coût recherché des programmes d’armement par l’État avant et hors de toute négociation, alors que les devis présentés par les industriels sont au départ très supérieurs au cadre budgétaire. On vient de le constater pour le projet de second porte-avions : quelques mois à peine après l’annonce d’un budget limité à 2,5 milliards d’euros, l’État ouvre plus de 3 milliards d’euros au total d’autorisations d’engagement au titre de ce programme.

Proposition n° – Renoncer à la fiction d’une LPM formulée en coûts objectifs, facteur de graves dérives. Il convient de faire figurer les programmes pour leurs coûts estimés prévisionnels, notamment en tenant compte de l’évolution prévisible du coût des facteurs.

● Sur le deuxième point évoqué par M. Querenet de Breville, il a été constaté depuis fort longtemps que la dérive du coût des facteurs est supérieure au mécanisme d’indexation budgétaire et l’on peut s’étonner de l’absence de prise en compte de cette réalité dans la traduction budgétaire de la programmation.

Deux rapports récents du comité des prix de revient des fabrications d’armement (CPRA), de septembre 2006 et de novembre 2007 traitent de ce sujet et proposent même des mesures chiffrées de l’écart, du déport entre les deux variations. Comme l’explique élégamment le comité, « l’actualisation de la dépense est plus importante que l’actualisation de la ressource ». Sur ce dernier point, le comité observe que si la hausse des prix du PIB sert en général de fondement à l’actualisation des ressources lors des travaux budgétaires, l’indice des prix à la consommation hors tabac, retenu pour l’actualisation de la programmation, n’a guère évolué différemment du précédent entre 2000 et 2005. Donc, globalement, l’actualisation budgétaire est conforme aux prescriptions de la LPM.

Le comité considère que l’augmentation élevée du coût des facteurs s’explique principalement par l’application de formules d’actualisation ou d’indexation prévues par les marchés qui comporte une part d’indice salaires dont le dynamisme est supérieur à celui des prix du PIB. Il estime que les effets de cet écart restent limités si on ne les accumule pas sur une longue période. En effet, inversement, l’écart entre les deux indices cumule ses effets et accroît l’insuffisance de crédits constatés en gestion lorsque les programmes sont réalisés sur une longue période. Pour cette raison, la situation devient moins confortable au fur et à mesure que l’on se rapproche de la fin de la période de programmation. De même, l’étalement des programmes a un effet sur les coûts qui, à terminaison, sont plus élevés qu’en cas d’exécution du programme dans le créneau initialement prévu, à cause du renchérissement du coût des facteurs.

Il existe peu de solutions pour limiter l’augmentation du coût des facteurs. En 1997, le délégué général pour l’armement avait décidé que le taux d’actualisation pris en compte par le directeur de programme de la DGA pour l’exécution des contrats serait le taux de hausse du PIB et non pas un taux déterminé contrat par contrat. La méthode a eu pour inconvénient de mettre les programmes concernés en cessation de paiement et d’aboutir à permettre des dépassements de devis, compte tenu de son caractère peu réaliste. Par ailleurs, une pression trop forte sur les mécanismes de révision des prix peut avoir pour contrepartie un prix initial du contrat plus élevé.

À rebours, le directeur du Budget, auditionné par la MEC, a considéré que les formules de révision trop favorables du coût des facteurs contribuent à compenser, dans certains marchés, la baisse faciale du prix du marché qui n’est que factice. Le CPRA a établi que l’écart d’indexation entre les coefficients de révision des marchés et les coefficients d’actualisation budgétaire a pu varier dans le temps, mais que, pour la période la plus récente, il est de l’ordre de 1 % par an.

● Le comité s’est également interrogé sur la prise en compte de l’effet qualité dans l’augmentation des prix des armements. Il n’est pas rare que dans la mise en œuvre d’un marché d’armement, des spécifications nouvelles soient retenues, qu’elles répondent à des demandes opérationnelles ou à l’adaptation de l’équipement aux progrès constatés lorsque le calendrier de mise en œuvre a été étalé. Cette constatation rejoint celle des surspécifications dénoncées par la direction du Budget qui s’étonne par ailleurs que l’augmentation prévisible de la disponibilité des sous-marins Barracuda par rapport aux sous-marins de la classe Rubis ne permette pas d’envisager une réduction du nombre de bâtiments commandés.

Le programme Barracuda est au demeurant exemplaire des effets des différents facteurs de dérapage des coûts sur la dérive d’un programme d’armement. Ainsi qu’il a été évoqué dans la première partie ci-avant, le devis initial de 5,4 milliards d’euros a été porté à 7,87 milliards d’euros en valeur 2006 du fait des facteurs détaillés en page 15 ci-avant.

Proposition n° – Le rapport annuel de performances et le projet annuel de performances doivent présenter une estimation de l’évolution du coût des facteurs pour chacun des principaux programmes d’armement et les effets de cette évolution sur le coût total prévisible de chacun des programmes.

b) Le manque de sincérité des budgets

● Cela étant, la responsabilité de l’impasse budgétaire n’est pas seulement à attribuer à la sphère de la défense, la direction du Budget y prend également part compte tenu des conditions de gestion des crédits dans le cadre inchangé d’une culture du conflit entre « ministères dépensiers » et Budget.

Le dispositif de régulation budgétaire comporte ordinairement deux volets, l’un portant sur une mise en réserve de crédits, l’autre définissant une norme de dépenses à ne pas dépasser. La régulation budgétaire peut prendre un tour très conflictuel. Ainsi, en 2004, le gel des crédits d’équipement a été appliqué de manière forfaitaire sur proposition du contrôleur financier, faute d’accord entre la direction des affaires financières du ministère de la Défense et le Budget, puis l’arbitrage du Premier ministre a, le 28 octobre, imposé un plafond de dépenses et un niveau maximum d’ordonnancements au ministère de la Défense. Au début du mois de décembre, après avoir constaté que cet arbitrage n’était pas respecté, le ministère du Budget a donné instruction de suspendre immédiatement le paiement de tous les mandats émis par les ordonnateurs secondaires (qu’ils soient militaires ou civils), imputés sur les titres V et VI, relatifs aux opérations d’investissement, et non encore payés. Le déblocage n’est survenu qu’en début d’année 2005.

Un autre mode de limitation des dépenses consiste à geler l’utilisation des reports de crédits. La bonne consommation constatée pendant l’exercice 2005 s’explique a contrario par le dégel au moins partiel des reports.

La régulation budgétaire a deux effets sur le déroulement des programmes : l’étalement des programmes et consécutivement l’augmentation de la charge des intérêts moratoires.

Le ministère de la Défense ne manque pas de moyens pour préserver ses possibilités de consommation des dotations budgétaires. En premier lieu, la connaissance réelle du budget de la Défense est incertaine, compte tenu d’une gestion organisée dans le cadre des états-majors respectifs, contrôlée par les commissariats et marquée par des procédures dérogatoires très spécifiques, au moins pour les dépenses ordinaires, le régime des dépenses à bon compte qui recouvre lui-même deux régimes dérogatoires distincts, celui des fonds d’avance et celui des masses. Cela étant, la direction du Budget semble considérer, en s’en félicitant naturellement, que la tradition d’opacité du ministère de la Défense est en passe d’être surmontée. En second lieu, les conseils de défense ont pu servir entre 2002 et 2007 à obtenir au plus haut niveau décisionnel des arbitrages budgétaires favorables aux armées.

En définitive, les difficultés d’exécution des programmes d’équipement militaire sont la conséquence d’une insuffisante sincérité budgétaire dont toutes les parties semblent en fait se satisfaire. Au-delà du décalage entre les moyens budgétaires et le programme physique annoncé, certains expédients témoignent de cette réalité.

Ainsi le programme FREMM a-t-il été inscrit dans le cadre de la loi de programmation militaire 2003-2008 mais les dotations budgétaires correspondantes n’avaient pas été prévues. Il avait été envisagé à l’époque un mode de financement dit innovant, en fait la débudgétisation du coût des frégates par la mise en œuvre d’un mécanisme de crédit bancaire proche des systèmes de crédit-bail appliqués depuis longtemps à d’importants équipements industriels (TGV, Airbus). Après l’abandon de ce projet, il a été décidé que le ministère de la Défense en financerait les 6/19èmes par redéploiement des crédits de l'agrégat LPM, et que le ministère du Budget pourvoirait à l'inscription des 13/19èmes restants en crédits supplémentaires sur le budget du ministère de la Défense. Ce partage de financement s’inspire des normes en vigueur au Royaume-Uni pour le financement des partenariats public-privé. Du fait du gel fréquent des reports de crédits, les dotations ainsi ouvertes en loi de finances rectificative de fin d’année, sont indisponibles en fait. Aucune dotation n’a été prévue à ce titre ni inscrite dans la loi de finances rectificative pour 2007.

Par ailleurs, il a pu arriver en 2004 que, si les services de la DGA n’ont pas passé de marchés pour lesquels il était prévu, dès l’origine ou lors de l’exécution, le paiement d’intérêts moratoires à proprement parler, ils ont négocié cependant des frais financiers liés soit à un décalage entre la date de paiement figurant dans le plan d’acomptage du marché et l’exécution de la prestation, soit à un allongement des délais d’exécution dû à l’État. Ce type d’expédients (marchés prévoyant ab initio des frais financiers) témoigne clairement de la faible sincérité des annonces en matière d’équipement militaire.

Au total, les lois de programmation militaire apparaissent donc d’une portée relative. Les débats de la MEC ont mis en évidence que la méthode consistant à réaliser le modèle d’armée 2015 en trois lois successives organisées de telle manière que, compte tenu également des délais de réalisation des programmes, les dépenses effectives soient reportées essentiellement à la fin de la période, n’est pas pertinente. Il est irréaliste de prévoir des paiements massifs en fin de période, compte tenu des contraintes budgétaires. Par ailleurs, il n’apparaît pas que le phasage des grands programmes d’armement soit optimal, que ce soit en termes de financements ou d’utilisation des moyens industriels.

5.– La recherche de solutions

a) Améliorer la connaissance des coûts dans le processus de décision

Selon le rapport de novembre 2007 du comité des prix de revient des fabrications d’armement sur l’actualisation des prix des programmes d’armement, le dossier de lancement du programme donne le devis de base exprimé en coût des facteurs pour des conditions économiques données et l’échéancier des paiements effectifs prévisionnel. Cet échéancier est déterminé moyennant une hypothèse d’évolution générale des prix et d’application des formules de révision. La décision de lancer le programme est déterminée par des considérations politico-opérationnelles et/ou de politique industrielle. « Le devis du programme sert pour savoir si le programme peut être financé. En forçant le trait, on pourrait soutenir qu’il n’est pas un élément déterminant du choix ! »

De plus, si des contraintes budgétaires conduisent à rechercher des économies, celles-ci ne peuvent actuellement être recherchées que dans un coûteux étalement des livraisons ou dans la réduction du nombre d’unités commandées – comme ce fut le cas des frégates Horizon –, au risque de peser sur les capacités opérationnelles. Dans cette perspective, le « variantage » peut être un outil d’expression des choix structurants.

Proposition n° – Afin de clarifier les coûts prévisionnels et éviter que les arbitrages ne portent que sur les volumes, faire figurer dans la LPM, pour chaque programme, un jeu de variantes de coûts en fonction des missions assurées et des équipements possibles.

L’amélioration du processus de décision peut également passer par la prise en compte du coût à terminaison des programmes et, d’une manière plus globale, par celle des coûts de possession des équipements.

Proposition n° – Aucune décision de lancement d’un programme ne devrait intervenir sans une évaluation exhaustive de son coût complet. (Rappel d’une préconisation figurant dans le rapport de la MEC du 5 juillet 2006 Améliorer la conduite des programmes d’armement : 21 propositions à partir de l’exemple du VBCI, doc. A. N. n° 3254.)

Le coût à terminaison est le coût du programme à son terme, qu’il s’exprime en euros courants, c’est alors la somme des paiements associés au programme ; ou en euros constants, la somme des paiements actualisés. Le taux d’actualisation à retenir doit procéder naturellement des coefficients de révision ou d’actualisation prévus par le programme, ce qui permet d’obtenir une appréciation réaliste des coûts des équipements. Le coût est révisé à chaque étape significative du déroulement du programme, afin de disposer en permanence d’une information objective sur le coût à terminaison attendu du programme. Il est à noter que les industriels, de leur côté, pour le suivi des projets, tiennent à jour mensuellement le tableau de bord du chiffre d’affaires à terminaison et de la marge à terminaison, pour chacun des projets.

Proposition n° – Le Gouvernement doit transmettre aux Présidents et aux Rapporteurs généraux des commissions des Finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, au début de chaque session parlementaire, une estimation du coût à terminaison de chaque programme d’armement et l’explication de l’évolution de ce coût depuis le début du lancement du programme.

Par ailleurs, il est d’un grand intérêt d’évaluer le coût d’un programme non seulement à raison du coût d’acquisition mais également du coût de possession de l’équipement. Sur la base d'une durée de vie de 30 à 40 ans, ce coût de possession, somme des coûts de maintenance (Indisponibilité périodique pour entretien et réparations – IPER – et Indisponibilité pour entretien – IE) augmenté des coûts de remplacement et de démantèlement du cœur nucléaire de la chaufferie (le cas échéant) et des coûts des moyens d'exploitation (munitions, missiles, moyens d'entraînement, infrastructures spécifiques), peut représenter un montant équivalent au coût d’acquisition. Dans ce cadre, la prise en compte des frais d'équipage, qui sont les plus importants des frais de fonctionnement, amène à reconsidérer totalement la notion de coût des navires de combat. Cette charge est à la fois de nature économique (la solde) et de nature tactique (les lieux de vie de l'équipage étant un espace perdu pour les fonctions de combat du navire). On peut ajouter qu’il ne serait pas illégitime d’ajouter à la rémunération directe des personnels, les dettes viagères contractées par l’État à leur égard en termes de pensions militaires.

L’analyse des programmes d’armement en termes de coût de possession a été introduite par le CPRA dans son 24ème rapport d’ensemble publié au Journal officiel du 19 mars 2002. Le CPRA définit le coût de possession comme « l’ensemble des dépenses générées par un système durant la totalité de son cycle de vie (acquisition, utilisation, retrait du service). Il s’agit donc d’un agrégat de coûts définitifs, s’appliquant en particulier à l’acquisition du matériel principal, et de coûts récurrents, tels que le maintien en condition opérationnelle et l’exploitation ».

Le CPRA, dans un rapport du 2 septembre 2002 (5), a estimé le coût de possession du porte-avions Charles-de-Gaulle (hors groupe aérien embarqué), sur la base d’une durée de vie de 40 ans et aux coûts des facteurs du 1er janvier 2001, à 7 689 millions d’euros dont 46 % pour l’acquisition et 17 % pour les rémunérations.

Un autre rapport de novembre 2005, dont la synthèse a été publiée au Journal officiel du 10 mai 2006, porte sur le programme de bâtiment de projection et de commandement (BPC). Il fait état d’un coût de possession global pour deux navires armés par deux équipages, sur une durée de 30 ans, aux coûts des facteurs de 2000 de 1 363 millions d’euros dont 47 % pour l’acquisition et 22 % pour les charges et soutien des personnels. Les structures de coût des deux bâtiments, pourtant très différents quant à l’emploi opérationnel, au mode de propulsion (nucléaire pour le porte-avions, classique pour le BPC) et à l’effectif (1 292 marins sur le porte-avions, deux équipages à 160 sur les BPC), sont étonnamment proches. Dans les deux cas, le coût d’exploitation jusqu’au démantèlement est supérieur au coût d’acquisition.

Il convient de rappeler que la MEC a, dans le cadre de son rapport du 5 juillet 2006 Améliorer la conduite des programmes d’armement : 21 propositions à partir de l’exemple du VBCI, déjà préconisé (proposition n° 2) de ne pas lancer la réalisation d’un programme sans une évaluation exhaustive de son coût complet. La proposition n° 12 du même rapport portait sur la présentation, dans le projet de loi de programmation militaire puis, chaque année dans la partie relative à la justification des crédits du projet annuel de performances, du coût consolidé d’un équipement.

Proposition n° – Le projet annuel de performances doit comporter, pour chacun des principaux programmes d’armement, une estimation actualisée des coûts de possession.

b) Des arbitrages pourraient intervenir sur de nombreux postes de dépenses

À court terme, le passage de la « bosse programmatique » va se traduire par des choix aboutissant très probablement à la remise en cause de programmes d’armement, après l’aboutissement des travaux du livre blanc et l’achèvement de la réflexion sur les orientations stratégiques.

Dans le cadre de leur audition, les représentants de la direction du Budget ont observé que, plus le temps passe, plus il est difficile d’ajuster les programmes, la seule variable d’ajustement restant la quantité et non les prix ou les coûts. S’il avait été possible d’intervenir avec souplesse en amont des programmes, des mesures correctrices auraient permis d’éviter la « bosse programmatique ». Ce n’est plus le cas aujourd’hui où l’on est contraint de s’acheminer vers la remise en cause de programmes complets.

Il apparaît que le gouvernement envisage de procéder à des mesures d’économies en réduisant le format des armées. La progression de la masse salariale depuis 2002 comme celle des charges de pensions incite à faire participer les crédits de dépenses ordinaires au financement de la révision de la politique de défense.

Proposition n° – Le Gouvernement doit transmettre aux Présidents et aux Rapporteurs généraux des commissions des Finances de l’Assemblée nationale et du Sénat le compte rendu des travaux de la commission du Livre blanc. Il serait souhaitable qu’un débat soit organisé à l’Assemblée nationale sur les orientations préconisées dans le cadre de ces travaux et qu’un vote permette à la représentation nationale de s’exprimer.

B.– MUTUALISER LES COÛTS DE DÉVELOPPEMENT POUR DIMINUER LES COÛTS D’ACQUISITION

Le financement des programmes d’équipement militaire, et parmi ceux-ci les programmes navals, étant contraint, il est souhaitable de chercher à diminuer les coûts unitaires des équipements par l’augmentation du nombre de bâtiments. En effet, les frais de développement sont fixes, et l’augmentation de la quantité produite permet de les mutualiser, donc de baisser les prix unitaires des équipements. Comme l’ont expliqué les représentants de DCNS lors de leur audition, pour développer un nouveau programme de frégates, il faut investir pas moins que le coût d’une ou deux frégates. Il est donc clair que la mise en œuvre de partenariats ou d’alliances industrielles doit permettre un partage des coûts fixes se traduisant inévitablement par la réduction du coût moyen des produits de série. En cas d’exportation, l’effet est comparable puisque, les frais de développement ayant déjà été exposés, soit la marge peut être améliorée, soit le prix des offres en est réduit d’autant, ce qui augmente l’avantage concurrentiel.

Au demeurant, certains programmes d’armement sont à la fois des programmes en coopération et des programmes de bâtiments exportables. Tel est le cas des frégates multi-missions FREMM, réalisées en coopération de la France et de l’Italie et exportables. Également, la construction en coopération industrielle et non étatique de sous-marins Scorpène pour le Chili et la Malaisie par les chantiers navals militaires espagnols Bazan (devenu Navantia) et par DCNS est organisée dans le cadre de programmes en coopération conçus pour proposer des sous-marins à l’exportation exclusivement. Dans ce cas emblématique, on peut d’ailleurs s’interroger sur la qualification d’un autre contrat liant Armaris (6) et l’Inde pour l’acquisition de Scorpène. Les six sous-marins devant être réalisés en Inde, avec transfert de technologie, peut-on qualifier ce contrat d’un contrat d’exportation ou d’un programme en coopération associant Armaris et les clients indiens ?

1.– Les limites de la politique de développement des exportations

Le développement des exportations présente en principe un intérêt économique évident, compte tenu du retour d’activité qui génère la création de richesses pour le pays exportateur et donc des recettes supplémentaires pour l’État, les collectivités territoriales et la sécurité sociale. Il convient cependant de s’interroger sur l’intérêt réel de cette politique : la concurrence s’exerce sur les marchés d’armement naval hors de toute transparence, les conditions réelles d’exécution des contrats sont obscures, les marges des plus aléatoires et les risques élevés.

a) Les matériels non exportables

Toute opération d’exportation pour un matériel de guerre fait l’objet d’une demande d’agrément préalable examinée par la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériel de guerre (CIEEMG), présidée par le Secrétaire général de la Défense nationale. La CIEEMG émet un avis qui est entériné au niveau du Premier ministre. Les bâtiments à propulsion nucléaire sont interdits d’exportation ; il s’agit du porte-avions Charles-de-Gaulle (lorsque, en fin de vie, la question du retrait de service sera posée) et surtout des sous-marins à propulsion nucléaire conçus pour la marine nationale, sous-marins lanceurs d’engins SNLE et sous-marins d’attaque SNA.

Par ailleurs, l’exportation des sous-marins, principal produit dérivé de la technologie française, fait l’objet d’un examen très attentif par les autorités politiques. C’est ainsi que, pour des motifs tenant à des préoccupations d’ordre international, un projet de vente de Scorpène au Venezuela n’a pas abouti. Selon certaines informations, des interférences du même ordre pèseraient sur les négociations menées par DCNS pour la vente de sous-marins au Pakistan.

Certains équipements sont donc interdits d’exportation pour des raisons politiques, d’autres ne sont pas exportables en l’absence de marché, comme c’est le cas en pratique des porte-avions. Des États développent actuellement des forces navales conséquentes, et disposent déjà ou entendent développer des projets de porte-avions. C’est le cas de la Chine, de l’Inde, sans parler de la Russie qui dispose déjà de l’Admiral Kuznetsov et qui envisagerait la construction d’un nouveau porte-avions. La Chine a entamé des travaux sur la coque du Varyag, porte-avions inachevé acheté à la Russie, et envisagerait la construction de trois porte-avions. L’Inde dispose du Viraat, ex-porte-aéronefs Hermes acheté au Royaume-Uni et a entrepris de rénover l’ex porte-avions soviétique Admiral Gorshkov. Dans tous les cas, il n’est pas imaginable que la Chine et l’Inde envisagent d’acquérir un porte-avions à la France et d’ailleurs il est établi que l’Inde a déjà lancé un programme national de construction avec la mise en chantier d’un porte-avions en 2005 à Cochin.

b) Quel avenir pour les équipements exportables ?

La France a exporté, exporte et peut exporter à l’avenir d’une part des navires de surface, et d’autre part des sous-marins.

● Les frégates constituent le produit phare des exportations en matière de navires de surface. À partir des bâtiments de la classe La Fayette (3 700 tonnes) qui équipent la marine nationale et dont la première a été lancée en 1992, la France a vendu 6 frégates Bravo (3 800 tonnes) en 1991 à Taïwan, qui ont été livrées entre 1996 et 1998, 3 frégates Sawari II (4 500 tonnes) en 1996 à l’Arabie Saoudite, livrées entre 2002 et 2004, 6 frégates Delta à Singapour (3 700 tonnes) en 2000 mais si la première a quitté Lorient, où elle avait été construite, le 31 mai 2005, les autres sont réalisées à Singapour, la cinquième ayant été livrée en octobre 2007.

Les FREMM sont maintenant les types de frégates proposées par la France à l’exportation. D’un prix peu élevé au regard de celui des bâtiments étrangers comparables, notamment les frégates allemandes F 125, elles sont exportables et la vente d’une frégate au Maroc a été annoncée en octobre 2007.

Par ailleurs, DCNS propose également à l’exportation un bâtiment plus petit, la corvette Gowind (en trois versions jaugeant de 1 250 à 1 950 tonnes) dont quatre exemplaires auraient fait l’objet d’une lettre d’intention avec la Bulgarie.

Sur le segment des gros bâtiments, DCNS est présente à l’exportation pour le bâtiment de projection et de commandement (BPC), après la livraison de deux exemplaires de ce type de navires à la marine nationale. L’industriel a connu un revers puisque des négociations très avancées avec l’Australie ont abouti, en juin 2007, au choix d’un projet espagnol présenté par Navantia.

● Dans le domaine des sous-marins (7), DCN associé à l’espagnol Navantia, selon une clé de répartition sensiblement de 2/3 pour l’industriel français et 1/3 pour l’espagnol, a vendu des Scorpène au Chili, à la Malaisie et à l’Inde. 2 Scorpène ont été commandés par le Chili en 1997 et ont été livrés, 2 autres ont été vendus à la Malaisie en 2002. La construction des bâtiments est réalisée à Cherbourg et Carthagène (Espagne) ; les contrats malaisiens prévoient de surcroît la formation des équipages, notamment à Brest sur un sous-marin de la classe Agosta réarmé à cette occasion. Si l’Inde a commandé 6 Scorpène en septembre 2005, leur construction est prévue exclusivement dans les chantiers indiens, ce qui est de peu d’effet sur la charge de travail de DCNS.

La production française de sous-marins profite globalement du retour d’expérience consécutif aux commandes de SNA et de SNLE par la marine nationale. La France entre sur ce terrain directement en concurrence avec les autres exportateurs de sous-marins, en particulier les Allemands dont on considère qu’ils occupent bon an mal an environ 70 % du marché mondial. Dans ce contexte, la MEC a eu l’occasion lors d’une audition d’entendre un éloge du sous-marin allemand U 214, dernier modèle proposé à l’exportation par le groupe Thyssen Krupp Marine Systems (TKMS) dérivé du sous-marin de la classe U 212 livré à la marine fédérale. Ce propos était assorti d’une critique systématique du SNA Barracuda, supposé trop volumineux (8) et trop bruyant et d’un plaidoyer en faveur de la construction par la France d’un second porte-avions, de préférence à propulsion nucléaire. Le U 214 a déjà été vendu à la Grèce et à la Corée du sud et il semblerait que ses performances ne soient pas exactement en adéquation avec le discours tenu devant la mission. La Grèce n’aurait toujours pas accepté la réception du premier sous-marin U 214 compte tenu de divers défauts tels qu’une forte prise de gîte par mer formée, des vibrations du périscope, une signature acoustique élevée ou des défaillances du mécanisme de génération d’air en plongée.

● L’exportation représente, selon les représentants de DCNS auditionnés, environ 30 % du chiffre d’affaires du groupe. L’avenir des industriels français à l’exportation et leur intérêt à s’y développer ne peuvent être assurés pour plusieurs raisons.

En premier lieu, aussi bien pour les navires de surface que pour les sous-marins, les clients imposent la construction des navires par les chantiers navals du pays de destination (frégates Delta de Singapour, Scorpène en Inde), solution qui ne déplaît pas nécessairement à l’industriel pour des raisons de coût de la main-d’œuvre. Cette orientation est bien évidemment préjudiciable à l’activité et à l’emploi en France. En second lieu, les contrats à l’exportation sont assortis de clauses de transfert de technologie, notamment s’agissant de celui des Scorpène pour l’Inde. On ne peut être convaincu par l’argument selon lequel les transferts de technologie sont inévitables, faute de quoi ils seraient effectués par un concurrent (9) puisque ces transferts comportent le risque d’être à plus ou moins long terme concurrencé sur le même terrain des exportations de sous-marins, lorsque l’État acheteur est une grande puissance économique, comme dans le cas de l’Inde.

c) L’exportation : une démarche délicate, voire périlleuse

Les marges sur les contrats à l’exportation sont des plus aléatoires et d’ailleurs mal connues, ce qui est naturel puisqu’elles relèvent du secret industriel. Lors de leur audition, les représentants de DCNS ont indiqué, sans plus de précision, que l’équilibre des contrats d’exportation Scorpène Chili et précédemment Agosta avec le Pakistan n’avait pas été satisfaisant, alors même que l’État avait pris à sa charge les frais de développement du Scorpène, mais que, pris globalement, les contrats d’exportation des Scorpène au Chili, en Malaisie et en Inde étaient bénéficiaires.

Par ailleurs, comme précédemment indiqué, ces contrats comportent le risque de transfert de technologies et donc celui de favoriser des concurrents. Certes, l’audition des représentants de DCNS a confirmé que l’industriel veillait à la protection des éléments les plus sensibles appartenant à la coque épaisse du sous-marin, cloisons résistantes, brèches de coques et tubes lance-torpilles. Dans le cas de l’Inde et pour le Scorpène en général, ces éléments fabriqués à Ruelle ou à Cherbourg et assemblés à Cherbourg sont ensuite incorporés au sous-marin lors de sa finition en Inde ou à Carthagène. Ces précautions supposées n’ont pourtant pas empêché Navantia, co-constructeur du Scorpène, de développer un sous-marin S 80 dont on dit qu’il ressemble fort au Scorpène, qui a donné lieu à une commande ferme de quatre exemplaires par la marine espagnole et a été proposé à l’exportation en concurrençant le Scorpène, notamment très récemment au Pakistan et en Turquie.

On peut donc s’interroger, comme l’avait fait la Cour des comptes dans un rapport particulier sur l’activité, les comptes et la gestion de DCN S.A. pour les exercices 2003 à 2005 (10), sur la capacité de l’industriel à protéger efficacement ses savoir-faire.

L’intérêt de la présence des industriels de la défense à l’exportation pose d’autres problèmes liés à la complexité des contrats dont le périmètre est également mal connu. Il est admis que c’est la négociation commerciale des contrats qui génère le plus de marge alors que les produits compensent les frais commerciaux. Cette réalité a expliqué la création d’Armaris, co-filiale de DCN et Thales chargée des contrats à l’exportation et en coopération, comme l’insistance de DCN à obtenir le contrôle à 100 % d’Armaris, efforts concrétisés effectivement au printemps 2007, à l’issue du processus de convergence entre DCN et Thales. Cependant, les contrats sont globaux ; ils incorporent éventuellement des dispositifs de compensation industrielle exigés par l’acheteur, appelés dans le jargon de la profession les offsets. Les offsets sont si importants et sensibles qu’ils font l’objet d’un rapport annuel du département du commerce au Congrès des États-Unis.

Par ailleurs, les marchés d’exportation peuvent donner lieu à des anomalies, comme l’a montré le dossier de frégates Bravo vendues à Taïwan. Le terme « ingénierie commerciale » désigne dans leur ensemble les montages (contrats, accords de coopération, échanges) et les clauses négociées associés à une transaction et comprend les offsets dont il vient d’être question.

La notion de risque OCDE, qui est couramment évoquée en matière d’exportation d’armements par la profession, fait référence au risque lié à l’application de la convention OCDE du 17 décembre 1997 relative à la corruption des agents publics dans les transactions du commerce international, entrée en vigueur en 1999.

En dernier lieu, les marchés d’exportation sont incertains et, indépendamment même des annonces officielles, les négociations se prolongent et laissent attendre longtemps le dénouement attendu.

On a ainsi successivement appris récemment l’attribution du contrat de BPC australien à Navantia mais ce contrat ne semble pas encore signé, ce qui laisse planer quelque incertitude ; la vente d’une frégate FREMM au Maroc, mais le contrat n’est pas non plus signé et le Maroc semble avoir acquis très récemment trois corvettes aux Pays-Bas ; et un projet sérieux de ventes de corvettes Gowind à la Bulgarie, qui vient de se fournir en Belgique pour deux frégates d’occasion.

Pour cet ensemble de raisons, il convient de relativiser les avantages à attendre d’un positionnement fort à l’exportation.

En tout état de cause, dans la situation de concurrence économique mondiale que nous connaissons, il importe de réfléchir aux conséquences des choix stratégiques en matière d’exportations d’armement et d’équiper nos armées, tout en prenant en compte les contraintes opérationnelles, de matériels susceptibles d’être exportés ou de favoriser l’exportation de matériels dérivés (comme les sous-marins Scorpène bénéficiant d’avancées technologiques développées pour les sous-marins à propulsion nucléaire).

Proposition n° – Intégrer, dès le début du processus décisionnel relatif à tout programme d’armement, la dimension exportation.

2.– Les mécomptes des programmes en coopération

Les programmes en coopération posent des problèmes très comparables à ceux posés par les exportations, ils comportent des difficultés particulières si l’on considère que la mise en œuvre d’un projet commun par plusieurs États et plusieurs industriels se heurte le plus souvent à de très sérieuses difficultés, faute d’une réelle adéquation des intérêts et des moyens financiers des partenaires.

a) Les déboires des synergies avortées

Les programmes en coopération apparaissent peu concluants, un nombre limité de programmes lancés en commun aboutit effectivement. Les personnes auditionnées par la MEC ont, sans exception, exprimé, à des degrés divers, des réserves sur les programmes en coopération.

Le programme de frégates de défense aérienne Horizon, qui a donné lieu à un rapport du CPRA en septembre 2000 (11), constitue un bon exemple de cette situation. Le programme Horizon a été lancé à la fin de 1990 et donné lieu à partir de 1993 à un programme formel de coopération associant la France et le Royaume-Uni d’abord, puis tripartite avec l’intégration de l’Italie en 1994. À la fin de la phase de définition, en 1999, le Royaume-Uni s’est retiré unilatéralement du programme. Le rapport du CPRA souligne que, dès l’origine, des désaccords importants étaient apparus entre la France et le Royaume-Uni, sur le système de défense aérien à installer avec des divergences sur le radar multifonctions, sur la désignation du maître d’œuvre industriel de l’ensemble « bâtiment et système d’armes » et concernant l’étude du système de combat.

L’échec de la coopération tripartite s’explique essentiellement par les insuffisances de la maîtrise d’œuvre, les interventions constantes et divergentes des autorités étatiques, la multiplication des variantes nationales et le désaccord de fond sur le système d’exploitation de l’information et du commandement.

Le CPRA ne semble pas considérer que l’un des trois États ait pu tirer un avantage particulier des travaux menés en commun, et il insiste sur les travaux d’expertise nationale fort coûteux que le Royaume-Uni a mis en œuvre et dont il a assuré le financement. Il n’estime pas pouvoir répondre précisément à la question de savoir si une opération purement nationale aurait été moins coûteuse. Il apparaît pourtant que la coopération tripartite pour la phase de définition a duré sept ans, délai absolument excessif et très supérieur à celui requis par la définition d’un programme dans le cadre national. La coopération induit des surcoûts en termes de déplacements et d’organisation ; les travaux menés ont été particulièrement onéreux. En définitive, le CPRA constate que le coût total de la coopération est incontestablement et très significativement supérieur au coût d’une solution nationale mais, mutualisé entre trois pays et compte tenu du total dépensé par la France, il est inférieur à ce qu’il était prévisible pour une solution nationale. Cette considération ne mesure pas le coût de l’allongement des délais, puisque, pour un programme lancé en 1990, le premier bâtiment n’est toujours pas en service.

Au total, et parmi les causes des étalements de calendrier des programmes, un rapport du CPRA de janvier 2003 (12) mentionne les difficultés dues à la coopération internationale puisque, dans ce cadre, chaque État participant apporte sa contribution particulière aux retards : les contraintes budgétaires sont rarement concordantes, ainsi les situations respectives de la France et de l’Allemagne ont fréquemment été en contrephase, ce qui est une raison de l’allongement du programme d’hélicoptère de combat Tigre, des divergences naissent souvent entre les États sur la conduite des programmes et l’organisation industrielle choisie est rarement optimale en raison des conditions imposées pour la répartition de l’activité.

Les mêmes considérations s’appliquent au second porte-avions PA2, programme en coopération décidé pour des impératifs politiques, et pour lequel les synergies attendues avec les deux porte-avions britanniques CVF se réduisent au fur et à mesure de l’avancement du projet (voir la première partie du présent rapport). Ainsi, la construction ne sera même pas commune avec partage des blocs entre les chantiers navals français et britanniques pour des raisons qui tiennent à la restructuration des chantiers navals britanniques et s’analysent comme une manifestation de préférence nationale.

b) Les risques de pillage des savoir-faire

Le risque de transfert de technologie existe en cas de programme en coopération et ce problème a déjà été évoqué pour le Scorpène.

Des difficultés du même ordre sont apparues pour le projet de second porte-avions et sont évoquées par le rapport particulier de la Cour des comptes précité sur les comptes et la gestion de DCN S.A. de 2003 à 2005. La coopération a été lancée en prévoyant l’achat par la partie française du droit d’étudier les plans du porte-avions britannique, ce qui laisse perplexe compte tenu du fait que les Britanniques n’ont pas l’expérience de la construction d’un véritable porte-avions catapultant des aéronefs, à la différence des Français. En pratique, le travail en commun d’équipes intégrées laisse planer un doute sur les principaux bénéficiaires de la coopération alors que, selon la Cour des comptes, l’impératif de protection des compétences est insuffisamment pris en compte par la partie française.

c) Les compromis industriels qui affectent la satisfaction du besoin opérationnel

La coopération internationale a pour effet tendanciel de renchérir les coûts des équipements dans la mesure où les différentes parties n’ont pas nécessairement les mêmes besoins opérationnels sur un même projet : un compromis est facilité en cas d’alignement sur la solution la plus exigeante, donc la plus onéreuse. Les sur-spécifications qui apparaissent sont alors la conséquence du caractère coopératif du programme.

Dans le cas des FREMM, les projets français et italiens étaient au départ substantiellement différents. Les Italiens recherchaient la définition d’une frégate rapide pouvant atteindre 30 nœuds, alors que les Français auraient pu se satisfaire d’un bâtiment de moindre vitesse. En définitive, alors que le principe d’une propulsion mixte diesel-électrique et à gaz a été retenu, le contrat ayant été signé en novembre 2005, le choix du moteur à gaz restait à opérer au printemps 2006. La compétition a opposé la société italienne Fiat Avio qui proposait initialement une turbine à gaz sous licence américaine General Electric, et Rolls Royce qui était en mesure d’équiper les FREMM de la même turbine que celle envisagée pour les futurs porte-avions français et britanniques, ce qui aurait constitué un avantage pour l’entretien et les rechanges. Fiat Avio a remporté le marché, avec une turbine d’une puissance insuffisante au regard du cahier des charges, en mars 2006. Pour la partie diesel-électrique de la propulsion, le motoriste allemand MTU a été retenu, en avril 2007, contre l’italien Isotta Fraschini. La motorisation a donc donné lieu à des compromis.

En définitive, le développement des programmes en coopération apparaît guidé surtout par des considérations d’ordre politique, alors que la construction d’une Europe de la défense est encore embryonnaire. Sur le terrain de la réduction des coûts d’acquisition par la mutualisation des frais de développement, le résultat est plus qu’incertain puisque les inconvénients des programmes en coopération semblent engendrer des surcoûts au moins équivalents aux avantages qu’ils procurent.

3.– Consolidation européenne ou champions nationaux ?

Une dernière piste qui permettrait de diminuer les coûts des équipements navals réside dans l’accélération du processus dit de « consolidation européenne », c’est-à-dire le regroupement capitalistique et industriel des industries du secteur naval de défense en Europe. En effet, le regroupement des acteurs aurait pour effet de concentrer les moyens en recherche et développement en simplifiant la gamme des bâtiments proposés à l’exportation, et donc de faciliter la conclusion de contrats. Cependant, il est clair que, actuellement, les rivalités à l’exportation comme les difficultés des programmes en coopération mettent en évidence l’absence de coopération franche entre les groupes européens. On ne peut donc s’étonner que les rapprochements s’opèrent surtout pour l’instant dans le cadre national et s’apparentent à l’expression d’un véritable nationalisme industriel.

a) Les rapprochements s’opèrent surtout dans le cadre national

Le secteur des industries de défense en Europe est morcelé et en posture difficile face aux industries extra-européennes, non seulement des États-Unis, mais également celles des pays émergents. Cinq des six premiers groupes mondiaux de défense sont américains. EADS est le septième groupe du classement, avec moins de 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires lié aux activités de défense (les cinq premiers groupes réalisent chacun plus de 15 milliards d'euros de chiffre d'affaires dans ce domaine). Viennent ensuite, pour la France, en neuvième position Thales (environ 7,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires pour les activités militaires), en seizième position DCNS. Les industriels des autres pays européens apparaissent relativement loin dans le classement à l'exception du Britannique BAe systems ; Finmeccanica est onzième.

● Une restructuration de l'industrie européenne est indispensable pour qu'elle reste compétitive, notamment sur les marchés d'exportation.

Sur le plan de l’industrie navale du secteur de défense, l’amiral Alain Oudot de Dainville, alors chef d’état-major de la Marine, a estimé lors de son audition par la commission de la Défense de l’Assemblée nationale, le 18 octobre 2006, que « Le rapprochement de DCN avec Thales (processus « Convergence ») est essentiel. C’est un préalable à la constitution d’un groupe de construction navale européen de taille à faire face efficacement aux chantiers navals concurrents américains. Ainsi, on ne dénombre aux États-Unis que cinq constructeurs navals militaires qui s’appuient sur cinq bureaux d’études, à comparer aux quatorze bureaux d’études en Europe. Il serait possible de procéder à des regroupements européens, afin d’obtenir des économies d’échelle, par la production de bâtiments communs ».

● Dans les faits, la consolidation européenne s’opère surtout dans le cadre national.

En Allemagne, au sein d’un secteur naval militaire développé, comprenant une dizaine de chantiers, deux acteurs importants, HDW et ThyssenKrupp, ont fusionné leurs activités en 2004 au sein de Thyssen Krupp Marine Systems (TKMS), au capital détenu à 75 % par ThyssenKrupp, et qui occupe environ 8 000 personnes. Contrairement à DCNS, les chantiers allemands TKMS ont développé une forte activité civile, qui équilibre les cycles plus erratiques de la commande militaire publique. L’activité se répartit approximativement par moitié entre civil et militaire. La constitution de TKMS a permis de mettre fin au contrôle d’HDW par le fonds d’investissement américain One Equity Parner (OEP), filiale de la banque américaine Bank One et de réunir l’essentiel des chantiers navals dans le cadre national.

Il est à noter que des susceptibilités sont apparues outre Rhin en 2005 lors de la recomposition du capital de l’électronicien allemand Atlas Electronik qui détient le marché des systèmes de combat et d’équipement des sous-marins produits par HDW ainsi que de bonnes positions en matière de guerre des mines et de management des systèmes de combat. Également présent dans le secteur terrestre, il était détenu à hauteur de 51 % par Rheinmetall et de 49 % par BAe Systems, puis a été scindé en deux en 2003, Rheinmetall acquérant la branche terrestre et BAe Systems la division navale. Lors de sa cession par BAe, le Gouvernement allemand a pesé fortement pour écarter Thales comme repreneur et aboutir, à la fin de l’année 2005 à son rachat par un consortium formé de TKMS et d’EADS. TKMS, qui est très présent également en Grèce et en Suède a pu être présenté comme « le fer de lance des ambitions allemandes ». Le groupe TKMS se pose donc comme l’axe central de la consolidation du secteur en Europe et s’oppose logiquement aussi bien à Thales qu’à DCNS.

En France, l’année 2007 a vu en avril l’aboutissement du processus Convergence qui rapproche DCN et Thales, sous l’impulsion du Gouvernement. Après une négociation longue et difficile, démarrée fin 2003, un accord a été trouvé entre DCN et Thales et signé le 15 décembre 2005. Ses grandes lignes sont les suivantes :

– entrée directe de Thales au capital de DCN à hauteur de 25 %, financée partiellement par la cession préalable par Thales à DCN de ses actifs français dans le secteur naval de défense, soit les actifs de sa filiale Thales Naval France (TNF) – hors activités radars – et ses participations dans Armaris (50 %), dans le joint-venture du deuxième porte-avions - PA2 (35 %) et dans Eurotorp (24 %) ;

– possibilité donnée à Thales d’accroître sa part dans le capital de DCN en même temps que s’approfondira l’intégration entre son pôle naval de défense et DCN. Sous la forme d’une option d’achat, Thales pourra monter sa participation à 35 % au lieu de 25 % par apport d’actifs ou en numéraire pendant une période de trois ans commençant deux ans après le closing de la première opération, donc en 2009 ;

– des droits spécifiques sont reconnus à Thales en tant qu’actionnaire industriel de référence (nomination de deux administrateurs sur les six membres représentants l’entreprise), concertation sur la nomination du Président de DCN, concertation approfondie sur le budget et le plan à trois ans, droit de veto au conseil d’administration sur des décisions structurantes. Thales sera représentée dans l’ensemble des comités spécialisés du conseil d’administration de la société, à l’exclusion du comité des offres (les offres feront, cependant, l’objet d’une concertation avec Thales en vue de s’assurer de leur équilibre économique).

Le processus de rapprochement s’est achevé en avril 2007 à l’issue des due diligences entre DCN et Thales, et DCNS est devenu le seul acteur national dans le domaine de l'industrie de la construction navale militaire.

Enfin, très récemment, dans le contexte de la construction attendue des deux porte-avions britanniques, BAe Systems et VT Group ont annoncé en juillet 2007 un accord de fusion de leurs chantiers navals. BAe détiendrait 55 % de la filiale commune et VT Group 45 %. Il s’agit des deux principaux opérateurs britanniques en matière de construction navale militaire qui occupe plus 5 000 personnes sur 90 000 au total chez BAe, et 9 000 chez VT Group.

En Espagne, le groupe public Navantia qui emploie maintenant environ 5 000 personnes résulte de la fusion, en 2001, du chantier militaire Bazan et du chantier civil Astilleros Españoles dans une société nouvelle Izar. Cette opération, qui avait pour but d’adosser des activités civiles ayant connu de nombreux déboires à un groupe militaire plus solide, a abouti à la constitution d’une entreprise comptant 11 000 personnes en 2003. La cession des activités civiles en 2005, pour satisfaire notamment les exigences de la Commission européenne en matière d’aides d’État, a donné naissance au groupe Navantia.

La consolidation du secteur naval de défense intervient donc presque exclusivement dans le cadre national. Dans un entretien de décembre 2007, M. Jean-Marie Poimboeuf, président de DCNS, a considéré que « Se battre entre Européens à l’export, c’est perdre de la marge ou multiplier par deux les coûts de développement d’un navire. Aujourd’hui, la tendance n’est pas aux rapprochements, chacun croyant être le meilleur ».

b) Un vrai nationalisme industriel

Une étude récente de la fondation pour la recherche stratégique (13) observe que les acteurs industriels travaillant pour la défense tardent aujourd’hui à se restructurer et à se rapprocher et que « le secteur européen de l’industrie navale militaire reste structuré par nations, avec des industries domestiques extrêmement dépendantes des commandes étatiques nationales ». Parmi les principaux acteurs européens, TKMS, BAe Systems, VT Group et Aker Yards sont des entreprises à capitaux privés alors que les industriels de France, d’Espagne et d’Italie sont contrôlés par l’État.

Navantia et Fincantieri sont deux entreprises publiques, la première une filiale à 100 % de la sociedad estatal de participaciones industriales (SEPI), équivalent espagnol de l’agence des participations de l’État ; et la seconde contrôlée à 90 % par l’État italien. En France, DCNS est contrôlé par l’État à 75 % et par Thales à 25 %, l’État demeure propriétaire de 27 % du capital de Thales. Finmeccanica qui est un acteur surtout en matière de systèmes de combat a pour actionnaire de référence l’État italien avec 32,5 % du capital.

Aucune restructuration européenne n’émerge dans le secteur des industries navales de défense, sauf en ce qui concerne TKMS qui est implanté en Suède et en Grèce. Les structures sont différentes puisque si TKMS et Fincantieri exercent aussi bien des activités civiles et militaires, les deux groupes DCNS et Navantia sont dédiés presque totalement aux activités militaires et dépendent des commandes de l’État en même temps actionnaire. Dans tous les cas, que l’industriel soit public ou privé, la politique de commandes publiques contribue à le viabiliser et participe au processus national de restructuration. On a pu s’étonner que l’Allemagne signe avec TKMS (auquel est associé EADS) la commande de quatre frégates F 125 spécialisées dans l’action vers la terre alors que français et italiens sont en train de développer le programme FREMM depuis plusieurs années. Ces frégates F 125, très comparables aux FREMM quant à la taille, au tonnage et à l’emploi, devraient coûter 2,6 milliards d’euros, enveloppe contractuelle qui pourrait être portée à 3 milliards compte tenu des révisions de coûts attendues jusqu’à la livraison de la dernière unité en 2019. Même si les comparaisons sont rendues difficiles par la question de la mutualisation des frais de développement qui n’est pas la même selon le nombre de bâtiments commandés (14), les frégates F 125 apparaissent nettement plus onéreuses que les FREMM. Le gouvernement allemand s’est-il fait « rouler dans la farine » comme on l’a entendu lors d’une audition, ou bien la commande des F 125 constitue-t-elle pour ce gouvernement une occasion de favoriser un champion national ?

Le nationalisme industriel doit être compatible avec la réglementation communautaire en matière d’aides d’État. L’article 296 du traité instituant la Communauté européenne prévoit que « tout État membre peut prendre les mesures qu'il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d'armes, de munitions et de matériel de guerre ; ces mesures ne doivent pas altérer les conditions de la concurrence dans le marché commun en ce qui concerne les produits non destinés à des fins spécifiquement militaires ». Dans ce cadre, les industriels qui exercent une faible part de leur activité dans le domaine civil sont moins exposés que les autres, DCNS est en la matière dans une meilleure posture que TKMS. Au total, pour les industries d’armement, le droit communautaire de la concurrence semble pour l’instant relativement peu contraignant.

Comme la politique de commandes d’État sert objectivement le plus souvent les industries nationales, certains groupes ont développé une stratégie multidomestique dans le cadre de leur développement externe. Des sociétés de stature internationale peuvent ainsi plus facilement obtenir des marchés dans des États étrangers par le biais de filiales implantées dans ces États. C’est ainsi que Thales, implanté aujourd’hui dans dix États différents, a pu, après l'acquisition par OPA de la société britannique Racal Electronics, s’établir durablement au Royaume-Uni. Une autre filiale implantée aux Pays-Bas, Thales-NL, peut présenter des offres dans le cadre de marchés d’armement et concurrencer celles de DCNS. L’opposition frontale des deux entreprises a déjà été constatée, notamment en matière de drones sous-marins et de dispositifs de contrôle de zone, même si Thales participe au capital de DCNS à hauteur de 25 %.

C.– LES ENJEUX STRATÉGIQUES

En définitive, les projets d’équipement naval militaire ont pour but de servir la capacité de défense de la France et de donner à la marine les moyens de remplir son contrat opérationnel. Dans un contexte budgétaire tendu, on ne peut que constater que la perspective de mutualisation des frais de développement des programmes pour diminuer les coûts unitaires des équipements est une entreprise incertaine : les exportations ne permettent pas nécessairement de dégager des marges bénéficiaires, les programmes en coopération sont décevants ; toute coopération comporte au demeurant le risque de dilapider des savoir-faire, quant à la consolidation européenne des industries de défense, elle demeure une formule cachant difficilement l’expression constante du nationalisme économique.

Il convient donc de satisfaire les impératifs stratégiques : donner à la marine les moyens d’assurer ses missions, maintenir les compétences pour assurer à l’avenir les conditions de développement d’armements modernes, préserver l’activité industrielle indispensable aux constructions neuves et au maintien en condition opérationnelle des bâtiments.

1.– Le contrat opérationnel de la marine

Les arbitrages à venir ne seront pas seulement budgétaires mais essentiellement stratégiques. La marine nationale assure d’autres missions que la dissuasion nucléaire et a l’usage d’autres navires que les sous-marins nucléaires d’attaque, les porte-avions ou les frégates.

Avec les bâtiments de projection et de commandement, qui ont pris la suite des transports de chalands de débarquement, elle dispose de bâtiments utiles en temps de crise, pour l’évacuation de populations, comme au Liban à l’été 2006, ou la projection de forces. En l’absence du porte-avions Charles-de-Gaulle, qui subit sa première IPER à Toulon depuis septembre 2007, c’est le BPC Mistral qui devrait à partir du mois prochain participer à une mission Agapanthe dans l’océan Indien. On peut évoquer également l’activité des patrouilleurs, celle des avisos, le réseau des sémaphores, les bâtiments de servitude.

Son format est appelé à évoluer enfin parce qu’il s’inscrit dans une démarche stratégique qui est presque toujours mutualisée : dans le cadre de l’Union européenne, de l’ONU ou de l’OTAN.

2.– Maintenir les compétences et protéger les savoir-faire

Les arbitrages à venir entre les programmes d’armement naval doivent également prendre en considération l’intérêt de conserver en France les savoir faire industriels essentiels à l’indépendance nationale. Cette question recoupe celle du maintien des programmes participant à la cohérence stratégique en matière de défense nationale. Une industrie nationale est-elle indispensable pour les frégates (et autres navires « légers » de surface : corvettes, avisos), pour les sous-marins, pour les porte-avions ?

Il est avéré que la construction des sous-marins, forte de plusieurs décennies de conception et de développement de sous-marins nucléaires (SNLE, SNA), constitue un pôle d’excellence technique de la France, dans un domaine infiniment plus complexe que pour toute autre catégorie de navire. En particulier, la conception même des SNA de la classe Rubis avait suscité l’admiration des techniciens, puisque le Rubis est le plus petit sous-marin nucléaire du monde. Pour les SNLE de première génération du type le Redoutable, la chaufferie est dite à boucle. Le générateur de vapeur est situé à un autre emplacement que le réacteur. Dans les SNLE-NG, les SNA et le porte-avions Charles-de-Gaulle, la chaufferie est dite compacte : pour réduire son volume, l'unique générateur de vapeur est placé directement au-dessus de la cuve contenant le coeur nucléaire. Ce type de chaufferie a été développé dans un premier temps pour équiper les SNA, dont le diamètre n'est que de 7 mètres. Grâce à ses nombreux avantages, son utilisation a été généralisée aux autres types de bâtiments.

Il semble a contrario, s’agissant des industriels anglais, qu’une déperdition des savoir-faire pourrait au moins partiellement expliquer la dérive des coûts du programme de SNA Astute. La Royal Navy, qui a procédé au lancement du HMS Astute en juin 2007 n'avait pas connu de tel événement depuis le lancement du HMS Vengeance, dernier sous-marin nucléaire lanceur d'engins de la classe Vanguard, en 1998. Le programme a rencontré des difficultés techniques, conduisant à un important dépassement budgétaire, la facture des trois premières unités aurait atteint 5,4 milliards d'euros, soit près du double de ce qui était initialement prévu. De surcroît, les équipes de BAe Systems en charge du projet ont dû faire appel à l’aide de l’industrie américaine (General Dynamics) pour résoudre ces difficultés.

La question de la déperdition des savoir-faire se pose différemment pour les navires de surface. En effet, le recours de plus en plus répandu à des chantiers civils pour la construction de bâtiments aux normes civiles affaiblit l’argument selon lequel seuls les arsenaux d’État sont capables de construire des navires au niveau de qualité exigé par la marine, argument déployé encore récemment à propos des frégates de surveillance de la classe Floréal, construites par les Chantiers de l’Atlantique dans la dernière décennie du siècle précédent.

3.– L’activité industrielle et l’emploi

La prépondérance du marché domestique, c'est-à-dire la part du « client national » ou encore, plus concrètement, de la mission Défense, est estimée à 70 % du chiffre d’affaire de DCNS. Cette prépondérance est patente non seulement au regard du chiffre d’affaires réalisé au cours des dernières années mais, aussi, dans les estimations de prises de commandes pour les années à venir.

a) La construction navale militaire : une activité structurante

Les grands programmes d’équipement naval permettent donc d’assurer la plus grande part du chiffre d’affaires et de l’emploi des établissements industriels de DCNS. Tous les programmes dits « structurants » (principalement FREMM et Barracuda) fournissent l’essentiel du plan de charge à des établissements comme Cherbourg ou Lorient.

Cependant, les conditions d’exécution des contrats sont susceptibles de varier selon la nature des bâtiments en cause.

Les SNA Barracuda devraient être intégralement construits sur le site DCNS de Cherbourg, leurs coques y étant assemblées, avec certains éléments essentiellement produits sur d’autres sites du groupe : la chaufferie nucléaire à Indret près de Nantes, les tubes lance-torpilles, les mâts hissables (périscopes, radars, senseurs), les générateurs de gaz des missiles stratégiques M45 et M51 et les portes supérieures des silos de missiles des SNLE-NG à Ruelle près d’Angoulême, les torpilles à Saint-Tropez.

Pour les FREMM, les modalités d’exécution sont très différentes. En effet, les méthodes de construction ont été transformées depuis le milieu des années quatre-vingt-dix pour les navires de surface avec l’optimisation de l’utilisation des lieux d’assemblage (forme couverte, bassins et terres pleins) afin d’éviter les goulots d’étranglement. Les bâtiments sont maintenant construits par tranches (blocs ou anneaux), ce qui réduit à une durée minimale le passage en forme de construction, l’assemblage d’un navire prenant environ six mois de travail. La méthode nouvelle permet non seulement d’augmenter les flux mais également de sous-traiter à l’extérieur du site d’assemblage la réalisation de blocs (15), La frégate Lafayette a été la dernière construite de manière traditionnelle entièrement en forme (1992).

Pour le montage industriel du programme FREMM, DCNS a décidé de mettre en concurrence les chantiers navals susceptibles de réaliser comme sous-traitants des anneaux de frégates. À la fin de 2006, la direction du groupe avait précisé que la tête de série serait intégralement réalisée à Lorient, afin de bénéficier des retours d’expérience du premier de série.

Pour les sept frégates suivantes, seule la partie arrière des bâtiments sera construite à Lorient. La moitié avant de la FREMM n° 2, sera construite à Brest et à Cherbourg. À partir du troisième bâtiment, seul le site de Cherbourg travaillerait sur la construction, avec les deux blocs de la proue, les quatre autres étant réalisés en sous-traitance. Brest conserverait l'assemblage et l'armement de la proue, avant son transfert vers Lorient pour assemblage à la moitié arrière. Les sites DCNS de Brest, Cherbourg et Lorient sont donc mis en concurrence et priés de s'aligner sur les prix des autres chantiers concurrents : il s’agit non seulement de chantiers navals français comme Piriou (Concarneau) et Aker Yards (Lorient), voire des Constructions Mécaniques de Normandie mais également de chantiers polonais, grecs et bulgares.

Au-delà de la réalisation de la coque nue, le contrat des FREMM est important du fait de l’armement des frégates. Il est prévu de les équiper de missiles Exocet MM40, du système de protection contre les menaces aériennes, maritimes et sous-marines (Principal Anti Air Missile PAAMS) avec des lanceurs Sylver, des missiles antiaériens Aster 15, des missiles de croisière Scalp Naval, des torpilles légères MU90 et un hélicoptère NH90. Les FREMM sont donc importantes pour le missilier européen MBDA, Eurocopter, le GIE Eurotorp et le site DCNS de Saint-Tropez ainsi que celui de Ruelle. Ce dernier a pour activité prépondérante de produire le SYstème de Lancement VERtical de missiles SYLVER. L’activité est régulière et liée aux commandes de missiles, DCNS fournissant les lanceurs des missiles MBDA. Thales est également très présent pour la fourniture d’équipements, ainsi que SAFRAN.

Le contrat du second porte-avions PA2 n’est pas encore signé mais, les discussions ont déjà commencé sur la détermination des sites de réalisation des trois bâtiments français et britanniques (CVF : Carrier Vessel Future). En plus de l'achat de gros équipements en commun, comme la propulsion, Français et Britanniques auraient pu aller plus loin en matière de construction. Il aurait été possible de réaliser les mêmes parties des trois porte-avions dans le même site industriel, pour tenter de bénéficier d'un effet de série. Les Britanniques n’ont pas souhaité une telle solution et les porte-avions anglais seront intégralement construits au Royaume-Uni.

Les établissements industriels de DCNS sont implantés dans des bassins d’emploi où ils représentent une activité importante, quelquefois prépondérante : 3 200 emplois à Brest, 2 500 à Toulon, 2 400 à Cherbourg, 2 000 à Lorient, un millier à Indret et plus de 800 à Ruelle. Il s'y ajoute une sous-traitance abondante de PME et PMI, principalement dans le voisinage des chantiers de construction et d'armement.

b) Quelle mise en concurrence pour la construction et l’entretien des équipements navals militaires ?

La MEC a abordé à plusieurs reprises lors de ses auditions la question de la mise en concurrence des industriels comme moyen de diminuer les coûts des programmes. La question n’est pas simple, puisque le fonctionnement du marché de l’armement n’a qu’un rapport ténu avec les principes de l’économie libérale, que l’on considère la réalité des marchés d’exportation ou la sensibilité des États à protéger un secteur national fort. Cette dernière préoccupation n’est d’ailleurs ni illégitime, puisqu’elle répond à des impératifs de sécurité nationale, ni prohibée par la réglementation communautaire.

Il est à noter que l’État, principal client, est également l’actionnaire principal de DCNS, à 75 %, représenté au conseil d’administration et au comité des offres de l’industriel. Il dispose donc simultanément, mais par des personnes différentes, d’éléments d’information comme client (la DGA) et comme actionnaire (l’Agence des participations de l’État) sur les négociations des programmes d’Armement et sur la marge attendue par l’industriel…

L’intérêt de la mise en concurrence doit être mesuré à l’aune de la qualité des personnels de DCNS et de la volonté de l’État de maîtriser son outil de défense.

Comme cela a été exprimé très clairement à l’occasion d’une audition, si la mise en concurrence ne concernait que la phase initiale et laissait la place in fine à un mécanisme de coopération aboutissant à un saupoudrage de la production dans les différents bassins d’emploi, on risquerait de connaître les mêmes surcoûts que ceux que l’on a déjà constatés dans tous les programmes menés en coopération, surcoûts qui se profilent en cas de lancement des programmes de construction des trois porte-avions, puisque les Britanniques ont refusé une organisation rationnelle de partage des activités.

Sur un plan strictement hexagonal, l’État est limité dans sa démarche de mise en concurrence pour la construction neuve et doit traiter au maximum avec deux industriels, et même, la plupart du temps, avec un seul, dont il est le principal actionnaire, et dont la survie est indispensable, étant donné les intérêts nationaux en jeu et le souci de protéger l’autonomie de nos capacités de production et d’avancée technologique.

Pour la construction de navires neufs, la mise en concurrence est réelle de la part du maître d’œuvre désigné après attribution du marché, elle s’applique à ses fournisseurs et à ses sous-traitants. Lorsque le contrat initial est signé, tout reste à faire et notamment le choix de la motorisation, des équipements électroniques et des systèmes de combat voire des armements, comme on l’a vu pour les FREMM : plusieurs options étaient possibles. Comme systèmier, le titulaire du contrat a intérêt à diminuer ses coûts de production, à agir sur les achats et sur la sous-traitance. C’est d’ailleurs dans le domaine des achats que les améliorations ont été les plus spectaculaires après le changement de statut de DCN.

La problématique n’est guère différente en matière d’entretien des bâtiments. Après le changement de statut, le service de soutien de la flotte (SSF) a entrepris de mettre DCN S.A. en concurrence afin de faire baisser les prix et améliorer les prestations. Au moment du renouvellement de la plupart des contrats d’entretien des bâtiments de la flotte en 2005, comme l’indique le rapport particulier de la Cour des comptes précité, la concurrence a été plus importante que prévu mais n’a pas empêché l’industriel habitué de remporter la quasi-totalité des marchés, 90 % des crédits du SSF lui étant attribués, y compris les marchés de gré à gré qui représentent plus de la moitié de l’ensemble (16).

Dès lors, l’alternative à la mise en concurrence est la confrontation étroite entre les services de l’État d’une part et l’industriel de l’autre. Cela était impossible lorsque DCN était une administration centrale de l’État. Depuis sa transformation et la constitution, en vis-à-vis, du service de soutien de la flotte
– SSF – au sein de la marine, la confrontation est devenue davantage serrée, au moins pour tout ce qui concerne le maintien en condition opérationnelle (MCO).

En matière d’entretien des bâtiments, les nouveaux contrats prévoient la rémunération de jours de disponibilité, le prestataire étant soumis à une obligation de résultat. Pour les nouveaux programmes, tel celui des Barracuda, le contrat incorpore le coût du maintien en condition opérationnelle des premières années suivant la réception des bâtiments. Le CPRA a étudié dans un rapport de septembre 2006 (17) le maintien en condition opérationnelle des frégates fortement armées de Toulon, comme exemple d’application des nouveaux contrats de disponibilité opérationnelle en 2005. Le CPRA indique que l’objectif des nouveaux marchés était de remédier à la dégradation du taux de disponibilité opérationnelle des bâtiments. L’ouverture à la concurrence a eu pour résultat que DCN a remporté l’essentiel des marchés de MCO, étant le seul partenaire industriel possible. L’expérience qu’il a accumulée sur les bâtiments de tous types et la connaissance technique qu’il en a retirée rendent déraisonnable le recours à une concurrence pure. « Dans ce contexte, le but premier du MCO est avant tout de parvenir à l’optimum technico-économique et militaire ».

Au total, la mise en concurrence systématique d’industriels peu nombreux dont un, DCNS, à un avantage sur les autres par son ancienneté et sa connaissance du client et des équipements déjà en service, n’apparaît pas indispensable à la baisse des coûts. Il est préférable de mener une politique de renforcement des moyens de la marine nationale qui lui permette de parvenir à améliorer la qualité des prestations et de récupérer également une part des gains de productivité de DCNS par la baisse de leur coût.

LISTE DES PROPOSITIONS DE LA MEC

A.– La conduite des programmes

Proposition n° 1.– Renoncer à l’étalement dans le temps de tout programme militaire majeur. L’expérience montre que tous les programmes qui ont fait l’objet d’un décalage se sont avérés plus onéreux, notamment parce qu’il a fallu prolonger des équipements devenus obsolètes. Par ailleurs, les contraintes financières ne doivent pas peser seulement sur les armements navals, mais être équitablement réparties sur l’ensemble des programmes d’armement militaires en fonction des priorités stratégiques de la Nation.

Proposition n° 2.– Le calendrier de réalisation des Barracuda, optimisé à la fois pour des raisons opérationnelles et industrielles, ne doit plus être modifié. Les SNA, à qui il incombe, entre autre, de protéger les SNLE porteurs du feu nucléaire, sont indispensables à la crédibilité de la dissuasion française. Or, la durée de vie des SNA de la précédente génération, les Rubis, ne pourra être prolongée indéfiniment. Toute mesure d’économie devra donc être envisagée sur un autre programme.

Proposition n° 3.– Renoncer aux « surspécifications » inutiles qui alourdissent le coût des programmes militaires. En l’occurrence, le programme FREMM sur ce point semble exemplaire.

Proposition n° 4.– Ne plus engager de programme d’armement sans les moyens financiers correspondants. En raison de la concurrence économique mondiale à laquelle elle est confrontée, la France ne devra plus lancer un programme d’armement sans qu’aient été dégagées les ressources réelles correspondantes, dans le cadre d’une politique budgétaire soutenable.

Proposition n° 5.– Si la décision de construire le deuxième porte-avions est finalement prise, le contrat devra inclure, comme c’est le cas pour les Barracuda et les FREMM, au moins six années de maintien en condition opérationnelle (MCO). D’une manière générale, pour l’ensemble de ses programmes majeurs, la marine nationale devra contractualiser, le plus en amont possible, la disponibilité de ses unités.

Proposition n° 10. – Renoncer à la fiction d’une LPM formulée en coûts objectifs, facteur de graves dérives. Il convient de faire figurer les programmes pour leurs coûts estimés prévisionnels, notamment en tenant compte de l’évolution prévisible du coût des facteurs.

Proposition n° 12.– Afin de clarifier les coûts prévisionnels et éviter que les arbitrages ne portent que sur les volumes, faire figurer dans la LPM, pour chaque programme, un jeu de variantes de coûts en fonction des missions assurées et des équipements possibles.

Proposition n° 13.– Aucune décision de lancement d’un programme ne devrait intervenir sans une évaluation exhaustive de son coût complet. (Rappel d’une préconisation figurant dans le rapport de la MEC du 5 juillet 2006 Améliorer la conduite des programmes d’armement : 21 propositions à partir de l’exemple du VBCI, doc. AN n° 3254.)

Proposition n° 17.– Intégrer, dès le début du processus décisionnel relatif à tout programme d’armement, la dimension exportation.

B.– L’information du Parlement

Proposition n° 6.– Le projet annuel de performances et le rapport annuel de performances doivent récapituler pour chacun des principaux programmes d’armement les autorisations d’engagement et les crédits de paiement ouverts depuis l’origine ainsi que les changements d’affectation d’AE et de CP survenus depuis l’origine.

Proposition n° 7.– Dans le cadre du passage à la présentation pluriannuelle du budget, les AE et CP à ouvrir au cours des années ultérieures devront être comparables avec le suivi de la « trajectoire de programmation » de la LPM, et rendre compte au moins de toute la période couverte par la LPM.

Proposition n° 8.– Le projet annuel de performances doit présenter, pour chacun des principaux programmes d’armement, la correspondance entre le programme physique d’équipements annoncé et les équipements pouvant être réellement financés par les moyens budgétaires prévus, compte tenu des autorisations d’engagement et des crédits de paiement ouverts, affectés et consommés depuis l’origine.

Proposition n° 9.– Le Gouvernement doit transmettre au Parlement deux fois par an, lors du dépôt du rapport annuel de performances et du projet annuel de performances relatifs à la mission Défense, la dernière version actualisée du référentiel, accompagnée des explications et justifications des changements d’affectation d’autorisations d’engagement et de crédits de paiement au sein des programmes budgétaires et leurs effets sur le déroulement des programmes d’armement. Des députés et des sénateurs doivent représenter le Parlement à la commission exécutive permanente chargée du suivi des programmes d’armement.

Proposition n° 11.– Le rapport annuel de performances et le projet annuel de performances doivent présenter une estimation de l’évolution du coût des facteurs pour chacun des principaux programmes d’armement et les effets de cette évolution sur le coût total prévisible de chacun des programmes.

Proposition n° 14.– Le Gouvernement doit transmettre aux Présidents et aux Rapporteurs généraux des commissions des Finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, au début de chaque session parlementaire, une estimation du coût à terminaison de chaque programme d’armement et l’explication de l’évolution de ce coût depuis le début du lancement du programme.

Proposition n° 15.– Le projet annuel de performances doit comporter, pour chacun des principaux programmes d’armement, une estimation actualisée des coûts de possession.

Proposition n° 16.– Le Gouvernement doit transmettre aux Présidents et aux Rapporteurs généraux des commissions des Finances de l’Assemblée nationale et du Sénat le compte rendu des travaux de la commission du Livre blanc. Il serait souhaitable qu’un débat soit organisé à l’Assemblée nationale sur les orientations préconisées dans le cadre de ces travaux et qu’un vote permette à la représentation nationale de s’exprimer.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa séance du mercredi 13 février 2008, votre Commission a procédé à l’examen des conclusions du présent rapport.

Après l’exposé des Rapporteurs, M. David Habib, Président de la MEC, a constaté que la mission a mis en évidence que les gouvernements successifs n’ont pas soutenu un effort de hiérarchisation dans la conduite des programmes d’armement. Le rapport s’inscrit dans le cadre de la réflexion sur la stratégie de défense de la France menée notamment par la Commission du Livre blanc et doit favoriser cet effort de hiérarchisation des priorités à mener par ministère de la Défense comme par les autres responsables politiques et les militaires. Une plus grande vérité des coûts des investissements est indispensable. Le travail de programmation doit s’appuyer sur les coûts prévisionnels et non sur les coûts d’objectifs, comme cela a été le cas jusqu’à présent. Il doit également établir les coûts de possession prévisionnels, sur le cycle de vie entier des bâtiments qui, actuellement, sont mal connus et mal pris en compte par les autorités politiques avant le lancement d’un projet d’équipement. En outre, l’absence de véritable politique européenne de la défense ne permet pas de réaliser les économies d’échelle qui pourraient résulter d’une mutualisation des moyens et des programmes. Il faut donc exiger une plus grande transparence de l’information sur les programmes d’équipements navals. L’effort des deux rapporteurs pour parvenir à des conclusions communes doit être salué. Il s’inscrit parfaitement dans l’esprit de consensus qui inspire les travaux de la mission d’évaluation et de contrôle. Un courrier adressé à M. Philippe Séguin, Premier Président de la Cour des comptes, pourrait également saluer la collaboration des deux conseillers maîtres qui représentaient la Cour, et qui ont grandement contribué à la qualité des travaux de la mission par leur participation aux auditions.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur de la MEC, a souhaité que le rapport soit présenté devant la commission de la Défense.

Le Président Didier Migaud a approuvé cette suggestion puis il s’est interrogé sur le sens de la proposition n° 17 du rapport qui suggère d’« intégrer, dès le début du processus décisionnel relatif à tout programme d’armement, la dimension exportation ». Des équipements militaires tels que l’avion de combat Rafale, le sous-marin Barracuda ou le second porte-avions PA2 sont très spécifiques et l’on peut douter de la possibilité réelle de les exporter.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a demandé quelle était la formalisation de l’engagement de l’Italie dans le déroulement du projet de frégates FREMM. Il a considéré également comme essentiel d’obtenir une plus grande transparence de l’information sur les coûts des programmes d’armement. Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2009, les documents budgétaires devraient comporter une présentation triennale des crédits qui pourrait faciliter une meilleure application des lois de programmation grâce à leur adéquation plus fine avec les moyens budgétaires. Jusqu’à présent, il n’existait que des lois de programmation sectorielles qui ont leur logique propre, parfois distincte des dotations ouvertes dans le cadre budgétaire annuel. La programmation pluriannuelle du budget de l’État fait d’ailleurs partie des réformes proposées par MM. Didier Migaud et Alain Lambert.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur de la MEC, a indiqué que l’Italie avait procédé à la commande ferme de deux frégates sur les dix prévues. Il faut développer en France une culture de service du client et de soutien des projets à l’exportation. DCNS participe à la restructuration du secteur industriel naval de défense français. Les mentalités doivent évoluer. Le marché potentiel mondial de l’armement représente 1 200 milliards d’euros environ. Les États-Unis sont les premiers avec 40 % du marché et la France est 4ème avec 8,4 % du marché. Il faut donc mener une véritable réflexion ayant pour fin d’augmenter les parts de marché de l’industrie de la défense, tout en préservant l’indépendance nationale.

Le Président Didier Migaud a demandé si les équipements exportés étaient vendus au prix coûtant.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur de la MEC, a souligné que, compte tenu de leurs caractéristiques, la plupart des équipements ne sont pas exportables. À titre d’exemple, l’exportation du sous-marin nucléaire d’attaque Barracuda, parce qu’il est propulsé au moyen d’une chaufferie nucléaire, est interdite par les accords internationaux. Néanmoins, ce type de bâtiment offre des opportunités d’améliorations technologiques, applicables à d’autres produits qui sont eux exportables. Les avancées en matière de discrétion acoustique des Barracuda servent à d’autres sous-marins eux-mêmes exportables : les prochaines générations de sous-marins classiques proposés par DCNS offriront de meilleures performances technologiques et seront donc mieux positionnées à l’exportation. Un contrat non rentable pris isolément peut ainsi s’avérer intéressant sur le long terme. C’est le cas du premier marché d’exportation de sous-marins Scorpène, vendus au Chili. L’audition des dirigeants de DCNS a montré que ce contrat déficitaire avait ouvert la voie à des exportations de Scorpène dans d’autres pays et permis d’atteindre un équilibre global en termes de rentabilité.

Les documents budgétaires transmis au Parlement sont insuffisants. Le projet annuel de performance de la mission Défense n’apporte à la représentation nationale aucune information claire sur le financement des programmes d’équipement militaire. Par exemple, le ministère de la Défense a procédé en gestion 2006 à un redéploiement d’autorisations d’engagement entre les dotations du PA2 et celles des sous-marins Barracuda, sans que la représentation nationale en soit informée. Autre exemple, le financement des FREMM a, dès l’origine, posé problème : non prévu dans le cadre du budget par la LPM, il a d’abord donné lieu à un projet baroque, vite abandonné, de financement dit innovant, en fait par un emprunt extrabudgétaire. Il a ensuite été décidé d’en financer une petite fraction dans le cadre de la loi de finances initiale, la plus grande part des crédits afférents aux FREMM devant faire l’objet d’ouvertures de crédits par la loi de finances rectificative – LFR – de fin d’année. Dans les faits, les crédits ouverts en LFR, nécessairement reportés, ont été mis en réserve en gestion et non utilisables. Ce mode de financement s’est donc révélé inopérant et, qui plus est, les ouvertures de crédits n’ont pas été toujours effectuées. Elles ont par exemple manqué en loi de finances rectificative pour 2007. Aucun intervenant n’a évoqué cette anomalie lors du débat budgétaire, la plupart ne disposant même pas de cette information. La présentation pluriannuelle des moyens budgétaires devrait apporter plus de transparence et une meilleure appréciation de la compatibilité des moyens ouverts dans le cadre du budget avec la mise en œuvre de la loi de programmation militaire.

Le Président Didier Migaud a constaté l’accord de la commission des Finances pour la publication du rapport et il a proposé que les deux rapporteurs de la MEC en fassent la présentation devant la commission de la Défense. Plusieurs commissaires des finances pourraient également être utilement présents.

Votre Commission a ensuite autorisé, en application de l’article 145 du Règlement, la publication du présent rapport.

I.– LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Pages

18 décembre 2007

a) 9 heures : – Le vice-amiral Gérard VALIN, sous-chef d’état-major « Plans et programmes » à l’état-major de la Marine. 81

b) 10 h 30 : – Dr Markus KERBER, professeur d’économie de la défense à la faculté d’économie et de management de la Technische Universität de Berlin, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris. 89

20 décembre 2007

a) 9 h 30 : – MM. Bernard PLANCHAIS, directeur général délégué de DCNS, Pierre LEGROS, directeur de la division « Projets » de DCNS et Pierre QUINCHON, directeur de la division « Navires armés » de DCNS. 97

b) 11 heures : – M. l’ingénieur général François PINTART, directeur de l’unité de management « Opérations d’armement navales » de la délégation générale pour l’armement (DGA) 116

8 janvier 2008

a) 9 h 30 : – M. Philippe JOSSE, directeur du Budget, et M. Éric QUERENET de BREVILLE, sous-directeur à la direction du Budget. 129

c) 10 h 30 : – Le vice-amiral Emmanuel DESCLÈVES (2ème section), ancien président de la commission des programmes et des essais (CPPE) des navires de la Marine nationale. 139

10 janvier 2008

9 h 30 : – Le vice-amiral Gérard VALIN, sous-chef d’état-major « Plans et programmes » à l’état-major de la Marine, le capitaine de vaisseau Hervé de BONNAVENTURE (officier de programme PA2), le capitaine de vaisseau Éric PAGÈS (officier de programme FREMM), le capitaine de frégate Guillaume MARTIN de CLAUSONNE, (officier de programme Barracuda), l’ingénieur général de l’armement François PINTART, directeur de l’unité de management opérations d’armement navales à la Délégation générale pour l’armement (DGA), l’ingénieur en chef de l’armement Michel WENCKER (directeur de programme PA2), l’ingénieur en chef de l’armement François-Olivier DAL, directeur de programme FREMM, l’ingénieur en chef de l’armement Thierry PÉRARD, directeur de programme Barracuda ; M. Pierre LEGROS, directeur de la division « Projets » de DCNS, M. Georges JOAB, responsable de MOPA2 DCNS, Mme Marie RANGDET, responsable du projet FREMM DCNS et M. Philippe POIRIER, responsable du projet Barracuda DCNS. 145

17 janvier 2008

a) 9 h 30 : – Le vice-amiral d’escadre Philippe SAUTTER, commandant la Force, et le Vice-Amiral d’escadre Yves BOIFFIN, commandant la Force océanique stratégique (ALFOST). 171

b) 10 h 30 : – L’amiral Alain OUDOT de DAINVILLE, chef d’état-major de la Marine. 185

c) 11 h 30 : – Le vice-amiral d’escadre Christian PÉNILLARD, sous-chef d’état-major « Plans » à l’état-major des armées 195

II.– COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

Auditions du 18 décembre 2007

a) à 9 heures : le vice-amiral Gérard Valin, sous-chef d’état-major « Plans et programmes » à l’état-major de la marine

Présidence de M. David Habib

M. David Habib, Président : Amiral, je vous souhaite la bienvenue au nom de la mission d’évaluation et de contrôle. Permettez-moi de vous rappeler que vous avez toute liberté d’expression orale, étant entendu que les règles de confidentialité seront respectées si vous en exprimez le souhait sur tel ou tel point.

Le vice-amiral Gérard Valin : C'est avec fierté et un grand intérêt que je réponds à l'honneur que vous me faites en m'auditionnant sur les problématiques générales relatives aux programmes d'équipement naval.

Je vous propose, avant de répondre à vos questions, quelques réflexions liminaires destinées à placer les programmes d'armement dans une approche globale qui me paraît être le fondement de l'optimisation recherchée et au sein de laquelle les responsabilités doivent être clairement établies, conformément à l'esprit de la LOLF.

Responsable de la conduite des opérations menées par les armées françaises, seul le chef d’état-major des armées (CEMA) est légitime pour proposer aux autorités politiques les grandes options relatives aux capacités des armées. C'est la raison pour laquelle lui a été confiée la responsabilité de l'élaboration de la planification et de la programmation, ainsi que celle de prendre ou de soumettre les arbitrages en matière de programme d'armement. Il préside à cette fin le conseil des systèmes de forces, qui réunit le délégué général pour l’armement (DGA), le secrétaire général pour l’administration (SGA), les chefs d'état-major d'armées et le contrôle général des armées (CGA). C'est à ce niveau, que je qualifie « de direction », que sont élaborés les grands objectifs des programmes d'armement en performance, en délais et dans une enveloppe financière donnée.

Le sujet de notre rencontre d'aujourd'hui concerne la réalisation des programmes d'armement conduits conjointement par la DGA et un ou plusieurs états-majors. La DGA est responsable de la maîtrise d'ouvrage et apporte une expertise technique. Les états-majors apportent une expertise technico-opérationnelle et sont responsables du respect des performances et des normes qui conditionnent l'admission au service actif et l'utilisation des équipements

Je centrerai donc mon propos sur les programmes navals et sur les responsabilités du chef d'état-major de la marine afin d'identifier quelques idées-forces d'optimisation, mais également pour souligner quelques difficultés.

L'optimisation des programmes navals est fondée sur trois préoccupations :

La première est le souci de leur finalité. Il s'agit, avant tout, du combat, mais avec la recherche de la polyvalence et de l'adaptabilité, nécessaires au bon usage des deniers publics dans l'environnement stratégique incertain caractérisant le monde actuel. Cette polyvalence et cette adaptabilité répondent à l'exigence de continuité entre les missions de défense et de sécurité. Cette approche constitue le fondement du concept de sauvegarde maritime développé par la marine.

La deuxième préoccupation consiste à éviter toute spécification inutile en recherchant les effets de seuils pour obtenir au meilleur coût le juste niveau de performances permettant de répondre au besoin opérationnel.

Enfin, un programme de bâtiment de combat doit être appréhendé en coût de possession, c'est-à-dire dans une approche qui regroupe sa conception, son développement, sa construction, son utilisation et, enfin, son démantèlement. La phase d'utilisation est de loin la plus longue – trente ans pour une frégate, quarante ans ou plus pour un porte-avions. C'est la raison pour laquelle une marine se construit dans la durée. Il convient, en particulier, de bien prendre en compte la problématique des ressources humaines.

La meilleure adéquation des performances aux missions et l'optimisation de l'emploi des bâtiments de combat constituent les deux exigences essentielles propres à optimiser un programme naval. Le chef d'état-major de la marine est directement responsable devant le CEMA et les plus hautes autorités politiques du succès ou de l'échec d'une mission remplie par un bâtiment de combat. Il est également responsable de la capacité à naviguer et à combattre en toute sécurité d'un bâtiment de combat aux normes et bien entretenu, manœuvré par un équipage correctement formé et entraîné.

C'est la raison pour laquelle la responsabilité du chef d'état-major s'exerce tout au long de la conduite d'un programme naval : d’une part, pendant les phases de conception et de réalisation, il est responsable, par l’intermédiaire de l'officier de programme et en collaboration avec la DGA, du respect des performances et des normes dont il est redevable lorsqu'il décide l'admission au service actif du bâtiment, en s'appuyant sur l'expertise indépendante de la commission permanente des programmes et des essais dont le président est également celui de la commission de sécurité maritime ; d’autre part, pendant toute la période d'utilisation, il est responsable de l'entretien du bâtiment ainsi que de la formation et de l'entraînement du personnel.

L'expertise technico-opérationnelle de l'état-major de la marine joue donc un rôle essentiel pour permettre à son chef de remplir ses responsabilités. Elle s'alimente directement du retour d'expérience des opérations conduites par les forces et de l'expertise technique de la DGA. Elle permet aux officiers de programme d'identifier les effets de seuil avec le directeur de programme de la DGA et d'éviter les surspécifications coûteuses, tout en étant le garant des performances du bâtiment de combat comme de son respect des normes et du bon rapport coût/efficacité de son utilisation future. Dans sa phase d'utilisation, l'optimisation globale d'un bâtiment de combat est liée à son activité qui conditionne directement et de façon totalement imbriquée l'entretien du bâtiment et celui de l'équipage qui l'habite.

Contrairement à certaines idées reçues, les coûts fixes d'immobilisation dans un chantier naval sont déterminants. C'est la raison pour laquelle la réduction de la durée des périodes d'entretien et donc l'augmentation de la disponibilité des bâtiments sont une piste de réduction de coûts.

Pour exercer ses responsabilités dans la phase d'utilisation, le chef d’état-major de la marine (CEMM) s'appuie sur le directeur du service de soutien de la flotte, pour la maintenance des bâtiments, et sur l’amiral commandant de la force d'action navale (ALFAN), pour la formation et l'entraînement des équipages ainsi que pour la programmation de l'activité en jouant sur la polyvalence des bâtiments.

Une illustration concrète de cette recherche d'optimisation est le programme des frégates multimissions (FREMM). Dès la décision du Président de la République de suspendre l'appel sous les drapeaux, et pour faire face au fameux papy boom, la marine a conduit une politique volontariste de réduction de l'effectif des équipages. Cette politique a été mise en œuvre pour le programme FREMM avec un effectif prévu de 108 personnes à comparer aux 230 de la frégate Montcalm. Simultanément, elle a chassé toute spécification inutile sur ces bâtiments et recherché la fiabilité des équipements pour limiter les redondances.

Enfin, la coopération avec la DGA et l'industriel a permis la mise au point d’un calendrier optimisant l’effet de série sur le plan de la production. La marine a le souci d’éviter la multiplication de bâtiments de type différents construits en peu d'exemplaires, source d'importants frais de développement et d’augmentation des coûts de formation du personnel. Au résultat, le coût unitaire des FREMM est particulièrement attractif.

Mais cette recherche d'optimisation est parfois rendue délicate : l'évaluation des coûts n'est pas facile compte tenu de la complexité d'un bâtiment de combat, de l'évolution des normes ou des fortes variations du coût des matières premières et de la main d'œuvre ; les contraintes de la base industrielle et technologique de défense (BITD), qui peuvent conduire à des choix moins optimisés ; l’architecture de la LOLF, qui fait dépendre la construction et l’entretien de deux programmes différents (respectivement le 146 et le 178) ; enfin, les diminutions en gestion des ressources prévues en planification qui conduisent à des étalements ou à des réductions de cible qui désoptimisent les programmes.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Depuis six mois, plusieurs chantiers ont été lancés pour redéfinir le schéma de nos forces ainsi que leur implantation : livre blanc, revue générale des programmes, loi de programmation militaire, nouvelle loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LOPSI). Or cette réflexion se poursuit alors que de nombreux programmes sont déjà engagés. Pouvez-vous nous rappeler, dans ces conditions, si les trois grands programmes de la marine étaient bien inscrits dans la précédente loi de programmation militaire : les frégates multi-missions FREMM, les sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) Barracuda et le second porte-avions ?

Le vice-amiral Gérard Valin : Ces trois programmes figurent dans le modèle d’armée 2015 inclus dans la loi de programmation militaire pour les années 2003-2008 ; ils constituent pour nous l’objectif à atteindre.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Le ministre a pourtant clairement indiqué devant la commission de la défense que le second porte-avions, envisagé dans la précédente loi de programmation militaire comme une hypothèse, n’avait fait l’objet dans le projet de loi de finances de 2008 que d’une autorisation d’engagement provisionnelle, étant entendu que les frégates n’en faisaient pas partie. Elles ne sont d’ailleurs pas financées.

Le vice-amiral Gérard Valin : Effectivement, un système de financement particulier a été adopté pour les FREMM.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : La précision est importante, car engager simultanément des programmes sans les hiérarchiser, ne peut, à un moment où l’argent public est rare, que poser problème.

Le vice-amiral Gérard Valin : L’état-major de la marine établit, en fonction des orientations qui lui sont données – la programmation et la planification étant conduites sous la direction de l’état-major des armées – la cohérence organique de ses forces. Une marine se construit dans la durée et, même si les lois se succèdent, il faut prévoir bien en avance l’articulation entre les différents programmes.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Le ministre de la défense a indiqué qu'il existait un décalage d’à peu près 15,9 milliards d’euros entre l’ensemble des programmes annoncés et engagés et la capacité de financement résultant de l’actuelle loi de programmation militaire. Pour votre part, vous indiquez lancer les programmes, en fonction de leur calendrier défini par la loi de programmation militaire. Dans ces conditions, comment faites-vous lorsque des programmes nouveaux, dont le calendrier n'est pas précisé dans la loi de programmation militaire, sont annoncés – ce qui est le cas pour le second porte-avions – alors que des programmes prévus dans la loi de programmation militaire, dont le calendrier était défini, sont décalés, à l’exemple des sous-marins Barracuda ?

Le vice-amiral Gérard Valin : L’exécutant que je suis doit faire de son mieux pour optimiser, en fonction des décisions politiques prises, les programmes d’armement dont il a la charge.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Mon propos n'est pas de vous mettre en difficulté, mais de comprendre comment vous pouvez réagir lorsque le politique ne travaille plus de façon rationnelle.

Le vice-amiral Gérard Valin : Un processus interne au ministère de la défense de réévaluation de la loi de programmation militaire conduit à réajuster en permanence nos référentiels en fonction des priorités politiques, mais également des retours d’expériences, de l’évolution des besoins opérationnels ou encore de difficultés techniques ou de financement rencontrées par un programme. La marine peut être ainsi appelée, avant arbitrage puis décision politique, à fournir à l’état-major des armées les options aptes à maintenir la cohérence de l’ensemble et à permettre la poursuite des missions qui lui sont confiées. Dans le cas d’un décalage de programmes, nous avons ainsi été conduits à proposer une prolongation des sous-marins de la classe Rubis tout en maintenant leur niveau opérationnel, sachant que tout programme décalé rompt l’optimisation de l’ensemble.

Lorsque l’exécution d’une loi de programmation militaire, comme celle votée pour les années 1997-2002, aboutit à un déficit équivalent à une annuité d’investissement, soit 15 milliards d’euros, la planification s’en trouve grandement perturbée. L’état-major de la marine essaie alors de faire au mieux pour optimiser le niveau d’exécution des programmes dont la conduite lui est confiée avec la DGA.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Quelle est l’attractivité à l’exportation de produits comme les FREMM, d’un coût de 400 millions d’euros, ou de la frégate Horizon, deux fois plus chère, par rapport à la frégate allemande F 125 ?

Quel est l’impact de la situation financière du pays, qui est en faillite et dont le déficit structurel atteint le grave record de 40 milliards d’euros, sur les décisions ou les propositions que vous pouvez être conduits à formuler ? Mettez-vous l’accent sur les programmes qui ont une capacité exportatrice, comme les FREMM, les Barracuda ou les avions, à la différence d’un porte-avions ?

Enfin, dans le choix d’un fournisseur, intégrez-vous le fait que les conséquences économiques et sociales du choix d’un chantier français (50 % des dépenses revenant alors d’une manière ou d’une autre à l’État) sont plus importantes que celles d’une augmentation des devis de 30 %, comme l’a fait la DGA voilà quelques années pour des sous-marins, avec tous les effets dévastateurs que ce choix a eus ?

Le vice-amiral Gérard Valin : Comme citoyen, je considère que le déficit de 40 milliards d’euros n’est pas acceptable et si la responsabilité de la situation est à tout le moins partagée, notre préoccupation est de répondre au besoin opérationnel au meilleur coût. Toutefois, le militaire que je suis n'est pas un exportateur. Ma réflexion intègre cette notion car je suis bien conscient que l’exportation permet d’optimiser l’outil de défense et de réduire les coûts par une augmentation des séries, mais mon métier est d’abord de défendre la France et d’exécuter les missions qui me sont confiées.

Pour autant, l’état-major de la marine mène une politique volontariste de soutien à l’export, conscient de l’intérêt de l’exportation pour la Nation, pour les forces armées, pour nos bassins d’emplois et pour l’efficience même de notre outil de défense. Il faut simplement régler le curseur de façon intelligente entre le besoin opérationnel des forces et la facilitation de l’export de façon à obtenir le meilleur ratio coût/efficacité, sachant toutefois que la finalité reste tout de même le succès, en fin de compte, des missions confiées par la France à ses forces armées.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Connaît-on le prix de la frégate allemande F 125 ?

Le vice-amiral Gérard Valin : À ma connaissance, il est supérieur de 100 millions à celui de la FREMM.

La notion de responsabilité est essentielle. Chaque acteur assume ses responsabilités : celle de la performance pour la marine et celle des coûts pour la DGA. Nos équipes sont très soudées. C’est d’ailleurs le seul moyen d’identifier les fameux effets de seuil : tandis que la DGA nous apporte son expertise technique, il nous revient de décider si tel ou tel saut technologique doit être franchi pour obtenir une performance et, dans le cas contraire, de chercher à compenser tout déséquilibre qui pourrait en résulter. Il faut avoir une approche de système. Par exemple, le choix de limiter, pour des raisons de coût, la performance d’un capteur anti-sous-marin d’une frégate peut être compensé par un accroissement moins onéreux de la performance de son hélicoptère embarqué. De même, une diminution de la performance des équipements de détection du second porte-avions, aux fins de réduire les coûts, pourrait être compensée par une augmentation de performance des systèmes embarqués à bord des bâtiments d’escorte.

Une force navale est un tout : la lutte anti-navires fait appel à différents éléments complémentaires et l’optimisation de l’outil dépendra de la façon dont l’ensemble sera utilisé tactiquement en opération. C’est sur la base du retour d’expérience que l’utilisateur final peut bien identifier ce dont il peut se passer, ce qui explique que le CEMA soit légitime pour proposer un schéma d’ensemble et qu’il nous revienne de préciser celui-ci en apportant notre expertise technico-opérationnelle.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Entre les FREMM, les porte-avions, les sous-marins, les avions et les hélicoptères, quels matériels vous semblent les plus exportables dans les années à venir en fonction de l’évolution des menaces ?

Le vice-amiral Gérard Valin : Si l’exportation est importante, elle ne constitue pas le premier critère pour l’acquisition d’un équipement de défense. Par exemple, il est certain qu’il est plus facile d’exporter, plutôt qu’un porte-avions ou un SNA, un sous-marin diesel. Mais ce dernier ne nous permet pas de remplir nos missions d’accompagnement du porte-avions, de sûreté de nos SNLE, de frappes terrestres et de débarquement de commandos. En effet, un sous-marin diesel n’a pas la mobilité nécessaire. Il y a là une divergence entre le besoin français et la demande du marché d’exportation.

M. David Habib, Président : On pourrait dire, au vu des informations dont nous disposons, que ce n’est pas une responsabilité, mais une irresponsabilité partagée qui a conduit à la situation actuelle, dont les trois causes tiennent, l’une, au cadrage programmatique, l’autre au bouclage budgétaire et la dernière au dérapage des réalisations industrielles.

Les dotations inscrites dans les précédentes lois de programmation militaire étaient insuffisantes pour satisfaire à temps tous les besoins du modèle d’armée 2015, puisque, des trois hypothèses – haute, moyenne et basse – de dotation annuelle en équipement du ministère de la défense, c'est la moyenne qui a été retenue, ce qui a conduit à des choix. Or il semble que les budgets des années à venir étant grevés par la réalisation des programmes déjà annoncés, le ministère qui a souhaité initier d’autres programmes jugés nécessaires, a esquissé une solution maladroite avec un « modèle d’armées 2015 » comprenant le porte-avions et les FREMM, sans que le financement dans les lois de programmation militaire en soit prévu, espérant que le pouvoir politique lui accorderait les crédits correspondants en raison de la nécessité de ces deux outils.

À cette irresponsabilité programmatique s’ajoute une deuxième cause : le manque de crédits d’équipement du ministère de la défense. Alors que la loi de programmation militaire 1997-2002 s’est close avec un retard estimé à l’équivalent d’une année budgétaire, un report de crédits de 800 millions d’euros a été enregistré au cours de la présente loi de programmation militaire en dépenses de fonctionnement et non en dépenses d’investissement.

Par ailleurs, si les crédits prévus pour la présente loi de programmation militaire ont été votés, cela ne s’est pas traduit en loi de finances exécutée puisque l’on assiste à un report de crédits de plus de 1,7 milliard d’euros. Si l’on ajoute à cela, d’une part, le financement de programmes qui n’étaient pas pris en compte dans le cadrage budgétaire, obligeant le gouvernement à dégager trois années de suite des crédits supplémentaires se rajoutant au report, mais avec interdiction de les consommer et, d’autre part, le financement de l’organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAR), maître d’ouvrage des FREMM, ce sont donc des crédits qu’il a fallu retirer à des programmes en financement réel et non virtuel, ce qui n’a pu qu’affecter les programmes déjà lancés.

Quant au dérapage industriel, il tient lui-même à plusieurs causes.

L’une est due à certaines caractéristiques technologiques complexes de certains programmes, qui rendent ceux-ci plus chers que prévu.

Une autre s’explique par le fait qu’ont été ajoutés au déficit de certains programmes d’armement des surcoûts qui n’avaient rien à voir avec les programmes considérés. Ainsi l’on s’est aperçu que si le devis initial pour les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de nouvelle génération (SNLE-NG) avait dérapé – puisque l’achat de quatre d’entre eux allait finalement coûter 27 % plus cher que six SNLE-NG au prix défini au départ – la raison tenait au fait que l’on avait comptablement logé, à l’époque, le déficit global de la DCN dans le programme SNLE tout simplement parce que l’on estimait ce dernier comme le plus protégé du point de vue de l’expertise, compte tenu de son caractère nucléaire.

La dernière tient au fait que, dans la préparation d’une loi de programmation militaire, l’évolution des crédits est calculée en se calant sur l’indice des prix à la consommation. Or, structurellement, les programmes d’armement ont un indice d’augmentation de leur coût annuel nettement supérieur puisqu’il est plus proche de 3,2 % que de 1,6 ou de 1,8 %. Tout cela explique, année après année, des déports financiers non négligeables.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Ce qui préside à notre politique en matière de défense, c'est la volonté de nous protéger, à un coût maîtrisé, avec des équipements dont le pays a besoin. À cet égard, si l’exportation peut financer une partie du coût des équipements nécessaires à la défense du pays, l’expérience n'est pas toujours concluante. J’en veux pour preuve le programme de sous-marins Scorpène pour lequel la France a dû consentir un effort budgétaire de 350 millions d’euros pour en permettre l’exportation au Chili, sans parler de la vente de ce même sous-marin à la Malaisie ou du contrat de transfert de technologie au Pakistan.

L’exportation sur un marché très concurrentiel, où nous ne sommes pas forcément bien positionnés, implique un effort budgétaire qui tend à démontrer que financer par l’exportation des programmes dont on a besoin pour sa défense nationale est un exercice parfois difficile.

La construction du second porte-avions a été décidée en coopération avec les Britanniques quelques mois après l’entrée en service du Charles-de-Gaulle. Le Président de la République Jacques Chirac a justifié à l’époque cette coopération à la fois par la mutualisation des coûts et la réduction du prix des programmes et par l’interopérabilité. Étiez-vous convaincu d’un moindre coût du programme et de la réalité de l’interopérabilité, puisque l’on s’aperçoit aujourd’hui que si tout ce qui est sous la ligne de flottaison sera commun, tout ce qui sera au-dessus sera différent ?

Le vice-amiral Gérard Valin : Il est vrai que le pont d’envol sera différent puisque nous n’avons pas les mêmes avions, bien que les Britanniques, conscients de l’intérêt des catapultes, aient prévu la possibilité technique d’en installer ultérieurement.

S’agissant de l’interopérabilité, leurs avions pourront se poser sur nos porte-avions, puisqu’ils sont à décollage vertical. Nous souhaitons également un maximum d’interopérabilité en matière de systèmes d’armes et sur l’acquisition de certains autres équipements, en particulier liés à la propulsion. Leur acquisition devra toutefois tenir compte de leurs coûts afin de les minimiser.

Nous attendions à l’origine davantage de réduction de coûts que ce que nous pouvons espérer aujourd’hui. Notre porte-avions sera toutefois d’un coût inférieur à ceux des Britanniques.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Vous dites que vous espériez aller plus loin en matière de réduction de coûts.

Le vice-amiral Gérard Valin : Nous espérions mutualiser, par exemple, la construction des coques, ce que nous n’avons pu faire.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : On constate cependant que le porte-avions qui sera construit en coopération avec les Britanniques devrait coûter 800 millions d’euros constants de plus que le Charles-de-Gaulle. Il sera donc beaucoup plus cher que si nous l’avions réalisé seuls.

Le vice-amiral Gérard Valin : Il me semble difficile de comparer les coûts entre les deux porte-avions. À l’époque, la DCN était une direction de l’État et l’estimation des coûts n’avait pas la même finesse que maintenant où DCNS est devenue une véritable entreprise. Je suis persuadé, même si ce n’est qu’une simple intuition car je n’ai pas la compétence d’un ingénieur de la DGA, que si l’on devait construire une copie du Charles-de-Gaulle, celle-ci coûterait au moins aussi cher que le navire sur lequel nous travaillons. Il faut être en effet très prudents pour évaluer les coûts, car cela doit se faire à périmètre constant et en fonction d’un environnement économique et de structures industrielles à un instant donné.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Dès lors que l’on intègre le coût de possession dans la définition du programme, le coût du carburant rend-il toujours souhaitable un second porte-avions qui ne soit pas à propulsion nucléaire ?

Le vice-amiral Gérard Valin : Je suis convaincu que malgré la hausse du carburant, un bâtiment à propulsion classique reste plus économique en coût de possession. D’ailleurs, les Américains ont récemment conclu que, jusqu’à un coût de 230 dollars le baril de pétrole, la propulsion nucléaire restait plus chère. Le coût de possession du deuxième porte-avions sera beaucoup moins élevé que celui du premier.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Compte tenu de la faible autonomie des avions, une plate-forme aéronavale constitue-t-elle vraiment un outil pertinent ?

Le vice-amiral Gérard Valin : Avec des Rafale ayant opéré en Afghanistan au nord de Kaboul, démonstration est faite de l’intérêt du porte-avions. Celui-ci est en effet devenu un outil dont on ne pouvait imaginer voilà encore dix ans qu’il permettrait d’opérer à de telles distances à l’intérieur des terres.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Avec ravitaillement.

Le vice-amiral Gérard Valin : Avec ravitaillement bien sûr, que ce soit à partir d’un Rafale lui-même embarqué ou d’appareils d’une autre provenance. Nos avions vont beaucoup plus loin que les Super-Étendard : aujourd’hui, 90 % des objectifs stratégiques mondiaux sont accessibles à partir d’un porte-avions.

M. David Habib, Président : Avant de conclure cette audition, souhaiteriez-vous évoquer un point que nous n’aurions pas abordé ?

Le vice-amiral Gérard Valin : Je m’attendais à être davantage entendu sur des affaires relevant de mon domaine de responsabilité, c’est-à-dire la conduite des programmes navals, plutôt que sur des problématiques de planification qui relèvent de l’état-major des armées. J’espère en tout cas vous avoir apporté les éclairages que vous attendiez.

M. David Habib, Président : Il me reste à vous remercier.

b) à 10 h 30 : Dr Markus Kerber, professeur d’économie de la défense à la faculté d’économie et de management de la Technische Universität de Berlin, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris

Présidence de M. David Habib

M. David Habib, Président : M. le professeur, je vous souhaite la bienvenue. La mission d’évaluation et de contrôle de la commission des Finances n’est pas une commission d’enquête : sa vocation est d’éclairer le Parlement et l’ensemble de la Nation sur certains modes de fonctionnement de l’État et sur les processus de décision politique.

M. Markus Kerber : Permettez-moi de formuler deux préalables à mon exposé.

Tout d’abord, c’est un réserviste de la marine nationale allemande qui s’exprime devant vous, mais celle-ci, avec laquelle je mène un dialogue critique, n’est engagée en rien par mes propos.

Par ailleurs, je n’ai connaissance des sujets traités par la mission qu’à partir de sources publiques : n’ayant pas accès à certains dossiers, je ne puis émettre un jugement complet.

Aujourd'hui, les programmes militaires les plus importants, notamment en matière navale, concernent des produits très coûteux dont le cycle de vie est compris entre trente et quarante ans. Ils font donc l’objet de décisions irréversibles qui engagent les marines nationales et les industriels pour longtemps. Aussi est-il très important de veiller à éviter le plus possible les déphasages entre programmes. Les coûts seront sensiblement réduits si, par exemple, la France, l’Allemagne et l’Italie peuvent renouveler leurs frégates de façon synchronisée.

J’appelle également de mes vœux la coordination des spécifications techniques des matériels, de manière à assurer une interopérabilité et à réaliser des économies d’échelle dans les programmes et les achats. L’association de l’Italie à l’Allemagne pour un programme de sous-marins conventionnels a ainsi permis d’abaisser sensiblement les coûts du maintien en conditions opérationnelles.

Le troisième axe de ma réflexion est celui de la souveraineté des marines nationales. Elles devraient détenir seules le pouvoir de définir les besoins et doivent s’émanciper tant des services d’armement que des considérations de politique industrielle.

J’analyserai donc les programmes discutés par votre mission sous cet aspect du degré d’émancipation de la marine dans la définition de la demande. Je suis convaincu que les rapprochements nécessaires dans ce secteur ne doivent pas être le fait des industriels, mais découler de la demande. Il ne faut pas que les marines aient pour tout rôle de conférer une légitimité à telle commande parce que celle-ci est supposée avoir des retombées locales en matière d’industrie et d’emploi. En France, l’émancipation doit se faire à la fois vis-à-vis de la Délégation générale pour l’armement et vis-à-vis des industriels.

Je souhaite également analyser les programmes sous l’angle de la concurrence. Celle-ci n’est pas tout mais, sans elle, l’acheteur se retrouve le dos au mur : ses marges de manœuvre deviennent extraordinairement réduites, d’où la nécessité impérieuse de lancer, pour chaque programme militaire, des appels d’offres au moins à l’échelle européenne. Le cas des frégates F 125 n’en donne pas l’exemple. L’état-major de la marine allemande, que j’essayais de convaincre, m’a objecté que les appels d’offres ne font qu’attirer des groupes subventionnés par les États et ralentissent le processus. Pourtant, l’appel d’offres est à mes yeux tout à fait justifié, ne serait-ce que pour mesurer la compétitivité des industriels mis en concurrence.

J’en viens aux programmes que vous souhaitez évaluer.

S’agissant du deuxième porte-avions, dès lors que la France considère que le Charles-de-Gaulle est la pièce maîtresse de sa marine, il faut assurer la permanence sur mer. Même si les services de maintien en conditions opérationnelles se sont améliorés, on ne peut éviter d’immobiliser le bâtiment à certains moments, ce qui suppose qu’un deuxième porte-avions maintienne pendant ce temps la capacité de projection de puissance. Les autres aspects n’appellent de ma part que des commentaires prudents, mais je ne peux vous épargner la citation de Lord Drayson, ancien minister for defence procurement du gouvernement britannique, qui disait dans un débat public au sujet du deuxième porte-avions : « They have bought our design », sous-entendant que c’est la France qui aurait financé la conception britannique du bâtiment. On ne peut marier l’eau et le feu. Le deuxième porte-avions français doit embarquer des appareils capables de frapper très loin en territoire ennemi, ce que ne permet pas la plateforme proposée par les Britanniques.

En outre, la propulsion non nucléaire exige un service de ravitaillement extrêmement sûr. Au contraire, la propulsion nucléaire confère à un porte-avions une autonomie indéniable. Je n’ai cependant pas connaissance des études diligentées par la marine nationale française à ce sujet.

En ce qui concerne les frégates multi-missions FREMM, le programme franco-italien aurait pu constituer un modèle pour l’Europe et aurait dû rassembler beaucoup plus de pays, avec une plateforme et un armement modulables. Je regrette beaucoup que l’Allemagne ne s’y soit pas jointe en temps utile avec éventuellement une version adaptée à ses besoins spécifiques.

J’ai plus d’interrogations sur le programme de sous-marins nucléaires d’attaque. Ceux-ci sont notamment destinés à un emploi tactique, pour des opérations spéciales qui, par nature, sont menées à proximité du littoral. Transporter des troupes spécialisées dans une plateforme de cinq mille tonnes, c’est prendre le risque d’être détecté. En outre, la capacité de plonger à une profondeur de six cents mètres me semble inadaptée à ces emplois tactiques.

Pour ce qui est des frappes dans la profondeur, je ne saurais trop insister sur la difficulté d’effectuer une approche des cibles avec ces énormes engins dont la propulsion à turbine est, en outre, très bruyante. Il faut au contraire une approche clandestine, aussi silencieuse que possible. Les torpilles ne doivent pas faire trop de bruit au moment où elles sont lâchées et c’est à ce moment également que le sous-marin doit se retirer aussi silencieusement que possible. Or ce n’est pas envisageable avec les sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire tels qu’ils sont conçus. De ce point de vue, les technologies développées en Allemagne autour de la classe de sous-marins non nucléaires U214 apparaissent techniquement plus pertinentes et sont moins coûteuses.

Au demeurant, si les Israéliens s’intéressent tellement à cette technologie allemande, c’est qu’ils souhaitent combiner une politique de menaces déclaratoires envers la Syrie et la possibilité de frapper immédiatement avec des engins qui se retirent au moment où la frappe est effectuée et évoluent – sans émerger – ensuite pendant quatorze jours à 4 ou 6 nœuds, de façon à ne pas être détectables.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Avez-vous déjà visité l’établissement de DCNS à Cherbourg, M. le professeur ?

M. Markus Kerber : Je n’ai pas encore eu cet honneur.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Je vais donc vous y inviter. Vous pourrez notamment découvrir le travail du service d’études et d’ingénierie consacré à la discrétion acoustique et apprécier les progrès accomplis dans ce domaine depuis dix ans.

Le groupe DCNS a noué des partenariats avec l’industriel espagnol Navantia pour fournir des sous-marins Scorpène au Chili. Au Brésil, la France s’engage dans des coopérations avec transfert de technologies. Au Pakistan et en Inde, nous nous sommes trouvés en concurrence avec les Allemands. Quelles coopérations fortes pourraient-elles être nouées, selon vous, entre l’ensemble de ces industriels ? Un rapprochement entre HDW et DCNS sur des programmes destinés à l’exportation est-il toujours d’actualité, ou le projet est-il définitivement enterré ?

M. Markus Kerber : La société HDW a été intégrée dans le groupe ThyssenKrupp. Il y a eu en effet concurrence sur le marché des sous-marins non nucléaires. Aujourd'hui, les sous-marins U212 ou U214 sont livrés aux marines allemande, grecque, turque, sud-coréenne. Le handicap du Scorpène est qu’il n’a pas bénéficié au départ de références de la part de la marine nationale française. De plus, je vous signale l’existence des réserves fondamentales des chantiers navals allemands vis-à-vis de DCNS. En effet, les conditions de la transformation des arsenaux en société anonyme sont considérées comme un cas de subsides d’État. De telles aides sont couvertes par l’article 296 du traité de Rome, mais cela ne change rien à l’entrave à la concurrence qui s’ensuit.

De plus, le président de DCN s’est rendu à un entretien avec le secrétaire d’État allemand chargé de l’armement en compagnie d’une personne présentée comme le conseiller du groupe pour les affaires allemandes et qui n’était autre qu’un ancien chef d’entreprise allemand condamné deux fois pour faillite frauduleuse et fraude fiscale. Cela n’est pas passé inaperçu !

À la suite de cet incident, le ministère a réalisé une évaluation approfondie des conditions de privatisation de DCN et j’ai eu connaissance de l’arrêt du tribunal de grande instance de Marseille sur des faits qui se sont produits dans l’établissement DCNS de Toulon. Le fait qu’il y ait eu relaxe ne change rien à l’appréciation managériale que l’on peut avoir des événements et de l’impunité dont ont bénéficié les responsables dont l’actuel président de DCNS. Il existe donc – à juste titre – une très grande réserve des pouvoirs publics allemands à l’égard de DCNS. L’influence du nouvel actionnaire minoritaire, Thales – qui est une entreprise également présente en Allemagne –, sera observée attentivement. Du côté du secrétariat d’État chargé de l’industrie maritime et navale, qui dépend du ministère de l’économie, on se donne au moins une demi-douzaine d’années pour réévaluer la situation.

En outre, DCNS a toujours refusé de traiter en dehors du secteur de l’armement, ce qui traduit son attachement à des marchés captifs. Tel n’est pas le cas des industries navales allemandes ou italiennes, dont les activités sont à la fois militaires et civiles. Il convient de mentionner dans ce contexte la bonne coopération de l’Allemagne avec Fincantieri dont les ingénieurs ne cessent de nous inspirer le plus grand respect.

Pour toutes ces raisons, je crois que tout rapprochement éventuel se ferait par la demande (coopération des marines) et non par les industriels.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : M. le professeur, que pensez-vous de la norme européenne relative aux frais financiers à l’exportation – les « commissions » – qui met nos industriels en difficulté ? La pratique est internationale et remonte aux Phéniciens et aux Romains. Le choix du F16 américain au détriment du Rafale sur le marché marocain s’est accompagné d’un apport de 700 millions de dollars à la fondation du roi. En Inde, beaucoup d’industriels ont subi des échecs à cause de cette législation française et européenne, du reste subtilement contournée par certains pays. Au-delà des discours incantatoires sur la moralisation des marchés, qui ne peut être effective que si elle est mondiale, quelle réponse apporter à nos industriels ?

Plus généralement, quelles sont les voies qui, selon vous, permettraient d’améliorer la compétitivité des industriels français et européens ?

M. Markus Kerber : J’ai travaillé longtemps dans le privé et je ne suis pas de ceux qui veulent tout moraliser. Je n’irai cependant pas jusqu’à souscrire aux commentaires cyniques sur certaine législation hypocrite inspirée par Bruxelles. Il n’est pas dans notre intérêt d’alimenter la corruption qui existe dans certains pays, car on génère ou conforte ainsi des structures malsaines, au lieu d’aider les pays émergents à trouver une gouvernance qui rende leur système compatible avec les démocraties occidentales et l’État de droit. Il faudrait un sommet des industriels sur ce sujet, voire un cartel. Je ne méconnais pas que l’on ne peut traiter avec un pays émergent sans tenir compte de ses « particularités », mais c’est de cette manière que l’on pourrit à long terme sa gouvernance. Au surplus, cela n’apporte rien à nos technologies ni à nos emplois.

En ce qui concerne la compétitivité, je vous renvoie à ce que j’ai dit sur la concurrence et les appels d’offres, qui, à mes yeux, devraient devenir la règle. Ce n’est pas un remède universel, mais c’est un moyen de comparer, de mesurer et de négocier.

Pour en revenir aux frégates F 125, le partage du marché entre deux groupes a engendré un surcoût d’approximativement 400 millions d’euros, sur un total de 2,5 milliards pour les quatre navires. Autre exemple, la division des marchés en tranches fait que, à partir de la troisième tranche, le client est très dépendant de l’industriel. Dans le cas du troisième lot de sous-marins conventionnels de classe 212, des résultats ont été obtenus après une dure négociation. Je suis aussi de ceux qui pensent – tout comme le président de la commission des finances du Bundestag – que l’Allemagne devrait ouvrir un appel d’offres pour la troisième tranche de l’Eurofighter. J’attends du ministre de la défense qu’il ait le courage de demander un devis à Dassault.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Quel est le rapport de prix entre l’Eurofighter et le Rafale ?

M. Markus Kerber : Il est très favorable au Rafale, peut-être d’un tiers. Je puis vous dire que le lobbying de la part des industriels européens a pris des proportions considérables. Or il faut aussi comparer les deux avions du point de vue de leurs performances…

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Qu’en est-il de la mise en concurrence pour les trois programmes lancés par la marine nationale française ? Tous trois correspondent à des urgences opérationnelles.

Tout en préconisant la concurrence, vous soulignez, à juste titre, la difficulté qu’il y a à organiser le rapprochement entre les industriels de l’Union européenne pour réaliser ces programmes, d’autant que l’on est loin d’une Europe de la défense intégrée prenant des décisions conjointement.

Vous regrettez également que, dans les programmes en coopération, il arrive que certains paient pour les autres sans s’en rendre compte. Un État conscient de tous ces éléments peut-il vraiment prendre le risque de la concurrence, c'est-à-dire de la délocalisation d’emplois vers d’autres pays, d’autant que ce risque s’accompagne de celui de la perte de l’outil industriel de défense qui apporte la garantie de l’indépendance stratégique du pays ? Les logiques contradictoires qui sont ici à l’œuvre peuvent susciter des préoccupations de nature politique tout à fait légitimes de la part des États concernés.

M. Markus Kerber : En ce qui concerne les trois programmes en cours, il serait bien entendu très difficile d’organiser la concurrence au moyen d’appels d’offres. De surcroît, le choix de la propulsion nucléaire – qui peut être fait pour deux des programmes – fait presque automatiquement tomber le marché entre les mains de l’industriel national.

En revanche, il était possible et souhaitable que le programme FREMM devienne un grand programme européen, dans le cadre duquel les différentes agences d’armement auraient pu lancer des appels d’offres pour la conception – le design – et se seraient mises d’accord sur la fabrication dans les pays concernés. Le Royaume-Uni est incontestablement le pays le plus progressiste en matière d’ouverture du marché. Pourtant, en passant un appel d’offres sur son porte-avions ou, aujourd'hui, sur son véhicule blindé de combat d'infanterie, ce pays n’envisage pas que la fabrication se fasse à l’étranger.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Il est à craindre que la capacité d’ouverture des Britanniques ne se réduise à leur aptitude à faire payer par d’autres la conception de bâtiments construits chez eux.

M. David Habib, Président : Nous observons fréquemment de la part du Royaume-Uni, comme de bien d’autres pays, derrière l’affichage, une très grande attention à ce que les matériels militaires commandés soient fabriqués en Grande-Bretagne par des entreprises britanniques ou assimilées. Les Britanniques savent très bien, en revanche, faire payer les frais de développement par les autres États, pour se raccrocher ensuite à la phase de production.

Il n’est pas interdit de considérer que les problèmes rencontrés avec les Britanniques ont contribué à l’échec du programme Horizon.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Même lorsque les Britanniques achètent à l’extérieur, comme dans le domaine aéronautique, ils ont pour principe que le maintien en conditions opérationnelles doit rester purement national. En outre, le système britannique a beaucoup évolué. Depuis la mise en place de l’équivalent britannique de la base industrielle et technologique de défense (BITD), la plupart des fabrications ont été rapatriées au Royaume-Uni. Du reste, le modèle « multidomestique » développé par Thales est né de la réticence des Britanniques à ouvrir leur marché. En rachetant Racal, Thales a pu maintenir en Grande-Bretagne toutes les lignes de produits, les bureaux d’étude, etc. Ce n’est pas une ouverture à proprement parler. Il ne faut pas se montrer trop angélique.

M. Markus Kerber : Je savais que je commettais un sacrilège en évoquant ici les mérites des Britanniques ! L’ouverture des marchés est en effet toute relative. Un autre tabou concerne le système satellitaire MUSIS, destiné à prendre la succession d’Hélios et de SAR-Lupe.

C’est une vision réaliste de l’espace de concurrence possible qui me conduit à préconiser la mise en concurrence au moment de la genèse d’un programme. Cela suppose que les marines se mettent d’accord pour surmonter, par une politique volontariste, le déphasage entre leurs programmes d’équipement respectifs. Cette coordination est un premier pas. Ensuite, on peut organiser la concurrence entre les industriels compétents en matière de conception, puis on se partagera la fabrication et la maîtrise d’ouvrage, en tenant compte, bien entendu, de considérations d’emploi dans les régions où l’industrie navale joue un rôle important.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Mes questions ne sont pas seulement dictées par des considérations territoriales, M. le professeur. J’essaie aussi de réfléchir à la manière d’organiser l’industrie navale française et européenne pour réaliser les grands programmes dans des conditions de coût et de mise en œuvre opérationnelle optimales.

Il y a cinq ans seulement, DCN était encore une administration centrale de l’État. Les évolutions statutaires considérables qu’elle a connues ces dernières années lui permettent de commencer à faire de l’industrie comme n’importe quelle société soucieuse de rationaliser le fonctionnement de ses équipes et de ses métiers. L’État investit pour que cette mutation se fasse. Si l’on s’engage trop vite dans la direction que vous indiquez, sans qu’il y ait de coordination entre les gouvernements européens, je crains que les efforts réalisés n’aboutissent à la déstabilisation des industries et des bassins d’emploi concernés, donc à une situation où nous ne serions plus à même d’affirmer notre indépendance nationale. Il faudrait alors avoir recours à d’autres pour réaliser, à leurs conditions, les programmes stratégiques de notre pays. Le sujet ne relève pas d’un souverainisme suranné : c’est une question qui se pose réellement.

M. David Habib, Président : La proposition de M. Kerber est intéressante, mais elle ne concerne qu’un avenir lointain, car les programmes navals actuels sont soit lancés, soit en voie de lancement.

Par ailleurs, si la mise en concurrence ne concerne que la phase initiale et laisse la place in fine à un mécanisme de coopération aboutissant à une retombée en pluie de la production dans les différents bassins d’emploi, on risque de connaître les mêmes surcoûts que ceux que l’on a déjà constatés dans tous les programmes menés en coopération, au premier rang desquels les programmes d’Airbus.

Sur un plan strictement hexagonal, nous avons en face de nous au maximum deux industriels, et même, la plupart du temps, un seul, à la survie duquel nous tenons, étant donné les intérêts nationaux en jeu et notre souci de protéger l’autonomie de nos capacités de production et d’avancée technologique. Dès lors, l’alternative à la mise en concurrence est la confrontation étroite entre les services de l’État d’une part et l’industriel de l’autre. Cela était impossible lorsque DCN était un arsenal. Depuis sa transformation en société anonyme et la constitution, en vis-à-vis, du service de soutien de la flotte – SSF – au sein de l’état-major de la marine, la confrontation est devenue extrêmement serrée, au moins pour tout ce qui concerne le maintien en conditions opérationnelles.

Les devis et les délais relatifs aux IPER – indisponibilité périodique pour entretien et réparation – du Triomphant et du Charles-de-Gaulle ont ainsi été réduits de façon significative. Le nouveau contrat passé par le SSF avec DCNS pour le maintien en conditions opérationnelles des navires est lui aussi très avantageux financièrement et opérationnellement : il est désormais de la responsabilité de l’industriel d’assurer à la marine une disponibilité d’un certain nombre de jours à la mer par an, quel que soit l’état des navires.

Face à un monopole ou un monopsone, une des solutions est de mettre en place du côté de l’État un dispositif permettant une confrontation permanente avec l’industriel. Il peut en résulter un plus grand bénéfice pour les finances publiques que dans le cas d’un simple appel à la concurrence.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : La thèse de M. Kerber n’est pas si isolée que cela. Pour la plupart des grands programmes, la DGA tâte toujours un peu le terrain pour passer des partenariats. Le taux de réussite est très réduit, et l’on invoque souvent la responsabilité des états-majors, que l’on accuse d’être incapables de définir des spécifications communes.

S’agissant de l’idée d’une mise en concurrence au stade de la conception, il faut remarquer que DCNS, depuis son changement de statut, est de moins en moins un constructeur naval – à l’exception peut-être des sous-marins – et de plus en plus un systémier. DCNS considère que sa valeur ajoutée réside dans son bureau d’études. Dès lors, la règle du jeu est de sous-traiter au maximum et l’on peut tout à fait organiser, au niveau des sous-traitants, un retour industriel sur des programmes communs. C’est ce que l’on connaît dans l’industrie spatiale civile européenne. La réponse se trouvera beaucoup plus dans la capacité à définir des programmes en commun que dans le modèle de l’appel d’offres ouvert, au demeurant totalement ignoré par les champions du libéralisme que sont les Américains.

M. Markus Kerber : Loin de moi l’idée naïve que les appels d’offres feront des miracles pour l’industrie navale européenne. Ils sont cependant un élément de compétitivité important au stade de la conception. De ce point de vue, d’ailleurs, l’industrie navale allemande est très compétitive, non seulement dans le domaine militaire, mais aussi en matière civile.

Le plus important, toutefois, est que les états-majors et les gouvernements fassent preuve de volontarisme pour coordonner leurs politiques. J’aimerais d’ailleurs que la chancelière exerce une pression plus forte sur le chef d’état-major de la marine nationale allemande.

C’est le développement de nouveaux programmes qui permettra de renforcer les coopérations. Je propose de suivre deux grands axes.

Le premier est la puissance de projection, qui présuppose des porte-avions. À terme, c’est sans doute une flotte européenne de porte-avions qu’il faut envisager. Notre continent en a les moyens.

Ensuite, il faut une coordination en matière de ravitailleurs. Avec le chef d’état-major de la marine nationale française, nous avons cherché des programmes et des produits qui se prêtent à une mise en commun plus importante. Sur ce plan, l’Agence européenne de défense devra jouer un rôle beaucoup plus important. Pendant trois ans, les Britanniques l’ont réduite à une sorte de think tank qui ne devait surtout pas lancer de programmes. Avec la nomination d’un nouveau DG d’Agence Européenne de Défense, une fenêtre s’ouvre désormais, à un moment où l’Europe spatiale formule ses ambitions.

Les marines nationales craignent que les crédits pour des programmes communs européens ne soient retranchés de leur budget. Il faut donc avoir le courage d’ouvrir un budget supplémentaire, qui seul permettra d’obtenir une plus grande convergence.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Si cette dernière hypothèse était retenue par la mission dans son rapport, je doute qu’elle soit accueillie avec beaucoup de bienveillance.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Quelles sont les trois principales menaces contre lesquelles, selon vous, doivent être organisés les programmes dans les dix ans à venir ?

M. Markus Kerber : La première menace est l’incapacité à frapper des territoires qui sont très éloignés de nos frontières, mais où l’on a identifié des menaces militaires ou paramilitaires.

La deuxième est celle qui pèse sur nos infrastructures : centrales nucléaires, approvisionnement en eau, etc.

La troisième réside dans la sous-estimation de la fragilité des prétendues démocraties qui nous entourent, notamment en Russie et en Biélorussie. Cette sous-estimation a conduit l’Allemagne à négliger sa défense territoriale.

M. David Habib, Président : Je vous remercie pour ces propos clairs et directs, M. le professeur. Ils permettront à la mission d’évaluation et de contrôle de clarifier plusieurs des questions qu’elle se pose.

Auditions du 20 décembre 2007

a) à 9 h 30 : MM. Bernard Planchais, directeur général délégué de DCNS, Pierre Legros, directeur de la division « Projets » de DCNS et Pierre Quinchon, directeur de la division « Navires armés » de DCNS

Présidence de M. Georges Tron

M. Georges Tron, Président : Je vous remercie, Messieurs, d’avoir répondu à l’invitation de la mission.

Je donne tout de suite la parole au Rapporteur, M. Bernard Cazeneuve. Les questions pourraient porter sur les aspects économiques de l’équipement naval de défense ; puis sur les savoir-faire stratégiques et industriels et sur les exportations ; ensuite traiter du programme du second porte-avions et de la coopération avec les Britanniques ; enfin porter sur le programme des frégates multi missions FREMM.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Je commencerai par une question d’ordre général : quel bilan peut-on dresser de la réforme du statut de DCNS intervenue il y a cinq ans, du point de vue, d’une part, de la performance et de la compétitivité de cette entreprise et, d’autre part, de sa capacité à réaliser pour le compte de la Marine nationale des programmes à des coûts mieux maîtrisés ?

M. Bernard Planchais : Comme j’ai piloté, avec Jean-Marie Poimboeuf, Président de DCNS, le changement de statut, je vais répondre à cette question.

Cinq ans après la décision prise par le Gouvernement, l’activité de DCNS s’établit à environ 2,7 milliards d’euros en 2007, ce qui en fait le premier groupe européen de défense dans les systèmes navals militaires et le quatrième mondial après trois groupes américains, juste devant la partie navale de BAE Systems et le groupe allemand TKMS. L’entreprise regroupe aujourd’hui environ 13 000 personnes. Elle a fait l’objet, au cours des quinze dernières années, d’une opération de restructuration importante, puisqu’elle comptait plus de 30 000 personnes au début des années quatre-vingt-dix. DCNS a aujourd’hui un format qui correspond à la nouvelle activité de l’entreprise.

Une autre grande évolution est remarquable. Après le passage du statut d’administration à celui de société anonyme détenue par l’État, DCNS a acquis l’ensemble des activités de maîtrise d’œuvre navale de Thales en France, soit Thales Naval France et sa filiale à 50 % Armaris que DCNS détenait déjà également à 50 %, ce qui fait de ce dernier l’acteur français du domaine naval militaire. Au même moment, l’État a cédé 25 % du capital de DCNS à Thales.

DCNS a donc regroupé toutes les activités de maîtrise d’œuvre de systèmes navals dans le domaine militaire et dépend maintenant de deux actionnaires : l’État pour 75 % et Thales pour 25 %.

Depuis le changement de statut, DCNS a dégagé des résultats positifs, avec une mise en œuvre du plan de marche plus rapide que ce qui était prévu dans le contrat d’entreprise qui avait été signé avec l’État au moment du changement de statut.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Quels étaient les résultats de l’entreprise au cours de l’année précédant le changement de statut et quels sont-ils aujourd’hui ?

M. Bernard Planchais : En tant qu’administration, nous n’avions pas formellement de résultats financiers. Nous étions dans une logique de compte de commerce équilibré au sein du budget de l’État. La notion de résultats économiques n’avait pas le même sens que dans le cas d’une entreprise.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : On avait cependant une petite idée de l’argent que DCN perdait, puisque cet argument a présidé à la réforme de son statut.

M. Bernard Planchais : les coûts de DCN étaient effectivement en partie liés à son statut. Je vais citer des exemples de ce qu’a apporté le changement de statut.

L’un des principaux enjeux a été d’améliorer la fonction Achats. À cet égard, la substitution des règles du privé aux procédures prévues par le code des marchés publics a permis de réduire le coût des achats, en quatre ans, d’au moins 15 %. Sachant que, dans le chiffre d’affaires de DCN, les achats représentent les deux tiers des coûts, soit 1,5 milliard d’euros, cela donne un ordre de grandeur des économies réalisées. La maîtrise économique de ces achats a été un facteur déterminant de la performance de DCN dans les premières années qui ont suivi le changement de statut.

Lors du changement de statut, nous avions prévu de parvenir à l’équilibre économique en 2005, c’est-à-dire deux années après le changement de statut. Or nous l’avons atteint dès la première année, c’est-à-dire dès 2003. Nous avons donc été plus vite que le plan de marche prévu.

L’activité de DCNS est plutôt en croissance depuis la réforme du statut : alors qu’elle représentait un peu plus de 2 milliards d’euros juste après la réforme, elle correspond actuellement à 2,7 milliards d’euros.

En résumé on peut dire que le changement de statut a apporté à l’entreprise une meilleure maîtrise, d’une part, des coûts, en particulier en matière d’achats, et, d’autre part, dans le domaine des ressources humaines dont l’entreprise a besoin dans les domaines commercial, juridique, industriel et des achats. Nous avons, en particulier en quatre ans, recruté plus de 3 000 personnes, alors que, dans le même temps, de nombreux collaborateurs sont retournés dans le giron de l’État conformément aux dispositions de la loi adoptée avant le changement de statut.

M. Georges Tron, Président : Beaucoup de collaborateurs de DCN ont-ils opté pour leur maintien dans le cadre étatique ?

M. Bernard Planchais : Au moment du changement de statut, nous étions un peu moins de 15 000 personnes. Aujourd'hui, nous sommes 13 300, dont 600 venus de Thales. Il y a donc eu une réduction des effectifs de l’entreprise qui, en cinq ans, a enregistré environ 5 000 départs et un peu plus de 3 000 recrutements.

M. Georges Tron, Président : Les personnels détachés de l’État avaient-ils la possibilité d’y revenir ?

M. Bernard Planchais : Les ouvriers d’État constituaient l’essentiel des effectifs de l’entreprise puisqu’ils étaient au nombre de 9 000 au moment du changement de statut. La loi avait prévu que ces personnels seraient apportés à l’entreprise en conservant leur statut d’ouvrier d’État. Ils sont donc payés par l’État, lequel est remboursé par l’entreprise à l’euro près.

Après le changement de statut, l’entreprise ne pouvait plus recruter des personnels d’État. Elle a donc embauché des personnes sous convention collective. L’extinction des ouvriers d’État se fera dans la durée puisqu’il n’est pas prévu de mettre fin à leur situation. C’était l’une des conditions importantes pour que le changement de statut soit acceptable sur le plan social.

Les cadres civils et militaires et les fonctionnaires de l’entreprise ont bénéficié d’un délai de deux ans pour opter, soit pour un retour dans le cadre de l’État, soit pour la signature d’un contrat au sein de l’entreprise : dans le cadre d’un contrat de service détaché, conformément aux règles prévues pour les fonctionnaires et les militaires, ou bien d’une démission de leur position antérieure pour pouvoir intégrer l’entreprise. Plus de 90 % des personnels sont restés dans l’entreprise.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Le changement de statut a abouti à la modification de la structure capitalistique de DCNS. Certains pensent – et je ne partage pas ce point de vue – qu’il serait possible d’améliorer encore la compétitivité de l’entreprise en allant plus loin dans l’ouverture de son capital. Est-ce un souhait de DCNS ?

M. Bernard Planchais : La compétitivité n’est pas directement liée à la détention du capital.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Le président Jean-Marie Poimboeuf explique souvent que la compétitivité de l’entreprise dépend de sa capacité à nouer des alliances, notamment pour développer des contrats à l’exportation. Cela a nécessairement un impact sur la structure capitalistique, car on imagine mal que l’on puisse passer des alliances à structure de capital inchangée. C’est cela qui me préoccupe.

M. Bernard Planchais : Ma réponse se fera à deux niveaux.

L’amélioration de la compétitivité résulte d’abord d’actions internes de conception aux justes coûts des produits que nous réalisons, ce que l’on appelle la conception à coût objectif. C’est ce que nous avons fait pour les grands projets des FREMM, du Barracuda et celui du second porte-avions PA2.

Cela étant, nous recherchons également des progrès de compétitivité en matière de coûts fixes. Pour développer un nouveau programme de frégates, il faut investir le coût d’une ou deux frégates. Il est clair que, si nous travaillons en coopération, en partenariat, ou dans le cadre d’alliances industrielles ou capitalistiques, le partage des coûts fixes se traduit inévitablement par la réduction du coût moyen des produits de série.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : L’une des pistes, souvent évoquée par vous, du renforcement de la compétitivité de DCNS est un recentrage de l’entreprise sur son cœur de métier. Certains pensent qu’une externalisation de fonctions peut être réalisée par le recours à des sous-traitants ou à d’autres industriels à moindres coûts. Pour ce qui vous concerne, avez-vous le sentiment que, à moyen terme, DCNS pourra rester compétitive en demeurant une entreprise de production ou envisagez-vous une externalisation plus importante de ses activités pour qu’elle devienne un grand pôle d’ingénierie concevant des programmes et réfléchissant aux conditions de leur mise en œuvre ?

Toujours sous l’angle de la compétitivité, comment voyez-vous la répartition entre les emplois de production et les emplois d’ingénierie ?

M. Bernard Planchais : La réponse à cette question est différente selon les domaines d’activité de DCNS, qui sont, pour environ 60 %, la conception et la construction de navires neufs ; pour environ 30 %, la maintenance des navires et, pour environ 10 %, la fourniture des équipements.

Dans le premier domaine, celui des navires neufs, il faut distinguer, d’une part, les bâtiments de surface et, d’autre part, les sous-marins.

Pour ce qui est des bâtiments de surface, nous avons déjà organisé l’entreprise afin de concentrer notre activité sur les phases amont – c’est-à-dire l’ingénierie et la conception des navires – et sur les phases d’assemblage et d’intégration finale, non seulement de la plateforme mais aussi du système de combat, ce dernier étant au cœur de nos activités stratégiques.

Nous avons dimensionné nos activités, en particulier, notre site de Lorient qui est dédié aux bâtiments de surface, pour ne réaliser qu’une partie des navires. Pour la réalisation des activités à faible valeur ajoutée comme la coque – la tôle au sens propre du terme –, les coûts sont nettement inférieurs chez d’autres industriels, en particulier étrangers. Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à pratiquer une telle politique puisque des chantiers français comme Aker Yards et Piriou sous-traitent aussi largement ces éléments de coque dans des pays comme la Pologne, en Europe de l’Est, et même dans certaines zones d’Asie.

Il s’agit d’une tendance lourde, liée au fait que ces activités, qui sont essentiellement de main-d’œuvre peu qualifiée, sont réalisées aujourd’hui dans des conditions économiques beaucoup plus favorables en dehors de l’Europe occidentale.

Le recentrage de l’activité de DCNS sur les métiers à forte valeur ajoutée, autour de l’ingénierie du système de combat et de l’intégration sur les navires, est une action que nous avons entreprise de longue date et qui a été poursuivie après le changement de statut. Au moment de ce dernier, nous avions moins de 20 % de cadres et près de 55 % d’ouvriers. Aujourd’hui, avec l’évolution naturelle des effectifs, les ratios sont de 30 % d’ingénieurs et de cadres, 30 % de techniciens et seulement 40 % d’ouvriers. Une évolution en profondeur se fait de façon maîtrisée et sans heurts, elle se poursuivra dans le domaine des bâtiments de surface (la situation est différente pour les sous-marins), en particulier, avec l’objectif que nous nous sommes fixé de développer l’exportation, laquelle représente actuellement 30 % de l’activité du groupe.

L’exportation est un enjeu important, non seulement pour accroître l’activité de l’entreprise, mais aussi pour amortir les coûts fixes. Cependant, même s’il y a des perspectives d’exportation sur des produits comme les FREMM – une négociation est en voie de finalisation avec le Maroc –, l’exportation concerne en général des gammes de produits qui sont plus simples que ceux réalisés pour la Marine nationale. Ainsi des négociations sont en cours avec la Bulgarie pour la vente de corvettes Gowind. Dans ce cas, les clients imposent qu’une part très significative des activités soit réalisée dans leur pays. Et, même lorsqu’ils ne l’imposent pas, la faible complexité de ces bateaux nous conduit, pour des questions de coûts, à rechercher une fabrication locale.

La problématique est différente pour les sous-marins, dont la coque est l’élément clé, comme la structure de l’appareil l’est pour les avions. Sa qualité conditionne à la fois la sécurité et la performance. C’est pourquoi la fabrication de la coque d’un sous-marin est une activité stratégique pour notre groupe, en particulier dans notre établissement de Cherbourg qui est dédié à cette activité. Elle met en œuvre des technologies très pointues de conception et de réalisation, notamment en matière de soudage d’acier à très haute performance. Ce sont des spécificités de ce type d’activité, qu’on ne retrouve pas dans l’industrie, et encore moins dans des pays dits à bas coûts.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Toujours sur l’exportation, j’ai trois questions à vous poser.

Premièrement, si l’on part du principe que l’exportation peut permettre d’absorber les coûts fixes de l’établissement, combien DCNS a-t-elle gagné sur les contrats chilien, malaisien et pakistanais ?

Deuxièmement, n’y a-t-il pas un risque, dans un marché très mondialisé, de faire des contrats d’exportation avec transfert de technologies, favorisant ainsi l’émergence de concurrents dans des pays qui ne sont pas sans savoir-faire technologique, contrairement à ce qu’on a pu penser jusqu’à présent ?

Troisièmement, vous avez dit que l’exportation représentait 30 % du chiffre d’affaires de DCNS. Quelle est la part des bâtiments de surface et des sous-marins dans ce pourcentage ?

M. Bernard Planchais : Le contrat de vente de sous-marins Scorpène au Chili a été passé avant le changement de statut et soldé juste après. Son niveau de marge était extrêmement faible puisqu’il couvrait globalement les coûts de production. Il n’a pas permis de dégager des marges supplémentaires.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : J’ai entendu dire, à l’occasion de précédentes auditions, qu’un effort de 350 millions d’euros avait dû être consenti pour permettre la passation de ce contrat.

M. Bernard Planchais : Le contrat d’exportation de sous-marins au Chili a été conclu avec un niveau de marges réduit pour lancer le sous-marin Scorpène. Il couvrait les frais de production, mais pas tous les frais de développement, qu’il a été prévu d’amortir sur les programmes suivants.

L’exécution du contrat d’exportation de Scorpène avec la Malaisie n’est pas terminée. Il a été passé avec un niveau de marges standard.

Le contrat des sous-marins Agosta avec le Pakistan a été conclu bien avant le changement de statut. Il n’a pas dégagé de marge.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Monsieur Planchais, il est très important pour les parlementaires de voir quelle est l’adéquation entre le discours tenu par la DGA, par DCNS, par l’exécutif, et la réalité des chiffres. Dès lors que l’on part du principe que le développement de contrats à l’exportation, pour ce qui concerne les sous-marins ou les FREMM, peut permettre de dégager des marges et des moyens de financement des coûts fixes de l’établissement sur les programmes domestiques, il est intéressant d’avoir une idée de l’importance de ces marges et des bénéfices engrangés sur chacun des contrats.

M. Bernard Planchais : Cela me conduit à ouvrir une petite parenthèse sur les programmes nationaux.

Quand on exporte, on est en compétition avec d’autres industriels, en particulier européens, pour lesquels la politique de prix est aussi liée à l’équilibre des charges et à la façon dont ils les répartissent à l’intérieur des entreprises. Des programmes très voisins, voire presque identiques, sont en effet menés en France et dans d’autres pays européens.

Pour le programme FREMM, DCNS a réalisé un travail de conception à coût objectif très serré. Or l’Allemagne a lancé récemment un programme de frégates F 125, des bâtiments quasiment identiques aux FREMM.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Son coût, jugé excessif, a été critiqué par la Cour des comptes allemande. Il serait d’ailleurs intéressant que vous puissiez nous expliquer les raisons de cette différence de coût.

M. Bernard Planchais : J’allais y venir. Ce sont donc des matériels très voisins, pesant autour de 6 000 tonnes, de longueurs très proches – 139 pour 142 mètres –, de même vitesse et aux mêmes fonctionnalités de système de combat. Or le prix moyen des frégates allemandes, d’après les informations publiques que nous avons pu avoir, est d’au moins 30 % supérieur à celui des FREMM.

Les bâtiments sont pratiquement identiques et les prix différents, ce qui peut se traduire par un niveau de marge sensiblement différent.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Il est vrai que la plupart des contrats concernant les sous-marins ont été signés avant la modification du statut de DCN. Néanmoins il serait intéressant de savoir si, par rapport à la faible marge, voire la marge négative, que dégagent à l’heure actuelle les contrats de vente à l’exportation de ces sous-marins, est incluse ou non la prise en charge, au moins partielle, des frais de développement payés par DCN avant la modification de son statut pour concevoir ce nouveau produit.

D’après les informations dont dispose la mission, quand la Cour des comptes a examiné la question, il lui a semblé, non seulement que les frais de production étaient à peine couverts par les montants financiers du contrat, mais encore que les frais de développement du produit Scorpène n’étaient pas pris en charge dans le cadre des contrats. Au total, si ces contrats pouvaient présenter un certain intérêt pour le maintien de l’activité de Cherbourg, sur le plan financier leur bilan n’était pas très positif.

Quant aux FREMM, la différence de prix unitaire est peut-être également liée au fait que, d’un côté, les frégates sont vendues par série de quatre et, de l’autre, par tranche de huit. Dans le premier cas, la répercussion sur une cible faible de la totalité des frais de développement renchérit le coût unitaire du navire ; dans le second cas, les frais de développement qui chargent les frais de production de chaque frégate se révèlent inférieurs.

M. Bernard Planchais : Il est clair qu’il ne s’agit pas de séries identiques mais cela est loin d’expliquer l’écart de prix.

Le même scénario se retrouve pour les frégates anti-aériennes Horizon. Le programme britannique de destroyers lance-missiles T 45 propose quasiment les mêmes bateaux puisque la genèse de ces derniers est liée à la coopération initiale de la France, du Royaume-Uni et de l’Italie, dont les Britanniques se sont retirés. L’écart de prix est comparable. DCNS a réalisé deux frégates Horizon pour la Marine nationale, avec un coût moyen, en réintégrant le système principal de missiles anti-aériens (PAAMS) qui est réalisé par un groupement spécifique, indépendamment de notre contrat, un peu inférieur à 900 millions d’euros par bateau, pour l’achat de deux bateaux. Pour les Britanniques, qui en ont commandé six, le coût moyen est de près de 1 100 millions d’euros.

M. Georges Tron, Président : Dans le rapport de la Cour des comptes – qui a été transmis à la commission des Finances à l’issue de la contradiction –, il était indiqué que l’acquisition de deux frégates Horizon, au coût des porteurs de janvier 2004, avait atteint un total de 2,7 milliards d’euros. Cela ne correspond pas à un prix unitaire de chaque frégate de 900 millions d’euros.

M. Pierre Quinchon : Les 2,7 milliards sont la somme du coût du développement, qui est de l’ordre de 800 millions d’euros et du coût de deux frégates.

M. Georges Tron, Président : Cela est logique. Je ne vois pas pourquoi on appliquerait ailleurs qu’aux deux frégates le coût de développement de celles-ci.

M. Bernard Planchais : Tout cela mérite certainement des expertises, mais je pourrais compléter la liste. Ainsi une négociation est en voie de finalisation concernant le second porte-avions PA2. Nous avons des éléments de comparaison de même nature avec les Britanniques.

Tout cela montre que les modalités d’acquisition des bâtiments entre la France et les autres pays peuvent présenter des écarts significatifs.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Pouvez-vous répondre à la question sur les marges réalisées sur les trois contrats d’exportation de sous-marins ?

M. Bernard Planchais : Les contrats avec le Chili et le Pakistan ont été signés bien avant le changement de statut. Leur équilibre financier n’était donc pas satisfaisant, mais ils ont apporté une activité significative à l’entreprise.

M. Pierre Quinchon : Le bilan financier de l’exportation des Scorpène doit être fait globalement. Le contrat passé avec le Chili s’analysait comme un investissement initial et l’on avait admis que l’entreprise – l’État à l’époque – ferait le développement à ses frais et l’amortirait sur les autres suivants. Cela étant, sur l’ensemble des contrats Chili et Malaisie auxquels il faut ajouter celui avec l’Inde, l’ensemble de l’opération Scorpène dégage aujourd’hui des marges positives. L’investissement qui a été fait au moment du contrat passé avec le Chili a été compensé au moment du contrat avec la Malaisie et, avec le contrat avec l’Inde, on commence à gagner de l’argent.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : C’est un élément très important.

M. Pierre Legros : Pour le contrat d’exportation de Scorpène avec la Malaisie, qui est presque terminé, la marge nette est bénéficiaire.

Il est plus difficile de faire le bilan du contrat avec l’Inde puisqu’il est prévu pour durer encore sept ans, mais, s’il se déroule normalement, nous tiendrons les objectifs fixés.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Je rappelle ma question sur le transfert de technologie. Dans une économie mondialisée, sur des métiers très spécifiques, qui font la force et l’excellence de DCNS, on donne la technologie à des pays émergents alors que nous subissons déjà la concurrence d’autres européens. Cette stratégie permettra-t-elle de continuer à dégager des marges à l’exportation ?

M. Bernard Planchais : Dans le domaine de l’exportation, nous répondons à des appels d’offres avec des mises en compétition et des exigences définies par les pays acheteurs. Il est clair que le transfert de technologie est un critère majeur, voire imposé, dans ce cadre.

Il ne s’agit pas, bien entendu, de transférer n’importe quelle technologie. Notre politique consiste à garder systématiquement des verrous technologiques, en particulier en matière de conception, pour éviter que les pays à qui nous assurons ces prestations puissent effectivement nous concurrencer dans un délai court. Cela nous permet de garder une longueur d’avance.

En matière de production, nous appliquons la même politique.

M. Pierre Quinchon : Tout d’abord, pour ce qui est des sous-marins, nous ne pouvons échapper au transfert de technologie dans la mesure où, si ce n’est pas nous qui la vendons, ce sera un concurrent.

Nous nous en protégeons en ne transférant pas ce qu’on appelle le know why, c’est-à-dire le savoir-faire de fond de conception. La personne à qui nous transférons la technologie saura tout au plus reproduire exactement le produit que nous lui avons vendu. C’est un point important.

Deuxièmement, nous nous protégeons par des verrous technologiques. Dans le cas des sous-marins, par exemple, il s’agit des cloisons résistantes, des brèches de coque résistantes, qui sont des outils particulièrement difficiles, à la fois à concevoir et à réaliser, et des tubes lance-torpilles. Nous gardons en propre ces fabrications.

On peut noter d’ailleurs que, alors que nos concurrents allemands ont transféré de la technologie à un certain nombre de pays depuis maintenant de nombreuses années, seule la Corée du Sud a quelques velléités de vendre des sous-marins copiés des sous-marins allemands à l’aide de la technologie transférée. Nous considérons que, aujourd’hui, on peut se protéger efficacement en matière de transfert de technologie.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : On a vu, dans le domaine de l’électronique, que le concept d’entreprise sans usine, chère au président Serge Tchuruk, qui consistait à concentrer ici la recherche et développement et à envoyer la production ailleurs, a abouti à l’émergence de véritables concurrents technologiques dans un certain nombre de pays vers lesquels on a transféré ces technologies.

DCNS a fait une joint venture avec Navantia sur le Scorpène. Or les Espagnols ont sorti un sous-marin concurrent S80 qui ressemble comme deux gouttes d’eau au Scorpène. C’est aussi l’un des aspects des risques du transfert de technologie .

M. Bernard Planchais : Vous soulevez l’important sujet de la coopération avec Navantia, engagée au début des années quatre-vingt-dix, à l’époque où la DCN était encore une entité de l’administration. Il était prévu, dans le cadre de cette coopération, que l’Espagne nous associerait à son futur programme national de sous-marins de remplacement des Agosta que nous les avions aidés à réaliser dans les décennies précédentes. Il s’est avéré que, in fine, les Espagnols ont retenu un programme national, le S80, qu’ils réalisent seuls. C’est ce sous-marin qu’ils ont proposé le 12 novembre 2007 à la Turquie en compétition avec le Scorpène que nous avons développé en commun. Cette situation est préjudiciable aux intérêts de la DCNS.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Le Scorpène n’a pas été développé en commun avec Bazan ?

M. Bernard Planchais : Bazan est devenu Izar puis Navantia.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : On m’a dit que le S80 avait le même diamètre de coque que le Scorpène.

M. Pierre Quinchon : Il est plus gros : il est à la fois plus long et plus large, et a donc un plus gros diamètre de coque.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : J’ai une dernière question sur DCNS dans son environnement européen et international.

Quand on regarde ce qui se passe et qu’on lit les déclarations du président Jean-Marie Poimboeuf, on a le sentiment que la coopération entre industriels européens est en panne. Un universitaire allemand, qui joue un rôle de conseiller du ministère de la défense allemand, que nous avons entendu mardi dernier, a tenu des propos très durs sur les relations entre DCNS et TKMS. N’avez-vous pas l’impression d’être un peu isolé ? N’avez-vous pas le sentiment que le discours qui a été tenu jusqu’à présent, selon lequel les évolutions nécessaires de DCNS allaient permettre d’accroître les coopérations entre industriels de l’Union européenne est démenti par le constat de panne, ou en tout cas de demi-échec, que nous faisons aujourd’hui ?

M. Bernard Planchais : Je répondrai en deux temps.

D’abord, nous savons tous que les perspectives d’activité sur les programmes nationaux sont plutôt à la baisse. Nous avons donc besoin des exportations pour assurer non seulement l’activité de notre entreprise, mais aussi le partage des coûts fixes et des frais d’investissement et de développement de technologies nécessaires pour réaliser des programmes nationaux au moindre coût.

Les grands exportateurs dans le domaine des sous-marins sont l’Allemagne, avec TKMS, qui est le leader, avec des concurrents émergents comme Navantia en Espagne, mais aussi d’autres en Asie, les Coréens, les Russes, et, dans quelques années peut-être, les Chinois.

Dans le domaine des bâtiments de surface, la compétition est beaucoup plus émiettée, mais tout aussi réelle et avec les mêmes pays.

Le constat que nous faisons est que, si les industriels européens ne s’allient pas, la poursuite d’une activité en Europe sur les systèmes navals pourrait être fortement compromise.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : M. Jean-Marie Poimboeuf a déclaré, le 17 décembre, dans le journal Le Monde : « Aujourd’hui, la tendance n’est pas au rapprochement, chacun croyant être le meilleur. »

M. Bernard Planchais : Je poursuis, c’est le deuxième temps de ma réponse.

L’analyse que nous faisons aujourd’hui est que, s’il n’y a pas un rapprochement entre les pays de l’Union, l’industrie européenne risque de décroître. Les alliances sont donc une nécessité.

Cela dit, pour pouvoir coopérer, il faut être deux. Une coopération au niveau industriel n’est possible, dans le secteur stratégique où nous sommes, que s’il y a des orientations politiques en ce sens. Or vous connaissez aussi bien que moi l’état actuel des relations entre les différents pays. C’est un fait qu’aujourd’hui la tendance est à privilégier plutôt les solutions nationales. Nous sommes d’ailleurs dans une phase, qui n’est pas incompatible avec la consolidation européenne de l’industrie navale de défense, de regroupements nationaux : DCNS et Thales en France en 2007 ; les Allemands en 2005 avec la création de TKMS ; un rapprochement entre BAE System et VT Group est exigé par le gouvernement britannique pour le lancement du programme des porte-avions Carrier Vessel Future (CVF).

Cela n’empêche pas les contacts informels entre industriels. Nous avons avec les Allemands la même vision industrielle. Nous partageons l’idée que l’évolution des structures et le rapprochement des industriels ne peuvent se faire qu’en plusieurs étapes, la première étant au niveau commercial, du marketing, de l’ingénierie et de la R et D. C’est là où l’on peut, pour les futurs programmes tant nationaux qu’à l’exportation, partager les coûts fixes. La partie production, qui a un impact social fort, ne peut qu’être une seconde étape dans le rapprochement.

Les discussions avec les autres industriels européens (notamment les Britanniques et les Allemands) doivent donc se poursuivre pour préparer l’avenir. Autant la coopération franco-allemande a un sens en matière d’exportations, autant la coopération franco-britannique en a un sur les grands programmes nationaux, notamment pour les navires fortement armés, que ce soit des sous-marins ou des bâtiments de surface.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Nous allons aborder plus spécifiquement les programmes, en commençant par celui du second porte-avions PA2.

Lorsque le Président de la République, M. Jacques Chirac, a lancé le projet du PA2, le coût d’objectif était de l’ordre de 2 milliards d’euros. L’autorisation provisionnelle d’engagement, qui est une catégorie nouvelle dans la nomenclature budgétaire, pour le PA2 s’élève à 3 milliards.

Le Président Chirac a indiqué qu’il souhaitait que la France réalise ce programme en coopération avec les Britanniques, justifiant ce souhait par deux arguments : la mutualisation permettrait de réduire les coûts, et nous aurions plus d’interopérabilité. Or nous constatons aujourd’hui que le bâtiment coûtera plus cher et que des questions se posent en matière d’interopérabilité puisqu’il n’est pas sûr que nos avions puissent opérer sur les futurs porte-avions britanniques.

Un précédent orateur entendu par la mission nous a indiqué qu’un secrétaire d’État britannique aurait déclaré, devant la Chambre des communes, que l’intérêt de cette coopération aura été que les Français ont payé le design de leur porte-avions, ce qui est un intérêt limité pour nous, vous en conviendrez. Qu’en pensez-vous ?

Je précise que je me fais l’avocat du diable : le fait même d’être en coopération ne suffit pas pour les légitimer et pour les exonérer d’une expertise. Il faut vérifier que les objectifs sont atteints.

M. Bernard Planchais : En tant qu’industriel, DCNS répond à une spécification, et celle du second porte-avions PA2 sur lequel nous travaillons actuellement émane de l’expression d’un besoin émis par la Marine et par la DGA. Ce que l’on peut noter, c’est que la Marine nationale a consenti un effort très important pour se rapprocher de l’expression de besoins de la Marine britannique afin d’aboutir à des produits qui soient les plus similaires possibles.

En tant qu’industriel, nous notons cette évolution importante, un tel rapprochement dans l’expression des besoins n’étant pas la règle générale et n’avait pas été obtenu dans le cadre de tous les programmes précédents à l’exception du programme Horizon et dans une moindre mesure FREMM.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Il n’en demeure pas moins que ce qui est totalement commun est ce qui est sous la ligne de flottaison et ce qui est totalement différent est ce qui est au-dessus.

M. Bernard Planchais : Les besoins français portent sur deux points spécifiques : d’une part, les avions qui apponteront sur l’éventuel futur porte-avions sont des Rafale marine qui nécessitent une catapulte, alors que les Britanniques ont fait un choix différent ; d’autre part, la Marine nationale veut pouvoir emporter des armes spécifiques qui, du fait des conditions de manutention et de stockage particulières qu’elles exigent, nécessitent l’adaptation de certaines zones, certes limitées, mais avec des niveaux d’exigence importants.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Ces deux spécificités ruinent-elles l’interopérabilité ?

M. Pierre Quinchon : Tout d’abord, c’était plutôt une bonne idée d’aller chercher la conception initiale d’un porte-avions chez quelqu’un qui l’avait déjà étudiée. Cela nous a fait gagner beaucoup de temps.

Comme l’a indiqué Bernard Planchais, la Marine nationale française a accompli de gros efforts pour essayer de rapprocher les besoins opérationnels. Cela a permis de récupérer le maximum de choses dans le projet de porte-avions britannique avec deux grandes spécificités : l’aviation embarquée et la mise en oeuvre de l’arme atomique.

Pour répondre à votre question sur l’interopérabilité, il est clair que le porte-avions britannique sera capable d’accueillir les avions français le jour où il sera équipé de catapultes. Ce n’est pas le cas actuellement, mais il est possible, dans une génération ultérieure, que cela le soit, tout en sachant qu’aujourd’hui, il est capable de l’être.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Cette question mérite d’être creusée, non seulement pour les travaux conduits par la MEC, mais également pour la réflexion de la commission de la défense.

Il y a à peu près 800 millions d’euros de différence entre l’autorisation provisionnelle d’engagement que le Parlement a votée et le coût du PA2. Dans un contexte de rareté de l’argent public et de décalage très important entre ce qui a été prévu dans le cadre de la loi de programmation militaire et les moyens qu’il faudrait mobiliser pour la mettre en œuvre – le ministère de la Défense estime à 15,9 milliards d’euros la somme à rajouter –, pensez-vous que plusieurs centaines de millions d’euros de plus sur un projet de ce type justifie la coopération ? En termes d’économies comme d’interopérabilité, la preuve de l’intérêt de la coopération reste à faire.

M. Pierre Quinchon : La coopération nous a permis d’acquérir très vite le design d’ensemble du bateau, en le récupérant chez les Britanniques.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : On aurait pu faire un second porte-avions Charles de Gaulle, ce qui aurait permis de disposer de deux porte-avions.

M. Pierre Quinchon : Cela impliquait d’opter pour une propulsion nucléaire et ce n’est pas le choix politique qui a été fait.

Je vais énumérer les avantages de la coopération.

Nous y avons tout d’abord gagné en récupérant un design d’ensemble. Nous y gagnons ensuite parce qu’on va pouvoir acheter ensemble les équipements du bateau, en particulier ceux de la plateforme, sur une assiette de trois porte-avions au lieu d’un seul. Nous avons mis en place avec les Britanniques des moyens pour lancer les consultations ensemble, dans la perspective de faire, si possible, les achats ensemble.

Nous aurions voulu aller plus loin et pouvoir construire ensemble. Cela n’a pas été possible pour une série de raisons qui tiennent à la situation de l’industrie et des chantiers navals britanniques.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Dans le coût d’un programme, s’ajoute au coût de construction le coût de possession, dont celui afférant aux frais d’équipage. Compte tenu de l’évolution du prix du carburant, le choix de la propulsion classique a-t-il été rationnel au plan économique ?

M. Bernard Planchais : Le choix politique s’est porté sur ce mode de propulsion.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Le choix politique est fait. C’est votre avis de technicien que je demande. Est-ce plus économique ?

M. Bernard Planchais : Nous ne disposons pas aujourd’hui de tous les éléments en tant qu’industriel pour répondre à cette question. L’élément majeur dans le coût de possession est celui des équipages – au cours des trente ou quarante années de la vie d’un navire de ce type –, et nous n’avons pas d’élément d’évaluation à ce sujet.

Cela étant, il est clair que le coût d’entretien d’une chaufferie nucléaire génère, compte tenu de sa spécificité – sans compter les éléments liés au cœur qui sont du ressort du CEA – des coûts supplémentaires par rapport aux coûts d’entretien d’une propulsion classique.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Lorsqu’un gouvernement prend la décision politique de construire tel type de bateau plutôt que tel autre et fait le choix de sa propulsion, la délégation générale pour l’armement (DGA) et des établissements comme le vôtre sont-ils préalablement consultés ?

Par ailleurs je suis frappé par le fait que vous dites ne pas disposer de la totalité des éléments permettant d’évaluer le coût de chaque option. Une expertise technique n’a-t-elle pas été fournie au gouvernement pour l’aider dans son choix ? Quel type de relations avez-vous avec la DGA et l’exécutif préalablement à la prise de décisions politiques ?

M. Bernard Planchais : L’acheteur public est la DGA. C’est elle qui pilote l’ensemble de ces paramètres. Cela étant, quand on nous interroge, nous répondons bien évidemment.

Le programme des sous-marins nucléaires d’attaque Barracuda a nécessité des années de travail en commun avec les services de la DGA et de la Marine pour aboutir à son optimisation, l’objectif étant de reprendre au maximum ce qui avait été fait précédemment, en particulier sur les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de la classe Le Triomphant pour le système de combat et la technologie acoustique.

M. Pierre Quinchon : Nous avons effectivement participé à la réflexion. Nous nous sommes prononcés sur les avantages comparés de la propulsion nucléaire et de la propulsion conventionnelle et sur leurs conséquences quant au nombre de personnes embarquées.

L’élément qui a changé est le prix du pétrole. Au moment où la question s’est posée, il n’était pas aussi élevé. Toutefois nous avons techniquement participé à cette réflexion et alimenté la DGA de nos observations sur les avantages comparées des deux solutions.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Quelle était la position de DCNS à l’époque ?

M. Pierre Quinchon : Les deux solutions présentaient des avantages.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Je vais poser la question différemment : quelle est, des deux solutions, celle qui présentait le plus d’inconvénients ?

M. Pierre Quinchon : Comme l’a fait remarquer Bernard Planchais, le nucléaire pose un certain nombre de difficultés qui rejaillissent sur le coût d’entretien, en particulier dans un monde où la réglementation en matière de sécurité nucléaire devient de plus en plus prépondérante. Nous pourrons en reparler lorsqu’il sera question du Barracuda.

D’ailleurs, un avantage supplémentaire que nous imaginons du rapprochement avec les Britanniques sera de pouvoir ultérieurement organiser ensemble les opérations de maintien en condition opérationnelle – MCO.

En termes de coûts de possession, nous pensions à l’époque que la propulsion classique présentait beaucoup d’avantages.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : En ce qui concerne le programme Barracuda, beaucoup de parlementaires ont interrogé le ministre sur ses intentions à l’occasion du débat sur la loi de finances pour 2008. Il a répondu que le programme était inscrit au budget pour 2008, qu’il commencerait le 1er janvier et que la suite dépendrait du Livre blanc, de la revue générale des programmes et de la loi de programmation militaire.

Quel est le coût du programme Barracuda tel qu’il est envisagé aujourd’hui ?

Quelles seraient les conséquences industrielles et sociales d’une remise en cause du rythme de réalisation ?

De manière générale, lorsque l’État a du mal à financer les programmes engagés, il a pour habitude de les lisser dans le temps. Or on constate que les programmes lissés dans le temps coûtent plus cher à l’unité que ceux réalisés dans les délais.

M. Pierre Quinchon : Le rythme de réalisation des Barracuda a été déterminé compte tenu de la meilleure optimisation possible de l’outil industriel de l’établissement DCNS de Cherbourg, de l’ingénierie et de l’outil industriel de l’établissement de Nantes-Indret qui réalise la propulsion.

Les délais de réalisation prévus sont de deux ans et demi entre le premier sous-marin et le deuxième, et de deux ans entre chacun des bâtiments suivants de la série.

Ce programme est tout juste suffisant à la fois pour faire fonctionner correctement les outils industriels et de Cherbourg et de Nantes-Indret pour les sous-marins nucléaires, et pour maintenir la compétence correspondante. Cela signifie, pour parler très clairement que, sur la région de Cherbourg que vous connaissez très bien, monsieur le Rapporteur, le programme Barracuda tout seul ne permet pas de donner beaucoup de travail à la sous-traitance. Nous sommes amenés à conserver le travail dans la maison DCNS.

Tout décalage du projet Barracuda aurait des conséquences désastreuses et sur Cherbourg et sur Nantes-Indret, et se traduirait nécessairement par des surcoûts parce qu’il faudrait, de toute façon, maintenir le potentiel industriel au niveau où il est.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : C’est un élément très important.

M. Pierre Legros : Le projet global est de l’ordre de 6 milliards d’euros, aux conditions économiques de janvier 2006, c’est-à-dire du contrat. Cette somme couvre à la fois la part de DCNS et la part d’AREVA, qui détient à peu près 15 % du contrat global.

Pour avoir une appréciation plus précise des coûts, il faut savoir que la phase de développement s’élève, à elle seule, à environ 1,2 milliard d’euros et le premier sous-marin à environ un milliard, puisque, au-delà du rodage des process et autres, il y a toute la phase de qualification. Les sous-marins suivants sont nettement moins onéreux.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Je précise que personne n’a remis en cause le programme. La question ne se pose pas. Par contre, ce qui est possible, c’est que le rythme de réalisation soit étiré et que le nombre de sous-marins soit réduit de six à cinq. Il me semble d’ailleurs qu’entre les deux questions « À quel rythme ? » et « Combien ? », la plus importante sur le plan industriel est la première.

M. Georges Tron, Président : Je souhaite des précisions chiffrées. Le coût de développement est estimé à 1,2 milliard d’euros et celui du premier sous-marin à un milliard. On arrive, pour les six sous-marins, à un total de 7,2 milliards et non de 6 milliards. Par ailleurs, j’ai une estimation à 7,9 milliards pour le coût total du programme.

M. Pierre Legros : D’abord, le chiffre d’un milliard d’euros concerne le premier sous-marin. Les prix sont ensuite dégressifs pour chaque sous-marin.

D’autre part, les chiffres que je vous ai donnés sont des montants hors taxes. Le total de 7,9 milliards est le chiffre public, donné toutes taxes comprises.

M. Bernard Planchais : Je précise que nous parlons du montant des contrats que nous avons reçus et non pas du montant du programme qui, lui, relève de la DGA. Il peut y avoir un écart lié aux activités spécifiques de la DGA sur ces opérations.

M. Georges Tron, Président : Les chiffres que nous ont communiqués la DGA et DCNS établissaient le programme à 7,87 milliards d’euros au coût des facteurs de janvier 2006, ce qui représentait une augmentation de 25 % par rapport au coût objectif qui se trouve dans la LPM. Les chiffres concordent donc.

M. Pierre Legros : Je souhaite répondre à la question de M. Cazeneuve sur le bon rythme de réalisation du programme.

Pierre Quinchon a déjà précisé les paramètres relatifs à la charge industrielle et montré la nécessité de conserver un rythme soutenu pour assurer la charge complète dans les meilleures conditions économiques possibles de l’établissement de Cherbourg.

À cela s’ajoute une autre considération : la réalisation du programme est prévue sur vingt ans. Si elle était étalée au-delà, il faudrait rajouter inéluctablement à ces coûts celui du traitement d’obsolescence. On peut déjà imaginer que, sur la période de vingt ans prévue pour réaliser les Barracuda, nos sous-traitants pour les diverses composantes électromécaniques et électroniques devront probablement revoir les composants des sous-marins. Au-delà de vingt ans, cela deviendrait une nécessité absolue. Le coût de ces reprises d’obsolescence n’est, bien entendu, pas compris dans les chiffres que je vous ai indiqués.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Je poserai les mêmes questions au sujet des FREMM. Quel est leur coût ? Quel est le bon rythme industriel de leur fabrication ? Quels risques industriels pourraient-on constater si la deuxième tranche du programme n’était pas affermie ?

M. Pierre Legros : Les chiffres que je vais vous donner sont les prix prévus par les contrats négociés par la DGA. Ils sont toujours exprimés hors taxes mais aux conditions économiques de janvier 2005.

Le contrat des FREMM a été conclu en cotraitance franco-italienne. Vous avez demandé tout à l’heure si DCNS n’était pas isolé sur la scène européenne. En fait, elle est le seul industriel européen à avoir pratiquement mis en œuvre des coopérations interétatiques et interindustrielles sur deux programmes majeurs, à savoir celui des frégates Horizon et celui des FREMM. Horizon est le fruit d’une coopération industrielle très étendue ; celle du contrat FREMM l’est un peu moins.

Le développement des FREMM représente, pour la part française, 805 millions d’euros et, pour la part italienne, 444 millions, pour réaliser quatre types de frégates : deux types spécialisés dans l’action vers la terre – AVT –, deux types dans la lutte anti-sous-marine – ASM. La tranche correspondant à la réalisation des huit premières frégates françaises – six ASM, deux AVT – s’élève à 2 698 millions d’euros et les délais de livraison s’étalent, au rythme actuel, entre 2012 et 2017. Ils sont relativement optimisés, le délai entre deux frégates étant de l’ordre de sept mois une fois le rythme de croisière atteint.

Au-delà, sont prévues deux tranches conditionnelles : une de quatre frégates notifiable en juillet 2011, pour 1 197 millions d’euros, et une troisième tranche conditionnelle de cinq frégates notifiable en novembre 2013, pour 1 363 millions d’euros. Tous ces montants, encore une fois, sont aux conditions économiques de janvier 2005 et hors taxes, ce qui donne aussi le prix visé à terme pour les frégates elles-mêmes.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : S’il devait, au terme de la revue générale des programmes ou dans le cadre de la préparation de la prochaine loi de programmation militaire, y avoir un arbitrage remettant en cause l’un des trois programmes, quelle est la remise en question qui poserait le plus de problèmes à DCNS sur le plan industriel ?

M. Bernard Planchais : De même que la pérennité des établissements de Cherbourg et d’Indret est liée aux Barracuda, de même celle de l’établissement de Lorient est liée aux FREMM.

Le programme de second porte-avions qui, lui, n’est pas signé, contrairement aux deux précédents, serait réalisé en cotraitance avec Aker Yards. Aker Yards serait chargé de la partie non militaire de la plate-forme, et DCNS du reste. L’impact de la non-réalisation de ce programme aurait une incidence, dès l’année 2009, sur notre activité d’ingénierie, qui est principalement centrée à Lorient, mais se trouve aussi à Cherbourg, Brest et Toulon. Les répercussions sur la production de la plate-forme du navire seraient plus fortes chez Aker Yards que chez DCNS.

Dans tous les cas, il y aurait un impact économique sur le résultat de DCNS, compte tenu du fait que l’activité réalisée pour la Marine nationale représente aujourd’hui 70 % de notre chiffre d’affaires. DCNS serait amené à prendre des positions sur le format des établissements concernés dans l’hypothèse d’une éventuelle remise en cause des programmes.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Il va falloir prévoir l’organisation des IPER – indisponibilités périodiques pour entretien et réparations – des Barracuda dans l’un des établissements de DCNS. Ne pensez-vous pas qu’en termes de retour d’expérience industrielle, cela aurait un vrai sens de les réaliser sur le même site que celui où ont été construits les bâtiments ?

M. Bernard Planchais : Les IPER sont organisées aujourd’hui sur les sites de Brest et de Toulon où nous disposons des infrastructures de soutien et des outillages adaptés.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Je croyais que les IPER des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) de la classe Rubis étaient faites à Toulon ?

M. Bernard Planchais : Oui, ces IPER sont faites et restent à Toulon.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Les IPER des Barracuda seront-elles également faites à Toulon ?

M. Bernard Planchais : Le débat sur la localisation de l’IPER des Barracuda n’est pas tranché. Nous travaillons sur la question pour fournir des éléments d’appréciation aux décideurs.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Vous sentez bien tout l’intérêt qu’il y aurait de faire cela à Cherbourg ! (Sourires.)

M. Bernard Planchais : Cette hypothèse n’est pas aujourd’hui envisagée. Je n’ai pas de position sur ce sujet, monsieur le Rapporteur. (Sourires). En revanche, on peut ressentir le besoin de globaliser les opérations de même nature sur un seul site.

M. Pierre Quinchon : Il faut bien admettre que la réalisation d’une IPER et la construction d’un navire neuf ne font pas appel aux mêmes métiers. Cela requiert certes les mêmes compétences dans l’absolu puisqu’il s’agit, par exemple, dans le cas du Barracuda, de savoir ce qu’est un sous-marin. Il n’empêche que ce ne sont pas les mêmes métiers auxquels il est fait appel pour la réparation et la maintenance que pour la construction.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Vous êtes d’une prudence qui laisse ouvertes toutes les hypothèses, ce qui est déjà une bonne chose !

M. Bernard Planchais : Un industriel doit toujours être très ouvert aux hypothèses du futur !

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Vous avez raison, Monsieur Planchais. Monsieur le Président, j’en ai terminé avec mes questions.

M. Georges Tron, Président : Je ferai quelques commentaires sur certains points évoqués ce matin.

M. Cazeneuve a comparé le prix du Charles-de-Gaulle au prix futur de l’éventuel second porte-avions PA2. La différence n’est pas de l’ordre qu’il a indiqué, mais elle est difficile à calculer. En effet, le Charles-de-Gaulle étant achevé depuis longtemps, on a une expression de son coût final au coût des facteurs de 1985, ce qui nous ramène au siècle précédent.

Il avait coûté à l’époque 13,8 milliards de francs, avec un dépassement par rapport au devis initial de 18,7 %. Ce dépassement n’a pas été dû à DCN, même sous sa forme antérieure d’arsenal. Les causes les plus lourdes ont tenu au fait qu’il était à propulsion nucléaire puisque 302 millions de francs ont dû être ajoutés pour l’adaptation de la chaudière K15 du SNLE au porte-avions et plus de 653 millions de francs pour des raisons de sécurité nucléaire.

Pour voir comment le devis de l’éventuel futur second porte-avions PA2 s’établit par rapport à ce que serait le coût du Charles-de-Gaulle aux conditions économiques de 2007, il faudrait déflater le coût réel du Charles-de-Gaulle des surcoûts liés au fait qu’il était nucléaire puisqu’une chaudière classique sur un porte-avions coûte moins cher à installer qu’une chaudière nucléaire. Nous aurions une meilleure estimation de la différence éventuelle de coût entre les deux bâtiments.

Concernant le Barracuda et les FREMM, les devis, certes, ont augmenté par rapport aux coûts objectifs tels qu’ils avaient été définis – pour le Barracuda l’augmentation a été d’environ 51 % par rapport au coût d’objectif de 2001, mais il faut aussi tenir compte du fait que DCNS est dorénavant intégralement soumise à la TVA depuis le changement de statut, alors que celle-ci n’était auparavant imputée qu’à hauteur de 10 % dans les devis.

Le plus important pour les réflexions de la MEC, – et nous revenons aux auditions de mardi dernier –, c’est que soient pris en compte, dans les travaux de programmation budgétaire qu’initie le Gouvernement et que valide le Parlement, les vrais devis tels qu’ils sont actuellement en possession des différentes autorités responsables.

Dans l’exemple du Barracuda, la divergence entre le devis intégré dans la LPM pour un montant de 6,1 milliards et celui d’aujourd’hui qui s’élève à 7,8 milliards, est considérable et, s’il n’y est pas remédié, il y aura un manque a priori de 600 millions d’euros en crédits de paiement pour financer le Barracuda d’ici à 2012, donc dans le cadre de la nouvelle LPM. Là est le problème. Si l’on n’en tient pas compte programme par programme, le bouclage de la LPM sera impossible.

Je veux revenir sur la question des dégâts collatéraux que causerait un étalement de la réalisation du Barracuda. On peut se poser la même question qu’à propos du programme Rafale : y a-t-il un sens à avoir une chaîne industrielle qui, pour des raisons budgétaires, est condamnée à sortir 1,7 Rafale par an ? Cela est absurde. Il vaut mieux réaliser le programme vite et bien.

Lorsqu’une série de programmes forme une « bosse financière », si on étale leur réalisation, on ne fait que renforcer l’effet de bosse. La réflexion aurait dû être menée antérieurement Le problème est donc celui du phasage des grands programmes, phasage qui était probablement une utopie complète à l’époque où il y avait une indépendance des états-majors et que chacun obtenait en gros un tiers de l’enveloppe budgétaire des crédits d’équipement.

Il est tout de même probable que la réforme qui est intervenue, et qui a redonné un plus grand rôle au chef d’état-major des armées (CEMA), permettra de simplifier les choses. On peut espérer que, pour les futurs programmes, il y aura un phasage tel qu’on ne créera pas d’un seul coup ces énormes bosses qui obligent ensuite, inéluctablement, à étaler les programmes d’une telle façon que l’on nuit à leur cohérence dans le cadre du contrat opérationnel. Nous sommes actuellement dans une telle situation.

La conclusion est que, si l’on isole un programme tel que celui des SNA Barracuda, on est amené à considérer qu’il ne faut surtout pas retarder ce programme, mais cela répercute sur les autres programmes le problème qui a été résolu pour les Barracuda. On peut difficilement isoler un programme d’un autre, de même qu’on peut difficilement isoler l’établissement de Cherbourg du reste de DCNS.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Il existe un autre élément qui entre en ligne de compte et que l’on doit absolument examiner lorsqu’on fait le choix de tel programme plutôt que de tel autre, par-delà les aspects industriels et sociaux : ce sont les considérations opérationnelles.

Quel est l’état des équipements que l’on doit remplacer ? Quelles sont les conditions pour que les forces soient en situation opérationnelle de défendre le territoire ? Quand on croise les préoccupations sociales et industrielles avec des considérations opérationnelles et stratégiques, cela devient encore plus compliqué.

M. Georges Tron, Président : Là où l’on atteint le maximum de complexité, c’est que le même problème se pose entre états-majors. L’une des raisons pour lesquelles les Allemands n’ont pas pu participer à la coopération européenne pour le programme FREMM, c’est qu’il avait été entrepris au mauvais moment pour eux. Ce déphasage entre les grands états-majors européens ne fait, à l’échelon européen, que démultiplier celui que nous avons
– ou avions car ; peut-être, l’aurons-nous moins dans le futur ? – entre les différents états-majors nationaux.

Il y a un énorme problème de phasage des besoins pour parvenir à regrouper au maximum la demande et à la faire passer dans le chas de l’aiguille du budget. Tout raisonnement fait à partir d’un programme isolé doit toujours être replacé dans son contexte d’ensemble. Encore une fois, si on résout le problème du phasage d’un programme et de sa bonne exécution dans le temps, dans les circonstances actuelles, on va poser immédiatement le problème des autres programmes.

Les décideurs précédents, sans leur jeter la pierre – il est plus facile de critiquer le passé que de construire le présent et d’imaginer l’avenir –, ont été un peu naïfs dans la marche qui devait prétendument nous emmener au modèle d’armée 2015 en trois lois de programmation. L’idée était la suivante : la première loi de programmation était censée permettre le paiement des développements, la deuxième le paiement de la production et la troisième devait permettre d’affiner l’exécution afin d’aboutir au résultat souhaité en 2015. Cette marche rationnellement envisagée n’a pas du tout été ce que l’on pensait qu’elle serait. Et l’on se trouve actuellement face à un engorgement temporel et financier sur la quasi-totalité des grands programmes.

Comment sort-on de cette difficulté si l’on maintient les cibles de chacun des grands programmes en fonction des raisonnements spécifiques que l’on peut faire pour chacun d’entre eux ? Ainsi on ne peut pas diminuer le programme des Rafale parce que cela pose des problèmes à Dassault ; ni celui des Barracuda car cela entraînerait des difficultés économiques à Cherbourg, et l’on peut faire ce genre de constatation pour chacun des programmes.

C’est là que réside la difficulté majeure au sens politique, plein et entier, du terme, que les décideurs vont avoir à affronter au cours des prochains mois. Il n’y a pas de solution idéale. En revanche il en est une qui serait certainement très mauvaise pour les finances publiques, fort désagréable et peu pertinente pour les armées, qui consisterait à pérenniser le mode antérieurement retenu d’étalement et de délitement dans le temps des réalisations des programmes car, in fine, cela est terriblement onéreux pour la Nation et remet à des années lumières la fourniture aux armées des matériels dont elles ont besoin rapidement sur le plan opérationnel.

Une autre solution, qui n’est pas très facile non plus à concevoir, serait d’essayer de retrouver une marge de liberté, une respiration budgétaire par la dégradation importante de la cible d’un programme extraordinairement coûteux. En effet, la diminution des cibles de petits programmes qui sont, eux, peu coûteux, ne génère pas une économie majeure et n’entraîne pas une respiration budgétaire suffisante.

C’est un vrai problème qui va se poser dans les prochains mois.

M. Bernard Planchais : Comme il a été fait allusion à l’évolution du coût du Barracuda, je tiens à préciser qu’il faut savoir ce que l’on compare, entre les estimations budgétaires et les prix de l’industriel. Nous souhaitons pouvoir contribuer aux prévisions, comme le disait tout à l’heure M. Cazeneuve, le plus en amont possible afin d’aider les décideurs et participer à l’évaluation des coûts budgétaires. Je voulais préciser à ce sujet que, sur le Barracuda, nos devis ont été continuellement en baisse, et pas en augmentation.

Enfin, nous sommes tout à fait conscients qu’un programme d’armement doit répondre d’abord à des enjeux opérationnels, mais notre devoir est de dire quels sont les enjeux industriels. De par notre histoire, nous sommes le premier employeur du département dans chacun des sites de DCNS. C’est un fait qu’il faut prendre en compte. Ce n’est pas suffisant pour définir des besoins militaires, mais notre devoir est de le dire.

M. Georges Tron, Président : Pour clore cette audition, pouvez-vous nous indiquer ce que signifie le « S » de DCNS ?

M. Bernard Planchais : Nous voulions éviter que l’on continue à nous appeler Direction des Constructions Navales. Nous avons mené une réflexion avec des spécialistes en communication, qui a abouti à ajouter un « S » à DCN, « S » signifiant à la fois, service, système et même sea, c’est-à-dire la mer, qui est notre domaine d’origine, et également, je l’espère, du futur.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Nous avons compris, compte tenu de l’évolution de DCNS, que « S » n’était pas pour socialiste ! (Sourires.)

b) à 11 heures : M. l’ingénieur général de l’armement François Pintart, directeur de l’unité de management « Opérations d’armement navales » de la délégation générale pour l’armement (DGA).

Présidence de M. Georges Tron

M. Georges Tron, Président : Monsieur l’ingénieur général, je vous souhaite la bienvenue. Nous venons d’entendre les responsables de DCNS, que vous connaissez bien, et nous allons reprendre avec vous les thèmes que nous avons abordés.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Je vous remercie à mon tour d’avoir répondu à l’invitation de la mission d’évaluation et de contrôle, monsieur l’ingénieur général.

Comment se passent les relations entre DCNS et le Gouvernement lors de la préparation des arbitrages politiques en vue du lancement d’un programme – je pense en particulier à celui du second porte-avions – et lors de la détermination du coût d’objectif des programmes nécessaires, compte tenu des contraintes budgétaires de l’État ? Hier a eu lieu à Cherbourg la cérémonie de découpe de la première tôle du Barracuda. Les intervenants ont évoqué à plusieurs reprises la difficulté, voire la dureté des négociations qui se sont déroulées entre la DGA, DCNS et le Gouvernement.

M. François Pintart : L’unité de management « Opérations d’armement navales » dont je suis le directeur a la charge de l’ensemble des programmes d’équipement naval, au premier rang desquels le second porte-avions, les frégates multimissions FREMM, les sous-marins nucléaires d’attaque Barracuda, ainsi que les frégates de défense aérienne Horizon. J’ai également assuré au début de cette année la réception du bâtiment de projection et de commandement (BPC) Tonnerre.

Avant le lancement d’un programme, les relations avec l’industrie – en l’occurrence DCNS pour le Barracuda et les FREMM –, mais aussi, dans le cas du second porte-avions, Aker Yards France, dont le site de Saint-Nazaire devrait être associé à la réalisation du programme – sont des relations naturelles de client à fournisseur. Avec l’état-major de la marine et l’état-major des armées, nous nous efforçons de définir ce qui correspondra au juste besoin en termes de capacités opérationnelles. Ensuite intervient une phase de négociations très longues et délicates avec les industriels. Notre objectif est que le besoin soit satisfait au juste nécessaire, sans que le client se laisse entraîner dans des surspécifications et des solutions techniques trop onéreuses et risquant d’allonger les délais de réalisation. Il est important d’identifier ces risques dès ce stade.

Avec les états-majors, la DGA essaie de déterminer si le besoin réel n’est pas surestimé, au vu des propositions techniques formulées par l’industriel : ne peut-on se contenter de solutions qui seraient moins risquées tout en satisfaisant tout aussi bien les besoins ? L’ensemble s’inscrit bien sûr dans une logique financière. Nous construisons des éléments d’estimation des coûts très en amont du lancement effectif d’un programme, à travers les relations quotidiennes que nous entretenons avec l’industrie au titre des programmes précédents ou à travers nos relations avec nos partenaires étrangers. Il s’agit de placer le curseur au bon endroit pour faire correspondre les ressources à mobiliser et le besoin à satisfaire.

Les négociations avec l’industriel ont pour objet, non pas de mettre celui-ci sur la paille, mais d’obtenir le juste prix.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Pour le deuxième porte-avions, le choix a été fait d’une propulsion classique et d’une coopération avec les Britanniques. Dans ses relations avec DCNS et le ministère de la défense, la DGA a-t-elle été amenée à produire des documents présentant les avantages et les inconvénients de chacune des deux solutions possibles ? En d’autres termes, l’arbitrage politique a-t-il été pris sur la base d’éléments rationnels tels que des expertises, des données techniques, etc. ?

M. François Pintart : Le choix concernant la propulsion du second porte-avions a été effectué avant que j’entre en fonctions. Autant que je sache, la décision a été prise sur la base d’analyses de l’intérêt technique et opérationnel de chacun des deux modes de propulsion ainsi que de leurs coûts respectifs, par référence aux conditions de réalisation du porte-avions Charles-de-Gaulle : dans quelles conditions sommes-nous capables de réaliser un porte-avions à propulsion nucléaire aujourd’hui ?

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Qu’entendez-vous par là ? L’objectif d’une industrie de défense n’est-il pas de maintenir ses compétences pour assurer l’autonomie du pays en la matière, et, par voie de conséquence, d’être capable de faire demain ce qu’elle était capable de faire hier ? J’espère que nous sommes toujours capables de construire un porte-avions à propulsion nucléaire.

M. François Pintart : Oui, à condition d’y mettre le prix. La question réside dans le rapport entre le prix, le délai et les capacités opérationnelles souhaitées. En outre, on a pu se demander si la propulsion nucléaire ne poserait pas des problèmes pour le déploiement du bâtiment dans certaines conditions. La capacité technique existe, mais elle a un prix. Aujourd’hui, l’entretien du système de propulsion nucléaire oblige à arrêter le bâtiment pour une durée relativement longue, comme dans le cas actuellement du porte-avions Charles-de-Gaulle : c’est aussi un paramètre à prendre en compte.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Quel a été le coût du porte-avions Charles-de-Gaulle et quel est le coût prévisionnel du nouveau porte-avions ?

M. François Pintart : Pour le porte-avions Charles-de-Gaulle, je ne dispose pas d’éléments précis. Le coût était d’environ 3 milliards d’euros de l’époque. En ce qui concerne le second porte-avions, nous visons un montant d’environ 3 milliards d’euros actuels.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Les seules données relatives au porte-avions Charles-de-Gaulle dont nous disposons sont basées sur le coût des facteurs pour 1985, ce coût s’est élevé à 13,8 milliards de francs, ce qui fait un peu plus de 2 milliards d’euros.

Pour pouvoir comparer, il faudrait ajouter, non pas la dérive monétaire depuis 1985, qui est d’environ 2 % par an, mais l’évolution du coût des facteurs, de 3 % par an en moyenne. Le total dépasse ainsi les 3 milliards.

Il faut ajouter à cela que, si l’on avait opté pour la propulsion nucléaire, on n’aurait certainement pas repris les réacteurs K15 qui équipent le Charles-de-Gaulle : il aurait fallu concevoir une nouvelle chaufferie nucléaire.

En outre, c’est le choix de la coopération avec les Britanniques qui a déterminé le choix de la propulsion classique, et non l’inverse.

M. François Pintart : La possibilité de coopération a en effet été l’un des paramètres de ce choix. Par ailleurs, la réglementation dans le domaine de la sûreté nucléaire impose des évolutions techniques impliquant de nombreux travaux, comme dans le cas du Barracuda.

De plus, les coûts du Charles-de-Gaulle étaient définis dans la structure de coûts de DCN, organisme d’État, qui est différente de celle de l’industriel actuel.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Je disposais pour ma part d’une estimation réalisée il y a un ou deux ans et selon laquelle le coût du second porte-avions s’élèverait à 2,5 milliards d’euros. Pourquoi une telle différence avec le montant de 3 milliards que vous avancez aujourd’hui ?

M. François Pintart : Beaucoup de chiffres circulent au sujet du second porte-avions. Ceux que fournissent DCNS et Aker Yards sont généralement hors taxes et ne concernent que leur part du marché. Il faut y ajouter non seulement les taxes, mais aussi le coût des équipements transverses de télécommunications, de communications à bord, ainsi que celui des essais et des travaux n’entrant pas dans les coûts industriels. Cela explique la disparité constatée, qui tient aussi à la négociation en cours. Le délégué général pour l’armement, M. François Lureau, a même fixé, à l’intention de DCNS, un objectif de négociation de 2,1 milliards hors taxes, pour inciter l’industriel à chercher les solutions techniques les plus économiques. C’est à la suite de cette initiative qu’Aker Yards a été associé à DCNS en co-traitance, de façon à différencier les risques selon les industriels et d’abaisser ainsi les prix.

En incluant les taxes et le coût des autres éléments, alors que la négociation n’est pas terminée, le coût total devrait être d’un peu plus de 3 milliards d’euros.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : La coopération avec les Britanniques s’est-elle traduite par des économies sur le programme de second porte-avions ? Si tel est le cas, pourquoi ?

M. François Pintart : A priori, un exemplaire d’une série de trois coûte moins cher qu’un exemplaire unique. Pour les Britanniques, cependant, le programme est structurant pour la réorganisation de leur industrie navale et les solutions de partage des constructions en commun n’ont malheureusement pas pu être approfondies jusqu’à présent. Les perspectives d’économies reposent aujourd’hui sur le choix d’équipements communs, sujet sur lequel nous travaillons, et sur la mise en commun d’études et d’essais pour valider certaines fonctions techniques.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Peut-on aller plus loin et dire que c’est une coopération qui nous coûte ?

M. François Pintart : Il est difficile de le déterminer puisque nous avons abandonné toutes les études portant sur une solution nationale après que l’on eut choisi, au début de 2006, de s’engager dans cette coopération. Les réflexions sur l’optimisation technique et la conception – le design – du bâtiment britannique ont été menées en commun avec les Britanniques. On ne peut réécrire l’histoire : nul ne sait combien aurait coûté l’autre option depuis 2006.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Cela signifie donc que la décision de construire ce porte-avions en coopération avec les Britanniques découlait d’un arbitrage purement politique, qui n’avait fait l’objet d’aucune expertise technique et financière préalable à laquelle vous auriez été associé. Sinon, des études explorant les deux options auraient existé, ce qui vous aurait permis de répondre à ma question.

M. François Pintart : Des études ont été réalisées : DCNS a fourni des éléments de coût sur l’hypothèse d’une conception assurée par le seul industriel français, mais ces données n’avaient fait l’objet d’aucune optimisation. À la mi-2005, nous avions donc des éléments de coûts pour une solution purement française et les éléments que nous donnaient les Britanniques sur la part qu’ils pourraient prendre. Ils se sont ajoutés, dans la balance, aux aspects politiques relatifs à l’intérêt de cette coopération.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Qu’apporte cette coopération en termes d’interopérabilité ?

M. François Pintart : De ce point de vue, l’intérêt est patent. La marine nationale a dû mener sa réflexion par rapport aux exigences opérationnelles de la marine britannique et aux solutions techniques qui en découlent, ce qui l’a conduit à faire des choix convergents. C’est un gage évident d’interopérabilité pour le futur.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Nos avions pourront donc atterrir sur le porte-avions britannique, et vice-versa…

M. François Pintart : Il s’agit plutôt de l’organisation interne du bâtiment. Il faut distinguer la partie purement navale, qui mobilise un équipage de neuf cents personnes et qui est ici seule concernée, et le groupe aérien embarqué.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Pourtant, le fait de pouvoir ou non faire atterrir des avions sur une plate-forme aéronavale devrait être un élément non négligeable de l’interopérabilité.

M. Georges Tron, Président : Nous ne pouvons sommer le Royaume-Uni d’équiper ses futurs bâtiments de catapultes afin qu’ils puissent accueillir des Rafale dès le départ. En revanche, la conception retenue permet d’installer ultérieurement des catapultes. Cela s’inscrit dans un débat plus général concernant l’espoir de concrétiser, sinon une Europe de la défense, du moins un certain « accrochage » entre deux ou trois grandes puissances européennes pour le pilotage conjoint des actions de défense ou de projection.

Le choix effectué pour le second porte-avions présente au moins deux avantages. D’abord, il concrétise les accords franco-britanniques de Saint-Malo en allant plus loin dans la construction de l’Europe de la défense qui, il faut bien le constater, est en panne ; ensuite, il amorce une coopération alors que les Britanniques étaient jusqu’à présent révulsés à l’idée de travailler avec DCN dans ses anciennes structures. Cette amorce de coopération peut se révéler profitable pour d’autres réalisations futures.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Je ne méconnais pas la dimension symbolique de cette coopération et ne conteste pas qu’elle puisse être porteuse de développements qui ne sont pas évidents aujourd’hui. Toutefois cela ne doit pas nous interdire de réfléchir à l’efficacité immédiate de ce que l’on a engagé. Je ne vous demande nullement de vous prononcer sur un arbitrage politique, monsieur l’ingénieur général, car ce n’est pas votre fonction. Je demande seulement quelle peut être, du point de vue technique, l’interopérabilité entre deux porte-avions dont les systèmes d’appontage sont incompatibles.

M. François Pintart : La première zone d’interopérabilité est le système de propulsion. Sur cet aspect essentiel, notamment pour la disponibilité du bâtiment, nous continuons de travailler avec les Britanniques pour identifier les équipements à choisir en commun qui permettront une maintenance commune partagée.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Un système de propulsion identique permet en effet de mutualiser le maintien en conditions opérationnelles et donc de faire des économies, mais qu’en est-il de l’interopérabilité sur le théâtre des opérations ?

M. François Pintart : J’ai donné des éléments de réponse à votre question relative à l’interopérabilité technique. Pour ce qui est de l’interopérabilité opérationnelle, le vice-amiral Gérard Valin, sous-chef d’état-major « Plans et programmes » à l’état-major de la marine, que vous avez entendu il y a deux jours, est mieux à même de vous répondre.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Je n’arrive pas à obtenir une réponse précise à cette question.

M. François Pintart : Je peux rappeler que, dans le cadre de l’opération Enduring Freedom menée en Afghanistan, on a pu constater l’interopérabilité entre le Charles-de-Gaulle et les porte-avions américains.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Ma question n’en prend que plus de force : d’une part, on construit un porte-avions en coopération industrielle, avec un design commun, pour permettre l’interopérabilité ; d’autre part, comme vous venez de l’indiquer, on constate depuis plusieurs années, sur un autre théâtre d’opérations, que l’interopérabilité est possible entre des porte-avions de conceptions très différentes. Où est la cohérence ? Ne sommes-nous pas dans la posture d’une pure déclaration politique dont on serait bien en peine de trouver à quelle réalité technique elle renvoie ?

M. François Pintart : Il ne m’appartient pas de juger si l’on est dans une telle posture. En revanche, je sais d’expérience – pour l’avoir vécu avec les Italiens dans le cadre du programme FREMM – que la réalisation d’un programme en coopération permet une convergence de la façon de penser les solutions techniques, auxquelles sont associés les marins des deux pays, futurs utilisateurs du bâtiment, et conduit à une amélioration de l’interopérabilité. Peut-être n’est-ce qu’une perspective difficilement quantifiable, mais cela ne saurait être contesté.

M. Georges Tron, Président : Il faut savoir de quelle interopérabilité l’on parle. Nous constatons qu’il existe par exemple plusieurs définitions de l’interopérabilité opérationnelle. Selon celles qui sont en usage dans le cadre de l’OTAN, l’interopérabilité n’est pas la capacité à poser un avion sur une autre plate-forme ou, plus généralement, à utiliser l’équipement d’un allié. L’important est que les deux bâtiments aient un CMS – combat management system – très proche. Celui du porte-avions Charles-de-Gaulle est, je crois, le SENIT 8, de DCNS. C’est la multiplicité des normes qui pose des problèmes. Si deux bâtiments ont le même CMS, la question de l’interopérabilité opérationnelle est en grande partie résolue, même si les avions sont différents, et même si les plates-formes ne sont pas mutualisables.

Suivant ce que l’on entend par « interopérabilité », on peut formuler un avis très critique ou considérer que deux plate-formes qui ont au départ le même CMS présentent un avantage considérable par rapport à une construction purement britannique d’un côté et purement française de l’autre.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Je ne critique pas le système, j’essaie de le comprendre.

M. Georges Tron, Président : Nous savons que les Britanniques doivent renouveler leur flotte aéronavale. Pour eux, l’alternative est soit de persister à utiliser des avions à décollage vertical, soit d’opter pour des avions qui appontent, comme les Rafale et les appareils américains. Comme il n’existe pas de version aéronavale de l’Eurofighter, le choix devrait se faire entre le Rafale – français, donc a priori indigeste pour le Royaume-Uni – et un avion américain, dont le poids excessif risque de poser des problèmes. La plate-forme commune permet de maintenir ouverte la perspective d’une flotte aéronavale composée d’avions, sinon identiques, du moins similaires.

M. François Pintart : Il me faut, je le crains, tempérer cet optimisme : en ce qui concerne les porte-avions, nous n’en sommes pas encore à avoir un CMS commun avec les Britanniques. En revanche, nous nous employons à trouver des équipements communs dont les caractéristiques opérationnelles conduisent à cette convergence. Ce n’est pas d’un CMS identique que dépend l’interopérabilité opérationnelle entre deux bateaux : il faut que les spécifications soient identiques, de manière à ce que l’industrie puisse proposer des solutions identiques. Aujourd’hui, la perspective est de favoriser des solutions techniques communes.

Pour les Britanniques, le sujet est sensible, car il leur serait douloureux de renoncer à l’avion à décollage vertical, qui sera américain, en raison de son coût, auquel ils ont déjà participé de façon importante, mais s’ils y renoncent, il leur sera possible de s’appuyer sur les solutions techniques de DCNS en matière de pont d’envol pour la conception des porte-avions du programme CVF. En effet, si les conditions politiques se trouvent un jour réunies pour qu’ils fassent le choix d’avions à décollage classique, ils pourront s’appuyer sur les spécifications actuellement mises en œuvre.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Vous n’y êtes pour rien, mais tout cela est d’une grande confusion.

Comment se passe la coopération avec les Italiens sur le programme de frégates FREMM ?

M. François Pintart : Les Italiens ont connu quelques difficultés budgétaires à la fin de 2005…

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Nous en connaissons aussi, et c’est bien pourquoi nous sommes là aujourd’hui ! (Sourires.)

M. François Pintart : C’est donc quand l’Italie nous a rejoint début 2006 que nous avons lancé la fabrication effective des dix frégates : huit pour la France dès la fin 2005 et deux, à l’heure actuelle, pour l’Italie, mais, si mes informations sont exactes, le projet de loi de finances italien pour 2008 devrait permettre d’en ajouter quatre. Nous en sommes à la phase de conception détaillée des bâtiments, qui se déroule conformément aux prévisions et dans une étroite concertation entre les deux marines. L’OCCAR – Organisation conjointe de coopération en matière d’armement –, qui assure la conduite du programme, est le service unique d’acquisition.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Comment expliquez-vous la différence de coût entre nos frégates et les frégates allemandes F 125 ? Cela se réduit-il à un effet de série ?

M. François Pintart : Je n’ai eu connaissance des chiffres sur la frégate allemande F 125 que par la presse. Sans doute les conditions de négociation d’un contrat concernant, in fine, vingt-sept frégates multi-missions FREMM, ont-elles pu, en raison de la visibilité qu’elles donnaient, être mieux mesurées par les industriels, et le travail d’optimisation technique du besoin a également porté ses fruits. J’ignore en revanche comment a été défini le coût du programme allemand de frégates F 125.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Comment les négociations entre DCNS et la marine nationale se sont-elles passées pour le programme Barracuda ? Par rapport à ce que prévoyait la loi de programmation militaire 2003-2008, le décalage est de quatre ans. Le Gouvernement impute ce retard aux difficultés qui sont apparues dans les négociations. Sur quoi celles-ci ont-elles porté et pourquoi ont-elles été si difficiles ?

M. François Pintart : Tout d’abord, les éléments de coûts présentés par l’industrie ne correspondaient en rien à nos estimations. Un autre élément important retardant la conclusion de la négociation est l’expérience britannique du programme de sous-marins nucléaires d’attaque Astute, l’équivalent du Barracuda, qui s’est traduit juste après son lancement par des dépassements de coûts très importants. Chaque année, le rapport du National Audit Office dénonce le doublement du coût de ce programme par rapport aux conditions fixées au moment de son lancement.

L’analyse des risques est un préalable essentiel à la détermination des coûts : c’est ce point qui a été l’objet de la négociation. Quand DCNS, associé à Areva TA pour ce qui a trait à la chaufferie nucléaire, annonce des prix sans commune mesure avec nos références, il apparaît nécessaire d’en trouver les raisons techniques et essayer de résorber les écarts dans les prévisions de coûts. Il appartient à l’État client de l’industrie navale de défense de financer au plus juste par rapport au besoin des armées le maintien d’un outil industriel à Cherbourg. L’objectif est d’obtenir un produit conforme aux besoins de la marine. Or, tant que l’équilibre global de la négociation n’était pas trouvé, il fallait retarder le lancement et continuer à travailler pour trouver la meilleure solution.

Du reste, cet épisode a été l’occasion de démontrer la possibilité de maintenir en état les sous-marins de la classe Rubis jusqu’à leur remplacement par les Barracuda, et ce en dépit du retard pris pour le lancement de ce programme.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Vous n’avez pas d’autre élément à porter à notre connaissance sur la négociation relative au programme Barracuda ?

M. François Pintart : Je reconnais que cette négociation a été difficile, mais elle a abouti à un coût qui traduit une juste adéquation entre la capacité de l’industriel et notre capacité financière.

M. Georges Tron, Président : Nous retrouvons ici les interrogations générales de la mission sur les modalités de détermination des programmes d’armement. Nous avons tout de même assisté, en peu de temps, à une augmentation vertigineuse des coûts prévisionnels des Barracuda. Le devis était de 4,4 milliards d’euros en 1998. Il est passé à 5,2 milliards en 2001, puis à 6,1 milliards en loi de programmation militaire 2003-2008, et s’élève maintenant à 7,8 milliards. Pour qui veut réfléchir à la façon dont le pouvoir politique projette dans l’avenir le financement de ses décisions en matière de programmes d’armement, l’exemple est parlant !

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Pour d’évidentes raisons géographiques, je souhaite que ce programme se fasse, et à des prix tellement compétitifs qu’on construise plus de sous-marins qu’il n’était prévu. Cela étant, au vu de ce qui est presque un doublement du devis, je n’ose imaginer ce qu’aurait été le résultat si la DGA n’avait pas « durement négocié » comme elle nous l’a expliqué !

M. François Pintart : Le chiffre de 4,4 milliards était un coût d’objectif qui n’avait pas été inscrit dans les travaux de programmation. Toutes choses égales par ailleurs, et ramené au coût actuel de 7,8 milliards, les prévisions étaient plutôt de 6,3 milliards.

M. Georges Tron, Président : Plus exactement de 6,1 milliards.

M. François Pintart : Au surplus, ce dernier montant n’intégrait pas le changement de statut de DCN et ses conséquences fiscales, qui ont renchéri le coût de plus de 15 %.

M. Georges Tron, Président : C’est là un point fondamental. À combien se monte cet impact fiscal ?

M. François Pintart : Au moment du changement de statut, en juin 2003, il avait été estimé à seulement à 11 %, mais en se fondant sur l’hypothèse d’un taux de sous-traitance bien supérieur à ce que l’on a constaté par la suite. Dans le calcul final, on est arrivé à un renchérissement de 15 %, du fait de l’application de la TVA aux activités propres de DCN.

Parmi les autres facteurs de renchérissement, le dispositif de propulsion nucléaire intervient. Contrairement à ce que l’on pensait au départ, il a fallu, du fait de la réglementation, modifier significativement la conception générale de la chaufferie nucléaire des Barracuda par rapport à celle des sous-marins de type Rubis.

L’évolution des normes d’habitabilité a également eu une incidence : les conditions de vie de l’équipage qui existaient à bord des sous-marins antérieurs ne sont plus acceptées. Ces éléments ont contribué à faire passer le bâtiment de 5 000 tonnes environ à 6 400 tonnes. Mécaniquement, ces facteurs entraînent une augmentation du prix du sous-marin.

M. Georges Tron, Président : Pouvez-vous nous donner une imputation chiffrée correspondant à chacune des trois causes de surcoût que vous avez distinguées, à savoir l’assujettissement à la TVA, les contraintes sur la chaufferie nucléaire et les aménagements destinés à l’équipage ?

M. François Pintart : Je n’ai pas ces éléments dans la documentation que j’ai apportée.

M. Georges Tron, Président : Pourriez-vous nous faire parvenir ces chiffres ultérieurement ?

M. François Pintart : Volontiers.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Vous avez abordé un point intéressant, qui n’a jamais été communiqué à la représentation nationale alors même que celle-ci a demandé à plusieurs reprises une évaluation de l’impact de la réforme de DCN sur la compétitivité de l’entreprise.

Lorsque nous avons adopté, dans la loi de finances rectificative pour 2001, l’article 78 portant réforme du statut de DCN, le ministre de la défense de l’époque, M. Alain Richard, et M. Jean-Marie Poimboeuf, président de DCN, ont affirmé que cette réforme devait permettre à l’entreprise d’atteindre un niveau de compétitivité lui permettant, tant à l’exportation que sur le marché domestique, d’afficher des prix plus compatibles avec les contraintes budgétaires de l’État et les prix pratiqués par nos concurrents sur les marchés étrangers. Or vous indiquez – et c’est la première fois que j’entends un tel argument – que la réforme a au contraire contribué, pour des raisons fiscales, à l’augmentation des coûts. Vous affirmez également que l’on espérait de DCN qu’elle sous-traite davantage, alors que tout l’esprit de la réforme était que l’entreprise produise plus, notamment en organisant sa relation avec les ouvriers d’État, qu’il était impossible de mettre en chômage technique pour faire travailler la sous-traitance. Tout cela était parfaitement connu et mesuré par les autorités qui ont pris la décision.

Selon vous, la réforme a-t-elle abouti à une augmentation des coûts non seulement sur le projet Barracuda mais également pour l’ensemble des programmes ?

M. François Pintart : L’augmentation des coûts des programmes d’armement naval résultant de raisons fiscales ne pèse pas que sur la mission Défense du budget général de l’État. Pour l’État, elle est bien entendu neutre. Cette neutralité fiscale a d’ailleurs été prise en compte lors des actualisations successives de la loi de programmation militaire 2003-2008.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Par parenthèse, je puis vous assurer que la neutralité fiscale est inexistante pour les collectivités territoriales : la réforme de DCN a abouti à une telle modification des bases de la taxe professionnelle qu’il s’en est suivi une diminution tragique de leurs ressources. Jean-Yves Le Drian et moi-même avions déposé un amendement tendant à ce que les collectivités bénéficient elles aussi de la neutralité, mais il n’a pas été retenu.

M. Georges Tron, Président : Si l’augmentation des coûts s’élève à 15 %, elle est tout de même compensée, sur la base de 10 à 11 %, par un transfert supplémentaire de crédits au ministère de la défense, mais ce mécanisme prend fin avec l’actuelle loi de programmation militaire. Il faut noter que le renchérissement du coût des équipements achetés par le ministère de la défense se traduit aussi par des recettes supplémentaires pour l’État.

Pour le seul client intérieur de DCN, la Marine nationale, la réforme a en effet été compensée, au moins dans la loi de programmation militaire initiale, par un versement sur la base de 11 %. A l’exportation, en revanche, la TVA est neutre, mais l’abaissement de la taxe professionnelle, qui n’est pas récupérable à l’export, est probablement à l’origine d’un léger gain de compétitivité.

J’admets que M. Pintart a raison d’affirmer que le devis initial de 4,4 milliards d’euros n’est pas une base scientifiquement sûre. Cependant, sans que l’on puisse incriminer la DGA ou DCN, le mode de détermination du devis est assez emblématique du lancement des programmes. On commence par une estimation réalisée « à la louche » en 1998. Le pouvoir politique, qui s’intéresse au lancement d’un nouveau sous-marin d’attaque, retient ce chiffre. Puis, par une suite de péripéties dont chacune a sa logique, on aboutit à 7,8 milliards, somme que l’on n’a pas programmée budgétairement parlant : le montant correspondant dans la loi de programmation militaire 2003-2008 s’élève, au mieux, à 5,6 milliards et l’on ne tient jamais compte des hausses économiques intrinsèques aux programmes d’armement, les crédits budgétaires étant calés sur la seule évolution du PIB. C’est ainsi que toute une série de raisons dont chacune est explicable aboutit à un résultat qui, lui, est inexplicable. Chaque programme d’armement coûte finalement beaucoup plus cher que ce que l’on avait imaginé quand il a été lancé.

Du reste, cette mécanique est à l’œuvre pour tous les autres programmes d’armement. Dans le cas des hélicoptères NH90 ou Tigre, par exemple, on retrouve les mêmes déports considérables qui expliquent que l’on n’arrive pas à boucler le financement du programme dans le cadre de la loi de programmation militaire. En effet, celle-ci ne retient pas les mêmes bases pour déterminer l’évolution des crédits d’investissement, sur le titre 5 du budget du ministère.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Quels sont les engagements financiers précis de l’État sur le programme Barracuda ? Qu’en est-il également pour les FREMM ?

M. François Pintart : Seul le premier sous-marin bénéficie d’un financement assuré, à hauteur de 2 milliards d’euros. Ce montant comprend la chaufferie nucléaire, dont la maîtrise d’ouvrage est assurée conjointement par DCN et par le CEA.

M. Georges Tron, Président : Ce n’est pas le montant financé, mais le montant à financer.

M. François Pintart : C’est le montant qui figure dans les autorisations d’engagement. Il ne saurait être question, à ce stade, d’ouvrir des crédits de paiement importants : le premier sous-marin sera livré en 2016.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : J’aimerais disposer de ces éléments précis et je vous saurais gré de nous les transmettre. Sauf erreur de ma part, on a signé un contrat global pour six sous-marins dont chacun correspond à une tranche conditionnelle. Actuellement, nous entamons la première tranche, qui représente, en autorisations d’engagement, un montant de 1,4 ou 1,6 milliard d’euros. Dans la loi de finances pour 2008 figureront 350 millions d’euros.

M. François Pintart : En effet. Ce montant correspond à la part du financement qui passera par le CEA pour la construction du premier bâtiment.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Les 1,4 ou 1,6 milliard d’euros restants sont-ils affectés de façon irréversible ?

M. François Pintart : L’affectation, dans le budget de la défense, s’élève en effet aujourd’hui à 1,4 milliard. La part du CEA a été ouverte dans le cadre des lois de finances pour 2006 et pour 2007 et se retrouve dans les crédits inscrits pour 2008.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Il est important que nous disposions de ces éléments, non seulement pour le Barracuda, mais pour les autres programmes navals engagés ou en gestation.

M. François Pintart : Le deuxième Barracuda sera commandé en 2009, le troisième en 2012, et les suivants tous les deux ans. En ce qui concerne les FREMM, la notification a été faite globalement sur le développement et la fabrication de huit frégates. Le montant hors taxes aux conditions du marché s’élève à environ 4 milliards.

M. Georges Tron, Président : S’agissant des FREMM, comment faites-vous pour transférer les crédits à l’OCCAR, sachant que les ressources obtenues pour le financement de ce programme l’ont été à chaque fois, lors des années écoulées, en loi de finances rectificative et avec interdiction de les consommer puisqu’il s’agissait de reports de crédits ? Prélevez-vous les sommes nécessaires sur l’ensemble des crédits du programme n° 146 Equipement des forces, ce qui suppose une diminution des ressources allouées à d’autres programmes d’armement, ou utilisez-vous un autre moyen ? Enfin, quelles modalités comptez-vous utiliser pour 2008, puisqu’il n’y a pas de crédits supplémentaires inscrits cette année dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2007 ?

M. François Pintart : La loi de finances rectificative ouvre les crédits trop tardivement pour qu’ils puissent être utilisés dans le cadre de l’exercice correspondant. Nous avons donc recours à une gestion globale des crédits disponibles, en accord avec le ministère des finances, pour honorer les factures que les industriels présentent à l’OCCAR. En tant que responsable d’un budget opérationnel de programme qui concerne notamment les Barracuda et les FREMM, je constate que le volume est insuffisant pour assurer une fluidité. M. Philippe Josse, directeur du Budget, que vous auditionnerez le 8 janvier, vous indiquera si les crédits manquants pourront être mis en place ultérieurement en 2008, par redéploiement dans le cadre du programme n° 146 Équipement des forces ou dans un cadre plus large.

M. Georges Tron, Président : En l’espèce, non seulement vous ne pouvez utiliser ces crédits dans l’année en cours, mais encore vous avez l’interdiction de les consommer, l’arbitrage effectué par le cabinet du Premier ministre les incluant directement dans les reports, où l’on retrouve tous les financements promis mais non affectés. Dès lors, tout ce qui a été alloué à l’OCCAR pour payer DCNS a été pris sur une enveloppe correspondant au titre 5 et qui ne comportait pas les crédits nécessaires au financement des FREMM au cours des années écoulées.

M. François Pintart : Vous posez en réalité la question de la génération et de la gestion des reports de crédits pour l’ensemble des programmes de défense. Je suis mal placé pour y répondre : la direction du Budget pourra vous éclairer. En toute hypothèse, à partir d’un volume donné de crédits reportés, une certaine fluidité se trouve assurée. C’est ce qui permet d’honorer les factures de l’OCCAR.

Pour 2008, compte tenu de l’absence d’ouvertures de crédits par la loi de finances rectificative pour 2007, on m’a assuré que des solutions seraient trouvées pour payer les factures à venir. Au demeurant, des décisions sont susceptibles d’intervenir en cours d’année budgétaire.

M. Georges Tron, Président : Pourriez-vous nous communiquer, pour que nous préparions l’audition de M. Josse, les éléments dont vous disposez sur ces questions d’ordre budgétaire ?

M. François Pintart : Volontiers.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Nous voilà ramenés aux réflexions formulées lors des auditions de mardi dernier : les FREMM sont un programme assez particulier, lancé en option et inscrit dans la loi de programmation militaire, mais sans chiffrage et sans crédits, puisque ceux qui ont décidé du projet se focalisaient sur l’idée, qui s’est rapidement révélée absurde, d’un financement innovant hors du budget de l’État. Nous payons aujourd’hui les conséquences de cette décision sur le plan budgétaire.

M. Georges Tron, Président : Monsieur l’ingénieur général, je vous remercie. Nous attendons donc de votre part trois séries de documents précis sur l’évolution du coût du Barracuda, sur les crédits ouverts pour chacun des programmes en cause et sur les modalités de financement des FREMM, avant le 8 janvier 2008, date de l’audition de M. Philippe Josse, directeur du Budget.

Auditions du 8 janvier 2008

a) à 9 h 30 : M. Philippe Josse, directeur du Budget et M. Éric Querenet de Breville, sous-directeur à la direction du Budget (5ème sous-direction)

Présidence de M. Georges Tron

M. Georges Tron, Président : Nous accueillons M. Philippe Josse, directeur du Budget, et M. Éric Querenet de Breville, sous-directeur à la direction du Budget. Je les remercie de leur présence. Je salue également MM. Bruno Rémond et Michel Camoin, qui représentent la Cour des comptes. Leur analyse des problèmes alimente nos réflexions avec profit.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Monsieur le directeur du Budget, comment les trois principaux programmes, FREMM, Barracuda et PA2, sont-ils budgétairement pris en compte dans le cadre de la programmation militaire ? Quelle est leur traduction budgétaire ?

M. Philippe Josse : Permettez-moi de dire au préalable que je suis tout particulièrement heureux d’être auditionné dans la salle de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, où j’ai beaucoup travaillé auparavant, sans pour autant y prendre la parole.

Les trois programmes en question sont évidemment pris en compte par la loi de programmation militaire actuelle 2003-2008, et représentent des masses financières importantes. Celui qui pèse le plus actuellement est le programme de sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) Barracuda. Vient ensuite le programme FREMM, qui est loin d’être négligeable. Le projet de second porte-avions PA2 est en revanche dans un état de développement embryonnaire pour ce qui concerne les crédits de paiement alors que des masses importantes d’autorisations d’engagement ont été ouvertes. Ce sont des programmes tout à fait structurants, surtout pour l’avenir.

S’agissant de l’ensemble des programmes navals, il faut noter d’abord que beaucoup a déjà été fait. La flotte des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de nouvelle génération (SNLE-NG) a été entièrement renouvelée ; deux bâtiments de projection et de commandement modernes (BPC) ont été livrés ces dernières années ; ce sera bientôt le cas des frégates de défense aérienne Horizon ; le porte-avions Charles de Gaulle a été mis en service avec son groupe aéronaval et déploie maintenant le Rafale marine. Cet ensemble de programmes témoigne d’un effort très important. Il s’est traduit par une augmentation des crédits, passant pour les programmes navals, en rythme annuel, d’environ 3 milliards d’euros en 2002 à 4 milliards d’euros aujourd’hui, le budget de la défense suivant globalement une tendance extrêmement dynamique. Il y a cinq ans, sur le budget du ministère de la défense hors pensions, le niveau des crédits était inférieur de 6 milliards d’euros par an à ce qu’il est aujourd’hui ; ce qui équivaut quasiment au budget de la justice. De la même façon, la composante des crédits d’équipement représente aujourd’hui 16 milliards d’euros, contre 12,3 milliards en 2002.

Au-delà des inscriptions de dotations budgétaires sur ces trois programmes, il faut s’interroger sur certaines évolutions des coûts et en particulier sur la maîtrise des coûts de production, qui sont emblématiques, quand on évoque notamment les programmes FREMM et Barracuda.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Certes, des efforts très importants ont été accomplis au cours des cinq dernières années. Malgré cela, à plusieurs reprises, le ministre de la défense, M. Hervé Morin, a évoqué l’existence d’un décalage de 15 milliards d’euros entre la prévision de la loi de programmation militaire et les financements qu’il faudrait mobiliser pour réaliser la totalité des programmes engagés par le précédent gouvernement.

Quelle est l’explication de cette situation ? Y-a-t-il un désengagement de l’État qui se manifesterait notamment par des gels de crédits ?

Aurait-on lancé plus de programmes en fin de loi de programmation militaire ou en fin de législature qu’on ne pouvait en financer ? Le coût des programmes aurait-il considérablement augmenté par rapport à ce qu’il était à l’origine ? Aurait-on lancé de nombreux programmes sans parvenir à les cadencer dans le temps de façon à éviter cette « bosse » de besoins de crédits ? Le plus probable est que les trois raisons cumulées sont à l’origine de la difficulté.

M. Philippe Josse : En matière budgétaire, il y a toujours un écart entre ce qui est souhaité et ce qui est possible. S’agissant plus particulièrement du budget de la défense, la situation est très compliquée.

Il faut l’analyser en distinguant plusieurs concepts, à commencer par celui de « restes à payer », lesquels correspondent aux montants ayant fait l’objet d’un engagement budgétaire, qui ont donc fait l’objet de contrats de la part de l’État, et restent à payer.

Il y a ensuite le concept du « reste à financer ou à engager » : il s’agit du montant des autorisations d’engagement affectées à un programme, dont on soustrait celles qui ont été effectivement engagées.

Enfin, il est un dernier concept beaucoup plus programmatique, qui fait référence à un modèle nominal de réalisation des programmes d’armement. On peut alors comparer l’examen de la trajectoire de leur réalisation et une hypothèse de ressources sur les années à venir. C’est alors qu’on peut parler de « bosse ».

Au cas présent, le reste à payer sur engagements est important mais n’est pas considérable, compte tenu des masses en cause en matière de défense : environ 45 milliards d’euros avec des échéanciers de paiement très longs. Certes si, pour les années immédiatement à venir, on projette le niveau de ressources actuelles, on se rend compte qu’une bonne partie des capacités de paiement est saturée. Néanmoins cela est normal compte tenu de la longueur des délais de paiement. On ne peut donc pas dire qu’il y a, sur le budget de la défense, une bosse de paiements considérable, qui serait liée à des mécaniques d’engagements juridiques. Bien sûr, ce budget a fait l’objet d’engagements et d’un effort de paiements volontaristes, mais le problème ne se situe pas là. Il ne se situe pas non plus au niveau du reste à engager sur autorisations d’engagement déjà affectées.

En matière de réalisation des programmes d’armement, il est exact qu’un certain nombre de projections du ministère de la défense, lesquelles sont d’ailleurs en cours d’examen, témoigneraient de besoins de crédits de paiement supplémentaires, non pas sur les trois années qui viennent, mais sur les quinze ans à venir, dans la mesure où la réalisation du modèle n’a rien d’immédiat. Il faut préciser que le modèle actuel a commencé à être financé à la fin des années 80 ; certains des programmes en cause ont fait l’objet de premières études de préfaisabilité dans la seconde moitié des années 80.

Sur cette « bosse » des programmes d’armement, qui n’est pas essentiellement une bosse d’obligations juridiques de paiement, les interprétations que vous avez avancées sont toutes valables. Certains équipements arrivent en fin de vie même si une grande partie a déjà été renouvelée. La dérive des coûts est également évidente : pour le programme des six SNA Barracuda, le devis était de 4,5 milliards d’euros il y a quelques années et il a augmenté de 70 %.

Comment s’explique une telle dérive des coûts ?

Il n’est pas forcément facile d’évaluer ex ante le coût de ce type de programmes : il s’agit d’équipements uniques, qui font l’objet de marchés de gré à gré, et il faut tenir compte des surspécifications. Avec le Barracuda, par exemple, on procède à un renouvellement, un pour un, des sous-marins nucléaires d’attaque de la génération précédente de la classe Rubis et Améthyste ; mais on passe d’un tonnage de 2 700 tonnes, pour ces sous-marins, à 4 700 tonnes ; de même, le taux de disponibilité prévisionnelle qui était d’environ 50 %, devrait atteindre environ 66 %. L’évolution dynamique des coûts des SNA incorpore sans doute des améliorations importantes qui ont évidemment leur pertinence au plan militaire, mais qui doivent être pondérées à l’aune de la ressource prévisible, dans un contexte de finances publiques relativement contraint et marqué ces dernières années par un effort déjà important en faveur de la défense.

De toute évidence, il faudra trouver les moyens d’éviter cette « bosse » de dépenses occasionnée par l’exécution prévisible des programmes sans que cela ait des conséquences sur les capacités opérationnelles. On peut étaler cette exécution, mais sans excès, pour ne pas augmenter les coûts unitaires des équipements. La bonne solution passe très vraisemblablement par une intensification de la chasse aux surspécifications et par une meilleure prise en compte de la contrainte financière d’ensemble dans la programmation, y compris sur un horizon temporel relativement éloigné ; encore une fois, il est question d’équipements qui seront achevés aux alentours de 2020. Pour ce faire, il y a probablement des progrès à opérer au ministère de la défense, notamment dans sa relation bilatérale avec le ministère des finances.

M. Georges Tron, Président : Il y a trois autres éléments, dont nous avons déjà parlé lors des précédentes réunions, qu’il faudrait mentionner, pour se faire une idée plus complète et plus fine des explications du décalage financier entre les besoins et les réalités.

Premièrement, il ne faut pas oublier le décalage important existant entre les montants votés en loi de finances initiale et les montants exécutés après l’intervention de la loi de finances rectificative. Le total des reports est tel que, si ces crédits reportés sont une réalité, ils n’ont pas servi jusqu’à maintenant à financer les programmes d’armement. Et je ne tiens pas compte de la consommation des reports résultant de la loi de programmation militaire précédente pour des dépenses de fonctionnement et non pas pour des dépenses d’investissement, alors que ces reports étaient constitués de crédits d’équipement.

Deuxièmement, on ne doit pas seulement parler de dérive des coûts. Le terme même fait penser qu’on a mal calculé à l’avance le prix du produit. Or il apparaît une autre dérive qui vient de ce que les lois de programmation militaire sont votées avec des mécanismes d’indexation pour déterminer des moyens constants, calés sur l’évolution du produit intérieur brut, alors que le taux de croissance des coûts des programmes d’armement est nettement supérieur à celui du produit intérieur brut. Ainsi, année après année, l’écart ne cesse de s’accroître et augmente la différence entre ce qui est réalisé et ce qui ne peut l’être avec les crédits qui ont été accordés in fine au ministère de la défense.

Troisièmement, nous constatons l’injection, dans la programmation, de programmes d’équipement, qu’il est prévu d’initier et de réaliser alors que les montants financiers nécessaires ne sont pas inclus dans l’enveloppe de la LPM. On retrouve là d’abord le problème des FREMM, pour lesquelles un financement para-budgétaire ou hors budgétaire dit « innovant » avait été imaginé, ensuite la question du second porte-avions PA2.

Si l’on ajoute ces trois éléments à ceux évoqués par M. Josse, on a un panorama assez complet de toutes les causes confondues qui, réunies en faisceau, expliquent ce déport financier.

M. Philippe Josse : À ce propos, je voudrais évoquer quelques éléments récents, qui constituent un progrès.

La procédure de financement de dépenses ordinaires par annulation de crédits d’équipement, essentiellement en matière de surcoûts des opérations extérieures (OPEX), a connu des progrès considérables : ces surcoûts n’étaient pas du tout financés en loi de finances initiale il y a quelques années, puis 375 millions d’euros ont été inscrits en loi de finances initiale pour 2007, et 475 millions d’euros en loi de finances initiale pour 2008, dont 100 millions dans le cadre de la discussion budgétaire au Parlement. L’utilisation des crédits d’équipement pour le paiement des « OPEX » est donc un facteur causal en train de disparaître.

Les reports de crédits, en tant qu’ils traduiraient des non-consommations par rapport au modèle initial, ont existé, notamment lors de la législature 1997-2002. On a assisté à une résorption des reports et à des exécutions en termes de paiements nominalement en phase avec ce qui était prévu par les lois de finances initiales au cours des cinq dernières années, sous la seule réserve de l’année 2004.

Je souhaite revenir sur la question du financement des FREMM.

Il s’agit d’un programme prévu par la loi de programmation militaire 2003-2008. Il se trouve que, à un moment de la vie de la programmation, un certain nombre de dérives, portant sur la totalité des programmes, a été constaté. En quelque sorte, le « bouclage » budgétaire n’était plus réalisé. Il a fallu trouver les voies et moyens de réconcilier la trajectoire financière, qui, encore une fois, était respectée, et la trajectoire programmatique sous-jacente, qui enregistrait les dérives en question.

Un premier moyen avait été imaginé. Il faut le rappeler pour mémoire, car sa mise en œuvre n’aurait vraiment pas été très orthodoxe d’un point de vue budgétaire. Le montage, suggéré par des banquiers conseil, consistait à débudgétiser le financement des FREMM et à lancer un emprunt bancaire par le biais d’une structure adjacente à l’État, donc à créer de la dette en dehors de la dette publique. Ce projet de montage a fait l’objet d’un arbitrage négatif, ce qui est à l’honneur du système décisionnel. Il a alors été décidé, pour les années 2005 et 2006, d’ouvrir des crédits en sus de la loi de programmation militaire nominalement au titre des FREMM, mais, en réalité, au titre du bouclage d’ensemble du budget.

Cela dit, les questions de bouclage continuent d’exister. Elles sont de grande ampleur. Cela signifie qu’il faut à la fois faire des choix et se donner les moyens d’une cohérence physico-financière, ainsi que d’un contrôle des coûts et des surspécifications.

Il est exact que les formules d’indexation et de révision de prix des contrats sont souvent dynamiques.

Il faut veiller, dans le cadre du dialogue entre l’État et les industriels, à ce que des baisses faciales de prix initial ne soient pas compensées par un dynamisme plus grand des formules de révision de prix, qui sont d’une extrême complexité. Cela va du prix de la tonne de tungstène à celui de l’heure de main-d’œuvre. Ces formules comportent souvent de nombreux paramètres, mais, à dire vrai, dans une programmation bien faite, leurs effets sont prévisibles. Il est même indispensable de prévoir ces effets et d’éviter de sembler croire que la dynamique des clauses de révision de prix équivaut à celle des crédits budgétaires, sinon on court à la catastrophe. C’est un problème qu’il faut résoudre si l’on veut parvenir à une bonne cohérence physico-financière de l’ensemble du système.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Monsieur Josse, on a senti une grande prudence dans vos réponses. Cela peut se concevoir, compte tenu de l’énormité du déficit budgétaire structurel. Comment intégrez-vous l’existence d’un tel niveau de déficit ? Visiblement, dans ce pays, on ne maîtrise pas le niveau de dépenses publiques. Quel peut être l’impact de ce déficit sur l’ensemble de la programmation ? Ne devra-t-on pas abandonner un programme, même si cette perspective est navrante ?

En présence d’un tel déficit, reste la solution de l’exportation. Comment la direction du Budget perçoit-elle l’échec de l’exportation du Rafale vers le Maroc ? Il semble qu’il y ait eu un blocage au sein de votre ministère, portant sur les questions de financement. Quel est le coût, pour le budget de l’État, de cet échec du Rafale à l’exportation ?

Sur les quatre programmes, PA2, FREMM, Barracuda et Rafale, quel est le plus exportable ? Si un programme devait être abandonné, cette variable serait-elle incluse dans le choix du programme sacrifié ? Mieux vaut soutenir un projet qui peut assurer des recettes budgétaires.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Je veux revenir sur les propos de M. Josse concernant les données budgétaires. C’est en effet la première fois que je vois un directeur du Budget aussi optimiste sur les conditions d’exécution du budget de la défense, au moment où le ministre dépensier, lui-même, nous avoue être inquiet ! Un tel décalage est, pour nous, source d’interrogations.

Vous considérez que la résorption de la « bosse » budgétaire doit pouvoir s’effectuer dans de bonnes conditions, compte tenu de l’expérience des cinq dernières années. Je prends en compte les chiffres tels qu’ils résultent des travaux parlementaires après communication d’informations au Parlement.

L’estimation de 48 milliards de restes à payer à la fin de 2008 se fonde sur l’hypothèse d’une consommation dans de bonnes conditions des crédits de paiement au cours des exercices budgétaires 2007 et 2008. Si l’on regarde le programme budgétaire qui nous intéresse ici, le programme n° 146 Équipement des forces, il s’agit de 20 milliards d’euros à dépenser en 2007 et 2008. Compte tenu d’une masse d’engagements prévue à 55 milliards d’euros à la fin de 2008, il resterait environ 35 milliards d’euros à financer sur le seul programme Équipement des forces à la fin de 2008, dans l’hypothèse d’une consommation effective des 20 milliards dont il est question.

Selon les éléments figurant dans les rapports parlementaires, notamment du Sénat, et selon certaines déclarations émanant de l’exécutif, la consommation de crédits de paiement en 2007 ne devant pas dépasser les montants ouverts en loi de finances, il manquerait environ 1,9 milliard d’euros pour satisfaire les objectifs de consommation de 20 milliards d’euros de crédits de paiement sur les exercices 2007 et 2008. On peut donc considérer que l’on est dans une dynamique beaucoup moins positive que celle que vous indiquez et qu’il existe un risque budgétaire réel.

Encore une fois, comment analysez-vous cette réalité comptable et budgétaire, et comment comptez-vous « passer la bosse » ?

Quel que soit l’avenir de chacun des programmes à l’exportation, on sait que le PA2 ne sera pas exporté tout de suite et cette perspective est d’ailleurs aléatoire. L’exportation des sous-marins est très contrainte. Les représentants de DCNS qui sont venus à la fin de l’année 2007 nous ont expliqué leur stratégie et nous ont indiqué que, en dehors de quelques contrats portant sur des transferts de technologie, il était peu probable que le plan de charge de DCNS consacré à l’exportation aille au-delà de 25 % du chiffre d’affaires. Si les rentrées financières sont suffisamment significatives, l’exportation concernerait des équipements qui ne sont pas le Barracuda.

Comment expliquez-vous la dérive financière qui a été constatée sur les programmes dont nous débattons ? Les représentants de DCNS nous ont relaté comment ils négociaient les programmes avec la DGA et avec la Marine nationale. Ils nous ont déclaré que les délais de négociation s’expliqueraient par les exigences de l’État sur le coût des programmes. On peut comprendre que le temps de la négociation ait été d’autant plus long que l’objectif de coût était plus contraint. Or, vous nous expliquez, de votre côté, que malgré le temps pris, il faudra s’attendre à une majoration de 70 % du coût des Barracuda. Comment peut-on mettre autant de temps pour aboutir à des résultats aussi mauvais ?

M. Philippe Josse : Je commencerai par les questions budgétaires.

Je n’ai pas fait état d’un quelconque optimisme. J’ai simplement rappelé que les « contrats » avaient été globalement respectés ces dernières années. Je voulais dire par là que l’exécution budgétaire avait été globalement en phase avec le niveau de l’autorisation parlementaire initiale, ce qui est tout de même un progrès par rapport à ce que l’on avait observé dans le passé.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Il est important que la loi de programmation militaire et le calendrier de réalisation des équipements ne soient pas disjoints et j’aimerais que l’on s’intéresse à leur cohérence à l’occasion de nos débats. Je constate que, s’agissant du programme Barracuda, un retard de quatre ans s’est créé entre les prévisions de la loi de programmation militaire et la réalisation effective du programme si les prévisions actuelles sont respectées. Or, le respect des délais pour ce programme est plus qu’incertain, pour les raisons budgétaires que vous avez vous-même évoquées.

Il existe donc un décalage calendaire extrêmement important entre les prévisions de la loi de programmation militaire et sa réalisation effective. Plusieurs personnes auditionnées jusqu’à présent nous ont expliqué que ce décalage calendaire résulte du fait que l’écart entre les prévisions de la loi de programmation militaire et le coût effectif du programme était tel qu’il a fallu prendre le temps de « faire rentrer l’édredon dans la valise ».

M. Philippe Josse : En effet !

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Vous nous dites que, sur les plans budgétaire et juridique, l’adéquation est à peu près convenable entre ce que le Parlement a voté et ce qui a été exécuté. Certes, je peux le comprendre. Toutefois, le décalage entre le nombre de programmes engagés et les capacités de financement utilisées, entre le coût d’objectif des programmes et leur coût réel, aboutit in fine à l’obligation de procéder à des étalements, à des arbitrages et à reconsidérer la maquette. Cela peut conduire à une augmentation finale du coût des programmes, dans la mesure où ceux dont on étale l’exécution finissent par coûter plus cher, et à un décalage considérable entre le coût prévisionnel et le coût réel. Or, nous sommes là pour examiner l’adéquation entre ce que l’on doit faire, ce que l’on peut financer, et ce que l’on doit financer si on veut faire les choses raisonnablement.

M. Philippe Josse : Nous disons globalement la même chose.

Je répète devant la mission que je ne m’estime responsable ni du chiffrage initial des programmes – il ne relève pas de ma compétence – ni de leur exécution. Quelques centaines de personnes dans différents services du ministère de la défense sont là pour cela. Nous, nous faisons du budget. Au vu des consommations budgétaires de ces dernières années, je dis qu’on ne peut pas arguer, en constatant les difficultés de réalisation du modèle, de l’existence de quelque mauvais coup budgétaire vis-à-vis des crédits d’équipement militaire. Je constate avec satisfaction que vous m’en avez, d’une certaine façon, donné acte.

Ensuite, je n’ai jamais fait preuve d’un quelconque optimisme. J’ai simplement dit que la « bosse » n’était pas essentiellement une bosse juridique, en termes de dette de l’État d’ores et déjà constituée, mais une bosse programmatique, c’est-à-dire un écart entre le potentiel de ressources qu’on peut légitimement prévoir, et le total des besoins se révèlant nécessaires pour réaliser le modèle. J’ai ensuite souligné que, une fois ce point constaté, il fallait en tirer les conséquences. Cela conduira certainement – je réponds ainsi à M. Fourgous – à faire des choix. Sinon, on ne pourra pas y arriver.

Je reviens à mon propos introductif sur l’écart entre le souhaité et le possible : cet écart existe toujours, il convient de le réduire.

Faire des choix peut conduire à l’abandon de programmes, mais ce n’est sûrement pas à moi de dire lesquels, car le dialogue est engagé entre la contrainte budgétaire et les choix opérationnels. Ces choix sur les programmes structurants appartiennent d’abord au Président de la République en tant que chef des armées.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Nous vous interrogeons sur l’impact budgétaire des programmes, sachant que certains équipements sont plus exportables que d’autres.

M. Philippe Josse : Il faut distinguer la question de l’exportation de celle de l’impact budgétaire des programmes, laquelle suppose l’évaluation des dépenses à venir sur les différents programmes ainsi que celle de la nature des clauses de dédit en cas de non-affermissement des tranches conditionnelles.

M. Georges Tron, Président : Pour poser la question sans détour, oui ou non vous semble-t-il possible, sur le plan budgétaire, de mettre en œuvre les quatre programmes FREMM, PA2, Barracuda et Rafale, tout en tenant compte de la nécessité du redressement des finances publiques et de la dérive des coûts de réalisation des équipements ? Si tel n’est pas le cas, quels programmes vous semblent prioritaires, dans le cadre du budget ?

M. Philippe Josse : Les deux programmes ayant déjà donné lieu à la plus grande part des dépenses – FREMM et Barracuda – ne représentent que 10 % de l’évaluation en cours de la bosse programmatique par le ministère de la défense. Leur suppression n’est donc pas une condition indispensable du bouclage budgétaire. Le programme qui devrait être abandonné, si l’on ne veut pas avoir gaspillé l’argent public, c’est évidemment celui qui est le moins avancé, donc celui du second porte-avions PA2, parce qu’il n’a pas encore donné lieu à des paiements substantiels.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Les catapultes ont néanmoins été commandées.

M. Philippe Josse : En effet, mais les dépenses engagées sur ce programme sont moins importantes, même si l’on tient également compte du paiement effectué au profit des Britanniques au titre du partage des études. Le dédit prévu en cas d’annulation de la commande des catapultes est quant à lui très faible puisqu’il s’élève à environ un million d’euros.

S’agissant des exportations, je ne connais pas les détails du dossier de la vente du Rafale au Maroc. Plus globalement, il paraît évident que nous n’exporterons pas le Barracuda non plus que le PA2, sauf peut-être en fin de vie comme pour le porte-avions Foch. Les perspectives d’exportation des FREMM, en revanche, sont loin d’être négligeables, mais, comme l’exportation de FREMM serait susceptible d’intervenir après le développement du programme et après la passation de la première commande ferme de huit frégates (survenue en 2005), le budget de la défense n’en serait en rien allégé. Pour le Rafale, l’argument principal qui était avancé en faveur de la commande immédiate par l’État, au milieu des années 90, était qu’il était urgent de le mettre en service dans l’armée de l’air, et la première commande est effectivement intervenue en 1996. Cela n’a pas eu pour effet de meilleurs résultats à l’exportation. Je ne suis pas certain que l’exportation soit la panacée pour diminuer le prix de revient des équipements militaires, puisque les commandes ont déjà été passées et les prix fixés. Quoi qu’il en soit, des choix budgétaires seront nécessaires parmi les 800 programmes individualisés dans le référentiel du ministère de la défense.

M. Georges Tron, Président : Nous ne pensons pas qu’il y ait eu de mauvais coups, ou coûts, budgétaires (Sourires).

Il convient tout d’abord de se rappeler que ce sont les conséquences de dix années de programmations qui sont examinées ici. La situation à laquelle nous sommes confrontés résulte de l’absence d’une annuité presque complète de crédits d’investissements pour l’exécution de la loi de programmation militaire précédente, 1997-2002, mais également des 800 millions de reports normalement affectés au financement des dépenses du titre 5 et qui ont servi au paiement de dépenses ordinaires entre 2002 et 2007 et, enfin, de la non-effectivité budgétaire des reports de crédits sur l’ex-titre V, pour l’actuel programme n° 146 Équipement des forces, pendant la législature 2002-2007.

Par ailleurs, les programmes militaires d’équipements visent à réaliser un modèle opérationnel permettant de remplir les missions stratégiques et diplomatiques de la France. Il n’est donc pas possible de se limiter à un strict raisonnement budgétaire et il n’est pas envisageable de supprimer tel ou tel programme sans en évaluer les conséquences opérationnelles. Si le second porte-avions PA2 n’est plus d’actualité, que se passera-t-il lorsque le porte-avions Charles-de-Gaulle sera hors service ? La France ne pourra plus déployer des forces aéronavales.

En outre, je doute qu’il soit possible de décider du financement d’un programme d’armement militaire en fonction des perspectives éventuelles d’exportation. Le facteur déterminant est celui de l’intérêt stratégique et des perspectives opérationnelles. S’il s’avère que des exportations sont possibles, tant mieux. De surcroît, les royalties liées à ce type d’opération bénéficient davantage aux industriels qu’à l’État.

Enfin, les choix budgétaires ne doivent pas être effectués uniquement parmi les programmes militaires ni même, plus spécifiquement, dans le champ des programmes navals : il convient plutôt de prendre en compte l’ensemble du périmètre du ministère de la défense. Des économies peuvent être par exemple réalisées dans le périmètre des dépenses de fonctionnement, sur le format des armées, afin de mettre les effectifs en adéquation avec les équipements, compte tenu des besoins opérationnels.

Il est néanmoins assez logique de s’interroger, dans le cadre de cette MEC, sur d’éventuels choix à réaliser quant au financement des projets d’équipements navals militaires. Je remercie à ce propos M. Josse pour sa réponse.

M. Éric Querenet de Breville : Il importe en effet de raisonner sur l’ensemble du périmètre du ministère (équipements, soutien, fonctionnement et personnels) – la revue générale des politiques publiques œuvre d’ailleurs en ce sens – et également à partir des nécessités opérationnelles et non à partir de l’inventaire capacitaire comme en 1996-1997, afin de réaliser le contrat opérationnel. Par ailleurs, les décisions de remises en cause des programmes ne seront pas prises avant l’achèvement des travaux de préparation du Livre blanc. La révision stratégique précède donc les choix budgétaires.

Plus globalement, les lois de programmation militaire ont été mal pensées : en premier lieu, les coûts des programmes y sont en effet exprimés en coûts objectifs et non en coûts estimés prévisionnels, ce qui constitue un facteur de dérive puisque le biais de budgétisation est en l’occurrence estimé à 30 % environ. Avant même le commencement de sa réalisation, le coût du programme est donc sous-estimé de 30 %. Deuxièmement, les autorisations d’engagement inscrites en loi de programmation n’incluent pas la dérive du coût des facteurs. On est donc confronté à un risque de sous-estimation du prix d’acquisition des programmes qui ne peut s’analyser comme un succès de la négociation de la DGA face aux industriels. Il s’ensuit une dynamique plus forte des révisions des prix pendant la vie des programmes. La baisse faciale du prix d’acquisition des programmes est en réalité obtenue en contrepartie d’une dynamique plus forte des révisions de prix contractuelles. Enfin, en troisième lieu, l’expression des besoins ne distingue pas un socle de spécifications minimales d’un ensemble de spécifications optionnelles. Ces trois facteurs réunis expliquent intrinsèquement, même en cas d’exécution normale des crédits ouverts en loi de finances initiale, ce qui a été le cas depuis 2003, les décalages de programmes consécutifs aux biais de construction budgétaire.

Par ailleurs, plus le temps passe, plus il est difficile d’ajuster les programmes, la seule variable d’ajustement restant la quantité et non les prix ou les coûts. S’il avait été possible d’intervenir avec souplesse en amont du programme, des mesures correctrices auraient été possibles permettant d’éviter la « bosse programmatique ». Ce n’est plus le cas aujourd’hui où l’on est contraint de s’acheminer vers la remise en cause de programmes.

M. Philippe Josse : L’évolution du format des armées est une variable très importante : une diminution d’effectif de 40 000 hommes, soit un peu moins de 10 % de l’effectif du ministère de la défense, permettrait, en dix ans, de financer quatre fois le PA2.

Des progrès doivent être par ailleurs réalisés en matière de gouvernance dans la réalisation des programmes d’armement : en matière de transparence interministérielle – la vieille tradition d’opacité du ministère de la défense est vraiment en passe d’être surmontée – de création d’un dispositif permettant de mieux mettre à jour les questions de soutenabilité budgétaire intertemporelle ; de promotion d’une mécanique de programmation qui fasse plus de part au variantage, à la distinction entre ce qui est principal et ce qui est optionnel, à la lutte contre les surspécifications.

Je tiens tout de même à rappeler que, sans changer le modèle ni les objectifs opérationnels, nous allons remplacer six SNA de la classe Rubis et Améthyste qui faisaient 2 700 tonnes par six Barracuda qui en font 4 700, avec une augmentation prévisionnelle du taux de disponibilité qui passerait de 50 % à 67 %. Les marges de progrès sont donc importantes, même si des choix seront bien entendu indispensables. Sans doute faut-il aussi « pacifier » les relations entre la direction du Budget et le ministère de la défense. Des comités d’engagements devraient être également créés afin de mieux prendre en compte la soutenabilité des dépenses. Au-delà de tout, il importe d’avoir une perspective budgétaire réaliste.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Je regrette qu’il n’ait pas été possible de mieux cerner ensemble la notion de retour sur investissements, les services de l’État ayant manifestement du mal à se projeter dans une logique économique. Comment, dans ces conditions, évaluer effectivement les rentrées fiscales et sociales ? Il faut savoir qu’en France, par exemple, l’État prélève près de 50 % de la richesse produite !

Les questions budgétaires et opérationnelles sont par ailleurs beaucoup plus liées que l’on peut le penser. Outre que les programmes doivent être impérativement financés, la perte de la note AAA peut par exemple suffire à provoquer une crise économique majeure. Un budget implique de savoir quels sont les coûts et les profits. Nous devons parvenir à parler ensemble ce langage commun.

M. Georges Tron, Président : Je remercie MM. Josse et Querenet de Breville pour avoir répondu à nos questions.

b) à 10 h 30 : M. le vice-amiral Emmanuel Desclèves (2ème section) ancien président de la commission des programmes et des essais (CPPE) des navires de la marine nationale.

Présidence de M. Georges Tron

M. Georges Tron, Président : Je remercie M. le vice-amiral Desclèves pour sa présence, de même que MM. les rapporteurs Jean-Michel Fourgous et Bernard Cazeneuve ainsi que les représentants de la Cour des comptes, MM. Michel Camoin et Bruno Rémond.

M. Emmanuel Desclèves : Je suis très sensible à votre accueil, dont je vous remercie.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Quel regard portez-vous sur la réforme de la direction des constructions navales qui, il y a encore peu de temps, était une administration centrale de l’État et sur DCNS elle-même ?

M. Emmanuel Desclèves : J’ai vécu la réforme de DCN à partir de 2000, j’étais alors affecté auprès du major général de la marine, chargé des affaires de DCN. J’ai ensuite été nommé directeur du service de soutien de la flotte (SSF) à Toulon. Nous avons alors procédé, jusqu’en 2003, à une séparation des activités précédemment mêlées entre DCN et la marine. Ce fut une opération assez complexe puisque nous avons récupéré de DCN les secteurs pyrotechnique et logistique qui étaient dans un état de délabrement avancé. Le chef d’État-major a alors parlé du nettoyage des écuries d’Augias !

Ces différentes activités ont été reconstituées au sein du SSF, lequel a cherché à favoriser la mise en concurrence de DCN après son changement de statut en 2003. C’était la politique voulue de l’état-major de la marine, mais la mise en concurrence de DCN a été difficile. Au final, à la fin de l’année 2006, environ 98 % des crédits d’entretien et probablement le même pourcentage des crédits de constructions navales demeuraient cependant entre les mains de DCNS. Sans doute le développement d’une mise en concurrence réelle, tout du moins pour les navires de surface, plus simples que les sous-marins, aurait constitué un bon aiguillon pour stimuler DCN, que l’absence de mise en concurrence réelle empêche à mon avis de progresser.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Il est important pour nous, compte tenu du contexte budgétaire, d’examiner comment DCNS peut participer à la mise en œuvre des programmes navals militaires aux meilleures conditions de maîtrise des coûts. Je vous pose donc la question : la réforme de DCN améliore-t-elle, d’après vous, la productivité et la compétitivité dans ce domaine, ce qui permet de mieux maîtriser les coûts ? Dans le cas contraire, quelles réformes devraient-elles être mises en place ? Ce n’est pas le même sujet que celui de la mise en concurrence.

M. Emmanuel Desclèves : En freinant la mise en concurrence de DCN avec les autres industriels, nous n’avons pas été au bout de la réforme. Par ailleurs, la marine ne se montre pas assez exigeante à l’égard de son industriel « monopolistique », qui, faute de mise en concurrence, continue de construire selon ses usages propres.

Lorsqu’il a fallu remplacer les transports de chalands de débarquement (TCD) Orage et Ouragan, nous avions demandé en 1998 à DCN d’élaborer un projet, compte tenu d’un budget donné. L’entreprise nous a proposé de réaliser l’équivalent des TCD Siroco, qui venaient d’être construits, avec quelques améliorations, pour un prix inférieur de l’ordre de 20 %. Or j’avais officieusement travaillé avec les Chantiers de l’Atlantique qui ont alors proposé au service des programmes navals les projets des actuels bâtiments de projection et de commandement (BPC) Mistral et Tonnerre, plus performants, que de nombreuses marines nous envient. Le contrat a été donné à DCN pour des raisons politiques, mais à la condition qu’elle fasse construire les bâtiments proposés par les Chantiers de l’Atlantique. La marine a donc ainsi obtenu un bâtiment deux fois plus gros que celui proposé par DCN et nettement plus performant, qui repose sur un concept beaucoup plus novateur.

Pour le programme FREMM, nous sommes encore dans une logique ancienne, DCNS proposant des bâtiments qui ressemblent aux frégates actuelles conçues il y a 25 ans. Le changement de statut n’a donc pas encore modifié les mentalités. Avec les FREMM, il n’y a pas réellement de changement de concept. Il est également curieux que la direction de DCNS soit inchangée, alors que le statut de l’entreprise est complètement nouveau.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : C’est en effet un cas unique.

M. Georges Tron, Président : D’après les informations que nous tenons de la Cour des comptes, le dernier contrôle de DCN, en 2006, a montré que le pourcentage des contrats d’entretien et d’équipement de la marine confiés à DCN s’élevait à environ 90 %. En grande partie ces contrats sont arrivés à échéance en 2005–2007, sans perte de marché pour DCN. DCNS est en concurrence avec les Chantiers de l’Atlantique, la compagnie nationale de navigation et les chantiers polonais. Dans un monde commercial ouvert et avec l’aide du groupe Thales, qui est entré à son capital, DCN est-elle capable selon vous de se moderniser ?

M. Emmanuel Desclèves : Thales est une maison certes très différente de DCNS, mais la logique des groupes industriels du secteur naval de défense me semble toujours celle d’un partage des marchés et même d’un partage du gâteau, plutôt que celle d’une vraie concurrence ; il n’y a pas de raison que Thales change de démarche après son entrée au capital de DCNS. Que, sur le plan interne, la gestion soit mieux assurée par un groupe habitué aux pratiques industrielles et non pas étatiques, c'est évident, mais du point de vue de l’ouverture à la concurrence et du rapport coût/efficacité des marchés de la défense, je reste assez sceptique quant au résultat ; j’en veux pour preuve l’exemple du projet de second porte-avions dont le coût affiché me semble exorbitant.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Quel est justement votre avis sur la coopération franco-britannique pour le projet de second porte-avions, justifiée à l’époque par la volonté d’abaisser son coût et par un renforcement de l’interopérabilité ? Selon un universitaire que nous avons auditionné, un ministre britannique aurait souligné devant la Chambre des communes que le grand intérêt de cette coopération était surtout que les Français avaient payé le design des porte-avions dont le Royaume-Uni avait besoin. L’intérêt budgétaire de la coopération est douteux, quant à l’interopérabilité, elle est limitée puisque toute la partie placée au-dessus de la ligne de flottaison diffère pour les projets anglais et français.

Plus généralement, quel regard portez-vous sur ce type de coopération internationale, sur son intérêt budgétaire et sur son adéquation avec l’objectif visé ?

M. Emmanuel Desclèves : Je suis également assez sceptique quant à la coopération internationale en matière de navires militaires. Le niveau de compétence de la construction navale militaire et civile en France – ce qui est à mettre au crédit de DCN –...

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Voilà une remarque qui, venant de votre part, est à souligner ! (Sourires)

M. Emmanuel Desclèves : ...est beaucoup plus élevé que celui des Britanniques et, à un moindre niveau, des Italiens. Le travail effectué par DCN et par les Chantiers de Saint-Nazaire, qui ont notamment participé au design de la coque propulsée, a ainsi surtout profité aux Britanniques.

Par ailleurs, les concepts étaient assez différents au départ, au point que l’on aura bientôt des bâtiments qui ne se ressembleront que sous la ligne de flottaison. Construire dans ces conditions revient extrêmement cher ; on a déjà pu le constater avec les frégates Horizon : les mêmes déboires, survenus avec les mêmes partenaires, ont coûté quelques centaines de millions. Il est donc dommage que l’on n’ait pas demandé à Aker Yards de réaliser la coque propulsée comme pour les BPC, quitte à proposer aux Britanniques une construction commune et à armer, au sens militaire du terme, le PA2 avec DCNS, ce qui a déjà été le cas pour les BPC.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : En dépit de ces réserves, voyez-vous un intérêt à cette coopération franco-britannique ?

Par ailleurs, que pensez-vous, d’un point de vue opérationnel et budgétaire, du choix de la propulsion classique de ce second porte-avions, compte tenu notamment du coût de possession du bâtiment ? Le prix du carburant augmente mais l’entretien d’une chaufferie nucléaire est plus onéreux.

M. Emmanuel Desclèves : Pour ce qui est de la coopération avec les Britanniques – comme d’ailleurs avec les Italiens pour les programmes qui les concernent –, une nouvelle fois je suis sceptique : elle nous a coûté cher avec les frégates Horizon, et elle nous coûte déjà cher avec le PA2. À partir du moment où les programmes militaires ne sont pas strictement identiques, elle ne présente pas d’intérêt direct, sauf peut-être sur le plan purement politique, encore que nous n’en n’ayons pas tiré avantage, contrairement aux Britanniques.

S’agissant de la construction du PA2, on annonce un chiffre qui dépasse les 2 milliards d’euros.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Les autorisations d’engagement atteignent, à titre provisionnel, 3 milliards d’euros.

M. Emmanuel Desclèves : Je suis d’autant plus effrayé par ce chiffre que l’on aurait pu construire un porte-avions, encore une fois sur le modèle du BPC, pour 1,5 milliard. Le paquebot Queen Mary 2 a coûté 650 millions d’euros alors que c'est un navire beaucoup plus gros (145 000 tonneaux et 345 mètres) et plus rapide que le futur porte-avions, qui a une puissance propulsive beaucoup plus élevée et dont les aménagements intérieurs coûtent beaucoup plus cher que des hangars ou des cabines d’équipages militaires.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Mais avec des capacités d’appontage limitées !

M. Emmanuel Desclèves : Certes, mais ce ne sont pas les catapultes et autres capacités d’envol qui coûtent cher sur un porte-avions.

En tout cas, le prix affiché aujourd’hui est, grosso modo, celui d’un porte-avions nucléaire pour la réalisation d’un porte-avions classique, ce qui me surprend.

M. Georges Tron, Président : Compte tenu de nos informations, ce serait, à quelques centaines de millions d’euros près, le même prix qu’un porte-avions nucléaire si l’on faisait un nouveau Charles-de-Gaulle, du même modèle, sauf que celui qui serait lancé aujourd’hui nécessiterait, par exemple, de concevoir une autre chaufferie nucléaire que la K15, et soulèverait, s’il devait être plus long, un problème de capacité de chantier naval. En outre, on ne peut comparer la construction d’un BPC par un chantier civil, même si elle a été bénéfique, avec celle d’un porte-avions.

La coopération internationale, par principe, ne se révèle pas plus onéreuse en termes de réalisation d’un programme qu’une production franco-française. Il est vrai que la coopération franco-britannique a connu quelques déboires : le projet de frégates Horizon a été onéreux particulièrement pour les frais de développement et les Britanniques s’en sont retirés. Sa réalisation avec les Italiens est coûteuse, si coûteuse que la cible a été réduite de quatre frégates à deux. En revanche, l’avion de combat Jaguar, issu d’une coopération franco-britannique, s’est révélé un avion efficace qui a armé nos deux armées de l’air pendant très longtemps. Ce ne serait donc pas la coopération internationale qui, par essence, serait malsaine, mais la façon dont on la conçoit. Si une coopération mal conçue peut aboutir à un produit beaucoup trop coûteux du fait de l’addition de spécifications différenciées et de coûts de gestion non suivis, en revanche tout système de coopération qui élargit la cible permet de réaliser des programmes d’armement qui, pour leur part, ne peuvent plus être exécutés dans le cadre national français en raison de la lourdeur financière et technologique des équipements envisagés.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Quel impact a eu, en termes de mixité de la culture d’entreprise, la prise de participation de 25 % de Thales au capital de DCNS et l’arrivée de 600 personnels de Thales parmi les 13 000 de DNCS ? Surtout, que faudrait-il faire, sachant que c'est le premier de cordée qui compte dans une entreprise, pour que la culture dirigeante évolue ?

Quant au projet de second porte-avions, son intérêt stratégique est-il toujours d’actualité quand on sait que des accords conclus avec certains pays autorisent nos avions à s’y poser et que des avions ravitailleurs leur permettent d’aller très loin ?

M. Emmanuel Desclèves : Le porte-avions reste un outil de puissance navale incontournable. C’est ce qui fait, avec son escorte et des SNA, la différence entre une grande marine et les autres. Aujourd’hui, 90 % des biens de consommation circulent par voie maritime, les espaces maritimes sont plus que jamais des éléments de liaison entre les différents pays. L’océan est le seul espace de liberté de circulation et la marine est le garant de la préservation de cette liberté. Compte tenu de la mondialisation, ce serait une lourde erreur de ne pas mettre en place, dans le cadre de la France ou de l’Europe, une véritable puissance navale, avec le porte-avions comme fer de lance. La marine a, dans le monde « global » actuel, un rôle essentiel à jouer.

Quant au choix du mode de propulsion du second porte-avions, si le coût de construction affiché du PA2 à propulsion classique me semble largement excessif, un porte-avions nucléaire nous aurait coûté évidemment plus cher. S’agissant du coût d’entretien, celui de l’actuel porte-avions nucléaire Charles-de-Gaulle était, voilà trois ans, de 80 millions d’euros par an, y compris l’IPER actuellement en cours, ce qui est considérable. Par comparaison, un BPC devrait pouvoir être entretenu pour 4 millions d’euros par an. Indépendamment de son coût, la propulsion nucléaire impose des restrictions d’emploi considérables aux bâtiments. L’entretien du paquebot Queen Mary 2 revient à 5 millions d’euros par an, celui d’un grand porte-conteneurs coûte 1 million d’euros par an et il est disponible 362 jours par an en moyenne. Même si l’on ne peut pas tout copier sur le civil, il n’y a pas de raison que les BPC ne soient pas disponibles 362 jours par an comme les 380 porte-conteneurs gérés par CMA CGM.

M. Georges Tron, Président : Pourquoi ne le sont-ils pas ?

M. Emmanuel Desclèves : Les BPC ont été construits comme des navires civils dans un chantier civil, mais la logique n’a pas été poussée jusqu’au bout. Il n’y a aucune raison pour que leur entretien soit différent de celui des autres en termes de temps et de coût, puisqu’ils sont très comparables aux navires civils analogues.

M. Georges Tron, Président : Comment expliquer le surcoût de l’entretien des BPC par rapport aux bateaux de la compagnie maritime CGA-CGM ?

M. Emmanuel Desclèves : L’entretien est d’abord celui qu’effectue l’équipage à bord du bâtiment. Il est à cet égard de la responsabilité de la marine de confier l’essentiel de l’entretien à l’équipage comme sur les navires civils – où dix personnes sont dédiées à cette tâche –, ce qui est le seul moyen d’avoir un bâtiment disponible en mer : pour réparer un moteur dans l’Océan indien, ce n'est pas DCNS qui pourrait intervenir, mais l’équipage.

L’entretien est aussi celui auquel procèdent des industriels. Or l’échec de la mise en concurrence de DCNS avec les autres industriels a abouti à ce que celle-ci, conformément à ses habitudes, demande par exemple un mois pour effectuer telle opération d’entretien contre trois jours pour un chantier civil performant. DCNS a changé de statut, mais son monopole est resté, même après l’entrée de Thales à son capital aujourd’hui.

M. Georges Tron, Président : Un bateau militaire ce n’est pas un bateau civil. Même si l’on essaie de diminuer les coûts, l’entretien d’un bateau militaire, à raison des spécificités de celui-ci, sera toujours plus onéreux que celui d’un bateau civil.

Toujours en matière de coût d’entretien, on raisonne, pour établir des comparaisons, comme si les bâtiments de la marine nationale n’avaient pas été construits dans des arsenaux militaires. Or, si l’on peut imaginer qu’à l’avenir une partie des bateaux militaires sera fabriquée dans des chantiers civils et que les coûts d’entretien pourront donc être abaissés, tel n’a pas été le cas de la flotte actuelle de la marine nationale.

Par ailleurs, les nouveaux contrats signés entre le SFF et DCNS, et qui reposent notamment sur la réalisation d’un certain nombre de jours de disponibilité à la mer, ont conduit, par rapport aux devis initialement présentés par DCNS, à des diminutions vertigineuses des coûts d’entretien, y compris pour les IPER, à l’exemple de celles du SNLE-NG Le Triomphant et du porte-avions Charles-de-Gaulle.

Si le passé n'est pas facile à gommer, on assiste donc déjà à des évolutions positives.

Pour ce qui est du choix de la propulsion nucléaire pour le Charles-de-Gaulle, il faut se souvenir qu’il était exclu, politiquement parlant, que ce nouveau porte-avions soit construit, contrairement au Foch et au Clemenceau, par un chantier civil. Dans ces conditions, il ne pouvait être réalisé que dans la grande forme de radoub de l’arsenal de Brest, ce qui limitait d’autant sa dimension et, par voie de conséquence, le choix de sa propulsion, sachant l’espace que nécessitent à la fois la propulsion classique et un pont permettant l’emploi des Rafale. Enfin, la propulsion nucléaire permettait de se placer au niveau industriel des Américains et de mettre en évidence le savoir-faire du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et de Technicatome. Le choix du nucléaire pouvait donc être rationnel à l’époque, même s’il l’est moins aujourd’hui.

Au-delà du coût en carburant d’un porte-avions à propulsion classique, on prendrait en outre un gros risque, en raison des pressions qui s’accroissent en matière environnementale, à faire évoluer des porte-avions nucléaires, car s’ils rencontraient des difficultés, des problèmes politiques très graves risqueraient alors de se poser.

M. Emmanuel Desclèves : Maintenant que je suis de l’autre côté de la barrière, je dois dire combien, pour moi qui prônais le rapprochement avec le monde maritime civil, le choc culturel est important !

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : On ne pouvait rêver meilleure conclusion !

Audition du 10 janvier 2008

À 9 h 30 :

– le vice-amiral Gérard Valin, sous-chef d’état-major « Plans et programmes » à l’état-major de la marine, le capitaine de vaisseau Hervé de Bonnaventure (officier de programme PA2), le capitaine de vaisseau Éric Pagès (officier de programme FREMM), le capitaine de frégate Guillaume Martin de Clausonne (officier de programme Barracuda) ;

– l’ingénieur général de l’armement François Pintart, directeur de l’unité de management opérations d’armement navales à la Délégation générale pour l’armement (DGA), l’ingénieur en chef de l’armement Michel Wencker (directeur de programme PA2), l’ingénieur en chef de l’armement François-Olivier Dal (directeur de programme FREMM), l’ingénieur en chef de l’armement Thierry Pérard (directeur de programme Barracuda) ;

– M. Pierre Legros, directeur de la division « Projets » de DCNS, M. Georges Joab, responsable de MOPA2 DCNS, Mme Marie Rangdet, responsable du projet FREMM DCNS et M. Philippe Poirier, responsable du projet Barracuda DCNS.

Présidence de M. David Habib

M. David Habib, Président : Merci à tous de participer à cette nouvelle matinée que la mission d’évaluation et de contrôle consacre à l’évaluation des choix publics en matière d’armement naval. Nous procèderons en trois tables rondes successivement consacrées aux trois programmes qui nous intéressent. Je vous propose de commencer par le porte-avions et d’entendre les personnes plus particulièrement en charge de ce programme.

I.– Programme PA2

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Je vous remercie de votre présence très utile pour nos travaux. S’agissant de sujets extrêmement complexes, nous avons besoin des informations les plus fiables et les plus précises possible et je souhaite, afin de pouvoir poser un grand nombre de questions, que vos réponses soient synthétiques.

Ma première question porte sur le coût du deuxième porte-avions : l’autorisation provisionnelle adoptée par le Parlement est de 3 milliards d’euros. Pour quelles raisons ce coût est-il supérieur à celui du premier porte-avions alors que l’on a désormais retenu une propulsion classique et non plus nucléaire ? Pouvez-vous également faire la part du coût d’acquisition et du coût de possession de cet équipement qui pourrait faire l’objet d’un arbitrage positif dans les mois qui viennent ?

M. Michel Wencker : Le coût estimé est en effet d’environ 3 milliards d’euros et je n’ai pas le sentiment qu’il marque une augmentation significative par rapport à celui du Charles-de-Gaulle.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Précisément, quel a été le coût de réalisation du premier porte-avions ?

M. François Pintart : Ce coût a été de 13,8 milliards de francs, dans les conditions d’alors. Aujourd’hui, outre l’inflation, il faut tenir compte des évolutions de structures : à l’époque, le bâtiment avait été entièrement réalisé dans des établissements d’État. Il ne me paraît donc pas raisonnable de parler d’augmentation.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : 13,8 milliards de francs représentent 2,1 milliards d’euros ; la différence avec 3 milliards n’est pas vraiment résiduelle… Nous avons donc besoin d’éléments permettant une comparaison effective et je souhaite que vous teniez compte de la nécessaire actualisation pour nous les fournir.

Le vice-amiral Gérard Valin : Il ne m’appartient pas de me prononcer sur le coût d’acquisition ni même sur celui du démantèlement. Je puis en revanche donner des éléments dans mon domaine de responsabilité, le fonctionnement, ce qui recouvre, pour la majeure partie, le maintien en condition opérationnelle (MCO), le carburant ainsi que les rémunérations et charges sociales (RCS).

Au total, pour le Charles-de-Gaulle, le coût annuel de ce fonctionnement est de l’ordre de 150 millions d’euros, à plus ou moins 20 % près, car il est encore nécessaire d’attendre le retour d’expérience en matière de MCO, le bâtiment comme vous le savez, subissant actuellement son premier arrêt technique majeur.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Lors d’une précédente audition, l’amiral Desclèves a fait état d’un coût d’entretien de 80 millions d’euros par an pour le Charles-de-Gaulle, ce qu’il a jugé disproportionné au regard des 4 millions d’euros nécessaires pour le Queen Mary II.

Le vice-amiral Gérard Valin : Vous me donnez l’occasion de rendre hommage à ce qu’a fait l’amiral en faveur de la marine, en particulier pour y faire progresser l’application des normes civiles.

Cet ordre de grandeur est le bon s’agissant de l’entretien courant. Cela étant, la comparaison avec le Queen Mary II est difficile car, que je sache, il n’y a pas beaucoup de règles de sécurité nucléaire sur ce navire qui n’a pas non plus de système d’armes…

Il faut d’ailleurs tenir compte de l’évolution des normes : pour le Charles-de-Gaulle, le niveau des exigences en matière nucléaire a varié pendant la construction du navire ; cela fait partie des impondérables qui surviennent entre la prévision de coût d’un programme et sa réalisation.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Si l’on considère que 80 millions d’euros sont nécessaires pour l’entretien courant et 70 millions pour les RCS, on aurait dû aussi intégrer par anticipation, dans le coût de possession d’un tel navire, celui du démantèlement à venir du bâtiment. Quel est-il en l’espèce ?

Le vice-amiral Gérard Valin : Nous ne disposons pas encore des éléments suffisants pour vous donner une réponse précise.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Pouvons-nous en déduire que, quand on décide de réaliser un équipement comme le Charles-de-Gaulle, on dispose simplement d’une idée à peu près juste du coût de possession, mais que les différents services de l’État sont incapables de donner une estimation relativement précise du coût du démantèlement ?

Le vice-amiral Gérard Valin : Nous avons évidemment un ordre de grandeur, mais les chiffres ne sont pas suffisamment précis pour pouvoir être mis sur la table aujourd’hui.

Je pourrais vous donner rapidement une estimation pour le deuxième porte-avions, mais la marine n’a la responsabilité du navire qu’à partir du moment où il est mis en service actif et jusqu’au moment où il en est retiré. Le reste, notamment le démantèlement, relève d’une logique industrielle, c’est pourquoi je préfère rester dans mon domaine de responsabilité.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Je puis comprendre que cela ne soit pas de votre responsabilité, mais pas que ce ne soit pas de la responsabilité de l’État. Or, notre rôle est d’évaluer les conditions dans lesquelles l’exécutif prend ses décisions, et il le fait aujourd’hui dans un contexte budgétaire extrêmement contraint, à tel point que le ministre nous a dit récemment qu’il y avait un décalage important entre les programmes engagés et les capacités de financement de l’État. Nous espérons donc que la transversalité entre les services de l’État permet une maîtrise suffisamment fine des coûts par anticipation.

Le vice-amiral Gérard Valin : Ayant été précédemment à l’état-major des armées, où j’ai eu la charge de mettre en place les structures et les processus de fonctionnement du conseil du système de forces, je puis sortir un moment de ma fonction actuelle pour vous dire que le démantèlement d’un porte-avions nucléaire coûte au moins dix fois plus cher que celui d’un porte-avions classique, et que celui du porte-avions Charles-de-Gaulle est aujourd’hui estimé à 100 millions d’euros voire 150 en fonction de l’évolution des normes, qui ont un impact important sur les conditions de travail des ouvriers.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Si l’on considère également qu’il faut 1 200 membres d’équipage pour un porte-avions nucléaire contre 900 pour un porte-avions classique, on peut s’interroger sur ce qui avait justifié naguère le choix de la propulsion nucléaire. Un porte-avions nucléaire a-t-il des vertus opérationnelles bien supérieures ? Mais, dans ce cas, pourquoi ne pas avoir décidé d’en construire un second ?

Le vice-amiral Gérard Valin : Au lancement du programme était prévue la construction de deux porte-avions du type Charles-de-Gaulle. Il faut en particulier prendre en considération qu’aujourd’hui les conditions financières et environnementales sont tout à fait différentes que lorsqu’on a décidé de construire le Charles-de-Gaulle.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Si je comprends bien, le premier porte-avions répond moins aux exigences du développement durable que le second…

Le vice-amiral Gérard Valin : Dans une analyse coût-efficacité, il y a des arguments en faveur de l’un comme de l’autre et il suffit de légers changements pour faire basculer la décision.

J’ajoute que la sensibilité internationale sur la question du nucléaire n’est pas de même nature en 2007 que dans les années quatre-vingts, quand on a pris la décision d’aller vers la propulsion nucléaire. Il faut aussi tenir compte de l’environnement politico-militaro-stratégique, ainsi que des problématiques de coopération internationale et d’interopérabilité

M. François Pintart : Pour en revenir à la comparaison entre les deux porte-avions, je rappelle que lors des auditions précédentes les 13,8 milliards de francs consacrés au premier porte-avions ont été considérés comme équivalant à 3 milliards d’euros aujourd’hui. Les ordres de grandeur sont donc bien comparables.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Le vice-amiral Valin a évoqué la coopération et l’interopérabilité. À ce propos, pouvez-vous nous dire ce qui a justifié la coopération avec les Britanniques ? Le président Chirac avait évalué le coût du second porte-avions à 2,5 milliards d’euros et souligné que la mutualisation des efforts permettrait de réduire ce coût. Aujourd’hui, on constate que la coopération est limitée au seul design et que seul ce qui sera en dessous de la ligne de flottaison sera commun. Les objectifs de réduction des dépenses et d’interopérabilité vous paraissent-ils avoir été atteints ?

J’aimerais également recevoir des indications sur la méthodologie suivie pour cette coopération. Lorsque l’État français a décidé de construire ce second porte-avions en coopération avec les Britanniques, quelles instructions vous a-t-il données ? Quels ont été vos interlocuteurs en Grande-Bretagne ? Sur quoi avez-vous travaillé ? Où en est-on ?

M. François Pintart : La décision a été prise au début 2006 par Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Sur la base de travaux préalables qui avaient permis de constater que la conception du bâtiment britannique était compatible avec les besoins opérationnels de la marine française et que les éléments techniques justifiaient d’aller plus loin, elle a ainsi signé, avec son homologue britannique, un accord en vue de la réalisation d’études de définition communes permettant d’aller jusqu’à la décision de réalisation.

Cette décision a été prise par les Britanniques le 27 juillet dernier et elle devrait entrer en vigueur dans les prochaines semaines avec la mise en place de la société industrielle correspondante.

Notre interlocuteur au Royaume-Uni est le Defence Equipment and Support (DE&S), équivalent britannique de la DGA. Une équipe commune a été constituée à Bristol et une équipe industrielle commune a également été créée.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Pouvez-vous préciser très concrètement la composition de cette équipe, ses effectifs, les métiers qui y sont représentés, les sujets qu’elle aborde, sa méthodologie et son calendrier ?

M. François Pintart : Son objectif était de mener en commun des études de définitions permettant de prendre la décision de réalisation, ce qui est fait pour les Britanniques et qui reste à faire pour nous. Elle comportait donc des ingénieurs architectes navals de la DGA qui dialoguaient avec leurs homologues britanniques sur la faisabilité du projet et sur l’adaptation du dessin aux règles de construction existant en France. Elle comptait également en son sein des personnels de la marine expérimentés dans l’utilisation des porte-avions. Parallèlement, l’équipe industrielle intégrée était chargée d’apporter des réponses et de faire avancer le dossier.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Quels sont les points communs et les dissemblances entre les navires qui seront respectivement construits en Grande-Bretagne et en France ?

M. François Pintart : Les points communs tiennent à l’architecture générale, à l’exception, en raison des techniques de décollage différentes, du pont d’envol et du hangar se trouvant immédiatement en dessous. La forme générale est identique, avec des adaptations aux outils de construction respectifs d’Aker Yards à Saint-Nazaire et des chantiers navals britanniques.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Les différences sont telles que la construction n’est pas intégrée. Était-il par conséquent nécessaire de mobiliser tant d’énergies en faveur de cette coopération ? A-t-on véritablement atteint les objectifs assignés par l’État ? Nous avons entendu dire que, s’il avait été mené sans coopération, le projet aurait coûté 800 millions d’euros de moins, confirmez-vous ce chiffre ?

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Vous le voyez, nous nous interrogeons sur la différence de coût entre le premier et le deuxième porte-avions surtout dans la mesure où le second fait appel à davantage de coopération et n’a pas recours au nucléaire…

M. Michel Wencker : Le bénéfice que l’on retire de cette coopération n’est pas limité à la conception commune. Les différences tiennent aux concepts d’emploi : le porte-avions français génère un flux d’avions et de missions qui prend en compte l’arme nucléaire, ce qui n’est absolument pas le cas du navire britannique, qui transporte des avions et qui les met à terre. Néanmoins ces différences sont limitées et la coopération nous a quand même permis de gagner près de deux ans d’études, lesquelles nous ont ainsi coûté moins de la moitié de ce que les Britanniques ont eux-mêmes investi pour en arriver jusque-là.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Pourtant, au début de nos auditions, un professeur nous a expliqué que les Britanniques se délectaient de cette coopération car ils considéraient que les Français avaient payé le design de leur bateau…

M. Michel Wencker : C’est bien la France qui a gagné deux ans. Lorsque l’on a deux bateaux communs, on peut optimiser ensemble les essais, on peut lever des risques ensemble, et comme tout cela est long et onéreux, il y a un vrai intérêt à partager ces coûts. On peut aussi mutualiser le soutien, faire des achats en commun. On ignore pour l’heure le coût de tout cela, mais les industriels britanniques et français ont signé en novembre dernier un accord-cadre qui permettra de décliner point par point cette coopération.

Par ailleurs, le marché en préparation prévoit des clauses d’incitation financière pour pousser les industriels à coopérer et pour partager les bénéfices entre l’État et l’industrie.

On entend parfois dire que l’option nationale aurait coûté moins cher. Cependant les études dans ce cadre ont cessé à la fin du premier semestre 2005. Les éléments de décision qui ont alors été soumis aux politiques n’étaient pas encore optimisés. On ignore ce qu’aurait été finalement le coût de cette option après deux ans de négociations.

Quoi qu’il en soit, nous sommes aujourd’hui dans une situation d’intérêt commun avec les Britanniques et, de ce point de vue, l’objectif a bien été atteint. Ces bateaux vont vivre 40 ans et l’on pourra faire des choses très intéressantes en matière de soutien comme on l’a fait avec les Belges et les Hollandais pour les chasseurs de mines tripartites. Laissons donc le temps au temps pour voir comment les choses se concrétisent, y compris de façon sonnante et trébuchante.

M. David Habib, Président : Dès lors d’une part que cette coopération a permis de lever des risques et de lisser des coûts d’ingénierie, d’autre part que l’option nucléaire a été abandonnée, on comprend mal pourquoi il y a une telle différence de prix entre le premier et le second porte-avions.

M. Michel Wencker : Je n’ai pas le sentiment qu’il y ait une différence de prix significative puisqu’on reste aux alentours de 3 milliards d’euros en coût d’acquisition. En revanche, le coût de possession d’un porte-avions à propulsion classique est sensiblement inférieur et c’est donc au cours des 40 années à venir que se dégageront des économies.

Le vice-amiral Gérard Valin : Nous escomptons en effet, sur le fonctionnement, des économies à hauteur d’environ 10 à 20 %.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Deux îlots sont prévus sur notre nouveau porte-avions avec l’obligation, pour que nos avions atterrissent, contrairement aux avions britanniques qui se posent verticalement, que le porte-avions avance à une vitesse d’environ 25 nœuds, que l’avion lui-même vole à une certaine vitesse pour ne pas décrocher, que les conditions de vent soient maîtrisées. En outre, deux cheminées dégageront de la fumée qui pourrait créer des turbulences. Quelle que soit la qualité des pilotes de l’aéronautique navale, tout cela paraît extrêmement risqué.

Par ailleurs, s’agissant du coût de possession, il faut tenir compte du fait que nous aurons, au bout du compte, deux porte-avions. Je souhaite donc savoir pourquoi un équipage de 900 hommes est suffisant sur le deuxième porte-avions contre 1 200 sur le premier. Qui plus est, alors que l’argent public est rare et que les dépenses doivent être maîtrisées, prévoir deux équipages suppose que les deux bâtiments seront à la mer suffisamment souvent ensemble pour qu’on ne puisse envisager une mutualisation des équipages. Or, dans la mesure où nous n’avons qu’un groupe aéronaval, on voit mal comment ce serait le cas.

M. Michel Wencker : La question des îlots et des cheminées faisait partie des éléments du dossier de décision en 2004. Nous avons fait des essais en soufflerie à l’ONERA (Office national d’études et de recherche aérospatiales) pour mieux connaître le comportement du navire sous le vent. Les industriels envisagent d’installer des déflecteurs permettant d’écarter la fumée de la trajectoire des avions.

S’agissant plus généralement des risques, le jour de la notification d’un marché de réalisation pour un programme de cette envergure, on ne commence pas immédiatement à découper des tôles : une phase de développement se déroule pendant 12 à 18 mois, ponctuée de revues de conception au cours desquelles l’administration exprime son avis et qui sont l’occasion d’orienter le dessin pour tenir compte de tel ou tel élément. Nous aurons donc le temps de revenir sur le problème des fumées, que je ne considère pas comme un risque majeur.

Le capitaine de vaisseau Hervé de Bonnaventure : J’ai assisté à l’étude réalisée par l’ONERA. Pour avoir apponté sur le Clemenceau, je sais aussi que le problème des fumées et des turbulences se pose quand il n’y a pas de vent, qu’il fait très chaud et que les avions sont lourdement chargés. Pour le deuxième porte-avions, nous aurions aimé avoir un îlot le plus petit et le plus décalé possible par rapport à l’axe d’appontage, mais la conception du bateau fait qu’il y en a deux, de taille toutefois plus petite que celui du Charles-de-Gaulle ; les résultats techniques dont nous disposons montrent que les turbulences seront maîtrisées.

Qui plus est, le groupe aérien sera composé uniquement de Rafale qui est un avion extraordinaire, beaucoup plus stable que ne l’étaient l’Étendard et le Super-Étendard. Au total, les pilotes auront donc plus de facilité à se poser sur le nouveau porte-avions.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : On sait qu’aujourd’hui la guerre mondiale est économique avant d’être militaire et que, dans ce contexte, la première préoccupation de toutes les grandes puissances est l’énergie. Or il semble que, en la matière, la France disposait d’un petit avantage concurrentiel grâce au nucléaire. Après la bêtise naïve qu’a été la fermeture de Superphénix, on peut se demander si, dans la réflexion sur les deux systèmes de propulsion, on s’est aussi interrogé sur la possibilité pour la France de disposer, avec le deuxième porte-avions, d’un véritable laboratoire permettant d’améliorer le système du Charles-de-Gaulle et d’élaborer ainsi un moteur à propulsion nucléaire moins coûteux et apte à être exporté.

S’agissant par ailleurs du coût de production, on sait que le management de la DGA est perfectible, notamment en faisant sortir son processus de décision de la culture unique actuelle qui pose tant de problèmes et en l’ouvrant à la culture privée, en particulier en veillant à ce qu’au moins la moitié des postes de direction soient occupés par des personnes ayant acquis au moins dix ans d’expérience du secteur privé. Cette mixité culturelle aurait sans doute un impact sur vos calculs de rentabilité et sur vos procédures d’achat. Dans un contexte de déficit budgétaire structurel, vous aurez de plus en plus à rendre des comptes et à prouver que votre processus décisionnel est pluridisciplinaire et pluriculturel.

Il me paraît enfin intéressant, comme l’a fait le vice-amiral Valin, de mettre l’accent sur les retours que l’État est en droit d’attendre de ces investissements. Il serait donc bon que nous sachions, pour ce projet, quelles sont les entreprises françaises que l’on fait travailler et quel est le retour sur investissement. Il est inacceptable qu’une entité publique qui intervient dans un projet d’une telle importance soit incapable de fournir cette information. Dès lors que l’on sait que le système public prélève plus de 50 % de la richesse produite par une entreprise, il n’est pas très difficile de faire le calcul…

M. David Habib, Président : Nous sommes heureux d’avoir pu vous entendre exprimer des idées qui vous sont chères et stigmatiser ceux qui ont abandonné Superphénix, mais je souhaite que nos invités apportent en premier lieu des réponses aux questions relatives aux programmes navals, en commençant par celles posées par M. Cazeneuve.

Le vice-amiral Gérard Valin : La différence de taille des deux équipages n’est pas prioritairement liée au choix de la propulsion, nucléaire ou classique, elle tient à la professionnalisation de 1996 et à la volonté d’automatiser au maximum afin de réduire les coûts de possession. De la même façon, on est ainsi passé d’un équipage d’environ 250 personnes sur une frégate ASM à 108 personnes sur la FREMM.

S’agissant du groupe aérien de combat, on a dimensionné le parc nécessaire à 60 Rafale afin d’avoir 45 avions en ligne. Cela signifie qu’on a, à bord du porte-avions, 30 appareils en ligne et 2 en régénération. Les 15 avions en ligne restant sont en stationnement arrière à Landivisiau, pour la régénération du personnel. L’un des intérêts du deuxième porte-avions est précisément de pouvoir qualifier les jeunes pilotes et entretenir la qualification des anciens. Tout cela sera évidemment modulé en fonction de l’environnement opérationnel, mais l’idée est bien d’avoir une capacité de relève grâce aux avions qui sont restés à terre.

Pour ce qui concerne les aspects économiques, je crois que nul n’est plus conscient de la mondialisation que les marins, qui la vivent au quotidien et qui assurent la sécurité dans les espaces maritimes par où transite la majeure partie des marchandises. Pour autant, je ne vous suis pas, M. Fourgous, dans l’idée de faire du deuxième porte-avions un laboratoire d’expérimentation de la propulsion nucléaire. On a fait le premier porte-avions en prenant le réacteur K15, déjà utilisé à bord des sous-marins, afin de minimiser les coûts d’acquisition et de fonctionnement du Charles-de-Gaulle. C’est pour cela que sa vitesse a été limitée, par rapport à celle des Foch et Clemenceau, sans incidence négative sur la capacité à mettre en œuvre le groupe aérien embarqué car cette différence de vitesse est largement compensée des systèmes de catapulte et de brins d’arrêt beaucoup plus performants. S’il avait fallu développer une nouvelle génération de chaufferie nucléaire pour le second porte-avions, c’est largement plus de 3 milliards d’euros qui auraient été nécessaires…

Par ailleurs, pour ce qui concerne les expérimentations, je préfère les laisser aux industriels, sans prendre des risques avec un bâtiment essentiel pour la défense de la Nation.

M. François Pintart : L’évolution des technologies de propulsion nucléaire navale est l’une des missions du CEA et le laboratoire que vous appelez de vos vœux existe déjà sous la forme du réacteur d’essai (RES), qui permet d’améliorer les chaufferies, ce qui servira à très court terme pour le programme Barracuda. Ce travail intègre le retour d’expérience de l’ensemble des chaufferies déjà en service : celle du Charles-de-Gaulle comme celles des Rubis. Mélanger de tels outils et un usage opérationnel ne me paraîtrait pas la meilleure solution.

S’agissant de l’intégration de la culture du privé au sein de la DGA, je ne suis sans doute pas le mieux placé pour porter un jugement sur moi-même… Cela étant, ce sujet préoccupe le ministère depuis fort longtemps. Dès 1995, Jean-Yves Helmer, issu du privé, a été désigné comme délégué général pour l’armement et il a lancé une vaste action de mariage des cultures afin que la DGA n’organise plus ses acquisitions uniquement comme une administration et qu’elle s’imprègne de la culture d’entreprise. Ce mouvement s’est perpétué puisque François Lureau est également issu du monde de l’entreprise et qu’il poursuit cette action.

L’application à la DGA de la loi organique relative aux lois de finances, qui met l’accent sur la culture de résultats, s’est faite de façon assez naturelle. En tant que responsable de budgets opérationnels de programmes, devoir me positionner par rapport à des objectifs et rendre des comptes dans le rapport annuel de performances ne me pose pas de difficultés, même si, bien évidemment, il s’agit d’un domaine où des progrès sont toujours possibles.

Le retour sur investissement et l’irrigation du tissu industriel par les décisions en matière d’armement font bien évidemment partie des paramètres qui sont analysés et portés à la connaissance des décideurs politiques. L’impact économique est très présent dans les dossiers qui permettent le lancement des programmes, de même que ce qui a trait à la coopération.

Le vice-amiral Gérard Valin : Lorsque nous avons préparé la dernière loi de programmation militaire, nous nous sommes intéressés à la fois à l’impact opérationnel, à l’impact industriel et à l’impact sur les bassins d’emploi. L’impact industriel est également largement pris en compte dans l’instruction des dossiers au sein du conseil des systèmes de force.

M. David Habib, Président : Avez-vous également analysé l’impact qu’aurait l’abandon du projet ?

M. Georges Joab : Cet abandon provoquerait au sein de DCNS une perte de compétences quant à la capacité à concevoir, à réaliser et à intégrer les systèmes spécifiques à l’aviation, en particulier les catapultes, sur les porte-avions. En effet, si la DGA achète les principaux équipements aux États-Unis, c’est bien DCNS qui les intègre avec une précision extrême dans les bâtiments, ce qui exige un savoir-faire très particulier d’autant que c’est la sécurité des pilotes qui est en jeu.

Le vice-amiral Gérard Valin : C’est aussi un gage d’interopérabilité opérationnelle.

M. François Pintart : Je rappelle qu’Aker Yards est également associée à ce projet, dont l’abandon équivaudrait à la perte de commande, pour Saint-Nazaire, d’un bâtiment équivalent au Queen Mary II.

M. David Habib, Président : Peut-on chiffrer précisément les pertes qu’entraînerait cet abandon ?

M. Pierre Legros : Georges Joab a fait état de la perte durable de compétences stratégiques uniques pour notre pays, si l’on ne prenait pas la décision de construire un nouveau porte-avions.

Si l’on veut donner des chiffres, il faut tenir compte du fait que la DGA donne des montants correspondant aux hypothèses budgétaires, tandis que DCNS raisonne en prix industriels hors taxes et qu’il y a donc entre 20 et 25 % de différence entre les chiffres des uns et des autres. Pour notre part, nous perdrions 1,4 milliard d’euros de commandes, auquel il faudrait ajouter environ 900 millions d’euros pour Aker Yards. Et si l’on pense à l’ensemble du tissu industriel, il faut être conscient que DCNS ne réalise elle-même qu’à peu près 30 % de cette commande, tout le reste irriguant les bassins d’emploi français de Brest, Lorient, Cherbourg, Indret, Ruelle, Le Mourillon, etc.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : La question de M. Fourgous sur le retour de ces investissements pour notre industrie, pour nos bassins d’emploi, pour les établissements et leurs effectifs, pour les investissements industriels, est fondamentale. Mais si nous n’avons pas les informations, nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous-mêmes puisqu’il nous suffirait de les demander. En effet, nous avions fait adopter à l’article 36 du projet de loi de finances rectificative pour 2001 un amendement aux termes duquel le Gouvernement devait chaque année rendre compte au Parlement, site par site, des investissements industriels et des effectifs résultant des commandes passées par l’État à la direction des constructions navales. Or depuis lors le Parlement n’a jamais exigé que le Gouvernement lui remettre ce rapport…

Le vice-amiral Gérard Valin : Outre les aspects industriels qui ont été évoqués, il faut être conscient que la mise en œuvre d’un groupe aérien à partir de la mer avec de véritables porte-avions munis de catapultes et de brins d’arrêt requiert un savoir-faire et une technique complexes qu’Américains et Français sont seuls au monde à maîtriser aujourd’hui ; les Britanniques les ont perdus.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : C’est donc en raison de la qualité de leur savoir-faire que nous avons engagé une coopération avec eux…

Le vice-amiral Gérard Valin : Ils nous ont appris beaucoup il fut un temps et il n’est pas illégitime que nous leur renvoyions aujourd’hui l’ascenseur, d’autant que le savoir-faire opérationnel n’est sans doute pas le plus onéreux dans cette opération… Ce savoir-faire, ainsi que la maîtrise de la propulsion nucléaire sont des atouts pour la France. Il faut en avoir conscience.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Une bonne dizaine d’États dans le monde ont aujourd’hui les moyens de se soucier de leur défense extérieure ; si les Américains et nous sommes les seuls à disposer de ce savoir-faire, pourquoi n’avons-nous aucune ouverture à l’exportation ?

Le vice-amiral Gérard Valin : L’Inde et la Chine mesurent à quel point elles sont dépendantes de leur commerce extérieur, elles souhaitent se doter de porte-avions et disposer de marines de projection de puissance.

M. David Habib, Président : Dernière question avant d’en venir aux frégates : la commande des catapultes a-t-elle bien été passée, quand bien même la décision quant au second porte-avions n’a pas été prise ?

M. François Pintart : La décision de commande des catapultes a été prise par le gouvernement précédent dans les premiers jours de mai 2007.

*

* *

II.– Programme FREMM

M. David Habib, Président : Nous passons à l’examen du programme relatif aux frégates. Je remercie ceux qui nous ont rejoints.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Il avait été prévu de construire quatre frégates Horizon. Il n’y en aura que deux de livrées : le Forbin et le Chevalier-Paul. Quelles sont les raisons de ce choix ?

M. François Pintart : Je confirme la livraison prochaine – si l’industrie tient ses engagements – de la frégate Forbin cette année et de la frégate Chevalier-Paul l’année prochaine. Pour ce qui concerne la décision de n’en faire que deux, je laisse la parole à l’amiral Valin.

Le vice-amiral Gérard Valin : Nous avons besoin de quatre frégates anti-aériennes. C’est déjà un besoin calculé au plus juste, quand nous le comparons au nombre de celles de nos voisins : les Britanniques en ont huit, les Espagnols six, etc.

Nous avons donc fixé au minimum notre besoin en frégates. Celles-ci sont d’un haut niveau technologique car il faut aller très vite dans la lutte anti-aérienne. En effet, les avions arrivent à très basse altitude et gérer la situation à quelques secondes près, nécessite de disposer d’un niveau de détection important et d’un système d’armes très réactif. Voilà pourquoi cela revient cher.

Nous avions prévu quatre frégates Horizon, mais nous nous sommes aperçus que, grâce aux évolutions technologiques, notamment celles des systèmes d’information, il était possible de partager l’information et qu’un navire comme une frégate multi-missions (FREMM) pourrait bénéficier plus facilement des détections des autres bâtiments et aéronefs de la force navale. Par ailleurs, le développement du programme FREMM a montré que de ces bâtiments pouvait être dérivée à moindre coût une version antiaérienne qui, sans avoir les mêmes capacités de détection que les frégates Horizon, pouvait avoir un niveau de performance satisfaisant à partir du moment où existaient déjà deux frégates Horizon. Pour ces raisons, la marine peut se contenter de deux frégates Horizon ultraperformantes en matière de détection antiaérienne, les autres frégates bénéficiant de la mise en commun des informations de l’ensemble des unités de la force navale.

Il s’agit d’une optimisation capacitaire, qui ne prend pas en compte uniquement des bateaux, mais tout un système de systèmes interconnectés : aéronefs en l’air et bateaux.

Dans le cadre de cette optimisation globale, en fonction de l’évolution de la technologie, on peut donc accepter que le niveau de détection soit un peu plus bas sur les FREMM, sachant que les missiles surface-air seront les mêmes que ceux des frégates Horizon.

Le coût des frégates Horizon est lié au fait que l’on place très haut un radar de grandes dimensions pour qu’il « voie » très loin. Le radar sera placé un peu plus bas sur les FREMM qui seront d’un tonnage inférieur – 6 000 tonnes. La détection restera d’un niveau convenable, quoique légèrement inférieur à celui d’une frégate Horizon.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Il résulte en effet de votre propos que l’émergence du programme FREMM, les spécificités de ce programme et le développement des techniques de partage de l’information permettent d’optimiser l’acquisition des équipements par la marine nationale.

Le développement des programmes d’équipement comme la réalisation des frégates multi-missions ou des frégates Horizon demande un temps de gestation important, compte tenu de la dimension technologique que vous avez vous-même soulignée.

Le vice-amiral Gérard Valin : C’est l’une des contraintes.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Quel était le calendrier d’émergence de chacun des deux programmes ? Quand a-t-on pu commencer à réfléchir aux frégates Horizon et aux frégates multi-missions ? Quel a été le temps de développement du programme, et le temps de la décision ?

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Vous avez bien senti qu’on ne pouvait pas financer ces deux projets. Comment se fait-il que votre réactivité ne soit pas plus forte et que vous ne sachiez pas dire non ? Dans les grands instituts de management, on apprend qu’il faut savoir dire non, et le dire très vite. On a décidé avec retard qu’il n’y aurait plus que deux frégates Horizon. Pourquoi ne pas l’avoir fait avant, et ne pas avoir décidé plutôt de mettre des moyens sur les FREMM qui, elles, sont exportables ?

M. François Pintart : Il faut se souvenir que le temps de gestation du programme Horizon a été extrêmement long. L’histoire remonte au début des années soixante-dix et aux réflexions menées au sein de l’OTAN sur la possibilité de faire des frégates anti-aériennes pour tous les pays de l’organisation. À l’époque, il y avait les Espagnols, les Néerlandais, les Italiens, les Anglais, etc.

De nombreux projets concurrents, soutenus par divers groupes industriels, avaient vu le jour. Les concepts d’emploi n’étaient pas non plus forcément les mêmes dans tous les pays. Une frégate de défense aérienne au sein d’une force aéronavale n’a pas le même emploi qu’une frégate de défense aérienne lorsqu’il n’y a pas de groupe aérien à gérer.

L’ensemble des pays de l’OTAN avait manifesté la volonté d’essayer de trouver des solutions communes pour profiter de l’effet de série. Toutefois, dans les années soixante-dix, la coopération industrielle et l’Europe de la défense n’étaient pas celle d’aujourd’hui. Les décisions qui ont été prises et qui ont abouti en 2000 au lancement du programme Horizon bipartite, entre l’Italie et la France, faisaient suite à l’échec de la coopération tripartite avec le Royaume-Uni.

Chaque pays, pour essayer de récupérer le maximum d’activités industrielles, déclara qu’il avait besoin d’une grande quantité de bateaux. Lors du lancement des frégates Horizon, l’Italie et la France ont toutes deux déclaré qu’elles voulaient quatre bateaux au minimum. Toutefois deux bateaux seulement furent effectivement commandés, tant en France qu’en Italie.

La gestation du programme Horizon a duré vingt ans. À cette aune, la décision de lancement du programme FREMM a été beaucoup plus rapide : quelques années seulement.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Au moment où était lancé le programme Horizon, après vingt ans de gestation, c’est-à-dire au début des années 2000, quel était l’état de maturité du programme FREMM ?

M. François Pintart : Il était balbutiant, même si le calendrier de retrait du service actif des bâtiments existants était connu et le besoin avéré à terme.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : DCNS n’avait pas réfléchi à des projets ?

M. Pierre Legros : En 2000, le contrat Horizon a été notifié après avoir été négocié pendant à peu près deux ans et après une gestation très longue. La même année, ont commencé les premiers travaux industriels sur les FREMM.

Cela signifie qu’on a commencé à étudier des dessins possibles. Jusqu’alors, la DGA avait fait appel à un certain nombre de consultants pour voir à quoi pourrait ressembler la prochaine génération de frégates, mais les travaux industriels menés chez DCNS en vue de définir des avant-projets de frégates et de pouvoir optimiser leur rapport coût/efficacité militaire n’ont réellement commencé qu’en 2000, concomitamment au lancement des frégates Horizon.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Très concrètement, cela signifie que lorsque la décision a été prise de lancer le programme Horizon, le développement technologique du programme suivant n’était pas suffisamment abouti pour qu’on puisse procéder d’ores et déjà à des arbitrages. C’est le cheminement des choses, par la suite, qui a permis de substituer le programme FREMM au programme Horizon tel qu’il avait été envisagé en 2000.

Quel est le coût d’acquisition des frégates Horizon et des frégates multi missions ? Quel est le coût de possession de chacun des deux bâtiments ?

M. François-Olivier Dal : En ce qui concerne les frégates FREMM, le coût de production unitaire moyen, sur une série de 17, est d’environ 390 millions d’euros. Le coût global de possession des 17 FREMM sur une trentaine d’années est estimé à un peu moins de 16 milliards d’euros.

En ce qui concerne les frégates Horizon, le coût d’acquisition unitaire, hors développement, est de 649 millions d’euros (au coût des facteurs de janvier 2006).

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Comment expliquez-vous ce rapport de un à deux ? Vous nous dites que finalement, on a construit deux frégates Horizon au lieu de quatre, parce que les suivantes ont été technologiquement et opérationnellement plus performantes, ou, en tous cas, parce que la combinaison des deux permettait d’arriver à un niveau de performance supérieur.

Il est tout de même bizarre qu’on renonce à en faire quatre du premier modèle, parce qu’on est capable de faire les autres, à un coût qui est dans un rapport de un à deux avec le premier en termes d’acquisition ?

M. François Pintart : Les représentants de l’industrie, à l’origine du coût, pourront compléter mes propos.

Néanmoins, je peux vous dire que le niveau technologique des frégates Horizon est très élevé. Leurs équipements sont très complexes. Ils ont d’ailleurs mis beaucoup de temps à venir à maturité. Le coût final des deux navires intègre cette maturation technologique de très haute volée. Cette dernière ne se retrouve pas pour ce qui concerne les FREMM, dont le coût est moins élevé. Comme l’a dit l’amiral Valin, on pallie cette différence grâce à un bon équilibre général au sein de la force aéronavale et grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Cette différence de coût s’explique aussi par l’effet série. Le fait d’envisager de réaliser dix-sept FREMM, dont huit ont déjà fait l’objet d’une commande ferme, permet à l’industrie d’organiser son chantier de façon beaucoup plus logique et économique qu’elle ne pouvait le faire pour deux frégates. À l’époque d’ailleurs, les conditions financières n’avaient pas permis de passer un contrat avec une tranche unique pour commander deux frégates pour la France et deux frégates pour l’Italie. Il avait fallu s’adapter aux contraintes budgétaires et commander par morceaux l’ensemble de ces deux frégates. En outre, on se trouvait dans une nouvelle logique de coopération industrielle franco-italienne et il fallait avoir l’assurance que chacun des partenaires irait jusqu’au bout.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Vous abondez dans le sens du directeur du Budget qui s’agace du décalage existant entre les coûts annoncés par ceux qui commandent et ceux qui construisent, et les coûts effectifs payés par l’État au terme de la réalisation des projets. Il a pris l’exemple des Barracuda dont le décalage est à peu près de 70 %, expliquant cela par le fait que ceux qui commandent et ceux qui construisent sont incapables de donner à l’État un coût relativement précis de manière anticipée, en raison notamment de demandes de sur-spécifications qui aboutissent à sophistiquer constamment les matériels.

M. François Pintart : Je n’ai pas dit qu’il y avait des sur-spécifications sur les frégates Horizon. J’ai indiqué que, en 2000 et dans les deux années qui ont précédé, on avait décidé des conditions de lancement effectives de ce produit et que la performance à atteindre était encore assez élevée. Or cela a un coût. Ce n’est pas une sur-spécification, mais une question de juste adaptation aux besoins.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Il est important que vous le précisiez, pour nos travaux et notre rapport, car on entend des propos très contrastés.

L’amiral Desclèves nous a affirmé que les constructeurs civils sont capables d’être extrêmement concurrentiels et de proposer des navires au meilleur prix alors que les constructeurs étatiques proposent des bâtiments de conception dépassée à des prix élevés. Vous connaissez, monsieur Legros, mon attachement viscéral à DCN, et ce n’est pas ma pensée. Je souhaiterais donc avoir la vôtre.

M. Pierre Legros : Prétendre aujourd’hui que DCNS produit des bateaux dépassés est une contre-vérité manifeste. Si tel était le cas, DCNS n’exporterait pas. Or vous savez très bien que notre objectif est, à terme, de réaliser un tiers de notre chiffre d’affaires à l’exportation.

Sans parler de sur-spécification, il est clair que les deux types de frégates mentionnés ne répondent pas strictement aux mêmes besoins en matière de défense aérienne. Les frégates Horizon surveillent un espace aérien d’environ 400 kilomètres de rayon. Cela demande impérativement d’avoir deux radars à bord. Technologiquement parlant, on ne peut pas concevoir aujourd’hui un seul radar qui serait capable à la fois de surveiller le dioptre sur cette distance et de guider les missiles : il y a donc forcément un radar de veille, chargé de la détection, et de l’identification des menaces et un radar de conduite de tir, chargé du pistage et du guidage des missiles, qui sont tous deux des équipements lourds et volumineux, ce qui explique en partie le tonnage plus important des frégates Horizon.

La marine nationale a redéfini ses besoins au niveau de la portée lorsqu’a été prise la décision de construire les FREMM, ce qui a permis l’utilisation d’un seul radar et a induit une importante baisse du coût, d’autant que le radar en question avait déjà été développé et mis au point pour un autre programme à l’exportation.

Plus généralement, le programme FREMM a bénéficié des développements qui ont été réalisés antérieurement, en particulier dans le cadre du programme Horizon. Par exemple, le système de guerre électronique des FREMM, qui est très performant, est totalement issu du système de guerre électronique développé pour les frégates Horizon.

Enfin, la commande d’une série importante de navires induit généralement des baisses de coût sensibles. À titre d’exemple, le coût propre de production d’une FREMM baissera très significativement entre la première et la huitième unité. Nous n’avons évidemment pas pu bénéficier de cet effet de série sur les deux frégates Horizon.

Pour toutes ces raisons, il est logique de constater en moyenne un facteur deux entre le prix des frégates FREMM et Horizon.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Je suis surpris de ne pas avoir entendu parler d’exportation au sujet des FREMM. Vous n’avez tout de même lancé ce programme sans étudier le marché ?

L’amiral Valin a évoqué l’Inde et la Chine s’agissant du porte-avions. Si vous aviez une information un peu plus précise, elle ne nuirait pas à l’avenir de ce bâtiment, compte tenu de nos difficultés budgétaires.

Je m’étonne par ailleurs que vous ne soyez pas surpris de la lenteur du processus décisionnel dans lequel vous vivez, à l’heure de la mondialisation, à l’heure où tout s’accélère. Avez-vous intégré cette notion d’accélération à vos processus managériaux ?

J’aimerais qu’on se méfie un peu des processus de « haute volée », s’ils doivent aboutir à des dysfonctionnements, des retards et à des imprécisions sur la budgétisation de ces projets. J’aimerais enfin en savoir plus sur ce marché d’exportation des FREMM.

M. François-Olivier Dal : Je laisserai la parole à l’industrie s’agissant des perspectives à l’exportation, mais je tiens à rappeler que, dans les dossiers qui sont préparés, avant de soumettre la décision de lancement du programme à la puissance politique, nous dressons évidemment un panorama des perspectives d’exportation. Ce travail a été fait en 2005, au moment de soumettre à l’approbation le lancement du programme FREMM.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Monsieur Dal, vous participez à un processus décisionnel. Je voudrais savoir quelle perception vous avez du nombre des exportations. Ensuite, nous donnerons la parole à l’industrie.

M. François-Olivier Dal : Le premier but de la DGA est de répondre aux besoins opérationnels de la Marine. La quantité de FREMM répond au dimensionnement du format des frégates de la Marine et au besoin identifié de remplacer trois classes de bâtiments. Parallèlement, nous regardons en effet quelles sont les perspectives à l’exportation du programme. Reste que l’objet principal du contrat FREMM est bien de répondre, au juste prix, aux besoins opérationnels exprimés par la Marine nationale.

Il existe aujourd’hui certaines perspectives d’exportation ou de coopération sur des frégates de ce type-là avec plusieurs pays.

M. Pierre Legros : Aujourd’hui, notre estimation du marché export accessible sur les vingt prochaines années est d’une petite vingtaine de frégates, soit l’équivalent de la commande française globale de 17 FREMM.

Mais il est probable que les clients potentiels attendront l’entrée en service de ce nouveau type de bâtiments dans la marine nationale, qui constituera alors une référence de première importance sur le marché mondial des frégates, lequel est une des cibles privilégiées de DCNS, pour confirmer ou non leur intention. Et sur ce marché global, DCNS vise une part de marché de l’ordre de 30 à 35 % du marché accessible.

Au sujet de la lenteur du processus décisionnel évoquée par M. Fourgous, je voudrais souligner que la durée de gestation du programme FREMM a été exceptionnellement courte pour un programme de cette complexité mené en coopération internationale. Nous avons commencé les premières études industrielles en 2000 et le marché a été notifié fin 2005. Ces cinq ans ne correspondent pas seulement au délai de négociation d’un contrat et des documents de type « spécifications » et autres « énoncé des travaux », mais recouvrent également l’élaboration d’avant-projet détaillés permettant de vérifier que les bâtiments qui vont être réalisés correspondent bien à la fois aux besoins opérationnels exprimés par la marine et à l’enveloppe budgétaire dont dispose effectivement l’État.

Il s’agit d’une durée de gestation très brève, notamment en regard de programmes similaires menés par des pays comparables. De la même manière, l’évolution des coûts des FREMM par rapport aux premières estimations de la DGA est très loin de la dérive que l’on a pu constater chez certains de nos alliés, qui ont conclu leurs contrats à des prix beaucoup plus élevés pour des bateaux militairement comparables.

Le dialogue entre la marine, la DGA et l’industrie a parfaitement fonctionné et le prix final s’est avéré compétitif, pour un bateau répondant parfaitement aux besoins des forces.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Je suis satisfait de cette réponse. Il y a des spécificités françaises qui résultent de la qualité du dialogue, certes perfectible, mais qui permettent la maîtrise par la Nation France de son outil de défense, sans pour autant que ce soit incompatible avec les progrès nécessaires en termes de compétitivité, par conséquent en termes de maîtrise budgétaire et de coût des programmes.

S’il a été répondu sur le coût d’acquisition des FREMM par rapport aux frégates Horizon, je n’ai pas eu de réponse sur le coût de possession. J’aimerais donc avoir des précisions sur le coût de possession et le niveau des équipages. Par ailleurs, le montage budgétaire du financement des FREMM est extrêmement original, au point que la mission a pu s’interroger sur son orthodoxie.

Le dispositif prévu est le suivant : 6/19èmes sont financés par le ministère de la Défense sur son budget et 13/19èmes par le ministère du Budget venant en ajustement du dispositif, notamment à l’occasion de l’adoption de la loi de finances rectificative. Nous constatons, pour 2007, que les 6/19èmes du ministère de la défense sont bien là, mais que les 13/19èmes sont absents de la loi de finances rectificative dont le Parlement a eu à connaître il y a quelques semaines. On a par ailleurs souligné à plusieurs reprises que le financement de ce projet, qui n’avait pas été franchement prévu en loi de programmation militaire, avait fait l’objet de propositions de la part d’institutions financières qui nous auraient conduits très loin des règles de transparence et de rigueur qui président à la bonne gestion des deniers de l’État.

Qu’en est-il donc du financement de ce programme ? Où en est-on ? Disposez-vous d’informations permettant de dire qu’on pourra le financer de façon convenable ?

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Est-ce que les potentialités à l’exportation peuvent modifier le prix unitaire ? Qu’est-ce que cela change dans la production ? Quelle est, globalement, votre politique commerciale pour vendre ces FREMM ?

M. François Pintart : Sur le financement des FREMM, je pense que vous avez déjà des éléments.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Si je pose plusieurs fois la même question, c’est parce que j’attends le moment où la réponse sera différente…

M. François Pintart : Dans la loi de programmation militaire qui s’achève, le financement des FREMM avait été prévu dans un mode particulier. Lors du débat sur cette loi, on avait évoqué un financement selon une méthode dite « innovante ».

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Tellement innovante qu’on n’avait jamais osé l’utiliser auparavant.

M. François Pintart : Elle n’a pas été utilisée pour le programme FREMM mais elle l’est pour d’autres projets.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Lesquels ?

M. François Pintart : Pour ce qui concerne mon activité propre, il y a actuellement un dossier en cours d’instruction relatif aux bâtiments de surveillance et d’assistance hauturiers. Néanmoins je ne sais pas si, en fin de compte, l’organisme expert validera ce type de financement ou préférera un type de financement classique.

Après l’examen du dossier, avant décision, il a été constaté que, s’agissant des FREMM, ce mode de financement « innovant » n’était pas applicable. On s’est donc trouvé devant un problème : ce mode de financement permettait de ne prévoir dans la loi de programmation militaire qu’un montant réduit du financement de ces frégates ; il fallait donc trouver un financement complémentaire. C’est ce mécanisme des 6/19èmes, au titre des crédits inscrits dans la LPM et des 13/19èmes, au-delà, qui a été mis en place. Ce mécanisme s’arrêtera à l’issue de l’actuelle LPM qui s’achève cette année. Au-delà, il n’est pas envisagé de le pérenniser.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Donc, cela concerne la première tranche ferme ?

M. François Pintart : Cela concerne les besoins de paiement jusqu’à fin 2008, sachant que la tranche ferme s’achève fin 2015.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Donc, cela veut dire qu’on n’est pas sûr de financer, avec des 6/19èmes et 13/19èmes, les huit frégates de la première tranche des dix-sept ?

M. François Pintart : Le besoin de paiement généré par la tranche ferme des frégates s’étale de 2005 à 2015.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Donc, le processus de financement qui a été arrêté, 6 et 13/19èmes, ne concerne que la première tranche, et seulement une partie de cette première tranche.

M. François Pintart : Absolument, il ne concerne que la partie couverte par la loi de programmation militaire qui s’achève.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Combien de frégates sont-elles couvertes ?

M. François Pintart : Il ne s’agit pas d’un nombre de frégates, mais des paiements nécessaires pour financer les morceaux de frégates en cours de construction jusqu’à fin 2008.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Normalement, cela ne devrait pas fonctionner de cette manière. Avec une loi de programmation militaire, on peut légitimement imaginer deux choses : premièrement, que le nombre d’unités qu’on construit est indiqué ; deuxièmement, qu’on ne lance pas plus de programmes que la LPM n’en prévoit lorsque les finances publiques sont très tendues.

Nous sommes dans une situation où les gouvernements successifs, de droite ou de gauche, portent une lourde responsabilité sur la façon dont les lois de programmation militaire ont été exécutées : les gouvernements de gauche parce qu’ils ont annulé quasiment une année budgétaire sur les cinq années de la période 1997/2005 ; les gouvernements de droite parce qu’ils ont lancé plus de programmes qu’on ne pouvait en financer : le deuxième porte-avions est très avancé, le Barracuda est très engagé, le programme FREMM est engagé, dans des conditions de montage budgétaire qui sont celles que vous avez indiquées, avec un ministre de la défense qui vient dire à la représentation nationale qu’entre ce qui a été engagé et que qu’on peut payer, il y a un décalage de plus de 15 milliards d’euros !

Dans le cadre de la LPM qui va s’achever, combien y avait-il de frégates de prévues ? Nous avons besoin d’informations précises. L’amiral Oudot de Dainville a dit qu’elles étaient dans la LPM et M. le ministre de la défense a dit qu’elles n’y étaient pas et qu’elles sont venues s’y rajouter.

M. François Pintart : À ma connaissance, la commande de huit frégates était inscrite, mais selon un mode de financement différent de celui qui a été finalement retenu ; ce fut en effet un contrat classique d’acquisition.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Donc, la commande des huit frégates a été inscrite dans la loi de programmation militaire. Et n’était-il pas prévu, dans le cadre de l’actuelle loi de programmation militaire, la livraison d’une partie des huit frégates commandées ?

M. François Pintart : Était uniquement prévue la commande.

Je rappelle que la loi de programmation militaire qui s’achève était à la fois en autorisations de programme et en crédits de paiements. Les autorisations de programme, pour commander les huit frégates, étaient inscrites. En revanche, les crédits de paiement ne l’étaient pas.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Pour ce qui concerne le programme Barrracuda dont on a parlé tout à l’heure, il y avait non seulement des autorisations d’engagement et des crédits de paiement, mais un certain nombre de bâtiments dont la commande était prévue, ainsi que la date de livraison ; sauf que nous avons pris quatre ans de retard par rapport à ce qui était inscrit dans la LPM.

Une loi de programmation militaire prévoit des autorisations de programme sur des programmes dont on estime qu’ils sont nécessaires au bon fonctionnement de nos armées, mais elle prévoit également des dates de commande et des dates de livraison.

Pour ce qui est des FREMM, on n’en était donc pas là, puisqu’il s’agissait seulement du principe de commande de huit FREMM. Dans l’actuelle LPM, on n’avait pas donc pas prévu une date de commande et une date de livraison des premières d’entre elles ?

M. François Pintart : Quand je parlais d’une commande de huit frégates sans livraison, je faisais allusion au fait que, dans le rapport annexé à la loi de programmation militaire, était inscrit le fait que devaient être commandées, dans la période 2003-2008, huit frégates. La livraison intervient après. Une autre partie du rapport précise effectivement quand les livraisons de ces frégates sont prévues.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Il est important, pour nous, de bien comprendre la manière dont s’élabore une loi de programmation militaire et dont elle se décline, annuité budgétaire après annuité budgétaire, en crédits de paiement, selon la loi de finances votée par le Parlement. Il convient de faire en sorte qu’il y ait une meilleure adéquation entre ce que l’on décide, en termes d’orientation dans le cadre de la LPM, et ce que l’on vote, année après année, de manière à optimiser l’exécution de la LPM, à mieux maîtriser les coûts et à améliorer le contrôle du Parlement sur l’exécutif.

S’agissant de la précédente loi de programmation militaire, le financement de certains programmes était prévu. Comme, généralement, les programmes s’étalent sur des durées qui vont bien au-delà d’une loi de programmation militaire, était envisagée, pour certains d’entre eux, la livraison d’une partie des équipements. Tel est le cas pour le programme Barracuda : la commande du premier devait intervenir de telle sorte que la livraison soit prévue pour 2012. En réalité, on a pris quatre ans de retard et la livraison interviendra en 2016. En l’occurrence, on voyait très bien qu’il y avait un programme profilé, qu’il y avait des commandes dont la date était prévue, avec des dates de livraison prévues. Ce n’est le cas ni du deuxième porte-avions ni du programme FREMM.

M. François Pintart : La commande des FREMM était prévue pour des livraisons débutant en 2008. La seule différence entre les FREMM et le Barracuda, c’est que les crédits de paiement inscrits dans la LPM considéraient un mode de financement qui finalement n’a pas été retenu.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Je constate que, sur deux programmes majeurs de la marine, les FREMM et les Barracuda, il y a des décalages très importants dus au non-respect du calendrier de la LPM. Généralement, les équipements que l’on fait plus tard coûtent plus cher. L’étalement des programmes ou leur non-réalisation pose des problèmes de maîtrise budgétaire. Or on lance quasiment un troisième programme, en mettant en place une autorisation provisionnelle d’engagement de 3 milliards d’euros pour le second porte-avions, et l’on commence à commander un certain nombre d’équipements nécessaires à sa réalisation !

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Au départ, les prévisions étaient « début 2008 », et maintenant, on en est à octobre 2011.

M. David Habib, Président : J’insiste pour que vous apportiez une réponse à M. Fourgous. Nous sommes là au cœur de notre sujet : l’évaluation des politiques publiques.

M. Fourgous vous a demandé à plusieurs reprises quelle avait été votre réaction lorsque vous avez constaté cette difficulté à mener de front les trois projets et les trois programmes. Vous n’avez pas réagi et nous aimerions savoir comment un dialogue peut s’établir entre l’exécutif public et la délégation que vous représentez.

M. François Pintart : Dans la loi de finances pour 2008, les 3 milliards d’euros qui sont inscrits en autorisations d’engagement le sont à titre provisionnel. C’est donc bien que la décision n’est pas prise.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : En droit budgétaire sous l’empire de la loi organique relative aux lois de finances, une autorisation d’engagement provisionnelle constitue une première !

M. François Pintart : Toujours est-il que la décision de lancement de ce deuxième porte-avions n’est pas prise. Cela tient compte des remarques que vous avez faites et qu’a faites le ministre de la défense sur les problèmes de financement. D’où le terme novateur qui a été inscrit dans la loi de finances.

Il est difficile de nous reprocher de prendre du temps pour décider. Une partie du décalage observé dans les programmes précédents tient à l’équation budgétaire qu’il fallait résoudre. L’augmentation par rapport aux estimations initiales – pour le Barracuda, l’écart était entre l’objectif ambitieux initial de 4,4 milliards d’euros et 7,8 milliards d’aujourd’hui – a conduit à retarder aussi la décision. Celle-ci a finalement été prise, et pas seulement pour des raisons de budget. Sinon, elle ne l’aurait pas été.

Le vice-amiral Gérard Valin : Je lis, s’agissant de l’inscription dans la loi du porte-avions : « Commande en 2005 d’un porte-avions pour une mise en service opérationnelle avant la deuxième période d’indisponibilité programmée, pour entretien et réparations, du Charles-de-Gaulle. »

Par ailleurs, vous avez parlé de la Chine et de l’Inde. Je me suis exprimé sur les besoins opérationnels, pas sur les contrats en cours de négociation. Il suffit de lire les journaux et de voir quels sont leurs projets d’investissement pour savoir qu’elles souhaitent, l’une comme l’autre, acquérir des porte-avions.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Si vous avez des renseignements à ce propos, nous sommes très demandeurs.

Le vice-amiral Gérard Valin : Il est un autre élément dont on ne parle pas assez depuis le début : l’évaluation des coûts avant négociation et avant lancement des programmes – on est dans la logique de planification – et le maintien des coûts après négociation. Ce sont deux choses très différentes, qu’il convient de distinguer. Il serait intéressant de constater, une fois la négociation faite et le programme lancé, la divergence qui peut exister par rapport aux coûts. Je pense que nous ne sommes pas si mauvais que cela dans l’équipe France. En revanche, nous avons de gros progrès à faire dans l’estimation des coûts en amont. Cependant il faut reconnaître que, tant que l’on n’a pas négocié, c’est plutôt difficile.

Vous avez évoqué tout à l’heure des propos qu’aurait tenus l’amiral Desclèves quant à l’incapacité de DCNS de livrer à la marine des bâtiments innovants à un prix convenable. Malgré toute l’amitié et l’estime que je lui porte, je m’inscris en faux contre cette assertion. Je viens d’admettre au service actif deux bâtiments de projection et de commandement, le Mistral et le Tonnerre, particulièrement innovants, et que nombre de marines étrangères nous envient.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Ces deux bateaux français sont ceux qui ont été cités en exemple par l’amiral Desclèves comme extrêmement performants parce que construits par les Chantiers de l’Atlantique.

Le vice-amiral Gérard Valin : Ils sont tout de même sous maîtrise d’œuvre de DCNS. C’est une coopération. De la même façon, la coque du porte-avions sera faite dans les Chantiers de l’Atlantique.

Dernier point : les coûts de possession des FREMM sont de l’ordre de la moitié de ceux des frégates Horizon. Cela s’explique très facilement. L’équipage est de 193 marins pour les frégates Horizon et de 108 pour les FREMM. Le bateau de 7 000 tonnes fait plus de 30 nœuds pour les Horizon, contre 6 000 tonnes et 27 nœuds pour les FREMM ; or ce sont les derniers nœuds qui coûtent le plus cher. Enfin, le maintien en condition opérationnelle des FREMM a été optimisé, et il sera de l’ordre des deux tiers de celui des Horizon.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Je n’ai pas eu de réponse à une question qui me paraît fondamentale. Le coût à l’unité des FREMM tient-il compte d’hypothétiques commandes à l’exportation ?

M. François Pintart : Lorsque nous négocions un contrat avec DCNS, il n’y a pas encore d’exportation. Il faut d’abord que des commandes à l’exportation existent, pour qu’on puisse en mesurer l’impact et prendre en compte celui-ci dans des clauses contractuelles.

Il est exact que, dans le cadre du contrat que nous avons négocié avec DCNS, le seul impact qui a été pris en compte est le paiement classique des redevances que l’industriel verse au titre des études et de l’utilisation des outillages, au fur et à mesure qu’il reçoit des financements au titre de ses contrats exports.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Monsieur Pintart, il faut prévoir une clause spécifique dans ces contrats. Ce n’est pas au contribuable de payer la recherche et le développement d’un produit qui n’intégrerait pas les ventes à l’exportation.

M. François Pintart : C’est bien ce que je dis : il y a des redevances d’études. Leur taux est de 30 % d’après les clauses générales applicables aux marchés publics. C’est bien cette clause qui est appliquée, jusqu’à concurrence de la part « études » du contrat FREMM. S’il y a effectivement des commandes à l’export, l’État bénéficiera de cette redevance.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : J’aimerais qu’un jour quelqu’un de la DGA puisse m’expliquer le fonctionnement de votre politique commerciale. C’est urgent et fondamental. Une explication claire et nette s’impose, car il y a à la DGA un problème de culture commerciale.

M. François Pintart : Nous n’avons aucun problème pour vous l’expliquer. M. Jacques de Lajugie, directeur du développement international, mène cette activité en lien avec la communauté industrielle pour définir cette politique commerciale. Il pourra, si vous le souhaitez, vous éclairer.

*

* *

III. Programme BARRACUDA

M. David Habib, Président : Nous abordons le troisième volet, à savoir les sous-marins nucléaires d’attaque de type Barracuda.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Je poserai, pour commencer, la même question que sur les autres projets : quels sont les coûts d’acquisition et de possession des Barracuda ?

M. Thierry Pérard : Le coût d’acquisition est de 7,9 milliards d’euros, tenant compte du développement et de la réalisation de six sous-marins nucléaires d’attaque. Le coût de possession global, tel qu’il est estimé aujourd’hui, se situe entre 12 et 13 milliards d’euros, chiffre classique lié aux frais d’entretien, de mise en œuvre et de tout ce qui entre en compte sur la durée de vie.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : De combien d’hommes est composé l’équipage d’un Barracuda ?

Le capitaine de frégate Guillaume Martin de Clausonne : L’objectif visé est de soixante hommes, ce qui est très ambitieux puisque l’équipage d’un Rubis actuel compte un peu plus de soixante-dix hommes et que celui du futur sous-marin anglais Astute est prévu avec environ une centaine de marins.

Le coût de possession englobe la masse salariale et l’entretien. Le fait de prévoir un équipage de soixante hommes concourt à la maîtrise de la masse salariale. Quant à l’entretien, il a déjà été négocié pour les six premières années : son coût sera équivalent annuellement à celui des Rubis aujourd’hui, pour un bateau dont le tonnage est pratiquement double.

Dès la conception, il a été fait attention aux conditions de maintenabilité, d’accessibilité et de rythme d’entretien. Il est prévu une IPER (indisponibilité périodique pour entretien et réparation), c’est-à-dire un entretien lourd, tous les dix ans, alors qu’aujourd’hui, elles ont lieu tous les sept ou huit ans.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Le contrat Barracuda s’accompagne d’une commande de six sous-marins. Il n’y a qu’une seule tranche ferme pour le moment, de 1,4 milliard d’euros, lancée il y a quelques mois, ne couvrant que les études de développement et une partie seulement de la réalisation du premier navire. Où en sont les discussions entre l’industriel, la DGA, la Marine nationale et l’État sur le financement de l’ensemble du programme ? De quoi est-on aujourd’hui assuré ?

M. François Pintart : Je rappelle les éléments d’information écrits que nous vous avons fournis après ma première audition. Le montant de 1,4 milliard d’euros est celui prévu en 2006 lors du lancement du programme. En 2007, il a été complété à hauteur d’environ un milliard d’euros : 680 millions d’euros pour la partie DGA et 480 pour la partie CEA. Les crédits complémentaires nécessaires sont inscrits pour 2008 au budget du CEA (Commissariat à l’énergie atomique) pour terminer le premier sous-marin.

Par ailleurs, les discussions avec l’industrie sur les cinq autres sous-marins sont terminées depuis la clôture de la négociation en 2006. Nous connaissons exactement le montant des crédits nécessaires pour les commandes des sous-marins suivants en 2009, 2011, 2013 et 2015.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Quelles seraient les conséquences du point de vue, d’une part, opérationnel et, d’autre part, industriel, d’un étalement dans le temps du calendrier ou de la réalisation de cinq sous-marins au lieu de six ?

Le vice-amiral Gérard Valin : Je répondrai d’abord du point de vue opérationnel. Comme vous l’avez noté, il y a déjà eu un décalage de 2012 à 2016 du lancement du premier sous-marin. Ce décalage n’a pas été improvisé sur un coin de table. Il y a été instruit dans le cadre du processus d’analyse capacitaire au sein de la défense, qui est le processus du conseil des systèmes de forces (CSF). Ce décalage dépendait de la possibilité de prolonger la durée de vie des sous-marins nucléaires d’attaque de la classe Rubis, de manière à maintenir la capacité et les missions qui nous sont données et qui correspondent aux ambitions de la France. La durée de 4 ans a été estimée comme l’extrême limite possible sans rupture capacitaire.

Si l’on décale encore – une décision qui, évidemment, ne nous appartient pas –, on ne pourra plus remplir l’ensemble des missions qui nous sont actuellement confiées avec les six sous-marins de type Rubis. L’État devrait donc réduire ses ambitions.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : C’est ce que nous a dit le chef d’état-major de la marine. Il considère que les sous-marins de type Rubis sont arrivés au terme de leur vie.

Le vice-amiral Gérard Valin : L’autre manière de toucher à un programme est, comme vous l’avez indiqué, de réduire la cible.

D’abord, je pense qu’il serait prématuré de prendre une décision alors que les premiers financements pour le sixième Barracuda interviendront au plus tôt en 2014, voire ultérieurement, et qu’ils seront peu importants dans un premier temps.

Par ailleurs, vous avez évoqué l’amélioration de la disponibilité qui pourrait permettre de diminuer la cible. Il convient de distinguer disponibilité et potentiel d’heures de mer, c’est-à-dire le potentiel d’activité à la mer que délivre annuellement le parc de sous-marins. Ce chiffre est optimisé à la conception des bâtiments. Pour les Barracuda, la technologie a effectivement permis d’allonger à 10 ans l’intervalle entre les arrêts techniques majeurs, ce qui améliore la disponibilité et autorise une plus grande souplesse dans le choix de la période d’emploi des bâtiments. En revanche, le potentiel d’heures de mer alloué n’est pas significativement augmenté. Si l’on veut faire réaliser beaucoup plus d’heures de mer aux Barracuda, il faut revoir leur conception et accepter une augmentation de coût importante.

Les Barracuda ont été optimisés pour à peu près la même utilisation que les Rubis, ce qui signifie qu’on a besoin du même nombre de sous-marins, c'est-à-dire six.

Les Barracuda ont trois types de missions qui doivent pouvoir être conduites simultanément : la sûreté des sous-marins nucléaires stratégiques dans le cadre de la dissuasion, l’accompagnement du groupe aéronaval et des missions autonomes. Une réduction de 6 à 5 du nombre de bâtiments ne permettrait plus de satisfaire le contrat opérationnel fixé par l’État et nécessiterait donc de réduire les ambitions politiques de la France.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Je vous remercie pour ces précisions. Elles sont d’autant plus intéressantes pour notre mission que le directeur du Budget se demandait il y a deux jours si les performances des nouveaux sous-marins ne pouvaient pas justifier qu’on n’en commandât pas autant que pour la précédente mouture.

Le vice-amiral Gérard Valin : Il faut bien voir aussi que, en plus d’une performance accrue permettant de réduire le coût de possession, grâce notamment aux automatisations, on demande au nouveau sous-marin une augmentation de discrétion acoustique, directement liée à la menace à laquelle ils sont susceptibles de faire face. De ce point de vue, la prolongation des Rubis a un coût, non seulement en termes de maintien de la disponibilité technique des équipements, puisqu’il faut les faire durer plus longtemps, mais également pour maintenir les capacités opérationnelles de ces bâtiments pour qu’ils restent performants face à l’évolution de la menace.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Quelles seraient les conséquences du point de vue industriel ?

M. Pierre Legros : Je rappelle la réponse que vous a faite M. Pierre Quinchon, responsable des constructions neuves à DCNS, lors d’une précédente audition. Le rythme de réalisation qui a été retenu pour les Barracuda, en accord avec la DGA, est optimisé compte tenu de l’outil industriel de Cherbourg, actuellement mis à contribution pour la réalisation du Terrible. L’articulation entre ces deux programmes tombe particulièrement bien.

Par ailleurs, le délai de deux ans prévu entre la livraison de deux sous-marins consécutifs après le délai de deux ans et demi entre le premier et le deuxième correspond vraiment à l’optimum industriel. Un allongement de ce délai contraindrait DCNS à se séparer d’un certain nombre de salariés qui seraient sous-employés ou à imputer leur coût au programme. Or, il est vital pour l’outil de défense français de conserver ces compétences rares et essentielles puisque la France n’envisage évidemment pas de se passer un jour de sous-marins.

Le délai de deux ans entre la livraison de deux sous-marins consécutifs qui a été négocié âprement avec la DGA et la Marine est un délai optimal du point de vue industriel, qui permet de garder toutes les compétences nécessaires sans générer d’écarts d’incorporation qui se retrouveraient sur le résultat global de DCNS, et donc sur les dividendes perçus par l’État.

M. Philippe Poirier, qui est directeur de programme à DCNS, peut, si vous le souhaitez, vous donner plus de précisions sur les chiffres induits au plan social.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Il serait intéressant que vous nous fassiez parvenir ces chiffres de manière à pouvoir alimenter le rapport parce que votre analyse est très importante en termes, non seulement de gestion sociale des bassins d’emploi, mais également de bonne gestion de DCNS et des finances publiques.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : J’aimerais que les différents acteurs présentent les avantages concurrentiels du Barracuda.

Deuxièmement, quelle est la potentialité à l’exportation de ce sous-marin ?

Troisièmement, qu’est-il prévu pour moderniser la culture ingénieriale de DCNS et améliorer sa compétitivité ?

M. Pierre Legros : Aujourd’hui, le programme Barracuda n’a aucun potentiel d’exportation pour deux raisons :

– d’une part, la politique de la France jusqu’à présent a été de ne pas exporter de bâtiments à propulsion nucléaire. Cela peut changer un jour, mais les éléments dont je dispose ne me permettent pas de m’aventurer dans cette voie.

– d’autre part, les Barracuda ont un tonnage qui excède sensiblement la demande des pays intéressés par des sous-marins à l’exportation qui n’excède pas 2 500 tonnes.

Toutefois, le programme Barracuda, comme avant lui les autres sous-marins réalisés par DCNS pour le compte de la Marine nationale, permettra à DCNS de développer un savoir-faire très précieux, notamment en matière de discrétion acoustique ou de lancement d’armes. Ces connaissances sont bien entendu utilisées pour proposer des sous-marins à l’exportation dont les performances, sans atteindre les performances des bâtiments français, sont plus qu’honorables, puisqu’ils sont probablement aujourd’hui les meilleurs sur le marché mondial pour des sous-marins diesel conventionnels.

À titre d’illustration, les sous-marins Scorpène que nous avons vendus aux Chiliens sont maintenant en service. Lors d’exercices internationaux de grande ampleur réalisés à l’automne dernier, ces deux sous-marins n’ont pas pu être détectés, ce qui prouve l’excellence des bâtiments réalisés par DCNS. Celle-ci est très directement liée au savoir-faire unique développé par notre société dans le cadre des bâtiments commandés par la Marine nationale.

Je voudrais souligner que le programme Barracuda, à lui seul, ne permettra pas de garantir la totalité du plan de charge de l’établissement de Cherbourg. Notre objectif est d’exporter des sous-marins conventionnels correspondant à environ 30 % du potentiel industriel de cet établissement spécialisé dans la réalisation de sous-marins.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Amiral Valin, avez-vous d’autres informations concernant les exportations ?

Le vice-amiral Gérard Valin : Compte tenu de la mondialisation et du fait que la mer devient de plus en plus dangereuse, les grandes puissances sont désireuses de développer leurs moyens de contrôle maritimes. Elles se dotent de moyens de projection de puissance très importants.

De leur côté, les petites puissances s’équipent d’instruments plus modestes mais pourvus d’une véritable capacité de nuisance pour perturber la domination des grandes puissances. De ce point de vue, le sous-marin diesel est un outil très performant dans la mesure où on ne lui demande pas une grande mobilité. Les petites puissances utilisent ces sous-marins à proximité des côtes et dans les détroits où ils représentent une réelle menace. Ce n’est pas du tout la même approche.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Je ne suis pas favorable à l’exportation de sous-marins nucléaires. Toutefois, une grande partie de l’évolution du plan de charge de DCNS et de sa capacité à amortir les variations de charges sur les programmes nationaux dépend de la capacité que nous aurons, dans un contexte très concurrentiel, à développer des programmes à l’exportation. Nous avons commencé à le faire, notamment dans le cadre de transferts de technologie. Pourriez-vous nous faire part, sur les sous-marins classiques de type Scorpène, des négociations en cours et des opportunités d’exportation dans les prochaines années ?

M. Pierre Legros : Sur les trois pays dans lesquels nous avons exporté des Scorpène, un seul a fait l’objet d’un transfert de technologie. Ces États, satisfaits de leurs acquisitions, envisagent de commander d’autres sous-marins du même type, voire d’un type un peu plus évolué. DCNS travaille à satisfaire ces demandes.

Plusieurs autres pays, que je ne puis citer pour des raisons de confidentialité commerciale, s’intéressent à nos produits et nous ouvrent d’intéressantes perspectives.

Le marché des sous-marins conventionnels est relativement actif, mais il est aujourd’hui encore dominé par les Allemands, qui détiennent approximativement 70 % du marché mondial. Toutefois, avec le Scorpène, nous disposons d’un excellent navire que nous continuerons encore à améliorer, notamment pour accroître son endurance en plongée.

M. David Habib, Président : Nous vous remercions, Messieurs. Nous vous saurions gré de bien vouloir nous faire parvenir par écrit toute information complémentaire, notamment sur le coût de démantèlement prévisionnel du deuxième porte-avions, l’usage de modes de financement innovants pour d’autres programmes d’armement que les frégates et sur les effets induits du Barracuda pour DCNS.

Auditions du 17 janvier 2008

a) à 9 h 30 : M. le vice-amiral d’escadre Philippe Sautter, commandant la force d’action navale (ALFAN) et M. le vice-amiral d’escadre Yves Boiffin, commandant la force océanique stratégique (ALFOST).

Présidence de M. Georges Tron

M. Georges Tron, Président : Merci de votre présence. Je donne tout de suite la parole au rapporteur pour vous poser les premières questions.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Quelles informations avez-vous en votre possession sur les coûts de réalisation et de possession du deuxième porte-avions (PA 2) et du programme Barracuda ?

Le vice-amiral d’escadre Philippe Sautter : Je suis heureux d’être entendu devant votre Mission mais je risque malheureusement de vous décevoir, car, en tant que commandant de force organique, je n’ai pas d’informations sur le coût de possession et de réalisation des programmes. Je peux vous en donner sur la manière dont nous essayons de maîtriser les coûts de nos bateaux actuels. Nous sommes à même de dialoguer avec l’équipe du programme en appelant son attention sur tel ou tel point, par exemple sur la manière d’intégrer le maintien en condition opérationnelle futur des bateaux, de diminuer le coût de possession en réduisant le coût des équipages, tout cela en nous fondant sur notre expérience.

S’agissant du PA 2, on sait déjà qu’il aura un équipage réduit par rapport au Charles-de-Gaulle : 900 personnes, contre 1 200. Par ailleurs, nous savons que la propulsion classique devrait entraîner des coûts d’entretien inférieurs à ceux de la propulsion nucléaire, mais ce sont des chiffres que je tiens de l’état-major de la Marine. On espère effectivement une économie de 10 à 20 % et je ne peux pas vous en dire plus.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : La propulsion classique est-elle moins « gourmande » en moyens humains que la propulsion nucléaire ? Si oui, pourquoi ?

Le vice-amiral d’escadre Philippe Sautter : Oui, elle est moins gourmande, mais il faut d’abord préciser que même dans le cadre de la propulsion classique, il existe de grandes différences selon qu’il s’agit de propulsion à vapeur avec un carburant fossile, qui est celui des anciennes frégates, ou du tout électrique des bâtiments de projection et de commandement (BPC) de la classe Mistral : le nombre de mécaniciens est dans un rapport de 5 à 1.

Certes, le porte-avions ne sera pas tout électrique. Il sera équipé de quelques gros diesels tournant de manière régulière, qui alimenteront eux-mêmes des moteurs électriques. Cependant les diesels ne nécessitent désormais que très peu de personnel.

Sur les BPC, qui sont des bateaux de 20 000 tonnes, on compte en tout et pour tout neuf personnes de quart - passerelle, sécurité, énergie, propulsion et systèmes d’information et de communication -, soit 36 personnes qui se relaient, plus 140 qui interviennent dans les opérations amphibies, l’entretien, le soutien des hommes à terre, et qui font beaucoup de maintenance. Sur un bateau américain équivalent, aujourd’hui, on compte plutôt 300 ou 350 personnes.

Par ailleurs, le PA 2 aura vingt ans de moins que le Charles-de-Gaulle, du point de vue de la conception. Tous les progrès qui ont été accomplis sur les BPC, et que nous envisageons pour les frégates multimissions (FREMM), se retrouveront dans les équipements de ce bateau, s’agissant notamment des moyens de contrôle, ce qui permettra de diminuer encore les effectifs.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : D’autres coûts peuvent prendre une importance significative. L’amiral Desclèves, qui est venu faire devant la mission un exposé très intéressant et discuté, a déclaré que l’entretien du premier porte-avions coûtait 80 millions d’euros, contre 4 pour le Queen Mary II. Il voulait dire par là qu’on pouvait faire beaucoup d’économies sur les dispositifs d’entretien et que ceux qui effectuaient cet entretien pour la marine nationale n’étaient pas très performants, ce qui n’est pas forcément mon avis !

Par ailleurs, j’ai cru comprendre, au cours des auditions successives, que l’entretien d’un porte-avions nucléaire était beaucoup plus lourd, financièrement, que celui d’un porte-avions classique.

Quel est, par ailleurs, l’impact de l’évolution du coût du carburant et des conditions de ravitaillement en mer, toujours dans le cadre de cette comparaison entre les deux modes de propulsion, classique ou nucléaire ?

Le vice-amiral d’escadre Philippe Sautter : Même si ce ne sont pas mes équipes qui ont opéré les calculs, je puis vous dire que le coût complet de possession du PA2 serait du même ordre en propulsion nucléaire et en propulsion classique avec un baril à 200 dollars. Nous en sommes encore loin.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Votre réponse est très intéressante. Ce chiffre ne nous avait jamais été fourni.

Le vice-amiral d’escadre Philippe Sautter : Je peux vous dire également qu’entre les deux tiers et les trois quarts du budget d’entretien « flotte » de la Marine sont consacrés aux onze bâtiments nucléaires – les dix sous-marins et le Charles de Gaulle – les 25 à 30 % qui restent étant utilisés pour les 115 bateaux que je commande sur l’ensemble des mers du monde. Cela montre que la propulsion nucléaire d’un côté, et la sécurité de plongée de l’autre, coûtent cher.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Intègre-t-on, dans les coûts de possession, les coûts de démantèlement du bateau ?

Le vice-amiral d’escadre Philippe Sautter : Si l’on intègre dans le coût de possession du bateau, l’amortissement – trente ans pour les rémunérations et charges sociales (RCS) et le maintien en condition opérationnelle (MCO) - le démantèlement représente 10 à 30 millions d’euros, ce qui n’est pratiquement rien. Encore faut-il le prévoir.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Il a été décidé de construire ce porte-avions en coopération avec les Britanniques. Sur cette coopération, nous avons entendu des propos très contrastés, certains considérant qu’elle est absolument indispensable à une véritable interopérabilité et à une mutualisation des coûts permettant de réaliser des économies. Pourtant, la Cour des comptes et la mission constatent que le coût de réalisation du PA 2 est à peu près comparable à celui du premier porte-avions, ce qui ne correspond pas à une économie.

Par ailleurs, en termes d’opérabilité, les points communs existeront surtout en dessous de la ligne de flottaison.

Quel bilan tirez-vous de cette coopération, en tant qu’utilisateur ? Quels contacts avez-vous eus avec votre homologue britannique en amont de la réalisation de ce programme ? Discutez-vous de la manière dont vous pourrez travailler ensemble sur les théâtres d’opérations ?

Le vice-amiral d’escadre Philippe Sautter : En tant qu’utilisateur et ancien commandant de porte-avions, je peux vous dire qu’on a cherché la plus grande communalité. Les Britanniques restent pour l’instant sur leur vision aéronautique liée au chasseur-bombardier F 35B américain à décollage court et atterrissage vertical. C’est déjà un point positif qu’ils aient accepté des modifications de structure pour accueillir la possibilité d’installer ultérieurement sur leurs navires, des catapultes et une piste oblique s’ils décidaient de passer à un avion classique. À ma connaissance, leur choix final pour la version du futur F35 n’est pas encore arrêté. Cela dit, on ne peut rien leur imposer, mais je suis d’accord avec vous : aujourd’hui l’interopérabilité aéronautique n’est pas réalisée, mais potentiellement elle reste très grande si les Britanniques choisissent le F35C de la marine américaine qui sera catapultable.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Quel est donc l’intérêt de cette coopération ?

Le vice-amiral d’escadre Philippe Sautter : Il est logistique.

Si elle se concrétisait pour les structures situées sous la ligne de flottaison, ou plutôt sous le pont d’envol, ce serait déjà énorme et intéressant, ne serait-ce qu’en matière de pièces de rechange ou de logistique opérationnelle sur un théâtre d’opérations. Lorsque le Charles-de-Gaulle était en mission Héraclès et qu’il a connu des problèmes de catapultes, il a été possible de réparer, pendant la mission opérationnelle, grâce à l’aide logistique des Américains qui possèdent des équipements quasi-identiques.

J’ai eu bien évidemment des relations avec mon homologue britannique, mais pas du tout sur les programmes. En revanche, j’ai reçu, sur le porte-avions, le secrétaire d’État aux acquisitions, qui était chargé du programme chez les Britanniques ; il s’agissait d’un industriel assez riche et avisé, qui s’était gratuitement mis au service de sa Gracieuse Majesté. C’est lui qui a poussé à ce que les deux coques britanniques soient construites dans des chantiers britanniques, à condition que ceux-ci se regroupent. C’est pourquoi l’idée a été abandonnée de les faire construire chez Aker Yards à Saint-Nazaire. Si les trois coques avaient été réalisées ensemble dans les chantiers de l’Atlantique, on aurait vraiment bénéficié d’une diminution des coûts.

Nous avons réussi à faire passer chez les Britanniques l’idée qu’un porte-avions est une véritable base aérienne mobile. Leur vision était plutôt celle d’un transport d’avions capable de les mettre en œuvre de manière minimaliste quand il n’est pas possible de mener des opérations depuis une base aérienne terrestre.

Notre concept étant celui d’une base aérienne totale, nous leur avons démontré l’intérêt d’une plateforme qui vire à plat et nous les avons convaincus que nous étions capables de changer des ailes de Rafale sur le bateau. Ils ont été très surpris de constater que nos pilotes étaient autant opérationnels à bord que sur une base aérienne à terre. Ce fut déterminant et ils ont accepté de revenir plus près de notre projet, même si cela a augmenté les coûts.

Enfin, comparer le coût du PA2 à celui du Charles-de-Gaulle, sur une durée de construction très longue, est extrêmement difficile. Il faut le faire, mais il convient d’interpréter les résultats avec beaucoup de prudence. Il faudrait aussi étudier ce que coûterait aujourd’hui un nouveau porte-avions nucléaire, avec une nouvelle chaufferie à développer pour un seul bateau.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : On a évoqué un pourcentage d’environ 40 %, s’agissant des charges salariales. Qu’en est-il, pour le PA2 ? Comment pourrait-on réduire celles-ci ?

Nous avons entendu des militaires et des personnes de la DGA nous dire qu’ils n’intégraient pas le retour sur investissement d’une commande à DCNS. Quel est pour l’État ce retour sur investissement, s’agissant du PA2, quand le coût global est de 3 milliards d’euros ?

Un porte-avions est-il exportable ? Le savoir-faire de notre industrie est-il exportable ?

Enfin, quel a été le prix de vente du Foch au Brésil et quand a-t-il été vendu ?

Le vice-amiral d’escadre Philippe Sautter : Cette vente a eu lieu en 2000, et elle a été de l’ordre de 50 millions de francs. Si, à l’époque, on avait pu, par une négociation subtile, donner en même temps aux Brésiliens le Clemenceau pour les pièces de rechange, cela nous aurait économisé beaucoup de tracas et d’argent. Aujourd’hui, on peut vendre un bateau non nucléaire 10 millions d’euros, ou payer 15 millions d’euros pour le faire démanteler. Entre les deux, l’État gagne 20 ou 30 millions d’euros, mais je ne pense pas qu’on puisse faire mieux.

En revanche je n’ai aucune connaissance ni aucun élément sur le retour sur investissement.

Enfin, ce qui est exportable, ce n’est pas le porte-avions lui-même, mais le savoir-faire développé à l’occasion de sa construction. Je pense notamment à tout ce qui est relatif aux systèmes de combat. L’un des échecs de la coopération autour des frégates Horizon a résidé dans le fait que les Britanniques, pour avantager leur industriel British Aerospace, voulaient que le système de combat lui soit confié, totalement ou en grande partie. Or nous avions, grâce au Charles-de-Gaulle, avec l’ensemble Thalès/DCN, une telle avance que, pour nous, accepter aurait été régresser. Il fallait que les frégates de défense aérienne accompagnant le porte-avions soient au moins au niveau du porte-avions, sinon meilleures dans la mesure où elles étaient construites dix ans plus tard. Nous n’avons pas cédé et nous avons décidé de les construire avec nos seuls amis italiens.

Le savoir-faire de DCNS est bien exportable. La réalisation des frégates Sawari et de celles qui ont été livrées à Taiwan ou à Singapour a été favorisée par les investissements en recherche et développement engagés pour le Charles-de-Gaulle.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Aujourd’hui, l’économie de notre pays est en faillite, et, bien entendu, à votre niveau de responsabilité, nous souhaitons que vous vous souciiez des coûts, même si vous êtes plutôt formés aux facteurs humains et techniques qu’aux facteurs financiers.

Nous aimerions donc en savoir plus sur le coût de 40 % du cycle de vie d’un bâtiment de combat.

Nous voudrions également savoir comment payer le PA2, comment en réduire le coût et en savoir plus sur son coût de possession.

Enfin, on estime que la Chine et l’Inde vont s’intéresser aux porte-avions. Avez-vous des échos à ce sujet ?

Le vice-amiral d’escadre Philippe Sautter : Quand la marine chinoise est venue en escale à Toulon, les seules questions qui nous ont été posées portaient sur le porte-avions. Il est bien évident qu’ils s’y intéressent. Il en est de même des Indiens, mais je n’ai pas eu de contacts précis et personnels avec la marine indienne dans mes fonctions actuelles.

Cela dit, les Chinois se sont montrés conformes à leur réputation : ils ont le temps devant eux et construisent pas à pas. Ils ont une dissuasion, des sous-marins, une flotte océanique. Ils veulent prouver maintenant que leur flotte hauturière est de niveau mondial. C’est pour cela qu’ils ont réalisé un tour du monde avec deux bateaux, mais ces derniers sont encore peu perfectionnés.

Je sais bien que, pour l’intérêt de votre Mission, nous devons être complets et transparents, et j’entends bien ce que vous me dites. En tant que citoyen, je ne peux pas m’empêcher de penser que le coût du quatrième SNLE, le Terrible, équivaut à celui d’un porte-avions. Néanmoins quand le général de Gaulle a lancé la dissuasion, à un moment où la France avait besoin d’infrastructures, d’autoroutes, de téléphones, je ne pense pas que les caisses débordaient d’argent. Pour moi, la décision relève d’une volonté politique, et je ne peux pas dire, cette fois en tant que marin, que le PA2 est plus important que les FREMM ou que le Barracuda.

Je pense par ailleurs, en tant que marin, que le coût de possession est de ma responsabilité première. Sur ce point, je suis d’accord avec vous. J’essaie en permanence de développer des outils pour que nos budgets de fonctionnement ou le choix de nos escales soient dictés par la meilleure efficacité au meilleur coût. Aujourd’hui, pour la force d’action navale, nous avons développé un logiciel qui nous fournit une connaissance du coût de tous les bateaux. Nous sommes capables de connaître le coût des escales dans la plupart des pays étrangers. Nous intervenons auprès de l’état-major de la marine pour savoir si nous nous rendons dans tel ou tel pays pour des raisons diplomatiques ou pour une simple escale technique, et si l’on ne peut pas aller dans une base navale plutôt que dans la ville centrale parce que cela coûtera beaucoup moins cher, etc. J’estime qu’aujourd’hui, depuis deux ans, je peux mieux gérer le coût de possession de frégates du type Lafayette et le diminuer d’environ 10 %.

Nous faisons en permanence ces études de coûts y compris en RCS. Nous avons une comptabilité analytique SIRENE qui est assez efficace. Avec un trimestre de décalage, nous pouvons avoir une connaissance fine des coûts des bateaux d’aujourd’hui. En revanche je suis plus en peine pour vous répondre s’agissant des coûts de possession d’un bateau qui n’est pas encore construit, et encore plus s’agissant du coût du retour sur investissement pour les industriels concernés.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : On a tendance à penser que la solution à nos problèmes économiques réside dans la compétitivité de nos entreprises. S’agissant de DCNS, pouvez-vous nous dire s’il existe des opportunités pour elle et si cette commande de 3 milliards d’euros sera, ou non, très importante pour elle ?

Le vice-amiral d’escadre Philippe Sautter : Je crois à la capacité de DCNS de vendre ses produits si elle s’améliore, notamment, sur le plan commercial et si elle sait s’adapter à la demande du client, comme une véritable entreprise privée, ce qu’elle est en train de devenir. Ses produits sont en effet très bons et ils sont tirés vers le haut par les programmes de la marine nationale. Je pense aux corvettes Gowind, aux frégates pour le Maroc, peut-être demain pour la Grèce, etc. Thalès exporte également beaucoup et rapporte sans doute de l’argent à l’État. Dans ses systèmes radar et de communication et ses systèmes de combat, l’entreprise est également tirée vers le haut par ces programmes.

La capacité à l’export de ces entreprises est reconnue et il est de notre intérêt qu’elles exportent.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Ce n’est pas à vous d’opérer des arbitrages à la place de ceux qui en sont chargés, ni de vous substituer aux industriels dans l’évaluation du coût des programmes. Vous essayez de faire en sorte que les bateaux mis à votre disposition soient utilisés dans des conditions financières optimales. Tous les témoignages que nous avons eus montrent que vous êtes d’une grande vigilance en la matière. En revanche, c’est vous qui évaluez les conditions et les besoins opérationnels. Ce sont ces besoins opérationnels, en fonction de la vision que l’on peut avoir de la place de la France dans le monde et de la nécessité de défendre le territoire national, qui président aux choix des programmes.

Vous avez dit que les plateformes aéronavales étaient de véritables bases aériennes. Est-il nécessaire, pour pouvoir disposer d’avions en mesure d’intervenir sur les théâtres d’opérations et compte tenu du fait qu’on peut les ravitailler en vol, d’avoir une deuxième plateforme ?

Quelles sont les conditions opérationnelles pour assurer la permanence en mer et quels sont les retards à ne pas prendre pour faire en sorte qu’il y ait un bon « tuilage » entre le premier et le second porte-avions ?

Pourrait-on, en réfléchissant aux modalités de ravitaillement en vol, se passer de la deuxième plateforme ?

Le vice-amiral d’escadre Philippe Sautter : Je ne vois pas très bien le rapport entre les deux. Certes, aujourd’hui, les avions peuvent être ravitaillés en vol, mais seule la moitié des ravitaillements des avions du porte-avions qui ont survolé l’Afghanistan, au cours de missions de cinq heures de vol, a été effectuée par les KC 135 de l’armée de l’air française ou de l’OTAN. L’autre moitié, pour des raisons de disponibilité ou de réactivité, a été réalisée par les propres Rafale du porte-avions, armés en ravitailleurs. L’avantage de la propulsion nucléaire est qu’elle permet de laisser beaucoup de place à bord pour le kérosène.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Comment cela se passe-t-il concrètement ?

Le vice-amiral d’escadre Philippe Sautter : C’est une question de base de départ. L’avion de l’armée de l’air qui est basé, par exemple à Djibouti, et qui y possède son ravitailleur, est apte à assurer sa mission. S’il n’a pas de base ou si la base ne peut pas être utilisée, pour des raisons météo ou des raisons diplomatiques, c’est la base du porte-avions qui fonctionne. Cette dernière est autonome de tout soutien à terre, y compris de celui des ravitailleurs stratégiques. Les Super Étendard et, depuis 2004, les Rafale peuvent s’en passer car ils sont ravitailleurs.

Le bateau étant autonome, il fait décoller des « nounous » qui peuvent ravitailler les autres avions en vol. Cela est intéressant car, lorsque les avions rentrent de mission s’il y a une difficulté technique sur le pont, un problème météo et s’ils ne peuvent pas se poser tout de suite, on leur envoie une nounou afin de leur donner du carburant qui leur permet d’attendre le moment où ils pourront apponter. Il n’y a pas forcément un terrain de déroutement et, si le porte-avions se trouve très au large, ils ne peuvent se poser que là. Voilà pourquoi le ravitaillement par des avions du bord est si important.

Cela étant, quand on a la possibilité d’avoir sur la zone, ce qui est le cas pour l’Afghanistan, un ravitailleur stratégique, on l’utilise ; car cela est beaucoup plus opérationnel et coûte beaucoup moins cher. Un Rafale n’est tout de même pas fait pour servir de nounou ; il consomme beaucoup trop de carburant lui-même pour être utilisé afin d’en délivrer à d’autres avions. L’intérêt est que si le ravitailleur est utilisé pour d’autres avions, ou s’il est vide parce que d’autres avions de la coalition, basés à terre, ont consommé le carburant, les appareils du porte-avions doivent se débrouiller de manière autonome. On fait alors décoller des nounous du porte-avions.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Jusqu’à quel rayon ?

Le vice-amiral d’escadre Philippe Sautter : Aujourd’hui, vous pouvez aller jusqu’à 1 500 kilomètres, sans aucune difficulté, avec des Rafale. Au lieu d’embarquer des armes, ils embarquent des bidons de carburant sous les ailes et sous le ventre.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Combien le Rafale peut-il redonner d’autonomie ?

Le vice-amiral d’escadre Philippe Sautter : Je ne suis pas pilote mais je pense qu’il peut redonner une heure d’autonomie. Si ce n’est pas suffisant, on utilise un autre Rafale et on recommence.

Les cas où les avions du porte-avions doivent intervenir à de grandes distances, comme de l’océan Indien à l’Afghanistan, sont assez rares. Opérationnellement, pour être en Afghanistan, il vaut mieux un avion basé à terre à Kaboul que sur le porte-avions.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Pourquoi ne pas faire partir les avions de nos bases aériennes françaises jusqu’au théâtre des opérations en les faisant ravitailler en vol ? Y a-t-il un problème technique ?

Le vice-amiral d’escadre Philippe Sautter : Le problème technique est le suivant : la capacité d’action d’un pilote, dans un avion monoplace ou biplace, est de huit ou neuf heures de vol. En Adriatique ou au Liban, les missions étaient de deux ou trois heures. En Afghanistan, elles étaient de cinq heures. Depuis la France jusqu’à ce pays, il faudrait dix heures de vol, ce qui n’a jamais été fait. En exercice, on ne va pas au-delà de quatre ou cinq heures.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Se posent parfois des problèmes de trajet. Ainsi pour aller d’une base française jusqu’en Afghanistan, il n’est peut-être pas autorisé de transiter partout avec des équipements militaires.

Le vice-amiral d’escadre Philippe Sautter : J’ai commandé le Foch quand l’amiral Oudot de Dainville commandait le Clemenceau. Nous avons été ensemble lors de la guerre en Adriatique. Je pense qu’il répondrait comme moi.

On a mis l’accent sur le besoin du deuxième porte-avions pendant l’indisponibilité périodique pour entretien et réparation (IPER) du Charles-de-Gaulle. En effet quels que soient la volonté politique et les moyens financiers qu’on pourrait y mettre, on ne sortirait pas aujourd’hui le Charles-de-Gaulle de son bassin même s’il se produisait des événements graves nécessitant son déploiement immédiat. Techniquement, ce serait impossible.

Pour autant, le besoin est permanent. Heureusement que, pendant la guerre en ex-Yougoslavie, la marine nationale disposait du Foch et du Clemenceau pour assurer une quasi-permanence sur place. Par ailleurs, lorsqu’un porte-avions est en mission opérationnelle, il n’est pas toujours possible d’assurer la formation des pilotes et leur entraînement. Or ceux-ci ont besoin d’un entraînement permanent pour apponter sur une piste de la taille d’un terrain de tennis. Cet entraînement est coûteux : le deuxième porte-avions permet de le rentabiliser.

Quand on est au large du Pakistan, en pleine mer, s’il n’y a pas de terrain de déroutement facile, on ne fait pas voler de jeunes pilotes. Et si l’on doit rester plusieurs mois dans ces conditions, cela provoque un effet de rupture dans la formation, qui est extrêmement grave.

Le deuxième porte-avions permettra d’avoir une permanence à la mer et de faciliter l’entraînement des jeunes pilotes pendant que le premier réalise des missions opérationnelles.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Amiral Boiffin, que pourriez-vous nous dire de l’état actuel des sous-marins de type Rubis ?

Le vice-amiral d’escadre Yves Boiffin : On peut interpréter votre question de deux façons : quelle est la valeur militaire des sous-marins type Rubis actuellement ? Je serais très heureux d’y répondre, mais je ne suis pas sûr que ce soit votre interrogation. Ou bien : compte tenu de l’âge des sous-marins Rubis et de l’échéance d’arrivée des Barracuda, comment cela va-t-il se passer ? Je répondrai à cette deuxième question et, si vous souhaitez avoir quelques éléments sur la première, je le ferai ensuite.

C’est un peu un défi d’assurer cette soudure entre les sous-marins de type Rubis et les Barracuda ; cela nécessite de prolonger des sous-marins à trente-cinq ans d’activité, ce qui est loin d’être évident. Il existe assez peu d’exemples dans le monde, exceptés les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) américains, qui sont manifestement destinés à avoir une grande longévité. En termes de sous-marins d’attaque, l’exemple approchant qui me vient à l’esprit est celui des Swiftsure, l’avant-dernière génération des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) britanniques, dont le désarmement se termine pour certains après trente-deux ans de service.

C’est un véritable défi, d’autant plus aigu qu’on sait que nos sous-marins de type Rubis sont très petits, pour minimiser leur coût d’acquisition, Ce qui se traduit par un entretien assez difficile.

Un certain nombre d’études ont été réalisées, pour conforter le fait que ces sous-marins, bien construits et robustes, seront aptes à naviguer jusqu’à trente-cinq ans. On dispose d’éléments permettant de répondre par l’affirmative. Il a d’ores et déjà été établi que la cuve du réacteur pourrait tenir sans problème jusqu’à trente-cinq ans. Nous sommes également optimistes s’agissant de la coque. Cependant, tous les éléments ne sont pas encore réunis. Au moment où je parle, je ne peux garantir que la faisabilité est acquise, mais j’ai de bonnes raisons de penser que ce sera le cas.

Il est un second volet à prendre en compte, sans doute lié au coût de possession.

Aujourd’hui, les contrats d’entretien pour le MCO de nos sous-marins sont basés sur la disponibilité. Nous avons changé de système : au lieu de payer des périodes d’entretien, nous payons pour une disponibilité, que l’industriel s’engage à fournir. Ce système est très vertueux, dans la mesure où l’industriel est incité à faire ce qu’il faut pour que les sous-marins fonctionnent convenablement. Cela a permis d’améliorer d’environ 20 % la disponibilité de nos SNA en l’espace de quelques années.

Néanmoins, il peut y avoir quelques failles. Par exemple, cela peut inciter l’industriel à privilégier la disponibilité à court terme au détriment d’une disponibilité à long terme visant à préserver le patrimoine. C’est l’un des points où l’autorité organique intervient, en aiguillonnant le système d’entretien, avec l’appui du service de soutien de la flotte (SSF), pour que cette notion de préservation du patrimoine sur le long terme ne soit pas perdue de vue. Par exemple, si un tuyau qui va être monté à bord d’un sous-marin n’est pas correctement peint, cela ne risque pas d’obérer sa disponibilité à court terme et DCNS ne paiera pas de pénalités, mais cela risque de menacer sa disponibilité sur le long terme.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : On peut très bien imaginer que ces progrès, en améliorant la disponibilité à la mer de ces bâtiments, fassent qu’il ne serait pas aussi indispensable que par le passé d’en avoir six. Or, la commande passée l’an dernier en prévoit six. Qu’est-ce qui justifie qu’on ait prévu d’avoir autant de sous-marins qu’il y en avait dans la gamme Rubis ? Bien entendu, je n’ai aucun intérêt à ce qu’il y en ait moins.

Le vice-amiral d’escadre Yves Boiffin : La maintenabilité des sous-marins de type Barracuda est un élément clé de la qualité de ce programme.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : M. Josse, directeur du Budget, s’est demandé pourquoi, compte tenu des caractéristiques du nouveau bâtiment, notamment en ce qui concerne le tonnage et les spécifications, ainsi que des réformes apportées au MCO, la marine exprimait toujours le besoin de disposer de six SNA. Pourriez-vous nous apporter des éléments à ce sujet, car ce serait très utile à notre réflexion ?

Le vice-amiral d’escadre Yves Boiffin : Les Barracuda seront à peu près deux fois plus gros que les Rubis actuels, tout en restant les plus petits SNA du monde dans cette génération. Dans le cahier des charges et dans les spécifications, un effort est fait sur la MCO.

Comment cela se traduit-il ? Pour un sous-marin deux fois plus volumineux, le coût prévisionnel de l’entretien sera le même que celui des SNA actuels. C’est un progrès considérable : on pourrait penser qu’un bateau deux fois plus gros coûterait sensiblement plus cher en entretien.

Construire un sous-marin plus gros n’est pas un but en soi. L’augmentation de la taille répond à des impératifs opérationnels, parmi lesquels, fondamentalement, la discrétion acoustique. Le paradoxe du sous-marin nucléaire est que plus il est volumineux, plus il est facile de faire en sorte qu’il soit silencieux. Cette augmentation de taille répond également à un autre impératif : l’amélioration de la capacité de déplacement lointain. On sait en effet que les théâtres d’opérations potentiels sont et seront de plus en plus lointains, en raison du contexte stratégique.

Donc, bien que ce bateau soit plus gros, il coûtera le même prix en MCO. En outre, on réduira les effectifs, ce qui contribue à en réduire légèrement le coût de possession.

Si l’on regarde ce que font aujourd’hui les SNA et ce qu’on attend des Barracuda en termes de disponibilité, l’amélioration existe, mais elle n’est pas gigantesque : entre 5 et 10 %. À missions constantes, cela ne permet pas de faire l’économie d’un sous-marin.

M. Georges Tron, Président : On peut déjà avoir un doute lorsqu’on nous affirme que l’entretien des Barracuda sera moins onéreux que celui des Rubis. Ce qui avait été affirmé de la même manière, ne s’était pas révélé exact : par exemple le coût d’entretien d’un Rafale par rapport à celui d’un Mirage. Tous ces matériels plus sophistiqués et plus modernes ont, en définitive, des coûts de remise à niveau – notamment pour tout ce qui est embarqué – beaucoup plus élevés que ce que l’on avait pensé a priori, même si on gagne en RCS, l’équipage étant moins nombreux.

Cela étant, ce n’est qu’une simple remarque qui n’est pas forcément fondée, dans la mesure où nous nous projetons très loin dans l’avenir, ces sous-marins n’étant même pas construits.

Le vice-amiral d’escadre Yves Boiffin : Je n’ai pas non plus de boule de cristal. S’agissant des coûts, je me contente de vous livrer des éléments qui me sont fournis par ailleurs. Je veux néanmoins préciser que, dans le contrat du Barracuda, il est prévu du MCO. Autrement dit, ce qui est contractualisé, c’est l’acquisition du sous-marin et un certain nombre d’années d’entretien. Donc, lorsque l’on parle d’un coût réduit du MCO pour le Barracuda, on ne se livre pas à des incantations : on le fait sur la base de données fournies par l’industriel au moment de la contractualisation.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Qu’en est-il de l’exportation des sous-marins, dans le passé, aujourd’hui et dans l’avenir ?

Quelle différence existe-t-il entre la série Rubis et le nouveau sous-marin, s’agissant du nombre des membres d’équipage ?

Enfin, avez-vous des échos s’agissant de la différence des coûts de maintenance entre un Mirage et un Rafale ? Je pense que le coût de maintenance dépend du nombre d’unités. Qu’en est-il, étant donné votre pratique sur le Charles-de-Gaulle ?

Le vice-amiral d’escadre Yves Boiffin : J’ai eu l’occasion d’aller récemment au Chili, où DCNS a vendu deux Scorpène. À Brest, des équipages malaisiens sont en formation pour mettre en œuvre les deux sous-marins du même type qui ont été vendus à la Malaisie. Tous ces sous-marins ont été construits en partie à Cherbourg et en Espagne. Je relève au passage que cela participe au plan de charge de l’arsenal de Cherbourg et que, en matière de construction des sous-marins, DCNS est un industriel non seulement concepteur, mais aussi réalisateur. Il existe par ailleurs un certain nombre de projets et de perspectives, qu’il ne m’appartient pas d’évoquer, parce que je n’ai pas d’informations directes les concernant

Le marché du sous-marin est en pleine expansion. DCNS a une tradition exportatrice. L’entreprise a déjà exporté des sous-marins du type Daphné et du type Agosta auprès de pays comme le Portugal, l’Espagne ou le Pakistan. Le potentiel exportateur de DCNS s’ouvre et nous assistons à un rééquilibrage par rapport au principal concurrent dans l’exportation de sous-marins, l’Allemagne.

Le fait que DCNS fabrique des sous-marins nucléaires, même s’ils ne sont pas exportables, contribue évidemment à sa crédibilité et au développement de son savoir-faire. Certains matériels et certains savoir-faire sont communs entre un sous-marin classique et un sous-marin nucléaire.

Il y a à peu près 75 personnes sur un SNA de type Rubis, il y en aura 60 sur un Barracuda. On assiste, s’agissant des SNA, au même mouvement que celui auquel on a assisté en passant de la génération du SNLE Redoutable aux SNLE de nouvelle génération de type Triomphant – avec respectivement 135 et 110 personnes. Cela se traduit bien sûr par un gain sur le RCS. Néanmoins il faut manipuler ce mouvement de réduction avec précaution. L’autorité organique que je représente, chargée de gérer les équipages des sous-marins, est confrontée à quelques difficultés, sinon à quelques défis. Le sous-marin est une installation très technique, avec une sorte de pyramide hiérarchique qui va des plus jeunes et des moins compétents techniquement jusqu’aux grands spécialistes qui ont reçu une formation très « pointue ». Ceux qui sont à la base de la pyramide progressent au fil des années vers le sommet. Or, nous assistons, avec la diminution du format des équipages, à une réduction des possibilités de sélection interne, la pyramide tendant à se transformer en cylindre.

Il faut gérer cette situation avec soin sachant que, d’ores et déjà, ces micros flux de spécialistes constituent l’une des principales difficultés que je rencontre. Sur un SNLE de 110 personnes, il y a 50 métiers (ou plus exactement qualifications) différents. Sur un SNA de 75 personnes, il y a une trentaine de métiers différents. Je suis chargé, avec la direction du personnel, d’approvisionner ces sous-marins en hommes, de remplacer les défections et de gérer ces micros flux, tout en sachant que je ne peux pas me permettre d’avoir des sureffectifs.

Cette problématique doit être prise en compte quand on réfléchit au format global des forces sous-marines.

Le vice-amiral d’escadre Philippe Sautter : En tant qu’ancien directeur du personnel, je peux affirmer que la démarche de réduction des effectifs dans laquelle s’est lancée la marine nationale est unique au monde, surtout compte tenu de son niveau.

La force d’action navale, hors amortissement des bateaux, coûte un milliard d’euros par an, dont un peu moins de 500 millions de RCS. L’équipage des FREMM sera réduit de moitié par rapport à celui des frégates actuelles. Malgré tout, leurs capacités seront supérieures. Mes homologues britannique et américain avaient d’ailleurs beaucoup de peine à croire qu’on pouvait faire fonctionner les BPC avec aussi peu de personnel. Nous le leur avons prouvé.

En ayant les mêmes capacités avec moins de personnel, avec peut-être demain des robots sous-marins en matière de guerre des mines, on entre dans une logique vertueuse de réduction des coûts de fonctionnement, ce qui permettra de rentabiliser au mieux les investissements, lesquels sont effectivement élevés.

Par ailleurs, je n’ai aucune connaissance du coût de maintenance et de possession du Rafale par rapport au Mirage. En revanche, je peux indiquer qu’en matière de MCO, avec le changement de statut de DCNS, nous avons réduit les coûts de 10 à 20 %. Finalement, nous avons maintenu les crédits d’entretien dans l’enveloppe de la loi de programmation malgré la prise en compte de la TVA qui résulte du nouveau statut de DCNS. Et tout cela en augmentant la disponibilité d’environ 10 à 15 %.

Je souligne également que le coût d’entretien des bâtiments de projection et de commandement (BPC) de type Mistral et Tonnerre ne sera pas supérieur à celui des transports de chaland de débarquement (TCD) de type Foudre et Sirocco, alors que leurs capacités sont plus modernes et plus complexes.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Il était prévu, dans la loi de programmation militaire, que le premier sous-marin Barracuda serait livré en 2012. Il le sera en réalité en 2016. Par ailleurs, la commande de six Barracuda passée par le précédent ministre de la défense n’a fait l’objet, pour l’instant, que d’une seule tranche ferme. Compte tenu du décalage existant entre le nombre de programmes lancés et les capacités de financement, estimées par le ministre de la défense à plus de 15 milliards d’euros, il conviendra de procéder à des arbitrages.

L’une des idées qui a été lancée concernant le programme Barracuda serait, soit d’étaler le programme dans le temps de manière à « lisser la bosse », soit d’en construire moins, soit à la fois de lisser et d’en faire moins.

Toutes les expériences montrent que le lissage des programmes permet d’étaler dans le temps la charge de leur coût, mais qu’en fin de compte, cela revient plus cher. En même temps, la réforme de DCNS et sa transformation en entreprise supposent que l’établissement voie sa charge prévisionnelle suffisamment lissée dans le temps pour éviter des difficultés industrielles et sociales. Enfin, des problèmes opérationnels risquent de se poser, les sous-marins de la classe Rubis étant très fatigués. Si nous voulons garantir leur renouvellement dans de bonnes conditions, il ne faut pas prendre de retard dans la réalisation des suivants.

Comment analysez-vous la situation ? Pensez-vous qu’on puisse prendre davantage de retard encore ? Pour quel risque opérationnel ?

Le vice-amiral d’escadre Yves Boiffin : La question ne porte pas vraiment sur le fait de savoir si moi-même, amiral Boiffin, je souhaite qu’il y ait six ou cinq Barracuda. Je pense que vous imaginez ma réponse. Je vous répondrai donc en vous apportant quelques éléments de réflexion.

À mon avis, le mode d’action « étalement » et le mode d’action « réduction de la cible » aboutiront au même résultat final, à savoir à la réduction du format. L’étalement implique nécessairement la rupture de format. Le schéma actuel de tuilage entre le Rubis et le Barracuda a été étiré au maximum. Le programme s’est décalé de quasiment cinq ans en l’espace de cinq ans, ce qui nous met à la limite de ce qu’il est raisonnable de faire avec les Rubis. Pour autant, je tiens à dire que cette limite sera définie de façon objective et physique et non pas sur la base de sentiments ou de réflexions.

Quoi qu’il en soit, étalement supplémentaire signifie rupture de format : or une rupture de format pendant des durées significatives fera qu’il sera ensuite très difficile de remonter, ne serait-ce qu’en termes de personnel.

Des difficultés ponctuelles dans certaines catégories de personnel, il y a sept ou huit ans, nous avaient amenés à réduire le nombre d’équipages de SNA de dix à huit. Deux SNA ont ainsi navigué avec un seul équipage. Nous venons tout juste de retrouver une situation saine : il nous aura fallu sept ans pour reconstituer les équipages manquants.

Si nous avons une encoche avec un ou deux sous-marins de moins pendant un nombre d’années significatif, même si d’autres sous-marins arrivent par la suite, nous serons en déficit pendant un nombre d’années largement supérieur à celui de l’encoche en question. Encore une fois, je considère, globalement, que l’étalement signifie une rupture prolongée et très significative du format.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Le lien entre l’étalement et la réduction du format s’explique donc par les conséquences que cela aurait sur le nombre des équipages ?

Le vice-amiral d’escadre Yves Boiffin : Je prends comme postulat que, dans le calendrier actuel des Barracuda, on est aux limites de ce que l’on peut faire en termes de prolongation des Rubis. Tout étalement supplémentaire inclurait une diminution du nombre de sous-marins en parc, les Rubis qui devraient s’arrêter ne pouvant être remplacés. Cela impliquerait, sur une certaine durée, une encoche de réduction de format, même si l’on construit ensuite tous les Barracuda. Et la durée de cette rupture serait supérieure à la simple réduction nominale du nombre de SNA.

Autre réflexion, sur l’éventualité de « faire moins » : le financement des tout derniers Barracuda est tout de même éloigné dans le temps. Ce n’est donc pas nécessairement un élément à traiter immédiatement. Je précise toutefois qu’il ne s’agit que d’une réflexion, car cela dépasse mon domaine de compétences.

Enfin, un format inférieur de SNA aura des conséquences opérationnelles. L’objectif opérationnel, qui est de disposer de trois SNA en permanence, ne pourra plus être assuré. Par ailleurs, le fonctionnement global de la force sous-marine, qui est déjà difficile en termes de ressources humaines, deviendra extrêmement compliqué en raison d’un déséquilibre entre le nombre des SNLE et le nombre des SNA, dans la mesure où les sous-mariniers commencent leur carrière sur SNA avant d’être promus sur SNLE. Je ne garantis pas que cela ne pourra être fait, mais je me dois de dire que je ne peux garantir que cela pourra fonctionner dans de telles conditions.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Vous avez indiqué que l’IPER et le MCO des Barracuda étaient en cours de contractualisation. Seront-ils faits à Toulon, ou ailleurs ?

Le vice-amiral d’escadre Yves Boiffin : À ma connaissance, cette question n’est pas tranchée.

Il s’agit d’une question compliquée, qui comporte plusieurs volets : un volet opérationnel, un volet industriel et un volet de gestion de personnel très sensible.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Le fait que l’entretien ait lieu à Toulon plutôt qu’à Brest, ou à Brest plutôt qu’à Toulon, aurait-il un impact budgétaire ?

Le vice-amiral d’escadre Yves Boiffin : Cette question est posée à DCNS. L’aspect industriel sera en effet sans doute déterminant. Il s’agira bien, au final, de choisir la solution la plus économique et la plus raisonnable. C’est à l’étude.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Soyez précis. Quelle est la tendance ? Toulon ou Brest ? En termes de coûts, quel serait le site le plus économique ?

Le vice-amiral d’escadre Yves Boiffin : Je suis désolé de vous décevoir, car la réponse n’est pas évidente. Aujourd’hui, nous ne disposons pas encore des éléments déterminants dans tous les domaines : infrastructures, domaine opérationnel au sujet duquel nous sommes amenés à apporter nos propres réponses, et domaine industriel sur lequel je ne peux pas me prononcer pour DCNS.

M. Georges Tron, Président : Messieurs, je vous remercie infiniment.

b) à 10 h 30 : Amiral Alain Oudot de Dainville, chef d’état-major de la marine

Présidence de M. David Habib

M. David Habib, Président : Nous sommes heureux d’accueillir l’amiral Alain Oudot de Dainville, chef d’état-major de la marine. Avant de passer aux questions, je vous propose, amiral, de nous exposer votre vision des programmes d’armement naval.

L’amiral Alain Oudot de Dainville : Je suis très heureux de pouvoir m’exprimer devant la mission d’évaluation et de contrôle. Je me propose de traiter de l’apport des équipements navals à notre politique de défense, tout en évoquant les enjeux maritimes.

La politique de défense s’apparente à une forme d’assurance : elle doit nous couvrir contre les risques de conflits et de déstabilisation tout en défendant nos intérêts. Étroitement liée au niveau d’ambition de la France dans le monde, elle nécessite de l’anticipation. Nous vivons malheureusement dans un contexte où la dépendance budgétaire, accentuée par la dette, fait obstacle à l’indépendance nationale. Aussi, notre politique de défense se doit de mettre en œuvre une dépense efficace et, à ce titre, il convient toujours de préférer l’investissement au fonctionnement.

Notre politique de défense doit contribuer à notre prospérité économique. Or celle-ci a été profondément bouleversée par la mondialisation, caractérisée par l’interconnexion croissante des économies et les flux tendus entre producteurs et consommateurs. Les océans, derniers espaces de liberté sur la planète, sont les supports privilégiés de la circulation des biens matériels. En ce sens, les espaces maritimes sont devenus une des clés de la prospérité.

Avec un commerce extracommunautaire assuré à plus de 80 % par voie maritime, la puissance économique de l’Union européenne est très vulnérable au moindre événement en mer affectant ses échanges. Le maintien de sa prospérité nécessite donc de s’impliquer davantage dans la sécurité de ses voies d’approvisionnement maritime.

Avec la mondialisation et les besoins croissants des puissances émergentes, la garantie d’accès aux ressources énergétiques et aux matières premières est devenue un enjeu vital pour nos économies. À ce titre, l’intérêt pour les océans ne fait que croître. Si la part de la production de pétrole offshore ne représente encore que 35 % de la production mondiale, plus de la moitié des investissements dans l’industrie pétrolière y ont été consacrés en 2007. De même, plus de 60 % de la production mondiale de pétrole transite par voie maritime, avec des passages obligés par les détroits.

La mondialisation redistribue également les cartes de la puissance. L’hégémonie américaine cède la place au multilatéralisme. S’appuyant sur leur démographie et leur dynamisme économique, de nouveaux pôles de puissance ont émergé. Témoins de l’évolution du trafic maritime, les marins perçoivent bien ce déplacement du cœur économique vers l’Asie, où sont situés désormais les quatre premiers ports mondiaux. Les puissances en devenir, principalement les fameux BRICs – Brésil, Russie, Inde et Chine –, renforcent leurs capacités navales. Elles se tournent vers une stratégie du large pour renforcer et sécuriser leur développement.

Un cas emblématique est celui de la Chine, pour laquelle la libre circulation maritime et l’accès aux ressources énergétiques constituent une condition de survie. L’acquisition d’une marine à vocation océanique et la recherche de points d’appui sur la route de ses approvisionnements énergétiques – stratégie dite « du collier de perles » – sont devenues une priorité pour la Chine, et sa marine l’aide à affirmer ses ambitions régionales. En effet, la stratégie du large, dont les États-Unis sont le principal porteur de flambeau, s’appuie sur la liberté des mers pour contourner les blocages liés à l’exercice de la souveraineté sur terre. Il s’agit d’une stratégie d’anticipation qui permet de traiter à la source et avec des contraintes moindres les raisons des crises qui touchent nos intérêts.

Dans ce contexte, la France ne peut que se tourner résolument vers une stratégie maritime, complémentaire de la stratégie terrestre. En effet, si l’action se termine toujours à terre, la stratégie de la ligne Maginot, avec sa défense statique, a toujours été un leurre - souvenons-nous de la Grande muraille de Chine ! – voué à l’échec.

La maîtrise des mers a pour finalité de garantir l’exercice de la liberté des mers tout en s’assurant de la possibilité d’agir vers la terre à partir de la mer. Avec la disparition du Pacte de Varsovie, l’Occident a hérité de la maîtrise des mers, mais celle-ci est aujourd’hui contestée par les puissances montantes.

Alors que la piraterie sévit dans certaines franges côtières, de nombreux États riverains ont également des prétentions sur le contrôle des détroits, on l’a vu récemment à Ormuz. Il faut y affirmer le droit de libre circulation.

La maîtrise globale des mers n’est pas à la portée d’un pays du rang de la France ni même des seuls États-Unis. Elle ne peut se concevoir que dans des coalitions auxquelles la France appartient. À ce titre, la possession de capacités navales clés permet à la France d’être reconnue comme puissance qui compte, d’accéder à l’information et d’être associée aux décisions d’emploi des forces.

C’est notamment dans cette perspective que s’inscrivent les programmes FREMM, PA2 et Barracuda. Ces trois types de navires permettent de déployer dans la durée et au large des moyens d’anticipation prêts à intervenir.

Les frégates, grâce à leur souplesse d’emploi, sont le vecteur privilégié de la maîtrise des mers. L’atout fondamental des FREMM – les frégates multi-missions – réside dans leur polyvalence, liée à la variété des moyens d’action, d’information et de commandement dont elles disposent, qui leur offriront un haut niveau d’interopérabilité avec nos alliés. Les capacités additionnelles ont été calculées au plus juste : huit d’entre elles seulement seront dotées de moyens de lutte anti-sous-marine. Dans les conflits récents, 85 % des missiles ont été tirés à partir de plates-formes navales. Le missile de croisière naval apportera aux FREMM une capacité majeure en frappe d’inhibition. Le coût d’utilisation des FREMM sur leur durée de vie sera diminué significativement avec la réduction des équipages et l’effet de série ; il sera de l’ordre du coût d’acquisition.

Quant au groupe aéronaval, c’est une capacité clé pour la gestion diplomatique des crises ou leur conduite militaire et une exclusivité française partagée avec les États-Unis. Il constitue le bras armé et sans entrave permettant d’agir diplomatiquement, comme ce fut le cas dans les Balkans, mais il permet aussi de maintenir une pression dissuasive – souvenons-nous de l’indépendance de Djibouti –, d’effectuer une action de rétorsion ou d’appuyer une action terrestre, à l’instar de ce que nous faisons en Afghanistan. Le PA2 – second porte-avions – permettra à la France de retrouver la permanence dans la continuité de cette capacité majeure, alors que la disponibilité actuelle n’est que de 60 % avec un seul porte-avions, le Charles de Gaulle. Avec les deux CVF – Carrier Vessel Future –, l’Europe passera ainsi d’un à quatre porte-avions contre dix aux États-Unis, alors que l’Inde, la Russie, la Chine et le Brésil seront également dotés de cet outil de puissance à l’horizon 2020.

La dimension sous-marine reste fondamentale. Grâce à son opacité, c’est le dernier espace d’expansion en toute discrétion pour les puissances. Les sous-marins dotés de la propulsion nucléaire constituent une capacité clé. Avec le missile de croisière naval et l’incertitude sur sa présence, le Barracuda sera, en sus des missions actuelles dévolues aux sous-marins nucléaires d’attaque, un démultiplicateur de pression en cas de crise. Ses capacités renforcées pour mettre à terre discrètement des forces spéciales constituent également un atout précieux dans les opérations.

Ces moyens d’intervention, frégates et sous-marins d’une part, porte-avions d’autre part, se renforcent mutuellement : les premiers assurent la protection du troisième tandis que la disponibilité du groupe aéronaval à prendre la mer renforce la crédibilité des déploiements de frégates. Les programmes FREMM, PA2 et Barracuda concourent au renouvellement de nos capacités dans le cadre d’un processus continu. Même si la durée de conception et de conduite de ces programmes s’est réduite, l’échelle de temps reste de l’ordre de dix à quinze ans pour leur conception et leur fabrication.

Toute la réflexion relative aux programmes reste guidée par la recherche d’un équilibre entre des moyens navals simples, rustiques et polyvalents, et des outils aptes au combat de haute intensité. L’implication et les responsabilités de la marine, de la conception à l’utilisation et même au retrait du service actif de ses équipements, sont fondamentales. Cette approche globale permet de répondre aux besoins opérationnels tout en diminuant le coût de possession.

Le Président de la République a indiqué que ce Livre blanc sera celui de la mondialisation. Or c’est bien cette dernière qui a renforcé l’importance stratégique des espaces maritimes. Toutes les puissances en devenir développent des capacités navales dans le domaine sous-marin et les plus importantes d’entre elles cherchent à se doter de porte-avions. Si la France veut défendre ses intérêts nationaux et européens, si elle veut être un acteur dont la voix compte dans la gouvernance mondiale, il lui faut garder son niveau de couverture d’assurance sans être dépassée technologiquement. En effet, comme l’affirmait Thiers : « Qui dit marine dit suite, temps, volonté. »

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Vous avez beaucoup insisté sur l’importance de la maîtrise des mers et sur le fait que celle-ci dépendra de l’aboutissement des programmes engagés. Compte tenu de la contrainte budgétaire, parmi tous ces dossiers prioritaires, quel est le plus prioritaire ?

L’amiral Alain Oudot de Dainville : Il sera possible de répondre dans quelques semaines, lorsque sera connue la stratégie de défense émanant du Livre blanc, dont la rédaction est en cours. Faute d’orientations politiques, je ne puis répondre car le militaire est sous la direction du politique.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Je souscris à cette remarque et je comprends votre réponse sur la primauté des orientations politiques. Toutefois, compte tenu de votre connaissance des enjeux opérationnels et de l’état des équipements, quelles sont selon vous les urgences ? Je donnerai deux exemples : les SNA de la classe Rubis arrivent en fin de vie ; il semble nécessaire de disposer de deux plates-formes aéronavales pour assurer la permanence à la mer de la défense de nos intérêts.

L’amiral Alain Oudot de Dainville : Il est vrai que le programme Barracuda a subi des retards, principalement imputables au changement de réglementation nucléaire. Le premier Barracuda devrait être livré en 2016, ce qui porte la durée de vie des Rubis à trente-cinq ans. Or il n’est pas question de mettre en péril la sécurité de plongée ni la sécurité nucléaire. Les autorités indépendantes de sûreté nucléaire doivent donner leur aval et il est peu probable qu’elles acceptent une prolongation supplémentaire de la durée de vie des Rubis.

Le programme FREMM a une cohérence industrielle et économique pour remplacer des frégates arrivant en fin de vie. Si l’étalement du programme est possible, il entraînerait un surcroît du prix d’acquisition car le cadencement de production des FREMM a été optimisé, à tel point que son coût est très bien positionné sur le marché des frégates. Un premier succès à l’exportation a d’ailleurs déjà été enregistré. L’une des solutions, pour permettre l’étalement, serait justement de gagner des commandes étrangères.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Les représentants de la DGA – la délégation générale pour l’armement – et de DCNS que nous avons auditionnés nous ont clairement indiqué que ce report de quatre ans des livraisons – de 2012 à 2016 – résultait du décalage entre la dépense que l’État était prêt à consentir et les devis des industriels. En quoi le changement de réglementation nucléaire a-t-il joué ?

Le plan de charge de DCNS à Cherbourg dépend essentiellement de quatre programmes : les Barracuda, le quatrième SNLE-NG – sous-marin nucléaire lanceur d’engins de nouvelle génération –, une partie des FREMM et l’équipement de la totalité des SNLE-NG en missiles M51. Pour DCNS, l’enjeu industriel des Barracuda est donc de même nature que celui des FREMM.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Quel succès les FREMM ont-elles remporté à l’exportation ?

L’amiral Alain Oudot de Dainville : Avec le Maroc !

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : C’est tout ?

L’amiral Alain Oudot de Dainville : C’est un début !

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Le contrat est-il signé ?

L’amiral Alain Oudot de Dainville : Je l’ignore mais c’est en tout cas un prospect en bonne voie car toutes les modalités préalables à la signature sont réunies.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Voyez-vous une autre possibilité d’exportation ?

L’amiral Alain Oudot de Dainville : D’autres pistes existent, mais il est prématuré d’en parler et ce n’est pas de la compétence du chef d’état-major de la marine.

La nouvelle réglementation de sûreté nucléaire intervenue en 2002, appelée « décret global », impose à tout concepteur de système nucléaire de déposer un dossier de faisabilité auprès de l’Autorité de sûreté nucléaire, laquelle donne son aval ou non. Auparavant, l’Autorité donnait son accord après le lancement du programme, parfois en demandant des rectifications, ce qui coûtait très cher. Le Barracuda a été le premier programme pour lequel le dossier de lancement de réalisation a dû être soumis à l’examen préalable de l’ASF. La démarche est extrêmement lourde et complexe car il s’agit de garantir sur le papier la sûreté nucléaire de bâtiments qui vont vivre jusqu’en 2050 environ, c’est-à-dire pendant trente ans. C’est l’une des raisons du retard.

La cadence de fabrication des Barracuda est également à prendre en compte mais pas au même titre que pour les FREMM car des réductions de prix significatives peuvent être obtenues grâce à l’effet de série. Pour les bâtiments à propulsion nucléaire, l’étalement du cadencement nécessite un maintien des compétences qui provoque des renchérissements.

Dans le plan de charge de l’établissement de Cherbourg, vous avez oublié d’évoquer les exportations. Quelques techniques et savoir-faire sont communs aux Barracuda et aux Scorpène, en particulier dans le système de combat.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Les responsables de la DGA et de DCNS nous ont déclaré que les exportations représenteront tout au plus 15 à 20 % du plan de charge des établissements de DCNS. Pour ce qui concerne les sous-marins, la plupart des prospects, notamment le Brésil, réclament des transferts de technologie. Les exportations sont incontestablement très rémunératrices pour l’État et DCNS, elles font fonctionner les bureaux d’études, mais l’impact est beaucoup moins net s’agissant de la mobilisation des emplois de production.

L’amiral Alain Oudot de Dainville : Certes, mais tous les pays ne disposent pas de la capacité de construire des sous-marins ; je pense en particulier à la Malaisie ou au Chili qui ont acheté des Scorpène. Le Brésil ou l’Inde, en revanche, exigent un transfert de technologie.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Le directeur du Budget, considérant les progrès accomplis en matière de MCO et d’IPER – maintien en condition opérationnelle et indisponibilité périodique pour entretien – des sous-marins de la classe Rubis ainsi que la qualité des spécifications et des performances des Barracuda, a estimé devant nous que leur permanence à la mer sera optimisée et s’est par conséquent interrogé sur les raisons pour lesquelles la marine nationale en a commandé six. Pourquoi les améliorations apportées n’ont-elles pas conduit à en acheter moins ?

Une grande partie des surcoûts des programmes résulte des surspécifications exigées par ceux qui commandent les matériels. La meilleure manière de maîtriser les coûts est de ne pas abuser des surspécifications. S’agissant du Barracuda, quelle est votre analyse ?

L’amiral Alain Oudot de Dainville : Il fut un temps où le niveau de disponibilité des six sous-marins de la classe Rubis était catastrophique : en 2003, elle est tombée sous 50 %. Depuis, le taux a remonté. Au pire moment, à peine un sous-marin était en mesure de sortir en mer, nous ne pouvions pas assurer toutes nos missions et les équipages n’étaient plus convenablement entraînés, ce qui a eu pour contrecoup une perte de compétences pour l’ensemble de la flotte et explique un accident, passé inaperçu car il n’y a heureusement pas eu de perte en vies humaines : un sous-marin a touché le fond.

Depuis, nous avons redressé la barre, avec l’évolution du statut de la DCN, la création du service de soutien de la flotte et le changement de la politique d’entretien : nous n’achetons plus à DCNS de l’indisponibilité mais de la disponibilité, des jours de mer. Je ne pense pas que nous obtiendrons des gains significatifs de disponibilité avec le Barracuda et que nous pourrons disposer de beaucoup plus de trois sous-marins à la mer, c’est-à-dire un en Méditerranée, un dans l’Atlantique et un en protection. Si le nombre de bâtiments produits est inférieur à six, il faudra revoir nos missions.

J’ai eu pour devoir, et il en sera de même pour celui qui me remplacera le 4 février, de lutter contre les surspécifications en identifiant les besoins, car le mieux est l’ennemi du bien. Néanmoins, les industriels exerceront toujours une pression pour aller plus avant et augmenter l’activité de leurs bureaux d’études. Pour la définition du programme Barracuda, nous avons resserré les spécifications au maximum. Nous devons toutefois continuer de progresser sur un élément fondamental : le niveau de bruit, la signature acoustique d’un sous-marin ne doit pas excéder celle d’une baleine.

M. David Habid, Président : Quels enseignements pouvez-vous tirer de l’application de la précédente loi de programmation militaire s’agissant des programmes d’armement relevant de la marine nationale ? Quelles sont vos réflexions et vos propositions ?

L’amiral Alain Oudot de Dainville : La loi de programmation en cours a été correctement respectée, même si des retards de deux ordres sont constatés. Premièrement, les retards d’ordre technique ont touché en particulier l’hélicoptère NH90, dont les premiers exemplaires de la version navale de servitude ne seront pas livrés pendant cette loi de programmation militaire. Deuxièmement, les FREMM et le PA2 ont pris du retard à cause de la volonté de construire ces programmes en coopération – avec les Italiens pour les FREMM et les Britanniques pour le PA2. Construire l’Europe de la défense est un axe politique majeur qui passe par la coordination des états-majors mais aussi par les alliances industrielles. En effet, si nous ne participons pas à la concentration des industries de défense, nous prendrons de plein fouet le « tsunami » des pays asiatiques qui investissent dans la recherche, sont en train d’acquérir les technologies et rendront nos industries comparativement non performantes.

La prochaine loi de programmation militaire sera aussi la conséquence du Livre blanc. Une politique de défense – quelles ambitions pour défendre quels intérêts ? – doit être définie avant que nous puissions tourner les potentiomètres des programmes à privilégier, à retarder ou à abandonner.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Je partage ces considérants méthodologiques mais les choses ne se passent pas ainsi. Le cahier des charges soumis à la commission du Livre blanc présupposait largement les orientations stratégiques. La RGPP
– révision générale des politiques publiques –, déjà très engagée, constitue un mode d’arbitrage sur quelques sujets très sensibles. Un certain nombre de programmes, à commencer par celui du second porte-avions PA2, ont donné lieu à l’ouverture d’autorisations provisionnelles d’engagement dans la loi de finances pour 2008.

Nous souhaiterions que les choses se passent comme vous l’indiquez, mais nous avons le sentiment que des arbitrages déjà préparés s’avéreront extrêmement douloureux. Compte tenu, d’une part, des 15,9 milliards d’euros nécessaires, selon le ministre de la défense, pour honorer la totalité des engagements de la précédente loi de programmation militaire, et, d’autre part, de la volonté du Président de la République de contenir l’effort de défense à 2 % du PIB, il faudra supprimer ou étaler certains programmes.

L’amiral Alain Oudot de Dainville : Rien n’est jamais parfait. La RGPP, qui procède de la volonté de limiter les coûts de fonctionnement, concerne toutes les administrations. Le Livre blanc, en revanche, a pour objet de définir une vision stratégique. Mais les deux démarches se rejoignent.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Il y a aussi la LOPSI, la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure.

L’amiral Alain Oudot de Dainville : La LOPSI concerne la gendarmerie et la police.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : La commission de la défense a déjà débattu de ce sujet. Pour la première fois, les considérations de sécurité nationale et de sécurité du territoire et internationales sont mêlées très étroitement dans les réflexions de la commission du Livre blanc.

L’amiral Alain Oudot de Dainville : Le Livre blanc conclura vraisemblablement à l’existence d’un continuum entre sécurité et défense, que les marins ont toujours pratiqué, en effectuant de la sauvegarde maritime avec un bâtiment conçu pour la guerre, en déroutant un bateau parti en opération anti-sous-marine pour l’envoyer repêcher des cadavres en Méditerranée ou pour intercepter des navires rapides chargés de narcotiques. Une cohérence est nécessaire, et même une cohérence interministérielle car, dans les opérations de sécurité, la marine intervient en coordination avec les administrations de l’économie (les douanes), de l’intérieur ou de l’agriculture.

La défense a un prix pour la communauté nationale. Le Président de la République s’engage à maintenir une enveloppe globale, nous cherchons à réduire les dépenses de fonctionnement notamment en agissant sur les effectifs, pour préserver l’investissement, qui constitue l’avenir. Tant que la vision stratégique ne sera pas claire, il sera difficile de déterminer quels investissements pourraient être sacrifiés. Par ailleurs, les effets de la baisse des crédits de fonctionnement ne se feront sentir qu’au terme d’une période de deux ou trois ans pendant laquelle il conviendra de trouver des moyens d’attendre.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Vous avez plaidé en faveur des programmes en coopération en ce qu’ils faciliteraient la perspective de concentration des industries de défense européennes pour contribuer à la construction de la défense européenne. Cette démarche a une cohérence mais aussi des effets industriels et sociaux. Il existe un raisonnement un peu contradictoire, auquel je n’adhère pas forcément mais que je vais développer pour vous faire réagir.

On peut considérer que l’Europe de la défense passe d’abord par l’interopérabilité entre des États maîtrisant leur marine et leur industrie de défense. La logique de l’économie de marché, poussée à l’extrême, pourrait conduire à accepter l’idée qu’un bâtiment soit fabriqué par un autre pays européen pour contrecarrer la concurrence des Indiens ou des Chinois. Il appartient aux politiques d’affirmer que cette limite ne doit pas être franchie. Il n’existe donc pas de lien évident entre la construction de l’Europe de la défense, la mise en œuvre d’opérations communes sur les théâtres d’opérations et la fabrication par des industries intégrées et concentrées des bâtiments nécessaires à la réalisation de ces objectifs.

La réforme de la Direction des constructions navales, qui a abouti à la naissance d’une véritable entreprise, entraîne des progrès en termes de compétitivité en initiant une nouvelle relation entre la marine, qui donne les ordres, et DCNS, qui réalise les bâtiments. Si DCNS est plongée dans la forme la plus chimiquement pure du marché, elle se dissoudra très rapidement ; nous assisterons à sa « GIATisation » à marche forcée. L’accélération du processus de concentration risquerait par conséquent de ruiner tous les efforts accomplis pour rendre notre industrie navale compétitive.

M. Jean-Michel Fourgous, Rapporteur : Quelles recommandations pourriez-vous formuler pour que DCNS améliore encore sa compétitivité ?

L’amiral Alain Oudot de Dainville : La coopération européenne comporte deux volets : l’interopérabilité et la concentration industrielle. Aujourd’hui, tous nos programmes sont conduits selon des normes découlant des accords de normalisation STANAG de l’OTAN, qui définissent les normes d’interopérabilité. Nous n’avons donc pas de problèmes d’interopérabilité technique : nous avons par exemple fait apponter des Rafale sur le porte-avions américain Enterprise. Le plus compliqué dans l’interopérabilité est celle des hommes, qui ne se comprennent pas toujours. C’est pourquoi nous lançons un dispositif « Erasmus naval », décalqué de l’Erasmus universitaire, au profit de nos jeunes officiers, pour favoriser le brassage des élèves-officiers.

Le problème principal du secteur naval de défense, en Europe, n’est pas la production mais la recherche et le développement. Le nombre de bureaux d’études est de quatre ou cinq aux États-Unis et de treize ou quatorze en Europe. Par ailleurs, l’effort de recherche et de développement des industries navales américaines doit être au moins deux fois supérieur à celui de ses concurrentes de l’Union européenne. Cela se traduit par la production de produits de plus en plus compétitifs chez ceux qui font de la recherche et de moins en moins intéressants chez ceux qui éparpillent leurs efforts. Le premier pas à accomplir dans la marche vers la restructuration est le renforcement de la coopération entre bureaux d’étude des différents industriels du secteur naval de défense.

Toutefois, des efforts doivent aussi être accomplis dans le domaine de la production. Même si les bâtiments de guerre sont plus difficiles à fabriquer, les gains de productivité obtenus sur les chantiers navals civils français prouvent qu’il existe des marges de progrès. Enfin des regroupements permettraient de gagner en productivité.

L’industrie de la construction navale est gourmande en emplois : un euro qui y est investi fait travailler trois fois plus de personnes qu’un euro investi dans l’industrie aéronautique. Il ne faut donc pas concentrer l’outil de production dans tel ou tel pays. La gestion des exportations reste un vrai problème : quand Allemands et Français luttent avec acharnement pour vendre des sous-marins, ils se neutralisent et leurs concurrents peuvent l’emporter. Un effort de coopération commerciale s’impose.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Concrètement, la coopération nouée avec Navantia pour la fabrication des Scorpène chiliens a été une véritable machine à contentieux, notre partenaire ayant repris une partie du design du bâtiment pour développer le sous-marin S80 et le proposer à l’exportation en concurrence du Scorpène.

L’amiral Alain Oudot de Dainville : Ils n’ont pas encore réussi à le vendre.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Certes, mais ils ont essayé.

Deuxième exemple, malgré les tentatives de rapprochement de DCNS avec Thyssen Krupp Marine Systems (TKMS) entreprises ces dernières années, une vision presque pangermaniste s’est développée au sein de cette entreprise.

Le programme de second porte-avions engagé en coopération avec les Britanniques devait aller de l’élaboration du design à la construction en commun de plusieurs porte-avions mais nous nous sommes rendu compte que nous n’irions pas au-delà de la première étape, la Grande-Bretagne souhaitant préserver les intérêts de ses constructeurs. Les spécifications des deux bâtiments sont telles que l’interopérabilité s’arrête au-dessus de la ligne de flottaison.

Pourquoi la vertu serait-elle exclusivement française ? Sur un tel sujet, il est intéressant d’aller au bout du raisonnement.

L’amiral Alain Oudot de Dainville : Vous avez raison, mais faut-il baisser les bras ? Nous ne ferons rien sans impulsion politique venue d’en haut, en faveur d’une politique industrielle européenne.

Si Navantia s’est éloignée de sa coopération avec DCNS, c’est parce qu’elle a noué des accords avec les Américains.

S’agissant de TKMS, nous avons constaté une émergence de la préférence allemande qui s’est traduite par le programme de frégates allemandes F 125, alors que les Allemands auraient pu participer à l’élaboration d’un design de base commun avec nous et les Italiens. Jusqu’à ces derniers temps, la vision allemande était exclusivement nationale mais des frémissements se font sentir, et la personnalité allemande auditionnée par la MEC est très particulière.

Quant à la perspective fédératrice avec les Britanniques, elle requiert une approche très longue de persuasion politique et le relâchement du lien transatlantique très fort qui est de tradition entre la Grande-Bretagne et les États-Unis. Les Britanniques ont été confrontés au même problème que nous : leur industrie nationale n’était pas en ordre de bataille et ils viennent de procéder à une concentration concernant BAe Systems et VT Group équivalente à celle qui a été réalisée avec DCN et Thales Naval France. En tout cas, il serait très intéressant de tisser une coopération dans le domaine de la construction navale entre les deux principales puissances maritimes de l’Union européenne.

Vos exemples n’incitent pas à l’optimisme mais il est fondamental, à long terme, de parvenir à une situation plus constructive.

M. David Habib, Président : Je vous remercie pour votre franchise et la hauteur de vue de vos réponses. Je vous souhaite beaucoup de bonheur dans vos futures attributions.

c) à 11 h 30 : vice-amiral d’escadre Christian Pénillard, sous-chef d’état-major « Plans » à l’état-major des armées

Présidence de M. David Habib

M. David Habib, Président : Je souhaite la bienvenue à l’amiral Christian Pénillard, sous-chef d’état-major « Plans » à l’état-major des armées. Je vous invite, amiral, à nous présenter votre vision des programmes d’armement naval.

Le vice-amiral d’escadre Christian Pénillard : Le chef d’état-major des armées (CEMA), le général Georgelin, n’a pu se présenter en personne devant vous, compte tenu de sa charge de travail. Le sujet du financement des équipements navals est au demeurant un peu technique et entre parfaitement dans mes attributions. Je souhaite évidemment répondre à toutes vos questions avec une franchise totale.

La façon de conduire la programmation et l’équipement des forces a été réorganisée en 2005, par un décret qui confère au CEMA un devoir accru de mise en cohérence et de définition des capacités nécessaires aux opérations et à la satisfaction du contrat opérationnel. Une revue capacitaire globale est menée depuis 2005. Nous nous situons par conséquent « entre deux eaux » : nous exécutons la loi de programmation en vigueur, dont les objectifs et les moyens budgétaires sont parfaitement connus, et nous allons entrer dans une nouvelle programmation qui prendra en compte les orientations du futur Livre blanc, avec une enveloppe financière encore inconnue.

Cette revue capacitaire de l’ensemble des domaines a été conduite avec le souci de rester manœuvrant, c’est-à-dire de reporter à plus tard les décisions sur l’abandon éventuel, l’amoindrissement ou l’amodiation des capacités par le Livre blanc et de ne retenir que les programmes strictement indispensables du point de vue opérationnel, par exemple la future torpille lourde remplaçant la F17. Depuis deux ans, nous n’avons donc lancé en réalisation que les programmes absolument indiscutables. Nous avons poursuivi la préparation et la conception des autres, et nous avons pris les mesures nécessaires pour pouvoir les mener à terme s’ils sont confirmés. Ceci explique la commande des catapultes pour le second porte-avions. Il convient de ne pas produire des quantités exagérées ni de créer de situations irréversibles en laissant se dégrader une capacité opérationnelle, industrielle ou un cycle de développement.

La « bosse » des besoins financiers est purement relative : elle n’existe que dès lors que l’on considère que les ressources baisseraient. L’engagement du Président de la République de maintenir un effort de défense à hauteur de 2 % du PIB (hors pensions, avec gendarmerie) permet de financer l’ensemble des capacités correspondant à la politique de défense actuelle, après avoir tiré les bénéfices des restructurations relancées par la RGPP.

M. David Habib, Président : La bosse existe quoi qu’il en soit, le ministre de la défense en personne l’a d’ailleurs indiqué à plusieurs reprises. Quant à l’objectif de 2 % affiché par le Président de la République, je crois savoir que la commission du Livre blanc s’interroge sur sa faisabilité dans des conditions satisfaisantes, au regard de l’ensemble des données caractérisant les finances publiques. Cette même commission débat de l’importance du problème du financement dans les trois années à venir. La bosse n’est donc pas hypothétique mais réelle.

Le vice-amiral d’escadre Christian Pénillard : Je ne le conteste pas. La commission du Livre blanc travaille sur des hypothèses très sévères du type « zéro valeur », c’est-à-dire la continuité en euros courants des moyens budgétaires par rapport à la loi de finances pour 2008 sur toute la durée de la prochaine loi de programmation militaire, ce qui aurait pour effet de créer un écart d’une quarantaine de milliards d’euros avec les moyens correspondant à la réalisation d’un effort de défense représentant 2 % du PIB.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : La bosse existe, c’est incontestable, eu égard au décalage entre les capacités budgétaires de l’État et l’ensemble des programmes arbitrés et engagés. Si l’effort budgétaire est maintenu, elle s’établira à environ 15 milliards d’euros. Si l’effort devait diminuer, elle pourrait atteindre 30 ou 40 milliards.

Compte tenu de l’existence de cette bosse à effort constant et de la nécessité de servir les objectifs opérationnels de notre défense nationale, quelles sont, pour l’état-major des armées, les urgences parmi les urgences ? Toutes les personnalités, souvent éminentes, que nous avons auditionnées nous ont expliqué qu’elles ne sauraient arbitrer entre les trois programmes, d’abord parce que ce n’est pas leur rôle, ensuite parce qu’elles ne les jugent pas arbitrables, dans la mesure où ils revêtent une importance stratégique équivalente.

Le vice-amiral d’escadre Christian Pénillard : Si nous devions traverser une période de disette budgétaire, l’état-major des armées estime qu’il conviendrait de clarifier la politique de défense à long terme pour choisir la trajectoire de moindre énergie financière vers ce but en tolérant, le cas échéant, quelques déficits capacitaires momentanés. Il ne s’agit pas seulement de se priver d’un nombre donné de bateaux pendant cinq ans mais de s’assurer que la base industrielle et technologique pourra remonter en puissance le moment venu et que les équipages et les savoir-faire ne se disperseront pas. Il faut donc en discuter avec tous nos partenaires, notamment la DGA – la délégation générale pour l’armement –, pour trouver le chemin le plus adéquat et faire connaître au CEMA et au Président de la République les risques momentanément encourus.

Dans cette logique d’ensemble, plusieurs composantes sont indiscutables en matière d’armements.

Les sous-marins nucléaires d’attaques, les SNA, accompagnent les opérations navales. Équipés du missile de croisière naval, le MdCN, ils peuvent aussi contribuer à une forme de dissuasion conventionnelle. Ils exercent des missions de renseignement. Enfin, leurs équipages constituent le vivier à partir duquel sont formés les équipages des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, les SNLE, et notamment leurs commandants. Cet outil polyvalent est donc indispensable.

Des discussions sont en cours à propos du programme du MdCN, dont l’intérêt politique est indéniable. Si la pression financière était trop forte, il pourrait être envisagé de décaler sa production dans le temps, mais un problème de maintien de compétences se poserait chez le missilier unique qui doit le réaliser.

Le parc de frégates est vieillissant : l’âge moyen des bâtiments en service approche les vingt ans. Si nous n’injectons pas un flux de frégates suffisant, le format de cette composante se réduira. La revue de programmes, qui a été présentée devant le ministre de la défense puis en réunion interministérielle, évalue l’effet d’une baisse des cadences, de 1,7 bateau par an actuellement à 1,4 et même à 1 bateau par an. Il semble que ce plancher resterait acceptable pour nos chantiers navals mais le nombre des frégates disponibles descendrait alors mécaniquement de vingt-quatre à seize ou dix-sept d’ici à une dizaine d’années. Avec 30 ou 40 % de frégates en moins, nous ne pourrions pas continuer à tenir nos contrats opérationnels actuels – la posture permanente de sécurité avec des navires prépositionnés et la mobilisation d’un groupe aéronaval et d’un groupe amphibie. La question sera posée au Président de la République dans le cadre des travaux du Livre blanc ; pour ma part, je raisonne en termes de format.

Sur le deuxième porte-avions, le PA2, tout a été dit. Le sous-chef « Plans » de l’état-major des armées (EMA) doit considérer les choix globalement et sans passion. La disponibilité statistique de notre porte-avions nucléaire est de l’ordre de 65 %. Il serait très cher d’acheter les 35 % restants au prix de 100 % et la tentation est forte de continuer ainsi cinq ans de plus sans permanence du groupe aéronaval. Si le niveau de financement était insuffisant, c’est ce que préconiserait l’EMA, car d’autres outils – aviation de combat, force d’action terrestre, moyens de soutien, etc. – sont tout aussi impératifs. Du point de vue de l’état-major des armées, le second porte-avions n’est pas la priorité indiscutable, à moins de le considérer dans le cadre d’une analyse globale mêlant des aspects militaires et politiques. Cependant, si le Président de la République considère que le rôle stratégique de ce bateau, absolument indéniable, justifie sa construction, il pourra le décider ; il faudra alors lui faire de la place dans la programmation et retarder d’autres programmes.

Nous sommes là au cœur de la problématique du Livre blanc et du réexamen des cinq fonctions stratégiques : connaissance et anticipation ; prévention ; protection ; intervention ; dissuasion. Il s’agit de réfléchir à une stratégie de long terme tout en veillant à ne pas créer de déficit capacitaire irréparable. Je ne peux répondre plus avant à votre question tant que j’ignore les objectifs à long terme et les moyens financiers disponibles.

À la demande de la commission du Livre blanc, nous avons procédé à des premières simulations, avec deux scénarios : un premier à zéro valeur et un second dans la continuité des quatre dernières années, avec une augmentation annuelle des moyens de 0,8 % en volume, c’est-à-dire à peu près à mi-chemin entre 2 % et zéro valeur. Le PA2 semble finançable dans ce scénario médian mais pas dans le plus sévère. Quoi qu’il en soit, dans les deux cas, il faudrait interrompre des programmes majeurs, ou en tout cas ralentir leur cadence de réalisation dans des proportions très significatives.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : De quelles informations disposez-vous concernant les modalités de financement du programme FREMM ? Quel est le montage budgétaire ?

Le vice-amiral d’escadre Christian Pénillard : La règle des treize dix-neuvièmes résulte d’un arbitrage de 2004. L’état-major de la marine avait proposé un montage financier innovant qui aurait certainement engagé l’État sur très long terme et le gouvernement de l’époque n’y a pas souscrit. Il a donc fallu envisager le retour des FREMM dans le cadre de l’enveloppe de la programmation alors que « la peau de l’ours avait déjà été vendue » et qu’un premier accroc apparaissait en exécution avec la prise de conscience d’un besoin supplémentaire de plus d’un milliard d’euros sur le programme Rafale.

En 2004, 5 à 6 milliards de crédits correspondant à des programmes physiques ont dû être décalés, à cause de ces factures inopinées concernant le Rafale et de surcoûts, d’une part, sur le maintien en condition opérationnelle – le MCO – et, d’autre part, sur les programmes approchant de la phase de réalisation. Nous nous sommes rendu compte que les FREMM coûtaient plus cher que prévu, notamment à cause de la coopération avec les Italiens, qui a renchéri le design. Dans le même temps, la LPM nous demandait d’inscrire le second porte-avions dans la programmation.

Un compromis a été trouvé par Matignon pour tenir compte des réalités : les crédits correspondant aux six dix-neuvièmes du financement des FREMM seraient imputés sur l’enveloppe de la loi de programmation militaire et treize dix-neuvièmes seraient financés en loi de finances rectificative (LFR). Le financement est devenu effectif dans la LFR 2006 mais il n’y pas eu d’ouverture de crédits en LFR pour 2007. Pour la bonne gestion des programmes d’équipement des forces, il conviendrait que cette absence de dotations de 2007 soit compensée dans la LFR pour 2008 ou dans la LFI pour 2009. Le problème sera évidemment reconsidéré dans le cadre plus global de la programmation.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Compte tenu des modalités de financement aléatoires des FREMM, n’avez-vous pas le sentiment que c’est le programme marine le plus vulnérable ?

Le vice-amiral d’escadre Christian Pénillard : Non, car sur le terrain de l’équipement des forces interarmées, l’argent n’a pas d’odeur : aucune ligne n’est sanctuarisée pour tel ou tel programme. Nous réévaluons en permanence l’allocation optimale des moyens budgétaires pour satisfaire l’objectif qui nous est assigné par la politique de défense, en régulant au mieux l’alimentation des différents programmes.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Si l’argent n’a pas d’odeur, il est rare. Certains programmes obtiennent les crédits de paiement prévus et d’autres non, en particulier celui des FREMM.

Le programme Barracuda a été inscrit dans la loi de programmation militaire et a fait l’objet d’une commande de six bâtiments par Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense, en 2006. Des autorisations d’engagement ont été ouvertes en loi de finances pour couvrir la fin des études et une partie du premier sous-marin. Les autres tranches sont conditionnelles mais les crédits sont ouverts. Sur le PA2, aucune décision n’a été prise mais la tentation politique de mener un programme en commun avec les Britanniques est forte, à telle enseigne que 3 milliards d’euros ont été inscrits en autorisations d’engagement.

La situation des FREMM est plus compliquée, pour deux raisons. Premièrement, les treize dix-neuvièmes prévus dans le montage financier se font attendre. Deuxièmement, on nous explique que, du point de vue industriel, des FREMM prévues pour l’exportation peuvent être intercalées entre deux FREMM françaises. N’est-ce pas le programme sur lequel la marge de manœuvre pour plier les genoux est la plus importante ?

Le vice-amiral d’escadre Christian Pénillard : Si l’on raisonne indépendamment des contraintes externes et sur la base d’une réflexion stratégique, la première variable d’ajustement est plutôt le calendrier de réalisation du PA2, suivie de la cadence de réalisation des FREMM et celle des Barracuda, avec évidemment un impact mécanique sur le format des forces dans dix ans, à cause de l’âge des bâtiments actuels.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Et jouer sur le rythme de production des Barracuda compromettrait fortement l’avenir du seul site industriel capable de fabriquer des sous-marins pour le compte de la défense nationale.

Le vice-amiral d’escadre Christian Pénillard : Absolument, cela fait partie des paramètres analysés et pris en compte. Il ne faut pas se laisser abuser par la technique financière et les aléas des montages d’autorisations d’engagement et de flux de paiements.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Cela nous intéresse tout de même au plus haut point puisque cela s’inscrit dans l’optique de l’exécution des lois de programmation.

Le vice-amiral d’escadre Christian Pénillard : Mais cela ne reflète pas forcément la stratégie globale que proposera l’état-major des armées.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Il n’en demeure pas moins que les parlementaires sont interpellés par le fait que l’exécutif ne sache pas financer les programmes qu’il engage. Pendant plusieurs années, nous avons entendu un discours extrêmement volontariste, assorti d’une condamnation de l’action de gouvernements précédents qui auraient sacrifié une annuité de crédits de la LPM 1997-2002. Mais, plutôt que de combler le retard dont ces derniers étaient supposés porter la responsabilité, des programmes ont été commandés et financés d’une façon complètement baroque, qui donne l’impression d’une sorte de fuite en avant. Cela nous intéresse au plus haut point ; nous nous efforçons de comprendre les raisons des difficultés actuelles pour essayer de les résoudre.

Le vice-amiral d’escadre Christian Pénillard : Il est vrai qu’en 2002, les ressources ont été augmentées, mais qu’on a aussi inscrit des programmes nouveaux avec le projet de second porte-avions, qui était en option dans la loi de programmation précédente.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : En 1997, lorsque la majorité a changé, le programme FREMM n’était pas encore sorti des bureaux d’études ; le programme de frégates préparé à l’époque était celui des frégates Horizon.

Le vice-amiral d’escadre Christian Pénillard : Les FREMM sont destinées à remplacer les frégates de type F67 et F70 ainsi que la quinzaine d’avisos qui arrivent également en fin de course. Je pense qu’il convient de raisonner en fonction du format d’outil de défense requis à terme et de prendre les trajectoires les plus adaptées, sans créer de surcapacités ni de manques irréparables. Il était en tout cas indispensable de lancer un programme de frégates pour commencer à remplacer les F67 et les F70, qui auront vingt-cinq ans de moyenne d’âge et jusqu’à trente-trois ou trente-cinq ans pour les plus âgées lorsque la première FREMM sera livrée.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Personne ne conteste la nécessité de lancer simultanément les programmes Barracuda, FREMM et PA2. Dès lors, la représentation nationale peut légitimement considérer que leur financement était incontestable.

Le vice-amiral d’escadre Christian Pénillard : Je ne peux qu’en convenir !

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : C’est un raisonnement un peu sommaire mais très efficace.

Le vice-amiral d’escadre Christian Pénillard : Je le fais mien !

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Mais les choses ne se sont pas passées ainsi.

Le vice-amiral d’escadre Christian Pénillard : La loi de programmation précédente 1997-2002 a connu une série de déboires, avec des « bourrages » en gestion et, en 1998, l’écrêtement des financements prévus. Des devis ont dû être rendus sincères. Nous avons eu aussi quelques mauvaises surprises en matière de coût des facteurs et de MCO.

En tout cas, nous restons manœuvrants : nous sommes capables de réduire la voilure et d’adopter une trajectoire vers un modèle plus réduit, dans les pires hypothèses financières envisagées. Aux paiements inéluctables liés aux engagements pris jusqu’à 2006, qui atteignent quelque 44 milliards d’euros, il faut ajouter les commandes de 2007, qui ont été considérablement réduites par rapport au référentiel de programmation pour passer, le cas échéant, sous une toise inférieure. Nous attendons de savoir ce que le pays veut comme outil de défense ; tant que je n’ai pas ces orientations, je ne sais pas répondre plus précisément à vos questions.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Je le comprends, mais je ne puis m’empêcher d’insister. Sait-on jamais, peut-être pourrons-nous obtenir de nouvelles informations. C’est d’ailleurs déjà le cas : vous nous avez éclairés à propos des scénarios que vous envisagez en fonction des différentes hypothèses budgétaires, sujet sur lequel la plupart de nos interlocuteurs précédents s’étaient montrés extraordinairement prudents.

Pour quelles raisons les programmes en coopération se multiplient-ils alors que nos interlocuteurs ont tous considéré qu’ils coûtent plus cher, contrairement à ce qui était annoncé au départ ?

Le vice-amiral d’escadre Christian Pénillard : C’est une excellente question et je ne peux qu’abonder dans votre sens. Les programmes en coopération suscitent très souvent des déceptions. Ils sont lancés dans l’excellente intention de convaincre les pays partenaires d’oublier un peu l’égoïsme national et de rationaliser l’outil de défense européen. Or les programmes arrivant à terme semblent coûter plus cher que s’ils avaient été conduits au niveau national. Cela reste au demeurant à prouver car l’on observe toujours un renchérissement entre le moment du choix et celui de la réalisation, y compris pour les programmes nationaux. D’après les chiffres communiqués en 2002 au Président de la République, le coût prévisionnel affiché du PA2 en national était légèrement inférieur à 2 milliards d’euros ; aujourd’hui, nous cherchons à le maintenir à 3 milliards et les offres industrielles s’établissent plutôt à 3,5 milliards. Si le coût prévisionnel est aussi élevé, c’est que nos partenaires britanniques ont refusé une construction en série, même sur plusieurs sites, seuls les plans et quelques équipements communs restant partagés.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Nous avons reçu à ce sujet un professeur allemand très intéressant par son approche atypique du sujet. Il nous a expliqué que les Britanniques réalisent une excellente affaire dans l’opération puisqu’ils ont fait avorter la coopération industrielle et ont été ravis que nous payions le design de leur propre porte-avions.

Le vice-amiral d’escadre Christian Pénillard : C’est vrai. Pour que nous entrions dans leur projet, ils nous ont demandé des honoraires excédant 100 millions de livres sterling et nous en avons payé près de la moitié.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : C’est incroyable ! D’après le chef d’état-major de la marine, ces programmes de coopération doivent être mesurés à l’aune de la volonté politique conjointe des États de concentrer davantage leurs industries de défense. Mais cela n’a de sens que si l’on est sûr de ne pas faire disparaître notre propre industrie au profit de celle de nos partenaires. Des sous-marins ont été fabriqués avec Bazan pour le compte des Chiliens et la nouvelle structure espagnole, Navantia, dont l’actionnaire unique est l’État espagnol, est en train de proposer des sous-marins S 80 à d’autres pays en s’inspirant de nos produits. Quant au PA2, vous venez de décrire ce qu’il en est. Les coopérations sont louables mais à condition qu’elles ne ruinent pas nos intérêts.

Les États-Unis comptent certes moins de centres de recherche et de développement que l’Europe, mais la différence fondamentale est qu’ils sont gouvernés par un Président unique et un secrétaire d’État à la défense unique, et que ceux-ci sont animés par un sens aigu de l’intérêt national. Où est l’identité de vue en matière de stratégie de défense européenne ? Pour mener des opérations conjointes, il n’est nul besoin de concentrer nos industries ; commençons par nous mettre d’accord sur les orientations de défense.

Le vice-amiral d’escadre Christian Pénillard : Je partage totalement votre point de vue : nous mettons parfois notre tissu industriel en péril à cause de considérations politiques optimistes.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur : Afficher de l’optimisme politique n’est pas grave si l’on n’est pas le seul à le faire.

Le vice-amiral d’escadre Christian Pénillard : Il y a quinze ans, nous avons su sortir d’un programme en coopération dans un cas particulier, celui de l’avion de combat futur, l’Eurofighter, afin de préserver l’industrie nationale. Si l’on compare les prix de série connus respectifs de l’Eurofighter et du Rafale, nous n’avons pas à le regretter !

Le devis des FREMM a été tiré vers le haut car les Italiens voulaient un bateau plus rapide. Une coopération n’est intéressante que si le montage industriel est intelligent. Un porte-avions commun aurait pu être produit sans tuer un chantier naval anglais ou français mais, pour des motifs stratégiques de long terme, les Britanniques ont jugé utile de fabriquer la totalité de leurs deux porte-avions chez eux.

M. David Habib, Président : Je vous remercie, amiral, pour votre liberté de ton, qui nous sera précieuse pour préparer la rédaction du rapport. Vous avez incontestablement joué le jeu de la franchise que vous invoquiez en avant-propos.

1 () La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

2 () Naturellement, ce surcoût du programme, en partie lié à des suppléments d’impôts, correspond à la charge brute pesant sur le budget de la mission Défense et des recettes fiscales. Pour l’ensemble des administrations publiques, le dépassement est plus faible.

3 () L’annonce de l’ouverture prochaine, aux Émirats Arabes Unis, d’une base française sur laquelle seront stationnés en permanence des appareils de l’armée de l’air est de nature à alimenter la réflexion.

4 () Selon le dernier alinéa de l’article 2 de la loi de programmation militaire 2003-2008. C’était déjà le cas pour la précédente LPM 1997-2002.

5 () Synthèse publiée au Journal officiel du 22 mars 2003.

6 () Société dédiée à l’exportation et aux programmes en coopération, précédemment filiale à 50 % de DCN et de Thales et, depuis avril 2007, filiale à 100 % de DCNS.

7 () L’expérience est ancienne puisque des sous-marins de type Agosta ont été exportés en Espagne et au Pakistan.

8 () Le Barracuda étant annoncé à moins de 5 000 tonnes de déplacement en surface, que dire des SNA américains des classes Virginia (6 900 tonnes), Seawolf (8 000 tonnes), Los Angeles (6 000 tonnes) ?

9 () Expression d’une loi de Panurge décrite par Rabelais bien avant la réalisation des premiers sous-marins.

10 () Rapport transmis à votre commission des Finances en avril 2007.

11 () Synthèse publiée au Journal officiel du 28 avril 2001.

12 () Synthèse publiée au Journal officiel du 15 mai 2004.

13 () L’industrie navale de défense en Europe : un avenir en suspens ? d’Hélène Masson et Cédric Paulin, 23 octobre 2006.

14 () 8 FREMM pour la France et 2 pour l’Italie à comparer à 4 frégates F 125.

15 () Les autres chantiers de construction navale ont également adopté le mode de construction par blocs, sachant que les masses en cause peuvent être inégales, un anneau de frégate représentant 300 tonnes environ et un anneau de navire civil pouvant atteindre 800 tonnes.

16 () A contrario, le marché du dispositif de protection de la rade de Brest, dit du « goulet de Brest », a été remporté par Thales à l’automne 2005 contre DCN.

17 () Synthèse publiée au Journal officiel du 24 juillet 2007.


© Assemblée nationale