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N° 1235

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 novembre 2008.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

relatif à la crise financière internationale

ET PRÉSENTÉ

par MM. Didier MIGAUD, Président,

et Gilles CARREZ, Rapporteur général

Députés.

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AVANT-PROPOS DE M. DIDIER MIGAUD, PRÉSIDENT 7

AVANT-PROPOS DE M. GILLES CARREZ, RAPPORTEUR GÉNÉRAL 11

CONTRIBUTION DES GROUPES 17

A.– CONTRIBUTION DU GROUPE UMP 17

B.– CONTRIBUTION DES DÉPUTÉS DU GROUPE SOCIALISTE, RADICAL, CITOYEN ET DIVERS GAUCHE MEMBRES DE LA COMMISSION DES FINANCES DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN 21

C.– CONTRIBUTIONS DU GROUPE GDR 27

1.– Contribution de M. Jean-Pierre Brard 27

2.– Contribution de M. François de Rugy 29

D.– CONTRIBUTION DU GROUPE NOUVEAU CENTRE 30

LES PISTES DE RÉFORME 35

1.– Les modalités d’application des normes comptables IFRS 35

2.– Les caractéristiques du processus de titrisation et des produits dérivés 37

3.– Les acteurs de marché et l’appréhension du risque 38

4.– Régulateurs, superviseurs et organismes internationaux : la coordination internationale 41

COMPTE RENDU DES TRAVAUX DE LA COMMISSION 43

1.– Mardi 2 octobre 2007, séance de 16 heures, compte rendu n° 1 43

–   Audition, ouverte à la presse, de M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, M. Michel Prada, président de l’Autorité des marchés financiers, M. Jean-Pierre Mustier, directeur général adjoint du groupe Société Générale, M. Richard Hunter, directeur général de l’agence de notation Fitch Ratings, M. Michel Aglietta, économiste, conseiller scientifique du CEPII, M. Henri Bourguinat, économiste, fondateur du Laboratoire d’analyse et de recherche économiques, sur la crise financière 43

2.– Lundi 4 février 2008, séance de 11 heures, compte rendu n° 54 62

–   Audition, ouverte à la presse, de Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, des finances et de l’emploi sur le rapport, remis au premier ministre, faisant le point sur les événements récents ayant affecté les résultats de la Société Générale 62

3.– Mardi 5 février 2008, séance de 16 heures 15, compte rendu n° 56 83

–   Audition, ouverte à la presse, de M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, et de Mme Danièle Nouy, secrétaire générale de la Commission bancaire, sur les dispositifs de contrôle bancaire et sur la régulation des systèmes financiers 83

4.– Mardi 20 février 2008, séance de 11 heures, compte rendu n° 64 99

–   Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Prada, président de l’Autorité des marchés financiers, et de M. Gérard Rameix, secrétaire général de l’AMF sur les dispositifs de contrôle bancaire et sur la régulation des systèmes financiers 99

5.– Mercredi 26 mars 2008, séance de 16 heures 15, compte rendu n° 68 110

–   Réunion de travail sur les opérations de marchés avec M. Charles-Henri Filippi, président de HSBC France, M. Samir Assaf, responsable mondial des marchés HSBC Londres, M. Loïc Bonnat, secrétaire général banque de grande clientèle et marché HSBC France, M. Christophe CHAZOT, responsable mondial des dérives actions HSBC France et M. Didier Marteau, économiste 110

6.– Mercredi 27 février 2008, séance de 10 heures 30, compte rendu n° 66 111

–   Audition, ouverte à la presse, de M. Alexandre Lamfalussy, ancien directeur général de la Banque des règlements internationaux et ancien président du Comité des sages sur la régulation des marchés européens des valeurs mobilières, sur la crise financière et bancaire. 111

7.– Mercredi 9 avril 2008, séance de 9 heures 30, compte rendu n° 71 125

–   Audition, ouverte à la presse, de M. Daniel Bouton, président de la Fédération bancaire française, sur la crise financière et la régulation des systèmes bancaires 125

8.– Mardi 13 mai 2008, séance de 16 heures 15, compte rendu n° 80 149

–   Table ronde, ouverte à la presse, avec MM. Christian de Boissieu, Xavier Timbeau, Marc Touati et Jean-Hervé Lorenzi, économistes, sur la situation économique et financière internationale 149

9.– Mardi 3 juin 2008, séance de 17 heures, compte rendu n° 89 170

–   Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Pierre Landau, sous-gouverneur de la Banque de France, de M. Patrick Artus, directeur des études économiques de Natixis, et de M. Jean-Paul Herteman, président du directoire de Safran, sur les effets des parités monétaires sur les économies 170

10.– Mercredi 25 juin 2008, séance de 10 heures 30, compte rendu n° 99 188

–   Audition de M. Michel Bouvard, président de la Commission de surveillance, et de M. Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, sur l’activité de la CDC 188

11.– Mercredi 16 juillet 2008, séance de 9 heures, compte rendu n° 106 205

–   Examen du rapport sur la proposition de résolution sur les fonds souverains (M. Daniel Garrigue, rapporteur) 205

12.– Mardi 30 septembre 2008, séance de 14 heures 30, compte rendu n° 123 210

–   Audition de Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi, sur la situation du groupe Dexia 210

13.– Mardi 7 octobre 2008, séance de 16 heures 15, compte rendu n° 3 220

–   Audition de M. Charles Milhaud, président du directoire de la Caisse nationale des caisses d’épargne, sur la crise financière internationale 220

14.– Mardi 7 octobre 2008, séance de 18 heures, compte rendu n° 4 229

–   Audition de M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, et de M. Michel Prada, président de l’Autorité des marchés financiers, sur la crise financière internationale 229

15.– Mercredi 8 octobre 2008, séance de 18 heures 30, compte rendu n° 9 246

–   Audition de M. Georges Pauget, directeur général du Crédit agricole, président de la Fédération bancaire française, sur la crise financière internationale 246

16.– Jeudi 9 octobre 2008, séance de 9 heures 15, compte rendu n° 11 257

–   Audition de M. Michel Bouvard, président de la Commission de surveillance et de M. Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations 257

17.– Jeudi 9 octobre 2008, séance de 10 heures 30, compte rendu n° 12 268

–   Table ronde, ouverte à la presse, sur la crise financière internationale, avec les interventions de MM. Michel Aglietta et Jean Tirole, économistes, et de M. René Ricol, auteur d’un rapport au Président de la République sur la crise financière 268

18.– Mercredi 22 octobre 2008, séance de 8 heures 30, extrait du compte rendu n° 23 284

–   Audition de Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi sur la mise en place de la Société française de financement de l’économie – SFFE – et de la Société de prise de participations de l’État - SPPE – et sur la mise en œuvre des premières mesures. 284

19.– Jeudi 30 octobre 2008, séance de 11 heures 30, compte rendu n° 31 298

–   Communication, ouverte à la presse, sur les normes comptables et la crise financière de MM. Dominique Baert et Gaël Yanno, Rapporteurs de la mission d’information sur les enjeux des nouvelles normes comptables 298

EXAMEN EN COMMISSION 309

AVANT-PROPOS DE M. DIDIER MIGAUD, PRÉSIDENT

En septembre 2007, il devenait clair que la crise du marché hypothécaire aux États-Unis – la crise des subprimes – dont on avait observé le démarrage en août, faisait peser une menace sur le système bancaire américain et sur l’économie américaine. Nous avions connaissance dès septembre de la progression fulgurante des saisies immobilières, du retournement du marché immobilier et d’un ralentissement de la croissance outre-atlantique.

Dans un premier temps, la commission des Finances a engagé une série d’auditions, ouvertes à la presse, afin de déterminer les causes des dysfonctionnements observés et d’évaluer les risques d’une propagation de cette crise au système bancaire mondial et à l’économie réelle.

Dès le 2 octobre 2007, la Commission a entendu, au cours d’une même réunion, les autorités des marchés monétaire et financier– le gouverneur de la Banque de France et le président de l’Autorité des marchés financiers – un dirigeant d’une grande banque française, le responsable d’une agence de notation et deux économistes, Michel Aglietta et Henri Bourguinat : première audition très instructive, au cours de laquelle ces deux économistes ont exprimé des points de vue un peu décalés par rapport à ceux des acteurs « institutionnels ». Plus pessimistes, ils ont relevé que les causes de la crise ne se limitaient pas aux défaillances consécutives au dispositif des subprimes mais tenaient notamment au développement d’une titrisation qui, progressivement, avait éloigné le porteur du risque de celui qui l’avait ouvert. Déjà, le rôle et le fonctionnement des agences de notation étaient pointés, la question de la traçabilité du risque soulevée et la possibilité d’une propagation rapide à l’ensemble du système financier envisagée.

Les auditions suivantes ont permis à la Commission d’affiner ce diagnostic. Nous avons notamment entendu, en février 2008, Alexandre Lamfalussy, ancien directeur de la Banque des règlements internationaux et ancien président du Comité des sages sur la régulation des marchés européens des valeurs mobilières. Il a souligné, entre autres, le haut degré d’opacité des marchés financiers, le caractère inadéquat de la notation de produits composites par les agences de notation et le défaut de régulation aux États-Unis. Il faisait part du risque d’une propagation de la crise aux rehausseurs de crédit – qui avaient ajouté à leur fonction première de garantie des dettes des municipalités une activité d’émissions d’obligations de toutes sortes– et d’une influence paralysante de la crise sur l’économie réelle.

C’est bien ce qui est arrivé, la défiance interbancaire et la chute des marchés financiers s’étant accentuées après la faillite de Lehman brothers le 15 septembre dernier.

Les défaillances de plusieurs établissements bancaires en Europe et la menace d’une paralysie du crédit ont incité les États européens, sous l’impulsion de la présidence française, à choisir une même méthode d’intervention, dans un même temps.

La commission des Finances a eu l’occasion de saluer la rapidité et la coordination de ces réactions tout en manifestant la plus grande vigilance quant à l’application qui sera faite des premières mesures du plan français : la souscription, par l’État, de 10,5 milliards d’euros à des titres super-subordonnés des grands établissements bancaires.

Elle souhaite maintenant, au-delà des réponses d’urgence, et au terme d’un premier cycle d’auditions qui s’est clos, tout récemment, avec les interventions des économistes Michel Aglietta et Jean Tirole ainsi que de René Ricol, auteur d’un rapport sur la crise financière, faire part des axes de réflexion qui ont pu se dégager des auditions réalisées, dans la perspective de réformes substantielles du système financier.

Le travail d’analyse et de prospective, mené depuis une année, qui fait l'objet du présent rapport, permet de dresser la liste des sujets qui sont aujourd'hui à l'agenda des pouvoirs publics, aux niveaux national, européen et mondial.

Celle-ci est longue et donne la mesure des défis qui doivent être relevés. Aux questions, déjà évoquées, des effets de la titrisation sur l'identification et la localisation des risques, du rôle joué par les agences de notation, des conséquences des nouvelles normes comptables, s’ajoutent celles de la place insuffisante laissée à la régulation publique par rapport à l'autorégulation, du mode de rémunération des opérateurs de marché, du rôle des fonds spéculatifs, de celui des paradis fiscaux et de la fonction des fonds souverains.

J'ajoute que l'analyse et les réformes qui devront en découler ne peuvent être cantonnées au seul secteur financier. On n’a sans doute pas assez relevé l’origine économique et sociale de la crise. Ainsi, le recours démesuré au crédit est la conséquence inéluctable d’une politique salariale trop restrictive, d'une progression bridée du pouvoir d'achat de la très grande majorité des ménages. De même, les déséquilibres financiers constatés au niveau international, se combinant avec des stratégies de change décidées de manière non coordonnées, ont alimenté des dynamiques de plus en plus déstabilisantes.

Se posent aujourd'hui la question de la capacité politique à organiser aux niveaux international, européen et national le fonctionnement des marchés, et celle du niveau le plus pertinent pour mener chacune des réformes.

En effet, il faut se garder de deux écueils : s’il n’est pas question de prétendre vouloir traiter l’ensemble des problèmes au niveau national, il ne faut pas pour autant renoncer à une action à ce niveau lorsqu’il est pertinent.

Je juge ainsi indispensable que la représentation nationale soit rapidement saisie d'un projet de loi de régulation financière qui tendrait à améliorer les règles en vigueur dans notre pays en matière d’encadrement des rémunérations dans le secteur financier, de régimes de sanction applicables par les régulateurs, d’application et d’adaptation des règles comptables, d'encadrement du marché du crédit et de réglementations en matière de prise de contrôle des entreprises. J'ajoute que devra être également résolue à cette occasion la question du financement des interventions publiques : le coût de la crise doit d'une manière ou d'une autre être répercuté sur ses responsables, et la fiscalité a, à mes yeux, un rôle central à jouer.

L'intervention du Parlement doit être mieux assurée en matière de transposition des règles décidées au niveau communautaire. Il n'est en effet pas acceptable que des pans entiers du droit financier et comptable échappent, par le biais des ordonnances, à l'examen du Parlement, au motif de leur technicité.

Enfin, le Parlement doit être en mesure de travailler avec le gouvernement à la redéfinition des règles aux niveaux communautaire et international. Les auditions menées par la commission des finances ont permis de bien démonter la mécanique de propagation de la crise - et en amont les éléments qui ont permis le développement d’un tel risque. Les activités financières sont trop souvent non régulées et inégalement supervisées. Les distorsions de réglementation et de pouvoirs des régulateurs et superviseurs doivent être corrigées, en établissant des règles communes de qualité. Ceci supposera :

– d'améliorer encore le modèle de réglementation et de supervision européen, en vue d’une interprétation harmonieuse des règles ;

– de mettre au point une architecture européenne de supervision efficiente qui passe par le développement des comités dits de niveau 3 : Comité européen de régulation des valeurs mobilières (CESR), Comité européen des superviseurs bancaires (CEBS) et Comité européen des superviseurs des assurances et organismes de prévoyance (Ceiops) ;

– de définir de nouvelles règles prudentielles, en association avec les pays émergents pour une application globale harmonisée ;

– de s'attaquer résolument à l’investissement dans des entités ne respectant pas les règles : c’est le problème des entités établies dans les paradis fiscaux ;

– de progresser vers une coordination, au niveau mondial, des grands superviseurs et des gouvernements ;

– mais aussi de faire du FMI le garant de la « stabilité financière » mondiale, en permettant une gestion collective des déséquilibres monétaires mais aussi financiers, en alertant sur les dérives identifiées et en préconisant des mesures correctives.

AVANT-PROPOS DE M. GILLES CARREZ, RAPPORTEUR GÉNÉRAL

La crise déclenchée par la dégradation des notations des valeurs adossées à certaines créances hypothécaires américaines bouleverse un système financier qui s’est développé dans un monde aux multiples interdépendances, caractérisé par une abondance de liquidités génératrice de prises de risque excessives. Cette crise a très nettement mis au jour l’incapacité des marchés financiers à gérer en amont le risque et en aval les turbulences, dérivant en crise de liquidité et de confiance et maintenant en crise économique. L’instauration d’une régulation financière efficace est un impératif et nous devons joindre nos efforts pour parvenir à un système financier international rénové et efficace. Pour y parvenir, il faut une volonté commune des États. Cela implique une capacité à formuler de manière concertée les modalités appropriées au dénouement de la crise et au-delà à identifier les carences et déséquilibres qui les ont permises.

La distribution mondiale des soldes courants s’écarte de la normalité depuis dix ans. L’accroissement des inégalités de revenu et de patrimoine dans les pays développés a conduit à une recherche dynamique de placements rentables, parallèlement à une accumulation massive d’avoirs de réserve de change dans les pays émergents d’Asie et dans les pays exportateurs de pétrole. Cette épargne mondiale s’est investie dans des produits de plus en plus sophistiqués, dont la mise au point était stimulée par la concurrence exacerbée existant entre investisseurs institutionnels pour attirer cette épargne.

Le fonctionnement même de l’économie américaine depuis le début du siècle est en cause, avec un taux d’épargne quasi-nul, un boom immobilier qui finance la croissance par le développement de la titrisation des crédits, un dollar monnaie de réserve. Excès d’épargne mondiale ? Sans aucun doute et l’apparition des fonds souverains en est une illustration. Mais aussi excès de liquidité et financement de la croissance américaine – et du déficit courant américain – par des mécanismes de plus en plus déconnectés des fondamentaux de l’économie.

L’innovation financière a permis de proposer aux ménages américains de rendre leurs actifs plus liquides que jamais, limitant le besoin d’épargne de précaution, y compris pour le premier actif que possèdent les Américains, c'est-à-dire le logement. Une politique monétaire accommodante, expansionniste, a constitué un élément déterminant dans le fonctionnement du modèle de financement de la croissance américaine. Combiné aux innovations financières, l’accès au crédit a impulsé une dynamique exceptionnelle et démultiplié l’abondance et la profondeur des liquidités. Cela s’est traduit par une interconnexion complète entre la valorisation d’actifs réels, immobiliers, la sphère du crédit et les marchés financiers. L’opacité des opérations, les défauts de régulation et de supervision, tacitement acceptés dans un contexte de croissance, génèrent aujourd’hui des dégâts considérables auxquels il faut apporter des réponses rapides et indiscutables. Pour proposer des remèdes, il faut d’abord comprendre les origines et le processus de propagation de la crise.

1. Des créances hypothécaires à risque

Le marché subprime américain jouait un rôle de premier point d’entrée dans le crédit, dans un système reposant sur l’extraction hypothécaire. Les emprunteurs ont en effet aux États-Unis la possibilité de mobiliser la valeur nette du bien immobilier pour bénéficier d’une ligne de crédit ou pour refinancer leur prêt. Dans un contexte de valorisation continue du marché immobilier, cette possibilité de refinancement, donc de sortie du segment subprime, rend le mécanisme d’un segment de prêts à des taux très élevés supportable à moyen terme pour l’essentiel des emprunteurs.

À partir de 2004, la hausse des prix des logements s’est combinée au resserrement monétaire (hausse des taux initiée par la Réserve fédérale en juin). L’indicateur de solvabilité s’est alors dégradé fortement, notamment chez les primo-accédants. Les ménages se sont tournés de plus en plus vers des nouveaux produits offrant des conditions de prêts particulièrement attractives en début de période. Sur le segment subprime, la qualité des prêts se dégrade : ils sont souscrits par des personnes présentant des garanties de solvabilité très insuffisantes, mal informées des clauses potentiellement explosives des prêts lors du réajustement des mensualités.

Ces innovations financières dangereuses permettaient aux différents acteurs du marché de trouver des placements très rémunérateurs et donc aux émetteurs de disposer de liquidités abondantes. La remontée des taux par la Réserve fédérale aurait pu déstabiliser uniquement les emprunteurs manifestement insolvables. Pour les autres, la valorisation des biens immobiliers et le refinancement des prêts par extraction hypothécaire auraient pu se poursuivre.

Dans ces conditions, les appels à la raison étaient inaudibles. Si le marché immobilier avait maintenu sa croissance, la valeur des créances titrisées se serait maintenue à un niveau quasiment inchangé et les prêteurs n’auraient pas été affectés. Or, aux États-Unis, le marché immobilier est entré en phase de récession en 2007 : les taux de défaut, c'est-à-dire les saisies et arriérés de plus de deux mois sur les prêts subprimes sont passés de 10 % de moyenne à 16 % en août 2007.

2. Des créances titrisées dans des produits sophistiqués et opaques

Les crédits hypothécaires étaient massivement titrisés et les produits vendus très bien notés, malgré la complexité aberrante que certains pouvaient présenter. Car la pratique de la titrisation ne consistait plus seulement à vendre un ensemble de crédits accordés à une société ad hoc émettant des obligations vendues à des investisseurs, obligations remboursées au fur et à mesure que les crédits qu’elles représentent le sont. Plusieurs niveaux de titrisation intervenaient pour aboutir à un produit final opaque : titres hypothécaires groupés en paquets et découpés par tranche de risques, création de placements supposés peu risqués en mélangeant des tranches de crédits risqués remboursés en priorité, des placements à nouveau combinés à des placements supposés meilleurs, parfois acquis à crédit par des fonds d’investissement etc.

Les établissements de crédit détiennent une part importante de responsabilité dans le degré d’opacité. Contournant les contraintes prudentielles, ils ont notamment titrisé des créances cédées par des courtiers auprès de fonds se finançant par l’émission de papier commercial à court terme (« conduits ») et de véhicules d’investissement spécialisés se finançant par l’émission de notes à moyen terme (« SIV » pour structured investment vehicule). Le papier commercial émis bénéficiait d’une ligne de substitution accordée par l’établissement à l’origine du crédit et du montage. Ce qui signifie qu’ils auraient dû être attentifs au risque, partiellement soumis au marché. Ces conduits et véhicules ont acquis des actifs en grande quantité, pour plus de la moitié des prêts à l’habitat.

La titrisation confère de la liquidité à des créances illiquides et présente normalement l’avantage de mutualiser les risques. En se développant dans la négation du risque et sous des formes sophistiquées, elle s’est transformée en un vecteur de diffusion du risque lors de la dégradation de la notation des créances sous-jacentes, que nul n’était alors capable de repérer. L’incertitude sur la localisation du risque et sur la valorisation de ces produits, segmentés et structurés différemment suivant les opérateurs, a dégénéré en crise de confiance généralisée.

3. L’été 2007, premier acte de la crise : dévalorisations, réintermédiation du crédit et crise de liquidité

Avec la montée des taux de défaut sur les prêts à l’habitat, les agences de notations ont commencé à dégrader la notation accordée aux titres émis par les « conduits » et « SIV ». Le phénomène de dévalorisation est brutal : la décote des crédits hypothécaires titrisés atteint, en quelques mois, 25 % pour les tranches les moins risquées et 50 % pour les autres. Le coût des défaillances des emprunteurs américains ayant été transféré au marché, il est supporté par les acheteurs de titres hypothécaires, qui sont autant des investisseurs privés que des établissements de crédit : les produits de marchés issus de la titrisation des créances hypothécaires du marché subprime sont dans les bilans des banques, des assurances, des gestionnaires d’actifs et des hedge funds, partout dans le monde.

L’incapacité des détenteurs à connaître la composition de leurs bilans et donc à analyser leur degré d’exposition provoque alors une crise de liquidité sur le marché interbancaire. Les investisseurs cessent d’acheter le papier commercial émis par les « conduits » et « SIV ». Ceux-ci activent leurs lignes de garanties bancaires et les banques se trouvent obligées de se substituer aux investisseurs de marché pour assurer la liquidité de ces instruments hors bilan. Certaines banques jouent également le rôle de teneur de marché en rachetant des parts émises par des fonds qu’elles parrainaient, par exemple des OPCVM monétaires « dynamiques », afin de maintenir les cours et la réputation de ces fonds. La fuite vers la sécurité a provoqué une demande accrue de titres d’État. À peu près tous les acteurs de l’industrie financière préfèrent privilégier des placements à très court terme parce qu’ils craignent des demandes de remboursement de leurs Sicav et OPCVM et par méfiance à l’égard de tous les actifs longs.

Concomitamment, les banques subissent des pertes sur les portefeuilles bancaires de titres adossés à des créances hypothécaires subprimes, accentuées par les ventes à prix bradés effectuées par les fonds spéculatifs spécialisés pour faire face à leurs besoins de liquidité. L’impossibilité pour certaines banques d’apprécier correctement leurs risques et leur exposition à la crise des subprimes alimente la défiance des marchés. L’annonce par BNP-Paribas le 9 août 2007 de l’interruption de rachat de parts de trois de ses fonds dont la valorisation de certains actifs liés aux subprimes est devenue impossible joue un rôle de catalyseur de la crise de confiance. Les banques deviennent réticentes à se prêter entre elles, même à court terme, alors que leur besoin de liquidité est au plus haut. Les déposants aussi s’inquiètent de leur résilience, comme en atteste la ruée sur les guichets de la Northern Rock le 14 septembre 2007, phénomène que la Grande-Bretagne n’avait pas connu depuis 1866.

Une politique monétaire active contient partiellement la crise jusqu’au 15 septembre dernier. Les orientations des banques centrales ont été bouleversées : elles injectent des milliards de dollars et assouplissent les conditions de refinancement au fur et à mesure que s’accentuent les besoins. Le pire de la crise semble passé après que l’essentiel des dévalorisations de portefeuille fut réalisé L’intervention des banques centrales, notamment la récente baisse coordonnée des taux, est insuffisante pour répondre à l’ampleur de la crise lorsqu’elle atteint un stade critique – du moins espérons-le – en septembre 2008, contraignant à des interventions publiques d’une ampleur inédite. La faillite de Lehman Brothers a conduit à une accélération de la crise après plusieurs semaines de stabilisation qui conduisait certains à préconiser de simples correctifs et à entrevoir la dissipation progressive de la crise sous l’intervention des banques centrales ? Le changement de position des autorités américaines est alors remarquable. Nous devons à cet égard saisir la fenêtre d’opportunité que constitue l’existence d’un consensus inespéré il y a quelques mois encore sur la nécessité d’intervenir sur le système financier international pour le réformer.

4. La chute de Lehman Brothers et le retour du politique

L'insolvabilité guettait plusieurs grandes banques d'investissement et d'autres institutions financières depuis le début de l’année 2008. Déjà le 14 mars 2008, un plan de financement d'urgence de la Réserve fédérale est débloqué pour la banque d’investissement Bear Stearns après que son action a perdu 80 % de sa valeur. Le 16 mars 2008, JP Morgan Chase rachète la banque à deux dollars l'action. Les réhausseurs de crédit Freddie Mac et Fannie Mae, qui possèdent ou garantissent environ 5 200 milliards de dollars du marché américain des hypothèques, sont jugés trop importants pour tomber en faillite. Les autorités américaines interviennent le 26 juillet 2008 avant de prendre le contrôle des deux sociétés en septembre 2008 par le biais du FHFA (Federal housing finance agency).

Les pertes de la banque d’investissement Lehman Brothers engendrées par ses positions sont également colossales. Sa capitalisation boursière a chuté de 73 % et la direction ne trouve pas repreneur. L'État américain décide de faire de cette banque un exemple en la laissant faire faillite, estimant que le risque systémique est écarté – à tort. Le 15 septembre 2008, à New York, l’établissement se déclare en faillite. Pourtant, ce même jour, qui voit aussi le rachat de Merryl Lynch par Bank of America pour 50 milliards de dollars, le grand assureur AIG, dont la note a été dégradée par les agences de notation la veille, est au bord de la faillite avec un titre qui a perdu 90 % de sa valeur : il sera sauvé le lendemain par la Fed qui autorise sa branche new-yorkaise à lui accorder un prêt de 85 milliards de dollars en échange de l’apport en garantie de l'ensemble de ses actifs et de ses filiales.

La chute de Lehman Brothers s’avère catastrophique. Cette faillite comportait des risques identifiés sur le marché des produits dérivés (notamment sur les contrats d’échanges, « swap » et les CDS ou «Credit Default Swap»). Or ce n’est pas sur ce segment que le risque s’est matérialisé mais sur les marchés monétaires. Tout d’abord, certains des fonds monétaires, qui pèsent plus de 3 500 milliards de dollars et jouent un rôle clé dans le financement à court terme des institutions financières et les entreprises non financières, possédaient des titres Lehman et ont subi des pertes en capital. Cela a inquiété les investisseurs qui ont procédé à des retraits massifs. Confrontés à ces retraits, ces fonds ont ralenti leurs achats de papier commercial, rendant ainsi périlleux le financement d’un certain nombre d’acteurs. La Réserve fédérale a dû mettre en place un programme de 600 milliards de dollars de rachat de papier commercial pour stabiliser ces fonds monétaires et ramener la confiance. La faillite de Lehman Brothers a aussi paralysé le marché des prêts entre banques en exacerbant l’inquiétude sur la solvabilité des autres acteurs bancaires (poussée des taux Libor). Enfin, cette faillite a encore fragilisé le marché des prêts avec collatéral. Certaines institutions avaient accordé à Lehman Brothers un prêt et reçu en garantie un collatéral qui devait les protéger en cas défaut. Mais, après la faillite, le collatéral s’est avéré avoir une valeur moindre que celle qu’on lui assignait ce qui a contribué à la paralysie du marché des prêts, essentiel notamment pour les banques d’investissement ou les hedge funds.

Les répercussions se font sentir en Europe où les États viennent au secours de plusieurs établissements (Fortis, Dexia, Hypo Real Estate, Bradford & Bingley, Glitnir etc.). Le 19 septembre 2008, un plan de sauvetage est annoncé aux États-Unis par le secrétaire d’État au Trésor Henri Paulson consistant à racheter aux banques leurs actifs « toxiques », plan finalement adopté le 3 octobre 2008. Les Européens s’orientent quant à eux vers des interventions en capital et en garantie des prêts interbancaires. C’est ce qui aboutira au plan d’action commun de l’Eurogroupe réuni le 12 octobre et à l’adoption d’une loi de finances rectificative prévoyant, pour l’essentiel, la création d’une société de prise de participation et d’une société de refinancement, dont les obligations émises sont garanties par l’État.

5. Les orientations de la réflexion internationale sur la refonte du système financier international

En premier lieu, les phénomènes qui ont favorisé la brutalité et la profondeur de la crise doivent immédiatement être corrigés, tant pour stabiliser la situation que pour adresser un signal ferme et définitif sur la fin des dérives observées ces dernières années. Normes comptables, agences de notation, rémunérations, tout ceci appelle des mesures fortes et rapides.

En deuxième lieu et corrélativement, toute refonte suppose de déterminer la responsabilité des acteurs, qu’il s’agisse des établissements de crédits alimentant une euphorie reposant sur une anticipation de revenus futurs incertaine, des concepteurs de ces produits structurés qui ont, par la sophistication croissante de leurs techniques financières, obéré sciemment la capacité à tracer les créances puisqu’il s’agissait d’en dissimuler le risque par dissémination, enfin celle de tous ceux qui spéculent avec l’épargne du grand public. Certains opérateurs ne peuvent être protégés de façon illimitée alors que leurs gains et leur implication dans le processus à l’origine de la crise n’ont pas été limités. Les contreparties à l’intervention de l’État sont à cet égard des plus claires, tant en termes de rémunération que d’orientations, ce qui est bien plus ambitieux qu’une simple représentation dans un conseil d’administration. Pour l’avenir, les acteurs devront être soumis à des règles plus strictes et mieux supervisés. Il ne sera plus possible de leur accorder la confiance dont ils étaient dépositaires avant la crise.

Enfin, ces règles et les différentes autorités en charge de leur édiction et de leur supervision doivent s’intégrer dans une architecture efficace. La solidarité ne devrait pas jouer qu’en période de crise mais constituer la pierre angulaire du fonctionnement d’un système par nature mondiale. La « revanche de l’économie réelle », comme fin du mythe de l’indépendance des sphères financières et économiques, pour qu’elle soit un bienfait, impliquera bien sûr d’apporter des réponses aux grands déséquilibres. La répartition inégale de l’épargne contient en elle des risques de réplique de la crise et il ne faudrait pas que se développe une compétition autour de la propriété du capital préjudiciable au développement des économies. Il serait d’ailleurs dangereux d’analyser la crise au travers du seul prisme transatlantique car le monde ne s’y résume pas. Les pays émergents, mais aussi les pays en développement, davantage vulnérables aux évolutions du crédit, de l’offre et de la demande mondiale, ne doivent pas devenir les laissés pour compte de la sortie de crise. L’actualité diplomatique des prochains jours devrait permettre de replacer les impératifs économiques au cœur du monde de la finance. Par l’affirmation de principes politiques forts et l’adoption de plusieurs mesures techniques indispensables se dessineront ainsi les premières fondations d’un nouveau système financier international, rendant possibles des réformes, qui prendront certes du temps, mais qui apparaissent à tous nécessaires.

CONTRIBUTION DES GROUPES

A.– CONTRIBUTION DU GROUPE UMP

Depuis quelques semaines, l’Europe affronte l’une des plus graves crises financières de son histoire. Cette crise, qui a débuté aux États-unis à l’été 2007, trouve son origine dans une politique de crédit débridée lancée aux Etats-Unis après les attentats du 11 septembre 2001 afin d’éviter une récession économique. Cette politique de liquidité facile s’est notamment traduite par la constitution de prêts hypothécaires immobiliers proposés aux ménages américains. Ceux-ci ont pu emprunter sans condition de revenus afin d’accéder à la propriété, dans des conditions financières qui défiaient le bon sens. Afin de diluer le risque au maximum les banques ont cédé ces actifs risqués à des intermédiaires qui les ont revendu sur le marché en les associant à des crédits sains (obligations d’Etat etc..) : C’est le mécanisme de titrisation. La dissémination de ces crédits dans tous les bilans des entreprises financières, préparait leur contamination au cas où le marché de l’immobilier se retournerait. Chose qui arriva au tournant de l’été 2007. Les ménages sont devenus effectivement insolvables, et n’ont pu rembourser les crédits qu’ils avaient contractés. Les instruments financiers portant ces crédits devenus pourris ont vu leur valorisation s’effondrer. Or, les normes comptables IFRS obligent les sociétés cotées et leurs filiales à valoriser leurs actifs aux prix du marché. C’est ainsi que s’est nouée une spirale de dépréciation généralisée des actifs et des entreprises, entraînant une chute des marchés financiers.

À partir de cet instant où la spirale de dépréciation généralisé des actifs était engagée, il s’est agi pour le pouvoir politique, de tout faire pour éviter que n’apparaisse la spirale désastreuse du crédit crunch, qui risquait de faire proprement sauter le système financier dans son ensemble. Fin septembre début octobre, les prémices de crédit crunch apparaissaient. La solidité des agents financiers, banques et compagnies d’assurances était mise en doute par l’ensemble du système financier car le bilan comptable de ces agents économiques essentiels, faisait l’objet des plus grandes incertitudes et de la plus grande opacité. La confiance n’étant plus là, le marché interbancaire ne fonctionnait quasiment plus : les banques avaient cessé de se prêter entre elles. Dès lors elles risquaient à leur tour de cesser de prêter aux agents économiques que sont les ménages et les entreprises et d’entraîner la crise à la sphère de l’économie réelle. Cette situation dramatique explique que Nicolas Sarkozy ait souhaité réunir à plusieurs reprisés à l’Elysée les patrons des banques et compagnies d’assurances françaises afin de faire le point sur leurs situations respectives. Contrairement aux crises précédentes, nous avons bénéficié d’un pouvoir politique d’une bien plus grande maturité. La réaction a été coordonnée et réfléchie sur un plan européen et bientôt international.

Sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, la Présidence française de l’Union européenne a cherché à atteindre un seul et même objectif : Apporter une réponse commune et massive à la crise financière. Il a fallu tout le volontarisme et le pragmatisme de Nicolas Sarkozy pour que la coordination européenne devienne une réalité. Le Président de la République a d’abord souhaité réunir les membres européens du G8, le 4 octobre, afin de définir une position commune entre l’Allemagne, l’Italie, le Royaume Uni et la France. Ensuite ce sont les membres de l’Eurogroupe qui se sont réunis à Paris le 12 octobre ainsi que les président de la commission européenne José Manuel Barroso et de la Banque centrale Jean Claude Trichet. Ils ont posé les principes d’une action commune et simultanée des 15 membres de la zone euro. C’est ainsi qu’afin de rétablir la confiance sur les marchés financiers Nicolas Sarkozy a présenté les quatre principes de son action :

▪ Les contribuables français ne seront pas mis à contribution pour solder les pertes des banques.

▪ Il n’y aura pas d’aide au système financier sans contreparties significatives pour l’intérêt général

▪ Les banques seront aidées afin de sauver les entreprises et les emplois des français.

▪ Rapidité et coordination de l’action pour démontrer la volonté du pouvoir politique de restaurer la confiance et la rationalité dans le système financier.

Deux actions très concrètes ont été mises en œuvre afin de répondre à l’urgence :

▪ La création d’une société de refinancement pour apporter la garantie de l’Etat aux emprunts dont les banques ont besoin pour se refinancer. Cette garantie s’applique aux emprunts contractés d’ici le 31 décembre 2009 dans la limite de 320 milliards d’€, et sera rémunérée. Elle sera octroyée après signature d’une convention entre l’Etat et les organismes bénéficiaires qui portera notamment sur la transparence des rémunérations.

▪ Permettre aux banques de se procurer les fonds propres nécessaires à l’établissement de nouveaux prêts au travers de la création d’une seconde société publique dont l’Etat sera seul actionnaire. Cette société a d’ores et déjà apporté 10,5 milliards de fonds propres aux banques françaises (950 millions pour les Banques Populaires ; 2,55 Mds pour la BNP ; 1,1 Md pour les Caisses d’épargne ; 3 Mds pour le Crédit Agricole ; 1,2 pour le Crédit Mutuel ; 1,7 Md pour la Société Générale) auxquels il faut rajouter les 3 milliards pour sauver Dexia, banque des collectivités locales.

Notons que malgré la difficulté de la situation, ces mesures ne grèvent en aucun cas le budget de l’Etat. La situation de nos finances publiques a donc été prise en compte dans le montage du sauvetage du secteur financier. Ces dispositions ont été adoptées dans des délais très courts, puisqu’à peine annoncés par Nicolas Sarkozy le 12 octobre et présentés en Conseil des ministres le lendemain, ils ont été votés dans les mêmes termes par l’Assemblée et le Sénat respectivement les 14 et 15 octobre. Pour veiller à ce que les banques respectent leurs engagements et que les entreprises en difficultés aient bien accès aux financements dont elles ont besoin, un « Médiateur du Crédit » est mis en place au niveau national. Au niveau local, les préfets et les Trésoriers Payeurs Généraux sont mobilisés. Parallèlement, l’Etat veille à atténuer la pression fiscale sur les entreprises, en particulier celle qui pèse sur l’investissement. Ainsi tous les investissement réalisés en France jusqu’au 1er janvier 2010 seront intégralement exonérés de la taxe professionnelle.

L’ensemble des pays membres de l’Eurogroupe ont pris des dispositions similaires dans des délais équivalents.

Cette réaction européenne rapide et cordonnée par Nicolas Sarkozy, de nécessaire et d’importante qu’elle ait été, doit néanmoins se prolonger sur un plan international afin de réformer le système financier dans son ensemble. La situation grave dans laquelle nous nous trouvons a des causes structurelles auxquelles il convient de répondre. C’est l’objet de la réunion du G20 à Washington le 15 novembre prochain, sommet international au cours duquel doivent être abordés les réformes de long terme à mettre en oeuvre. Les parlementaires UMP considèrent que trois priorités doivent désormais guider notre action :

▪ Rendre transparent la valorisation des actifs financiers

▪ Canaliser l’épargne vers le financement de la croissance

▪ Éliminer autant qu’il est possible les mécanismes procycliques

Pour ne citer que quelques exemples, les parlementaires UMP proposent que :

▪ L’on réduise l’accès des investisseurs strictement financiers à certains marchés, notamment les marchés dérivés de matières premières. Cela aux fins d’éviter la spéculation sur les matières premières qu’elles soient agricoles ou pétrolières.

▪ L’on réfléchisse à des mécanismes de titrisation transparents, liquides et plus simples que ceux qui existent actuellement. L’absence de liquidité sur ce marché de la titrisation explique une part de la chute vertigineuse des actifs sous jacents de la titrisation.

▪ L’on règle les contradictions qui découlent de l’application conjointe des normes comptables IFRS et des règles prudentielles Solvency II. Elles empêchent l’émergence d’investisseurs financiers de long terme pouvant acheter des actifs risqués et donc financer la croissance économique.

▪ L’on réfléchisse à la refonte des agences de notation. Cette refonte devra éviter les conflits d’intérêt, veiller à l’harmoniser des pratiques de valorisation, rendre confiance aux investisseurs.

▪ L’on réduise les caractéristiques procycliques dans les réglementations des banques et des investisseurs. On pourrait généraliser le système de « provisionnement dynamique » qui existe en Espagne : Lors des périodes favorables (forte croissance ou faible taux de défaut), les banques constituent des fonds propres supérieurs aux fonds propres réglementaires, ce qui permet d’éviter les comportements procycliques en période de ralentissement ou de hausse de défaut.

Dans son analyse, l’UMP tient à souligner que la France, compte tenu de ses spécificités organisationnelles, réglementaires et prudentielles bénéficie d’une certaine protection. Son réseau bancaire est moins affecté que les autres. En effet, il est resté construit sur l’alliance entre banques d’investissements et banques de réseau. Cela confère une stabilité et une solidité financière aux banques françaises, dont ne bénéficient pas les banques américaines et certaines banques européennes. Par ailleurs la France a toujours eu des règles prudentes concernant l’octroi de crédits (impossibilité que les remboursements d’emprunts dépassent 1/3 des revenus), qui ont empêché les dérives que les Etats-Unis connaissent aujourd’hui.

Preuve s’il le fallait que le système financier fonctionne lorsqu’il est correctement régulé et organisé. Ce qui est en cause, ce n’est ni l’économie de marché, ni le capitalisme, mais ce sont l’absence de mécanismes de régulation, la mauvaise ou l’absence de supervision des autorités de tutelle, un mécanisme de formation des prix biaisé. Cette crise offre des opportunités qu’il convient de saisir afin que le système financier ne soit plus déconnecté de l’économie réelle. Elle ouvre des perspectives politiques nouvelles pour l’Union Européenne, qui a là l’occasion de démontrer qu’unie, elle peut-être une puissance politique reconnue et une puissance économique de tout premier ordre.

Nous, parlementaires UMP, rendrons dans un délai rapproché des pistes de sortie de crise qui concerneront°:

▪ Les particuliers : énergies, alimentation, logement : quelles mesures concrètes pour éviter que la crise se traduise par une chute de la consommation et une crispation des Français ? Nous pensons notamment à la répercussion sur les prix de la chute spectaculaire du coût des matières premières et du pétrole. (François LOOS et Michel PIRON le suivront particulièrement).

▪ Les PME : ce sont elles les plus fragiles. Comment éviter l’effet domino ? (Laure de LA RAUDIERE et Jean-Charles TAUGOURDEAU).

▪ Les banques : il faut que les banques retrouvent leur vocation initiale : prêter de l’argent aux ménages et aux entreprises pour créer de la croissance (François GOULARD et Olivier CARRE).

▪ L’Europe : Une action européenne efficace passe par  une Europe à plusieurs cercles. Il nous faut donc aussi réfléchir cette gouvernance européenne, notamment en matière économique et financière. (Nicole AMELINE et Robert LECOU).

B.– CONTRIBUTION DES DÉPUTÉS DU GROUPE SOCIALISTE, RADICAL, CITOYEN ET DIVERS GAUCHE MEMBRES DE LA COMMISSION DES FINANCES DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

1.– La crise financière qui traverse le Monde n’est pas un accident

C’est la crise d’un système, celui de la dérégulation mise en œuvre par les gouvernements libéraux aux États-Unis mais aussi dans le reste du Monde depuis de nombreuses années.

C’est aussi la crise de l’autorégulation des acteurs financiers et économiques qui ont considéré que le politique n’avait pas à s’immiscer dans l’économie.

C’est enfin la crise d’un système où l’activité financière prend le pas sur l’activité économique, où la finance devient une activité à part entière, où la libéralisation sans contrôle des mouvements de capitaux et la transformation des crédits bancaires « douteux » en titres vendus sur les marchés financiers, conduit progressivement à la déconnexion entre le système financier et l’économie.

Les prêts subprimes à l’origine de la crise, symbolisent les dérives d’un système financier qui s’enrichit de la spéculation et de l’endettement. Les banquiers ont octroyé des prêts à des ménages aux revenus modestes et peu solvables en calculant leur capacité de remboursement non pas sur leurs revenus mais sur la valeur de leur habitation. Les dégâts pour les ménages concernés et pour l’ensemble du système économique et financier sont aujourd’hui considérables.

L’actuel Président de la République a encore récemment souhaité mettre en œuvre dans notre pays des prêts à hypothèques rechargeables qui auraient permis à des particuliers de s’endetter au-delà de ce que leur permettent leurs revenus. Les premiers instruments en la matière ont été mis en œuvre par l’ordonnance n°2006-346 du 23 mars 2006. Fort heureusement, les établissements bancaires ont renoncé à proposer ce type de prêts.

Malheureusement, il n'y a pas d'un côté les États-Unis, touchés par la crise, et de l'autre l'Europe qui serait à l'abri. Le système bancaire français est également touché par la crise des subprimes. Les banques françaises ont affiché de lourdes pertes en 2007 à cause de ces crédits immobiliers à risque, en raison d’un système financier international qui repose sur l’opacité de la dilution des risques.

2.– La crise économique et sociale sera durable

Il n'y a pas d'un côté une économie financière fragile, et de l'autre une économie « réelle » solide, sans aucune connexion. Inévitablement, l'économie « réelle » est rattrapée par la crise financière. Mais, ce phénomène est à l’œuvre depuis de nombreux mois, pas uniquement depuis quelques jours.

La crise financière aux États-Unis a débuté en juillet 2007. Toutes les décisions prises par le Président de la République et le gouvernement ont ignoré cette situation. La politique économique a été menée à contre-emploi. L’exécutif a totalement sous estimé l'impact de la crise des subprimes.

En réponse aux interpellations des socialistes au moment du débat sur le projet de loi de finances pour 2008 puis tout au long de l’année 2008, le gouvernement a toujours préféré affirmer qu'il n'y aurait pas d'impact, qu'aucun établissement bancaire et financier ne pouvait être touché. Parallèlement, les marges budgétaires ont été dilapidées sans aucun effet sur l'activité, l'emploi et le pouvoir d'achat.

L’activité économique ralentit fortement depuis le début de l'année 2008. Les résultats de croissance présentés par l'INSEE montrent une augmentation de l'activité de 0,4 % au premier trimestre 2008, mais une diminution de 0,3 % au deuxième trimestre. Des diminutions de 0,1 % sont prévues aux troisième et quatrième trimestres.

Aujourd’hui, les faillites et les plans de licenciement se multiplient dans l’ensemble des secteurs. Les sous-traitants connaissent des difficultés en cascade dans l’ensemble des bassins d’emplois. La remontée du chômage est importante ces derniers mois.

Le plan de sauvetage des établissements financiers mis en œuvre au niveau européen était nécessaire pour assurer le fonctionnement de l’économie et l’accès au crédit des entreprises comme des particuliers. Il doit être assorti notamment de contreparties protectrices des intérêts patrimoniaux de l’État et d’engagements sur le maintien des services bancaires aux particuliers et aux entreprises sans augmentation des tarifs.

Il doit surtout être accompagné d’une politique de soutien à l'activité économique, au pouvoir d'achat et à l'investissement. La crise n’est pas une fatalité. En 1998, notre pays a bien résisté à la crise financière asiatique. À cette époque, la croissance était de l'ordre de 3 % et notre économie créait plus d'emplois qu'elle n'en détruisait, grâce notamment à une politique économique et sociale adaptée.

3.– Le Président de la République prône la régulation et pratique la dérégulation

Aveuglement idéologique, simple refus de tirer les conséquences de la situation de crise, ou encore incapacité à reconnaître la disparition de toutes marges d'action avec le vote de la loi travail, emploi, pouvoir d’achat dès le mois de juillet 2007, l'inconséquence du Président de la République et de la majorité se situe à la conjonction de ces trois attitudes.

La politique menée depuis le début du quinquennat réunit en effet toutes les caractéristiques d'une politique libérale de dérégulation : baisse des impôts des plus favorisés au nom de l'initiative et de l'activité, recul des droits sociaux et des services publics au motif que les caisses de l'État sont vides, démantèlement des droits des salariés et des consommateurs considérés comme des carcans.

Cette politique qui devait provoquer un choc de confiance et de croissance se solde par un échec retentissant : activité et pouvoir d'achat en net recul, commerce extérieur et déficits publics en forte augmentation. Ce n'est pas à cause des faillites américaines de septembre que les déficits du budget de l'État, de la sécurité sociale et du commerce extérieur se dégradent depuis plusieurs années, ou encore que le pouvoir d’achat des Français diminue et que le chômage a fortement augmenté en août et en septembre.

Le Président de la République ne doit pas utiliser la crise internationale pour justifier l'échec de sa politique, ses erreurs et ses renoncements. Il ne peut pas dénoncer une situation qui traduit l'échec du libéralisme et de la dérégulation, alors que ces principes guident sa politique depuis juin 2007.

Le projet de budget pour 2009 va accentuer l'austérité en procédant à des coupes sombres en matière d'investissement, notamment en réduisant fortement les dotations de l'État aux collectivités locales pourtant responsables des trois quarts de l'investissement public. L’an prochain, les moyens en faveur du logement diminuent de 560 millions. D’ici trois ans, les crédits du budget de l’écologie et du développement durable diminueront de 800 millions.

Le projet de budget pour 2009 ne contient aucune mesure pour augmenter le pouvoir d'achat des Français. Il supprime plus de 30 000 emplois dans la fonction publique. Il subit les effets néfastes du bouclier fiscal. C’est un budget de renoncement et de rigueur. Les marges dilapidées dans le paquet fiscal font défaut pour faire face à la crise économique et sociale.

De 2002 à 2008, les déficits cumulés de la sécurité sociale atteignent 67 milliards d’euros. Pour 2009, aucune réforme de structure, aucune solution durable n’est apportée. Après avoir institué les franchises médicales, le gouvernement ne fait que constater la faillite du système pour mieux préparer son démantèlement.

L’appel à la régulation sur le plan international contenu dans le discours de Toulon du 25 septembre 2008 ne peut s’accommoder d’une politique de dérégulation toujours plus forte au niveau national. Malheureusement, le Président de la République ajoute de la crise à la crise, de la dérégulation à la dérégulation.

La défiscalisation des heures supplémentaires ne donne pas de pouvoir d’achat supplémentaire aux salariés et décourage l’embauche. En période de ralentissement de l’activité économique, un dispositif selon lequel l’heure supplémentaire coûte moins cher à l’entreprise que l’heure normale est une machine infernale qui accroît le nombre de chômeurs.

Quand le Président de la République affirme que les dépôts des épargnants seront sécurisés, c'est davantage grâce à la loi de juin 1999 qui a créé des fonds de garantie en cas de sinistre des établissements qu'en raison de la force de ses propos.

Quand 10,5 milliards sont mobilisés pour venir en aide aux établissements bancaires sous capitalisés, il est anormal que l’État soit absent du conseil d’administration des établissements qui reçoivent cet apport.

Quand le Président de la République encourage le recours aux CDD et parle du dimanche comme d’un jour de croissance en plus, il ne fait qu’accroître la précarité qui pèse sur les salariés et les chômeurs.

Quand il présente des mesures dites d’urgence pour l’emploi, il met d’abord en place des dispositifs pour sortir les futurs chômeurs des statistiques sans prévoir aucune mesure spécifique pour l’emploi des jeunes et avec un budget de l’emploi en diminution de près de 2 milliards d’ici 2012.

4.– Une autre politique est indispensable pour répondre à la crise économique et sociale

Au-delà de l’urgence qui consiste à assurer la liquidité des banques, la continuité du crédit et la garantie des dépôts, il est indispensable de mener une politique économique et sociale de soutien du pouvoir d’achat et de l’investissement.

Les entreprises, et notamment les PME, doivent pouvoir trouver les moyens financiers de leurs investissements, les accédants à la propriété doivent avoir la possibilité de poursuivre leur projet immobilier, les consommateurs doivent être en mesure de faire face à leurs besoins. Dans une telle situation, il faut créer un fonds national de garantie pour assurer la distribution des crédits par un système de caution publique.

Il ne peut y avoir de redressement économique s’il n’y a pas de création de richesses à travers l’investissement. Il est nécessaire de diminuer l’impôt sur les sociétés lorsque le bénéfice est réinvesti, de l’augmenter lorsqu’il est distribué sous forme de dividendes. Il est nécessaire également de baisser exceptionnellement l’impôt sur les sociétés des entreprises les plus innovantes, de celles qui réalisent une part importante de leur chiffre d’affaires à l’exportation.

Pour les particuliers, qu’ils soient salariés, retraités, en activité ou non, la difficulté majeure se situe au niveau de la faiblesse de leurs revenus. Les exonérations de cotisations sociales doivent être conditionnées à la conclusion d’accords sur les salaires signés par une majorité de syndicats selon le critère de représentativité. Le chèque transport doit être mis en œuvre à condition d’être obligatoire et d’aider tous les Français en milieu urbain comme en milieu rural. Le SMIC, les pensions de retraite, les allocations familiales, l’allocation de rentrée scolaire, la prime pour l’emploi doivent être revalorisées.

Des garanties en termes de formation et d’insertion, notamment pour les jeunes, doivent être accordées aux bénéficiaires de contrats aidés. Pour les chômeurs, le recours aux congés de conversion et aux conventions de reclassement personnalisé est préférable aux sanctions et radiations sous la pression de deux offres soit disant raisonnables d’emplois.

Toutes ces mesures indispensables pour augmenter le pouvoir d’achat, pour soutenir l’activité économique et l’emploi doivent être financées par la suppression des mesures du « paquet fiscal » (bouclier fiscal, allégements des grosses successions et d’ISF, défiscalisation des heures supplémentaires, ….).

Les collectivités locales qui sont à l’origine des trois quarts de l’investissement public doivent également être fortement aidées au risque d’aggraver le ralentissement économique. Les dotations aux collectivités locales doivent être majorées pour assumer les priorités d’investissement en matière d’éducation, de logement, de développement durable.

5.– La régulation du système économique et financier à l’échelle internationale européenne et nationale s’impose

Les réactions des États face à la crise financière consistent pour l’instant à faire appel aux contribuables. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de la période actuelle, où les libéraux se mettent à nationaliser les établissements financiers, où ils en appellent à l’unité nationale pour sauver la situation alors que la thèse libérale de l’autorégulation ou de la régulation par le seul marché s’effondre.

La mise en œuvre de politiques de régulation, que les socialistes réclament, s’impose de façon inéluctable. La crise appelle à plus de cohérence, à une politique fondée sur le rôle régulateur de la puissance publique au niveau mondial et européen, mais aussi au niveau de chaque État. Il est ainsi nécessaire de favoriser l’actionnariat de long terme dans les entreprises en encourageant la présence d’actionnaires de référence dans leur capital.

Il est indispensable de refondre des organisations internationales aujourd’hui éparpillées, peu audibles et finalement impuissantes. Les paradis fiscaux qui ont permis à certains fonds spéculatifs de se développer doivent également être mis en cause. Une conférence monétaire internationale doit permettre de remettre de l’ordre dans les fluctuations des monnaies et le dumping monétaire.

De ce point de vue, le Fonds monétaire international a un rôle fondamental à jouer. Au-delà des aides ponctuelles à tel ou tel État en difficulté, il doit contribuer à reconstruire l’activité économique. Sa position lui confère une capacité à tirer les leçons des politiques qui ont conduit à la crise financière et à élaborer, surveiller et coordonner la mise en place de nouvelles régulations financières internationales.

L'Europe ne dispose pas de la capacité de réaction suffisante faute de coordination des politiques économiques et budgétaires. Certains États disposent de moyens pour intervenir, mais globalement la plupart n’en ont plus la capacité au regard de la situation de leurs finances publiques. Un emprunt européen est nécessaire pour financer des dépenses d’infrastructures, d’économies d’énergie, d’équipements en faveur de la recherche et de l’innovation. La Banque européenne d’investissement peut jouer ce rôle.

Au-delà, l’obligation de transparence et de contrôle des établissements européens s’impose. Un contrôle public des agences de notation, l’indépendance des commissaires aux comptes, la réglementation des ventes à découvert sont autant de solutions à moyen terme pour enrayer les phénomènes de spéculation.

Les agences de notation sont devenues des acteurs incontournables en matière d’information sur les marchés financiers. Les notes qu’elles attribuent aux entreprises déterminent largement le comportement des investisseurs et des banques. Ces notes peuvent conduire les emprunteurs à de graves difficultés. Des acteurs d’une telle importance ne doivent pas être hors du champ de toute régulation.

Les socialistes ont ainsi régulièrement souhaité que l’autorité des marchés financiers puisse exercer un contrôle sur l’activité de ces agences. En 2003, dans le cadre des débats sur la loi de sécurité financière, des amendements avaient été défendus en ce sens. À l’époque, le gouvernement et la majorité considéraient que ces propositions étaient sans aucune portée.

La création d’une agence européenne de notation dont l’actionnariat composé d’entités publiques et d’utilisateurs des notes émises, garantirait l’indépendance et l’absence de conflits d’intérêts. C’est indispensable pour assurer une plus grande transparence de l’intervention des agences de notation qui agissent au cœur du capitalisme financier.

Il est nécessaire également de revoir les lignes de partage entre autorégulation et régulation publique. Les défaillances constatées des établissements financiers, notamment en matière de contrôle interne, doivent conduire à reconsidérer les marges laissées aux établissements, par exemple dans le calcul de leurs besoins en fonds propres.

Les normes comptables jouent un rôle majeur dans la transmission des crises. Leur mode d’élaboration doit être plus transparent et impliquer davantage et très en amont les autorités publiques. Le périmètre des établissements financiers soumis à la réglementation bancaire doit s’élargir.

Les rémunérations des dirigeants et des opérateurs de marché doivent être davantage encadrées, de nombreux avantages indus liés aux pratiques des parachutes dorés doivent être supprimés.

Le recours à des instruments de rémunérations comme les stock options pose de nombreuses difficultés. Sur le plan fiscal, ils permettent d’échapper aux impositions pesant traditionnellement sur les salaires. Sur le plan économique, ils sont largement déconnectés des performances de l’entreprise et poussent à des opérations non conformes à l’intérêt des entreprises, de leurs salariés et même de leurs actionnaires.

Le débat sur la « moralisation » des stock options resurgit à l’occasion de la crise financière. Les socialistes ont régulièrement défendu des propositions en ce sens consistant à lier dans les entreprises l’attribution de stock options à la conclusion d’accords d’intéressement, ou encore le versement d’une partie des plus-values réalisées sur les stock options à la réserve de participation des salariés.

Ces propositions, sans préjuger du bien-fondé des stock options, revenaient à faire en sorte que l’ensemble des salariés de l’entreprise puisse bénéficier de ses performances auxquelles chacun contribue. Elles ont fait l’objet d’amendements défendus à la fin du mois de septembre 2008 dans le cadre du débat parlementaire sur le projet de loi sur les revenus du travail. Leur rejet traduit l’écart qui existe encore entre les discours présidentiels sur la régulation du capitalisme et la réalité de sa politique.

C.– CONTRIBUTIONS DU GROUPE GDR

1.– Contribution de M. Jean-Pierre Brard

Notre Commission a travaillé sur la crise financière dont le traitement présentait un caractère de grande urgence avec la menace de faillites en chaîne de banques et d'établissements financiers. Toutefois, la crise financière ne peut être déconnectée des autres crises qui frappent notre planète dans le contexte de la mondialisation capitaliste.

La mondialisation est, selon Patrick Artus et Marie-Paule Virard : « un énorme chaudron qui brûle l'énergie et les matières premières avec les dégâts collatéraux que l'on imagine sur l'environnement ». Le développement rapide de la production et de la consommation des pays émergents fait entrer le monde dans une époque de rareté des ressources naturelles et crée un choc inflationniste, accentué par une forte composante spéculative.

Autre conséquence de la mondialisation, elle soumet l'industrie des pays développés et ses salariés à une concurrence des industries des pays à bas salaires et à faibles protections, notamment sociales et environnementales, concurrence qui est utilisée pour faire pression sur les salaires et revoir à la baisse les protections sociales, avec un partage de la valeur ajoutée très défavorable, et cela de plus en plus, aux salariés, au profit des actionnaires. Il n'y a pourtant rien d'inéluctable à cela. Des mesures d'assainissement et même de moralisation s'imposent, par exemple la mise hors d'état de nuire des paradis fiscaux et bancaires, en premier lieu au sein même de l’Union européenne. De même, la persistance des déficits aux États-Unis, tant du budget fédéral que de la balance commerciale, crée une situation de déséquilibre permanent qui appelle une correction.

La crise résulte pour une grande part de l'exigence impossible des détenteurs de capitaux d'obtenir, pour l'ensemble du capital investi, une rentabilité alignée sur les rendements à deux chiffres que les actifs financiers ont permis sur certains segments, comme celui des crédits hypothécaires à hauts risques, les subprimes aux États-Unis. Mais la loi de la valeur intervient périodiquement pour rappeler que le volume des richesses produites est borné par l'extraction de plus-value, bref qu'on ne peut pas distribuer plus de richesses qu'on en produit. Les actifs financiers ne sont au fond que des droits de tirage sur la plus-value.

La part des profits non réinvestis, de plus en plus importante, vient nourrir un flux permanent de capitaux libres à la recherche d'une rentabilité maximale et qui constituent des bulles spéculatives, dans des domaines où la demande est forte, comme Internet ou l’immobilier. Cette économie virtuelle détruit l’économie réelle, entraînant une destruction massive d’emplois, facteur fondamental de l’aggravation de la crise.

Pour que ces bulles puissent se développer, il faut aussi que la réglementation le permette. Celle-ci, sous la pression américaine et avec l’aval des gouvernements européens, ainsi que de la Commission européenne, a été rendue de plus en plus souple, voire perverse, par une vague de déréglementation. La titrisation des créances résultant de ces prêts hypothécaires et la diffusion mondiale de ces titres, au sein de produits sophistiqués assortis de hauts rendements, a montré à quel point l’appât insatiable du gain et la recherche du rendement l'ont emporté sur toute prudence pour l'écrasante majorité des banques et institutions financières, qui ne savaient pas précisément quelle était la part de ces produits toxiques dans leurs actifs.

Aujourd'hui, nous sommes face à un capitalisme mondialisé, dérégulé, financiarisé, productiviste qui veut repousser toujours plus loin les limites de l'exploitation des travailleurs et des ressources naturelles. Ce système périssable ne veut pas des solutions favorables à l’économie réelle. Il rêve, une fois la crise surmontée, de recommencer comme avant, entraînant les peuples dans la catastrophe.

2.– Contribution de M. François de Rugy

Crise financière : après l’urgence, la nécessité de réformes profondes.

Cette crise est une crise financière mais aussi une crise des politiques qui ont abouti à cette situation. La libéralisation des marchés financiers, la place folle prise par la finance dans l’économie n’est pas tombée du ciel. Elle est le résultat de décisions politiques prises majoritairement par la droite, mais aussi malheureusement impulsées par la gauche, et ce, depuis les années 80. L’argent présent sur les marchés financiers représente plus de 4 fois le PIB mondial. Pourquoi ? Parce que des politiques publiques ont décidé d’orienter l’argent vers ces marchés ou de ne rien faire pour le redistribuer ailleurs : les entreprises laissent une part toujours plus importante de leurs profits à leurs actionnaires au détriment de leurs salariés. Il n’y a pas si longtemps, tout le monde s’offusquait des rémunérations excessives de dirigeants sans pour autant se pencher sur des rendements surévalués et spéculatifs censés les justifier. Et aujourd’hui les salaires sont devenus des indicateurs de spéculation. Or si des rémunérations élevées peuvent se justifier, elles ne doivent cependant pas être déconnectées par les performances réelles des entreprises.

Au-delà du système de rémunération, les Verts estiment que c’est tout le fonctionnement du marché du crédit qui devrait être repensé. Le transfert de créances à des investisseurs par le biais de la titrisation a clairement montré ses limites. Conçue initialement pour réduire les risques sur les marchés financiers, cette technique complexe les a au contraire accrus. Si le Conseil ECOFIN veut réellement traiter le problème de la crise financière à sa racine, il devrait alors proposer des mesures concrètes à ce sujet. À cet égard, nous estimons pour le moins indispensable que les banques conservent dans leur bilan un pourcentage des créances qu’elles titrisent, alors qu’à ce stade, elles ne sont toujours pas obligées de le faire.

Nous déplorons également le fait que le Conseil ECOFIN n’offre aucune perspective ambitieuse en matière de supervision des marchés, alors que c’est une question capitale pour renforcer la solidité des banques et, plus généralement, pour assurer la stabilité financière et le bon fonctionnement des marchés intérieurs. En effet, c’est parce que la supervision financière est insuffisamment intégrée sur le plan européen, que les banques ont pu acheter des produits titrisés sans juste évaluation des risques. Pour les Verts, il est donc indispensable d’instaurer une autorité de surveillance au niveau de l’UE.

Nous ne pouvons décemment pas nous opposer à la mise en place de mesures d’urgence. Car ne pas sauver le système bancaire serait pire pour l’ensemble de la société et de l’économie. Mais il faut le faire en fixant des contreparties très claires et très fermes, et dire aux banques : les filiales hébergées dans les paradis fiscaux pour échapper aux impôts, c’est fini ; la création de produits financiers totalement inutiles et opaques, c’est fini ; le non respect du droit au compte pour les personnes en difficulté, c’est fini. Les rémunérations qui dépassent l’entendement et sans liens avec les résultats économiques, c’est fini. C’est le moment où jamais pour le politique d’imposer ses conditions. Or, sur tous ces points, on n’entend pas ou très peu Nicolas Sarkozy.

Nous sommes face à une crise financière qui secoue les marchés, qui menace l’économie réelle, nos entreprises, l’emploi et le revenu de nos concitoyens, qui met en danger l’équilibre, déjà précaire et injuste, du monde. Et ce sont encore les plus fragiles de nos concitoyens qui en paieront d’abord le prix.

Cette crise souligne, s’il en était encore besoin, une évidence : c’est à l’échelle de l’Europe que se trouvent les solutions.

Elle prouve que la coordination des politiques nationales, la recherche de solutions communes, l’action concertée sont possibles dès lors qu’existe une volonté politique. Elle révèle que la coopération entre les nations peut s’avérer plus efficace que l’action d’institutions technocratiques sans légitimité démocratique. Elle démontre, par l’absurde, que l’Europe ne peut se construire sur le seul engagement du respect aveugle d’un dogme économique – dogme économique qui vole en éclats sous nos yeux aujourd’hui. Toutes ces leçons, nous ne devrons pas les oublier.

Après les réactions d'urgence, le temps est venu d'une réforme profonde des marchés financiers afin qu'ils soient enfin régulés. Le temps est venu de freiner la volatilité des transactions financières internationales par l'instauration d'une taxe Tobin. Le temps est venu de la conversion écologique de l'économie.

D.– CONTRIBUTION DU GROUPE NOUVEAU CENTRE

Saisissante par son ampleur comme par la rapidité de sa contagion à la sphère financière mondiale, la crise financière qu’il convenait encore il y a peu d’appeler crise des subprimes n’a eu de cesse de muter depuis l’été 2007.

La crise à laquelle la plupart des économies mondialisées font désormais face a d’abord pris la forme d’une crise de liquidité après que la multiplication des défauts sur les crédits surprime ait confronté une majeure partie des fonds et établissements financiers américains à une première série de difficultés conduisant à l’apparition sur les marchés monétaires américain et européen d’un processus endémique d’assèchement de la liquidité.

De janvier à septembre 2008, conséquence de l’attribution inconsidérée de crédits immobiliers à des opérateurs n’étant que virtuellement solvables, la crise de liquidité se mue en une crise de solvabilité. À la fin du mois de septembre, la crise devient bancaire et prend un tour plus directement perceptible pour la plupart de nos concitoyens avec la nationalisation de Fortis, le sauvetage de Dexia, les négociations autour du plan Paulson ou encore la garantie publique illimitée sur les dépôts des épargnants annoncée par le gouvernement fédéral allemand.

Après avoir subi, avec une hausse des prix sur les marchés de l’immobilier, des effets de premier tour, puis, avec une contraction sans précédent de l’accès au crédit pour les entreprises et les ménages, ceux du second tour, nous faisons face à une troisième série de déflagrations avec, du fait de l’injection de fonds publics dans le capital de structures financières en danger, un fossé de la dette qui continue à se creuser.

Fort de ce diagnostic et afin tant de rétablir la confiance que de retrouver le chemin d’une croissance durable, le Nouveau Centre a proposé une série de remèdes. Face à une telle crise des marchés financiers, la première interrogation à lever consistait à identifier des modalités d’intervention qui soient économiquement viables mais surtout socialement justes.

Quatre modalités d’intervention pouvaient sembler envisageables, trois d’entre elles étaient en réalité à exclure. Celle qui consiste à extraire les actifs illiquides parce qu’il est convenu d’appeler une structure de cantonnement est la première d’entre elles. C’est ce type de structure qui a été mis en place avec le Crédit Lyonnais mais également par le Plan Paulson et ses effets sont dévastateurs. La seconde consiste en une méthode que l’Irlande a malheureusement faite sienne, celle du « sauve qui peut » qui amène à ce que l’État apporte aux banques sa garantie à un plafond atteignant 2 à 3 fois la valeur du PIB, soit en l’espèce 484 milliards d’euros. La troisième méthode est celle du laissez-passer et consistait, au plus fort de la crise, à ne rien faire.

En pratique, seule la méthode consistant pour l’État à intervenir de manière temporaire dans le capital des structures financières en difficulté est économiquement viable, c’est celle que la France et la Belgique ont choisi de suivre en se portant au secours de Dexia, c’est également celle que le Nouveau Centre soutient. Cependant, pour qu’une telle intervention soit socialement juste, celle-ci doit être conditionnée à l’engagement de la responsabilité des dirigeants fautifs ainsi qu’à l’absence pour ces derniers de tout golden parachute lorsqu’ils sont en exercice. Au-delà du seul sauvetage des opérateurs financiers et face au credit crunch et à l’absence d’accès aux marchés financiers dont souffrent nos PME, le Nouveau Centre a de plus proposé que soit mis en place un fonds de garantie destiné prioritairement à ces entreprises, ainsi que, dans un second temps, aux collectivités territoriales.

La véritable question qui se pose toutefois, derrière celle des remèdes d’urgence, est bien celle de la moralisation des pratiques sur les marchés financiers que le Nouveau Centre appelle profondément de ses vœux.

Il est à ce titre primordial qu’afin que la spéculation puisse être brisée, un terme soit mis à la pratique des ventes à découvert dont la nocivité n’est plus à démontrer. Eu égard au rôle joué par la titrisation, pratique échappant à toute forme de contrôle, dans le déclenchement puis la propagation de la crise, il importe également que ces marchés puissent être rapidement et efficacement régulés. Cette crise étant dans ses fondements mêmes une crise de la non-régulation, le Nouveau Centre a pris position en faveur d’une régulation qui puisse être rendue contra-cyclique et concerner les marchés échappant a tout contrôle et le plus souvent en pleine expansion. À titre d’exemple, la Commission des Finances de l’Assemblée nationale avait notamment permis que soit mis en lumière le fonctionnement de marché des credit default swap ou CDS. Ces marchés non régulés avaient permis de générer des instruments financiers pesant près de 60 000 milliards de dollars et ce sans qu’aucun contrôle de quelle forme que ce soit ne soit pour autant mis en place. Nul ne pourra nier que de telles pratiques doivent cesser.

Par ailleurs, cette moralisation des pratiques passe par un encadrement des rémunérations des dirigeants comme des traders. Certains portent de lourdes responsabilités dans les drames humains qui ne manqueront malheureusement pas de se produire avec la traduction dans l’économie réelle des déflagrations financières qui ont marqué l’actualité des dernières semaines, ceux-là doivent être sanctionnés. Après le principe pollueur-payeur, c’est bel et bien un principe fauteur-payeur qu’il convient désormais de mettre en place.

Revoir le système de rémunération des dirigeants passe par des mesures comme l’interdiction du cumul entre le statut de dirigeant mandataire social et celui de salarié, par une interdiction frappant l’ensemble des mandataires sociaux et consistant à les empêcher de lever comme de céder des options aussi longtemps qu’ils exercent des fonctions dans leur entreprise, par un strict encadrement des distributions d’actions gratuites. De telles mesures peuvent être mises en œuvre rapidement et contribueraient de manière rapide et efficace à un meilleur encadrement des rémunérations des dirigeants. Les rémunérations des traders, dont certaines atteignent des niveaux indécents doivent elles aussi faire l’objet d’une limitation.

La crise que nous traversons exige la mise en place de la gouvernance financière. Tant aux niveaux national qu’européen, les déboires dont les agences de notation sont l’origine appellent une amélioration de leur mode de fonctionnement. Le Nouveau Centre a d’ailleurs proposé deux principales pistes de réflexion à ce sujet. Ces agences doivent voir leurs statuts réformés afin qu’il leur soit imposé d’intégrer dans leurs évaluations le risque de liquidité et les risques opérationnels, à coté des risques de crédit. Une telle mesure doit se traduire par une refonte complète de la notation. Il est désormais également nécessaire que soient mis en place des mécanismes permettant de supprimer le lien émetteurs / agences de notation. Au niveau européen, le Nouveau Centre a également proposé que soit mis à l’étude un projet de label à l’échelle de l’Union pour les agences de notation ainsi, à moyen terme et comme le suggère Michel Pébereau, qu’un véritable système européen de superviseurs bancaires calqué sur celui des banques centrales. Mais les agences de notation doivent également faire l’objet d’une meilleure responsabilisation, un véritable droit opposable à la sincérité de la notation permettrait ainsi aux épargnants d’attaquer en justice les agences dont l’évaluation d’un risque se serait avérée contraire à la réalité.

À moyen et long terme, le Nouveau Centre a proposé que soit régulée l’industrie des hedge-funds et revues les règles comptables essentielles. Il serait à ce titre envisageable de réglementer le recours des investisseurs institutionnels, que sont les fonds de pension ou les assureurs, aux gestionnaires risqués que sont pour leur part les hedge-funds.

Tant aux niveaux national qu’européen, le Nouveau Centre propose deux grandes mesures visant à répondre à la crise financière ainsi qu’à régénérer la confiance : faciliter l’accès aux crédits des PME par un grand emprunt de confiance et proposer à nos partenaires européens un programme de grands travaux à l’échelle de l’Union.

Dans un contexte de crise, les Français privilégient la sécurité pour leur épargne, ce qui les pousse à rechercher des placements à court terme. Parallèlement, les entreprises, en particulier lorsqu’elles sont petites ou moyennes, et les collectivités locales sont confrontées à d’importantes difficultés de financement, les banques ne parvenant pas à se refinancer à moyen-long terme et les grandes entreprises étant pour leur part dans l’incapacité d’émettre des obligations dans des conditions acceptables.

Afin de répondre simultanément au besoin de sécurité des épargnants et aux besoins de financement de l’investissement, le Nouveau Centre a proposé de lancer un grand emprunt d'État d'un montant, initial, de 60 milliards d'euros, répartis en trois tranches de 20 milliards d'euros sur 3 ans, 5 ans et 7 ans. Cet emprunt ne serait pas destiné à financer les déficits publics et, donc, n’accroîtrait pas l’endettement net de l’État. Il s’agirait seulement de financer des crédits à l’économie, distribués via les réseaux bancaires, les banques devant acquitter une marge bénéficiant à l’État et assumer le risque. Un tel emprunt s’inscrit par ailleurs dans une logique de participation citoyenne à l’économie. Une partie de cet emprunt pourrait, au surplus, servir au financement de travaux d'infrastructures, en cohérence avec les engagements récemment pris dans le cadre du Grenelle de l'environnement.

Par ailleurs,  les régions doivent assumer leurs responsabilités dans l’accès au crédit des PME. Elles doivent, à leur tour, comme le fait l'État, garantir un certain nombre de prêts accordés aux PME et pleinement jouer leur rôle de colonne vertébrale de soutien de l’économie.

Le Nouveau Centre propose également un programme de grands travaux européens, à l’instar de ce qu’avait suggéré la commission Delors dans son Livre blanc de 1993.

Une série de projets d’infrastructures en matière de transport, d’énergie et de développement durable, déjà identifiés, pourraient être rapidement lancés et financés par des emprunts spéciaux émis par la Banque Européenne d’Investissement (BEI), ou un fonds ad hoc bénéficiant de dotations en capital et de la garantie de l’Union européenne et de la BEI, à l’exemple du Fonds européen d’investissement créé en 1994 pour fournir du capital risque aux PME.

Au niveau mondial enfin, la convocation d’urgence d’une conférence financière internationale est une décision que le Nouveau Centre appelait de ses vœux tout en insistant sur la nécessité que n’en soient pas exclues les économies émergentes. Toutefois, il apparaît nécessaire, pour que la voix de la France puisse être entendue, que celle-ci continue les réformes entreprises tout en maîtrisant ses déficits et l’évolution de sa dette publique.

Il faut aujourd’hui profiter de l’occasion qui nous est offerte de créer les conditions d’une économie durable, fondée sur une éthique de la responsabilité ainsi que sur des pratiques financières saines. Il est également indispensable que les classes moyennes et les PME soient mises au cœur de nos préoccupations afin que soient mis en œuvre les remèdes et amortisseurs sociaux capables de les protéger des conséquences de cette crise. Face aux doutes et aux incertitudes qu’elle suscite auprès de nos concitoyens, nous avons besoin plus que jamais de vérité dans le diagnostic, de pragmatisme dans les solutions et de détermination de l’action.

LES PISTES DE RÉFORME

Les auditions conduites ont mis en exergue plusieurs pistes de réflexion devant permettre de renforcer la régulation financière et de limiter l’exposition au risque inconsidérée. Au-delà des considérations générales sur la crise financière et ses effets sur l’économie dite réelle, une convergence s’est faite jour vers l’identification d’un certain nombre de points qui peuvent paraître très techniques mais sont en réalité d’une importance fondamentale. Certaines propositions concrètes ont été formulées, soit curatives, soit préventives, pour la plupart relevant d’un cadre de décision international. Répondre à court terme et raisonner à long terme, tel est le double défi de la crise actuelle, par son ampleur et par les failles qu’elle révèle au cœur même du système.

Au cours de ces derniers mois, la commission des Finances de l’Assemblée nationale a donc joué un triple rôle :

– d’information et d’expression des parlementaires bien sûr, qui ne sauraient être dessaisis d’un sujet aux multiples implications pour nos concitoyens ;

– de relais d’information pour ces concitoyens à qui l’on doit la transparence sur les tenants et les aboutissants de la crise ;

– d’enceinte stimulant la réflexion, en contribuant ainsi à poser les termes du débat devant permettre de soutenir des solutions partagées et véritablement efficaces.

1.– Les modalités d’application des normes comptables IFRS

Dès le début des auditions, le caractère pro-cyclique des normes comptables, plus précisément de la règle de la juste valeur fondée sur la valeur de marché (norme IAS 39 applicable dans l’Union européenne et norme FAS 157 applicable aux États-Unis) a été mis en avant. La « juste valeur » améliore l’information des investisseurs qui disposent ainsi, trimestre après trimestre, d’une évaluation fine de leurs plus ou moins-values potentielles, ainsi que du profil de risque des entreprises concernées, permettant ainsi une meilleure allocation des investissements. Si le principe même de cette valorisation n’est pas à remettre en cause – ces règles ont servi de révélateur des failles du système – c’est leur dogmatisme qui est contestable (1). Si leur principe même implique une forte volatilité de la valeur des actifs et des passifs, il suppose surtout un marché fonctionnant dans des conditions normales, c'est-à-dire suffisamment liquide pour fixer un prix à l’actif ou au passif concerné.

D’une part, la règle de la valeur de marché n’a pas de sens en l’absence de marché et lorsque la valeur de marché est déterminée par des « ventes à la casse ». Il était déjà prévu que la valeur de marché puisse se voir substituer une valeur déterminée par des modèles mathématiques (le « mark to model »). Cette méthode intègre toutefois le prix des « ventes à la casse », maintenant les incertitudes sur la valorisation future (dépréciations continues). En outre, son utilisation a contribué au mouvement général de défiance du fait de l’opacité des hypothèses retenues.

L’IASB a autorisé, ce que les normes comptables américaines permettaient dans des cas rares, le transfert, pour les établissements de crédit, de créances figurant au portefeuille de négociation (« trading book ») vers le portefeuille « bancaire » (« banking book »), c'est-à-dire portefeuille de créances conservées à terme. L’IASB a également accepté « dans la situation actuelle de stress » une nouvelle méthode de valorisation qui tient compte du risque de défaut et de liquidité ainsi que de l’écart de rendement d’un actif et du taux d’intérêt de marché. Le maintien d’une telle règle « en cas de stress » doit être envisagé. Ces assouplissements sont institués avec effet rétroactif au 1er juillet 2008 (2).

Au-delà de la définition de règles applicables en cas de crise, des travaux ont été engagés pour refondre les normes comptables en situation « normale ». Deux axes de réflexion ont été esquissés :

– la constitution de provisions dynamiques : il s’agit de limiter le caractère pro-cyclique de la juste valeur en période de baisse mais aussi de hausse. Plusieurs personnes auditionnées par la Commission ont fait valoir qu’il conviendrait d’atténuer les « bulles » et les pertes liées à l’éclatement de celles-ci en obligeant les établissements à constituer des provisions dont le montant serait donc ajusté en fonction du point de cycle ;

– la mise au point de normes épousant les horizons des actifs, selon le type d’actif concerné : si la valeur de marché doit s’appliquer s’agissant des actifs boursiers, les actifs obligataires acquis pour être conservés ne doivent pas être valorisés par référence à une valeur de marché actualisée en permanence. Cette question se pose avec acuité s’agissant des assurances pour lesquelles deux types de portefeuilles n’ont pas été définis. Cela est d’autant plus important en France que l’assurance-vie est utilisée comme un produit d’épargne-retraite. La directive Solvency II en projet anticipe les normes comptables applicables au secteur. Il faut la retravailler.

2.– Les caractéristiques du processus de titrisation et des produits dérivés

La crise a révélé l’opacité du système, rendant impossible la connaissance, pourtant indispensable à tout investisseur, des produits structurés acquis. Il en résulte qu’il convient d’établir des règles de transparence permettant d’assurer, du moins pour les opérations qui sont susceptibles d’affecter l’économie réelle, la connaissance des sous-jacents. Car les bienfaits de la titrisation ne sont pas en eux-mêmes remis en cause.

Il est probable que, du moins pendant un certain temps, les investisseurs vont délaisser les produits trop complexes et qu’on assistera à une forme de standardisation. Cela étant, comment assurer à plus long terme une bonne information sur les produits, donnant aux investisseurs la capacité à faire leur propre analyse du risque ? Pour les particuliers, la directive concernant les marchés d’instruments financiers (directive MIF), entrée en vigueur en France au 1er novembre 2007, présente sans conteste une amélioration très nette. Mais que proposer pour les investisseurs institutionnels ?

Parmi les propositions formulées, trois peuvent être citées :

– la fixation de règles relatives à la proportion de créances transférées au marché : le problème de la titrisation des subprimes, c’est d’abord l’octroi de crédits dans des conditions douteuses, avec transfert au marché des risques. Il serait souhaitable qu’une part de la créance soit maintenue au passif des établissements, ainsi responsabilisés. Les modalités d’une telle règle sont délicates à définir, qu’il s’agisse de la proportion ou de la tranche de risque à retenir. Ensuite, cette règle peut aujourd’hui être contournée puisqu’il est possible de couvrir le risque (ce qui annihile l’incitation effective à le définir). Enfin, les conséquences comptables doivent être maîtrisées en termes de consolidation de la créance maintenue au bilan et des effets sur les possibilités d’alléger les fonds propres ;

– la fixation de règles d’acquisition de produits titrisés pour certains types de secteurs financiers : assurances, OPCVM, mutuelles, collectivités territoriales notamment. L’idée serait d’obliger ces entités à n’inclure dans leur portefeuille que des actifs titrisés de premier niveau, niveau qui laisse possible la connaissance de la créance sous-jacente, donc l’appréciation du risque par l’investisseur. Au-delà de ce premier niveau, une traçabilité fine semble hors d’atteinte. Ces produits, plus rémunérateurs mais plus risqués, seraient réservés aux investisseurs spéculateurs. Car il faudra le marteler désormais : une rémunération c’est un risque ;

– la production d’une information en amont sur les produits, sous la forme d’un rapport, par exemple annuel, de l’établissement qui a titrisé la créance ou de l’agence de notation qui a noté le produit, contenant toute l’information nécessaire, tant sur le contenu que sur l’évolution des créances.

On notera également les initiatives pour réguler les marchés de gré à gré des dérivés de crédit, notamment des CDS (credit default swaps), ces contrats de protection passés entre acheteurs et vendeurs (l'acheteur de protection verse une prime au vendeur de protection qui promet de compenser les pertes de l'actif de référence en cas d'événement de crédit ; il s'agit d'une transaction non financée, c’est-à-dire sans obligation de mettre de côté des fonds pour garantir la transaction). Au premier rang des propositions figure la mise en place de plateformes connectées à des chambres de compensation. Des initiatives se multiplient en ce sens (Liffe, Chicago Mercantile Exchange et Citadel, Intercontinental Exchange, Creditex et Market …). De plus, des avancées sont en cours sur la mise au point de nouveaux modèles de valorisation des dérivés de crédit.

3.– Les acteurs de marché et l’appréhension du risque

● Les agences de notation

La notation est une fonction utile qui a pris une importance excessive sans que des règles adéquates soient imposées aux agences. Le code de conduite de septembre 2003 de l’OICV (Organisation internationale des commissions de valeurs) portait sur la notation simple (entreprises, collectivités etc.) et non sur les produits.

Quelle méthode doit être la leur ? Quelle supervision doit leur être appliquée ? Les auditions de la Commission ont également montré l’importance de la déontologie de ces agences, notamment la composition de leur actionnariat, les liens entretenus avec les émetteurs qui les rémunèrent pour leur notation, bref la question des conflits d’intérêts. La réunion annuelle de l’OICV tenue à Paris du 26 au 29 mai 2008 a débouché sur un rapport constituant un nouveau code de conduite (19 amendements au premier code ont été adoptés), qui demande notamment aux agences de notation d’être beaucoup plus transparentes sur leur méthodologie et ses changements éventuels, et de renforcer la qualité et l’intégrité du processus de notation et de révision des notes. En résumé, les propositions ne manquent guère. Certaines relèvent clairement d’un code de bonne conduite, d’autres de la mise en place d’une organisation du métier :

– la séparation des activités de conseil et de notation, au-delà de la simple mise en place de « murs chinois », car la tentation est grande d’établir un dialogue pour parvenir à un produit bénéficiant d’une certaine note ;

– la notation par deux équipes, dont une qui ne serait jamais en contact avec l’émetteur, à l’image de ce qui existe dans l’audit depuis l’affaire Enron ;

– le développement du nombre d’agences pour diversifier un secteur oligopolistique. Cela pose très clairement aussi le débat sur l’existence d’un agrément européen, subordonné à des méthodes d’analyse et des procédures professionnelles, et d’une agence de notation européenne ;

– la normalisation des notations en fonction du type d’actifs : il ne doit plus être permis de noter de la même manière un produit structuré et des émissions simples, comme la dette de l’État français par exemple. La notation ne peut reposer sur le seul critère du risque de défaut à échéance (la solvabilité). Pour les produits titrisés se pose la question de leur volatilité et de leur liquidité. Même si l’on conçoit la difficulté de constituer des indices de cette nature, la crédibilité des agences de notation en dépend. Le nouveau code de conduite demande de différencier les notes accordées à des emprunts traditionnels émis par des sociétés, des villes ou des États de celles données sur des produits structurés ;

– enfin, la surveillance par le régulateur de marché. On peut rappeler que le Comité technique de l’OICV dans son communiqué du 17 septembre dernier a encouragé une plus grande coordination internationale sur la supervision des agences de notation.

● Les hedge funds

La problématique spécifique des fonds a donné lieu à plusieurs échanges dès lors qu’ils échappent à la réglementation prudentielle, malgré les risques systémiques que certains font courir. La confiance parfois aveugle qui avait été placée en eux par nombre d’investisseurs institutionnels a été évoquée. Deux types de réflexions en découlent :

– les modes de rémunération de ces hedge funds doivent être revus. Notamment, le fait qu’il n’existe que des primes de performance et jamais des malus est particulièrement malsain et constitue une asymétrie profondément préjudiciable aux investisseurs ;

– l’obligation d’information sur l’exposition au risque doit être assurée. Il est très difficile de réglementer un secteur dont la philosophie initiale est de développer l’investissement alternatif par un cercle restreint d’investisseurs qui cherchent à compenser par des moyens plus ou moins sophistiqués les évolutions des cours. L’autre pan de ce secteur, ces fonds énormes interconnectés avec les acteurs de marché régulés, ne peut cependant être maintenu à l’écart de toute réglementation. Avant même de décider dans quelle mesure ils doivent être soumis aux règles de marché, il convient de mettre fin à l’opacité de leur exposition, qui est avant tout responsable des risques systémiques qu’ils comportent. La première réponse est donc une obligation de déclaration. Cela permettrait de localiser et évaluer le degré de risque. À noter que l’absence de cette information pourrait obérer la capacité des banques centrales à agir de façon adéquate en cas de difficultés sur ce segment. Le manque de visibilité peut avoir des conséquences dramatiques, comme l’a illustré la faillite de Lehman Brothers.

● Les fonds souverains 

S’ils ont participé des causes de la surabondance d’épargne, ils constituent aussi des investisseurs à long terme indispensables en période d’assèchement et dont l’horizon est aussi garant d’une vision stratégique. L’avenir du système financier mondial ne se construira pas sans les États qui les ont constitués. À l’inverse, ces fonds devraient respecter un code de conduite, notamment quant à leur gouvernance.

● Les banques

Il a souvent été rappelé au cours des auditions que les règles de « Bâle II » auraient permis une appréhension plus fine des risques et aurait intégré le hors bilan et certains risques opérationnels. En tout état de cause, la qualité de la gestion des risques ne pourra être assurée que si l’ensemble des institutions intervenant sur le marché sont soumises à une réglementation appropriée, à commencer par les banques d’affaires américaines.

Ce constat ne doit pas rendre illégitime toute réflexion sur ces normes et surtout doit conduire à convaincre nos partenaires de leur généralisation. Les propositions du Forum de stabilité financière sont au cœur des débats, notamment :

– le relèvement de certaines exigences de fonds propres pour certains produits structurés complexes, pour les risques de défaut et d’événement de crédit et pour les facilités de crédit accordées aux conduits d’émission hors bilan ;

– le renforcement de la surveillance prudentielle sur l’identification et la gestion des risques, sur les exercices de simulation et sur la gestion des engagements de hors-bilan et leur déclaration.

Par ailleurs, le bon usage de ces règles s’accompagne d’un contrôle interne de grande qualité, ce qui conduit à la question des opérateurs de marché.

● Les opérateurs de marché

Au-delà des interrogations sur les pratiques de marché (notamment les différences de réglementation sur certaines opérations, particulièrement les ventes à découvert bien encadrées en France (3)), ce sont les modalités de rémunération des opérateurs de marché qui sont montrées du doigt. Il est en effet patent qu’une rémunération liée à des performances de court terme ne peut que conduire à des prises de risque excessives. Il a été proposé que la rémunération des opérateurs de marché soit calculée sur plusieurs années, les obligeant à raisonner sur des cycles complets. Le fait de différer leur rémunération pose des problèmes pratiques mais il convient de les résoudre rapidement car cette question est plus importante encore que celle de la rémunération des dirigeants.

● Les entreprises cotées : la rémunération des dirigeants et actionnaires

La crise financière est-elle une crise de la finance ou une crise du modèle économique ? Il ne fait nul doute en tous les cas que la recherche du profit et la dégradation du partage de la rentabilité ont joué un rôle dans le fonctionnement du marché financier. Les rapports de force qui doivent émerger après la crise font débat, notamment sur la question de la rémunération des acteurs et de la notion même de valeur. Qu’est-ce que la performance, quel rapport entre la rémunération des dirigeants, celle des actionnaires et celle des salariés ? Quel rapport de force au niveau mondial accompagne cette répartition ? Etc. Les économistes auditionnés par la Commission ont bien sûr évoqué ces aspects, notamment dans l’analyse de la surabondance de liquidités et du modèle américain fondé sur l’endettement.

4.– Régulateurs, superviseurs et organismes internationaux : la coordination internationale

Les auditions ont permis de bien comprendre la mécanique de propagation de la crise et en amont les éléments qui ont permis le développement d’un tel risque. Il est évident que l’existence de pans entiers d’activité non régulés et/ou inégalement supervisés est en cause : courtiers non soumis à réglementation distribuant des subprimes ne respectant aucune des règles basiques de solvabilité, conduits non régulés titrisant ces actifs distribués à de puissants hedge funds non régulés, parfois établis dans des paradis fiscaux, ou des assureurs mal ou peu supervisés, eux-mêmes couverts par des produits dérivés émis de gré à gré sans contrainte de liquidité etc. Si l’on ne peut ni ne doit nécessairement tout réglementer, il est clair que les distorsions de réglementation et de pouvoirs des régulateurs et superviseurs doivent être corrigées par une harmonisation vers le haut.

On peut ici s’appuyer sur le modèle de réglementation et de supervision européen, qui pourrait être complété par d’utiles améliorations, notamment en vue d’une interprétation harmonieuse des règles. Plusieurs pistes doivent donc être étudiées :

– l’harmonisation des règles prudentielles, applicables aux États-Unis, en Europe, mais aussi dans les pays émergents, avec des interdictions d’investissement dans des entités qui ne respecteraient pas les règles ainsi fixées au niveau international, notamment si elles sont établies dans un paradis fiscal ;

– le durcissement des réglementations applicables aux particuliers et entreprises investissant dans des paradis fiscaux.

L’existence même de ces territoires met en péril la stabilité financière et économique mondiale dès lors que leur fonctionnement repose sur le secret. Transparency International France estime qu’environ 10 000 milliards de dollars sont cachés sur des comptes secrets qui échappent à toute taxation. À cet égard, un paradis fiscal doit s’entendre comme un territoire à fiscalité privilégiée, pratiquant le secret bancaire et n’échangeant pas d’informations avec les États tiers, ce qui inclut tous les territoires non coopératifs et les centres off-shore. L’Europe en héberge un certain nombre présentant des degrés divers d’opacité : Andorre, Jersey, Guernesey, Alderney, Gibraltar, l’Île de Man, le Luxembourg, la Suisse, le Liechtenstein, Monaco, Malte, Vatican, Chypre.

Il faut donc faire pression sur ces territoires pour qu’ils évoluent vers plus de transparence. On ne peut que se féliciter du premier pas que constituent les accords bilatéraux signés entre l’OCDE et trois territoires britanniques – les Îles vierges, Jersey et Guernesey – en matière d’échange de renseignements à des fins fiscales. La constitution d’une nouvelle liste de pays non coopératifs de l’OCDE, à la demande de la France et l’Allemagne lors de la réunion organisée à Paris le 24 octobre dernier, constituerait un signal fort.

– La mise au point d’une architecture européenne de supervision efficiente avec le développement des comités de niveau 3 Comité européen de régulation des valeurs mobilières, Comité européen des superviseurs bancaires et Comité européen des superviseurs des assurances et organismes de prévoyance. Par ailleurs la réglementation et la supervision fragmentée du secteur des assurances aux États-Unis notamment pourrait utilement être corrigée ;

– Le renforcement de la coordination des grands régulateurs et superviseurs ainsi constitués ;

– Le développement des structures mondiales assurant impulsion, coordination et surveillance : il s’agit du Forum de stabilité financière mais aussi de l’affirmation d’un pilier « stabilité financière » du Fonds monétaire international qui lui permette d’intervenir pour protéger la stabilité financière, en alertant sur certaines dérives et en demandant des corrections. Son directeur général, M. Dominique Strauss-Kahn, s’est d’ailleurs exprimé en faveur d’un renforcement du rôle de coordonnateur de la régulation mondiale du FMI. La création d’une facilité de liquidité à court terme, après les aides accordées à la Hongrie et à l’Ukraine, illustre la montée en puissance du Fonds.

COMPTE RENDU DES TRAVAUX DE LA COMMISSION

1.– Mardi 2 octobre 2007, séance de 16 heures, compte rendu n° 1

–   Audition, ouverte à la presse, de M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, M. Michel Prada, président de l’Autorité des marchés financiers, M. Jean-Pierre Mustier, directeur général adjoint du groupe Société Générale, M. Richard Hunter, directeur général de l’agence de notation Fitch Ratings, M. Michel Aglietta, économiste, conseiller scientifique du CEPII, M. Henri Bourguinat, économiste, fondateur du Laboratoire d’analyse et de recherche économiques, sur la crise financière

Le Président Didier Migaud, après avoir souhaité la bienvenue à M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, à M. Michel Prada, président de l’Autorité des marchés financiers, à M. Richard Hunter, directeur général de Fitch Ratings, à M. Jean-Pierre Mustier, directeur général adjoint du groupe Société Générale, à M. Michel Aglietta, économiste, et à M. Henri Bourguinat, économiste, et rappelé les différentes étapes de la crise financière qui s’est déclenchée cet été, a expliqué qu’au moment de s’engager dans l’examen de la loi de finances, la commission des Finances souhaitait mieux appréhender les raisons de cette crise et ses conséquences sur l’économie réelle, en particulier en Europe et en France.

S’adressant à M. Christian Noyer et à M. Jean–Pierre Mustier, le Président Didier Migaud a demandé, s’agissant de la politique de crédit bancaire, ce qu’il faut penser des règles prudentielles en vigueur et ce qu’on peut attendre de la réglementation dite Bâle II ?

Les banques françaises envisagent-elles de modifier leur politique de crédit, notamment à l’égard des entreprises, le gouverneur de la Banque de France peut-il apporter des précisions sur l’exposition des établissements bancaires, sur la qualité de leurs risques et sur la marge de manœuvre de la Banque centrale européenne ? À cet égard il faut rappeler que M. Christian Noyer est dans la « période de silence » – en l’occurrence sur les taux – à laquelle sont soumis les membres du conseil des gouverneurs de la BCE la semaine précédant la réunion statuant mensuellement sur la politique monétaire.

Il a, ensuite, souhaité que MM. Michel Prada, Richard Hunter et Michel Aglietta apportent des précisions sur les procédés de titrisation actuels et sur l’évaluation des risques dont les produits structurés sont porteurs, se demandant s’il n’y avait pas conflit d’intérêts entre les agences de notation et les émetteurs de produits.

Il a enfin demandé si M. Henri Bourguinat pouvait donner les premières pistes d’un renforcement de la gouvernance du système financier mondial.

M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, a d’abord répondu que le système traditionnel de Bâle, ou ratio Cook, qui est applicable jusqu’au 31 décembre 2007 et qui datait de la fin des années 80, n’avait pas été conçu spécifiquement pour couvrir les risques liés aux opérations complexes d’aujourd’hui – telle la titrisation, instrument qui avait notamment permis la répartition des risques liés au crédit – qui se sont développées sous l’effet de l’innovation financière, à l’exemple des dérivés de crédits.

Les superviseurs bancaires ont, depuis plusieurs années, renforcé la finesse de leur analyse, en vérifiant auprès des banques le degré réel d’exposition des risques et en exigeant d’elles qu’elles disposent de fonds propres en conséquence. Le système de supervision internationale, le comité de Bâle, se devait cependant d’évoluer afin de mieux prendre en compte l’ensemble des risques. C'est ce à quoi devrait parvenir Bâle II, la philosophie de ce nouveau système de supervision reposant premièrement sur un calcul des risques sur une base économique et non pas seulement juridique – lorsque figureront au hors bilan des lignes de liquidité, Bâle II obligera ainsi à calculer la probabilité de tirage sur ces lignes, ce qui permettra de déduire l’exposition réelle des banques et donc les provisions à mettre en place – deuxièmement, sur la prise en compte de risques très indirects tels que le risque de réputation ou de liquidités ; troisièmement sur le renforcement de la discipline des marchés, grâce à des règles portant sur la transparence de l’information, sur la comptabilité ou encore sur l’activité de titrisation, tous éléments permettant de renforcer la sécurité du système.

Les meilleures règles prudentielles ne peuvent pas remplacer les bonnes législations. À cet égard il faut rendre hommage au législateur français puisque l’activité de crédit dans notre pays est entièrement couverte par la loi bancaire et par une surveillance appropriée, à l’inverse des États-Unis où les établissements prêteurs ne sont pas réglementés et pratiquement pas surveillés.

Il n’a pas été relevé de modifications sensibles de l’attitude des banques en termes de distribution de crédit, à l’exception du secteur Leverage Buy Out – LBO – et du financement de nouvelles activités de titrisation. Tant le crédit aux entreprises que le crédit aux ménages n’ont pas changé, même si les taux d’intérêt pratiqués ont légèrement augmenté en même temps que les taux du marché, sachant que les taux pratiqués par les banques françaises sont inférieurs à la moyenne de ceux pratiqués dans la zone euro. Les conditions du financement en France restent donc très favorables pour les crédits tant aux entreprises qu’aux ménages. La progression des crédits a été de l’ordre de 1 % au cours du mois d’août, ce qui représente 19 milliards d’euros d’encours de crédits supplémentaires.

Pour ce qui est de l’exposition des banques françaises, la situation du système bancaire national est, d’une façon générale, très satisfaisante. Outre le fait que les risques de crédit sur les marchés subprimes sont négligeables, les expositions indirectes, c’est-à-dire le financement d’entités qui elles-mêmes titrisent des crédits hypothécaires, ne représentent à peu près que 0,2 % du bilan des banques françaises, pourcentage qui ne comporte que très peu de subprimes. L’exposition réelle paraît donc marginale.

Quant à l’activité de portage de parts de titrisation, subprimes ou non, elle correspond à quelque 0,3 % des actifs totaux, la plus grande partie de ces derniers ne pouvant être considérés comme étant à risque. L’actif sur le fond est sain, sauf à imaginer que la totalité des ménages américains deviendrait insolvable.

S’agissant des expositions potentielles, c’est-à-dire des lignes de liquidité sur les fameux conduits dont les sous-jacents pouvaient être ou non composés de subprimes, elles représentent des montants un peu plus élevés, soit 1 à 3 % des actifs des grandes banques françaises, sachant cependant que la part du crédit subprime reste là aussi très faible, de l’ordre du quinzième ou du vingtième du total. L’exposition des banques est extrêmement faible.

Pour ce qui est, enfin, des revenus qui pourraient être impactés, ceux-ci sont assez faibles, soit entre 5 et 11 % s’agissant des banques de financement et d’investissement, pourcentage qui, rapporté à l’ensemble des revenus des groupes consolidés, en représente entre 0,4 et 5 %. Quant à l’activité LBO, qui représentait entre 2 et 6 % du produit net bancaire des banques de financement et d’investissement, le pourcentage, rapporté à l’ensemble des groupes, atteint entre 0,7 et 1,9 %, tous ces impacts étant assez minimes par rapport à la rentabilité des banques françaises.

M. Jean-Pierre Mustier, directeur général adjoint du groupe Société Générale, est d’abord revenu sur les raisons de la crise.

Celle des subprimes a en fait été le déclencheur d’un phénomène beaucoup plus profond, celui de l’évolution du marché du crédit depuis les cinq dernières années du fait du phénomène de désintermédiation, les banques revendant leurs créances à des investisseurs de crédits. Ce développement du crédit, bien au-delà de la capacité de financement des banques, a ainsi permis de financer de grandes acquisitions par des industries ou encore des LBO. L’emballement du crédit qui s’en est suivi a fini par créer une bulle. À cet égard, Bâle II, qui était une adaptation par rapport à un environnement qui s’était raffiné – les règles précédentes étant efficaces, mais trop rustres –, permettra d’avoir une vision beaucoup plus fine des risques. Il faut en effet revenir à une normalité en termes de profil de risques et de liquidités fournies sur le marché du crédit.

Toute crise finit par s’arrêter, mais il faut tirer les leçons de celle-ci : d’une part, le phénomène de désintermédiation a beaucoup apporté à l’environnement, et, d’autre part, les avancées doivent, dans ce domaine comme dans d’autres, être mieux encadrées.

Dans ce contexte, les banques françaises vont-elles avoir tendance à moins prêter ?

S’agissant des prêts aux ménages et aux entreprises, elles n’ont pas de raison de faire moins, puisqu’il s’agit de l’activité traditionnelle des banquiers. On relève cependant, comme en matière de LBO, une attitude beaucoup plus prudente, faute pour les banques de pouvoir revendre les crédits portés dans les bilans.

En ce qui concerne la titrisation, la crise a également montré du bon – par exemple les entreprises peuvent avoir, par ce biais, un accès à des montants de financement qui leur évitent de tirer sur leurs lignes bancaires – et du mauvais : d’autres conduits, tels que l’achat d’actifs de longue durée qui ont dû se restructurer en raison des problèmes de liquidités court terme.

En résumé, cette crise aura été paradoxalement une bonne chose puisqu’elle va permettre une approche plus raisonnée de l’évolution du marché du crédit, une rationalisation de certains produits, et, grâce à Bâle II et à d’autres réformes entraînées notamment par la directive MIF sur les marchés d’instruments financiers, l’émergence d’un contexte réglementaire qui saura s’adapter et encadrer le développement des activités de crédit des banques.

M. Michel Prada, président de l’Autorité des marchés financiers, après avoir indiqué qu’il s’exprimerait également en qualité de président du comité technique de l’Organisation internationale des commissions de valeurs – OICV –, qui intervenait en matière de normalisation des règles de surveillance des marchés, a souligné que lui-même et ses collègues ne pourraient apporter véritablement de réponses aux questions posées puisque celles-ci portent sur la première turbulence ou, pour reprendre un mot plus souvent utilisé, sur la première crise née de la combinaison entre, d’une part, un vaste mouvement de désintermédiation intervenu dans un contexte de très forte liquidité, une faible aversion pour le risque, un niveau de taux d’intérêt relativement bas et, d’autre part, une très grande innovation.

Les grands régulateurs, les banquiers centraux et les principales institutions concernées au niveau mondial sont désormais réunis au sein du Forum de stabilité financière, lequel, la semaine dernière, s’est notamment penché sur la crise des marchés en évoquant plusieurs sujets.

La question de la supervision prudentielle a été abordée par les intervenants précédents, mais il y a aussi d’autres sujets. D’abord, le rôle des agences de notation. Ces dernières sont indispensables au fonctionnement du marché et elles ne doivent pas être diabolisées plus que d’autres puisqu’il s’est agi d’un phénomène collectif. En fait, elles interviennent non plus seulement pour noter des émetteurs corporate, mais aussi pour apprécier la solvabilité des sous-jacents des produits de titrisation lorsque le problème n’était pas seulement la mesure de la solvabilité des débiteurs, mais aussi celui de la liquidité des produits structurés.

Répondant à une demande de M. Jean-François Lamour, M. Michel Prada a précisé que les sous-jacents représentaient les actifs correspondant aux crédits qui, inclus dans des produits structurés, sont réunis en paquets que l’on commercialise ensuite par tranche, la difficulté étant de passer de l’identification du risque de chacun des composants à celle de l’ensemble du paquet, avec tous les problèmes de négociabilité de ce dernier que cela entraîne. L’OICV va ainsi examiner les conditions d’élaboration des notations, les possibles conflits d’intérêts, les méthodes de communication, etc.

Il a ensuite abordé le deuxième sujet évoqué par le Forum, à savoir les conditions dans lesquelles les différents produits financiers qui s’échangent sont valorisés, sachant que l’analyse des modèles est d’une très grande difficulté. Si l’on peut estimer que ces derniers fonctionnent de manière satisfaisante dans un contexte donné, ils peuvent en effet, selon les circonstances, ne plus être efficients.

S’agissant du troisième sujet évoqué, la désintermédiation, il faut savoir que, lorsque l’essentiel de l’activité économique est retracé dans les bilans des entités régulées, la maîtrise des phénomènes est sinon facile pour les régulateurs mondiaux, du moins possible. Or, avec la désintermédiation, apparaît nécessairement une perte d’informations. C’est donc la question de la transparence financière qui se pose, question sur laquelle vont se pencher tant le Forum que, sur sa proposition, l’OICV.

Pour ce qui est de la problématique de l’AMF dans ce contexte, le régulateur de marché a une double mission : d’une part, la surveillance du secteur de la gestion d’actifs pour compte de tiers – ou asset management – au moyen de l’agrément et de la surveillance des sociétés de gestion, et, d’autre part, de l’enregistrement des produits afin d’en juger non l’opportunité, mais la lisibilité pour les publics concernés, cela afin de permettre aux investisseurs de prendre leurs décisions en toute connaissance de cause.

Confrontée au problème qui s’est posé dans le courant de l’été, l’AMF a été inspirée par deux considérations principales : l’action des gérants d’actifs confrontés aux difficultés de gestion de certains fonds devait être exclusivement dictée par l’intérêt des clients – ce qui pouvait conduire à prendre des mesures exceptionnelles de suspension des souscriptions et des achats –, et tous les porteurs devaient bénéficier d’une égalité de traitement, le risque étant, dans une situation de demande de rachats importants obligeant à vendre des actifs pour faire face à ces rachats, que l’on vende les actifs les plus liquides, laissant aux derniers porteurs les actifs les plus risqués.

Il faut souligner l’attitude de grande prudence adoptée par l’AMF dans son expression – car intervenaient en cette affaire des éléments non seulement d’ordre technique, mais également d’ordre psychologique –, ainsi que l’étroite coopération entre le régulateur de marché et le régulateur bancaire.

M. Richard Hunter, directeur général, regional credit officer de Fitch Ratings, a d’abord souligné que les notes de son agence de notation internationale sont avant tout des opinions et non des faits, c’est-à-dire des indicateurs de sensibilité relative aux pertes sur créances et non des prédictions sur des taux de défaut. Il est cependant également important de comprendre ce que les notes ne sont pas : elles ne portent pas sur le risque de changement du prix d’une valeur mobilière ou sur sa plus ou moins grande difficulté à être vendue. Elles ne sont en aucune façon une garantie ou une assurance de remboursement, mais constituent un élément d’information parmi d’autres que les gérants et les investisseurs peuvent prendre en considération. Elles ne sont pas non plus des conseils d’investissement ni des recommandations d’acheter ou de vendre.

Pour ce qui est, ensuite, du processus de notation, les critères, publiés sur le site Internet gratuit de l’agence, sont établis, pour les grandes classes d’actifs, par les groupes analytiques et approuvés par des comités méthodologiques, avant qu’un comité, et non un analyste seul, détermine le niveau des notes, l’émetteur pouvant faire appel ou, dans le cas de la finance structurée, pouvant décider de modifier le contenu de son pool d’actifs sous-jacents. La note est ainsi le résultat d’analyses et d’anticipations, et ne reflète pas un fait tangible quelconque. Lorsque les comités méthodologiques décident que les paramètres doivent être modifiés pour mieux tenir compte des informations sur le comportement des actifs sous-jacents, les modèles – qui vont de la simple grille d’évaluation ou de prévision à des outils de régression ou à des simulations stochastiques – sont alors ajustés. Fitch ne structure pas d’opérations pour le compte des émetteurs. Ni l’analyste, ni le comité de notation ne font de propositions sur les actifs à incorporer dans une opération, ni ne suggèrent des niveaux de notes pouvant être visés, ni ne développent des structures juridiques pouvant être appliquées à une opération donnée.

Concernant la notation d’institutions financières, l’analyse ne va pas jusqu’à évaluer chaque instrument de dette détenu en portefeuille par l’entité, mais elle tend à comprendre l’appétit au risque de cette dernière et ses procédures de gestion des risques. Cette analyse reposant sur la communication par l’entité d’informations publiques et confidentielles, cela constitue une difficulté pour le marché entier, compte tenu du faible niveau de transparence en matière de localisation des instruments de dette.

S’agissant, enfin, de la façon dont l’agence gère les conflits d’intérêt inhérents à son modèle économique, le conflit d’intérêt potentiel résulte du fait qu’elle est rémunérée par les entités qu’elle note, ce risque étant géré de plusieurs façons, d’abord en séparant les fonctions commerciales des fonctions d’analyse, ensuite en indiquant clairement qu’elle est rémunérée par les émetteurs, enfin en faisant en sorte que la rémunération des analystes ne dépende aucunement du niveau des honoraires perçus par l’agence dans le cadre des notes sur lesquelles l’analyste lui-même aura travaillé. Les autres modèles économiques ne sont pas nécessairement exempts de conflits d’intérêts potentiels.

Pour autant, l’agence reste ouverte au dialogue et aux suggestions tendant à renforcer la confiance des marchés dans l’indépendance des agences. Ainsi, elle a déjà entrepris de réexaminer les prévisions de pertes en matière de titrisation à la lumière des éléments nouveaux que la crise financière a fait apparaître, en prévoyant de publier prochainement des propositions en forme d’« exposure drafts », afin d’engager un échange constructif avec les acteurs des marchés financiers.

M. Michel Aglietta, économiste, a précisé, faute de pouvoir faire preuve d’autant d’optimisme que les précédents intervenants et estimant, pour sa part, que la crise n’était que dans sa première phase, que le rôle des universitaires est, en la circonstance, de poser des questions.

Si des crises interviennent périodiquement, elles sont toujours différentes dans le détail, ce qui explique que les évaluateurs soient surpris puisque ce sont sur les connaissances passées que l’on fonde les évaluations alors qu’une crise naît toujours d’une innovation.

En l’occurrence, la première caractéristique de la crise a trait à la logique financière : en cas de crise, il y a toujours un lien entre l’expansion du crédit et l’appréciation du prix d’un actif au moins – aujourd’hui l’immobilier ; en 1999, la bourse –, le processus gagnant en puissance suite à l’euphorie des acteurs qui pensent s’enrichir en s’endettant, anticipant une appréciation du prix. Aujourd’hui, il n’existe pas suffisamment de gros investisseurs stabilisants, surtout sur le long terme, pour empêcher cela.

La deuxième caractéristique tient au volume de la titrisation par rapport au crédit bancaire porté au bilan des banques. Si l’on estime, à juste titre, que la titrisation va mieux disséminer le risque, encore faut-il que la qualité des crédits reste la même qu’à l’origine. Or, si l’on était assuré de revendre des crédits dans toutes les conditions, il serait alors certain que ceux-ci ne seraient plus évalués comme avant. Il faut donc que les banques soient incitées à évaluer le crédit titrisé de la même façon que les crédits qu’elles portent elles-mêmes, ce qui implique de leur imposer des règles en la matière.

La troisième caractéristique est que l’investisseur qui achète des crédits structurés ne sait plus quels sont les bons et les mauvais produits structurés, faute de discrimination entre les subprimes et le crédit traditionnel. Alors que le prime mortgage aux États-Unis est de qualité, car garanti par deux agences publiques, le rachat par celles-ci de crédits structurés a conduit les subprimes, anomalie parmi d’autres, à être notés triple A comme le prime mortgage.

Afin d’éviter une telle confusion des investisseurs, il convient de standardiser une grande partie de la titrisation grâce à un marché organisé – telle la bourse de Chicago – qui est plus robuste puisqu’il comprend à la fois de la compensation, un règlement et une instance centrale qui surveille.

Pour M. Henri Bourguinat, économiste, une personne arrivant d’une autre planète aurait pu penser, à entendre les premiers intervenants, que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Certes, une économie dynamique a besoin d’une finance prospère et inventive, comme cela a été le cas ces dernières années, mais il n’en reste pas moins que la crise est sérieuse, ne serait-ce que par les conséquences de l’injection de 400 milliards de dollars de liquidités par les banques centrales.

Pour expliquer la crise, ont été successivement mis en cause les subprimes, les agences de notation puis les hedge funds, c’est-à-dire les spéculateurs. Cependant, si ces trois facteurs ont eu leur importance s’agissant du déclenchement de la crise, le fait que celle-ci se soit étendue comme une traînée de poudre à l’échelle mondiale tient fondamentalement à l’organisation de la finance, ou plutôt à ce qu’on peut appeler le génome de la finance : dans l’enchaînement des maillons, quelque chose a grippé, la titrisation de deuxième génération commençant à faire problème du fait de l’éloignement croissant entre celui qui ouvrait le crédit et celui qui en portait le risque. On a ainsi abouti à une « granularité » de ce dernier, les petits grains se retrouvant dans des endroits inattendus, jusqu’aux SICAV de trésorerie.

Les faiblesses de la finance moderne – déjà mises en avant en 2004 – tiennent, d’une part, à cette dissociation du risque, d’autre part, au défaut de traçabilité du risque, enfin, au risque moral, c’est-à-dire à la théorie économique du principal agent : si l’établissement qui ouvre le crédit n’en supporte pas le risque, il a tendance à prendre plus de risques.

Sans aller jusqu’à réformer le système financier international, il convient donc, à court terme, d’amener les banques à une meilleure communication sur les expositions au risque, de mieux étiqueter les produits offerts à la clientèle, et, à moyen et long terme, de mieux structurer les informations au niveau international par le biais de la BRI ou du Fonds monétaire – on savait, par exemple, qu’il y avait, depuis 2006, un problème avec les subprimes –, de revoir les pratiques de consolidation des structures que l’on crée pour gérer ces produits afin d’éviter un déséquilibre entre l’actif et le passif, et, enfin, de porter plus d’attention aux conflits d’intérêts, ce qui ne concerne pas seulement les agences de notation.

Il faut donc se hâter de promouvoir Bâle II et de trouver, en amont, de nouvelles obligations de fonds propres, indicateurs dont la banque centrale se sert comme moyen choc d’intervention, des coupe-circuits, bref de mieux décrypter le génome de la finance.

Le Rapporteur général, a relevé, s’il avait bien compris, que l’exposition au risque subprime était donc marginale et que la crise avait été une bonne chose. Cette disproportion entre l’analyse subjective de la crise et les conséquences constatées de cette dernière explique donc, en partie, la crise de défiance actuelle et, surtout, ses impacts.

À cet égard, Bâle II va-t-il permettre de mettre en place un système de traçabilité de ce type de dérivés de crédits, sachant que le niveau national n’est pas suffisant en matière de régulation ?

S’agissant des incidences sur l’économie, les prêts aux entreprises ne vont-ils pas, dans la situation actuelle, devenir plus coûteux du fait d’une hausse des taux d’intérêt ? De façon plus générale, quels sont les risques de contamination sur l’économie de la crise financière, sachant que des millions de ménages aux États-Unis vont se retrouver insolvables, ce qui va avoir des conséquences sur les actifs titrisés qui se promènent à travers le monde ?

M. Jérôme Chartier a fait part de son sentiment que l’on venait de connaître la première crise légale puisque c’était sur la base de l’investment act de 1977 que les banques avaient été encouragées à prêter voire à surprêter aux familles américaines à faibles revenus pour acquérir leur résidence principale, pratique confirmée par l’administration Clinton en 1995. Certes, c’est également ce qui s’est passé en France, sauf que des restrictions prudentielles plus importantes y avaient cours.

Alors qu’en 2006 les actifs immobiliers américains s’élevaient à 10 000 milliards de dollars, dont 56 % étaient titrisés, donc mutualisés partout dans le monde, et que 11 % des prêts immobiliers étaient en situation d’impayés, doublant en un an, il a fallu attendre le 10 juillet dernier pour que Moody’s commence à abaisser la note de 399 titres liés aux prêts subprimes. Pourquoi un tel délai ?

Si l’on peut se féliciter que le petit épargnant français ait contribué au rapprochement franco-américain en finançant les ménages américains à faibles revenus, on peut se demander, au vu de l’exemple de la BNP, qui a suspendu la notation de trois de ses fonds avant d’annoncer que ses engagements hors bilan seraient remboursés, comment on peut dire aujourd’hui que la crise est terminée et que l’épargnant français peut recommencer à investir.

Selon M. Jérôme Cahuzac, il est ressorti des interventions des personnalités auditionnées, d’abord qu’il n’y avait pas eu réellement de crise, puis qu’il y en avait bien eu une mais que c’était une bonne chose, et, en conclusion, que ce n’était pas une crise mais une turbulence. On ne peut dès lors que s’associer aux questions posées par MM. Gilles Carrez et Jérôme Chartier. Les intervenants estiment-ils que ce qui s’est passé influera négativement sur la croissance française cette année et l’année prochaine, au regard notamment à ce que l’on peut observer en Espagne et en Grande-Bretagne ?

M. Charles de Courson a posé cinq questions :

La crise immobilière américaine ne se traduira-t-elle pas par un effet richesse inversé, donc par la chute de la consommation des ménages américains ? On assisterait alors à une véritable crise qui se transmettrait au reste du monde, à commencer par l’Espagne et la Grande-Bretagne.

Est-il possible de créer un marché organisé et contrôlé de la titrisation au plan international, sachant que c’est l’absence d’un tel marché qui a favorisé toute une série d’excès ?

Les futures règles de solvabilité de Bâle II sont-elles adaptées ? Permettraient-elles d’améliorer vraiment la situation actuelle ?

La « désintermédiation » et la titrisation n’ont-elles pas affaibli la responsabilité bancaire ? Si tel était le cas, ce serait à ces évolutions qu’il faudrait porter remède.

La responsabilité des agences de notations est, en droit, pratiquement nulle. Il n’y a pas de « notateur des notateurs ». L’AMF ou d’autres instances ne pourraient-elles remplir ce rôle ?

M. Dominique Baert a relevé que la crise a connu, pour les banques françaises, deux cheminements : l’un direct, via les investissements exposés aux subprimes qu’elles ont réalisés dans une partie de leurs portefeuilles de placement, et l’autre pour ainsi dire connexe. Devons-nous redouter un « effet de portefeuille » provoqué par les pertes possibles de certains établissements bancaires français ? A-t-on seulement une idée du volume global de ces pertes ? Les montants en cause sont loin d’être négligeables. L’exposition aux subprimes est ainsi évaluée à 281 millions d’euros chez Natixis, à 370 millions chez BNP-Paribas, à 800 millions à la Société générale, à 280 millions au Crédit agricole…

Les chiffres du hors-bilan sont également considérables. Les encours de crédit sur les LBO s’élèvent à 6,3 milliards d’euros chez BNP-Paribas, 5,8 milliards chez Natixis, 4,3 milliards au Crédit agricole, 2,7 milliards à la Société générale.

Sur ces sujets, certains établissements, souvent étrangers, se sont montrés plus transparents. L’Union de banques suisse – UBS – a ainsi annoncé une perte probable comprise entre 360 et 480 millions d’euros. Qu’en est-il pour certains établissements français ?

Par ailleurs, doit-on redouter un effet de liquidité, notamment dans les défaillances ? Beaucoup de liquidités ont été en effet injectées, qu’il faudra rembourser. De plus, l’éventuelle réintroduction du hors-bilan dans le bilan des établissements bancaires changera la forme de ce bilan et modifiera du même coup les ratios prudentiels. Les agences spécialisées abaisseront leur notation, ce qui provoquera une hausse des conditions de refinancement.

Enfin, on ne peut que souscrire à la question de M. Jérôme Cahuzac sur l’effet de frilosité et ses conséquences sur la croissance française.

M. Christian Eckert s’est associé aux questions posées sur la chronologie des événements et sur l’absence d’informations relatives à la crise, pourtant largement commentée aux États-Unis.

Plus fondamentalement, faut-il craindre une crise de même nature au sujet des mécanismes de type LBO ? De LBO en LBO, les entreprises se rachètent et se revendent avec des crédits gagés sur des bénéfices hypothétiques. On a l’impression d’assister à la formation d’une bulle financière qui, outre la grave crise financière que son éclatement pourrait entraîner, induit une crise industrielle : les vues exclusivement financières des acquéreurs d’entreprises privent celles-ci des stratégies industrielles dont elles ont grand besoin.

M. Jean-Yves Cousin a demandé où en est l’application de Bâle II dans le système bancaire français. Le nouveau dispositif, quand il sera définitivement mis en place, permettra-t-il d’éviter des crises semblables à celles que nous traversons ?

Le Président Didier Migaud a résumé le sentiment général de la commission en formulant l’hypothèse que la crise était pour ainsi dire exagérément sous-estimée par les spécialistes auditionnés.

M. Christian Noyer a convenu que ses propos ont pu paraître trop optimistes. La solidité des banques, l’efficacité du système de supervision mis en place par le législateur, et enfin le fait que la Commission bancaire et le prêteur de dernier ressort soient abrités sous le même toit, ont été autant d’atouts pour faire face à la crise. L’exposition est certes réelle et les montants en cause ne sont nullement négligeables. Cependant, rapportés à l’ensemble des risques portés au bilan des banques françaises, aux fonds propres et aux revenus issus des activités bancaires classiques, les revenus provenant des activités de marché de titrisation sont faibles. Sans exclure l’existence, ici ou là, de poches de pertes, les risques sont limités, d’autant que, lorsqu’il s’agit d’actifs titrisés, certains sont de bonne qualité.

Il n’en reste pas moins que les deux questions posées par M. Gilles Carrez et reprises par plusieurs autres commissaires sont cruciales.

Nous avons assisté à une vraie crise de liquidité. Celle-ci n’est pas terminée. Elle frappe l’ensemble de la zone euro, tout comme la zone dollar et la livre sterling. En France, la liquidité provenait en grande partie des OPCVM.

Depuis cet été, la crainte de retraits les conduit à privilégier des valeurs très liquides. Les titres arrivant à échéance ne sont pas renouvelés dans les mêmes proportions. Dès lors, les gestionnaires apportent leurs liquidités à très court terme en dépôt à vue auprès des banques, lesquelles doivent prendre le relais : c’est ainsi qu’elles pourvoient au financement d’entreprises qui n’arrivent plus à placer leurs billets de trésorerie et, plus généralement, qu’elles assurent le relais de ce qui était autrefois financé par des produits structurés. Dès lors, leurs actifs augmentent et leur passif devient plus liquide.

La crise de confiance généralisée se traduit par une méfiance entre les banques et réduit la portée des ajustements interbancaires : on ne prête à d’autres banques qu’à très court terme, craignant d’être soi-même confronté à des problèmes de liquidités. Il en résulte ces problèmes de désajustement de liquidités : les liquidités sont excédentaires dans certaines banques, déficitaires dans d’autres, suivant les périodes. C’est ainsi que certaines banques sont venues chercher de la monnaie à la banque centrale tandis que d’autres lui laissaient leurs liquidités en dépôt au jour le jour.

Depuis le mois d’août, la Banque de France s’efforce de restaurer la confiance pour faire redémarrer le marché interbancaire. L’entreprise se révèle difficile et prendra du temps. Certaines liquidités ont été fournies à trois mois, mais d’autres à vingt-quatre heures, si bien qu’elles étaient remboursées le lendemain : il ne faut donc pas additionner les montants, comme l’ont fait certains journalistes.

La Fed, pour sa part, a élargi les possibilités d’accès, notamment en modifiant les modalités d’utilisation de sa fenêtre d’escompte, mais les efforts des banques centrales sont loin d’avoir restauré les conditions d’un marché normal.

S’agissant maintenant des incidences sur l’économie, on observera d’abord que la crise s’est produite à un moment du cycle différent aux États-Unis et en Europe. Le ralentissement de l’économie américaine commence au milieu de l’année 2006, alors que la zone euro est encore, au milieu de l’année 2007, dans une phase d’accélération ou de fin d’accélération. Le cycle de politique monétaire des deux banques centrales est lui aussi décalé : la Réserve fédérale a commencé à augmenter ses taux au milieu de l’année 2004 et la BCE à la fin de l’année 2005.

La Fed craint que la crise ne provoque un ralentissement du fait de son impact sur les consommateurs, si bien qu’elle a pour l’instant modifié sa politique monétaire. Dans la zone euro, on n’a pas constaté d’impact macroéconomique. Néanmoins, compte tenu des incertitudes, la BCE a décidé au début du mois de septembre de ne prendre aucune décision de mouvement des taux. On a donc considéré début septembre qu’il était trop tôt pour déterminer si la crise pouvait avoir un impact macroéconomique, et donc des conséquences sur la croissance. L’incertitude quant à l’économie internationale s’étant clairement accrue, des répercussions sont possibles pour nous, notamment l’année prochaine.

En tout état de cause, l’incertitude est bien supérieure à ce que l’on pouvait envisager à la fin de juillet ou au début d’août.

En ce qui concerne Bâle II, le dispositif répond assez bien à la question de la prise en compte des risques – notamment les risques hors bilan – pour les banques. Les lignes de crédit seront prises en compte dans les exigences de fonds propres. Les banques devront donc être plus attentives à la qualité des risques.

Ce progrès important ne permettra cependant pas de tout régler. La question de la liquidité, notamment, n’est pas traitée. La France insiste dans les instances internationales pour que l’on achève les travaux sur ce sujet, et l’on peut espérer que la crise accélérera le processus. En matière de liquidités, les règles sont assez rigoureuses en France – trop, selon certaines banques – mais elles sont beaucoup plus dispersées sur le plan international. Or plus il y a de règles communes, plus le système est sûr et permet d’éviter les effets de contagions.

S’agissant de BNP-Paribas et du risque de réputation, il y a eu confusion entre le risque encouru par la banque elle-même et le risque de sa gestion pour compte de tiers. Le souscripteur d’un produit réglementé de type OPCVM a droit à une information complète et transparente : il doit savoir à quel degré de risque il s’expose. Il faudrait qu’il en aille de même pour les produits de taux, car le risque est très différent selon qu’il s’agit de produits reposant sur des bons du Trésor et des dépôts à court terme ou de produits comprenant des éléments exotiques permettant d’afficher un rendement supérieur pendant quelque temps, mais avec des risques accrus.

Quant à la chronologie des événements, on pourra se reporter au numéro de décembre 2006 de la Revue de stabilité financière de la Banque de France. Tous les éléments d’analyse y figurent : sous-évaluation des risques, appétit excessif pour le risque, problèmes intrinsèques au mécanisme de titrisation, manque de transparence, faible liquidité des produits structurés, incertitudes entourant leur valorisation. L’analyse existait bel et bien : sans doute aurait-il fallu lui donner plus d’écho. Au demeurant, les travaux de la Banque des règlements internationaux aboutissaient aux mêmes conclusions. Il convient donc de réfléchir aux moyens d’exercer une influence plus forte ex ante.

Au sujet du LBO, on assiste en effet à une importante baisse des financements. Ceux-ci étaient extrêmement risqués et déraisonnables, ils avaient suscité l’inquiétude des autorités de supervision. Après leur brutale interruption, la Banque de France sera attentive à ce qu’ils repartent sur des bases plus saines.

M. Michel Prada a estimé que les régulateurs ont toujours un problème de communication. Leur style et leur ton, éloignés de la chaleur des débats, font que leur message ne passe pas toujours très bien.

Pourtant, voilà plus de deux ans que le Forum de la stabilité financière et plusieurs autres instances internationales font état de leurs craintes sur ces sujets. Il faut rappeler à cet égard que, au moment de la bulle Internet, la Commission des opérations de bourse – COB – lançait des avertissements sur plus de la moitié des introductions en bourse. Or ces avertissements avaient presque un effet inverse : plus on formulait d’avertissements sur les risques, plus les souscripteurs se précipitaient ! M. Jean-Pierre Mustier a évoqué les raisons pour lesquelles l’enthousiasme général est difficile à tempérer. A contrario, il est toujours très difficile pour le régulateur de sonner le tocsin car l’impact peut aussi être considérable. Il faut donc convenir que les contraintes de communication auxquelles il est soumis sont spécifiques.

L’AMF pense bien entendu qu’il faut améliorer le fonctionnement de la notation et des systèmes d’évaluation. Il pourrait aussi être intéressant de créer des marchés secondaires sur des produits standardisés, sachant cependant que ce ne sont pas les régulateurs qui créent les marchés. Les marchés organisés répondent en général de façon plus flexible et moins dramatique aux évolutions du type de celle que nous avons connue.

Pour ce qui est de la communication au plan domestique, si des progrès sont en effet souhaitables, il n’en reste pas moins que les informations sur les produits en cause étaient claires. Il n’est pire sourd qui ne veut entendre ! Du reste, la plupart des acheteurs de produits dits « dynamiques » sont des investisseurs professionnels, qui ne peuvent ignorer la prise de risque. Le grand public, lui, n’a guère été touché jusqu’à présent. Les conditions de commercialisation et d’information devront certes être améliorées. La directive sur les marchés d’instruments financiers amènera d’ailleurs les acteurs à améliorer leur comportement et leurs méthodes en la matière et permettra de mieux responsabiliser les professionnels.

S’agissant de BNP-Paribas, on peut en effet parler de problème de communication, puisqu’il y a eu confusion entre les fonds propres de la banque et les produits de gestion pour compte de tiers. Mais, quand BNP-Paribas a estimé être en mesure de pouvoir rouvrir ces fonds, elle a expliqué qu’elle le faisait via le marché, dans des conditions qui prenaient en compte de légères pertes sur les actifs. Ce n’est donc pas la même démarche qu’une « mise en face » du compte propre de la banque.

Au total, on ne saurait considérer que les choses sont réglées. La crise n’est pas terminée au États-Unis, mais elle est en cours de solution. Sans céder à une forme de benign neglect, on peut avoir le sentiment que la situation évolue plutôt dans le bon sens. De sérieuses difficultés demeurent néanmoins et un travail considérable reste à faire, notamment pour mieux prendre en compte les problèmes de liquidité et pour améliorer la transparence et la connaissance de ce qui échappe à la sphère régulée. Le sujet de la compréhension des phénomènes qui interviennent hors marché régulé reste largement devant nous.

M. Jean-Pierre Mustier, revenant sur la question de savoir s’il y a eu crise ou non, a remarqué que l’indice Dow Jones a atteint le 1er octobre son plus haut niveau historique. Sans doute cette hausse est-elle imputable à la baisse des taux d’intérêt de la Réserve fédérale, mais on constate surtout une déconnexion entre l’approche des investisseurs en actions et l’approche des investisseurs de crédit ou celle des banques dans la gestion de leurs liquidités. Les investisseurs en actions conservent une vision positive. Celle-ci est peut-être aujourd'hui décalée, mais elle se traduit par un mouvement de confiance assez fort quant à la capacité des entreprises à continuer d’accroître leurs profits et à la valorisation des marchés d’actions par rapport au marché de taux d’intérêt. Il convient donc de relativiser la crise et de ne pas ressasser ce sujet : il est préférable d’étudier les moyens permettant d’évoluer.

Par ailleurs, si les appels à la transparence sont légitimes, nul ne peut dire aujourd'hui où sont les risques des subprimes, puisque ceux-ci ont été divisés, répartis et vendus. Il s’agit d’un mauvais débat : dans un marché « désintermédié », l’important est de s’assurer que les principaux intervenants – banques, intervenants régulés – sont transparents sur leurs résultats et leurs risques et que les produits qu’ils vendent à leurs clients sont conformes à ce principe de transparence. En revanche, on ne saurait déterminer où est le risque pour le tracer et l’inclure dans un environnement réglementaire : ce n’est pas le bon débat.

La « désintermédiation » permet de donner beaucoup plus d’amplitude au marché du crédit, ce qui a pour effet de soutenir la croissance économique. S’y opposer serait une erreur. Au demeurant, le marché des actions est depuis longtemps « désintermédié » : lorsque la bourse baisse, on ne cherche pas où sont les pertes. Le marché du crédit est en train de connaître la même révolution. L’important est de s’assurer de la transparence des banques sur leurs risques et sur leur solvabilité, et de retravailler l’ensemble des processus de gestion de la liquidité, dont il faut reconnaître qu’ils ont été quelque peu oubliés.

De plus, la nouvelle directive sur les marchés d’investissement permettra de s’assurer que les banques vendent les bons produits aux bons intervenants. Elle donnera en fait un cadre réglementaire à ce que les banques pratiquent depuis longtemps, tout en formalisant la transparence de l’information sur les produits vendus.

Il faut donc accepter que le crédit se « désintermédie » et trouver la manière de bien encadrer ce processus. À cet égard, il n’est pas certain que la création d’un marché organisé de la titrisation, forcément très complexe, résolve le problème. Bâle II permettra déjà d’encadrer la titrisation, puisque les engagements hors bilan de titrisation donneront une charge de fonds propres pour les banques. S’agissant des règles de liquidité, chaque banque doit pratiquer l’autodiscipline et s’assurer, dans des marchés où il leur revient de financer des actifs servant à la transformation de certains produits, que les financements sont adéquats. Dans cet ordre d’idées, la liquidité doit être bien distinguée de la solvabilité.

En ce qui concerne l’impact de cette crise très spécifique sur l’économie, les économistes prévoient un ralentissement de la croissance aux États-Unis et en Europe mais pas de récession. Il existe certes un risque découlant de la possibilité d’un effet richesse inversé. Les mises en vente de maisons se multiplient aux États-Unis et l’on sait que le consommateur américain finançait en fait la croissance en pratiquant l’« equity withdrawal ». Assurément, cet angle de financement va disparaître. Si le risque de récession n’existait pas, la Réserve fédérale n’aurait pas baissé ses taux de 0,5 point. Ira-t-on très loin dans le ralentissement ? Ni les marchés d’actions ni les économistes ne le laissent à penser, mais la probabilité est plus importante qu’au mois de juin.

Pour ce qui est enfin du refinancement, on notera que les entreprises ont pu se refinancer grâce à la « désintermédiation » du crédit, avec des « spreads » – coûts du crédit imputés par les banques au-delà du taux d’intérêt des banques centrales – qui ont été divisés par plus de deux sur les trois dernières années. Tout le monde voulant investir dans le crédit, les entreprises ont trouvé des conditions de refinancement particulièrement attractives, à des taux beaucoup trop bas par rapport au degré de risque. Dans ces conditions, les banques détruisaient de la valeur en prêtant aux entreprises.

On assiste aujourd'hui à un retour à la normale. Les « spreads », certes toujours très bas, vont revenir au niveau de fin décembre 2004. Le refinancement sera donc un peu plus cher pour les entreprises mais les taux resteront raisonnables. En revanche, en cas de récession avérée, la règle du jeu changera : il y aura une restriction du crédit et les intervenants travailleront différemment. Néanmoins les conditions ne paraissent pas réunies aujourd'hui pour laisser prévoir un retournement de la croissance.

M. Richard Hunter a estimé pour sa part que l’on ne peut affirmer que tout va bien quand on sait que le nombre de défaillances va augmenter. Au cours des trois dernières années, on a observé en parallèle un excès de liquidités et un faible taux de défaillances. Pour autant, les défaillances vont se multiplier, notamment dans le LBO et dans certains compartiments du crédit à la consommation. Heureusement, les agences de notation ne délivrent pas que des « AAA » : il y a aussi des « B », voire des « CCC ». Ce sont ces catégories qui connaîtront le plus de défaillances.

Sur la question de la chronologie de l’intervention des agences, on savait dès 2005-2006 que certains emprunteurs de moindre qualité commençaient à avoir accès au marché du crédit immobilier. Les agences ont alors augmenté leurs prévisions de pertes pour ces structures. Si l’on compare le pool de crédits subprime et le pool de crédits prime – de bonne qualité –, le ratio de défaillances est quatre fois plus élevé pour le premier. Les statistiques ont démontré que le nombre de défaillances qui se sont réellement produites est supérieur aux estimations des agences pour les subprimes.

Il faut rappeler que les hypothèses reposaient sur un historique de données de 15 ans pour l’ensemble du marché, contre seulement quelques mois pour les opérations nouvelles. Or, les agences se sont vues reprocher de surestimer les pertes dans le secteur résidentiel sur les 15 dernières années.

Confrontées à des pertes plus importantes qu’attendu, les agences ont néanmoins dû revoir leurs hypothèses. Nous devions donc choisir entre placer la totalité du secteur sous surveillance ou prendre quelques semaines de plus pour identifier les opérations dont la note devait être abaissée – ce qui n’a finalement été le cas que pour 11 % environ du portefeuille. Si nous avions placé les 500 milliards de dollars sous surveillance négative, il est probable que le marché nous aurait critiqué de la même façon. Nous aurions sans doute apporté moins d’informations et le marché ne s’en serait pas mieux porté.

S’agissant enfin de la responsabilité des agences de notation et de l’idée d’instaurer un « notateur des notateurs », on sait que Bâle II prévoit une procédure d’agrément pour les agences de notation : chaque année, celles-ci devront passer devant la commission bancaire pour lui présenter tous leurs résultats et toutes leurs notations. Si, pour une raison quelconque, la commission n’approuve pas ces résultats, elle peut rayer l’agence de la liste. Pour le reste, les agences sont soumises aux règles habituelles relatives à la responsabilité des entreprises. En réalité, c’est plutôt le marché qui les juge. Ainsi, lorsque Moody a revu cette année la notation de certaines banques, le tollé a été tel qu’elle a dû revenir sur ses évaluations ; de même, cet été, des billets de trésorerie adossés à des actifs n’ont pu être renouvelés parce les acteurs n’accordaient pas foi aux notations. Les agences ne peuvent s’en réjouir mais, si la situation perdure, le marché se passera de leurs services et trouvera d’autres moyens de fonctionner.

M Jérôme Chartier a tout d’abord relevé, concernant BNP-Paribas, que le 23 août cet établissement affirmait que « les conditions étaient réunies pour reprendre le calcul de la valeur liquidative ainsi que le rachat des parts des OPCVM des trois fonds investis partiellement dans des titres liés aux subprimes ».

Il a ensuite remercié M. Richard Hunter pour l’honnêteté dont il a fait preuve dans ses propos. Pour reprendre la formule de Georges Ginesta, le métier des agences de notation ressemble à celui des instituts de sondage : lorsque ces derniers ne se trompent pas, on s’en félicite, mais lorsqu’ils se trompent on saisit la Commission des sondages. Une agence de notation ne lit pas l’avenir dans une boule de cristal. En l’occurrence, le problème avait été repéré et la question se posait de l’attitude à adopter : le dire tout de suite ou laisser passer quelques semaines. Du fait de l’ampleur de la crise financière actuelle, on reproche aux agences de n’avoir pas choisi la première solution, mais, si rien ne s’était passé, les agences auraient fait leur métier et personne ne s’en serait aperçu.

M. Henri Bourguinat a rappelé que M. Michel Aglietta et lui-même avaient produit ces dernières années plusieurs publications sur les risques en question.

Le problème de fond est celui de la titrisation, qu’il serait naïf de vouloir démanteler d’un seul coup. L’idée de « granularité » du risque par la titrisation doit être prise au sérieux. Dans la titrisation de première génération, le banquier se contentait de transférer le risque. La titrisation de deuxième génération constitue en revanche des blocs de crédits regroupant des créances qui n’ont pas du tout le même comportement et ne présentent pas le même coefficient de risque, mais qui évolueront de conserve en ce qui concerne l’opinion qu’en auront les souscripteurs. Il faut que l’on prenne conscience de ce changement de cadre. Une réaction des régulateurs est à cet égard souhaitable.

M. Michel Aglietta a souligné que l’effet de richesse inversé jouera forcément. On peut définir l’effet de richesse par le fait que les ménages peuvent consommer plus que leurs revenus courants lorsque l’accroissement du prix de leurs actifs leur permet d’obtenir du crédit supplémentaire et meilleur marché. Aujourd'hui, la richesse des ménages baissant massivement du fait de la chute des prix de l’immobilier – laquelle est loin d’être achevée –, le crédit devient plus cher. En conséquence, conformément au lissage intertemporel de la consommation, les ménages vont consommer moins que leurs revenus. Une étude récente, réalisée par M. Frederic Mishkin, gouverneur de la Fed, a mis en évidence tous les canaux de transmission entre la situation des ménages et l’économie globale.

Par ailleurs, beaucoup de ménages vont se trouver soumis à des contraintes de cash flow pour rembourser des crédits avec des taux d’intérêts qui auront augmenté. C’est en 2006 que la masse énorme des prêts subprime a été réalisée, si bien que la réévaluation des taux interviendra en 2008, et ce pour des ménages déjà extraordinairement endettés. L’hypothèse moyenne est qu’il en coûtera 1 % de croissance de la consommation aux États-Unis l’année prochaine. Il est heureux, à cet égard, que la Fed n’ait pas attendu que le processus économique soit déjà engagé, car il aurait alors été trop tard. Comme à l’époque de M. Greenspan, la Fed fait du risk management. Elle a donc baissé massivement ses taux bien avant que les effets économiques ne soient tangibles, sachant qu’une baisse de taux ne produit ses effets qu’à échéance de six mois au minimum. Les menaces qui se profilent pour le printemps pourraient donc être écartées par l’action actuelle.

L’autre risque important est la baisse du dollar, qui se poursuivra inévitablement puisque les taux d’intérêt américains baisseront plus qu’ailleurs et que le rendement des actifs en dollars diminuera par rapport aux autres monnaies.

Si le glissement du dollar est assez régulier, il n’y a pas lieu de s’inquiéter, car cela permettra aux États-Unis de rétablir une partie de leur balance commerciale et, par ricochet, de restabiliser le dollar tout en soutenant la conjoncture. Cependant, au vu de la dette accumulée vis-à-vis des non-résidents, on peut craindre que de gros investisseurs institutionnels du monde entier, perdant patience devant la faible rentabilité des actifs en dollars, ne réalisent des arbitrages et ne fassent basculer la monnaie américaine dans la crise. L’économie mondiale entrerait alors en récession : les taux d’intérêt longs des États-Unis monteraient au lieu de baisser et le financement du déficit courant se reporterait de l’extérieur vers l’intérieur.

Beaucoup de choses tiennent donc au doigté de la Fed, comme à chaque période de crise. On l’a vu au Japon : une politique trop attentiste de la part de la banque centrale peut enfoncer dans la récession un pays déjà en crise financière.

Au sujet des agences, il est bien connu, en théorie économique, que le moins efficace des marchés est l’oligopole, puisqu’il prélève des rentes importantes sur l’économie. À un moment où l’on déréglemente de nombreux marchés de service public, il est scandaleux que l’on n’incite pas au développement de la concurrence entre les agences. La titrisation devenant universelle, la place est libre pour la création de nombreuses agences concurrentielles.

Le Président Didier Migaud a remercié les personnalités invitées et souligné le grand intérêt de ces échanges, qui cependant n’épuisent pas le sujet. La commission des Finances se devra de poursuivre sa réflexion afin de présenter des propositions.

2.– Lundi 4 février 2008, séance de 11 heures, compte rendu n° 54

–   Audition, ouverte à la presse, de Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, des finances et de l’emploi sur le rapport, remis au premier ministre, faisant le point sur les événements récents ayant affecté les résultats de la Société Générale

Le Président Didier Migaud a accueilli Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, des finances et de l’emploi, et précisé que celle-ci avait reçu MM. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, Michel Prada, président de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et Gérard Rameix, délégué général de l’AMF pour faire le point sur les enquêtes en cours avant de remettre au Premier ministre un rapport devant « préciser le déroulement exact des faits, donner une première appréciation sur la manière dont les contrôles internes de la banque ont fonctionné et formuler des préconisations sur le renforcement des contrôles internes et externes de ce type d’opérations ».

L’annonce publique, le 24 janvier, des pertes très importantes subies par la Société Générale, d’une part en raison de son exposition aux subprimes – question qui n’est pas à l’ordre du jour, mais qu’il convient de ne pas oublier –, et d’autre part en raison des engagements hors normes d’un trader qui se sont soldés par une perte de 4,9 milliards d’euros, a suscité émotions et réactions, et une certaine stupéfaction.

Qu’en est-il du dispositif de contrôle interne à la Société Générale ? Est-il mal conçu ? Qu’en est-il dans les autres banques ? Que peut-on dire du contrôle externe des banques et de leurs opérations financières par les superviseurs : commission bancaire et Autorité des marchés financiers ? Comment ces contrôles sont-ils conçus et appliqués ? Quels sont le rôle et la place de l’État dans ce dispositif, lui qui a un représentant à la commission bancaire ? Que peut et que veut faire l’État dans le cas où la Société Générale, fragilisée, serait exposée à une OPA ? Quelles sont les pistes de réflexion pour une révision des règles de contrôle et de supervision ?

Il a proposé à Mme le ministre d’exposer à la commission le déroulement des événements en indiquant la façon dont elle appréciait le fait que le Gouvernement n’ait été mis, semble-t-il, au courant de cette affaire que trois jours après les superviseurs, et de lui communiquer les premiers résultats des enquêtes en cours.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, des finances et de l’emploi a remis au Président Didier Migaud un exemplaire du rapport qu’elle venait de remettre au Premier ministre, quarante-cinq minutes auparavant. Elle a indiqué que ce rapport répondait à la plupart des questions que venait de soulever le Président Migaud et précisé qu’il ne s’agissait pas d’un rapport d’enquête puisque son objet n’est pas d’établir les responsabilités de tel ou tel acteur, opérateur ou mandataire social. Son objet est de répondre à quatre questions : quelle est la chronologie exacte des faits ? Est-ce que les mécanismes d’information requis par les textes ont bien été observés ? Pourquoi les contrôles internes n’ont-ils pas permis de déceler les abus constatés ? Que préconiser pour pallier ces insuffisances ?

On parle ici de la Société Générale, troisième établissement bancaire français, employant en 2007 à peu près 130 000 salariés en France et dans un certain nombre d’autres pays. Elle compte plus de 20 millions de clients dans le monde, dont 9 millions en France. Elle a une activité de banque de détail, de services financiers, de banque de financement et d’investissement et de gestion d’actifs pour le compte de tiers. Il faut préciser que l’activité qui a donné lieu aux abus allégués est l’activité de banque de financement et d’investissement, ce qui correspond à peu près à 32 % du produit de la Société Générale.

L’ensemble de ce rapport est fondé sur des informations communiquées par le président de la Commission bancaire, des informations du président de l’Autorité des marchés financiers et de son secrétaire général et sur la base de notes d’observations et d’informations diffusées par la Société Générale, dont l’une, datée du 27 janvier, concerne le mécanisme adopté par le courtier pour réaliser les opérations qui ont mené à constater une perte de 4,9 milliards d’euros.

Les opérations fictives auraient commencé de manière extrêmement faible en 2005. Encore marginales en 2006, elles auraient pris de l’ampleur pendant l’année 2007. L’opérateur en cause avait une activité d’arbitragiste sur dérivés actions – qui consiste à gérer en parallèle deux portefeuilles de taille et de composition proches, l’un devant couvrir l’autre. Il aurait pris des positions directionnelles non autorisées sur des contrats à terme sur indices actions européens, couvertes par des opérations fictives, qui masquaient l’augmentation de la position et du risque nets de la banque. Il aurait procédé en répétant le schéma suivant : saisie d’une opération couvrant la position réelle ; annulation de cette opération fictive avant qu’elle ne soit détectée du fait d’un contrôle, qu’elle ne donne lieu à confirmation ou à appel de marge, puis saisie immédiate d’une nouvelle opération. Il aurait ainsi effectué une gestion très active de ses portefeuilles, tout en cherchant à masquer les gains et les pertes.

Comment ces opérations non autorisées ont-elles été dévoilées ?

Le vendredi 18 janvier, une opération anormalement élevée avec un courtier, mise à jour par le middle-office dans les jours précédents, apparaît suffisamment douteuse pour que la hiérarchie directe de l’opérateur concerné puis la direction de la banque soient prévenues ; une équipe de vérification interne est constituée en fin de soirée.

Le samedi 19 janvier, après interrogation de l’opérateur et vérification auprès de l’établissement désigné par l’opérateur comme sa contrepartie, la direction aurait obtenu confirmation du caractère fictif de nombreuses opérations liées au portefeuille dudit opérateur.

Le dimanche 20 janvier en début d’après-midi, l’ampleur de l’exposition est identifiée. À la suite de cela, le président du conseil d’administration de la Société Générale informe de la situation le comité des comptes, déjà convoqué ce jour-là pour examiner l’estimation des résultats 2007 ; il lui indique son intention de déboucler la position le plus rapidement possible ainsi que de reporter toute communication sur cette situation et les résultats de la banque jusqu’à l’aboutissement du débouclage ; il prévient en parallèle le gouverneur de la Banque de France, président de la commission bancaire ; il prévient le secrétaire général de l’Autorité des marchés financiers.

Du lundi 21 janvier au matin au mercredi 23 janvier, la position réelle existante est débouclée sur les différents marchés, essentiellement EUREX et LIFFE ; durant cette période, des échanges suivis ont lieu entre la Société Générale, la Banque de France, le secrétariat général de la commission bancaire et l’AMF.

Le mardi 22 janvier, deux représentants du secrétariat général de la commission bancaire s’entretiennent avec des représentants de la Société Générale pour obtenir des explications sur les opérations en cause et les dysfonctionnements qui les auraient permis, pour être informés du rythme de cession de la position – alors de 50 milliards d’euros – et évoquer l’augmentation de capital envisagée par la banque.

Le mercredi 23 janvier à huit heures, Mme le ministre de l’économie est mise au courant de la situation par M. Daniel Bouton ; le même jour, après clôture de la position, le conseil d’administration est à nouveau convoqué pour être informé de la situation et de ses conséquences ; enfin la Banque de France informe la FED, la Banque centrale européenne puis les superviseurs des pays d’accueil européens des implantations de la Société Générale.

Le jeudi 24 janvier à huit heures, après avoir demandé la suspension de son cours de bourse, la Société Générale communique publiquement sur la perte de 4,9 milliards d’euros sur activités de marché ; elle informe également sur l’ensemble des résultats 2007 estimés ; enfin, elle annonce une augmentation de capital de 5,5 milliards d’euros bénéficiant d’une prise ferme, c’est-à-dire sécurisée, de J. P. Morgan et Morgan Stanley, qui lui permettrait de porter son ratio de solvabilité « tiers 1 » à 8.

Le vendredi 25 janvier, une équipe de la commission bancaire débute une inspection à la Société Générale.

Le lundi 28 janvier, le secrétaire général de l’AMF décide d’ouvrir une enquête.

Tel est le déroulé des faits, durant ces dix jours qui ont fait l’objet, d’abord d’une très stricte confidentialité avec un cercle d’informés particulièrement étroit, ensuite d’une divulgation publique à partir du jeudi matin.

Certains ont avancé que les condition du débouclage de la position auraient pu conduire à une aggravation de la situation des marchés, voire causer la baisse des marchés observée le lundi 21, date à laquelle le débouclage a commencé.

Il faut se souvenir que le vendredi après-midi, heure de Washington, le Président Bush annonçait son plan de soutien à l’économie américaine d’à peu près 150 milliards de dollars ; qu’une monoline était déclassée le même jour, entraînant un lourd climat de suspicion sur les activités de réassurance de crédits, qui sont déterminantes pour soutenir les activités de crédit. Dans la foulée, le lundi matin, les marchés asiatiques ouvraient dans des conditions de baisse notables : de 4 à 5,5 %.

Les opérations de débouclage menées par la Société Générale ce jour-là n’ont absolument pas concerné les marchés asiatiques, puisqu’il s’agissait de positions sur indices européens. Ces opérations ont été menées presque exclusivement sur l’EUREX et sur le LIFFE – marché allemand et marché anglais.

Par ailleurs, l’AMF a obtenu de l’EUREX et du LIFFE la confirmation, dans le cadre des demandes d’information qu’elle a diligentées depuis, que les opérations de débouclage avaient été menées de manière très professionnelle.

En conclusion, on ne peut pas affirmer que les opérations de débouclage de la Société Générale ont causé la baisse des marchés européens, même s’il est évident qu’elles ont eu un impact baissier, comme toute opération de cession.

La Société Générale a-t-elle respecté la réglementation boursière et la réglementation bancaire dans le comportement qu’elle a décidé d’adopter au moment où elle a eu connaissance de la situation, en particulier lorsqu’elle a décidé, tandis qu’elle détenait une information privilégiée, de ne pas informer le marché ?

Les règles européennes, reprises par le droit français – il s’agit de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 et de l’article 223-2 du règlement général de l’Autorité des marchés financiers – imposent à tout émetteur de « porter dès que possible à la connaissance du public toute information privilégiée ». Toutefois, « l’émetteur peut, sous sa propre responsabilité, différer la publication d’une information privilégiée », dès lors qu’il réunit les trois conditions suivantes : l’omission doit être justifiée par l’objectif de ne pas porter atteinte à ses intérêts légitimes, notamment « en cas de danger grave et imminent menaçant la viabilité financière de l’émetteur » ; l’omission ne doit pas être susceptible d’induire le public en erreur ; l’émetteur doit être en mesure d’assurer la confidentialité de l’information privilégiée ».

C’est très certainement sur la base de ces dispositions et de cette autorisation d’omission de divulgation d’une information privilégiée que la Société Générale, consciente de ce que l’effet d’annonce pourrait provoquer sur le marché le lundi matin, s’est déterminée. Elle a dû se dire qu’en dévoilant sa position, à savoir 50 milliards d’exposition et la nécessité d’un débouclage, elle faisait courir un risque à l’établissement et à la place ; dans ces conditions, elle a conservé l’information et monté une opération visant à augmenter son capital de 5,5 milliards d’euros pour restaurer son ratio de liquidité et conforter sa position.

Elle en informe néanmoins, comme elle doit le faire, le président de la commission bancaire et le président de l’Autorité de marché, et reçoit l’accord de ce dernier de ne pas divulguer l’information pour les raisons indiquées précédemment.

Pourquoi, dans ces conditions, les autorités gouvernementales n’ont-elles pas été informées en même temps que le président de l’Autorité de marché et que le président de la commission bancaire ? La Société Générale répondra sur cette question. La nécessité de la confidentialité de l’information privilégiée peut constituer une des raisons pour lesquelles ses dirigeants n’ont pas souhaité informer le directeur du Trésor, le ministre ou le Premier ministre. Il faudra, en concertation avec l’AMF et la commission bancaire, travailler sur le périmètre précis, étroit et particulièrement limité, des interlocuteurs qui doivent être informés au niveau gouvernemental. Dans toute société cotée, il existe une liste des deux, trois ou quatre personnes habilitées à recevoir une information privilégiée. Une telle procédure n’existe pas en l’espèce.

Néanmoins, entre l’Autorité des marchés financiers, le gouverneur de la Banque de France également président de la commission bancaire et la banque objet de la crise, il faut reconnaître que la coopération, la coordination et la concertation ont fonctionné de manière exemplaire. On ne peut que se féliciter du climat qui a prévalu pendant cette période de stricte confidentialité, jusqu’à mercredi matin.

S’agissant du contrôle interne, il est très clair qu’un certain nombre de contrôles internes n’ont pas fonctionné comme ils l’auraient dû ; d’autres, qui ont fonctionné comme ils le devaient, n’ont pas été suivis d’effets de manière déterminante et efficace.

Le rapport précise les éléments de contrôle interne susceptibles d’avoir été déterminants. D’autres établissements, français ou étrangers, pourraient s’en inspirer.

– surveillance des encours nominaux des opérateurs, par opposition à la surveillance des positions nettes ;

– suivi des flux de trésorerie ; appels et versements de marges, dépôts de garantie, résultats réalisés ;

– exploitation approfondie des demandes d’information qu’aurait adressées à la banque la chambre de compensation EUREX en novembre 2007 ;

– suivi des annulations et modifications de transactions provenant d’un seul opérateur. Le fait qu’un seul opérateur fasse l’objet de remarques régulières ou soit à l’origine de plusieurs incidents doit attirer l’attention ;

– confirmation des opérations avec l’ensemble des contreparties, internes et externes ; respect de la « muraille de Chine » entre le back-office, le middle-office, et le front-office. En l’occurrence, l’opérateur concerné avait travaillé longtemps en middle-office et en back-office ;

– sécurité des systèmes informatiques et protection des codes d’accès ;

– enfin, surveillance des comportements atypiques  –un individu qui prend très peu de vacances, ou qui est présent au sein de l’établissement à des périodes critiques –.

La commission bancaire a pour mission d’effectuer des missions de contrôle sur l’ensemble des établissements. Entre 2006 et 2007, elle a effectué 17 contrôles à la Société Générale. Cela ne signifie pas qu’elle soit allée dix-sept fois dans la salle des marchés. En mars 2007, elle a adressé une lettre de cadrage à la Société Générale ainsi qu’une lettre de suite pour lui demander d’améliorer un certain nombre de contrôles. Cette dernière concernait, en particulier, les dérivés structurés actions et faisait des recommandations de portée générale visant l’ensemble des instruments financiers, notamment les futures, et pas seulement les forwards.

Après avoir découvert les positions de l’opérateur, dès le lundi 21 janvier, la Société Générale a lancé des contrôles supplémentaires et mis en place un certain nombre de mécanismes de contrôle interne approfondis.

S’agissant des préconisations qui devront être mises en œuvre le plus rapidement possible, il paraît tout d’abord souhaitable que la commission bancaire, qui connaît les meilleures pratiques des établissements, les porte au plus vite à la connaissance de l’ensemble des établissements afin qu’ils s’en emparent et qu’ils les mettent en œuvre.

Mme le ministre a par ailleurs décidé de convoquer les présidents de tous les comités d’audit, afin qu’eux-mêmes se saisissent des préconisations du rapport et qu’ils prennent mieux conscience des risques existants non pas tant sur les marchés qu’en matière opérationnelle, notamment des risques de fraude.

Elle va également demander au comité de Bâle et au comité européen des régulateurs bancaires de mettre en œuvre ces préconisations selon les moyens les plus appropriés, notamment dans le cadre de Bâle II.

Elle demandera aussi à l’Autorité des marchés financiers et bancaires de travailler sur la définition de ceux qui, au sein du Gouvernement, doivent être informés, ainsi que sur les conditions et les délais de cette information.

Une modification législative, dont Mme le ministre espère qu’elle pourra figurer dans le projet de loi de modernisation de l’économie, devra également intervenir afin de renforcer les pouvoirs de sanction de la commission bancaire, dont le plafond actuel de 5 millions d’euros ne paraît pas suffisant au regard de l’exposition des banques et des risques qui y sont liés.

Le Président Didier Migaud a jugé fort utile que Mme le ministre soit venue présenter à la commission des finances les conclusions du rapport qu’elle a remis au Premier ministre, même si les membres de cette commission sont bien conscients qu’en l’état du dossier, il n’est pas encore possible de répondre à toutes les questions.

Les précisions qui ont été apportées sur les conditions du débouclage permettent de considérer qu’il y a eu une certaine réactivité afin d’éviter des risques encore plus grands. Cela étant, ce qu’a dit le ministre quant à la période qui a précédé est très inquiétant. Le rapport établit en effet qu’un certain nombre d’informations ont été données à la banque bien avant que la situation ne se soit sensiblement aggravée. Or certaines opérations fictives auraient commencé en 2005 et les montants concernés auraient commencé à être importants dès le début de 2007.

Quand on apprend qu’il y a eu des contrôles internes et dix-sept contrôles de la commission bancaire, on se dit qu’il s’agit moins de la muraille de Chine que de la ligne Maginot, d’autant que certains banquiers laissent entendre que la même chose pourrait se produire demain…

La commission souhaite comprendre ce qui s’est passé, pouvoir identifier les défaillances dans les contrôles internes comme dans les contrôles externes. Elle auditionnera d’ailleurs dès demain le président de la commission bancaire. La question des moyens consacrés aux contrôles externes est pour le moins posée d’autant que, si le ministre a évoqué la possibilité de renforcer les sanctions, ce qui semblerait utile, encore faut-il que la commission bancaire dispose des moyens d’identifier les défaillances et les fraudes.

La lenteur de la réaction par rapport à des comportements signalés laisse la porte ouverte à bien des interprétations. On a ainsi pu dire que, dans certaines situations, la hiérarchie informée peut laisser faire tant que cela rapporte de l’argent à la banque.

Pour sa part, le législateur doit réagir rapidement mais sans précipitation, car s’il édicte des règles pouvant être contournées aussi facilement que celles qui existent, il n’aura guère fait avancer le dossier.

Il est essentiel d’engager simultanément le travail au plan français, européen et mondial. Une coordination est indispensable, encore faut-il que les structures de coordination soient efficaces. Là aussi, des progrès sont à faire.

À l’évidence, un travail important devra être accompli pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise. La question des contrôles internes et externes, de leur efficacité, de la capacité à les évaluer en permanence, est essentielle.

Outre les moyens, on peut également s’interroger sur les compétences. La personne en cause était passée par un certain nombre de services et avait acquis sur le terrain une expérience que les contrôleurs de la commission bancaire n’ont pas obligatoirement. Peut-être conviendrait-il également de compléter la formation de ceux qui sont spécialisés dans les opérations de contrôle.

La commission et le ministre auront sans doute l’occasion de revenir ultérieurement sur ces questions qui sont lourdes de conséquences, non seulement parce que c’est la situation d’une grande banque française qui est en cause, mais aussi parce que tout ceci a forcément des implications pour le budget de l’État.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, s’est réjoui de constater, à travers ce rapport précis, qu’à partir du dimanche 20 janvier, la crise financière de la Société Générale a été remarquablement gérée en menant simultanément deux opérations, dans le souci de créer immédiatement un environnement de sécurité pour restaurer la confiance : d’une part le débouclage des positions afin de lever les incertitudes, d’autre part la recapitalisation.

La crise a ainsi été gérée de façon complètement différente de celle qui était intervenue chez Northern Rock, en Grande-Bretagne, il y a six mois. À cette occasion, le gouvernement et la presse avaient été mis au courant tout de suite, mais on n’avait pas pensé à la nécessité de recapitaliser. Aussi, dès que la crise a été sur la place publique, des files d’attente se sont constituées devant les agences de Northern Rock. Dans le cas de la Société Générale, la sécurisation est intervenue dans le respect d’une confidentialité absolue, y compris par rapport aux milieux politiques, pendant trois ou quatre jours, ce qui n’est pas choquant car il s’agit d’une banque privée, ainsi que dans le respect des règles du marché.

Le sujet des contrôles internes aux banques est extraordinairement difficile. Il y a une quinzaine d’années, à l’époque de la crise des crédits immobiliers, on avait découvert avec étonnement qu’il n’y avait pas de centralisation des engagements de prêts immobiliers à travers les milliers de SCI qui existaient en France et à l’étranger et que l’on ne connaissait pas le montant total des engagements. Cette fois, on découvre un trader qui, en position nette, est bien suivi, mais dont personne ne sait qu’il s’est engagé à hauteur de 50 milliards d’euros.

La Société Générale est une entreprise très réputée pour avoir mis en place et géré les produits les plus sophistiqués que sont les dérivés actions. On remarquait en outre, il y a deux ans, que sa rentabilité était supérieure de 4 % à celle des autres banques, sans doute parce qu’elle présentait une certaine allergie au risque et qu’elle disposait de meilleurs modèles mathématiques permettant de prévoir le risque. Or ce n’est pas sur ces produits dérivés que la banque rencontre aujourd’hui un problème, mais sur des produits beaucoup plus classiques, avec des prises de position – certes pour un montant tout à fait excessif – sur des indices classiques comme le DAX allemand.

C’est à juste titre que Mme le ministre propose de renforcer les contrôles et de multiplier les inspections de la commission bancaire, mais, dans un contexte de mondialisation et d’évolution permanente des produits, s’imaginer que l’on pourrait parvenir à un système de contrôle parfait qui donnerait des résultats permanents est un leurre.

Qui plus est, il est assez difficile pour des responsables publics d’exercer le contrôle interne des banques et l’on a bien vu par le passé que la nationalisation ne préservait pas du risque…

Pour les contrôles externes, il y a les contrôles nationaux, par la commission bancaire et par l’Autorité des marchés et la commission des Finances souhaite avoir de nombreuses auditions à ce propos, mais il y a surtout les contrôles européens et les contrôles mondiaux. Lors d’une réunion de parlementaires européens sur la question de la régulation financière qui s’est tenue il y a une dizaine de jours, M. Lamfalussy – qu’il conviendrait sans doute que la commission auditionne – est intervenu sur la question de Bâle II. Les accords de Bâle II datent de 2004, leur transposition en directive étant intervenue en 2006. On se rend compte que cela a amélioré les choses en ce qui concerne les ratios de fonds propres, l’appréhension du passif auquel sont rapportés ces ratios et les règles prudentielles de contrôle externe, mais que la directive est en fait déjà dépassée faute d’avoir pris en compte les produits titrisés. Sans doute conviendra-t-il de reprendre ce travail au niveau européen.

Quelle que soit l’efficacité des instruments européens, il s’agit d’un problème mondial. Le Premier ministre britannique a récemment suggéré que le FMI pourrait être le lieu où l’on adopterait des règles prudentielles générales.

Par exemple, il aurait pu adresser aux banques américaines le message qu’il y avait un danger à sortir des établissements de crédit de tous les ratios de contrôle bancaire – certains des organismes qui ont prêté au titre des subprimes n’étaient même pas contrôlés car ils ne relevaient pas de la réglementation bancaire américaine.

On pourrait également travailler sur les produits car accorder des prêts à des personnes dont on crée de façon très artificielle la solvabilité pose bien évidemment problème, de même qu’accorder un prêt à taux zéro à quelqu’un qui n’a même pas la capacité d’en supporter l’annuité et qui se retrouve par la suite avec un prêt à taux variable très élevé. Si la France a connu, toutes proportions gardées, un problème similaire au milieu des années 1980, avec les PAP à taux variable, elle a su le traiter car elle dispose pour sa part de règles prudentielles.

Au-delà de ces questions de contrôle, on voit bien que l’on n’est pas sorti de la crise financière : les banques n’ont pas encore publié la totalité de leurs comptes, une grande incertitude mondiale demeure. Aussi peut-on s’interroger sur le risque de transmission à l’économie réelle. Cela pourrait prendre la forme d’un resserrement du crédit par les banques, en particulier en direction des PME. Comment Mme le ministre voit-elle les choses en la matière ?

Un autre effet possible est l’appauvrissement, la perte de valeur du patrimoine mobilier en actions pouvant engendrer une baisse de la consommation. Il semble que ce risque soit moins élevé en France, en raison de la structure du patrimoine mais il serait également intéressant de connaître l’avis du ministre sur ce point.

Enfin, même si la France n’entretient pas de relations commerciales très importantes avec les États-Unis, une récession américaine pourrait avoir par ricochet des effets assez importants en Europe. Quelle pouvait être l’évolution dans les mois à venir de cette crise financière qui n’en finit pas ?

Le Président Didier Migaud a rappelé que la commission des finances a procédé dès le mois d’octobre à des auditions sur la crise des subprimes et qu’un certain nombre d’économistes avait attiré son attention sur les conséquences dommageables que cette crise pourrait avoir sur l’économie européenne et française.

Mme le ministre a souhaité revenir sur le rôle de la commission bancaire, sur la nature, la pertinence et l’efficacité des contrôles.

Il y a un contrôle continu des risques avec remontée d’information tous les trimestres ainsi que des contrôles inopinés effectués sur place par la commission bancaire. Celle-ci met en garde et envoie des lettres de suivi, mais elle ne peut pas être derrière tous les mandataires sociaux ni, surtout, sur le terrain, derrière les présidents de comités d’audit, les déontologues et les responsables des divisions de contrôle des risques. Or ce qui est important, c’est précisément la mise en œuvre sur le terrain dans chacune des déclinaisons d’opérations.

Le renforcement des pouvoirs de sanction financière par la commission bancaire est une voie utile. Mais celle-ci devra aussi examiner à l’aune de ce qui s’est passé à la Société Générale, la façon dont ses contrôles devront être améliorés, en particulier en liant plus systématiquement et dans un délai plus court contrôle, lettre de suivi et vérification, sur place et sur pièces, que les recommandations ont bien été suivies d’effets.

S’agissant de l’idée selon laquelle il y aurait eu une tolérance tant que la banque gagnait de l’argent, on s’aperçoit qu’il y a eu en fait des enchaînements de circonstances : à chaque fois que la personne était interrogée, elle aurait expliqué qu’elle s’était trompée dans sa compensation, qu’il y avait eu une erreur de contrepartie. C’est plutôt l’absence de questionnement sur la véracité de ces excuses qui est en cause que le fait de savoir si le résultat était positif ou négatif. C’est du moins ce qui semble ressortir pour l’heure.

Le Président Didier Migaud a évoqué la formation spécialisée des contrôleurs et la nécessité d’une forte technicité pour qu’ils comprennent ce qui se passe ; Gilles Carrez a plutôt insisté sur le caractère extrêmement sophistiqué des produits et sur la nécessité d’améliorer constamment la réglementation ainsi que les contrôles internes et externes. En fait il s’agit du même sujet : la sophistication des produits et la nécessité pour les banques de diversifier leurs activités, donc de gérer des risques important, en se fondant de plus en plus sur la modélisation mathématique, ce qui nécessite une formation continue des traders, du middle et du back office, mais aussi des contrôleurs. Dans ce contexte, le législateur national et européen doit anticiper le plus possible.

En effet, Bâle II a été conclu en 2004, transposé en 2006, appliqué en 2008 et l’on est déjà un peu en retard par rapport à la sophistication de certains produits. Les régulateurs du G10 vont donc déjà devoir envisager une évolution, voire un Bâle III. Cependant il faut aussi veiller à ce que le cadre de régulation soit suffisamment prévisible pour que les opérateurs puissent se l’approprier. Il faut donc à la fois fixer les grands principes et anticiper les modifications de détail : c’est un exercice difficile mais dont on perçoit l’ardente nécessité au regard des risques.

L’initiative du FMI est un projet intéressant dont le Président de la République s’est saisi le 16 août, en écrivant à Angela Merkel, alors présidente du G7 et de l'Union européenne, afin qu’elle mette ce sujet à l’ordre du jour, pour que le G7 fasse des propositions sur la transparence, la gouvernance, la régulation approfondie, la meilleure coordination entre les régulateurs. Le processus est donc lancé depuis la crise des subprimes au cours de cette fameuse semaine du 9 au 16 août, mais il présente un intérêt tout particulier au regard de la situation de la Société générale en France. Gordon Brown a souhaité relancer cette initiative lors de la réunion de la semaine dernière et le FMI fera certainement des propositions en la matière.

Les derniers chiffres disponibles, qui datent de fin novembre 2007, n’indiquent pas de resserrement du crédit aux entreprises. Le Gouvernement suit la situation au jour le jour pour s’assurer que le crédit aux PME ne se resserre pas, comme les banques s’y étaient d’ailleurs engagées.

S’agissant plus généralement du risque de transmission de la crise financière à l’économie réelle, on peut considérer que si le gouvernement américain a décidé de lancer un plan de soutien à l’économie à hauteur de 150 milliards de dollars, soit 1 % du PIB, c’est qu’il anticipe un tel effet, donc un risque de ralentissement de l’économie réelle. On peut toutefois observer que cette transmission a été très faible sur les marchés des pays émergents, dont les taux de croissance continuent à tirer la demande mondiale, qui devrait être par conséquent assez peu affectée.

M. Jérôme Chartier a rappelé que c’est parce que personne ne peut empêcher un pilote de faire faire un looping à son avion ou de se suicider que l’on a créé la double commande, avec un pilote et un copilote. Dans le domaine bancaire, il apparaît qu’un trader qui a envie de « planter sa position » peut parfaitement le faire. Or le trader travaille seul, il ne partage jamais ses informations. Ne conviendrait-il donc pas d’instaurer l’obligation d’une double décision d’engagement au sein d’une équipe constituée d’au moins deux traders ?

S’il est toujours bon d’améliorer le contrôle, le rapporteur général a insisté sur la nécessité de le faire au niveau mondial. Les ratios de solvabilité mis en place par la banque des règlements internationaux sont une bonne chose. D’ailleurs, la BRI pourrait tout aussi bien que le FMI jouer le rôle de gendarme mondial des marchés de capitaux, d’autant que son conseil d’administration est composé des gouverneurs de banques centrales. Toutefois, à la lumière de la crise des subprimes, on peut se demander si la détermination de ces ratios de solvabilité doit relever du pouvoir politique ou des acteurs des marchés financiers.

S’agissant de la façon dont le Gouvernement a été informé de la crise survenue à la Société Générale, le rapport souligne que le secret absolu devait être respecté, mais il précise également qu’il aurait été sans doute souhaitable que le Gouvernement fût informé avant le mercredi 23 janvier. C’est ce que l’on peut penser en effet, compte tenu de l’ampleur de la crise, d’autant qu’entre le samedi et le mercredi, 11 à 12 millions de titres de la Société Générale, soit deux fois le volume habituel, ont été échangés.

Mme le ministre confirme-t-elle qu’elle aurait jugé préférable qu’elle-même, qui a l’habitude de pratiquer le secret professionnel à très haut niveau et qui est consciente de ses responsabilités, soit informée au plus tôt, c’est-à-dire dès le dimanche ? Par ailleurs, compte tenu du niveau des cessions de titres, pense-t-elle que d’autres personnes ont pu bénéficier d’informations privilégiées qui leur ont permis de vendre plus tôt que d’autres ?

Le Président Didier Migaud s’est aussi demandé si, compte tenu de l’importance des mouvements enregistrés pendant ces trois jours, le Trésor n’aurait pas dû également être informé.

M. Jérôme Cahuzac a relevé qu’il semble que deux banques américaines ont été sollicitées pour contribuer à la recapitalisation de la Société Générale, antérieurement au moment où Mme le ministre elle-même a été informée. Or l’une des raisons invoquées par les dirigeants de la banque pour ne pas avoir informé les autorités politiques françaises tient au risque de délit d’initié. Mme le ministre juge-t-elle cette explication légitime ? À défaut, estime–t–elle qu’il eût été préférable qu’elle-même, le Premier ministre et le Président de la République eussent été informés plus tôt ?

Il semble par ailleurs qu’un administrateur de la Société Générale a cédé 120 millions de titres dans les jours précédant la crise. Mme le ministre estime-t-elle nécessaire de saisir le procureur pour qu’une enquête préliminaire soit ouverte afin de vérifier s’il y a eu ou non délit d’initié ?

Une fois les autorités politiques informées, le Président de la République a fait une déclaration sur la situation de M. Daniel Bouton. Mme le ministre peut-elle préciser de quels moyens dispose le gouvernement pour obtenir que le PDG d’une telle société mette fin à ses fonctions ? Augurant de la réponse qui lui sera faite, M. Cahuzac s’interroge dès lors sur l’utilité de propos qui ne peuvent déboucher sur rien.

Il a été déclaré également de façon très virile que le Gouvernement ferait obstacle à la prise de contrôle de la Société générale par une entreprise étrangère, mais, là aussi, on peut s’interroger sur les moyens dont il dispose pour l’empêcher.

On a également dit qu’il était anormal que le Gouvernement n’ait pas été informé en temps voulu des difficultés d’une entreprise privée. Dans quel délai cela devrait-il être fait et pour quel type de difficultés ?

Mme le ministre a évoqué celui qui semble être le fautif sans le nommer et sans le qualifier de fraudeur, ni de « terroriste », comme l’aurait appelé Daniel Bouton. En présentant son rapport, Mme le ministre n’a pas non plus fait usage du mot « fraude ». Peut-elle confirmer qu’en première analyse, s’il y a eu des erreurs, il n’y a pas eu de fraude ? Estime-t-elle qu’un homme seul a pu prendre des positions d’un tel niveau ?

L’été dernier comme lors de l’examen du budget, les députés socialistes ont interrogé le ministre sur les conséquences éventuelles de la crise des subprimes sur l’économie française. Elle a alors répondu qu’il n’y en aurait vraisemblablement pas, en tout cas que la croissance n’en pâtirait pas en 2008. Le rapporteur général vient de faire part de ses craintes quant à l’investissement et à la consommation. Mme le ministre peut-elle aujourd’hui indiquer si, en 2008, l’économie française risque d’être affectée par cette crise des subprimes et dans quelles proportions ? Si ces proportions sont importantes, que compte-t-elle faire ?

M. Hervé Mariton a observé que Mme le ministre a traité de la nécessité de renforcer le pouvoir de sanction de la commission bancaire et de rendre sa démarche plus systématique, mais qu’elle n’a pas complètement répondu à la question de Didier Migaud sur la capacité d’expertise de cette commission, ainsi que de l’administration de Bercy. L’État est-il outillé pour analyser de telles situations et en tirer les conséquences ?

La Société Générale a-t-elle par ailleurs réagi aux critiques quant à l’insuffisance de ses contrôles internes ? Que dit-elle du fait qu’elle n’a pas su prendre en compte un certain nombre de signaux ?

La quatrième préconisation du rapport porte sur les délais d’information. Quels auraient été les avantages et les inconvénients que le gouvernement fût informé plus tôt ? Cette préconisation doit-elle connaître une traduction réglementaire ? S’agit-il d’informer d’autres autorités publiques ?

Jusqu’où le Gouvernement doit-il tirer les conséquences de cette crise ? Au-delà de la convocation des présidents des comités d’audit qu’a annoncée le ministre, quelles décisions pourraient être prises ?

Il est vrai que l’on distingue, dans le débat politique, crise financière et économie réelle. Ne faudrait-il pas faire désormais œuvre de pédagogie pour montrer que cette séparation n’est peut-être pas aussi profonde qu’on le dit ?

M. Jean Launay a souhaité que Mme le ministre confirme que des alertes ont été adressées à la Société Générale par des gestionnaires de marché. Si tel est le cas, en connaît-elle le contenu ? De telles alertes sont-elles fréquentes ? Les régulateurs ont-ils également été alertés à cette occasion ? Quelles suites y ont-ils apporté ?

Est-il par ailleurs apparu dans le cadre du rapport que les appels de marge ne permettaient pas à la Société Générale d’être alertée de l’ampleur des positions prises et de qui les déclenchait ?

Le gouverneur de la Banque de France a reconnu que les codes informatiques ne sont pas dans le champ des investigations de la commission bancaire. Aujourd’hui, il admet la nécessité pour la commission de se mettre au travail sur ce qu’il appelle les « questions fondamentales ». Quelle est l’appréciation de Mme le ministre à ce propos ? S’agissant du contrôle interne des délégations et des limites fixées aux opérateurs, il semble que la commission bancaire n’ait pas contrôlé les procédures internes de la banque. Y a-t-il eu là défaillance du régulateur ?

M. Frédéric Lefebvre a souhaité revenir sur les initiatives à prendre pour améliorer les systèmes de contrôle.

Il a d’abord évoqué l’obligation « morale » de prévenir les autorités gouvernementales. On ne peut pas parler d’obligation légale quand il s’agit d’une banque privée. Pour autant, lorsque les autorités bancaires sont saisies et à partir d’un certain montant, ne pourrait-on réfléchir à une sorte d’obligation légale ?

Il a ensuite abordé la question du contrôle interne. L’article 511-41 du code monétaire et financier est extrêmement flou. Selon cet article, «  Les établissements de crédit doivent également disposer d’un système de contrôle adéquat de contrôle interne leur permettant notamment de mesurer les risques et la rentabilité de leurs activités ». C’est un peu court quand il s’agit d’opérations de marché.

M. Lefebvre a précisé qu’il a eu l’occasion de proposer, au nom de l’UMP, l’étanchéité entre les fonctions de contrôle et les traders. Il s’est demandé si on ne pourrait pas imaginer un système de contrôle interne qui assure une séparation complète et un rattachement hiérarchique distinct entre les opérateurs et les services post-marché.

Il serait peut-être bon de compléter le code monétaire et financier. C’est au législateur de prévoir un certain nombre de dispositions obligatoires qui s’imposent à toutes les banques. La Société Générale était considérée comme étant la banque ayant les meilleurs systèmes de contrôle. Or il semble bien qu’il faille améliorer les systèmes de contrôles internes.

M. Christian Eckert a posé deux séries de questions.

La commission bancaire effectue deux types de contrôles : un contrôle sur pièces, basé sur un système déclaratif et un contrôle sur place. Y a-t-il eu ces dernières années une évolution de ce type de contrôles ? Les contrôles sur place, qui sont les plus efficaces, n’ont-ils pas été un peu négligés ? A quelle date remonte le dernier contrôle d’une salle de marché ? Sur quoi ont porté les 17 inspections de la commission bancaire s’agissant de la Société Générale ?

La commission bancaire n’a pas toujours des pouvoirs d’investigation dans tous les pays du monde. Il faut que la France ait passé des conventions avec ces pays. Combien de contrôles ont donc été faits dans les succursales luxembourgeoises des grandes banques françaises ?

M. Eckert a remarqué que Mme le ministre a déclaré qu’elle s’était interrogée sur le fait que la Société Générale ait ou non respecté les règles bancaires quand elle a eu connaissance du problème. Il lui a demandé si, à sa connaissance, cette banque avait toujours respecté auparavant les règles financières, notamment sur les ratios de solvabilité, les encours et les fonds propres.

Les opérations fictives ont eu lieu à partir de 2006 et se sont renforcées ensuite pour aboutir à des engagements de 50 milliards d’euros. La banque a-t-elle respecté ces règles pendant la période précédant la connaissance du problème ?

M. Yves Censi a d’abord salué la rapidité de réaction de l’ensemble des acteurs. S’agissant d’activités de marché, on ne peut pas imaginer qu’il y ait un risque zéro. Il est pourtant étonnant de constater que dans cette affaire, ce n’est pas le risque de marché qui est en cause, mais le risque opérationnel, qui renvoie à la partie la plus simple de l’activité d’une banque.

On parle beaucoup de crise boursière et de crise financière, mais il s’agit plutôt d’une grosse fièvre. Il ne faut pas réagir trop vite. On l’a dit, il ne s’agissait pas de produits sophistiqués, le trader lui-même n’ayant pas une grande capacité de décision. Ne peut-on soupçonner des pratiques courantes, des tolérances ? L’approche des banques est souvent d’intégrer le risque juridique et le respect de règles plus ou moins bien appliquées dans la notion de risque général. La vraie question devient donc celle de la sanction.

Le rôle du Parlement est de proposer des règles de contrôle et de gestion. Ne serait-il pas temps de mettre à plat l’ensemble des produits financiers et des réglementations qui les concernent, de manière que le Parlement ou le Gouvernement n’ait plus à intervenir par petites touches à chaque crise ? Mais il faut être prudent et ne pas se presser de façon intempestive, car on risque d’aboutir à l’inverse de l’objectif recherché.

Le Président Didier Migaud a suggéré que le Parlement soit davantage associé à la rédaction d’un certain nombre de directives. La plupart du temps, quand elles lui sont transmises, la discussion est pratiquement close.

M. Jean-Pierre Balligand s’est déclaré un peu surpris qu’on découvre aujourd’hui seulement l’inefficience du dispositif des comités d’audit. La commission des finances s’en était déjà inquiétée. Or ce n’est pas qu’aux banquiers de régler cette affaire, c’est aussi aux politiques.

Il a remarqué que lorsqu’il y a des « coups de chauffe », on laisse bien parler le Parlement, mais qu’à chaque fois, les banquiers tiennent le même discours : nous allons nous-même faire la police, inutile de légiférer et de mettre en place des dispositifs trop contraignants. Ainsi, dans le système français, et sans doute européen, les dispositifs ne sont pas à la hauteur du diagnostic et des faits.

Quel est le niveau d’autonomie des comités d’audit par rapport aux PDG ? Il faudra bien à un moment donné avancer sur cette question. On sait bien, dans les banques, que le statut de ceux qui travaillent dans le front office n’a rien à voir avec le statut de ceux qui travaillent dans le back-office, qui sont très dépréciés. Sans une vraie philosophie du back-office et de sa fonction de contrôle, il n’y a pas de contre-pouvoir.

M. Balligand a suggéré que l’on regarde d’un peu plus près la question du résultat brut et du résultat net. Dans les comités d’audit, on n’examine que le résultat net, et on n’a donc aucune idée des volumes.

Il a terminé en évoquant la commission bancaire et les ratios de solvabilité, soulignant le manque de communication. La Société Générale n’est, d’ailleurs, sans doute pas la banque qui est le plus en péril.

Les ratios de solvabilité sont tout de même fondamentaux et, à un certain moment, il faut tirer la sonnette d’alarme. Il faut disposer de systèmes d’alerte capables de fonctionner, avant que ça n’explose.

M. Louis Giscard d’Estaing s’est lui aussi réjoui de la réactivité de l’ensemble des intervenants dans cette crise. Quinze jours après le déclenchement de celle-ci, Mme le ministre a présenté, en primeur à la commission des Finances, le rapport qu’elle venait de remettre au Premier ministre.

Ce dont il faut se préoccuper en premier lieu, c’est du respect de la crédibilité de l’entreprise Société Générale, entreprise bancaire importante, banque privée, cotée, de ses salariés et de ses clients.

La France a connu il y a quelques années une crise dans un établissement bancaire public, qui a impliqué l’argent du contribuable dans des proportions souvent évoquées. Quel est en définitive le coût la crise du Crédit Lyonnais pour le contribuable ? Quand pourra-t-on le connaître ?

S’agissant de la Société Générale, il semble que certains acteurs n’ont pas encore été directement évoqués : les commissaires aux comptes. Les normes IFRS sont là pour apporter un éclairage sur les risques comptables et financiers que peuvent comporter certaines prises de positions comme celles prises par ce trader. N’est-il pas souhaitable que les normes IFRS apportent un peu plus de précision et de clarté sur les risques opérationnels liés à ces opérations de marché, tels qu’ils peuvent figurer dans les comptes que certifient les commissaires aux comptes de tels établissements ?

Mme le ministre a tenu à remercier les intervenants pour la qualité de leurs questions qui constituent une aide et permettent d’avancer. C’est un bel exemple de collaboration entre une commission de très haut niveau et le Gouvernement.

A la question de la « double paire d’yeux », dans le domaine de l’activité d’un trader, elle a déclaré qu’elle n’était pas la plus à même de répondre. C’est plutôt à ceux qui seront interrogés demain par la commission, comme le président de la commission bancaire ou même la vice-présidente de l’Association française des banques, de le faire.

Le travail d’un trader est souvent fondé sur la réactivité et la rapidité. Si ces mécanismes de fonctionnement sont compatibles avec le principe de la « double paire d’yeux », c’est très bien, mais il n’est pas sûr que cela soit suffisant.

Les ratios de solvabilité relèvent-ils des préconisations de marché ou du politique ? Ils relèvent clairement du politique, dans la mesure où l’on transpose des directives européennes, ce qui constitue un acte politique.

Les parlements nationaux pourraient-il jouer un rôle en amont des directives ? Ce serait tout à fait pertinent et approprié. Il est exact qu’au moment de la transposition d’une directive, tout le travail a déjà été élaboré par divers services. Les parlements nationaux doivent pouvoir eux aussi intervenir dans le travail préparatoire.

Mme le ministre a remarqué que de nombreux commissaires se sont interrogés sur la nature de l’information, sur le moment de l’information, sur son destinataire et sur ce qu’elle pensait du processus et du délai. Il est exact qu’il eut été plus efficace et probablement plus approprié que le Gouvernement fût informé avant mercredi matin à huit heures, moment où Daniel Bouton l’a mise au courant. Elle peut comprendre le raisonnement qui a amené à décider de ne pas informer l’autorité gouvernementale au regard, non pas du délit d’initié, mais plutôt au regard du risque que pouvait faire courir à la place la divulgation de l’information.

Le Président Didier Migaud a demandé quels risques auraient été encourus si le Président de la République et le ministre des Finances avaient été prévenus.

M. Hervé Mariton s’est demandé en quoi le fait d’informer le Gouvernement aurait permis de faire mieux.

Mme le ministre a répondu que le risque aurait été celui d’une prise de parole publique gouvernementale au plus haut niveau, sans rapport avec la situation d’un grand opérateur bancaire français. Elle aurait pu être amenée, par exemple en sortant de l’ECOFIN le lundi 21 au soir ou le mardi 22 au matin, à faire état d’une situation qui n’aurait pas été conforme à la réalité.

Il n’est pas certain que l’on aurait pu faire mieux en matière de sécurisation et de confiance que ce qui a été fait par le débouclage immédiat, conformément au règles, et par le lancement de l’augmentation de capital sécurisée. La combinaison des deux opérations, menées de front et en totale confidentialité, a été de nature à répondre au risque de crise grave systémique qui aurait pu résulter d’une divulgation.

S’agissant des destinataires de l’information, il paraît souhaitable que, comme dans les sociétés cotées, on connaisse précisément les deux, trois ou quatre personnes qui doivent impérativement être informées au sein du gouvernement et des délais dans lesquels elles doivent l’être. C’est une règle de bonne gouvernance pour éviter toute ambiguïté et restreindre le canal de l’information.

M. Jérôme Chartier a souligné que lorsqu’on a un engagement de 50 milliards d’euros, soit presque le double des fonds propres de la banque, et que l’on est face au risque qu’un désastre ne se produise, au-delà de savoir ce que cela aurait pu changer, informer au moins le Président de la République et le ministre des finances est une question de principe.

Mme le ministre a indiqué que la cession de titres est intervenue le 10 janvier à l’initiative d’un administrateur, Robert Day, qui avait lui-même cédé une partie de son activité précédemment, en deux fois, y compris pour le compte d’une fondation détenue par son entourage proche. L’Autorité des marchés financiers a lancé une enquête sur les mouvements ayant affecté le titre. Pour sa part, le Trésor n’est pas chargé de vérifier la conformité des opérations intervenant sur le marché.

M. Bouton a proposé immédiatement sa démission et il l’a laissée sur la table. C’est une décision qui relève des membres du conseil d’administration de cette société privée et cotée. Ils se prononceront en conscience et en fonction de l’intérêt général et il n’appartient pas au ministre d’émettre un jugement de valeur sur l’opportunité d’accepter ou de refuser une telle proposition ou sur le délai dans lequel la décision doit intervenir.

M. Jérôme Cahuzac a souligné que c’est précisément parce qu’il connaissait cette situation juridique qu’il s’est interrogé sur la portée réelle des déclarations qui ont été faites au plus haut niveau de l’État.

Mme le ministre a souligné qu’elle avait répondu sur le principe de la démission et sur l’opportunité pour les administrateurs de prendre en conscience leur décision.

Elle a par ailleurs précisé que, s’agissant de la prise de contrôle par une entreprise étrangère, la position du Gouvernement est claire : la Société Générale n’est pas contrainte en l’état actuel de s’adosser à un partenaire, le lancement de l’opération d’augmentation sécurisée de son capital lui ayant permis de restaurer son ratio de solvabilité et de liquidités. Néanmoins, en tout état de cause, le Gouvernement serait favorable par priorité à un rapprochement amical entre établissements et il est soucieux, dans toute opération, du sort de la collectivité des salariés et de la situation des clients.

M. Jérôme Cahuzac a souhaité savoir de quels moyens dispose le Gouvernement pour faire prévaloir sa position.

Mme le ministre a répondu que toute prise de contrôle d’un établissement de crédit est soumise à l’aval du comité des établissements de crédit et des entreprises d’investissement. Un examen préalable doit être effectué pour toute tentative de prise de contrôle supérieure à 20 % du capital. Cet examen attentif prend un certain temps. Le gouvernement est très favorable à une opération amicale, dans le cas de cet établissement comme de tout autre, compte tenu des caractéristiques propres des établissements bancaires et du fait que la confiance du public est en jeu dans de telles situations.

S’agissant de la capacité d’analyse de la commission bancaire, celle-ci recrute des spécialistes de salles de marché. La sophistication et la technicisation des produits obligent sans cesse à former le personnel et à recruter de nouveaux talents qui soient au moins du même calibre que ceux que l’on trouve dans les salles de marché. Il conviendra d’interroger la commission bancaire pour savoir si elle se sent suffisamment « outillée ».

La Société Générale a réagi à ce rapport en publiant, dès qu’il a été rendu public, un communiqué indiquant pour l’essentiel : « Pas de commentaire ; mesures correctrices mises en œuvre. ».

On ne peut pas dire que la crise financière et l’économie réelle sont totalement hermétiques l’une à l’autre. La contribution de l’activité financière au produit intérieur brut est réelle et importante et elle fait donc partie de l’économie réelle, même si elle est moins corporelle qu’un échange de produits ou une fourniture de services. Par ailleurs, les mécanismes de fluidité financière sont déterminants pour soutenir l’économie réelle.

Pour autant, la crise des subprimes observée du 9 au 16 août 2007 n’a pas produit en tant que telle d’effet direct sur l’économie réelle. Cependant elle a été suivie par une crise des liquidités et par une crise de confiance et un certain nombre d’autres pans de l’économie sont susceptibles d’avoir été affectés, notamment aux États-Unis, ce qui explique que le gouvernement américain a engagé un plan de 150 milliards de dollars.

Il est évident que les contrôles sur place sont plus efficaces que les contrôles sur pièces. La dernière inspection de la salle des marchés de la Société Générale date de 2006. Mieux vaudrait sans doute poser cette question directement à Christian Noyer, de même que celle relative aux succursales luxembourgeoises de la banque, afin de savoir dans le cadre de quelle convention des contrôles ont pu être effectués.

En ce qui concerne le respect des ratios de solvabilité et de fonds propres par la Société Générale, la commission bancaire procède actuellement à une enquête et sera donc mieux à même de répondre. Cela ramène aussi à la question sur les commissaires aux comptes et à leur examen des comptes de l’année 2006, année au cours de laquelle des agissements de ce type, mais d’une ampleur bien plus faible, ont été constatés. Les commissaires ont certifié les comptes fin 2006, mais pas fin 2007, l’arrêté des comptes n’étant pas encore intervenu. Il est probable qu’ils prendront de multiples réserves, mais la question reste posée pour 2006.

En matière de réglementation bancaire, il faut agir en concertation avec la place. Toutefois il est bien évident, compte tenu de la fluidité des acteurs et des produits et de leur faculté à se déplacer d’une place à une autre, que l’on ne saurait demeurer dans le cadre national. En verrouillant les choses dans un pays, on peut être assuré qu’une bonne partie des opérations glissera vers une autre place, moins stricte.

Toutes les réglementations doivent donc être prises à l’échelon régional européen, ce qui rend encore plus nécessaire le travail en amont de préparation des directives. Sans doute faut-il s’efforcer également de mener une concertation entre les grandes places financières afin de parvenir à un consensus prudentiel opérationnel sur l’ensemble des marchés. À cet égard, le Fonds monétaire international, mais aussi le comité de Bâle et le Fonds de solidarité financière peuvent certainement jouer un rôle et faire des recommandations, mais ils doivent se hâter. On observe en effet une grande différence entre d’une part la rapidité des flux et des mouvements de capitaux et la vitesse à laquelle les crises se nouent et se dénouent, d’autre part la pondération, la réflexion, les processus itératifs, qui ont sans doute leurs vertus mais qui interviennent un peu tard.

Un certain nombre de choses relèvent toutefois de l’échelon national et il convient en particulier d’avancer sur le pouvoir de sanction de la commission bancaire.

S’agissant de l’alerte par des marchés étrangers, le rapport fait référence à une intervention d’EUREX en novembre 2007 portant sur la stratégie du courtier plus que sur les volumes en cause.

Le gouverneur de la Banque de France a en effet souligné que la sécurité informatique et les modifications de systèmes n’entrent pas dans le champ des contrôles. Cela montre bien qu’il faut insister sur le caractère opérationnel d’un certain nombre de contrôles des risques, que l’on a peut-être un peu perdu de vue en donnant davantage de poids à l’analyse des risques de marché. Il semble donc utile de rappeler la réalité humaine et la réalité tangible des opérations et des activités de contrôle. Il convient sans doute d’améliorer le dispositif de modification régulière des codes informatiques, de développer des systèmes d’identification, y compris par voix digitale, d’élaborer des mécanismes de contrôles réguliers des congés pris par les uns par les autres, de mieux vérifier les intrusions dans les systèmes. Ces mesures classiques vont devoir être revues par les divisions de contrôle des risques et par les grands déontologues.

Même si cela ne relève pas du législateur et du régulateur, mais plutôt des principes de gestion au sein des banques et des établissements financiers, il apparaît bien que, tout en laissant la responsabilité aux individus, l’engagement par des équipes permettrait d’anticiper ce type de risques. Cela ramène aux questions de la gestion des rémunérations, de la valorisation des traders par rapport au back office, de la responsabilisation de chacun au sein des équipes. Les établissements auront intérêt à explorer davantage ces pistes.

Le Président Didier Migaud a remercié le ministre et souligné que ce sujet est loin d’être épuisé et que la commission aura d’autres auditions sur ce thème, mais aussi d’autres rendez-vous avec le ministre pour poursuivre le travail entrepris.

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3.– Mardi 5 février 2008, séance de 16 heures 15, compte rendu n° 56

–   Audition, ouverte à la presse, de M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, et de Mme Danièle Nouy, secrétaire générale de la Commission bancaire, sur les dispositifs de contrôle bancaire et sur la régulation des systèmes financiers

Le Président Didier Migaud a tout d’abord rappelé que M. le gouverneur et Mme la secrétaire générale ont été auditionnés la semaine dernière par la commission des Finances du Sénat. Depuis, Mme Lagarde, ministre de l’Économie, des finances et de l’emploi, a remis le rapport qui lui avait été demandé par le Premier ministre concernant l’affaire de la Société Générale. La commission souhaite donc entendre M. le gouverneur et Mme la secrétaire générale à ce propos et, au-delà, les interroger sur le fonctionnement des systèmes de contrôle bancaire et des opérations de marché, qui ne sont manifestement pas infaillibles.

Au cours de son audition, hier, Mme le ministre de l’Économie a apporté un certain nombre de précisions, pour certaines rassurantes et, pour d’autres, inquiétantes.

Rassurantes, parce que les opérations de débouclage se sont, semble-t-il, bien passées même si des interrogations demeurent sur la raison pour laquelle les plus hautes autorités de l’État n’ont pas été informées de cette situation en temps réel. Est-il possible, en l’occurrence, d’invoquer la confidentialité ? En outre, la commission bancaire étant une institution collégiale où siège, notamment, le directeur du Trésor, celui-ci a-t-il été ou non informé ? Il faut tout de même rappeler que le trader a pris des positions sur 50 milliards d’euros, montant qui équivaut au produit de l’impôt sur le revenu.

Les précisions apportées par le rapport sont également inquiétantes dès lors qu’un certain nombre de dysfonctionnements sont apparus dès 2005 ; en 2007, la somme de 30 milliards est de surcroît évoquée alors qu’il ne semble pas avoir été tenu compte de plusieurs contrôles, alertes et signalements divers. Quelles ont pu être les défaillances des contrôles internes et externes sachant que, selon le rapport, dix-sept contrôles ont été effectués en tout à la Société Générale ? Comment améliorer leur efficacité ? Faut-il envisager une meilleure formation et une meilleure rémunération des contrôleurs ? Quelles sanctions doivent-elles être mises en place ? Sur le plan législatif, une coordination européenne et mondiale est évidemment nécessaire mais quelles mesures doivent être précisément envisagées ?

M. Christian Noyer a remercié la Commission de lui permettre de répondre aux questions que se pose la représentation nationale.

Son accord est total avec Mme le ministre de l’Économie s’agissant de l’analyse des faits. En l’état, il n’est pas possible d’expliquer précisément les dysfonctionnements qui ont été constatés même si un certain nombre de pistes sont vérifiées dans le cadre de l’enquête diligentée par Mme la secrétaire générale de la commission bancaire : surveillance des encours nominaux, suivi des flux de trésorerie, relation avec les chambres de compensation, suivi des annulations et des modifications de positions introduites par un opérateur dans les systèmes, vérification des transactions et des comportements atypiques ou anormaux
– notamment s’agissant des congés –, gestion des confirmations avec les contreparties internes comme avec les externes aux groupes, respect de la « muraille de Chine » séparant le front office des middle et back offices, sécurité des systèmes informatiques.

D’ores et déjà, des enseignements peuvent être tirés de la crise : M. le gouverneur insiste auprès de tous les établissements de crédit afin que les limites fixées à chaque opérateur soient précisées par écrit et que les points de contrôle précédemment évoqués soient vérifiés. En outre, le suivi des prises de risque et des positions doit être renforcé, de même que la lutte contre la fraude, laquelle doit être intégralement partie prenante du système de contrôle. Enfin, il faut améliorer la remontée hiérarchique de toute information permettant de donner l’alerte : l’exhaustivité et la systématicité des rapports d’incidents sont cruciales.

Comme le préconise Mme le ministre de l’Économie, un renforcement réglementaire et législatif est par ailleurs souhaitable. Le règlement « 97-02 », essentiel pour les établissements de crédit, porte sur le contrôle interne et traite de manière approfondie des risques de crédits et de marché. La directive européenne reprenant le système dit de Bâle II comporte un volet complémentaire concernant le contrôle du risque opérationnel ; des fonds propres sont demandés aux banques afin de couvrir celui-ci.

Sur le plan législatif, trois questions doivent être traitées, tout d’abord celle des sanctions. Même si le seul fait d’être sanctionné est particulièrement mal vécu par les établissements, une augmentation des amendes pourrait être envisagée de manière à ce qu’elle soit en rapport avec le coût des investissements matériels et humains exigés par le superviseur.

La question de la gouvernance, ensuite, notamment lors de la transposition de la huitième directive sur le contrôle des comptes qui devrait comprendre des dispositions en matière de contrôle interne. Sans se limiter au seul domaine comptable, il importerait également de rendre obligatoires les comités d’audit dans toutes les entreprises réglementées.

La question de l’institution d’un devoir d’alerte, enfin, de manière à ce que les banques soient obligées d’informer systématiquement le superviseur bancaire en cas d’incident ou de tentative de fraude.

S’agissant de l’information des autorités de l’État, le souci primordial de M. le gouverneur, pendant les trois jours qui se sont écoulés entre la réception de l’information et sa diffusion sur les marchés, a été, compte tenu de la douloureuse expérience qu’a connu récemment le Royaume-Uni, de faire en sorte que le problème soit traité et les solutions mises en place dans les délais les plus brefs, de sorte qu’il n’y ait pas d’annonce au Gouvernement sans qu’une solution ne soit proposée. Il fallait en outre laisser agir la Société Générale qui avait à déboucler les opérations mais aussi à travailler à une augmentation de ses fonds propres de manière à ce qu’elle affiche un niveau confortable au moment de l’annonce. M. le Gouverneur a donc surveillé très attentivement la diffusion de l’information au sein même de la Banque de France, seule une poignée de ses collaborateurs étant au courant.

M. Hervé Mariton a demandé combien.

M. Christian Noyer a répondu qu’ils étaient au nombre de quatre, la confidentialité de l’information étant le meilleur moyen d’éviter toute imprudence pouvant conduire à une catastrophe.

Le Président Didier Migaud a demandé si ce raisonnement s’applique au Président de la République et à Mme le ministre de l’Économie.

M. Christian Noyer a répondu que c’était différent, son rôle n’étant pas d’apporter des problèmes au Gouvernement sans envisager une solution. Il avait évidemment décidé d’informer le Gouvernement avant que l’annonce ne soit rendue publique de manière à ce que ce dernier puisse décider de son action et de sa communication. Il en aurait été de même si les opérations de débouclage ne s’étaient pas passées conformément à ses attentes.

M. le gouverneur a en outre suivi très étroitement pendant ces trois jours la situation de liquidité du marché et il s’est assuré qu’il n’y avait aucun risque de contagion sur la place financière de Paris ; il a également veillé à ce qu’il n’y ait pas de difficultés de refinancement de l’établissement. Enfin, il a suivi le choix de recapitalisation décidé par la Société Générale, qui est une banque privée. Le montage final n’a été réalisé qu’après information complète des pouvoirs publics.

Le Président Didier Migaud a demandé combien de contrôles, sur les dix-sept, avaient été effectués sur place.

M. Christian Noyer a répondu qu’il s’agissait, pour tous, de contrôles sur place.

Mme Danièle Nouy a indiqué que le cœur du métier de la commission bancaire était de veiller à la bonne santé financière des banques. À cette fin, elle dispose de trois moyens principaux : le suivi sur documents – études de rapports, de ratios prudentiels, discussions approfondies avec les établissements –, les enquêtes sur place et, enfin, l’intervention du collège, lequel peut formuler des injonctions et prendre des sanctions.

La commission bancaire contrôle à peu près 1 000 établissements de crédit et entreprises d’investissement. Environ 160 agents sont chargés du contrôle permanent ; 175 effectuent des contrôles sur place ; 215, enfin, ont des fonctions dites de support : juristes, comptables, informaticiens, spécialistes du domaine international. En tout, 550 personnes environ sont chargées du contrôle.

À la Société Générale, dix-sept enquêtes ont donc été réalisées en 2006 et 2007 : deux sur les risques de marché – dont une sur les produits structurés « actions » –, trois sur des activités de courtage et de gestion de patrimoine, trois sur le contrôle interne
– blanchiment, plan de continuité d’activités – une sur les leveraged buy_out (LBO), une sur les expositions concernant les monolines, sept sur la validation des modèles utilisés dans le cadre de Bâle II. Les enquêtes ont eu lieu en France mais également à l’étranger. Le champ d’action de la commission est donc large.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a considéré que la gestion de cette crise avait été bonne, les positions ayant été débouclées immédiatement et la recapitalisation rapide. Elle s’est en outre déroulée dans une stricte confidentialité et dans le respect des règles de marché. Le paradoxe est que les banques sollicitées afin de recapitaliser la Société Générale étaient au courant de la crise alors que les plus hautes autorités politiques, elles, ne l’étaient pas. Même si le gouverneur de la Banque de France est indépendant, la question de son rôle d’« informateur » des autorités politiques ne s’en pose pas moins.

Il est par ailleurs notable, sur un plan législatif, que l'Assemblée nationale ne dispose souvent d’aucune marge de manœuvre dans la transposition des directives. Il faudrait parvenir à travailler en amont de manière à ce que, en l’occurrence, il soit possible, dans le cadre de la transposition de la huitième directive, d’élargir par exemple la notion de contrôle interne.

Sur le plan des contrôles externes, Bâle II a fait l’objet d’un accord en 2004 et la transposition de la directive a eu lieu en 2006. Or il semblerait que ces dispositifs soient déjà un peu dépassés puisqu’ils ne prennent pas complètement en compte les produits issus de titrisation de créances. Il semble donc qu’un certain nombre de produits n’interviennent pas dans la définition du passif donnant lieu au calcul des fonds propres. Comment envisager, à l’avenir, le développement des contrôles européen et mondial ?

Le Président Didier Migaud a souligné que l’indépendance du gouverneur n’est en rien remise en cause par le partage d’un certain nombre d’informations avec les plus hautes autorités de l’État.

M. Jérôme Chartier a posé plusieurs questions : la Banque de France participe-t-elle au conseil d’administration (CA) de la banque des règlements internationaux (BRI) ? A-t-elle eu un rôle dans la définition des critères définis lors de Bâle II ? Quel fut le rôle du politique dans la détermination des critères des ratios définis à Bâle I et II ? Enfin, la commission bancaire a-t-elle procédé, ces derniers mois, à des contrôles sur pièces et sur place concernant les engagements des banques au titre de la crise des subprimes ?

M. Jérôme Cahuzac a rappelé que M. le gouverneur n’a informé que quatre de ses collaborateurs. Faut-il déduire de la comparaison réitérée avec l’actualité récente en Grande-Bretagne que lorsque les pouvoirs publics sont informés la panique l’emporte et que lorsqu’ils ne le sont pas, la confiance est rapidement restaurée ?

Le niveau de fonds propres des banques et, en particulier, de la Société Générale, est-il suffisant au regard des risques de marché et de crédits ou des risques opérationnels ?

Cette crise aura-t-elle des conséquences sur l’offre de crédit en France ?

Enfin, M. le gouverneur avait été très rassurant, voilà quelques mois, sur les conséquences de la crise des subprimes. Le demeure-t-il aujourd’hui ?

M. Charles de Courson a affirmé avoir du mal à comprendre la thèse selon laquelle il ne fallait pas informer les pouvoirs publics avant d’avoir une solution à la crise. Certes, les risques de diffusion de l’information sont bien réels, mais si cette affaire avait encore plus mal tourné, le pouvoir politique aurait été fondé à en vouloir au gouverneur. En outre, est-il certain que les banques mises dans la confidence pour recapitaliser la Société Générale n’aient pas spéculé ?

Le conseil d’administration de la Société Générale a décidé de dénouer l’ensemble des positions en deux jours. Cette décision a-t-elle été prise uniquement par le CA ou M. le Gouverneur a-t-il joué un rôle ? Si, par ailleurs, ce dénouement avait été un peu moins soudain, les pertes auraient été moindres compte tenu de l’effondrement des cours boursiers.

Le front office est composé de personnes de très haut niveau qui ont développé des complexes de supériorité en raison de leur parcours; or, les personnes chargées de les contrôler ayant, elles, un complexe d’infériorité compte tenu de leur formation et de leur rémunération, personne ne contrôle plus personne. La commission bancaire a-t-elle donc contrôlé les produits dérivés de la Société Générale sans s’apercevoir de quoi que ce soit ?

S’agissant, précisément, des produits dérivés, ne faudrait-il pas fixer des règles visant à lier le montant des capitaux propres des banques et le montant des engagements ?

Enfin, une isolation juridique spécifique des « jeux » sur le marché ne faciliterait-elle pas le contrôle de la commission bancaire et de la Banque de France ?

M. Christian Noyer a déclaré que les banques sollicitées par la Société Générale ne l’ont été qu’au cours du processus, à un moment qu’il ne peut préciser. La Société Générale, par ailleurs, ne pouvait évidemment connaître dès les premiers instants le montant de la perte finale. Enfin, les banques d’affaires sollicitées pour ces montages financiers séparent radicalement ces derniers des activités de marché.

Bâle II est entré en vigueur au 1er janvier. Il s’agit d’un progrès important à double titre : d’une part, la prise en compte des lignes de liquidité dans le calcul des exigences réglementaires des fonds propres ; d’autre part, la prise en compte du risque opérationnel. Le problème est que ses préconisations ne sont pas encore appliquées internationalement et notamment aux États-Unis, où des domaines de l’activité de crédit ne sont en outre pas couverts par la réglementation bancaire – c’est le cas de la plupart des établissements qui ont mis en place les subprimes.

La Banque de France est membre de la BRI et du comité de Bâle, qui regroupe les superviseurs des pays du G10. Si aucun de ces deux organismes n’a de pouvoir réglementaire, ils disposent en revanche d’un pouvoir de recommandation et d’une forte autorité morale puisque les grands pays du G10 reprennent les règles qui ont fait l’objet d’un consensus.

M. Jérôme Chartier a demandé si ces règles préconisées par les experts sont intégralement reprises par les instances politiques.

M. Christian Noyer a répondu que, si chaque État est bien entendu souverain, elles le sont en effet globalement.

Mme Danièle Nouy a insisté sur le rôle important des politiques en la matière. Lorsqu’elle était secrétaire général du comité de Bâle, elle a eu l’occasion de se rendre plusieurs fois devant le Parlement européen afin de répondre aux questions posées par les parlementaires. Ainsi, la transposition de Bâle II, à savoir la directive sur l’adéquation des fonds propres, diffère-t-elle sur certains points de la préconisation des experts de Bâle.

En ce qui concerne les subprimes, des informations ont été obtenues dès le début de la crise de la part de tous les établissements et des contrôles effectués sur place ont permis de les vérifier. Dès le début de l’automne, des enquêtes ont été lancées, certaines se poursuivant dans le domaine des « valeurs en risque » et dans celui des risques liés aux couvertures données par les monolines.

M. Jérôme Chartier a demandé à Mme la secrétaire générale de confirmer qu’elle connaît parfaitement les engagements des banques françaises liés aux subprimes, donc les risques qu’elles encourent.

Mme Danièle Nouy a répondu positivement, en l’état actuel des développements. Des contacts réguliers, par ailleurs, ont lieu avec les autres contrôleurs des grands pays touchés, la dernière conférence téléphonique à ce sujet ayant eu lieu très récemment ; la prochaine se déroulera dans quelques semaines.

M. Jérôme Chartier l’a interrogée sur ce qu’il en était des informations collectées.

Mme Danièle Nouy a répondu qu’elles sont couvertes par le secret professionnel, mais que les banques françaises communiquent beaucoup sur leurs risques et leur exposition aux subprimes. Ce sera le cas, lors des arrêtés des comptes pour fin 2007 et ça l’est déjà pour les plus grands établissements, dans les avertissements qu’ils ont donnés au marché.

M. Jérôme Chartier a demandé si la commission bancaire peut faire publiquement un rappel à l’ordre en cas de réticences.

Mme Danièle Nouy a répondu que la commission est en mesure de faire examiner leur situation par le collège de la commission bancaire, lequel peut décider d’injonctions ou de sanctions.

Le Président Didier Migaud s’est interrogé sur le contenu de la lettre de cadrage envoyée par la commission bancaire à la Société Générale à la suite des contrôles effectués. Quelles en ont été les conséquences ?

Mme Danièle Nouy a rappelé qu’après les contrôles effectués sur place, une lettre de suite reprenant les principales conclusions de ces missions est établie et communiquée aux conseils d’administration des établissements. Plus généralement, les réponses apportées à ces lettres sont très soigneusement examinées, notamment en ce qui concerne le calendrier de la mise en œuvre des mesures préconisées. Si celui-ci n’est pas satisfaisant, la commission revient à la charge autant de fois qu’il le faut. Il est également possible de procéder à de nouvelles enquêtes afin de vérifier la bonne application des recommandations.

La lettre de cadrage est quant à elle lue au conseil d’administration de l’établissement. Il s’agit d’une synthèse des demandes importantes figurant dans les lettres de suite ainsi que des entretiens qui ont lieu avec les dirigeants des établissements de crédit. Celle qui a été envoyée le 19 mars 2007 à la Société Générale a mis en avant deux éléments importants : une adaptation permanente des moyens de contrôle des risques de marché et une adaptation des fonctions de back office au développement très rapide des activités d’une part, le maintien d’une extrême attention à tout risque opérationnel d’autre part.

M. Henri Emmanuelli a remarqué combien ces préconisations avaient été entendues…

Mme Danièle Nouy a répondu qu’une plus grande rapidité dans leur mise en œuvre aurait en effet été nécessaire.

M. Charles de Courson s’est à nouveau interrogé sur le niveau des personnels de la commission bancaire et de la Banque de France par rapport à des personnes très hautement qualifiées.

M. Hervé Mariton a demandé si les préconisations faites à la Société Générale étaient spécifiques.

Mme Danièle Nouy a répondu positivement. Les mots et les priorités sont pesés pour chaque établissement. Aucune demande circulaire générale n’est formulée s’agissant de l’augmentation du contrôle interne, même si, comme il existe deux lignes principales de défense en matière de prudence bancaire – les fonds propres et la qualité du suivi de la gestion des risques –, il est normal que des préconisations soient souvent faites à ce titre.

Voilà par ailleurs plus de dix ans que la commission bancaire recrute des experts, en particulier dans le domaine de ce que l’on appelle le suivi des risques modélisés. Ces agents ont des compétences informatiques, scientifiques et mathématiques. De la même façon, la commission veille à améliorer constamment leur formation. En 2006 et 2007, 94 % des agents du secrétariat général de la commission bancaire (SGCB) ont passé en moyenne plus de huit jours en formation. De même, afin d’améliorer les performances des contrôleurs, des échanges d’agents ont lieu avec les grandes banques et avec des superviseurs étrangers. Enfin, les agents sont invités à s’initier aux meilleures pratiques de leur profession : 16 d’entre eux sont ainsi actuellement détachés, dont 8 à l’étranger. Mme Nouy a elle-même passé sept ans à la BRI, à Bâle, et a présidé à cette occasion la task force en charge des risques modélisés. Le problème de la commission bancaire, en l’état, ne semble donc pas relever de la formation de ses agents.

M. Charles de Courson s’étant demandé comment on pouvait expliquer qu’un arbitragiste ait pu engager près de 400 fois son plafond de 125 millions d’euros sans que personne, pendant quatorze mois, ne s’en aperçoive, même par sondage, Mme Danièle Nouy a expliqué que la commission bancaire, avec un effectif de 550 personnes, comparable à celui dont disposent les institutions similaires à l’étranger, n’est pas le gendarme de chaque opération, d’autant que la Société Générale compte 2 500 traders. Elle contrôle l’architecture du système.

M. Charles de Courson a rappelé que, lorsqu’il était à la Cour des comptes, il ne se contentait pas de faire le contrôle du contrôle, mais qu’il effectuait également des tirages aléatoires.

Mme Danièle Nouy a répondu que, si aucune enquête sur place n’avait été effectuée dans la salle traitant les warrants, c'est parce qu’il avait été décidé de privilégier les produits les plus sophistiqués et les plus risqués. Quant aux sondages, la probabilité, avec 175 contrôleurs sur place pour 2 500 traders à la seule Société Générale, de trouver une fraude par ce biais, est faible.

M. Jean-François Lamour a fait observer qu’un trader n'est jamais seul, mais qu’il est entouré de collègues. Il est donc incompréhensible que, de 2005 à 2007, ces derniers ne se soient aperçus de rien.

M. Christian Noyer a reconnu ne pouvoir s’expliquer une situation aussi invraisemblable, laquelle pouvait résulter d’une succession de petites erreurs, certaines alertes, par exemple, n’ayant pas été suffisamment analysées. L’enquête sur place devrait permettre d’apporter une explication dont la Société Générale elle-même est demanderesse.

Le Rapporteur général a rappelé qu’une grande partie des contrôles est automatisée, et qu’il faut donc, au-delà du contrôle automatique, un contrôle manuel, qui est irremplaçable.

M. Frédéric Lefebvre a souligné la nécessité de mieux séparer les systèmes de contrôle des traders, sachant que le trader en question avait passé cinq ans dans le middle office, ce qui lui avait sans doute permis d’apprendre les ficelles permettant de déjouer certains contrôles automatiques.

De même, comme l’a souligné l’économiste Bertrand Jacquillat, ne faut-il pas envisager une séparation entre entités juridiques selon qu’elles interviennent sur les marchés spéculatifs ou en matière de gestion classique des banques de dépôt ?

Enfin, ne convient-il pas de modifier les systèmes de contrôle interne des banques afin de courir de moindres risques à l’avenir ?

M. Henri Emmanuelli s’est interrogé sur le fait que les alertes venues de l’extérieur soient restées lettre morte, demandant des explications un peu plus consistantes que jusqu’à présent quant au comportement des contreparties.

S’agissant, ensuite, du concept de dépendance, il s’est demandé si celui-ci n’avait pas fini par déboucher sur une forme de consanguinité préoccupante : outre qu’un consortium de banques occidentales – Citigroup, Wachovia, Royal Bank of Scotland, Barclays, UBS, Dresdner, BNP Paribas et Société Générale – s’est constitué pour garantir les rehausseurs,
– AMBAC, MBIA. – qui les garantissent, on compte, parmi ce consortium, des banques qui ont connu de sérieux problèmes avec les subprimes.

M. Philippe Vigier s’est demandé si, finalement, ce n’est pas un véritable système qui, avec le temps, s’est mis en place au sein de la Société Générale, ce qui expliquerait que des erreurs se soient ajoutées les unes aux autres. Des contrôles ont-ils permis de vérifier, depuis, que des systèmes de fonctionnement comparables n’existent pas au sein d’autres établissements bancaires ?

Si l’on peut s’interroger sur l’avenir de la Société Générale, n’est-ce pas en fait toute la question de la solidité du système bancaire français voire européen qu’il faut se poser ?

Enfin, en cas de nouvelle crise, le gouverneur de la Banque de France adopterait-il la même attitude en n’informant pas le chef de l’État et le ministre de l’économie et des finances ?

M. Christian Eckert a souhaité savoir à quel moment les banques JP Morgan et Morgan Stanley ont été mises au courant de la demande de garantie de l’augmentation de capital et quelles explications leur ont été données pour qu’elles concourent ainsi au renforcement des fonds propres à hauteur de 5,5 milliards d’euros de la troisième banque française.

Par ailleurs, de quels moyens dispose la commission bancaire pour enquêter, et peut-elle échanger des informations avec la brigade financière qui participe à l’enquête judiciaire ?

Quant au contenu des lettres de mission et des lettres de suite, la commission bancaire peut-elle les communiquer ? À quand remonte sa dernière visite à la Société Générale, et renforcera-t-elle les contrôles sur place, plus efficaces que les contrôles sur pièces, même si les sondages sont aléatoires ? Va-t-elle continuer à contrôler uniquement le contrôle, c’est-à-dire, à l’exemple de la vitesse d’une voiture, contrôler le radar sans contrôler le régulateur de vitesse ? Si la commission bancaire envoie des missions de vérification à Hong-Kong ou à New York, est-elle en mesure de se rendre au Grand-duché de Luxembourg, et, dans ce cas, combien de fois ses services s’y sont-ils rendus ?

Enfin, les ratios affichés au cours des derniers mois par la Société Générale sur sa solvabilité, sur sa liquidité et sur ses couvertures de risques respectaient-ils la réglementation ?

M. Hervé Mariton a demandé si les règles instituant la commission bancaire et la Banque de France comportent des dispositions explicites permettant de justifier les précautions prises dans cette affaire en matière d’information.

Pour ce qui est des limites d’engagement, pourquoi la proposition de prendre en compte les encours nominaux, et pas simplement les encours nets, n’a-t-elle pas été envisagée antérieurement ? Cet événement est-il susceptible de modifier la règle en France et dans le monde entier ?

Quant à rendre les comités d’audit obligatoires dans toutes les entreprises réglementées, quelles sont les conditions d’insertion organique ou hiérarchique envisageables ?

Sans mettre en cause la capacité d’expertise des personnels de la commission bancaire, leur niveau de rémunération, qui n’a rien à voir avec celui des personnes menant les opérations contrôlées, ne pose-t-il pas problème ?

La Banque de France a-t-elle été associée au processus de débouclage effectué par la Société Générale ?

M. Pierre-Alain Muet s’est étonné qu’une banque qui prend, par l’intermédiaire d’un trader, des positions spéculatives sur des marchés organisés, n’en ait pas été informée, alors qu’un marché comme Eurex lui transmet régulièrement des informations. Une telle information va-t-elle d’ailleurs jusqu’à indiquer le nom du trader incriminé ?

Quant à laisser une banque déboucler une position spéculative de 48 milliards d’euros en plein krach financier, n’existait-il pas d’autres solutions ?

Enfin, peut-il être confirmé qu’aucune perte provoquée par la crise des subprimes n’est liée à ce débouclage ?

Le Président Didier Migaud a remarqué que le rapport de Mme Lagarde indique qu’en novembre 2007 la chambre de compensation Eurex « aurait » interrogé la Société Générale sur la stratégie suivie par l’opérateur en cause. Ce conditionnel tient-il toujours ou dispose-t-on d’autres informations en la matière ?

M. Jean-François Lamour a demandé comment la Société Générale avait pu décider de déboucler alors que la place principale, à savoir New York, était fermée le lundi, et donc de faire supporter le maximum de mouvements sur les marchés asiatiques, déjà très fragilisés, ainsi que sur les places européennes ? Ne peut-on penser, dans ces conditions, que c'est au vu de la journée catastrophique de lundi que le patron de la FED a décidé de baisser de trois quarts de points ses taux directeurs ?

M. Frédéric Lefebvre, revenant sur le fait que le Gouvernement n’a pas été prévenu, a estimé que, s’il n’y a pas, pour une banque privée et une autorité indépendante, obligation légale d’informer, il existe cependant une obligation morale. Le rapport de Mme Lagarde envisage l’obligation d’informer certaines autorités : à quel moment cette information doit-elle intervenir et quelles autorités doivent être prévenues ?

M. Christian Noyer a apporté les réponses suivantes :

– La Banque de France n’a pris aucune part dans la décision de débouclage, qui est apparue comme raisonnable aux quatre personnes dans la confidence. La décision de laisser faire – tout en surveillant l’opération – s’explique par le fait qu’une position de 50 milliards, pour une banque dont les fonds propres sont de 35 milliards, est mortelle. Il est facile, après coup, de dire que le débouclage a été effectué pendant les trois jours les pires, mais, face à une situation impensable, l’état-major de la banque n’avait pas le choix. Il a d’ailleurs opéré de façon très professionnelle, réussissant l’opération en trois jours, sans jamais atteindre les limites d’emprise sur les marchés.

– Cette opération, comme l’indique Mme Lagarde, n’a rien à voir avec la chute des marchés. Celle-ci est liée très étroitement à la crise des rehausseurs de crédits, lesquels ne sauraient d’ailleurs développer des relations endogamiques avec des banques, ce qui n’aurait aucun sens économique et financier.

M. Jérôme Chartier, revenant sur le débouclage, a alors fait remarquer qu’entre le samedi 19 et le mercredi 23, onze à douze millions de titres Société Générale ont changé de main, soit le double de l’activité normale.

M. Christian Noyer a répondu qu’il ne dispose pas d’informations à cet égard, car il s’agit de l’un des points sur lesquels l’AMF mène une enquête.

Le gouverneur a ensuite donné les précisions suivantes :

– La baisse des taux d’intérêt décidée par la FED est liée au jugement de celle-ci sur la situation de l’économie américaine et non à ce qui s’est passé sur les marchés ces jours-là. C'est le lundi, jour de fermeture des marchés américains, que le mouvement est venu d’Asie, après la dégradation intervenue le vendredi soir de deux rehausseurs de crédits importants. Faute de pouvoir clore en Asie des positions et ne pouvant se reporter sur New York, des opérateurs se sont alors reportés sur l’Europe. De toute façon, pour un établissement qui savait ne pouvoir reculer que jusqu’au jeudi l’information financière qu’il devait au marché, il était obligatoire de déboucler le plus possible auparavant. Sinon, la connaissance de la situation de vulnérabilité de la Société Générale aurait fait courir trois risques considérables : la prise de position d’opérateurs de marché face à elle ; la méfiance des établissements opérant sur le marché monétaire, ce qui aurait entraîné une crise de liquidités ; l’affolement de l’opinion publique.

– Juridiquement, le gouverneur de la Banque de France a le droit d’informer les autres superviseurs français et étrangers et le Gouvernement. S’il a donc toute latitude en la matière, il a cependant toujours considéré qu’il lui fallait informer ce dernier en amont de toute information publique, même si, en l’occurrence, rien d’autre ne pouvait être fait que de surveiller l’opération de débouclage. Il se félicite à cet égard que Mme Lagarde ait elle-même suggéré de réfléchir aux modalités de gestion de l’information envers l’exécutif. En tout cas, le raisonnement appliqué en l’espèce vis-à-vis du Gouvernement a été le même que vis-à-vis des superviseurs étrangers, qui ont été informés plus tard. Le gouverneur a effet considéré, sans que cela puisse être compris comme de la défiance, que l’information, si elle était utile et nécessaire pour la FED avant l’annonce publique et l’ouverture des marchés, pouvait ne lui être communiquée que le mercredi soir.

– S’agissant du niveau des fonds propres, le grand avantage de Bâle II est de ne plus avoir à fixer un même niveau pour toutes les banques, c’est-à-dire 4 % de fonds propres durs et 8 % de fonds propres, y compris les éléments annexés. Aujourd’hui, ce niveau peut être adapté pour chaque banque en fonction de son profil de risques. Ainsi la commission bancaire exige des grandes banques françaises 7 à 8 % de fonds propres durs, ce qui est d’ailleurs respecté. La Société Générale a encore pour objectif de se hisser à 8 % de façon à acquérir une crédibilité supplémentaire ; telle est, pour le coup, la recommandation qui a été faite au président de la banque de façon à tranquilliser ses contreparties et ses clients.

– L’affaire n’a pas de conséquence sur les activités de la Société Générale de manière globale, et sur l’offre du crédit en particulier, l’information au public ayant été apportée une fois le problème réglé.

– La crise des subprimes, pour laquelle le gouverneur a pu, à l’époque, être rassurant, est typiquement une crise de système. C’est ainsi que les défauts apparus dans la chaîne des intervenants font l’objet d’études au niveau international, notamment au sein du forum de stabilité financière mis en place par le G7. Or la caractéristique d’une crise systémique est d’évoluer chaque jour. Il est donc normal que les banques aient déclaré fin septembre une certaine exposition aux risques qui est différente fin janvier.

– Plutôt que d’absence de rôle du gouverneur, il convient de parler de volonté de sa part de ne pas s’opposer. Si l’opération lui était apparue comme contraire à une règle ou comme une très mauvaise idée, il aurait certainement été écouté. En l’occurrence, il n’a pris aucune part dans la décision prise, qui est revenue tout à fait normalement à la banque.

– La séparation des structures juridiques ne changerait pas grand-chose : d’une part, le niveau des risques reste de toute façon le même puisque ce sont les risques consolidés d’un groupe qui sont examinés ; d’autre part, si la spécialisation en entités juridiques peut être un facteur de clarté, elle peut également être un facteur de complexité. Une réflexion sera cependant menée sur ce point.

– La situation des rehausseurs de crédits est l’un des points clé de l’aggravation de la crise, et une solution de sauvetage ou de renforcement répondant à tous les critères de sécurité et de fiabilité doit être trouvée les concernant.

– Si la somme d’erreurs a été importante en la circonstance, on ne peut pour autant parler de système. L’enquête montrera si, au sein de la Société Générale, certains contrôles ont été effectués systématiquement de manière trop brève, mais ce qui s’est passé ressemble plutôt au scénario de l’horreur. Toutes les précautions n’ont peut-être pas été prises, mais plus par absence de volonté de prendre des mesures que pour une autre raison. Un même risque ne devrait pas exister dans d’autres banques, mais toutes procèdent certainement à un examen en ce sens.

– La solidité du système bancaire paraît parfaitement assurée, mais cette affaire invraisemblable montre tout de même l’utilité de disposer de banques bien capitalisées et profitables, puisque le coût de la fraude reste dans les limites du bénéfice d’une année. De ce point de vue au moins, le système a montré sa solidité : outre que les fonds propres sont de qualité, le niveau de contrôle des risques, même s’il n'est pas parfait, est assez performant.

Mme Danièle Nouy a répondu, à propos de l’échange d’informations, que la commission bancaire coopère d’une manière totale avec la brigade financière.

M. Christian Noyer a fait observer, s’agissant du moment auquel JP Morgan et Morgan Stanley ont été sollicitées, que la décision étant revenue à la Société Générale, il ne pouvait apporter de précision en la matière.

Mme Danièle Nouy a indiqué que des contrôles avaient été effectués dans les autres banques françaises à l’annonce de la fraude, en étendant le mandat des équipes d’inspecteurs déjà sur place. Dans les autres banques où de telles équipes ne travaillaient pas, ces contrôles seront réalisés très prochainement.

La commission bancaire a la possibilité de lancer des enquêtes au Luxembourg comme dans toute l’Europe et au-delà. Si la dernière enquête menée au Grand-Duché remonte à 2005, c’est parce que les activités des banques françaises y concernent surtout la gestion d’actifs, ce qui n’a pas été considéré ces dernières années comme l’une des priorités en matière de risques.

Quant au contrôle interne de suivi des risques de marché, il a eu trop tendance à reposer sur les montants nets et non pas sur les notionnels et les montants bruts, critères pourtant extrêmement pertinents pour le risque opérationnel. Il conviendra d’insister sur cette pertinence.

Pour ce qui est, enfin, de la rémunération des contrôleurs dans le service public, si elle n'est pas du niveau des traders, elle ne diminue en rien leur motivation.

M. Christian Eckert a demandé si l’on pouvait quantifier les contrôleurs qui quittaient la Commission bancaire pour passer de l’autre côté de la barrière.

M. Christian Noyer a indiqué que si cela est rare, de tels changements ont pu survenir. Cependant, les parcours de formation sont tels, y compris avec les échanges avec l’étranger, que les contrôleurs disposent des mêmes atouts que les personnes contrôlées.

Pour ce qui est des précautions prises en matière d’information dans cette affaire, le principe de base est le secret professionnel, qui peut cependant être levé vis-à-vis de certaines autorités, dont les superviseurs français et étrangers et le ministre des Finances, lorsque l’information est jugée pertinente et utile, ce qui laisse un élément d’appréciation.

M. Hervé Mariton a souhaité savoir si cela signifie que le ministre des Finances n’est habilité à n’évoquer le sujet avec aucune autre autorité publique.

M. Christian Noyer a répondu qu’il avait eu l’occasion de parler d’affaires du même type au Premier ministre, au Président de la République et au directeur du Trésor et qu’il n’avait donc pas de problème en la matière.

S’agissant de savoir à quelles conditions d’insertion organique ou hiérarchique les comités d’audit devraient obéir, il a indiqué être prêt à réfléchir à la question, à fin de déterminer à quel niveau de précision la loi ou le décret doivent parvenir.

M. Henri Emmanuelli a demandé pourquoi les alertes extérieures n’ont rencontré aucun écho.

M. Christian Noyer a répondu qu’il s’agissait de l’un des points les plus difficilement compréhensibles de l’affaire. Selon la Société Générale, la question posée par Eurex à la filiale responsable de la compensation a pourtant été transmise au trader, qui a dû fournir des informations.

Le Président Didier Migaud ayant souligné que le conditionnel n’était donc plus de mise en la matière puisque Eurex a interrogé la Société Générale, M. Christian Noyer a précisé qu’il ne pourra répondre avec exactitude sur ce point que lorsque l’enquête aura abouti.

Mme Danièle Nouy a précisé que cette information ne lui avait pas été communiquée.

Le Président Didier Migaud a alors fait remarquer que l’information des superviseurs est l’une des pistes qu’il faut justement peut-être explorer.

M. Christian Noyer a rappelé que le devoir d’alerte était un principe que le législateur pourrait poser.

M. Pierre-Alain Muet est revenu sur la question de savoir comment une banque pouvait prendre des positions spéculatives supérieures à ses fonds propres sans qu’aucun marché ne l’informe.

M. Christian Noyer a estimé que les positions ont pu, en interne, être masquées par des positions fictives et, en externe, être mises, chaque fois que possible, en face d’opérations réelles assumées par la banque. Comment cela a-t-il été possible et quelles précautions convient-il de faire prendre par tous les établissements pour être sûr que cela ne se reproduise pas ? Telles sont les questions fondamentales auxquelles l’enquête devra répondre.

M. Christian Eckert a souhaité savoir quel délai sera nécessaire pour obtenir ces réponses et quel sera le degré de diffusion des résultats de l’enquête.

M. Christian Noyer a indiqué que, s'il est prêt à faire part à la Commission des enseignements à tirer de l’enquête, le contenu de celle-ci est soumis à la procédure quasi juridictionnelle de la commission bancaire dont il ne pourrait être fait état que dans certaines conditions juridiques à examiner avec le Président de la commission des Finances.

Pour ce qui est de la durée de l’enquête, Mme Danièle Nouy a indiqué qu’une durée de deux mois était raisonnable, mais que si l’on veut aller au fond des choses, par exemple en se rendant dans chacune des filiales de la Société Générale ayant pu être utilisées pour dissimuler les positions fictives, l’enquête peut être plus longue.

Le Président Didier Migaud a remercié M. Christian Noyer et Mme Danièle Nouy.

——fpfp——

4.– Mardi 20 février 2008, séance de 11 heures, compte rendu n° 64

–   Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Prada, président de l’Autorité des marchés financiers, et de M. Gérard Rameix, secrétaire général de l’AMF sur les dispositifs de contrôle bancaire et sur la régulation des systèmes financiers

Le Président Didier Migaud a accueilli M. Michel Prada, Président de l’Autorité des marchés financiers (AMF), et M. Gérard Rameix, secrétaire général de l’AMF. Puis il rappelle que M. Prada participe aux travaux du Forum de stabilité financière – instance commune de concertation et de coordination des représentants des pays du G7 et de toutes les instances ayant à connaître de la stabilité financière – et préside l’un de ses comités spécialisés à vocation prudentielle : l’organisation internationale des commissions de valeurs (OICV), qui intervient en matière de normalisation des règles de surveillance des marchés.

À l’occasion d’une audition précédente, en octobre 2007, M. Prada avait estimé que la crise financière apparue durant l’été 2007 aux États-Unis était d’un type nouveau puisqu’elle résultait, d’une part, d’un vaste mouvement de désintermédiation intervenu dans un contexte de très forte liquidité, de faible aversion pour le risque et de taux d’intérêt relativement bas, et, d’autre part, d’une très grande innovation en matière de produits financiers. La désintermédiation pose le problème de la transparence financière. M. Prada avait également relevé la grande difficulté à mesurer le risque inhérent à des produits structurés et, en conséquence, la nécessité d’engager une réflexion sur l’élaboration des notations par les agences. Enfin, à propos de la responsabilité des régulateurs dans la diffusion de l’information sur les risques, M. Prada avait indiqué que les régulateurs naviguent entre deux écueils : être peu entendus, l’avertissement restant alors sans effet, ou être mal entendus, avec le risque d’un impact disproportionné de la communication.

Toujours est-il que la crise perdure, qu’elle s’est même quelque peu amplifiée et que ses effets sur l’économie réelle sont avérés. La commission des Finances s’intéresse aux difficultés que traverse la Société générale. Les pertes consécutives à la crise des subprimes illustrent l’importance de la crise ; celles imputables aux opérations d’un trader ne sont pas sans lien avec la complexité de marchés pas toujours sous contrôle. Toutefois, les travaux de la Commission ne se focalisent pas sur la Société générale. Elle poursuit sa réflexion engagée dès octobre 2007 afin de mieux comprendre cette crise, de mieux en cerner les causes, les effets et les remèdes possibles. À cet égard, la question des mécanismes de contrôle internes et externes est cruciale.

La Cour des comptes recommande que le président de l’AMF siège à la Commission bancaire. Serait-ce opportun ? Comment l’AMF apprécie-t-elle les défaillances des contrôles internes ? Comment faire pour rendre ces derniers plus efficaces ? Comment l’AMF peut-elle contribuer à la réflexion sur l’amélioration des contrôles externes, au plan français comme au plan européen et au plan mondial ? Sur quelles perspectives de réformes l’AMF travaille-t-elle ?

M. Michel Prada a souligné que, dans l’affaire de la Société générale, l’AMF a aujourd’hui deux actions : conduire une enquête afin de vérifier les conditions dans lesquelles la banque a dispensé les informations financières au cours de la période précédant les événements ; examiner si des manquements d’initiés ont pu se produire. C’est le secrétaire général qui est chargé d’ouvrir et de superviser ce type d’enquêtes. L’opération sera assez longue car les sujets sont complexes. L’AMF est également engagée dans le suivi du déroulement de l’opération d’augmentation de capital, qui démarre le 21 février. Quant aux problèmes plus techniques d’organisation des contrôles et de vérification des conditions dans lesquelles cet accident gravissime s’est produit, ils relèvent plutôt de la compétence de la Commission bancaire.

La crise des subprimes n’est malheureusement pas terminée.

Au plan domestique, l’intervention de l’AMF a été limitée par le tour pris par la crise. Au départ, il s’agissait d’une crise de la titrisation, qui aurait par conséquent pu frapper le monde des investisseurs actifs sur les produits titrisés, mais, au cours de l’hiver, elle s’est progressivement transformée en une crise de liquidité et en une crise bancaire. Au début de la crise, l’AMF s’est interrogée sur la manière dont il conviendrait de surveiller les opérations si devaient se développer des problèmes de valorisation des fonds ou de demandes de rachats massifs dans le secteur de la gestion d’actifs pour compte de tiers dont elle a la charge. L’AMF a alors été amenée à traiter avec trois établissements, et deux principes très clairs ont été posés : les sociétés de gestion doivent prendre leurs responsabilités, en fonction de l’intérêt exclusif de leurs clients ; les sociétés de gestion doivent garantir l’égalité de traitement entre leurs clients.

Puis, les grands opérateurs ont repris les risques dans leurs livres, soit pour soutenir les conduits ou les Structured Investments Vehicles – SIV – qui constituaient les vecteurs d’opérations de titrisation qu’ils avaient eux-mêmes conduites, soit dans une optique réputationnelle, pour protéger leur « marque ». La crise est donc devenue bancaire. Les banques centrales sont intervenues de la manière la plus déterminante en fournissant des liquidités, alors que le marché était gelé, en raison de la perte de confiance des opérateurs et surtout de la volonté des banques de conserver leurs liquidités en vue de faire face à leurs obligations. Les superviseurs bancaires regardent dorénavant de très près les conditions dans lesquelles les banques font face à ces risques et les provisionnent.

L’AMF est très attentive à cette question, compte tenu de sa mission, qui consiste non pas à surveiller les banques mais à surveiller la qualité de l’information financière donnée au marché. Il lui incombe de déterminer si les établissements financiers cotés sont transparents sur leurs risques et les provisions correspondantes. Les règles applicables en la matière sont extrêmement précises. Le régulateur bancaire exerce sa mission en temps réel. L’AMF s’appuie sur les prises de responsabilité des établissements et sur le rôle du régulateur bancaire, mais cela ne signifie pas qu’elle se dispense d’examiner la façon dont l’information est délivrée : les banques cotées, qui font appel public à l’épargne, doivent donner au marché des informations ponctuelles et claires.

La difficulté de l’exercice tient à la complexité des conditions de valorisation des instruments. Avec des instruments simples, il peut être relativement aisé de mesurer ab initio le volume de provisionnement à mettre en œuvre. Avec des instruments complexes, la valorisation évolue dans le temps. C’est ainsi que, en cas de crise, des établissements bancaires, trimestre après trimestre, peuvent être conduits à prendre des décisions successives en fonction de l’évolution du marché. L’AMF examine cela de très près ; les banques savent qu’elle le fera, le moment venu, de manière plus précise encore et elles doivent faire preuve de la plus grande vigilance. En outre, indépendamment du phénomène du temps qui passe, les problèmes de doctrine ne sont pas simples puisqu’il est possible de retenir trois valeurs différentes : la valeur du marché lorsque celui-ci est actif, la valeur de modèle et la valeur « à la casse », qui peut tomber extrêmement bas, lorsque l’on est obligé de vendre. L’arbitrage entre ces trois valeurs est un sujet qui n’est pas simple, sur lequel toutes les autorités travaillent en étroite connexion avec les représentants de l’industrie financière et les commissaires aux comptes.

Au plan international, la réflexion a été plus intense à l’échelle mondiale qu’à l’échelle européenne. Le Forum de stabilité financière qui, d’une certaine façon, joue le rôle de secrétariat général du G7 et de chef d’orchestre des grands organismes de régulation, distribue le travail. Deux grandes séries de travaux sont en cours : ceux concernant les régulateurs bancaires, relatifs à la pertinence des accords de Bâle II, par lesquels le dispositif prudentiel applicable aux banques a été rénové ; ceux concernant les régulateurs de marché. Sur ce second point, l’AMF réfléchit à quatre sujets.

Le premier est celui de la transparence. Une partie des difficultés rencontrées sur les marchés au cours des derniers mois provient de l’extrême complexité des produits et de l’insuffisante information dont on disposait quant à la nature de ces produits, leurs détenteurs et les conditions dans lesquelles ils étaient négociés. Il y a eu une grande méconnaissance de ce qui est survenu, à la limite du secteur régulé de la banque et du secteur traditionnel des marchés réglementés : il faut, dans cette zone, accroître la transparence pour les investisseurs, qui, ne disposant pas d’outils suffisants, ont pris le risque de s’appuyer sur les seuls avis des agences de rating.

Le deuxième sujet est celui des techniques de gestion des risques qui sont mises en œuvre par les investisseurs et de leur capacité à mieux mesurer les risques.

Le troisième sujet est de nature comptable : on a été surpris de constater, après l’affaire Enron, la facilité avec laquelle il a été possible de mettre hors bilan des masses considérables. Les règles comptables actuelles sont à préciser.

Quatrièmement, les agences de rating ont été défaillantes. Même si elles ne doivent pas être prises comme boucs émissaires, elles portent indiscutablement une part de responsabilité. L’OICV dispose d’une task force qui travaille depuis 2003 sur le thème des agences, pour essayer de leur faire appliquer un nouveau code de conduite. Celui édicté en 2003 concernait la notation classique des agences, celle portant sur les entreprises, la notation corporate. À l’époque, il n’avait pas été prévu de traiter la notation des produits structurés, qui s’est développée par la suite. L’AMF a été probablement l’un des premiers organismes à identifier le problème, dès 2006, et ses analyses, publiées en 2007, restent parmi les plus achevées sur le sujet.

Il convient de se pencher sur les principales défaillances auxquelles les marchés ont été confrontés. Il s’agit de problèmes de méthodologie et de signification de la notation. Les agences se défendent d’avoir délivré des notes sur la volatilité et la liquidité des produits ; mais c’est malheureusement ce que les investisseurs avaient compris. Les agences se focalisent sur les probabilités de remboursement au terme, sans s’intéresser à la volatilité ni à des événements exceptionnels. Elles s’intéressent à des moyennes et pas aux distributions, et notamment pas aux situations de « stress ». En outre, des conflits d’intérêt peuvent exister car les agences et les émetteurs de produits entretiennent des relations commerciales étroites, différentes de celles qui existent en matière de notation corporate.

D’autres sujets délicats tiennent au fait que le champ de la régulation n’est pas identique dans tous les pays. Ainsi, aux États-Unis, certaines activités financières échappent à la régulation ou font l’objet d’une régulation très superficielle, ce qui peut provoquer des déséquilibres beaucoup plus importants que prévus. C’est ce qui s’est passé avec les subprimes, qui constituaient à l’origine un segment très modeste du financement hypothécaire américain, avant de devenir rapidement l’objet de spéculations contaminant l’ensemble du système.

L’OICV envisage de délivrer ses travaux dans le courant du semestre. Le Forum de la stabilité financière compte faire son rapport au G7 lors de sa réunion d’avril 2008, qui se tiendra à Washington. Des chantiers dureront plus longtemps, notamment ceux du comité de Bâle II.

En ce qui concerne la situation française, depuis le début de la crise, la coopération entre le régulateur bancaire et le régulateur de marché a été excellente. Ces sujets sont extraordinairement compliqués et les conclusions ne doivent pas être tirées trop hâtivement. Cette première grande crise de la titrisation ne signifie pas que la titrisation est intrinsèquement condamnable. Elle établit un pont entre un système économique essentiellement intermédié et un système économique essentiellement de marché. Elle présente de grands mérites pour optimiser la gestion des établissements financiers, répartir les risques et élargir la base des fonds propres à partir desquels financer une économie, mais cela suppose la mise en place d’outils de connaissance et de contrôle, tout au long de la chaîne.

À la question de savoir s’il est préférable que la régulation financière soit le fait d’organismes totalement intégrés, comme en Grande-Bretagne, avec le Financial Services Authority, ou de régulateurs centrés sur des missions plus particulières, M. Michel Prada se prononce résolument en faveur de la seconde option, pour deux raisons principales. Premièrement, la régulation prudentielle des intermédiaires est un métier spécifique qui ne s’étend pas à l’ensemble du marché et de ses opérateurs. Deuxièmement, l’un des mérites du système français est d’organiser aussi bien à l’AMF que chez les superviseurs bancaires ou assurantiels, la collégialité, c’est-à-dire la prise de décision par des personnalités indépendantes apportant des expertises diverses. Dans un marché de taille importante, ce dispositif ne pourrait pas fonctionner s’il concernait tous les secteurs. Les événements récents confortent plutôt le bien-fondé du dispositif français.

Au niveau européen, le problème qui se pose actuellement est celui de la mise à niveau du dispositif en vigueur par rapport à la situation après réalisation du plan d’action des services financiers. Les régulateurs européens ont pris l’initiative en 1997 de s’organiser en club très tôt. Ils étaient donc un peu en avance sur le processus législatif d’intégration conduit par la Commission européenne. Ils ont même pu se mettre au service de ce dispositif en se transformant en Comité européen des régulateurs de marché de valeurs mobilières CERVM et en devenant le principal conseiller de la Commission européenne sur ce sujet. La Commission européenne, avec le Parlement et le Conseil, en trois ou quatre ans seulement, a construit un système législatif harmonisé. Mais le CERVM est au même stade qu’au début du processus : c’est une association loi de 1901 dépourvue de pouvoir à proprement parler, de place juridique dans les institutions européennes. Il est souhaitable qu’il devienne la tête de réseau des régulateurs européens, capable de leur donner des standards communs, de vérifier qu’ils les appliquent de la même manière, d’améliorer leur coopération, de leur fournir des services d’intérêt commun, bref, de constituer la holding du réseau de régulateurs. Cela passe par un renforcement significatif du rôle de ce « comité de niveau 3 », pour reprendre la formule d’Alexandre Lamfalussy. Toutefois, un certain nombre de partenaires de la France n’ont pas la même vision. Il reviendra à la présidence française, au second semestre 2008, d’être le vecteur de nouveaux progrès dans ce domaine.

Le Président Didier Migaud a réitéré sa question sur l’utilité de faire siéger le président de l’AMF à la Commission bancaire.

M. Michel Prada s’est déclaré très favorable au principe d’une représentation croisée. Le gouverneur de la Banque de France est représenté au collège de l’AMF et le président de l’AMF siège au Comité des établissements de crédit et des entreprises d’investissements – CECEI –. Toutefois, la Commission bancaire a une fonction de sanction à côté d’une fonction de réglementation, de surveillance et de normalisation. Une coopération plus étroite entre l’AMF et la Commission bancaire sur ce second aspect pourrait être envisagée mais, s’agissant de la fonction répressive, cela semble moins évident. Les modalités pratiques d’une telle représentation croisée appellent donc une analyse plus fine.

À propos de la Société générale, M. Gilles Carrez, Rapporteur général, s’est étonné qu’un seul trader ait pu exposer 50 milliards d’euros sur les marchés. Comment se fait-il qu’un tel montage de couvertures fictives ne laisse pas de trace repérable par les autorités de marché ?

Dans les trois jours au cours desquels les positions de la Société générale ont été débouclées, jusqu’à quel point l’AMF a-t-elle été informée de la situation ?

Lors d’une audition précédente, en octobre, la commission avait recueilli des déclarations rassurantes sur l’issue de la crise, émanant en particulier de M. Prada.

Aujourd’hui, les établissements financiers ont-ils, non pas seulement une évaluation, mais une connaissance de l’ensemble des risques qu’ils portent au travers des chaînes complexes de produits structurés et de titrisation ?

Enfin, l’AMF doit protéger les investisseurs les plus vulnérables. Les deux régulateurs sont complètement imbriqués et se doivent de coordonner leur travail. Quels sont les moyens d’une meilleure coopération ?

Le Président Didier Migaud a estimé qu’il conviendrait de prévoir un dispositif d’alerte obligatoire des autorités de régulation lorsqu’une banque ou un opérateur décèle des comportements anormaux.

M. Michel Prada a considéré que la commission bancaire serait mieux à même de répondre sur la question de l’efficacité des contrôles mis en œuvre à la Société générale. Il rappelle que ces opérations ont été effectuées pour l’essentiel sur deux marchés réglementés étrangers : Eurex, à Francfort pour 80 %, et Liffe, à Londres pour le reste. Au cours de la période, l’AMF n’a jamais été informée d’une difficulté sur l’un ou l’autre de ces deux marchés. Lorsque les événements se sont déroulés, des contacts ont été pris avec l’autorité de régulation allemande, la BaFin, et il en ressort qu’aucune mise en cause particulière n’a été signalée, même si Eurex, courant novembre, a, semble-t-il, interrogé la Société générale sur une transaction. Il ne faut pas se focaliser sur les volumes notionnels car, compte tenu du fonctionnement même de ces marchés, les montants exposés peuvent être considérables. Les enjeux du marché portent sur les différences.

Ce n’est donc pas une anomalie en soi que la Société générale ait pris des positions pour des montants aussi importants sur des dérivés d’Eurex ou du Liffe. Ce qui est grave c’est que ces positions, en l’absence de toute couverture, aient entraîné une exposition considérable et purement spéculative. Mais, pour l’avenir, il importe sans doute de réfléchir à nouveau aux modalités de communication de l’information avec les entreprises de marché et les régulateurs étrangers.

En tout cas, sur la période incriminée, les entreprises de marché concernées n’ont pas fait part à l’AMF de comportements anormaux. L’enquête déterminera si des informations lui ont échappé.

Le secrétaire général et le président de l’AMF ont été informés le dimanche dans l’après-midi, c’est-à-dire en même temps que le gouverneur de la Banque de France, de la découverte par la Société générale d’une position importante qui la conduirait à ne pas communiquer comme prévu, le lundi matin, à propos du provisionnement des subprimes. L’AMF a alors décidé sans aucune hésitation d’appliquer la règle prévue dans la directive « abus de marché » comme dans le règlement général de l’AMF, permettant à un émetteur, pour des raisons stratégiques, de différer la publication d’une information, dès lors qu’il en conserve le secret absolu, qu’il prend les mesures adéquates pour faire face à ses difficultés et qu’il se conforme aux règles de marché.

Au départ, l’AMF connaissait l’importance de la position mais non l’issue de l’opération, qui s’est déroulée sur trois jours. Il incombait alors à la Société générale, d’une part, de déboucler ses positions dans le respect des règles et, d’autre part, de gérer son opération d’augmentation de capital avec ses contreparties. Entre le dimanche soir et le jeudi matin, dans des circonstances de crise aussi graves, les choses se sont passées aussi bien que possible ; si la situation avait été gérée différemment, elle aurait pu avoir un impact systémique majeur. À l’AMF, deux personnes ont porté le secret. La relation de l’AMF avec le régulateur bancaire, la Banque de France, a été optimale.

M. Michel Prada croit se souvenir avoir déclaré, lors de son audition d’octobre 2007, que les banques françaises étaient robustes et plutôt moins exposées à ce type de risques que les autres grandes banques des pays développés, ce qui se confirme au vu des provisionnements annoncés par les établissements financiers. En octobre, on pouvait estimer que la crise se cantonnerait aux subprimes ; l’ensemble du dispositif a malheureusement été contaminé. Les autorités de marché sont généralement prudentes dans leurs annonces et s’efforcent de gérer les problèmes au fur et à mesure de leur apparition. Aujourd’hui, il existe de nouveaux risques. Le premier est celui des monolines, institutions d’assurances américaines, régulées par les autorités américaines, dotées de fonds propres relativement limités et qui ont la capacité de rehausser la valeur des produits notés par les agences de rating. Le risque existe.

Celles qui sont bien capitalisées tiennent le coup. Il faut savoir que ces établissements assurent deux types de papiers : des papiers municipaux, réputés de qualité correcte, et des papiers de titrisation quelconques, dont la qualité est sans doute inégale. D’après les Échos, les trois grands monolines – ou rehausseurs – représenteraient 2 400 milliards de municipal bonds et 2 000 milliards de produits titrisés. La période est donc extrêmement sensible et dangereuse, à tel point qu’il est difficile de porter un jugement serein. Il ne faut cependant pas non plus ajouter à l’inquiétude. Les banquiers centraux ont réagi avec vigueur et rapidité pour apporter aux marchés les liquidités nécessaires et ils semblent déterminés à poursuivre dans cette voie.

Par ailleurs, l’économie mondiale présente des éléments de robustesse. Les marchés d’actions ont décoté mais résistent. Hormis le secteur financier, les entreprises obtiennent des résultats remarquables et se désendettent. La croissance reste soutenue dans les pays de l’Est et en Asie. Cela dit, l’AMF n’a pas une connaissance exhaustive des risques qui restent liés aux évolutions des performances de l’économie et au succès des mesures de redressement prises par les autorités américaines et européennes. Il est urgent d’améliorer le système de connaissance, ce que les Américains ont commencé à le faire avec le warehouse, l’entrepôt, construit par la Federal Reserve (Fed) et le Depository Trust & Clearing Corporation – DTCC – pour enregistrer les dérivés. Les Européens devraient prendre des initiatives de même nature, sans oublier la summa divisio, entre les marchés réglementés d’une part, bien connus et surveillés, et l’énorme marché Over The Counter – OTC –, de gré à gré, entre opérateurs professionnels, qui appelle sans doute une implication plus forte des régulateurs.

Quant à la coopération entre régulateurs, elle constitue un sujet délicat. La posture du régulateur prudentiel, qui pose les règles de fond, est différente de celle du régulateur de marché, qui a vocation à garantir la transmission la plus rapide possible de l’information au marché. Les conditions dans lesquelles le premier et le second travaillent sont complexes. Cette difficulté peut être réglée en fusionnant les deux organismes, mais elle réapparaît alors en interne – c’est le cas à la BaFin ou à la Financial Services Authority – FSA – anglaise, dont une partie du personnel s’occupe du prudentiel et l’autre partie de l’information. Le maintien d’une régulation prudentielle et d’une régulation de marché distinctes est souhaitable mais leur coopération doit alors être très étroite. Ensuite, il n’existe pas de solution technique toute faite : c’est aux hommes d’assumer leurs responsabilités face aux situations de crise. Quoi qu’il en soit, la représentation institutionnelle réciproque et la coopération technique sont hautement souhaitables.

En ce qui concerne les dispositifs d’alerte, la réglementation prévoit d’ores et déjà que les entreprises de marché doivent prévenir les autorités lorsque survient un tel événement. Les dispositifs réglementaires doivent être revisités mais ils s’avèrent relativement opérationnels. La principale difficulté, c’est que les opérateurs eux-mêmes peuvent avoir des doutes sur la gravité d’une situation. Face au nombre considérable de transactions, il peut leur arriver de ne pas saisir qu’une information sur telle ou telle opération serait utile aux régulateurs et mériterait de leur être communiquée. L’AMF est très bien informée de ce qui se passe, en France, sur le marché réglementé. Elle travaille pratiquement en temps réel et identifie des anomalies grâce à des algorithmes complexes, suscitant des enquêtes diligentées par le secrétaire général. L’information de l’AMF sur les autres marchés est assez faible – alors que leur mise en réseau va sans doute se développer avec l’entrée en vigueur de la directive sur les services d’investissements –.

M. Jean-Pierre Balligand a estimé que la commission des Finances se doit de réfléchir à l’évolution du métier bancaire, qui s’est profondément transformé. Il y a quinze ans, le risque était porté par les banques ; avec la titrisation, il a été externalisé et dispersé dans des filiales non bancarisées. La crise est d’abord du ressort des autorités bancaires, mais a affecté aussi les marchés. Des décisions doivent absolument être prises au niveau national, au niveau européen et au niveau international. Il a rappelé que les prises de position des économistes Michel Aglietta et Henri Bourguinat au cours de l’audition du mois d’octobre se sont révélées très pertinentes. La crise bancaire, qui cache une vraie crise du crédit, ne s’est pas arrêtée, à l’instar du nuage de Tchernobyl, aux frontières de la France. Lorsque les banques centrales injectent 400 milliards de dollars de liquidités, la crise est évidente.

Quelle est désormais l’ampleur réelle du phénomène, qui pourrait concerner, au-delà des subprimes, les crédits à la consommation et les cartes de crédit ? Les régulateurs n’ont-ils pas pour rôle d’alerter sur les risques, de les identifier et de sécuriser les marchés ?

Avec la généralisation de la titrisation et la sophistication des produits, n’est-il pas nécessaire de mettre sur pied un vrai dispositif de régulation, voire de mutualisation ? À quel niveau ?

Enfin, L’AMF a-t-elle été alertée par Eurex, concernant les prises de position de la Société générale ?

M. Michel Prada a répondu que l’AMF a appris que l’Eurex, courant novembre, avait posé une question à la Société générale, sans que son comportement appelle d’observations particulières de la part de la BaFin. L’enquête reviendra sur ce qui a conduit Eurex à poser cette question et les conditions dans lesquelles la réponse de la Société générale a été élaborée.

M. Gérard Rameix a confirmé que le débouclage des 50 milliards d’euros de positions notionnelles n’a pas suscité d’inquiétudes chez les régulateurs des deux marchés concernés, Liffe et Eurex : durant ces trois jours, la Société générale semble être intervenue de façon très professionnelle.

L’AMF a appris, fin janvier, que le service de surveillance d’Eurex, en octobre et en novembre, avait écrit directement à la Société générale. Ni la BaFin ni l’AMF n’ont été mises au courant. L’expertise de ces échanges, entre la cellule spécialisée de surveillance du marché Eurex et le service de conformité de la Société générale, relève de la compétence de la Commission bancaire. En tout cas, deux courriers ont été échangés. Il semble que, même si le comportement du trader a été pointé du doigt, les réponses qu’il a pu donner à son propre service de contrôle ont été jugées satisfaisantes. Cela montrerait que la lisibilité des activités d’un trader peut être brouillée par sa simulation, qui aurait déjoué les moyens de contrôle disponibles.

M. Louis Giscard d’Estaing a demandé si l’AMF aurait pu identifier le problème dans l’hypothèse où les 50 milliards d’euros de volumes notionnels avaient été engagés non pas sur les marchés allemand et britannique mais sur le marché français.

Serait-il concevable de mettre sur pied un système de traçabilité des produits financiers structurés, afin de mesurer la part adossée à des crédits à risques de type subprimes ?

En réponse aux différentes questions, M. Michel Prada a jugé parfaitement juste l’analyse de Michel Aglietta et Henri Bourguinat, de leur point de vue de macroéconomistes. Il est néanmoins extrêmement délicat pour les régulateurs de se prononcer, au fur et à mesure que les événements se produisent, sur le bien-fondé des évolutions économiques résultant des stratégies des États et des entreprises. Ces dernières années, les échanges mondiaux se sont profondément déséquilibrés et des réserves phénoménales ont été accumulées par un certain nombre de très gros acteurs asiatiques ; ces liquidités, au lieu d’être réinvesties sur place, se sont retrouvées aux États-unis, sur des produits à risques, afin de dégager des rendements supérieurs aux taux d’intérêt sans risque, très bas. Ce phénomène a du reste entretenu une croissance presque ininterrompue et riche en emploi pendant quinze ans. M. Aglietta a probablement été l’un des premiers à analyser ce grand déséquilibre et les autorités politiques et monétaires françaises ont été de celles qui soulevaient le problème dans le concert international. Fallait-il arrêter la croissance ? Organiser le protectionnisme ? En tout cas, l’évolution macroéconomique mondiale est à la source des dévoiements constatés aujourd’hui.

La transformation du système appelle en effet une évolution des modes de régulation, afin de maîtriser les activités liant la banque classique et le marché classique. Le contrôle, au départ, est un contrôle bancaire classique : il ne fallait pas laisser ce type de crédits prendre de l’ampleur. Néanmoins, une fois qu’ils se sont développés, la chaîne de titrisation commence, ils sont arrangés en paquets, les agences de rating les notent et des investisseurs les achètent. C’est à ces quatre stades que des contrôles beaucoup plus rigoureux doivent être mis en œuvre. Les agences de notation ont probablement utilisé des taux de défaut résultant de dix années d’existence de subprimes sans problème, sans comprendre que leur explosion allait se traduire par une augmentation très significative des taux de défaut. Elles n’ont pas assez surveillé l’évolution et elles ont réagi tardivement. Que ce serait-il passé si elles avaient commencé à décoter plus tôt ? Personne ne le sait. Un énorme travail technique de standardisation, d’information, de méthode et de mise en réseau des régulateurs est nécessaire pour gérer la chaîne de la titrisation.

Les marchés français de dérivés sont modestes. La France dispose encore d’un marché d’options mais le marché à terme des instruments financiers – MATIF – qui était le grand concurrent d’Eurex, a hélas perdu son leadership des années 80. Si de telles positions étaient prises sur ces marchés, l’AMF les identifierait immédiatement. En revanche, eu égard aux volumes notionnels mobilisés sur les marchés allemand et britannique, il n’est pas certain que l’AMF aurait été en mesure d’identifier une quelconque anomalie. En 2006, le total mondial des volumes notionnels de produits dérivés a été estimé à 20 000 milliards de dollars, une somme sans commune mesure avec les 50 milliards de la position incriminée.

Pour les produits vendus au public, il est possible de fixer des règles de traçabilité ou plutôt d’éligibilité aux fonds de type SICAV ou fonds mutuels. Toutefois, cela ne couvre pas les marchés professionnels. De surcroît, la problématique de l’éligibilité de certains actifs à certains fonds vendus dans le public est rendue très complexe, compte tenu de la concurrence entre places financières, de la concurrence entre concepteurs de produits financiers et des différences de degré du contrôle exercé par les régulateurs. En Europe, les régulateurs britannique, français, allemand, luxembourgeois et autres discutent très âprement, sous l’égide de la Commission, pour déterminer s’il est acceptable, par exemple, de faire entrer 10 % de hedge funds dans des produits vendus au public. Certains n’y voient pas d’inconvénients, considérant que le risque est dispersé et que le public doit avoir accès à ces produits qui rapportent de l’argent. L’AMF, quant à elle, a toujours pris des positions assez prudentes et elle a souvent été battue. Il est donc malaisé d’interdire la commercialisation de certains produits auprès de certaines catégories d’acheteurs dans un marché en voie d’unification, compte tenu des enjeux de technique financière et de compétitivité. A posteriori, il aurait été bienvenu que les subprimes ne puissent être vendus au public…

Le Président Didier Migaud a remercié M. Prada et M. Rameix pour leurs réponses.

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5.– Mercredi 26 mars 2008, séance de 16 heures 15, compte rendu n° 68

–   Réunion de travail sur les opérations de marchés avec M. Charles-Henri Filippi, président de HSBC France, M. Samir Assaf, responsable mondial des marchés HSBC Londres, M. Loïc Bonnat, secrétaire général banque de grande clientèle et marché HSBC France, M. Christophe CHAZOT, responsable mondial des dérives actions HSBC France et M. Didier Marteau, économiste

Après un exposé liminaire de MM. Charles-Henri Filippi, président de HSBC France et Samir Assaf, responsable mondial des marchés HSBC Londres, sur les opérations de salles de marchés, ces derniers ainsi que MM. Loïc Bonnat, secrétaire général banque de grande clientèle et marché HSBC France, Christophe Chazot, responsable mondial des dérivés actions HSBC France et Didier Marteau, économiste, ont répondu aux questions des membres de la commission des Finances sur l’organisation et le fonctionnement des salles de marché, les systèmes de contrôle interne et externe, l’évolution de l’activité bancaire et notamment celle de son activité d’investissement et de financement, ainsi que sur les différents aspects de la crise financière actuelle.

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6.– Mercredi 27 février 2008, séance de 10 heures 30, compte rendu n° 66

–   Audition, ouverte à la presse, de M. Alexandre Lamfalussy, ancien directeur général de la Banque des règlements internationaux et ancien président du Comité des sages sur la régulation des marchés européens des valeurs mobilières, sur la crise financière et bancaire.

Le Président Didier Migaud : Monsieur le Président Lamfalussy, je vous remercie d’avoir bien voulu, en participant à cette réunion, contribuer à l’information et aux débats de notre commission sur les causes et les effets de la crise multiforme que connaît le système financier et bancaire actuellement. Comme vous le savez, nous nous intéressons particulièrement à la question des dispositifs de régulation et de supervision susceptibles d’assurer le respect d’un certain nombre de principes, jugés légitimes par les autorités politiques élues, dans le fonctionnement des économies financières et monétaires désormais mondialisées, dont l’impact sur les économies réelles n’est plus à démontrer.

Après vingt ans d’activité dans le secteur bancaire privé belge, vous avez exercé de nombreuses fonctions de responsabilité dans le secteur institutionnel. Vous avez rejoint, en 1976, la direction de la Banque des règlements internationaux à Bâle et vous en êtes devenu le directeur général en 1985. Vous avez, en 1988-1989, participé au comité Delors chargé de proposer des étapes conduisant à la réalisation de l’Union économique et monétaire. De décembre 1993 à juin 1997, vous avez présidé l’Institut monétaire européen, lequel a été chargé de mettre en place la Banque centrale européenne et de définir les méthodes opérationnelles de la politique monétaire unique. En 2000 et 2001, vous avez présidé le Comité des sages sur la régulation des marchés européens des valeurs mobilières. Les recommandations de ce Comité ont été adoptées par le sommet de Maastricht en 2001. Elles forment ce qu’il est convenu d’appeler le « processus Lamfalussy », qui organise, dans le domaine des services financiers, un cadre original d’adoption et de suivi des textes réglementaires à quatre niveaux. Ce processus va de la définition des principes de la législation communautaire par la Commission et le Parlement européen à leur traduction dans des mesures d’exécution par le comité des régulateurs, celui-ci assurant également la convergence des interprétations dans les États membres, sous le contrôle de la Commission européenne.

Depuis 2001, nous avons assisté à l’accélération de l’intégration des marchés financiers de l’Union, à une spectaculaire innovation dans la conception des produits financiers, au développement des fusions et acquisitions sur une base transnationale. Face à cette interconnexion des marchés, dont la réalité est illustrée par la crise que nous connaissons, les superviseurs nationaux voient leurs efforts de convergence rencontrer assez vite des limites. Le conseil ÉCOFIN du 4 décembre dernier a ouvert la voie à un approfondissement du processus Lamfalussy, qui porterait notamment sur le renforcement des comités de niveau 3, ces comités composés de représentants des organismes de contrôle nationaux dans les secteurs de la banque, des valeurs mobilières et de l’assurance, et qui visent à unifier les interprétations nationales de la législation commune. Leur rôle devrait être renforcé dans le sens d’une coopération plus efficace entre contrôleurs nationaux et d’une convergence des pratiques de surveillance. Toutefois, la tâche n’est pas simple car les États membres ne sont pas tous en faveur d’une telle évolution.

Nous souhaiterions, Monsieur le Président, que vous nous fassiez part de votre appréciation de la situation et des pistes qui, selon vous, méritent d’être explorées.

M. Alexandre Lamfalussy : Monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie chaleureusement du grand honneur que vous me faites en m’invitant à cette séance d’audition. La crise est grave en elle-même. L’industrie financière est une des grandes composantes du secteur des services. Elle emploie beaucoup de monde. De plus, la crise risque d’avoir une influence paralysante sur l’économie « réelle », et pas seulement de l’autre côté de l’Atlantique. Les enjeux sont donc de taille et je me réjouis de l’attention que vous portez à ce problème.

Je ne compte pas vous parler des défis auxquels doivent faire face ceux qui portent la charge peu enviable de la gestion de la crise en cours. Cette gestion est entre les mains, en premier lieu, de mes anciens collègues des banques centrales qui assurent avec efficacité le fonctionnement des marchés monétaires. Sans cette action, les manifestations de la crise risqueraient de prendre une dimension systémique. Les gouvernements jouent aussi un rôle actif dans les pays – heureusement très rares – où ils ont jugé approprié de sauver des institutions au bord de la faillite. La gestion de la crise est aussi, et même principalement, entre les mains des dirigeants des entreprises financières, notamment des banques, qui portent la responsabilité première d’évaluer correctement la valeur de leurs actifs et d’en assurer rapidement la publication – ce qui, je le reconnais, n’est pas une mince affaire.

Je privilégierai plutôt une approche prospective : que devrait-on faire pour éviter, à l’avenir, la répétition d’une crise qui, par la rapidité de sa diffusion, par son ampleur et sa durée, pourrait peser lourdement sur l’activité économique et représenterait ainsi un danger systémique ? Notre objectif ne peut cependant être l’élimination de toutes les crises. Les crises financières, même quand elles se traduisent par la faillite de certaines institutions, constituent une sanction indispensable des erreurs de gestion. Sans cette sanction, on irait vers la généralisation et la permanence de comportements qui ignorent les risques pourtant inhérents à toute activité financière. Cela nous conduirait tout droit vers ce que nous voulons précisément éviter, à savoir une crise véritablement systémique. Encore faut-il veiller à ce que la sanction ne pénalise pas aveuglément ceux qui ne portent aucune responsabilité dans la naissance et le développement de la crise.

Nous avons connu, au cours des vingt-cinq dernières années, bon nombre de crises. Dans les années 1980 et 1990, c’est surtout le monde en développement qui a été touché : l’Amérique latine à plusieurs reprises, l’Asie du sud-est, la Russie. Entre 1985 et le début de notre siècle, le monde développé a été aussi atteint, principalement aux États-Unis, avec l’effondrement de Wall Street en 1987, la crise des caisses d’épargne en 1988, le sauvetage du LTCM, un prestigieux hedge fund, en 1998, enfin l’éclatement de la bulle Internet en 2000-2001. Dans les années 1990, l’Europe n’a pas été épargnée : crise bancaire Scandinave, « secondary banking crisis » en Grande-Bretagne, crise immobilière en France. Ces crises ont causé beaucoup de dégâts mais la plupart d’entre elles ont été maîtrisées relativement vite et sont restées géographiquement assez bien localisées.

Chacune de ces turbulences passées s’est déroulée selon le scénario de base traditionnel décrit par les économistes du XIXe siècle : une période d’euphorie, dominée par la disparition du sens du risque, suivie tôt ou tard par de fortes secousses financières. Ce même scénario se retrouve dans la crise actuelle. Cependant, celle-ci comporte des éléments qui, sans être radicalement nouveaux, portent une responsabilité majeure en ce qui concerne sa gravité. C’est en examinant chacun de ces éléments que j’essaierai de réfléchir à la possibilité et à l’opportunité d’actions préventives. Vu la complexité de la situation actuelle, il faudra encore du temps avant d’arriver à des recommandations, même approximatives, mais on peut commencer à formuler dès maintenant des interrogations.

Première spécificité de la crise : il s’agit d’un processus de contagion fulgurant.

La crise a éclaté aux États-Unis, dans le marché hypothécaire à haut risque – « subprime » –, où les emprunteurs ont été pris en tenaille entre, d’une part, l’arrêt de la hausse puis le début de la baisse des prix des maisons familiales – environ 15 % par rapport au pic atteint il y a un an et demi – et, d’autre part, l’augmentation accélérée du poids de la charge financière. Cette crise n’est pas restée circonscrite. Elle a contaminé une très grande partie des marchés financiers, non seulement aux États-Unis, mais aussi dans le reste du monde développé, et principalement en Europe.

Une partie de l’explication de ce phénomène de contagion se trouve dans le fait que l’ensemble des marchés financiers avait atteint, vers l’hiver 2006-2007, un état d’exubérance exceptionnelle. Cette exubérance s’était développée graduellement à partir de la fin de la récession américaine de 2002-2003. À titre d’exemple, la prime de risque, c'est-à-dire le rendement additionnel exigé par le marché pour un placement à risque par rapport à un placement en fonds ou effets publics, était tombée à un niveau dérisoire. Cela ne pouvait pas durer ; un retournement vers des prix plus réalistes, tenant compte de l’ampleur réelle des risques, était inévitable. La crise hypothécaire américaine a donc agi à la fois comme détonateur et comme un facteur d’aggravation.

Il existe une seconde explication, complémentaire de la première. La rapidité de la contagion tient au fait que l’intégration financière internationale, que l’on peut aussi appeler « globalisation financière », a atteint une très grande intensité. Or qui dit intégration financière dit multiplication des réseaux d’interconnexion entre les marchés et donc généralisation de l’interdépendance financière.

Que l’intégration financière comporte, en même temps que des avantages en termes d’efficacité, des risques d’instabilité ne constitue pas une découverte. Depuis 1980, les économistes de la Banque des règlements internationaux ne cessent de nous le rappeler. Plus récemment, en 2001, le rapport final du Comité des sages sur la régulation des marchés européens des valeurs mobilières, que j’ai eu le plaisir de présider – à l’initiative de Bercy, au demeurant –, formulait l’analyse suivante : « Quoique convaincu que des marchés financiers développés, profonds, liquides et innovants engendreront des gains de productivité substantiels et profiteront en conséquence à chaque citoyen européen, le Comité estime également qu’une plus grande efficacité ne va pas nécessairement de pair avec une stabilité renforcée. L’intégration accrue des marchés des valeurs mobilières implique une plus grande interconnexion de manière transfrontalière, ce qui augmente leur exposition commune à des chocs financiers. Il n’incombe pas au Comité d’évaluer ce risque et encore moins d’émettre des recommandations sur la manière d’y faire face. Toutefois, étant donné l’interconnexion croissante des différents segments des marchés de valeurs mobilières et des différents intermédiaires financiers, le Comité estime qu’il est urgent de renforcer, au niveau européen, la coopération entre les régulateurs des marchés financiers et les institutions chargées de la microsurveillance et de la macrosurveillance prudentielles. »

Ce constat peut aisément être transposé du niveau européen au niveau mondial. L’interconnexion tous azimuts des marchés de valeurs mobilières et de la gamme complète d’intermédiaires financiers impose une active coopération, au niveau mondial, entre les principales autorités chargées tant de la régulation des marchés que des micro- et macrosurveillances prudentielles. Certes, des crises locales peuvent et doivent être prises en charge par des autorités nationales. Il est tout aussi évident que l’Europe ferait mieux de parler d’une seule voix avec les Américains, ce qui présuppose que l’on organise convenablement la coopération intra-européenne. Mais tant la prévention d’une crise systémique que la gestion d’une crise – comme celle que nous connaissons aujourd’hui – qui, faute de traitement efficace, pourrait dégénérer en crise systémique, exigent une intense coopération globale. La mise en place, à Bâle, du Forum de stabilité financière constitue un bon départ, mais ce n’est qu’un départ. La coopération entre institutions se met doucement en route – il existe une coopération intéressante entre les différents comités européens et l’autorité américaine de la Bourse – mais les échanges ne vont pas encore très loin.

Deuxième spécificité de la crise : la titrisation généralisée.

Au sens large du terme, on entend par titrisation l’utilisation de plus en plus étendue des transactions de marché pour couvrir les besoins de financement des agents économiques. Au sens plus restreint et plus précis, il s’agit de la transformation de créances bancaires en instruments de dette négociables. Cette dernière pratique a pris naissance aux États-Unis il y a une vingtaine d’années et s’est étendue graduellement à l’ensemble du monde développé. Elle a abouti à la transformation profonde de l’activité bancaire : le nouveau « business model » implique non seulement la transformation d’une créance en titre négociable, mais aussi la vente de ces créances et leur placement hors bilan. La banque se trouve à l’origine d’un projet de financement mais n’en garde aucun élément en portefeuille et se libère d’une créance jadis portée, dans la pratique courante, jusqu’à l’échéance.

Jusqu’à l’éclatement de la crise, ce modèle de gestion était considéré par la quasi-totalité des praticiens et par certaines autorités – surtout américaines – comme une innovation comportant deux effets bénéfiques. D’une part, il augmenterait l’efficacité du système en accroissant le rôle des marchés ; de l’autre, il aurait un effet stabilisateur en distribuant les risques de crédit plus largement et en diminuant ainsi la concentration des risques sur le secteur bancaire. J’ai toujours eu et je garde de la sympathie pour le premier argument, mais je doutais de la pertinence du second. Pour que celui-ci soit valable, au moins trois conditions devaient être satisfaites : que les acquéreurs de ces instruments complexes sachent ce qu’ils achètent ; qu’ils soient désireux et capables d’évaluer leur propre capacité de résistance à des chocs financiers ; et qu’en cas de choc ils ne succombent pas à la tentation de réactions grégaires. L’expérience vient de démontrer que, à des degrés divers, aucune de ces conditions n’a été satisfaite.

Il y a plus, hélas ! Il s’est avéré que dans bien des cas les banques ne se sont pas dégagées du risque. Elles ont dû au contraire le réassumer, souvent en apportant des liquidités à ces « véhicules » spécialisés, dans certains cas en réintégrant les instruments de dette dans leur bilan. Elles ont pris ces dispositions soit pour protéger leur réputation, soit à cause de l’ambiguïté des contrats de cession de ces instruments. Pour en avoir examiné un certain nombre, je puis affirmer qu’il n’y en a pas un qui ressemble à l’autre ! Il est aussi apparu que le lien entre le créancier et le débiteur s’est relâché. La banque qui a pris l’initiative du financement a-t-elle examiné avec diligence la position financière du débiteur, alors même qu’elle avait l’intention de vendre la créance ? Qui assumait la responsabilité du suivi de la situation du débiteur jusqu’à l’échéance ? Comment pouvait-on pratiquer ce suivi dans le cas de produits complexes comportant toute une série de débiteurs ? Les économistes de la théorie financière nous ont avertis depuis longtemps que « l’asymétrie de l’information », à savoir le fait que le débiteur connaît mieux sa propre situation financière que son créancier, se trouve à la base de la fragilité financière. Or cette asymétrie s’est considérablement aggravée.

Ce constat soulève plusieurs questions fondamentales auxquelles nous devrons répondre tôt ou tard. Comment préserver la capacité de la titrisation à stimuler l’efficacité sans avoir à subir ses inconvénients ? Si l’on se met d’accord sur le « comment » – il a été ainsi proposé que les banques gardent une proportion des créances dans leur portefeuille –, qui doit assumer la responsabilité de le mettre en œuvre : compte-t-on sur les pouvoirs publics, ou sur l’autorégulation ? Comment s’assurer du bon fonctionnement de la coopération internationale ?

Troisième spécificité, la complexité déroutante des instruments financiers

Le dysfonctionnement des marchés doit beaucoup au véritable déferlement d’innovations produisant des opérations et des instruments financiers de plus en plus complexes. L’opacité de notre système financier s’en est trouvée aggravée. Le manque de standardisation aidant, on se voit obligé de décrypter, au cas par cas, les opérations ou les instruments proposés par des vendeurs astucieux. De toute évidence, les particuliers n’en ont pas les moyens, mais le problème se pose aussi pour les investisseurs institutionnels. Ceux-ci ne manquent ni de la compétence ni des ressources humaines pour évaluer avec précision les risques que comporte l’acquisition d’un instrument spécifique. Encore faut-il que l’organisation de l’institution encourage l’acheminement de ces expertises vers ceux qui prennent la décision, et ce de manière compréhensible car ces évaluations sont inévitablement aussi complexes que les produits eux-mêmes. Elles font appel à la théorie des probabilités et tous les dirigeants n’ont pas reçu une formation approfondie en mathématiques modernes…

Les régulateurs, conscients de l’existence d’un véritable problème, ont encouragé le recours aux agences de notation. On peut s’interroger sur le bien-fondé de cette orientation. Le fait d’accorder un statut de quasi-monopole public à une poignée d’institutions privées soulève toutes les interrogations traditionnelles au sujet d’un possible abus de puissance. De plus, l’intervention de ces agences recèle des incompatibilités, dont la plus importante est qu’elles sont rémunérées par les émetteurs des produits. Dans bien des cas, elles ont même participé à la construction de ceux-ci. Enfin, les produits étant composites, l’octroi d’un statut de AAA à la tranche la moins risquée peut faire oublier aux acheteurs que la probabilité de maintenir ce statut ne peut être évaluée qu’en examinant soigneusement l’ensemble du produit. La conclusion est que l’acheteur ne peut faire dépendre sa décision de la seule notation : il doit effectuer sa propre analyse.

Ces éléments soulèvent une série de questions. Quelles sont les possibilités d’améliorer la transparence de ces produits complexes ? Quelles en sont les limites ? Peut-on envisager une standardisation et l’utilisation des marchés réglementés, en lieu et place des opérations de gré à gré actuelles ? Et, si l’on perçoit une ligne d’action possible, faut-il passer par la régulation imposée par les pouvoirs publics ou donner une chance à l’autorégulation ?

En essayant de trouver des réponses à ces questions, nous devons veiller à ne pas paralyser la capacité d’innover. Les innovations financières permettent aux agents économiques prudents de se protéger de toutes sortes de risques, ce que l’on observe dès maintenant dans les grands écarts entre les résultats financiers qui sont en train d’être publiés.

Quatrième spécificité : la gestion des risques est mise à l’épreuve.

Une des révélations de la crise actuelle est l’échec patent d’un certain nombre de grandes banques à gérer leurs risques avec efficacité. Fort heureusement, cette observation ne s’applique pas à l’ensemble des établissements, mais les cas sont suffisamment nombreux et la taille des banques en question suffisamment grande pour que l’on s’en préoccupe.

Quelles ont été les causes de l’échec des systèmes de gestion des risques ? Défauts de conception de ces systèmes ? Défaillance des réseaux de communication interne ? Couverture de trop de métiers ou taille excessive des institutions ? Les régulations encore en vigueur ou les systèmes de rémunération à tous les niveaux de la hiérarchie ont-ils encouragé des prises de risque démesurées ? Ces questions méritent réponse mais, s’il est un domaine où les réponses ne doivent pas être formulées à la hâte, c’est bien celui-ci.

J’en viens à mon dernier point : l’importance de prévenir les crises.

Le trait dominant des marchés financiers est un haut degré d’opacité qui rend singulièrement ardue la gestion d’une crise. Dans le contexte actuel, l’opacité tient, en premier lieu, à la difficulté qu’il existe à identifier les interconnexions tant entre les marchés et les intermédiaires qu’au plan géographique. On ignore les chemins que pourrait prendre la contagion engendrée par un nouveau choc. C’est ainsi que l’on se perd en conjectures sur la survie de certains rehausseurs de crédit américains. S’ils ne survivent pas, quelle sera la propagation du choc ? Quels secteurs seront-ils touchés en premier ?

En second lieu, l’opacité tient au fait que l’on ignore quelles institutions devront porter le fardeau des pertes, et pour quels montants, une fois la crise complètement maîtrisée. Qui sont les prêteurs finals ? Peut-être cette question n’a-t-elle même plus de sens. Nous sommes loin de l’expérience que j’ai vécue à Bâle au moment du déclenchement de la crise mexicaine en août 1982. Ce jour-là, on a pu identifier en quelques heures, grâce aux statistiques de la BRI, les quarante-cinq ou cinquante banques qui détenaient dans leurs portefeuilles, comme préteurs finals, une grande partie de la dette extérieure du Mexique. On a pu ainsi juger de la véracité des chiffres donnés par les Mexicains et identifier les banques en cause.

On peut espérer que les réformes que l’on mettra en œuvre réduiront le degré d’opacité du système, mais il serait illusoire de penser que, par une sorte de ré-intermédiation forcée des banques et par l’« excommunication » des produits financiers complexes, on puisse retourner vers un système dominé par les banques tel qu’on l’a connu il y a une vingtaine d’années. Les activités de marché continueront à se développer et maintiendront une bonne dose d’opacité. Nous devrions donc nous atteler à l’amélioration de notre capacité à prévenir les crises. Dans cette optique, je voudrais faire part de deux préoccupations.

La première concerne l’intime coopération qui doit exister entre les surveillances micro- et macroprudentielles, mais aussi entre la surveillance des banques et celle des activités de marché. La surveillance microprudentielle a pour tâche prioritaire de vérifier qu’une banque spécifique respecte les régulations et ses propres règles de prudence, et que des structures et procédures appropriées existent pour y parvenir. La surveillance macroprudentielle, qui est du ressort des banques centrales, est chargée de détecter les indices, les pratiques de gestion ou les développements structurels qui pourraient donner naissance à une crise financière d’une nature et d’une ampleur telles qu’elle pourrait comporter le risque d’un dérapage systémique. Pour y parvenir, il ne suffit pas de disposer de bonnes statistiques, ni même de capter les informations véhiculées par les marchés dans lesquelles les banques centrales opèrent. Ces indications sont importantes mais peuvent arriver trop tard. Il faut donc avoir accès à toutes les informations dont disposent les microsurveillants. Cela exige une transparence qui se heurte à beaucoup d’obstacles, de nature juridique ou autre. De surcroît, la culture de la surveillance bancaire est-elle propre à favoriser l’évaluation de la portée macroéconomique des observations spécifiques menées à l’échelle d’une banque ?

Prenons le cas du portefeuille des rehausseurs de crédit américains. À l’origine, le rôle de ces établissements était à 100 % de garantir les émissions de dette des municipalités. Maintenant que la crise a éclaté, on se rend compte que ce secteur ne représente plus que 50 % de l’activité, l’autre moitié étant tournée vers toutes sortes d’émissions d’obligations, y compris les plus infectées par les subprimes. Qui aurait dû tirer la sonnette d’alarme ? De même, on savait que la titrisation était en cours, mais qui était à même d’en mesurer la dimension exceptionnelle ?

Dans le même ordre d’idées s’impose aussi une intime coopération entre les surveillants bancaires et ceux du marché. Il fut un temps où l’on prétendait que les surveillants des marchés ne devaient pas avoir de préoccupation prudentielle. Quand on sait quel a été le rôle de la complexité de produits financiers dans l’aggravation et la diffusion de la crise actuelle, maintenir cette affirmation me paraîtrait bien anachronique.

Ma seconde préoccupation est de toute autre nature. On peut s’interroger sur les origines de l’extraordinaire euphorie financière qui a dominé les marchés au cours des quelques années précédant l’éclatement de la crise au mois d’août dernier, et qui en a considérablement accentué la gravité. « Animal spirit », pour reprendre l’expression de Keynes, créativité, capacité d’innover, ou tout simplement avidité insatiable pour le gain ? Peut-être. On ne peut cependant ignorer le rôle d’un facteur objectif : la liquidité exceptionnelle des marchés. Cette liquidité, associée à la conviction, fondée ou non, des acteurs du marché que les banques centrales les tireront toujours du pétrin, a constitué un puissant stimulant pour des prises de risque débridées. La politique de la Réserve fédérale au lendemain de l’éclatement de la bulle Internet – en particulier le maintien pendant trop longtemps d’un taux directeur négatif en terme réel – porte probablement une certaine responsabilité tant pour l’abondance de liquidité que pour la création d’un aléa moral. Encore faut-il se garder de tirer une conclusion trop hâtive : il n’y a pas de lien de causalité « linéaire » entre la liquidité des marchés et la liquidité monétaire, cette dernière se mesurant en termes d’agrégats monétaires. On ne peut affirmer qu’en restreignant dans une certaine proportion la masse monétaire, on restreint dans une même proportion la liquidité des marchés : la relation est plus complexe. Les banques centrales ont, certes, la maîtrise du marché monétaire à court terme, mais elles ne possèdent pas la capacité de maîtriser, de manière souple et graduelle, la liquidité générale des marchés financiers.

Le Président Didier Migaud : Avec votre exposé, nous avons eu l’impression de tout comprendre, et je tiens à vous en remercier.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général : Je tiens à mon tour à vous remercier, Monsieur le Président Lamfalussy, de la rigueur et de la luminosité de votre analyse.

Je reviendrai, pour ma part, sur la question de la prévention en matière de produits de plus en plus complexes apparaissant, notamment par le biais de la titrisation, sans traçabilité du risque. À la base, le phénomène en question n’est pas complexe : il s’agit de prêter à des ménages qui sont à la limite de la solvabilité, et cela sans règle prudentielle. Déjà, en 2004, la loi française pour le soutien à la consommation et à l’investissement tendait, comme aux États-Unis, à alimenter la croissance avec des mécanismes de financement plus incitatifs, reposant en particulier sur l’idée de l’hypothèque rechargeable : les biens de l’immobilier augmentant, de nouveaux prêts sont adossés sur l’augmentation annuelle, qui permettent à leur tour de stimuler la consommation. Heureusement, nous sommes ici intervenus, face à ce phénomène, dans la rédaction de l’ordonnance de 2004.

Pour éviter le retour de certains excès, ne peut-on imaginer un système d’alerte international ? En l’occurrence, l’intervention du FMI n’aurait-elle pas été possible ?

Pour ce qui est des banques européennes, connaît-on aujourd’hui les risques les concernant liés à la crise des subprimes ? En particulier, quel est le degré du risque couru en Espagne ?

M. Michel Sapin : Je vous remercie, Monsieur le Président Lamfalussy, pour votre exposé. Je dois vous dire que vous faites partie de ces personnes qui donnent le sentiment à ceux qui écoutent qu’ils sont devenus intelligents !

Tout d’abord, en lien avec l’actualité, vous avez dit que « La crise risque d’avoir une influence paralysante sur l’économie réelle, et pas seulement de l’autre côté de l’Atlantique ». Selon vous, quel peut être l’effet non encore avéré de la crise financière actuelle sur l’économie réelle de l’ensemble du bloc européen et, à l’intérieur de ce bloc, sur des sous-ensembles différenciés ?

Par ailleurs, face à la volonté de réduire les risques des nouveaux outils, sans pour autant amoindrir leur efficacité, quelles sont, à votre avis, les perspectives de montée en puissance d’une régulation mondiale dans des domaines où elle ne s’appliquerait pas aujourd’hui, et quels en seraient les obstacles ? Des instruments de régulation comme le ratio cook, qui ont été très efficaces, ne peuvent plus en effet s’appliquer aux instruments nouveaux.

Le Président Didier Migaud : Qu’en est-il à cet égard des règles prudentielles qui existent aux États-Unis ? Comment sont appliquées les règles de Bâle II ? En outre, ce dispositif n’est-il pas déjà dépassé ? Les autorités politiques américaines auraient-elles pu intervenir en amont de la crise hypothécaire et comment ?

M. Alexandre Lamfalussy : Il ne fait pas l’ombre d’un doute que les États-Unis portent une responsabilité importante dans la crise actuelle. Si la régulation hypothécaire s’effectue au niveau des États, la Réserve fédérale avait la possibilité de tirer la sonnette d’alarme. Ce qui semble ressortir des débats internes à cette dernière, c'est qu’Alan Greenspan aurait refusé de le faire au motif, d’une part, que le rêve de tout Américain est de posséder une maison et, d’autre part, que l’octroi de prêts aux plus pauvres est un moyen de les responsabiliser. Or, en Californie par exemple, la capacité de remboursement des emprunteurs n’était même pas examinée : les intermédiaires étaient rémunérés par les établissements prêteurs en fonction du nombre de contrats conclus, la signature de ces derniers étant facilitée par l’effet « teaser », à savoir un taux fixe de 2 % pendant les deux ou trois premières années. Seulement, la variabilité des taux n’était pas ensuite liée aux taux de la Réserve fédérale, mais à des augmentations de primes additionnelles. C'est ainsi que, voilà un an et demi, des emprunteurs ont vu leurs charges passer de 2 à 16 %. La régulation s’impose donc.

Les Américains ont d’ailleurs cette qualité d’intervenir rapidement quand c'est nécessaire – il suffit de se rappeler la crise Enron. Il y aura d’autant plus de réaction de leur part qu’ils en sont déjà à un million de saisies de maisons, qui touchent déjà entre 4 et 6 millions de personnes. Encore faut-il par la suite, ne pas oublier. Or la capacité d’oubli en la matière est extraordinairement rapide, comme j’ai pu le constater récemment en discutant avec un de mes étudiants de Louvain, devenu banquier sur la place de Londres, qui avait déjà oublié la débâcle du fonds spéculatif Long Term Capital Management, laquelle ne remonte pourtant qu’en 1998 et a fait courir le danger d’illiquidité d’une partie des certificats du Trésor américain, marché réputé le plus liquide !

Si Bâle I incitait à la titrisation, en permettant la mise hors bilan des créances originellement consenties, l’accord Bâle II constitue, pour sa part, une amélioration. Cependant, il ne deviendra effectif que dans quelques mois auprès des banques européennes, sans que cela soit le cas aux États-Unis. Selon moi, la mise en application la plus rapide possible de Bâle II passe par le G7, avec une participation active de la Banque centrale européenne et de la Commission, car c'est dans cet environnement que se trouve le monde bancaire qui compte aujourd’hui. Une telle proposition ne satisfera bien sûr pas tous les pays, dont le mien, qui n’y sont pas tous représentés, mais au moins constitue-t-elle un point de départ. Toutefois, comme il est à craindre également un impact sur l’économie réelle, il conviendra d’élargir ce noyau à la Chine, au Brésil, aux producteurs de pétrole et à la Russie.

S’agissant de la Chine, ce pays a aujourd’hui des responsabilités énormes avec ses participations dans le marché de la dette publique américaine mais aussi européenne. Or le système bancaire chinois est fragile, car un taux d’expansion économique aussi rapide que celui de la Chine ne va pas – l’histoire le démontre – sans erreurs de gestion et d’investissement – comme, par exemple, la construction de quatre usines de production d’aluminium en même temps – avec des répercussions sur la stabilité financière du pays. Or la simple diminution du taux de croissance de l’économie chinoise de 13 à 10 % pourrait entraîner, du fait des mauvaises dettes des banques, une crise bancaire interne pouvant elle-même avoir une influence très forte sur nos économies, tant sur le plan financier qu’en termes d’économie réelle. Ce deuxième cercle, au-delà du G7, est plutôt macro-économique.

Quant au Fonds monétaire international, dont le nouveau directeur général a toute notre confiance, il peut, du fait de son caractère global, faire la jonction entre ces différentes activités.

Pour ce qui est de l’impact possible de la crise financière actuelle sur l’économie réelle, il ne fait aucun doute que l’impact premier a eu lieu aux États-Unis, son accélération dépendant de l’ajout ou non aux effets des subprimes de ceux d’autres produits complexes, tel le financement de l’achat d’automobiles. Les prêts personnels qui sont considérés comme relativement sûrs en Europe, ne le sont en effet pas aux États-Unis, ne serait-ce que par la montée des saisies et des ventes forcées des maisons par les banques.

En Europe, tout n’a pas mal marché, y compris dans le monde financier.

Pour ce qui est, d’abord, des faits positifs, je relève, d’une part – et c’est important pour l’avenir –, le bon fonctionnement des systèmes de paiement, de compensation et de règlement, ainsi que celui du marché des devises et du marché de titres réglementé – les bourses – et, d’autre part, l’assainissement des bilans des entreprises au cours des cinq dernières années.

S’agissant, ensuite, des dangers qui nous guettent, la question est d’abord de connaître l’ampleur de la recapitalisation qui sera imposée aux banques une fois la totalité des pertes connue, et de savoir si cette recapitalisation pourra alors se faire rapidement. Si elle ne se fait pas, le danger est en effet qu’elles ne distribuent plus de prêts – ce que l’on appelle le credit crunch. Pour l’instant, ce danger qui pourrait nous affecter n’apparaît pas encore, compte tenu du bilan assez solide du secteur réel. Le rachat des titres, qui a été massif aux États-Unis et qui a diminué la solidité du bilan des entreprises, n’a pas été effectué dans les mêmes proportions en Europe.

On ne peut savoir quelle sera la facture finale car, à partir du moment où il n’existe pas de véritable marché, l’évaluation des actifs s’effectue sur la base de modèles qui, pour la plupart, ne permettent que des extrapolations à partir du flux des paiements sur les créances. Mais si l’on a soit l’apparition d’un marché qui donne des indications moins favorables, soit l’absence de marché et l’indication que le cash-flow commence à s’assécher, on doit faire un ajustement dans l’évaluation des créances. C’est la raison pour laquelle les dirigeants des banques centrales et ceux qui sont en charge de ces problèmes souhaitent que les banques publient le plus vite possible des chiffres fiables et, pour que cela soit durable, il faudrait que le fonctionnement des marchés se rétablisse et que les prix deviennent de plus en plus significatifs, jusqu’à une activité à nouveau normale des marchés, qui marquerait la fin de la crise.

M. Louis Giscard d’Estaing : Je vous remercie à mon tour de votre exposé. Vous dites que les crises financières, même lorsqu’elles comportent la faillite de certaines institutions, constituent une sanction indispensable des erreurs de gestion. Sans cette sanction, on irait vers la généralisation et la permanence de comportements qui ignorent les risques pourtant inhérents à toute activité financière. Que pensez-vous de la solution adoptée par les Britanniques dans l’affaire Northern Rock ?

S’agissant de la micro-surveillance, estimez-vous nécessaire de renforcer certaines règles de régulation ? Les autorités américaines doivent-elles renforcer leur contrôle et la globalisation des encours ?

Vous avez par ailleurs rappelé que les crises successives avaient en partie reposé sur une gestion du risque lié à l’immobilier. En France, faute de centralisation des informations, les banques qui ont prêté aux marchands de bien ignoraient l’existence d’autres encours sur ces mêmes biens. Faut-il renforcer la centralisation de l’information ?

Enfin, est-il possible d’introduire de la traçabilité au niveau des organismes de régulation internationaux afin de détecter au sein d’un produit financier la part de produit dérivé à haut risque ?

M. François Scellier : Votre exposé nous aura permis de mieux comprendre les phénomènes économiques et financiers. Vous avez dit deux choses qui m’ont frappé. Vous interrogeant sur les origines de l’euphorie financière, vous vous êtes demandé si l’on ne pouvait y voir une conséquence de l’avidité insatiable pour le gain. J’ai par ailleurs retenu de votre intervention qu’il n’existait pas de technique éprouvée pour parer ces crises.

L’ensemble du secteur de la finance et de la banque ne traverse-t-il pas une grave crise morale, qui porterait atteinte à la confiance ?

Le Président Didier Migaud : S’agissant des agences de notation, que suggérez-vous ?

Concernant le nécessaire renforcement de la coopération, quel pourrait être l’apport du Forum de stabilité financière ? Quel rôle complémentaire pourrait jouer le FMI par rapport aux préventions de crises et en ce qui concerne les régulations ? Et la BRI ?

M. Alexandre Lamfalussy : S’agissant des Britanniques, je crois qu’ils ont pris la bonne solution – la seule solution – et ils auraient même pu la prendre plus tôt. Quand l’argent des contribuables est engagé à un tel point, l’État se doit de renationaliser l’institution, même provisoirement. L’on peut difficilement confier à une entreprise privée l’argent des contribuables.

L’affaire Northern Rock soulève d’autres difficultés, notamment en matière de prévention. Cette banque hypothécaire prêtait sur le long terme en se finançant de manière croissante dans le marché monétaire à court terme. Qui était en charge d’alerter sur les risques d’un tel modèle ? Le système triangulaire britannique de surveillance de l’ensemble du système financier n’a pas fonctionné. Je ne sais pas quelle conclusion en tirer. Le résultat n’aurait peut-être pas été meilleur si tout le monde avait été sous le même toit. Mais il y a là quelque chose de très difficile à comprendre.

Il est certainement possible que soient prises aux États-Unis des dispositions pour éviter que de tels abus et dysfonctionnements ne se reproduisent. Je crois qu’ils vont les prendre, mais je ne sais pas à quel rythme.

Vous avez raison, la centralisation de l’information permettrait de rendre les marchés moins opaques, ce qui est toujours préférable.

S’agissant de ces instruments très complexes, je pense qu’une certaine standardisation est indispensable car dans le système actuel de gré à gré, aux formules très variées, la traçabilité est impossible. Je reviens également sur l’idée d’une obligation, pour ceux qui sont à l’origine des prêts, de conserver une proportion relativement importante de ces créances dans leur portefeuille. Il faudrait aussi préciser leurs engagements formels en matière notamment de provisions et de liquidités.

Peut-on parler de crise morale ? C’est vrai que l’on se sent mal à l’aise. L’on pourra clarifier au maximum le système, disposer de codes de conduite, la tentation de gagner rapidement des sommes extravagantes sera toujours là. Heureusement, cette crise morale ne touche pas tout le monde. De toutes manières, il n’y a pas d’autre solution que d’introduire davantage de clarté et de sanctions. Les Américains appliquent assez rapidement les sanctions, encore que, quand la sanction implique que l’on rentre chez soi avec 80 millions de dollars, elle n’est pas vraiment dévastatrice.

Pour ce qui est des agences de notation, elles commencent à faire leur propre examen de conscience. La question prioritaire est celle des incompatibilités. Il faudrait mettre fin aux conflits d’intérêts. Je sais qu’elles sont en train de réfléchir à des unités de conseil parallèlement à des unités de notation, au sein d’une même entreprise. Je ne suis pas certain que ces « murs chinois » seront efficaces. Ne devrait-on pas exiger que les entreprises soient scindées ?

Concernant la BRI, sa force a toujours été de prendre des mesures qui n’étaient pas prévues, en saisissant les opportunités. Évidemment, la création de la Banque Centrale Européenne l’a profondément transformée, en réduisant son rôle. Pendant 25 ans, le comité des gouverneurs des banques centrales de l’Union Européenne se réunissait à Bâle dans les locaux de la BRI. Le Comité Delors s’y réunissait. Il y avait des petits « murs chinois », ceux qui étaient en charge des secrétariats du comité des Gouverneurs n’étant pas en charge du secrétariat des G10. C’est une institution relativement petite – 450 personnes –, mais d’une très grande flexibilité et dotée d’une capacité financière non négligeable. Elle peut financer elle-même toute une série d’activités de coopération.

Après le départ du comité des Gouverneurs à Francfort, la BRI s’est orientée dans deux directions. Tout d’abord, elle maintient encore une possibilité de contact entre les banques centrales de milieux géographiques très divers. S’étant étendue vers les grands pays qui sont devenus actionnaires – la Chine, Singapour, le Brésil, l’Arabie Saoudite, l’Inde… –, elle est devenue un lieu assez privilégié de rencontres d’une quarantaine de banquiers centraux.

Ensuite, elle s’est attachée aux problèmes de stabilité financière, plus qu’à l’étude de l’efficacité de la politique monétaire, plutôt du ressort de la FED et de la BCE. En revanche, en matière de stabilité financière, ses contributions sont d’une grande richesse. Les rapports annuels depuis quatre ou cinq ans ont tous signalé, avec un grand sérieux analytique, la possibilité ou la probabilité d’une crise de dimension et de nature imprévues.

La BRI a un avantage sur le FMI, qui tient à sa taille et au fait qu’elle n’est pas intergouvernementale, ce qui la rend plus mobile.

Quant au FMI, il peut jouer un rôle de jonction entre les G7 et un club plus vaste qui s’occupe des problèmes macro-économiques mondiaux.

Le Président Didier Migaud : Merci de votre contribution.

——fpfp——

7.– Mercredi 9 avril 2008, séance de 9 heures 30, compte rendu n° 71

–   Audition, ouverte à la presse, de M. Daniel Bouton, président de la Fédération bancaire française, sur la crise financière et la régulation des systèmes bancaires

Le Président Didier Migaud : Nous accueillons aujourd’hui M. Daniel Bouton, président de la Fédération bancaire française, la FBF, et président-directeur général de la Société générale.

La commission des Finances se préoccupe depuis plusieurs mois du développement d’une crise financière internationale dont les effets sur l’économie réelle sont désormais avérés. Cette crise a commencé par une crise du crédit immobilier qui a conduit à une crise bancaire. À ce sujet, nous souhaitons entendre le représentant des banques françaises que vous êtes.

Il se trouve que, dans le même temps, la banque que vous présidez a connu de sérieuses turbulences dues aux prises de position excessives d’un de vos traders, dont les engagements avaient atteint 50 milliards d’euros lorsqu’ils ont été découverts, en janvier dernier. Naturellement, nous nous interrogeons sur la pertinence des contrôles internes à la Société générale mais aussi sur celle des contrôles externes assurés par les régulateurs français ; cette question vaut aussi pour les autres banques puisque certains de vos confrères n’ont pas exclu qu’elles pourraient connaître les mêmes déboires.

La crise des subprimes a eu les effets que l’on sait, en raison d’abord du développement de produits complexes issus d’une titrisation qui s’est emballée ces dernières années, ensuite d’une notation inadéquate, voire défaillante, de produits amalgamant des créances de qualité très inégale et dont le risque n’avait pas fait l’objet d’une identification réelle, enfin d’une diffusion de ces produits dans des marchés interconnectés.

La commission des Finances a entendu à ce sujet, le 2 octobre dernier, les superviseurs des marchés bancaire et financier français, Christian Noyer et Michel Prada, le directeur de la Banque de financement et d’investissement du groupe Société générale, Jean-Pierre Mustier, le directeur général de l’agence de notation Fitch Ratings, Richard Hunter, ainsi que les économistes Michel Aglietta et Henri Bourguinat.

Il nous a semblé, à l’époque, entendre deux économistes inquiets mais quatre acteurs du système financier et bancaire plutôt sereins, même s’ils admettaient que l’économie internationale était relativement incertaine. Selon ces derniers, le problème était plutôt bien circonscrit aux banques américaines, les banques européennes étaient peu affectées par la crise des subprimes, il convenait de relativiser la crise et, par ailleurs, les conditions n’étaient pas réunies pour laisser prévoir un retournement de la croissance.

Aujourd’hui, il apparaît que les banques européennes ne sont pas épargnées. Les pertes déjà enregistrées par les banques françaises et les provisions qu’elles ont passées – de 800 millions d’euros pour la Caisse d’épargne à 4 milliards pour le Crédit agricole – sont moindres, bien moindres que celles des banques les plus exposées, comme UBS, Merril Lynch, Citigroup, HSBC ou Morgan Stanley, mais elles sont élevées et suscitent des interrogations sur le fonctionnement des marchés et des banques.

Au-delà de la sphère financière, c’est l’économie réelle qui est touchée : aux États-Unis, l’ensemble du marché du crédit est affecté par la crise, les rehausseurs de crédit sont sur la sellette, en 2007 les saisies immobilières ont dépassé le million, l’économie est en fort ralentissement, voire en récession. La crise de confiance qui s’est exprimée au travers d’une crise de liquidité interbancaire n’est pas résolue.

La prévention des crises de cette nature devient par conséquent une priorité.

Nous avons reçu récemment Alexandre Lamfalussy, ancien directeur de la Banque des règlements internationaux, la BRI, et du Comité des sages sur la régulation des marchés européens des valeurs mobilières, qui a souligné le contexte d’asymétrie de l’information dans lequel de nouveaux instruments financiers, mal évalués, avaient été développés et distribués à travers le monde. L’une de nos interrogations porte d’ailleurs sur l’attitude des banques, qui n’ont certes pas, ou pas toutes, distribué des crédits à haut risque mais qui ont acquis des produits en partie composés de ces créances. N’avaient-elles aucune idée du risque qu’ils présentaient ? Faisaient-elles une confiance aveugle aux notations des agences ?

Nous nous sommes interrogés sur les systèmes d’alerte à mettre en place au niveau des marchés et aussi sur l’évolution de l’activité des banques. Étant donné l’ampleur des enjeux financiers, les risques nouveaux sur les activités de marché – risques de crédit, de fraude, de liquidité – et la diversité des activités couvertes par les établissements bancaires, ces derniers devraient-ils infléchir leurs stratégies ? Dans quel sens ?

Vous voudrez bien, dans un premier temps, faire le point, autant qu’il est possible, sur l’affaire de la surexposition de la Société générale par un de ses traders. Nous souhaiterions par exemple que vous nous décriviez les relations existant entre les traders et leur hiérarchie, car nous avons tous été stupéfaits qu’une seule personne puisse mener de telles opérations sur une assez longue période, et que vous nous expliquiez comment sont traitées les alertes venant des marchés. Nous aimerions également recueillir votre analyse de la crise de confiance affectant les marchés bancaire et financier. Puis les membres de notre commission ne manqueront pas de vous poser des questions.

M. Daniel Bouton : Je suis accompagné par Ariane Obolensky, directrice générale de la FBF, qui pourra également répondre à vos questions.

Il est excellent pour la démocratie que votre Commission ait commencé à travailler dès le mois d’octobre sur ce sujet, réservé alors à la planète finance mais qui préoccupe aujourd’hui légitimement tout le monde.

Les entreprises et les banques n’œuvrent pas de manière disjointe. La banque est une industrie et même l’une des principales de France. Nous employons 400 000 salariés et nous recrutons annuellement 40 000 collaborateurs. Nous finançons l’économie à travers 1 400 milliards d’euros de crédits et 1 000 milliards de dépôts. Notre activité représente environ 3 % du PIB.

Nous sommes très divers : la FBF regroupe des établissements coopératifs, mutualistes, mixtes et purement privés, dont deux des plus grandes banques cotées, BNP Paribas et la Société générale.

Nos métiers sont extrêmement variés. L’agence bancaire classique, qui contribue au financement du boulanger ou du serrurier, est bien connue. La chaîne de métiers permettant de financer l’ensemble de l’économie l’est moins. La finance, comme le monde, s’est progressivement ouverte et globalisée. Il y a trente ans, une grande entreprise se finançait essentiellement par des syndicats bancaires. Avec la marchéisation, entamée en France sous l’égide de Bérégovoy, les grandes entreprises se financent directement sur les marchés, ce qui rend les ressources financières moins chères en supprimant la marge d’intermédiation bancaire. Du côté de la ressource, les investisseurs institutionnels – notamment l’État ou le Fonds de réserve pour les retraites – interviennent directement sur les marchés. Aux États-Unis comme en Europe, les banquiers ne sont plus seulement des prêteurs ; ils ont accompagné le mouvement de marchéisation en développant de nouvelles activités sophistiquées car une banque qui n’évolue pas est condamnée à périr. Grâce au talent de ses banquiers, dans les deux grands établissements cotés mais aussi au Crédit agricole à travers sa filiale Calyon ou à la Banque populaire à travers sa filiale Natixis, la France est l’un des seuls pays au monde à disposer d’une vraie industrie de la finance sophistiquée.

Je vais vous décrire deux métiers.

Le premier est celui de la titrisation. Au milieu des années cinquante, les quelques centaines de milliers de ménages français susceptibles d’acheter une voiture n’ont pas accès au crédit. La Compagnie bancaire lance alors le premier crédit à la consommation. Mais, puisque l’État pompe la totalité de l’épargne française, La Compagnie bancaire doit se financer court et transformer ces ressources en créances à quatre ans. Un peu plus tard, la titrisation est inventée : au lieu de transformer l’épargne, l’établissement bancaire vend directement aux investisseurs du marché financier les créances à quatre ans qu’il détient sur les particuliers en les regroupant en paquets. Aujourd’hui, en Europe, la titrisation représente 460 milliards d’euros. Ce volume subit toutefois une baisse considérable depuis le début 2008 ; le crédit, moteur du financement de l’économie, manque par conséquent d’une ressource considérable.

Le second métier dont je vais vous entretenir a été rendu célèbre pas la position dissimulée du fraudeur : ce sont les activités pour compte propre. Contrairement aux fonds spéculatifs, les banques ne prennent jamais de positions directionnelles importantes sur la hausse du dollar ou la baisse du pétrole par exemple. Nous divisons le risque pour le maîtriser. La découverte d’une position dissimulée peut donc poser des problèmes considérables. Je signale au passage que la fraude a toujours existé dans l’histoire des banques et qu’elle existera toujours. La part des activités pour compte propre des banques françaises est faible, voire très faible.

Le monde de l’économie réelle et le monde financier ne sont pas séparés. La financiarisation de l’économie permet de financer la croissance ; sans elle, le monde occidental n’aurait pas connu son formidable développement. Les banques françaises figurant parmi les plus performantes et les plus reconnues dans certains métiers, l’économie française est l’une des principales bénéficiaires de la titrisation.

Cela dit, la crise née aux États-Unis est très grave.

La crise originelle a été bien analysée dans vos auditions précédentes. Dans certains États américains, des crédits immobiliers peuvent être distribués par des courtiers, c’est-à-dire des intermédiaires échappant aux régulations et contrôles applicables au secteur bancaire. Pour leur part, les banques françaises sont favorables à un contrôle de la distribution du crédit et de la circulation de la monnaie par des régulateurs puissants. Depuis trois ou quatre ans, les courtiers américains n’examinaient plus les capacités de remboursement de l’emprunteur mais uniquement la valeur du gage, c’est-à-dire de la maison. Le niveau de protection du consommateur est extrêmement variable d’un État à l’autre, tout comme en Europe, du reste. Toutefois, chez nous, la loi bancaire interdit à quiconque de prêter de l’argent s’il ne possède pas le statut de banque.

Le deuxième facteur de la crise est la dissémination du risque. Nous sommes partisans de la titrisation. Une crise bancaire classique se transforme en crise économique générale parce qu’une banque saute et propage la crise dans la région, le pays, voire le monde. La titrisation permet de distribuer et de disséminer le risque. Mais cela repose, pour bien fonctionner, sur trois conditions qui n’étaient pas totalement réunies au moment de l’explosion : les produits doivent être visibles ; les engagements des émetteurs doivent être clairs ; les investisseurs doivent être capables d’apprécier à quoi correspondent les créances et ne pas se référer uniquement au rating des agences indépendantes.

Troisièmement, les banques ont des engagements résiduels dans certains produits titrisés sophistiqués. Selon leur politique propre et les règles de régulation nationales, elles peuvent laisser tomber un produit – ce sont alors les investisseurs qui assument la totalité de la perte – ou au contraire prendre un engagement de liquidité, voire intégrer cette participation dans leur bilan. Or certains contrats concernant de tels véhicules contenaient des imperfections et n’étaient pas parfaitement clairs.

Sur ces trois chapitres, tout n’était donc pas parfaitement clair ; la crise financière part de là. Au-delà de la crise des subprimes, qui mettra à la rue 2,2 millions de ménages américains, le manque de clarté entraînera une méfiance généralisée vis-à-vis des marchés financiers et même vis-à-vis des bilans des banques américaines.

Nul ne sait encore combien cette crise coûtera. L’économie étant mondialisée, les établissements français en subissent évidemment les conséquences. Le montant de leurs pertes s’établit pour l’instant à 14,4 milliards mais pourra évoluer en fonction de la valeur des maisons aux États-Unis. La bonne nouvelle, c’est que ces pertes n’entraînent des résultats mauvais ou catastrophiques pour aucun établissement français ; sans la fraude qu’elle a subie par ailleurs, la Société générale aurait gagné plus de 4 milliards.

Des établissements financiers non bancaires traversent des difficultés de liquidités considérables : la grosse maison de titres Bear Stearns, qui n’a pas le droit de recevoir des dépôts de particuliers, est tombée en quasi-faillite il y a trois semaines et a été rachetée par JP Morgan. Ses clients n’ont subi aucun dommage mais, pour le contribuable américain, cela se traduit par l’inscription en risque de plusieurs dizaines de milliards de dollars.

De grandes incertitudes macroéconomiques pèsent sur les marchés. Si les États-Unis ralentissent, le monde entier ralentira. Les États-Unis sont en récession aux premier et deuxième trimestres 2008. En Europe, le mouvement à la baisse est inégal et la croissance repose sur des fondamentaux encore solides : la Commission européenne prévoit une croissance de 2 % en 2008 sur le continent. Quant à la croissance française, principalement tirée par la consommation des ménages, elle devrait se maintenir autour de 1,7 % en 2008. N’oublions pas que le centre de l’économie mondiale, qui était situé en Europe il y a cent ans et se trouve aujourd’hui aux États-Unis, tend à se déplacer vers l’Asie. L’économie mondiale continue de croître au rythme satisfaisant de 3,7 %, même s’il est en repli par rapport aux 5 % des années précédentes.

L’affaire de la Société générale n’a aucun rapport avec ces problèmes de risque. La fraude a cours depuis que les banques existent. Des établissements étrangers de taille similaire ont d’ailleurs connu des situations équivalentes de positions dissimulées puis découvertes par la hiérarchie interne, et certains de mes collègues ont bien voulu dire que leur propre banque pourrait être touchée. Le seul lien avec la crise, c’est que nous avons débouclé ces positions dissimulées dans des conditions de marché épouvantables, ce qui nous a coûté les 5 milliards que vous savez.

Cette fraude ne remet absolument pas en cause nos systèmes de mesure et de valorisation du risque car les positions prises étaient dissimulées. C’est d’ailleurs pourquoi la Société générale se porte aujourd’hui très bien, y compris dans ses activités de marché : nous subissons comme tout le monde les effets de la crise mais aucune perte de confiance de la part des centaines d’opérateurs financiers qui travaillent avec nous ni aucun mouvement significatif de peur de la part de nos clients.

Cela étant, un fraudeur a utilisé des techniques, parfois simples, parfois sophistiquées, pour déjouer nos dispositifs de contrôle interne. Dès le quatrième jour, nous avons annoncé l’instauration de nouveaux contrôles manuels afin d’éviter qu’une telle fraude se reproduise. D’autres établissements qui ne les avaient pas encore adoptés viennent aussi de le faire.

L’intervention d’Eurex ne laissait rien présager d’anormal car les superviseurs de marché envoient 300 questions par an pour les seules salles actions de la Société générale. Mais la procédure suit son cours, qu’il s’agisse de l’enquête de la police, de celle de la Commission bancaire ou de celle du conseil d’administration de la Société générale, pilotée par un comité spécial composé d’administrateurs indépendants. Les conclusions de la première phase sont disponibles sur notre site et celles de la deuxième phase le seront fin mai.

Nous avons réaffirmé notre stratégie, nous sommes allés à la rencontre des marchés et nous avons réclamé à nos propriétaires davantage que ce que nous avions perdu. L’augmentation de capital a été bouclée avec succès en six semaines environ et nous en rendrons compte devant les actionnaires lors de notre assemblée générale de fin mai. Je rappelle que la Société générale, malgré cette fraude exceptionnelle et les conditions du marché, a gagné 1 milliard d’euros en 2007.

Comment faire pour sortir de la crise générale des marchés ? Des papiers publiés par des organes de régulation internationaux – notamment le rapport intérimaire du Forum de stabilité financière de début février ou le rapport du conseil Écofin du 4 mars – commencent à dégager des clés intéressantes.

Un sujet de préoccupation concerne la méthode de valorisation des actifs pour les marchés non liquides. Si aucune transaction immobilière n’intervient dans une ville donnée pendant un certain temps, compte tenu du système de valorisation adopté il y a quelques années par les instances européennes, la première vente déterminera à elle seule le prix du marché. Si cette vente se conclut à vil prix, le système diffusera la crise. Il n’est pas question d’édicter de nouvelles règles dans la situation actuelle mais, une fois la crise terminée, il faudra se pencher sérieusement sur cette fair market value, que certains n’hésitent plus à qualifier d’unfair market value.

Pour restaurer la confiance, les banques doivent réévaluer leurs actifs de façon réaliste et surtout déclarer clairement et entièrement leur exposition au risque sur ces produits structurés, afin que le marché puisse effectuer ses arbitrages. Les grands établissements ont pris des décisions allant dans ce sens à l’occasion de leurs résultats de fin d’année.

Par ailleurs, les superviseurs et les régulateurs – ceux du marché boursier et du marché bancaire français sont considérés à l’étranger comme faisant partie des meilleurs – doivent imposer à ceux qui ne l’ont pas encore fait, à supposer qu’il en reste, de déclarer complètement leurs risques et leurs positions. Je pense en tout cas que le contrôle des niveaux de capitalisation par les régulateurs ne pose aucun problème ; je précise au passage que celui des banques françaises s’établit au taux tout à fait adéquat de 8 %.

Je suis incapable d’apprécier l’action des banques centrales. Néanmoins, de ma position de dirigeant d’une grande banque régulée active en France, en Europe et aux États-Unis, j’ai l’impression que leur gestion de la liquidité, pendant toute la période récente, a été extrêmement efficace.

La régulation bancaire peut-elle être améliorée ? Nous sommes en train de passer de Bâle I, système tout simple et normatif, à Bâle II, plus sophistiqué et bien meilleur. Toute norme incite les acteurs à s’en approcher : si la vitesse est limitée à 90 kilomètres/heure, tout le monde roulera entre 85 et 89 kilomètres/heure, sans parler de ceux qui iront trop vite. Bâle II ressemble plutôt à l’injonction faite aux automobilistes de rester maîtres de leur vitesse en toutes circonstances, le système étant assorti de dispositifs de mesure. Bâle II aurait eu une efficacité supérieure à Bâle I puisqu’il prévoit la prise en considération des engagements hors bilan. Des ajustements marginaux seront peut-être nécessaires au vu de l’expérience mais Bâle II constitue un progrès aux yeux de la Société générale comme de la plupart des autres grandes banques.

En revanche, les agences de notation doivent changer de méthode. Elles procèdent comme M. Robert Parker, spécialiste du rating dans le domaine de l’œnologie, qui utilise l’échelle de 0 à 100 indistinctement pour un Pomerol et un Côte de Nuits. Un AAA n’a pourtant pas la même signification selon qu’il évalue la dette de la France ou un produit structuré. En effet, l’État est actif, il peut améliorer ses finances publiques – c’est ce que vous avez fait, par exemple, avec la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF –, tandis qu’un papier structuré est passif, il ne peut être modifié. Les agences devraient donc employer des échelles de notation différentes.

La coordination entre les autorités de régulation et de supervision est déjà excellente en France, ce qui n’est manifestement pas le cas en Grande-Bretagne, l’affaire Northern Rock l’a démontré. Le secrétaire au trésor américain, Henry Paulson, vient de lancer un grand projet qui revient à critiquer l’organisation en vigueur, avec des agences fragmentées par État. En Europe, nous ne prenons pas le chemin d’une agence unique de régulation car les États membres y sont défavorables, contrairement aux grandes banques du continent, qui préconisent une harmonisation des règles et un organe commun de supervision afin de créer une culture commune et de favoriser une concurrence saine sur tous les marchés. Mais cette décision dépend des parlements nationaux de chacun des États de l’espace européen.

M. Henri Emmanuelli : Ce n’est pas pour demain ! Il faut attaquer le Luxembourg !

M. Daniel Bouton : L’activité financière, en particulier celle qui se déploie sur la place de Paris, constitue un atout pour notre pays. Outre l’aéronautique, il est leader mondial dans plusieurs activités industrielles comme la gestion d’actifs, les financements structurés et, malgré la fraude constatée à la Société générale, les dérivés actions. Il faut savoir que la banque britannique HSBC a transféré ses pôles dérivés actions à Paris, compte tenu de la qualité du dispositif français de contrôle des risques, du bon dialogue entre les régulateurs et du potentiel de professionnels bien formés dans les grandes écoles – BNP Paribas et la Société générale emploient respectivement 140 et 130 polytechniciens.

Bref, avoir de grandes banques est un atout important pour la France. Votre Commission pourrait avoir une réflexion sur ce thème lorsque la crise n’aura plus de retombées. Nos concurrentes anglo-saxonnes installées à Londres ont un intérêt objectif à faire croire que la situation de la place de Paris est catastrophique ; nous le comprenons, c’est le jeu de la concurrence, mais ne tombons pas dans le panneau. L’expertise financière française est appréciée. Nous devons continuer d’attirer à Paris les meilleurs talents, qui drainent toute l’industrie financière. Les banques françaises présentent la particularité de maintenir à Paris leurs activités essentielles de banque d’investissement ; 20 % seulement des activités de Société générale, par exemple, sont localisées à Londres.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général : Estimez-vous que le processus de dévalorisation d’actifs, corrélé à la méfiance vis-à-vis des marchés, est aujourd’hui interrompu et que nous sommes entrés dans une phase de stabilisation ?

Au regard de l’extrême complexité des produits non structurés, n’est-il pas illusoire de chercher à améliorer leur traçabilité et leur évaluation ? L’inventivité des concepteurs de ces produits ne leur donnera-t-elle pas toujours une longueur d’avance sur les dispositifs de contrôle ?

La panne du moteur de la titrisation ne provoque-t-elle pas par un resserrement ou un renchérissement du crédit ? Ce phénomène, observé depuis six mois pour les prêts immobiliers aux ménages, ne risque-t-il pas de s’étendre au financement des entreprises, en particulier des PME ?

Après la réussite de sa recapitalisation, quelles sont les perspectives de la Société générale ?

Madame Obolensky, au-delà de son rôle bien connu de lobbying, la FBF organise-t-elle des échanges d’informations et d’expertises entre ses adhérents sur le sujet de l’organisation des contrôles internes ou bien celui-ci est-il tabou ? La surveillance du risque est-elle du seul ressort de la Commission bancaire ?

M. Daniel Bouton : Il n’y a aucune raison que le volume de crédit se resserre en France. Si une banque prêtait à un ménage ou à une entreprise insolvable il y a six mois, c’est une mauvaise banque. Notre métier a toujours consisté en permanence à prêter en espérant raisonnablement nous faire rembourser. Seul le prix du crédit joue.

M. Michel Bouvard : Et le credit crunch ?

M. Daniel Bouton : Il n’y en a pas. Notre ratio de fonds propres est de 8 %. Si vous avez un bon dossier, envoyez-le à la Société générale, nous disposons des capitaux propres nécessaires. Mais nous savons détecter les mauvais dossiers.

M. Henri Emmanuelli : C’est pour eux que le système coince.

M. Daniel Bouton : Nous n’avons pas vocation à financer des emprunteurs insolvables.

La FBF ne s’occupe pas des contrôles internes ; des brigades de policiers ne sont pas déployées pour se substituer aux contrôles internes. Le système de contrôle comporte plusieurs niveaux. La Société générale emploie quelque 2 000 auditeurs. Ceux-ci ne reprennent pas les opérations une à une – on en compte des milliards – mais vérifient que notre système interne fonctionne bien. Cette architecture, définie dans le règlement n° 97-02 du Comité de la réglementation bancaire et financière, est la bonne.

Je ne résiste pas à vous traduire une phrase de The Economist de ce matin : « Un système financier sophistiqué et innovant peut déboucher sur des booms destructeurs. Mais un système trop régulé condamne l’économie à une croissance lente. » C’est toute la difficulté pour le législateur et le régulateur : où se situe le bon équilibre entre, d’une part, trop de régulation mais une croissance lente, et, d’autre part, trop d’innovation mais un risque de boom comparable à celui qui vient de se produire aux États-Unis ?

Je suis en désaccord avec une thèse popularisée en France par Philippe Ries, journaliste ici présent. La crise s’est exportée des États-Unis vers l’Europe tout comme la prospérité s’était exportée des États-Unis vers l’Europe pendant la période précédente. Dans un monde interconnecté, si la France tousse, l’Allemagne ne se porte pas bien, si la croissance ralentit en Espagne, la France en subit les conséquences, et, si les États-Unis vont mal, nous souffrons avec eux. Essayons d’aider les États-Unis car notre propre santé en dépend.

Le Président Didier Migaud : Au début de la crise, ces évidences étaient niées !

M. Daniel Bouton : La réalité de la crise elle-même était niée !

M. Jérôme Cahuzac : La modestie de vos propos, monsieur le président, ainsi que les incertitudes sous-jacentes à certaines de vos déclarations augurent bien d’un dialogue plus propice à la confiance que des vérités assénées comme des évidences d’on ne sait quel Olympe bancaire. Je vous remercie donc du ton de votre intervention.

Vous avez souligné l’importance des banques dans notre économie, donc de la responsabilité qui est la vôtre. Autrement dit, quand une banque comme la vôtre court un risque pour elle-même et pour la place, ce risque se mesure à l’aune de cette importance. Estimez-vous, au regard de la crise que vous avez connue, que le licenciement sec d’un « fraudeur » – terme que vous utilisez désormais, plutôt que celui de « terroriste » – et l’amputation de la rémunération de certains dirigeants sont à la hauteur du risque encouru par votre entreprise et par la place ?

À propos des banques américaines, vous vous êtes demandé s’il fallait les croire. Je vous demande à mon tour : faut-il croire les banques françaises ?

Estimez-vous que le nombre important de polytechniciens travaillant dans ces établissements est un gage de confiance ? Subsidiairement, la devise de l’École polytechnique qui est « pour la patrie, les sciences et la gloire » doit-elle être complétée par « pour les banques » ? Avant le mot « patrie » ? Ou après le mot « gloire » ? Nonobstant la grande qualité des ceux qui en sortent, estimez-vous que le recrutement est à revoir pour éviter une crise comme celle que vous avez pu connaître ?

Vous avez développé un modèle de croissance interne original en France, fruit d’une décision à la fois librement consentie et quelque peu contrainte, si l’on se souvient de certains échecs – je pense à l’OPA sur Paribas. Estimez-vous que ce modèle de croissance interne, fondé sur des résultats qui, pour près de la moitié, proviennent précisément des activités du fraudeur en question, a vécu ? Faudrait-il le corriger pour éviter les incidents, et même les accidents ?

Vous avez déclaré l’année dernière, avant que n’éclate la crise elle-même, que votre groupe, la Société Générale, n’était exposé qu’indirectement, et de manière marginale, aux différentes activités liées aux subprimes. Estimez-vous, après la perte de cinq milliards d’euros, que ce soit toujours le cas ?

M. Daniel Bouton : N’étant pas polytechnicien et n’ayant pas le talent rhétorique d’un homme politique, vous me pardonnerez de ne pas répondre à la question sur l’École polytechnique…

Ce qu’ignorent certains commentaires sur la position dissimulée dont j’ai parlé, et qui est pourtant fondamental, c’est que ce n’est pas notre métier. Une banque, même plus grosse que la nôtre – nous sommes tout de même parmi les vingt premières banques du monde par la capitalisation – n’aime pas prendre une position, même d’un milliard d’euros. Nous divisons le risque. Les 50 milliards de positions dissimulées n’ont rien à voir avec notre métier. Vous avez souligné que nous avions eu la meilleure performance boursière de toutes les banques européennes sur la période 2000-2007. J’espère que les 155 000 personnes qui travaillent dans cette entreprise seront capables de retrouver une décennie de profits.

Les banques françaises sont connues de tout le monde pour deux caractéristiques. La première est la bonne qualité des services rendus. Je parle pour mes concurrents comme pour la Société Générale, même si je pense que la Société Générale est « plus meilleure ». La seconde est la tarification, qui est très basse pour les crédits, et qui, pour les services, se situe dans la moyenne européenne. Toutes les enquêtes européennes montrent que c’est en France que l’on finance son logement le moins cher et que les paniers de services, qu’ils soient publiés par la Commission européenne ou par les organismes de consommateurs, nous placent à peu près dans la moyenne européenne. Comme je ne critique jamais tel ou tel de mes concurrents qui annonce un profit warning, j’ai le plaisir d’indiquer que la solidité des banques françaises est telle qu’elles sont capables d’encaisser et de résister dans un monde dans lequel le prix des maisons continuerait à baisser. C’est le métier des banques que de prendre en charge le coût du risque, qui est plus élevé quand le cycle est mauvais que quand il est bon. Ne vous inquiétez pas.

Le Rapporteur général : Cela veut-il dire que quand on vit dangereusement, on fait davantage de profit ?

M. Daniel Bouton : Il est sûr que la banque qui ne prête jamais d’argent n’existe pas et qu’en tout état de cause, elle ne gagne rien. La seule banque qui ne courrait pas de risque, ce serait une banque privée qui utiliserait l’argent de ses clients uniquement pour acheter des bons du Trésor de l’État français.

M. Henri Emmanuelli : Dexia ?

M. Daniel Bouton : En France, vous le savez, une collectivité locale du Poitou a connu des difficultés considérables !

Le Président Didier Migaud : C’est peu de chose !

M. Daniel Bouton : Nous mesurons le risque de défaillance des collectivités locales. D’ailleurs, elles demandent des ratings. Par ailleurs, heureusement que nous avons des clients qui présentent des risques extrêmement faibles !

M. Henri Emmanuelli : J’ai parlé de Dexia, pas de la Société Générale.

M. Daniel Bouton : Mais nous avons des prêts aux collectivités locales ! J’espère que vous n’imaginez pas qu’il puisse y avoir un monopole dans une quelconque activité bancaire : les caisses d’épargne, la Société Générale ou Dexia sont sur ce créneau.

Le Rapporteur général : Une précision à propos de la rentabilité de la Société Générale, supérieure à celle de ses concurrents. Cette banque a également subi un risque exceptionnel. Sans établir de relation entre les deux…

M. Daniel Bouton : Non ! Aucun rapport. Il y a eu fraude !

Le Rapporteur général : on sent bien que plus de risque entraîne plus de rentabilité, mais que plus de risque peut aussi provoquer plus de pépins.

M. Daniel Bouton : Tout le monde le sait, la banque de financement et d’investissement – la BFI – représente 29 % des capitaux propres à la Société Générale, contre 36 %, je crois, chez BNP-Paribas, notre plus grand concurrent. Il faut l’avoir à l’esprit. Nous avons atteint en fin de cycle, sur 2005-2006-2007, des niveaux de rentabilité qui ne sont pas récurrents. Tout le monde en est conscient sur le marché. La Société Générale, ou la BNP, aurait été valorisée trois fois son prix d’aujourd’hui si elle avait eu une BFI dégageant des résultats comme au sommet du cycle. Dans le monde dans lequel nous vivons, il est normal que, quand un secteur économique va bien, les profits soient plus élevés et que, quand la conjoncture va un peu moins bien, les profits soient un peu plus bas. Les banques françaises, malgré la crise actuelle, sont en situation de gagner des milliards d’euros cumulés en 2008. Je suis très heureux d’être ici en train de me faire enguirlander parce que les profits anticipés des banques françaises en 2008 vous semblent un peu faibles, monsieur le Rapporteur général…

Le Président Didier Migaud : Une question n’a pas encore abordée, celle de la fraude ou des actions dissimulées. Comment cette dissimulation a-t-elle pu durer aussi longtemps et prendre pareille importance ? On a lu ici ou là que ne pas prendre de vacances pouvait paraître suspect. Pourquoi les contrôles opérés n’ont-ils pas eu de suite ? On a lu aussi que, tant que ce trader faisait gagner de l’argent, on n’était pas regardant, et que la question ne s’était posée qu’à partir du moment où certains seuils avaient été dépassés. Ce sont des questions que tout le monde se pose et, honnêtement, nous ne sommes pas entièrement convaincus par les réponses qui nous sont apportées.

M. Daniel Bouton : Puis-je suggérer à la représentation nationale de bien vouloir lire non pas ce qui a été écrit en qualité de roman dans tel ou tel journal…

M. Jean-François Lamour : Nous ne lisons pas que des romans !

M. Daniel Bouton : Nous avons décidé de traiter cette affaire de manière totalement transparente. Autrement dit, sur le site Société Générale, vous avez accès à la totalité des constatations des inspections en cours. Un comité d’administrateurs indépendant a été créé spécialement pour la circonstance, présidé par M. Jean-Martin Folz. Tout ce qui a été publié jusqu’à présent ne porte que sur les back offices. Parce que l’enquête de justice a priorité, nous n’avions pas le droit d’interroger la hiérarchie du trader en question. Je ne vais pas, en période d’enquête pénale, donner mon sentiment sur la façon dont a fonctionné la hiérarchie. Cela étant, je comprends votre angoisse devant les raisons de cette position dissimulée. Je me borne à dire deux choses.

La première, c’est que je m’intéresse moins à cette affaire que je ne me préoccupe de l’avenir. L’avenir de la Société Générale, c’est de savoir si notre business model est bon et s’il doit continuer. La réponse, ce sont les 5,5 milliards que nous ont confiés les actionnaires. Autrement, ç’aurait pu être un drame.

La deuxième : hier, je parlais médecine avec le Président Accoyer, et je lui ai indiqué que nous avions lancé un programme de recherche pour voir si la médecine du travail pouvait contribuer à détecter des comportements complètement anormaux, comme celui de ce fraudeur, qui a pris une position d’une dizaine de milliards. Des tas de programmes sont lancés pour éviter ce type de situation.

M. Jean-François Lamour : La Société Générale se porte bien, et nous en sommes très heureux. Mais ce qui s’est passé a eu un effet dévastateur dans l’opinion publique. Nous nous en sommes rendu compte sur le terrain, pendant la campagne électorale.

Nous avons questionné certains de vos anciens traders qui ont travaillé dans vos salles de marché. Un trader n’est pas seul, il a des voisins qui entendent ce qui se passe et qui peuvent se rendre compte qu’il prend des positions dévastatrices. Comment se fait-il que, même au milieu de ses collègues, ce trader ait pu se comporter ainsi, non pas une seule fois, mais à de multiples reprises, durant de longs mois ?

M. Frédéric Lefebvre : Depuis des semaines, les uns et les autres nous expliquent que nous avons le meilleur système de contrôle du monde. Vous aussi. Vous avez parlé d’investir dans la médecine. Comment allez-vous donc investir dans le contrôle interne ? Que pensez-vous aussi des propositions pour améliorer le contrôle externe ?

M. Daniel Bouton : Je suis désolé que certains de vos électeurs vous aient interrogé sur la Société Générale, mais permettez-moi de penser surtout à ceux qui ont vraiment souffert, c’est-à-dire aux 13 000 employés de la Société Générale qui sont au service des ses 4 millions de clients. Pendant cinq ou six jours, ils ont eu à expliquer que la banque allait bien, malgré ce que l’on entendait sur les marchés. Nous l’avons expliqué à nos collaborateurs, et nos collaborateurs à nos clients. Et nous n’avons pas perdu de clients. C’est cela qui est important pour le système bancaire français. L’avenir de la Société Générale – et son conseil d’administration s’en occupe, comme l’assemblée générale de ses actionnaires le fera le moment venu –, il semble bien qu’il soit devant elle, et non compromis par une quelconque fraude.

M. Jérôme Cahuzac : Maintiendrez-vous une stratégie en vertu de laquelle 47 ou 48 % des résultats proviennent des activités de marché ?

M. Daniel Bouton : Elles engagent 29 % des capitaux propres. J’espère que vous avez souscrit à l’augmentation de capital ! Nous continuons à diminuer la part des capitaux propres alloués à la BFI. Nous avons l’intention de passer de 29 à 25 % d’ici à trois ans. Je suis confus de ne pouvoir répondre à toutes les questions sur les conséquences économiques pour la Société Générale, mais je vous signale que, pendant cette période, nous avons pris le contrôle de la deuxième banque russe : nous avons désormais 700 agences dans un pays qui connaîtra l’une des croissances les plus fortes dans les prochaines années. Si une entreprise de votre circonscription veut se développer entre Krasnoïarsk et Iakoutsk, elle peut aller voir la Rosbank, filiale de la Société Générale, qui sera contrôlée par la Société Générale à compter du 1er juin. Voilà notre stratégie : se développer dans les pays émergents qui auront une croissance forte dans les prochaines années. Les actions Société Générale sont sur le marché : achetez-les, monsieur le député !

Non seulement nous investissons dans les métiers de contrôle mais le conseil d’administration du 13 mai délibérera sur un changement innovant de l’architecture de contrôle, pas seulement sur les effectifs.

Je ne parviens pas à m’expliquer clairement, mais la question n’est pas tant la détection de la fraude, compte tenu du talent de dissimulation de cet homme. Allez voir sur le site l’annexe 4 qui détaille les quelque soixante-dix contrôles auxquels il a échappé. Les contrôles existent. Ce qui nous manquait, mais que nous faisons manuellement depuis le 24 janvier, et que nous sommes en train d’industrialiser, c’est la transversalité des contrôles. Je suis allé moi-même le dire aux régulateurs de façon que toutes les banques qui ne la pratiquent pas s’y mettent le plus vite possible. Des contrôles dans tous les sens ne servent à rien si l’on ne peut pas se rendre compte qu’un fraudeur a annulé un trop grand nombre d’opérations. C’est la transversalité qui aurait permis de détecter les anomalies. Elle existe dorénavant et bon nombre de banques, où elle n’existait pas, sont en train de l’industrialiser elles aussi. Dans ce domaine, c’est comme dans la police, la technologie du contrôle fait des progrès à chaque fraude découverte. Nous apprenons chaque fois, mais je ne suis pas sûr qu’il faille augmenter les dépenses. En 2008, nous dépenserons probablement entre 50 et 100 millions pour améliorer le dispositif de contrôle uniquement dans cette salle de marché. Ce ne sont pas des problèmes d’effectif ou de budget, c’est une question de conception des systèmes de contrôle sur lesquels nous devons faire des progrès supplémentaires.

M. François Goulard : Vous êtes entré dans le vif du sujet avec l’intégration du contrôle, qui préoccupe tout le monde. Mais, au sein de la Fédération bancaire française, quels ont été les échanges pour éviter que votre expérience malheureuse ne se reproduise ailleurs ? Travaille-t-on chacun pour soi ou bien y a-t-il, sur un sujet aussi fondamental, des échanges très ouverts ?

Votre établissement est, selon vous, suffisamment capitalisé au regard des règles Bâle I et Bâle II. Le mode de calcul des ratios est une chose, le niveau des capitaux en est une autre. Dans un monde où les risques sont nombreux, des capitaux propres plus élevés ne constitueraient-ils pas une réponse à la crise ? Votre première décision n’a-t-elle d’ailleurs pas été de rechercher de nouveaux capitaux ? Les capitaux propres sont bien le gage de la sécurité.

En ce qui concerne la restriction des crédits immobiliers et du financement des PME, vous nous avez dit qu’un bon dossier reste un bon dossier. Soit, mais pouvez-vous contester qu’il y ait un effet réseau ? Vous ne prenez pas toutes les décisions vous-même. Et vos milliers de collaborateurs peuvent être tentés, après un épisode difficile, d’être plus restrictifs. Quand la conjoncture est difficile, ils deviennent plus frileux. Pouvez-vous mesurer cet impact dans une banque de la taille de la vôtre ?

M. Daniel Bouton : Ce n’est certes pas moi qui décide, mais, tant qu’il y aura localement neuf établissements, le niveau de concurrence en France sera tel que, si aucun ne veut prêter de sous, c’est que le dossier présente un défaut quelque part. Si le marché était un monopole ou un duopole, vous auriez raison. Mais avec neuf offres presque partout en France, il ne peut y avoir ni contingentement ni credit crunch.

Mme Ariane Obolensky : Au sein de la Fédération française bancaire, il existe une commission particulière, la commission prudentielle, qui est présidée par un « chef de maison », c’est-à-dire un président de banque, pour en marquer la très grande importance. Cette commission rassemble seize personnes, qui sont les responsables de la surveillance prudentielle dans les établissements, et elle se réunit tous les mois. Il va de soi qu’elle a discuté des récents événements comme elle le fait des problèmes de supervision et de contrôle interne. C’est elle qui essaie de fixer la doctrine de la Fédération, avant qu’elle soit ensuite examinée par notre comité exécutif.

Nous avons des contacts très réguliers avec la Commission bancaire, tant au niveau technique – en dessous de moi ou avec moi – que politique – notamment avec le sous-gouverneur de la Banque de France compétent, avec lequel les sujets sont fréquemment abordés en termes généraux.

Autant nous pouvons discuter des textes, des problèmes, autant une commission ne peut pas – elle n’en a pas les moyens – descendre dans le concret. Il y a par définition des problèmes qui ne peuvent être traités qu’en interne, au vu de l’organisation propre à chaque établissement. Il peut y avoir un échange d’expériences, il ne peut pas y avoir substitution au travail qui est mené à l’intérieur des établissements. Enfin, dans certaines activités, les dispositifs de contrôle des risques font partie de la concurrence entre les banques, et de la sécurité qu’elles offrent. Il y a des choses qui ne peuvent pas s’échanger. Cela étant, je peux vous assurer que les questions de supervision et de contrôle sont vues très régulièrement par la Fédération bancaire française.

M. Jean-Pierre Brard : Monsieur le président, vous êtes fort habile et on a beaucoup de mal à obtenir des réponses précises.

Selon vous, personne n’aurait vu arriver la crise américaine. Ce n’est pas tout à fait vrai. Notre ministre conseiller auprès de notre ambassade à Washington, a fait une conférence il y a trois ans, devant l’IFRI à Paris. Graphiques à l’appui, il avait décrit la situation et il avait prévu le krach pour 2008-2009. Il avait même évoqué 1929. Qu’il y ait beaucoup d’autisme
– pas seulement chez les banquiers, mais aussi au gouvernement – c’est une chose, mais le diagnostic avait été correctement posé.

La fraude dans les banques existe depuis toujours. D’ailleurs, l’affaire du Sentier n’est pas si vieille. En 2007, à la Société Générale, quelle était la part des activités de marché respectivement dans le chiffre d’affaires et dans les bénéfices ? Et comment a-t-elle évolué ces cinq dernières années ?

M. Kerviel – il faut bien le nommer, tout de même – opérait principalement, semble-t-il, en dehors des grands marchés organisés. Est-ce un choix de la Société Générale ? Jusqu’à quel niveau de la hiérarchie de l’opérateur avez-vous appliqué – ou allez-vous appliquer – des sanctions ? Ou bien persistez-vous à dire, malgré ce qui a été expliqué sur la promiscuité des opérateurs dans les salles de marché, que ce trader était seul en cause ?

Quel est le taux de rendement maximal qu’il vous semble possible d’obtenir actuellement avec les produits financiers ? Lesquels ? Quel est le rendement moyen des transactions dans la salle de marché ? Enfin, prévoyez-vous de nouvelles dépréciations d’actifs à la Société Générale dans le cadre de la crise des crédits immobiliers et de leurs produits dérivés ? Si oui, pour quels montants ? Si l’on en croit les propos tenus dans la Tribune d’hier par M. Éric Galiègue, des pertes énormes sont encore à venir : 100 milliards de dollars de perte ont été dégagés et il en resterait au moins autant à combler.

Pourriez-vous, monsieur le président, nous répondre avec précision, même au détriment de votre habileté ?

M. Daniel Bouton : Je ne suis pas particulièrement réputé pour mon habileté.

M. Jean-Pierre Brard : Votre modestie vous honore.

M. Daniel Bouton : La Société Générale est la première contrepartie du marché organisé Euronext au niveau européen. Nous sommes le premier client d’Euronext au niveau français et le deuxième ou troisième sur le marché de dérivés Eurex, devenu célèbre après ce que vous savez. Notre métier n’est pas un métier dans lequel nous faisons de la transaction marginale comme le desk sur lequel pouvait travailler le fraudeur. Ce qui n’a pas été bien compris, c’est que la position dissimulée qui a été prise a été construite à partir d’une activité simplissime et non pas d’une activité à laquelle se livrent les anciens élèves de l’école à laquelle on a fait allusion, et dont je ne suis pas issu. L’arbitrage est une activité vieille comme le monde. Rappelez-vous le temps du bimétallisme où certains achetaient de l’or et le déplaçaient pour l’échanger contre de l’argent. C’était de l’arbitrage. Ce trader faisait la même chose. Il n’y a pas besoin d’être sorti de Princeton pour faire une activité dont la profitabilité, qui plus est, est extrêmement faible. Ce qu’il a fait n’a aucun rapport avec son activité normale.

Ce n’est pas le lieu de débattre des responsabilités, mais il a été annoncé dès le premier jour que le patron mondial des dérivés actions et celui des ressources allaient quitter la Société Générale. Les procédures françaises ne sont pas celles des États-Unis où ils auraient fait leur valise le jour même après s’être fait confisquer leur micro-ordinateur.

M. Jean-Pierre Brard : Sont-ils partis avec un pactole ?

M. Daniel Bouton : Ils sont partis dans le respect du droit du travail, ce qui me paraît parfaitement normal.

Pour connaître le taux de rendement moyen que l’on peut attendre d’un produit financier, allez dans une agence de la Société Générale qui vous proposera des produits différents avec des risques différents, et des rendements différents. Si vous avez un voisin qui veut à la fois un bon rendement et une garantie du capital, il faut qu’il aille dans une agence de banque française car, maintenant, nous avons été imités. Un produit garanti, par exemple indexé sur les actions, pour en avoir les avantages tout en en évitant les risques, se fabrique dans les tours de la Défense, de la Société Générale ou de Calyon, là où l’on sait mettre au point des produits structurés, garantis et sophistiqués. On peut ainsi jouer le rebond à cinq ans des marchés actions tout en étant sûr de ne pas perdre son capital ou d’en récupérer 90 %. C’est au client de déterminer le risque qu’il accepte.

Un progrès considérable a été fait grâce à la transposition d’une directive européenne, dite MiFID, entrée en application au mois d’octobre. Elle permet de vérifier que le banquier de base diffuse bien au consommateur toute l’information sur le risque qu’il prend en achetant tel ou tel produit financier. Vous savez bien qu’à l’exception de la dette de l’État français, tout papier comporte un risque.

Le Président Didier Migaud : Et l’hypothèse d’une nouvelle dépréciation ?

M. Daniel Bouton : J’ai répondu à M. Goulard.

M. Charles de Courson : En cas de très forte baisse des prix de l’immobilier, notamment aux États-unis, en Grande-Bretagne et en Espagne, peut-il y avoir un risque systémique affectant les grandes banques internationales ?

La baisse, très forte, des taux directeurs décidée par la Banque centrale américaine et, dans une moindre mesure, par la Banque centrale européenne va-t-elle entraîner une baisse des taux effectivement pratiqués par les banques auprès des particuliers et des entreprises dans les mois qui viennent ?

M. Daniel Bouton : La France est un cas un peu particulier, s’agissant du marché du financement de l’immobilier, parce que, pour des raisons historiques et culturelles, nous sommes le pays au monde où les ménages se financent le plus avec des taux fixes. Pour acheter une maison, vous trouvez des crédits à quinze, dix-huit ou vingt ans, presque exclusivement à taux fixe. Ces taux dépendent de celui du marché, mais ils ne varient pas durant la vie du prêt, comme en Grande-Bretagne ou en Espagne. En ce qui nous concerne, nous appliquons les contrats, c’est-à-dire que le taux continue de s’appliquer pour les contrats en cours. Quant aux nouveaux, si le prix de l’argent monte, ceux des prêts immobiliers aussi, et, s’il baisse – je ne parle pas uniquement des taux courts, puisque nous prêtons à quinze ou vingt ans – les taux des crédits aussi. Nous répercutons le coût de la ressource dans le prix auquel nous vendons notre carburant, qui est l’argent. Les banques répercutent également sur les crédits à la consommation ou aux petites et moyennes entreprises. Nous devons emprunter de la ressource sur les marchés, nous répercutons ensuite sur les prix.

M. Charles de Courson : Une étude récente montrait que les taux d’intérêt ne baissent pas sensiblement.

M. Daniel Bouton : Le taux de l’argent en Europe n’a pas baissé, il a augmenté !

M. Charles de Courson : Aux États-unis, il a beaucoup baissé.

M. Daniel Bouton : Aux États-Unis, les taux d’intérêt sont en train de baisser considérablement dans l’économie réelle, pour l’emprunteur, celui qui achète la voiture ou la maison. Malheureusement, cela n’a pas l’air de suffire à tenir la consommation des ménages. C’est tout le problème.

M. Charles de Courson : Pensez-vous pouvoir maintenir votre taux de marge ?

M. Daniel Bouton : Je me suis fait enguirlander il y a cinq minutes, parce que l’on ne gagnait pas suffisamment de sous ! Je dirai que vous êtes l’auteur de la suggestion, monsieur de Courson !

Pour en revenir à la première question sur le risque systémique, je vous rappelle les deux dernières crises bancaires de cette nature : celle au Japon en 1991, dont je pense qu’il n’est toujours pas sorti et, en 1990, le collapsus du système bancaire suédois, d’une telle gravité qu’il a entraîné près de dix ans de stagnation. Les systèmes de régulation sont tels que la probabilité d’un risque systémique dans un des pays que vous avez cités est extraordinairement faible. Les grandes banques espagnoles, que je connais bien, je ne parle pas des petites, sont extrêmement bien capitalisées. Le milliard de profit de la Générale en 2007 le prouve bien, malgré tout ce dont on a parlé : nous avons tous – que ce soit nous, BNP-Paribas ou Calyon – une taille, une solidité, une profitabilité dans nos métiers telles qu’elles suffisent largement pour traverser des temps difficiles.

J’en profite pour compléter une de mes réponses. Faut-il augmenter le ratio de tier one, le ratio de fonds propres des banques ? C’est une question qui concerne fondamentalement les politiques et les régulateurs. J’y suis, en ce qui me concerne, complètement opposé pour une raison de « pro-cyclicité ». Dans le prochain cycle, quand tout ira bien dans l’économie, on pourra prendre la précaution d’augmenter les fonds propres pour la phase suivante – c’est aux régulateurs d’en décider. Il paraît d’ailleurs que la Société Générale a lancé en France la mode du 8 % de ratio de fonds propres obtenus par augmentation de capital. Mais, en creux de cycle, si j’étais le régulateur, ce que je ne suis pas, j’accepterais, pour des raisons de soutien à l’économie, que les ratios de tier one descendent. C’est un problème de Bâle II, connu uniquement des amateurs : la réglementation est intrinsèquement pro-cyclique et c’est, à mon avis, dangereux.

M. Charles de Courson : Votre réponse sur la solidité des banques ne vaut que pour la France, ce n’est pas forcément vrai aux États-Unis.

M. Daniel Bouton : Il s’est passé plusieurs choses extrêmement importantes ces trois dernières semaines. Il s’est avéré que Bear Stearns, la cinquième banque d’investissement américaine, pouvait être une catastrophe pour ses actionnaires mais qu’elle pouvait aussi, avec l’aide de la Fed, trouver une solution qui évite tout risque systémique. Ensuite, la grande banque UBS, qui a perdu énormément d’argent sur le marché immobilier aux États-Unis, a trouvé sur le marché une solution pour se recapitaliser, comme la Société Générale en janvier, bien que les causes aient été différentes. Lehman Brothers ont fait de même, alors que certains disaient, comme d’habitude, qu’ils pouvaient aller mal. Au cours des trois dernières semaines, la démonstration a été faite que, même avec des établissements spécialisés comme aux États-Unis, la probabilité d’une crise systémique était extraordinairement faible, voire nulle. Je fais partie non pas des optimistes sur la situation actuelle du marché du crédit et de la liquidité, mais de ceux qui pensent que la situation a commencé à s’améliorer.

M. Jean-François Lamour : Vous prenez la décision de déboucler les positions le dimanche après-midi. Christian Noyer, qui avait été informé, nous l’a confirmé. Or vous débouclez le lundi, jour où la bourse de New York était fermée, si bien que vous faites porter sur les marchés asiatique et européen une grosse partie des opérations,…

M. Daniel Bouton : Zéro sur les marchés asiatiques puisque la position dissimulée était entièrement européenne !

M. Jean-François Lamour :…avec un impact possible sur le marché asiatique, et, par la suite, une baisse de trois-quarts de point des taux américains après un vent de panique. Confirmez-vous ou infirmez-vous ce diagnostic ?

Les sociétés de rating et les analystes financiers donnent par ailleurs l’impression de ne pas faire réellement leur travail. Quelles conséquences en avez-vous tirées pour l’avenir ? La titrisation est indispensable, selon vous, pour lever des fonds et développer votre activité, mais elle comporte des risques qui sont apparemment mal évalués. Avez-vous des propositions à faire dans ce domaine ?

M. Daniel Bouton : La Fédération bancaire française a répondu à cette question avec ma comparaison entre le pomerol et le côte de nuits. Nous suggérons que les agences de rating n’utilisent pas la même échelle pour des papiers structurés et pour des organismes vivants. C’est la première proposition, avant d’autres. Il y a un parallélisme des intérêts dans la mesure où, si les agences de rating ne rétablissent pas la crédibilité de la notation sur ces papiers, leur destin sera derrière elles. Nous ne pensons pas qu’une régulation de ces agences soit nécessaire. Leur survie est en jeu. L’IOSCO, organisme présidé par un Français, Michel Prada, en débattra en juin à Paris.

Je sais bien que la Société Générale est le centre du monde, que la France est le centre du monde ; mais, de là à ce que nous, acteurs microéconomiques, ayons une influence sur la politique de taux aux États-Unis… Le point a été réglé par le conseil des gouverneurs dans une conférence de presse.

Quant au débouclage, ce sont les autorités de supervision des marchés qui l’ont traité. Elles ont rendu compte du fait que nous avions donné instruction de déboucler dans le respect de l’intégrité des marchés. Ce qui a été fait puisque personne n’a rien vu le lundi et le mardi. Nous sommes supervisés par Euronext, Eurex et le Liffe, sur lequel le fraudeur avait aussi pris position, mais dans une faible mesure. Ils observent les transactions en permanence, avec des mécanismes électroniques extrêmement sophistiqués destinés à détecter les anomalies. M. Prada, comme Mme Lagarde, ont indiqué qu’ils n’avaient rien décelé. Le débouclage a donc été fait dans des conditions qui ont respecté l’intégrité des marchés. Je ne pense pas qu’il y ait débat sur ce point. Heureusement, nous n’avons pas tout vendu en une seule fois à 9 heures 12. C’eut été totalement impossible d’ailleurs.

M. Yves Censi : Je ne pense pas que l’on puisse ici entrer dans le détail des procédures internes et des systèmes d’exploitation qui relèvent de la responsabilité des décideurs que vous êtes. Je me méfie beaucoup des propositions débouchant sur des décisions réglementaires intempestives. À ce propos, souhaiteriez-vous avoir des relations différentes avec les autorités de contrôle ? En matière de contrôle interne, même si ce trader était affecté aux opérations d’arbitrage classique, avez-vous des propositions à faire pour améliorer les procédures ? Où fixer le risque que vous acceptez de prendre en charge ?

La financiarisation est utile à l’économie française et, selon vous, il n’existe pas de séparation entre la finance et l’économie. Oui et non : l’argent circule, il est le sang des entreprises, qui sont les organes de l’économie. Les turbulences boursières ne touchent pas directement l’économie réelle. Vous avez fait des propositions pour améliorer la régulation et la stabilité financière, en évoquant Bâle II, avec la prise en compte du hors-bilan.

M. Daniel Bouton : C’était avec Bâle I. Personne n’applique encore Bâle II.

M. Yves Censi : En ce qui concerne l’articulation entre crise financière et crise économique, ne faudrait-il pas favoriser l’épargne longue et l’orienter vers les financements et le marché primaire ? Ne faut-il pas réfléchir à une rémunération en fonction du risque et de la durée de placement ?

M. Daniel Bouton : Sur ce dernier point, mes collègues et moi-même sommes à la disposition de votre Commission pour contribuer à tous travaux de réflexion sur l’épargne longue. La France a un problème depuis fort longtemps, l’épargne ayant été absorbée pendant un moment par le financement du déficit budgétaire. Nous n’avons pas créé les fonds de pension qui auraient permis de ne pas toucher aux régimes de retraite, mais c’est un autre sujet. Si vous voulez que je revienne, moi ou un autre de mes collègues, vous aurez la même analyse.

Vous avez tout à fait raison de dire que Bâle II change tout par rapport à Bâle I. Par exemple, le risque de fraude correspond, dans notre réglementation, au risque opérationnel. Il est pris en charge dans Bâle II et toutes les banques auront à constituer un coussin de capital pour parer à l’éventualité du risque opérationnel. Le système Bâle II est intrinsèquement meilleur.

Vous avez aussi raison de souligner l’importance très grande des calculs de probabilité. Dans notre cas précis, la probabilité est la combinaison de trois risques. Quelle est la probabilité pour qu’il y ait un fraudeur non détecté ? Quelle est la probabilité, une fois qu’il est découvert, que la position dissimulée soit petite, moyenne ou grosse, sachant qu’un fraudeur est par définition susceptible de faire n’importe quoi ? Enfin, quelle est la probabilité que le débouclage, dont nous avons parlé, intervienne dans des conditions de marché aussi dégueulasses, si je puis me permettre d’être vulgaire, que celles qui ont été décrites ? Eh bien, les calculs montrent que, par chance, si j’ose dire, même dans un système dans lequel il y aurait un fraudeur qui aurait une très grosse position, la probabilité, dans une banque autre que la Société Générale – puisque, heureusement, le risque y est désormais encore plus faible compte tenu de ce que nous avons fait – que l’opération coûte aussi cher que chez nous est infinitésimale. Le résultat est la conjonction de la fraude, de l’importance de la position du fraudeur, et du fait que les marchés asiatiques avaient commencé à dégouliner le matin même, dans le sillage de New York et de Paris qui avaient plongé le vendredi midi. Là on n’y peut vraiment rien. Parler en termes de probabilité est horrible puisque nous devrions nous rapprocher du « zéro défaut », j’en conviens. Mais la bonne nouvelle, c’est que la probabilité statistique d’un événement aussi lourd de conséquence est minime. Pourtant, il s’est réalisé. Mais, dans le même temps, les marchés financiers sont tels que nous avons réalisé dans la foulée une augmentation de capital qui a été sursouscrite. Si les marchés avaient cru nos systèmes vérolés et pourris, c’en était terminé. Normalement, 7 % environ du capital sont dans les mains d’actionnaires individuels français. Nous avons donc eu affaire à des investisseurs hyperprofessionnels, que ce soit le fonds de réserve des retraites de Paris ou du Milwaukee. Il a donc fallu leur expliquer pourquoi nous n’avions gagné qu’un milliard, au lieu de cinq. Il n’y a pas que la fraude qui les intéresse, il y a aussi l’économie américaine, l’exposition au risque, et surtout le business plan pour 2010 ; bref, la vision à moyen terme. Et nous avons placé notre augmentation de capital avec un assez grand succès.

M. Louis Giscard d’Estaing : La titrisation permet la dissémination du risque. Pour avoir une meilleure traçabilité, par exemple pour détecter un arrière-goût de subprime dans un produit structuré, ne faudrait-il pas plutôt faire appel à un œnologue qu’à un polytechnicien ?

M. Daniel Bouton : La traçabilité n’est pas parfaite dans la réglementation française, l’INAO 1937 modifié. Non, il n’est pas obligatoire en France, contrairement à la réglementation européenne, de donner la composition par cépage de tout produit au-delà des VDQS. Je suis pour une réglementation qui permette de savoir ce qu’il y a dans un vin. En Bourgogne, c’est du pinot noir à 100 % ; dans le pomerol, vous savez qu’il y a du merlot, du cabernet sauvignon. Quelle était la question au fond ?

M. Michel Bouvard : Qui fait office de CNAOC pour les produits financiers ?

M. Daniel Bouton : Chez un grand producteur, on ne peut pas boire toutes les bouteilles de l’échantillon, mais il y a la marque, le producteur, le négociant. En fait, le contenu du produit figure déjà dans la documentation. Je l’ai regardée de près, puisque nous avons commis l’erreur d’avoir de tels produits. Il est mentionné le pourcentage de tel ou tel subprime, de telle ou telle origine, de telle ou telle qualité.

M. Michel Bouvard : Au premier niveau, mais vous savez bien que des investisseurs se sont retrouvés avec des subprimes pour avoir investi dans des produits d’une telle complexité qu’ils n’étaient plus immédiatement lisibles.

M. Daniel Bouton : Je ne suis pas d’accord. Ces produits ne se vendent jamais aux particuliers, ils ne s’adressent qu’aux super-professionnnels. Mais nous avons été victimes, comme d’autres, du mirage du rating. La documentation juridique existe, tout y est décrit. Mais si les investisseurs professionnels l’ont, les intermédiaires comme les banques, ou les investisseurs finaux ne l’ont pas lue. Ils ont alors découvert qu’un produit triple A pouvait se baser sur des subprimes. Je ne suis pas forcément contre. Il faut que les investisseurs lisent la documentation pour savoir ce qu’ils achètent. C’est fondamental. Cela étant, la mécanique du produit sophistiqué n’est pas morte. Les rapports en cours de rédaction pour les différents régulateurs le disent, il ne faut pas s’arrêter au rating, qui ne vaut que pour ce qu’il donne, à savoir la solvabilité. Il ne mesure pas la liquidité. Il faut aussi que chaque investisseur professionnel fasse son boulot et aille regarder en profondeur.

Le subprime n’est pas mauvais en soi, il a servi pendant trente ans de politique du logement aux États-Unis. Ils n’ont pas d’organismes subventionnés par le contribuable par le biais du monopole d’un produit défiscalisé qui sert à financer le logement social. Ils ont une catégorie de marché qui a permis de loger des millions de ménages désargentés. Ce n’est pas idiot d’autant que, le marché montant, ces ménages ont pu s’enrichir. Néanmoins, pour une raison qui n’est pas très claire à mes yeux, le système a dérapé de 2005 à 2007, dans la mesure où on ne regardait pas si les gens pouvaient payer en ne se référant qu’au ratio loan to value. Ce n’est pas le subprime qui est mort, c’est la queue de distribution de la fin de cycle qui est de très médiocre qualité.

M. Louis Giscard d’Estaing : Concernant la dépréciation et la fair market value, souhaitez-vous une évolution des normes IFRS ? Quelle est votre opinion sur les rehausseurs de crédit ? S’agissant d’un produit bancaire français défiscalisé, que pensez-vous de la banalisation et d’un commissionnement à 0,4 %, comme le recommande M. Camdessus ?

M. Daniel Bouton : Sur ce dernier point, la Fédération représente des intérêts contradictoires puisque la Caisse d’épargne et la Poste en sont membres. Je ne voudrais pas choquer quiconque. Les banques qui proposaient de banaliser le livret A suggéraient 0,80 %. M. Camdessus a écrit 0,40 %. Le rapport Camdessus montrait qu’il n’est plus optimal dans un monde « marchéisé », pour le financement du logement social, de passer par un monopole. Le Parlement et le Gouvernement feront ce qu’ils souhaitent.

La question des rehausseurs de crédit est liée à celles des collectivités locales. Dexia n’est pas seule en cause, il y a aussi les Caisses d’épargne et la Société Générale. Le métier de base des rehausseurs, c’est de permettre à une collectivité locale d’emprunter moins cher que ne le lui permettrait son rating intrinsèque. Une collectivité locale qui a fait des bêtises – aux États-Unis ou en France, c’est pareil – et qui présente une dette par habitant beaucoup trop élevée, paiera sa dette de plus en plus cher, au point parfois de compromettre ses investissements futurs, comme le renouvellement de son réseau d’assainissement. Le système qui existe aux États-Unis, mais, à ma connaissance, pas en France – on pourra y réfléchir – permet à la collectivité, moyennant une prime qu’elle verse à un assureur, de diviser le risque : le risque primaire, celui de la collectivité locale, et le risque contingent, pris en charge par l’assureur « monoline ». Cela permet à la collectivité locale d’emprunter beaucoup moins cher. C’est un métier parfaitement respectable même s’il n’existe pas, en France, pour les collectivités locales. Il vaut mieux que la qualité du risque intrinsèque reste suffisamment bonne, ce qui est le cas aujourd’hui pour l’immense majorité des collectivités locales. Ces dernières années, Calyon, BNP et la Société Générale ont dû passer des provisions car la situation financière de ces compagnies monoline s’est dégradée parce qu’elles vont être appelées en garantie des produits structurés. La bonne nouvelle, c’est que les trois plus grosses d’entre elles ont été recapitalisées : la filiale de Natixis par ses actionnaires, comme la seconde, CIFG, qui a pu conserver son rating, la troisième, Ambac, avec l’intervention d’un syndicat bancaire dans lequel figuraient des banques américaines et BNP-Paribas. La situation n’est pas forcément stabilisée, mais la crise des rehausseurs a franchi un cap.

M. Yves Deniau : Après la réussite de votre augmentation de capital, pensez-vous avoir écarté tout risque d’OPA ? On en a beaucoup parlé, et vous avez d’ailleurs été l’objet d’une tentative il y a neuf ans. À l’époque, vous disiez que 45 % du capital appartenaient à des fonds de pension étrangers et que l’indépendance avait pu être préservée grâce à l’actionnariat salarié, qui représentait alors 9 %. Qu’en est-il de la structure de votre actionnariat aujourd’hui ? Vous garantit-elle l’indépendance en cas d’OPA hostile ?

M. Daniel Bouton : Après une augmentation de capital comme celle-ci, nous faisons une enquête, mais je n’en connais pas encore le résultat qui sera diffusé autour du 15 avril.

Ce n’était pas une véritable tentative d’OPA. La Société Générale présente la particularité d’avoir été l’objet d’une tentative d’OPA rampante en juillet 1988. Vous vous rappelez Marceau Investissement, Georges Pébereau, Marc Viénot, qui avaient occupé l’actualité pendant un moment. Nous avons fait certes l’objet d’une OPA « de marché », comme il en existe normalement en système capitaliste, de la part de la BNP, puis de BNP-Paribas de Michel Pébereau. Nous sommes l’une des rares sociétés au monde à avoir tenu face à une tentative d’OPA rampante, soutenue par un État occidental, et une OPA classique et officielle. Cela ne veut pas dire qu’il n’y en aura pas une troisième. Cela fait partie des règles du jeu. Simplement on connaît, par expérience.

Le Président Didier Migaud : Monsieur le président, madame la directrice générale, je vous remercie.

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8.– Mardi 13 mai 2008, séance de 16 heures 15, compte rendu n° 80

–   Table ronde, ouverte à la presse, avec MM. Christian de Boissieu, Xavier Timbeau, Marc Touati et Jean-Hervé Lorenzi, économistes, sur la situation économique et financière internationale

Le Président Didier Migaud : Nous accueillons, pour nous éclairer sur la crise financière et ses répercussions sur l’économie réelle : M. Christian de Boissieu, président délégué du Conseil d’analyse économique, professeur à l’université Paris I ; M. Jean-Hervé Lorenzi, qui est membre du Conseil d’analyse économique, conseiller du directoire de la Compagnie financière de Rothschild, professeur à l’université de Paris Dauphine et président du Cercle des économistes ; M. Xavier Timbeau, membre de l’Observatoire français des conjonctures économiques et M. Marc Touati, directeur général des études économiques à Global Equity.

Cette audition se situe dans le prolongement de celles que nous avons consacrées depuis plusieurs mois à la crise financière et à ses effets, qui ne sont pas limités à la sphère financière, mais ont affecté et continuent d’affecter l’économie réelle.

Les fondamentaux de l’économie mondiale, les systèmes d’échanges sont en profonde et rapide mutation, sous l’effet de la hausse des cours des matières premières et de l’énergie, et de la faiblesse du dollar. La situation nouvelle reste à interpréter afin de mieux appréhender les options qui s’offrent en matière économique et financière, notamment aux pays de la zone euro.

Je vous propose d’entrer dès à présent dans le vif du sujet en laissant chacun de nos invités nous faire part de ce qui lui paraît le mieux caractériser la situation actuelle, de son appréciation des réponses adoptées par les différents pays et, éventuellement, de celles qu’il faudrait adopter.

M. Christian de Boissieu : Même si mon optimisme me pousse à penser que le plus dur est derrière nous, la crise financière n’est pas finie, pour au moins trois raisons. Premièrement, les prix des logements aux États-Unis vont continuer de baisser en 2008. La seule incertitude, c’est de combien – sans doute entre 5 % et 10 %. Or cette chute a été le détonateur de la crise des subprimes, qui s’est ensuite diffusée via la titrisation. Le surendettement des ménages américains et la situation des prêteurs vont donc encore s’aggraver. Deuxièmement, la crise de confiance entre les banques persiste. Les banques centrales ont fait leur travail en injectant massivement des liquidités, mais elles n’ont pas ramené la confiance qui demanderait davantage de transparence sur les positions de chacun. Le G7 a eu raison, à Washington, de donner un délai pour accélérer l’apurement des comptes. Troisièmement, il y a forcément un décalage entre la crise et sa transcription comptable. Les banques et les compagnies d’assurances vont continuer dans les mois qui viennent à révéler des dépréciations d’actifs, voire des pertes pour les établissements les plus touchés.

Cette crise américaine est susceptible de se diffuser à travers trois canaux. S’agissant, premièrement, de l’activité, je ne crois pas au découplage entre l’Europe et les États-Unis. Nous sommes dans la crise, plus ou moins, selon les pays. Le scénario américain conditionnera la capacité de résistance des grands pays émergents. Ce sont eux qui, depuis trois ans, expliquent la résistance – ou la résilience – impressionnante de la croissance aux multiples chocs : choc pétrolier, crise alimentaire, chocs financiers et géopolitiques. Il y a cinq ou dix ans, la conjoncture américaine aurait immanquablement affecté l’Amérique latine. Or, aujourd'hui, la croissance résiste. En Chine, elle sera comprise entre 9 % et 10 % cette année, au lieu de 11,5 % l’année dernière ; en Inde, elle sera autour de 7 %, contre 7 % à 8 %, idem en Russie. S’il en est ainsi, c’est parce qu’il n’y a pas de récession importante et durable aux États-Unis. Et il ne devrait pas y en avoir, parce que les États-Unis ont joué sur trois leviers que l’Europe n’a pas pu ou voulu utiliser : la politique monétaire avec la baisse des taux – le taux directeur de la Fed est aujourd'hui de 2 % –, le taux de change, et la politique budgétaire avec le paquet fiscal « bipartisan » décidé il y a quelques semaines. Bien sûr, la croissance européenne est touchée. L’année dernière, la France a connu une croissance nettement inférieure à celle de la zone euro – 1,9 % contre 2,6 % – mais, avec le ralentissement allemand, cette année, elle devrait se situer autour de la moyenne. Deuxièmement, le canal bancaire : les banques françaises sont affectées, certes, mais plutôt moins que les banques suisses, allemandes ou britanniques. Les banques françaises vont sans doute devenir plus sélectives. Je ne parle pas de credit crunch parce que, d’après les derniers chiffres connus, le crédit au secteur privé augmente encore à un rythme de plus de 10 % dans la zone euro et en France. Cependant, le problème du financement des PME, qui est structurel, se posera de manière plus aiguë car la sélectivité ne pèsera pas également sur les particuliers et les entreprises. Enfin, le troisième canal est le taux de change. Le dollar, déjà faible, est encore affaibli par la crise, c'est-à-dire par le ralentissement de l’économie couplé à la dynamique des taux courts : face à une Fed très réactive, la BCE n’a pas touché à son taux directeur depuis juin 2007. Depuis une semaine, le dollar remonte un peu. Il est un peu tôt pour se réjouir car la Fed n’a peut-être pas dit son dernier mot, tandis que la BCE, pour baisser son taux directeur, attendra que l’inflation soit retombée dans la zone euro.

Que faire ? Le dollar va rester faible, il risque même de rechuter compte tenu de l’ampleur des déficits américains. Dans un contexte où la BCE ne modifiera pas son taux directeur, la question d’une action coordonnée des banques centrales n’est pas absurde à condition que les Américains soient avec nous. Il faudrait que la baisse de leur monnaie ait atteint un niveau tel qu’ils aient intérêt à agir. Ce n’est sans doute pas encore le cas et l’acharnement de M. Paulson et d’autres à répéter qu’ils sont pour un dollar fort est suspect. Le problème de la zone euro n’est pas tant la parité bilatérale euro-dollar que la baisse de toutes les autres monnaies – yen ou livre sterling. En termes de taux de change effectif, l’euro est pratiquement la seule monnaie qui monte. Le G7-G8 du mois de juillet à Hokkaido devrait se demander s’il faut continuer à inciter la Chine à faire évoluer son taux de change et à quelles conditions elle pourrait l’accepter.

Quant au policy mix, j’espérais une politique monétaire européenne un peu plus pragmatique, sans changer les textes. Il n’est pas question de mettre en cause l’indépendance de la BCE. Le ralentissement de la croissance ne nous aide pas beaucoup, nous Français, à cause de son impact sur notre déficit public. La France aura beaucoup de mal à faire passer ses thèses quand elle présidera l’Union européenne si, dans le même temps, elle affiche des comptes publics encore dégradés. Elle est prise dans la quadrature du cercle : comment rallier ses partenaires qui ne lui feront pas de cadeaux, à commencer par l’Allemagne, qui a déjà fait des concessions sur l’Union de la Méditerranée, et qui a connu, en matière budgétaire, une réduction très rapide et très importante de son déficit ? Les recettes étant sous contrainte, le débat se reporte sur la dépense. Je salue les nouvelles procédures telles que la LOLF ou la RGPP, mais ce ne sera pas en trois ou quatre mois qu’elles porteront leurs fruits.

Un dernier mot sur les politiques structurelles. D’une part, nous avons fait au Premier ministre plusieurs recommandations en matière de régulation bancaire et financière. D’autre part, la commission Attali, dont j’étais membre, a fait des propositions pour gagner un point de croissance. Dans le contexte actuel, il ne faut pas ralentir le rythme des réformes car l’objectif visé est le défi français des deux ou trois prochaines années. Le peu de marge de manœuvre budgétaire doit être utilisé à faciliter la croissance des petites entreprises, à améliorer la qualité de nos universités. Malgré la question du pouvoir d’achat qui est importante à moyen terme, la priorité va à la consolidation du sentier de croissance.

M. Jean-Hervé Lorenzi : Même si je partage beaucoup des analyses de Christian de Boissieu, ma position diffère un peu de la sienne en ce qu’elle est plus interrogative et plus pessimiste.

Nous assistons à une course de vitesse entre une crise classique, celle de l’immobilier, et une crise systémique, extrêmement grave et inquiétante à laquelle les économistes n’ont pas beaucoup de réponses à apporter. Le risque existe de voir la crise bancaire dégénérer en crise financière majeure, mais le pire n’est pas sûr. Il faut déjà dresser un état des lieux précis, car nous sommes dans le brouillard.

Le rôle des subprimes est connu ; ce qui l’est moins, c’est la façon dont la crise s’est diffusée, à partir de quelques milliers de Special Investment Vehicles, de Collateralised Debt Obligations, selon une mécanique financière complexe, sécrétant sa propre logique. Il n’est pas sûr que l’on sache aujourd'hui déterminer l’ampleur de ce qui est en jeu : à l’heure qu’il est, nous en sommes, hors AIG, à 310 milliards de dollars de dépréciations d’actifs, tandis que le FMI parle, lui, à juste titre à mon avis, de 1 000 milliards. La création d’instruments bancaires parallèles, non contrôlés, a permis aux trente ou quarante premières banques mondiales de sortir des créances de leur bilan via la titrisation, mais elles restent au cœur de la tourmente. Il n’est pas sérieux de dire que la crise financière est derrière nous – si tant est que la fourchette donnée soit la bonne –, ne serait-ce que parce qu’AIG ne sera pas la seule compagnie d’assurance à être touchée dans de telles proportions. L’incertitude subsiste donc quant à l’ampleur du phénomène. Le seul point commun avec 1929, ce sont les annonces en décalage avec la réalité. À la veille du Jeudi noir, Irving Fisher déclarait que le problème était sous contrôle, ce qui incite à la modestie. Comment en sortir ? Par une meilleure régulation, comme le prônera le prochain rapport de Patrick Artus, Jean-Paul Betbèze et Christian de Boissieu.

La titrisation, nous sommes tous d’accord, est une bonne chose pour aller chercher l’épargne là où elle existe. Le déficit commercial américain a permis de créer de l’activité au niveau mondial, sur la base d’un accord entre les pays émergents, qui produisaient, et les pays occidentaux qui achetaient, les États-Unis se finançant auprès des banques centrales des premiers, ou bien grâce à la titrisation. L’équilibre a été rompu à cause d’un phénomène historique : jamais, depuis un siècle, le système bancaire n’a connu un tel taux moyen de rentabilité. Les grandes banques d’investissement américaines, et derrière elles, tout le système bancaire, ont été entraînées dans une double dérive : aller chercher des clients insolvables – c’est la crise des subprimes – et transformer la mécanique bien connue de la titrisation en une machine infernale. Nous sommes d’accord aussi pour souligner à quel point les normes comptables et la nouvelle réglementation prudentielle sont pro-cycliques. Le principe du mark to market accélère l’enregistrement des dépréciations d’actifs. Le système qui s’est créé autour de la titrisation crée par ailleurs des conflits d’intérêts entre les emprunteurs, les cédants, les arrangeurs, les sociétés de gestion, les réhausseurs de crédit, les agences de notation, les autorités de tutelle et les investisseurs. On ne peut pas en sortir en quelques mois.

J’ai la conviction que la priorité des priorités, c’est de tout faire pour éviter un nouvel incident, ou accident. Nous n’en sommes pas à l’abri. La réorganisation du système financier mondial ne se fera pas sans la moitié de l’économie mondiale, c'est-à-dire sans les pays émergents. Je souscris donc à la proposition de réunir autour d’une même table les ministres des finances, les banquiers centraux, les banquiers, les agences de notation qui sont le danger public n° 1, en intégrant non seulement la Chine et l’Inde, mais aussi, notamment, l’Afrique du Sud et l’Argentine. Les agences de notation se sont révélées incapables d’évaluer les produits complexes. Six mois avant que la crise n’éclate, aucune ne mentionnait les risques potentiels, même les plus évidents. Il faudrait donc, comme le suggèrent Patrick Artus et Jean-Paul Betbèze, que la Commission européenne puisse donner son label à d’autres agences que les deux et demie qui ont reçu l’aval de la SEC. À propos de la régulation, et plus particulièrement des réformes Bâle II et Solvency II, je souligne que, dès avant la crise, 70 % des produits de titrisation avaient été rachetés par des hedge funds, qui sont en dehors du champ. Difficile de réguler quoi que ce soit dans ces conditions. Pour éviter la combinaison des deux crises, il faut, d’une part, autoriser le système bancaire à amortir les dépréciations d’actifs sur cinq, dix, quinze ou vingt ans, pour éviter qu’un credit crunch ne contribue à propager la crise financière à l’économie réelle. Sinon, les banques vont devoir se procurer des fonds propres car ce qui était en hors bilan va devoir remonter dans leur bilan. D’autre part, en début d’année, de grandes banques ont envisagé de créer un grand fonds, rassemblant tous les produits titrisés difficiles pour un montant de l’ordre de 300 à 500 milliards de dollars. Seuls les pouvoirs publics mondiaux pourraient mettre en œuvre un tel instrument, conforme à ce qui s’est fait, toutes proportions gardées, en France pour le Crédit Lyonnais. Le Gouvernement français devrait réfléchir avec ses partenaires européens à la manière de protéger le système bancaire d’un deuxième choc, dont il aurait beaucoup de mal à se remettre.

M. Xavier Timbeau : Il s’est produit aux États-Unis un choc spécifique, comparable à l’éclatement de la bulle Internet, qui conduira à un ralentissement, voire à une récession, et auquel se superpose la crise financière. Les chiffres annoncés – entre 300 milliards et 1 000 milliards de dollars – ne sont pas si considérables rapportés à la capitalisation boursière mondiale des banques, qui est mille fois supérieure. Le système financier capitaliste est destiné à réaliser du profit, et à encaisser des pertes. Il s’agit donc d’un accident notable, mais pas insurmontable. En revanche, les faillites de banque sont des événements potentiellement très graves, avec des conséquences en chaîne. Les banques centrales doivent à tout prix éviter la faillite, soit en prêtant directement à ceux qui sont menacés, soit en baissant les taux, soit encore en organisant très rapidement leur reprise, comme pour Bear Stearns, dont les actionnaires ont été proprement déshabillés, y compris les employés et les retraités. C’est le jeu du capitalisme – on ne peut pas toujours gagner – et aller contre la loi de la jungle capitaliste reviendrait à privilégier certains prédateurs par rapport à d’autres. On sait ce qu’il en coûte de bouleverser un écosystème ! Il est tout de même paradoxal d’entendre les tenants du capitalisme n’avoir à la bouche que le mot magique de « régulation » et prôner de passer d’un système où chacun était libre de faire à peu près ce qu’il y voulait – y compris des montages financiers complexes, que l’on trouve, surtout a posteriori, aberrants – à un autre, où les règles éviteraient de perdre trop. Si l’on régule, il faut agir de façon extrêmement approfondie, avec des objectifs de bien-être social, au lieu de se borner à écouter ceux qui crient le plus fort et qui sont les mieux organisés. Or, aujourd'hui, les banques usent de l’impérieuse nécessité qu’aucune d’elles ne fasse faillite, pour obtenir des règles qui protègent leurs positions acquises. La mise en commun des titres difficiles relève d’une démarche oligopolistique. Tolérer des comportements de ce type en période de crise, c’est s’exposer à instaurer en faveur de quelques-uns une rente qui ira grandissant et finira par étouffer les autres. On aura dans un premier temps l’impression de sauver le système, mais on finira par se rendre compte qu’on aura enrichi ceux qui ne le méritaient pas, au détriment des contribuables, des salariés, des PME… Empêcher les faillites de banque, c’est un impératif, réguler la finance mondiale, c’est un tout autre chantier !

En tout état de cause, il est indispensable, quelle que soit la perte réelle, que le système puisse absorber des pertes de capitalisation boursière de cet ordre de grandeur, sans remettre en cause le fonctionnement de l’économie mondiale. Si le secteur des fruits et légumes, confronté à une mauvaise récolte, menaçait l’économie d’une récession mondiale, cela ferait sourire. Quand ce sont les banquiers qui sont en difficulté, ils font peur et on leur donne raison. Si le niveau de concurrence entre banques est suffisant, elles ne pourront pas prétexter les subprimes pour renchérir le coût du crédit. Après tout, quand votre garagiste commet une bévue, il ne double pas pour autant le prix de la vidange et, si jamais l’envie l’en prenait, il ne vous reverrait plus. Il n’y a pas de raison de se comporter autrement avec son banquier. Si l’organisation du marché du crédit n’est pas oligopolistique, ce sont les banques et leurs actionnaires qui perdront de l’argent. Le capitalisme moderne se développe par une alternance de cycles de croissance accélérée et de phases de digestion, une succession de bulles qui se forment avant d’éclater, et il est important que les mécanismes de régulation préservent la symétrie du processus en ne garantissant pas à certains opérateurs de ne pas perdre alors que rien n’a été prévu en phase ascendante pour limiter leurs gains.

L’inflation constituerait un nouveau choc, en accentuant la crise financière, ce qui nous ramènerait à la stagflation des années soixante-dix. Cette analyse expliquerait l’extrême prudence de la BCE, à l’opposé de l’attitude de la Réserve fédérale qui a laissé se développer les tensions inflationnistes qui apparaissent un peu partout, à commencer par les marchés du pétrole et des denrées alimentaires. Certes, la hausse des prix est un signal de tension pour réguler la pénurie. Elle est caractéristique d’une croissance globalisée et, dans ce schéma, l’inflation va de pair avec une croissance très forte. En cas de ralentissement mondial, cette composante de l’inflation disparaîtra spontanément. L’inflation peut également être alimentée par la globalisation et les inégalités : les marchés locaux, s’approvisionnant localement avec des importations à la marge, se sont ouverts à un marché mondial parfaitement globalisé, si bien que l’appétit et les moyens d’un Africain sont désormais en concurrence avec ceux d’un cochon chinois, lequel se tend à se multiplier au fur et à mesure que les Chinois mangent de plus en plus de porc, ou même d’un cochon européen. Les prix montent avec des conséquences variables au Nord, où les produits les moins chers augmentent mais où l’impact est limité, et au Sud qui est le théâtre d’émeutes de la faim parce que les habitants n’arrivent plus à se nourrir décemment. On a coutume de dire que les effets de l’économie de marché doivent être atténués par des mécanismes de solidarité entre les plus riches et les plus pauvres parce que le marché peut être extrêmement inégalitaire. Nos pays admettent des mécanismes de redistribution ; il en faut aussi si l’on veut des marchés globalisés, en particulier pour les denrées alimentaires. C’est une mauvaise nouvelle car cela coûtera cher, à moins que l’on ne décide de recloisonner les biens fondamentaux pour ne plus les soumettre à la loi du marché. En tout état de cause, il ne s’agit pas du processus inflationniste tel qu’on pouvait l’observer dans les années soixante-dix.

L’inflation, proprement dite, menacerait dans les pays développés à cause de la perte de pouvoir d’achat, qui est réelle quoique limitée, et qui réveillerait les revendications salariales, lesquelles susciteraient à leur tour la crainte chez les banquiers centraux. C’est aller un peu vite en besogne. Pour qu’il y ait processus inflationniste, il faudrait, d’une part, que les entreprises acceptent les augmentations de salaire, d’autre part, qu’elles les répercutent sur leur prix de vente. L’augmentation des salaires en économie de marché n’est pas nécessairement un drame irrémédiable. Dans les faits, la spirale inflationniste est loin d’être enclenchée : les hausses de prix sont circonscrites à l’énergie et aux produits alimentaires, les augmentations de salaire sont limitées pour le moment et elles n’engendrent pas de hausse des prix. Le rythme de progression des coûts salariaux unitaires dans l’ensemble des pays développés est au plus bas. On observe paradoxalement des hausses de prix sans hausse des coûts. On est loin d’une situation inflationniste. Quant aux revendications salariales, elles peuvent être en partie légitimes. On constate, en effet, que, dans la plupart des pays, le partage de la valeur ajoutée est défavorable aux salariés, de façon caricaturale aux États-Unis ou en Allemagne, un peu moins au Royaume-Uni et en France. Et si l’on se fie à la rentabilité du capital, c'est-à-dire les revenus du capital immobilisé, et qui est un indicateur plus pertinent, on observe, au plan macroéconomique, que le niveau de rentabilité réelle est au plus haut, grâce en partie à la globalisation financière. Il est difficile d’avoir une approche normative dans ce domaine mais, comme la rentabilité est historiquement élevée, elle est plus proche de son point culminant que de son niveau le plus bas. En France, elle est supérieure à 8 %, taux qu’il faut comparer à ceux proposés aux clients des banques. Sans considérer qu’une telle rémunération soit illégitime, on peut penser que les propriétaires d’une entreprise pourraient se satisfaire d’un niveau un peu moindre. Dans cette optique, les hausses de salaire tant redoutées pourraient se traduire non pas par une hausse des prix, mais par une baisse de la rentabilité du capital. Les revendications des salariés, mal formulées, ne cacheraient-elles pas, au fond, une aspiration à un partage du gâteau plus favorable, plutôt qu’à la simple conservation du pouvoir d’achat ?

La crise financière est une fable morale qui prouve que, quand un banquier ou un professionnel de la finance proposait un rendement de 15 % sans risque, c’était un mensonge, même si, avec la complicité de certains, dont les agences de notation, il donnait l’impression du contraire. Mais, et le lien avec la crise financière est là, dans le même temps, les prêteurs exigeaient de la PME du coin qu’elle lui serve les mêmes rendements, sous peine de mort. Laisser se purger cette folle illusion du 15 % de rendement sans risque aura pour bénéfice immédiat que les PME pourront se financer moins cher. Et avec 7 % de rendement, la pression retombe, on vit plus confortablement, y compris en payant mieux ses salariés.

Aujourd’hui, le risque inflationniste serait plus de mettre en place des régulations pour maintenir le système financier dans l’illusion qu’il peut continuer à servir 15 %, ce qui obligerait les entreprises à répercuter dans leurs prix les hausses de salaire qu’elles subiraient. En revanche, si la crise financière conduisait à abaisser l’exigence de rentabilité, il y aurait la possibilité de résorber d’autres déséquilibres, notamment salariaux, sans pour autant être pris dans une spirale inflationniste. La mécanique est complexe car le niveau de rentabilité ne se décrète pas, surtout dans une économie globale. Mais, en tout état de cause, le marché ne parvient à l’équilibre que s’il fonctionne librement et perturber les équilibres ne profite pas toujours à ceux que l’on voudrait. En revanche, le sort des pauvres Africains en concurrence avec les cochons chinois ou bretons est beaucoup plus dramatique et cela plaide beaucoup plus en faveur d’une régulation que de la libre concurrence, dont le fonctionnement pourrait avoir des conséquences tout à fait détestables.

M. Marc Touati : Les crises sont inévitables. La spéculation fait partie des marchés. Il serait illusoire d’imaginer la supprimer. Sans spéculation, il n’y a pas de liquidités sur les marchés, pas de prise de risque ni de couverture de risque. Les produits aujourd’hui incriminés, les produits optionnels et complexes, permettent, à la base, de couvrir le risque. Et ceux qui prennent des risques, ce sont les spéculateurs. Ils ont donc un rôle à jouer.

Cela dit, laisse-t-on une crise financière devenir une récession économique ? Ce fut le cas en 1929, où, à la différence d’aujourd’hui, on était en période de déflation et où la Réserve fédérale américaine a refusé de baisser les taux d’intérêt sous prétexte que ce n’était pas à elle de faire plaisir aux méchants spéculateurs. Elle avait considéré qu’il fallait laisser faire le marché et avait maintenu des taux d’intérêt très élevés. Je vous rassure, Jean-Claude Trichet n’était pas à la FED à l’époque…

L’économie est une science humaine, non une science exacte. Cela signifie qu’elle peut être influencée par les hommes et les femmes, en fonction de leur réactivité.

Le monde est confronté à une crise financière grave, qui aurait pu devenir une récession grave d’un point de vue économique, mais qui ne le deviendra pas grâce à la réactivité de la Réserve fédérale américaine, qui a en fait agi comme si l’on était en récession.

C’est pourquoi j’exclus le scénario d’un écroulement de la croissance américaine, qui devrait redémarrer progressivement, après un deuxième trimestre encore mauvais, pour atteindre 1,8 % en moyenne annuelle.

J’ai d’ailleurs du mal à comprendre pourquoi le FMI a annoncé 0,5 % de croissance pour cette année, alors que l’acquis de croissance était déjà de 1,1 % à la fin du premier trimestre. Cette prévision pessimiste repose sur l’hypothèse que le PIB baisse sans remonter ensuite, alors que l’on peut faire jouer les trois armes dont on dispose – budgétaire, monétaire, et du change.

Les Américains sont en train de vivre la période la plus dure, même si, d’un point de vue bancaire, il y aura certainement encore des mauvaises surprises. La Réserve fédérale a joué son rôle de prêteur en dernier ressort, c’est-à-dire qu’elle n’a pas laissé les banques faire faillite, selon le principe too big to fail. Les banques ne sont pas des marchands de légumes : lorsqu’un grand établissement fait faillite, on peut craindre un effet domino.

Il y a toutefois des aléas moraux. Les banques sachant qu’elles sont soutenues quoi qu’il advienne, elles peuvent se laisser aller à faire un peu n’importe quoi. Mais, au-delà de ces petites tempêtes à moyen terme, je pense que l’économie américaine va redémarrer assez rapidement à partir du troisième trimestre et qu’elle retrouvera son niveau de croissance structurelle de 3 % à partir de l’année prochaine.

Je suis en revanche beaucoup moins optimiste et même inquiet pour l’économie européenne. En économie, comme partout, on n’a que ce que l’on mérite. En Europe, comme on n’a rien fait, on n’aura rien… On n’a aucune marge de manœuvre de relance budgétaire. La politique monétaire est excessivement restrictive et l’euro est trop fort. Nous revivons aujourd’hui ce que nous avons connu en 2002. On tenait d’ailleurs alors le même discours : pour les États-Unis, c’est fini, pour l’Europe, tout va bien. Or, les Américains ont redémarré dès 2002-2003 et la zone euro uniquement en 2006 – grâce notamment à la baisse de l’euro en 2005. En 2001-2002, l’euro valait un dollar. Aujourd’hui, il est monté à 1,60. Si l’on intègre la hausse de l’euro dans l’évolution des taux d’intérêt – c’est-à-dire, si l’on calcule l’indicateur des conditions monétaires, composé du taux d’intérêt de la BCE augmenté du change –, c’est comme si nous avions aujourd’hui des taux d’intérêt de 5,25 %. La situation est donc même pire qu’en 2002.

La crise n’est pas finie, en particulier en Europe. Les banques européennes risquent de se trouver en difficultés et les mauvaises nouvelles de s’accumuler. Tout l’enjeu aujourd’hui est là. Alors que l’activité américaine va permettre aux États-Unis d’avoir une croissance plus forte, en Europe, elle sera très molle.

J’en tirerai deux conclusions et deux perspectives.

Premièrement, dans la zone euro, la BCE finira par baisser les taux. Mais elle le fera trop tard. Toute inflexion de politique monétaire n’agit sur l’activité qu’au bout de six à neuf mois. C’est le délai qu’il faudrait pour qu’une baisse des taux produise ses effets. Il est donc trop tard pour 2008 : dans le meilleur des cas, on aura une croissance de 1,6 % dans la zone euro, et d’environ 1,4 % en France. Et le déficit public de cette dernière atteindra environ 3 % du PIB cette année.

L’autre conséquence – que je vis au quotidien –, c’est que les clients demandent aujourd’hui à avoir des produits financiers qu’ils puissent comprendre. Il faut reconnaître qu’ils sont de plus en plus complexes, réalisés uniquement via des modèles mathématiques indépendants des fondamentaux économiques. On fait miroiter des gains de 6, 10, voire 15 %, ce qui est, par définition, faux, car plus le rendement est élevé, plus le risque l’est également. C’est la loi de base de la finance.

La crise est salutaire, puisqu’elle conduit à retrouver le sens des réalités. C’est une sorte de revanche de l’économie réelle sur l’économie financière. Or la réalité de la première aujourd’hui, c’est l’investissement des entreprises. Il faut savoir qu’aux États-Unis, l’investissement des entreprises en équipement croît de 6 % par an. En période de récession, il diminuerait de 10 %. Les indicateurs avancés de l’investissement, c’est-à-dire les carnets de commande des biens d’équipement, annoncent que cette augmentation va se poursuivre. Quand on a l’investissement, on entre dans ce qu’on appelle le cercle vertueux, résumé par la formule : l’investissement génère de l’emploi, donc du revenu, donc de la consommation.

En résumé, nous sommes confrontés à une crise grave. Les États-Unis sont réactifs, pas l’Europe. Cette dernière va revivre ce qu’elle a connu en 2002 : son économie va s’enliser dans la croissance molle tandis que celle des États-Unis va redémarrer.

M. Gérard Bapt : En réponse à une remarque de M. de Boissieu vis-à-vis des Allemands, je rappelle que la France est aujourd’hui complètement « déshabillée » en aéronautique à leur profit.

M. Touati a répondu en partie à la question que je voulais poser. Si la France n’a pas l’arme du change, elle a encore celle des taux. Or, elle ne l’utilise pas, sous prétexte qu’il y a de l’inflation – même si on peut discuter de sa nature structurelle. Faut-il demander à M. Trichet de revenir devant la Commission et l’empêcher de sortir jusqu’à ce qu’il ait fait quelque chose…

M. Daniel Garrigue : Ma première question porte sur la vitesse de propagation de la crise, qui est beaucoup plus grande que par le passé. Un certain nombre de facteurs et d’instruments – la titrisation, les nouvelles normes comptables IFRS – contribuent à faire ressortir plus rapidement les éléments de dépréciation. Est-ce un désavantage ou cela permet-il de réagir plus rapidement et plus efficacement ?

Ma seconde question concerne l’euro et le dollar. Les politiques des autorités monétaires américaines et européennes ont chacune leur logique. Mais, l’important, ce sont les arbitrages que font les tiers, c’est-à-dire les détenteurs de devises. Pensez-vous que la préférence pour le dollar sera éternelle ? N’assistons-nous pas aujourd’hui à un certain basculement en direction de l’euro ? C’est peut-être là que se fera un jour l’arbitrage.

M. Pierre-Alain Muet : M. Marc Touati a raison de voir dans les crises une revanche de l’économie réelle sur l’économie financière. D’une certaine façon, la première ramène à des taux de rentabilité issus du monde réel et non à ceux qui sont anticipés par les spéculateurs.

Pour M. Xavier Timbeau, des sommes comme 300 milliards ou mille milliards d’euros ne sont pas considérables par rapport à la capitalisation. C’est vrai. Le problème de la crise, qui fait qu’on a du mal à en cerner les conséquences, est qu’on ne sait pas où sont les risques. Dans les crises traditionnelles, on arrive à peu près à les localiser et à les évaluer. Dans le cas présent, personne ne peut le faire. Avec la titrisation, les risques ont été dispersés. Il y a des périodes d’accalmie, comme actuellement, mais, dès qu’une banque annonce que des crédits ne sont pas évalués à leur vraie valeur, la crise rebondit. J’ai le sentiment que les économistes sont un peu désarmés. Autant on connaît bien la façon dont une récession aux États-Unis se transfère vers d’autres pays – à ce sujet, il me semble trop tôt pour dire que l’Amérique latine est épargnée –, autant on ne sait pas grand-chose sur les crises touchant le crédit. Je me souviens qu’à la fin des années 1980, tous les instituts de conjoncture et tous les économistes vantaient le système financier japonais. Or la crise financière, qui a des points communs avec celle que l’on connaît aujourd’hui à l’échelle mondiale, a plongé le Japon dans une grande crise pendant dix ans. Nous ne sommes peut-être pas à l’abri d’un tel risque, la confiance étant un facteur clé du fonctionnement d’une économie de marché.

Ma question porte sur la régulation. Un rapport ancien du Conseil d’analyse économique a mis en évidence qu’on trouve toujours à l’origine des crises des établissements de crédit qui ne sont pas des banques et qui ne sont pas soumis à la régulation bancaire. La première chose à faire ne serait-elle pas d’étendre les principes de régulation bancaire à tous les établissements de crédit ?

J’ai compris que Bâle 2 permettait de mieux prendre en compte la titrisation dans les bilans des banques, le problème actuel venant, en grande partie, de ce que les banques ont été poussées à améliorer leur situation financière apparente en recourant à ces instruments de titrisation. Y a-t-il des solutions pour mieux les maîtriser ?

J’ai apprécié que M. Timbeau nous explique qu’une partie de l’inflation est due à l’inégalité et à la mondialisation. Le fait que les prix alimentaires aient fortement augmenté a-t-il un lien avec la crise financière ou les deux phénomènes sont-ils complètement découplés ? Après tout, le mécanisme décrit par M. Timbeau s’est développé depuis une dizaine d’années, mais c’est dans la période récente, du fait sans doute de facteurs spéculatifs, qu’on a vu s’envoler les prix mondiaux des produits agricoles.

Enfin, nous sommes confrontés à la fois à une crise bancaire mondiale dont on ne connaît pas bien les conséquences sur l’économie réelle et à un choc pétrolier presque aussi important que les deux précédents. À cela s’ajoute, en Europe, une montée sans précédent de l’euro. Tout cela ne crée-t-il pas une situation dont on ne maîtrise pas toutes les conséquences réelles ?

M. Dominique Baert : Ma première question porte sur la dualité des objectifs de la politique monétaire– politique de taux de change, lutte contre l’inflation – et l’unicité de l’instrument régulateur qu’est la Banque centrale européenne. Ce problème fondamental, que l’on a bien connu lorsque la Banque centrale française maniait les taux d’intérêt, n’est-il pas en train de ressurgir au niveau européen ? Comment l’éviter ? Cette question est au cœur de la problématique de la croissance économique aujourd’hui.

Que pensez-vous par ailleurs de la situation actuelle, et surtout à venir, de la « courbe des taux », que l’on ferait sans doute mieux d’appeler la « pente des taux », ou mieux la « plateforme des taux » ? Peut-on espérer, sans impulsion de la Banque centrale européenne, un abaissement des taux à court terme ? Ou faut-il redouter, compte tenu de l’ampleur des déficits et de leur pérennité, un redressement des taux à long terme ?

Ma troisième question est liée à la précédente. À partir du moment où l’on a des taux relativement plats, en des temps d’incertitudes pour les investisseurs – les investissements en France ne sont pas aussi dynamiques qu’aux États-Unis alors que l’évolution de la FBCF est aussi un des moteurs de la croissance économique – et d’interrogations sur le pouvoir d’achat entraînant un affaiblissement de la consommation, pouvons-nous nous attendre à une nouvelle dynamisation de l’investissement, comme le Gouvernement semble l’espérer ?

M. Jérôme Cahuzac : Lors d’un débat auquel participait M. Touati, deux conceptions se sont opposées. Le contradicteur de M. Touati estimait que la crise devait être purgée par la punition de ceux qui avaient fauté, c’est-à-dire en les laissant mourir sans qu’intervienne d’une quelconque manière la puissance publique. Un certain esprit moral était privilégié. M. Touati, pour sa part – je parle sous son contrôle – considérait qu’ils étaient trop gros pour faillir et que privilégier l’aspect moral faisait courir un risque, y compris à ceux qui n’avaient rigoureusement aucune responsabilité – même morale – dans la crise. Par rapport à ce qui s’est passé aux États-Unis, estimez-vous qu’on a fait le choix d’une certaine efficacité au détriment de la morale ou plutôt de la morale au détriment d’un certain avenir économique ?

Deuxièmement, selon M. Touati, si la crise n’est pas terminée aux États-Unis, l’investissement des entreprises, qui est un très bon indicateur, laisse présager qu’elle est voie de l’être. Comment les entreprises font-elles pour investir avec une telle croissance ? Si les banques n’osent plus se prêter entre elles, on imagine mal qu’elles osent prêter à des entreprises ? D’où sort la matière à cet investissement aux États-Unis ?

En France, on imagine mal un tel chiffre, au moins à brève échéance ? Au demeurant, quel est-il cette année ? Comment voyez-vous la sortie de la crise, étant entendu que les marges des entreprises sont à un niveau tel qu’on les voit mal investir et que les banques hésitent à prêter, quelles que soient les garanties que les entreprises semblent vouloir apporter ? Si les choses sont jouées pour 2008, en raison de la position de la BCE, quelle sera la situation en 2009 et 2010 si, tout au long de cette année, les entreprises n’investissent pas ?

M. Michel Bouvard : Deux questions se posent. Comment éviter un certain nombre d’effets pervers mis en avant par la crise ? Quelles sont les perspectives de sortie de cette crise ?

S’agissant des effets pervers, on a évoqué le problème des agences de notation. J’ai bien entendu la proposition qui a été faite de s’orienter vers une européanisation du système. Cet avis est-il partagé par tous les économistes ici présents ? Quelles sont les chances de voir aboutir un tel dispositif ? Quelle est la possibilité de trouver des alliés à cette fin parmi les pays émergents ou au Japon ?

La diffusion de la crise a été assez rapide, avec un effet systémique. Faut-il aller vers un encadrement des produits complexes, voire jusqu’à une interdiction de certains de ces produits, ou faut-il continuer à laisser libre court à l’imagination des banques ? Un renforcement de l’information peut-il être suffisant par rapport à la montée en volume des produits complexes ?

S’agissant de la seconde question, vos avis divergent concernant les États-Unis mais personne n’est totalement pessimiste. En revanche, la sortie de crise en Europe prend du temps. Quels moyens réels avons-nous de faire évoluer la position de la BCE, dont on considère qu’elle est un problème central ? Quel est l’impact réel du credit crunch en Europe, et plus particulièrement en France ? Pensez-vous que Bâle 2 permettra de mieux garantir les banques ou peut-il être un facteur aggravant en cas de crise ?

M. Jérôme Chartier : Je vous demanderai, messieurs les économistes, de vous transformer d’analystes, en prévisionnistes.

Après les junk-bonds, la bulle Internet, les subprimes, quel sera, selon vous, le prochain événement ? On peut toujours faire des incantations sur les mécanismes de régulation, rêver que la BRI devienne une instance fantastique – qui en viendrait à s’auto-émasculer puisque ce sont les dirigeants des banques centrales qui seront pilotes de Bâle 2 –, mais on ne saurait oublier que le métier de la banque, c’est de gagner de l’argent. On sait que la fixation de règles créera systématiquement des contournements. La titrisation est un contournement des ratios prudentiels. Quel sera, selon vous, le prochain véhicule ?

J’ai bien entendu l’analyse de M. Lorenzi sur les agences de notation. Qui est la demi-agence de notation ?

M. Jean-Hervé Lorenzi : Fitch !

M. Jérôme Chartier : Dans le cadre des excellentes auditions organisées par le Président de la commission des Finances, Fitch, justement, est venu parler des subprimes. Il a expliqué qu’il avait fait son premier warning en décembre et qu’il était inaudible ce mois-là. Or M. Lorenzi a dit que les agences de notation sont incapables de prévoir six mois à l’avance ce qui va se produire. Pouvez-vous, monsieur Lorenzi, approfondir cet aspect ? Fitch n’a-t-il pas dit toute la vérité ?

Par ailleurs, il est tout à fait exact que tous ces acteurs, d’une façon ou d’une autre, se parlent, se contactent et s’entendent. En même temps, depuis plusieurs années, on essaie de séparer les genres. Existe-t-il une solution idéale permettant de garantir cette séparation et de faire en sorte qu’on puisse au moins garantir le petit épargnant et l’informer des risques qu’il prend – ce qui n’a jamais été fait jusqu’à présent s’agissant des subprimes ?

Le Président Didier Migaud : J’ajouterai deux questions.

Certains sont allés jusqu’à prôner une nouvelle séparation entre les activités de banque de dépôt et de banque d’affaires, estimant que la confusion entre les deux peut être à l’origine de crises. Qu’en pensez-vous ?

Par ailleurs, comment expliquez-vous ce qu’on peut appeler, en des termes diplomatiques, cette absence de pragmatisme qu’on observe au niveau européen ? Avons-nous vocation à subir les crises et à être moins bons que les Américains pour amorcer la reprise ? Tous les économistes conviennent, en dehors de ceux de la BCE, que l’euro est trop fort et que nous avons tous les inconvénients de la monnaie forte sans en avoir les avantages. Que faudrait-il faire pour en avoir aussi quelques avantages ? Que faudrait-il faire pour amorcer la reprise ?

M. Jean-Hervé Lorenzi : Deux philosophies totalement différentes s’opposent chez les économistes. Les deux sont tout à fait sympathiques et respectables.

La première est celle de MM. Timbeau et Touati. Ils considèrent que la crise présente est comme celles qui apparaissent de manière régulière et cyclique, qui sont une revanche du réel sur le financier et qui ont, de ce fait, un côté positif. Je ne pense pas ainsi. Pour moi, 2008 sera, non pas l’année du millénaire, mais quand même une année très exceptionnelle. C’est la même crise en Afrique, sur les marchés financiers et sur le pétrole. Nous assistons à un changement complet du fonctionnement de l’économie mondiale.

Je me permets d’élargir un peu la discussion car il faut savoir ce dont on parle au fond. On peut en déduire ensuite des tas de propositions, y compris sur ce que doit faire M. Trichet.

Au moment de la chute du mur de Berlin, on s’est dit que tout le monde fonctionnait désormais de la même manière et on a vécu sur l’illusion que cela se traduisait par une généralisation du marché et que le modèle générique de l’économie de marché était le capitalisme anglo-saxon. Or ce dernier est une mécanique datée, précise, qui ne va pas connaître dans les prochaines années des jours aussi heureux que d’aucuns le prétendent. C’est une économie financière totalement désintermédiée, dans laquelle le système bancaire ne joue pas le même rôle que dans les autres pays européens. Je suis surpris quand j’entends dire qu’il n’y a pas de découplage. Ces économies sont tellement différentes qu’il n’y a aucune raison pour qu’elles soient liées de manière aussi évidente qu’on le dit. Le dispositif a, au fond, fonctionné de manière assez efficace et assez idéologique, sur la base de processus de régulation et de normes comptables liés au capitalisme anglo-saxon. Mais le capitalisme continental, celui de la France, ce n’est pas celui-là. Il a des règles de rentabilité et des modes de fonctionnement du marché, économique et financier, différents. On a considéré qu’il fallait conserver les mêmes mécanismes : le Fonds monétaire, le G7 puis le G8. On a juste introduit l’OMC. En réalité, aucun de ces organismes de régulation n’est capable de gérer l’économie mondiale telle qu’elle est.

Ce qui est en train de se passer n’est pas une crise comme les autres, ni un simple accident historique, selon un cycle. C’est une crise financière majeure dont on n’est pas sorti. On est face à une dérive de 1 000 milliards de dollars. Le montant de la titrisation est de 40 000 milliards de dollars. Peut-être 300 milliards seulement sont-ils concernés. Ce n’est pas ma conviction mais l’avantage en économie est qu’on peut vérifier les choses par la suite. On a laissé l’endettement dériver totalement, tout le monde étant au courant depuis des années, en pensant que l’équilibre totalement branquignolesque des déficits majeurs des comptes américains pouvait perdurer. Tout cela s’écroule et, faute de mécanismes de régulation, le pétrole augmente. Je me permets de rappeler que nous avions écrit, il y a deux ans, « Un monde de ressources rares ». On n’aura pas de quoi nourrir 9 milliards de personnes avec ce dont on dispose aujourd’hui.

La crise actuelle résulte de ce que, à l’illusion fondée sur un système de régulation, un capitalisme anglo-saxon et une économie de marché, se substituent des capitalismes qui sont en compétition majeure : les hausses des prix du pétrole et de l’agroalimentaire sont dues à la compétition entre grands groupes de pays. Je pense que nous sommes entrés, en 2008, dans une guerre économique, dont on voit les premiers effets.

La crise financière est extrêmement dangereuse. Je comprends qu’on veuille faire payer ceux qui n’ont pas bien agi et que l’on retrouve les accents moraux de notre jeunesse mais si, d’aventure – qu’à Dieu ne plaise – se produisait un nouveau choc majeur, sans qu’on puisse réguler quoi que ce soit, cela renverrait certes à l’économie réelle – même si j’aimerais savoir ce qu’est exactement l’économie réelle des pays développés – et l’on verrait le secteur industriel américain reprendre de la vitalité, …

M. Marc Touati : Vous confondez économie réelle et industrie !

M. Jean-Hervé Lorenzi : Je le concède. Mais je ne crois pas du tout à l’idée que nous soyons dans une simple version cyclique, traditionnelle, de crise. Du coup, je ne crois ni au rebond américain, aussi agréablement présenté soit-il par mes collègues, ni à la faiblesse européenne, ni au couplage systématique des destinées de l’Europe et des États-Unis. Je crois, en revanche, à une certaine force de l’économie européenne dans un monde beaucoup plus conflictuel, où on verra la prochaine présidence américaine faire réapparaître le protectionnisme. Les bagarres vont porter sur les ressources rares, sur les biens et services, sur le protectionnisme et sur les marchés financiers, donc sur la propriété du capital. Je ne suis pas convaincu que l’Europe soit si mal placée qu’on le dit. On verra bien ce qui se passera en 2009-2010. L’élément politique essentiel, qu’il faut essayer de faire réapparaître, est la régulation.

Tout ce que je viens d’exposer correspond au diagnostic de Dominique Strauss-Kahn, dont j’apprécie la manière de poser le sujet.

M. Xavier Timbeau : Je répondrai sur la courbe des taux.

La crise actuelle est-elle aussi grave que cela ? Qu’elle soit d’importance et qu’elle ne soit pas terminée, c’est indéniable, mais on ne peut pas dire qu’elle soit plus grave que la crise de la dette mexicaine ou la bulle Internet. On peut tenir des discours catastrophistes quand on fréquente des banquiers tous les jours, mais la réalité n’est pas aussi simple que « Ça va mal ».

M. Jean-Hervé Lorenzi : Ce n’est pas ce que j’ai dit. J’ai juste indiqué qu’il n’existe pas de régulation correspondant à une situation géo-économique nouvelle.

M. Xavier Timbeau : La régulation semble le mot magique, mais qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? M. Lorenzi avance que l’emballement du prix du pétrole provient d’un conflit d’intérêts entre les pays et qu’il faut donc réguler. Va-t-on fixer des quotas de pétrole par pays, nationaliser les ressources ?

M. Jean-Hervé Lorenzi : Aujourd’hui, 30 % du prix du pétrole est lié à des interventions d’acteurs qu’il faut réguler !

M. Xavier Timbeau : Cela pourrait éventuellement jouer sur la partie du pétrole liée à la spéculation, laquelle est un phénomène qui s’installe quand le prix monte et a tendance à amplifier sa hausse, mais n’est pas une explication fondamentale de cette dernière. On ne peut interdire la spéculation sur le pétrole à moins d’avoir un gouvernement mondial dont l’ordre et la loi s’appliquent partout. Les États-Unis tolèrent des paradis fiscaux à côté de chez eux, parce que c’est un moyen d’exemption fiscale pour leurs citoyens. L’Europe tolère des paradis fiscaux à l’intérieur de son territoire – et construit des lignes de TGV pour s’y rendre, sur fonds publics ! Pourquoi interdirait-on les îles Caïmans si on n’est pas capable de réguler les pratiques bancaires au Luxembourg ?

Si je décide avec Marc Touati de jouer sur le pétrole à terme, nous allons nous envoyer des e-mails, jouer dans une monnaie qui n’existe pas, sans le dire à personne. Qu’est-ce qui nous empêchera, au bout du compte, d’acheter ou non du pétrole ? À moins d’entrer dans un système compartimenté dans lequel on contrôle tous les mouvements d’information, ce qui est un rêve que même les communistes n’ont plus, on ne peut pas réguler l’économie mondiale.

M. Jean-Hervé Lorenzi : Si Dominique Strauss-Kahn propose une réforme du FMI, il ne dit pas que le monde va devenir angélique. Il veut simplement modifier la régulation.

M. Xavier Timbeau : Quand on parle de régulation, on ouvre une boîte qui est terriblement complexe. Il faut précisément dire ce qu’on fait, avec quel objectif et quel impact. Ce n’est vraiment pas simple. Prêter aux banques qui ont des difficultés de trésorerie au motif qu’elles sont un maillon indispensable peut paraître une évidence dans une situation de crise mais il faut se demander ce que cela change à la rentabilité de la banque et pourquoi on donne une facilité à un agent économique et pas à un autre. Comment fait-on pour contrebalancer cet avantage ? Toute régulation nécessite d’être contrôlée, ce qui est horriblement difficile, d’autant plus aujourd’hui que ceux qui sont les plus actifs promoteurs de cette régulation sont précisément ceux qui viennent de perdre. Sont-ils véritablement crédibles pour expliquer et décrire la régulation qu’il est nécessaire de mettre en place ? Je n’ai pas toute la réponse mais j’ai une petite idée.

Les régulations avancées aujourd’hui n’en ont que le nom, et sont en fait le produit de comportements de lobbying, tout à fait nets, légitimes et logiques, qui utilisent une capacité et un pouvoir à un moment donné. Il ne faut pas être naïf. La régulation est une utopie. Le travail et la bonne volonté nécessaires pour la réaliser rendent la route longue, difficile et semée de bien des déceptions.

Regardons l’évolution des profits des banques en Europe et aux États-Unis. Dans ce dernier pays, le taux de profit est comparable à celui des entreprises des autres secteurs. Le monde des banques est assez ouvert et concurrentiel. Dernièrement, le profit des banques est devenu négatif. Elles affichent des pertes. En Europe, depuis une dizaine d’années, en particulier depuis l’euro, le secteur des banques est relativement peu ouvert et ses progressions de profits sont hors de la normale. La capitalisation boursière des banques dans la zone euro connaît une bulle comparable à celle des entreprises de télécom il y a à peine dix ans. Comment se fait-il que les banques arrivent à extraire autant de rentes en Europe ? Alors que la crise des subprimes provoque un ralentissement de la croissance de leurs profits, elles parviennent à les maintenir des niveaux largement supérieurs à ceux des banques américaines ? C’est parce qu’on a mis en place, en Europe, une régulation qui est à l’avantage des banques. Les directives de concurrence ne s’appliquent pas à elles. Elles sont sous l’autorité d’un régulateur central bienveillant, la Banque centrale européenne. Le système européen des banques centrales agit nationalement, sans logique d’ensemble. Les banques sont exemptes de toutes les contraintes qui ont été imposées aux entreprises européennes. Elles tirent des rentes phénoménales de cette situation de non-régulation concurrentielle. Voilà ce qui se passe avec une régulation mal comprise, mal digérée et mal mise en place. On privilégie certains acteurs par rapport à d’autres.

Je suis fondamentalement favorable à la régulation. Une économie non régulée est instable. Mais il faut faire particulièrement attention aux pièges de la régulation, d’autant plus qu’il s’agit de régulations partielles, très difficiles à mettre en place car réclamant des moyens coercitifs adaptés. Il est facile, pour la Réserve fédérale, au moment de la crise des Caisses d’épargne, de les nationaliser. Il est extrêmement difficile aujourd’hui de réaliser la même chose à l’échelon de la finance mondiale, parce que des hedge funds sont la propriété de banques européennes ou américaines et que tout ce qui s’y passe est caché et échappe aux régulations. Que signifie, dans ce cadre, réguler ? Si l’on veut interdire les paradis fiscaux, pourquoi ne le fait-on pas aujourd’hui ?

La courbe des taux actuelle montre que cette question est loin d’être résolue. Les banques centrales américaine et européenne ont agi de façon à résoudre les problèmes de financement à très court terme, c’est-à-dire entre une semaine et un mois, mais, au-delà, sur le marché interbancaire, on ne voit pas fonctionner correctement les choses. Des primes de risque sont payées par les établissements bancaires. En particulier, ils se refinancent à long terme et n’utilisent plus le marché interbancaire. Cela leur pose des problèmes de gestion insupportables parce qu’ils ont une structure de financement complètement bouleversée. Je pense que cela pèse surtout sur les banques et assez peu sur les entreprises, qui se financent plutôt à long terme, c’est-à-dire au-delà d’un an. On s’aperçoit que les marchés d’obligations à un an sont beaucoup moins perturbés, et probablement moins risqués que les marchés interbancaires, parce que les procédures de défaut sont incluses dans ce type de marchés. Le marché bancaire repose sur l’hypothèse qu’il n’y a pas de défaut des acteurs. Aujourd’hui, le marché interbancaire à trois mois continue à ne pas fonctionner.

La crise continue. Elle n’est pas résolue malgré l’intervention des banques centrales, la baisse des taux américains et les facilités de financement accordées. On reste dans une situation entièrement ouverte.

M. Marc Touati : Tout excès, par définition, est inefficace en économie. Le problème aujourd’hui, c’est que, si l’on crée trop de barrières, les banquiers, les ingénieurs réussiront à les contourner. On l’a vu avec Bâle 2 et, en particulier, les ratios prudentiels.

Seul un tiers de l’investissement des entreprises est financé par les banques. Donc il peut y avoir des banques américaines qui sont en difficulté mais, globalement, on a un investissement qui résiste grâce notamment à des taux d’auto-financement élevés et, parallèlement, à l’investissement massif de fonds d’investissement.

L’attitude de la BCE pose problème, car elle revient à faire passer le dogmatisme avant le pragmatisme. Si la Commission reçoit de nouveau M. Jean-Claude Trichet, je vous suggère de lui présenter l’article 105 du traité de Maastricht, dans lequel il est mentionné, noir sur blanc, que l’objectif principal, mais pas unique, de la BCE est la stabilité des prix. Il n’est nulle part écrit que c’est 2 % d’inflation, encore moins en tenant compte des prix de l’énergie sur lesquels la BCE n’a aucun pouvoir. Il est également précisé, au même article, que la BCE peut soutenir les objectifs de l’article 2, lesquels sont justement la croissance, le bien-être, la qualité de vie et l’emploi. Il n’est pas besoin de changer de traité. L’objectif de croissance est implicitement compris dans l’action de la BCE, telle que définie par ses statuts. Mais on lit mal ces statuts ou, par dogmatisme, on ne veut pas regarder la réalité en face.

Quant à la nouvelle bulle, c’est celle des matières premières. Il y a un mobile objectif : une éventuelle pénurie, une demande grandissante des pays émergents, une offre qui ne suit pas. Mais, aujourd’hui, l’explication n’est pas suffisante. Les mouvements sont dus, pour une partie – pour moitié ou davantage – à la spéculation, et c’est inévitable. Quand un baril qui coûte 10 dollars en Arabie Saoudite est vendu 120 dollars, cela pose quand même un problème.

La pire des bulles est celle des matières premières. Après la bulle Internet, il reste des sociétés. Après une bulle immobilière, il reste les immeubles. Après une bulle des matières premières, il ne reste rien.

Tout est lié. Si, demain, la BCE baisse les taux, ce que j’espère – elle devrait le faire à partir de septembre –, l’euro normalement baissera, le dollar se réappréciera et, du coup, le prix du baril diminuera et tout se débloquera. Se féliciter aujourd’hui d’un euro cher en croyant qu’il nous protège contre un baril cher est une erreur. Quand la Réserve fédérale américaine a baissé les taux d’intérêt moins que ce qu’avaient anticipé les marchés, ceux-ci ont eu le sentiment qu’il y avait un pilote dans l’avion, c’est-à-dire le président de la Réserve fédérale, qui contrôle ce qu’il fait : il veut bien baisser les taux pour éviter la récession, mais il ne fait plus n’importe quoi, il ne va plus trop loin.

On attend maintenant un co-pilote. On attend que la BCE fasse le même mouvement. Comme elle tarde à le faire, on le paiera, malheureusement. L’histoire se répète.

Quant au problème de la morale, on peut dire, en voyant que les banques françaises ont fait 11 milliards de perte sur les subprimes, que la facture est en partie payée, l’enjeu étant que cela ne fasse pas tâche d’huile sur l’ensemble de l’économie. Aujourd’hui, on y est.

Je pense que l’euro baissera mais on n’en sentira l’impact qu’en 2009. On peut s’attendre, en 2008, à une croissance très molle, en 2009, à un rebond dans la zone euro mais toujours sous les 2 %. Ce n’est qu’en 2010 que, si tout va bien, elle dépassera les 2 % dans la zone euro. Encore une fois, l’histoire se répète.

Le Président Didier Migaud : Comment expliquer que les Allemands, qui semblent également souffrir d’un euro fort, soient aussi fébriles dès qu’on met tant soit peu en cause le dogmatisme de la BCE ?

M. Marc Touati : Le premier problème est que ce sont, nous, Français, qui faisons la remarque. Or, nous sommes l’illustration du seul argument valable de la BCE, à savoir que, pour contrecarrer le laxisme budgétaire des gouvernements, elle doit faire de l’orthodoxie monétaire. Il faudrait que la remarque vienne des Allemands, mais ceux-ci ont un problème culturel avec l’inflation. Les choses sont toutefois en train de changer du fait d’un début de ralentissement économique.

La question principale se situe au niveau de la direction de la BCE, qui doit penser « zone euro ». Or, dans la zone euro, il n’y a pas que la France qui va mal. L’Italie aura 0,5 % de croissance. D’autres pays, qui allaient très bien jusqu’à présent, commencent à souffrir : l’Irlande et, surtout, l’Espagne. Le nombre de chômeurs a augmenté de 15 % en un an, de 40 % dans le secteur de la construction. Il est dommage qu’il y ait un manque d’anticipation et que l’on n’utilise pas les indicateurs avancés qui montrent la gravité de la situation.

M. Xavier Timbeau : La crainte de l’inflation est l’argument le plus fort pour que la BCE maintienne sa position. Elle trouve sur ce terrain l’accord implicite, non seulement des Allemands, mais également de toute une communauté d’économistes. Il me semble maladroit de la qualifier de dogmatique car je ne pense pas qu’elle le soit. Elle a fait preuve d’un certain pragmatisme quand elle est intervenue sur les marchés interbancaires et elle a été plus active et plus réactive que ne l’a été la Réserve fédérale. Si, en matière de change, elle ne fait pas grand-chose, cela est dû davantage à une erreur d’analyse sur la menace inflationniste qu’à un dogmatisme.

Outre la mondialisation, une série de mauvaises récoltes dans certains pays ont beaucoup joué sur les prix alimentaires.

M. Marc Touati : Cela dépend des zones. En Australie, les récoltes ont été meilleures.

M. Xavier Timbeau : Globalement, il y a eu de mauvaises récoltes. Or, nous vivons dans un univers globalisé, dans lequel on met en commun toutes les mauvaises récoltes face à une demande forte et croissante. Il y a eu baisse des stocks. Ceux de maïs et de céréales sont au plus bas. Cela contribue plus à la formation des prix que la spéculation, qui est un phénomène additionnel. Les indicateurs de produits financiers basés sur les matières premières montrent que le moment où les encours grimpent est bien postérieur à l’explosion de leurs prix. Les mouvements spéculatifs sur les céréales étaient quasiment nul avant le début de cette année.

C’est principalement l’état des stocks qui explique la flambée des prix : il y a eu de mauvaises nouvelles sur les récoltes dans une situation tendue. Si l’on croit aux marches aléatoires, les prochaines récoltes devraient être moins mauvaises et les tensions disparaître rapidement.

M. Marc Touati : Un dernier mot sur la courbe des taux, puisque c’est la grande différence entre les États-Unis et l’Europe. Aujourd’hui, elle est redevenue normale aux États-Unis, c’est-à-dire que les taux courts sont redevenus inférieurs aux taux longs, ce qui permet aux banques de refaire leur métier de base, qui est un métier de transformation. En Europe, les taux d’intérêt à trois mois sont à 4,80 % et ceux à dix ans à 4 %, ce qui inverse la courbe des taux. Cela fait peser un risque sur la transformation, qui consiste à se financer à court terme pour prêter à long terme, le différentiel des taux d’intérêt permettant de gagner de l’argent.

Outre la faiblesse de la croissance, la BCE a un problème à court terme avec les banques européennes, qui risquent de souffrir quelque peu.

Le Président Didier Migaud : Merci à tous.

——fpfp——

9.– Mardi 3 juin 2008, séance de 17 heures, compte rendu n° 89

–   Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Pierre Landau, sous-gouverneur de la Banque de France, de M. Patrick Artus, directeur des études économiques de Natixis, et de M. Jean-Paul Herteman, président du directoire de Safran, sur les effets des parités monétaires sur les économies

Le Président Didier Migaud : Pour examiner le rôle des parités monétaires dans les échanges économiques, nous recevons aujourd'hui Jean-Pierre Landau, sous-gouverneur de la Banque de France, qui a notamment été administrateur pour la France au FMI et à la Banque mondiale ; Patrick Artus, économiste, membre du Conseil d'analyse économique et directeur des études économiques de Natixis ; et Jean-Paul Herteman, président du directoire de SAFRAN, groupe international de haute technologie pour lequel les variations des parités monétaires sont un enjeu d'importance.

Selon vous, messieurs, quelles sont les causes de l'euro fort, qui s'est apprécié, depuis le début de 2007, de 20 % vis-à-vis du dollar ? La faiblesse de l'économie américaine ? Le rôle croissant de l'euro en tant que monnaie internationale de réserve ? Mais le dollar n'est pas la seule monnaie qui importe. Que dire des rapports entre le dollar, l'euro et les autres monnaies : yuan et yen ? Une telle appréciation de la devise européenne s'annonce-t-elle durable ?

L'affirmation selon laquelle l'euro fort pénalise les entreprises de la zone euro exportatrices hors de la zone euro est-elle toujours exacte ? En d'autres termes, toutes les entreprises exportatrices sont-elles affectées d'égale manière ? À quoi sont dues les différences ? Les entreprises exportatrices sont-elles seules affectées par l'euro fort ? Les entreprises non exportatrices ne peuvent-elles pas, elles aussi, dans la zone euro, souffrir de la concurrence de pays étrangers dont les importations en zone euro sont favorisées ?

Quelles peuvent être les réactions des entreprises affectées par une forte appréciation durable de la devise européenne ? La réduction de leurs marges ? À moyen terme, quel est le risque pour elles d'une moindre capacité à investir, donc à se développer, voire à se maintenir ? Ces entreprises chercheront-elles à réduire leurs coûts de production ? De quelle façon ? Et avec quelles conséquences ? Quelle est la tendance actuelle des entreprises à la compression de la masse salariale et à la recherche de sous-traitances et de délocalisations dans des zones hors euro ?

Enfin, quelles actions mener et à quel niveau ? Les entreprises concernées peuvent-elles se protéger contre le risque d'un euro fort ? Le font-elles ? Jusqu'à quel point ? Les États et les banques centrales ont-ils des moyens d'action ?

Au sein de la zone euro, l'Eurogroupe a-t-il un pouvoir, autre que de déclaration ? La Banque centrale européenne, la BCE, a-t-elle un rôle à jouer ? Lequel ? Nous évoquerons bien sûr la récente proposition de Patrick Artus, qui suggère l'émission d'un emprunt obligataire en euros permettant d'absorber l'excès de demande d'euros. Si cette suggestion était prise en compte, comment se prendrait une telle décision, dans la mesure où les quinze États de la zone euro sont concernés ? Quels en seraient les effets ?

M. Jean-Pierre Landau : Ce sujet qui préoccupe beaucoup l’opinion m’inspire plusieurs remarques.

Tout d’abord, des forces puissantes sont à l'oeuvre dans le monde, qui modifient les grands équilibres internationaux.

Premièrement, je citerai le creusement des écarts entre épargne et investissement dans un grand nombre de pays, qui trouvent leur contrepartie dans les déséquilibres des paiements courants. Le paradoxe fréquemment souligné de la situation actuelle tient au faible niveau d'épargne des pays riches, notamment les États-Unis, que vient compenser une épargne très élevée dans les grands pays émergents. Ainsi, contrairement à ce que pourrait dicter l’intuition, ce sont les pauvres qui financent la consommation des riches et les flux nets de capitaux se dirigent principalement des pays émergents vers les pays développés.

Le deuxième grand changement est bien sûr l'apparition d'une nouvelle monnaie, l'euro, qui a conquis en dix ans le statut de grande monnaie internationale, désirée pour elle-même. Elle sert de plus en plus d'unité de compte et de valeur, et son poids dans les réserves de change tend à augmenter.

Il va de soi que ces forces exercent une influence sur la compétitivité des économies, sur la position relative des diverses monnaies et sur la configuration des taux de change.

Deuxièmement, une grande hétérogénéité des régimes de capitaux et de change caractérise l'architecture financière internationale. Les grandes monnaies, comme le dollar et l’euro, flottent librement, de même que celles de la plupart des grands pays émergents d’Amérique latine. À l'opposé, des pays qui contrôlent étroitement leurs mouvements de capitaux et leurs taux de change sont gérés par les autorités. C’est le cas de la Chine et, dans une moindre mesure, de l’Inde. Dans une position intermédiaire, se situent les monnaies de beaucoup de pays asiatiques, en principe en flottement libre mais dont les banques centrales tentent en permanence de gérer et de contrôler l'évolution.

Troisièmement, les variations de taux de change, notamment de celui de l'euro, sont le croisement de ces forces puissantes, et de cette architecture désordonnée. La conjonction de déséquilibre élevés et de monnaies inégalement libres peut conduire à répartir de manière non optimale la charge de l'ajustement des balances des paiements.

Quatrièmement, si l’on se place dans une perspective historique, le taux de change bilatéral de l'euro vis-à-vis du dollar atteint maintenant son plus haut, mais il ne dépasse pas dans des proportions très importantes les pics atteints dans les années 1970. Historiquement, également, on observe des fluctuations régulières de la parité euro-dollar autour d'un niveau moyen sur des périodes de plusieurs années. Une question centrale, à laquelle il est difficile de répondre aujourd'hui, est de savoir si ce schéma peut se reproduire à l'avenir ou si, au contraire, on assiste à une rupture structurelle, compte tenu de l'importance du déficit américain et de la position croissante de débiteur net des États-Unis.

Cinquièmement, il est évident que les fluctuations d’aujourd'hui sont favorables à certaines activités, celles qui importent des produits minéraux par exemple, et en pénalisent lourdement d'autres, à savoir les entreprises en concurrence avec la zone dollar. D'un point de vue macroéconomique, il faut essayer de se faire un jugement d'ensemble, ce qui est très difficile, principalement à une période où les prix des matières premières ont explosé, et où l'appréciation de l'euro joue donc un effet modérateur.

Sixièmement, pour le secteur productif dans son ensemble, il faut considérer la compétitivité sous un angle plus large. Une fraction importante de nos exportations et de notre activité se fait dans la zone euro. La détérioration, puis l'amélioration très récente, de notre compétitivité prix joue probablement un rôle plus important sur notre croissance globale que le taux change de l'euro, même si celui-ci n'est bien sûr pas neutre. Il s’agit là d’un message fort.

Septièmement, face aux forces puissantes qui sont à l'œuvre, la politique monétaire ne peut ni ne doit tenter de viser un objectif de change. Elle ne peut le faire, car il est clair que les déterminants profonds sont ailleurs. Certains graphiques semblent faire apparaître une relation directe entre les anticipations de taux à court terme et le taux de change. En réalité, ces deux mouvements ont une cause commune : les perspectives de croissance. Quand celles-ci s'améliorent, les marchés anticipent à la fois une hausse des taux d'intérêt et une appréciation du change. Quand les perspectives se détériorent, c’est l’inverse.

La politique monétaire ne doit pas le faire, car en se subordonnant à un objectif de change, elle abandonnerait son mandat en faveur de la stabilité des prix. La théorie est claire sur ce point : sauf à contrôler les mouvements de capitaux, il faut choisir entre stabilité interne et stabilité externe de la monnaie. Les pays qui visent les deux, comme aujourd'hui certains pays asiatiques, se heurtent rapidement à de très grosses difficultés et à d'importantes pressions inflationnistes.

Huitièmement, des dispositions institutionnelles permettent au conseil des ministres ECOFIN de se saisir des problèmes de change et de les traiter. Là encore, la théorie et l'expérience sont claires : si les mouvements correspondent à des évolutions fondamentales, il est vain de chercher les contrarier. Si l'on veut parer à des ajustements désordonnés, il est important d'envoyer un signal clair, c'est-à-dire que la position européenne s'exprime d'une seule voix.

Neuvièmement, nous avons un intérêt majeur à ce que les régimes de change dans le monde se réforment et s'harmonisent. Ce peut être aussi aujourd'hui l'intérêt de beaucoup des pays en cause. Je l'ai dit, ils sont actuellement confrontés à des contradictions et à des difficultés de gestion considérables, qui se résolvent dans une poussée inflationniste très forte. Pour le monde, il en résulte une expansion exagérée des liquidités, dont on peut penser qu'elles jouent un rôle dans la hausse des prix des matières premières. C'est probablement un axe prioritaire d’action pour l’ensemble de la communauté internationale.

M. Patrick Artus : S’agissant des causes de l’euro fort, il importe de distinguer causes cycliques et causes tendancielles.

Dans les premières, figurent l’écart de conjoncture entre les États-Unis et l’Europe et les écarts dans les anticipations de taux d’intérêt. Ainsi, depuis un mois, les marchés financiers sont persuadés, sans doute à tort, que l’économie américaine va se redresser assez rapidement mais pas l’économie européenne. L’euro est donc un peu retombé par rapport au dollar : de 1,60 dollar à 1,55. La question est de savoir si les variations tiennent à de grandes oscillations d’origine cyclique autour d’une tendance à la stabilité du taux de change ou si la tendance est à la dépréciation du dollar.

Il ressort de mes observations qu’il y a depuis 2002 une tendance à la baisse du dollar, qui correspond nettement au moment où la part de l’euro dans les portefeuilles des banques centrales ou des agents économiques privés a commencé à augmenter. En 2002, la part de l’euro dans les réserves de change mondiales était de 14 % ; elle est aujourd'hui de 27 %. Le lien est clair, indépendamment des effets de valorisation.

Autre évolution significative pour le futur : la quasi-disparition, depuis la crise financière de l’année dernière, des flux de capitaux privés vers les États-Unis. Jusqu’au printemps 2007, les investissements des entreprises ou des particuliers finançaient pour moitié le déficit extérieur des États-Unis. Depuis l’été 2007, ce sont les banques centrales des pays d’Asie et des pays producteurs de matières premières qui assurent ce financement. En un an, elles ont acheté pour presque 900 milliards d’actifs en dollars. Nous sommes ainsi entrés dans un régime nouveau d’administration de la parité du dollar : le taux de change entre le dollar et les grandes monnaies émergentes, comme le renminbi, ne résulte plus de l’équilibre du marché. Autrement dit, la parité dollar-renminbi est une décision de la banque centrale de la Chine.

Dans un tel contexte, l’euro s’apprécie par rapport au dollar en raison de son rôle croissant de monnaie de réserve internationale, qui se manifeste par une demande croissante pour des actifs libellés en euro de la part des investisseurs non européens, qu’ils soient publics ou privés. Comme la zone euro, contrairement aux États-Unis, n’a pas de déficit extérieur, l’ajustement se fait par une hausse du cours de l’euro par rapport au dollar, et par sa stabilisation récente vis-à-vis du renminbi.

Les autres monnaies ont des statuts différents. Les deux seules vraies monnaies de réserve internationales sont le dollar et l’euro. La livre sterling est une monnaie opportuniste : les investisseurs – banques centrales ou autres – en achètent quand les taux d’intérêt britanniques sont élevés, et en vendent quand ils sont bas. Quant au yen et au franc suisse, ils ont perdu quasiment tout rôle dans ce domaine.

Qu’est-ce qui pourrait changer la tendance de fond à l’appréciation de l’euro ? Une rupture dans les taux d’épargne : soit une augmentation du taux d’épargne aux États-Unis – or la politique monétaire et la politique budgétaire visent toutes deux à l’éviter parce qu’elle serait synonyme de récession –, soit une diminution du taux d’épargne dans les pays excédentaires, ce qui est tout aussi peu probable, au moins à court terme, parce qu’ils ont structurellement des taux d’épargne élevés. En Chine, l’épargne provient surtout des entreprises, et non des ménages, les entrepreneurs devant autofinancer leurs investissements parce qu’ils n’ont pas accès au crédit. Et le problème ne se réglera pas en quelques trimestres. Quant aux pays producteurs d’énergie, près de la moitié de leurs revenus additionnels est dépensée, l’autre moitié est épargnée. La règle vaut aussi bien pour les pays de l’OPEP que pour la Russie. Il n’y a pas de raison pour que le déséquilibre d’épargne entre les États-Unis et les pays émergents se résorbe en quelques années, et, partant, que la demande d’euro diminue puisque la stratégie de diversification des avoirs pousse ces pays à investir en euro.

Si l’on examine maintenant les effets de l’euro fort, l’analyse que j’avais faite il y a deux ans avec Lionel Fontagné pour le Conseil d’analyse économique, montrait que l’euro fort n’affaiblit pas directement les exportations de la France. Il est le révélateur d’un problème plus global de positionnement en gamme des productions exportées. En moyenne, les produits exportés par la France sont de milieu de gamme, et les produits exportés par l’Allemagne sont de haut de gamme. On ne peut pas comprendre les différences entre les commerces de la France et de l’Allemagne si l’on s’en tient au critère habituel du poids des biens d’équipement dans les exportations allemandes. En revanche, la sensibilité au prix de la demande de produits allemands est beaucoup plus faible que celle des produits français. Si bien que la hausse de l’euro dégrade les exportations de la France plus nettement que les exportations allemandes. Les entrepreneurs français doivent compenser en prenant sur leurs marges. Et ceux qui exportent vers la zone euro n’ont pas du tout le même comportement selon qu’ils commercent avec la France ou avec l’Allemagne. On a bien une absence de pouvoir de fixation des prix sur le marché français et un assez grand pouvoir de fixation des prix sur le marché allemand.

Les conséquences de l’euro fort sont donc, en France, soit des pertes d’exportation en volume – chaque année, il y a un écart de trois ou quatre points entre les deux pays –, soit une compression des marges des exportateurs français pour compenser la sensibilité au prix de leurs produits.

Jean-Pierre Landau a attiré l’attention sur le différentiel de coûts. Les études montrent qu’il n’est pas très important, notamment dans l’industrie. Dans ce secteur, l’Allemagne n’a pas regagné de compétitivité sur ses coûts, si elle l’a fait ailleurs. Nos travaux attribuent essentiellement au positionnement en gamme le différentiel dans les performances à l’exportation.

Comment ajuster la politique économique ? Ce qui inquiète le plus dans la situation de la zone euro, c’est que, simple provocation de ma part, le seul instrument de politique économique dont dispose réellement la Banque centrale européenne pour stabiliser l’inflation, c’est le taux de change ! Dans la zone euro, les coûts de production et les salaires sont très peu liés au cycle économique. Dès lors, par rapport aux États-Unis et au Royaume-Uni, la marge de manœuvre sur la demande intérieure pour réduire l’inflation est très faible. Si on veut moins d’inflation, le plus efficace est d’apprécier l’euro. La question risque de se poser avec la hausse du prix des matières premières qui, au-delà des aléas de court terme liés à des positions spéculatives, devrait se poursuivre. L’inflation tendancielle de la zone euro devrait être de l’ordre de 2,7 % à 2,8 %, avec des hypothèses raisonnables quant aux prix des matières premières. Pour ramener l’inflation à 2 %, il faudrait importer de la désinflation. La tentation d’utiliser l’appréciation de l’euro pour compenser la hausse des matières premières est un vrai danger, la politique monétaire pouvant difficilement servir à stabiliser le taux de change. Sinon, il faudrait abandonner tout objectif d’inflation domestique et passer à un objectif de taux de change, ce que font certains pays émergents, à commencer par la Chine. Le prix des matières premières sera sans doute à l’origine d’un conflit durable d’objectifs de la politique monétaire, entre la stabilisation de l’euro et la stabilité des prix.

Dans ce contexte, la seule arme, pour stabiliser l’euro, n’est pas l’arme monétaire. La critique envers la BCE à qui il est reproché de maintenir des taux d’intérêt trop élevés, n’est pas très pertinente car une baisse ne jouerait qu’à court terme. À long terme, ce n’est pas le différentiel de taux d’intérêt, donc la politique de la BCE, qui explique l’appréciation de l’euro, ce sont les écarts dans les taux d’épargne et le rôle croissant de l’euro en tant qu’actif de réserve. Symétriquement, il ne faut pas compter sur la BCE pour stabiliser l’euro dans l’environnement économique actuel. Le seul instrument qui subsiste, c’est la politique budgétaire. Dans Le Monde de vendredi, je fais cette proposition scandaleuse : si l’appréciation de l’euro résulte de son rôle de monnaie de réserve, il faut, au lieu de le déplorer, l’utiliser et absorber ce surplus de demande par des émissions d’actifs – par les entreprises aussi bien que par les institutions publiques. Utiliser intelligemment cette demande excédentaire d’actifs en euros par les non-résidents, en rééquilibrant le marché des actifs libellés en euros, permettrait de stabiliser l’euro sur le long terme. Si les fonds ainsi collectés sont bien utilisés sur le marché domestique, vous aurez de l’argent et vous empêcherez l’appréciation de l’euro.

En conclusion, l’euro fort n’est pas un problème cyclique. Il résulte d’un écart entre les taux d’épargne des États-Unis et du reste du monde et d’un basculement de l’épargne vers l’euro, qui est la seule alternative au dollar. Il révèle un positionnement insuffisamment élevé en gamme des exportations de la France. Enfin, ce n’est pas la politique monétaire qui y mettra fin.

M. Jean-Paul Herteman : Je serai le plus concret possible pour illustrer l’impact de l’évolution du cours euro-dollar pour un industriel comme Safran, dans une triple dimension : économique et financière, industrielle et sociale, stratégique enfin.

Safran exerce essentiellement son activité dans le domaine de l’aéronautique civile, grâce à une politique visionnaire ayant consisté à passer du militaire au civil dans les années 1970. La rançon en est que, pour très longtemps encore, il faut s’adapter à une monnaie de référence du secteur, qui devrait rester le dollar. Les recettes de nombreuses compagnies aériennes sont libellées en dollar et les acteurs majeurs du secteur sont des sociétés américaines. Changer la donne semble extrêmement difficile.

Le chiffre d’affaires de la branche aéronautique est passé, de 2004 à 2008, de 8 à 12 milliards de dollars. Cette très belle progression s’explique par le cycle aéronautique, qui est resté très porteur, et par une progression de nos parts de marché sur tous les produits. En euros, la pente est moins spectaculaire. L’exposition nette au dollar, mesurée par l’écart entre les recettes et les coûts libellés en dollar, a crû moins que le chiffre d’affaires en dollar parce que nous avons pris des mesures, mais elle a grosso modo doublé pour atteindre près de 5 milliards de dollars dans les prochaines années.

Le taux du dollar couvert était à la parité avec l’euro en 2004, il est à 1,46 cette année et il devrait se situer dans une fourchette de 1,48 à 1,52 pour les deux prochains exercices. Notre politique est prudente et nous préférons couvrir la totalité de notre portefeuille de commandes en combinant pour moitié les ventes à terme et les options.

La marge opérationnelle de nos activités aéronautiques est affectée négativement par l’évolution de la parité monétaire. En 2007, elle avait atteint 700 millions de dollars, mais en 2008 elle sera amputée d’autant par la chute du dollar. Autrement dit, l’évolution du taux de change, tel qu’il résulte de nos opérations de couverture, coûte à Safran 2 millions d’euros chaque jour. En contrepartie nos actions de résistance au dollar nous rapportent de quoi compenser ce surcoût et assurer le même résultat que l’an dernier.

Comment résister ? Selon trois volets.

Premièrement, l’entreprise continue de toucher les dividendes des investissements passés. Les métiers de l’aéronautique suivent plus ou moins le modèle razor and blades, c'est-à-dire que les premières montes sont vendues à prix coûtant, ou presque, l’essentiel des marges se faisant sur les activités de service, les rechanges notamment. Comme Safran est l’industriel le plus récent dans le monde aéronautique civil – il n’était pas présent à la fin de la Seconde Guerre mondiale –, il a la flotte la plus jeune, avec les meilleures perspectives de croissance pour les services. L’impact sur le résultat est positif, il contribue à compenser significativement la baisse du dollar.

Deuxièmement, les gains de productivité industrielle représentent, sur les quatre dernières années, presque 3 % du chiffre d’affaires. Dans une industrie mécanique de faibles ou moyennes séries, ce n’est pas si mal. Ils proviennent pour moitié de l’amélioration continue des processus de production – conception, qualité, etc. –, et pour une autre moitié, d’une « dollarisation » des coûts, c'est-à-dire d’un transfert vers la zone dollar et les pays émergents. La part de nos achats de production auprès de fournisseurs travaillant en zone dollar avoisinait 20 % en 2004 ; elle est aujourd’hui de 40 % et elle dépassera 50 % en 2010.

Certaines activités industrielles sont, pour des raisons stratégiques, maintenues dans notre outil interne de production, mais cet outil s’étend de plus en plus dans la zone dollar et dans les pays émergents. Ainsi, au Mexique, nous employons aujourd'hui 3 800 personnes. Safran est de fait le premier industriel aéronautique mexicain. Nous ne sommes pas loin d’avoir autant de personnel d’atelier en zone dollar et pays émergents que dans l’Hexagone. Nos usines employent entre 300 et 400 personnes, et le rythme de création est de l’ordre d’une dizaine d’unités par an à l’international. Les principales implantations se font aux États-Unis avec 4 500 personnes au Mexique, au Maroc, des pays où s’implanter est aisé, mais aussi en Russie, Chine et Inde qui sont nos grands clients de demain et d’après-demain.

Sur le plan social, les effectifs globaux du groupe sont passés de 58 000 à 63 000 personnes au cours des trois dernières années. Mais si la croissance s’est faite à l’international, qui représente aujourd'hui 38 % des effectifs, le nombre de salariés en France a pu rester stable. Nous continuons d’embaucher des ingénieurs, des techniciens supérieurs et des ouvriers pour renouveler les effectifs industriels France, au rythme de 2 500 personnes par an.

Les investissements industriels représentent 3,5 % du chiffre d’affaires. Ils se répartissent pour un tiers à l’international et pour deux tiers en France. L’outil industriel se centre de plus en plus, en France, sur les hautes technologies, sur ce que l’on doit « à tout prix » garder proche des centres de décision, des bureaux d’études. Il s’agit donc de processus industriels hautement capitalistiques, qui requièrent des investissements coûteux, par exemple 100 millions d’euros dans une usine de turbines d’hélicoptères – via Turboméca, Safran est le premier motoriste d’hélicoptères du monde –, ou 50 millions d’euros à Montluçon où se fabriquent des centrales inertielles à gyrolaser – c’est un des très rares centres non américains à disposer d’un tel savoir-faire. Nous essayons donc à la fois de nous internationaliser pour contrecarrer la baisse du dollar et de maintenir une industrie de très haut niveau en France.

Sur le plan stratégique il convient de comparer notre situation avec celle de nos concurrents américains, qui sont aussi parfois nos partenaires, General Electric par exemple. On pourrait, dans la conjoncture monétaire actuelle, se satisfaire des près de 10 % de marge opérationnelle de notre branche aéronautique, obtenus après un effort d’autofinancement de la recherche-développement de 7,5 % du chiffre d’affaires. Mais les très grands équipementiers américains – General Electric, Pratt & Whitney, Goodrich – dégagent une marge opérationnelle de 17 % avec une recherche-développement autofinancée inférieure à la nôtre, car le Department of Defence est pour eux une source de financement de technologies à usage dual – en cas d’application civile d’une technologie militaire, les entreprises américaines sont deux fois mieux financées que nous. Selon les standards européens, notre rentabilité est plus que correcte, mais elle est deux fois plus élevée chez tous nos concurrents. Un jour ou l’autre, cela posera problème. En outre, Safran finance davantage sa R&D. L’aéronautique est un métier à très forte barrière technologique. Il faut absolument l’entretenir, au risque d’être évincé ou ravalé au rôle de sous-traitant, sans « accès direct à la mer » et incapable de maîtriser son futur.

Safran s’est adapté, malgré la chute du dollar, mais nous souffrons de déséquilibres structurels qui, à terme plus ou moins rapproché, peuvent menacer l’un des joyaux industriels de la France et de l’Europe. Le crédit d’impôt recherche nous aide, il représente environ 0,5 % du chiffre d’affaires de Safran. C’est loin d’être négligeable, mais cela ne suffira pas à corriger un déséquilibre structurel, lié notamment à un taux de change très défavorable et à une différence de soutien aux technologies duales.

M. Marc Le Fur : Existe-t-il un lien entre les parités monétaires et le cours des matières premières ? Dans quelle mesure l’euro fort joue-t-il un rôle d’amortisseur ? Pourquoi misez-vous, monsieur Artus, sur la poursuite de la hausse des matières premières, qui alimentera l’inflation ? Quelle est la part respective de la spéculation, qui aurait découvert ces nouveaux marchés, et de la tendance de fond ?

M. Patrick Artus : Début 2007, le pétrole était à 60 dollars le baril ; aujourd’hui, il est à 125 dollars environ. S’il a plus que doublé dans cette monnaie, il n’a augmenté que de 66 % en euro. Ces rapports doivent être maniés avec prudence car le pétrole et le dollar sont corrélés par un mécanisme, qui n’est pas celui que l’on avance habituellement, en vertu duquel les pays producteurs, machiavéliques, compenseraient la baisse du dollar par une hausse des cours en diminuant leur production. En fait, comme je l’ai expliqué, les pays exportateurs placent une partie croissante de leurs revenus pétroliers en euro. Quand la Russie reçoit 100 dollars supplémentaires de recettes, elle en investit 40 en euros, ce qui contribue à faire monter l’euro, dans des proportions bien plus grandes que la gestion des prix par les quantités de la part des producteurs, laquelle ne se traduit pas dans les chiffres. On ne gagnerait pas tant que ça à la baisse du dollar, puisqu’elle fait monter l’euro.

Il y a dans le prix des matières premières agricoles une grosse composante spéculative, même si elle n’est pas évidente à mesurer. Les données disponibles proviennent des marchés dérivés. Il s’agit de la position des opérateurs qui ne sont pas des professionnels du secteur. Elle est gigantesque sur le blé, encore qu’elle se soit maintenant reportée sur le riz, le sucre, le maïs. En revanche, elle est très réduite pour le pétrole. Il n’existe pas de marchés dérivés de certaines matières premières, le minerai de fer notamment, ce qui n’empêche pas les prix de monter de façon considérable. À quelques exceptions près comme le nickel, les prix des métaux et du pétrole reflètent assez largement les fondamentaux du marché ; en revanche, ceux des produits alimentaires sont démultipliés par la spéculation. Ainsi, le prix du blé, après avoir été multiplié par quatre, a été divisé par deux depuis le mois de février. Les prix des denrées agricoles devraient se stabiliser. En revanche, la poursuite de la hausse des prix de l’énergie et des métaux – cuivre, fer, … – est à craindre.

Pour l’énergie, les prix sont tirés vers le haut par le mécanisme pervers du subventionnement dans les pays émergents, qui fausse l’élasticité de la demande. On n’est plus du tout dans la configuration des années 1980 car la demande ne baisse pas sous l’effet de la hausse des prix. La demande de pétrole des pays émergents augmente toujours de 4 % par an, parce qu’ils ne paient pas le prix. En Europe, le consommateur a vu sa facture d’énergie augmenter de 20 % en raison de la hausse du pétrole ; dans le monde, la hausse est de 8 % seulement. Il n’y a guère de retournement à attendre, d’autant que la production manufacturière des pays émergents continue d’accélérer.

Dans l’exploration pétrolière, les investissements sont passés de 150 milliards de dollars par en 2003 à 310 milliards cette année, mais, en volume, ils ont diminué. Le prix des équipements a plus que doublé à cause des métaux. En ayant doublé les budgets d’investissement, on fabrique moins d’équipements d’exploration pétrolière !

En ce qui concerne les prix agricoles, je vous renvoie au rapport très bien fait de la FAO. Les prix vont rester élevés, mais ils vont baisser par rapport au pic que nous venons de connaître. La contribution de l’alimentation à l’inflation devrait désormais être à peu près nulle, le prix des métaux pesant sur l’investissement, et ceux de l’énergie sur la consommation. En faisant tourner nos modèles, nous arrivons à une hausse des prix de 2,7-2,8 %, pas de 2 %, d’où une baisse du pouvoir d’achat, en retenant des hypothèses assez optimistes en matière de productivité.

Une énorme incertitude subsiste quant au prix du pétrole en 2015. Selon que l’on prend l’hypothèse de Total qui part d’un peak oil en 2016, avec une stabilité de la capacité de production mondiale un peu au-dessus de 100 millions de barils par jour, ou celle de l’Agence internationale de l’énergie, plus optimiste, qui table sur la poursuite de l’accumulation de capacités autour de 103-104 millions de barils en 2015, la fourchette des prix se situe entre 150 et 250 dollars le baril. Il s’agit de deux scénarios établis par des gens raisonnables et bien informés. La marge d’erreur est considérable en raison de la très faible élasticité de la demande au prix, 0,05. Autrement dit, pour réduire la demande mondiale de 1 % ; il faut augmenter le prix de 20 %. Avec une marge d’erreur de 3 % à 4 % sur les capacités, ce qui est la marge d’erreur à dix ans, le prix varie du simple au double.

M. Jean-Pierre Landau : Les pays de l’OCDE subissent le double effet d’une demande émergente qui continue à augmenter fortement et des rigidités qui contraignent la production de pétrole.

Les conditions monétaires favorables et les taux d’intérêt bas pèsent sur le prix de matières premières pour deux raisons. Premièrement, la demande spéculative trouve facilement à emprunter pour financer ses positions, avec un moindre risque. Deuxièmement, les producteurs sont moins incités à l’extraction parce que, s’ils ont le choix d’extraire un baril ou non, ils feront un calcul d’opportunité en comparant le rendement à attendre du placement du prix obtenu à partir de la production marginale valorisée au cours actuel et celui qu’ils obtiendront si le prix du baril monte. En cas d’intérêts bas, il suffit d’une variation du cours de 2 % ou 3 % pour qu’il soit plus rentable de laisser le pétrole sous terre. Aujourd’hui, dans le monde, les conditions monétaires sont extraordinairement permissives car les pays d’Asie et du Moyen-Orient ont adopté la politique monétaire américaine, avec pour conséquence de rendre la spéculation moins coûteuse et de ne pas encourager l’extraction.

Le grand risque que doit conjurer la communauté internationale, c’est d’éviter la spirale, extraordinairement dangereuse pour nous, d’une hausse continue des matières premières alimentée par des liquidités, qui elle-même nourrirait l’inflation. En tant qu’Européens, nous avons peut-être moyen d’y remédier en organisant un grand débat avec les pays émergents sur leur régime de change.

M. Patrick Artus : L’optimal serait en effet que les pays émergents aient des politiques monétaires plus restrictives. Si elles ne le sont pas, c’est en raison de l’ancrage de leur monnaie au dollar. Mais, si les pays du Moyen-Orient lâchaient le dollar – seul le Koweït l’a fait –, le dollar chuterait encore plus et l’euro monterait. Ce que nous gagnerions sur le prix du pétrole, nous le perdrions sur un autre terrain. Il faudrait que ces pays augmentent leurs taux d’intérêt.

M. Jean-Paul Herteman : Les pays émergents sont manifestement ceux qui tirent la demande dans l’aéronautique civile. Le premier client de Safran, et de loin, c’est la Chine qui absorbe près de 20 % de sa production.

M. Michel Bouvard : Quel est, pour Safran, le coût de la couverture de change ? En ce qui concerne vos implantations, arbitrez-vous aujourd'hui, comme Louis Gallois à EADS, en faveur des pays hors zone euro pour maintenir vos perspectives de développement et de rentabilité ? Enfin, s’agissant de la recherche-développement, comment évaluez-vous le différentiel d’aide publique, qui tient à la prise en charge par le complexe militaro-industriel américain du préfinancement de certaines études ?

Sur le plan monétaire et financier, le conseil de ministres ECOFIN peut se saisir des problèmes de politique de change. Pourquoi les initiatives sont-elles aussi peu nombreuses ? Quelles sont les relations avec la BCE ? Celle-ci est-elle en contact avec ses homologues des pays émergents ? Comment débloquer la situation ?

M. Jean-Paul Herteman : Dans le passé proche, le groupe a connu, dans sa stratégie de couverture, quelques discontinuités. Faute de pouvoir prédire le cours du dollar, j’ai opté pour la prudence, d’autant que la visibilité est bonne : le carnet de commandes dépasse quatre ans. Il nous faut aussi du temps pour engranger des gains de productivité, implanter des usines ou bénéficier de la croissance induite par le vieillissement de la flotte. Dans ces circonstances, il devient indiscutable d’adopter une politique de couverture.

Cette année, nous n’avions guère de couverture de change issues des années antérieures, et le dollar absorbera 700 millions. Pour le futur, sauf bouleversement économique majeur, la couverture autour de 1,5 devrait nous assurer de maintenir une marge opérationnelle voisine de 10 %. Il reste à savoir si c’est suffisant quand nos concurrents atteignent presque le double.

Quant à s’implanter hors zone euro, nous le faisons effectivement depuis la fin des années 1990, en agissant de manière équilibrée. Il est indispensable d’anticiper pour éviter les à-coups. Nous avons aujourd'hui un outil industriel installé pour moitié en France, pour moitié ailleurs. Si nous devions subir à la fois un très fort ralentissement de l’activité aéronautique et un euro à 1,60 dollar, tout en maintenant l’effort de préparation du futur car nous allons vers le renouvellement des générations actuelles d’avions, pour moins consommer et moins polluer – on ne peut pas exclure l’équilibre devienne difficile à maintenir.

J’évalue, avec toutes les précautions d’usage, le différentiel de soutien à la R&D à trois points de chiffre d’affaires, soit le tiers de notre résultat, ou encore la moitié de notre R&D financée sur fonds propres, et enfin à l’équivalent des crédits de R&D que nous recevons de différentes instances publiques françaises ou européennes.

M. Jean-Pierre Landau : Il ne m’appartient pas de commenter ce que font ou ne font pas les ministres… Je confirme toutefois que les ministres ECOFIN se réunissent, ceux de l’Eurogroupe aussi et que le président de la BCE participe à ces réunions. Ils doivent donc se parler. Il nous arrive même d’en avoir des échos. Ce qui importe, pour que les responsables gouvernementaux soient entendus par les marchés, c’est que le signal envoyé soit clair et cohérent. Or la lecture des journaux fait ressortir que tous les ministres de l’Eurogroupe ne disent pas toujours la même chose au même moment.

Par ailleurs, il y a quelques mois, le président de l’Eurogroupe, M. Juncker, et le président de la BCE, M. Trichet se sont déplacés ensemble à Pékin. Ils se sont entretenus de la politique de change avec les autorités chinoises. J’ignore s’il y a un lien de cause à effet, mais, depuis un an, l’appréciation du renminbi s’est considérablement accélérée, de près de 12 %.

M. Patrick Artus : Plusieurs démarches ont été entreprises au niveau européen. Christine Lagarde aussi est allée à Pékin. Mais il faut faire attention à ne pas voir dans la faiblesse du renminbi la cause de nos problèmes. Les Chinois ont clairement dit que leur objectif, c’était la parité dollar-renminbi, et non la parité euro-renminbi, en faisant judicieusement remarquer que s’ils contrôlaient les deux, cela reviendrait à se préoccuper de la parité dollar-euro, tâche qui ne leur incombe pas précisément. Si les Chinois laissent le renminbi monter par rapport au dollar, leur politique fabrique aussi un dollar plus faible par rapport à l’euro. Ce n’est pas forcément notre intérêt. Ce qu’il nous faudrait, c’est qu’ils ajustent la parité de leur monnaie à un panier de devises : dollar plus euro. Il faut être extrêmement précis dans les demandes que nous adressons aux pays émergents en matière de change.

Si vous suivez mon intuition qui est que l’euro s’apprécie surtout parce qu’il est en train de devenir une monnaie de réserve, et non à cause de la politique monétaire européenne, la coordination à l’intérieur de la zone euro n’est pas le problème essentiel. La diversification à grande échelle des avoirs en dollars n’est possible qu’avec l’euro. Comment l’empêcher ? Les Allemands et les Japonais ont toujours cherché à éviter que leur monnaie ne devienne internationale, mais leurs méthodes ne sont plus valables aujourd'hui : les Allemands interdisaient pratiquement aux non-résidents de se financer en marks.

Contrecarrer cette cause d’appréciation de l’euro est extraordinairement difficile. Une des pistes que je suggère découle du constat que l’euro est dans la situation inverse à celle du dollar. La demande de dollar est plus faible que la dette des États-Unis, si l’on ne tient pas compte des interventions des banques centrales. Le dollar baisse. Les manuels d’économie enseignent que, quand un État devient insolvable, il provoque l’inflation pour réduire sa dette. Au plan international, un État insolvable déprécie sa devise. La zone euro, elle, n’a pas de dette extérieure et la demande internationale d’euro ne trouve pas à se satisfaire puisque les résidents ne vendent pas leurs actifs aux non-résidents. À long terme, le marché s’équilibre par une hausse du cours de l’euro qui réduit la demande des non-résidents.

Pour rééquilibrer le marché des actifs en euros, il faudrait agir sur l’offre en l’élargissant. L’idéal serait que les entreprises émettent des titres, mais on ne va pas leur reprocher maintenant d’être devenues très rentables et de ne pas avoir besoin de s’endetter beaucoup – même si c’est le cauchemar des banquiers. Il reste les institutions publiques qui ont accès aux marchés internationaux, par exemple la Banque européenne d’investissement. Cela signifierait, ne nous le cachons pas, que la zone euro aurait un déficit extérieur puisqu’elle financerait un supplément d’investissement domestique en s’endettant auprès des non-résidents. La balance commerciale deviendrait déficitaire. La demande étant forte, l’impact sur les taux d’intérêt serait marginal et, à terme, cela empêcherait l’appréciation de l’euro.

M. Jean-Pierre Landau : Je suis d’accord sur le caractère structurel de l’appréciation de l’euro. Mais le vrai problème pour le monde, c’est la dépréciation du dollar et la répartition, entre zone euro et pays asiatiques, de la charge de l’ajustement du déficit américain, qui n’est pas neutre sur la croissance de la zone euro.

En ce qui concerne la proposition très innovante de Patrick Artus, nous sommes d’accord sur le fait qu’elle créerait un déficit de la zone euro. Mais je ne comprends pas comment il pourrait apparaître sans appréciation du change. Vous allez demander à des non-résidents de souscrire des titres libellés en euros et ils vont devoir, au moins dans un premier temps, acheter des euros, ce qui aura un impact sur le cours de l’euro, à la hausse. Cela étant, Patrick Artus s’inscrivait dans le moyen terme. Il reste à étudier plus à fond la proposition.

M. Patrick Artus : Si les non-résidents se mettent à vouloir acheter des euros, cela correspond à ce qui se passe aujourd'hui, qui donne lieu à des mouvements de capitaux vers la zone euro. Mais l’émission de titres en euro auprès des non-résidents provoquera des flux en sens inverse, ce qui fera baisser l’euro. Je propose un choc symétrique à celui que nous venons de subir, qui tient à l’augmentation de la demande d’euros par des non-résidents.

Le Président Didier Migaud : Il faudrait agir massivement, pour éviter la hausse des cours.

M. Patrick Artus : Les achats nets d’obligations de la zone euro par des non-résidents sur l’année écoulée se sont montés à 400 milliards d’euros. Comme la balance courante est légèrement excédentaire et la balance commerciale à peu près équilibrée, le déséquilibre ex ante du marché des obligations en euros, c’est un excès de demande de 400 milliards d’euros par an, soit 4 points du PIB de la zone euro. C’est gigantesque.

M. Jean-Pierre Landau : Le total net des actifs en euros détenus par des non-résidents ne peut pas augmenter sans que nous ayons un déficit des paiements courants. La demande des non-résidents est assurément forte. Les dépôts en euros des non-résidents sont passés en cinq ans de 200 milliards à 700 milliards. Leur demande est donc satisfaite sous forme de dépôt. Patrick Artus propose de leur offrir des titres, mais, globalement, la somme nette des avoirs que peut détenir le reste du monde ne peut pas augmenter si l’on n’a pas de déficit des paiements courants. La question qui nous oppose, c’est de savoir si ce déficit nécessite, ou non, une appréciation du change.

M. Dominique Baert : À propos du commerce extérieur qui est une de nos préoccupations macroéconomiques majeures, la France a un déficit de l’ordre de 40 milliards d’euros et l’Allemagne un excédent d’une centaine de milliards, avec le même taux de change. Est-ce uniquement dû à un positionnement en gamme de leurs produits respectifs, alors qu’il n’y aurait pas de différentiel de coût entre les deux pays ?

Comment envisagez-vous l’évolution de la part de l’euro dans les réserves de change ? Et comment appréciez-vous son passage de 14 % à 27 % de ces réserves ? Le rythme se maintient-il ou bien s’infléchit-il ?

Patrick Artus a évalué l’inflation tendancielle de la zone euro entre 2,7 % et 2,8 %. Pour atteindre 2 %, il considère qu’il faudrait que l’euro s’apprécie, ce qui passerait par une hausse des taux d’intérêt. Mais cela pèserait sur la croissance, et creuserait le différentiel entre la zone euro et le reste de l’économie mondiale. Dans un tel contexte, vaut-il mieux faciliter une hausse des taux d’intérêt et peser sur la croissance, ou œuvrer à une baisse des taux d’intérêt pour stimuler la croissance ? Quel objectif de politique économique faut-il privilégier quand l’on n’a qu’un instrument à sa disposition ?

M. Jean-Pierre Landau : Faut-il considérer que l’augmentation de la part de l’euro dans les réserves a été rapide ou non ? La seule appréciation de l’euro l’a fait passer de 14 % à 20 % environ. En volume, l’accroissement est de 5 % à 6 %. À vous de juger.

Dans un modèle de diversification optimale des portefeuilles, on peut penser que le poids de l’euro devrait augmenter. Officiellement, l’Eurosystème n’encourage ni de décourage la constitution de réserves de change en euro.

Pour en venir à l’inflation, la période, marquée par une succession de chocs, est difficile à interpréter. On peut avoir le sentiment que la hausse des prix du pétrole est une hausse fondamentale et que le phénomène spéculatif est assez limité. Les fourchettes que Patrick Artus a citées – de 150 dollars à 250 dollars – sont celles des experts, certains se situant dans le haut de la fourchette en raison de la forte croissance des pays émergents et de l’inélasticité de l’offre.

Je ne ferai pas de commentaire sur la politique de taux d’intérêt à mener, je vous renvoie au mandat de la BCE, mais j’appelle votre attention sur la possibilité de comparer le choc pétrolier actuel avec celui de 1980-1981, quand l’euro n’existait pas. Juste après le choc, les taux d’intérêt sont montés à 16 %, l’inflation à 12 ou 14 %. La comparaison vaut ce qu’elle vaut, mais, pour faire le bilan coûts-avantages de notre participation à la zone euro, il faut se demander comment ses différents membres auraient absorbé la succession des turbulences financières et des hausses de matières premières. Malgré le traumatisme qu’elles représentent, probablement sommes-nous mieux placés pour y faire face que nous ne l’étions alors.

M. Patrick Artus : Ramené aux seuls marchés financiers – émissions internationales d’obligations, marchés dérivés,… – l’euro, c’est à peu près la même chose que le dollar. Aussi peut-on supposer que l’asymptote sera de 50 % d’euros dans les réserves de change des banques centrales. Nous sommes donc loin du point d’équilibre.

Aujourd’hui, nous sommes dans la pire des configurations pour une banque centrale : celle d’une inflation qui ne crée pas de croissance. Mais il ne faut pas exagérer l’horreur de la chose. Nous en sommes à 3,6 % d’inflation, mais elle va baisser parce que, pour l’instant, dans la zone euro, les salaires ne s’indexent pas sur les prix. L’effet est double : le pouvoir d’achat des salariés baisse, mais l’inflation reste modérée. Si les salaires augmentent, les entreprises répercuteront et l’inflation reprendra. Le dilemme est de sacrifier soit la consommation pour limiter la hausse des prix et contenir la hausse des taux, soit les profits des entreprises avec pour corollaire la hausse des taux d’intérêt. Il vaut sans doute mieux que les salaires n’augmentent pas, même si c’est désagréable. Sinon, on retrouvera la stagflation des années 1970 caractérisée par une forte inflation et une remontée des taux d’intérêt qui pèsera pendant des années.

S’agissant du commerce extérieur, les coûts de production jouent un rôle dans les performances respectives de l’Allemagne et de la France, mais l’essentiel ne vient pas de là, ni de la structure par produit, de la part des biens d’équipement notamment. La France perd des parts de marché, quel que soit le produit. Le problème, c’est vraiment l’adéquation de l’offre à la demande. L’Allemagne a énormément amélioré sa compétitivité-coût depuis 2005, mais elle n’est pas moins chère que la France aujourd'hui. Comparons les exportations vers l’Europe centrale et la Chine : celles de l’Allemagne suivent ses importations en provenance de ces deux zones et décollent à partir de 2002 ; celles de la France restent au même niveau. Ce décrochage est lié, non pas au coût, mais à une incapacité à vendre les biens dont ont besoin l’Europe centrale et la Chine.

Les PME sont un facteur déterminant. L’Allemagne compte cinq fois plus de PME exportatrices que la France. Elles sont plus grosses, ce qui a un impact considérable sur les flux de marchandises.

M. Jean-Paul Herteman : La pression salariale est forte, et ça se comprend. Chez Safran, la masse salariale a augmenté de 3,4 % en glissement, en ciblant l’effort sur certaines catégories, en particulier les jeunes embauchés. Les salaires restent très supérieurs à la moyenne de l’industrie, mais ça a eu du mal à passer. Le dialogue social a été tendu. Les gains de productivité sont de l’ordre de 2,5 % du chiffre d’affaires par an, la masse salariale représente 32 % du chiffre d’affaires. Si on laisse passer un écart de un point tous les ans, on aura vite fait de manger les marges de manœuvre et de mettre en péril l’outil industriel français. On fait au mieux, mais, d’ores et déjà, la pression est forte.

Le Président Didier Migaud : Monsieur Landau, monsieur Artus, quelles sont, selon vous, les perspectives de croissance de la France pour les deux ans qui viennent ?

Si M. Artus était ministre des Finances, quelles mesures prendrait-il pour remédier au constat qu’il a dressé ?

M. Jean-Pierre Landau : Il ne faut pas négliger la compétitivité-prix car elle joue un rôle non seulement à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur de la zone euro. L’Allemagne exporte très fortement, elle attire les importations de la zone euro. Plus nous bénéficions de cette aspiration, plus notre croissance est forte. Quand notre compétitivité-prix s’est détériorée, notre croissance est tombée en dessous de celle de la zone euro, quand elle s’est améliorée, notre croissance a été supérieure à celle de la zone euro. Il y a une relation directe.

Pour les deux ou trois années qui viennent, il faut bien comprendre que le reste du monde nous « prélève » du pouvoir d’achat du fait de la hausse des prix des matières premières importées. Sommes-nous armés pour y faire face ? Nous avons retrouvé une compétitivité-coût acceptable et, si nous la préservons, nous en profiterons par une croissance plus forte. La structure d’endettement des ménages et des entreprises est tout à fait supportable, il reste donc des capacités d’investissement importantes. Et l’industrie s’est beaucoup modernisée. Les années à venir seront difficiles, mais la zone euro, et la France en son sein, les aborde dans une position qui n’incite pas à un pessimisme excessif, à condition de savoir exploiter ses atouts.

M. Patrick Artus : Je suis un peu plus pessimiste. Plusieurs facteurs contribuent à dégrader la situation des salariés : le besoin pour les entreprises de maintenir leur rentabilité et leur compétitivité, l’absence de marge de manœuvre budgétaire, le renchérissement du coût du crédit et la fin de l’argent facile… Les secteurs jusqu’ici tirés par le crédit, comme la construction, vont ralentir. Il ne faudrait pas entrer dans le jeu d’une guerre de partage de la valeur ajoutée entre les salariés et les entreprises. Malheureusement, il vaudrait mieux accepter, dans un premier temps, des baisses de pouvoir d’achat.

Pour faire face au prélèvement sur notre pouvoir d’achat collectif, la seule parade positive consiste à vendre le plus possible à ceux qui nous « ponctionnent ». La difficulté tient aujourd'hui à ce que le taux de dépense des revenus pétroliers oscille entre 50 % et 60 %. Mais, dans tous les pays pétroliers, d’énormes programmes d’infrastructures publiques ont été engagés : Algérie, Arabie Saoudite, et autres. Il y a beaucoup à faire et il faut aider nos entreprises à prendre pied sur ces marchés. C’est ce que je ferais si j’étais ministre des Finances, et cela doit se faire sans doute.

Je travaillerais aussi à faire grossir les PME. Le CAE s’est rendu compte que les PME étaient trop petites pour faire de la recherche. Ensuite, qu’elles étaient trop petites pour embaucher. Après sept ans d’existence, la taille moyenne d’une entreprise, quand elle n’a pas disparu, est exactement la même qu’à sa création. Si vous pensez aux deux types qui ont créé Google dans un garage, eh bien, si le garage avait été en France, ils y seraient toujours ! À l’export, la taille des PME est aussi un obstacle. Il faut se demander pourquoi et tirer les ficelles de la fiscalité, des charges, du financement des PME, des seuils sociaux, peut-être de l’ISF. Nous sommes le pays de l’OCDE où les PME grandissent le moins. Pour le CAE, nous suivons un échantillon de 50 000 PME et 30 000 d’entre elles ont un taux croissance annuel moyen de 0 %. Évidemment, elles n’embaucheront jamais, ni ne feront de recherche, ni n’exporteront. Et, sur les 10 % que nous avons identifiées comme gazelles, 90 % se sont révélées être des filiales de grands groupes. Autrement dit, les seules PME qui grandissent, ce sont celles qui correspondent à l’externalisation des activités des grands groupes. Il faut comprendre pourquoi, sinon, rien ne se passera.

M. Jean-Paul Herteman : Il faut tout faire pour transformer la contrainte que représente la hausse du prix des matières premières et de l’énergie en opportunité en se positionnant sur les marchés émergents qui génèrent cette hausse. La structure de l’offre industrielle française présente des atouts, dont l’industrie aéronautique.

Safran doit une part de son succès à la création, dans son sillage, de quelques dizaines de très belles PME. Pour marcher, elles doivent employer entre 500 et 1 000 personnes. Sinon, elles ne tiennent pas. On cite souvent à juste titre Creuzet à Marmande, mais il y en a d’autres. Elles se spécialisent dans des niches très pointues et elles ont les reins assez solides pour se développer. Elles ne font pas partie du Groupe, mais, et c’est là une limite, elles sont dépendantes de nous et réciproquement. Si ça se passe mal, il n’y aurait pas d’autre solution que de les faire entrer dans notre giron. En tout cas, je partage entièrement l’avis selon lequel l’un des enjeux majeurs pour la compétitivité de la France, c’est de faire croître ses PME en taille, robustesse et présence à l’international. Safran est plus que volontaire pour y contribuer en tant qu’industriel.

M. François Scellier : Pensez-vous que, dans cette optique, les pôles de compétitivité constitueront un atout ?

M. Jean-Paul Herteman : C’est un très bon outil. Avec l’internationalisation croissante de l’économie, il ne faut pas penser que le PME y arriveront toutes seules. Nous aidons celles qui font partie de notre réseau à s’implanter au Maroc, ou ailleurs. C’est l’intérêt bien compris de tous.

Le Président Didier Migaud : Je remercie tous les intervenants.

——fpfp——

10.– Mercredi 25 juin 2008, séance de 10 heures 30, compte rendu n° 99

–   Audition de M. Michel Bouvard, président de la Commission de surveillance, et de M. Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, sur l’activité de la CDC

Le Président Didier Migaud : Nous accueillons aujourd’hui M. Michel Bouvard en sa qualité de Président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et Augustin de Romanet, son directeur général.

Comme chaque année, la Caisse des dépôts et consignations, placée depuis 1816 sous la surveillance et la garantie de l’autorité législative, présente un rapport au Parlement sur son activité pendant l’année écoulée.

L’année 2007 fut particulière pour la Caisse à plusieurs titres.

Elle a dû évoluer dans un environnement difficile du fait d’une crise financière majeure.

Elle a dû tenir compte des demandes d’évolution de son mode de gouvernance et de la décision des pouvoirs publics, fin 2007, d’engager la réforme du livret A, principale source du financement du logement social, au premier rang des missions d’intérêt général de la Caisse.

La commission des Finances s’est saisie depuis l’automne 2007 de ces sujets. Elle a fait des propositions quant à la gouvernance de la CDC dans un rapport d’information qui avait trait à l’évolution de l’actionnariat d’EADS. Elle a procédé à de nombreuses auditions sur le livret A et sur le financement du logement social. Enfin, elle a rapporté au fond les dispositions se rapportant à ces deux sujets contenus dans le projet de loi de modernisation de l’économie, toujours en discussion entre les deux assemblées.

L’attachement du Parlement à l’originalité du mode de gouvernance de la Caisse n’est plus à démontrer. Sur ce point, la concertation entre les différents acteurs a porté ses fruits et les modifications en voie d’être apportées à la gouvernance de la Caisse des dépôts respectent son originalité et ses missions. La CDC reste donc un groupe public au service de l’intérêt général et du développement économique du pays, selon les termes de l’article L.518-1 du code monétaire et financier, et beaucoup sont attachés à ce que cette reconnaissance de l’intérêt général se traduise à tous les niveaux.

Les sujets sont nombreux. Je n’oublie pas celui de votre plan stratégique Elan 2020 car la Caisse des dépôts et consignations peut s’apparenter par certains aspects à un fonds souverain, et elle doit aussi se projeter vers le long terme.

M. Michel Bouvard, Président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations : Il me revient, pour la deuxième année, de vous présenter le rapport annuel au Parlement de la Caisse des dépôts et consignations puisque le renouvellement de l’Assemblée nationale avait décalé le rapport 2006 à l’automne 2007, après ma prise de fonction. Ce rapport qui concerne l’exercice 2007 est le premier de la direction d’Augustin de Romanet et le premier de l’actuelle commission de surveillance.

Il est présenté dans le délai légal, sous une forme papier et, pour la première fois, une forme numérique qui pourra être la seule pour ceux qui le souhaiteront en 2008.

L’année 2007 fut une année de transition marquant une nouvelle étape dans la vie de la CDC, dont l’originalité du modèle est confirmée et la vocation de l’intérêt général réaffirmée dans un contexte d’adaptation de sa gouvernance et de distinction des produits d’épargne réglementée.

La première originalité de la Caisse tient à sa gouvernance qui a montré sa pertinence en 2007, lorsque trois présidents se sont succédé à la tête de la commission de surveillance - Philippe Auberger, Pierre Hériaud et moi-même – alors même que le poste de directeur général était resté vacant pendant plusieurs mois.

Il convient de saluer l’équipe de direction qui a su faire face à cette situation exceptionnelle.

Ces mouvements n’ont pas affecté le fonctionnement de la commission de surveillance qui a tenu vingt séances en s’appuyant sur les recommandations de ses comités spécialisés, réunis à onze reprises. Les procès-verbaux de ces réunions sont joints en annexe au rapport.

L’année 2007 a confirmé les performances de la CDC. La Direction bancaire a renouvelé ses partenariats pour trois ans avec le conseil supérieur du notariat, la chambre des huissiers de justice, la chancellerie.

Elle gère de nouveaux fonds – le Fonds électricité, la Fondation pour les œuvres de l’Islam de France – et elle a développé ses activités dans la finance carbone avec, notamment, la constitution de Bluenext.

Elle a géré la trésorerie de l’ACOSS dans un contexte de besoins élevés qui ont amené la commission de surveillance à rappeler les seuils d’engagement de la Caisse et les conditions financières de cet engagement.

La direction des retraites, qui gère 51 institutions de retraite pour 3,3 millions de bénéficiaires et 7 millions de cotisants, conforte sa place d’acteur de référence.

La commission de surveillance a émis un avis favorable au décret portant création d’un fonds de prévoyance militaire et d’un fonds de prévoyance aéronautique.

Elle a pris acte des performances du Fonds de réserve des retraites, le FRR, adossé à la CDC qui, grâce au travail de la Direction des back-offices, a amélioré son ratio de charges sur actifs gérés à 18,3 points pour un objectif de 19 en 2012.

La commission a également souhaité clarifier les relations de la Caisse avec le régime de retraite additionnelle de la fonction publique.

À l’initiative d’Augustin de Romanet, l’importance du réseau territorial de la CDC a été confirmée en 2007. Les investissements directs ont progressé, tout comme les prêts sur fonds d’épargne dans les directions régionales et l’accompagnement des politiques publiques.

Dès cette année, j’ai entrepris, comme le fait le directeur général, de me rendre dans chacune des directions régionales pour mesurer l’implication des équipes de la Caisse sur le terrain et notre capacité à répondre aux attentes des élus et des pouvoirs publics.

Les prêts sur fonds d’épargne ont été élargis aux prêts aux infrastructures hospitalières et au traitement des eaux usées, pour 2 milliards chacun, s’ajoutant aux prêts aux infrastructures de transports mobilisés à hauteur de 1,8 milliard fin 2007.

Les équipes du Groupe se seront enfin mobilisées autour du Grenelle de l’environnement avec la création de CDC biodiversité et de l’élaboration du plan stratégique Elan 2020, initié par le Directeur général.

Elan 2020 répond aux urgences de notre pays : le logement, les universités, les PME et le développement durable.

Il clarifie les doctrines d’actions du groupe pour anticiper les évolutions d’une mondialisation et d’une construction européenne, dont nous devons saisir les opportunités.

Il traduit la volonté d’optimiser la performance et de développer la culture du Groupe en capitalisant sur la richesse et les savoir-faire de ses 60 000 collaborateurs.

La commission de surveillance, associée en amont aux travaux conduits par le directeur général, a marqué son accord sur les orientations du plan stratégique et veillera à la mise en œuvre des objectifs fixés.

L’année 2007 aura confirmé par ailleurs la solidité financière du Groupe.

Le résultat net du Groupe en normes IFRS s’élève à 2 488 millions d’euros contre 1 694 millions en 2006, hors la plus-value de cession de titres des Caisses d’épargne.

Grâce à une gestion dynamique des actifs financiers, une plus-value de 1 483 millions d’euros a pu être dégagée.

Aucun défaut n’a été constaté dans le portefeuille de la section générale, comme dans celui des fonds d’épargne, depuis le début de la crise financière et aucune exposition directe n’a été identifiée sur le marché hypothécaire à risque américain.

Le dividende versé à l’État au titre de 2007 s’élèvera à un tiers du résultat net consolidé, soit 829 millions d’euros. Un autre tiers sera consacré aux investissements d’intérêt général et le dernier aux fonds propres.

J’ai rappelé au Gouvernement la pertinence de cette répartition en trois tiers du résultat, tout en m’engageant à ce que la commission de surveillance établisse avec plus de précision les emplois d’intérêt général. La commission de surveillance est restée attentive au niveau de rémunération de l’État au titre de la garantie apportée aux fonds d’épargne.

Au titre de l’exercice 2007, le Groupe aura apporté à l’État 2 179 millions d’euros.

Ces résultats traduisent l’énergie et les savoir-faire de la Caisse des dépôts et consignations.

S’agissant de la loi de modernisation de l’économie, je salue la qualité du dialogue conduit entre les parlementaires de la commission de surveillance et l’équipe de direction de l’établissement autour d’Augustin de Romanet, en lien avec les commissions des Finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, comme le Premier ministre s’y était engagé.

Après la première lecture à l’Assemblée nationale, il convient de souligner cinq acquis concernant la gouvernance.

Elle a été régulièrement améliorée et codifiée dans un règlement intérieur dont l’existence sera reconnue par la loi.

La composition de la commission de surveillance sera modifiée pour intégrer trois personnalités qualifiées, désignées par les présidents des Assemblées, pour élargir ses compétences à des économistes ou des dirigeants de société et accueillir un deuxième sénateur afin d’assurer une représentation de l’opposition dans chacune des deux assemblées.

La commission de surveillance ainsi recomposée pourra mieux répondre aux problématiques du Groupe Caisse des dépôts en s’appuyant notamment sur le travail des comités spécialisés – comité d’examen des comptes et des risques, comité des fonds d’épargne, comité des investissements.

La commission de surveillance disposera également de compétences externes avec le concours de la Commission bancaire qui interviendra aussi bien dans le contrôle des activités bancaires de la Caisse que dans la lutte contre le blanchiment. Le dispositif tiendra compte de la spécificité de la Caisse des dépôts et ne remettra pas en cause la tutelle de l’Assemblée nationale non plus que l’autorité du directeur général. Je vous remercie de votre soutien aux amendements que nous avons défendus avec Daniel Garrigue et Jean-Pierre Balligand.

S’agissant des dispositions concernant la réforme du livret A, je salue les mesures prises pour abaisser le coût de la ressource, inscrire dans la loi un taux plancher de centralisation des livrets à la Caisse des dépôts et consignations et clarifier les conditions d’usage des ressources qui restent disponibles pour les établissements bancaires en fléchant les usages et en précisant qu’un non-respect conduirait à leur recentralisation à la CDC.

Il faudra enfin définir clairement la politique en direction des emplois, au-delà du logement social et de la politique de la ville. Depuis plusieurs années, des prêts sont effectués sur fonds d’épargne pour les infrastructures, les hôpitaux ou l’assainissement. À l’heure du Grenelle de l’environnement, alors que chacun mesure les besoins de financement à long terme et à bas taux pour les infrastructures, il est souhaitable que les fonds d’épargne s’engagent, en fonction des disponibilités, dans ces financements.

Je conclurai par le rôle de la commission de surveillance.

La loi de finances du 18 avril 1816 dispose que les membres de la commission de surveillance vérifieront, toutes les fois qu’ils le jugeront utile, l’état des caisses, la bonne tenue des écritures et les détails administratifs, tandis que, selon l’ordonnance du 22 mai 1816, le Directeur général donnera à la commission de surveillance, chaque fois qu’elle le requerra, tous les documents et renseignements qu’elle jugera utiles pour sa surveillance.

Cette mission historique de la commission de surveillance demeure indispensable et s’exerce totalement, même si ses missions se sont élargies au fil des décennies.

Je souhaite, en accord avec le directeur général, qu’au-delà de l’engagement de la commission de surveillance sur des sujets fondamentaux – respect des ratios de sécurité pour les fonds propres, autorisation du prélèvement de l’État pour la section générale comme pour les fonds d’épargne, qualité et rentabilité des placements et investissements –, elle s’attache à la performance de la Caisse et de ses filiales. Pour cette raison nous avons assorti les missions de la CDC d’objectifs et d’indicateurs permettant d’en mesurer l’évolution. Ils doivent bien entendu intégrer la notion de développement durable.

Nous devons par ailleurs être capables de justifier les emplois des ressources de la section générale, affectées aux missions d’intérêt général au cours de l’exercice. C’est la condition du maintien de la règle des trois tiers à laquelle nous sommes attachés : nous nous sommes opposés à la demande qui nous a été faite de réviser cette règle au début de la dernière législature.

Il faudra assurer le suivi des conventions passées entre la Caisse des dépôts et consignations et les ministères, les opérateurs publics, au sens de la LOLF, ses partenaires, les grands réseaux d’aide à la création et au développement des entreprises. Ce suivi permettra de vérifier que la CDC n’est pas un outil de débudgétisation, qu’elle accomplit ses actions au meilleur coût, que celles-ci sont cohérentes avec les politiques publiques et conformes aux règles de concurrence.

Enfin, la commission de surveillance devra, à partir des propositions du directeur général, être, comme pour Elan 2020, le lieu de débat sur la stratégie du Groupe, globalement et au travers de ses composantes et filiales, pour s’assurer de l’adéquation de ses stratégies avec les missions d’intérêt général dévolues à la Caisse.

Dans un monde marqué par la dictature du quotidien et de l’immédiat, il est important pour la France de disposer d’un outil capable de mettre en place des financements sur le long terme et de mener des actions par-delà les alternances politiques et les changements de gouvernement. La Caisse des dépôts et consignations n’est pas un fonds souverain au sens où on l’entend habituellement, mais elle a un rôle à jouer avec eux au service de la France. Le Chef de l’État, Nicolas Sarkozy, comme l’ancien Premier Ministre Laurent Fabius, l’ont évoqué.

Nous devons, nous parlementaires, être présents dans ce débat.

Qu’il me soit enfin permis de saluer la qualité des relations entre la commission de surveillance, son président et le directeur général, et de remercier mes collègues pour leur travail.

M. Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations : La Caisse des dépôts et consignations a pour objet social l’intérêt général et le développement économique. L’intérêt général changeant tous les quinze ou vingt ans, il faut revisiter la Caisse à la même échéance. Elle n’avait pas connu de plan stratégique depuis 1983. Depuis, elle a doucement mué, en devenant un très important opérateur des marchés financiers avant de se séparer, dans des conditions difficiles, des Caisses d’épargne et d’Ixis. À mon arrivée en 2007, la Caisse des dépôts et consignations était confrontée à un problème d’identité, d’autant plus que le livret A était remis en question et que la Caisse des dépôts et consignations était indirectement mise en cause dans l’affaire EADS. Pour ces raisons, la reconnaissance d’une identité, l’identification de priorités et l’accent mis sur les performances me semblent être les principaux résultats de 2007. Il s’agit du plan Elan 2020.

Nous ne sommes plus une banque. Nous sommes un investisseur de long terme. Nous sommes là pour prendre des risques aux côtés des collectivités locales, des entreprises, des chercheurs.

Nos priorités sont les urgences du pays : le logement, les universités, les PME, le développement durable.

Enfin, nous devons chercher, dans chacun de nos domaines d’activité, la performance. Parce que nous ne sommes pas en concurrence, nous devons veiller en permanence à assurer le meilleur rapport coût/efficacité.

L’année 2007 aura été l’année de la refondation de l’identité, étant acquis qu’il faudra sans doute y repenser dans quelques années.

J’en viens aux chiffres.

Dans un souci de précision, je vous donnerai la clé de passage du résultat 2006 en normes françaises au résultat 2006 en normes IFRS, que nous avons adoptées le 1er janvier 2007.

Je vous avais présenté en 2006 un résultat de 2,228 milliards d’euros en normes françaises. Pour passer aux normes IFRS, il faut considérer qu’un certain nombre d’opérations liées à la mise en Bourse d’ICADE passent directement dans le bilan. La reprise de provisions du fonds pour risques bancaires généraux – FRBG – n’est pas prise en compte par les normes IFRS. Le résultat en normes IFRS est ainsi simplement d’1,694 milliard d’euros, hors plus-value CNCE – Caisse nationale des Caisses d’épargne –.

Par ailleurs, aucun défaut n’a été constaté suite à la crise des subprimes et la Caisse des dépôts et consignations n’a pas été exposée à un retrait massif de liquidités de la part des déposants, car nos déposants sont principalement les professions juridiques.

Le bon résultat de 2007 – 2,5 milliards d’euros – s’explique par un marché très favorable. Nos plus-values ont été essentiellement réalisées au premier semestre.

Trois éléments positifs sont à signaler.

Les revenus et les plus-values dégagés par les portefeuilles actions et taux progressent de 0,5 million d’euros, avec notamment une externalisation de plus-values sur les portefeuilles actions de 1 milliard d’euros en 2007 contre 0,67 milliard d’euros en 2006, la Caisse des dépôts et consignations profitant du niveau élevé des cours boursiers au premier semestre 2007, 430 millions de reprises de provisions à caractère durable permises par les normes IFRS, une plus-value de 298 millions réalisée lors de la sortie partielle du capital de TDF.

En revanche, on enregistre la perte de la contribution CNCE qui représentait 351 millions d’euros en 2006.

Par ailleurs, l’exit tax supportée par ICADE suite à son passage au régime SIIC représente une charge d’impôt de 142 millions d’euros qui diminue d’autant le résultat consolidé du groupe.

S’agissant des chiffres globaux du Groupe, le produit net bancaire progresse significativement du fait de la volonté d’externaliser les plus-values sur les portefeuilles d’actions, et d’effets de périmètre car nous avons acquis une filiale de transport aux Pays-Bas.

Concernant les charges, la dynamique enclenchée par mon prédécesseur en 2003 se poursuit car, pour la cinquième année consécutive, les charges nettes progressent de seulement 0,9 %. Je salue à cet égard les efforts réalisés sur la dépense informatique – moins 15 % en cinq ans – ainsi que le développement d’une fonction Achat – 16 % d’économies en trois ans –.

Par ailleurs, l’équilibre entre l’établissement public et les filiales est rompu cette année car nous avons perdu les Caisses d’épargne et ICADE a dû payer l’impôt exceptionnel suite au passage au régime SIIC.

Il est important pour la CDC de conserver un équilibre entre les revenus récurrents et les revenus liés aux externalisations de plus-values qui sont ceux des établissements publics. Pour cette raison nous souhaitons consolider un certain nombre de sociétés, en particulier Eiffage.

Globalement, toutes les filiales sont bénéficiaires. Cela peut vous paraître normal mais ce n’était pas si évident dans les années 1990. Les résultats de la CNP dépassent 1,1 milliard d’euros en 2007.

Le capital investissement est très productif cette année car la seule plus-value de TDF s’élève à 155 millions d’euros.

S’agissant du pôle immobilier des filiales, hors effet non récurrent, les contributions de la SNI et d’ICADE progressent.

Pour les filiales de taille plus réduite, le résultat 2006 de la Compagnie des Alpes intégrait un effet exceptionnel dû à la prise en compte en cours d’année des StarPraks. Hors cet impact, la contribution du groupe progresse de 7,3 %.

Transdev a intégré au quatrième trimestre de 2007 la société néerlandaise Connexxion, ce qui la place en 2008 au quatrième rang des opérateurs privés de transport public en Europe, avec 41 000 collaborateurs et un parc de plus de 20 000 véhicules.

La contribution d’EGIS baisse du fait de la non-reconduction de plus-values de 10 millions d’euros réalisées en 2006. Celle de Belambra baisse également, étant donné la non-reconduction de plus-values immobilières en 2006, mais le résultat opérationnel de 2006 a été très favorable.

Enfin, mon prédécesseur avait décidé de réemployer une partie de la cession des Caisses d’épargne dans des actifs d’infrastructures. Il avait notamment acquis 26 % d’Eutelsat Communications en février 2007, 8 % supplémentaires de Séché Environnement en avril 2007, et 47 % de la SAUR en avril 2007. Nous détenons également 24 % de TDF et 49 % du viaduc de Millau.

Ces actifs contribuent cette année à hauteur de 50 millions d’euros au résultat de la Caisse des dépôts et consignations.

Le bilan consolidé s’établit à 221 milliards d’euros avec des capitaux propres stables à 28,2 milliards d’euros puisque la hausse des capitaux propres permise par la contribution du résultat 2007 après distribution – 1,6 milliard d’euros – est désormais affectée par la prise en compte des gains latents et divers – 1,6 milliard d’euros –.

Les normes IFRS vont rendre les capitaux propres des établissements bancaires, et notamment du nôtre, assez peu lisibles car très volatiles.

Il est possible que je vous présente l’an prochain des capitaux propres en baisse de l’ordre de 4 milliards car nous devrons passer des provisions à caractère durable en résultat.

En 2007, nos capitaux propres sont stables et leur rendement s’établit à 12,8 %.

J’en viens aux objectifs d’Elan 2020, à commencer par les doctrines d’investissement. Vous trouverez dans le rapport au Parlement de 2008 l’intégralité de la détermination par la Caisse des dépôts de ses règles d’intervention. Personne ne doit nous suspecter d’intervenir à raison du fait du Prince ou sur une lubie de tel ou tel directeur régional. Nous établirons quatre documents : la doctrine de l’investisseur avisé, la doctrine de l’investisseur d’intérêt général, la doctrine du mandataire, la doctrine d’investissement des fonds d’épargne.

S’agissant de nos priorités, nous sommes en ligne pour atteindre nos résultats pour le logement et la ville.

Concernant les universités, nous avons rencontré 85 des 110 établissements d’enseignement supérieur et des universités sur le territoire. Nous avons signé plusieurs conventions, notamment avec les universités de Strasbourg et de Toulouse. Les présidents d’université peuvent utiliser le crédit d’études de 10 millions que nous mettons à leur disposition pour qu’ils modernisent leurs campus.

CDC Entreprises va engager 380 millions au profit des PME. Nous avons obtenu avec le président Michel Bouvard qu’Oséo mette en place avec la Caisse des dépôts dans chaque région une plateforme d’orientation des PME. Les PME auront un portail unique d’entrée dans les régions pour les informer sur les actions d’Oséo et les actions de CDC Entreprises.

Enfin, nous travaillons avec Luc Chatel sur les pôles de compétitivité et nous mettrons probablement à leur disposition des crédits d’études comme pour les universités. Si un pôle a besoin d’un super calculateur qui doit être mutualisé entre plusieurs PME, nous pourrons aussi, par exemple, investir en fonds propres aux côtés d’acteurs privés pour réaliser cet équipement.

Quant au développement durable, nous avançons très rapidement, qu’il s’agisse du projet Finance carbone ou de l’investissement dans les équipements de l’énergie renouvelable – éoliennes ou valorisation de la biomasse.

Les équipes de la Caisse des dépôts et consignations ont été très sensibles aux soutiens qui leur ont été apportés par le Parlement durant toute l’année 2007. Le projet de loi LME conforte par ailleurs ses missions et modernise sa gouvernance.

Le Président Didier Migaud : Avant d’ouvrir le débat, je voudrais excuser M. Henri Emmanuelli qui a, en ce moment, un entretien avec le Président de l’Assemblée nationale de la République socialiste du Vietnam.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général : Les résultats 2007 sont excellents, aussi bien sur le plan financier qu’en terme d’accroissement de l’activité.

Vous enregistrez une plus-value de près de 1,5 milliard d’euros en 2007, mais il me semble difficile de la renouveler en 2008. D’ailleurs, comment allez-vous affronter la crise financière qui se poursuit, le problème des rehausseurs de crédits, la montée des taux sur les portefeuilles obligataires ? Quelle est votre politique en matière de répartition des risques ?

Par ailleurs, pour quelles raisons êtes-vous passés aux normes IFRS ? Y avez-vous été obligés ?

Grâce à la CDC, plus de 2 milliards d’euros sont venus approvisionner les caisses de l’État. Ce montant pourra-t-il être sécurisé ?

S’agissant des activités de financement des PME, la CDC a-t-elle des projets avec Oséo ? La mobilisation de ces fonds propres est très intéressante, mais il faut contrôler leur utilisation pour éviter tout abus.

Quant à l’activité des fonds d’épargne, vous nous aviez mis en garde, lors du débat sur la loi de modernisation de l’économie, contre l’augmentation du volume des prêts - politique de la ville, logements sociaux, infrastructures – dans les prochaines années. Quel devrait être l’impact sur la Caisse de la réduction du taux des prêts ?

De même, la ressource tirée des livrets d’épargne populaire – 52 milliards d’euros – pourra-t-elle financer ces types de prêts ?

M. Daniel Garrigue : La CDC a su surmonter une période riche en incertitudes – le livret A, une mise en cause indirecte dans l’affaire EADS, etc. –, et je m’en réjouis.

S’agissant du prélèvement opéré par l’État, nous devons dès aujourd’hui prendre conscience qu’il ne saurait s’agir d’un acquis, même si la CDC n’est pas directement touchée par la crise des subprimes et si les Français continuent d’épargner.

Enfin, M. de Romanet a insisté à juste titre sur la distinction entre fonds souverains et investisseurs de long terme. La CDC n’est pas un fonds souverain mais un investisseur de long terme, or, les fonds souverains risquent de s’intéresser demain aux investissements de long terme. Pourrons-nous, à l’échelle européenne, collecter et orienter suffisamment de ressources stables vers les investissements de long terme dans un contexte de forte concurrence ?

M. Jean-Pierre Balligand : Je salue également les très bons résultats de la Caisse des dépôts et consignations mais je rappelle à mon tour que la part accordée à l’État ne pourra que baisser à l’avenir.

Cela étant, l’équilibre antérieur – 50 % filiales, 50 % établissement public – n’est plus de mise.

La CDC doit rester actionnaire d’un certain nombre de sociétés florissantes, comme la CNP. Première compagnie d’assurances à la personne, la CNP intéresse forcément nombre de grandes entreprises privées. Vu l’importance de cet assureur, une procédure d’adjudication européenne serait lancée et nous la perdrions car Generali serait sans doute candidat. Ne jouons pas avec le feu.

S’agissant du livret A, l’essentiel du travail est fait, mais attendons tout de même le passage au Sénat.

Par ailleurs, M. Bouvard a beau avoir tout mis en œuvre pour flécher les 30 % de la collecte laissés aux banques, nous devrons nous assurer que cet argent est bien dévolu aux missions prévues et que la partie non utilisée est bien rapatriée. Ne soyons pas naïfs. Mme la ministre de l’Économie a ainsi elle-même reconnu que 55 % seulement des sommes collectées par le Livret de développement durable, précédemment Codevi, étaient consacrées aux PME, alors qu’un décret prévoyait une proportion de 70 %.

Un observatoire de l’épargne sera mis en place, conformément à la loi, et les commissions des Finances de l’Assemblée nationale et du Sénat devront rester vigilantes.

Les fonds d’épargne peuvent financer d’autres opérations que le logement social ou la politique de la ville – par exemple le Grenelle de l’environnement, pour lequel on cherche un financement. L’épargne administrée doit être dévolue à des missions d’intérêt général. C’est là, aux yeux de Bruxelles, sa seule légitimité qui justifie sa défiscalisation. Ne tombons pas dans le piège en donnant de l’argent aux banques au risque de signer l’arrêt de mort des fonds d’épargne. La loi que nous sommes en train de voter comporte ce risque.

Quant aux fonds souverains, malgré tout ce qui peut se dire, je continue de penser que la Caisse des dépôts et consignations est un fonds de pension collectif qui appartient à la Nation. Ne la confondons pas avec un fonds souverain. Le FRR est un fonds souverain, l’épargne n’y est pas liquide à la différence des fonds d’épargne. Nous traversons une période de recollecte mais rien ne garantit qu’elle se poursuivra dans les prochains mois.

La Caisse des dépôts et consignations peut faire évoluer ses investissements sur le long terme, mais elle ne peut se comporter comme un fonds souverain. La Caisse a beau jouer un rôle majeur dans le financement de l’économie, il serait dangereux de la présenter comme un fonds souverain, sauf à vouloir céder les actifs qui lui procurent des résultats récurrents.

M. Olivier Dassault : Les fonds souverains ont accumulé plus de 3000 milliards de réserves en 2007, et l’on parle de 15 000 milliards pour 2015 ! Ces acteurs, qui autrefois se comportaient en bons pères de famille, se sont réveillés et donnent aujourd’hui toute leur part à la compétition mondiale. Faisant preuve d’un bel appétit, ils agissent aujourd’hui de plus en plus avec des visées géopolitiques et stratégiques. De prêteurs, ils deviennent des acteurs auprès d’entreprises souvent positionnées sur des secteurs sensibles.

Vous dites vous placer parmi les défenseurs du patriotisme économique. Nous proposons, avec M. Jean-Michel Fourgous, de doter la France d’un outil efficace auquel pourraient prendre part l’Agence des participations de l’État, le FRR, peut-être les réserves d’épargne de la banque postale, probablement les capitaux d’expatriés fiscaux si nous parvenons à les faire rentrer, et la Caisse des dépôts et consignations. Que pensez-vous de cette stratégie de mobilisation de l’épargne française autour d’un véhicule d’investissement sur le long terme ?

M. Jean-Michel Fourgous : Pouvez-vous confirmer que près de 60 % de TDF appartiennent à des fonds américains ? Qu’en pensez-vous ?

La relation contractuelle avec l’État n’est-elle pas ambiguë, surtout lorsque l’État cherche à combler ses déficits par des prélèvements ?

Qu’en est-il par ailleurs de l’information sur l’évolution des passifs des collectivités locales ? Le fonctionnement de la Caisse des dépôts et consignations en sera-t-il affecté ?

M. Gérard Bapt : La composition de la direction de la Caisse des dépôts et consignations, qui est un pilier essentiel de la République, a toujours respecté une certaine pluralité. Cela ne semble plus être le cas depuis le départ de Dominique Marcel. Qu’en pensez-vous ?

Par ailleurs, l’entreprise Latécoère, sous-traitant de premier rang, s’était engagée dans une augmentation de capital pour reprendre le site de Méaulte particulièrement stratégique. Or, le président d’EADS a déclaré hier que les négociations avaient échoué car la CDC avait refusé de s’engager, Airbus ayant voulu prendre des garanties, notamment de rachat de sa participation vendue à Latécoère dans le cas où des difficultés industrielles seraient apparues pour cette entreprise qui manque de fonds propres. Où en sommes-nous ?

Enfin, l’entreprise Spirit a été choisie pour construire une part importante de l’aérostructure car elle pouvait, contrairement à ses deux concurrents, investir 400 millions de dollars. Je m’étonne que l’on n’ait pas trouvé d’entreprise européenne capable d’investir autant.

Mme Marie-Anne Montchamp : Quelles sont les modalités de remboursement des avances consenties à l’ACOSS ? L’ACOSS représente-t-elle un risque pour la Caisse des dépôts et consignations ?

M. Charles de Courson : Est-il exact, comme on le prétend sur le terrain, que la Caisse des dépôts et consignations s’intéresse surtout aux grosses PME, délaissant les petites, notamment celles qui démarrent ?

Concernant par ailleurs l’application des normes IFRS, l’évolution à la baisse des marchés ne risque-t-elle pas de faire chuter le ratio, avec un effondrement des résultats 2008 qui pourrait conduire à renforcer les capitaux propres ?

M. Jean-Pierre Balligand : Nous aimerions disposer d’un tableau récapitulant les participations de la Caisse des dépôts et consignations aux dispositifs des PME dans toute la France. Faute de lisibilité, nous pouvons en effet avoir aujourd’hui le sentiment que la CDC ne s’intéresse pas aux petites PME.

Le Rapporteur général : Après avoir salué les résultats 2007, j’aimerais rendre hommage au travail des équipes de la Caisse des dépôts et consignations qui ont su clarifier la situation.

M. Michel Bouvard : Le prélèvement de l’État a par définition vocation à varier. L’État ne recevra pas chaque année 2 milliards d’euros.

S’agissant des fonds d’épargne, l’État prend la totalité du résultat au titre de la garantie. Pour ce qui est de la section générale, après un paiement de la contribution représentative de l’impôt sur les sociétés, la CRIS,un tiers revient à l’État, un tiers aux fonds propres et un tiers aux emplois au titre des missions d’intérêt général.

Il faut s’assurer que le prélèvement sur les fonds d’épargne ne met pas en péril le niveau des fonds propres nécessaire et qui varie en fonction de la part de disponibilité des fonds d’épargne que l’on entend placer sur les marchés actions afin d’assurer de meilleurs résultats.

Il a été décidé ces dernières années d’augmenter la part des placements des fonds d’épargne sur les marchés actions. L’incidence de la Bourse est donc plus forte aujourd’hui que par le passé.

Depuis quelques années, compte tenu des niveaux de prêts réalisés par la Caisse et du coût de la ressource, il fallait subventionner les prêts à partir de la section générale. En l’état actuel des choses, et pour être clair, l’État pourrait aujourd’hui ne rien encaisser au titre des fonds d’épargne. Ce ne sera évidemment pas le cas car des plus-values seront dégagées et les commissionnements vont baisser. Cela étant, l’objectif est que la baisse des commissionnements aille principalement vers les organismes HLM et se traduise par une diminution des prêts. Ne considérons donc surtout pas que le résultat sera récurrent.

Quand à la section générale, se pose le problème du périmètre du Groupe. Notre résultat est en partie apporté par les filiales. Si l’État veut pérenniser un tel résultat à son bénéfice, il ne faut pas amputer la Caisse des dépôts et consignations des filiales qui assurent de tels résultats. Si toutes les filiales sont aujourd’hui bénéficiaires, certaines ont des résultats qui s’inscrivent plus dans la durée que d’autres car elles sont moins sensibles aux aléas du marché. Il n’y a normalement pas de débat à avoir concernant la CNP, le pacte d’actionnaires venant à échéance en 2015. Chacun des actionnaires, dont la Caisse, a réaffirmé son attachement à la CNP – mais cela a été le cas à la Poste et au niveau des Caisses d’épargne. Il nous faut donc rester vigilants car la CNP suscite des convoitises.

Le prélèvement de l’État doit s’adapter aux capacités de la Caisse et ne pas mettre en péril l’équilibre des fonds propres ni l’économie générale du prélèvement. Pour cette raison j’ai refusé que la règle des trois tiers soit remise en cause, ce qu’a accepté le Premier Ministre.

Pour ce qui est des fonds souverains, il est évident que la Caisse des dépôts et consignations doit être qualifiée d’investisseur à long terme et non de fonds souverain, ce qu’est en revanche le FRR.

Peut-on travailler avec les fonds souverains qui existent ailleurs ? Peut-on les amener à partager une pratique d’investissement à long terme vertueuse, c’est-à-dire tendant à favoriser le développement économique dans la durée tout en permettant aux ressources de se reconstituer ? Pouvons-nous jouer un rôle d’intermédiaire ?

Comment gérer, en France, les fonds de pensions collectifs ou la ressource domaniale de l’État ? Que devient le FRR ? Faut-il envisager une évolution pour les actifs de l’APE liés au FRR ? Comment restons-nous partie prenante au niveau d’un certain nombre de grands groupes industriels qui ont des enjeux stratégiques pour le pays en étant un élément de stabilité du capital ? Nous ne pourrons, en tout cas, pas agir seuls et nous devrons là encore jouer un rôle d’intermédiaires. C’est un vrai débat et la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations comme la commission des Finances de l’Assemblée doivent faire des propositions.

Je me réjouis de ce que la direction des relations internationales de la CDC ait été remise en activité et puisse aujourd’hui nouer les contacts nécessaires pour nous permettre d’y voir plus clair.

Quant aux PME, il est vrai que nous devons rendre le dispositif plus lisible. L’expérience menée avec Oséo devrait y contribuer. En région, l’attente est forte, notamment de la part des PME qui démarrent. La Caisse des dépôts et consignations est au rendez-vous, même si son intervention n’apparaît pas toujours très clairement, du fait du nombre de structures et de plateformes intermédiaires. Grâce à Oséo, des réponses devraient être apportées à tous les types de situations. C’est vrai, les PME d’une certaine importance sont prioritaires, comme c’est le cas en Allemagne. Accompagner ces PME leur permet en effet de grossir et d’être présentes à l’exportation. Cela étant, les petites PME ne sont pas pour autant oubliées.

S’agissant enfin de la situation de Latécoère, la commission de surveillance a été saisie du dossier. Vous avez voté une disposition très claire : de par la loi, la Caisse doit prendre en compte l’intérêt général du pays, mais également ses intérêts patrimoniaux. Elle gère l’argent collectif des Français, leur épargne. La Caisse ne doit pas prendre de risques. En l’occurrence, la sous-traitance industrielle n’a jamais été structurée dans le domaine de l’aéronautique. L’on ne peut demander à la Caisse des dépôts et consignations de réaliser des miracles à propos de dossiers sur lesquels on est confronté à des défaillances.

M. Augustin de Romanet : L’allocation d’actifs est soumise en début d’année à la commission de surveillance. L’allocation des actifs est marquée par la place importante des actions, car nous devons prendre un peu plus de risques que la moyenne sachant que sur le long terme, la performance des actions est toujours supérieure à celle des obligations.

Mon prédécesseur a par ailleurs décidé de passer aux normes IFRS pour mieux comparer notre établissement aux autres, et le rendre plus transparent aux yeux des agences de notation. Il n’y avait aucune obligation.

Concernant les bons résultats de la Caisse des dépôts et consignations, ils sont largement le fruit de la performance des marchés financiers. Quand nous avons réalisé des plus-values très importantes, nous avons pu externaliser 1,2 milliard d’euros comme en 1999. En 2000, nous avons externalisé 800 millions d’euros. En revanche, de 2002 à 2004 nos plus-values étaient très faibles. Début 2007, nous avons eu l’intuition que les marchés étaient à un niveau élevé, aussi avons-nous réalisé beaucoup de plus-values au premier semestre. Pour le budget 2009, nous ne serons pas en mesure d’avoir un résultat 2008 équivalent à celui de 2007.

La Caisse des dépôts et consignations n’est pas impliquée dans les fonds d’investissement de proximité destinés à optimiser l’ISF. Nous nous sommes demandés si nous ne pourrions pas jouer le rôle d’un tiers de confiance pour éviter notamment des abus de droit liés à l’investissement dans des entreprises de location de matériel ou d’outillage, mais cela ne s’est pas réalisé.

S’agissant de l’activité des fonds d’épargne, la baisse des résultats n’a aucune incidence sur les résultats de la Caisse des dépôts et consignations, mais sur le résultat de la section des fonds d’épargne.

En réponse à la question de Monsieur Balligand, je précise que la section des fonds d’épargne n’a rien à voir avec les fonds souverains. Nous sommes les gestionnaires de la transformation d’une épargne courte en prêts à 40 ou 60 ans, et nous investissons un peu en actions, car c’est très rentable.

Le FRR est un fonds souverain « sur le papier », mais sa gestion est totalement déléguée, et nous n’avons aucune marge de manœuvre. Par ailleurs, la Caisse des dépôts et consignations y joue un rôle très modeste, de gestion administrative. En ma qualité de Directeur général, je préside le directoire du FRR et je surveille les risques.

En revanche, la section générale de la CDC, composée essentiellement de l’accumulation des résultats positifs et de la gestion des dépôts des notaires, dispose d’une certaine marge de manœuvre pour investir sur le long terme, ce qui est un point commun avec les fonds souverains, même si trois éléments nous différencient : nous n’avons pas de ressource extérieure extraordinaire du type des ressources pétrolières ou des excédents de change, notre gouvernance est transparente et nous investissons principalement en France.

Monsieur Dassault, s’agissant de la force de frappe du Groupe CDC en actions, la section générale représente 23 milliards au 31 décembre 2007, la section des fonds d’épargne 16 milliards, le fonds de réserve des retraites 18 milliards, la CNP pour ses fonds propres 12 milliards. L’on aboutit quasiment à 70 milliards.

Nous sommes très favorables à un outil d’investissement sur le long terme. En effet, les pays émergents, qui n’ont pas de système de sécurité sociale et de retraite, ont un taux d’épargne très élevé, sans parler de leurs ressources naturelles. Nos entreprises auront besoin d’aller chercher leur épargne.

Monsieur Fourgous, en effet, le fonds américain TPG détient 42 % de TDF et le fonds Charterhouse 14 %. Nous sommes intervenus dans TDF car nous avons considéré qu’il s’agissait d’une infrastructure de qualité et stratégique pour la France. La Caisse des dépôts et consignations s’est partiellement substituée à France Télécom quand elle a vendu TDF.

Par ailleurs les collectivités locales françaises n’utilisent pas les rehausseurs de crédits, mais nous sommes très attentifs à la situation de la société FSA, filiale de Dexia et rehausseur de crédits américains.

Monsieur Bapt, je vous suis très reconnaissant de m’avoir interrogé sur l’éventuelle politisation de la Caisse des dépôts et consignations car vous me donnez ainsi l’occasion de m’expliquer.

Le journal Le Monde m’a accusé à deux reprises de politiser la Caisse des dépôts et consignations au motif que M. Marcel serait victime d’une chasse aux sorcières. Tout d’abord, M. Marcel ne quitte pas le groupe, mais va y occuper d’autres fonctions très importantes. Par ailleurs, lorsque j’ai recruté l’ancien directeur de cabinet de Mme Liennemann il y a quelques semaines, lorsque j’ai recruté à la direction des relations internationales une ancienne collaboratrice de Mme Guigou, y a-t-il eu des articles dans la presse ? Et je pourrais citer des dizaines d’autres exemples ! Demandez donc à mon directeur des ressources humaines à quel parti il adhère ! Il est évidemment inconcevable de « politiser » la gestion de la CDC qui incarne l’intérêt général.

Quant à Latécoère, la clause que vous évoquez était en effet inadmissible pour elle et ce n’est pas à cause de la Caisse des dépôts et consignations qu’elle n’a pu racheter les usines de Méaulte. EADS demandait à Latécoère de pouvoir racheter à tout moment l’usine si la situation n’évoluait pas dans le sens qu’elle souhaitait. Latécoère a jugé cette clause léonine.

Nous avons travaillé durant neuf mois sur ce dossier, j’ai signé plusieurs lettres d’intention et je reste attentif à la situation de cette société. Il faut préserver les intérêts patrimoniaux de la Caisse, sans qu’il soit exclu de prendre un peu plus de risques pour certains dossiers, sous le contrôle de la commission de surveillance.

Quant à l’ACOSS, elle est en débit de 18,4 milliards d’euros mais la CDC n’encourt pas de risque de signature.

S’agissant des PME, nous devons mieux dire ce que nous faisons. Mais j’ai été frappé de voir que, dans deux régions au moins, des fonds d’investissement s’intéressaient à de toutes petites entreprises qui n’avaient pas de projet. Le fonds Poitou-Charentes Initiatives, dont la Caisse des dépôts et consignations est actionnaire a, depuis 2004, quatre millions d’euros non dépensés. En Midi-Pyrénées, le fonds Midi-Pyrénées-croissance a du mal à démarrer. Il existe des régions dans lesquelles il y a trop d’offre et pas assez de demande ou l’inverse.

Nous essayons par conséquent, avec France Investissement, d’être très attentifs à l’adéquation entre l’offre et la demande.

Le Président Didier Migaud : Nous vous remercions.

——fpfp——

11.– Mercredi 16 juillet 2008, séance de 9 heures, compte rendu n° 106

–   Examen du rapport sur la proposition de résolution sur les fonds souverains (M. Daniel Garrigue, rapporteur)

La Commission a ensuite procédé, sur le rapport de M. Daniel Garrigue, à l’examen de la proposition de résolution (n° 964) de M. Daniel Garrigue sur les fonds souverains et l’Union européenne.

M. Daniel Garrigue, Rapporteur, a rappelé qu’aux termes de l’article 88-4 de la Constitution, des résolutions peuvent être votées par chacune des assemblées sur les projets, propositions ou documents de l’Union européenne transmis par le Gouvernement au Parlement. Lorsque la délégation pour l’Union européenne adopte une proposition de résolution, elle est transmise à une commission permanente. La résolution adoptée par cette commission peut être inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée, ce qui n’arrive, malheureusement, que très exceptionnellement : ces dernières années, seule la résolution sur la directive Services a été débattue dans l’hémicycle.

La délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne vient d’adopter une proposition de résolution sur les fonds souverains, après avoir examiné la communication de la Commission européenne du 27 février 2008 sur une « Approche européenne commune en matière de fonds souverains » ainsi que le Livre blanc sur l’amélioration du cadre régissant le marché unique des fonds d’investissement du 15 novembre 2006.

Les fonds souverains sont très présents dans l’actualité depuis quelques mois. Le Président de la République s’est exprimé plusieurs fois sur le sujet, ainsi que la chancelière allemande Angela Merkel. Des projets de prises de participation dans des entreprises à caractère stratégique, comme EADS, ont aussi été l’occasion d’en discuter.

Les fonds souverains appartiennent à des États disposant de forts excédents de balances des paiements, générés par des exportations de ressources énergétiques – pays du Golfe persique, Russie, Norvège – ou de biens et services dont les prix sont très compétitifs
– Chine, Singapour. Ces pays cherchent des investissements de long terme qui leur permettront de faire face au tarissement de leurs ressources ou au renchérissement de leurs coûts de production. Ils peuvent également chercher des moyens d’action à l’échelle mondiale.

L’essentiel de ces fonds se trouve en Asie – Extrême et Moyen-Orient –, ce qui traduit un basculement de l’économie mondiale vers cette région, dont on ne mesure sans doute pas suffisamment l’ampleur. Il existe aujourd’hui une quarantaine de fonds souverains, qui totalisent environ 3 000 milliards de dollars.

Bien que cette somme soit considérable, ces fonds restent pour l’instant des acteurs financiers parmi d’autres : ainsi, les compagnies d’assurances gèrent au total 16 000 milliards de dollars, tandis que les banques disposent de 60 000 milliards de dollars. A l’inverse, les hedge funds disposent de capitaux deux fois moins importants que les fonds souverains : 1 600 milliards de dollars. D’autres acteurs publics puissants, comme des entreprises publiques ou des fonds de pensions, sont présents sur les marchés financiers mondiaux.

Toutefois, deux facteurs incitent à la prudence vis-à-vis des fonds souverains :

– d’une part, l’augmentation exponentielle de leurs capitaux : certaines évaluations estiment qu’ils totaliseront entre 15 000 et 30 000 milliards de dollars d’ici 2015 ;

– d’autre part, l’apparition chez eux d’une intention de prendre le contrôle d’actifs stratégiques ; ainsi, un fonds de Dubaï est très présent dans le secteur des ports et des voies maritimes ; il a échoué dans sa tentative de rachat de ports américains, mais il est très présent dans les infrastructures de Djibouti et en Mer Rouge.

Les réactions face à l’émergence des fonds souverains sont contrastées. D’un côté, ils ont une fonction de recyclage des capitaux à l’échelle mondiale qui est très positive, et qui a même joué un rôle essentiel lors de la crise de liquidités qui a frappé la finance internationale cette année. Cette fonction doit toutefois s’accompagner d’une amélioration de la transparence de leur gouvernance. C’est ainsi que les États membres de l’Union européenne et la Commission européenne devraient apporter une contribution commune aux travaux menés dans le cadre du FMI et de l’OCDE sur l’élaboration d’un code de conduite s’adressant aux fonds souverains.

Par ailleurs, ces derniers investissent dans le développement local de leurs pays d’origine. Toutefois, leurs législations nationales comportent des dispositifs faisant obstacle aux investissements étrangers dans certains secteurs. Le Secrétaire d’État américain au Trésor, M. Hank Paulson, a soulevé cette question lors de son récent déplacement dans les pays du Golfe, en demandant une certaine réciprocité sur les investissements étrangers.

Deux sujets doivent retenir davantage l’attention de l’Union européenne : le risque de prise de contrôle d’actifs stratégiques par les fonds souverains, et la nécessité pour l’Europe de se positionner dans les investissements futurs.

Plusieurs États se sont donné les moyens d’agir contre les risques de prise de contrôle d’actifs stratégiques. Aux États-Unis, le CFIUS – comité sur l’investissement aux États-Unis – examine les projets d’investissements et réalise une enquête s’il l’estime nécessaire ; la décision de bloquer un investissement étranger appartient au président des États-Unis, s’il l’estime nécessaire pour la sécurité nationale. Les enquêtes du CFIUS demeurent exceptionnelles. L’Australie dispose également d’une réglementation des investissements étrangers.

En Europe, le Royaume-Uni utilise ce type de dispositif de façon pragmatique. En France, le décret du 30 décembre 2005 protège les secteurs sensibles. En Allemagne, un projet de loi est en cours de préparation. Pour les pays de l’Union européenne se pose la question de la compatibilité de ces réglementations avec l’article 58 du Traité qui permet une enfreinte à la libre circulation des capitaux seulement si l’ordre et la sécurité publics sont menacés. Une procédure d’infraction contre le décret français de 2005 a d’ailleurs été engagée par la Commission européenne en avril 2006, mais elle semble gelée depuis lors. Il est donc souhaitable d’élaborer un dispositif à l’échelle de l’Union, sur la base duquel chaque État membre pourrait réagir dans le contexte national. C’est ce que recommandent les rapports de M. Hubert Védrine sur la France et la mondialisation, de septembre 2007, et de M. Laurent Cohen-Tanugi, sur « L’Europe dans la mondialisation », d’avril 2008.

Enfin, il est nécessaire que l’Europe se positionne dans les investissements du futur. Les fonds souverains sont aujourd’hui à même d’investir dans les secteurs stratégiques sur le long terme, comme l’énergie, l’espace et les transports. A titre d’exemple, certains fonds du Golfe ont un projet de financement du percement de la péninsule malaise. L’Europe doit de son côté essayer de canaliser des ressources pour investir dans ces secteurs. On connaît les limites du budget européen. Par ailleurs, les engagements de la Banque européenne d’investissement – BEI – sont orientés en priorité vers les nouveaux États membres de l’Union. Quant à la Caisse des dépôts et consignations, elle n’a ni les moyens ni la doctrine d’action lui permettant de jouer ce rôle, mais c’est un investisseur de long terme, et l’on peut envisager une coordination avec d’autres instruments ou organismes comparables en Europe afin de réaliser des projets communs.

L’Europe devrait trouver d’autres instruments de collecte pour canaliser ses ressources vers des investissements de long terme.

M. Daniel Garrigue, Rapporteur, a ensuite présenté sa proposition de résolution. Celle-ci comporte trois idées principales :

– créer un cadre européen permettant aux États membres de réagir face à des investissements qui toucheraient des secteurs stratégiques ou particulièrement sensibles. Le Rapporteur a indiqué que les services de la Commission européenne lui paraissaient plus ouverts sur ce sujet qu’il y a deux ans ;

– mettre en place des instruments européens permettant de canaliser et d’orienter des ressources significatives vers les investissements stratégiques de long terme ;

– inciter les fonds souverains à investir dans les pays en développement.

Le Président Didier Migaud a remercié Daniel Garrigue pour son analyse de cette question extrêmement sensible, analyse qui fait bien apparaître la nécessité de règles communes au plan européen, et qui devront s’articuler avec ce que chaque État membre considère comme ses intérêts stratégiques.

M. Jean-Pierre Brard a souligné qu’une forme de capital circulait particulièrement librement : celui qui n’a pas de patrie. L’Union européenne doit se doter d’un minimum de règles communes concernant des fonds souverains et trouver un juste équilibre entre le contrôle, la surveillance et la transparence, la libre circulation enfin. Surtout il conviendrait de préciser dans la résolution que les outils dont se dotera l’Union européenne doivent bénéficier d’une indépendance.

M. François Goulard s’est félicité de la présentation équilibrée faite par Daniel Garrigue, car il est aussi très positif que des capitaux s’investissent dans l’économie française. Par exemple, l’arrivée de capitaux étrangers dans les ports français serait bienvenue, mais ce n’est pas le cas actuellement, notamment pour des raisons statutaires. Il serait souhaitable que tant l’Union européenne que la France se dotent d’outils de veille mais il ne faut pas bloquer les possibilités d’investissement positives pour notre économie.

Le Président Didier Migaud a observé que la présence importante de capitaux étrangers n’est pas nouvelle dans la mesure où une partie de notre dette est justement détenue par ces capitaux étrangers. Toutefois, l’État doit pouvoir définir lui-même ce qu’il considère comme un secteur stratégique face à l’investissement étranger.

M. Daniel Garrigue a confirmé que les fonds souverains suscitaient une attitude d’ambivalence. D’un côté, un contrôle trop draconien risquerait d’éloigner ces investisseurs alors que la France a fait le choix de l’attractivité de son territoire ; de l’autre côté, il est utile de disposer d’un instrument de contrôle qui permet de réagir si nécessaire. Ainsi par exemple, le Gouvernement a réagi efficacement en prenant des participations dans nos chantiers navals lorsque se sont investis des capitaux asiatiques. Un autre problème délicat est celui de la capacité financière de l’Europe, de fait très limitée. Il serait souhaitable que, pour compenser cette faiblesse, des acteurs, comme la Caisse des dépôts française, la KFW allemande et la Casa dei Depositi italienne, recherchent une cohérence dans leurs interventions autour de véritables projets européens.

Le Président Didier Migaud a souligné qu’un code de bonne conduite international quant à la transparence de la circulation de ces fonds ne serait néanmoins pas assorti de sanctions.

M. Louis Giscard d’Estaing a observé qu’en effet le dispositif envisagé par la résolution ne prévoie pas de sanction, les seules sanctions possibles étant celles qui s’imposent à tous les investisseurs sur les marchés financiers.

M. Daniel Garrigue a répondu que la question était complexe car les comportements à sanctionner relèvent plutôt du mode de gouvernance de ces fonds. La question de la transparence de la gouvernance des fonds se pose d’ailleurs de la même façon pour les hedge funds et pour tous les opérateurs internationaux.

La Commission a approuvé la proposition de résolution n° 964 de M. Daniel Garrigue et autorisé la publication du rapport sur les fonds souverains.

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12.– Mardi 30 septembre 2008, séance de 14 heures 30, compte rendu n° 123

–   Audition de Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi, sur la situation du groupe Dexia

M. le président Didier Migaud. Merci, Madame la ministre, de nous consacrer un peu de temps pour répondre à nos interrogations sur les derniers développements de la crise financière, et plus particulièrement sur la situation du groupe Dexia qui, après l’effondrement du cours de l’action hier, a fait l’objet cette nuit de décisions des gouvernements français, belge et luxembourgeois.

Le groupe Dexia s’est trouvé fragilisé principalement par le biais de sa filiale FSA, qui pratiquait une activité de réassurance. Nous sommes ici d’autant plus sensibles à sa situation qu’il a la particularité d’être la banque des collectivités territoriales ; il a aussi un réseau de banque de détail en Belgique et au Luxembourg. Je vous invite à présenter les décisions qui ont été prises, puis nous pourrons avoir un échange entre nous.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi. Je vous remercie de me permettre d’évoquer devant vous cette opération européenne, concertée et rapide de stabilisation et de restructuration du capital d’une banque dont la surface de bilan atteint 650 milliards, qui est la septième banque en France et qui finance la moitié des collectivités territoriales françaises.

Une opération voisine, mais non similaire, était intervenue la veille pour le groupe Fortis. Alertée par mes collègues belge, luxembourgeois et néerlandais et par le président de la Banque centrale européenne, j’ai pu, dès dimanche, entamer à Bruxelles, des discussions avec mon homologue belge sur le cas Dexia car je commençais à suspecter ce qui risquait de se passer.

Nous n’imaginions cependant pas l’importance des attaques dont Dexia allait faire l’objet dans la journée de lundi. Elles ont précipité la concertation que nous avons menée à partir de la fin de l’après-midi, en étroite collaboration avec la Caisse des dépôts – actionnaire de la holding.

Pour mémoire, la holding s’appelle « groupe Dexia » et elle a trois filiales : la filiale française, « Dexia Crédit local », qui est l’ancien Crédit local de France et qui a une activité de financement des collectivités locales ; la filiale belge, « Dexia Banque Belgique », qui a une activité de banque de détail ; enfin, « Dexia Banque internationale à Luxembourg », qui est une banque de détail au Luxembourg. De plus, Dexia Crédit local a pour filiale à 90 % FSA, le rehausseur de crédits américain, qui a connu des difficultés suite à la crise.

Plusieurs schémas ont été envisagés. Pour notre part, nous avons milité en faveur d’une opération au niveau de la holding. C’est ce qui a été décidé.

La France apporte 3 milliards, la Belgique 3 milliards et le Luxembourg 376 millions. Avec les 2 milliards souscrits par la Caisse des dépôts et le milliard souscrit par l’État, les parties françaises atteignent ensemble 26 % du capital de la holding, ce qui leur confère une minorité de blocage – fixée à 25 % en droit belge. La Caisse des dépôts a non seulement fait son devoir d’actionnaire, mais elle est allée au-delà.

Cette opération nous est apparue indispensable, d’une part pour assurer la continuité du financement des collectivités locales, d’autre part pour éviter une faillite ce matin, qui aurait probablement entraîné un effet de dominos. En vertu du droit belge, elle doit se dénouer dans un délai de quinze jours, et elle prendra la forme d’une souscription au capital qui peut être organisée rapidement, sans tenir d’assemblée générale, conformément au droit belge. Cette opération en capital n’aggravera pas notre déficit maastrichtien ; nous procéderons soit par un prélèvement sur les recettes de privatisation, soit par une dotation en capital en loi de finances rectificative, soit par l’emprunt – en passant par une structure du type de l’ERAP, utilisée pour France Télécom.

En conjuguant les efforts de trois États pour recapitaliser une banque importante et contribuer à la stabilité financière, l’un de nos objectifs était de donner un signal fort aux marchés. La remontée du cours de l’action Dexia montre qu’il a été bien reçu.

M. le président Didier Migaud. Nous saluons tous la réactivité des autorités françaises, belges et luxembourgeoises, mais des questions nous sont posées sur les « contreparties » demandées par le gouvernement français. Que signifiera pour nous le fait d’avoir désormais la minorité de blocage ? Qu’a-t-on demandé concernant le management ?

Mme la ministre. Nous avions exigé que le management change. Le président du conseil de surveillance et le président du directoire, MM. Miller et Richard, ont l’un et l’autre démissionné ce matin. Ils devront être remplacés dans de très brefs délais ; il a été convenu que le président du conseil de surveillance serait de nationalité belge, et le président du directoire de nationalité française.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Dexia avait passé ses premières provisions au titre de FSA il y a six mois à un an : le risque était donc bien identifié ; côté français, Dexia Crédit local a dégagé l’an dernier une marge de 1 milliard, et ses clients sont tout sauf insolvables. Alors on s’interroge…

Comme beaucoup d’autres banques, Dexia s’est engagé sur des établissements financiers américains en difficulté ; son engagement sur Lehman Brothers était, paraît-il, de 300 millions.

Ce qui est extrêmement inquiétant, c’est la rapidité avec laquelle Dexia s’est trouvé en situation de quasi-faillite. Je me réjouis de la vitesse de réaction des trois États européens concernés, mais cette affaire pose le problème de la liquidité interbancaire : les banques ne se prêtent plus entre elles, et Dexia, qui prête aux collectivités locales à 5, 10 voire 30 ans, s’est trouvé acculé à se refinancer pratiquement au jour le jour. Comment peut-on desserrer l’étau ? La banalisation du livret A va accroître encore l’afflux de liquidités vers la Caisse des dépôts et à l’évidence, tout n’ira pas au logement social ; comment s’y prendre pour que ces liquidités soient réinjectées au plus vite dans l’économie, en particulier en direction des PME – qui risquent de beaucoup souffrir des restrictions de crédit ?

Par ailleurs, est-il possible d’assouplir les critères de contreparties d’actifs, pour permettre aux banques de se refinancer dans de meilleures conditions ?

Mme la ministre. Le fonctionnement des établissements bancaires et financiers pose trois problèmes : la solvabilité, la valorisation des actifs nets et, en effet, la liquidité. Actuellement, vous avez raison, toutes les banques fonctionnent en jour le jour, avec des ouvertures de liquidités massives par la Banque centrale européenne. Il nous faut donc tout d’abord examiner avec la Caisse des dépôts, comment utiliser les abondantes liquidités qu’elles détiennent du fait du mouvement actuel de « fuite vers la sécurité » de la part des déposants. On constate par ailleurs que, par crainte ne pas pouvoir se refinancer, les banques s’approvisionnent abondamment en liquidités auprès de la Banque centrale européenne, puis en rapportent une partie le soir. Se pose aussi la question de la valorisation des actifs. Afin de rétablir la confiance, il conviendrait d’assouplir certaines règles ; nous y travaillons au niveau européen, et il faudra également une harmonisation au niveau international.

L’autre problème, c’est celui de la réglementation, au-delà de celle de la vente à découvert. Aux États-unis en particulier, celle-ci impose de détenir les titres avant de « shorter » ; mais des gérants de fonds utilisent des mécanismes de crédit pour se protéger et continuer à spéculer à la baisse. Il faut donc s’efforcer d’anticiper ce type de mécanisme de spéculation : aujourd’hui, dès qu’une faiblesse s’est manifestée, tous les mouvements se concentrent sur la proie ; le phénomène a largement joué dans l’affaire Dexia.

M. Michel Bouvard. Je salue la concertation qui a été assurée avec la Caisse des dépôts, y compris avec la commission de surveillance – qui avait évoqué la situation de Dexia mardi dernier. En juin, Madame la ministre, Augustin de Romanet et moi-même étions venus faire le point avec vous : le groupe Dexia présentait des risques via FSA, mais il n’était pas considéré comme fragilisé puisqu’il venait de dégager un résultat de 821 millions – certes à la baisse mais, hors FSA, en progression de 12 %. Ce qui est symptomatique depuis quelques mois, c’est la dégradation rapide de la situation, notamment en raison de la restriction du crédit interbancaire et de la dégradation des notations.

Je rappelle que si la Caisse des dépôts est concernée, c’est parce qu’à l’origine elle avait pour filiale le Crédit local de France ; ensuite, le groupe Caisse des dépôts est resté actionnaire du groupe Dexia à hauteur de 13,9 % : 8,8 % au titre de la section générale, 3,1 % au titre des fonds d’épargne et 2 % au titre de la CNP. Dexia étant confronté à un problème de disponibilité de trésorerie et de risque de perte de confiance, il était naturel que la Caisse des dépôts s’engageât dans sa recapitalisation.

Elle y contribue à hauteur de 2 milliards, qui vont être répartis entre ses différentes entités. Je remercie le Gouvernement d’avoir compris qu’elle ne pouvait pas aller seule jusqu’à 3 milliards, au moins pour deux raisons : un montant aussi élevé aurait été déraisonnable et nous aurait, en outre, ramenés à une sorte de filialisation de l’activité bancaire de Dexia ; d’autre part, en intervenant seule, la Caisse aurait été en position de faiblesse pour discuter avec les actionnariats publics d’État de Belgique et de Luxembourg.

J’en viens à la question des disponibilités. Les ressources des fonds d’épargne n’ont jamais été aussi importantes, c’est vrai, du fait d’un retour vers le livret A en raison des incertitudes sur le marché financier, ainsi que d’une tendance à l’épargne liée au ralentissement économique. Il est évident qu’à un moment où l’on manque de liquidités, la Caisse des dépôts ne peut pas thésauriser ces disponibilités. Je souhaite donc qu’elles soient activées, dans le respect de la clause de répartition de l’épargne réglementée entre la Caisse et les établissements qui vont distribuer le livret A à partir du 1er janvier. L’État dispose des moyens pour cela, puisqu’il décide des emplois des fonds d’épargne ; dans le passé, quand les disponibilités ont dépassé les besoins du logement social, d’autres affectations ont été décidées, par exemple sur les infrastructures ou sur les équipements hospitaliers.

La Caisse est d’ores et déjà, à partir des ressources de la section générale, active sur le marché des PME, sous forme non pas de prêts, mais de participations ; nombre de directeurs régionaux nous disent qu’ils sont sollicités pour cela.

Je suis donc, avec la commission de surveillance, tout à fait ouvert à l’utilisation des disponibilités de la Caisse pour jouer un rôle contracyclique. En revanche, il ne faut pas pratiquer le saucissonnage : ayons une approche d’ensemble, pour voir ce qui peut être fait tant au titre de la section générale qu’au titre des fonds d’épargne – pour lesquels il faut respecter les règles de fonds propres et de prise de risque.

M. Jérôme Cahuzac. J’espère que ceux qui avaient prôné une réforme d’ampleur de la Caisse des dépôts se souviendront de ce qu’elle vient de faire…

En entrant au capital de Dexia à hauteur d’un milliard, l’État va logiquement être représenté au conseil d’administration, lequel aura notamment à déterminer les conditions de départ des présidents du conseil de surveillance et du directoire ; recevront-ils des indemnités ? Vous engagez-vous, Madame la ministre, à faire toute la transparence sur ces conditions de départ ? Pourrait-on savoir quel était le niveau rémunération de ces deux responsables ?

Par ailleurs, par qui et comment la participation totale de 3 milliards et sa répartition à hauteur de deux tiers et un tiers entre la Caisse des dépôts et l’État ont-elles été fixées ?

M. Jérôme Chartier. Madame la ministre, pourriez-vous nous confirmer que cette augmentation de capital, dont nous nous réjouissons, s’est faite au cours de 9,90 euros – ce qui a permis de soutenir le cours, qui était tombé à 7,20 euros avant-hier, avant la suspension de la cotation hier ?

Cette opération va pleinement dans le sens du discours du Président de la République à Toulon sur l’intervention de l’État pour protéger l’épargne des Français. Mais d’un autre côté, elle peut faire craindre à nos compatriotes que d’autres établissements bancaires connaissent demain les mêmes difficultés. Ne serait-il pas opportun de créer un lieu d’information permanente, leur permettant d’être informés quasiment en temps réel de la situation financière, de l’exposition des banques françaises et de la réactivité du Gouvernement, afin de restaurer la confiance ?

En ce qui concerne les fonds d’épargne, il y a une limite à l’exercice proposé par Michel Bouvard : les Français ont besoin de sentir que leur épargne est en sécurité. Ils doivent être sûrs qu’elle ne va pas servir à payer les découverts des sociétés financières ou banques d’investissement américaines qui ont fait des opérations purement spéculatives.

M. Michel Bouvard. Cela ne peut pas se produire.

M. Jérôme Chartier. Encore faut-il que tous les Français le sachent.

M. Jean-Pierre Brard. Si le Crédit local de France n’avait pas été privatisé, nous ne serions pas dans ce pétrin… En tout cas, Madame la ministre, vous avez gagné vos galons d’urgentiste : le malade que vous avez transfusé vit toujours ! Il vous faut maintenant réfléchir à la prophylaxie que vous allez appliquer.

Comment en est-on arrivé là ? Cette affaire repose le problème des fameuses normes comptables, à propos desquelles, comme d’habitude, les Français se sont finalement couchés devant les Américains.

Avec quel objectif prenons-nous des participations dans le capital de Dexia ? Est-ce pour les revendre ensuite, ou est-ce pour avoir un vrai pouvoir de contrôle ? De façon plus générale, il faut s’interroger sur la gestion des participations publiques, dans les groupes industriels aussi bien que dans les banques : l’État n’est pas quitte, par exemple, de ce qui se passe chez Renault, où la logique de l’actionnaire l’emporte sur la logique industrielle.

Tirez-vous de la situation actuelle la conclusion qu’il faut renoncer à l’ouverture du capital de la Poste ?

Quel est votre sentiment sur l’activation des disponibilités de la CDC ? Pour ma part, je crois plus que jamais qu’il faut un pôle financier public, menant une politique transparente. Certes l’opacité ne date pas d’aujourd’hui, mais on se demande vraiment quelle est la politique de l’État, quels sont ses objectifs et qui décide…

Enfin, puisque vous parliez tout à l’heure de proie, ne pensez-vous pas qu’il faudrait interdire la chasse ?

M. Hervé Mariton. Quels ont été les signaux d’alerte sur la situation de Dexia ? Comment définit-on ces signaux ?

Au moment de la reprise de FSA, quelle a été la position de l’actionnaire Caisse des dépôts ? Quelle a été celle de l’État à l’égard de la Caisse, et donc indirectement de Dexia ?

M. Daniel Garrigue. Je souscris pleinement à ce qu’a dit Michel Bouvard à propos de la Caisse des dépôts, et je rassure Jérôme Chartier sur l’emploi des fonds d’épargne : ils ne seront pas utilisés pour des placements hasardeux.

Ma question porte sur la dimension européenne de cette affaire. La réaction a été forte à un niveau intergouvernemental, et la présidence française nous a peut-être permis de peser davantage ; mais la réaction de nos partenaires est-elle homogène face à cette crise, ou y a-t-il des divergences d’appréciation ? Que font la Banque centrale européenne et la Banque européenne d’investissement – qui a des capacités d’intervention beaucoup plus fortes que la Caisse des dépôts ? N’y a-t-il pas lieu d’anticiper le Conseil européen qui était prévu les 15 et 16 octobre ?

M. Jacques Myard – usant de la faculté que l’article 38 du Règlement de l’Assemblée nationale confère aux députés d’assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres. Quelles ont été les pertes enregistrées dans la filiale américaine ? Est-ce que cela correspond à la recapitalisation ? Comment les autorités publiques en ont-elles été alertées ?

Quant au milliard d’euros apporté par l’État, sur quels crédits est-il pris ?

M. Frédéric Lefebvre. Le fait que les décisions concernant Dexia aient été prises très rapidement et avec sang-froid est de nature à rassurer les épargnants, et il faut s’en réjouir.

Nombreux sont ceux qui par ailleurs nous interrogent sur les fonds de garantie, tant pour les banques que pour les assurances ; quelle réponse peut-on leur apporter ?

S’agissant de la notation des agences de notation, j’avais déposé un amendement qui avait été adopté à l’unanimité par la commission mais que vous m’aviez demandé en séance de retirer ; approche-t-on d’une solution ?

M. François Goulard. Je voudrais souligner la différence de philosophie entre les interventions des États-unis et celles des pays européens. Aux États-unis, l’État se propose de racheter les mauvaises créances, autrement dit de faire une mauvaise affaire avec l’argent du contribuable ; dans les pays européens, les États prennent des participations, ce qui est évidemment plus protecteur pour le contribuable, lequel peut espérer une remontée du cours de l’action : c’est à mon avis une modalité d’intervention bien préférable.

Je voudrais également insister sur le risque de liquidité. C’est une préoccupation majeure dans le monde bancaire et financier où, tous les matins, il peut arriver qu’on ne trouve pas le financement pour faire face aux échéances du jour – et donc qu’on risque le dépôt de bilan.

À moyen et long terme, deux questions se posent. La première est celle des normes comptables : avec les variations des valeurs boursières, les bilans sont bouleversés. La seconde est celle des ratios : la crise actuelle condamne Bâle II et l’idée de faire de plus en plus d’opérations avec de moins en moins de capital ; il faudra revenir à une conception plus classique et une exigence de fonds propres plus élevée. La France pourrait œuvrer en ce sens dans les prochaines semaines.

Mme Marie-Anne Montchamp. Immédiatement après le discours de Toulon, le Gouvernement s’est trouvé confronté avec Dexia à un cas pratique. Il l’a particulièrement bien traité, tandis qu’aux États-Unis le plan Paulson peine à se concrétiser. Nous nous trouvons devant un plan de fait, qui initie en Europe une démarche des États pour soutenir leur système bancaire. Qu’en est-il dans les autres États européens, étant entendu qu’il conviendrait d’éviter des disparités dans les modes d’intervention publique ?

D’autre part, comment et par quel mécanisme appréhende-t-on le risque financier de l’État ?

M. Jean-Pierre Balligand. L’État joue aujourd’hui le pompier en apportant un milliard d’euros, mais j’aimerais savoir ce qu’il va faire en tant qu’actionnaire et combien de temps il compte le rester : nous avons besoin de lisibilité.

Par ailleurs, il serait bon que la commission des finances mène une réflexion sur Bâle II. Et surtout, nous devons nous interroger sur le modèle bancaire. En général, une banque a des dépôts et consent des prêts, la titrisation posant par ailleurs le problème du transfert du risque ; mais Dexia est atypique car ce n’est pas une banque de dépôts ; et une banque qui a besoin de se refinancer sans cesse sur le marché peut, quand la conjoncture devient mauvaise, créer un effet systémique. Il faut travailler sur cette question car il y a un vrai problème de fragilisation.

M. le président Didier Migaud. Nous avons commencé un travail sur la crise financière et le modèle bancaire ; avec Gilles Carrez, nous vous ferons des propositions pour le poursuivre. Par ailleurs, une mission est conduite par Gaël Yanno et Dominique Baert sur les normes comptables ; nous attendons avec impatience la conclusion de leurs travaux.

Mme la ministre. Je vous remercie pour la qualité de vos interventions et je vous encourage à poursuivre vos travaux de réflexion.

Monsieur Cahuzac, en ce qui concerne les conditions de départ des responsables de la banque, je m’engage bien volontiers, du moins pour le côté français, à vous en indiquer le détail. Je ne connais pas la rémunération de M. Richard ni celle de M. Miller, mais Dexia étant une société cotée, la règle de transparence veut que leur rémunération figure dans les documents publics.

Monsieur Myard, s’agissant du FSA, le chiffrage n’est pas possible, du fait de la dévalorisation des actifs liée au processus IFRS, qui oblige à donner une valeur de marché instantanée.

Vous m’avez aussi demandé, Monsieur Cahuzac, comment avaient été déterminés les montants d’intervention de l’État et de la Caisse des dépôts. Pour faire face aux exigences de liquidités, il fallait une recapitalisation à hauteur de 6,4 milliards d’euros. La ventilation entre la France, la Belgique et le Luxembourg s’est faite en fonction des activités et de la situation de risque de chacune des trois filiales. En ce qui concerne la France, ma préférence aurait été que la Caisse des dépôts participe à hauteur des 3 milliards d’euros puisqu’elle était déjà actionnaire ; mais il y avait aussi une certaine logique à ce qu’elle ne le fasse qu’à concurrence de son pourcentage dans l’actionnariat.

M. Michel Bouvard. Elle est allée au-delà, en passant de 14 à 20 %.

Mme la ministre. En effet. Il restait donc un milliard d’euros, que l’État a pris en charge.

Monsieur Chartier, le prix a été fixé à 9,90 euros en vertu d’une règle du droit belge, selon laquelle il résulte du cours des trente jours précédents.

Ce n’est pas de gaîté de cœur que nous avons pris cette décision, mais tous les avis que nous avons recueillis, de la Banque centrale européenne et du gouverneur de la Banque de France comme de nombreux acteurs bancaires, nous ont convaincus que c’était indispensable.

M. Jérôme Chartier. Je m’interrogeais seulement sur les conséquences de cette action rapide sur la psychologie des Français : cela peut générer une anxiété sur la situation des autres établissements bancaires ; c’est pourquoi il est très important de bien leur dire que le système bancaire français est solide.

Mme la ministre. Dans tous les pays européens qui ont été concernés jusqu’à présent – Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Islande, France –, les États ont soutenu les banques en montant au capital. Les États-Unis ont réagi très différemment, en apportant leur soutien à certaines mais en laissant tomber Lehman Brothers – ce que, au vu des conséquences, ils pourraient regretter maintenant d’avoir fait –, et en proposant de monter une sorte de super-CDR ainsi que d’assouplir certaines règles. La réplique européenne, surtout quand elle a un caractère concerté, est évidemment bien davantage de nature à restaurer la confiance. C’est d’ailleurs ce que semble montrer la réaction des marchés à l’opération Dexia de cette nuit.

Par ailleurs, Monsieur Chartier, les fonds d’épargne ne peuvent pas être utilisés à des fins spéculatives et bénéficient de la garantie de l’État.

M. Michel Bouvard. En matière de gouvernance des fonds d’épargne, les règles sont très précises : ratios de fonds propres, emplois définis par l’État et règles prudentielles très strictes doivent être respectés. Par ailleurs, ces fonds bénéficient de la garantie de l’État ; c’est au titre de celle-ci que l’État garde chaque année le résultat de la section des fonds d’épargne. Cette garantie-là n’est pas liée au discours de Toulon !

Mme la ministre. Quant à l’activation des liquidités de la Caisse des dépôts, c’est un sujet auquel il faudra s’atteler.

Monsieur Brard, à défaut d’interdire la chasse, au moins faut-il la réglementer pour éviter de mettre en péril des établissements financiers.

Avons-nous eu des signaux d’alerte ? Dexia est une société de droit belge, soumise au superviseur belge, avec des risques potentiels importants dans la filiale américaine. Il y a probablement eu insuffisance de coordination entre les deux superviseurs. Néanmoins tout le monde savait depuis l’été que Dexia était fragilisé par FSA. Les choses se sont précipitées du fait de l’accélération de la course à la liquidité, des doutes sur le vote du plan Paulson et des fuites dans la presse sur une éventuelle augmentation de capital de Dexia de 7 milliards d’euros.

Aux dirigeants des banques venus ce matin, à l’invitation du Président de la République, rendre compte de leur situation, nous avons rappelé leurs obligations d’information vis-à-vis de leurs clients.

Monsieur Goulard, la grande difficulté actuelle concerne en effet la liquidité, l’ensemble des banques fonctionnant avec un refinancement au jour le jour, au moyen de liquidités mises sur le marché par les banques centrales, en euros et encore plus en dollars, à des coûts qui deviennent exorbitants.

Sur les normes prudentielles, il est clair qu’une réflexion doit être menée dans le cadre de la finalisation de la directive CR2 qui transpose Bâle II, en particulier sur la question des ratios de fonds propres. Mais il faut se garder de conclusions hâtives et éviter les effets procycliques ; poursuivons le dialogue engagé avec les banques au forum de stabilité financière, dans le cadre du Conseil ECOFIN et avec les gouverneurs des banques centrales.

Au niveau européen, le premier type d’intervention a consisté à entrer au capital
– Northern Rock, B&B, Fortis, Dexia –, le second à donner des garanties de l’État – comme avant-hier en Allemagne. L’Irlande a fait le choix d’une garantie couvrant une large catégorie de produits, pour rassurer tant les épargnants que les établissements bancaires, pour les encourager à se prêter entre eux, ce qui pose cependant des problèmes.

M. le président Didier Migaud. Madame la ministre, je vous remercie.

——fpfp——

13.– Mardi 7 octobre 2008, séance de 16 heures 15, compte rendu n° 3

–   Audition de M. Charles Milhaud, président du directoire de la Caisse nationale des caisses d’épargne, sur la crise financière internationale

M. le président Didier Migaud. Nous accueillons M. Charles Milhaud, président du directoire de la Caisse nationale des caisses d’épargne, la CNCE, accompagné par M. Julien Carmona, membre du directoire en charge des finances et risques, et M. Didier Banquy, secrétaire général.

Dans un contexte d’aggravation sensible de la crise financière internationale et de crise de confiance généralisée, l’objectif de la commission des finances est double : évaluer les différents dispositifs de réponse à la crise – je parle des réponses immédiates, seules à même d’enrayer le phénomène de défiance – et contribuer à dégager des projets de réformes, qui devront être portés par les législateurs, les gouvernements et les superviseurs au niveau national et supranational.

Vous êtes, monsieur le président Milhaud, le premier dirigeant bancaire à être entendu à propos de cette crise financière internationale. Je vous remercie d’avoir maintenu cette rencontre avec la commission des finances, malgré un emploi du temps que nous savons très chargé…

Nous ne vous demanderons naturellement pas de nous donner les détails d’une certaine opération en cours, dont le principe n’est d’ailleurs pas un secret, mais plutôt de nous faire part de la situation de votre groupe et, au-delà, de répondre à nos questions relatives aux sorties de crise envisageables. Quelle appréciation portez-vous sur les réponses apportées par les différents États aux difficultés qu’ils ont à affronter ? Comment restaurer la confiance ? Sur quoi devront porter les réformes ? Qu’attendez-vous de la Banque de France, de la Banque centrale européenne et des États ?

M. Charles Milhaud. Nous ne vivons pas une crise de solvabilité mais de liquidité. Il faut en finir avec les discours sur les risques de faillite des établissements de crédit. La crise de liquidité est due à un phénomène général : ces établissements ne se prêtent plus les uns aux autres. La solution est entre les mains de la Banque centrale européenne et, dans une moindre mesure, de la Banque de France : augmenter les possibilités de collatéraux, c’est-à-dire de papiers acceptables par les instances monétaires pour financer l’activité courante. La confiance reviendrait et les établissements de crédit se prêteraient de nouveau. En attendant, les échéances tombent et les exigences en trésorerie de tous les établissements prennent de plus en plus d’ampleur, d’autant qu’ils empruntent pratiquement au jour le jour auprès de la Banque centrale européenne en contrepartie de placements à terme.

La CNCE dispose de près de 19 milliards de fonds propres. Son ratio de solvabilité s’élève à 8,35 %, l’un des meilleurs taux en ce qui concerne les risques. Elle peut mobiliser 20 milliards d’actifs éligibles. Néanmoins, si la crise devait continuer, il faudrait suppléer à l’ensemble des tombées, ce qui mettrait tous les établissements en situation de thrombose. La Banque centrale européenne tarde un peu à modifier ses directives ; il serait intéressant qu’elle revoie les conditions d’emprunt offertes aux banques.

Bref, il convient de redonner de la liquidité au système bancaire.

M. Olivier Dassault. Nous n’avons sans doute pas suffisamment médité la réplique de Don Fernand dans le Cid : « Le trop de confiance attire le danger ». Si les phénomènes que nous subissons se sont propagés, c’est notamment à cause des effets comptables désastreux induits par les nouvelles normes internationales IFRS, International Financial Reporting Standard. Ces règles de comptabilité contraignent les banquiers à évaluer leurs actifs selon les cours du marché. Du fait de la logique de titrisation, par ailleurs bien utile, vous subissez aujourd’hui des pertes comptables qui ne sont que potentielles. Quel est votre avis sur ce sujet ?

Seriez-vous favorable à ce que les livrets d’épargne réglementés de type livret A soient employés pour soutenir les PME, sans que cela nuise au logement social ? La représentation nationale a besoin d’être rassurée.

La confiance vis-à-vis des institutions s’est gravement effritée. Il faut se placer à la pointe d’une initiative européenne pour faire émerger un régulateur communautaire unique.

Quelles sont vos attentes vis-à-vis des pouvoirs publics, plus particulièrement du Parlement ? En quoi pouvons-nous apporter des solutions concrètes aux difficultés que vous devez surmonter ?

M. Jean-Pierre Balligand. Avant de s’attaquer au livret A – qui, je le rappelle, n’est pas totalement à la disposition des collecteurs –, il faut revenir sur le problème du livret de développement durable, le LDD, ancien CODEVI, dont les dépôts ne sont plus du tout centralisés. Je rappelle que le LDD offre un avantage fiscal en contrepartie d’une mission d’intérêt général : le financement des PME-PMI. Or Mme Lagarde nous a indiqué que seules 52 % des sommes collectées servent cet objectif, les 48 % restants en étant détournés. Des actions peuvent être menées en partenariat avec OSEO pour financer des PME. Si le Gouvernement utilise le LDD pour financer les PME, cela dégagera suffisamment de moyens financiers pour abonder le dispositif.

Ce qui m’inquiète le plus, c’est que les Caisses d’épargne, tout comme les autres banques de dépôt françaises, possèdent un réseau très développé. Elles doivent donc prendre garde au resserrement, qui entraînera une remontée des lignes d’escompte. Quelle est votre philosophie en la matière et quelle est celle des dirigeants de banque, pris collectivement ? Pour nombre de PME françaises, en région, l’urgence commence à se faire sentir. Aujourd’hui, une PME qui présente de bons résultats ne peut pas emprunter à moins de 5,5 ou 5,6 %. Le défi consiste à monter un dispositif n’avalant pas d’argent public.

M. Bernard Carayon. Quel lien établissez-vous entre la politique monétaire américaine conduite depuis cinq ou six ans, l’excès de liquidités et les prises de risques excessives dont nous sommes témoins depuis plusieurs années ?

Quel est le niveau pertinent pour organiser la régulation internationale ?

Quelles sont les conséquences pour les PME de l’arrêt du crédit interbancaire ?

M. Michel Bouvard. Une somme non négligeable – environ 18,5 milliards –, provenant des LDD et des livrets d’épargne populaire, vient d’être déconcentrée de la Caisse des dépôts en direction des réseaux bancaires, ce qui couvrira à peu près les surplus du livret A encaissés cette année à la Caisse des dépôts. Nous avons souhaité que la déconcentration porte sur le LDD parce que ce produit est centré sur les PME et les travaux énergétiques contribuant au développement durable. Quels moyens les banques françaises se donnent-elles afin d’assurer la transparence de ces usages ? Dans quel délai les phénomènes de contraction du crédit trouveront-ils une solution ? Quels moyens de travail envisagez-vous avec OSEO, qui va bénéficier d’une remontée de 4 à 6 milliards des prêts de la Caisse des dépôts ?

Les caisses d’épargne sont le deuxième prêteur de France aux collectivités territoriales, après Dexia. Dans quelle mesure le réseau des caisses d’épargne aura-t-il encore les moyens de prêter aux collectivités territoriales, notamment au cours du dernier trimestre de l’année, période durant laquelle elles tendent de plus en plus à mobiliser leurs emprunts ?

Les normes comptables et bancaires s’avèrent très procycliques. Quelles modifications peuvent être envisagées dans ce domaine, sans affecter les règles prudentielles relatives aux fonds propres, afin de ne pas accentuer les cycles dépressifs et de ne pas favoriser le credit crunch durant les périodes de récession ?

M. Charles Milhaud. Il est certain que les normes IFRS sont procycliques et ont aggravé la crise. Leur application, ajoutée à la trimestrialité de la présentation des résultats, entraîne une volatilité complètement folle, avec des effets en cascade car les banques provisionnent des risques qui ne sont pas certains. Pour les analystes, dépréciation signifie pertes, ce qui n’est pas toujours le cas. Cela dit, dès lors qu’il n’existe plus de marché sur tel ou tel objet, la valeur tombe à zéro. Pour résoudre ce vrai problème, il importe de retrouver la possibilité de transformer des actifs en titres d’investissement. Cependant, ces normes étant européennes, il ne sera pas aisé de les modifier.

M. Michel Bouvard. Les autres banquiers, notamment étrangers, avec lesquels vous êtes en contact font-ils le même constat ? Existe-t-il un consensus ?

M. Julien Carmona, membre du directoire, en charge des finances et risques. Parmi les banques françaises, indiscutablement. Quant aux assureurs, ils bénéficient de normes un peu moins tyranniques. Aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, nombre d’acteurs se sont aussi exprimés à ce propos. Tout dépend effectivement de directives de la Commission européenne. De surcroît, pour rédiger ces normes, la Commission s’en est remise à un organisme privé d’experts-comptables, l’IASB, International Accounting Standards Board, qui l’a enfermée dans des systèmes bloqués. Tout récemment, l’IASB a effectué un premier geste pour revenir à un système un peu plus rationnel économiquement en acceptant de modifier la norme IAS 39, qui gouverne la juste valeur ; cela reste néanmoins insuffisant au regard des attentes des banques et de l’environnement financier.

M. Charles Milhaud. Au regard des volumes de crédit accordés, les banques n’ont pratiquement plus de passif. Les dépôts de ces dernières années portent pour beaucoup sur deux produits : les OPCVM, organismes de placement collectif en valeurs mobilières, et les assurances. Comparativement aux besoins, les dépôts de passif sont relativement faibles. Seuls les encours du livret A progressent depuis le début de l’année alors qu’ils stagnaient depuis quatre ans. Les dépôts sur les plans épargne logement se sont considérablement réduits. Certaines banques – des établissements britanniques ou encore Dexia – s’étaient réorganisées en estimant qu’elles n’avaient finalement pas besoin de dépôts dans la mesure où elles pouvaient emprunter sur le marché. Il convient tout d’abord de faire en sorte que les banques aient à nouveau un passif plus pérenne.

Ensuite, elles rencontrent un problème de court terme. Dans le groupe CNCE, cette année, le volume d’épargne a doublé alors que les dépôts sur livret A, produit simple, sécurisé et rémunéré à 4 % nets d’impôts, étaient multipliés par six. L’une des options consisterait à mobiliser des dépôts de livret A, en recourant notamment à un moyen spécialisé comme le papier hypothécaire. Tous les leviers doivent en effet être employés pour résoudre la crise de liquidité. La Caisse des dépôts, au lieu de placer sur les marchés, qui sont atteints, pourrait refinancer les banques avec des créances presque certaines. Le risque lié à l’octroi de crédit serait porté par les banques, sur leurs fonds propres, et non par la Caisse des dépôts. Or le système français est plutôt surcapitalisé : alors que le ratio normatif est de 4, toutes les banques françaises se situent au-dessus de 8.

Parler du problème de la garantie de dépôt a actuellement un effet anxiogène sur le client. Les banques françaises pourraient éventuellement être reprises mais ne présentent absolument pas ce risque, d’autant qu’elles sont très vigilantes vis-à-vis des risques. Le vrai problème est celui du passif bancaire. Il faut juste répondre aux besoins à moyen terme afin de réamorcer la pompe de la confiance dans la gestion de la liquidité.

M. Michel Bouvard. Le président Milhaud nous explique comment davantage encore de liquidités pourraient être transférées à partir de la Caisse des dépôts. Mais Jean-Pierre Balligand et moi n’avons pas obtenu de réponse à notre question : quelle sera la traçabilité des 18,5 milliards d’euros qui étaient centralisés à la Caisse des dépôts jusqu’à avant-hier et qui vont être déconcentrés ? Parviendront-ils bien aux PME, qui en ont besoin sous la forme de prêts de trésorerie ? Avant d’en transférer davantage, il est indispensable que nous sachions comment ces sommes seront utilisées. Or il apparaît que, ces dernières années, sous tous les gouvernements, les établissements financiers, bénéficiaires du LDD à hauteur de 91 %, n’ont pas justifié de son emploi.

M. Charles Milhaud. Il suffit de comparer le chiffre de l’encours des crédits accordés aux PME-PMI avec celui des transferts. Si l’autorité régulatrice nous le demande, nous fournirons ces informations.

M. Michel Bouvard. Vous pourriez le faire spontanément.

M. Jean-Pierre Brard. Vous êtes devant des parlementaires !

M. Charles Milhaud. Je suppose que la question ne s’adresse pas uniquement à la CNCE, mais à tout le système bancaire. Il suffirait que les autorités nous demandent de remplir un état récapitulatif de ces informations.

Mais je crois avoir été mal compris : je propose non pas de transférer les encours de livret A sur le passif mais de mobiliser du papier, c’est-à-dire d’emprunter auprès de la Caisse des dépôts sur les ressources du livret A.

M. Michel Bouvard. À titre personnel, j’y suis totalement défavorable.

M. Charles Milhaud. Je dis très nettement qu’il s’agit d’une des solutions susceptibles de faciliter la constitution de liquidité bancaire.

M. Julien Carmona. Le système de contrôle est sans doute à parfaire, mais nous remettons chaque mois des états détaillés des crédits que nous accordons aux PME en les mettant en face de nos ressources LDD et livret d’épargne populaire. Il est absolument certain que nous aurons la capacité de mettre en place les crédits correspondant aux encours éligibles.

Notre groupe est plutôt en phase de conquête de parts de marché sur le métier des entreprises. Ainsi, nos engagements envers les PME ont progressé de plus 50 % au cours des douze derniers mois. Notre part de marché est aujourd’hui de l’ordre de 5 à 6 % et nous inscrirons l’objectif de 10 % dans notre plan stratégique, soit le même taux que pour les particuliers.

En tout cas, même si le coût du risque augmente, les banques continueront à prêter aux entreprises.

M. Charles Milhaud. Pour ce qui concerne les collectivités locales, tout dépendra de la possibilité de mobiliser des liquidités au niveau de la banque centrale, en particulier pour les gros projets. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi nous ne pouvons mobiliser du papier auprès de la Banque centrale européenne à partir de nos créances sur les collectivités locales, ce qui représenterait des sommes non négligeables.

Avec les subprimes et leur mode de distribution du crédit hypothécaire, les États-Unis ont bâti une machine à perdre. Une autre faute majeure de ce pays a été de laisser Lehman Brothers déposer le bilan car cela a entraîné une réaction de défiance dans l’ensemble du système bancaire.

M. Julien Carmona. Après le 11 septembre, il était justifié de maintenir des taux très bas pour réamorcer la machine mais cela a alimenté des bulles qui devaient éclater un jour. D’abord, la régulation américaine est éclatée entre des acteurs multiples. Ensuite, le comportement des courtiers des crédits subprimes a joué. Enfin, il n’y a aucune norme de protection du consommateur.

M. Charles Milhaud. Pour la régulation, le niveau mondial serait l’idéal puisque le système financier est mondial, mais un système européen serait déjà satisfaisant.

M. Jean-Louis Dumont. Certaines banques – à commencer par la BNP – commencent à faire leur marché chez les concurrents en difficulté, qu’il s’agisse de banques ou de compagnies d’assurance. Compte tenu des attaques de ces derniers jours, ne craignez-vous pas que votre groupe devienne un objet de convoitise ?

M. Charles Milhaud. La CNCE étant un établissement mutualiste et par conséquent absent du marché, je ne vois pas comment il pourrait être convoité.

Le problème de liquidité n’est pas propre à notre groupe mais commun à tout le système bancaire français. Je recommande non pas de décentraliser de l’utilisation de l’épargne mais de tirer partie des poches de liquidités pour réamorcer la pompe avec toute la sécurité requise.

Pour le reste, ce qui est en train de se passer entraîne incontestablement une redistribution, une reconfiguration en deux temps. Certaines banques nationalisées vont en effet se retrouver restructurées puis remises sur le marché, éventuellement après avoir été découpées. Mais il n’est pas exclu que certains repreneurs fassent de bonnes affaires, notamment dans le cas de Fortis, voire dans celui d’AIG.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président Milhaud, vous entendez les doutes qui habitent nos esprits. Si les Caisses d’épargne ne sont pas présentes sur le marché, ce n’est pas grâce à vous car vous aviez eu quelques tentations.

Je ne puis oublier la façon dont vous avez traité la Caisse des dépôts, ce qui vous a valu les observations de l’AMF, l’Autorité des marchés financiers.

Peut-on encore vous croire ?

M. Charles Milhaud. Tout ce que je peux vous dire, c’est que la Caisse des dépôts n’a pas été scindée par ma seule volonté ; ce serait me conférer un pouvoir excessif.

Lorsque nous avons mené l’opération IXIS, le groupe Caisse d’épargne était destiné à la cotation. Nous avons considéré qu’il était préférable de s’allier avec les Banques populaires et nous allons jusqu’au bout de cette logique. Il est vrai que la crise favorise une certaine prise de conscience mais nous agissons surtout parce que le rachat de Fortis annonce une reconfiguration de l’ensemble du système bancaire.

M. Michel Bouvard. Le mariage entre les banques populaires et les Caisses d’épargne sera-t-il consommé dans le lit de Natexis ?

M. Charles Milhaud. Pourquoi ne serait-il pas consommé ? Vous le verrez à l’usage.

M. Marc Goua. Ne pensez-vous pas que nous avons insuffisamment attiré l’attention sur le financement de crédits à quinze ou vingt ans par des dépôts à vue, ce qui requiert évidemment un refinancement ?

OSEO ne joue pas son rôle en ce qui concerne les contre-garanties à apporter pour la création et le développement d’entreprises.

M. Charles Milhaud. La Banque de France suit les situations de transformation de très près. Le propre du système bancaire est d’essayer de disposer de produits de passif sur des durées de plusieurs années.

Malgré tous ces excès, le système a tout de même permis de financer l’économie de manière très soutenue. L’ingénierie financière ne doit donc pas être rejetée dans son ensemble.

Aujourd’hui, je préconise simplement que, sur des périodes courtes, tous les moyens possibles soient employés pour faciliter la liquidité, faute de quoi des ruptures se produiront dans le financement des PME.

M. Hervé Mariton. Quels changements de situation objectifs rendent possible le rapprochement avec le groupe Banques populaires, qui ne l’était pas hier ?

M. Charles Milhaud. Lors de l’opération Natexis, la presse en a immédiatement conclu que nous nous apprêtions à fusionner, ce que nous n’avions jamais dit. Cela faisait partie de nos projets mais je devais d’abord réduire le nombre de caisses d’épargne et restructurer le groupe afin d’urbaniser le paysage et de le rendre comparable à celui des Banques populaires. Nous considérions que l’horizon était plutôt 2010-2012.

La situation est aujourd’hui différente. La crise favorise les évolutions. Surtout, les opérations Dexia et Fortis nous incitent à réfléchir : nous pourrions devenir un acteur pesant 17 milliards de produit net bancaire et 40 milliards de fonds propres.

M. Patrick Lemasle. La CNCE est-elle impactée par la crise américaine ? À quel niveau ? Quel montant atteignent les « fonds pourris » que vous détenez ?

Votre besoin de liquidités est-il assez urgent, urgent ou très urgent ? À combien s’élève-t-il ?

La crise ne risque-t-elle pas de s’approfondir encore avec la fusion de deux établissements dont les réseaux sont en concurrence ? Avant cette fusion, je lis que la CNCE envisageait déjà de supprimer un millier d’agences et 4 000 emplois.

M. Charles Milhaud. Je répète que le groupe CNCE ne rencontre pas de problème de liquidité particulier mais que celui-ci est commun à tout le système bancaire. Les directeurs financiers de toutes les banques de France, d’Espagne, d’Italie, d’Allemagne et de Grande-Bretagne sont obligés de faire leur marché pour financer leurs liquidités parce que les structures de bilan ne sont plus ce qu’elles étaient et parce que le marché monétaire est bloqué. Il nous a seulement paru intelligent, avec Philippe Dupont, d’aller plus loin et plus vite pour réunir deux établissements solides.

M. le président Didier Migaud. En clair, que pensez-vous des rumeurs de la semaine dernière ?

M. Charles Milhaud. Vous parlez du Canard enchaîné ?

M. Julien Carmona. Notre groupe se compose de trois périmètres.

Les Caisses d’épargne elles-mêmes passent globalement au travers de la crise sans casse, qu’il s’agisse de la solvabilité ou des liquidités. En face de 100 de crédit, nous avons 90 de dépôt ; c’est le ratio le plus élevé de France, excepté La Banque postale, et le ratio moyen des banques européennes est plutôt de 70 ou 75 de dépôt pour 100 de crédit. Par conséquent, la crise est là mais nous nous en tirons plutôt mieux que d’autres. Les pertes des Caisses d’épargne directement liées aux subprimes sont infinitésimales. Sur un produit net bancaire d’un peu plus de 6 milliards, les pertes liées à la gestion financière, au premier semestre, étaient de l’ordre de 200 millions, non pas parce qu’elles ont pris des risques spéculatifs mais parce que, par tradition, elles détiennent des portefeuilles financiers importants et des réserves de liquidités. Le fait est que presque toutes les classes d’actifs – actions, fonds monétaires, titres, immobilier – présentent des performances négatives ; les investisseurs s’en ressentent forcément, même si leur gestion est prudente. Ces pertes, pas forcément définitives, sont en tout cas absorbables. Le modèle des Caisses d’épargne est donc robuste et sûr.

Celui du Crédit foncier ne l’est pas moins, notamment pour affronter la crise de liquidités en mobilisant des actifs auprès des banques centrales. Il émet notamment au travers de la Société de crédit foncier, issu d’une très bonne loi de 1999, susceptibles de subsister assez durablement de manière autonome.

En revanche, Natexis subit l’impact de la crise, peut-être parce que nous n’avons pas été bons mais aussi parce qu’il s’agit d’une banque de financement et d’investissement, qui intervient sur les marchés. Depuis le début de la crise, Natexis a enregistré un peu moins de 4 milliards d’euros de dépréciation. Pour le groupe CNCE, les pertes de Natexis et de CIFG représentent environ 3 milliards d’euros avant impôt, soit 2 milliards d’euros après impôt, l’équivalent d’une année de résultat. Nous nous en passerions bien mais nos fonds propres ne sont heureusement pas attaqués, ce qui nous permet d’absorber la crise.

M. François Goulard. L’ensemble Caisse d’épargne plus Banques populaires constituera un acteur majeur à l’échelle française mais relativement peu présent hors de nos frontières. Adopterez-vous une stratégie de diversification géographique ?

J’ajoute que, pour ma part, j’ai toujours apprécié la sagesse du président Milhaud.

M. Charles Milhaud. Je suis très sensible à vos propos, monsieur le député.

Le développement international fait partie de notre stratégie. Les Caisses d’épargne ont commencé à s’implanter sur l’autre rive de la Méditerranée, en Tunisie, au Maroc et en Algérie. Les Banques populaires sont aussi présentes en Afrique, notamment en Algérie, ainsi que dans quelques pays de l’Est. Nous avons pour objectif de développer une banque commerciale accompagnant les PME françaises dans les pays où le taux de croissance du PIB excède 4 ou 5 %. Nous détenons également une participation dans une banque italienne. Tout cela sera consolidé dans un seul ensemble.

M. le président Didier Migaud. Je vous remercie pour ces informations.

——fpfp——

14.– Mardi 7 octobre 2008, séance de 18 heures, compte rendu n° 4

–   Audition de M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, et de M. Michel Prada, président de l’Autorité des marchés financiers, sur la crise financière internationale

M. le président Didier Migaud : Mes chers collègues, nous accueillons M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, et M. Michel Prada, président de l’Autorité des marchés financiers, un an après la réunion au cours de laquelle avions évoqué le début, aux États-Unis, de la crise financière due aux subprimes.

Cette crise s’est depuis très sensiblement aggravée et s’est propagée, par le biais notamment de la titrisation, à l’ensemble des marchés, aboutissant aujourd’hui à une crise de confiance généralisée.

Nous souhaitons que vous vous exprimiez de la façon la plus directe sur la situation du système bancaire en Europe et en France, notamment en ce qui concerne la présence d’actifs « toxiques » dans le bilan des banques françaises, l’état des échanges interbancaires, les risques de resserrement du crédit et les menaces d’aggravation de la crise du fait des ventes à découvert et des CDS. Peut-être, Monsieur le gouverneur, nous indiquerez-vous également des pistes pour endiguer, voire prévenir ce type de crise.

M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France : Pour comprendre cette crise, il faut s’arrêter un moment sur la situation américaine.

Aux États-Unis, la crise y a connu un tournant décisif avec la faillite de Lehman Brothers, qui a provoqué une crise de confiance généralisée asséchant le marché interbancaire : les gestionnaires de fonds réduisant leurs achats de papier bancaire ou raccourcissant la durée de leurs dépôts auprès des banques, celles-ci hésitent à se prêter les unes aux autres. D’autres épisodes ont suivi, tels que le sauvetage d’AIG, compagnie d’assurance dont l’engagement dans des activités financières très exposées constituait aux yeux des autorités américaines un risque systémique. Ces inquiétudes se sont étendues aux fonds monétaires, qui ont connu aux États-Unis une baisse de leur valeur liquidative et des mouvements de retrait.

C’est cette situation qui a justifié l’adoption du plan Paulson, par lequel les autorités américaines achètent des titres supposés illiquides afin d’éliminer l’incertitude pesant sur la valeur des actifs bancaires comptabilisés selon la méthode du mark to market, et donc sur les institutions bancaires elles-mêmes. Même si ce plan est globalement positif, puisqu’il tend à stabiliser le système financier, ses modalités d’application sont aujourd’hui encore imprécises, notamment en ce qui concerne un élément aussi important que le prix d’achat de ces actifs.

En Europe, la situation est très différente, le secteur bancaire n’y étant pas surchargé d’actifs de mauvaise qualité comme aux États-Unis ; c’est principalement via leurs activités américaines que les banques européennes ont été touchées. Cependant, le fonctionnement du marché interbancaire souffre de problèmes de liquidités du même type, même s’ils sont moins graves. Malgré l’intervention des banques centrales, le secteur bancaire connaît une crispation telle qu’on en arrive à des situations absurdes : on a vu ces derniers jours des banques emprunter auprès de l’Eurosystème des facilités marginales de plusieurs dizaines de milliards d’euros pendant que d’autres banques y déposaient des excédents de liquidités deux fois plus importants. Cet exemple traduit le degré de paralysie du système bancaire.

Face à cette situation, la France et ses partenaires européens ont déclaré, à l’issue du Sommet qui s’est tenue hier à l’Élysée, qu’ils remédieront à toute défaillance du système bancaire. Tous les dépôts seront de facto garantis puisque les institutions financières seront elles-mêmes protégées, dans le respect des intérêts des contribuables. Cette solution, proposée par la présidence française et discutée aujourd’hui même par le conseil Ecofin de Luxembourg, semble gagner du terrain ; elle a déjà été appliquée par certains États, à certaines institutions bancaires, soit individuellement, soit collectivement.

La solution d’une recapitalisation via un fonds européen, sur le modèle retenu par le plan américain, a été à juste titre écartée, et ce pour trois raisons : premièrement, rassembler des crédits aussi considérables, bien supérieurs a priori aux besoins du système bancaire européen, aurait suscité des craintes inutiles ; deuxièmement, le pouvoir budgétaire relève dans notre organisation actuelle de l’État national ; troisièmement, le sauvetage de Dexia ou celui de Fortis ont prouvé que les État étaient capables d’agir rapidement et conjointement dès lors qu’il y a identité de doctrine.

Nos banques sont également exposées directement, notamment à travers les monolines, dont les risques n’étaient pas avérés il y a un an. La situation a beaucoup changé depuis, la dégradation de ces assureurs d’un type particulier entraînant des dépréciations d’actifs parfois substantielles.

En tant que président de la Commission bancaire, je conserve cependant une opinion très positive sur les banques françaises : elles sont solides et profitables, et je voudrais à ce propos rappeler quelques vérités d’évidence.

D’abord, le niveau des fonds propres « durs » détenus par nos banques est supérieur à 8 %, ce qui est extrêmement confortable.

Ensuite, elles ont continué à faire des bénéfices jusqu’à cet été, et je n’ai pas de raison de penser que cela ait fondamentalement changé depuis. Certes, avec 7 milliards d’euros, les sept premières banques ont réalisé durant le premier semestre un bénéfice moitié moindre qu’au cours du premier semestre de l’année précédente, mais ce montant traduit leur capacité à faire face à des dépréciations importantes.

En outre, nos banques sont des banques universelles, dont l’activité est répartie entre plusieurs métiers, de sorte que les pertes subies par l’activité d’investissement, par ailleurs très utile à l’économie réelle, peuvent être compensées par les autres métiers de la banque. À l’inverse, le modèle de la banque spécialisée dans l’investissement, si caractéristique des États-Unis, a volé en éclats, les banques américaines se convertissant toutes en banques universelles, soumises à la réglementation beaucoup plus stricte de la FED.

Enfin, sous l’effet de la pression que nous avons exercée sur elles ces dernières années dans la perspective de Bâle II, nos banques ont réalisé des progrès considérables en matière de contrôle des risques.

En ce qui concerne l’évolution du crédit, le diagnostic doit être équilibré. Jusqu’en août, le crédit, bien qu’un peu ralenti, restait dynamique, avec une progression supérieure à 10 % pour les entreprises et de 9 % pour les ménages. Ainsi, l’endettement net des entreprises continuait à progresser, en dépit d’une baisse très significative du nombre des titres qu’elles émettaient. Si les conditions s’étaient effectivement resserrées, on ne pouvait pas parler d’une restriction du crédit, mais plutôt d’un retour à la normale après quelques années où elles ont été extrêmement accommodantes.

À partir de septembre, en revanche, on assiste à un indéniable durcissement, même si nous ne pouvons pas encore le mesurer précisément, des conditions du crédit, tant en ce qui concerne les garanties demandées que les montants octroyés, dû en grande partie aux incertitudes des banques quant à leur refinancement. Si l’on ne peut pas parler aujourd’hui de tarissement du crédit, la situation est beaucoup plus tendue depuis la faillite de Lehman Brothers et réclame la plus grande vigilance de notre part. De ce point de vue, les mesures arrêtées par les pouvoirs publics en faveur du financement des PME me semblent extrêmement importantes.

Quant aux pistes d’avenir, j’en citerai deux.

Il conviendrait d’abord d’organiser le marché des dérivés de crédit. Certes, ce maillon important du système a jusqu’à présent assez bien résisté, l’organisation par la profession d’enchères collectives permettant de dénouer sans drame les positions ; il n’en reste pas moins que ce marché, entièrement de gré à gré, présente un risque important.

Plus généralement, et conformément aux préconisations formulées samedi dernier par les chefs d’État et de gouvernement européens, il conviendrait de repenser sans tabou l’ensemble de notre réglementation financière : le système des agences de notation, la gestion des risques, l’organisation des marchés, la question des rémunérations, celles-ci ne devant plus inciter au « court-termisme » et à la prise de risques excessifs. On pourrait par exemple envisager un code de bonne conduite des banques, dont la violation serait sanctionnée par des exigences plus sévères en termes de fonds propres.

M. Michel Prada, président de l’Autorité des marchés financiers : J’ajouterai à l’exposé de Christian Noyer le point de vue d’un régulateur de marchés, dont la capacité d’action est relativement limitée dans cette circonstance.

Cette crise, née dans des marchés non régulés des excès de la « sécuritisation », est en effet devenue une crise bancaire et, si les autorités bancaires et gouvernementales sont désormais « à la manœuvre », les marchés continuent à obéir à leur logique propre.

Le régulateur français s’est focalisé sur deux types de sujets. Il s’est d’abord penché sur le fonctionnement à court terme du marché, dont la surveillance relève de sa mission. Nous n’avons pas dans ce domaine découvert de réels dysfonctionnements.

Le 19 septembre, nous avons certes durci les conditions de la vente à découvert de titres des sociétés financières après que nos amis britanniques eurent, le 18 septembre, décrété sans concertation l’interdiction totale des ventes à découvert. Mais ce système est encadré depuis longtemps en France, et n’a jamais connu chez nous les débordements auxquels il a donné lieu aux États-Unis, notamment avec le recours massif au naked short selling – ventes à découvert sans possession de titres, qui ne sont pas autorisées dans notre pays. Par la suite, nos collègues de la zone euro se sont alignés sur notre dispositif. Mais, quelles que soient les différences de réglementation, le résultat a été à peu près identique, les banques britanniques ayant même été davantage malmenées par l’évolution des marchés.

Ce dispositif a été assorti chez nous de l’obligation de rendre publiques les positions nettes lorsqu’elles dépassent 0,25 % du capital des sociétés concernées et d’une ferme recommandation aux établissements financiers de ne pas se livrer à des prêts de titres visant à nourrir la spéculation. À ce jour, si les Britanniques ont maintenu leur décision, les Américains, qui avaient également décidé d’interdire les ventes à découvert, viennent d’annoncer que cette interdiction serait levée dans les prochains jours.

Le phénomène des ventes à découvert ne semble donc pas l’explication véritable de l’évolution des marchés, qui est restée chaotique.

Nous avons ensuite analysé la situation de la gestion collective destinée au grand public. Sur 7 000 à 8 000 fonds, seuls quatre ou cinq posent problème, conséquence, directe ou indirecte, de la faillite de Lehman Brothers, et ces difficultés sont sous notre contrôle. Nous avons examiné également la question des hedge funds, qui risquaient d’être entraînés dans la crise par la défaillance de leur prime broker. Nous avons élargi notre dispositif réglementaire afin d’étendre notre capacité d’intervention, notamment en prévoyant la possibilité de cantonner les actifs en difficulté, et nous sommes en train, avec le ministère des finances, de mettre en place des fenêtres de rachat, ou gates. Cette surveillance de la gestion collective se fait en concertation très étroite avec la profession et avec la Banque de France.

Quant à la régulation dans la durée, elle ne peut s’inscrire que dans un cadre international. Les principaux problèmes concernent le rôle des agences de notation dans la chaîne de titrisation, les normes comptables et les modalités de valorisation des actifs dans des marchés illiquides, ou encore la transparence de l’information. Nous avons, avec la Banque de France, été à l’origine de l’initiative visant, dans le cadre du Forum de stabilité financière, à encadrer la communication des banques cotées. Du point de vue de la qualité de l’information financière dispensée depuis le printemps dernier, les banques françaises se placent au premier rang.

La question de la transparence des marchés financiers est autrement plus délicate et s’inscrit dans la problématique plus large de la confiance, domaine dans lequel les banques centrales et les gouvernements jouent un rôle éminemment stratégique. Il s’agit de tout faire pour éviter que le « recalage » de l’économie financière n’ait des conséquences trop graves sur l’économie réelle via le resserrement du crédit aux entreprises.

Si les outils de régulation des marchés sont inefficaces s’agissant d’une problématique macroéconomique, la crise est cependant née du développement de la titrisation hors du champ de la régulation. Elle nous enseigne donc qu’il faut organiser, sinon la réglementation, du moins la surveillance des marchés non régulés, qui représentent de sept à neuf fois les volumes des marchés réglementés.

Ma dernière remarque sera pour déplorer l’absence de l’Europe en matière de régulation des marchés dans cette phase critique, du fait de l’extrême prudence des autorités européennes dans l’édification d’un système communautaire de régulation. Après le lancement du plan d’action des services financiers par Mario Monti et son déploiement par Frits Bolkestein, la dynamique s’est ralentie. Nous avons aujourd’hui la démonstration qu’il est nécessaire de muscler le dispositif européen de régulation, non pas en mettant en place un régulateur européen de marchés, mais en donnant au Comité européen des régulateurs des marchés des responsabilités plus étendues, une assise juridique plus forte et une capacité de coordination et d’animation plus grande.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général : Que peuvent faire les banques centrales pour rétablir le crédit interbancaire ?

A-t-on aujourd’hui une vision claire du niveau de provisions bancaires pour dépréciation d’actifs financiers ?

Pouvez-vous nous donner plus d’informations sur le financement des PME via des instruments tels qu’OSEO, la Caisse des dépôts, ou la mise à la disposition des banques des livrets de développement durable ? Enfin, comment enfin éviter que les assurances répétées des autorités publiques concernant la garantie des dépôts ne finissent par alimenter l’anxiété ?

M. Christian Noyer : Quant au crédit interbancaire, il est menacé par la crainte des banques de manquer de liquidités. Les banques doivent donc pouvoir se refinancer auprès des banques centrales, notamment via la mobilisation de garanties collatérales. Depuis l’origine, l’Eurosystème, qui s’est construit par l’agrégation des politiques des différentes banques centrales nationales, accepte un collatéral très large. Nous disposons également d’un dispositif d’opérations de refinancement à terme, héritage du système allemand. La FED, la banque d’Angleterre et beaucoup d’autres banques centrales se sont progressivement rapprochées du modèle européen en la matière.

Si le volume des liquidités que nous avons injectées dans le système bancaire ne s’est pas sensiblement accru depuis un an, variant de 400 à 600 milliards d’euros, nous en avons complètement modifié la répartition : alors qu’elle était avant la crise d’un tiers pour les opérations à long terme et de deux tiers pour les opérations à une semaine, plus des deux tiers reviennent aujourd’hui aux opérations à terme, qui ont en outre été diversifiées puisqu’elles comptent désormais des opérations à un mois et à six mois. De plus, nous continuons d’octroyer aux banques des facilités marginales d’emprunt.

Face à la dégradation du système bancaire, nous examinons la possibilité d’élargir encore le collatéral – ce qui pose de complexes problèmes juridiques – et, plus largement, celle de donner aux banques une plus grande assurance.

À votre question concernant le niveau de provisions, je réponds par l’affirmative. Ayant procédé à toutes les vérifications et inspections, nous connaissons tous les actifs des grands groupes bancaires français, la réalité de leurs créances et le niveau de leurs provisions : celles-ci couvrent bien les dépréciations d’actifs. Le caractère progressif de certaines dépréciations est dû à l’application de modèles comptables qui s’appuient sur des valeurs de marché de plus en plus affectées.

Les sept grandes banques françaises ont inscrit 18,4 milliards d’euros de dépréciations, soit 11 % des fonds propres de base, qui ont été absorbés par une partie des bénéfices. Ce chiffre est à comparer aux 150 milliards d’euros inscrits par les dix premières banques américaines, soit 44 % de leurs fonds propres de base, aux 40 milliards d’euros inscrits par les cinq principales banques du Royaume-Uni, soit 19 % de leurs fonds propres de base, aux 37 milliards d’euros inscrits par les deux premières banques suisses, soit 44 % de leurs fonds propres de base et, enfin, aux 32 milliards d’euros de dépréciations inscrits par les cinq premières banques allemandes, soit 46 % de leurs fonds propres de base.

En ce qui concerne le financement des PME, les banques ont envie de financer ces clients fidèles et seule la peur de ne pas pouvoir se refinancer peut les en dissuader. C’est pourquoi la solution du Gouvernement est excellente : elles ont tout intérêt à respecter la demande qui leur est faite de prêter aux PME les dépôts auxquels elles auront ainsi accès. L’intervention d’OSEO présente en outre l’avantage de réduire les risques encourus par les banques, notamment en matière de financement des PME innovantes.

Sur le plan de la communication de crise, je pense que la garantie des dépôts bancaires est anxiogène en ce qu’elle insinue dans l’esprit du public l’idée de la faillite. Se pose également la question du niveau de la garantie et de ce qu’elle recouvre, d’où une angoisse supplémentaire. L’État irlandais s’est engagé à garantir tous les dépôts, ce qui revient à garantir plus de deux fois le PIB irlandais : on peut s’interroger sur la crédibilité d’une telle promesse, qui peut être génératrice de nouvelles inquiétudes. Par ailleurs, les banques des autres pays européens pourraient en souffrir. Mais garantir tout le passif de toutes les banques risquerait de créer une prime à la mauvaise gestion.

Voilà pourquoi la proposition du Président de la République, à laquelle les autres pays européens semblent devoir se rallier, quand ils ne l’appliquent pas déjà, est à mes yeux la seule solution : il s’agit d’affirmer qu’on ne laissera pas tomber les banques en cas de problèmes, et que la mise en œuvre de cette garantie supposera une pénalisation des actionnaires, un changement des équipes de direction, voire une restructuration de l’établissement.

En tant que Gouverneur de la Banque de France, je peux affirmer la bonne santé des banques françaises et la pertinence de la solution gouvernementale dans l’hypothèse, invraisemblable, où il se passerait quelque chose. Je reconnais cependant que l’équilibre entre le trop et le pas assez est très difficile à trouver : si l’on n’en dit pas assez, on ne répond pas à l’inquiétude, et si l’on en dit trop, on entretient l’inquiétude.

M. Jérôme Cahuzac : Je me réjouis de la qualité de cette audition, qui contribuera sans doute à rétablir la confiance.

Il y a une dizaine d’années, monsieur le gouverneur, l’AFB proposait aux membres de la commission des finances de bénéficier de formations dispensées par des professionnels. J’ai fait partie des premiers et vous des seconds. Je vous avais demandé à l’époque si la configuration du secteur bancaire en France vous paraissait adaptée aux besoins du pays. Vous estimiez que oui, tout en redoutant une concentration à laquelle la crise actuelle risque pourtant de conduire, comme on le voit avec la BNP et Fortis ou la Caisse d’épargne et la Banque populaire. Si vous persistez à penser que cette concentration est préjudiciable au financement de notre économie, que pouvez-vous faire pour l’éviter ?

Les trois arguments que vous avez développés contre la création d’un fonds européen sont très convaincants. Il me semble toutefois que certains responsables gouvernementaux avaient émis cette hypothèse. Savez-vous ce qui a pu les convaincre d’avancer cette proposition, qui a heureusement été rejetée ?

La Banque postale aurait vu affluer ces derniers jours – en raison, pour certains, de son statut de banque publique bénéficiant de la garantie d’État – nombre de capitaux. Pouvez-vous nous confirmer que des mouvements importants ont eu lieu au profit de cet établissement ?

Je « vole » la question suivante à Jean-Pierre Balligand : avez-vous les moyens de vérifier que le produit des livrets de développement durable, qui bénéficient de mesures de défiscalisation, va bien à l’aide au crédit aux PME ? Selon les chiffres que M. Balligand a obtenus de la ministre de l’économie, 52 % seulement seraient utilisés conformément à leur destination. Confirmez-vous ce chiffre ? Avez-vous les moyens de contraindre les établissements bancaires à affecter cette épargne à ce pour quoi elle est collectée ?

M. Christian Noyer : En ce qui concerne la concentration du secteur bancaire, je continue à penser qu’il faut une concurrence forte, mais celle-ci se fait désormais à l’échelle de la zone euro. La capacité à s’appuyer sur plusieurs marchés nationaux et à « croiser » différents métiers et différents types de clientèle sont des facteurs de résistance.

Vous avez évoqué le rachat d’une partie des activités de Fortis par le groupe BNP Paribas. Avoir une activité de banque de détail non seulement en France, mais aussi en Italie, en Belgique et au Luxembourg, est un facteur de solidité. Avoir une activité de prêt aux entreprises non seulement en France, mais aussi en Italie, en Belgique et dans les pays de l’Est, est également un facteur de solidité. Il en va de même pour le projet de rapprochement entre le réseau des caisses d’épargne et celui des banques populaires. Je n’en dirais bien sûr pas autant d’un projet de fusion entre les quatre premiers groupes bancaires français ! Il est en effet très important pour les chefs d’entreprise d’avoir plusieurs interlocuteurs capables de les accompagner sur des opérations importantes. Tout est question d’équilibre. Quoi qu’il en soit, la recomposition du secteur bancaire est en marche, et il est très rassurant que des groupes français figurent parmi ceux qui sont à la manœuvre.

L’idée du fonds européen est venue, je crois, du gouvernement néerlandais. Il s’agissait, dans la mesure où l’on s’orientait vers une intervention des États pour soutenir les banques, que chaque État crée un fonds où il s’engage à mettre un certain pourcentage de son PIB, ce qui rendrait possible des interventions conjointes – bref, un plan européen. L’inconvénient majeur est de laisser penser qu’il existe des problèmes considérables qui ne sont pas révélés. Les rumeurs avaient fait état de 3 % du PIB et de 300 milliards d’euros : il n’en fallait pas plus pour que l’on évoque 300 milliards de pertes ! L’idée étant anxiogène, le Président de la République a proposé à ses partenaires de l’écarter.

La Banque postale n’a pas d’activité internationale et reste une banque de dépôt classique. Son statut public a peut-être une image rassurante. Mais les mouvements de capitaux que vous avez évoqués s’expliquent surtout par l’afflux de fonds sur le livret A, dont la rémunération est devenue très attractive par rapport aux autres produits. Le Codevi et les autres livrets d’épargne ont d’ailleurs eux aussi bénéficié de cet engouement. Les liquidités très abondantes de la Caisse des dépôts ont permis de diminuer le taux de centralisation du LDD et du Codevi.

J’en viens à la dévolution des fonds du LDD aux PME. D’une façon générale et sous réserve de vérification, le financement des PME par les banques est supérieur au montant collecté sur le LDD après la réduction du taux de centralisation. Cet argent est donc bien consacré au crédit aux PME. Le ministère des finances s’assure par sondages que les banques respectent bien les critères fixés. Nous pourrions le faire aussi, mais sans doute pas en ce moment. Cela étant, je ne suis pas inquiet. Il est important que la vérification soit faite, mais je m’étonne un peu du chiffre de 52 %. Il faudrait savoir comment il a été calculé.

M. Jean-Pierre Balligand : C’est le chiffre que Mme Lagarde m’a donné.

M. Christian Noyer : Il a dû être calculé par l’Inspection générale des finances, mais il me faudrait des éléments plus précis pour répondre à votre question.

M. Jérôme Cahuzac : Disposez-vous de moyens de contrainte pour garantir, le cas échéant, que ces fonds servent bien aux PME ?

M. Christian Noyer : Le ministère des finances dispose en effet de tels moyens. Si la période était plus calme, nous pourrions nous aussi procéder à cette vérification.

M. Pierre-Alain Muet : La Banque centrale peut-elle percevoir, à travers ses opérations de refinancement, que l’on risque de passer d’une crise de liquidités à une crise de solvabilité ?

Ma deuxième question porte sur la séparation entre banque de dépôt et banque d’investissement. Je connais l’argument selon lequel nos banques, parce qu’elles sont universelles, sont plus prudentes que celles qui se cantonnent à des activités d’investissement. La séparation qui prévalait aux États-Unis avait cependant sa cohérence : l’État se devait de garantir une banque de dépôt, qui remplit une mission de service public, mais pouvait accepter la faillite d’une banque d’investissement, qui est une entreprise comme une autre. Certes, une telle séparation n’est pas envisageable en Europe. Mais ne faut-il pas traiter différemment les banques qui sont principalement des banques de dépôt et celles qui prennent un peu plus de risques ?

La crise actuelle est venue pour une bonne part de la titrisation – celui qui accorde le crédit s’en défausse assez rapidement en émettant des titres, le risque étant alors disséminé. Peut-on faire en sorte, dans un monde globalisé, que celui qui accorde le crédit initial supporte l’essentiel du risque ?

Les accords de Bâle II n’ont pas été complètement mis en œuvre. S’ils l’avaient été, ce qui aurait notamment conduit à réintégrer la titrisation dans le bilan des banques, les comportements auraient-ils significativement changé ?

Peut-on étendre la régulation bancaire aux institutions non bancaires émettant des crédits – je pense aux hedge funds, mais aussi à beaucoup d’autres ? Ce sont en effet le plus souvent les institutions non bancaires qui sont à l’origine des crises.

M. Christian Noyer : Si la crise de liquidités ne trouve pas de réponse, l’incident survient, et c’est alors que l’on passe à une crise de solvabilité. Mais, s’il y a une leçon que je tire de la crise, c’est qu’il est essentiel que la mission de supervision bancaire soit confiée à la Banque centrale, fût-elle appuyée sur une commission où l’État est présent, comme c’est le cas en France. Nous sommes ainsi à même, à tout moment, de « croiser » les informations avec la certitude que nous les avons toutes. Des drames et des faillites se sont produits dans des pays voisins parce que les informations n’avaient pu être « croisées » à temps et que la banque centrale n’en disposait pas. Aux États-Unis, les responsabilités de supervision bancaire tendent à repasser plus largement à la FED depuis la crise. Le croisement des informations sur la liquidité et sur la solvabilité est en effet le meilleur antidote aux drames.

La séparation entre banques commerciales et banques d’investissement ne fonctionne plus, comme l’a démontré le cas de Lehman Brothers, banque d’investissement qui n’était pas soumise aux mêmes réglementations que les banques de dépôt et qui échappait à la surveillance de la FED. Depuis, les banques d’investissement se sont toutes transformées en holding companies et sont passées sous la supervision de la FED. Quant aux banques commerciales, elles semblent plus solides dans la mesure où elles sont largement financées par les dépôts. Ma conviction est donc qu’une banque universelle est plus solide.

Peut-on faire porter l’essentiel du risque sur le prêteur de départ ? Cette question est en cours d’examen sur le plan du principe, mais y répondre n’est pas facile car le risque peut être neutralisé par l’assurance ou la garantie, ce qui peut donner l’illusion qu’on a maintenu une partie du risque sur lui.

À l’avenir, la titrisation sera de toute façon différente de celle que nous avons connue jusqu’à présent : elle se fera sur des produits plus simples, plus homogènes et plus transparents. C’est en effet parce qu’on a élaboré des produits très complexes et très opaques que la crise de confiance est survenue. Je pense que le marché va discipliner tout cela.

Mais la vraie réponse, vous l’avez dit, se trouve sans doute dans l’extension de la réglementation à toutes les institutions faisant du crédit – en mettant à part les hedge funds, puisqu’il ne s’agit pas là d’opérations de crédit, mais de marché. Le drame des subprimes s’est noué parce que le modèle de réglementation bancaire américain était moins bon que le modèle européen. Qu’est-ce en effet que les subprimes, sinon du crédit distribué par des courtiers en dehors de toute réglementation et de toute surveillance, puis mis en place par des banques d’investissement échappant à la réglementation bancaire et employant des conduits, c’est-à-dire des instruments de type OPCVM, non réglementés et non surveillés ? Cette crise n’aurait pas pu arriver en France, où tous ceux qui font du crédit sont soumis à la réglementation bancaire européenne. L’Europe peut être fière de son modèle de réglementation bancaire ; elle pourrait le proposer au reste du monde, en particulier aux États-Unis.

Vous avez évoqué Bâle II et la comptabilité. Oui, il y a une différence entre les normes comptables appliquées en Europe et celles appliquées aux États-Unis. En Europe, les entités de type conduit qui sont « sponsorisées » par une banque doivent en principe être consolidées dans les comptes consolidés. Le risque pris est donc intégré. Dans les comptes « à l’américaine », ils ne sont pas consolidés en l’absence de participation au capital. Il faudra harmoniser tout cela. Les accords de Bâle II permettent par ailleurs de prendre en compte une garantie de fait. Leur mise en œuvre aurait donc réduit les risques de la crise actuelle.

M. Yves Deniaud : Nous avons un peu vécu, durant toutes ces années, sous la dictature des agences de notation américaines. Or elles n’ont pas vu venir la crise des subprimes ! Qui nous dit que cet outil, sur lequel on devrait pouvoir compter pour alerter sur la mauvaise qualité d’une institution de crédit, ne faillira pas à nouveau ? Ne doit-il pas se réformer ?

Pour briser le monopole des agences américaines, on avait un temps évoqué la création d’une agence de notation européenne. Serait-ce utile pour prévenir les crises ?

M Michel Prada : On ne peut répondre hic et nunc à cette question. Entre 1995 et 2000, nous avons voulu initier un processus de surveillance des agences de notation. Nos amis américains ne se sont pas prêtés à cette démarche. Après les affaires Enron et WorldCom, notre organisation mondiale, l’OICV, s’est enfin penchée sur le sujet. Elle a conçu un premier code de conduite, qui ne portait que sur la fonction classique des agences, la notation des émissions obligataires des grands émetteurs. On n’a pas vu assez tôt que les agences avaient développé à partir de 2003-2004, dans des conditions critiquables, une nouvelle activité, la notation des produits structurés, ceux-là mêmes qui sont à l’origine des difficultés actuelles. L’AMF a été la première institution à poser le problème en 2005. Elle y a d’ailleurs consacré son rapport 2006 sur les agences de notation.

Le code de conduite de 2004 a été complété en mai dernier pour traiter spécifiquement de la problématique des produits structurés. Cela ne résout cependant pas tous les problèmes. Il n’existe toujours pas de véritable surveillance des agences de notation, qui entretiennent une relation ambiguë avec leurs opérateurs.

Deux pistes sont aujourd’hui explorées : la première consiste à constituer un dispositif de surveillance mondial en s’appuyant sur le code de conduite, la seconde à faire de même au niveau européen. Des discussions ont été ouvertes à cet effet à l’initiative de la Commission européenne. Je pense pour ma part que les agences devraient être surveillées de manière globale par le Comité européen des régulateurs de marché, en coopération avec le Comité des régulateurs bancaires et peut-être celui des régulateurs d’assurances, la surveillance au quotidien relevant des régulateurs nationaux.

Il existe trois grandes agences, dont l’une, je le rappelle, a des capitaux européens même si son siège est aux États-Unis. Il y en a désormais ailleurs qu’aux États-Unis – au Canada, au Japon –, mais nous restons en présence d’un oligopole. La difficulté est que la profession n’est pas organisée. Il faudrait qu’elle le soit pour pouvoir construire un vrai dialogue avec les régulateurs. Cela prendra du temps, mais c’est désormais une hypothèse crédible.

M. Jean-Yves Cousin : Vous avez évoqué le rôle objectif des provisions dans le déroulement de la crise, monsieur le gouverneur. Y a-t-il des conclusions à en tirer pour les normes comptables ?

M. Christian Noyer : Il ne faut pas récuser le principe de la valeur de marché, mais c’est de la folie de le pousser à l’extrême. L’AMF et la Banque de France ont mené ce combat, avec beaucoup de leurs partenaires européens, contre les « ayatollahs » des normes comptables dites fair value, qui rêvent de les étendre, y compris aux capitaux propres. Cela aurait par exemple pour conséquence que, lorsque le prix de vos obligations baisse et que leur taux augmente parce que vous êtes en difficulté, votre passif baisse et vous dégagez un profit… jusqu’au moment de la faillite ! Bref, on arriverait à un résultat absurde. Nous avons donc résisté à ce mouvement qui avait gagné l’IASB. La Commission européenne avait malheureusement commencé par se plier à ses décisions. Nous n’avons cependant pas été jusqu’au bout.

La crise a ensuite montré que la valorisation à la valeur de marché ne fonctionne que lorsqu’il y a un marché. Quand celui-ci disparaît, on ne peut valoriser que sur la base de valeurs de référence qui sont difficiles à fixer s’il n’y a que des « ventes à la casse ». L’une des pistes qui pourrait être mise en œuvre d’ici à la fin du mois consiste à autoriser les banques à opérer des transferts de portefeuilles. Puisqu’elles garderont jusqu’au bout des actifs aujourd’hui considérés comme invendables et qui sont valorisés à la valeur de marché, il faut leur permettre de les transférer dans des portefeuilles où ils ne seront plus valorisés en valeur de marché. À l’avenir, nous devrons être beaucoup plus restrictifs sur le contenu des portefeuilles valorisés en valeur de marché, très prisés jusqu’alors puisque cette valeur montait.

M. Michel Prada : Le monde est en train de changer. Nous avons connu une période où le dialogue était très difficile, la thèse selon laquelle il fallait être plus modéré dans l’utilisation de la théorie de la full fair value étant combattue par des acteurs très importants
– les banques d’investissement, mais aussi les régulateurs américain et britannique. La crise les a conduits à changer de position. La SEC a ainsi publié il y a quelques jours une interprétation des règles du FASB conforme à ce que nous souhaitions depuis longtemps et sur laquelle l’IASB vient de s’aligner. C’est donc une approche plus raisonnable qui devrait désormais prévaloir, la valeur de marché restant tout de même la référence la plus pertinente dans une économie de marché, pourvu qu’il y ait un marché.

M. Charles de Courson : On parle beaucoup des banques, monsieur le gouverneur, mais peu des assurances. Or beaucoup de sociétés d’assurances ont investi leurs réserves en valeurs mobilières ou immobilières. Une partie d’entre elles ne respectent donc plus leurs ratios aujourd’hui. Quelle est votre analyse à cet égard ?

M. Christian Noyer : N’étant pas le régulateur, je ne peux vous répondre complètement. Il me semble néanmoins que la structure des risques n’est pas identique : pour l’assurance, le principal risque est au passif ; pour la banque, c’est un risque de crédit, qui est à l’actif. On retrouve cependant la question de la valorisation, qui devrait encore plus, en matière d’assurance, être cohérente avec l’horizon de placement : si les méthodes de valorisation des fonds qui doivent être investis à long terme créent une volatilité comparable à celle d’un fonds investi à court terme, on donne une image fausse.

M. Michel Prada : Ces débats complexes seront tranchés dans le cadre de la directive Solvency II. En tant que régulateur de marché, nous redoutons les conséquences d’une comptabilisation conduisant à une vision « court termiste », à savoir une réduction des emplois des compagnies d’assurances dans les placements longs. Or l’un des enjeux aujourd’hui est d’arriver à allonger le terme des placements et à reconstituer un marché d’actions plus significatif.

M. Charles de Courson : Je pense que les assurances vont rencontrer le même problème de solvabilité que les banques. Je connais déjà beaucoup de petites mutuelles qui n’arrivent plus à respecter leurs normes.

Ma deuxième question s’adresse plutôt au président de l’AMF : ne faudrait-il pas prendre des mesures temporaires pour briser la spéculation ? Après les spéculateurs à la hausse, nous avons aujourd’hui les spéculateurs à la baisse. Faut-il vraiment continuer à autoriser la spéculation à découvert à 100 % ?

M. Michel Prada : Nous sommes peu favorables à l’idée d’intervenir dans le fonctionnement normal du marché. J’ai évoqué tout à l’heure la position que nous avons prise sur les ventes à découvert. Nous avons considéré que c’était la vente à découvert à nu – on passe un ordre à terme sans posséder le titre – qui était dangereuse, dans la mesure où elle peut conduire à négocier un volume de titres supérieur au montant des titres émis. Nous avons donc estimé que les ventes à découvert devaient être sécurisées ab initio par l’emprunt, et à 100 %, règle différente de celle qui prévalait aux États-Unis. Dès lors, la vente à découvert présente un certain nombre d’avantages et peu de risques. L’expérience montre que les interventions du régulateur pour arrêter le marché sont en général dommageables.

M. Charles de Courson : L’idée serait ici d’imposer un dépôt de garantie de 5 % ou 10 %.

M. Michel Prada : Là, vous êtes à 100 % : vous devez avoir le titre lorsque vous passez l’ordre à découvert.

M. Charles de Courson : Il y a aussi le marché des matières premières…

M. Michel Prada : Je parle ici de la vente à découvert sur les titres. Je constate que les différences de réglementation entre pays n’ont pas conduit à modifier les mouvements des marchés. Ce sont les fondamentaux qui créent les marchés. Le régulateur de marché ne peut pas intervenir sur les anticipations des agents économiques, si ce n’est pour s’assurer que l’information est correcte.

Les marchés des matières premières sont un peu différents, monsieur de Courson. Nous intervenons cependant peu, car ils sont pour l’essentiel aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Mais il est vrai que se pose la question de la bonne constitution des garanties données par les opérateurs.

M. Charles de Courson : Un marché ne peut fonctionner sans un minimum de transparence. Or les produits ne font l’objet d’aucune classification selon ce critère. Ne faudrait-il pas que les autorités de régulation des marchés donnent des notes de transparence aux produits comme les Sicav de Sicav ?

M. Michel Prada : Je ne retiendrai pas cette distinction. Il y a, d’une part, les produits qui sont régulés sur des marchés organisés ou réglementés et, d’autre part, les produits de nature contractuelle, qui s’échangent sur des marchés de gré à gré. Le procès que vous faites doit être fait aux marchés de gré à gré : il n’y a pas de défaut de transparence sur les autres. Le problème s’est posé sur les produits de taux et de dérivés, dont la masse s’est développée en dehors des marchés réglementés et organisés.

Il y a eu deux écoles dans le débat sur la transparence : la nôtre défendait au moins une transparence post-marché sur les marchés de gré à gré, mais d’autres estimaient qu’il s’agissait de marchés entre professionnels auxquels la transparence n’était pas nécessaire. La crise a démontré que notre thèse était la bonne, et elle est en train de gagner.

M. Gérard Rameix, secrétaire général de l’Autorité des marchés financiers : Dans le cas d’un fonds agissant en direct, Sicav ou FCP, la notice décrit assez bien les investissements possibles, même si des gérants ont pu se tromper. En ce qui concerne les fonds de fonds – ou fonds au carré, les fonds au cube étant interdits – nous avons autorisé, avec parcimonie, des fonds de hedge funds, sous certaines conditions et selon certains critères, qui figurent dans la notice. La transparence est donc assez bonne. Nous exigeons un panachage de différents styles de gestion. le problème le plus sérieux que nous ayons rencontré est celui des produits se présentant comme des sortes d’obligations alors qu’ils sont très complexes, et donc fragiles.

M. Michel Prada : Ces produits ont perdu leur identité de produits longs par le jeu de la titrisation. Ils ont été refinancés à court terme par des banques non régulées, qui n’en faisaient pas moins de la transformation. Ces conduits, dans lesquels on a logé les produits titrisés, sont allés ensuite sur le marché lever du papier commercial à court terme. Nous devons donc reprendre les choses en main, mais il est vrai que tout cela s’est fait essentiellement aux États-Unis.

M. Charles de Courson : Personne n’ose poser cette question : à quoi servent les agences de notation ? Personnellement, je ne vois pas ! Je les ai vues pratiquer : ce n’est pas en venant déjeuner avec vous et en vous faisant payer qu’elles peuvent apprécier la réalité du risque ! Je trouve donc leur activité perverse : elles donnent à penser qu’il y a une sécurité là où il n’y en a pas. Si l’on maintient ces agences, il faut poser la question de leur responsabilité. N’ont-elles pas donné des triples A à des structures défaillantes ?

M. Michel Prada : Je ne vous suis pas complètement. L’agence de notation est à l’origine une entité qui exprime librement une opinion à la demande d’un émetteur.

M. Charles de Courson : Elle est payée par l’émetteur !

M. Michel Prada : Certes, mais ce n’est pas interdit ! Les agences ont longtemps rempli correctement leur mission sur les émissions classiques : leurs jugements se sont révélés assez justes sur le positionnement relatif des dettes. Il a fallu de grands scandales, provoqués par des fraudes, ou des changements de paradigme pour qu’elles soient prises en défaut.

Elles ont ensuite fait un deuxième métier, consistant à donner des notes à des produits complexes alors qu’elles étaient impliquées dans leur process de fabrication, et dans des conditions qui ne permettaient aucun contrôle public – ce qui n’est pas le cas lorsqu’on note une obligation émise, par exemple, par une grande entreprise automobile ou pétrolière.

Les agences se défendent en disant qu’elles n’ont pas noté la liquidité des produits complexes, mais la probabilité de défaut à l’échéance. Le paradoxe est que pour un certain nombre de produits dont la valeur s’est effondrée, le coupon continue d’être payé !

La responsabilité des agences est donc la même que celle d’un journaliste qui donne un conseil.

M. Charles de Courson : Zéro ?

M. Gérard Rameix : Les agences sont des émetteurs d’opinion, mais leur responsabilité « civile » est en effet très faible. C’est d’ailleurs leur thèse. Leur responsabilité est donc quasiment impossible à mettre en cause, à moins de démontrer une intention de nuire. Nous avions publié il y a un an et demi une étude démontrant que la moitié du chiffre d’affaires de certaines agences provenait soudain des produits structurés sur lesquels elles ne faisaient aucun chiffre d’affaires il y a quelques années.

Pour pouvoir mettre les agences en cause, il faudrait qu’elles aient une mission qui les rende acteurs du marché régulé, et donc responsables. Or cela n’a pas encore été fait.

M. Charles de Courson : Pourquoi ne pas le faire, pour les « tuer » en France ?

M. Gérard Rameix : Nous ne pouvons pas nous isoler ainsi !

M. Charles de Courson : Nous ne nous en porterions que mieux !

M. Nicolas Perruchot : Monsieur le gouverneur, ma question concerne les CDS.

Selon la BRI, l’encours de ces contrats financiers, équivalant à des contrats d’assurance contre la défaillance d’une entreprise, s’élèverait à 62 000 milliards de dollars. Les banques françaises ont-elles acheté ce type de protection ? Dans l’affirmative, à quel niveau estimez-vous l’encours ?

La note que vous nous avez remise se conclut ainsi : « Pour l’instant, les intervenants tentent tant bien que mal de retrouver leurs fonds et de se re-protéger, mais il faudra cependant encore plusieurs semaines pour tirer le bilan des dénouements en cours. » Est-ce à dire qu’il y aura une deuxième vague de difficultés ?

M. le président Didier Migaud : Voulez-vous en effet préciser votre appréciation de cette situation.

Vous dites que l’encours des CDS dépasse celui du marché des dérivés actions, mais qu’il reste inférieur à celui des dérivés de taux d’intérêt. Peut-on avoir une idée de ces différents encours ? Quelle est la vulnérabilité de ces marchés ?

M. Michel Prada : Ne nous faisons pas peur ! Le total notionnel des dérivés de toute nature s’élève à 600 trillions, mais on additionne là des opérations qui se compensent largement les unes les autres.

Les mécanismes d’assurance et de couverture sont légitimes. Leur fonctionnement est encadré par des conventions élaborées par les professionnels. Si les opérateurs ont bien géré ces produits, il n’y aucune raison que cela ne fonctionne pas normalement. Ce qui est en cause, c’est en fait l’impact des produits toxiques de base qui ont pollué le produit final par le jeu des transformations successives. À ce stade, il me semble que ce qui se passe depuis un an devrait avoir en partie purgé le système. J’observe au passage que les 700 milliards du plan Paulson sont revolving : si ces produits sont achetés et revendus, l’effet de levier sera encore plus important.

M. Christian Noyer : En ce qui concerne les CDS, la note indique simplement que les événements récents ont créé une situation dans laquelle beaucoup de choses ont dû être dénouées. Cela semble se passer assez bien. Il ne s’agit pas d’une alerte !

Le marché des CDS est un cas typique de l’absence préjudiciable de transparence post marché. Même s’ils ont sans doute été trop utilisés, les CDS ne sont pas un mauvais instrument. Mais ne pas voir les risques finaux qui sont couverts pose indéniablement problème. Les régulateurs et le secteur privé sont maintenant d’accord pour faire des efforts de transparence, et j’ai bon espoir qu’ils puissent aboutir en 2009.

M. Gérard Rameix : Autre raison d’être optimiste : chaque grande banque française a expliqué en détail – c’est disponible sur Internet – les provisions qu’elle a à passer sur ses achats et sur ses ventes de protections. Le socle est donc solide. La véritable interrogation porte sur le « netting », la compensation que personne n’est capable de calculer : autrement dit, personne ne sait où sont ces trillions ni comment ils se compensent. Mais nous considérons que c’est assez bien piloté ex post.

M. le président Didier Migaud : Monsieur le gouverneur, Monsieur le président, Monsieur le secrétaire général, je vous remercie pour cette passionnante audition.

——fpfp——

15.– Mercredi 8 octobre 2008, séance de 18 heures 30, compte rendu n° 9

–   Audition de M. Georges Pauget, directeur général du Crédit agricole, président de la Fédération bancaire française, sur la crise financière internationale

M. le président Didier Migaud. C’est à un double titre que nous accueillons M. Georges Pauget dans le cadre des auditions que nous organisons sur la crise financière et ses conséquences, puisqu’il est directeur général du Crédit agricole SA et président de la Fédération bancaire française.

La Commission des finances s’efforce, d’une part, d’évaluer les différents dispositifs de réponse immédiate devant permettre de restaurer la confiance qui fait actuellement défaut entre les établissements bancaires et auprès des épargnants et des déposants et, d’autre part, de dégager les projets de réforme susceptibles d’être portés au niveau européen, notamment par les régulateurs français. Nous souhaitons à la fois comprendre et contribuer à des propositions tant à court qu’à moyen terme.

M. Georges Pauget, directeur général du Crédit agricole, président de la Fédération bancaire française. Eu égard à sa taille et à sa diversification, le Crédit agricole a été touché par la crise via sa filiale Calyon, spécialisée dans l’activité de banque de financement et d’investissement. Elle se livrait à des activités « industrielles » qui consistaient à acheter différents types d’actifs, à les découper avant de les assembler de façon à constituer de nouvelles catégories d’actifs présentant un couple risque-rendement identifié. C’est ce qu’on appelle dans le jargon des banquiers le cash CDO. Nous ne gardions que très peu des supports achetés puisque l’essentiel était destiné à des investisseurs institutionnels, des asset managers.

Depuis le mois de mars 2007, nous sommes dans une situation comparable à celle d’une usine dont l’encours de fabrication est gelé car le marché a disparu. La valeur de ce stock est recalculée trimestre après trimestre en fonction des indices de marché, et désormais d’un principe de mark to model, méthode consistant à déterminer autant que faire se peut une valeur de marché. Nous étions deux grands acteurs en France à avoir développé cette activité. Il s’agissait de fabriquer des produits de placement dégageant un rendement correct. Comme les taux étaient extrêmement bas, il fallait le « doper » en combinant, en proportion variable, des actifs représentant des financements de logements classiques pour partie aux États-Unis, et des subprimes. Nous vendions très vite les titres les plus risqués, mais nous conservions des actifs peu et moyennement risqués pour les vendre au fur et à mesure. Ayant cessé cette activité depuis février 2007, nous avons très peu d’actifs moyennement risqués – les « mezzanines » – mais des actifs que l’on appelle super-seniors classés alors triple A, que des assureurs, eux-mêmes classés triple A, nous garantissaient, afin de limiter encore le risque de bilan. Nous avions donc, jusqu’à la crise de 2007, toutes les raisons de croire que nous avions des actifs de très bonne qualité. Aujourd’hui, ces actifs sont dépréciés de 50 % et les garanties reçues de plus de 70 %. C’est cette seule activité qui est la cause des principales dépréciations constatées dans notre bilan.

Après avoir pris acte des évolutions du marché, nous avons restructuré notre filiale et les activités présentant un profil de risque comparable, de façon à réduire les risques, tout en procédant à une augmentation de capital pour consolider la situation financière du groupe. De la sorte, le ratio de fonds propres, dit tier one, est supérieur à 8 %, de l’ordre de 8,5 %, et notre liquidité, d’après mes informations, est l’une des meilleures des banques françaises. Depuis le début de la crise, nous n’avons pas connu, de près ou de loin, de crise de liquidités, ni dans nos SICAV, ni dans notre activité bancaire. S’agissant de la gestion pour compte de tiers – c'est-à-dire les SICAV et les compagnies d’assurance –, nous avions décidé de n’avoir aucun actif américain. Nous en procurions seulement aux investisseurs avertis qui voulaient ce type de produit.

Quant aux résultats, après l’impact de la crise de 2 milliards d’impôt, le Crédit agricole SA a dégagé un bénéfice de 4 milliards en 2007 et le groupe un peu plus de 6 milliards. Pour le premier semestre 2008, nous en étions respectivement à environ 1 milliard et 1,6 milliard, la crise ayant pesé à hauteur de 1 milliard. Bien que nous ayons mené une politique de provisionnement extrêmement prudente, notre capacité bénéficiaire a été constamment démontrée.

Pour en venir à la crise financière, l’objectif de la Fédération bancaire française et des grands établissements est de maintenir la confiance dans le système bancaire français.

Quelques points méritent d’être mis en évidence.

Premièrement, la crise est d’origine américaine, avec des répercussions en Europe. L’oublier, c’est risquer de faire à mauvais escient l’amalgame entre la situation des établissements américains et celle des établissements européens. Deuxièmement, le point de départ est un risque de crédit dans une activité non régulée, c'est-à-dire hors de tout système de contrôle. Troisièmement, aux États-Unis toujours, il faut souligner la multiplicité des régulateurs, en particulier la Federal Reserve Bank et la Securities and Exchange Commission. Selon que les établissements étaient du ressort de la première ou de la seconde, l’effet de levier de l’activité titrisée variait du simple au double, ce qui explique que les établissements ayant décidé de passer du contrôle de la seconde à celui de la première ont dû soit réduire leur activité, soit augmenter leur capital. La diversité des situations est un paramètre important.

Le degré d’implication des banques est plus élevé aux États-Unis, ce qui explique que soient touchées non seulement les grandes maisons de Wall Street, mais également la plupart des banques régionales. Le système de garantie des dépôts, le FDIC, a dû intervenir dans une dizaine de cas et des restructurations ont eu lieu pour adosser des banques d’investissement à des banques de dépôt. Les établissements de l’Eurozone ne sont pas dans la même situation même s’ils sont touchés à la mesure de leur développement aux États-Unis. L’impact est réel, mais le plus souvent limité : il fragilise les banques, anglaises et suisses en particulier. Autrement dit, les problématiques de la crise ne sont pas comparables en Europe et aux États-Unis. C’est la raison pour laquelle les mesures mises en œuvre outre-Atlantique ne sont pas nécessairement adaptées ici, indépendamment des différences juridiques et réglementaires

La vraie difficulté consiste à donner un prix à ces actifs qualifiés aujourd'hui de « toxiques ». Ce sont des produits complexes, pour lesquels il n’existe pas de marché. De ce fait, les systèmes comptables fondés sur la valeur de marché, le principe du mark to market, ont été un facteur d’accélération de la crise. Les incertitudes, fortes parfois, pesant sur certains postes du bilan qui se dépréciaient à chaque arrêté, ont provoqué une crise de confiance et les investisseurs, traditionnels pourvoyeurs de liquidités, se sont retirés du marché. J’entends dire ici ou là que les banques ne se font plus confiance entre elles et qu’il suffirait qu’elles le fassent pour que le marché reparte. Or ce n’est pas vrai.

L’ensemble des banques françaises dégage un besoin de liquidités qui était, jusqu’à la crise, satisfait par les investisseurs institutionnels. Comme, depuis la faillite de Lehman Brothers, les compagnies d’assurance et les SICAV notamment n’investissent plus dans les supports de placement des banques, celles-ci se sont tournées logiquement vers le prêteur en dernier ressort : la BCE. Pour que le marché monétaire retrouve un fonctionnement normal, il faut non seulement un marché interbancaire, mais surtout un apport de liquidités en quantité suffisante et sur une durée suffisamment longue. Or, pour obtenir des financements de la Banque centrale, il faut offrir en contrepartie des actifs éligibles par elle. Il y a à ce sujet une discussion importante car le conseil des gouverneurs, qui arrête la liste de ce qu’on appelle le collatéral pour l’ensemble de la zone euro, doit assurer un traitement équitable des instruments, qui sont pourtant différents dans chacun des pays. Il en va de l’égalité de concurrence entre les acteurs. Cette complexité explique pour partie la difficulté que peut éprouver la Banque centrale à s’adapter dans des délais courts au changement de configuration des marchés.

La plupart des investisseurs, en particulier les SICAV monétaires, se prémunissent contre le risque de retraits de la part de leurs clients, en plaçant extrêmement court. Or la BCE a elle-même vocation à prêter court. Ainsi, de très grands établissements se retrouvent dans l’obligation de refinancer par des ressources trop courtes des actifs longs. Si la situation s’installe, elle est de nature à fragiliser le système bancaire dans son entier. Les banques cherchent donc à obtenir de la Banque centrale, et en collaboration avec elle, un allongement de la durée moyenne de ses interventions, au-delà de trois mois. Le marché, lui, pouvait prêter jusqu’à deux, voire cinq ans. Il y a donc un changement complet de la structure de financement des établissements bancaires. C’est un point crucial qui demande un traitement conjoint par les autorités publiques, la Banque centrale, et les banques qui doivent s’adapter.

M. le président Didier Migaud. Le gouverneur de la Banque de France nous a expliqué hier que la BCE avait élargi la liste des collatéraux et inversé la proportion entre ses interventions au jour le jour et celles à plus long terme. Qu’en pensez-vous ?

M. Georges Pauget. Personne ne conteste que la BCE se soit adaptée, mais c’est une question de rapidité et d’ampleur. Avec la faillite de Lehman Brothers, les créanciers obligataires ont perdu leur capital, ce qui a poussé les investisseurs à se détourner des supports de placement bancaires. Le problème vient de la vitesse de substitution. La BCE a accru ses interventions en volume et en durée, mais le mouvement n’est pas suffisamment rapide pour permettre une gestion confortable de la liquidité, même si la situation est inégale selon la structure du bilan des établissements. Auparavant, le critère d’éligibilité des supports à la BCE était secondaire puisque l’essentiel des ressources provenait du marché. Or c’est elle désormais qui assure la part la plus importante des financements.

J’en viens à la solvabilité. À cet égard, les assurances données par les chefs d’État et de gouvernement aujourd'hui confortent les établissements. J’ai cru pendant quelques heures que la déclaration des 27 suffirait, mais les initiatives isolées de certains pays pour parer à l’urgence ont finalement fragilisé l’édifice d’ensemble et accru les troubles des marchés. Les perturbations intègrent aussi des paramètres autres que la crise financière dans la mesure où les agents anticipent des évolutions défavorables des agrégats économiques. Il s’agit de trouver une communication qui entraîne la conviction.

L’intervention des États se fera surtout par le biais de prises de participation, avec les conséquences éventuelles sur la gouvernance des établissements. C’est une voie qui, de notre point de vue, est efficace et, en tout cas, préférable à la garantie des dépôts qui se révèle largement anxiogène. L’argument est plus facilement compréhensible pour les consommateurs, mais ils entendent quant à eux un message d’alarme : il pourrait y avoir un problème. Pourtant, avant d’actionner la garantie, il faut qu’il y ait eu faillite. On n’en est pas là en France et, en tout état de cause, même en cas de difficulté, il vaut mieux prévenir que guérir. L’important, dans le cadre de la gestion de crise, est de fournir des informations de nature à restaurer la confiance. La technique suivie va dans ce sens.

Quant aux conséquences sur l’économie française, j’ai deux observations.

D’une part, nous continuons à financer l’économie à un rythme satisfaisant. Le crédit aux entreprises a progressé de plus de 2 % en un semestre – je parle des nouvelles activités –, et le crédit immobilier augmente aussi. Un journal affirmait ce matin que les banques étaient très restrictives en matière de financement du logement. Mais, dans le même temps, il faisait valoir que, depuis dix ans, le prix des actifs immobiliers s’était accru de 140 %. C’est précisément une des causes de désolvabilisation des acheteurs potentiels, bien avant la hausse des taux d’intérêt, qui sont passés de 4,5 % à 5,5 %. Le prix des actifs immobiliers est un problème. Il ne serait pas populaire de dire que, plus vite les prix baisseront, plus vite le marché s’équilibrera. Pourtant, c’est une des conditions du redémarrage, lequel suppose une resolvabilisation des acteurs.

D’autre part, s’agissant d’un risque de ralentissement de l’offre de crédit, la réglementation bancaire actuelle fait que chaque dépréciation se traduit par une réduction de la capacité des établissements à faire du crédit. À cet égard, la disposition prise par le G 4, qui semble devoir être reprise par la Commission européenne d’ici à la fin du mois d’octobre, et consistant à modifier les règles comptables, est de nature à réduire l’impact négatif de l’évolution des marchés et à mieux cadencer le rythme des dépréciations éventuelles en lissant la base de capital qui sert de multiplicateur de crédit. Par ailleurs, la Commission bancaire a mis en œuvre le premier pilier du dispositif Bâle 2, c'est-à-dire la mécanique qui définit, sur la base du portefeuille de crédits et les risques de marché de chaque établissement, les besoins en fonds propres. Nous en sommes aujourd'hui à calculer les besoins supplémentaires pour tenir compte des risques inhérents à la plus ou moins grande diversification des activités et à la méthode de gestion des risques opérationnels. Dans ce domaine, les régulateurs « ont la main » et, s’il ne s’agit pas de changer radicalement les règles prudentielles, ils devront faire preuve de souplesse dans la mise en œuvre qu’il faudrait étaler suffisamment dans le temps pour qu’une contrainte supplémentaire ne se traduise pas par une nouvelle restriction de l’offre de crédit. Les règles comptables et prudentielles sont des outils importants de pilotage de l’offre de crédit.

M. le président Didier Migaud. Nous avons tout de même, dans nos circonscriptions, des témoignages de chefs d’entreprise, de candidats aux prêts immobiliers et même de ceux qui participent à des comités de prêts, qui confirment le resserrement du crédit.

M. Georges Pauget. C’est le phénomène classique d’une anticipation du ralentissement de la conjoncture, dont il faut bien tenir compte pour estimer les capacités de remboursement des agents économiques.

M. Alain Rodet. Monsieur le directeur général, que répondez-vous aux journalistes et commentateurs qui estiment que le président de la BNP, M. Prot, a été plus vigilant et réactif que vous dans l’affaire des subprimes ?

M. Georges Pauget. Le Crédit agricole avait développé une activité de cash CDO dans les mêmes proportions que la Société générale. Pas la BNP, et c’est tant mieux pour elle !

M. Alain Rodet. Dans la tourmente générale, votre organisation qui repose sur les caisses régionales de Crédit agricole, est-elle un atout supplémentaire ?

Quelles seront les conséquences pour vous de la banalisation du livret A ?

M. Georges Pauget. La présence d’un actionnaire majoritaire, les caisses régionales, qui détiennent 54 % de Crédit agricole SA, est un gage de stabilité qui nous donne, dans une conjoncture chahutée, la capacité de définir une stratégie de moyenne période.

Autre atout, nous avons au conseil d’administration trois profils : les présidents des caisses sont souvent des agriculteurs qui connaissent la banque et qui ont les pieds sur terre ; les directeurs généraux des caisses, qui sont des banquiers ; enfin, des administrateurs indépendants. Ils connaissent les réalités économiques et la banque au quotidien de sorte qu’ils ont une bonne réactivité. Nous avons considéré que notre actionnariat coopératif nous imposait une communication transparente sur les effets des subprimes, même si ce n’était pas agréable d’être les premiers à apporter de mauvaises nouvelles. En outre, nous avons réagi très vite en décidant, dès le mois d’avril, une augmentation de capital qui a été une réussite, ainsi qu’une réorientation de la stratégie.

En ce qui concerne le livret A, le Crédit agricole, comme les autres, se réjouit de la disparition d’un facteur de déséquilibre de la concurrence. Nous contribuerons encore plus au financement du logement social, dont nous sommes d’ores et déjà l’un des principaux acteurs en France. Nous continuerons à mener une politique dynamique de l’épargne.

M. Louis Giscard d’Estaing. De quelle autorité relève votre filiale ?

M. Georges Pauget. Il s’agit d’une société de droit française, ayant son siège en France, et soumise à la réglementation française. Ce qui s’est passé, c’est que les produits triple A garantis par du triple A comptaient pour très peu dans les actifs pondérés qui servent de base aux fonds propres exigés. Or c’est par le biais du système d’appréciation des risques, qui considérait cette activité comme hypersécurisée, que nous suivions son développement, lequel, parce qu’elle était jugée moins risquée que d’autres, a été plus rapide.

M. Louis Giscard d’Estaing. Et que pensez-vous des critères de notation ?

M. Georges Pauget. Nous nous sommes fiés à la notation.

M. Louis Giscard d’Estaing. Quel est le point de vue de la Fédération bancaire française sur les normes IFRS ? Quel est l’impact de la crise sur les prêts aux collectivités locales ?

M. Georges Pauget. La Fédération bancaire française, suivie désormais par les pouvoirs publics français et les autorités européennes, estime qu’il faut mettre moins d’instabilité dans le système. Le principe du mark to market, qui consiste à valoriser les actifs au prix du marché, est-il pertinent s’il n’y a pas de marché ? Il est préférable dans ce cas de les traiter comme des prêts classiques soumis à une évaluation économique, à partir du cash flow. Aujourd'hui, la situation est paradoxale car il y a un écart considérable entre les défauts de paiement constatés et les anticipations des marchés. Personne ne sait ce qu’il adviendra. Le changement de méthode devrait aboutir à une appréciation aussi bonne, sinon meilleure ; il aurait en outre l’avantage d’amortir les cycles. Il est très important, au moins pour les activités d’intermédiation, de maintenir les prix historiques, quitte à prévoir des révisions contraignantes. Sinon, on participe à la spirale déflationniste.

Par ailleurs, nous souhaitons qu’il y ait un superviseur européen doté de pouvoirs et de moyens. Les établissements, comme le Crédit agricole, sont d’abord soumis à la Commission bancaire, mais aussi, là où ils sont implantés, à des superviseurs locaux qui peuvent avoir des lectures différentes de textes prudentiels pourtant identiques. Dans tous les cas, les réglementations de la liquidité sont différentes. Le texte unique de la directive cache des conditions d’application extrêmement différenciées. Ce défaut d’harmonisation se traduit par des déséquilibres de concurrence. La Commission bancaire en est bien consciente, et elle essaie de se situer dans la moyenne européenne. Mais elle est plutôt dans la moyenne exigeante car elle a toujours souhaité privilégier la stabilité et la sécurité des établissements, ce qui se révèle précieux aujourd'hui. Nous préconisons donc une approche plus unifiée de la supervision. L’objection que nous font les États, et qui sert souvent d’alibi même si elle n’est pas sans fondement, est que, in fine, le garant est le contribuable national, si bien que chaque pays continue de revendiquer son autonomie de décision.

Les prêts aux collectivités locales sont partiellement refinançables à la BCE. Jusqu’à il y a quelques mois, la marge sur ces opérations était très faible, de quelques centimes. Certains grands établissements que la crise de liquidités aurait contraints à relever leur marge à 80 ou 100 points de base se sont abstenus de soumissionner aux appels d’offre de quelques grandes collectivités. Il n’y a eu, à ma connaissance, que quelques cas. Si la quotité mobilisable de ces prêts était beaucoup plus élevée que le taux actuel de 75 %, le problème serait réglé. Les banques arbitrent aujourd'hui entre les prêts aux collectivités locales qui sont mobilisables et leur activité commerciale auprès des entreprises et des ménages. La BCE devrait publier ce soir de nouvelles règles de refinancement.

M. Charles de Courson. Vous qui jugez préférable, et je partage votre avis, que les États interviennent en capital plutôt qu’en créant des structures de cantonnement, que pensez-vous du plan Paulson ?

M. Georges Pauget. L’objectif des Américains est de dégager du bilan des banques les actifs toxiques, qui en représentent une part significative, afin de relancer l’économie. Les banques régionales sont très atteintes.

M. Charles de Courson. Que faites-vous du problème de la valorisation de ces actifs ? Le risque est de gangrener tout le reste de l’économie, voire le reste du monde ! Si j’étais commissaire aux comptes, je demanderais des provisions en fonction des prix pratiqués.

M. Georges Pauget. La plupart des banques européennes ne céderont pas d’actifs à la structure Paulson, ne serait-ce qu’en raison des faibles volumes en cause. Les prix proposés étant particulièrement bas à l’heure actuelle, on ne craint rien à attendre. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons demandé à Bruxelles, par l’intermédiaire des pouvoirs publics français, une transformation des normes comptables. Sinon, la contagion sera totale. Nous cherchons par ce moyen à nous protéger de l’impact sur les prix du plan Paulson.

Avec le système d’adjudications retenu, le plan va se heurter à une première difficulté, consistant à définir des actifs éligibles homogènes. Les produits en cause ont précisément été conçus au départ pour être spécifiques. Si le gisement est trop étroit, le prix ne sera pas significatif, s’il est trop vaste, on amalgamera des actifs qui n’auront rien à voir entre eux : seront assimilés des millésimes de crédit différents, dont le niveau de risque est donc différent, en proportion variable dans chacun des actifs. C’est d’ailleurs ce qui explique la complexité des produits. Il est aujourd’hui impossible de savoir quel sera l’impact sur les prix des actifs. S’ils sont trop hauts, la facture du contribuable s’alourdira ; s’ils sont trop bas, un risque systémique pèsera sur les banques régionales américaines.

M. Charles de Courson. Certains grands banquiers américains considèrent le plan Paulson comme une pure folie. En plus, l’administration américaine l’a concocté toute seule dans son coin, sans aucune concertation. Quelques journalistes qui tiennent lieu d’opinion publique ont critiqué le Congrès, qui a, dans un premier temps, repoussé le plan Paulson. Les parlementaires étaient pourtant pleins de bon sens. D’ailleurs, comment ce plan sera-t-il financé ? Quel sera son impact sur les taux américains ?

M. Georges Pauget. Cela, on n’en sait rien, mais, rapporté au PIB américain, le déficit est faible, de l’ordre de 35 %. Il y a donc de la marge, même après le plan Paulson.

M. Charles de Courson. Il représente tout de même 7 points de PIB.

M. Georges Pauget. On reste très en deçà des normes européennes.

M. Charles de Courson. Mais où trouveront-ils l’épargne ? Il n’y en a plus aux États-Unis ! Pour attirer les capitaux étrangers, ils devront relever leur taux.

M. Georges Pauget. Aujourd'hui, les bons du Trésor américain sont à des taux proches de 0 %.

M. Charles de Courson. Pour combien de temps ?

M. Georges Pauget. Aussi longtemps que durera la défiance.

M. Charles de Courson. En France, les taux d’intérêt pratiqués par les banques ont augmenté de plus d’un point en un an. La baisse des conditions de refinancement qui s’amorce en Europe sera-elle répercutée ?

M. Georges Pauget. J’attire votre attention sur le fait que, lorsque le taux de la BCE était à 4,25 %, avant d’être ramené aujourd'hui à 3,75 %, nous nous refinancions, dans le cadre des appels d’offre soumis à adjudication, à 5,35 % en raison de la très forte demande de liquidités des banques. Le taux effectif s’aligne sur ceux qui ont les plus gros besoins et qui sont prêts à payer plus cher. Pour vous répondre, il faut attendre de mesurer l’effet de la baisse du taux directeur, mais, grosso modo, même s’il y a des phénomènes d’inertie fonction de la durée des ressources, le taux de base bancaire suit à moyen terme.

M. Charles de Courson. Certains économistes considèrent que la priorité des banques est de reconstituer leurs marges, plutôt que de gagner de nouvelles parts de marché en baissant leur taux.

M. Georges Pauget. Les situations de concurrence sont extrêmement différentes. En France, il y a dix-huit mois encore, les marges sur le crédit à l’habitat étaient quasi nulles. Depuis, une petite marge positive est apparue, que les établissements vont vraisemblablement conserver avant de répercuter la baisse des taux. La compétition est dans notre pays très violente. Les marges des banques françaises supportent la comparaison avec la moyenne européenne.

Il faut aussi intégrer le prix du risque, qui est aujourd'hui plus élevé. Il y a bel et bien une augmentation des impayés en France, laquelle, bien que moins forte qu’en Espagne ou au Royaume-Uni, constitue un indicateur des difficultés des agents économiques, surtout des ménages.

M. Charles de Courson. À quoi servent, selon vous, les agences de notation ?

M. Georges Pauget. En théorie, elles jouent le rôle du tiers de confiance. La Fédération bancaire française, aujourd'hui isolée en Europe, a déclaré qu’il serait sain qu’il y ait une inscription et une responsabilisation des agences de notation, avec éventuellement des sanctions financières en cas de non-respect d’un code de bonne conduite. Sur le marché, la liberté doit être associée à la responsabilité. Mais ce n’est envisageable qu’à l’échelle européenne.

M. Charles de Courson. Que pensez-vous de la fair value, et plus généralement des normes qui sont des accélérateurs de crise ? Et comment envisagez-vous la réforme ?

M. Georges Pauget. S’agissant du traitement des actifs illiquides, la Commission, moyennant une consultation du Parlement européen, est apparemment en mesure de décider dans un délai assez court et de nous mettre à l’abri des effets négatifs du plan Paulson.

En l’absence de position officielle de la Fédération, je considère, en tant que directeur général du Crédit agricole, que les règles comptables doivent laisser aux banques la possibilité de lisser les cycles. C’est ce qu’a fait l’Espagne, qui autorise des provisions a priori, partiellement défiscalisées. Les établissements peuvent ainsi se constituer des réserves, qu’ils utilisent en cas de difficulté, afin d’éviter de couper la distribution de crédit. Aujourd'hui, nous sommes obligés d’enregistrer immédiatement toute dépréciation, ce qui ampute d’autant les fonds propres et, partant, l’offre de crédit. Il faut revoir les normes comptables qui s’appliquent aux autres activités qu’aux activités de marché, et qui restent durablement dans le bilan. Pour le moment, tout est fondé sur l’économie de l’instant. Il faut estimer la quasi-totalité du bilan à la valeur liquidative, comme si tout allait être vendu le jour même. C’est d’autant plus choquant que les acteurs d’un marché ont tous des horizons de gestion différents, et que c’est de ces différences que découle l’équilibre. Les mécaniques comptables actuelles, en alignant tout le monde sur la même temporalité, sont un facteur de déséquilibre. Un auteur anglais disait récemment qu’elles permettent de « passer de la crise au désastre ».

M. Louis Giscard d’Estaing. Les assureurs sont-ils soumis aux mêmes règles ?

M. Georges Pauget. Non, pas aujourd'hui, mais la directive Solvency 2 arrive. De plus, l’activité des assurances s’étire sur une période plus longue que celle des banques. Il faut absolument accepter que les actifs soient classés en fonction des horizons de gestion, ce que ne permettent pas suffisamment les normes comptables.

M. Jean-Pierre Gorges. La Fédération bancaire française a-t-elle établi un diagnostic précis sur chacun des groupes français ?

M. Georges Pauget. C’est plutôt la Commission bancaire qui est en mesure de porter un jugement sur chacun des établissements. Globalement, le système bancaire français affiche des ratios de fonds propres très élevés. Il repose sur un modèle économique très prudent car très diversifié : le produit net bancaire des trois principaux groupes provient pour 64 % de la banque de détail, pour 17 % de la gestion d’actifs, et pour 19 % de la banque de financement et d’investissement, qui regroupe d’ailleurs des secteurs dont l’exposition au risque et les cycles sont très variables. Cette diversification différencie radicalement les banques françaises des banques américaines qui sont spécialisées dans un seul métier. C’est la raison pour laquelle les banques commerciales, qui étaient un peu plus diversifiées, ont repris les établissements exclusivement orientés sur les activités de marché.

Solidité des fonds propres, diversification de l’activité et contrôle prudentiel reconnu, tels sont les trois piliers sur lesquels reposent les banques françaises.

M. Jean-Pierre Gorges. Certains établissements en profitent pour « faire leurs courses ». Des rapprochements vont être accélérés. Le Crédit agricole a-t-il des projets ?

M. Georges Pauget. Monsieur le député, en tant que dirigeant d’une société cotée, je me dois de respecter les règles d’information financière. Le Crédit Agricole a pour priorité d’exécuter le plan présenté aux actionnaires à la faveur de l’augmentation de capital : recentrage des activités et amélioration de la gestion. Et ce plan se déroule normalement.

Plus généralement, j’anticipe plutôt des opérations transfrontières car, en France, le niveau de concentration est correct. Avec quatre ou cinq grands établissements, notre pays sera dans la moyenne européenne. La norme de 20 % de part de marché fixée par la Direction de la concurrence ne repose sur rien, l’intensité de la concurrence n’étant pas uniquement fonction des parts de marché. Les rapprochements se feront sur la base des métiers ou des zones géographiques car, au-delà des frontières, les banques françaises ne sont pas implantées aux mêmes endroits et leurs savoir-faire ne sont pas les mêmes, ce qui constitue à mon sens un facteur de sécurité supplémentaire pour le système.

M. Lionel Tardy. A-t-on évalué le niveau d’actifs toxiques détenus par les banques françaises ? On parle aux États-Unis de 10 000 milliards de dollars, à comparer aux 700 milliards du plan Paulson.

Le bon sens commande de faire le diagnostic avant d’appliquer le remède. Mais on a l’impression que l’on n’arrive pas à connaître l’étendue des dégâts et que les mesures sont prises au coup par coup, ce qui ne fait pas bonne impression auprès de la population.

M. Georges Pauget. Cette incertitude découle des normes comptables qui nous obligent à réévaluer le stock – inchangé en volume depuis février 2007 – en fonction des baisses des indices de prix immobiliers aux États-Unis, même s’il n’y a pas de corrélation absolue avec le niveau d’impayés des actifs sous-jacents.

Pour ce qui concerne le système bancaire français, je ne peux pas vous faire une réponse globale actualisée car certains établissements ne publient leurs comptes que tous les semestres. Seule la Commission bancaire a les chiffres détaillés. Dans le cadre des directives du Forum de stabilité financière, les quatre établissements cotés ont publié en juin, à la demande de la Commission bancaire, des informations sur une base strictement identique. Je n’ai pas les chiffres en tête, mais l’information est disponible, et elle a été certifiée. Sachez néanmoins que les comparaisons sont extrêmement difficiles, les normes n’étant pas les mêmes des deux côtés de l’Atlantique.

M. Lionel Tardy. Donc, même en France, on ne sait pas.

M. Georges Pauget. Si, mais les chiffres sont dans les mains du gardien du Temple.

16.– Jeudi 9 octobre 2008, séance de 9 heures 15, compte rendu n° 11

–   Audition de M. Michel Bouvard, président de la Commission de surveillance et de M. Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations

La commission des finances a procédé à l’audition de M. Michel Bouvard, président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, et de M. Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse.

M. le président Didier Migaud. Nous accueillons ce matin M. Michel Bouvard, président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, et M. Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse. La crise financière actuelle affecte certains établissements bancaires en Europe, notamment lorsqu’ils ont investi dans des produits toxiques, devenus « illiquides ». C’est le cas du groupe Dexia, dont la filiale FSA, rehausseur de crédit aux États-Unis, s’est trouvée en difficulté. Une action de sauvetage du groupe a été menée il y a dix jours par les États belge, luxembourgeois et français et par la Caisse des dépôts, qui était déjà actionnaire du groupe à 12 %, mais tout n’est pas réglé.

Parallèlement, le gouvernement français cherche à mobiliser des liquidités pour remédier au manque d’échanges entre établissements bancaires. À cette fin, il entend solliciter la Caisse des dépôts, qui centralise les sommes versées sur le livret A, refuge très prisé des épargnants depuis le début de l’année. On débat de l’emploi de ces sommes, qui pourraient être affectées au logement social, au plan de rachat de logements dont la mise en chantier n’a pu être engagée, ou au crédit aux PME par exemple. Quelle que soit la solution retenue, le Parlement, chargé de la surveillance de la Caisse, devra contrôler les garanties apportées à l’emploi de l’épargne des Français. Au-delà de Dexia, il convient de préciser comment la Caisse peut mobiliser des sommes importantes pour ces interventions car nos concitoyens peuvent avoir l’impression qu’ils proviennent de fonds cachés, ou dormants. Nous voulons donc nous assurer que les capacités d’intervention de la Caisse sont employées le plus efficacement possible.

M. Michel Bouvard, président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations. La Caisse a un absolu devoir de transparence vis-à-vis du Parlement. Je remercie M. de Romanet de sa présence alors qu’il a passé toute la nuit à négocier à Bruxelles.

Il était prévisible, dans la situation actuelle, que l’exécutif sollicite l’intervention de la Caisse des dépôts, qu’il s’agisse de participer au sauvetage d’un établissement dont elle était actionnaire ou d’agir par le biais des fonds d’épargne – qui à toute époque ont été utilisés ponctuellement pour l’accompagnement de l’économie, en dehors de leur utilisation prioritaire pour le logement social – ou encore de ses filiales, dans le secteur de l’immobilier par exemple. Mais la Caisse ne peut accepter n’importe quoi. Soutenue par sa commission de surveillance, elle doit veiller à limiter les prises de risque et à garder les réaffectations de ressources dans des proportions raisonnables, afin que son modèle économique ne soit pas remis en cause. En ce qui concerne les fonds d’épargne, elle a préféré mobiliser les ressources du livret de développement durable et du livret d’épargne populaire plutôt que de redéployer les sommes du livret A vers les banques, ce qui aurait pu inquiéter les épargnants et qui remettait en cause l’esprit de la loi de modernisation de l’économie, selon laquelle ce placement est principalement destiné au financement du logement social.

Par ailleurs, il est évident que la Caisse n’a pas de fonds dormants. Les sommes dont elle a besoin maintenant étaient déjà employées dans d’autres secteurs. Or, dans une période de crise, tout déplacement de fonds est extrêmement sensible, d’autant que les décisions de la Caisse sont très suivies par les marchés financiers : certains peuvent y voir le signal d’un désengagement d’une activité, qui se trouve dès lors fragilisée. Il faut y être très attentif. Enfin, il est déjà arrivé à la Caisse des dépôts d’intervenir dans le secteur immobilier, comme lors de l’effondrement des années 1990. Les logements qu’elle a alors achetés ont connu des revalorisations importantes. La seule différence est qu’à l’époque, les promoteurs ont mis beaucoup de temps à admettre la crise et ont attendu, avant d’être tout de même obligés de vendre avec décote. Aujourd’hui, les bailleurs institutionnels ont été très rapidement sollicités de céder des logements. Tout ce que nous avons eu à faire a été de chiffrer le nombre de logements qui seraient repris par la Société nationale immobilière, mais les choses étaient déjà engagées sur le terrain. Il s’agit d’une opération intéressante, dans la durée, pour la Caisse des dépôts. Or, je rappelle que tous ses investissements doivent être faits, comme le réaffirme la loi de modernisation de l’économie, dans le respect de ses intérêts patrimoniaux à long terme. Tous ses choix doivent être appréciés à cette lumière. M. de Romanet va maintenant vous expliquer comment on peut trouver 20,5 milliards en si peu de temps.

M. Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. La fluidité du mode de fonctionnement de la Caisse nous permet de peser à tout moment ce qui est de l’intérêt général et ce qui est de la prise de risque, et de savoir jusqu’où il ne faut pas aller. Pour ce qui concerne le livret A, nous sommes les mandataires de l’État, des intendants qui gèrent 214 milliards pour lui et transforment cette ressource à vue en une autre qui peut aller jusqu’à un horizon de soixante ans. Aujourd’hui, la liquidité est un bien rare et qui vaut très cher : les emprunts au jour le jour des banques peuvent atteindre un taux de 9 % les jours de crise. C’est pourquoi les banques ont fait tellement pression lors du débat sur la distribution du livret A pour en obtenir le maximum. Or le livret A, avec un taux de 4 % aujourd’hui au lieu de 2,75 l’an dernier, remporte un grand succès et devrait collecter plus de 15 milliards supplémentaires en 2008. Nous devons donc rester intraitables sur les principes : nous avons la parole du ministre que la Caisse continue à gérer 70 % des encours du livret A au 31 décembre 2008, y compris la capitalisation, et nous veillerons à ce qu’elle soit respectée.

Sur les 214 milliards de dépôts, nous employons actuellement en prêts à long terme environ 100 milliards d’euros, dont plus de 90 milliards pour le logement et 4 pour OSEO. Le montant de l’encours des prêts est cependant amené à croître très fortement dans les prochaines années. Nous avons donc proposé aux pouvoirs publics de décentraliser totalement le LDD - qui n’était centralisé qu’à 9 % – et de ramener la centralisation du LEP de 85 à 70 %, ce qui aboutit à réinjecter dans le circuit bancaire 16 milliards et demi – 7,2 d’un côté et 9,3 de l’autre. Cet argent n’était bien sûr pas en train de dormir : il était employé par la Caisse dans des titres sécurisés. Dorénavant, il sera prélevé directement à la source pour être affecté aux entreprises, puisque les banques sont réputées, sous le contrôle de l’État, envoyer ces fonds dans le circuit des PME.

M. Henri Emmanuelli. Réputées ?

M. le directeur général. Je n’ai pas qualité pour en attester.

Toujours en faveur des PME, nous avons également proposé d’augmenter de 50 % le financement d’OSEO, en le portant à 6 milliards. Compte tenu de l’ensemble des masses en jeu, cela peut apparaître comme anodin, mais j’insiste sur l’extrême prudence qu’il faut conserver dans la gestion de nos fonds : si les Français venaient à puiser largement dans leur livret A par exemple, il faudrait que la Caisse dispose des liquidités nécessaires. Cette prudence explique que la Caisse des dépôts consacre une part importante de ces fonds à des placements très sécurisés, principalement des titres souverains.

Au-delà de la gestion des Fonds d’épargne, nous sommes très attentifs à rester contracycliques. Ainsi, bien que nos plus-values boursières aient fondu dans le contexte financier actuel, je ne voudrais pas que nos dépenses d’intérêt général décroissent à due proportion. Cela aurait un effet procyclique, parce que nous réduirions nos investissements dans les PME via France-investissements et notre soutien aux investissements des collectivités locales, pour des centres commerciaux ou des rénovations de friches industrielles par exemple, ou nos bonifications à certains prêts sur fonds d’épargne comme les prêts pour haute performance énergétique. La Caisse des dépôts n’est cependant pas un puits sans fond. Elle n’a que 20 milliards de fonds propres durs, ce qui lui permet de détenir un portefeuille de placements de 60 milliards – actions, obligations, immobilier. Son portefeuille d’obligations est certes extrêmement sécurisé – un peu moins de 18 milliards d’encours moyen qui rapporteront cette année 780 millions – mais elle sera tout de même mécaniquement affectée par la crise des marchés d’actions.

Pour ce qui est de Dexia, la société est aujourd’hui constituée de trois entités : Dexia Crédit local, une banque de détail en Belgique et une banque privée de détail du Luxembourg. Tout est allé très vite : le vendredi 25 septembre, aucun signal extérieur ne laissait supposer une difficulté de liquidité. Le samedi, on nous disait que la situation de liquidité de la banque lui permettait de tenir trois mois. Le dimanche, elle n’avait plus que quinze jours devant elle et il fallait augmenter son capital de 7 milliards d’euros. Et le lundi, la banque ne passait pas la nuit en liquidités et avait besoin de 6,5 milliards pour assurer sa solvabilité… Pour la Caisse des dépôts, qui détenait environ 12 % du capital, cela représentait 720 millions d’euros. Conscients de notre responsabilité vis-à-vis de Dexia et de son importance pour les collectivités locales, nous étions disposés à faire plus, mais il n’était pas question de prendre à notre charge la totalité des 3 milliards d’euros de la parité française. L’État a finalement accepté de s’engager à hauteur d’un milliard. Dexia n’était pas entièrement tirée d’affaire car sa situation de liquidités restait extrêmement tendue et des incertitudes demeuraient liées à FSA, un rehausseur de crédit aux États-Unis, appartenant à Dexia. Cette nuit, le gouvernement belge a donc demandé aux États français, luxembourgeois de garantir, avec lui, les refinancements nouveaux que Dexia effectuera pendant l’année qui vient, ce qu’ils ont accepté.

Dexia a des portefeuilles de crédit aux collectivités locales parfaitement sains.

M. Henri Emmanuelli. Bien sûr ! Le crédit aux collectivités locales est le préféré des banques !

M. le directeur général. Mais, par ailleurs, la gestion de Dexia a été marquée par quelques paris risqués ; ils ont notamment acheté beaucoup de credit default swaps.

M. Henri Emmanuelli. Mais qui ne portaient pas sur les collectivités locales ! Or, le Gouvernement essaye de nous convaincre que le sauvetage de Dexia vise à protéger les collectivités locales.

M. le président de la commission de surveillance. Cette mesure leur permettra de trouver à emprunter de l’argent pour finir l’année, parce que le credit crunch existe aussi pour elles.

M. le président Didier Migaud. Le Gouvernement fait clairement savoir qu’il s’agit de sauver Dexia.

M. Henri Emmanuelli. Ou plutôt ceux qui investissent dans Dexia !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Les créances des collectivités sont solides. On pourrait très bien imaginer au niveau européen un circuit de refinancement direct central.

M. le président Didier Migaud. Sauf que toutes les créances n’ont pas toutes l’air si solide…

M. le directeur général. Les créances sont solides mais la banque faisait de la transformation, c’est-à-dire qu’elle empruntait à court terme pour prêter à très long terme. Le taux de court terme étant plus bas, c’était rentable, mais ce modèle n’est plus possible dans une période d’illiquidité.

M. le président Didier Migaud. Quelle est la part de ces crédits dans la banque ?

M. le directeur général. Le bilan du Crédit local de France représente 320 milliards sur les 620 de Dexia, dont, de mémoire, les deux tiers pour les collectivités locales.

Il est probable que les collectivités locales soient affectées par un certain credit crunch : Dexia est un acteur considérable dans l’offre de crédit aux collectivités et si sa ressource se renchérit, elle va être obligée de leur prêter plus cher. C’est pourquoi les gouvernements sont dans leur rôle en essayant de recréer la confiance, afin que Dexia puisse de nouveau emprunter dans les meilleures conditions. Dexia était notée AA jusqu’à très récemment : elle empruntait très peu cher et reprêtait, avec une marge plutôt basse d’ailleurs, ce qui la rendait très compétitive pour les collectivités locales. Le fait que la Caisse des dépôts ait pris plus que sa part dans le sauvetage de Dexia est aussi une façon de payer la dette de l’histoire, puisque c’est la Caisse qui a créé la CAECL, caisse d’aide à l’équipement des collectivités locales, qui a donné naissance au Crédit local de France, devenu Dexia. Mais le modèle a été un peu biaisé.

M. Henri Emmanuelli. Capté.

M. le président Didier Migaud. Vous avez parlé de paris hasardeux, mais il existe des organes de surveillance. Y a-t-il eu des occasions d’alerte ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. La fusion a tout de même déjà une dizaine d’années !

M. le directeur général. C’est à la lumière d’une crise qui a fermé totalement le marché interbancaire depuis plus d’un mois qu’on a pu s’apercevoir après coup de certaines exagérations. Mais il est encore un peu tôt pour faire le procès de la gestion de Dexia. Au-delà des décisions du management de l’entreprise, Dexia s’est retrouvée prise dans la nasse de la crise des liquidités comme beaucoup de banques, notamment anglaises ou américaines. Ce qui nous choque est qu’elle est issue du secteur public et qu’elle n’avait pas vocation à être à la pointe du risque, mais il ne faut pas en conclure qu’elle a fait n’importe quoi. L’achat de la filiale FSA, qui fait un métier extrêmement compliqué, a créé un grand trouble, mais je ne suis pas trop pessimiste à ce sujet. FSA est un rehausseur de crédit : comme les collectivités locales ne sont pas notées, elles vont voir un rehausseur de crédit noté AAA qui peut emprunter moins cher qu’elles, et qui leur facture une partie de cet écart de coût. Cette activité ne mobilise pas beaucoup de fonds propres, et FSA garantit ainsi 314 milliards de dollars pour des collectivités locales américaines. Il est certain que si elles faisaient toutes faillite demain, la société serait mal en point, mais dans des scénarios très sombres, l’étalement de ses pertes sur quatre ou cinq ans serait supportable pour Dexia. Il est regrettable que le management de Dexia ait eu autant de mal à communiquer sur FSA, qui est tout de même la meilleure société américaine de ce genre. Même si les agences de notation ont revu leurs perspectives, elle est toujours notée AA un an et demi après le début de la crise des subprimes.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Elle n’est pas engagée dans l’immobilier ?

M. le directeur général. Très marginalement. Seulement 17 milliards sont engagés dans des crédits un peu difficiles.

Il ne faut donc pas dire que Dexia est à la dérive. Comme beaucoup de banques dans le monde, son modèle économique est bloqué.

M. le président de la commission de surveillance. Le résultat de Dexia au 30 juin était tout de même de plus de 800 millions ! Et par ailleurs, la commission de surveillance de la Caisse des dépôts a eu à connaître de l’acquisition de FSA dans sa séance du 21 mars 2000. Jean-Pierre Balligand en était le président. Il s’agissait de s’introduire sur le marché des prêts aux collectivités locales aux États-Unis, ce qui est le métier de Dexia.

M. Henri Emmanuelli. Le système est différent aux États-Unis.

M. le président de la commission de surveillance. Mais c’était considéré comme un secteur intéressant par la Caisse elle-même, et le choix de Dexia n’avait été contesté par personne.

M. Henri Emmanuelli. Mais il y a eu des alertes, qui ne sont pas parvenues au conseil d’administration. Où ont-elles été bloquées ?

M. le directeur général. Probablement au niveau de l’administrateur délégué.

Dans la situation très tendue que connaît Dexia en matière de liquidités, l’engagement de la garantie des États sur le refinancement me rend très optimiste, mais la fragilité demeure.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Sur quoi exactement porte cet engagement : sur l’ensemble des créances, sur la fraction nouvelle ?

M. le directeur général. Sur les emprunts que Dexia va faire pour refinancer ses échéances de liquidités. Pour financer ses prêts à très longue durée aux collectivités locales, Dexia a besoin de ressources à court ou moyen terme qu’elle a du mal à trouver sur le marché interbancaire qui est bloqué. L’État indique aux banques qui voudraient prêter à Dexia qu’en cas de défaut, il prendra le relais. Il ne s’agit que des emprunts nouveaux, pas du stock.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Il y a des emprunts nouveaux dont le contrat n’est pas encore signé, et d’autres qui sont conclus depuis longtemps mais dont les fonds sont mobilisés selon des échéanciers longs. La mesure porte-t-elle sur ce type de contrat, ou sur les prêts futurs qui vont continuer à alimenter les collectivités ?

M. le directeur général. Vous parlez de l’emploi des crédits. Ce que l’État garantit, c’est les ressources de la banque, ses contrats d’emprunts avec d’autres banques.

M. Henri Emmanuelli. Donc le sauvetage de Dexia sert à protéger les prêteurs de Dexia. Ce qui est choquant, c’est d’entendre le Gouvernement dire qu’il vole au secours des collectivités locales.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. C’est vrai. On pourrait très bien ne refinancer que les opérations en cours. Pour les nouveaux contrats, les collectivités peuvent se tourner vers d’autres banques. Cela change beaucoup les montants en jeu !

M. le président de la commission de surveillance. Il est vrai que la garantie de l’État va aider ceux qui vont prêter à Dexia. Mais, compte tenu de la place qu’elle occupe, cela permet que les collectivités territoriales françaises bouclent leur trésorerie d’ici la fin de l’année.

M. Henri Emmanuelli. Les prêts aux collectivités locales, ce sont les plus recherchés, c’est du miel pour les banques !

M. le directeur général. Le bilan de Dexia est de 620 milliards. L’enjeu est d’importance.

M. Alain Rodet. Je remarque que, depuis quatre ou cinq ans, Dexia se montre tout de même rarement la meilleure dans les appels d’offres des collectivités.

Je voudrais savoir comment évoluent les relations entre la Caisse des dépôts et le groupe Caisse d’épargne et faire remarquer à la majorité parlementaire que dans des moments pareils, mieux vaut éviter de modifier la gouvernance de la Caisse des dépôts, le « pompier » de la République.

M. le président Didier Migaud. C’est bien pourquoi elle n’a pas été modifiée.

M. Jean-Pierre Brard. Je ne suis pas sûr que tous les banquiers aient bien compris qu’il fallait entrer dans une ère de sagesse. L’audition hier de Charles Milhaud a été loin de me rassurer, qui n’aspire qu’à continuer à jouer au Monopoly en espérant ramasser un peu plus de monnaie si d’autres établissements tombent. Il y a des gens auxquels il faudrait passer des menottes, pour qu’ils ne puissent plus toucher à rien.

Après le Crédit lyonnais, nous nous occupons aujourd’hui de Dexia. Mais nous sommes présents dans ces organismes. Nos représentants ne devraient pas être seulement mandatés, mais rendre compte régulièrement devant la commission des finances, afin de créer une préoccupation partagée. Enfin, je vous ferai remarquer que si le Crédit local de France n’avait pas été privatisé, on ne serait pas dans un tel pétrin aujourd’hui.

Une fois la situation apaisée, une réflexion sera indispensable sur la création d’un pôle financier public dans lequel la Caisse jouerait un rôle central et stratégique, qui permettrait de sécuriser les mécanismes. Le prix du consensus sera d’aller dans ce sens. Nous n’accepterons certainement pas, comme nous le demande le Premier ministre, de mettre les sous qu’il faut dans le tonneau des Danaïdes et de recommencer comme avant dès que ce sera possible. C’est du suicide. Il faut avoir une lecture historique de la situation, en remontant jusqu’à la crise de 1929, dont le contexte était différent, et en tirer les leçons pour ne pas continuer les mêmes errements. Et pour que la Caisse joue ce rôle de pivot, avec la Poste et la CNP par exemple, ses responsables doivent être des républicains et des patriotes convaincus, de gauche ou de droite, et rechercher un consensus fondamental.

Mme Marie-Anne Montchamp. Dexia va sans doute éviter la défaillance grâce à l’intervention de la Caisse, mais son modèle économique va être modifié puisqu’elle va devoir relever les taux consentis aux collectivités locales. Comment ces dernières vont-elles pouvoir surmonter cette évolution défavorable sans pour autant développer des comportements procycliques, qui pèseraient pour le coup encore plus sur Dexia ? Peut-on évaluer l’évolution des taux qui va se produire ?

M. Henri Emmanuelli. Le jour où Dexia a transféré son siège hors de France et a cessé d’y payer des impôts, j’ai décidé de ne plus travailler avec elle. Et je n’ai pas eu de mal à trouver de l’argent ailleurs : le prêt aux collectivités locales est le plus recherché par les banques, car c’est le seul qui donne de la marge sans aucun risque ! Par ailleurs, je comprends l’argument du risque systémique, mais qu’est donc allée faire Dexia au Luxembourg ?

Il me semble que l’effort que fournit la France, 3 milliards d’euros plus la garantie de l’État, mérite plus que seulement 25 % de son capital.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Vous avez évoqué les pertes probables de FSA – 7 milliards au maximum. D’autres dépréciations, venant de la banque de détail luxembourgeoise par exemple, sont-elles attendues ?

M. le directeur général. Non, il n’y en a pas.

Pour répondre à M. Rodet, la Caisse des dépôts est liée à la Caisse d’épargne par un pacte au sein de la société CNP et des coopérations sont envisageables. Nous avons mis de côté nos mauvais souvenirs récents et tout se passe bien pour l’instant. Le grand pôle public de M. Brard ne me pose aucune difficulté. S’agissant du modèle économique de Dexia évoqué par Mme Montchamp, il est clair que les autorités publiques – État et mutuelle belges, État français et Caisse des dépôts – auront plus de la majorité du capital. Nous serons au conseil d’administration. Je crains quelques mois difficiles, la banque ne redevenant pas tout de suite compétitive, mais une fois passé ce cap, l’objectif de la Caisse est que Dexia retrouve de la valeur ajoutée, mais avec un taux de rentabilité interne relativement bas pour pouvoir continuer à offrir un service aux collectivités locales. C’est ce que nous proposerons aux autres actionnaires.

La filiale luxembourgeoise, la BIL, sur laquelle m’a interrogé M. Emmanuelli, fait de la banque de détail et beaucoup de banque privée. Quant à notre participation au capital de Dexia, la Caisse des dépôts en possédait 12 % et les Belges étaient montés à 40 %. Aujourd’hui, l’État belge détient 5,8 % du capital ; notre mobilisation, et le fait que le nouvel administrateur délégué soit français, font dire aux journaux belges que la France a renforcé son pouvoir dans Dexia. Nous allons essayer de l’utiliser au mieux.

M. le président de la commission de surveillance. Le grand changement est que nous disposons maintenant de la minorité de blocage, qui est, en droit belge, de 25 % du capital. L’actionnaire français sera respecté.

M. Henri Emmanuelli. J’aurais été plus rassuré avec la minorité de blocage de droit français, 33 %.

M. le président Didier Migaud. Revenons sur ces 16,5 milliards qui vont être redonnés aux banques.

M. le président de la commission de surveillance. Ils sont pris sur deux fonds d’épargne pour être alloués aux banques, ce qui a permis d’éviter de toucher au livret A. Des prêts de la Caisse aux banques sur les fonds d’épargne avaient été envisagés, mais le directeur général a heureusement refusé cette formule. Deux milliards supplémentaires sont prélevés sur ces fonds et consacrés à OSEO, qui fera des prêts aux PME.

M. le président Didier Migaud. Quelles garanties a-t-on ?

M. le président de la commission de surveillance. Les 16,5 milliards directement alloués aux banques ne sont plus gérés par la Caisse, qui n’a aucune garantie sur leur affectation. Le Parlement a donc un devoir de suivi pour vérifier que les banques utilisent bien cet argent en faveur des PME.

M. le président Didier Migaud. Et que fait-on pour le logement ?

M. le directeur général. Il n’y a pas de trésor caché. Notre filiale, la SNI, a constaté que des promoteurs avaient des terrains et des permis de construire, mais n’arrivaient pas à écouler leur offre. Racheter ces projets avec une décote pour en faire des logements HLM permettait à la fois de faire travailler le BTP et de créer des logements. Cela s’inscrit dans notre démarche contracyclique. La Caisse a émis l’idée de racheter 10 000 logements, sur quoi l’État a demandé aux organismes HLM d’en faire 20 000 de plus. Le rachat de 10 000 logements va nécessiter de la part de la SNI un besoin de 150 millions d’euros de fonds propres. Mais encore faut-il que les projets soient concrétisés, pour la Caisse comme pour les HLM.

M. Henri Emmanuelli. Il y a tout de même un problème de communication. Tout le monde a entendu la ministre de l’économie proclamer que l’État allait mettre 20 milliards d’euros à la disposition des PME, alors qu’il s’agit en fait de laisser cet argent dans le système bancaire plutôt que de le centraliser – et cela sans aucune garantie que les banques prêteront aux PME, car je ne vois pas comment l’État pourra le vérifier. Et tout le monde a entendu que l’État allait acheter 30 000 logements, alors qu’en réalité c’est la Caisse qui va en acquérir 10 000 : pour la suite, on fait confiance aux organismes HLM… Ce n’est vraiment pas sérieux. Il faut demander à la ministre d’arrêter.

M. le président Didier Migaud. La presse fait parfois des raccourcis en rapportant les communiqués de Bercy. La ministre n’a jamais parlé de 20 milliards d’euros.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Pour le logement, vous comptez utiliser la procédure de la vente en l’état futur d’achèvement, en portant le taux de 50 à 100 %. Un bailleur social pourra ainsi se porter acquéreur d’un projet, mais aussi d’une construction en voie d’achèvement, auquel cas les choses pourront aller très vite. Encore faut-il qu’il s’agisse de programmes vraiment utiles, situés dans des zones qui en ont besoin. Cette procédure ne doit pas servir à sauver des promoteurs qui montent des projets pour des raisons de défiscalisation, ce serait détourner l’intérêt général. Les bailleurs sociaux devront être très vigilants sur ce point.

Quant aux PME, c’est par OSEO que passent les seuls crédits qui leur soient véritablement dédiés. Certes, le financement d’OSEO passe déjà de 4 à 6 milliards, mais on pourrait aller plus loin : ses procédures ont fait leurs preuves alors que la réorientation du LDD et du LEP vers les banques garantit moins bien que les fonds iront aux PME.

M. le directeur général. En ce qui concerne le logement, les constructions en voie d’achèvement sont effectivement concernées. La SNI va faire un appel d’offres déterminant les zones et les types de programme qu’elle désire acheter. Son cahier des charges devrait inspirer les organismes HLM. Par ailleurs si OSEO arrive à dépenser rapidement ses deux milliards supplémentaires, avec une efficacité avérée, je ne verrai que des avantages à lui accorder un ou deux milliards de plus. Nos deux institutions se regardaient traditionnellement en chiens de faïence, mais les choses ont changé depuis quelque temps comme le montre la proposition que nous avons faite. Il faut tout de même tenir compte de ce que ce sont eux qui sont sur le terrain.

M. le président de la commission de surveillance. Une plateforme commune est expérimentée depuis un an, en Alsace notamment.

M. le directeur général. Le 15 octobre, je réunirai pour la première fois avec François Drouin tous les directeurs régionaux d’OSEO et de la CDC. Mon objectif est de créer un portail France PME dans chaque région, pour mettre les acteurs en réseau. L’objectif est d’accompagner la croissance des PME pour assurer l’emploi et l’indépendance des entreprises : la France n’a aucun problème de création d’entreprises – 220 000 par an – mais les entrepreneurs ne veulent pas de capitaux extérieurs, qui vont avec des gens susceptibles de s’immiscer dans leurs affaires. Et lorsqu’une PME grossit sans vouloir ouvrir son capital, elle se vend à une grande entreprise. On a beaucoup d’idées pour améliorer les choses, mais c’est un autre sujet.

M. Alain Rodet. Il faut se méfier des chiffres de créations d’entreprises. Lorsqu’un artisan ou un commerçant arrête son activité, s’il a un repreneur pour son activité et que ses locaux deviennent une société civile immobilière, il y a deux inscriptions mais pas forcément deux entreprises nouvelles.

M. le président Didier Migaud. Je remercie Michel Bouvard et Augustin de Romanet d’avoir répondu à notre invitation. Nous resterons en contact.

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17.– Jeudi 9 octobre 2008, séance de 10 heures 30, compte rendu n° 12

–   Table ronde, ouverte à la presse, sur la crise financière internationale, avec les interventions de MM. Michel Aglietta et Jean Tirole, économistes, et de M. René Ricol, auteur d’un rapport au Président de la République sur la crise financière

M. le président Didier Migaud. Nous poursuivons nos auditions sur la crise financière en accueillant M. Michel Aglietta, économiste, M. René Ricol, qui vient de remettre au Président de la République un rapport sur la crise financière, et M. Jean Tirole, chercheur au CNRS et fondateur de l’Institut d’économie industrielle à l’Université de Toulouse, dont le champ de recherche, très vaste et interdisciplinaire, porte notamment sur la finance d’entreprise, les marchés financiers et la supervision bancaire.

Monsieur Aglietta, nous vous avions entendu il y a un an, lorsque la Commission s’interrogeait sur les conséquences de la crise du crédit hypothécaire qui venait de débuter aux États-Unis : combien de temps cette crise devait-elle durer ? Quelle serait son ampleur ? Quelles en étaient les causes profondes ? Se propagerait-elle en Europe ? Aurait-elle des effets sur l’économie réelle ?

À la différence d’autres intervenants, vous aviez fait preuve d’un certain pessimisme, en estimant que nous n’en étions qu’à la première phase de la crise. Vous aviez appelé notre attention sur le problème posé par le volume de la titrisation, sur l’absence de traçabilité des produits, sur l’inadéquation de leur notation et enfin sur le caractère inévitable de la propagation de la crise dans la sphère financière mondiale, celle-ci étant globalisée, ainsi que dans l’économie réelle.

Un an plus tard, force est de constater que votre « pessimisme » était du réalisme. L’Europe doit faire face à une crise du marché interbancaire, qui résulte de la défiance généralisée des banques les unes envers les autres, chacune ignorant l’exposition de ses voisines au risque, et elle doit enrayer une crise de confiance des déposants à l’égard des marchés financiers. La crise revêt donc une dimension nouvelle. Nous souhaitons tout à la fois mieux la comprendre, évaluer les mesures immédiates de sauvetage qui ont été adoptées par les États, et au-delà, réfléchir aux propositions de réformes que pourraient faire le législateur national, les instances européennes ainsi que les régulateurs, tant au niveau européen qu’au niveau mondial.

Au cours des derniers jours, nous avons entendu le président du directoire de la Caisse nationale des caisses d’épargne, le directeur général du Crédit agricole, qui est également le président de la Fédération bancaire française, mais aussi les dirigeants de la Caisse des dépôts et consignations, institution très sollicitée en ce moment, ainsi que le gouverneur de la Banque de France et le président de l’Autorité des marchés financiers. Nous sommes heureux de pouvoir maintenant entendre l’analyse des observateurs que vous êtes.

M. Michel Aglietta. La crise dure depuis quatorze mois, mais depuis le mois de septembre elle a changé de nature : il s’agit désormais d’une crise systémique globale, la plus grave que nous ayons subie depuis l’entre-deux-guerres.

Trois problèmes interagissent.

Tout d’abord, tout le monde prend conscience, dans la communauté financière, que les banques sont très fortement sous-capitalisées par rapport à la masse de leurs actifs douteux – qu’elles avaient parfois essayé d’expulser de leurs bilans par la titrisation, pendant la phase d’expansion massive du crédit, entre 2003 et 2007. Les opérations de recapitalisation qui ont été menées au coup par coup, en général avec un temps de retard, se sont révélées très insuffisantes. Le Trésor américain et la Réserve fédérale ont été les premiers à prendre conscience qu’il fallait désormais adopter des mesures non plus tactiques, mais stratégiques et globales, à destination de toutes les banques potentiellement en difficulté, consistant soit en des opérations de recapitalisation, soit en des rachats de créances douteuses, afin de reconstituer un marché là où il n’y en a plus. Cette semaine, le gouvernement britannique a agi de même en direction des huit principales banques du Royaume-Uni, en adoptant un plan d’ensemble pour redonner aux banques la capacité de gérer leurs créances douteuses et de reconstituer des bilans acceptables.

La monnaie fait également problème – ce qui montre bien que nous sommes dans une crise systémique. La monnaie est un bien collectif, mais elle peut faire l’objet d’appropriations individuelles ; et c’est ce qui se passe actuellement sur les marchés de gros de la liquidité : chacun essaie de capter le maximum de ressources liquides, et surtout de ne plus les prêter. Or le marché de gros de la liquidité est véritablement le système sanguin de l’économie mondiale. Depuis le mois d’août, les banques centrales ont tenté une série d’innovations pour le réanimer, mais sans succès, et il s’est complètement arrêté à partir de la faillite de Lehman Brothers, le 13 septembre. En conséquence, les banques centrales ont eu recours à des mesures extraordinaires consistant à remplacer le marché de gros de la liquidité par une alimentation des banques en lignes de crédit de plus en plus importantes, allant jusqu’à 600 milliards de dollars par jour ; elles se sont engagées également dans des opérations coordonnées pour assurer les alimentations en devises : la pénurie de dollars  liquides les a ainsi obligées à conclure des accords de swap à des niveaux considérables. Actuellement donc, le marché interbancaire, ou plus généralement le marché de gros de la liquidité est entre les mains des banques centrales.

Enfin, tous les agents économiques perçoivent que la récession s’installe. Il pourrait en résulter un « effet de second tour » : la crise économique risque d’alimenter la crise financière. En effet, une récession l’année prochaine entraînera une très forte baisse des profits ; or beaucoup d’entreprises européennes et américaines sont fortement endettées, notamment à travers des opérations de LBO – leverage buy out –, qui se révèlent extrêmement dangereuses en cas de chute des marchés boursiers. La crise aurait d’ailleurs pu commencer de cette façon. La « cuvée » la plus importante de LBO datant de 2006, nous sommes face à un enchaînement très dangereux : au bout d’un délai de trois à cinq ans, les fonds de private equity mettent généralement en bourse les entreprises concernées, ou bien ils les revendent à d’autres fonds. Or, les fonds de private equity n’ont plus d’argent disponible puisqu’ils se financent sur les marchés monétaires, comme les hedge funds. Les pertes potentielles sont donc considérables. L’autre élément inquiétant concernant les entreprises, c’est le fait que beaucoup d’entre elles se sont endettées pour racheter massivement leurs actions en vue de « booster » les dividendes versés ; dans d’assez nombreux secteurs, les entreprises présentent donc des bilans assez fragiles. Selon sa sévérité, la récession peut ainsi placer les banques devant un montant plus ou moins important de dettes insolvables des entreprises ; il peut en résulter un credit crunch. C’est de cette façon qu’une récession peut se transformer en dépression économique : à mesure que les couches de dettes devenues insolvables s’accumulent, le coût du crédit augmente alors qu’il faudrait le faire baisser.

Face à cette crise à trois dimensions, les autorités ont réagi aussi bien qu’elles le pouvaient, quitte à changer radicalement de politique.

La Réserve fédérale américaine vient ainsi d’adopter deux mesures extraordinaires. Avant-hier, elle a décidé de prêter directement de l’argent aux entreprises, en achetant leur papier commercial sans exiger de garanties. Cela revient à sauter par-dessus les banques, ce qui prouve bien à quel point le marché de la liquidité ne fonctionne plus. Et hier, elle s’est engagée dans une coordination sans précédent avec d’autres banques centrales. Agissant hors du cadre habituel des réunions de comité de politique monétaire, afin de mieux frapper les esprits, six banques centrales ont décidé de baisser leurs taux de 50 points de base. Quel contraste avec les propos tenus par les responsables de la BCE quelques jours plus tôt ! L’horizon temporel des agents tendant à l’heure actuelle vers zéro, les autorités doivent prendre des décisions dans l’urgence. Les baisses de taux vont certainement se poursuivre : quand une dépression aussi importante que celle de l’entre-deux-guerres menace, on est obligé d’aller vers le taux zéro.

À ces interventions des banques centrales s’ajoutent celles des États. Ceux-ci ont pris conscience que la recapitalisation coordonnée des banques est une nécessité, y compris dans l’Union européenne. À cet égard, on constate un très net changement de discours par rapport au dernier G4, au cours duquel Mme Merkel prônait le chacun pour soi. Face à des banques paneuropéennes, qui ont parfois la nationalité de pays de petite taille, une coordination s’impose en effet ; le cas de Fortis en témoigne déjà, mais d’autre banques vont se trouver en difficulté, et parfois au-delà des frontières de l’Union : ce n’est pas le gouvernement suisse qui peut sauver la banque UBS, dont les actifs représentent quatre fois et demie le PIB de la Suisse. Une coordination très large est donc indispensable. Mais l’Europe doit préférer la recapitalisation au rachat de créances. Et il faut agir tout de suite de façon massive, afin de ne pas être contraint d’intervenir de nouveau au bout de quarante-huit heures, comme ce fut le cas pour la banque Hypo Real Estate et pour Fortis.

Étant donné qu’il n’y a pas de budget européen, se pose la question du partage des contributions budgétaires entre les États. Rien n’ayant été institutionnalisé dans ce domaine malgré les recommandations de nombreux économistes, il faudra régler cela dans l’urgence. Bien entendu, il faut qu’en contrepartie de son intervention, l’État obtienne des actions préférentielles et que les contribuables puissent bénéficier d’un retour de la banque à une situation meilleure. D’autre part, il faut évidemment renouveler profondément les équipes dirigeantes. Sauver les banques ne signifie pas sauver les banquiers, étant donné les origines de la crise !

M. Jean Tirole. Je ne reviendrai pas sur le diagnostic, que vous connaissez bien. J’évoquerai en revanche les mesures destinées à sortir de la crise, puis les réformes à mettre en œuvre pour empêcher son renouvellement.

Tout d’abord, comment gérer la crise ?

Le premier moyen, c’est la fourniture de liquidités. Depuis août 2007, les banques centrales ont injecté des montants considérables. Certes, on sauve ainsi des institutions qui ont pris d’énormes risques en empruntant à très court terme alors qu’elles disposaient d’actifs de long terme, mais on n’a pas le choix.

Comme l’a indiqué Michel Aglietta, la Fed va commencer à prêter directement aux entreprises. En dépit du resserrement du crédit qui nous attend dans les années qui viennent, ce contournement des banques me semble très dangereux. C’est le rôle et la spécialité des banques de prêter de l’argent aux entreprises, qu’elles surveillent ; la Fed n’a ni les compétences ni les informations nécessaires pour cela.

Ce qui est impératif, c’est la recapitalisation des banques, à laquelle on peut procéder de deux manières.

Le plan Paulson, bien qu’il soit très vague, ce qui est en soi un sujet d’inquiétude, recourt à la première solution : l’État va acheter des actifs toxiques. Mais ce faisant, il va apporter du capital de façon non discriminante, sans se limiter aux institutions régulées ou présentant un risque systémique majeur : l’efficacité par dollar de cet argent public est d’autant plus faible. Par ailleurs, on récompense l’aléa moral, en sauvant ceux qui ont émis ou acheté des titres toxiques. On peut craindre aussi le maintien en place des dirigeants.

La deuxième solution est la recapitalisation directe, qui me semble bien préférable. La règle est que les actionnaires ne doivent rien recevoir, et cela pour deux raisons très simples : d’une part, en l’absence de recapitalisation, il y aurait faillite, auquel cas la valeur de leurs actions serait égale à zéro ; d’autre part, compte tenu de la situation des finances publiques, il convient de ne pas brûler des cartouches inutilement. Un autre argument en faveur de la recapitalisation directe est la nécessité de changer une direction qui a failli.

S’agissant des techniques de prise de participation de l’État, on peut envisager des nationalisations provisoires à la scandinave, ou encore l’acquisition d’actions préférentielles ou de warrants, ce qui me semble une bonne solution. On pourrait également envisager de séparer les actifs toxiques des actifs sains, mais cela implique de créer une structure de défaisance qui pose des problèmes spécifiques bien connus.

J’en viens aux réformes à venir.

Il faut absolument réformer en profondeur, tout en gardant à l’esprit qu’on ne doit pas réformer à chaud. Quand tout va bien, la tendance est à la sous-régulation, et quand la situation se dégrade, sous la pression de l’opinion publique on a tendance au contraire à sur-réguler ; nous avons certes souffert d’une régulation insuffisante, mais pour autant il ne faut pas aller trop vite.

L’objectif premier de la réglementation est de protéger les petits déposants, les détenteurs de créances et de polices d’assurance ou encore ceux qui ont investi dans les fonds de pensions, parce que ces acteurs sont trop petits ou insuffisamment informés. Mais dans une période exceptionnelle comme celle que nous vivons, le contrôle du risque systémique est également un objectif important.

Il ne faudra pas jeter le bébé avec l’eau du bain : il est hors de question de revenir sur la titrisation ou sur l’existence des produits dérivés, car ces innovations ont des effets positifs. Il faudra en revanche prendre les dispositions techniques nécessaires pour que les abus ne puissent pas se renouveler.

La réglementation prudentielle est indépendante des cycles financiers et économiques. En revanche, la comptabilité en valeur de marché oblige les banques à se recapitaliser quand les marchés s’effondrent, soit en émettant des actions, soit en vendant des actifs, ce qui produit un effet « boule de neige » : la valeur des actifs se réduit encore, et il faut à nouveau procéder à une recapitalisation. Cependant la comptabilité en valeur de marché me paraît absolument indispensable, pour des raisons de transparence. Il convient néanmoins d’atténuer ses effets macroéconomiques ; il faut imposer des exigences en capital plus importantes en période favorable, comme l’ont fait les autorités espagnoles, et les réduire en cas de retournement.

S’agissant des agences de notation, une réforme s’impose car ces agents sont eux-mêmes devenus des auxiliaires de régulation. Les compagnies d’assurance, les fonds de pension, les brokers et, depuis 2007, les banques peuvent en effet recourir à leurs services afin de diminuer leurs exigences en capital - c’est une possibilité qui leur est offerte si la notation accordée est bonne. Il va falloir se pencher sur le mode de rémunération de ces agents, sur leurs conflits d’intérêts, sur une définition des meilleures pratiques et sur la mesure des performances. Il faudra également normaliser les notations, afin qu’une notation donnée ait la même signification, que la créance concerne une commune, une entreprise ou qu’il s’agisse d’un portefeuille de créances immobilières.

Pour éviter les risques systémiques, nous avons par ailleurs besoin d’accroître la transparence des expositions mutuelles au risque, aujourd’hui trop importantes, mais surtout trop opaques : il faut éviter que les politiques publiques deviennent l’otage des risques de contagion. Ainsi que l’a exprimé mon collègue Jean-Charles Rochet, de Toulouse, il faut garder, autant que faire se peut, les produits nocifs hors des « lieux publics » – lesquels sont constitués, dans le cas particulier, par la sphère régulée.

M. Henri Emmanuelli. On en est loin !

M. Jean Tirole. Vous avez malheureusement raison. Il faudra notamment standardiser les produits, sans pour autant empêcher les innovations, qui peuvent être très utiles dans certains cas. Des réflexions sont en cours sur ce sujet très technique.

S’agissant des instances de régulation, une solution intéressante serait d’instaurer un superviseur européen au sein de la BCE, afin d’éviter le « chacun pour soi » et de regrouper des compétences rares, très convoitées par les banques elles-mêmes. Même si les interventions se sont bien passées pour Fortis et Dexia, nous aurions également besoin d’une instance jouant le rôle d’un Trésor européen ; on peut songer à la Banque européenne d’investissement. Cela posera bien sûr le problème des transferts implicites entre États car les faillites bancaires seront plus nombreuses dans certains que dans d’autres ; mais l’instauration d’une supervision uniforme atténuera cette difficulté.

Il faudrait également se pencher sur d’autres sujets, comme la réglementation de la liquidité et la rémunération des dirigeants. Verser aux dirigeants ayant failli une rémunération conséquente est choquant, même d’un point de vue strictement économique puisqu’on récompense la sous-performance. Cela étant, il ne faut pas trop verser dans le dogmatisme : les « parachutes dorés » peuvent parfois se justifier par des arguments d’efficacité. Quant à l’idée de réglementer les systèmes de rémunération des dirigeants, elle me fait un peu peur : ce type de dispositif peut être contourné au prix d’inefficacités économiques supplémentaires, et les meilleurs dirigeants risquent de partir vers les hedge funds ou à l’étranger. Mieux vaudrait recourir à des incitations de nature prudentielle : on pourrait, en cas de systèmes de rémunération qui ne poussent pas trop au risque et orientent les dirigeants vers des considérations de long terme, réduire les exigences en capital.

Un mot enfin sur la réglementation des acteurs financiers autres que les banques, les compagnies d’assurance et les fonds de pension. Il ne faut pas se tromper de cible : l’objectif est de protéger les petits déposants ou les détenteurs de polices d’assurances. Il est de toute façon impossible de réguler les hedge funds ; ce qu’il faut, en revanche, c’est éviter que les banques et compagnies d’assurances que l’on régule soient trop exposées aux risques portés par ces fonds.

M. René Ricol. Lorsque j’assurais la présidence de la Fédération internationale des experts comptables, au milieu d’une autre crise financière, une régulation externe de la profession d’auditeur a été instaurée au motif de redonner confiance aux marchés. Ma profession avait en effet été désignée coupable, comme c’est aujourd’hui le cas des agences de notation. Mais on oublie à chaque fois que c’est l’ensemble du système qui est responsable. La folie commence avec le particulier qui exige de sa banque une rentabilité de 8% par an, et continue avec les opérateurs de marché qui estiment normal de gagner des sommes colossales : c’est l’ensemble du système qui est trop cupide.

En 2002, j’avais indiqué que la prochaine crise financière serait encore plus grave et que les agences de notation seraient désignées comme coupables, mais qu’il faudrait songer à parler du marché… Si l’on ne prend pas conscience des origines de la crise, la prochaine sera dramatique. Certes il y aura toujours des crises financières, parce qu’un système en développement fait toujours l’objet d’ajustements ; mais il serait indispensable de prendre des dispositions pour en limiter les effets.

Le moyen de changer le système de régulation, c’est, quand on fixe les exigences en capital d’une banque, de prendre en compte non pas seulement le profil de risque, mais aussi la façon dont les opérateurs et les dirigeants sont rémunérés. Logiquement, il faut augmenter les exigences en capital quand tout va bien, pour pouvoir les réduire quand les choses vont mal : que les banques aient affiché pour les cinq dernières années un taux de rentabilité de 15% est déraisonnable ; il aurait fallu réduire l’appétence au gain en augmentant l’exigence en capital.

Les crédits subprime ont permis à beaucoup d’Américains d’accéder à la propriété. Mais comment les choses se passaient-elles concrètement ? On venait vous proposer d’acheter une maison même si vous n’en aviez pas les moyens, en vous assurant que vous ne paieriez rien pendant deux ans, puis que vous vendriez le bien afin de dégager une plus-value grâce à l’augmentation des prix de l’immobilier. On ne dira jamais assez que si cette folie a pu se produire aux États-Unis, c’est parce qu’il n’y avait aucune régulation sur certains acteurs. Rien de tel en Europe : les produits toxiques ont été créés aux États-Unis, nous n’avons eu que la bêtise de les acheter.

M. Henri Emmanuelli. Le pire, est-ce d’avoir eu la bêtise de les créer, ou d’avoir eu la bêtise de les acheter ?

M. René Ricol. Ce sont deux bêtises…

Le marché immobilier aux États-Unis a baissé de 20 à 30 %, mais les titres de crédits restructurés ont chuté beaucoup plus, parfois jusqu’à ne plus rien valoir du tout. Cette anomalie résulte de la combinaison de la règle comptable et de la règle prudentielle, qui a des effets procycliques.

Il faut se féliciter que la comptabilisation en valeur de marché ait permis d’identifier assez rapidement la crise, mais il est également vrai que la valeur de marché ne veut plus rien dire quand il n’y a plus de marché. Il y a urgence à ce que l’Europe prenne des décisions à ce sujet car pendant que l’on réfléchit, beaucoup de gens continuent à spéculer – et peuvent avoir intérêt à voir disparaître un établissement afin de le racheter, en étant alors sûrs que les actifs valent plus cher que le prix auquel ils les achètent…

La première mesure à adopter, c’est donc l’évaluation des actifs des banques à leur vraie valeur dans la durée : c’est essentiel pour mettre fin aux tentations.

En second lieu, et c’est tout aussi important, il faut agir sur la gourmandise elle-même en changeant immédiatement le système de rémunération des opérateurs de marché. Le problème de la rémunération des dirigeants n’est pas la priorité. L’impératif est simple : il faut que les bonus soient calculés sur plusieurs années, pour que les opérateurs prennent en compte les risques de retournement de cycle.

Au-delà de ces deux mesures essentielles, quelques mots sur la première proposition de mon rapport. On a longtemps dit que les autorités politiques devaient abandonner un peu de leur pouvoir à des autorités indépendantes. Celles-ci sont très utiles, mais cela ne veut pas dire que le politique doit disparaître. Je prône un retour du politique : il faut arrêter de lui demander de se faire oublier quand tout va bien, et d’intervenir quand tout va mal. Remettre du politique dans le système, c’est remettre du débat ; on ne peut pas continuer à laisser les régulateurs et superviseurs décider tout seuls de la façon dont on va protéger les actifs des particuliers et des entreprises. En matière d’assurances, le projet Solvency 2 était un projet fou puisqu’il conduisait à calculer la valeur des actifs et des passifs de court terme et de long terme sur la valeur de marché immédiate. Les professionnels doivent faire leurs propositions, les experts émettre leurs avis, mais il revient au pouvoir politique, après avoir organisé le débat, de décider en connaissance de cause. Au cours des quinze dernières années, en matière financière, ce ne fut pas toujours le cas, et on peut se demander si les politiques n’ont pas été parfois manœuvrés.

S’agissant enfin des agences de notation, il faut comprendre la raison des erreurs qui ont été commises. On peut effectivement réguler la profession afin de lutter contre les conflits d’intérêt, mais on doit être conscient qu’il faut beaucoup de temps pour parvenir à un dispositif efficace. On peut en revanche imposer une mesure d’effet immédiat, en s’inspirant du dispositif de contrôle interne que j’ai généralisé dans les cabinets d’audit : il y a désormais une deuxième équipe, dont le système de rémunération est déconnecté de la marche du cabinet, qui traite les dossiers les plus importants, et le rapport final ne peut sortir qu’après confrontation des points de vue des deux équipes. Dans les agences de notation, il est évident qu’il y aura toujours des pressions. Il faudrait donc qu’une autre équipe fasse le même travail sans être en contact direct avec l’entreprise, et que le comité de rating puisse s’appuyer sur deux avis concurrents. Cela permettrait d’améliorer la qualité des notations, et donc de redonner confiance dans l’activité des agences.

M. le président Didier Migaud. Merci beaucoup pour ces très intéressantes interventions, qui appellent sans doute quelques questions.

M Bruno Le Maire. Quelle est votre évaluation du risque pour les actifs des particuliers et les dépôts bancaires ? On entend dire que les banques françaises sont saines parce qu’elles détiennent moins d’actifs toxiques. Qu’en pensez-vous ?

S’agissant de la transmission de la crise à l’économie réelle, quelle est votre évaluation du risque actuel ? Estimez-vous que les mesures prises par le Gouvernement, notamment le déblocage de 22 milliards d’euros pour le financement des PME, permettront d’éviter cette contagion ? Dans nos circonscriptions, les dirigeants de PME font état d’un resserrement du crédit qui pourrait conduire à des faillites, et ainsi augmenter le chômage.

En troisième lieu, jusqu’où faut-il aller dans la coordination européenne ? Faut-il créer de nouvelles structures ? Vous avez évoqué la création d’un budget européen et celle d’un Trésor européen. Faut-il repenser la construction européenne à l’occasion de cette crise ?

Enfin, dans quel cadre pensez-vous qu’il faudra négocier les nouveaux principes de régulation ? Faut-il commencer par en discuter dans le cadre de l’Union européenne, du G8 ou d’un G8 élargi ?

M. Bernard Carayon. Monsieur Ricol, quel est, selon vous, le lieu optimal de la régulation internationale ? Quelle forme juridique et quel mode de gouvernance faut-il choisir ?

Quel rôle jouent les hedge funds dans la déstabilisation du système financier ? Doit-on craindre l’effondrement de certains d’entre eux dans les jours et les semaines qui viennent ?

Comment les fonds souverains se comportent-ils ? Se sont-ils rétractés ou bien ont-ils diversifié leur politique d’acquisition d’actifs ?

J’ai écouté avec beaucoup intérêt votre proposition d’instaurer une deuxième équipe de rating, mais qui la paiera ?

Enfin, budget européen veut-il obligatoirement dire instauration d’un impôt européen ?

M. Henri Emmanuelli. Monsieur Le Maire, la précédente audition nous a appris que sur les 22 milliards, seulement deux seront effectivement confiés à OSEO ; le reste n’est que de l’épargne qui va être mise à disposition du système bancaire, et l’on n’a pas la moindre garantie que ces fonds iront aux PME. Il y a un vrai problème de communication sur les mesures prises, qu’il s’agisse de cet argent prétendument mis à disposition des PME ou du dispositif d’achat de 30 000 logements.

Monsieur Ricol, que l’on demande au contrôlé de payer le contrôleur me paraît défier la raison. Le problème se pose dans de nombreux domaines : je connais, dans ma circonscription, un laboratoire d’analyses agroalimentaires qui réalise 90 % de son chiffre d’affaires avec un seul client – qu’il lui est donc difficile de contrarier… Demande-t-on à un étudiant de rémunérer directement l’enseignant qui lui fait passer un examen, ou bien à l’automobiliste de payer le policier qui le contrôle sur la route ? Les solutions ne sont pas faciles, mais on peut en trouver. La deuxième équipe de rating, c’est toujours le client qui paiera…

Sans revenir sur les différences de point de vue que j’ai cru déceler sur certains sujets entre M. Aglietta et M. Tirole, j’aimerais avoir un commencement de réponse au sujet des 62 000 milliards de dollars de CDS – credit default swaps – en circulation, sur lesquels la discrétion est totale. Où sont-ils ? Menacent-ils les banques ? Qui vont-ils abattre ?

Mme Arlette Grosskost. Concernant les conséquences de la crise sur l’économie réelle, on nous disait encore il y a quelques jours que nos difficultés actuelles pourraient être compensées par le dynamisme des pays émergents. Qu’en est-il réellement ? Que se passera-t-il dans ces pays ?

Quelle place vont occuper les fonds souverains ?

Enfin, n’est-ce pas le moment de réfléchir à la mise en place d’une fiscalité commune, afin de stopper les dérives ?

M. Gérard Bapt. On conçoit qu’il soit difficile de faire adopter le plan Paulson, qui représente une charge de 2 300 dollars par contribuable américain, à un moment où les inégalités de revenus sont aussi fortes. Elles n’ont jamais été aussi graves aux États-Unis depuis la fin du XIXème siècle, relève l’éditorialiste du New York Times ; et l’ex-PDG de Lehman Brothers a paru stupéfait de se voir demander s’il n’était pas gêné d’avoir gagné 360 millions de dollars dans l’année…Au-delà de la crise financière, comment pensez-vous qu’on puisse traiter les problèmes de l’économie réelle, dans un contexte marqué par le creusement des inégalités au niveau mondial ?

Mme Marie-Anne Montchamp. Quel est le risque de contamination de la sphère publique, du fait de la fonction de réassurance qu’elle développe aujourd’hui ? Peut-on évaluer le risque financier de l’État ?

M. le président Didier Migaud. Pour prolonger la question d’Henri Emmanuelli sur les CDS, quelle leçon tirez-vous de ce qui s’est passé au cours des dernières quarante-huit heures avec Fannie Mae ? Comment apprécier le risque ?

M. Michel Aglietta. Au-delà du problème de la cohésion sociale, on peut parler de menace sur la régulation économique du fait de l’évolution des revenus, notamment aux États-Unis. Le salaire médian américain n’a pas progressé, en termes réels, depuis trente ans. Autrement dit, le salaire et la productivité ont été déconnectés ; en revanche, des distorsions énormes sont apparues entre les salaires les plus élevés et les autres. Or quand la consommation représente 80 % du PIB, si les revenus ne progressent pas, nécessairement le taux d’épargne s’effondre et l’endettement ne cesse de s’accroître. L’endettement des ménages – crédits immobiliers, mais aussi crédits à la consommation – a dérivé depuis 1992, année où le taux d’épargne a commencé à baisser par rapport à sa tendance de long terme. Or une économie ne peut pas fonctionner indéfiniment avec un taux d’endettement en progression. C’est le phénomène sous-jacent de la crise bancaire.

Le modèle de la banque d’investissement a accentué le processus. Le crédit s’est énormément accru à partir des années 2000, du fait des transferts de risques avec les CDS, ces transferts concernant tous types de crédit. Quand la Fed a laissé tomber Lehman Brothers, elle ne savait pas que les money market funds, c’est-à-dire les SICAV monétaires, détenaient massivement des dérivés de crédits sur la dette de Lehman Brothers. Quand la panique s’est transportée sur le marché de détail, le Trésor a demandé à la Fed d’ouvrir un parapluie général, en garantissant la totalité des parts de SICAV monétaires, à l’instar de la garantie des dépôts.

M. René Ricol. Ce fut en effet une incroyable erreur de laisser tomber Lehman Brothers. La question de l’influence de Goldman Sachs dans le monde est posée, il faut avoir le courage de le dire ; je serais étonné que son intérêt à court terme n’ait pas été de voir disparaître Lehman Brothers, et c’est à partir de ce moment là que la panique s’est installée.

M. le président Didier Migaud. Que faut-il faire ?

M. René Ricol. Dans un moment de crise, la solidarité est capitale. Pour éviter les réactions de panique, il est souhaitable que les responsables politiques ne tiennent pas des discours trop différents, de même que les grands acteurs de marché, qui doivent dépasser leurs intérêts propres.

M. Jean Tirole. Les produits dérivés ont un intérêt : il est normal de pouvoir s’assurer, en matière financière comme ailleurs. Ces produits participent de la gestion du risque, tout à fait cruciale pour nos économies. Certes il y a eu énormément d’abus, les banques d’investissement en ont émis trop, avec des commissions énormes ; il faut une certaine standardisation. Il faut aussi arrêter de jouer avec les expositions mutuelles : après tout, que Warren Buffet veuille échanger des CDS nous est égal, sauf si nos banques et nos compagnies d’assurance se trouvent exposées. Il ne faut pas tuer l’innovation financière, mais veiller à ce qu’elle ne nous atteigne pas.

Il en va de même pour le transfert du risque de crédit. La titrisation est en soi une bonne chose, ce sont les abus qui posent problème.

La certification sert d’une part à se diversifier, d’autre part à faire certifier par des agences de notation et des banques d’investissement les actifs émis. Il faut que ceux qui les émettent en gardent une partie au bilan, pour produire un effet d’incitation. La proportion peut varier : certains actifs peuvent se titriser à 90 % ; en revanche il ne fallait pas, comme on l’a fait, faire passer la titrisation des crédits subprime de 40 à 80 %. L’expérience a montré que les prêts qui étaient faciles à titriser avaient une probabilité de défaillance de 20 % supérieure.

Mais on a la finance qu’on mérite : c’est la défaillance réglementaire qui a permis les abus ; les instruments eux-mêmes, produits dérivés et titrisation, ne sont pas en cause.

Quant à l’argent public, il est étonnant qu’il serve à sauver des institutions financières qui ne sont pas régulées, comme les banques d’investissement et peut-être demain les hedge funds ! Mais on est obligé de le faire parce qu’on a laissé se développer les expositions mutuelles. Il faudrait des lieux publics bien définis. Dans le cas de Fannie Mae et Freddie Mac, il y avait privatisation des gains et nationalisation des pertes à travers la garantie de l’État. En Europe, la Commission européenne a empêché cela avec l’interdiction des garanties implicites ; mais le mélange entre public et privé demeure inquiétant.

M. Michel Aglietta. Quelques mots sur les effets de la crise sur l’économie réelle.

Dans la zone euro, la première force de transmission est le marché immobilier. Son retournement va à lui seul faire perdre un demi point de croissance dans les pays où les prix baissent le plus. Et si en Europe nous n’avons pas de crédits subprime, il y a d’autres problèmes : en Espagne, par exemple, les caisses régionales d’épargne sont totalement liées aux promoteurs qui sont en train de faire faillite. Deuxième élément : la perte de confiance des ménages, liée d’une part à la baisse des salaires réels, elle-même conséquence pour partie de la hausse des prix alimentaires et du prix du pétrole, d’autre part à la montée du chômage. Il va en résulter une baisse de la consommation, à partir sinon du troisième, du moins du quatrième trimestre. On peut ainsi s’attendre à une croissance négative de 0,5 % en 2009, en Europe comme aux États-Unis. La propagation à l’économie mondiale est donc certaine : il n’est plus question de parler de découplage.

Par ailleurs, on a vu ce qui s’est passé en Islande ; pensons de même à ce qui va se passer en Europe de l’Est, en Roumanie par exemple, où l’endettement à court terme est extraordinairement élevé et le déficit très important, ou encore dans les pays baltes. Cet endettement pèse sur des banques européennes, essentiellement allemandes et italiennes.

Autre élément de fragilité : les crises immobilières qui sévissent un peu partout dans le monde, en Inde, en Chine comme en Amérique latine. Il faut s’attendre à des problèmes financiers, aggravés par le fait que les banques des pays émergents, elles aussi, manquent de liquidités. Tous les pays qui ont pratiqué l’endettement à court terme en devises étrangères risquent d’avoir des difficultés. Mais beaucoup ont des matelas de réserves de change considérables – grosse différence avec 1997 et 1998 –, ce qui permet aux États d’absorber les difficultés rencontrées par les systèmes bancaires.

Conséquence de tout cela : la croissance mondiale pourrait tomber à 2 % l’an prochain, alors qu’avant le mois de septembre on tablait sur 3 à 5 % ; eu égard aux niveaux de croissance antérieurs des pays émergents, cela signifie une récession généralisée.

M. le président Didier Migaud. Comment atténuer ces effets ?

M. Michel Aglietta. La seule réponse, c’est la baisse massive des taux d’intérêt et le déficit budgétaire. La difficulté, c’est que l’État va devoir à la fois recapitaliser les banques et stimuler l’économie ; on va donc certainement vers des déficits considérables.

Dans ces conditions, quel sens peut avoir un pacte de stabilité européen ? Il paraît relever d’une époque révolue. Il doit être remplacé par une action collective, c’est-à-dire par la capacité de faire fonctionner les budgets des pays de la zone euro de manière coordonnée : on peut très bien mener une politique budgétaire européenne sans budget européen, au moyen des budgets nationaux.

M. Jean Tirole. Je mettrai quelques bémols : certes, on a besoin de déficits budgétaires maintenant ; le problème, c’est que lorsque tout va bien, on ne les diminue pas… Quant à la baisse des taux d’intérêt, je suis également pour, mais il ne faut pas en attendre des miracles. Aux États-Unis, on est déjà tombé à 1,5 %. Il ne faut pas oublier que Greenspan a contribué à la crise en encourageant les opérations de transformation en prêts à très court terme très bon marché qui fragilisent les structures de bilan. Au Royaume-Uni, Northern Rock était très bien capitalisée mais elle avait des dépôts à des taux extrêmement faibles, et la montée des taux a provoqué sa faillite : il faut donc se méfier des taux d’intérêt trop bas.

M. Michel Aglietta. Les hedge funds ne sont pas à l’origine de la crise. Ce sont des structures privées, censées à l’origine gérer de manière dynamique de la richesse privée. Malheureusement, depuis l’an 2000, leurs clients essentiels sont les gros investisseurs institutionnels – caisses de retraite, fonds de pension. Ils gèrent désormais de l’argent public.

Dans leur bilan, on trouve essentiellement des actifs plus ou moins risqués, financés par de la dette à court terme. Autrement dit, le hedge fund est une banque, et une banque de marché non régulée. Le développement de l’ingénierie financière a entraîné la constitution d’un système bancaire parallèle ou shadow banking system, complètement interconnecté avec le système bancaire – d’où le risque systémique. Sur les 8 000 hedge funds, tous ne posent pas problème ; la question, c’est de déterminer le niveau d’interconnexion, pour savoir qui risque de faire faillite directement, ou d’entraîner dans sa faillite celle d’un autre.

Autre élément essentiel : les relations extrêmement perverses entre le hedge fund et ses mandants, c’est-à-dire les investisseurs institutionnels. Ces derniers donnent aux experts du hedge fund un capital à placer, moyennant une commission qui, pour le bénéficiaire, est du type « face, je gagne, pile, tu perds ! » : l’investisseur verse une commission forfaitaire sur les actifs, qui représente pour lui un énorme coût fixe, et en cas de performance le hedge fund prend en sus une commission de performance qui peut atteindre 20 % de celle-ci ; mais en cas de perte, il n’y a pour lui aucun malus. Cela encourage les prises de risque excessives. Il faudrait évidemment que ce système soit réformé. Encore faudrait-il pour cela que les investisseurs institutionnels ne considèrent plus comme par le passé que les hedge funds sont toujours gagnants ; ils doivent rétablir avec eux une relation plus normale.

Un autre problème tient au fait que les hedge funds ont la prérogative extraordinaire de ne pas avoir à déclarer quoi que ce soit, et en particulier s’ils sont en faillite ; on ne sait donc pas lesquels perdent, et les indices de performance sont très surévalués du fait qu’on ne tient pas compte de ceux qui disparaissent. Et ni les investisseurs institutionnels ni les autorités n’étant au courant des positions des hedge funds et des risques associés, il peut arriver qu’un hedge fund fasse tomber une banque sans que personne n’ait pu le prévoir. Il paraît donc indispensable d’assurer une plus grande transparence du marché. Celui qui porte le risque final, c’est-à-dire l’investisseur institutionnel, doit pouvoir faire une évaluation autonome du risque, contradictoire avec celle des fabricants de produits. Ce n’était pas du tout le cas, ni dans les produits dérivés, ni dans les CDO – collateralized debt obligations – puisque les agences de notation ne donnaient ni la structure des pools ni leurs hypothèses. Il ne s’agit pas d’interdire aux hedge funds de faire ce qu’ils font, mais de créer au sein d’un organisme central une base de données permettant d’éclairer les clients.

M. René Ricol. Quels sont aujourd’hui les risques pour les particuliers ? Comme dans toutes les périodes de crise économique, des risques pèsent sur les entreprises et sur l’emploi ; mais il n’y a pas de risques sur les dépôts bancaires. Il n’est pas sérieux de propager cette idée, ce qui peut créer un mouvement de panique. Le vrai risque, c’est l’installation de la crise économique.

Dans ce contexte, quid de l’Europe ? Nous sommes dans une problématique mondiale, face à laquelle les pays européens, s’ils veulent préserver leur influence, doivent absolument agir de manière coordonnée. Les comités dits de niveau 3 ne sont pas assez puissants. Dans les crises financières, il y a toujours des compétitions entre pays et entre continents. Si l’Europe n’est pas assez forte, elle ne sera pas bien placée pour se défendre contre les effets pervers, y compris au moment de la sortie de crise. Si nous voulons peser sur la scène internationale, il faut plus d’Europe.

Qui va payer la deuxième équipe de notation ? Ceux qui paient la première. Est-ce normal que le contrôlé paie le contrôleur ? Oui, on ne voit pas d’autre solution ; la vraie question, c’est qui choisit. Les agences de notation sont devenues des institutions, et les superviseurs bancaires, ils le reconnaissent eux-mêmes, se sont appuyés sur elles à l’excès. Non seulement il faut que les régulateurs superviseurs gardent leur rôle, mais il conviendrait que les investisseurs participent au choix de celui qui note. Je ne suis pas du tout pour la désignation par une autorité réglementaire car il faut de la souplesse, mais ceux qui ont un intérêt direct dans la sécurité apportée doivent être impliqués dans le choix.

Quant aux fonds souverains, ils sont parfois alliés à d’autres qui ne le sont pas et qui ont perdu beaucoup d’argent ; mais au moment de la sortie de crise, certains auront considérablement renforcé leur pouvoir dans la sphère financière et peut-être dans la sphère industrielle. Il est donc légitime, comme l’a fait le Président de la République, de poser la question de la parité des monnaies.

M. Jean Tirole. Quand les marchés sont à la baisse, il est très important que des acteurs de long terme rachètent pour faire remonter les prix. C’est le rôle que peuvent jouer les fonds souverains, celui que joue Warren Buffet en mettant 5 milliards dans Goldman Sachs, celui que peut jouer aussi la Caisse des dépôts en France.

M. René Ricol. Je suis d’accord, et il faut donc voir comment renforcer le rôle des « bons acteurs » qui s’inscrivent dans le long terme. Le dispositif France Investissement, partenariat public-privé, est un très bon exemple.

Mme Arlette Grosskost. L’harmonisation de la fiscalité pourrait-elle contribuer à la résolution de la crise ?

M. René Ricol. Je ne le crois pas. En revanche, l’absence d’harmonisation fiscale au niveau européen explique pourquoi on ne parvient pas à davantage d’harmonisation sur l’ensemble des sujets économiques et financiers. On peut obtenir en allant en Suisse, par exemple, un traitement fiscal très dérogatoire, tant par rapport au régime national que par rapport au régime appliqué aux Suisses. C’est une forme de compétition déloyale.

M. Jean-François Mancel. On a l’impression que la France est le moins mauvais élève sur le plan financier, mais allons-nous en tirer un avantage au niveau de l’économie réelle ?

M. René Ricol. Je n’oserais pas dire que la France est le moins mauvais élève sur le plan financier. Nous n’avons pas toutes les informations, ni en France ni ailleurs, et c’est d’ailleurs préoccupant. En Espagne, où avaient été introduits des dispositifs contracycliques, le système bancaire résiste mieux – ce qui permettra aux Espagnols de faire face à une crise immobilière qui sera peut-être chez eux plus sévère que chez nous.

Ce qui est positif en France, c’est le caractère très coordonné et très responsable des réactions. Par ailleurs, la réunion qui s’est tenue à Paris avec nos partenaires européens a été capitale ; le G 4 a en particulier parlé de la valorisation des produits financiers : il a été dit qu’il fallait que les institutions financières européennes soient exactement à égalité de traitement avec les institutions financières américaines, et c’est fondamental.

M. le président Didier Migaud. Grand merci pour cet échange.

——fpfp——

18.– Mercredi 22 octobre 2008, séance de 8 heures 30, extrait
du compte rendu n° 23

–   Audition de Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi sur la mise en place de la Société française de financement de l’économie – SFFE – et de la Société de prise de participations de l’État - SPPE – et sur la mise en œuvre des premières mesures.

La Commission a procédé à l’audition de Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi, sur la mise en place de la société française de financement de l’économie – SFFE – et de la société de prise de participation de l’État - SPPE – et sur la mise en œuvre des premières mesures.

M. le président Didier Migaud. Nous recevons, de bon matin, Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, que je remercie de nous consacrer un peu de temps avant le conseil des ministres.

Madame la ministre, vous avez annoncé, lundi soir, que l’État s’apprêtait à souscrire à des titres subordonnés émis par les principales banques françaises pour 10,5 milliards d’euros aux fins de financer l’économie. Cette souscription serait réalisée par la Société de prises de participation de l’État – SPPE –, cette opération se situant dans le cadre des mesures de garantie au secteur financier votées par le Parlement la semaine dernière.

Vous avez bien voulu venir devant la commission des finances nous exposer le détail des premières mesures envisagées dans le cadre du plan d’urgence. Je redis, à cette occasion, combien il y a nécessité à constituer, au plus vite, le comité de suivi des différentes mesures qui seront prises, comité de suivi où des parlementaires pourront être présents.

Il nous a été assuré à plusieurs reprises que les banques françaises étaient bien capitalisées, avec un ratio de fonds propres toujours supérieur à 8 % et qu’elles n’avaient donc pas de problème de solvabilité. Or, la première mesure proposée, dans le cadre du plan de garantie, doit justement permettre aux banques d’augmenter leurs fonds propres. Quelles explications pouvez-vous apporter au changement de discours ?

Comment les banques ont-elles fixé le niveau de leurs intentions d’émission ? Pourquoi a-t-on fait le choix d’émissions de dette subordonnée, auxquelles l’État souscrira, plutôt qu’une entrée au capital ?

Nous souhaiterions aussi avoir des précisions sur la durée des emprunts, leur taux, sur l’emprunt que fera l’État pour y souscrire, l’écart des taux qui constituera la rémunération de l’État, et, pour ce dernier, les conséquences de ces opérations en termes de dette, de charge de la dette, de recettes.

En contrepartie de cette intervention de l’État, les établissements de crédit vont prendre des engagements : pouvez-vous nous en préciser la nature ? Nous avons eu connaissance du projet de conventions avec les banques : implication dans l’économie, par l’augmentation des encours de crédit, adoption de règles de gouvernance interne et nous aurons des questions à ce sujet.

S’agissant des paradis fiscaux, nous avons entendu le ministre du budget et des comptes publics parler de clarification nécessaire. Ce sujet fera-t-il l’objet d’une clause des conventions ? Sera-t-il demandé aux banques françaises de cesser leurs activités dans les paradis bancaires ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. À propos de ces conventions, comment éviter qu’elles apparaissent, au niveau de l’Union européenne, comme une aide d’État ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Je vous remercie, monsieur le Président, de m’avoir convié devant votre commission pour débattre de l’ensemble des instruments financiers et des structures juridiques mis en place afin d’intervenir financièrement en faveur des banques. Un document a été remis à cet effet à votre Commission décrivant les objectifs poursuivis par le plan français.

Ce plan a pour objet essentiel de mettre en œuvre des mécanismes pour débloquer le crédit à l’économie. Ces mécanismes reposent sur la garantie de l’État qui permettra - compte tenu du capital confiance dont l’État bénéficie – de lever des ressources pour permettre à la machine économique de tourner. Il ne s’agit pas d’intervenir au capital pour stabiliser la situation d’un établissement en danger grave comme dans le cas de Dexia.

Nous avons mis en place deux instruments : la Société française de financement de l’économie – SFFE – qui consent des prêts de moyen terme jusqu’à cinq ans aux banques, et la société de prises de participation de l’État – SPPE – qui souscrit à des titres super-subordonnés – TSS – pour développer le crédit.

La Société de prises de participation de l’État est une société par actions simplifiée
– SAS – dont le capital appartient entièrement à l’État. Elle émet sur les marchés avec une garantie – fixée par la loi de finances rectificative pour le financement de l’économie votée la semaine dernière – de 40 milliards d’euros. Une première tranche sera tirée à concurrence de 10,5 milliards d’euros. Ces capitaux qui seront levés avec la garantie de l’État sur les marchés serviront à souscrire des titres subordonnés émis par les banques. Ces titres subordonnés constituent des fonds propres pour les banques. Les fonds propres d’une part et les financements d’autre part, ce sont les deux ingrédients nécessaires pour que les banques fassent de nouveaux prêts. C’est aussi la SPPE qui est intervenue pour entrer au capital de Dexia pour 1 milliard d’euros. Dexia, c’est une logique différente, il s’agissait de stabiliser un établissement en difficulté.

La Société française de financement de l’économie, pour sa part, est détenue à 66 % par les établissements bancaires afin qu’ils soient impliqués dans ce dispositif et qu’ils fournissent les moyens opérationnels de la Société dont l’État détient 34 %, soit la minorité de blocage. L’État y exerce son contrôle non seulement par ses représentants au conseil d’administration, mais également par le biais de son agrément des statuts et des dirigeants, et par un commissaire du Gouvernement disposant d’un droit de veto sur toutes les décisions. En outre, le collatéral, c'est-à-dire les titres qui seront apportés en gage par les banques qui empruntent, est soumis au contrôle de la Banque de France.

Le plafond des émissions garanties de la SFFE a été fixé à 320 milliards d'euros. La dette inscrite dans la SPPE présente un caractère maastrichtien, ce qui n’est pas le cas des emprunts souscrits par la SFFE.

Conformément à ce qui a été convenu lors des débats parlementaires, un comité de suivi associant la représentation nationale sera mis en place. Des propositions seront soumises à cet effet aux commissions des finances des deux assemblées puisque ces sociétés sont appelées à fonctionner très vite, l’objet de plan étant de réamorcer rapidement le financement de l’économie française.

L’apport de fonds propres par l’État via la SPPE pour soutenir le financement de l’économie s’exerce via des titres subordonnés. Ces titres sont à mi-chemin entre la dette et le capital. En revanche, les titres auxquels souscrit la SFFE sont des prêts de moyen terme – jusqu’à cinq ans au maximum – en contrepartie desquels les banques doivent apporter des actifs en gage. La Banque de France apprécie la valeur des actifs apportés en gage et une décote est pratiquée. Pour que la SFFE accepte de faire un prêt de 100 à une banque, il faudra que la banque apporte en gage des actifs d’une valeur non pas de 100 mais d’un montant supérieur selon la nature des actifs.

Les mécanismes que nous avons mis en place sont subordonnés à l’examen de la Commission européenne qui nous a assuré qu’elle allait statuer très rapidement. Il est possible qu’au regard des propositions faites par les Britanniques et les Hollandais, elle nous demande de revoir à la marge le dispositif que nous mettons en place s’agissant de la SPPE et des prises de participation au capital ou en titres super-subordonnés.

Nous avons créé la SPPE et mis en place le plan de 10,5 milliards d’euros très rapidement pour que le crédit à l’économie ne connaisse pas de trou d’air. L’annonce du plan a été accélérée par la décision des autorités hollandaises de faire bénéficier dimanche soir la seule banque ING d’un plan de 10 milliards d’euros alors que cet établissement n’avait pas déclaré avoir besoin d’apports complémentaires en fonds propres. Cet événement a créé une attente des marchés qui ont souhaité que les différents plans comme le plan français de financement de l’économie soient dévoilés. Cette attente des marchés a pesé sur le cours des banques françaises lundi matin et nous avons décidé de lever l’incertitude en annonçant le plan lundi soir.

Les titres super-subordonnés sont des titres de long terme avec une clause de remboursement anticipé possible au bout de 5 ou 10 ans avec l’accord de la Commission bancaire. Leur taux sera fixé sur la base de celui des obligations assimilables du Trésor
– OAT – à cinq ans, auquel s’ajoute cinq fois le CDS – credit default swap de la banque à laquelle on prête, afin de permettre une bonne adéquation entre la mesure du risque et le taux auquel on prête à la banque en question, et auquel s’ajoutent encore 200 points de base. Avec un OAT à cinq ans, qui est à peu près de 4 %, avec le cinq fois CDS, qui est autour de 2 % selon les établissements bancaires – certains étant moins risqués que d’autres – et avec les 200 points de base, le résultat est un taux d’environ 8 %.

M. Henri Emannuelli. Ce taux très élevé ne va-t-il pas avoir un impact sur le coût du crédit ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. 8%, c’est le prix que les banques françaises ont payé tout au long de 2008 pour lever de la dette subordonnée, c’est un prix de marché.

Il n’y a donc pas de raison que cela affecte les bilans, sachant que l’on parle là des fonds propres. Lorsqu’une banque fait un prêt aux ménages ou aux entreprises de 100 euros, elle a besoin de beaucoup de financements et d’un peu de fonds propres. Le coût des fonds propres, c’est donc une infime partie du coût des prêts à l’économie.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Vous avez déclaré que non seulement nos banques étaient bien capitalisées mais que la qualité de leurs fonds propres était supérieure à la moyenne européenne. À cet égard, comment sont considérés les titres super-subordonnés dans la classification des fonds propres ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Au regard de l’appréciation par la Banque de France des capitaux propres, ces titres sont considérés comme du tier one, c'est-à-dire le plus haut degré de qualité de fonds propres des banques.

Les conditions d’apport de l’État doivent se comparer à ce qui se fait à l’étranger : 12 % en Grande-Bretagne, un peu plus de 8 % aux Pays-Bas. En effet, La Commission européenne, pour apprécier le caractère ou non d’aide d’État de notre plan, sera conduite à faire des comparaisons entre les différents États. Pour autant, le taux n’aura qu’un effet mineur en matière de crédit, puisque pour un prêt de 100 il faut 8 de fonds propres en moyenne.

En tout état de cause, les banques rembourseront dans les meilleurs délais, dès qu’elles seront de nouveau en mesure de lever des fonds sur les marchés.

M. Henri Emmanuelli. Si l’État avait pris des participations, on aurait évité toute difficulté.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Le capital a aussi un coût pour les entreprises. Ce coût est en réalité plus élevé que le 8 % qu’elles peuvent payer sur des titres subordonnés.

Avec les titres subordonnés, nous cherchons à financer l’économie. Il ne s’agit pas de réorienter l’activité des banques en prenant une part au capital. Il s’agit de fournir aux banques – alors que les marchés sont fermés – le carburant pour qu’elles développent le crédit à l’économie.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Les titres subordonnés sont-ils éventuellement transformables en actions ? Sont-ils susceptibles d’être cotés ? De quels droits l’État s’assure à travers ces titres super-subordonnés ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Il s’agit de titres de dette qui sont d’une maturité suffisamment longue et avec des clauses de remboursement anticipé suffisamment encadrées pour qu’ils soient qualifiables par le superviseur comme fonds propres de tier one pour les banques.

M. le président Didier Migaud. Pourquoi ne pas avoir choisi la formule de la prise de participation, qui aurait été porteuse de plus de droits pour l’État ?

M. Jérôme Cahuzac. Et qui aurait été d’un coût moins élevé pour les PME.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Une prise de participation au capital, c’est aussi un coût. Et une prise de participation a un effet d’affichage catastrophique. Ce que nous faisons est très différent de ce qu’ont fait différents États pour la Royal bank of Scotland et pour Dexia où il s’agit d’éviter une défaillance. Investir en capital dans des banques dont la Commission bancaire estime qu’elles sont solides, bien gérées, bien supervisées, qu’elles ont un business model qui leur permet de s’appuyer sur une activité de détail forte, aurait été le pire signal à donner et il ne se justifiait vraiment pas.

M. Charles de Courson. C’est vrai que les marchés ont mal réagi dans un premier temps à ce premier volet de l’action de la SPPE. Mais quand le secrétaire général de la Société générale déclare que sa banque n’a besoin d’aucune aide, avant d’accepter une partie des 10,5 milliards deux jours plus tard, cela ne peut que troubler.

À chaque fois que le Gouvernement intervient pour aider, il se produit dans un premier temps encore un peu plus de déstabilisation. N’y avait-il pas d’autres façons d’intervenir, par exemple au moyen de l’obligation convertible ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Jusqu’à vendredi dernier, personne, ni au Gouvernement, ni dans les banques, n’évoquait la nécessité d’une intervention. Comment expliquer le changement radical de position intervenu durant le week-end ? Qui a été demandeur : l’État, les banques ou les deux en même temps ?

M. Jérôme Cahuzac. Madame la ministre, alors que la semaine dernière vous nous exposiez que les banques françaises étaient très solides, vous nous expliquez aujourd’hui qu’il a fallu intervenir parce que l’aide apportée à une banque par les Pays-Bas a fait chuter les cours de Bourse des banques françaises. L’État compte-t-il venir à l’aide de toutes les entreprises dont le cours de bourse baisse ? Autant on comprend le plan voté par le Parlement la semaine dernière, autant cette précipitation pose question.

Vous indiquez que les banques rembourseront dès qu’elles le pourront. Or compte tenu de leur durée – cinq ou dix ans –, les prêts consentis ne seront pas remboursés à court terme. Cela signifie que pendant toute la période, puisque la dette est maastrichtienne, le budget de l’État sera aggravé. En conséquence, en quoi faut-il modifier le projet de loi de finances pluriannuelle que nous examinons par ailleurs ?

Vous nous dites ensuite que l’effet d’affichage aurait été catastrophique si l’État était entré au capital des banques. Mais le signal donné par la souscription de titres super-subordonnés n’est-il pas que les banques sont fragiles puisque l’État doit venir les aider ? Une entrée au capital aurait au moins eu cet avantage, puisqu’il s’agit de financer l’économie, que le coût du crédit consenti aux PME aurait été moins élevé car la rémunération servie à l’État par les banques sera répercutée sur leurs clients.

Enfin, nous aimerions connaître les clés de répartition des souscriptions de titres super-subordonnés : après que M. Bouton a touché, voilà dix jours, un bonus de plus d’un million d’euros sur ses stock-options, et alors que la Société générale avait estimé ne pas avoir besoin de faire appel à l’État, voilà qu’il intervient avec plus de 2 milliards de titres super-subordonnés.

Tous ces faits ne donnent pas une impression de parfaite maîtrise de la situation.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Jusqu’à il y a quelques jours, on nous exposait que la question ultra-prioritaire était celle de la liquidité. Or, aujourd’hui, le problème de la liquidité semble devenir secondaire par rapport à celui des fonds propres.

M. Henri Emannuelli. On a en effet l’impression de passer d’un problème de liquidité à un problème de solvabilité.

Concernant le coût du crédit, les conditions de souscription des titres super-subordonnés vont être utilisées par les banques comme référence, pour augmenter leurs conditions de prêt aux particuliers et aux entreprises. Je crains donc une forte hausse du coût du crédit alors qu’une prise de participation n’aurait pas eu cet inconvénient. Les taux ont déjà tendance à augmenter assez fortement en ce moment, et l’action menée risque donc d’être très nocive.

S’agissant de la société de financement, l’État devient un formidable sleeping partner. Dès qu’un petit problème interviendra, les banquiers vont pouvoir y puiser puisqu’ils disposent de 66 % du capital de cette société, laquelle n’existerait pas sans la signature de l’État. Il aurait été pour le moins convenable que ce dernier ait la majorité. Ne voit-on pas le président de la Fédération bancaire française se réjouir de ce que l’État est minoritaire, ce qui permet aux banquiers de pouvoir faire appel au crédit public autant que de besoin tout en conservant le pouvoir au sein de la société ?

Si demain, une grande entreprise industrielle est en difficulté, allez-vous la traiter différemment d’une banque et lui refuser un crédit à cinq ou dix ans pourtant accordé aux établissements bancaires ?

M. Jean-Pierre Balligand. Le Crédit mutuel, qui est à peu près la seule banque à ne pas être affectée par la crise des subprimes, a pourtant décidé de souscrire pour un milliard d’euros. Comment peut-il se faire qu’il accède à ce programme ? N’est-ce pas la preuve que la crise n’est pas une crise de liquidité mais de solvabilité ?

De plus, alors que se pose un problème de financement des entreprises, l’escompte, du fait de la nouvelle appréciation du risque, n'est plus consenti à la même hauteur. Ne va-t-on pas dans ces conditions assister à une remontée foudroyante du crédit ? Comment va-t-on réussir à maîtriser ce problème et venir en aide aux PME qui ont peu de fonds propres ?

M. Philippe Vigier. Votre plan fait donc suite à l’intervention intervenue en Hollande en faveur d’ING ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Nous travaillions sur notre plan depuis plusieurs jours. Ce n'est pas l’affaire ING qui a entraîné nos mesures. Cela en a simplement modifié le calendrier d’application.

M. Philippe Vigier. Sachant qu’il a fallu apporter plus d’un milliard à la Société Générale après que son directeur avait annoncé que tout allait bien, qu’est-ce qui permet de dire que nous sommes au bout du chemin en matière de resolvabilisation des banques ?

M. Louis Giscard d’Estaing. L’objectif premier du plan était, semble-t-il, de redonner au marché interbancaire toute sa fluidité et toute sa liquidité, la SFFE étant en charge de l’opération. Or elle ne semble pas mise à contribution, contrairement à la SPPE. Cette dernière est-elle une structure type « agence de participations de l’État », c'est-à-dire destinée à intervenir en fonds propres ?

Des produits comme les obligations remboursables en actions à parité ajustable – ORAPA – ne seraient-ils pas des instruments plus adaptés ? À quelles conditions en tout état de cause la SFFE sera susceptible d’intervenir en matière de solvabilité du marché interbancaire ?

M. Dominique Baert. Toute cette opération nous donne une impression d’improvisation et de précipitation.

Pour avoir quelques contacts avec le monde bancaire, je sais que des établissements bancaires ne demandaient rien, certains allant même jusqu’à parler de « guichet de la honte ». Dans ces conditions, n’a-t-on pas dispersé ces 10 milliards d'euros entre plusieurs établissements pour dissimuler celui qui en avait réellement besoin ? Si tel est le cas, quel est le nom de l’établissement à l’origine d’un plan aussi précipité ?

Ensuite, en dépit de pertes importantes – tels les cinq milliards de la Société Générale – les dirigeants sont toujours en place. Inversement, après l’annonce d’une perte de 600 millions d’euros des Caisses d’épargne, le président du directoire, le directeur général et le directeur financier ont été démissionnés. À cet égard, sommes-nous au bout de nos surprises concernant les Caisses d’épargne, puisqu’on les retrouve dans la liste des établissements financés ?

L’État a souscrit à des titres super-surbordonnés avec des clauses de remboursement anticipé. Je suppose que, pour que ces titres soient considérés en tier one, les clauses de souscription ne sont pas loin d’être léonines. Quelles sont-elles ?

Enfin, certains de mes collègues ont parlé à juste titre du risque de hausse des taux d’intérêt pour les PME, mais c’est là l’effet prix. Ce qui m’inquiète, c’est l’effet volume et la tentation de credit crunch : nous sommes en effet assaillis dans nos circonscriptions par des gérants de PME qui reçoivent de leurs banques des lettres de dénonciation de concours et de remises de découverts ? Pouvez-vous nous donner l’assurance que les établissements bancaires qui seront aidés auront pour consigne de maintenir les concours au niveau actuel ?

M. Nicolas Perruchot. Le principal effet de l’intervention de la SPPE a été la remontée immédiate des cours de Bourse des banques. Y a-t-il eu une stratégie délibérée de faire appel à ces fonds pour faire remonter le cours ?

Par ailleurs, je confirme qu’un problème très urgent est celui du crédit aux petites et moyennes entreprises et aux très petites entreprises. Certaines sont déjà en chômage technique et l’impact sur l’emploi risque d’être désastreux. Que peut-on faire pour elles ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Je tiens à préciser que le montage actuel n'est pas improvisé. Dans mon rapport présenté la semaine dernière, j’ai bien indiqué que l’intervention de la société des participations de l’État aurait lieu soit en cas de situation critique type Dexia, soit pour le renforcement des fonds propres au moyen de titres subordonnés ou d’actions de préférence.

En revanche, s’agissant des conventions qui doivent être passées entre l’État et les établissements, rien n’y est mentionné à propos du taux d’intérêt et du coût du crédit qui sera consenti aux emprunteurs. Quant à la disponibilité, il est simplement souligné qu’il y aura mobilisation des circuits d’affacturage. Ne pourrait-on être plus précis, voire saisir le Parlement ? Le quasi-actionnaire ne doit-il pas bénéficier, en contrepartie de cette prise de risque, non seulement d’une rémunération mais également d’assurances sur le fonctionnement de la banque et sur ses orientations générales ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Le plan présenté est destiné à faire fonctionner l’économie française en permettant son financement.

La SFFE est celui des deux instruments créés qui a la plus importante capacité de financement : 320 milliards d’euros. Elle commencera à être opérationnelle dès vendredi. Les 10,5 milliards d'euros constituent un renforcement de fonds propres au moyen de titres super-subordonnés prêtés à un taux avoisinant 8 %. Cette somme représente à peu près 5 % des fonds propres des banques et 8 %, c’est le prix de marché que payaient les banques en début d’année pour émettre des titres subordonnés. Le coût de rémunération des fonds propres des banques n'est donc pas renchéri.

Par ailleurs, les prêts consentis dans le cadre de la SFFE, qui sont bien plus importants en volume, le seront avec une prime représentative d’un CDS plus 20 points de base, soit environ entre 50 et 70 points de base au dessus du coût de financement de la SFFE. Ce sont les conditions du marché. L’État n’est pas en train d’augmenter le coût des emprunts pour les banques.

Ce sont donc seulement 5 % des actifs nets qui sont concernés, sachant que l’effet de levier ne porte que sur 8 % des 100 qui seraient prêtés. Par ailleurs le refinancement est consenti au taux du marché avec une prime représentative des crédits des établissements, plus 20 points de base.

M. Henri Emmanuelli. Les banques ne vont-elles pas se servir de ce prêt à 8 % comme prétexte ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Il n’y a aucune raison pour que cela fonctionne de cette manière.

Concernant le nécessaire financement de l’économie, il est exact qu’il n'est pas indiqué dans la convention de prescriptions en matière de taux. On peut y réfléchir, mais nous ne sommes pas en économie à taux administrés. En revanche, figure dans la convention l’engagement des banques d’augmenter, par rapport à l’encours qu’elles ont consenti à la même période, de 3 % à 4 % le montant des prêts consentis aux petites et moyennes entreprises et à l’économie en général. Le mécanisme est donc bien ciblé sur l’économie, avec un volume plus important que l’année dernière et dans le cadre d’un financement aux conditions de marché.

Par ailleurs, nous sommes bien toujours dans un risque de liquidité. L’évolution tendancielle observée jour après jour en matière de taux montre que l’annonce des plans des pays de l’Union européenne a commencé à produire ses effets. La situation est toutefois encore très tendue en matière de liquidité. La Banque centrale européenne continue à alimenter les banques massivement et à recevoir à la fin de chaque journée, via les différentes banques centrales de l’Union européenne, des liquidités importantes : on n’a pas encore tourné la page.

Concernant la solvabilité, la déclaration de la Société générale selon laquelle elle ne viendrait pas au guichet n’était pas des plus heureuses. A la différence des autres pays, ce guichet est là pour permettre de financer l’économie. Il n’y a aucune raison qu’une banque soit stigmatisée pour s’être adressée au guichet. C’est ce qu’ont fini par comprendre les banques qui ont décidé de s’y présenter conjointement.

Pour financer l’économie, les banques ont régulièrement besoin de plus de fonds propres. À cet effet, elles procèdent habituellement sur le marché à des émissions de quasi-fonds propres pour renforcer leurs fonds propres. Aujourd'hui, à défaut de marché sur lequel elles peuvent chercher des capitaux qui ont la nature de fonds propres tier one, elles sont obligées de passer par le seul guichet qui en fournit, c'est l’État. L’action de l’État ne tend donc pas à faire remonter le taux du crédit.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Les banques se procurent normalement des fonds propres par l’émission de titres subordonnés. En l’occurrence, on peut considérer qu’il y a simplement anticipation d’un accompagnement en augmentation de fonds propres des banques au service de l’économie. Il n’y a donc rien d’exceptionnel à se procurer par ce biais des fonds propres sinon que, le marché ne fonctionnant pas, il faut passer par le biais de l’État.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. C’est si vrai que la BNP et la Société Générale avaient en 2008, avant la dégradation très forte des conditions d’accès, lancé des émissions à peu près au même taux d’intérêt qu’aujourd'hui. L’État n'est donc pas en train de surenchérir. Lorsqu’il fixe le taux sur la base d’OAT à cinq ans, de cinq fois le CDS et de 200 points de base, c'est-à-dire à peu près 8 %, il parvient au taux auquel elles auraient pris du capital pour l’inscrire en fonds propres car c'est le taux du marché, celui auquel elles se sont approvisionnées en fonds quand elles ont fait leurs émissions en 2008. L’action de l’État ne tend donc pas à faire remonter le taux du crédit.

Le risque est plutôt que la Commission de Bruxelles s’interroge sur ce taux de 8 %, au regard de ce qu’il doit être pour que ces prêts ne soient pas considérés comme des aides d’État.

M. Dominique Baert. Dans les conventions, avez-vous demandé aux établissements bancaires au moins de maintenir leur concours auprès des PME ? Par ailleurs, les Caisses d’épargne sont-elles réellement purgées ?

M. le président Didier Migaud. C’est toute la question des engagements pris par les banques.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. C'est une question fondamentale. Ce qui a été demandé aux banques, c’est non seulement de maintenir leurs concours aux entreprises, mais de les augmenter de 3 % à 4 % par rapport à l’an dernier. Le Premier ministre a publiquement mentionné les collectivités locales. Pour ma part, je le ferai concernant les PME. Il est inacceptable, dès lors que l’État vient soutenir ces dernières, que les banques ne jouent pas le jeu au prétexte qu’elles apprécieraient les risques présentés par les PME différemment.

Il y a d’ailleurs un autre maillon de la chaîne sur lequel il faut impérativement agir, c’est l’assurance-crédit. Une société française d’assurance-crédit est en effet en train de dénoter un certain nombre d’entreprises, ce qui entraîne, augmentation du risque aidant, une hausse du coût du crédit, voire tout simplement un problème de lignes disponibles pour les entreprises. Le Gouvernement travaille sur ce point un peu dans l’urgence, mais pas dans la précipitation.

Pour éviter l’assèchement du crédit, un dispositif, que j’appelle « plan OSEO », a été mis en place. C'est ainsi que par ce biais, 22 milliards d’euros sont injectés, soit 17 milliards d'euros venant pour moitié du Livret d’épargne populaire et pour moitié du Livret de développement durable, et 5 milliards d'euros mobilisables par OSEO.

M. Henri Emmanuelli. M. de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, nous a dit ne pas être sûr que l’épargne laissée à disposition des banques, c'est-à-dire ces 17 milliards, ira aux entreprises.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Augustin de Romanet et notre collègue Michel Bouvard ont été très clairs s’agissant de ce qui transite par OSEO. Cet établissement public intervient en garantie et en cofinancement. Dans la convention qui liera l’État et les établissements, il faut que les circuits OSEO apparaissent bien, puisqu’il y a là un moyen d’action opérationnel.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. J’ai signé hier la convention concernant les mises à disposition des sommes en provenance du LEP. À cet égard, les banques s’engagent, premièrement, à mettre à disposition toutes les sommes LEP et LDD auprès des PME, des ménages et des collectivités locales, et, deuxièmement, à présenter un reporting mensuel de façon à donner exactement la mesure entre ce qu’elles ont reçu, ce qu’elles ont mis à disposition et les cibles concernées.

En cas de non-respect de leurs engagements, les sommes mises à disposition au titre du LEP et du LDD seraient retirées.

M. Charles de Courson. La question centrale n'est-elle pas de savoir s’il n’y a pas de problème de solvabilité ?

Le Gouverneur de la Banque de France nous a exposé que, à la fin du mois de septembre, 18 milliards d’euros de provisions avaient été constituées par les banques françaises, montant que l’on peut estimer en fin d’année entre 22 et 24 milliards d’euros. Or les fonds propres des banques françaises sont d’un peu plus 200 milliards d’euros. Autrement dit, elles auront perdu un peu plus de 10 % de leurs fonds propres, alors qu’une partie d’entre elles ont des ratios de solvabilité limites.

Si elles ont accepté voire demandé d’avoir recours aux titres subordonnés, n’est-ce pas parce qu’elles voient bien qu’avec la fonte de leurs fonds propres, elles ne pourront plus prêter ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Les banques ont mené des opérations de recapitalisation au cours de l’année 2008, à hauteur de plus de 10 milliards d'euros. Avec les 10 milliards disponibles, elles reconstituent totalement les fonds propres, le tout avec un taux de 8 % et une qualité de fonds propres probablement la plus élevée d’Europe puisque l’appréciation du superviseur bancaire français est extrêmement rigoureuse.

L’objectif premier du plan est bien de financer l’économie. Au-delà de cet objectif, nous sommes intervenus dans le cas de Dexia pour éviter une défaillance bancaire.

Aujourd’hui, l’appréciation de la Commission bancaire est que les fonds propres des banques françaises sont suffisants pour assurer leur solidité. L’enjeu, c’est qu’elles financent plus que l’année dernière. C’est la raison pour laquelle ce guichet de financement existe.

M. Charles de Courson. La recapitalisation a été selon vous à hauteur de 10 milliards. Mais cela a concerné deux opérations : la Société Générale et le Crédit agricole, avant l’été.

Avec les 10 milliards supplémentaires, si la provision est d’une vingtaine de milliards, cela est donc vrai globalement mais pas analytiquement.

Je reste persuadé qu’il y a en France des établissements en limite de ratio de solvabilité avec pour conséquence un credit crunch puisqu’ils ne peuvent plus prêter. On ne peut parler de liquidité sans parler de solvabilité.

M. Jérôme Cahuzac. Les Caisses d’épargne ont perdu 600 millions d’euros et trois dirigeants ont démissionné. La Société générale a perdu 4 milliards d’euros et rien ne se passe. Pire, Daniel Bouton enregistre un bonus en exerçant ses droits d’option. Pouvez-vous nous donner votre avis sur cette différence ?

Par ailleurs – mais peut-être vos paroles ont-elles dépassé votre pensée ? – vous avez indiqué que le Gouvernement avait décidé d’intervenir avec les titres super-subordonnés suite à la décision du Gouvernement hollandais d’aider l’une de ses banques, la conséquence en étant notamment la chute du cours de nos établissements bancaires.

L’État viendra-t-il au secours de toutes les sociétés dès lors que leur cours de Bourse baisse ? Dans l’affirmative, qu’en est-il alors de l’engagement du Président de la République concernant la sidérurgie lorraine, dont il avait même évoqué la nationalisation ?

Mme Marie-Anne Montchamp. Comment, à la suite des conventions, pourra-t-on être sûr que le contrôle interne des banques est à même de faire remonter une information complète sur les opérations engagées ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Pour obtenir une bonne information sur des accords pris à partir du niveau le plus élevé – État et dirigeants d’établissements – ne faut-il pas procéder à une analyse semaine après semaine de façon déconcentrée, au niveau départemental, où l’État dispose d’outils efficaces ? Sans qu’il s’agisse d’économie administrée, entre des accords généraux passés à Paris et le comportement des responsables d’établissement dans tel ou tel département, il faut faire fonctionner une chaîne de contrôle. L’État doit y veiller.

M. le président Didier Migaud. Pouvez-vous également nous éclairer sur les propos du Président de la République et de M. Éric Woerth hier concernant la clarification demandée aux banques par rapport aux investissements qu’elles peuvent réaliser dans les paradis fiscaux ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. S’agissant de l’obligation d’information, les banques ont signé dans le cadre des conventions un engagement de reporting mensuel auprès du Gouvernement sur les volumes empruntés, les volumes prêtés, les destinataires des prêts, leur ventilation, leur répartition. Le Premier ministre a également demandé à tous les préfets de rassembler une fois par mois les représentants des entreprises locales et de chacun des grands réseaux bancaires pour faire le point sur les encours de crédit, les demandes de prêt, les situations de trésorerie et la façon dont les banques remplissent leurs obligations. Un suivi territorial est donc mis en place.

Il a été également demandé aux directeurs des banques de faire descendre dans leurs réseaux, jusqu’aux guichets, les mots d’ordre de mobilisation. Il a également été demandé à OSEO de se mobiliser, notamment pour rappeler aux entreprises les obligations prises par les banques. Dans le même esprit, toutes les directions régionales du ministère des finances sont impliquées. Dans chaque région, un « parrain PME » a été désigné pour prendre contact avec les banques, pour recevoir les demandes des entreprises et pour les orienter vers les établissements bancaires, tout en prenant directement contact avec ces derniers afin qu’ils ne remettent pas en cause telle ligne de crédit ou telle autorisation de découvert.

Par ailleurs, ce n'est pas « suite à » une décision des Pays-Bas que le Gouvernement a décidé d’intervenir. Le renforcement des fonds propres et le refinancement des établissements bancaires sont les deux armes dont il dispose pour permettre aux banques de consentir plus de crédits à l’économie. Pour que les banques puissent prêter, il faut qu’elles aient des fonds propres et que le financement soit disponible. Nous avions donc préparé un plan sur ces deux fronts. La SPPE a été organisée et armée voilà une dizaine de jours, tandis que la SFFE a été constituée vendredi. Ce qui a été modifié par la décision d’abord des Britanniques puis, dans des proportions extrêmement fortes, des Hollandais, ce n’est pas le fond du plan du Gouvernement, c’est son calendrier.

L’État n’a pas vocation à être l’actionnaire de référence de toutes les sociétés dont le cours de Bourse baisse. Chacun son métier. En revanche, cela n’exclut pas que dans certaines hypothèses, comme cela a été le cas pour Alstom, l’État puisse se porter actionnaire dans certains secteurs stratégiques et dans le cadre d’une politique industrielle bien identifiée.

S’agissant des « paradis fiscaux », il convient de distinguer : il n’y a pas de quoi s’inscrire contre telle ou telle pratique d’optimisation fiscale dans le respect des textes. En revanche, s’il s’agit de pratiques constitutives de fraude et de dissimulation, le Gouvernement devra exercer son rôle qui est à la fois de sanctionner et de remettre dans le droit chemin celles qui seraient dans cette situation.

M. Jérôme Cahuzac. N’y a-t-il pas eu deux poids deux mesures entre la Société Générale et les Caisses d’épargne ?

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Le Président de la République s’est très largement exprimé sur le sujet immédiatement après les faits.

M. le président Didier Migaud. Madame la ministre, je vous remercie.

——fpfp——

19.– Jeudi 30 octobre 2008, séance de 11 heures 30, compte rendu n° 31

–   Communication, ouverte à la presse, sur les normes comptables et la crise financière de MM. Dominique Baert et Gaël Yanno, Rapporteurs de la mission d’information sur les enjeux des nouvelles normes comptables

M. le président Didier Migaud. Le 29 avril dernier, la commission des Finances a confié à nos collègues Dominique Baert et Gaël Yanno une mission d’information sur les enjeux des nouvelles normes comptables. Dès le mois de mai, nos rapporteurs ont conduit un grand nombre d’auditions sur ce sujet d’une haute technicité, mais aussi d’une grande portée pour les entreprises françaises. Puis, après l’été, la crise financière a montré toute l’actualité de la problématique des normes comptables. Je pense en particulier à l’application dans l’Union européenne du référentiel IFRS (International Financial Reporting Standards – normes internationales d’informations financières). La responsabilité de ce référentiel comptable dans la crise internationale a été mise en cause pour son effet procyclique, c’est-à-dire pour sa tendance à aggraver les déséquilibres.

Comme le sujet, je l’ai dit, est très technique, sans attendre la présentation de leur rapport, le bureau de la Commission a demandé à nos rapporteurs une communication orale pour nous faire partager leurs premières conclusions.

Je les remercie d’avoir bien voulu se prêter à cette sorte de rapport d’étape, sur un aspect particulier de leurs travaux. Messieurs les rapporteurs, vous avez la parole.

M. Dominique Baert. La mission d’information sur les enjeux des nouvelles normes comptables a entrepris un large travail d’analyse des conséquences de celles-ci (normes nationales et normes internationales) sur les entreprises et, au-delà, sur l’économie tout entière. Si le champ de ses travaux est donc plus large que la seule analyse de leur rôle dans la crise financière actuelle, les 25 auditions qu’elle a organisées entre mai et juillet 2008 lui ont permis d’aborder à de nombreuses reprises ce thème, d’en comprendre les enjeux et de formuler, dans le rapport qu’elle prépare pour le début de l’année prochaine, plusieurs propositions en vue d’aménager les normes IFRS (« normes internationales d’information financière ») comme leurs modalités d’élaboration.

Depuis août 2007 s’est déclenché ce qu’on compare désormais à un « tsunami financier » (Jacques Attali) ou à « la plus grave crise économique depuis 1929 » (Alan Greenspan). Le mécanisme de la crise est désormais bien connu. La crise trouve sa source au début des années 2000 aux États-Unis lorsque, pour lutter contre la récession générée par l’éclatement de la bulle Internet puis les attentats du 11 septembre 2001, les taux d’intérêt américains ont été ramenés à des niveaux historiquement bas, générant une abondance de liquidités et des primes de risque très faibles. Une bulle du crédit s’est donc formée qui s’est traduite par une distribution souvent agressive de prêts immobiliers à taux variable aux ménages américains, en particulier les plus modestes (prêts « subprimes »).

Le deuxième acte de la crise a pour nom « titrisation ». Afin de poursuivre plus encore leur activité de prêts hypothécaires que les normes prudentielles bridaient par leurs exigences d’un ratio de fonds propres, les institutions financières ont cédé des portefeuilles de prêts à des investisseurs qui les transformaient par des techniques de titrisation en produits structurés de crédit et les cédaient ensuite sur le marché. Certains des prêts subprimes se sont ainsi retrouvés mélangés à d’autres prêts, noyés dans des produits « exotiques » bien notés par les agences de notation et achetés par les investisseurs du monde entier. Entre 2000 et 2007, porté par une hausse continue des prix de l’immobilier américain et un laxisme grandissant dans les conditions d’octroi des prêts, le marché des produits structurés de crédit a connu un développement spectaculaire, passant de 640 à plus de 2 000 milliards de dollars. Sur ce total, la part des crédits subprimes est elle-même passée durant la même période de 8% à plus de 20%.

Le troisième acte de la crise intervient à la fin de l’année 2005, lorsque la FED, la banque centrale américaine, a commencé à relever fortement ses taux d’intérêt. Les ménages américains les plus fragiles ne furent alors plus en mesure d’assumer la charge de leur emprunt dont le taux était variable. Le taux de défaut de paiement sur les prêts hypothécaires des ménages, qui atteignait à peine 4% en 2005, a alors subitement augmenté pour atteindre 10% en septembre 2007 puis 20% à la fin de cette même année. L’effondrement de la valeur des prêts subprimes et des titres adossés aux prêts hypothécaires dans leur ensemble – comme une pomme pourrie dans un panier contamine tous les fruits – a obligé les institutions financières qui les détenaient – banques, compagnies d’assurances, FCP, aux États-Unis mais également dans le monde entier, car le monde entier avait acheté ces produits – à inscrire dans leurs comptes des dépréciations considérables et à afficher des pertes dont le montant, à la fin du premier semestre 2008 – donc avant l’aggravation récente de la crise, s’élevait déjà à 400 milliards d’euros.

Les normes comptables interviennent devront ce troisième acte de la crise, en contraignant les institutions financières à afficher des pertes considérables sur leur portefeuille d’instruments financiers, pertes qui, pour certaines, les ont menées à la faillite.

En effet, la norme « IAS 39 » – International Financial Standard n° 39 –, applicable dans l’Union européenne, impose que les actifs et passifs négociables soient évalués à leur « juste valeur », c'est-à-dire à leur valeur telle qu’elle est fixée par le marché. L’introduction de la « juste valeur » dans l’évaluation des actifs et des passifs constitue un indéniable progrès par rapport à l’évaluation traditionnelle au coût historique ; cette dernière figeait en effet dans le bilan des entreprises une valeur parfois très éloignée de leur valeur réelle. La « juste valeur » améliore donc l’information des investisseurs qui disposent ainsi, trimestre après trimestre, d’une évaluation fine de leurs plus ou moins-values potentielles, ainsi que du profil de risque des entreprises concernées, permettant ainsi une meilleure allocation des investissements.

La contrepartie est cependant une forte volatilité de la valeur des actifs et des passifs. Parce que celle-ci est fixée par des marchés financiers qui peuvent connaître aléas, passions médiatiques ou « bulles »,  le résultat et le bilan des entreprises – et en particulier celui des institutions financières qui sont gorgées d’instruments financiers – découlent plus de la bonne ou mauvaise orientation de ceux-ci que des résultats de la gestion ordinaire de leur activité.

Ce qui est déjà un problème en soi peut devenir encore plus grave lorsque les marchés ne fonctionnent plus correctement, comme actuellement. En effet, l’application de la « juste valeur » suppose un marché fonctionnant dans des conditions normales, c'est-à-dire suffisamment liquide pour fixer un prix à l’actif ou au passif concerné. Or, l’une des caractéristiques de la crise actuelle est la contraction du marché des produits structurés de crédit et de la titrisation en général. Revenus à la raison et conscients de l’effondrement du sous-jacent de ces produits dérivés (l’immobilier américain), les investisseurs refusent désormais d’acheter ces produits. Leur valeur de marché est donc théoriquement nulle, obligeant ainsi leurs détenteurs, en application des normes comptables, à les déprécier massivement dans leur bilan.

Certes, la valeur intrinsèque de ces produits n’est pas nulle, et les normes IFRS comme les normes américaines « généralement acceptées » US GAAP – United States generally accepted accounting principles – ont prévu le cas où la « juste valeur » ne peut être fixée, en l’absence de valeur de marché. Dans ces conditions, elle est déterminée grâce à des modèles mathématiques de valorisation qui recréent, théoriquement, le prix auquel aurait abouti une opération équilibrée dans un marché liquide.

Mais le problème n’est pas pour autant résolu. Non seulement la « juste valeur » ainsi établie par la modélisation mathématique des conditions de marché des produits structurés de crédits n’a pas empêché leur dépréciation massive dans le bilan des banques mais elle a aussi jeté la suspicion sur les montants de dépréciation ainsi annoncés. En effet, personne ne sait réellement, en dehors des directions financières des établissements concernés, quelles équations et hypothèses ont été utilisées pour créer ces modèles. L’asymétrie d’information ainsi créée entre les banques et les investisseurs a renforcé la méfiance de ces derniers ainsi que celle des banques entre elles.

La « juste valeur », que celle-ci découle du « mark to market » ou du « mark to model », a donc contraint les institutions financières à déprécier massivement la valeur de leurs produits structurés de crédit mais également celle de l’ensemble de leur portefeuille de titres négociables, à mesure que les marchés boursiers se retournaient. Mais les conséquences de ces dépréciations n’auraient pas été aussi graves sans l’intervention des normes prudentielles. En effet, si les règles comptables et les règles prudentielles, ne sont pas, en elles-mêmes et individuellement, procycliques, en revanche, prises ensemble, leur combinaison semble avoir aggravé la crise financière.

Les règles prudentielles dites de « Bâle II » définissent le montant de fonds propres que les banques doivent conserver en fonction des risques de leurs activités. Plus une banque a des activités risquées ou détient des titres qualifiés de « risqués » par les agences de notation et plus elle doit maintenir un ratio de fonds propres élevé. Ces règles apparaissent de bon sens et constituent une amélioration dont il faut se féliciter par rapport aux règles de Bâle I, qui se contentaient d’exiger des fonds propres équivalents à 8% du montant des engagements des banques, que ceux-ci soient risqués ou non.

Seulement, la combinaison de ces règles prudentielles avec les règles comptables a des effets redoutables, tant d’ailleurs en période d’expansion qu’en récession. En période d’expansion, des bulles du prix des actifs peuvent se former à la faveur d’un excès de liquidité sur le marché – ce qui s’est passé depuis 2001 avec des taux d’intérêt réels négatifs. Le prix des actifs détenus dans leur bilan augmentant régulièrement – et donc leurs fonds propres, les banques peuvent tout à la fois respecter les normes prudentielles et accroître le montant de leurs prêts aux investisseurs et leurs propres investissements qui, via l’effet de levier, entraînent une nouvelle hausse du prix des actifs et ainsi de suite.

Mais ce mécanisme procyclique fonctionne également en sens inverse, comme c’est le cas actuellement. Dès lors que le prix des actifs évalué en « juste valeur » s’effondre, les dépréciations que les banques sont obligées d’inscrire dans leurs comptes réduisent leurs fonds propres. Parallèlement, comme les agences de notation ont – enfin – considérablement abaissé la note des produits structurés que les banques détiennent dans leur bilan – désormais classés parmi les actifs « risqués », leur besoin de fonds propres s’accroît encore afin de simplement respecter les normes prudentielles. Les banques sont donc contraintes de trouver très rapidement de l’argent frais.

Or, après avoir sollicité leurs actionnaires, les fonds de private equity et les fonds souverains, elles sont désormais contraintes de vendre des actifs afin de restaurer le niveau de fonds propres exigé par les normes prudentielles ; or ces ventes interviennent alors que les marchés financiers sont déprimés, le crédit disparu et les acheteurs rares, et donc à un prix bradé qui déprime plus encore les cours.

Mais il y a pire ! Ce prix bradé auquel sont vendues telles ou telles catégories d’actifs – pas forcément « toxiques » d’ailleurs – devient leur « juste valeur » en application des normes comptables. Les banques et institutions financières qui en détiennent également sont obligées de passer de nouvelles dépréciations qui réduisent leurs fonds propres et donc de vendre à leur tour des actifs pour respecter les normes prudentielles. Le cycle de dépréciations s’entretient donc de lui-même.

Enfin, les fonds propres des banques étaient réduits, leur capacité à prêter se trouve d’autant plus restreinte, et la crise se transmet à l’économie réelle par le biais d’un assèchement du crédit, le credit crunch.

Deux conclusions résultent de ces considérations.

– Premièrement, les normes comptables seules ne sont pas à l’origine de la crise financière. Elles n’interviennent, dans notre scénario, qu’au troisième acte et n’ont fait qu’enregistrer dans le résultat et le bilan des institutions financières, via des dépréciations, l’effondrement de la valeur des produits structurés de crédit puis des autres instruments financiers. Elles ne sauraient donc être le bouc émissaire ni des organismes de crédit qui ont surendetté des millions d’Américains modestes, désormais à la rue, ni des départements de titrisation des banques d’affaires, qui ont camouflé les subprimes dans des produits extraordinairement complexes, ni de la légèreté des agences de notation qui ont donné la note maximale AAA à ces produits, ni des banques qui les ont achetés sans bien les comprendre, ni enfin de l’insuffisance des dispositifs de régulation financière.

– Deuxièmement, les normes comptables, combinées aux normes prudentielles, ont incontestablement eu un effet procyclique qui a aggravé la crise en incitant les institutions financières à se débarrasser « à tout prix » de leurs actifs, même les plus sains, alors même que les marchés financiers sont fragilisés.

M. Gaël Yanno. La comptabilité est le langage de la vie économique et les normes comptables, aux termes de l’article 120-1 du plan comptable général, ont pour objet de « présenter des états reflétant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entité à la date de clôture » de l’exercice.

Cependant, il n’y a plus aujourd’hui un seul et unique langage comptable, comme ce fut le cas en 1947, lors de l’adoption du premier plan comptable général. Le plan comptable général de 1999 ne s’applique plus désormais qu’aux comptes individuels des entreprises françaises et aux comptes consolidés des entreprises dont les titres (actions et obligations) ne sont pas admis à la négociation sur un marché réglementé de l’Union européenne.

Pour les comptes consolidés des entreprises dont ces titres sont admis à la négociation, c'est-à-dire, en pratique, les plus grandes entreprises, celles-ci doivent appliquer les « normes internationales d’information financière » ou IFRS, comme l’ensemble de leurs consœurs européennes.

Applicables dans l’Union européenne, les normes IFRS, qui sont élaborées par un organisme international, l’International Accounting Standards Board (IASB) ont d’ailleurs vocation à devenir le langage international de la vie économique – une sorte d’esperanto de la comptabilité.

M. Henri Emmanuelli. Qu’est ce que l’IASB ?

M. Gaël Yanno. L’IASB est l’émanation de l’IASCF – International Accounting Standards Committee Foundation – qui est une fondation de droit privé, située aux États-Unis et financée par des dons des entreprises et des grands cabinets d’audit.

Alors qu’elle a réussi à réaliser un marché commun et à créer l’euro, la Commission européenne s’est toujours heurtée, en matière comptable, à l’intransigeance des États-membres. Ceux-ci, attachés à leurs traditions nationales autant qu’à leur souveraineté, ont refusé d’aller au-delà d’une harmonisation a minima (via les 4ème et 7ème directives comptables), laquelle était loin de satisfaire des marchés financiers qui exigeaient transparence et comparabilité des comptes des entreprises cotées. Sous leur pression, les grandes entreprises européennes ont été, dans les années 90, de plus en plus nombreuses à se rallier au référentiel comptable américain – considéré comme le plus fiable (c’était avant l’affaire ENRON) – et/ou à se faire coter aux États-Unis.

Pour sortir de l’impasse où les États-membres l’avaient mise, la Commission n’avait sans doute pas d’autre choix que d’adopter le référentiel IFRS, unique alternative crédible à l’adoption pure et simple des normes américaines US GAAP. Par une singulière ruse de l’Histoire, les États-membres, crispés sur leur souveraineté au point de ne pas engager d’élaboration de véritables normes comptables européennes, se sont résolus à l’unanimité et dans une indifférence quasi-générale à abandonner, par le règlement n° 1606/2002/CE du 19 juillet 2002, leur pouvoir de normalisation comptable à un organisme absolument inconnu en dehors d’un petit cercle d’initiés, l’IASB, sur lequel ils n’ont aucun contrôle.

Or, ce choix est loin d’être anodin, car le choix d’un référentiel comptable n’est pas neutre et emporte avec lui une certaine vision de la comptabilité, des entreprises et, au-delà, des rapports économiques et sociaux. Ainsi la norme IAS 19 Avantages du personnel impose aux entreprises d’inscrire dans leur bilan l’ensemble des avantages, financiers ou en nature, qu’elles accordent à leur personnel. Les retraités de La Poste, par exemple, disposent du droit – à vie- – d’utiliser les restaurants administratifs et les cantines du groupe. Les normes IFRS, contrairement aux normes comptables françaises, obligent donc celui-ci à comptabiliser cet avantage à son passif. Cet exemple peut apparaître anecdotique, mais il démontre l’impact que le choix de tel ou tel référentiel comptable peut avoir sur les entreprises et, au-delà, sur les relations sociales. Car en donnant un « prix » aux avantages du personnel, en les identifiant dans les comptes, il peut être tentant de les remettre en cause…

C’est pourquoi la comptabilité est, par nature, et loin de l’image d’une technique plus ou moins rébarbative, un choix politique. De notre point de vue, il est regrettable que le politique l’ait dédaignée pendant de longues années, se contentant de déléguer le choix des normes comptables à un Conseil national de la comptabilité ou autre International Accounting Standards Board composés d’experts agissant hors de tout contrôle réel.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Le politique ne s’est pas toujours désintéressé de la comptabilité. J’en veux pour preuve le volet comptable – très substantiel – de la LOLF.

M. Henri Emmanuelli. Mais il s’agit là de comptabilité publique, et non de comptabilité privée.

M. Gaël Yanno. Il faut reconnaître que la technicité des normes comptables n’en fait pas un thème privilégié du débat public. En outre, les experts à qui les politiques ont délégué l’élaboration des normes comptables les ont confortés dans cette image d’une matière technique dénuée de toute portée politique.

Je crois au contraire que l’Union européenne ne peut abandonner totalement la maîtrise des normes comptables à un organisme tel que l’IASB, quelles que soient la compétence et le dévouement de ses membres. Si l’indépendance de l’IASB doit être préservée, l’Union européenne doit se donner les moyens d’agir sur le processus de normalisation comptable international. Les moyens matériels et humains de l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group), qui est l’organisme chargé par la Commission européenne d’émettre un avis technique sur les projets de normes IFRS avant leur « homologation », doivent donc être renforcés. Il faut promouvoir une vision concurrente de la comptabilité, plus pragmatique que celle portée par l’IASB, qui pêche par son dogmatisme, en particulier s’agissant de la « juste valeur ».

De plus, l’Union européenne ne doit pas s’interdire d’user de sa qualité de principal « client » de l’IASB pour faire pression sur celui-ci, comme l’ECOFIN l’a fait avec succès le 7 octobre dernier, appelant l’IASB à modifier en urgence la norme IAS 39. Celui-ci s’est exécuté et dès le 13 octobre, a publié des amendements allant dans le sens voulu par les ministres européens.

M. le président Didier Migaud. Mais la crise financière battait son plein.

M. Gaël Yanno. Certes, mais nous avons eu la preuve que lorsque l’Union européenne parle fermement d’une seule voix, l’IASB écoute et s’exécute.

Pour conclure, je tiens à souligner que nous, Européens, avons une tradition comptable qu’il nous appartient de défendre et d’enrichir, en nourrissant une réflexion conceptuelle à même de concurrencer la vision de la comptabilité qui est celle de l’IASB. Celle-ci a, par exemple, une conception extensive de la « juste valeur » alors qu’il m’apparaît préférable d’élaborer une juste valeur plus réfléchie, plus pragmatique, moins portée sur l’instant et donc moins procyclique.

M. le président Didier Migaud. Je remercie les deux rapporteurs pour la qualité de leur travail et la clarté de leur présentation. Bien que nous, à la commission des Finances, soyons pleinement conscients de l’impact qu’ont les normes comptables sur les entreprises et, au-delà, sur l’économie de notre pays, il faut reconnaître que ce thème a longtemps été négligé et que les politiques ont préféré s’en remettre à l’avis des experts, avec des conséquences comme la crise que nous vivons actuellement. La commission des Finances doit donc être une force de proposition.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Je tiens également à saluer la qualité du travail de nos collègues MM. Dominique Baert et Gaël Yanno.

J’ai dit que la LOLF comportait un volet comptable substantiel. Or, la LOLF a été élaborée ici, au Parlement ; c’est la preuve que les parlementaires ne sont pas si incompétents qu’on veut bien le faire croire en matière comptable.

Par ailleurs, même si c’est une question sans lien avec la crise financière qui nous réunit aujourd’hui, il m’apparaît important que le rapport à venir analyse les liens étroits entre la comptabilité et la fiscalité. En effet, en application de l’article 38 quater de l’annexe III au code général des impôts, « les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le Plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l’assiette de l’impôt ». En d’autres termes, sauf dispositions contraires, la fiscalité suit la comptabilité, et l’assiette de l’impôt repose sur les agrégats découlant des règles comptables. Par conséquent, en modifiant les règles comptables – qui relèvent du pouvoir réglementaire – le Gouvernement peut fort bien modifier l’assiette de l’impôt, en contradiction avec les dispositions de l’article 34 de la Constitution. Il s’agit là d’une question majeure qui mérite toute notre attention.

M. Henri Emmanuelli. Pour l’évaluation des actifs et des passifs, le choix se limite-t-il à la « juste valeur » et au coût historique ? Une autre méthode n’est-elle pas concevable ?

M. Gaël Yanno. Je vais vous répondre par un exemple. Une compagnie aérienne acquiert un Boeing pour une valeur de 100. En coût historique amorti, au bout de deux ans, il vaut, par exemple, 80. Mais imaginons que sa valeur de marché, suite à plusieurs incidents ayant affecté cet appareil, ne soit plus que de 60. Vous semble-t-il normal d’inscrire cet avion dans le bilan à une valeur de 60, alors même que la compagnie aérienne n’a aucune intention de le céder ? Il m’apparaît préférable, dans des cas comme celui-ci, d’estimer la valeur d’un actif à partir des flux de trésorerie – ou cash flow – qu’il va générer pendant toute sa durée d’utilisation.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Une telle méthode, à partir de la valeur en flux actualisés de trésorerie, nécessite de prendre en compte la durée d’utilisation d’un actif. Est-elle réellement applicable ?

M. Gaël Yanno. La « juste valeur », telle qu’elle est mise en œuvre par l’IASB, a montré ses limites lors de la crise actuelle. Il faut désormais réfléchir aux améliorations possibles de celle-ci. Le 13 octobre 2008, l’IASB a amendé la norme IAS 39 afin de permettre aux entreprises, en particuliers les institutions financières, de reclasser leurs instruments financiers afin qu’ils puissent être évalués selon le coût historique, et non plus d’après la seule « juste valeur ». Cependant, ce reclassement est subordonné à l’intention et à la possibilité de l’entreprise de conserver pendant une durée prévisible – voire jusqu’à leur maturité – les instruments financiers concernés.

M. Dominique Baert. Un point important qu’il convient de souligner est le contexte dans lequel les normes IFRS ont été appliquées pour la première fois en Europe, c'est-à-dire à compter du 1er janvier 2005. Il se trouve que 2005 a été une année de forte croissance économique mais aussi une année faste pour les marchés financiers. La transition vers le référentiel comptable des institutions financières – dont les actifs sont pour la plupart évalués à la « juste valeur » – s’est donc traduite par une augmentation substantielle de leur résultat et de leur bilan, auparavant sous-évalués en application des normes comptables françaises qui faisaient la part belle au coût historique.

Or, l’effet procyclique des normes comptables fonctionne malheureusement en sens inverse, lorsque la conjoncture se dégrade. C’est pourquoi la possibilité d’un reclassement des instruments financiers doit être saluée, parce qu’elle permet dans une certaine mesure aux institutions financières de lisser dans leurs comptes les soubresauts des marchés financiers.

Par ailleurs, la norme IFRS 7 Instruments financiers : informations à fournir doit être encore renforcée afin que les modèles mathématiques d’évaluation des actifs utilisés par les entreprises lorsque les marchés dysfonctionnent soient parfaitement transparents.

M. Henri Emmanuelli. Est-ce que les normes IFRS fixent des règles précises en matières d’évaluation des actifs illiquides ?

M. Gaël Yanno. Oui, il y a des règles mais, comme l’ensemble des normes IFRS, elles restent très générales et laissent une large possibilité d’interprétation par les entreprises.

J’attire en outre l’attention de la commission sur le fait que les normes comptables applicables aux administrations publiques sont de plus en plus influencées par les normes comptables privées. Il est fort possible qu’un jour, les collectivités territoriales, par exemple, en subissent les effets.

M. Henri Emmanuelli. Les conséquences politiques seront considérables !

M. Gaël Yanno. Un autre sujet de préoccupation est la réforme en cours du dispositif français de normalisation comptable. Actuellement dispersé entre un Conseil national de la comptabilité et un Comité de réglementation comptable, largement dominé par les représentants de l’État, il prendra prochainement la forme d’une Autorité des normes comptables, indépendante, où les représentants du monde économique et comptable seront désormais majoritaires. Il y a un risque que le politique soit encore plus marginalisé qu’il ne l’est actuellement en matière comptable.

M. le président Didier Migaud. Je remercie les rapporteurs pour ces précisions, très utiles dans le contexte de crise financière que nous connaissons. Je souhaite que la commission des Finances s’inspire des propositions qu’ils feront dans leur rapport afin de ne pas laisser la matière comptable dans les seules mains des experts.

——fpfp——

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa deuxième séance du 5 novembre 2008, la Commission procède, en application de l’article 145 du Règlement, à l’examen du présent rapport d’information sur la crise financière internationale.

M. Yves Censi, Président. Cela fait plus d’une année que la Commission travaille à comprendre les raisons et les effets d’une crise financière, bancaire et économique mondiale, une crise qui est loin d’avoir produit tous ses effets. Nous avons organisé 19 auditions et réunions de travail sur le système financier, les parités monétaires, l’organisation et le contrôle bancaire, les fonds souverains, les normes comptables, les liens entre crise bancaire et économie réelle et, le plus récemment, les interventions de l’État destinées à apporter des mesures de garantie au secteur financier.

Didier Migaud et Gilles Carrez ont estimé que les interventions des personnes auditionnées gagneraient à être rassemblées et mises à la disposition du public, et souhaité les faire suivre d’un certain nombre de propositions de réformes qui ont pu être dégagées de constats partagés. Les groupes politiques ont apporté leurs contributions à ce rapport : des points de vue spécifiques sont ainsi exprimés, sur les causes profondes de cette crise et quant à l’appréciation que l’on peut porter sur le fonctionnement d’un système dont on a pu dire qu’il avait échappé à tout contrôle.

Comme vous le savez, un groupe de travail composé de députés et de sénateurs a été installé, le 29 octobre dernier, aux fins d’élaborer, dans un premier temps, et si cela s’avère possible, une série de propositions destinées à être communiquées au Président de la République avant son départ pour une réunion du G20 à Washington, le 15 novembre prochain. Ce rapport d’information arrive donc à point nommé puisqu’il contient une partie programmatique.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général. Le Président de la République a demandé au Parlement, dans le cadre d’un travail original puisqu’il associe l’Assemblée nationale et le Sénat, de lui remettre une note d’analyse et de proposition en vue de la réunion du G 20 qui se tiendra le 15 novembre prochain et dont il a pris l’initiative en qualité de Président de l’Union européenne. Comme vous le savez, le G 20, qui associe des pays émergents, devrait débattre et arrêter des positions sur la régulation financière. Il se trouve que la commission des Finances a engagé depuis plus d’un an un travail d’auditions. Pour mémoire, la première d’entre elles associait le gouverneur de la Banque de France, le président de l’Autorité des marchés financiers, un dirigeant d’une grande banque française, le responsable d’une agence de notation et deux économistes, Michel Aglietta et Henri Bourguinat. Elle était très intéressante : face à un discours institutionnel, relativement convenu, des économistes avaient insisté sur un ensemble de risques qui s’étaient accumulés au cours des dernières années. S’ils étaient très localisés au plan géographique, la crise qui commençait pouvait générer une contagion géographique et sectorielle.

De l’ensemble des auditions ont émergé des propositions, dont certaines très techniques. Du fait de la demande du Président de la République de disposer d’une contribution du Parlement, il est apparu utile de résumer nos réflexions et nos travaux dans un rapport dont le projet est soumis à la Commission. Ce rapport contient un avant-propos du Président, un avant-propos du Rapporteur général, une note de proposition et les contributions des groupes politiques. Il a vocation à servir de base de propositions à nos collègues sénateurs pour la réunion, prévue ce jour, du groupe de travail Assemblée nationale / Sénat sur la crise financière internationale qui a été mis en place. Composée de représentants de tous les groupes politiques, cette instance est co-présidée par les présidents des commissions des finances, Didier Migaud et Jean Arthuis, et Nicolas Perruchot, Bernard Angels, Philipe Marini et moi-même ont été désignés co-rapporteurs.

Par ailleurs, avant de présenter les propositions portées par l’Assemblée nationale, je vous rappelle que nous avons obtenu, lors de l’examen de la loi de finances rectificative prévoyant des garanties de l’État portant sur 360 milliards d’euros, la mise en place d’un comité de suivi qui associe les parlementaires. La responsabilité du Parlement d’autoriser l’existence de telles garanties doit s’accompagner d’un suivi effectif de leur mise en œuvre. Une lettre cosignée par le Président et moi-même pour la mise en place rapide de ce comité de suivi a été adressée hier aux ministres. Ceux-ci doivent soumettre dans les jours qui viennent une proposition d’architecture pour ce comité. Il est en effet souhaitable, dès lors que des éléments nouveaux sont apparus depuis le vote de la loi (10,5 milliards d’euros de souscriptions en titres subordonnés ont été accordés), que les parlementaires puissent suivre en temps réel l’utilisation des mécanismes institués. À cet égard, certains sujets sont restés en suspens. Ils concernent les conventions passées entre l’État et les établissements de crédit qui fixent, d’une part, des objectifs de prêts à l’économie ainsi que des règles éthiques, et, d’autre part, la définition des « collatéraux » éligibles, c’est-à-dire des contreparties apportées en garantie par les établissements de crédit à la société de refinancement.

S’agissant des propositions de notre rapport, il est évident que figure en arrière-plan un certain nombre de questions sur le système économique : problématique du laisser-faire dans l’économie libérale, déséquilibres mondiaux de l’épargne, rôle du dollar et du taux de change, double dette américaine ou encore rémunération du capital par rapport au travail. Ceci posé, les dysfonctionnements de la sphère financière de l’économie de marché que nous connaissons appellent des corrections, et tel est le cœur du rapport. Celles-ci ne peuvent, pour l’essentiel, être apportées qu’au niveau européen voire international.

Le premier dysfonctionnement concerne bien évidemment l’insuffisante régulation qui a accompagné le développement considérable des volumes d’épargne et de liquidités et le processus d’endettement américain (déficit commercial excessif et endettement des ménages). Des flux financiers ont pris le pas, dans ce contexte, sur les flux économiques. Cette épargne mondiale est liée aux excédents commerciaux des pays émergents et aux excédents des pays pétroliers, mais aussi à l’accroissement des inégalités de revenu. C’est en réponse à ces demandes de placement d’une épargne de plus en plus volumineuse que des produits de plus en plus sophistiqués ont été inventés.

La pratique excessive de la titrisation, notamment la pratique de la titrisation de produits déjà titrisés, dans un contexte d’internationalisation des flux financiers, a abouti à diffuser, dans le monde entier, des risques qui n’étaient plus correctement appréhendés. Il convient donc de limiter cette pratique, par exemple en contraignant les banques à conserver une part des produits qu’elles titrisent à leur bilan ou en permettant aux établissements de crédit recevant les dépôts de particuliers de n’acquérir que des produits titrisés de premier rang. Il est également nécessaire de développer la transparence et il n’est, en particulier, pas acceptable que des OPCVM comprennent des produits directement issus de la titrisation de crédits subprime américains à l’insu des épargnants. En revanche, tous les experts, y compris les universitaires, s’accordent pour dire qu’il est nécessaire de préserver la possibilité de titriser des créances afin d’assurer leur liquidité et ainsi le financement de l’économie.

La question des normes comptables – sur lesquelles travaillent MM. Dominique Baert et Gaël Yanno auxquels la Commission a confié une mission d’information – est d’une très grande importance. Depuis le 1er janvier 2005, les normes IFRS, qui prévoient notamment la valorisation des actifs à leur valeur de marché, ont été généralisées. Ces normes ont été élaborées par l’International accounting standards board (IASB), donc par un collège d’experts internationaux, auquel cette tâche a été confiée après l’échec d’une tentative européenne de standardisation il y a une quinzaine d’années, et dans la mesure où la grande technicité du sujet avait conduit à sous-estimer son importance économique. Ces experts ont retenu le principe de la valorisation aux prix de marché par souci légitime de véracité des comptes et, de fait, on peut estimer que, le plus souvent, la valeur vénale instantanée donne une image plus sincère de la valeur d’un actif que sa valeur historique. Cette méthode de valorisation a toutefois l’inconvénient majeur d’être fortement pro-cyclique. Elle a joué de manière expansionniste dans la période où les prix des actifs augmentaient, mais jouerait désormais en sens inverse. Ainsi, par exemple, une banque tenue par le respect de ses ratios de solvabilité sera amenée à diminuer le volume de ses prêts quand la valeur de ses actifs est révisée à la baisse. Cette méthode de valorisation est, en outre, particulièrement contestable lorsque l’horizon de réalisation des actifs est très lointain, comme cela peut être le cas pour des assureurs. Enfin, par construction, elle ne fonctionne plus quand il n’y a plus de marché.

C’est pourquoi il a été décidé, à l’occasion d’un récent conseil Ecofin, le transfert des créances illiquides du portefeuille de négociation au portefeuille bancaire, ainsi que la mise au point d’une nouvelle méthode de valorisation applicable en période de stress. La dimension fiscale du sujet doit également être prise en compte. La valorisation des actifs au prix de marché dans un contexte où ceux-ci baissent fortement pourrait produire des moins-values et donc de moindres recettes fiscales.

Les agences de notation constituent également un sujet important puisqu’elles sont devenues de fait de véritables auxiliaires des régulateurs, alors que ces agences sont privées et constituent un oligopole. Des règles déontologiques strictes sont nécessaires. Elles pourraient s’inspirer des dispositions mises en place s’agissant des certificateurs de compte après l’affaire Enron, à savoir la séparation des activités de notation et des activités de conseil, ainsi que la mise en place systématique d’une seconde équipe de notation sans relation avec le client. La question de la création d’une agence de notation européenne à l’actionnariat éventuellement partiellement ou totalement public peut également être posée. Il importe également d’améliorer la fiabilité des notations qui ont aujourd’hui le défaut de n’être que relatives par secteur d’activité.

S’agissant des hedge funds, il conviendrait qu’ils se déclarent et qu’ils rendent publique leur exposition aux risques.

En matière de rémunération, il convient de s’intéresser non seulement à la rémunération des dirigeants, mais aussi à celle des acteurs de marché. Les pratiques actuelles encouragent excessivement la prise de risque dont le succès est récompensé par l’attribution d’un bonus, alors que l’échec n’est pas sanctionné. Il conviendrait également que le comité chargé de contrôler la mise en œuvre des garanties apportées au secteur financier en application de la loi de finances rectificative pour le financement de l’économie du 16 octobre 2008 veille à la juste rémunération de l’État afin de lutter contre la tentation des acteurs du marché de socialiser les pertes et de privatiser les profits.

La question de l’opportunité de la création d’un fonds souverain français doit être analysée, sachant qu’il s’agit traditionnellement de structures gérant des excédents budgétaires et que la France a d’abord aujourd’hui une « dette souveraine », comme le rappelait à juste titre notre collègue Jean Arthuis.

La réforme de la régulation internationale et le rôle du FMI doivent également être étudiés. Il est manifeste que la plupart de ces enjeux doivent être traités au niveau européen, sinon mondial, et que bien peu d’entre eux ressortent du domaine de la loi nationale. Pour autant, le Gouvernement a eu tendance par le passé à demander à être habilité à légiférer par ordonnances en matière de droit financier et boursier. Il conviendra à l’avenir que le Parlement s’investisse davantage dans ces sujets malgré leur technicité.

Le Président Didier Migaud. La régulation financière, les normes comptables ou encore les paradis fiscaux sont des sujets techniques, certes, mais également politiques. C’est pourquoi le politique, qui en a abandonné la maîtrise à des experts, doit s’en saisir à nouveau.

Les auditions menées autour de la crise financière ont permis de mieux percevoir les enjeux et les réformes à mettre en œuvre au niveau européen et international. Notre rapport n’est d’ailleurs que la première étape d’un processus de réflexion qui associe le Sénat et l’Assemblée nationale dans un groupe de travail dont l’objectif est de définir un constat et des propositions, notamment en vue du sommet du 15 novembre prochain.

M. Bernard Carayon. Je salue le travail d’analyse et de synthèse présenté dans le présent rapport. Je souhaite cependant faire quelques observations.

Il ne fait aucun doute que le système financier international a souffert ces dernières années de l’absence des États. Il a notamment manqué de capacités d’anticipation et de normalisation. Alors qu’une entreprise dispose généralement d’une cellule de veille et d’évaluation de ses risques, ni les États ni les organisations internationales n’ont élaboré des outils d’anticipation des crises potentielles. De même, en l’absence de capacité de normalisation, les États ont dû s’en remettre à des organismes composés d’experts, notamment pour les normes comptables.

Par ailleurs, s’agissant des paradis fiscaux, il faut cesser d’être hypocrite et regarder la réalité en face. L’Union européenne abrite en son sein de nombreux paradis fiscaux, à commencer par la Grande-Bretagne et le Luxembourg.

La question des fonds souverains appelle une réponse différente selon que l’on parle des fonds souverains « anciens » (comme ceux du Koweit ou de la Norvège) ou des fonds souverains récemment créés, comme ceux de la Russie ou de la Chine. Alors que les premiers ont une vocation d’investisseurs à long terme, les seconds obéissent, dans leurs décisions d’investissement, à des consignes politiques qui les rendent potentiellement dangereux pour la stabilité de l’économie. La transparence en matière de gouvernance de ces fonds doit donc être une priorité.

Enfin, je voudrais dire un mot des fonds spéculatifs (« hedge funds »). Ceux-ci, qui brassent des milliers de milliards de dollars, ne sont soumis à aucune réglementation ; ce n’est guère que lorsqu’ils font faillite que l’on découvre l’ampleur de leurs risques ; de plus, la rémunération des gérants, à base de « bonus » sur les gains mais jamais de « malus » sur les pertes, encourage les prises de risque inconsidérées ; enfin, nombreux sont les fonds spéculatifs actuellement en difficulté, ce qui laisse augurer de nombreuses faillites dans les prochains mois, avec des conséquences potentiellement désastreuses.

M. Yves Censi. Je salue également la qualité du travail effectué par le Président et le Rapporteur général, en soulignant avec eux la dimension politique forte de l’ensemble de ces sujets, à tort qualifiés de techniques. En effet, tous les citoyens sont concernés – et donc les politiques qui les représentent – dès lors que leur patrimoine est affecté par le dérèglement des marchés.

Les contributions politiques en annexe du présent rapport, si elles révèlent des visions différentes de la crise, laissent cependant entrevoir un consensus en matière de constat comme de propositions. Pour ma part, j’attire l’attention sur la multiplication des « bulles » spéculatives et sur la nécessité de mieux les prévenir.

Enfin, d’une manière générale, il faut que le Parlement renforce son contrôle sur les régulateurs (AMF, commission bancaire…).

M. Charles de Courson. Au-delà des questions techniques, on n’a sans doute pas assez analysé les causes plus fondamentales de la crise. En particulier, il n’est pas raisonnable de faire croire à des taux de rentabilité économique demeurant durablement autour de 15 %, alors qu’historiquement la rentabilité des actions est de l’ordre de 8 % ou 9 %, ainsi que le montre sur longue période le partage entre capital et travail dans l’économie. Le maintien de taux de rentabilité excessivement élevés s’est d’ailleurs fait aux États-unis au prix d’une sévère stagnation des salaires et d’une explosion des inégalités de revenus. De ce point de vue, la France a été moins touchée.

M. le Président Didier Migaud. Ces déséquilibres économiques et sociaux ont effectivement été évoqués lors des différentes auditions. Notre rapport est, quant à lui, centré sur des éléments plus pratiques et souvent techniques, afin de ménager les possibles divergences d’interprétation politique sur ces questions.

M. Charles de Courson. La question politique du partage des revenus doit être posée. La crise de 1929 est précisément née d’une période de dérapage, dans les années 1920, de la répartition entre revenus du travail et revenus du capital dans l’économie américaine.

M. le Rapporteur général. La crise est en effet le fruit d’un ensemble de déséquilibres mondiaux, une épargne asiatique très abondante et très concentrée ayant servi à combler des besoins de financement croissants dans les économies occidentales. Il y a en outre de réelles différences de politiques publiques d’un État à l’autre : d’un côté, les subprimes s’analysent comme un simple palliatif de la stagnation des salaires aux États-unis, générant après leur titrisation des rémunérations d’autant plus lucratives que les risques associés étaient élevés; de l’autre, les outils tels que les prêts à l’accession à la propriété et les prêts à taux zéro mis en place en France correspondent à une vraie logique d’intervention de l’État dans l’économie.

M. Charles de Courson. Un autre facteur essentiel de la crise est la question monétaire. Pourquoi n’y a-t-il plus désormais de rééquilibrage des balances commerciales ? Les États-Unis ont attiré une épargne étrangère très importante qui a entraîné une chute continue du dollar, monnaie de réserve mondiale. Faute d’ajustements automatiques, c’est le rôle de régulation du FMI qui s’est ici révélé gravement défaillant.

M. le Président Didier Migaud. C’est là l’un des enjeux du chantier dit du « nouveau Bretton Woods » lancé par la Président de la République.

M. Yves Censi. Parmi les préconisations à formuler pour éviter qu’une telle crise ne se reproduise, il faut écarter l’illusion de la suppression de tout risque. Le risque financier existera toujours : l’enjeu est de savoir correctement l’apprécier (« pricing ») et, partant, de suffisamment l’encadrer. Le Rapporteur général a parfaitement raison de souligner que les subprimes constituent un outil purement spéculatif, non une technique d’aide à l’accession à la propriété. Les analystes ont en revanche failli en pensant que les risques associés à ces produits pourraient être supportés par les plus grandes institutions bancaires. Plutôt que de condamner sans nuance le métier de la finance au nom d’une prétendue « morale », il faut faire preuve d’un grand pragmatisme pour progresser dans la voie d’une meilleure transparence financière.

En application de l’article 145 du Règlement, la Commission autorise la publication du présent rapport d’information.

1 () Il convient de se garder d’une remise en cause imprudente des normes qui obligent à une présentation plus juste de la valeur de l’entreprise que l’actualisation du coût historique. Les tentatives de contourner leur mise en œuvre en sont un bon indicateur. Des interrogations subsistent d’ailleurs sur les comptes notamment de Bear Sterns et de Lehman Brothers ; des enquêtes sont en cours qui diront si une partie du problème est lié à une mise en œuvre défaillante du principe de juste valeur.

2 () Ils ont par exemple permis à la Deutshe Bank d’afficher pour sur le troisième trimestre 2008 un bénéfice de 93 millions d’euros.

3 () L’opérateur dispose de trois jours pour livrer les titres vendus.


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