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N° 1930

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 23 septembre 2009

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE

en conclusion des travaux de la Mission d’évaluation et de contrôle (MEC) (1)

sur les perspectives des pôles de compétitivité

et prÉsentÉ

par MM. Alain CLAEYS, Jean-Pierre GORGES

et Pierre LASBORDES

Députés

___

MM. Georges TRON et David HABIB

Présidents.

____

La mission d’évaluation et de contrôle est composée de : MM. Georges Tron, David Habib, Présidents ; M. Didier Migaud, Président de la commission des Finances de l’économie générale et du contrôle budgétaire, M. Gilles Carrez, Rapporteur général ; MM. Pierre Bourguignon, Jean-Pierre Brard, Alain Claeys, Charles de Courson, Richard Dell’Agnola, Yves Deniaud, Jean-Louis Dumont, Jean-Michel Fourgous, Laurent Hénart, Jean Launay, François de Rugy, Philippe Vigier.

INTRODUCTION 7

LES 15 PROPOSITIONS PRIORITAIRES DE LA MEC 11

PREMIÈRE PARTIE : DIAGNOSTIC SUR LE FONCTIONNEMENT DES PÔLES 13

I.– UN PAYSAGE ADMINISTRATIF ET FINANCIER PARTICULIÈREMENT COMPLEXE 13

A.– UNE DOUBLE TUTELLE ADMINISTRATIVE, JUSTIFIÉE PAR LA DIVERSITÉ DES OBJECTIFS ASSIGNÉS AUX PÔLES, MAIS SOURCE DE FAIBLESSES EN TERMES DE PILOTAGE ET DE PERFORMANCE 13

1.– La DGCIS et la DIACT : un tâtonnement entre logique de compétitivité et logique territoriale 13

a) La genèse de la politique des pôles 13

b) 71 pôles répartis sur l’ensemble du territoire. 14

c) Une double tutelle 15

2.– Les insuffisances dans le pilotage de la politique nationale 15

a) L’absence de stratégie globale 15

b) Un pilotage insuffisant 15

3.– L’absence flagrante de volet performance dans les documents budgétaires 16

B.–  UNE DIVERSITÉ DES STRUCTURES ET DES MODES DE FINANCEMENT DE LA RECHERCHE NUISIBLE À SON EFFICACITÉ 17

1.– Un système de financement complexe 17

2.– Des crédits non consommés, révélateurs de l’inertie du dispositif 21

3.– L’empilement des dispositifs de soutien de la recherche en France 22

a) Les réseaux de coopération entre établissements de recherche et d’enseignement supérieur 22

b) Les dispositifs fiscaux 23

c) Une coordination à installer entre les dispositifs existants 24

C.– UNE HÉTÉROGÉNÉITÉ FLAGRANTE ENTRE LES PÔLES : FORCE OU FAIBLESSE POUR LA COMPÉTITIVITÉ ? 26

1.– Une concentration des financements publics sur la vingtaine de pôles mondiaux et d’envergure mondiale 26

2.– Une réelle dynamique de projets dans la plupart des pôles nationaux 27

3.– Une logique territoriale à redéfinir à travers la mise en réseau des pôles dans le cadre de la phase 2.0. 28

II.– UNE RENCONTRE ENTRE LE MONDE DE LA RECHERCHE ET LE MONDE DE L’ENTREPRISE QU’IL FAUT ENCORE DYNAMISER 30

A.– LES PÔLES DE COMPÉTITIVITÉ : UN POINT DE RENCONTRE ENTRE DES MONDES QUI S’IGNORAIENT 30

1.– Des acteurs à mettre en synergie : chercheurs, entreprises et centres de formation 30

2.– Un « écosystème de croissance et de l’innovation » qui reste à instaurer 31

B.– DES DIFFICULTÉS PERSISTANTES À SURMONTER 34

1.– L’insuffisante mobilisation des PME et des chercheurs dans des instances de gouvernance pilotées par les grands industriels 34

a) L’insuffisante mobilisation des PME 34

b) L’insuffisante participation des acteurs de la recherche et de la formation 35

2.– L’insuffisante prise en considération de la dimension scientifique des projets au sein des pôles 36

3.– L’insuffisante gestion du partage de la valorisation de la recherche au sein du pôle 36

SECONDE PARTIE : PROPOSITIONS 41

I.– RENFORCER LE RÔLE D’INTERFACE DES PÔLES ENTRE LA RECHERCHE ET LES ENTREPRISES 41

A.– ASSURER LE PASSAGE DE LA RECHERCHE FONDAMENTALE À LA RECHERCHE INDUSTRIELLE AU SEIN DES PÔLES 41

1.– Formaliser la coopération entre l’ANR et OSÉO 42

2.– Spécialiser une partie du financement public sur les projets de recherche en phase de maturation 44

3.– Garantir l’accès des plateformes d’innovation aux structures de recherche existantes 46

B.– AMÉLIORER LE PARTAGE ET LA DIFFUSION DE LA RECHERCHE AU SEIN DES PÔLES 47

1.– Améliorer les conditions de valorisation de la recherche au sein des pôles 47

2.– Anticiper au sein des pôles les besoins de formation des futurs chercheurs 48

3.– Promouvoir la coopération scientifique internationale 50

a) Développer l’esprit cluster international entre pôles de compétitivité 50

b) Coordonner la mobilisation des réseaux de développement économique pour promouvoir les pôles de compétitivité 51

C.– PROMOUVOIR LA RECHERCHE DANS LE DOMAINE DES ÉCO-TECHNOLOGIES AU SEIN DES PÔLES 53

1.– Créer un label « éco-tech » en faveur des pôles existants réalisant plus de 50 % de projets de recherche dans le domaine des éco-technologies 55

2.– Mettre en réseau les pôles développant des projets de recherche sur une thématique éco-tech commune 56

3.– Ne procéder à de nouvelles labellisations qu’en faveur de pôles dont la thématique éco-tech ne serait pas couverte par les pôles existants 57

II.– OPTIMISER LES CIRCUITS DE FINANCEMENT DES PÔLES 59

A.– SIMPLIFIER L’ACCÈS AUX DISPOSITIFS DE FINANCEMENT PUBLIC EXISTANTS 59

1.– Optimiser la gestion du FUI grâce à son transfert vers OSÉO 59

2.– Renforcer la communication sur les dispositifs financiers existants 60

3.– Simplifier les relations financières entre les pôles et les collectivités territoriales 61

B.– DÉVELOPPER LES SOURCES DE FINANCEMENTS PRIVÉS AU SEIN DES PÔLES 63

1.– Améliorer le financement en fonds propres des PME des pôles 63

a) Renforcer la communication et l’accueil des acteurs du capital-risque au sein des pôles 63

b) Renforcer la coopération entre les pôles et CDC Entreprises 65

2.– Renforcer la part de financement privé dans les structures d’animation des pôles 66

3.– Encourager la mobilisation des dispositifs européens de financements de projets et assurer le suivi des fonds collectés 67

III.– MENER DES ACTIONS CIBLÉES EN DIRECTION DES PME 68

A.– DANS LES PROCÉDURES D’INTÉGRATION AUX PÔLES 68

1.– Renforcer la participation des PME dans les pôles et leur gouvernance 68

2.– Développer la coopération inter-pôles ou la mise en réseau des pôles 69

B.– DANS LES PROCÉDURES DE FINANCEMENT 72

1.– Orienter une part des crédits publics vers les PME et instaurer une procédure spécifique adaptée 72

2.– Raccourcir le délai d’octroi des aides publiques 72

3.– Clarifier les décisions d’attribution des aides 73

CONCLUSION : PASSER D’UNE LOGIQUE DE MOYENS À UNE LOGIQUE DE RÉSULTATS POUR AMÉLIORER LA COMPÉTITIVITÉ FRANÇAISE 75

1.– Rester attentif à la consommation des crédits de paiement consacrés à la phase 1.0 75

2.– Conditionner le maintien du financement public de la phase 2.0 à la réalisation des objectifs fixés dans les contrats de performance 75

3.– Concentrer les nouveaux financements publics sur les pôles les plus performants : les perspectives du « grand emprunt national » 76

EXAMEN EN COMMISSION 77

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 87

COMPTE RENDU DES AUDITIONS 89

INTRODUCTION

Sur la suggestion du Rapporteur spécial, M. Alain Claeys, le bureau de la commission des Finances a souhaité que la mission d’évaluation et de contrôle (MEC) procède à une évaluation de la politique des pôles de compétitivité.

Trois Rapporteurs ont été désignés : outre les deux Rapporteurs spéciaux de la commission des Finances pour la mission Recherche – MM. Jean-Pierre Gorges et Alain Claeys –, M. Pierre Lasbordes qui, au nom de la commission des Affaires économiques, a présenté l’avis budgétaire relatif aux grands organismes de recherche lors de l’examen du dernier projet de loi de finances. Les députés chargés du rapport représentent à la fois les deux Commissions les plus concernées, mais aussi deux groupes politiques sur les quatre composant l’Assemblée nationale : respectivement l’Union pour un mouvement populaire et le groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

Les travaux de la mission, de février à septembre 2009, l’ont conduite à entendre les principaux acteurs de la politique des pôles de compétitivité depuis 2005. Pour rappel, les pôles de compétitivité sont définis comme « le rapprochement, sur un territoire donné, d’entreprises, de centres de formation et d’unités de recherche engagés dans une démarche partenariale destinée à dégager des synergies autour de projets innovants ». Fondés sur une logique de coopération tripartite entre entreprises, universités et laboratoires de recherche, les pôles de compétitivité se distinguent donc des systèmes productifs locaux (SPL), connus également sous le nom de « clusters » ou de « districts ». En effet, les SPL ne se caractérisent que par une concentration d’entreprises, appartenant à un même secteur d’activité sur un territoire donné, qui s’organisent en réseau afin de déployer une stratégie plus puissante que chacun de ses membres ne le peut isolément. Les pôles de compétitivité se différencient également des syndicats et associations professionnels qui ont une fonction de défense et de représentation.

En ouverture de ses travaux, la mission d’évaluation et de contrôle a souhaité entendre M. Laurent Blivet, manager au sein du Boston Consulting Group, et M. Philippe Bassot, vice-président du cabinet CM International, auteurs d’un rapport d’évaluation sur les pôles de compétitivité sur la période 2005-2008, commandé par la Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires (DIACT). Cet audit avait à la fois pour objectif de formuler un diagnostic et une évaluation du dispositif national des pôles de compétitivité, et de présenter des recommandations pôle par pôle. À l’issue de l’audit, les 71 pôles ont été classés en trois groupes selon qu’ils remplissaient un, deux ou trois critères cumulativement : avoir élaboré une stratégie, avoir une gouvernance fonctionnelle et avoir impulsé une dynamique. Trente-neuf pôles remplissaient les trois critères (groupe 1), dix-neuf pôles remplissaient deux des trois critères (groupe 2), et treize pôles ne remplissaient qu’un des critères (groupe 3 – « pôles à reconfigurer »).

Afin de recueillir le point de vue des autorités de tutelle, la MEC a entendu M. Luc Rousseau, directeur général de la Compétitivité, de l’industrie et des services du ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, et M. Pierre Dartout, délégué interministériel à l’aménagement et à la compétitivité du territoire, sur l’évaluation et les perspectives des pôles de compétitivité. Il est apparu que la politique des pôles de compétitivité en cours, à la croisée des chemins entre logique de compétitivité et logique d’aménagement du territoire, méritait d’être encouragée, voire stimulée.

La MEC s’est ensuite attachée à recueillir l’avis de représentants des entreprises : M. Emmanuel Leprince, délégué général du Comité Richelieu, M. Jean-François Roubaud, président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), M. François Moutot, directeur général de l'Assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat (APCM), et M. Jean-Marie Rouiller, président de France Clusters-CDIF. La MEC a également recueilli l’avis du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) à travers des échanges écrits avec M. Patrick Schmitt, directeur adjoint des affaires économiques, financières, de la recherche et des nouvelles technologies. Elle s’est ainsi rendue compte des difficultés que rencontrent encore les petites et moyennes entreprises pour accéder aux pôles de compétitivité et bénéficier pleinement des synergies que pourrait offrir cette opportunité.

La mission s’est donc attelée à décortiquer les mécanismes de financement des pôles en auditionnant les établissements publics participant, peu ou prou, au financement des pôles de compétitivité, en dehors du principal outil budgétaire que représente le Fond unique interministériel géré par M. Luc Rousseau. Ont donc été entendus Mme Jacqueline Lecourtier, directeur général de l’Agence nationale de la recherche (ANR), M. François Moisan, directeur de la stratégie et de la recherche de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), M. François Drouin, président-directeur général d’OSÉO, M. Philippe Braidy, membre du comité de direction de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), directeur du développement territorial et du réseau et M. Philippe Laval, directeur général délégué de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI). Les rapporteurs ont ainsi pu mesurer la complexité des dispositifs de financement de la politique des pôles de compétitivité et la persistance de certaines défaillances graves en matière de financement public.

S’agissant des modes de financement privé des pôles de compétitivité, la mission a souhaité connaître le rôle et l’étendue de la participation des entreprises et plus particulièrement des capitaux–risqueurs, qui ont vocation à soutenir financièrement les jeunes pousses (« start-up ») issues des pôles de compétitivité. La MEC a donc auditionné M. Pierre de Fouquet, président de l’Association française des investisseurs en capital (AFIC). Il en ressort que la méconnaissance, au sein des pôles, du rôle et du fonctionnement des fonds de capital–risque constitue un obstacle majeur dans la plupart des pôles, qu’il conviendra de surmonter dans l’avenir.

En outre, afin de comprendre l’articulation, au sein des pôles de compétitivité, entre le monde de l’entreprise et le monde de la recherche et d’évaluer la plus-value de la politique des pôles en la matière, la mission a tenu à entendre les responsables de nombreux organismes de recherche publique présents dans ces pôles : M. André Syrota, directeur général de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), M. Marc Ledoux, directeur de la politique industrielle du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Mme Marion Guillou, présidente de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), MM. Hervé Bernard, administrateur général adjoint , et Jean-Claude Petit, directeur des programmes du Commissariat à l’énergie atomique (CEA). La mission a pu relever que la politique des pôles de compétitivité faisait l’objet d’une appréciation globalement positive de la part des organismes de recherche publique. Toutefois, l’implication de ces organismes dans les pôles n’est pas homogène et dépend de choix de politique interne de l’organisme ou du pôle considéré. En outre, les chercheurs regrettent le fait que plusieurs contraintes demeurent, limitant l’émergence de véritables projets de recherche porteurs.

En complément, il a semblé nécessaire aux rapporteurs de connaître l’effet de la politique des pôles de compétitivité au regard de l’objectif d’amélioration de l’attractivité et de la compétitivité internationale de la France par rapport aux autres pays industrialisés. La MEC a donc auditionné MM. David Appia et Daniel Tordjman, respectivement ambassadeur délégué aux investissements internationaux et ambassadeur délégué aux pôles de compétitivité. Il est apparu que, si certains pôles mondiaux développent une véritable image de marque à l’étranger, l’essentiel des pôles de compétitivité peine à développer des partenariats internationaux faute de se concentrer sur des projets très sélectifs. En revanche, grâce au rôle de l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII) notamment, de plus en plus d’entreprises étrangères choisissent les pôles de compétitivité pour bénéficier, au même titre que les entreprises françaises, de financements, de soutiens publics et de partenariats en vue de promouvoir la recherche.

De surcroît, pour mettre en perspective l’ensemble des observations précitées avec la réalité du terrain, la mission a souhaité interroger par voie de questionnaire les 71 pôles de compétitivité et auditionner plusieurs responsables de pôles relevant de catégories différentes au sens de l’audit précité : M. Jean-Luc Ansel, directeur général du pôle Cosmetic Valley (pôle national – groupe 2), M. Jean-Marc Thomas, président du pôle Aerospace Valley (pôle mondial - groupe 1), M. Paul Rivault, président du pôle Mobilité et transports avancés (pôle national – groupe 3) en compagnie de M. Jacques Lacambre, président du pôle Mov'eo (pôle national – groupe 2), et MM. Joseph Grimaud et Patrick Blondeau, président et directeur général du pôle Enfant (pôle national – groupe 3). Quel que soit le pôle interrogé, la dynamique de la politique mise en œuvre depuis 2005 est largement saluée et le nombre de projets de recherche collaborative est croissant. Même si plusieurs difficultés demeurent, l’ensemble des pôles interrogés estime absolument nécessaire de poursuivre la voie lancée en 2005.

Enfin, afin de visualiser le fonctionnement d’un pôle de compétitivité et l’activité de recherche collaborative menée dans un pôle, les rapporteurs se sont rendus au sein du pôle System@tic Paris-Région auprès de M. Dominique Vernay, directeur du pôle. À cette occasion, ils ont pu visiter un des laboratoires, appréhender concrètement plusieurs projets de recherche avec les chercheurs, voir « une salle blanche » et s’entretenir avec une PME du pôle sur sa place dans le pôle et dans les projets, ses attentes et ses perspectives.

Sur ce dossier comme sur les autres, la mission a disposé d’informations très complètes, du fait de l’esprit de coopération de l’ensemble des acteurs interrogés et de la collaboration avec la deuxième chambre de la Cour des comptes, présidée par M. Alain Hespel. La Cour a adopté le 15 juin 2009 des observations définitives relatives à la politique des pôles de compétitivité. Celles-ci ont été transmises aux ministres compétents le 24 juin 2009 par le Premier président de la Cour des comptes. Puis, elles ont été adressées, avec les réponses du Gouvernement, aux commissions des Finances des deux assemblées. Les travaux des rapporteurs de la MEC ont été une fois de plus enrichis par le dialogue avec les magistrats de la Cour – tenus en public à un devoir de réserve faute de pouvoir, à titre individuel, engager la collégialité.

De l’ensemble des travaux de la mission se dégage d’abord un consensus sur le diagnostic, qui fait l’objet de la première partie du présent rapport. De nombreuses pistes de renforcement de l’efficacité des pôles sont également apparues. La seconde partie du rapport présente 15 propositions assorties de plusieurs recommandations pour améliorer la politique industrielle de la France par le canal des pôles de compétitivité pour la période 2009-2011.

Pour assurer le suivi de la mise en œuvre de ces propositions, la mission se propose d’utiliser l’article 60 de la loi organique relative aux lois de finances, lequel dispose : « lorsqu’une mission de contrôle et d’évaluation donne lieu à des observations notifiées au Gouvernement, celui-ci y répond, par écrit, dans un délai de deux mois ».

LES 15 PROPOSITIONS PRIORITAIRES DE LA MEC

A.– RENFORCER LE RÔLE D’INTERFACE DES PÔLES ENTRE LA RECHERCHE ET LES ENTREPRISES

Proposition n° 1 : Encourager l’établissement d’une convention entre l’Agence nationale de la recherche (ANR) et OSÉO afin de promouvoir la maturation des projets de recherche innovants et créer, sous leur égide, un « fonds dédié à la maturation des projets de recherche innovants » concentrant une part conséquente des crédits publics de la phase 2.0.

Proposition n° 2 : Former un « correspondant propriété industrielle » au sein de l’équipe d’animation de chaque pôle de compétitivité en s’appuyant sur les services de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI).

Proposition n° 3 : Formaliser les relations entre les pôles de compétitivité et les pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES), afin de partager les services des cellules de valorisation de la recherche et d’anticiper les besoins de formation pour répondre aux emplois de demain.

Proposition n° 4 : En matière de gestion des compétences, compléter l’indicateur « nombre de formations mises en place à la suite d’une demande explicite du pôle » par les indicateurs suivants :

– nombre de chercheurs embauchés par les entreprises du pôle ;

– nombre d’ingénieurs systèmes embauchés par les entreprises du pôle.

B.– AMÉLIORER LA VISIBILITÉ INTERNATIONALE DES PÔLES

Proposition n° 5 : Simplifier la typologie des pôles de compétitivité pour les classer en fonction de leur dimension mondiale ou nationale et encourager le développement de « vitrine internationale commune » par les pôles relevant de la même thématique.

C.– PROMOUVOIR LA RECHERCHE DANS LE DOMAINE DES ÉCO-TECHNOLOGIES AU SEIN DES PÔLES

Proposition n° 6 : Créer un label « éco-tech » attribué conjointement par la direction générale de la Compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) et le commissariat général au Développement durable (CGDD) aux pôles de compétitivité réalisant plus de 50 % de projets de recherche dans le domaine des éco-technologies.

Proposition n° 7 : Créer de nouveaux pôles de compétitivité pionniers centrés sur le développement de champs scientifiques et d’innovation émergents non couverts actuellement par les pôles qui seraient labellisés « éco-tech ».

D.– OPTIMISER LES CIRCUITS DE FINANCEMENT DES PÔLES

Proposition n° 8 : Adopter, sans délai, la convention détaillant les modalités concrètes du transfert du Fonds unique interministériel (FUI) vers OSÉO et conditionner le versement des crédits à l’établissement du contrat de consortium dans les douze mois suivant le dépôt du projet de recherche auprès du FUI.

Proposition n° 9 : Unifier et simplifier le dossier de demande d’aide valable pour l’ensemble des financeurs (FUI, OSÉO, ANR et les régions).

Proposition n° 10 : Encourager la mise en place de fonds régionaux pour l’innovation, signés en partenariat avec OSÉO, pour créer un guichet unique de financement local.

Proposition n° 11 : Soutenir les opérations de communication des pôles de compétitivité auprès des investisseurs privés (business angels, capitaux risqueurs, banques, fonds de capital-risques régionaux…) afin d’améliorer le financement des phases de maturation des projets ou d’amorçage des PME.

Proposition n° 12 : Renforcer l’accompagnement des pôles de compétitivité dans le processus d’accès aux financements européens :

– leur ouvrir l’appui des structures spécialisées dans le montage des projets européens des PRES ou des organismes de recherche membres des pôles ;

– assurer un suivi effectif des fonds collectés par les pôles au titre des appels à projets européens au niveau des autorités de tutelle.

E.– MENER DES ACTIONS CIBLÉES EN DIRECTION DES PME

Proposition n° 13 : Redéfinir la dimension territoriale de la politique des pôles de compétitivité en développant la mise en réseau des pôles travaillant sur une thématique commune afin de permettre aux PME d’un pôle de participer à un plus grand nombre de projets. Pour ce faire, il convient d’assouplir le critère territorial dans la procédure de sélection des PME participant aux projets financés par le FUI.

Proposition n° 14 : Instaurer une procédure « Flash » pour les projets de recherche portés par les PME et prévoir des crédits dédiés.

Proposition n° 15 : Réduire de façon significative le délai d’octroi des aides du FUI mesuré à travers la création d’un nouvel indicateur de performance dans les documents budgétaires.

PREMIÈRE PARTIE : DIAGNOSTIC SUR LE
FONCTIONNEMENT DES PÔLES

I.– UN PAYSAGE ADMINISTRATIF ET FINANCIER PARTICULIÈREMENT COMPLEXE

A.– UNE DOUBLE TUTELLE ADMINISTRATIVE, JUSTIFIÉE PAR LA DIVERSITÉ DES OBJECTIFS ASSIGNÉS AUX PÔLES, MAIS SOURCE DE FAIBLESSES EN TERMES DE PILOTAGE ET DE PERFORMANCE

1.– La DGCIS et la DIACT : un tâtonnement entre logique de compétitivité et logique territoriale

a) La genèse de la politique des pôles

La politique des pôles de compétitivité a été inspirée par l’observation internationale sur les effets d’agglomération, des travaux économiques français et américains (2), et plusieurs rapports publics à fort impact médiatique en France (3) portant sur les politiques d’innovation en lien avec le territoire.

Elle s’inscrit en outre dans la perspective de la Stratégie de Lisbonne qui est de « faire de l’Europe, d’ici 2010, l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable, accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale (4) ».

Cette politique est aussi le signe d’un tournant majeur de la politique nationale envers les territoires et leur développement économique : il s’agit de croiser les objectifs de la politique d’innovation et de la politique industrielle dans une nouvelle conception de l’aménagement du territoire. En effet, les actions de compétitivité doivent désormais être intégrées aux préoccupations d’équité, ce qui transforme des mesures, jusqu’à présent plutôt de nature défensive en mesures davantage offensives.

Cette nouvelle politique d’aménagement du territoire a été définie par le CIADT du 13 décembre 2002 dans les termes suivants : « La politique d’aménagement ne peut plus être simplement redistributive ni uniquement réparatrice des crises que subissent les territoires. Elle doit impulser et accompagner une stratégie territoriale qui favorise la création et l’animation de pôles d’excellence, regroupant réseaux technologiques conjuguant recherche privée et publique, établissements d’enseignement et entreprises innovantes ».

b) 71 pôles répartis sur l’ensemble du territoire.

Au total, ce sont 71 pôles qui ont été labellisés, 67 par le CIADT (5) du 12 juillet 2005 et 5 supplémentaires lors du CIACT (6) du 5 juillet 2007.

En pratique, la philosophie de cette politique a évolué sur un double plan :

● la couverture sectorielle : alors que le CIACT du 14 septembre 2004 avait défini deux grands types de pôles, à dominante technologique ou à dominante industrielle, les pôles labellisés ont concerné non seulement les domaines de très haut niveau technologique en émergence (nanotechnologies, biotechnologies...), mais également des secteurs plus matures (automobile, aéronautique, ferroviaire, informatique, ...) ou utilisant un savoir-faire traditionnel (agriculture, agro-alimentaire, textile...) ;

● la couverture territoriale : comme l’indique la Cour des comptes dans ses observations définitives adoptées le 15 juin 2009, « le nombre des pôles (71) (7) est très élevé au regard des critères d’excellence affichés dans le cahier des charges de l’appel à projet qui avait vocation initialement à conduire à la désignation au plus d’une vingtaine de pôles. Le Gouvernement avait souhaité ne pas décevoir les multiples acteurs qui s’étaient fortement mobilisés localement pour promouvoir leurs candidatures et proposer des projets de qualité ».

La DIACT, interrogée par les Rapporteurs, confirme que : « la volonté première de se concentrer sur un nombre restreint de dossiers a été infléchie, l’avis technique du groupe de travail interministériel était de labelliser 15 à 30 pôles ». Cependant, selon M. Dartout, délégué interministériel à l’aménagement et à la compétitivité du territoire, au cours de son audition : « Il n’y a pas de contradiction entre l’excellence territoriale et la cohésion territoriale, laquelle suppose qu’on apporte un soutien à la performance et à l’excellence dans certaines parties du territoire ».

La politique des pôles de compétitivité se trouve donc au carrefour de deux objectifs qui peuvent sembler difficiles à concilier. Elle oscille entre une logique de compétitivité d’une part, qui impose d’aller chercher les compétences sur l’ensemble du territoire pour les intégrer dans des pôles sélectionnés pour leur excellence scientifique, et une logique territoriale d’autre part, conduisant à préserver l’égalité spatiale par la désignation d’un grand nombre de pôles répartis sur l’ensemble du territoire.

c) Une double tutelle

Les Rapporteurs constatent toutefois que, dans les faits, après trois années complètes de mise en œuvre, les 71 pôles de compétitivité se sont scindés en deux groupes. Une vingtaine de pôles, d’une part, ont formé le « club des pôles mondiaux », qui fait figure de moteur. Mieux organisés, plus visibles à l’international, ces pôles attirent à eux seuls 80 % des aides publiques. Une cinquantaine de pôles, d’autre part, aux ambitions plus modestes et de niveaux très hétérogènes dont les projets de recherche ne représentent que 20 % des crédits publics.

Corollaire de cette double logique, la politique des pôles est pilotée, au niveau national, par deux tutelles : la direction générale de la Compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) et la délégation interministérielle à l’Aménagement et à la compétitivité du territoire (DIACT).

Ensemble, elles assurent le secrétariat du groupe de travail interministériel (GTI), responsable de la mise en œuvre, de l'animation et du suivi de la politique des pôles de compétitivité.

2.– Les insuffisances dans le pilotage de la politique nationale

a) L’absence de stratégie globale

Les observations définitives de la Cour des comptes précitées soulignent que les pôles ont été labellisés suite à une appréciation très large des critères de choix, et que cette sélection s’est faite sans définition préalable d’une stratégie pour chaque pôle. C’est ainsi que « Nombre de projets [retenus] “péchaient” par manque de stratégie commune de développement économique, appropriable par l’ensemble des acteurs du pôle ».

L’aspect stratégique a donc été absent de toute la phase 1.0. Une dimension pourtant essentielle compte tenu des enjeux de cette politique, qui se met progressivement en place mais avec trois ans de retard, lors de la signature des contrats de performance (cf. infra).

b) Un pilotage insuffisant

La circulaire du 5 août 2005 (8) précise les organes de fonctionnement dont doit être doté chaque pôle de compétitivité. Il s’agit :

– d’un comité de coordination, chargé d’établir le projet de contrat cadre du pôle et d’accompagner son évolution par la suite ;

– d’une commission des financeurs ;

– et d’une commission scientifique, dont le rôle est d’assurer plus spécifiquement le suivi et l'évaluation technique des résultats du pôle.

La Cour des comptes (9) constate que dans les faits, si les commissions des financeurs ont été pleinement opérationnelles, les comités de coordination et les commissions scientifiques n’ont en revanche pas joué leur rôle. Une information confirmée par les réponses apportées aux questionnaires adressés par la MEC à chaque pôle : dans la majorité des cas, les commissions scientifiques ne se sont pas réunies.

Ainsi, durant leurs trois premières années d’existence, les pôles ont avant tout fonctionné comme de véritables usines à projets : 3 700 projets de R&D collaboratifs ont été labellisés par les pôles depuis 2005, pour un montant de dépenses de R&D de près de 6 milliards d’euros, mobilisant au total près de 14 000 chercheurs.

Cet important nombre de projets était un des résultats attendus et de ce point de vue, une véritable dynamique s’est installée.

Pour autant, la DGCIS s’est insuffisamment impliquée dans la politique globale des pôles : selon la Cour des comptes, « avant la logique de contenu […], la DGCIS a privilégié la logique de financement », faisant ainsi l’impasse sur l’étude du caractère innovant des projets. Elle a ensuite négligé le suivi de l’activité des commissions chargées de la vie des pôles.

D’autre part, le rapport d’audit des cabinets BCG et CM International fait le constat que l’action du GTI s’est fortement tournée vers l’évaluation des projets de R&D soumis par les pôles, au détriment du pilotage stratégique et technologique de la politique.

3.– L’absence flagrante de volet performance dans les documents budgétaires

La politique des pôles de compétitivité est une politique récente, dont la mise en place coïncide avec l’entrée en vigueur de la LOLF (10).

Or la LOLF a généralisé la mesure de la performance dans le budget de l’État : ainsi, pour chaque politique publique, doivent être mis en regard des crédits des objectifs dont l’atteinte est mesurée par des indicateurs.

Il est donc étonnant que des réflexions n’aient pas été poussées plus avant sur la méthodologie à retenir pour mesurer de façon efficace la performance de la politique des pôles de compétitivité.

Le programme 192 Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle de la mission Recherche et enseignement supérieur contenait, jusqu’en 2008, un indicateur relatif aux pôles de compétitivité correspondant à l’objectif Contribuer à améliorer la compétitivité des entreprises par le développement des pôles de compétitivité. L’indicateur associé s’intitulait Progression de la dépense de R&D d’entreprises aidées par le Fonds unique interministériel (FCE) dans le cadre des pôles de compétitivité, entre l’année n-4 et n-1, rapportée au montant des aides versées en année n-4. Compte tenu de la jeunesse des pôles, cet indicateur n’a pas encore été renseigné.

Le programme 112 Impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire de la mission Politique des territoires contenait également, entre 2007 et 2009, un indicateur associé à l’objectif Soutenir la compétitivité et l’attractivité des territoires. L’indicateur associé est le Taux d’admission des projets labellisés par les gouvernances des pôles de compétitivité aux appels à projets du FUI.

Cet indicateur a pour objectif de mesurer le niveau d’efficacité de l’action de la DIACT dans son rôle d’animation et de structuration des gouvernances des pôles de compétitivité, dont elle a la charge en assurant la co-animation du secrétariat du groupe de travail interministériel.

Les résultats de l’indicateur sont en progression entre 2006 et 2008 (respectivement 38 % et 55,5 %), reflétant le fait que les dossiers candidats sont plus aboutis après un temps nécessaire d’appropriation des procédures et de mise en place des gouvernances des pôles.

Peut-on pour autant dire que 50 % de réussite est une bonne performance ? En tout état de cause, les Rapporteurs regrettent la disparition de cet indicateur du rapport annuel de performances pour 2010 et s’interrogent sur ses raisons.

B.–  UNE DIVERSITÉ DES STRUCTURES ET DES MODES DE FINANCEMENT DE LA RECHERCHE NUISIBLE À SON EFFICACITÉ

1.– Un système de financement complexe

L’enveloppe totale dédiée par l’État au financement des pôles de compétitivité a été fixée à 1,5 milliard d’euros sur trois ans par le CIADT du 12 juillet 2005 pour la phase 1.0 (2006 – 2008) et renouvelée, pour une durée de trois ans, par le Président de la république le 18 juin 2008 pour la mise en œuvre de la phase 2.0 (2009-2011).

Le système de financement de la politique des pôles de compétitivité est particulièrement complexe. Comme l’a indiqué Mme Marion Guillou, présidente de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), « Un pôle de compétitivité labellise des projets pour lesquels peuvent ensuite être sollicités des financements auprès du FUI pour les projets industriels d’aval, de l’ANR pour les projets tournés davantage vers l’amont, ou qui peuvent éventuellement répondre aux appels d’offres européens. Il existe donc trois guichets, auxquels il faut ajouter les aides d’OSÉO [, de la Caisse des dépôts ainsi que des collectivités territoriales] ».

Au niveau national, le fond unique interministériel (FUI), l’Agence nationale de la recherche (ANR), OSÉO et la Caisse des dépôts et consignations (CDC) proposent des financements aux pôles de compétitivité.

La majorité de ces financements sont destinés à soutenir les projets de R&D. Plus marginalement, une partie des fonds est réservée au financement des équipes d’animation des pôles ou au renforcement des fonds propres des entreprises, et dans le cadre de la phase 2.0, au cofinancement de plateformes d’innovation.

La répartition concrète des enveloppes de la phase 1.0 est difficile à connaître car elle repose sur une base déclarative de la part des pôles.

La mission regrette donc que ni la DGCIS ni la DIACT ne disposent d’outils statistiques fiables leur permettant de suivre le rythme et les montants des aides versés dans le cadre des pôles.

A priori, le montant des financements engagés serait supérieur à l’objectif fixé par le gouvernement, compte tenu d’une participation plus importante que prévue des agences de financement.

Le tableau ci-après récapitule les financements accordés sur la période 2006-2008.

SYNTHÈSE DES FINANCEMENTS DES PÔLES POUR LA PHASE 1.0 (2006-2008)

Financeur/finalités

Animation

Intervention

Total

Fonds unique interministériel /

Appel à projets de R&D des pôles

33

732

765

ANR / appel à projets (1/3 recherche amont ;
2/3 recherche industrielle)

 

367

367

OSÉO-AII / soutien direct au projet à finalité industrielle ou proche du marché

 

163+242

405

CDC / soutien indirect via les fonds

de fonds sur projet labellisés

   

nc

Exonérations fiscales

-

-

160

Total

36

1 694

1 697

Source : DIACT.

En cumulé, l’ensemble des appels à projets des pôles a permis de soutenir 738 projets depuis 2005.

Les exonérations fiscales et une partie des crédits d’intervention ont été réservées aux entreprises implantées dans la zone de recherche et développement d’un pôle et qui participaient à un projet de R&D lors de la phase 1.0. Toutefois, ce dispositif d’exonérations fiscales, très peu utilisé, a été abrogé par la loi de finances pour 2007.

La répartition des enveloppes de la phase 2.0 entre les différentes structures de financement est mal connue. Selon les derniers chiffres demandés à la DGCIS et à la DIACT, elle devrait être la suivante :

SYNTHÈSE DES FINANCEMENTS DES PÔLES POUR LA PHASE 2.0 (2009-2011)

Financeur / finalités

Animation

Intervention

Plateforme
d’innovation

TOTAL

Fonds unique interministériel /

Appel à projets de R&D des pôles

50

495

105

650

ANR / appel à projets (1/3 recherche amont ; 2/3 recherche industrielle)

 

600

 

600

OSÉO / soutien direct au projet à finalité industrielle ou proche du marché

     

250

CDC / cofinancement des plateformes

d’innovation et soutien indirect

       

Total

     

1 500

Source : DGCIS et DIACT.

S’ajoute à ces structures de financement l’intervention des collectivités territoriales intéressées par les projets lancés au sein des pôles de compétitivité. La participation financière des collectivités territoriales est importante : sur la période 2005-2008, les aides allouées par les collectivités s’élèveraient à 383 millions d’euros, soit près de 20 % de l’ensemble des financements publics des pôles.

Enfin, les pôles de compétitivité peuvent présenter leur candidature aux appels à projets européens à travers le programme Eureka, le 7e programme-cadre de recherche et développement technologiques (PCRDT), le programme-cadre pour l’innovation et compétitivité (CIP) ou postuler pour obtenir des crédits issus des fonds de cohésion au titre du FEDER ou du FSE.

Plusieurs difficultés majeures liées au système complexe de financement des pôles ont été relevées depuis 2005 et ne sont toujours pas résolues dans le cadre de la phase 2.0.

D’une part, le manque de visibilité des différentes structures nationales proposant des financements, dont les modalités d’attribution et les finalités sont spécifiques, constitue un frein à l’accès des entreprises, en particulier des PME et TPE, aux pôles de compétitivité.

Ainsi, si les appels à projets lancés par le FUI visent expressément les projets de recherche collaboratifs montés au sein des pôles de compétitivité, l’ANR lance ses appels à projets et évalue les projets qui lui sont soumis indépendamment du point de savoir s’ils sont présentés par un pôle de compétitivité. Comme l’indique Mme Jacqueline Lecourtier, directeur général de l’ANR, « Si un projet que nous avons sélectionné est labellisé par un pôle, nous lui attribuons un bonus qui, depuis cette année, est de 7 % du montant des aides ; c’est notre seule action spécifique à l’égard des pôles ».

OSÉO intervient de son côté principalement par deux types d’aides directes : l’aide au projet de R&D ou d’innovation sous la forme d'une subvention ou d'une avance mono-entreprise, sans intérêt, remboursable en fonction du succès technique et commercial du projet ; et l’aide au projet d’innovation stratégique industrielle (ISI) rassemblant au moins deux entreprises, présentant des ruptures technologiques ou sauts technologiques significatifs, et comportant des objectifs industriels (produits, procédés, services) explicites et prometteurs.

Quant à la Caisse des dépôts et consignations, son intervention auprès des pôles de compétitivité est celle d’un investisseur, à travers le financement en fonds propres des PME des pôles et le financement d’infrastructures telles que les plateformes d’innovation dans le cadre de la phase 2.0.

Or, nombreux sont les organismes de recherche et les entreprises interrogées réclamant la réduction du nombre de financeurs, la mise en réseau des financeurs nationaux et locaux ou l’instauration d’un guichet unique avec un format unique de demande d’aide par voie dématérialisée et sécurisée afin d’assurer la confidentialité des projets.

D’autre part, la complexité du montage des réponses aux appels à projets de recherche européens comme du FUI, et les délais de versement des aides sont largement décriés.

S’agissant des projets financés par les fonds européens, tous les acteurs entendus confirment l’analyse de M. Marc Ledoux, directeur de la politique industrielle du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) selon laquelle : « Les projets européens sont en chute libre […]. L’explication est simple : il est beaucoup plus facile d’obtenir un financement de l’ANR que de monter un projet européen – ce qui est, chacun le sait, d’une complexité effroyable ».

S’agissant des projets financés par le FUI, le rapport d’audit BCG/CMI dénonce notamment « la procédure particulièrement lourde du FUI qui réclame un investissement important en temps et en énergie de la part des partenaires des projets comme de l’équipe d’animation des pôles. Les délais d’expertise et de versement des fonds sont importants. Ces délais sont exacerbés quand les collectivités sont mal organisées […]. Malgré le bon niveau d’implication des collectivités dans le dispositif, le processus de co-financement reste lourd à gérer et source de multiples conventions ».

Or, plus d’un an après la publication de ce rapport, aucune mesure en faveur d’un allègement des procédures ou de la création d’un guichet unique n’a été mise en œuvre par le Gouvernement, même si l’ANR et OSÉO commencent à réfléchir à ce sujet.

M. Jean-Claude Petit, directeur des programmes du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), a notamment déclaré au cours de son audition : « C’est l’une des faiblesses du dispositif. Jusqu’à présent, les guichets étaient totalement séparés, avec des priorités thématiques qui n’étaient pas nécessairement connectées les unes aux autres. L’articulation faisait défaut, et on en souffre d’ailleurs aussi au niveau européen. Mais la situation semble évoluer, notamment à l’initiative de l’ANR et d’OSÉO. Les directions générales des deux organismes sont en train de se mettre d’accord pour assurer le suivi financier des projets, depuis la phase de maturation jusqu’à la mise en œuvre. Une amélioration notable devrait en résulter. De même, l’ANR a passé diverses conventions avec ses homologues d’autres pays européens afin d’élaborer des dossiers conjoints, ce qui permettra une meilleure coordination, les appels d’offres étant transnationaux et chaque agence finançant ses équipes nationales mais sur la base d’un seul dossier ». Ces propos ont été confirmés par lors des auditions des responsables de l’ANR et OSÉO.

Enfin, les modalités, les seuils d’intervention du FUI et de l’ANR et le niveau des taux d’intervention sont souvent critiqués. Les PME regrettent que le montant des aides soit plafonné par celui des fonds propres alors que, selon elles, il conviendrait de comptabiliser le risque technologique et le risque financier assumé par l’entreprise pour promouvoir son développement, en particulier en phase de maturation des projets ou de pré-industrialisation. En outre, les seuils de projets très élevés du FUI et de l’ANR, l’exigence d’une collaboration avec un grand groupe, et l’absence d’harmonisation des taux d’intervention et des assiettes entre les régions sont autant de freins qui freinent les PME pour participer aux projets collaboratifs.

2.– Des crédits non consommés, révélateurs de l’inertie du dispositif

Les observations définitives de la Cour des comptes du 15 juin 2009 révèlent que les restes à payer pour les aides engagées entre 2005 et décembre 2008 s’élevaient à cette date à 559,6 millions d’euros, soit 76,6 % des crédits de paiement, selon la répartition suivante :

RESTES À PAYER SUR LES CRÉDITS DE PAIEMENT CONSACRÉS AU FUI

(en millions d’euros et en pourcentage)

 

Crédits

de paiement

Restes à payer

(en valeur)

Restes à payer

(en pourcentage)

2005

42

20,9

49,8 %

2006

155

107,1

69,0 %

2007

234

193,1

82,4 %

2008

nc

238,5

nc

TOTAL

730

559,6

76,6 %

Lors de son audition, M. Luc Rousseau, directeur général de la DGCIS, a expliqué cette situation de la façon suivante : « Tous les crédits ont été engagés pour soutenir des programmes de recherche d’entreprises, en collaboration avec des laboratoires scientifiques. Ces programmes durent en moyenne trois ans. C’est pourquoi, entre le moment où vous décidez d’un programme et celui où vous payez, il peut se passer jusqu’à quatre ans, les crédits de paiement s’étalent eux aussi sur trois-quatre ans ».

La Cour relève toutefois qu’au-delà du nombre de pôles labellisés, du nombre d’entreprises participantes et du nombre de projets retenus, les financements sont exécutés lentement de même que les projets qu’ils financent. Cette sous-consommation des crédits a induit une annulation de crédits de 146 millions d’euros en loi de finances rectificative pour 2007 au titre du programme 192 dont dépendent les pôles. En 2008, cette sous-consommation des crédits a atteint 100 millions d’euros.

Tout comme la Cour des comptes, la mission estime que cette situation est révélatrice des difficultés de mise en œuvre de la politique des pôles de compétitivité et de l’inertie des principaux acteurs confrontés à la complexité du système de financement des pôles, et des appels à projets du FUI en particulier.

3.– L’empilement des dispositifs de soutien de la recherche en France

La France se caractérise, depuis quelques années, par la mise en place de multiples outils budgétaires et fiscaux destinés à améliorer l’effort français de recherche au regard des objectifs de la stratégie de Lisbonne.

a) Les réseaux de coopération entre établissements de recherche et d’enseignement supérieur

La loi de programme pour la recherche n° 2006-450 du 18 avril 2006 a introduit la possibilité de créer ou de financer de nouvelles structures de recherche tels que :

– les pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) afin de mettre fin à l’émiettement territorial de la carte universitaire et de recherche. Les PRES sont un des moyens de « regrouper tout ou partie des activités et des moyens [des universités et des grandes écoles], notamment en matière de recherche, afin de conduire ensemble des projets communs ». Les neuf premiers PRES, créés par décret en mars 2007, ont tous choisi le statut d'établissement public de coopération scientifique (EPCS) qui permet « la mise en place et la gestion des équipements partagés entre les membres participants au pôle, la coordination des activités des écoles doctorales, la valorisation des activités internationales du pôle et la promotion internationale du pôle ». Selon le rapport annuel de performances, 1,4 million d’euros ont été consacrés à la mise en oeuvre des pôles de recherche et d’enseignement supérieur en 2008 (PRES de Bordeaux, Toulouse, Grenoble, Paris Est, Paris Sud, Toulouse, Nancy, Aix-Marseille, Bretagne et Lyon) ;

– les réseaux thématiques de recherche avancée (RTRA) pour conduire des projets d’excellence scientifique. Après un appel à propositions lancé le 22 mai 2006, trente-huit dossiers ont été reçus au ministère. Les treize RTRA sélectionnés concernent environ treize mille personnes dont cinq mille neuf cents chercheurs et enseignants-chercheurs permanents. La contribution directe du ministère chargé de la recherche à la dotation de ces fondations s’élève à 201 millions d’euros depuis 2006, variant de douze à vingt millions d’euros selon la taille des communautés, leurs besoins et des critères résultant de l’évaluation au regard du contrat d’objectifs signés avec le ministère ;

– les centres/réseaux thématiques de recherche et de soins (C/RTRS) (11). Ils jouent le même rôle dans le domaine médical que les RTRA et rassemblent, à ce titre, une masse critique de chercheurs et de médecins de haute valeur scientifique ;

– et les instituts Carnot pour développer des partenariats de recherche avec les grands groupes, PME, start-up, collectivités territoriales et favoriser les transferts de technologies. Les structures labellisées Carnot reçoivent de l'ANR un abondement financier calculé en fonction du volume des recettes tirées des contrats de recherche partenariale. Le label Carnot est attribué par le ministère délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche sur proposition de l'Agence nationale de la recherche (ANR), dans le cadre d'appels à candidature après avis d'un jury de sélection. Il existe 33 instituts labellisés Carnot à la date de rédaction du présent rapport. Ils reçoivent de l'ANR un financement calculé en fonction du volume des recettes tirées des contrats de recherche partenariale. Depuis 2006, une enveloppe financière de près de 98 millions d’euros leur a été consacrée. Il est à noter une forte concentration de ces moyens, l’institut Carnot le plus important représentant 39 % de l’enveloppe et les quatre premiers (20 % en nombre) près de 70 %.

b) Les dispositifs fiscaux

Sur le plan fiscal, la loi de finances pour 2004 a pérennisé le dispositif du crédit d’impôt recherche (CIR), institué par l’article 67 de la loi de finances pour 1983, qui constitue le principal instrument d’incitation à la recherche en direction des entreprises françaises. Elle a également créé le statut spécifique des jeunes entreprises innovantes (JEI), qui bénéficient d’une exonération totale d’impôt sur le revenu ou sur les sociétés, au titre des bénéfices réalisés au cours des trois premiers exercices bénéficiaires, puis à hauteur de 50 % au titre des deux exercices bénéficiaires suivants.

La loi de finances pour 2008 a pour sa part considérablement renforcé le dispositif du CIR afin d’inciter les entreprises à accroître leur effort de recherche et créé le statut des jeunes entreprises universitaires (JEU) sur le modèle des JEI. En outre, les immeubles des JEI et des JEU comme les entreprises implantées dans un pôle de compétitivité bénéficient d’une exonération temporaire de taxe foncière et de taxe professionnelle.

Selon le rapport de la Cour des comptes précité, le CIR est le dispositif fiscal le plus incitatif à l’accroissement des dépenses dédiées à la R&D en France. Le rapport du Rapporteur général de la commission des Finances, M. Gilles Carrez, du 2 juillet 2009, sur l’application des mesures fiscales contenues dans les lois de finances et dans la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, montre toutefois que, pour efficace qu’il soit, le crédit d’impôt recherche n’en reste pas moins l’une des dépenses fiscales qui pèsent le plus lourd dans le budget de l’État comme le montre le tableau ci-après :

MONTANT DE LA DÉPENSE FISCALE LIÉE AU C.I.R. ENTRE 2003 ET 2008

Année de
liquidation de l’impôt (sur dépenses n-1)

Total des créances de CIR

Montant de la dépense fiscale

(en M€)

Nombre

Montant (en M€)

2003

2 760

489

470

2004

2 757

430

480

2005

4 090

890

700

2006

5 537

980

800

2007

6 022

1 495

1 000

2008

6 771

1 680

1 390

Source : Ministère de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi

Or, selon le ministère de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi, le gain de la réforme de 2008, qui se traduit par une augmentation considérable du montant des créances de crédit d’impôt recherche à 4,133 milliards d’euros (+ 2,402 milliards d’euros), sera concentré à près de 80 % sur les entreprises de plus de 250 salariés et, à parmi celles-ci, à hauteur de 23,9 % sur les entreprises de plus de 5 000 salariés. A contrario, les PME n’obtiendront qu’environ 20 % des gains de la réforme. Cette répartition du gain par taille d’entreprises correspond cependant à peu près à la répartition des dépenses de recherche elles-mêmes, même s’il apparaît que les PME qui exposent 23,2 % des dépenses de recherche ne bénéficieront que de 20,8 % du gain de la réforme.

c) Une coordination à installer entre les dispositifs existants

À partir du constat précédent, la mission tire les deux conclusions suivantes :

– d’une part, il est clair que le CIR et la politique des pôles de compétitivité n’ont pas la même finalité : le CIR promeut les projets de recherche individuelle des grandes entreprises françaises en priorité, tandis que la politique des pôles de compétitivité promeut la recherche collaborative entre trois types d’acteurs qui, spontanément, ne tendent pas assez à travailler ensemble : les PME, les grandes entreprises et les organismes de recherche (universités ou laboratoires). Le financement sur projet demeure l’instrument le mieux adapté au développement des pôles, davantage que le CIR ;

– d’autre part, il est possible de s’interroger sur l’absence de coordination entre des structures présentant des caractéristiques proches et ayant la même finalité. Le rapport d’audit des cabinets BCG et CMI souligne en effet la faiblesse des relations entre les pôles de compétitivité et les PRES, les RTRA ainsi que les instituts Carnot. Ainsi, seulement 27 % des pôles ont des relations formalisées avec les PRES, 14 % avec les RTRA et 32 % avec les instituts Carnot.

Comme le souligne M. Philippe Lefebvre (12), la réalité des relations établies entre les pôles de compétitivité et les RTRA est très contrastée : elle va d’une quasi-absence de liens jusqu’à une intrication très forte entre pôle et RTRA, comme c’est le cas sur le plateau de Saclay entre le pôle System@tic et le RTRA Digiteo, dans les systèmes complexes. Il est également à noter que certains RTRA refusent délibérément de travailler avec les pôles de compétitivité alors même qu’ils travaillent avec des entreprises, au motif que les pôles sont des structures qui, du fait de leur cadre collaboratif, ne permettent pas de faire de la recherche très amont mais plutôt une forme de recherche « intermédiaire ».

Entre les pôles et les PRES, l’articulation géographique ne pose pas de problèmes mais l’articulation opérationnelle ou en matière de gouvernance reste encore à construire. Ceci est dû à la jeunesse du dispositif des PRES mais aussi à la difficulté traditionnelle des universités à réorganiser leur offre de formation et au fait que les pôles de compétitivité eux-mêmes se sont, jusqu’à présent, assez peu souciés des questions de formation, cet aspect n’ayant pas été jugé prioritaire avant la phase 2.0. Or, les PRES sont mobilisables pour apporter une vision complémentaire sur le volet formation et un soutien technique en matière de valorisation industrielle (lorsqu’ils disposent d’une cellule valorisation).

Les instituts Carnot ont quant à eux vu leurs contrats de recherche bilatéraux (avec une entreprise) diminuer tandis que les contrats obtenus dans le cadre des pôles de compétitivité s’accroissaient. Il existe un effet de vases communicants entre pôles de compétitivité et contrats de recherche bilatéraux à travers l’effet de levier suscité par les pôles vis-à-vis de la recherche privée. Cela soulève la question de la nature de la collaboration à installer entre ces deux organisations.

Mme Marion Guillou, présidente de l’Institut national de la recherche agronomique, a confirmé au cours de son audition, le manque d’interactions entre les différents dispositifs précités et les pôles de compétitivité au détriment d’un véritable « tuilage » entre recherche amont et recherche industrielle : « Un dernier mot sur la mise en synergie des pôles avec les PRES, les RTRA et les Instituts Carnot. Un appel à projets a été lancé conjointement par le ministère de l’Économie et de l’industrie et la Caisse des dépôts et consignations pour des plateformes d’innovation adossées aux pôles les plus importants. L’association de plateformes de transfert national et d’instituts Carnot, qui travaillent généralement plus en amont, pourrait être une bonne formule. Ce qui manque en effet actuellement, dans notre dispositif national, comparé aux instituts allemands Fraunhofer (13), ce sont des plateformes de technologie intégratrices allant du prototype et de la pré-série jusqu’au pré-industriel ».

En conclusion, il est donc indispensable de procéder à une évaluation de la performance des divers dispositifs de soutien à la recherche (en particulier celle du CIR) et de mettre en réseau les différentes structures de recherche afin d’éviter des doublons coûteux, d’améliorer les résultats en terme d’excellence scientifique et le tuilage entre recherche amont et recherche industrielle.

C.– UNE HÉTÉROGÉNÉITÉ FLAGRANTE ENTRE LES PÔLES : FORCE OU FAIBLESSE POUR LA COMPÉTITIVITÉ ?

1.– Une concentration des financements publics sur la vingtaine de pôles mondiaux et d’envergure mondiale

Du point de vue d’une approche territoriale, on constate que toutes les régions sont sensibilisées à la politique des pôles de compétitivité. En effet, toutes ont des pôles même si certaines d’entre elles partagent un pôle avec une autre région. Les 71 pôles de compétitivité bénéficient de financements très inégaux dans les faits.

Après trois années complètes de mise en œuvre de la politique des pôles de compétitivité, il apparaît que les mécanismes de sélection des projets de R&D entraînent une concentration effective des financements (environ 80 %) sur une vingtaine de pôles de compétitivité mondiaux ou à vocation mondiale.

Dans ses observations définitives précitées, la Cour des comptes relève qu’« il existe deux catégories de pôles : une quinzaine de pôles à haute intensité technologique, tournés vers la recherche, l’innovation et le développement commercial, d’une part ; une soixantaine de pôles aux ambitions plus modestes d’autre part, qui malgré leur activité de définition de projets de recherche et développement, visent sans doute davantage à structurer une filière économique déjà existante sur un territoire. Le nombre des pôles labellisés est élevé au regard des critères d’excellence affichés dans le cahier des charges de l’appel à projets, et le respect des objectifs aurait pu conduire à ne retenir qu’une vingtaine de pôles tout au plus ».

La véritable problématique consiste donc à savoir s’il existe ou non trop de pôles de compétitivité et si l’argent public est gaspillé de ce fait.

Les pôles de compétitivité ont été constitués à partir des propositions formulées par les acteurs sur le terrain, dans une logique ascendante, dite « bottom up », ce qui a conduit à ce nombre élevé de 71 pôles labellisés. Pourtant, la quasi-totalité des acteurs interrogés par les Rapporteurs a affirmé que l’ensemble des pôles avait permis de créer une véritable dynamique de coopération et de recherche sur un territoire donné, sans remettre en cause les projets ambitieux des pôles les plus importants.

En effet, malgré la complexité du système de financement, le mécanisme de sélection par la voie d’appel à projets est un succès, car il permet de manière astucieuse d’éviter le saupoudrage des crédits. Le choix de cette procédure associe en effet les vertus de la sélectivité et de la masse critique sur certains pôles, tout en laissant la possibilité à chacun d’entre eux d’être retenu pour développer des projets de R&D et éventuellement se développer significativement à terme.

2.– Une réelle dynamique de projets dans la plupart des pôles nationaux

L’un des avantages de l’existence de nombreux pôles de compétitivité est d’avoir favorisé une logique de coopération entre acteurs différents sur un territoire donné sans porter atteinte à l’objectif de compétitivité économique. L’ambassadeur délégué aux investissements internationaux, M. David Appia, a d’ailleurs fait remarquer devant la mission que « la présence de 71 pôles est un élément très positif, car cela permet d’élargir la gamme des investisseurs potentiels. Nous considérons, à l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII), que la diversité et le nombre des pôles sont, dans notre domaine, un avantage pour notre pays ».

Le rapport d’évaluation de la phase 1.0 confirme les propos tenus lors des auditions réalisées par la MEC en concluant à ce que « l’approche de labellisation des pôles […] peut être poursuivie. La refocalisation du dispositif des pôles de compétitivité sur un nombre restreint de pôles n’apparaît pas nécessaire. La sélectivité des financements des projets assure de facto une concentration des financements ».

L’enquête réalisée par le MEDEF en juin 2008 auprès de l’ensemble des 71 pôles de compétitivité (14) aboutit également à la conclusion qu’il n’y a pas « trop de pôles ». En effet, si 82 % des pôles estiment être en concurrence avec d’autres pôles sur certains projets ou appels d’offres, 90 % d’entre eux jugent cette situation normale et satisfaisante et précisent que les relations entre les pôles sont bonnes.

Cette approche semble être confortée par le fait que l’ensemble des pôles interrogés par voie de questionnaire par les Rapporteurs estime que l’essentiel des projets conduits n’aurait pu voir le jour sans la création des pôles.

La mission estime donc que la labellisation d’un très grand nombre de pôles ne constitue pas, en soi, un frein à la compétitivité.

3.– Une logique territoriale à redéfinir à travers la mise en réseau des pôles dans le cadre de la phase 2.0.

Selon la MEC, il convient de tirer les enseignements de la phase 1.0 et de constater qu’un certain nombre de pôles travaillent sur des thématiques communes et pourraient bénéficier de synergies à travers une mise en réseau voire une fusion de pôles dans la mesure où, à eux seuls, ils n’ont pas les moyens de mobiliser, sur leur territoire local, les compétences nécessaires à leurs projets. Dans cette configuration, la dimension territoriale du pôle peut constituer un frein à la compétitivité économique des entreprises du pôle.

L’exemple du pôle Mobilité Transports Avancés (MTA) est très intéressant à cet égard. Auditionné par la mission, M. Rivaud, président du pôle MTA a bien expliqué que s’il faisait partie des treize pôles à reconfigurer, cela résultait d’une mauvaise allocation des compétences sur son territoire : « Je ne sais si l’on peut parler de mauvais fonctionnement car le pôle MTA a démarré normalement et il a fait son travail. Cela étant, notre secteur d’intervention était très strictement limité sur le plan technique mais très vaste en volume. Pour résumer l’audit, notre grand point faible est de ne pas avoir disposé, autour de nous, d’un tissu industriel suffisant pour développer nos travaux, qui portaient sur la motorisation électrique pour les véhicules électriques et hybrides. Outre cela, les laboratoires de recherche avec lesquels nous travaillions ont des centres d’intérêt beaucoup plus larges que les seuls secteurs de pointe de notre compétence. En réalité, il y avait un problème d’échelle entre le sujet que nous devions traiter et l’industrie automobile, dont le volume est considérable ».

Or, le rapprochement du pôle MTA avec le pôle Mov’eo devrait permettre de pallier à ces difficultés locales en élargissant le champ territorial des PME et des chercheurs du pôle MTA. Comme l’indique Jacques Lacambre, président du pôle Mov’eo : « Dans les domaines de l’automobile et des transports, les industries sont globales. Une organisation n’a donc un avenir que si elle se montre excellente. En conséquence, l’existence d’un pôle appuyé sur un large tissu territorial constitue un atout dans les deux sens : nous puisons dans les compétences locales et nous facilitons leur accès à un réseau global ». M. Rivaud, président du pôle MTA a confirmé que « Le premier effet positif du rapprochement est que MTA devient l’ambassadeur des compétences du Poitou-Charentes en matière de recherche-développement vis-à-vis de PME industrielles extérieures à la région. Les possibilités de travail offertes aux laboratoires de Poitou-Charentes seront bien meilleures, notamment en matière de détonique, de motorisation et de combustion interne. Des actions concrètes ont d’ailleurs déjà débuté ».

La mission en conclut que si la labellisation d’un très grand nombre de pôles n’est pas en soi critiquable, la dimension territoriale d’un pôle peut constituer un frein, lorsque, dans son domaine d’activité, les industries et les compétences sont réparties sur un territoire plus vaste. Dans ce cas, la logique de compétitivité doit l’emporter sur la logique territoriale du pôle.

II.– UNE RENCONTRE ENTRE LE MONDE DE LA RECHERCHE ET LE MONDE DE L’ENTREPRISE QU’IL FAUT ENCORE DYNAMISER

A.– LES PÔLES DE COMPÉTITIVITÉ : UN POINT DE RENCONTRE ENTRE DES MONDES QUI S’IGNORAIENT

1.– Des acteurs à mettre en synergie : chercheurs, entreprises et centres de formation

La création des pôles part du constat que les relations entre les différents acteurs économiques ne s’instaurent pas spontanément ou pas assez. Ceci sur la base de préjugés ou de malentendus qui amènent les industriels à penser que les chercheurs se désintéressent des impératifs de la production et des attentes des clients tandis que les chercheurs ont tendance à se défier de l'entreprise, qu'ils jugent trop axée sur le court terme, peu intéressée par leurs travaux et au total peu accueillante.

C’est pour remédier à ce cloisonnement entre des mondes qui s’ignoraient qu’est née l’idée de créer des points de rencontre où peuvent se créer des synergies autour de projets innovants.

Le cahier des charges de l’appel à candidatures publié en novembre 2004 définit donc un pôle de compétitivité comme étant « la combinaison, sur un espace géographique donné, d’entreprises, de centres de formation et d’unités de recherche publiques ou privées, engagés dans une démarche partenariale destinée à dégager des synergies autour de projets communs au caractère innovant ».

Le résultat de la phase 1.0 est largement positif sur ce point : tous les acteurs interrogés par la mission saluent la mise en œuvre de la politique des pôles de compétitivité en ce qu’elle a effectivement déclenché une véritable collaboration entre les acteurs de l’innovation (PME, grandes entreprises, organismes de recherche et de formation). Alors qu’au lancement des nouveaux pôles, ceux-ci cohabitaient sur un même territoire sans se connaître, ils travaillent désormais ensemble à l’élaboration de projets, autour de services toujours davantage mutualisés et parviennent à se projeter dans l’avenir sur la base d’une stratégie commune.

Cette tendance est confirmée par l’enquête précitée réalisée par le MEDEF : 100 % des pôles jugent la dynamique forte et 77 % la jugent supérieure aux attentes. De plus, 100 % des entreprises membres des pôles jugent que si c’était à refaire, elles participeraient à nouveau à la démarche des pôles de compétitivité. Enfin, 82 % des acteurs de l’innovation interrogés estiment que la mise en place des pôles a permis une meilleure adéquation entre la recherche publique et les attentes des entreprises.

Restent toutefois à surmonter plusieurs difficultés dans le cadre de la phase 2.0 des pôles de compétitivité pour parvenir à la mise en place d’un véritable « écosystème de croissance et de l’innovation. Les résultats de cette même enquête révèlent que plus de 35 % des pôles espèrent des améliorations.

2.– Un « écosystème de croissance et de l’innovation » qui reste à instaurer

Un des enjeux de la phase 2.0 est de parvenir à transformer cette impulsion donnée par l’État en l’installation de « véritables écosystèmes de croissance et d’innovation » : à terme, chaque pôle doit être doté d’une stratégie de développement complète impliquant, au-delà des trois piliers que constituent les entreprises innovantes, les laboratoires et les établissements d’enseignement, l’ensemble des acteurs économiques concourant à la compétitivité du territoire, tels que les établissements financiers et les prestataires de services.

Pour illustrer cette organisation globale des pôles, la DGCIS et la DIACT ont réalisé le schéma théorique ci-après.

Source : site www.competitivite.gouv.fr.

L’ÉCOSYSTÈME DES PÔLES PROPOSÉ PAR LE GOUVERNEMENT

Le cœur du dispositif (le cœur, les pétales) : Les pôles de compétitivité visent à mobiliser en réseau les acteurs économiques et académiques, dans un espace géographique donné, autour de stratégies de développement et de projets communs à fort contenu innovant et en valeur ajoutée. L’originalité de l’approche réside dans la coopération effective de trois types d’acteurs :

• Les entreprises ;

• Les centres de recherche ;

• Les organismes de formation.

Les coopérations croisées entre ces trois acteurs doivent se concrétiser par la mise en œuvre d’actions spécifiques telles que :

• Le partenariat entreprises-centres de formation : formations spécialisées, gestion des compétences, etc.

• Le partenariat entreprises-organismes de recherche : incubateurs, valorisation, recherche contractuelle, travaux de R&D collaboratifs, etc.

• Le partenariat centres de formation-organismes de recherche : recherche universitaire, enseignants chercheurs, etc.

 L’assise du dispositif (les racines) Les compétences des hommes, notamment leurs idées et leurs talents, ainsi que les moyens financiers tels les financements privés (investisseurs providentiels ou « business angels », capitaux risqueurs) et les aides publiques ciblées, sont la « sève » de ces pôles de compétitivité. Elles conditionnent largement leur dynamisme et leur développement.

 L’ancrage territorial (le substrat) L’ancrage du pôle dans son territoire est lié à la définition d’un pôle de compétitivité. Le pôle, tout en s’appuyant sur les structures existantes (tissu industriel, campus, infrastructures communes, etc.), doit avoir comme objectif :

• Le développement des projets structurants permettant de renforcer les collaborations entre ses membres et avec d’autres acteurs : plateformes d’innovation et de services, campus, laboratoires d’usage, etc.

• Le recours à une politique foncière et de développement urbain propre à assurer un développement cohérent du tissu industriel, des capacités de recherche publique et des établissements d’enseignement supérieur.

 Le rôle des clients et des fournisseurs spécialisés La présence à proximité des pôles, de fournisseurs spécialisés, mais aussi de clients susceptibles d’adopter de manière précoce des solutions innovantes, voire de les tester avant mise sur le marché et de contribuer à leur amélioration comme c’est le cas dans les laboratoires d’usage, constitue un atout essentiel.

Source : site www.competitivite.gouv.fr.

Ce schéma idyllique reste toutefois largement théorique compte tenu des difficultés précédemment identifiées en terme de pilotage, de modes de financement ou de définition pertinente de l’aspect territorial de la politique des pôles. S’ajoute à cela le maintien d’un certain nombre d’obstacles à surmonter pour parvenir à une véritable coopération entre les trois grands acteurs de cette politique : entreprises (industriels / PME), organismes de recherche et acteurs de la formation.

B.– DES DIFFICULTÉS PERSISTANTES À SURMONTER

1.– L’insuffisante mobilisation des PME et des chercheurs dans des instances de gouvernance pilotées par les grands industriels

a) L’insuffisante mobilisation des PME

L’un des objectifs de la politique des pôles consiste à dynamiser la croissance et l’emploi dans les PME en général, et les PME innovantes en particulier.

Selon le rapport d’audit, la participation des PME au sein des pôles est en forte croissance sur la période étudiée. Elles représentent, en nombre d’adhérents, la grande majorité des membres des pôles (85 % des entreprises membres) et jouent parfois un rôle clé dans la structuration du pôle. Certains pôles sont quasi exclusivement constitués de PME (à l’exemple des pôles Imaginove, Cap Digital, du pôle Enfant…) et 15 pôles sont présidés par un représentant des PME. Leur niveau d’implication dans les projets du FUI semble correct (27 % des partenaires).

Toutefois, le Comité Richelieu, regroupant l’essentiel des PME innovantes en France, modère ces conclusions, en partant du constat que les PME reçoivent trois fois moins d’aides publiques que les autres entreprises (et quatre fois moins dans les pôles mondiaux). En outre, 66 % des PME membres des pôles estiment n’être pas suffisamment valorisées au sein des pôles et réclament d’être mieux représentées dans les instances de gouvernance. Selon les résultats de l’enquête menée par le MEDEF, 52 % des pôles eux-mêmes considèrent que les PME ne bénéficient pas pleinement de « l’effet pôle » (15).

Ce point de vue était partagé par les représentants de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) et de l'Assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat (APCM) auditionnés par la mission d’évaluation et de contrôle.

M. Jean-François Roubaud, président de la CGPME a déclaré : « Disons que je souhaiterais que les PME soient davantage intégrées aux pôles de compétitivité. Pour cela, il faudrait qu’elles soient mieux informées de leurs possibilités d’action et qu’elles bénéficient de financements rapides, par exemple via OSÉO, afin de pouvoir participer à des appels à projets. »

De même, M. François Moutot, directeur général de l’APCM, a confirmé : « J’éprouve à l’égard des pôles de compétitivité un sentiment très contrasté dans la mesure où leur organisation elle-même n’est pas adaptée aux PME. Beaucoup d’efforts ont été faits en termes de gouvernance, de cohérence, mais une PME artisanale ne peut tout simplement pas participer à la gouvernance car le responsable qui aurait fait ce choix ne pourrait plus s’occuper de son entreprise ».

Le rapport d’audit confirme en effet que la présence des PME dans les instances de gouvernance reste limitée et mériterait d’être mieux valorisée : elles représentent en moyenne 23 % des conseils d’administration et des bureaux contre 27 % pour les grandes entreprises. Cette différence est accentuée dans les pôles mondiaux et à vocation mondiale (21 % contre 30 %).

b) L’insuffisante participation des acteurs de la recherche et de la formation

Les organismes de recherche auditionnés ont confirmé la situation décrite par le rapport d’audit en 2008 : les acteurs de la recherche ne représentent qu’environ 15 % des adhérents des pôles de compétitivité (et seulement 3 % pour les acteurs de la formation). De plus, sauf exception (INRA, INRIA, INSERM ou CEA), la plupart ne sont pas impliqués dans la structuration des pôles de compétitivité et participent peu ou pas aux instances de gouvernance et au pilotage des pôles.

Il en résulte une certaine inadéquation entre la stratégie industrielle du pôle et les projets de recherche fondamentale pilotés par les acteurs de la recherche et une mauvaise anticipation des besoins de formation pour répondre à la demande d’emplois des pôles de compétitivité et à l’absence de suivi.

Or, selon M. André Syrota, directeur général de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, le facteur-clé du succès de la participation des acteurs de la recherche et de la formation à un pôle de compétitivité est le suivant : « Pour que cette participation nous soit profitable, il faut, premièrement, que les industriels – grands laboratoires pharmaceutiques comme PME – définissent préalablement les grands enjeux du secteur et que le pôle soit doté d’une stratégie de développement, complémentaire de la nôtre et, deuxièmement, que tous les acteurs concernés soient impliqués dans sa mise en œuvre ».

2.– L’insuffisante prise en considération de la dimension scientifique des projets au sein des pôles

L’évaluation menée par les cabinets BCG et CM International fait le constat que la politique des pôles manque de cohérence au niveau national et perd en lisibilité lorsque la logique de R&D, sur laquelle reposent les objectifs de conquête de compétitivité du pays, n’est pas prioritaire dans la démarche du pôle.

Les organismes de recherche auditionnés ont confirmé l’analyse selon laquelle peu de pôles ont véritablement développé une réflexion stratégique déclinée d’un point de vue technologique ou opérationnel au-delà de la simple définition d’axes thématiques. En pratique, jusqu’à la conclusion des nouveaux contrats de performance en 2009, seuls les 17 pôles mondiaux ou à vocation mondiale avaient réalisé des feuilles de route stratégiques.

3.– L’insuffisante gestion du partage de la valorisation de la recherche au sein du pôle

Le directeur général délégué de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), M. Philippe Laval, a précisé lors de son audition que « la propriété intellectuelle – et en particulier la branche dont s’occupe l’INPI, c'est-à-dire la propriété industrielle qui se rapporte aux brevets, marques, dessins et modèles – est un élément important de la politique des pôles de compétitivité puisque le but de ceux-ci est de susciter et d’accompagner le montage de projets de recherche collaborative.

« Le brevet est un des outils permettant de favoriser tous les partenariats de manière sûre, en mettant les parties sur un pied d’égalité. Il permet de disposer d’informations sur l’état de la technologie, notamment d’identifier, avant un projet de recherche collaborative, l’état de l’art existant, et de sécuriser ce qui revient à chacun des membres du partenariat.

« Grâce à la propriété industrielle, chacun dispose d’un certain nombre d’“actifs immatériels” lui permettant de valoriser les résultats de la recherche à due concurrence de ce qu’il a apporté au projet. »

L’analyse de l’INPI conduit cet institut au tableau ci-après, qui distingue les modes d’acquisition des droits selon la nature de la propriété, industrielle ou littéraire et artistique.

La propriété intellectuelle

La propriété industrielle

La propriété littéraire et artistique

Créations techniques

• Brevets

• Certificats d’Obtention Végétale

• Topographies de Semi Conducteurs

Créations ornementales

• Dessins & Modèles

Signes distinctifs

• Marques

• Dénomination sociale, nom commercial, enseigne

• Noms de domaine

• Appellations d’Origine

• Indications de provenance

Droit d'auteur

Œuvres littéraires, musicales, graphiques, plastiques…

• Logiciels

Droits voisins

• destinés exclusivement 
aux artistes-interprètes,
aux producteurs de vidéogrammes
et de phonogrammes
et aux entreprises de communication audiovisuelle

Les droits de propriété industrielle s’acquièrent en principe par :

– un dépôt pour le brevet, le dessin & modèle ou la marque, par exemple ;

 ou l’usage pour les noms commerciaux ou l’enseigne.

Le droit d’auteur s’acquiert sans formalités, du fait même de la création de l’œuvre.

Les droits voisins s’acquièrent à compter :

 de l’interprétation de l’œuvre (pour les artistes interprètes),

 de la première fixation du phonogramme ou du vidéogramme (pour les producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes),

 de la première communication au public des programmes (pour les entreprises de communication audiovisuelle).

Source : Institut national de la propriété industrielle.

Cette présentation théorique ne reflète toutefois pas les difficultés rencontrées au sein des pôles par les PME et les chercheurs en matière de propriété industrielle. Par définition, la recherche collaborative au sein des pôles devrait se traduire a priori par un dépôt de brevet collectif. Il convient donc, pour chaque projet, dans chaque pôle, d’organiser, à l’avance, la répartition des droits de propriété industrielle entre les différents partenaires. Or, comme le soulignait le rapport d’audit en juin 2008, « un nombre très restreint de pôles a mis en place des outils de suivi ou des services pour accompagner le développement des entreprises dans le dépôt de brevets lors de la sortie de nouveaux produits ».

À la date de rédaction du présent rapport, la situation a très peu évolué selon les pôles et les organismes de recherche auditionnés. Plusieurs problèmes se posent encore : faiblesse du pouvoir de négociation des PME face aux grands groupes dans l’établissement du contrat de consortium, absence de réflexion préalable à la répartition des droits de propriété industrielle, manque de sensibilisation des chercheurs à l’importance de la valorisation, absence de suivi des projets de recherche au sein des pôles, absence de coordination entre les pôles et les structures de valorisation des universités ou des écoles ou manque de moyens au sein de ces structures...

Il convient toutefois de relever plusieurs initiatives intéressantes de nature à améliorer la valorisation de la recherche et la gestion du partage de la propriété industrielle au sein des pôles de compétitivité dans le cadre de la phase 2.0.

L’INPI a signé, le 18 mai 2009, une convention avec la DGCIS visant à faciliter le recours aux outils de la propriété intellectuelle par les pôles de compétitivité. Concrètement, ils bénéficieront de l’aide d’un correspondant INPI désigné pour chaque pôle au sein d’une structure locale de l’INPI ou d’un de ses partenaires (OSÉO, DIRRECTE...), de la réalisation d’analyses par secteur, de pré-diagnostics gratuits de propriété industrielle et de veilles de brevets dans leurs domaines d’activités à leur demande. De plus, l’INPI s’engage à diffuser des «cahiers de laboratoires » pour aider les PME dans leurs démarches de protections de leurs inventions. Elle offrira également 50 % de réduction sur des prestations personnalisées (études documentaires, recherches d’antériorité, veille technologique), ainsi que des aides sous forme d’accompagnement, d’assistance technique et de formation aux structures de gouvernance des pôles.

De son côté, l’ANR a développé une pratique destinée à favoriser le dépôt de projets de recherche tout en maîtrisant les délais d’établissement des contrats de consortium. En effet, compte tenu des négociations souvent difficiles entre les partenaires du pôle pour définir les termes d’un contrat de consortium, l’ANR autorise le dépôt de projet de recherche sans imposer ab initio un tel contrat, mais elle impose la signature d’un tel accord et le règlement des problèmes de propriété intellectuelle dans un délai de douze mois à compter du dépôt du projet. Si tel n’est pas le cas, le projet perd le versement des crédits restants à payer.

Mme Jacqueline Lecourtier, directeur général de l’ANR, a précisé lors de son audition que « cette organisation fonctionne très bien et nous a permis d’engager 99,9 % de nos budgets ».

Enfin, certains secteurs s’organisent pour simplifier le système de recherche français et favoriser la valorisation de la recherche en relation avec les pôles de compétitivité. M. André Syrota, directeur général de l’INSERM, est notamment à l’initiative de la création, le 8 avril 2009, de l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé, qui regroupe huit acteurs clés de la recherche française : le CEA, le CNRS, l’Inra, l’Inria, l’Inserm, l'IRD, l’Institut Pasteur et la Conférence des présidents d’Université. Cette Alliance est organisée en dix instituts thématiques multi-organismes (ITMO). Ces instituts devraient donc constituer des interlocuteurs privilégiés des pôles de compétitivité spécialisés dans les domaines des sciences de la vie et de la santé afin de les aider dans l’élaboration des contrats de consortium et dans la rédaction des brevets.

La mission se félicite de ces initiatives récentes mais considère qu’un effort supplémentaire devrait être envisagé pour améliorer le partage de la propriété intellectuelle pour l’ensemble des projets de recherche financés au sein de l’ensemble des pôles.

SECONDE PARTIE : PROPOSITIONS

I.– RENFORCER LE RÔLE D’INTERFACE DES PÔLES ENTRE LA RECHERCHE ET LES ENTREPRISES

A.– ASSURER LE PASSAGE DE LA RECHERCHE FONDAMENTALE À LA RECHERCHE INDUSTRIELLE AU SEIN DES PÔLES

Dans son rapport général sur la « stratégie nationale de recherche et d’innovation 2009 », le Gouvernement rappelle que « la recherche et l’innovation sont les premières clés pour sortir de la crise économique que nous traversons ». Or, la France se place dans une situation médiane par rapport à ses partenaires européens dans les domaines de la recherche et de l’innovation. Parmi ses faiblesses, la France accuse un faible couplage entre organismes publics de recherche, universités et entreprises et une présence faible sur les secteurs émergents :

FORCES ET FAIBLESSES DE LA RECHERCHE ET DE L’INNOVATION FRANÇAISE

FORCES

FAIBLESSES

5ème puissance scientifique et technologique mondiale sur tous les champs de la recherche fondamentale comme finalisée.

Système français de recherche et d’enseignement supérieur peu lisible et insuffisamment coordonné dans ses structures et son organisation territoriale.

Des secteurs d’excellence (agronomie, nucléaire, espace, mathématiques, archéologie...) appuyés sur des organismes de recherche puissants et une communauté universitaire de très grande qualité.

Faible couplage entre organismes publics de recherche, universités et entreprises.

Des leaders industriels mondiaux notamment dans les

secteurs de l’aéronautique et des transports, de l’énergie, des services à l’environnement ou de l’agroalimentaire et quelques pôles de compétitivité de rang mondial qui structurent le tissu français de la R&D.

Investissement privé en R&D insuffisant et présence faible sur les secteurs émergents.

Un rôle prépondérant dans les programmes et des

infrastructures scientifiques internationales et dans la

recherche pour le développement.

Relations et partenariats avec les pays émergents d’Asie moins dynamique que dans d’autres pays de taille similaire.

Des soutiens publics importants à la R&D, notamment grâce au crédit d’impôt recherche.

Gestion trop rigide des ressources humaines dans un grand nombre d’institutions publiques, avec un impact sur l’attractivité des carrières, la mobilité des chercheurs et l’accueil des chercheurs étrangers.

Source : Stratégie nationale de recherche et d'innovation 2009 - Rapport général du Ministère de la recherche et de l’enseignement supérieur (juillet 2009).

La politique des pôles de compétitivité constitue donc l’un des outils majeurs permettant d’améliorer le « couplage » entre organismes publics de recherche, universités et entreprises. La finalité d’une telle coopération est d’améliorer le passage de la recherche fondamentale à la recherche industrielle ou l’innovation dans le cadre de la phase 2.0.

Comme l’a mentionné M. Pascal Lagarde, directeur général de CDC entreprises lors de son audition, « l’objectif est d’amener le projet de recherche, au-delà de sa validation scientifique, jusqu’à sa validation technologique, en prouvant qu’une application industrielle est possible, ce qui peut passer par des simulations et des évaluations d’impact économique ».

Le passage de la recherche fondamentale à la valorisation industrielle, qui devrait être favorisé au sein des pôles de compétitivité, peut être schématisé de la manière suivante :

POSITIONNEMENT DES DISPOSITIFS DANS LA CHAÎNE DE VALEUR

Source : Cabinet CM International. PI : propriété industrielle

Afin de promouvoir le passage de la recherche fondamentale à la valorisation industrielle et la mise sur le marché, il convient d’une part, de formaliser la coopération entre l’ANR, tournée vers la recherche fondamentale, et OSÉO, tournée vers l’innovation et la recherche industrielle, et, d’autre part, de flécher une partie des crédits de la politique des pôles de compétitivité sur le financement de la « maturation des projets ».

1.– Formaliser la coopération entre l’ANR et OSÉO

De nombreux rapports établissent le fait qu’un maillon a longtemps manqué dans la chaîne de valorisation de la recherche française, en particulier entre l’étape de recherche fondamentale et celle du transfert au monde économique, sous forme de cession de licences ou de création d’entreprises. Ce maillon manquant correspond à la maturation des projets innovants.

L’ANR et OSÉO sont actuellement en train d’organiser leur coopération pour assurer une certaine continuité entre les projets de recherche « amont » financés par l’ANR et les projets de recherche « aval » soutenus par OSÉO.

Mme Jaqueline Lecourtier, directeur général de l’ANR, a notamment indiqué devant la mission que : « depuis sa création, l’ANR entretient avec OSÉO des liens étroits. OSÉO participe à nos comités et, pour notre part, nous nous rendons au CISI, le comité d’engagement du programme Innovation stratégique industrielle, qui a remplacé l’AII, l’Agence de l’innovation industrielle. Nous sommes organisés de la même manière qu’OSÉO, avec le même découpage des départements scientifiques et techniques – santé, énergie, sciences et technologies de l’information et de la communication – et nos responsables de département travaillent ensemble. Nous avons une bonne connaissance mutuelle de nos activités respectives. Ce qui nous paraît très important, c’est d’organiser, à partir des résultats de projets de l’ANR, le passage de relais à OSÉO ». M. François Drouin, PDG d’OSÉO, a confirmé les très bonnes relations entre son organisation et l’ANR qu’il caractérise par la formule suivante : « Quand l’ANR transforme l’argent en idées, nous transformons les idées en argent ».

La mission d’évaluation et de contrôle estime toutefois qu’il serait nécessaire de formaliser les relations entre ces deux établissements publics afin d’organiser la maturation des projets de recherche « amont » pour promouvoir le développement de projets de recherche industrielle. Cette association de la dimension scientifique (ANR) et de la dimension « business » (OSÉO) pourrait prendre la forme d’une convention fixant comme objectif d’améliorer le passage des projets de recherche amont à celui de la valorisation industrielle. Cette convention de partenariat pourrait être assortie d’objectifs et d’indicateurs simples :

1) détection des projets de recherche « amont » susceptibles de faire l’objet d’une valorisation industrielle ;

2) sélection des meilleurs projets de recherche « amont » susceptibles de donner lieu à un financement de la maturation des projets ;

3) financement de la maturation des projets ;

4) gestion des transferts de technologie.

Les indicateurs susceptibles d’évaluer l’action de l’ANR et OSÉO dans la mise en œuvre de ces objectifs pourraient se décliner ainsi :

1) nombre de projets de recherche amont susceptibles de faire l’objet d’une valorisation industrielle ;

2) nombre d’entreprises créées à l’issue de la maturation du projet de recherche ;

3) nombre de brevets ou de licences délivrées à l’issue de la maturation du projet de recherche.

2.– Spécialiser une partie du financement public sur les projets de recherche en phase de maturation

La maturation des projets de recherche est une étape délicate car leur financement est rendu difficile par leur position dans la chaîne de valeur : leur activité ne relève plus du strict domaine de la recherche, mais leur exploitation économique est encore trop lointaine et incertaine pour attirer des financements privés. Elle est cependant essentielle, car elle représente une étape indispensable dans la négociation d'un transfert vers une entreprise existante, ainsi qu'un facteur de réussite majeur dans le cas de la création d'une nouvelle entreprise par transfert (start-up).

M. Pascal Lagarde, directeur général de CDC entreprises, a d’ailleurs mis l’accent sur le fait qu’en France, « nous n’avons pas, ou très peu, de financement budgétaire pour la maturation des projets (…). Dans les autres pays, ce financement de la maturation n’est pas assuré par de l’argent privé : c’est beaucoup trop tôt. Le DOD – Department of defence – aux États-Unis, finance ainsi beaucoup de projets en maturation. Ensuite, il s’agit de passer le relais à des personnes susceptibles de prendre des risques en matière de ″ business ″ ».

Actuellement, en France, il existe deux sources de financement public au niveau national destinées à promouvoir la maturation des projets innovants et la mutualisation des transferts de technologie.

En premier lieu, l’ANR a développé un mécanisme d’appel à projets novateurs, intitulé « Émergence et maturation de projets » destinés à promouvoir le passage de la recherche fondamentale à la recherche industrielle. Lancé en 2005 et renouvelé en 2006, l’appel à projets « Émergence et maturation de projet de biotechnologie à fort potentiel de valorisation » a été élargi en 2007 pour inclure à la fois les biotechnologies et les technologies pour la santé dans un appel intitulé « Émergence et maturation de projets de biotechnologie et de technologie pour la santé ». Sont concernés des projets innovants, à fort potentiel de valorisation ou présentant un intérêt sociétal fort (handicap, environnement...) et pour lesquels les premières phases de validation des hypothèses ont déjà été réalisées. L'application industrielle, l'intérêt économique et la démarche innovante sont des critères de sélection qui viennent compléter l'excellence scientifique.

L’ANR estime que les premiers résultats de cet appel à projets sont encourageants. Mme Jaqueline Lecourtier, directeur général de l’Agence, a en effet précisé que « le premier appel Émergence, lancé en 2005, a donné lieu à la création de sept start-up, dont plusieurs ont réussi au concours innovation d’entreprise d’OSÉO, qui prend donc maintenant le relais. Nous n’en sommes qu’au stade de la mise en place du système, puisque l’ANR arrive juste au terme de sa première vague de projets, mais il est fondamental ».

En second lieu, l’ANR et le ministère de la Recherche et de l’enseignement supérieur ont lancé, en 2005, un appel à projets concernant l’« organisation mutualisée du transfert de technologie et de la maturation des projets innovants ». Cette initiative a en particulier cherché à créer des structures capables de répondre à des critères de masse critique, de transversalité et de visibilité devenant de plus en plus nécessaires au pilotage de ce transfert, tout en conservant la proximité aux équipes de recherche. L'appel à projets a retenu 14 dispositifs candidats à la mutualisation. Le dispositif concerne 12 régions et bénéficie de 100 équivalents temps plein (pour 150 pour l'ensemble de la valorisation au sein des universités). La dotation initiale de l'ANR (4,5 millions d'euros en 2006 et 4 millions en 2007) a par ailleurs contribué à mobiliser, sur la seule année 2007, 4,7 millions d'euros des autres acteurs de l'innovation et 4,5 millions d'euros des établissements membres soit un budget consolidé de 13,4 millions d'euros. Les 14 dispositifs couvrent environ 47 000 chercheurs venant de 45 universités et d'environ 40 grandes écoles.

Le cabinet d’audit CM International a procédé à une première évaluation de ce dispositif dans le cadre d’un rapport rendu au ministère de la recherche en décembre 2007 et a considéré que le bilan de ces deux premières années d’expérimentation était encourageant. Il a donc proposé de généraliser cette expérimentation à l’ensemble du territoire et d’amplifier les financements en les adaptant aux « stades de développement » de chacun, avec une dotation annuelle pour 2009 de 20 millions d’euros finançant le développement des 14 dispositifs existants et le lancement de 10 nouveaux dispositifs(16).

La mission estime que ces deux mécanismes de financement de la phase de maturation des projets au niveau national sont extrêmement intéressants ; mais elle regrette que les appels à projets s'adressent exclusivement aux projets portés par des universités ou des laboratoires de recherche avant tout partenariat industriel.

Elle considère primordial que les pôles de compétitivité deviennent le principal lieu de maturation des projets de recherche et de mutualisation des transferts de technologie puisqu’ils ont pour objet de mettre en relation la dimension scientifique et la dimension « business » de la recherche.

Il convient donc, dans la phase 2.0, de concentrer une partie conséquente des financements publics (FUI, ANR et OSÉO), par exemple 25 % du total de ces fonds, sur des appels à projets dédiés à la maturation des projets de recherche innovants et à la mutualisation des transferts de technologie.

Pour ce faire, il est souhaitable de créer un fonds dédié à la maturation des projets de recherche innovants.

Proposition n° 1 : Encourager l’établissement d’une convention entre l’ANR et OSÉO afin de promouvoir la maturation des projets de recherche innovant et créer, sous leur égide, un « fonds dédié à la maturation des projets de recherche innovants » concentrant une part conséquente des crédits publics de la phase 2.0.

3.– Garantir l’accès des plateformes d’innovation aux structures de recherche existantes

Une des innovations de la phase 2.0 consiste en la mise en place de plateformes d’innovation, avec un financement dédié à hauteur de 105 millions d’euros sur trois ans par la Caisse des dépôts et consignations.

En effet, si le développement des pôles de compétitivité au cours de la phase 1.0 a permis d’accroître et de renforcer significativement le travail collaboratif, une action plus volontariste encore a semblé nécessaire pour un certain nombre de secteurs stratégiques (biotechnologies, nanotechnologies, technologies de l’information et de la communication, ...), impliquant la mobilisation au niveau national et sur la durée, de moyens de grande ampleur. Les plateformes d’innovation sont donc définies comme étant le « regroupement de moyens (équipements et moyens humains notamment) destinés à offrir à une communauté ouverte d’utilisateurs, notamment des entreprises, des ressources (location d’équipements, prestations, services…) leur permettant de mener à bien leurs projets de R&D et d’innovation ».

Pour contribuer à l’émergence de telles plateformes, l’État et la Caisse des dépôts et consignations ont lancé conjointement, en octobre 2008, un appel à projets spécifique, pour lequel 35 projets sur 86 examinés ont été présélectionnés (2/3 déposés par les pôles de compétitivité mondiaux ou à vocation mondiale, et 1/3 par les pôles nationaux).

Comme l’a souligné Mme Marion Guillou, présidente de l’Institut national de la recherche agronomique, au cours de son audition par les Rapporteurs, fait le constat suivant : « L’association de plateformes de transfert national et d’instituts Carnot, qui travaillent généralement plus en amont, pourrait être une bonne formule. Ce qui manque en effet actuellement, dans notre dispositif national, comparé aux instituts allemands Fraunhofer, ce sont des plateformes de technologie intégratrices allant du prototype et de la pré-série jusqu’au pré-industriel ».

Il conviendrait donc de porter une attention particulière aux conditions d’accès de ces plateformes d’innovation et de promouvoir leur utilisation par les différentes structures existantes (RTRA, PRES et instituts Carnot) lorsqu’elles collaborent avec un pôle sur un projet de recherche. Une telle formule permettrait également de promouvoir la maturation des projets de recherche.

Ø Recommandation : Promouvoir un large accès aux plateformes d’innovation pour les structures existantes – réseaux thématiques de recherche avancée (RTRA), pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) et instituts Carnot – pour les projets de recherche soutenus par les pôles de compétitivité.

B.– AMÉLIORER LE PARTAGE ET LA DIFFUSION DE LA RECHERCHE AU SEIN DES PÔLES

1.– Améliorer les conditions de valorisation de la recherche au sein des pôles

Afin de promouvoir, au sein des pôles de compétitivité, l’émergence de projets de recherche susceptibles de faire l’objet d’une valorisation industrielle, il convient d’apporter des réponses concrètes et efficaces aux risques que comporte la recherche collaborative pour une PME.

En premier lieu, il est déterminant que chaque pôle de compétitivité investisse dans la formation d’un membre de son équipe d’animation en s’appuyant sur les services de l’INPI. Ce « correspondant propriété industrielle » au sein du pôle deviendrait l’interlocuteur majeur du pôle auprès des PRES et des services de valorisation industrielle des grandes entreprises ou des laboratoires de recherche. Comme l’a indiqué M. Philippe Laval, directeur général délégué de l’INPI, « il est important, en effet, qu’il existe une personne assurant ce rôle – en adaptant le type de poste au cas par cas – et que l’on soit conscient des questions de propriété intellectuelle et industrielle au sein des pôles ».

Proposition n° 2 : Former un « correspondant propriété industrielle » au sein de l’équipe d’animation de chaque pôle de compétitivité en s’appuyant sur les services de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI).

En cohérence avec la nécessité de coordonner les différents dispositifs de soutien à la recherche française, il convient en second lieu d’encourager la coopération entre les pôles de compétitivité et les pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES). Les PRES, qui ont développé en leur sein, un service de valorisation de la recherche, devraient constituer un interlocuteur privilégié des pôles de compétitivité installés à proximité pour les soutenir dans leurs démarches de rédaction des accords de consortium et des brevets.

M. Gérard Jacquin, directeur de la valorisation de l’INRA, qui est notamment membre des PRES, a confirmé que : « Les PRES, qui sont par essence des acteurs académiques régionaux et sont d’ailleurs souvent déjà des interlocuteurs privilégiés des conseils régionaux, doivent bien entendu être associés de façon étroite à la gouvernance des pôles. Sur ce point, nous avons conçu une stratégie de valorisation qui s’appuie sur une offre de services centrale spécialisée, qui soutient des plateformes déconcentrées dédiées au « front office », c’est-à-dire des équipes proches des laboratoires, avec les services de valorisation des universités. C’est Agro Valo, dispositif décliné région par région avec Agro Valo Méditerranée, Auvergne, Bretagne, et bientôt Agro Valo Lorraine, Midi-Pyrénées et Bourgogne… Nous invitons les services de valorisation des universités à s’appuyer sur l’INRA pour les projets relevant de notre secteur ».

En outre, la coopération entre les pôles de compétitivité et les PRES situés sur leur territoire devrait être mieux formalisée car ces derniers peuvent apporter une vision complémentaire sur le volet formation du pôle et la création de formations labellisées véritablement adaptées aux besoins des pôles de compétitivité.

Proposition n° 3 : Formaliser les relations entre les pôles de compétitivité et les pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES), afin de partager les services des cellules de valorisation de la recherche et d’anticiper les besoins de formation pour répondre aux emplois de demain.

2.– Anticiper au sein des pôles les besoins de formation des futurs chercheurs

Si les établissements de formation constituent théoriquement l’un des trois piliers des pôles de compétitivité, ils sont toutefois le maillon le plus faible de la politique des pôles, notamment en termes d’anticipation des besoins de formation.

À la suite d’une enquête lancée par le pôle System@tic en 2006 dont les conclusions ont été publiées en 2008, les 17 pôles mondiaux et à vocation mondiale estiment notamment que le besoin d’ingénieurs systèmes s’élève à 12 000 dans les cinq ans à venir.

En outre, plusieurs pôles de compétitivité font état d’un manque de chercheurs adaptés à leurs activités. Or, les pôles de compétitivité constituent un cadre idéal à la promotion de l’embauche des chercheurs auprès des entreprises, afin d’améliorer la diffusion de la dimension recherche dans le secteur privé.

Il appartient donc aux pôles de développer une politique de formation et de gestion des compétences adaptées pour attirer les chercheurs et les ingénieurs de demain. Pour ce faire, chaque pôle devrait quantifier et qualifier ses besoins en compétences, incuber ces formations grâce à l’intervention des universités et des écoles membres du pôle et proposer aux jeunes candidats à l’embauche des conditions de travail attrayantes (grille de salaires non discriminante entre chercheurs et ingénieurs, perspectives de progression au sein de l’entreprise au titre de l’expertise ou du management, formation continue...).

Comme le récapitule le rapport du Conseil économique et social présenté par M. André Marcon en 2008 (17), une quinzaine de pôles de compétitivité ont engagé une telle politique de formation et de gestion des compétences à travers des actions telles que l’établissement d’une cartographie des compétences, l’organisation de rencontres entre chercheurs et industriels, la mise en place d’une cellule « ressources humaines » au sein du pôle, la création de formations spécialisées au sein des organismes de formation partenaires, la mise en place de bourses de « stages systèmes » pour attirer de jeunes ingénieurs systèmes...

Auditionné par la mission, le pôle Mov’éo a mis en évidence les avantages d’une telle démarche : « Au contraire de ce que j’ai pu constater lors de la création de très grands pôles dont les adhérents venaient en quelque sorte « faire leur marché » à l’Université, il y a eu au sein de Mov’eo, dès l’origine, une collaboration entre recherche publique et recherche privée, et le rapprochement s’est fait en tenant compte des compétences respectives, en fonction des travaux menés par les chercheurs. La constitution du pôle a créé un cadre propice à la recherche en permettant l’intervention de chercheurs d’autres spécialités lorsqu’elle paraît utile à certaines phases des travaux. De même, le pôle a cela d’intéressant qu’il permet de développer des formations en adéquation avec les activités de recherche, et c’est ce qui nous a poussés à mettre en place la labellisation des formations. L’intérêt particulier du pôle Mov’eo est d’avoir permis, à partir de la relation initialement instaurée avec l’Université, de développer bien plus d’activités de recherche et de formation que celles qui avaient été imaginées au départ. Au surplus, la participation à Mov’eo, qui suscite une très forte adhésion au sein de l’Université de Versailles Saint-Quentin, nous a permis de développer et renforcer nos partenariats avec d’autres acteurs de la recherche publique, permettant de facto la constitution d’un cluster » (déclaration de Mme Sylvie Faucheux, présidente de l’Université de Versailles-Saint-Quentin, membre de cinq pôles de compétitivité, et vice-présidente du pôle Mov’eo).

La mission d’évaluation et de contrôle considère qu’il faut donc encourager les pôles de compétitivité à mettre en œuvre une politique de formation et de gestion des compétences de manière à préparer les filières qui feront l’économie de demain. Il s’agit de favoriser l’embauche de chercheurs et d’ingénieurs systèmes compétents pour répondre aux besoins des industriels. Aussi convient-il de compléter à la liste des indicateurs des nouveaux contrats de performance entre l’État, les collectivités territoriales et le pôle de compétitivité par deux nouveaux indicateurs : à la suite de l’indicateur « nombre de formations mises en place à la suite d’une demande explicite du pôle », introduire les indicateurs « nombre de chercheurs embauchés par les entreprises du pôle » et « nombre d’ingénieurs systèmes embauchés par les entreprises du pôle ». Ces indicateurs seraient fournis directement par le pôle.

Proposition n° 4 : En matière de gestion des compétences, compléter l’indicateur « nombre de formations mises en place à la suite d’une demande explicite du pôle » par les indicateurs suivants :

– nombre de chercheurs embauchés par les entreprises du pôle ;

– nombre d’ingénieurs systèmes embauchés par les entreprises du pôle.

La mission estime également que pour anticiper au sein des pôles les besoins de formation des futurs chercheurs, il pourrait être utile que les acteurs de la formation soient plus impliqués dans la gouvernance et le pilotage des pôles, notamment dans les bureaux exécutifs.

Ø Recommandation : Intégrer au sein du bureau exécutif ou du conseil d’administration de chaque pôle au moins un acteur de la formation.

3.– Promouvoir la coopération scientifique internationale

L’implication des pôles de compétitivité dans la mise en œuvre d’actions de coopération internationale est très variable selon la taille du pôle. Or, les enjeux sont importants : il s’agit de se faire connaître au niveau international pour attirer de nouvelles compétences ou de nouvelles entreprises étrangères, de trouver de nouveaux marchés pour les PME et grandes entreprises du pôle et d’optimiser la chaîne de valeur par la complémentarité entre « clusters ».

La promotion de la coopération internationale entre pôles de compétitivité repose sur deux voies :

– l’action de chaque pôle de compétitivité ;

– la promotion des pôles de compétitivité par les organismes français dont l’objet est le développement international.

a) Développer l’esprit cluster international entre pôles de compétitivité

Le rapport d’audit a mis en évidence le fait qu’en juin 2008, un quart seulement des pôles de compétitivité avaient formalisé une stratégie de développement à l’international identifiant les cibles potentielles et les priorités, en lien avec la stratégie technologique ou le marché du pôle. Les pôles concernés sont essentiellement les membres du « club des 17 » qui comprend 7 pôles mondiaux et 10 pôles à vocation mondiale.

Toutefois, les rédacteurs du rapport d’audit déploraient un manque de ciblage sur des projets de coopération scientifique ou sur l’identification de complémentarité technologique entre les pôles voire l’existence d’une certaine part de « tourisme » inutile.

Outre la nécessité de mieux sélectionner les partenariats ou les manifestations internationales auxquels peuvent participer les pôles de compétitivité, la mission souligne que la distinction entre pôle mondial et à vocation mondiale introduit de la confusion alors même que la lisibilité des pôles constitue un enjeu majeur pour l’attractivité du territoire. Il convient donc de la supprimer et de redéfinir les critères motivant le classement dans l’une ou l’autre catégorie. Par exemple, pourquoi ne pas prendre en considération le chiffre d’affaires réalisé à l’export par les entreprises du pôle pour qualifier la dimension internationale du pôle ?

S’agissant des pôles de dimension nationale, la difficulté majeure réside dans l’absence de taille critique et de stratégie claire à l’international. Or leur visibilité est un déterminant de leur développement. Le rayonnement des pôles nationaux au niveau international pourrait donc être largement favorisé par un regroupement des pôles par thématique, au niveau national, afin de créer une « vitrine internationale commune ».

L’exemple du regroupement des trois pôles de compétitivité spécialisés dans le domaine de la santé et de la biologie, Lyonbiopôle, Alsace Biovalley et Cancer-Bio-Santé sous le nom de « Lifescience Corridor » doit être encouragé. Il s’agit d’une alliance stratégique dont l’objectif est d’accompagner les PME sur le marché international et d’engager des partenariats technologiques européens et internationaux autour de projets collaboratifs. Chaque pôle négocie ainsi des accords de partenariat inter-clusters au nom des trois membres : Cancer-Bio-Santé avec le Japon, Alsace Biovalley avec le Canada, Lyonbiopôle avec les États-Unis.

Proposition n° 5 : Simplifier la typologie des pôles pour les classer en fonction de leur dimension mondiale ou nationale afin d’améliorer leur visibilité sur le plan international et encourager le développement de « vitrine internationale commune » par les pôles relevant de la même thématique.

b) Coordonner la mobilisation des réseaux de développement économique pour promouvoir les pôles de compétitivité

Les réseaux de développement économique assurant notamment la promotion des pôles de compétitivité sont nombreux : Ubifrance, l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII), l’Ambassadeur délégué aux pôles de compétitivité (18), le réseau économique des ambassades de France à l’étranger, les agences régionales de développement, les comités d’expansion, les chambres de commerce et d’industrie françaises à l’étranger…

Malgré cela, la visibilité de la très grande partie des pôles de compétitivité à l’international reste limitée. Une mobilisation accrue et coordonnée entre l’ensemble de ces réseaux sur la thématique des pôles de compétitivité pourrait donc être envisagée sous l’égide de la DGCIS.

En effet, des actions collectives à l’international des pôles de compétitivité d’un même secteur d’activité ont déjà été lancées dans le cadre de la convention signée le 13 janvier 2008, entre la DGCIS et Ubifrance. Regroupant au minimum la moitié des pôles d’un même secteur industriel et technologique ou d’une même filière, il s’agit de missions collectives permettant d’ouvrir des perspectives de collaboration future ou d’action de visibilités fortes ou d’organisation de séminaires bilatéraux (ce qui exclu la simple participation à un salon international). Quinze actions collectives ont été programmées en 2008.

De plus, le 13 janvier 2009, la DGCIS et Ubifrance ont choisi de centrer ce dispositif sur les PME des pôles de compétitivité et de l’organiser avec les missions économiques et les services scientifiques des ambassades (19). Le nouveau dispositif doit aider les PME dans leur démarche de partenariat technologique (susceptibles de donner lieu à des projets communs d’innovation) ou de partenariats industriels (susceptibles de donner lieu à la création de société commune, à des cessions pour des achats de licence, à des développements communs). Concrètement, un financement complémentaire est fourni par la DGCIS à Ubifrance pour soutenir ces opérations sur des secteurs prioritaires. Il est prévu de mener des actions collectives internationales portées par les pôles des secteurs des TIC, des biotechnologies, des technologies de l'environnement et des énergies renouvelables, ainsi que du transport. Quinze actions sont prévues en 2009.

Cette démarche pourrait être complétée grâce à une association systématique des CCI du territoire du pôle et de l’AFII de façon à coordonner les diverses actions menées par l’ensemble des réseaux de développement économique. Pour ce faire, il pourrait, par exemple, être utile de développer une application informatique accessible à l’ensemble des pôles et l’ensemble des réseaux mettant à jour les manifestations à venir et les partenariats en cours.

Ø Recommandation : Renforcer, sous l’égide de la DGCIS, la coordination des actions de promotion des pôles de compétitivité menées par l’ensemble des réseaux de développement économique (Ubifrance, CCI, AFII, missions économiques auprès des ambassades…).

C.– PROMOUVOIR LA RECHERCHE DANS LE DOMAINE DES ÉCO-TECHNOLOGIES AU SEIN DES PÔLES

La France est aujourd’hui confrontée à une double crise de grande ampleur : une crise économique qui trouve son origine dans les défaillances des marchés financiers et une crise écologique aux impacts économiques potentiellement graves – le rapport Stern (20) évalue le coût de l’inaction en matière de changement climatique entre 5 % et 20 % du PIB mondial.

Face à ces enjeux, le Gouvernement se doit de poser les fondements d’une nouvelle croissance respectueuse des équilibres naturels, en réduisant la dépendance de notre pays aux énergies fossiles (et à leurs fluctuations tarifaires) et en se préparant pour faire émerger les champions économiques de « l’économie verte ». Les pôles de compétitivité peuvent notamment y contribuer si l’accent est mis sur l’augmentation de la part des recherches participant au développement durable, notamment dans le domaine des éco-technologies.

C’est la raison pour laquelle, dans son discours du 24 septembre 2008, le Premier ministre a fixé une orientation claire : « Nous ne procéderons à aucune nouvelle labellisation de pôles dans les trois ans, à une exception près, dans le domaine des éco-technologies, puisqu’il s’agit d’un domaine dans lequel il n’y a pas encore de pôle de compétitivité. Je pense que la France gagnerait à organiser une logique de "cluster" dans ce domaine-là, parallèlement aux labels qui ont déjà été accordés dans le domaine de l’énergie. »

L'appellation d'éco-technologies se réfère aux technologies dont l'emploi est moins néfaste pour l'environnement que le recours aux techniques habituelles répondant aux mêmes besoins. Elle englobe toutes les technologies dotées d'une valeur ajoutée environnementale, c'est-à-dire celles qui, au travers de produits, de procédés ou de services, permettent de réduire l'empreinte des activités humaines sur la nature. Leur rôle peut alors se situer à tous les niveaux dans les activités de production et de transformation. L’objectif est d’innover pour assurer un développement plus durable à l’humanité.

Le développement des éco-technologies constitue à cet égard un des trois axes prioritaires de la stratégie nationale de recherche et d’innovation pour 2009 présentée par le ministère de la Recherche et de l’enseignement supérieur en juillet 2009.

« LES ÉCO-TECHNOLOGIES EN FRANCE AUJOURD’HUI :
60 MILLIARDS D’EUROS ET 400 000 EMPLOIS »

(1) Marché essentiellement à l’export

Source : Plan stratégique éco-tech 2012 – Bilan d’étape du 2 décembre 2008, Boston Consulting Group.

« UN POTENTIEL DE 50 MILLIARDS D’EUROS D’ACTIVITÉ ET DE 280 000 EMPLOIS EN 2020 »

Source : Plan stratégique éco-tech 2012 – Bilan d’étape du 2 décembre 2008, Boston Consulting Group.

Compte tenu du nombre déjà élevé de pôles de compétitivité, il est justifié de ne procéder à de nouvelles labellisations de pôles dans les seuls domaines des éco-technologies non couverts par les pôles actuels. En revanche, un label « éco-tech » pourrait être donné aux pôles de compétitivité réalisant plus de 50 % de leur activité dans ces domaines afin d’améliorer leur visibilité internationale dans le secteur des « clean-tech », tout en favorisant la mise en réseau des pôles développant des projets de recherche sur une thématique éco-tech commune.

1.– Créer un label « éco-tech » en faveur des pôles existants réalisant plus de 50 % de projets de recherche dans le domaine des éco-technologies

Le discours du Premier ministre a été l’occasion pour un certain nombre de pôles de catégories 1 et 2 de réorienter leur stratégie ou de l’élargir vers les éco-technologies dans le cadre de la rédaction de leurs contrats de performance. De même, au moins un pôle dont le label doit encore être confirmé (catégorie 3) a pris en compte l’appel du Premier ministre pour réorienter complètement sa stratégie. Au total, les pôles ayant enrichi leurs thématiques, sans que cet enrichissement ne constitue une profonde remise en cause du périmètre labellisé initialement sont les suivants : Axelera, Tenerrdis, Lutb, Trimatec, et Pôle Génie civil Ouest (actuellement en catégorie 3 et en attente de confirmation de sa labellisation). De plus, Advancity a clairement réorienté ses thématiques en direction des éco-technologies.

De plus, le dispositif actuel a permis l’émergence de pôles de compétitivité déjà fortement ancrés dans le développement des éco-technologies. Le commissariat général au Développement durable a dressé une cartographie des éco-technologies couvertes désormais par l’ensemble des pôles (énergies renouvelables – ENR, matières premières renouvelables, technologies environnementales, et efficacité des produits, des services ou des procédés). Le CGDD distingue six catégories de pôles ayant retenu des projets éco-tech :

CARTOGRAPHIE DES PÔLES DE COMPÉTITIVITÉ AYANT RETENU AU MOINS UN DOMAINE D’ÉCO-TECHNOLOGIE EN 2009

Pôles à dominante :

Noms des pôles

« agriculture » ou « agroalimentaire »

IAR, Agrimip Innovation, Vegepolys

« automobile, transport et logistique »

I-Trans, Mov’eo, Véhicule du Futur, Automobile haut de gamme, Novalog

« matériaux » et « mécanique »

Xylofutur, EMC2, Materalia, Elastopole, Céramique, Plastipolis, Fibre grand Est, Up-tex, Techtera, Viameca

« aéronautique »

Astech, Pegase, Aerospace Valley

« mer »

Pôle Mer PACA, Pôle Mer Bretagne

« autres » : technologie de l’information et de la communication (TIC), ENR

S2E2, Risques

Les Rapporteurs estiment que, dans le cadre de la course au « green leadership mondial », aujourd’hui dominée par les États-Unis, il pourrait être utile de donner une plus grande visibilité aux pôles de compétitivité ayant développé des projets de recherche collaborative majoritairement centrés sur les éco-technologies. En effet, l’absence de pôles de compétitivité « verts » en France semble être un handicap majeur par rapport à d’autres pays comme les États-Unis, la Chine ou la Corée du sud (21).

Aussi, le CGDD et la DGCIS pourraient être amenés à délivrer un label « éco-tech » ou « clean-tech » aux pôles réalisant plus de 50 % de projets de recherche dans le domaine des éco-technologies pour une période de trois ans, correspondant à la mise en œuvre de leur contrat de performance. Ce label leur conférerait une certaine visibilité sur le plan international et leur permettrait de mieux se positionner pour développer des partenariats à l’international dans le domaine du développement durable.

Proposition n° 6 : Créer un label « éco-tech » attribué conjointement par la direction générale de la Compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) et le commissariat général au Développement durable (CGDD) aux pôles de compétitivité réalisant plus de 50 % de projets de recherche dans le domaine des éco-technologies.

2.– Mettre en réseau les pôles développant des projets de recherche sur une thématique éco-tech commune

Dans la mesure où certains pôles développent, chacun de leur côté, des projets de recherche tournés vers un domaine commun des éco-technologies, les Rapporteurs estiment qu’il pourrait être utile de les mettre en réseau, sous l’égide du CGDD.

Le CGDD a d’ailleurs lancé une première initiative de rencontres thématiques des pôles de compétitivité dans le domaine du bâtiment le 29 juin 2009 qui a reçu un écho très favorable de la part des 15 pôles présents. Il est notamment apparu que des coopérations avaient déjà été lancées entre pôles sur une thématique commune : coopération sur la maîtrise de l’énergie depuis l’automne 2008 associant Derbi, S2E2, Capenergie et Tenerrdis et alliance entre Advancity, Systematic et CapDigital. Les pôles présents ont aussi manifesté leur intention de développer des actions de formation pouvant associer notamment architectes et constructeurs ou organiser des journées d’échange pour les professionnels du bâtiment, de l’énergie et des collectivités locales. Il a également été décidé de créer un espace d’échanges sécurisés sur le site competitivité.gouv.fr ouvert aux pôles de compétitivité et aux institutions présentes lors de cette journée (ANR, ADEME, PREBAT, MEEDDAT). Enfin, d’autres réunions sont envisagées pour poursuivre ces échanges.

La mission est très favorable à la généralisation de cette initiative de mise en réseau des pôles de compétitivité travaillant sur une problématique éco-tech commune afin de développer des complémentarités technologiques et d’accroître l’excellence scientifique dans le domaine du développement durable. Il s’agit d’une part d’éviter des doublons et d’autre part de poursuivre dans la voie de la valorisation industrielle. La mise en réseau des pôles devrait en outre favoriser la coopération inter-pôles ou la co-labellisation de projets de recherche dans le domaine des éco-technologies.

Ø Recommandation : Développer, sous l’égide du commissariat général au Développement durable, des rencontres thématiques entre pôles travaillant sur une thématique éco-tech commune, afin de promouvoir la coopération inter-pôles et la co-labellisation des projets de recherche.

3.– Ne procéder à de nouvelles labellisations qu’en faveur de pôles dont la thématique éco-tech ne serait pas couverte par les pôles existants

À l’occasion de la cinquième journée nationale des pôles de compétitivité, le 30 juin 2009, le gouvernement a annoncé la réouverture jusqu'au 2 octobre 2009 d’un créneau de dépôt de candidatures pour sélectionner un nombre restreint de nouveaux pôles de compétitivité. L’objectif est de compléter la couverture des thématiques liées aux éco-technologies tout en maintenant le niveau d’excellence et de visibilité visé par le dispositif. La sélection du ou des nouveaux pôles reposera sur les mêmes critères et procédure que ceux de l'appel à candidatures ouvert depuis décembre 2004 et qui ont conduit à la sélection des pôles de compétitivité existants. En principe, la procédure devrait tenir compte des domaines déjà couverts par les pôles de compétitivité et des synergies et complémentarités apportées.

Le CGDD a d’ores et déjà identifié des thèmes oubliés ou insuffisamment couverts par les pôles de compétitivité actuels :

– dans le domaine des énergies renouvelables, absence de recherche d’ensemble et systématique sur la sobriété ou la performance énergétique ;

– dans le domaine des matières premières d’origine renouvelable, absence de recherche d’ensemble et systématique sur l’utilisation des matériaux valorisables en fin de vie ;

– dans le domaine des technologies environnementales, absence de recherche sur les actions préventives de réduction de l’impact environnemental hors procédés industriels et les actions curatives de traitement des sols pollués (par la pollution agricole en particulier) ;

– dans le domaine de l’efficacité des systèmes (des produits, des services ou des procédés), aucun projet de recherche sur l’usine propre ;

– et la gestion et la préservation de la ressource en eau (cycle complet) et celle des milieux naturels et de la biodiversité.

Le 18 juillet dernier, M. Christian Estrosi, ministre chargé de l’industrie, a annoncé que cet appel à candidature pourrait concerner dix nouveaux pôles « éco-technologiques ».

La mission invite toutefois le Gouvernement à inciter les pôles existants à développer ces thématiques qui aujourd’hui leur font défaut avant de procéder à la labellisation de tout nouveau pôle de compétitivité. En effet, afin de ne pas décourager les efforts déjà menés dans les pôles existants pour orienter leur stratégie vers les éco-technologies, il paraît plus approprié de développer un label « éco-tech » que de créer de nouvelles structures si elles ne sont pas absolument nécessaires.

La labellisation des nouveaux pôles de compétitivité devrait donc se concentrer sur le développement de nouveaux champs scientifiques et de champs d’innovation émergents non couverts actuellement, qui s’ils présentent des risques, pourraient être porteurs de croissance à l’avenir. En effet, l’État se doit de poursuivre une politique de recherche amont permettant de préparer l’économie de demain à travers la création de pôles de compétitivité très pionniers rassemblant entreprises et structures de recherche et de formation autour de disciplines ou de sous disciplines en voie de création et autour de nouveaux champs d’innovation, tels que ceux mentionnés dans le rapport général sur la stratégie nationale d’innovation et de recherche pour 2009 (22).

Proposition n° 7 : Créer de nouveaux pôles de compétitivité pionniers centrés sur le développement de champs scientifiques et d’innovation émergents non couverts actuellement par les pôles qui seraient labellisés éco-tech.

II.– OPTIMISER LES CIRCUITS DE FINANCEMENT DES PÔLES

A.– SIMPLIFIER L’ACCÈS AUX DISPOSITIFS DE FINANCEMENT PUBLIC EXISTANTS

1.– Optimiser la gestion du FUI grâce à son transfert vers OSÉO

Après avoir rassemblé progressivement au sein d’un même établissement l’ensemble des soutiens publics nationaux de l’innovation (hors ANR) à la suite du rapprochement de la BDPME et de l’ANVAR, devenue OSÉO en janvier 2005, et de la fusion de l’AII en son sein en janvier 2008, le Gouvernement a prévu de poursuivre dans la voie de la complémentarité et de la continuité en prenant la décision de transférer la gestion du fonds unique interministériel (FUI) au sein d’OSÉO.

Dans son rapport, la Cour des comptes s’inquiète des conditions de ce transfert, compte tenu d’expériences passées infructueuses (transfert à l’ANVAR des crédits du réseau de recherche pour les technologies pétrolières et gazières en 2004 puis de la procédure Atout en 2005).

Pourtant, la mission constate qu’il est envisagé cette fois-ci de ne transférer que les nouveaux dossiers et non le stock existant. Les projets déjà contractualisés resteront donc gérés par la DGCIS, et la politique des pôles restera du ressort des ministres et du Gouvernement. Seront donc transférés une part de l’instruction et l’ensemble de la gestion des dossiers des programmes de recherche-développement collaboratifs.

En outre, OSÉO est prêt à gérer cette tâche avec succès puisqu’il dispose d’une équipe dédiée. Il a en outre déjà mis en place un outil informatique sécurisé facilitant la gestion des dossiers en cours. M. Drouin, PDG d’OSÉO a ainsi précisé : « Nous avons sécurisé l’accès à l’information en mettant immédiatement en place un système extranet verrouillé par des clés, où chacun n’a accès qu’au niveau d’information de sa compétence. Cet outil, mis en place au 1er septembre 2008 pour nous permettre d’être opérationnels en gestion au 1er janvier 2009, date à laquelle nous aurions dû prendre la main, a été mis à la disposition de la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services, la DGCIS, pour le septième et le huitième appels à projets du FUI ». Cet outil dématérialisé permet de traiter différentes phases : la collecte, l’expertise, la coordination intra-régionale, la préparation des décisions et le suivi des projets. Pour les pôles de compétitivité, cet outil structure et simplifie la démarche de candidature à un appel à projets et sécurise totalement les informations de chacun.

La décision de transférer la gestion administrative des appels à projets de R&D a été effectivement actée au cours du mois de juillet 2009. La convention détaillant les modalités concrètes de mise en œuvre est encore en cours de finalisation au moment de la rédaction du présent rapport. Ce transfert doit prendre son plein effet pour le neuvième appel à projets prévu pour la seconde quinzaine du mois de septembre (avec une sélection des projets retenus rendue publique au début du mois de mars 2010).

La mission souligne que le transfert du FUI à OSÉO constitue une première étape indispensable vers la simplification des structures de financement de la politique des pôles de compétitivité. Décidé par le Conseil de modernisation des politiques publiques dès décembre 2007, il est regrettable que ce transfert ne soit pas encore entièrement réalisé.

Ce transfert effectué, il serait utile d’encadrer les délais d’établissement des contrats de consortium relatifs aux projets de recherche financés par le FUI sur le modèle de la procédure mise en œuvre par l’ANR : la signature de l’accord de consortium et le règlement des problèmes de propriété industrielle devraient intervenir dans les douze mois suivants le dépôt du projet de recherche, faute de quoi les crédits ne seraient pas versés. Pour ce faire, il est recommandé de se référer au guide de la propriété industrielle édité par l’INPI sur son site Internet, qui précise toutes les étapes préalables à la rédaction d’un tel contrat et les exigences à respecter (23).

Proposition n° 8 : Adopter, sans délai, la convention détaillant les modalités concrètes du transfert du Fonds unique interministériel (FUI) vers OSÉO et conditionner le versement des crédits à l’établissement du contrat de consortium dans les douze mois suivant le dépôt du projet de recherche auprès du FUI.

2.– Renforcer la communication sur les dispositifs financiers existants

La description du système de financement des pôles a montré que les pôles de compétitivité interviennent en coordination avec un ensemble de financeurs, constitué du FUI, de l’ANR, d’OSÉO, de la Caisse des dépôts ainsi que des collectivités territoriales.

Pour renforcer l’efficacité du fonctionnement de ce système complexe, une action semble nécessaire en vue d’améliorer sa transparence et de simplifier l’identification des différents financeurs et des processus.

Pour ce faire, il conviendrait d’organiser une communication forte et commune en direction des pôles et des porteurs de projets, destinée à leur présenter les différentes alternatives de financement offertes.

Ø Recommandation : Renforcer la communication auprès des acteurs (pôles et porteurs de projets) sur les dispositifs de financement existants.

Le rapport d’audit préconise en outre la création d’un groupe de travail entre les différents financeurs, chargé de mettre en place un modèle de dossier de demande de financement unifié.

La mission d’évaluation et de contrôle estime particulièrement nécessaire de faciliter la démarche des entreprises, et des PME en particulier en créant un dossier unique et simplifié de demande de financement valable pour l’ensemble des financeurs.

Proposition n° 9 : Unifier et simplifier le dossier de demande d’aide valable pour l’ensemble des financeurs (FUI, OSÉO, ANR, régions).

Ø Recommandation : envisager une dématérialisation sécurisée des procédures.

3.– Simplifier les relations financières entre les pôles et les collectivités territoriales

Les collectivités territoriales sont parties prenantes dans la politique des pôles de compétitivité : sur la période 2005-2008, leur contribution s’élève à 383 millions d’euros (soit 20 % du montant des financements publics). Les projets financés par les collectivités territoriales représentent près de 12 % du total des projets financés. Enfin, 81 % des pôles se déclarent satisfaits de leurs relations avec les régions (24).

Malgré le bon niveau d’implication des collectivités dans le dispositif, le processus de co-financement reste lourd à gérer et source de multiples conventions. La situation est très disparate selon les régions, d’abord parce que « Chaque région a sa spécificité et ses propres objectifs » (25), ce qui implique des taux d’intervention et des assiettes différentes.

Certaines sont mieux organisées que d’autres, en particulier lorsqu’elles ont signé avec OSÉO une convention « Fonds régional d’aide à l’innovation – FRI » (26), outil qui se présente comme un véritable guichet unique du financement local des projets technologiques collaboratifs issus des pôles de compétitivité.

Pour celles qui n’ont pas su encore suffisamment s’organiser, les procédures sont longues et aboutissent à des situations extrêmes comme celle du projet Nacomat, labellisé par le pôle Aerospace Valley, qui a suscité pas moins de 28 conventions différentes.

Le rapport d’audit préconise une mutualisation des pratiques opérationnelles de financement (par exemple versement des fonds, suivi) qui serait confiée à OSÉO et une évolution vers un modèle d’approbation a priori et non projet par projet.

La mission soutient la démarche de mutualisation des pratiques opérationnelles de financement et considère qu’il faut encourager la mise en place d’un guichet unique de financement local.

Proposition n° 10 : Encourager la mise en place de fonds régionaux pour l’innovation, signés en partenariat avec OSÉO, pour créer un guichet unique de financement local.

En outre, il convient d’être attentif aux effets de la réforme des collectivités territoriales sur l’organisation du financement des pôles de compétitivité.

Plusieurs pistes sont aujourd’hui annoncées. Le regroupement volontaire de certaines régions pourrait tout d’abord simplifier la gouvernance des sept pôles bi-régionaux ou tri-régionaux si celles-ci s’engageaient dans cette voie. De plus, les agglomérations et les communautés urbaines, qui ont joué souvent un rôle significatif dans l’accompagnement des pôles à différents titres pourraient profiter de la constitution de « métropoles » qui leur conféreraient un poids significatif.

En revanche, le rôle du département dans le financement des pôles, est susceptible d’être remis en cause du fait de la spécialisation des compétences. Il faudra donc être prudent à cet égard.

Enfin, les régions se doivent, dans le cadre de l’Union européenne, d’établir une stratégie régionale d’innovation, ce qui peut être l’occasion de (re) positionner les pôles dans cette stratégie et de revoir le soutien financier aux pôles. Une seule région, la Bretagne, a pour l’instant publié sa stratégie alors que l’état d’avancement dans les autres régions est très variable. Les rapporteurs estiment que les régions ont donc la possibilité de restructurer le réseau régional d’innovation et souhaiteraient que l’accent soit mis sur le financement de la maturation des projets ou l’amorçage du développement, puisque ces deux points constituent les maillons faibles du financement actuel au sein des pôles de compétitivité.

Ø Recommandation : Inviter les régions à définir leur stratégie régionale d’innovation autour de leurs pôles de compétitivité en mettant l’accent sur le financement de la phase de maturation des projets et sur l’amorçage du développement.

B.– DÉVELOPPER LES SOURCES DE FINANCEMENTS PRIVÉS AU SEIN DES PÔLES

1.– Améliorer le financement en fonds propres des PME des pôles

a) Renforcer la communication et l’accueil des acteurs du capital-risque au sein des pôles

Concernant les sources de financement pour la poursuite de la politique des pôles, la phase 2.0 comprend des objectifs précis, qui consistent dans le renforcement significatif de la part des partenariats privés.

M. Luc Rousseau, directeur général de la Compétitivité, de l’industrie et des services a déclaré devant la MEC : « L’objectif est de 50 % de financement public pour le fonctionnement des pôles, à l’horizon de trois ans, contre 75 % précédemment. [...]. Le pôle doit aider les porteurs de projets à mieux formaliser leur business plan, pour qu’ils soient davantage compréhensibles par les investisseurs. Il peut faire venir sur place, de Paris ou d’au-delà, des capitaux-risqueurs en organisant une journée de rendez-vous d’affaires avec plusieurs dizaines de porteurs de projets. Dans cette phase, l’accompagnement des toutes jeunes entreprises et l’aide à l’émergence de nouveaux projets pour renouveler notre tissu économique sont des sujets prioritaires. »

Les progrès à réaliser en la matière sont particulièrement importants. Le rapport d’audit constate en effet que « L’implication des financements privés pour la mise en œuvre des projets d’innovation est encore très limitée pour les PME. Les banques, mais également les capitaux risqueurs et business angels n’ont pas encore tissé des liens avec les pôles de compétitivité ». Un constat relayé par M. Pierre de Fouquet, président de l’Association française des investisseurs en capital (AFIC) lors de son audition : « Aujourd’hui, on constate au mieux une présence de l’AFIC à certaines réunions, et au pire une absence totale. Bien que je travaille dans le même secteur depuis vingt ans et que je connaisse l’ancien président de Cap Digital en Île-de-France, nous n’avons été invités à aucune réunion ni de ce pôle de compétitivité ni, par exemple, du pôle Images et Réseaux, en Bretagne. J’explique un tel état de fait par une absence aberrante de communication. »

Dans les faits, la réalité est plus contrastée et le niveau de participation des investisseurs privés tient à la fois au domaine de compétence du pôle (par exemple, celui des technologies de l’information est un secteur traditionnellement porté vers le capital-risque) et à la nature des acteurs qui le constitue. M. Bernard Maître, associé chez Galileo Partners, fonds d'investissement leader du secteur de l'Internet, a ainsi déclaré devant la mission : « Certains [pôles] à finalité industrielle reposent sur de petites entreprises, des PME qui se fédèrent. Parfois, un « poids lourd » du secteur met la main sur le pôle. Dans un tel écosystème, nous ne sommes pas les bienvenus ». Pour sa part, M. Jean-François Roubaud (CGPME) pense que le « problème est en partie psychologique : beaucoup de chefs d’entreprise refusent de faire appel à des capitaux extérieurs ou à un business angel parce qu’ils ne veulent pas perdre le contrôle de l’entreprise qu’ils ont créée. Du coup, ils préfèrent la conserver en l’état plutôt que la développer. »

Un des défis de la phase 2.0 est donc de parvenir à mettre davantage en relation les PME des pôles – en particulier nationaux – avec les acteurs du capital-risque, par des opérations de communication qu’il conviendrait de généraliser.

Parmi les bonnes pratiques identifiées, on peut citer l’opération des pôles Cap Digital et System@tic, réalisée en 2008 et reconduite en 2009, en partenariat avec OSÉO et France Angels, baptisée du nom évocateur de Coup-de-poing ISF et destinée à faire se rencontrer des investisseurs et des particuliers redevables de l'ISF, avec des PME innovantes, pour leur faire profiter du dispositif de réduction prévu par la loi dite TEPA(27).

De même, le lancement du dispositif Appui PME® le 20 avril 2009 par OSÉO et la Caisse des dépôts convient d’être salué. Il s’agit d’un dispositif d’information et d’orientation des entreprises coordonné avec le Médiateur du crédit et le Fonds stratégique d’investissement afin d’informer les entreprises sur les possibilités de mise en relation avec des investisseurs privés. Ce dispositif repose sur trois piliers : 22 forums régionaux APPUI PME® (série de rendez-vous d’information et d’orientation dans toutes les régions de France dédiée aux PME et investisseurs locaux), les plateformes régionales d’orientation APPUI PME® (animées par les directions régionales de la CDC et OSÉO ayant pour mission de mettre en relation les PME et les investisseurs en fonds propres), et deux outils d’orientation et de numérotation (un numéro azur 0810 00 12 10 et un site Internet www.appuipme.fr permettant de simplifier et d’orientation la recherche en ligne des fonds d’investissement adapté au profil de la PME).

Ces initiatives doivent se généraliser afin d’accroître la part des financements privés au sein des pôles de compétitivité. Aussi conviendrait-il d’inviter systématiquement les pôles à s’appuyer sur le dispositif APPUI PME® et de les inciter à développer, par eux-mêmes, des opérations de communication à destination des acteurs du capital-risque.

Proposition n° 11 : Soutenir les opérations de communication des pôles auprès des investisseurs privés (business angels, banques, capitaux risqueurs, fonds de capital-risque régionaux,...) afin d’améliorer le financement des phases de maturation des projets ou d’amorçage des PME.

b) Renforcer la coopération entre les pôles et CDC Entreprises

Depuis le CIADT du 14 septembre 2004, la Caisse des dépôts et consignations mobilise des moyens directement sur les pôles de compétitivité. Elle les accompagne à leur demande, selon les formes de partenariat adaptées aux particularités de chaque pôle :

– dans le montage du projet ;

– comme investisseur dans les structures maîtres d’ouvrage, tant pour le portage immobilier, que pour l’exploitation, la gestion et l’animation des projets ;

– dans le financement des plateformes d’innovation comme il en a été fait mention précédemment ;

– comme intermédiaire auprès des financeurs privés à travers le dispositif APPUI PME® déjà mentionné ;

– mais également comme financeur en fonds propres des entreprises membres des pôles, via sa filiale CDC Entreprises. La création et
le développement d’entreprises innovantes peuvent donc être financés par les fonds d’investissement nationaux et régionaux gérés par CDC Entreprises. Au 1er janvier 2008, les fonds régionaux ou nationaux du portefeuille de
CDC Entreprises ont financé 240 PME dans 54 pôles, pour un montant 354 millions d’euros. Le ticket moyen investi par les fonds affiliés dans les PME des pôles de compétitivité est de 1,46 million d’euros.

M. Pascal Lagarde, directeur général de CDC Entreprises, a expliqué en effet à la mission que : « [...] l’une des difficultés que nous avons identifiée est la méconnaissance, par les gouvernances des pôles, habituées à faire financer des projets de R&D, de la manière dont se fait le financement en fonds propres des entreprises. C’est pourquoi nous travaillons avec la direction générale du Trésor et de la politique économique – DGTPE – et la direction générale des Entreprises, devenue direction générale de la Compétitivité des industries et des services – DGCIS – à la rédaction d’un vade-mecum et à la mise en place d’une formation. »

En outre, CDC Entreprises a élargi le dispositif « France Investissement » aux pôles de compétitivité depuis 2008. L’objectif est de faciliter le rapprochement entre les pôles de compétitivité et les fonds d’investissement existants afin de favoriser les synergies entre ces acteurs au bénéfice du financement des entreprises innovantes. Dans ce cadre, le forum « capital-pôles » du 18 avril 2008, co-organisé par la Caisse des dépôts et la DGE, a permis de favoriser la rencontre entre les entreprises des pôles de compétitivité et les investisseurs privés. Par ailleurs, la création du pôle Finance Innovation permet d’aider les pôles de compétitivité à structurer leur démarche en matière de financement des entreprises.

La mission constate que l’action de CDC Entreprises est tout à fait fondamentale car elle contribue à la mobilisation des acteurs du capital-risque auprès des entreprises des pôles de compétitivité et contribue au renforcement des fonds propres des PME, ce qui constitue encore aujourd’hui une difficulté majeure.

Ø Recommandation : Encourager la coopération entre CDC Entreprises et les pôles.

2.– Renforcer la part de financement privé dans les structures d’animation des pôles

Les montants globaux dédiés aux structures d’animation des pôles ont représenté 57 millions d’euros en 2007 pour l’ensemble des 71 pôles et un total de 111 millions d’euros depuis 2005, dont la majeure partie (72 millions d’euros, soit 65 %) financée par l’État et les collectivités territoriales.

Les modalités actuelles de financement de l’animation des pôles ne sont pas totalement satisfaisantes, en particulier parce que le niveau d’autofinancement est limité pour la plupart des pôles : seuls 10 pôles parviennent à obtenir plus de 30 % de leurs recettes auprès de financeurs privés. La part de financement ne représente que 24 % des budgets des pôles mondiaux et à vocation mondiale et 20 % des pôles nationaux.

Or, après avoir installé la dynamique et l’effet de levier nécessaires, les financements publics dans les structures d’animation des pôles ont vocation à diminuer. Il convient donc de prévoir toutes les mesures nécessaires pour renforcer la part de financement privé, en :

– augmentant le montant des cotisations : les écarts entre les pôles sont très importants, les cotisations variant entre 500 et 10 000 euros pour les grands groupes. La valeur moyenne de la cotisation pour une PME est de 1 800 euros en 2007 et de 3 600 euros pour un grand groupe. Exiger du membre d’un pôle une cotisation substantielle permet à ce dernier de renforcer ces capacités d’animation et garantie l’engagement actif et volontaire des membres dans le pôle et ses projets ;

– développant le recours aux outils de financement privés alternatifs. Parmi les bonnes pratiques identifiées, on peut citer le recours aux mécènes privés (dans le pôle Alsace Biovalley, deux banques participent au financement de l’animation sans contrepartie et ont versé 300 000 euros en 2006 et 2007) ou la mise en place d’un fonds commun de placement (pôle Plastipolis) ;

– encourageant la création de fondations au sein des universités. Pour exemple, l’université Lyon 1, partenaire de quatre pôles (28), a signé fin 2007 un accord de partenariat avec Microsoft qui doit lui permettre de récolter 180 000 euros sur trois ans, destinés pour un tiers à des bourses d'étudiants, pour le reste à des solutions informatiques et à des formations.

Ø Recommandation : Renforcer les actions en faveur des investisseurs privés (mécénat, fonds commun de placement, prestations payantes pour les adhérents, fondations dans les universités...) pour assurer une plus forte prise en charge des coûts liés à l’animation des pôles.

3.– Encourager la mobilisation des dispositifs européens de financements de projets et assurer le suivi des fonds collectés

Il existe plusieurs dispositifs européens dédiés au soutien à l’innovation auprès desquels les pôles de compétitivité peuvent trouver des sources de financement complémentaires. Il s’agit :

– du programme Eurêka et du 7ème Programme-cadre de recherche et développement technologique (PCRDT). Le 7ème PCRDT est essentiellement destiné à développer les réseaux de recherche fondamentale et de R&D via des appels à projets. Il couvre la période 2007-2013 avec un budget de 50,5 milliards d’euros ;

– du Programme-cadre pour l’innovation et la compétitivité (CIP). Doté d’un budget de 3 milliards d’euros pour la même période, il prend plus spécialement en compte les intérêts des PME ;

– des fonds de la politique régionale de cohésion de l’Union européenne (FEDER et FSE). Celle-ci a pour priorité sur la période 2007-2013 de promouvoir la croissance durable, la compétitivité et l’emploi, dans le cadre de la Stratégie de Lisbonne.

Si ces dispositifs de financement européens existent et peuvent profiter aux pôles, il est difficile d’en dresser un état des lieux chiffrés. En effet, ni la DIACT ni la DGCIS ne possèdent les outils de suivi qui permettraient de connaître le montant de ces fonds perçus par les pôles. Ces données, directement collectées par les pôles eux-mêmes, ne font à ce jour l’objet d’aucune consolidation particulière. Il conviendrait donc d’en assurer le suivi en mettant en place les indicateurs nécessaires.

En outre, chacun de ces programmes présente des spécificités en termes de contenus et de mise en œuvre (critères de sélection des projets, montage des dossiers,...) qui constitue un frein à l’optimisation optimale des crédits alloués.

Lors de son audition, M. Ledoux, directeur de la politique industrielle du Centre national de la recherche scientifique a déclaré : « [les fonds européens] représentaient un peu plus de 20 % du montant total de nos contrats en 2005, environ 19 % en 2006, et leur part est tombée à 3 % en 2007 [...]. Alors que la contribution de la France représente environ 13 % du PCRD, le programme cadre de recherche et développement de l’Union européenne, les crédits européens ne représentent plus que 3 % du total de nos contrats ».

La mission d’évaluation et de contrôle constate que, quel que soit le dispositif européen concerné, les difficultés rencontrées par les pôles pour y participer sont nombreuses. Aussi conviendrait-il de renforcer l’accompagnement des pôles dans le processus d’accès aux financements européens en s’appuyant notamment sur les structures spécialisées des organismes de recherche ou des PRES membres du pôle. En effet, il ressort de l’audition de Mme Marion Guillou, présidente de l’INRA, que : « L’INRA a fait des efforts considérables pour aider les équipes à obtenir des financements européens, notamment en mettant à leur disposition des spécialistes très efficients et très professionnels chargés spécifiquement de monter les dossiers de candidature, tâche particulièrement lourde et délicate. Une fois que le projet est éligible, c’est notre filiale qui en assure la gestion, elle aussi extrêmement lourde. Il faut en effet savoir ” parler bruxellois “ ! ».

Proposition n° 12 : Renforcer l’accompagnement des pôles de compétitivité dans le processus d’accès aux financements européens :

– leur ouvrir l’appui des structures spécialisées dans le montage des projets européens des PRES ou des organismes de recherche membres des pôles ;

– assurer un suivi effectif des fonds collectés par les pôles au titre des appels à projets européens au niveau des autorités de tutelle.

III.– MENER DES ACTIONS CIBLÉES EN DIRECTION DES PME

A.– DANS LES PROCÉDURES D’INTÉGRATION AUX PÔLES

1.– Renforcer la participation des PME dans les pôles et leur gouvernance

Un des objectifs de la phase 2.0 est de mieux valoriser la place des PME dans les pôles et de leur accorder toute la place qu’il convient dans leurs instances de gouvernance.

Pour renforcer cette présence, plusieurs actions sont envisageables :

– la mise en place d’un « monsieur PME » : M. Jean-François Roubaud, président de la CGPME, fait la proposition suivante : « Il faudrait [...] qu’une personne représente la CGPME au sein des pôles de compétitivité, de manière à organiser les PME qui y participent et à les soutenir dans leurs démarches administratives et financières ».

M. Emmanuel Leprince, délégué général du Comité Richelieu, fait une proposition dans le même sens lorsqu’il déclare : « [...], il faut assurer une meilleure représentation des PME dans les pôles de compétitivité. Or deux freins existent : la PME « alibi », qui dit que tout va bien parce qu’elle est entourée de ses grands clients et que son projet à elle est financé, et le fait que les dirigeants de PME n’ont pas le temps de se rendre à toutes les réunions du conseil d’administration. Pour y remédier, des structures associatives, qui pourraient être locales, du moment qu’elles sont bien portées par des PME, ou nationales, de type CGPME, pourraient les représenter dans les conseils d’administration – l’avantage de la CGPME étant qu’elle pourrait réunir ses représentants de tous les pôles pour faire des échanges de bonnes pratiques. ».

La chambre de commerce et d’industrie de Saint-Étienne a par exemple créé un poste spécifique au sein de Mécaloire (29) intitulé : « intégrateur de pôles de compétitivité ». Son objet est de présenter et faciliter l’intégration des PME/TPE dans le pôle ViaMéca, le plus grand pôle de compétitivité de la mécanique en France ;

– la formalisation de la participation des PME via la signature d’une charte. Comme l’indique M. François Moutot, directeur général de l’APCM : « […] nous nous demandons s’il ne faudrait pas obliger les pôles de compétitivité à s’ouvrir un minimum aux petites entreprises, par le biais d’une charte par exemple (…). Elle contraindrait les pôles à se préoccuper des potentialités de coopération avec les petites entreprises, en particulier artisanales, voire à créer des pépinières autour du pôle ».

La mission considère qu’il est important de renforcer la présence des PME dans les instances de gouvernance des pôles mais qu’il appartient à chaque pôle de définir les conditions de cette participation selon ses moyens et ses besoins.

Ø Recommandation : Contrôler, dans le cadre de l’exécution du contrat de performances, l’évolution de la participation des PME aux pôles et à leurs instances de gouvernance.

2.– Développer la coopération inter-pôles ou la mise en réseau des pôles

Une dynamique importante et croissante de mise en place de dispositifs de coordination, de co-labellisations et d’actions de communication communes s’est installée pour l’ensemble des pôles du territoire.

Cette dynamique doit être encouragée et amplifiée pour améliorer en premier lieu la visibilité de la stratégie de chacun des pôles et simplifier ainsi leur accès aux PME. La DIACT précise qu’« il faut des relations entre pôles de compétitivité de même thématique mais aussi entre pôles complémentaires. Le GTI a demandé que ces deux types de relations soient étudiés dans la feuille de route stratégique ainsi que dans le contrat de performance ».

Cette mise en réseau des pôles est un souhait largement partagé par les organismes de recherche auditionnés.

Ainsi, Mme Marion Guillou (INRA) a déclaré : « Si nous avions le choix, nous diminuerions le nombre de pôles. Dans nos métiers, c’est un hasard si une entreprise et le laboratoire de recherche dont elle a besoin se trouvent dans la même région, surtout s’il s’agit d’un sujet pointu (…). Nous préférerions qu’il y ait pour chaque grand thème une porte d’entrée localisée, clairement identifiée, avec la possibilité d’apporter des réponses en réseau. Nous pensons qu’il serait plus efficace d’organiser des réseaux thématiques sur les grandes questions qui se posent dans le domaine agroalimentaire ».

M. Hervé Bernard (CEA) : « C’est d’ailleurs pourquoi nous nous efforçons de susciter des regroupements de pôles par thématique, afin de mieux rassembler les forces vives et d’améliorer la compétitivité grâce à un travail en réseau ».

M. Gérard Jacquin (INRA) : « Nous préférons envisager des réseaux structurés, avec, pour chacune des grandes thématiques retenues, une tête de réseau et un leader industriel de dimension nationale, voire internationale, qui puisse la décliner à partir d’un pôle d’excellence et peut-être de pôles secondaires. Nous essayons par exemple de travailler à la mise en place d’un réseau Viticulture où les viticulteurs de chacune des grandes régions viticoles de France, peu habitués à dialoguer et à collaborer, pourraient travailler sur une thématique de vins nouveaux, par exemple à teneur réduite en alcool. Malgré l’implantation très diffuse de la viticulture, tous les pôles de compétitivité « agricoles » n’ont pas vocation à s’y intéresser. Il faudra choisir, recentrer et éviter que se crée un nouveau pôle dans le Bordelais, dont les viticulteurs ont tout intérêt à dialoguer avec ceux d’autres régions. Nous pouvons nous appuyer sur Vitagora, pôle d’innovation agroalimentaire dédié au goût, à la nutrition et à la santé en Bourgogne/Franche-Comté et sur la thématique Goût, alimentation, sensorialités, développée par notre centre de Dijon, bien en phase avec l’image de la Bourgogne. Mais pour nous, le pôle de compétitivité leader devrait être Q@li-med à Montpellier, qui possède de belles infrastructures en viticulture et œnologie. Si Q@li-med ne prend pas en charge cette thématique au niveau national, il ne faudra pas le conserver dans le réseau, car c’est sa seule carte à jouer à ce niveau-là. Un travail en réseau devrait de même être possible entre Limagrain et le pôle Céréales Vallée ; et Blédina, à Dijon, pourrait être le leader industriel en matière de nutrition infantile. Je pourrais citer bien d’autres exemples. »

Il convient de signaler que certains pôles ont amorcé des collaborations, soit avec des pôles intervenant sur les mêmes thématiques, soit avec des pôles ayant des problématiques complémentaires(30).

Ces collaborations prennent différentes formes : l'élaboration et la mise en oeuvre de chartes de coopération, la mise en place de comité de coordination, l'échange sur les stratégies des pôles, l'échange sur les bonnes pratiques, la co-labellisation de projets ou la réalisation d'actions communes (salons, conférences, établissement commun de cartographie des compétences ou des champs d'innovation, mise en commun de moyens mutualisés par exemple sur la veille ou les outils de communication…). La mise en réseau des pôles semble donc utile et mériterait d’être encouragée.

Toutefois, la politique des pôles est encore à ce jour relativement contraignante dans sa dimension territoriale. En effet, elle autorise la participation de 50 % de partenaires d’un projet situés en dehors du territoire du pôle. Or, ce critère géographique semble constituer un frein.

Ainsi, selon M. Emmanuel Leprince, délégué général du Comité Richelieu, « les PME innovantes regrettent la structure géographique des pôles, qui leur donne une mentalité trop locale alors qu’elles ont besoin d’être mises en relations avec les meilleurs acteurs, où qu’ils soient en France. [...] Les PME sont unanimes : il y a un critère de trop dans les pôles de compétitivité. Il faut conserver le critère technologique, mais pas géographique. »

Comme les Rapporteurs l’ont indiqué précédemment, l’assouplissement du critère territorial est une nécessité lorsque, dans le domaine d’activité du pôle, les industries et les compétences sont réparties sur un territoire plus vaste (comme le montre l’exemple du pôle MTA précité). Dans ce cas, la logique de compétitivité doit l’emporter sur la logique territoriale.

À tout le moins, convient-il de redéfinir la dimension territoriale de la politique des pôles de compétitivité en encourageant la mise en réseau des pôles travaillant sur une thématique commune afin de permettre aux PME d’un pôle de participer à un plus grand nombre de projets collaboratifs. La mission estime donc que le critère territorial devrait être assoupli.

Proposition n° 13 : Redéfinir la dimension territoriale de la politique des pôles de compétitivité en encourageant la mise en réseau des pôles travaillant sur une thématique commune afin de permettre aux PME d’un pôle de participer à un plus grand nombre de projets. Pour ce faire, il convient d’assouplir le critère territorial dans la procédure de sélection des PME participant aux projets financés par le FUI.

B.– DANS LES PROCÉDURES DE FINANCEMENT

1.– Orienter une part des crédits publics vers les PME et instaurer une procédure spécifique adaptée

L’adaptation des moyens et des procédures de financement des pôles s’impose particulièrement en direction des PME.

Ainsi, selon M. Emmanuel Leprince, « il faudrait aussi des projets spécifiquement ciblés sur les PME, avec deux conditions : la participation d’au moins deux participants, puisqu’il s’agit de recherche collaborative, mais pas forcément plus et que le projet soit porté par une PME. L’intervention d’un grand groupe ne serait pas obligatoire. On pourrait garantir à ces projets une instruction plus rapide qu’aux projets classiques, et leur réserver un budget annuel. »

Une telle procédure spécifique existe déjà à la direction générale de l’Armement avec la procédure dite REI (recherche exploratoire et innovation), plus souple et réactive que celle réservée au projet PEA (programme d’étude amont), et destinée essentiellement aux PME.

La mission d’évaluation et de contrôle propose donc d’instaurer un processus de labellisation spécifique, dite « procédure flash », plus simple et plus rapide, destinée aux PME décidées à s’engager dans un projet de recherche collaborative avec au moins un autre partenaire au sein d’un pôle, et ce, sur la base de crédits dédiés.

Proposition n° 14 : Instaurer une procédure « Flash » pour les projets de recherche portés par les PME et prévoir des crédits dédiés.

2.– Raccourcir le délai d’octroi des aides publiques

Entre la validation d’un projet de recherche par le FUI et le versement du financement correspondant, la procédure se révèle trop longue. Il peut en effet s’écouler de six à neuf mois entre l’annonce de la sélection du dossier et la réalisation du premier versement (20 % de la subvention). Des délais que plus de 90 % des pôles jugent excessifs (31), et qui se révèlent inadaptés pour les PME, contraintes à faire une coûteuse avance de trésorerie si elles veulent mettre en œuvre leurs projets. Pour remédier à ces contraintes particulières de financement, des pistes d’améliorations sont déjà envisagées.

D’une part, dans le cadre du transfert programmé de la gestion du FUI à OSÉO, l’engagement a été pris de réduire de façon significative les délais de versement. Les objectifs fixés sont de diviser par deux le délai actuel de montage de la convention et le conventionnement (soit passer de 165 jours à moins de 60 jours pour les deux tiers des projets).

D’autre part, une expérimentation est menée en Rhône Alpes pour assurer aux PME un système de financement relais : « Quant au traitement à réserver aux PME en matière de financement au titre des pôles de compétitivité, un dispositif pilote a été mis en place en avril 2008 en région Rhône-Alpes. Les porteurs de projet labellisés et financés, tout spécialement les PME, peuvent solliciter, dès l’émission de la lettre officielle annonçant les projets retenus, un financement relais de l’avance sur subvention auprès des établissements bancaires, OSÉO garantissant ce prêt. » (32) Les résultats de cette expérimentation ne sont pas encore définitifs mais laissent apparaître une faible mobilisation, imputable sans doute à un déficit de communication.

Proposition n° 15 : Réduire de façon significative le délai d’octroi des aides du FUI mesuré à travers la création d’un nouvel indicateur de performance dans les documents budgétaires.

3.– Clarifier les décisions d’attribution des aides

Le FUI est un outil bien identifié qui a permis l’implication des grandes entreprises et le financement immédiat de projets collaboratifs (en dépit des problèmes de délais précédemment évoqués).

Pourtant, les modalités de sélection et le choix de financement de certains projets apparaissent parfois peu lisibles, en particulier lorsque les raisons du refus d’un projet ne sont pas motivées.

Ø Recommandation : Améliorer l’information des porteurs de projets sur les motivations de la non-sélection de leur dossier.

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CONCLUSION : PASSER D’UNE LOGIQUE DE MOYENS À UNE LOGIQUE DE RÉSULTATS POUR AMÉLIORER LA COMPÉTITIVITÉ FRANÇAISE

1.– Rester attentif à la consommation des crédits de paiement consacrés à la phase 1.0

Pour rappel, les restes à payer pour les aides engagées entre 2005 et décembre 2008 s’élevaient à cette date à 559,6 millions d’euros, soit 76,6 % des crédits de paiement, part révélatrice d’une certaine inertie du système.

Le facteur temps est un facteur important dans la conduite de la politique des pôles de compétitivité, qui restent un dispositif encore jeune après seulement trois années complètes de mise en œuvre.

La mission estime qu’une attention particulière doit être portée au cours de la phase 2.0 au bon déroulement du scénario de consommation des crédits prévus pour la phase 1.0.

2.– Conditionner le maintien du financement public de la phase 2.0 à la réalisation des objectifs fixés dans les contrats de performance

L’année 2009 a été l’occasion pour les treize pôles classés par le rapport d’évaluation dans le groupe 3 (« pôles à reconfigurer ») de repenser leur stratégie, leur mode de gouvernance et la dynamique interne du pôle afin de pouvoir postuler à la signature des contrats de performance pluriannuels.

L’évaluation qui sera menée à l’automne 2009 par le Gouvernement devrait donc aboutir à confirmer la labellisation des pôles ayant réussi à dépasser les difficultés relevées par l’audit et à délabelliser les pôles n’ayant pas passé le cap.

M. Pierre Dartout a du reste indiqué : « Quant aux pôles auxquels on a reproché de ne pas présenter suffisamment de projets de recherche, on peut se demander s’ils ne relèveraient pas plutôt d’autres types de réseau d’entreprises […]. Sur les treize, certains amorcent un redressement. D’autres devront opérer un rapprochement. D’autres encore, peut-être, devront adopter une autre formule ».

Pour la mission d’évaluation et de contrôle, il apparaît tout à fait nécessaire de tirer les conséquences de ce que certains pôles n’auraient pas atteint les objectifs fixés malgré une année supplémentaire donnée pour opérer le rattrapage nécessaire.

En effet, la logique de compétitivité économique doit l’emporter sur la logique d’aménagement du territoire lorsque le pôle en cause est dans l’incapacité de contribuer efficacement à l’excellence territoriale.

Cela peut se traduire par une délabellisation ou par un regroupement entre pôles travaillant sur des problématiques communes, à l’image du rapprochement du pôle MTA avec le pôle Mov’eo en 2009.

Enfin, s’il peut être utile de soutenir d’« autres formules » de coopération économique sur un territoire donné (tels que les clusters ou les systèmes productifs locaux - SPL), la MEC considère néanmoins que cela ne doit pas se traduire par un mécanisme de soutien budgétaire, au risque de multiplier les structures de coopération et de contredire la logique d’excellence scientifique qui fonde la politique des pôles de compétitivité.

3.– Concentrer les nouveaux financements publics sur les pôles les plus performants : les perspectives du « grand emprunt national »

Comme l’a déclaré devant la mission M. Gérard Jacquin, directeur de la valorisation à l’INRA : « Nous sommes maintenant à la croisée des chemins. Nous pensons que dans la phase 2 des pôles, il faudra d’une part améliorer la remontée des problématiques de recherche et des demandes sociales, et d’autre part dégager quelques grandes priorités nationales pour structurer un foisonnement certes sympathique mais duquel ont du mal à émerger de grands projets porteurs visibles à l’international ».

Deux mois après avoir annoncé devant le Congrès réuni à Versailles, le 22 juin 2009, que l'État lancerait un grand emprunt national, le Président de la République a installé le 26 août 2009 une commission chargée de définir ses priorités. Composée de 22 membres venus d'horizons très divers (scientifiques, hauts fonctionnaires ou chefs d'entreprises), et présidé par les anciens premiers ministres Alain Juppé et Michel Rocard, elle doit rendre ses conclusions d’ici le 1er novembre prochain.

D'ores et déjà, le Président de la République a mis en avant trois axes prioritaires : l'économie de la connaissance (et notamment le financement de l'enseignement supérieur), la compétitivité des entreprises (avec en particulier le problème de l'insuffisance de leurs fonds propres) et le soutien aux investissements industriels stratégiques. Une piste a déjà été évoquée sur l'instauration d'un « fonds de consolidation pour les fonds propres » destiné à conforter le capital des PME.

En tout état de cause, la mission estime que les pôles de compétitivité ont toute leur place à prendre dans le cadre du grand emprunt national puisqu’ils constituent l’un des fers de lance de l’innovation en France. Toutefois, il conviendra de concentrer les nouvelles dépenses sur les pôles les plus performants ainsi que sur les pôles développant des thématiques scientifiques ou d’innovation nouvelles, notamment dans le domaine des éco-technologies qui constitue l’un des trois axes prioritaires de la stratégie nationale de recherche et d’innovation en 2009.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du 23 septembre 2009 à 11 heures 15, la commission des Finances a procédé à l’examen des conclusions du présent rapport.

M. le président Didier Migaud. Je vous informe tout d’abord que nous avons reçu, en application de l’article 12 de la LOLF, un projet de décret portant transfert de crédits. Ce document est à votre disposition.

L’ordre du jour appelle maintenant l’examen du rapport de la mission d’évaluation et de contrôle sur les perspectives des pôles de compétitivité.

Nous sommes très nombreux à avoir des pôles de compétitivité implantés dans nos circonscriptions, ou à proximité. Le but de ces pôles était de dynamiser le développement et l’aménagement du territoire, ainsi que la recherche et la politique industrielle, grâce à l’irrigation apportée aux entreprises innovantes.

L’existence de plusieurs objectifs simultanés constituant souvent un exercice périlleux, une évaluation était bienvenue, d’autant qu’une nouvelle phase de développement des pôles est prévue.

Nos deux rapporteurs spéciaux des crédits de la recherche, M. Alain Claeys, à l’origine de ce thème d’évaluation, ainsi que M. Jean-Pierre Gorges, ont été désignés pour préparer ce rapport, en compagnie de M. Pierre Lasbordes, rapporteur pour avis sur le budget des organismes de recherche au nom de la commission des Affaires économiques. Il était naturellement intéressant que les deux commissions travaillent ensemble sur ce sujet. Pierre Lasbordes, frappé par un deuil dans sa famille, m’a chargé de vous demander de bien vouloir l’excuser pour son absence aujourd’hui.

Durant trois mois, d’avril à juin, la MEC a procédé à un ensemble très complet d’auditions. Elle a notamment rencontré les représentants des différents types de pôles de compétitivité. Ses informations ont été complétées par les réponses à un questionnaire adressé à l’ensemble des pôles, ainsi que par un déplacement des rapporteurs sur le site du pôle System@tic-Paris-Région.

Conformément à la tradition désormais établie, la Cour des comptes a accompagné les travaux de la MEC. De sa propre initiative, la Cour menait d’ailleurs un contrôle sur les pôles de compétitivité, dont les conclusions définitives nous ont été transmises il y a deux semaines. Une fois encore, nous nous réjouissons de la qualité des relations entre la MEC et la haute juridiction financière.

Le fruit du travail de nos rapporteurs me paraît très stimulant, quoique certainement « dérangeant » à certains égards. Je pense en particulier à leur étude critique de la politique territoriale des pôles comme à leur analyse des faiblesses persistantes de notre pays en matière de valorisation de la recherche.

Au lieu de multiplier les propositions, la mission a eu la sagesse de sélectionner quinze priorités, susceptibles de faire l’objet d’un suivi précis, auxquelles s’ajoutent une dizaine de recommandations complémentaires. La MEC, qui a adopté son rapport hier, nous propose de mettre en œuvre l’article 60 de la LOLF, aux termes duquel le Gouvernement doit répondre, par écrit, dans un délai de deux mois, aux observations qui lui sont notifiées à l’issue d’une mission de contrôle et d’évaluation.

Si la Commission approuve la publication du rapport, j’adresserai donc ses propositions au Premier ministre en lui demandant d’engager le dialogue, dans le délai prévu par la LOLF, sur les suites qu’il entend leur donner.

J’ajoute qu’il nous appartient de tirer parti des possibilités offertes par la révision constitutionnelle de juillet 2008, notamment en prolongeant nos travaux par l’inscription à l’ordre du jour de la séance publique d’un débat ou d’une séance de questions portant sur les conclusions des rapports des missions d’information. Nous devrions notamment veiller à ce que les propositions concrètes formulées à l’occasion des rapports sur les services départementaux d’incendie et le secours – les SDIS – et sur les opérations militaires extérieures ne restent pas lettre morte. Nous exercerons de la sorte un « droit de suite », en particulier pour les rapports adoptés dans le consensus.

M. Jean Launay. Cela me semble également nécessaire en ce qui concerne la gestion des ressources humaines au ministère de l'Écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, objet l’an dernier d’un rapport de la MEC dont j’étais co-rapporteur. Nous avions envisagé une nouvelle série d’auditions, conformément au souhait des organisations syndicales. Compte tenu de l’actualité récente – la presse a fait état de suicides au ministère de l’Écologie, et pas seulement à France Télécom –, il serait très opportun d’exercer notre droit de suite sur cette question.

M. le président Didier Migaud. De façon plus générale, nous aurions probablement intérêt à réaliser un bilan annuel : quelles sont les réponses qui nous sont parvenues ? Lesquelles manquent, au contraire, à l’appel ? À quelles relances faudrait-il procéder ? Quels sujets mériteraient une discussion en séance publique ? Il y a un véritable travail d’inventaire à réaliser afin que nos rapports débouchent sur des résultats concrets. Il y a sans doute matière à être plus offensif.

M. Georges Tron. La réalisation de rapports d’étape, faisant suite à un premier rapport, constitue un outil très utile. Nous avons pu le constater dans le domaine de l’immobilier de l’État.

M. Alain Claeys, rapporteur. Comme notre président l’a indiqué, la deuxième chambre de la Cour des comptes a adopté des observations définitives le 15 juin 2009. D’autre part, les travaux de la MEC sont intervenus peu après une évaluation réalisée par le Gouvernement, au terme de laquelle les soixante-et-onze pôles existants ont été classés en fonction de trois critères : la précision de la stratégie suivie, le fonctionnement de leur gouvernance et la dynamique enclenchée au plan territorial. Trente-neuf pôles ont été considérés comme satisfaisants selon ces trois critères, dix-neuf selon deux critères seulement, et treize autres, formant un groupe de « pôles à reconfigurer », selon un seul des critères.

Nous avons mené nos réflexions sur trois sujets principaux : le pilotage des pôles au plan national, du point de vue aussi bien de la compétitivité que de l’aménagement du territoire, objectifs relevant de départements ministériels distincts ; leur gouvernance interne ; les relations entre les entreprises et les organismes de recherche. Des constats que nous avons dressés, nous avons déduit quinze propositions tendant à développer le rôle d’interface des pôles entre la recherche et les entreprises, à améliorer le pilotage et le financement des pôles, ainsi qu’à y renforcer la participation des PME.

Je traiterai, pour ma part, de notre premier axe de travail, le développement du rôle d’interface des pôles, et je laisserai à Jean-Pierre Gorges le soin de présenter les autres conclusions de la mission.

Selon le rapport général sur la stratégie nationale de recherche et d’innovation pour 2009, notre pays souffre d’un couplage insuffisant entre les organismes publics de recherche, les universités et les entreprises. Des structures nouvelles ont certes été instaurées, mais il reste à développer de véritables synergies entre elles.

Nous avons tout d’abord constaté que les dispositifs de soutien s’étaient empilés les uns sur les autres : il n’existe pas, pour le moment, de coordination entre la politique des pôles de compétitivité et les autres dispositifs territoriaux, tels que les PRES – les pôles de recherche et d’enseignement supérieur – créés par la loi sur la recherche de 2006, les RTRA, les réseaux thématiques de recherche avancée, et les instituts Carnot. Considérés séparément, ces différents dispositifs fonctionnent bien, mais il n’y a pas de synergies entre eux.

D’autre part, nous avons observé que la participation des acteurs de la recherche et de la formation restait trop faible au sein des pôles : les premiers ne représentent que 15 % des adhérents, et les seconds 3 %.

Troisième constat, la dimension scientifique des projets n’est pas suffisamment prise en compte au sein des pôles.

À la question de savoir si le dispositif actuel permet de coupler la recherche et l’industrie et de favoriser le passage de la recherche fondamentale à la valorisation industrielle, nous ne pouvons donc apporter qu’une réponse négative. Les financements publics sont notamment insuffisants au stade de la « modélisation ».

À cela s’ajoute le faible positionnement de la France sur certains secteurs émergents, notamment les écotechnologies, alors que celles-ci devraient constituer un axe prioritaire. Conscient de cette difficulté, le Premier ministre a annoncé, le 24 septembre 2008, que les nouvelles labellisations ne porteraient que sur des projets concernant les écotechnologies.

Pour améliorer le passage de la recherche fondamentale aux applications industrielles, qui est, en France, notre principal point faible, un effort particulier de la puissance publique s’impose. Nous proposons, tout d’abord, que les financeurs publics des pôles de compétitivité – l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, et OSÉO – coordonnent leur action sous la forme d’un conventionnement. Un fonds dédié à la maturation des projets de recherche innovants pourrait également être créé.

En outre, nous recommandons de formaliser les relations entre les pôles de compétitivité et les PRES, instaurés en vue de rapprocher l’enseignement supérieur, les organismes de recherche et les structures innovantes. Si les universités participent effectivement aux PRES, les organismes de recherche n’ont pas dépassé, pour le moment, le stade de l’observation. À nos yeux, les PRES doivent certes remplir leur vocation première, qui est de favoriser la recherche, mais une complémentarité avec les pôles de compétitivité pourrait également être développée.

Une troisième série de propositions concerne les besoins en formation, que nous devons veiller à anticiper pour favoriser la création des emplois de demain. Cela suppose d’introduire de nouveaux indicateurs de performance dans les contrats d’objectifs des pôles, notamment l’évolution du nombre d’ingénieurs systèmes et la place faite aux chercheurs dans les embauches.

S’agissant des écotechnologies, nous proposons d’accorder un label « éco-tech » aux pôles dont au moins la moitié des projets de recherche concerneraient ce domaine. Nous devons maintenant nous fixer des objectifs chiffrés. Rapporteur spécial du budget pour la recherche dans les domaines du développement durable, je peux témoigner que nous avons encore des progrès à faire en ce qui concerne la traçabilité des crédits. Nous proposons également de créer des pôles de compétitivité pionniers, centrés sur des domaines d’innovation émergents non couverts à ce jour.

En dernier lieu, il nous semblerait utile de simplifier la typologie des pôles et d’inciter ceux d’entre eux qui travaillent sur des thématiques communes à développer une « vitrine internationale » partagée : force est de constater que nos pôles sont aujourd’hui « invendables » au plan international.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. En matière de pilotage des pôles au niveau national, on constate un tâtonnement entre la logique de compétitivité et la logique territoriale. En témoigne l’existence d’une double tutelle, exercée par la DIACT, la direction interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité du territoire, et la DGCIS, la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services. D’autre part, il n’y a pas aujourd’hui de stratégie globale, ni d’évaluation de la performance dans les documents budgétaires. Au plan interne, les formes de gouvernance des pôles sont très diverses et de qualité variable.

À cela s’ajoutent des insuffisances dans le pilotage des financements. La multiplicité des intervenants – le fonds unique interministériel, le FUI, l’ANR, OSÉO, les régions, les acteurs du secteur privé – nuit, tout d’abord, à la lisibilité du dispositif. Les procédures en vigueur sont également trop longues et trop complexes : il faut notamment remplir un dossier par financeur et le délai d’octroi des crédits s’élève, en moyenne, à neuf mois. Il en résulte un niveau élevé de crédits non consommés : les aides engagées entre 2005 et 2008 ne s’élèvent qu’à 76,6 % des crédits de paiement disponibles.

Pour y remédier, nous proposons d’unifier et de simplifier les dossiers de demande d’aide, de parachever le transfert des missions du FUI vers OSÉO en adoptant sans délai une convention précisant les modalités concrètes de l’opération, d’instaurer des guichets locaux uniques de financement grâce au développement des fonds régionaux pour l’innovation, et de conditionner le maintien des crédits actuels à la réalisation des objectifs fixés par les contrats de performance. On peut également envisager d’ôter leur label à certains pôles dits « à reconfigurer ».

M. Jean-Pierre Balligand. Qu’attend-on pour le faire ?

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Il nous paraît également utile de renforcer la part du financement privé en soutenant les opérations de communication des pôles à destination des investisseurs privés – je pense notamment aux business angels, aux opérations « Coup-de-poing ISF », ou encore à la création de clubs d’investissement.

J’en viens à notre troisième axe de travail, qui portait sur la participation des PME aux pôles de compétitivité. L’un des objectifs initiaux était, en effet, d’amener les PME au contact de la recherche.

D’un point de vue quantitatif, leur participation aux pôles est globalement satisfaisante : elles représentent 85 % des adhérents, et il existe même des pôles exclusivement constitués de PME, comme Imaginove et Cap Digital, et d’autres présidés par des représentants de PME – une quinzaine aujourd’hui. Ajoutons à cela que le taux d’implication des PME dans les projets du FUI atteint un niveau correct – environ 27 %.

Des freins puissants restent toutefois à lever. À la différence des grandes entreprises, les PME demeurent centrées sur la gestion du quotidien, attitude peu propice à la recherche, dont les cycles sont longs par nature. Si des PME se sont impliquées dans les pôles de compétitivité, c’est avant tout pour gagner des marchés ; le contact avec la recherche reste plus délicat, notamment du fait des craintes qui persistent – j’y reviendrai.

D’autre part, les délais de versement des aides publiques et les contraintes administratives nous paraissent inadaptés au rythme des PME, notamment du point de vue de la trésorerie. Tout va trop lentement, alors que les PME peuvent se retrouver en difficulté du jour au lendemain.

Nous avons également constaté que les PME n’étaient pas suffisamment représentées dans les instances de gouvernance des pôles : 66 % d’entre elles déclarent qu’elles souhaiteraient être plus impliquées. Nous pensons, pour notre part, que cela permettrait non seulement de favoriser des approches plus pragmatiques, mais aussi de modifier les rythmes.

Une autre difficulté concerne la valorisation de la recherche, dont le partage est aujourd’hui insuffisant. Les PME redoutent de se faire « piller », ce qui ne facilite pas les contacts : pour des raisons de propriété intellectuelle, les PME ont souvent peur d’entrer en relation avec les « mastodontes » qui les concurrencent.

Pour renforcer la place des PME dans les pôles, nous proposons de redéfinir leur dimension territoriale en développant la mise en réseau autour de thématiques communes et en élargissant les critères d’adhésion. Les pôles ne doivent pas être fermés sur eux-mêmes dans une logique purement territoriale : leur but initial n’était pas d’amener des activités sur un territoire donné, mais d’améliorer les contacts entre la recherche et les entreprises.

Nous proposons également d’instaurer une « procédure flash », plus rapide et plus simple, sur la base de crédits spécifiques, pour les projets de recherche des PME. Cela permettrait en particulier de monter des projets avec deux partenaires seulement.

Afin de dissiper les craintes en matière de propriété intellectuelle, des correspondants pourraient enfin être nommés au sein des pôles, en lien avec les services de l’INPI, l’Institut national de la propriété industrielle.

M. Alain Claeys, rapporteur. Chacun sait que la France est en retard du point de vue de la propriété intellectuelle et de l’innovation. Il faut agir. La plupart des brevets étant désormais déposés, non plus au niveau national, mais au niveau européen, auprès de l’Office européen des brevets, un véritable savoir-faire est nécessaire. Dans ce domaine, les pôles pourraient utilement apporter leur concours aux entreprises, notamment aux PME.

M. François Goulard. Il y avait sans nul doute une part d’affichage dans le lancement des pôles de compétitivité et il est vrai qu’annoncer la création d’un outil pour rapprocher l’enseignement supérieur, la recherche et l’activité économique est bien perçu localement. Qui plus est, un certain nombre de responsables d’administration avait bien identifié des blocages qu’ont justement rappelés nos rapporteurs.

Mais cette création a aussi emporté des désillusions et s’est accompagnée de visions trop administratives, déconnectées de la réalité, voire absurdes, en particulier au sein de la Délégation interministérielle à l'aménagement et à la compétitivité des territoires, la DIACT, ex-DATAR.

Pour autant, en dépit des échecs et des différences d’un pôle à un autre, une idée dont le contour est aussi libre et la mise en œuvre aussi variée est intéressante, en particulier parce qu’elle tend à décloisonner des univers différents afin d’accompagner des mutations.

Les pôles rencontrent toutefois deux limites importantes. La première tient à la territorialité. Comment a-t-on pu penser que les relations entre des entreprises et un organisme de recherche se cantonneraient dans un cadre territorial, qui ne correspond à l’organisation ni de la recherche ni de l’activité économique ?

La deuxième limite a trait à la concurrence que se livrent les entreprises d’un même secteur, qui ne sont donc guère enclines à mettre en avant, lors de rencontres communes avec les organismes de recherche, les thèmes qu’elles jugent les plus porteurs pour l’avenir. En insistant sur la propriété intellectuelle, on ne répond que très partiellement à ce problème puisqu’il est fort rare que l’on dépose un brevet pour lancer une innovation sur un marché.

Ne négligeons pas par ailleurs un effet d’éviction des PME par les grands groupes : si les premières figurent dans les conseils d’administration des pôles, ce peut être seulement pour y faire de la figuration… Dans plusieurs pôles, un ou deux grands groupes ont pris les commandes et ont mobilisé les financements, qui ne viennent finalement qu’abonder ce que ces entreprises faisaient déjà.

S’agissant des PRES et des RTRA, il n’est pas toujours opportun de les rapprocher des pôles de compétitivité. Certes, quand les universités d’une région sont regroupées, le PRES doit être évidemment l’interlocuteur du pôle, mais il arrive aussi que le PRES ne corresponde pas à l’objet du pôle. S’il s’agit d’un outil utile dans bien des domaines, la présence du PRES n’est pas systématique dans l’organisation de l’enseignement supérieur et de la recherche et on ne peut donc pas toujours non plus le mettre en adéquation avec les pôles.

On peut peut-être envisager de rapprocher l’ANR et OSÉO par le biais de conventions, mais leurs mécanismes d’allocation des ressources à la recherche diffèrent considérablement et l’ANR est surtout tournée vers des thèmes de recherche appliquée.

Il est vrai que les sources de financement sont diverses, ce qui oblige à monter de nombreux dossiers et entraîne des pertes en ligne. Dans ces conditions, il me paraîtrait efficace d’apporter – non pas après avis d’un comité de pilotage mais de façon systématique – un financement public, qui pourrait être partagé entre État et collectivités, dès lors qu’un contrat de recherche est confié par une entreprise à un organisme de recherche au sein d’un pôle.

M. Jean-Pierre Balligand. Le concepteur des pôles de compétitivité a « vendu » l’idée de la territorialisation à M. Raffarin. Ainsi, les régions se sont vues dans l’obligation de monter les dispositifs et ont dû payer massivement.

M. Alain Claeys, rapporteur. Toutes les collectivités locales !

M. Jean-Pierre Balligand. Dès le départ, la conception a été viciée. Par conséquent, il est difficile de s’émanciper de la territorialisation. Un exemple : le pôle Agroressources a pu être créé car la Champagne-Ardenne et la Picardie avaient les moyens de se lancer dans une opération assez lourde. Mais il y a eu, ensuite, des batailles sur la localisation des chercheurs. Il y a une ambiguïté : un projet national d’un côté et, pour des raisons financières évidentes, une quête territoriale de l’autre.

Par ailleurs, je pense que certains pôles de compétitivité n’auraient jamais dû être admis. Si l’État a formulé des remarques à l’égard de certains d’entre eux, un petit nombre seulement est devenu un peu plus dynamique. Cela mérite réflexion si nous voulons être crédibles au niveau international. Le nombre très élevé des pôles n’a, selon moi, pas de sens.

M. Olivier Carré. On assiste à une montée en puissance du crédit d’impôt recherche. Le lien du CIR avec la politique des pôles pourrait-il être approfondi ? Commence-t-on à avoir une idée des secteurs économiques qui utilisent le plus cet instrument ?

On connaît le poids des finances privées outre-Atlantique, aux côtés des collectivités publiques très actives. N’y a-t-il pas là une piste à explorer ?

M. Jean Launay. À mon tour, je voudrais saluer le travail réalisé par la MEC, avec pour résultat un rapport et des propositions lisibles.

Il est souhaitable qu’une démarche de long terme corrige les défauts majeurs de l’action publique : insuffisance des crédits attribués à la recherche ; nécessité d’encourager la recherche en matière d’environnement et d’adapter nos procédés de production, donc nos modes de consommation.

Un travail devrait être mené – et les propositions du rapport nous y invitent – pour conserver un équilibre entre des pôles mondiaux organisés et visibles et des pôles plus territoriaux qui doivent, à mon sens, l’être tout autant.

Les propositions 10 à 13 du rapport, relatives aux fonds régionaux, aux PME, aux financements européens et à la mise en réseau des pôles, me semblent aller dans le sens d’une nécessaire dimension territoriale des pôles de compétitivité. Elles permettront d’affirmer le lien avec le secteur de la recherche et de déboucher sur des créations d’emploi local.

M. Jean-Yves Cousin. Je voudrais également dire aux deux rapporteurs combien j’apprécie le travail remarquable qu’ils ont réalisé.

Comme M. Balligand l’a rappelé, nous avons été amenés à financer des projets dans certaines de nos entreprises, au niveau tant de la ville que de la région. Or, si nous pouvons suivre les projets au niveau de l’entreprise elle-même, nous n’avons pas de lisibilité au niveau régional ; je pense en particulier au projet Mov’eo en Normandie.

Quelle lisibilité pouvons-nous avoir quant à nos pôles de compétitivité ?

M. David Habib. Je voudrais souligner combien il a été agréable d’animer cette MEC avec les trois rapporteurs.

Les pôles de compétitivité ont seulement quatre ans, ce qui est peu dans le monde de l’entreprise et explique qu’un certain nombre d’entre eux cherche encore à trouver leur place. Accordons-leur quelques années supplémentaires avant de procéder à une deuxième évaluation et d’en tirer des jugements définitifs.

Les nombreuses personnes auditionnées sur l’évaluation des pôles en termes d’emplois ont été dans l’incapacité de nous apporter des réponses : la logique de l’emploi n’était pas le critère dominant. Or ce qui a animé les instigateurs des pôles a été la nécessité de développer la recherche, d’encourager le développement industriel, mais aussi – et peut-être surtout – de créer de l’activité. Il me semble donc nécessaire de reconsidérer les priorités en matière d’évaluation.

S’agissant de la territorialisation, il ne s’agit pas de savoir s’il y a trop de pôles de compétitivité, il s’agit de ne laisser aucun territoire à l’écart. À cet égard, il me semble que la DIACT devrait revisiter sa carte des pôles.

Les liens avec l’international ont été très peu évoqués, si ce n’est lors de l’audition des représentants de l’Aerospace Valley. Or un certain nombre de pôles auraient intérêt à permettre à leurs entreprises de travailler de concert avec des entreprises transfrontalières. Je pense en particulier aux entreprises espagnoles pour la filière carbone dans l’aéronautique. Il nous faut donc adapter les procédures.

M. Laurent Hénart. Comme François Goulard, je voudrais souligner que les pôles sont une démarche intéressante, centrée sur la ressource humaine : savoir-faire, formations, anticipation des compétences à venir, politiques de recrutement.

David Habib l’a dit, et je l’ai moi-même constaté dans l’Est de la France : l’évaluation de l’articulation entre les pôles et l’emploi – en termes de gestion prévisionnelle, d’embauches, d’amélioration des conditions de travail, de rémunérations, de qualifications des salariés – est le parent pauvre. C’est dommage car notre souci est bien de trouver des liens avec les TPE et les PME, mais aussi d’expliquer au grand public l’utilité de cette politique.

Vous avez évoqué la vague de labellisations envisagée pour de nouveaux pôles dans le domaine des écotechnologies. Quelles précautions devraient être prises pour permettre à ces pôles d’enregistrer de meilleurs résultats que ceux de la première vague, dont les performances sont très diverses ?

Enfin, comment voyez-vous l’articulation entre les évaluations dont vous faites état et les propositions que nous pourrions faire dans le cadre du grand emprunt ?

M. Jean-Claude Mathis. Les rapporteurs ont souligné la complexité des dossiers, du financement, des délais. Est-il possible d’envisager une simplification à l’avenir ?

M. Alain Claeys, rapporteur. Je tiens à rappeler que notre mission a pour but d’évaluer une politique publique.

L’espace d’une entreprise, l’espace d’un laboratoire de recherche n’a jamais correspondu à un espace territorial, que ce soit la commune, le département ou la région. Il faut le répéter dans nos assemblées locales ! L’université de Poitiers, par exemple, est liée par des contrats avec des entreprises dont aucune ne figure dans le territoire. C’est pourquoi la proposition de mise en réseau est juste. Qu’une niche de recherche présentant des potentialités importantes rejoigne un pôle de compétitivité sur la même thématique est une bonne chose.

Nous n’avons pas travaillé sur l’évaluation du crédit d’impôt recherche, mais nous prévoyons de le faire dans le cadre de la MEC.

S’agissant du pilotage, il y a une ambiguïté. On a « vendu » un label territorial pour une politique d’innovation. Après l’audit du Gouvernement, le travail mené par notre mission et le rapport de la Cour des comptes, il serait à présent utile, pour les uns et les autres, de lever cette ambiguïté. C’est le sens d’un grand nombre de nos propositions.

En ce qui concerne le financement, monsieur Goulard, lorsqu’une entreprise veut être éligible à OSÉO et un laboratoire de recherche à l’ANR, il serait intéressant de regarder s’il y a complémentarité – ce qui, en termes d’utilisation de l’argent public, est fort utile. C’est le sens de notre proposition.

Pour la gouvernance des pôles, qui est un indicateur quant aux formations, les métiers de demain me paraissent essentiels.

Vous avez soulevé, monsieur Goulard, un problème majeur : le secret en matière de recherche. Le Fonds démonstrateur de recherche, dont, en tant que rapporteur spécial, j’ai auditionné les représentants hier, détermine, sur une thématique donnée – par exemple, la voiture de demain –, les blocages technologiques et lance des appels pour savoir quels acteurs souhaitent travailler. Résultat : certains équipementiers sont plus allants pour travailler sur tel ou tel blocage technologique que les constructeurs eux-mêmes…

Enfin, je considère que la politique de notre pays en matière de propriété intellectuelle n’est pas suffisamment dynamique. Si nos PME sont moins bien placées que les PME allemandes en termes de recherche-développement, c’est parce qu’elles n’ont pas franchi une marche.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Ainsi que l’a souligné David Habid, la période d’observation des pôles – quatre ans – est très courte. Il ne faut donc pas tirer de jugements hâtifs.

Si la démarche territoriale peut aujourd’hui être contestée au regard de ses limites, elle était nécessaire : les pôles n’auraient jamais été lancés sans elle. Certes, les collectivités mettent de l’argent dans les pôles, mais les retours se font globalement. Il serait simpliste de présenter la dimension territoriale comme une erreur. Aujourd’hui, nous proposons d’aller vers une organisation en réseau.

Certains pôles partent de la recherche pour aller vers l’entreprise. D’autres partent des entreprises qui se sont regroupées pour se diriger vers la recherche, laquelle peut s’exercer ailleurs qu’en France : dans le domaine du parfum, par exemple, les essences se trouvent partout dans le monde. Avoir les deux modèles n’est pas choquant.

Soixante-et-onze graines ont été semées : quelques-unes germent, d’autres vont s’étioler, de nouvelles vont pousser. Au reste, même si les pôles de compétitivité n’existaient plus, certaines continueraient à prospérer. La filière des parfums et des cosmétiques à Chartres – dont les entreprises œuvrent aujourd’hui au sein de la Cosmetic Valley – n’existait-elle pas dix ans avant la création des pôles ? D’autres phases d’observation seront nécessaires. S’enfermer dans cette démarche territoriale serait dangereux.

Le système de financement, tel qu’il est conçu, permet une sélection naturelle : les pôles qui n’ont pas accès aux fonds s’éteignent, les autres prospèrent.

S’agissant des relations entre OSÉO et l’ANR, la formule du PDG d’OSÉO me semble intéressante : « Quand l’ANR transforme l’argent en idées, nous transformons les idées en argent. »

Comme nous l’ont expliqué les représentants du CNRS, nombre de brevets sont sur les étagères et personne ne les concrétise dans les entreprises. C’est un problème de taille ; il faudra prévoir des fonds spécifiques pour le régler.

Monsieur Carré, faire venir d’autres financiers, certes, mais, nous l’avons constaté, ils n’arrivent que lorsque tout est prêt ! J’y insiste : il faut « flécher » de l’argent pour faciliter le passage de l’idée vers l’entreprise. Si un accompagnement est nécessaire, c’est surtout dans ce domaine.

Monsieur Cousin, il n’y a pas d’indicateurs quant au suivi par les collectivités locales. Ils seraient utiles, mais il faut cependant veiller à ne pas créer une contradiction entre le territoire et le passage en réseau : il faut éviter que chaque collectivité réclame un retour, sous prétexte qu’elle a mis quelques sous dans le financement d’un pôle de compétitivité.

Monsieur Hénart, le label « éco-tech » sera attribué aux pôles existants réalisant plus de 50 % de projets de recherche dans le domaine des écotechnologies. Les nouveaux pôles devront, eux, remplir les critères dès le départ. La labellisation devra être conditionnée à des critères très précis.

M. Louis Giscard d'Estaing. Quels projets vous sembleraient justifier un recours au grand emprunt national ?

M. Alain Claeys, rapporteur. Le ministère de la recherche a réalisé un travail considérable dans son rapport général sur la stratégie nationale de recherche et d’innovation 2009. Nous connaissons les thématiques sur lesquelles nous devons porter tous nos efforts dans les années à venir, que ce soit en matière de formation ou de recherche.

En outre, toute une série de structures sont susceptibles d’apporter des financements.

À partir de là, faire un emprunt, flécher des crédits n’est pas compliqué. En termes de communication, c’est une autre affaire…

M. le président Didier Migaud. L’État intervient déjà dans les secteurs dits « stratégiques et d’avenir » et tous les outils sont en place.

Le grand emprunt a surtout pour but de faire de la communication sur ces secteurs.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Quelques pistes figurent dans le rapport, notamment en matière d’énergies renouvelables. Cela passera par les canaux classiques : les outils pour le financement sont mis en évidence dans le rapport.

Consultée, la commission autorise la publication du rapport. Elle approuve, en application de l’article 60 de la LOLF, la notification au Gouvernement des quinze propositions prioritaires de la MEC.

——fpfp——

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Mardi 7 avril 2009

– M. Laurent Blivet, manager, The Boston Consulting group, et de M. Philippe Bassot, vice-président, CM International p. 89

Mercredi 15 avril 2009

– M. Luc Rousseau, directeur général de la Compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) au ministère de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi p. 100

– M. André Syrota, directeur général de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) p. 111

– M. Emmanuel Leprince, délégué général du Comité Richelieu p. 119

– Mme Jacqueline Lecourtier, directeur général de l’Agence nationale de la recherche, accompagnée de M. Philippe Freyssinet, responsable du département Énergie durable et environnement, et de M. Ludovic Valadier, responsable du département Partenariats et compétitivité p. 128

– M. Marc Ledoux, directeur de la politique industrielle du Centre national de la recherche scientifique, accompagné de M. Arnaud Benedetti, chargé des relations institutionnelles p. 138

– Mme Marion Guillou, présidente de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), accompagnée de Mme Michèle Marin, conseillère à la présidence et de M. Gérard Jacquin, directeur de la valorisation p. 145

–  M. Hervé Bernard, administrateur général adjoint et de M. Jean-Claude Petit, directeur des programmes du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), sur l’évaluation et les perspectives des pôles de compétitivité p. 155

Mardi 5 mai 2009

– M. François Drouin, président d’OSÉO et M. Jean-Claude Carlu, responsable du programme « Pôles de compétitivité » p. 161

– MM. Pierre de Fouquet, président de l’Association française des investisseurs en capital (AFIC), Hervé Schricke, administrateur, Bernard Maître et Jean-Yves Demeunynck, délégué général p. 168

– MM. Philippe Braidy, membre du comité de direction de la Caisse des dépôts et consignations, directeur du Développement territorial et du réseau, et de M. Pascal Lagarde, directeur général de CDC Entreprises p. 176

– M. François Moisan, directeur de la Stratégie et de la recherche de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) p. 184

Mardi 12 mai 2009

– M. Pierre Dartout, délégué interministériel à l’aménagement et à la compétitivité du territoire. p. 189

– M. David Appia, président de l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII), ambassadeur délégué aux investissements internationaux p. 195

– M. Jean-François Roubaud, président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) p. 201

– M. Jean-Marie Rouiller, président de France Clusters-CDIF, accompagné de MM. Xavier Roy, directeur de France Clusters, et Paul Robert, chargé des relations avec le Parlement p. 210

– M. Paul Rivault, président du pôle Mobilité et transports avancés et M. Jacques Lacambre, président du pôle Mov’eo, Mme Sylvie Faucheux, présidente de l’Université Versailles-Saint-Quentin et vice-présidente du pôle Mov’eo ; M. Gérard Yahiaoui, vice-président du pôle Mov’eo chargé des PME ; M. Serge Gregory, délégué à la direction des relations extérieures de PSA-Peugeot- Citroën, secrétaire du bureau de Mov'eo et membre de son conseil d'administration p. 218

– M. Jean-Luc Ansel, directeur général du pôle Cosmetic Valley p. 228

Mercredi 27 mai 2009

– M. Joseph Grimaud, président du pôle Enfant, et M. Patrick Blondeau, directeur général. p. 236

–  M. Jean-Marc Thomas, président du pôle Aerospace Valley et Mme Agnès Paillard, directrice générale. p. 251

Mercredi 3 juin 2009

–  M. Jean-Daniel Tordjman, ambassadeur délégué aux pôles de compétitivité p. 261

Mercredi 10 juin 2009

–  M. François Moutot, directeur général de l’Assemblée permanente des chambres métiers et de l’artisanat p. 269

Mercredi 24 juin 2009

–  M. Philippe Laval, directeur général délégué de l’Institut national de la propriété industrielle p. 274

COMPTE RENDU DES AUDITIONS

Audition du 7 avril 2009

À 11 heures : MM. Laurent Blivet, manager, The Boston Consulting Group, et Philippe Bassot, vice-président, CM International

Présidence de M. David Habib, Président

M. David Habib, Président. C’est la première matinée que la mission d’évaluation et de contrôle dédie aux pôles de compétitivité. Nos rapporteurs devront rendre un rapport consensuel. Notre mode de fonctionnement exige cette capacité à rapprocher des positions qui pourraient initialement être divergentes.

Je salue MM. Laurent Blivet et Philippe Bassot, coordonnateurs d’un rapport d’évaluation sur les pôles de compétitivité rendu en juin 2008, ainsi que M. Gérard Moulin, président de section à la Cour des comptes, qui a accepté de nous accompagner pendant ces matinées et qui nous apportera un éclairage précieux.

L’évaluation des pôles de compétitivité avait été prévue dès leur mise en place. Elle était presque inscrite dans les gènes de cette stratégie de reconquête économique mise en place par les gouvernements. Le temps vient désormais d’y procéder. Notre collègue Alain Claeys a engagé une réflexion cet été sur ce thème. Il lui a paru nécessaire de la transformer en une mission d’information. C’est l’enjeu du travail que nous débutons aujourd’hui.

Dans l’esprit de dialogue qui doit guider nos travaux, je vous propose de commencer par une série de questions.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Les intervenants pourraient-ils nous rappeler rapidement le contexte de l’évaluation qu’ils ont menée, et exposer les principales difficultés qu’ils avaient anticipées, et celles qu’ils ont réellement rencontrées ?

M. Laurent Blivet, manager, The Boston Consulting Group. Merci de votre invitation. Nous sommes très contents de pouvoir vous présenter les résultats et la méthodologie de cette démarche d’évaluation. Elle a été conduite entre novembre 2007 et juin 2008 pour le compte du comité de pilotage des pôles, qui inclut des représentants des administrations centrales, des collectivités locales, et des personnalités qualifiées. Elle avait à la fois pour objectif de formuler un diagnostic et une évaluation du dispositif national des pôles de compétitivité, et de présenter des recommandations pôle par pôle.

Dans le cadre de ce projet, le cabinet de conseil où je suis manager, le Boston Consulting Group, et moi-même, nous sommes concentrés avant tout sur le dispositif national et sur l’évaluation de quelques pôles.

M. Philippe Bassot, vice-président, CM International. Notre cabinet est quant à lui plus particulièrement intervenu sur l’évaluation des pôles de compétitivité eux-mêmes.

M. Laurent Blivet. L’évaluation nationale s’est très fortement appuyée sur ce que nous avons vu dans les 71 pôles. Réciproquement, nous avons inscrit nos analyses sur chacun de ces 71 pôles dans un cadre cohérent au regard de l’analyse de la politique nationale.

Le contexte ? L’analyse a commencé deux ans et demi après le lancement des pôles de compétitivité, sachant que certains pôles avaient été créés plus tard et ne présentaient donc pas la même maturité. Ce délai est assez long pour pouvoir tirer de premiers enseignements. Il doit cependant être aussi mis en perspective avec le temps des cycles de l’innovation. La demande envers les porteurs de projets était celle d’un projet arrivant à maturité sous trois à quatre ans. D’où une première difficulté méthodologique que nous avions anticipée, et sur laquelle nous avions engagé dès le début de l’étude un dialogue à la fois avec le groupe de travail interministériel (GTI) et le comité de pilotage, pour bien cadrer le niveau d’attente et de priorité de l’évaluation. Le recul ne nous permettait pas encore d’évaluer l’impact direct de l’ensemble des projets. En revanche, nous pensions, et nous pensons toujours que, sur la structuration des pôles et le lancement des projets d’amorçage, nous pouvions effectuer des analyses et des évaluations pertinentes.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Combien d’experts ont-ils travaillé sur ces analyses ?

M. Laurent Blivet. Pour l’analyse du dispositif national, nous étions, à temps plein, une équipe de trois personnes. Nous avons entendu une cinquantaine d’experts, parties prenantes au dispositif, membres de la communauté des économistes travaillant sur ces questions, scientifiques travaillant sur l’innovation, ou au sein d’institutions impactées par le dispositif des pôles. Nous avons aussi fait intervenir le réseau des experts du Boston Consulting Group, spécialistes des questions sectorielles abordées, pour déterminer si, dans leur secteur d’activité, les pôles étaient convenablement positionnés.

M. Philippe Bassot. Pour l’analyse individuelle des pôles, nous étions six. Environ 800 personnes ont été entendues, soit une dizaine de personnes au sein de chaque pôle et les acteurs des territoires travaillant avec les pôles : agents et élus de collectivités locales, personnels des services déconcentrés de l’État, de la Caisse des dépôts, d’OSÉO…

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Avez-vous choisi vous-mêmes les personnes interrogées, ou avez-vous été conseillés par les services de l’État ?

M. Philippe Bassot. Il a été demandé à chacun des directeurs de pôles de nous communiquer une liste de personnes à rencontrer. Cette liste a fait l’objet d’une double validation, à la fois par notre correspondant local en charge du suivi du pôle, souvent le directeur régional de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE), et par le membre du groupement interministériel qui suivait le pôle, de façon à vérifier que cette liste offrait bien une bonne représentation des acteurs du pôle.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Considérez-vous que les données que vous avez recueillies étaient suffisantes ? Estimez-vous que vous avez disposé de suffisamment de données pertinentes pour effectuer une estimation correcte des pôles qui ont commencé à fonctionner le plus tardivement ?

M. Philippe Bassot. Non, pas complètement. De ce fait, ces pôles ont tous été classés en catégorie 1. Certains d’entre eux n’avaient réellement commencé à fonctionner que depuis six mois. Leur appliquer les mêmes critères qu’aux autres n’avait pas véritablement de sens.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. L’annonce par le Gouvernement, le 23 juin 2007, de la pérennisation de la politique des pôles de compétitivité ne vous a-t-elle pas gêné dans votre analyse ?

M. Philippe Bassot. Il faut, me semble-t-il, dissocier le choix du Gouvernement de continuer à mettre en œuvre la politique nationale des pôles de compétitivité, qui nous semble globalement bonne, et l’analyse de chacun des pôles, certains tirant mieux que d’autres leur épingle du jeu. La décision du Gouvernement ne nous a pas posé de difficulté pour l’évaluation de chaque pôle ni pour leur classement.

M. David Habib, Président. Votre rapport a été réalisé par un groupement privé, à la demande de l’État. Dans quelles conditions le marché vous a-t-il été concédé ?

M. Philippe Bassot. C’était un appel d’offres ouvert.

M. David Habib, Président. Quel était le montant de ce marché ?

M. Philippe Bassot. De mémoire, un peu moins de 800 000 euros.

M. David Habib, Président. Vous exposez dans vos travaux que le rapport que vous avez élaboré n’engage pas la Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires (DIACT). Pourtant, il est publié à la Documentation française sous le timbre de la DIACT. Quel est donc son statut ? Avez-vous vraiment pu bénéficier d’une liberté d’investigation alors que l’État apparaît si présent dans la démarche ?

M. Philippe Bassot. Nous avons procédé comme souvent dans les démarches d’évaluation de politiques publiques. Notre proposition, qui semble-t-il a été considérée comme la plus adaptée à la problématique, comportait une méthodologie. Trois niveaux de l’État étaient impliqués : la DIACT, qui était chef de projet et avec qui nous avions des contacts, le comité de pilotage, composé d’une cinquantaine de personnes et qui regroupait bien au-delà de l’État, et le groupement interministériel, qui rassemble les services des différents ministères en charge du suivi des pôles. Nous avons présenté régulièrement des analyses d’étape, puis le rapport final d’évaluation individuelle de chacun des pôles. L’État a joué son rôle de chef de projet et d’animation d’un comité de pilotage pluridisciplinaire.

M. David Habib, Président. Les services de l’État sont-ils intervenus dans la rédaction du rapport ?

M. Philippe Bassot. Pour ce qui me concerne, non.

M. Laurent Blivet. Même réponse. Nous avions des contacts au moins hebdomadaires avec la DIACT, pour vérifier que nous rencontrions bien les interlocuteurs pertinents des pôles et que nous n’oubliions pas des interlocuteurs qu’elle-même, les collectivités territoriales ou les services déconcentrés percevaient comme importants. Nous avions des contacts au moins mensuels avec le comité interministériel : par exemple, le questionnaire que nous avons transmis aux pôles a été relu avec ce comité de travail, de façon à vérifier que nous parlions bien le même langage, et que nos formulations étaient compréhensibles et conformes au vocabulaire habituellement utilisé dans le milieu des pôles. Nous souhaitions nous enrichir de l’expérience forte de la DIACT, du comité de pilotage et du GTI.

Nous avons choisi les experts de façon absolument autonome. Lorsque nous sollicitions une institution, nous en informions la DIACT. En revanche, à aucun moment, celle-ci ne nous a orientés vers un expert particulier ou interdit d’en rencontrer un autre. Le rapport est la version rédigée de la présentation que nous avons élaborée pour le comité de pilotage, en juin. La DIACT n’a pas influencé les recommandations que nous avons faites.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quel indicateur vous semblerait pertinent pour mesurer l’impact des pôles sur l’emploi ? La notion de zone géographique est-elle pertinente ? La crise montre que lorsqu’un secteur d’activité s’effondre, il le fait de façon globale. Une des forces des pôles devait être de tirer parti de la forte présence d’un même secteur d’activité dans un endroit donné, notamment pour la sous-traitance. La construction d’un territoire national plus homogène ne serait-elle pas plus pertinente en situation de crise ?

M. Philippe Bassot. Eu égard au caractère récent des pôles, nous n’avons pas procédé à une mesure de leur impact sur le développement économique, l’attractivité des territoires ou l’emploi. Cela ne paraissait pas possible après seulement trois ans d’activité théoriquement, et en réalité deux ans et demi ou moins encore.

Pour évaluer l’impact des pôles sur l’emploi, il aurait fallu disposer d’indicateurs au moment de leur lancement. Cela n’a pas été le cas. Établir, avec l’aide de l’INSEE, de tels indicateurs, permettrait de mesurer cet impact à partir d’aujourd’hui.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Il faudrait créer un point de départ de référence ?

M. Philippe Bassot. Ce point de départ est en effet en cours de création, puisque, de façon plus complète qu’en 2006, l’État, dans le nouveau contrat de performance des pôles, leur demande de respecter une grille d’indicateurs assez complète. Cela dit, l’emploi n’y figure pas. Pourquoi ? Les équipes des pôles sont souvent très réduites. Elles ne disposent ni des moyens ni de la légitimité pour demander à 350 PME membres d’un pôle quels sont leurs effectifs et en suivre l’évolution sur plusieurs années.

Mesurer l’impact sur l’emploi que peut avoir la participation d’une entreprise à un pôle soulève en outre des difficultés méthodologiques. Il n’est donc pas sûr que l’emploi soit le bon indicateur des pôles, même si nous souhaitons nous y intéresser.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Avez-vous prévu une deuxième phase d’audit, plus ciblée sur l’emploi ? Si le développement d’un dispositif destiné à accroître la création d’entreprises devait s’accompagner d’une hausse du chômage, son utilité pourrait être mise en doute, qu’en pensez-vous ?

M. Philippe Bassot. Cette évaluation devrait reposer sur des analyses comparées, par secteur, des évolutions des taux de croissance de l’emploi dans des entreprises faisant partie de pôles et dans d’autres ne s’y trouvant pas. Elle devrait être conduite sur l’ensemble des secteurs. Le cadre fixé pour notre mission ne nous a pas amenés à nous intéresser à cette question. Je ne connais pas les projets de l’État pour la future deuxième vague d’évaluation. En revanche, certaines régions s’y intéressent.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Si l’emploi n’est pas un bon critère d’évaluation, lequel proposez-vous ?

M. Laurent Blivet. L’ensemble des parties prenantes aux pôles – et les pôles eux-mêmes – ont pour objectif ultime la création d’emplois. La complexité, de mon point de vue, vient de ce que la géographie de l’innovation n’est pas forcément celle de la création d’emploi. Les centres de recherche d’une entreprise peuvent être situés dans une région, et parties prenantes à un pôle, tandis que ses centres de production sont situés dans une autre. L’emploi créé par l’innovation l’est alors dans une région qui n’est pas celle où est implanté le pôle innovant. Cela induit une difficulté de mesure et explique le besoin d’une analyse au plan national pour évaluer la contribution des pôles à la création d’emploi.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Peut-on aujourd’hui déterminer le nombre d’emplois dus à la création des pôles ?

M. Philippe Bassot. Selon moi, les pôles ont été créés pour remédier au faible niveau de recherche et développement des entreprises privées françaises au regard de la moyenne européenne. Leur existence a d’abord pour objet d’accroître la recherche et le développement, ainsi que l’innovation, dans les entreprises, et de favoriser tant les partenariats public-privé que les partenariats privé-privé. La traduction de cet effort d’innovation en emplois et en compétitivité est une étape ultérieure. L’impact direct des pôles sur l’emploi me semble difficile à mesurer. Il faudra peut-être élaborer une méthodologie très fine à cet effet.

Aujourd’hui, nous ne sommes pas capables de déterminer combien d’emplois ont été créés directement par les pôles, à part dans les structures associatives qui les dirigent.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quelle a été votre méthodologie pour évaluer les pôles de compétitivité et porter un avis pertinent sur la politique publique des pôles ? Par cette politique, l’État souhaite, en s’appuyant sur la recherche et le développement, donner à terme une dynamique plus forte à l’économie du pays.

Comment vous y êtes-vous pris pour collecter ces données, les agréger, les consolider, et ensuite pouvoir porter un jugement sur la politique publique ? N’y a-t-il pas un risque de subjectivité ?

M. Laurent Blivet. Ce risque existe en effet, d’autant que dans les interventions publiques et les documents officiels, la formulation et la description des objectifs de la politique des pôles de compétitivité sont assez larges.

Nous avons d’abord vérifié que nous avions bien compris les objectifs de la politique publique nationale – qu’il ne nous revenait pas de remettre en cause – , ainsi que ceux que chaque pôle s’était donnés à lui-même dans la phase de labellisation.

Nous avons collecté des données, interrogé des acteurs, analysé les différents modèles élaborés en vue d’atteindre des objectifs comparables ou similaires. Nous voulions nous faire une idée de l’adéquation entre les moyens mis en œuvre et ces objectifs. Pour l’évaluation pôle par pôle, nous avons confronté la réalité – ou notre perception des réalisations de chacun des pôles – aux objectifs que chaque pôle s’était fixé dans son cahier des charges et ses documents internes. Nous avons procédé de même pour l’évaluation de la politique nationale. Où en était la réalisation des objectifs ? Les moyens pour s’en approcher étaient-ils optimaux ?

Courant janvier 2008, nous avons organisé une collecte assez large de données, via un questionnaire informatique. Nous y demandions aux pôles leur évolution en termes de structuration, de partenariat, de formation, bref dans chacune des dimensions du cahier des charges de l’étude. Il s’agissait de disposer d’une grille pour discuter avec eux, de notations aussi standardisées que possible – vous avez raison de remarquer qu’il y a là un problème méthodologique – et d’une base de données complète de l’ensemble des financements mobilisés par les pôles, laquelle n’existait pas jusque-là.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quelle a été la contribution des pôles dans la fourniture de ces informations ? N’ont-ils pas perçu votre démarche comme inquisitoriale ? Elle a en effet conduit à un classement… Quels ont été les critères de celui-ci ?

M. Philippe Bassot. La collaboration des pôles a été très bonne. Depuis leur création, ils reçoivent de nombreux questionnaires, évaluations, demandes ou propositions de services. Ils ont joué le jeu de l’évaluation, et ont tous répondu au questionnaire.

Nous avons ensuite organisé des déplacements dans les pôles par équipes de deux. Pendant un ou deux jours, nous y avons rencontré leurs acteurs. Cette procédure, conduite dans les 71 pôles, a duré deux mois et demi. Les pôles nous ont vraiment facilité la tâche d’organisation de ces entretiens.

Nous arrivions dans une logique moins inquisitoriale que d’échange, pour vérifier si les pôles avaient une stratégie, une gouvernance bien outillée, et pour, comme dans un audit, consulter les documents correspondant aux réalisations qu’ils nous avaient dit conduire dans leurs réponses au questionnaire. Ce deuxième niveau d’évaluation a été caractérisé par la discussion avec la gouvernance du pôle sur les réponses au questionnaire. Les équipes de gouvernance ne sont pas toujours homogènes : elles peuvent comporter un responsable de PME, le vice-président d’un grand groupe chargé de la recherche, un universitaire... Échanger avec ces voix diverses permet de recouper l’information.

Enfin, un troisième niveau a été constitué par les entretiens avec les collectivités locales ou les services déconcentrés de l’État à propos des pôles relevant de leurs territoires. Au contraire de ce que je craignais, ces entretiens ont été très francs. Nos interlocuteurs avaient très souvent une vision objective des forces et faiblesses des pôles.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Dans quelle mesure votre classement en trois catégories est-il fondé sur des critères précis ?

M. Philippe Bassot. Nous n’avons pas voulu fonder notre évaluation ni notre classement seulement sur l’obtention de financements grâce au montage de projets présentés au fonds unique interministériel (FUI). La question que nous nous sommes posée, profitant de l’expérience européenne des clusters, c’est : en trois ans, qu’est-ce qu’un pôle devait avoir été capable de faire ?

Nous avons considéré que le minimum était premièrement qu’il ait élaboré une stratégie, deuxièmement qu’il dispose d’une gouvernance fonctionnelle : un conseil d’administration qui se soit réuni, un bureau qui ne soit pas pléthorique et qui se soit aussi réuni, un comité de sélection des projets dont la composition diffère de celle du bureau, un processus écrit d’élaboration des projets, où l’on perçoive bien l’existence d’un processus de sélection, et qui comporte des indicateurs et des critères. Construire un tel processus est, au départ, le cœur de métier des pôles. La stratégie devait être compréhensible et ne pas être la simple superposition de celles des quelques grands groupes qui éventuellement pilotaient le pôle. Le troisième grand critère était la dynamique du pôle. Combien d’adhérents a-t-il et comment leur nombre a-t-il évolué, quels sont les moyens humains dont il dispose ? Ces critères permettent éventuellement de faire apparaître de graves dysfonctionnements. Les pôles classés en catégorie 3 ne l’ont pas été tous pour la même raison, mais en général ils étaient en échec sur au moins deux de ces trois critères de gouvernance, de dynamique et de stratégie.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Il y avait des notes éliminatoires ?

M. Philippe Bassot. En effet ; les pôles franchement en échec sur deux de ces trois critères ont systématiquement été classés en catégorie 3.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pour faire partie des 39 pôles classés en catégorie 1, il fallait réussir sur les trois critères ?

M. Philippe Bassot. Oui. Les 19 pôles classés en catégorie 2 étaient en général en échec sur un des trois critères. Il y a cependant bien sûr continuité entre le dernier d’un groupe et le premier du suivant.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Pouvait-on prévoir à l’avance quels seraient les pôles classés en catégorie 3 ?

M. Philippe Bassot. Je ne crois pas. Les pôles classés dans cette catégorie ne l’ont pas tous été pour les mêmes raisons. Ce n’est pas une question de potentiel. Certains petits pôles réussissent très bien comme tels, tandis que des pôles très importants et à très fort potentiel ne réussissent pas du tout. Je ne suis donc pas sûr que la prévision était possible.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Auriez-vous proposé de délabelliser certains pôles si vous en aviez eu le pouvoir ?

M. Philippe Bassot. Oui. Cependant, à la réflexion, leur avoir accordé un délai d’un an supplémentaire pour redresser la barre est sans doute une bonne idée. Après trois ans de fonctionnement, ou plutôt deux pour ceux qui sont classés en catégorie 3 – ces pôles ont eu en général un démarrage laborieux –, la sanction aurait été trop abrupte.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Peut-on considérer que certains des 13 pôles de la catégorie 3 n’auraient pas dû exister ? Au départ, on envisage de créer un certain nombre de pôles, puis chacun réclame le sien, trop de pôles sont créés, et des audits sont lancés pour en réduire le nombre. Ce type de démarche peut aboutir à des gaspillages d’argent public. Je connais un pôle, Cosmetic Valley, qui existait avant d’être labellisé. Ses acteurs se sont organisés sur le modèle des futurs pôles dix ans avant leur création.

M. Philippe Bassot. Il est difficile de répondre : dans l’évaluation, nous n’avons remis en cause ni le potentiel des pôles ni la justesse de leur labellisation. Ce n’était pas la commande.

Fallait-il labelliser 15 pôles de dimension mondiale regroupant une grande partie du potentiel scientifique et technologique français, ou conduire aussi une politique de développement économique régional, où de petits pôles rassemblent les forces vives dans un secteur ? Je n’ai pas la bonne réponse mais en tout cas l’argument du gaspillage doit être relativisé. Je crois me souvenir que 80 % ou 85 % des financements publics (FUI, OSÉO, ANR notamment) sont concentrés sur 15 pôles.

M. Laurent Blivet. La structuration du dispositif, avec l’appel à projets national, aboutit de fait à une concentration des ressources financières, ce qui relativise la crainte d’une dispersion des financements.

M. Philippe Bassot. La politique des pôles aboutit à concentrer l’allocation de ressources des collectivités locales : l’État consacre des ressources à cette politique, mais les régions aussi. Depuis la création des pôles, les collectivités (même si parfois certaines d’entre elles avaient manifesté des réticences devant ce qui leur apparaissait comme une politique décidée d’en haut) se sont prises au jeu. Le financement des pôles est devenu un élément très fort de la politique régionale en faveur du développement économique.

À la limite, on pourrait conclure qu’il existe deux sortes de pôles : des pôles de dimension mondiale, financés de façon plus privilégiée par l’Agence nationale de la recherche (ANR) et l’État, et d’autres, de dimension plus nationale ou régionale que mondiale, pris en charge d’abord par les collectivités.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Pourriez-vous développer vos propos sur la gouvernance des pôles ? Les structures ne sont-elles pas trop complexes ?

M. Philippe Bassot. Je ne le pense pas. Un conseil d’administration, un bureau, un comité des financeurs et un comité de sélection semblent certes former beaucoup d’instances pour un petit pôle de compétitivité. Cela dit, les pôles font partie des rares organisations disposant d’un financement dédié, en l’occurrence le FUI, qui comporte un processus de labellisation conditionnant la présentation des projets aux financements nationaux. Pour des raisons de transparence et d’éthique, il est important, à nos yeux, qu’un tel type de fonctionnement soit institué. Par ailleurs, entre 3 et 20 personnes, quel est le bon effectif d’une équipe ? Les situations sont si diverses qu’il est difficile de le dire.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Avez-vous chiffré les coûts de la gouvernance, les effectifs et le nombre d’heures qui y sont affectés ?

M. Philippe Bassot. Oui.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Les résultats sont-ils cohérents avec la dimension et le classement des pôles ?

M. Philippe Bassot. De mémoire, oui.

M. Laurent Blivet. Sur la base des déclarations faites, le coût des structures de gouvernance, ou plutôt d’animation, des pôles est de 44 millions d’euros en 2007, hors contributions directes des entreprises en personnel ou en moyens.

La dimension de la structure d’animation est en général cohérente avec les subventions sollicitées, et obtenues des financeurs, même si des variations peuvent être observées d’un appel à projet à l’autre, ou lorsque le pôle se donne des missions nouvelles. Cela dit, nous ne sommes pas capables de préconiser quelle devrait être la structure d’un pôle en personnel et en dépenses d’animation au regard de critères comme, par exemple, le montant des financements obtenus du FUI, de l’ANR ou d’autres financeurs. La raison en est que chaque pôle a défini pour lui-même, en accord avec ses mandants, ses propres priorités. Ce que nous avons exprimé dans notre rapport, c’est que nous avons vu des réalisations et des organisations intéressantes dans le cadre d’un spectre très large de focalisation des différents pôles, de taille des pôles, d’ambitions technologiques ou industrielles de chacun d’eux.

Nous avons été surpris par des pôles qui, alors qu’ils ne remplissaient pas les critères intuitifs de labellisation, ont su catalyser des dynamiques locales, et trouver des zones de compétence et de valeur ajoutée en cohérence parfaite avec les acteurs locaux, acteurs industriels, scientifiques, de recherche ou collectivités territoriales.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Après cet audit, seriez-vous en situation d’établir un guide des bonnes pratiques ?

M. Philippe Bassot. Nous pourrions en tout cas en répertorier quelques-unes. Nous en indiquons certaines dans notre ouvrage.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous faites état d’un exemple d’attitude directive de l’Etat dans la gouvernance des pôles. Est-ce un phénomène général ? Est-ce lié au financement ?

De plus, l’équilibre entre coût de la gouvernance et cotisations des membres est-il satisfaisant ? Un risque n’existe-t-il pas de créer des structures nouvelles qui n’aient pas forcément de projets à gérer ? Je suis un peu effaré du nombre de structures que l’on crée en France dans le domaine économique, et qui toutes tendent à devenir durables...

M. Laurent Blivet. Le risque qu’une nouvelle structure vienne s’ajouter au maquis de celles qui se consacrent au développement économique est réel. Le seul moyen de le prévenir est de maintenir la pression sur le financement des projets des pôles – elle s’exerce assez bien via les appels à projet –, mais aussi de leurs structures. Le message doit être très clair : les pôles qui n’arriveront pas à faire la preuve de leur valeur ajoutée, et donc à présenter des réalisations concrètes dues à leur action, seront délabellisés et auront vocation à disparaître.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pourra-t-on politiquement opérer des délabellisations ? Au contraire, ne verra-t-on pas perdurer des structures tournant à vide ?

M. Laurent Blivet. Dans le rapport, nous expliquons qu’une logique de contractualisation, comportant des objectifs initiaux très clairs et explicites, rendra plus faciles pour les financeurs les décisions de délabelliser, ou de réduire massivement les subventions de la structure du pôle. Nous avons écrit que les objectifs de la première phase des pôles, pôle par pôle, n’étaient pas suffisamment explicites.

Comment créer les conditions d’un contrôle efficace de l’action de la structure des pôles ? Nous avons prôné une logique de contractualisation dans la durée. Nous avons vu des pôles développer des stratégies quasiment au mois le mois pour solliciter des financements auprès de tel ou tel financeur. Ce type de fonctionnement ne nous paraît pas de nature à inscrire l’action des pôles dans la durée de l’innovation.

M. Philippe Bassot. Outre leur conseil d’administration, les pôles ont deux patrons : les régions et l’État. Les régions financent parfois plus de 50 % du fonctionnement des pôles. Dès lors elles sont en droit d’attendre des types d’action correspondant à leurs souhaits. Cette double dépendance n’est pas facile à gérer.

L’impression de dirigisme est peut-être due au message un peu brouillé venu des différents ministères lors du démarrage. La politique des pôles est une politique interministérielle : or tous les ministères, auxquels il faut ajouter de grands organismes de l’État, n’ont pas forcément la même vision de ce que doit être l’action d’un pôle. Les messages passés ont été parfois assez contradictoires.

Une approche trop administrative a pu être aussi un élément peu positif. En fonction des fonctionnaires de référence, les pôles doivent parfois rendre des comptes facture par facture, déplacement par déplacement. La contractualisation permet d’introduire une logique non pas de moyens, mais de résultats.

Dans la majorité des pôles, la cotisation des entreprises est faible. Se pose alors la question du rééquilibrage entre le privé et le public. Cela dit, beaucoup d’entreprises, notamment les grandes, mettent à disposition des pôles du personnel une, deux ou trois personnes à temps plein. C’est un facteur de meilleur équilibre.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. On a le sentiment d’avoir affaire à deux types de pôles, les quinze pôles à vocation nationale, pour lesquels le critère principal serait la recherche et des retombées à long terme, et des pôles à caractère plutôt régional, apparaissant plus comme des instruments d’aménagement, et où le critère principal serait plutôt l’emploi, et l’accroissement des recettes de la taxe professionnelle. Un clivage semble s’installer.

M. Laurent Blivet. Au regard de certains indicateurs, ce point de vue me semble correspondre à une certaine réalité. La complexité apparaît lorsqu’on demande aux pôles, sur la base de cette dichotomie, où ils se situent aujourd’hui et où ils se situeront dans cinq ans. Leur perception n’est pas forcément celle que vous venez d’exprimer.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Considérez-vous qu’au sein des pôles, l’équilibre est assuré entre les PME, les grandes entreprises et les laboratoires de recherche ? Les pôles ont-ils la culture du benchmarking ? Connaissent-ils l’action de leurs concurrents à l’international, s’en imprègnent-ils, ou cette question les dépasse-t-elle totalement ?

M. Philippe Bassot. De façon générale, l’équilibre entre grandes entreprises et PME n’est pas mauvais. Pour une fois en France, un dispositif ancre les grandes entreprises à la fois sur leur territoire et dans le partenariat public-privé et privé-privé. N’oublions pas que les PME dont nous parlons sont des PME innovantes, donc situées en haut de la pyramide : avant d’innover en collaboration, il faut être capable d’innover tout court. Les laboratoires sont également représentés en termes de projets ; cependant, en termes de gouvernance, il reste encore un peu de chemin à faire.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Comment aider les PME à innover ? Pensez-vous que les acteurs de la recherche, de l’enseignement supérieur et de l’innovation sont vraiment impliqués dans les pôles ?

M. Laurent Blivet. Nous avons écrit dans le rapport que le dispositif des pôles gagnerait à être renforcé par des liens avec d’autres dispositifs d’appui à la recherche ou de réflexion stratégique de grandes institutions de recherche. Nous nous sommes aperçu que les frontières pouvaient être encore relativement étanches entre certaines institutions, et que le dispositif pourrait être plus efficace s’il était mis en résonance avec d’autres initiatives. L’enthousiasme local gagnerait à être relayé par une mise en cohérence avec des initiatives nationales.

M. Philippe Bassot. Selon moi, la question clé pour les PME est le conseil en propriété intellectuelle. Dans les partenariats public-privé et privé-privé, ce qui achoppe, une fois les contrats prêts, c’est la répartition des droits. Une PME qui négocie avec un grand groupe dispose rarement des compétences pour gérer ce point. Les universités conduisent des activités de valorisation de recherche publique et sont donc censées détenir une compétence en gestion de la propriété intellectuelle ; elles pourraient rendre un vrai service aux PME de leur pôle pour les aider à mieux protéger leurs intérêts dans ce domaine. Cela dit, dans beaucoup de pôles, des services d’accompagnement se mettent en place au profit des PME pour les aider à monter des projets innovants.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. La politique des pôles est-elle un outil d’aménagement du territoire, un outil de développement de la recherche ou un outil de fédération entre les PME, les grandes entreprises, les laboratoires et les collectivités territoriales ?

M. Philippe Bassot. Pour moi, c’est plutôt un outil de fédération.

M. Laurent Blivet. Pour moi, cette politique peut être un outil pour chacune de ces trois actions, de façon différenciée dans chacun des pôles. La politique des pôles est suffisamment flexible pour le permettre.

M. David Habib, Président. Merci à vous.

Audition du 15 avril 2009

À 9 heures 30 : M. Luc Rousseau, directeur général de la Compétitivité,
de l’industrie et des services du ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi

Présidence de M. David Habib, Président

M. David Habib, Président. Monsieur le directeur général, nous vous remercions de votre disponibilité. Nous avons tenu à vous recevoir aussitôt après les représentants des deux cabinets ayant réalisé de novembre 2007 à juin 2008 l'évaluation des pôles de compétitivité, à savoir CM International et Boston Consulting Group, afin d’évoquer avec vous les grands axes de la stratégie des pôles.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Monsieur le directeur général, pouvez-nous préciser la place qu’occupent les pôles de compétitivité dans le dispositif recherche et innovation ? Qui les pilote ? Qu’en est-il par ailleurs de l’exécution budgétaire, de l’implication des PME et des grandes entreprises ? Enfin, comment voyez-vous les perspectives 2009-2011 ?

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Les pôles de compétitivité, lancés en 2004, se situent au carrefour de la politique d’innovation, de la politique industrielle et de l’aménagement du territoire. La multiplicité des objectifs qui leur a été assignée a-t-elle nui à leur cohérence d’ensemble et à leur efficacité ?

Lors du premier appel à projets, 67 pôles ont été labellisés sur 105 candidatures. Cela ne traduit-il pas un certain manque de sélectivité, sachant que près de 85 % des aides de l’État bénéficient aux quinze pôles ayant une audience nationale, les autres répondant davantage à des préoccupations d’aménagement du territoire ? Ne faut-il pas remettre en cause le grand nombre de pôles existants ? En effet, si les pôles sont plus des outils d’aménagement du territoire que des outils de soutien à la recherche, en cas de catastrophe industrielle ou de crise dans un secteur, c’est toute la région concernée qui se trouve alors sinistrée.

Les pôles français ont-ils par ailleurs atteint une taille critique suffisante leur permettant de traiter d’égal à égal avec nos concurrents ?

M. Luc Rousseau, directeur général de la Compétitivité, de l’industrie et des services. Le dispositif des pôles de compétitivité a été lancé sur la base d’un diagnostic des forces et des faiblesses du système industriel français et de sa capacité d’innovation. Ce diagnostic a fait apparaître des succès industriels dans les secteurs de l’espace, l’aéronautique, de l’automobile ainsi que la qualité des équipes, mais aussi une faible coopération entre les différents acteurs du fait d’un certain individualisme.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La mise en place des pôles de compétitivité a-t-elle modifié la politique d’innovation de l’État en permettant de la rationaliser ?

M. Luc Rousseau. À l’instar de ce qu’avaient lancé les Japonais, des succès ont été obtenus à l’étranger, en particulier en Suède, au Danemark, aux États-Unis ou encore en Corée. On voit que lorsque l’on réunit des acteurs complémentaires sur un espace restreint, on gagne en efficacité. Une telle démarche n’étant pas spontanée en France, des pôles ont été créés, précisément pour faciliter la mise en relation de trois catégories d’acteurs principaux : les établissements d’enseignement, les établissements de recherche et les entreprises.

Le paysage de l’aide financière à l’innovation n’est pas si complexe en France : on ne compte, outre les pôles, côté État, que OSÉO, suite à la fusion de cette agence avec l’AII, et au niveau européen, existent le programme-cadre de recherche et développement technologique (PCRDT) et le programme EURÊKA.

La demande d’aide peut être individuelle. OSÉO apporte ainsi son soutien aux PME comptant jusqu’à 5 000 personnes, pour des projets innovants proches du marché. En cela, elle se différencie de l’Agence nationale de la recherche (ANR) qui s’intéresse au progrès scientifique, mais qui n’a pas pour mission de vérifier si un débouché sur le marché existe, et encore moins de quantifier ce débouché. Lorsqu’une entreprise s’adresse à OSÉO, elle doit présenter ses perspectives commerciales – son business plan – et la façon dont elle entend devenir compétitive sur le marché.

Avec les pôles, la démarche est beaucoup plus coopérative. Il s’agit de faire en sorte que les différents acteurs se rencontrent et créent des projets ensemble. La première strate de projets concerne la recherche et développement (R&D) collaborative et l’innovation.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Comment expliquez-vous que les crédits de l’Agence nationale de la recherche n’aient fait qu’augmenter, s’agissant de la recherche fondamentale ?

M. Luc Rousseau. Pour être également administrateur de l’ANR, je puis préciser que si ses crédits ont augmenté les premières années, ils sont stables depuis deux ans. Quoi qu’il en soit, l’ANR n’a pas de dispositif consacré à la compétitivité. Elle s’intéresse presque exclusivement aux appels à projets thématiques, dont les acteurs sont à 83 % des acteurs académiques et à 17 % des entreprises qui peuvent être ou non situés dans la zone d’un pôle. Logiquement, les projets académiques ou à dominante académique ne sont pas pris en charge par le dispositif dont j’ai la co-animation, à savoir le fonds unique interministériel (FUI), qui finance les projets de recherche et développement collaboratifs des pôles de compétitivité. Il n’y a donc pas de concurrence entre ANR et FUI.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Selon vous, qu’ont apporté les pôles de compétitivité au dispositif français de politique d’innovation ?

M. Luc Rousseau. D’abord, des projets : 626 ont ainsi été soutenus jusqu’au début 2009.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Sur la période 2006-2008, le FUI a été doté de 730 millions d’euros. Or, sur ces trois exercices, il reste à payer 538,7 millions d’euros. La majorité des crédits n’a donc pas été dépensée.

M. Luc Rousseau. Tous les crédits ont été engagés pour soutenir des programmes de recherche d’entreprises, en collaboration avec des laboratoires scientifiques. Ces programmes durent en moyenne trois ans. C’est pourquoi, entre le moment où vous décidez d’un programme et celui où vous payez il peut se passer jusqu’à quatre ans, les crédits de paiement s’étalent eux aussi sur trois-quatre ans.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les autorisations d’engagement ont-elles été engagées ?

M. Luc Rousseau. Oui, toutes les autorisations d’engagement du FUI ont été consommées et les paiements augmentent d’ailleurs fortement cette année, ne serait-ce que par rapport à l’année dernière.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Qu’ont apporté les pôles de compétitivité ?

M. Luc Rousseau. Davantage de coopération entre PME et grands groupes et de coopération entre entreprises et laboratoires. Les acteurs le soulignent eux-mêmes : avant, on savait simplement que l’autre existait ; maintenant, on coopère, on additionne les forces pour être plus innovant, pour arriver plus vite sur le marché et pour être plus compétitif.

M. Alain Claeys, Rapporteur. N’existe-t-il pas une contradiction à mener à la fois une politique d’innovation et une politique d’aménagement du territoire ? Qu’il y ait 67 pôles, cela se comprend dans le cadre d’une politique d’aménagement du territoire. Mais en va-t-il de même dans le cadre d’une véritable politique d’innovation ?

M. Luc Rousseau. L’initiative des pôles de compétitivité, lancée en 2004 lors du comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire (CIADT) – devenu depuis le comité interministériel d’aménagement et de compétitivité du territoire (CIACT) – est un peu l’antithèse de l’image traditionnelle de la politique d’aménagement du territoire : elle ne s’applique plus sur tout le territoire, mais, thématiquement, sur un nombre très limité de lieux afin d’être plus efficace. On peut donc parler d’une nouvelle politique d’aménagement et de compétitivité du territoire.

Avons-nous été assez sélectifs ? 67 pôles – 71 aujourd’hui depuis le CIACT du 5 juillet 2007 –, cela paraît beaucoup. Néanmoins on compte parallèlement plus de 80 universités, qui veulent chacune couvrir tous les domaines d’études. Dans le seul domaine des sciences de la vie, par exemple, il existe entre quatre et huit pôles, suivant les frontières que l’on adopte. L’enjeu pour l’État est de parvenir à concentrer les moyens nouveaux, alloués notamment aux laboratoires et aux universités, sur un nombre limité de métropoles liées aux pôles. Aujourd’hui, il existe davantage de centres de l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) qu’il n’y a de pôles de compétitivité en technologies de l’information ; on peut donc se demander si l’Institut doit ouvrir d’autres centres ou développer les centres existants en liaison avec les pôles de compétitivité. Créer moins de pôles et mettre davantage d’argent public sur davantage de lieux hors pôle ? La dialectique n’est pas simple.

S’agissant des 67 projets de pôle retenus sur les 105 présentés, ils ont fait l’objet d’une procédure très ouverte sachant qu’un écrémage informel avait d’abord été effectué notamment par les préfets de région : ce sont en effet environ 150 projets qui avaient été « pré-présentés ». Leur évaluation, à laquelle il était logique de procéder au bout de trois ans, s’est révélée globalement bonne : seuls treize pôles ont été mis en sursis.

J’en viens à la question de la redondance éventuelle entre les pôles.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La réponse est dans les chiffres. Quand 85 % des financements ne touchent que 15 pôles, c’est qu’il y a un problème.

M. Luc Rousseau. Il existe de petits pôles, comme le Pôle européen de la céramique à Limoges, le pôle Parfums, arômes, senteurs, saveurs à Grasse ou encore le pôle Arve industries dans le domaine du décolletage, dans la vallée de l’Arve. Tous ces petits pôles, soit 70 % de l’ensemble des pôles, ne reçoivent certes que 15 % des aides, mais est-il mauvais d’encourager des acteurs qui souhaitent travailler entre eux et qui font preuve de dynamisme et de permettre ainsi aux parfumeurs de Grasse ou aux décolleteurs de la vallée de l’Arve de conforter leur compétitivité et leur aura internationale ?

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Ne pensez-vous pas que le pôle de Grasse aurait pu faire partie de la Cosmetic Valley localisée à Chartres ?

M. Luc Rousseau. Qui dit pôle dit marché des idées, des talents, mais aussi proximité géographique : en une demi-journée, les acteurs doivent pouvoir se rencontrer. Voilà pourquoi il n’a pas été possible, en l’occurrence, de se contenter d’un seul pôle pour la filière cosmétique.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le fait de spécialiser un territoire peut présenter des risques. Les situations basculent très vite, et des catastrophes industrielles peuvent se produire – dans les mines, par exemple. N’est-on pas en train de construire les problèmes de demain ?

M. Luc Rousseau. Entre deux risques, il faut choisir le moindre. Nous sommes déjà confrontés à un problème de perte de compétitivité. L’objectif des pôles est précisément d’améliorer cette compétitivité et de renforcer le dynamisme et la croissance des territoires. Peut-être certains secteurs souffriront-ils dans dix ou quinze ans. Il nous a néanmoins semblé que les avantages étaient supérieurs aux inconvénients.

À court terme, les pôles ne spécialisent pas davantage le territoire, dans la mesure où nous faisons travailler des acteurs qui existent. Mais il est exact qu’à moyen et long terme, on finit, en attirant d’autres acteurs auxquels on propose un environnement favorable, par accroître la spécialisation et, partant, la vulnérabilité du territoire concerné.

Cela étant, la géographie économique nous enseigne qu’il y a davantage de succès à attendre lorsque l’on se spécialise que lorsque l’on ne se spécialise pas. D’où cette volonté de mettre en place ces pôles – ou clusters.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Est-ce lisible depuis l’étranger ?

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Existe-t-il, en France, des pôles qui, par leur taille, peuvent rivaliser avec les grands pôles étrangers ?

M. Luc Rousseau. Certains pôles français, surtout parmi les plus grands, travaillent avec leurs homologues étrangers. D’autres s’associent pour coopérer à l’étranger, notamment au Japon et aux États-Unis. Tel est le cas de « LifeScience Corridor France », une alliance entre les pôles Cancer-Bio-Santé de Toulouse, Lyon Biopôle et Alsace BioValley pour concrétiser des collaborations de terrain avec la région du Kansai au Japon.

Les pôles mondiaux ou à vocation mondiale ont pour la plupart une dimension telle qu’ils ont une visibilité internationale forte. C’est le cas de Minalogic, de System@tic Paris Région, de Cap Digital et d’Aerospace Valley. Cela n’empêche pas d’autres pôles plus discrets, comme celui de Grasse, d’être connus à l’étranger dans leur secteur d’activité, même s’ils ne le sont pas du grand public international.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les pôles permettent-ils de mener une politique d’innovation, une politique industrielle ou une politique d’aménagement du territoire ? Au niveau des ministères et des grandes directions, qui les pilote aujourd’hui ? Quelles sont les relations entre votre direction et la Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité du territoire, la DIACT ?

M. Luc Rousseau. L’innovation est une composante forte, voire la composante majeure d’une politique industrielle ; quelques pôles sont dans les services, mais la plupart sont dans le domaine de l’industrie. La politique des pôles met en cohérence une politique d’aménagement du territoire avec l’impératif de compétitivité industrielle. Le fait de concentrer des moyens sur des espaces restreints, plutôt urbains, aboutit à une nouvelle politique d’aménagement et de compétitivité du territoire.

La direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS), ex-direction générale des entreprises (DGE), assure, conjointement avec la DIACT, le secrétariat du groupe de travail interministériel (GTI), responsable de la mise en œuvre, de l'animation et du suivi de la politique des pôles de compétitivité.

Le ministère de l’Économie, de l'industrie et de l'emploi est impliqué de façon majeure par le biais de la direction dont j’ai la charge et d’un certain nombre d’établissements publics, comme l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII), pour qui la politique du crédit d’impôt recherche et la politique des pôles de compétitivité constituent deux outils majeurs, qui nous différencient par rapport aux autres pays européens. Le ministère de l’Économie réunit régulièrement à Bercy les représentants de la DIACT et des autres ministères avec l’ensemble des pôles.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Concrètement, quelles sont vos relations avec la DIACT ?

M. Luc Rousseau. Entre mes collaborateurs et ceux du délégué interministériel, les contacts sont très réguliers : hebdomadaires, voire pluri-hebdomadaires.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel a été votre rôle dans l’audit des pôles demandé par le Gouvernement ?

M. Luc Rousseau. La mission d'évaluation a été mise en œuvre par la DIACT mais nous avons été associés à l’élaboration du cahier des charges et au choix du prestataire et nous avons participé aux comités de pilotage. Cette évaluation m’est d’ailleurs apparue globalement de bonne facture.

Nous sommes peut-être un peu plus concernés que la DIACT concernant la stratégie économique et le concept de plateformes, ce qui est logique. Cela dit, il est souhaitable qu’une structure interministérielle par essence et rattachée au Premier ministre joue un rôle clef pour une bonne coopération entre ministères concernés.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le transfert, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), de la gestion des dossiers à OSÉO ne fait-elle pas peser un risque substantiel sur la mise en œuvre de la politique nationale des pôles de compétitivité ? D’autres transferts ont été relevés comme étant des échecs par la Cour des comptes.

M. Luc Rousseau. Vous faites sans doute allusion à deux transferts antérieurs : celui de la procédure ATOUT, qui a pour objectif d'aider les PMI à maîtriser les nouvelles technologies et qui s’est déroulé correctement sur le plan administratif même si la procédure a été mise tout de suite en extinction, et celui du fonds de compétitivité des entreprises (FCE), en 2004, qui, pour sa part, s’est mal passé, notamment du fait que c’est le stock, à savoir les dossiers en cours, qui a été transféré. Cette fois-ci, il n’est envisagé de ne transférer que les nouveaux dossiers. Ceux déjà contractualisés resteront gérés par ma direction, et la politique des pôles restera du ressort des ministres et du Gouvernement. Seront transférés une part de l’instruction et l’ensemble de la gestion des dossiers des programmes de recherche-développement collaboratifs.

Une politique de pôles, c’est d’abord une contractualisation avec chacun des pôles au niveau de la gouvernance et des objectifs, une coordination des pôles qui relèvent du même domaine ainsi que la définition d’une politique générale, laquelle comprend trois éléments : l’innovation, l’ouverture à la coopération internationale, l’anticipation des besoins des pôles en qualification qui doit être menée en liaison, notamment, avec les établissements publics de formation-éducation nationale et enseignement supérieur.

À l’issue de l’évaluation, nous avons défini une deuxième phase, fondée sur des éléments plus structurants : le développement des relations entre entreprises et le financement privé ; l’émergence de nouvelles entreprises, de l’incubateur à la pépinière, y compris à l’international – voire la cotation en bourse ; le partage d’infrastructures, à commencer par les plateformes technologiques. Un appel à projets a d’ailleurs été lancé à cet égard en partenariat avec la Caisse des dépôts et consignations : sur 80 projets de plateforme, une trentaine a été présélectionnée et une quinzaine sera sans doute soutenue au titre de cette année.

L’État reste en tout cas directement impliqué, mais après la réception de 600 projets, on peut considérer que les appels à projets constituent une procédure rôdée que l’on peut transférer en grande partie à OSÉO, qui intervient par ailleurs sur de petits dossiers individuels, faiblement coopératifs, notamment ceux inférieurs à 750 000 euros. Lors de leur passage par OSÉO, les PME des pôles reçoivent un bonus, ainsi le taux d’intervention, et de soutien financier est le même que dans les autres dispositifs (FUI, Eureka).

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Comment expliquez-vous les difficultés que rencontrent les projets à se mettre en place ? Quelles solutions la DGCIS préconise-t-elle ?

M. Luc Rousseau. Qu’entendez-vous par « difficultés » ?

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Au vu des chiffres, on a l’impression que des projets n’avancent pas. Sur 750 millions d’euros de dotation du FUI de 2006 à 2008, il reste à payer 538,7 millions d’euros.

M. Luc Rousseau. Nous en sommes au huitième appel à projets – je pourrai, si vous le souhaitez, vous laisser un document sur ce point. Chaque fois, 150 à 200 projets sont présentés et nous en retenons une moitié. Sur les sept premiers appels à projets, l’assiette totale est de 3,4 milliards d’euros pour 795 millions d’euros de subventions d’État prévus. La coopération avec les collectivités territoriales pour savoir comment elles souhaitent s’impliquer est excellente, sachant que lorsque l’État met 2 euros, elles en apportent un peu plus de 1. On peut dire que « la machine à projets » fonctionne. L’ensemble des dotations budgétaires est engagé chaque année.

Un projet de recherche et développement s’étale sur trois ans à peu près. Lorsque l’on en retient un, l’expérience montre que les autres ne se font alors généralement pas, ce qui prouve que le soutien public est incitatif. Il est par ailleurs tout à fait normal qu’un décalage apparaisse avec les paiements, ceux-ci intervenant après production de justificatifs des travaux de recherche.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Les 538 millions d’euros restants seront utilisés ?

M. Luc Rousseau. Les 538 millions de crédits de paiement correspondent à des autorisations d’engagement utilisées et seront en grande majorité payés. Comme toujours, certains projets n’iront pas jusqu’au bout et, pour d’autres projets, les justificatifs ne nous parviendront pas complètement. On peut prévoir, intuitivement, que 10 à 20 % d’autorisations d’engagement ne seront jamais couvertes par des crédits de paiement effectivement payés.

M. Alain Claeys, Rapporteur Pouvez-vous nous apporter des précisions sur le taux de succès des projets au cours de la période 2006-2008 ?

M. Luc Rousseau. Cela dépend des programmes. Nous n’avons pas encore de lisibilité concernant le taux d’échec de ceux de 2006 arrivant à échéance en 2009.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Comment jugez-vous les structures de gouvernance qui constituent une autre source de financement des pôles ?

M. Luc Rousseau. Une bonne gouvernance contribue grandement au succès du pôle. Elle doit réunir une bonne équipe – entre deux et dix permanents – et un bon bureau, c'est-à-dire les acteurs économiques, qui participent eux-mêmes au financement avec l’État et les collectivités locales.

Les structures de gouvernance ont été d’inégale qualité – on a pu déplorer ici ou là des gaspillages, un salaire excessif, voire deux changements de directeur général en trois ans – mais, globalement, on peut rejoindre les évaluations largement positives du Boston Consulting Group.

À l’issue de l’évaluation de l’été dernier, le Gouvernement a arrêté deux orientations : une décroissance de l’engagement de l’État et une augmentation de la part privée.

M. Alain Claeys, Rapporteur. L’engagement de l’État pour 2009-2012 baisserait bien de 20 % ?

M. Luc Rousseau. L’objectif est de 50 % de financement public pour le fonctionnement des pôles, à l’horizon de trois ans, contre 75 % précédemment. Pour l’État, cela correspond à une baisse peut-être même de plus de 20 % par rapport à la situation de 2008.

Les nouveaux contrats avec les pôles, passés pour une durée de trois ans, prévoient chacun cette décroissance des financements de l’État. Et comme les collectivités locales affichent simultanément leurs perspectives, les pôles bénéficient d’une bonne lisibilité.

Pour autant, ces derniers ont pu, en contractualisant, réaffirmer leur stratégie et leurs ambitions et prendre des engagements en faveur des PME concernant la mise en place d’éléments structurants. C’est ainsi que les plateformes permettent à la vingtaine ou à la cinquantaine d’entreprises d’un même domaine de mutualiser les moyens. De même les pôles permettent de lancer des actions collectives à l’international et d’évaluer globalement les besoins en qualification des entreprises du pôle en liaison avec les organismes de formation afin que les qualifications disponibles soient un atout et non un handicap pour le développement des entreprises.

Le suivi s’effectue au niveau local ensuite – les régions, comme d’autres collectivités, sont souvent impliquées dans les pôles – les directions régionales de l’industrie, de la recherche et de l’environnement (DRIRE), procèdent à un suivi des actions collectives et de l’animation des pôles. C’est l’occasion de vérifier que les actions prévues pour les entreprises ont été effectuées et que ce qui a été contractualisé est respecté.

Enfin, deux fois par an, nous organisons à Bercy une réunion à destination des organes de gouvernance de l’ensemble des pôles. Cette animation collective, qui dure généralement une journée, contribue fortement au pilotage ; c’est l’occasion de témoigner des meilleures pratiques, pour que les autres pôles s’en inspirent.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Où en est-on, justement, de la signature des contrats de performance entre pôles, État et collectivités territoriales ? Que recouvre, d’ailleurs, cette notion de contrat de performance ?

M. Luc Rousseau. Sur les 71 pôles, 13 sont en année probatoire. Il en reste 58, sur lesquels 4 n’ont pas produit les documents qu’ils auraient dû fournir au 31 mars ; 18 se sont vus demander des compléments ; 17 ont présenté des projets de contrats qui sont aujourd'hui prêts à être signés ; 19 pôles ont présenté des projets qui demandent encore de petits ajustements. Tous les projets de contrats ont été récemment examinés de façon interministérielle, sous l’égide de la DGCIS et de la DIACT ainsi que des autres ministères concernés – défense, équipement, aviation civile, environnement, santé, agriculture.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. En matière d’objectifs, quels sont les indicateurs pertinents ? Combien de temps dure la période d’observation ?

M. Luc Rousseau. Nous vous remettrons un contrat type comprenant les critères sur lesquels nous nous appuyons en utilisant les bases de données INSEE.

Il nous faut évaluer si la croissance a été plus forte dans les pôles qu’en dehors, mais il faut attendre six ou sept ans pour apprécier leur efficacité. Les travaux d’innovation se traduisent en produits au bout de quelques années et un certain laps de temps est nécessaire pour juger du succès commercial et de l’impact économique.

Nous commençons à percevoir une accentuation de l’effort de recherche des entreprises présentes dans les pôles, effort qui devra se concrétiser en emplois pérennes, en exportations et en valeur ajoutée.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous ne saurez cependant jamais ce qui se serait passé en l’absence de pôle.

M. Luc Rousseau. On peut établir des comparaisons entre entreprises qui appartiennent à un même secteur d’activité et qui faisaient preuve du même dynamisme avant la constitution du pôle, afin de savoir si une différence d’évolution apparaît entre celles qui se trouvent maintenant dans les pôles et les autres. Une évaluation assez lourde avait été conduite en Midi-Pyrénées pour la procédure ATOUT. Si on veut être rigoureux, il faut conduire ce type d’évaluation.

Dans les projets de contrat de pôle, on trouve les moyens mis par les différents acteurs ainsi que les axes favorisés, tels que le développement de la R&D et de projets structurants, la synergie entre entreprises et établissements de formation, la gestion prévisionnelle des compétences, le financement privé – notamment la mise en relation avec les business angels, les investisseurs en capital-risque et autres investisseurs –, l’implication des PME, la création d’entreprises, le rayonnement commercial international, l’insertion dans le territoire à moyen ou long terme - s’agissant en particulier de la politique de développement urbain et de la réservation foncière – ou encore le développement durable.

À partir de chacun de ces items suggérés aux pôles, ces derniers décrivent ce qu’ils comptent faire et à quoi ils s’engagent. Si l’on peut affirmer qu’environ un tiers des projets est satisfaisant, qu’un autre tiers justifie des ajustements et que le dernier tiers n’est pas satisfaisant, c’est en se fondant justement sur le programme d’action des pôles. C’est en effet ce qui nous permet d’apprécier si les engagements pris par les pôles sont suffisants ou pas.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Qu’est-ce qu’un pôle peut apporter aux PME et aux TPE en phase de pré-innovation ? Quelle mutualisation peut exister entre ces entreprises et les grandes ?

M. Luc Rousseau. Le paysage industriel français fait apparaître de grands champions internationaux, comme Saint-Gobain, Michelin, Air Liquide, etc., mais le renouvellement de notre tissu industriel dans les nouveaux secteurs – technologies de l’information, biotechnologies et, demain peut-être, technologies vertes – est insuffisant.

Notre souci est de faire émerger davantage de nouveaux acteurs. Le pôle doit permettre, à ceux qui ont décidé de se rencontrer, de faire émerger des projets, notamment de création d’entreprises. C’est pourquoi, dans la phase « 2.0 », nous avons insisté sur le sujet des incubateurs et des pépinières et sur la mise en relation avec les financeurs privés.

Le pôle doit aider les porteurs de projets à mieux formaliser leur business plan, pour qu’ils soient davantage compréhensibles par les investisseurs. Il peut faire venir sur place, de Paris ou d’au-delà, des capitaux-risqueurs en organisant une journée de rendez-vous d’affaires avec plusieurs dizaines de porteurs de projets. Dans cette phase, l’accompagnement des toutes jeunes entreprises et l’aide à l’émergence de nouveaux projets pour renouveler notre tissu économique sont des sujets prioritaires.

M. Alain Claeys, Rapporteur. À la suite de l’audit, que se passera-t-il pour les pôles qui n’arriveront pas à créer les synergies nécessaires ? Qu’en sera-t-il de leur labellisation ?

M. Luc Rousseau. S’agissant des 13 pôles en sursis, les auditions de mi-parcours démarrent la semaine prochaine. Le Gouvernement devra prendre des décisions d’ici à la fin de l’année. Ces décisions peuvent être de trois types : rapprochement avec un autre pôle - le pôle poitevin MTA est déjà engagé dans un processus d’intégration dans Mov’eo, processus qui sera achevé à la fin de l’année ; désengagement de l’État de certains pôles de dimension régionale ou confirmation du pôle.

M. Alain Claeys, Rapporteur. À quoi le rapprochement conduit-il ? À la disparition d’un pôle ?

M. Luc Rousseau. Cela conduit à ce que, sur la carte, il y ait effectivement un pôle de moins. L’équipe du Poitou bénéficiera de la force et de la lisibilité de Mov’eo et de son accès aux constructeurs. Entre Poitiers et Paris, la distance est encore raisonnable.

Je peux prendre un autre exemple, sans le stigmatiser : le pôle Qualimed, à Montpellier, qui fait partie de ces 13 pôles, et le Pôle européen d’innovation en fruits et légumes, en Avignon. Ils constituent un peu le pôle rive droite et le pôle rive gauche du Rhône, dans un même domaine, celui des fruits et légumes et autres cultures alimentaires. Nous souhaitons plutôt une fusion de ces pôles ; on observe d’ailleurs une dominante « entreprises » en Avignon et une dominante « recherche publique » à Montpellier. J’espère qu’on y arrivera car, vu de Chine ou des États-Unis, il est difficile de distinguer Montpellier d’Avignon.

Certains pôles n’arriveront peut-être pas à passer la barre. Il faudra alors trouver d’autres formes d’encouragement, peut-être à dominante locale. On peut d’ailleurs se demander ce qui doit relever de l’implication de l’État et de l’animation locale.

Depuis 2004 surtout, un pan important des actions de développement économique relève des collectivités territoriales, et plus spécifiquement des régions. Certes, l’État est légitime à intervenir, en collaboration avec les régions, pour s’assurer d’une cartographie nationale harmonieuse. Sinon, on risque d’avoir les mêmes pôles, au moins dans certains domaines, comme par exemple celui de la biotechnologie. À lui donc de mettre en place et à disposition ces outils de rayonnement international. Mais il me semble que le niveau local est davantage légitime à soutenir des acteurs qui veulent coopérer entre eux, mais qui ont une lisibilité plus faible ou une masse critique moins importante.

M. Alain Claeys, Rapporteur. En qualité de membre du conseil d’administration de l’ANR, comment jugez-vous l’implication des organismes de recherche dans les pôles ?

M. Luc Rousseau. Cela dépend des données locales, mais ils sont impliqués. Au départ, nous avions relevé une césure trop importante entre la recherche académique et la recherche privée. Or les 626 projets du FUI que j’ai évoqués au début de mon propos impliquent chacun au moins un acteur académique.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Je visais plus précisément les organismes de recherche. Leur implication mériterait-elle d’être plus grande ?

M. Luc Rousseau. Localement, leur implication est bonne. Néanmoins, la stratégie de développement de certains organismes de recherche n’est peut-être pas encore suffisamment ancrée sur le tissu économique et la cartographie des pôles de compétitivité.

Ce n’est pas parce qu’il existe, dans telle université ou telle antenne d’un grand organisme de recherche, un professeur très compétent, avec une équipe prometteuse de 20 personnes, qu’il faut développer, en dehors d’un pôle de compétitivité, un nouveau centre. La logique d’attractivité de l’aménagement du territoire implique qu’on lui indique qu’à 100 ou 300 kilomètres plus loin, il pourra disposer de moyens beaucoup plus importants. Il ne s’agit pas pour lui de traverser l’Atlantique !

M. Alain Claeys, Rapporteur. L’ANR ne joue-t-elle pas cette politique ? Elle donne parfois la priorité à des dossiers venant de pôles de compétitivité.

M. Luc Rousseau. Elle n’a pas à jouer cette politique en matière de sélection.

L’ANR consulte les pôles de compétitivité avant de rédiger les appels à projets. Les priorités stratégiques des pôles sont donc intégrées dans ces appels à projets et ceci devrait à mon sens se renforcer. Les projets émanant des pôles bénéficient simplement d’un léger bonus financier.

M. David Habib, Président. Monsieur le directeur général, je vous remercie.

Je souhaite pour ma part que l’on n’oublie pas certains aspects essentiels, comme l’emploi et la fiscalité, qui n’ont pas été évoqués. Par ailleurs, il me semble que le meilleur moyen d’évaluer la pertinence des pôles est de « benchmarker » les territoires afin de déterminer la performance de ceux qui sont classés en pôles et ceux qui ont refusé de l’être – je suis à cet égard très heureux de présider la communauté de communes de Lacq qui soutient le pôle de compétitivité Énergie-environnement.

Audition du 15 avril 2009

À 10 heures 30 : M. André Syrota, directeur général de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

Présidence de M. David Habib, Président

M.  David Habib, Président. Dans le cadre de cette journée d’auditions des responsables des grands organismes scientifiques sur les perspectives des pôles de compétitivité, nous accueillons M. André Syrota, directeur général de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM).

M. Alain Claeys, Rapporteur. Monsieur le directeur général, d’une manière générale, la stratégie de l’INSERM vous semble-t-elle en accord avec celle des pôles de compétitivité ? Concrètement, de quelle manière l’INSERM participe-t-il à ces pôles ?

M. André Syrota, Directeur général de l’INSERM. La stratégie des grands organismes de recherche doit s’inscrire dans celle des pôles de compétitivité. Dans le secteur des sciences de la vie et de la santé, l’objectif premier des pôles étant de favoriser l’accès à l’innovation dans le domaine thérapeutique, clinique et préclinique, nous devons faire l’interface avec les industriels et leur proposer sur place, d’une part une recherche en amont, d’autre part un soutien technologique.

Sur un total de soixante et onze pôles de compétitivité, douze œuvrent dans notre secteur. L’INSERM participe à neuf d’entre eux ; il est par ailleurs membre des conseils d’administration de Medicen Paris Région, de Cancer-Bio-Santé et de Lyonbiopôle. De même, ses équipes participent à 62 % des projets de Medicen Paris Région, à 64 % de ceux de Lyonbiopôle et à la moitié de ceux de Cancer-Bio-Santé.

Pour que cette participation nous soit profitable, il faut, premièrement, que les industriels – grands laboratoires pharmaceutiques comme PME – définissent préalablement les grands enjeux du secteur et que le pôle soit doté d’une stratégie de développement, complémentaire de la nôtre et, deuxièmement, que tous les acteurs concernés soient impliqués dans sa mise en œuvre.

Notre modèle, c’est la plateforme technologique européenne « Initiative Médicaments Innovants », l’IMI. Dans ce cadre, les industriels ont préalablement déterminé leurs besoins, en toute indépendance, puis ont lancé dix-huit appels à propositions, à charge pour les organismes de recherche d’y répondre. Quatre goulets d’étranglement ont été définis comme des axes stratégiques prioritaires pour l’industrie pharmaceutique : améliorer la détection précoce de la sécurité d’un médicament, afin qu’en cas d’effets secondaires on puisse arrêter son développement le plus rapidement possible, sans attendre d’avoir dépensé des sommes astronomiques ; définir des indicateurs d’efficacité ; améliorer la gestion des connaissances, de manière à savoir où elles se trouvent et comment les utiliser ; développer l’éducation et la formation. Finalement, quatorze projets ont été retenus ; cinq bénéficient d’une participation française, trois étant coordonnés par l’INSERM.

Voilà ce que pourrait être, à une échelle inférieure, le fonctionnement des pôles de compétitivité.

M. Alain Claeys, Rapporteur. N’est-ce pas déjà le cas ?

M. André Syrota. Cela dépend.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Les pôles de compétitivité auxquels vous participez vous apparaissent-ils plutôt comme des accélérateurs de projets ou plutôt comme des sources de contraintes ?

M. André Syrota. Les pôles sont de niveaux très différents. On peut distinguer deux cas extrêmes.

Certains sont pilotés par les seuls industriels. Les laboratoires de recherche n’ont aucune indication sur la stratégie poursuivie : on ne fait appel à eux qu’en cas de besoin. L’exemple-type, c’est Alsace Biovalley, dont l’origine est antérieure à la création des pôles ; des équipes de l’INSERM y participent, mais pas l’Institut en tant que tel.

D’autres, à l’inverse, ne possèdent pas de stratégie économique. Ils représentent surtout une source de financement supplémentaire pour les chercheurs, en plus de tous ceux qui existent déjà, comme l’Agence nationale de la recherche (ANR), les réseaux thématiques de recherche avancée (RTRA), les centres thématiques de recherche et de soins (CTRS/RTRS), les génopôles ou les cancéropôles. À mon avis, ce n’est pas le rôle des pôles de compétitivité. Medicen Paris Région entrait dans cette catégorie avant qu’il ne soit repris en main ; de même, Cancer-Bio-Santé est essentiellement porté par les universitaires, les grands industriels comme Pierre Fabre et Sanofi-Aventis n’y participant que de loin.

L’exemple à suivre, selon moi, c’est Lyonbiopôle : piloté par les industriels, il bénéficie d’une stratégie de développement précise, notamment en matière de lutte contre les maladies infectieuses, à la mise en œuvre de laquelle nous sommes très étroitement associés. Nous allons d’ailleurs créer un centre d’infectiologie, qui sera doté de laboratoires de haute sécurité afin de pouvoir travailler sur les agents infectieux non conventionnels.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous été associés à la définition de la stratégie ?

M. André Syrota. Non, c’est le rôle des industriels. Ils ont inventorié les forces et faiblesses de la région Rhône-Alpes, identifié un potentiel important dans le domaine de la recherche sur les maladies infectieuses, défini leurs besoins en la matière et se sont appuyés sur l’INSERM, l’École normale supérieure, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et les ressources disponibles sur place pour y répondre.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Que pensez-vous de la multiplicité des sources de financement disponibles ? Une rationalisation serait-elle nécessaire ?

M. André Syrota. Comme vous le savez, je prône la simplification du système de recherche français dans le domaine des sciences de la vie et de la santé. La mission qui m’est impartie à la tête de l’INSERM est d’assurer la coordination des organismes existants. Au cours du temps, on a en effet multiplié les sources de financement, en instituant une agence pour chaque maladie nouvelle et en créant successivement les cancéropôles, les génopôles, les infectiopôles, les neuropôles, les gérontopôles, les CTRS, les RTRS, les RTRA, l’ANR et, pour finir, les pôles de compétitivité, auxquels s’ajoutent encore les programmes hospitaliers de recherche clinique, pour 65 millions d’euros. Cela représente au total une centaine de millions d’euros versés directement par le ministère de la Santé, sans compter les financements distribués via les missions d'enseignement de recherche de référence et d'innovation (MERRI) ! C’est pourquoi nous avons conclu la semaine dernière l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé, qui regroupe l’INSERM, le CNRS, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), l’Institut national de recherche en informatique et automatique (INRIA), l’Institut de recherche pour le développement (IRD), l’Institut Pasteur et la Conférence des présidents d’université (CPU) ; elle sera complétée par la signature d’une convention avec l’ANR et avec les Centres Hospitalo-Universitaires.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quelles sont les relations entre l’ANR et les pôles de compétitivité ?

M. André Syrota. Lorsqu’un pôle de compétitivité obtient des financements pour un projet, l’ANR verse une contribution supplémentaire.

Le pôle de compétitivité est appelé à jouer un rôle stratégique, en disposant de ses propres financements et en étant piloté par l’industrie. Son objectif est de favoriser l’essor de la recherche, des PME, voire de quelques grands champions nationaux, dans le domaine pharmaceutique, sous réserve que ceux-ci fassent appel aux organismes de recherche publique. Cela n’a rien à voir avec la multiplication des financements provenant d’une même source.

M. Alain Claeys, Rapporteur. L’évaluation scientifique au sein des pôles vous paraît-elle satisfaisante ?

M. André Syrota. Seuls les pôles eux-mêmes ont subi une évaluation nationale ; l’évaluation des projets est assurée par les pairs.

M. Alain Claeys, Rapporteur. L’INSERM évalue lui-même les projets des pôles dont il est membre du conseil d’administration ?

M. André Syrota. Non, l’évaluation est réalisée par des experts indépendants.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Participez-vous aux mécanismes de sélection et de suivi des projets ?

M. André Syrota. Oui, nous participons à tous les niveaux, du conseil d’administration aux divers comités.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Votre avis a un poids ?

M. André Syrota. Il faut distinguer, d’une part, la stratégie de développement, qui se décide au conseil d’administration, et que nous pouvons essayer d’influencer – sans être nécessairement suivis – et, d’autre part, l’évaluation des projets, qui est une affaire scientifique réalisée par des experts.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Des désaccords apparaissent-ils parfois entre les impératifs économiques et la recherche pure ?

M. André Syrota. Je n’en ai pas eu d’échos.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Les évaluations sont-elles approfondies, ou les industriels peuvent-ils décider de poursuivre un projet malgré une expertise scientifique incomplète ?

M. André Syrota. Il m’est difficile de vous répondre. Ce serait à vérifier auprès des industriels : les recherches jugées les plus prometteuses, qui sont le plus souvent tenues secrètes, ne sont pas nécessairement incluses dans les projets des pôles de compétitivité…

Je vous donne un exemple. Quand j’étais au CEA, nous avions élaboré au MIRCen un modèle de la maladie d’Alzheimer chez le primate. Tous les industriels français étaient invités à utiliser nos installations pour tester, dans le cadre de Medicen Paris Région, l’efficacité de nouvelles molécules. L’un d’entre eux a voulu empêcher les autres d’y participer !

M. Alain Claeys, Rapporteur. Une des priorités de la deuxième phase de la politique des pôles de compétitivité est le développement de synergies avec d’autres structures, comme les Instituts Carnot ou les pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES). Qu’en pensez-vous ? Les esprits vous semblent-ils mûrs ?

M. André Syrota. Oui, et je vous citerai deux exemples.

À Lyonbiopôle, nous sommes en train de concevoir, à proximité du laboratoire P4 Jean-Mérieux, un centre d’infectiologie ouvert aux industriels afin de développer des modèles et de disposer en France de laboratoires adaptés pour mettre au point des molécules innovantes et des vaccins. Cet exemple peut être suivi ailleurs : les membres de Medicen Paris Région souhaitent également la création en région parisienne d’une plateforme technologique pour des recherches précliniques ouvertes aux PME. Ce n’est pas seulement l’INSERM qui est concerné par ce type d’interventions, mais tous les membres de l’Alliance.

Par ailleurs, nous avons créé la semaine dernière dix instituts thématiques multi-organismes (ITMO), qui regroupent des chercheurs issus de tous les organismes. L’Institut des technologies pour la santé, dont le directeur appartient au CEA, fait ainsi cohabiter des chercheurs de l’INSERM avec, notamment, des personnels de l’Institut des sciences et technologies de l’information et de l’ingénierie (INST2I) et de l’Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3) du CNRS ou encore de l’Institut national de recherche en informatique et automatique (INRIA). Son objectif est de favoriser la valorisation de la recherche et de développer des start-up. C’est pour moi un interlocuteur privilégié pour les pôles de compétitivité.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Arrivez-vous à associer les universités ?

M. André Syrota. Elles appartiennent déjà à l’Alliance, via la CPU, mais nous y parviendrons plus facilement quand le problème de la valorisation sera résolu.

Aujourd’hui, pour évaluer la valorisation de la recherche académique, on utilise des indicateurs fondés sur le nombre de brevets déposés ou obtenus par les organismes de recherche. Or, parmi les indicateurs de performance des universités, figure aussi le nombre de brevets détenus, de même que dans le dispositif des MERRI, destiné aux CHU. Il s’agit bien évidemment des mêmes brevets, puisque la recherche est menée conjointement par au moins un organisme de recherche, une université et un CHU. Il faut donc se mettre d’accord sur la propriété du brevet. Pendant ce temps, l’industriel attend et, en fin de compte, il va voir ailleurs. C’est stupide !

Un projet de décret a été soumis voilà un mois au Conseil d’État afin de simplifier la procédure – insuffisamment à mon sens, puisqu’il ne porte que sur les mandataires. Il est en cours d’examen.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les pôles de compétitivité peuvent-ils être une solution à ce problème ?

M. André Syrota. Ils sont encore trop hétérogènes. Une politique de valorisation commune nécessiterait une plus grande homogénéité.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Ne pourrait-on pas envisager de regrouper certains pôles ?

M. André Syrota. C’est déjà le cas : Lyonbiopôle, Alsace Biovalley et Cancer-Bio-Santé forment le Lifescience Corridor, une alliance stratégique dont l’objectif est d’accompagner les PME sur le marché international et d’engager des partenariats technologiques européens et internationaux autour de projets collaboratifs. Chaque pôle négocie ainsi des accords de partenariat inter-clusters au nom des trois membres : Cancer-Bio-Santé avec le Japon, Alsace Biovalley avec le Canada, Lyonbiopôle avec les États-Unis.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Ne peut-on pas opposer deux types de pôles : ceux dont le rayonnement est important – au nombre d’une quinzaine, ils attirent 85 % du budget de l’État – et ceux qui se situent plutôt dans une perspective d’aménagement du territoire ?

M. André Syrota. Le budget de l’INSERM est destiné, à 80 %, à douze universités, que l’on retrouve en tête du classement des CHU : c’est la même chose pour les pôles de compétitivité ! Les plus performants sont ceux qui bénéficient des moyens les plus importants : Paris, Strasbourg, Lyon, Toulouse, Marseille. Il n’y a pas de miracle !

Certes, il peut exister de petites équipes de recherche extrêmement performantes au sein d’universités de villes moyennes, et il faut aussi leur donner les moyens dont elles ont besoin. Toutefois, il ne s’agit plus en l’occurrence d’aménager le territoire, mais de favoriser l’émergence de chercheurs de très haut niveau, y compris dans de petites universités.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour revenir au problème de la valorisation, une des missions des pôles de compétitivité ne serait-elle pas de renforcer les relations entre les organismes de recherche, les universités et les PME ?

M. André Syrota. Tel est précisément notre objectif. Nous avons pris du retard en raison de la grande hétérogénéité des pôles, de l’imprécision de certains plans stratégiques et de l’absence de vision stratégique de beaucoup des consortiums. Résultat : on ne sait pas toujours quoi faire avec la propriété industrielle. Toutefois, des initiatives ont d’ores et déjà été prises.

Ainsi, dans certains endroits, comme à Eurobiomed, INSERM Transfert propose avec les industriels du pôle une formation à l’innovation, à la valorisation et à l’entrepreneuriat, ouverte aux chercheurs des organismes publics et privés.

Il existe également, dans le cadre d’Eurobiomed ainsi qu’à Strasbourg, des modules « Innovation, valorisation, entrepreneuriat » d’environ une semaine, à destination des étudiants en seconde année d’école doctorale.

Nous organisons des rencontres entrepreneuriales dans des laboratoires publics et des entreprises.

En outre, l’INSERM ouvre, par l’intermédiaire d’INSERM Transfert, son portefeuille de brevets aux industriels, de manière à consolider leurs positions sur les thématiques des pôles, par exemple les maladies orphelines et les maladies émergentes à Eurobiomed.

Enfin, là où existe une bonne entente entre les industriels, l’université, les organismes de recherche et le CHU, nous souhaiterions mettre en place le plus rapidement possible un système de valorisation simple, permettant la signature d’un accord entre un industriel et un propriétaire unique, qui serait mandataire pour tous les autres.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Dans ce domaine, la France est-elle en retard par rapport aux autres pays européens ?

M. André Syrota. Oui. Le rapport Zerhouni cite par exemple comme modèle de valorisation le Royaume-Uni, où le dispositif obéit à une logique très simple.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Dans le cadre des pôles de compétitivité, l’INSERM peut être sous-traitant de l’ANR, sur une base contractuelle, pour la gestion du financement des projets. Pourquoi acceptez-vous cette mission ?

M. André Syrota. Il s’agit d’un simple soutien administratif : nous mettons nos moyens à leur disposition. C’est totalement indépendant de l’INSERM. Tous les organismes de recherche le font : le CNRS pour les actions blanches, le CEA pour l’énergie, l’INSERM pour la santé.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Comment envisagez-vous l’évolution des pôles de compétitivité – du moins les plus importants – dans une perspective européenne ?

M. André Syrota. Les grandes entreprises européennes, comme Sanofi-Aventis, Servier, Ipsen ou Pierre Fabre, font partie de l’IMI ainsi que des principaux pôles de compétitivité. Leurs motivations sont variables : parfois, c’est par obligation, parfois, parce qu’ils y trouvent un intérêt. Il serait bon de simplifier le dispositif et d’encourager l’association des pôles les plus performants. Quant à la façon dont les choses évolueront, il est difficile de le prévoir.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le Gouvernement a fixé comme objectif que 30 % des projets s’inscrivent dans une perspective de développement responsable. Que pensez-vous de ce projet ?

M. André Syrota. Pour nous, la question ne se pose pas dans les mêmes termes que pour l’agriculture ou l’énergie, l’amélioration de la vie étant par nature un facteur de développement durable. Cet objectif ne nous concerne pas vraiment : dans notre secteur d’activité, il serait plutôt de 100 % !

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Et les écotechnologies ? Vous n’avez pas encore fait le lien entre votre champ d’activité et tout ce qui pourrait être utile à l’homme dans ce domaine.

M. André Syrota. Améliorer la santé de nos concitoyens est en soi écologique et durable !

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les pôles de compétitivité sont-ils selon vous un lieu pertinent pour rapprocher les petites entreprises de la grande industrie et de la recherche ?

M. André Syrota. Oui, et c’est le principal enjeu des pôles – les grandes entreprises pouvant toujours se débrouiller autrement. Nombreuses sont les PME qui participent activement à nos pôles, non seulement dans le domaine des médicaments, mais aussi dans celui du diagnostic de l’imagerie ou des dispositifs médicaux. Cela leur permet souvent de faire le lien entre le milieu universitaire, dont ils sont issus – souvent de manière récente –, et le monde de l’industrie. À mon sens, c’est très positif.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Aucun problème de confidentialité ne se pose ?

M. André Syrota. Il peut y avoir des difficultés. Medicen Paris Région, par exemple, était piloté par un industriel qui s’impliquait assez peu dans le pôle, avec une gouvernance déficiente, alors que les PME souhaitaient des résultats rapides et réguliers. Sachant qu’en sciences de la vie et de la santé, 45 % de la recherche s’effectue en Ile-de-France, c’était problématique !

M. Alain Claeys, Rapporteur. C’est pourquoi il me semble qu’en matière de pôles de compétitivité, il convient de manier avec prudence l’objectif d’aménagement du territoire : plus on avance, plus il perd de sa pertinence.

Si l’INSERM avait la possibilité de créer un pôle de compétitivité, dans quel domaine le ferait-il ?

M. André Syrota. Tous les thèmes importants sont déjà représentés. Plutôt que de créer de nouveaux pôles, mieux vaudrait regrouper ceux qui existent.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quel regroupement proposeriez-vous, concernant les neuf pôles auxquels vous participez ?

M. André Syrota. Il existe, dans le domaine de la recherche sur le cancer, des projets à Paris, Toulouse, Lyon et Strasbourg, en relation avec les mêmes industriels et sur des thématiques identiques – qu’il s’agisse des médicaments, des anticorps ou des biomarqueurs. Il faudrait éviter de lancer les mêmes appels d’offre dans des pôles différents ! En revanche, une PME toulousaine devrait avoir la possibilité de répondre à un appel d’offre de Medicen Paris Région à Paris.

M. Alain Claeys, Rapporteur. N’est-ce pas le rôle de l’ANR de coordonner les appels à projets ?

M. André Syrota. Je ne crois pas que l’ANR ait les moyens de le faire. Je le répète : c’est d’abord aux industriels de préciser leurs besoins. Il est vrai qu’ils étaient initialement obligés de choisir un ancrage territorial, mais peut-être pourrait-on maintenant réfléchir à un autre niveau d’intégration, plus pertinent – sous réserve qu’on n’oublie pas les PME. Mais les industriels sont représentés à l’ANR.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Ni la recherche académique, qui est indispensable concernant certains thèmes.

M. André Syrota. Que les choses soient claires : je ne prône pas la suppression de Medicen Paris Région ou de Cancer-Bio-Santé, mais j’estime qu’une fois l’investissement de départ réalisé, on devrait renforcer la coordination entre les pôles. C’est la seule solution à terme : on ne peut pas se permettre, en France, de faire la même chose à deux endroits différents.

M. David Habib, Président. Merci, monsieur le directeur, pour la clarté et la franchise de vos propos.

Audition du 15 avril 2009

À 11 heures30 : M. Emmanuel Leprince, délégué général du Comité Richelieu

Présidence de M. David Habib, Président

M. David Habib, Président. Merci, Monsieur Leprince, d’avoir répondu à notre invitation. Les pôles de compétitivité ont quatre ans d’existence. Des évaluations ont été menées par des cabinets indépendants. Quel bilan en tirez-vous, du point de vue spécifique des PME innovantes ?

M. Emmanuel Leprince, délégué général du Comité Richelieu. Merci de votre invitation. Le Comité Richelieu a été créé voilà vingt ans par cinq PME innovantes et en compte aujourd’hui environ 250 – des entreprises qui représentent en moyenne 110 salariés et 10 millions d’euros de chiffre d’affaires et sont donc bien établies. Il a des relations particulières avec vingt-deux pôles de compétitivité dans le cadre du Pacte PME, qu’il mène en partenariat avec OSÉO et qui a pour objet de faciliter les relations entre les PME et les grands groupes. J’ai transmis la liste de questions que vous m’aviez fait parvenir à nos adhérents et je vous ferai part de leurs réactions.

Pour ce qui est du bilan des pôles de compétitivité, les PME innovantes constatent la mise en place d’une dynamique, mais qui a encore peu d’impact sur la création ou la croissance d’entreprises dans leur domaine.

L’un de nos adhérents, qui participe à quatre pôles de compétitivité, estime ainsi, je cite, que si ces derniers ont au début dégagé une énergie mobilisatrice et fédératrice qui tranchait avec la routine de l’époque, ils sont rapidement devenus « une couche supplémentaire du mille-feuille réglementaire et ont repris la culture et les habitudes de leurs membres dominants – grandes entreprises nationales, universités, collectivités territoriales ». Un autre, qui, je cite encore, ne croit plus aux pôles de compétitivité, avec lesquels il entretient « des relations courtoises, mais sans intérêt », poursuit ses projets autrement, bien que certains d’entre eux fassent l’objet, selon lui, d’une obstruction de nature politique de la part de certains pôles. Bref, la dynamique créée est considérée comme positive, mais sans que l’on puisse identifier de nombreuses retombées concrètes.

Pour autant, certains points pourraient être améliorés, qu’il s’agisse du mode de financement, trop long et trop lourd, du poids des grands groupes ou de l’approche trop orientée vers la R & D (recherche et développement) et pas assez vers le business, autrement dit trop en amont et pas assez en aval. Sur le plan structurel, se pose aussi un problème de visibilité concernant l’objectif général des pôles.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Que devrait être un pôle de compétitivité, pour le Comité Richelieu ?

M. Emmanuel Leprince. Une structure qui devrait avoir pour objectif de créer de nouvelles activités en France.

Le problème est que l’on ne sait pas aujourd'hui si la priorité doit être donnée à des nouvelles activités créées dans des nouvelles entreprises ou à des nouvelles activités créées dans des entreprises établies ou des grands groupes. Or, selon la priorité retenue, le contenu des pôles n’est pas le même, qu’il s’agisse de la gouvernance ou du type de projets retenus.

Enfin, les PME innovantes regrettent la structure géographique des pôles, qui leur donne une mentalité trop locale alors qu’elles ont besoin d’être mises en relations avec les meilleurs acteurs, où qu’ils soient en France. La notion de filière fait sens, mais ce critère géographique pose problème.

La synthèse à laquelle est parvenu le Comité Richelieu est que le cœur d’activité des pôles ne correspond pas, volontairement ou de facto, aux besoins prioritaires des PME innovantes.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Comment définiriez-vous ce cœur d’activité ?

M. Emmanuel Leprince. Par la mise en place de projets R & D permettant à des groupements – réunissant des grands groupes, des PME, des laboratoires – de travailler ensemble en recherche et développement. C’est là justement l’une des deux raisons principales du manque de correspondance des pôles avec les besoins prioritaires des PME innovantes.

Les pôles, en effet, sont essentiellement orientés vers des projets de R & D collaborative alors que les PME innovantes ont d’abord besoin qu’on les aide à mener des projets individuels. En recherche et développement, on peut faire, faire faire ou faire avec : on fait soi-même, on fait travailler un laboratoire pour soi ou on travaille à plusieurs – c’est la recherche collaborative. Pour les PME, le « faire » est le plus simple, le plus efficace et le plus rapide – ce qui est essentiel en période de crise. Malheureusement, les pouvoirs publics ont tendance à favoriser la recherche collaborative, que ce soit au niveau des projets européens – le programme-cadre de recherche et développement notamment – ou à celui des pôles ou d’OSÉO, qui poursuit désormais cette priorité, notamment avec le programme Innovation stratégique industrielle (ISI) qui absorbe une part importante de ses financements. Le coût de gestion de la recherche collaborative est très important, puisqu’il faut aider au montage des projets. Cela peut bien sûr être intéressant pour la PME, mais ce n’est souvent pas prioritaire.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Peut-être parce que le retour sur investissement se trouve trop différé ?

M. Emmanuel Leprince. Certainement. Ce type de projets implique aussi une organisation, ou des consultants. Le cycle est trop long. Enfin, l’aspect collaboratif n’est pas en soi une vertu : il peut être vu par l’entreprise comme un risque de spoliation de sa propriété intellectuelle, voire industrielle.

La deuxième raison du manque de correspondance des pôles avec les PME est que ces dernières ont un immense besoin qu’on déverrouille leur accès aux marchés, alors que les pôles sont trop focalisés sur l’amont. Miser beaucoup sur la R & D est bien sûr toujours intéressant, mais encore ne faut-il pas oublier l’aval.

À l’origine, la plupart des PME ont estimé que les grands groupes qui seraient présents dans les pôles de compétitivité pourraient être des utilisateurs de leurs produits, donc des clients. Mais en pratique, dans la majorité des pôles, les grands groupes sont représentés par leur section de recherche et développement dont l’objectif est d’abord de trouver le financement de projets de recherche collaborative. Les pôles n’ont donc pas ce rôle de mise en contact qu’avaient espéré les PME. Voilà pourquoi nous pensons que les pôles ne répondent pas aux besoins prioritaires – j’insiste sur le terme « prioritaire » – des PME innovantes car cela ne signifie pas que les pôles n’ont pas de valeur ajoutée pour les PME.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Après cette présentation générale, revenons sur le problème du financement. Est-ce sa complexité qui est en cause ?

M. Emmanuel Leprince. Les PME se plaignent beaucoup de la lourdeur du financement des projets – certaines prétendent même qu’il est presque plus facile d’obtenir un financement européen. Elles posent aussi de façon récurrente la question du guichet unique, qui est essentielle pour elles. Elles s’interrogent enfin sur le type de projets soutenus : participer à des gros projets, avec un grand nombre d’acteurs, est une contrainte importante pour des PME.

Le Comité Richelieu souhaite qu’il y ait plus de concurrence entre les entreprises candidates à l’aide, mais que celles qui sont choisies soient soutenues plus fortement. Ainsi, la Commission européenne a augmenté son taux d’aide mais la France a diminué le sien. Il pourrait être augmenté pour les PME. L’aide a aussi tendance à être limitée au montant actuel des fonds propres de l’entreprise. C’est un élément du « plafond de verre » qui bloque la croissance des PME, puisqu’il pousse à déterminer le montant de l’aide non pas en fonction du potentiel de l’entreprise mais de ce qu’elle pèse aujourd’hui. Par ailleurs, les avances remboursables sont fréquemment préférées aux subventions. Or, si elles permettent d’aider plus d’entreprises au total, elles ne sont certainement pas étrangères au fait que les PME françaises aient tant de mal à grandir. Le problème est que l’aide couvre le début de la mise au point du produit – la recherche et développement– mais qu’il reste ensuite des phases d’industrialisation, voire de commercialisation, qui coûtent de l’argent à l’entreprise. Le fait qu’il s’agisse d’avances remboursables handicape la capacité de l’entreprise à lever les financements privés nécessaires pour ces phases finales. En pratique, les entreprises se retrouvent exsangues alors qu’elles auraient besoin d’investir encore.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Il faudrait repousser l’échéance du remboursement ?

M. Emmanuel Leprince. Pas seulement. Le remboursement est considéré comme une dette. Il pénalise la capacité de l’entreprise à lever de l’argent. Pour finir, certains souhaitent que les aides soient remboursées non pas en fonction du chiffre d’affaires réalisé, mais du profit réalisé par l’entreprise. Je précise que l’ensemble de ces critiques sur le mode de financement n’est pas propre aux pôles de compétitivité, mis à part la question du guichet unique.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Revenons sur la recherche et développement : n’est-ce pas ce qui manque aujourd’hui aux PME ?

M. Emmanuel Leprince. Non. Ce qui leur manque, c’est du chiffre d’affaires.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les PME font donc assez de recherche et développement et n’ont pas besoin d’alliances dans ce domaine ? Je pensais que si beaucoup de grands groupes avaient bénéficié de financements de la part des pôles de compétitivité, c’est que les PME avaient du mal à présenter des dossiers de financement.

M. Emmanuel Leprince. Je rappelle que je ne parle que de cinq à dix mille PME, qui sont innovantes. Pour celles-là, le crédit d’impôt recherche est un instrument merveilleux. Nous y sommes extrêmement favorables.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Certains disaient qu’il profiterait aux grosses structures au détriment des petites.

M. Emmanuel Leprince. C’est faux, puisqu’il a augmenté aussi pour les PME. Le fait que la croissance soit plus importante en valeur absolue pour les grands groupes ne nous pose aucun problème – nous adorons les grands groupes, surtout ceux qui font de l’innovation : ce sont des clients ! Notre problème, c’est notre chiffre d’affaires. Le seul souci que nous cause l’augmentation du crédit d’impôt recherche est qu’elle a entraîné une forte diminution des budgets d’aide sur projets, en particulier d’OSÉO Innovation. Certes, la question de la coexistence d’une aide sur projets et d’un crédit d’impôt recherche fort peut se poser. Pour l’instant, ce que nous souhaitons est que même si le budget d’OSÉO Innovation n’augmente pas, il soit focalisé sur des dépenses non éligibles au crédit d’impôt recherche – des dépenses en aval, ce qui répond à notre obsession de l’accès au marché.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous pensez donc qu’il ne peut pas y avoir de synergies – que les pôles de compétitivité sont voués à l’échec pour des raisons de concurrence, de confidentialité et de délais de retour sur investissement, parce qu’une grande entreprise peut investir dans la recherche et attendre quelques années et pas une petite ?

M. Emmanuel Leprince. C’est assez vrai pour ce qui est de la recherche collaborative. Les relations entre les PME innovantes et les grands groupes sont vitales lorsque ces derniers sont les clients des premières, mais est-il nécessaire de forcer des PME à faire de la recherche et développement avec eux ? Il y a des cas où c’est très profitable, voire indispensable, mais ce n’est généralement pas un besoin prioritaire. Si l’on veut que les PME renforcent leur recherche et développement, il y a d’autres façons de faire, et nous avons des propositions sur ce sujet.

Par ailleurs, même lorsque la recherche collaborative est nécessaire, le mode de gouvernance actuel n’est pas satisfaisant. Si on laisse les PME et les grands groupes se débrouiller entre eux, ce sont les grands groupes qui gagnent. Il faut imposer un peu de dirigisme. Actuellement, le système est censé s’autogouverner et on en voit le résultat dans la part effective que prennent les PME dans les budgets, ou dans certains phénomènes annexes de spoliation de propriété intellectuelle, par exemple.

Bref, la recherche collaborative n’est pas une priorité pour nous mais là où elle peut marcher, il faut adapter la gouvernance.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le crédit d’impôt recherche, qui rencontre un certain succès, n’est-il pas devenu concurrent des pôles de compétitivité ?

M. Emmanuel Leprince. C’est ce que les PME nous disent : lorsqu’elles ont le choix entre 30 % seules ou 45 % selon des procédures compliquées, à long terme et avec le risque de se faire voler une partie de leur savoir-faire, elles se décident souvent vite. En revanche, il y a des cas où la recherche collaborative avec de grands groupes est indispensable. Cela dépend du métier de la PME.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous avez aussi évoqué le problème de la structure locale des pôles.

M. Emmanuel Leprince. Les PME sont unanimes : il y a un critère de trop dans les pôles de compétitivité. Il faut conserver le critère technologique, mais pas géographique.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La notion d’aménagement du territoire n’apparaît donc pas comme prioritaire.

M. Emmanuel Leprince. Pas pour une PME implantée dans un endroit de France non couvert par un pôle mais qui est leader dans son domaine.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Et pour ce qui est de la question de la visibilité générale des pôles ?

M. Emmanuel Leprince. Nous avons besoin de connaître l’objet stratégique des pôles : créer des nouvelles activités dans de nouvelles entreprises, ou dans des entreprises déjà existantes ? La première approche est offensive, la seconde défensive. Les deux sont nécessaires, mais elles ne peuvent utiliser le même véhicule. Or, la réponse des pouvoirs publics n’est pas très claire. Notre impression est que les pôles à vocation mondiale privilégient les entreprises existantes, contrairement aux pôles plus locaux.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quels sont vos interlocuteurs au sein de l’État ?

M. Emmanuel Leprince. Principalement la direction générale de la Compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS). Il y a aussi OSÉO – mais la question de son rôle dans les pôles semble ouverte – et l’Agence nationale de la recherche (ANR), que nous voyons toutefois directement, sans passer par les pôles : elle publie les appels à projets et nous proposons des PME pour participer aux comités stratégiques de certains de ces appels.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour en revenir à la recherche et développement, vous considérez donc que les PME pourraient se passer des pôles de compétitivité ?

M. Emmanuel Leprince. Du point de vue des PME, la priorité est de mener des projets de recherche individuelle. Ce qui n’empêche pas que des projets de recherche collaborative soient parfois nécessaires.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Et pour mener des projets individuels, il n’est pas besoin d’un « machin » aussi complexe : il suffirait de faciliter les financements.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Mais n’y a-t-il pas besoin des deux ? La petite entreprise a besoin d’assurer son quotidien, mais aussi de participer aux grandes évolutions technologiques.

M. Emmanuel Leprince. Si, il y a besoin des deux : c’est pourquoi j’ai bien parlé de « priorités ». La PME doit effectivement concilier le très court terme et le moyen et long terme – et pour ce long terme, il faut modifier la gouvernance des pôles, afin que la recherche collaborative soit effectivement ouverte aux PME.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Comment ?

Emmanuel Leprince. Il faudrait qu’ils apportent une valeur ajoutée en aval en permettant aux PME de faire du business avec de grands groupes. Dans l’état actuel des choses, c’est impossible parce que les représentants des grands groupes viennent de leur section de recherche et développement, pas des achats.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les grands groupes participent donc aux pôles non pas pour faire du business, mais pour avoir accès à des appels d’offre.

M. Emmanuel Leprince. Il suffit de regarder la carte de visite de leurs représentants !

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. N’arrive-t-on pas à une contradiction entre recherche et aménagement du territoire : du point de vue de la recherche, les PME et les grandes entreprises seraient en compétition, alors que du point de vue de l’aménagement du territoire, les PME voudraient profiter du business en étant des sous-traitants des grands groupes ? Dans la filière cosmétique, par exemple, une grande différence existe entre ceux qui fabriquent de nouveaux produits et ceux qui fabriquent les flacons.

M. Emmanuel Leprince. J’irai encore plus loin : il y a contradiction entre excellence et aménagement du territoire ! L’excellence, c’est la compétition – trouver le meilleur où qu’il soit. Mais les deux ne sont pas incompatibles : on les retrouve en même temps dans le cadre du Pacte PME par exemple, qui permet de mettre en contact les grands groupes et les PME. Du côté des grands groupes, l’approche n’a aucune dimension d’aménagement du territoire – on contacte la direction des achats où qu’elle se trouve et on lui indique les meilleures PME françaises. Mais il faut en même temps mener des actions avec les pôles et des structures présentes localement, qui connaissent les PME et qui peuvent les accompagner.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Mais il est clair que la priorité de vos adhérents n’est pas l’aménagement du territoire. Parlez-nous de la gouvernance.

M. Emmanuel Leprince. La question est de savoir comment faire fonctionner la recherche collaborative entre petits et gros. Pour cela, il faut d’abord des indicateurs objectifs. On a en effet beaucoup de mal à connaître la part réelle des PME dans les budgets des projets labellisés par les pôles. Il y a des effets de bord importants – par exemple lorsque la filiale d’un grand groupe est comptabilisée parmi les PME, ou lorsqu’on prend en compte, dans les crédits attribués aux PME, des aides d’OSÉO mais qui concernent des projets individuels. Il faut donc pouvoir disposer de données annuelles objectives – en termes bien sûr de crédits et non de nombre de projets. Dans les vingt-deux pôles de compétitivité avec lesquels nous travaillons, qui sont à vocation mondiale, la part des PME semble en train de diminuer dans les crédits du Fonds unique interministériel, d’augmenter dans ceux des collectivités locales et de rester stable pour ce qui est de l’ANR. Une telle politique de transparence nous paraît indispensable.

Ensuite, il faut assurer une meilleure représentation des PME dans les pôles de compétitivité. Or deux freins existent : la PME « alibi », qui dit que tout va bien parce qu’elle est entourée de ses grands clients et que son projet à elle est financé, et le fait que les dirigeants de PME n’ont pas le temps de se rendre à toutes les réunions du conseil d’administration. Pour y remédier, des structures associatives, qui pourraient être locales, du moment qu’elles sont bien portées par des PME, ou nationales, de type CGPME, pourraient les représenter dans les conseils d’administration – l’avantage de la CGPME étant qu’elle pourrait réunir ses représentants de tous les pôles pour faire des échanges de bonnes pratiques.

Enfin, il faudrait aussi des projets spécifiquement ciblés sur les PME, avec deux conditions : la participation d’au moins deux participants, puisqu’il s’agit de recherche collaborative, mais pas forcément plus et que le projet soit porté par une PME. L’intervention d’un grand groupe ne serait pas obligatoire. On pourrait garantir à ces projets une instruction plus rapide qu’aux projets classiques, et leur réserver un budget annuel – ainsi que le fait par exemple la Direction Générale pour l’Armement du ministère de la Défense, qui affecte environ 15 % de ses crédits de recherche et développement à un processus spécial : le dispositif REI (Recherche exploratoire et innovation), qui est orienté vers les PME et qui se déroule très vite. Ces procédures seraient mieux adaptées aux PME.

Sur un autre sujet, le questionnaire que vous nous avez fait parvenir évoquait l’évaluation des pôles menée en juin 2008. Nous la contestons sur deux points. D’abord, l’étude concluait à un fort niveau d’implication des PME dans les projets, des PME qui recevraient une part importante des financements publics dédiés. Nous sommes d’autant moins d’accord que l’étude ne mentionne aucun chiffre. Pour ce qui est des pôles à vocation mondiale, nous considérons que les grands groupes reçoivent quatre fois plus que les PME. Ensuite, l’étude estimait que la participation des PME au sein des pôles et leurs relations avec les grands groupes dans les projets étaient satisfaisantes. Or, 67 % des PME membres de pôles estiment qu’elles n’y sont pas suffisamment valorisées. Il y a une attente à ce sujet.

M. Alain Claeys, Rapporteur. L’objectif du Gouvernement est aujourd’hui de favoriser la synergie entre les pôles de compétitivité. Y êtes-vous favorables, et quels obstacles y voyez-vous ?

M. Emmanuel Leprince. Nous y sommes favorables si cela permet de faire disparaître les barrières géographiques. L’obstacle est dans le fonctionnement des pôles : évitons de rajouter un niveau supplémentaire de complexité aux procédures.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Qu’en est-il de la propriété intellectuelle ? Dans le domaine de la santé, par exemple, une des difficultés des PME innovantes est qu’au moment de la valorisation des contrats de propriété intellectuelle, elles doivent faire face à une multitude d’interlocuteurs.

M. Emmanuel Leprince. La demande des PME est forte s’agissant d’un appui en matière de propriété intellectuelle, avec éventuellement des conditions types qui seraient imposées aux autres partenaires avant le démarrage du projet. Certaines parlent de forts déséquilibres dans les négociations non seulement avec les grands groupes, mais aussi avec les laboratoires, qui sont incontournables dans les pôles. Certains bénéficient de conditions quelque peu avantageuses.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quelles pourraient être les structures d’appui ? Les pôles de compétitivité eux-mêmes ?

M. Emmanuel Leprince. Les PME auraient besoin autant d’un soutien en matière de compétences, puisque le domaine est très complexe, que d’une amélioration de la gouvernance pour éviter le déséquilibre dans les négociations. Il y a aussi une valorisation en aval : c’est l’accès au marché. Nous restons toutefois sceptiques sur le rôle que pourraient y jouer les pôles, du fait de leur aspect géographique.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il est vrai que nous avons très peu évoqué l’accès au marché dans nos travaux.

M. Emmanuel Leprince. C’est une très forte attente des PME.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Mettre l’accent sur les écotechnologies, qui sont une matière transversale qui touche tous les pôles, ne va-t-il pas accentuer encore le clivage entre pôles de compétitivité et aménagement du territoire ?

M. Emmanuel Leprince. Je pense que si. On peut retrouver ce clivage dans d’autres domaines transversaux, tels que l’utilisation des technologies de l’information et de la communication par les PME.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Tous ces domaines posent un problème au regard de la localisation géographique des pôles de compétitivité.

M. Emmanuel Leprince. Et de la notion de filière, selon qu’il s’agit de filière de compétence ou de marché. Certains pôles sont positionnés sur un marché, d’autres sur des compétences – les systèmes embarqués, par exemple, qui touchent plusieurs marchés. Mais toute classification a ses désavantages…

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Il faut donc faire le bilan entre ce qu’on obtient en matière de recherche et en matière d’aménagement du territoire. La concentration peut apporter des résultats, mais aussi des catastrophes.

M. Alain Claeys, Rapporteur. En tout cas, la finalité des pôles de compétitivité – innovation, aménagement du territoire, aspect industriel – ne correspond absolument pas aux priorités de vos adhérents : trouver des marchés auprès des grands groupes.

M. Emmanuel Leprince. Cela ne devrait pas être la finalité des pôles. En revanche, c’est un besoin des PME que les pôles ne remplissent pas, pas plus qu’ils ne les aident à mener les projets individuels de recherche et développement dont elles ont besoin.

M. Alain Claeys, Rapporteur. En quoi les pôles empêchent-ils les PME innovantes de faire individuellement de la recherche et développement ? Pourquoi ne peuvent-elles pas répondre aux appels d’offre dans cette matière ?

M. Emmanuel Leprince. Parce que les appels d’offre portent sur des projets collaboratifs. Pour les projets individuels, il faut obtenir des aides hors des pôles – d’OSÉO, ou fiscales. La notion de cluster des pôles implique la collaboration.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Les pôles sont-ils utiles pour des recherches dont l’application ne serait pas extrêmement rapide ?

M. Emmanuel Leprince. J’insiste : la recherche collaborative est utile, ou le serait à condition de modifier la gouvernance. Nous en avons besoin.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Mais il est vrai qu’une PME excellente en recherche qui n’en retire pas de quoi vivre finira par déposer son bilan…

M. Emmanuel Leprince. C’est une affaire de tempo : celui de la recherche collaborative est moins adapté aux PME qu’aux grandes entreprises, mais nombre d’entre elles en ont besoin.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les grands groupes externalisent aussi leur recherche et développement.

M. Emmanuel Leprince. N’allez pas le dire à leurs sections recherche et développement !

M. Alain Claeys, Rapporteur. Merci beaucoup pour cette intervention. Peut-être pourrez-vous nous communiquer les réponses de vos adhérents au questionnaire que nous vous avions adressé.

M. Emmanuel Leprince. Bien sûr. Par ailleurs, si cela vous est utile, nous pourrions transmettre un questionnaire à des PME. Vous disposeriez ainsi de données plus précises.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Nous en profiterions avec grand intérêt. Nous allons élaborer le questionnaire et vous le transmettre.

Audition du 15 avril 2009

À 14 heures 30 : Mme Jacqueline Lecourtier, directeur général de l’Agence nationale de la recherche, accompagnée de M. Philippe Freyssinet, responsable du département Énergie durable et environnement, et de M. Ludovic Valadier, responsable du département Partenariats et compétitivité

Présidence de M. David Habib, Président

M. David Habib, Président. Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Jacqueline Lecourtier, directeur général de l’Agence nationale de la recherche, accompagnée de M. Philippe Freyssinet, responsable du département Énergie durable et environnement, et de M. Ludovic Valadier, responsable du département Partenariats et compétitivité.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. En 2008, l’ANR a fourni près de 30 % des financements des projets labellisés par les pôles de compétitivité. Pouvez-vous préciser la manière dont elle procède ?

Mme Jacqueline Lecourtier, directeur général de l’Agence nationale de la recherche. L’ANR participe en effet largement au financement de la recherche des pôles, mais sans utiliser de mécanisme particulier. Elle lance des appels à projets, et les partenaires des pôles y répondent ; les projets qui lui sont soumis sont évalués suivant un mécanisme de peer review – évaluation par les pairs –, désormais certifié ISO 9001 et équivalent à celui qu’utilisent toutes les grandes agences dans le monde. Cela étant, lorsqu’un projet porté par des chercheurs – publics ou privés –, intéresse l’un des pôles, nous demandons aux porteurs du projet de solliciter de ce pôle une labellisation, confirmant qu’il correspond bien à sa stratégie ; mais cela ne change rien à notre mode d’évaluation. Notre taux de sélection moyen est de l’ordre de 25 %, soit un projet sur quatre. Si un projet que nous avons sélectionné est labellisé par un pôle, nous lui attribuons un bonus qui, depuis cette année, est de 7 % du montant des aides ; c’est notre seule action spécifique à l’égard des pôles. Cet abondement concrétise l’une des missions de l’ANR, qui est de rapprocher la recherche publique et la recherche privée. Cet argent va aux acteurs académiques, qui vont travailler à l’animation scientifique du pôle autour du projet, éventuellement faire venir des chercheurs étrangers, et travailler à la valorisation des résultats en allant voir des industriels. Ce dernier point est très important car on constate chez les chercheurs un déficit de sensibilité à la valorisation des résultats. Bref, le label donne droit à un petit plus qui aide les pôles à se construire sur le plan scientifique.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pouvez-vous nous donner des chiffres sur l’aide apportée aux pôles de compétitivité par l’ANR ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Quelque 6 000 projets sont soumis chaque année à l’ANR. Sur ce total, en 2008, il y a eu 1 135 projets labellisés, dont 234 ont été financés, impliquant 1 057 partenaires et représentant une aide de 170 millions d’euros.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Combien de pôles de compétitivité ont été concernés par ces projets ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Une quinzaine, mais à des niveaux très différents.

M. Alain Claeys, Rapporteur. N’y a-t-il pas un détournement des pôles de compétitivité ? Certaines grandes entreprises ne les utilisent-elles pas pour déposer des dossiers alors que leurs activités de recherche et développement sont localisées ailleurs ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Cela ne nous a pas été signalé.

M. Ludovic Valadier, responsable du département Partenariats et compétitivité. Se tourner vers un pôle de compétitivité situé sur un autre territoire que son département de R&D me paraît être, pour l’entreprise, une source de complexité supplémentaire.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Prenons le cas d’une entreprise ayant une filiale sur le territoire.

M. Ludovic Valadier. Le pôle reconnaît les entreprises filiales comme partenaires du territoire.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Que pensez-vous, avec le recul, du fonctionnement des pôles de compétitivité ? Est-ce un plus par rapport à la recherche académique ? Comment jugez-vous l’évaluation qui en a été faite ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Comme je l’ai déjà indiqué, l’une des missions de l’ANR est de favoriser le partenariat public-privé. Or les pôles de compétitivité sont justement des creusets dans lesquels se regroupent certains grands groupes ou leurs filiales, des PME et des partenaires académiques. Ils poussent les acteurs de la recherche fondamentale à orienter leurs travaux vers les besoins industriels. Les réunions qu’ils organisent avec les différents acteurs du secteur – universités, grands centres de recherche – impulsent une dynamique très importante.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Certains représentants de PME nous ont dit se sentir un peu ignorés.

Mme Jacqueline Lecourtier. C’était vrai au début. Quand les pôles ont été créés, j’étais directeur scientifique de l’Institut français du pétrole. J’ai participé à ce titre à la création d’Axelera et de System@tic Paris Région. J’ai souligné à l’époque la présence trop faible des PME. La situation s’est bien améliorée depuis.

M. Ludovic Valadier. L’évaluation qui a été conduite sur les pôles de compétitivité est courageuse parce qu’elle n’a pas hésité à présenter des résultats contrastés. Elle rend compte de la réalité de la situation.

M. Alain Claeys, Rapporteur. En quoi est-elle plus particulièrement courageuse ? Quels sont les points négatifs sur lesquels vous êtes d’accord ?

M. Ludovic Valadier. Cette évaluation comporte des points positifs et négatifs.

Elle est courageuse en ce sens qu’elle conduit à « revoir la copie » de structures qui ont reçu le label de pôle après l’appel à candidatures de 2005 mais qui n’ont pas réussi à « décoller ». Pour un pôle classé en catégorie 3, selon la terminologie de la DIACT, on doit revoir les contrats de performance et la stratégie au niveau du territoire pour, éventuellement, prolonger le label.

Par ailleurs, deux constats s’imposent.

Premièrement, une dynamique régionale s’est associée au dispositif national des pôles. Les projets collaboratifs sont aujourd’hui cofinancés de manière équilibrée entre l’échelon régional et l’échelon national.

Deuxièmement, les projets de pôle sont majoritairement des projets de recherche industrielle, mobilisant les trois composantes des pôles, à savoir l’entreprise, la recherche et la formation. Le même constat vaut pour les projets soumis à l’ANR, qui sont, pour les deux tiers, des projets de recherche industrielle.

Mme Jacqueline Lecourtier. L’ANR évalue les projets de pôle de la même manière que les autres, de façon transparente, ce qui conduit à un classement des pôles vis-à-vis des critères de sélection ANR.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Combien de temps faut-il compter entre le dépôt d’un dossier et la labellisation du projet ?

M. Ludovic Valadier. Le label est donné par le pôle pendant la période d’ouverture de l’appel à projets, plus éventuellement un mois.

Quant au délai de contractualisation, il est nécessairement inférieur à douze mois puisque l’ANR fonctionne par édition. Chaque année, elle ouvre de nouveaux appels à projets après avoir clos le budget précédent.

Selon le benchmark que nous avons réalisé sur l’ensemble des appels à projets, le délai minimum que nous avons réussi à atteindre est de six-sept mois. Il est très difficile de descendre en dessous car il faut au moins deux mois pour l’ouverture de l’appel à projets, deux mois pour la sélection par les pairs, un mois pour l’analyse financière des entreprises et l’étude des devis des porteurs de projet, et un mois pour la contractualisation.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel est le délai de versement des crédits ?

M. Ludovic Valadier. À partir du moment où les contrats sont signés, le versement est très rapide. C’est un délai administratif, d’une semaine à quinze jours. Mais auparavant, il y a vraiment des délais incompressibles. Deux mois sont nécessaires aux porteurs de projet pour préparer leur réponse. Pour l’expertise – nous utilisons une expertise nationale et internationale –, deux mois sont également nécessaires car il faut le temps de trouver l’expert, le temps pour l’expert de réaliser son expertise et le temps pour nous de la restituer à notre commission des pairs.

M. Philippe Freyssinet, responsable du département Énergie durable et environnement. Une comparaison avec nos homologues européens nous place parmi les agences qui ont les délais de procédure les plus rapides.

Mme Jacqueline Lecourtier. Ce délai figure dans les indicateurs de notre certification ISO 9001.

M. Alain Claeys, Rapporteur. On dit que les pôles de compétitivité doivent servir à la fois l’aménagement du territoire, l’innovation, la politique industrielle. Selon vous, quelle est leur finalité ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Les pôles de compétitivité sont, comme je l’ai déjà souligné, des creusets qui favorisent le contact entre les équipes académiques et l’industrie, et donc l’innovation industrielle. Trop de projets de recherche tombent, une fois la recherche finie, dans la death valley.... Les pôles sont un moteur pour aller plus vite vers l’innovation. Les grands pôles comme System@tic Paris Région, Axelera, le Pôle Mer PACA remplissent ce rôle.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La complexité des dossiers, le système de la propriété intellectuelle freinent-elles ces relations entre les instituts de recherche et les industriels ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Oui, mais c’est un phénomène général. Il n’est pas lié aux pôles.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Comment peut-on apporter des améliorations ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Il faudrait qu’il y ait des départements « propriété industrielle » à l’intérieur des universités, comme il en existe dans les établissements publics à caractère industriel et commercial.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le directeur général de l’INSERM nous a fait remarquer ce matin que, si les CHU, les universités, les laboratoires déposent des brevets, l’industriel sera complètement dépassé.

Mme Jacqueline Lecourtier. Ce n’est pas du tout ainsi que la question se pose à mes yeux. Les académiques n’ont pas, la plupart du temps, toutes les compétences requises pour rédiger un brevet. Il faudrait qu’ils puissent bénéficier du soutien de services « brevet » dans les universités, les PRES – pôles de recherche et d’enseignement supérieur –, voire les pôles de compétitivité.

Je pense que les industriels aident les universitaires à écrire leur brevet et surtout à avoir le réflexe de se protéger. Les chercheurs académiques continuent aujourd’hui à publier avant même de s’être posé la question de savoir s’ils pouvaient ou non prendre un brevet. La proximité avec des industriels à travers des équipes mixtes public-privé devrait permettre de changer cela.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Que peut faire une très petite entreprise dans un pôle ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Elle a accès à une recherche en amont sur des questions spécifiques qui peuvent lui être utiles. Par exemple, s’il lui manque un matériau, elle osera, dans un pôle, aller voir l’équipe qui peut l’aider dans ce domaine. En cela, c’est vraiment pour elle un « service de proximité » très appréciable.

En ce qui concerne la propriété industrielle, la situation des petites entreprises est très difficile car cela coûte très cher de déposer un brevet et, surtout, de le maintenir.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La propriété intellectuelle est donc un frein.

Mme Jacqueline Lecourtier. C’est un frein financier tant pour les petites et très petites entreprises que pour certaines équipes universitaires.

M. Ludovic Valadier. Pour éviter que les délais dépassent douze mois, l’ANR a opté, dès le début, pour une organisation consistant à accepter le dépôt des projets tels quels et à imposer ensuite un délai de douze mois pour la signature de l’accord de consortium et le règlement des problèmes de propriété intellectuelle. Cette organisation fonctionne très bien et nous a permis d’engager 99,9 % de nos budgets. Contrairement à la Commission européenne qui impose un accord de consortium au début, ce qui peut être un frein au dépôt d’un projet par des PME, nous avons consenti à prendre un petit risque au départ, que nous contrôlons ensuite ; la perspective du versement de la seconde tranche nous assure la signature de l’accord de consortium dans les douze mois.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pour les entreprises, le processus doit être le plus rapide possible. Quelles sont les solutions envisageables pour simplifier les dispositifs de financement ?

Mme Jacqueline Lecourtier. La position de l’ANR est en amont, puisque nous nous occupons de recherche. Derrière, il y a OSÉO Innovation, avec lequel nous travaillons à établir un lien étroit, afin qu’il n’y ait pas de discontinuité et que des financements soient rapidement trouvés quand, un projet de recherche étant arrivé à terme, il faut transformer l’essai, passer aux prototypes et aller vers le marché. Nous avons rencontré des représentants d’OSÉO Innovation plusieurs fois et nous souhaitons qu’ils soient présents lorsque nous ferons le bilan de nos appels à projets touchant à l’industrie – les premiers projets, en date de 2005, arrivant à terme en 2009 – afin de pouvoir éventuellement prendre le relais.

M. Alain Claeys, Rapporteur. De l’extérieur, les financements publics paraissent complexes. Il est important de savoir qu’il existe une continuité entre l’ANR et OSÉO.

Mme Jacqueline Lecourtier. Nous sommes en train de l’organiser, mais depuis sa création, l’ANR entretient avec OSÉO des liens étroits. OSÉO participe à nos comités et, pour notre part, nous nous rendons au CISI, le comité d’engagement du programme Innovation stratégique industrielle, qui a remplacé l’AII, l’Agence de l’innovation industrielle. Nous sommes organisés de la même manière qu’OSÉO, avec le même découpage des départements scientifiques et techniques – santé, énergie, sciences et technologies de l’information et de la communication – et nos responsables de département travaillent ensemble. Nous avons une bonne connaissance mutuelle de nos activités respectives. Ce qui nous paraît très important, c’est d’organiser, à partir des résultats de projets de l’ANR, le passage de relais à OSÉO.

L’ANR dispose d’un autre mécanisme : les appels à projets Émergence, limités à deux ans, au lieu de trois ou quatre pour les projets de recherche standards. Ils concernent des projets qui ont donné de bons résultats mais qui nécessitent, avant de pouvoir être regardés par un industriel comme vraiment intéressants, de la maturation et un complément de tests et d’études, l’équipe de recherche et l’équipe de valorisation travaillant ensemble.

Nous avons appliqué ce mécanisme dans le domaine des biotechnologies et il a bien fonctionné. Le premier appel Émergence, lancé en 2005, a donné lieu à la création de sept start-up, dont plusieurs ont réussi au concours innovation d’entreprise d’OSÉO, qui prend donc maintenant le relais. Nous n’en sommes qu’au stade de la mise en place du système, puisque l’ANR arrive juste au terme de sa première vague de projets, mais il est fondamental.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quelle appréciation portez-vous sur la gouvernance des pôles ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Nous organisons une fois par an un grand séminaire réunissant des patrons de pôle. Au cours de cette journée « pôles », nous faisons le bilan des domaines où ils ont été très bons et de ceux où ils l’ont été moins, et nous organisons des ateliers par domaine afin de connaître leurs besoins de recherche.

Nous observons, les années passant, une maturation dans les stratégies scientifiques et techniques et la création de véritables dynamiques. Cela étant, comme le rapport d’évaluation l’a mis en évidence, les situations sont très hétérogènes.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. À ce propos, comment expliquez-vous que 85 % du financement public soit concentré sur une quinzaine de pôles de compétitivité ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Sans doute est-ce parce que ces quinze pôles sont capables de présenter de meilleurs projets, ont une gouvernance plus mature, des stratégies plus claires et travaillent dans des domaines plus émergents. L’ANR aboutit au même classement des pôles que celui qu’a fait apparaître l’évaluation.

M. Alain Claeys, Rapporteur. À votre avis, en quoi un PRES pourrait-il être utile à un pôle de compétitivité ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Le PRES pourrait homogénéiser l’action des équipes académiques, le système français étant caractérisé par la présence d’opérateurs multiples ayant des statuts différents. Je pense qu’il serait bon pour la gouvernance du pôle d’avoir affaire à un patron de PRES qui représente ces équipes.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Sous réserve que les organismes de recherche acceptent.

Mme Jacqueline Lecourtier. C’est là un problème qui n’est pas lié aux pôles de compétitivité, mais à notre système de recherche.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quels sont vos rapports avec les organismes de recherche qui sont impliqués dans des pôles de compétitivité ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Ce sont les mêmes qu’avec les organismes de recherche en général. Nous entretenons avec eux une collaboration extrêmement étroite. L’ANR compte cinquante-cinq scientifiques ; mis à part cinq ou six qui, comme moi, y travaillent à temps plein, ils consacrent à l’agence 30 à 40 % de leur temps et passent le reste dans leurs laboratoires. C’est par exemple le cas de M. Freyssinet, qui vient du BRGM.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Y a-t-il un rapprochement de la programmation entre l’ANR et les organismes de recherche ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Il y a toujours eu une grande proximité entre les deux.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Au départ, les organismes de recherche faisaient partie du conseil d’administration de l’ANR.

Mme Jacqueline Lecourtier. Ils n’y sont restés qu’un an. Quand l’ANR est devenue un établissement public à caractère administratif – un EPA – , ils ont été remplacés par des personnalités qualifiées. Mais le décret qui a institué l’EPA a doté l’ANR de comités sectoriels pour gérer la programmation, et chaque organisme de recherche est présent dans le comité de son domaine – un pour les STIC, un pour l’énergie, un autre pour la santé, un autre sur les écosystèmes.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. À votre avis, les pôles de compétitivité permettent-ils vraiment de créer une synergie entre innovation, politique industrielle et aménagement du territoire ? N’y a-t-il pas une contradiction entre l’innovation et l’aménagement du territoire, ce qui expliquerait qu’il n’y ait que quinze pôles qui émergent en matière d’innovation, les autres se consacrant davantage à l’aménagement du territoire ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Il y a de grandes différences de maturité entre les pôles. Certains se sont créés à partir de structures encore jeunes et inabouties, tandis que d’autres, comme System@tic Paris Région qui s’est appuyé sur Thales et tous les champions de l’informatique en Ile-de-France, n’ont eu aucun mal à démarrer. En regardant la courbe d’apprentissage des pôles, on voit que certains évoluent vers l’innovation et que d’autres restent repliés sur leur territoire. Certains nous demandent actuellement de les aider à se tourner vers l’international.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pensez-vous que certains ont atteint la taille critique leur permettant de rivaliser avec des pôles internationaux ?

M. Ludovic Valadier. La concentration des financements sur quinze pôles ne repose pas tant sur un critère de qualité que sur un critère de quantité ou de taille critique. Les quinze premiers pôles sont ceux qui ont les plus hauts niveaux d’activité économique, de recherche ou d’innovation. Leur offre de recherche est beaucoup plus importante que celle des autres.

M. Alain Claeys, Rapporteur. L’objectif de 30 % de projets consacrés au développement durable s’applique-t-il aussi à l’ANR ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Grâce à nos comités sectoriels, notre programmation thématique a été dès le début très largement tournée vers le développement durable. Le décompte réalisé au moment du Grenelle de l’environnement montrait que cela représentait 45 % de notre activité.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour résumer, l’intérêt des pôles est de rapprocher la recherche académique et la recherche-développement. Pour vous, c’est un acquis.

Mme Jacqueline Lecourtier. Non, ce n’est pas un acquis, mais les pôles de compétitivité encouragent cette dynamique ; ils peuvent nous aider à résoudre ce mal français qu’est la séparation entre les deux.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Au vu de l’audit, quelles priorités doit-on donner aux pôles pour qu’ils s’améliorent et se renforcent ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Premièrement, il faut obtenir de ceux à qui on a dit de revoir leur copie qu’ils définissent une stratégie claire, ayant une chance d’aboutir et de leur donner une visibilité. Un certain nombre de pôles sont, en effet, en dessous du niveau.

Deuxièmement, il faut considérer le problème de taille et réfléchir, comme le propose la commission, au regroupement de certains pôles.

Troisièmement, le rayonnement des pôles à l’international doit être favorisé.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Comment l’ANR peut-elle y aider ?

Mme Jacqueline Lecourtier. L’ANR a une action internationale importante depuis 2006. En 2008, nous avons consacré 5 % de nos financements à des projets transnationaux réunissant une équipe française et une équipe internationale, chaque pays finançant son équipe. En créant l’ANR, la France s’est en effet dotée d’une agence équivalente à celles qui existent dans tous les grands pays de recherche, travaillant suivant le même mécanisme de sélection par les pairs. Il est donc facile pour nous de passer un accord avec l’agence d’un autre grand pays afin de lancer un appel à projets commun pour des projets transnationaux. La NSF – National Science Foundation – en Grande-Bretagne ou la DFG – Deutsche Forschungsgemeinschaft – en Allemagne consacrent 8 % de leurs financements à de tels projets. Nous sommes donc sur la bonne voie, et nous pouvons très bien aider les pôles à monter des projets transnationaux, comme ils en ont formulé la demande lors de notre dernière réunion.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Cela ne conduit-il pas à avoir deux types de pôles : ceux qui répondent à un problème d’aménagement du territoire et ceux qui organisent une recherche en collaboration ? Les PME, en ce qui les concerne, nous disent se méfier de la collaboration avec une grande entreprise et préférer l’outil du crédit d’impôt recherche.

Mme Jacqueline Lecourtier. Nous avons besoin de plusieurs mécanismes, permettant de faire de l’innovation à différentes échelles, mais nous avons notamment besoin de grands pôles qui rayonnent à l’international et nous positionnent au niveau européen. C’est aussi l’idée de la LRU. Dans le domaine des nanotechnologies, tout le monde à l’étranger connaît Grenoble. On parle certes des grands pays de recherche, mais également des grandes équipes.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. La crise a-t-elle un impact sur l’activité et le financement des pôles ?

Quel sera, selon vous, l’impact de la baisse des dotations de l’État en faveur de la politique des pôles de compétitivité sur la période 2009-2011 ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Il est trop tôt pour dire si la crise a un impact sur la recherche. Nous avons observé des fluctuations, mais les demandes de financement restent à un niveau très élevé.

M. Philippe Freyssinet. Dans le domaine qui me concerne, celui de l’énergie durable et de l’environnement, les situations sont très contrastées et dépendent des secteurs et des stratégies d’entreprise. Certains groupes, comme Lafarge, font des coupes dans leurs dépenses de R&D pour des raisons financières, et renoncent même sur leur part de fonds propres. D’autres, au contraire, profitent de la baisse momentanée de la production pour faire travailler leurs équipes d’ingénieurs sur l’innovation et la R&D.

Mme Jacqueline Lecourtier. Les industriels continuent à venir dans nos comités sectoriels pour bénéficier de la dynamique scientifique, et continuent à participer – puisque nous voulons une évaluation mixte – à l’évaluation des projets.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Que vous inspire le fait que, en termes de financement, la recherche fondamentale ait progressivement pris le pas sur la recherche industrielle ?

M. Ludovic Valadier. La recherche fondamentale a progressé, mais elle n’a pas pris le pas sur la recherche industrielle, qui reste largement majoritaire.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La part de la recherche industrielle a diminué.

M. Ludovic Valadier. Elle est en effet passée de 70 à 63 % en trois ans. Cette évolution peut être considérée comme un signe positif car au début, l’ANR a dû convaincre les pôles de compétitivité que leur rôle ne se limitait pas au développement économique du territoire mais s’étendait à la R&D, et les inviter à répondre aux appels à projets nationaux. Petit à petit, ils ont consolidé leurs stratégies scientifiques, qui sont maintenant très élaborées.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Une personne travaillant dans un laboratoire de recherche peut-elle être tentée de quitter la recherche fondamentale pour se plonger dans l’environnement industriel d’un pôle ? Est-ce envisageable ? Y a-t-il eu des expériences ?

M. Ludovic Valadier. Les pôles de compétitivité sont des structures associatives composées de sept ou huit personnes qui ne représentent qu’elles-mêmes. Ils jouent un rôle d’animateur, mais ce ne sont pas eux qui font l’activité. Les créateurs de richesses, ce sont les membres des pôles. En revanche, il peut y avoir parmi ceux-ci des transferts. Par exemple, une start-up issue d’une université peut être hébergée et agrandie par un grand groupe ou une PME. Le pôle a alors une fonction d’incubation.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Ne peut-on imaginer que des chercheurs se déplacent dans des grands pôles pour une période de trois, quatre ou cinq ans, ce qui doperait l’activité de recherche de ces pôles ?

Mme Jacqueline Lecourtier. C’est une évolution que l’on peut souhaiter dans le futur, mais ce n’est pas le cas actuellement.

M. Ludovic Valadier. C’est un modèle qui existe dans d’autres pays. En Tunisie, par exemple, les pôles ont des structures d’hébergement, d’incubation, de couveuse. La France a préféré avoir des structures associatives très légères et très dynamiques, sans bâtiments ni centres de formation, parce qu’il existe déjà des incubateurs, des dispositifs d’essaimage et de création de start-up financés par OSÉO.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. On peut imaginer des mouvements dans les deux sens. Comme on a besoin de moyens industriels différents pour accompagner chaque recherche, il faut utiliser l’outil le plus proche de la problématique.

Mme Jacqueline Lecourtier. Dans les gros pôles, c’est envisageable.

M. Alain Claeys, Rapporteur. L’ANR participe-t-elle au financement de plateformes d’innovation ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Elle n’a pas vocation à les financer directement. En revanche, elle finance l’utilisation d’équipements requise par un projet : elle paie le fonctionnement de la plateforme, en tant qu’outil du projet, pendant la durée nécessaire.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Selon vous, le dispositif des pôles présente-t-il des fragilités ? Est-il trop complexe ?

M. Ludovic Valadier. Parmi les possibilités d’amélioration des pôles, je veux insister sur l’importance des associations permettant d’atteindre une taille critique. Cela a permis de grands succès, notamment dans le domaine de l’automobile : à partir des premiers dossiers qui avaient été déposés en Normandie et en Ile-de-France, Normandy Motor
Valley et Vestapolis, s’est finalement formé MOV’EO ; et des discussions sont en cours pour une fusion avec le pôle MTA – Mobilité et Transports avancés –, situé sur le territoire de Poitou-Charentes. Vu de Tokyo, il est évident qu’on ne va pas faire la différence entre Poitiers et Versailles Satory dans le domaine de l’électromobilité ; partager la même plateforme de test de véhicules hybrides sur le plateau de Saclay a vraiment du sens.

Mme Jacqueline Lecourtier. Nous considérons que le dispositif des pôles a créé une nouvelle dynamique, et la synergie avec l’ANR est bonne. Cela nous a vraiment aidés à développer nos appels à projets partenariaux.

M. Alain Claeys, Rapporteur. L’agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur participe-t-elle à l’évaluation des pôles ?

M. Ludovic Valadier. L’AERES n’a pas participé à l’évaluation du Boston Consulting Group. Elle est spécialisée dans l’évaluation des instituts alors que les pôles, structures associatives, sont des sommes d’instituts.

Mme Jacqueline Lecourtier. À notre avis le dispositif des pôles est bien conçu et répond à un besoin. En revanche le nombre des pôles – 71 – est trop élevé ; il faudrait procéder à des regroupements et garder ceux qui sont vraiment capables de conduire une politique scientifique et technique et de promouvoir l’innovation.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Dans ce cas, il faut revoir leur dimension d’aménagement du territoire – car on peut imaginer un pôle excellent établi entre trois grandes villes de France.

Mme Jacqueline Lecourtier. Oui.

M. Ludovic Valadier. L’exemple de l’aéronautique est intéressant de ce point de vue. La présence d’ASTech Paris Région, de Pégase et d’AESE – Aéronautique, Espace et Systèmes embarqués – est un avantage au niveau territorial, mais ce qui importe au niveau international, c’est la coordination des trois territoires et la force qui en résulte pour la France en matière de R&D aéronautique. Il faut savoir jouer sur les deux plans.

Mme Jacqueline Lecourtier. Quand on fait le bilan de nos appels à projets au sein de nos comités sectoriels, on s’aperçoit que la force de proposition des pôles augmente et qu’ils sont beaucoup moins conservateurs que certains acteurs de recherche. Ils ont un effet très positif sur la dynamique globale de la recherche.

Les pôles de compétitivité sont très intéressés par nos bilans d’appels à projets, que nous faisons en province. Généralement, ce sont eux qui nous accueillent et s’occupent de la logistique. Pour nous, ce sont vraiment de bons partenaires.

M. Philippe Freyssinet. Un mot encore sur les écotechnologies. L’ANR a depuis sa création plusieurs programmes dans ce domaine. À l’occasion du salon Polytech, nous avons réalisé un numéro spécial sur nos premiers résultats, dont nous allons vous laisser un exemplaire.

M. David Habib, Président. Madame le directeur général, Messieurs, merci beaucoup.

Audition du 15 avril 2009

À 15 heures 30 : M. Marc Ledoux, directeur de la politique industrielle du Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Présidence de M. David Habib, Président

M. David Habib, Président. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Marc Ledoux, directeur de la politique industrielle du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), accompagné de M. Laurent Courde, coordinateur des pôles de compétitivité.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Ma première question concerne la participation du CNRS au dispositif des pôles de compétitivité. Dans combien de pôles le CNRS intervient-il, et pour quel montant financier ? Y a-t-il des disciplines dans lesquelles il est plus particulièrement présent ?

M. Marc Ledoux, directeur de la politique industrielle du CNRS. Le CNRS étant un organisme pluridisciplinaire, il n’y a pas de disciplines prioritaires pour nous.

Je ne dispose pas encore des chiffres de l’année 2008, mais je peux vous communiquer ceux des années précédentes. En 2006, 153 laboratoires du CNRS participaient à 302 contrats de recherche dans 46 pôles, pour un peu plus de 45 millions d’euros. En 2007, on comptait 456 contrats signés par 185 laboratoires dans 53 pôles, pour environ 63 millions d’euros. Ce montant très important représente environ 10 % du total des contrats du CNRS.

Toutefois, il faut souligner que la création des pôles de compétitivité a provoqué un effet d’aubaine : en 2005, alors que les pôles n’existaient pas, le montant des contrats de recherche industrielle s’élevait à 113 millions d’euros ; en 2006, le montant des contrats que nous avons signés avec les industriels s’est élevé à 70 millions d’euros, et s’y sont ajoutés 45 millions d’euros au titre des pôles de compétitivité. Il n’y a donc pas eu, contrairement à ce que nous espérions, d’augmentation du volume global des contrats ; les industriels se sont en quelque sorte fait payer les contrats par les pôles. En 2007, le montant des contrats de pôle a certes augmenté, puisqu’il a atteint 63 millions d’euros, mais celui des contrats signés avec les industriels a stagné à 70 millions.

S’agissant du financement, l’ANR a fourni 21,6 millions d’euros en 2007, les régions 9,2 millions, les industriels 3,2 millions, le reste provenant du Fonds unique interministériel, le FUI.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Dans combien de pôles le CNRS intervient-il aujourd’hui ? Et dans combien de conseils d’administration est-il présent ?

M. Marc Ledoux. En termes de contrats de recherche, nous sommes présents dans 61 pôles et, de mémoire, nous participons au conseil d’administration de 34 ou 35 d’entre eux.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Recevez-vous des aides financières au titre des activités de pilotage des pôles ?

M. Marc Ledoux. Non, au contraire, nous finançons sur notre propre budget notre cotisation.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Au vu de votre expérience, les pôles vous apparaissent-ils plutôt comme un accélérateur ou comme une contrainte supplémentaire pour la recherche ?

M. Marc Ledoux. Ni l’un, ni l’autre : leur effet est assez neutre, puisqu’il y a substitution. Pour notre part, nous avions déjà tissé des liens avec les industriels bien avant la création des pôles de compétitivité.

M. Alain Claeys, Rapporteur. À quoi servent-ils, selon vous ?

M. Marc Ledoux. Leur première utilité a été de faire prendre conscience aux industriels situés dans une même zone géographique, en particulier les PME, qu’ils pouvaient travailler avec les grands groupes et avec la recherche publique.

En outre, certains de nos laboratoires se sont aperçus qu’ils pouvaient coopérer avec des interlocuteurs très divers, aussi bien locaux qu’internationaux. C’est un second point positif. Je pense notamment au développement de pôles informatiques dans des zones peu actives dans ce secteur : on peut très bien aller chercher les ressources nécessaires ailleurs.

Cela étant, le concept même de pôle de compétitivité n’est pas exempt de dangers. En effet, des entreprises en situation de concurrence ne s’accordent que sur des éléments non stratégiques pour elles, en particulier en matière de recherche. J’ai eu l’occasion de le constater à de nombreuses reprises lorsque j’étais chargé d’évaluer les programmes européens. Comme on l’avait compris à Bruxelles, et comme on commence à le comprendre en France au sujet des pôles, il faut éviter de faire participer à la même structure des industriels qui sont en compétition. En revanche, on peut associer un industriel fournisseur et un industriel donneur d’ordres.

Le deuxième problème, c’est la méfiance qu’éprouvent les PME à l’égard des pôles de compétitivité. Elles ont peur de se faire voler le fruit de leur travail. Cela arrive effectivement, j’ai pu le constater au niveau européen.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Si l’on veut éviter ce risque, les représentants des PME nous disent que le crédit d’impôt recherche est un meilleur outil.

M. Marc Ledoux. C’est vrai aussi pour les entreprises de plus grande taille. Autant les questions de confidentialité et de propriété industrielle étaient faciles à gérer dans le cadre les contrats bilatéraux qui liaient les entreprises au CNRS, autant elles deviennent très complexes quand dix ou quinze partenaires participent au pôle, surtout quand leurs intérêts divergent.

Il faut prendre garde à ces obstacles, mais je suis néanmoins favorable à l’existence de pôles car certains sont de grandes réussites. Ce fut le cas du pôle textile à Florence, et certains pôles français marchent très bien également.

S’agissant du crédit d’impôt recherche, nous attendons les chiffres de l’année 2008. Je crois beaucoup à l’efficacité de ce dispositif, qui me paraît l’outil essentiel pour favoriser l’innovation.

En effet, quel est le problème de la France en matière d’innovation ? Elle est classée par l’Union européenne autour du dixième rang, soit au-dessus de la moyenne, mais néanmoins dans le groupe des « suiveurs » - quoique les marges d’erreur puissent nous rapprocher du groupe des « leaders ». Ce qui nuit le plus à sa position, c’est la faiblesse de la recherche industrielle - qui, en volume, est deux fois moins développée qu’en Allemagne. Il suffirait qu’elle augmente de 25 à 30 % pour que nous nous classions parmi les tout premiers en Europe en matière d’innovation.

Pour y parvenir, le crédit d’impôt recherche est le seul outil vraiment incitatif. Si les entreprises françaises ne consacrent pas autant d’efforts à la recherche que leurs homologues européennes, c’est pour des raisons culturelles : leurs dirigeants, qui sortent presque tous du même « moule », ont une grande aversion pour le risque. Or, la recherche et l’innovation constituent, par définition, un risque pour l’entreprise.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Il faut donc changer le management, cesser de le confier à des personnes issues des grandes écoles ?

M. Marc Ledoux. Je vous laisse la responsabilité de cette conclusion.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le crédit d’impôt recherche vous paraît-il utilisé de manière satisfaisante ?

M. Marc Ledoux. Je n’ai pas d’éléments pour vous répondre, j’espère qu’il l’est. Je sais que les PME se plaignent qu’il bénéficie surtout aux grands groupes ; pour ma part cela ne me semblerait pas anormal car ce sont eux qui réalisent l’essentiel des innovations. Et quand une PME réussit à innover, elle est généralement rachetée car il est nécessaire de sortir l’artillerie lourde pour explorer un nouveau marché.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Concernant les pôles, vous évoquiez tout à l’heure les risques d’effets pervers, les entreprises participantes concluant des pactes de non-agression et se mettant d’accord sur quelques études, mais continuant à faire l’essentiel de leur recherche en dehors des pôles, en dépit des crédits dont ceux-ci bénéficient. Quelle appréciation portez-vous sur l’évaluation scientifique et technique des projets labellisés au sein des pôles ?

M. Marc Ledoux. Même si les entreprises ne s’entendent que sur le plus petit dénominateur commun, l’existence d’un pôle de compétitivité favorise la constitution d’une masse critique en matière de recherche. En dépit du fait que les crédits ne sont pas affectés tout de suite aux travaux les plus essentiels, ils permettent à l’entreprise de fidéliser un potentiel humain qui sera utile à d’autres recherches.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. C’est d’autant plus important qu’on ne trouve généralement pas ce qu’on cherche, mais autre chose.

M. Marc Ledoux. En effet. Si l’on pouvait programmer les résultats, ce ne serait plus de la recherche.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Mais quid des mécanismes de sélection ?

M. Marc Ledoux. Là encore, nous manquons d’éléments concrets. En ce qui nous concerne, la plupart de nos contrats sont labellisés par l’Agence nationale de la recherche, celle-ci ayant ses propres critères d’évaluation. Cela étant, je me suis laissé dire qu’il n’était guère difficile d’obtenir une labellisation au titre des pôles de compétitivité quand on bénéficiait déjà du label de l’ANR.

M. Alain Claeys, Rapporteur. C’est également ce qui nous a été indiqué par d’autres. Certains pôles sont ainsi de simples réceptacles, sans réalité locale.

M. Marc Ledoux. Il reste qu’il y a de grandes réussites dans les trois catégories de pôles. Le pôle Fibres Grand Est d’Epinal, par exemple, réunissant des scieurs de bois et des fabricants de plastique, était un pari improbable. Or c’est un grand succès : il a permis de faire travailler ensemble de nombreux acteurs et d’ouvrir de nouveaux marchés. Il faudrait d’ailleurs mesurer, lors de la prochaine évaluation des pôles, leur impact sur les exportations.

M. Alain Claeys, Rapporteur pour avis. Qu’en est-il des projets européens ?

M. Marc Ledoux. Ils sont en chute libre. Ils représentaient un peu plus de 20 % du montant total de nos contrats en 2005, environ 19 % en 2006, et leur part est tombée à 3 % en 2007. L’explication est simple : il est beaucoup facile d’obtenir un financement de l’ANR que de monter un projet européen – ce qui est, chacun le sait, d’une complexité effroyable.

M. Alain Claeys, Rapporteur. De son côté, l’ANR finance-t-elle des projets impliquant d’autres pays européens ?

M. Marc Ledoux. Très peu. Il y a un projet commun avec la Finlande, un autre avec l’Allemagne, mais cela reste marginal.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour en revenir aux crédits européens, faut-il comprendre qu’ils vont ailleurs qu’en France ?

M. Marc Ledoux. Tout à fait. Alors que la contribution de la France représente environ 13 % du PCRD, le programme cadre de recherche et développement de l’Union européenne, les crédits européens ne représentent plus que 3 % du total de nos contrats.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Que faut-il faire ? Doit-on simplifier les procédures européennes ? N’y a-t-il pas un problème franco-français ?

M. Marc Ledoux. Il faut « casser » le système administratif de Bruxelles. La situation étant ressentie de la même façon dans les autres pays européens, nous sommes en train de nous concerter pour boycotter le PCRD.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pensez-vous que l’existence des pôles de compétitivité contribue à améliorer la culture de la recherche en France ? Puisque nous n’avons ni pétrole, ni minerai à exploiter, ce doit être notre priorité. Il me semble que nous avons bien progressé, même si certains fonds ne sont pas assez drainés. Est-ce également votre analyse ?

M. Marc Ledoux. Dans l’industrie, je pense effectivement que les pôles font progresser la culture de la recherche. Par ailleurs, contrairement à ce que l’on entend souvent dire, la recherche ne manque pas d’argent en France ; et elle produit de bons résultats : les évaluations réalisées par les Britanniques nous classent dans les quatre premiers rangs mondiaux dans quasiment toutes les disciplines.

En revanche, il est vrai que nous manquons d’entreprises pour valoriser nos résultats. Le CNRS est très performant dans le domaine pharmaceutique, par exemple, mais les industriels français ne sont pas intéressés par de nouvelles molécules. Nous sommes donc obligés de nous adresser à des acteurs installés dans d’autres pays.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La création des pôles de compétitivité permet-elle d’améliorer cette situation ?

M. Marc Ledoux. Malheureusement non, car ils produisent leurs effets plus en amont : ils favorisent la culture de la recherche, mais cela ne signifie pas que les entreprises vont ensuite concrétiser l’innovation.

Je le répète : nous sommes confrontés à un problème d’aversion au risque. Le moment où l’industrie française a innové, c’est lorsqu’elle était nationalisée : c’était alors l’État qui assumait le risque, et non les entreprises. C’est ce qui nous a permis de concevoir des Airbus et des trains. Il y a là aussi un problème culturel : dès qu’il y a un risque, les dirigeants de nos entreprises ont peur.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Que pensez-vous du fonctionnement de l’ANR ?

M. Marc Ledoux. Il faut que l’ANR reste dans son rôle, qui est de fournir des crédits pour des contrats de court terme et de moyen terme. Le risque est que, ayant plus d’argent que le CNRS ou d’autres organismes, elle se substitue à eux, sans avoir leurs forces vives.

M. Alain Claeys, Rapporteur. À propos de financement, à combien s’élève votre préciput ?

M. Marc Ledoux. Cette année, il sera d’environ 6 millions d’euros.

M. Alain Claeys, Rapporteur. J’en reviens à l’ANR. Si l’on finance essentiellement la recherche par l’intermédiaire des projets, n’assèche-t-on pas les structures qui les portent ?

M. Marc Ledoux. Tout à fait. Et l’on risque ainsi d’assécher la recherche fondamentale. Le problème est qu’il faut être dans le mainstream pour bénéficier des crédits de l’ANR : il faut appartenir aux principaux réseaux et mener des recherches dans le cœur de sa discipline. Or, c’est dans les marges que se fait la recherche la plus fructueuse.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les pôles de compétitivité ont-ils à vos yeux l’avantage de faire travailler ensemble les organismes de recherche, par exemple l’INSERM et le CNRS dans le domaine des sciences de la vie ?

M. Marc Ledoux. Il y a très peu de pôles de compétitivité dans ce domaine. Une Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé vient d’être conclue, mais elle ne fait que consacrer des coopérations qui existent déjà.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il est question de faire travailler davantage les pôles de compétitivité avec les PRES, les pôles de recherche et d’enseignement supérieur. Pourquoi le CNRS est-il si frileux à ce sujet ?

M. Marc Ledoux. Nous ne sommes pas du tout frileux. Nous avons décidé d’attendre la constitution effective des PRES avant de nous engager car nous ne souhaitons pas être accusés, une fois encore, de prendre des décisions à la place de nos partenaires.

Il faut par ailleurs reconnaître que les PRES ressemblent, pour le moment, à des auberges espagnoles. Il n’y en a pas deux dont les contenus soient identiques. À Bordeaux, seule la valorisation est concernée, alors qu’à Strasbourg toutes les structures ont fusionné.

Il reste que les laboratoires du CNRS pourraient servir de lien entre les PRES et les pôles de compétitivité, puisqu’ils participent déjà à ces deux types de structures.

M. Alain Claeys, Rapporteur. En résumé, vous considérez que le crédit d’impôt recherche est un excellent outil, qu’il faudrait modifier la gouvernance des entreprises pour que les risques de la recherche et de l’innovation soient acceptés, et qu’il faut simplifier le montage des dossiers au niveau européen. Faut-il en conclure que les pôles de compétitivité ne présentent pas d’intérêt ?

M. Marc Ledoux. En ce qui concerne l’Europe, le problème ne concerne pas tant le montage des projets que leur gestion extraordinairement tatillonne. Quant aux pôles de compétitivité, je ne les trouve pas du tout inutiles. J’en connais qui fonctionnent très bien.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel est leur apport concret ?

M. Marc Ledoux. Comme je l’ai indiqué, leur grand intérêt est de faire prendre conscience aux industriels de la nécessité de faire de la recherche.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Si je vous suis bien, il y a d’un côté des entreprises qui ne font pas assez de recherche et, de l’autre, des chercheurs qui ne trouvent pas d’entreprise pour valoriser leurs projets. Dans ces conditions, le but des pôles de compétitivité ne doit-il pas être de faire en sorte que les entreprises se saisissent d’idées qui dorment sur des étagères du CNRS ?

M. Marc Ledoux. Il n’y en a pas car dès qu’une idée est valorisable, nous la valorisons. 44 % des 294 brevets publiés en 2008 par le CNRS sont déjà exploités par les industriels, ce qui est un record mondial.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. C’est beaucoup, mais cela signifie néanmoins qu’il en reste 56 % sur les étagères.

M. Marc Ledoux. De façon temporaire. Il faut en moyenne trois mois pour signer une licence d’exploitation dans le domaine des sciences et technologies de l’information et de la communication, un an en chimie, deux ans en sciences de la vie, et presque trois ans en physique. Il est normal que la valorisation ne se fasse pas au même rythme dans toutes les disciplines. En revanche, force est de constater qu’elle n’est pas toujours le fait d’acteurs français.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Par conséquent, la pénurie se situe plutôt du côté de nos entreprises ?

M. Marc Ledoux. Oui, tout à fait. C’est pour cela que le crédit d’impôt recherche présente un si grand intérêt. Il n’est pas très normal que le CNRS soit obligé de créer entre 40 ou 50 entreprises par an pour valoriser la recherche, faute de trouver des industriels pour le faire.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Ces entreprises sont-elles directement hébergées par les laboratoires ?

M. Marc Ledoux. Non, pas nécessairement. Elles peuvent être créées dans le cadre d’incubateurs ou s’installer elles-mêmes.

Nous créons, donc, 40 à 50 entreprises par an depuis la « loi Allègre » sur l’innovation et la recherche de 1999 ; 88 % d’entre elles sont toujours vivantes. C’est peut-être un beau résultat, mais ce n’est pas une situation normale. La création d’entreprise est en effet la moins bonne solution pour innover : on perd énormément de temps à monter une structure et à chercher des crédits. Si l’on trouve un industriel disposant déjà d’une force de vente, de fabrication et d’investissement, on peut gagner entre trois et quatre ans. On fait souvent l’apologie de la création d’entreprise, mais ce n’est qu’un pis-aller.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. J’en viens à la question des éco-technologies. Où en est le CNRS dans ce domaine ?

M. Marc Ledoux. Près de 50 % des projets du CNRS concernent, d’une façon ou d’une autre, les questions de développement durable. Par exemple, de nombreux laboratoires travaillent dans ce domaine à Poitiers, qui est à la pointe des recherches sur l’eau, la combustion ou encore la catalyse.

Les éco-technologies font déjà l’objet d’un grand nombre de projets menés par le CNRS, mais il n’y a pas encore beaucoup de pôles de compétitivité actifs dans ce secteur. Adrien Zeller souhaite en créer un en Alsace. Poitiers serait une localisation très logique pour en créer un autre.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Faut-il constituer des pôles de compétitivité spécifiques, ou l’éco-technologie doit-elle être présente partout ?

M. Marc Ledoux. Certes le développement durable concerne tout le monde, mais lorsqu’il existe une masse critique de chercheurs publics, comme à Poitiers, ou une masse critique d’industriels tournés vers l’environnement, comme en Alsace, il serait dommage de ne pas l’utiliser.

Pour répondre à une question qui m’a été adressée par écrit sur le rôle international des pôles de compétitivité, il me semble que les laboratoires du CNRS qui font partie à la fois de pôles et de réseaux européens peuvent servir de tête de pont pour développer des liens - comme cela s’était fait dans le cluster de Florence, qui avait beaucoup utilisé les projets européens.

M. David Habib, Président. Il me reste à vous remercier d’avoir répondu à toutes nos questions avec une telle franchise.

Audition du 15 avril 2009

À 16 heures 30 : Mme Marion Guillou, présidente de l’Institut national de la recherche agronomique, accompagnée de M. Gérard Jacquin, directeur de la valorisation.

Présidence de M. David Habib, Président

M. David Habib, Président. Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Marion Guillou, présidente de l’Institut national de la recherche agronomique, accompagnée de M. Gérard Jacquin, directeur de la valorisation.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Comment l’INRA participe-t-il aux pôles de compétitivité ? Selon vous, quelle est leur efficacité et, surtout, quel est leur objectif principal ?

Mme Marion Guillou, présidente de l’Institut national de la recherche agronomique. L’INRA est très impliqué dans les pôles de compétitivité, dans la mesure où il en existe un grand nombre dans le secteur éco-agro-alimentaire. Il participe à dix-sept pôles, directement ou indirectement liés au secteur agricole ou alimentaire.

M. Alain Claeys, rapporteur. Quelle est la forme de votre participation ?

M. Gérard Jacquin, directeur de la valorisation à l’Institut national de la recherche agronomique. Nous avons d’emblée décidé que l’INRA serait membre adhérent des associations porteuses d’un pôle. La création des pôles n’a pas répondu à une demande formalisée des organismes de recherche ; l’initiative est venue des politiques, elle a été relayée par l’ensemble de l’appareil d’État, notamment territorial, et ensuite la dynamique impulsée a entraîné les organismes de recherche ainsi que les entreprises. Ayant d’emblée accompagné le mouvement, nous sommes en général actifs dans la gouvernance des pôles dont nous faisons partie.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel doit être, pour vous, l’objectif premier d’un pôle de compétitivité ? Quel premier bilan dressez-vous de l’action de ceux auxquels vous participez ? Êtes-vous ou non d’accord avec les conclusions de l’audit commandé par le Gouvernement ?

Mme Marion Guillou. L’objectif premier dépend des pôles. Le pôle Industries et Agro-ressources de Champagne-Ardennes/Picardie, dédié aux valorisations non alimentaires des agro-ressources, nous a donné l’occasion de développer un grand projet de recherche et développement, Futurol, visant à produire des biocarburants de deuxième génération compétitifs. Cela nous a permis d’attirer autour de nous des industriels qui souhaitaient développer une activité nouvelle. Compétents, pour notre part, en matière de transformation biologique des matériaux bruts, en l’espèce de la cellulose, nous avons été des artisans de la création de ce projet, désormais porté par une structure industrielle dont nous faisons partie.

L’exemple de Végépolys en Anjou est totalement différent. L’objectif des collectivités locales était de faire d’Angers un lieu de recherche sur les végétaux spécialisés. Le Groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences, GIP dont le personnel relève pour les trois quarts de l’INRA, est en train de s’y délocaliser, afin de profiter de la dynamique locale. Le Maine-et-Loire compte en effet de nombreux horticulteurs, et l’Office communautaire des variétés végétales est déjà présent dans le département.

Autre exemple encore, totalement différent : à Toulouse, où la filière agricole est très active et où l’on trouve beaucoup de semenciers, l’INRA a participé au lancement de la filière oléagineuse à base de tournesol, avec l’idée que l’utilisation non-alimentaire d’huiles d’origine agricole pouvait diversifier les débouchés.

Dans d’autres endroits, l’Institut a été plus suiveur et moins proactif ; ce sont les acteurs locaux qui l’ont sollicité. C’est le cas par exemple pour le pôle Nutrition Santé Longévité, créé dans le Nord à l’initiative d’industriels, et qui donne à l’INRA l’opportunité de s’associer aux projets de ces derniers.

Bref, l’INRA s’est adapté aux dynamiques locales, assez diverses, et son implication est donc multiforme.

M. Gérard Jacquin. Il se trouve qu’il y a trois ans, concomitamment à la mise en place des pôles de compétitivité, Marion Guillou avait lancé à l’INRA un vaste chantier, intitulé « Partenariat d’orientation », visant à mettre l’excellence scientifique de notre recherche finalisée au service de projets utiles au monde économique. D’emblée, nous avons saisi l’intérêt d’utiliser autant que possible ces nouveaux clusters pour les partenariats que nous recherchions. Nous faisions le pari que des entreprises travaillant en réseau nous feraient remonter des questions de recherche, et nous y avons vu l’opportunité de monter des projets intéressants.

Nous sommes maintenant à la croisée des chemins. Nous pensons que dans la phase 2 des pôles, il faudra d’une part améliorer la remontée des problématiques de recherche et des demandes sociales, et d’autre part dégager quelques grandes priorités nationales pour structurer un foisonnement certes sympathique mais duquel ont du mal à émerger de grands projets porteurs visibles à l’international.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Percevez-vous les pôles de compétitivité comme un accélérateur, ou comme une source de contraintes supplémentaires ? Votre activité a-t-elle augmenté, a-t-elle été simplement répartie de manière différente ?

Mme Marion Guillou. Le nombre de nos contrats industriels a augmenté de 30 % en sept ans. Il est difficile de dire quel rôle ont joué les pôles dans cette augmentation. Nous évoluons vers des projets plus importants, tant par leur montant que par l’activité induite, et plus souvent multi-partenaires. Nous avons moins de contrats bilatéraux. On peut penser que la mise en place des pôles n’y est pas étrangère, mais l’intervention de l’ANR a également contribué à regrouper les partenaires.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. D’où proviennent vos financements ?

Mme Marion Guillou. Bon an mal an, notre budget repose sur 80 % de subventions de l’État et 20 % de ressources propres, ce qui n’a rien d’anormal dans notre secteur, notre homologue américain étant à 85/15.

M. Alain Claeys, rapporteur. L’ANR a-t-elle, selon vous, contribué à regrouper les partenaires ?

Mme Marion Guillou. Je le pense.

Concernant nos 20 % de ressources propres, nous avons une politique volontariste de diversification : nous ne voudrions pas dépendre uniquement de l’ANR, ou de l’Union européenne, ou de nos partenaires agricoles et industriels, ou des collectivités territoriales.

M. Gérard Jacquin. Les pôles de compétitivité ont eu une première vertu, qui est de faire travailler en réseau dans un territoire donné, espace à taille humaine, des acteurs différents. Il est important de conserver cet acquis sur la durée !

M. Alain Claeys, Rapporteur. La notion de territoire a-t-elle un sens pour les pôles de compétitivité ?

M. Gérard Jacquin. Dans certains, oui ; dans d’autres, pas du tout. Les pôles ont permis que dans certains territoires, des acteurs se mettent à dialoguer, même si l’on peut regretter le caractère un peu foisonnant des quinze à vingt pôles du secteur agro-alimentaire.

Un pôle de compétitivité labellise des projets pour lesquels peuvent ensuite être sollicités des financements auprès du FUI pour les projets industriels d’aval, de l’ANR pour les projets tournés davantage vers l’amont, ou qui peuvent éventuellement répondre aux appels d’offres européens. Il existe donc trois guichets, auxquels il faut ajouter les aides d’OSÉO. En ce qui nous concerne, nous avons une montée en puissance des financements ANR, avec laquelle nous avons eu de très beaux succès.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les responsables du CNRS nous ont dit que les crédits européens s’étaient effondrés. En a-t-il été de même pour l’INRA ?

Mme Marion Guillou. L’INRA a fait des efforts considérables pour aider les équipes à obtenir des financements européens, notamment en mettant à leur disposition des spécialistes très efficients et très professionnels chargés spécifiquement de monter les dossiers de candidature, tâche particulièrement lourde et délicate. Une fois que le projet est éligible, c’est notre filiale qui en assure la gestion, elle aussi extrêmement lourde. Il faut en effet savoir « parler bruxellois » ! Sans cela, nous aurions sûrement, nous aussi, constaté une diminution de nos crédits européens. Il est plus facile de solliciter un financement de l’ANR avec des partenaires académiques hexagonaux que de construire un réseau complexe et diversifié européen !

M. Gérard Jacquin. Vis-à-vis de l’Europe, notre organisation est très performante pour les grands projets scientifiques sur lesquels nos équipes peuvent travailler. Notre performance est nettement moindre sur les appels à projets qui impliquent des entreprises. Notre filiale INRA Transfert, malgré ses efforts, notamment la mise en place d’une école de l’innovation avec l’ANRT, n’a pas eu depuis deux ans les succès qu’elle aurait souhaités pour tirer vers l’Europe des PME françaises qui seraient prêtes à tenter l’aventure.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. L’INRA est-il représenté dans les instances de pilotage de tous les pôles auxquels il participe ?

Mme Marion Guillou. En général, ce sont nos présidents de centres ou des chercheurs de nos centres régionaux qui font partie des structures de gouvernance, mais nous ne sommes jamais pilotes. C’est la mission et le rôle des industriels.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le fait que 80 % des aides se concentrent sur quinze pôles se vérifie-t-il aussi dans votre domaine de compétence ?

M. Gérard Jacquin. Le secteur agricole et agro-alimentaire recouvre des situations très diverses. Certains semenciers investissent 12 % à 15 % de leur chiffre d’affaires en recherche-développement. La taille de leurs projets et leur appétence pour la recherche n’ont rien à voir avec celles des quelque 10 000 petites entreprises agro-alimentaires qui irriguent le tissu économique local mais ont les plus grandes difficultés à franchir le cap de l’innovation et des projets de recherche collaboratifs. À de rares exceptions près, ces petites entreprises ont du mal à monter de bons projets, notamment auprès de l’ANR. Les pôles de compétitivité devraient apporter à ces PME des services et de l’innovation, sans chercher à les faire accéder à la recherche. Pôle de compétitivité ou pas, crédit d’impôt recherche ou pas, il est très difficile de déclencher une appétence à la recherche dans des PME, habituées à n’investir qu’un montant infime de leur chiffre d’affaires en recherche-développement.

Mme Marion Guillou. L’INRA cherche à être facilement repérable et accessible dans des domaines où il pense qu’il peut contribuer à l’innovation au niveau national. Nous sommes en train de mettre en place ce que l’on pourrait appeler des « Instituts Carnot internes », financés sur ressources propres, l’un dans le domaine alimentaire, l’autre dans celui de la chimie du végétal, deux secteurs où il y a une forte demande d’innovation industrielle. Les PME pourront ainsi savoir facilement à quel laboratoire s’adresser avec un point d’entrée unique, un contrat-type et une garantie de suivi.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Comment expliquez-vous ce problème particulier des PME ? Ont-elles peur de se confronter aux grands groupes ? Ont-elles des difficultés particulières avec les organismes de recherche ?

Mme Marion Guillou. Le secteur agroalimentaire, c’est vrai partout dans le monde, dépense peu en recherche-développement. L’une des raisons de la faiblesse de la dépense en recherche industrielle en France est d’ailleurs que les secteurs industriels qui y sont les plus développés n’investissent pas beaucoup en recherche-développement. Cela ne veut pas dire qu’ils n’innovent pas ; on peut très bien innover en matière de services ou d’emballages par exemple, sans innover dans des technologies ou des produits nouveaux. Les petites entreprises du secteur alimentaire sont souvent très innovantes. C’est ainsi qu’un grand groupe agroalimentaire français nourrit son innovation en rachetant des petites entreprises fabriquant des produits innovants, contrairement à ses concurrents étrangers qui consacrent davantage à la recherche-développement interne.

M. Gérard Jacquin. L’analyse à laquelle nous sommes parvenus à l’issue du séminaire organisé le 24 mars dernier par le ministre de l’Agriculture pour tenter de dégager quelques priorités nationales est que les grands groupes agro-industriels français s’impliquent moins dans les pôles de compétitivité que les entreprises d’autres secteurs.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. À votre avis, pourquoi ? Pour des raisons de confidentialité ?

M. Gérard Jacquin. Pas uniquement, mais c’est à eux qu’il faudrait poser la question. Le secteur agroalimentaire est beaucoup moins organisé que d’autres secteurs industriels. Les grands groupes de ce secteur n’irriguent pas, par des contrats, un grand nombre de PME, contrairement par exemple aux grands groupes du secteur automobile qui entraînent dans leur sillage quantité de PME innovantes. Ils cherchent plutôt pour l’heure à développer des blockbusters internationaux et leur priorité n’est pas de nouer des relations plus étroites avec des PME.

Mme Marion Guillou. L’une des difficultés tient à l’absence de système efficace de protection intellectuelle. Ce qui est vrai dans le secteur alimentaire ne l’est pas dans celui de l’agro-fourniture – semences, engrais, machines agricoles… –, où les produits sont protégés par des brevets, ou des certificats d’obtention végétale pour les variétés végétales.

Dans le domaine des semences, l’acteur stratégique est le créateur de semences qui détermine, en même temps qu’il la met au point, l’écosystème dans lequel elle exprime son potentiel maximal. Celui qui détient le « secret » de la variété a entre ses mains le sort de tout l’aval. Les semenciers se classent aujourd’hui en deux grandes catégories. Ceux issus du secteur des semences ont l’habitude de protéger leurs innovations par des certificats d’obtention végétale – COV. Les autres utilisateurs ont accès au matériel génétique, moyennant paiement bien sûr, mais n’ont pas besoin d’une autorisation préalable d’utilisation de la part du détenteur du COV. Les semenciers issus du secteur de l’agro-chimie, par exemple les fabricants de produits phytosanitaires qui se sont mis à vendre également des semences, notamment avec des semences couplées à un produit de traitement ou traitées pour y résister, sont, eux, plus habitués à protéger leurs innovations par des brevets. Ce n’est pas un hasard si la cartographie du mode de protection des innovations se superpose à peu près avec celle des types d’acteurs industriels. Les semenciers américains viennent majoritairement de l’agro-chimie et ont recours aux brevets, alors que les semenciers européens se situent davantage dans la tradition du COV. Le retour sur investissement de celui qui investit en recherche-développement est mieux verrouillé quand il existe un brevet plutôt qu’un COV.

Dans le secteur alimentaire, les choses sont encore différentes. Si les procédés se protègent bien – mais il y a peu de grandes innovations de procédés, sachant que de simples adaptations dans la chaîne de fabrication se protègent mal –, les recettes, elles, ne se protègent pas du tout. La seule protection réside dans le secret. Songeons au Coca-Cola ou à certaines pâtes à tartiner, dont la recette n’est connue que de quelques personnes dans le monde. Le seul moyen de préserver la différence de goût est de garder secrète la recette de fabrication. D’où nécessairement des modes de collaboration et de développement particuliers.

M. Gérard Jacquin. Les PME du secteur de la transformation alimentaire, qui résistent pour l’instant bien à la crise, se battent sur le front de la qualité, en mettant en place des procédures d’assurance-qualité, en développant des marques et en innovant fortement en matière de savoir-faire et de procédés. Les acteurs du secteur des ingrédients se battent, eux, sur le front de la protection par des brevets. Certains producteurs de ferments lactiques investissent entre 5 % et 8 % de leur chiffre d’affaires en recherche-développement.

Un autre secteur est en train d’émerger, celui des aliments à allégations nutritionnelles et de santé. Pour y tenir une place, il faudra être capable de faire de la recherche-développement car des études cliniques seront nécessaires sur l’homme. Les rapports de force seront différents et des pôles de compétitivité qui ne figurent pas aujourd’hui parmi nos partenaires privilégiés vont peut-être le devenir. Je pense ainsi au pôle Nutrition Santé Longévité, avec lequel nous collaborons mais dont nous ne faisons pas partie, et qui paraît un partenaire idéal pour la nutrition des personnes du troisième âge. Dans ce cas, les pôles de compétitivité, en créant les infrastructures nécessaires avec les partenaires publics, peuvent permettre à des entreprises d’accéder à l’univers très compétitif des aliments à allégation nutritionnelle.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. En tant que sous-traitant des pôles, que pensez-vous du processus de sélection et d’évaluation scientifique des projets ?

M. Gérard Jacquin. J’étais très critique au début sur la labellisation par les pôles, sachant que, de toute façon, ce sont les financeurs comme l’ANR ou le FUI qui sélectionnent in fine les projets. Les labels me semblaient accordés trop vite et j’avais l’impression d’un certain laxisme, d’un manque de rigueur scientifique. En réalité, 30 % à 40 % des projets sont rejetés, ce qui est un ratio convenable. Mon opinion a donc évolué.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Que pensez-vous de la taille des pôles auxquels vous participez ? Pensez-vous qu’il faudrait en regrouper afin qu’ils atteignent une masse critique, les rendant plus efficaces et plus visibles sur le plan international ?

Mme Marion Guillou. Si nous avions le choix, nous diminuerions le nombre de pôles. Dans nos métiers, c’est un hasard si une entreprise et le laboratoire de recherche dont elle a besoin se trouvent dans la même région, surtout s’il s’agit d’un sujet pointu – à moins que les entreprises ne se soient à dessein implantées près de nos centres, comme à Avignon où des semenciers, y compris étrangers, se sont installés parce que l’INRA était présent. Ainsi, seul notre centre de Bordeaux est compétent pour traiter de la maladie de l’esca qui atteint la vigne et même si celle-ci se développe ailleurs, ce sont les chercheurs de Bordeaux qu’il faut mobiliser. Nous préférerions qu’il y ait pour chaque grand thème une porte d’entrée localisée, clairement identifiée, avec la possibilité d’apporter des réponses en réseau. Nous pensons qu’il serait plus efficace d’organiser des réseaux thématiques sur les grandes questions qui se posent dans le domaine agroalimentaire. Lors du séminaire de mars dernier, pour lequel M. Barnier avait réussi à réunir des représentants de presque tous les grands groupes mondiaux du secteur, ils s’étaient déclarés intéressés par de tels réseaux.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. De dix-sept pôles, à combien faudrait-il passer ?

Mme Marion Guillou. Dix thèmes prioritaires ont été retenus lors de ce séminaire du 24 mars dernier. Je ne sais pas s’il faut dix pôles, mais en tout état de cause, dix-sept, c’est trop.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Une mise en réseau permet à la fois d’optimiser l’effort de recherche et industriel et de conserver sur le territoire des implantations historiques. Ce n’est peut-être pas possible pour tous les secteurs, mais dans le secteur agroalimentaire, l’idée est particulièrement intéressante.

M. Gérard Jacquin. Qu’entend-on exactement aujourd’hui par « réseau » ? Le terme est si galvaudé ! Réseaux formels ou informels, dirigés ou contribuant à une diffusion sur le mode du mouvement brownien ? Nous préférons envisager des réseaux structurés, avec, pour chacune des grandes thématiques retenues, une tête de réseau et un leader industriel de dimension nationale, voire internationale, qui puisse la décliner à partir d’un pôle d’excellence et peut-être de pôles secondaires.

Nous essayons par exemple de travailler à la mise en place d’un réseau Viticulture où les viticulteurs de chacune des grandes régions viticoles de France, peu habitués à dialoguer et à collaborer, pourraient travailler sur une thématique de vins nouveaux, par exemple à teneur réduite en alcool. Malgré l’implantation très diffuse de la viticulture, tous les pôles de compétitivité « agricoles » n’ont pas vocation à s’y intéresser. Il faudra choisir, recentrer et éviter que se crée un nouveau pôle dans le Bordelais, dont les viticulteurs ont tout intérêt à dialoguer avec ceux d’autres régions. Nous pouvons nous appuyer sur Vitagora, pôle d’innovation agroalimentaire dédié au goût, à la nutrition et à la santé en Bourgogne/Franche-Comté et sur la thématique Goût, alimentation, sensorialités, développée par notre centre de Dijon, bien en phase avec l’image de la Bourgogne. Mais pour nous, le pôle de compétitivité leader devrait être Q@li-med à Montpellier, qui possède de belles infrastructures en viticulture et œnologie. Si Q@li-med ne prend pas en charge cette thématique au niveau national, il ne faudra pas le conserver dans le réseau, car c’est sa seule carte à jouer à ce niveau-là. Un travail en réseau devrait de même être possible entre Limagrain et le pôle Céréales Vallée ; et Blédina, à Dijon, pourrait être le leader industriel en matière de nutrition infantile. Je pourrais citer bien d’autres exemples.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Comment associer les PME ?

M. Gérard Jacquin. En matière de fournitures, par exemple.

Dans le domaine de l’alimentation animale, autre sujet important, il existe quelques grands groupes coopératifs, tel Sanders et Erialis, qui actuellement ne sont pas des leaders actifs de pôles de compétitivité. Il paraîtrait judicieux de dégager des thématiques et de choisir des têtes de réseau. Cela suppose des arbitrages, mais pas nécessairement la disparition de certains petits pôles, dont l’effet d’entraînement sur le plan régional n’est pas négligeable. La dynamique des pôles du secteur agroalimentaire a été jusqu’à présent essentiellement territoriale et tournée vers les PME ; en associant des grands groupes industriels, on pourra passer à un autre niveau.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous, dans le cadre des pôles, des laboratoires mixtes avec des universités ?

Mme Marion Guillou. 60 % de nos unités de recherche sont mixtes, pour moitié avec des universités, pour moitié avec des écoles agronomiques ou vétérinaires. Nous avons rendez-vous aujourd’hui même pour négocier nos contrats-cadres avec les universités. La situation est en pleine évolution, avec l’objectif de simplifier la gestion et le partenariat de ces unités.

M. Alain Claeys, Rapporteur. En ce qui concerne l’ANR, parvenez-vous à faire passer vos priorités dans les appels à projets ?

Mme Marion Guillou. Le modèle économique des unités de recherche est en train de changer. Elles avaient auparavant un soutien de base assuré et ne passaient des contrats que marginalement. Il y a deux ans, hors salaires, elles recevaient 30 % de leurs ressources de fonctionnement de l’INRA et 70 % de financeurs extérieurs. Leurs responsables ont donc conscience qu’ils doivent aller chercher des ressources externes pour que leur unité fonctionne. De fait, les unités les plus dynamiques sont en général aussi celles qui, cherchant notamment à attirer des thésards et des « post-docs », ont le plus de ressources extérieures. Nous essayons de les inciter au maximum à solliciter des crédits européens car nous ne voudrions pas devenir « ANR-dépendants ». Nous faisons tout pour, à travers les unités, garder des partenariats diversifiés.

En nous inspirant de ce qu’a fait l’Alliance biomédicale dans le domaine des sciences de la vie et de la santé, nous allons procéder à une concertation informelle entre tous les acteurs du secteur éco-agro-alimentaire pour faire des propositions mieux coordonnées à l’ANR. Avec le CNRS, le CEMAGREF, la CIRAD, nous allons essayer d’organiser la demande afin de ne pas être passifs devant la programmation de l’Agence.

M. Gérard Jacquin. Du point de vue des « guichets » de recherche partenariale, l’ANR semble avoir créé un appel d’air pour les organismes de recherche mais aussi les entreprises, 20 % à 25 % des crédits de l’Agence étant alloués directement à ces dernières – qui y ont vu un guichet nouveau. Cela a entraîné, par un effet de vases communicants, une stagnation de la recherche bilatérale INRA/entreprises. Nous essayons, avec d’autres organismes, d’appeler l’attention des entreprises sur le fait qu’avec les projets ANR, pré-compétitifs et souvent multi-partenaires, elles ne peuvent pas aller au cœur de leur stratégie industrielle, comme avec un contrat bilatéral. Nous misons beaucoup, pour les trois ans à venir, sur le crédit d’impôt recherche et nous nous attendons à un regain de la recherche bilatérale, après avoir constaté ces dernières années la multiplication de projets de recherche multipartanariale de l’ANR et de l’Union européenne.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Que pensez-vous de la demande faite aux pôles de franchir une seconde étape en nouant des partenariats, notamment avec les PRES ? Quels vous paraissent être les obstacles à surmonter ?

Mme Marion Guillou. Nous ne faisons pas partie des PRES qui, même s’ils font de la recherche, restent organisés autour des établissements d’enseignement. Mais nous sommes en train de négocier des contrats avec certains d’entre eux. Nous examinons les moyens de nouer des partenariats avec certaines écoles doctorales, dont beaucoup ont rejoint un PRES. Depuis l’été 2006, il est en effet possible pour un organisme de recherche de s’associer à une école doctorale, afin de participer à l’élaboration de sa formation et d’accueillir dans ses propres laboratoires des doctorants inscrits dans cette école. Cela étant, la forme que prendra notre collaboration avec les PRES va être fonction du périmètre de chacun d’entre eux.

M. Gérard Jacquin. Les PRES, qui sont par essence des acteurs académiques régionaux et sont d’ailleurs souvent déjà des interlocuteurs privilégiés des conseils régionaux, doivent bien entendu être associés de façon étroite à la gouvernance des pôles. Sur ce point, nous avons conçu une stratégie de valorisation qui s’appuie sur une offre de services centrale spécialisée, qui soutient des plateformes déconcentrées dédiées au « front office », c’est-à-dire des équipes proches des laboratoires, avec les services de valorisation des universités. C’est Agro Valo, dispositif décliné région par région avec Agro Valo Méditerranée, Auvergne, Bretagne, et bientôt Agro Valo Lorraine, Midi-Pyrénées et Bourgogne… Nous invitons les services de valorisation des universités à s’appuyer sur l’INRA pour les projets relevant de notre secteur.

Mme Marion Guillou. Le dialogue direct avec les chercheurs est organisé en région, et l’INRA offre sa compétence sectorielle pour servir d’appui en matière de valorisation dans le secteur agriculture-alimentation-environnement.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. L’INRA participe-t-il à des pôles tournés vers les éco-technologies – même si le développement durable fait par définition partie de vos préoccupations ?

Mme Marion Guillou. Tout dépend de ce que l’on entend par « éco-technologies ». Nous pourrions en effet soutenir qu’à l’INRA, nous ne faisons que cela. Nous travaillons sur beaucoup de technologies faisant appel à des procédés écologiques comme dans notre laboratoire de Narbonne, autour de la bio-épuration, ou en région parisienne sur la réduction des risques sanitaires et écologiques de l’épandage des boues. Nous concevons aussi des systèmes agricoles globaux depuis les intrants jusqu’aux déchets. Si l’on parle d’éco-technologies au sens industriel du terme, nous avons quelques laboratoires directement impliqués, comme celui de Versailles où travaillent des spécialistes du sol – milieu dont on parle moins mais qui est tout aussi important que l’air ou l’eau dans une optique de développement durable –, celui de Narbonne sur l’épuration, celui de Dijon qui est impliqué dans une plateforme d’agro-écologie.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Peut-on dire, donc, que cette préoccupation est partout présente dans vos activités et que vous n’avez pas à vous spécialiser davantage sur ce thème ?

Mme Marion Guillou. Comme M. Jourdain de la prose, l’INRA faisait depuis longtemps du « durable » sans le savoir. Nous pourrions a posteriori adjoindre le qualificatif durable à beaucoup de projets montés avant que ce concept ne soit devenu à la mode. Il y a cependant des projets nouveaux en cours de développement dans ce secteur. Je pourrais vous adresser la note présentée le mois dernier au conseil d’administration détaillant en quoi le Grenelle de l’environnement allait modifier les orientations de recherche de l’INRA – toxicologie, biodiversité, sols, forêts…

Le sujet le plus nouveau me semble la conception de systèmes alimentaires à faible bilan carbone, en passant d’une économie de produits à une économie de services, pour le même résultat. Aujourd’hui, le chiffre d’affaires de certaines coopératives vendant des produits phytosanitaires est directement fonction des volumes vendus, au risque de tous les dérapages. On pourrait réfléchir à la vente de conseils, ou de conseils couplés à un produit au lieu du produit seul. Même si l’opérateur doit conserver un intérêt économique à agir, l’approche est alors différente.

Nous réfléchissons également, dans l’alimentation, à une refonte des modes d’organisation actuels : on parle beaucoup du transport des fruits et légumes que l’on fait venir du monde entier, mais vraisemblablement, la circulation automobile des consommateurs finaux allant s’approvisionner au supermarché provoque des émissions de carbone beaucoup plus importantes. Nous réfléchissons donc aux moyens d’organiser autrement la transformation et la distribution afin, dès le départ, de réduire l’empreinte carbone et d’économiser l’énergie, et en utilisant d’autres critères que celui du prix, qui a longtemps prévalu. Il nous faut vraiment être innovants dans le secteur alimentaire, qui marche bien en France et dont les entreprises ont pour l’instant assez bien résisté à la crise – et peuvent difficilement être délocalisées. Notre pays a en outre moins à craindre que d’autres d’éventuelles modifications climatiques.

M. Gérard Jacquin. Beaucoup de technologies peuvent se rattacher aux éco-technologies et concourir à la montée en puissance de nouvelles pratiques agricoles. Il y a là des niches pour des PME, y compris dans des pôles de compétitivité.

De façon plus visible et plus lourde, l’INRA collabore à deux projets d’envergure dans le domaine des éco-technologies. Le premier est Futurol, projet de fabrication de bioéthanol de deuxième génération, dans lequel nous investissons massivement en recherche-développement technologique à vocation industrielle. Nous travaillons d’autre part à un concept de bio-raffinerie, avec un projet de chimie verte sur les biomolécules et les bioprocédés issus du carbone renouvelable.

En matière d’éolien ou de photovoltaïque, les filières restent à organiser. Dans ce domaine, les pôles de compétitivité ne me semblent pas armés et structurés pour répondre à l’enjeu des énergies renouvelables.

Un dernier mot sur la mise en synergie des pôles avec les PRES, les RTRA et les Instituts Carnot. Un appel à projets a été lancé conjointement par le ministère de l’Économie et de l’industrie et la Caisse des dépôts et consignations pour des plateformes d’innovation adossées aux pôles les plus importants. L’association de plateformes de transfert national et d’Instituts Carnot, qui travaillent généralement plus en amont, pourrait être une bonne formule. Ce qui manque en effet actuellement, dans notre dispositif national, comparé aux instituts allemands Fraunhofer, ce sont des plateformes de technologie intégratrices allant du prototype et de la pré-série jusqu’au pré-industriel.

Mme Marion Guillou. L’INRA serait très intéressé à ce que l’ANR lance à nouveau des appels d’offres d’Instituts Carnot car il n’y en a pas dans le secteur alimentaire ni dans le secteur de la chimie verte.

M. David Habib, Président. Merci beaucoup à tous les deux.

Audition du 15 avril 2009

À 17 heures 30 : M. Hervé Bernard, administrateur général adjoint et de M. Jean-Claude Petit, directeur des programmes du Commissariat à l’énergie atomique (CEA)

Présidence de M. Alain Claeys, Rapporteur

M. Alain Claeys, Rapporteur. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Hervé Bernard, administrateur général adjoint du Commissariat à l’énergie atomique, accompagné de M. Jean-Claude Petit, directeur des programmes, et de M. Jean-Pierre Vigouroux, chargé des relations institutionnelles.

Comment le Commissariat à l’énergie atomique participe-t-il aux pôles de compétitivité ? Selon vous, ces pôles ont-ils facilité l’innovation ? Ont-ils permis à des PME tant d’investir dans la recherche-développement que de se rapprocher de grands groupes industriels ? Quel premier bilan en dressez-vous ?

M. Hervé Bernard, administrateur général adjoint du Commissariat à l’énergie atomique. Je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence de Bernard Bigot, administrateur général, qui m’a chargé de le représenter aujourd’hui.

Le CEA est aujourd’hui membre de quinze pôles de compétitivité, dont quatre pôles mondiaux – sur les sept -, deux pôles à vocation mondiale – sur les dix - et neuf pôles nationaux – sur les cinquante-quatre. Représenté au conseil d’administration de ces pôles, il s’implique activement dans leur gouvernance et dans la définition de leur stratégie, et met des personnels à disposition pour renforcer leurs équipes d’animation. Ainsi, le directeur de notre site de Cadarache est-il aussi le directeur du pôle Capénergies.

De plus, le CEA participe à des projets de recherche labellisés par une dizaine de pôles dont il n’est pas membre, comme Derbi (Développement des énergies renouvelables dans le bâtiment et l’industrie) et Solutions communicantes sécurisées.

Depuis 2005, le CEA a participé à quelque 400 projets labellisés. Le montant moyen de notre participation financière s’est élevé à environ 50 000 euros par an. En ce qui concerne le nombre de chercheurs impliqués dans les pôles, ceux qui travaillent sur les thématiques des pôles dont le CEA est membre sont environ 2 000 – sur les 12 000 que compte le CEA au total dans ses activités civiles et duales.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quelle appréciation portez-vous aujourd’hui sur ces pôles ?

M. Hervé Bernard. Ils ont clairement joué un rôle d’accélérateur. Ils fédèrent les acteurs de la recherche publique et les industriels, ce qui favorise l’émergence de projets et permet une mutualisation des moyens dans des plateformes communes.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Cette mutualisation est-elle vraiment une réalité ?

M. Hervé Bernard. Tout à fait.

M. Jean-Claude Petit, directeur des programmes du Commissariat à l’énergie atomique. Même si, bien entendu, la situation varie d’un pôle à l’autre.

M. Hervé Bernard. Un autre point positif est que les pôles apportent des financements supplémentaires, qui eux aussi contribuent à accélérer les projets.

Certains points restent cependant à améliorer. Les industriels présentent des projets qui ne relèvent pas encore assez du cœur de métier de leurs entreprises. Peu familiers de la collaboration interne aux pôles, ils sont encore réticents à partager des informations avec d’autres sociétés, potentiellement concurrentes. Par ailleurs, il faudrait rationaliser les procédures de soumission des projets aux différents financeurs car elles entraînent un lourd travail administratif.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous pensez aux projets soumis à l’ANR ?

M. Hervé Bernard. Oui, mais cela vaut pour tous, quel que soit le financeur.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Les pôles de compétitivité ont-ils accru votre activité ou n’ont-ils fait que réorienter des activités préexistantes ?

M. Hervé Bernard. À la fois l’un et l’autre, si je puis dire. Les effectifs du CEA n’augmentent plus depuis longtemps. Cela a permis d’en stabiliser sur des axes stratégiques de recherche, identifiés comme tels pour le CEA, en particulier dans le cadre du contrat d’objectifs conclu avec le Gouvernement, et de conforter ces activités.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Si, pour des raisons de confidentialité, les industriels ne montent pas de projets sur ce qui constitue leur cœur de métier, n’en résulte-t-il pas une certaine déperdition pour les pôles ?

M. Hervé Bernard. Il faut comprendre la position des industriels. La recherche d’un financement extérieur complémentaire constitue toujours une source de fragilité, dans la mesure où sa pérennité n’est jamais totalement garantie. Il est donc compréhensible qu’ils cherchent à autofinancer les activités qui relèvent de leur cœur de métier. Le CEA ne procède d’ailleurs pas différemment ; sa participation aux pôles porte sur des éléments importants, mais qui demeurent en appui de son axe principal de recherche.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quels sont vos financements ?

M. Hervé Bernard. La subvention de l’État, pour nos activités civiles, couvre 50 % de nos dépenses. Les pôles de compétitivité participent à la hauteur du ratio que je vous ai indiqué - 2 000 chercheurs sur 12 000. Enfin, nous allons chercher le reste des crédits auprès d’autres industriels et auprès de partenaires européens, dans un cadre bilatéral ou multilatéral.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les PME arrivent-elles à trouver leur place auprès de vous ? Comment collaborez-vous avec elles ?

M. Hervé Bernard. Contrairement aux start-up, les PME n’ont pas l’habitude de travailler avec les grands organismes de recherche. Un temps d’apprentissage mutuel est donc nécessaire, auquel contribue la collaboration au sein des pôles. Mais nous avons d’ores et déjà une activité très soutenue et efficace avec les PME.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Y a-t-il également des relations entre le CEA et les PME au travers du crédit d’impôt recherche ?

M. Jean-Claude Petit. Nos relations avec les PME dans ce cadre se concentrent essentiellement dans le secteur de la recherche technologique. Pour remédier à la difficulté que j’ai évoquée, depuis l’année dernière nous leur offrons de plus en plus souvent un « package » global, à travers lequel nous passons avec elles des conventions de recherche tout en les aidant à constituer les dossiers de demande de financement, au niveau national ou européen, et à gérer les droits de propriété intellectuelle. Ce partenariat global a provoqué un effet d’entraînement, qui a renforcé l’implication des PME ; c’est déjà très sensible pour le pôle grenoblois. Cela leur permet de franchir une étape qui paraissait auparavant trop difficile pour elles, faute de personnels qualifiés. Cet ensemble de compétences complémentaires est souvent ce qui leur met le pied à l’étrier.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Y a-t-il cohérence et complémentarité entre les multiples sources de financement au sein des pôles, par exemple entre l’ANR et OSÉO ?

M. Jean-Claude Petit. C’est l’une des faiblesses du dispositif. Jusqu’à présent, les guichets étaient totalement séparés, avec des priorités thématiques qui n’étaient pas nécessairement connectées les unes aux autres. L’articulation faisait défaut, et on en souffre d’ailleurs aussi au niveau européen. Mais la situation semble évoluer, notamment à l’initiative de l’ANR et d’OSÉO. Les directions générales des deux organismes sont en train de se mettre d’accord pour assurer le suivi financier des projets, depuis la phase de maturation jusqu’à la mise en œuvre. Une amélioration notable devrait en résulter. De même, l’ANR a passé diverses conventions avec ses homologues d’autres pays européens afin d’élaborer des dossiers conjoints, ce qui permettra une meilleure coordination, les appels d’offres étant transnationaux et chaque agence finançant ses équipes nationales mais sur la base d’un seul dossier.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La création de l’ANR a-t-elle entraîné une diminution de vos crédits en provenance de l’Union européenne, comme cela a visiblement été le cas pour le CNRS, d’après ce que nous ont dit ses responsables ?

M. Hervé Bernard. Cela n’a pas été le cas au CEA.

La meilleure coordination que nous appelons de nos vœux passe par une rationalisation des dossiers de demande. Étant donné la multiplicité et la diversité des sources de financement, le dépôt d’un dossier différent auprès de chaque financeur induit une charge de travail considérable, surtout rapportée aux résultats, la sélection étant très sévère. Une PME sera, à juste titre, réticente à déposer une demande sachant que ses chances de succès sont faibles.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quelle appréciation portez-vous sur les mécanismes de sélection des projets ? Le CEA participe-t-il à leur évaluation scientifique dans les pôles dont il est membre ? Comment cela se passe-t-il concrètement ?

M. Jean-Claude Petit. Un pôle de compétitivité, ce sont des acteurs de cultures différentes, et parfois en compétition entre eux, qui doivent apprendre à travailler ensemble et à se faire confiance mutuellement. Une maturation du pôle est nécessaire. Il n’est pas surprenant que les acteurs industriels aient au départ présenté des projets qui étaient déjà dans leurs tiroirs – cet effet de déstockage a été très net – et ne correspondaient pas exactement à leur cœur de métier. Ce qui importe est de savoir si l’on parvient à dépasser ce stade. De même, beaucoup de pôles ont jusqu’à présent fonctionné comme des entités où des acteurs coopéraient pour solliciter des crédits auprès d’un guichet public. Il faut là aussi passer à une seconde phase dans laquelle se développeraient des flux financiers internes aux pôles. Le crédit d’impôt recherche devrait beaucoup y aider.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Selon vous, les pôles devraient-ils parvenir à s’auto-alimenter ?

M. Jean-Claude Petit. La part d’autofinancement devrait augmenter de manière significative. C’est une question de maturation. Le succès ou l’échec des pôles devra aussi être évalué à l’aune de ce critère.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Aujourd’hui, 85 % des financements se concentrent sur quinze pôles, le reste s’apparentant à du saupoudrage. À votre avis, combien de pôles faudrait-il conserver ? Quelle taille devraient-ils avoir pour être à la fois vraiment efficaces et visibles au niveau international ?

M. Bernard Petit. Tout dépend de la thématique et du degré de maturation du pôle.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les quinze pôles dont le CEA est membre sont-ils tous bien classés ?

M. Hervé Bernard. Non, ce n’est pas le cas du Pôle Nucléaire Bourgogne.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Ces quinze pôles doivent-ils continuer d’exister ou certains doivent-ils être regroupés ou réorganisés ?

M. Hervé Bernard. Capénergies a signé une charte avec Tenerrdis et Derbi pour former un réseau. Mais il faut être conscient qu’à chercher à gagner en visibilité mondiale, on perd en aménagement du territoire.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pas nécessairement, si les pôles travaillent en réseau.

M. Hervé Bernard. Mais ils risquent de perdre leur localisation bien individualisée, qui était l’un des objectifs de départ. Les organismes de recherche, eux, ont davantage l’habitude de travailler en réseau.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Étant donné la manière dont les pôles ont été présentés au début – et on en a accepté soixante-dix –, travailler en réseau n’était pas la priorité. C’est l’une des ambiguïtés du dispositif.

M. Hervé Bernard. Le rapport du Conseil économique et social de juillet 2008 privilégie clairement la dimension d’aménagement du territoire.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. À vos yeux, risque-t-il d’y avoir antinomie entre le souci d’aménagement du territoire et une recherche de très haut niveau, compétitive sur le plan mondial ?

M. Hervé Bernard. Oui. C’est d’ailleurs pourquoi nous nous efforçons de susciter des regroupements de pôles par thématique, afin de mieux rassembler les forces vives et d’améliorer la compétitivité grâce à un travail en réseau.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel jugement portez-vous sur la gouvernance des pôles, parfois tenue pour l’un de leurs points faibles ?

M. Hervé Bernard. Cette gouvernance est par nature fragile, car des intervenants nombreux et très variés y participent. Pour être opérationnel, il faut un noyau dur très dynamique et capable de développer une vision à moyen terme. Les industriels ont en général une vision plutôt à court terme, les organismes de recherche à plus long terme. Leur association dans la gouvernance peut donc être fructueuse. Les collectivités, quant à elles, ont pris l’habitude de financer des activités du pôle de compétitivité plutôt que d’acheter des immeubles ou des terrains ; c’est aussi un élément clé de l’efficacité du pôle. Faut-il ouvrir la gouvernance à d’autres personnes ? Nous en doutons car les choses sont déjà assez difficiles comme cela ; la société civile est représentée au travers des élus.

M. Alain Claeys, Rapporteur. L’ANR prend-elle en compte la thématique et la stratégie des pôles dans ses appels à projets ?

M. Jean-Claude Petit. Nous ne savons pas si l’ANR consulte formellement les pôles, mais notre sentiment – j’utilise ce terme à dessein – serait plutôt que non. Pour élaborer sa programmation, l’ANR consulte tous les ans un large éventail d’acteurs, parmi lesquels le CEA. Nous lui présentons de manière détaillée nos nouveaux programmes et les inflexions de programmes existants qui nous paraissent pertinentes au regard non seulement de nos activités mais aussi des lacunes identifiées au niveau national.

L’un des problèmes est que l’ANR mêle dans un grand pot commun les contributions de différents acteurs, dont il ressort une programmation sans que l’on sache exactement par quel processus. Les grands organismes de recherche, qui ont l’habitude de pratiquer la programmation depuis des décennies, ne font pas partie du tour de table. C’est un réel handicap. Les experts consultés, quelle que soit leur compétence dans leur domaine, ne sont pas nécessairement représentatifs de la structure à laquelle ils appartiennent, et il peut même arriver qu’ils soient marginaux en son sein. Le Gouvernement a d’ailleurs perçu l’inconvénient du système puisque le ministère de la recherche pousse plutôt à ce que les acteurs se mettent autour de la table par grandes thématiques, et à ce qu’au lieu d’être simplement consultés, ils soient chargés de la programmation, en lien bien sûr avec l’ANR.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Ce point est très important, pour l’existence même des pôles, de même qu’il est essentiel de trouver une bonne articulation entre l’ANR et OSÉO.

M. Jean-Claude Petit. Les pôles de compétitivité ont une fonction essentielle, à laquelle le CEA est particulièrement attaché, qui est de mener des recherches ayant un impact socio-économique direct. Mais toute la recherche ne peut avoir une telle finalité à court terme. Il est donc normal que l’ANR dispose aussi d’un volant de crédits indépendant de la logique des pôles.

M. Alain Claeys, Rapporteur. 30 % à 40 % de ses crédits sont réservés à des programmes blancs, l’objectif étant à terme de porter ce volant à 50 %.

M. Hervé Bernard. Les plateformes d’innovation, qui prévoient une mutualisation avec les industriels, constituent une activité très importante car c’est notamment ce qui permet aux PME de s’impliquer plus avant. Le CEA est de longue date fortement moteur dans la constitution de telles plateformes. Je pense à Allyance, qui vise à mettre au point le prototype d’une pile à combustible, en Touraine, dans le cadre du pôle S2E2 ; à Promosol, concernant le photovoltaïque, dans le cadre d’INES à Chambéry ; à Mov’eo-Dege, qui concentre des moyens d’essais dédiés aux véhicules propres ; à Steeve, pour le stockage d’énergie électrochimique destinée aux véhicules électriques. À ces quatre plateformes françaises, il faut ajouter les plateformes européennes, notamment SNE-TP concernant l’énergie. Nous croyons beaucoup en cette formule.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Les éco-technologies constituent-elles pour le CEA une préoccupation naturelle ? Avez-vous des projets spécifiques concernant le développement durable ?

M. Hervé Bernard. Qu’entend-on exactement par « développement durable » ? Y inclut-on toutes les énergies qui n’émettent pas de gaz à effet de serre, y compris donc le nucléaire ? Dans ce cas, l’objectif de 30 % de projets consacrés au développement durable nous paraît faible. En revanche, si le nucléaire n’est pas inclus…

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pour moi, il l’est.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Nous ne trancherons pas le débat ici.

M. Hervé Bernard. En ce cas, l’objectif de 30 % pourrait être relevé.

Le CEA est membre de six pôles plus spécifiquement dédiés au développement durable : Capénergies pour les énergies non émettrices de gaz à effet de serre en région PACA, Pôle Nucléaire Bourgogne pour les industries mécaniques et métallurgiques, S2E2 dans le domaine de l’énergie électrique dans le Centre et en Limousin, Tenerrdis pour les nouvelles énergies et les énergies renouvelables en Rhône-Alpes, Trimatec pour la valorisation des technologies issues du nucléaire en Languedoc-Roussillon, Rhône-Alpes et PACA, et Mov’eo pour les transports collectifs et l’automobile en Ile-de-France, Haute-Normandie et Basse-Normandie.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel est le ministère qui pilote réellement les pôles de compétitivité ?

M. Jean-Claude Petit. Tout dépend de ce que vous entendez par « pilotage », mais il est difficile de vous répondre car selon les pôles et leur thématique, ce ne sont pas les mêmes ministères qui interviennent – je ne sais s’ils pilotent. Lorsqu’il s’agit de micro-électronique, de logiciels ou de systèmes embarqués, c’est plutôt le ministère de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi, qui a d’ailleurs une vision stratégique de ce domaine très pertinente par rapport à celle des grands industriels mondiaux du secteur. Lorsqu’il s’agit de développement durable, c’est plutôt, comme il est logique, le ministère de l’Écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire qui s’implique. Le ministère de la Recherche, lui, intervient plutôt de manière transversale. Dès lors que sont associés des opérateurs comme les universités ou les grands organismes de recherche, placés sous sa tutelle, son intervention est pour ainsi dire « pervasive ». Je ne dirais pas qu’il pilote les pôles, mais il se préoccupe fortement de la qualité de la recherche.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il a un rôle stratégique au niveau de l’ANR, notamment des relations que celle-ci doit tisser avec les grands organismes de recherche pour la détermination des choix stratégiques.

M. Jean-Claude Petit. Sans dire qu’elle n’en tient pas compte, je ne suis pas certain que la programmation de l’ANR soit structurée autour des objectifs des pôles de compétitivité.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Merci beaucoup.

Audition du 5 mai 2009

À 9 heures : M. François Drouin, président-directeur général d’OSÉO, et M. Jean-Claude Carlu, responsable du programme « Pôles de compétitivité ».

Présidence de M. Georges Tron, Président

M. Alain Claeys, Rapporteur. Dans le cadre de la Mission d’évaluation et de contrôle, nous sommes, avec Jean-Pierre Gorges, qui appartient, comme moi-même, à la commission des Finances, et Pierre Lasbordes, membre de la commission des Affaires économiques, chargés de consacrer un rapport à l’évaluation et aux perspectives des pôles de compétitivité.

C’est au titre de cette Mission, et avec l’assistance de la Cour des comptes, dont je salue le représentant, M. Gérard Moulin, président de section, que nous entendrons M. François Drouin, président-directeur général d’OSÉO, et M. Jean-Claude Carlu, responsable du programme « Pôles de compétitivité » d’OSÉO.

Pourriez-vous nous expliquer les modalités d’intervention d’OSÉO dans les pôles de compétitivité et l’évolution de son rôle depuis leur création ?

M. François Drouin, président-directeur général d’OSÉO. OSÉO assure trois missions : il soutient l’innovation des entreprises ; il garantit les prêts bancaires aux PME, et il participe à leur financement.

Dans son rôle essentiel de soutien à l’innovation, OSÉO, par la voie de sa filiale OSÉO innovation, participe au financement de projets issus des pôles de compétitivité. Par la distribution des aides à l’innovation auparavant gérées par l’ANVAR, il a ainsi soutenu 513 projets issus des pôles en 2008, d’un montant de 250 000 euros en moyenne. En outre, du fait de l’intégration de l’Agence de l’innovation industrielle (AII), OSÉO gère depuis le 1er janvier 2008 un nouveau programme d’innovation stratégique industrielle, ISI : il finance dans ce cadre six gros projets issus des pôles, pour un montant de 109 millions d’euros. En 2008, OSÉO a donc financé des projets issus de pôles de compétitivité pour un montant de 186 millions d’euros, alors que l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, y a consacré 178 millions d’euros et l’État 235 millions via le Fonds unique interministériel, FUI.

La place d’OSÉO dans les pôles de compétitivité devrait encore se renforcer à l’avenir. En effet, Le Président de la République a annoncé en décembre 2007 le principe du transfert de la gestion du FUI à OSÉO, qui devrait être réalisé sous peu.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Votre participation à l’enveloppe globale est-elle concentrée à 85 % sur les 15 principaux pôles ?

M. Jean-Claude Carlu, responsable du programme « Pôles de compétitivité » d’OSÉO. L’objectif d’OSÉO étant de financer les PME, elle est au contraire présente dans tous les pôles de compétitivité, les quinze pôles les plus importants représentant à peine plus de 50 %. Nous sommes donc plutôt proches des petits projets et des pôles à vocation nationale.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous vous inscrivez donc dans une logique d’aménagement du territoire ?

M. François Drouin. Non : nous soutenons les bons projets, quelle que soit leur localisation. Mais les pôles de compétitivité sont par nature ancrés dans les territoires, puisqu’ils regroupent dans le cadre d’une spécialisation territoriale des projets collaboratifs portés par des entreprises regroupées autour d’un chef de file. En permettant la participation de laboratoires à de tels projets, les pôles de compétitivité favorisent le décloisonnement entre le monde de la recherche et les entreprises. Le Boston Consulting group, BCG, chargé de l’évaluation des pôles de compétitivité, a souligné le rôle positif de cette dynamique des pôles. J’ajoute que nous souhaitons pouvoir rapidement gérer le Fonds unique interministériel.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La gestion du FUI ne présente-t-elle pas des problèmes spécifiques ?

M. François Drouin. Le problème de la sécurisation de l’information nous semblait absolument majeur. Sur le plan de l’intelligence économique, il était vital de sécuriser les informations qui constituent la « substantifique moëlle » de l’innovation dans les pôles de compétitivité. Jusqu’ici, les appels à projets, lancés deux fois par an, occasionnaient une circulation incontrôlée de l’information sur Internet et via des documents papier. Nous avons sécurisé l’accès à l’information en mettant immédiatement en place un système extranet verrouillé par des clés, où chacun n’a accès qu’au niveau d’information de sa compétence. Cet outil, mis en place au 1er septembre 2008 pour nous permettre d’être opérationnels en gestion au 1er janvier 2009, date à laquelle nous aurions dû prendre la main, a été mis à la disposition de la direction générale de la Compétitivité, de l’industrie et des services, la DGCIS, pour le septième et le huitième appels à projets du FUI.

Cette avancée majeure n’est qu’une première étape : nous avons d’autres projets de rationalisation de la gestion du fonds.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Que recouvre le dispositif « Pacte-PME » mis en œuvre conjointement par OSÉO et le Comité Richelieu ?

M. François Drouin. Cette action a pour objectif de faciliter l’accès des PME aux marchés publics. Le dispositif « Passerelle » constitue une action spécifique de soutien à l’innovation d’une PME portée par un grand groupe, dans une logique de partage de la propriété intellectuelle : il doit permettre à la PME de bénéficier d’une aide au développement de sa technologie, sans qu’elle soit dépouillée de sa propriété.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Quel rôle joue le Comité Richelieu ?

M. François Drouin. Cette association joue un rôle d’animation et organise les contacts entre grands groupes et PME.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quelle est votre évaluation des pôles de compétitivité, près d’un an après l’audit commandé par l’État ?

M. François Drouin. Nous n’avons pas participé à l’audit des pôles de compétitivité, sinon en répondant à quelques questions. Nous adhérons cependant au bilan globalement positif du BCG, même si des points restent à améliorer, comme le délai de versement des subventions.

En ce qui concerne la qualité des projets, nous manquons du recul suffisant pour en juger. Il reste que la dynamique impulsée par les pôles de compétitivité est incontestable : sans eux, certaines PME n’auraient jamais pu entrer en contact avec de grands groupes.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Comment expliquez-vous que 85 % du financement public soient concentrés sur quinze pôles ?

M. François Drouin. C’est un autre sujet. Il est vrai que plus de 75 % des subventions versées aux pôles par le FUI vont aux grands groupes (20 %) et aux laboratoires (56 %). Mais les pôles bénéficient également des versements de l’ANR, d’OSÉO et des régions.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel est l’apport des pôles pour une PME en termes de qualité des projets ?

M. François Drouin. Il permet de réduire la distance entre PME et grands groupes.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Est-il besoin de pôles pour cela ?

M. François Drouin. Les pôles permettent également de réduire le fossé qui sépare le monde de l’entreprise et celui de la science dans notre pays.

M. Alain Claeys, rapporteur. Les pôles de compétitivité ont-ils réellement facilité les contacts entre les PME et les grands groupes ?

M. François Drouin. Incontestablement, même si le nombre des PME concernées reste trop faible. Des patrons de PME nous ont dit que le pôle leur avait permis d’avoir rapidement accès à des responsables de grands groupes.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Ces relations sont-elles conciliables avec le souci de protéger l’innovation de la PME ?

M. François Drouin. Une PME doit parfois faire passer son besoin de travailler avant la protection de l’innovation. C’est le cas dans le secteur aéronautique, où l’innovation appartient aux grands groupes. Les pôles leur permettent cependant d’aller dans le bon sens. Quand nous assurerons la gestion du FUI, nous nous efforcerons d’accroître la place des PME dans ces pôles.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. N’est-ce pas l’impulsion politique au niveau national qui a permis ces progrès ?

M. François Drouin. Il ne faut pas négliger la volonté régionale et la mobilisation de l’ensemble des forces vives d’un territoire, sans laquelle la mayonnaise ne prendrait pas.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. C’est donc la proximité qui fait l’efficacité ?

M. François Drouin. Oui. C’est la mobilisation des forces d’un territoire et la volonté de se spécialiser dans un domaine qui entraînent cette dynamique, comme cela s’est passé à Limoges autour de Legrand. En outre, les grands groupes ont compris l’intérêt de disposer d’une flottille de PME qui les aiguillonnent et de laboratoires qui leur apportent leurs connaissances.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Pourquoi si peu de PME sont-elles concernées et que faudrait-il faire pour que leur nombre augmente ?

M. François Drouin. C’est ce que nous aurons la charge de trouver quand nous reprendrons la gestion du FUI. Nous nous efforcerons alors d’amplifier ce mouvement

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Comment ?

M. François Drouin. En soutenant un plus grand nombre de projets portés par les PME – je rappelle que le FUI opère un choix parmi les projets labellisés par les pôles de compétitivité.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Avec quels objectifs ?

M. François Drouin. Nous allons déjà essayer de déplacer le curseur au bénéfice des PME, en concertation avec nos nombreuses tutelles.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. La Cour des comptes s’était quelque peu interrogée en constatant que le transfert de certains dispositifs ministériels vers l’ANVAR s’était conclu par un échec au cours des dernières années. Le dynamisme de votre présentation est cependant propre à lever toute inquiétude.

M. Jean-Claude Carlu. C’est l’absence d’autorisations de programme qui a voué le dispositif ATOUT ou le projet CORTECHS à l’échec.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Les dispositifs actuels sont-ils plus simples pour une PME ?

M. François Drouin. La simplification de l’aide à l’innovation est un des objectifs majeurs d’OSÉO. Nous raisonnons en termes de projets, et non de procédures. C’est à nous de décider si le financement du projet que nous avons retenu relève de l’aide simple, du programme ISI, ou à l’avenir de l’appel à projets du FUI.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quels sont les rapports entre OSÉO et l’Agence nationale de la recherche dans ce domaine du financement de projets ?

M. François Drouin. Ils sont excellents, d’autant plus que chacun siège au conseil d’administration de l’autre. Nous sommes complémentaires, l’ANR finançant la recherche et OSÉO l’innovation : quand l’ANR transforme l’argent en idées, nous transformons les idées en argent.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Exercez-vous un droit de suite sur le financement des projets ?

M. François Drouin. Non, mais nous savons qui finance quoi.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quelles sont vos relations avec la Caisse des dépôts et Consignations s’agissant du financement des pôles de compétitivité ?

M. François Drouin. Elles sont ténues : la CDC nous aide à garantir les capitaux-risqueurs et nous la conseillons sur un plan technique quand elle nous interroge sur un projet. En réalité, la Caisse intervient peu dans le domaine de l’innovation. Mais nous avons avec la CDC créé régionalement des plateformes pour amplifier nos échanges sur les projets.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel sera selon vous l’impact de la baisse annoncée de 20 % des dotations de l’État en faveur de la politique des pôles de compétitivité sur la période 2009-2011 ?

M. François Drouin. En réalité, ce soutien reste globalement identique, le Président de la République ayant parlé d’1,5 milliard d’euros sur la période 2009-2011. Cette somme se décompose en 600 millions d’euros pour l’ANR, 600 pour le FUI, 250 pour OSÉO, les Agences et la Caisse des dépôts, et 50 pour les organes de gouvernance des pôles. La baisse de 20 % ne porte donc que sur le FUI.

Cette diminution de leur financement ne met pas un frein au véritable engouement dont l’appel à projets du FUI fait l’objet, et le nombre des demandes de financement ne fléchit pas : ce sont deux cents projets qui sont à l’étude, pour un montant de 400 millions d’euros, dans le seul cadre du huitième appel à projets.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. En période de crise, les pôles sont-ils une force ou une faiblesse pour notre pays, une activité frappée par la crise risquant d’entraîner toute une région dans sa chute ? Que proposeriez-vous pour donner un deuxième souffle à ces pôles de compétitivité ?

M. Georges Tron, Président. Existe-t-il des critères d’évaluation pour faire évoluer ces pôles ?

M. François Drouin. Les pôles de compétitivité constituent clairement une force dans la situation actuelle : renforcer ce qui marche vaut toujours mieux que la dispersion et la dilution. C’est d’autant plus vrai que l’existence des pôles n’interdit en rien de développer toute autre initiative.

En ce qui concerne l’évaluation des projets, nous nous astreignons à un devoir de modestie : c’est aux entrepreneurs, en contact avec les marchés et ouverts sur le monde, d’avoir l’initiative de présenter des projets, non à une structure d’État.

Par ailleurs, nous manquons du recul suffisant et d’une méthode pour évaluer les pôles de compétitivité, à la différence des petits projets qui relèvent d’OSÉO innovation (ex-ANVAR), structure qui existe depuis près de trente ans. À la demande de l’État au titre de notre contrat de performances, nous sommes en train de mettre en place une méthode d’évaluation de ces 4 000 petits projets décidés annuellement.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Un projet est-il évalué de la même façon lorsqu’il est issu d’un pôle jugé médiocre ?

M. François Drouin. Nous ne jugeons que les projets : les pôles ne relèvent pas de notre responsabilité.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous feriez de même sans les pôles ?

M. François Drouin. C’est possible mais, outre le bonus qu’ils apportent en termes de subventions, les pôles créent une dynamique et permettent des collaborations.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Sortez de votre réserve ! En tant qu’acteur, vous avez bien votre petite idée sur les enjeux des pôles et les moyens de leur donner une plus grande efficacité ?

M. François Drouin. J’ai une demande très pragmatique : qu’on applique la décision de transfert de toutes les aides à l’innovation à OSÉO, annoncée par le Président de la République le 7 décembre 2007 – je le cite : « La simplification a commencé : après la fusion avec l’Agence de l’innovation industrielle, nous allons par exemple confier la gestion de toutes les aides à l’innovation à OSÉO pour que l’entreprise n’ait plus qu’un interlocuteur. Monsieur le président d’OSÉO, votre mission à la tête de cet opérateur pivot est essentielle, et nous comptons tous beaucoup sur vous. Vous pouvez aussi compter sur moi. Nous allons lever la multitude de réglementations contraignantes et inutiles qui empêchent les gens de travailler ». Le 12 décembre, le conseil de modernisation des politiques publiques décidait que « la fusion d’OSÉO et de l’AII constituait une étape clé pour constituer un opérateur de référence en matière de soutien à l’innovation des entreprises. […] Cet opérateur doit en particulier devenir l’interlocuteur des entreprises sur les pôles de compétitivité. Les aides en la matière actuellement gérées par le ministère des finances, de l’économie et de l’emploi lui seront transférées ».

M. Alain Claeys, Rapporteur. Ma question était tout autre : en tant que financeur des pôles, quel regard portez-vous sur leur gouvernance : tout va-t-il pour le mieux dans le meilleur des mondes ?

M. François Drouin. Globalement, cela ne marche pas trop mal.

M. Jean-Claude Carlu. Elle est surtout assurée par les grands groupes : les PME, qui représentent 60 % des partenaires, ne constituent que 15 % de la gouvernance. Il est vrai que les grandes entreprises ont une plus grande capacité d’animation, et le fait qu’un pôle soit animé par un grand groupe n’empêche pas les PME d’être extrêmement dynamiques, comme c’est le cas à Lille.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Dans quel cas cela ne fonctionne-t-il pas ?

M. Jean-Claude Carlu. Quand un grand groupe chef de file fait preuve d’un certain hégémonisme et n’assure pas la diffusion d’innovations que le pôle lui a permis de développer.

M. Georges Tron, Président. L’objectif de la MEC est d’apprécier la pertinence de la dépense publique. Nous voudrions savoir quelles sont vos capacités d’appréciation en la matière et quelles améliorations pourraient être apportées selon vous, au-delà de ces problèmes de gouvernance ?

M. François Drouin. J’ai conscience que les subventions publiques constituent une ressource précieuse, mais je vous répète que nous ne disposons pas du recul suffisant pour juger de leur utilisation par les pôles.

M. Georges Tron, Président. Mais pouvez-vous définir en un mot quels seraient les bons critères d’appréciation à mettre en œuvre ?

M. François Drouin. Ce pourrait être la création de richesses que les pôles ont permise, qu’il s’agisse de dépôts de brevets, de développement de l’activité et de l’emploi ou de la préservation de l’indépendance économique.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pour reprendre une formule que vous avez utilisée, ne pourrait-on pas considérer le ratio entre l’argent investi et l’idée obtenue pour juger de la recherche, et le ratio entre l’idée et le PIB dégagé, pour juger de l’innovation ?

M. Georges Tron, Président. Est-il normal de ne pas disposer aujourd’hui de critères d’évaluation des pôles ?

M. François Drouin. Nous nous employons en tout cas à mettre en place un dispositif d’évaluation de l’ensemble de nos aides.

M. Alain Claeys, Rapporteur. En ce qui concerne l’enjeu majeur que constitue la propriété intellectuelle, quelle répartition est possible ?

M. François Drouin. La répartition de la propriété intellectuelle est variable selon les secteurs d’activité et les rapports de force. Ainsi, dans le secteur aéronautique, elle appartient aux donneurs d’ordre, ce qui rend les sous-traitants doublement dépendants. Une telle situation n’est pas saine, et justifie le développement du dispositif « Passerelle », qui doit permettre d’équilibrer ces relations. En effet, la fragilité des sous-traitants peut compromettre toute la solidarité de la chaîne de production, comme on le voit actuellement dans le secteur automobile.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Comment avancer dans ce domaine ?

M. François Drouin. Il faut respecter des règles du jeu claires : c’est ce à quoi nous veillons en imposant la signature d’accords de consortium avant le versement des fonds. Nous songeons même à ne pas les verser si nous jugeons ce contrat léonin.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Pourquoi ne pas retenir comme critère d’attribution le taux de participation des PME dans les pôles ?

M. François Drouin. C’est ce que nous comptons faire quand nous aurons la gestion du FUI. Certains ont même pu dire que cette volonté qui est la nôtre n’était peut-être pas étrangère au retard du transfert de ce fonds.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Ce serait le résultat de pressions des grands groupes ?

M. François Drouin. Je ne sais pas. Rappelons toutefois que ce sont les laboratoires publics qui sont les premiers bénéficiaires du FUI (56 %).

M. Georges Tron, Président. Nous vous remercions.

Audition du 5 mai 2009

À 10 heures : MM. Pierre de Fouquet, président de l’Association française des investisseurs en capital (AFIC), Hervé Schricke, administrateur, Bernard Maître et Jean-Yves Demeunynck, délégué général

Présidence de M. Georges Tron, Président

M. Georges Tron, Président. Nous accueillons les représentants de l’Association française des investisseurs en capital (AFIC) pour cette réunion de la Mission d’évaluation et de contrôle concernant l’évaluation et les perspectives des pôles de compétitivité.

M. Pierre de Fouquet, président de l’AFIC. La profession du capital investissement rassemble en France, tous secteurs confondus, à peu près 5 000 entreprises qui regroupent trois grandes familles d’activité : le capital risque, c’est-à-dire le financement de sociétés en création, généralement à fort contenu technologique ; le capital développement, qui est l’accompagnement de la croissance d’entreprises proches de la rentabilité ; enfin, le capital transmission, qui concerne la transmission d’entreprises, avec effet de levier ou pas – les fameuses opérations LBO (leverage buy-out).

Le segment qui nous intéresse ici est celui du capital risque, qui représente à peu près un tiers du portefeuille et un peu plus de 1 500 sociétés, principalement dans le secteur technologique. Naturellement, la profession est présente dans les domaines d’activité des pôles de compétitivité, notamment des pôles mondiaux.

Si vous le permettez, je vais présenter notre délégation. Pour ma part, je suis à la fois président de l’AFIC et président du directoire d’Iris Capital, un fond de capital-risque pan-européen spécialisé dans le secteur des médias, des télécommunications et des technologies de l’information ; Hervé Schricke, président de Xange Private Equity, est le président de la commission Capital Risque/Venture de l’AFIC ; Bernard Maître, président du directoire d'Emertec Gestion, l’un des acteurs principaux dans le début de la chaîne de financement – celui des start up ; enfin, Jean-Yves Demeunynck est le délégué général de l’AFIC.

En France, nous pouvons faire beaucoup plus et mieux ; une des faiblesses du venture n’est pas seulement liée aux problèmes de la chaîne de financement, mais aussi à une insuffisante articulation entre la recherche, le financement privé que représentent les fonds de venture, et les grands groupes industriels. En Israël, aux États-Unis, en revanche, la force du secteur de l’innovation et de son financement réside justement dans la capacité de ses acteurs à se parler. En France, nous avons trop peu de communication avec les grands groupes industriels de nos secteurs et nous sommes assez peu présents dans le domaine des pôles de compétitivité. D’où l’intérêt de la rencontre d’aujourd’hui.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Même s’il manque encore un peu de recul s’agissant des pôles de compétitivité, quel état des lieux pouvez-vous dresser ?

M. Pierre de Fouquet. Il faut examiner la situation pôle par pôle et secteur par secteur, et se garder de tout discours généraliste. Il existe, au sein de notre profession, des fonds sectoriels, qui sont tout à fait à même de participer à l’activité des pôles correspondant à leur spécialisation sectorielle.

Aujourd’hui, on constate au mieux une présence de l’AFIC à certaines réunions, et au pire une absence totale. Bien que je travaille dans le même secteur depuis vingt ans et que je connaisse l’ancien président de Cap Digital en Île-de-France, nous n’avons été invités à aucune réunion ni de ce pôle de compétitivité ni, par exemple, du pôle Images et Réseaux, en Bretagne. J’explique un tel état de fait par une absence aberrante de communication. Nous sommes disponibles, nous participons, à l’étranger, à des réunions sur les mêmes thèmes. Il est paradoxal que nous ne soyons même pas invités à travailler avec les pôles.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Vous attendez d’être invités ?

M. Pierre de Fouquet. J’ai fait acte de candidature.

M. Bernard Maître. La réalité est assez contrastée. Les pôles sont très hétérogènes de par leur population, leur culture et leur histoire. Certains, à finalité industrielle, reposent sur de petites entreprises, des PME qui se fédèrent ; parfois un « poids lourd » du secteur met la main sur le pôle. Dans un tel écosystème, nous ne sommes pas bienvenus, quoi que nous fassions. À l’inverse, certains pôles sont beaucoup plus ouverts à nos pratiques, à nos métiers, à notre culture et à nos modes de fonctionnement, tout simplement parce que leur secteur connaît depuis longtemps le capital investissement. C’est le cas dans le domaine des technologies de l’information.

Nous avons vécu des situations très différentes selon les pôles de compétitivité. Certains, après avoir accepté notre chèque, nous ont d’abord laissés dehors, jusqu’à ce qu’ils se fassent à l’idée que des professionnels comme nous puissent être intégrés dans leur culture. C’est ce qui s’est passé à Grenoble. À l’inverse, d’autres pôles de compétitivité développent un marketing très agressif pour faire venir les investisseurs. Tel est le cas des pôles Cap Digital et System@tic, pôles de la région parisienne spécialisés dans les technologies de l’information, qui montent la semaine prochaine une opération « Coup-de-poing ISF 2009 », afin de mettre en relation des investisseurs et des particuliers redevables de l'ISF – qui veulent profiter de la loi TEPA – avec des PME innovantes.

M. Alain Claeys, Rapporteur. On déplore souvent une absence de communication. Au-delà, que manque-t-il, dans les pôles de compétitivité, pour que l’articulation entre recherche, capital investissement et grands groupes fonctionne correctement ?

M. Hervé Schricke. Je ne crois pas que les pôles de compétitivité soient organisés pour dialoguer avec le monde du venture capital, qu’ils ne connaissent pas bien. Je ne suis pas sûr non plus que les grands groupes soient très favorables à la présence permanente d’investisseurs au sein des structures. Les pôles qui fonctionnent, comme System@tic ou Cap Digital, organisent très peu de réunions avec les venture capitalistes, même quand ceux-ci sont membres du pôle.

Outre que notre métier consiste à financer des sociétés et, d’une certaine façon, à leur donner de l’autonomie, les entreprises elles-mêmes – surtout les start up et les jeunes sociétés – n’ont pas forcément envie de s’ouvrir de leurs problèmes de financement en présence de grands industriels et de faire connaître leur faiblesse ou d’évoquer des valorisations auxquelles elles prétendent. Il est difficile de faire communiquer des gens qui n’ont pas envie de tout livrer.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le financement public est en effet plus sécurisant.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le pôle de compétitivité ne pourrait-il pas permettre de lever ces réticences et de faire en sorte que vous puissiez intervenir plus facilement ? L’argent public coûte cher – surtout qu’il s’agit en grande partie de subventions. Ce sont les fonds privés qui résoudront plus facilement les problèmes.

M. Hervé Schricke. D’autant que leur motivation est là. La plupart de nos confrères, dont j’ai pris l’attache avant cette réunion, ont exprimé leur volonté de s’intéresser à tel ou tel pôle, suivant leurs centres d’intérêt.

Il serait utile d’affecter dans les pôles certaines personnes à l’accueil du venture capital, des personnes qui seraient jugées sur leur capacité à intégrer des investisseurs dans les activités du pôle. De notre côté, nous pourrions faire un effort de pédagogie vis-à-vis de ces personnes, auxquelles nous ferions connaître notre métier.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Si vous étiez intégrés à la gouvernance du pôle, pensez-vous que vous seriez aussi efficaces que le financement public pour les sociétés qui en font partie ? Vous dites que vous ne participez pas beaucoup à l’activité des pôles parce que vous n’y êtes pas associés, mais selon certains, il serait très compliqué de travailler avec vous.

M. Pierre de Fouquet. Nous ne sommes pas des pourvoyeurs de crédits. Notre fonctionnement même nous l’interdit. Nous ne faisons qu’utiliser des fonds que nous collectons – essentiellement auprès d’institutionnels, dans certains cas auprès du grand public – pour les investir dans les sociétés. Nous ne sommes pas une ressource de substitution par rapport à une approche de type budgétaire. En revanche, s’associer à des pôles serait pour nous l’occasion de rencontrer des entreprises qui ont des besoins de financement, et de les accompagner. Ce type de rencontres permet de détecter les opportunités et d’avoir une approche cohérente et structurée avec les industriels.

Notre métier est d’accompagner les entreprises, mais pas pour l’éternité : nos investissements durent en moyenne quatre, cinq ou six ans. Nous avons vocation en effet à sortir de ces sociétés et à revendre nos participations, généralement à des industriels. Contrairement au modèle américain, le mode classique de sortie en France n’est pas la Bourse, mais la sortie industrielle. Néanmoins, nous vendons, paradoxalement, beaucoup plus à des sociétés israéliennes ou américaines, voire indiennes, qu’à des sociétés françaises. La raison en est très simple : les groupes industriels français méconnaissent ces sociétés, soit parce qu’ils ne les ont pas suivies dès l’origine, lorsque nous avons commencé à y investir, soit parce que, ayant fait d’autres choix stratégiques, ils ne sont pas intéressés par elles.

Reste que le manque de communication est regrettable. Nous devrions, avec ces groupes, pouvoir examiner ensemble un secteur, détecter les sociétés qui représentent pour eux un enjeu, à terme de quatre ou cinq ans, et cibler celles dont ils seraient éventuellement repreneurs. Nous assurerions alors le financement durant la période pendant laquelle ils ne sont pas intéressés à le faire.

Il existe une complémentarité d’intérêts entre les sociétés, les industriels et nous, qui constitue un cercle vertueux.

En tout cas, il faudrait créer une incitation – de quelle nature, je ne sais pas – pour que les investisseurs soient présents dans les structures de gouvernance.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Plutôt que de méconnaissance des start up par les groupes industriels, ne faudrait-il pas parler de protectionnisme de leur part ?

M. Bernard Maître. Je réfléchis au problème depuis une vingtaine d’années. J’ai fini par me faire une opinion, laquelle dépasse d’ailleurs largement le cadre national. Nous ne sommes pas un cas unique, loin de là.

Le rapport des grands groupes à l’innovation est encore très dépendant de leur culture d’origine et de l’intensité d’innovation de leur secteur. Aujourd’hui, dans certains secteurs, les grands groupes français collaborent avec nous de manière remarquable. C’est le cas dans l’énergie et dans les transports avec EDF, GDF Suez ou Alstom, qui ont compris l’intérêt de l’innovation et ce que l’on pouvait apporter ; parfois même, ils nous confient des capitaux. À l’inverse, dans d’autres secteurs, l’hypertrophie des services de R&D internes finit par tenir à distance tout ce qui pourrait venir de l’extérieur, y compris ce que pourraient apporter les start up. C’est ainsi que General Motors est morte et que nos grands groupes pharmaceutiques nationaux ont continué à faire de la chimie alors que la révolution était dans les biotechnologies.

M. Pierre de Fouquet. Tout le monde est conscient de l’échec stratégique et industriel d’Alcatel. Or je ne connais pas de start up française acquise par Alcatel.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel regard portez-vous sur les fonds de capital risque régionaux ?

M. Pierre de Fouquet. Ces derniers constituent souvent des soutiens de proximité. Leur rôle est essentiel, notamment dans les premières phases de financement. Mais en dehors de quelques exceptions, ils n’ont pas la capacité à accompagner les entreprises, ni financièrement, ni en termes de valeur ajoutée – contrairement à nous du fait de notre longue expérience de la gestion des fonds spécialisés. De ce point de vue, il serait nécessaire d’établir une meilleure relation entre les fonds régionaux et nationaux.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous mené des expériences en ce sens ?

M. Pierre de Fouquet. Depuis maintenant deux ans, l’AFIC organise en région des présentations de l’ensemble de son activité. A cette occasion, nous rencontrons les élus locaux pour expliquer ce qu’est le capital investissement en région et pour essayer d’améliorer la relation entre les acteurs régionaux et les acteurs nationaux.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous le sentiment d’une bonne écoute ?

M. Pierre de Fouquet. Oui, l’intérêt des acteurs en région est fort.

M. Bernard Maître. Je suis un acteur régional, autour de Grenoble. Le fonds Emertec, que je préside, est une société de gestion qui est née dans le prolongement de la loi dite Allègre, pour mettre à la disposition des chercheurs de la région – c’est-à-dire essentiellement du CEA-Leti, du CNRS et de l'Institut national polytechnique de Grenoble (INPG) – des moyens financiers pour créer des start up.

Le système a plutôt bien fonctionné, avec les limites que rappelait notre président, Pierre de Fouquet : d’abord, les besoins capitalistiques des dossiers concernés, à savoir les montants nécessaires pour démarrer, sont sans commune mesure avec les moyens de la société de gestion locale ; ensuite, il est difficile de trouver, de payer et de garder dans les petites structures locales des professionnels de qualité dans notre métier, c’est-à-dire des gens ayant à la fois une culture d’entreprise et des compétences dans la technologie, le montage juridique, la finance et la collecte de capitaux.

Il serait d’ailleurs illusoire de penser que l’on peut résoudre le problème en mettant en place un correspondant local dans chaque pôle de compétitivité. Ce serait très consommateur de capitaux, les équipes seraient très inégales et probablement pas aptes à apporter l’aide requise.

Il est des régions où le capital risque local est historiquement bien ancré et de bonne qualité – à Toulouse, Grenoble, Lyon – et des endroits où ce sera un peu plus compliqué et où il faudra que nous, nationaux, soyons volontaristes.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Votre présence dans les pôles dépend-elle de la gouvernance du pôle ou du thème porté par le pôle ?

M. Pierre de Fouquet. Elle dépend des deux à la fois.

Le choix devrait, à mon avis, reposer sur la spécialisation. Si l’on veut une vraie valeur ajoutée, il faut connaître précisément le secteur auquel on s’intéresse. En général, les fonds ont d’ailleurs une spécialisation sectorielle.

J’en profite pour dire que nous disposons d’un moteur de recherche qui permet de cibler les fonds en fonction d’un certain nombre de critères : taille des investissements, localisation de l’investissement, spécialisation sectorielle, etc. Il est ainsi facile de déterminer qui sont les acteurs concernés.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pour que les PME puissent se développer, il leur faut des fonds propres. Que proposeriez-vous pour améliorer rapidement les choses en la matière ?

M. Pierre de Fouquet. La question du financement en fonds propres des PME est un sujet quasi permanent. Dans le cadre de notre dialogue avec les pouvoirs publics, nous avons fait à cet égard une série de propositions.

La France est numéro 1 en termes d’attractivité fiscale et légale au niveau européen dans le classement établi par KPMG. La démarche conduite de façon systématique en la matière au cours des dernières années, sous les différents gouvernements, s’est révélée très positive. Aujourd’hui, nous avons un dispositif qui, en termes financier et fiscal, est relativement attractif par rapport à celui des autres pays. Pour autant, nous courons, face à la crise, le risque de voir les modes de financement mis en place, notamment à travers les crédits d’impôt, que ce soit au titre de l’impôt sur le revenu ou de l’ISF, ne s’adresser qu’à une partie de la chaîne de financement.

Nos faiblesses aujourd’hui sont de deux ordres. En amont, au tout début de la chaîne, une certaine fragilité subsiste même si des mesures, en matière d’ISF notamment, favorisent l’émergence de business angels par exemple. En aval, l’autre bout de la chaîne est à risque. Aujourd’hui, il n’existe plus de marché financier. Ce qui était une voie naturelle de financement, la cotation sur Alternext notamment, s’est fermé. Les fonds de capital risque les plus matures, les fonds communs de placement à risque (FCPR), sont confrontés à un problème de levée de fonds. Les institutionnels – assureurs, banquiers – n’ont pas d’allocations. Dans les mois qui viennent, l’enjeu est de sécuriser ce segment du capital risque et du capital développement.

Il serait suicidaire d’avoir un dispositif efficient pour financer les débuts et d’être incapables de financer les besoins en fonds de roulement, alors que les entreprises ont déjà réussi à passer un premier stade, qu’elles sont en phase de croissance et qu’elles génèrent du chiffre d’affaires. C’est le problème actuel. Nous dialoguons avec les pouvoirs publics sur ce sujet.

Quant à l’utilisation de la ressource provenant des ménages par l’intermédiaire des mécanismes de défiscalisation, elle n’est pas optimale. Alors que l’on assiste à un effet, sinon de bulle, du moins à une forte offre de capitaux sur une partie de la chaîne de financement, le segment suivant peut souffrir d’un assèchement de la ressource. Il faudrait donc trouver des mécanismes permettant de mieux répartir cette ressource, qui est importante.

Par ailleurs, le dispositif « France investissement », destiné à lever des fonds au profit du financement des PME, dont le principe est très positif, devrait jouer un rôle contracyclique. Or il ne le joue pas, non pas à cause de la Caisse des dépôts, qui fait son travail, mais des partenaires privés qui aujourd’hui, ne sont pas actifs. Et les fonds de fonds ont très peu de nouveaux engagements, du fait des partenaires privés qui, je le rappelle, sont les opérateurs.

Nous nous trouvons dans une situation paradoxale où l’argent public ne peut être investi faute d’argent privé.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Parlons des critères d’acceptabilité des projets dans les pôles de compétitivité. Pensez-vous qu’il faudrait prendre plus de risques en assouplissant ces critères ?

M. Bernard Maître. Notre métier est d’investir dans des entreprises. Le choix des projets ne relève pas de notre réflexion. Il résulte du dialogue des entreprises entre elles, souvent de petites entreprises, et d’un ou deux grands acteurs du pôle. Cela échappe à notre démarche.

Nous souhaitons traiter avec des entreprises qui ont des perspectives de croissance parce qu’elles sont appuyées sur une technologie de rupture. À cet égard, nous ne sommes pas des banquiers. Je ne suis pas bien sûr que vous vous en rendiez compte, mais nous prenons des risques extrêmement élevés – avec des taux de casse dépassant parfois 30 %. La raison en est simple : quand nous perdons, nous perdons notre mise, mais quand nous gagnons, nous gagnons plusieurs fois notre mise.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quels secteurs privilégiez-vous ? Investissez-vous dans les sciences du vivant ?

M. Bernard Maître. Mon fonds n’est pas positionné sur le secteur des biotechnologies moléculaires. Nous ne cherchons pas le prochain médicament. Quelques acteurs de la profession sont reconnus dans ce secteur – Edmond de Rothschild Investment Partners, Sofinnova Partners –, mais ce n’est pas notre métier. Nous revenons aux sciences de la vie par le biais du développement durable – traitement de l’eau, recherche de biocarburants, fabrication d’hydrogène avec des micro-organismes, dépollution – en investissant dans les technologies propres ou cleantechs.

M. Hervé Schricke. Effectivement, peu d’acteurs sont présents dans le secteur des sciences du vivant. Nous avons évoqué tout à l’heure la durée de vie de nos investissements. La version optimiste est que nous investissons pour quatre à six ans ; la réalité est que nous restons plus longtemps que nous ne l’anticipons. Malgré tout, une différence existe entre les fonds qui lèvent des capitaux auprès du grand public pour une durée initiale de vie de sept à huit ans, et les fonds des institutionnels. Les FCPR sont des fonds de dix ans plus deux, voire de douze ans plus deux. Il faut des fonds d’une telle durée pour investir dans les sciences du vivant et dans les technologies de l’information.

Pour revenir au problème de la sélection des projets dans les pôles de compétitivité, je précise que nous ne sommes pas invités à la réflexion.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pensez-vous que vous devriez l’être ?

M. Hervé Schricke. Oui, je crois que nous devrions faire partie des instances de gouvernance, parce que nous sommes capables d’avoir un avis même si nous pouvons nous tromper.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Faut-il prendre des risques au niveau du choix des projets ?

M. Hervé Schricke. Probablement. Il faut surtout faire des choix qui correspondent à une anticipation de marché. Nous sommes forcément guidés par la conviction qu’il y a un marché pour le produit dans lequel nous investissons, y compris dans les biotechnologies. Nous pouvons nous tromper sur l’horizon du marché, et c’est notre principal risque d’erreur, comme sur les équipes qui portent le projet. Mais entre l’équipe qui porte le projet d’un pôle de compétitivité et celle qui mènera l’entreprise au succès, il peut y avoir de grandes différences.

Il ne faut pas sélectionner le projet en fonction de l’intérêt que peut avoir un industriel à approfondir tel ou tel point de recherche. Il faut essayer d’identifier s’il existe, pour le projet en question, des perspectives en termes de marché – et, dès que l’on parle technologies, on ne vise plus le marché national, mais les marchés internationaux. Il y a, en amont, un travail important à réaliser.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. La situation de votre association et de ses membres a-t-elle été modifiée, et s’est-elle améliorée, depuis la création des pôles ?

M. Pierre de Fouquet. Honnêtement, je pense que cette création n’a pas eu une influence significative sur la situation des acteurs de capital risque en France.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Vous pourriez vivre sans ?

M. Bernard Maître. Vous êtes un peu dur ! En tout cas, une idée émise précédemment pourrait sans doute être assez efficace si elle se concrétisait, à savoir obliger les pôles à nous intégrer à la gouvernance du pôle par la mise en place de certains mécanismes : création d’une commission ad hoc, nomination d’un représentant de notre profession au conseil d’administration du pôle, organisation d’une réunion annuelle de formation, de sensibilisation ou de levée de capitaux, comme l’on fait nos excellents confrères de Cap Digital. À nous de saisir alors la balle au bond. C’est notre métier de trouver des dossiers, ce qui nous coûte d’ailleurs très cher : nous sommes donc motivés.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous êtes en aval des pôles. Vous n’en maîtrisez absolument pas la politique. Mais quel regard portez-vous sur leur évaluation ?

M. Bernard Maître. Nous ne pouvons parler que des secteurs que nous connaissons. Je ne saurais donc porter un avis général sur l’ensemble des pôles. Je peux seulement dire que la réflexion est plus avancée dans certains pôles que dans d’autres, et que certains sont plus ou moins ouverts à la notion même de start up.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avec combien de pôles êtes-vous en relation en France ?

M. Hervé Schricke. Entre cinq et dix. Nos équipes ne sont pas nombreuses. Chacun d’entre nous ne peut pas couvrir un très grand nombre de pôles. Il faut qu’ils aient du sens, une taille et un potentiel qui justifient les efforts que nous pouvons faire pour les approcher.

M. Pierre de Fouquet. En tant qu’association, nous avons une importante activité de formation. Nous organisons des séminaires qui s’adressent à différents publics. Il peut s’agir d’entrepreneurs auxquels on explique comment traiter un besoin de financement en fonds propres, etc. Nous avons visité en Israël le Technion-Israel Institute of Technology, qui est l’un des centres d’excellence de la recherche scientifique. Nous avons retenu de notre visite que la formation, en particulier, pouvait se faire très en amont. Nous pourrions faire de même à l’AFIC, par exemple en expliquant aux doctorants ce qu’est la création d’entreprises. Nous pourrions également nous inspirer de leurs critères de sélection des projets : non seulement une technologie doit avoir un potentiel mondial évident, mais elle n’est financée que s’il y a du capital privé prêt à s’investir ; c’est un critère radical. Ils acceptent un taux de déchet relativement important selon une logique très raisonnée : financer de la technologie de très haut niveau est en effet pour eux un moyen de maintenir l’avantage compétitif israélien par rapport à la concurrence.

M. Georges Tron, Président. Pour résoudre les problèmes que vous avez évoqués, que préconiseriez-vous ? À vous entendre, les pôles de compétitivité ne sont pas à l’origine d’une quelconque valeur ajoutée. Reste qu’ils ont modifié le paysage dans lequel vous évoluez.

M. Pierre de Fouquet. Nous ne voudrions pas que ces pôles soient pour nous une occasion manquée. Nous faisons acte de candidature pour y être davantage présents, mais puisque cela n’a pas fonctionné de façon spontanée, il faut créer les conditions, voire en instaurant des obligations.

Nous sommes prêts à jouer le jeu. Nous pouvons faire bénéficier les pôles de compétitivité de notre expérience de la gouvernance. Notre objectif ne sera pas de faire perdre de l’argent, mais d’en faire gagner. C’est un enjeu important pour nous, pour la profession, pour le pays. Nous sommes prêts à nous engager, si on nous y invite.

M. Georges Tron, Président. Si vous aviez à porter un regard critique et extérieur sur les pôles et sur leur fonctionnement, quel serait-il ?

M. Pierre de Fouquet. Pour fonctionner, les pôles doivent s’appuyer sur trois composantes : d’abord, les grands groupes – certains ont joué un rôle éminent, mais on ne peut pas les laisser « accaparer » le dispositif ; ensuite, les entrepreneurs, avec leur soutien naturel que sont les fonds de venture ; enfin, une expertise de haut niveau scientifique – le tout avec une bonne articulation. Mais, encore une fois, je n’ai pas de recette miracle.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous venez en tout cas de donner une bonne définition des pôles de compétitivité.

M. Georges Tron, Président. Je vous remercie infiniment, messieurs.

Audition du 5 mai 2009

À 11 heures : M. Philippe Braidy, membre du comité de direction de la Caisse des dépôts et consignations, directeur du développement territorial et du réseau, et de M. Pascal Lagarde, directeur général de CDC Entreprises

Présidence de M. Georges Tron, Président

M. Georges Tron, Président. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Philippe Braidy, membre du comité de direction de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et directeur du développement territorial et du réseau, M. Pascal Lagarde, directeur général de CDC Entreprises, ainsi que M. Patrick Terroir, directeur régional, chargé du suivi des pôles de compétitivité, et M. Arnaud Richard, chargé des relations institutionnelles.

Nous vous remercions, messieurs, d’avoir répondu à l’invitation de la mission. Monsieur le directeur, je vous donne la parole pour une intervention liminaire.

M. Philippe Braidy, membre du comité de direction de la CDC, directeur du développement territorial et du réseau. Je préciserai en introduction le cadre dans lequel la Caisse des dépôts et consignations intervient au titre des pôles de compétitivité.

Aux termes de la loi de modernisation de l’économie, la Caisse est un groupe public au service du développement économique. Au-delà de son intervention pour financer le logement social, elle consacre un tiers de son résultat aux missions d’intérêt général.

M. Alain Claeys, Rapporteur. En tant que directeur du développement territorial, êtes-vous en charge des interventions de la Caisse dans les pôles de compétitivité ?

M. Philippe Braidy. Pascal Lagarde est le directeur général de CDC Entreprises, filiale de la Caisse des dépôts qui s’occupe du financement des PME. Pour ma part, je gère l’ensemble des directions régionales de la CDC et les moyens que la Caisse, en tant qu’établissement public, consacre directement à certains projets dans les pôles de compétitivité. Ce sont nos actions combinées qui portent les moyens d’intervention de la Caisse au titre des missions d’intérêt général à un tiers de son résultat, soit, pour un résultat de 2,4 milliards d’euros en 2007, environ 800 millions d’euros, dont 300 millions sont consacrés aux PME dans le cadre du programme France Investissement, une partie allant dans les pôles de compétitivité, et environ 500 millions – 460 millions exactement en 2008 – relèvent de l’établissement public, dont 400 millions d’investissement, une partie allant également dans les pôles de compétitivité, mais sur d’autres actions que le financement des PME
– investissements immobiliers pour des projets structurants, accompagnement du développement des pôles. Tout cela est encadré par la convention que nous avons passée avec l’État en 2004, quand nous avons été sollicités pour participer au développement des pôles de compétitivité.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quel budget consacrez-vous aux pôles ? Dans combien de pôles intervenez-vous et quelles sont les procédures d’attribution des fonds ?

M. Philippe Braidy. Nous n’avons pas de budget dédié aux pôles ; nous avons des missions d’intérêt général, nous présentons à la commission de surveillance les axes stratégiques de notre action. Au-delà des axes traditionnels comme l’immobilier d’entreprise et le logement, nous intervenons dans le développement numérique du territoire : nous avons participé à des délégations de service public pour le développement des réseaux d’initiative publique auprès des collectivités locales. Nous intervenons également dans le domaine des énergies renouvelables, dans le cadre du plan stratégique Elan 2020, et nous accompagnons le Plan Campus. Mais nous ne faisons que répondre à des besoins et à des attentes : nous ne sommes pas, sur les pôles de compétitivité, le donneur d’ordres, de même que nous ne le sommes pas vis-à-vis des collectivités locales ; nous les accompagnons, nous les conseillons, nous aidons à faire sortir les projets. Bref, les moyens que nous consacrons aux pôles sont plus une résultante qu’une donnée de départ. C’est également vrai pour CDC Entreprises.

M. Pascal Lagarde, directeur général de CDC Entreprises. En 2007, nous avons financé, via des fonds que nous alimentons par ailleurs, 240 PME dans 54 pôles, dont une grande majorité est à vocation internationale. Ce n’est pas illogique, les PME financées par ces fonds d’investissement étant de facto des PME à assez forte croissance, qui se retrouvent donc dans les pôles à plus fort potentiel.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Financez-vous des PME ou des projets
– auxquels des grands groupes peuvent également participer ? Êtes-vous sélectif dans l’attribution des fonds ?

M. Philippe Braidy. Dès lors que nous intervenons dans le cadre de missions d’intérêt général, nous essayons de ne pas nous substituer au marché privé. Nous intervenons comme investisseur, si possible minoritaire, avec des investisseurs privés, afin de produire un effet d’entraînement. C’est vrai pour le financement des PME, et nous essayons d’intervenir de la même façon pour les projets structurants.

Lors de la réunion que nous avons organisée avec l’ensemble des pôles mondiaux en 2007, nous avons constaté qu’une grande attention était portée au problème de financement de la recherche, mais que la notion de projet structurant avait du mal à se concrétiser. En 2008, quand le Gouvernement a fait appel au Boston Consulting Group, il nous a demandé de renforcer l’accompagnement des pôles. Nous avons alors, tout en conservant les mêmes axes d’intervention, lancé un appel à projets en demandant aux pôles de nous transmettre des projets structurants, c’est-à-dire soit des projets mutualisant localement le travail de plusieurs acteurs, soit des projets ayant une importance particulière pour le développement scientifique ou économique du pôle. Sur les 86 projets qui nous ont été présentés, nous en avons labellisé, avec les ministères, 35 dans 26 pôles. Nous allons les étudier, étant précisé que nous recherchons un modèle économique sinon rentable, du moins équilibré car il ne doit pas s’agir de notre part d’un subventionnement.

On trouve dans ces projets des plateaux technologiques, qui vont de « salles blanches » mises à la disposition de start-up aux équipements laser à partager entre plusieurs entreprises. Nous avions déjà quelques expériences de ce type, pas nécessairement dans des pôles de compétitivité : à Romainville, dans le cadre de la restructuration d’un ancien site Aventis, nous avons racheté des terrains et réaménagé des laboratoires pour les louer à des start-up de biotechnologie ; près de Lille, nous allons construire les instruments de travail de jeunes sociétés du secteur textile, qui seront prêts à être loués. Nous prenons donc des risques, n’étant pas certains que les locaux que nous préparons trouveront preneurs. C’est le pari que nous faisons concernant les pôles, au sein desquels ces projets structurants constituent l’essentiel de notre intervention.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Je reviens à CDC Entreprises. Le choix des PME se fait-il avec les pôles de compétitivité ? Êtes-vous associé à un comité d’éligibilité ?

M. Pascal Lagarde. Non. En fait, il y a deux types de financement : le financement d’infrastructures, dont a parlé Philippe Braidy, et le financement en fonds propres des entreprises, qui se fait selon les règles classiques : les fonds dont nous sommes investisseurs décident, de façon souveraine et indépendante, d’investir ou non dans une entreprise – laquelle n’est pas forcément liée à un pôle de compétitivité, même si c’est assez souvent le cas.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Le financement d’une PME faisant partie d’un pôle dépend-il du projet auquel elle participe ?

M. Pascal Lagarde. Non.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Un pôle qui regroupe des PME et des grands groupes autour d’un projet et qui cherche des fonds peut-il s’adresser à vous ?

M. Patrick Terroir, directeur régional, chargé du suivi des pôles de compétitivité. Tout dépend des projets dont on parle. L’État a demandé aux pôles d’avoir des projets de recherche-développement, associant des entreprises et des laboratoires publics. Au cours des trois premières années, ce sont des projets de ce type qui ont été financés, mais il s’agissait de financer la recherche-développement, non les entreprises. C’est pourquoi les interventions de CDC Entreprises se situaient sur un autre plan. Maintenant, il y a des projets d’infrastructures.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les projets de recherche-développement peuvent néanmoins déboucher sur des demandes de financement de la part de PME. Comment tout cela s’articule-t-il ?

M. Philippe Braidy. Ce n’est pas la gouvernance du pôle qui nous sollicite, mais l’entreprise inscrite dans la stratégie de ce pôle ; elle s’adresse aux différents fonds, à commencer par CDC Entreprises, qui a 63 fonds régionaux.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quelles relations avez-vous avec OSÉO ?

M. Pascal Lagarde. OSÉO ne contribue pas au financement en fonds propres des PME, terrain d’intervention de CDC Entreprises.

M. Philippe Braidy. Le partage des rôles est clair entre OSÉO, qui intervient en matière de prêts et de garantie, et CDC Entreprises, qui intervient en matière de fonds propres. Nous avons néanmoins, pour l’intervention en fonds propres, un fonds en commun, Avenir Entreprises, dont nous sommes actionnaires à 60 %. Par ailleurs, nous sommes actionnaires à 43 % d’OSÉO Financement, l’ex-BDPME.

Pour assurer une meilleure coordination dans la réponse aux besoins de financement des entreprises en région, des plateformes régionales sont en train de se généraliser. Elles réunissent une fois par mois – et plus si nécessaire – les conseils régionaux, qui sont les acteurs de nos fonds régionaux, OSÉO et nous-mêmes pour instruire les demandes de financement. En août 2008, nous avons signé une convention de partenariat avec OSÉO pour développer ces plateformes, ainsi que le financement du secteur des énergies renouvelables et du développement durable et les outils numériques au service des PME.

La crise, qui a conduit à mettre en place un Médiateur du crédit et à mobiliser les préfets et les TPG, a également amené à élargir les plateformes à la Banque de France et aux chambres consulaires et à leur faire exercer une activité de veille. Une convention a été récemment signée avec Mme Christine Lagarde et M. Luc Chatel, assurant la mise en place d’un dispositif de coordination régionale, modulé en fonction des régions, l’objectif étant d’éviter qu’il y ait des dossiers orphelins, c’est-à-dire sans cesse renvoyés d’un guichet à un autre.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Au vu de votre expérience, quel a été l’apport des pôles de compétitivité ?

M. Philippe Braidy. Bien que ce dispositif ait été mis en place il y a cinq ans, il ne me paraît pas complètement mature. Notre force de financement et notre capacité d’expertise étaient à leur disposition, mais sans doute fallait-il le temps que leur gouvernance se mette en place. En outre, ils étaient très orientés sur la recherche. Une nouvelle étape est en train d’être franchie avec les projets structurants. Mais sur les trente-cinq projets labellisés en 2008, je pense que tous ne seront pas économiquement viables. Leur aspect collectif est souvent insuffisant ; dans les prochains appels à projets, nous insisterons sur le nécessaire travail en commun des acteurs du pôle.

Parallèlement aux pôles, apparaissent en région d’autres initiatives fédératrices – plan Campus, clusters. Nous estimons de notre rôle d’essayer de faire converger tout cela, ce qui demande encore du travail.

M. Pascal Lagarde. Le fait que l’on constate a posteriori une implication particulièrement forte de notre portefeuille de fonds d’investissement en capital-risque dans les pôles prouve, d’une part, que ces pôles ont réussi à attirer des PME de qualité en leur sein et, d’autre part, qu’ils les ont probablement aidées à gagner en taille : 20 % des entreprises qui ont reçu des aides du FUI – Fonds unique interministériel – ont reçu un investissement en capital de l’un des fonds de notre portefeuille. Les pôles ont donc montré leur capacité à mutualiser les ressources et à aider à l’émergence de champions.

M. Philippe Braidy. En dépit des réserves que j’ai émises, je confirme que les pôles de compétitivité ont impulsé une dynamique extrêmement forte, et qui se poursuit.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Pensez-vous que votre politique de financement est claire pour les PME ?

M. Georges Tron, Président. Combien de temps doivent-elles compter entre leur demande et l’arrivée de votre financement ?

M. Pascal Lagarde. En matière de financement en capital, nous ne sommes pas un acteur direct : les PME vont voir les fonds d’investissement dans lesquels nous avons investi, mais nous ne sommes pas un guichet supplémentaire ; nous fournissons aux investisseurs privés plus de capital pour investir dans les PME.

En revanche, il est important d’orienter les PME vers les bons acteurs, et c’est tout le sens de notre travail avec OSÉO, les collectivités locales, la médiation du crédit et d’autres. L’objectif est qu’elles aient accès au financement, qu’il soit de bas de bilan ou de haut de bilan, le plus facilement possible. Les plateformes doivent aider à fédérer une multitude d’acteurs indépendants, avec l’aide du site AppuiPme.net, que nous sommes en train de mettre en place.

M. Philippe Braidy. CDC Entreprises intervient pour l’essentiel en tant que « fonds de fonds », en abondant des fonds. Cela ne signifie pas que nous ne connaissons pas les entreprises, mais nous ne sommes pas en « première ligne » comme OSÉO.

En ce qui concerne les délais, il ne m’appartient pas de répondre pour l’État ou d’autres acteurs. Pour ce qui nous concerne, il arrive que des dossiers n’entrent pas dans les critères d’intervention des fonds, qui sont des fonds communs de placement à risque gérés par des sociétés de gestion avec des objectifs de rentabilité. Nous recherchons alors éventuellement d’autres acteurs financiers.

Le paysage s’est un peu complexifié avec la crise. Nous avons créé en 2008, avec OSÉO, un fonds de revitalisation du territoire, selon l’annonce faite par le Président de la République ; c’est un fonds de prêts d’OSÉO, financés par la Caisse sur le livret de développement durable – ex-CODEVI –, avec un fonds de garantie que nous abondons avec l’État. Un fonds stratégique d’intervention a également été mis en place et va pouvoir intervenir au-delà des PME.

Mais les besoins concernent moins les entreprises innovantes, qui savent à qui s’adresser, que des entreprises qui le sont moins mais qui permettent de préserver l’emploi dans des régions moins porteuses en termes de développement économique : les investisseurs privés étant évidemment moins demandeurs, nous sommes dans ce cas très fortement sollicités, et les réponses ne sont pas toujours faciles à apporter.

Concernant l’innovation, nous avons un dispositif qui fonctionne bien et nous nous sommes engagés à accroître son utilisation au profit des pôles de compétitivité, auxquels la commission de surveillance et son président M. Michel Bouvard accordent une grande attention. Même si notre politique en leur faveur ne peut pas être « sanctuarisée » par l’octroi d’enveloppes, nous comptons donner une plus grande visibilité à notre action.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Les acteurs privés que nous avons reçus se sentent absents des pôles de compétitivité. Comment pourrait-on renforcer la part du capital-risque dans les financements ?

M. Pascal Lagarde. Hors contexte de crise, l’une des difficultés que nous avons identifiée est la méconnaissance, par les gouvernances des pôles, habituées à faire financer des projets de R&D, de la manière dont se fait le financement en fonds propres des entreprises. C’est pourquoi nous travaillons avec la direction générale du Trésor et de la politique économique – DGTPE – et la direction générale des Entreprises, devenue direction générale de la Compétitivité des industries et des services – DGCIS – à la rédaction d’un vade-mecum et à la mise en place d’une formation.

Par ailleurs, nous ne ménageons pas nos efforts pour expliquer aux responsables des fonds de notre portefeuille tout l’intérêt d’un investissement dans les pôles de compétitivité. Paradoxalement, les fonds régionaux sont souvent moins proches des pôles que les fonds sectoriels. System@tic, par exemple, est très proche des fonds spécialisés dans le domaine du logiciel. Il est donc important de favoriser les rencontres, comme nous l’avions fait avec la DGCIS en organisant les forums Capital-Pôles.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Outre la faiblesse de la gouvernance des pôles, on constate la complexité des financements. En tant qu’acteurs, comment la percevez-vous ?

M. Philippe Braidy. La complexité vient du nombre des acteurs. C’est pourquoi nous avons mis en place, dans le cadre de nos plateformes, un numéro téléphonique commun à OSÉO, au Médiateur du crédit et à nous, qui aiguillera sur des sites numériques pour renvoyer ensuite vers des acteurs identifiés. C’est une première étape. Le partenariat que nous voulions conclure avec OSÉO sur le numérique, de même qu’avec les régions, allait dans le même sens. Certaines régions ont mis en ligne l’offre existante en matière de financements. Bref, nous essayons d’améliorer l’information dans ce domaine.

Il semble néanmoins que, si l’argent disponible existe, en revanche les financiers ne trouvent pas toujours les projets correspondant à leurs critères, et à l’inverse des chefs d’entreprise ont du mal à trouver des financements. Il faut donc faire en sorte de rapprocher l’offre et la demande.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quelle est l’urgence pour que les pôles fonctionnent mieux ?

M. Philippe Braidy. Tout ce qui permet de rapprocher et les acteurs est souhaitable. Cela étant, le marché n’est pas seulement régional. Aujourd’hui, la valorisation de la recherche passe beaucoup par la création de jeunes entreprises locales, mais on pourrait imaginer que des projets soient portés par des entreprises implantées ailleurs.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quelle est l’articulation qui fonctionne mal ?

M. Philippe Braidy. L’effort doit porter sur l’offre de projets. La recherche publique sait moins bien y parvenir que la recherche privée.

M. Pascal Lagarde. En France, on sait assez bien créer des entreprises innovantes et les soutenir pendant les premières années, mais on n’arrive pas à leur faire atteindre une taille suffisante. Cela peut être dû à un mauvais démarrage en termes de propriété intellectuelle ou de définition du projet, mais aussi à des financements insuffisants, y compris par le biais de l’introduction en bourse. Il faut que l’entreprise soit tirée par l’aval.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Les pôles peuvent-ils être l’outil permettant de créer la chaîne de financement ?

M. Pascal Lagarde. L’un des outils, oui.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Vous donnez un peu le sentiment que, plus qu’aux pôles de compétitivité, vous vous intéressez aux entreprises, qu’elles soient ou non dans un pôle. Confirmez-vous que ce n’est pas un critère de choix pour vous ?

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Avez-vous des spécialistes des pôles de compétitivité dans votre organisation ?

M. Philippe Braidy. Non, nous n’avons pas de spécialistes des pôles, mais la labellisation par un pôle est pour nous un critère important en termes d’intérêt général et nous fait mettre le dossier sur le dessus de la pile.

Au-delà du besoin pour une PME d’être tirée vers l’aval, je voudrais souligner également la nécessité d’améliorer le lien entre la recherche publique académique et le projet industriel. On peut se demander si les pôles de compétitivité sont suffisamment couplés avec le monde de la recherche, notamment universitaire ; j’ai le sentiment que leur gouvernance est centrée sur les entreprises. Dans le cadre du plan Campus, dont nous sommes l’un des acteurs, nous travaillons ainsi sur l’amont – nous faisons du push, par opposition au pull dont vient de parler Pascal Lagarde –, en essayant de faire sortir des laboratoires des projets susceptibles d’être portés à des créateurs d’entreprises.

Pierre Lasbordes, Rapporteur. Selon vous, le financement privé est-il suffisamment présent dans les pôles ?

M. Philippe Braidy. Je ne peux répondre que sur les projets structurants, pour lesquels la réponse est non. Notre rôle est de leur assurer une viabilité économique et donc d’aller chercher des partenaires privés.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Les chercheurs disent qu’il y a beaucoup d’idées sur les étagères, en attente de patrons d’entreprise prêts à prendre des risques. Qu’en pensez-vous ?

M. Philippe Braidy. Ceux qui sont dans les fonds d’investissement disent en général qu’il y a de l’argent mais pas assez de projets, et en amont les chercheurs se plaignent de ne trouver personne pour porter leurs idées. Le problème est qu’au stade où en sont leurs travaux, l’investisseur n’est pas encore intéressé. Bien que la Caisse n’ait pas un rôle d’investisseur, nous nous demandons parfois si nous ne devrions par intervenir dans la phase de maturation de la recherche, qui constitue un complément de R&D.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Justement, au-delà du capital-risque et de la prise de risques sur le plan financier, ne faudrait-il pas prendre des risques sur les projets eux-mêmes, en essayer bien davantage ? La France n’est-elle pas un peu frileuse par rapport à d’autres pays, où de grandes entreprises sont nées d’initiatives un peu risquées ?

M. Pascal Lagarde. Nous avons tendance, en France – mais les pôles corrigent un peu ce travers – à sortir les projets trop tôt de la recherche publique. Nous n’avons pas, ou très peu, de financement budgétaire pour la maturation des projets. Il y en a au CEA et à l’INRIA, mais il n’y en a pas dans les biotech, ni dans le monde universitaire. Dans les autres pays, ce financement de la maturation n’est pas assuré par de l’argent privé : c’est beaucoup trop tôt. Le DOD – Department of defence – aux États-Unis, finance ainsi beaucoup de projets en maturation. Ensuite, il s’agit de passer le relais à des personnes susceptibles de prendre des risques en matière de « business ». Vous reprochez aux capitaux-risqueurs technologiques de ne pas prendre suffisamment de risques en France, mais permettez-moi de vous dire, bien que ce ne soit pas politiquement correct, que le capital-risque en France n’a pas encore démontré sa rentabilité. Le TRI global du capital-risque – taux de rentabilité interne – est négatif depuis des années.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Ce que vous dites me paraît essentiel. Si les pôles de compétitivité ne jouent pas pleinement leur rôle, c’est, au-delà du problème de la gouvernance, parce qu’il manque une étape. Les pouvoirs publics ne sont pas seuls responsables ; c’est aussi un problème de culture chez les chercheurs, qui n’avaient pas cette demande.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Que signifierait précisément pour vous le financement de la maturation ?

M. Pascal Lagarde. Une association dont je suis vice-président, CapInTech – Capital Innovation Technologie –, composée à la fois d’investisseurs et de représentants de la valorisation de la recherche, a publié sur le sujet un rapport que je peux vous faire parvenir. L’objectif est d’amener le projet de recherche, au-delà de sa validation scientifique, jusqu’à sa validation technologique, en prouvant qu’une application industrielle est possible, ce qui peut passer par des simulations et des évaluations d’impact économique. C’est ce que fait à Grenoble, à l’aide d’une chaîne de production microélectronique, le Leti, laboratoire du CEA devenu l’un des principaux centres européens de recherche appliquée en électronique.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Cette phase, donc, est mal financée.

M. Pascal Lagarde. Elle n’est pas financée.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quelles propositions feriez-vous, au niveau budgétaire, pour améliorer les conditions de cette maturation ?

M. Pascal Lagarde. C’est un sujet éminemment polémique. Souvent, les équipes de recherche fondamentale, pour lesquelles j’ai le plus profond respect, ne comprennent pas pourquoi l’État financerait la phase d’application. Or c’est le cas ailleurs dans le monde : un lien se crée avec des équipes d’ingénieurs ou de scientifiques faisant de la recherche plus appliquée, capables de dire si la découverte est ou non utilisable. Pour moi, cette étape ne doit pas relever d’un financement privé, mais du seul financement budgétaire.

M. Philippe Braidy. Le dépôt d’un brevet représentant aujourd’hui, pour les organismes de recherche, un coût et du travail supplémentaires par rapport à leur mission première, et au vu de l’explosion des dépôts de brevet à laquelle on assiste dans le monde, nous essayons de « financiariser » cette étape, c’est-à-dire d’acheter des droits aux universités, ce qui remet de l’argent dans les laboratoires, et de créer un intermédiaire financier pouvant ensuite assurer la valorisation en allant voir les entreprises. Les universités qui ont déjà des structures de valorisation, très axées sur la création de start-up, sont évidemment hésitantes, mais nous poursuivons les discussions.

Je n’ai pas de mesures législatives à vous suggérer. La maturation nous semble plutôt relever du budget des organismes ou des universités, mais leurs revenus de licence ou liés à la valorisation doivent être réinvestis. Les incitations peuvent être trouvées dans le cadre de la LOLF.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Votre proposition sur la propriété intellectuelle me paraît très bonne. Certains organismes de recherche, tel l’INSERM, s’orientent déjà dans une mutualisation de la valorisation, qui serait essentielle pour toutes les universités moyennes.

M. Philippe Braidy. Je reconnais que ce que nous vous disons ne concerne pas spécialement les pôles, mais le but est le même.

M. Alain Claeys, Rapporteur. En effet.

M. Georges Tron, Président. Messieurs, nous vous remercions.

Audition du 5 mai 2009

À 12 heures : M. François Moisan, directeur de la stratégie et de la recherche, directeur scientifique de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME)

Présidence de M. Georges Tron, Président

M. Georges Tron, Président. Je suis heureux de souhaiter la bienvenue à M. François Moisant, directeur de la stratégie et de la recherche de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME).

Monsieur le directeur, les auditions de la MEC sont par nature interactives et les trois rapporteurs de la majorité et de l’opposition chargés de la rédaction du rapport sur les pôles de compétitivité, MM. Alain Clamais, Jean-Pierre Gorges et Pierre Lasbordes, vous poseront les questions qui leur paraîtront utiles après avoir entendu votre exposé d’introduction.

J’ajoute que M. Gérard Moulin, président de section à la Cour des comptes, ici présent, n’interviendra pas puisque la Cour mène ses propres travaux d’investigation sur le sujet qui nous préoccupe et que ces travaux n’ont pas encore été soumis à la contradiction.

M. François Moisan, directeur de la stratégie et de la recherche de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Je me permets tout d’abord de vous remettre quelques exemplaires d’un document de présentation de l’ADEME et de ses missions.

L’ADEME est chargée de mettre en œuvre les politiques publiques dans les domaines de l’environnement, de la maîtrise de l’énergie et du développement des énergies renouvelables. Placée sous la double tutelle du ministère de l’Écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire (MEEDDAT) et du ministère chargé de la recherche, elle a bénéficié durant ces dix dernières années de 50 millions d’euros par an afin de financer, dans une logique essentiellement industrielle, des programmes de recherches appliquées conduits par des entreprises, à hauteur des deux tiers de cette somme, et des laboratoires publics pour le tiers restant. Les ingénieurs de recherche de l’ADEME élaborent ainsi un certain nombre de feuilles de route dans les domaines des énergies renouvelables, des nouvelles technologies de l’énergie, des transports, du bâtiment ou des déchets pour définir les priorités de recherche.

À la suite du Grenelle de l’environnement, le Gouvernement a par ailleurs doté l’ADEME d’un fonds de financement de démonstrateurs de recherche, dont le budget, pour les quatre prochaines années, s’élève à 400 millions. Celui-ci vise à expérimenter différentes technologies permettant de faire face au changement climatique et de respecter l’objectif dit du « facteur 4 » – division par quatre des émissions de CO d’ici à 2050.

Dès 2008, nous avons également lancé trois appels à manifestation d’intérêt concernant les véhicules à faibles émissions de gaz à effet de serre et onze projets ont d’ores et déjà été décidés ; cinq projets sont par ailleurs en cours d’instruction – dont l’un est déjà décidé – en ce qui concerne le captage et le stockage du CO ; deux projets concernant les biocarburants de deuxième génération ont également été décidés.

Enfin, nous préparons des feuilles de route pour les appels à manifestation d’intérêt à venir dans les domaines des bâtiments à énergie positive, des réseaux intelligents et des énergies de la mer.

Même si nous ne sommes pas au cœur du dispositif, nous soutenons les entreprises ou les laboratoires membres de pôles de compétitivité dès lors que leurs activités s’inscrivent dans les programmes de recherche que nous conduisons.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il n’existe donc pas de projet labellisé « pôle de compétitivité » à l’ADEME.

M. François Moisan. Nous soutenons des projets labellisés par des pôles sans être directement impliqués dans la gestion des pôles eux-mêmes. Plus précisément, nous travaillons avec eux, essentiellement dans une optique de coordination sur un plan thématique et national, dans trois grands domaines : les énergies renouvelables – pôles Derbi, Cap Énergie, Tenerrdis et S2E2.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quelles sont les modalités de cette collaboration ? Participez-vous à leur gouvernance ?

M. François Moisan. Non : nous finançons des projets qu’ils labellisent sans être partie prenante de la gouvernance des pôles.

Nous travaillons également, quoique d’une façon moins structurée, avec des pôles dédiés au transport – certains ont en effet répondu à des appels à manifestation d’intérêt et des projets ont été retenus, notamment avec Urban Truck & Bus, à Lyon – et aux bio-ressources et biocarburants.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Pourquoi n’avez-vous pas souhaité participer à la gouvernance de pôles de compétitivité dont les activités sont proches des vôtres ?

M. François Moisan. Je le répète : nous finançons des programmes, non des structures. Par ailleurs, la participation à leur gouvernance ne relève ni de notre vocation, ni des objectifs de notre tutelle.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quelles sont vos relations avec les régions ?

M. François Moisan. L’ADEME dispose de délégations régionales qui comptent chacune en moyenne une vingtaine de personnes. Dans le cadre des contrats de projets État-régions, nous travaillons avec les conseils régionaux sur des programmes de diffusion concernant les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique ou les déchets. Si nous avons passé des contrats sur le plan régional pour soutenir des projets innovants ou faire valoir notre expertise, nous ne nous sommes pas investis dans le secteur de la recherche où nous travaillons sur un plan national avec les meilleures entreprises ou les meilleurs laboratoires afin d’éviter tout risque de saupoudrage des crédits.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Comment le fonds de soutien aux démonstrateurs de recherche, élément essentiel du Grenelle de l’environnement, s’articule-t-il avec les pôles de compétitivité ?

M. François Moisan. Ce fonds tend à expérimenter, dans des conditions réelles de fonctionnement, des technologies permettant d’atteindre les objectifs du « facteur 4 » et, en l’état, son financement n’est pas spécifiquement fléché en direction des pôles de compétitivité. Le Gouvernement a tenu à ce qu’il soit géré « top down », de haut en bas, et qu’il soit dédié à un certain nombre de thèmes spécifiques strictement définis : nouvelles technologies de l’énergie, économies d’énergie dans le bâtiment et les transports, énergies renouvelables, captage et stockage du CO2, stockage de l’hydrogène.

M. Alain Claeys, rapporteur. Quel type de recherche favorise-t-il ?

M. François Moisan. La recherche industrielle appliquée et le développement expérimental. Les trois ministères qui l’abondent – le MEEDDAT, le ministère chargé de la recherche et, à travers la direction générale de la Compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS), le ministère de l’Économie – participent à son comité de pilotage.

M. Alain Claeys, Rapporteur. L’État considérait donc que le financement public, sur ce plan-là, était insuffisant ?

M. François Moisan. Absolument : un maillon manquait à la chaîne. Si l’Agence de l’innovation industrielle (AII) avait été créée afin de soutenir, à travers des avances remboursables, de grands projets industriels marchands, il n’était pas possible de procéder de la même manière pour des technologies qui ne seront rentables qu’à l’horizon de 2020. Comment, dans ces conditions, demander par exemple à un industriel d’avoir un business plan ?

Le fonds fonctionne grâce à des subventions d’aide à la recherche qui, dans le cadre du régime communautaire, comptent parmi les aides d’État aux entreprises : le comité de pilotage demande d’abord à l’ADEME d’élaborer une feuille de route, avec des experts extérieurs à l’Agence, puis un appel à manifestation d’intérêt ciblant une technologie particulière est lancé – c’est ainsi, par exemple, qu’une expérimentation de la faisabilité du stockage du CO2 en aquifère a été ciblée dans l’appel à manifestation d’intérêt. Globalement, le coût des projets varie entre quelques millions et plusieurs dizaines de millions d’euros.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Les pôles de compétitivité apportent-ils une valeur ajoutée à votre activité ? Qu’en est-il de leur régionalisation ? Si vous en aviez eu la possibilité lors de leur création, comment les auriez-vous conçus ?

M. François Moisan. Je souhaite bientôt pouvoir répondre par l’affirmative à votre première question.

Je le répète, nous nous sommes jusqu’à présent refusés à investir dans la recherche sur le plan régional mais, compte tenu du rôle croissant des régions dans ce domaine, nous réfléchissons à l’élaboration d’un nouveau modus vivendi. De ce point de vue, les pôles de compétitivité constituent une opportunité dès lors qu’ils excellent sur le plan national.

C’est ainsi qu’en relation avec les conseils régionaux et dans le cadre des contrats pluriannuels, nous essayons de conforter des entreprises au sein de certains pôles de compétitivité : nous consacrons chaque année 3 millions d’euros à 80 bourses de thèse cofinancées par des entreprises ou des collectivités territoriales, et nous planifions avec certains pôles l’octroi de bourses sur deux ou trois ans. Nous sommes évidemment satisfaits lorsque les pôles font appel à nous – comme ce fut le cas avec Derbi, Cap Énergie ou Tenerrdis. Mais il n’en a pas été de même dans les secteurs des transports ou de l’agro-ressource, où certains d’entre eux ne ressentent pas la nécessité d’une coordination nationale même s’ils sont en concurrence sur certaines thématiques.

Nous avons par ailleurs financé avec les conseils régionaux d’Aquitaine et de Rhône-Alpes, mais également avec les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (les DREAL) ainsi qu’OSÉO des appels à propositions « éco-innovations ».

Enfin, nous avons lancé en partenariat avec la région Nord-Pas-de-Calais – bien qu’elle n’abrite aucun pôle de compétitivité – un appel à propositions de recherche dans le domaine des bâtiments et des réseaux intelligents, l’ADEME pouvant consacrer 1 million d’euros par an à d’éventuels projets.

L’implication de nos délégués régionaux dans les pôles varie quant à elle considérablement d’une région à l’autre. Pour certains, ces derniers sont des interlocuteurs réguliers – c’est par exemple le cas en Languedoc-Roussillon avec le pôle Derbi. Pour d’autres, les contacts sont rares ou inexistants, notamment avec certains pôles dans le secteur des transports.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour quelle raison ?

M. François Moisan. C’est difficile à dire. Sans doute ces pôles ont-ils leur logique propre et définissent-ils leur stratégie à travers d’autres dispositifs. Quoi qu’il en soit, ils ne travaillent pas tous sur des thèmes qui intéressent directement l’ADEME.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les 400 millions abondant le fonds de financement de démonstrateurs de recherche ont-ils été spécifiquement fléchés ?

M. François Moisan. Ils résultent d’une décision prise lors de la dernière table ronde du Grenelle de l’environnement. L’AII avait par ailleurs déjà engagé deux projets à hauteur de 75 millions d’euros dans le domaine des énergies renouvelables : Futurol – sur les carburants de deuxième génération par voie biochimique – et Solar Nano Cristal – dans le domaine photovoltaïque. Ce sont donc 325 millions qui ont été délégués à l’ADEME dans le cadre d’une convention signée en juin 2008, le fonds devant être en outre abondé de 50 millions supplémentaires afin de relancer un appel à manifestation d’intérêt, rouvert au début du mois d’avril, dans le domaine des véhicules à faible émission de gaz à effet de serre.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel est le principal défi que la France doit relever en matière de recherche appliquée et de fabrication dans le secteur du développement durable ? Intéresse-t-il au premier chef le fonds de soutien aux démonstrateurs de recherche ?

M. François Moisan. Les manques sont patents dans le secteur privé, tant en ce qui concerne le financement de la recherche que la recherche elle-même. S’agissant du fonds de soutien aux démonstrateurs de recherche, je ne peux me prononcer dans des domaines qui ne relèvent pas des nouvelles technologies de l’énergie. En l’occurrence, il s’agit principalement de s’assurer que les entreprises françaises compteront parmi celles qui développeront les technologies nécessaires pour atteindre les objectifs du « facteur 4 », lesquels relèvent donc du très long terme. Outre que sans le fonds, un certain nombre d’entreprises ne pourraient s’engager comme elles le font, celui-ci nous permet également de constater combien le respect des exigences du Grenelle impliquera de profondes évolutions sociales et comportementales.

J’ajoute qu’à ce jour le montant des projets soumis à l’ADEME par les entreprises s’élève à plus de 900 millions d’euros, preuve de leur intérêt pour ce dispositif.

M. Georges Tron, Président. Je vous remercie.

Audition du 12 mai 2009

À 9 heures : M. Pierre Dartout, délégué interministériel à l’aménagement et à la compétitivité du territoire

Présidence de M. David Habib, Président

M. David Habib, Président. Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd'hui M. Pierre Dartout, délégué interministériel à l’aménagement et à la compétitivité du territoire, accompagné de M. Alain Moulet, conseiller en charge de l’innovation et de la compétitivité à la DIACT, de Mme Amélie Durozoy, chargée de mission en charge des relations institutionnelles et de la communication, et de M. Nicolas Daubresse, chargé de mission pôles de compétitivité.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La DIACT a-t-elle joué un rôle pilote dans la création des pôles de compétitivité ? À l’origine, la notion d’aménagement du territoire était-elle au cœur du projet ? L’est-elle encore dans sa deuxième phase ? Quelle appréciation portez-vous sur l’audit de la première phase ?

M. Pierre Dartout, délégué interministériel à l’aménagement et à la compétitivité du territoire. La politique des pôles de compétitivité est issue de réflexions menées par ce qui était encore la DATAR, laquelle avait déjà été, à la fin des années quatre-vingt-dix, à l’initiative de la création des systèmes productifs locaux, inspirés notamment des districts industriels italiens ; les SPL avaient un ancrage territorial puisqu’il s’agissait, sur un territoire, de consolider un réseau d’entreprises tourné vers une production déterminée.

Les pôles apportent un « plus » car ils se situent à l’intersection de trois cercles : l’entreprise, l’intelligence – universités et recherche – et les territoires. Cette politique, novatrice en France, était menée dans divers autres pays.

On a souvent dit que, en France, le monde de la recherche, notamment publique, ne travaillait pas suffisamment avec celui de l’entreprise. L’objectif du pôle de compétitivité est d’y remédier en créant entre eux une synergie plus forte. À l’issue d’un appel d’offres, soixante et onze pôles ont été labellisés, répartis en trois catégories : les pôles mondiaux, tel le pôle Aerospace Valley en Midi-Pyrénées ; les pôles à vocation mondiale, comme les pôles Mer en région PACA et en Bretagne ; et les pôles à vocation nationale, qui sont les plus nombreux.

L’évaluation a été conduite par un cabinet d’experts indépendants à partir de la fin de l’année 2007 et tout au long du premier semestre 2008 ; ses conclusions ont été rendues en juin 2008. Elles soulignent que, incontestablement, les pôles ont contribué à une dynamique d’innovation auprès des réseaux d’entreprises. C’est d’autant plus important que l’innovation est un facteur déterminant de la croissance économique. Ils ont permis également de décloisonner les stratégies des acteurs de l’université, de la recherche et des entreprises ainsi que des acteurs institutionnels comme les collectivités locales.

M. Alain Claeys, Rapporteur. L’audit n’a-t-il pas remis en cause la notion même d’aménagement du territoire, dans la mesure où il demande des regroupements, des coopérations ?

M. Pierre Dartout. Je ne le pense pas, mais encore faut-il s’entendre sur la définition de cette notion. L’aménagement du territoire poursuit aujourd’hui trois objectifs complémentaires : premièrement, l’excellence territoriale, c'est-à-dire faire en sorte que les territoires bénéficient d’atouts déterminants pour être les meilleurs possibles dans telle ou telle activité, logique qui est aussi bien celle des pôles de compétitivité que des pôles d’excellence rurale – puisqu’il s’agit de doper, d’encourager, d’orienter un ensemble d’acteurs dans une direction spécifique ; deuxièmement, la cohésion territoriale, laquelle signifie que chaque territoire doit disposer de moyens équivalents pour développer ses propres atouts, la politique d’aménagement du territoire veillant donc à assurer l’équité entre les territoires ; troisièmement, depuis le Grenelle de l’environnement, le développement durable.

Les pôles de compétitivité sont principalement concentrés dans quelques régions, c’est vrai. Ils se trouvent en effet surtout là où existe un potentiel important en termes d’entreprises et de recherche, c'est-à-dire en Île-de-France, en Rhône-Alpes, en PACA, mais aussi en Midi-Pyrénées et en Aquitaine, où trois pôles géographiques distincts sont dédiés à l’aéronautique. Néanmoins les pôles de compétitivité sont présents dans toutes les régions, à des degrés variables selon les potentialités de développement. De plus, l’excellence territoriale peut aussi passer par des pôles d’excellence rurale ou par d’autres formes de clusters, de réseaux d’entreprises, moins tournés vers la recherche-développement. Selon notre conception de l’aménagement du territoire, donc, les pôles de compétitivité y participent.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Il y a en fait deux optiques : on peut voir dans les pôles, au niveau national, le moyen de favoriser la recherche ; on peut y voir aussi l’instrument d’une politique territoriale. Mais la spécialisation d’un territoire dans une activité ne risque-t-elle pas, en cas de retournement brutal de la conjoncture, de laisser une région sinistrée ?

M. Pierre Dartout. Dans les activités industrielles et de recherche les plus pointues, il y a une taille critique à atteindre. Certains territoires sont donc spécialisés, le Sud-Ouest dans le secteur aéronautique et spatial, mais aussi Grenoble dans les nanotechnologies ou Lyon dans les biotechnologies. Mais cette spécialisation ne veut pas dire que le territoire a le monopole de l’activité au niveau national ou européen ; par ailleurs, vous avez raison, il ne faut pas que ce soit la seule activité de ce territoire car ce serait le fragiliser.

Toutefois, en période de crise, il faut se placer dans les conditions qui favoriseront le rebond à moyen terme. Et quoi de plus profitable que de consolider la recherche et l’innovation ? Les pôles de compétitivité me paraissent donc être une bonne réponse à la crise.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Selon les conclusions de l’audit, treize pôles n’ont pas répondu aux attentes. Quel enseignement en tirez-vous ? Selon vous, avec l’éclairage que vous apportent vos fonctions, quelles sont les principales difficultés que les pôles de compétitivité doivent surmonter ? La gouvernance ? Les liens entre la recherche et les PME ? L’articulation entre les grands groupes et les PME ?

M. Pierre Dartout. Vous allez peut-être me trouver trop optimiste mais, eu égard au scepticisme dont certains faisaient preuve dans la période qui a précédé la labellisation, l’une des surprises a été de constater que le chiffre ne dépassait pas treize pôles sur les soixante et onze ! Et encore ne sont-ils pas tous dans la même situation. Pour ces treize pôles qui n’atteignent pas les objectifs, une refondation est nécessaire, dans la gouvernance ou dans l’objet même du pôle. Dans certains cas, des rapprochements pourront être envisagés pour atteindre la taille critique, notamment dans l’agroalimentaire. Quant aux pôles auxquels on a reproché de ne pas présenter suffisamment de projets de recherche, on peut se demander s’ils ne relèveraient pas plutôt d’autres types de réseau d’entreprises. Au demeurant, depuis quelques mois, certains d’entre eux commencent à avoir des projets de recherche.

Après les conclusions de l’évaluation, en effet, nous avons eu un entretien avec les responsables de chacun de ces pôles pour examiner les conditions d’un renouveau, et nous leur avons demandé de nous communiquer des projets de redressement, dont nous venons de terminer l’analyse. Sur les treize, certains amorcent un redressement. D’autres devront opérer un rapprochement. D’autres encore, peut-être, devront adopter une autre formule.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. La période d’observation n’était-elle pas trop courte, du fait de l’inertie caractéristique des phases de lancement ?

M. Pierre Dartout. Vous avez raison. Une première évaluation au bout de trois ans était nécessaire, mais elle ne doit pas être considérée comme définitive. D’ailleurs, à la suite des entretiens individuels que nous avons eus il y a un an, nous avons pu constater que certains pôles savaient trouver les moyens d’être plus dynamiques et plus efficients.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Au cas où les objectifs ne seraient pas atteints fin 2009, une « délabellisation » serait-elle envisagée ?

M. Pierre Dartout. On ne peut pas l’exclure, mais il est trop tôt pour désigner les pôles qui pourraient être concernés.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le Boston Consulting Group considère que l’État, qui ne finance qu’un quart des projets, est trop directif dans le fonctionnement des pôles. Qu’en pensez-vous ?

M. Pierre Dartout. L’État doit avoir un rôle déterminant dans la poursuite du processus puisqu’il en est à l’origine, même si certaines régions avaient déjà une politique active en matière de réseaux d’entreprises ; les collectivités territoriales considèrent qu’il doit continuer à participer largement au financement de la gouvernance et des projets de recherche. Les entreprises elles-mêmes le demandent : qu’il s’agisse d’un pôle de compétitivité, d’un SPL ou d’un autre réseau d’entreprises, il y a toujours une demande de labellisation par l’État.

Cela n’implique pas une démarche dirigiste : les pôles de compétitivité ne sont pas des services administratifs placés dans un cadre hiérarchique. L’État, qui s’efforce de jouer un rôle stratégique, se met d’accord avec les pôles et les collectivités régionales sur un contrat d’objectifs.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La carte que vous nous avez fait parvenir est claire : la logique de compétitivité l’emporte sur celle d’aménagement équilibré du territoire. 80 % des financements publics vont à dix des soixante et onze pôles. Des pôles majeurs sont en train de se constituer et vont certainement correspondre aux campus que la ministre de l’Université et de la recherche veut créer. Contestez-vous cette analyse ?

M. Pierre Dartout. Je ne la conteste pas, sans y adhérer totalement. Il ne s’agit pas de compétition entre les territoires ; l’objectif est de faire en sorte que, sur un territoire donné, les entreprises soient compétitives. Autrement dit, il faut combiner excellence et cohésion territoriales. Les pôles de compétitivité sont situés là où les entreprises et les moyens universitaires et de recherche ont atteint la taille critique. Ils ont en effet pour objectif de tirer la croissance globale de notre pays ; or la croissance, dans tous les pays, est tirée par des pôles dépassant une taille critique. Mais la croissance permet aussi la solidarité, la redistribution, la péréquation entre collectivités territoriales, à travers lesquelles on peut retrouver la notion d’équilibre des territoires.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Là où les coopérations entre le territoire, la recherche et les entreprises se faisaient naturellement, qu’est-ce que la création d’un pôle a apporté ?

M. Pierre Dartout. Les choses se faisaient peut-être naturellement au niveau des grands groupes, mais même là où une dynamique forte préexistait, les pôles ont permis d’améliorer les relations entre les universités, la recherche et les entreprises, et surtout, à mieux intégrer les PME dans cette dynamique globale.

Même si c’est de façon inégale, les pôles de compétitivité sont présents dans les principales agglomérations métropolitaines et ils irriguent les territoires alentour.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quelle est pour vous la définition de la recherche et celle de l’innovation ? N’y a-t-il pas des maillons manquants entre la recherche académique et l’entreprise, rendant le passage à l’innovation plus difficile que lorsque la recherche se fait en interne ?

M. Pierre Dartout. Je ne suis pas un spécialiste de la question. La France a des capacités de recherche remarquables, comme le montrent les statistiques sur les lieux où ont été formés les titulaires d’un prix Nobel. L’enjeu est donc de faire en sorte que le monde de la recherche et celui de l’entreprise travaillent mieux ensemble. Peut-être les cloisonnements sont-ils encore trop importants ; le passage de la recherche fondamentale à la recherche appliquée se fait peut-être chez nous moins facilement que dans les pays anglo-saxons. Il faut donc continuer à travailler sur ce sujet.

Quant à l’innovation, dans la définition qu’en donne l’Union européenne, elle va au-delà de l’aspect technologique ; elle s’étend au management, à la gestion commerciale, aux comportements des différents acteurs, notamment grâce à la mise en réseau que permettent les nouvelles technologies de l’information.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Parmi les critères permettant d’apprécier l’efficacité des pôles, il y a la création d’emplois. Avez-vous des outils précis de mesure ? Sinon, à quelle échéance en aurez-vous ?

M. Pierre Dartout. Il faut attendre quelques années avant de mesurer précisément les effets de la création des pôles de compétitivité en matière d’emploi. Je suis certain qu’ils ont participé à la consolidation d’emplois existants, notamment industriels. Je suis également persuadé qu’ils ont contribué à la création d’emplois, dans des proportions que pour le moment l’on ne peut pas chiffrer ; nous n’avons pas encore d’outils permettant de l’établir précisément, mais je suis sûr qu’à long terme, ils apparaîtront comme un facteur de création d’emplois.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Arrêtons-nous sur le lien entre recherche et PME, que les pôles de compétitivité devaient resserrer. Où se situent les difficultés ?

M. Pierre Dartout. Comme les PME n’ont pas toujours la taille critique pour faire de la recherche, elles ont besoin, plus que les grands groupes, de l’aide de l’État ou des collectivités territoriales. C’est là le principal point de blocage. Par ailleurs, d’un point de vue plus culturel, elles n’ont pas beaucoup l’habitude de nouer des relations avec les laboratoires.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Êtes-vous favorable à ce qu’OSÉO finance des infrastructures dans les pôles de compétitivité pour les mettre à disposition des PME ?

M. Pierre Dartout. Oui, bien sûr, comme c’est normal, OSÉO étant l’héritier de l’ANVAR.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La politique de financement conduite par l’ANR vous choque-t-elle ?

M. Pierre Dartout. Non.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La classification des pôles en trois catégories est-elle amenée à évoluer ?

M. Pierre Dartout. Le rapport conclut qu’il faut seulement deux catégories, par souci de simplification. L’existence de la catégorie intermédiaire était justifiée au début de l’expérience, mais il paraîtrait logique que les pôles à vocation mondiale rejoignent, selon les cas, les pôles mondiaux ou les pôles à vocation nationale. Ce n’est cependant pas simple, le changement étant plus délicat dans un sens que dans l’autre et pouvant avoir des incidences, notamment sur les relations du pôle avec ses partenaires internationaux. Le Gouvernement a chargé la DIACT d’une réflexion sur ce sujet, qui n’est pas achevée.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. On peut s’interroger sur la classification actuelle. Je connais bien le pôle Cosmetic Valley, au sein duquel les entreprises de parfumerie et de cosmétique font beaucoup de recherche, mais dans le secret. À cause de cela, et bien qu’il travaille pour 85 % à l’export, il ne fait pas partie des pôles mondiaux. Pourtant, il existait dans les faits dix ans avant la création des pôles de compétitivité. Il est dommage de l’avoir ainsi un peu déclassé.

M. Pierre Dartout. Je reconnais que la combinaison de différents critères peut aboutir dans certains cas à un classement peu satisfaisant. Nous en tiendrons compte dans notre réflexion.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Parmi les priorités affichées pour la phase 2, aucun objectif précis n’est fixé sur l’implication des PME dans le dispositif des pôles. Qu’en pensez-vous ?

M. Pierre Dartout. D’après le rapport d’audit, la situation n’est pas si mauvaise. La place des PME dans les pôles s’affirme progressivement. Aujourd’hui, près de la moitié des aides aux entreprises vont aux PME. Il faut que leur place se renforce encore, notamment dans la gouvernance, et nous voulons y veiller dans le cadre des contrats de performance.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Que prévoient les contrats de projets État-régions pour les pôles ?

M. Pierre Dartout. La situation est extrêmement variable selon les régions. Dans certains cas, la collaboration entre l’État et la collectivité régionale est très forte. Dans d’autres, elle est plus difficile.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il y a aussi des régions où les collectivités ne se sont pas mises d’accord entre elles.

M. Pierre Dartout. Parfois, la synergie entre la région et les départements fonctionne avec une très grande efficacité, mais il y a aussi des cas où le partenariat avec l’État allait moins de soi, notamment parce que la région avait déjà une politique active en matière de réseaux d’entreprises. Dans la majorité des cas, les régions n’ont pas contesté à l’État la mise en place de la politique des pôles de compétitivité, mais certaines d’entre elles étaient déjà très engagées sur le même terrain.

Par ailleurs, nous travaillons avec les autres services de l’État pour utiliser le mieux possible les fonds européens, qui étaient peut-être insuffisamment mobilisés en raison de la complexité des procédures.

M. Alain Claeys, Rapporteur. L’ANR ne retient aucun critère d’aménagement du territoire, autrement dit de développement harmonieux des territoires. C’est ainsi que 80 % de ses financements se concentrent sur quinze pôles. Il est certes indispensable qu’il y ait des pôles d’excellence, et je ne conteste pas les critères de l’ANR, mais dès lors, l’aménagement du territoire est subordonné à la mise en place d’un réseau, d’un partenariat entre ces pôles d’excellence et les pôles de moindre importance.

M. Pierre Dartout. Il n’y a pas de contradiction entre l’excellence territoriale et la cohésion territoriale, laquelle suppose qu’on apporte un soutien à la performance et à l’excellence dans certaines parties du territoire. On a besoin de locomotives puissantes pour tirer les wagons.

Par ailleurs, les pôles d’excellence rurale sont une réussite, et certains d’entre eux ont des liens avec les pôles de compétitivité, en particulier en Midi-Pyrénées. De tels liens doivent être encouragés. Et il y a aussi d’autres potentialités de réseaux d’entreprises, d’autres types de cluster à imaginer, permettant de mieux intégrer les PME, dans des secteurs où la recherche est moins déterminante, sur des territoires plus restreints ou moins urbains. Divers outils, donc, peuvent venir compléter la politique des pôles de compétitivité, et c’est un sujet sur lequel nous travaillons.

M. David Habib, Président. Monsieur le délégué interministériel, nous vous remercions.

Audition du 12 mai 2009

À 10 heures : M. David Appia, président de l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII), ambassadeur délégué aux investissements internationaux

Présidence de M. David Habib, Président

M. David Habib, Président. Je vous souhaite la bienvenue, monsieur le Président.

La Mission d’information et de contrôle consacre cette matinée à l’aménagement et l’attractivité du territoire. Nos Rapporteurs – MM. Alain Claeys, Jean-Pierre Gorges et Pierre Lasbordes – souhaitent avoir des précisions sur la façon dont l’Agence française pour les investissements internationaux intervient à l’égard des pôles.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les pôles de compétitivité améliorent-ils la visibilité de nos entreprises ? Encouragent-ils les investissements internationaux ? Les pôles à vocation mondiale ont-ils mis en place des stratégies spécifiques ?

M. David Appia, président de l’Agence française pour les investissements internationaux. C’est incontestable : l’existence des pôles de compétitivité améliore l’image de la France à l’étranger et facilite la promotion de notre territoire.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Qu’ont-ils apporté en termes d’investissements ?

M. David Appia. Votre question appelle deux réponses. Les pôles de compétitivité incarnent l’excellence française aux yeux de nos interlocuteurs étrangers – du moins c’est ainsi que nous les présentons – et représentent à leurs yeux un argument supplémentaire pour investir dans notre pays.

L’AFII, qui a pour mission de faire la promotion de la France, de prospecter et d’accompagner les investisseurs étrangers, a été mandatée pour mettre l’accent sur les pôles de compétitivité.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous évalué leur apport ?

M. David Appia. Nous procédons chaque année à une évaluation de nos actions. En matière de prospection et de premier contact avec les investisseurs, nous avons rempli les objectifs qui nous avaient été fixés puisqu’en 2008, sur les 7 500 entretiens directs que nous avons eus, 1 538 nous ont amenés à présenter un ou plusieurs pôles de compétitivité.

Lorsqu’un projet d’implantation est suffisamment mûr, nous présentons l’entreprise à nos partenaires régionaux et aux agences régionales de développement. En 2008, nous avons permis l’émergence de 217 projets, liés directement ou indirectement à un pôle de compétitivité.

Quant au nombre de projets ayant abouti à l’installation d’une entreprise étrangère dans un pôle de compétitivité, il est passé, entre 2007 et 2008, de 15 à 42.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Pouvez-vous nous donner un exemple concret de projet abouti ?

M. David Appia. Les exemples sont nombreux. Je vous en citerai quelques-uns après vous avoir présenté la typologie des entreprises étrangères présentes au sein des pôles.

Il s’agit tout d’abord d’entreprises ayant participé à la création du pôle. C’est le cas, par exemple, de Becton Dickinson, installée à Lyonbiopôle, d’une entreprise belge, dans le pôle Logistique Seine, et d’une entreprise danoise, LEO Pharma, qui fait partie de Pharma Valley – qui, sans être un pôle de compétitivité, possède tous les attributs d’un cluster.

D’autres entreprises étrangères ont rejoint un pôle existant. C’est le cas d’Algentech, société anglaise de biotechnologie, qui a rejoint le génopôle d’Évry, de Cell-ID, société de biotechnologie japonaise implantée à Lyonbiopôle, de la société américaine Regent Aerospace, qui a rejoint l’Aerospace Valley de Toulouse, et d’une société britannique spécialisée dans la finance islamique, intégrée au pôle Finance Innovation, situé à Paris.

Enfin, certaines entreprises étrangères rejoignent un pôle afin de nouer un partenariat industriel avec une entreprise française. L’entreprise américaine Altea Technology s’est ainsi associée, dans le cadre de Lyonbiopôle, à l’entreprise Protein’eXpert, déjà présente sur le site.

Les investisseurs potentiels sont amenés à visiter les pôles de compétitivité qui les intéressent. Nous les accompagnons au cours de ces visites. Nos 21 équipes en poste à l’étranger, tout comme celles de Paris, mettent tout en œuvre pour faciliter le dialogue entre les investisseurs et les pôles de compétitivité, en liaison avec les agences régionales de développement.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quels sont les objectifs de l’Agence et comment organise-t-elle son travail autour des 71 pôles existants ?

M. David Appia. Les chargés d’affaires des 21 bureaux de l’AFII présents à l’étranger sont tenus de réaliser chaque année une centaine d’entretiens approfondis, occasions de promouvoir les pôles de compétitivité. Ces entretiens se déroulent dans les locaux des entreprises et s’adressent à des entreprises préalablement ciblées.

Nos bureaux à l’étranger se voient fixer un objectif par notre instance de tutelle. En 2008, ils devaient effectuer 1 100 entretiens centrés sur les pôles ; comme je l’ai indiqué, ils en ont réalisé 1 538, ce qui dépasse largement l’objectif. Le chargé d’affaires présente au responsable de l’entreprise les pôles qui semblent correspondre à ses besoins, s’attache à promouvoir la politique qui est menée en France en matière de soutien à l’innovation, comme le crédit impôt recherche, et valorise ce qui rend notre pays attractif.

Après cet entretien, nous restons à l’écoute de l’investisseur. S’il est intéressé par un pôle en particulier, nous lui proposons une visite du site, en collaboration avec les agences régionales.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. L’Agence est-elle associée à la politique menée en direction des pôles ?

M. David Appia. Les contacts que nous avons avec les pôles passent par les agences régionales de développement, qui ont pour mission de coordonner l’action des acteurs régionaux de façon à transmettre une offre à l’investisseur potentiel. L’AFII facilite ces rapprochements et aide les investisseurs lors de leur installation, et l’agence régionale associe les responsables des pôles à la préparation du projet.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Nous avons l’impression que l’Agence est dans une position géostationnaire au-dessus des pôles. Vu d’en haut, savez-vous ce dont elle aurait besoin pour mieux vendre les pôles de compétitivité à l’étranger ?

M. David Appia. Nous avons un double souci. Il nous faut tout d’abord former et informer nos équipes, dans tous les pays du monde, sur les avantages de l’ensemble des pôles français. Pour y parvenir, nous travaillons en étroite collaboration avec les agences régionales de développement. Depuis peu de temps, l’Agence est en mesure de présenter aux investisseurs étrangers les atouts et les spécificités de chaque région française, et nous avons récemment entrepris de mettre à jour les informations que nous détenons sur chaque pôle de compétitivité. Nous avons pris conscience de l’importance, pour les investisseurs, de la description des pôles à vocation internationale. Nous souhaitons par ailleurs compléter nos informations sur la présence des entreprises étrangères au sein de chaque pôle, élément important pour les investisseurs. Nous espérons avoir terminé ce chantier avant l’été.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Le système des pôles de compétitivité n’est-il pas complexe pour un investisseur étranger, compte tenu de la multiplicité des intervenants – l’AFII, l’agence régionale de développement, les chambres de commerce ? Vous semblez dire que votre agence est au cœur du dispositif. Pour ma part, je n’en suis pas convaincu.

M. David Appia. Alors, sans doute me suis-je mal exprimé.

Le réseau international de l’Agence compte 21 bureaux et cinq correspondants dans des pays prometteurs comme le Brésil, le Mexique et la Turquie. Ces correspondants, qui sont des agents des missions économiques de la direction générale du Trésor et de la politique économique, consacrent une partie de leur temps à la prospection de nouveaux investisseurs.

L’AFII est la seule agence en mesure d’entrer en contact avec des investisseurs potentiels, car les quelques agences régionales de développement présentes à l’étranger disposent de réseaux souvent restreints.

Chaque semaine, nous réunissons l’ensemble des agences régionales pour partager les informations en provenance de notre réseau. Les milliers d’entretiens que nous avons réalisés en 2008 ont ainsi débouché sur mille projets potentiels. À la suite de ces réunions, les régions intéressées par un projet présentent une offre aux investisseurs.

L’AFII est dans son rôle, comme sont dans le leur les agences régionales et les acteurs locaux. Il ne nous appartient pas de construire l’offre remise à l’investisseur étranger. Lorsqu’un territoire prépare une offre, nous la transmettons à l’investisseur et nous veillons à ce que le dialogue entre ce dernier et les acteurs locaux soit rapide et efficace, sachant que, dans l’environnement concurrentiel qui est le nôtre, la moindre faiblesse du dispositif affaiblit la position de la France face aux autres pays européens.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La recherche est la spécificité des pôles de compétitivité ; d’un autre côté, les laboratoires français ont des contrats avec les entreprises étrangères pour développer certains aspects de la recherche. Quels liens l’Agence entretient-elle avec les organismes de recherche ?

M. David Appia. L’AFII a une mission nationale ; son objectif est de persuader les investisseurs de s’implanter en France. À ce titre, elle ne peut promouvoir une région en particulier, ni tel pôle de compétitivité, sauf lorsque la nature du projet de l’investisseur étranger ou sa demande, le justifient. D’ailleurs, en pratique, nos collaborateurs dans les pays étrangers présentent aux investisseurs potentiels tout autant les pôles à vocation nationale que les pôles à vocation internationale ou mondiaux.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La vocation de l’Agence est-elle de promouvoir le territoire français ou de développer les investissements internationaux ?

M. David Appia. Elle est de promouvoir le territoire français pour y amener des investisseurs étrangers susceptibles de créer des emplois et de contribuer à la bonne santé de notre économie.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Elle a donc un rôle spécifique en matière d’aménagement du territoire.

M. David Appia. Notre activité a un lien direct avec l’aménagement du territoire, mais il ne nous appartient pas de favoriser une région, au détriment d’une autre, pour des raisons qui seraient liées à l’aménagement du territoire. La DIACT, qui participe à la concertation que l’AFII conduit avec les agences régionales de développement, est mieux placée pour veiller à cette dimension.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La carte des pôles de compétitivité montre clairement que les pôles d’excellence transcendent la notion de région. Je suppose que l’Agence en tient compte ?

M. David Appia. Naturellement. Nous présentons à nos collaborateurs en poste à l’étranger l’ensemble des pôles présents sur le territoire. Sur les quinze pôles que nous évoquons le plus souvent devant des entreprises étrangères, quatre sont des pôles nationaux. J’ai la conviction que cette qualification n’a pas d’importance dans le cadre de notre action à l’étranger, car ce qui intéresse un investisseur, c’est l’écosystème dont bénéficiera son entreprise. Que le pôle ait ou non un rayonnement international ou qu’il ait conclu des partenariats avec des pôles étrangers est souvent plus important pour nous que pour l’investisseur, lequel espère avant tout que son implantation sera simple, rapide et efficace.

M. Alain Claeys, Rapporteur. L’avantage pour un investisseur de s’implanter sur un pôle de compétitivité tient-il à la qualité des propositions qui lui sont faites par les collectivités ou à la possibilité d’accéder à des financements conjoints avec des laboratoires de recherche ?

M. David Appia. Cet avantage est multiple. En choisissant un pôle de compétitivité, l’investisseur étranger a la certitude de bénéficier d’un écosystème favorable, du fait de la coopération entre pouvoirs publics, universités et entreprises partenaires.

M. Alain Claeys, Rapporteur. À ce titre, la gouvernance des pôles, dont l’importance a été mise en évidence dans l’audit publié en juin 2008 à la demande du Gouvernement, vous paraît-elle satisfaisante ?

M. David Appia. Le fonctionnement actuel des pôles et leur gouvernance ne font l’objet d’aucune critique de la part des investisseurs étrangers que nous rencontrons. Au cours de mes déplacements à l’étranger, j’ai rencontré les responsables de plusieurs entreprises ayant acquis une expérience dans ce domaine : tous se félicitent de leur implantation dans un pôle français, ce qui devrait nous encourager encore à les promouvoir.

Les entreprises étrangères choisissent les pôles de compétitivité pour bénéficier, au même titre que les entreprises françaises, de financements, de soutiens publics et de partenariats en vue de promouvoir la recherche. Pour le responsable d’Icera, entreprise britannique du secteur des télécommunications qui emploie 250 personnes, la dynamique du pôle est essentielle. Son entreprise est implantée à Sophia Antipolis, pôle qui regroupe 1 400 entreprises, et il est certain d’y trouver les ressources humaines et les compétences dont l’entreprise a besoin.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. La politique des pôles de compétitivité s’est-elle traduite par un accroissement important des investissements étrangers en France ? A contrario, existe-t-il des domaines dans lesquels l’Agence n’a pas été capable de présenter des partenaires aux investisseurs étrangers ?

M. David Appia. Je rappelle qu’en 2008, sur environ 300 projets que nous avons accompagnés, 42 ont abouti, parce que l’entreprise étrangère est devenue membre du pôle ou parce que la création d’un pôle l’a encouragée à choisir ce territoire.

Cela étant, l’existence d’un pôle de compétitivité n’est pas le seul critère de choix pour les entreprises étrangères. Certaines ne souhaitent pas s’intégrer à un pôle, soit pour ne pas s’implanter dans l’entourage de leurs concurrents, soit parce que leur stade de développement est tel que le pôle ne leur apporterait rien.

Il est heureux que les investissements étrangers concernent l’ensemble du territoire, en dépit de concentrations régionales traditionnelles. Quoi qu’il en soit, les investissements étrangers ne se limitent pas aux pôles de compétitivité.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. La nouvelle politique menée à l’égard des pôles a-t-elle généré un accroissement important des investissements ? Subsiste-t-il des domaines dans lesquels nous ne sommes pas en mesure de présenter des territoires partenaires ?

M. David Appia. Si les pôles n’existaient pas, nous pouvons supposer qu’un cinquième des nouveaux investissements n’auraient pas été réalisés, mais je ne peux l’affirmer. Cela dit, notre offre territoriale est tellement diversifiée et attractive que nous sommes toujours en mesure de répondre à la demande d’un investisseur étranger.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. La classification entre des pôles mondiaux, des pôles nationaux et des pôles à vocation mondiale semble correspondre à la taille des services de recherche. Pourquoi ne pas multiplier les critères ?

M. David Appia. J’ignore quels sont les bons critères, mais sur les 217 nouveaux projets que nous avons enregistré en 2008 liés à un ou plusieurs pôles – dont 42, je le rappelle, ont abouti à une installation – 47 concernent la recherche – développement, 49 des activités de production, 40 des activités de commerce et les services aux entreprises, et 81 correspondent à l’implantation d’un centre de décision ou d’une filiale.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pour vous, les 71 pôles ont-ils un sens et une réalité ?

Vous avez souligné le fait que Pharma Valley n’était pas un pôle de compétitivité. Il se trouve qu’il est situé dans ma circonscription. Pourquoi n’a-t-on pas constitué un pôle Pharma, quand on sait que treize pôles n’ont pas rempli les objectifs de la politique des pôles de compétitivité ?

M. David Appia. La présence de 71 pôles est un élément très positif, car cela permet d’élargir la gamme des investisseurs potentiels. Nous considérons, à l’Agence, que la diversité et le nombre des pôles sont, dans notre domaine, un avantage pour notre pays.

Si nous évoquons moins souvent certains pôles, c’est que les investisseurs internationaux ne sont pas nécessairement concernés par l’ensemble des activités qui composent l’économie française. Mais tous les pôles ont leur utilité et tous représentent un atout pour la France dans la prospection de nouveaux investissements venus de l’étranger.

Toutes les initiatives locales qui développent la recherche et les partenariats entre les entreprises, les universités et les acteurs locaux valorisent et renforcent l’attractivité de la France, tout comme les dispositifs qui contribuent à dynamiser les territoires. À ce titre, ils méritent d’être présentés aux investisseurs étrangers.

M. David Habib, Président. Nous vous remercions.

Audition du 12 mai 2009

À 11 heures : M. Jean-François Roubaud, président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME

Présidence de M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur

M. Jean-Pierre Gorges, Président. Monsieur Roubaud, je vous souhaite la bienvenue pour cette audition de la mission d’évaluation et de contrôle consacrée à l’évaluation et aux perspectives des pôles de compétitivité.

Trois députés sont chargés d’animer les travaux et de préparer le rapport de la mission : M. Alain Claeys, qui a dû nous quitter momentanément, et moi-même sommes issus de la Commission des finances, tandis que M. Pierre Lasbordes a été désigné par la Commission des affaires économiques. Conformément aux usages de la MEC, les rapporteurs, qui représentent à la fois la majorité et de l’opposition, conduisent leurs travaux dans un esprit non partisan.

La MEC bénéficie également de la participation de la Cour des comptes, aujourd’hui représentée par MM. Jean-Yves Marquet et Bruno Ory-Lavollée. Toutefois, un contrôle de la Cour sur les pôles de compétitivité étant en cours, ils ne souhaitent pas intervenir dans le débat.

Monsieur le président, je vous propose de présenter brièvement votre point de vue sur l’utilité des pôles de compétitivité et leur évolution souhaitable, après quoi nous vous poserons une série de questions.

M. Jean-François Roubaud, Président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises. Tout d’abord, je précise que je suis accompagné de M. Dominique Broggio, qui s’occupe plus particulièrement de ces questions à la direction des affaires économiques de la Confédération, et qui interviendra pour compléter mes propos.

Depuis 2005, les pôles de compétitivité ont apporté un dynamisme extraordinaire, en faisant travailler ensemble entreprises, collectivités territoriales et centres de recherche privés et publics. Cela a sans doute permis de sauver plusieurs industries.

L’État va d’ailleurs investir encore davantage dans les pôles, puisqu’il versera 1,5 milliard d’euros au cours des années 2009 à 2011. C’est un signal encourageant pour les entreprises qui y participent.

Toutefois, à côté de ces sources de satisfaction, il convient de relever quelques aspects négatifs, comme la grande disparité entre les pôles ou la faible participation des PME indépendantes – la situation étant quelque peu différente pour les filiales de grands groupes.

M. Dominique Broggio. Selon les dernières statistiques disponibles, s’il y a presque 50 % de PME dans les pôles, elles ne représentent que 7 % de la masse salariale. Beaucoup interviennent dans le domaine de l’ingénierie et des études techniques, très peu dans la fabrication de composants ou de produits innovants.

M. Jean-Pierre Gorges, Président. Pourtant, vous estimez que les pôles ont représenté une opportunité extraordinaire. Cela signifie-t-il que vous en bénéficiez sans y participer ?

M. Jean-François Roubaud. Non. Ma remarque concernait les entreprises françaises en général.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. J’ai participé au lancement du pôle System@tic Paris-Région. Les grandes entreprises ignorent souvent s’il existe des PME locales dans leur domaine d’activité. N’auriez-vous pas un effort à consentir pour mieux vous faire connaître et cartographier vos compétences ?

M. Jean-François Roubaud. Il faudrait également que les PME soient mieux informées qu’elles peuvent rejoindre les pôles de compétitivité.

Par ailleurs, répondre à un appel à projet suppose un certain investissement ; le temps qu’une PME indépendante y parvienne, il est souvent trop tard.

M. Dominique Broggio. Une autre crainte des PME, c’est la propriété intellectuelle et le retour sur investissement des projets portés par les pôles. S’il peut être positif pour une PME de se trouver dans le sillage d’un grand groupe, notamment pour gagner des parts de marché ou se développer à l’export, elle peut aussi hésiter à diffuser son savoir-faire sans protection.

En ce qui concerne le pôle System@tic, il intervient dans le domaine des composants électroniques et des logiciels : autant de secteurs dans lesquels les grandes entreprises disposent déjà de leur propre réseau. Il est difficile pour des PME extérieures de s’intégrer à ce type de pôle.

Plus généralement, les contraintes administratives sont beaucoup trop grandes pour les chefs d’entreprise de moins de 20 salariés.

M. Jean-François Roubaud. Minalogic, à Grenoble, fonctionne très bien : de nombreuses PME y participent.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. C’était un pôle avant l’heure !

M. Jean-François Roubaud. C’est une règle générale : si les pôles de Toulouse, Saclay ou Grenoble marchent aussi bien, c’est parce qu’une stratégie de développement avait préalablement été mise en place par les industriels et les responsables politiques.

M. Jean-Pierre Gorges, Président. Quelles sont vos revendications ?

M. Jean-François Roubaud. « Revendications » est un bien grand mot !

Disons que je souhaiterais que les PME soient davantage intégrées aux pôles de compétitivité. Pour cela, il faudrait qu’elles soient mieux informées de leurs possibilités d’action et qu’elles bénéficient de financements rapides, par exemple via OSÉO, afin de pouvoir participer à des appels à projets.

Il faudrait aussi qu’une personne représente la CGPME au sein des pôles de compétitivité, de manière à organiser les PME qui y participent et à les soutenir dans leurs démarches administratives et financières.

M. Jean-Pierre Gorges, Président. S’agissant de la propriété intellectuelle, les PME craignent que leur potentiel d’innovation soit récupéré par les grandes entreprises. Comment améliorer leur protection ?

M. Jean-François Roubaud. C’est tout le problème des brevets : moins de 10 % de l’ensemble sont détenus par des PME.

L’Institut national de la propriété industrielle, l’INPI, propose des pré-diagnostics gratuits qui permettent aux entreprises de définir leurs besoins en matière de propriété industrielle : il faudrait le faire savoir.

Le problème essentiel, c’est l’information. Il n’y a pas assez de communication sur le sujet, notamment de la part du Gouvernement. Si les pôles de compétitivité constituent réellement un atout pour l’industrie française, qu’il signale aux PME qu’elles peuvent l’utiliser !

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. La CGPME n’a-t-elle pas elle aussi un rôle à jouer ?

M. Jean-François Roubaud. C’est précisément pourquoi elle devrait avoir un représentant au sein des pôles !

M. Dominique Broggio. Il faudrait revoir la gouvernance des pôles. Au sein des conseils d’administration, il existe en général un collège des entreprises, un collège des collectivités et un collège des laboratoires, mais, à de rares exceptions près, il n’y a pas de collège des PME. Cela pourrait être très utile pour valider les « projets flash », qui rassemblent quelques PME pendant un an ou deux.

Quant à la propriété intellectuelle, il serait bon de généraliser le pré-diagnostic de l’INPI à toutes les PME qui participent à des pôles. On pourrait également élaborer des modèles de contrats de consortium, comportant des clauses spécifiques afin de protéger la propriété intellectuelle.

M. Jean-Pierre Gorges, Président. S’agissant de l’organisation, ne faudrait-il pas regrouper les PME en filières cohérentes, voire cartographier leur présence sur le territoire ? Je suis toujours surpris qu’entre voisins, l’on s’ignore.

M. Jean-François Roubaud. C’est l’individualisme français.

En dehors des pôles de compétitivité, nous essayons de structurer des groupements de PME sur des bassins d’emploi. Il est très difficile d’obtenir que les entreprises se parlent et travaillent dans le cadre d’une structure commune. Cela a été fait avec succès dans l’est de la France, mais les exemples sont peu nombreux, surtout par rapport au nord de l’Italie.

Par ailleurs, il existe de grandes disparités entre les 71 pôles de compétitivité. Peut-être faudrait-il opérer des regroupements pour les rendre plus efficaces.

M. Dominique Broggio. Certains pôles travaillent déjà en collaboration interrégionale. Les pôles de compétitivité sont aussi des enjeux pour les collectivités, dans la mesure où ils attirent de l’emploi et apportent du dynamisme à toute la région.

M. Jean-Pierre Gorges, Président. Pourrait-il y avoir contradiction entre aménagement du territoire et mutualisation des activités des entreprises ?

M. Jean-François Roubaud. C’est à voir : comme les PME, certaines collectivités sont jalouses de leur indépendance.

M. Jean-Pierre Gorges, Président. Les pôles de compétitivité ont quand même vocation à dépasser l’échelon départemental et régional : pour la première fois, on a quitté le petit jardin à la française !

Les représentants des investisseurs en capital, que nous venons de recevoir, ne comprennent pas pourquoi ils ne sont pas représentés dans les pôles compétitivité alors qu’ils ont de l’argent à investir. Vous, c’est le contraire : vous avez des idées, mais pas d’argent. N’aurait-on pas oublié des acteurs ?

M. Jean-François Roubaud. Le problème est en partie psychologique : beaucoup de chefs d’entreprise refusent de faire appel à des capitaux extérieurs ou à un business angel parce qu’ils ne veulent pas perdre le contrôle de l’entreprise qu’ils ont créée. Du coup, ils préfèrent la conserver en l’état plutôt que la développer. C’est pourquoi nous essayons de trouver d’autres modes de financement, qui ne passent pas par une prise de capital.

M. Jean-Pierre Gorges, Président. Pourtant, les investisseurs nous ont dit qu’ils n’étaient intéressés que par des actions sur de courtes périodes – cinq à sept ans.

M. Jean-François Roubaud. Il s’agit donc de faire un « coup ». Souvent, ils exigent en contrepartie de leur investissement un résultat à deux chiffres, qui est difficile à obtenir pour une PME.

M. Jean-Pierre Gorges, Président. Faut-il les associer aux pôles ?

M. Jean-François Roubaud. Il s’agit d’un acteur économique comme un autre, dont les entreprises ont besoin.

M. Dominique Broggio. Tout dépend aussi de la stratégie de développement des pôles. Beaucoup font déjà appel à des investisseurs extérieurs. Mov’eo a ainsi conclu un partenariat avec deux clusters bavarois afin de développer ses produits en Allemagne et de gagner de nouvelles compétences ; Intel veut investir dans System@tic.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Si l’on veut que les PME françaises se développent, il faudra bien faire appel à des financeurs ! Comment le pouvoir politique pourrait-il inciter les PME à s’inscrire dans cette logique ?

M. Jean-François Roubaud. Cela implique de modifier l’état d’esprit des chefs d’entreprise, en les faisant entrer dans une logique de croissance.

Cela implique également de lever les freins à cette croissance. Beaucoup de chefs d’entreprise refusent de franchir le seuil des cinquante salariés, parce que cela représente une marche trop haute à franchir. Il faudrait que la mise en place des comités d’entreprise, des CHSCT et des délégués syndicaux se fasse de manière progressive, sur cinq ou six ans, et non dès l’embauche du cinquante et unième salarié.

Le seuil des dix salariés, qui impose la mise en place de délégués du personnel, est également problématique.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Il faut bien des seuils !

M. Jean-François Roubaud. Certes, mais il faudrait les « linéariser », c’est-à-dire faire en sorte qu’on les franchisse progressivement, sans à-coup. De toute façon, le vrai dialogue social, ce n’est pas le dialogue officiel, mais celui de tous les jours entre le chef d’entreprise et ses salariés.

M. Jean-Pierre Gorges, Président. Faites-vous une différence entre les PME qui appartiennent à un pôle de compétitivité et les autres ?

M. Jean-François Roubaud. Non.

M. Dominique Broggio. Un autre aspect positif des pôles de compétitivité, c’est qu’ils incitent les PME à se regrouper, ne serait-ce que pour déposer un projet – même s’il faut ensuite qu’il soit validé par le pôle.

M. Jean-Pierre Gorges, Président. Que pensez-vous des critères de distribution des aides de l’État et du fonds unique interministériel ?

M. Dominique Broggio. L’essentiel est qu’un financement parvienne à l’entreprise pour développer ses projets au sein du pôle. La contribution respective de chaque organisme est secondaire.

M. Jean-Pierre Gorges, Président. Faut-il prévoir un financement spécifique pour les PME ?

M. Jean-François Roubaud. Non. Ce qu’il faut, c’est leur apporter un soutien administratif. Actuellement, la principale entrave à leur participation est l’appel à projets, dont la procédure est trop complexe. Les chefs d’entreprise n’ont pas le temps d’y répondre.

M. Dominique Broggio. Le plus important, c’est la viabilité du projet validé par le pôle. Un projet viable trouvera toujours des financements.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. La nécessité de déléguer du personnel à la gouvernance du pôle ne constitue-t-elle pas un obstacle pour les PME ?

M. Jean-François Roubaud. En effet : plus la PME est petite, plus c’est compliqué. C’est pourquoi il est très rare que des PME de moins de 20 salariés participent aux pôles, à moins qu’elles n’occupent un créneau technologique extrêmement pointu. Une structure minimale est indispensable. La présence au sein des pôles d’un interlocuteur dont la tâche serait d’apporter une assistance aux PME permettrait de remédier à cette situation.

M. Jean-Pierre Gorges, Président. Pourrait-on réglementer les appels à projet, afin qu’ils associent obligatoirement un laboratoire, un grand groupe et des PME ? Aujourd’hui, les grands groupes se trouvent trop souvent en position de monopole : comment faire pour que les PME soient plus souvent associées aux projets ?

M. Jean-François Roubaud. Je ne suis pas favorable à une réglementation, laquelle risquerait de compliquer les choses. Souvent, dans les pôles, la PME intervient plutôt en sous-traitant qu’en co-traitant. Il conviendrait que les grandes entreprises modifient leur comportement à leur égard – Total, par exemple, travaille véritablement en co-traitance avec des PME.

M. Jean-Pierre Gorges, Président. Et si elles ne veulent pas ?

M. Jean-François Roubaud. Peut-être faudrait-il que le pôle remette un rapport annuel indiquant le nombre de PME qui ont été soutenues, sur le modèle du « Small Business Act » pour l’Europe. En tout cas, il ne faut pas prendre de mesures contraignantes.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Avez-vous réalisé un sondage auprès de vos membres sur les pôles de compétitivité ? Y trouvent-ils un intérêt ? Pensez-vous que cette politique favorise la création de nouvelles PME ?

M. Jean-François Roubaud. Seules 1 000 entreprises indépendantes participent aux pôles, sur les 1,6 million que compte la CGPME : la proportion est trop faible pour réaliser un sondage.

Sans doute cela encourage-t-il la naissance d’entreprises performantes. Toutefois, l’objectif est davantage d’aider les entreprises existantes que d’en créer de nouvelles.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Vous êtes-vous donné des objectifs à atteindre en termes de nombre de PME ?

M. Jean-François Roubaud. Non, nous privilégions l’action qualitative : nous souhaitons mieux informer les PME sur les pôles de compétitivité, améliorer leur intégration en leur sein et leur simplifier la vie, sans pour autant introduire de nouvelles règles.

M. Jean-Pierre Gorges, Président. La gouvernance des pôles représente pour les PME une charge supplémentaire. La CGPME pourrait-elle les aider ?

M. Jean-François Roubaud. Oui, si elle avait un représentant en interne, qui saurait où se trouvent les compétences, irait soumettre les appels à projets aux entreprises du bassin d’emploi, du département ou de la région, et défendrait les intérêts des PME au sein du pôle. C’est en tout cas ce que nous proposons.

M. Dominique Broggio. Quand des PME se regroupent pour un « projet flash », en général, elles n’arrivent pas à le faire valider par le pôle de compétitivité. Si elles bénéficiaient de son soutien, elles pourraient être plus rapides et gagner des parts de marché. On pourrait alors assister au développement de PME innovantes.

M. Jean-Pierre Gorges, Président. À vous écouter, on se demande pourquoi la CGPME n’a pas agi plus tôt !

M. Jean-François Roubaud. Nous manquons nous aussi de moyens financiers et humains ! Par ailleurs, les premiers constats viennent à peine d’être tirés.

Cela fait deux ans que j’essaie de faire évoluer les choses. Ce dont nous aurions besoin, c’est d’un représentant qui aide les PME participant déjà aux pôles et organise des réunions d’information pour les autres.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Les grands pôles n’organisent pas de portes ouvertes ?

M. Jean-François Roubaud. Si. Celui de Grenoble, que je connais bien, ouvre régulièrement ses portes aux entreprises.

M. Jean-Pierre Gorges, Président. Que pensez-vous de l’audit du Boston Consulting Group ? Du point de vue des PME, la période d’observation était-elle suffisante ?

M. Dominique Broggio. Le lancement des pôles de compétitivité a provoqué chez les PME une prise de conscience que, si elles voulaient y jouer un rôle, il était nécessaire de se regrouper pour présenter un projet. Ensuite, tout s’est joué sur la validation des projets.

L’audit réalisé par BCG montre bien les disparités actuelles : il conclut qu’une majorité de PME a accaparé les financements publics, mais que 55 % de ces financements sont attribués à dix pôles. Avec les crédits d’intervention qui lui étaient attribués, il était logique qu’OSÉO finance la participation des PME.

Il reste que les PME ont peur d’intégrer les pôles. Nous les y encourageons, mais les autres acteurs, notamment les grands groupes et les collectivités territoriales, doivent également jouer le jeu : quand une PME apporte un projet et un savoir-faire, il faut qu’elle bénéficie d’un retour sur investissement.

M. Jean-Pierre Gorges, Président. Les pôles ne relèvent pas d’une politique à court terme : l’objectif était de développer la recherche. On nous fait souvent remarquer que le principal souci d’une PME, c’est le chiffre d’affaires. Il faut donc trouver un équilibre entre les impératifs économiques immédiats et des considérations à plus long terme. N’y a-t-il pas une contradiction entre la nécessité pour une entreprise de remplir son carnet de commandes et les réflexions stratégiques des pôles ?

M. Jean-François Roubaud. Votre question pose le problème de la recherche et du développement en entreprise. Faut-il investir dans ce secteur ? Pour une PME, il est plus facile de participer à un pôle de compétitivité et de bénéficier de l’apport des centres de recherche existants que de créer une activité de R & D en interne : elle parviendra plus vite au stade de la production.

M. Dominique Broggio. Cela dépend aussi des secteurs : certaines entreprises qui ont déjà créé des clusters ne voient pas l’intérêt de rejoindre un pôle.

M. Jean-Pierre Gorges, Président. Il est vrai qu’il existait des pôles avant la lettre.

M. Dominique Broggio. Pas seulement : dans certains secteurs d’activité, comme le nautisme, les entreprises préfèrent fonctionner en clusters plutôt que faire partie d’un pôle.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Elles ne bénéficieront pas des aides de l’État.

M. Dominique Broggio. Elles font appel à d’autres canaux de financement, notamment européens.

M. Jean-Pierre Gorges, Président. Savez-vous si certaines collectivités territoriales se « mettent des bâtons dans les roues » ?

M. Jean-François Roubaud. Je n’ai pas eu connaissance de cas de ce type. En général, les collectivités jouent un rôle moteur dans les pôles.

M. Jean-Pierre Gorges, Président. L’idée directrice des pôles, c’est de développer la recherche. Or, pour les entreprises, l’important, c’est l’innovation.

Dans les grandes entreprises, il y a continuité de l’une à l’autre, mais les PME, quant à elles, doivent s’appuyer sur une recherche extérieure, souvent académique. D’aucuns se plaignent d’un manque de maturation du produit. Les liens entre recherche académique et production en entreprise sont-ils suffisants ou aurait-on besoin d’un intermédiaire ?

M. Jean-François Roubaud. C’est une question délicate.

D’abord, il faut que l’entreprise s’inscrive dans une démarche de recherche et développement et d’innovation, ce qui n’est pas le cas de toutes les PME.

Ensuite, le développement doit aboutir à des résultats rapides. L’intérêt des pôles est d’avoir accéléré le processus : les produits arrivent souvent à un stade déjà bien avancé, chacun apportant ensuite sa contribution.

M. Jean-Pierre Gorges, Président. Mais en amont, le produit livré par la recherche publique ne devrait-il pas être plus élaboré ?

M. Dominique Broggio. C’est tout le problème du transfert de technologie entre recherche publique et entreprise privée : souvent, l’entreprise pense qu’il suffit d’aller au laboratoire chercher le produit dont elle a besoin ; or c’est plus complexe que cela. Des intermédiaires opérationnels pourraient faciliter le dialogue.

M. Jean-Pierre Gorges, Président. Est-ce l’entreprise qui doit aller vers les chercheurs, ou l’inverse ?

M. Dominique Broggio. Le mouvement doit se faire dans les deux sens. Le chercheur doit également connaître suffisamment l’entreprise pour savoir si ce qu’il lui propose est applicable.

M. Jean-Pierre Gorges, Président. On sent quand même un gouffre entre la recherche et l’application ; lorsque les deux sont menées au sein d’une même entreprise, il y a continuité.

M. Jean-François Roubaud. Les crédits d’impôt recherche et recherche et développement visent précisément à inciter les chefs d’entreprise à s’engager dans cette voie. Pour l’heure, tous ces crédits d’impôt sont monopolisés par les grandes entreprises.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Avez-vous établi des plans d’action afin d’encourager vos membres à se rapprocher de la recherche publique ?

M. Jean-François Roubaud. Nous essayons de travailler avec les universités.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. C’est là où il y a le moins de recherche !

M. Jean-François Roubaud. Peut-être ne savons-nous pas l’utiliser…

Nous venons de mettre en place un partenariat entre onze universités, des PME et la CGPME. Les premiers résultats nous parviendront à la fin de l’année.

Dès lors que l’on admet qu’une PME est incapable de faire de la recherche toute seule, il faut bien qu’elle s’appuie sur d’autres acteurs ; l’université est assez facile d’accès.

M. Jean-Pierre Gorges, Président. Cela souligne le rôle important que la CGPME est appelée à jouer : sans structure pour l’informer et l’accompagner, un chef d’entreprise hésitera avant de frapper à la porte d’une université.

M. Jean-François Roubaud. Il faut distinguer la CGPME interprofessionnelle et les branches professionnelles. Nous travaillons beaucoup avec ces dernières pour assurer le passage de la recherche à la production. Par exemple, la Fédération du bâtiment veille au bon développement des produits.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Que pensez-vous du crédit d’impôt recherche ?

M. Jean-François Roubaud. C’est une bonne chose. Toutefois, ce sont les grandes entreprises qui en profitent le plus. En outre, les PME qui en obtiennent subissent un contrôle fiscal, ce qui n’est guère incitatif !

M. Jean-Pierre Gorges, Président. Pour récapituler, si vous deviez choisir, que réclameriez-vous en priorité ?

M. Jean-François Roubaud. L’essentiel, selon moi, serait de disposer au sein des pôles d’un représentant de la CGPME, qui pourrait ensuite informer et mobiliser le réseau des PME du bassin d’emploi.

M. Jean-Pierre Gorges, Président. Faut-il faire appel aux financeurs ?

M. Jean-François Roubaud. Bien sûr : il y a déjà OSÉO, il peut très bien y avoir des business angels ou des fonds d’investissement.

M. Jean-Pierre Gorges, Président. En matière de propriété intellectuelle, quelles sont vos demandes ?

M. Dominique Broggio. En premier lieu, la généralisation du pré-diagnostic de l’INPI à toutes les PME des pôles.

En second lieu, la conception d’un contrat de consortium type qui réglemente l’activité propriété intellectuelle du pôle et garantisse le retour sur investissement pour la PME. Il existe d’ailleurs des modèles européens.

M. Jean-Pierre Gorges, Président. OSÉO pourrait s’en charger.

M. Dominique Broggio. OSÉO met déjà en place des financements afin de conseiller les PME en matière de propriété intellectuelle. L’idéal serait que le pôle lui-même produise ce type de contrat.

M. Jean-Pierre Gorges, Président. Messieurs, je vous remercie.

Audition du 12 mai 2009

À 12 heures : M. Jean-Marie Rouiller, président de France Clusters, accompagné de MM. Xavier Roy, directeur de France Clusters, et Paul Robert, chargé des relations avec le Parlement

Présidence de M. Alain Claeys, Rapporteur

M. Alain Claeys, Président et Rapporteur. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Jean-Marie Rouillier, président de France Clusters, accompagné de M. Xavier Roy, directeur de cette association, et de M. Paul Robert, chargé des relations avec le Parlement.

Bien que France Clusters ne participe pas directement aux pôles de compétitivité, il nous a paru utile de vous entendre dans le cadre de nos auditions. Afin de rapprocher davantage la recherche, les grandes entreprises et les PME sur un même territoire, il est en effet question de prolonger l’action des pôles de compétitivité en constituant des clusters.

Après avoir précisé les points communs et les différences entre ces deux types de structures, pourriez-vous nous indiquer quel est, à vos yeux, l’apport principal des pôles de compétitivité par rapport aux autres mesures de soutien à l’innovation ?

M. Jean-Marie Rouillier, Président de France Clusters. Afin de vous répondre, permettez-moi d’esquisser un bref panorama des différents réseaux qui existent aujourd’hui.

Un premier réseau est constitué par les pôles de compétitivité, aujourd’hui au nombre de 71. Une quinzaine d’entre eux jouit d’une notoriété internationale, tandis qu’un nombre à peu près équivalent pose problème si l’on en croit une récente évaluation du dispositif.

Un second réseau, qui a vu le jour à partir de 1998, c’est-à-dire avant la création des pôles de compétitivité, est formé par les systèmes productifs locaux (SPL). Des 130 SPL labellisés par la DATAR, à laquelle a succédé la DIACT, la délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires, 70 restent aujourd’hui en activité.

À cela s’ajoutent de nouveaux clusters, presque tous membres de notre association, qui ont été lancés par différents conseils régionaux, notamment ceux de Provence-Alpes-Côte d’Azur, de Rhône-Alpes et du Languedoc-Roussillon.

Ces disparités n’empêchent pas certaines régions de mener des politiques globales, visant aussi bien les pôles de compétitivité et les SPL que les nouveaux clusters d’entreprises.

M. Alain Claeys, Président. Ces clusters portent-ils sur des thématiques particulières ?

M. Jean-Marie Rouillier. Oui, et ils sont parfois sur plusieurs régions, notamment dans le Sud de la France.

Nous avons par exemple constaté l’apparition de 25 nouveaux réseaux autour des questions de développement durable, comme l’éco-construction ou les éco-énergies. Suite aux propositions de nouvelles politiques « clusters » définies par la DIACT, nous souhaitons leur voir bénéficier de ce nouveau label.

M. Alain Claeys, Président. Vous accordez donc un label ?

M. Jean-Marie Rouillier. Pas encore, car il n’existe pas officiellement. Mais sur le terrain, ces clusters et leurs PME souhaitent une reconnaissance nationale.

M. Alain Claeys, Président. Réalisez-vous des missions en commun avec la DIACT ?

M. Jean-Marie Rouillier. Oui, la DIACT nous verse une subvention pour mener diverses actions, notamment dans le domaine des échanges entre clusters et de la communication. Nous diffusons ainsi une lettre d’information, Clusters info, tirée à 6 000 exemplaires, dont 2 000 en anglais, et nous organisons un congrès annuel des clusters et des pôles.

M. Alain Claeys, Président. Pour que nous puissions y voir plus clair, pourriez-vous nous donner une définition précise des clusters ?

M. Jean-Marie Rouillier. À l’origine, ce sont des regroupements d’entreprises opérant dans des secteurs d’activité et des bassins d’emploi donnés, dont le but n’est pas tant de favoriser l’innovation que d’aider les PME à résister à l’évolution de la conjoncture et à la concurrence internationale en mutualisant les achats ou encore les ressources humaines (formation des personnels, nouvelles compétences…). En effet, il s’agit pour l’essentiel de structures productives employant de nombreux salariés, à la différence des start-up qui éclosent dans les pôles de compétitivité.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Certains organismes de recherche participent-ils aux clusters ?

M. Jean-Marie Rouillier. C’est parfois le cas, même si ce n’est pas suffisamment fréquent. Pour le moment, les conseils d’administration ne comportent que des représentants des entreprises, mais nous souhaitons que l’innovation fasse partie des critères retenus dans le cadre d’un label officiel.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Quelle serait alors la différence entre un cluster et un pôle de compétitivité ?

M. Jean-Marie Rouillier. Les pôles de compétitivité sont, eux aussi, des regroupements d’entreprises, d’organismes de recherche et d’universités sur un territoire donné, mais ils sont avant tout organisés autour de programmes de recherche. Les résultats produits sont positifs en ce qui concerne les laboratoires, mais peu les universités, car la majorité d’entre elles ne se place pas suffisamment dans la perspective de former les jeunes au monde de l’entreprise.

M. Alain Claeys, Président. Il reste que 90 % des laboratoires sont mixtes : ils associent des organismes de recherche et des universités.

M. Jean-Marie Rouillier. C’est exact, et je pense que la situation devrait globalement s’améliorer.

D’autre part, il est prévu d’intégrer les PME dans les pôles de compétitivité et d’élargir les activités concernées, ce qui devrait rapprocher le fonctionnement des pôles de celui des clusters.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. S’il n’y a plus de différences à terme, pourquoi conserver deux termes distincts ?

M. Jean-Marie Rouillier. C’est qu’il ne faudrait pas augmenter outrancièrement le nombre des pôles de compétitivité, afin de ne pas nuire à leur visibilité et à leur image au plan international. À titre de comparaison, on ne dénombre qu’une quarantaine de pôles au Japon, et environ 80 aux États-Unis.

M. Alain Claeys, Président. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la genèse et le fonctionnement de France Clusters ?

M. Jean-Marie Rouillier. Notre association a été créée, voilà dix ans, par Jean-Claude Léger, maire de Cluses, sous le nom de « Club des districts industriels français » (CDIF). La présidence a ensuite été confiée au sénateur Jean-Pierre Bel, puis elle m’est revenue en janvier 2002.

Le nombre de nos adhérents – 70 à ce jour – est en augmentation constante : depuis quelque temps, nous en comptons un nouveau à peu près tous les mois, ce qui est beaucoup pour une structure telle que la nôtre. Au total, nous travaillons maintenant avec une centaine de réseaux, dont 40 pôles de compétitivité.

Certaines régions sont plus représentées que d’autres, notamment PACA, Rhône-Alpes et le Languedoc-Roussillon, dont la quasi-totalité des pôles de compétitivité fait partie de notre association, mais nous couvrons peu à peu l’ensemble de la France. Trois des quatre pôles de compétitivité créés en Normandie font ainsi partie de nos adhérents.

Nous sommes également très actifs au plan européen : nous avons par exemple eu le privilège, assez rare, d’être reçus par trois directions générales de la Commission – celles de la politique régionale, de la recherche et de l’emploi. Dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, ces instances nous ont incités à travailler sur la question de l’innovation au sein des PME, et c’est ce que nous faisons dans trois nouvelles régions par an – nous ne pourrions pas en faire davantage compte tenu des moyens dont nous disposons. Le but est d’identifier, puis d’aider, les programmes d’innovation en germe.

M. Paul Robert, chargé des relations avec le Parlement. Nous avons constaté qu’il existait une très forte concentration de la recherche, caractéristique qui peut se justifier pour des raisons de taille critique, mais qui ne correspond pas à la réalité du tissu économique : celui-ci est au contraire très diffus. C’est pourquoi nous estimons qu’il convient de compléter l’action des pôles de compétitivité afin d’innerver l’ensemble du territoire.

M. Alain Claeys, Président. À ce propos, quelle appréciation portez-vous sur le bilan des pôles de compétitivité ?

M. Paul Robert. Les résultats de la première phase de développement des pôles de compétitivité, dont l’objet était de favoriser la coopération entre les entreprises et le monde de la recherche autour de programmes de R&D, nous paraissent globalement satisfaisants.

Toutefois, il nous semble qu’il y a eu un changement du projet initial : le rapport de Christian Blanc recommandait de concentrer les efforts sur les ruptures technologiques, ce qui concernait au départ à peu près quinze pôles. Or on est allé très au-delà. En outre, selon un rapport du Conseil économique et social, les pôles de compétitivité n’ont principalement favorisé le regroupement des PME que là où il existait précédemment des SPL.

Il reste qu’il faudra sans doute attendre encore un peu avant de se prononcer. Dans un deuxième temps, il est prévu que le champ des pôles de compétitivité s’étende non seulement à la R&D, mais aussi à la quasi-totalité des thématiques économiques : la gestion des compétences, le développement international, la protection de la propriété intellectuelle, l’intelligence économique ou encore la réalisation de synergies au plan territorial.

M. Xavier Roy, directeur de France Clusters. J’ajoute que les pôles de compétitivité ne fonctionnent pas nécessairement selon une logique de réseau d’entreprises : il s’agit surtout, pour eux, d’aller chercher d’autres partenaires afin de réaliser des projets de R&D. Les clusters d’entreprises proposés par la DIACT à la demande du Premier ministre, par leur ancrage territorial, représenteront une implication forte des PME à la vie économique locale, au maintien ou à la création d’emploi.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Je rappelle qu’il n’a jamais été question que la recherche soit le seul objet des pôles de compétitivité. Il était d’emblée prévu que d’autres thématiques seraient progressivement incluses, ce que nous sommes précisément en train de faire.

J’en viens aux relations entre les clusters et les pôles de compétitivité. Au risque d’être un peu polémique, n’y a-t-il pas une concurrence entre votre action et celle que le gouvernement a lancée ? Afin qu’il n’y ait pas de confusion, ne faudrait-il pas éviter la constitution de deux organisations parallèles ?

M. Jean-Marie Rouillier. Je suis entièrement d’accord avec vous. Pour avoir accompli une grande partie de ma carrière au service du développement économique dans le cadre d’un département, je ne connais que trop les problèmes causés par l’absence de lisibilité de certains dispositifs.

C’est précisément pour éviter ce genre de situation que nous nous efforçons aux côtés de la DIACT de regrouper les différents types de réseaux au sein d’une association unique au plan national. Parmi nos membres, nous comptons déjà la quasi-totalité des SPL encore actifs, les clusters dédiés au développement durable et près de la moitié des pôles de compétitivité. Si nous avons abandonné toute référence au CDIF, le Centre des districts industriels français, c’est d’ailleurs pour que les pôles de compétitivité se sentent plus à l’aise chez nous.

J’ajoute que les réseaux doivent apprendre à travailler ensemble afin d’être plus efficaces : il faut faire de l’interclustering. Le pôle Mer de Toulon travaille ainsi avec celui de Brest, de même que le pôle traçabilité avec le pôle SCS dans le cadre du Centre national de la RFID. Plusieurs réseaux spécialisés dans l’emballage, dont deux ont le label SPL, ont également choisi de se regrouper au sein d’une structure unique, « France emballage », chargée de solliciter, puis de répartir entre ses membres les financements alloués au développement des programmes d’innovation.

M. Alain Claeys, Président. Revenons-en aux pôles de compétitivité : correspondent-ils aux ambitions initiales ?

M. Paul Robert. Dans le cas des pôles mondiaux, dont la gouvernance est entre les mains des grands groupes, l’objectif d’associer les PME n’a pas toujours été suivi d’effet. Dans certains pôles, des regroupements de PME ont certes été constitués pour travailler sur différents sujets, mais cet effort reste globalement insuffisant. Il faudrait compléter les actions qui sont aujourd’hui menées, notamment dans le domaine des technologies de l’information, en développant des clusters d’entreprises plus proches des PME, destinés à coopérer avec les pôles de compétitivité concernant leur activité.

D’autre part, les pôles de compétitivité sont encore au milieu du gué : une seconde phase, incluant de nouvelles thématiques, vient d’être lancée. Il est donc trop tôt pour porter une appréciation.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. On peut comprendre que des grandes entreprises soient à la tête des pôles à dimension mondiale : en effet, ce ne sont pas les PME locales qui ont vocation à les piloter.

De façon plus générale, pensez-vous que la décision d’instaurer des pôles de compétitivité était un bon choix ?

M. Paul Robert. C’était un excellent choix, mais on peut aller plus loin…

M. Jean-Marie Rouillier. …notamment en développant l’interclustering. Le SPL de la Glass Vallée, en Normandie, qui produit près de 75 % des flacons destinés à l’industrie cosmétique, s’est ainsi associé au pôle de compétitivité MAUD, dans le Nord, pour travailler sur l’application de la directive communautaire REACH, notamment en matière de rejets polluants.

M. Alain Claeys, Président. Des auditions que nous avons menées jusqu’à présent, il ressort que les PME ont du mal à trouver une place au sein des pôles de compétitivité. Que pourrait-on faire pour remédier à cette situation ?

M. Jean-Marie Rouillier. Il y a effectivement une lacune. À l’issue de la première évaluation des pôles de compétitivité, nous nous sommes aperçus que la dizaine de pôles qui travaillaient étroitement avec les PME était en réalité d’anciens SPL, membres de France clusters. Nous avons également observé que d’autres pôles se tournaient vers nous pour acquérir un savoir-faire en matière de coopération avec les PME.

Ce qui pose problème, c’est que les pôles de compétitivité ne peuvent pas nouer des contacts avec des milliers de PME, à moins d’y consacrer tous leurs efforts. C’est pourquoi nous proposons que les clusters jouent un rôle d’intermédiaire en sélectionnant les PME susceptibles de participer aux projets portés par les pôles de compétitivité, et que les présidents des clusters représentent les PME au sein des conseils d’administration. Cela permettrait de gagner en efficacité et d’économiser des moyens.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. M. Jean-François Roubaud, président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), a suggéré que son institution désigne un délégué des PME au sein de chaque pôle. Que pensez-vous de cette idée ?

M. Jean-Marie Rouillier. On peut envisager différentes solutions, mais je vois mal quelle serait la légitimité, au plan local, d’une structure telle que la CGPME.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Elle pourrait confier la désignation des délégués à des représentants départementaux ayant une connaissance du terrain.

M. Jean-Marie Rouillier. Pour jouir d’une véritable légitimité, il faudrait que ces derniers exercent leurs activités au sein des pôles concernés, ce qui n’est pas nécessairement le cas. Imaginez que le délégué départemental soit un représentant de l’industrie automobile et qu’il soit chargé de désigner quelqu’un pour siéger au conseil d’administration d’un pôle spécialisé dans un autre secteur que le sien : comment s’y prendra-t-il ?

D’autre part, si l’on octroie à la CGPME le droit de désigner des représentants, comment refuser au MEDEF et aux chambres de commerce et d’industrie la possibilité d’en faire autant ? Ne tombons pas dans les vieux travers des agences de développement économique : pour avoir dirigé l’une d’entre elles, je peux témoigner que les conseils d’administration tendent à devenir pléthoriques quand tous les acteurs concernés souhaitent être représentés.

M. Alain Claeys, Président. À titre personnel, il me semble qu’il faut à tout prix éviter une institutionnalisation des pôles de compétitivité. Ne reproduisons pas des catastrophes semblables à celles des comités économiques de développement.

M. Jean-Marie Rouillier. C’est pourquoi nous souhaitons que le représentant des PME dans les pôles soit un président de cluster, élu par les autres chefs d’entreprise. Il est vrai qu’il n’y a pas encore de cluster dans le périmètre de tous les pôles, mais il s’en crée de plus en plus, notamment dans les villes moyennes.

M. Paul Robert. Pour reprendre l’expression de Philippe Braidy, de la Caisse des dépôts et consignations, le but est en effet de « faire tomber les murs ». Nous nous y attelons avec nos différents partenaires, la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS), la DIACT, la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), ou encore la Caisse des dépôts (CDC), avec laquelle nous étudions la mise en place d’une mesure d’aide à destination des petites entreprises à fort potentiel ayant besoin de fonds de roulement.

M. Alain Claeys, Président. Qui représente, à vos yeux, l’État au sein des pôles de compétitivité ?

M. Paul Robert. Il y a une certaine ambiguïté : la DGCIS exerce un pouvoir de tutelle, mais c’est la DIACT qui est chargée d’assurer la coordination interministérielle.

M. Alain Claeys, Président. Si les pôles de compétitivité devaient s’adresser à un interlocuteur unique, qui cela devrait-il être selon vous ?

M. Paul Robert. Il nous semble qu’il y a trop de thématiques en jeu pour que l’ensemble des compétences puisse être exercée par un interlocuteur unique.

M. Jean-Marie Rouillier. En ce qui nous concerne, la DIACT a été notre interlocuteur pendant la première année de fonctionnement des pôles, puis la CDC est devenue notre principal financeur. Du côté de l’État, la DGEFP concourt également au financement de nos actions au titre de la formation dans les entreprises ; en revanche, nous avons moins de relation directe avec la DGCIS, à l’exception du financement du dispositif de formation des dirigeants des pôles et clusters. J’ajoute que nous recevons également des financements en provenance des conseils régionaux depuis deux ans, et des DRIRE pour l’organisation de nos congrès annuels.

M. Alain Claeys, Président. À combien votre budget s’élève-t-il aujourd’hui ?

M. Jean-Marie Rouillier. En 2008, il ne dépassait pas 500 000 euros, ce qui n’a rien de considérable.

M. Alain Claeys, Président. Qui devrait, selon vous, piloter les pôles de compétitivité pour le compte de l’État ?

M. Jean-Marie Rouillier. La politique des pôles de compétitivité concerne aussi bien le développement des entreprises que l’aménagement du territoire. Par conséquent, nous avons besoin de nous adresser non seulement à Bercy, mais aussi au ministère du développement durable. Il faut que ces services travaillent en binôme.

M. Alain Claeys, Président. Pouvons-nous connaître l’avis des membres de la Cour des comptes qui nous font l’honneur d’assister à cette audition ?

M. Bruno Ory-Lavollée, conseiller maître à la Cour des comptes. L’instauration d’un interlocuteur unique n’est pas nécessairement une bonne idée : on croit simplifier la situation dans certains cas, alors qu’on crée en réalité davantage de complexité. En l’espèce, le recours à un interlocuteur unique me semble d’autant plus difficile que la répartition des portefeuilles ministériels est très variable selon les gouvernements.

M. Jean-Yves Marquet, conseiller référendaire à la Cour des comptes. D’autre part, je rappelle qu’il existe déjà un secrétariat du fonds unique interministériel piloté par la DGCIS et par la DIACT.

M. Paul Robert. Lequel sera transféré, cette année, à OSÉO.

J’ajoute que la question de l’interlocuteur unique ne concerne pas que l’État : les pôles de compétitivité nous demandent en effet, avec une grande insistance, de constituer une fédération afin de relayer leur voix auprès des départements ministériels concernés.

M. Alain Claeys, Président. Mais n’y a-t-il pas déjà une fédération nationale des pôles de compétitivité ?

M. Jean-Marie Rouillier. Il existe un Observatoire des pôles de compétitivité, qui dépend de l’Association des régions de France, mais je n’ai pas connaissance d’une véritable fédération.

M. Xavier Roy. Les pôles mondiaux et à vocation mondiale se sont organisés sous la forme d’un réseau. Toutefois, les autres pôles n’y sont pas associés et il ne s’agit pas d’une association structurée.

M. Alain Claeys, Président. Quid de la Fédération nationale des pôles de compétitivité, avec laquelle nous sommes entrés en contact et dont le délégué général est Gilles Lamarque, directeur de la société Enthénor Public Affairs ?

M. Xavier Roy. Cette fédération existe effectivement, mais elle n’a pas aujourd’hui pour vocation de regrouper l’ensemble des pôles, ni de les représenter en tant que tels.

M. Jean-Marie Rouillier. Il faut également rappeler qu’on ne pourra jamais susciter d’en haut la création d’une telle structure. Il faut aider les dirigeants des entreprises à travailler ensemble, mais sans leur imposer des décisions. Tout dépend en effet de la volonté des entreprises en matière de développement : si vous tentez de les contraindre, vous les faites fuir. C’est pourquoi nous avons adopté une stratégie bottom up.

Pour en venir au questionnaire que vous nous avez fait parvenir, je suis tout à fait favorable à ce que l’on réalise un inventaire et une cartographie des PME présentes à proximité des pôles de compétitivité, mais je précise que le but n’est pas de répondre aux besoins des pôles : au contraire, ce sont eux qui ont pour vocation d’être au service des PME.

Un mot enfin sur notre action internationale : afin de mieux identifier les PME étrangères qui pourraient coopérer avec les clusters français, nous allons signer deux chartes de coopération, l’une avec un réseau fédérant des PME dans la Ruhr, l’autre avec une structure similaire en Autriche, et nous préparons une troisième convention avec la Wallonie. Là encore, nous appliquons une démarche bottom up.

M. Alain Claeys, Président. En tout cas, je pense qu’il faudra absolument éviter une institutionnalisation excessive des pôles dans l’hypothèse d’un renforcement de leur gouvernance. Ne constituons pas un nouvel échelon administratif.

Merci beaucoup pour vos réponses.

Audition du 12 mai 2009

À 16 heures 15 : M. Paul Rivault, président du pôle Mobilité et transports avancés, et de M. Jacques Lacambre, président du pôle Mov'eo, Mme Sylvie Faucheux, présidente de l’Université Versailles-Saint-Quentin et vice-présidente du pôle Mov’eo ; M. Gérard Yahiaoui, vice-président du pôle Mov’eo chargé des PME ; M. Serge Gregory, délégué à la direction des relations extérieures de PSA-Peugeot- Citroën, secrétaire du bureau de Mov'eo et membre de son conseil d'administration

Présidence de M. Georges Tron, Président

M. Georges Tron, Président. Nous accueillons aujourd’hui M. Paul Rivault, président du pôle Mobilité et transports avancés (MTA) ; M. Jacques Lacambre, président du pôle Mov'eo ; Mme Sylvie Faucheux, présidente de l’Université Versailles-Saint-Quentin et vice-présidente du pôle Mov’eo ; M. Gérard Yahiaoui, vice-président du pôle Mov’eo chargé des PME ; M. Serge Gregory, délégué à la direction des relations extérieures de PSA-Peugeot- Citroën, secrétaire du bureau de Mov'eo et membre de son conseil d'administration.

Je leur souhaite la bienvenue et les prie d’excuser le retard, dû à un vote par scrutin public, avec lequel nous engageons cette audition relative aux perspectives des pôles de compétitivité.

La Mission d’évaluation et de contrôle s’attache à établir le rapport le plus objectif possible. Trois rapporteurs animent ses travaux : M. Jean-Pierre Gorges, pour la majorité, et M. Alain Claeys, pour l’opposition, tous deux rapporteurs spéciaux de la commission des Finances sur la recherche, auxquels se joint M. Pierre Lasbordes, désigné par la commission des Affaires économiques.

Nous bénéficions traditionnellement du concours de la Cour des comptes, que M. Jean-Yves Marquet, conseiller référendaire à la deuxième chambre, représente aujourd’hui. Toutefois, la Cour ayant en cours un contrôle des pôles de compétitivité dont la procédure contradictoire n’est pas achevée, la présence de M. Marquet sera silencieuse.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il nous a paru intéressant de vous entendre ensemble après que, dans ses conclusions, une mission d’audit a recommandé le regroupement des pôles Mobilité et transports avancés (MTA) et Mov’eo. Vous nous direz où en est ce rapprochement et la forme qu’il prend mais, au préalable, j’aimerais savoir ce qui, selon vous, a bien fonctionné et ce qui a moins bien fonctionné au sein du pôle MTA, à quelles difficultés vous vous êtes heurtés – en bref, ce qui a conduit la mission d’audit à formuler cette recommandation. Pourquoi le pôle MTA n’a-t-il pu atteindre seul les objectifs qu’il s’était assignés ? Que peut apporter à Mov’eo une collaboration renforcée avec MTA ?

M. Paul Rivault, président du pôle Mobilité et transports avancés (MTA). Je ne sais si l’on peut parler de mauvais fonctionnement car le pôle MTA a démarré normalement et il a fait son travail. Cela étant, notre secteur d’intervention était très strictement limité sur le plan technique mais très vaste en volume. Pour résumer l’audit, notre grand point faible est de ne pas avoir disposé, autour de nous, d’un tissu industriel suffisant pour développer nos travaux, qui portaient sur la motorisation électrique pour les véhicules électriques et hybrides. Outre cela, les laboratoires de recherche avec lesquels nous travaillions ont des centres d’intérêt beaucoup plus larges que les seuls secteurs de pointe de notre compétence. En réalité, il y avait un problème d’échelle entre le sujet que nous devions traiter et l’industrie automobile, dont le volume est considérable.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Si je vous ai bien compris, les laboratoires de recherche n’étaient pas concentrés sur les seules thématiques de votre compétence et les PME n’étaient pas au rendez-vous. En revanche, les grands groupes automobiles étaient, eux, très présents.

M. Paul Rivault. Ils étaient en effet très actifs et ils continuent de l’être.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Au point que, par le biais des dossiers destinés à l’Agence nationale de la recherche, certains grands groupes passaient par le comité d’éligibilité sans forcément tenir compte de l’implantation territoriale…

M. Paul Rivault. Cela a pu se produire.

M. Jacques Lacambre, président du pôle Mov'eo. Pour Mov’eo, les choses ont été à la fois semblables et différentes. Semblables car il s’agit d’un pôle d’action locale thématique, et différentes en ce que Mov’eo a pour avantage d’être issu d’une fusion et implanté dans trois régions – les deux Normandies et l’Île-de-France – qui concentrent à elles seules les deux tiers des capacités de recherche dans son domaine de compétence. Nous avions donc une bien plus grande facilité que le pôle MTA à mobiliser sur notre territoire les compétences nécessaires à nos projets. Nous avions par ailleurs avec MTA une sorte de gentlemen’s agreement tel que les thèmes de recherche étaient répartis entre nous mais, notre base de recherche et développement étant supérieure à la leur, notre taille était supérieure. De plus, la présence au sein de notre pôle de deux grands constructeurs automobiles – PSA et Renault – et de grands équipementiers – dont Valeo – nous a fait ressentir la nécessité de préparer l’électrification de la propulsion des véhicules.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les mêmes constructeurs participaient-ils aux deux pôles ?

M. Jacques Lacambre. Oui, ainsi que l’équipementier Valeo.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel nouveau schéma d’organisation proposez-vous pour répondre à la demande de fusion qui vous a été faite ?

M. Jacques Lacambre. Depuis que l’on a parlé de rapprochement, nous avons essayé de fonctionner comme un ensemble cohérent. Depuis le 1er janvier 2009, nous avons donc joint nos thèmes de recherche et nos équipes, nous travaillons ensemble et nous avons commencé à prendre en compte les besoins et les compétences de la Région Poitou-Charentes.

M. Serge Gregory, secrétaire du bureau de Mov'eo et membre de son conseil d'administration. Un accord d’intention a été signé entre les deux présidents, qui tend à l’intégration des équipes et à la redéfinition du périmètre d’activité. S’agit-il d’une fusion, d’un élargissement ou d’une intégration ? Je ne sais, mais le nouvel ensemble fonctionne bien.

M. Paul Rivault. J’ajoute que MTA avait été créé dans la continuité du Centre d'études et de recherches sur les véhicules électriques et hybrides – le CEREVEH –, qui existait depuis 1999.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. La composante « aménagement du territoire » a eu une forte incidence dans la constitution des pôles de compétitivité. C’est ainsi que, au départ, les mêmes activités ont pu être implantées dans des territoires distincts au nom de l’aménagement du territoire. Pourtant, il apparaît donc maintenant qu’un même pôle peut fonctionner harmonieusement sur des territoires distincts, que les domaines de recherche soient identiques ou non.

Pourriez-vous nous dire en quoi consiste le travail quotidien d’un responsable de pôle ?

M. Jacques Lacambre. Les pôles de compétitivité ont tous un volet « recherche et développement » destiné à préparer l’évolution de l’activité économique. C’est l’une des activités des responsables de pôles, pôles dont les adhérents sont pour l’essentiel des entreprises et des laboratoires publics et privés ; l’utilité de ces structures est de faire travailler tous ces gens ensemble et de permettre la continuité de l’action.

Tout responsable de pôle doit aussi chercher à ancrer des activités de recherche favorables à l’émergence de pôles locaux d’excellence. À cet égard, Mov’eo a eu la chance que préexiste le technopôle du Madrillet, près de Rouen ; nous avons par ailleurs une implantation assez forte à Vélizy-Saint-Quentin, où sont situés les pôles de recherche des constructeurs. Tout cela nous permet d’avoir des projets de développement territorial. Enfin, le responsable d’un pôle de compétitivité est aussi chargé de définir des « plans de progrès » pour l’ensemble des activités.

La mission d’audit a porté sur Mov’eo une appréciation globalement positive, relevant cependant une faiblesse, s’agissant des PME. Il nous revient donc de progresser en ce domaine pour que les PME tirent le plus grand bénéfice possible de leur adhésion au pôle. Nous avons aussi pour ambition de développer les compétences, en coopération étroite avec l’Université de Versailles-Saint-Quentin, dont la présidente, Mme Sylvie Faucheux, est vice-présidente de Mov’eo. Enfin, Mov’eo est impliqué dans des plans transversaux qui portent sur le développement international, les PME et l’intelligence économique.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Madame la présidente, quels rapports se sont instaurés avec l’Université de Versailles-Saint-Quentin quand il s’est agi de déterminer les thèmes de recherche utiles au pôle ?

Au cours des auditions auxquelles nous avons procédé, il est apparu que les PME ont parfois du mal à s’insérer entre les grands groupes et les laboratoires de recherche. Qu’en pensez-vous ? La nécessité de partager la propriété intellectuelle constitue-t-elle un élément de blocage ?

Mme Sylvie Faucheux, présidente de l’Université Versailles-Saint-Quentin, vice-présidente du pôle Mov’eo. L’Université de Versailles-Saint-Quentin participant à cinq pôles de compétitivité, il m’est facile d’observer des différences de fonctionnement. Au contraire de ce que j’ai pu constater lors de la création de très grands pôles dont les adhérents venaient en quelque sorte « faire leur marché » à l’Université, il y a eu au sein de Mov’eo, dès l’origine, une collaboration entre recherche publique et recherche privée, et le rapprochement s’est fait en tenant compte des compétences respectives, en fonction des travaux menés par les chercheurs.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Était-ce le cas auparavant ?

Mme Sylvie Faucheux. Oui, mais la constitution du pôle a créé un cadre propice à la recherche en permettant l’intervention de chercheurs d’autres spécialités lorsqu’elle paraît utile à certaines phases des travaux. De même, le pôle a cela d’intéressant qu’il permet de développer des formations en adéquation avec les activités de recherche, et c’est ce qui nous a poussés à mettre en place la labellisation des formations. L’intérêt particulier du pôle Mov’eo est d’avoir permis, à partir de la relation initialement instaurée avec l’Université, de développer bien plus d’activités de recherche et de formation que celles qui avaient été imaginées au départ. Au surplus, la participation à Mov’eo, qui suscite une très forte adhésion au sein de l’Université de Versailles-Saint-Quentin, nous a permis de développer et renforcer nos partenariats avec d’autres acteurs de la recherche publique, permettant de facto la constitution d’un cluster.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Comment les PME se sont-elles agrégées à cet ensemble ?

M. Gérard Yahiaoui, vice-président de Mov’eo chargé des PME. Au départ, cela n’a pas été facile, et notre première tâche a consisté à nous assurer que les PME étaient représentées dans toutes les instances de décision du pôle – au bureau, dont deux membres sur sept représentent les PME, au comité de labellisation, ainsi que dans les domaines d’activités stratégiques (DAS). C’est fait, et de manière exemplaire : il n’existe rien d’aussi formalisé dans les autres pôles de compétitivité. Ainsi, les PME, qui auraient pu être oubliées, ne le sont nullement ; d’ailleurs, la proportion des subventions qui leur est allouée a dépassé 18 % de l’ensemble des subventions.

M. Jacques Lacambre. Au départ, les PME adhérentes à Mov’eo avaient un lourd handicap, car l’industrie automobile est, comme on le sait, structurée en très grands groupes. D’autres pôles de compétitivité sont quant à eux constitués autour de PME.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Dans le secteur automobile, quelles sont les activités des PME ? La sous-traitance ?

M. Gérard Yahiaoui. C’est effectivement le cas de quelques-unes, mais il s’agit en majorité d’entreprises d’innovation : par exemple une société qui exploite le plus petit accélérateur de particules du monde pour changer les propriétés des matériaux. Les PME sont bien adaptées, face aux grands groupes, pour utiliser de telles innovations. Cela nous a conduits à créer Mov’eo Make or buy – la Lettre des PME du pôle de compétitivité Mov’eo –, un outil de communication qui vise à faire connaître, tous les trois mois, aux grands industriels, français notamment, les innovations prêtes à l’emploi. Il est en effet regrettable qu’ils ignorent souvent les productions, pourtant vendues à l’étranger, des PME françaises innovantes.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Combien de brevets avez-vous déposés ? Combien d’emplois avez-vous créés ?

M. Jacques Lacambre. Les brevets sont un de nos points faibles, car nous n’avons pas, pour l’instant, de retours systématiques. J’espère que nous aurons corrigé le tir d’ici à quelques mois.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Cela signifie-t-il que le processus soit très lent ?

M. Jacques Lacambre. Les pôles de compétitivité ont été créés pour labelliser des projets. Il y faut un semestre environ, puis un peu moins d’un an entre la labellisation et le moment où tous les contrats sont signés, et c’est alors que le projet démarre. Les projets labellisés il y a trois ans ont donc démarré il y a deux ans, et sur ceux-là nous n’avions pas de retours systématiques. Les nouveaux contrats signés avec les porteurs de projets établissent désormais clairement que le pôle est associé à toutes les phases de développement.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Qu’en est-il de la propriété intellectuelle ?

M. Jacques Lacambre. Le pôle ne gère pas cette question, mais chaque projet fait l’objet d’un contrat, dans lequel la propriété intellectuelle est un volet important.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous une unité de valorisation de la recherche ?

M. Gérard Yahiaoui. Pas encore. J’ai suggéré à la Caisse des dépôts et consignations la création d’un fonds destiné à aider les PME innovantes françaises à déposer des brevets dans les mêmes conditions que leurs homologues américaines.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le fait que le pôle Mov’eo compte en son sein les deux mastodontes que sont les principaux constructeurs automobiles français facilite-t-il les choses ? Sont-ils partageurs ?

M. Jacques Lacambre. Au cas par cas, nous ne rencontrons guère de difficultés en matière de propriété intellectuelle.

M. Gérard Yahiaoui. Nous sommes en train de réfléchir à une nouvelle charte, contenant une trame d’accord de consortium, qui sera systématiquement proposée aux partenaires désireux de monter un projet.

M. Jacques Lacambre. Les deux grands groupes automobiles français étant en compétition, ils n’ont évidemment pas envie d’ouvrir leur portefeuille de R & D stratégique à leur concurrent.

M. Alain Claeys, Rapporteur. N’est-ce pas un handicap ?

M. Gérard Yahiaoui. En pratique, non, car il est assez rare que les deux groupes participent à un même projet.

M. Jacques Lacambre. Pour certains projets, portant sur des activités qu’ils jugent « pré-compétitives », PSA et Renault s’investissent ensemble ou se tiennent au courant. Dans un souci de confidentialité, il arrive cependant qu’un industriel demande à ce que ses concurrents ne lisent pas son projet à des fins d’expertise.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quels avantages les grands groupes retirent-ils des pôles de compétitivité et des possibilités de financement ?

M. Jacques Lacambre. Franchement, à leur échelle, les possibilités de financement sont modestes.

M. Alain Claeys, Rapporteur. En deux ans, combien l’ANR a-t-elle apporté ?

M. Jacques Lacambre. Au total, 70 millions d’euros.

Pour les grands groupes, l’intérêt est double : s’appuyer sur un réseau de laboratoires et de PME ; concentrer des compétences sur des plates-formes afin de créer de l’excellence sur un sujet particulier.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Jugeriez-vous opportun d’accepter des acteurs privés au tour de table des pôles ?

M. Jacques Lacambre. Quand une innovation est susceptible d’être mise sur le marché et de générer un chiffre d’affaires rentable, il peut être opportun de mobiliser du capital privé sur les recherches. À cet égard, nous réfléchissons au développement des contacts avec des investisseurs.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Certaines de ces entreprises aspirent à entrer dans la gouvernance des pôles…

M. Jacques Lacambre. En tout cas à être à l’interface entre la fin de projet et la mise sur le marché.

Mme Sylvie Faucheux. La France accuse un vrai retard en matière de capital-risque et de business angels. PME, laboratoires publics et grands groupes, nous partageons tous cette préoccupation, dans la perspective de créations de start-up mais aussi dans une optique de formation.

M. Gérard Yahiaoui. Il manque vraiment un fonds d’investissement. Le mal français est le saupoudrage, qui s’explique par la difficulté à évaluer un projet technologique. Les fonds français sont peu nombreux, ils investissent peu et, quand ils investissent, c’est de petites sommes. Pour sécuriser les investissements, il faudrait créer un collège d’experts, regroupant tous les scientifiques d’un domaine, les grands industriels et de nombreuses PME.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Comment le rapprochement envisagé permettra-t-il à MTA de réaliser, sur son territoire, la même chose que Mov’eo ? L’opération a-t-elle un sens si les activités restent localisées sur deux territoires ?

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Comment vous organiserez-vous pour que les territoires bénéficient d’un « retour » tout en garantissant la compétitivité du pôle ?

M. Paul Rivault. La question est importante car il est possible que notre fusion, ou notre rapprochement, serve d’exemple pour d’autres pôles.

MTA est situé dans une petite région, pourvue d’un tissu industriel faible. Nos DAS étant extrêmement précis, très liés aux véhicules propres électriques et hybrides, une partie significative du potentiel de recherche de Poitou-Charentes était laissée de côté.

Le premier effet positif du rapprochement est que MTA devient l’ambassadeur des compétences du Poitou-Charentes en matière de recherche-développement vis-à-vis de PME industrielles extérieures à la région. Les possibilités de travail offertes aux laboratoires de Poitou-Charentes seront bien meilleures, notamment en matière de détonique, de motorisation et de combustion interne. Des actions concrètes ont d’ailleurs déjà débuté.

M. Jacques Lacambre. Des laboratoires de l’université de Poitiers travaillent sur des thématiques très concordantes avec les domaines d’activité de Mov’eo.

M. Paul Rivault. Les laboratoires, qui étaient demandeurs, se montrent satisfaits de l’ouverture en cours.

Sur les sites de La Rochelle et du Futuroscope, il est envisageable de travailler à la validation de nouveaux modèles de véhicules.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Toutes les collectivités locales se sont-elles fédérées autour de Mov’eo ?

M. Jacques Lacambre. Globalement, oui. Il est notamment intéressant que nous ayons été conçus à l’échelle de trois régions. Au départ, les laboratoires normands craignaient que l’Île-de-France n’accapare tout ; deux ans et demi plus tard, ils constatent que leurs compétences sont reconnues, que leur place dans le dispositif est claire et qu’ils en ont tiré des bénéfices importants. Le même phénomène aura lieu en Poitou-Charentes, je suis à cet égard extrêmement confiant.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour obtenir des retombées sur un territoire, il faut donc adopter une démarche dépassant ce territoire ?

M. Jacques Lacambre. Dans les domaines de l’automobile et des transports, les industries sont globales. Une organisation n’a donc un avenir que si elle se montre excellente. En conséquence, l’existence d’un pôle appuyé sur un tissu territorial constitue un atout dans les deux sens : nous puisons dans les compétences locales et nous facilitons leur accès à un réseau global.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. La constitution d’un pôle unique devrait protéger les implantations locales. La situation précédente était peut-être dangereuse.

M. Paul Rivault. Non.

M. Jacques Lacambre. Sur les thématiques, il aurait pu y avoir un problème.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le fait est que les deux pôles n’avaient ni la même maturité ni les mêmes dimensions.

Estimez-vous que la France, entre la recherche fondamentale et les applications technologiques, souffre d’une faiblesse en matière de financement de la modélisation ?

Mme Sylvie Faucheux. Oui, mais les torts sont partagés et les pôles de compétitivité peuvent contrecarrer le problème. Ils créent une culture de mise en relation : les laboratoires publics, qui se sont longtemps intéressés à la recherche fondamentale sans se préoccuper de ses retombées, raisonnent désormais aussi en termes d’utilité technique et sociale de leurs recherches. Simultanément, alors que les grands groupes industriels, et plus encore les PME, éprouvaient des difficultés à entrer dans les grands laboratoires de recherche fondamentale publique, les pôles de compétitivité fluidifient le système.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le financement est-il au rendez-vous ?

Mme Sylvie Faucheux. Oui. Mais l’un des problèmes français est l’insuffisance de docteurs dans l’industrie.

M. Alain Claeys, Rapporteur. C’est une évidence. J’avais d’ailleurs présenté un amendement sur le sujet, mais sans parvenir à le faire adopter.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Les chiffres montrent que les grandes écoles fournissent davantage de docteurs à l’industrie que les universités.

Mme Sylvie Faucheux. La délivrance de doctorats par les grandes écoles est très récente ! Les docteurs de l’université sont formés pour rester dans le secteur public. Aux États-Unis, où n’existe pas cette dichotomie entre universités et grandes écoles, le passage entre l’entreprise et le secteur public, entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée, est beaucoup plus aisé. Les pôles de compétitivité peuvent aider à résoudre le problème français.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Deux problèmes doivent être résolus : la place des grandes écoles dans l’enseignement supérieur et la valorisation de la fonction de docteur.

Mov’eo mis à part, quelles relations entretenez-vous avec les pôles de compétitivité ?

Mme Sylvie Faucheux. Avec les autres gros pôles, les rapports sont inégalitaires. Je l’ai dit, ils viennent « faire leur marché » : les grands groupes industriels qui y adhèrent définissent seuls les thématiques de recherche et font appel à tel ou tel. Dans le cadre de Mov’eo, au contraire, les thématiques de recherche ont été construites de concert. En outre, Mov’eo est le seul pôle à s’être préoccupé d’emblée des questions de labellisation des formations. Enfin, je suis vice-présidente de Mov’eo, alors qu’aucun président d’université n’occupe cette fonction dans aucun autre pôle.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Qu’attendez-vous de la signature prochaine de votre contrat de performance avec l’État ?

M. Jacques Lacambre. Je reviens sur les confrontations entre MTA et Mov’eo, qui auraient pu intervenir faute de rapprochement. L’industrie automobile s’intéresse à l’électrification de la propulsion ; or MTA avait pressenti cette évolution et Mov’eo n’aurait pu rester à l’écart. Il en va de même pour l’étude du système réunissant transport individuel et transports collectifs. Dans ces deux domaines, le regroupement des forces est de loin préférable.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le fait que les pôles offrent aux entreprises un accès à des infrastructures, comme le laboratoire d’essai du pôle MTA, dans des conditions très favorables ne risque-t-il pas d’être considéré comme une entrave à la concurrence ?

M. Jacques Lacambre. Je ne le pense pas. Que les équipements soient publics ou privés ne change pas réellement les conditions de concurrence. Sur le site de Versailles-Satory, nous avons un projet de plateforme pour les véhicules électriques et hybrides. Les deux constructeurs français, qui étaient partis pour s’équiper chacun de son côté, se sont entendus : ils s’informeront respectivement un petit peu sur les moyens développés en propre, détermineront les moyens mis en œuvre sur la plateforme et seront clients de celle-ci pour les activités qu’ils souhaiteront. Mais cette plate-forme ne fonctionnera pas uniquement à leur profit : elle servira aussi aux laboratoires et aux PME. Je ne crois donc pas que les intérêts des différents acteurs du pôle entreront en conflit.

M. Paul Rivault. Pour que la fusion entre les deux pôles soit homothétique, MTA a prévu de séparer les activités laboratoire d’essai et projet. Nous travaillons actuellement à une solution indépendante et rentable pour notre laboratoire d’essai, à l’instar de celui de Mov’eo.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Au vu du classement qui a été opéré par le rapport d’audit, serait-il envisageable de retirer le label à certains des treize pôles de compétitivité ?

M. Jacques Lacambre. Ma réponse ne pourra être que personnelle.

Quand un secteur atteint une masse critique suffisante sur un territoire, il est utile que les entreprises et les laboratoires puissent s’appuyer sur un pôle de compétitivité coordonnant les initiatives ; c’est une condition pour avoir une chance d’émerger parmi les vainqueurs dans la compétition mondiale. Il faut combiner les deux dimensions : mettre sur pied un dispositif de communication entre acteurs de la recherche et de l’entreprise sur un ensemble de thématiques correspondant à une masse critique d’activités économiques ; assurer une coordination, voire une concentration de moyens, thème par thème ou filière industrielle par filière industrielle.

M. Serge Gregory. C’est le cas pour les pôles automobiles.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quels indicateurs avez-vous retenus pour évaluer les résultats de Mov’eo en matière de création d’emplois ?

M. Jacques Lacambre. Nous n’avons pas été suffisamment bons, jusqu’à présent, pour mettre en évidence la création d’activités économiques. Nous devrons faire mieux, à la fois pour aider nos adhérents et pour disposer d’indicateurs pertinents de notre valeur ajoutée.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le pôle Mov’eo a-t-il bénéficié du plan de relance automobile ?

M. Jacques Lacambre. J’espère qu’il en bénéficiera, notamment sur les plateformes. Cela dit, nous continuons à présenter de plus en plus de projets, mais je ne suis pas sûr que les crédits actuels permettront de les financer.

Les pôles de compétitivité sont également engagés dans l’action internationale, en particulier au niveau européen. Il est intéressant de confronter le concept de cluster aux réalités de terrain des différents pays.

M. Alain Claeys, Rapporteur. « Cluster » et « pôle de compétitivité » désignent-ils la même chose ?

M. Jacques Lacambre. Je ne saurais donner une définition précise du « cluster » ! Mais je sais ce qu’est un « pôle de compétitivité » : un ensemble d’acteurs travaillant ensemble pour générer des projets. Il ne s’agit donc pas d’un « cluster », si ce n’est au regard de la concentration géographique de compétences et de la synergie locale entre acteurs avec, notamment, l’instauration d’un climat de confiance et la mise en place de circuits de financement.

Les pôles de compétitivité peuvent et doivent contribuer à l’émergence de clusters. En Allemagne, les universités, les laboratoires de recherche et les entreprises travaillent depuis des décennies dans un esprit comparable à celui de nos pôles de compétitivité, avec lesquels nous essayons de rattraper notre retard. En retour, les Allemands songent à s’inspirer de certains aspects de nos pôles de compétitivité.

Les résultats s’apprécient sur la durée car les liens de confiance se construisent à partir des succès partagés.

M. Georges Tron, Président. Madame, messieurs, je vous remercie.

Audition du 12 mai 2009

À 18 heures 10 : M. Jean-Luc Ansel, directeur général du pôle Cosmetic Valley.

Présidence de M. Georges Tron, Président

M. Georges Tron, Président. Nous recevons maintenant M. Jean-Luc Ansel, directeur général du pôle Cosmetic Valley.

La Mission d’évaluation et de contrôle travaille de façon non partisane. Les trois rapporteurs appartiennent à la majorité et à l’opposition. L’un d’entre eux, M. Pierre Lasbordes, est membre, non pas de la commission des Finances, mais de celle des Affaires économiques. La Cour des comptes assiste à l’ensemble de nos travaux. Aujourd’hui, son représentant, M. Yves Marquet, ne s’exprimera pas, la Cour n’ayant pas achevé un contrôle sur les pôles de compétitivité.

M. Jean-Luc Ansel, directeur général du pôle Cosmetic Valley. Cosmetic Valley est d’abord un réseau, créé en 1994 à la demande des chefs d’entreprise. Certains d’entre eux, qui sous-traitaient dans d’autres régions françaises ou à l’étranger, se sont dit que la région comptait sans doute des entreprises capables de répondre à leurs demandes, d’autant que le parfumeur Guerlain y est implanté.

La démarche résulte d’une réflexion sur l’utilisation des réseaux comme outils de développement économique. Je me suis aperçu que, lorsque j’étais chef d’entreprise, je ne connaissais pas mes voisins et que je ne travaillais pas en synergie avec eux.

J’ai visité les districts italiens, ainsi que The Right Place à Grand Rapids, aux États-Unis ; ce sont là des associations au sein desquelles des entreprises se sont regroupées pour être plus efficaces.

Nous avons d’abord recensé tout ce qui touchait à la parfumerie et aux cosmétiques : ce secteur est structuré en une filière verticale réunissant les agriculteurs, les fabricants de principes actifs à partir des plantes, et les acteurs du packaging, spécialistes de l’injection plastique, dont le chiffre d’affaires en relation avec la parfumerie est significatif. J’étais à l’époque responsable du développement économique du département. Nous avons découvert l’existence d’un solide tissu et avons créé une association destinée à créer des synergies de proximité entre les entreprises. Réunir ainsi des acteurs, et faire vivre un tel dispositif crée une dynamique et une image de marque.

Notre action s’est poursuivie par un accompagnement de ces entreprises dans leurs efforts d’exportation. Nous avons réuni des PME pour participer à des salons, à Hong Kong, Dubaï ou ailleurs. Nous avons construit pour Cosmetic Valley l’image d’un centre de ressources important dans le secteur de la parfumerie et des cosmétiques, ce qui était d’autant plus facile que nous n’avions pas de concurrents. Des groupements d’employeurs se sont créés. Puis est arrivé l’appel à projet pour les pôles de compétitivité. Nous n’avions pas encore établi de liens avec les universités, ni dépassé l’échelle du département. Nous avons alors pu développer de nouvelles missions, trouver de nouveaux partenaires, et ainsi accroître fortement notre efficacité.

Aujourd’hui, notre association est considérée par la profession comme le premier centre mondial de ressources dans les métiers de la parfumerie et des cosmétiques.

Notre action se décline en quatre axes stratégiques.

Premier axe : la Cosmetic Valley doit pouvoir offrir tous les savoir-faire demandés par une entreprise du secteur. C’est une stratégie de développement de réseau.

Deuxième axe : la recherche. Grâce à Cosmetic Valley, une entreprise qui recherche des compétences va rencontrer des laboratoires tirés par le dynamisme du secteur de la cosmétique. Aujourd’hui cinq universités, bientôt six, sont membres du réseau ; 188 laboratoires de recherche leur sont attachés. Le réseau attire de plus en plus d’universités.

Troisième axe : la formation. Géographiquement, le pôle va de Cergy-Pontoise à Tours. En sont membres des centres de formation, dont l’Institut supérieur international du parfum, de la cosmétique et de l’aromatique alimentaire (ISIPCA) de Versailles, reconnu mondialement dans le monde de la parfumerie cosmétique, et l’Institut des métiers et des technologies (IMT) de Tours, positionné à l’origine sur la pharmacie mais qui, eu égard à la conjoncture, s’oriente avec nous vers la cosmétique – celle-ci représente désormais 25 % à 30 % de son chiffre d’affaires. Comme pour la recherche, la stratégie consiste à fédérer les organes de formation et à développer une offre cohérente.

Quatrième axe : les territoires. Nous voulons montrer que nos territoires sont dynamiques, accueillent les entreprises, créent des synergies, que s’y s’affirme une excellence particulière, qu’il y fait bon de s’y implanter, et que les entreprises peuvent y trouver à la fois des compétences pour se développer et une réflexion stratégique pour diriger leur action.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quelle utilité peut avoir, pour des marques mondialement connues, une participation à un pôle de compétitivité ?

M. Jean-Luc Ansel. C’est fondamentalement aux PME que j’ai l’impression d’apporter un appui fort. C’est pour elles qu’il faut travailler. La plupart ont moins de 10 salariés.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Ces PME travaillent avec de grands groupes ?

M. Jean-Luc Ansel. Pas systématiquement. Lorsqu’elles participent avec nous à des salons internationaux, comme chaque année à Hong Kong depuis 1997, ces PME ont pour objectif, non de repérer de grands groupes avec qui travailler, mais de se donner la capacité de vendre directement leurs produits.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quelle est la place des PME dans Cosmetic Valley ? Dans quels domaines effectuent-elles de la recherche et développement (R&D) ?

M. Jean-Luc Ansel. Certaines, qui proposent des produits cosmétiques pour le public, cherchent des distributeurs qui tireront argument du caractère français de leur produit. Pour les PME il s’agit plus de pousser l’innovation en fonction des marchés.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quelles sont les relations entre ces PME et les grands groupes ?

M. Jean-Luc Ansel. Certaines PME travaillent pour de grands groupes, d’autres vendent directement à des distributeurs, et d’autres encore mettent en œuvre, selon les produits, l’une ou l’autre démarche. Les PME ne sont pas systématiquement liées à de grands groupes.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Des PME travaillent donc sur des projets de recherche avec des instituts ou des laboratoires ?

M. Jean-Luc Ansel. Pour obtenir un soutien du Fonds unique interministériel (FUI), un projet de recherche doit mobiliser au moins 1,5 million d’euros. Les financements du FUI ne s’adressent donc pas aux PME, mais aux grands groupes. C’est quand elles sont associées à de grands groupes que des PME entrent dans ces programmes de recherche.

Il faudrait orienter les PME de dix ou quinze salariés vers de tout petits projets novateurs : elles n’ont absolument pas les moyens d’entrer dans des programmes de recherche où elles seraient associées à des laboratoires.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Une évaluation de l’impact du pôle Cosmetic Valley sur l’emploi a t-elle été conduite ? Les chiffres semblent impressionnants : 5 000 emplois créés depuis 1994, dont 1 942 depuis 2005. Ces emplois sont-ils tous liés à l’existence du pôle de compétitivité ?

M. Jean-Luc Ansel. Sans la création du pôle, la dynamique de création d’entreprises ne se serait sans doute pas développée.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. La particularité du pôle Cosmetic Valley est d’avoir pour origine les PME, et l’activité économique plus que la recherche. À partir du moment où les grands noms de la parfumerie y sont présents, une entreprise qui ne fait pas partie du club est moins connue. Un label Cosmetic Valley s’est ainsi créé. Dès lors, les grandes marques ont intérêt à être implantées dans le territoire du pôle.

Le travail réalisé par les promoteurs du pôle était difficile : à l’origine des produits de la parfumerie et de la cosmétique, il y a des secrets de fabrication, comme dans le pôle de Grasse, où s’élaborent les essences.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous engagé des coopérations avec le pôle de Grasse ?

M. Jean-Luc Ansel. Oui. Nous avons signé une convention. Notre pôle vient de participer au salon de Munich, et nous avons accueilli le pôle de Grasse parmi nos exposants.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quand la convention a-t-elle été signée ?

M. Jean-Luc Ansel. En février ou mars 2009.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quel est son contenu ?

M. Jean-Luc Ansel. L’objectif des signataires est de bien connaître les entreprises et les laboratoires de recherche de l’autre pôle, de façon à faire de la fertilisation croisée. L’un des moyens consiste à accueillir les entreprises du pôle de Grasse dans les salons auxquels nous participons : participer à un salon, c’est passer trois jours ensemble, connaître les entreprises, les associer aux universités qui sont nos partenaires.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Ces deux pôles ne pourraient-ils pas être fondus en un seul ?

M. Jean-Luc Ansel. En effet. Nous présentons Cosmetic Valley comme le premier centre de ressources au monde dans les métiers de la parfumerie et des cosmétiques. Cependant, la composante « formulation de parfum » relève en fait du seul pôle de Grasse. Si les grands fabricants de parfums sont implantés autour de Paris, à Chartres ou Orléans, la formulation du parfum, qui représente une petite partie du cycle, est historiquement l’affaire de Grasse. Entre Cosmetic Valley et Grasse, il s’agit, non pas de concurrence, mais de complémentarité. Notre coopération avec le pôle de Grasse devrait se développer.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. L’existence de deux pôles n’a donc pas de raison d’être ?

M. Jean-Luc Ansel. Non, mais l’animation d’un pôle et la connaissance des entreprises qui en font partie sont cruciales. À Grasse, cette fonction est assurée sur place. Si tel n’était pas le cas, le pôle Cosmetic Valley n’y aurait pas de correspondant. D’où l’importance d’un pôle, ou plutôt d’un « sous-pôle », local.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Eu égard à la notoriété et à la dimension économique des marques partenaires du pôle que vous animez, pourquoi celui-ci n’est-il pas classé comme pôle de niveau mondial ?

M. Jean-Luc Ansel. Au cabinet de la ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi, à la différence de la construction aéronautique, ferroviaire ou des nanotechnologies, la cosmétique fait sourire. Notre secteur est pourtant le deuxième créateur d’excédent commercial en France, avec 7,8 milliards d'euros d’excédent pour 11 milliards d'euros d’exportations. Nous réclamons sans cesse notre classement comme pôle mondial. Je reviens de Colombie : pendant mon séjour, l’équivalent local de l’Express, Dinero, a consacré à notre pôle un reportage très positif de quatre pages.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Le classement des pôles a été largement validé par l’audit réalisé par le Boston Consulting Group.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le critère de classification des pôles retenu a été le nombre de chercheurs. Or le pôle Cosmetic Valley, quelle que soit sa force à l’international, est beaucoup plus orienté sur la production et les affaires.

Le classement comme pôle mondial doit-il se fonder sur la recherche ou sur la force commerciale ? Dans ce dernier cas, Cosmetic Valley serait certainement le premier pôle de compétitivité français.

M. Georges Tron, Président. Votre accession au statut de pôle de compétitivité a-t-elle modifié l’attitude des hauts fonctionnaires du ministère des finances à votre égard ?

M. Jean-Luc Ansel. Oui. La labellisation nous permet d’être désormais écoutés. Elle a aussi permis la création d’une structure relativement indépendante, dont la dimension dépasse les frontières administratives, et dont la visibilité est mondiale.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Comment la gouvernance du pôle est-elle organisée ?

M. Jean-Luc Ansel. Un comité de pilotage se réunit tous les trois mois. Cette réunion est systématiquement précédée de celle d’un comité technique, formé des représentants des collectivités. L’association est constituée de deux collèges, un pour les entreprises et un autre pour la recherche et la formation.

Le comité de pilotage, qui se réunit tous les trois mois, ne se réunit jamais sans la présence des représentants des financeurs, c’est-à-dire, pour l’essentiel, des collectivités locales. Chacune de ses réunions est, elle aussi, systématiquement précédée de la tenue d’un comité technique.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous demandez que votre pôle soit classé pôle de niveau mondial dans le domaine de la biodiversité. Quels sont vos arguments en faveur d’un tel classement ?

M. Jean-Luc Ansel. Nous sommes porteurs des grands noms mondiaux et du « Made in France ». Nous n’avons pas d’équivalent dans le monde. Nous avons par ailleurs une démarche mondiale. Le monde de la cosmétique est sans cesse à la recherche de nouveaux principes actifs. Beaucoup restent à découvrir. Ainsi, par exemple des plantes colombiennes sont méconnues et existent sur 3 écosystèmes : le Chocó, l’Amazonie, les plateaux andins – où on peut trouver des plantes spécifiques, endémiques et nouvelles. Ces plantes ne sont quasiment ni étudiées, ni travaillées.

Nous souhaitons proposer une offre à des pays comme la Colombie et le Togo, où nous nous appuyons sur les centres de recherche et les universités locales – quitte à effectuer quelques transferts de technologie – pour proposer de nouveaux principes actifs. Nous essayons de créer sur la biodiversité un hub mondial fédérant l’ensemble des pays avec lesquels nous sommes en relation – Syrie, Togo et Colombie, par exemple. Notre objectif est, pour alimenter nos entreprises en nouveaux principes actifs, de conduire des projets concrets dans ces pays, en collaboration avec eux. Un stagiaire travaille actuellement, sur place, à recenser la pharmacopée cosmétique togolaise. Nous construisons ainsi avec les Togolais une offre spécifique.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. La recherche en cosmétologie pourrait donc être conduite un peu partout dans le monde ?

M. Jean-Luc Ansel. S’agissant des matières premières, assurément.

Notre démarche fait que nous sommes très écoutés dans ces pays. Nous allons sans doute lancer un projet de recherche sur les plantes du désert syrien.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les questions de propriété intellectuelle doivent être épineuses…

M. Jean-Luc Ansel. Nous n’avons pas encore atteint ce stade. Il n’est pas sûr que les difficultés soient aussi grandes qu’on l’imagine : dans les rapprochements que nous avons travaillé à favoriser, le règlement des questions de propriété industrielle s’effectue plutôt bien. Notre métier est de fédérer les entreprises et de les aider à monter des dossiers ; à elles de régler les questions qui les concernent seules. Les débuts ont été un peu difficiles entre entreprises et universités, mais les difficultés ont par la suite été aplanies.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Que l’université s’intéresse à la propriété intellectuelle est plutôt bon signe.

M. Jean-Luc Ansel. En effet. Aujourd’hui, nous connaissons très mal les laboratoires. En les visitant, nous découvrons des richesses que nous ne soupçonnions pas.

La difficulté est de monter des projets associant des laboratoires et des PME. Ainsi, nous avons découvert le laboratoire « Gremi » qui travaille sur le plasma. Or, le plasma, c’est la capacité de produire des poudres, des décors innovants spécifiques, de créer des revêtements très particuliers. Nous avons donc décidé d’inciter de petites PME innovantes à travailler dans ce domaine. Cependant, le chiffre d’affaires de telles PME est de 300 000 euros par an. L’un des projets de recherche que nous avons lancés, pour recouvrir des tuyauteries, représente à lui seul plus de 1,5 million d’euros. Le coût d’un simple laboratoire est de 300 000 euros. Ces montants dépassent les capacités des entreprises de cette taille. Au bout d’un an, nous avons donc imaginé un montage où les laboratoires ne seraient pas financés par les entreprises, lesquelles n’interviendraient qu’ensuite.

À Versailles, j’ai découvert auprès d’un laboratoire travaillant dans le domaine de la résonance magnétique nucléaire que celle-ci pouvait permettre, grâce à l’analyse des cristaux d’une crème, de déterminer précisément où le produit avait été fabriqué, et donc s’il s’agissait ou non d’une contrefaçon.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Dans une réponse au questionnaire que nous vous avons fait parvenir, vous affirmez que « le pôle ne doit pas être une machine à sortir des projets de recherche financés. Il doit s’inscrire dans un cadre plus large de développement économique du territoire, de lobbying et d’image ». Les deux fonctions ne sont pourtant pas contradictoires. Il est vrai que vous ajoutez : « Je pense que se limiter à cet aspect – les projets de recherche financés – ne participe pas au développement de nos PME et profite essentiellement à de grosses entreprises. » Les PME n’ont-elles donc pas la possibilité de s’inscrire dans de tels projets ?

M. Jean-Luc Ansel. On peut constater à la lecture de la presse que la mesure de la performance d’un pôle se fonde sur la comptabilisation des projets financés par le FUI. Le montant d’un projet éligible au FUI devant être au moins de 1,5 million d’euros, les PME, à moins qu’elles ne soient sous-traitantes d’une société importante, en sont éliminées. Les pôles se valorisent grâce aux projets de recherche financés auprès de grandes entreprises. Or beaucoup de travail est à faire en faveur des PME. C’est la force de notre réseau que de s’y atteler.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Rencontrez-vous des difficultés pour rendre vos projets de recherche éligibles à l’Agence nationale de la recherche (ANR) ?

M. Jean-Luc Ansel. Dans le domaine de la cosmétologie, aucune thématique n’est éligible à l’ANR. Il nous est cependant possible de répondre sur des thématiques autres que cosmétologiques. À cette fin, nous pouvons fédérer de grandes entreprises. Notre secteur est porteur d’une image très forte, celle du « Made in France ». Dans les salons à l’étranger, c’est un argument de vente essentiel pour nos PME. Or, cette image n’est pas appuyée par l’État. Une action doit pouvoir être conduite dans ce domaine. Pour moi, le cœur d’un pôle, ce ne sont pas les projets de recherche, mais c’est la connexion créée entre les entreprises, les laboratoires, les universités, ainsi que le travail sur l’image et la réputation du pôle lui-même.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quelles thématiques avez-vous proposé à l’ANR pour vous inscrire dans ses financements ?

M. Jean-Luc Ansel. Nous lui avons proposé des thématiques sur la peau, sans succès à ce jour. En Asie, l’éclaircissement de la peau constitue un marché considérable. Avec une société très reconnue, Solabia, nous avons proposé un projet, qui a été refusé car relevant du secteur pharmaceutique ! Ce marché relève pourtant bien de la cosmétique.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Comment différencie-t-on ce qui relève de la pharmacie et de la cosmétique ?

M. Jean-Luc Ansel. La cosmétique, c’est le bien-être ; les produits cosmétiques sont ceux qui ne pénètrent pas dans la peau, ni donc dans le sang. La cosmétique soignant par le bien-être, j’aimerais pouvoir lancer un projet de recherche sur ses effets psycho-somatiques.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Si, demain, le pôle Cosmetic Valley devenait un pôle mondial, quels bénéfices pourrait-il en tirer ?

M. Jean-Luc Ansel. D’abord, nous serions mieux considérés.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous nous avez dit cependant que la vision qu’ont les ministères de la cosmétique avait changé depuis votre labellisation comme pôle.

M. Jean-Luc Ansel. C’est vrai. Cependant, la transformation du pôle en pôle mondial reconnaîtrait une discipline et inciterait l’ANR à voir d’un autre œil la recherche cosmétologique.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Une clé de la transformation en pôle mondial pourrait-elle être le regroupement avec le pôle de Grasse ?

M. Jean-Luc Ansel. Certes, mais nous devons nous en tenir à notre optique, qui est de jouer la proximité. En revanche, la place existe pour une association forte de pôles.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. La ville de Chartres accompagne le pôle : nous avons institué la fête du parfum, nous avons créé les « chemins de senteur », et nous fleurissons la ville. Nous avons aussi accordé des locaux à la Cosmetic Valley, face à la cathédrale. Un show room va être mis en place : ce sera certainement le plus grand magasin de cosmétique au monde, avec le plus grand nombre de clients – 1,5 million de personnes visitent la cathédrale chaque année. La vie du pôle et celle de la cité se mêlent.

M. Jean-Luc Ansel. Pour crédibiliser Cosmetic Valley, chacun de ses territoires doit développer une stratégie spécifique en ce qui concerne tant les réseaux que la recherche et la formation. Nous travaillons à les y aider. Il faut rendre cohérentes les formations existantes, notamment spécialisées, et développer leur caractère international.

Chaque territoire doit se sentir propriétaire d’une excellence particulière. Dans l’Eure, sont installés le département génie et conditionnement de l’emballage d’un IUT, des sociétés spécialisées dans l’emballage, qui offrent chacune de 2 000 à 3 000 emplois, et de très nombreux professionnels de l’injection plastique. Nous expliquons donc que l’Eure doit valoriser l’emballage comme domaine d’excellence particulier. À notre instigation, le département organise régulièrement un congrès spécifique sur les thèmes de l’emballage, du luxe et de la beauté. Ainsi est créé un lieu de rencontre et de visibilité particulière. Un groupe de travail que nous avons créé, doté d’un animateur, travaille aussi sur la prospective stratégique de ce secteur dans les cinq ou dix prochaines années et propose des voies d’adaptation (plateforme, formation, recherche…).

En Indre-et-Loire, nous mettons l’accent sur le sensoriel. Un congrès, organisé par nos soins, va se tenir bientôt. Nous avons élaboré un projet de plate-forme dans ce domaine. Dans le Loiret, nous travaillons à valoriser la formulation autour du cosmétique. Nous réfléchissons à la création d’un laboratoire spécifique. Depuis 1997, Chartres est le rendez-vous, sinon international, du moins européen, pour la réglementation. Les congrès sur ce thème y réunissent de 400 à 500 personnes.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Longtemps, le président d’honneur de l’association Parfums cosmétiques a été M. Jean-Paul Guerlain.

M. Jean-Luc Ansel. Lorsque nous avons créé l’association, nous lui avons demandé d’en être le président. Son acceptation a eu un effet fédérateur.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le pôle peut être à l’origine de la création de nouvelles filières de formation et de nouveaux métiers, qui aujourd’hui se pratiquent de façon informelle. À Chartres, je suis saisi de demandes en ce sens.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quelle est l’agence chargée du suivi de la réglementation du secteur des cosmétiques ?

M. Jean-Luc Ansel. Il s’agit de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS).

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Quelles seraient vos demandes ?

M. Jean-Luc Ansel. Notre principale difficulté réside dans la visibilité de notre financement. Le pôle a un rôle de développement économique. L’activité de revente de services que nous essayons de mettre en place est vraiment accessoire. Il n’est pas possible à la fois d’animer un tissu de PME et de gagner de l’argent avec ce tissu. Même si nous atteignons 200 ou 300 membres, nous ne pourrons jamais financer une équipe de huit personnes avec les seuls services que nous vendons.

Le réseau des entreprises constitue le premier financeur du pôle. Celui-ci reçoit cependant aussi des financements d’une vingtaine de collectivités locales. Au début, chacun a contribué au lancement du pôle, mais l’État a prévenu que, dans trois ans, ses financements seraient réduits de moitié. Certains financements départementaux diminuent aussi. Ces évolutions sont dues, non au fait que l’équipe du pôle travaillerait mal, mais aux ressources. Pour y faire face, la solution consiste à augmenter le nombre des partenaires du pôle, mais la stratégie a ses limites. Si, tous les deux ou trois ans, le pôle est remis en cause, il ne pourra plus avoir de stratégie d’image à long terme.

Enfin, l’État ne doit pas se désengager du « Made in France », qui est un argument stratégique de vente pour nos PME.

M. Georges Tron, Président. Monsieur Ansel, nous vous remercions.

Audition du 27 mai 2009

À 16 heures 15 : M. Joseph Grimaud, président du pôle Enfant, et M. Patrick Blondeau, directeur général.

Présidence de M. Georges Tron, Président

M. Georges Tron, Président. Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui M. Joseph Grimaud, président du pôle Enfant, et M. Patrick Blondeau, directeur général.

Messieurs, la Mission vous accueille aujourd’hui dans une formation inhabituelle, puisque ce seront les deux coprésidents qui vous entendront. Je souhaite présenter les excuses de nos rapporteurs, que des empêchements ne permettent pas d’être présents. En tout état de cause, nous représentons l’un la majorité, l’autre l’opposition, ce qui, conformément aux règles usuelles de la MEC, manifeste le caractère non partisan de nos travaux.

La MEC bénéficie traditionnellement de la participation de la Cour des comptes, et je remercie de sa présence M. Jean-Yves Marquet, conseiller référendaire à la deuxième chambre. Je précise que la Cour reste muette durant nos entretiens puisqu’elle a un contrôle en cours sur les pôles de compétitivité et que son rapport n’est pas encore contredit.

La Mission souhaite recueillir le point de vue de responsables de pôles, sur les réussites de l’expérience vue de l’intérieur et sur ses voies d’amélioration.

Nous avons été attentifs au fait que le pôle Enfant – sur lequel nous avons reçu une lettre du député-maire de Cholet –, dans l’audit rendu en juin 2008, était classé dans la catégorie des pôles n’ayant pas suffisamment atteint leurs objectifs.

Pour présenter les principales caractéristiques de ce pôle et connaître les corrections apportées depuis l’audit, qui vous permettront de sortir de cette « zone rouge », je vous propose donc que nous regardions le document visuel que vous avez préparé, avant d’engager la discussion.

M. Joseph Grimaud, président du pôle Enfant. Merci de nous avoir invités et de nous recevoir.

Je suis le président du pôle Enfant depuis sa naissance. En tant que directeur général, Patrick Blondeau vous en expliquera le fonctionnement. Je vais vous parler de la genèse de ce pôle un peu particulier.

Le pôle Enfant est né au sein de la chambre de commerce et d’industrie de Cholet, qui elle-même n’existe plus à la suite de la fusion des trois chambres du département Maine-et-Loire : Saumur, Angers et Cholet. J’étais président de la CCI de Cholet et suis aujourd’hui vice-président de la chambre du Maine-et-Loire.

Avant même les années 2000, la chambre de commerce et d’industrie de Cholet a réfléchi aux pôles d’excellence susceptibles d’être diagnostiqués dans le Grand Choletais. Après une longue période pendant laquelle le textile et la chaussure firent les beaux jours de tous nos villages du sud du Maine-et-Loire et du nord de la Vendée, puis après les importantes délocalisations opérées dans ces métiers de main-d’œuvre, nous avons rapidement constaté qu’un certain nombre d’entreprises travaillaient partiellement ou totalement sur des produits autour de l’enfant et représentaient 10 000 emplois dans la région choletaise. Nous avons alors commencé à créer une dynamique entre les entreprises de différents secteurs professionnels travaillant toutes autour de l’enfant, par le biais de journées d’expertise, de rencontres, de clubs d’entrepreneurs, pour les sensibiliser sur l’enjeu et la chance qu’elles pouvaient avoir à se regrouper. En 2004-2005, lorsque l’État a lancé l’idée des pôles de compétitivité, nous avons eu le culot de postuler. En juillet 2005, à notre grand bonheur, le pôle Enfant figurait parmi les 65 pôles labellisés.

À cette époque, le pôle Enfant était toujours piloté par la chambre de commerce et d’industrie de Cholet.

Début 2008, nous avons été audités par un cabinet que vous connaissez. C’était la période où nous fusionnions nos trois chambres du Maine-et-Loire, et le directeur de la chambre de Cholet, animateur du pôle Enfant pour la partie opérationnelle, postulait pour le poste de directeur de la chambre départementale. Vous le comprendrez : lors de l’audit, nous n’étions pas du tout dans de bonnes conditions, ce qui explique que nous n’avons pas récolté les points espérés.

À l’époque, nous avions déjà pris en considération les futurs besoins du pôle Enfant et, avec l’accord du conseil général du Maine-et-Loire et du président de la région, nous avons trouvé le financement pour recruter un directeur – pièce maîtresse pour animer à la fois les équipes, les entreprises et le projet même d’un pôle. C’est ainsi que j’ai recruté Patrick Blondeau, arrivé au mois de mars 2008.

Nous avions identifié une quarantaine d’entreprises pouvant, d’emblée, être membres du Pôle Enfant – ce nombre est aujourd’hui supérieur.

Aujourd’hui, notre équipe est restreinte en termes d’animation du pôle, mais Patrick Blondeau fait un excellent travail avec sa petite équipe. Nous avons toujours, et plus que jamais, l’appui de la DRIRE, du département et de la région et, depuis peu, celui de l’agglomération de Cholet. Au départ, votre collègue nous avait regardés avec un air curieux : le pôle Enfant n’était pas son projet, nous disait-il. Il fallait qu’il épouse le projet que la collectivité préparait pour cette région. Par notre sérieux, par notre travail, nous avons démontré que nous pouvons apporter à la collectivité quelque chose d’intéressant.

En conclusion, au moment de l’audit, notre dynamique n’était pas suffisante, mais, entre fin 2007 et aujourd’hui, nous avons fait des progrès et nous pouvons encore faire mieux.

Patrick Blondeau va vous présenter les activités actuelles du pôle et vous démontrer que, à présent, nous travaillons bien.

M. Georges Tron, Président. Pouvez-vous nous en dire plus sur les conditions dans lesquelles a été réalisé l’audit ?

M. Joseph Grimaud. Elles étaient très défavorables. La création de la chambre unique du département n’a pas été une mince affaire. La CCI de Cholet était libre de se regrouper ou non mais, par sagesse politique en ce début du XXIe siècle, la décision a été prise. Mon directeur et moi-même avons été totalement accaparés par ce travail, et l’audit du pôle Enfant a souffert de notre indisponibilité pendant cette période.

M. Georges Tron, Président. Vous considérez que c’est la cause de votre déconvenue ?

M. Joseph Grimaud. En partie : le pôle Enfant ne disposait pas d’une équipe totalement attitrée et son activité dépendait donc de la disponibilité du réseau consulaire. Aujourd’hui, nos tâches sont réparties de façon très claire et sans conflit entre les équipes de la CCI et l’équipe du Pôle Enfant. Si je suis président du pôle Enfant, je ne le suis plus de la CCI de Cholet.

M. Patrick Blondeau, directeur général du pôle Enfant. Même s’il est né à Cholet, le pôle Enfant réunit des adhérents de l’ensemble de la région Pays de la Loire et même au-delà. C’est un des sept ou huit pôles ligériens actuellement en activité. Son slogan, « Innover pour mieux grandir », est tourné vers les entreprises.

Les partenaires financiers qui soutiennent aujourd’hui le pôle sont l’État en région à travers la Direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement, maintenant Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), la région Pays de la Loire – très active et impliquée depuis longtemps dans le soutien des filières professionnelles –, la CCI du Maine-et-Loire, le département de Maine-et-Loire, l’agglomération du Choletais et le Syndicat mixte des Mauges, deux partenaires locaux qui caractérisent bien l’esprit entrepreneurial dans notre région.

À mon arrivée au pôle, aucune stratégie n’avait été véritablement définie. Nous avons alors défini que le pôle devait faire émerger de nouveaux projets de recherche et développement dans les trois axes thématiques prioritaires suivants.

Premier axe : le bien-être, la santé et l’hygiène de l’enfant. Cela concerne la nutrition, l’alimentation de l’enfant – l’industrie agroalimentaire étant largement représentée dans notre région. Nous touchons la santé non pas sous l’angle pharmaceutique, mais sous celui du confort de l’enfant. C’est un axe considérable sur lequel nous venons de déposer au Fonds unique interministériel (FUI) à la direction générale de la Compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) un dossier sur les allergies alimentaires.

Deuxième axe : la sécurité et le confort dans l’équipement de l’enfant. Cela concerne les chaussures, l’habillement, le jeu, l’environnement, l’enfant dans le transport, dans l’urbanisme, la sécurité de l’enfant, que nous aborderons à travers les problématiques de nouveaux matériaux.

Troisième axe – plutôt inédit, mais qui fait vraiment sens en termes d’accueil et d’éveil de l’enfant – : l’appui aux services de la petite enfance. Nous avons un projet d’envergure et prometteur, la réalisation de nouveaux concepts de garderie d’enfants, pour à la fois répondre aux carences dans ce domaine dans notre pays et voir un jour mis en place le fameux droit opposable à la garde d’enfant. Ce sujet nous tient à cœur.

En marge de la partie recherche et développement, le pôle Enfant, parce qu’il est issu de la chambre de commerce, a mis en œuvre des centres de ressources, des outils de services qui visent à favoriser l’émergence de projets. Ce terme « émergence » est au cœur de chacune de nos actions. À mon arrivée il y a un an, on parlait de « journées techniques » ; je préfère « journées d’émergence », conférences animées par des professionnels sur des thématiques diverses, dont la finalité est de déboucher sur un projet de programme collaboratif de recherche et développement.

Le pôle a également mis en place des Focus tours. Notre domaine étant très transversal – chaussure, agroalimentaire, décoration, mobilier, habillement, services, entre autres –, les entreprises doivent se connaître et avoir envie de collaborer. À l'inverse des autres pôles, issus de filières existantes – automobile, santé ou cosmétique – et travaillant depuis des années sous la forme de projets collaboratifs, nous avons démarré de zéro. Les deux ans écoulés ont principalement été consacrés à créer ces liens, ce désir de collaborer, d’où sans doute un effet pervers de l’audit. Les Focus tours sont des visites d’entreprises destinées aux membres du Pôle Enfant, sur des thématiques données. Chez Charal, un des leaders de la viande qui consacre une partie de son chiffre d’affaires et de ses produits à l’enfant, nous avions choisi le thème de la traçabilité, et, autour de la table, étaient présents des gens de la chaussure, de l’habillement, du cadeau de naissance, confrontés aux mêmes problématiques en matière de traçabilité et de logistique. Nous venons de réaliser un deuxième Focus tour sur le thème de l’éco-conception chez Gautier, membre du pôle Enfant, leader européen de la chambre d’enfant. Le troisième Focus tour se tiendra chez Brioche Pasquier.

Un de nos progrès saillants est là : notre volonté de mettre en marche l’organisation pour développer des projets collaboratifs transversaux.

Je reviens sur les outils de services pour parler de veille stratégique. Les observatoires du monde de l’enfant sont des occasions pour les entreprises de dialoguer entre elles, de « benchmarquer » leurs activités. La veille d’opinion est importante : avec l’arrivée des blogs, on peut décoder les positions des consommateurs sur tel ou tel concept. Nous avons également commencé à aborder la démarche d’exportation, non sous l’angle de l’aide à l’export aux entreprises, ce qui n’est pas le rôle d’un pôle de compétitivité, mais sous celui du rapprochement de clusters existants, comme en Allemagne et en Espagne. J’ai récemment reçu une délégation espagnole qui envisage de créer un pôle Enfant en Catalogne. J’aurai prochainement un contact avec le Portugal dans le même sens.

Quelques projets structurants ont été réalisés l’année dernière :

– une mise en perspective de l’attractivité de notre territoire au niveau des écoles, notamment de l’École de design, pour de jeunes créateurs avec un trophée « Design international » qui a fonctionné dans le monde entier et réuni des candidatures de 80 pays ;

– une cellule prospective, mise en place avec Prospect’Kid, visant à éclairer l’avenir des enfants dans vingt ans, à développer des concepts et à permettre aux entreprises de se projeter dans les courants qui apparaissent aujourd’hui : prédominance de l’écran, socialisation inversée, développement durable ;

– une activité à laquelle le pôle Enfant s’est associé : la création de la Cour de création, qui est un incubateur, une pépinière d’entreprises destinée à accueillir à partir du mois d’octobre prochain de jeunes créateurs, afin de rompre leur isolement et de les ancrer sur notre territoire.

J’en viens aux points de progrès, pour tenter de répondre par avance à vos questions.

Nous avons donné au pôle Enfant trois grandes directions de progrès.

Première direction : mettre en place une organisation de gouvernance visible et indépendante, à laquelle a été ajouté l’objectif de dimensionnement durable de l’équipe permanente et du budget.

Deuxième direction, figurant dans la conclusion de l’audit : élargir la base des adhérents entreprises et des partenaires recherche. J’ai proposé de passer dès 2009 de 40 à 70 adhérents, dont 50 entreprises. Nous avons également souligné l’importance de valoriser, à chaque fois, la synergie entre acteurs : entreprises et recherche.

Troisième direction, la plus importante : faire émerger de nouveaux projets de R&D, l’un des principaux retards du pôle. À mon arrivée, j’ai été étonné de constater qu’on avait négligé la vraie destination d’un pôle de compétitivité, à savoir l’émergence de programmes R&D. Peut-être était-on trop impliqué dans l’historique centre de ressources que constituait la chambre de commerce et d’industrie. De ce point de vue, l’audit était pertinent. J’ai pris l’engagement de développer cette année quatre nouveaux programmes, dont un fera l’objet d’une demande de financement par le FUI. Ils sont aujourd’hui labellisés par le pôle et soumis actuellement à examen des jurys, et j’espère qu’ils seront financés. À chaque fois, nous nous sommes efforcés d’expliciter ces programmes par rapport aux axes thématiques exposés plus haut et de définir leur contenu.

Notre objectif est de conserver ce label de pôle de compétitivité ! C’est une obsession pour l’ensemble de l’équipe, nous y arriverons et démontrerons que ce Pôle Enfant « tient la route » et fait sens.

En premier lieu, il s’agit de mettre en place une nouvelle organisation de la gouvernance du Pôle.

Aujourd’hui, l’équipe permanente d’animation est totalement indépendante de la CCI du Maine-et-Loire. Nous avons élu un vice-président, David Soulard, dirigeant des meubles Gautier, entreprise leader dans le mobilier pour enfant ; il prendra la succession de M. Grimaud au plus tard début 2010.

Nous avons redimensionné l’équipe permanente d’animation, en la ramenant de sept à cinq collaborateurs. Dans la période actuelle, où il faut cumuler des aspects d’organisation, de prospection de nouveaux partenaires et de nouveaux projets, on ne peut pas la réduire encore, mais elle aujourd’hui suffisante. Le budget a été réduit en conséquence.

Nous avons mis en place des conventions de partenariats formalisées avec chaque partenaire. Écrites, signées, elles définissent clairement les relations de partenariats ou de fournisseurs-clients.

M. Grimaud et moi-même avons totalement revu l’organisation juridique, administrative et financière de l’association. Nous avons révisé les statuts avec l’appui d’un cabinet spécialisé. J’ai mis en place une comptabilité analytique – chaque euro investi mérite d’être contrôlé. Nous avons mis en place une mission de commissariat aux comptes. Tout est aux normes : c’était une de mes exigences en arrivant.

Restent quelques points à régler s’agissant de la gouvernance, notamment le comité scientifique, pas encore opérationnel, la transversalité d’activités du pôle Enfant rendant la notion même de comité scientifique complexe. Nous le mettrons en place dans les tout prochains jours : une première réunion se tiendra d’ici à la fin du mois de juin.

En deuxième lieu, il importe d’élargir la base des adhérents entreprises et partenaires recherche. Recruter des adhérents ne se décrète pas, il faut une méthodologie pour progresser. La croissance se fait par des entrées, mais aussi des sorties. Avec diplomatie, mais avec fermeté, nous allons éconduire des gens présents dans le pôle Enfant, venus sur une fausse idée et qui n’ont donc pas de raison d’y rester. L’objectif est maintenant d’entrer dans une phase offensive de recrutement.

La première méthode consiste à définir les axes thématiques que j’ai exposés – bien-être, santé, hygiène ; sécurité et confort dans l’équipement ; appui des services à la petite enfance –, ce qui permet d’identifier les partenaires à rechercher dans ces axes.

D’où la deuxième méthode : le « ciblage recrutement ». Pour ce faire, nous avons mis en place le « top 200 », la liste des 200 entreprises que je rêvais de voir rejoindre le pôle Enfant dans un délai raisonnable. Un certain nombre d’entre elles va nous rejoindre. Elles ont toutes des compétences dans le marché de l’enfant. Des compétences sur les technologies clés que nous voulons mettre en œuvre au sein du pôle dans nos points de progrès et de recherche. Elles ont soit un leadership en termes de capacité d’attractivité pour d’autres, soit une taille d’entreprise nous permettant de les accueillir au vrai sens d’un pôle
– je pense aux PME. Nous avons également cherché à élargir notre territoire, car il n’y avait aucun sens à vouloir garder un drapeau choletais au-dessus du pôle Enfant, alors que notre démarche est au minimum nationale : elle s’inscrit même dans un marché global, mondial.

Troisième méthode : nous avons mis en place un plan de communication et de prospection. Tous les jours, moi-même, Joseph Grimaud et nos collaborateurs, en particulier celui chargé du développement et de la promotion, rencontrons des entreprises, des partenaires techniques, des universitaires, pour porter la bonne parole et les faire rejoindre nos équipes.

Ce plan prend la forme de réunions collectives d’information, de contacts individuels, de présences dans des salons professionnels, d’événements animations comme la cellule de prospective dont j’ai parlé et de rencontres avec d’autres pôles de compétitivité
– aspect très important eu égard au carrefour que représente le pôle Enfant par rapport à certains secteurs d’activité, comme l’agroalimentaire.

Aspect très important, dont je fais un point fort : chaque nouvel entrant dans le pôle Enfant est immédiatement et obligatoirement – cela fait partie de son contrat d’adhésion – dirigé vers un groupe de projet thématique. Des réunions s’y tiennent sur chacun des thèmes de travail. Au contact des autres, une entreprise, ou un partenaire, favorisera l’émergence d’un programme, et donc d’un projet de recherche.

J’en viens aux résultats.

Je vous ai indiqué l’objectif pour 2009 : augmenter de trente le nombre de nos adhérents, pour le porter à soixante-dix à la fin de l’année. Fin avril, nous avons quinze nouveaux adhérents, dont neuf hors du territoire choletais, soit déjà 50 % de l’objectif atteint. Je suis pratiquement assuré aujourd’hui que l’objectif des soixante-dix membres à la fin de l’année sera atteint, voire dépassé.

Je voudrais insister sur la qualité de ces entreprises.

Notre panel est représenté, entre autres, par Eram, poids lourd dans le monde de la chaussure ; Gautier ; le groupe Lactalis, qui vient de nous rejoindre à l’occasion du projet sur les allergènes ; Bébé confort, leader mondial de la puériculture ; New Man ; Charal. Autant de grosses entreprises !

Nous avons également des entreprises plus petites : Concepts et créations, jeune entreprise qui travaille sur le concept original de vêtements pour enfants prématurés ; CWF, leader dans la mode ; Candide ; CREA Composite qui s’intéresse aux aires de jeux extérieurs pour enfants ; Body Nature, notamment.

Certains prospects n’en sont plus : le Groupe Royer, leader de la chaussure avec Kickers notamment, vient de rejoindre le pôle ; Sodebo est en train de nous rejoindre ; ainsi que Ludendo, avec la Grande Récré et Jouetland, grand distributeur de jouets et de produits de puériculture. Vous le voyez : nous avons des entreprises, mais aussi des distributeurs. Last but not least, Mac Donald souhaiterait se rapprocher de nous, ce à quoi nous réfléchissons car si cette entreprise est très vertueuse, notamment en termes de qualité, cela peut poser problème pour notre image.

Le panel des partenaires scientifiques comprend ESEO, l’École supérieure d’électronique de l’Ouest ; le groupe ESSCA ; AUDENCIA ; l’IFTH, l’Institut français du textile et de l’habillement ; le CTF, le Centre technique du cuir ; l’École de design de Nantes ; les universités de Nantes, d’Angers, de Caen. Nous venons de conclure un accord avec le CEPE à Angoulême, la seule véritable école de formation au marketing de l’enfance, avec laquelle nous allons essayer de créer des échanges. D’autres sont en train d’entrer, comme l’École supérieure de l’agriculture. Le succès en amène d’autres et notre travail depuis quelques mois est en train de payer.

Il s’agit, en troisième lieu, de faire émerger de nouveaux programmes de recherche et développement.

Les trois axes thématiques ont été choisis parce qu’ils ont une véritable orientation de R&D, permettant de concilier la démarche filière ou une démarche transversale. Quand on parle d’allergies alimentaires, il s’agit d’une filière, mais quand on parle de sécurité pour l’enfant, on se situe bien dans une démarche transversale.

Point très important : ces trois axes permettent de concilier la notion de R&D et celle d’innovation marketing. Les pôles de compétitivité ont été placés sous l’angle du développement de programmes de recherche et de développement. Moi qui viens du monde de la pharmacie, je sais ce que veut dire recherche et développement. Dans nos métiers, l’innovation d’usage ou l’innovation marketing est beaucoup plus importante encore, car c’est de l’investissement court, parfois moins coûteux, et ce sont des parts de marché immédiatement acquises et durables. Si je vous dis, demain, que des entreprises du vêtement, de la puériculture ou du mobilier travaillent ensemble sur la « convergence électronique » et sont capables d’intégrer de l’électronique dans les objets quotidiens de l’enfant – pour laquelle il n’y a pas de verrou technologique majeur, car tout cela existe aujourd’hui –, elles créent de la différenciation qu’aucun concurrent étranger n’a encore osé mettre sur le marché.

J’insiste beaucoup sur cet axe de progrès pour la conception des pôles de compétitivité en général : l’intégration de l’innovation d’usage, et non pas uniquement la R&D, dans sa dimension la plus noble, mais également la plus longue et la plus coûteuse.

Le ciblage « 200 » a eu lieu. À partir de là, nous avons développé le plan d’animation « Émergence », dont je vous ai parlé. Puis nous avons mis en place sept groupes de travail thématique.

Le premier est intitulé « Nutrition santé » et a donné naissance au projet MANOE – maîtrise des allergènes dans la nutrition de l’enfant –, de très grande envergure et très original. Deux voies existent pour travailler demain sur cet axe de création d’une gamme de produits sans allergènes ou avec allergènes contrôlés chez l’enfant : une voie industrielle, qui vise à identifier les allergènes dans les ingrédients ; une voie clinique avec les CHU de France travaillant sur l’allergologie, qui vise à définir les seuils d’allergènes pour les enfants. Je revendique aujourd’hui, car cela mérite d’être souligné, qu’il s’agit là du premier vrai projet qui associe à la fois des industriels et l’ensemble des CHU de France sur l’allergologie, et il est né modestement en Pays de la Loire.

Deuxième groupe : « L’enfant et le transport ». Deux projets sont en train d’émerger et j’espère qu’ils seront soumis à financement avant la fin de l’année : un sur les véhicules de crèche et un sur les sièges auto. Troisième groupe : « Convergence électronique », dont j’ai déjà dit un mot. Quatrième groupe : « Les matériaux souples ». Il porte sur les nouveaux textiles, les textiles intelligents. Cinquième groupe : « L’appui aux services de la petite enfance », avec le projet « crèche modulaire modulable ».

Sixième groupe : « Emballage filière chaussure ». Un projet vient de faire l’objet d’une réponse à un appel à projet de la DGCIS en mars 2009, Kidpack, qui vise à travailler avec une démarche d’éco-conception sur les emballages des chaussures. Comme malheureusement, la plupart des chaussures sont désormais fabriquées, mais aussi conditionnées, en Asie, on transporte pendant un mois et demi en mer sur des containers du vent, ce qui coûte très cher et est contraire au développement durable. Nous travaillons sur cette démarche pour remplacer, demain, les packagings de chaussures d’enfants et peut-être, au-delà, d’adultes.

Un dernier groupe de travail est en train de naître : il s’appellera « Naturalité ». Il vise à travailler sur l’émergence de produits toujours plus naturels, avec des liaisons sur le végétal, la cosmétique et les produits d’entretien, qui peuvent être source de bien-être pour l’enfant.

Le tout s’inscrit dans notre charte globale d’éthique, qui existe depuis le départ et qui fixe notre cadre fondamental d’action : le bien-être des enfants.

De notre point de vue, nous continuons de travailler pour créer les conditions aptes à faire grandir le pôle : une gouvernance visible et autonome ; un recrutement ciblé, mais organisé et on going ; des groupes de travail sur des thématiques prioritaires avec, systématiquement, la participation de tout nouvel entrant à l’un des groupes ; des projets R&D – de trois dossiers historiques à mon arrivée, nous sommes passés à huit dossiers déposés aujourd’hui, et trois ou quatre le seront avant la fin de l’année, ce qui est un progrès notable –; des pistes de réflexion et de progrès sur nos nouveaux groupes thématiques. Franchement, l’international ne peut pas être considéré comme une priorité pour le pôle Enfant aujourd’hui, mais cela ne signifie pas qu’il ne faille pas s’y intéresser dès à présent.

Je vais maintenant vous projeter un petit film, reprenant des extraits d’interviews réalisées lors d’une matinée pour les jeunes créateurs de la mode. Beaucoup de micro-entreprises ont besoin d’être aidées, soutenues, et vous allez entendre des témoignages de jeunes créateurs accueillis dans le pôle Enfant.

(Le film est projeté.)

Vous le voyez, le pôle Enfant fait sens et est une magnifique aventure. Il y a une âme, des entreprises se projettent dans l’avenir et commencent à travailler ensemble.

Dans les réponses au questionnaire que vous nous aviez adressé, j’ai écrit que deux points essentiels méritent l’attention de votre Mission.

Sur la forme, la communication réalisée au mois de juin 2008 sur les résultats de l’audit a été particulièrement maladroite, car elle nous a amenés pendant quinze jours à « faire les pompiers », alors que nous étions précisément au travail pour faire progresser les choses. Mais ce n’est pas le sujet.

Premier point : si, sur le fond, je ne conteste pas l’audit, car il était assez pertinent et l’électrochoc qu’il a produit nous a permis de progresser, il faut garder à l’esprit que les pôles de compétitivité sont à géométrie variable. Les pôles qui travaillaient depuis longtemps en mode pôle de compétitivité, sans être appelés ainsi, continuent de le faire, sans qu’on sache véritablement aujourd’hui ce qui relève du pôle de compétitivité ou de l’expérience de filière préexistante, et eux-mêmes le reconnaissent. En ce qui nous concerne, la vie a véritablement démarré à partir du moment où l’objectif de mutualisation a été fixé.

La pression exercée aujourd’hui sur le pôle Enfant a des vertus, mais il nous faut du temps ! Deux ans dans la vie d’une entreprise, ce n’est rien. Aujourd’hui, cette organisation est mise en mouvement et n’a pas, de mon point de vue, de retard. Aller trop vite risquerait de nous faire sauter les étapes, de passer à côté de belles opportunités. Il ne faut surtout pas casser cette dynamique, car cela coûterait beaucoup plus cher à tout le monde que de l’avoir lancée ! J’insiste pour qu’on nous laisse vivre. Certes, nous ne pouvons pas aujourd’hui vous parler du développement économique induit, des parts de marché, du chiffre d’affaires. Néanmoins, il y en aura, c’est évident, car ce projet foisonne d’innovations. Le monde de l’enfant, le monde de ces métiers est une richesse fabuleuse ! J’y crois beaucoup.

Second point : ne considérons pas le développement uniquement sous l’angle recherche et développement. J’en ai dit un mot tout à l’heure, je le redis en conclusion. Pensons aussi à l’aspect innovation, en particulier à ce que j’appelle « l’innovation d’usage ».

Si, demain, je place un récupérateur d’énergie dans les roues d’une poussette et un chargeur de téléphone dans la canne de la même poussette pour recharger le téléphone de la maman pendant ses courses, je crée de l’innovation sans verrou technologique, cette technologie existant déjà. Et elle fera sacrément la différence sur le marché !

Si, demain, les enfants, qui aujourd’hui disposent de leur premier ordinateur dans leur chambre à quatre ans, ont un bureau avec des systèmes d’ajustement, comme dans les automobiles, pour remplacer tous les fils qui traînent jusqu’aux prises de courant et de téléphone, on aura à la fois répondu à un besoin et à une exigence de sécurité. Encore une fois, ce n’est pas de la technologie : c’est de l’innovation !

Voilà quelques éléments qui plaident particulièrement en faveur de ce genre de démarche. Chez Airbus ou dans les grands pôles de la santé ou de l’automobile, on ne raisonne pas de la même façon. Le pôle Enfant est bien sûr un tissu économique, et même socio-économique, où le développement et le marché sont très importants. La crise ne touche pas le monde de l’enfant comme elle touche d’autres secteurs.

M. Georges Tron, Président. Je vous rassure : nous ne sommes pas le comité d’audit du pôle Enfant, mais souhaitons simplement avoir une vision globale des pôles de compétitivité, en particulier grâce aux critiques que vous pourriez émettre.

Nous avons auditionné plusieurs responsables de pôle divers et, quelle que soit leur place dans le classement au regard de l’audit réalisé, tous sont dans une situation qui bouge, qui se modifie !

Avez-vous engagé une démarche de comparaison avec d’autres pôles pour éventuellement vous en inspirer ? Avez-vous étudié la possibilité de vous rapprocher, voire de fusionner avec d’autres pôles ? Jusqu’à quel point pouvez-vous concevoir la notion d’élargissement, dont vous avez parlé, s’agissant de l’ancrage territorial du pôle Enfant ?

M. Joseph Grimaud. Concernant les comparaisons, nous avons eu des contacts avec d’autres pôles. Les Pays de la Loire comptant six ou sept pôles labellisés, nous pouvons faire du benchmarking.

Nous avons à côté de nous, dans le Maine-et-Loire, le pôle à vocation mondiale Végépolys, avec lequel nous avons des contacts permanents. Ma société est membre du pôle Atlantic Biothérapies, dont Franck Grimaud est vice-président.

Au-delà, nous sommes allés voir à plusieurs reprises Vitagora, à Dijon, où nous avons emmené nos élus et nos responsables d’entreprises. Nos PME ont alors été bluffées de voir comment, collectivement et avec la R&D des universités ou des écoles, on pouvait réaliser d’importants progrès ! Pour en faire la meilleure démonstration, il suffit de montrer à ses dirigeants ce que l’on peut faire ailleurs !

Nous avons commencé l’élargissement géographique. Pour moi, il n’y a pas de limite à s’enrichir réciproquement, si ce n’est celle de pouvoir venir à des rencontres, à des groupes de travail. Nous sommes en contact avec une entreprise marseillaise qui fabrique des crayons de couleur, mais pour qui se rendre à des Focus tours, à des journées d’expertise, à des groupes de travail n’est pas évident.

Je crois donc à un développement concentrique. On peut dépasser très largement les Pays de la Loire – je pense à la région Poitou-Charentes – dans un rayon raisonnable de deux à trois heures en voiture. Au-delà, je crains l’absentéisme.

M. Patrick Blondeau. Joseph Grimaud a raison : il est difficile de faire partager aux entreprises la même vie. Pour autant, nous agissons quand même ! Bébé 9, situé à Bordeaux, participe à nos travaux.

Dans la région Pays de la Loire, j’ai organisé des réunions auxquelles j’ai invité les autres pôles. C’est une démarche à la fois diplomatique et intéressée car ils sont, quant à eux, en train de travailler sur leur contrat de performance. En ce qui nous concerne, nous sommes dans la « catégorie trois », celle des mauvais de la classe, mais avec un sursis jusqu’à l’été prochain, du moins, je l’espère. Des réunions régulières se tiennent maintenant, où nous échangeons sur ces sujets.

Du coup, nous avons développé des projets avec le pôle Automobile haut de gamme, nous travaillons avec Végépolys et, potentiellement, avec Atlantic biothérapies sur l’aspect santé. Au-delà, je suis allé voir un pôle magnifique : le pôle MAUD, un des recalés du premier audit, mais qui bouge beaucoup sur un certain nombre de projets susceptibles de nous rapprocher, notamment sur les packagings. Récemment, je me suis rendu en Alsace, au pôle Fibres Grand Est. Nous devons nous déplacer à Lyon pour visiter Techtera et Plastipolis.

En termes de recrutements, nous avons aujourd’hui quelques entreprises parisiennes, pour lesquelles il est moins difficile de venir, car les gens peuvent prendre un TGV, comme nous le faisons nous-mêmes pour venir vous voir. Pour les autres régions, c’est un peu plus difficile.

Enfin, sur le rapprochement, honnêtement, je ne vois pas la valeur ajoutée qu’il y aurait aujourd’hui à fusionner. D’ailleurs, je ne vois pas comment on pourrait fusionner le pôle Enfant avec d’autres. La seule chose que nous puissions faire consiste à nous rapprocher d’un pôle agroalimentaire si nous touchons un projet agroalimentaire !

M. Georges Tron, Président. Au-delà des explications que vous nous avez données tout à l’heure, la taille modeste de votre pôle a-t-elle été une des raisons fondamentales du classement ?

M. Patrick Blondeau. Non, la raison principale a été l’originalité de notre pôle, qui surprend aujourd’hui.

Aujourd’hui, à part quelques exceptions, la plupart des pôles qui ont montré une avancée spectaculaire étaient principalement axés sur des filières traditionnelles. Les principaux pôles qui affichent des records en nombre de dossiers étaient déjà sur des filières établies.

Notre pôle se situe dans une démarche transversale. La question est de savoir si l’on y croit, si l’on veut essayer d’imaginer tout ce qu’il peut y avoir derrière. Ne me parlez pas de modestie : que je sache, les pôles de compétitivité sont là pour aider les PME, pas Airbus !

M. Georges Tron, Président. J’ai très bien saisi les perspectives qui vous ont conduit à modifier l’organisation générale du pôle, mais je vous interroge précisément sur ce point eu égard à ce que nous avons entendu des autres personnalités auditionnées. Si je vous comprends bien, pour vous, la taille n’est pas un handicap au regard des critères mis en place dans l’évaluation…

M. Joseph Grimaud. À mon avis, non. Mais la taille a épousé la réalité du territoire. Autrement dit, nous avons composé le pôle avec des entreprises toutes « modestes ». Si Eram comprend 1 500 salariés, sa dimension enfant est minoritaire dans l’ensemble de son activité.

Notre handicap n’est pas là. En tant qu’élus, vous devez savoir que la difficulté est d’arriver à mobiliser les entrepreneurs eux-mêmes. Les petites et moyennes entreprises n’ont pas toujours la possibilité de libérer quelqu’un, d’avoir une personne disponible pour travailler sur la R&D avec une école, une université. Je vous jure que c’est nouveau, mais c’est aussi bigrement porteur ! C’est le sens même d’un pôle, mais cela donne de la modestie en termes de taille. J’aurais peine à comprendre qu’on puisse être sanctionné à cause de cela.

M. Georges Tron, Président. Pouvez-vous nous préciser la participation des universités et centres de recherche aux activités du pôle ? Quelle est la part des grands groupes et celle des PME ?

M. Patrick Blondeau. Le conseil d’administration, qui vient d’être redéfini à l’occasion de la révision des statuts, compte 17 postes.

Huit sont occupés par les entreprises. C’est un progrès car cette majorité n’était pas aussi nette au départ ; nous avons voulu qu’elle soit beaucoup plus marquée. Un collège « partenaires techniques et formation » comprend quatre personnes. Nous avons conservé un collège « CCI », qui comprend deux personnes. La chambre de commerce et d’industrie joue en effet toujours un rôle en tant que partenaire financier, et il paraissait opportun d’avoir un lien avec les autres organisations économiques de la région.

Trois postes sont octroyés soit à des chefs d’entreprise sortis d’activité, soit à des personnes qualifiées ou à des experts qui ne sont plus en activité, mais à parité entre l’entreprise et l’enseignement. D’où une majorité d’entreprises et une place considérable pour les laboratoires.

Au départ, la participation directe des universités et centres de recherche aux activités du Pôle était, de mon point de vue, insuffisante en termes quantitatifs, car nous sommes à Cholet, pas à Angers ou à Nantes ! Du reste, en demandant à une petite PME de Cholet ce qu’il était possible de faire avec l’École des mines à Nantes, elle nous répondait que cette école était inaccessible ; et l’École des mines elle-même ne parvenait pas à se mettre à la portée de la PME en question ! D’où l’intérêt de pôles de compétitivité comme le nôtre.

Je vous ai montré tout à l’heure la croissance dans ce domaine. Aujourd’hui, l’intégration se fait très clairement dans les groupes de travail. Le projet Convergence fédère l’École supérieure d’électronique d’Angers, DOREL, Gautier, et tout cela fonctionne merveilleusement au stade de la conception des idées.

Je ne dispose pas de chiffres précis sur la part respective des grandes entreprises et des PME. Sur 70 membres, il y a tout de même plus de petites entreprises que de grandes – deux tiers contre un tiers.

Les entreprises à l’origine des programmes de recherche que nous développons actuellement sont plutôt les plus grosses. Honnêtement, elles ont un exemple à montrer, comme DOREL, Brioche Pasquier, Fleury Michon qui commencent à faire partie des entreprises leaders, par opposition à de toutes petites entreprises, comme celle de cette jeune femme que vous avez aperçue dans le petit film, parlant de son projet à Montpellier, lequel s’est brutalement accéléré au moment de son installation à Cholet.

Cela étant dit, le développement actuel s’opère principalement vers des structures plus petites.

M. Georges Tron, Président. Vous nous avez décrit tout à l’heure vos axes prioritaires dont le troisième, l’appui aux services à la petite enfance, nous fait nous interroger. Ce domaine est-il porteur d’un fort contenu de recherche-développement ?

M. Patrick Blondeau. Je pense que oui, mais il s’agit de la recherche-développement en amont, pas au sens industriel du terme.

En collaboration avec l’Université de Nantes et l’Université de Caen, deux projets ANR (Agence nationale de la recherche) très intéressants pour l’avenir viennent d’être déposés.

Le premier concerne l’autoévaluation, par les enfants eux-mêmes, de leur qualité de vie. C’est très intéressant, car cela touche au mobilier, à l’enfant dans l’urbanisme, dans le transport, et peut amener à travailler, demain, sur les conditions d’aménagement de l’urbanisme, mais également de l’habitat.

Le second projet, ENFAUTO (Enfant et autonomie), est développé par les universités de Rouen, Caen et Rennes, que nous avons nous-mêmes approchées. Leurs chercheurs ont identifié le fait que des phénomènes de rupture, comme la découverte de l’école, de la première association sportive, mais aussi les ruptures familiales, la mobilité géographique des parents, ont un impact sur la vie du jeune enfant. Dans le cadre d’un travail de recherche en amont, nous sommes en train de réfléchir à la définition d’éléments de prévention qui viseraient à en tenir compte. Là encore, cela touche entre autres à l’environnement de l’enfant, aux matériaux, aux couleurs.

Dès lors que l’on parle du bien-être de l’enfant, tout ce qui est lié à l’approche de la petite enfance très en amont de la définition même de produits et de services constitue un axe prioritaire. Aucune région de France ne peut aujourd’hui revendiquer avoir travaillé sur ce thème. Le pôle Enfant commence, lui, à le faire.

Permettez-moi de vous parler du projet « Crèche modulaire modulable ».

Dans notre région, des jeunes couples ne peuvent plus se loger en centre-ville pour des raisons financières, et vont s’installer à cinquante kilomètres de Nantes ou d’Angers dans de petites communes du milieu rural, où ils peuvent bénéficier de terrains et de constructions moins chers. Ils expriment alors auprès de leur municipalité des exigences légitimes en termes de transports, de services, de commerces et de garderies d’enfants. Le maire a du terrain partout, mais n’a pas le premier euro à y consacrer ! Aujourd’hui, nous travaillons avec les entreprises qui font du local modulaire dans la région – ce que l’on appelle traditionnellement l’« Algeco », mais qui a terriblement évolué en termes de technologie. Avec nos plasturgistes – mis au chômage à Saint-Nazaire où l’on ne construit plus de bateaux ! – et nos architectes, nous travaillons sur un concept de crèches modulaires dans une démarche de crèches proprement dites, y compris d’entreprise, mais aussi dans une démarche événementielle, car installer une garderie d’enfants au centre de Cholet, d’Angers ou de Nantes au moment des fêtes de fin d’année ou du départ du Vendée Globe aux Sables-d’Olonne est une idée intéressante. Ce marché a un vrai retentissement international. L’Allemagne, qui, traditionnellement, gardait les mamans à la maison pour s’occuper des enfants, fait aujourd’hui exactement comme la France en mettant les femmes au travail – pour autant qu’il y ait du travail pour elles – et vient observer nos méthodes, car nous avons beaucoup d’avance en matière de garde d’enfants. Demain, j’en fais le pari, une ou plusieurs entreprises dans les Pays de la Loire, et sans doute ailleurs, concevront des structures de ce type, en tenant compte de données ignorées jusqu’à ce jour lorsqu’on rénove ou installe une crèche dans un bâtiment existant : je pense notamment aux matériaux, au son et au traitement de l’air. On voit arriver des concepts nouveaux, comme la notion de couches lavables, résultant sans doute d’un effet de mode lié au mouvement écologique, mais qui est très important. Cela amène de nouveaux services et de nouvelles contraintes dans les crèches : il faut prévoir des systèmes d’accès aux fournisseurs et aux partenaires extérieurs.

L’occasion de travailler sur ce concept de crèche nous conduit à faire de la recherche, pas de la recherche fondamentale sur des matériaux nouveaux, mais dans le sens du progrès économique pour l’ensemble des consommateurs : enfant, famille et personnel d’encadrement des jeunes enfants.

M. Georges Tron, Président. Nous avons bien intégré vos arguments. Comment préparez-vous le nouvel audit et, dans le cadre de cette préparation, bénéficiez-vous d’un soutien de la Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires (DIACT) ou de la direction générale de la Compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) ?

Quelles difficultés éventuelles rencontrez-vous dans la perspective de cet audit ?

M. Patrick Blondeau. Nous avons créé les conditions d’une collaboration avec l’État en région, avec la DREAL. Les gens de la DREAL ou de la région auraient pu vous présenter le pôle de la même façon que moi, si ce n’est avec le même enthousiasme, du moins avec les mêmes arguments car ils connaissent très bien le sujet et nous avons depuis longtemps avec eux des groupes de travail très interactifs qui fonctionnent très bien.

Nous avons avec la DGCIS des contacts réguliers – je me rends régulièrement à Bercy. À partir du moment où l’on prend le temps, le dialogue s’instaure plus facilement. Au départ, nos interlocuteurs étaient très loin du pôle Enfant et du monde des entreprises, mais aujourd’hui chacun a fait un peu de chemin et cela fonctionne bien entre nous.

Nous sommes en train de programmer une réunion avec Fabrice Leroy, qui gère les pôles de compétitivité, pour voir comment le pôle Enfant abordera la phase du « plan de performance ». Je vous le dis franchement, cela m’inquiète. La montagne de technocratie que cela représente est totalement déraisonnable – mes collègues qui ne font pas partie des « derniers de la classe » en perdent même leur latin ! Je suis content de ne pas en faire partie, sinon j’aurais loupé mon rendez-vous : si l’on m’avait contraint à élaborer cette phase dès maintenant, tout ce que nous sommes en train de faire de concret ne serait pas là ! Dieu merci, l’échéance sera un peu retardée pour moi, du moins je l’espère.

Nous avions un certain nombre d’étapes, la dernière étant le 23 avril à Paris pour le grand oral devant la DGCIS et la DIACT, qui s’est très bien passé, me semble-t-il. Vous nous avez invités à venir vous voir aujourd’hui. Entre-temps, nous avons eu d’autres contacts avec l’État en région et le département pour attester de notre action. Mon menu de l’été est maintenant d’entrer dans la deuxième phase. Mais, je vous le répète, le contenu de ce dossier est redoutable. Je sais ce qui nous attend, mais nous réussirons !

M. Georges Tron, Président. En cas de « délabellisation », quelles seraient les perspectives de développement et d’évolution en dehors de la structure « pôle de compétitivité » ? Quelle définition donneriez-vous aujourd’hui à la valeur ajoutée de cette structure par rapport à des projets similaires qui auraient les mêmes intérêts, la même actualité et sans doute la même mobilisation pour nous, mais ne bénéficiant pas du même label ?

M. Patrick Blondeau. Je n’imagine pas un tel scénario, qui provoquerait de nombreux dégâts collatéraux, et pas seulement pour le pôle Enfant. Il serait extrêmement mal interprété, ce qui serait légitime.

Il est certain que la région et le département soutiendront le pôle Enfant car ils perçoivent quant à eux la dynamique qui est en train d’apparaître. Depuis longtemps, je dis qu’on peut faire autrement que de créer les premiers, les deuxièmes et les troisièmes de la classe. On aurait pu imaginer beaucoup plus facilement, deux ou trois ans après le début de l’expérience, de distinguer les pôles à haute valeur technologique et internationale des pôles plus socio-économiques à valeur nationale ou transversale. Je ne me reconnais pas dans Aerospace Valley ou MINALOGIC : nous ne jouons pas dans la même cour. J’ai en revanche un dialogue plus facile avec d’autres pôles.

M. Georges Tron, Président. Quelle est aujourd’hui la valeur ajoutée du pôle en tant que tel dans le contexte actuel ?

M. Joseph Grimaud. Il y a cent cinquante ans, le textile, avec le tissage, la confection et la chaussure ont fait les beaux jours du Maine-et-Loire. Puis, ces métiers ont été délocalisés. Sans en porter le nom, ils étaient de vrais « pôles d’excellence ». En 2005, l’État a créé ce label « pôle de compétitivité ».

Si, d’aventure – car nous avons démarré plus lentement que d’autres –, nous perdions ce fameux label, et même dans le cas où la région et le département continueraient à nous accompagner de la même façon, comme ils nous l’ont assuré, nous perdrions aux yeux de nos partenaires et de nos membres une grande partie de notre crédit, non seulement sur le plan financier, mais aussi sur le plan moral, car la dynamique interne que nous passons encore beaucoup de temps à instaurer se casserait.

M. Georges Tron, Président. L’intensité de votre motivation est évidente. Au-delà des questions de financement, la structure de pôle est donc, pour vous, indispensable au projet ?

M. Joseph Grimaud. Si nous n’étions pas un « pôle labellisé », nous serions un « pôle d’excellence », dit-on. Auparavant, le pôle SPL (Système productif local) qui existait dans le Choletais n’était rien : il n’y avait pas d’équipe ! Or, pour que les choses fonctionnent, il faut non seulement un pilote à bord, mais aussi une équipe d’hommes, de femmes et d’entrepreneurs qui s’y retrouvent. Nous avons créé une dynamique extraordinaire et transversale entre des gens qui font de la chaussure, de l’alimentaire, de la santé, du textile, ce qui est unique.

Concilier le développement économique du territoire et des entreprises, ce qui est le rôle des pôles de compétitivité, avec le respect total de l’enfant est passionnant ! Les membres du pôle ont passé des mois à écrire notre charte éthique qui respecte totalement l’enfant en permettant un développement économique. Cela n’était pas évident, mais nous avons identifié les dénominateurs communs. Je trouverais bigrement dommage de casser maintenant un tel projet !

Enfin, et, en tant qu’élus, vous le savez comme moi, dans le contexte de crise économique mondiale que nous connaissons, il serait regrettable de nous enlever cet outil !

M. Georges Tron, Président. Merci infiniment, Messieurs, pour votre motivation et vos explications.

Audition du 27 mai 2009

À 17 heures 30 : M. Jean-Marc Thomas, président du pôle Aerospace Valley, et Mme Agnès Paillard, directrice générale.

Présidence de M. David Habib, Président

M. David Habib, Président. Monsieur le président, Madame la directrice générale, je vous souhaite la bienvenue. La mission d’évaluation et de contrôle (MEC) poursuit ses auditions consacrées aux perspectives des pôles de compétitivité. Je vous indique que je copréside cette mission avec M. Georges Tron, ici présent, membre comme moi-même de la commission des Finances mais n’appartenant pas au même groupe politique : nos travaux doivent avoir un caractère consensuel afin de permettre à la commission des Finances de s’assurer, sur tel ou tel point, de la bonne utilisation des fonds publics et de la bonne marche des dispositifs mis en place par l’État.

Je vous prie d’accepter les excuses de nos trois rapporteurs, qui sont aujourd'hui empêchés et ne peuvent prendre part à cette audition.

Il est de tradition que la Cour des comptes participe aux travaux de la MEC. Je salue à cet égard la présence de M. Jean-Yves Marquet, conseiller référendaire à la deuxième chambre. Je précise que la Cour mène actuellement un contrôle sur les pôles de compétitivité et que son représentant ne souhaite donc pas intervenir.

Étant l’élu d’une des deux régions concernées, je connais bien le pôle Aerospace Valley. Cela dit, nous souhaitons aller au-delà des aspects locaux pour tenter de mesurer les forces et les faiblesses d’un pôle mondial qui, selon l’évaluation menée par le Boston Consulting Groupe et CM International, a atteint les objectifs de la politique des pôles de compétitivité.

Je voudrais notamment vous interroger sur la genèse d’Aerospace Valley, qui, contrairement à d’autres pôles, s’inscrit dans une démarche de filière engagée bien avant la mise en place des pôles.

M. Jean-Marc Thomas. Permettez-moi tout d’abord de me présenter. Je suis président délégué d’Airbus France et président de la Fondation de recherche pour l’aéronautique et l’espace. Je me suis par ailleurs fortement impliqué dans la genèse du pôle, en portant le dossier dès septembre 2004. C’est au début de 2005 que nous avons commencé à travailler avec l’Aquitaine pour déposer une candidature unique.

Mme Agnès Paillard. Pour ma part, je n’ai rejoint le pôle que tout récemment. J’ai auparavant mené ma carrière dans l’industrie – dix ans dans une multinationale, six ans dans une PME –, avant de travailler presque sept ans au conseil régional d’Aquitaine en tant que directrice générale adjointe chargée du développement économique, de la recherche et de l’enseignement supérieur.

M. Jean-Marc Thomas. C’est en janvier 2005 que nous avons élaboré avec l’Aquitaine une candidature unique. Nous avons déposé le dossier en février et nous avons été « labellisés » en juillet comme un des six pôles mondiaux.

L’Aerospace Valley est le premier pôle à s’être adossé simultanément sur deux régions dès le départ. Elle est aussi le pôle qui compte le plus de membres : un peu moins de 500 à l’origine, plus de 550 aujourd'hui dont plus de 250 PME. C’est une force, mais cela conduit parfois à se demander si tous les participants y trouvent le meilleur coefficient de satisfaction.

La gouvernance est répartie de façon équilibrée entre les deux régions. Si j’assure la présidence du pôle, M. Pierre-Éric Pommellet, directeur de Thales Bordeaux, a été vice-président les trois premières années et M. Jean-Michel Estrade, directeur de Dassault Aviation à Biarritz, lui a succédé. Mme Agnès Paillard, qui vient de nous rejoindre, est directrice générale, tandis que le directeur, M. Didier Seiller, a exercé des responsabilités au conseil régional de Midi-Pyrénées.

Le pôle réunit l’ensemble des industriels majeurs des régions Aquitaine et Midi-Pyrénées dans les secteurs de l’aéronautique, de l’espace et des systèmes embarqués. Toutes les universités et les écoles d’ingénieurs concernées, ainsi que tous les laboratoires de recherche publics et privés, y participent. En particulier, trois des quatre grandes écoles aéronautiques françaises sont dans notre périmètre : Sup’Aéro et l’ENSICA, dont la fusion récente a donné l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE), ainsi que l’École nationale de l’aviation civile (ENAC). Nous entretenons en outre un partenariat privilégié avec l’École nationale supérieure de mécanique et d’aéronautique, située à Poitiers.

Il est à noter que le pôle comprend désormais la Guyane, qui a demandé son rattachement, en raison des activités spatiales qui s’y déploient.

Comme l’a confirmé l’INSEE, Aerospace Valley est le premier bassin d’emploi français et européen dans le domaine de l’aéronautique, de l’espace et des systèmes embarqués, avec plus de 120 000 emplois directs.

Le pôle s’est donné cinq grands objectifs à l’horizon 2025 :

– conforter sa première place mondiale en aéronautique civile ;

– conforter sa première place européenne dans le domaine de l’espace ;

– renforcer une position d’excellence sur les systèmes embarqués – domaine qui comprend dans son périmètre, comme le Premier ministre l’a explicitement indiqué, l’automobile et le train ;

– devenir un pôle de recherche et de formation de référence mondiale ;

– renforcer les atouts et les synergies des grands groupes et des PME dans la compétition mondiale.

Avant même que l’on parle de contrat, nous nous sommes engagés vis-à-vis de nos partenaires publics – l’État, les deux régions et les deux communautés urbaines de Bordeaux et de Toulouse – sur l’ambition de créer 40 000 à 45 000 emplois en vingt ans. Or l’INSEE a montré qu’au cours des trois années d’existence du pôle, 11 000 emplois ont été créés. Il faut certes rester modestes : ces créations ne sont pas à mettre exclusivement à l’actif du pôle ; par contre, la dynamique que celui-ci a apportée grâce à ses projets structurants a contribué à la dynamique d’ensemble qui a permis d’atteindre ces objectifs.

J’en viens à l’organisation du pôle.

L’assemblée générale, lors de son grand rendez-vous annuel auquel participent en moyenne 450 membres, élit un conseil d’administration de 33 membres (16 issus d’Aquitaine, 17 issus de Midi-Pyrénées) répartis en 7 collèges : grandes entreprises (7 représentants) ; PME-PMI (6 représentants) ; formation (4 représentants) ; recherche (4 représentants) ; structures de développement économique (4 représentants) ; collectivités publiques et territoriales (6 représentants : 2 au titre des régions, 2 au titre des départements et 2 au titre des communautés urbaines) ; organisations professionnelles et partenaires associés (2 représentants). Ce septième collège représente notamment banques et consultants qui s’inscrivent pleinement dans la logique du pôle et se révèlent très actifs.

Enfin, le bureau comprend un président, un vice-président, un secrétaire général, un trésorier, un trésorier adjoint et un secrétaire (3 pour Midi-Pyrénées, 3 pour l’Aquitaine).

Étant un pôle mondial, nous avons passé des conventions et des partenariats avec de nombreuses strates de l’économie. C’est le cas de pôles d’excellence rurale tels que celui du pays Portes de Gascogne, avec lequel, grâce à notre composante spatiale, nous travaillons sur la micro-agriculture, la surveillance des nappes phréatiques ou encore l’extension urbaine du grand Toulouse. Nous travaillons également avec des pôles nationaux, tels Mobilité et transports avancés, ASTech, ou Pégase. Enfin, nous menons une étroite collaboration avec les pôles mondiaux System@tic et Minalogic. Étant donné les synergies que nous avons constatées, nous avons décidé de réfléchir ensemble sur les grands axes du futur qui pourrait faire l’objet d’initiatives communes.

À l’international, nous sommes tournés naturellement vers l’Allemagne et le Royaume-Uni, mais aussi vers le Québec. Nous travaillons également en direction du Brésil. Nous nous sommes donné cependant quelques principes : comme nous ne pouvons être partout, nos cibles de partenariat à l’international ne pourront excéder le nombre de dix.

Notre labellisation est intervenue en juillet 2005. En 2007, la région Île-de-France – avec ASTech – et la région Provence-Alpes-Côte d’Azur – avec Pégase – ont obtenu une labellisation supplémentaire, mais dans le domaine de l’aéronautique et de l’espace uniquement et dans la catégorie des pôles nationaux. Il nous a été demandé explicitement, dans le cadre d’une convention tripartite signée par le Premier ministre, de leur servir de « locomotive ». Nous avons à ce titre mis en place une coordination – voire une légère gouvernance – où Aerospace Valley détient la moitié des sièges, et chaque autre pôle un quart. J’assure la présidence du comité. Par ailleurs, c’est M. Marc Pircher, directeur du centre CNES de Toulouse et président de notre comité de labellisation, qui préside les réunions de travail collectives consacrées aux labellisations communes.

Après trois ans d’exercice, nous avons beaucoup appris. Sans doute n’étions-nous pas prêts, au départ, mais l’État l’était-il vraiment ? Quoi qu’il en soit, chacun a trouvé ses marques petit à petit, ce qui a permis l’instauration du FUI (fonds unique interministériel) et d’autres dispositifs.

Notre recherche se structure autour de neuf thématiques, parmi lesquelles : positionnement, navigation et télécommunications (GPS) ; propulsion et énergie ; systèmes embarqués ; matériaux, structures… Nous avons aussi trois thèmes transversaux : activité économique ; emploi-compétences-formation ; aspects environnementaux.

Après trois ans, il nous est possible de faire des bilans. Dans la seule filière des composites, par exemple, les projets de recherche représentent 120 millions d’euros et vont des petits avions (projet de la SOCATA et de plusieurs partenaires), aux portes d’avion (Latécoère), aux pointes avant (Airbus), aux moteurs (SAFRAN), voire aux procédés industriels (nouvelle génération de machines à placement filamentaire).

Au total, 224 projets ont été labellisés ; 144 d’entre eux ont reçu un financement à la fois public et privé ; le total de ces recherches représente un volume de 450 millions d’euros, dont 200 millions d’aides publiques. Cet argent n’est pas tombé tout seul : il a été accordé parce que le comité de labellisation a effectué une sélection féroce et n’a retenu que des projets de haut niveau. Ceux-ci ont toujours trouvé un support de la part du FUI, des ministères, de la délégation générale pour l’Armement (DGA), de la direction des Programmes aéronautiques civils (DPAC), ou encore de l’agence nationale de la Recherche (ANR), mais aussi, pour une part significative (près de 30 millions d’euros), des collectivités locales.

Pour ce qui est des laboratoires, des grands groupes et des PME, une sorte d’équilibre a été atteint en 2008, à hauteur d’un tiers pour chaque catégorie. Les grands donneurs d’ordres ne sont pas systématiquement en tête : dans un tiers des cas, c’est une PME qui pilote le projet.

J’en viens aux projets structurants.

En matière économique, les deux régions ont mis en place, en totale concertation avec le pôle, des fonds spécifiques destinés à accompagner certains projets.

En matière de formation, le pôle de compétitivité a obtenu de l’État qu’il labellise une formation doctorale « aéronautique-astronautique » réunissant écoles d’ingénieurs et universités. C’était en 2005-2006 et cela préfigurait les recommandations présentées en juin 2008 par la « commission Philip » sur les nouveaux partenariats entre les universités et les grandes écoles.

Il faut enfin considérer l’aspect territorial, qui ne se réduit pas seulement à l’emplacement des locaux : il s’agit surtout d’activité pérennes et dynamisantes pour nos deux régions.

Les 41 projets structurants labellisés à ce jour représentent plus d’un milliard d’euros. La diversité de leurs implantations démontre qu’ils contribuent au développement territorial bien au-delà des deux grandes agglomérations.

Mme Agnès Paillard. Il faut y ajouter les deux plateformes d’innovation, l’une consacrée aux matériaux nanostructurés et à la question de leur innocuité (le projet, porté par Arkema, associe notamment l’École de chimie de Bordeaux), l’autre visant à élaborer des tests pour les outils de navigation.

M. Jean-Marc Thomas. Parmi les projets structurants totalement accompagnés par le pôle figure le centre de démantèlement des avions en fin de vie à Tarbes. Cette unité, réalisée dans le cadre du programme européen Life-Environnement, est opérationnelle. Le démantèlement du premier Airbus a permis de démontrer que nous pouvions récupérer 80 % de la matière « bottle to bottle », c'est-à-dire de façon à pouvoir restituer la même pièce.

Par ailleurs, lorsqu’Air France a quitté la zone de Montaudran, le pôle de compétitivité a obtenu que l’on n’utilise pas la quarantaine d’hectares libérée pour construire de nouveaux supermarchés, mais pour conforter notre puissance scientifique. Le Grand Toulouse a alloué ces surfaces au développement de différentes structures qui permettront d’accroître notre rayonnement.

Mme Agnès Paillard. Je citerai un autre exemple : le pôle STIC (sciences et technologies de l'information et de la communication) qui se met en place, avec notamment l’arrivée de l’Institut national de recherche en informatique et automatique (INRIA) sur le campus de Bordeaux. Plusieurs entreprises, dont Thales, s’associent à ce projet pour créer un laboratoire mixte. À terme, le centre de compétence regroupera sans doute un millier de personnes.

M. Jean-Marc Thomas. Voilà pour le bilan des trois dernières années. Le pôle est entré en septembre dans son ère 2.0, que Mme Agnès Paillard aura pour mission d’animer.

Mme Agnès Paillard. Le spectre des thèmes technologiques couverts par le pôle est très large. Les possibilités de diversification aux interfaces sont réelles. Il faut néanmoins avoir conscience qu’il est très difficile de faire bouger un périmètre aussi complexe. Les réalisations qui vous ont été présentées sont essentiellement le fait de l’animation qu’ont assurée bénévolement des chefs d’entreprise et des ingénieurs.

Très attentifs au risque d’essoufflement, nous veillons à maintenir le haut niveau de nos projets. Le comité de labellisation rassemble des personnes issues d’horizons variés : toutes sont très exigeantes quant au contenu scientifique des projets.

Nous veillons également à la « birégionalité » au sein de chaque projet.

Autre point : nous tenons beaucoup à l'implication des PME et nous sommes bien conscients qu’il faudra faire un effort supplémentaire pour les amener vers de nouveaux programmes de recherche et développement.

M. David Habib, Président. Comment la propriété industrielle se répartit-elle entre les grands groupes et les PME ? C’est une question qui se pose dans presque tous les pôles de compétitivité.

Mme Agnès Paillard. Les entreprises ont mis en place leurs accords de confidentialité et de propriété intellectuelle, chacune à leur niveau. Conscients qu’il fallait se doter de nouveaux moyens sur ce point, nous avons recensé les bonnes pratiques dans les autres pôles. J’ai proposé dans le programme budgétaire de cette année que le pôle se dote d’un consultant dont le rôle sera d’assister les PME lors de l’émergence de tous les projets et de les aider à bâtir leurs accords de confidentialité.

Jusqu’à présent, les choses se sont plutôt bien passées, notamment grâce aux animateurs des domaines d’action stratégique : le fait que ce soit une personne appartenant à une entreprise tierce qui présente le projet au comité de labellisation garantit un certain équilibre des forces. Nous jugeons néanmoins qu’il faut faire beaucoup plus pour les PME, que nous devons impliquer en plus grand nombre dans les projets.

M. Jean-Marc Thomas. Sans doute la filière aéronautique et spatiale est-elle parvenue à une certaine maturité. Les huit industriels majeurs ont apporté 9 millions d’euros à la Fondation de recherche pour l’aéronautique et l’espace, sachant qu’ils ne pourraient en aucune façon devenir détenteurs de la propriété intellectuelle qui en résulterait : celle-ci revient aux laboratoires publics qui ont été ainsi aidés. En trois ans d’existence, nous avons apporté la preuve que nous sommes capables de prendre de la distance par rapport à la propriété intellectuelle dès lors que cela fera avancer les laboratoires et la science : de toute façon, nos produits en bénéficieront.

Mme Agnès Paillard. Le fait de rassembler 250 PME est à la fois une force et une difficulté. En dépit d’un certain émiettement, le continuum que nous nous attachons à maintenir entre grands groupes, entreprises de taille intermédiaire et PME représente une force de développement considérable.

En matière de R&D, nous avons à cœur que les projets ne s’arrêtent pas à la fin de la phase de recherche et qu’ils connaissent la plus large diffusion. Nous organiserons à cet effet des rendez-vous technologiques en nous appuyant sur les acteurs locaux (Aquitaine valorisation, centre de valorisation des PRES, agences de l’innovation). L’objectif est de recenser les brevets et les licences disponibles que les laboratoires privés ou publics (le CNES, notamment) n’arrivent pas à diffuser auprès des PME et d’évaluer le degré de maturation des projets portés par le pôle afin de déterminer si l’on peut passer à une phase applicative dans le cadre d’une PME. Une expérience menée l’année dernière par un technopôle a rencontré un grand succès.

Comme nous l’avons indiqué, les domaines d’activités stratégiques sont animés uniquement par des personnes détachées des grands groupes et de PME, de manière bénévole. Cela étant, notre pôle entre dans une phase où il faudra déployer un peu plus d’énergie pour faire émerger les projets et pour que ceux-ci touchent également les entreprises qui ne sont pas venues naturellement vers nous. Le fonds européen de développement régional (FEDER) va nous permettre d’affecter des technologues à plein-temps aux domaines d’activités stratégiques dont les projets sont les plus nombreux. Dans le domaine des matériaux et dans celui des systèmes embarqués, par exemple, des séances de créativité ont permis de dégager beaucoup d’axes stratégiques de R&D intéressants, mais on n’a pas encore la capacité de mettre sur pied les projets : une PME ne peut se permettre de mettre à disposition un ingénieur pendant quinze jours pour prospecter des partenaires et faire de la veille technologique pour déterminer la viabilité d’un projet. Les permanents que nous avons l’intention de recruter pourront assurer ces tâches. Ils épauleront également les cinq permanents du pôle pour assurer le suivi des projets.

On sent bien que, dans cette deuxième phase, nous devrons plus « aller chercher » les choses et faire venir vers nous les entreprises.

À l’international, la démarche a jusqu’à présent consisté à identifier les grands bassins d’emploi mondiaux avec lesquels nous pouvions travailler. Après que les premières conventions ont été signées, les membres du pôle, notamment les PME, attendent quelque chose de beaucoup plus opérationnel en termes de conquête de marchés ou d’installation dans les pays cibles.

Nous avons décidé, pour l’ère 2.0 du pôle, de nous consacrer à six premiers pays (deux nouveaux pays par an). À cet effet, nous travaillerons avec les grands groupes sous forme de portage, dans le cadre du pacte PME international : nous leur demanderons de nous mettre à disposition des bureaux ainsi que des contacts locaux qui nous aideront à trouver les clefs des économies et des entreprises locales. Nous choisirons un nombre maximum de 10 PME membres du pôle pour chaque pays et nous ferons le point de leurs attentes à l’international. Puis nous recruterons un VIE (volontaire international en entreprise) dont nous définirons la description de poste selon ces attentes précises. Ce VIE consacrera au moins un mois, avant de partir, à travailler avec les entreprises en question. Dans le pays cible, la grande entreprise l’accompagnera, ainsi que les missions économiques.

Nous prévoyons de recruter nos deux premiers VIE dès le mois de septembre. Les trois priorités, du fait des accords passés, sont l’Allemagne, avec le grand pôle de Hambourg, la Chine – usine d’Airbus à Tianjin – et le Québec, où un certain nombre de PME sont implantées.

Je me dois cependant de signaler une difficulté : chacune de nos deux régions ayant une démarche différente d’accompagnement à l’international, il faudra veiller à une certaine homogénéisation et à un certain équilibre. Les entreprises doivent avoir les mêmes conditions quant aux aides que les conseils régionaux peuvent leur offrir.

Autre axe que nous entendons développer : les financements privés. Les financeurs sont vraiment venus frapper à la porte et nous ont fait part de leur envie de travailler avec ces filières, d’en comprendre le fonctionnement et de participer au progrès qu’elles apportent. Nous allons constituer des pools de partenaires de financement consacrés tant aux problématiques de financement de la R&D qu’à celles du développement des PME. Des établissements comme le Crédit agricole ou HSBC, par exemple, sont demandeurs de réunions communes avec les entreprises, ayant du mal à trouver par eux-mêmes les projets de R&D ayant un véritable potentiel de développement.

M. David Habib, Président. Quel est le nombre de brevets issus de la mise en œuvre d’Aerospace Valley depuis trois ans ?

Par ailleurs, je puis témoigner du foisonnement des entreprises de ce pôle, même si ma circonscription est pratiquement la seule d’Aquitaine à ne pas accueillir d’industrie aéronautique. Quel est, selon vous, le nombre d’entreprises nouvelles créées par votre pôle ?

Mme Agnès Paillard. À ma connaissance, le bilan d’Aerospace Valley en matière de brevets est de 32. En revanche, il est difficile de donner un chiffre d’entreprises créées – je crois d’ailleurs qu’un fonctionnement différent nous permettrait d’être plus performants pour cette évaluation.

Un point toutefois : les secteurs de l’aéronautique et des systèmes embarqués sont allergiques aux technologies qui ne sont pas parvenues à maturité. Hormis les sociétés de services, aucune société récente ne sera retenue pour fournir des équipements embarqués. C’est une question de mentalité, mais aussi de durée des programmes : la technologie choisie doit être à même de durer et d’être maintenue pendant trente ans, d’où la réserve des donneurs d’ordres à l’égard des technologies très récentes et des petites structures. Cela suscite des mécontentements mais le risque de rupture de la chaîne d’approvisionnement fait que la tendance reste la même.

Si la création d’entreprises ex nihilo se révèle difficile dans ces domaines, la navigation et la géolocalisation satellitaires représentent en revanche un axe important de développement et de création d’entreprises, qu’il s’agisse de recherche de personnes, de transport de matières dangereuses, de détection des polluants ou d’analyse des terrains agricoles.

M. David Habib, Président. En d’autres termes, les 11 000 emplois créés que mentionnait M. Thomas l’ont été dans des entreprises déjà établies.

M. Jean-Marc Thomas. Oui, principalement. Le droit d’entrée dans l’aéronautique est très lourd, étant donné que l’on doit pouvoir suivre des cadences de production de 450 à 480 avions par an, comme cela a été le cas en 2008.

Nous avons en revanche travaillé dans deux autres axes.

D’abord en matière de restructuration (la taille moyenne des entreprises en Aquitaine est de 23 personnes et d’un peu plus de 40 en Midi-Pyrénées) afin de permettre à des entreprises trop petites pour affronter sereinement l’avenir de se regrouper et d’atteindre des tailles plus critiques.

Ensuite, en matière d’actions collectives, nous avons par exemple mené une formation en direction de plus de vingt entreprises sur l’usinage des composites à grande vitesse, formation qu’elles n’auraient pas pu se payer individuellement. Nous avons également essayé de les regrouper dans des « fausses coopératives » pour mutualiser les achats et accéder ainsi au juste prix.

Mme Agnès Paillard. Le projet Nacomat (nano composites materials) vise aussi à promouvoir la création d’entreprises. Dans ce cas de figure, on part des technologies utilisées en aéronautique pour les diffuser vers d’autres secteurs.

M. David Habib, Président. Nul ne conteste la réussite d’Aerospace Valley. Pouvez-vous cependant nous dire aujourd'hui quelle a été la valeur ajoutée de cette labellisation par rapport à la multitude d’entreprises que vous êtes arrivés à fédérer et par rapport à la filière aérospatiale qui, nous semble-t-il, aurait connu un fort développement même en l’absence du pôle ?

M. Jean-Marc Thomas. On peut dire que nous avons contribué à la création directe de cinq emplois : ceux de nos cinq permanents… Pour tout le reste, notre rôle est de dynamiser et de consolider. S’il y a aujourd'hui un centre de démantèlement à Tarbes, c’est qu’Aerospace Valley a pu opérer une synthèse avec des partenaires aussi différents qu’Airbus, Sita, Safran, etc.

L’axe de la recherche et de l’innovation est primordial. Aerospace Valley est une immense machine à projets, dit-on. C’est vrai en ce sens que nous avons réussi à faire travailler ensemble des gens qui ne se connaissaient que par l’annuaire. Les brain stormings que nous avons initiés ont fait apparaître nouvelles créativités et des projets communs pour les mettre en œuvre. Les deux tiers de nos projets sont des partenariats nouveaux par rapport à l’état des lieux réalisé avant la mise en place du pôle.

En matière de création d’emplois, le pôle joue donc son rôle en amont en exploitant toute la potentialité du bassin d’emploi.

M. David Habib, Président. Pour ce qui est des brevets, des emplois, entre autres, avez-vous mis en place une procédure d’évaluation ?

M. Jean-Marc Thomas. C’est un sujet sur lequel nous travaillons. L’ère 1 était l’ère de l’aventure, l’ère 2 sera celle de la structuration. Nos engagements triennaux seront d’ailleurs signés au prochain salon du Bourget.

Pour ce qui est de l’évaluation des projets lancés au début de l’existence du pôle, le comité de labellisation et différentes personnes issues des groupes d’animation mettent en place un process qui n’existait pas mais qui devient nécessaire maintenant que les projets arrivent à maturité : réussites et échecs, respect ou non des engagements initiaux, notamment en matière d’emploi.

Mme Agnès Paillard. Nous avons mis en place une batterie d’indicateurs, certains classiques, d’autres plus spécifiques telle l’embauche des thésards.

M. David Habib, Président. Des thésards de l’université ou des grandes écoles ?

M. Jean-Marc Thomas. Nous avons plus de thésards issus de l’université.

La « commission Philip » a dénoncé un système stéréotypé : les écoles d’ingénieurs ont la réputation de formater « plug and play » ce qu’attend le marché de l’emploi ; les universités, en revanche, ont un recrutement beaucoup plus ouvert et sont davantage orientées vers la recherche. Il faut réunir ces deux mondes, notamment en faisant en sorte qu’un thésard embauché dans l’entreprise obtienne, au bout de trois ans, les mêmes conditions qu’un « bac plus cinq » entré en même temps que lui.

M. David Habib, Président. Si vous deviez réaliser une évaluation de votre propre pôle, quelles seraient, selon vous, les améliorations à apporter dans la période qui démarre ?

M. Jean-Marc Thomas. Si nous comptons renforcer l’action en direction des PME, c’est que nous considérons qu’il y a un espace de progrès devant nous. De même pour l’international.

Mme Agnès Paillard. La faiblesse structurelle en matière la création d’entreprises ne doit pas, pour autant, nous faire baisser les bras.

Nous devons également prendre garde au côté un peu « enfermant » des pôles : ce sont toujours les mêmes qui interviennent, ils étaient à l’école ensemble, dans les entreprises ensemble, ils échangent des ingénieurs, tout cela sans grands changements. Il faut savoir ouvrir les fenêtres et faire diffuser ces savoirs et ces technologies vers d’autres axes industriels. Le pôle ne doit pas oublier de jeter des ponts vers d’autres domaines. Tout le monde souhaite que la filière aéronautique soit aussi active qu’aujourd'hui dans vingt ans, mais qui peut le garantir ?

Je constate également le poids du traitement administratif qu’implique cette nouvelle machine. Il est hors de question que je fasse de l’administration « assise ». Le pôle n’a pas été créé pour introduire une masse administrative additionnelle. C’est pourquoi j’essaie de convaincre certains de nos financeurs de lâcher un peu prise et de ne pas imposer un niveau de détail déraisonnable.

C’est une bonne chose que les pôles de compétitivité soient très visibles, mais cela les met parfois en porte-à-faux par rapport à d’autres structures que nos interlocuteurs en viennent à considérer comme redondantes. C’est ainsi que l’on nous interroge sur l’action en matière d’attractivité, alors que deux agences sont payées pour cela !

M. Jean-Marc Thomas. Le groupe « Écosystème de l’innovation », auquel je participe dans le cadre de la « Stratégie nationale de recherche et d’innovation », a considéré que les pôles constituaient de ce point de vue un moteur, puisqu’ils dynamisent le triangle industrie-recherche-formation.

Par ailleurs, l’Europe se demande comment mettre à profit la dynamique des clusters que l’on voit éclore un peu partout, chacun avec ses spécificités. Elle vient de mettre en place un European cluster policy group où la France sera représentée par l’ancien sénateur Pierre Laffitte, dont vous connaissez l’action à Sophia Antipolis, et moi-même. Nous avons créé un club des 17 pôles mondiaux et à vocation mondiale qui se réunit très régulièrement et qui s’efforce de réfléchir à la façon dont les pôles pourraient s’impliquer encore plus dans la relance. Nous échangeons des informations en matière de « meilleures pratiques ».

À cet égard, l’analyse de la MEC sera intéressante et je serai heureux de la relayer.

M. David Habib, Président. Merci de nous avoir ainsi exposé les forces de ce pôle de compétitivité.

Audition du 3 juin 2009

À 14 heures : M. Jean-Daniel Tordjman, ambassadeur délégué aux pôles de compétitivité.

Présidence de M. David Habib, Président

M. David Habib, Président. Monsieur l’ambassadeur, nous avons le plaisir de vous souhaiter la bienvenue pour la poursuite des auditions de la mission d’évaluation et de contrôle relative aux perspectives des pôles de compétitivité.

Trois députés sont chargés de préparer le rapport de la mission : les rapporteurs spéciaux de la commission des Finances sur la recherche, MM. Alain Claeys et Jean-Pierre Gorges, et M. Pierre Lasbordes, désigné par la commission des Affaires économiques.

Nous vous savons gré de votre disponibilité et d’avoir accepté de témoigner devant nous à quatorze heures, ce qui permettra aux députés d’assister à la séance des questions au gouvernement.

Je salue M. Gérard Moulin, président de section à la Cour des comptes.

Je donne sans plus attendre la parole à nos rapporteurs.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Pouvez-vous nous préciser votre rôle et votre fonction en tant qu’ambassadeur aux pôles de compétitivité ? Quel dispositif juridique fonde votre compétence ?

M. Jean-Daniel Tordjman, Ambassadeur délégué aux pôles de compétitivité. Je suis honoré d’avoir été invité à échanger sur ce sujet particulièrement intéressant, que j’ai découvert il y a à peu près un an lorsque j’ai été nommé, par une lettre de mission du ministre des Affaires étrangères et européennes et de la ministre de l’Économie, pour exercer le rôle d’ambassadeur aux pôles de compétitivité – mission un peu « commando ».

Créés en 2005 par le Gouvernement, les pôles de compétitivité ont été évalués il y a un peu plus d’un an. Un des grands enjeux étant l’internationalisation, les pôles sont un des outils permettant de bâtir les industries du futur, de transformer des idées scientifiques en produits pour le marché mondial. Il a semblé utile, pour à la fois les écouter et comprendre leur stratégie, d’y introduire des gens ayant l’habitude de l’international. C’est mon cas puisque, en poste à l’étranger à plusieurs reprises, j’ai passé beaucoup de mon temps à négocier des contrats dans toutes sortes de pays.

Avant d’avoir une stratégie internationale, il faut une stratégie nationale, c’est-à-dire savoir où l’on va, ce que l’on veut, en essayant d’être plus sélectif dans les orientations.

La lettre de mission me demande, pour l’essentiel, de travailler avec les pôles dans leur dimension internationale, en termes de soutien aux entreprises dans leurs projets internationaux, notamment pour leurs exportations et leurs investissements, et de renforcement de notre attractivité, et de les aider globalement dans leurs démarches avec les administrations. J’ai d’ailleurs occupé pendant sept ans le poste d’ambassadeur aux investissements internationaux.

M. Alain Claeys, Rapporteur. C’est une tâche importante. Vous avez pris connaissance de l’audit, commandé par le Gouvernement, destiné à faire un premier bilan des pôles de compétitivité.

Selon vous, combien de pôles sont en capacité d’avoir une stratégie internationale ?

Quelle plus-value à l’international peut apporter un ambassadeur aux pôles de compétitivité à une entreprise comme Thales ?

M. Jean-Daniel Tordjman. Je conseille aux pôles d’être extrêmement sélectifs dans leur démarche à l’international, car il y a énormément de risques et beaucoup à perdre si l’on n’est pas armé pour négocier globalement. Je travaille essentiellement avec le Club des pôles mondiaux, c’est-à-dire les dix-sept pôles les plus rodés à l’international, mais auxquels il reste néanmoins des progrès à faire.

Bien entendu, j’ai réuni un nombre plus grand de pôles – pas seulement les pôles mondiaux ou à vocation mondiale –, afin d’échanger sur tel ou tel pays, mais les actions se sont concentrées pour l’essentiel, sur seize ou dix-sept d’entre eux.

J’ai toujours travaillé avec les grands groupes, où le rythme de réflexion au regard des contraintes administratives est différent, même si une entreprise comme Thales a énormément d’expérience ou un organisme comme le CEA a une vision à vingt ou trente ans. Les horizons des entreprises étant, d’une manière générale, plus courts, nous pouvons les aider à débroussailler tout le terrain administratif du côté des pays partenaires. Je suis d’ailleurs président du Club des ambassadeurs.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Comment les choses se sont-elles passées concrètement pour deux ou trois dossiers que vous avez traités : à quel stade vous en êtes-vous emparé, qu’avez-vous pu régler et où en sont-ils aujourd’hui ?

M. Jean-Daniel Tordjman. Prenons l’exemple de la coopération dans le domaine spatial, qui va se conclure au Bourget, avec un certain nombre de grands groupes au sein du pôle Aerospace Valley. Au départ, ce projet, qui vise à rapprocher les régions Aquitaine et Midi-Pyrénées avec la Californie, semblait très complexe au pôle, qui ne l’avait pas approuvé. Notre ambassadeur à Washington, M. Vimont, a accompli de nombreuses démarches et a expliqué le potentiel énorme que représente la Californie du Sud.

Ayant passé dix ans de ma vie aux États-Unis, dont sept comme ministre à Washington, je connais bien le monde américain. Nous avons supprimé dans notre réseau le poste de Los Angeles, ce qui à mon sens est une erreur ! La Californie du sud représente 1 000 milliards de dollars, c’est-à-dire vingt fois ce que produit la Tunisie où nous avons des équipes de vingt ou trente personnes.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Nous avons maintenant un bon consul !

M. Jean-Daniel Tordjman. Mais cela ne suffit pas : il faut une équipe économique.

Notre première démarche a donc été de montrer aux gens du pôle que la Californie, c’est du sérieux. Notre deuxième démarche a été de préparer une délégation. Évidemment, je suis bien placé pour aider aux contacts avec notre ambassadeur pour les missions scientifiques et économiques. C’est ainsi qu’une délégation d’une vingtaine d’industriels s’est rendue en Californie où l’équipe du gouverneur Schwarzenegger, composée entre autres de spécialistes du domaine spatial, lui a fait passer un oral d’une heure…

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il s’agissait donc d’une rencontre entre le gouverneur de Californie et la délégation d’industriels ? Ceux-ci n’avaient jamais eu de contacts avec la Californie ?

M. Jean-Daniel Tordjman. Pratiquement pas.

Il y avait dans la délégation des PME et des grands groupes, comme Safran, Thales…

M. Alain Claeys, Rapporteur. Thales n’avait jamais eu de contacts avec la Californie ?

M. Jean-Daniel Tordjman. Il est probable que si, mais ce n’était pas le cas des gens de Thales de Toulouse qui étaient avec nous.

Lorsque j’étais en poste aux États-Unis, j’organisais tous les deux ans une rencontre avec la Rand Corporation, émanation de la CIA et de l’US Air Force. Depuis, il y en a eu peu. Nous venons de tenir, en présence d’une quarantaine de leurs spécialistes, une table ronde sur les relations entre l’Europe, les États-Unis et l’Asie. C’est un moyen d’influence.

Nous avons ensuite travaillé avec les autorités locales de Californie et avec les nôtres pour aboutir à un accord, auquel nombre de personnes ont contribué. Quelques détails restent en discussion, mais cet accord va bientôt aboutir. Il devrait déboucher en premier lieu sur une formation et sur des contacts ultérieurs entre des jeunes leaders qui seront sélectionnés, du côté californien, par la California Space Autority et, du côté européen, par notre pôle Aerospace Valley. Le second aspect aura trait à des coopérations recherche et à des coopérations PME. D’ores et déjà, plusieurs contacts intéressants ont été pris.

Si tout se passe bien, des choses se développeront des deux côtés : d’une part, entre les deux régions et la Californie, qui a un potentiel considérable, d’autre part, du moins je l’espère, entre le Centre national d’études spéciales et la NASA, pour développer une coopération un peu plus officielle qu’un pôle de compétitivité. Je travaille actuellement avec l’équipe du CNES en ce sens.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Un pôle de compétitivité n’est pas lisible à l’international ?

M. Jean-Daniel Tordjman. Ce n’est pas la même chose.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous qui avez été chargé des investissements internationaux, dites-nous ce qu’apporte de plus à l’international un pôle de compétitivité ?

M. Jean-Daniel Tordjman. Leur rôle n’est pas très connu, car relativement récent, mais les spécialistes de ce milieu, de ces réseaux, savent de quoi il s’agit. Des rencontres internationales des pôles se tiennent presque tous les jours. Il s’agit donc d’un élément de connaissance supplémentaire.

Un étranger qui débarque dans une région recherche des réseaux, demande à être intégré dans une réalité économique et sociale. Un pôle lui donne une ouverture.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Je vais poser ma question différemment.

Avec Pierre Lasbordes, nous avons à peu près compris qu’au niveau local un pôle de compétitivité est une interface entre la recherche-développement et le territoire. Quand vous avez accepté ce poste, vous avez fait le tour de la question ; vous êtes au fait des relations internationales à tous les niveaux. Dites-nous ce qu’apporte de plus un pôle de compétitivité pour permettre aux entreprises de pénétrer le marché international.

M. Jean-Daniel Tordjman. Il faut connaître ce qui se fait de mieux au plan mondial et essayer de l’appliquer chez nous.

Les universités américaines sont sources de création de richesses et non de coûts budgétaires, parce que, il y a un siècle et demi, au lendemain de la guerre de Sécession, un président visionnaire leur a octroyé 7 millions d’hectares. L’université du Maryland, par exemple, dispose de milliers d’hectares où sont venus s’installer la Food and Drug Administration et 7 000 chercheurs en pharmacie et chimie, ce milieu très favorable lui ayant permis d’attirer des entreprises.

Cette démarche intellectuelle, cette ouverture d’esprit sont déterminantes. J’ai donc fait part au ministre de la recherche de la nécessité que les universités disposent de foncier : c’est le meilleur moyen de les consolider.

Les Israéliens ont inventé le système des incubateurs tirés par des capitaux-risqueurs, qui fonctionne bien mieux que les autres. Des capitaux-risqueurs sélectionnent les entreprises, les aident à se développer et prennent une participation de 40 % à 50 % dans les entreprises au sein des incubateurs. Ce concept beaucoup plus « business » permet de décoller plus rapidement. J’en ai ramené l’analyse, et le pôle Systematic et Sophia Antipolis essaient de faire des choses de cette nature. Cela permet de nouer des contacts dans les autres pays.

Si vous avez un bon contact avec les autorités du Massachusetts ou de Californie, vous entrez dans de nouveaux réseaux ; le problème est donc d’y entrer et d’être vus comme des gens sérieux. Or les pôles sont un réseau, 6 000 entreprises en font partie. Cela aide à établir des contacts avec les réseaux des pays les plus avancés, avec lesquels il faut bien sûr traiter.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. En tant que président du groupe parlementaire pour l’espace, j’ai du mal à croire que Thales ait besoin de vous pour rencontrer les spécialistes de California Space Autority. Je pense que vous les sous-estimez.

Cela étant, comment concevez-vous votre rôle ? Allez-vous faire la promotion des meilleurs pôles auprès des pôles français à dimension mondiale ? Ou allez-vous plutôt aider les pôles qui sont presque au niveau mondial à atteindre cette dimension ? Vous avez un bon carnet d’adresses, Thales, EADS,…

M. Jean-Daniel Tordjman. J’en ai parlé avec les dirigeants de ces deux groupes. Développer des activités avec les Californiens n’était pas pour eux une priorité. Le pôle le fait parce qu’il y a sans doute des marchés pour un certain nombre d’entreprises, qui ne sont pas de leur niveau. Il fallait les intéresser à ce projet. Nous y sommes parvenus et nous verrons bien ce qui en sortira.

Nous faisons aussi du travail plus courant. En particulier, un travail d’écoute, pour savoir ce qu’ils veulent faire, par exemple en allant au Pôle Mer en Bretagne. Quelles priorités stratégiques se fixent-ils ? Avec quels moyens ? Connaissent-ils les différents réseaux ? Nous vivons dans des mondes cloisonnés et il n’est pas sûr que les réseaux de contact des dirigeants des grands groupes coïncident totalement avec les nôtres. D’ailleurs, en tant que président du Club des ambassadeurs, je constate que les entreprises ont d’autres contacts. C’est une autre mise en perspective.

À mon avis, un pôle peut apporter beaucoup à des entreprises qui ne sont pas au même niveau, en leur donnant simplement des idées, des ouvertures et des éléments de carnet d’adresses leur permettant de s’approprier des marchés ou de les attaquer. Je pense à Cosmetic Valley.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Les pays étrangers portent-ils un regard circonspect ou admiratif sur nos pôles de dimension mondiale ?

M. Jean-Daniel Tordjman. Cela dépend des pays. Deux grandes conceptions coexistent : celle de Michael Porter sur la nécessité d’avoir un réseau et celle que nous avons essayé d’introduire en France : un réseau assorti d’une stratégie. En Amérique, la stratégie est fixée par les entreprises, par les groupes eux-mêmes, et non par une entité. Le choix français a été différent. Pourquoi ?

Notre pays a toujours très bien réussi dans les innovations relevant de notre souveraineté : espace, aéronautique, armements, TGV, nucléaire. Quand un domaine conjugue grands enjeux, entreprise leader et gouvernement ou technostructure désireuse d’aller de l’avant, il est résolument parmi les meilleurs. En revanche, quand une technologie va se développer non pas par le sommet, mais par la base et va porter des fruits en fonction non pas des décisions gouvernementales, mais des projets du monde des chercheurs et du monde des entreprises, nous ne savons pas faire aussi bien. Nous avons raté le Plan calcul et beaucoup de choses dans le domaine des biotechnologies ; nous avons inventé les écrans plats, mais ce sont les Coréens et les Japonais qui les ont vendus ! La France va se retrouver dans la même situation dans le domaine des nanotechnologies, où il faudra à la fois une impulsion très forte d’en haut et une remontée de la base. Or, elle est extrêmement timide dans ce secteur de l’infiniment petit qui, selon les experts, représentera 15 % du marché industriel mondial en 2015, contre 0,15 % aujourd’hui. Nous sommes bons en nanosciences, mais mauvais dans les applications ! Nous avons le même budget et les mêmes publications scientifiques que les Coréens, mais sept fois moins de brevets ! Par conséquent, les pôles devraient jouer un rôle, Minalogic étant particulièrement pertinent. Il faut aussi des moyens supplémentaires, gouvernementaux ou extragouvernementaux, pour aller de l’avant.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Un des rôles des pôles de compétitivité est de faire émerger des PME plus puissantes, particulièrement à l’export.

Dans les quinze ou seize pôles à caractère mondial que vous suivez plus particulièrement, quelles faiblesses décelez-vous de ce point de vue chez les PME ? La gouvernance des pôles, telle que vous la voyez fonctionner, est-elle adaptée aux PME ?

M. Jean-Daniel Tordjman. S’agissant de la gouvernance, les 70 pôles paient 300 personnes qui ont autour d’elles plusieurs milliers de bénévoles. Les gens sont en nombre très limité, très jeunes, et les pôles sont surtout, pour l’instant, des machines à monter des projets. Tel ou tel responsable local ou national leur demande de l’accompagner en Tunisie, au Mexique, mais il n’y a ni réelle organisation ni partenariats essentiels pour faire du business.

Dans les entreprises où je me suis rendu, on trouve très souvent des personnes talentueuses en matières scientifique et technologique, mais pas assez de spécialistes du commerce, de la finance et de l’industrie. En partant de start-up, les Américains arrivent à créer des géants comme Intel ou Google grâce à leur marché unifié – le nôtre est encore fragmenté –, mais surtout parce qu’ils ont intégré dès le départ l’idée qu’un scientifique, même génial, n’a ni le profil ni les compétences pour lancer une entreprise. J’ai écrit un ou deux articles sur ce thème : il est vain d’envoyer un scientifique trois semaines à HEC ou à Science Po !

Pour l’instant, le capital-risque est écarté des pôles. J’ai organisé la première réunion entre les pôles mondiaux et les patrons du capital-risque français il y a quelques semaines, après avoir constaté qu’ils ne se connaissaient pas et même qu’ils se regardaient les autres avec un peu de recul. Nous sommes en outre extrêmement individualistes par rapport aux Américains, qui échouent s’ils n’ont pas l’esprit d’équipe. Je conseille donc aux pôles de former des équipes, d’avoir des contacts et de fixer, dès le départ, des règles du jeu – par exemple 20 % pour le scientifique, 30 % pour le commercial, etc. –, car ce serait folie de se disputer au moment où ça marche ! Et il faut aussi des commerciaux dès le départ !

Nous n’avons pas de pôle spécialisé marketing. Comme la formule des pôles a marché, il pourrait être intéressant d’y trouver des gens spécialisés dans ce domaine, comme à Cosmetic Valley, ou des personnes très orientées vers le commerce, qui pourraient apprendre des choses aux autres. Certains pôles sont dominés par les ingénieurs et les scientifiques.

La création d’un pôle Finance Innovation a été une excellente chose. Même s’il faudrait y faire entrer davantage le capital-risque, il donne des conseils aux uns et aux autres. Mais il ne comporte pas de vendeurs.

Aucun pôle n’existe dans les domaines où nous sommes, avec les Italiens, les meilleurs depuis des siècles : la créativité, le design et le luxe. Le monde changeant à une vitesse vertigineuse, il faut trouver de nouveaux produits et de nouveaux marchés, et ce sont des gens à l’esprit ouverts qui pourront s’adapter.

La France n’est plus compétitive dans quantité de secteurs où s’engouffrent massivement les Chinois et bien d’autres. Sans parler du jouet et du textile, le luxe sera touché, notamment l’image de la femme. Dans un article paru dans Le Figaro et intitulé « Demain, la beauté sera asiatique », j’explique que le Japon, pays asiatique le plus avancé en matière de développement industriel et financier, ne considère pas que ses femmes peuvent être des icônes mondiales, au contraire des Chinois et des Coréens ! Voyez le film La Cité interdite avec Gong Li et toutes ces jeunes chinoises bien en chair : c’est un manifeste qui affirme que leurs femmes sont aussi belles que les nôtres et qu’ils vont envahir les marchés ! Ce n’est pas du tout anecdotique ! Les marges dans le domaine des cosmétiques et des parfums sont de 70 %. La France vit en grande partie sur l’industrie du luxe et elle va être en compétition avec la Chine et la Corée, que nous n’avons jamais pris pour des concurrents sérieux.

Les Coréens sont les plus habiles pour aller chercher les brevets mondiaux et les transformer immédiatement en business. Nous, nous ne savons pas le faire, en particulier parce que notre fiscalité a poussé à l’exil des dizaines de milliers d’entrepreneurs français, désormais perdus pour le pays.

Les pôles sont un révélateur de nos potentialités et de nos déficiences. Dans ce jeu international, où des pans entiers des industries européennes, comme l’acier, l’électronique et l’automobile, risquent de s’effondrer, nous devons nous concentrer sur la création de valeur ajoutée et sur l’excellence, pour lesquels nous sommes très sérieusement en compétition.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous avez beaucoup fréquenté nos ambassades dans le monde. Il y a quelques années, un rapport a évalué nos représentations économiques dans nos ambassades. C’est tout de même là que les choses se passent ! Quelle vision en avez-vous aujourd’hui ? Sont-elles inégales ? Observez-vous un désengagement ?

M. Jean-Daniel Tordjman. Je viens de ce milieu. Ayant été en poste à l’étranger à plusieurs reprises, je peux vous dire que les évolutions ne sont pas tout à fait favorables car, d’une part, nous avons opéré une division entre la fonction commerciale et la fonction régalienne, d’autre part, nous séparons des réseaux, ce qui complexifie les choses. L’ambassade des États-Unis, dont j’ai eu en charge pendant sept ans le service économique, après en avoir été le numéro 2 pendant deux ans une dizaine d’années auparavant, est gérée d’une manière un peu technocratique.

Je vous donne un exemple. Après avoir été le coordonnateur ferroviaire pour la Chine, j’ai vu les dirigeants de la Californie à propos du TGV. Mais ce n’est pas le poste de San Francisco qui va suivre la question mais celui de Chicago, qui a une responsabilité globale en matière de transports, mais dont les membres ne peuvent se rendre en permanence à Sacramento, là où les choses se passent ! SNCF International et Alsthom vont se trouver en dehors de la course, qui se fait d’abord sur les spécifications techniques, tandis que les Japonais et les Allemands sont eux sur place ! Nous risquons donc de manquer le coche pour cette seule raison, parce que nous n’avons pas de chef de poste responsable et compétent sur place ! Il faut améliorer les choses !

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. J’ai le sentiment que vous êtes plutôt le « coach » que l’« ambassadeur » des pôles de compétitivité français mondiaux pour les aider à atteindre le bon niveau par rapport aux concurrents étrangers.

M. Jean-Daniel Tordjman. Tout à fait, je l’ai compris tout de suite.

Pour être allé vingt fois en Chine, vingt fois au Japon, pour avoir vécu aux États-Unis pendant dix ans et pour très bien connaître les pays du Golfe, je peux vous dire que beaucoup d’endroits restent encore de véritables découvertes. Il faut travailler dans ce domaine. Si un pôle a besoin d’être aidé, nous pouvons actionner les réseaux – les ambassades, les chambres de commerce, les réseaux commerciaux, etc. Je sais comment faire : c’est le monde dans lequel j’ai vécu. Nous œuvrons beaucoup de ce point de vue.

Dans la mesure où nous jouons aussi un rôle vis-à-vis des ambassades étrangères, il est très utile d’avoir le titre d’ambassadeur, de même d’ailleurs que lorsqu’il faut rencontrer les présidents de société.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. C’est une carte de visite.

M. Jean-Daniel Tordjman. Mais aussi un réseau car je ne serais pas reçu de cette façon si je n’étais pas président du Club des ambassadeurs. Si je décide de me rendre dans un pays, je téléphone à son ambassadeur en France et il me recommande les personnes avec lesquelles je peux travailler. Entre ambassadeurs, nous sommes copains, nous nous tutoyons tous, ce qui facilite beaucoup les choses.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Quel est votre rôle par rapport à celui de Jacques Valade, ambassadeur itinérant pour l’Asie ?

M. Jean-Daniel Tordjman. Nous n’avons pas de rapport particulier.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Vous êtes en concurrence ?

M. Jean-Daniel Tordjman. Non.

M. David Habib, Président. Merci beaucoup, monsieur l’ambassadeur.

Audition du 10 juin 2009

À 14 heures 30 : M. François Moutot, directeur général de l'Assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat.

Présidence de M. David Habib, Président

M. David Habib, Président. Après de nombreuses auditions destinées à apprécier la pertinence de la politique des pôles de compétitivité, la Mission d’évaluation et de contrôle a le plaisir d’accueillir M. François Moutot, directeur général de l’Assemblée permanente des chambres des métiers et de l’artisanat. Avant de laisser notre rapporteur vous interroger, je salue M. Jean-Yves Marquet, conseiller référendaire à la Cour des comptes.

M. Alain Claeys, Rapporteur. L’Assemblée permanente des chambres des métiers et de l’artisanat est un observateur précieux, et, je l’espère, un acteur important des pôles de compétitivité. À l’origine, la création de ceux-ci répondait à deux ambitions du Gouvernement : la première, territoriale, consistait à ancrer localement des interfaces entre la recherche et les entreprises autour de thématiques précises de façon à favoriser le développement des PME-PMI ; la seconde, plus globale, était d’améliorer notre compétitivité. Quel bilan dressez-vous de cette politique ? Et que pensez-vous de l’audit qui a été commandé par le Gouvernement ? Enfin, de quelle façon l’APCM s’implique-t-elle dans cette politique ?

M. François Moutot, directeur général de l’Assemblée permanente des chambres des métiers et de l’artisanat. Avant de vous répondre, je voudrais vous dire que nous sommes honorés d’être auditionnés car, en France, quand on parle des PME, le P de « petites » reste très virtuel. Le réseau des chambres des métiers est au service de 920 000 entreprises qui ne relèvent pas toutes d’un pôle de compétitivité. Seule une petite partie d’entre elles – plusieurs dizaines de milliers tout de même – peuvent y prétendre.

J’éprouve à l’égard des pôles de compétitivité un sentiment très contrasté dans la mesure où leur organisation elle-même n’est pas adaptée aux PME. Beaucoup d’efforts ont été faits en termes de gouvernance, de cohérence, mais une PME artisanale ne peut tout simplement pas participer à la gouvernance car le responsable qui aurait fait ce choix ne pourrait plus s’occuper de son entreprise. Il arrive cependant que des petites entreprises soient impliquées dans les pôles de compétitivité, mais grâce à des charnières que nous avons mises au point, c'est-à-dire des structures de regroupement ou de soutien de nature professionnelle ou consulaire. Certaines chambres des métiers ont en effet regroupé les entreprises concernées de leur secteur dans des pôles de compétitivité. Et, visiblement, cela fonctionne plutôt bien.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quelle différence faites-vous entre une structure de regroupement et une structure de soutien ?

M. François Moutot. Par exemple, la chambre des métiers de Haute-Savoie fait partie du bureau de l’association Arve Industries, ce pôle spécialisé dans le décolletage. C’est un premier type d’intervention. Ce ne sont pas les entreprises qui sont présentes, mais la chambre des métiers. En Basse-Normandie, un partenariat a été établi avec le pôle de compétitivité pour la filière équine, et la chambre des métiers fait partie de la gouvernance du pôle Transactions électroniques sécurisées.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Une telle démarche, nouvelle pour nous, vous a-t-elle conduit à engager des moyens nouveaux ?

M. François Moutot. Non. Dans la plupart des cas, les subventions sont destinées aux entreprises elles-mêmes et ce sont plutôt les chambres qui ont pris l’initiative d’aller chercher auprès des régions une partie du financement nécessaire. À ma connaissance, il n’y a pas de dispositif ad hoc. J’utilise le terme de « soutien » quand nous portons des potentialités d’entreprises.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Un pôle de compétitivité peut servir une petite entreprise à trouver des débouchés commerciaux, à participer à de la recherche-développement sur des niches et, peut-être, à partager une propriété intellectuelle. Concrètement, dans les pôles où vous êtes impliqué, qu’est-ce qui domine ?

M. François Moutot. Outre les débouchés commerciaux, qui sont un objectif classique, le pôle de compétitivité peut aussi servir à mettre au point des technologies ou des outils adaptés à la production, par exemple avec le Centre européen de recherche et de formation aux arts verriers en Lorraine. En maîtrisant mieux l’outil de production, l’entreprise a pu mieux anticiper la production, et mieux s’adapter au marché.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous été sollicité par les auditeurs mandatés par le Gouvernement ?

M. François Moutot. Au niveau national, pas que je sache.

Le résultat de l’audit ne fait que mettre en lumière les difficultés propres aux petites entreprises à trouver des financements et à maîtriser la propriété intellectuelle. Il faudrait pouvoir les accompagner dans le droit de la propriété intellectuelle car, généralement, elles ont du mal à s’y retrouver.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il me semble qu’en France, deux étapes de la vie de l’entreprise sont particulièrement délicates : la naissance, bien sûr, et la transformation de la petite entreprise en une entreprise moyenne capable d’exporter. Les pôles de compétitivité peuvent-ils aider à passer ce cap ?

M. François Moutot. Le pôle ne permettrait que de mieux maîtriser le processus de production, ce qui serait déjà une bonne chose. Je ne suis pas sûr que les difficultés auxquelles se heurtent les petites et moyennes entreprises françaises par rapport à leurs homologues allemandes viennent de l’accès à la technologie.

M. Alain Claeys, Rapporteur. À quoi les attribuez-vous ?

M. François Moutot. À des raisons fiscales et sociales. Il faut savoir que 70 % à 80 % des PME allemandes sont des entreprises individuelles. En France, on fait tout pour qu’elles deviennent des sociétés et on a une politique du « tout salarié » depuis quarante ans. Peut-être cela n’encourage-t-il pas les entrepreneurs à être plus actifs.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Si la croissance repart, les PME en seront le moteur.

M. François Moutot. Notre réservoir d’ouvriers qualifiés ne suffit pas pour répondre à une demande accrue des entreprises spécialisées. L’autre jour, un de nos constructeurs aéronautiques me disait que les délais de son programme risquaient d’être compromis par l’absence de câbleurs hautement qualifiés et de chaudronniers. Le dispositif de formation professionnelle a été régionalisé au nom de la proximité. Mais il arrive qu’un pôle de production ne trouve pas sur place de quoi satisfaire ses besoins en main-d’œuvre qualifiée : les jeunes qui veulent s’orienter vers les métiers de base de l’aéronautique ne sont pas assez nombreux dans l’Ouest.

M. Alain Claeys, Rapporteur. C’est un point important, et vous êtes le deuxième à mettre l’accent sur le problème de la formation. Considérez-vous qu’il n’est pas pris suffisamment en compte par les pôles de compétitivité ?

M. François Moutot. Je ne suis pas en mesure de vous répondre.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour vous, qu’apporte un pôle de compétitivité ?

M. François Moutot. La possibilité d’enrichir en technologies les entreprises d’une même filière et de permettre à des entreprises clientes de trouver sur le même site plusieurs fournisseurs qui peuvent, du coup, répondre à des commandes plus importantes. Et ça marche. Par exemple, la Bourgogne possède des pôles de pointe et d’autres qui ne le sont pas. À côté des pôles spécialisés dans l’énergie et les technologies numériques, il y a aussi des pôles spécialisés dans les filières bois ou alimentation. Les objectifs sont différents, selon la nature des entreprises.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Même si vous nous avez dit qu’une petite entreprise n’avait pas sa place dans un pôle de compétitivité.

M. François Moutot. Directement, non. À ce propos, nous nous demandions s’il ne faudrait pas obliger les pôles de compétitivité à s’ouvrir un minimum aux petites entreprises, par le biais d’une charte par exemple. Ce serait souhaitable, ne serait-ce que pour les aider à passer le cap dont vous parliez : avant de devenir moyenne, une entreprise a d’abord été petite, forcément. Obliger les pôles à entretenir une pépinière de petites entreprises serait cohérent avec l’approche globale.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous eu l’occasion d’en parler à des représentants de l’exécutif ?

M. François Moutot. Non, mais la représentation nationale peut assurer la médiation.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les grandes entreprises sont-elles sensibles à cet aspect ? En prenant l’exemple d’Airbus, l’avionneur s’est-il entendu avec ses sous-traitants pour pallier les difficultés de formation de la main-d’œuvre ?

M. François Moutot. La sous-traitance ne me paraît pas une dimension qui soit intégrée dans la stratégie des grandes entreprises.

M. David Habib, Président. Pourtant, dans ma région, l’Aquitaine, comme en Midi-Pyrénées, il y a une tradition d’essaimage. Se serait-elle interrompue récemment ?

M. François Moutot. Non, mais les relations sont asymétriques. Les initiatives des petites entreprises ne reçoivent pas d’écho. Nous avons, par exemple, un centre de formation de chaudronniers qui a été mis au point par une entreprise sous-traitante d’Airbus, mais, bien que l’offre soit insuffisante, il n’y a aucune coordination.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Bien que la chaudronnerie propose des métiers bien payés, les sections de formation ne sont jamais pleines et il manque des chaudronniers sur le marché. Comment faites-vous pour impliquer les petites entreprises ?

M. François Moutot. Nous avons contribué à changer l’image de l’apprentissage. Aujourd'hui, nous essayons d’entrer en contact avec l’éducation nationale, qui offre un réservoir de potentialités. L’apprentissage possède désormais une bonne image, l’apprenti un peu moins. Il y a encore du travail à faire. En outre, la quasi-totalité des adolescents n’a aucune idée de ce à quoi ressemble une entreprise. Il faut faire un travail de fond, et nous discutons avec l’éducation nationale car il faut absolument que l’entreprise entre dans les comités d’orientation pour informer sur le contenu de l’activité professionnelle future des élèves.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous l’impression que l’éducation nationale est réceptive ?

M. François Moutot. Aujourd’hui, oui. Des progrès considérables ont été accomplis, même s’il en reste à faire. Ainsi, subsiste le problème de la régionalisation : il faudrait pouvoir former à la chaudronnerie dans des régions dépourvues d’entreprises de chaudronnerie pour envoyer ensuite dans des régions qui en possèdent les élèves qui auraient été formés, mais il n’est pas facile d’obtenir des régions qu’elles financent des formations sans que des entreprises de la branche correspondante soient implantées localement. Le problème est le même aussi bien pour les métiers rares que pour les métiers répandus.

Ensuite, une formation d’apprenti mobilise trois acteurs : un apprenti, un maître d’apprentissage et un centre de formation. Ce n’est pas toujours facile.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous pilotez tout de même d’importants crédits de formation. À ce titre, vous pesez sur leur orientation.

M. François Moutot. Il ne semble pas qu’elle soit décidée en fonction des pôles de compétitivité.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Serait-ce souhaitable ? Avez-vous évoqué cette possibilité avec certaines régions ?

M. François Moutot. Nous avons évoqué le sujet du développement des pôles, mais non celui de la formation.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous connaissance que certaines chambres régionales des métiers participent au financement de projets de pôles de compétitivité ?

M. François Moutot. On dénombre une dizaine de cas, mais les chambres de métiers mobilisent davantage de crédits qu’elles n’en utilisent. Les ressources propres du réseau des chambres de métiers permettent d’assurer les missions régaliennes.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les chambres des métiers sont tout de même des acteurs importants des plans régionaux de formation.

M. François Moutot. Nous sommes au cœur du dispositif. Sur environ 380 000 apprentis, 180 000 relèvent du réseau des chambres des métiers.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Considérez-vous que les chambres des métiers doivent évoluer pour mieux s’adapter à l’existence des pôles de compétitivité ?

M. François Moutot. Nous avons, depuis une bonne dizaine d’années, une politique de pôles d’innovation qui avait pour but de mettre en commun des ressources intellectuelles pour soutenir le développement d’une filière. Nous en avons une vingtaine et nous travaillons à renforcer la cohérence entre les deux types de structure, le pôle d’innovation plus axé sur l’artisanat pouvant servir de relais avec les pôles de compétitivité.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Faudrait-il désigner une personne au sein de la gouvernance des pôles de compétitivité qui s’occuperait spécifiquement des TPE ?

M. François Moutot. C’était en quelque sorte ce que je suggérais avec la charte. Elle contraindrait les pôles à se préoccuper des potentialités de coopération avec les petites entreprises, en particulier artisanales, voire à créer des pépinières autour du pôle. Une telle organisation favoriserait et structurerait le développement local.

M. David Habib, Président. Nous vous remercions.

Audition du 24 juin 2009

À 17 heures 30 : M. Philippe Laval, directeur général délégué de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI)

Présidence de M. Georges Tron, Président

M. Georges Tron, Président. À l’occasion de cette ultime audition consacrée aux pôles de compétitivité, je suis heureux d’accueillir M. Philippe Laval, directeur général délégué de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), accompagné par M. Pascal Duyck, directeur du département Appui aux entreprises et à la recherche.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il est important de recevoir, à la fin de ces auditions, des représentants d’un organisme de propriété intellectuelle. Un des objectifs des pôles de compétitivité est en effet de valoriser la recherche et le transfert de technologies.

On a évalué les pôles, on les a classés. Quelle évaluation en faites-vous pour votre part ?

Quels partenariats l’INPI a-t-il tissés avec les pôles ? Quelles initiatives a-t-il prises pour les accompagner, quelles conventions a-t-il signées ? Au-delà de son rôle traditionnel, quelle plus-value l’Institut leur a-t-il apportée ? En particulier – c’est un fil conducteur de nos travaux –, quel bénéfice les PME ont-elles pu en retirer ?

M. Philippe Laval. Je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser notre directeur général, M. Benoît Batistelli, qui préside aujourd'hui le conseil d’administration de l’Office européen des brevets et ne peut être présent à cette audition.

Comme vous le soulignez, Monsieur le Rapporteur, la propriété intellectuelle – et en particulier la branche dont s’occupe l’INPI, c'est-à-dire la propriété industrielle qui se rapporte aux brevets, marques, dessins et modèles – est un élément important de la politique des pôles de compétitivité puisque le but de ceux-ci est de susciter et d’accompagner le montage de projets de recherche collaborative.

Le brevet est un des outils permettant de favoriser tous les partenariats de manière sûre, en mettant les parties sur un pied d’égalité. Il permet de disposer d’informations sur l’état de la technologie, notamment d’identifier, avant un projet de recherche collaborative, l’état de l’art existant, et de sécuriser ce qui revient à chacun des membres du partenariat. Grâce à la propriété industrielle, chacun dispose d’un certain nombre d’« actifs immatériels » lui permettant de valoriser les résultats de la recherche à due concurrence de ce qu’il a apporté au projet.

Le Gouvernement nous a demandé très tôt de porter notre action sur les pôles, considérant qu’il fallait y intégrer pleinement la propriété industrielle. C’est ce que nous avons fait dans le contrat d’objectifs 2005-2008 et dans celui qui est en cours.

L’accueil que nous ont réservé les pôles s’est révélé globalement très satisfaisant, avec toutefois des disparités dans la prise de conscience des aspects concrets et pratiques de la propriété industrielle.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Au-delà de cet accueil agréable, quel bilan dressez-vous de la gouvernance des pôles ? Les avez-vous trouvés armés pour traiter des problèmes de propriété industrielle ?

M. Philippe Laval. Nous avons des relations systématiques avec 63 des 71 pôles existants, notamment les pôles mondiaux et à vocation mondiale. Nous ne sommes pas présents sur le territoire des 8 restants et nous essayons de développer avec eux une coopération à partir du niveau national.

Nous avons passé des conventions de partenariat avec 10 pôles.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pourriez-vous nous présenter une convention de partenariat type ?

M. Philippe Laval. Nous vous la transmettrons.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quand il n’y a pas de convention de partenariat, l’INPI mène donc des actions ponctuelles ?

M. Philippe Laval. Nous intervenons à différents niveaux. En ce qui concerne les structures de gouvernance, nous pouvons par exemple participer aux comités de labellisation des projets de recherche. Nous menons également des actions de sensibilisation, des formations, de l’accompagnement d’entreprise. Mais ces partenariats ne sont pas formalisés par une convention qui encadrerait la coopération entre le pôle et l’INPI.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Le développement des pôles a-t-il eu une incidence sur le nombre des brevets déposés ?

M. Philippe Laval. Ces derniers temps, la croissance annuelle du nombre des dépôts de brevet des personnes morales françaises a été de l’ordre de 3 %. En septembre 2008, une rupture s’est produite, si bien que la croissance pour l’ensemble de l’année s’est établie à 1,6 %. L’étude que nous avons menée récemment avec OSÉO démontre que les dépôts des PME connaissent une croissance plus forte. Cela dit, nous ne disposons pas des outils statistiques fins qui nous permettraient d’identifier précisément les dépôts des PME liés aux pôles de compétitivité. Nous y travaillons dans le cadre du nouveau contrat d’objectifs. Aujourd'hui, seules des études assez lourdes permettent de le faire. Nous pouvons pour l’instant identifier les dépôts bénéficiant des tarifs réduits instaurés par le Gouvernement.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il serait déjà intéressant de disposer de données pour un pôle particulier.

Par ailleurs, les brevets sont-ils déposés par une seule personne morale ou par plusieurs partenaires du pôle ?

M. Philippe Laval. Les cas de figure sont variés. Ils dépendent de la manière dont sont bâtis les projets de recherche, les accords de consortium, les partenariats. À chaque projet correspond une situation particulière. Cela étant, le modèle des pôles de compétitivité est la recherche collaborative. Le dépôt de brevet est donc, a priori, collectif.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour une petite entreprise qui veut déposer un brevet, quel est l’apport du pôle de compétitivité ?

M. Philippe Laval. D’abord, le pôle contribue à sensibiliser les entreprises, les organismes de recherche, etc., à la nécessité de travailler ensemble. Ensuite, il permet à certaines PME d’accéder à des projets de recherche qu’elles ne pourraient engager sans cela.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Deux choses sont difficiles dans le dépôt d’un brevet : la description et l’aspect financier. Quel est l’apport du pôle sur ces deux sujets ?

M. Philippe Laval. Certains pôles ont prévu un véritable accompagnement des porteurs de projet. Le dispositif est parfois comparable aux services de valorisation des universités. Nous formons des membres du personnel des structures de gouvernance des pôles afin qu’ils connaissent le mieux possible les procédures de dépôt de brevet et puissent ainsi accompagner les entreprises, laboratoires ou centres de recherche.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Cela ne fait-il pas déjà partie des conventions passées avec les 10 pôles ?

M. Philippe Laval. Plusieurs opérations sont en cours dans ce cadre. Il y en a d’autres, comme le certificat d’animateur propriété industrielle (CAPI), lequel offre une formation pratique aux membres des structures de gouvernance.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Que comportent exactement les conventions de partenariat ?

M. Philippe Laval. Je le répète, elles sont à géométrie variable. On y retrouve ces actions de formation, mais aussi des opérations de sensibilisation en direction des entreprises et des laboratoires membres des pôles, ainsi que de la veille collective ou de la veille plus ciblée – ce que nous appelons les « études RISC –recherche information stratégique et concurrentielle– ».

Au-delà, nous proposons depuis 2004, à la demande du Gouvernement, des « prédiagnostics ». Nous en réalisons aujourd'hui environ 1 000 par an, dont un certain nombre dans les pôles de compétitivité. Il s’agit d’examiner avec un partenaire – entreprise ou autre – ce que la propriété industrielle peut apporter à son développement.

M. Alain Claeys, Rapporteur. C’est donc une évaluation.

M. Philippe Laval. Seulement un prédiagnostic, car l’INPI ne peut être juge et partie. Seule la profession des conseils en propriété industrielle et les avocats spécialisés sont à même d’accompagner une entreprise ou un laboratoire dans la définition de sa stratégie en la matière. Nous intervenons en amont par une sensibilisation : nous allons voir l’entreprise, nous lui montrons que nos bases de données permettent de retirer un certain nombre d’informations sur ses axes de recherche et sur l’activité de ses concurrents, nous lui montrons les problèmes que peut poser la liberté d’exploitation dans certains domaines, et très rapidement le chef d’entreprise comprend tout le bénéfice qu’il peut retirer de la propriété industrielle.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Est-ce gratuit ?

M. Philippe Laval. Oui, à la demande de notre tutelle. Ces opérations sont imputées sur le budget de l’INPI. Il nous a également été demandé de les faire figurer dans les conventions de partenariat que nous avons passées avec plusieurs régions. Il y a donc, dans certains cas, un cofinancement assuré par l’INPI et les régions.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quels changements la deuxième génération de conventions apportera-t-elle ?

M. Philippe Laval. Sans doute faites-vous allusion à la convention que nous avons signée avec la direction générale de la Compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS). Elle est comparable à celle que nous avons passée dans un autre domaine, il y a quelques années, avec l’assemblée des chambres françaises de commerce et d’industrie : une convention cadre qui faisait suite aux conventions particulières signées avec diverses CCI et qui a permis aux autres de s’engager dans cette démarche. Nous espérons que cette nouvelle convention incitera tous les pôles à structurer leurs actions en matière de propriété industrielle, comme nous l’avons fait valoir le 28 mai dernier lors d’une réunion rassemblant, à l’initiative de la DGCIS, tous les représentants des pôles.

Notre tutelle exige désormais que nous soyons présents sur l’ensemble du territoire. Comme je l’ai dit, nous avons des contacts avec presque tous les pôles. Nous menons des actions concrètes avec 40 d’entre eux. Nous nous dotons maintenant des moyens pour effectuer une démarche systématique.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quels sont ces moyens ?

M. Philippe Laval. Nous ouvrons des antennes dans les régions où nous ne sommes pas encore présents : depuis 2008, en Auvergne, en Bourgogne, en Basse-Normandie, en Franche-Comté, dans la région Centre. Nous poursuivrons notre action avec Poitou-Charentes, Limousin, Champagne-Ardenne…

M. Alain Claeys, Rapporteur. Bref, vous menez une politique de régionalisation en ouvrant des agences régionales.

M. Philippe Laval. Pas tout à fait. Conformément à ce que nous demande notre tutelle, nous ne cherchons pas à assurer une présence lourde sur le terrain. D’autres organismes avec lesquels nous sommes partenaires, comme les chambres de commerce, les directions régionales de l’industrie, de la recherche et de l’environnement (DRIRE), les directions régionales des entreprises, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECTE), ou encore OSÉO, font une couverture fine. Notre objectif est de placer sur le terrain une compétence en propriété industrielle.

M. Alain Claeys, Rapporteur. En d’autres termes, un homme ressource dans chaque région.

M. Philippe Laval. Oui, et par exemple dans les DRIRE et DIRECTE.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Dépend-il de l’INPI ?

M. Philippe Laval. Statutairement, c’est un agent de l’INPI, mais nous nous efforçons de l’intégrer au maximum à un partenaire local.

M. Alain Claeys, Rapporteur. En somme, votre objectif est d’avoir au moins un agent de l’INPI dans chaque région.

M. Philippe Laval. Seulement s’il existe une demande. Nous n’allons pas sur le terrain s’il n’y en a pas. Il reste quelques régions avec lesquelles nous prenons contact pour savoir si elles souhaitent un partenariat.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Seriez-vous favorable à la mise en place, dans chaque structure de gouvernance des principaux pôles, d’un « monsieur propriété industrielle » ?

M. Philippe Laval. Il est important, en effet, qu’il existe une personne assurant ce rôle – en adaptant le type de poste au cas par cas – et que l’on soit conscient des questions de propriété intellectuelle et industrielle au sein des pôles. Mais ce doit être une personne distincte des agents que nous avons auprès des régions. En effet, le législateur ayant confié à l’INPI la responsabilité de la délivrance des titres, il serait délicat pour nous d’être juges et parties : nous ne pouvons à la fois prendre part à la stratégie ou à la rédaction du titre en amont et juger de sa validité en aval. La profession des conseils en propriété industrielle connaît parfaitement le sujet et est à même d’accompagner les pôles.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Comment travaillez-vous avec les centres de valorisation scientifique des universités ?

M. Philippe Laval. Nous avons passé plusieurs conventions, dont une très importante avec le réseau CURIE (coopération des services universitaires de relations industrielles et économiques). Les opérations menées sur le terrain ont inspiré celles que nous menons avec les pôles : formation, sensibilisation, veille générale, veille individuelle, prédiagnostic.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Avez-vous évalué la qualité du guide de la propriété industrielle que vous diffusez sur Internet ?

M. Philippe Laval. Il s’agit d’une initiative de la DGCIS. Nous avons participé à l’élaboration de ce guide qui nous semble être un bon outil de base pour s’orienter de façon simple et pragmatique pour ce qui est des questions de propriété industrielle, voire intellectuelle. Nous le valorisons systématiquement dans nos contacts avec les pôles.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Les utilisateurs en sont-ils satisfaits ?

M. Philippe Laval. Nous avons un bon retour des pôles de compétitivité, qui sont heureux de disposer d’un document de référence. Plus généralement, notre site Internet et notre centre d’appels sont très appréciés sur le terrain.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel budget l’INPI consacre-t-il aux pôles de compétitivité ?

M. Philippe Laval. Nous ne pouvons identifier précisément ce qui revient aux pôles. En revanche, la comptabilité analytique nous permet de déterminer de façon fine la part consacrée aux actions régionales en direction des PME, des laboratoires, des milieux de la recherche, bref, tous ceux que nous rassemblons sous la dénomination de « non experts de la propriété industrielle » : 28 millions d’euros en 2008, soit un peu plus du quart de nos dépenses.

Pour ce qui est des pôles de compétitivité, nous avons réalisé une cinquantaine de prédiagnostics pour un coût moyen de 1 500 euros, soit 75 000 euros au total, sachant que ce coût ne comprend pas la recherche même de l’entreprise à laquelle on proposera le prédiagnostic.

Par ailleurs, l’utilisation du fonds régional de diffusion de la propriété industrielle pour les pôles s’élève à environ 300 000 euros.

Cela dit, l’INPI n’a pas vocation à apporter des aides directes. Le montant de 28 millions d’euros correspond à ses actions de sensibilisation, de formation et d’accompagnement sur le terrain.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Les pôles savent-ils où trouver les financements ? La France souffre de cette multiplication de fonds parfois difficiles à identifier.

M. Philippe Laval. Clairement, les pôles ne considèrent pas l’INPI comme un guichet qui apporte de l’argent. Nous pouvons aider si besoin, mais, structurellement, nous n’avons pas, contrairement à d’autres organismes, vocation à financer les projets de recherche.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Quels sont les principaux handicaps d’une PME lorsqu’elle veut accéder à une démarche de propriété industrielle ? Il est notoire que les PME françaises déposent moins de brevets que les PME d’autres pays.

Par ailleurs, estimez-vous que le pôle de compétitivité est un moyen de combler les manques actuels de nos PME ?

M. Philippe Laval. Les PME se plaignent de la complexité de la propriété industrielle. De plus, au-delà du coût des redevances de l’INPI, les coûts internes générés par les projets de recherche et les honoraires des conseils en propriété industrielle ou des avocats spécialisés paraissent élevés, même s’ils ont leur justification. Il faut enfin compter avec le coût des « extensions » visant à protéger le brevet sur d’autres marchés que le marché français.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Est-ce révélateur du manque d’innovation dans certains secteurs ?

M. Philippe Laval. La situation est variable. De façon globale, le déficit de dépôt de brevets par les PME est lié à la structure même de notre tissu de PME, qui manque d’entreprises moyennes. Nos études montrent que là où une petite entreprise dépose un brevet, une grande entreprise en dépose dix.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les pôles de compétitivité font-ils bouger un peu les lignes ?

M. Philippe Laval. Ils offrent un point de référence pour aider les entreprises dans leurs projets de recherche.

Il existe néanmoins un risque que nous nous efforçons de combattre : les grandes entreprises ne souhaitent pas forcément voir les PME s’approprier les questions de propriété industrielle.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Sauf si elles contrôlent ces petites entreprises.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Que faire pour éviter ce travers ?

M. Philippe Laval. Poursuivre dans la voie fixée dans le contrat d’objectifs en étant présent sur le terrain. En matière de propriété industrielle, les entreprises ont besoin d’être en confiance puisqu’il s’agit, somme toute, de confier leurs secrets. Du côté des pôles de compétitivité, il faut renforcer la compétence. Disposer sur place d’une personne consciente de ces questions est très important. Il nous faudra poursuivre notre politique de sensibilisation et de formation et continuer de consacrer une partie des moyens financiers de l’Institut à une politique régionale active.

Enfin, nous devons poursuivre dans la voie des réductions tarifaires engagées en 2004 et renforcées l’année dernière – la définition de la PME bénéficiant de ces réductions passant de 250 à 1 000 personnes et le taux de réduction passant de 25 à 50 %.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Pourriez-vous donner un exemple de tarifs ?

M. Philippe Laval. Le coût d’un rapport de recherche est de 500 euros – 250 euros à tarif réduit. Ce n’est pas la redevance en soi qui pose un problème, mais tous les tarifs liés aux intervenants.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Que pensez-vous de la procédure accélérée que l’ANR a mise en place pour le dépôt de brevet ?

M. Philippe Laval. L’ANR veut accélérer les accords de consortium. C’est une bonne chose, puisque l’on posera très en amont la question du dépôt de brevet.

Pour en revenir aux tarifs, nous constatons que les PME ont beaucoup apprécié la ratification par la France de l’accord de Londres, qui permet une réduction considérable du coût des traductions. Certes, le jugement à partir des statistiques se trouve quelque peu faussé par l’impact de la crise à partir du mois de septembre, mais la mise en application de l’accord de Londres a sans doute permis d’amortir quelque peu le choc.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Où en êtes-vous de la couverture régionale ?

M. Philippe Laval. Nous sommes présents dans 16 régions, avec parfois deux implantations : Marseille et Sophia-Antipolis en Provence-Alpes-Côte d’Azur, Lyon et Grenoble en Rhône-Alpes. La couverture devra être terminée à la fin du contrat d’objectifs en cours, c'est-à-dire en 2012.

M. Georges Tron, Président. Voulez-vous ajouter quelques mots de conclusion ?

M. Philippe Laval. La mission première et historique de l’INPI est la délivrance des titres. Deux contrats d’objectifs successifs ont fixé une nouvelle priorité : l’action territoriale à destination des non-experts de la propriété industrielle.

L’importance croissante de la propriété industrielle s’explique par trois facteurs : la globalisation ; la montée en puissance de l’Asie ; le changement de stratégie que les grandes entreprises ont adopté depuis dix ans et qui se traduit par de plus en plus de dépôts de brevets.

Nous poursuivrons notre action territoriale en étant présents sur le terrain, en collaboration avec les réseaux locaux.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Ces réseaux sont-ils dynamiques ?

M. Philippe Laval. Notre coopération sur le terrain est excellente, au plus près des entreprises.

M. Georges Tron, Président. Je vous remercie.

——fpfp——

1 () La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

2 () En particulier la théorie des clusters de Michael Porter, qui repose sur la proximité géographique et culturelle et sur la complémentarité d’entreprises partageant le même domaine de compétence, ce qui procure des synergies et des économies d’échelle (The Competitive Advantage of Nations, Fress Press, 1990).

3 () Étude prospective de la DATAR, dirigée par M. Christian Blanc, intitulée La France, puissance industrielle, une nouvelle politique industrielle par les territoires, mars 2004, La documentation française.

4 () Déclaration adoptée par les chefs d’État et de gouvernement lors du Conseil européen tenu à Lisbonne en mars 2000.

5 () Comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire. La liste a ensuite été réduite à 66 pôles après la fusion de deux projets.

6 () Comité interministériel d’aménagement et de compétitivité des territoires. Ce comité, réuni par le Premier ministre, est composé des ministres concernés par l’aménagement du territoire.

7 () La répartition géographique montre que toutes les régions ont des pôles. Ils se répartissent sur les 22 régions métropolitaines ainsi qu’une région d’outre-mer (La Réunion) et impliquent également la Guyane et la Guadeloupe. Les régions d’accueil des grandes métropoles sont les plus actives : Rhône-Alpes compte 10 pôles de compétitivité, Provence-Alpes-Côte d’Azur 9, et l’Ile-de-France 7. Les régions comptent en moyenne 3 pôles sur leur territoire.

8 () Circulaire du 2 août 2005 relative à la mise en oeuvre des pôles de compétitivité – JORF, n°182 du 6 août 2005, page 12 875.

9 () Observations définitives précitées.

10 () Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

11 () Ces structures sont dénommées « centre » lorsqu’il s’agit d’organismes issus d’un même site ou « réseau » lorsqu’il s’agit d’organismes issus de différents sites.

12 () Intervention de M. Philippe Lefebvre, animateur de l’Observatoire des pôles de compétitivité, au colloque du 26 mai 2009 « Les Pôles de compétitivité : réalités et enjeux pour les collectivités territoriales » sur le thème « Réforme territoriale et développement ».

13 () La Fraunhofer-Gesellschaft est un organisme allemand dédié à la recherche en sciences appliquées. Il regroupe 57 instituts, répartis sur 40 sites à travers l'Allemagne, et emploie 13 000 personnes, ce qui en fait l'un des principaux organismes de recherche au niveau international. Classés en secteurs de recherche (génie biomédical, technologie chimique, …), les instituts Fraunhofer peuvent, à la demande d'entreprises, créer une « alliance » pour un temps limité, de trois à cinq ans. Cette alliance, à laquelle sont associés des universités et des industriels, est soutenue par le ministère fédéral de la Recherche. Celui-ci peut financer le projet à concurrence de 50 %. Les instituts Fraunhofer ont aussi la liberté de choisir un thème commun à plusieurs instituts et de créer des clusters. Ces alliances thématiques peuvent durer de sept à dix ans.

14 () Enquête de la Task Force du MEDEF sur les pôles de compétitivité réalisée entre juin 2007 et juin 2008 et ayant donné lieu à un taux de réponse élevé de 60 %.

15 () Les résultats de la dernière enquête publiée par le Comité Richelieu le 22 septembre 2009 montrent une amélioration du jugement porté par les PME innovantes sur le fonctionnement des pôles de compétitivité puisqu'il est positif pour 57 % d'entre elles en 2009 contre 34 % en juin 2008. Mais la frustration persiste néanmoins pour une majeure partie sur la capacité des pôles à leur ouvrir de nouveaux marchés.

16 () Rapport final d’évaluation des 14 dispositifs mutualisés de transfert de technologies et de valorisation de la recherche, CM International, Décembre 2007, http://media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Mutualisation_Valorisation/40/4/Bilan_2007_(page_3)_33404.pdf.

17 () Rapport du Conseil économique et social, présenté par M. André Marcon, « Les pôles de compétitivité : faire converger performance et dynamique territoriale », fiche n°6, La formation, page 49.

18 () M. Jean-Daniel Tordjman a été nommé ambassadeur délégué aux pôles le 15 mai 2008.

19 () http://www.competitivite.gouv.fr/IMG/pdf/28-05-2009-rogard.pdf.

20 () Rapport sur l’économie du changement climatique, Nicholas Stern, 30 octobre 2006.

21 () Études & documents n° XXX « Les relances vertes dans le monde », CGDD, juin 2009 : « Berceau de
la
e-economy, la Californie a commencé à investir dans les « Clean technologies » après l’éclatement de la bulle internet de 2001. L’augmentation de 70% du nombre de brevets enregistrés dans le domaine des « Clean techs » sur la période 2002-2007 révèle la vague d’innovation en cours. Symbole de cette mutation, la Silicon Valley se transforme désormais en « Green Valley » : l'industrie « verte » y a connu une croissance de 23 % du nombre d'emplois « green-tech » au cours de la période 2005-2008 et l'an dernier, les investissements des bailleurs de capital risque dans le secteur ont crû de 94 %. Les succès de start-ups innovantes comme Nanosolar ou Solazyme, sont les premiers exemples de réussites commerciales dans le secteur des NTE. Sans la formaliser, les États-unis mettent en place une véritable politique industrielle verte en s’appuyant sur des structures qui ont déjà montrées leur efficacité. En France notamment, l’absence de clusters verts alliant R&D et application industrielle est un handicap majeur dans la course au « green leadership mondial » que nous menons aujourd’hui. »

22 ()  Précité.

23 () http://www.industrie.gouv.fr/guidepropintel/outils_contractuels/negociation_contrat_consortium.htm#chap5_1.

24 () Enquête MEDEF.

25 () Verbatim Enquête MEDEF précitée.

26 () 18 fonds régionaux de l’innovation ont été mis en place par OSÉO depuis 2005.

27 () La loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, dite TEPA, institue un avantage fiscal permettant aux redevables de l’ISF d’imputer 75 % des versements (souscription au capital initial ou augmentation de capital) effectués dans les PME sur le montant d’ISF mis à leur charge, dans la limite annuelle de 50 000 €.

28 () Plastipolis, Techtera, Lyon Urban Truck & Bus et Minalogic.

29 () Système productif localisé qui fédère les entreprises de Loire Sud travaillant dans la transformation du métal.

30 () Pôles Mer, pôles Aéronautiques, pôles automobiles, pôles Normandie.

31 () Enquête MEDEF précitée.

32 () Extrait des débats à l’Assemblée nationale le mardi 28 octobre 2008 (déclaration du Gouvernement).


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