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SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l’ordre chronologique des séances tenues par la mission.

 Audition de M. Didier HOUSSIN, directeur général de la santé (Procès-verbal de la séance du 15 octobre 2008 ) 10

 Audition de M. Alain GRIMFELD, président du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) (Procès-verbal de la séance du 4 novembre 2008) 21

 Audition de M. Axel KAHN, président de l'université Paris V - René Descartes, directeur de recherche à l'INSERM (Procès-verbal de la séance du 5 novembre 2008) 37

 Audition de M. Pierre LE COZ, vice-président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) (Procès-verbal de la séance du 18 novembre 2008) 49

 Audition de M. Henri ATLAN, directeur d’études à l’École des Hautes études en sciences sociales, ancien membre du Comité consultatif national d’éthique (Procès-verbal de la séance du 25 novembre 2008) 57

 Audition des représentants de la Grande Loge de France, de la Grande Loge Nationale Française, de la Grande Loge Féminine de France et du Grand Orient de France (Procès-verbal de la séance du 9 décembre 2008) 71

 Audition de M. Emmanuel PICAVET, maître de conférences en philosophie politique à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne (Procès-verbal de la séance du 10 décembre 2008) 89

 Audition de M. Philippe POULETTY, Président de France Biotech, association française des entreprises de biotechnologies (Procès-verbal de la séance du 10 décembre 2008) 97

 Audition de Mme Carine CAMBY, conseiller maître à la Cour des comptes, ancienne directrice générale de l’Agence de la biomédecine (Procès-verbal de la séance du 10 décembre 2008) 111

 Audition de M. Pierre-Louis FAGNIEZ, conseiller auprès de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche (Procès-verbal de la séance du 17 décembre 2008) 119

 Audition de Mme Nicole QUESTIAUX, membre du Conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine et membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (Procès-verbal de la séance du 17 décembre 2008) 125

 Audition de M. André SYROTA, directeur général de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et de M. Jean Claude AMEISEN, président du comité d’éthique de l’INSERM, membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine (Procès-verbal de la séance du 13 janvier 2009) 133

 Audition de M. Christian SAOUT, président du Collectif interassociatif sur la santé (CISS) (Procès-verbal de la séance du 13 janvier 2009) 145

 Audition de M. Marc PESCHANSKI, directeur de recherche à l’INSERM (Procès-verbal de la séance du 14 janvier 2009) 151

 Audition de M. Carlos de SOLA, chef du département de bioéthique du Conseil de l’Europe (Procès-verbal de la séance du 14 janvier 2009) 161

 Audition de M. Claude HURIET, sénateur honoraire, membre du Comité international de bioéthique de l’UNESCO et du Conseil d’administration de l’Agence de la biomédecine (Procès-verbal de la séance du 20 janvier 2009) 173

 Audition de Mme Corine PELLUCHON, docteur en philosophie (Procès-verbal de la séance du 20 janvier 2009) 185

 Table ronde avec M. Olivier ABEL, professeur de philosophie éthique à la faculté de théologie protestante de Paris, membre du CCNE, M. Didier SICARD, professeur de médecine, ancien président du CCNE, M. Haïm KORSIA, Grand rabbin, aumônier général israélite des armées et M. Xavier LACROIX, philosophe, théologien, professeur d’éthique à l’université catholique de Lyon, membres du CCNE (Procès-verbal de la séance du 21 janvier 2009) 199

 Audition de M. Jean-François MATTEI, président de la Croix-Rouge française, responsable de l’Espace éthique méditerranéen (Procès-verbal de la séance du 27 janvier 2009) 221

 Audition de M. Géraud LASFARGUES, président de l’Académie nationale de médecine et de M. Jacques-Louis BINET, secrétaire perpétuel (Procès-verbal de la séance du 27 janvier 2009) 233

 Audition de Mme Simone VEIL, présidente du Comité de réflexion sur le Préambule de la Constitution (Procès-verbal de la séance du 28 janvier 2009) 247

 Audition de M. Claude SUREAU, membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) (Procès-verbal de la séance du 28 janvier 2009) 253

 Audition de Mme Emmanuelle PRADA-BORDENAVE, directrice générale et de M. SADEK BELOUCIF, président du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine (Procès-verbal de la séance du 28 janvier 2009) 269

 Audition de M. René FRYDMAN, professeur de médecine, chef du service de gynécologie-obstétrique à l’hôpital Antoine Béclère de Clamart (Procès-verbal de la séance du 3 février 2009) 283

 Audition de Mme Hélène LETUR-KONIRSCH, gynécologue, médecin responsable de l’activité de don d’ovocytes à l’Institut Montsouris, présidente du Groupe d’étude des dons d’ovocytes (GEDO) et du Professeur Patrick FENICHEL, coprésident du GEDO (Procès-verbal de la séance du 4 février 2009) 295

 Audition de Mme Geneviève DELAISI de PARSEVAL, psychanalyste (Procès-verbal de la séance du 4 février 2009) 307

 Audition de Mme Jacqueline MANDELBAUM, chef du service d’histologie et de biologie de la reproduction et responsable du CECOS de l’hôpital Tenon, membre du CCNE (Procès-verbal de la séance du 11 février 2009) 317

 Audition de Mme Hélène GAUMONT-PRAT, professeur de droit des biotechnologies à l’Université Paris-VIII, directrice du laboratoire de droit médical et droit de la santé, ancien membre du Comité consultatif national d’éthique (Procès-verbal de la séance du 11 février 2009) 327

 Audition de M. Jean-Luc BRESSON, président de la Fédération française des centres d'études et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS), chef du service de biologie du développement et de la reproduction au CHU de Besançon, de M. Jean-Marie KUNSTMANN, vice-président de la fédération des CECOS, praticien hospitalier en médecine de la reproduction à l’hôpital Cochin et de Mme Dominique REGNAULT, présidente de la commission des psychologues de la fédération des CECOS (Procès-verbal de la séance du 18 février 2009) 335

 Audition de M. Christian FLAVIGNY, psychanalyste et pédopsychiatre (Procès-verbal de la séance du 18 février 2009) 345

 Audition de Mme Julie STEFFANN, praticien hospitalier dans le service de génétique médicale de l’hôpital Necker (Procès-verbal de la séance du mercredi 4 mars 2009) 351

 Audition de M. Jean HAUSER, professeur de droit privé et directeur de l’institut européen de droit civil et pénal à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV (Procès-verbal de la séance du 4 mars 2009) 361

 Audition de M. François OLIVENNES, gynécologue-obstétricien au centre d’assistance médicale à la procréation Eylau-La Muette (Procès-verbal de la séance du mercredi 4 mars 2009) 377

 Audition de Mme Monique CANTO-SPERBER, philosophe, directrice de l’École normale supérieure, ancienne vice-présidente du CCNE (Procès-verbal de la séance du 4 mars 2009) 389

 Table ronde avec Mme Pauline TIBERGHIEN, présidente, et M. Arthur KERMALVEZEN, porte-parole de l’association Procréation médicalement anonyme (PMA), Mmes Laure CAMBORIEUX, présidente, et Sandra SAINT-LAURENT, membre de l’association Maia, Mmes Marie-Pierre MICOUD, coprésidente, et Marie-Claude PICARDAT, porte-parole de l’association des parents gays et lesbiens (APGL), et Mmes Dominique LENFANT, présidente, et Hortense de BEAUCHAINE, membre de l’association Pauline et Adrien (Procès-verbal de la séance du mardi 10 mars 2009) 397

 Audition de Mme Françoise HÉRITIER, professeur honoraire au Collège de France (Procès-verbal de la séance du 10 mars 2009) 421

 Audition de M. Pierre LÉVY-SOUSSAN, pédopsychiatre (Procès-verbal de la séance du 11 mars 2009) 435

 Audition de M. Stéphane VIVILLE, chef du laboratoire de biologie de la reproduction au centre hospitalier universitaire (CHU) de Strasbourg (Procès-verbal de la séance du mercredi 11 mars 2009) 443

 Audition de M. François FONDARD, président, et de Mmes Chantal LEBATARD et Christiane BASSET, administratrices de l’Union nationale des associations familiales (UNAF) (Procès-verbal de la séance du mercredi 11 mars 2009) 454

 Audition de Mme Dominique MEHL, sociologue, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) (Procès-verbal de la séance du 11 mars 2009) 467

 Audition de M. Jacques TESTART, directeur de recherche honoraire à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) (Procès-verbal de la séance du mercredi 18 mars 2009) 477

 Audition de Mme Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ, professeur émérite de droit à l’université Lille 2 (Procès-verbal de la séance du 18 mars 2009) 489

 Audition de Mme Nadine MORANO, Secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité (Procès-verbal de la séance du mercredi 18 mars 2009) 501

 Audition de Mme Sylviane AGACINSKI, philosophe, professeur à l’École des hautes études en sciences sociales (Procès-verbal de la séance du 18 mars 2009) 511

 Audition de Mme Sophie MARINOPOULOS, psychanalyste et psychologue clinicienne (Procès-verbal de la séance du 24 mars 2009) 521

 Audition de M. Pierre JOUANNET, professeur des universités, praticien hospitalier consultant en biologie de la reproduction à l’hôpital Cochin (Procès-verbal de la séance du 24 mars 2009 ) 537

 Audition de M. François STEFANI, vice-président, et de M. Piernick CRESSARD, membre de la section « éthique et déontologie » du Conseil national de l’Ordre des médecins (Procès-verbal de la séance du 25 mars 2009) 547

 Audition de M. Jacques MONTAGUT, médecin biologiste de la reproduction et directeur de l’Institut francophone de recherche et d’études appliquées à la reproduction et à la sexologie (IFREARES) à Toulouse (Procès-verbal de la séance du 25 mars 2009) 557

 Audition de Mme Joëlle BELAISCH-ALLART, chef du service de gynécologie-obstétrique de l’hôpital de Sèvres, vice-présidente du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) (Procès-verbal de la séance du mardi 31 mars 2009) 575

 Audition de M. Israël NISAND, gynécologue-obstétricien, chef de service à l’hôpital de Hautepierre, à Strasbourg (Procès-verbal de la séance du 31 mars 2009) 589

 Audition de M. Marc BENBUNAN, chef du service Biothérapies cellulaires et tissulaires à l’hôpital Saint-Louis et du docteur Jérôme LARGHERO (Procès-verbal de la séance du 1er avril 2009) 601

 Audition de M. Bertrand MATHIEU, professeur à l’université Paris I-Panthéon-Sorbonne, directeur du Centre de recherches de droit constitutionnel (Procès-verbal de la séance du mercredi 1er avril 2009) 611

 Audition de M. David GOMEZ, senior legal adviser de l'Autorité britannique pour la fécondation et l'embryologie humaines (HFEA) (Procès-verbal de la séance du 1er avril 2009) 621

 Audition de M. Xavier MIRABEL, président de l’Alliance pour les droits de la vie (Procès-verbal de la séance du 7 avril 2009 ) 631

 Audition de Mme Laure COULOMBEL, directrice de recherche à l’INSERM (Procès-verbal de la séance du 7 avril 2009 ) 643

 Audition de Mme Marie-Josée KELLER, présidente du Conseil national de l’Ordre des sages-femmes, de Mme Anne-Marie CURAT, trésorière et de Mme Marianne BENOÎT, conseillère nationale (Procès-verbal de la séance du 8 avril 2009) 653

 Audition de M. Philippe MENASCHÉ, professeur de médecine, chirurgien cardiaque à l’hôpital Georges Pompidou et directeur de recherches à l’INSERM sur les thérapies cellulaires en pathologie cardio-vasculaire (Procès-verbal de la séance du jeudi 9 avril 2009) 667

 Audition de M. Jacques HARDY, président, et de Mme Isabelle DESBOIS, responsable des tissus et cellules de l’Établissement français du sang (Procès-verbal de la séance du 9 avril 2009 ) 675

 Audition de Mme Catherine LABRUSSE-RIOU, professeur émérite à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne (Procès-verbal de la séance du 28 avril 2009) 683

 Audition de M. Alain PRIVAT, directeur de recherches à l’Institut des neurosciences de Montpellier (Procès-verbal de la séance du 28 avril 2009) 693

 Audition de Mme Gisèle HALIMI, présidente de l’association « Choisir la cause des femmes », avocate, et de Mme Barbara VILAIN, membre du bureau de l’association (Procès-verbal de la séance du 29 avril 2009) 699

 Audition de Mme Éliane GLUCKMAN, professeur d’hématologie, présidente de l’association Eurocord (Procès-verbal de la séance du 29 avril 2009) 707

 Audition de M. Xavier LABBÉE, professeur de droit à l’université de Lille II, avocat (Procès-verbal de la séance du 29 avril 2009) 717

 Audition de M. Pierre SAVATIER, directeur de recherche à l’INSERM, responsable d’une équipe de recherche à l’Institut Cellule souche et cerveau de Lyon (Procès-verbal de la séance du 6 mai 2009) 725

 Audition de M. Philippe LAMOUREUX, directeur général des Entreprises du médicament (LEEM), accompagné de Mme Catherine LASSALE, directrice des affaires scientifiques, pharmaceutiques et médicales, Mme Blandine FAURAN, directrice juridique et fiscale, M. Pierre-Yves ARNOUX, chargé de mission recherche et biotechnologies, et Mme Aline BESSIS, directeur en charge des affaires publiques (Procès-verbal de la séance du 6 mai 2009) 735

 Audition de M. Jean MARIMBERT, directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) (Procès-verbal de la séance du mercredi 6 mai 2009) 745

 Audition de M. Philippe BAS, conseiller d’État, président du groupe de travail du Conseil d’État sur la révision des lois de bioéthique, ancien ministre et de M. Luc DEREPAS, rapporteur général (Procès-verbal de la séance du 13 mai 2009) 753

 Audition de M. Jean-René BINET, maître de conférences à la faculté de droit de Besançon (Procès-verbal de la séance du mercredi 13 mai 2009) 769

 Audition de M. Jean-François GUÉRIN, chef du service de biologie de la reproduction de l’hôpital de Bron, président du comité d’éthique des Hospices civils de Lyon et membre du conseil d’administration et du groupe d’experts sur la recherche sur l’embryon de l’Agence de la biomédecine (Procès-verbal de la séance du 13 mai 2009) 779

 Audition de M. Georges UZAN, directeur de recherches au CNRS, unité de recherche de l’INSERM U 602, hôpital Paul Brousse de Villejuif (Procès-verbal de la séance du 13 mai 2009) 790

 Audition de M. Jean-Marie Le MÉNÉ, président de la Fondation Jérôme LEJEUNE (Procès-verbal de la séance du 3 juin 2009) 797

 Audition de Mme Michèle ANDRÉ, sénatrice, présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat (Procès-verbal de la séance du 3 juin 2009) 809

 Audition de Mme Marie-Claire PAULET, présidente de la Fédération des associations pour le don d’organes et de tissus humains (France ADOT), de M. Régis VOLLE, président de la Fédération nationale d’aide aux insuffisants rénaux (FNAIR), de Mme Yvanie CAILLÉ, cofondatrice du groupe de réflexion « Demain, la greffe » et membre du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine, et M. Christian BAUDELOT, cofondateur et professeur émérite de sociologie, de M. Jean ACCIARO, président de la Fédération nationale des déficients et transplantés hépatiques (Transhépate), et de M. Jean-Pierre SCOTTI, président de la fondation Greffe de vie (Procès-verbal de la séance du 10 juin 2009) 819

 Audition de M. Pierre BOYER, biologiste au service de médecine et de biologie de la reproduction de l’hôpital Saint-Joseph de Marseille (Procès-verbal de la séance du 10 juin 2009) 831

 Audition de M. Jean-Michel DUBERNARD, professeur au service de chirurgie de la transplantation de l’hôpital Édouard Herriot à Lyon (Procès-verbal de la séance du 10 juin 2009) 839

 Audition de M. Yves CHAPUIS, membre de l’Académie nationale de médecine (Procès-verbal de la séance du 17 juin 2009) 851

 Audition de Mme Nicole LE DOUARIN, secrétaire perpétuelle honoraire de l’Académie des sciences, professeur honoraire au Collège de France (Procès-verbal de la séance du 17 juin 2009) 857

 Audition de M. Bruno RIOU, chef de service des urgences médicales, chirurgicales et psychiatriques à l’hôpital Pitié-Salpêtrière, médecin coordonnateur des prélèvements d’organes et de tissus du groupe hospitalier La Pitié-Salpêtrière, vice-président de l’Université Pierre et Marie Curie, Paris VI (Procès-verbal de la séance du 24 juin 2009) 867

 Audition de Mme Frédérique BOZZI, conseiller à la Cour d’appel de Paris, et de M. Pierre LECAT, vice-procureur chargé du service civil du parquet du tribunal de grande instance de Nantes (Procès-verbal de la séance du 24 juin 2009) 879

 Audition de Mme Valérie PÉCRESSE, Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche (Procès-verbal de la séance du 24 juin 2009) 894

 Audition de M. Jean-Michel BOLES, chef du service de réanimation médicale du CHU de Brest, co-directeur de l’espace éthique de Bretagne occidentale (Procès-verbal de la séance du mardi 30 juin 2009) 903

 Audition de M. Louis PUYBASSET, praticien au service d’anesthésie-réanimation de l’hôpital Pitié-Salpêtrière, président du comité d’éthique de cet hôpital et président du groupe de réflexion éthique de la Société française d’anesthésie-réanimation, de M. Laurent JACOB, chef de service adjoint, et de Mme France ROUSSIN, coordinatrice de dons d’organes du service d’anesthésie-réanimation chirurgicale de l’hôpital Saint-Louis (Procès-verbal de la séance du 30 juin 2009) 913

 Audition de Mme Ségolène AYMÉ, médecin généticien et épidémiologiste, directrice de recherche à l’INSERM (Procès-verbal de la séance du 7 juillet 2009) 929

 Audition de Mme Anne CAMBON-THOMSEN, médecin, spécialisée en immunogénétique humaine, directrice de recherches au CNRS (Procès-verbal de la séance du 8 juillet 2009) 937

 Audition de M. MENNESSON et Mme MENNESSON, co-présidents fondateurs de l’association Clara (Procès-verbal de la séance du 8 juillet 2009 ) 947

 Audition de Mme Perrine MALZAC, praticien hospitalier dans le département de génétique médicale de l’hôpital de la Timone à Marseille et coordinatrice de l’Espace éthique méditerranéen (Procès-verbal de la séance du 8 juillet 2009) 957

 Audition de Mme Dominique STOPPA-LYONNET, chef du service de génétique oncologique de l’Institut Curie, membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) (Procès-verbal de la séance du 8 juillet 2009) 963

 Audition de M. Philippe GOSSELIN, député, président du collectif « Don de vie, don de soi » (Procès-verbal de la séance du 21 juillet 2009) 973

 Audition de Mme Françoise ANTONINI, déléguée générale de l’Alliance maladies rares, de Mme Viviane VIOLLET, responsable de la commission éthique de l’Alliance, de Mme Catherine AVANZINI, membre de la commission, et de Mme Marie-Christine OUILLADE, administratrice de l’Association française contre les myopathies (AFM) (Procès-verbal de la séance du 22 juillet 2009) 979

 Audition de Mme Sylvie MANOUVRIER-HANU présidente du collège national des enseignants et praticiens de génétique médicale (Procès-verbal de la séance du 22 juillet 2009) 991

 Audition de M. Bernard LOTY, adjoint à la directrice générale, chargé de la politique médicale et scientifique, de Mme Corinne ANTOINE, médecin, responsable du programme de prélèvements sur donneur à cœur arrêté, de M. François THÉPOT, responsable du pôle stratégie, procréation et génétique, et de M. Jean-Paul VERNANT, président du comité médical et scientifique, de l’Agence de la biomédecine (Procès-verbal de la séance du 22 juillet 2009) 1003

 Audition de M. Christian BYK, magistrat à la cour d’appel de Paris, secrétaire général de l’Association internationale Droit, éthique et science (Procès-verbal de la séance du 22 juillet 2009 ) 1015

 Audition de M. Josué FEINGOLD, généticien épidémiologiste, pédiatre, consultant à l’hôpital Pitié-Salpêtrière, directeur de recherche émérite à l’Inserm ; de Mme Nicole PHILIP, médecin coordonnateur au département de génétique médicale de l’hôpital de la Timone-Enfants à Marseille et responsable du master « conseil génétique et médecine prédictive » à la faculté de médecine de Marseille ; et de Mme Marcela GARGIULO, psychologue clinicienne au département de génétique de l’hôpital La Pitié Salpêtrière (Procès-verbal de la séance du 9 septembre 2009) 1023

 Audition de M. Philippe BEAUNE, chef du service de biochimie de l’hôpital européen Georges Pompidou, professeur à la faculté de médecine de Paris-Descartes (Procès-verbal de la séance du 9 septembre 2009) 1031

 Table ronde avec M. Jean-Jacques HAUW, membre de l’Académie nationale de médecine, M. Raymond ARDAILLOU, secrétaire-adjoint de l’Académie nationale de médecine, Mme Emmanuelle RIAL-SEBBAG, juriste, INSERM Unité 558 Toulouse, et Mme Anne-Laure MORIN, avocate, docteur en droit (Procès-verbal de la séance du 9 septembre 2009) 1039

 Audition de Mme Laurence LWOFF, chef de la division bioéthique du Conseil de l’Europe (Procès-verbal de la séance du 15 septembre 2009 ) 1053

 Audition de M. Hervé CHNEIWEISS, directeur de l’unité de plasticité gliale à l’INSERM (Procès-verbal de la séance du 15 septembre 2009 ) 1065

 Audition de M. Jean-Christophe GALLOUX, professeur du droit de la propriété intellectuelle à Paris II (Procès-verbal de la séance du 16 septembre 2009) 1073

 Audition de M. Jean-Michel BESNIER, professeur de philosophie à l’université Paris IV (Procès-verbal de la séance du 22 septembre 2009) 1085

 Audition de M. François BERGER, professeur à l’université Joseph Fourier de Grenoble, responsable de l’équipe « Nanomédecine et cerveau » (Procès-verbal de la séance du 22 septembre 2009) 1091

 Audition de Mme Sarah SAUNERON, chargée de mission au Centre d’analyse stratégique et de M. Olivier OULLIER, conseiller scientifique et maître de conférences en neurosciences, responsables du programme « Neurosciences et politiques publiques » du Centre d’analyse stratégique (Procès-verbal de la séance du 22 septembre 2009) 1101

 Audition de Mmes Cyra NARGOLWALLA, trésorière et Frédérique FAIVRE-PETIT, membre de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle et M. Jacques PEUSCET, membre de l’Association des conseils en propriété industrielle (Procès-verbal de la séance du 6 octobre 2009) 1115

 Audition de M. Alain POMPIDOU, professeur de médecine, ancien président de l’Office européen des brevets, président de l’Académie des technologies (Procès-verbal de la séance du 6 octobre 2009 ) 1121

 Audition de Mme Christine VANHEE-BROSSOLLET, responsable de la propriété intellectuelle à l’Institut Curie, M. Frédéric FOUBERT, directeur du service Transfert de technologies de la direction de la politique industrielle au CNRS, Mme Isabelle BENOIST, responsable du pôle Nouvelles technologies et responsabilités de la direction des affaires juridiques du CNRS et M. Bernard BIOULAC, directeur scientifique adjoint de l'Institut des sciences biologiques (Procès-verbal de la séance du 6 octobre 2009) 1125

 Audition de M. Jean-Paul DELEVOYE, Médiateur de la République (Procès-verbal de la séance du 7 octobre 2009) 1133

 Audition M. Jean-Didier VINCENT, professeur à l’université de Paris Sud Orsay, directeur de l’Institut de neurologie Alfred Fessard, membre de l’Académie des sciences (Procès-verbal de la séance du 7 octobre 2009) 1145

 Audition de Mme Michèle ALLIOT-MARIE, Ministre d’État, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés (Procès-verbal de la séance du 3 novembre 2009) 1151

 Audition de Mme Roselyne BACHELOT-NARQUIN, Ministre de la santé et des sports (Procès-verbal de la séance du 15 décembre 2009) 1159

Audition de M. Didier HOUSSIN, directeur général de la santé


(Procès-verbal de la séance du 15 octobre 2008 )

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Je suis heureux d’accueillir M. le professeur Didier Houssin, directeur général de la santé, qui est la première personnalité que nous avons l’honneur d’auditionner dans le cadre de notre mission d’information sur la révision des lois bioéthiques. Avant de lui laisser la parole, je souhaiterais dire quelques mots sur l’organisation des travaux de la mission.

Tous nos collègues qui ont souhaité en être membres doivent le savoir : notre travail sera long et soutenu car les sujets importants que nous serons amenés à aborder exigent que tout le temps nécessaire soit pris pour les traiter. Il nous incombe en effet de préparer la révision des lois bioéthiques, qui doit intervenir au premier semestre 2010, le dépôt d’un projet de loi étant prévu avant la fin de 2009. L’examen par la représentation nationale de ces questions fondamentales, qui ne concernent pas seulement les experts et au cœur desquelles se situe la protection de la personne et du corps humains, exige un travail approfondi, s’inscrivant dans la durée, mais aussi un débat très large, dépassant les clivages traditionnels et dans la plus grande ouverture d’esprit. Dès lors que le projet de loi aura été déposé, je souhaite par ailleurs qu’une commission spéciale soit chargée de son examen de façon que celui-ci s’inscrive dans la continuité des travaux de notre mission.

Divers travaux nourriront notre réflexion. Tout d’abord, ceux que doivent publier prochainement le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), l’Agence de la biomédecine et le Conseil d’État. Mme Simone Veil préside par ailleurs un groupe de travail sur la révision du Préambule de la Constitution. Enfin, en application de l’article 40 de la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique, nous présenterons très prochainement, avec mon collègue Jean-Sébastien Vialatte, un rapport sur l’évaluation de l’application de ce texte à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST).

Parallèlement vont être organisés, à la demande du Gouvernement, des États généraux de la bioéthique au cours du premier semestre 2009. Dans l’attente des derniers arbitrages, nous n’en connaissons pas encore les modalités exactes mais nous avons souhaité, avec le rapporteur de la mission d’information, M. Jean Leonetti, rencontrer rapidement la ministre chargée de la santé et que la représentation nationale soit associée au pilotage de ces États généraux.

S’agissant du calendrier prévisionnel des auditions de la mission d’information, il comporte un cycle introductif, que nous ouvrons aujourd’hui et qui se prolongera jusqu’à la fin de l’année : il nous permettra d’aborder les questions transversales et institutionnelles. Nous devrions, à cette occasion, mettre en lumière les difficultés rencontrées dans l’application de la loi du 6 août 2004 ainsi que les nouveaux enjeux, scientifiques, technologiques ou sociaux, apparus depuis son adoption et qui renouvellent, parfois profondément, les termes du débat. Puis, suivront plusieurs cycles d’auditions thématiques concernant l’assistance médicale à la procréation et le diagnostic prénatal ; les droits de la personne et les caractéristiques génétiques ; la protection juridique des inventions biotechnologiques ; le don et l’utilisation des éléments et produits du corps humain, concernant notamment les greffes ; les recherches sur l’embryon et les cellules souches ainsi que la question de la transposition nucléaire ; enfin, des problématiques émergentes comme les neurosciences, qui n’ont jusqu’à présent pas été traitées par les lois bioéthiques. Aucun de ces thèmes ne pouvant être traité indépendamment des autres, notre réflexion devra être globale, de manière à assurer la cohérence des futures lois de bioéthique. Nous recevrons notamment des chercheurs, des médecins, des philosophes, des représentants des différents courants religieux et de pensée. Ces auditions seront aussi souvent que possible publiques et retransmises sur La chaîne parlementaire de l’Assemblée nationale (LCP-AN) car il me semble fondamental d’informer l’opinion publique sur les grands enjeux de cette révision et d’être en phase avec les futurs états généraux. Cela n’empêchera pas que nous puissions, si nous en ressentons le besoin, nous réunir sans que nos travaux soient retransmis, notamment pour faire de temps à autre des points d’étape. Bien entendu, nous restons, avec le rapporteur, à l’écoute de toutes vos suggestions, concernant en particulier les personnes susceptibles d’être entendues par la mission.

Je suis très heureux que le Parlement puisse se saisir de ce magnifique thème de la bioéthique. La représentation nationale a en effet tout son rôle à jouer dans l’élaboration et la révision des lois de bioéthique. Je donne maintenant la parole au professeur Houssin, en rappelant que vous êtes professeur de chirurgie digestive, chef du service de chirurgie à l’hôpital Cochin et que vous avez été le directeur général de l’Établissement français des greffes.

M. Didier Houssin. Je vous remercie de m’avoir convié à cette première audition de votre mission d’information.

Je commencerai par rappeler les principaux acquis de la loi du 6 août 2004. Celle-ci réaffirme les trois principes de consentement, d’anonymat et de gratuité, au fondement de l’ensemble des dispositions législatives et réglementaires concernant la bioéthique dans notre pays alors que, dans des pays voisins et a fortiori dans d’autres plus lointains, ces principes ne vont pas nécessairement de soi. La loi du 6 août 2004 a confirmé l’importance du rôle du CCNE, qui est une autorité indépendante, et prévu la création d’espaces de réflexion éthique au niveau régional. Elle a également créé l’Agence de la biomédecine, qui a repris les missions de l’Établissement français des greffes, que j’ai eu l’honneur de diriger, dans le domaine du prélèvement et de la greffe d’organes, de tissus et de cellules, et en a reçu de nouvelles en matière d’assistance médicale à la procréation, d’embryologie et de génétique, ce qui lui permet de développer une approche originale.

La loi de 2004 a par ailleurs encadré l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne à des fins médicales, ce qu’avaient rendu nécessaire les progrès considérables accomplis dans le domaine de la génétique et la place croissante de la médecine préventive et « prédictive ». Elle a profondément réformé les dispositions des lois de 1994 dans le domaine de l’embryologie et de la reproduction, en interdisant le clonage reproductif et en n’autorisant que de manière dérogatoire, par l’adoption d’un « moratoire positif » de cinq ans, les recherches sur l’embryon et les cellules embryonnaires. Enfin, le régime du consentement des personnes en matière de don d’organes a été précisé et le cercle des donneurs vivants a été élargi.

Au total, la loi du 6 août 2004 a introduit des nouveautés, sans remettre en question les principes fondateurs de la loi de 1994.

Je ferai maintenant le point sur son application, sans aborder ses conséquences pratiques, sur lesquelles l’Agence de la biomédecine vous donnera toutes informations utiles, concernant par exemple les questions suivantes : le principe du consentement présumé pour le don d’organes a-t-il permis d’accroître le nombre de prélèvements sur donneurs décédés ? De même, quelles ont été les conséquences de l’élargissement du champ potentiel des donneurs vivants ? L’Agence pourra également vous faire le point sur les recherches sur l’embryon qui ont été soumises à son autorisation. Je me limiterai, pour ma part, aux aspects réglementaires.

Sur les 40 articles de la loi, 24 n’exigeaient aucun texte d’application et 25 des 27 décrets prévus ont été publiés : 2 seulement restent donc à prendre. Celui prévu par l’article 7 de la loi sur les modalités de prise en charge des frais de prélèvement est en cours d’examen par le Conseil d’État et devrait donc être prochainement publié. En revanche, celui prévu par l’article 5 relatif à l’information de la parentèle en cas de diagnostic d’une anomalie génétique grave se heurte à de multiples difficultés juridiques et pratiques et sa publication a été pour l’instant suspendue. Je vous rappelle que cet article avait été adopté à la suite d’une affaire dramatique où un déficit d’origine génétique en ornithine transcarbamylase avait conduit à la mort de deux adolescents alors que, si leur mère avait été informée de l’anomalie génétique qu’elle avait pu transmettre à ses enfants, une modification du régime alimentaire aurait pu éviter ces décès. Il s’agit là d’une question importante, qui devra donc être examinée.

Je terminerai par les principaux enjeux de la prochaine révision de la loi de 2004.

Concernant tout d’abord les aspects institutionnels, quel bilan peut-on dresser de l’activité du CCNE et des modifications doivent-elles lui être apportées, compte tenu notamment de la dimension européenne de ces problématiques ? Pour ce qui est de l’Agence de la biomédecine, dont la révision générale des politiques publiques (RGPP) a conduit à réexaminer la situation, comme celle de toutes les agences sanitaires, et à voir quelles améliorations pourraient être apportées, certaines des missions qu’elle exerce en matière de sécurité sanitaire pourraient-elles être reprises par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) ? De même, le rôle qu’elle joue comme organisme para-hospitalier de régulation de la circulation des organes entre le moment de leur prélèvement et celui de leur greffe n’est pas très différent de celui de l’Établissement français du sang pour les transfusions. Mais l’Agence de la biomédecine est bien davantage que cela : elle est le point focal de la mise en pratique des réflexions sur les questions bioéthiques. Elle est confrontée à des problèmes très concrets, alors que le CCNE est un organisme plus généraliste. Elle a donc toute sa place et la tient fort bien. Il faudrait donc de très solides arguments pour remettre en cause son existence.

Au niveau international, la convention du Conseil de l’Europe sur les droits de l’homme et la biomédecine, dite Convention d’Oviedo, n’a pas encore été ratifiée. Cette convention ainsi que ses protocoles additionnels, concernant notamment la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine, posent certains principes généraux dans le domaine de la bioéthique. Je ne pense pas qu’il existe d’obstacles à sa ratification et espère donc que celle-ci pourra intervenir très bientôt. Au-delà de cette question, il apparaît nécessaire d’inscrire les réflexions sur les questions de bioéthique dans une perspective internationale, en s’interrogeant notamment sur la portée que peut avoir d’interdiction d’une pratique en France, dans le domaine de la procréation ou des greffes, lorsqu’elle est autorisée dans un pays voisin. Cela ne signifie pas que l’on doive s’aligner systématiquement sur ce qui se fait dans d’autres pays : il faut simplement tenir compte du contexte international pour éviter des situations absurdes.

Les questions relatives à l’embryologie et à la reproduction seront l’un des principaux enjeux de la prochaine révision des lois de bioéthique. C’est assurément sur ce point que les débats seront les plus vifs, notamment autour de la question des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires. Celles-ci sont aujourd’hui interdites, une dérogation ayant toutefois été accordée pour cinq ans. Cette interdiction n’a pas réellement bloqué les recherches dans notre pays mais elle laisse planer une incertitude pour l’avenir alors que les chercheurs apprécient d’avoir une visibilité à assez long terme. Certains souhaiteront plus de souplesse tandis que d’autres resteront partisans de la plus grande fermeté, n’imaginant pas un cadre autre que dérogatoire. C’est l’Agence de la biomédecine qui encadre ces activités : vous pourrez demander à ses responsables quelles recherches ont été autorisées, à quelles fins, et quelles sont celles qui ne l’ont pas été et pourquoi.

La question du clonage à finalité thérapeutique fera certainement lui aussi l’objet d’un vif débat. Cela étant, la science progresse très vite en ce domaine et il n’est pas exclu qu’assez vite ce clonage ait quelque peu perdu de son intérêt scientifique, vu les progrès accomplis en matière d’induction de cellules souches pluripotentes à visée thérapeutique.

Il faudra bien sûr traiter de l’assistance médicale à la procréation, notamment de son accès aux personnes seules et aux couples homosexuels, du transfert d’embryons post mortem, de la gestation pour autrui, toutes pratiques aujourd’hui interdites en France mais qui, autorisées à l’étranger, soulèvent des problèmes juridiques dans notre pays. Une jurisprudence récente a ainsi reconnu la filiation d’un enfant né d’une mère porteuse aux États-Unis, en dépit de la nullité en droit français de la convention passée avec cette mère porteuse. Un autre sujet, qui mobilise fortement le monde associatif, devra être abordé : la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes, afin de permettre aux enfants conçus par insémination artificielle d’accéder à leurs origines.

Se posera de même la question du statut du fœtus in vivo. Certains demandent ainsi de manière récurrente que soit reconnu le fœticide, notamment en cas d’accident sur la voie publique, ce qui aurait des implications dans notre droit civil et pénal.

En matière d’examen des caractéristiques génétiques des personnes, j’ai évoqué les difficultés d’élaboration du décret relatif à la procédure d’information à caractère familial en cas de diagnostic d’une anomalie génétique grave. À quoi tiennent-elles ? Tout d’abord, à l’interprétation de la notion d’ « anomalie génétique grave » pour laquelle « des mesures de prévention ou de soins peuvent être proposées » : il est de fait impossible d’établir la liste des anomalies entrant dans le champ d’application de cette procédure. En deuxième lieu, la procédure actuelle ne tient pas compte du cas où la personne souhaite être tenue dans l’ignorance de son diagnostic : il faut, dans certaines circonstances, savoir respecter ce souhait, même si cela peut avoir des conséquences préjudiciables pour autrui. En outre, cette procédure est longue et complexe. Elle exige l’intervention de plusieurs médecins et des questions demeurent en suspens : quelles informations transmettre à l’Agence de la biomédecine ? Quel médecin doit-elle saisir afin de prendre contact avec les membres de la famille ? Que faire si aucun d’entre eux ne se manifeste ? Par ailleurs, la communication à la parentèle d’une information médicale à caractère familial, loin d’être toujours bénéfique, peut être traumatisante. Elle remet en question le respect du secret médical et suppose la collecte ainsi que le traitement de données à caractère personnel, auxquels toute personne a le droit de s’opposer aux termes de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

En matière de greffes, se reposera inévitablement la question du régime du consentement. Celui du consentement présumé, aujourd’hui en vigueur dans notre pays, est parfois difficile à comprendre pour l’opinion. Pourtant, outre qu’il facilite l’accès à des greffons, il permet également de respecter le droit des personnes à ne pas vouloir penser de façon trop explicite à leur mort et donne toute sa place de témoin à la famille, contactée en cas de décès brutal. De même, ressurgiront nécessairement les questions de la gratuité et de l’anonymat du don. Alors que le principe de la gratuité paraît un pilier intangible de notre dispositif, il n’en va pas de même dans d’autres pays, même si la commercialisation d’organes humains est aujourd’hui très largement condamnée, d’importants progrès ayant été accomplis sur ce point, notamment en Chine, où la question était cruciale. Se pose par exemple la question de la compensation des frais ou de la perte de rémunération supportés lors d’un prélèvement. De même, le principe de l’anonymat n’est pas reconnu comme une valeur fondamentale dans certains pays.

S’agissant des médicaments dérivés du sang, la France a mis en place, pour des raisons éthiques, un dispositif particulier d’autorisation de mise sur le marché (AMM), critiqué au niveau européen par certains laboratoires pharmaceutiques. La Commission européenne elle-même a demandé à la France des informations complémentaires. Or nous n’avons que des arguments éthiques à opposer à cela.

Enfin, il faudra réfléchir à la pertinence d’inclure de nouveaux domaines dans le champ des lois de bioéthique. Je pense par exemple aux neurosciences et à tout ce qui touche le fonctionnement du cerveau humain, à la robotisation des fonctions humaines, domaine dans lequel le Japon est très en avance et qui, un jour, pourrait soulever des questions éthiques, ainsi qu’à certains usages culturels du corps – on se souvient des expositions récentes de cadavres plastinés.

M. le président. Je vous remercie de cet exposé. Notre débat pourrait s’organiser autour de deux thèmes : l’application de la législation actuelle et les éclaircissements qu’elle peut appeler, d’une part, et les problématiques émergentes, d’autre part.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Concernant tout d’abord la situation actuelle, vous avez rappelé les différences existant notamment au niveau européen entre les législations nationales, en soulignant très justement – et c’est là un point important – que ce n’est pas parce qu’une pratique est autorisée dans un autre pays qu’il faudrait nécessairement légiférer pour s’aligner sur ces pratiques mais qu’on ne peut pas ne pas en tenir compte.

Quelles sont les avancées scientifiques, sociales et technologiques intervenues depuis l’adoption de la loi du 6 août 2004 qui posent aujourd’hui des problèmes éthiques et qui pourraient nécessiter d’adapter notre législation ? Quelles sont, d’autre part, les évolutions législatives intervenues depuis 2004 dans d’autres pays européens ?

Ma troisième question concerne les espaces régionaux de réflexion éthique, qui constituent des lieux de formation, de documentation, de rencontres et d’échanges interdisciplinaires sur les questions d’éthique dans le domaine de la santé. Au-delà des travaux des instances nationales, telles que le CCNE, comment imaginer en effet que les questionnements philosophiques et éthiques ne soient pas une interrogation permanente dans la pratique des médecins, qui sont confrontés à des problèmes de plus en plus complexes du fait des progrès de la science ? Je crois savoir que le CCNE a rendu son avis sur le projet d’arrêté mais que celui-ci n’est toujours pas publié. Pour instiller et faire vivre une culture éthique, il faut avancer sur ce sujet car nous savons tous à quelles dérives les évolutions de la science peuvent conduire.

Comme le président Alain Claeys, je pense que la bioéthique n’est pas et ne doit pas être affaire de purs spécialistes. Je me félicite donc moi aussi que le Parlement soit étroitement associé à la révision des lois de bioéthique. La ministre chargée de la santé nous a assurés que la représentation nationale serait partie prenante à l’organisation des états généraux qui, ouverts au public, ne pourront pas échapper à une certaine médiatisation. Il faudra éviter le double écueil d’une extrême technicité des débats comme d’un caractère trop général qui les ferait s’apparenter à des propos de café du commerce. Comment envisagez-vous l’organisation de ces états généraux, de façon que ce large débat soit à la fois populaire, au sens noble du terme, et à la hauteur des enjeux de culture et de civilisation qui se posent ?

M. le président. Est-il utile à votre avis que figure dans les lois de bioéthique le principe d’une révision tous les cinq ans, procédure qui prend toujours du retard et peut apparaître un peu lourde ? La création de l’Agence de la biomédecine ne conduit-t-elle pas à renouveler les termes de ce débat ? Quelles relations entretenez-vous avec le ministère de la recherche sur ces sujets, sachant que l’agence est placée sous la seule tutelle du ministère de la santé ?

M. Didier Houssin. S’agissant des évolutions techniques intervenues depuis 2004 et ayant des implications éthiques, je pense d’abord au développement des greffes de tissus composites, qui a permis de greffer notamment des membres entiers ou des faces, ce qui soulève des problèmes éthiques tant vis-à-vis du cadavre du donneur que du receveur. Je pense également, dans le domaine de la biologie, à la capacité d’induire l’évolution de certaines cellules souches somatiques en cellules pluripotentes : des spécialistes vous diront quelles perspectives cela ouvre. Je pense enfin, dans le domaine de la génétique, à la capacité d’identifier les causes de certaines maladies et notamment les facteurs de risque prédictifs plurigéniques. L’avis des généticiens vous sera très utile sur ce point.

Pour ce qui est des législations en vigueur dans les autres pays, le mieux serait de vous adresser une cartographie en reprenant les principaux éléments, de façon à bien faire apparaître les différences sur les sujets les plus sensibles.

En ce qui concerne les espaces régionaux de réflexion éthique, l’arrêté et la circulaire, qui relèvent de la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS), sont prêts. Ne manque plus que la signature du ministère de la recherche.

S’agissant des états généraux de la bioéthique, toute la difficulté réside en effet dans l’organisation d’un débat public sur des sujets qui, à la fois, concernent chacun d’entre nous dans son intimité – donner la vie, être soigné, mourir – et sont d’une extrême technicité. L’orientation qui semble se dessiner, encore qu’il faille attendre les arbitrages politiques sur ce point, est celle d’un « publiforum », c’est-à-dire d’un débat avec des membres du grand public, volontaires pour y participer, après avoir suivi une courte formation leur permettant de s’approprier ces questions techniques.

Faut-il prévoir dans les lois de bioéthique le principe même de leur révision tous les cinq ans ? La question peut en effet se poser. Aurions-nous pu fixer une fois pour toutes des principes intangibles, comme ceux de consentement, de gratuité et d’anonymat, indépendamment des évolutions techniques ? Sans doute mais l’option plutôt retenue jusqu’à présent dans notre pays a toujours été que la loi suive l’évolution des techniques, lesquelles évoluent très rapidement. Cette approche présente des avantages et des inconvénients.

Enfin, nous entretenons d’étroites relations avec le ministère chargé de la recherche, notamment avec la direction générale de la recherche et de l’innovation. Que l’Agence de la biomédecine soit placée sous la seule tutelle du ministère de la santé ne pose pas de problème et une cotutelle du ministère de la recherche ne se justifie peut-être même pas dans la mesure où, contrairement à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), la recherche ne représente qu’une part restreinte de l’activité de l’Agence de la biomédecine.

M. le président. Il nous serait en effet très utile de disposer d’un tableau comparatif des dispositions législatives en vigueur dans les différents pays européens et aux États-Unis.

M. Jean-Marc Nesme. Il serait aussi utile de recenser les conventions et traités internationaux ainsi que les résolutions, notamment de l’Organisation des Nations Unies (ONU) ou de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), ayant pu être signés par notre pays et touchant à la bioéthique, la dignité et les droits de la personne humaine, afin de faire le point sur le sujet et d’éviter de formuler des propositions qui seraient contraires à des engagements internationaux pris par notre pays.

M. le président. Cela serait en effet complémentaire.

M. Didier Houssin. L’Agence de la biomédecine est certainement en mesure d’établir très rapidement ce tableau comparatif et de procéder au recensement que vous appelez de vos vœux.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Les dispositions législatives en vigueur chez nos voisins européens évoluent très vite et sont en permanence adaptées, sans que ces pays aient d’ailleurs eu besoin de prévoir dans leur législation le principe de sa révision périodique. Une révision est actuellement engagée en Grande-Bretagne après l’organisation d’un vaste débat public sur le clonage hybride. Nous pourrions nous inspirer de ce qui a été fait dans ce pays pour les futurs états généraux. Il faut bien voir que, souvent, ce qui était permis dans d’autres pays ne l’était en fait que grâce à un vide juridique, en l’absence d’une interdiction ou d’un encadrement légal : ainsi en allait-il des tests génétiques qu’il était permis de pratiquer librement en Espagne, simplement parce que la loi espagnole était muette sur ce point, et qui y sont maintenant strictement encadrés. L’État de Californie vient de même de légiférer pour encadrer cette pratique. Il faut donc faire preuve de prudence dans la comparaison des législations.

M. Didier Houssin. Vous avez parfaitement raison. Ainsi avions-nous constaté que c’était l’absence de législation sur le sujet qui permettait le commerce d’organes dans l’Union indienne. La transposition de la loi fédérale dans chacun des États indiens a pris un certain temps. En effet, dès lors qu’une technique est accessible, si rien ne l’interdit expressément, elle est à coup sûr mise en œuvre. En outre, grâce à des professionnels formés à l’étranger, un certain nombre de pays maîtrisent des techniques médicales avant que ne s’y soient développés une réflexion éthique ainsi qu’un cadre juridique adaptés.

M. Patrick Bloche. Je remercie le professeur Houssin de son exposé, qui ouvre sur de multiples sujets. Je le remercie aussi d’avoir insisté sur la dimension européenne, sinon internationale, du problème. Comment ne pas penser à ces enfants, dits « bébés Thalys », nés d’une part, de femmes françaises ayant bénéficié en Belgique d’une assistance médicale à la procréation qui leur a été refusée en France, d’autre part de femmes belges qui viennent accoucher sous X dans notre pays, alors que cette pratique est interdite dans leur pays ?

Je suis particulièrement heureux de participer à cette mission d’information car celle que j’ai eu l’honneur de présider sur la famille et les droits des enfants et dont notre ancienne collègue, devenue depuis ministre, Valérie Pécresse était la rapporteure, m’a laissé un goût d’inachevé. Je n’en ai pas voté le rapport final car en ressortait l’idée d’une exception française, dont je n’ai toujours pas compris les fondements. Nous nous étions rendus dans plusieurs pays européens, ainsi qu’au Canada et au Québec, à l’occasion de cette mission. Il faudra, pour celle-ci, veiller à la même ouverture européenne et internationale, afin de sortir de l’hypocrisie qui conduit certains de nos concitoyens à trouver à l’étranger des réponses à leurs problèmes.

M. Michel Vaxès. Tous les intervenants précédents ont souligné la difficulté d’organiser des états généraux de la bioéthique. L’un des écueils est que, par insuffisante appropriation des problématiques d’éthique, l’émotion l’emporte parfois sur la raison, au risque que soient prises trop rapidement des décisions inadaptées. Il faudra donc veiller à une appropriation de cette culture éthique par un public le plus large possible afin d’aborder les problèmes sereinement et, partant, de manière plus pertinente.

M. Didier Houssin. Je partage tout à fait ce point de vue. Ne faudrait-il pas, par exemple, diffuser plus largement les rapports du CCNE et les traduire dans un langage plus accessible ? Un important travail de communication est sans doute nécessaire.

M. le président. Avez-vous constaté au fil du temps des évolutions dans les avis et les travaux du CCNE ? Le fait que l’Agence de la biomédecine dispose de sa propre instance d’éthique conduit-il à envisager différemment la place et le rôle du CCNE ?

M. Didier Houssin. Les premiers travaux du CCNE étaient plutôt centrés sur la recherche, puis le champ de ses avis s’est peu à peu élargi à des problématiques sociales ou de santé publique. Pour ma part, je n’ai jamais eu le sentiment d’un conflit entre les réflexions éthiques du CCNE et celles de l’Agence de la biomédecine, qui portent sur des questions très précises, en lien avec l’activité de l’agence. La question majeure n’est donc pas tant celle des compétences respectives des deux instances, mais plutôt celle de la portée à donner aux travaux du CCNE, notamment auprès du public.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Quel est votre sentiment sur l’inscription dans le Préambule de la Constitution de nouveaux principes fondamentaux dans le domaine de la bioéthique ? Selon vous, quelles implications cela pourrait-il avoir ? En particulier, faire figurer dans ce Préambule le principe de dignité du corps humain n’entraverait-il pas les recherches sur l’embryon ?

M. Didier Houssin. J’avoue ne pas avoir les compétences juridiques nécessaires pour vous répondre sur ce point.

M. le rapporteur. Notre réflexion sur la bioéthique ne pourra s’affranchir ni d’une expertise approfondie, ni d’un vaste débat public. À cet égard, la retransmission de nos auditions sur LCP-AN est une excellente chose. Je rappelle d’ailleurs que celle des auditions de la mission d’évaluation de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie a été suivie par plus de deux millions de personnes. Concernant l’organisation des états généraux de la bioéthique, les propositions que vous avez formulées mériteraient d’être reprises. Il faudrait en effet constituer un panel de citoyens, tirés au sort et volontaires pour se former à ces sujets techniques et débattre ensuite avec des experts et des parlementaires. Ces confrontations seraient retransmises à la télévision ou diffusées sur Internet pour trouver l’écho le plus large possible. Cela me paraît un bon moyen de parvenir à cette appropriation minimale du sujet, en effet indispensable, comme l’a souligné notre collègue Michel Vaxès. Avoir un enfant, se faire soigner, donner un organe, approcher de la mort, voilà des questions qui touchent chacun d’entre nous au plus profond de lui-même ; voilà en quoi la bioéthique nous concerne tous ; voilà pourquoi ce débat ne doit pas être confisqué par des experts : il est aussi l’affaire de nos concitoyens. Nous devrions faire des propositions en ce sens.

M. Didier Houssin. Si la loi pouvait prévoir la nécessité d’un tel débat et en préciser les modalités, ce serait une bonne chose. Bien qu’assez lourde et coûteuse puisqu’il faut indemniser les participants obligés de s’absenter de leur travail, La méthode du « publiforum », mise au point au Danemark et déjà utilisée en Suisse pour le problème des greffes, permet de fructueux échanges entre experts et public. Celui-ci devient ensuite lui-même acteur du débat, les participants pouvant en effet animer des rencontres ou des tables rondes. Il existe sans doute d’autres méthodes, mais celle-là présente beaucoup d’avantages.

M. le président. Je suis tout à fait favorable à l’idée d’un « publiforum ». La Cité des sciences et de l’industrie organise d’ores et déjà ce type de débat. En Grande-Bretagne, l’organisme dont les compétences sont proches de celle de l’Agence de la biomédecine fait de même. Dès lors, l’agence pourrait également être chargée d’organiser de tels débats publics mais, dans le cadre des états généraux de la bioéthique, organiser quelques débats en région ne suffira pas.

M. le rapporteur. Ce serait une première étape.

M. le président. Oui, mais il faudra impérativement confronter un panel de citoyens à des scientifiques. Tout le problème sera de composer ce panel et d’assurer à ses membres une formation minimale. Il faudra voir aussi comment associer la représentation nationale à ce « publiforum ». La balle est maintenant dans le camp du ministère de la santé, concernant l’organisation de ces États généraux, dont les travaux, loin d’être en concurrence avec ceux de notre mission d’information, leur seront complémentaires. Je préfère, pour ma part, que l’on mette quelques mois de plus mais qu’on garantisse la qualité, et donc l’utilité, de ces travaux.

M. Michel Vaxès. Il ne faudra jamais perdre de vue que les problématiques de bioéthique se situent au confluent de deux champs de connaissances, de deux dimensions de l’individu, l’une biologique, l’autre socio-historique. Il faudra, parmi les experts, retrouver ces deux dimensions et que soient représentés aussi bien des médecins, des biologistes, des généticiens que des philosophes, des sociologues et des historiens.

M. Didier Houssin. Les questions bioéthiques, qui se situent en effet aux confins de la philosophie, de l’anthropologie, de la sociologie, de l’histoire, ne sauraient être l’affaire exclusive des scientifiques : c’est précisément un lieu où peuvent se rencontrer toutes ces disciplines.

M. Paul Jeanneteau. Si l’on souhaite organiser un véritable débat populaire au sens le plus noble du terme, il faut laisser à nos concitoyens le temps nécessaire pour s’en approprier les thématiques. Un semestre me paraît donc un minimum pour conduire un débat de qualité et faire prendre conscience de toutes les dimensions de ces problèmes. Ne nous fixons pas par avance de limites trop rigides !

M. le rapporteur. Il faudra veiller à ce que coïncident bien dans le temps les travaux de notre mission d’information, ceux du CCNE et ce débat public. Il vous appartiendra, monsieur le président, de veiller à cette harmonisation des calendriers, et je ne doute pas que vous y parviendrez.

M. le président. D’ici à la fin de l’année, nous devrions disposer des rapports du CCNE, de l’Agence de la biomédecine, du Conseil d’État, de celui que Jean-Sébastien Vialatte et moi-même devons présenter à l’OPECST, ainsi que des conclusions du groupe de travail conduit par Mme Simone Veil. Tous ces travaux seront de la plus grande utilité pour ceux de notre mission d’information ainsi que pour le débat public que nous appelons de nos vœux. Il nous faudra bien entendu coordonner le rythme de nos travaux avec ce débat ainsi, bien entendu, qu’avec le dépôt du projet de loi. Je ne doute pas que le Gouvernement y ait réfléchi.

M. le rapporteur. D’autant que la réforme constitutionnelle de l’été dernier invite à la « co-production » des textes entre l’exécutif et le législatif !

M. Xavier Breton. Il avait été initialement demandé au CCNE et à l’Agence de la biomédecine de rendre leurs rapports en septembre. D’autres retards ne sont-ils pas à craindre ? Il me semble que se pose d’ores et déjà la question du calendrier de l’examen de la révision de la loi de bioéthique si l’on veut être assuré de la qualité des travaux préparatoires à celle-ci.

M. le président. L’Agence de la biomédecine rendra en principe son rapport fin octobre. Reste à connaître le calendrier retenu pour l’organisation des états généraux de la bioéthique et le dépôt du projet de loi. Avant de clore cette première audition, je tiens à remercier une nouvelle fois le professeur Didier Houssin.

Audition de M. Alain GRIMFELD,
président du Comité consultatif national d'éthique
pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE)



(Procès-verbal de la séance du
4 novembre 2008)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui le professeur Alain Grimfeld, président du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), auquel nous souhaitons la bienvenue. Praticien hospitalier, professeur des universités, chef de service de pédiatrie à l’hôpital Armand Trousseau, spécialiste de l’asthme et des questions sanitaires relatives à l’environnement, vous présidez également le Comité de la prévention et de la précaution au ministère chargé de l’écologie ainsi que le conseil scientifique de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS).

Membre du CCNE depuis 2005, vous en avez été nommé président par décret du Président de la République en date du 18 février 2008. Je rappelle que le CCNE a été créé en 1983 par un simple texte réglementaire, la France faisant alors œuvre de pionnière, en étant le premier pays à créer un comité de bioéthique. Ce comité a reçu mission, aux termes de la loi d’août 2004, de « donner des avis sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé. »

Nous vous avions entendu, avec M. Jean-Sébastien Vialatte, dans le cadre des travaux de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), le 15 avril 2008, et vous nous aviez déclaré qu’il convient de construire une éthique de la responsabilité et que le débat éthique doit être contradictoire et prendre en compte les évolutions sociétales. Il serait sans doute intéressant qu’au cours de nos débats, vous puissiez expliciter cette notion d’éthique de la responsabilité.

Depuis 1983, le CCNE a évolué, tandis que d’autres structures ont été créées dans le domaine de la bioéthique – je pense notamment à l’Agence de la biomédecine et aux espaces de réflexion éthique au niveau régional ou interrégional. Une articulation est nécessaire entre les travaux du CCNE, du conseil d’orientation de l’agence et des espaces de réflexion éthique. Comment se situe aujourd’hui le CCNE dans cet ensemble ?

Des interrogations se sont fait jour concernant le CCNE, à l’occasion notamment du dernier changement de présidence. Quel est votre sentiment, tant sur sa composition que sur la nature de ses avis ? L’exécutif doit bientôt nous faire connaître les modalités d’organisation des futurs États généraux de la bioéthique. Comment le CCNE entend-il s’y impliquer ?

M. Alain Grimfeld. Je vous remercie de cette invitation, qui honore le CCNE tout entier. En effet, la présidence de cette institution ne repose pas uniquement sur moi mais sur plusieurs personnes. Je suis donc fier que vous m’ayez choisi pour en être le messager.

J’avais préparé un exposé concernant plus particulièrement l’avis n° 105, relatif aux « Questionnements pour les États généraux de la bioéthique », qui a été rendu récemment par le CCNE. Suite à la saisine du Premier ministre, il s’agissait « d’identifier, à l’occasion de ce rendez-vous, les problèmes philosophiques et les interrogations éthiques soulevés par les derniers progrès de la science, d’indiquer les questions qui [nous paraissaient] plus particulièrement mériter débat et de rendre compte de leur complexité ». Nous avons proposé une « boîte à outils » permettant de cerner les enjeux de ces États généraux et de préparer leur organisation. Mais je vais m’écarter de l’exposé que j’avais prévu pour répondre aux questions que vous m’avez posées.

Y a-t-il une « nouvelle politique » du CCNE ? Permettez-moi d’abord de rappeler ici comment ma nomination à sa présidence a été commentée dans certaine presse. Un entrefilet du quotidien Libération indiquait ainsi, plus ou moins en ces termes : « l’ancien président du CCNE, Didier Sicard, plutôt de gauche, s’en va, remplacé par le professeur Alain Grimfeld, plutôt de droite ». Je tairai le nom du journaliste auteur de ces lignes, que je n’ai d’ailleurs jamais pu rencontrer alors qu’il m’avait à deux reprises fixé un rendez-vous. Je le redis après l’avoir fait clairement savoir à ce moment-là : je ne suis pas le bras armé du Président de la République. Au demeurant, il me paraît imbécile de croire que tel aurait pu être le cas – pardonnez-moi, mais je ne connais pas la langue de bois. Pour moi qui suis d’origine très modeste, parvenir à la présidence du CCNE ne constitue pas le couronnement d’une carrière mais l’aboutissement de toute une vie. Il ne saurait donc être question pour moi de faire allégeance à qui que ce soit. Sans que cela ne fasse nullement de moi un héros, je revendique d’être un homme libre. Voilà les premiers propos que j’ai tenus lorsque j’ai pris mes fonctions et que j’ai demandé à la presse de bien vouloir relayer.

Cela étant, il fut un temps où le CCNE était, du moins le lui reprochait-on, « le dernier salon où l’on cause », très éloigné de la « vraie vie ». J’estime, pour ma part, qu’il convient toujours de tenir compte des critiques, même lorsqu’elles peuvent paraître désobligeantes, et ces critiques-là ont paru telles à certains membres du comité. N’étant nullement un héros, je n’ai pas vocation non plus au martyre. À mon arrivée à la présidence, j’ai exprimé la ferme intention que le CCNE ne soit ni « le dernier salon où l’on cause », ni le lieu de réflexions ésotériques pour le public, sans lien avec le siècle et ses réalités.

En effet, je souhaite que le comité réfléchisse aux problèmes actuels de notre société, parfois extrêmement douloureux sur le plan éthique, notamment pour les populations les plus vulnérables. Pédiatre spécialisé dans les pathologies respiratoires de l’enfant, j’y ai été confronté quotidiennement dans ma pratique, au contact des enfants et de leurs familles. Sans doute parce que mon expérience professionnelle m’y a sensibilisé, j’ai souhaité que le travail du CCNE colle au plus près aux réalités de la vie et se confronte aux problèmes parfois très douloureux de notre société, s’agissant en particulier des personnes les plus vulnérables. J’avais d’ailleurs conscience de cette impérieuse nécessité bien avant d’être nommé à sa présidence. Je n’ai certes pas écrit de nombreux ouvrages sur l’éthique mais en exerçant, depuis fort longtemps, le métier de pédiatre, j’ai été de fait confronté à ces problèmes ainsi qu’à la nécessité de mener une réflexion éthique compte tenu des attentes des patients et de leur famille.

J’en viens à l’organisation du CCNE. La présidence repose sur quatre personnes : outre moi-même, il y a le vice-président, M. Pierre Le Coz, qui est agrégé de philosophie et docteur en sciences de la vie et de la santé, la présidente de la section technique, Mme Annick Alperovitch, directeur de recherches émérite à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et épidémiologiste de renom, ainsi que Mme Marie-Hélène Mouneyrat, secrétaire générale depuis 1988. J’ai immédiatement formulé le souhait, avec ces trois personnes, que le CCNE collabore avec d’autres organismes, ce qui n’était pas le cas auparavant. Sans porter aucune attaque ad hominem, force est de constater qu’il avait tendance à s’enfermer dans une sorte de tour d’ivoire. C’est sans doute pourquoi il avait été qualifié de « dernier salon où l’on cause », tenu pour une assemblée de sages menant entre eux des réflexions de haut niveau auxquelles peu de gens pouvaient accéder. C’est à peine si je force le trait. J’ai voulu débarrasser le comité de cette fâcheuse image et l’ouvrir sur l’extérieur.

La première des collaborations que nous avons mise en place, et qui est désormais acquise, est avec l’Agence de la biomédecine. Il ne saurait y avoir pour moi d’un côté, le Comité consultatif national d’éthique qui réfléchirait, avec une hauteur de vue à laquelle il pourrait seul prétendre, et d’un autre, l’Agence de la biomédecine qui ne serait que l’exécutante de ses recommandations. Nous avons donc immédiatement rencontré la nouvelle directrice générale de l’agence et posé le principe d’une collaboration ouverte, en temps réel, des deux instances, chacune demeurant dans son rôle.

M. le président. Quels rapports entretient le CCNE avec le conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine ?

M. Alain Grimfeld. Le CCNE est une autorité administrative indépendante, qui est dotée d’un budget suffisant pour fonctionner mais il est clair que ce n’est pas une agence. Il a impérativement besoin de retours d’expériences – j’y suis extrêmement attaché. Je me suis donc inspiré du modèle dit du retour d’expérience et de l’apprentissage organisationnel (REXAO), mis au point par le pôle cyndiniques de l’École des mines de Paris. En effet, dans la société actuelle, il n’est pas possible de prétendre que certains savent nécessairement ce qui est bon pour les autres et que des modèles soient toujours imposés d’en haut pour être exécutés en bas, quitte, en cas d’échec, à en proposer d’autres sans jamais remettre en question le fait qu’ils proviennent d’en haut. Il faut aussi des mouvements du bas vers le haut ; je le dis sans démagogie aucune. Surtout dans le domaine de la réflexion éthique, le retour d’expérience est une absolue nécessité.

Le CCNE doit coller au plus près de la « vraie vie » et mener les réflexions éthiques rendues nécessaires par l’évolution de la société. Peut-être ne l’avait-il pas assez fait auparavant. Je n’en suis toutefois pas sûr car il a, je crois, toujours bien suivi les préoccupations de nos concitoyens.

Au temps de la réflexion, doit succéder celui des actes, et il importe pour le CCNE de faire œuvre utile. De ce point de vue, je vois mal comment il pourrait utilement formuler des recommandations sans un opérateur pour les mettre en œuvre, comme l’Agence de la biomédecine. Les deux institutions, chacune restant dans son rôle, doivent donc coopérer, et ce dès l’amont. Un fonctionnement en autarcie serait absurde et inopérant en matière de bioéthique.

En outre, le CCNE, qui a été appelé à donner son avis sur le projet d’arrêté relatif aux modalités de fonctionnement des espaces régionaux ou interrégionaux d’éthique, a engagé une collaboration avec certains d’entre eux, notamment l’espace éthique méditerranéen de Marseille qui a été mis en place par notre vice-président, Pierre Le Coz, avec Jean-François Mattei. Nous avons aussi commencé à collaborer avec celui de Brest animé par le professeur Jean-Marie Boles. Je dois prochainement travailler avec le professeur Marie-Josée Thiel, qui a la responsabilité de l’espace éthique de Strasbourg, et inaugurer bientôt celui de Lyon. Je souhaite ardemment une intense coopération avec tous les espaces éthiques régionaux : il ne saurait être question, là non plus, que chacun mène la réflexion dans son coin. L’exercice d’une morale active, puisque telle est ma définition opérationnelle de l’éthique, passe par la confrontation constructive de différents points de vue, émanant de différents courants de pensée, pour aboutir lorsque cela est possible – ce qui n’est pas toujours le cas – à un consensus, et ce au bénéfice de toute la population.

Pour ce qui est des futurs États généraux de la bioéthique, tout en me réservant la possibilité de vous indiquer les thèmes que le CCNE suggère de retenir en priorité, je m’attacherai plutôt à parler du climat dans lequel nous souhaiterions qu’ils se déroulent. En premier lieu, comment concevoir des États généraux, sauf à vider d’emblée le concept de son sens, sans interroger la population et donc organiser un débat citoyen ? D’aucuns ne voient dans le débat citoyen qu’une « tarte à la crème », en se demandant comment il pourra être conduit et quels outils pourront bien être utilisés pour que le retour d’expérience soit vraiment utile. Nous souhaitons, pour notre part, nous appuyer sur les espaces régionaux et interrégionaux de réflexion éthique qui ont le mérite d’exister, d’être pluralistes et bien structurés, à la différence d’autres instances locales, et dont certains sont très dynamiques. Pour habiter une petite commune de 1 840 habitants en Seine-et-Marne, dont le maire s’intéresse particulièrement à l’écologie, notamment au traitement des déchets, et qui est un adepte de l’organisation de débats citoyens, je sais que ce type de débat est possible et combien il est utile.

Si l’on ne sait pas bien comment procéder, il est possible de se référer aux méthodes présentées par exemple dans le document Santé Canada, puisqu’en effet le ministère fédéral canadien de la santé organise de nombreuses consultations auprès du public et la culture de ce pays de l’espace francophone n’est pas si éloignée de la nôtre. Cela étant, je pense que notre pays sait faire s’il s’en donne les moyens et il ne s’agit pas là de moyens financiers, mais d’abord d’engager des collaborations avec des organismes existants. On peut donc à mon avis lancer sans retard le débat citoyen en s’appuyant sur les espaces de réflexion éthique. Nous avons – je le dis sans prétention – souhaité donner en cela une âme à ces États généraux.

Que peut faire le législateur dans le domaine de la bioéthique ? Et tout d’abord, qu’entend-on par bioéthique ? Dans les lois de 1994 et 2004, l’acception du terme apparaît très restrictive, ces textes traitant presque exclusivement de la reproduction dans l’espèce humaine. Or, lorsqu’on parle de bioéthique, il me semble qu’il faut impérativement y introduire la notion d’écologie, au sens premier d’étude du vivant dans son milieu. On ne peut plus abstraire l’espèce humaine de son environnement physique et psychologique, matériel et vivant. La bioéthique doit traiter de l’espèce humaine au sein de la biodiversité.

L’une des premières questions qui se pose est de savoir s’il convient ou non de légiférer en matière de bioéthique. Le principe de lois en ce domaine semble aujourd’hui acquis. Il est en effet très commode de disposer de lois encadrant des pratiques comme la loi du 17 janvier 1975 sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG), la loi dite « Huriet-Sérusclat » relative à la protection des personnes se prêtant à des recherches biomédicales, les lois de bioéthique de 1994, révisées en 2004, la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. Avec cette panoplie législative, déjà bien fournie, certains se demandent s’il est nécessaire de légiférer encore. D’autres estiment que, vu la complexité des problèmes, un cadrage s’impose – je n’ai pas dit une loi-cadre.

Compte tenu de l’accélération des progrès de la science, ne faut-il pas revoir la manière de légiférer dans le domaine médical et des sciences du vivant ? Si on tient à une loi, ce qui semble faire largement consensus, toute la difficulté est que la réflexion éthique puisse suivre les progrès exponentiels de la connaissance du vivant et de la médecine. Et là se pose la question même de l’évolution de l’espèce humaine. D’aucuns considèrent que certaines techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP) comme la gestation pour autrui ou le diagnostic préimplantatoire (DPI), qu’il convient de distinguer du diagnostic prénatal, nous font entrer dans l’ère du « trans-humanisme », tandis que d’autres pensent qu’elles s’inscrivent toujours dans l’évolution de l’espèce humaine depuis Lucy. Ce sont les hommes qui ont mis au point des technologies qui permettent aujourd’hui de fabriquer un être trans-humain, en rupture avec la filiation ontologique de l’espèce. Ce n’est pas là de la science-fiction, puisqu’on est maintenant parvenu à créer des bactéries, c’est-à-dire du vivant, à partir de matière non vivante.

Sur quoi fonder une réflexion éthique concernant le trans-humain ? Pas sur des ouvrages, fussent-ils aussi universels que la Torah, la Bible ou le Coran, puisque tous privilégient la dimension ontologique de l’humain. On ne peut pourtant attendre car, en ce domaine, demain est déjà là. Ainsi, en matière de nanotechnologies appliquées aux sciences du vivant, nous n’avons pas le droit de remettre la réflexion à plus tard, et risquer de commettre la même erreur que pour l’amiante et les organismes génétiquement modifiés (OGM) ou plus exactement les plantes génétiquement modifiées, au sujet desquels chacun a compris qu’une réflexion aurait été nécessaire en amont. Les nanotechnologies appliquées aux sciences du vivant sont à notre porte : une fois la crise financière passée, des budgets colossaux vont y être consacrés. Il n’est pas question, au nom du principe de précaution, d’interrompre les recherches en ce domaine, en imposant par exemple un moratoire, car nous serons de toute façon dépassés par la réalité économique. Collons donc à cette réalité et menons une réflexion éthique sur le sujet. Mais sur quels écrits s’appuyer et à quelles valeurs se référer ?

Les questions de bioéthique ne relèvent pas seulement du domaine scientifique et technique. La question est de savoir si et comment la science peut influer sur les valeurs de notre société pluraliste et laïque. Pour nous, les États généraux doivent être l’occasion de livrer à la population une information adaptée et critique sur les questions scientifiques au cœur de la révision des lois de bioéthique. Vu la vitesse des progrès dans le domaine des sciences du vivant, il n’est plus possible d’annoncer les dernières découvertes à la population et de décider unilatéralement ce que l’on va faire pour elle. Il n’appartient pas au CCNE de convaincre la population que ce qu’on lui propose est « bon pour elle » ; cela serait inacceptable sur le plan éthique.

Je prends l’exemple des nanoparticules. L’un des problèmes majeurs que soulève leur utilisation en médecine est que, contrairement à toutes les molécules utilisées jusqu’à présent, elles traversent la barrière hémato-méningée. Comment garantir à la population que cela ne présente aucun danger ? Il faut lui dispenser une information honnête – au sens de l’expression « honnête homme » du siècle des Lumières, de façon qu’elle soit pleinement éclairée. Quant à l’argument selon lequel cette information serait trop technique pour être comprise de tous, il est parfaitement fallacieux. Quel malade, sinon un déficient mental, ne pourrait comprendre que la substance qu’on lui administre peut passer de son sang à son cerveau ? Sur ces sujets, le législateur devra définir juridiquement la nature de l’information à délivrer à la population. En tout état de cause, cette information ne pourra rester dans les mains d’instances telles que l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé (INPES). C’est une démarche politique qui est nécessaire. Dès 1995, le CCNE avait d’ailleurs souligné, dans son avis n° 45, que la fiabilité et la loyauté de ces informations scientifiques devenaient de véritables enjeux sociaux.

La loi permet de mettre en place des garde-fous afin de garantir le respect de la dignité des personnes et la recherche permanente du bien commun. La loi, issue du débat démocratique, permet de dégager des valeurs communes et garantit l’expression pluraliste des opinons. Pour engager la réflexion dans la perspective de la révision des lois de bioéthique, notamment avec la population lors des États généraux, nous estimons qu’il conviendrait d’abord de s’accorder sur certains principes fondamentaux comme l’indisponibilité et la non-patrimonialité du corps humain, de façon à définir ce qui est majoritairement considéré comme inacceptable, avant de rechercher un consensus sur ce qui est acceptable.

Comment par exemple accepter d’un côté le principe d’indisponibilité du corps humain et d’un autre, la gestation pour autrui ? De même, comment s’accorder sur le principe de non-patrimonialité du corps humain, c’est-à-dire que celui-ci, ni aucun de ses éléments ou produits, ne peut être vendu et ensuite accepter que des dons d’éléments du corps humain puissent être rémunérés ? Et pourtant, pour concevoir par exemple des embryons pour des couples infertiles, il faut prélever des ovocytes, opération beaucoup plus difficile et douloureuse que l’obtention de spermatozoïdes à partir d’un éjaculat. Comment, à terme, ne pas indemniser, sinon rémunérer, les donneuses d’ovocytes, ne serait-ce que pour le pretium doloris ?

Par ailleurs, la légalité d’une pratique ne garantit pas sa conformité à la morale. Je n’insiste pas sur ce point.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est dommage.

M. Alain Grimfeld. Faut-il que les lois de bioéthique soient révisables ? En ce domaine, tirons les leçons de l’expérience : c’est ce que nous avons essayé de faire avant de proposer notre « boîte à outils ». Le réexamen des lois est souhaitable à condition qu’il favorise une réflexion globale et ne porte pas seulement sur des points de détail. Quelle doit être la périodicité de cette révision ? Le délai de cinq ans peut paraître trop court, d’autant qu’il faut attendre le retour d’expérience. La loi de 1994 n’a été révisée qu’en 2004, soit avec cinq ans de retard. Le retour d’expérience aurait pu être exploité avant, si tous les décrets d’application avaient été promulgués, ce qui n’était pas le cas, tant s’en faut.

M. le président. Il y a eu un progrès en 2004.

M. Alain Grimfeld. En effet. Cela étant, selon le point de vue où on se place, un délai de cinq ans peut être trop long ou trop court. Et dans quel état d’esprit le législateur vote-t-il une loi comportant d’une certaine manière une « date de péremption » ? Est-il même pertinent d’adopter une loi dès lors que la rapidité des progrès de la science peut rendre caduques du jour au lendemain tout ou partie de ses dispositions ? Comment légiférer pour suivre au plus près les progrès de la connaissance dans le domaine des sciences du vivant ? On ne peut pas non plus mener une réflexion éthique sans tenir compte des aspects juridiques et sociétaux. En un mot, l’éthique ne peut être déconnectée de la réalité et de la dynamique de progrès et d’acquisition de nouvelles connaissances.

Chacun s’accordant à la fois sur la nécessité d’une loi et sur le fait qu’on ne peut plus légiférer comme avant, quel type de loi envisager pour la bioéthique ? Les lois actuelles reposent sur des principes fondamentaux : le respect de la dignité de la personne humaine, la prise en compte de l’intérêt de l’enfant, à côté du « droit à l’enfant », la non-commercialisation du corps humain avec son corollaire, la gratuité du don d’organes, de produits et de sous-produits du corps humain et l’anonymat de ce don mais comment préserver ce principe dans le cas de la gestation pour autrui ou de la greffe de tissus composites comme celle d’un visage ? À ces principes, les lois ont également prévu des exceptions qu’elles encadrent. On s’est ainsi inspiré de la loi de 1975 relative à l’interruption volontaire de grossesse, laquelle pose des principes, assortis de dérogations ou d’exceptions suffisamment encadrées pour ne pas vider les principes de leur substance. À chaque révision du cadre législatif, la tendance est d’assouplir le champ des dérogations, si bien que certains s’interrogent sur la nécessité même d’une loi. Certains donneraient la préférence à une loi-cadre, d’autres suggèrent que les principes de bioéthique, à l’instar du principe de précaution, figurent dans le Préambule de la Constitution ; une mission conduite par Mme Simone Veil a été diligentée pour faire part de ses réflexions sur ce sujet.

M. le président. Êtes-vous favorable ou non à ce que figurent dans le Préambule de la Constitution des dispositions concernant ce que nous tiendrions pour inacceptable ?

M. Alain Grimfeld. Lors de mon audition par le groupe de travail présidé par Mme Simone Veil, j’ai dit que l’important ne me paraissait pas de décliner dans le Préambule de la Constitution tous les principes de bioéthique des lois de 1994 et 2004, mais d’y introduire la problématique de l’évolution de l’espèce humaine au sein de la biodiversité, compte tenu des progrès des sciences du vivant et de la médecine. En un mot, que va faire l’homme de l’espèce humaine ? Nous sommes en effet la seule espèce à pouvoir ainsi décider de son avenir.

Depuis la dernière révision législative, certains principes fondateurs ont parfois été mis à mal comme la dignité de la personne humaine, l’anonymat du don d’organes et de gamètes, l’interdiction de la gestation pour autrui… Se pose également la question de la conciliation de ces principes avec d’autres exigences éthiques, comme la prise en compte de la situation spécifique des malades ou des personnes vulnérables, mais aussi les contraintes budgétaires en matière de santé, sur lesquelles le CCNE a rendu un avis – on ne peut en effet ignorer les enjeux éthiques de la contrainte budgétaire, notamment pour la dépense hospitalière. De même, quid de la confrontation du besoin croissant d’autonomie et des principes de responsabilité et de solidarité face au développement des tests génétiques à des fins médicales ou à la mise à disposition de cellules de sang de cordon ombilical ? Comment pourra-t-on, dans le respect de l’éthique, proposer à certains parents qui en auront les moyens financiers de conserver des cellules de cordon ombilical de leur enfant susceptibles de servir par la suite en cas d’infarctus, de myopathie ou autre maladie dégénérative… quand on ne pourra le proposer à tous, pour des raisons de coût ? De même, quid du « consentement libre et éclairé » ? Certains préféreraient qu’on parle selon les circonstances de choix libre et de consentement présumé. Le respect de ce principe suppose que les individus soient suffisamment informés et depuis assez longtemps, de façon que s’ils se trouvent sollicités pour entrer dans un protocole thérapeutique ou de recherche, donner un organe de leur vivant ou celui d’un proche décédé, ils ne se sentent pas acculés à accepter. Par ailleurs, qu’est-ce que le « consentement présumé » d’une personne décédée ? C’est pourquoi il faut mettre en place un cadre juridique pour l’information des personnes.

Je ne reviens pas sur les conséquences éthiques de l’intégration du vivant dans son environnement. L’article 2, paragraphe h, de la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme, adoptée par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) en octobre 2005, souligne « l’importance de la biodiversité et de sa préservation en tant que préoccupation commune à l’humanité. » Il est clair pour tous que l’humain doit rester la référence cardinale et le point de convergence du système juridique. On ne saurait prendre prétexte de la prise en compte de l’espèce humaine dans l’ensemble de la biodiversité pour prétendre que telle espèce animale est aussi importante que l’homme, ce qui avait d’ailleurs conduit les nazis dans les camps de concentration à donner à leurs chiens des noms d’hommes, tandis qu’ils désignaient les hommes pas même par un nom de chien, mais par un numéro.

J’en viens aux questions qui mériteraient d’être débattues, concernant tout d’abord le champ même d’application de la loi et notamment la séparation ou non des lois de bioéthique des autres lois portant sur le corps humain et l’extension de la bioéthique au vivant non humain. En deuxième lieu, quelle technique législative utiliser : loi détaillée ou loi-cadre, loi ayant vocation à la permanence ou à une révision périodique ?

En troisième lieu, quels doivent être la portée, la hiérarchie des principes actuels et les exceptions qui peuvent y être tolérées au regard de l’évolution des idées en France, en Europe et dans le reste du monde ? Sur le plan national, il est certes important de légiférer en matière de bioéthique, mais quelle en sera la portée si ce qui est interdit chez nous est autorisé ailleurs ? Chacun sait que des femmes françaises font aujourd’hui porter leur enfant par des mères porteuses aux États-Unis, moyennant une rémunération de 10 000 à 15 000 dollars.

Ensuite, il convient de s’interroger sur l’adéquation entre les fins et les moyens, les principes et leurs conséquences pratiques, notamment pour ce qui concerne l’équilibre entre d’une part, les besoins de la science et de la société ou, en son sein, d’une certaine catégorie de citoyens, d’autre part la préservation de principes et de biens fondamentaux. Que faire par exemple des embryons ne faisant plus l’objet d’un projet parental ? Certains chercheurs font valoir que si on continue d’encadrer par trop les recherches en France, la science y progressera moins vite qu’ailleurs. Or, le développement de la science va de pair avec le dépôt de brevets avec des emplois à la clé.

Enfin, s’agissant de l’élaboration de normes en bioéthique, il existe une force de lobbying considérable concernant des recherches scientifiques plus ou moins sophistiquées, en particulier sur l’embryon. Je ne me prononce ni pour ni contre ces recherches, j’ouvre simplement le débat sur cette problématique. Il faut trouver le moyen de concilier la future législation et la liberté de la science. Si les chercheurs ne doivent pas pouvoir faire n’importe quoi, il convient de suivre au plus près les progrès des sciences, notamment appliquées, au profit non seulement du diagnostic et du traitement des maladies, mais aussi du bien-être et de l’épanouissement de l’individu, ce qui correspond à la définition que donne de la santé l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

M. le président. Je vous remercie de cet exposé. Je laisse maintenant la parole au rapporteur de notre mission.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Il y a tant de questionnements dans votre intervention que l’on brûle d’envie de vous pousser dans vos retranchements et de vous faire aller du général au particulier.

Faut-il légiférer, avez-vous demandé ? Les grands principes à vocation universelle, qui sont reconnus par notre droit constitutionnel, ne sont-ils pas suffisants pour répondre au cas par cas aux situations particulières ? Nous le savons, nous sommes en France très enclins à légiférer alors que les pays anglo-saxons font davantage confiance à la jurisprudence. Quel serait, à votre avis, l’avantage d’une loi-cadre – nous n’avons jamais pris en France  – sur une loi détaillée faisant référence à des notions qui, n’ayant jamais été définies de manière commune, permettent concrètement de s’adapter aux réalités ?

J’en suis d’accord avec vous, toute morale ne s’incarnant pas dans le réel n’a pas d’intérêt. Pour autant, les avancées de la science doivent-elles faire que le législateur adapte périodiquement la morale aux situations particulières ? Au motif qu’une pratique existe ou, pis, parce qu’elle existe dans un pays voisin, le législateur doit-il, par simple pragmatisme, l’encadrer, fût-elle en contradiction avec ses convictions éthiques, au motif que la recherche risque sinon de progresser plus vite dans les pays voisins et nos concitoyens de se rendre à l’étranger pour obtenir ce qu’ils souhaitent. Faut-il légiférer dans le détail de manière périodique ou une fois pour toutes sur les grands principes fondamentaux ? Quelle a été l’orientation des travaux du septième sommet international des comités d’éthique qui s’est tenu récemment ? Dans quelle optique va travailler la Conférence européenne des comités d’éthique qui doit avoir lieu prochainement ? S’en dégagera-t-il la vision globale d’une civilisation qui essaie de privilégier l’homme et de le protéger face à la technique, à la fois dans son devenir individuel et dans celui de l’espèce humaine ?

Dans les espaces régionaux et interrégionaux d’éthique, qui sont d’abord des espaces de réflexion où s’exprime une diversité de points de vue, on a parfois l’impression que l’éthique demeure un domaine réservé et que c’est de toute façon au comité d’éthique qu’on ira chercher la réponse à un problème particulier. Pour vous, le CCNE doit-il être un comité opérationnel résolvant des problèmes pratiques ou plutôt un espace de réflexion où chacun nourrit ses questionnements et qui, de là, fait progresser globalement la réflexion ?

S’agissant des futurs États généraux, débattre d’un sujet sans le connaître, à supposer que cela soit possible, n’aurait bien entendu pas de sens. Si les États généraux se réduisent à des discussions de « café du commerce », ils risquent de conduire rapidement à un résultat contraire à leurs objectifs. Si en revanche, s’ils ne sont qu’un débat très technique entre spécialistes, ils ne correspondront pas au débat public que nous appelons de nos voeux. Notre collègue Noël Mamère a évoqué la possibilité de constituer un panel de citoyens et de leur donner les informations techniques et scientifiques minimales, qui n’est pas si difficile que cela à acquérir. N’est-ce pas ainsi qu’il faudrait procéder, en se fondant sur les espaces régionaux et inter-régionaux, de façon que le débat soit à la fois populaire au sens le plus noble du terme et à la hauteur des enjeux ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Je suis, pour ma part, spontanément plutôt favorable à une loi-cadre, vu la rapidité des progrès de la science. Mais comment, à partir de cette loi-cadre, gère-t-on la chaîne de décision en matière de bioéthique ? Le Parlement vote cette loi-cadre, le CCNE recueille les aspirations de la population, formule des recommandations éthiques et demande à l’Agence de la biomédecine de mettre en œuvre ces propositions. Est-ce bien ainsi, Monsieur le Président, que vous voyez les choses ?

Ma deuxième question a trait à l’objet même de la loi, s’il faut en prendre une, et sur ce point, j’ai quelques divergences avec vous. Je considère, pour ma part, que la loi doit encadrer la science et la recherche. Reste à en trouver les modalités : c’est d’ailleurs ce qui a motivé la création du CCNE en 1983, conformément au souhait qui avait été exprimé par le Président de la République, M. François Mitterrand. La loi doit dire ce qui peut et doit être fait en termes de santé publique et de service médical. J’ai été sensible à l’exigence de solidarité que vous avez réaffirmée. C’est un débat que nous avons de manière récurrente lors de l’examen des lois de financement de la sécurité sociale, alors que nous ne l’avons jamais abordé, ou presque, lors de l’examen des lois de bioéthique. Il est en revanche largement ouvert aux États-Unis. Pour moi, l’un des objets des lois de bioéthique devrait être de définir clairement les pratiques autorisées et celles qui sont interdites. Partagez-vous ces points de vue ?

J’ai senti dans votre présentation quelques présupposés qui me paraissent pouvoir être discutés. Ainsi, n’étant pas plus darwinien que cela, le concept d’évolution continue de l’espèce humaine me gêne quelque peu. Je ne vois pas ce qui, biologiquement, peut assurer de la continuation de l’évolution de l’espèce, en tout cas d’après les travaux des biologistes les plus éminents, je pense notamment à Jacques Ruffié qui a beaucoup travaillé sur le sujet, et même à Darwin et ses continuateurs. Si tel était le cas, la première question serait alors de savoir s’il convient par des moyens technologiques de poursuivre une évolution biologique achevée.

Vous avez évoqué les ponctions d’ovocytes qui sont extrêmement douloureuses et rares. Mais, en premier lieu, pourquoi faudrait-il à tout prix ponctionner des ovocytes, au prix d’inégalités et d’une entorse au principe de non-patrimonialité du corps, si le prélèvement devait être rémunéré ?

Vous avez dit qu’il n’était plus possible de se fonder sur des ouvrages universels, citant les Livres des trois grandes religions monothéistes. C’est sans doute vrai sur le plan de leur portée sociologique et de leur impact dans la population, du moins en Europe. Je n’en suis pas sûr en revanche pour ce qui est de leur contenu. D’autres ouvrages peuvent aussi éclairer la réflexion. Le président Alain Claeys vous interpellait tout à l’heure sur l’éthique de responsabilité. Il y a un présupposé dans les travaux de Hans Jonas, à savoir que la vie humaine a une valeur telle qu’il faut nécessairement qu’elle perdure, ce qui, après tout, ne va pas de soi. Il y a là des enseignements à tirer sur la spécificité de la valeur de l’être humain, sur les raisons pour lesquelles elle diffère de celle des autres espèces et, en conséquence, sur la manière dont elle doit être traitée dans la sphère globale du vivant et sur ce plan, je partage votre idée de prendre en compte l’espèce humaine dans l’ensemble de la biodiversité. Je comprends la volonté de trouver des principes consensuels, c’est même indispensable pour avancer sur le plan pratique, mais il convient d’en tirer toutes les conséquences, ce qui n’a pas été fait, du moins pas toujours. Si on arrive à fixer un cadre et des règles dans la future loi, je plaide pour une application stricte des principes.

M. le président. Chacun doit avoir ici conscience que nous ne réglerons pas tous les problèmes au sein de cette mission d’information !

M. Noël Mamère. Je me retrouve assez bien dans les questions que vous a posées Jean Leonetti et partage certaines des réflexions de Jean-Frédéric Poisson.

Je partirai, pour ma part, de ce que vous aviez déclaré le 15 avril dernier s’agissant de l’éthique de responsabilité, en faisant notamment référence à Jürgen Habermas. Vous avez souligné que les lois actuelles de bioéthique se limitent quasiment à la biomédecine et souhaité qu’on y introduise la question de l’écologie au sens large du terme, dans l’acception que lui ont donnée par exemple Jacques Ellul ou Bruno Latour, ce avec quoi je suis totalement d’accord.

Il me semble indispensable qu’une nouvelle loi soit prise. Mais doit-il s’agir d’une loi-cadre, auquel cas on peut d’ailleurs réfléchir à l’opportunité d’inscrire ces principes dans le Préambule de la Constitution, ou une loi répondant au cas par cas aux problèmes soulevés par les progrès scientifiques, lesquels vont plus vite que l’évolution du droit ?

Doit-on, lors de cette révision, introduire dans la loi la notion d’environnement de l’espèce humaine ? Et je ne vise pas là seulement l’environnement et son impact sur la santé des populations mais aussi l’environnement scientifique, car derrière la science, il y a toujours une religion du progrès. De ce point de vue, j’ai été particulièrement intéressé par vos propos sur les nanotechnologies. Vous avez employé le terme de « post-humain ». L’argumentation de Jean-Frédéric Poisson sur le sujet est battue en brèche par les progrès techniques qui, quelque jugement que l’on porte sur eux, ont eu lieu et vont permettre d’améliorer l’espèce humaine. S’est d’ailleurs développé aux États-Unis un courant de pensée proprement effrayant, le « trans-humanisme », qu’il faut combattre. On nous explique aujourd’hui en France que les nanotechnologies sont porteuses d’avenir, que rien ne peut les surpasser et qu’elles ne sont pas dangereuses, certaines nanoparticules étant d’ores et déjà employées dans des cosmétiques, notamment des crèmes solaires. Faisant cela, on demande surtout à nos concitoyens de ne pas s’occuper… de ce qui les concerne pourtant au premier chef ! Aux États-Unis au contraire, le professeur Jean-Pierre Dupuy, spécialiste de la question des nanotechnologies dans la Silicon Valley, nous l’apprend dans son remarquable ouvrage Pour un catastrophisme éclairé, il existe déjà des groupes de réflexion, des associations de citoyens, y compris de scientifiques, qui se préoccupent de l’incidence des nanotechnologies sur la santé, l’environnement et s’interrogent sur leurs implications philosophiques dans la manière d’envisager l’espèce humaine.

Je suis très flatté que Jean Leonetti ait repris une idée à laquelle vous avez vous-même, fait référence en citant le document Santé Canada. D’une manière générale, je me méfie des États généraux – dont, si je vous ai bien compris, vous-même n’êtes pas totalement convaincu de la validité –, comme je me méfie des espaces éthiques régionaux. D’autres outils sont à notre disposition qui ont déjà fait leurs preuves dans d’autres pays européens, je pense notamment aux conférences des citoyens, expérimentées dès 1989 au Danemark. Nous serions bien inspirés de nous réapproprier ces questions car il appartient au législateur de poser les questions philosophiques qui vont nourrir le droit qu’il édicte.

Il y aura sans doute une concurrence entre les États généraux et nos travaux. La tenue d’une conférence des citoyens, à l’initiative du Parlement, pourrait être un moyen de surmonter la difficulté. Le plus important est que nous ne nous limitions pas à réfléchir à la biomédecine et aux questions de reproduction de l’espèce humaine, mais que nous étendions la réflexion à l’ensemble des questions qui se posent aujourd’hui à l’espèce humaine dans son environnement, notamment scientifique.

M. le président. Il n’y a pas et il ne doit pas y avoir de concurrence entre le travail parlementaire et les États généraux. Les deux doivent être complémentaires.

M. Jean-Marc Nesme. Je savais que notre mission était complexe, mais après vous avoir entendu, je sais qu’elle le sera encore davantage que nous ne le pensions…

Légiférer en matière de bioéthique, soit, mais pouvons-nous le faire seuls, sans prendre en considération ce que font, ce que s’apprêtent ou non à faire, les autres pays en Europe et de par le monde ? Quel pourra bien être l’impact de décisions franco-françaises sur l’évolution de l’espèce humaine ? Les travaux des tenants du « trans-humanisme », courant de pensée apparu aux États-Unis dans les années 1990, sont financés notamment par une agence fédérale, dont les crédits sont donc votés par le Congrès. Or l’objectif des trans-humanistes n’est autre que de repousser les limites biologiques de l’espèce humaine pour parvenir, à terme, à une autre espèce. Il y a là de quoi effrayer. Voilà pourquoi nous ne pouvons pas nous exonérer de réfléchir à ce qui se passe dans le reste du monde. La communauté internationale ne devrait-elle pas fixer un cadre afin d’éviter de telles dérives ? Quelle institution en serait, selon vous, la mieux à même ?

M. Serge Blisko. Loi-cadre ou loi détaillée ? L’important est qu’elle soit lisible par tous, par les scientifiques comme par nos concitoyens. Je suis donc partagé, d’autant que la loi ne peut jamais tout prévoir. On dit aujourd’hui que la loi d’avril 2005 sur la fin de vie, dite loi Leonetti, se suffit à elle-même. Il faut assurément un cadre, tout en sachant que les progrès de la science et de la médecine ont eu lieu le plus souvent en rupture avec les cadres existants. Il faut être attentif à ce point.

Je ne vais pas engager avec Jean-Frédéric Poisson un débat sur le darwinisme. Nous allons simplement demander un entretien au Père Arnould, dernier darwinien français et père dominicain… (Sourires).

Une conférence des citoyens me paraît un bon compromis entre des États généraux et un débat de « café du commerce ». Il faudrait sans doute y ajouter un débat entre scientifiques eux-mêmes. S’ils sont nombreux à s’exprimer volontiers à titre individuel, les scientifiques le font trop peu dans les structures ad hoc. Pourquoi ce débat ne commencerait-il pas dans les universités et les grands instituts de recherche ?

Pour ce qui est du trans-humanisme, on peut bien entendu le présenter de manière très négative pour le dénoncer mais depuis l’homme de Néanderthal, l’espèce humaine a beaucoup évolué et considérablement amélioré ses performances, pas seulement physiques. Même si ces mouvements extrémistes peuvent légitimement effrayer, nous devons nous demander si l’espèce humaine est à jamais au centre de tout et si le stade qu’elle a aujourd’hui atteint est indépassable ou bien si, comme les autres, elle est encore en évolution.

M. le président. Avant de laisser la parole au Professeur Grimfeld, j’indique que s’agissant des États généraux, la balle est dans le camp du gouvernement. La ministre chargée de la santé, que nous avons par deux fois, Jean Leonetti et moi-même demandé à rencontrer, doit nous faire connaître sans tarder les règles du jeu. Tout d’abord, pour que le travail parlementaire n’empiète pas sur ces États généraux mais leur soit complémentaire. Ensuite, parce qu’il faut rapidement articuler au mieux les travaux du CCNE, auquel le gouvernement a demandé un avis, du Conseil d’État et de l’Agence de la biomédecine qui vont prochainement rendre également un rapport.

M. Alain Grimfeld. Loi-cadre ou loi plus détaillée, je n’ai pas fait de choix sur ce point. Ce n’est d’ailleurs pas à moi de le faire bien que, comme tout un chacun, je puisse avoir ma propre idée. Vu la vitesse des progrès scientifiques, on pourrait pencher plutôt pour une loi-cadre mais celle-ci devrait reposer, et ce n’est là qu’une proposition, sur le respect de certains principes : indisponibilité ou disponibilité du corps humain, patrimonialité ou non-patrimonialité du corps humain, respect de la dignité humaine, à la fois celle, intrinsèque, de l’être humain en tant qu’ensemble de processus biologiques et celle, extrinsèque, de la personne humaine, concernant l’être humain au sein de sa société.

Pourquoi ne pas introduire ces principes dans le Préambule de la Constitution ? La question est ouverte puisque tel est le sujet du groupe de travail animé par Mme Simone Veil. Cela ferait vraiment sens.

À la clôture du sommet mondial des comités d’éthique nationaux, nous nous sommes dit qu’à l’instar de ce qui est fait pour la démarche qualité avec les normes ISO, il faudrait s’accorder unanimement sur des référentiels, sachant que la procédure suivie pour leur mise en œuvre pourra varier en fonction des lieux, des populations, des croyances, des cultures… Ce n’est par exemple que si l’on s’est préalablement accordé sur le principe de disponibilité du corps humain que l’on peut débattre de la gestation pour le compte d’autrui. Sinon, la discussion n’a pas lieu d’être. Si l’on s’accorde sur le principe d’indisponibilité du corps humain, il n’y a plus lieu de débattre de la gestation pour autrui. Il faudra aussi être attentif à la sémantique, par exemple l’interruption volontaire de grossesse, a fortiori l’interruption médicale de grossesse, n’a pas du tout la même connotation que l’avortement. Comme le monde, la bioéthique est très complexe mais cela n’empêche pas de s’accorder sur de grands principes.

M. le président. Quelle différence voyez-vous entre une loi-cadre et l’inscription de nouveaux principes dans le Préambule de la Constitution ?

M. Alain Grimfeld. Je ne saurais vous répondre sur ce point. Lors du sommet mondial, nous nous sommes accordés, je l’ai dit, sur la nécessité d’élaborer, non pas des procédures nouvelles, mais des référentiels communs. Nous avons également décidé de publier un ouvrage à l’issue du sommet, dont nous demanderons aux 35 pays participants s’il est possible de le diffuser chez eux, ce qui n’est pas évident quand on sait les difficultés rencontrées par certains d’entre eux pour créer un comité national d’éthique.

S’agissant des espaces régionaux et interrégionaux d’éthique, ils doivent fonctionner en réseau. Pour avoir mis en place des réseaux de prévention des maladies respiratoires chez l’enfant, je pense qu’un réseau doit être une sphère, pas une structure plane. Il est sinon voué à l’échec. Si l’un de ces espaces mène une réflexion particulièrement pertinente et intéressante, le CCNE en prendra acte et lui en laissera la paternité. Je souhaite que ces espaces soient partie prenante à la réflexion à égalité avec le CCNE, celui-ci jouant le rôle d’animateur et de modérateur.

S’agissant des États généraux, je suis d’accord avec la proposition de Noël Mamère d’une conférence des citoyens. Pour autant, je m’interroge sur le biais que peut induire une présélection, pourtant indispensable car on ne peut débattre efficacement de sujets techniques avec une population qui n’a pas été préalablement informée, sauf à se satisfaire de discussions stériles. Comment opérer cette présélection ? C’est pourquoi je proposais qu’on s’appuie sur les espaces régionaux et interrégionaux et suggérais aussi que l’on puisse faire appel aux 36 000 communes de notre pays pour que des personnes dont on n’aurait peut-être pas soupçonné qu’elles s’intéressent à la bioéthique soient conviées à un débat citoyen, sans qu’il y ait eu de présélection.

M. le président. Il y a déjà eu des débats citoyens sur les OGM qui ont parfaitement fonctionné.

M. Noël Mamère. La méthodologie des conférences de citoyens a maintenant fait ses preuves. On constitue un panel de citoyens que l’on ne se contente pas d’informer mais que l’on forme véritablement à l’expertise, ce qui permet un échange fructueux avec les « experts ». Ce panel rend ensuite son avis. C’est l’excellente méthode qu’a utilisée l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) sur les OGM… même si les conclusions de la conférence des citoyens ont été très différentes de celles de l’Office.

M. Alain Grimfeld. Je n’ai rien à ajouter à ce qu’a dit Jean-Frédéric Poisson sur la chaîne de décision en matière de bioéthique et ses différents acteurs. Nous attendons, comme vous, que se mette en place le comité de pilotage des États généraux et que s’articulent, de manière constructive, les travaux des différents organismes consultés. Je ne vois pas comment le Parlement pourrait ne pas être associé, mais d’une façon dont je vous laisse seuls juges car c’est vous qui connaissez la mécanique parlementaire.

Vos propos, M. Poisson, sur la nécessité « d’encadrer la science » feraient bondir les scientifiques, hostiles à tout encadrement – je ne dis pas qu’ils ont raison. On n’a pas le droit de les priver de leur liberté de recherche en les empêchant de réfléchir et de mener certaines expériences, si celles-ci ne sont dommageables ni à la société, ni à l’espèce humaine en général. En revanche, on peut leur interdire certaines pratiques, comme, dans notre pays, le clonage reproductif. Si la recherche doit être libre, c’est une autre question que celle de l’utilisation de ses résultats.

M. Jean-Frédéric Poisson. Encadrer la réflexion est bien sûr impossible, ce n’est d’ailleurs pas souhaitable, et tel n’était pas mon propos. Mais le propre de la science appliquée au vivant, en particulier à l’humain, est que des limites à l’expérience doivent lui être posées, bien au-delà de celles qui figurent dans le code de Nüremberg, louables mais dépassées. Il faut en ce domaine dire clairement ce qui est autorisé et ce qui ne saurait l’être. Ainsi si le clonage reproductif est interdit en France, il se pratique dans d’autres pays…

M. le président. Cela reste à prouver.

M. Alain Grimfeld. Il faudrait d’abord, je l’ai dit, s’accorder sur ce qui est interdit puis sur ce qui est permis. S’il ne saurait être question d’encadrer la pensée scientifique, il faut le faire concernant ses applications. On peut ainsi décider de financer plutôt telle ou telle recherche, à travers l’Agence nationale de la recherche. Certains scientifiques sont aussi choqués par l’idée qu’on limite ce qui est permis que par celle qu’on encadre leur pensée.

Les scientifiques doivent avoir une démarche éthique. Il faut leur donner la possibilité de se demander s’il est légitime de mener telles ou telles recherches et de solliciter des subventions à cette fin. Il serait contraire à l’éthique elle-même de développer aujourd’hui une démarche éthique dans le domaine de la santé en faisant par exemple fi des aspects économiques et des contraintes budgétaires.

M. le président. Cela mérite en tout cas un débat.

M. Alain Grimfeld. Sans faire nécessairement appel au darwinisme, le problème aujourd’hui est bien celui de la continuation de l’espèce humaine sous sa forme actuelle. Tant qu’on reste dans la perspective d’une évolution ontologique de l’espèce, on demeure sur une même branche de l’évolution depuis les premiers hommes, même si l’on utilise des technologies pouvant influer sur cette évolution. On ne modifie pas le génome, seulement l’épigénétique puisqu’aussi bien le génome n’est pas une frontière étanche et qu’il faut tenir compte de tout ce qui se passe autour. On reste dans l’harmonie, concept auquel font aujourd’hui très souvent référence les Japonais. Un auteur pour lequel j’ai beaucoup de respect se demandait il y a peu pourquoi on décriait autant le maïs transgénique, faisant valoir que depuis longtemps les peuples sélectionnent les semences et que Mendel ne faisait pas autre chose avec ses petits pois. Mais à cette époque on ne touchait pas au génome, alors qu’on peut aujourd’hui le modifier en intervenant au niveau du noyau des cellules de manière soudaine, interrompant ainsi l’évolution harmonieuse de l’espèce.

Pour ma part, je considère que lorsque nous pensons de manière indépendante et libre, nous faisons tout autant progresser la science que lorsque nous suivons les courants de pensée à la mode. Affirmer que nous ne pensons pas comme les Américains par exemple sur tel ou tel problème ne signifie pas que nous arrêtons le progrès, seulement que nous proposons une autre voie de progrès. À ce propos, moi qui suis un farouche défenseur du principe de précaution, j’insiste sur le fait que celui-ci n’est pas un principe d’inhibition, contrairement à ce que prétendent ceux qui le remettent en question à ce motif, mais au contraire un principe d’action destiné à orienter la recherche, sans pour autant en entraver le développement. On ne peut pas, dans le domaine de la bioéthique, s’aligner systématiquement sur la pensée des autres et les suivre dans leur action, surtout quand les normes ont été établies sous le poids des lobbies que l’on sait, notamment auprès de la Commission européenne. Nous avons en France des scientifiques de très grande valeur qui peuvent utiliser leur intelligence d’une autre façon. Nous avons le droit de penser par nous-mêmes et différemment, non pour satisfaire à quelque mode de la singularité, mais si nous jugeons qu’il est légitime de penser ainsi. Il ne s’agit pas d’instituer un moratoire sur toutes les recherches mais bien d’ouvrir des voies nouvelles de progrès. Notre pays en est parfaitement capable, j’en suis intimement persuadé.

Les « trans-humanistes » considèrent que la vie humaine dans sa forme actuelle tend vers sa fin et que si on a les moyens technologiques de créer une autre espèce, c’est le moment de le faire. Pour eux, l’espèce humaine a vécu et doit céder place au trans-humain, en rupture totale avec l’ontogenèse. On est là au cœur de questions bioéthiques. Il ne faut pas, à ce point, confondre trans-humanisme et post-humanisme, ce dernier terme s’entendant comme la recherche des moyens d’assurer la santé à chaque individu, au sens global où l’entend l’OMS, et d’ « améliorer » l’espèce humaine pour qu’elle perdure, dans le respect de son évolution propre.

S’agissant de la prise en compte de l’environnement, y compris scientifique, de l’espèce humaine, M. Mamère, vous prêchez un convaincu. Informer la population sur la reproduction dans l’espèce humaine ou sur la bioéthique au sens large, ce n’est pas la même chose. J’ai, pour ma part, une conception extensive de la bioéthique. Je ne reviens pas sur ce point que j’ai déjà développé.

M. Nesme, j’ai déjà répondu sur la question d’une législation franco-française. Nous avons abordé concrètement la question lors du dernier sommet mondial. À cet égard, pour les 35 pays participants, la France constitue d’une certaine manière un phare en matière de bioéthique pour avoir la première créé un Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, ce qui est par ailleurs à son honneur. Si nous continuons de réfléchir à notre façon, comme nous savons le faire, sans inhiber la recherche, nous continuerons d’être écoutés. Nous ne cherchons pas au CCNE à convaincre les autres, mais à conduire une réflexion les amenant à se dire que nous n’avons peut-être pas tort. Certes, nous ne sommes pas naïfs, nous ne sous-estimons pas le poids des lobbies et n’ignorons pas que le nerf de la guerre sera l’argent. Mais nous ne devons pas nous empêcher de penser au prétexte que de toute façon, les lobbies seront plus puissants et qu’il ne sert à rien d’encadrer certaines pratiques puisqu’elles ne le seront pas dans d’autres pays. Ainsi s’agissant des nanotechnologies, nous avons l’impérieux devoir de mener une réflexion éthique approfondie à leur sujet.

M. Blisko, je pense que les espaces régionaux et interrégionaux d’éthique doivent collaborer avec les universités et les instituts de recherche et mutualiser leurs compétences. C’est précisément pourquoi nous n’étions pas favorables à une dispersion des moyens et que nous souhaitions que ces espaces aient bien pour mission aussi d’associer les universitaires.

M. le président. Je vous remercie, M. le président. Nous aurons certainement l’occasion de nous revoir.

M. Alain Grimfeld. Je reste à votre disposition, non pas intuitu personae, mais en tant que porteur du message du CCNE.

Audition de M. Axel KAHN,
président de l'université Paris V - René Descartes, directeur de recherche à l'INSERM



(Procès-verbal de la séance du 5 novembre 2008)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le Président Alain Claeys. Le moment me semble venu que notre mission d’information soit éclairée sur ce que va décider l’exécutif pour la révision des lois de bioéthique. Quand et comment seront organisés les états généraux de la bioéthique ? Une éventuelle modification du Préambule de la Constitution à laquelle travaille le comité présidé par Simone Veil, est-elle toujours d’actualité ? La révision des lois de bioéthique se limitera-t-elle à « revisiter » les lois actuelles ou choisira-t-on d’élaborer une loi de nature différente, par exemple une loi-cadre fixant les grands principes ? Il faudrait que nous obtenions sans tarder des réponses à ces questions, de façon à ne pas travailler à contretemps. À plusieurs reprises, nous avons, avec le rapporteur Jean Leonetti, demandé à être reçus par la ministre de la santé. Son directeur de cabinet m’a assuré ce matin que nous devrions obtenir prochainement ce rendez-vous. Quant aux arbitrages concernant le comité de pilotage, le déroulement et la date des états généraux, ils devraient être rendus dans les prochains jours. Nous souhaitons, pour notre part, que ces états généraux associent nos concitoyens. L’organisation d’une conférence des citoyens, déjà expérimentée dans d’autres domaines, pourrait être une bonne solution. Comme nous l’a suggéré le président du Comité consultatif national d’éthique, que nous avons auditionné hier, il serait possible de faire appel à des panels de citoyens auxquels aurait été dispensée une formation minimale et s’appuyer sur les espaces éthiques régionaux.

Nous accueillons aujourd’hui le professeur Axel Kahn, président de l’université Paris V – René Descartes, directeur de recherches à l’INSERM, membre correspondant de l’Académie des sciences, auquel nous souhaitons la bienvenue.

Le Parlement vous a, à plusieurs reprises, monsieur le professeur, entendu sur le thème de la bioéthique, encore récemment à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, dont vous êtes membre du conseil scientifique. Nous vous remercions de votre très grande disponibilité.

Notre mission d’information, qui a vocation à se transformer en commission spéciale d’examen du projet de loi de révision dès que celui-ci aura été déposé sur le bureau de notre assemblée, souhaiterait aujourd’hui que vous l’éclairiez sur trois points principaux.

Quelles sont pour vous les nouvelles questions éthiques qui se posent aujourd’hui et dont n’aurait pas traité la loi de 2004 ?

S’agissant de la nature même de la loi à prendre, vous avez vous-même, à plusieurs reprises, plaidé en faveur d’une loi-cadre. Comment l’envisagez-vous, notamment après la création de l’Agence de la biomédecine ?

Mes dernières questions concernent le Comité consultatif national d’éthique, que vous connaissez bien pour y avoir siégé. Comment doit évoluer ce Comité ? Quelles relations doit-il entretenir avec l’Agence de la biomédecine ? Dans ce nouveau paysage institutionnel, est-il appelé à jouer un rôle nouveau ? Si oui, lequel ?

M. le Professeur Axel Kahn. Je ne vais pas vous révéler le contenu des propositions du comité présidé par Mme Simone Veil, dont je fais partie. Mais je puis vous assurer qu’il n’y a aucun risque d’interférence majeure avec vos propres travaux. Ce comité travaille en effet sur le socle le plus haut de notre droit, le Préambule même de notre Constitution, et ne pourra que traiter des principes fondamentaux, sans entrer dans le détail des problèmes de bioéthique.

N’ayant eu connaissance des questions que vous projetiez de me poser qu’il y a une heure, j’y répondrai de manière tout à fait spontanée, en espérant que cette spontanéité ne nuira pas à la cohérence des mes réponses.

Quelles sont les évolutions nouvelles à prendre en compte lors de l’élaboration de la future loi ? Je passe rapidement sur le sujet des cellules souches, qui a fait l’objet d’innombrables auditions, colloques et publications, et dont je me suis moi-même souvent entretenu avec vous. Ce qui s’impose aujourd’hui est ce que j’avais, dès la première fois où vous m’aviez ici même auditionné sur le sujet, dit qui s’imposerait, à savoir une loi positive (et non plus un moratoire sur une interdiction comme dans le texte de 2004) autorisant les recherches encadrées sur l’embryon tout en maintenant le principe selon lequel il n’est pas pensable de créer un embryon sans projet parental, à de seules fins expérimentales. Le principe était apparu par beaucoup trop   contraignant pour le clonage dit thérapeutique, qui visait à créer un embryon cloné d’une personne afin de disposer de cellules souches ayant les mêmes caractéristiques génétiques que cette personne et donc parfaitement compatibles sur le plan immunologique. Une telle méthode, qui est loin d’être au point, transgresserait en effet le principe de ne pas créer d’embryon hors d’un projet parental. Les choses ont depuis évolué. Le transfert de noyau nucléaire est certes intéressant sur un plan scientifique mais cette méthode n’est toutefois pas la mieux à même de créer des cellules souches à usage médical. Le clonage thérapeutique, tel que défini plus haut, n’a plus grand sens – si jamais il en a eu un. Depuis quelques années, on est en effet parvenu, grâce au transfert de trois ou quatre gènes, à transformer des cellules de peau d’un malade, même âgé, en cellules ayant beaucoup des propriétés des cellules souches embryonnaires et, sans doute, un potentiel thérapeutique voisin de celui jadis allégué pour le clonage thérapeutique. Or, cette méthode dite des « cellules souches induites » (induced stem cells) ne requiert aucun prélèvement d’ovules de femmes et n’entraîne aucune destruction d’embryons. Les deux problèmes afférents se trouvent donc résolus. Ne subsistent que des interrogations scientifiques : ces cellules souches auront-elles les vertus thérapeutiques qu’on en espère ? La technique mise au point pour les fabriquer, tout à fait révolutionnaire, évoluera-t-elle de façon à limiter le plus possible tout risque cancérigène ?

Pour autant, cela rend-il inutiles les recherches sur l’embryon dans les conditions prévues dans le moratoire de cinq ans, lequel s’achève en 2009 ? Je ne le pense pas car la connaissance du développement d’une authentique cellule souche embryonnaire est indispensable pour comprendre les mécanismes du développement et partant, des maladies le concernant, sources d’infécondité ou de malformations. Ces recherches en biologie fondamentale peuvent de surcroît avoir des applications plus larges, pour comprendre, par exemple, les mécanismes de la prolifération cancéreuse. Les arguments, notamment religieux, tendant à interdire les recherches sur l’embryon dans le cadre strict défini par la loi
– recherches possibles uniquement dans un but médical, sur les seuls embryons surnuméraires sans projet parental, avec consentement des géniteurs et dans le cadre de protocoles dûment autorisés par l’Agence de la biomédecine – me paraissent peu recevables. En effet, la fécondité humaine est telle que, quel que soit le mode de fécondation, naturel ou artificiel, une minorité seulement des œufs fécondés deviennent un jour des bébés. Le problème se posera donc de faire évoluer le moratoire actuel en loi positive et de fixer des critères d’autorisation bien définis.

La terminologie utilisée dans la loi est très hypocrite. Or, celle-ci ne gagne rien au faux-semblant, fût-ce pour apaiser des inquiétudes religieuses ou philosophiques. La loi dispose en effet que le moratoire peut être levé si la recherche envisagée sur des cellules souches embryonnaires a « une finalité thérapeutique » et qu’il n’existe pas « d’alternative d’efficacité comparable ». Or, des cellules de peau adultes ne peuvent en aucun cas remplacer des cellules embryonnaires en tant que modèles d’études du développement de l’embryon humain. Une certaine hypocrisie tient également au fait que tout progrès thérapeutique est toujours précédé d’un progrès des connaissances, si bien qu’on peut aisément faire valoir que n’importe quel progrès de la connaissance est potentiellement porteur d’espoir sur le plan thérapeutique. Il me semble en revanche naturel que, comme la loi le prévoit, chaque protocole de recherche continue à faire l’objet d’une saisine de l’Agence de la biomédecine, qui apprécie au cas par cas la qualité scientifique du projet et son caractère conforme aux critères éthiques établis par la Nation. On peut penser que l’Agence traitera de manière différente une recherche visant à comprendre des malformations précoces de l’embryon et une autre portant sur les propriétés cosmétiques des cellules embryonnaires.

Pour ma part, je ne suis pas favorable à la création d’embryons hors d’un projet parental, à de seules fins expérimentales, fussent-elles les plus nobles. Si on reconnaît une spécificité irréductible et une singularité indicible à l’embryon, il me semble raisonnable d’en interdire la création à d’autres fins que procréatives et de se contenter des embryons surnuméraires, déjà fort nombreux. Je n’ignore toutefois pas que pour effectuer des recherches sur l’infécondité, notamment sur les moyens d’améliorer le pouvoir fécondant d’un spermatozoïde ou la fécondabilité d’un ovule, la seule manière de tester l’efficacité des techniques est de pratiquer des fécondations in vitro, en fabriquant donc des embryons n’étant pas destinés à être implantés. C’est là accepter de créer des embryons hors d’un projet parental. Le législateur devra, dans son infinie sagesse, envisager cette exception à la règle et l’Agence de la biomédecine et la jurisprudence permettre que s’applique l’esprit, et non la lettre, de la loi.

Il est une autre évolution sur laquelle l’intervention du législateur me paraît très difficile mais sur laquelle une absence de réflexion serait coupable. Fier du métier de généticien que j’ai exercé jusqu’à il y a peu, je suis effrayé du réductionnisme génétique qui se répand, d’une part, nourri du terreau de l’idéologie vieille de plus d’un siècle que l’on sait et, d’autre part, pour des raisons mercantiles. Si la loi ne peut, hélas, empêcher les préjugés idéologiques, elle se doit de limiter les conséquences des excès du mercantilisme. Je m’attacherai plus particulièrement à ce second aspect, l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques devant élaborer un rapport sur le premier.

Il suffit de naviguer sur Internet pour mesurer d’ores et déjà les conséquences de la brevetabilité des gènes. Le caractère pour ainsi dire magique de la génétique, conjugué au développement de cette idéologie réductionniste, convainc aisément une grande partie de la population que les gènes portent bien le secret de l’avenir et permettent notamment de prédire les maladies. De plus en plus de firmes qui possèdent des brevets sur certaines techniques de génie génétique ou sur des segments de gènes, proposent à des tarifs qui décroissent rapidement – sans être jamais bon marché, ils n’en deviennent pas moins de plus en plus accessibles – des études de génome permettant, affirment-elles, de « prendre son destin génétique en mains », de mener une vie plus saine et d’éviter quantité de maladies. Au-delà des fausses promesses thérapeutiques et de cette médecine prédictive hasardeuse, on en arrive à la promotion de ce qui me paraît le comble génétique du narcissisme, en proposant à deux personnes envisageant de former un couple d’étudier la compatibilité de leurs génomes.

Sont aussi commercialisés en ligne toutes sortes de tests génétiques. L’un d’entre eux permettrait, prétend son promoteur, de savoir si l’on possède un certain gène de prédisposition au cancer du sein, mais la firme à l’origine de cette offre ne disposant pas du brevet sur les deux seuls gènes mutants de prédisposition avérée à ce cancer, BRCA1 et BRCA2, ce test n’a aucun intérêt pour l’individu mais peut avoir de graves conséquences sur le plan social, par exemple dans le domaine de l’assurance, voire, dans certains pays, entraîner des précautions particulières des employeurs ou des organismes de prêt.

Devant ce type de pratiques, il faut réagir. Cela étant, ces informations et publicités circulant sur Internet, on mesure la limite d’une loi nationale ! Il ne faut pourtant pas se résigner. Il serait intéressant à cet égard que les pouvoirs publics créent un site de référence, un réseau de ressources et d’information, largement popularisé, permettant à chacun de s’informer de manière fiable et précise sans être livré à lui-même, comme c’est aujourd’hui le cas. Le phénomène a pris une telle ampleur et devient si inquiétant qu’il me paraît du devoir des pouvoirs publics de donner aux citoyens ces moyens complémentaires d’assumer leur citoyenneté. L’exercice éclairé du libre arbitre suppose une information préalable de qualité et irréprochable.

Un autre problème tient à l’assujettissement et à l’asservissement possibles des comportements. Chacun sait que notre pensée, nos raisonnements, nos choix, nos émotions ont pour substrat anatomique, cellulaire et moléculaire, notre système nerveux central, en particulier notre cerveau. Or, il est aujourd’hui possible d’établir par imagerie médicale des corrélats neurobiologiques et structuraux de la pensée, de la décision, de l’action, de l’émotion, de l’humeur… qui permettent de connaître les circuits afférents et d’y exercer une influence. On sait ainsi qu’il suffit d’appliquer une électrode à tel ou tel endroit du cerveau pour déclencher une crise aiguë de larmes, de désespoir ou au contraire une euphorie. Seront sans doute mises au point des techniques non invasives permettant d’influer sur l’esprit et le comportement des individus. Si l’interdiction de la lobotomie ne fait pas débat, il n’en va pas de même d’exérèses chirurgicales extrêmement ciblées ou de stimulations électriques intermittentes en vue par exemple de libérer un patient de troubles psychiatriques sévères comme les troubles obsessionnels compulsifs (TOC). Il serait intéressant qu’un article de loi précise le cadre de ce que la République considère comme légitime ou non au regard de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, qui dispose que « tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ». En effet, quid de la liberté dès lors qu’un asservissement du cerveau est possible par un biais chirurgical, électrique, électronique ou chimique ? Vu les progrès extraordinaires des neurosciences, il faudra préciser ce qu’il convient de protéger d’essentiel en l’homme et qui fait sa spécificité, à savoir son esprit et sa pensée.

J’en viens à la nature de la future loi. Comment faire pour qu’elle soit efficace face aux dangers les plus redoutables comme ceux que j’ai évoqués plus haut ? La science progresse si vite qu’elle sera toujours en avance sur le droit et que la loi ne pourra jamais prévoir tous les dangers ni prévenir toutes les dérives possibles. Le plus prudent et le plus efficace serait, de loin, qu’elle précise ce que la République désire protéger en l’homme sur le plan individuel et sur le plan social : autonomie, liberté, optimisation des capacités d’épanouissement de l’individu. Bref, il faut clairement « mettre les points sur les i », tout en gardant à l’esprit que ces principes risquent d’être menacés par l’évolution des sciences et des techniques, laquelle peut conduire par ailleurs à des progrès considérables – c’est bien là toute la difficulté. Il s’agit par conséquent d’améliorer tous les dispositifs permettant de traiter les situations individuelles à l’aune des principes retenus par la République. Je milite au total pour l’adoption d’une loi cadre précisant les modalités d’application de ses principes à la diversité des situations et des innovations. C’est, selon moi, la seule possibilité de suivre en temps réel les évolutions, vu la fertilité de l’imagination des scientifiques, ce qui n’interdit pas de statuer sur un certain nombre de situations fréquentes et bien connues. Mais jamais on ne pourra tout définir par avance, ce n’est pas même la peine d’essayer.

M. le Président. Ce qui règle définitivement la question de la révision des lois !

M. le professeur Axel Kahn. Pour ma part, je n’ai jamais été très satisfait du principe d’une révision obligatoire tous les cinq ans. En effet, cela signifie, d’une part, que la loi doit statuer sur toutes les techniques, ce que je ne pense pas, et, d’autre part, que les principes moraux sont partiellement solubles dans l’évolution de la science et des techniques, ce que je ne pense pas non plus. Je ne dirai pas que tous les principes moraux sont intangibles, mais certains d’entre eux le sont assurément, comme le respect de la valeur de l’autre et la réciprocité – « mes droits doivent être aussi ses droits ». Je suis donc beaucoup plus favorable à une loi-cadre explicite, énonçant ce qu’il convient de protéger d’essentiel en l’homme pour garantir le respect des valeurs fondamentales de la République, mais laissant la possibilité d’enrichir la loi en temps réel. Il faudrait ainsi que l’Agence de la biomédecine ou d’autres instances puissent saisir le Parlement si l’évolution des techniques le rend nécessaire. C’est, en tout cas, la manière de procéder qui me paraîtrait la moins artificielle.

Enfin, s’agissant de l’évolution du Comité consultatif national d’éthique, ma réponse sera vraisemblablement en deçà de vos attentes et de celles de certains membres du Gouvernement, qui ont une vision du CCNE que je ne partage pas tout à fait. Certains ont voulu que le CCNE soit uniquement un comité opérationnel, ce qu’il est d’ailleurs car la pensée éthique est une pensée casuiste ne pouvant se nourrir que de cas concrets, si bien qu’il y aura un chevauchement permanent de ses compétences avec celles de l’Agence de la biomédecine. Cependant, il faut rappeler que la mission la plus spécifique du Comité, sans doute sa fonction principale, est de s’interroger, afin d’éclairer le législateur, sur ce qui mérite d’être protégé en l’homme et que pourrait menacer l’évolution de la science et des techniques. Aucune autre instance que lui ne peut remplir cette mission-là, et certainement pas l’Agence de la biomédecine qui se prononce, elle, sur des protocoles. 

M. le Président. Je vous remercie de cet exposé et laisse maintenant la parole au rapporteur de notre mission.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Une question est pour nous essentielle : faut-il réviser les lois de bioéthique tous les cinq ans, en « adaptant » la morale à l’évolution des techniques, sachant que dans l’histoire de l’humanité une technique, une fois maîtrisée, a toujours été appliquée et que jamais la morale n’a empêché sa mise en œuvre ? Imaginons qu’une découverte capitale ait lieu juste après l’adoption de la loi, qui dissipe les craintes que nous aurions pu avoir dans tel ou tel domaine, et qu’il faille attendre quatre années avant de pouvoir apporter les corrections nécessaires ! C’est pourquoi je suis, comme vous, favorable à une loi-cadre définissant ce qui est essentiel en l’homme et fixant les grands principes sur des sujets comme la brevetabilité du vivant, l’information des citoyens, ou encore le risque des dérives génétiques.

Si la science ne peut être bridée, ses applications doivent être contrôlées. Or, l’éventualité d’une modification du Préambule de la Constitution retient aujourd’hui la main du législateur. La Constitution doit réaffirmer les principes républicains fondamentaux et la loi-cadre les décliner en matière de bioéthique. Je suis défavorable au principe d’une révision tous les cinq ans, parce que je suis contre l’idée qu’il faille s’adapter en permanence aux évolutions scientifiques et techniques, mais favorable à une loi-cadre qui dirait clairement, non pas de façon définitive mais stable, ce qui est interdit et autorisé.

M. le Président. L’Agence de la biomédecine nous imposera de faire évoluer la loi.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Je suis tout à fait favorable à une loi-cadre, d’autant que le législateur s’est exonéré de l’obligation de révision périodique tous les cinq ans. La loi de 1994 n’a été révisée qu’en 2004 ! Et la loi de 2004 ne le sera pas non plus dans le délai prescrit ! Cette révision périodique affaiblit les principes énoncés dans la loi.

Vous avez dit, monsieur le professeur, être hostile à la transposition nucléaire à visée thérapeutique. Quelle est votre opinion sur ce que vient d’autoriser le Parlement britannique après un long débat public, dont l’exécutif pourrait s’inspirer pour l’organisation des futurs états généraux dans notre pays, concernant les chimères, à savoir la transposition nucléaire inter-espèces, pour économiser les ovules de femmes ?

M. Serge Blisko. La révision périodique des lois de bioéthique n’est pas satisfaisante, d’autant que les décrets d’application sont toujours publiés avec retard, si bien qu’ils le sont alors que la prochaine révision est déjà entamée. Je suis d’accord sur le principe d’une loi-cadre, à condition de s’entendre sur le contenu de ce cadre.

Je soumettrai ici quelques éléments de réflexion retirés de mon expérience de président du conseil d’administration de l’hôpital Sainte-Anne, qui possède un important laboratoire de neurosciences. Vous avez parlé, monsieur le professeur, des embryons sans projet parental. Mais qu’est-ce qu’un projet parental ? Tous les psychiatres, psychologues et psychanalystes savent depuis longtemps que le concept n’est pas aussi clair qu’il peut y paraître. On ne fait pas toujours un enfant pour avoir un enfant. Ainsi peut-on souhaiter remplacer un enfant disparu, perpétuer une lignée, un nom ou faire un enfant simplement parce que l’on a rencontré une autre personne que l’on aime. On ne peut donc pas se fonder aussi simplement que cela sur l’existence ou non d’un projet parental. La réalité est plus complexe, et il n’appartient pas au législateur d’entrer dans ces considérations.

Vu les progrès dans le domaine des neurosciences, il convient de protéger l’homme en ce qu’il a d’unique, notamment sa pensée. Il existe d’ores et déjà de multiples techniques ne touchant pas au génome, encore expérimentales ou déjà expérimentées, de modification du comportement, depuis l’électro-convulsivo-thérapie, aujourd’hui utilisée pour traiter certaines dépressions sévères, jusqu’à certaines techniques chirurgicales, qui pourraient être demain utilisées dans un but non plus curatif mais préventif. Lors de la préparation de la loi sur la rétention de sûreté, on a sollicité l’avis de psychiatres sur les comportements déviants des prédateurs sexuels. Si tous ont exclu que l’on puisse pratiquer des lobotomies, la question s’est posée de savoir pourquoi ne pas détruire par certains isotopes les centres régissant les comportements déviants ou bien encore utiliser des molécules chimiques bloquant le désir – il existe d’ores et déjà l’Androcur. Par ailleurs, des médicaments d’usage plus courant comme les neuroleptiques, les anti-hallucinatoires en particulier, modifient eux aussi les comportements.

S’agissant des chimères, dont nos voisins britanniques viennent d’autoriser la création, notre compatriote Nicole Le Douarin en fabriquait depuis vingt ans ! Sans doute avons-nous été trop prudents en France et avons-nous raté de belles aventures scientifiques et thérapeutiques.

Mme Martine Aurillac. Vous avez évoqué, monsieur le professeur, avec la hauteur de vues qui est la vôtre, à la fois les menaces que peut faire peser l’évolution des sciences et des techniques sur l’humanité et les valeurs qui, à votre avis, doivent impérativement être préservées.

Je souhaiterais vous interroger sur un problème beaucoup plus concret. Lors de la précédente révision des lois de bioéthique, j’avais défendu avec acharnement la possibilité du transfert d’un embryon post mortem s’il existe un projet parental, soutenue sur ce point par notre collègue Alain Claeys. J’aimerais connaître votre position sur le sujet.

M. le Professeur Axel Kahn. Monsieur le rapporteur Jean Leonetti, vous avez posé la question du lien entre la Constitution, notamment son Préambule, et une loi-cadre de bioéthique, à laquelle chacun semble ici donner la préférence. La Constitution dispose qu’il faut protéger l’autonomie, la liberté et l’égalité des droits de l’homme, mais elle n’a pas à entrer dans le détail de tout ce qui peut la menacer. L’objet d’une loi-cadre pourrait précisément être de le décliner.

Monsieur Blisko, il n’y a pas de contradiction entre vos propos et les miens. J’ai parlé d’asservissement et d’assujettissement, pas de modification des conduites et des comportements. En effet, la psychiatrie et la psychanalyse visent à modifier le comportement des patients, mais dans le but de leur rétablir leur liberté, de restaurer leur autonomie et de favoriser leur épanouissement. Il n’y a rien de commun entre l’administration d’un traitement par Androcur ou l’utilisation d’autres techniques afin de libérer un pervers sexuel de son désir irrépressible de passage à l’acte – l’objectif de toutes ces techniques, loin d’asservir, est de libérer les individus – et l’assujettissement que j’évoquais plus haut. Le principe d’autonomie qui pourrait être réaffirmé dans le Préambule de la Constitution n’entravera pas les progrès thérapeutiques permis par les neurosciences.

Monsieur Vialatte, j’ai bien perçu la réticence symbolique à accepter le transfert nucléaire inter-espèces. Pour ma part, je ne suis pas opposé à cette technique. Je suis en effet assez agnostique, et pour moi rien n’est sacré. L’embryon a une singularité qui mérite d’être respectée, mais sa sacralité n’est pas telle qu’il ne puisse faire l’objet de recherches. Les recherches sur les modalités de la reprogrammation des gènes d’une cellule somatique quelconque placée dans un environnement ovocytaire sont extrêmement importantes. Je ne suis pas choqué que l’on puisse, à cette fin, transférer une cellule humaine de peau ou de sang dans un ovocyte de vache ou de lapine. En effet, de ce protocole expérimental, ne naîtra pas un minotaure ! Ces embryons dégénèrent rapidement. À l’inverse d’un embryon cloné, ces artefacts n’ont aucune chance de donner un bébé. Pour moi, c’est un matériau expérimental, de première importance, et rien ne me semble pouvoir justifier d’interdire ces recherches.

Les chimères de la cytologiste Nicole Le Douarin, notamment celles de caille et de poulet qui avaient pour objet d’étudier les migrations cellulaires, sont d’une tout autre nature. On aurait raison d’interdire des chimères de ce type avec des embryons humains. Une greffe d’encéphale embryonnaire animal sur de l’encéphale embryonnaire humain, au stade de trois mois, serait tout à fait contestable sur le plan éthique, en fait serait même abominable.

Oui, monsieur Blisko, la notion de « projet parental » peut recouvrir des situations fort différentes : on peut faire un bébé pour remplacer un enfant disparu, assurer la continuité d’une lignée, éviter une séparation, avoir un descendant auquel léguer sa fortune, et même faire un bébé-médicament, mais dans tous ces cas, le but est quand même bien de faire un bébé.

S’agissant du transfert d’embryon post mortem, je suis d’accord avec vous, madame Aurillac et monsieur Claeys. Le Comité consultatif d’éthique a d’ailleurs statué sur le sujet. Lorsqu’un homme et une femme ont demandé à créer des embryons in vitro, que ceux-ci ont été congelés, qu’une première tentative de fécondation a échoué, et que l’homme vient à décéder avant qu’une autre ait pu être effectuée, il ne faut pas se précipiter. Vu de l’extérieur, le mieux serait sans doute que la femme fasse le deuil du disparu et puisse aimer un autre homme avec lequel elle ait envie d’avoir un enfant. Mais si après qu’on lui aura laissé le temps nécessaire, elle veut toujours un enfant de l’homme qu’elle a aimé – ce qui ne signifie pas qu’elle n’en aimera pas un autre – et qu’elle souhaite achever la mission qu’ils s’étaient tous deux assignée, en dépit des épreuves que représente la fécondation in vitro, je ne vois pas qui mieux qu’elle aurait légitimité pour dire ce qu’il convient de faire de ces embryons congelés, en tout cas pas la République !

M. Jean-Frédéric Poisson. Un consensus semble se dessiner sur le principe d’une loi-cadre. Qu’envisagez-vous, monsieur le professeur, pour son contenu concret ? Faudrait-il par exemple prévoir un chapitre pour chacune des grandes techniques ou, plutôt, pour chaque âge de la vie ? Comment être assez concret, pour que cette loi soit réellement opérationnelle, sans pour autant se condamner à toujours courir derrière la science ?

S’agissant des cellules souches et des recherches sur l’embryon, si je vous ai bien compris, vous êtes d’accord avec le récent rapport de l’INSERM qui reconnaît la légitimité du clonage scientifique, après qu’a été interdit le clonage reproductif et accepté, sous certaines conditions, le clonage thérapeutique. Le clonage thérapeutique ne présente plus guère d’utilité, avez-vous dit, mais le clonage scientifique, indispensable à certaines recherches, doit continuer d’être autorisé. Vous avez déclaré être agnostique et n’être donc pas très sensible à ce plan symbolique-là – position éminemment respectable. Mais ce n’est pas sur ce symbole-là que je voudrais vous interroger, mais sur la part symbolique de la loi dans le cas précis du clonage scientifique. En effet, toute loi a une part symbolique, dans la mesure où elle s’applique à toute personne, dont elle ne traite néanmoins pas la situation particulière. Sans vouloir ranimer le débat sur le statut de l’embryon, je m’interroge sur les raisons pour lesquelles il faudrait solliciter un contrôle de « moralité » sur les expériences de clonage scientifique. Je ne vois pas comment on peut soutenir, d’un côté, que celui-ci doit être autorisé et, d’un autre, qu’il faut en vérifier le caractère conforme à l’éthique. À défaut de voir ce qui motive cette position, je me demande pourquoi on ne la pousse pas jusqu’à son terme.

Pour ce qui est du réseau de ressources à l’intention des citoyens que vous appelez de vos vœux, avez-vous envisagé les modalités pratiques de sa constitution et de son fonctionnement ? L’un des principaux problèmes que rencontre aujourd’hui le corps médical, et en premier lieu médecins généralistes, c’est la concurrence d’Internet.

Mme Catherine Génisson. S’il se dégage de votre exposé, monsieur le professeur, et des interventions de nos collègues qui l’ont suivie, un certain consensus sur la pertinence d’une loi-cadre, je partage les interrogations de Jean-Frédéric Poisson sur le contenu concret de cette loi et sa durée de validité, vu la rapidité des progrès de la science. Si cette loi-cadre suffisait, complétée de consultations régulières du CCNE et de l’Agence de la biomédecine, à quoi servirait le législateur ? Celui-ci n’est-il pas mieux à même de réécrire la loi si besoin qu’une Agence, quelle que soit la qualité de ses membres et aussi indépendante soit-elle ? N’a-t-il pas davantage de légitimité pour ce faire ?

M. Paul Jeanneteau . Vous avez dit, monsieur le professeur, que si les lois de bioéthique ont besoin être révisées tous les cinq ans, cela revient à admettre que nos principes moraux sont « solubles » dans la science et les techniques et qu’on accepte de se livrer à une course effrénée pour adapter la loi à leur évolution. Pourriez-vous préciser votre pensée sur ce point ? Il me semble personnellement que prévoir une clause de révision, sans en fixer de manière rigide la périodicité, nous donnerait la possibilité d’intervenir en cas de survenance d’un problème qui n’aurait pu être imaginé lors du vote de la loi.

M. Michel Vaxès. Même si des interrogations demeurent, je suis moi aussi favorable à une loi-cadre ayant pour objet de définir ce qui est essentiel en l’homme et doit, à ce titre, être préservé. Cela suppose préalablement de s’entendre sur ces principes essentiels
– on devrait y parvenir – mais aussi sur ce qu’est l’homme. Lors de son audition hier, le professeur Grimfeld, président du CCNE, a distingué l’être humain de la personne humaine. Le temps imparti ne nous a, hélas, pas permis d’approfondir la question. Si l’on ne clarifie pas préalablement ces concepts, qui relèvent d’une essence différente, et que l’on ne tire pas toutes les conséquences de cette distinction, certaines questions éthiques demeureront sans réponse.

M. le Professeur Axel Kahn. M. Poisson m’a interrogé sur la valeur symbolique de la loi s’agissant du clonage scientifique. Mon sentiment est que ce qui fait la singularité incontestable de l’embryon humain, indépendamment de toutes convictions religieuses ou philosophiques, est qu’il constitue le début éventuel d’une vie humaine. En effet, si on le laisse de développer, il deviendra un être humain qui, au contact de la société, si on lui permet de s’épanouir, deviendra un « être-au-monde », une personne humaine – processus admirable qu’il convient de protéger. La loi doit, selon moi, affirmer que, pour cette raison-là, l’embryon n’est pas banal et que l’on ne peut pas en user en toute liberté en arguant de l’utilité des manipulations qu’on lui fait subir, sans tenir compte de cette singularité. Cela ne me conduit pas à m’opposer systématiquement aux recherches sur l’embryon. Sans vouloir nourrir de polémique, je souligne que son humanité n’a jamais disqualifié les recherches opérées sur l’homme, faute de quoi il n’y aurait jamais eu de médecine : celle-ci a toujours progressé par le biais de recherches effectuées sur des individus de tous âges. Il m’a donc toujours semblé étrange qu’on polémique sur la possibilité d’effectuer des recherches sur l’embryon humain, même si on le considère comme une personne, ce qui n’est pas ma position, non plus d’ailleurs que celle de l’Église qui dit seulement que le doute sur son statut doit profiter à l’embryon – j’ai longuement débattu de ce sujet au comité d’éthique du Vatican.

En revanche, en ce qu’il peut devenir une personne, un embryon ne peut pas être créé comme du matériel. D’où ma très forte réticence à la création d’embryons à des fins scientifiques, aussi légitimes puissent-elles paraître. Ces recherches ne me semblent pas présenter un intérêt tel qu’il surpasse la prévention légitime, éthique contre leur autorisation. J’ai été choqué par le lobbying exercé par de nombreux scientifiques qui demandaient qu’on autorise le clonage scientifique au motif des progrès thérapeutiques à en attendre, tentant de faire croire au public, alors qu’eux-mêmes ne pouvaient en croire un mot, que cela permettrait de guérir d’innombrables maladies. N’ayant pas l’habitude de me taire, j’ai alors dit ce que je pensais, ce dont mes collègues m’ont beaucoup voulu.

M. le Président. Le terme « thérapeutique » a en effet été utilisé à tort et à travers, y compris pour défendre des thèses contradictoires.

M. le Professeur Axel Kahn. S’agissant du réseau de ressources, je n’ai pas réfléchi de manière très détaillée à son architecture. Mais j’envisagerais, d’un côté, une cellule de veille qui, sur Internet, appellerait l’attention sur le caractère extrêmement sensible de certaines propositions en matière de santé, et, d’un autre côté, un réseau de scientifiques travaillant en commun et pouvant répondre à une saisine de la cellule de veille et orienter le public vers le centre de ressources. Celui-ci devrait faire l’objet de toute la publicité nécessaire et être facilement accessible. Un tel ensemble ne paraît pas trop difficile à créer.

La validité de la loi, fût-elle une loi-cadre, ne peut être éternelle. La loi doit pouvoir être enrichie en continu, en temps réel précisément, et le législateur n’est absolument pas mis à l’écart, madame Génisson, mais les modifications apportées ne doivent l’être que sur des points importants. Ce qui me paraît contestable dans le principe d’une révision périodique est qu’il laisse accroire que certains principes fondateurs de la loi sont, au bout d’un certain temps, devenus à ce point caducs qu’il faut réviser l’ensemble du texte.

Prenons l’exemple, ô combien délicat, de la loi de 1975 relative à l’interruption volontaire de grossesse qui a dépénalisé l’avortement, ce qui constituait une révolution. Pour autant, cette loi a-t-elle totalement bouleversé les valeurs morales qui faisaient consensus ? La question qui s’est alors posée au législateur n’a pas été celle de la « chosification » de l’embryon mais de la préservation du principe moral de protection des personnes. La question était de savoir si une femme qui, de toute façon, désirait avorter pourrait le faire sans mettre sa vie en danger, alors que ce n’était pas le cas avant le vote de la loi. C’est sous cet angle que l’on a été amené à considérer qu’il fallait préserver la vie de la mère. Toute évolution des pratiques ne suppose pas systématiquement un bouleversement des valeurs morales sur lesquelles elles se fondent. Les principes moraux doivent être relativement stables par rapport à l’évolution des sciences et des techniques. Mais lorsqu’une révision de la loi sera nécessaire, le CCNE, l’Agence de la biomédecine ou d’autres instances scientifiques doivent pouvoir saisir le législateur.

Monsieur Vaxès, la bioéthique, c’est une réflexion sur les droits de l’homme lorsque celui-ci peut être l’objet – ou le sujet – d’interventions techniques nouvelles permises par les progrès de la science. Comment déterminer ce qui est licite et illicite si on n’a pas préalablement réfléchi aux raisons pour lesquelles il en est ainsi ? Il faut en effet d’abord réfléchir aux valeurs humaines que pourraient menacer certaines techniques. Ce qu’il convient de protéger en l’homme est supposé constant pour tout travail de législation en matière de bioéthique.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je tiens à préciser que je ne me suis pas exprimé tout à l’heure en tant que chrétien.

Vous avez, monsieur le professeur, rappelé que l’Église, du moins celle de Rome, ne considère pas que l’embryon est une personne, mais dit qu’il convient de le protéger « comme une personne ». Mon point de vue n’était pas celui-là. Il était seulement philosophique et avait trait au continuum entre l’embryon et la personne. Quand se termine le stade embryonnaire et quand commence la personne humaine ? Toutes les écoles philosophiques se sont interrogées sur ce commencement de la personne. Si on fonde la loi sur le concept de personne alors même que l’on ne sait pas en fixer le commencement, cela pose tout de même un problème.

D’une manière générale, dans cette mission d’information, lorsque je choisirai de m’exprimer en tant que chrétien, je le préciserai. Sinon, je prie mes collègues de considérer que mon propos est d’ordre philosophique.

M. le Président. Il suffit de s’exprimer en parlementaire.

M. Michel Vaxès. Y a-t-il ou non continuum entre l’embryon et la personne humaine ? Y a-t-il à un moment changement d’état, et si oui quand ? C’est une question philosophique.

M. le Professeur Axel Kahn. Je suis en désaccord avec vous, monsieur Poisson, sur un seul point – comment être en désaccord avec des convictions religieuses ou philosophiques profondes ? – et j’espère que vous accepterez de considérer que j’ai raison : il n’existe pas de définition scientifique de la personne.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je n’ai pas dit le contraire et, sur ce point, je suis d’accord avec vous.

M. le Professeur Axel Kahn. Quand, au cours de son développement continu, l’embryon atteint-il un stade qui lui vaut le respect dû à une personne ? Les chrétiens estimaient que la personne naissait à « l’animation » de l’embryon, ce qui donnait lieu à d’innombrables débats. Certains Pères de l’Église considéraient que celle-ci était immédiate et estimaient que la meilleure preuve en était l’orgasme masculin, qui était de nature divine et que l’éjaculation manifestait l’insufflation de l’âme dès l’origine, argument auquel Saint-Augustin, qui plaçait l’animation à la première respiration, opposait qu’il y avait tant de jouissances sans procréation qu’il n’était pas possible d’imaginer que tant d’âmes se perdent…

Biologiquement, il y a bien sûr un continuum entre l’embryon et la personne humaine. La personne humaine, c’est tout d’abord un être humain au sein de la société, puis la personne qu’il devient au contact de cette société. Il y a consensus sur l’idée de protéger tous les états de développement de l’être humain apte à acquérir la plénitude des possibilités et des droits de la personne, avec le respect qui lui est dû.

La continuité d’un processus ne signifie pas identité des stades par lesquels il passe : Imaginons qu’à la fin de cette réunion, je demande à mon chauffeur de me conduire à Lyon. Mon cheminement sera continu, il n’empêche que tant que je ne serai pas à Lyon, je n’y serai pas. Les débuts d’un phénomène évolutif continu restent différents de son achèvement.

M. le Président.
Monsieur le professeur, il me reste, sur ces considérations philosophiques, à vous remercier d’avoir répondu à notre invitation. Vos réflexions nous auront, comme toujours, été de la plus haute utilité, et nous serons sans doute amenés à vous solliciter de nouveau.

Audition de M. Pierre LE COZ,
vice-président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE)



(Procès-verbal de la séance du 18 novembre 2008)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation. Maître de conférences à la faculté de médecine de Marseille, président du Centre d’études et de recherches en éthique médicale de l’Espace éthique méditerranéen de Marseille, vous êtes, depuis le mois de juin 2005, membre du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine où vous avez d’ailleurs suspendu vos activités depuis que vous êtes devenu vice-président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Vos travaux portent notamment sur les questions de bioéthique et d’éthique médicale, telles que les relations entre patients et professionnels de santé.

Je rappelle par ailleurs qu’en préparation de la révision des lois de bioéthique, l’Agence de la biomédecine a récemment rendu son rapport et le CCNE s’apprête à faire de même. Pour ouvrir le débat, je souhaiterais vous poser plusieurs questions.

– En premier lieu, quelle doit être la finalité de la loi de bioéthique et doit-elle être révisée tous les cinq ans ? Une loi-cadre est-elle nécessaire ?

– Comment doivent s’articuler les relations entre le CCNE et le conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine ?

– Les missions du CCNE doivent-elles évoluer ? Comment garantir l’indépendance de cette institution ?

– Enfin, quels doivent être, selon vous, les objectifs et les modalités d’organisation des états généraux de la bioéthique, qui doivent avoir lieu en 2009 ?

M. Pierre Le Coz. Je vous remercie de votre invitation. Comme le professeur Alain Grimfeld, qui préside le CCNE, je considère que la loi doit déterminer quelques grands principes sans se focaliser sur des détails. Sans doute convient-il par ailleurs d’accorder une importance particulière aux questions relatives aux neurosciences et aux nanotechnologies.

J’ajoute que, sur le plan institutionnel, le président Grimfeld a impulsé une dynamique nouvelle en ouvrant le questionnement du CCNE à notre environnement, certes social et culturel mais également naturel. Si le conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine s’interroge, par exemple, sur la possible levée de l’anonymat des donneurs de gamètes ou la limite d’âge à partir de laquelle un couple stérile peut accéder aux techniques d’assistance à la procréation, le CCNE, lui, se préoccupe de l’éventuelle relation entre le mode de vie moderne et le développement de la stérilité ou bien réaffirme, quelles que soient les préventions, la pérennité de certaines « lois naturelles » malgré les évolutions sociales : une femme âgée de 38 ou de 40 ans, ainsi, est moins féconde qu’une femme plus jeune. Loin de vouloir remettre en cause, de la sorte, le travail des femmes, nous voulons les aider à prendre leurs décisions en toute connaissance de cause et œuvrer afin que les pouvoirs publics favorisent une meilleure conciliation entre éducation des enfants et vie professionnelle.

Le coup d’envoi de notre philosophie du vivant humain date de 1975 et de la loi Veil : toute vie humaine doit être protégée dès son commencement, mais ce principe n’a pas une portée universelle et ne vaut que pour la plupart des cas – il est donc permis d’y déroger dans certaines circonstances, un embryon humain pouvant être détruit.

Les décennies suivantes ont été, quant à elles, marquées par les techniques d’assistance à la procréation.

Enfin, la loi du 6 août 2004 dispose que lorsqu’un couple est engagé dans une démarche de fécondation in vitro, qu’il a réalisé son projet parental et qu’il reste des embryons surnuméraires « au congélateur », ces derniers peuvent être confiés à des chercheurs dans un objectif thérapeutique. Une analogie peut être faite avec le don d’organe puisque l’on présume, en l’occurrence, le consentement de l’embryon à s’inscrire dans la grande chaîne de la solidarité avec l’espèce humaine : « plutôt que d’être détruites, autant que mes cellules soient utiles ». Je précise, à ce propos, que les couples peuvent également demander à ce que leurs embryons soient détruits. Ce dispositif me semble cohérent en ce qu’il renvoie dos à dos deux attitudes extrêmes : d’une part, le matérialisme, selon lequel l’embryon humain n’est qu’un amas cellulaire et, d’autre part, une forme de spiritualisme pour qui l’embryon est une personne humaine sacrée.

Si le législateur a jusqu’ici cherché une voie médiane – plutôt le compromis que le parti pris –, je ne suis pas néanmoins certain qu’il soit toujours resté fidèle à cette heureuse ligne de conduite car un couple peut donner un ou des embryons surnuméraires à un autre couple doublement stérile ou risquant de transmettre à un enfant une maladie d’une particulière gravité, ce qui, à vouloir coûte que coûte « sauver la peau » de cet embryon, peut amener à concevoir des enfants génétiquement orphelins qui apprendront peut-être un jour qu’ils sont restés un certain temps au fond d’un congélateur ou qu’ils ont été transférés dans le ventre de leur « mère porteuse ». À cela s’ajoute qu’ils ont des frères et des sœurs biologiques « dans la nature » et que, même si le risque d’inceste est statistiquement faible, nous savons fort bien que les hommes ne raisonnent pas uniquement à l’aide de statistiques. Sachant, enfin, que les enfants conçus avec les gamètes d’un donneur anonyme peuvent être tourmentés par la quête de leurs origines et connaissent parfois des problèmes identitaires, qu’en sera-t-il de ceux qui ignoreront tout de leurs deux parents biologiques ? Le « don d’embryon » ne manquera pas de décupler ces difficultés.

Pour conclure ce point-ci, je vous soumets un cas de figure particulier : une femme devient veuve et des embryons sont disponibles dans le congélateur. En l’occurrence, le législateur rechigne à autoriser une implantation dans l’utérus de cette femme – l’enfant qui naîtra étant orphelin de père –, mais il permet qu’il soit implanté dans l’utérus d’une autre femme, dans un autre couple ! Telle est la loi, dont on peut sans doute se féliciter que tout le monde est censé l’ignorer (Sourires) ! Outre qu’il conviendrait de se pencher à nouveau sur cette question si l’on ne veut pas multiplier les consultations chez les pédopsychiatres et les psychanalystes, nous devons nous efforcer de promouvoir une vision positive de l’humanité de manière à ce que les enfants à naître aient une vie aussi intéressante que possible.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Merci d’avoir souligné certaines incohérences de notre législation en la matière. Vous avez notamment insisté sur la recherche du compromis et l’intérêt de la voie médiane, qui semble s’inscrire dans la continuité de la conception aristotélicienne du juste milieu. Comment envisagez-vous la loi de bioéthique à venir ? Le législateur doit-il s’efforcer de poser des principes intangibles concernant l’être humain, tels que l’interdiction de la marchandisation du vivant ou le respect de la dignité de la personne, plutôt que de se préoccuper d’un certain nombre de détails, sachant d’ailleurs que les technologies évoluent sans cesse ?

En outre, de quelle façon conviendrait-il d’organiser les états généraux de la bioéthique de manière à ce qu’ils permettent un débat approfondi et populaire ?

Enfin, dans le domaine de la génétique, comment maîtriser la « prédictivité » de la vie dès lors que nos caractéristiques génétiques sont de mieux en mieux connues ? Ne va-t-on pas au devant de bouleversements sociaux et éthiques ? Ne risque-t-on pas de voir s’instaurer un « pan-déterminisme » négateur de la liberté et de la volonté humaines ?

M. Bernard Debré. Je suis très attaché à l’indépendance du CCNE. Par ailleurs, nous avons nos propres valeurs : si un pays décide, par exemple, de libéraliser à outrance l’accès à la procréation médicalement assistée, nous ne sommes en rien obligés de le suivre.

Si nous sommes confrontés à la pression de l’opinion publique, le désir, par exemple d’un enfant, doit-il pour autant impérativement être transcrit dans la loi ? Je n’en suis pas sûr. Si, par ailleurs, il est certes opportun de chercher une voie médiane, comment être certain d’avoir trouvé la plus juste ?

S’agissant des embryons, la religion chrétienne elle-même a formulé des avis fort différents : selon saint Basile, l’âme est présente dès la conception de l’enfant alors que, pour saint Augustin, elle ne l’est qu’au moment de sa naissance et, pour saint Thomas, au quatrième mois. Que peut dire, à ce sujet, la loi positive ?

Concernant la « prédictivité » de la vie, les problèmes sont aujourd’hui démultipliés par le fait qu’à moins de six semaines de grossesse, le sang de l’embryon circulant dans celui de la mère, celle-ci pourrait connaître une partie du génome de son enfant. Comment envisager une loi qui interdirait tout examen ? Une femme qui sait ne pourrait donc avorter quand celle qui ne saurait pas le pourrait ? Et en premier lieu, pourquoi vouloir apporter une réponse de nature juridique à ces problèmes ? Il y a en effet des risques de dérives mais l’eugénisme est aujourd’hui pratiqué tous les jours. Par exemple lorsqu’une même famille a perdu plusieurs enfants en raison d’une leucodystrophie, nous faisons déjà en sorte que cela n’arrive plus.

Si la loi peut garantir le respect absolu, pour un couple, de garder ou non son enfant, elle ne doit pas aller au-delà sans quoi, un jour, des économistes considèreront qu’il n’est pas opportun de garder un enfant gravement malade dont les soins coûteront énormément à la société et là, ce sera le totalitarisme.

Enfin, les états généraux de la bioéthique ne doivent pas être l’occasion d’un déferlement de démagogie, par exemple en matière d’achats d’ovules. Prenons donc garde aux diktats de l’opinion et veillons à préserver une certaine modération !

Mme Dominique Orliac. Je suis d’accord avec vous, M. Le Coz, pour dire que les femmes ne sont pas suffisamment informées sur les âges de la fécondité et que c’est une notion qu’il conviendrait de développer. En revanche, je ne comprends pas la différence que vous faites entre un enfant issu d’un double don de gamètes et un enfant né d’un don de spermatozoïdes. Pensez-vous que le premier sera plus fragile psychologiquement ?

M. Henri Emmanuelli. Vous semblez hostile, M. Le Coz, à ce qu’un enfant puisse avoir une hérédité génétique inconnue. Qu’en est-il d’un enfant adopté, dont on ignore les origines ? Et ceux-là seront-ils davantage amenés à s’allonger sur le divan que les personnes dont les parents étaient épouvantables ? Il serait bien difficile de produire des statistiques dans ce sens.

Dans quelle mesure l’évolution des connaissances en médecine prédictive risque-t-elle de conduire à l’eugénisme ? Une majorité de jeunes parents à qui je demandais s’ils auraient choisi la couleur des yeux ou la taille future de leur enfant s’ils en avaient eu la possibilité m’ont répondu par l’affirmative. Il semble y avoir quelque chose d’irréversible dans ce mouvement. Faut-il pour autant s’en inquiéter ? Ces pratiques heurtent des croyances dont on dit qu’elles sont pérennes mais elles ne datent que de quelques milliers d’années, ce qui est peu à l’échelle de l’évolution biologique.

Prenons garde à ne pas sacraliser les principes actuels concernant l’être humain. Lors de l’examen par le Parlement de la loi relative à la bioéthique, j’ai été frappé par le front commun que francs-maçons et chrétiens traditionalistes avaient constitué sur la question du clonage thérapeutique. Je me suis d’ailleurs plu à scandaliser certains de mes collègues en affirmant que j’attendais avec impatience de me voir greffer une seconde paire de bras afin de pouvoir manger tout en lisant mon journal !

Le déterminisme scientifique va-t-il l’emporter ? Faudra-t-il ménager la place du hasard et de la nécessité ? J’entends votre plaidoyer en faveur du juste milieu mais je pense que nous ne devons pas nous laisser atterrer par cet inconnu monumental.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Vous avez souligné, M. Le Coz, l’une des incohérences de la loi concernant l’assistance médicale à la procréation (AMP). J’en vois une autre : la loi interdit le double don de gamètes mais elle autorise le transfert d’embryons.

S’il est vrai que l’intérêt supérieur de l’enfant doit nous guider, les techniques de l’AMP doivent-elles être réservées aux stérilités d’origine biologique ou concerner également les stérilités d’origine sociologique ? En d’autres termes, les couples homosexuels doivent-ils pouvoir en bénéficier ?

S’agissant des tests génétiques, je redoute la dictature de l’ADN. Pourtant, tout n’est pas écrit à la naissance.

Enfin, pensez-vous qu’il faille mener une réflexion approfondie et légiférer sur les neurosciences ? Une équipe de Necker vient par exemple de poser des implants intracérébraux sur des patients souffrant de trouble obsessionnel compulsif. Mozart, dont tout porte à croire qu’il était atteint du syndrome de la Tourette, aurait-il composé de la même manière s’il avait subi une telle opération ?

M. le président Alain Claeys. Plusieurs questions portent sur la procréation médicalement assistée et le diagnostic préimplantatoire (DPI). L’encadrement législatif des tests génétiques et de la médecine prédictive est-il suffisant ? Comment organiser et animer les états généraux afin notamment qu’ils ne laissent place au diktat de l’opinion ? Les précédentes lois de bioéthique ne traitaient pas des neurosciences : faut-il légiférer dans ce domaine ?

M. Pierre Le Coz. Un enfant de couple lesbien, issu d’un don de gamètes anonyme, sera exposé aux mêmes difficultés de l’existence qu’un autre, mais il devra composer avec une contrainte psychique supplémentaire, dont il faut se demander si elle peut faire sens dans le développement de sa personnalité. Je vous l’accorde, il existe bien un primat du sociologique sur le génétique, mais il est impossible de faire fi du besoin de connaissance des origines exprimé par les enfants nés d’un don de gamètes anonyme.

Comme l’a affirmé M. Debré, notre société est eugéniste. Mais il s’agit d’un eugénisme négatif, qui permet d’éviter le drame que constitue pour une famille la naissance d’un enfant sévèrement handicapé. L’argument consistant à dire que des génies comme Mozart ou Pascal n’auraient pas vu le jour si les techniques de dépistage avaient existé pèche par sa faiblesse : quelles sont les chances qu’un enfant atteint d’un handicap lourd a de développer de telles capacités ? Je suis favorable à un eugénisme négatif, de conseil, qui ne soit imposé ni par la sécurité sociale, ni par la pression de l’opinion publique.

Les états généraux consisteraient, dans les villes moyennes, à rassembler les citoyens autour de professionnels – médecins, juristes, philosophes. Ces derniers, en faisant valoir leur expérience, permettraient aux opinions de se stabiliser, tant il est vrai qu’un sujet comme celui des mères porteuses ou des enfants trisomiques est porteur d’émotions. Il n’y a pas d’éthique sans émotion, mais il importe de passer l’impression immédiate au crible d’autres émotions, plurielles, afin de la réviser.

L’enfant issu d’une insémination avec donneur anonyme doit-il connaître la vérité sur son origine ? Il appartient aux parents affectifs – effectifs – de le lui taire ou de lui dire. Si tel est le cas, une solution de compromis, sur le modèle anglais ou suisse, consisterait à permettre au jeune adulte de 18 ans d’avoir accès à des données non identifiantes sur le donneur, avec l’accord de celui-ci, pour que l’enfant ne soit pas enfermé dans un mur du silence.

À la différence du thème des mères porteuses, les neurosciences font peu débat, bien qu’elles emportent des conséquences beaucoup plus graves. Ce serait là tout l’intérêt des états généraux que de permettre à des spécialistes du cerveau d’expliquer les applications existantes et à venir de la neurochirurgie. Celle-ci permet certes de réduire les tremblements ou les effets d’un trouble obsessionnel compulsif. Mais qu’en est-il des dépressions sévères qui peuvent s’ensuivre ? Trouvera-t-on le moyen, par une simple manipulation, de supprimer une addiction au tabac, par exemple ? Il faut se réjouir que, après le vote des lois de bioéthique, le principe de précaution ait été inscrit dans la Constitution.

M. Paul Jeanneteau. Pourriez-vous, M. Le Coz, préciser votre réponse à la question de M. Emmanuelli sur les difficultés psychologiques, selon vous différentes, qu’éprouverait un enfant né d’un double don de gamètes et un enfant adopté ?

Vous vous dites favorable à un eugénisme négatif, de conseil, laissant in fine la décision au couple, en prenant notamment l’exemple de la trisomie 21, dont on sait que des personnes peuvent être plus ou moins lourdement atteintes, certaines d’entre elles pouvant mener une vie relativement normale, si tant est que l’on puisse définir la normalité d’une vie. Dès lors, où placez-vous le curseur ?

M. Pierre Le Coz. L’enfant adopté existait préalablement à son accueil. C’est une tout autre chose que de créer de toute pièce un enfant « adoptif ».

L’eugénisme de conseil donne lieu à un colloque singulier entre le couple et le médecin, ce dernier devant faire preuve de franchise. Je ne souhaite pas un retour à des comportements religieux, traditionalistes, qui sacralisent l’embryon.

M. Olivier Jardé. Quelles que soient les origines de l’enfant, l’important est l’amour que lui porte ses parents. Les statistiques montrent que si un enfant meurt tous les deux jours des sévices infligés par ses parents biologiques, la maltraitance est beaucoup moins le fait des couples homoparentaux.

M. Pierre Le Coz. Un couple lesbien peut donner davantage d’amour à son enfant issu d’un don de gamètes mais il n’est pas exclu qu’il se sépare. Je n’attends pas de la médecine de la reproduction qu’elle donne des conditions optimales d’épanouissement, mais qu’elle fasse naître des enfants « ordinaires ». C’est la raison pour laquelle je suis favorable à ce que l’on privilégie les stérilités d’origine biologique plutôt que les stérilités accidentelles, dues à un choix de vie.

M. Bernard Debré. Dix-huit ans n’est pas l’âge le plus adéquat pour accéder aux données non identifiantes sur le donneur de gamètes car c’est un âge difficile, déstabilisant pour le jeune adulte, qui fait notamment l’expérience des premiers déboires amoureux. Par ailleurs, ce débat ne manquera pas de relancer la question de la connaissance des origines des enfants nés sous X.

S’agissant des stimulations cérébrales, le traitement de la maladie de Parkinson ne pose pas problème. Si l’on évite de trop légiférer, les choses s’imposeront d’elles-mêmes, comme ce fut le cas des greffes du cœur. Ce qui ne laisse pas d’inquiéter aujourd’hui, ce sont les greffes de neurones issus de cellules souches, pour traiter non plus des maladies dégénératives mais des pathologies héréditaires, comme cela semble être le cas pour certaines formes d’autisme. Doit-on aller jusqu’à changer l’Homme ?

M. Jean-Marc Nesme. Je rappelle tout de même que, dans l’expression « eugénisme négatif », il y a « eugénisme ». En outre, qu’entendez-vous par « compromis » ? De proche en proche, ne risque-t-on pas de promouvoir ce que l’on appelle déjà aux États-Unis le transhumanisme, selon lequel l’espèce humaine actuelle étant vouée à disparaître, il convient de travailler dès maintenant à son remplacement ?

M. Paul Jeanneteau. Si la loi n’a peut-être pas à dire précisément ce qu’il est licite de faire, elle peut en revanche exprimer très clairement ce qui est proscrit – cela pourrait être d’ailleurs le sens d’une loi-cadre.

En outre, s’il n’est nullement question d’empêcher les chercheurs de travailler dans le domaine des neurosciences, nous pouvons néanmoins nous interroger sur ce qu’Axel Khan appelle l’« asservissement des comportements ».

M. Pierre Le Coz. Certains observateurs avaient prédit une dérive eugénique à la suite de l’autorisation, en 1994, du diagnostic préimplantatoire (DPI) mais, outre que les professionnels sont restés, me semble-t-il, assez raisonnables, le législateur a fort bien fait d’évoquer une « affection d’une particulière gravité incurable au moment du diagnostic » sans élaborer pour autant je ne sais quelle liste. À cela s’ajoute le fait que si le risque de développer un cancer du sein peut certes être évalué, les niveaux de gravité ne sont pas les mêmes entre ses différentes formes.

Enfin, le législateur se doit de rester raisonnable en évitant d’anticiper des maux qui n’existent pas.

M. le rapporteur. Nous le constatons, c’est au nom des valeurs que nous cherchons et trouvons le compromis. L’éthique n’est rien d’autre qu’un questionnement sur ces dernières lorsqu’elles sont confrontées à des techniques nouvelles. Il ne s’agit pas, bien entendu, de refonder la cité sur un substrat religieux mais de dégager un consensus, fût-il provisoire et précaire, sur ce qu’il n’est pas possible de faire et de définir un socle de valeurs communes. La loi doit incarner cette forme particulière de transcendance.

M. Henri Emmanuelli. Je suis assez d’accord avec ce point de vue mais à condition de spécifier qu’en aucun cas la recherche ne doit être entravée.

M. Bernard Debré. Il est certes intéressant de se situer sur le plan des principes mais voulons-nous ou non créer des embryons à des fins de recherche, comme le font les Anglais ? Voulons-nous ou non créer des chimères homme-animal ?

M. le président. Outre qu’au fil des auditions la notion de loi-cadre semble de plus en plus s’imposer, je note tout de même que la loi aujourd’hui, même si elle entre dans les détails, se situe déjà un peu dans cette perspective. Je vous remercie, M. Le Coz, pour votre intervention.

Audition de M. Henri ATLAN,
directeur d’études à l’École des Hautes études en sciences sociales,
ancien membre du Comité consultatif national d’éthique



(Procès-verbal de la séance du 25 novembre 2008)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le Président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui M. Henri Atlan, philosophe et biologiste de grande renommée, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales et ancien membre du Comité consultatif national d’éthique de 1983 à 2000. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur les questions de bioéthique, parmi lesquels L’utérus artificiel, en 2005, ou bien encore Des embryons et des hommes, en 2007.

Notre mission d’information souhaiterait vous interroger sur plusieurs points. Selon vous, la loi de bioéthique d’août 2004 -tel est son nom, même si je sais que vous contestez le terme de bioéthique- doit-elle évoluer vers une loi-cadre, sachant qu’il existe aujourd’hui un opérateur institutionnel en matière de bioéthique, l’Agence de la biomédecine ? Dans ce nouveau contexte, le législateur ne devrait-il pas plutôt se concentrer sur les grands principes de bioéthique ?

Quelles modifications seraient, selon vous, nécessaires en matière d’assistance médicale à la procréation ? Faut-il autoriser l’accès à ces techniques aux femmes célibataires et aux couples homosexuels ? Que faut-il entendre par « couple stable », la loi actuelle réservant l’AMP aux « couples hétérosexuels stables » ? Quel est votre avis sur le transfert d’embryon post mortem ?

Faut-il, selon vous, lever l’interdiction des recherches sur l’embryon posée par la loi de 2004, un moratoire de cinq ans ayant toutefois été décidé ?

Enfin, que pensez-vous de la transposition nucléaire inter-espèces ? J’utilise à dessein cette expression-là, car la terminologie revêt ici une extrême importance. Sur ce point, votre éclairage nous paraîtrait particulièrement intéressant.

Avant de vous laisser la parole, j’informe les membres de la mission que Jean-Sébastien Vialatte et moi-même avons remis à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), le rapport d’évaluation de la loi d’août 2004 prévu par cette loi elle-même. Ce rapport comporte des recommandations, mais il fait aussi état d’interrogations. Il est destiné à alimenter les réflexions de l’Assemblée, mais ne constitue pas une proposition de réforme de la loi de 2004. Un autre rapport de l’Office devrait suivre, spécifiquement consacré aux cellules souches. Le Comité consultatif national d’éthique va rendre prochainement son rapport et le Conseil d’État fera de même. L’Agence de la biomédecine a, quant à elle, publié le sien il y a quelques semaines.

Je vous laisse maintenant la parole.

M. Henri Atlan. N’étant pas juriste, il me sera difficile de répondre directement à vos questions sur ce qu’il faut faire. Je ne puis qu’essayer de clarifier autant que possible la terminologie. Le vocabulaire utilisé pour toutes ces questions est en effet souvent impropre, à commencer par le terme même de bioéthique. Cela conduit à d’interminables débats sémantiques quand il conviendrait de débattre de techniques, de procédures et d’actes, et de leurs conséquences éventuelles.

Faut-il une loi-cadre ou une loi du type de celle actuellement en vigueur ? Je suis bien embarrassé pour répondre. Il est désormais évident que les grands principes dans ce domaine sont inopérants et, de manière irréversible semble-t-il, une approche casuistique s’impose, chaque technique et chaque situation devant être examinées au cas par cas. Il arrive ainsi que des techniques très proches soient l’une admise, l’autre non. Ainsi en est-il des thérapies géniques humaines, lesquelles sont traitées différemment selon qu’il s’agit de thérapies touchant aux cellules somatiques ou aux cellules germinales. De même, a-t-on distingué entre le clonage thérapeutique et le clonage reproductif, alors que la première étape de technique est la même. Les lois de 2004 et 1994, ayant été prises avec une conscience aiguë qu’il était très difficile de traiter ces questions à partir de grands principes sur lesquels chacun pourrait s’accorder, il a été décidé qu’elles seraient révisées au bout de cinq ans -délai qui n’a pas été respecté pour la loi de 1994 et ne le sera sans doute pas non plus pour celle de 2004.

Si les techniques d’assistance médicale à la procréation ont permis d’apporter une solution à bien des couples infertiles, leur pratique a soulevé de nouveaux problèmes. Ces techniques elles-mêmes constituent une nouveauté radicale puisque, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la procréation peut être dissociée de la sexualité -macroscopique s’entend, car bien entendu au niveau microscopique, l’alliance de deux gamètes mâle et femelle demeure nécessaire. Si la sexualité sans procréation constitue un trait distinctif de l’espèce humaine, la procréation sans sexualité n’avait jamais été possible auparavant.

La question de qui décide de faire des enfants se pose également de manière nouvelle. Autrefois, les enfants naissaient sans être programmés, dès qu’un couple se formait, et si l’on ne voulait pas d’enfants, mieux valait ne pas constituer un véritable couple. La contraception a permis le contrôle des naissances et la planification familiale, la décision d’avoir ou non un enfant appartenant toujours à la femme en dernier ressort -souvenons-nous du slogan féministe « Un enfant si je veux quand je veux. » – et étant en tout état de cause prise dans l’intimité du couple.

L’assistance médicale à la procréation a bouleversé la donne. En effet, la décision implique désormais l’intervention d’un tiers, à savoir la société par le biais de l’équipe médicale qui met en œuvre les techniques appropriées. Celles-ci étant très coûteuses, la question se pose de savoir qui peut, de fait et de droit, y avoir accès. Les législations diffèrent fortement selon les pays : l’éventail des solutions est très vaste. À un extrême, se situent les États-Unis et le Canada, où la valeur suprême réside dans la liberté de l’individu, auquel revient toujours la décision finale -qu’il soit homme, femme, qu’il vive seul ou en couple, homosexuel ou hétérosexuel. À l’autre extrême, se situe la France où c’est la société qui décide qui a droit aux techniques d’AMP, en l’espèce seuls les couples hétérosexuels stables. Ces deux positions extrêmes présentent chacune des avantages et des inconvénients. La position individualiste nord-américaine respecte le désir de chacun en toute circonstance mais crée une inégalité économique, une sélection par l’argent, puisque chaque bénéficiaire doit supporter le coût financier de l’opération. La position française a le mérite de préserver l’égalité, du moins en théorie, puisque les frais sont pris en charge par la société mais implique ce que certains considèrent comme une intrusion insupportable dans la vie privée des individus.

La question du désir d’enfant se pose elle aussi de façon nouvelle. Comme tout désir, le désir d’enfant peut être aliéné et ainsi que l’a souligné Claire Brisset, ancienne Défenseure des enfants, il peut n’être qu’éphémère. L’assistance médicale à la procréation a changé la nature même de ce désir. Dans la procréation non médicalement assistée, le désir d’enfant est passif : il s’agit de laisser faire la nature en ne s’opposant ni à la conception par une méthode de contraception ni à la grossesse par une IVG. Dans la procréation médicalement assistée, le désir est au contraire actif puisqu’il faut, avec l’intervention de tiers, mettre en œuvre une technique, parfois très sophistiquée. Ce désir parfois se décourage mais peut aussi se renforcer devant les obstacles, surtout posés par la loi, comme l’interdiction faite à telle ou telle catégorie de personnes de recourir à l’AMP. Dans ce contexte, la satisfaction de ce désir est revendiquée comme un droit à l’enfant. Mais quelle est la nature véritable de ce droit à l’enfant ? Il existe des droits n’impliquant aucun devoir en retour de la société, comme celui pour un individu d’aller passer des vacances où bon lui semble pour le prix qu’il veut, et d’autres, comme le droit à l’éducation ou à la santé, dont l’exercice effectif exige une intervention de la société. Ce « droit à l’enfant » me paraît personnellement difficile à défendre.

Grâce aux techniques d’AMP qui multiplient les options possibles de filiation, ce désir d’enfant biologique aboutit paradoxalement à renforcer le rôle de la construction sociale dans l’établissement de la filiation, sur le modèle de l’adoption. Il existe une ambiguïté sémantique dans le terme même de « biologique ». En effet, un « enfant biologique » peut s’entendre comme un enfant naturel, issu du corps, ou au contraire comme un enfant artificiel, conçu grâce à des techniques biologiques. L’enfant biologique est souvent opposé à l’enfant adopté, mais pour satisfaire ce désir d’enfant naturel, il faut recourir à des techniques artificielles. On parlait d’ailleurs autrefois de « procréation artificielle », expression peu à peu remplacée par celle, sans doute moins choquante, « d’assistance médicale à la procréation ». La seule distinction qui existait par le passé était juridique entre enfant légitime, né dans le cadre du mariage, et enfant naturel, né hors du mariage. L’enfant légitime n’en était pas moins naturel mais son statut, attaché au mariage de ses parents, différait de celui de l’enfant dit naturel. Cette distinction a quasiment disparu, remplacée par celle entre enfant biologique et enfant non biologique, au sens d’enfant social sur le modèle de l’enfant adopté. Il est intéressant de noter que la même ambiguïté se retrouve pour l’agriculture dite biologique qui, se voulant naturelle, refuse des techniques biologiques comme celle des organismes génétiquement modifiés.

Tout cela témoigne des incohérences d’une morale naturaliste qui prétend ériger en principe le respect de la nature – de quelle nature parle-t-on d’ailleurs ? – en oubliant toutes les techniques et tous les objets artificiels qui constituent notre environnement depuis si longtemps que nous nous y sommes habitués et qu’ils nous sont devenus « naturels ». On a ainsi oublié qu’il était naturel pour l’espèce humaine de transformer la nature, y compris la sienne propre.

La satisfaction du désir d’enfant biologique à tout prix, conjuguée à l’affaiblissement des structures familiales traditionnelles, multiplie les possibilités de choix de filiation, qui peuvent être éclatés entre de multiples parents -trois, quatre, voire davantage- dont chacun est partiellement parent biologique, partiellement parent social. C’est à ce point qu’intervient la législation, car il appartient à la loi de définir les droits de la famille et les structures familiales auxquelles ils s’appliquent. La législation diffère d’un pays à l’autre -on peut le déplorer dans un monde où la circulation des biens et des personnes s’intensifie -, mais ces différences présentent un avantage. En effet, les nouvelles structures familiales qui se mettent en place constituent autant d’expérimentations sociales en temps réel. Autant on prête attention aux expérimentations biologiques sur l’homme et on s’efforce de les encadrer, autant on néglige les expérimentations sociales, lesquelles ne sont pourtant pas dénuées de danger. Que des sociétés différentes expérimentent des structures familiales différentes peut permettre d’utiles comparaisons. Prenons l’exemple de la gestation pour autrui -pour laquelle, soit dit au passage, se pose aussi un problème de terminologie. On parlait autrefois de mère porteuse ou de mère de substitution, termes à connotation assez péjorative alors que gestation pour autrui renvoie à l’expression d’une solidarité. Là encore, au-delà des mots, il faut analyser les pratiques. Si la gestation pour autrui peut en effet marquer une authentique solidarité, comme dans le cas où une femme porte un enfant pour une sœur qui ne peut en avoir, elle peut aussi conduire à un trafic de location d’utérus ou à des ventes d’enfants. Si l’on souhaite légiférer en ce domaine, ce qui sera probablement nécessaire, il faudra éviter les pièges de la sémantique, se libérer du poids du vocabulaire et ne pas tenter des généralisations hasardeuses.

J’en viens à la question des cellules souches embryonnaires cultivées en laboratoire dans un but de recherche purement scientifique ou thérapeutique, en dehors de tout projet de procréation. Cette question, qui n’est qu’indirectement liée à celle de procréation médicalement assistée, lui est malheureusement trop souvent associée. La confusion est venue de ce que les premières lignées de cellules souches embryonnaires, notamment chez l’animal, ont été obtenues à partir d’embryons avortés ou fabriqués par fécondation in vitro. Transposée à l’espèce humaine, cette technique est apparue comme une instrumentalisation de l’embryon qu’une partie de l’opinion et certains courants religieux considèrent comme une offense à la dignité humaine. La confusion est encore plus profonde : elle tient là aussi à une terminologie ancienne impropre concernant les découvertes actuelles de la biologie, notamment la biologie moléculaire, dite post-génomique ou biologie des systèmes. Mais ce n’est pas là affaire seulement de vocabulaire car les mots véhiculent des représentations. Les progrès de la biologie ont creusé un fossé grandissant entre les représentations traditionnelles de la vie et de la mort et les représentations nouvelles nées des dernières découvertes de laboratoire.

Permettez-moi à cet instant une digression. Une confusion a été entretenue, qui a des conséquences pratiques, par un va-et-vient incessant entre des concepts assez récents de la biologie comme ceux de gène, de cellule ou d’évolution génératrice des espèces animales, y compris de l’espèce humaine, et des notions plus anciennes, traditionnelles, qui ne recouvrent pas toujours les nouvelles, comme celles d’embryon, de conscience, d’humanité, de vie elle-même. Les définitions anciennes ne sont plus pertinentes et les nouvelles sont évolutives. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, on peut aujourd’hui créer des artefacts biologiques. Autrefois, seules la physique et la chimie permettaient de fabriquer des objets artificiels, la physique des machines, la chimie des substances synthétiques, alors que la biologie était surtout une science d’observation. Or, aujourd’hui, les biotechnologies permettent de fabriquer des objets artificiels vivants. C’est l’objet même de ce qu’on appelle la biologie de synthèse. Il existe déjà des animaux transgéniques qui ont été créés à partir du transfert d’un gène d’une espèce dans le génome d’une autre espèce : là encore, la terminologie peut être trompeuse. Certains biologistes, sans doute emportés par l’enthousiasme devant des souris transgéniques synthétisant des protéines humaines parce que leur a été transféré un gène humain, ont à tort parlé de « souris humanisées » comme si le gène transféré portait avec lui je ne sais quelle part d’essence de l’homme alors qu’il n’est qu’un fragment d’ADN, c’est-à-dire un ensemble de molécules. Cela a nourri toutes sortes de fantasmes sur la transgression de la barrière entre espèces, laquelle n’est bien évidemment pas parfaitement étanche, et cela depuis fort longtemps.

Les découvertes les plus récentes de la biologie ont balayé les définitions traditionnelles de l’embryon. Je ne traiterai pas ici de la question, fort ancienne, de savoir à partir de quand un embryon est une personne humaine mais d’une question radicalement nouvelle, qui se pose en amont, et qui est de savoir à partir de quand une cellule ou un groupe de cellules doit être considéré comme un embryon. La réponse était autrefois évidente : il y avait un embryon dès la fécondation, c’est-à-dire dès la fusion d’un ovule et d’un spermatozoïde. Mais aujourd’hui qu’en est-il d’un ovule transformé, sans fécondation, après transfert d’un noyau de cellule adulte ? Il n’y a aucune raison a priori de considérer cet artefact de laboratoire comme un embryon. La naissance de la brebis clonée Dolly ayant apporté la preuve qu’il était possible de faire naître un animal après transformation d’un ovule, sans fécondation, on a appelé embryon l’ovule ainsi transformé. On voyait notamment l’organisme futur contenu tout entier en puissance dans le génome. Or, cette conception se révèle erronée. Il est en effet apparu que tout n’était pas inscrit dans les gènes, contrairement à ce qui nous a si longtemps été dit. Les retombées théoriques du clonage de mammifères, longtemps tenu pour impossible, ne sont pas pour rien dans cette révolution de la biologie qu’on appelle biologie post-génomique ou biologie des systèmes.

Schématiquement, aux XVIIIe et XIXe siècles, deux conceptions des mécanismes du développement embryonnaire s’opposaient : d’une part, le pré-formationnisme, dont les tenants considéraient que l’œuf contenait un organisme adulte en miniature – dans le cas de l’homme, un homunculus – et que son développement se limitait à un accroissement de taille ; d’autre part, l’épigenèse, dont les tenants pensaient que les structures de l’organisme apparaissaient au fil du développement. Personne ne croyait plus depuis déjà longtemps à la théorie de l’« homunculus » quand la biologie moléculaire des années soixante a, durant quelques décennies, suscité un néo-pré-formationnisme. On a en effet alors pensé que le génome était un programme de développement n’ayant qu’à être exécuté, et la notion d’épigenèse a totalement disparu des manuels de biologie -toute une génération d’étudiants n’en a jamais entendu parler ! Or, aujourd’hui, on reconnaît que le programme génétique -à bien distinguer du code génétique qui est, lui, une réalité incontestable- n’existe pas, qu’il ne s’agissait que d’une métaphore, d’intéressante devenue contre-productive. La découverte d’une plasticité cellulaire insoupçonnée dans les mécanismes moléculaires de régulation de l’activité des gènes a révolutionné la vision des choses. On s’est ainsi aperçu que l’organisme contrôlait les gènes au moins autant que les gènes ne le contrôlaient. D’où l’importance désormais donnée à l’épigénétique.

Contrairement à ce qui a été trop souvent affirmé, toutes les possibilités de développement ne se trouvent pas d’emblée dans une cellule initiale : ces possibilités s’ajoutent les unes aux autres au fur et à mesure du développement lui-même. Et une implantation réussie dans un utérus est une condition sine qua non pour qu’on puisse parler d’embryon. Dans le cas d’une fécondation in vitro, les Anglo-saxons parlent d’« embryon pré-implantation » et l’on peut légitimement se demander s’il s’agit d’un embryon. Dans le cas d’un transfert nucléaire, il est évident que l’artefact n’est pas encore un embryon. Avec la juriste Mireille Delmas-Marty, nous avons proposé de le dénommer « pseudo-embryon » bien qu’il puisse, sous certaines conditions, d’implantation utérine notamment, devenir un embryon.

Le gradualisme observé dans l’évolution comme dans le développement conduit à abandonner les définitions essentialistes au profit de définitions évolutives, plus complexes à appréhender. De même que l’essence de l’arbre n’est pas dans le germe et que celui-ci, qui n’est pas un arbre, peut en devenir un, ce qui n’est pas un embryon peut en devenir un et ce qui n’est pas un être humain peut en devenir un. Dans un avenir proche, ces conceptions deviendront plus évidentes. En effet, des chercheurs américains et japonais ont réussi, en activant certains gènes, à dé-différencier des cellules de peau humaine, c’est-à-dire à les faire revenir à un stade antérieur de leur développement et à les transformer en cellules souches pluripotentes, aux propriétés semblables à celles des cellules souches embryonnaires. Cette découverte a été perçue comme une panacée pour le futur puisqu’elle dispenserait pour obtenir des cellules souches d’utiliser des embryons et même des « pseudo-embryons », de quelque nature que ce soit. Mais la situation risque de se compliquer si on parvient demain à dé-différencier encore davantage ces cellules adultes pour les transformer non plus en cellules pluripotentes mais totipotentes, c’est-à-dire susceptibles de produire des organismes entiers et de se développer effectivement comme si elles étaient des embryons. Ce serait la réalisation chez les mammifères d’un processus qui existe déjà chez les végétaux : le bouturage. Mais dès lors, cela signifiera-t-il que n’importe quelle cellule adulte, de peau par exemple, devra être considérée comme un embryon puisqu’elle pourrait se comporter comme tel ? La même question se poserait dans le futur si les recherches permettaient de faire naître des mammifères par parthénogenèse, c’est-à-dire par stimulation adéquate d’un ovule, sans fécondation ni même transfert nucléaire. Dans ce cas, un ovule non fécondé devrait-il être considéré lui aussi comme un embryon ?

J’en viens au transfert nucléaire inter-espèces, qui a suscité un nouveau débat. Le transfert d’un noyau de cellule adulte humaine dans un ovule énucléé de lapine constitue une voie nouvelle pour fabriquer des cellules souches embryonnaires, explorée pour la première fois il y a quelques années par une chercheuse chinoise que j’ai rencontrée à Shanghaï, et récemment autorisée en Grande-Bretagne, malgré l’opposition d’une partie de l’opinion qui dénonce la fabrication de chimères ou d’embryons hybrides, comme on les appelle, hélas, à tort. Cette terminologie malheureuse, dont les biologistes sont en large partie responsables, nourrit un faux débat : il ne s’agit en effet ni d’embryons, car il n’y a aucune chance que des organismes entiers se développent à partir de ces cellules doublement artificielles, ni de chimères, car celles-ci sont des organismes dont toutes les cellules ne possèdent pas les mêmes gènes. Il existe différentes catégories de chimères, naturelles et artificielles. Des chimères spectaculaires ont été fabriquées il y a plus de trente ans en fusionnant des embryons, l’un de mouton, l’autre de chèvre, et en les laissant se développer jusqu’à donner un animal mi-chèvre mi-mouton. Après cette expérience menée à son terme, la possibilité de fabriquer des chimères homme-chimpanzé a été immédiatement envisagée, ce qu’a expressément interdit la loi de 1994. Or, ce n’est pas du tout de cela qu’il s’agit avec les artefacts créés par transfert cellulaire. Les cellules souches ainsi produites possèdent les propriétés génétiques des cellules humaines d’où a été prélevé le noyau avec son génome. Quant à l’ADN des mitochondries du cytoplasme animal, il est probable qu’il sera possible de le faire disparaître et de le remplacer par celui de mitochondries humaines prélevées en même temps que le noyau. Parler de transgression de la barrière inter-espèces est abusif car il n’y en a pas là davantage que lors de l’utilisation d’une prothèse animale.

Je conclurai cet exposé en insistant sur l’importance d’une terminologie adéquate et rigoureuse pour parler de ces réalités nouvelles. Cela relève en premier lieu de la responsabilité des chercheurs eux-mêmes. La chercheuse chinoise qui a, la première, publié sur le sujet ne s’est jamais permis d’appeler ces constructions cellulaires autrement qu’« unités de transfert nucléaire inter-spécifiques ». Les chercheurs anglais ont, hélas, voulu employer une expression plus courte, plus facilement traduisible, et parlé d’« embryons hybrides », ou pis, d’« embryons chimériques mi-animal mi-humain ». Mais la terminologie utilisée relève aussi de la responsabilité des médias qui en reprenant tel ou tel terme, lui donnent de l’écho. De ce seul fait, ils orientent le débat public vers un débat sémantique plutôt que sur le fond. Puisque cette audition est ouverte à la presse, j’en appelle à la rigueur et à la responsabilité des journalistes, vu l’importance de leur rôle critique dans la transmission des informations au public non spécialiste.

M. le président. Je vous remercie de cet exposé et, pour ouvrir le débat, donne la parole à notre rapporteur.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Vous vous êtes livré, Monsieur Atlan, à un exercice rigoureux de sémantique. Les mots disent en effet davantage qu’il n’y paraît. Ils masquent parfois l’intention réelle de ceux qui les prononcent et peuvent servir à dissimuler une transgression des valeurs fondamentales. Ainsi un sigle comme GPA – gestation pour autrui – peut recouvrir bien de fausses solidarités…

La bien mal nommée « bioéthique » est-elle une réflexion de l’homme sur les techniques qu’il est capable de développer au regard de valeurs universelles et destinée à les contrôler ? Bien que vous ayez, par prudence ou par modestie, souligné que vous n’étiez pas législateur…

M. Henri Atlan. C’est un fait !

M. le rapporteur. ... et dit n’être pas un farouche partisan d’une loi-cadre, vous avez cependant fait référence dans votre propos à certaines valeurs. Vous avez parlé d’instrumentalisation de l’embryon, c’est-à-dire de chosification de la potentialité humaine. Lorsque vous dénoncez le « droit à l’enfant » et l’opposez au désir d’enfant naturel, au-delà de la sémantique, vous dénoncez bien une instrumentalisation de l’enfant, qui de sujet devient objet. Vous nous avez démontré de remarquable manière que le déterminisme total n’existe pas et que tout n’est pas écrit d’avance dans nos gènes non seulement parce que notre environnement peut interagir avec notre génétique, mais aussi parce que l’homme est un être social qui ne vit et ne se construit que par les autres. Dès lors, il faut, au-delà de la potentialité, prendre en compte l’intentionnalité. Si en transférant le noyau d’une cellule adulte humaine dans un ovule animal, on obtient une cellule pluripotente, on ne crée pas pour autant un embryon car d’une part, même une implantation utérine ne conduirait pas au développement d’un organisme viable, d’autre part telle n’est pas l’intention. En revanche, si l’on utilise la même technique pour essayer de cloner un individu à partir de cellules adultes, par quelque moyen que ce soit, l’intention est bien de cloner un homme, technique absolument condamnable car l’être humain y devient pur objet.

Au nom de quoi interdire telle ou telle pratique si on ne définit pas au préalable des valeurs communes ? Pourquoi n’est-il pas illégitime de dé-différencier une cellule adulte pour la rendre pluripotente alors que transférer un noyau de cellule adulte dans un ovule avec la même intention transgresserait les valeurs éthiques que nous défendons ? Dans ce non-dit, où s’entremêlent nos valeurs, qu’elles se fondent sur des convictions religieuses ou sur un humanisme laïc, et qui sont en tout cas le produit de notre société, de notre histoire et de notre culture, au nom de quoi telle technique nous paraît dans certains cas légitime parce qu’elle fait progresser la science et qu’elle n’est pas mise en œuvre dans l’intention d’instrumentaliser l’individu ni de réifier l’humain et dans d’autres, condamnable car elle transgresse des valeurs fondamentales ? Même si cette réflexion globale est assurément plus difficile que de décider au cas par cas ce qui est permis et interdit, ce qui doit être encadré et ce qui peut ne pas l’être, il faut bien à un moment dire au nom de quelles valeurs, au-delà de nos convictions politiques, au-delà de notre foi ou de notre agnosticisme, on interdit, on autorise, on encadre. Quels que soient les termes utilisés pour désigner les expérimentations, il faut bien expliciter sur quoi se fondent nos choix.

Opposant l’individualisme nord-américain à l’esprit collectif qui imprègne encore la législation française, vous avez dû distinguer le droit-liberté – j’ai le droit de satisfaire comme je l’entends mon désir individuel – du droit-créance – je demande à la société qu’elle me permette de le satisfaire. Ne pensez-vous pas qu’il faudrait, plutôt que de répondre au cas par cas aux situations qui se présenteront, lesquelles iront se multipliant dans une complexité croissante du fait de l’évolution des techniques, préalablement définir un certain nombre de valeurs communes, en un mot dire quelle société nous voulons ?

M. Bernard Debré. Les mots ont d’autant plus de force qu’ils prêtent à contresens. D’où toutes les ambiguïtés relevées. Le désir a-t-il vocation à être traduit dans une loi et d’ailleurs peut-il l’être ? La question vaut pour le désir d’enfant comme pour le désir de mort.

Tout n’est pas inscrit dans le génome, avez-vous dit, Monsieur Atlan. Certes, et si le rôle de l’épigénétique est de mieux en mieux connu, il n’empêche que certaines malformations ou maladies sont inscrites dans les gènes et qu’on sait parfaitement identifier les gènes mutés qui induisent la mucoviscidose, ou les gènes BCRA1 et BCRA2 qui prédisposent très fortement à développer un cancer du sein. Dans ces conditions, la conséquence, inévitable, de l’assistance médicale à la procréation est l’eugénisme, que les équipes médicales pratiquent déjà. Ainsi un couple qui avait eu trois enfants atteints de leucodystrophie a demandé qu’on vérifie dans le génome de l’embryon de son quatrième enfant que ne figurait pas le gène muté donnant cette maladie, et il est en effet techniquement possible de voir si l’enfant à naître sera ou non atteint de leucodystrophie. De même, des couples dans la famille desquels existent plusieurs cas de maladie d’Alzheimer précoce, dont on sait le caractère génétique, ont souhaité être sûrs que l’embryon de leur futur enfant n’était pas porteur du gène muté en question, et on a accédé à leur demande. Si l’expression du génome est fortement modulée par l’épigénétique, il n’en reste pas moins qu’y sont détectables de manière certaine quantité de caractéristiques.

En Argentine, des vaches ont d’ores et déjà reçu un gène humain leur permettant de sécréter dans leur lait un précurseur de l’insuline utilisable pour traiter le diabète chez l’homme. On peut imaginer que d’autres animaux ou d’autres plantes puissent ainsi recevoir des gènes leur permettant de fabriquer des produits ou sous-produits humains, techniques qui ne me choquent d’ailleurs pas outre mesure. Peut-on parler d’« humanisation » des animaux ou plantes concernés ? Non bien sûr, il n’empêche qu’il s’agit de substances normalement produites par l’homme qui le seront désormais par des animaux ou des plantes, et que cela peut poser des problèmes éthiques, notamment si le gène transféré l’est dans les cellules germinales.

M. Jean-Sébastien Vialatte. J’aimerais connaître, Monsieur Atlan, votre sentiment sur la légitimité des Parlements à encadrer les recherches scientifiques. N’est-ce pas porter atteinte à la liberté des chercheurs et les législateurs ne seront-ils pas de toute façon toujours en retard par rapport à la science qui progresse de plus en plus vite ?

Vous avez qualifié de « pré-embryon » l’ensemble de cellules embryonnaires tant qu’il n’est pas implanté et parlé d’« artefacts » dans le cas de transposition nucléaire inter-espèces. Il est d’ores et déjà possible de commencer à faire se développer ces « pré-embryons » et ces « artefacts », et nul doute que la science permettra d’aller de plus en plus loin dans leur développement. À quel stade faudra-t-il s’arrêter pour que cela demeure acceptable sur le plan éthique ?

M. Serge Blisko. Beaucoup de questions ont déjà été posées par MM. Debré et Vialatte, que je partage et sur lesquelles je ne reviens pas. Je m’interroge, pour ma part, sur l’universalité des valeurs dites universelles. Il me semble qu’il existe un fonds commun de valeurs sur lesquelles nous nous fondons pour interdire par exemple l’eugénisme et le meurtre. Pourrait-on en traiter de nouveau, de manière accessible à tous, au moment où les progrès de la biologie nous permettent de franchir certaines frontières ? Peut-on fixer des limites aux progrès scientifiques et médicaux ? Est-il totalement utopique de songer à préserver la pleine liberté des chercheurs et de faire appel à leur sens de la responsabilité ? La même question s’était posée après le lancement de la première bombe atomique.

L’assistance médicale à la procréation représente un formidable progrès pour les familles en « panne d’enfant » mais aussi pour celles où sévissent de très lourdes maladies génétiques, que le diagnostic pré-implantatoire permet d’éviter à leur descendance. Aujourd’hui, sur 800 000 enfants chaque année dans notre pays, quelque 10 000 naissent après AMP. Certes, toutes les techniques n’ont pas le même coût -l’insémination artificielle à partir d’un donneur anonyme de sperme n’est pas coûteuse-, mais dans l’ensemble elles coûtent très cher à la société. On a donc posé des limites pour des motifs prétendument médicaux -ainsi les AMP ne sont-elles plus prises en charge par la Sécurité sociale pour les femmes au-delà de 42 ans, au motif que les chances de succès seraient très faibles-, alors qu’ils ne sont qu’économiques. Cet eugénisme économique me choque quelque peu. Pourrait-on engager dans notre pays un débat, qui n’y est pas toujours bien vu, sur la question de l’« enfant à tout prix », dans toutes les acceptions du terme ?

M. Henri Atlan. Il est des situations où il est indispensable que le législateur intervienne. Mais il n’a ni à encadrer la recherche ni à orienter les programmes en fonction de leurs applications potentielles, celles-ci étant de toute façon quasiment impossibles à prévoir. Autant laisser les chercheurs conduire librement leurs recherches pour ne se pencher qu’ensuite sur leurs retombées, étant entendu qu’il faut les interdire si elles sont nuisibles et les encourager si elles sont bénéfiques. La recherche appliquée doit elle aussi, à mon avis, être libre. Il s’agit simplement d’apprécier l’application de certaines techniques.

M. le président. Pour être concret, interdire les recherches sur les cellules souches embryonnaires et décréter un moratoire ne relève pas pour vous du rôle du législateur ?

M. Henri Atlan. En effet, car une telle décision est trop générale. Et nous en venons là à la question des valeurs universelles. En-dehors de celles énumérées dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, j’avoue avoir du mal à dire concrètement ce que l’on pourrait tenir pour des valeurs universelles. Chaque philosophie et chaque religion se fonde sur un corpus de valeurs qu’elle tient pour universelles, dans tous les cas avec d’excellentes raisons. Le problème est que ce corpus varie selon les philosophies et les religions. Autrement dit, il ne s’agit que d’universels singuliers -si je puis me permettre cet oxymore. Les valeurs défendues en l’espèce par chacun ont vocation à l’universalité, mais concrètement, elles ne sont pas universelles. Pour parvenir à une éthique universelle concrète, il faudrait précisément tenir compte de toutes les conceptions du monde à la fois et les faire progresser peu à peu en espérant qu’elles se rapprochent.

Pour avoir été longtemps membre du Comité consultatif national d’éthique, j’ai observé que lorsque nous étions interrogés sur telle ou telle technique, dans la plupart des cas nous tombions très rapidement d’accord sur la nécessité de l’autoriser, de l’interdire ou de l’encadrer, et qu’il était beaucoup plus facile de nous accorder sur une conclusion que sur les raisons qui nous y avaient amenés. Mieux valait ne pas demander pourquoi nous étions tombés d’accord !

M. le rapporteur. Comment pouvez-vous imaginer qu’on arrive à prendre position sur des cas concrets sans se fonder sur des valeurs universelles ?

M. Henri Atlan. Chacun se fonde sur des valeurs différentes, qu’il tient pour universelles. Le nombre de solutions possibles à un problème donné est en général limité -oui, non ou oui sous certaines conditions- alors que le nombre de visions du monde, de conceptions philosophiques et religieuses est beaucoup plus grand. Il n’est donc pas étonnant que des conceptions différentes, voire totalement opposées, aboutissent néanmoins à des conclusions identiques. C’est ce que l’on constate dans les réunions des comités d’éthique. Penser qu’on va préalablement définir des valeurs universelles d’où découleront naturellement les décisions à prendre, c’est aller à coup sûr à l’échec. Il faut au contraire laisser ouvert au maximum le champ des conceptions possibles du monde, ce qui n’empêche en rien de parvenir à un accord. Je ne dis pas qu’il ne faut pas définir de principes, je mets simplement en garde contre le caractère potentiellement contre-productif d’une telle façon de procéder.

M. Michel Vaxès. Contrairement à vous, Monsieur Atlan, je ne pense pas qu’il soit très difficile de définir des valeurs universelles.

M. Henri Atlan. Ce n’est pas ce que j’ai dit. Je puis facilement définir des valeurs universelles. Je sais simplement qu’elles ne sont pas vraiment universelles dans la mesure où un très grand nombre de personnes ne les partage pas.

M. Michel Vaxès. Pour moi, la dignité de la personne humaine est une valeur universelle. La dignité n’a pas de prix et la personne humaine se distingue de la marchandise précisément en ce qu’elle n’a pas de prix et ne peut s’échanger. Il faut donc prendre en compte le double critère de l’intentionnalité et du respect de la dignité.

M. Bernard Debré. Il est très difficile de définir la dignité. Quelle est celle d’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer ? Ne dépend-elle pas du regard que nous portons sur elle ?

M. Michel Vaxès. Je parle de la dignité inhérente à la personne humaine et une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer, quel que soit son état, est aussi digne que toute autre. Et cette dignité-là me paraît bien une valeur universelle.

M. Henri Atlan. La dignité de la personne humaine apparaît en effet comme la valeur de référence pour toutes les questions d’éthique biomédicale. Le problème est que nul n’est capable de la définir. Pic de la Mirandole déjà écrivait un Discours sur la dignité humaine. L’UNESCO a récemment organisé un colloque sur ce thème -dont les actes ont été publiés dans un numéro spécial de la revue Diogène, introduit par Claude Lévi-Strauss. Il y a été mis en évidence que le concept n’était pas aussi clair qu’il pouvait y paraître. Les mots mêmes de « dignité » et de « personne humaine » sont extrêmement difficiles à traduire dans certaines langues non-occidentales. Cela ne signifie pas que ces notions n’existent pas dans la culture chinoise ou japonaise, mais elles n’y recouvrent pas exactement la même chose que chez nous. La personne humaine est au départ une notion juridique romaine qui a permis de distinguer entre les citoyens, les esclaves qui avaient un statut intermédiaire, les animaux et les choses. Cette notion, qui a elle-même évolué, est loin d’être universelle, comme en atteste la difficulté de traduire le mot en chinois ou en japonais. J’ai souvenir de débats que nous avons eus, Mireille Delmas-Marty et moi, avec des chercheurs et des philosophes chinois sur les questions éthiques soulevées par le clonage reproductif humain. Nous nous y sommes d’emblée heurtés à cette question de la personne. Il nous était très difficile de comprendre ce que les Chinois entendaient par « personne humaine ». Quant à nos interlocuteurs, ils projetaient sur ce qu’ils croyaient avoir compris de l’anglais « human person » des catégories qu’ils pensaient émaner de religions monothéistes et considéraient, à juste titre, qu’elles ne valaient pas pour eux, qui n’étaient pas monothéistes. Ils furent très surpris d’apprendre que la notion de personne humaine valait dans un cadre beaucoup plus large que celui des religions monothéistes. Il est donc très difficile de prétendre que la notion de dignité de la personne humaine, telle que nous la concevons vous et moi, est universelle. La difficulté est encore plus grande quand il s’agit de la faire s’incarner concrètement.

Un mot sur l’eugénisme évoqué par Bernard Debré. Je crois, pour ma part, à un déterminisme absolu, mais celui-ci n’est pas génétique. Il existe, d’une part, un déterminisme biologique non exclusivement génétique, d’autre part, des déterminismes sociaux et culturels. Et c’est parce que nous ignorons, heureusement sans doute, les causes et mécanismes de ces différents déterminismes que nous pensons agir librement. Il existe bien entendu un certain déterminisme génétique. Mais les maladies génétiques monogéniques, c’est-à-dire dont il est possible d’affirmer en toute certitude qu’elles résultent de la mutation d’un gène donné et que la présence de cette mutation conduit dans tous les cas à la maladie, sont assez rares. On pense bien sûr à la mucoviscidose et à la chorée de Huntington, mais il est rare que cela soit aussi simple. Pour la plupart des pathologies, il ne suffit pas de posséder le gène muté pour développer la maladie et à l’inverse, celle-ci peut apparaître même en l’absence du gène muté. Ainsi la maladie de Creutzfeld-Jacob est-elle une maladie multifactorielle, génétique, infectieuse avec les prions et dégénérative. Je comprends qu’on se pose la question de savoir s’il faut laisser naître des enfants ayant une probabilité très élevée de développer des maladies aussi graves que la mucoviscidose ou la chorée de Huntington mais je considère personnellement qu’il ne s’agit pas là d’eugénisme. L’eugénisme est une politique collective de sélection de populations entières, pas seulement d’individus. Au début du 20ème siècle, tous les généticiens étaient eugénistes, leur objectif étant d’améliorer ce qu’ils appelaient la "race humaine".

M. Bernard Debré. Platon déjà en avait parlé…

M. Henri Atlan. Ces généticiens pensaient disposer du moyen d’améliorer l’espèce humaine, auquel Platon avait en effet songé bien avant eux. Certains, notamment ceux qui se sont mis au service du pouvoir nazi, ont essayé de mettre en pratique cette idéologie mais la génétique sur laquelle ils s’appuyaient était erronée et les techniques qu’ils utilisaient des plus rudimentaires. En revanche, dans le diagnostic pré-implantatoire tel qu’actuellement pratiqué, le recours à la génétique est efficace, mais dans un nombre limité de cas bien précis de maladies monogéniques. Il n’y a aucune raison d’appeler eugénisme cette médecine préventive même si elle a recours à des techniques génétiques.

M. Bernard Debré. Je suis favorable à ces techniques qui relèvent en effet de la prévention. Mais qu’on le veuille ou non, il s’agit bien d’eugénisme individuel. La loi doit expressément disposer qu’elle n’intervient pas en ce cas. Car dire à une mère que l’enfant futur malformé ou gravement malade qu’elle porte sera à sa charge parce qu’elle savait que tel était le cas et qu’elle a décidé en toute connaissance de cause de le garder, ce serait du fascisme. Elle doit décider librement de ce qu’elle fera, étant entendu que la société doit l’aider si elle choisir de garder cet enfant.

M. Henri Atlan. Ce qui me semble source de confusion est d’invoquer le spectre de l’eugénisme pour parvenir à cette conclusion, sur laquelle nous sommes d’accord.

M. Serge Blisko. Le législateur vote le budget de la nation. Sachant que tout ne peut être financé, nous devons en débattre ouvertement, sauf à accepter le principe d’une sélection par l’argent, d’ailleurs hélas déjà à l’œuvre, ceux qui en ont les moyens financiers pouvant accéder à des techniques que d’autres ne peuvent se payer. Aussi désagréable cela soit-il d’aborder ces questions, il ne faut pas les occulter, car toutes ces techniques sont extrêmement coûteuses, et que si nous n’intervenons pas, elles seront de fait réservées aux plus fortunés.

M. Bernard Debré. Il ne faut pas sous-estimer le risque que, si nous interdisons une pratique dans notre pays, ceux qui veulent absolument y avoir recours -et en ont les moyens - aillent à l’étranger.

M. Henri Atlan. Nous n’avons pas repris le terme de « pré-embryon » utilisé par les chercheurs anglo-saxons pour désigner l’embryon avant le quatorzième jour – seuil d’ailleurs discutable. Nous disons, nous, que lorsqu’il s’agit d’artefacts de laboratoire, il n’y a aucune raison de parler d’embryon, et, partant, de redouter une instrumentalisation, puisque tant que cet ensemble de cellules n’est pas implanté dans un utérus, il n’a aucune chance de donner un bébé -à moins que ne soit un jour mis au point un utérus artificiel, ce dont on est loin ! L’idée qui a longtemps prévalu selon laquelle cet ensemble de cellules était une « personne potentielle » ou une « potentialité de personne » – la différence entre les deux était subtile ! – était née de l’illusion du tout-génétique à une époque où on pensait que tout était écrit dans le génome et que le programme génétique n’avait plus qu’à être exécuté. Or, on sait désormais que tel n’est pas le cas. Il n’y a donc aucune raison de donner le nom d’embryon à ces artefacts de laboratoire tant qu’ils ne sont pas implantés dans un utérus.

M. Bernard Debré. Des expérimentations d’implantation de « pré-embryons » dans des utérus animaux ont actuellement lieu.

M. Henri Atlan. Mais cela ne marche pas.

M. Bernard Debré. Ce qui ne marche pas aujourd’hui peut marcher demain !

M. Henri Atlan. En effet. Si on est en passe un jour d’implanter un tel artefact dans un utérus avec une chance avérée qu’il devienne un embryon, alors la question se posera de savoir si cela doit ou non être autorisé. Mais tant qu’on n’en est pas là, elle ne se pose pas. Les Anglais qui ont autorisé le transfert nucléaire inter-spécifique ont exigé la destruction de ces matériaux de recherche avant le quatorzième jour et interdit toute implantation utérine.

M. le rapporteur. S’il n’y a d’embryon qu’à partir du moment où une implantation utérine est réussie, qu’en est-il d’un ovule de femme fécondé par un spermatozoïde d’homme dans les conditions normales d’un rapport sexuel, qui ne s’implante pas dans l’utérus ?

M. Henri Atlan. C’est un embryon avorté.

M. le rapporteur. Vous parlez quand même d’embryon. Ce n’est donc pas l’implantation utérine qui est déterminante dans la caractérisation d’un embryon.

M. Henri Atlan. Vous évoquez le cas d’une fécondation naturelle et vous vous placez dans le cadre ancien de réflexion où la question de la définition même de l’embryon ne se posait pas. Vous faites référence à des notions essentialistes…

M. le rapporteur. Non. Je demande seulement comment s’appelle un ovule fécondé qui ne s’implante pas.

M. Henri Atlan. Un embryon avorté, je l’ai dit. Mais dans le cas d’artefacts de laboratoire, ce n’est pas un embryon. Il faut accepter le principe de définitions évolutives. Quelque chose qui n’est pas un embryon peut, sous certaines conditions, en devenir un, mais tant que ces conditions ne sont pas réunies, il n’en est pas un.

M. le rapporteur. Un artefact de laboratoire ne pouvant selon vous être désigné comme embryon qu’à partir du moment où il serait implanté avec succès dans un utérus, je voulais simplement savoir si un ovule fécondé ne s’implantant pas était ou non un embryon.

M. Henri Atlan. C’est un embryon. Mais sous le même nom, on peut désigner deux choses différentes.

M. le rapporteur. Le produit d’un artefact ne s’appelle un embryon que s’il est implanté dans un utérus alors que le produit d’une fécondation naturelle non implanté s’appelle quand même embryon ?

M. Henri Atlan. Des objets différents peuvent avoir le même devenir.

M. Bernard Debré. Votre définition, Monsieur Atlan, met mal à l’aise face à l’avortement par RU 486 par exemple.

M. Henri Atlan. Je cherche à ce qu’on se défasse des définitions essentialistes. La question de savoir ce qu’est un embryon n’est plus pertinente du fait qu’il est désormais possible de fabriquer sans fécondation des artefacts qui pourraient se développer jusqu’à donner des bébés. Appellera-t-on embryon un ovule le jour, pas si lointain, où la parthénogenèse sera possible ?

M. le rapporteur. Si un ovule peut à lui seul donner à terme un bébé, nécessairement fille d’ailleurs, il me semble qu’avant cette fille, avant cette personne humaine, il y a bien eu à un certain stade un embryon…

M. Henri Atlan. N’importe quel ovule devrait donc être qualifié d’embryon ?

M. Bernard Debré. Non, n’importe quel ovule ayant subi la stimulation, mécanique ou chimique, adéquate pour enclencher un développement cellulaire.

M. le président. Il me reste à remercier Henri Atlan. Nous aurons à coup sûr à revenir sur toutes ces questions, dont nous n’avions pas eu l’occasion de débattre en 2004.

Audition des représentants de la Grande Loge de France, de la Grande Loge Nationale Française, de la Grande Loge Féminine de France et du Grand Orient de France


(Procès-verbal de la séance du 9 décembre 2008)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président. Pour cette première table ronde, nous avons le plaisir d’accueillir plusieurs représentants de la franc-maçonnerie : M. Gilbert Schulsinger, Grand Maître honoris causa de la Grande Loge de France ; le docteur Serge Ajzenfisz, président du groupe de réflexion éthique de la Grande Loge de France ; M. Christian Hervé, représentant de la Grande Loge Nationale Française, professeur, directeur du laboratoire d’éthique médicale de la faculté de médecine Paris V ; Mme Françoise Grux, Grande Maîtresse adjointe, et Mme Marie-Anne Mevel de la Grande Loge féminine de France ; M. Jean-Pierre Foucault, président de la commission de bioéthique et de la santé publique du Grand Orient de France.

La loi de 2004 devrait être révisée en 2010. Plusieurs structures ont rendu leur rapport et fait connaître leur évaluation de cette loi : le Comité national d’éthique ; l’Agence de la biomédecine ; l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques. Ce sera bientôt le tour du Conseil d’État.

Lorsque le projet de loi sera déposé à l’Assemblée nationale, cette mission d’information se transformera en commission spéciale. Au premier semestre 2009, auront lieu les États généraux de la bioéthique. Leur comité de pilotage composé de six membres, dont trois parlementaires, s’est réuni hier sous la présidence de M. Jean Leonetti. Nous pourrons vous présenter début janvier le dispositif et vous indiquer comment il s’articulera avec le travail parlementaire.

Je vous propose, mesdames et messieurs, de nous présenter ce qui, selon vos obédiences respectives, mérite d’être changé dans la loi de 2004, et sur quoi le législateur devrait revenir en 2010. Toute contribution écrite de votre part sera la bienvenue, si vous souhaitez compléter votre intervention.

M. Gilbert Schulsinger, Grand Maître honoris causa de la Grande Loge de France. Il y a cinquante-cinq ans que l’on a découvert la structure de l’ADN. Depuis, les progrès scientifiques et techniques ont été considérables. Nous sommes aujourd’hui très loin des débats sur la pilule contraceptive ou l’interruption volontaire de grossesse légalisée par Mme Veil. Les problèmes d’aujourd’hui étaient inimaginables il y a quelques années et les progrès vont plus vite que notre réflexion. C’est pourquoi il est si difficile de légiférer sur la bioéthique ; cela exige, paradoxalement, de faire preuve à la fois d’audace et de prudence, et l’on ne saurait faire de lois parfaites. Peut-être n’avons-nous pas suffisamment anticipé les conséquences de ces progrès scientifiques et devrions-nous déjà nous interroger sur l’avenir proche – je pense notamment à l’ingénierie génétique, aux nanobiotechnologies et aux neurosciences. L’enjeu sera, vraisemblablement, de défendre la liberté de l’individu et peut-être même de prévenir certaines formes d’asservissement. Mesdames et messieurs les députés, vous êtes les premiers concernés par ces règles de la République que vous devez défendre. Nous, les Francs-Maçons de la Grande Loge de France comme des autres obédiences, sommes également épris de la liberté de l’individu et, surtout, soucieux de ne pas accepter l’asservissement subreptice que pourraient permettre les recherches sur les neurosciences – vous savez déjà ce que l’on peut faire avec les puces à ADN.

M. Serge Ajzenfisz, président du groupe de réflexion éthique de la Grande Loge de France. La perspective de la révision de la loi met en lumière deux sortes d’enjeux assez contrastés. D’abord il s’agit d’encadrer le progrès scientifique et technique – par exemple la recherche sur les cellules souches. La recherche fondamentale doit se développer en liberté, sans être morale par nature, et nous ne pouvons pas nous défausser sur les savants de ce qui est devenu notre responsabilité collective de citoyens « éclairés ». Ensuite, c’est de l’équilibre du fonctionnement et de l’évolution de la société dans son ensemble qu’il s’agit. Les sujets concernés sont complexes, difficiles à encadrer, et relèvent de valeurs morales controversées. Enfin et surtout, il s’agit de régler des contradictions : ici la méthode et le dialogue, dont la franc-maçonnerie a une longue expérience, peuvent nous aider. Notre tradition initiatique s’inscrit dans un humanisme tolérant qui a pour but l’amélioration et l’émancipation pacifique de l’humanité. Elle associe l’exercice de la rationalité intellectuelle à la pratique d’une spiritualité ouverte et non dogmatique.

S’agissant de la recherche scientifique et médicale, notre légitimité à intervenir dans le débat nous semble assez grande. La liberté de la recherche est indissociable du principe de responsabilité dont nous nous réclamons. Notre démarche n’étant pas dogmatique, elle se fonde sur l’adoption de principes de discernement, pour évoluer vers une science responsable.

La révision de la loi devrait permettre d’approfondir des questions essentielles, comme la non marchandisation du vivant, le principe de l’inviolabilité du corps humain et le niveau de dissociation entre sexualité et reproduction.

Sans doute faudrait-t-il également que la loi apparaisse moins comme un catalogue d’interdictions a priori, assorti d’éventuelles dérogations. La construction de projets globaux, y compris un dispositif d’encadrement, fondés sur le dialogue entre la communauté scientifique et des représentants de la société civile, constituera, à cet égard, un réel progrès.

Le contexte international doit aussi constituer un sujet de réflexion dans un univers d’enjeux économiques et financiers considérables.

S’agissant des questions à dominante sociétale - comme le « droit à l’enfant », la pluri-parentalité, notamment homosexuelle, la gestation pour autrui, l’utilisation des tests génétiques, les risques d’eugénisme - le sujet est beaucoup plus complexe et appelle à l’évidence une grande prudence.

Dans le cadre de notre groupe de réflexion éthique sur la révision de la loi de 2004, nous nous sommes appuyés sur les résultats d’un questionnaire adressé à nos frères, dont ressort un certain nombre de conclusions.

Sur le don d’organes, la loi de bioéthique traduit des choix essentiels qui, en France, dans un esprit de fraternité ou de solidarité, se concrétisent à ce jour, à travers trois grands principes : le consentement, la gratuité, l’anonymat. Nous sommes pour le maintien de ces trois principes, même si le problème de « l’indemnisation » des dons de gamètes, en particulier des ovocytes, sera certainement à examiner de plus près.

Nous sommes clairement contre l’idée de brevetabilité des éléments du corps humain.

Nous sommes peu favorables à l’assistance médicale à la procréation pour les couples homosexuels. Nous sommes dans l’ensemble très réservés quant à la légalisation des maternités de substitution, car elle poserait inévitablement le problème d’une « indemnisation » de la mère porteuse, voire d’une marchandisation du corps humain. Il faudrait dans ces cas un contrat « éthique » et non marchand. Enfin, l’interdiction du transfert posthume reste un problème non résolu, mais il devrait être possible d’envisager sa levée.

À l’occasion de la loi de 2004, une interdiction formelle avait été prononcée en France s’agissant de la recherche sur l’embryon, en particulier au regard des possibilités de clonage. La question reste en débat et le moratoire va jusqu’en 2011. Nous n’avons pas d’objections de principe concernant la recherche sur l’embryon surnuméraire sans projet parental, avec un encadrement très strict pour éviter les dérives. Reste la question de la création d’embryons pour la recherche. Nous y sommes favorables dans les mêmes conditions. La recherche sur les cellules souches embryonnaires devrait pouvoir se faire, là encore, avec le même cadre. Sur les cellules souches adultes, il n’y a pas de problème ; c’est de la recherche classique.

Le colloque du 2 octobre 2007 organisé par l’Agence de la biomédecine, le Conseil de l’Europe et le ministère de la santé sur les tests génétiques en accès libre a mis en lumière le risque que crée la possibilité de trouver sur Internet, sans aucun contrôle, toutes sortes de tests accessibles, pour un coût variable, sans possibilité de vérifier la façon dont l’information est délivrée et surtout expliquée, voire accompagnée. Il faudrait envisager une législation internationale, mais ce sera difficile à réaliser.

Le sujet des neurosciences, ainsi que celui des nanotechnologies, a déjà été évoqué ; je n’y reviens pas.

En conclusion, le groupe de réflexion éthique de la Grande Loge de France souhaite que la future loi reste révisable régulièrement, sur la base de l’évaluation des avancées scientifiques, et que le débat citoyen soit poursuivi et renforcé. Néanmoins, la révision quinquennale ne nous semble plus obligatoire si une loi-cadre est clairement mise en place. Nous attendons beaucoup des États généraux de la bioéthique, auxquels nous espérons participer. Enfin, il faudra peut-être modifier le rôle du Comité consultatif national d’éthique, pour le rendre plus opérationnel – de même pour l’Agence de la biomédecine.

M. Christian Hervé, représentant de la Grande Loge Nationale Française, directeur du laboratoire d’éthique médicale de la faculté de médecine Paris V. Je me propose de vous transmettre les réflexions de frères de la GLNF qui ont travaillé sur ce thème, au cours de leurs réunions, qu’elles soient profanes ou initiatiques.

Nous avons d’abord marqué notre insatisfaction envers l’outil législatif. La loi de 1994 qui devait être révisée au bout de cinq ans, soit en 1999, ne l’a été qu’en 2004, et trop peu de décrets avaient été pris : en 2004 le changement devenait urgent – alors même que les pratiques n’avaient pas été évaluées. On ne pouvait pas savoir comment avaient été intégrés les différents concepts législatifs et comment ils avaient pu se traduire dans les pratiques. M. Leonetti sait bien, de même, la difficulté qu’ont eue les professionnels à connaître la loi sur la fin de vie qui porte son nom.

On peut se demander s’il ne serait pas bon – comme vient de le suggérer la Grande Loge, faisant suite aux réflexions de certains juristes dès avant 1994 – d’élaborer une loi-cadre, soulignant certains principes fondamentaux sur lesquels l’accord serait possible dans la représentation nationale et dans la société. Ce consensus permettrait que les professionnels, investis de responsabilités, fassent l’objet d’évaluations, peut-être commanditées par le Parlement. On serait alors à même d’apprécier l’application de certains des concepts de cette loi-cadre.

Cette formule permettrait aussi de simplifier des lois qui, sans être contradictoires, peuvent être sources de difficultés. Est-il possible par exemple de continuer à interdire la culture des cellules souches, tout en autorisant leur importation d’autres pays ? On pourrait voir là une forme d’hypocrisie.

Pouvons-nous nous satisfaire par ailleurs d’une loi de bioéthique, celle de 1994, qui prévoit la non-brevetabilité du génome humain mais admet la commercialisation d’un gène dès lors qu’il est sorti du corps d’une personne et a fait l’objet d’un travail humain ? Ce gène aurait-il changé de nature, comme par magie ? Il s’agit là d’artifices juridiques. Songez à l’affaire du sang contaminé : un liquide biologique donné gratuitement pouvait, parce qu’un progrès avait permis l’élaboration de fractions de sang, ce qui supposait recherche, travail et rémunération, donner lieu à la vente de ses différentes fractions.

De tels éléments peuvent apparaître contradictoires, du moins pour le public, et remettre en cause certains des principes de la loi de 1994 : la non patrimonialité du corps humain et sa non commercialisation.

Nous nous sommes également demandé s’il suffisait qu’une technique existe pour être immédiatement applicable. C’est toute la question entre le faisable et le possible. Ne faut-il pas passer par toute une séquence de recherche et d’évaluation pour confirmer certaines hypothèses et répondre à certaines craintes dans des domaines – comme ceux des nanotechnologies ou des neurosciences – où nous ne disposons pas aujourd’hui d’éléments pour nous faire une idée ? Il est difficile de prévoir les conséquences bénéfiques ou maléfiques d’une nouvelle technologie. Edgar Morin montre bien qu’une bonne intention ne suffit pas à garantir que les conséquences de l’acte seront toutes bonnes. La directive sur les essais cliniques s’est heurtée à cette difficulté de quantifier, pour une véritable recherche, le rapport bénéfices/risques.

En élaborant les lois, députés et sénateurs forgent des concepts juridiques qu’il faut ensuite faire passer dans les pratiques. N’est-il pas important de passer par l’évaluation de ces différents concepts, de sorte que les professionnels puissent se les approprier ? Prenez l’exemple de la personne de confiance : s’il s’agit simplement d’une facilité administrative, elle ne correspond pas à grand-chose ; si au contraire elle s’inscrit dans une démarche médicale à partir du moment où un patient se trouve hospitalisé, elle prend un tout autre sens. Nous prônons une responsabilisation du corps médical et des chercheurs par rapport à une éthique à développer, qui précise les limites s’imposant à ces différents professionnels.

Enfin, nous sommes préoccupés par une éventuelle commercialisation du corps humain. Comme les autres obédiences, nous postulons pour un devenir de l’homme, dans le cadre d’une initiation, qui est une réalisation de soi-même. À l’occasion de cette éventuelle loi-cadre, vous aurez à apprécier les avantages ou les inconvénients qu’apportent les différentes techniques à l’épanouissement de la personne humaine. À cet égard l’idée d’autonomie est cruciale. Nous nous prononçons contre l’asservissement de la personne humaine à l’argent et contre son exclusion de réalisations qui pourraient profiter au développement de son être personnel.

Mme Françoise Grux, Grande Maîtresse adjointe de la Grande Loge Féminine de France. Il est difficile d’apporter des réponses définitives à toutes les questions soulevées par les lois bioéthiques. Un long débat public, des rapports parlementaires, les avis rendus par le Comité consultatif national d’éthique avaient formé le socle sur lequel, jusqu’aujourd’hui, les lois de bioéthique ont permis d’apporter des améliorations et des espoirs dans la vie de nos concitoyens. La multiplicité des sujets abordés, le progrès rapide des connaissances et des techniques requièrent qu’elles soient évaluées pour pouvoir évoluer.

Il nous faut donc poser en préalable les principes qui guident notre action et qui nous permettent de réaliser l’unité dans nos diversités.

La Grande Loge Féminine de France, obédience maçonnique représentative de 12 000 femmes, proclame dans sa déclaration de principes sa fidélité à la Patrie et son indéfectible attachement aux principes de liberté, de tolérance, de laïcité, de respect des autres et de soi-même.

Nous sommes attachées tout d’abord à la liberté absolue de conscience garantie par la laïcité des institutions. Nous le sommes également à la liberté individuelle, garante de l’intégrité du corps humain, donc de sa non marchandisation – et nos réflexions, aujourd’hui, porteront plus particulièrement sur les aspects liés au corps de la femme, concernée au premier chef par de nombreuses techniques médicales, et directement impliquée dans les évènements majeurs qui rythment sa vie : naissance, vie et mort. Nous sommes enfin attachées à la fraternité notamment quand elle s’exprime par le don, évidemment gratuit.

Nos principes sont en accord avec ceux de la loi bioéthique de 1994, qui avait défini des règles d’ordre éthique et juridique applicables aux activités scientifiques et médicales touchant au respect du corps humain, au don et à l’utilisation des éléments et produits de ce corps, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal.

L’être humain est au centre de notre réflexion. Femmes de progrès, toujours en recherche, les Franc-Maçonnes de la Grande Loge Féminine de France participent à la réflexion sur les enjeux actuels des progrès scientifiques et de leurs applications.

Nous pensons que les avancées techniques et scientifiques, notamment celles qui nous concernent, comme l’assistance médicale à la procréation, les dons d’organes ou d’éléments du vivant, doivent respecter impérativement les principes de base édictés par la loi de 1994 : l’inviolabilité et la non patrimonialité du corps humain ; la reconnaissance de la liberté de la personne par un consentement éclairé ; la protection du patrimoine génétique de l’espèce ; la gratuité et l’anonymat.

Gratuité et anonymat doivent être maintenus dans la plupart des cas concernant les dons d’organes et d’éléments du vivant. Toutefois, la question de l’anonymat se pose actuellement dans les cas qui mettent en cause la filiation. Nous entendons la détresse des enfants qui demandent une information sur leur origine biologique. Nous sommes en accord avec la position prise par le Comité consultatif national d’éthique dans son avis n° 90 recommandant un assouplissement prudent de cet anonymat.

Depuis la révision en 2004 des lois de 1994, de nouvelles découvertes et techniques remettent en cause un ou plusieurs des principes énoncés précédemment et de nouvelles interrogations ont surgi. S’il faut réviser la loi, nous préférons le principe d’une nouvelle loi-cadre, qui éviterait les révisions périodiques et laisserait une plus large part aux bonnes pratiques. Toutefois, la définition de ces bonnes pratiques devra être débattue démocratiquement et leur application devra faire l’objet d’avis du CCNE, afin d’en garantir les orientations éthiques et de préserver les libertés individuelles.

Se pose aussi la question de la révision des conditions d’accès et de recours à l’assistance médicale à la procréation, telles que les détermine la loi de 2004. C’est d’abord le problème de la limite d’âge : au-delà de l’âge habituel de la ménopause, il est dangereux de tenter une implantation, d’autant que les chances de réussite sont minimes. C’est ensuite celui des femmes seules ou des coupes homosexuels féminins : le recours à cette pratique leur est possible dans certains pays étrangers, notamment en Europe. Cette remise en cause mérite un débat social approfondi.

Notons que désormais les femmes doivent assumer l’infertilité masculine, par suite de l’introduction de l’Intra Cytoplasmic Spermatozoïd Injection, ou ICSI, qui s’est imposée sans étude préalable.

L’usage des tests génétiques doit rester à visée médicale. S’agissant des tests pratiqués avant la naissance – diagnostic prénatal ou préimplantatoire – un encadrement législatif très précis est nécessaire pour éviter des indications de plus en plus étendues qui pourraient conduire à des dérives eugéniques. Quant aux tests ADN, on ne peut ignorer la tentation sécuritaire dont ils ont fait l’objet récemment. Chacun a en mémoire les débats sur la loi de 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile. En matière de fichier pénal, la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) doit en contrôler le strict accès afin d’en protéger les données. L’utilisation et la diffusion de ces tests en libre accès sur Internet posent de graves problèmes de fiabilité et d’exploitation commerciale. Il est indispensable d’instaurer un contrôle européen et international.

Dans sa sagesse, le législateur n’a pas voulus s’engager dans la reconnaissance du fœtus comme être humain. Cela évite la remise en cause de la loi du 17 janvier 1975 sur l’interruption volontaire de grossesse et permet à la recherche embryonnaire de progresser. Nous pensons que ce statu quo doit être maintenu.

La gestation pour autrui est apparue dans le débat. Ici la gratuité est quasi impossible, tout comme l’anonymat. Nous comprenons le désarroi des femmes privées de la possibilité de vivre une maternité. Mais plusieurs facteurs doivent être pris en compte : les difficultés psychologiques qui risquent de survenir chez la mère porteuse, ses propres enfants et l’ensemble de ses proches ; l’obligation pour elle de subir le lourd protocole d’une fécondation in vitro pour satisfaire un désir de filiation biologique par tiers interposé ; la marchandisation obligatoire par le dédommagement de la mère porteuse pour les frais médicaux occasionnés ; les dérives éthiques vers une utilisation du corps humain comme objet de procréation. Il est nécessaire d’approfondir la réflexion sur ce délicat sujet et de prévoir, dans le cas d’une autorisation de cette pratique, un encadrement strict.

La recherche sur les cellules souches embryonnaires est lourdement pénalisée par la loi de 2004 qui interdit la recherche sur embryon, tout en étant assortie d’un moratoire. En France le retard pris par cette recherche est considérable en raison des contraintes administratives liées à son encadrement très restrictif. Il nous apparaît nécessaire d’autoriser une fois pour toutes la recherche sur les cellules souches embryonnaires avec un suivi de l’Agence de la biomédecine, fondé sur la pertinence des recherches entreprises pour le bien-être de tous. Le but est de mettre en œuvre, enfin légalement, un recherche fondamentale au service de l’humanité. Cela éloignerait toute tentation de donner un statut juridique à l’embryon, bloquant par là même toute recherche et remettant en cause le droit à l’IVG. Cela permettrait de mettre au point des thérapies nouvelles pour soigner des maladies encore incurables. Car une recherche qui respecte la vie, c’est une recherche qui sauve des vies, par une démarche scientifique et non dogmatique.

Les Franc-Maçonnes de la Grande Loge Féminine de France souhaitent que soit réaffirmé le rôle prépondérant des avis et recommandations du Comité consultatif national d’éthique, l’Agence de la biomédecine gardant quant à elle un regard éthique sur les applications relevant de son domaine. Les rapports de ces deux institutions sont de très grande qualité, mais nous regrettons qu’ils restent d’un abord difficile et non compréhensible pour beaucoup. Nous demandons une information plus accessible à tous, délivrée lors de rendez-vous citoyens ou à l’occasion des journées de la science et de la recherche.

Dans un contexte grandissant d’individualisme et de privatisation des ressources du vivant qui s’oppose à la solidarité – par exemple, avec la mise en place de banques de sang de cordon à des fins autologues – il est nécessaire de mettre en œuvre des actions d’information et de vulgarisation pour que tous les citoyens se sentent concernés par des pratiques de plus en plus répandues. En outre, dans un monde où l’argent devient « la valeur » suprême, une information large sur la non marchandisation du corps humain et en particulier celui de la femme doit faire partie de l’éducation civique des enfants. Ainsi les campagnes en faveur des greffes et des dons d’organes doivent-elles valoriser la nécessaire solidarité entre tous les êtres humains.

Nous nous interrogeons par ailleurs sur les raisons qui retardent la ratification de la convention d’Oviedo, dont la France avait eu l’initiative. Ne serait-il pas temps de la ratifier sans attendre la prochaine révision des lois de bioéthique ?

La mise en œuvre d’une nouvelle réflexion sur les lois de bioéthique est pour nous porteuse d’espoir. Les progrès scientifiques et technologiques mis au service de l’humanité sont à l’image de notre devise commune : « liberté, égalité, fraternité ».

Mesdames et messieurs les élus de la représentation nationale, chargés de débattre et de légiférer sur ces projets porteurs de progrès et donc de vie, nous mettons en vous toute notre confiance.

Confiance, d’abord, dans votre capacité de respecter le principe de l’article 1er de la Constitution de 1958. Comme le dit Mme Geneviève Koubi, professeur de droit public : « Le droit est laïque, le principe détient une valeur constitutionnelle qui implique que non seulement les processus de fabrication du droit doivent répondre à des préoccupations laïques, mais encore que les circuits de mise en œuvre des règles de droit doivent respecter cette dimension. Donner sens à la laïcité, c’est permettre le développement d’un droit contre l’intolérance dans toutes les sphères privées et publiques, c’est refuser de tolérer l’intolérable dans tous les secteurs, privés et publics. C’est encore et surtout ne privilégier ni ne déconsidérer un courant de pensée politique, philosophique, éthique, religieux. Car la force du principe procède de la nature et de la fonction quasi universelles de la laïcité : la laïcité ne se constitue pas à partir du seul fait religieux. La resserrer autour de ce seul domaine revient à rompre avec la tradition républicaine et, sous les auspices de la mondialisation, à déployer ainsi des éléments annonciateurs d’un bouleversement radical du système juridique français. »

Confiance, ensuite, dans votre volonté humaniste d’œuvrer à la recherche constante d’un équilibre entre les avancées scientifiques et la nécessité de sauvegarder la dignité de la personne humaine.

Confiance, enfin, dans la sagesse dont vous témoignez aujourd’hui en organisant des consultations, avant de proposer et de voter des modifications législatives dans ce domaine si sensible.

Vous êtes, mesdames et messieurs les députés, le rempart et les garants de la vie démocratique de notre pays.

M. Jean-Pierre Foucault, président de la commission de santé publique et de bioéthique du Grand Orient de France. J’interviens au nom du Grand Orient par délégation de notre Grand Maître Pierre Lambicchi. Le Grand Orient de France est une institution philosophique adogmatique forte de 48 000 membres.

Notre commission comporte seize délégués et seize suppléants représentant chacun une des régions maçonniques, présentes sur l’ensemble de la planète. Aucun d’entre nous n’est désigné, nous sommes tous des élus. Nos points de vue sont le fruit de nombreuses séances de travail, depuis des années, et nous faisons souvent appel à des spécialistes extérieurs pour parfaire notre réflexion.

Je vais vous donner notre point de vue sur les cinq points suivants : la recherche sur les cellules souches embryonnaires, l’assistance médicale à la procréation, le recours aux tests génétiques, les enjeux éthiques des neurosciences et ceux des nanotechnologies.

La loi bioéthique de 2004 a interdit la recherche sur l’embryon… tout en la tolérant pendant une période de cinq ans. Cette situation est absurde et doit impérativement être clarifiée par la future loi : soit on autorise la recherche sur l’embryon, soit on l’interdit. La solution idéale serait de l’autoriser dans le but d’accroître les progrès scientifiques et les chances de guérison de certaines pathologies, tout en l’encadrant pour empêcher les dérives.

L’embryon et les cellules souches embryonnaires présentent un intérêt considérable pour la recherche puisqu’ils promettent des progrès quasi certains. Ces cellules sont en effet pluripotentes : elles permettent aux chercheurs de produire une grande diversité de tissus différents et de mieux comprendre le fonctionnement du corps humain afin de développer les moyens de guérison futurs.

Les atouts de ces cellules tiennent également au fait qu’elles sont immortelles. La recherche sur des cellules adultes ou fœtales atteint ses limites. Dans l’intérêt de tous, il est nécessaire de pousser plus loin les progrès scientifiques et de développer la recherche sur les embryons et les cellules souches embryonnaires. Elle offre des espoirs considérables ; les chercheurs pourront ainsi reproduire des cellules neurales, afin de remplacer, à terme, les cellules mortes du cerveau et enrayer certaines maladies neuro-dégénératives. De telles possibilités ont fait leurs preuves sur les souris, pourquoi pas sur l’homme ? Il nous semble nécessaire d’autoriser cette recherche, en posant éventuellement comme limite que ces recherches ne pourront être menées qu’après résultat probant sur des souris.

Une clarification législative sur les cellules souches est d’autant plus nécessaire qu’au niveau européen la situation est particulièrement confuse. Le septième programme-cadre de recherche adopté par le Parlement européen pour la période 2007-2013 a d’ailleurs ajouté à la confusion, puisqu’il prévoit de financer la recherche sur les cellules souches embryonnaires et adultes humaines, en fonction de la législation des États membres impliqués et dans la mesure où l’embryon humain ne sera pas détruit. C’est-à-dire qu’un financement européen ne pourrait être accordé qu’à des laboratoires travaillant avec des cellules embryonnaires issues du clonage thérapeutique, lequel est interdit dans presque toute l’Europe !

Nous pensons toutefois qu’il ne faut pas laisser le domaine privé s’emparer des banques de cellules souches issues du sang de cordon dans l’hypothèse que, les progrès scientifiques aidant, ces dernières seront nécessaires à la réparation ultérieure de l’individu qui en a été issu.

Enfin nous souhaitons, nous aussi, que la convention d’Oviedo soit ratifiée.

Deuxième point : la future loi devra trancher la question de l’élargissement des conditions d’accès à la procréation assistée. Actuellement, seuls les couples hétérosexuels peuvent bénéficier des techniques de procréation médicalement assistée (FIV, FIVETE). Doit-on alors autoriser une femme célibataire à être inséminée ? Faut-il accroître les moyens offerts aux couples pour avoir un enfant, en autorisant par exemple la gestation pour autrui ?

Cette dernière génère nombre de polémiques, mais attire de plus en plus de couples, car elle est légale de l’autre côté de nos frontières. Le recours aux mères porteuses paraît résoudre aisément les difficultés rencontrées par certains couples. Il entraîne cependant un risque de commercialisation de l’enfant et de marchandisation de la procréation. Il existe en effet un risque que des personnes profitent de la détresse de futurs parents pour leur vendre un enfant et créer ainsi un marché de la procréation. Les mères porteuses demanderont évidemment, comme aux États-Unis notamment, à être rémunérées pour le « travail » accompli. La dérive réside dans le fait que l’enfant risque de devenir un bien de consommation, ce qui est contraire aux principes fondamentaux de l’indisponibilité du corps humain et du respect de la dignité humaine.

Outre les problèmes économiques, cette pratique va générer un risque de fractionnement de la parenté. Il y a en effet trop d’acteurs qui interviennent dans l’acte de procréer : père biologique, mère biologique, mère porteuse, donneuse d’ovocyte… La mère porteuse pourra revendiquer un lien de filiation avec l’enfant. Qui peut alors prétendre être le père et la mère de l’enfant ? Certains estiment que le lien biologique sert de critère pour établir la parenté. D’autres considèrent que les parents sont les personnes qui élèvent l’enfant, ce que nous appelons en droit civil français la possession d’état.

Considérant les difficultés qui peuvent survenir en cas de légalisation de la gestation pour autrui, il n’est peut-être pas souhaitable que cette pratique soit autorisée par la future loi. En tout état de cause, il nous semble que, dans les cas de figure du recours à la mère porteuse et du don de gamètes, les parents de l’enfant sont ceux qui ont eu la volonté de concevoir cet enfant, ceux qui assument la responsabilité de parents. Mais pour l’enfant, être bercé par une femme in utero, même si elle ne l’élèvera pas, est peut-être mieux que de grandir dans un bocal.

Il s’agit d’adopter un système de parenté cohérent. Il paraît invraisemblable que la mère porteuse, qui met au monde l’enfant conçu par un homme et une femme, puisse avoir un quelconque lien de filiation avec cet enfant, même si la mère est traditionnellement la femme qui accouche.

Le problème ne se pose pas en cas de dons de gamètes, puisque ce don est anonyme et doit le rester. On pourrait certes remettre en cause son anonymat au motif qu’un enfant doit pouvoir connaître ses origines génétiques. Cependant, pour lui permettre de se construire sereinement, il est préférable que l’enfant ne connaisse pas l’identité du donneur. Peut-être pourrait on envisager de ne divulguer que le patrimoine génétique du donneur, ou de pratiquer préalablement au don des tests génétiques afin de réduire le risque de transmission de maladies génétiques – tout en prenant la précaution de ne pas tomber dans le travers condamnable de l’eugénisme. On ne peut autoriser des pratiques dangereuses, qui entraîneront nécessairement des dérives, sous prétexte d’un droit à l’enfant. Ce droit n’existe pas, et ni la science, ni l’État ne peuvent y remédier.

Troisième point : le recours aux tests génétiques. Aujourd’hui, il est encadré par la loi. Ces tests ne sont possibles que pour établir une filiation, sous couvert d’un jugement, ou pour identifier l’auteur d’un crime ou d’un délit.

La question de savoir si – et surtout dans quelle mesure – on peut pratiquer ces tests génétiques pour déceler une maladie génétique ou une prédisposition à telle ou telle maladie se pose aujourd’hui avec la vente libre, sur Internet, de tels tests. Ces tests sont intéressants. Mais dans quels cas y recourir et comment les utiliser par la suite ?

En tout état de cause, ils ne doivent être pratiqués que dans un cadre médical, c’est-à-dire sur prescription médicale et avec un suivi des résultats. Ils ne sauraient être mis à la portée de tous, dans la mesure où ils restent aléatoires, et où seuls des médecins peuvent en comprendre les résultats et les enjeux de ces derniers. L’annonce des résultats de ces tests peut également être un moment douloureux pour les patients, car l’information est difficile à comprendre et surtout à assimiler. Seul un médecin pourra trouver la formulation adéquate pour annoncer la maladie ou la prédisposition, ou pour apprécier avec le patient s’il est nécessaire que ce dernier connaisse les résultats d’un test.

Il sera par ailleurs nécessaire de rappeler dans la future loi que les tests génétiques ne peuvent être pratiqués que pour déterminer une filiation, identifier l’auteur d’une infraction ou déceler une maladie, lorsqu’il existe des symptômes ou prédispositions familiales. En aucun cas, ils ne devront être utilisés ou sollicités dans le cadre d’un recrutement ou de la souscription d’une assurance, par exemple. Les résultats de ces tests génétiques ne sauraient être communiqués à un assureur ou à un employeur, car il s’agit de données personnelles confidentielles dont le secret médical impose la confidentialité. De ce point de vue, les recommandations de la CNIL sur les données personnelles à caractère génétique devraient être prises en compte dans la révision de la loi. En un mot, protégeons le secret de notre vie !

Quatrième point : les enjeux éthiques des neurosciences – qu’il s’agisse des instruments d’imagerie qui permettent de mieux comprendre le fonctionnement du cerveau, ou des techniques visant à remplacer les cellules déficientes du cerveau.

Le développement des neurosciences est fondamental pour appréhender les spécificités et les rouages du cerveau, encore bien mystérieux. Il permettra de poser des diagnostics plus précis, de déceler des affections du cerveau, et participera à la création d’instruments visant à le stimuler, à pallier les troubles de la pensée ou de la motricité provoqués par les maladies neurologiques.

Cependant, les progrès réalisés en matière de neurosciences doivent avoir pour seul but de restaurer des fonctions perdues, de compenser la perte de cellules mortes, et non d’instrumentaliser le cerveau et, partant, l’homme lui-même. Ainsi, les implants qui seront posés dans le cerveau ne pourront être destinés à manipuler la pensée humaine, ou à rendre l’homme plus performant. Les neurosciences doivent demeurer un outil au service de la santé publique. Il sera donc nécessaire d’encadrer l’évolution de ces sciences et de poser des conditions à l’utilisation des nouveaux procédés qui en découlent.

Cinquième point : les enjeux éthiques des nanotechnologies. Depuis quelques années, le monde scientifique, industriel et militaire s’est lancé dans la recherche et dans la production de nanostructures et de nano-objets. De nombreux programmes de recherche sont en cours en Europe, aux États-Unis et en Asie pour développer des applications qui donneront un avantage technologique certain.

Les applications possibles sont multiples : en électronique, en cosmétique, en céramique, en chimie, etc. Des programmations informatiques nouvelles sont à l’étude pour donner à certains nano-objets des propriétés particulières d’autonomie et de convergence. On met beaucoup d’espoir dans la création d’alliages de nanoparticules et de molécules biologiques pour des applications en médecine, comme la détection de cellules cancéreuses, la diffusion de nano-objets dans le sang ou circulant dans le corps pour atteindre facilement tous les organes. Le but est de diriger les médicaments vers des territoires biologiques pour cibler les organes à traiter.

Toutefois, les évolutions techniques dans ce domaine ont eu lieu, la plupart du temps, sans se préoccuper d’éventuels risques pour la santé résultant d’expositions professionnelles plus ou moins maîtrisées, ni de l’impact de leur dissémination dans la population et dans l’environnement. Paradoxalement, il y a peu de prospective dans ce domaine. Les dangers potentiels des nanotechnologies pour la santé et l’environnement sont en cours d’étude en même temps que la découverte et le développement de nouvelles nanostructures. Cette situation, que désigne la formule « apprendre en faisant », ne laisse pas beaucoup de marges de sécurité ni de grandes possibilités de retour en arrière. Ce phénomène sociétal conduit à s’interroger également sur la nécessité de ces nouvelles technologies pour notre société, ainsi que sur la place du citoyen dans le choix et le contrôle de ces évolutions techniques.

Comment associer le public à des décisions de développement technologique qui auront un impact sur lui ? Est-ce possible ? Est-ce souhaitable ? Jusqu’où peuvent aller les chercheurs sans contrôle ? Il conviendra que la nouvelle loi de bioéthique aborde clairement les problématiques issues du développement des nanotechnologies.

Avant de conclure, nous voudrions vous faire part des craintes que nous avons éprouvées lorsque nous avons trouvé, dans le rapport de l’OPECST, la suggestion de débattre à nouveau des dispositions de l’article L. 111-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers, qui concerne les empreintes génétiques.

En définitive, nombre de questions relatives à l’éthique seront soulevées à l’occasion de la révision de la loi de 2004. La future loi devra avoir pour objectif de mettre les progrès de la science au service de l’homme, dans le respect de ses droits fondamentaux, et non de mettre l’homme au service de la science, de l’instrumentaliser et d’en faire ainsi le cobaye de toutes sortes d’expérimentations. Et n’oublions pas que l’on ne peut pas mettre en application et au service de l’homme toutes les avancées scientifiques.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Tout d’abord, je veux rendre hommage à ce courant de pensée, si important dans notre pays, qui a été à l’origine d’une série de lois et a affirmé, par la laïcité, l’originalité de la République française.

Je me contenterai de deux questions.

Premièrement, quel type de loi attendez-vous : une loi-cadre définissant, sous forme de grands principes intangibles, ce qu’il est possible de faire au regard de ce que nous considérons être l’homme, ou une loi de détail, assurant le passage de l’éthique de principe à l’éthique de responsabilité et examinant, sujet par sujet et étape par étape, ce qui peut être autorisé eu égard aux progrès de la science ?

Deuxièmement, dans sa lettre de mission, le Président de la République souhaite que soient organisés des États généraux de la bioéthique « afin de permettre, sur ces questions décisives et sensibles, à tous les points de vue de s’exprimer et aux citoyens d’être associés ». « J’attache, ajoute-t-il, une importance particulière à ce que le débat sur la bioéthique ne soit pas confisqué par les experts ; les Français doivent pouvoir être informés et faire connaître leur avis sur des sujets qui engagent la condition humaine et les valeurs essentielles sur lesquelles est bâtie notre société. » Nous ne pouvons qu’approuver ces propos. Comment concevriez-vous, en pratique, l’organisation d’un tel débat citoyen, qui permettrait aux experts et à la population de dialoguer sereinement sur un socle minimal de connaissances communes ?

M. Olivier Jardé. Mes questions s’adressent plus particulièrement à Mme Grux et à M. Foucault. Vous vous êtes dits favorables, sous certaines conditions, à la recherche sur les embryons humains surnuméraires. La précédente loi l’autorisait, à condition que ses objectifs soient thérapeutiques. Seriez-vous favorables à une recherche à visée scientifique ?

S’agissant des tests génétiques, vous avez évoqué l’établissement de la filiation. Actuellement, le recours à ces tests n’est autorisé que dans le cadre judiciaire. Souhaitez-vous le maintien ou la suppression de cette restriction ?

M. Xavier Breton. Jean Leonetti l’a noté, une loi-cadre aurait l’intérêt d’aboutir à un consensus sur de grands principes. Cependant, ne risquerait-on pas de déléguer leur application à des organes techniques comme le Comité consultatif national d’éthique ou l’Agence de la biomédecine, qui seraient chargés de déterminer les bonnes et les mauvaises pratiques ? Où le politique doit-il se situer ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. Tout d’abord, je précise que vous avez mal interprété le rapport de l’OPECST en ce qui concerne le droit d’entrée des étrangers. Si nous avons demandé un nouvel examen de la loi, c’est bien évidemment parce que nous n’étions pas très favorables à l’utilisation des empreintes génétiques dans ce cadre.

Vous avez insisté sur la nécessité de préserver le secret médical, mais peut-être nous trouvons-nous ici au confluent de deux grands principes difficilement conciliables : le secret médical, d’une part, la nécessité de sauvegarder la vie d’autrui, d’autre part. Le sujet est difficile, au point que l’un des seuls décrets d’application de la loi de 2004 qui n’ait pas été pris concerne l’information de la parentèle suite à la découverte d’une anomalie génétique susceptible d’entraîner des troubles graves, mortels ou très invalidants. Quelle est votre position sur ce point, notamment à la lumière de la récente condamnation en justice d’une femme qui avait transmis le VIH à son compagnon ? Demain, la non révélation d’anomalies génétiques pourra-t-elle donner lieu à des procédures pénales ?

M. le rapporteur. Une seule raison suffirait pour se doter de lois bioéthiques : chez certains de nos voisins, on peut vendre sur Internet un enfant au couple le plus offrant... Méfions-nous de la fascination pour la modernité et de l’idée que certains pays sont plus avancés que d’autres ! La France, précisément parce qu’elle conduit une réflexion sur la liberté du travail scientifique dans le respect des valeurs humaines, est probablement l’un des plus organisés dans ce domaine.

M. le président. Je propose de commencer par les questions du rapporteur sur la loi-cadre et les états généraux.

M. Serge Ajzenfisz. Pour ce qui est de la loi, n’étant pas juriste, je ne saurais répondre en une phrase à pareille interrogation. La loi de 1994 prévoyait sa propre révision à échéance de cinq ans ; il en a fallu dix ! La loi de 2004 a apporté un progrès en créant l’Agence de la biomédecine. Toutefois, les rapports ont tendance à se multiplier – avec le CCNE, l’Agence de la biomédecine, le Conseil d’État et l’OPECST –, et peut-être les différents organismes chargés de réfléchir sur ce sujet devraient-ils constituer un réseau plus cohérent. Si l’importance des rapports n’est pas à démontrer, il faudrait pouvoir en tirer le meilleur profit. Pour réviser la loi de 2004, il existe déjà une date butoir : 2011, lorsque les décrets sur les cellules souches arriveront à échéance. Faut-il prévoir, au-delà, une révision à une date qui ne sera peut-être jamais respectée ? Ne faudrait-il pas plutôt adopter une loi dont l’Agence de la biomédecine ou le CCNE pourraient demander la révision à tout moment, dès lors que l’apparition de nouvelles techniques le justifierait ?

En ce qui concerne les états généraux de la bioéthique, on note par rapport à 1994 et même à 2004 une avancée significative dans la prise en compte de la réflexion citoyenne. J’en veux pour preuve par exemple les débats organisés par la MGEN et l’OPECST, auxquels tous les citoyens sont invités – et pas seulement les grandes familles de pensée. Pour constituer notre commission, nous avons retenu une méthode semblable à celle décrite par Jean-Pierre Foucault, avec des délégations régionales en France et outre-mer ; parmi les frères qui travaillent avec nous, on compte peu de médecins et de juristes, mais beaucoup de gens du tout-venant qui, par leurs réflexions de candides, nous apportent beaucoup.

Quant à la réalisation pratique de ces états généraux, je ne donnerai pas de leçons d’organisation à M. Leonetti, mais je pense qu’un maximum de citoyens doit y participer.

M. Gilbert Schulsinger. Il y a quelques jours, M. Leonetti m’a dit avec une surprise un peu attristée que peu de médecins connaissaient la loi sur la fin de vie. Dans ces conditions, comment pourrait-on organiser des états généraux de la bioéthique ?

Quant à la loi, une loi-cadre ne répondrait pas aux problèmes qui nous préoccupent, car elle poserait des interdits ou des limites qui risquent de n’être plus valables dans trois ans. Mieux vaut prévoir une adaptation périodique de la loi en fonction des dernières découvertes, sachant qu’une régulation est nécessaire parce que tout progrès, quel qu’il soit, a un effet boomerang.

M. Jean-Pierre Foucault. Nous avons au Grand Orient une certaine expérience des états généraux, puisque nous organisons régulièrement des « journées citoyennes ». La dernière en date, qui portait sur la biométrie, a attiré un public très nombreux. Dès lors qu’on est clair dans ses propos, il ne faut pas hésiter à parler ouvertement de ces questions, dont le grand public est très curieux. Dans le débat sont intervenus de nombreux experts, des représentants du ministère de l’intérieur, de la CNIL, du CCNE, et même des magistrats. Les gens sont demandeurs de ce genre de manifestations, à condition qu’elles n’aillent pas à vau-l’eau, que l’ordre du jour soit établi avec précision et que les interventions soient bien circonscrites – d’autant qu’en matière de bioéthique, il existe des dangers importants de lobbying de la part des pouvoirs religieux et sectaires : si les choses ne sont pas bien encadrées, on risque des débordements.

S’agissant de la loi-cadre, je suis d’accord avec ce qui vient d’être dit : il faut que les institutions de tutelle, comme le CCNE, la CNIL et l’Agence de la biomédecine, figurent dans la loi comme les intervenants de référence. Nous ne pouvons nous passer d’elles.

M. Christian Hervé. Grâce à l’impulsion démocratique qu’ils donneraient, des états généraux pourraient nourrir un vrai projet de société sur la vie et le corps des citoyens.

Une loi-cadre doit édicter des normes. Elle est faite pour poser quelques grands principes – comme la loi de 1994 avec la non commercialisation et la non appropriation du corps humain –, afin de permettre aux chercheurs de faire leur travail, sous le contrôle de comités qui soient l’expression démocratique d’une société civile vigilante. Par cette responsabilisation des acteurs, les pratiques devront démontrer le bien-fondé de leurs hypothèses de départ. À partir de ce moment-là seulement, on pourra choisir telle ou telle direction. Nous ne savons rien de l’avenir : à moins de lire dans le marc de café, il est très difficile d’évaluer avec précision le rapport risques/bénéfices ; nous ne faisons qu’utiliser des concepts juridiques qui ne s’intègrent jamais parfaitement à la réalité des pratiques. Il est donc primordial de faire confiance aux chercheurs dès lors qu’ils respectent la vie, le lien intergénérationnel et quelques autres grands principes – ce n’est pas à moi de les définir, mais à vous, le Législateur. Par rapport aux questions qui se posent sur le corps, je vous crois parfaitement capables d’arrêter un cadre qui permettra tant la recherche, donc le progrès, que la responsabilisation des acteurs, comités de régulation et chercheurs ; les hypothèses de travail pourront ainsi être évaluées sans partis pris idéologiques et les recherches correctement contrôlées – y compris par vous. Cela permettra d’éviter que le débat se répète dix ans plus tard, avec les mêmes arguments et les mêmes frayeurs, et l’invocation d’une « précaution » aux contours flous.

M. Serge Ajzenfisz. Monsieur Claeys, monsieur Vialatte, vous étiez présents aux journées du CCNE le 26 novembre au matin. L’après-midi, des élèves de sept lycées de la région parisienne et de province, âgés de 16 à 19 ans, sont venus débattre des grands thèmes qui nous préoccupent aujourd’hui, accomplissant un travail remarquable, avec une grande intelligence. Voilà un bel exemple de débat citoyen, qu’il ne serait pas difficile de suivre !

Mme Françoise Grux. Je l’ai dit, la Grande Loge Féminine de France souhaite qu’on évolue vers une loi-cadre et qu’on s’appuie sur le CCNE et l’Agence de la biomédecine, qui doivent faire preuve d’une grande vigilance. Je suis d’accord avec M. Hervé : cela nous semble plus facile à gérer et permettra une plus grande ouverture aux scientifiques.

S’agissant des états généraux, nous avons exprimé le besoin d’informer plus largement nos concitoyens sur les grands axes relatifs à la bioéthique : en utilisant des mots plus simples, ils pourraient mieux prendre conscience de ce qu’on leur propose.

M. le président. Passons maintenant à la question d’Olivier Jardé. La loi actuelle prévoit l’interdiction des recherches sur l’embryon, avec un moratoire uniquement pour les protocoles de recherche à visée thérapeutique. Seriez-vous favorables au remplacement du mot « thérapeutique » par le mot « scientifique » ?

M. Olivier Jardé. J’avais posé une seconde question, monsieur le président : les tests génétiques de filiation n’étant autorisés que par voie judiciaire, êtes-vous favorable à la suppression ou au maintien de cette limitation ?

M. Jean-Pierre Foucault. « Thérapeutique » ou « scientifique », tout dépend de ce qu’on entend par là !

M. Olivier Jardé. Non : ces termes ont un sens très précis.

M. Jean-Pierre Foucault. Le thérapeutique peut être scientifique, et réciproquement.

M. le président. Excusez-moi d’insister, monsieur Foucault. Il est vrai que l’Agence de la biomédecine a interprété assez largement le terme « thérapeutique ». Cependant, permettez-moi de vous rappeler les termes de la loi : interdiction des recherches sur l’embryon, avec un moratoire pour les protocoles de recherche à visée thérapeutique qui ne peuvent pas utiliser d’autres techniques. Certains estiment que l’utilisation du mot « thérapeutique » est malhonnête, car on ne peut jamais savoir s’il y aura une application thérapeutique ; ils souhaitent donc qu’on autorise la recherche fondamentale, ou « scientifique ».

M. Jean-Pierre Foucault. Dans cette optique, nous sommes bien évidemment favorables aux recherches à visée scientifique, sous réserve de faire très attention aux éventuelles dérives eugénistes de certains traitements. Lors du récent débat sur les banques de sang de cordon, nous avons exprimé le souhait que ces établissements restent dans le domaine public. Des sommes énormes sont en jeu : l’un des opérateurs privés affirme n’en reverser que 20 % à la recherche – mais c’est un autre sujet.

En ce qui concerne les tests génétiques, il faut maintenir des contrôles très précis, afin d’éviter tout dérapage. Dans certains pays ils sont utilisés pour faire le tri entre plusieurs candidats à un même poste : les caractéristiques génétiques de certains individus les empêcheraient d’être de bons conducteurs de train ! C’est ce qui se passe aux États-Unis. Il ne faut pas que le génome d’une personne constitue un handicap pour elle. La compétence doit être évaluée sur des critères professionnels, non génétiques.

Mme Françoise Grux. La Grande Loge Féminine de France souhaite que la recherche fondamentale sur les embryons soit désormais tolérée et encadrée.

M. Christian Hervé. Quant à nous, nous estimons que les tests génétiques doivent demeurer dans le cadre judiciaire.

Par ailleurs, il convient de différencier recherche et application. Si l’on fait une loi-cadre, on peut autoriser des recherches dans un certain domaine et prévoir d’en analyser les résultats. La thérapeutique correspond à un autre stade, qui aboutit à la commercialisation. Cela conduit à poser le problème de la conservation et des biobanques. Tout dépend de la manière dont on définit la personne humaine – et, sur ce sujet, il n’y a pas d’accord au niveau international. Or, sans définition, on est bien obligé de rester au stade de la recherche, sans pouvoir examiner si ses résultats sont ou non transférables dans les cliniques. Peut-être des organismes comme l’Agence de la biomédecine ou le CCNE pourraient intervenir à ce niveau.

M. Serge Ajzenfisz. Comme je l’ai dit, nous sommes favorables à la recherche sur l’embryon. Quant à savoir si la recherche doit être à visée scientifique ou thérapeutique, il me semble qu’on tourne en rond ! Un chercheur cherche pour trouver, mais il n’est jamais assuré de réussir – et encore moins de découvrir une application thérapeutique immédiate. Soit l’on reste dans le régime dérogatoire de 2004, soit l’on autorise la recherche en espérant qu’elle aboutira à des avancées thérapeutiques.

Mme Martine Aurillac. Monsieur Ajzenfisz, confirmez-vous être favorable à la création d’embryons dans le cadre d’une recherche médicale ? Il me semble qu’entre, d’une part les surnuméraires, d’autre part le cordon, il y a déjà matière à beaucoup de recherches. Autoriser la création d’embryons à des fins scientifiques, cela me semble aller très loin.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Nos amis britanniques, après une longue période de consultation populaire, ont accepté de fabriquer des cellules hybrides avec des ovules d’origine animale et un noyau humain – c’est-à-dire de créer un pseudo-embryon, qui n’aurait aucune chance de se développer s’il était réimplanté : c’est un artefact. Pensez-vous que la législation française pourrait aller jusqu’à la création de telles lignées cellulaires ?

M. Serge Ajzenfisz. Voici ce que j’ai dit : « Nous n’avons pas d’objections de principe concernant la recherche sur l’embryon surnuméraire, sans projet parental, avec un encadrement très strict pour éviter les dérives. Reste la question de la création d’embryons pour la recherche. Nous y sommes favorables dans les mêmes conditions » – c’est-à-dire avec un encadrement très strict pour éviter les dérives. Précisons qu’il s’agit de l’opinion de notre commission dans l’hypothèse où la question serait posée : ce n’est pas à nous d’en décider.

M. le président. Martine Aurillac n’a pas l’air totalement convaincue…

Venons-en à la question de Jean-Sébastien Vialatte sur le secret médical.

M. Gilbert Schulsinger. En matière génétique également, je pense que les choses sont trop complexes pour pouvoir légiférer.

Prenons un exemple simple : dans une famille, la grand-mère et la mère ont eu un cancer du sein ; légitimement, on regarde si la petite-fille en a un. Ce n’est qu’une possibilité, non une certitude. Doit-on dire la vérité à cette jeune fille, qui n’aura peut-être jamais de cancer du sein, mais vivra dans une inquiétude dramatique des années durant ? Cela me paraît être une première limite importante au secret médical.

D’autre part, mesdames et messieurs, j’ignore ce que vous retiendrez de cette discussion pour la future loi. Mais, face à tant de complexité, peut-être faudrait-il plutôt examiner les questions une par une, et voir à chaque fois ce qu’il convient de modifier par rapport à la loi de 1994. Parfois, les choses ont beaucoup changé ; dans d’autres cas, au contraire, on demeure dans le même cadre, humain et légal. Si nous discourons sur tout, de la procréation médicalement assistée aux tests génétiques, je crains que nous n’aboutissions à rien, ou si peu, et que cette révision n’ait que peu d’importance.

M. le président. Permettez-moi de vous rassurer : nous sommes bien organisés ! (Rires) Nous vous recevons aujourd’hui en tant que représentants d’un grand courant de pensée : nous n’avons pas à limiter vos interventions à un seul thème. Par la suite, nous traiterons séparément et successivement les questions que vous avez abordées.

M. Christian Hervé. Prenons l’exemple précité sur une transmission du SIDA : même s’il existe une jurisprudence, je ne crois pas que ce soit le rôle du législateur d’intervenir sur des cas si sporadiques. En l’occurrence, le problème découlait d’une absence d’information. Ne faudrait-il pas plutôt insister sur le rôle du médecin, qui doit persuader les intéressés de discuter avec leurs proches et d’aborder les questions douloureuses ? Le secret médical a vocation à protéger le patient ; mais lorsque cela risque de mettre en danger autrui, le médecin, et tous ceux qui sont informés, doivent encourager l’intéressé à parler. Avec le SIDA, on a bien vu que c’était possible, sans pour autant faire une exception au secret médical – à faire trop d’exceptions, il n’en restera rien, et la confiance dans le médecin sera ébranlée. Au cours d’une consultation, c’est de l’homme, de la mort, de la filiation, des générations futures qu’il est question ; il faut que les médecins aient le temps d’en parler ! Ce n’est pas en dix ou quinze minutes qu’on peut faire changer d’avis une personne qui refuse d’avouer à son conjoint des choses qui la remettent complètement en cause, et de courir le risque d’être exclue de sa famille. Il convient donc d’envisager une revalorisation de l’acte médical et de la consultation – ce qui n’est pas la voie choisie actuellement.

Mme Catherine Génisson. Vous avez tous fait référence au CCNE et à l’Agence de la biomédecine. Comment hiérarchisez-vous les relations entre ces deux instances et le législateur ?

M. Jean-Pierre Foucault. Il n’y a pas de hiérarchie : les uns sont le conseil de l’autre. Il faut que ces organismes soient écoutés et entendus, car ils sont proches de la réalité scientifique, voire médicale. Au cours des sept débats publics que nous avons organisés, nous avons été frappés par l’aura considérable dont ils bénéficiaient dans le public. Vous, législateurs, devez les écouter – et vous le faites. Ils sont là pour vous conseiller. Ne leur imposons pas des cadres trop restreints. Certains avis du CCNE ont donné lieu à des débats publics difficiles. Il faut saluer le courage de ces organismes !

M. Christian Hervé. Un très bon article de Dominique Thouvenin, paru il y a cinq ou six ans, montre bien la différence entre les deux niveaux. Le CCNE a une histoire et une composition particulières. Au début, il s’était limité à la recherche, en grande partie parce qu’il coexiste avec le Conseil national de l’Ordre des médecins ; puis, les positions des deux organismes se sont clarifiées et ils ont été amenés à travailler en commun. L’Agence de la biomédecine est beaucoup plus proche des pratiques. On aurait pu craindre que son conseil d’orientation fasse doublon avec le CCNE, mais ils n’ont pas les mêmes objets.

Ces organismes, de même que l’OPECST, seront les moteurs de cette éthique démocratique de la discussion incarnée par les futurs états généraux. Ils apporteront des arguments au débat, et éviteront le risque d’une pensée unique. Que le débat démocratique s’exprime par leur intermédiaire me paraît très important.

Mme Françoise Grux. J’abonde dans le sens de M. Hervé. Le CCNE et l’Agence de la biomédecine représentent la vigilance et permettent de faire avancer la recherche dans les limites de la loi-cadre.

M. le président. Mesdames et messieurs, je vous remercie.

Audition de M. Emmanuel PICAVET, maître de conférences
en philosophie politique à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne



(Procès-verbal de la séance du 10 décembre 2008)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le Président. Je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de M. le rapporteur Jean Leonetti, qui va nous rejoindre.

Je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation, Monsieur Picavet. Vos recherches ont principalement porté sur la théorie politique et l’épistémologie des sciences du politique et du social, ce qui vous a amené à réfléchir sur les principes qui sous-tendent les décisions politiques en matière de bioéthique. Dans un article paru en 2003, vous avez évoqué à ce propos des « craintes légitimes » en raison de la conjonction « des idéologies du consensus amoral, du compromis systématique avec les puissances économiques (…) et de l’accompagnement des techniques. » Pourriez-vous préciser votre point de vue ? Dans un autre article intitulé L’espèce humaine et la menace bioéthique, vous avez estimé par ailleurs que « le passage à une ère où l’altérité peut être réduite à un rapport avec un objet a sans doute été facilité par l’influence de la bioéthique mondialisée et parfois orientée vers la constitution d’un comité d’éthique mondial qui réclame dès à présent la disparition de toute idée de dignité morale de l’être humain en tant que tel. »

Un certain nombre d’institutions, dont l’Agence de la biomédecine, le Comité consultatif national d’éthique, le Conseil d’État et l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ont rendu ou vont rendre leurs avis dans la perspective de la révision des lois bioéthiques, prévue pour 2010. Nous souhaiterions recueillir le vôtre, notamment en ce qui concerne la raison d’être d’une loi bioéthique et les éventuelles menaces pesant sur les principes éthiques.

M. Emmanuel Picavet. Je vous remercie de votre invitation. J’articulerai mon propos en trois temps : je soulignerai d’abord que la situation actuelle a les caractéristiques d’un compromis politique ; puis je mettrai en relief l’importance que présente à mes yeux, dans ce compromis, la référence à des principes, qui doivent demeurer fermes ; enfin, j’évoquerai les principaux dangers auxquels nous nous exposons si les principes sont sacrifiés à certaines prétentions. Je me suis surtout fondé sur deux documents qui me paraissent emblématiques du débat actuel, le récent rapport de l’Agence de la biomédecine et le rapport remis par M. Pierre-Louis Fagniez au Premier ministre en 2006.

La situation actuelle est assez différente de celle qui prévalait lors des débuts de la bioéthique légale en France, notamment en raison du combat idéologique que mènent certaines puissances contre les droits de l’homme, qui est relayé dans le débat éthique par des arguments relativistes. Dans le Journal international de bioéthique, le philosophe japonais Hyakudai Sakamoto a ainsi estimé que les idéologies des droits de l’homme et de la dignité humaine gênent le dialogue entre les cultures et retardent les progrès de la science. À cela s’ajoute une concurrence idéologique autour des valeurs morales ; la caricature des choix éthiques occidentaux constituant aujourd’hui le fonds de commerce des tendances fondamentalistes, la vigilance s’impose quant à l’application des principes humanistes – notamment en France, pays de la laïcité tolérante et de la modération religieuse, susceptible d’être perçu de ce fait comme particulièrement exposée aux dérives morales.

Le compromis français me semble équilibré, d’abord en ce qu’il représente une limitation aux pressions éthiques – on ne peut pas demander tout et n’importe quoi aux membres d’une famille, aux laborantins, aux membres d’une équipe hospitalière ou aux étudiants – et protège donc les personnes. Il constitue aussi une limitation à la discrimination éthique dans les professions de la recherche et de la santé – dont on regretterait qu’elles exigent un profil éthique particulier. Enfin, il limite l’expression des aspirations à l’eugénisme privé. La question centrale qui se pose est donc celle des risques ou des bénéfices, pour la vie commune, d’un éventuel déplacement de ce compromis.

Celui-ci est structuré par des principes, lesquels sont régulièrement attaqués, au motif qu’ils seraient hypocrites. C’est l’argument de ceux qui veulent légaliser ce qui est illégal : ils évoquent par exemple le cas de familles françaises qui ont eu recours à la gestation pour autrui (GPA) à l’étranger ou le fait que des êtres humains au stade embryonnaire sont parfois utilisés comme matériaux de laboratoire. L’Agence de la biomédecine dénonce même « l’absence d’un cadre légal » s’agissant des expériences sur les embryons que pourraient vouloir mener certains professionnels de l’assistance médicale à la procréation (AMP), à savoir « des recherches cliniques sur les gamètes et le développement embryonnaire in vitro et le développement de l’embryon en culture avant son transfert dans l’utérus ». En fait, il n’y a pas de vide juridique, mais une interdiction frappant certains types d’expérimentation. La question est donc : pourquoi ce qui est interdit devrait-il devenir autorisé ? Ceux qui parlent d’hypocrisie ne manifestent-ils pas simplement leur refus des interdits posés par la loi ? Certes, il y a des exceptions aux principes, mais ils ne font que traduire dans un « compromis expressif » la réalité de désaccords : ainsi en va-t-il de la dérogation concernant certains donneurs d’organe vivants, étudiée dans le rapport de l’Agence de la biomédecine, ou encore de l’autorisation à titre dérogatoire, dans des cas bien précis, du diagnostic préimplantatoire.

Même s’il y a des dérogations, les principes conservent un sens pour tous et jouent un rôle éducatif quant à la conception républicaine de la dignité humaine ; leur remise en cause pourrait avoir des conséquences catastrophiques. Elle décrédibiliserait nos engagements nationaux et marquerait le renoncement à s’engager dans la voie d’une éthique nationale de référence. Elle traduirait un mépris pour ceux qui considèrent que ces principes doivent être réaffirmés, voire reformulés dans le sens d’une plus grande exigence. Enfin, elle affaiblirait considérablement l’engagement à rechercher ensemble des compromis tolérables – étant entendu que l’on peut accepter un compromis tout en le trouvant mauvais ou injuste, à condition que le processus qui y mène soit acceptable. Si les principes se réduisent à des « pétitions de principe », notamment en ce qui concerne la non-instrumentalisation des êtres humains, le processus éthique lui-même sera menacé. Dans le rapport très documenté de Pierre-Louis Fagniez, je note ainsi un écart entre le corps du propos et ses conclusions : par exemple, l’utilisation de tissus issus de cellules souches d’origine embryonnaire est évoquée après de longs développements sur ses risques potentiels ; quant à « l’immense et passionnant défi du clonage thérapeutique », il suscite des avis partagés, et certaines personnes refuseraient d’être soignées à partir de tels procédés.

La vivacité des oppositions éthiques constitue en elle-même une invitation à la prudence. Le questionnement gagne en acuité avec les conclusions, assez enthousiasmantes, des sections du rapport de M. Fagniez consacrées à l’utilisation de cellules souches adultes, notamment en ce qui concerne la conservation du sang placentaire – point sur lequel le rapport de l’Agence de la biomédecine semble quant à lui ne pas remettre en cause le conservatisme français.

Bref, la nécessité d’une libéralisation ne paraît pas évidente. Non seulement il me semble difficile de parler de « progrès » lorsque ce qui le constitue n’est pas acceptable aux yeux de tous, mais il convient aussi de tenir compte d’un affinement prévisible de la sensibilité morale, comme ce fut le cas par exemple à propos de la souffrance animale, ou encore des fœtus : sans doute le choc qu’avait provoqué dans l’opinion, voilà quelques années, la découverte que des fœtus morts avaient été conservés dans un hôpital était-il, pour partie, lié au fait que les parents sont sensibilisés par les images fournies par les échographies. C’est pourquoi une vision « stadiste », selon laquelle la dignité humaine serait liée à l’acquisition de facultés particulières ou à l’accès à l’autonomie, me paraît assez naïve, de même que les conceptions libérales et utilitaristes qui lui sont associées. Le critère le plus pertinent sur lequel fonder la dignité humaine me paraît être, assez simplement, l’inclusion dans l’espèce, indépendamment des considérations juridiques et politiques. La non-instrumentalisation peut être considérée comme le corollaire de cette dignité ; ainsi, s’agissant des embryons, il y a une très grande différence entre accepter la fabrication, à l’occasion d’une fécondation in vitro, d’embryons surnuméraires appelés à la disparition, et accepter leur utilisation comme des objets. De manière peut-être un peu moins nette, des questions comparables peuvent se poser à propos de la légalisation de la gestation pour autrui, la mise à disposition d’un ventre maternel pouvant être considérée comme une forme d’exploitation. De telles évolutions sont dangereuses car elles véhiculent l’idée d’une instrumentalisation, qui peut être perçue comme participant de tendances nihilistes ou anti-humanistes.

Qu’il s’agisse de l’instrumentalisation radicale de l’embryon ou de la gestation pour autrui, ceux qui réclament la rupture savent que ce qu’ils demandent est jugé pleinement immoral par d’autres. Chaque camp peut comprendre les raisons de l’autre, mais on ne peut ignorer la réalité des désaccords : ainsi, au moment où certains demandent que l’on puisse traiter les embryons humains comme des choses, l’Office européen des brevets décide que « les cultures de cellules souches humaines qui ne peuvent être obtenues qu’en détruisant des embryons humains ne sont pas brevetables en vertu du droit européen des brevets ».

Pourquoi vouloir consacrer et protéger ce qui est rejeté par certains citoyens comme moralement inacceptable ? Ce serait une rupture avec l’entreprise même de la bioéthique institutionnelle, laquelle est faite d’efforts pour parvenir, dans le dialogue et le compromis, à des solutions qui, sans être considérées comme justes par tout le monde, sont néanmoins acceptables parce qu’elles tiennent compte des critiques, des doutes et des refus qui ont pu s’exprimer.

M. Michel Vaxès. Il me semble avoir entendu davantage d’interrogations que de réponses, la seule que vous donniez réellement étant un appel à la recherche du consensus. Mais le critère de l’instrumentalisation, par exemple, n’est pas simple : la question de l’utilisation d’une personne au service d’une autre ne se pose pas de la même façon selon qu’il y a ou non consentement ; et que dire de la situation où le pronostic vital du bénéficiaire est en jeu – comme dans ce cas, dont les médias se sont fait l’écho, du don d’un rein entre un frère et une sœur ? En revanche, la liberté humaine n’étant pas illimitée, il me paraît indispensable de définir dans une loi-cadre les principes qui permettraient de répondre aux nombreuses questions qui se posent.

M. Paul Jeanneteau. Pourriez-vous préciser ce que vous entendez par l’idée que la dignité humaine se fonde sur l’« inclusion dans l’espèce » ? Par ailleurs, où situez-vous le seuil « non négociable » de l’interdit ?

M. Xavier Breton. Je considère quant à moi que les questions que vous avez soulevées permettent de prendre un recul salutaire. Quel regard portez-vous sur l’élaboration des lois bioéthiques depuis 1994 ? Faut-il selon vous conserver la formule de la révision périodique, ou préférer l’élaboration d’une loi-cadre qui affirmerait des principes ? Par ailleurs, comment doit à votre avis se faire la répartition des compétences entre le législateur et les organes rassemblant des experts, tels que le Comité national d’éthique et l’Agence de la biomédecine ?

M. Emmanuel Picavet. Je comprends le sentiment de M. Vaxès, dû en partie au fait que je n’ai pas souhaité formuler un avis personnel.

La question de l’instrumentalisation est bien entendu très complexe, mais le don d’organe n’en relève pas au sens strict dès lors que, d’une part, il s’appuie sur le consentement éclairé et que, d’autre part, il ne s’agit pas d’une mise à disposition totale de la personne. Le problème est différent dans le cas, par exemple, de l’exposition de cadavres qui se déroule en ce moment à Marseille, ou dans celui de l’utilisation des embryons – stade de développement par lequel nous sommes tous passés…

M. le Président. Sortons de l’ambiguïté. La loi de 2004 dispose que la recherche sur l’embryon est interdite, mais elle a institué un moratoire de cinq ans l’autorisant sous certaines conditions. De ces deux dispositions, laquelle vous semble choquante ?

M. Emmanuel Picavet. Ce qui frappe d’abord, c’est le caractère contradictoire de leur formulation.

M. le Président. Pour vous, l’interdiction de la recherche sur l’embryon devrait-elle figurer dans une loi-cadre ?

M. Emmanuel Picavet. Mon avis personnel est que oui ; je suis assez admiratif de ce qui a été décidé en Allemagne ou en Hongrie. Mais d’un point de vue collectif, la contradiction dont je faisais état peut relever du compromis : le fait de poser un principe et d’admettre des dérogations ne me paraît pas inacceptable, à la différence de la modification des principes eux-mêmes.

M. Jean-Sébastien Vialatte. L’Allemagne important des cellules souches embryonnaires de pays asiatiques qui ont une conception de l’éthique bien différente de la nôtre, il ne me semble guère possible de la citer en exemple.

Par ailleurs, vous avez considéré que le don d’organe était un cas particulier dans la mesure où il avait un caractère partiel ; mais pourquoi alors ne pas traiter de la même façon la GPA – qui n’est pas davantage un don total ?

M. Emmanuel Picavet. S’agissant du don d’organe, les notions d’autonomie et de consentement éclairé sont à mettre au premier plan. Aux États-Unis, le fait de donner un rein est largement perçu comme une marque d’altruisme. En France, le don est assez étroitement circonscrit à la cellule familiale – ce qui peut d’ailleurs poser divers problèmes.

Le substrat fondateur de la dignité humaine est quant à lui très difficile à déterminer. L’autonomie et la rationalité sont certes des critères possibles mais qu’en est-il, dès lors, de certains malades ou personnes handicapées ? Le critère d’appartenance à l’espèce humaine manque sans doute de lyrisme, mais les autres reposent sur des aptitudes qui ne sont pas partagées par tout le monde et qui sont susceptibles d’évolution pour chaque individu.

Concernant les lois bioéthiques, j’approuve le processus de révision, qui permet de s’adapter aux aspirations de la société, d’entretenir le débat et d’éviter de poser trop d’interdits – mais je ne suis pas pour autant hostile à une loi-cadre qui fixerait certains principes élémentaires. Il me semblerait en revanche dommageable que cette révision soit limitée au seul plan technique : le ton du rapport de l’Agence de la biomédecine, à cet égard, m’a paru assez glaçant car il laisse entendre que d’un point de vue médical, il n’y a pas de raison de s’opposer aux aspirations qui, techniquement, peuvent être satisfaites. Dans un processus de révision aussi lourd d’enjeux, il est nécessaire de ne pas se limiter à cette perspective médicale.

M. Serge Blisko. Eu égard aux objectifs de notre mission, je ne vois pas pourquoi le point de vue médical ne serait pas prééminent. Si l’on suivait votre raisonnement à l’envers, on pourrait se demander, par exemple, quelles sont les raisons non médicales qui empêcheraient de vacciner. Ainsi, jusqu’en 1959, dans certaines régions du Canada, la vaccination était interdite, au motif qu’il était contraire au dessein divin d’intervenir sur le cours des maladies. La vaccination contre la poliomyélite reste interdite dans certaines communautés protestantes néerlandaises. Prenons garde de ne pas retomber dans ce genre de querelles.

Méfions-nous aussi des conséquences que peut avoir la mise en avant d’une morale altruiste. En France, beaucoup de contaminations par le VIH ont résulté d’un délire altruiste : la collecte de sang a largement été opérée dans des milieux à risque, en prison ou dans la rue, en arguant du fait que le bénévolat était une forme de rédemption. Les contaminations ont été beaucoup moins nombreuses dans des pays où le don du sang est rétribué, ainsi que dans les départements français où les centres de transfusion sanguine n’ont pas fait de collecte dans les établissements pénitentiaires.

M. Henri Emmanuelli. Vous avez parlé de ton « glaçant » à propos de la mise en avant de finalités médicales. Je ne crois pas que cet adjectif soit adapté à des considérations à visée thérapeutique.

Par ailleurs, il m’a semblé que vous pratiquiez une forme de laïcisation du sacré et que vous opposiez la morale et la relativité : vous paraissez considérer que tout relativisme en matière morale est interdit, un principe ne devant pas souffrir de dérogations. Ai-je bien compris votre propos ?

M. Michel Vaxès. Il n’y a pas toujours lieu d’accéder aux aspirations nouvelles, d’abord parce que celles-ci ne sont pas forcément acceptables. C’est la première limite qui s’impose au législateur. La deuxième, c’est le refus de la marchandisation, qui renvoie à la dignité humaine – laquelle n’est pas inscrite dans l’espèce, parce qu’elle n’a rien de biologique, mais est attachée à la personne, socialement et historiquement définie.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Il me paraît difficile de dire que la vente du sang apporte plus de sécurité que le don du sang. Dans les pays d’Amérique du Sud, où les gens pauvres vendent leur sang, la contamination par le sida a été très forte. Méfions-nous, d’une manière générale, de la marchandisation, ainsi que du vide juridique et du laisser-faire : on vient de voir qu’un enfant belge pouvait être vendu aux enchères à un couple néerlandais sans que la Belgique ne trouve d’infraction à la loi.

Méfions-nous aussi du don altruiste. Jusqu’à présent, le don d’organe a été limité au cercle familial ; l’idée de l’étendre me paraît poser problème. Si quelqu’un propose de donner son rein à une personne qu’il ne connaît pas, sa générosité n’est-elle pas suspecte ? Ne serait-il pas suspect que, de la même manière, une femme prête son utérus ? Lors du débat sur la précédente loi, nous avions évoqué l’histoire de ce garçon qui avait donné un rein à son frère et qui, quelques années plus tard, ayant une vie difficile, avait fait appel à la justice pour réclamer au receveur un « retour » financier : c’était une demande de marchandisation a posteriori.

Un cadre strict est donc nécessaire et c’est la raison d’être des lois bioéthiques. Il faut à la fois rejeter la marchandisation du corps, qui aboutit à des dérives, et encadrer le don, derrière lequel il peut y avoir la recherche d’un bénéfice, qui peut ne pas se limiter au plan moral et se traduire par la réclamation a posteriori d’un « dû ».

S’agissant de la transgression des interdits, si transgression il y a concernant les embryons, ne se trouve-t-elle pas dans le fait de détruire des embryons congelés, plutôt que dans celui – plus « anecdotique » – de prélever une cellule avant cette destruction ?

M. Emmanuel Picavet. En ce qui concerne la prééminence d’un point de vue médical, j’ai voulu dire simplement que la révision des lois bioéthiques ne peut être réduite à une adaptation à l’évolution des possibilités techniques. D’autres enjeux existent, qu’il s’agisse des choix entre les pistes de recherche possibles, du dialogue des cultures quant à la conception de la dignité humaine, de l’éducation des enfants, ou encore de la détermination des priorités techniques. Ainsi, il peut y avoir des perspectives de progrès dans le traitement technique de l’infertilité, mais aussi dans le traitement de ses causes, et il faut déterminer une pondération entre ces deux voies, ce qui implique un choix de valeurs. Dans cette démarche, il me paraît sensé de chercher à ne pas heurter de front les convictions d’une partie de la population.

« Laïcisation du sacré », disait M. Emmanuelli : je ne conteste pas l’expression, considérant que les droits de l’homme, par exemple, relèvent bien d’une forme de sacré dans l’ordre républicain et démocratique. Certes il ne faut pas tout sacraliser car plus on sacralise, plus on décourage les remises en cause, lesquelles peuvent être fondées. Cela pose en effet la question du relativisme, mais je distingue le relativisme substantiel et le relativisme de méthode. Dans le sujet qui nous occupe, on est obligé d’être un peu relativiste sur le plan de la méthode car on raisonne dans un cadre pluraliste, où s’expriment des convictions divergentes, ce qui doit conduire à la recherche de compromis. Si le compromis est défendable d’un point de vue éthique, on n’est pas dans le relativisme : il y a bien un choix collectif pour consacrer certaines options plutôt que d’autres.

M. Henri Emmanuelli. Êtes-vous absolutiste en matière de principes ?

M. Emmanuel Picavet. Non, les principes ne sont pas forcément absolus et à l’écart de tout compromis. L’exigence éthique doit se porter sur la construction des compromis, mais il faut construire de bons compromis, des compromis défendables – même si certaines personnes, fatalement, continuent à les trouver injustes –, et on sort alors du relativisme. Dans le champ de la bioéthique, certains, tel Hyakudai Sakamoto, sont explicitement relativistes et demandent aux États d’être relativistes, en considérant que dès lors qu’on fait référence à des principes, même si c’est dans le cadre d’un compromis, on érige des barrières entre les peuples – puisque tous ne font pas référence aux mêmes. Mais il ne faut pas se faire d’illusions : ce courant est piloté par l’hostilité aux droits de l’homme et aux puissances qui en prônent la défense ; il se fonde sur des considérations qui relèvent davantage de la géopolitique que de l’éthique.

Par ailleurs, les oppositions de valeurs ne sont pas toutes du même ordre. Sur les plus belles questions que pose la révision des lois de bioéthique, il y a compréhension mutuelle des arguments. Ce n’est pas le cas en ce qui concerne l’opposition aux vaccins, dont parlait M. Blisko ; de même, dans le débat sur la peine de mort, l’un des camps s’est trouvé à court d’arguments, faute de pouvoir prouver l’effet dissuasif de la peine. Les questions de bioéthique les plus fondamentales ne sont pas de ce type.

Quant au bénévolat et à la gratuité, je ne crois pas qu’il faille leur préférer la professionnalisation et les transactions monétaires. Un encadrement administratif peut suffire à assurer le sérieux des opérations.

En ce qui concerne les rapports entre donneur et receveur, certes développer la marchandisation, c’est augmenter la palette du choix, mais en revanche, cela peut altérer la qualité des options : je pense par exemple à une famille pauvre dont le chef subirait des pressions des autres membres pour vendre son sang, et qui refuserait de le faire. Il est important de veiller à ce que les choix restent libres et de bonne qualité ; c’est à ce niveau que se situent les enjeux principaux du respect de la dignité. Il faut mettre en balance ce que peut dicter le désir de l’individu, dans une perspective de consentement éclairé, et d’autres considérations telles que les risques objectifs ou les pressions sociales, qui concernent la nature même des options entre lesquelles les individus peuvent choisir. Dans le cas de l’élargissement des possibilités de don, on peut aller assez loin en s’appuyant sur des normes de consentement éclairé – si les gens veulent être altruistes, pourquoi ne pas permettre à cet altruisme de s’exprimer –, mais dans un cas comme celui de la gestation pour autrui, il existe des risques objectifs, tels que les traumatismes psychologiques, qui donnent un peu moins de poids à l’argument du consentement éclairé, et qui personnellement me conduisent à être plus réservé sur l’opportunité d’une légalisation.

M. le Président. Merci beaucoup.

Audition de M. Philippe POULETTY,
Président de France Biotech,
association française des entreprises de biotechnologies



(Procès-verbal de la séance du 10 décembre 2008)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Philippe Pouletty, docteur en médecine, diplômé de l'Institut Pasteur en immunologie, ancien chercheur à l'université de Stanford, à l'origine de plusieurs brevets dans le domaine de la santé et des biotechnologies.

Président de 2001 à avril 2006 et depuis juin 2007 de l'Association française des entreprises de biotechnologies, France Biotech, qui compte près de 150 adhérents, vous êtes également directeur général d'une entreprise de biotechnologie que vous avez co fondée. Vous présidez aussi le Conseil stratégique de l'innovation.

Au nombre des thèmes sur lesquels nous aimerions vous entendre figurent bien sûr celui de l'innovation, des brevets, notamment de la brevetabilité du vivant, de l'attractivité de notre pays pour les chercheurs et les entreprises de biotechnologies mais aussi celui des recherches en sciences de la vie, avec les craintes qui peuvent se faire jour de la marchandisation du corps humain et les problèmes soulevés par certaines nouvelles techniques. Quatre ans après l'adoption de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique et au vu de ses applications, est-il nécessaire, selon vous, de la modifier et, si oui, sur quels points ?

M. Philippe Pouletty. Je tiens tout d'abord à vous remercier de m'avoir invité à participer à vos travaux. Il convient, me semble-t-il, de replacer les recherches actuelles sur les cellules souches, et d'une manière générale sur les thérapies cellulaires, dans le cadre des progrès thérapeutiques à attendre à l'horizon de quelques décennies. Ces recherches seront déterminantes. En effet, malgré la multiplication par dix, voire par vingt, des budgets de recherche et développement de l'industrie pharmaceutique depuis une dizaine d'années, pas plus de 15 à 25 nouveaux médicaments sont agréés chaque année par la FDA (Food and drug administration) ou l'Agence européenne des médicaments – European medical evaluation agency (EMEA) – si l'on exclut les dérivés, les génériques et les présentations sous des formes ou des dosages différents.

Pourquoi si peu de médicaments réellement nouveaux ? Tout simplement, parce que le paradigme de la recherche d'une molécule chimique agissant sur un récepteur précis de l'organisme pour traiter une maladie, un temps renforcé par le rêve qu'a pu faire naître le séquençage du génome humain, est erroné : son efficacité relève de l'exception. La plupart des maladies ne résultent pas en effet de la mutation d'un gène ayant entraîné la modification d'un seul récepteur mais, au contraire, de dérèglements complexes impliquant, à des niveaux divers, des dizaines, voire des centaines de milliers de protéines. La recherche d'une molécule agissant sur un récepteur donné est donc quasiment vouée à l'échec, d'autant que les médicaments sont déjà nombreux sur le marché.

La prochaine vague probable d'innovation consistera en des thérapeutiques complexes auxquelles l'industrie pharmaceutique traditionnelle est très mal préparée, contrairement à des petites et moyennes entreprises innovantes de haute technologie, issues du monde académique. Prenons l'exemple de l'insuffisance cardiaque terminale. Lorsque les substances inotropes qui améliorent la contractilité du muscle cardiaque ne sont plus d'aucun secours, la seule solution pour les malades réside aujourd'hui dans la transplantation mais les progrès en matière de sécurité routière ont considérablement réduit le nombre potentiel de donneurs… À l'horizon d'une vingtaine d'années, il devrait être possible de réparer le muscle cardiaque soit par le biais d'une thérapie cellulaire injectable, soit, plus probablement, par la mise en place de moules (scaffolds) autour du cœur auxquels adhéreraient les cellules du muscle, technique de bio-ingénierie ayant de réelles chances de succès. Une autre possibilité consiste à implanter un cœur artificiel, composé d'éléments à la fois biologiques et électroniques. La société Carmat, société (« spin-off ») créée et financée par EADS, travaille, en collaboration avec les équipes du professeur Carpentier, à la mise au point d'un prototype de cœur artificiel qui devrait pouvoir être testé chez l'homme d'ici à deux ans.

Les pathologies multifactorielles comme l'insuffisance ou le dysfonctionnement cardiaque, hépatique ou pancréatique exigeront des approches thérapeutiques de plus en plus complexes recourant à des bio-prothèses associant vivant et électronique, ou à des cellules fabriquées in vitro à partir de cellules souches. Dans les vingt ans à venir, on sera capable de fabriquer des cellules hépatiques parfaitement histo-compatibles pour le receveur, puisqu'issues de ses propres cellules. Le processus de fabrication pourra être assez rapide dès lors que l'on aura parfaitement compris les mécanismes de la différenciation cellulaire et histologique chez les mammifères. Freiner l'innovation dans les thérapies cellulaires retarderait donc les progrès thérapeutiques. Or, la France n'est pas perçue comme le pays idoine pour conduire des recherches dans le domaine des biotechnologies. Elle ne se classe que troisième en Europe, assez loin derrière le Royaume-Uni et l'Allemagne. Est en cause la qualité de notre recherche académique, en particulier en sciences de la vie, qui a fortement décliné depuis trente ans comme en attestent la diminution du nombre de citations de nos chercheurs, de publications, de prix Nobel, le trop faible essaimage des résultats de la recherche et le manque d'attractivité de notre pays auprès des doctorants.

Une profonde réforme de notre recherche est donc indispensable. À cet égard, la récente loi relative à l'autonomie des universités ne constitue qu'un timide pas en avant : il aurait fallu rendre les universités totalement autonomes et les faire diriger par des conseils d'administration indépendants, comprenant des membres étrangers et choisissant leur président en fonction de ses seules qualités et non pour des raisons de politique interne à l'établissement – un conseil d'administration n'est pas un comité d'entreprise !

Le budget de l'Agence nationale de la recherche n'est pas non plus suffisant pour que celle-ci soit l'outil privilégié de redynamisation de la recherche française qu'elle aurait dû être en séparant les employeurs des chercheurs que sont les universités ou les organismes de recherche et les bailleurs de fonds. Attribuer les crédits après mise en compétition des projets de recherche aurait été la meilleure façon de provoquer la réforme de nos organismes de recherche et de nos universités.

Enfin, s'agissant du délicat sujet de la sélection, un énième recul a encore eu lieu. Si l'on veut que notre recherche soit à l'origine de grandes innovations, lesquelles en matière de biotechnologie thérapeutique proviennent à 80 % de la recherche académique, il faudra aller beaucoup plus loin dans la réforme.

Que le financement de l'innovation soit en France un parent pauvre explique aussi le manque d'attractivité de notre pays. Ainsi la loi de finances initiale pour 2009 diminue-t-elle de moitié par rapport à 2008 le budget d'OSEO, organisme qui accorde des subventions ou des avances remboursables aux entreprises innovantes. La réforme des fonds communs de placement dans l’innovation (FCPI) et diverses mesures de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat (TEPA) ont marqué des progrès pour le capital-risque, mais la grande réforme qui permettra d'orienter une fraction importante des quelque 3 000 milliards d'euros épargnés chaque année dans notre pays vers de jeunes entreprises innovantes reste à mener. Il conviendrait de même de réformer le capitalisme entrepreneurial afin que l'épargne se dirige davantage vers les entreprises créatrices de valeur économique que vers les produits financiers dérivés.

Les jeunes chercheurs et entrepreneurs, français ou étrangers, sont aujourd'hui réticents à travailler en France sur les cellules souches ou les thérapies cellulaires, invoquant le spectre de José Bové – dont l'action directe a entraîné de nombreuses faillites d'entreprises de recherche dans le domaine agricole –, mais aussi les lois de bioéthique. La loi de 2004 n'a en effet autorisé les recherches sur les cellules embryonnaires que de manière dérogatoire pour cinq ans, ce qui a certes été mieux que rien – nous vous en remercions –, car le risque existait d'une interdiction totale. Mais par rapport au Royaume-Uni ou à la Californie – malgré l'opposition du gouvernement fédéral américain –, la France a pris beaucoup de retard. Ce n'est pas un pays où l'on a envie d'entreprendre, d'autant qu'un retour en arrière est toujours possible, les lois de bioéthique étant révisées tous les cinq ans.

M. le président. Comment expliquez-vous que l'Allemagne soit mieux placée que la France alors même que sa législation est plus restrictive ?

M. Philippe Pouletty. Elle n'est pas mieux placée que la France en matière de thérapies cellulaires mais beaucoup mieux placée que notre pays en matière de biotechnologies en général. Les thérapies cellulaires ne représentent que 5 % à 10 % des budgets de recherche et développement en biotechnologies. La « grosse cavalerie » dans les biotechnologies aujourd'hui, ce sont les anticorps monoclonaux, les protéines recombinantes et la diffusion ciblée des substances (drug delivery).

Quel avenir pour les thérapies cellulaires ? Fabriquer à partir d'une cellule indifférenciée n'importe quel tissu ou organe humain est encore un rêve lointain. De nombreuses recherches fondamentales préalables sont nécessaires. Subordonner, comme le fait actuellement la loi française, l'autorisation des recherches sur les cellules souches embryonnaires à un bénéfice thérapeutique évident et immédiat à la clé, c'est méconnaître le fait qu'avant de fabriquer un tissu à partir d'une cellule souche, il faut comprendre la nature et le fonctionnement de toutes les cytokines et de tous les facteurs de croissance dans le développement de cette cellule. Il faut donc une beaucoup plus grande liberté de recherche fondamentale.

Nous avons tous pâti, pas seulement en France d'ailleurs, de l'utilisation d'un vocabulaire impropre, le poids des mots étant considérable. Si au lieu de clonage on avait parlé de transfert nucléaire, cela n'aurait pas eu le même impact dans l'opinion – je songe ici aux stock-options que certain ministre souhaitait qu'on appelle bons de souscription de parts de créateurs d'entreprise, ce qui effrayait moins…

Je comprends que l'on puisse être opposé pour des raisons éthiques à la recherche sur des embryons, mais il ne faut pas oublier que la France a légalisé l'interruption volontaire de grossesse (IVG) en 1975, autorisant donc la destruction de dizaines de milliers d'embryons, âgés non pas de quelques jours mais aujourd'hui jusqu'à douze semaines de grossesse. Il me semble y avoir là quelque contradiction.

Un ovocyte avant d'être fécondé, un blastocyte, une morula – embryon à huit blastocytes –, ne sont qu'un amas de cellules indifférenciées n'ayant pas atteint un stade de développement permettant de donner un être humain. Plutôt que de s'interroger pour savoir si les recherches doivent être autorisées seulement sur les embryons surnuméraires et non sur des embryons créés in vitro à partir d'ovocytes à seule fin scientifique, il me semblerait plus utile de réfléchir au stade de développement à partir duquel l'embryon peut être tenu pour un être humain en développement et à partir duquel il ne doit donc plus faire l'objet d'expériences. J'aurais tendance à considérer que c'est à partir du moment où est constitué son système nerveux central. Ce changement de point de vue simplifierait beaucoup les lois de bioéthique.

Si on n'assouplit pas très largement les recherches, y compris fondamentales, sur les cellules embryonnaires, en les autorisant sans savoir a priori si des progrès thérapeutiques immédiats pourront en résulter, les progrès seront difficiles. Il est possible qu'on puisse un jour se passer totalement de cellules souches embryonnaires grâce aux cellules somatiques pluripotentes, mais on n'en sait rien. Privilégier d'avance une voie par rapport à l'autre serait par conséquent totalement aléatoire.

Nous vous recommandons donc d'autoriser, sous le contrôle de l'Agence de la biomédecine, des projets de recherche fondamentale, et non pas seulement ciblée, y compris ceux visant à l'assurance qualité et à la reproductibilité des processus industriels de fabrication. Les laboratoires pharmaceutiques, les entreprises de biotechnologies, les investisseurs et les chercheurs doivent être assurés que la loi ne changera pas tous les cinq ans et que leurs recherches ne risquent pas d'être soudain frappées d'interdiction.

Les brevets ne sont que des outils temporaires, mais ils sont indispensables pour oser investir dans des projets novateurs car si l'invention n'est pas protégée, le risque est grand d'avoir, en pionnier, ouvert la voie à une découverte dont d'autres retireront les profits. La rentabilité des investissements à risque ne peut être garantie sans brevets très protecteurs. Pour ma part, je suis favorable à des brevets très larges dès lors qu'il ne s'agit pas de breveter le vivant en soi – une cellule ou un gène –, mais dès lors qu'un chercheur a démontré une propriété ou mis au point une application que nul n'avait imaginées.

Or la France n'est pas particulièrement bien placée pour les brevets dans le domaine des sciences du vivant. Les organismes de recherche français n'ont pas la culture du dépôt rapide de brevets. J'ai, pour ma part, déposé 29 brevets, dont celui qui est aujourd'hui le plus rémunérateur pour l'université de Stanford. Deux jours après que j'ai imaginé dans cette université un procédé d'amplification génique, le responsable des brevets me recevait et le brevet était déposé moins de deux semaines après ma découverte. Cette rapidité est déterminante car dès qu'un chercheur a une idée intéressante, nécessairement un de ses collègues, ailleurs de par le monde, n'est pas loin d'avoir la même. Or, en France, les organismes de recherche ont une politique plutôt restrictive. Dans la mesure où leur budget ne leur permet pas de financer toutes les demandes de brevets, ils diffèrent les dépôts, posant sous de fallacieux prétextes de nouvelles exigences, ce qui, entre-temps, fait que des brevets nous échappent. Cela étant, la propriété intellectuelle ne me paraît pas le facteur le plus limitant dans la recherche française.

M. le président. Je vous remercie de cet exposé et donne maintenant la parole au rapporteur de notre mission d'information.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Vous avez souligné, M. Pouletty, la contradiction qui pouvait exister dans un pays qui aurait légalisé l'avortement et interdirait les recherches sur des embryons surnuméraires voués à la destruction dès lors qu’ils ne font plus l’objet d’un projet parental. Prélever des cellules sur ces embryons vous paraît-il une étape supplémentaire dans la transgression ou n'est-ce pour vous qu'accessoire par rapport à la transgression que constitue la destruction elle-même de ces embryons ?

Selon vous, c'est à partir de la constitution du système nerveux central qu'un embryon devrait être considéré comme un être humain en puissance. Mais dès lors qu'existe un continuum dans l'évolution, il est difficile de fixer un seuil. Pourriez-vous préciser ce point ?

Quels dangers voyez-vous, d’autre part, au développement de la médecine prédictive ?

Par ailleurs, avez-vous le sentiment qu'en matière de biotechnologies, tant sur le plan théorique que pratique, les échanges de savoirs soient suffisants au niveau européen pour qu'émerge une idée européenne du sens des progrès, sachant que la thérapie cellulaire est sans doute l'une des voies d'avenir mais qu'il est difficile de prévoir les évolutions possibles à l'horizon de quinze ou vingt ans ?

Enfin, en matière de neurosciences, est-il possible, sur le plan scientifique, de distinguer les thérapies visant à combler par exemple un déficit sensoriel ou à réparer des neurones endommagés de celles ayant pour but de transformer le cerveau et donc de modifier la personnalité d'un individu, ce qui constituerait une barrière éthique ? La frontière pourra-t-elle être nette ?

M. Philippe Pouletty. Je suis heureux que vous ayez évoqué cette question des neurosciences, qui me tient beaucoup à cœur et qui, je le crois, sera beaucoup plus importante que celle des thérapies cellulaires sur le plan de la bioéthique.

Au début des années 2000, pour la première fois, des chercheurs sont parvenus à connecter des neurones d'escargot à une puce électronique. Il est probable qu'on saura, dans les cinquante ans à venir, faire communiquer des neurones ou des réseaux de neurones avec des éléments extérieurs, biologiques ou électroniques, c'est-à-dire créer une symbiose entre l’électronique et le vivant. Des essais cliniques sont d'ores et déjà réalisés pour restaurer la vision de personnes devenues aveugles en implantant des micro-électrodes dans leur rétine, lesquelles transmettent des signaux au cerveau à travers le nerf optique, ce qui permet à ces personnes de retrouver la perception de la lumière et des formes.

Dès lors que ces techniques seront parfaitement au point, se posera la question de savoir si on se contente de combler les déficits sensoriels ou si l'on tente d'améliorer l’homme, par exemple pour donner une vision d'aigle à des personnes qui souhaiteraient être pilote de chasse. De même, pourra-t-on peut-être un jour suppléer une mémoire humaine limitée par une « carte mémoire » électronique. Il faut dès à présent s'interroger sur ces questions, pour lesquelles la recherche précédera sans doute la réflexion, sachant que la normalité est très difficile à définir, hormis la normalité statistique donnée par la courbe de Gauss. La recherche devancera certainement la réflexion et un jour se posera certainement la question d'un véritable sixième sens du fait de ces connexions entre la biologie et l’électronique. Tiendra-t-on ces nouveaux modes de communication entre le cerveau et l'extérieur pour éthiques ou non ? Constitueront-ils ou non une transgression ? Une amélioration de l'être humain est-elle admissible ?

Le stade de développement à partir duquel un embryon doit être considéré comme un être humain en puissance me paraît une question fondamentale. En effet, tout échantillon d'ADN possède tout le potentiel de l'être vivant…

M. le rapporteur. Résoudra-t-on la question en fixant un stade de développement donné ou en se référant à l'intentionnalité du projet ? Aujourd'hui, la loi autorise, de manière dérogatoire, les recherches sur les embryons surnuméraires ne faisant plus l’objet d’un projet parental. Si l’on se réfère au critère d’intentionnalité, de l'ADN sans projet de clonage n'est que de l'ADN, c'est-à-dire un ensemble de protéines constituant un matériau expérimental. De même, un embryon de quelques cellules sans projet parental n'est qu'un amas cellulaire, comme tous les ovules fécondés qui, pour une raison quelconque, ne s'implantent pas dans l'utérus. Il semble que la distinction aujourd'hui opérée dans la loi se fonde non sur un stade chronologique, mais sur l'intentionnalité et l’existence d’un projet parental.

M. Philippe Pouletty. Permettez-moi une analogie un peu triviale. Imaginons que je souhaite me rendre de Paris à Marseille. Selon que je m'arrête en banlieue sud ou à Avignon, les choses sont différentes, bien que dans les deux cas mon projet soit le même !

M. le rapporteur. Si vous m'informez que vous venez à Marseille, je vous y attends…

M. Philippe Pouletty. Mais à partir de quand considérerez-vous que je suis près de Marseille ? À Lyon ? À Avignon ?

M. le président. Ces questions ont été très longuement débattues en 1994.

M. Philippe Pouletty. Le cerveau est considéré comme ce qui constitue le propre de la personne humaine, la mort étant d'ailleurs définie comme l'arrêt de son fonctionnement. Les organes destinés aux greffes sont ainsi prélevés sur des personnes en état de mort cérébrale. C'est pourquoi je place la barrière à la constitution d'un système nerveux central avancé. Si l'on ne se réfère pas à des stades de développement précis, il sera très difficile d'apprécier l'intentionnalité des projets.

Des laboratoires proposent aujourd'hui un séquençage total de l'ADN humain pour 90 000 dollars, mais dans les quelques années à venir, le prix devrait tomber à 10 000 euros. Dans le même temps, on sait déjà fabriquer de l'ADN très complexe et même des cellules par des procédés biochimiques.

La question qui se pose aujourd'hui pour l'embryon se posera demain pour la fabrication d'un organisme vivant à partir d'un génome entier, soit reconstitué, soit recombiné avec d'autres éléments. On pourra fabriquer des bactéries présentant d'intéressantes propriétés en matière de bio-énergie mais aussi, car les techniques seront les mêmes, quantité d'autres organismes sur lesquels on se voile aujourd'hui la face. Fixer une barrière fondée sur un stade de développement me paraît donc indispensable.

Pour ce qui est de la médecine prédictive, beaucoup confondent l'association d'une mutation génique à un risque accru de développer une maladie avec la possibilité de prédire la survenance de celle-ci. En réalité, il n'y a que très peu de maladies strictement associées et à coup sûr à la mutation d'un seul gène – je pense aux mutations des gènes de la globine, qui peuvent conduire à une thalassémie ou une drépanocytose ou encore à celle qui conduit à la mucoviscidose. Mais pour la plupart des maladies, le risque de survenance, même doublé ou quadruplé par une mutation génique, demeure très faible – que signifie passer d'un sur cent mille à un sur cinquante mille ou un sur vingt-cinq mille ? Les médias, mais aussi certains scientifiques, ont entretenu le mythe de la toute-puissance d'une médecine prédictive, laissant à croire qu'avec le séquençage du génome, on pourrait prédire à coup sûr que tel individu développera telle maladie à tel âge. Cela étant, le séquençage du génome et les tests génétiques, presque devenus un phénomène de mode, s'inscrivent dans la longue lignée des tests biologiques réalisés depuis longtemps et dont la liste ne cesse de s'allonger, de la mesure de la glycémie ou de la cholestérolémie au dosage dans le sang d'hormones ou de protéines. Ce n'est qu'un progrès normal dans le développement des moyens de diagnostic.

Pour ce qui est de l'Europe, le budget européen de la recherche n'est, hélas, pas celui de la politique agricole commune ! Si nos budgets de la recherche permettaient que les laboratoires français puissent concurrencer leurs homologues, britanniques notamment, les progrès pourraient être très rapides.

M. le rapporteur. La politique agricole commune n'organise pas la concurrence entre les différents pays européens. C'est une politique commune conduite dans l'intérêt européen.

M. Philippe Pouletty. Le budget européen de l'agriculture est considérable, celui de la recherche infime, très insuffisant en tout cas pour conduire une politique européenne efficace de recherche. Le budget du septième programme-cadre de recherche et de développement (PCRD), doté de quelques milliards d'euros, et celui de l'European research council permettent d’aiguillonner la recherche mais sont extrêmement faibles. L'essentiel des politiques et des budgets de recherche en Europe demeurent sous le contrôle des États. Nous souhaiterions bien sûr que chacun des pays européens vise à l'excellence mais que l'Europe aussi se dote d'une recherche de très haut niveau, car elle est aujourd'hui à la traîne, alors même que les États-Unis, quoi qu'en disent les Cassandre, vont rebondir très fortement et que les pays émergents comme la Chine ou l'Inde réalisent des progrès très rapides.

Les critères exigés pour le financement des projets dans le cadre du septième PCRD sont beaucoup trop complexes : c'est une aberration que de financer les projets selon la composition des équipes en imposant un certain pourcentage de chercheurs de chaque pays. La recherche ne vise pas à l'aménagement du territoire européen ! Le seul critère de sélection devrait être la qualité des projets d'où qu'ils émanent. Leur qualité devrait être appréciée après évaluation transparente et rigoureuse par des scientifiques de très haut niveau, et ne devraient être financés que les meilleurs – tant pis si la majorité d'entre eux émane d'un seul pays, car s'ils sont de très haut niveau, ce sera tant mieux pour l'Europe. L'European research council, dont le mode de financement de la recherche est le plus pertinent, reproduisant à plus petite échelle celui du National institute of health aux États-Unis, devrait avoir un budget bien plus important

M. Paul Jeanneteau. Vous avez souhaité, M. Pouletty, qu'on autorise largement les projets de recherche fondamentale. Pour autant, la recherche fondamentale ne doit-elle pas avoir de limites ? Si oui, lesquelles ? Et ces limites relèvent-elles de règles déontologiques que les chercheurs pourraient s'imposer eux-mêmes ou doivent-elles être plutôt posées par le législateur ?

Vous pensez que la législation beaucoup plus souple en vigueur Grande-Bretagne et aux États-Unis explique que les chercheurs en sciences du vivant soient plus nombreux à souhaiter travailler dans ces pays-là, qui, à terme, en retireront des bénéfices financiers. Mais la France doit-elle nécessairement s'aligner sur les législations les plus souples ? Ne peut-elle pas, ne doit-elle pas, pour les cellules souches comme pour l'assistance médicale à la procréation, conserver une législation spécifique qui traduit un choix de société, fût-ce au prix de moindres rentrées financières ?

M. le président. Les brevets ont la double fonction de protéger les découvertes et de favoriser l'innovation. Contrairement à vous, M. Pouletty, je suis hostile aux brevets très larges. Que l’innovation liée à une application technique dans le domaine de la génétique fasse l’objet d’un brevet, soit, mais breveter en même temps le gène, d'une part, crée une rente de situation et, d'autre part, entrave l'innovation dans la mesure où si, à partir du même gène, il existe une application différente, le brevet vaudra quand même. Les brevets trop larges sont, à mon avis, contre-productifs.

Lorsque l’on a engagé le décryptage du génome humain, les jeunes pousses (start-up) étaient pléthores dans le domaine et beaucoup d'entreprises étaient prêtes à s'engager financièrement dans des projets. Mais il semble que cette bulle, à l'instar de celle d'Internet, ait éclaté. Il n'existe pas aujourd'hui le même engouement pour la thérapie cellulaire. Faites-vous le même constat ? Si oui, comment l'expliquez-vous ?

L'Agence nationale de la recherche (ANR) est un outil efficace mais pour ce qui est des recherches sur le vivant, lesquelles devraient constituer une priorité de la recherche française, un fléchage des crédits serait sans doute nécessaire.

M. Philippe Pouletty. Faut-il à tout prix maintenir une spécificité française ? L'objectif n'est pas d'attirer des capitaux pour le principe, mais pour réaliser des progrès médicaux, donc des progrès sociaux, eux-mêmes sous-tendus par le progrès économique. Dans un domaine comme celui des recherches sur le vivant, où la France n'est qu'un petit pays – le budget de recherche et de développement de la Chine a dépassé le nôtre depuis plusieurs années –, vouloir absolument préserver une législation spécifique au nom d'un choix de société me paraîtrait contre-productif car nos voisins anglais, allemands ou espagnols sont confrontés aux mêmes choix de société. Bien que depuis toujours fervent gaulliste, je me demande pourquoi la France éternelle devrait systématiquement se singulariser, faire course à part. L'Europe devrait affirmer plus fortement des choix communs.

Il est très difficile de fixer des limites. En effet, le propre de la recherche fondamentale et de l'innovation est que l'on ne sait pas où elles mèneront. Personne avant les travaux de Marie Curie n'aurait pu penser à encadrer l'utilisation des substances radioactives ! D'où d'ailleurs le caractère essentiel de la recherche fondamentale. Les anticorps monoclonaux, notamment les anti-TNF (tumor necrosis factor) qui donnent des résultats spectaculaires dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde ou de certains cancers à des stades métastatiques, sont nés non pas de la recherche d'un traitement pour ces maladies, mais de la conjonction, au début des années 80, de deux découvertes sur des thèmes tout à fait différents de recherche fondamentale. La première concernait la manière dont communiquent les cellules entre elles : c'est ainsi que l'on a découvert le TNF, cytokine qui joue un rôle majeur dans l'inflammation systémique. La seconde avait trait à l'immortalisation des lymphocytes, procédé qui a permis de fabriquer des anticorps à propriétés spécifiques. C'est cette conjonction qui a permis de développer, des années plus tard, un anticorps monoclonal anti-TNF freinant la réaction inflammatoire et permettant un progrès thérapeutique majeur dans le traitement des maladies inflammatoires auto-immunes, que nul n'avait imaginé au départ. Sans soutien, notamment financier, de la recherche fondamentale de très haut niveau, il ne saurait y avoir d'innovations de rupture comme celle qu'a constituée la mise au point des anti-TNF.

Il faut bien sûr encadrer les recherches mais on perçoit les dangers d'une législation très contraignante, quand on ne sait pas où une découverte peut mener des années plus tard. À ce point, permettez-moi une analogie avec la pratique de l'euthanasie. Chacun sait qu'elle est quasi-quotidiennement pratiquée, dans les services d'oncologie notamment, dans une très grande hypocrisie d'ailleurs, ce qui donne lieu de temps à autre à quelques affaires qui ont un important retentissement médiatique. Je ne suis pas certain qu'il faille légiférer en la matière. Les médecins savent parfaitement quelles limites se fixer eux-mêmes.

D'une manière générale, il ne faut pas trop légiférer dans le domaine éthique, dès lors qu'on s'assure que seront prévenus le racisme, la xénophobie, la mise en danger de la vie d'autrui. Il faut faire davantage confiance aux professionnels, en veillant à la pluridisciplinarité des équipes. Sans doute serait-il opportun d'associer des spécialistes de sciences humaines au sein des équipes de recherche sur le vivant.

M. le rapporteur. Que le législateur n'entre pas trop dans le détail dans certains domaines est une excellente chose. La recherche fondamentale est essentielle car les chercheurs ne savent pas ce qu'ils vont trouver. L'exemple que vous avez cité montre que la conjonction fortuite de plusieurs découvertes issues de la recherche fondamentale a pu conduire à une application pratique du plus haut intérêt. Mais la comparaison que vous avez faite avec l'euthanasie me paraît avoir des limites. En effet, ce sont d’abord les comportements humains qu’il convient d’encadrer, et non la recherche. C'est bien au législateur qu'il appartient de poser des interdits et d’encadrer certaines pratiques.

M. le président. La recherche fondamentale est certes essentielle mais, on le sait notamment depuis Nüremberg, la déontologie ne suffit pas, les recherches fondamentales sur le vivant doivent être encadrées.

M. le rapporteur. Pas dans leurs objectifs, puisque les chercheurs ignorent au départ ce qu'ils trouveront.

M. Philippe Pouletty. Une solution ne serait-elle pas la présence systématique de philosophes, de juristes, de spécialistes des sciences humaines dans les commissions d'évaluation des projets scientifiques ?

M. le président. C'est le cas à l'Agence de la biomédecine.

M. Paul Jeanneteau. S'il ne faut pas brider la recherche fondamentale, il faut toujours garder présent à l'esprit que ses applications peuvent poser problème, en particulier lorsqu'il s'agit du vivant et de l'humain.

M. Philippe Pouletty. Il existe déjà un important arsenal réglementaire avec l'EMEA, l'AFSSAPS, l'Agence de la biomédecine ou l'Établissement français du sang. Ainsi, on ne peut pas commercialiser librement un produit ou un sous-produit humain à usage thérapeutique – contrairement d'ailleurs aux compléments alimentaires qui ne sont pas encadrés du tout alors même que leurs allégations thérapeutiques sont souvent fantaisistes. Trop légiférer peut avoir des effets pervers et une législation trop rigide peut être contre-productive.

J'en viens aux brevets. Si pour un gène dont une mutation est associée à une maladie, seule la technique permettant de relier l'anomalie génétique à la maladie fait l'objet d'un brevet, celui-ci est très étroit car il est facile de mettre au point une autre méthode apportant la même réponse. Le jeu n'en vaut alors pas la chandelle, surtout vu le coût des recherches en amont. Accepteriez-vous que le gène associé à une maladie donnée soit brevetable, quelle que soit la méthode utilisée pour établir ce lien – étant entendu que si on découvrait par la suite qu'une autre maladie est associée au même gène, cela ne serait pas couvert par le brevet – ? De plus en plus, les offices de brevets, aux États-Unis comme en Europe, n'autorisent pas de revendication très large si ne figure pas dans le corps du brevet de description précise de l'application.

M. le président. Êtes-vous favorable à la brevetabilité de lignées de cellules souches ?

M. Philippe Pouletty. Oui, pour des lignées très spécifiques, ayant nécessité un travail considérable d'identification et de sélection afin de leur conférer une propriété unique. Ainsi en serait-il d'une lignée de cellules souches permettant de fabriquer par exemple des hépatocytes produisant du facteur VIII de coagulation, si important pour les hémophiles. Une telle lignée devrait être brevetable car sa mise au point aurait exigé un travail technologique considérable et qu'elle bénéficierait à un très grand nombre de malades.

M. le président. C'est un sujet très complexe.

M. le rapporteur. On a affirmé, que le vivant ne pouvait pas faire l'objet de brevet et que seule l'invention, et non la découverte, pouvait être brevetée. L'intrication est en effet importante dans le domaine du vivant. Pour découvrir le lien qui peut exister entre la mutation d'un gène et une maladie, il faut beaucoup de recherches et d'intelligence humaine, ce qui, selon vous, justifierait un brevet. Mais comment encadrer dans la loi cette brevetabilité, non pas du vivant, mais de la découverte d'un lien entre cet élément humain et son application scientifique dans une pathologie définie ?

M. le président. C'est toute l'ambiguïté de la directive européenne de 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, en définitive acceptée par le France mais dont le Président de la République et le Premier ministre de l'époque, Jacques Chirac et Lionel Jospin, avaient saisi la Commission européenne.

M. Philippe Pouletty. Il faut faire confiance aux offices des brevets pour juger au cas par cas. On ne peut pas édicter de règles générales simples.

M. le président. Si les membres de la mission d'information en sont d'accord, nous pourrions utilement auditionner le président de l'Office européen des brevets.

M. Philippe Pouletty. Pour le reste, je ne suis pas très favorable à des crédits « fléchés », lesquels induisent un pilotage à courte vue de la recherche, notamment par les cabinets ministériels, qui finissent toujours par favoriser le financement du projet de tel ou tel établissement.

M. le président. L'Agence nationale de la recherche (ANR) a précisément été créée pour fixer des priorités de recherche et 30 % de son enveloppe budgétaire sont destinés à des programmes blancs.

M. Philippe Pouletty. Pour ma part, je serais favorable à ce que l'État fixe le pourcentage que l'ANR doit consacrer aux sciences de la vie, sans descendre trop loin dans le détail.

Pour ce qui est des tours de table financiers, il est vrai qu'il y a eu un engouement excessif autour du séquençage du génome humain dans les années 90 en pensant que la mise au point de médicaments révolutionnaires était proche. Cette bulle a éclaté, comme celle de l'Internet. Il n'empêche qu'une association comme Human genome sciences a levé énormément d'argent sur ce rêve, et qu'avec ces crédits, elle a mené à bien d'intéressants projets, rentables à plus court terme. Il est vrai qu'aujourd'hui peu d'investisseurs acceptent de financer des projets de recherche de thérapie cellulaire en deçà du stade des essais cliniques, faute de quoi le retour sur investissement est trop long. D'où l'importance d'un soutien financier suffisant de la recherche académique pour les recherches à horizon beaucoup plus lointain.

M. le président. France Biotech a milité en 2004 pour que la loi autorise la transposition nucléaire. Dans votre combat à cette fin, vous avez, me semble-t-il, par trop utilisé le terme « thérapeutique », lequel a été repris, à tort et à travers je le concède, par des parlementaires de gauche comme de droite, pour défendre parfois des thèses opposées. L'exemple alors toujours cité était celui du traitement des maladies dégénératives. Le terme a été galvaudé. Mettons-nous un instant à la place des malades, entendant parler dans tous les médias de "thérapeutique" ! Combien de faux espoirs cela n'a-t-il pas suscités ?

M. Philippe Pouletty. Vous avez raison mais c'était l'époque de la déferlante médiatique sur le clonage reproductif. Tant de bêtises ont alors été proférées qu'il nous a bien fallu réagir, au risque, je le concède, d'une simplification excessive. Comme pour les organismes génétiquement modifiés (OGM), devant la démagogie et la désinformation, il fallait bien expliquer et essayer de faire comprendre. Pour ma part, je ne crois jamais avoir prétendu qu'une thérapeutique était envisageable à brève échéance, mais il fallait bien expliquer que tel était l'enjeu à l'horizon de quinze ou vingt ans.

M. Jean-Marc Nesme. Je comprends que les laboratoires pharmaceutiques et les entreprises de biotechnologies se préoccupent au plus haut point de leur chiffre d'affaires et de leur marge dans un contexte de forte concurrence internationale et qu'il ne faille pas brider les recherches. Mais quelles seraient, pour vous, aujourd'hui, les limites éthiques à ne pas franchir en tout état de cause ?

M. Philippe Pouletty. La première serait de ne pas viser à améliorer le fonctionnement du cerveau humain au-delà de ce qui est normalement attendu de cet organe. Une autre serait de ne pas poursuivre de recherches, de quelque nature que ce soit, sur un embryon au-delà du stade du développement du système nerveux central. Une autre encore serait de ne pas commercialiser des organes humains. Pour le reste, vous l'avez compris, je ne suis pas favorable à des dispositions législatives trop rigides ou restrictives. Pour juger de ce qui est ou non contraire à l’éthique, je ferais plutôt confiance aux agences – EMEA, AFSSAPS, Agence de la biomédecine… –, leurs membres devant, bien entendu, être choisis pour leurs compétences et la diversité des éclairages qu'ils peuvent apporter.

M. Jean-Marc Nesme. Il faut bien que la loi fixe des principes.

M. Philippe Pouletty. Confier ces missions à des agences spécialisées dont le jugement tienne compte aussi des évolutions scientifiques et technologiques me paraît la bonne solution. Ainsi la loi n'a-t-elle pas, dans le détail, fixé le degré de purification d'un médicament ou la part d'endotoxines qu'il peut contenir ; elle a seulement chargé l'AFSSAPS de veiller à la qualité sanitaire et à ce qui a trait à la reproductibilité des médicaments.

M. Michel Vaxès. Vous fixez l'acceptable dans la recherche à ce qui sert le progrès médical, au bénéfice du progrès social, lequel exige un certain développement économique. Encore faut-il que le progrès économique serve le progrès médical, ce qui n'est pas toujours évident.

Certaines applications scientifiques doivent être encadrées afin d'éviter des dérives dont nous ne voulons pas, comme celle qui consisterait à sélectionner les embryons en fonction de leur sexe, de leur taille, de la couleur de leurs cheveux ou de leurs yeux. S'il ne faut pas brider la recherche fondamentale, il faut quand même encadrer la recherche appliquée.

M. Philippe Pouletty. Le législateur a, me semble-t-il, renoncé à cette protection en 1975 dès lors qu'il légalisait l’interruption volontaire de grossesse (IVG) pour convenances personnelles.

M. Jean-Marc Nesme. Ce n'était pas l'esprit de la loi de 1975.

M. Philippe Pouletty. La technologie permet de connaître les caractéristiques d'un fœtus. Je ne suis bien sûr pas favorable à la sélection, mais force est de reconnaître que c'est plus tôt qu'il fallait réagir. S'il y a aujourd'hui moins de personnes atteintes de la trisomie 21 en France, c'est bien qu'on procède à l'élimination des fœtus porteurs de la mutation génétique, dépistés par diagnostic prénatal. Ce qui est peut-être très dommage car il est des sociétés, notamment aux États-Unis, où ces personnes sont mieux acceptées et mieux intégrées.

M. Michel Vaxès. La comparaison avec l'IVG ne me paraît pas pertinente. En effet, l'IVG aboutit à l'interruption de la grossesse, c'est-à-dire à la mort de l'embryon. Le projet de modifier l'enfant à naître est tout autre.

M. le rapporteur. La technique est la même pour dépister l'anomalie chromosomique de la trisomie 21 que pour déterminer le sexe ou la couleur des yeux.

M. Jean-Marc Nesme. Craignez-vous, M. Pouletty, des dérives ? Si oui, lesquelles ?

M. Philippe Pouletty. Dès lors qu'on peut modifier le vivant, on peut créer des organismes nouveaux redoutables comme des virus qui auraient la létalité du virus Ebola et présenteraient la caractéristique d'une incubation retardée comme celui de la grippe. Vouloir améliorer une personne humaine par rapport à la normale serait une autre dérive dangereuse.

M. Paul Jeanneteau. Il faudrait d'abord définir la normalité pour définir l'amélioration.

M. Philippe Pouletty. On ne peut pas imaginer par avance tous les dangers possibles. Là encore, il faut faire confiance aux agences qui financent la recherche, qui autorisent les protocoles de recherche et les thérapeutiques.

M. le président.  Il me reste à vous remercier pour l'éclairage que vous avez apporté à nos travaux.

Audition de Mme Carine CAMBY, conseiller maître à la Cour des comptes, ancienne directrice générale de l’Agence de la biomédecine


(Procès-verbal de la séance du 10 décembre 2008)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous accueillons Mme Carine Camby, conseiller maître à la Cour des comptes, directrice générale de l’Établissement français des greffes de juillet 2003 à mai 2005, puis de l’Agence de la biomédecine, jusqu’en mai 2008.

Madame Camby, vous étiez chargée dans votre dernière fonction d’appliquer la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique, qui a institué l’Agence de la biomédecine. À ce titre, pouvez-vous nous indiquer les sujets sur lesquels il vous semble utile que le législateur se penche de nouveau ? Quel bilan dresser de l’application de la loi de bioéthique ? Une loi-cadre ne suffirait-elle pas, compte tenu des missions dont est investie l’Agence de la biomédecine ?

Enfin, nous souhaiterions vous entendre sur la complémentarité du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine et du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE).

Mme Carine Camby. En premier lieu, l’Agence de la biomédecine, qui a été créée par la loi de 2004 est encore jeune et n’a pas encore investi en profondeur l’ensemble des champs de la loi de bioéthique, certains décrets d’application restant à paraître. Cependant, il est possible de dresser un bilan de son action après trois années d’existence.

L’Agence a démontré qu’il était possible d’encadrer les domaines couverts par la loi de bioéthique : elle a convaincu l’ensemble des professionnels de sa maîtrise des sujets, de son aptitude à susciter le débat, de la transparence de son approche. Sur les pratiques sensibles, parfois transgressives, elle a exercé son autorité et le rôle de régulateur que lui avait confié le Parlement, en impliquant notamment les professionnels de santé et les associations de patients.

Au terme de longs débats au Parlement sur la question sensible de la recherche sur l’embryon, le législateur a trouvé un certain équilibre, en posant le principe général d’une interdiction, assortie de dérogations pendant une période limitée. En application de ces dispositions, l’Agence a délivré des autorisations aux équipes de recherche, après avoir examiné les dimensions scientifiques et éthiques de chaque projet. Le conseil d’orientation de l’Agence a joué un rôle fondamental dans ce domaine. Cette démarche régulatrice a fait ses preuves et une approche différente est désormais possible.

L’Agence s’est par ailleurs heurtée à une difficulté tenant au fait que la loi de 2004 atteint un haut degré de détails, avec des dispositions parfois impossibles à mettre en oeuvre. Je pense notamment aux dispositions concernant l’information de la parentèle en cas de maladie génétique transmissible dans la famille, dont ni le ministère de la santé, ni l’Agence n’ont réussi à trouver les voies d’application pratiques. La loi prévoyait également que l’Agence dresserait une liste des nouvelles techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP), suite aux débats sur l’injection intracytoplasmique de spermatozoïde (ICSI), technique mise en oeuvre sans validation préalable dans le cadre d’une recherche biomédicale. Là encore, l’Agence s’est heurtée à de réelles difficultés et n’a pas pu mettre en œuvre cette disposition.

À ce sujet, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a évoqué récemment la possibilité de dresser une liste des indications du diagnostic préimplantatoire (DPI). Je rappelle que l’Agence de la biomédecine, après avoir mené une large concertation et une réflexion approfondie sur ce sujet, a conclu qu’à ce stade, il était plus opportun de laisser aux professionnels, encadrés par l’Agence, une certaine souplesse d’appréciation au cas par cas dans la mise en œuvre de la loi, plutôt que de dresser la liste de ces indications par décret.

De manière générale, peut-être faudrait-il donner à l’Agence une marge de manœuvre plus importante, sous le contrôle du Parlement et du gouvernement ; cela permettrait au législateur de ne pas trop entrer dans les détails dans un domaine caractérisé par l’évolution rapide des techniques et de mieux résister à certaines pressions. Il conviendrait ainsi de renforcer le pouvoir normatif de l’Agence, qui, contrairement à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), ne peut édicter elle-même des règles de bonnes pratiques et les rendre opposables, la loi prévoyant un arrêté du ministère de la santé. Ainsi, après le dépôt par l’Agence du projet concernant les règles de bonnes pratiques en matière d’assistance médicale à la procréation (AMP), il a fallu pas moins de dix-huit mois pour que l’arrêté soit publié, avec une tendance de l’administration à refaire le travail déjà effectué par l’Agence. De la même manière, et comme les autres agences de sécurité sanitaire, l’Agence devrait pouvoir édicter la liste des documents à fournir pour le dépôt d’une demande d’autorisation, sans devoir passer par un arrêté du ministre.

Le conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine a joué un rôle extrêmement important et a rendu des avis fort intéressants. La question de la concurrence avec le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) ne se pose pas. S’appuyant sur un réseau de professionnels, le conseil d’orientation travaille sur des questions concrètes, posées par la pratique de l’Agence, concernant par exemple l’opportunité de fixer un âge limite pour le recours à l’AMP, le conseil d’orientation ayant conclu sur ce point qu’il était préférable de laisser les professionnels apprécier si les femmes concernées sont en âge de procréer et peuvent avoir recours à l’AMP. S’il existe des échanges entre les deux organismes – un membre du CCNE siège ainsi au conseil d’orientation de l’Agence – il n’y a pas forcément de recoupements.

Concernant en second lieu les débats actuels dans le domaine de la bioéthique, qui sont soit inspirés des pratiques existant à l’étranger, par exemple la gestation pour autrui (GPA) ou l’indemnisation des donneuses d’ovocytes, soit suscités par des groupes de pression, comme c’est le cas pour la levée de l’anonymat du don de gamètes, il me semble important de conserver le socle sur lequel a été construite notre législation relative à l’utilisation des éléments du corps humain dans le domaine scientifique ou thérapeutique et qui est fondé sur les trois principes suivants : le consentement, la gratuité et l’anonymat du don.

La France a toujours refusé d’entrer dans un système de commercialisation des éléments du corps humain : il existe un consensus parmi les professionnels et les associations présentes au conseil d’orientation de l’Agence pour ne pas remettre en cause le principe de gratuité. À cet égard, la perspective de l’indemnisation de certains donneurs ne laisse pas d’inquiéter car la limite qui la sépare de la rémunération est très tenue. L’indemnisation des donneuses d’ovocytes en Espagne, même si elle n’est que de quelques centaines d’euros, incite ainsi nombre de jeunes femmes à financer leurs études en se prêtant à des stimulations ovariennes.

De plus, la pénurie des dons d’ovocytes en France ne tient pas d’abord à l’absence d’indemnisation : elle est plutôt due aux conditions d’accueil insatisfaisantes des donneuses dans les centres hospitaliers et au fait qu’aucune campagne d’information n’a été menée sur cette question – ce à quoi l’Agence a remédié récemment. Le don doit rester un geste altruiste et citoyen.

Par ailleurs, le groupe de travail sénatorial sur la maternité pour autrui m’a demandé si l’Agence serait en mesure d’encadrer cette pratique si elle était autorisée. Certes, l’Agence a fait la preuve de sa capacité à encadrer des pratiques transgressives, mais je reste opposée à la gestation pour autrui car elle ne peut que contrevenir aux deux principes fondamentaux que sont la gratuité et l’anonymat. Qu’elle soit pratiquée ailleurs ne peut servir d’argument : la France doit assumer les interdictions qu’elle a posées. En revanche, en tant que citoyenne, je trouve injuste que les enfants concernés ne soient pas inscrits à l’état civil : c’est leur faire supporter le poids du choix de leurs parents.

Par ailleurs, même si une association milite pour la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes, il me semble qu’il serait dangereux d’attenter à ce principe essentiel qu’est l’anonymat. L’une des solutions évoquées – le double guichet – n’est certainement pas satisfaisante et, en tout état de cause, la levée de l’anonymat ne suffirait pas à résoudre les problèmes psychologiques que peuvent rencontrer les personnes issues d’une procréation médicalement assistée avec tiers donneur.

Le principe du consentement ne fait pas débat, sauf dans le cas du maintien du consentement présumé en matière de don d’organes. Régulièrement, des associations se prononcent pour l’inscription du consentement sur la carte Vitale ou sur le permis de conduire. Il faut pourtant savoir que les dons d’organes sont moins importants dans les pays où existe une condition de consentement exprès. Concernant les greffes d’organes, la situation actuelle me semble globalement satisfaisante – du moins, je ne vois pas de quelle façon la loi pourrait l’améliorer. Certes, la France continue de connaître une situation de pénurie, due à la forte augmentation de la demande. Cependant, les dons sont eux aussi en hausse ces dernières années. Ainsi, le taux de décès des personnes en attente de greffe diminue et les délais d’attente sont souvent relativement courts. Le développement du don d’organes dépend bien plus de la mobilisation des centres hospitaliers, notamment des services de réanimation, que de nouvelles dispositions législatives.

L’Agence est régulièrement interpellée sur la question des banques de sang de cordon ombilical en vue d’un usage autologue. L’autorisation de telles banques serait une atteinte au principe de non-commercialisation des éléments du corps humain. À cet égard, il faut souligner qu’actuellement, rien ne les interdit expressément. Ainsi, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) a jusqu’à présent fondé son refus d’autorisation de banques commerciales sur le fait que la validité thérapeutique des cellules conservées n’est pas avérée. Si le principe de leur interdiction devait être maintenu, il conviendrait dès lors qu’elle repose sur des fondements juridiques moins fragiles.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Quelles sont les relations qu’entretient l’Agence de la biomédecine avec l’Établissement français du sang, la Haute autorité de santé ou l’AFSSAPS ? Observe-t-on des chevauchements de compétences ? La situation actuelle vous semble-t-elle satisfaisante ou estimez-vous nécessaires certains rapprochements ?

Vous avez par ailleurs rappelé le socle sur lequel nous devons réfléchir avec beaucoup de prudence : gratuité, anonymat, consentement. Du fait notamment de la création de l’Agence de la biomédecine, une nouvelle loi de bioéthique devrait, selon vous, poser les grands principes, sans entrer dans les détails. Qu’attendez-vous de cette nouvelle loi ? Dans le domaine de l’assistance médicale à la procréation (AMP), l’Agence dispose-t-elle des moyens nécessaires à l’exercice de ses missions ? De quelle façon procède-t-elle au suivi des enfants issus d’une procréation médicalement assistée et de leurs parents, dont elle a été chargée ? Quels éléments pouvez-vous nous apporter sur l’AMP, alors que d’autres voies s’ouvrent dans des pays voisins et que l’élargissement des conditions d’accès à cette pratique fait débat en France ?

Mme Carine Camby. Il n’y a pas de chevauchement des compétences entre les différents organismes, ou alors, à la marge. L’AFSSAPS est le gardien de la sécurité sanitaire et il est important qu’elle exerce ce rôle vis-à-vis de l’Agence de la biomédecine. En effet, cette dernière travaille en relation étroite avec les professionnels pour établir les règles de bonnes pratiques et pour évaluer leur activité, et elle répond à leurs nombreux questionnements. Si l’Agence de la biomédecine et l’AFSSAPS devaient fusionner, des conflits d’intérêts en interne ne manqueraient pas de se produire. L’Agence a, par exemple, un rôle opérationnel dans le domaine de la greffe – elle attribue aux établissements de greffe les organes prélevés – et, à ce titre, a des comptes à rendre à l’AFSSAPS.

L’Agence de la biomédecine et l’Établissement français du sang (EFS), qui collecte chaque jour des milliers de poches de sang et est confronté à des problématiques bien différentes, ont peu de points communs. Sur le seul champ de recoupement – la greffe de cellules souches hématopoïétiques –, l’Agence et l’EFS travaillent en parfaite collaboration. Il appartient à l’Agence d’établir les règles générales d’organisation et de financer en partie l’activité de prélèvement, tandis que l’EFS est un opérateur.

Concernant la Haute autorité de santé (HAS), qui a été créée par la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie et qui est très jalouse de son indépendance, des chevauchements de compétence existent avec l’ensemble des agences sanitaires, en particulier sur l’édiction des règles de bonnes pratiques, mais des solutions pratiques ont pu être trouvées. Ainsi, le président de la HAS a proposé à l’Agence de la biomédecine d’assurer l’interface avec les professionnels pour la rédaction des règles de bonnes pratiques en AMP, sous réserve d’adopter la méthodologie de la HAS.

Je ne suis pas favorable à une loi-cadre sur des sujets aussi sensibles que la bioéthique mais la loi actuelle est trop détaillée. Il suffirait, dans de nombreux domaines, de déplacer un peu le curseur pour trouver le bon équilibre. Cela dit, l’existence d’une loi suffisamment précise a permis de consolider l’action de l’Agence.

Quant à la révision de la loi tous les cinq ans, je ne pense pas qu’il faille en faire un dogme. Le législateur se trouve ainsi contraint de réviser la loi de 2004 alors que sa mise en œuvre est récente – certains décrets d’application n’ont pas encore été publiés – et que très peu de points méritent de mon point de vue d’être modifiés.

M. le rapporteur. Lesquels ?

Mme Carine Camby. Je pense notamment à la question du donneur vivant : la loi est allée un peu trop loin dans la volonté d’encadrer la pratique et le dispositif mis en place est trop compliqué.

Par ailleurs, l’agrément individuel des praticiens dans le domaine de l’AMP, cause d’une grande complexité administrative, est devenu inutile. Les procédures de qualité, l’édiction de règles de bonnes pratiques, l’évaluation par l’Agence de la biomédecine de chaque centre d’AMP et la publication de leurs résultats sont beaucoup plus efficaces et protecteurs des patients. Il n’en va pas de même pour l’agrément des personnes pratiquant le diagnostic préimplantatoire (DPI), en nombre beaucoup moins important. Il pourrait par ailleurs être envisagé de simplifier le dispositif actuel, dans la mesure où l’autorisation des centres d’AMP relève de l’agence régionale de l’hospitalisation (ARH), tandis que celle des praticiens qui y exercent incombe à l’Agence de la biomédecine.

S’agissant des recherches sur l’embryon, il me semble raisonnable de passer à un dispositif d’autorisation et de lever le délai de cinq ans suivant la publication du décret d’application prévu par la loi de 2004, qui contraint le législateur à intervenir avant le 6 février 2011. Les dispositions de la loi relatives à l’information de la parentèle en cas de diagnostic d’une anomalie génétique grave pourraient également être modifiées.

S’agissant du diagnostic prénatal et du DPI, le dispositif fonctionne bien et je n’ai pas eu connaissance de dérapages dans ce domaine. Il conviendrait seulement d’éviter de dresser une liste d’indications du DPI.

L’Agence n’est pas parvenue à mettre en place une méthode simple de suivi des enfants issus d’une AMP et des femmes ayant subi des simulations ovariennes car cela obligeait à revenir vers les familles et à révéler, le cas échéant, la vérité sur la conception de l’enfant et l’existence d’un don de gamètes. Le dispositif était par essence intrusif et risquait de stigmatiser ces enfants. La seule solution consiste à croiser des registres existants, comme ceux des handicaps à la naissance, mais elle demande du temps et ne répond pas entièrement aux questions posées.

Mme Martine Aurillac. Quelles limites éthiques poseriez-vous à la recherche fondamentale sur l’embryon ? Par ailleurs, que pensez-vous du transfert post mortem de l’embryon, sujet sur lequel le président Alain Claeys et moi-même nous sommes battus en 2004, sans succès ?

M. Paul Jeanneteau. Pouvez-vous préciser sur quels points vous fonderiez la révision de la loi de 2004 ? Enfin, comment envisagez-vous l’écriture de la loi de 2010 ?

Mme Carine Camby. L’expression « recherche sur l’embryon » fait peur et masque le fond du problème : en effet, il ne s’agit pas d’une recherche suivie d’un transfert in utero, mais d’étudier les cellules souches embryonnaires d’embryons congelés et promis à la destruction.

Les conditions dans lesquelles les couples donnent ou non leur consentement à la recherche semblent satisfaisantes et exemptes de dérives. Les médecins sont très respectueux de la loi et cherchent à obtenir un consentement éclairé et explicite des couples, réitéré au bout de trois mois. C’est ainsi que 3 ou 4 % des embryons seulement sont donnés à la recherche, nombre de couples refusant de se déterminer. La disposition de la loi de 2004 permettant la destruction des embryons cinq ans après la disparition du projet parental n’est que très peu mise en œuvre par les centres hospitaliers, tant les médecins ont besoin d’être confortés dans ce geste définitif.

La rédaction de la loi, qui précise que l’équipe doit apporter la preuve d’un intérêt thérapeutique majeur pour obtenir une autorisation de recherche sur les cellules embryonnaires, laisse entendre que les recherches débouchent forcément sur une thérapeutique. Les chercheurs ne sont pas étrangers à cette rédaction qui tendait à faire accepter à l’opinion ces recherches, mais il est paradoxal que le législateur, en cherchant à freiner ce mouvement, l’ait ainsi consolidé !

Les conditions posées par la loi sont difficiles à mettre en œuvre. Elles ont dû être interprétées de façon assez large par le comité ad hoc sur les cellules souches, puis par l’Agence de la biomédecine, après avis de son conseil d’orientation. Nous avons ainsi été amenés à demander des dossiers de plus en plus complets. Le critère déterminant demeure la pertinence scientifique du projet et le respect des conditions éthiques de consentement.

Le fait qu’il s’agisse d’un régime d’interdiction assorti de dérogations a vite posé problème. Les équipes étaient demandeuses de règles concernant notamment la structuration de leurs recherches mais il a été difficile pour l’Agence d’offrir un encadrement plus poussé des pratiques – notamment la circulation des lignées des cellules souches entre les équipes –, par principe interdites.

De la même manière, ce régime a empêché l’Agence de promouvoir la création de banques de lignées, qui auraient permis d’utiliser les lignées déjà créées sans en créer de supplémentaires, de connaître leur localisation, leurs spécificités, la façon dont elles sont utilisées. La France s’est ainsi privée d’un outil structurant, qui existe dans d’autres pays comme la Grande-Bretagne.

Dans le bilan qu’elle a rendu public récemment, l’Agence a montré qu’il convenait de lever certaines imprécisions sémantiques : l’autorisation de recherche doit-elle porter uniquement sur les cellules souches embryonnaires pluripotentes ou également sur les cellules souches différenciées ? L’Agence a opté pour une solution consistant à placer les équipes hors du régime d’autorisation si elles apportaient la preuve que les cellules étaient totalement différenciées et qu’il n’y avait plus de cellules souches embryonnaires dans les milieux de culture. Cette solution en emporte une autre, non sécurisée sur le plan juridique, qui consiste à considérer que l’AFSSAPS est autorisée à délivrer des autorisations de recherche biomédicale sur ces cellules.

Je n’ai pas d’opinion personnelle sur le transfert post mortem d’embryons. Je relève simplement que ce débat, comme celui sur la gestation pour autrui, est né de cas particuliers douloureux, peu nombreux mais très emblématiques, posant des problèmes de principe. On pourrait imaginer d’ouvrir cette possibilité à certaines personnes, dans un cadre très strict. Dans ce cas, une instance de régulation devrait apprécier les situations et tenter, en équité, d’y apporter une réponse, comme c’est le cas pour les donneurs vivants d’organes. Comment la loi peut-elle cependant encadrer des cas particuliers, dans le but de résoudre des situations de détresse individuelle, sans autoriser de dérives ? C’est la question qui se pose aussi sur la fin de vie.

M. le rapporteur. Effectivement, il est difficile de légiférer sur l’exception !

Mme Carine Camby. Enfin, pour répondre à M. Jeanneteau, il me semble que depuis la loi de 2004, l’Agence a fait ses preuves et prouvé qu’elle pouvait dégager, grâce à l’appui des professionnels et à son conseil d’orientation, des solutions pondérées et raisonnables. Dans un cadre réglementaire très riche, il est possible de trouver des marges de manœuvre pour trancher des cas particuliers ou pour prendre des dispositions d’organisation. Il me semblerait donc contre-productif que la loi entre trop dans les détails.

M. Paul Jeanneteau. Pourriez-vous nous indiquer le nombre de personnes concernées par un transfert d’embryon post mortem ?

Mme Carine Camby. Très peu. Il s’agit d’un problème de principe : l’AMP est considéré aujourd’hui comme un traitement palliatif de l’infertilité, ce qui a permis à l’Agence de répondre, par exemple, à la question de l’âge limite des femmes concernées, en demandant aux professionnels d’apprécier l’état hormonal de leurs patientes. Dans ce cadre, le transfert post mortem serait une exception à ce principe. Toutefois dans la mesure où les lois de bioéthique comportent de nombreuses dispositions visant précisément à encadrer des régimes d’exception, cela ne serait sans doute pas choquant.

M. le président. Je vous remercie pour cette contribution importante à notre travail.

Audition de M. Pierre-Louis FAGNIEZ, conseiller auprès de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche


(Procès-verbal de la séance du 17 décembre 2008)

Présidence de M. Alain Claeys, président

Le président Alain Claeys. Je suis heureux d’accueillir M. Pierre-Louis Fagniez. Nul besoin de présenter le rapporteur de la loi de bioéthique de 2004, chargé par le Premier ministre d’une mission relative à la recherche sur les cellules souches, aujourd’hui conseiller auprès de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur Fagniez, pourriez-vous dresser un bilan de la loi du 6 août 2004 – notamment du fonctionnement de l’Agence de la biomédecine – et, puisqu’il s’agit là de votre compétence actuelle, nous dire quels sont les problèmes éthiques qui se posent dans le domaine de la recherche ?

M. Pierre-Louis Fagniez. Je me réjouis de revenir en ces lieux, où nous avons si ardemment travaillé et débattu de ces sujets.

La loi de 2004 a repris les grands thèmes abordés par les lois de 1994 : le don d’organes (qui ne semble plus guère être un problème), la brevetabilité du vivant et les tests génétiques, et les deux points les plus sensibles, l’assistance médicale à la procréation et la recherche sur les cellules souches embryonnaires et le clonage thérapeutique. Le premier titre de cette loi était d’ordre administratif et d’aucuns, à l’époque, n’en voyaient pas l’intérêt : il prévoyait la création de l’Agence de la biomédecine, qui m’apparaît pourtant aujourd’hui comme l’apport majeur de ce texte, car rien n’aurait pu être fait sans cet organisme. Ce succès est dû en partie au travail des parlementaires et je ne regrette pas d’avoir beaucoup réfléchi, avec M. Claeys et M. Leonetti, à son fonctionnement et à ses missions. Il est dû surtout à l’engagement d’une femme, énarque, conseillère à la Cour des comptes, qui a été nommée directrice générale par le ministre de la santé et qui a si bien embrassé sa mission et donné un tel allant à l’Agence qu’il semble désormais impossible de revenir en arrière. Carine Camby a su, grâce à son écoute et à sa compréhension des sujets, faire du conseil d’orientation de l’Agence – au sein duquel j’ai siégé – un lieu de débats apaisés et développer la réflexion sur un certain nombre de perspectives qui avaient d’abord paru peu fécondes.

Outre les greffes, sujet peu conflictuel, l’Agence s’est beaucoup investie dans les domaines de l’assistance médicale à la procréation et de la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Elle a rempli sa mission, qui n’est pas de recherche mais de promotion et d’aide aux projets de recherche, ainsi que de vérification de leur conformité aux exigences de la loi de bioéthique sur des sujets aussi sensibles que les recherches sur les cellules embryonnaires. Ses avis motivés sont transmis au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et aucun n’a fait l’objet de contestation. C’est pourquoi, si la question peut se poser, le fait que l’Agence ne soit pas placée sous la tutelle du ministère chargé de la recherche n’apparaît pas aujourd’hui comme un vrai problème.

Sur les sujets qui éveillaient les craintes les plus vives, là où certains redoutaient d’ouvrir une boîte de Pandore, l’Agence a montré qu’il était possible d’encadrer les débats et d’organiser une approche plus sereine. Débats, divergences, émotion n’ont pas disparu mais, depuis 2004, le débat s’est apaisé et certains d’entre nous ont parfois pu réviser leurs opinions : je pense notamment à la question du « bébé du double espoir », soit l’extension encadrée des indications du diagnostic préimplantatoire (DPI), ou du transfert post mortem d’embryon.

Comment légiférer sur les cellules souches ? Mon rapport sur cette question m’a permis de continuer à l’approfondir et d’en mesurer la complexité, et la difficulté de trancher par oui ou par non : cette logique binaire s’applique mal au droit de la bioéthique. Mme Delmas-Marty nous invitait ainsi à faire preuve « d’invention juridique ». La logique oui/non conduit à interdire la recherche sur les cellules souches… tout en l’autorisant sous certaines conditions dérogatoires. Ce n’est pas une solution : nous devons être plus clairs. Profitons de la révision de la loi pour mieux définir les concepts, choisir des mots qui permettent d’affronter les problèmes plutôt que d’y échapper, rendre la loi intelligible et communicable. Nous sommes aujourd’hui parvenus, grâce au travail de l’Agence de la biomédecine, à un stade de maturité qui nous permet désormais d’imaginer un autre type de loi. Il s’agirait non pas seulement d’une loi-cadre qui s’en tiendrait aux grands principes (à ce niveau, on pourrait en rester à la logique binaire), mais une loi qui, partant des principes, entrerait dans certains détails, sans pour autant être bavarde, comme l’était parfois la loi de 2004. Ainsi, il n’est pas impossible qu’à terme, cette grande loi de bioéthique puisse couvrir, dans un ensemble cohérent et apaisé, des champs tels que la fin de vie ou la recherche médicale, objets respectifs de la loi Leonetti et de la loi Huriet – je les nomme, mais sans oublier que ce sont des lois de la République, et en sachant que le « discours aux asticots », ce n’est pas le genre de Jean Leonetti !

M. Jean Leonetti, rapporteur. Je vous remercie de nous avoir fait part de votre expérience, acquise dans les différentes fonctions que vous avez occupées. Il est intéressant de noter combien les opinions qui s’affrontaient hier dans un contexte tendu, ont pu converger grâce à l’écoute mutuelle. Quant aux lois nominales que vous venez de citer, je pense en effet que ce sont avant tout des lois de la République ; à ce titre, j’aimerais, ne serait-ce que pour éviter les attaques ad hominem, qu’il soit plus souvent rappelé que la loi sur la fin de vie a été cosignée par trente députés et adoptée à l’unanimité !

Comment légiférer sur les questions de la bioéthique ? Je vous rejoins sur l’idée d’une loi-cadre qui refonderait les grands principes, sans s’interdire pour autant d’entrer dans certains détails. Si une telle loi devait être adoptée, compte tenu du rôle que joue aujourd’hui l’Agence de la biomédecine et étant entendu qu’en cas de révolution scientifique ou médicale, le Parlement serait à même de s’en saisir, vous semble-t-il nécessaire de continuer de prévoir une révision de la loi tous les cinq ans ? Faudrait-il plutôt toiletter la loi, au lieu de réviser périodiquement tout un ensemble de règles dont les principes et beaucoup de détails n’auraient pas considérablement évolué ?

Et précisément, quels sont les sujets qui, selon vous, doivent être abordés de manière plus approfondie ? Pour les greffes d’organes, il n’y a sans doute pas lieu de prévoir de bouleversement de la réglementation actuelle. En revanche, il semble que certains débats se soient apaisés, concernant par exemple les cellules souches, cependant que d’autres demeurent tendus, tels que ceux concernant l’assistance médicale à la procréation, la gestation pour autrui ou la crainte d’une dérive eugéniste liée au développement du diagnostic préimplantatoire (DPI).

M. Bernard Debré. Pour une organisation optimale, il me paraîtrait intéressant que le CCNE, dont je suis membre, travaille en amont, que le Parlement légifère et que l’Agence de la biomédecine régule ensuite. Cela éviterait un mélange des genres, d’autant qu’il existe par ailleurs de nombreux comités d’éthique locaux dont les jurisprudences peuvent être différentes. Ne serait-il pas utile de clarifier cette articulation ?

Nous allons être confrontés à des questions de société très importantes. Ainsi la découverte, il y a deux ans, de la présence de cellules de l’embryon dans le sang de la mère au bout de trois ou quatre semaines d’aménorrhée pose un problème fondamental puisqu’elle rend possible la détection d’anomalies avant le terme du délai légal pour l’interruption volontaire de grossesse. Cela pourrait permettre une forme d’eugénisme. Qui en décidera ? Une immense réflexion nous attend.

Autre bouleversement majeur, la conservation des cellules souches issues du cordon d’un nouveau-né, qui est systématique dans certains pays voisins, ce qui contrevient à l’un de nos principes fondamentaux encadrant les greffes et les transfusions, l’altruisme. Ces cellules souches doivent-elles être considérées comme appartenant à l’enfant et à lui seul ou doivent-elles être déposées dans une banque commune ?

S’agissant de la gestation pour autrui, non seulement le Sénat a brouillé la discussion en prenant l’initiative d’une réflexion à ce sujet, mais son groupe de travail a aussi conclu à une autorisation de cette pratique, doublée d’un « droit au remords » ressemblant quelque peu au délai de rétractation dans le cadre commercial… Comment concevoir l’articulation de telles initiatives parlementaires avec le travail du CCNE et celui de l’Agence ?

M. Pierre-Louis Fagniez. Faut-il persévérer dans la voie d’une révision systématique de la loi ? Une telle révision n’empêchera pas les problèmes d’émerger et son absence n’ôterait pas au Parlement son droit et son devoir de légiférer. Il convient selon moi de faire une loi la plus large possible, une sorte de mixte entre loi cadre et loi ordinaire, mais précise sans être bavarde, tout en sachant qu’elle sera appelée à être modifiée. De plus, alors que le Parlement s’était engagé à réviser en 1999 la loi de 1994, c’est seulement en 2004 que la nouvelle loi a été adoptée. Forts de cette expérience, nous avons organisé un colloque parlementaire dès février 2007, lors duquel Xavier Bertrand, alors ministre de la santé, s’est prononcé en faveur de la tenue d’États généraux en 2008. Nous savons ce qu’il est advenu de cette promesse, et nous savons d’ores et déjà qu’il sera impossible de réviser la loi en 2009 comme nous l’avions promis. Ayons le courage de le dire, même si le retard ne vient pas du Parlement.

Dans la loi de 2004, il a été décidé à l’unanimité de rattacher budgétairement aux services du Premier ministre le CCNE – dont le président est désormais rémunéré – afin de renforcer le rôle de cet organisme. Quel est exactement, demande Bernard Debré, son créneau d’intervention ? C’est son pouvoir d’autosaisine qui fait son âme et l’essentiel de son utilité depuis 1983 : il lui laisse la liberté de se mouvoir à l’intérieur de l’espace qui lui est dédié – tout en répondant aux saisines du gouvernement ou du Parlement. Le Comité doit rester en amont des décisions, ou tout au moins des décisions de débattre. Il convient que le Parlement soit toujours informé de ce que fait le CCNE, pour savoir s’il doit prendre des mesures de toilettage législatif. En aval, l’Agence de la biomédecine est un outil à la disposition de l’État, doté de moyens suffisants pour faire respecter la réglementation applicable en matière de bioéthique. Son conseil d’orientation pourrait suppléer la réflexion du CCNE si celui-ci ne s’était pas autosaisi d’un sujet ou avait tardé à le faire. Mais cette possibilité ne doit en aucun cas introduire une quelconque rivalité entre ces deux instances, qui, pour avoir la même finalité, assument des missions très différentes.

M. Michel Vaxès. Pourriez-vous mieux définir l’articulation qui existerait entre une loi-cadre et l’énoncé de grands principes ? Est-il possible de définir une grille de lecture des avancées de la recherche qui permettrait au CCNE ou à l’Agence de la biomédecine de remettre chaque fois que nécessaire l’ouvrage sur le métier et au Parlement de faire évoluer la loi ?

M. Xavier Breton. L’Agence de la biomédecine a-t-elle rempli exactement les missions que lui avait confiées le Parlement en 2004 ? Est-elle allée au-delà et comment peut-on le savoir ? Le politique peut-il continuer à contrôler l’investissement des champs de la bioéthique par l’Agence ? N’y a-t-il pas un risque de dessaisissement de ce pouvoir au profit d’une agence technique ?

Mme Pascale Crozon. C’est seulement en recevant le rapport du groupe de travail du Sénat que nous avons découvert qu’une réflexion sur la gestation pour autrui était menée au Palais du Luxembourg. Un tel fonctionnement est regrettable, d’autant qu’il s’agit d’un problème de société fondamental.

M. Pierre-Louis Fagniez. Michel Vaxès parle d’une grille de lecture pour l’interprétation législative des avancées scientifiques. Cela ne retire rien à ce que je propose avec Jean Leonetti, à savoir que la loi comporte à la fois un aspect de loi-cadre, posant les grands principes – qu’il n’est pas inutile de rappeler, ne serait-ce que pour ceux qui découvrent la loi – et qu’elle aborde ensuite des sujets spécifiques, comme la gestation pour autrui. Ce que cette loi doit énoncer clairement, c’est que les principes ne peuvent pas toujours être totalement suivis.

S’agissant de la complémentarité des organismes, l’Agence de la biomédecine a pour mission de mettre en œuvre la volonté du peuple, que vous représentez. Le Parlement, pour sa part, dispose d’un organe composé de manière paritaire entre l’Assemblée nationale et le Sénat, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST), qui suit l’activité de l’Agence et mène une réflexion de qualité – le rapport de MM. Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialatte est pour nous tous un ouvrage de chevet – en vue d’une lecture législative des avancées scientifiques. L’existence de cet Office devrait permettre de répondre à la fois à la question de Mme Crozon sur l’articulation entre les deux chambres et à celle de M. Breton sur le besoin de suivre l’activité de l’Agence.

Mme Martine Aurillac. Y a-t-il une légère inflexion ou une évolution possible dans l’approche des grands principes de bioéthique – l’inviolabilité, la non-brevetabilité, l’anonymat et la gratuité ? Quelle est votre position sur le « clonage thérapeutique » – expression que j’estime très malheureuse ?

M. Pierre-Louis Fagniez. Nous devons être disposés à dire que le principe s’applique de manière générale mais que son respect ne doit pas être « tatillon », de façon à ne pas empêcher des avancées de se produire, qui puissent satisfaire d’autres principes. Nous devons être très clairs sur les principes, pour pouvoir l’être aussi sur les raisons que nous avons d’y déroger dans certains cas. La gratuité, la solidarité ou l’anonymat sont des principes constitutifs de la société française, que le Parlement se doit d’énoncer, quitte à prévoir des dérogations. Mme Delmas-Marty a beaucoup travaillé sur cette notion d’un droit différent, novateur, qui puisse s’adapter à cette substance particulière, nourrie de contradictions.

Le rapporteur. À mes yeux ce problème n’est pas celui d’un compromis entre le pragmatisme et les principes, mais d’un conflit de valeurs au sein même des principes. Il y a des conflits de valeurs, selon que l’on se place au niveau de la société, de l’individu ou de l’espèce humaine, qui ont trois horizons temporels différents. Par exemple, le principe d’autonomie de la personne et celui de respect de la vie entrent en conflit – assumé – lorsque se pose le problème de la fin de vie. S’agissant du sang de cordon, il est difficile de concilier la position de la société, pour laquelle prime le principe de partage, et celle de l’individu, qui doit disposer du droit de se soigner à partir d’éléments de son propre corps. Il s’agit donc moins d’adopter une attitude pragmatique face au respect de certaines valeurs que de résoudre le conflit entre les différentes valeurs.

M. Pierre-Louis Fagniez. L’expression « clonage thérapeutique » est un contresens que nous avons pourtant assumé, à une époque où les progrès devaient avoir une finalité thérapeutique pour être acceptés de l’opinion publique. En effet, il est impossible de dire d’avance si une recherche est ou non à même de déboucher sur un progrès thérapeutique majeur. Ce que nous voulions éviter, c’était que des embryons soient produits pour la recherche. Parallèlement, nous ne pouvions pas empêcher les scientifiques d’étudier ces cellules souches embryonnaires, sachant qu’aucun d’eux n’avait d’autre idée que de faire progresser la connaissance. Un certain accord de la population a été obtenu depuis, notamment grâce à l’encadrement prévu par le décret de 2006.

Qu’est-ce que le clonage thérapeutique ? Il s’agit d’un ovule, dont on a retiré le noyau pour y placer celui d’une cellule somatique, à deux fois vingt-trois chromosomes, et qui, développé en laboratoire, donne des cellules souches embryonnaires. Il est imaginable que cet objet puisse être implanté dans un utérus pour devenir un être humain, de la même manière que l’on peut utiliser un couteau pour tuer quelqu’un, couteau dont la fabrication est pourtant autorisée. Il ne faut pas confondre la finalité de la recherche sur des cellules avec de possibles dérives criminelles.

À l’époque, je proposais de parler de clonage non reproductif, afin de nous mettre en conformité avec la convention d’Oviedo – il faudra d’ailleurs reposer la question de sa ratification. Aujourd’hui, nous pouvons nous autoriser une approche tout à fait décomplexée, d’autant que l’Agence de la biomédecine a apporté la preuve qu’il était possible de réguler les recherches. Passons donc à un régime d’autorisation pour les études sur les cellules souches embryonnaires, quelle qu’en soit la source – et donc sans qu’il soit besoin d’évoquer spécifiquement le clonage dit thérapeutique –, qu’il s’agisse d’un embryon procédant de deux gamètes abandonné, le projet parental ayant pris fin ou d’un embryon « cloné », qui n’a aucune vocation à garder son nom d’embryon. Cette approche me semble compatible avec la notion d’être humain en devenir, au sens où l’entend l’Église catholique.

M. Bernard Debré. Faire de la sémantique, c’est bien, mais les mots ont d’autant plus de force qu’ils prêtent à contresens. La technique utilisée pour Dolly peut l’être pour un homme. Il est important d’insister sur les termes « quelle que soit leur provenance ».

Le président. Je ne doute pas que cette proposition concrète de Pierre-Louis Fagniez fera l’objet de débats ultérieurs dans le cadre de cette mission.

M. Bernard Debré. Peut-on imaginer de conserver les cellules souches du sang de cordon dans l’intérêt de l’individu dont elles proviennent ? Il me semble qu’on ne pourra pas l’interdire. Faut-il au contraire que ces cellules soient partagées ?

M. Pierre-Louis Fagniez. Si l’on compare ces cellules souches à des hématies, il faut rappeler que l’autotransfusion est autorisée, bien que le don du sang soit dominé par le principe de solidarité. Par analogie avec les globules rouges, cela ne me gênerait pas que, sans déroger à ce principe de solidarité, l’on puisse réserver l’usage de cellules souches à l’individu dont elles proviennent, mais de manière très encadrée – comme l’est d’ailleurs l’autotransfusion.

M. Bernard Debré. Certains pays en sont venus à rendre quasiment obligatoire la conservation de ces cellules souches, de peur d’être confrontés dans une vingtaine d’années à des procès. Il y a là un véritable problème juridique.

Mme Martine Aurillac. Pouvez-vous préciser votre position concernant les mères porteuses ?

M. Pierre-Louis Fagniez. Je ne veux pas revenir en détail sur les raisons pour lesquelles en 2004 nous avions maintenu l’interdiction de la gestation pour autrui, raisons développées notamment par Caroline Eliacheff ou René Frydman et qui reposaient sur l’intérêt de la mère, de l’enfant et de la cellule familiale. D’autres positions ont été exprimées, notamment par Geneviève Delaisi de Parseval ou par Israël Nisand, dont l’approche est plus centrée sur l’aide médicale à la procréation.

J’ai été sensibilisé à cette question par les époux Mennesson, des personnes calmes mais résolues. Si leurs arguments n’ont pas réussi à me convaincre de la nécessité d’autoriser la gestation pour autrui, je trouve inacceptable que leurs jumelles, qui n’y sont pour rien, ne puissent être inscrites à l’état civil comme tout autre enfant français. Je rappelle que la Cour de cassation doit aujourd’hui juger du bien fondé du « trouble à l’ordre public » : cette jurisprudence, soit dit en passant, viendra combler le vide laissé par le législateur. J’estime que ce n’est pas parce qu’elle est interdite qu’il ne faut pas accompagner cette pratique.

M. Bernard Debré. C’est bien ce qui oppose « fabrication » et « résultat ». Autant le processus de fabrication est condamnable – achat d’ovocyte et rémunération d’une mère porteuse américaine – autant le résultat – deux enfants – doit être respecté. De la même manière, si un clone reproductif venait à naître, c’est bien la méthode qui serait condamnable, et non l’enfant.

M. Pierre-Louis Fagniez. Il y aura toujours des pratiques autorisées à l’étranger et condamnées en France. Mais je ne vois pas en quoi les enfants qu’elles permettent de concevoir ne pourraient pas être reconnus comme Français. Le droit de l’enfant doit prévaloir.

Le président. Je vous remercie.

Audition de Mme Nicole QUESTIAUX, membre du Conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine et membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme


(Procès-verbal de la séance du 17 décembre 2008)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. C’est avec grand plaisir que nous accueillons aujourd’hui Mme Nicole Questiaux.

Les questions de bioéthique vous sont familières, madame, puisque vous êtes membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) et, au titre de celle-ci, du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine, et que vous avez été, par le passé, vice-présidente du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), et membre titulaire, en 2004 et 2005, du comité ad hoc pour la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

Avec Jean-Sébastien Vialatte ici présent, j’ai déjà eu l’occasion de vous écouter, en novembre 2007, lors d’une audition devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Nous allons vous entendre aujourd’hui dans le cadre d’une mission d’information dont les travaux serviront de préambule à la révision des lois de bioéthique, laquelle devrait intervenir en 2010 après la tenue, au cours du premier semestre de l’année prochaine, d’états généraux et de débats citoyens.

Vous aviez notamment indiqué, lors de notre précédente rencontre en 2007, que les lois de bioéthique, qui ne se fondent sur des principes figurant dans le code civil, n’ont pas vocation à être révisées périodiquement. Mais les évolutions techniques et l’application pratique des principes les rendent vulnérables. À cet égard, nous nous interrogeons sur les formes que doit prendre la loi. Que pensez-vous d’une éventuelle loi-cadre ?

Vous aviez également évoqué les tensions de plus en plus fortes qui existent entre, d’une part, les grands principes portant sur le corps humain, à savoir son indisponibilité et son placement hors du champ du commerce et, d’autre part, les aspirations individualistes de nos concitoyens, de plus en plus favorables à la levée d’interdits. Dénouer ces tensions est l’un des enjeux de la révision des lois bioéthiques.

D’une façon plus générale, comment appréhendez-vous la révision des lois bioéthiques ? Qu’est-ce qui va changer avec la mise en place de l’Agence de la biomédecine, qui n’existait pas avant la loi de 2004 ? Quels sont, enfin, les sujets susceptibles de provoquer les tensions que je viens d’évoquer ?

Mme Nicole Questiaux. Vous me faites beaucoup d’honneur en m’auditionnant, puisqu’au moment où je vous parle, je suis une simple citoyenne : je ne suis plus membre ni du CCNE, où j’ai siégé vingt ans, ni de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) – ce qui implique que je ne siège plus au conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine, y ayant été désignée en tant que membre de la CNCDH – ni, enfin, du Comité international de bioéthique de l’UNESCO.

Toutefois, je suis une citoyenne qui, de formation juridique, se passionne pour ces questions, qui a confiance dans les progrès scientifiques et qui ne se réfère à aucune religion. Vous comprendrez mieux mon propos à la lumière de ces présupposés.

S’agissant de la révision des lois de bioéthique, ma position est assez conservatrice. Pour avoir suivi le processus original qui a abouti dans notre pays à la loi actuelle et au principe de sa révision, je pense que ce qui nous est proposé, après trois ans d’existence de l’Agence de la biomédecine, est une consolidation et non un aggiornamento, tant sur le plan des principes que sur le plan juridique.

Tout a commencé avec les travaux du CCNE, qui a engagé un débat pluridisciplinaire entre d’éminents scientifiques, des médecins et les représentants de différentes familles spirituelles, politiques et juridiques, ce qui a déjà permis de dégager certaines difficultés, qui ont été classées sous le vocable de « bioéthiques ». Le CCNE a très vite découvert qu’il ne pouvait avancer qu’avec la confiance du milieu scientifique – qu’il ne fallait donc pas forcer – et que les garanties et les contrepoids proposés devaient être acceptés et scientifiquement irréfutables. C’est pourquoi Jean Bernard, qui en était le premier président, a refusé de définir les notions d’éthique et de bioéthique, persuadé qu’il était – ce qui nous a beaucoup influencé – que toute avancée ne pouvait être réalisée, compte tenu des progrès de la science, qu’en menant une réflexion au coup par coup.

Je reste persuadée, après m’être investie vingt ans sur les questions de bioéthique, que l’on ne peut éviter cette démarche progressive en raison des différentes tensions que l’on rencontre dans ce domaine. Mais il est difficile de le faire comprendre au public : tout le monde se passionne pour la bioéthique, veut apporter son grain de sel et tout redécouvrir mais personne n’accepte le compromis qui a été obtenu par d’autres. De ce fait, la réflexion sur la bioéthique souffre d’un foisonnement qui, à mon avis, commence à devenir dangereux.

Je vous en livre deux exemples : il se trouve que lors de la précédente révision des lois de bioéthique de 1994, j’étais en même temps rapporteure au CCNE et à la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Devant des questions difficiles comme celle des cellules souches, j’ai soutenu la même conviction devant les deux instances. Or, elles ont rendu des avis contradictoires – leurs deux présidents étant à chaque fois battus, alors qu’ils s’étaient beaucoup engagés pour défendre la solution qu’ils préconisaient !

L’année dernière, par ailleurs, bien avant la révision des lois de bioéthique, la Commission nationale consultative des droits de l’homme a souhaité engager un certain nombre de réflexions. À cette occasion, nous avons tenté de recenser les débats internationaux sur la question – ni la société, ni le Parlement ne sont conscients des difficultés que nous rencontrons, sur le plan international, lorsqu’il s’agit de prendre des engagements bioéthiques. Il faut savoir en effet que la déclaration universelle de l’UNESCO sur la bioéthique et les droits de l'homme n’est encore qu’une déclaration et qu’elle évoluera forcément vers un texte conventionnel. Quant à la convention d’Oviedo, elle fait chaque jour l’objet d’un nouveau protocole. Un jour, tous ces textes auront une valeur supérieure à la loi nationale et pourtant nous nous engageons dans ce débat sans y prêter la moindre attention.

Un tel foisonnement, je le répète, me paraît dangereux, d’autant qu’il porte sur un domaine très sensible.

Mon expérience m’a également fait comprendre l’extraordinaire sensibilité en la matière, toute intervention étant susceptible de porter atteinte à la liberté de conscience et de pensée mais également à la liberté économique, car il s’agit bien de limiter la recherche en fonction des problèmes qu’elle pose. Il n’est pas anodin en effet de fixer des limites à la recherche, à la médecine et à la biologie, d’autant que ces activités sont exercées dans un monde globalisé et que les pairs de nos chercheurs sont américains, hindous ou japonais. La liberté de la recherche est une question ultrasensible, du fait de l’importance des enjeux financiers qu’elle recouvre, et un simple mot peut avoir des répercussions financières considérables.

De même, mon expérience me conduit à penser que certains ne céderont pas s’agissant de certaines questions bioéthiques. Autrement dit, vous devrez trouver des solutions procédurales, faute de quoi vous ne réglerez pas le différent profond qui oppose les uns et les autres sur le début de la vie et les questions qu’il soulève.

Monsieur le président, en passant de l’éthique au droit, en posant quelques principes simples – indisponibilité du corps humain, interdiction de le commercialiser, statut du corps, respect de l’enfant en matière d’assistance à la procréation – et en instaurant un régime d’autorisation contraignant, nous avons pris une décision très importante, tant dans ses principes que dans son mécanisme, et nous en avons confié la surveillance à un organisme habilité à faire du « coup par coup ». Cette procédure est satisfaisante et je pense qu’il ne faut surtout pas la modifier.

Je suis quelque peu irritée lorsque le CCNE nous demande de nous positionner par rapport à une loi-cadre ou à un système de dérogations. Pour instaurer un pouvoir d’autorisation en matière d’activités privées, le législateur est obligé d’intervenir car cela ne saurait dépendre d’une loi-cadre : il doit donner des pouvoirs à quelqu’un et, pour cela, définir des critères de façon prudente – il lui suffit d’observer l’application des lois depuis une dizaine d’années pour le comprendre. Définir à l’avance des critères susceptibles de résister à de futures avancées scientifiques est en effet un exercice délicat – ce n’est pas aux législateurs avertis que vous êtes que je l’apprendrai. Nous avons parfois fait fausse route en voulant éviter des erreurs que la science pourrait commettre. Or, il peut arriver que nous définissions un acte comme une erreur simplement parce que nous ne le comprenons pas.

En bref, si une loi relative à la bioéthique est une loi comme une autre, elle doit être bien rédigée. Les autorisations qu’elle permet doivent être clairement définies et si elle confie à une agence le soin de répondre à des questions difficiles, elle doit lui donner les moyens de s’adapter aux évolutions scientifiques. Souvenez-vous des hésitations que nous avons manifestées pour accorder des autorisations en matière de recherche sur les cellules embryonnaires : de fait, il ne s’agissait que de recherche fondamentale, même si les scientifiques prétendaient le contraire. Il est donc logique que nous ayons interprété les règles de finalité thérapeutique de façon suffisamment large pour y inclure la recherche fondamentale. Cela nous a servi de leçon et nous invite, dans le prochain texte, à être plus prudents.

La loi qui se prépare n’est donc ni plus difficile, ni plus extraordinaire que la plupart de celles que vote le Parlement. Quant à la fameuse révision périodique de la loi, qui suscite l’intérêt de tous et qui n’a été inventée que pour faire face aux évolutions prétendument très rapides du progrès technique, on constate que, quelques années plus tard, les mécanismes mis en place sont toujours d’actualité. Le Parlement fera ce qu’il veut mais le fait de prévoir la révision de la loi tous les cinq ans a, en tout état de cause, peu d’importance. Les principes que nous avons affirmés, comme les mécanismes que nous avons adoptés, doivent être conservés, même s’ils appellent des ajustements.

J’en viens à mon expérience à l’Agence de la biomédecine. J’ai personnellement soutenu cette instance, convaincue que nous ne pouvions passer du CCNE à la loi sans un organe capable de prendre des décisions au coup par coup, et j’estime que l’Agence a parfaitement mené à bien cette première phase. J’ai observé son fonctionnement et les conditions de délivrance des autorisations m’ont parues honnêtes. Bien que les personnes qui siègent au conseil d’orientation ne soient pas toutes scientifiques – je pense notamment aux représentants d'associations de personnes malades et d'usagers du système de santé – et ne comprennent pas toujours la portée des projets qui sont évoqués, le système fonctionne bien et évite le risque réel d’une prise en main par les professionnels.

Je souhaite donc que le rôle de l’Agence soit conforté. Il sera toujours temps d’évaluer son impact dans l’organisation structurelle de l’État, mais sa fonction n’appelle pas la moindre critique de ma part – j’en veux pour preuve le rapport très clair et très honnête qu’elle vient de publier, qui informe parfaitement le Parlement.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Il semblerait tout d’abord que l’idée de faire référence à la bioéthique dans la Constitution n’a pas été retenue dans le rapport du Comité de réflexion sur le préambule de la Constitution.

Par ailleurs, comme vous l’avez rappelé, de grands principes ont déjà été définis dans ce domaine. En outre, il semblerait que, sur plusieurs points, les débats se soient apaisés. Des interrogations demeurent cependant concernant notamment les recherches sur les cellules souches embryonnaires. En effet, si la loi évoque des recherches à finalité « thérapeutique », c’est bien pour compenser ce qui, s’agissant des cellules souches, est considéré comme une violation de l’interdit. Ce n’est peut-être qu’un problème de sémantique, mais c’est ce qui explique la nécessité d’un toilettage.

Sans recourir à une loi-cadre, pourquoi ne pas mettre en exergue les grands principes constitutionnels ? Cela contribuerait à une meilleure lisibilité de la loi. Les grands principes s’inspirant de réflexions menées sur le plan international, pourquoi ne pas en profiter pour ébaucher un droit universel en ce domaine ? Bref, oui au toilettage, mais non à l’empilage !

M. Xavier Breton. Ma première question porte sur l’articulation entre le CCNE, l’Agence de la biomédecine et l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST). Ce matin, Bernard Debré évoquait la possibilité d’une intervention du CCNE, en amont, et du Parlement, suivie, en aval, d’une mise en œuvre de la loi par l’Agence. Cette répartition des rôles vous paraît-elle pertinente ?

Par ailleurs, comment pensez-vous que les états généraux aborderont les questions bioéthiques ?

Mme Nicole Questiaux. S’agissant du préambule de la Constitution, j’ai été soulagée d’apprendre, pour une raison qui dépasse le sujet de la bioéthique, qu’il n’était pas question de le modifier : je considère en effet que le préambule représente un événement historique et qu’il ne convient pas de le modifier. De plus, le Conseil constitutionnel, dont le rôle a été renforcé, est parfaitement à même de donner une consistance suffisante aux différents principes qui s’attachent à la bioéthique, sans qu’il soit besoin de les faire figurer dans le préambule. Ma position sur ce point est très ferme.

Quant à votre souhait de faire ressortir les grands principes, monsieur le rapporteur, j’ai entendu le discours inverse lors des travaux préparatoires aux premières lois de bioéthique de 1994 : le fait de poser de grands principes et, d’une certaine manière, de formuler les termes du débat en un ou deux articles du code civil paraissait alors à certains juristes tout à fait suffisant et représentait pour eux un véritable progrès ! Cette école de pensée a persévéré et depuis, nombreux sont ceux qui pensent qu’il faut laisser à tous ceux qui sont chargés d’interpréter la loi, y compris le juge, le soin de faire évoluer les choses.

Le Parlement, s’il réécrit la loi, pourra-t-il faire mieux et va-t-il réaffirmer tous les principes, notamment celui de la non-commercialisation du corps humain ? Conservera-t-il une rédaction aussi souple que celle qui est appliquée aujourd’hui ? Ce principe, qui figure dans la loi française et que nous retrouvons dans la convention d’Oviedo, est déjà très atténué dans les textes universels, et, quoi qu’on en dise, il est battu en brèche par le régime des brevets. Je crains que demander une remise en ordre à des législateurs n’apporte rien de bon…

S’agissant des états généraux de la bioéthique, je suis heureuse d’apprendre que M. Leonetti présidera le comité de pilotage, car j’ai beaucoup apprécié la manière dont il a conduit les débats sur l’euthanasie. La technique consistant à aborder les problèmes sans pour autant les jeter en pâture à l’opinion publique me paraît encore plus appropriée aux états généraux de la bioéthique.

J’en conviens, monsieur Breton, la tenue des états généraux est très délicate car la France a choisi un régime qui ne correspond pas réellement aux aspirations de la population, laquelle prône l’autonomie et l’imagination et veut acheter des tests génétiques sur Internet. Le régime français n’est pas dans l’air du temps ! Je pense, pour ma part, qu’à terme, la France sera satisfaite d’avoir abordé les problèmes de cette façon-là. Mais lors des états généraux, face à la population, il nous faudra défendre les principes qui nous tiennent à cœur.

Prenons l’exemple très délicat de l’anonymat et de la notion de projet parental concernant l’assistance médicale à la procréation. On pourrait discuter indéfiniment du libre choix des personnes ou encore du droit à l’enfant – notion que, en tant que représentante de la société, je n’approuve d’ailleurs pas. Pour autant, il s’agit là d’un débat démocratique, mais je sais par expérience qu’il ne pourra jamais satisfaire tout le monde. Et je ne parle pas de la gestation pour autrui, qui intéresse particulièrement les médias.

La mise en place des jurys citoyens exige une organisation extrêmement rigoureuse, à l’image de la première conférence de citoyens européens sur les enjeux du développement des neurosciences, qui s’est tenue à Bruxelles. Les intéressés doivent comprendre que les éléments qui leur sont présentés ne font pas l’objet d’un débat, mais qu’ils doivent se contenter de répondre aux questions concrètes qui leur sont posées.

Quelles sont ces questions ? Je pense qu’il faudra rediscuter de la notion de projet parental et du principe de l’anonymat dans le domaine de la procréation assistée, mais en donnant la possibilité à ceux qui n’en veulent pas d’exposer leur point de vue, Quant à la question des cellules embryonnaires, il pourra également en être rediscuté, mais après avoir pris connaissance de l’état des recherches – qui, nous le verrons, ne sont pas si avancées que cela.

S’agissant de l’articulation entre le CCNE et l’Agence, je souhaite, pour ma part, qu’on laisse le bon sens dont ils savent faire preuve l’un et l’autre régler les problèmes. Selon sa composition, le CCNE ne s’est pas toujours intéressé aux mêmes questions. Les points phares de la présidence actuelle ne seront certainement pas les mêmes que sous celle du professeur Sicard, encore moins de celle de Jean-Pierre Changeux. Il est possible que ses membres actuels soient moins intéressés par les principaux sujets de réflexion de l’Agence de la biomédecine que ne l’ont été leurs prédécesseurs. Quoi qu’il en soit, il faut faire en sorte qu’ils se sentent libres et surtout ne rien leur imposer. Quelqu’un qui saisit le CCNE doit obtenir une réponse, même si ce dernier le renvoie devant l’Agence de la biomédecine.

Je dois avouer qu’au début, la directrice de l’Agence de la biomédecine s’est interrogée sur la place du conseil d’orientation. Du fait de sa composition, issue de la société civile, et de la personnalité du président Alain Cordier, très intéressé par ces questions, le conseil a finalement commencé à se comporter comme un comité d’éthique et à donner de l’importance aux questions de principes, sans que l’Agence, d’ailleurs, en soit affectée. Je me souviens de l’épisode pénible d’une personne qui, à la suite d’un accident cardiaque, s’était retrouvée dans un service de prélèvements d’organes, ce qui avait donné lieu à un communiqué extrêmement maladroit de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Le conseil d’orientation s’est immédiatement saisi de cette affaire embarrassante, mais la directrice de l’Agence a trouvé très utile de saisir l’occasion pour réfléchir et pour aborder différemment la question du prélèvement d’organe sur donneur à cœur arrêté. Sous la présidence du professeur Beloucif, qui connaît bien le CCNE, dont il a été un pilier, le conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine devrait continuer à bien fonctionner.

M. le président. Pourquoi, selon vous, la France a-t-elle pris du retard pour ratifier les conventions internationales ?

Mme Nicole Questiaux. Il est curieux de constater que les experts français sont toujours extrêmement actifs lors de la discussion qui précède la signature. En ce qui me concerne, je suis l’un des principaux auteurs d’une déclaration universelle sur les données génétiques. Cependant, mon pays, qui ne dispose pourtant pas de statut pour les banques de données, s’en moque totalement ! Un certain désordre existe dans la manière dont des sujets, parfois très marginaux, sont traités dans les négociations : cela ne semble parfois pas relever de la diplomatie, mais du simple hasard.

Quant à la convention d’Oviedo, si elle ne fut pas ratifiée, c’est que l’un de ses articles a été jugé par le Conseil d’État trop tolérant en matière d’euthanasie. Après un débat obscur, la question a été remisée… Par ailleurs, les révisions législatives sont toujours pénibles pour les services de l’État qui souffrent d’un manque de personnel – c’est le cas du ministère de la santé, qui dispose de peu d’administrateurs. Aussi ces services ne sont-ils pas ravis de voir arriver un texte international qui modifie ce qui vient d’être adopté. C’est, selon moi, la raison pour laquelle personne ne pousse à la ratification. Et dans la mesure où nous avons l’impression d’appliquer l’essentiel de la convention d’Oviedo, nous n’avons même pas mauvaise conscience…

M. le président. Nous vous remercions, madame, d’avoir accepté notre invitation.

Audition de M. André SYROTA, directeur général de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et de
M. Jean Claude AMEISEN, président du comité d’éthique de l’INSERM, membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine



(Procès-verbal de la séance du 13 janvier 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Avant d’accueillir nos invités, je rappelle que le Président de la République a souhaité que, parallèlement aux travaux de cette mission d’information, des États généraux de la bioéthique se tiennent au premier semestre 2009. Un comité de pilotage de six membres a été mis en place, présidé par notre collègue Jean Leonetti, rapporteur de cette mission d’information, composé de trois parlementaires, dont moi-même, et de personnalités qualifiées. Sans empiéter en rien sur le travail du comité de pilotage, nous avons décidé, Jean Leonetti et moi, d’inviter dorénavant ses membres aux auditions de notre mission d’information, notamment pour éviter des doublons.

Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui M. André Syrota, directeur général de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), qui fut auparavant directeur des sciences du vivant au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), et M. Jean Claude Ameisen, professeur d’immunologie à l’université Paris VII, responsable de l’équipe de recherche de l’INSERM sur les modèles expérimentaux de la maladie du greffon contre l’hôte et de la réaction greffon contre tumeur, membre du Comité consultatif national d’éthique et président du comité d’éthique de l’INSERM depuis 2005 – il pourra nous dire si ces deux fonctions font ou non doublon…

L’INSERM est en France le pilote de la recherche en matière de sciences de la vie et de la santé. Dans la perspective de la révision des lois de bioéthique, il est important que nous sachions comment s’organisent aujourd’hui ces disciplines dans notre pays. Nous souhaiterions aussi savoir comment les chercheurs voient cette future révision. Quels sont selon vous, Messieurs, les sujets scientifiques qui exigeraient que la loi évolue ? La future loi doit-elle entrer dans le détail ou faut-il plutôt s’orienter vers une loi-cadre fixant de grands principes, l’Agence de la biomédecine demeurant l’opérateur qui délivre les autorisations ? Comment, vous, chercheurs, avez-vous vécu la création de l’Agence de la biomédecine et quel bilan dressez-vous de son action ? Les appréciations de vos équipes concordent-elles avec celles de l’Agence nationale de la recherche sur le financement des projets ? Y a-t-il cohérence entre les différents organismes à la fois pour piloter et évaluer les recherches sur le vivant ?

M. André Syrota. Le projet de réforme de la recherche en matière des sciences de la vie et de la santé, voulu par le Président de la République, commence d’être mis en œuvre. Jusqu’à présent, une multitude d’organismes intervenaient en ce domaine – INSERM, CNRS, CEA, INRA, IRD…–, auxquels se sont ajoutées au fil des ans, diverses agences thématiques comme l’Institut du cancer ou l’ANRS pour le sida et aujourd’hui, les hépatites. Au niveau local, ont également été mis en place des génopoles, des cancéropoles, des neuropoles, des infectiopoles, des gérontopoles… Les réseaux thématiques de recherche avancée, les centres de recherche thématique en santé, et bien sûr l’Agence nationale de la recherche (ANR) et les pôles de compétitivité complètent la palette, sans compter les agences sanitaires – dont le rôle est différent. Cette multiplication des acteurs fait que nos concitoyens et nos parlementaires ne savent plus qui fait quoi ni comment sont utilisés les crédits. L’empilement est tel qu’on ne sait plus par exemple qui traite de la maladie d’Alzheimer ou du cancer, ou bien encore des problèmes éthiques liés à ces domaines.

La ministre de la santé et la ministre de la recherche ayant demandé que l’INSERM coordonne sur le plan national l’ensemble de la recherche dans le domaine biomédical, j’ai proposé, afin de rendre le dispositif plus lisible, qu’on crée plusieurs instituts thématiques recouvrant l’ensemble des aspects des sciences de la vie et de la santé, y compris éthiques. Ces instituts regroupent des chercheurs qui appartiennent à différents organismes – CNRS, INSERM, INRA, IRD, Institut Pasteur…– et travaillent en collaboration avec les universités, lesquelles se trouvent au centre de notre dispositif de recherche et hébergent les laboratoires. A ainsi été créé un Institut d’hématologie s’occupant de thérapie génique et cellulaire, partenaire principal de l’Agence de la biomédecine en matière de recherche sur les maladies neuromusculaires. Cette nouvelle organisation doit permettre de savoir pour chaque grand domaine de recherche quels moyens y sont affectés, combien de chercheurs s’y consacrent, quels sont les résultats obtenus…

Le Gouvernement a par ailleurs souhaité que les organismes de recherche soient évalués. L’INSERM a été le premier à l’être. Le rapport d’évaluation, élaboré sous la direction d’Elias Zehrouni, ancien directeur des National Institutes of Health américains, a été remis à l’AERES courant novembre. Un comité de suivi va être mis en place pour voir comment évoluer vers un institut unique des sciences de la vie et de la santé qui jouerait le rôle d’agence centrale de financement et dont les laboratoires universitaires seraient les opérateurs. Ce profond changement d’organisation rendrait notre pays encore plus performant qu’il ne l’est déjà dans le domaine des sciences du vivant, simplifierait le travail des chercheurs et rendrait plus lisible la recherche, pour le Parlement comme pour nos concitoyens.

M. le président. Cet institut reprendrait donc à son compte tout ce qui se fait actuellement à l’ANR en matière de sciences du vivant ?

M. André Syrota. Tout à fait, mais les laboratoires seraient gérés par des entités de proximité, c’est-à-dire les universités, selon le modèle mondialement reconnu.

Parmi tous les problèmes soulevés par la révision des lois de bioéthique, je ne traiterai ici que ceux relevant de la recherche. En sus des relations avec l’Agence de la biomédecine, les trois problèmes principaux, sur lesquels nous avons consulté les chercheurs pour connaître leur avis et leurs demandes, concernent la procréation médicalement assistée, qui est d’abord un problème médical mais en soulève tout de même quelques-uns de nature purement scientifique, les tests génétiques menés à des fins scientifiques, et les recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires humaines, domaine dans lequel les attentes sont particulièrement fortes.

S’agissant de la PMA, il faut trouver les moyens d’améliorer les taux de succès, qui ne dépassent pas aujourd’hui 50 %. Cette relative inefficacité tient à un manque de connaissances biologiques sur les mécanismes et les multiples origines des infertilités – génétiques, environnementales, psychologiques… On se contente aujourd’hui d’un classement assez sommaire, distinguant seulement entre les infertilités d’origine dite maternelle, paternelle, mixte ou inconnue. Cela exige d’effectuer des recherches sur les gamètes, lesquelles peuvent amener à la création d’embryons à seule fin scientifique, ce qui est aujourd’hui interdit. Il est paradoxal d’autoriser une technique comme l’ICSI (Intra cytoplasmic sperm injection), qui consiste en une fécondation par des gamètes sur lesquels ont été opérées des manipulations, en attendant la naissance pour voir si l’enfant ne présente pas de troubles, et d’interdire la création d’embryons à des fins de recherche. On préfère en quelque sorte réaliser l’expérimentation directement sur les enfants à naître…

S’agissant des tests génétiques, leur libre accès sur Internet pose problème. La constitution de populations témoins possédant une mutation génétique soulève également une difficulté. On utilise en effet de l’ADN de cellules provenant de prélèvements antérieurs anonymes, ce qui n’est pas légal puisque les personnes sur lesquelles ceux-ci ont été opérés n’ont pas expressément donné leur consentement à ces recherches. Une solution pourrait être de recueillir le consentement pour d’éventuelles études ultérieures en même temps que celui requis pour la réalisation du test lui-même.

Pour ce qui est des recherches sur l’embryon et sur les cellules souches embryonnaires humaines, l’interdiction posée par la loi de 2004, assortie d’une dérogation pour cinq ans, freine les travaux menés en France. Elle entrave notamment le retour de nos chercheurs partis travailler sur ces questions en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, réticents à revenir dans notre pays, craignant que leurs projets n’y soient que « tolérés » et qu’il puisse y être arbitrairement et soudainement mis un terme. Si le transfert d’un embryon obtenu par clonage scientifique dans un utérus de femme est à juste titre prohibé, le transfert d’un noyau dans un ovocyte énucléé, ce qu’on appelle la reprogrammation nucléaire, est extrêmement utile pour comprendre les mécanismes de l’activation ovulaire et peut permettre des avancées thérapeutiques. La levée du moratoire constitue donc pour tous les chercheurs l’enjeu majeur de la révision de la loi. Il convient d’aborder le sujet sur un plan strictement scientifique, à la lumière bien sûr des découvertes récentes sur les potentialités des cellules souches induites ou iPS, issues de la reprogrammation de cellules somatiques adultes. Mais, tous les plus grands spécialistes du domaine nous l’ont confirmé, nul ne peut assurer que ces cellules souches adultes, du moins aujourd’hui, pourront remplacer les cellules souches embryonnaires. Elles ont d’ailleurs déjà montré certaines limites. Il est donc nécessaire de poursuivre les recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines.

Autre problème : subordonner l’autorisation d’une recherche au fait que l’on peut en attendre « un progrès thérapeutique majeur » est inopérant car cette condition n’a pas de sens. Le principe dérogatoire retenu par la France rend illisible la position de notre pays sur le plan international, détourne les investisseurs étrangers qui estiment manquer de visibilité – nos voisins européens, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie ont pris, eux, des positions claires, aisément compréhensibles. L’attitude de la France nuit à ses capacités d’innovation et obère sa compétitivité. Or, des développements majeurs ont eu lieu avec notamment l’obtention de lignées de cellules souches permettant des études toxicologiques prédictives, ce qui évite d’avoir à effectuer des essais sur des animaux, voire sur l’homme. Si, à cause de notre législation, toutes ces recherches ne peuvent être menées en France, notre industrie pharmaceutique en pâtira lourdement. L’exploitation des cellules souches au niveau industriel passe par le développement de technologies appropriées, encore au stade de prototypes. Il faut établir des standards de qualité pour l’obtention de nouvelles lignées, pour les protocoles d’amplification et de différenciation, ainsi que pour une production et une utilisation standardisée à grande échelle. Des chercheurs s’y essaient dans notre pays. Encore faut-il qu’ils puissent le faire.

D’autre part les chercheurs souhaitent ardemment la constitution d’une banque française de cellules souches embryonnaires humaines, qui répondrait à un besoin évident et s’inscrirait dans le cadre d’une réflexion européenne, voire internationale, sur ce type de banques. Une banque centralisant et distribuant les cellules souches, accessible aux chercheurs et qui serait un interlocuteur pour les instances nationales et internationales, simplifierait les démarches administratives et offrirait d’intéressantes possibilités de prospective. En ce domaine, le potentiel de la France est, hélas, aujourd’hui sous-valorisé.

Enfin, s’agissant de nos relations avec l’Agence de la biomédecine, l’excellent travail de l’Agence est complémentaire du nôtre. Les chercheurs, qui apprécient de n’avoir à s’adresser qu’à un seul interlocuteur, souhaitent qu’elle puisse répondre à leurs questions dans des délais brefs et de la façon la plus simple possible.

M. Jean Claude Ameisen. Je m’interroge toujours sur l’utilisation du terme de bioéthique, qui signifie éthique du vivant, alors que dans notre pays, les lois de bioéthique traitent non pas de l’éthique du vivant mais s’attachent à déterminer en quoi les progrès des sciences de la vie et de la santé posent de manière nouvelle certaines questions relatives au respect de la personne humaine.

Il me semble donc important, lorsque ces lois sont réexaminées, de réfléchir à nouveau sur des principes très généraux comme ceux de don, d’anonymat, de non-commercialisation des éléments du corps humain, de consentement libre et éclairé des personnes se prêtant à des recherches, de protection des personnes les plus vulnérables… Beaucoup de ces principes sont en jeu aussi dans d’autres lois que les lois de bioéthique, comme la loi Huriet-Sérusclat, la loi sur le handicap, la loi sur les droits des malades, les lois sur la filiation… Il faut clarifier l’articulation de tous ces textes avec les lois de bioéthique. Pour les chercheurs, qui s’interrogent en amont sur le sens et les conséquences possibles de leurs recherches, il est important de réfléchir à l’articulation entre le domaine médical et le domaine non-médical, dans la mesure où une réflexion sur des applications dans le domaine médical peut se trouver en porte-à-faux quand une même approche est adoptée dans le domaine non médical, avec un contexte de réflexion et des enjeux de protection de la personne qui peuvent être assez différents.

Que la loi repose sur un corpus de principes généraux clairs, qu’une agence comme celle de la biomédecine les mette en pratique au mieux ensuite au cas par cas, et que le législateur vérifie ensuite si cette application correspond bien à ce qu’il attend, me paraît préférable à ce que le législateur règle dans le détail tous les aspects d’un champ de connaissances aussi mouvant, au risque d’impasses ou de contradictions. La manière dont l’Agence a travaillé jusqu’à présent devrait permettre un enrichissant retour d’expérience, l’application au cas par cas de ces principes ayant fait surgir des questionnements, parfois inattendus, dont le législateur a pu ainsi être informé.

Il serait important de tenir compte du contexte européen lors de la révision de la loi de bioéthique. Souvent des basculements s’opèrent dans l’opinion du simple fait qu’une pratique, interdite chez nous, est autorisée dans un pays voisin : nos concitoyens ne comprennent plus alors la raison de son interdiction en France ou au contraire en tirent prétexte pour cristalliser leur opposition au nom d’une singularité française. La confrontation des approches des différents comités d’éthique européens se révèle extrêmement utile, y compris pour confirmer le bien-fondé de notre propre approche, qui peut-être différente de celles de nos voisins en raison d’un contexte historique et culturel différent. Cette confrontation nous permet, je crois, de nous « réapproprier » nos différences, et de mieux comprendre les faits suivants, que la société ne perçoit encore que confusément : d’une part, l’accord des Européens sur des principes communs, d’autre part la subsidiarité qui prévaut quant à leur mise en œuvre, et enfin la libre circulation des personnes, font qu’on est nécessairement confronté à des situations qui peuvent paraître étranges, voire scandaleuses, mais cette diversité est constitutive de l’Europe : le fait que des pratiques que nous jugeons non souhaitables, et qui sont interdites chez nous, soient autorisées dans d’autres pays européens, est d’une certaine manière une situation normale dans le contexte européen, même s’il est légitime de souhaiter à long terme une harmonisation des approches. La notion d’exception, ou le principe d’interdiction, assorti de la possibilité de dérogation, ont l’intérêt de mettre en lumière certaines limites mais elles doivent demeurer faciles à comprendre et ne pas donner l’impression que la loi dit une chose et son contraire. La notion d’exception devrait être justifiée par la démonstration qu’un cas particulier ne relève pas des formes habituelles d’application du principe.

J’en viens aux recherches sur l’embryon. La loi actuelle me semble comporter une ambiguïté majeure, liée au fait qu’elle ne fait pas de distinction entre les recherches sur l’embryon vivant et celles sur des cellules provenant d’un embryon détruit. Or, les deux ne sont pas de même nature, tout comme une recherche sur des lignées cellulaires d’origine cérébrale diffère d’une recherche sur le cerveau. Il y a des circonstances particulières dans lesquelles le législateur autorise la destruction d’un embryon, comme après un diagnostic préimplantatoire (DPI) ayant abouti à la détection d’une très grave maladie incurable d’origine génétique, ou après abandon de tout projet parental. Je pense que les recherches sur des cellules issues d’embryons détruits, sans que leur destruction ait été motivée par ces recherches, pourraient relever du régime général des autorisations de recherches sur des cellules prélevées sur une personne après sa mort, ou sur des cellules prélevées sur un fœtus mort après interruption médicale ou volontaire de grossesse.

La recherche sur l’embryon, avant sa destruction, est autre chose, de même que la création d’un embryon à visée de recherche. Il est des situations d’assistance médicale à la procréation (qu’André Syrota a évoquées), en particulier lorsque de nouvelles techniques sont développées, où interdire la recherche sur l’embryon, ou la création d’un embryon à visée de recherche, c’est exposer l’enfant à naître à des risques importants. Du point de vue de l’éthique médicale – le souci de l’enfant à naître – on pourrait proposer là un principe d’interdiction avec dérogation. Ma proposition serait une autorisation dans le premier cas (la recherche sur des cellules issues d’un embryon détruit), et une interdiction assortie de dérogations dans les deux autres. En ce qui concerne la création d’un embryon à des fins de recherche, sans que celle-ci ait pour objet premier la protection d’un enfant à naître, il s’agit d’une question différente.

Subordonner l’autorisation d’une recherche à ce que des « progrès thérapeutiques majeurs » puissent en résulter pose un problème très général qui dépasse le cadre de la recherche sur les cellules embryonnaires, à savoir celui de la définition d’une recherche prioritaire. Selon les critères internationaux, une recherche prioritaire est une recherche de qualité, originale, soulevant des questions importantes. La question des progrès thérapeutiques à en attendre ne se pose que pour des recherches très appliquées. François Jacob ne disait-il pas qu’on mesure l’importance d’une découverte au degré de surprise qu’elle provoque ? Imposer cette condition d’une attente de « progrès thérapeutiques majeurs » restreindrait considérablement la recherche, la réduisant quasiment à du développement. La plupart des découvertes distinguées par un Prix Nobel depuis vingt ans, et qui ont ultérieurement donné lieu à des applications thérapeutiques importantes, ont été le fruit de telles recherches originales, répondant aux critères que j’ai mentionnés, et non, à de rares exceptions près, de recherches dont on pouvait escompter (à court terme) des avancées médicales particulières, notamment d’ordre thérapeutique.

J’en viens à la question de la filiation et de la gestation pour autrui. Que les avancées de la biologie et de la médecine rendent possibles certaines pratiques n’amène-t-il pas certains à les considérer de ce simple fait comme légitimes alors qu’a priori, ils ne les accepteraient pas si elles n’étaient pas le fruit de ces innovations ? À ma connaissance, aucun pays ne reconnaît un contrat d’adoption sur un enfant à naître comme une forme normale de filiation. Faut-il accepter, à partir d’un certain niveau de sophistication des techniques médicales, des formes de filiation qu’on aurait sans cela jugées non souhaitables ? Les avancées de la science ne doivent pas constituer un alibi permettant à lui seul de justifier des pratiques qui sinon seraient condamnées. Là encore, on pourrait peut-être s’interroger sur la possibilité de poser un principe de l’interdiction avec dérogation, comme pour le don d’organes entre proches. Il peut être bon de rapprocher le problème de la gestation pour autrui d’autres domaines où se posent des questions voisines, tout en distinguant bien les domaines où la vie d’une personne est en jeu (le don d’organe) de ceux où la vie d’une personne n’est pas menacée (la stérilité).

Pour ce qui est des tests génétiques, le statut donné à l’information génétique par rapport à toutes les autres me paraît disproportionné. La démarche d’information, de dialogue et de réflexion qui permet le processus de consentement libre et éclairé – qu’on devrait plutôt appeler processus de choix libre et informé – devrait être fonction de la gravité du résultat qui va être communiqué, plutôt qu’à la nature de la technique qui permettra de l’obtenir. Pourtant le diagnostic d’une maladie grave, selon qu’il est effectué par imagerie médicale, par test biologique ou génétique, ne donne pas lieu aux mêmes précautions. Ainsi un diagnostic d’hémophilie porté après un test génétique va s’accompagner d’un important processus de réflexion et d’information, alors qu’il n’en sera pas de même s’il est porté par dosage sanguin des facteurs de coagulation. Pourtant l’importance de l’annonce d’un résultat positif est la même pour la personne dans les deux cas. Il faudrait considérer les tests génétiques comme l’un des éléments de la palette des moyens dont nous disposons pour obtenir des informations importantes, sans leur donner a priori une place à part qui les distinguerait de tous les autres tests en raison de l’importance qu’on leur attribuerait. Par ailleurs, la mise à disposition de plus en plus large de tests génétiques sur Internet pose problème car les diagnostics auxquels ils peuvent aboutir sont donnés de manière très différente selon qu’ils le sont dans le cadre d’un accompagnement médical ou sur un site commercial en ligne. Étant donné que les tests génétiques peuvent maintenant être effectués à partir non plus seulement de prélèvements sanguins, mais aussi de salive ou de cheveux, un test de paternité peut être pratiqué par le biais d’Internet à l’insu de la mère et de l’enfant (c’est même un des « avantages » majeurs explicitement proposés comme tel par les promoteurs de ces tests sur Internet). Si n’importe quel test peut être effectué sans prescription, n’importe qui peut faire pratiquer un test sur n’importe qui, ce qui pose des problèmes graves concernant le respect de la confidentialité. Il y a un autre problème important : à partir de l’envoi d’une goutte de sang par une femme enceinte, des laboratoires proposent sur internet de déterminer le sexe du fœtus, à partir de test génétiques réalisés, à 6 à 8 semaines de grossesse, sur les cellules fœtales circulant dans le sang de la mère. Ces laboratoires pourraient proposer dans un avenir proche n’importe quels profils de « susceptibilité » génétique de l’enfant à venir. Il vaudrait mieux débattre de ces questions à l’avance, plutôt que d’être confronté aux situations de détresse que pourrait provoquer une utilisation de tels tests en dehors de tout accompagnement médical et de toute régulation. Une régulation de ces pratiques est hautement souhaitable, mais devrait, je pense, être envisagée non seulement dans notre pays, mais au niveau européen.

Il arrive que dans un souci louable de précision, le législateur prenne des dispositions qui posent ultérieurement problème. Souhaitant ainsi que les empreintes génétiques se limitent à identifier une personne, sans donner de renseignement complémentaire la concernant, il a demandé que ne soient utilisées à cette fin que des régions non codantes de l’ADN. Or, depuis quelques années, la recherche a montré que des régions non codantes contiennent des informations sur de nombreuses caractéristiques d’une personne. Si le législateur s’était contenté de dire que les empreintes génétiques devaient servir exclusivement à l’identification des personnes, la lettre de la loi ne se trouverait pas aujourd’hui en contradiction, en raison des avancées de la science, avec l’esprit de la loi. Paradoxalement, une trop grande précision peut faire naître un conflit entre l’esprit et la lettre de la loi.

Un mot sur la frontière entre ce qui est médical et ce qui ne l’est pas. L’importance accordée aux tests ADN pour le regroupement familial de personnes étrangères pose le problème de la place des tests génétiques dans la détermination de la filiation. Il est difficile pour la société de considérer, d’une part, que la filiation se définit essentiellement de manière sociale, affective, culturelle et, d’autre part, dans certains cas, qu’elle se définit de manière biologique.

S’agissant des relations entre le Comité consultatif national d’éthique et le comité d’éthique de l’INSERM, il faut savoir que le premier est né en 1983 de la transformation du second qui a disparu à son profit. Un directeur de l’INSERM a ensuite considéré que la création du CCNE n’empêchait pas qu’une réflexion éthique autonome soit justifiée au sein de l’INSERM, où a été recréé un comité d’éthique ; ce qui converge avec la volonté du législateur d’instaurer, dans un autre domaine, des espaces éthiques régionaux. Dans deux cas, dont l’un concernait l’autisme et l’autre un test diagnostique de cancer, les deux instances ont été saisies de questions sur le même sujet, mais posées différemment et dans un esprit différent. Elles ont formulé des avis et des recommandations qui se rejoignent sur le fond mais dont les développements sont différents et complémentaires, ce qui est logique dans la mesure où le CCNE s’adresse à la société dans son ensemble et le comité d’éthique de l’INSERM plus particulièrement aux chercheurs, aux organismes de recherche, aux médecins et aux associations de patients. La multiplication des instances de réflexion et de dialogue, notamment entre les chercheurs et la société, impose certes une concertation, mais présente beaucoup d’intérêt à condition que les démarches soient complémentaires, et non redondantes.

Cinq ans après l’adoption de la loi Huriet-Sérusclat, le CCNE avait souligné dans son avis n° 41 qu’il lui semblait essentiel que, lorsque des projets de recherche impliquant des équipes françaises se déroulaient dans des pays du Sud, une instance éthique puisse en juger, dans les mêmes conditions que lorsque les projets étaient conduits en France ou en Europe. Le Comité avait proposé la création d’une telle instance, mais force est de constater que depuis quinze ans, rien n’a été fait. Il conviendrait de prendre en compte cette dimension internationale dans la réflexion sur la révision des lois de bioéthique car il importe de protéger les personnes partout dans le monde, notamment dans des pays où elles sont particulièrement vulnérables. L’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’INSERM, la Commission européenne et le Conseil de l’Europe, soutiennent depuis quelques années la création de comités d’éthique et de protection de la personne dans les pays du Sud. La présence d’une instance française est propre à faciliter la mise en place de telles structures dans les pays qui en manquent, et à établir un dialogue enrichissant pour tous. Nous sommes très attachés à ce projet.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Merci tout d’abord pour l’extrême richesse des questions soulevées – presque trop riches, oserais-je dire, mais tel est notre lot en matière d’éthique, où les questions sont toujours plus nombreuses que les réponses…

Le chercheur doit-il exercer sa vigilance éthique en amont de sa recherche ou être totalement libre, sachant que c’est l’application de ses recherches plus que ces dernières en elles-mêmes qui peut poser un problème éthique ? Comme un chercheur, par définition, ne sait jamais ce qu’il va trouver, il semble assez illusoire de décréter que sa recherche ne sera autorisée que si elle est susceptible d’entraîner « des progrès thérapeutiques majeurs ». Poser cette condition, c’est tuer la recherche fondamentale, et la recherche en général.

Vous avez évoqué, Monsieur Syrota, trois questions importantes qui, toutes, soulèvent la question de la prédictivité des tests. Seuls les embryons « parfaits » doivent-ils être implantés ou bien seuls ceux porteurs d’une mutation génétique associée de manière quasi inéluctable à une très grave maladie ne doivent-ils pas l’être ? Où place-t-on le curseur ? Faut-il écarter uniquement les embryons porteurs d’un gène conduisant à une maladie à forte prévalence et aux conséquences gravissimes, ou aussi ceux porteurs d’un gène de vulnérabilité qui ne fait qu’accroître le risque de développer une maladie multifactorielle comme le cancer du sein et dont la probabilité de développement est somme toute faible ? Cette prédictivité pose de toute façon des problèmes plus généraux : à quoi servirait de faire des tests permettant de prédire une maladie future si l’on n’est pas capable de la prévenir ou d’en atténuer les effets ?

Si je vous ai bien compris, les lois de bioéthique ne doivent pas être tatillonnes, une trop grande précision allant à l’encontre de l’objectif recherché. Il ne servirait à rien d’essayer de résoudre dans la loi tous les cas particuliers pouvant se poser, d’autant que l’Agence de la biomédecine est l’opérateur ad hoc en ce domaine et que l’on ignore si une découverte ne va pas à un moment quelconque totalement bouleverser la donne. Est-il donc pertinent de prévoir une révision obligatoire des lois de bioéthique tous les cinq ans ? Ne vaudrait-il pas mieux prévoir qu’elles le soient seulement si une découverte ou une situation particulière remettent en cause leurs fondamentaux ?

Ma dernière question a trait aux recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires. À un moment donné, ces recherches ont paru indispensables. Puis, dès lors qu’on a pu induire des cellules souches pluripotentes à partir de cellules adultes différenciées, certains ont pensé – espoir ou fantasme ? – qu’il serait possible de s’en passer. En dépit des perspectives ouvertes par le transfert nucléaire et la dédifférenciation cellulaire, les chercheurs sont nombreux à soutenir qu’il n’est pas possible d’abandonner les recherches sur l’embryon, car les deux voies sont différentes et on ne sait encore à quoi elles aboutiront. Est-ce votre opinion ? Le chercheur ne doit-il pas rester libre, sachant que c’est à la société de poser les interdits et de prévoir les dérogations éventuelles ?

M. Paul Jeanneteau. Monsieur Syrota, vous avez souhaité que soit levé le moratoire sur la recherche sur l’embryon et les cellules embryonnaires. Monsieur Ameisen, vous avez distingué les recherches sur les cellules issues d’embryons détruits des recherches sur l’embryon lui-même. Pourriez-vous préciser vos propos ? Comment la loi pourrait-elle mieux éclairer ce point ?

M. André Syrota. Sur le fait de n’autoriser les recherches que si « des progrès thérapeutiques majeurs » peuvent en être attendus, nous avons déjà répondu. De toutes les découvertes récompensées par un Prix Nobel, même si certaines ont eu par la suite des applications thérapeutiques majeures, aucune n’a jamais été faite initialement dans ce but. Si l’on recherche d’emblée une application thérapeutique, bien souvent on ne la trouve pas. C’est la plupart du temps une recherche fondamentale totalement différente qui y conduit.

La question de la prédictivité des tests est une question majeure qui dépasse celle des cellules souches. Aujourd’hui, on recherche chez les adultes des biomarqueurs prédictifs de maladies, l’idée étant de les détecter le plus tôt possible, chez l’adolescent, l’enfant, le nouveau-né, voire avant la naissance. Il ne s’agit pas seulement de marqueurs biologiques mais aussi de marqueurs pouvant être obtenus par imagerie cérébrale, par exemple pour détecter précocement le risque de développer une chorée de Huntington – laquelle peut ne se déclencher que des décennies plus tard ou peut-être jamais. Il en va de même pour l’épilepsie, la schizophrénie, l’autisme pour lequel on a pu mettre en évidence des anomalies de la migration neuronale… Les industriels ont parfaitement compris qu’il s’agissait là d’un très vaste marché potentiel, et les trois leaders mondiaux de l’imagerie médicale rachètent depuis quelques années des sociétés de biotechnologies et des sociétés qui fabriquent des tests, voire des puces ADN, pour élargir leurs marchés à toutes les pathologies, espérant que l’on pourra prochainement détecter précocement par ce biais toutes sortes de maladies comme on le fait aujourd’hui d’un cancer du sein par une mammographie.

M. Jean Claude Ameisen. Les chercheurs doivent-il être totalement libres ? Oui, en tout cas le plus possible, ce qui ne leur interdit pas de faire preuve de maturité dans leur approche. Ils doivent se sentir concernés, le plus en amont possible, par les applications possibles de leurs recherches – ce qui d’ailleurs fera d’eux des partenaires privilégiés de la société et du législateur, alors que, s’ils ne considèrent pas que cette réflexion sur les applications est de leur ressort, elle aura lieu en dehors de la recherche. Nous nous efforçons à l’INSERM de favoriser la liberté de la recherche en même temps que la réflexion éthique en amont – là où elle est plus sereine, moins tendue par le sentiment d’urgence lié à l’imminence des applications. En amont, à un certain niveau, la réflexion éthique a une dimension épistémologique. Si un chercheur se demande ce que peut changer, y compris dans des comportements humains, un progrès de la connaissance, il s’interroge d’une autre façon sur la signification même de sa recherche. Le chercheur est un citoyen qui doit à la fois être libre dans sa recherche et responsable dans sa participation à la réflexion collective.

S’agissant de la prédictivité des tests génétiques, il règne actuellement une très grande confusion, et le législateur pourra peut-être contribuer à la lever. Du fait qu’il existe de nombreuses maladies, atteignant chacune un nombre restreint de personnes, qui sont des maladies monogéniques, à transmission mendélienne et à pénétrance forte, c’est à dire à très forte probabilité de développement, comme la mucoviscidose ou la maladie de Huntington, beaucoup ont cru que l’analyse du génome permettrait de prédire la santé future de chacun. De là se sont développés des tests indiquant qu’une personne, parce qu’elle présente telle mutation génétique, a 10 %, voire 5%, de risques de plus que la population générale de développer par exemple un diabète ; mais il faut bien voir qu’a contrario, même positif, ce test signifie que l’individu a 90 %, voire 95% de chances de ne pas développer cette maladie que le reste de la population. Or, les résultats ne sont jamais présentés ainsi. On survalorise la prédictivité des tests génétiques par rapport à toute autre information. Comme les gènes ne changent pas au cours de la vie, on a l’impression qu’ils déterminent à eux seuls et une fois pour toutes le destin médical d’une personne ; une certaine cécité en résulte envers l’environnement et le mode de vie. Une mesure de la cholestérolémie n’est pas présentée comme un « test de prédisposition à l’infarctus du myocarde », non plus qu’une mesure de la pression artérielle comme un test de prédisposition à une hémorragie cérébrale, alors que la détection d’un gène de vulnérabilité à une maladie est quasiment tenue pour une détection de cette maladie même et en porte le nom. Ce « court-circuit » induit beaucoup d’erreurs. Plusieurs études ont montré que, pour toute une série d’espèces animales, modifier un gène ou bien le mode de vie et l’environnement des individus aboutissait exactement au même résultat en matière d’allongement de la durée de vie, mais que pratiquer les deux en même temps ne procurait aucun gain additionnel. Autrement dit, dans ce cas, influer de l’extérieur ou de l’intérieur a les mêmes conséquences.

M. le rapporteur. C’est multifactoriel mais non cumulatif.

M. Jean Claude Ameisen. Exactement. Ce domaine de recherche en pleine expansion, qu’on appelle l’épigénétique, est aussi important que le génome lui-même. Des études portant sur des jumeaux homozygotes ont montré que, dans 75 % des cas, leur santé et leur longévité dépendaient de leur environnement et de leur mode de vie plus que de leurs gènes, et que leurs cellules et leurs corps n’utilisaient pas de la même façon leurs gènes. Autrement dit, si nul ne peut nier l’importance des gènes, il convient de ne pas la survaloriser.

M. André Syrota. Nous allons lancer une grande étude multiparamétrique sur des cohortes de sujets qui seront étudiés sur le plan génétique au Centre national de génotypage, et qui s’accompagnera d’une étude sur leur mode de vie, leur lieu de résidence… Le spectre du réductionnisme génétique s’éloigne de plus en plus.

M. le rapporteur. C’est rassurant.

M. Jean Claude Ameisen. En ce qui concerne votre question sur la révision de la loi, prévoir une révision des lois de bioéthique tous les cinq ans avait au départ valeur pédagogique. C’était garantir que le sujet ne serait pas laissé de côté. Mais aujourd’hui, cette obligation de réexamen donne l’impression que la loi n’est pas bonne et que si on ne la revoit pas tous les cinq ans, elle risque de conduire à des erreurs. Peut-être faudrait-il s’en tenir au régime commun, toute loi étant toujours révisable si le besoin s’en fait sentir.

M. le président. Il serait important de bien préciser la distinction entre recherche sur l’embryon et recherche sur les cellules issues de l’embryon.

M. Jean Claude Ameisen. La loi et la réflexion éthique distinguent depuis longtemps dans notre pays les recherches sur des éléments du corps humain, comme les cellules, et les recherches sur la personne humaine elle-même, vivante ou morte, dont ces cellules sont issues. Cette distinction, qui existe à tous les autres stades de la vie, n’a pas été faite pour l’embryon. Or, le problème éthique est de savoir s’il y a des circonstances dans lesquelles la destruction de l’embryon est considérée comme licite. Si oui, prélever des cellules sur cet embryon détruit pour effectuer des recherches sur elles relève du régime général de la recherche sur des éléments du corps humain, et non de la problématique des recherches sur l’embryon lui-même. Les chercheurs attendent une clarification de ce point ; il est étonnant qu’on ne soit pas dans le même cadre légal selon qu’on étudie des cellules issues de fœtus morts ou de cellules provenant d’embryons détruits.

M. le rapporteur. Si transgression il y a, c’est lors de la destruction de l’embryon, non du prélèvement de cellules.

M. Jean Claude Ameisen. Si un test est fait dans le but de n’implanter que des embryons indemnes de telle maladie génétique, par définition, tout embryon porteur de l’anomalie génétique sera détruit. On peut alors poser la question de savoir pourquoi il faudrait un régime dérogatoire pour, dans ces cas-là, isoler après destruction de l’embryon les cellules et travailler sur elles. Il importe aussi de déterminer dans quelles situations le législateur peut considérer que la destruction de l’embryon est autorisée.

M. Paul Jeanneteau. Jusqu’où une anomalie génétique susceptible de se matérialiser avec une certaine probabilité doit-elle conduire à décider d’une non-implantation ? Où placeriez-vous le curseur ?

M. Jean Claude Ameisen. Cette question ne relève pas de la science. Les chercheurs ne peuvent que souligner, comme je l’ai fait tout à l’heure, qu’il ne faut pas survaloriser certains facteurs prédictifs, en l’occurrence l’information génétique par rapport aux facteurs exogènes comme l’environnement ou le mode de vie. Chacun sait que selon leur lieu et leur mode de vie, la santé et la longévité de nos concitoyens diffèrent fortement dans notre pays. Pourquoi accorder beaucoup plus d’importance à une information génétique aboutissant à des probabilités de même ordre de grandeur ? Ce qu’il faudrait, c’est fixer un principe tenant compte de la probabilité de survenue d’une maladie, de sa gravité mais aussi du terme auquel elle risque de survenir. Qu’une maladie grave ait 90 % de risques de se déclarer au bout de quelques années chez un individu est très différent du fait qu’une autre ait 20 % de risques de se déclencher dans cinquante ans ! Je pense que le législateur devrait fixer des principes clairs mais généraux, et confier à l’Agence de la biomédecine la mission de le mettre en pratique au mieux, puis vérifier rétrospectivement si l’application qui en a été faite a respecté l’esprit de la loi.

M. le président. Je remercie MM. Syrota et Ameisen pour leur contribution aux travaux de notre mission.

Audition de M. Christian SAOUT, président du Collectif interassociatif sur la santé (CISS)


(Procès-verbal de la séance du 13 janvier 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Christian Saout, administrateur et président d’honneur de l’association AIDES, qu’il a présidée entre 1998 et 2007, et président depuis 2006 de la Conférence nationale de la santé, organisme de concertation placé auprès de la ministre de la santé.

Vous présidez depuis 2007 le Collectif interassociatif sur la santé (CISS), créé en 1996 et qui fédère 32 associations représentant des malades et des usagers du système de santé, des personnes handicapées, des familles et des consommateurs. Vous êtes également membre depuis 2004 du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie et du conseil de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés. Avec les professeurs Charbonnel et Bertrand, vous avez remis en septembre dernier à la ministre de la santé un rapport en faveur de l’éducation thérapeutique du patient.

Président du CISS, vous êtes en contact avec les associations de malades, qui attendent beaucoup du législateur. Elles ne comprennent pas toujours l’encadrement qui est fait de la recherche et s’interrogent sur la lenteur de certaines procédures. Nous souhaiterions donc savoir quelles évolutions législatives vous jugez utiles.

Par ailleurs, l’Agence de la biomédecine, dans son rôle de régulateur, est-elle en contact avec les associations de malades ? Votre collectif a-t-il organisé des débats sur les lois de bioéthique ? Comment comptez-vous aborder ces sujets dans le cadre des états généraux ?

M. Christian Saout. Les associations du Collectif, qu’il s’agisse des associations familiales, des associations de patients et, dans une moindre mesure, des associations de consommateurs, sont nombreuses à se pencher sur les sujets de bioéthique.

Cependant, aucune position collective n’a encore été déterminée et la bioéthique n’est pas un sujet d’excellence pour le CISS. Celui-ci a davantage eu à traiter des questions relatives à l’économie de la santé, à l’accès au système de santé ou aux droits des personnes, notamment au regard de l’informatisation des données de santé.

Cela dit, les associations, qui connaissent bien la partie de la loi de 2004 relative aux droits des personnes participant à la recherche, considèrent qu’un réexamen régulier de la loi de bioéthique est nécessaire. Les innovations incessantes (je pense notamment à celles qui s’annoncent dans le domaine des nanotechnologies ou au problème du bracelet GPS pour les personnes âgées atteintes par la maladie d’Alzheimer ou les enfants en très bas âge, etc.) soulèvent en effet des questions éthiques, qui nécessitent que l’on remette chaque fois l’ouvrage sur le métier, sans pour autant procéder à une refonte complète du système législatif.

Nos associations sont attachées au débat public, et pas seulement avec elles, mais avec l’ensemble de la société, car beaucoup des questions dont traite votre mission sont des questions de société, qui ne concernent pas les seuls patients. De ce point de vue, les États généraux sur la bioéthique suscitent un certain scepticisme. C’est qu’on a connu par le passé nombre d’états généraux conçus « par le haut », qui n’étaient que des réunions d’experts, laissant de côté le corps vivant de la société… Alors qu’ils ont été annoncés en juin de l’année dernière, le CISS n’a été ni consulté, ni invité à débattre. Faut-il y voir un refus de susciter un débat d’envergure nationale sur les questions éthiques dans le domaine de la santé ? Ces États généraux nous semblent loin de nous.

Quant à nos relations avec l’Agence de la biomédecine, elles sont de l’ordre de la sympathie et du respect mutuels, mais non du débat. Là encore, nous ne sommes pas consultés – mais y a-t-il matière à le faire ?

Je m’en tiendrai là, car, sur des sujets thématiques, comme l’assistance médicale à la procréation, le don d’organes,  le diagnostic préimplantatoire ou les tests génétiques, le CISS n’a pas de position préétablie ; je pourrai tout au plus donner des indications sur le sens de ce que pensent les associations membres du Collectif.

M. le président. Avant de donner la parole au rapporteur, je tiens à informer les membres de la mission d’information que les membres du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique seront désormais invités à participer à nos auditions, si vous en êtes d’accord.

M. Jean Leonetti, rapporteur. La lettre de mission du Président de la République témoigne du même souci, bien légitime, qui est le vôtre, Monsieur Saout : le débat sur la bioéthique doit être un débat populaire, non un débat d’experts. Le comité de pilotage – dont M. Claeys et moi-même faisons partie – n’est pas chargé de conduire lui-même une réflexion sur la bioéthique, mais d’organiser les États généraux. J’espère que nous saurons vous convaincre que nous ne sommes pas éloignés des situations de terrain, d’autant que les Français débattent déjà avec passion de sujets comme la procréation médicalement assistée ou la gestation pour autrui, l’autonomie de la personne ou l’anonymat des dons. Ces débats ne sauraient donc être réservés à une élite. Pour autant, ils ne doivent pas être réduits à des discussions de café du commerce, ni à des questions simples que pourrait trancher un référendum. En simplifier les tenants et les aboutissants reviendrait à nier leur complexité et à détruire la profondeur du vrai débat démocratique.

Le comité de pilotage s’emploie donc à faire que tout le monde puisse participer au débat, sans pour autant faire de ces états généraux une auberge espagnole. Nous pourrions donc recourir à des panels de population, assurant une bonne représentation de la diversité de la société française. Parallèlement à nos travaux de parlementaires, se développera un large débat populaire. Il dépassera la seule dimension des associations – si nombreuses, si bien regroupées et si bien représentées soient-elles. En s’inspirant de la proposition de M. Noël Mamère, nous essaierons ainsi d’organiser un débat approfondi, pertinent et en même temps, populaire et ouvert.

Aux auditions menées par notre mission et aux rapports de différentes instances viendront s’ajouter les conclusions de ces états généraux. Cet ensemble permettra au législateur d’adapter et de toiletter – plutôt que de refondre, comme vous l’avez dit avec raison – la loi de bioéthique, dont le socle fondamental n’appelle pas un bouleversement.

Enfin, je vous pose à mon tour la question : à quels changements législatifs pensez-vous qu’il soit utile de procéder ?

M. Jean-Luc Préel. Nous ne sommes pas habitués à une telle retenue de votre part. Je comprends la difficulté de faire la synthèse des positions des diverses associations que vous représentez. Mais peut-être pouvez-vous nous donner votre avis sur la question du don d’organe, le maintien ou non de l’anonymat des donneurs de gamètes, sur les tests génétiques et la médecine prédictive ?

M. Christian Saout. J’ai appris, c’est vrai, à m’exprimer avec moins de vivacité. Je sais pourtant que je ne serai pas inquiété en raison des propos que j’aurai tenus dans cette enceinte…

Les associations du CISS déplorent la pénurie d’organes, notamment pour les pathologies rénales. Les délais d’attente sont longs, parfois au point de mettre en péril la vie des personnes. Le système de consentement présumé ne semble pas en cause, puisque d’autres pays qui l’utilisent aussi n’observent pas une telle pénurie. Ce ne sont donc pas forcément les dispositions législatives qu’il faut modifier, mais peut-être plutôt les pratiques de recueil du consentement : même lorsque la personne est présumée avoir consenti au don, l’avis de la famille est sollicité, et c’est alors que sont émises des réserves. D’autres paramètres, comme la baisse importante du nombre d’accidents sur la voie publique, entrent aussi en ligne de compte.

Nos préoccupations sont fortes s’agissant des tests génétiques, dans la mesure où cette question est liée à celle de l’accès aux données de santé informatisées, avec les risques que cela comporte en matière d’insertion dans l’emploi ou de relations avec les assureurs. Un certain nombre de rapports demandent à ce qu’il soit interdit de se prévaloir des résultats de ces tests pour obtenir un avantage. De la même manière, nous pensons qu’il faut pénaliser l’utilisation défavorable de ces tests. Par ailleurs, dans la mesure où certains traitements d’avenir sont liés à l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne, la modification des fichiers informatiques qui contiennent ces données pose des questions redoutables. Enfin, plus généralement, le recueil des données informatisées de santé ne fait pas l’objet d’un consentement explicite dans notre pays.

Les représentants des usagers sont invités à participer aux comités de protection des personnes participant à la recherche. Lorsqu’il s’agit par exemple de valider les documents relatifs au recueil du consentement, cette présence est justifiée mais est-ce vraiment utile de faire siéger les représentants des usagers lorsque les recherches en question ne mettent en jeu ni la sécurité, ni les droits des individus ? Or, c’est le cas le plus fréquent, sauf peut-être dans les grandes métropoles où se poursuit une importante recherche biomédicale. Ne conviendrait-il pas de faire évoluer ce modèle et de prévoir la saisie, en cas de difficulté, d’un conseil national des droits des personnes dans la recherche médicale ?

S’agissant de la législation relative à l’assistance médicale à la procréation ou aux tests prédictifs, nos concitoyens « s’en arrangent » au point de traverser les frontières. Il serait sans doute plus utile de les informer – sur le bon usage de tests génétiques, qui sont de toute façon accessibles sur Internet, ou sur les pratiques des différents instituts chargés de la procréation assistée – que de réviser les règles de droit. Là encore, les pratiques et les comportements sont en cause plus que les normes légales.

M. Paul Jeanneteau. Est-il nécessaire à vos yeux d’harmoniser les législations européennes ou chaque pays doit-il au contraire conserver sa spécificité ?

M. Christian Saout. L’harmonisation européenne pourrait paraître souhaitable sur certains points mais elle heurterait nos convictions sur d’autres, dans la mesure où les espaces nationaux recouvrent des façons différentes de vivre et de penser. Ainsi, l’approche utilitariste de l’accès aux médicaments en Angleterre s’oppose à l’humanisme français qui fait que la collectivité prend en charge des traitements très onéreux.

Pour autant, notre législation ne doit pas être contraire aux engagements internationaux de la France, notamment à la Convention européenne des droits de l’homme. Il me semble paradoxal que l’on puisse pratiquer une certaine forme de procréation assistée en Belgique et pas en France, ou que l’on interdise ici les avortements tardifs alors qu’ils sont pratiqués à Barcelone, dans des conditions de sécurité qui sont loin d’être optimales. Ces différences posent aussi le problème de l’égalité, les traitements à l’étranger étant réservés aux personnes ayant des revenus suffisants.

M. le président. De par la loi, la procréation assistée est considérée comme une pratique devant être réservée au traitement de la stérilité. Etes-vous favorable à son extension aux couples homosexuels ?

M. Christian Saout. Le fait que l’assistance médicale à la procréation est aujourd’hui réservée aux cas de stérilité avérée des couples hétérosexuels tient notamment à ce qu’elle est prise en charge par la sécurité sociale. Mais de quoi parle-t-on ? De l’assurance maladie ou d’un droit ? Pour avoir souvent pu mesurer, à AIDES, la blessure que peut constituer la privation d’un destin transgénérationnel, je considère que la procréation assistée devrait être ouverte aux couples homosexuels – il faudrait bien sûr réfléchir aux conditions de cette ouverture. Je ne pense pas trahir en cela la position des associations du CISS.

M. le président. J’avais auditionné, lors de la précédente révision des lois de bioéthique, des associations de malades, mais il n’y a pas de dialogue régulier avec ces associations. Y a-t-il des pays où le débat est plus développé et plus abouti ?

M. Christian Saout. Oui, le débat contradictoire en matière de santé est une tradition anglo-saxonne. Malgré la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, nous n’avons pas réussi à installer de tels rapports. Il est très peu débattu du système de santé en France et nous faisons plus de cas de l’installation d’une porcherie de 400 gorets que d’un équipement de santé. Nous ne débattons ni de l’intérêt de disposer d’un scanner dans un espace territorial donné, ni des risques de santé majeurs que présentent les nanotechnologies. D’autres pays, comme le Danemark, ont organisé ce type de confrontations. Des progrès restent donc à faire en termes de démocratie sanitaire.

En décembre 2008, une association européenne a procédé au classement des différents systèmes de santé. La France occupe une position médiocre, en raison non pas des indicateurs « durs » tels que la sécurité des soins, mais de la mauvaise performance d’indicateurs « mous » tels que l’existence de débats ou l’organisation de l’information en matière de santé. C’est sans doute cela qu’il faut corriger mais ce n’est pas facile ; ainsi a-t-on écarté dans la loi sur l’environnement la création d’une haute instance d’expertise en santé environnementale. En France, l’expertise en santé n’est jamais contradictoire et les avis minoritaires ne sont pas mentionnés.

La loi sur le Grenelle de l’environnement prévoit une commission nationale du débat public en matière d’environnement ; peut-être l’organisation des États généraux permettra-t-elle d’imaginer une forme institutionnelle similaire, qui permette d’évaluer, dans un vrai débat public – et non dans des forums discrets comme celui qui s’est tenu au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) sur les nanotechnologies – les orientations en matière de santé et d’adapter notre appareil législatif en fonction des innovations.

En France, nous n’avons pas favorisé les relations transversales entre les associations de patients. Quand ils existent, les collectifs peinent à trouver une position commune, comme cela a été récemment le cas pour le CISS sur le bouclier sanitaire ou sur les questions de bioéthique. Par ailleurs, les moyens qui leur sont alloués ne leur permettent pas toujours d’organiser le débat et de venir devant vous avec une position validée.

M. le président. Je vous remercie.

Audition de M. Marc PESCHANSKI, directeur de recherche à l’INSERM


(Procès-verbal de la séance du 14 janvier 2009)

Présidence de M. Alain Claeys

M. le président Alain Claeys. Je suis heureux d’accueillir en votre nom M. Marc Peschanski, que connaissent tous ceux qui s’intéressent à la bioéthique et à la recherche. Directeur de recherche à l’INSERM, il est actuellement directeur de l’I-Stem, l’Institut des cellules souches pour le traitement et l’étude des maladies monogéniques, à Évry. Lors des dernières révisions des lois de bioéthique, M. Peschanski a été un acteur important du débat, et a beaucoup insisté pour que la législation française évolue, singulièrement pour permettre la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

Je demanderai pour commencer à M. Peschanski s’il pense que la loi doit évoluer et, si c’est le cas, dans quel sens. Je lui demanderai ensuite si le moratoire institué par la loi de 2004 a suscité des difficultés dans le recrutement de jeunes chercheurs venant d’ailleurs, notamment des États-Unis. Je lui demanderai encore si certaines découvertes récentes, américaines et japonaises en particulier, peuvent faire penser que les recherches sur les cellules souches embryonnaires ne sont plus forcément justifiées, d’autres pistes pouvant être explorées. Je lui demanderai enfin son opinion sur l’Agence de la biomédecine, créée par la loi de 2004.

Comme je l’ai indiqué hier aux membres de la mission d’information, les membres du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique sont invités à assister à nos auditions pour éviter des doublons. Dans ce cadre, je souhaite la bienvenue à Mme Marie-Thérèse Hermange et à Mme Suzanne Rameix, membres du comité, qui pourront interroger M. Peschanski si elles le souhaitent.

M. Marc Peschanski. L’un des plus grands mérites de la loi de 2004 a été, selon moi, de créer l’Agence de la biomédecine. C’était une proposition originale, qui correspondait à la structuration de la recherche en France. L’encadrement de nos travaux par une agence indépendante était pour nous un atout et l’Agence de la biomédecine, sous la direction éclairée de Mme Camby et maintenant de Mme Prada-Bordenave, a pleinement rempli son rôle. Les relations entre notre laboratoire et l’Agence sont intéressantes, non seulement parce qu’elle délivre les autorisations mais aussi parce qu’elle a construit progressivement le domaine même qu’elle devait réguler – et, selon moi, c’est un sans-faute – en établissant des interactions permanentes entre la société et les scientifiques. Le mécanisme ainsi créé fonctionne très bien. Vous l’aurez compris, l’Agence de la biomédecine suscite mon enthousiasme et si quelque chose doit être maintenu dans la future loi, c’est bien cette Agence, interface entre le monde scientifique et la société française, qui s’acquitte comme elle le doit de ses missions d’autorisation et de contrôle des programmes scientifiques qui lui sont soumis. L’Agence permet en outre la publicité des autorisations délivrées. En cette matière, la transparence est fondamentale, mais le fait que ce soit l’Agence et non les laboratoires de recherches qui ait la responsabilité de cette publicité nous protège contre ceux qui pourraient s’opposer à l’ouverture de certains domaines de recherche et à la délivrance de certaines autorisations. Ce volet de l’activité de l’Agence est également très positif.

Il faut dire que nous travaillons dans un cadre particulier : celui d’une loi qui interdit la recherche dans les domaines qui nous intéressent mais qui nous autorise à demander des dérogations à cette interdiction. Les critères permettant d’accorder ces dérogations ont été définis en 2004, contre l’avis de certains scientifiques dont j’étais, car la réflexion a porté sur l’utilité des cellules souches embryonnaires, ou cellules ES, en tant qu’agent thérapeutique plus que sur la possibilité d’ouvrir la recherche au sens large. Je me ferai donc l’avocat d’un changement sur ce point, changement du reste demandé dans leurs rapports tant par M. Alain Claeys que par M. Pierre-Louis Fagniez, et qui fait l’objet d’un consensus dans le monde scientifique.

Au-delà des objectifs thérapeutiques, des comparaisons doivent pouvoir être faites sur les techniques disponibles. Vous m’avez demandé si les dispositions de la loi de 2004 nous avaient gênés. Peut-être vous surprendrai-je en vous disant que non. Nous avons pu travailler dans le cadre de ce texte, grâce à la bonne volonté manifestée par l’Agence de la biomédecine, mais aussi parce que la période considérée était une sorte d’entrée en matière pendant laquelle nous avons développé les équipes, les moyens de recherche et les laboratoires. En ce sens, le fait de travailler pendant ces quatre années dans un cadre dérogatoire n’a pas gêné des équipes qui, toutes, en étaient à des programmes de recherche fondamentale, in vitro ou, dans quelques cas, sur l’animal, et qui n’envisageaient, à ce stade, ni le passage à la clinique humaine, ni des applications industrielles de leurs travaux.

Cela dit, nous commençons maintenant à ressentir cette gêne, surtout dans la perspective des applications industrielles. Pour les applications cliniques en thérapie cellulaire, nos perspectives sont désormais de court ou de moyen terme, à trois ou quatre ans. Les travaux de Novocell, en Californie, qui travaille sur le traitement du diabète, aboutiront probablement d’ici deux ans aux premiers essais cliniques. Reprenant un principe que nous avions appliqué à des cellules d’origine animale en vue de soigner la chorée de Huntington, ce laboratoire a en effet élégamment résolu les deux difficultés en suspens – la possibilité d’introduire des cellules prolifératives pouvant produire des tumeurs, et le risque d’intolérance par l’organisme receveur – en emprisonnant les cellules dans des polymères poreux, qui permettent les échanges entre l’organisme et les cellules introduites, tout en interdisant à celles-ci de sortir et aux anticorps d’entrer. Ce faisant, Novocell a obtenu de la FDA l’autorisation de se livrer aux travaux préparatoires à un essai clinique, auquel elle sera vraisemblablement prête d’ici deux ans. D’autres équipes travaillant à des objectifs thérapeutiques très divers, de par le monde, en sont au même stade de préparation. Pour ce qui concerne notre laboratoire, nos travaux in vitro nous ont permis de tester des cellules prélevées chez les rats et nous en sommes à démontrer l’efficacité de notre démarche sur le singe. Nous pourrons ensuite préparer une proposition d’essai clinique qui nous permettra, nous l’espérons, d’aboutir d’ici quatre ans pour la chorée de Huntington. Je ne peux affirmer que si la loi n’était pas modifiée nos travaux à ce sujet s’en trouveraient bloqués.

Il est certain en revanche qu’un blocage se produirait pour ce qui concerne les applications industrielles, dont le champ est considérablement plus large que celui de la thérapie cellulaire. Chacun le sait, l’industrie pharmaceutique doit tester les médicaments avant de demander leur autorisation de mise sur le marché. La recherche pharmacologique s’y emploie en utilisant des cellules pour les études toxicologiques – qui concernent tant les médicaments que les produits cosmétiques – et pour les études d’efficacité. Or tous les scientifiques s’accordent pour dire qu’aucune cellule actuellement disponible n’est bonne pour procéder à ces études, car toutes sont inadaptées aux travaux que l’on réalise sur elles. De fait, les cellules issues d’animaux diffèrent des cellules humaines, ce qui n’est pas sans effet sur les résultats obtenus : ainsi, ni la thalidomide ni le distilbène n’étaient apparus toxiques lors de l’expérimentation animale. Les cellules tumorales représentent certains paramètres d’un organe donné mais assurément pas la physiologie normale d’un être humain. Quant aux cellules issues de donneurs, elles ont l’inconvénient d’être différentes à chaque fois, ce qui ne satisfait pas les industriels du médicament, qui doivent veiller à ce que les molécules nouvelles n’aient pas d’effets bénéfiques pour une fraction de la population et délétères pour une autre.

Les applications industrielles de l’utilisation des cellules souches embryonnaires sont porteuses d’un grand espoir parce que ces cellules apparaissent comme une sorte de Saint Graal. Immortelles, elles se renouvellent de manière illimitée, et peuvent ainsi fournir à partir d’un même prélèvement toute la biomasse indispensable aux études scientifiques ; et elles sont pluripotentes, susceptibles de se différencier dans n’importe quel phénotype cellulaire. La maîtrise de cette production de biomasse et celle de la pluripotence sont devenues des enjeux industriels. Au point que l’activité de notre laboratoire, I-Stem, qui est consacrée pour deux tiers à la recherche classique relative aux cellules souches embryonnaires, l’est déjà pour un tiers à la recherche technologique, pour laquelle nous utilisons des robots qui nous permettent de travailler sur des milliards de cellules en même temps. Nous pouvons ainsi tester en parallèle, dans tout essai de criblage, jusqu’à 70 000 molécules potentiellement thérapeutiques. C’est dire que nous entrons sur le terrain industriel des tests de médicaments, qu’il s’agisse de toxicologie, où nous avons déjà obtenu des résultats intéressants, ou de tests de criblage sur des cellules porteuses de maladies génétiques. Il s’agit encore de preuve de concept, mais elle intéresse déjà les industriels, comme nous l’ont fait savoir les représentants des directions des laboratoires Servier, Sanofi, GSK et Roche, que j’ai récemment reçus à leur demande.

C’est là que le bât blesse : en l’état, notre législation ne permet pas à ces industriels d’investir alors qu’ils le souhaiteraient. Tous me l’ont dit : ils n’investiront pas en France avec, suspendue au-dessus de leur tête, l’épée de Damoclès qu’est pour eux une disposition législative dérogatoire, avec une visibilité limitée à cinq ans. Si l’on en reste là, ils préfèreront investir en Belgique ou au Royaume-Uni, où ils se soumettront sans broncher à un système d’autorisation et de contrôle mais où ils ne seront pas soumis à l’incertitude légale qu’ils subiraient en France. Là est le blocage réel : pour moi, travailler avec le laboratoire Servier, qui est à Croissy, plutôt qu’avec Roche, qui est à Bâle, exigerait… que Servier ouvre un laboratoire à Bâle, ce qu’ils ne feront pas. Que la loi de 2004 reste inchangée risque véritablement de nous bloquer et, à terme, de nous conduire à travailler pour Roche ou Novartis plutôt que pour Servier ou Sanofi, ce qui serait dommage, car la recherche scientifique participe du patrimoine national et nous avons tout intérêt à ce que la France bénéficie des retombées économiques d’un domaine de recherche en très forte expansion.

Peut-on parvenir au résultat que nous recherchons en utilisant d’autres voies ? Nous sommes toujours ouverts à la réflexion, et j’ai d’ailleurs commencé mes recherches en matière de thérapie cellulaire en employant d’autres méthodes, sans dévier de mon unique objectif : soigner. Nous, « thérapeutes expérimentaux », à mi-chemin de la recherche fondamentale et de la recherche clinique, nous recherchons des retombées sociales à la recherche, ce qui nous rend très pragmatiques. Il ne s’agit pas de défendre une philosophie ou une chapelle mais de considérer l’ensemble des moyens mis à la disposition de la communauté scientifique pour améliorer notre connaissance. Dans ce cadre, l’intérêt suscité par les cellules souches pluripotentes induites – « induced pluripotent stem cells », ou iPS -, une technique mise au point par Shinya Yamanaka, a provoqué en un an la création de nouvelles équipes et de nouveaux programmes et une floraison d’idées. C’est que les iPS offrent les mêmes possibilités que les cellules ES et, en théorie, des possibilités supplémentaires. Si je précise « en théorie », c’est qu’au cours des deux dernières années, nos recherches ont tendu à vérifier que la reprogrammation qui aboutit à la création de cellules proliférantes, dotées – au moins dans nos boîtes de Petri – de capacités de différenciation, reproduisait effectivement ce qui se passe lors des premières étapes de développement de l’être humain. Les iPS, étant un artefact, ne seront de toute façon pas identiques aux cellules ES, mais la question est de savoir si elles peuvent les remplacer pour ce que nous voulons faire. Or, aujourd’hui, cette interrogation demeure sans réponse.

Aussi cherchons-nous maintenant à déterminer si l’absence de réponse à cette question fondamentale tient à nos méthodes de recherche ou si la voie poursuivie n’est pas la bonne. On obtient des iPS humaines très facilement ; dans notre laboratoire, toutes les équipes ont aujourd’hui accès à une quinzaine de lignées ; nous nous efforçons de déterminer si ces cellules sont ou non différenciables, et donc si tous les protocoles qui devraient être applicables en théorie – et qui réussissent avec les cellules souches embryonnaires – le sont réellement. À ce jour ils ne le sont pas. Et ce problème ne nous est pas propre : la littérature internationale relative à cette question montre que toutes les équipes qui se consacrent à ces recherches se heurtent à la même difficulté – personne, à ce jour, ne parvient à obtenir 100 % de précurseurs avec les iPS. Tel est l’état de l’art sur ce point, mais nous ne nous y consacrons que depuis six mois et le consensus s’est fait, à l’échelle internationale, sur la nécessité de continuer à creuser la question.

Cette situation ne permet évidemment pas d’arrêter toute recherche utilisant des cellules souches embryonnaires pour se concentrer sur les seules iPS. Non seulement toutes les voies de recherche doivent être poursuivies, mais le potentiel théorique des iPS reste à concrétiser. Mieux vaut démontrer son effectivité puis définir, pour chaque nouvelle application, quel type de cellule est préférable pour quel objectif thérapeutique. En général, on poursuit plusieurs expérimentations en même temps et on choisit la meilleure méthode. Ainsi, Philippe Menasché, après avoir exploré toutes les possibilités de thérapie cellulaire de l’insuffisance cardiaque, s’est spécialisé dans une application utilisant des cellules souches embryonnaires – ce qui ne signifie pas qu’il s’en tiendra là.

Les chercheurs doivent pouvoir continuer de disposer d’une sorte de catalogue dans lequel ils peuvent piocher en tant que de besoin. À ce jour, les iPS posent un problème qui sera peut-être résolu ; je l’espère, car je compte beaucoup sur ces cellules pour mener à bien un projet qui me tient à cœur depuis longtemps, la constitution d’une gigantesque banque de données cellulaires recensant le patrimoine génétique de milliers de maladies que l’on ne peut à ce jour étudier faute de cellules en nombre suffisant. Les iPS nous apporteraient la solution qui nous manque, et j’aimerais beaucoup pouvoir constituer cette banque d’iPS avant de prendre ma retraite.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Vous avez ouvert de nombreuses perspectives et suscité plusieurs interrogations. Si je vous ai bien compris, la loi ne vous gêne pas encore mais risque de vous gêner ; par ailleurs, la recherche est, à ce jour, incapable de dire si la production de cellules souches embryonnaires pourra être abandonnée au bénéfice d’autres méthodes dont celle de la reprogrammation nucléaire.

Dès lors deux questions se posent. Tout d’abord, celle de savoir si la recherche doit toujours avoir une finalité thérapeutique majeure certaine pour être engagée ; n’y a-t-il pas un risque à imposer une telle contrainte légale alors que la recherche, à son stade initial, ne peut dire s’il y aura ou non un effet thérapeutique ?

Par ailleurs, reconduire pour cinq ans le mécanisme dérogatoire institué par la loi de 2004 permettrait d’avoir les idées plus claires, mais ne serait-ce pas céder à la tentation de la simplicité ? L’inconvénient de dire : « puisque les choses fonctionnent correctement en l’état, continuons  », c’est que procéder de la sorte ne donne aucune certitude à long terme, ce qui empêche chercheurs et industriels de s’investir.

Enfin vous avez loué le fonctionnement de l’Agence de la biomédecine, qui est le bras armé du législateur. Cela étant, la loi ne devrait-elle pas être de portée plus générale, et l’Agence chargée de résoudre les problèmes au cas par cas, à mesure qu’ils se posent, au lieu qu’à chaque fois il faille rouvrir un débat qui serait tranché si la loi de 2004 était toilettée comme vous le souhaitez ?

Mme Marie-Thérèse Hermange, sénatrice, membre du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique.  La directive sur le médicament, que nous avons transposée, donne une nouvelle définition du médicament qui inclut la thérapie cellulaire ; cela ne règle-t-il pas les problèmes législatifs en suspens ? À l’inverse, ne peut-on craindre que, demain, des directives nouvelles ne nous ligotent ?

S’agissant des iPS, j’ai été impressionnée de constater que les premières publications les concernant datent de fin novembre 2007 et que, dès la fin janvier 2008, Japonais et Américains créaient des instituts de recherche à ce sujet, les dotant de 65 millions de dollars. Cette réactivité et cette mobilisation extraordinairement rapide doivent faire réfléchir. La France n’aurait-elle pas intérêt, elle aussi, à mobiliser les fonds nécessaires au financement de la recherche sur les iPS et de la banque de données que vous appelez de vos vœux ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. Les Britanniques viennent d’autoriser la production de cellules souches embryonnaires hybrides. Cette démarche a-t-elle un intérêt scientifique ? Est-elle justifiée par la pénurie de cellules souches embryonnaires ? Que pensez-vous de ces techniques ?

M. Marc Peschanski. Lorsque nous nous étions rencontrés, vers l’an 2000, pour évoquer la révision de la loi de bioéthique, j’étais un fervent défenseur du clonage thérapeutique, et j’avais perdu. Si je ne vous ai pas parlé du clonage thérapeutique aujourd’hui, c’est par pragmatisme. Comme je vous l’ai dit, il ne s’agit pas pour moi d’un problème philosophique mais d’une manière d’obtenir des cellules souches embryonnaires avec un patrimoine génétique choisi. C’est ce que les iPS peuvent nous apporter, et si nous parvenons à le faire, nous aurons à notre disposition un outil bien plus facile à utiliser que le clonage – que personne n’a réussi – et moins acrobatique que les cybrides que quelques groupes anglais ont voulu développer. Nous poursuivons donc dans cette voie afin de démontrer, ou d’infirmer, que cette possibilité existe. L’important, j’y insiste, c’est que le catalogue des méthodes possibles reste ouvert, et c’est en ce sens que la loi ne devrait plus interdire le clonage thérapeutique. Alors, si l’on constate que les recherches sur les iPS n’aboutissent pas, par exemple parce que les résultats obtenus chez la souris montrent que ces cellules sont dangereuses après reconstruction blastocytaire, on essayera d’autres pistes. Permettez-moi une comparaison triviale : lorsque le prix du pétrole atteint 200 dollars le baril, on pense à nouveau à utiliser le charbon… Il en va de même pour le sujet qui nous intéresse : il y a des moments où la question de la « rentabilité scientifique » peut se poser de manière différente. Pour autant, si la loi continue d’interdire le clonage thérapeutique, je ne hurlerai pas de rage ; je me limiterai à penser que c’est dommage.

La question des directives ne se pose pas car nous sommes dans le domaine éthique, qui est régi par le principe de subsidiarité. L’Union européenne ne peut ni nous imposer de travailler sur les cellules souches embryonnaires ni nous l’interdire – elle ne l’a d’ailleurs pas interdit au Royaume-Uni.

Mme Marie-Thérèse Hermange. C’est qu’à l’époque la directive sur le médicament n’avait pas été adoptée.

M. Marc Peschanski. Qu’elle l’ait été ne change rien. Les industriels qui souhaitent investir dans la thérapie cellulaire continueront d’installer leur laboratoire en Belgique si la législation française leur pose problème – pour l’I-Stem lui-même une installation en Angleterre avait été envisagée. Et je ne crois pas que la subsidiarité des questions éthiques sera remise en cause. On ne peut pas davantage contraindre les Autrichiens à faire des recherches sur les cellules souches embryonnaires qu’on ne peut l’interdire aux Britanniques. L’Union s’y essaierait-elle qu’elle provoquerait sa propre explosion.

M. le président. La seule question qui se pose en cette matière est celle des financements européens.

M. Marc Peschanski. Le problème a été élégamment contourné par M. Philippe Busquin. La difficulté principale tient à ce que l’on ne peut déposer à l’Office européen des brevets aucun brevet portant, de quelque manière, sur les cellules souches embryonnaires, leur utilisation, leur développement ou leur production. Ainsi, nous avons été « retoqués » lorsque nous avons déposé un brevet portant sur un bioréacteur permettant de produire ces cellules de manière industrielle – mais le même brevet a été validé aux États-Unis… Cette question est très grave. Au cours des dix-huit derniers mois, nous avons déposé auprès de l’Office européen sept brevets, qui portent sur des applications technologiques, des protocoles de différenciation et l’utilité fonctionnelle des cellules souches embryonnaires ; nous savions qu’ils ne seraient pas validés, mais nous l’avons fait pour garantir notre antériorité… et, dans le même temps, nous déposons les mêmes brevets aux États-Unis.

M. le président. Je crois savoir que, même aux États-Unis, le champ de dépôt des brevets en cette matière s’est rétréci.

M. Marc Peschanski. C’est vrai sur les lignées de cellules ES, mais non sur leur utilisation.

J’en viens à la question du financement de la recherche en France. Parce qu’il est globalement insuffisant et que nous sommes incapables de mobiliser des ressources nouvelles, nous sommes dans une situation de blocage et nous ne pouvons développer de nouveaux champs de recherche. Au Japon, la décision à laquelle Mme Hermange a fait allusion a été prise par le Gouvernement ; aux États-Unis, c’est une université qui a décidé d’investir dans ce domaine de recherche, aidée par l’État de Californie, qui dispose de ressources très importantes. Dans les deux cas, la mobilisation des financements a été considérable. En France, on ne peut même plus parler de fuite des cerveaux ; la situation est telle que l’on a énormément de mal à faire revenir des États-Unis les jeunes chercheurs français. J’y suis parvenu pour quelques-uns d’entre eux mais l’attraction de la Californie est si grande que d’autres États américains se sont sentis contraints de débloquer des fonds importants simplement pour maintenir chez eux leurs propres chercheurs. Outre cela, les États-Unis ne sont pas le seul pôle d’attraction des chercheurs français : n’avons-nous pas perdu Philippe Kourilsky qui, avec d’autres leaders de la communauté scientifique française, travaille désormais à Singapour ? La question se pose vraiment des moyens à donner à la recherche, ce qui implique aussi de prendre le risque d’investir dans des voies nouvelles. Pour ce qui nous concerne, nous avons eu la chance que l’Association française contre les myopathies décide de prendre des risques de cette nature et finance cette recherche ; malheureusement, elle se substitue ainsi à l’État, ce qui est injuste.

S’agissant de la loi proprement dite, nos demandes d’autorisation portent déjà sur des programmes que nous présentons comme ayant une finalité thérapeutique ; mais puis-je faire observer que c’est notre seul moyen d’obtenir des fonds ? Dans une large mesure, cette notion de finalité thérapeutique fait partie des « discours dominicaux », et les liens entre nos recherches et les applications thérapeutiques potentielles sont par nature difficiles à établir avec certitude. Tout dépend de la bonne volonté de l’Agence de la biomédecine.

M. le président. Tous les intervenants entendus par notre mission se sont insurgés contre l’emploi du qualificatif « thérapeutique » dans la loi.

M. le rapporteur. Mais la législation vous gêne-t-elle ou ne vous gêne-t-elle pas ? Vous nous avez dit que vous pouviez travailler dans le cadre légal fixé en 2004, mais seulement parce que l’hypocrisie prévaut, et qu’il vous faut prétendre que les protocoles pour lesquels vous demandez des autorisations à l’Agence de la biomédecine permettront de soigner la chorée de Huntington ou la maladie d’Alzheimer – sans dire à quelle échéance ni même si c’est la finalité réelle. Il est paradoxalement rassurant de voir qu’une forme de l’« esprit français » permet au système de fonctionner.

M. Marc Peschanski. L’Agence de la biomédecine fait respecter la loi ; elle ne la contourne pas, mais elle sait écouter quand on lui explique que, par la recherche fondamentale, on tente de guérir une pathologie. Pour ce qui me concerne, je serais entièrement favorable à ce qu’on laisse l’Agence décider au cas par cas, comme la suggestion en a été faite. Comme ce fut le cas pour la radioactivité et l’expérimentation animale, il est bon que les chercheurs trouvent face à eux une administration sensible à leurs problèmes. L’Agence de la biomédecine est un organisme qui fonctionne bien et dont nous nous efforçons d’exporter le modèle vers les pays qui ne disposent pas d’une telle instance. Je l’ai d’ailleurs citée en exemple devant les parlementaires européens.

Je reviens sur la dérogation de cinq ans fixée dans la loi de 2004 pour rappeler sa genèse : l’hypothèse qui a prévalu était qu’en cinq ans on ne parviendrait peut-être pas à démontrer l’utilité des cellules souches embryonnaires… Aujourd’hui, personne n’envisage plus que ces expériences ne soient pas poursuivies. L’idée que la période de cinq ans était une période de test est dépassée ; elle l’était déjà il y a quelque deux ans lorsque les rapports de M. Claeys et de M. Fagniez sont parus.

M. le président. Il me paraît intéressant de communiquer le bilan de l’Agence de la biomédecine : sur les 106 autorisations qui lui ont été demandées, huit seulement ont fait l’objet d’un refus.

M. Henri Emmanuelli. Il est regrettable que les rigidités de la loi doivent être surmontées grâce à la compréhension des fonctionnaires chargés de son application.

M. le rapporteur. C’est caricatural !

M. Henri Emmanuelli. Nullement, et il est humiliant pour les législateurs de devoir compter sur des gens plus intelligents qu’eux. Je suis heureux d’entendre que le clonage thérapeutique n’est plus forcément nécessaire. « J’ai perdu », avez-vous dit, Monsieur Peschanski, à ce sujet. En réalité, c’est moi qui avais perdu, car c’est moi qui avais défendu nuitamment un amendement autorisant le clonage thérapeutique – et quelles énormités ai-je entendues à l’époque !

Mme Suzanne Rameix, philosophe, membre du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. Cette audition se déroule dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique, au moment où il nous faut donc définir ce qui est mal et ce qui est bien, ce qui est permis et ce qui est interdit pour que notre société vive harmonieusement. Vous nous avez exposé, de manière très factuelle, ce que fait la recherche et ce qu’elle peut permettre de faire. À titre personnel, quels principes éthiques vous guident ? Est-il des choses que vous vous interdiriez de faire en toutes circonstances, quel qu’en soit le bénéfice possible, parce que vous y verriez une atteinte à l’éthique ?

M. Marc Peschanski. Pour moi, un principe éthique prévaut sur tous les autres : respecter l’être humain vivant ou destiné à l’être. Ensuite, on entre dans le débat, l’éthique étant par nature un débat, car, y eût-il accord sur les règles, nous ne mettons pas tous l’accent sur elles de la même façon. Je considère aussi que la recherche scientifique est, en tant que telle, une règle éthique puisqu’elle traduit un principe adopté par notre société depuis une bonne centaine d’années, celui de la solidarité avec les générations futures. Pour elles, nous investissons dans la connaissance et dans l’évolution des pratiques qui permettront aux hommes de vivre en harmonie entre eux d’une part, avec les autres espèces d’autre part. Le reste relève du débat éthique, et j’y suis prêt, mais il s’agit alors de discuter de points de vue philosophiques, religieux ou d’organisation sociale, qui peuvent différer.

Mme Suzanne Rameix. On a parlé de finalité thérapeutique. Accepteriez-vous, par exemple, le type de recherche dont nous parlons avec une finalité cosmétique ou amélioratrice ?

M. Marc Peschanski. Vous n’êtes plus dans le cadre des principes, vous entrez dans le débat, et nous pouvons avoir des idées différentes, ce qui est très bien. À la question que vous posez, je ne peux répondre comme chercheur, car les chercheurs ont des points de vue différents, ni comme médecin ; je ne pourrais faire que la réponse personnelle d’un chercheur, d’un médecin, d’un homme qui a une certaine histoire et certaines idées philosophiques et politiques. Nous pouvons discuter, et nous trouverons peut-être des points de croisement entre nos positions respectives.

Mme Suzanne Rameix. Mais qu’en est-il par exemple de la solidarité avec les générations futures à laquelle vous avez fait allusion ? Si vous réalisez la banque de données biologiques que vous appelez de vos vœux, comment sera respecté le droit à l’information des patients donneurs ? L’utilisation qui sera faite des cellules ne risque-t-elle pas d’aller au-delà des raisons qui ont motivé leur consentement ? À titre personnel, quelles sont vos orientations ?

M. Marc Peschanski. Permettez-moi de prendre un exemple. Lorsque, en 1991, il a été question de se lancer dans des greffes de neurones fœtaux, neurones obtenus à partir d’IVG, nous étions vingt-cinq autour d’une table qui nous sommes posé des questions éthiques. Parmi nous, Jean-Denis Degos, catholique convaincu et opposé à l’avortement, débattait de l’utilisation de cellules provenant d’IVG et destinées à soigner ses malades… Ce fut un grand moment de discussion éthique, mais le fait qu’il y ait eu pratiquement plus d’avis que de participants nous a conduits à renvoyer la balle au Comité consultatif national d’éthique, car nous étions incapables de parvenir à un consensus.

M. Paul Jeanneteau. Comment obtenez-vous les cellules pluripotentes induites ?

M. Marc Peschanski. La technique est fondée sur l’identification, dans les cellules souches embryonnaires, des gènes responsables du maintien de ces cellules dans un état qui leur permet d’être immortelles et de proliférer en permanence, puis de quitter cette immortalité pour devenir pluripotentes. Shinya Yamanaka a d’abord identifié entre 25 et 30 gènes possibles puis, au terme d’une étude exhaustive, quatre gènes-maîtres qui permettent à une cellule adulte de retrouver les capacités de prolifération d’une cellule ES ; en novembre 2007, il a réussi à reprogrammer des cellules adultes en cellules souches pluripotentes, en y introduisant ces quatre gènes – des oncogènes. La faculté de reprogrammation a été étudiée ensuite dans l’idée de remplacer ces quatre gènes par d’autres agents, des protéines par exemple, dotés des mêmes capacités ; ainsi du gène KLF4 remplacé par l’acide valproïque, un anti-épileptique. On cherche ainsi à définir s’il est besoin de modifier le génome ou si l’on ne pourrait agir en épigénétique, avec l’avantage qu’il y aurait moins d’artefacts.

M. le président. Lorsque l’Agence de la biomédecine a été créée, s’est posée la question du délai d’instruction des dossiers. En pratique, ce délai est-il acceptable, notamment en regard de ce qui est pratiqué dans d’autres pays ? D’autre part, comment s’exerce le contrôle par l’Agence des programmes de recherche qu’elle a autorisés ?

M. Marc Peschanski. Le délai d’instruction est de quatre mois. Au début, c’était pour nous un inconvénient considérable : nous restions l’arme au pied, sans pouvoir ni importer des lignées de cellules souches ni monter des équipes. À présent, nous jugeons ce délai un peu long mais nos équipes sont déjà constituées et, en attendant le résultat de l’instruction du dossier, elles font d’autres recherches. Le délai est donc tolérable.

M. le président. Il est, nous a-t-on dit, identique au Royaume-Uni.

M. Marc Peschanski. Oui. De plus, en France, ce délai est strict ; on sait donc à quoi s’attendre. La difficulté principale n’est pas là ; elle tient au fait que nous ne pouvons déposer de dossiers que trois fois par an, pendant un mois. Mieux vaut donc ne pas avoir une idée nouvelle quand la période de dépôt des dossiers vient de se clore ! Ce manque de réactivité est ennuyeux mais tout dépend de la taille des équipes. L’inconvénient est moindre pour un laboratoire comme le nôtre, où 80 personnes travaillent dans différents domaines, que pour une équipe plus restreinte dont l’activité risque de se trouver bloquée et qui doit donc la réorienter dans un autre domaine de recherche, au risque que les chercheurs directement concernés changent de laboratoire. Il y a une justification à cette manière de faire : il faut mobiliser des experts et le conseil d’orientation, le processus est lourd pour l’Agence de la biomédecine et je comprends les raisons qui la poussent à procéder de la sorte, mais cela fut parfois gênant. Ce l’est moins aujourd’hui, car nous disposons de quelque 25 lignées de cellules souches importées pour une banque de lignées que nous constituons avec Stéphane Viville, du service de biologie de la reproduction au CHU de Strasbourg. Nous n’avons certes pas le droit de les utiliser pour un nouveau protocole avant que l’autorisation nous en ait été donnée, mais nous pouvons, en attendant, les faire proliférer pour obtenir une biomasse. C’est ce que nous faisons.

M. le président. L’Agence de la biomédecine a-t-elle vraiment les moyens de procéder aux contrôles qui s’imposent ?

M. Marc Peschanski. Nous avons eu des inspections sur site qui se sont traduites par des contrôles administratifs, des contrôles de notre banque de données, de notre activité, du cahier de manipulations, du registre des personnes employées et de la formation. Par ailleurs, nous avons anticipé ces contrôles en chargeant un de nos ingénieurs des relations avec l’Agence, à laquelle nous envoyons régulièrement des informations. Mais l’on conçoit qu’il est beaucoup plus difficile à une équipe de quatre ou cinq personnes de charger un ingénieur de s’occuper de ces questions deux heures par jour.

Pour ce qui est des importations de lignées de cellules souches, nous n’avons plus aucun problème, car les équipes qui devaient travailler sur les cellules souches embryonnaires sont désormais pourvues et peu d’équipes nouvelles se créent. Les sources des lignées sont peu nombreuses ; elles proviennent pour moitié de Belgique et nous n’avons pas besoin de nous justifier auprès de l’Agence chaque fois que nous obtenons une nouvelle lignée de l’AZ-VUB. Enfin, nous bénéficions maintenant d’une production française avec des sites comme Strasbourg, Villejuif et Montpellier, qui ont commencé à produire des lignées choisies : ce sont des cellules souches embryonnaires porteuses de pathologies qui font l’objet de recherches pour lesquelles très souvent l’autorisation a déjà été obtenue ; il s’agit alors simplement d’ajouter de nouvelles lignées.

Mme Marie-Thérèse Hermange. Dans sa lettre de mission à M. Leonetti, le Président de la République a invité le comité de pilotage à la transparence. À cet égard, disposez-vous d’un bilan comparatif des applications thérapeutiques possibles selon les différents types de cellules souches ?

M. le président. Le Président de la République s’adressait à M. Leonetti en sa qualité de président du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. Nous sommes ici dans un cadre différent, celui d’une mission d’information parlementaire.

M. Marc Peschanski. Je n’ai aucun document de ce type. Lorsque, en l’an 2000, nous avons été mobilisés pour dresser le bilan de l’utilisation des cellules souches adultes ou embryonnaires, nous étions quinze pour réaliser ce travail, et il nous a fallu des mois pour le mener à terme. Nous pourrions dresser un bilan ponctuel par pathologie, mais nous serions incapables de dresser un bilan global.

M. le président. Je vous remercie.

Audition de M. Carlos de SOLA,
chef du département de bioéthique du Conseil de l’Europe



(Procès-verbal de la séance du 14 janvier 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Carlos de Sola, chef du service de la santé et de la bioéthique au Conseil de l’Europe. M. de Sola a déjà été entendu à plusieurs reprises par les parlementaires. Il a notamment participé en 2007 à une table ronde de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) sur les contributions des organisations internationales à la réflexion sur la bioéthique. Il a également été consulté en 2004 par la mission d’information sur l’accompagnement de la fin de vie, présidée par M. Jean Leonetti.

Il nous sera très utile de connaître votre point de vue sur les travaux en cours au Conseil de l’Europe. Vous avez en effet participé à l’élaboration de la convention d’Oviedo, que la France n’a malheureusement pas encore ratifiée, et de ses quatre protocoles additionnels consacrés respectivement au clonage humain, à la transplantation d’organes et de tissus, à la recherche biomédicale et aux tests génétiques. En outre, notre mission d’information s’intéresse à l’expérience de votre pays, l’Espagne, en matière notamment de prélèvement d’organes et de dons d’ovocytes.

M. Carlos de Sola. Je remercie la mission d’information d’avoir invité le Conseil de l’Europe à s’exprimer. J’éprouve une grande admiration pour le sérieux, la compétence et le soin dont vous faites preuve dans votre travail de réexamen des lois de bioéthique. Comme ce fut déjà le cas par le passé, votre démarche constitue une référence pour un grand nombre de pays en Europe.

Je commencerai par exposer certains éléments au sujet des principaux textes élaborés au sein du Conseil de l’Europe, avant de vous soumettre quelques réflexions sur les types de problèmes que l’on doit affronter lorsqu’on traite de ces questions au niveau international et sur la façon dont on essaye d’y apporter des solutions.

Pourquoi un texte juridiquement contraignant au niveau européen sur ces questions ? Et quel est le contenu du texte principal, la convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine ?

Jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la plupart des traités internationaux portaient sur des questions qui ne concernaient que les États en tant que tels : problèmes de frontières, de transit de marchandises, etc. Depuis, toute une série de nouveaux textes a été adoptée, le premier étant la Déclaration universelle des droits de l’homme dont nous avons célébré les soixante ans en décembre dernier. Ces traités n’ont plus trait aux relations entre les États, mais aux relations entre les États et les personnes. C’est une nouveauté mais initialement la finalité était la même : on est parti de l’idée qu’un pays qui respecte les droits de l’homme et qui est contrôlé démocratiquement par ses citoyens constitue un moindre danger pour ses voisins qu’un pays autoritaire ou dictatorial car, en principe, les peuples ne veulent pas la guerre. Cette idée rejoint d’ailleurs le préambule de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements ». Il s’agissait de lier les États par des liens « doux » : non pas de museler les nations, mais de rendre les individus et la société plus libres.

À cela s’est ajoutée ensuite une seconde dimension lorsque l’on a constaté, au niveau de l’Europe, que nous partagions une série de valeurs que nous pouvions formuler sous forme de principes, voire de règles communes plus ou moins générales ou précises. La convention européenne des droits de l’homme a donné une effectivité à ces droits en instituant la cour européenne de Strasbourg. D’autres traités et conventions portent sur des domaines plus spécifiques, mais leur philosophie reste la protection des droits fondamentaux.

C’est dans cette ligne que s’inscrit la convention d’Oviedo. Les travaux de réflexion avaient commencé dans les années 1980 et l’élaboration même du texte fut faite à partir de 1992. Il s’agissait de protéger la personne – ou peut-être faudrait-il dire l’être humain – non seulement vis-à-vis des pouvoirs publics, considérés traditionnellement comme susceptibles de menacer les droits de l’homme et les libertés publiques, mais vis-à-vis d’autres forces, notamment celle de la science et des techniques qui possèdent un immense pouvoir sur le long terme.

Ce texte répond à deux objectifs : d’abord codifier des principes déjà relativement bien connus et applicables à l’ensemble de la médecine, à savoir les principes fondamentaux du droit médical comme le consentement du patient, la protection de sa vie privée, etc. ; ensuite, de façon plus exploratoire, identifier certains des problèmes posés par les nouvelles technologies et formuler les principes qui pourraient s’y appliquer.

Dans son premier volet, la convention énonce des principes – et parfois même des règles – relatifs aux droits individuels. Une fois le texte ratifié, le juge peut directement les appliquer et le citoyen a la possibilité de les invoquer. En revanche, d’autres dispositions ne sont pas directement applicables. Elles impliquent plutôt une sorte d’« obligation de faire » pour les États. En bref, le premier volet de la convention est une forme de charte des droits du patient, tandis que le second vise à élaborer des principes applicables aux nouvelles techniques biomédicales.

L’intention première du Conseil de l’Europe était de rédiger un texte court et sobre que nous avions dès l’origine intitulé « convention-cadre », s’en tenant à des principes généraux, et auquel devaient faire suite des protocoles thématiques édictant des règles plus précises. Mais, à la demande de l’assemblée parlementaire du Conseil, certains chapitres ont connu un développement plus important qu’il n’était prévu initialement. Ce fut notamment le cas de la recherche biomédicale : les parlementaires allemands, pour des raisons historiques bien connues – les recherches menées sous le régime nazi –, souhaitaient que le texte apporte plus de protections.

La structure a néanmoins été conservée. La convention d’Oviedo est courte. Les principes qu’elle énonce sont pour la plupart assez généraux mais ils sont développés dans des protocoles additionnels. Le premier de ces protocoles, qui n’était pas prévu au départ, est consacré au clonage des êtres humains. Le deuxième concerne la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine : dans ce domaine, les règles étaient relativement bien connues et partagées par l’ensemble des pays européens et il s’agissait surtout de les rassembler en un seul texte. Le troisième protocole est consacré à la recherche médicale : ses règles, dont certaines remontent au code de Nuremberg et à la déclaration d’Helsinki, se trouvent précisées et étendues à des domaines qui, parfois, ne figurent pas dans les législations nationales : il en est ainsi de l’article 29, qui aborde le sujet des recherches effectuées en dehors du territoire européen mais sous le contrôle de capitaux ou de chercheurs européens. Le quatrième protocole enfin, adopté à la fin de 2008, est relatif aux tests génétiques à finalité médicale.

Les tests portant sur l’embryon et le fœtus ont été exclus du champ d’application de ce dernier protocole. Il a été considéré que le diagnostic prénatal et le diagnostic préimplantatoire posaient des problèmes spécifiques et que les désaccords à ce sujet risquaient de ralentir l’adoption d’autres dispositions portant sur des questions qui devaient être réglées le plus tôt possible. Nous avions au demeurant abandonné un protocole sur la protection de l’embryon et du fœtus humains, sur lequel nous n’étions pas parvenus à un accord. Il faut relever que, entre le début des années 1990 et aujourd'hui, le Conseil de l’Europe est passé d’un peu plus de vingt États à plus du double. La disparité des points de vue s’est donc accrue mais elle tient aussi à la capacité ou non des pays à mener des recherches.

J’en viens à des réflexions plus personnelles sur les types de problèmes que nous devons affronter.

D’une certaine manière, ces problèmes sont similaires à ceux que rencontre le législateur au niveau national mais lorsqu’on se place au niveau européen, le nombre des opinions différentes sur certains problèmes de fond peut être multiplié par un facteur 1,5 et par 2 ou 3 au niveau mondial.

Il y a aussi ce que j’appelle les facteurs culturels. Certains principes sont, en tant que principes, unanimement partagés par les États : c’est le cas, par exemple, du consentement ou, en matière de bioéthique, du principe d’autonomie. L’article 5 de la convention définit le consentement de manière négative : « Une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu'après que la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé» En d’autres termes, elle ne peut réclamer tout mais elle peut s’opposer efficacement à une intervention qu’elle ne souhaite pas. Les personnes atteintes de troubles mentaux et les incapables font l’objet de dispositions particulières. Tous les États sont d’accord sur le principe mais tous ne l’appliquent pas de la même manière, que ce soit sur le plan législatif ou dans la pratique médicale. Le principe de l’autonomie et celui de la protection du patient – appelé par les éthiciens principe de bienfaisance et de non-malfaisance – peuvent entrer en opposition : une personne peut ne pas souhaiter une intervention alors que l’on considère qu’elle est indispensable pour sa santé.

Prenons l’exemple de la procréation médicalement assistée. En France, une règle en place depuis longtemps dispose que seuls les couples, plus précisément les couples hétérosexuels, y ont accès. La raison invoquée, parfaitement légitime, est la protection de l’enfant à naître : on ne veut pas que soient mis au monde des enfants qui n’auront pas de père, par exemple. Au Royaume-Uni, la discussion de la loi sur la procréation assistée a été précédée d’un rapport rédigé par Lady Warnock qui posait précisément la question et concluait que ce qui est bien pour l’enfant, c’est d’avoir un père et une mère. Cela dit, est-ce la société et, en son nom, le législateur, qui sont les mieux placés pour en décider à la place des personnes concernées ? Nous retrouvons là une tradition qui se manifeste dans bien d’autres domaines, une tradition libérale, au sens classique de John Stuart Mill. Selon cette approche, il est préférable pour la société que chaque individu prenne les décisions le concernant en matière de santé. Cette conception typique du libéralisme est appliquée de façon plus constante par le législateur britannique que dans d’autres pays. En France, par exemple, on prend position sur ce qui est bien et ce qui est mal ; on identifie tout pareillement le conflit entre les deux principes, mais on tranche différemment.

Faut-il trancher au niveau européen ? Une solution est-elle meilleure que l’autre ? Nous n’avons aucun moyen de le démontrer mathématiquement. Nous disposons de principes mais il faut aussi établir des limites et le choix en revient entièrement aux États. C’est ce que, dans de nombreux domaines, la Cour européenne des droits de l’homme appelle la « marge d’appréciation » dont dispose chaque pays pour adopter ses propres dispositions, en fonction notamment de sa culture. C’est ainsi que le Royaume-Uni, en dépit des conclusions de Lady Warnock, a mis en place un dispositif différent du dispositif français.

Je conclurai mon propos par un dernier exemple britannique. Une personne internée dans un hôpital psychiatrique pour une psychose lourde est gravement blessée à la jambe. Il existe un risque de gangrène pouvant entraîner la mort. La personne refuse l’amputation. Un second avis médical confirme le premier. Or, le guardian, au Royaume-Uni, n’a compétence que pour les aspects financiers, pas pour les aspects personnels. Il n’y a pas de représentant légal sur le modèle du code Napoléon. Il est du devoir du médecin, s’il estime que son patient s’expose à un risque grave, de s’adresser à un juge. Dans le cas qui nous occupe, le juge entend la personne et conclut que celle-ci, malgré sa maladie psychique, a compris les enjeux et les risques et qu’elle est capable de se forger un avis et d’exprimer sa volonté. Il affirme donc qu’il ne se sent pas autorisé à passer outre cette volonté. Dans les pays soumis au régime du représentant légal, les choses se seraient passées tout autrement : le médecin se serait adressé au représentant légal qui aurait selon toute probabilité suivi son avis, en raison du risque mortel, et la personne aurait été amputée.

Les principes sont les mêmes mais on les applique en donnant plus d’importance à l’un ou à l’autre selon le pays, si bien que les solutions pratiques sont différentes. Dans le cas d’espèce, le patient n’a pas été amputé mais il n’est pas mort non plus, ce qui devrait inciter non pas tant les juges que les médecins à une certaine modestie ! (Sourires.)

M. Jean Leonetti, rapporteur. Je veux tout d’abord dire à M. Carlos de Sola combien nous sommes heureux de l’accueillir de nouveau à l’Assemblée et combien son intervention nous donne une raison supplémentaire d’être fiers d’être européens.

Le vrai problème, comme il l’a bien montré, c’est l’hétérogénéité de la législation européenne alors même qu’elle repose sur des principes communs. Il n’y a pas de vérité en deçà des Pyrénées et d’erreur au-delà (Sourires) mais, souvent, ce qui est pratiqué dans un pays est interdit dans l’autre. Or, les Européens sont accoutumés à se déplacer comme des Européens ! L’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, la Norvège, la Suède interdisent la gestation pour autrui alors que d’autres pays, comme la Belgique, l’autorisent. Cette disparité tient à des différences d’appréciation de l’équilibre des valeurs. Peut-on espérer à l’avenir une législation qui permette d’éviter le nomadisme médical ?

Autre exemple : l’Allemagne et la Hongrie s’interdisent la recherche sur les cellules souches mais ne s’interdisent pas la possibilité de les importer. N’y a-t-il pas une certaine hypocrisie dans ces législations ?

Au-delà de la convention d’Oviedo, dont nous espérons la ratification par la France, jugez-vous imaginable, ou illusoire, de mettre en place une organisation destinée à harmoniser les législations, ne serait-ce que pour éviter que les Européens « fassent leur marché » dans les différents pays ?

Enfin, le dispositif des greffes d’organes en Espagne suscite l’admiration. Dans ce domaine aussi, pourtant, les pays européens appliquent les mêmes principes. Comment expliquez-vous cette efficacité au-delà des Pyrénées et les difficultés que nous rencontrons toujours en deçà ?

M. le président. Pourquoi le pourcentage de donneurs vivants est-il très faible en Espagne alors qu’il est élevé en Suède, par exemple ?

M. Carlos de Sola. La transplantation a été favorisée en Espagne par certains facteurs. Tout d’abord, comme elle était très en retard par rapport à ce qui se pratiquait en France, par exemple, on en a fait une priorité nationale, y compris sur le plan politique. On y a affecté des moyens et on a adopté des mesures qui se sont révélées bien adaptées. Ainsi, alors que la coordination en matière de transplantations était en général confiée à une infirmière dans les hôpitaux français, on a attribué cette responsabilité à un médecin, parfois de rang élevé, dans les hôpitaux espagnols. Le caractère décentralisé de l’organisation a également permis une grande visibilité locale. On a ainsi créé un climat de confiance dans l’opinion publique. Les gens peuvent appeler de jour comme de nuit l’organisme national des transplantations. Lorsque certains cas sont médiatisés, la presse peut aussi, par ce moyen, obtenir des informations à tout moment.

La moyenne des pays de l’Union européenne est de 17 donneurs décédés par million d’habitants ; en Espagne, elle s’élève à un peu plus du double ; en France, elle est de 25 et les progrès constatés ces dernières années coïncident avec un certain rétablissement de la confiance dans le système des dons. Il est en effet crucial que la confiance soit absolue : le patient doit être certain que jamais on ne le prélèvera s’il y a la moindre chance de le sauver.

Le protocole additionnel relatif à la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine donne des règles communes mais l’instauration du climat de confiance se fait par divers moyens au niveau des États. Le système de consentement n’est pas régulé dans le protocole car nous avons considéré que cela relevait, hélas, de la culture de chaque pays. De toute façon, la plupart des gens ne veulent pas songer à l’éventualité d’un prélèvement car cela implique que l’on s’imagine soi-même mort. Les sondages montrent pourtant qu’ils n’y sont pas non plus opposés, bien au contraire, mais nous nous heurtons à une donnée anthropologique fondamentale, sans doute innée : le fait d’enterrer les morts est un des premiers actes de l’humanité. La famille et les proches ont donc un rôle très important. Théoriquement, ils ne font que témoigner de la volonté du défunt mais, s’ils manifestent une opposition, il est très difficile de passer outre. Même si cela est possible dans le système espagnol, en pratique, on ne le fait jamais de peur d’entamer la confiance du public.

Dans les dernières années, bien que les accidents de la route, principale source des dons d’origine cadavérique, aient été divisés par deux, le nombre de prélèvements s’est maintenu au même niveau. On prélève maintenant sur des personnes plus âgées qu’auparavant. En outre, les dons étaient moins nombreux chez les personnes d’origine étrangère, qui représentent environ 10 % de la population espagnole. Un effort a donc été fait dans cette direction – fascicules en langues étrangères, interprètes mis à disposition pour permettre le dialogue avec la famille, etc. –, et l’on est passé d’une proportion de 7 % du nombre total de donneurs à une proportion de 9 %.

Le nombre de prélèvements sur des donneurs vivants est également en légère augmentation. L’Espagne compte mettre en œuvre cette année la technique des « donneurs croisés ».

Enfin, même si la loi espagnole n’interdit pas les prélèvements à cœur arrêté sur les donneurs relevant de la catégorie III de la classification de Maastricht – c'est-à-dire lorsque c’est l’arrêt des soins qui provoque l’arrêt cardiaque – les coordinateurs se sont mis d’accord au niveau national pour ne pas les pratiquer, de crainte, une fois encore, d’entamer la confiance de la population. Sans doute la pression est-elle plus importante dans les pays où la proportion de dons d’origine cadavérique est inférieure mais, en Espagne, les prélèvements sur donneurs vivants ne représentent que 7 % du total.

M. le président. Quels sont les pays européens qui autorisent les prélèvements sur des donneurs de catégorie III ?

M. Carlos de Sola. En Espagne, il arrive que l’on pratique des prélèvements sur des patients à cœur arrêté, mais pas sur ceux de catégorie III : il s’agit de personnes dont on n’a pas réussi à réactiver le cœur. C’est au Royaume-Uni que les prélèvements sur patients de catégorie III sont les plus nombreux (environ 800 en 2007). Les Pays-Bas présentent le pourcentage le plus élevé, suivis par la Belgique. Je ferai parvenir les chiffres à votre mission d’information.

M. le rapporteur. La Belgique, la Suisse et les Pays-Bas, qui ont dépénalisé l’euthanasie, permettent le prélèvement d’organes sur les patients euthanasiés. La technique est parfois très particulière puisque le prélèvement de certains organes – les reins, par exemple – suppose que le cœur fonctionne. On doit donc, après qu’est intervenue la mort donnée, faire repartir le cœur en excluant le cerveau du circuit.

M. Carlos de Sola. C’est un sujet que vous connaissez mieux que moi.

M. le rapporteur. Je voulais seulement souligner que l’on va bien au-delà de l’arrêt cardiaque résultant de l’arrêt du traitement.

M. Carlos de Sola. Je suis persuadé que les choses se font sérieusement. Mutatis mutandis, la question est comparable à celle de l’utilisation de matériel biologique obtenu à partir de fœtus avortés. Et il s’agit toujours de savoir dans quelle mesure l’opinion publique a confiance dans le système. Voyez la position de l’église catholique espagnole : on m’a rapporté des prêches encourageant au don d’organes en soulignant que c’est la dernière occasion de faire la charité. Dans d’autres pays, les églises se sont au contraire montrées très réticentes et cela a sûrement eu une influence.

M. le rapporteur. La question de l’absence d’harmonisation se pose aussi dans le domaine de la recherche, notamment sur les cellules souches embryonnaires. Peut-on se faire une idée de la performance des pays où la législation est permissive par rapport à ceux dont la législation est restrictive ?

M. Carlos de Sola. Lors de l’élaboration de la convention d’Oviedo, nous nous étions demandé s’il fallait autoriser la recherche sur les embryons, l’interdire, ou encore autoriser sous certaines conditions la recherche sur les embryons surnuméraires. L’option de l’interdiction n’a pas réuni la majorité requise, qui était en l’espèce des deux tiers. Mais cette majorité n’a pas non plus été atteinte pour établir une réglementation autorisant ce type de recherche et spécifiant les conditions d’une telle autorisation. Il appartient donc à chaque pays de se déterminer.

Sur cette question, les positions sont diverses et certaines sont extrêmes. Je ne pensais pas que l’on pouvait encore qualifier l’embryon d’« amas de cellules ». Je trouve l’expression pour le moins peu scientifique. Une pyramide n’est pas un « amas de pierres » ! La complexité d’un embryon, la richesse de ses potentialités, interdisent de parler ainsi. Le premier devoir éthique, c’est de s’efforcer de reconnaître honnêtement la réalité scientifique.

La question des embryons surnuméraires se pose néanmoins dans des termes légèrement différents. Le choix ne porte pas ici sur la préservation d’un embryon en vue de lui donner des chances de se développer – car la conservation perpétuelle n’a aucun sens anthropologique : l’intérêt « biologique » de l’embryon, c’est de pouvoir se développer. De ce point de vue, l’expression d’« intérêt à se développer » semble plus précise que celle de « droit à la vie ». Dans la mesure où il n’y a pas de projet parental, existe-t-il un tort supplémentaire fait à l’embryon lorsque l’on choisit un mode de destruction plutôt qu’un autre ? Beaucoup de délégations ont estimé que, même si, en principe, la destruction des embryons surnuméraires n’est pas nécessairement souhaitable, il n’est pas opportun de l’interdire. Après que les cellules souches eurent fait l’objet de publications scientifiques, plusieurs pays ont autorisé la recherche sur les embryons surnuméraires alors qu’ils n’avaient pas de réglementation auparavant ou que leur réglementation l’interdisait.

Je ne sais quel sera dans l’avenir l’intérêt de ces démarches. Pour l’instant, toute une série de recherches semble présenter un intérêt scientifique relativement incontestable – ce qui ne veut pas dire, pour autant, que l’intérêt scientifique permette de tout faire !

Pour ce qui est de l’importation de cellules souches, il faut rappeler que l’Allemagne s’est dotée d’une législation extrêmement restrictive qui interdit même, en principe, de créer des embryons surnuméraires. La question s’est donc posée d’une importation. Le législateur a fait un choix pragmatique, considérant – essentiellement pour des raisons historiques, sans doute – qu’il n’était pas opportun de modifier la loi sur la protection de l’embryon. Personnellement, je préfère un excès de zèle sur ces sujets, mais il faut reconnaître qu’il y a une certaine incohérence à interdire la production sur le territoire et à recourir à des importations. Je crois d’ailleurs que les Allemands en sont bien conscients.

Par ailleurs, même s’il y a des différences de terminologie entre les statistiques de l’Agence de la biomédecine en France et celles de l’Autorité britannique d’embryologie, on dénombrait au Royaume-Uni en 2006 trente-trois projets de recherche en cours, dont quinze en vue d’obtenir des cellules souches, un qui impliquait le transfert nucléaire et deux la parthénogenèse. Ces chiffres sont comparables à ceux de la France. En tout état de cause, il faut se féliciter de la transparence qu’assurent aussi bien l’Agence de la biomédecine que l’Autorité britannique d’embryologie. Je pourrai également vous communiquer le nombre d’embryons surnuméraires utilisés.

M. le président. En France, il est très compliqué d’obtenir ce chiffre.

M. Carlos de Sola. Je crois que c’est compliqué partout.

M. le rapporteur. Pourriez-vous revenir, M. de Sola, sur la question du « nomadisme médical » et de l’harmonisation ?

M. Carlos de Sola. Ici nous sommes confrontés à des souhaits incompatibles. D’un côté, nous voulons que chaque pays dispose d’une certaine liberté pour trouver ses propres solutions : la valeur symbolique de la loi – surtout en France – est très importante…

M. le président. Chaque pays a sa spécificité. Cela étant, comment expliquer cependant que ni la Grande-Bretagne, ni l’Allemagne, ni l’Italie, ni la France n’aient ratifié la convention d’Oviedo ?

M. Carlos de Sola. Pour ce qui est la France, je me permets de vous retourner la question.

En Italie, le parlement a adopté à la quasi-unanimité une loi autorisant la ratification, mais en donnant au gouvernement un délai de quelques mois seulement pour mettre la loi et le règlement en conformité avec la convention.

M. le président. Vous confirmez donc qu’il existait en Italie des dispositions législatives qui ne s’harmonisaient pas avec la convention d’Oviedo.

M. Carlos de Sola. Oui, sur certains points. Parfois, la convention permet d’interdire ce qu’elle-même n’interdit pas. Mais vous savez bien le temps que peuvent mettre les administrations à prendre des décrets.

M. le président. Pour ce qui est des décrets, la France a fait des progrès. Lorsque Claude Huriet et moi-même avons commencé l’évaluation de l’application de la première loi de bioéthique, beaucoup n’étaient pas publiés, en particulier pour ce qui concerne le diagnostic préimplantatoire. Aujourd'hui, la plupart ont été pris.

M. Carlos de Sola. J’en viens maintenant à la non ratification de la convention d’Oviedo par le Royaume-Uni. L’article 18-2 de la convention, comme la loi française, interdit la constitution d’embryons humains aux fins de recherche alors que cette possibilité est ouverte par le droit britannique. Notons toutefois que la convention ne donne, pas plus que la loi française, de définition de l’embryon. On s’est demandé par exemple à quel stade du développement on pouvait parler d’embryon. Actuellement, on se demande aussi si certaines structures biologiques sont des embryons ou non. Néanmoins, la loi britannique sur la procréation assistée a été modifiée à plusieurs reprises sans que le Parlement suive les voix qui demandaient que la législation se conforme à l’article 18-2. Un État peut toujours formuler une réserve sur un article de traité, mais il faut compter avec la tradition britannique et anglo-saxonne : on ne s’engage sur le plan international que lorsque c’est vraiment indispensable.

M. le président. Et pour la France ?

M. Carlos de Sola. Entre 1994 et 2004, la loi française a évolué plutôt dans le sens de la convention. Pour nous, la loi de 2002 sur les droits des patients s’inscrit également dans l’esprit du texte du Conseil de l’Europe. À mon sens, rien n’empêche actuellement la ratification.

M. le président. Il nous faudra insister pour que le Parlement procède enfin à cette ratification au moment de la révision des lois de bioéthique.

M. Carlos de Sola. Beaucoup d’autres pays ne comprennent pas que la France n’ait pas ratifié un texte dans l’élaboration duquel elle a pourtant pris une part majeure. Cela apparaît presque comme un désaveu de paternité !

En Allemagne enfin, le gouvernement se félicite des travaux poursuivis, et en particulier de la convention. En matière de recherche sur les personnes incapables, les représentants allemands ont soulevé des problèmes auxquels on a pu trouver des solutions qui ont emporté l’assentiment de tous. Mais lorsque l’on a demandé au précédent Chancelier de présenter un projet de loi de ratification, il a indiqué que l’on en reparlerait lorsque la France aurait elle-même ratifié le texte.

Cela dit, le nombre de ratifications continue d’augmenter. La Suisse, pays dont une partie de la population est de langue germanique et où la recherche est importante, a ratifié la convention l’année dernière. La Finlande devrait le faire dans les prochains mois.

S’agissant enfin de la question du « tourisme médical », il est évident que nous sommes confrontés à la diversité des dispositifs. Chaque fois que possible, nous devons nous efforcer de trouver des principes communs, voire des règles communes. Il faut néanmoins reconnaître la légitimité de chaque pays à faire des choix légèrement différents de ceux de ses voisins sur certains points, ce qui implique en effet que quelques personnes puissent être amenées à se déplacer. La question ne se limite pas à l’Europe : il est également possible d’aller dans d’autres parties du monde.

Mme Marie-Thérèse Hermange, sénatrice, membre du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. Même si l’on adoptait un principe général d’autorisation, par exemple en matière de gestation pour autrui, au niveau européen, chaque pays définirait ensuite le cadre de cette autorisation et l’on en reviendra au même phénomène : le couple qui se verra refuser le recours à cette pratique par la réglementation de son pays ira dans un autre pays.

M. Carlos de Sola. Une des questions soulevées par la gestation par autrui est l’éventuelle rémunération de la mère porteuse. Il faut reconnaître que les Britanniques abordent le sujet avec beaucoup de sérieux et figurent bien souvent parmi les meilleurs élèves de la classe. Ainsi, le don d’ovocytes ne peut être rémunéré plus de 250 livres sterling, ce qui est très peu. Là encore, les pays européens sont d’accord sur le principe de non rémunération, contrairement aux États-Unis, où certains États autorisent la rémunération. Mais la question est celle de la mise en œuvre du principe.

M. le président. Lorsque l’on diagnostique une anomalie génétique chez une personne, le médecin l’en informe et lui explique les risques auxquels son silence pourrait exposer les membres de sa famille. La France prévoyait de prendre un décret pour décrire le mode opératoire de cette information mais les difficultés sont telles que ce texte n’est pas encore sorti. Y a-t-il des pays européens qui ont surmonté ces difficultés ?

M. Carlos de Sola. Le dispositif français introduit une interface entre le patient et le médecin d’un côté, les membres de la famille de l’autre. La question est très complexe et aucune solution n’est pleinement satisfaisante.

Il faut d’abord bien définir qui est responsable d’un éventuel refus : les professionnels de santé ont en effet besoin d’une certaine sécurité juridique. D’un point de vue éthique, la plupart des auteurs et des pays considèrent que cette responsabilité incombe au patient. Le médecin ne pourra pas être poursuivi s’il s’est conformé au refus de ce dernier. Il importe de bien identifier les valeurs que met en jeu un tel refus : ce n’est pas seulement la protection de la vie privée, c’est aussi la question de l’accès aux tests génétiques et plus généralement celle du secret médical. Si les patients devaient craindre que le médecin n’aille raconter quelque chose, même pour de bonnes raisons, certains n’iraient pas le voir. En protégeant la vie privée, on protège aussi le système de soins et la confiance dans la profession médicale.

La communication à des tiers contre le souhait du patient ne peut donc se faire qu’à titre véritablement exceptionnel. Du reste, si le patient ne coopère pas, il est très difficile de retrouver tous les membres de sa famille que les résultats du test peuvent concerner.

Cependant, contrairement au système français, qui ne s’applique pas seulement en cas de refus du patient mais dans tous les cas, la plupart des pays considèrent que cette information peut s’inscrire dans le cadre de la relation entre le patient et le médecin. L’information pouvant être très effrayante, l’intervention d’un professionnel de santé peut se révéler utile. La complexité de la question suppose une approche au cas par cas. Il faut aussi envisager le droit des membres de la famille à ne pas savoir : après tout, peut-être ne veulent-ils pas être informés. De toute façon, le médecin ne peut collecter les informations utiles qu’avec la collaboration du patient.

Mme Suzanne Rameix, philosophe, membre du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. Le problème n’est pas tant le refus que le fait que certaines personnes n’informent pas leurs apparentés, et ce pour d’innombrables raisons que nous n’avons pas à juger. Tout d’abord, il est extrêmement difficile d’être le porteur de mauvaises nouvelles lorsque l’on est soi-même ébranlé par les révélations d’un diagnostic génétique grave. Même des personnes très coopératives en consultation génétique pour établir un arbre de parenté et très réceptives aux informations données par le médecin peuvent, factuellement, ne pas informer leurs apparentés. Parfois, ce sont l’urgence de la prévention et la nécessité de l’anticipation qui ne sont pas comprises. Toujours est-il que des personnes porteuses de maladies graves pour lesquelles on dispose de traitements ne sont pas prévenues. C’est ce qui avait motivé l’idée de l’interface.

M. le président. Permettez-moi de revenir sur le don de gamètes. L’Espagne, contrairement à la plupart des pays, prévoit une indemnisation des ponctions ovariennes à hauteur de 900 euros. Comment cette pratique se combine-t-elle avec le principe de l’anonymat, auquel votre pays est attaché, et le principe de non rémunération ?

M. Carlos de Sola. Une loi antérieure comportait une disposition générale de non rémunération. La réforme de 2005 a précisé cette disposition et introduit la possibilité d’indemniser non seulement la perte de revenus, comme en France ou au Royaume-Uni, mais aussi les « gênes » ou les « incommodités ». Contrairement au défraiement, ce dernier concept n’est pas objectif. Comment évalue-t-on la gêne, la molestia ? Où s’achève le défraiement de la gêne et où commence une rémunération dont le montant risque d’évoluer au gré du marché ? On peut se poser la question.

M. le président. Merci beaucoup pour votre contribution. Nous aurons l’occasion de nous revoir pour travailler encore sur ces sujets.

Audition de M. Claude HURIET, sénateur honoraire, membre du Comité international de bioéthique de l’UNESCO et du Conseil d’administration de l’Agence de la biomédecine


(Procès-verbal de la séance du 20 janvier 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous accueillons aujourd’hui M. Claude Huriet, président du conseil d’administration de l’Institut Curie, membre du Comité international de bioéthique de l’UNESCO ainsi que du conseil d’administration de l’Agence de la biomédecine. Nous avons eu le plaisir, cher Claude Huriet, de travailler ensemble en 1999, dans le cadre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPESCT), à l’évaluation de la loi de bioéthique du 29 juillet 1994. Vous êtes aujourd’hui la personne qualifiée pour nous dire ce qu’il faut modifier dans la loi de 2004, si quelque chose doit l’être. Vous siégez également au conseil d’administration de l’Agence de la biomédecine. Qu’a changé, selon vous, la création de cette Agence ? Peut-elle dispenser le législateur de « revisiter » tous les cinq ans les lois de bioéthique ? Comment doivent évoluer ces lois ? Faut-il aller plutôt vers une loi-cadre ou entrer davantage dans le détail ? Nous aimerions également que vous nous donniez votre sentiment sur le dispositif arrêté par le législateur concernant la recherche sur l’embryon et les cellules souches. Enfin, jugez-vous pertinentes les thématiques aujourd’hui mises en avant dans le domaine de l’assistance médicale à la procréation, comme la gestation pour autrui ou les nouvelles formes de filiation ? Quelles sont vos positions à ce sujet ?

M. Claude Huriet. Je suis particulièrement heureux et honoré que vous m’ayez convié à participer à vos travaux. En effet, lors de la révision de la loi de 1994, intervenue en 2004, je n’étais plus parlementaire et j’ai profondément regretté de ne pouvoir participer à ce débat sur des sujets qui m’avaient si longtemps passionné et qui continuent de le faire. J’ai beaucoup travaillé sur le sujet avec vous, cher Alain Claeys. Je me souviens notamment de la mission d’évaluation de la loi du 29 juillet 1994 que l’OPESCT nous avait confiée à tous deux. Vous vous étiez alors félicité de faire équipe avec moi, m’avouant « ne rien connaître à la bioéthique », à quoi j’avais répondu que cela m’arrangeait car rien n’est pire pour la réflexion bioéthique que d’avoir des opinions préalablement arrêtées. Pour avoir eu en 2004, lors de la révision de la loi de 1994, des contacts amicaux avec quelques députés et sénateurs, j’ai alors eu le sentiment, sinon d’être un « gêneur », du moins de compliquer plutôt l’appréhension de questions que l’on a tendance à simplifier quand on n’y connaît pas grand-chose. Aujourd’hui, je vais peut-être de nouveau compliquer le débat, mais après tout, n’est-ce pas pour cela que vous m’avez invité ? (Sourires)

Tout d’abord, quelques réflexions sur l’éthique et la démarche bioéthique. En effet, certaines confusions doivent être levées. L’éthique et la bioéthique sont souvent, à tort, assimilées à la morale – d’ailleurs, si elles pouvaient l’être, pourquoi ne parlerait-on pas tout simplement de morale ? L’éthique s’appuie sur des principes universels, repris dans la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme, approuvée à l’unanimité par la conférence générale de l’UNESCO le 19 octobre 2005 et à l’élaboration de laquelle j’ai contribué en tant que membre du Comité international de bioéthique : l’autonomie et la responsabilité tout d’abord – qui s’expriment à travers l’obligation de consentement des personnes – ensuite la bienfaisance ou en tout cas la non-malfaisance – principes kantiens –, enfin l’égalité, la justice et l’équité. Ce sont là les seuls principes qui puissent servir de références en matière d’éthique. La démarche éthique est, elle, souvent assimilée à l’éthique elle-même, alors qu’elle est un questionnement sur des sujets complexes, sur lesquels nul ne détient seul les bonnes réponses, s’il en est. D’où la nécessité d’un pluralisme dans la démarche bioéthique. Il n’y a pas de questionnement éthique « monocolore ». Je citerai ici Dominique Lecourt, philosophe et président du comité d’éthique de l’Institut pour la recherche et le développement (IRD), pour lequel « les questions éthiques sur lesquelles viennent buter chercheurs et médecins prennent souvent la forme typique de dilemmes, c’est-à-dire la rationalisation de situations qui imposent un choix entre deux ou plusieurs solutions, également insatisfaisantes. Ces dilemmes » conclut-il, « révèlent l’existence de profonds conflits de valeurs ».

Dans l’introduction du rapport que nous avons élaboré en 1999, Alain Claeys et moi, pour le compte de l’OPESCT, nous formulions le souhait de replacer les normes juridiques dans l’évolution des connaissances et des techniques et d’éclairer la réflexion des commissions parlementaires sans préjuger des choix futurs du législateur. Nul ne peut en matière de bioéthique décider à la place du Parlement, pour lequel c’est une très lourde responsabilité.

Je vous propose trois sujets de réflexion. Tout d’abord, sur l’utilité même de la loi : faut-il légiférer ? La réponse n’est pas évidente. Ensuite, sur le contenu de la loi : faut-il réviser ou réécrire la loi de 2004 ? Enfin, sur les conditions d’application de la loi.

Pourquoi légiférer ? Il existe en effet d’évidentes complémentarités avec la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain. Les dispositions du code civil relatives au corps humain sont issues de cette loi, qui est l’une des trois lois de bioéthique de 1994. On parle de la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, oubliant la précédente ainsi que celle du 1er juillet 1994 relative au traitement des données nominatives ayant pour fin la recherche dans le domaine de la santé – c’est à elles trois qu’elles constituent le triptyque des lois de bioéthique de 1994. La loi n° 94-653 relative au respect du corps humain peut servir de référence, sinon de modèle, pour ceux qui souhaitent plutôt une loi-cadre fixant de grands principes.

L’article 16 du chapitre II, intitulé « Du respect du corps humain », du titre premier du livre premier du code civil dispose que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. » Nous avons longuement débattu à l’époque pour savoir s’il fallait écrire « de sa vie » ou « de la vie » pour les raisons qu’on imagine et avons retenu la formulation « dès le commencement de sa vie » qui présentait l’avantage de ne pas poser, au moins temporairement, la question du statut de l’embryon. L’article 16-1 pose les principes d’inviolabilité et de non-patrimonialité du corps humain, sur lesquels se fonde l’interdiction de la commercialisation d’organes ou d’éléments du corps. L’article 16-3 dispose, quant à lui, « qu’il ne peut être porté atteinte à l’intégrité physique du corps humain qu’en cas de nécessité thérapeutique pour la personne ». Sur ce point, la loi du 20 décembre 1988 concernant les recherches biomédicales a d’ailleurs dû lever une contradiction : en effet, lorsqu’on réalise des essais cliniques, on porte atteinte à l’intégrité du corps humain, même si ce n’est pas dans un but thérapeutique pour la personne concernée. L’article 16-7 enfin dispose que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle. »

Ces grands principes peuvent-ils constituer la loi-cadre que d’aucuns appellent de leurs vœux, souhaitant qu’elle se garde à la fois d’une trop grande technicité – l’OPESCT a souligné cet écueil – et du « bavardage », dénoncé notamment par le rapporteur de la loi de 2004, Pierre-Louis Fagniez ?

Je pense que ce serait insuffisant ; ce serait faire l’impasse sur des questions essentielles, sur lesquelles le législateur apparaîtrait désireux de ne pas s’appesantir. Il faut une loi de bioéthique. Je dis bien une « loi de bioéthique » et non une « loi bioéthique ». À cet égard, le nom même de votre mission d’information prête le flanc à critique. En effet, une démarche bioéthique consiste en une interrogation, alors qu’une loi est normative. Les deux termes de « loi » et de « bioéthique » ne peuvent être accolés, relevant de registres différents. Je souhaiterais – formulant ce souhait, je suis conscient d’outrepasser mes prérogatives… – que l’on parle plutôt de « loi relative à la bioéthique et aux droits de l’homme ». Alors que vont être organisés des États généraux de la bioéthique, le risque existe que l’opinion, sauf celle qu’on y aura préparée – au risque de la conditionner, voire de l’instrumentaliser –, ne se désintéresse de la future loi.

M. le président. J’espère que l’opinion ne sera pas instrumentalisée. C’est même tout le but des États généraux.

M. Claude Huriet. Vu l’état d’impréparation de l’opinion, ne pas instrumentaliser ces États généraux est une gageure !

M. le président. C’est un problème auquel il faudra veiller.

M. Claude Huriet. Ce rapprochement entre bioéthique et droits de l’homme me paraît important, notamment pour ce qui peut être perçu au niveau international. Notre vision de la bioéthique est celle d’un pays développé, mais il faut songer à tous les pays du monde où la bioéthique n’a de sens que corrélée aux droits de l’homme.

Pourquoi passer de l’éthique au droit ? Tout simplement, parce que l’éthique ne suffit pas : nous le savons depuis la déclaration de Nuremberg et celles qui ont suivi, lesquelles n’avaient pas force de loi. La première loi où fut inscrit un principe de bioéthique est la loi de 1988 – dite Huriet-Sérusclat – relative à la protection des personnes se prêtant à la recherche biomédicale, prise conformément à une recommandation du Conseil d’État sur rapport de M. Braibant. Seule une loi peut en effet définir ce qui est permis et ce qui est interdit, prévoir les sanctions en cas de transgression, préciser et limiter les possibilités d’exception ou de dérogation.

Si l’on considère qu’il faut une loi de bioéthique qui ne se résume pas à modifier les dispositions du code civil susmentionnées relatives au corps humain, la question se pose de savoir s’il faut récrire ou seulement réviser la loi de 2004. La réviser signifierait, comme cela a été fait en 2004 pour la loi de 1994, dresser un inventaire des techniques concernant l’assistance médicale à la procréation (AMP), le diagnostic pré-implantatoire (DPI), la gestation pour autrui (GPA), les greffes, les gamètes et les cellules souches, qui ont connu des évolutions depuis 2004, et voir si les réponses apportées alors sont toujours pertinentes. Ce travail, sans être dénué d’intérêt, passerait, je le crois, à côté d’enjeux majeurs. Je pense, et je m’engage fortement disant cela, qu’il faut réécrire la loi en se référant à quelques grandes problématiques – lesquelles, selon le Larousse, se définissent comme « l’ensemble des questions posées par une branche de la connaissance ». Des quatre aspirations profondes de l’homme – se reproduire, connaître et maîtriser son avenir, gagner l’immortalité, parvenir à un surhomme – se dégagent quatre problématiques : bioéthique et médecine procréative, bioéthique et médecine prédictive, bioéthique et médecine régénérative, médecine et nanosciences – question passionnante et menaçante à la fois, avec à l’horizon le méliorisme, la perspective d’un homme « amélioré ».

La première de ces problématiques, bioéthique et médecine procréative, correspond au titre VI de la loi du 6 août 2004 « Procréation et embryologie » – diagnostic prénatal, AMP, insémination artificielle par tiers donneur, gestation pour autrui... Quels me paraissent être les points à débattre sur le sujet ? Tout d’abord, l’enfant a paradoxalement été le grand absent des lois de 1994 et 2004 et des débats sur ces lois. Il y est question du droit à l’enfant, jamais du droit de l’enfant. Or, ce qui importe le plus est-il le couple, capable de s’exprimer, ou l’enfant à naître qui, lui, ne le peut pas ? Toutes les nouvelles méthodes de procréation présentées comme un progrès pour les couples infertiles en sont-elles un pour les enfants à naître ? La loi conférant désormais à tout individu le droit de connaître ses origines, les conditions de conception revêtent une importance particulière. Sur le sujet, je ne puis que vous inviter à auditionner le psycho-pédiatre et analyste Benoît Bayle, auteur d’un remarquable ouvrage intitulé L’embryon sur le divan – Psychopathologie de la conception humaine. J’ai fait sa connaissance alors qu’il m’avait adressé son ouvrage, dont il souhaitait que je rédige la préface. Alors que ce projet de titre me laissait dubitatif, j’ai lu l’ouvrage et, conquis, ai finalement préfacé l’ouvrage. Le Dr Bayle y décrit plusieurs troubles psychiques comme ceux dont souffrent les enfants de remplacement, les jumeaux d’éprouvette, les « survivants conceptionnels » qui peuvent éprouver un sentiment d’hyper-puissance ou au contraire de culpabilité. Permettez-moi à ce point de vous raconter une anecdote. Il y a quelques années, j’ai participé dans un collège de Nancy à une rencontre avec les élèves sur la bioéthique. À cette occasion, une jeune fille a expliqué à ses camarades qu’elle venait d’apprendre qu’elle avait été conçue par insémination artificielle avec tiers donneur et que son père n’était donc pas son père biologique. Cette découverte l’avait totalement déstabilisée, l’amenant à éprouver de la haine pour son père et du mépris pour sa mère. Peut-être s’agit-il d’un cas isolé, mais qu’en savons-nous ? Par ailleurs ce n’est pas parce que de tels cas seraient rares qu’il ne faudrait pas s’en préoccuper. J’ai appris ultérieurement que cette jeune fille souffrait d’un profond déséquilibre psychique, alternant épisodes d’anorexie et de boulimie. En tout cas, maintenant que je vous ai exposé un tel cas – et ne pensez pas que j’ai voulu dramatiser –, vous n’aurez pas le droit de négliger dans votre réflexion le droit de l’enfant au profit du droit, réducteur, à l’enfant. Le problème ira grandissant avec le commerce des ovocytes et l’accroissement de l’offre, notamment aux États-Unis où le développement d’un véritable marché fait que l’on peut désormais choisir son ovocyte, à condition de pouvoir y mettre le prix. Plus on paie cher, plus on a de chances d’espérer obtenir « un bon produit »…

J’en viens à la bioéthique et la médecine prédictive, ce qui correspond au titre II de la loi de 2004 « Droits de la personne et caractéristiques génétiques ». L’article 16-10 du code civil dispose que « l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne ne peut être entrepris qu’à des fins médicales ou de recherches scientifiques. » Je vous invite à ce sujet à aller visiter la passionnante exposition actuellement organisée à la Cité des Sciences de La Villette sur « l’explosion de la médecine prédictive. » Parmi les points à débattre sur cette question, tout d’abord le diagnostic pré-implantatoire (DPI). Alors que le Sénat, sur le rapport de Jean Chérioux, avait initialement envisagé d’interdire le DPI, il avait dû faire face aux réactions de familles atteintes de maladies génétiques graves comme la mucoviscidose, et d’obstétriciens et généticiens, pour qui ce projet d’interdiction constituait un scandale, au vu du drame vécu par les familles touchées. Ils soulignaient de surcroît combien cela aurait été incohérent avec l’autorisation de l’interruption médicale de grossesse. Le Sénat était et demeure préoccupé par de potentielles dérives eugénistes, car la découverte de gènes de prédisposition à certaines maladies risque d’étendre le champ des demandes de DPI. Or, une prédisposition à une maladie est différente de la certitude absolue de développer une maladie mortelle, comme c’était en 1994 le cas des enfants porteurs du gène de la mucoviscidose dont l’espérance de vie ne dépassait pas une vingtaine d’années. Plus on aura identifié de gènes de prédisposition, comme on sait qu’il en existe aujourd’hui pour le cancer du sein et qu’on a commencé d’en découvrir par exemple pour les très invalidants troubles obsessionnels compulsifs, plus les familles seront tentées de solliciter un DPI. Je ne prétends pas apporter de réponse sur le sujet. Je souligne que, lorsqu’on encadre une pratique, on n’est jamais sûr que le cadre restera fixe et lorsqu’on le modifie, c’est toujours dans le sens d’une extension, jamais d’une restriction.

Je ne m’étends pas sur la communication à des tiers du résultat d’un test génétique. Le débat, extrêmement difficile, a déjà eu lieu, notamment sur le fait de savoir s’il faut la rendre obligatoire à la parentèle. Il n’y a pas de solutions parfaites et nous sommes précisément dans la situation décrite par Dominique Lecourt où le dilemme réside entre « deux solutions également insatisfaisantes »

Avec le libre accès des tests génétiques au grand public sur Internet – un véritable marché est né, qui représente déjà 730 millions de dollars par an aux États-Unis et s’accroît chaque année de 20 % –, les dispositions de notre code civil se trouvent peu à peu vidées de leur sens. Toute personne peut désormais prélever sur une autre un cheveu, une goutte de salive… qu’elle adressera à un site Internet – tous n’étant pas fiables, loin de là ! –, afin d’obtenir les empreintes génétiques afférentes. Cela pourra notamment servir à effectuer un test de paternité. On le voit, notre panoplie législative est débordée par des techniques qui présentent beaucoup de risques, face auxquels nous sommes désarmés.

J’en viens à la bioéthique et la médecine régénérative, définie comme la reconstitution d’un organe, d’un membre ou d’un tissu dont une partie importante a été éliminée par chirurgie, traumatisme ou atteinte pathologique. Cette médecine n’existait pas lors de l’adoption des lois antérieures, elle était en tout cas beaucoup moins connue et n’était pas perçue de la même façon qu’aujourd’hui. Elle introduit un débat passionnant sur les cellules souches, lesquelles sont le fondement des phénomènes de régénération, fréquents dans le monde végétal mais aussi animal. En 1999, le professeur Marc Peschanski m’avait violemment attaqué, me reprochant de faire semblant de croire au potentiel des cellules souches adultes pour n’avoir pas à prendre position sur les cellules souches embryonnaires. À l’époque, le débat idéologique faisait rage sur le sujet, certains allant jusqu’à nier l’existence des cellules souches adultes. Le professeur Claude Sureau faisait valoir combien le législateur était « tout-puissant » par rapport à l’embryon, dont il avait « la maîtrise du destin ». Je pense pour ma part, à l’instar d’Axel Kahn, que l’article L. 2151-5 du code de la santé publique, issu du titre V de la loi de 2004, ne fait que traduire les contorsions du législateur puisqu’il interdit les recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, en même temps qu’il institue un moratoire de cinq ans pour ces recherches « lorsqu’elles sont susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs et à la condition de ne pouvoir être poursuivies par une méthode alternative d’efficacité comparable ». Le débat a changé depuis 2004. S’agissant des « progrès thérapeutiques majeurs » alors escomptés, les premières désillusions commencent d’apparaître, comme l’indique d’ailleurs en titre un article récent de Nature Medicine. Pour le reste, on le sait aujourd’hui, les recherches peuvent être poursuivies « par des méthodes alternatives d’efficacité comparable ». Les espoirs thérapeutiques mis en avant pour justifier auprès de l’opinion les recherches sur les cellules souches embryonnaires n’ont pas été confirmés, tandis qu’on trouve de plus en plus d’intérêt thérapeutique aux cellules souches adultes. Je vous invite à lire l’ouvrage d’Axel Kahn et Fabrice Papillon Le secret de la salamandre –  la médecine en quête d’immortalité. Enfin, je vous signale que l’Institut de médecine régénérative de Californie prévoit d’investir dans ce domaine trois milliards de dollars en dix ans. Une question essentielle devra enfin être traitée sur le sujet : pour qui développe-t-on cette médecine ? Il est évident qu’elle ne s’adressera pas à tous, remettant en cause l’un des principes universels de l’éthique, l’équité.

J’en viens aux nanosciences et au transhumanisme, devenus une véritable « déferlante », comme le titre l’un des derniers numéros de la revue du CNRS. De 2004 à 2006, on a dénombré 365 000 références sur le sujet sur Internet. Dès 2004, l’OPESCT élaborait un rapport sur les nanosciences et le progrès médical. En 2007, c’est le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) qui rendait un avis sur les nanosciences, les nanotechnologies et la santé et en 2008, de nouveau, l’OPESCT a réalisé un audit sur les neurosciences. Apparaissent en effet aujourd’hui quantité d’applications diagnostiques et thérapeutiques : capteurs implantables, organes artificiels, micro-laboratoires sur puces – les fameux labs on chip, dont le marché le plus porteur est celui de la puce à ADN, permettant d’effectuer des analyses d’ADN, ce qui ouvre sur des applications contraires au respect de la liberté et de l’intimité des personnes. Il faudra aussi débattre de l’amélioration potentielle des propriétés sensorielles et motrices de l’être humain par le biais de nanotechnologies, avec pour horizon un « être humain amélioré » ou « augmenté ». Toutes ces évolutions conduisent à désanctuariser l’identité génétique. Un marché de mille milliards de dollars se profile à l’horizon 2020. La création d’un réseau européen d’éthique des nanotechnologies a été demandée par le groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies (GEE) début 2007. Cette demande pourrait être utilement relayée par votre mission d’information, si vous la jugez opportune.

J’en arrive aux conditions d’application de la loi. J’aurais beaucoup aimé pouvoir vous dire que les choses s’étaient simplifiées depuis 2004 mais, d’une part, vous ne m’auriez pas cru, d’autre part, cela aurait rendu votre travail beaucoup moins passionnant (Sourires). Au contraire, tout se complique avec l’accélération de l’innovation. Comme l’a souligné le professeur Grimfeld lui-même, président du CCNE, « la science avance plus vite que notre réflexion », ce qui pose le problème du sens même des travaux des comités d’éthique qui s’aperçoivent qu’ils ne servent peut-être plus à rien, du moins sur l’instant. Il faudra aussi réfléchir à la globalisation, au « tourisme procréatif » et au trafic d’organes – des trafics de reins ont notamment été mis au jour avec la Chine, la Bulgarie et d’autres pays d’Europe centrale. Il existe désormais aux États-Unis, pour les organes comme pour les ovocytes, un véritable marché régi par la loi de l’offre et de la demande, d’où le souhait exprimé par certains qu’il soit régulé en toute transparence. Comment éluder la question de savoir qui paie, qui donne et qui reçoit ces organes ? Il faudra aussi réfléchir aux enjeux économiques, considérables, de ce commerce d’organes et de produits du corps humain, aux forces du marché, de plus en plus vives, qui s’y exercent, ainsi qu’au fait que les valeurs sont de moins en moins partagées. En effet, définir des principes et édicter des règles techniques sur le fondement de valeurs chancelantes relève de la quadrature du cercle…

En conclusion, je dirais qu’il faut se méfier des fausses bonnes idées, au rang desquelles figurent les États généraux de la bioéthique, dont l’idée a été lancée trop vite et dont on n’a pas mesuré les risques. Même si on organise des conférences citoyennes, pensez-vous vraiment que l’information des panels de citoyens ainsi constitués sera suffisante ? En outre, quid du rôle du Parlement ? Il aura beaucoup de mal à ne pas faire siennes les conclusions des États généraux, expression d’une démocratie participative.

Il faut également se méfier des fausses bonnes solutions, comme le principe d’interdiction assorti de dérogations. Dès l’origine, le rapporteur de la loi de 2004 à l'Assemblée nationale, Pierre-Louis Fagniez, m’avait demandé comment, à mon avis, on pourrait sortir du moratoire. Je me souviens lui avoir répondu qu’il n’aurait pas fallu l’instituer… Mieux vaut interdire totalement une pratique que de l’interdire tout en autorisant des dérogations, de surcroît limitées dans le temps !

Il faut enfin se méfier des fausses bonnes raisons. Mettre en avant le bien-être de l’humanité pour justifier les recherches sur les cellules souches embryonnaires par exemple, c’est se moquer du monde, car c’est un leurre. Les progrès de la médecine et de la santé ne sont pas liés seulement aux innovations. Dans la plupart des pays, qui sont loin d’avoir accès aux développements de la médecine procréative et de la médecine régénérative, l’élévation du bien-être et du niveau de santé dépend de tous autres facteurs et les écarts en la matière se creusent entre pays.

En conclusion, une loi-cadre donnant de larges attributions à l’Agence de la biomédecine me paraît la seule solution acceptable. Lors de la création de l’Agence, avec Jacques Montagut, nous avions pointé le risque de dépossession du Parlement, tout en expliquant qu’il n’était sans doute pas possible de faire autrement. Si l’Agence de la biomédecine constituait une commodité pour un législateur embarrassé par la démarche bioéthique, cela poserait assurément un problème par rapport à la démocratie représentative, mais y a-t-il une autre solution ? Le conseil d’orientation de l’Agence, sous deux présidences successives, a réalisé un travail remarquable, dans le respect du pluralisme. Que vous reteniez ou non mes propositions de problématiques, je ne crois pas qu’il y ait d’autre solution pragmatique qu’une loi-cadre, sauf à entrer dans des révisions successives sans fin, où le Parlement courra en vain derrière les avancées de la science.

Il faudrait enfin réaffirmer le lien entre la bioéthique et les droits de l’homme. Dans la société mondialisée dans laquelle nous vivons, une question essentielle est de savoir si le laisser-faire du libéralisme peut constituer la règle exclusive ou si l’humanisme a encore sa place. Ce débat sur les lois de bioéthique est aussi l’occasion d’éclairer le débat sur l’équilibre du monde.

Au terme de cet exposé, j’espère ne pas vous avoir choqués. Pour autant, si d’aventure tel avait été le cas, cela vous faciliterait peut-être l’élaboration de la loi future…

M. le président. Je vous remercie et donne immédiatement la parole au rapporteur de notre mission d’information.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Merci de cette leçon dispensée sous forme d’interrogations, qui correspond bien à la démarche bioéthique telle que nous la concevons. Organiser des États généraux de la bioéthique est-il une fausse bonne idée ? C’est en tout cas une idée, que nous allons essayer de mettre en pratique le moins mal possible. Nous nous efforcerons de faire émerger des problématiques, et non d’apporter des solutions. Il ne s’agit pas de réaliser des sondages d’opinion sur telle ou telle pratique mais d’informer l’ensemble de la population, de lui faire comprendre les enjeux et les conflits de valeurs sous-jacents. Il existe certes un risque mais au fond, le risque n’est-il pas inhérent à la démocratie elle-même et à tout débat public, dès lors qu’on en dépossède les experts au profit du peuple ? Vulgariser ce débat n’est-il pas au contraire lui donner toutes ses lettres de noblesse, dans la mesure où il débouche sur la question des droits de l’homme, à laquelle nos concitoyens ne peuvent pas être indifférents ? Quelle serait selon vous, la « recette » pour travailler « le moins mal possible » ?

Ma deuxième question porte sur la perspective d’une loi-cadre, qui laisserait à l’Agence de la biomédecine le soin de trancher sur des sujets où l’on ne sait pas très bien où placer le curseur, comme dans le cas du DPI. Ce diagnostic est aujourd’hui autorisé pour éliminer les embryons porteurs d’une séquence génétique associée de manière absolument certaine à une maladie gravissime et pour l’instant incurable. Mais lorsqu’il ne s’agit plus que de gènes de prédisposition à une maladie, appartient-il au législateur de décider à partir de quelle prévalence du risque il convient d’interdire le DPI, afin de se garder d’un eugénisme qui ne consisterait plus à éviter des pathologies lourdes mais à rechercher un être parfait ? N’est-ce pas plutôt à l’Agence de la biomédecine de se prononcer sur le sujet, la rédaction de la loi lui laissant un espace de liberté et de responsabilité pour ce faire ?

Pour ce qui est enfin du moratoire, je dirais, faisant appel au vocabulaire du rugby, qu’il a permis de « botter en touche ». Derrière cette dérogation, il y avait peut-être l’espoir que la voie des cellules souches embryonnaires se révélerait sans issue et que l’on parviendrait à développer une recherche équivalente, voire plus performante, à partir des cellules souches adultes. Or, les chercheurs que nous avons auditionnés nous ont fait savoir qu’ils souhaitaient poursuivre les recherches sur les cellules souches embryonnaires. En réalité, qu’est-ce qui constitue la transgression : prélever des cellules sur un embryon ne faisant plus l’objet d’un projet parental ou détruire cet embryon ? Il faudra faire un choix, mais on ne pourra sans doute pas décider d’une nouvelle dérogation, dans l’attente que la science nous apporte des solutions… qu’elle ne nous apportera jamais, car le propre de la science est d’ouvrir des voies, rarement d’en fermer. Quelles préconisations formuleriez-vous quant à cette dérogation, dont j’ai compris qu’elle ne suscitait pas votre enthousiasme ?

M. Paul Jeanneteau. Y a-t-il pour vous, professeur, des cas où la destruction d’un embryon peut être considérée comme licite ?

M. Xavier Breton. J’ai écouté avec grand intérêt les problématiques que vous avez dégagées, qui permettent de structurer la réflexion. Pour moi, elles s’adressaient au législateur. Or, à la fin de votre intervention, vous avez conclu à la nécessité d’une loi-cadre donnant de larges attributions à l’Agence de la biomédecine. Comment êtes-vous arrivé à cette conclusion, notamment au vu de votre expérience personnelle de membre du conseil d’administration de l’Agence de la biomédecine ? Jusqu’à quel niveau de détail peut descendre une loi-cadre ? Dans les débats de l’Agence de la biomédecine, quelle est la part de ce qui relève d’aspects politiques, et non pas seulement scientifiques ?

M. Michel Vaxès. Vous avez opposé droit à l’enfant et droit de l’enfant. Ne conviendrait-il pas de dépasser cette apparente contradiction en considérant que les deux peuvent se rejoindre de manière positive ? Vous avez évoqué les troubles psychiques potentiels chez des enfants apprenant qu’ils ont été conçus par IAD mais ces troubles ne peuvent-ils plutôt résulter, par exemple, d’une déficience dans l’éducation de ces enfants ?

S’agissant des États généraux de la bioéthique, il n’est pas question qu’ils se substituent au législateur – encore que la question pourrait se discuter dans la perspective d’une démocratie participative. Pour l’heure, ils sont nécessaires à une appropriation sociale des savoirs, laquelle constitue bien une des dimensions des droits de l’homme mais peut-être cette appropriation des savoirs inquiète-t-elle si on craint qu’elle ne dérive vers celle des pouvoirs et des avoirs…

Pour ce qui est des recherches sur les cellules souches embryonnaires, je ne vois pas, pour ma part, de différence de destin entre des embryons surnuméraires, de toute façon destinés à être détruits, fussent-ils demeurés entiers, et des embryons surnuméraires sur lesquels auraient été prélevées des cellules afin de mener des recherches pouvant conduire à des progrès thérapeutiques majeurs. Le chemin sera long mais il est prometteur, et le risque vaut d’explorer cette voie.

M. le président. Comme je l’ai déjà indiqué lors des auditions de la semaine dernière, nous avons décidé, avec Jean Leonetti, de convier désormais à nos travaux les membres du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. C’est dans ce cadre qu’assiste aujourd’hui à cette audition la sénatrice Marie-Thérèse Hermange à qui je donne la parole.

Mme Marie-Thérèse Hermange, sénatrice, membre du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. Vous avez préconisé une loi-cadre donnant de larges attributions à l’Agence de la biomédecine. Ma crainte est que cette loi-cadre ne soit rapidement dépassée par des directives européennes, notamment en matière de produits de santé, que nous serions obligés d’appliquer sur le territoire national.

M. Claude Huriet. Jean Leonetti, les États généraux de la bioéthique s’efforceront de « travailler le moins mal possible », avez-vous dit. Tout ce qui peut nourrir un questionnement éthique et susciter le débat sur ces questions est intéressant, simplement ce débat demande du temps. Or, le calendrier fixé est pressant, le moratoire institué en 2004 expirant en août 2009 ; il a fort heureusement été spécifié, par l’une de ces acrobaties dont le législateur a le secret, que les recherches en cours sur les cellules souches embryonnaires pourraient se poursuivre après cette échéance. Je ne sous-estime nullement les capacités de compréhension du Français moyen et je déplore au contraire qu’on le tienne trop pour quelqu’un que l’on peut conditionner, mais il faut tenir compte du rôle joué par les médias. Comment dans ce contexte former de manière satisfaisante, en si peu de temps, des panels de citoyens ? Je songe à cet instant aux premières conférences citoyennes organisées par Jean-Yves Le Déaut sur les OGM, sujet qui, s’il donne lieu à controverse, est beaucoup moins complexe que la bioéthique. Si l’on organise des États généraux de la bioéthique, c’est bien pour recueillir l’opinion des Français. Comme pour le Grenelle de l’environnement, le Parlement ne sera pas totalement libre dans son travail.

M. le rapporteur. Nous ne pourrons pas ne pas tenir compte des conclusions des États généraux.

M. le président. Il y a là en tout cas un problème.

M. Claude Huriet. L’important, c’est de susciter le débat, d’amener, par la pédagogie, nos concitoyens à réfléchir par eux-mêmes. Qualifier ces États généraux de « fausse bonne idée » était excessif, mais la manière dont l’initiative a été présentée et la précipitation dans laquelle elle a été organisée invitent tout de même à la précaution. Pour autant, en tant que citoyen, je m’efforcerai d’y aider, afin de faire non pas « le moins mal possible », mais le mieux possible.

S’agissant du DPI, comment évaluer précisément une prédisposition à une maladie ? Cela est impossible : il n’y a pas de bonne réponse. Il faut faire confiance au CCNE dont la fonction est très différente de celle du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine – je distingue trois niveaux de réflexion éthique, l’éthique casuistique, l’éthique thématique et l’éthique fondamentale. Le CCNE est un lieu d’échanges entre représentants de disciplines très diverses – philosophie, sociologie, médecine…–, mais ce type de réflexion transversale exigeant beaucoup de temps, le Comité est toujours en retard sur les avancées de la science. Alors que le conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine, de par sa composition, ses missions et les questions dont il est saisi, n’a certes pas la même approche mais est plus en prise avec la réalité et les évolutions, que de toute façon le législateur ne peut pas suivre.

J’en viens au sort à réserver au moratoire.

M. le président. Êtes-vous toujours favorable à la formulation des dispositions relatives aux recherches « susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs à condition de ne pouvoir être poursuivies par une méthode alternative d’efficacité comparable » ?

M. Claude Huriet. Oui, mais en précisant que cette formulation n’a plus du tout le même poids qu’en 2004. En effet, les espoirs en matière thérapeutique résident aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, dans les cellules souches adultes.

M. le rapporteur. Faut-il subordonner l’autorisation d’une recherche au fait qu’elle aboutira à un « progrès thérapeutique majeur » ? N’est-ce pas tuer la recherche que d’imposer cette condition ?

M. le président. Acceptez-vous, Monsieur Huriet, que l’on précise que cela vaut pour « recherche fondamentale » ?

M. Claude Huriet. Oui. Cela aurait au moins le mérite de la transparence. Si la décision retenue en 2004 n’a au final satisfait personne, c’est qu’il y avait eu une manipulation mettant en avant les espoirs thérapeutiques pour quantité de maladies, notamment neuro-dégénératives, et des maladies connues de l’opinion. Or un article d’octobre 2006 dans Nature Medicine au sujet du traitement par des cellules souches embryonnaires de rats atteints de la maladie de Parkinson a apporté la preuve du caractère potentiellement cancérigène de ces cellules, sans que l’on soit de surcroît assuré que la sécrétion de dopamine obtenue serait durable. Les applications thérapeutiques mises en avant pour justifier ces recherches sont de moins en moins évidentes. On peut soutenir que la recherche sur les cellules souches embryonnaires est du plus haut intérêt pour la recherche fondamentale. Encore faudrait-il l’assumer et le dire clairement, sans laisser accroire à la population que cette recherche est indispensable aux progrès thérapeutiques, car les recherches sur les cellules souches adultes sont aujourd’hui plus prometteuses.

M. le président. Le professeur Marc Peschanski, que nous auditionnions la semaine dernière, nous a dit que des pré-essais cliniques étaient envisageables dans deux ou trois ans avec des cellules souches embryonnaires.

M. Claude Huriet. Que n’en a-t-il parlé plus tôt !

M. le rapporteur. Une solution serait de conserver la condition de conduire à des « résultats thérapeutiques majeurs » et d’interdire toutes les recherches sur les cellules souches embryonnaires n’ayant pas de finalité thérapeutique à brève échéance. Une autre serait de considérer que toute recherche fondamentale peut déboucher sur des applications cliniques, ne concernant pas nécessairement des maladies très connues des médias et de l’opinion, ou en tout cas permettre de comprendre des mécanismes complexes comme ceux de la genèse du cancer, de ne plus évoquer l’objectif thérapeutique et de laisser toute liberté aux chercheurs, sans savoir d’avance si leurs recherches aboutiront ou non à des résultats thérapeutiques – majeurs ou mineurs, de manière certaine ou non.

M. Claude Huriet. Ce n’est en effet pas sur le même plan, et il ne faut pas laisser croire qu’il en est ainsi. On connaît le risque cancérigène des cellules souches embryonnaires depuis le début. Sur le sujet, je souhaiterais un débat à la fois moins passionné et plus transparent.

Monsieur Jeanneteau, la destruction d’un embryon peut-elle être dans certains cas licite ? Qu’entend-on par « licite » ? C’est l’exemple même d’un questionnement éthique. Ou bien on pense que la vie prend naissance dès la rencontre de deux gamètes, ou bien que la personnification de l’embryon est différée. Pour moi, il y a un continuum et il est impossible de fixer le seuil à partir duquel un embryon humain devient humain. Certains considèrent qu’il l’est à l’apparition de la crête neurale. On peut disserter sans fin sur le sujet sans jamais tomber d’accord. Il y a deux positions, toutes deux éminemment respectables, mais je me garderai de trancher. S’agissant de la licéité, je ne sais pas répondre ! La loi prescrit des normes, pas l’éthique qui ne formule que des avis, des recommandations.

Monsieur Breton, je n’ai proposé qu’un cadre de débat. Tous les points à débattre que j’ai évoqués – lesquels ne sont pas exhaustifs – ne sont pas destinés à être renvoyés à l’Agence de la biomédecine à partir d’une loi-cadre mais doivent faire l’objet d’un débat au Parlement, tout particulièrement le sujet des nanosciences, où les progrès sont extrêmement rapides : un millier de personnes se seraient déjà vu implanter des nanopuces et des micro-laboratoires aux États-Unis. Mais tous les points que j’ai soulevés n’aboutiront pas à des dispositions législatives. Soyez en tout cas assuré que je ne milite pas pour une loi-cadre, plus ou moins inspirée du code civil, dont le contenu concret serait renvoyé à l’Agence de la biomédecine.

Monsieur Vaxès, le droit à l’enfant et le droit de l’enfant peuvent sans doute se rejoindre, mais ils peuvent aussi s’opposer. Or, jamais il n’a été question dans les débats parlementaires précédents du devenir des enfants conçus par AMP. Il n’est pas acceptable sur le plan humain de ne traiter dans la loi que du droit à l’enfant. Les origines de chacun, surtout maintenant que la loi donne à chacun le droit d’en avoir connaissance, ne sont pas neutres.

Madame Hermange, la législation européenne pose en effet un problème. Les déclarations et traités internationaux, comme celle de l’UNESCO que j’ai citée au début de mon intervention, font très souvent référence au droit national. Les disparités législatives qui existent aujourd’hui entre la France, la Belgique, les Pays-Bas ou la Grande-Bretagne ne sont pas près de disparaître. Elles favorisent notamment un « tourisme procréatif », qui tend à privilégier les pays les moins-disants sur le plan de la bioéthique.

M. le président. Je vous remercie.

Audition de Mme Corine PELLUCHON, docteur en philosophie


(Procès-verbal de la séance du 20 janvier 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Corine Pelluchon, agrégée et docteur en philosophie, maître de conférences à l’université de Poitiers. Vous avez enseigné l’éthique médicale à l’Université de Boston et vous donnez des cours sur ce même thème au sein de l’espace éthique des hôpitaux de Paris. Vous venez de publier L'autonomie brisée. Bioéthique et philosophie.

Notre mission d’information a pour tâche de revisiter la loi de 2004 et d’analyser les points sur lesquels elle devrait évoluer. Pourriez-vous définir ce que sont l’éthique de l’autonomie et l’éthique de la vulnérabilité ? Dans votre ouvrage, vous dites avoir tenté d’articuler les questions dites de bioéthique aux valeurs d’une communauté politique. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ? Enfin, dans le cadre de la préparation des États généraux, nous serions heureux de recueillir votre avis, puisque vos travaux portent aussi sur les espaces éthiques régionaux.

Mme Corine Pelluchon. S’agissant des questions dites de bioéthique, on peut imaginer un partage des tâches entre la loi-cadre qui fixerait les grands principes et des agences indépendantes qui délivreraient les autorisations. Mais dire cela ne suffit pas.

Il faut s’interroger sur la manière dont les agences indépendantes peuvent fonctionner au mieux, réfléchir au mode de désignation de leurs membres, au rôle respectif de l’Agence de la biomédecine (ABM) et du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et surtout à la participation du peuple, c'est-à-dire à l’information et à la formation des citoyens, à l’école et dans les universités – l’éducation étant au cœur de ces questions et de leur traitement démocratique.

De plus, les principes énoncés dans les différents rapports (notamment celui de l’OPECST) doivent être complétés par une approche qui précise la manière dont ils peuvent être articulés entre eux et à d’autres valeurs, en particulier la justice.

Cette notion de justice introduit le problème de l’égalité – non-discrimination envers un groupe –, de l’équité – quand l’égalité numérique ne permet pas d'être juste ou que la loi, générale, doit être appliquée à une situation particulière –, et de la solidarité, qui est au cœur du don – de son sang, de ses organes, de ses gamètes, voire de son utérus. La justice distributive impose aussi une réflexion sur nos priorités : comment distribuer des ressources limitées ? Qu'est-ce qui doit être remboursé et pourquoi ? Qu'est-ce qui guide nos politiques publiques de recherche ?

Cette manière d’articuler les principes de non-disponibilité et de non-patrimonialité du corps humain, de gratuité des dons de gamètes et d’anonymat, à la justice et à une réflexion philosophique sur le rapport liberté/responsabilité (qui me semble être au cœur du droit) modifiera bien des réponses que l’on serait amené à donner si l’on s’en tenait à une approche déontologique de la morale, c’est-à-dire à une application formelle de ces principes.

Mon interrogation n'est pas tant de faire ressortir les limites de certains principes
– en particulier celui de non-disponibilité du corps humain – que de mettre en perspective les questions dites de bioéthique et les choix de société propres à notre communauté politique.

Le terme de « communauté » fait référence à une identité collective, censée se reconnaître dans un ensemble de valeurs qui ne sont ni complètement universelles ni complètement relatives. Un rappel aux sources de la moralité et du politique, aux traditions qui ont construit, au fil de notre histoire, notre représentation de la justice et de la solidarité, est nécessaire pour déterminer le contenu de ces valeurs communes. Si ce travail ne peut être fait ici, il importe de dire que nos principes éthiques et nos droits doivent être replacés dans ce contexte et que nous avons, en France, une manière de nous approprier des guides ou des recommandations qui peuvent faire par ailleurs l’objet de normes internationales.

Plutôt que d’exposer la méthode de philosophie politique qui permet de redécrire ces valeurs communes qui irriguent les principes, je prendrai une à une les questions de bioéthique en débat pour proposer quelques pistes de réflexion, en invitant à certains déplacements d’accents.

Interrogeons tout d’abord les procréations médicalement assistées au regard du sens de la parentalité. S’agissant de la gestation pour autrui (GPA), l’idée d'un contrat assorti d’une rémunération est problématique, parce que c’est alors la misère – et non le don – qui pourrait pousser des femmes à devenir des mères porteuses. Il y a là un double risque qui renvoie à l’exploitation des femmes, mais qui pèse aussi sur la santé du futur enfant.

D’autres s'interrogent sur le fait de payer pour avoir un enfant à soi. Mais cette immixtion de valeurs commerciales dans le domaine familial est moins problématique dans ce cas que lorsque des parents, comme cela arrive aux États-Unis, choisissent les gamètes en fonction des qualités physiques et intellectuelles des donneurs. Ces critères de compétitivité s'opposent au sens de la parentalité, qui, comme l’a écrit William May, est l’accueil de ce que l’on attendait pas, le fait de recevoir et d’aimer un enfant pour ce qu’il est, et non pour sa correspondance à nos attentes. La GPA est donc moins problématique dans son impact sur le sens de la parentalité que toute technique renforçant l’hyperparentalisation et la volonté de maîtrise.

Mais que penser de ceux qui souhaitent interdire la GPA en évoquant l’argument de l’indisponibilité du corps de la femme ? Le fait de vendre son corps et son utérus pour de l’argent est-il moralement condamnable et doit-il être interdit par la loi ? Il existe bien des femmes qui vendent leur corps et qui, loin d’être inquiétées par les pouvoirs publics, sont valorisées dans notre société. Je pense pourtant aussi que vendre son utérus, ce n’est pas bien, et que ce n’est pas la même chose que vendre son image. Mais ce jugement ne découle pas du principe d’indisponibilité du corps humain : il est lié au fait qu’il faut préserver le sens de l’enfantement, du don de la vie qui est aussi un don de soi et qui n’est pas lié à l’argent.

Le principe de non-disponibilité du corps humain, utilisé aussi dans le don gratuit des parties du corps, va de pair avec une conception du corps comme temple de Dieu ou comme substrat de la personne. La conception antagoniste, d’origine lockéenne et surtout libertarienne (cf. Robert Nozick), est que notre corps nous appartient et que nous pouvons tirer bénéfice de son usage. Si l’on s’en tient à ces principes, il est impossible de dépasser l’antagonisme entre les deux positions et de trancher rationnellement.

C'est pourquoi je propose de déplacer l’accent des principes vers l’intentionnalité : ce n’est pas parce que l’on viole un principe qu’une pratique est illégitime, mais une pratique est illégitime lorsque l’on voit, en observant son impact sur une institution (ici la famille), qu’elle s’oppose aux dispositions qui soutiennent cette dernière et qu’elle s’oppose, par exemple, au sens de la parentalité – le sens renvoyant ici à l’intentionnalité telle que peut la dégager une description phénoménologique, et non à une conception fixiste de la nature humaine.

On peut alors se demander s’il est moralement acceptable qu’une femme donne son utérus pour qu’une autre ait un enfant. Ceux qui disent que la maternité est liée au fait d’accoucher ont-ils un argument valable pour interdire la GPA ? Certes, il existe un lien entre la mère et le fœtus, mais n’existe-t-il pas, dans notre société, une sacralisation du corps – de certaines parties du corps parfois – en même temps qu’une réification ? Or, la référence au principe de non-disponibilité ne permet pas de dépasser cette ambiguïté.

En outre, le droit n’a pas pour but d'imposer la sainteté : les lois ne nous demandent pas d’être de bons Samaritains, mais elles ne doivent pas empêcher que, dans des circonstances exceptionnelles, liées à un don de soi qui n’a rien à voir avec la logique du contrat, une personne agisse pour une autre.

Cette argumentation conduit à la réponse suivante, une fois exclue la perspective du contrat et de la rémunération : si une femme veut porter l’enfant qu’une autre femme et son mari désirent, alors la loi ne doit pas l’interdire. Dans ce cas, il faut être sûr qu’il s’agit bien d’un don, c’est-à-dire qu’il n’y aura pas de rémunération ou de contrepartie – un emploi, un service –, mais seulement une aide couvrant les frais médicaux liés à la grossesse. Un don n’est pas un échange, il est gratuit et n’exige pas la réciprocité. Il s’agit ici d’une substitution : je donne à une autre la possibilité d’avoir son enfant.

De même, il n’y aura pas de discussion sur la filiation : les parents seront ceux à qui « la mère porteuse » aura d’emblée donné la possibilité d’avoir cet enfant en le portant pour eux. Les restrictions sont que le couple ne puisse pas avoir d’enfant, par exemple que la femme n’ait pas d’utérus, mais qu’elle soit en âge de procréer, que les gamètes soient ceux du couple intentionnel, ou au moins de l’un des deux, et que celle qui accouchera soit proche d’eux – sœur, cousine, mère. Le don, comme la substitution, n’est pas anonyme : il est la réponse unique d’une personne à une autre. Cette situation exceptionnelle pourrait être évaluée, ainsi que le recommande M. Israël Nisand, par une commission régionale, la décision finale étant prise par une agence comme l’ABM.

L’interdiction pure et simple de la GPA n’est une solution ni satisfaisante ni réaliste. M. Israël Nisand a raison de dire qu’un jour viendra où les promesses électorales conduiront à tout autoriser, après avoir tout interdit. L’autorisation de la GPA pour les raisons exceptionnelles que j’indique aurait le mérite de redonner au don et au sens de la parentalité leur valeur propre. Cela permettrait de répondre à certains cas, de ne plus laisser des enfants qui sont nés grâce à une « mère porteuse » dans un autre pays sans état civil et de ne plus fermer les yeux sur le tourisme procréatif.

Qui doit avoir accès à la procréation médicalement assistée (PMA) ? Certains jugent incohérente une législation qui permet aux femmes célibataires d’adopter, mais non de recourir aux PMA ; il faudrait selon eux étendre ces dernières aux célibataires et aux homosexuels. Mais c’est faire une confusion majeure que de mettre sur un même plan adoption et PMA.

L’adoption, c’est le fait de donner des parents à un enfant qui est déjà là et qui a été abandonné. Il est de notre responsabilité d’aider cet enfant qui a besoin d’un autre et de l’aide de la société. Avec les PMA, il s’agit d’aider un couple infertile à avoir un enfant. Dans l’adoption, c’est l’enfant qui prime et notre responsabilité envers lui est première par rapport au désir des adultes. C’est pourquoi, comme l’a montré le rapport de M. Jean-Marie Colombani, nous devons faire de l’amélioration de l’adoption nationale et internationale une priorité.

Au contraire, il n’est pas du devoir des médecins et de la société de répondre au désir d’un couple d’avoir un enfant, même si nous pouvons aider un couple à satisfaire ce qui n’est pas un désir banal. Il y a une dissymétrie totale entre ces deux cas de figure et l’ouverture de l’adoption aux femmes célibataires n’implique pas l’accès des PMA aux célibataires et aux couples homosexuels. Si l’on est pour cette ouverture des PMA, il faut trouver un autre argument que celui-ci.

Cette dissymétrie pose même la question de savoir si la société doit toujours s’impliquer financièrement pour les PMA. Si la stérilité est une maladie, alors elle reçoit une réponse médicale et elle est remboursée. Cependant, lorsque l’on est « stérile » parce que l’on a 45 ans ou que l’on n'a pas d'enfant parce que son couple est formé de deux femmes ou de deux hommes, il ne s’agit pas d'une maladie : dès lors le remboursement ne va plus de soi. Laisser un homme sans nourriture, disait Levinas, est un crime qu’aucune circonstance n’atténue. Laisser un couple (homosexuel ou non) sans enfant n’est pas un pareil crime.

Est-ce faire preuve de discrimination envers les couples homosexuels que de leur refuser l'accès aux PMA ? De fait, je ne pense pas que les couples homosexuels soient moins capables que les hétérosexuels de s’occuper d'un enfant. Je n’ai pas de réponse définitive à cette question, mais je m’interroge sur ce que l’on entend par paternité et maternité. Le besoin qu’ont les individus de faire un enfant qui soit d’eux ne reflète-t-il pas une propension à penser l’individualité en termes biologiques ? L’adoption souligne le sens de la parentalité au-delà de l’hérédité biologique, la parentalité étant liée à la disponibilité et à tout ce que l’on peut donner et transmettre pour éduquer un enfant, c’est-à-dire l’aider à grandir, à sortir de son milieu, à aller vers l’autre.

Loin de moi l’idée de blâmer les couples qui ont envie d’un enfant issu des gamètes de l’un d’entre eux ou de nier que la grossesse soit une expérience irremplaçable. Mais je regrette qu’il n’y ait pas dans notre société un courant « existentialiste » qui vienne compenser ce que les désirs individuels ont d’aliéné. Nous sommes fortement déterminés par une vision normalisatrice de la vie humaine, qui, en outre, fait la part belle au « tout biologique ». Les homosexuels revendiquent la normalité, le fait d’avoir des enfants, d’être comme tout le monde : le désir d’enfant doit aussi être examiné en lien avec ce désir de normalité, qui peut-être le modifie. Quant à l’égalité, si elle fait partie de la justice, elle est aussi, dans la dynamique de notre société, une attente, voire une passion, qui nourrit la comparaison, la division et parfois l’envie ; parfois, comme disait Tocqueville, les inégalités imaginaires deviennent plus importantes que les inégalités réelles, et il y a une sorte de compétition pour être le plus égal. Or, la justice est une égalité complexe et souvent proportionnelle – pas forcément numérique, disait Aristote. La liberté et l’égalité sont essentielles, mais il y a un primat de la responsabilité sur la liberté : mon devoir envers l’autre, disait Levinas, est l’investiture de ma liberté. Par suite le couple responsabilité-solidarité doit irriguer la liberté et l’égalité, et peut-être ainsi, préserver leur sens.

Je suis opposée à la levée de l’anonymat des accouchements sous X et des dons de gamètes et je vais expliquer pourquoi. Une femme qui sait qu’elle ne pourra pas élever son enfant mais prend la peine de le porter pendant neuf mois et d’accoucher au lieu d’avorter doit être protégée. Il faut respecter le don de la vie et le sacrifice qu’elle a fait. Ou alors c'est que l’on préfère que les femmes placées dans une situation difficile n’aient pas d’autre choix que d’avorter.

De plus, aucun rapport sérieux n’a pu prouver que les personnes issues de PMA avec don de gamètes anonyme souffraient parce qu’elles ne connaissaient pas leur origine biologique. Le problème, avec ce malaise, c’est peut-être qu’on ne sait pas comment y répondre. Bien plus, on peut se demander comment ces personnes pourraient ne pas avoir de problèmes d’identité quand l’idéologie dominante ramène l’individu à ses origines
– notamment à ses origines biologiques –, exige que l’individu soit normal – supernormal –, et le pousse à vouloir tout connaître de ses parents, voire à penser que tous ses problèmes viennent de ses parents ou de ses origines. Une telle obsession biologique et même généalogique, une telle réduction de l’individu à son passé et au passé de ses parents, n’invite pas un être à la liberté, à la créativité, au bonheur : ceux-ci supposent en effet qu’on s’autorise une marge de man
œuvre et qu’on pense l’homme comme liberté, comme transcendance, comme capacité à sortir des déterminismes. Lévinas soulignait en 1934, dans Quelques réflexions sur la philosophie de l'hitlérisme, que cet idéal de liberté était au fondement de la civilisation occidentale, et partagée par ses différentes racines. Au contraire, l’idée qui sous-tend l’hitlérisme est la conception d'un homme « rivé à son corps », et même à son hérédité. Cette conception n’est une promesse ni de bonheur individuel ni de paix collective.

Enfin, les valeurs d'encouragement, voire de résilience, qui sont au cœur du projet éducatif et nourrissent l’idéal de l’ascenseur social sont-elles préservées ou menacées par le discours dominant ? On ne cesse de dire aux gens qu’ils sont déterminés. Mais qu’on leur dise qu’ils sont ce qu’ils font des déterminations qui pèsent sur eux, et ils deviendront plus audacieux, plus responsables, plus fiers. Qu’on leur dise de bâtir sur la faille, sur la blessure que constitue le secret de leurs origines biologiques, et ils seront plus libres ! Mais rien n'est fait pour que les êtres exploitent la positivité de leur différence, voire de leur handicap. On leur enjoint d’être eux-mêmes, d’être autonomes – mais pour être soi il faudrait tout savoir de son passé, ce qui entrave le fait d’oser être.

tout d’abord estimé qu’« aucun rapport sérieux n’a pu prouver que les personnes issues de PMA avec don de gamètes anonyme souffraient parce qu’elles ne connaissaient pas leur origine biologique », en notant cependant

La levée de l’anonymat obéit à un idéal de transparence problématique. Outre le fait qu’elle ne protège pas ceux qui donnent, elle cautionne une idée de l’identité qui devient contre-productive lorsqu’elle est érigée en credo et qui a quelque chose de délétère. Cependant, ce ne sont pas les biotechnologies qui sont responsables du malaise des individus ou de l’individualisme dans notre société. Ce sont des représentations étroites et fausses de la vie humaine, des pressions liées à une vision normalisatrice de la vie qui sont responsables de certaines demandes des individus à l’égard de la société et des biotechnologies. Les décisions collectives doivent être articulées aux valeurs qui sous-tendent nos institutions ; et le législateur doit rapporter certaines revendications et certains affects aux représentations qui révèlent un certain état de la société, état que l’on est en droit de saluer, quand il renvoie à un réel progrès, ou au contraire d’accueillir avec circonspection, lorsqu’il exprime une régression.

Avec les tests prédictifs, avons-nous affaire à un eugénisme ? Le diagnostic préimplantatoire (DPI) et le diagnostic prénatal (DPN) posent des problèmes différents, le DPN pouvant être suivi d’un avortement, souvent tardif, alors que le DPI concerne la décision de n’implanter que des embryons sains. Quoi qu’il en soit, le terme d’eugénisme n’est approprié dans aucun des deux cas : il devrait être réservé à l’eugénisme étatique, lequel désigne la volonté de purifier la race humaine et renvoie à des mesures violentes. Parler d’eugénisme libéral, comme l’ont fait Jürgen Habermas ou Jacques Testard, ne m’apparaît pas tout à fait juste, car les individus n’ont pas pour volonté d’améliorer l’espèce humaine. Ils redoutent simplement que leur enfant handicapé soit malheureux et craignent d’être incapables de l’élever. Ils ne sont donc pas eugénistes, mais ils adhèrent parfois à une vision normalisatrice de la vie humaine et en ont peut-être des représentations aliénées, déterminées par des valeurs de compétitivité et de performance. C’est précisément pour ne pas renforcer ces valeurs délétères qu’il ne faut pas étendre le DPI et pratiquer des tests sur la prédisposition aux cancers, par exemple, ni sur des maladies qui ne seraient pas particulièrement graves. Enfin, l’expression d’eugénisme négatif ne me semble pas bonne pour les raisons précédemment évoquées.

Je pense que l’intérêt du questionnement sur les tests prédictifs est ailleurs. Il souligne tout d’abord les efforts que nous devons faire pour améliorer l’accueil des personnes handicapées au nom de la solidarité envers les plus vulnérables et au nom d'une conception de l’humanité qui ne subordonne pas la dignité à la possession de facultés cognitives ou à la compétitivité. Le deuxième enjeu de cette réflexion sur les tests est lié à la difficulté que les individus ont à accepter l’incertitude. Cela renvoie à l’alliance entre l’exaltation de la liberté individuelle – où les désirs sont la loi – et un besoin de sécurité à tout prix. Cette demande d’une liberté contrôlée trouve dans les biotechnologies une alliée et pèse sur le législateur.

Enfin, parmi les enjeux de la réflexion liée aux tests prédictifs figure le critère qui nous permet de distinguer entre un usage légitime et un usage illégitime de l’intervention de l’homme sur la nature. Comme je l’ai montré dans la 1ère partie, chapitre V, de L'autonomie brisée, la différence entre ce qui relève de la thérapie et ce qui relève de l’amélioration n'est pas un bon critère : certains tests prédictifs ne relèvent pas de la thérapie, mais ils sont tout à fait pertinents. Inversement, il y a des traitements qui, sans être illégitimes, posent problème. Bien plus, cette distinction entre thérapie et amélioration suppose une définition figée de ce qui est normal, considéré comme une moyenne à atteindre. Le critère que je propose est de tenir pour indigne (et ici la dignité devient un adjectif) une pratique qui dégrade le sens d’une activité – ce sens étant l’objet d’une élucidation phénoménologique ; j’y reviendrai au cours de la discussion.

S’agissant de la recherche sur les cellules souches embryonnaires et le transfert de noyau somatique, je me range à l’avis d'Axel Kahn, qui considère que la loi de 2004, avec un moratoire lié à une interdiction, crée une situation juridique étrange. De même, je suis Henri Atlan lorsqu’il souligne l’importance du vocabulaire employé : les cellules souches embryonnaires ne sont pas tout à fait des embryons, puisqu’elles ne sont pas destinées à être implantées dans un utérus. En ce sens, je suis plutôt d’accord avec le fait que l’on autorise les recherches sur les cellules souches embryonnaires sans les subordonner à un objectif thérapeutique, ce qui bloque la recherche fondamentale et peut alimenter de faux espoirs. Mais cela ne signifie pas que la question du statut ontologique de l’embryon soit enterrée ni que la valeur de l’embryon dépende toute entière des parents. Cependant, les embryons issus des PMA sont là et certains ne seront pas implantés.

De plus, je pense que les craintes d’une partie de la population qui s’oppose à la recherche sur les cellules souches embryonnaires doivent être prises en compte. Peut-être se trompe-t-elle de cible, mais ce qui sous-tend ces craintes est digne de respect : on peut avoir peur que les hommes aillent trop loin, qu’ils soient prêts à tout pour se conserver, ou craindre, comme Habermas dans L’avenir de la nature humaine, que le fait de banaliser la manipulation du début de la vie humaine n’entraîne une abrasion de la sensibilité morale, le profit devenant la seule valeur.

À ces craintes correspondent deux questions. Tout d’abord, faut-il mettre une limite aux moyens que l’on mobilise pour parvenir à guérir des maladies atroces et allonger la durée de la vie ? On peut accepter l’utilisation des « embryons » surnuméraires, issus d’une PMA et ne faisant plus l’objet d’un projet parental. Mais a-t-on le droit de créer du matériau humain dans le but exprès de détruire les cellules et de les utiliser pour la recherche, afin que d’autres en bénéficient ? Je ne le crois pas. Je pense qu’il ne faut pas autoriser le transfert de noyau somatique, dit « clonage thérapeutique ». Cette autorisation n’éviterait pas que certains aillent jusqu’au bout du procédé et passent clandestinement au clonage reproductif. De plus, l’aspect symbolique de cette pratique pose problème : peut-on accepter que l’on crée de la vie ou du matériau humain dans le but de le détruire ?

Seconde question : la recherche sur les cellules souches embryonnaires peut aider à mieux comprendre les maladies des premiers âges de la vie, mais elle nourrit aussi quelques espoirs quant au processus du vieillissement. Quels sont nos objectifs dans la recherche et dans les politiques de recherche ? Où doivent aller les priorités ? Dans la recherche pour allonger la durée de la vie ou dans la recherche, moins gourmande peut-être en cellules souches embryonnaires, sur des vaccins permettant de lutter contre des maladies qui déciment des continents ? Nous devrions poser la question des priorités, de l’équité entre les générations, de nos devoirs envers les pays du Sud. Mais ces questions n’ont guère de poids lorsque se décide une politique de recherche. En outre, on évoque le retard de la France en matière de recherche. Cela signifie que la recherche est liée à la compétition. Mais comment pense-t-on la compétition ? Faut-il faire ce que font les autres ou, au contraire, partager les tâches afin d’avancer collectivement ? Une politique de la recherche serait peut-être à mener au niveau européen, fondée sur la définition de nos priorités et sur ce que nous considérons comme des enjeux humanitaires.

En conclusion, je plaide pour une refonte des principes de l’éthique, qu’il convient de contextualiser, et surtout de mettre en perspective par rapport à deux valeurs fondamentales : la justice et la solidarité. Je fais de la justice la grande sœur des principes : comme l’espérance de Charles Péguy tenant la main à la charité et à la foi, elle infléchit (telle qu’elle est pensée dans notre pays, en lien avec un idéal de solidarité) le sens de la liberté et de l’égalité. Protéger ceux qui donnent, ne pas rendre impossible le don, penser à l’équité entre les générations, aux priorités et à la protection des plus vulnérables, telles sont les valeurs phares qui peuvent guider notre compréhension des principes et nos délibérations.

La deuxième piste que je lance est liée à l’importance de la responsabilité. Si l’on considère que la responsabilité prime sur la liberté, sur l’idée figée de ce qui est bien ou mal, de l’usage décent ou pas de son corps, des tabous qui sont ceux de son groupe, alors les priorités sont claires : l’adoption passe avant les PMA, même si celles-ci ne sont pas remises en question ; et surtout on sera attentif à l’intention des acteurs.

Le problème avec les principes – dans l’approche déontologique de la morale –, c’est qu’ils ne souffrent pas d’exception. Or, il importe de regarder ce qui est en jeu dans la question posée, et qui peut varier selon les cas : on le voit pour l’anonymat. Ce discernement-là relève de l’éthique. La loi ne doit pas s’y substituer, ce qui souligne l’importance de l’évaluation au cas par cas.

Enfin, qui va évaluer ? La composition des agences indépendantes ou du CCNE est une question cruciale, car ce sont les hommes et les femmes qui font les institutions, ce qui renvoie à leur compétence et à leurs traits moraux. Mais il faut surtout faire en sorte que les citoyens s’approprient les questions de bioéthique. Les espaces éthiques pour l’information, mais surtout l’école, le lycée et les universités peuvent être les lieux où se formeront des générations de citoyens qui auront les outils et le sens critique pour participer, être vigilants, garder un œil sur les décideurs. Qu’a-t-on fait de mieux pour la démocratie depuis Condorcet que l’éducation ? Quel contre-pouvoir est plus efficace que le peuple, surtout lorsqu’il est instruit ?

M. Jean Leonetti, rapporteur. Vous nous avez livré une intervention très riche, sous un angle original. Vous avez évoqué la nécessaire appropriation de ces questionnements par le peuple. Comment envisager les États généraux de la bioéthique ? Le législateur est libre et n’a pas de mandat impératif ; mais, s’il consulte le peuple, ne sera-t-il pas lié par ses réponses ? La perspective que nous avons trouvée est qu’il s’agit, au travers des États généraux, de faire émerger les problématiques et le sens critique afin d’alimenter notre propre réflexion, plutôt que d’aller chercher des réponses dans un débat public envisagé comme un sondage d’opinion. Comment verriez-vous le déroulement de ces États généraux ?

Vous avez rappelé par ailleurs que c’est la relation entre les choses
– l’intentionnalité – qui importe, et non les valeurs figées. Et vous avez envisagé deux attitudes. La première serait une vision individualiste de la vie, qui conduit à tout exiger de la société dès lors que c’est possible ; elle aboutit à une demande d’enfant idéal, à la performance, à la recherche obsessionnelle du zéro défaut ; elle ne s’encombre pas de valeurs, mais opte pour une démarche utilitariste où la fin justifie les moyens. Elle s’oppose à une approche fondée sur la justice – égalité ou équité – et la solidarité, pour laquelle la fin ne justifie pas les moyens et où le projet collectif prime sur la volonté individuelle. La liberté n’est plus alors celle du « je désire » mais s’incarne dans la responsabilité du « nous voulons ».

Distinguer ces deux options constitue-t-il une clé intéressante pour le questionnement éthique ?

Mme Corine Pelluchon. Bien sûr, il n’appartient pas au législateur de recueillir l’opinion au travers de sondages, où souvent les questions contiennent par avance les réponses. Il faut donner aux citoyens les outils qui leur permettent de forger leur propre réflexion. Peut-être faudrait-il d’abord procéder à des mises au point linguistiques, conceptuelles, techniques. Puis, au travers de panels, d’ateliers, faire intervenir des chercheurs, des philosophes, des politiques, des juristes, des médecins… Ceux-ci ayant donné des outils, il pourrait s’ensuivre une discussion avec la salle. Il s’agirait moins de faire parler les « gourous » éthiques que d’informer les personnes, de les éclairer – un peu ce que tente Emmanuel Hirsch. Le problème est le manque de temps.

Cette belle idée d’États généraux doit d’accompagner, à plus long terme, d’une mission d’éducation. Les questions de bioéthique (comme celles d’environnement) intéressent au plus haut point les lycéens et les étudiants, surtout lorsqu’elles sont articulées à d’autres questions de société.

La réflexion que je propose sur l’intentionnalité est phénoménologique. Dans ces matières il est difficile d’être objectif. Au moins faut-il éviter d’habiller de rationalité des prises de position subjectives. La méthode phénoménologique veut revenir à ce qui fait sens pour notre conscience, à ce qui sous-tend nos positions. Cette approche – dont on ne mesure pas assez l’importance pour l’éthique, mais aussi pour le politique – interprète les désirs, les affects, met en lumière leur sens sous-jacent. Elle interroge le sens et non la vérité et évite le dogmatisme comme l’intuitionnisme.

Vous avez distingué l’individualisme d’une approche de responsabilité, primant sur la liberté. Il faut noter d’ailleurs que cet individualisme consiste non seulement à faire primer sa volonté mais aussi à exiger de la société les moyens de la mettre en œuvre, en quoi on est loin du libéralisme classique de Stuart Mill, où l’État n’interdit pas mais n’a pas non plus à m’aider : à l’affirmation d’un libre choix s’ajoute aujourd’hui l’exigence que la société en offre les moyens, ce qui pose problème. Vous avez rencontré le même type de problème à propos de la fin de vie, avec la différence entre le suicide, acte privé, et la demande d’une aide de la part du système de soins, laquelle pouvait entrer en contradiction avec certains aspects des droits de l’homme et avec les valeurs qui sous-tendent nos institutions.

Quoi qu’il en soit, je pense en effet qu’en bioéthique – et peut-être plus généralement en philosophie politique – l’ambition est de dépasser deux impasses. La première consiste, devant des positions irréconciliables, liées au pluralisme des visions substantielles du monde, à s’en tenir à un minimum qui sera le principe de permission. Mais cette éthique « minimale » laisse passer beaucoup de choses ; et elle ne permet pas de répondre aux problèmes qui soulèvent de graves enjeux moraux. Lincoln refusait qu’on laissât chaque État libre de se prononcer pour ou contre l’esclavage : la neutralité axiologique de l’État est impossible sur certaines questions qui engagent profondément les choix de société. La seconde impasse consisterait à faire prévaloir la vision morale propre à tel ou tel groupe. Je propose pour ma part d’utiliser une méthode inspirée du communautarisme américain – qui n’a d’ailleurs rien à voir avec ce qu’on appelle ici « communautarisme » – : c’est une méthode de redescription immanente des valeurs sous-tendant nos institutions. Celles-ci renvoient en effet à des évaluations et à une tradition du libéralisme politique. Cette redescription, cette explicitation des valeurs implicites à nos institutions est de nature à faire émerger nos valeurs communes. Ce sont ces « biens collectifs » qui guideraient une législation sage sur des questions difficiles comme celles de la bioéthique. Il s’agit en somme d’articuler ces questions aux valeurs qui sous-tendent nos institutions et qui définissent l’identité narrative de notre pays, son ipséité – quand bien même il s’approprierait des normes bioéthiques internationales, mais à sa manière : la bioéthique ne peut être mondiale.

S’agissant de l’autonomie, j’ai tenté de faire une étude de tous les déplacements de sens qu’a connus cette notion depuis Kant. Pour lui, c’était obéir à l’universel en moi, mais on s’en fait aujourd’hui une idée assez différente… Notre société colporte des représentations négatives et privatives de la vieillesse et du handicap. Pour y remédier, je propose une éthique de la vulnérabilité inspirée de Lévinas, fondée sur une triple expérience de l’altérité, où la subjectivité est fondée sur la sensibilité. J’évite ainsi de réduire la dignité à la possession de la raison, le « dignitomètre » que refusait M. Leonetti. La vulnérabilité est liée à l’idée que la subjectivité est sensibilité, susceptible de souffrance, vie marquée par le malgré soi, passivité et fragilité essentielles du vivant, révélées dans l’expérience de la maladie. Cela doit être articulé de façon rigoureuse à l’idée de l’ouverture à l’autre, au besoin de l’autre, à la responsabilité pour l’autre. Lévinas, en réponse à Heidegger, signale cette co-originarité entre l’altérité du corps propre (la fragilité), la responsabilité pour l’autre (c’est une altérité en moi, une identité définie par une responsabilité pour l’autre non nécessairement liée à une dette que j’ai contractée) – et un intérêt pour les institutions qui renvoie à une réflexion sur l’espace public, lieu de ma découverte de moi.

Il appartient au philosophe de faire de telles propositions, afin d’enrichir l’anthropologie sous-jacente à la philosophie du sujet, une philosophie à laquelle on doit beaucoup mais qui s’avère insuffisante pour éclairer les problèmes contemporains.

M. Paul Jeanneteau. Vous avez parlé des priorités que la société pouvait se fixer concernant la recherche sur les cellules souches. Mais n’est-ce pas contraire à la notion de recherche fondamentale ? Les plus grandes découvertes n’ont-elles pas été faites par des chercheurs qui travaillaient sur tout autre chose ?

J’ai cru comprendre que vous souhaitiez la fin du DPI, sans être certain que vos propos étaient aussi tranchés. Pourriez-vous les préciser ? Doit-on imaginer un curseur que l’on déplacerait selon la gravité de la pathologie ?

Enfin, vous avez parlé de la dignité. Sur quoi peut-on s’appuyer pour la définir ? En quoi l’homme est-il digne ?

M. Jean-Marc Nesme  Comment situez-vous dans votre réflexion les principes universels admis par la communauté internationale ? Je pense notamment à l’indisponibilité du corps humain, à sa non marchandisation, etc.

Mme Corine Pelluchon  Je ne suis pas du tout opposée au DPI, qui pose d’ailleurs moins de problèmes que le DPN puisque ce dernier peut déboucher sur des avortements tardifs, difficiles pour les parents. Par contre, je m’oppose à l’élargissement des tests à toutes les prédispositions.

Vous avez raison de dire que fixer des priorités à la recherche, c’est l’interdire. Il ne faut pas borner la recherche fondamentale à des applications. Mais mon travail de philosophe est d’être intempestive : or il me semble que dans la manière dont on pense la recherche internationale, il est rare que l’on s’interroge sur ce que l’on fait et pourquoi, d’autant que tout cela représente beaucoup d’argent. Comment organise-t-on la recherche au niveau international ou européen ? En fonction de quels critères ? De la demande de certains groupes ? Je me rappelle que Joël Ménard, malgré son enthousiasme pour le plan Alzheimer dont il avait la charge, n’a pas manqué de poser la question de l’équité entre les générations. S’il est bien de dépenser de l’argent pour les personnes âgées, on ne peut pas non plus oublier les jeunes.

Le président. Souhaitez-vous que l’on soit plus dirigiste sur les thèmes de recherche que la société accepte de financer ?

Mme Corine Pelluchon. Oui et non. Le terme « dirigiste » est un peu fort, mais il faut au moins que l’on s’interroge et que l’on soit plus transparent. La compétition est-elle nécessaire entre les équipes ? Oui, mais comment pense-t-on la compétition ? N’y a-t-il pas moyen de s’organiser et de partager les tâches ?

Qu’est-ce qui définit la dignité de l’homme ? Je pense que la dignité n’est pas fonction de, ou proportionnelle à la possession de la raison, de la mémoire, de l’autonomie, de la capacité à décider par soi-même. Elle est donnée. En m’inspirant de la phénoménologie de la passivité de Lévinas, j’ai tenté de construire une éthique de la vulnérabilité qui aboutit à penser l’humanité de l’humain d’une manière qui dépasse la violence latente de l’humanisme classique.

Dès lors que je définis la subjectivité par la sensibilité, articulée à la responsabilité pour l’autre, j’invite à réfléchir aux traitements que l’on inflige aux autres espèces animales ; mais je ne nie pas pour autant la spécificité de l’homme, qui tient justement à sa responsabilité. La connaissance et la science donnent un privilège qui rehausse cette responsabilité. À cet égard, on n’a pas encore tiré toutes les conséquences philosophiques de la démarche de la complexité dans les sciences du vivant : qu’est-ce qu’un objet scientifique ? Quels sont les outils d’interprétation de la nature ? Rien de cela n’est neutre.

Les principes universels admis par la communauté internationale sont des outils très intéressants : ainsi, le principe de non-patrimonialité du corps a été utilisé pour fonder la non-brevetabilité du vivant. Mais ce qui m’intéresse, c’est de montrer ce qui est problématique ; aussi me semble-t-il utile de rappeler le soubassement théologique de la notion d’indisponibilité du corps. Pour Saint Thomas, quelqu’un qui utilise n’importe comment son corps blesse son âme et blesse Dieu. Ainsi, je ne peux pas utiliser mon corps à ma convenance, il ne m’appartient pas. Pour d’autres, qui invoqueront Locke, mon corps m’appartient ; je peux donc en tirer le bénéfice que je veux à condition que je me conserve (c’est la loi naturelle et Locke s’oppose au suicide). Et de fait notre société, qui invoque le principe d’indisponibilité, n’en a pas moins à cet égard deux poids et deux mesures : que faire de la pornographie, par exemple ? L’indisponibilité reste un beau principe, qui peut être utilisé pour certains problèmes, mais je crois qu’il vaut mieux, pour d’autres questions, déplacer l’accent, par exemple vers une interrogation sur le sens de la parentalité. C’est ce que j’ai tenté.

Ces grands principes ne sont pas toujours suffisants. Considérons par exemple le principe de l’anonymat. S’agissant de la GPA, à laquelle initialement je n’étais guère favorable, le réalisme politique voudrait toutefois que l’on cesse de fermer les yeux sur le tourisme procréatif et sur le sort des enfants privés d’état civil. Je dois dire que sur cette question, Israël Nisand m’a éclairée. Si on interdit tout, disait-il, on risque un jour – au gré de promesses électorales – de tout autoriser. Pourquoi ne pas choisir plutôt de ne pas interdire la GPA dans des cas exceptionnels, quand il s’agit vraiment d’un don – un don de soi, radical, différent du don de gamètes, dont je ne remets nullement en cause le caractère anonyme et gratuit ?

Un pays peut s’approprier à sa manière propre certains principes dégagés par la communauté internationale – et particulièrement la France. Aux États-Unis, c’est différent : vous pouvez faire tout ce que vous voulez, du moment que vous payez. Non pas qu’ils soient obsédés par l’argent : ce dernier lui-même est pensé autrement ; c’est toute une autre conception. Il y a plusieurs idées de la liberté. Chez les Anciens, l’État s’immisçait dans la sphère privée ; la liberté résidait dans la participation à la Cité. Ensuite est venu le schéma libéral, à la John Stuart Mill, pour lequel l’État et la vie privée doivent rester séparés. C’est cette conception qui prévaut aux États-Unis. En France, nous sommes face à un défi : nous avons une histoire, une tradition très forte qui incline l’État à intervenir pour soutenir certaines actions et institutions (la famille, etc). Je pense que l’on pourrait définir des priorités, les assumer et prendre des positions en fonction d’elles. Mais il faudrait prendre le temps nécessaire pour effectuer ce travail de redescription et le soumettre à la délibération publique. Peut-être aussi faudrait-il donner du temps au temps, travailler d’abord sur certains points et en ajourner d’autres.

M. Michel Vaxès. Vous avez expliqué combien il peut être dangereux de penser l’individu en termes biologiques. Ne pensez-vous pas que beaucoup de confusions et de complexités tiennent à l’ambiguïté qui pèse sur la définition même de l’homme : est-il seulement une réalité biologique, est-il une réalité socio-historique ? Cette dialectique me paraît importante pour répondre aux questions auxquelles nous sommes aujourd’hui confrontés.

M. le rapporteur. Ma question est voisine, même si ma philosophie n’est pas marxiste. Vous avez évoqué une certaine obsession biologique, et même généalogique, et cela pose un problème intéressant au regard de la conception politique qui prévaut dans notre pays. Un enfant qui vient sur ce territoire, parce qu’on lui parle français, parce qu’il finit par penser la langue qu’il parle, parce que l’on considère que c’est son éducation qui fait ce qu’il est, est français. Cette conception est au fondement de nos valeurs communes. Comment se fait-il que, aussi confiants dans l’éducation, nous puissions être les esclaves d’une vision génétique, biologique, généalogique de l’individu ? Comment pouvons-nous croire aveuglément dans la prédictivité des tests génétiques et mettre de côté l’environnement, facteur déterminant dans la survenue de la plupart des pathologies ? Comment pouvons-nous à la fois donner des gamètes de façon anonyme – avec l’idée que cela ne conduira pas à la naissance d’individus en tous points semblables à nous – et exiger des enfants qui proviennent exclusivement de nous ? Nous assistons à la fois à une réification et à une sacralisation de notre corps – l’idée que, lorsque nous aurons maîtrisé la génétique, nous maîtriserons notre vie et peut-être même vaincrons la mort ; comment en sommes-nous arrivés à une conception si antinomique ?

M. Paul Jeanneteau. Vous vous êtes prononcée pour l’anonymat du don de gamètes. Doit-on pouvoir connaître ses origines ? Si oui, doit-on avoir accès à la totalité des informations ou à une partie d’entre elles seulement ?

S’agissant de la GPA, vous avez expliqué que les personnes concernées iraient ailleurs si on ne répondait pas à leur demande. C’est vrai, et pourtant cet argument me semble irrecevable puisqu’il pourrait justifier que nous décalquions notre loi sur les législations les plus permissives. Ne pensez-vous pas au contraire qu’un pays, sur un pacte républicain, puisse définir les valeurs qui fondent la vie en communauté ? Selon vous, la loi de bioéthique doit-elle se contenter de fixer un cadre – par exemple une autorisation de principe, avec renvoi des cas singuliers à l’ABM – ou définir plus précisément les cas pour lesquels la GPA est autorisée ?

Mme Corine Pelluchon. Au XXe siècle, des philosophes comme Husserl ont montré que le corps ne pouvait être détaché de l’identité. C’est sur cette idée très juste d’une identité incarnée que s’est greffée une conception déviante de l’être comme identité biologique, liée à l’idée d’une communauté de sang. Lévinas a analysé en 1934 ce mouvement qui a rendu possible l’installation de l’hitlérisme, montrant combien il était dangereux de penser l’homme comme un être « rivé à son corps ». L’idée centrale, aux racines de l’Occident, est celle d’une liberté comme transcendance. Même pour le marxisme, s’il y a un déterminisme social, ce n’est pas la vocation de l’homme que de rester aliéné.

Pour autant, on ne peut pas penser l’être indépendamment du corps, ce que Lévinas appelle l’« adhérence » – même quand je souffre, je ne peux m’ôter de ma peau. J’irai jusqu’à dire que le rapport entre la personne juridique et le moi charnel est encore à inventer et je crois que l’éthique de la vulnérabilité aura (c’est le travail que je fais) des implications sur la reconfiguration de certaines catégories juridiques. Loin d’être atomisé, le moi charnel est « situé », comme disait Sartre, il a une histoire, il se place dans un contexte socio-historique : la société n’est plus un agrégat d’individus. Les « communautariens » américains (si mal nommés), comme Sandel à l’occasion de sa relecture de Rawls, ont souligné cette dimension.

Monsieur Leonetti, il faut en effet se demander comment nous en sommes arrivés à cette conception antinomique, dans un pays qui a pourtant tant misé sur l’éducation. La seule façon de résister à cette idéologie délétère – dont nous ne nous préservons pas assez – est d’insister sur le rôle crucial de l’éducation et de l’école. Les débats sur la loi de bioéthique pourraient être l’occasion d’un travail interministériel dans ce domaine, afin de faire en sorte que plusieurs générations s’approprient ces questions.

Je ne cherche pas tant à répondre à la question « Faut-il ouvrir les PMA aux homosexuels, aux femmes célibataires ? » qu’à essayer de comprendre ce qui sous-tend les désirs des gens. Beaucoup de choses seraient sans doute possibles si nous étions mieux armés sur le plan des valeurs fondatrices de notre société et de l’identité française, qu’il s’agisse de l’éducation, ou de la responsabilité – à cet égard le rapport Colombani sur l’adoption est excellent. Les politiques doivent effectuer des gestes forts. Les philosophes aussi ont du travail : la plaie de l’individualisme et des problèmes de la démocratie a été suffisamment grattée. Il y a eu les grands, comme Léo Strauss et sa critique constructive de la modernité, puis les moins grands, les déclinistes. Désormais, les philosophes peuvent proposer quelque chose de nouveau. Dans les pays anglo-saxons, on trouve depuis trente ans des théories de la justice très intéressantes et nuancées : il faudra les rendre accessibles au public français. Du côté européen, la phénoménologie nous donne des outils majeurs. Tout cela ouvre des pistes pour penser les soins palliatifs ou l’accompagnement de la fin de vie sans prôner l’euthanasie ou se tenir au principe religieux du « tu ne tueras point » – même si une redescription phénoménologique des conceptions et des modes d’être religieux serait un travail philosophique utile. Je fais confiance à la créativité des philosophes ; je ne parle pas des « gourous éthiques », qui habillent de philosophie de simples opinions personnelles. Ce sont des efforts millénaires qui risquent d’être ruinés si nous laissons s’installer ce climat délétère lié à une obsession biologique, je dirai même généalogique, au risque de déplaire aux psychologues.

Qu’en est-il du droit à connaître ses origines ? Il est difficile de vivre, peut-être encore plus lorsque l’on ne connaît pas ses origines biologiques. Sans doute devons-nous aider ces personnes et entendre leur souffrance. Mais j’estime qu’il faut protéger les femmes qui accouchent sous X et les donneurs de gamètes. Et quand je lis que refuser la levée de l’anonymat, c’est priver l’enfant d’une partie non seulement de son histoire, ce qui est vrai, mais aussi – comme je l’ai lu – « de son humanité », je suis choquée : les enfants adoptés n’auraient donc pas d’humanité ? La dignité d’un être serait liée à ce qu’ont fait ses parents, à leur identité ? Cessons de toujours renvoyer les personnes à leur passé, à celui de leurs parents : cela les empêche d’exister – ek-sister, sortir de soi –, d’oser être. Même Freud appelle à la sublimation ! Il règne un climat extrêmement conformiste qui enferme l’individu dans son passé, voire son passé biologique. On entend beaucoup de discours sur le droit des enfants à connaître leurs origines, aucun sur ce qui sous-tend ces demandes.

Monsieur Jeanneteau, ce n’est pas parce que je parle de réalisme politique que j’estime que le droit doit consacrer toutes les pratiques. La seule raison, selon moi, pour laquelle il ne faut pas interdire la GPA, c’est si celle-ci devient une figure radicale du don, voire de la substitution, dans des situations exceptionnelles. Certes, la loi ne nous demande pas d’être de bons Samaritains, mais au nom de quoi interdirait-elle la bonté et le don de soi ? Les cas doivent être évalués dans des commissions régionales par des médecins dont c’est la responsabilité et la compétence. Comme l’écrit Aristote dans l’Éthique à Nicomaque, la loi n’est pas magique, elle ne peut pas tout régler. D’où le rôle qu’il attribue à la prudence, vertu du bon politique, du bon juge et du bon médecin. La prudence, dit-il, serait le juste milieu, tel qu’il serait déterminé rationnellement par l’homme prudent. Autrement dit, face à une situation d’incertitude, on ne dispose pas de la justice « en soi » comme d’une règle qu’il suffirait d’appliquer : ce n’est pas la justice qui doit être juste, mais l’homme qui la rend. C’est pourquoi il est important que les personnes qui composent les commissions aient les traits moraux et le sens du service requis. Au total, donc, une loi-cadre, mais qui définisse bien les principes et les éclaire par des priorités ; et pour les cas concrets l’exercice de la prudence par les membres des commissions, par des médecins, peut-être par l’Agence de la biomédecine.

Restera enfin à définir les contre-pouvoirs, ce qui passe par l’éducation. Face aux problèmes que les nouvelles techniques ne manqueront pas de nous poser, nous serons obligés de consolider la société, et à défaut de fournir des réponses, d’apporter de nouvelles pistes.

M. le président. Merci pour cette contribution passionnante. Peut-être aurons-nous l’occasion de vous retrouver, dans le cadre de votre travail sur les espaces éthiques régionaux.

Table ronde avec M. Olivier ABEL, professeur de philosophie éthique à la faculté de théologie protestante de Paris, membre du CCNE, M. Didier SICARD, professeur de médecine, ancien président du CCNE, M. Haïm KORSIA, Grand rabbin, aumônier général israélite des armées et M. Xavier LACROIX, philosophe, théologien, professeur d’éthique à l’université catholique de Lyon, membres du CCNE


(Procès-verbal de la séance du 21 janvier 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Les travaux de notre mission d’information font suite à un ensemble de rapports émanant du CCNE, de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) et de l’Agence de la biomédecine, et nous attendons le rapport du Conseil d’État, dont la parution est prévue pour le mois de mars. Nos travaux pourraient par ailleurs se poursuivre dans le cadre d’une commission spéciale, qui serait mise en place lors du dépôt d’un projet de loi sur le Bureau de l’Assemblée nationale.

Jean Leonetti, en qualité de président du comité de pilotage, évoquera certainement les États généraux de la bioéthique, voulus par le Président de la République, qui se tiendront d’ici le mois de juin et dont les conclusions seront un de nos éléments de réflexion pour établir notre rapport. Jean Leonetti et moi-même avons invité les quatre autres membres du comité de pilotage à participer à nos auditions.

Pour nos concitoyens, les lois de bioéthique sont porteuses de nombreux espoirs, mais également de craintes. Comme nous l’avions fait à l’OPECST avec Jean-Sébastien Vialatte, nous avons souhaité que notre mission auditionne les représentants des principaux courants religieux et philosophiques de notre communauté nationale afin d’éclairer les parlementaires que nous sommes.

Nous attendons de vous, messieurs, que vous nous disiez quels sont les points qui méritent d’être clarifiés ou n’ont pas encore été abordés et, surtout, quels sont ceux sur lesquels vous ne transigez pas, qu’il s’agisse de la recherche ou de l’assistance médicale à la procréation (AMP).

Je vais tout d’abord donner la parole à M. Olivier Abel, professeur de philosophie éthique à la Faculté de théologie protestante de Paris, membre du Comité consultatif national d’Éthique (CCNE), chargé d’enseignement à l’École des Hautes Études en Sciences sociales (EHESS), puis à M. Didier Sicard, professeur de médecine et ancien président du CCNE, qui remplacera M. Olivier Abel lorsque celui-ci sera obligé de nous quitter pour participer à une autre réunion.

Je constate que M. Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman, ne nous a pas encore rejoints.

M. Olivier Abel. Étant en effet contraint de vous quitter vers dix-sept heures trente, j’ai demandé à M. Didier Sicard de me remplacer. Bien que je ne connaisse pas ces questions aussi bien que lui, je me propose de vous présenter quelques orientations générales. Quant à lui, il vous précisera sans doute les points sur lesquels nous manifestons plus de fermeté et ceux sur lesquels nous sommes ouverts ou perplexes.

Dans le domaine éthique, le monde protestant n’a pas de magistère, et l’expression protestante a ceci de particulier qu’elle fait appel à la responsabilité de chacun. Nous ne nous cachons pas derrière des principes ou des lois qui auraient valeur absolue et pour tous : nous sommes donc ouverts au débat. Pour les protestants, le dissensus lui-même a une valeur pédagogique. Je suis donc très heureux de la tenue d’États généraux sur ces questions, car je pense que le débat public permettra de dégager les questions essentielles.

Pour avoir été pendant vingt ans président de la commission d’éthique de la Fédération protestante, je mesure à peu près dans quel sens nous allons sur toutes ces questions. Je pense pour ma part que la loi doit avant tout s’occuper de la fragilité, et que notre responsabilité est d’aider les plus fragiles d’entre nous. Je parle de la fragilité des personnes, mais également de celle des institutions, qui ne sont pas toujours aussi solides et aussi puissantes que nous le souhaiterions, sans oublier la fragilité du monde naturel, qu’il faut avoir présente à l’esprit dans les domaines de la recherche.

Dans le domaine éthique, la peur, non pas tant la « peur de » que la « peur pour », pour les fragiles, oriente aujourd’hui nos réflexions – peut-être de façon excessive. Autrefois, l’éthique était tournée vers la recherche d’un bien commun ; aujourd’hui, nous sommes plutôt mus par la crainte du pire.

L’éthique protestante n’aime pas les paniques, les peurs excessives et les superstitions ; elle n’aime pas non plus les convoitises et les idolâtries, l’illusion qu’on va résoudre tous les problèmes. Nous refusons tout optimisme excessif, mais également tout pessimisme excessif. Nous ne sommes pas de ceux qui pensent que tout est perdu et nous rejetons les visions apocalyptiques du monde. Nous savons bien que certaines peurs, tout comme certains espoirs démesurés, au bout d’un certain temps, apparaissent un peu risibles. Les débats sur le clonage nous ont appris une chose : le public peut se passionner pour une question et, quelques années plus tard, la regarder plus sereinement.

Mais ces paniques font émerger des questions sérieuses, par exemple celles qui touchent à l’identité génétique. La référence aux empreintes génétiques fait l’objet d’une emphase excessive – on l’a vu notamment en matière d’immigration –, alors que l’identité d’un individu est essentiellement culturelle, juridique et familiale. Et surtout, elle est portée par une parole. Cet épisode a surtout démontré la fragilité de l’identité dans notre société. Derrière les grands débats sur les questions bioéthiques, on découvre souvent des questions de société : fragilité de nos formes d’identité, mais aussi de nos formes de famille – et je suis pour ma part très attentif à la réduction de la filiation au seul lien de la mère à l’enfant ; les droits accordés aux personnes seules m’inquiètent plus que ceux des couples homosexuels.

Nous pensons qu’il n’y a pas de réponse technique à toutes les questions, mais nous ne croyons pas non plus que la technique ne doive rien changer à une condition naturelle qui serait de nature divine. Le monde naturel n’a rien de divin et il ne faut pas sacraliser le corps. C’est un point important par rapport aux dons d’organes et à la pratique de l’autopsie, par exemple. Notre culture a peut-être trop valorisé le corps. En matière de greffes d’organes, il est clair que les familles, après une mort accidentelle, traversent un moment de trouble et qu’il leur est difficile d’accepter le prélèvement… Si nous voulons encourager le don d’organes, il faut dire à ces familles qu’il ne faut pas sacraliser le corps. Nous avons souvent évoqué cette question au sein de la Fédération protestante de France. Face à des paniques et à des convoitises excessives, il faut faire preuve de sobriété.

Je pense par ailleurs qu’il est important de placer les questions éthiques dans un cadre plus large que celui de la seule morale, car elles sont inséparables des questions culturelles – la même technique, en effet, ne soulève pas les mêmes problèmes dans des mondes dont la culture et les mœurs sont différents – mais également des questions sociales, car les milieux précaires sont souvent les plus touchés. Elles sont également inséparables des questions économiques. En effet, si la santé n’a pas de prix, elle a un coût, dans un monde où les moyens ne sont pas illimités. Nous devons donc définir des priorités, et celles-ci doivent être d’aider les plus faibles et de servir l’intérêt général, plutôt que d’engager des fortunes dans des projets exceptionnels ou de portée très limitée. Elles sont enfin inséparables des questions juridiques.

En bref, tout ne s’achète pas, tout ne s’enseigne pas, tout ne se soigne pas, et tout ne se moralise pas : certaines questions très complexes ne sauraient être réduites à la dimension morale.

Par ailleurs, nous ne pensons pas qu’il existe une solution éthique à tous les problèmes. Quand on parle d’éthique, on pense généralement au choix, au consentement. Sur ce point, je reconnais que la culture protestante a peut-être trop valorisé l’individu – libre, émancipé et consentant. Peut-être sommes-nous allés trop loin dans cette anthropologie du choix, car le sujet ne peut tout choisir et tout décider, pour lui-même comme pour ses proches. L’idéologie du choix a une limite.

Cependant – et ceci est proprement éthique – il faut faire la place à la conversation. Certaines questions ne relèvent ni de la loi, ni du principe intangible qui vient d’en haut, mais bien du dialogue. C’est le cas de bien des questions autour de la naissance, de la mort, des bifurcations de la vie dues à des accidents : dans ces situations, on a besoin d’une parole, et non d’une simple information, fut-elle médicale ou biologique. Cette parole est importante, elle doit circuler, mais avec des limites, comme le secret médical ou les règles de confidentialité. La problématique des mères porteuses l’illustre bien : l’identité de l’enfant est portée par une parole. Il ne faut pas « saucissonner » les problèmes : procréation et gestation ne doivent pas être considérés isolément d’un projet parental – encore que la notion de « projet » me paraisse trop étroite : l’essentiel, c’est la parole dans laquelle l’enfant est accueilli. Selon André Dumas, l’un de mes prédécesseurs au sein du monde protestant, s’il existe « une parole qui raconte avec amour », les parenthèses techniques sont secondaires. La parole a donc une place très importante. J’irai jusqu’à dire que s’il y avait plus de lieux de parole, pour faire face notamment à l’euthanasie et aux soins palliatifs, les solutions techniques seraient mieux acceptées.

Il n’y a pas non plus de solution juridique à tous les problèmes. L’idéal serait d’ailleurs de s’en tenir à un cadre juridique minimal, et je suis très proche de Jean Carbonnier qui préconisait de « légiférer très sobrement ». Cependant, dans la mesure où il existe des personnes fragiles et des patients privés d’autonomie, nous ne pouvons pas tout faire reposer sur la responsabilité individuelle – surtout quand on sait le poids des intérêts économiques et des évolutions sociologiques. La loi a donc une fonction de protection ; elle doit réaffirmer la non-commercialité du corps humain et la non-brevetabilité du génome, dont la Fédération protestante a rappelé à plusieurs reprises le caractère indiscutable. En affirmant que tout ne s’achète pas, nous protégeons l’humanité de ces nouvelles formes d’esclavage qui se développent aujourd’hui dans le monde.

Enfin, il n’y a pas de solution technique ou biomédicale à tous les problèmes. Cessons de croire que les questions trouveront toujours une réponse : apprenons à vivre avec les problèmes de façon durable et sachons accepter des compromis complexes, car ces questions ne sont pas uniquement biologiques, juridiques ou morales.

Pour autant, il faut avoir confiance dans les progrès de la science et faire crédit à la recherche scientifique, car elle peut apporter demain des solutions à des problèmes qui paraissent insolubles aujourd’hui. Gardons-nous de passer d’un excès d’optimisme à un excès de pessimisme.

Nous devons toutefois être attentifs sur un point : la recherche ne doit pas déchirer le voile d’ignorance et les institutions humaines doivent admettre la part d’inconnu qui existe en chacun de nous. Le sujet humain nous étant inconnu, nous ne pouvons pas programmer un eugénisme. Quant à la confidentialité, elle est essentielle pour pouvoir redonner une chance à chacun : c’est le rôle des institutions de santé, mais également celui de l’école, de l’hôpital, de la prison et de toutes les grandes institutions. Il nous est arrivé de croire que nous pouvions connaître parfaitement une personne, notamment sur le plan biologique. Or, c’est totalement faux, et les textes de loi doivent en tenir compte. Nous ignorons encore beaucoup de choses. Et même si ce n’était pas le cas, la loi devrait préserver des voiles d’ignorance pour permettre à chacun de vivre sans savoir totalement qui il est : c’est une exigence politique, juridique et éthique.

Nous vivons un moment difficile, marqué par le décalage entre les pouvoirs des décideurs et des chercheurs, mais aussi des puissances économiques et des créateurs d’images de vie bonne – je pense notamment à la télévision –, et les responsabilités individuelles et institutionnelles qui devraient les accompagner. Paul Ricœur disait : « À pouvoirs accrus, responsabilités accrues ». Nous devons rétablir une responsabilité à la hauteur de ce pouvoir, parce qu’il finit toujours par s’exercer sur les plus faibles.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Les grandes orientations que vous venez de nous exposer sont des questionnements plus que des affirmations dogmatiques. Est-ce à dire que, pour la communauté protestante, la loi doit être avare de mots et que les réponses doivent être apportées au cas par cas ? Il s’agit certes d’une religion du Livre qui n’a pas de doctrine établie, qui s’appuie plus sur le Livre lui-même que sur son interprétation. Pour autant, pouvez-vous nous faire part des orientations de votre communauté sur quelques sujets importants ? Ainsi, si j’ai bien compris, vous n’êtes pas opposé aux greffes d’organes. Acceptez-vous que l’on puisse prélever des cellules sur un embryon qui ne fait plus l’objet d’un projet parental et qui pourrait être détruit ? Que pensez-vous de la médecine prédictive, pour les cas qui entrent dans le cadre des lois de bioéthique ? Quels sont les points sur lesquels vous êtes d’accord, ceux sur lesquels vous vous interrogez et enfin ceux que vous voudriez voir modifiés ?

M. Jean-Luc Préel. Je vous ai écouté avec intérêt et je pense avoir compris les grands principes que vous avez énoncés, mais pensez-vous qu’une loi soit nécessaire et, dans l’affirmative, dans quel domaine ? Trois exemples : êtes-vous favorable aux recherches sur l’embryon ? Pensez-vous qu’il faille donner un cadre à l’AMP, concernant notamment l’obligation de vivre en couple ou l’âge des parents ? Que pensez-vous de la possibilité de recourir à une mère porteuse ?

M. Xavier Breton. Vous nous proposez des méthodes de questionnement, mais toutes ces questions ont-elles des réponses, et celles-ci sont-elles individuelles ou collectives ?

Par ailleurs, vous affirmez qu’il n’y a pas de solution juridique à tout, pas plus que de solution technique ou éthique, mais vous nous invitez néanmoins à croire au progrès technique. Pourquoi ne pas faire également confiance aux progrès dans les domaines juridique et éthique ?

M. Michel Vaxès. On peut considérer que la vie commence dès le moment où des cellules se multiplient, et cela vaut tant pour l’espèce humaine que pour les animaux, voire les végétaux ; mais à quel moment situez-vous le début de l’humanité ?

M. Olivier Abel. J’ai bien compris que mes orientations d’ordre général ne vous sont pas très utiles, mais mon propos était simplement de démontrer que certaines questions – et c’est assez tragique – ne trouveront jamais de solution juridique. Cela ne doit pas nous empêcher de garder confiance dans les capacités de chacun, sur le plan éthique et civique, de croire qu’il est possible de proposer de meilleures lois, susceptibles d’introduire un degré supplémentaire d’humanité et d’intelligence, de croire enfin aux progrès modestes des sciences, tout en gardant à l’esprit que celles-ci ne sauraient être une religion.

Monsieur Vaxès, vous m’interrogez sur le début de l’humanité : je ne puis vous répondre au nom de la communauté protestante unanime, car celle-ci est très divisée sur la question du statut de l’embryon. Mais cette perplexité même éclaire notre situation. Je pourrais, pour vous répondre, nier les oppositions qui existent sur cette question au sein de notre communauté, mais ce serait dommage. Car l’opposition entre ceux qui croient que Dieu, avant même la conception de l’homme, avait prévu et voulu l’existence de chacun, et ceux qui nient la continuité de la vie, dévoile une condition tragique, qui est présente peut-être depuis toujours.

Dans son très beau livre La condition fœtale, le sociologue Luc Boltanski écrit que l’embryon sera ce que nous en ferons. Ce qui est tragique, c’est que l’embryon dépend de nous, du traitement que nous en faisons. Nous pouvons le traiter comme un simple matériau de recherche. Cela dit, je peux concevoir la recherche sur les embryons surnuméraires, surtout s’ils ne font plus l’objet d’un projet parental, mais il est en revanche totalement exclu de fabriquer des embryons dans ce but : ce serait d’emblée les instrumentaliser !

Il en va de la recherche sur les embryons comme de l’avortement : le malheur existe, c’est un fait ; nous devons essayer de l’amoindrir. Le statut du fœtus nous renvoie à des situations toujours tragiques. Cessons de prendre ces situations à la légère et de croire qu’on peut y répondre une fois pour toutes, car cela n’est pas possible. Mais le fait d’en débattre est une bonne chose, même s’il accroît la perplexité, car il accroît aussi la prise en compte de la vulnérabilité des êtres humains, notamment la mère et l’enfant.

S’agissant de la procréation médicalement assistée, je suis convaincu qu’elle doit se limiter au cadre du couple et qu’il ne faut pas l’étendre aux personnes seules. D’ailleurs, je ne suis pas favorable à l’adoption par une personne seule et je suis effrayé, en tant que moraliste, de l’effondrement de la conjugalité au profit de la filiation, qui seule semble nous intéresser aujourd’hui.

En bref, je souhaite que toutes ces démarches soient parfaitement cadrées et surtout que la parole y prenne toute sa place.

J’en viens au recours à une mère porteuse. De façon exceptionnelle, dans un cadre qui ne serait pas commercial, pourquoi pas ? L’interdit n’améliorerait pas les choses, et peut-être amènerait les personnes à agir dans l’illégalité. Cela dit, il n’est nullement question d’en faire un mode normal de gestation et de procréation. Au fond, je trouve ces questions risibles, car dans trois siècles, les enfants seront toujours, en général, faits par un couple, composé d’un homme et d’une femme. Tout le reste, je n’y crois guère…

M. Didier Sicard. La finalité de la loi, dans ce domaine, n’est pas tant d’encadrer les progrès de la science que de les mettre au service de ceux qui en ont besoin et des plus vulnérables. Or cette dimension, pour moi essentielle, manque à la loi actuelle. Depuis leur apparition, il y a cinq ou six ans, les neurosciences enregistrent des progrès spectaculaires, mais on voit poindre la tentation de réduire la personne à ce qu’en révèle l’imagerie fonctionnelle. Le risque existe dans le domaine judiciaire et ailleurs ; c’est pourquoi il est nécessaire de prévoir, dans les lois de bioéthique, des protections en mesure d’éviter tout risque de discrimination à partir d’une imagerie. Il ne faut pas avoir peur des neurosciences, mais la loi doit nous protéger de leur usage abusif.

Dans le domaine des greffes, je suis frappé de constater l’écart qui existe entre les notions de non-patrimonialité – comme si celle-ci était depuis toujours inscrite dans le marbre de la loi – et le « don » d’un organe du vivant de la personne. Malheureusement, dans la plupart des pays où l’on pratique les greffes entre vivants, ce sont les plus vulnérables, généralement les femmes, qui donnent leurs organes. L’État doit se donner les moyens de plus intervenir dans la protection de ces donneurs. Je trouve impressionnant, d’autre part, l’écart qui existe entre la loi, qui se réfère à un certain imaginaire du don du corps, et la situation concrète des équipes chirurgicales, qui ne sont pas suffisamment aidées et reconnues dans les actions de prélèvements, au profit des seuls actes de greffes. Il manque une attention au réel.

Enfin, pour les protestants, l’embryon n’est pas sacré : ils ne se posent donc pas la question du moment de l’apparition de l’âme. Ils n’en sont pas moins obsédés par l’idée qu’un enfant, lorsqu’il vient au monde, doit être protégé par la société, plus encore que ses parents. Or, il semble que les lois bioéthiques actuelles tendent de plus en plus à favoriser les moyens de contourner la stérilité, mais guère à réfléchir aux conditions de l’accueil de cet enfant. Il faudrait chercher une manière d’écrire la loi qui prenne en compte cette dimension.

Plus que l’affrontement vain entre le « projet parental » et la vision biologique de l’être à venir, les protestants privilégient la « parole faite chair », c’est-à-dire l’enfant pour lui-même.

Pas plus qu’Olivier Abel, je ne souhaite diaboliser la gestation pour autrui, mais il est évident que, dès que la loi le permettra, ce sont les femmes les plus pauvres qui proposeront leur utérus. A la rigueur, la gestation pour autrui pourrait s’inscrire dans le champ des greffes d’organes. Ainsi la possibilité exceptionnelle offerte à une femme de prêter son utérus à sa propre sœur, sous le contrôle de l’Agence de biomédecine et dans des conditions seulement intrafamiliales, ne me paraît pas à écarter par la loi.

Au fond, le danger d’une loi est d’être trop précise. Les lois bioéthiques françaises
– qui sont uniques au monde – devraient porter un regard sur l’humain, même s’il est difficile de traduire une telle notion dans le droit, et s’interroger sans cesse sur le rapport entre les progrès scientifiques et la vulnérabilité des personnes auxquelles ils s’adressent. Ce serait notre fierté !

M. Jean-Marc Nesme. Si je vous comprends bien, monsieur Sicard, vous n’êtes pas systématiquement opposé à la gestation pour autrui, puisque vous accepteriez qu’une femme porte un enfant pour sa sœur. Cet enfant aurait pour mère sa tante. Je veux bien que l’on essaie de satisfaire tous les désirs des adultes, mais quid de l’enfant ? Comment lui expliquer que sa mère est en même temps sa tante ?

M. Didier Sicard. Il est évident qu’il s’agirait d’un compromis. On peut imaginer que, comme cela se passe dans d’autres sociétés, l’enfant s’adapte parfaitement au fait d’avoir une autre mère que celle qui l’a enfanté, sous réserve naturellement que les deux sœurs s’entendent très bien. À partir du moment où nous avons légiféré sur les greffes d’organes, je ne serais pas choqué que nous le fassions pour la gestation pour autrui. Cela peut paraître contradictoire avec le droit de l’enfant d’être mis au monde par sa vraie mère, mais à partir du moment où la médecine a commencé à complexifier la procréation en laissant apparaître deux, trois, quatre et parfois cinq géniteurs, je ne pense pas que cela aboutirait à des situations dramatiques.

Mme Marie-Thérère Hermange, sénatrice, membre du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. Si l’on accepte de pratiquer la gestation pour autrui, doit-on conserver dans notre loi fondamentale le principe « Mater semper certa est », et si nous le conservons, pratiquer la GPA ne revient-il pas à légaliser un abandon d’enfant ?

M. Didier Sicard. Tout à fait, mais c’est la même chose que légaliser la possibilité de l’abandon par accouchement sous X  ou le don d’embryon ! Le problème, c’est qu’aucune situation ne sera réglée de façon parfaite par la loi. Ce que je crains, c’est qu’en acceptant une ouverture, nous remettions en cause le principe de la priorité de l’intérêt de l’enfant. Comme tous les êtres humains, je pense que la gestation pour autrui a quelque chose d’effrayant. Mais la médecine, s’agissant de procréation, a permis une telle diversité que cette dernière éventualité – dont, au demeurant, je ne demande pas la légalisation – ne me paraît pas plus choquante que le don d’embryon ou le transfert d’embryon post mortem, situations qui font couler beaucoup d’encre mais ne se produisent qu’une ou deux fois par an. Ce que je crains, c’est que la loi ne s’intéresse qu’à des situations exceptionnelles, au détriment de l’essentiel, à savoir garantir à l’enfant qui va naître un maximum de liberté et le droit d’être respecté. De ce point de vue, on peut considérer que la gestation pour autrui, à laquelle j’ai toujours été très hostile, n’a pas lieu d’être, mais si un courant de société va dans ce sens, en tant que protestant, je ne la diaboliserai pas.

M. Paul Jeanneteau. Vos propos ne vont pas tout à fait dans le sens que je souhaite et j’aimerais que vous précisiez votre pensée. Vous voulez offrir un maximum de liberté à l’enfant. À cet égard, il conviendrait peut-être, selon vous, de renforcer les droits de l’enfant, qui doit être plus protégé par la société. Mais croyez-vous vraiment que la gestation pour autrui entre deux sœurs – on peut aussi imaginer la même pratique entre une mère et sa fille – soit le meilleur moyen de donner plus de droits et de liberté à l’enfant à naître ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. J’ai cru discerner derrière votre propos la notion de coparentalité, à savoir le fait pour un enfant d’avoir plus de deux parents. La gestation pour autrui en est l’exemple type puisqu’elle peut conduire à ce qu’un enfant soit le fruit de trois, quatre, voire cinq intervenants – le donneur d’ovule, le donneur de sperme, la gestatrice... Et comme on sait que les couples ne sont pas stables, on donne maintenant des droits au deuxième conjoint ! Au bout du compte, une ribambelle d’adultes auront des « droits » sur cet enfant. Cela me paraît poser un grave problème, même si, dans le cadre de la mission que nous avons menée avec Alain Claeys, nous avons entendu d’éminents sociologues nous expliquer que cela se passe très bien dans certaines régions d’Afrique, où l’enfant appartient à la tribu. Mais cela ne vous semble-t-il pas contradictoire avec notre culture ?

M. Michel Vaxès. Vous ne diabolisez pas le recours exceptionnel à la gestation pour autrui, mais vous vous dites inquiet du risque de glissement progressif vers une généralisation, au détriment de l’aspect compassionnel et humain de ces cas exceptionnels. Nous allons être amenés à fixer un cadre : de quelle façon devons-nous le fixer, sachant que dans l’incertitude, toutes les portes restent ouvertes ?

M. Olivier Abel. Je pense que M. Sicard n’approuve pas la gestation pour autrui, mais, dans la mesure où, marginalement, cela existe et ne manquera pas d’exister, il propose de l’encadrer de manière très restrictive. La diaboliser serait en effet une manière de nier son existence, alors que – comme pour l’avortement – cette situation ne manquera pas de se présenter. Il faut donc rechercher le moindre mal.

Par rapport à la parentalité, le saucissonnage que j’ai évoqué tout à l’heure est néfaste. Il faut éviter la ribambelle d’adultes dont vous parlez : les parents doivent rester les parents, dans un sens juridique plus encore que génétique. La désarticulation à laquelle on assiste aujourd’hui est désastreuse. Si j’ai beaucoup insisté sur la parole, c’est que – et c’est le plus important – quelqu’un a été nommé pour être le père de l’enfant et quelqu’un a été nommé pour être sa mère. La parentalité est vécue comme elle a été dite, et aucune expertise sociologique ne pourra la redéfinir. Il est bon de rappeler un principe d’ordre généalogique : les parents, ce sont les deux membres du couple parental.

M. Didier Sicard. Le problème réside dans la marchandisation du corps. Il serait très grave que la gestation pour autrui lui ouvre la voie. Il ne faudrait pas que, dans le cadre du débat sur la révision des lois de bioéthique, le législateur consacre trop d’énergie à une question qui me paraît quelque peu dérisoire – sauf si elle lui permet d’engager une réflexion métaphysique sur l’humain. Je sais le danger qu’il y a à faire évoluer les choses en ces domaines et à quel point il est difficile de remonter une pente glissante. Je suis aussi embarrassé que les autres et intellectuellement, je suis plutôt défavorable à la gestation pour autrui, mais si elle est bien encadrée et que nous conservons l’obsession de ne pas faire du corps une marchandise, je suis prêt à l’accepter.

M. le président. Je donne la parole à M. Haïm Korsia, Grand rabbin, aumônier général israélite des armées, membre du CCNE.

M. Haïm Korsia. Je vous remercie de m’avoir convié à cette réunion qui nous permet de dire des choses importantes. Les protestants ont eu l’intelligence de venir à deux (Sourires). Cela fera sans doute plaisir à Mme Hermange, mais je sais que l’un des thèmes abordés dans le cadre de la semaine d’unité des Chrétiens se trouve dans le texte d’Ezéchiel 37, qui évoque deux bâtons qui ne font plus qu’un seul dans la main… C’est pourquoi, sans doute, deux protestants sont parmi nous.

Il ne s’agit pas ici d’opposer nos voix sous prétexte qu’elles sont porteuses de spiritualités différentes. Car nos religions ont des racines communes et elles convergent sur un point : plus qu’un rapport à Dieu, c’est un rapport à l’homme qui fonde notre pensée à tous.

Je suis sensible à ce qui vient d’être dit sur la loi. Il est important, en effet, de définir ce que doit être la vocation de la loi et puisque je me trouve devant vous, je vais vous révéler le grand secret du fonctionnement du judaïsme.

La Bible a été donnée par Dieu à Moïse sur le Mont Sinaï. Mais dès lors que Dieu l’a confiée à Moïse, la loi était par nature périmée. Car tout texte, dès lors qu’il est écrit et donné aux hommes, est périmé – et je ne parle pas uniquement des textes dont les décrets d’application ne paraissent pas avant trois ou quatre ans ! (Sourires) Je parle de tout texte. Mais il est difficile d’accepter que la parole de Dieu puisse être impactée par le temps.

Le secret du judaïsme, c’est d’avoir en permanence associé la loi orale à la loi écrite, lui permettant ainsi d’évoluer. En fait, Dieu définit des principes dans la Bible et les cas pratiques sont traités par un débat permanent.

Je ne suis pas venu pour vous dire qu’il convenait de voter régulièrement de nouvelles lois, mais pour essayer de comprendre avec vous ce qu’est la vocation de la loi. On se rend compte qu’en général, la loi suit la réalité sociale, avec retard. Les gens agissent d’une certaine façon ; d’abord, on leur dit que ce n’est pas bien, mais quand 60 ou 80 % de la population agissent ainsi, on fait une loi qui réintègre toutes ces personnes dans la légalité.

Et pourtant, l’idéal de la loi reste de définir une vocation, un idéal, fût-il ponctuel. Et l’un des préalables pour cela est d’organiser un débat permanent et de le faire partager le plus largement possible. La Bible, dans l’Exode, nous propose un très beau verset pour comprendre cela. Lorsque Moïse entreprend la construction du tabernacle, il s’adresse à Betsalel, et comme celui-ci ne comprend pas très bien, Moïse lui dit : « Vois et tu feras ». Ce qui veut dire : visualise les conséquences de ce que je te demande de faire et tu le feras. Être sage, c’est voir ce qui va advenir des décisions que l’on prend. C’est pourquoi nous devons ouvrir le débat le plus largement possible ; l’information sur les communications scientifiques et les grands débats de société ne doit pas être uniquement rythmée par les grandes affaires médiatiques, ponctuelles et déconnectées des questions quotidiennes de nos concitoyens. C’est aussi pourquoi chaque nouvelle loi ne doit pas être perçue par tel groupe de pression ou tel lobby comme une « avancée », avant la prochaine : « On nous a concédé un peu cette fois, on nous concédera un peu plus demain »... Cela nous oblige à une grande prudence, non pas par rapport à ce que l’on aimerait pouvoir faire, mais à ce que l’on risque de devoir permettre plus tard.

Cela dit, lorsque nous avons fait quelque chose de bien, il faut savoir le reconnaître : c’est le cas de la loi Leonetti sur la fin de vie, qui a été votée à l’unanimité et donne des résultats extraordinaires, puisqu’elle permet de trouver une solution à 99,9 % des cas et laisse une marge d’appréciation pour les 0,1 % restants. Libérons-nous du sentiment qu’à chaque fois que nous faisons évoluer la loi, nous faisons des concessions.

Il nous faut aussi accepter l’idée que l’erreur est humaine. Si une expérimentation apporte plus de questions qu’elle n’en résout, nous devons savoir y renoncer. Or, en France, ce n’est pas dans la nature des choses : on considère qu’il ne convient pas de renoncer à tout ce qui ressemble à un avantage acquis… Dans le domaine de l’humain, nous devons accepter de tâtonner, parce que personne ne peut dire « je sais ». On ne peut dire que « je crois », et cela, dans la langue française, implique la notion de doute. Lorsqu’on dit « je crois qu’il fait beau », c’est qu’il peut pleuvoir, sinon on dit « je sais qu’il fait beau ». Croire, c’est douter. Dans le domaine de l’humain, plus que dans tout autre, il est important de garder cela à l’esprit.

Dans le judaïsme, la première base de réflexion est la centralité de l’homme. S’agissant des questions bioéthiques, l’idée centrale est la dignité humaine, pleine et entière, du début à la fin de la vie. Elle concerne le corps, la vie privée et tout ce qui pourrait faire qu’une personne n’est plus propriétaire d’elle-même.

La seconde, qui peut paraître une évidence et que le professeur Sicard a justement rappelée, est la protection des faibles, quelle que soit la raison de cette faiblesse. Chacun de nous peut être très fort à un moment donné, et très faible à un autre. La protection du faible est un impératif pour la société tout entière.

L’éthique est souvent considérée comme un facteur qui empêche les choses d’avancer : on reproche aux religions et aux comités d’éthique de soulever des problèmes moraux ; ils agacent tout le monde et retardent l’évolution des choses. Je propose une autre lecture, qui pourrait inspirer la loi. Que tous ceux qui croient que soulever des questions éthiques met un frein à l’efficacité se rassurent : l’éthique amène de la confiance, et la confiance amène de l’efficacité. Chacun de nous doit pouvoir s’approprier des règles qui le concernent directement – car, s’il nous arrive à tous de considérer que telle ou telle loi ne nous concerne pas, ce n’est pas le cas des lois de bioéthique, qui touchent chacun de nous par quelque biais.

Il appartient au Parlement, qui est l’expression de la voix de la Nation, de définir ce que doivent être l’espérance, la vocation, les valeurs qui fondent notre société. S’agissant de la fin de vie, par exemple, je vous rappelle ce qui est écrit dans la Bible et qui constitue l’un des fondements de la loi naturelle et l’évidence de toute vie en société : « Tu ne tueras point ». Accepter de tuer, c’est-à-dire d’échouer dans la vocation des hommes – qui est de protéger, de sauver, de donner et de conserver la vie –, c’est ouvrir la voie à la négation de cette société.

J’organise chaque année, dans le cadre des armées, un voyage à Auschwitz, et j’ai proposé à quelques membres du CCNE de m’accompagner parce que je pense que l’éthique moderne s’est fondée sur le refus d’Auschwitz – et, au-delà des conclusions de Nuremberg, sur le refus de l’image de l’humanité qui s’est proposée là, celle de l’eugénisme et de l’uniformité sans unité. La phrase « tu ne tueras point » donne une responsabilité supplémentaire à ceux qui doivent accompagner les familles qui entourent un être en fin de vie. Cela ne doit pas être qu’une belle phrase : il faut mettre en face les moyens d’améliorer les soins palliatifs. Il faut augmenter le nombre des structures où ces familles peuvent prendre la parole pour décharger leur souffrance, et prévoir l’accompagnement nécessaire pour rendre les personnes en fin de vie à leur humanité, à leur finitude. Nous devons avoir la volonté, à partir d’une vocation biblique, humaine et sociétale, d’engager les moyens nécessaires : ce serait l’honneur de l’ensemble de la société. Mais l’élan doit venir du Parlement.

L’un des moyens de parvenir à un consensus – même si je n’aime guère ce mot, qui trop souvent rime avec « mou » (Sourires) – serait d’appliquer le traitement que le judaïsme a apporté à l’un des versets les plus connus de la Bible : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Cette phrase ne veut pas dire grand-chose et a fait l’objet d’interprétations diverses, l’une d’entre elle tendant à sous-entendre qu’il faut s’aimer un peu soi-même… Un rabbin, probablement plus futé que les autres, Rabbi Akiba, en a fait la traduction suivante : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse ». C’est interpréter la règle en lui donnant une formulation négative. De même, dans ce grand débat sur la bioéthique, il faut trouver les limites que tout le monde s’accorde à ne pas vouloir dépasser. Entre ce que l’on accepte et ce que l’on n’accepte pas, il existe une zone intermédiaire, et c’est de celle-ci que nous devons débattre. Il arrive, cela a été rappelé tout à l’heure, qu’une ou deux questions symboliques, mais qui concernent très peu de personnes, occultent l’ensemble du débat. C’est très pénalisant pour ceux qui doivent au quotidien répondre aux demandes. Trouver un accord sur ce qui est inacceptable est une démarche conforme au judaïsme.

Les grandes questions qui se posent à nous aujourd’hui paraissent parfois très banales, mais il faut oser dire que le banal est parfois inacceptable, comme l’a souligné Hannah Arendt. Ainsi le diagnostic préimplantatoire nous paraît naturel, mais s’il n’est pas encadré, il peut constituer une forme rampante d’eugénisme. En Angleterre, on peut d’ores et déjà, par diagnostic anténatal, prévoir l’autisme. Peut-on dire à des parents, même si ce n’est pas certain, que leur enfant risque d’être autiste ? Nous sommes défavorables au fait d’établir un diagnostic préimplantatoire sans prévoir la réaction des parents. Il faut savoir à quoi l’on s’engage et mieux encadrer cette pratique, faute de quoi nous risquons d’entrer dans une autre logique qui nierait les progrès apportés par la science. Est-il nécessaire d’informer les parents et de quelle façon ? Pour répondre à ces questions, il faut réfléchir davantage à un encadrement du diagnostic préimplantatoire.

J’ai été heureux d’entendre M. Sicard évoquer le droit de l’enfant. Le droit à l’enfant ne doit pas supplanter le droit de l’enfant. Celui-ci est devenu un objet : on décide de l’âge auquel on veut l’avoir pour qu’il gêne le moins, en fonction de sa carrière, par exemple. Et l’on parle de projet parental ! C’est terrible ! La Bible, dans les Proverbes, au chapitre 19, dit ceci : « Nombreux sont les projets dans le cœur de l’homme, mais la volonté de Dieu seul s’accomplit ».

À vouloir régler les problèmes des uns et des autres, on risque d’oublier l’essentiel, à savoir le droit de l’enfant en tant que personne. Le recours à une mère porteuse comporte un risque énorme. La société américaine y consent parce que la marchandisation du corps y est admise, et si le professeur Sicard accepte de l’envisager dans un cadre intrafamilial, c’est que les questions de l’anonymat et du don ne s’y posent pas. Mais dans notre pays, la gestation pour autrui pose d’énormes problèmes, et si les petits arrangements sont possibles, je ne pense pas qu’il convienne de l’inscrire dans la loi. La GPA n’est pas un idéal, mais un pis-aller, et la loi n’a pas vocation à proposer de pis-aller.

J’en viens aux tests génétiques. En dépit de leur légitimité, ils contiennent une forme de racisme. Car qu’est-ce que le racisme ? C’est limiter l’identité d’une personne à une seule des multiples facettes qui la composent. Et limiter quelqu’un à ses données génétiques, c’est l’empêcher de se dépasser. Lors des journées nationales du CCNE, nous avons longuement débattu des problèmes posés par les tests génétiques et la médecine prédictive. À cette occasion, j’ai fait connaître aux participants un film extraordinaire, que je vous suggère de projeter en commission et qui s’intitule Bienvenue à Gattaca. Ce film présente un monde dans lequel chaque individu, dès sa naissance, se voit attribuer un métier correspondant à son patrimoine génétique. Le héros est défini comme une sorte d’Untermensch, comme on disait dans un autre monde. Or, son rêve est d’être astronaute. Il se bat pour cela tout au long du film et il finit par réussir. Son identité génétique l’a enfermé dans une réalité qu’il ne reconnaît pas comme sienne et qu’il combat.

Pour moi, être un homme, c’est sortir de son déterminisme. Lorsqu’on me dit qu’Abraham est juif, je réponds qu’il est hébreu. Or, le mot « hébreu » vient de avar, qui signifie « passer de l’autre côté, traverser ». Abraham, en passant de l’autre côté du fleuve, est sorti de son déterminisme.

Chaque homme, qu’il soit ou non enfant d’Abraham, peut sortir de son déterminisme. Graver dans le marbre du génome le déterminisme d’un homme ou d’une femme, c’est insulter sa capacité à se transformer, donc à transformer le monde. Être mis dans une case et ne plus jamais en sortir est la pire chose qui peut arriver à chacun de nous.

Je voudrais conclure sur ce point important qu’est l’éthique de la vulnérabilité. On débat parfois de grandes idées en oubliant la réalité de la vie quotidienne. Je me souviens d’une scène émouvante que j’ai vécue avec les membres du CCNE : une infirmière nous a raconté l’histoire d’un jeune homme atteint du sida. Après une période de traitement à l’hôpital, il a été renvoyé chez lui. Or, chez lui, c’était la rue. Elle nous a dit une chose terrible : en tant que malade, on s’est occupé de lui, mais en tant qu’être humain, on n’a rien fait… Il y a là un aspect tragique de notre société. On peut réfléchir à la bioéthique et à de grandes questions qui traversent à grand bruit la conscience de la Nation, mais on ne devrait pas accepter, parce qu’elle s’accroît à bas bruit, de banaliser la vulnérabilité de certains d’entre nous.

La Bible nous dit, dans le Deutéronome : « Voici : je place devant toi la vie et je place devant toi la mort, et tu choisiras la vie ». Si la Bible en fait mention, c’est que ce n’est pas aussi évident que cela semble. Faire le choix de préserver la pulsion de vie et de lui donner sens en permanence exige une action quotidienne, et presque un débat permanent. C’est la responsabilité des élus de la Nation, des forces spirituelles et morales, mais également de chacun de nous. Personne ne peut dire « Je m’en lave les mains » et en laisser la responsabilité à d’autres. Chacun doit apporter sa contribution et c’est ce que modestement le judaïsme, comme les autres religions, essaie de faire aujourd’hui.

M. le président. Je constate que M. Mohammed Moussaoui ne nous a pas rejoints. Je donne la parole à M. Xavier Lacroix, philosophe, théologien, professeur d’éthique à l’université catholique de Lyon, membre du CCNE.

M. Xavier Lacroix. Pour commencer, je prendrai le contre-pied d’un lieu commun : la position de l’Église catholique sur ces questions ne se résume pas à une série de « non », mais à un « oui » fondamental à la médecine, à la recherche, aux multiples formes de thérapie. En 1983, le pape Jean-Paul II affirmait : « La médecine est une forme éminente, essentielle, du service de l’homme ».

L’Église approuve sans réserve les grands principes mis en œuvre actuellement dans le droit français, comme celui de l’indisponibilité du corps humain, corrélatif de celui de dignité de la personne appelant le consentement éclairé. Elle se réjouit de voir progresser la recherche en maints domaines, tout particulièrement celui des cellules souches non embryonnaires.

L’Église ne se prétend pas porteuse d’un savoir particulier, d’une science supplémentaire. Sa fidélité à l’Écriture et à la tradition est surtout un appel à la vigilance. Cette vigilance consiste à attirer l’attention sur certaines dimensions de la dignité humaine qui peuvent être perçues par l’intelligence, mais que les pressions culturelles et sociétales peuvent conduire à négliger.

Son intuition centrale est celle de l’unité de la personne humaine. Dès son origine, l’Église s’est opposée aux différentes formes de dualisme qui dissocient le corps et l’esprit. Ce dualisme réapparaît de nos jours chaque fois que le corps humain, même en son commencement, est perçu comme un instrument au service de visées techniciennes, fussent-elles médicales. De la reconnaissance de ces deux principes – dignité et unité de la personne humaine – découle l’affirmation du respect qui est dû à la vie humaine à tout stade de son développement, même lorsque l’autonomie de la personne est très faible ou quasi-nulle.

À ces deux principes s’en ajoute un troisième : la cohérence de la filiation. Le fait qu’un enfant naisse de l’union de deux corps ou au moins de deux cellules – l’une masculine, l’autre féminine – est chargé de sens et de valeur. Les trois dimensions – biologique, sociale et affective – de la filiation ne doivent pas être dissociées a priori. Dans une culture et une civilisation où la dimension interpersonnelle des liens familiaux est mise en avant, ce dont nous nous réjouissons, il est de la responsabilité du législateur de soutenir l’institution qui assure la cohérence entre ces liens. Puisque ce sont des liens qui sont en jeu, ils sont nécessairement institués, et l’on ne peut s’en tenir au principe anglo-saxon, de plus en plus prégnant dans notre pays, du « libre choix individuel ». Le lien social passe par la sauvegarde d’un socle anthropologique commun.

S’agissant de l’assistance médicale à la procréation (AMP), je ne reprendrai pas l’ensemble du dossier qui, comme vous le savez, suscite des réserves de principe et de fond de la part du magistère catholique, me limitant à deux point sur lesquels le débat est ouvert.

Tout d’abord, l’accès à l’assistance médicale pour les personnes célibataires. L’exigence de deux ans de vie commune, bien que légère et fragile, avait au moins le mérite de rappeler que l’enfant, né d’une union, a intérêt à être élevé par un couple, en principe le couple parental. À ce titre, je rappelle l’article 7 de la Convention internationale des droits de l’enfant : « Dans la mesure du possible, l’enfant a le droit de connaître ses origines, ses parents, et d’être élevé par eux ».

Un principe me paraît très important : une chose est de gérer des situations de fait, une autre est d’instituer. Prévoir a priori dans le droit qu’une personne isolée puisse avoir recours à l’AMP reviendrait, j’ose le dire, à établir une discrimination entre les enfants. Ce serait légitimer le fait que des milliers d’enfants pourraient être privés d’un bien élémentaire, celui d’avoir un père et une mère.

L’ouverture de l’AMP aux couples homosexuels poserait le même problème. La problématique partirait des scénarios imaginés par l’affectivité des adultes, et non de l’intérêt de l’enfant. Nous savons très bien, et la littérature psychologique la plus rigoureuse surabonde en ce sens, ce qu’un enfant doit au fait d’être élevé par un homme et une femme, dans un jeu subtil d’identifications à l’un puis à l’autre. L’évocation lointaine et brumeuse d’enquêtes statistiques, généralement américaines – que personne n’a lues mais qui prouveraient que les enfants élevés dans d’autres cadres n’ont pas plus de problèmes psychologiques que les autres, si tant est que cela ait un sens – ne peut remplacer cette connaissance précise. J’ai moi-même publié, et je ne suis pas le seul, des critiques sévères de ces enquêtes dont tous ceux qui les ont étudiées reconnaissent qu’elles ne prouvent strictement rien. En vérité, toute dissociation entre les différentes dimensions de la parenté – biologique, sociale, affective – introduit autant de discontinuités et de ruptures dans la vie de l’enfant.

Le droit doit être garant de la cohérence et de la lisibilité de la filiation, j’insiste sur ce point. Le brouillage de la signification des mots "père" et "mère", qui verraient leur sens se diluer, ne nous paraît pas, à nous catholiques, être une attitude socialement responsable.

En ce qui concerne les mères porteuses ou de substitution, la légalisation de la maternité de substitution, désormais appelée gestation pour autrui – en vue de faire appel aux bons sentiments – poserait problème quant au bien de l’enfant, à celui de la femme, et du point de vue de la règle de droit. Nous refusons d’ériger en principe le fait que, selon les mots d’une ministre, « l’enfant grandisse dans le cœur d’une femme et dans le ventre d’une autre ». Cela reviendrait à dissocier la dimension relationnelle et la dimension charnelle de la maternité. La grossesse est le temps d’une relation extrêmement intime entre la mère et l’enfant, d’une interaction sans nulle autre pareille entre deux organismes. On tremble à l’idée d’une grossesse sans attachement. L’abandon prévu par contrat correspondrait à une rupture dans l’histoire de l’enfant et à une instrumentalisation du corps de la femme. Les principes de gratuité et d’anonymat ne pourraient être respectés. J’ajoute que son encadrement juridique ne supprimerait pas, contrairement à ce que certains croient, les complications, imbroglios, voire calculs cyniques, comme l’ont montré les faits qui se sont déroulés dans un pays voisin, la Belgique.

La gestation pour autrui conduirait à une redéfinition profonde de la maternité, et par là de la famille, lourde de conséquences, et qui ferait de la dissociation un principe.

J’en viens à la question la plus délicate qu’est la recherche sur l’embryon. Sur ce point, l’Église affirme sa conviction, partagée par tous mes interlocuteurs : il faut préserver la dignité de l’embryon. À plusieurs reprises, le CCNE a explicité ce principe, notamment dans son avis n° 8, que je cite : « L’embryon humain, dès la fécondation, appartient à l’ordre de l’être et non de l’avoir, de la personne et non de la chose ou de l’animal. Il devrait éthiquement être considéré comme un sujet en puissance, comme une altérité dont on ne saurait disposer sans limite et dont la dignité assigne des bornes au pouvoir ou à la maîtrise d’autrui ».

En 2001, il affirmait, dans un avis concernant la précédente révision des lois de bioéthique, que « la position de fond défendue par le Comité consiste à reconnaître l’embryon ou le fœtus comme une personne humaine potentielle, dont le respect s’impose à tous ».

L’Église catholique affirme cette limite plus radicalement que la plupart des autres courants de pensée, car elle pense que le corps et la personne sont indissociables – c’est le principe d’unité que j’ai évoqué. Si elle ne s’est jamais prononcée officiellement sur le statut ontologique de l’embryon, elle affirme qu’il est à tout le moins un corps humain commencé, un « corps embryonnaire », selon l’expression de la dernière instruction romaine. À ce corps doit s’appliquer le principe de l’indisponibilité.

Beaucoup mettent en avant la notion de « projet parental ». Ce dernier donnerait à l’embryon un statut humain ou une dignité de sujet, et cela a parfois été dit explicitement… Cette position n’est pas tenable ! Qui pourrait accepter qu’une ou deux personnes décident de l’appartenance ou non d’un être à l’espèce humaine ? C’était, hélas, pratique courante au temps de l’esclavage… En vérité, ainsi que le déclarait Jean-Paul II, « il ne revient pas à l’homme de déterminer le seuil d’une humanité ».

Sur le fond, l’Église est donc opposée à toute instrumentalisation ou « chosification » de l’embryon – ou de cellules susceptibles de donner vie à un nouvel embryon. Elle interroge la conscience citoyenne sur la demande actuelle d’ouvrir la recherche sur les cellules souches embryonnaires à l’industrie pharmaceutique, voire cosmétique.

En amont de cette question, l’Église déplore le fait que la fécondation in vitro, dans notre pays comme dans quelques autres – ce n’est pas le cas en Allemagne – s’accompagne presque toujours de la production d’embryons surnuméraires, qui seront voués à la destruction. Là est le problème le plus grave, qui est à l’origine de la plupart des autres.

En pratique, s’il s’avérait que le maintien des actuelles dérogations était inévitable pour la recherche, nous préférerions un système qui rappelle l’interdit fondamental et présente les exceptions comme une transgression. Il y a en effet une grande différence entre le fait de dire qu’une pratique est légitime, fût-ce dans un cadre très limité, et dire qu’elle est en principe interdite mais autorisée par dérogation. Maintenir l’interdit de principe rappelle l’essentiel, à savoir que l’embryon n’est pas une chose. Le minimum éthique nous semble être de faire en sorte que la transgression apparaisse comme telle.

Cette manière de légiférer serait la seule cohérente avec l’esprit et la lettre de la loi française, qui affirme le principe du respect de la vie humaine dès son commencement. Je rappelle que l’article 16 de notre code civil énonce que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ».

Je suis conscient du risque, parfois dénoncé, d’être fascinés par la vie en ses commencements et en sa fin, au détriment de l’histoire de la personne. Mais ce risque n’est pas automatique, car prêter attention à ces deux formes de fragilité n’est pas exclusif de l’attention à d’autres formes de détresse. Au contraire : dans le regard porté sur la vie en ses commencements et en sa fin, on discerne des options fondamentales, qui trouvent des échos en d’autres domaines. On voit quelles conséquences éthiques aurait le fait de lier la notion de dignité à des performances intellectuelles, relationnelles, bref sociales. Comme le disait le père Olivier de Dinechin, « les critères que vous prenez quant au début de la vie, vous les prenez aussi pour les vies nées ».

Cela implique une ultime exigence de vigilance, qu’on pourrait appeler principe de vulnérabilité – ce terme que nous aurons tous trois employé. C’est à partir des situations de plus grande vulnérabilité que l’inspiration chrétienne interprète l’existence : l’enfant, le vieillard, le malade, la personne handicapée ou dépendante, l’enfant à naître. Le sort fait aux personnes en situation de grande fragilité sera notre critère de jugement éthique prioritaire. Ici comme ailleurs, selon le mot de l’abbé Pierre, l’Église catholique (et au-delà, je pense) est appelée à être « la voix des sans voix ».

M. le rapporteur. Il n’est pas étonnant de trouver des convergences entre les pensées des religions monothéistes – bien que nous n’ayons pu entendre le représentant du culte musulman, et j’espère que nous pourrons y remédier.

L’éthique se trouve souvent à la rencontre de valeurs qui peuvent paraître contradictoires. Si tout le monde s’accorde – même les agnostiques – sur la nécessité de réaffirmer la dignité humaine, sur l’idée que l’embryon n’est pas une chose, et sur le refus de considérer le corps comme une marchandise, en revanche, une question comme celle du diagnostic préimplantatoire reste une source de conflits. Prenons l’exemple d’un couple potentiellement porteur d’une maladie grave et incurable, qui sera presque inéluctablement transmise à sa descendance. La science a-t-elle le droit de manipuler le matériel génétique de cet embryon, né de l’altérité d’un homme et d’une femme et d’un projet parental ? Dans ce cas, la réponse peut sembler presque évidente.

Mais imaginons que la maladie soit grave mais pas incurable, ou que le risque de la développer soit élevé, mais sans certitude, et par conséquent que la mort de cet enfant ne soit pas inéluctable. Où placer le curseur pour répondre à ces personnes qui ne demandent pas un enfant idéal, mais tout simplement un enfant qui vivra ? Où placer le curseur pour éviter que demain, un couple ne vienne demander un garçon plutôt qu’une fille, un enfant intelligent plutôt qu’un idiot, grand plutôt que petit… autrement dit, un enfant rêvé ?

Face à de telles situations, les religions sont porteuses de valeurs, de principes issus de la foi, mais n’y a-t-il pas lieu, dans des situations comme celle que j’ai évoquées, de transgresser, non pas tous les principes, mais chaque fois une valeur au profit d’une autre ? La solution la moins mauvaise n’est-elle pas d’engager un débat contradictoire et de répondre au cas par cas, au lieu de recourir à des certitudes dogmatiques ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. L’interruption volontaire de grossesse constitue une dérogation à l’article 16 du code civil, au motif qu’il existe un intérêt supérieur à la poursuite de la vie commencée. Existe-t-il, pour les dizaines de milliers d’embryons conservés dans les congélateurs, un intérêt supérieur qui conduit à les proposer à la recherche, et qui permettrait de déroger à l’article 16 ?

M. le rapporteur. Je voudrais poser une question volontairement perverse : y a-t-il, à vos yeux, une différence entre la recherche sur une cellule prélevée sur un embryon et la recherche sur l’embryon lui-même ?

M. Haïm Korsia. Je vous remercie de rendre hommage aux religions pour les valeurs qu’elles portent, mais elles aussi savent faire preuve, tout simplement, de bon sens ! (Sourires) Il faut regarder chaque cas avec beaucoup de réalisme car il s’agit toujours d’histoires différentes. Il est évident que si l’on est capable de traiter directement le gène, il faut le faire. Vous avez volontairement cité des cas extrêmes, M. le rapporteur, mais vous savez bien, en tant que médecin, que déjà certaines demandes sont aberrantes ! On m’a parlé d’un couple qui voulait mettre au monde un futur footballeur ! Il en va de même dans le domaine de la fin de vie. Des infirmières m’ont raconté le cas d’une famille qui demandait que le cas du grand-père « soit réglé avant les vacances ». C’est stupéfiant ! Il faut que quelqu’un intervienne et fasse appel non aux valeurs bibliques, mais au simple bon sens des personnes pour qu’elles comprennent ce qui est important dans ce qu’elles vivent.

Je maintiens qu’il y a un risque à donner un outil aux familles sans anticiper les conséquences qu’elles en tireront et il est clair qu’elles ne resteront pas inactives face à une information médicale. Seule la foi ou un amour débordant pour l’enfant à venir les dissuaderait de recourir à l’interruption volontaire de grossesse.

Mon épouse est sage-femme. Un jour, elle a présenté un enfant trisomique à son père. Celui-ci s’est écrié : « Je n’en veux pas ! ». Depuis elle a cessé d’exercer ce métier, ne pouvant plus supporter de telles souffrances. Lorsqu’on touche à ce que l’homme a de plus intime, il faut faire preuve de bon sens et de beaucoup d’humanité.

M. Xavier Lacroix. « Transgression » et « dérogation » sont des notions difficiles. C’est le cas également de la question du rapporteur, qui renvoie à une décision personnelle, prise en toute conscience. Il faut distinguer le contexte de la décision personnelle et le cadre de la loi. Personne ne peut prendre la décision à la place du couple qui se trouve face à une terrible maladie. Mais nous sommes ici pour aider le législateur, et la loi doit poser des limites et un cadre général.

Où placer le curseur ? Nous sommes tous opposés à l’acte infanticide sur un nouveau né. Se poser la question pour l’enfant à naître, c’est donc avoir un point de vue ontologique sur l’embryon et considérer qu’il est moins grave de détruire un embryon qu’un enfant déjà né ; il faut déjà être conscients de cette option. La loi doit positionner le curseur. Elle le fait, en choisissant le compromis. Mais la plus grande vigilance s’impose, car il y a un risque évident d’eugénisme. En effet, le nombre de maladies et d’affections qui peuvent être dépistées ne cesse de croître – mucoviscidose, chorée de Huntington, hémophilie, myopathie, handicaps mentaux, cancers du côlon et du sein… Si nous ne fixons pas des limites strictes, la tentation de l’eugénisme, c’est-à-dire de sélection selon des critères subjectifs, est inévitable. Le diagnostic prénatal de la trisomie conduit déjà, dans plus de 90 % des cas, à une interruption médicale de grossesse, et savez-vous qu’en Angleterre, une association de sourds demande qu’il soit possible d’utiliser le diagnostic préimplantatoire pour permettre aux parents atteints de surdité de ne donner la vie… qu’à des enfants sourds ? On voit bien quelles dérives pourrait amener une telle pratique.

Au-delà de la conscience individuelle, la religion intervient en tant que source d’espérance et de foi. Mais il n’en va pas de même de la loi, qui se doit de poser des limites et d’éviter les dérives.

J’en viens à la dérogation. On peut dire que la loi Veil est une dérogation puisqu’elle maintient l’interdit, même si elle permet d’y déroger. On pourrait la résumer en disant qu’elle interdit l’avortement sauf avant dix semaines de grossesse, dans les cas de détresse et sous certaines conditions bien précises. Pour moi, le fait d’affirmer un interdit correspond à un minimum d’éthique, quitte à laisser les chercheurs considérer qu’un intérêt supérieur justifie une dérogation. Mais nous sommes ici pour faire un travail législatif, et je préfère un système basé sur l’interdit et les dérogations à celui qui consiste à accorder une autorisation a priori.

M. Haïm Korsia. Cette analyse me paraît juste. Savez-vous que notre pays est le troisième exportateur d’armes au monde ? Pourtant notre législation interdit les exportations d’armements « sauf »… Il a fallu mettre en place la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) chargée, au cas par cas, d’autoriser ces exportations.

Je voudrais évoquer un autre risque du diagnostic préimplantatoire. J’ai appris récemment qu’il était possible désormais de déceler la schizophrénie potentielle. Quelle peut être la décision de futurs parents à qui l’on apprend que leur enfant sera schizophrène et qui, naturellement, ont vu un film terrible sur un schizophrène qui devient un assassin ? On devine cette décision. Pourtant, utiliser le diagnostic préimplantatoire pour cette maladie, c’est une manière de dire aux schizophrènes qu’ils sont des personnes dont l’humanité est moindre et que, si on le pouvait, mieux vaudrait se débarrasser d’eux…

Il est important de toujours mesurer les conséquences de nos décisions. Imaginons que nous soyons victimes d’une pandémie de grippe aviaire et qu’il soit nécessaire d’établir la liste des personnes à vacciner en priorité du fait de leur utilité – par exemple les rabbins, les prêtres et les députés ! (Sourires) Mais, sortie du contexte de l’épidémie, cette liste apparaîtra comme celle des personnes vraiment utiles à la société, ce qui implique que toutes les autres sont inutiles ! Baser l’humanité d’un homme sur son utilité est un concept très dangereux. Or, si l’on pousse à l’extrême la théorie du diagnostic préimplantatoire, c’est à quoi l’on arrive.

Quant aux embryons surnuméraires, ils se trouvent dans une sorte de no man’s land. Faut-il permettre à un autre couple de les utiliser, les détruire ou les destiner à la recherche ? En réalité, nous ne savons pas quoi en faire.

Le judaïsme reconnaît deux temps forts au cours de la grossesse : le premier se situe le quarantième jour après la conception, et le second – que le législateur avait intuitivement compris, jusqu’à la dernière révision de la loi relative à l’avortement, qui a accru le délai légal pour celui-ci de deux semaines – correspond au moment où l’embryon acquiert une forme humaine, c’est-à-dire trois mois. En général, les embryons sont prélevés dès le début de la grossesse, et cela ne nous pose pas de problèmes. Dès lors que nous permettons la recherche, nous préférons que les embryons aient une utilité au lieu d’être simplement détruits.

La question qui se pose dépasse le cadre de la loi : il s’agit de la déontologie du chercheur. On peut voter autant de lois qu’on veut, sans déontologie, un chercheur ira toujours plus loin. Il a besoin d’un cadre légal pour pratiquer ses recherches, mais on ne peut encadrer ce qui n’existe pas encore ! Le Talmud le dit mieux que moi : « Nul ne peut témoigner sur ce qui est à venir ». Ne pouvant imaginer ce qui n’a pas encore été découvert, il faut laisser aux chercheurs une marge d’appréciation qui n’en ferait pas des apprentis sorciers, mais des gardiens de l’humanité.

M. Xavier Lacroix. L’Église tient à rappeler que l’embryon est un être humain commencé, puisque le corps ne doit pas être dissocié de la personne. Les seuils de quatorze et de quarante jours sont respectables, mais pour nous, le continuum est primordial. L’embryon étant un corps humain commencé, il doit être respecté et nous n’acceptons pas qu’il soit instrumentalisé. J’ai entendu des chercheurs, pourtant intelligents et pleins de bonne volonté, dire que c’est en le rendant utile qu’on le rend humain. Cet argument n’est pas monstrueux, mais nous ne pouvons pas l’accepter, car il présente un grand risque de dérives. Au XVIIIème siècle, dans les plantations de rhum, les esclaves étaient utiles ! Le fait de faire de l’homme un objet est inacceptable. Si l’utilité de la recherche médicale est évidente, elle ne saurait légitimer certaines pratiques – nous avons connu de terribles précédents durant la dernière guerre. Nous sommes ici pour le rappeler.

M. Didier Sicard. Je partage a priori tout ce qui vient d’être dit. Il est naturel que la médecine prédictive cherche à étendre son champ d’investigations et sa connaissance du gène, même si cela peut sembler parfois illusoire.

La question de savoir où l’on doit placer le curseur est relativement simple : il suffit de faire appel au bon sens, comme l’a suggéré M. Haïm Korsia. Lorsque le diagnostic préimplantatoire permet à des dizaines d’enfants d’échapper à une maladie rare ou orpheline, il n’est nullement question de le censurer. En revanche, faut-il l’étendre à la simple prédisposition à d’autres maladies ? Cela comporte trois écueils. Le premier est le risque de discrimination – il pourrait sembler que les personnes atteintes d’hémophilie ne soient plus des citoyens à part entière. Le second est qu’un gène délétère peut s’avérer ultérieurement favorable – c’est le cas de certains gènes mutés, qui protègent du sida. Il serait tragique pour une société de considérer qu’elle est parvenue à une parfaite connaissance de la normalité génétique. Troisième écueil : a-t-on le droit, au XXIème siècle d’empêcher la naissance d’un enfant dont on pourra peut-être assurer la guérison vingt ans plus tard ? Il faut donc limiter le diagnostic préimplantatoire à ce qui est uninimement considéré comme une tragédie et non un « risque » de tragédie...

Mme Suzanne Rameix, philosophe, membre du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. Selon vous, M. le Grand rabbin, faut-il une loi très précise, ou au contraire une loi-cadre, son application étant confiée par exemple à l’Agence de la biomédecine ? Vous dites – et cela renvoie à une problématique analogue – que, dans votre tradition, la loi écrite est complétée par la loi orale. Mais qui définit cette dernière ? Est-ce que tout membre de la communauté peut y concourir ou est-ce réservé à ceux qui ont une formation particulière, ou qui sont reconnus par la communauté ? Par ailleurs, si des divergences surviennent, quelle est l’instance qui décidera en dernier recours ?

M. Haïm Korsia. C’est une excellente question, qui se trouve au cœur même de ce que je souhaite vous dire. Le Talmud nous apprend que deux grands rabbins, Hillel et Chammaï – d’où le verbe "se chamailler" – s’opposaient sans cesse. Un jour, quelqu’un demande si, au ciel, l’un aura toujours raison et l’autre toujours tort. Voici la réponse : non, car la parole de l’un et la parole de l’autre sont la parole du Dieu vivant.

C’est ainsi que notre bon code civil a attendu deux siècles pour être toiletté, cependant que la jurisprudence a adapté les principes de notre droit à la réalité quotidienne. La Bible n’évoque pas la procréation médicalement assistée, mais le Talmud y trouve des principes qui servent de référence. La Bible date d’environ 3 500 ans, le Talmud de 1 500 ans, et le Codex de quelques siècles, mais ce sont toujours les mêmes principes qui sont en jeu. Avons-nous réellement besoin de trancher ? Je pense qu’il faut simplement définir un consensus. Or, dans un débat, le consensus ne s’obtient qu’en acceptant les idées opposées. Je prendrai un exemple : nous n’acceptons pas de commercialiser le corps, mais nous manquons d’ovocytes, alors ne peut-on faire une exception ? Certains souhaitent que l’on puisse répondre à une demande ponctuelle, quitte à faire tomber le tabou qui s’attache à la commercialisation du corps, et d’autres veulent conserver un principe intangible. Je pense pour ma part qu’il faut éviter de recourir à des solutions ponctuelles et qu’il est préférable de conserver des grands principes.

Tout l’art de construire une loi consiste à prévoir la façon dont elle sera appliquée – c’est pourquoi il est si difficile de mettre en œuvre les décrets d’application, bien souvent morts-nés. (Sourires.)

M. le président. Pour le diagnostic préimplantatoire, nous avons attendu les décrets d’application près de quatre ans…

M. Xavier Lacroix. Je savais que quelqu’un poserait la question de la loi-cadre. Je suis favorable à une loi, qui n’entre pas trop dans les détails et ne soit donc pas révisable tous les cinq ans, ce qui risque d’entraîner un phénomène d’usure et de donner à penser que ce qui est refusé aujourd’hui pourra être accepté dans cinq ou dix ans. À condition toutefois que l’on ne considère pas comme des « détails » des points qui n’en sont pas, comme l’accès à l’AMP, le modèle parental, la définition de la filiation ou encore le respect de l’embryon. S’agissant des enjeux anthropologiques, la loi doit se positionner clairement et éviter de donner un pouvoir exorbitant à l’Agence de la biomédecine qui, étant composée d’experts et non d’élus, n’est pas le lieu d’un débat citoyen.

M. le président. Souhaitez-vous que le Préambule de la Constitution fasse mention de la bioéthique ?

M. Xavier Lacroix. A priori, non !

M. Didier Sicard. La France, et nous nous en réjouissons, dispose d’une loi républicaine qui donne un sens à ces questions. La loi-cadre a une portée pédagogique, visant essentiellement à mettre en question telle ou telle pratique médicale. La loi doit donner à la société les moyens d’avoir confiance en son avenir. Je ne crois pas que l’inscription dans le marbre de la Constitution de la bioéthique soit utile. Son risque serait de refermer le débat qui doit rester ouvert.

M. Haïm Korsia. En matière éthique, il m’est difficile de donner une réponse définitive car il est important de douter et de rester dans un questionnement. Si la loi a pour finalité d’apporter des réponses, elle risque d’être rapidement périmée. Cela nous donne des pistes de réflexion. Pourquoi ne créeriez-vous pas une toute petite cellule, composée de quelques membres de votre mission, chargée de suivre en permanence l’application de la loi, éventuellement en collaboration avec le CCNE ?

M. le président. C’était le rôle initial de l’Agence de la biomédecine, chargée de présenter un rapport annuel sur l’évolution et l’application de la loi.

M. Haïm Korsia. C’était l’objet du rapport remis par Alain Cordier en 2008. Mais Xavier Lacroix a raison : l’Agence est faite d’experts et est très centrée sur le monde des praticiens. Il est important de disposer d’un lieu où peut se poursuivre le débat.

Le judaïsme célèbre la fête de la Torah. Ce jour-là, on lit successivement deux versets de la Bible. On lit la fin du Pentateuque, qui évoque la mort de Moïse, et aussitôt après le début de la Genèse : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre ». Car pour nous, la lecture de la Bible n’a pas de fin. De la même manière, la finalité de la loi pourrait être non d’apporter un point final au débat, mais d’ouvrir ce débat.

M. le président. Cela m’amène à demander au rapporteur ce que deviendront les États généraux après le mois de juin ?

M. le rapporteur. Je vais tenter à mon tour de faire coïncider le commencement et la fin… Le Président de la République a voulu, sur ces questions, un débat populaire et citoyen, et non un débat d’experts. Il ne s’agit pas de demander aux gens s’ils sont pour ou contre telle ou telle disposition, mais de faire émerger des questions que nos concitoyens pourront s’approprier. Je les invite donc, dans les synagogues, les temples, les églises et les mosquées, mais également dans tous les espaces publics, à réfléchir à ces questions essentielles. Il est important, dans notre République laïque, que les religions fassent entendre leur voix. Je vous invite à participer à ce débat et à poser des questions susceptibles d’enrichir la réflexion de tous les hommes de bonne volonté.

M. le président. Je vous remercie.

Audition de M. Jean-François MATTEI, président
de la Croix-Rouge française,
responsable de l’Espace éthique méditerranéen



(Procès-verbal de la séance du 27 janvier 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Jean-François Mattei, président de la Croix-Rouge française et responsable de l’Espace éthique méditerranéen.

M. Jean-François Mattei. C’est avec un grand plaisir que je me retrouve parmi vous, dans un nouveau rôle, que je tenterai d’assumer avec le plus de conviction possible.

L’expression « loi de bioéthique » me paraît tout d’abord inadaptée et réductrice. En effet, le terme « bioéthique » fait référence à l’éthique au regard des progrès en biologie. Or les questions abordées, concernant notamment le secret, l’accès aux origines et le consentement, vont au-delà de cette discipline. En outre, cette expression est réductrice dans la mesure où elle donne à penser que seules relèvent de la bioéthique les questions relatives à la transplantation, à l’assistance médicale à la procréation et à la génétique. Or, avant ou après l’adoption de la loi de 2004 relative à la bioéthique, appelée ainsi à mon corps défendant, plusieurs textes ont été adoptés sur la fin de vie, l’accouchement sous X et l’accès aux origines, sans oublier la loi ayant mis fin à la jurisprudence Perruche. C’est ainsi qu’au sujet de la proposition de loi relative aux recherches biomédicales présentée par Oliver Jardé, Le Journal du Dimanche du 22 janvier 2009 titre : « Bioéthique : une loi pour encourager la recherche ». Le terme « bioéthique » prête donc à confusion dans l’opinion publique. Je rappelle au passage que les premières lois dites « de bioéthique », adoptées en 1994, étaient au nombre de trois : la première, portée par le garde des sceaux, modifiait le code civil ; la deuxième, portée par le ministre de la santé, modifiait le code de la santé publique ; la troisième, portée par le ministre de la recherche, modifiait la législation relative à l’informatique et aux libertés.

Je n’ai pas non plus été suivi par la majorité des députés, en 2004, à propos de la révision de la loi dans un délai de cinq ans. Prévoir de réviser cinq ans plus tard des dispositions ayant une incidence sociale importante, comme celles de la loi de 1975, ou encore des dispositions très novatrices pour la recherche, telles que celles concernant l’embryon, adoptées en 2004, me paraît une démarche prudente. En revanche, s’engager dans une démarche rituelle, tous les cinq ans, à l’occasion de chaque adoption d’une loi de bioéthique, me paraît dangereux car de nature à affaiblir les principes reconnus en leur conférant une valeur provisoire. Je remarque à cet égard que les lois de 1994 ont été révisées, non en 1999, mais en 2004, pour plusieurs raisons conjuguées : il était difficile d’élaborer des décrets novateurs sur l’accueil de l’embryon ou le diagnostic préimplantatoire (DPI) ; la question du clonage est apparue ; d’autres thèmes ont émergé. Si la date de révision est fixée à l’avance, on aura tendance à traiter par anticipation des sujets qui ne sont pas encore arrivés à maturité ou à attendre l’échéance pour légiférer sur des sujets pourtant arrivés à maturité. Enfin, la révision régulière conduit à rouvrir tous les chapitres. Or je ne suis pas sûr que tous les sujets des lois de 1994, révisées en 2004, soient confrontés à des nouveautés.

J’ai beaucoup entendu parler de « lois-cadres », notamment au Comité consultatif national d’éthique (CCNE). À cet égard, permettez-moi de vous lire un extrait de la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1994 sur les lois de bioéthique :

« Considérant que lesdites lois énoncent un ensemble de principes au nombre desquels figurent la primauté de la personne humaine, le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, l’inviolabilité, l’intégrité et l’absence de caractère patrimonial du corps humain ainsi que l’intégrité de l’espèce humaine, que les principes ainsi affirmés tendent à assurer le respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ;

« Considérant que l’ensemble des dispositions de ces lois mettent en œuvre en les conciliant et sans en méconnaître la portée, les normes à valeur constitutionnelle applicables […] ».

Ne s’agit-il pas à l’évidence de la description d’une loi-cadre à portée constitutionnelle ? Soit dit en passant, le Conseil constitutionnel a reconnu une valeur constitutionnelle aux principes de respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, et d’absence de caractère patrimonial du corps humain.

J’évoquerai trois sujets, portés par les médias et repris en écho : l’anonymat du don de gamètes ; les recherches sur l’embryon et les cellules souches ; la gestation pour autrui.

Le premier sujet, celui de l’anonymat des gamètes, est controversé et donne lieu à des tensions éthiques. Il a été abordé en même temps que le problème de l’accouchement sous X. L’accès aux origines est une question latente qui exprime avec force le débat de société entre, d’une part, l’inné, le biologique, et, d’autre part, l’acquis, l’affectif.

Les donneurs ont l’intention de donner, mais aucunement celle d’assumer la paternité, quand bien même celle-ci serait-elle réduite à la connaissance de leur identité. On n’entend qu’un cas sur mille, celui de l’enfant qui écrit un livre, alors que les 999 autres ne disent rien. Lever l’anonymat serait ouvrir la boîte de Pandore. Nous risquerions de voir le nombre de dons baisser ou, à tout le moins, voir le profil psychologique des donneurs changer : il s’agirait davantage de personnes se considérant avant tout comme d’excellents reproducteurs ; en outre, des considérations financières apparaîtraient pour répondre aux besoins. Par ailleurs, il faudrait s’assurer que chaque enfant naît d’une insémination artificielle, car il est arrivé qu’une femme recoure à une insémination artificielle mais que l’enfant soit d’un autre homme qu’elle aime. Au surplus, dans la vie quotidienne, nombre d’enfants ne sont pas du père présumé. La reconnaissance absolue des origines conduirait à l’utilisation systématique des empreintes génétiques, à chaque naissance. Je ne suis pas sûr que toute la vérité favorise la paix des ménages.

J’ai longtemps pensé que le double guichet était une bonne idée. Mais, après réflexion, j’ai changé d’avis car il entraînerait une discrimination : certains enfants auront été conçus grâce à l’insémination du sperme d’hommes qui ne veulent pas donner leur identité, tandis que d’autres auront accès à leurs origines. La moins mauvaise solution est en conséquence le maintien de l’anonymat.

Il faudrait sans aucun doute améliorer grandement la communication de données génétiques et médicales non identifiantes, afin de permettre à l’enfant de bénéficier de prévention et de prévoyance, encore que cela s’impose moins que pour l’accouchement sous X, les donneurs étant sélectionnés pour leurs qualités génétiques.

Ainsi, faute de solution satisfaisante, il faut retenir la moins mauvaise, et il faut s’en accommoder.

Sur le deuxième sujet, il convient de distinguer la recherche sur l’embryon pour l’embryon et la recherche sur l’embryon pour d’autres finalités. Je suis favorable à la première car l’embryon, à mon sens, est un patient potentiel ; il sera reconnu demain en tant que tel, comme le fœtus l’est aujourd’hui, et je trouverais paradoxal qu’il soit privé de l’accès à la médecine du fait de sa reconnaissance comme être humain. Tenant compte de la situation particulière des embryons sur lesquels seraient conduits des essais, il faut mettre au point des méthodes diagnostiques et thérapeutiques, et mieux comprendre les raisons de stérilité, d’avortements répétés, de troubles de développement, voire de certains processus cancéreux. Il est impensable que l’embryon soit une terre inaccessible pour la recherche s’il s’agit d’améliorer son sort. Les chercheurs devraient être plus attentifs à ces sujets.

Mais je suis beaucoup plus réservé sur la recherche utilisant l’embryon. Je pense en définitive que la question est beaucoup plus simple qu’on ne le dit. D’abord, la préoccupation de départ est tout à fait légitime : vouloir remplacer chez un patient des cellules vieillies et malades par des cellules jeunes et normales est une superbe hypothèse de thérapie cellulaire que l’on ne peut méconnaître. Ensuite, la question de l’origine des cellules se pose : elles peuvent être embryonnaires, avec une référence au clonage thérapeutique ; d’origine adulte, même si cette question semblait plus problématique en 2004, dans la mesure où les recherches sur ces cellules étaient quasiment considérées comme ne pouvant aboutir par rapport à celles portant sur les cellules embryonnaires ; enfin, les cellules prélevées sur le cordon ombilical – je ne comprends d’ailleurs pas que les recherches sur ces dernières n’aient pas été plus développées car elles présentent un grand potentiel.

En 2004, je me suis inspiré de la loi de 1975 relative à l’avortement : il s’agissait en effet de poser l’interdit fondateur – la vie doit être respectée dès le commencement – mais, en admettant, dans un certain nombre de situations, des dérogations possibles. J’étais en effet absolument persuadé qu’il fallait pour un temps accéder à ces cellules embryonnaires. Notre système de valeurs est fondateur de notre société. Il figure du reste dans le code civil et dans la loi de 1975. Si d’aventure cet interdit était supprimé, il faudrait modifier le code civil et la loi de 1975. Une société a besoin de repères. La nôtre n’a plus guère que deux repères intangibles : le début et la fin de la vie. Des solutions peuvent être trouvées pour le début de la vie, comme cela a été fait pour la fin de la vie, en respectant le principe fondateur.

Il est impossible de s’affranchir de la thérapie cellulaire. Il faut que les autres procédés continuent d’avancer. Il faut procéder à des évaluations comparatives. Il y a environ quinze mois, des Japonais et des Américains ont découvert que des cellules adultes, les iPS (induced pluripotent stem cells), cellules souches pluripotentes induites, pouvaient être remises dans un état de jouvence embryonnaire. Un quotidien a ainsi écrit, sous le titre « Le boom des cellules souches iPS » : « Une équipe d’Harvard vient d’annoncer l’obtention de vingt nouvelles lignées de cellules iPS associées à dix pathologies humaines. » Dans un encadré, figure le dernier progrès : « Nous savons désormais transformer les cellules iPS sans introduire de gènes étrangers dans le génome de la cellule, tout simplement par un vecteur adénoviral. »

La levée de l’interdiction de la recherche sur les cellules embryonnaires est injustifiée. En revanche, la prolongation du moratoire l’est parfaitement. Il sera temps, ultérieurement, d’adopter une autre attitude.

J’ai naturellement pris connaissance de l’audition de Marc Peschanski, à qui je me suis souvent affronté, même si je l’estime. Il a affirmé devant vous que le clonage thérapeutique n’était plus un sujet d’actualité et que la réglementation actuelle ne l’avait pas empêché, pendant les cinq dernières années, de mener les recherches qu’il avait l’intention de mener. Aucune recherche digne de ce nom sur les cellules souches embryonnaires n’a été empêchée. Dès lors, compte tenu des progrès dans le domaine des cellules souches adultes, sous réserve de dérogation prolongée et de l’avis et de l’expertise de l’Agence de la biomédecine, je ne vois pas quelle serait la motivation de la levée de l’interdiction.

Un glissement sémantique s’opère souvent entre le mot « thérapeutique » et le mot « médical ». Je le comprends, mais il faut rappeler que la médecine, au-delà de la thérapeutique, inclut également le diagnostic et le suivi. Il n’a pas été simple de légiférer pour la première fois en autorisant la recherche sur les cellules souches embryonnaires ; nous y sommes allés progressivement. Mais demander aujourd’hui la levée de l’interdit relève plus d’un combat idéologique visant à supprimer les barrières au début et à la fin de la vie, que d’un combat médical et scientifique. La mise au point des cellules iPS requiert encore un peu de temps. Les cellules embryonnaires doivent encore nous aider à faire la part des choses. Il faut maintenir l’interdiction et prolonger le moratoire et les dérogations.

J’en viens à la gestation pour autrui, sujet tout aussi récurrent. En 1990, j’en ai débattu avec le docteur Sacha Geller, réinventeur de la gestation pour autrui. Après s’être un peu éteint, le sujet redevient à la mode. Je m’étonne de l’évolution du débat qui tend, d’une part, à sacraliser le désir des parents comme le droit à l’enfant et, d’autre part, à diaboliser ceux qui voudraient rappeler certaines données de bon sens.

En référence à Pirandello, je décrirai quatre personnages en quête d’auteur : le médecin, le couple, la mère porteuse, l’enfant.

Premier personnage : le médecin. Celui-ci doit-il être l’instrument d’une évolution sociétale ? Doit-il être le prestataire de services ? Ne doit-il pas donner son sentiment sur l’avenir de l’enfant ? On parle beaucoup des couples, et c’est légitime, mais insuffisamment de l’enfant. À l’exception de quelques psychanalystes, les psychiatres affirment que les neuf mois de la grossesse sont cruciaux pour la maturation et l’évolution psychologique de l’enfant, par le filtre de la mère. Comment l’utérus pourrait-il être considéré comme un simple incubateur, première étape vers l’utérus artificiel d’Henri Atlan ? Si tel était le cas, on aboutirait à une déshumanisation de la maternité.

Deuxième personnage : le couple. Au risque de vous surprendre, je pense qu’il n’y a aucune différence entre le cas où la mère porteuse est seulement gestatrice et celui où elle est à la fois génitrice et gestatrice. Si la première des solutions, mère seulement gestatrice, était acceptée, tout le monde serait peut-être content. Mais, avec l’insémination artificielle avec sperme de donneur (IAD), cette distinction céderait devant des demandes difficiles à récuser. Je n’ignore pas les cas d’absence d’utérus, congénitale ou acquise, qui frappent quelques centaines de couples par an. Mais l’enfant est-il un dû ou un don ? Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour satisfaire le désir d’enfant ? N’existe-t-il pas d’autres modes d’épanouissement ? Je connais l’infinie tristesse des couples infertiles, mais il ne faut pas s’arrêter à ce seul argument.

Troisième personnage : la mère porteuse. Quelle est sa motivation ? On ne pourra m’empêcher de penser qu’elle espère gagner un peu d’argent, non un salaire mais un dédommagement, un défraiement, une indemnité. Sur Internet, cela tourne autour de la somme considérable de 45 000 euros les neuf mois. Une autorisation devrait par conséquent être accompagnée d’un remboursement par la sécurité sociale, sans quoi elle créerait une discrimination par l’argent, ce que nous n’avons jamais accepté pour l’interruption de grossesse ou d’autres interventions ne relevant pas de pathologies. Je rappelle que la procréation assistée pour les couples infertiles ne vise pas à les guérir. Dans les deux ou trois pays ayant légalisé cette pratique, la femme porteuse doit avoir déjà enfanté, et donc avoir un conjoint. Quel comportement aura ce dernier ? Personne ne le sait. En outre, chacun sait qu’une femme s’attache forcément à l’enfant qu’elle porte. Dans ce cas, sachant qu’elle devra abandonner l’enfant, elle se placera dans une situation d’autodéfense, elle évitera d’établir des liens avec lui, ce qui ne donnera pas toutes ses chances à ce dernier. La littérature rapporte au demeurant des cas où la femme refuse de donner l’enfant à la naissance. Lorsque les médias rapportent des cas brûlants, ils frappent l’opinion, mais ils ne suivent généralement pas les affaires. Ainsi, Corinne Parpalaix avait obtenu, en 1984, qu’on lui remette les paillettes congelées du sperme de son mari décédé. La couverture médiatique s’est arrêtée au jugement. Or l’histoire eut été instructive !

Au surplus, s’agissant d’une convention ou d’un accord, il faudrait signer un document ressemblant à un contrat, qui aurait l’enfant pour objet. En échange d’un dédommagement, la gestatrice s’engagerait à porter l’enfant, puis à accoucher, mais aussi à ne pas fumer, à ne pas consommer d’alcool, à respecter une hygiène de vie, ce qui serait fort difficile à vérifier au quotidien. Je vous laisse imaginer les contentieux susceptibles d’apparaître si l’enfant n’était pas tout à fait normal à la naissance : le couple intentionnel pourrait refuser l’enfant. Que l’enfant devienne objet de contentieux me fait évidemment frémir.

En outre, le droit dit : mater semper certa est, c’est-à-dire la mère est la femme qui accouche. Dès lors, accepter le principe de la mère porteuse serait légitimer l’abandon d’un enfant par sa mère. En outre, l’argent n’étant pas totalement étranger à l’affaire, ce serait revenir sur le principe à valeur constitutionnelle de non-patrimonialité du corps humain, et ouvrir la porte, après l’utérus, au sang, aux tissus, aux cellules, voire aux organes.

Quatrième personnage : l’enfant. La situation de ces enfants est très différente de celle des enfants abandonnés, dont le sort n’était pas programmé. En l’espèce, la grossesse et l’abandon sont programmés. Mais d’autres questions restent sans réponse : quel rapport l’enfant établira-t-il avec la gestatrice non anonyme ? Voudra-t-il la rencontrer, par curiosité ou désir de savoir ? Comment la considérera-t-il ? Ne demandera-t-elle pas un droit de visite ? Nous ne sommes pas du tout à l’abri d’une novation juridique.

On peut déplorer que des personnes libres et responsables fassent ce choix, comme on peut déplorer que des personnes sujettes à un important retard mental, ou alcooliques, aient des enfants, mais c’est leur droit. Autre chose est de légitimer une pratique par la loi car la société engage sa responsabilité. J’attends les premiers procès d’enfants mettant en cause la responsabilité de l’État arguant du fait que le procédé par lequel ils ont été conçus ne leur convient pas.

Les fondements juridiques ne se changent pas au gré des modes sociétales. Je ne dis pas que tous ceux qui militent pour ces changements le font à dessein mais, à mon sens, nous vivons une véritable déconstruction des rapports entre les personnes, entre les générations, avec une recherche de liberté absolue qui gomme l’appartenance à une société organisée. En peinture, la période de la déstructuration a précédé celle de l’abstraction. J’ignore quelles conséquences la déstructuration des liens pourrait avoir sur notre société. La révolution n’est pas seulement biologique ou juridique, mais aussi anthropologique. Les scientifiques qui défendent ces sujets, parfois avec un esprit militant, n’ont pas de vue d’ensemble, de vision d’avenir, de notion du sens de ce qu’ils entreprennent au regard du temps, à partir de demandes conjoncturelles. La responsabilité des législateurs que vous êtes sera très grande.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Nous sommes très heureux d’entendre de nouveau votre voix ici car elle est claire et réfléchie.

Nous sommes également ébranlés par ce rendez-vous obligatoire pour la révision des lois, après cinq ans, qui écorne le sens des valeurs que nous défendons. Quant à l’expression « loi de bioéthique », elle est peut-être inadaptée, mais ces lois continueront d’être qualifiées ainsi.

Dans notre société, l’individualisme et la recherche de la satisfaction du désir immédiat s’opposent à une vision collective, porteuse de plus de sens mais exigeant le partage de valeurs. C’est, au fond, le combat entre l’inné et l’acquis, nourri par l’obsession de la génétique, la quête de l’immortalité, la volonté de pérenniser son matériel génétique et de connaître son ascendance. Fort heureusement, hormis des maladies graves bien connues, nous ne sommes pas programmés par autre chose que le lien à l’autre. Si l’accès aux origines peut être une démarche individuelle légitime, il serait délicat d’ouvrir la boîte de Pandore en créant des situations ouvrant la porte à d’autres problèmes. « L’arbre qui tombe fait beaucoup plus de bruit que la forêt qui pousse », dit le proverbe chinois : un événement particulier mis en évidence remet parfois en cause le consensus global.

La science peut difficilement se passer de la recherche sur l’embryon, mais il me semble difficile de distinguer la recherche pour l’embryon et la recherche sur l’embryon car une recherche peut avoir les deux finalités.

Vous préconisez un maintien de l’interdit avec dérogation, à l’instar de la loi Veil, mais en reconduisant la période de cinq ans. J’y vois une petite contradiction. La recherche sur les cellules souches embryonnaires semble perdre du terrain par rapport à la dédifférenciation cellulaire et à la recherche sur les cellules souches adultes. Tant mieux, mais elle ne doit pas être abandonnée pour autant. Pourquoi instaurer une période de cinq ans si l’on estime que cette séquence immuable pose problème ? Ne vaudrait-il pas mieux considérer la dérogation comme définitive, quitte à la remettre en cause si des découvertes interviennent ?

Enfin, dans le joli conte de Perrault La Belle au bois dormant, trois bonnes fées veillent au pied du berceau tandis qu’une méchante fée endort l’héroïne. Si les trois fées étaient celle qui a donné l’ovocyte, celle qui a porté l’enfant et celle qui l’a élevé, laquelle serait la mère ? Et la mauvaise fée ne serait-elle pas la société qui a eu la mauvaise idée de créer trois bonnes fées au lieu d’une seule, la mère génétique, gestatrice et affective ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. Vous vous êtes déclaré favorable à la recherche pour l’embryon. Or aujourd’hui on sait prélever une cellule d’un blastomère sans le détruire et certains pays autorisent la réimplantation de l’embryon, ce qui est aujourd’hui interdit en France. N’est-il pas envisageable de lever cet interdit, comme dans d’autres pays, ce qui pourrait permettre de donner des résultats bien meilleurs que les nôtres en matière de fécondation in vitro ?

Quelle est votre position concernant, d’une part, les dons d’organe par donneur vivant et, d’autre part, la procédure d’information de la parentèle en cas d’anomalie génétique avérée et la question de la levée du secret médical si le patient refuse de transmettre l’information ?

M. Olivier Jardé. Les dons de gamètes multiples n’entraînent-ils pas un risque de consanguinité ?

Au-delà des recherches sur l’embryon à visée thérapeutique ou médicale, pourrait-on aller jusqu’à autoriser des recherches à visée scientifique ?

M. Jean-Luc Préel. Que pensez-vous de la médecine prédictive et du diagnostic préimplantatoire ?

M. Jean-François Mattei. À propos de l’anonymat des gamètes, je me souviens d’un couple qui demandait le recours à une insémination artificielle avec donneur (IAD). Lorsque j’ai demandé à l’homme, stérile, si cela ne lui faisait rien que sa femme soit enceinte avec un spermatozoïde d’un autre homme, il m’a regardé d’un air stupéfait, qui me poursuit toujours, me répondant : « Vous n’avez rien compris, docteur. Nous désirons cet enfant. Je ne peux pas le lui donner. La biologie n’est pas plus forte que l’amour. » Avec ces demandes d’enfants nés de l’IAD, c’est le triomphe de la biologie sur l’amour qui est dans la balance. Si cette démarche avait été prévue au départ, j’aurais recommandé de ne pas se lancer dans cette voie. Je ne puis me satisfaire de cette inversion de la logique. C’est pourquoi je pense qu’il faut maintenir l’anonymat.

Dans une loi qui porte votre nom, M. le rapporteur, vous avez vous-même indiqué que l’intention précède l’action. En l’occurrence, l’intention est de porter secours à l’embryon ou aux embryons à venir, même si nombre d’embryons succombent lors des recherches. La recherche sur l’embryon ne profite généralement pas à l’embryon qui est l’objet de la recherche, mais aux embryons futurs ; l’intention est tout de même celle d’améliorer le sort des embryons. Les expérimentations de biopsies de blastomère avant le diagnostic préimplantatoire (DPI) étaient aléatoires mais menées en faveur de l’embryon. Dans ce domaine, il faut accepter des exceptions. Seule compte la pureté des intentions.

M. le président. De quel droit le législateur imposerait-il un moratoire sur la recherche fondamentale ? Pourquoi ce délai de cinq ans ?

M. Jean-François Mattei. Ma langue a dû fourcher. Je rejoins totalement la position exprimée par le rapporteur : il faut maintenir l’interdit, poser un principe dérogatoire et y revenir lorsque ce sera opportun, sans fixer de délai a priori.

M. le président. Comment justifier cette dérogation ?

M. Jean-François Mattei. Parce que nous en avons besoin, pour des raisons de santé. Si l’efficacité thérapeutique des cellules souches embryonnaires s’avérait supérieure, il faudrait se rendre à l’évidence et se tourner vers elles. Je pense que ce ne sera pas le cas mais, en toute objectivité, les preuves formelles n’ont pas encore été apportées.

M. le président. Certes, mais pourquoi limiter ces recherches fondamentales ? Si, comme vous le dites, elles sont utiles, ne faut-il pas les autoriser ?

M. Jean-François Mattei. En 1992, mon homologue britannique, la baronne Warnock, m’avait déclaré que, pour elle, avant quatorze jours, l’entité de préembryon créée par la loi pouvait servir à tout, y compris pour les cosmétiques. Pour vérifier l’existence de voies alternatives, il est indispensable d’accepter une dérogation, que nous fermerons le moment venu, sans fixer de date a priori.

Il est vrai que le mot « thérapeutique » peut être remplacé par le mot « médical », car science et médecine ne sont jamais éloignées. Ce n’est pas à la loi mais à l’Agence de la biomédecine de définir les limitations.

Je suis convaincu que les cellules souches iPS s’imposeront car les travaux paraissent extrêmement simples et se répandent comme une traînée de poudre.

M. le président. Par le passé, nous avons eu tant de certitudes qu’il convient de nous montrer prudents !

M. Jean-François Mattei. C’est vrai. Mais, en zone d’incertitude, la prudence ne consiste pas à lever un interdit, surtout si nous maintenons une dérogation et que celle-ci n’est pas limitée.

Je suis un adepte des contes de fées, mais il ne faut pas oublier le réveil, notamment pour l’enfant. Sur mille cas par an, il y aurait à peine quelques dizaines de demandes. Pour le DPI, voté en 1994, nous n’en sommes qu’à 200 ou 300 cas par an. La gestation pour autrui (GPA) nous conduirait à légitimer un modèle d’exception susceptible de devenir une référence, et le réveil ne serait pas toujours sans douleur ni regrets.

Pour ce qui concerne les dons d’organe, il est temps d’imposer que la mention « donneur » ou « non donneur » figure sur une carte, par exemple la carte Vitale. J’ai toujours émis ce souhait mais je me suis heurté à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et à la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), qui jugeait cette mesure susceptible de provoquer des discriminations à l’encontre des personnes non donneuses. Je pense qu’il faut maintenant prendre la décision.

Les médecins ont beaucoup de mal à apprivoiser la loi sur la fin de vie et, en matière de dons d’organes, ils ont encore autant de mal à apprivoiser les dispositions relatives au témoignage de la famille, qu’ils prennent pour un consentement. Il n’y a pas de raison que l’Espagne réponde correctement à la demande et que la France ne le fasse pas. Si les médecins n’effectuent pas correctement leur travail de transplantation, il faut comprendre pourquoi. Il convient de former des collaborateurs aptes à ce type d’interrogatoire, lequel doit intervenir en un lieu autre que le couloir situé entre l’ascenseur et l’entrée du service de réanimation. Il faut être capable d’agir avec humanité, mais aussi avec fermeté, car il existe une loi.

Si nous n’y arrivons pas, il faudra évidemment creuser la piste des dons entre vivants. Mais j’éprouve deux réticences, sans que cela me conduise à une position de refus : des pressions morales peuvent être exercées sur un sujet compatible mais qui n’a pas envie de donner ; des pressions financières peuvent aussi apparaître. La seule garantie est l’intervention d’un juge ou d’une commission indépendante et objective présidée par un magistrat. La vie doit prévaloir, mais une telle mesure doit être entourée de mille précautions.

Pour l’information de la parentèle suite au diagnostic d’une anomalie génétique, nous n’avons toujours pas trouvé la bonne solution, même si j’ai cru que c’était fait en 2004. Il faudra que le législateur décide : lorsqu’une femme conductrice donne la vie à un enfant myopathe, si sa sœur accouche ensuite d’un enfant myopathe, qui est responsable ? Le médecin, pour ne pas avoir prévenu la sœur qu’elle devait vérifier si elle était conductrice ? La mère déjà frappée par le malheur, pour être la cause de la naissance de son neveu myopathe ? Honnêtement, neuf fois sur dix, nous réussissons à convaincre les parents. Il faut instaurer un équilibre, mais je n’ai pas d’avis à vous livrer, d’autant que, par mon métier, je suis partie prenante. Nous agissons avec tact. Je reste cependant à votre disposition s’il faut retravailler la question.

Dans les conditions actuelles du don de gamètes, il n’existe pas de risque de consanguinité, à condition de continuer à n’utiliser le sperme d’un même donneur que dix fois au plus, et non cinquante ou cent fois. Compte tenu du nombre d’enfants naturels dans un rayon proche, le risque est inférieur à celui présent dans la population générale.

La médecine n’est jamais éloignée de la science. La recherche est une ; je trouve finalement assez artificiel de distinguer recherche fondamentale, recherche clinique et recherche appliquée. Le scientifique et le médical, dans mon esprit, sont à peu près identiques.

La médecine prédictive avait été assez bien cernée en 1994. Il faudra malheureusement s’en remettre à une formule insatisfaisante, mais qui a fait ses preuves, tout en prévoyant des garde-fous : la médecine prédictive est chaque fois justifiée dans les cas d’une affection d’une particulière gravité et incurable. Certaines formes de cancer du sein ont un très grand risque d’apparaître. Que faut-il faire sachant qu’une petite fille, à l’âge adulte, devra être amputée des seins et des ovaires si l’on veut lui éviter un cancer ? Cette situation est abominable. Quand le patient le demande ou l’exige, cela peut parfaitement être envisagé, pour autant que la maladie soit incurable. Or je crois que la thérapie va progresser.

M. le rapporteur. Pour une telle maladie, compte tenu notamment des dépistages très précoces et réguliers, faudrait-il remplacer le terme « incurable » par la référence à une affection « d’une particulière gravité » ?

M. Jean-François Mattei. Naturellement, mais le suivi à intervalles rapprochés pour vérifier qu’un cancer n’apparaît pas rend la vie extrêmement difficile à supporter. La question peut se poser et il faut s’en remettre aux familles, d’autant que la maman, qui porte le gène, sait ce qu’elle a vécu.

M. le président. Pour quelles raisons la France n’a-t-elle pas encore ratifié la convention d’Oviedo ?

M. Jean-François Mattei. À cause de la fin de vie. En l’absence de grande avancée sur ces sujets, il faut ratifier la convention et les avenants adoptés depuis sa signature.

M. le président. Quelles sont les raisons qui pourraient nous empêcher de procéder à la ratification ?

M. Jean-François Mattei. Je n’en vois aucune. Même la question de l’embryon fait partie de celles renvoyées à la compétence des législations nationales.

Pour conclure, j’aborderai trois autres sujets.

Premièrement, il faudra que vous vous penchiez sur l’exploitation des empreintes génétiques par le biais d’Internet. En 1994, nous avions pris des mesures garantissant la paix des ménages et l’ordre public. Mais maintenant, moyennant de 200 à 400 euros, vous pouvez effectuer un prélèvement sur une brosse à cheveux, l’expédier dans un petit sachet et obtenir le résultat anonymement dans les quinze jours. La loi ne peut encadrer ces pratiques nouvelles, qui ne connaissent pas les frontières.

Deuxièmement, il est nécessaire de légiférer sur les neurosciences, qui connaissent des avancées inquiétantes, confinant à la neuro-économie. Je sais que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a organisé une table ronde à ce sujet, mais il faut fixer une limite : compte tenu des connaissances actuelles en matière d’imagerie cérébrale fonctionnelle, personne ne peut se prévaloir d’une image pour assumer ou se défaire d’une responsabilité quelconque.

Troisièmement, j’entends souvent dire que les Français devraient légiférer dans une direction donnée parce que c’est ce qui se fait dans les pays voisins. J’observe que certains États des États-Unis sont pour l’avortement ou la peine de mort, alors que d’autres sont contre, ce qui n’empêche nullement l’unité nationale. Je comprends parfaitement que certains cherchent à satisfaire leurs désirs ou leurs rêves à l’étranger, mais nous avons le devoir, me semble-t-il, de traduire la culture et la tradition françaises pour déterminer ce que l’on est en droit de faire ou non. J’observe au demeurant que la Grande-Bretagne n’a pas envie de copier la Belgique, la Suisse ou les Pays-Bas en matière de fin de vie, car elle dispose de soins palliatifs depuis longtemps. La Belgique hésite à légiférer sur l’accouchement sous X et s’accommode bien que ses ressortissantes fréquentent les maternités du Nord. Il s’agit là d’un mauvais argument : chaque pays fait ce qu’il veut.

M. le rapporteur. Le Président de la République a souhaité la mise en place d’États généraux de la bioéthique. Comment aborder des problèmes scientifiques complexes qui touchent aux fondements de la vie quotidienne : la famille, la naissance, la vie, la mort ? Comment trouver le juste milieu pour que le débat, tout en étant de qualité, soit aussi populaire, afin de faire comprendre à nos concitoyens les enjeux recouverts par la science et de recueillir leur opinion, à laquelle le législateur ne saurait rester insensible ?

M. Jean-François Mattei. Je suis perplexe. Si l’on m’avait demandé mon avis sur des États généraux de la bioéthique, j’aurais exprimé un sentiment de réserve. La plupart des colloques organisés dans ce domaine se transforment en réunions militantes : les associations ont un message à faire passer. Organiser ce genre de manifestation fait prendre un très grand risque : même si les participants sont sélectionnés, ceux auxquels l’accès de la salle sera interdit seront dehors et feront encore plus de bruit ! La conférence citoyenne sur les organismes génétiquement modifiés (OGM) s’est traduite par un échec : elle n’a pas apporté les éclaircissements espérés parce que les avis étaient trop tranchés, sur un sujet, certes, éminemment quotidien – nous mangeons trois fois par jour – mais aussi éminemment complexe.

Je note que les élèves des classes de terminale posent, sur ces sujets, des questions incisives et justes et qu’ils débattent sereinement ; ils font preuve de beaucoup de cœur et de générosité, mais ils ne sont pas prêts à accepter n’importe quoi. Le compte rendu d’un sondage réalisé parmi les étudiants était ainsi intitulé : « Les étudiants sont plutôt conservateurs. » Les jeunes, déjà un peu bousculés dans leur vie familiale, ne donneront pas forcément la réponse attendue à propos de la gestation pour autrui, même s’ils sont les plus ouverts, les plus concernés, les plus attentifs. L’avis des gens naïfs est plus utile que les faux savants qui fondent leur avis sur ce qu’ils ont entendu dans une émission de téléréalité. Je n’ai donc pas de réponse toute faite. Il faut que vous déterminiez quelle géométrie vous souhaitez donner à ces États généraux et que vous sachiez qui vous souhaitez inviter, comment vous sélectionnerez les participants, s’ils feront l’objet d’une information préalable. C’est un travail épouvantable, pour lequel je vous souhaite bon courage.

M. le président. Vous résumez la méthode et les questions sur lesquelles travaille le comité de pilotage. Monsieur Mattei, je vous remercie.

Audition de M. Géraud LASFARGUES, président de l’Académie nationale de médecine et de M. Jacques-Louis BINET, secrétaire perpétuel


(Procès-verbal de la séance du 27 janvier 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Géraud Lasfargues, président, depuis le 6 janvier 2009, de l’Académie nationale de médecine, dont il était membre titulaire depuis 1997, professeur honoraire des universités – Paris VI –, ancien médecin des hôpitaux de Paris, agrégé de pédiatrie et ancien chef de service à l’hôpital Trousseau, et M. Jacques-Louis Binet, secrétaire perpétuel de l’Académie nationale de médecine et ancien chef de service d’hématologie à la Pitié-Salpêtrière.

La mission chargée de réfléchir sur la révision des lois bioéthiques aimerait notamment savoir quel bilan vous tirez, messieurs, de l’application de la loi du 6 août 2004. Par ailleurs, le groupe de travail sur la gestation pour autrui mis en place par l’Académie nationale de médecine a-t-il rendu ses conclusions?

M. Géraud Lasfargues. Notre exposé liminaire comportera deux parties. Dans la première, je décrirai la façon dont l’Académie travaille et envisage les questions de bioéthique ; dans la seconde, M. Jacques-Louis Binet exposera les propositions de l’Académie.

Tout d’abord, nous vous remercions de nous avoir invités à cette audition. Notre Compagnie s’est toujours intéressée aux questions de bioéthique médicale et a souligné l’ampleur des questions éthiques, juridiques et sociétales soulevées par les progrès de la science et de la technique dans le domaine de la procréation, de la transplantation d’organes et du génie génétique.

Un bref historique vous montrera la place qu’accorde l’Académie à la bioéthique. Dès 1947, le professeur Piédelièvre avait participé à l’écriture du code de Nuremberg, texte fondateur de la protection de la personne humaine dans le domaine de l’expérimentation biomédicale. Notre confrère Jean Bernard fut, en 1983, le premier président du Comité consultatif national d’éthique, et depuis, statutairement, l’Académie y désigne chaque fois un de ses membres. Claude Sureau, que vous allez bientôt recevoir, vient d’être réélu à cette fonction.

Au sein de notre Compagnie, trois groupes de travail s’intéressent actuellement à des problèmes spécifiques de bioéthique. Le premier, dirigé par le professeur Yves Chapuis, transplanteur à l’hôpital Cochin qui a réalisé un nombre important de greffes du foie, travaille sur les prélèvements et greffes d’organes ; le deuxième, dirigé par Roger Henrion, gynécologue-obstétricien, étudie les questions posées par le recours éventuel à la GPA, la gestation pour autrui – son rapport doit être remis la première semaine de mars – ; enfin le troisième, dirigé par Jean-Jacques Hauw et Raymond Ardaillou, travaille sur les prélèvements tissulaires à but scientifique chez les patients vivants ou décédés.

Avant cette audition, nous avons interrogé nos confrères académiciens bien sûr, mais aussi Laure Coulombel de l’INSERM, et Bernard Bioulac, qui fut un acteur important de la première loi en 1994. Nous avons aussi relu le bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004, publié en 2008 par vous-même, monsieur le président Claeys, et Jean-Sébastien Vialatte, et les Questions d’éthique biomédicale dirigées la même année par Jean-François Mattei.

Avant de vous faire connaître les réponses de l’Académie et les éventuelles modifications qu’elle souhaiterait voir apporter aux lois de bioéthique, nous voudrions insister sur l’esprit qui a animé nos discussions et sur les conclusions qui en découlent.

Pour l’Académie, la bioéthique est une éthique nouvelle née de la prise en compte des problèmes suscités par l’application à l’homme de techniques nouvelles et des révolutions thérapeutiques qui en découlent. Les avantages attendus d’un progrès scientifique doivent être évalués tant du point de vue de ses finalités que de ses conséquences. Dès lors, la réflexion bioéthique s’impose pour accompagner la mise en œuvre de dispositifs innovants. Elle permet au législateur de décider de restrictions momentanées ou définitives qui pourront évoluer en fonction des avancées technologiques et des évaluations indispensables réalisées par les travaux des médecins.

Deuxième point qui nous semble très important : la bioéthique n’est qu’un élément de l’éthique médicale. Celle-ci ne saurait être circonscrite aux éléments scientifiques ou les plus innovants de nos pratiques. Il ne faut pas négliger les enjeux de l’éthique des soins au quotidien, ni la prise en compte des vulnérabilités dans l’accès à la prévention, ni même des problèmes complexes comme le devoir de solidarité. Ces valeurs, qui font partie de ce que certains, comme Emmanuel Hirsch, dénomment l’éthique « d’en bas » – par complémentarité avec l’éthique « d’en haut » représentée par la bioéthique –, ne doivent pas être ignorées : elles doivent être prises en compte dans les grands principes qui servent de base à la bioéthique.

L’Académie y est très attachée ; elle estime de son rôle de le faire savoir, en particulier en étant davantage impliquée dans les processus de réflexion imaginés pour répondre aux conditions nouvelles créées par les progrès scientifiques, au même titre que les sociétés savantes et le Conseil national de l’Ordre des médecins. Il lui paraît nécessaire de créer les conditions d’une concertation fixant les principes essentiels de la bioéthique et anticipant les évolutions prévisibles. En matière de bioéthique, l’Académie considère qu’il conviendrait de mettre en lumière, plutôt que de les masquer, les fondements philosophiques, spirituels et sociaux des différentes décisions, pour être mieux compris par nos concitoyens.

Troisième point important : la bioéthique a une spécificité qui nécessite une méthodologie appropriée.

Il est frappant de constater que, alors que l’on sait comment travailler, par exemple, pour définir la meilleure technique face au cancer du sein, il n’y a pas encore vraiment de méthodologie appliquée en bioéthique. La bioéthique a une spécificité : c’est une éthique qui s’applique à des programmes médicaux. Il y a le législateur et le médecin. Ce dernier souhaiterait, d’après nos enquêtes et nos auditions, que soit reconnue la nécessité d’une évaluation médicale des décisions législatives dans une période dérogatoire. Une évaluation objective et contradictoire de leurs conséquences devrait être prévue. Le manque actuel de méthodologie en bioéthique, contrairement à ce qui est le cas dans d’autres secteurs de la médecine, est très regrettable. Lorsque les progrès scientifiques en biologie permettent d’envisager de nouvelles conduites, diagnostiques ou thérapeutiques, acceptées par la société, le médecin devrait pouvoir les évaluer avant que ne soient prises les dispositions réglementaires définitives. Bref, une interdiction avec dérogation avant une autorisation définitive nous paraît la décision la plus raisonnable.

Quatrième point : la bioéthique occupe une place importante dans les préoccupations de l’Académie, même si, contrairement à ce qui se passe dans d’autres domaines, les positions et recommandations de l’Académie font l’objet de vives discussions et ne sont pas adoptées à l’unanimité. Il existe souvent au sein de l’Académie, comme dans la société elle-même, des divergences d’opinions toujours respectables tant il est vrai qu’en bioéthique interviennent des facteurs très personnels liés à la tradition, la philosophie, la spiritualité, la conception et le sens de la vie.

Cinquième point : le rôle de l’Académie en matière de bioéthique est très précis.

La bioéthique fait partie de la mission statutaire de l’Académie. Cette dernière doit s’intéresser avant tout aux éventuelles conséquences – accidents somatiques ou psychologiques pour l’individu – des décisions du législateur. Elle prévient le législateur des effets médicaux secondaires prévisibles pour lui permettre d’éventuelles modifications de la loi.

En revanche elle ne croit pas devoir intervenir sur les modalités de la loi. Par exemple, elle ne choisit pas entre une loi-cadre et une loi détaillée, régulièrement remaniée, même si elle en note bien les différences. Mais elle serait favorable au dépôt d’une proposition de loi pour donner un cadre unique à toute recherche sur l’être humain.

Sixième point : l’information et le suivi en bioéthique sont essentiels. L’Académie y contribue selon trois modalités.

Tout d’abord, elle met au premier rang un effort de pédagogie auprès de nos concitoyens. De plus, s’impose un projet d’information auprès des jeunes des lycées et des universités. L’Académie peut y contribuer en assurant la formation d’enseignants et en organisant des rencontres ouvertes au public, par exemple, en partenariat avec l’Espace éthique de l’AP-HP.

Ensuite, elle est désireuse de participer à la mise en place de dispositifs de suivi et d’évaluation de technologies nouvelles, notamment par un travail de veille réalisé par ses spécialistes de bioéthique.

Enfin, l’Académie est très favorable à un dialogue avec le public pour expliquer les enjeux et pour faire connaître nos valeurs communes qui fondent les choix que nous faisons. Ceux-ci sont souvent difficiles car il existe encore de nombreuses incertitudes dans ces nouvelles connaissances.

Toutes ces remarques nous ont paru nécessaires pour faire comprendre à votre mission les positions de notre Compagnie, que M. Jacques-Louis Binet va maintenant évoquer.

M. Jacques-Louis Binet. Géraud Lasfargues et moi-même parlons, bien entendu, d’une seule voix sur ces questions. Nous présenterons les propositions de l’Académie sous forme d’interrogations, afin d’illustrer l’esprit, que vient de préciser Géraud Lasfargues, dans lequel travaille l’Académie.

Premier thème, première question : les cellules souches somatiques sont-elles une alternative crédible et éthiquement acceptable au recours aux cellules embryonnaires ?

Il est certain que les progrès scientifiques et thérapeutiques réalisés depuis quatre ans avec les cellules souches somatiques apportent des avancées importantes, en particulier si l’on utilise des cellules reprogrammées ou cellules souches induites, dites iPS. Cependant, nos connaissances sur les cellules reprogrammées sont récentes et incomplètes et on ne saurait encore affirmer que leurs propriétés sont identiques à celles des cellules embryonnaires, d’autant que ces cellules ont un passé.

Aussi paraît-il nécessaire de comparer les résultats et les indications des diverses variétés de lignées cellulaires, sans idée préconçue, et de poursuivre l’étude et des cellules somatiques et des cellules embryonnaires. Il faut donc traiter équitablement le financement de ces deux séries de recherches. Par ailleurs, la suppression du moratoire faciliterait l’activité des laboratoires de recherche car il semble bloquer certaines recherches de longue durée. Le contrôle de l’Agence de la biomédecine doit, quant à lui, être maintenu. L’Académie ne s’est pas prononcée sur le remplacement de la clause disposant que la perspective de progrès thérapeutiques est un prérequis à l’autorisation, par une autre qui indiquerait que l’espoir d’amélioration des connaissances au bénéfice de la santé et de l’humanité est suffisant.

Le sang de cordon ne contient pas de cellules souches totipotentes. Il est utilisé pour la reconstitution du tissu hématopoïétique par les cellules souches multipotentes qui s’y trouvent. C’est avec de telles cellules qu’Eliane Gluckman a réalisé pour la première fois une greffe de moelle à l’hôpital Saint-Louis. Après avoir été en tête sur ce type de traitement, la France se retrouve aujourd’hui en retard. Il faut absolument développer le réseau français sous la double autorité de l’Établissement français du sang et de l’Agence de la biomédecine. L’emploi de ces cellules placentaires pose le problème, comme on l’a observé dans d’autres pays européens, de la création de banques mixtes, publiques et privées.

Deuxième question : Comment faire évoluer l’encadrement de l’assistance médicale à la procréation ?

Pour la procréation au sein du couple, l’Académie nationale de médecine est opposée à l’insémination post mortem car des pressions extérieures fortes peuvent s’exercer sur la jeune femme. En revanche, le transfert post mortem d’un embryon conçu avant la mort du mari nous semble tout à fait acceptable. L’Académie ne s’est pas prononcée sur la nécessité ou non de déterminer un âge limite à la procréation assistée chez la femme et chez l’homme, ni sur la procréation dans les couples homosexuels.

Pour la procréation hors couple, l’Académie demeure très attachée à l’anonymat absolu des dons de gamètes. Elle comprend le désir de certains enfants, devenus adultes, de connaître leur père ou leur mère biologique, mais la demande, qui reste limitée à 1 pour 1 000 des sujets ainsi conçus, ne peut être actuellement prise en compte parce que la suppression de l’accouchement sous X augmenterait vraisemblablement le nombre d’avortements.

L’ANM n’est pas non plus favorable au système du double guichet. Mme Valérie Pécresse avait déposé une proposition de loi à ce sujet lorsqu’elle était députée, et c’est un de nos académiciens qui l’a convaincue de la retirer.

L’Académie rappelle que le don d’ovocytes n’est pas sans risques – ceux-ci sont liés à la stimulation ovarienne – et encourage les travaux sur la vitrification des ovocytes car elle permet un taux de survie de ces derniers très supérieur à la congélation des embryons.

Troisième thème : faut-il étendre l’utilisation des diagnostics préimplantatoires à des prédispositions ?

Le recours aux DPI pour diagnostiquer sur les embryons les pathologies « d’une particulière gravité et incurables » au moment du diagnostic est tout à fait légitime puisqu’il s’applique à des embryons conçus par des couples dont les enfants sont susceptibles de porter des gènes défectueux. En revanche, il n’y a pas lieu (sauf peut-être dans des cas exceptionnels) d’étendre l’utilisation du diagnostic préimplantatoire à des prédispositions à des maladies – cancer du colon, du sein ou de l’ovaire – dont la probabilité de survenue est augmentée par rapport au reste de la population. Enfin, l’Académie est très attentive à la définition de l’incurabilité et s’inquiète des modalités d’établissement d’une liste de maladies incurables.

Quatrième question : faut-il autoriser la grossesse pour autrui ou GPA?

Notre groupe de travail sur cette question, présidé par Roger Henrion, rendra son rapport le 14 mars 2009. Sans vouloir préjuger ses conclusions, nous faisons remarquer que la GPA pose des problèmes fondamentaux d’éthique portant notamment sur l’instrumentalisation du corps humain. Cependant, le groupe de travail a voulu apporter des arguments objectifs en étudiant les 400 cas de GPA rapportés dans la littérature à partir de l’expérience de certains États – Californie, Grande-Bretagne. Il a réalisé une étude médicale très complète, regroupant des arguments pour et contre la GPA. Il informera le législateur des conséquences médicales de ce type de gestation.

Ce chapitre illustre bien notre méthode de travail. Nous ne sommes pas des législateurs. Nous ne pouvons ni ne voulons l’être. Nous sommes des médecins qui, sur des problèmes interférant avec l’éthique, la religion et les sensibilités de chacun, informent et donnent des arguments médicaux – et seulement médicaux.

Cinquième thème et question : comment faire évoluer la législation des dons d’organes ?

L’Académie a émis plusieurs propositions et recommandations dans le cadre d’un groupe de travail présidé par Yves Chapuis.

On distingue trois types de prélèvements.

Les premiers sont les prélèvements sur personnes en état de mort encéphalique. Leur taux reste autour de 30 % – 27 % en 2007 – dans le régime actuel du consentement présumé. Ce taux est très insuffisant par rapport à la demande, qu’il s’agisse des greffes de rein ou de foie. Le refus des familles reflète, semble-t-il, davantage le point de vue des proches que celui de la personne décédée.

Que faire ? Actuellement, le registre du refus de dons d’organes est peu utilisé : 70 000 refus. Nos propositions seront, là encore, exprimées sous forme d’interrogations. Ne vaut-il pas mieux proposer d’inscrire ce refus sur la carte vitale de tous les sujets vivants ? On pourrait aussi instaurer un registre de donneurs volontaires d’organes à remplir de son vivant. On pourrait également revenir tout simplement à la notion de don implicite tel que l’instituait la loi Caillavet, mais ce serait en contradiction avec la loi Kouchner de 2002 sur les droits du malade.

Le deuxième type de prélèvements, ce sont ceux opérés sur donneurs à cœur arrêté. Consciente de l’intérêt de nouvelles approches de nature à favoriser l’obtention de greffons, comme les prélèvements à cœur arrêté, l’Académie est attentive aux expérimentations des procédures initiées dans le cadre de l’Agence de la biomédecine. Une évaluation des pratiques semble toutefois s’imposer, notamment s’agissant des techniques de réanimation innovantes faisant intervenir le recours à la circulation extracorporelle.

Le troisième type de prélèvements comporte ceux effectués sur donneurs vivants. Cette ressource reste marginale en France : 8 % pour la greffe de rein, 1,7 % pour la greffe de foie, exceptionnel pour le poumon.

Le rapport d’Yves Chapuis insiste, premièrement, sur le maintien des comités d’experts appelés désormais « comités donneurs vivants » et sur la présence de médecins dans le comité – ces derniers en sont absents actuellement – ; deuxièmement, sur le maintien dans la loi de l’obligation de la tenue des registres par l’Agence de biomédecine concernant l’activité de greffes, mais aussi l’avenir des donneurs et des receveurs ; troisièmement, sur la nécessité d’un statut du donneur.

Sixième question : les prélèvements tissulaires à but scientifique sur le patient décédé sont-ils nécessaires ?

Ils font actuellement l’objet d’une étude par un groupe de travail, dirigé par Jean-Jacques Hauw et Raymond Ardaillou, qui doit remettre prochainement ses conclusions. Notre Compagnie les transmettra à votre mission. Vous devriez les avoir au milieu du mois de février.

Il faut insister sur les difficultés entraînées par la réglementation actuelle et la nécessité d’y remédier. Les problèmes administratifs sont très lourds. Ces prélèvements qui doivent être regroupés dans des centres de recherche biologique ne le sont toujours pas. Les associations de patients – France Alzheimer, France Parkinson, AFM, par exemple – soutiennent et encouragent ce don d’organes pour la recherche, et contribuent souvent à financer celle-ci.

L’autopsie médicale, à la base de la médecine, n’existe plus dans les hôpitaux. Elle est pourtant nécessaire au progrès de la médecine. Or, elle est rendue très difficile par la loi Kouchner. Une solution doit être recherchée.

Septième question : faut-il permettre des tests génétiques pour convenance personnelle ?

En plus des indications juridiques dans les enquêtes criminelles, scientifiques et médicales, se pose en effet le problème des analyses du génome effectuées par convenance personnelle. La législation actuelle ne les autorise pas mais beaucoup de Français vont les faire pratiquer à l’étranger. La loi devrait évoluer car la France ne peut garder seule une attitude restrictive. D’autant plus que les tests proposés au public devraient faire l’objet d’une autorisation préalable et d’une information du public sur leur interprétation et leurs limites ; aujourd’hui rien ne limite le délire dans l’interprétation des résultats.

Pour terminer, nous voudrions émettre un souhait et faire une annonce.

Notre souhait a été formulé par de nombreux chercheurs : il faut simplifier. Le dispositif instauré et modifié à différentes reprises depuis les lois de 1994 est très lourd et nécessite de nombreuses démarches administratives. Il pourrait sans doute être simplifié. L’Agence de la biomédecine doit conserver son pouvoir, et peut-être également acquérir une liberté décisionnelle accrue. Est-il nécessaire, par exemple, que le guide de bonnes pratiques fasse l’objet d’un arrêté ministériel ? Est-il nécessaire de publier par arrêté ministériel le bilan annuel réalisé par les centres et synthétisé par l’Agence ?

L’annonce que nous souhaitons faire est que l’Académie de médecine, en parrainage avec l’Espace Éthique de l’AP-HP, participera aux États généraux de la bioéthique.

Elle organisera, dans ses locaux de la rue Bonaparte, de mars à juin 2009, entre six et huit séances de rencontres avec le public. Ces rencontres reprendront les différents thèmes des révisions de la loi relative à la bioéthique à partir d’un exposé approfondi suivi des commentaires de deux intervenants. L’Académie confirme ainsi son rôle de formation et d’information et son désir de contribuer à l’évolution des lois de bioéthique.

Nous vous laisserons un document regroupant les trente-deux publications de l’Académie sur le thème de la bioéthique, des brochures sur les cellules souches et la grossesse, et le programme des réunions « populaires » que nous organiserons de mars à juin à l’occasion des États généraux.

Nous avons insisté pour venir tous les deux devant votre mission alors qu’aucun de nous n’est spécialisé en éthique médicale. Nous la connaissons comme tout médecin. Il nous a semblé plus logique d’interroger les membres de notre Compagnie impliqués dans ces problèmes afin de vous donner un point de vue de médecins.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Nous vous remercions pour votre exposé détaillé et votre documentation.

Ma première question concerne le diagnostic préimplantatoire. Vous avez dit que l’Académie était très attentive à la définition de l’incurabilité. Nous nous sommes demandés avec le professeur Jean-François Mattei, que nous avons entendu il y a un instant, s’il ne fallait pas remplacer le mot « incurable » par l’expression « d’une extrême gravité » car une maladie peut être incurable aujourd’hui et ne plus l’être demain.

M. Jacques-Louis Binet. Je suis tout à fait de votre avis, d’autant que le mot « incurable » n’est guère un terme médical.

Un membre de l’Académie a eu un fils qui est né avec toutes les malformations possibles. Celui-ci a actuellement une situation importante et est lui-même membre de l’Académie alors que la maladie dont il était atteint était considérée comme incurable dans les livres. De plus la chirurgie néonatale et embryonnaire ne cesse de faire des progrès.

M. Géraud Lasfargues. L’Académie craint l’établissement d’une liste des maladies incurables. Nous en avons vu une l’autre jour où figuraient deux maladies totalement curables. Les termes « maladies d’une extrême gravité » conviennent donc mieux.

Il est important d’établir une claire distinction entre le dépistage de ces maladies et les diagnostics préimplantatoires permettant de déceler la possibilité d’une maladie grave à un certain âge. Quoique fondamentale, cette distinction est en train de se perdre dans l’esprit des gens. Ceux qui vont se faire faire un génome à Vienne ou à Zurich et reviennent avec un pronostic d’un risque sur cinq de développer un cancer de la prostate ou un risque sur dix d’avoir un cancer du sein se retrouvent dans une situation insupportable car ils ne savent pas quoi en penser. On suscite leur anxiété sans résoudre leurs problèmes.

De même, s’il existe une liste des maladies « incurables », l’échographe qui décèle une anomalie correspondant à une de ces maladies le dira à la mère – comme cela s’est passé il n’y a pas très longtemps – et poussera systématiquement celle-ci à avorter, ce qui la mettra dans une situation horrible, alors que la décision doit faire suite à une discussion entre son médecin traitant et elle.

Le fils de notre collègue dont a parlé Jacques-Louis Binet est aujourd’hui agrégé de pharmacie, membre de l’Académie de pharmacie et père de plusieurs enfants bien qu’il ait eu une vie extrêmement difficile du fait des handicaps majeurs qu’il a. Ce n’est pas au législateur de dire qu’une maladie est incurable.

M. Jacques-Louis Binet. Ni même au médecin, compte tenu de l’évolution de la médecine.

M. le rapporteur. Ma seconde question porte sur le consentement présumé pour les greffes d’organes. Comme nous avons appris que l’Espagne avait un taux de donneurs beaucoup plus important que la France, nous réfléchissons à la révision de la loi.

La mention « Je ne suis pas donneur » sur la carte vitale pourrait avoir un caractère discriminant : le porteur de la carte pourrait être considéré par la société comme ne faisant pas preuve de la solidarité ou de la fraternité escomptée. Certains préféreraient un consentement réel, avec la mention « Je suis donneur » sur la carte vitale. Comment peut-on conserver l’idée de donneur présumé avec une inscription sur la carte vitale? Comment sortir de la situation actuelle ou ce sont bien souvent, de fait, les proches qui décident ?

M. Géraud Lasfargues. Le cas de l’Espagne est particulier. Ce pays compte un nombre très élevé de donneurs vivants et réalise trois fois plus de greffes que la France. Le système de recueillement est extrêmement efficace puisqu’on offre aux familles de payer les funérailles de la personne qui donne ses organes. Mais un tel système est impossible à appliquer en France. Il est très éloigné de la sensibilité des médecins français.

Le don implicite, tel que prévu par la loi Caillavet, est le système le plus simple, mais il est contraire à la loi Kouchner aux termes de laquelle on n’a pas le droit de prendre un organe sans le consentement du malade.

M. le rapporteur. La loi Kouchner n’élimine pas le consentement implicite.

M. Géraud Lasfargues. Elle le contredit. Tous les juristes que nous avons rencontrés nous ont dit que, tant qu’il y aurait la loi Kouchner, nous ne pourrions pas revenir à la loi Caillavet. Cette dernière était d’une simplicité remarquable : s’il n’y avait pas de papier sur le malade indiquant qu’il ne voulait pas donner ses organes, on n’avait pas à appeler la famille.

L’attitude des familles est compréhensible. Prenons le cas d’un jeune de vingt ans qui a un accident de voiture. On téléphone à sa famille de la Pitié-Salpêtrière où il a été placé pour lui annoncer : « Votre fils est en état de mort encéphalique. Pouvons-nous prendre les organes ? » Évidemment, 90 % des familles répondent par la négative.

Il y a deux autres solutions : inscrire le refus du don d’organes sur la carte vitale ou, à l’inverse, faire un registre des donneurs volontaires, avec le risque, dans les deux cas, que ceux qui refusent soient regardés d’un sale œil. Les transplanteurs sont favorables à la première solution : toutes les personnes qui n’auraient pas inscrit sur leur carte vitale qu’ils ne sont pas donneurs d’organes seraient considérés comme pouvant les donner.

M. Jacques-Louis Binet. Le système actuel crée des difficultés aux médecins. Ils doivent attendre un quart d’heure ou une demi-heure après l’annonce de la mort pour demander à la famille si elle accepterait que le malade donne son cœur par solidarité. Nous connaissons tous des familles qui ont accepté. Cela demande beaucoup de générosité.

M. le rapporteur. Que proposez-vous ?

M. le président. La solution qui ressort des auditions est le consentement présumé.

M. Géraud Lasfargues. Il faut soit revenir à la loi Caillavet, soit opter pour l’inscription sur la carte vitale.

M. le rapporteur. Un cas s’est produit récemment qui pose un problème majeur. Un sujet, en état de mort apparente, est en réanimation. Au bout d’un moment, le SAMU le considère en état de mort cérébrale...

M. Géraud Lasfargues. C’est le cas typique d’un cœur arrêté. La personne est alors bardée de sondes et emmenée à la Pitié-Salpêtrière où on essaie de la réanimer pendant quarante-cinq minutes. Si le cœur ne redémarre pas, elle est considérée en état de mort encéphalique. Les prélèvements ne peuvent avoir lieu que dans cet état. La distinction entre cœur arrêté et mort encéphalique est fondamentale.

M. le rapporteur. Dans l’histoire que je relate, il est décidé de prélever les reins de la personne. Comme on veut le faire sur cœur battant, on demande à l’équipe de continuer la réanimation, ce qui aboutit à ce que le malade reprenne une vie encéphalique et revienne donc à la vie. Est-il possible de trouver des critères beaucoup plus objectifs sur le plan médical pour éviter de se retrouver dans cette situation paradoxale où c’est parce qu’il n’a pas été possible de faire le prélèvement d’organes que la prolongation de la réanimation a sauvé le patient ?

M. Géraud Lasfargues. Au bout de quarante-cinq minutes de réanimation, il y a deux possibilités : soit le cœur ne redémarre pas et le cerveau commence à souffrir – et le patient est considéré en état de mort encéphalique –, soit le cœur redémarre et le patient va en réanimation. Récemment, un de nos collègues a fait un arrêt cardiaque. Son cœur a redémarré au bout de neuf chocs cardiaques.

Les critères de Coulon sur la mort encéphalique sont très précis et reconnus dans le monde entier.

M. le rapporteur. Comment expliquez-vous le cas que j’ai cité ?

M. Jacques-Louis Binet. L’électroencéphalogramme ou l’électrocardiogramme ont dû être mal interprétés.

M. Géraud Lasfargues. Il y a toujours des cas limites. On peut attendre plus longtemps avant de dire que le patient est mort. Certains font même des CEC, des circulations extracorporelles, avant de se prononcer. Mais je pense que les réanimateurs pourront vous donner des critères très précis permettant, dans 99 % des cas, d’être devant une situation claire.

M. Jacques-Louis Binet. Les réanimateurs sont confrontés à ce problème tout le temps. À un moment, ils cessent la réanimation parce qu’il n’y a plus d’espoir. Les seuls à être confrontés au problème de l’euthanasie, ce sont eux.

M. Géraud Lasfargues. Ce qu’il faudrait, c’est évaluer les techniques nouvelles. Cela devrait faire partie de la méthodologie dont je parlais tout à l’heure. L’Agence de biomédecine devrait évaluer les techniques qu’utilisent les réanimateurs.

M. Jacques-Louis Binet. Il importe de mettre en place une méthodologie médicale sur les questions d’éthique médicale. Il ne devrait pas y avoir de loi en la matière sans expérimentation préalable. C’est ce qu’a fait notre confrère Georges David pour le don de sperme dans le cadre du CECOS – centre d’études et de conservation des œufs et du sperme. Chaque étape a fait l’objet d’une analyse sérieuse. Lorsqu’il a lancé l’idée d’une banque de spermatozoïdes, celle-ci a été refusée par tout le monde mais il a su, grâce à sa méthodologie, convaincre non seulement qu’elle ne présentait pas de risques mais encore qu’elle était nécessaire.

M. Géraud Lasfargues. La seule méthodologie qui existe à l’heure actuelle est celle des CECOS sur les dons de spermatozoïdes. Depuis dix ans, ceux-ci font l’objet d’une évaluation constante. On sait, par exemple, que, l’année dernière, il a fallu 243 000 embryons pour faire 12 000 enfants.

M. Jacques-Louis Binet. Ce qui est une catastrophe !

M. Géraud Lasfargues. Il y a là un problème majeur : 40 % des embryons qui sont fabriqués, appelés pré-embryons, ne se développent pas s’ils sont implantés.

M. Xavier Breton. Avez-vous des échanges avec vos homologues d’autres pays, notamment européens ? Ces échanges portent-ils sur des questions de bioéthique et, si oui, les expériences des autres pays peuvent-elles être sources d’inspiration pour nous ?

Avez-vous déjà commencé à travailler ou comptez-vous prochainement travailler sur les nanotechnologies et les neurosciences qui vont, elles aussi, poser des questions d’éthique ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. Je ferai deux remarques par rapport à ce que vous avez dit concernant le don d’organes.

Vous avez dit que l’inscription sur la carte vitale comportait le risque que les personnes qui refuseraient soient « regardées d’un sale œil ». Pour moi, ce n’est pas en culpabilisant ceux qui ne voudraient pas donner leurs organes qu’on obtiendra plus de dons. Donner un organe, ce n’est pas comme faire un chèque de 50 euros à un organisme. Cela fait intervenir des considérations culturelles, religieuses et philosophiques dont une société comme la nôtre doit tenir compte sans sectarisme ni jugement. Nous devons être vigilants au regard collectif que nous portons sur le don d’organes.

Vous avez fait remarquer que la sensibilité des médecins français n’était pas la même que celle des médecins espagnols. Il en est de même de la sensibilité des familles.

Ma question concerne le don de gamètes. Tout être humain a le droit de connaître son origine et en a souvent le désir, ce qui pose un problème lorsqu’il y a don de gamètes. Vous avez dit que les personnes concernées ne sont que 1 pour 1000, taux cité également il y a quelques instants par le professeur Mattei. Mais, sur les 12 000 naissances par an, cela représente douze cas qui peuvent être particulièrement douloureux et, au fil des ans, cela fait un certain nombre de cas. N’est-il pas insuffisant de répondre à cette question simplement par un pourcentage ? Nous sommes toute notre vie les enfants de nos parents. Que peut-on répondre à une personne qui voudrait connaître son origine – même si le père qui l’a élevée est vraiment son père, car, à défaut de lui donner un spermatozoïde, il lui a donné de l’amour ? Peut-on lever une partie de l’anonymat ?

M. Géraud Lasfargues. Croyez-vous que la personne sera mieux quand elle connaîtra cette origine ? La position que nous avons donnée semble tranchée mais elle a fait l’objet d’une très longue discussion à l’Académie. Nous avons également interrogé nos confrères et des familles. Une personne sur mille qui souffre de ne pas connaître son origine ne doit pas masquer les 999 autres qui n’ont aucun problème.

Dans le domaine de l’adoption, nous voyons, à l’heure actuelle, de nombreuses filles de quatorze ou seize ans rechercher leur père ou leur mère biologique. Pour en avoir suivi beaucoup en tant que pédiatre, je puis vous dire que, quand elles le ou la retrouvent, elles ne sont pas en général apaisées.

Deux courants s’opposent sur ce sujet. Les psychanalystes français sont favorables à la connaissance de la filiation. La grande majorité des pédiatres qui suivent les enfants y sont assez opposés.

Une autre question à se poser est : doit-on satisfaire tous les désirs des gens ? Jusqu’où peut-on aller ? Cette question se pose également en matière de GPA. Le désir d’un enfant de connaître son père biologique comme celui d’une femme d’avoir un enfant sont immenses et, quand ils ne sont pas satisfaits, causent une détresse incommensurable. À l’évidence, nous souhaiterions tous les deux pouvoir combler au maximum le désir des gens qui viennent nous voir ; mais il nous faut confronter ce désir au concret. Croyez-vous qu’il y aura encore beaucoup de donneurs de gamètes si on lève l’anonymat ? Je pense que non. Même le système du double guichet n’a pas été bien vécu par les donneurs. Quant aux douze enfants qui naissent par an et qui sont malheureux de ne pas connaître leur père biologique, iront-ils mieux en le connaissant ? Cela reste à prouver.

À l’heure actuelle, nous sommes un peu dans l’impasse : ou bien on se focalise sur les douze enfants qui souffrent de ne pas connaître leur origine et ils deviennent plus importants que les autres, ou bien on privilégie la majorité par rapport à la minorité. On peut dresser deux colonnes avec, d’un côté, les avantages et, de l’autre, les inconvénients. Au moment de trancher, aucune solution n’est vraiment bonne.

Nous avons évidemment des relations avec nos homologues européens et américains. En particulier, dans le domaine de la GPA, nous avons fait une étude très minutieuse des 400 femmes californiennes. S’il est aisé d’analyser les faits objectifs, nous nous sommes rendu compte qu’il existait d’énormes différences culturelles, philosophiques et religieuses entre les pays latins et les pays anglo-saxons (pour le dire schématiquement). Les méthodes de contraception tout comme l’approche de la GPA sont différentes. Celle-ci semble ne guère avoir posé de problème à nos collègues anglais – tout au moins au départ car il y a d’autres problèmes aujourd’hui – tandis qu’en France, il est souvent impossible d’en parler. L’instrumentalisation du corps humain n’est pas envisageable. Mme Jospin nous a clairement dit que c’était impensable.

Je suis moins catégorique, premièrement, parce que le désir pour une femme d’avoir un enfant est immense, deuxièmement, parce que je ne vois pas pourquoi, après avoir permis le don de spermatozoïdes et d’ovocytes, on refuserait le prêt de la maison.

Les 400 femmes qui ont accepté une GPA sont toutes infertiles à cause d’une anomalie du vagin ou de l’utérus. Elles ne peuvent pas avoir d’enfants parce qu’elles n’ont pas de maison pour les construire. Quand on les interroge, on s’aperçoit qu’il était assez logique pour elles de demander à quelqu’un d’autre de leur prêter un toit pendant neuf mois.

Nous retrouvons là la question qui a été déjà posée : doit-on accepter tous les désirs, même aussi nobles que celui d’avoir un enfant ?

M. Jacques-Louis Binet. Qu’arrive-t-il en cas d’accident ?

M. Géraud Lasfargues. Un exemple est frappant à ce sujet. Une jeune femme, ayant fait une hémorragie de la délivrance, a subi une hystérectomie quinze jours après, l’empêchant d’avoir d’autres enfants. Comme elle n’avait pas eu d’enfant avant, elle a refusé de donner celui qu’elle avait porté.

M. Jacques-Louis Binet. C’est pourquoi beaucoup de pays demandent que la gestante ait eu deux enfants avant. Mais elle n’en aura pas moins des rapports avec l’enfant qui est en elle. On peut très bien imaginer qu’elle veuille le garder.

M. Géraud Lasfargues. D’autant qu’il y a plusieurs cas de figure. L’œuf peut être issu de gamètes soit de la demandeuse et de son mari, soit du mari de la femme gestante, soit de l’ovocyte de cette dernière. Tous ces cas se rencontrent chez les femmes californiennes.

M. Jacques-Louis Binet. Les lois sont différentes selon les pays. Dans l’un, l’enfant qui est dans le ventre de la femme gestante appartient à la femme à laquelle il sera donné tandis que, dans un autre, il appartient à la gestante qui, ensuite, le donnera selon une procédure administrative ou juridique. Vous vous rendez compte des problèmes psychologiques que cela pose.

M. Géraud Lasfargues. Que dira-t-on ensuite à l’enfant qui demandera comment il a été conçu ? Notre rôle n’est pas de vous dire s’il faut ou non autoriser la GPA. Il est de vous donner les arguments médicaux pour et contre. Il faut ensuite se poser la question de savoir si la société est prête ou non à accepter cette solution.

M. Jacques-Louis Binet. Concernant les nanotechnologies, deux ou trois personnes, dont M. Ardaillou, travaillent sur le sujet. Mais nous n’en sommes encore qu’à la technique. La signification des nanorésultats n’a pas encore son contrepoint médical. On ne peut pas encore dire si telle augmentation à des doses infinitésimales de tel corps a une action en pathologie.

Comme le disait Jean Bernard, il n’y a pas d’éthique médicale universelle. Le Français ne raisonne pas comme l’Algérien, ni même comme l’Allemand ou l’Anglo-Saxon. Notre diversité s’étend à nos convictions et à notre conception de la vie. Une juridiction unique n’est pas souhaitable.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Pensez-vous que les embryons sans projet parental puissent être « matière à recherche » ?

M. Jacques-Louis Binet. M. Lasfargues et moi-même n’avons peut-être pas le même point de vue sur le sujet. Personnellement, je répondrai par l’affirmative.

La production de cellules souches embryonnaires est interdite en France mais on peut avoir une autorisation pour aller en chercher à l’étranger si le projet est correct. Or, les projets ne sont pas faits par des fous. Il serait, dès lors, singulier d’être amené à jeter des embryons sans projet parental.

Un autre argument sur lequel insistent beaucoup de nos confrères gynécologues est qu’on ne sait pas grand-chose sur l’embryon. C’est pourquoi je pense que les embryons sans projet parental devraient être utilisés pour la recherche. Cela permettrait de déceler les pathologies très tôt.

Le moratoire tous les cinq ans interdit, dans ce domaine, les recherches de longue durée.

M. Géraud Lasfargues. M. Mattei a une position très différente. Selon lui, on n’a pas besoin de cellules embryonnaires. Il suffit de prendre des cellules somatiques totipotentes reprogrammées. Or, les chercheurs que nous avons interrogés nous ont dit que les cellules reprogrammées gardaient le souvenir de leur état antérieur. À l’heure actuelle, on ne peut donc pas dire que les cellules iPS reprogrammées soient exactement comme les cellules embryonnaires.

C’est la raison pour laquelle l’Académie préconise de poursuivre l’étude et des cellules somatiques et des cellules embryonnaires afin de déterminer si l’on a besoin ou non de ces dernières. Si on en a besoin, il faut arrêter d’aller les chercher en Israël, en Allemagne ou ailleurs. C’est hypocrite.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Sur le plan de la technique, ne peut-on pas, dans le cadre de la procréation médicalement assistée, diminuer le nombre d’embryons surnuméraires ?

M. Géraud Lasfargues. C’est une question très importante. Comme vous le dira M. Sureau, les gynécologues pensent pouvoir diminuer le nombre d’embryons de moitié. Mais, il faut, pour cela, autoriser certaines études sur l’embryon.

Si mes souvenirs sont exacts, c’est au stade de huit blastomères, c’est-à-dire huit cellules, qu’il faut en prélever deux. L’évolution de l’embryon n’en est absolument pas modifiée et l’on peut même la prévoir selon l’état des trophoblastes des deux cellules prélevées. Comme je l’ai déjà dit, 40 % des embryons que l’on fabrique, que l’on appelle pré-embryons, seront toujours incapables de devenir fœtus. Si l’on arrive à les sélectionner au départ, on pourra diminuer le nombre d’embryons.

Les chiffres à l’heure actuelle sont impressionnants : il faut 240 000 embryons pour avoir 12 000 naissances par an. Selon les gynécologues, on devrait pouvoir passer à 100 000 embryons pour 12 000 naissances en appliquant de nouvelles techniques, actuellement non autorisées.

M. Sureau, que vous avez prévu d’entendre, a une position plus ouverte que Mme Hermange, qui est plus proche de M. Mattei.

À l’Académie, il y a rarement unanimité sur la question des cellules souches. Il y a de très fortes minorités dans un sens et dans l’autre, comme dans la population.

M. Jacques-Louis Binet. Il est fort possible que l’Académie soit incapable de conclure dans les trois prochains rapports que nous vous ferons parvenir. Ceux-ci donneront des arguments pour et des arguments contre mais ne trancheront pas la question.

M. le président. Nous vous remercions, messieurs.

Audition de Mme Simone VEIL, présidente du Comité de réflexion
sur la Préambule de la Constitution



(Procès-verbal de la séance du 28 janvier 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Je vous remercie, madame, d’avoir accepté cette audition. Inutile de vous présenter : académicienne, ancien ministre de la santé, ancienne présidente du Parlement européen, ancien membre du Conseil constitutionnel. Ces seules fonctions justifieraient l’invitation de notre mission. Mais votre audition est d’autant plus importante pour nous que, tout au long de votre carrière, vous vous êtes penchée sur des questions relevant du domaine de la bioéthique. La loi sur l’interruption volontaire de grossesse, qui porte votre nom, a posé les bases de la réflexion éthique sur le statut de l’embryon et les débuts de la vie. Plus récemment, le Président de la République vous a confié la présidence du Comité de réflexion sur le Préambule de la Constitution. Dans le rapport de ce Comité, que vous avez remis le 17 décembre dernier, vous appréciez la pertinence qu’il y aurait à inscrire dans le Préambule de la Constitution, et donc dans les droits qu’elle garantit, les grands principes de bioéthique d’une part, et le principe de dignité de la personne humaine de l’autre.

Vous avez écarté la constitutionnalisation des grands principes de bioéthique, du fait notamment de leur nombre et de leur caractère révisable, et estimé que « il valait mieux s’en remettre au législateur, soumis à l’obligation de réviser périodiquement ces textes ». Le rapport précise qu’ « il serait difficile de donner valeur constitutionnelle aux différents principes de bioéthique, car ces derniers, qui peuvent aujourd’hui paraître intangibles, pourraient fort bien ne plus l’être demain. »

À la lumière des auditions réalisées par le Comité et de votre expérience personnelle, pensez-vous que les grands principes de bioéthique doivent être établis de manière définitive par la loi ou qu’il faille en prévoir à nouveau la révision périodique ? Vous avez proposé, à l’inverse, d’introduire dans notre norme suprême la reconnaissance de l’égale dignité de chacun. Que changerait cette constitutionnalisation de la dignité dans le domaine de la bioéthique ? N’aurait-elle qu’une valeur symbolique ou emporterait-elle des conséquences sur le plan juridique ?

Mme Simone Veil. Bien que restreint, ce Comité de réflexion s’est avéré très intéressant. Je tiens à rendre hommage à ses membres – juristes, médecins, parlementaires, dont le Président de l’Assemblée – qui sont venus y travailler pendant dix-huit mois, tous les jeudis, dans un climat d’amitié très favorable à la discussion. Certains ont pu considérer que nous n’avions retiré de nos travaux « que » le principe de dignité. Mais derrière ce principe, nous avons mis beaucoup de choses. Malgré nos différences, nous nous sommes mis d’accord sur un certain nombre de principes fondamentaux et nous avons été unanimes à penser qu’il fallait faire preuve de beaucoup de prudence.

Nous avons procédé à de très nombreuses auditions, retranscrites par un personnel de qualité, mis à notre disposition par la Présidence de la République. Nous avons fait en sorte de choisir des personnalités représentatives de la diversité de l’opinion française. Nous avons évité de les confronter, car des débats n’auraient rien donné et auraient pu mettre certaines d’entre elles en difficulté. Ces auditions seront publiées.

Pour nous tous, il manquait quelque chose au Préambule de la Constitution : la référence à la dignité, une dignité prenant en charge tout ce qui concerne la vie humaine, entendue comme un élément majeur de la relation entre la société et l’individu. Nous nous sommes aperçus que ce n’était pas là ce que certains attendaient de nous. Nous n’en avons pas moins tracé notre chemin, restant attentifs au respect de la personne. C’est dans cette perspective que nous avons travaillé : en évitant le dogmatisme, mais en prenant la réalité en compte afin d’améliorer certaines situations. Votre président est venu assez souvent, malgré ses occupations. En tant que médecin, son appui nous a été très utile.

Avec la bioéthique, on entre dans une sphère très difficile : jusqu’où peut-on aller ? Comment ? Que faut-il faire ? Que ne faut-il pas faire ? Les différences sont parfois très grandes entre les uns et les autres. Nous avons respecté ces différences et laissé chacun expliquer longuement sa position. C’est la partie de notre travail qui fut la plus polémique, comme cela ressort des enregistrements.

Tous ceux qui ont participé au débat sont restés sur la même ligne : il s’agit de respecter la personne et de veiller à ce que l’on n’aille pas trop loin. Mais jusqu’où peut-on aller ? Sauf cas particulier, nous avons estimé que l’on pouvait avancer dans ce domaine, tout en sachant que de nombreux garde-fous existent déjà. Nous n’avons pas voulu fermer la porte à toute évolution de la science. On ne peut pas dire aujourd’hui que telle ou telle pratique sera interdite pour toujours. Certaines pratiques sont interdites en France, alors qu’elles sont permises en Belgique, par exemple ; mais les Français vont en Belgique. Par ailleurs, la science évoluant, les conditions pourront devenir acceptables. Enfin, on peut penser, dans la perspective du traité de Lisbonne, que ces questions seront traitées dans les textes européens et qu’une entente interviendra nécessairement. Nous aurons alors notre mot à dire.

Une chose m’a frappée : c’est souvent le Conseil constitutionnel qui est intervenu pour dire ce qui était ou non faisable. Dans l’ensemble, ce qu’il a édicté a été intégré dans la pratique. Il a par ailleurs des relations avec des instances internationales, devant lesquels les Français peuvent former des recours, et qui ont permis le développement d’une certaine logique. Cela me paraît extrêmement important.

Mais ce qui me semble surtout important, encore une fois, c’est que notre petit groupe, malgré les différences qu’il y avait entre ses membres, ait pu trouver un accord. Il faut savoir que notre société peut très bien, et sans doute assez rapidement, aller trop loin, ou au contraire se restreindre et devenir extrêmement rigoureuse en stoppant certaines situations, quitte à revenir en arrière, alors que celles-ci sont déjà très bien bordées et acceptées. Entre extrême rigueur et laxisme, il est bon d’être vigilants. Mais je ne suis pas pessimiste. Le traité de Lisbonne va très loin, il enferme des obligations sur ces questions pour l’ensemble des Européens, ce qui constitue une garantie.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Je vous remercie de votre présence.

Dans la société actuelle, la dignité est à géométrie variable. Certains la considèrent comme un élément constitutif de chaque être humain ; d’autres estiment qu’il s’agit plutôt de l’estime de soi ou du regard que portent les autres sur eux-mêmes. Pourriez-vous nous donner votre définition de cette dignité que vous avez retenue dans le Préambule de la Constitution ?

Pensez-vous que l’on puisse adopter cette hiérarchie des normes : d’abord, au niveau constitutionnel, le principe de dignité ; ensuite, au niveau législatif, certains principes comme l’inviolabilité du corps humain, la non marchandisation, l’anonymat du don, etc, repris dans une loi-cadre assez large ; enfin, dans des situations médicales complexes et nouvelles, rendues possibles par les découvertes, les cas concrets qui seraient réglés par l’Agence de biomédecine ?

Vous avez parlé de l’international et de l’Europe. On avance un argument selon lequel, en bioéthique, on sera finalement obligé de s’aligner sur le « moins faisant » éthique. Puisque dans le pays voisin, on admet telle ou telle pratique, pourquoi l’interdire chez nous et créer une situation dans laquelle seules les personnes qui auront la possibilité de se déplacer, donc les plus riches, pourront se payer le luxe d’avoir recours à cette même pratique ? Il est tentant d’instituer une législation européenne dans le domaine de la bioéthique. Compte tenu de la disparité des législations européennes, est-il souhaitable de procéder à une harmonisation, ou de maintenir une réflexion éthique sur chaque territoire ? La France n’a toujours pas ratifié la convention d’Oviedo. Pensez-vous que nous devrions le faire ?

Enfin, pourquoi parler de « l’égale dignité de chacun » ? Estimez-vous important que l’on apprécie la dignité sous l’angle de la justice et de l’égalité ? Ou faut-il plutôt la considérer comme une valeur qui doit être respectée chez chaque personne, indépendamment de toute comparaison avec ses semblables ?

M. Paul Janneteau. M. le rapporteur a déjà très bien formulé les questions que je souhaitais vous poser concernant la dignité et une évolution possible vers une législation européenne. Plus concrètement, selon vous, quel peut-être l’avenir des embryons surnuméraires sans projet parental ?

M. Xavier Breton. Vous avez dit que nous disposions aujourd’hui de nombreux garde-fous. Il convient de s’interroger sur les domaines dans lesquels il n’y en pas encore assez, ou sur ceux dans lesquels ils ne seraient pas suffisants, ou trop rigides.

Dans le domaine des diagnostics prénataux, on observe certaines dérives. Ces diagnostics peuvent aboutir à des interruptions de grossesse, par exemple dans les cas de trisomie, et conduire (même si ce n’était pas le but initial) à l’élimination d’une partie de la population atteinte d’une maladie. Ne faudrait-il pas mettre en place des garde-fous, pour éviter un eugénisme a posteriori ?

Par ailleurs, un garde-fou a été posé dans le domaine de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, faisant intervenir la notion de projet parental. Cette dernière est-elle fondatrice de dignité ? La dignité peut-elle dépendre du bon vouloir de personnes extérieures ?

Mme Simone Veil. Nous étions partis d’une demande, formulée par le Président de la République, relative au Préambule de la Constitution. Il nous est apparu, dès notre première réunion, qu’il fallait affirmer la dignité de la personne et le principe selon lequel chaque personne a droit à la dignité. Même si nous sommes allés beaucoup plus loin par la suite, c’est la seule recommandation que nous ayons faite. La montagne a-t-elle accouché d’une souris ? Je n’en crois rien, car la reconnaissance de la dignité humaine, ainsi mise en valeur, était déjà très importante. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel l’avait prise en compte.

Il ne faut pas oublier le contexte européen, avec le traité de Lisbonne qui va sans doute resserrer les liens entre les Européens et les amener à respecter de mieux en mieux certaines obligations. Quelles que soient nos difficultés momentanées avec certains pays, ce sont, dans l’ensemble, les mêmes textes qui sont appliqués, et un certain accord règne sur la nécessité de les respecter.

Au stade prénatal, il est nécessaire de faire des enquêtes, de connaître les pratiques, de déterminer les cas où le corps médical doit ou non intervenir. La jurisprudence française a d’ailleurs évolué : on accepte maintenant qu’un enfant qui n’a pas pu vivre ait droit à une reconnaissance et ait droit à être enterré. Il faut sans doute aller encore plus loin. De nombreux parents sont prêts à accueillir un enfant très prématuré. En même temps, il faut éviter que des enfants qui auraient pu être viables ne soient sacrifiés. Il convient d’être prudent, surtout en cette période de crise économique. Je me réjouis en tous cas que les Français aient dépassé les Irlandais s’agissant du nombre des naissances.

M. Michel Vaxès. Je voudrais qu’on aille au-delà de la réponse que vous avez donnée à propos de l’harmonisation européenne. En effet, cette harmonisation pourrait se faire au détriment de ce qui est de meilleure qualité éthique chez nous que chez d’autres. J’en veux pour preuve la façon dont ont été traitées récemment les questions sur la fin de vie. Certains, dans l’opinion publique, notamment les adhérents de certaines associations, pensent que nous sommes frileux. Pourtant, au moment de l’évaluation de la loi de 2005, nous avons été unanimes à considérer que nous étions en avance sur ces questions. La Belgique et la Hollande ont adopté d’autres logiques. Il me semble pourtant que ce serait régresser que de s’aligner sur ces logiques.

Ce qui vaut pour la fin de vie peut valoir pour les questions qui nous préoccupent. Je ne voudrais pas que nous soyons amenés à des concessions que nous ne souhaiterions pas. Cela m’inquiète. Tout le monde ne considère pas encore que la dignité est inscrite dans la personne humaine.

Mme Marie-Thérèse Hermange, sénatrice, membre du Comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. J’aimerais revenir sur une des questions de M. Jean Leonetti. Le législateur se demande s’il faut réécrire ou revisiter la loi de bioéthique en faisant une loi-cadre, ou aller davantage dans le détail des différents questionnements qui se posent dans ce texte. Si l’on fait une loi-cadre et qu’un certain nombre de directives – notamment dans le domaine de la santé et du médicament – s’imposent à nous, notre législation ne risque-t-elle pas d’être dépassée par le niveau européen ?

Mme Simone Veil. Le niveau européen, aujourd’hui, est très largement partagé par les différents pays. Je ne crois pas qu’il puisse y avoir de véritable cassure dans la vision des choses. De toutes façons, les règles européennes sont discutées. Un certain nombre de pays ont la même vision que la France et je ne vois pas de menaces de ce côté-là. Certains pays nous soutiendront et surtout, le traité de Lisbonne permettra d’étendre les obligations s’agissant de certaines questions. Si nous restons seuls, nous aurons bien plus de difficultés que si nous collaborons avec les autres pays européens. Le danger pour nous serait de rester seuls. Ou alors, on renoncerait à l’Europe !

M. Jean-Marc Nesme. J’aimerais connaître votre sentiment sur la gestation pour autrui et savoir quelle différence il faut faire entre « droit de l’enfant » et « droit à l’enfant ».

Mme Simone Veil. Il n’y a pas de droit à l’enfant, malheureusement pour les gens qui en voudraient et qui n’en ont pas. C’est la nature. On peut admettre que, sous certaines conditions, des femmes qui ont des difficultés à avoir un enfant cherchent à en avoir. L’une de ces conditions a trait à l’âge de la femme ; à partir d’un certain âge, ce n’est pas souhaitable, et c’est d’ailleurs compliqué. Avoir un enfant pour autrui pose aussi des problèmes. Ces sujets sont matière à réflexion. N’oublions pas que lorsque l’on souhaite un enfant, il faut faire en sorte que la vie de celui-ci soit la meilleure possible ; or, je ne pense pas que, dans de telles conditions, ce soit le cas.

M. le rapporteur. Je voudrais insister sur l’égale dignité de chacun, dont vous avez parlé. La dignité n’est pas mesurable, dans la mesure où elle est donnée à chaque être humain. Pourquoi avoir utilisé une formule qui sous-entend que certains pourraient être « moins dignes » que d’autres ? Ne pourrait-on pas parler d’inviolabilité de la dignité de chacun, ou dire que chaque être humain est porteur de dignité, sans utiliser le mot d’égalité ?

Mme Simone Veil. Nous avons utilisé seulement le terme de dignité, et pas celui d’égalité. La dignité est un principe général. Si nous l’avons retenu dès notre première réunion, c’est parce qu’il s’attache à la personne prise individuellement, et parce qu’il concerne tout le monde, quel que soit son âge. Nous avons estimé que toute personne avait droit à ce que sa dignité soit reconnue. Cela ne va pas plus loin. Lorsque nous avons remis nos travaux au Président de la République, il a trouvé que le résultat était mince. Nous en avons malgré tout tiré un certain nombre d’éléments. Il nous a semblé important de reconnaître la dignité de la personne quelle qu’elle soit, en donnant au mot de dignité un sens fort : le respect que chacun doit avoir pour soi-même et le respect que l’État doit avoir vis-à-vis de chacun.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Vous avez insisté, avec raison, sur la dignité de la personne quel que soit son âge. Mais est-ce qu’un embryon congelé, de quelques cellules, au fond d’un congélateur, est une personne ?

Mme Simone Veil. Non, dans la mesure où la dignité doit avoir quelque chose de concret. Malgré ses différences, notre groupe s’est retrouvé sur certains points. Le fait que la dignité ait une consonance concrète en fait partie, ce dont le Conseil Constitutionnel est aussi le garant.

M. le président. J’aimerais revenir sur la décision qui vous a conduits à ne pas constitutionnaliser les grands principes de la bioéthique. Dans votre rapport, on peut lire qu’il vaut mieux s’en remettre au législateur, soumis à l’obligation de réviser périodiquement ces textes. Votre préférence, et celle de votre groupe, va donc vers une révision régulière des lois bioéthiques ?

Mme Simone Veil. Cela s’est toujours fait. Depuis dix ans, les lois bioéthiques ont été revues, pour éviter certaines choses, ou pour en intégrer d’autres. La situation n’est pas statique, ne serait-ce qu’en raison des progrès de la science.

M. le président. Au nom de la mission, je vous remercie d’avoir accepté de vous rendre à notre invitation. Je vous remercie également pour le travail effectué par votre groupe.

Mme Simone Veil. Je pense qu’il serait intéressant que M. Accoyer vous donne son avis.

M. le président. Nous ne manquerons pas de le lui demander.

Audition de M. Claude SUREAU, membre du Comité consultatif
national d’éthique (CCNE)



(Procès-verbal de la séance du 28 janvier 2009)

Présidence de M. Jean-Sébastien Vialatte, vice-président

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Je vous prie de bien vouloir excuser Alain Claeys, qui n’a pu présider cette audition.

Nous avons le plaisir d’accueillir parmi nous M. le professeur Claude Sureau, membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), ancien chef de service et professeur de gynécologie obstétrique et président honoraire de l’Académie nationale de médecine.

Vous menez depuis de nombreuses années une réflexion éthique qui porte notamment sur le statut du fœtus, les pratiques médicales relatives au début de la vie et le clonage. Vous êtes l’auteur de différents ouvrages dont L’erreur médicale, Son nom est personne, Fallait-il tuer l’enfant Foucault ?, Alice au pays des clones.

Le progrès des techniques médicales et l’entrée dans l’ère post-génomique ont accru de façon considérable nos possibilités d’intervention sur le vivant. Selon vous, la loi actuelle répond-elle aux nouvelles questions éthiques ? Convient-il de formuler de nouveaux principes juridiques ? Quels espoirs ces progrès scientifiques suscitent-ils et de quelles précautions doivent-ils être assortis ? Vous pourrez sans doute, sur toutes ces questions, nous apporter un éclairage nouveau, susceptible de nous aider pour la suite de nos travaux.

M. Claude Sureau. Je vous remercie. Avant tout, je précise que je m’exprimerai en mon nom propre, et non en celui du CCNE, ni de l’Académie de médecine.

D’une façon générale, je partage globalement, M. le président, les positions qui ont été exprimées dans votre rapport d’information et par l’ensemble des personnes que vous avez auditionnées.

Mon exposé portera sur cinq points.

J’évoquerai tout d’abord la procréation artificielle. J’y suis, comme vous, tout à fait favorable s’il s’agit d’un couple stérile qui dispose de ses propres gamètes, mais je ne suis pas certain de la validité de certaines dispositions législatives – âge de procréer, durée de la vie commune – prévues pour l’encadrer. Quant à l’insémination post mortem, vous avez conclu à son interdiction. Je suis en parfait accord avec vous sur ce point. Nous nous souvenons tous de l’affaire Parpalaix et des suites personnelles qu’elle a eues : elles ont montré que la position de Georges David dans cette affaire était parfaitement légitime. Ce qui m’a fait un énorme plaisir, c’est d’apprendre que vous proposez la licéité du transfert post mortem de l’embryon, dans des conditions précises. Nous avons en mémoire l’affaire Pires, qui m’a occupé durant une quinzaine d’années et a fait l’objet de débats passionnés, jusqu’au niveau politique. À l’époque, je partageais le sentiment exprimé par M. Alain Claeys. Pour plusieurs raisons, le législateur ne nous a pas suivis. Ce n’est qu’aujourd’hui, quinze ans plus tard, qu’un rapport parlementaire reconnaît, sous réserve qu’il soit encadré de façon stricte, la légitimité du transfert post mortem. Je suis parfaitement d’accord avec vous sur cette question.

J’attire votre attention sur un point que vous avez évoqué dans le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Je pense qu’il serait intéressant de développer la congélation ovocytaire, plus précisément la technique dite de vitrification. Des travaux sont en cours, notamment à Marseille. Il serait opportun que les agences concernées favorisent les recherches et la mise en application de la vitrification ovocytaire, qui, s’il se confirme qu’elle est efficace et sans danger, rendra des services considérables, ne serait-ce que celui d’éviter la congélation embryonnaire.

Sur la procréation artificielle avec des gamètes étrangers au couple, mon opinion est plus nuancée. Pour avoir fait partie, il y a plus de trente ans, du comité de surveillance du CECOS de l’hôpital Bicêtre à Paris, avec mon ami Georges David, je connais bien les éléments qui militent en faveur de l’anonymat du don, les parents qui bénéficient d’un don de sperme pouvant par ailleurs garder le secret sur le mode de conception. Il est logique de s’en tenir pour l’instant à l’anonymat – c’est la position que vous exprimez dans votre rapport –, malgré certaines réclamations dont je comprends la motivation. Mais je me demande si tout ceci n’appartiendra pas très vite au passé, car nous disposerons, dans une vingtaine d’années, d’une parfaite connaissance de l’identité génétique des individus. Dans de telles conditions, il sera difficile de maintenir l’anonymat des donneurs de sperme.

Dans son rapport au nom de l’OPECST, M. Alain Claeys mentionne que la loi, en France, ne saurait être rétroactive, à l’inverse des lois suédoises et britanniques. Mais les choses vont évoluer et je suppose que dans une vingtaine d’années, nos connaissances dans le domaine de la génétique seront telles que toutes ces réflexions seront obsolètes.

Vous préconisez l’abandon de la voie du « double guichet ». J’avais été sensible à cette proposition de Mme Valérie Pécresse, mais elle comporte certains inconvénients, notamment une forme de discrimination entre les personnes nées d’un don de gamètes, selon que celui-ci est ou non anonyme. C’est pourquoi je pense comme vous qu’il est légitime d’abandonner cette piste du double guichet.

J’ai également beaucoup apprécié votre position sur l’accès à l’assistance médicale à la procréation (AMP) pour les célibataires, que les lois de 1994 et de 2004 interdisent. En tant qu’obstétricien, j’ai passé la majeure partie de ma carrière dans un milieu féminin. J’ai pu observer que les enfants élevés par des mères célibataires recevaient une éducation de grande qualité. Vous allez me dire qu’une femme célibataire qui veut un enfant peut très bien le faire sans utiliser la médecine. C’est une évidence, mais il faut considérer le cas des femmes célibataires et stériles, et c’est pour celles-ci que je partage totalement votre proposition d’autoriser ces femmes célibataires à recourir à l’AMP.

J’en viens au problème extrêmement complexe du don d’ovocytes, sur lequel j’avoue ma grande incertitude du fait des risques inhérents à cette pratique et des questions de l’indemnisation et de la connaissance des origines. Je suis très incertain en effet et je m’inquiète de voir se multiplier les propositions tendant à le permettre dans un cadre familial. Une personnalité politique s’est dite prête à donner ses ovocytes à sa fille, si celle-ci s’avérait stérile, ce qui ferait de son petit-enfant son propre enfant ! Je ne partage pas cette opinion.

La loi actuelle prévoit l’accueil d’embryon. Je partage assez largement les réserves émises par le vice-président du CCNE, M. Pierre Le Coz : il évoque la « psychologie de fond de tube » des enfants qui, à la suite d’une fécondation in vitro et d’une congélation d’embryon, ne seront pas transplantés dans l’utérus de leur mère biologique mais dans celui d’une autre femme. C’est pourquoi, tout en reconnaissant la légitimité de cette disposition législative, je m’interroge sur ses conséquences, éventuellement perverses.

S’agissant de la gestation pour autrui, j’ai noté avec intérêt dans votre rapport que le professeur Atlan en préconisait l’expérimentation sociale en temps réel, comme l’avait fait Georges David en 1973 lors de la création des Centres d’études et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS), ce qui avait permis de mettre en place les dons de sperme. Cette voie mérite d’être explorée. Il faut sortir de la vision manichéenne imposée par certains milieux, qui souhaitent l’interdiction totale de la gestation pour autrui ou au contraire son acceptation sans conditions, que des personnalités redoutent au vu du désordre sociétal qu’il a généré aux États-Unis.

Je partage les incertitudes qui subsistent sur cette question et je vais vous livrer mon opinion personnelle, celle que je me suis forgée après avoir beaucoup réfléchi et entendu de nombreux couples. J’étais le gynécologue de la femme dont la situation a donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation de 1991. Je n’avais pas participé à son projet de gestation pour autrui, j’avais même tenté de l’en dissuader. Toutefois, à l’heure où je vous parle, dans la mesure où il y a consentement, où les parents qui accueilleront l’enfant sont également ses parents génétiques et en prenant un luxe de précautions, tant sur le plan physique que psychologique, je suis favorable à la gestation pour autrui.

J’en viens à l’évolution des embryons et des fœtus – leur destruction et leur protection. J’ai été heureux de lire dans le rapport de M. Claeys que vous reconnaissiez l’efficacité des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN) et que vous jugiez nécessaire l’encadrement strict du diagnostic préimplantatoire (DPI).

Je crois – pouvez-vous me le confirmer ? – que la législation actuelle maintient la contrainte de ne faire de DPI que pour repérer l’affection causale éventuellement génératrice d’anomalies dans la famille. Ne serait-il pas légitime de dépister en même temps la trisomie 21 ? Dans la mesure où l’on accepte le DPI, sachant que celui-ci sera éventuellement suivi d’une ponction amniotique – deux étapes qui ne sont pas sans danger – il me paraîtrait normal de procéder au dépistage de la trisomie 21 en même temps que celui de l’anomalie congénitale.

L’autre point sur lequel j’exprimerai un avis divergent du vôtre concerne la définition d’une liste indicative des affections d’une particulière gravité pour lesquelles un DPI peut être pratiqué. Je ne suis pas du tout satisfait par votre position sur ce point. Cela me rappelle la loi de 1975. Le Parlement, faisant face à d’importantes difficultés législatives, avait envisagé de subordonner l’interruption médicale de grossesse à une liste limitative de ses indications. J’avais d’ailleurs indiqué à Mme Veil qu’il me paraissait inopportun de fixer un cadre rigide ne correspondant pas aux réalités humaines et médicales. Je suis toujours très réservé quant à l’intérêt d’une telle liste.

Si tout le monde s’accorde sur l’intérêt de la thérapie génique somatique, en revanche, l’interdiction du recours à la thérapie génique germinale m’inquiète, même si elle n’est pas pour demain. Si l’article 16-4, alinéa 4, du code civil énonce qu’« aucune transformation ne peut être apportée aux caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne » – jusque-là, nous sommes d’accord – il commence ainsi : « Sans préjudice des recherches tendant à la prévention et au traitement des maladies génétiques… ». Cette précision est manifestement en contradiction avec l’article 13 de la convention d’Oviedo !

Dans son rapport, M. Claeys s’indigne du retard pris pour la ratification de la convention d’Oviedo. Je ne suis pas juriste, mais cela s’explique peut-être simplement par la contradiction qui existe entre ces deux articles ! J’espère que vous pourrez m’éclairer sur ce point. Cela dit, l’annexe B de la recommandation 1100 du Conseil de l’Europe précise que des recherches « peuvent être autorisées si elles n’interviennent pas sur le patrimoine génétique non pathologique », ce qui me semble être en cohérence avec l’article 16-4 du code civil. Pour ma part, même si ce n’est pas pour demain, je ne suis pas opposé au dépistage, dès le début d’une fécondation, d’une prédisposition à une anomalie grave et à sa transmission à la génération suivante. Quoi qu’il en soit, il faut engager une réflexion sur cette possibilité.

J’en viens à la question de l’utilisation des cellules souches, qui nous renvoie aux discussions politiques que nous avons eues en 2004, lors de la révision législative des lois de bioéthique. À l’époque, l’Académie nationale de médecine – j’étais alors rapporteur d’une résolution sur ce sujet – et l’Académie des sciences, dans un rapport commun, s’étaient déclarées favorables à la réalisation d’études comparatives sur les avantages et les inconvénients potentiels de toutes les lignées cellulaires, qu’il s’agisse de lignées issues du sang du cordon, de lignées circulantes, ou résultant de cellules développées dans un embryon conçu in vitro ou issues d’un transfert nucléaire.

La position des deux Académies, qui n’a pas été suivie, était schématiquement de dire que nous ne savons pas, parmi ces différentes éventualités, laquelle pourra, dans telle ou telle situation clinique, déboucher sur une utilisation thérapeutique intéressante. Et puisque nous ne savons pas, il convient de procéder à des études comparatives. Je suis, pour ma part, convaincu de la nécessité d’étudier l’ensemble de ces cellules, et donc notamment les embryons surnuméraires et ceux résultant d’un transfert nucléaire, ce qui, j’en conviens, est en contradiction avec la loi de 2004.

Je ne reviens pas sur l’utilisation du sang du cordon ombilical, qui a été largement débattue. J’indique simplement que je suis tout à fait d’accord avec les propositions qui ont été avancées, en particulier celle de créer des banques mixtes.

J’en viens à un problème beaucoup plus délicat, sur lequel je suis en désaccord avec un certain nombre d’entre vous : je pense que la recherche sur les gamètes et le mécanisme de la fécondation est une nécessité. Je rejoins en cela un certain nombre de personnalités, dont les professeurs Axel Kahn et Pierre Jouannet. Nous devons entreprendre des recherches sur l’embryon et pour l’embryon. Cela m’amène à vous dire une chose qui va sans doute vous horrifier : je suis favorable à la création d’embryons pour la recherche, que la loi du 6 août 2004 interdit formellement et qui est très critiquée dans la convention d’Oviedo.

J’ai présidé, il y a quelques années, un colloque conjoint de l’Académie des sciences et de l’Académie de médecine. À ce colloque participait une personnalité britannique remarquable, Mme Ann McLaren – malheureusement décédée quelques semaines plus tard dans un accident de voiture –, qui avait souligné la nécessité de créer des embryons pour la recherche. Je partage cette position, car ce que redoutent les accoucheurs, ce sont les malformations congénitales. Le recours à l’échographie, qui permet de détecter les malformations certaines, éventuelles ou susceptibles d’évolution, est en plein développement, ce qui pose aux accoucheurs un grave problème : nous n’hésitons pas à pratiquer une interruption médicale de grossesse dans le cas où l’enfant n’est pas viable – dans le cas d’un fœtus anencéphale, par exemple – mais que faire pour les enfants dont l’avenir est incertain ou que l’on expose à une vie désastreuse ? Les centres de diagnostic prénatal étudient chacune de ces situations, mais les accoucheurs sont confrontés à des cas dramatiques. Pourquoi nous priver de recherches qui nous permettraient d’éviter la conception et le développement d’enfants dans de telles circonstances ? C’est pourquoi je partage le sentiment d’Ann McLaren en faveur de la recherche sur les gamètes dans le but de détecter et d’éviter les anomalies génétiques.

Permettez-moi de rêver en abordant un point qui m’a toujours beaucoup intéressé : l’obtention de gamètes à partir de cellules somatiques. C’est une perspective d’avenir qui ne me paraît pas totalement déraisonnable. Ces gamètes, obtenus par méiose artificielle, permettraient de remédier à la totalité des infertilités d’origine gamétique. Cela dit, je suis conscient que cette nouvelle possibilité engendrerait un certain nombre de problèmes.

Quant aux hybrides cytoplasmiques, ou « cybrides », je ne sais ce qu’il faut qu’en penser. Les Anglais, qui y étaient favorables, sont quelque peu revenus sur leur position. Il est clair que les hybrides hommes-animaux choquent la conscience populaire qui les juge abominables, mais je vous rappelle, à titre de provocation, qu’il y a un certain nombre d’années, nous pratiquions le post-coïtal test, qui consistait à apprécier la fécondabilité des spermatozoïdes humains en les mettant en situation de féconder un ovocyte de lapine. Il s’agissait bien d’une première expérimentation de ces cybrides. Cette pratique n’a pas eu beaucoup de succès, mais il est amusant de rappeler qu’elle n’avait, à l’époque, provoqué aucun émoi ! Personnellement, cette pratique me choque un peu, mais si elle permet d’obtenir des tests de fécondabilité efficaces et d’évaluer le comportement des cellules sexuelles, elle peut avoir un intérêt.

J’en viens au point majeur de mon exposé qu’est le statut de l’être prénatal. Si j’ai émis quelques critiques à l’égard du rapport de l’OPECST, celle-ci est la plus importante. Ce rapport conclut en effet qu’il n’est pas nécessaire de définir le statut de l’embryon. Quant à celui du fœtus, il n’est pas non plus envisagé d’en discuter. Vous n’envisagez pas de modification du statut de l’embryon, sauf clarification des modalités de la recherche. J’ai du mal à comprendre ce que vous entendez par là. Vous faites également allusion au « statut juridique incertain » de l’embryon.

Ici, j’ai un problème. L’article 16 du code civil dispose que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. » Cet article, sur l’origine duquel je m’interroge, associe la personne et l’être humain. Je vous le dis franchement, cela me pose un problème. Pourquoi ? Les accoucheurs disposent aujourd’hui de nombreuses thérapeutiques médicales et les thérapeutiques chirurgicales se développent, y compris sur l’embryon ex utero. Le DPI effectué sur un embryon humain vivant, qui prélève une ou deux cellules sur huit, est l’exemple type d’une intervention chirurgicale. Quant aux thérapeutiques médicales sur l’embryon in vitro, je citerai les milieux de culture ; enfin des thérapeutiques ou chirurgicales in utero permettent de résoudre les incompatibilités sanguines et un certain nombre de pathologies.

Le fait d’engager des thérapeutiques médicales ou chirurgicales sur des êtres non nés – in ou ex utero – pose le problème fondamental de leur statut. À l’évidence, ces êtres prénataux peuvent, en fonction de considérations humaines et médicales, être soit détruits, soit traités, et c’est cette double éventualité de la destruction et du soin, qui, me semble-t-il, révèle la spécificité de ces êtres. J’emploie à dessein le terme de spécificité, au risque d’être soupçonné d’avoir une arrière-pensée, celle de vouloir mettre fin à la pratique de l’interruption de grossesse. Je vais donc préciser ma pensée : je suis, depuis l’origine, favorable aux dispositions de la loi de 1975, même si je ne les ai pas toujours mises en application. À mes yeux, la reconnaissance du statut de l’embryon et du fœtus n’est pas incompatible, comme on a trop tendance à le dire, avec les dispositions de la loi Veil. Cela n’en est pas moins un problème fondamental, d’ordre sociétal et juridique.

Je vais vous en citer quelques exemples. Concernant les enfants nés sans vie, vous avez appris l’émotion qu’a suscitée l’invalidation de la circulaire, qui reprenait les critères de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et les décrets du 22 août 2008 qui ont suivi, lesquels n’ont d’ailleurs rien résolu. C’est le règne de l’incertitude. La cour de cassation a renvoyé l’affaire devant la cour d’appel, et l’on ne sait toujours pas quel est le statut de ces fœtus morts.

Mais il y a pire. Je rappelle l’affaire extraordinaire des embryons congelés d’Amiens, en 2005. Suite à une panne de congélateur, on déplore la perte de 206 embryons congelés. L’un des couples concernés porte plainte. Le tribunal administratif d’Amiens conclut au versement d’une compensation financière, mais cette décision est invalidée par la cour administrative d’appel de Douai dans un arrêt que je ne résiste pas au plaisir de vous citer : « Il ne viendrait à l’esprit de personne de considérer que ces embryons sont des êtres humains ». Oser dire que des embryons humains ne sont pas des êtres humains, c’est insensé ! Bien entendu, ce ne sont pas des personnes humaines, mais ce sont des êtres humains ! J’espérais que cette décision serait portée devant le Conseil d’État, mais cela n’a pas été le cas et l’arrêt a été appliqué. Cette affaire m’avait bouleversé…

En revanche, je ne suis pas du tout opposé aux conclusions des quatre arrêts fondamentaux de la chambre criminelle de la Cour de cassation correspondant à deux accidents de voiture et à deux fautes médicales majeures ayant abouti à la mort prénatale de fœtus. La chambre criminelle avait conclu qu’il ne saurait être question de préjudice, dans la mesure où le code pénal n’accorde pas au fœtus le statut de personne. Je ne suis pas opposé à cette conclusion, et je peux comprendre que les dispositions législatives et décisions juridictionnelles fixent le commencement de la personne humaine à la naissance, mais que se passe-t-il avant ? Nous ne le savons pas !

Vous allez me dire qu’il s’agit de problèmes théoriques. Il n’en est rien, ils sont même extrêmement précis. Prenons le cas d’une femme, sur le point d’accoucher, qui se trouve dans une situation pathologique qui met en danger immédiat le fœtus in utero. Si cette femme, qui, elle, est une personne, refuse la césarienne, que doit faire le médecin ? Cela pose une question majeure, tant médicale que juridique. Les anglo-saxons accepteraient la décision maternelle et laisseraient mourir le fœtus. Dans leur grande majorité, les accoucheurs français n’ont pas la même position et font quelque chose qui choquera sans doute les juristes : ils pratiquent une « césarienne forcée » et sauvent l’enfant. Et le lendemain, dans tous les cas que j’ai connus ou auxquels j’ai participé, la femme remercie le docteur…

Cet exemple pose la question du statut de l’être prénatal, qui n’est pas une personne mais n’est pas non plus une chose. C’est un être vivant, dont nous devons assurer la sécurité et la sauvegarde.

Le même problème se pose pour les césariennes post mortem. Que faire du fœtus lorsque la femme décède ? Si la famille, pour des raisons successorales par exemple, s’oppose à l’extraction de l’enfant par césarienne, que doit faire le médecin ? S’il décide d’extraire l’enfant, il se rend coupable, aux yeux de la loi, de viol de cadavre. Dans les cas où la mère se trouve dans le coma, il se trouve confronté à l’éventualité d’une interruption de grossesse sans le consentement de celle-ci.

Vous ne réglerez pas le problème demain matin, mais je souhaite que le Parlement se pose la question fondamentale et très dérangeante de l’éventualité d’une troisième catégorie de droit. Depuis l’origine du code civil et sa présentation par Portalis en 1804, il existe les personnes, sujets de droit, et les biens, objets de droit. Or, il existe une catégorie intermédiaire entre les personnes et les biens, celle des êtres prénataux, à qui nous devons tout notre amour et toute notre attention mais que, dans des circonstances particulières, nous sommes amenés à détruire.

Tout cela, à l’évidence, révèle à quel point cet être est spécifique, qu’il s’agisse de l’embryon, y compris in vitro, ou du fœtus in utero. D’ailleurs, dans le rapport de l’Office, le professeur Didier Houssin, pour qui j’ai beaucoup d’estime, fait état de demandes croissantes en faveur du statut du fœtus in vivo.

Tout en rendant un hommage mérité à la qualité de ce rapport, je voudrais pour conclure rappeler nos divergences : elles portent sur la liste des maladies d’une particulière gravité pour le DPI, la gestation pour autrui, la connaissance inévitable du statut génétique, mais surtout sur la création d’embryons à des fins de recherche – encore que sur ce dernier point, j’espère une évolution juridique – et sur le statut de l’être prénatal, qui m’obsède mais pour lequel je ne vois pas d’évolution. Trois amendements en ce sens ont été déposés au Parlement, mais aucun d’entre eux ne fut adopté. J’espère que nous évoluerons sur ce point au cours des prochaines années.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Sans m’attarder sur nos points d’accord, je voudrais revenir sur quelques contradictions. Tout d’abord, je reconnais qu’établir une liste des maladies graves est un exercice qui soulève plusieurs difficultés. L’opportunité d’une telle disposition mérite donc réflexion.

Je ne comprends pas pourquoi la gestation pour autrui vous paraît licite uniquement dans le cas de parents qui auraient fourni les gamètes pour ensuite récupérer l’enfant. Ce faisant, vous éliminez la mère porteuse de votre réflexion. Si je voulais être impertinent, je vous demanderais si vous la considérez comme un être humain ou comme une personne… N’est-elle pas instrumentalisée, chosifiée ? Car pourquoi porte-t-elle cet enfant ? Si c’est par amour pour lui, elle crée un lien et il lui sera difficile de se détacher ; si c’est par altruisme, cela implique également son conjoint si elle est mariée ; enfin, si elle est indemnisée – c’est qu’on a « loué » le corps d’une femme pendant neuf mois.

D’autre part, ce que vous attendez du législateur, est-ce un statut ou une définition de l’embryon ? Car ce sont deux choses différentes. Qu’il s’agisse de cellules humaines, personne n’en doute, et s’il n’a pas de statut ni de définition, il existe néanmoins certaines dispositions législatives le concernant. Si vous le définissez comme un être, vous référant à Portalis, et non comme un avoir ou un bien, cela ne pose problème à personne : il est inutile de le rappeler dans la loi. Quant à parler de l’embryon comme d’une « personne en devenir », cela ne fait guère avancer sa situation juridique.

La vraie question est la suivante. Si l’embryon est produit par deux gamètes d’origines sexuelles différentes on peut parler, dans l’intentionnalité comme dans l’objet, de création d’une personne humaine en devenir. Mais il existe d’autres mécanismes, comme la dédifférenciation cellulaire d’un noyau qui sera implanté dans un matériel, humain ou animal, et dont on imagine qu’il pourrait devenir un embryon et un fœtus ; il existe aussi des cellules initiales qui ne peuvent pas être implantées et aboutir à la création d’une personne. Y a-t-il, selon vous, une différence entre les embryons créés de façon différente ? Faut-il considérer que l’interdit porte sur la création de l’embryon tel que le conçoit la conscience commune, c’est-à-dire l’embryon né de la fécondation de gamètes sexuellement différents dans le but de créer, à terme, une personne humaine ? En d’autres termes, souhaitez-vous que l’on réserve à ce cas l’appellation d’embryon, et que l’on considère le reste comme de l’expérimentation ? Pensez-vous que cela sera suffisant pour créer ce que l’on appelle parfois des « pré-embryons », qui sont du matériel humain qu’il nous faut respecter, mais ne sont pas appelés à devenir des êtres humains ? Plutôt que de donner un statut à l’embryon, ne vaudrait-il pas mieux essayer de le définir par rapport à sa finalité : résulte-t-il de l’intention de donner la vie à une personne humaine, ou de la volonté de créer un matériel humain destiné à la recherche ?

On voit bien que nous sommes dans une zone assez floue entre l’avoir et la personne humaine. On ne saurait placer l’embryon dans le champ de l’avoir ; c’est pourquoi, dans le cas où la mère est décédée, il est parfaitement licite d’intervenir pour sauver un être humain susceptible de devenir une personne humaine. En revanche, sauf à remettre en cause la loi Veil, une femme qui refuse la césarienne ne doit pas y être contrainte. Imaginez qu’elle trouve la mort durant l’intervention : son mari est en droit d’attaquer le médecin qui a pratiqué une césarienne sans la volonté de sa femme. Il peut lui reprocher d’avoir mis en danger une personne humaine pour sauver un être humain, ce qui est en contradiction avec la logique prônée par le corps médical. Je comprends l’intention de bienfaisance qui peut présider à une césarienne forcée, mais sur le plan juridique, les médecins n’ont pas le droit d’intervenir sur le corps d’une personne sans l’accord de celle-ci, au risque d’entraîner sa mort, surtout pour sauver une vie qui n’est pas celle d’une personne humaine. Cela n’a rien à voir avec le cas d’une personne qui, victime d’une hémorragie, refuse d’être opérée mais que l’on opère contre son avis pour sauver sa vie.

En bref, les embryons obtenus par des voies différentes ont-ils la même valeur à vos yeux ? Craignez-vous que le statut intermédiaire de l’être humain qui n’est pas une personne humaine ne soit pas suffisamment clair dans l’esprit des juges ? Mais les lois trop précises posent parfois plus de problèmes qu’elles n’en résolvent. C’est pourquoi mes collègues Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialatte ont choisi de ne pas aller plus loin dans la recherche d’un statut.

Je lie, vous le voyez, la question de savoir si nous acceptons la recherche sur l’embryon, et la question : qu’est-ce que l’embryon ? C’est que les deux sont liées dans l’imaginaire et dans la réalité, juridique et peut-être même médicale.

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Selon vous, le diagnostic préimplantatoire (DPI) ne doit pas s’en tenir à la recherche de la pathologie incriminée. N’est-ce pas s’engager dans une quête du bébé parfait ? N’y a-t-il pas un risque d’eugénisme ?

Par ailleurs, les machines de séquençage du génome sont devenues tellement rapides et performantes qu’il n’est pas plus coûteux et à peine plus long de réaliser un séquençage complet du génome d’un individu que de rechercher une mutation ou un gène particulier. Faudra-t-il alerter les patients contre leur volonté lorsque nous découvrirons des anomalies génétiques qu’ils ne souhaitaient pas rechercher ? Faudra-t-il en informer leur parentèle ? Quel est votre point de vue sur la levée du secret médical en cas de découverte d’une anomalie génétique grave et transmissible ?

M. Claude Sureau. La gestation pour autrui se rencontre sous trois formes différentes. Dans la première, les parents d’accueil sont les parents génétiques. Dans la deuxième, les parents d’accueil ne sont pas les parents génétiques, l’enfant à naître étant issu d’un ovocyte de la mère porteuse. Elle a été illustrée par un arrêt de la Cour de cassation qui a provoqué, en 1991, la rébellion de la cour d’appel, allant jusqu’à la réunion en assemblée plénière de la Cour de cassation. Cette affaire m’a amené à réfléchir car il s’agissait de ma patiente. Dans la troisième, les parents d’accueil ne sont pas les parents génétiques et le futur enfant résulte de la gestation par une mère porteuse et d’un don d’ovocytes par une personne étrangère. Cette situation est illustrée par la célèbre affaire des époux Mennesson.

Encore une fois, à condition que le couple fasse l’objet d’un contrôle médical strict, tout comme la mère porteuse, assorti de l’acceptation de celle-ci, qui bien entendu ne sera pas rémunérée, je n’écarte pas cette possibilité. Certes la question se pose de savoir comment faire la différence entre une prise en charge de l’accouchement et de ses éventuelles conséquences pathologiques, et une rémunération. Nous devons réfléchir à cette possibilité, sans toutefois la rejeter.

Vous vous interrogez sur la motivation de la mère porteuse et son intérêt financier. L’arrêt de la Cour de cassation auquel je viens de faire allusion est très intéressant. J’avais tenté de dissuader ma patiente, dont je traitais depuis plusieurs années la stérilité, de se rendre à Marseille pour consulter un spécialiste. Elle ne tient pas compte de mon avis et réussit à avoir un enfant, résultant de la fécondation par son mari de l’ovocyte de la mère porteuse. Je lui ai demandé si elle avait eu un contact avec cette autre femme et si elle connaissait sa motivation. Elle m’a répondu que cette femme, qui avait été adoptée, voulait offrir à un autre couple le bonheur dont elle avait bénéficié, et que la rémunération ne l’intéressait pas.

Cela m’a bouleversé, mais ne m’a pas convaincu. Car ce qui me gêne dans l’arrêt G. de 1991, c’est justement qu’il existait un lien entre la mère porteuse et le don d’ovocytes, et je m’interroge sur la situation des enfants qui, comme dans l’affaire Mennesson, ont trois mères : la mère d’accueil, la mère porteuse et la donneuse d’ovocytes. Cette multiplicité des géniteurs me met mal à l’aise. Mettez-vous à la place de ces enfants qui peuvent dire : « J’ai une mère qui m’a porté, une autre qui m’a élevé, et une troisième qui m’a transmis ses gènes ». C’est un seuil que, pour ma part, je ne veux pas franchir. Certes, dans l’affaire G., j’ai été impressionné par ce que j’ai appris de la motivation de celle qui était à la fois mère porteuse et mère génétique. Pour autant, je ne suis pas prêt à accepter ce qui se pratique aux États-Unis.

Nous acceptons le don de sperme et le don d’ovocytes, donc l’introduction d’un élément étranger au couple dans le patrimoine génétique d’une personne. Ayant fait partie du conseil scientifique des CECOS, je ne suis pas suspect à cet égard, mais j’avoue avoir toujours ressenti une certaine gêne vis-à-vis du don de gamètes. Je comprends très bien l’intérêt qu’il y a pour un couple à avoir un enfant grâce à un don de gamètes et d’ovocytes, mais s’il faut hiérarchiser ces pratiques, j’ai tendance à privilégier la possibilité pour un couple d’avoir un enfant qui trouve dans ce couple son origine génétique, même s’il faut recourir à une mère porteuse pour les neuf mois de gestation.

Au risque de vous horrifier, cela me rappelle l’époque des nourrices, lorsque les enfants se disaient frère et sœur de lait. Un enfant nourri par une femme différente de sa mère créait des liens avec cette femme, mais le lien génétique le rattachait quand même à ses parents. C’est pourquoi, en dépit de toutes les réserves que l’on peut émettre tant sur le plan médical et humain que sur le plan monétaire, s’agissant de personnes dûment prévenues des risques et qui se déterminent en toute liberté, on ne peut écarter cette possibilité. Dans le cadre du groupe de travail de l’Académie de médecine, nous avons auditionné un couple et la mère porteuse qui leur a permis d’avoir un enfant. Celle-ci, probablement mal sélectionnée, souffrait d’une hépatite. Elle a porté l’enfant et, après l’accouchement, l’a remis aux parents pour qu’ils l’élèvent sur le territoire français. En l’absence de filiation, leur situation est assez inconfortable. Le drame, c’est que la mère porteuse, victime d’une hémorragie de la délivrance, a dû subir une hystérectomie. Ce drame humain nous a amenés à réfléchir à la nécessité de mettre en place une sélection plus rigoureuse. Reste que les dons de gamètes, d’ovocytes ou de sperme introduisent un patrimoine génétique étranger, alors que dans le cas que j’évoque les parents d’accueil sont les parents génétiques.

M. le rapporteur. Je voudrais rappeler, s’agissant du don de gamètes, que les donneurs n’encourent pas de risque majeur et qu’ils peuvent compter sur l’anonymat – même s’il doit disparaître un jour, comme vous le prévoyez. Mais comment maintenir l’anonymat d’une femme qui porte un enfant ? On peut envisager différents statuts, différents types de relations, mais il y aura toujours un risque lors de l’accouchement. Comment le prendre en compte, notamment sur le plan financier ? Cela montre à quel point il serait difficile de légaliser cette pratique.

Mme Catherine Génisson. Vous dites qu’en tant qu’obstétricien, vous avez passé votre vie près des femmes. Ne pensez-vous pas que l’instrumentalisation du corps de la femme pose un problème essentiel ? La gestation pour autrui ne fait-elle pas de l’utérus un bocal ? J’ai l’impression que nous faisons fi, dans notre débat, au-delà de la gestion des risques et des complications éventuelles de l’accouchement, de ce risque d’instrumentaliser la femme. Nous faisons fi également des relations qui se tissent au cours de la vie prénatale entre la mère et l’être en devenir, entre cet être et le couple, entre lui et la fratrie. Pose enfin problème l’inévitable absence d’anonymat entre le couple qui accueille l’enfant à venir et celui qui recevra l’enfant devenu.

M. Paul Jeanneteau. À propos de la gestation pour autrui, le problème, à mes yeux, vient aussi de ce que l’enfant, à naître ou déjà né, pourra faire l’objet de contentieux entre les deux couples, car la gestation pour autrui ne concerne pas uniquement la mère porteuse. Si celle-ci vit en couple, quel sera le degré d’altruisme du conjoint ?

Que se passera-t-il si l’enfant est porteur d’une malformation ou s’il a besoin de soins ? Il y aura – on peut le supposer – un contrat, signé en bonne et due forme devant un officier d’état civil, mais ce contrat ne prévoira pas tout. Selon Jean-François Mattei, il pourrait stipuler que la porteuse ne doit pas fumer, ni boire de l’alcool. Comment le vérifier ? Que se passera-t-il si l’enfant présente une malformation ? Pour moi, c’est l’un des risques de la gestation pour autrui.

M. Claude Sureau. Je suis d’accord avec vous, Mme Génisson, sur l’importance de la vie intra-utérine. Il se trouve que j’ai collaboré dans le passé à différentes études sur la perception, par le fœtus, des sons extérieurs et leur réminiscence au cours de la vie. Il est évident qu’il existe, pendant la grossesse, des échanges cellulaires, mais aussi sensoriels et notamment auditifs qui sont mémorisés par le fœtus. L’importance de ces relations est réelle, mais justifie-t-elle l’interdiction de la gestation pour autrui ? Une autre situation pose le même problème, celle d’un enfant abandonné par sa mère puis adopté. Cet enfant a eu des contacts avec sa mère biologique pendant quelques heures, quelques semaines ou quelques mois, mais il sera adopté par une autre femme. Il lui faudra évoluer et s’adapter à sa nouvelle relation parentale.

Mme Catherine Génisson. Je voulais également aborder le point de vue de la mère !

M. Claude Sureau. Je comprends très bien que vous vous interrogiez sur la psychologie de la femme qui va abandonner l’enfant qu’elle a porté. Je vous répondrai que certaines femmes, eu égard à leur histoire, souhaitent rendre service à une autre femme. Avons-nous le droit de porter un jugement sur un tel comportement ? En tant que gynécologue, je me suis toujours abstenu de juger le comportement d’une femme. Avons-nous le droit de juger une femme qui décide de pratiquer une interruption de grossesse, qu’elle soit volontaire ou thérapeutique ? À cet égard, je suis reconnaissant à la loi Veil d’avoir permis d’éviter les catastrophes qui se produisaient avant 1975. J’ai un infini respect pour ces femmes et leurs motivations, et je ne m’autorise ni à porter un jugement sur leur comportement, ni à influencer leur décision. Cela étant, il est clair que ces situations génèrent des difficultés.

Puisque vous avez fait allusion à la fratrie avez-vous songé à l’enfant qui, suite à un transfert d’embryon, est élevé par des parents d’accueil alors que les autres enfants, eux, ont eu la chance d’être accueillis par leurs vrais parents ? Cela pose un vrai problème pour la fratrie. Or, la loi française – elle a peut-être eu tort – a autorisé l’accueil de l’embryon. Je trouve étrange que l’on accepte des situations aussi particulières que peut être l’accueil de l’embryon tout en s’offusquant de la gestation pour autrui, même limitée au cas de l’enfant élevé par ses parents génétiques.

Certes, M. Jeanneteau, en matière de gestation pour autrui comme en d’autres circonstances, les contentieux peuvent exister. Parmi d’innombrables contentieux, je me souviens particulièrement d’une affaire qui s’est déroulée dans la région de Nancy et qui a abouti, pour une fois, à une décision jurisprudentielle heureuse. Je vous rappelle les faits : une femme accouche et décide d’abandonner son enfant. Le père réel procède à une reconnaissance anticipée, mais dans une autre juridiction, loin du lieu de naissance de l’enfant et en dehors du délai de deux mois exigé par la loi. Cet enfant, de plus, était séropositif. Un couple de médecins a accueilli cet enfant avec beaucoup de générosité et l’a adopté. La procédure d’adoption était en cours lorsque le père a engagé une procédure visant à faire reconnaître sa filiation. L’affaire est allée jusqu’à la Cour de cassation et la première chambre civile a accordé au père la reconnaissance de filiation qu’il demandait. Celui-ci s’est montré intelligent, il a accepté que l’enfant soit élevé par les parents d’accueil. De telles situations, sans être banales, ne sont pas si rares et posent de nombreux problèmes.

Si les problèmes de malformation sont les plus graves, ils ne sont pas spécifiques à la gestation pour autrui. Ils se posent également après un don d’ovocyte ou de sperme. Le couple qui a bénéficié d’un don de gamètes et se retrouve avec un enfant malformé se trouve face à ce problème insoluble, qui se pose pour toutes les procréations assistées.

J’en viens à ce que vous appelez les « pré-embryons », selon la formule proposée par Alain Milon. Je ne suis pas d’accord avec ce terme d’origine britannique, qui n’a d’ailleurs jamais été reconnu officiellement en Angleterre. Je préfère, en ce qui me concerne, parler d’embryons préimplantatoires. La question que vous posez est celle de l’intentionnalité, de l’opposition entre le projet d’enfant et la réalité de l’être, ce qui soulève un problème métaphysique. J’en ai discuté avec les professeurs Pierre Jouannet et Axel Kahn, et nous avons reconnu l’existence d’un substrat théologique sous-jacent. Car la question posée depuis 1860  est celle de l’animation immédiate. Autrement dit, l’embryon a-t-il une âme dès la fécondation, ou l’acquiert-il progressivement ?

M. le rapporteur. Ce n’est pas la question que je vous pose !

M. Claude Sureau. Bien sûr que si, j’en veux pour preuve les positions de l’Église catholique sur ce sujet ! Positions tout à fait opposées aux miennes, bien que je sois catholique... Le problème de fond est la nature de l’embryon. Pour quelques scientifiques, il n’est qu’un amas de cellules ; pour les catholiques intégristes, il est une personne ; pour d’autres, il est déjà un être – cette dernière définition étant en contradiction avec la décision de la cour administrative d’appel de Douai. Cet être a des besoins, il mérite notre attention et doit recevoir des soins, médicaux et chirurgicaux. Il est donc absolument nécessaire de le définir et de lui donner un statut. Pourquoi ? Tout d’abord, pour le protéger.

M. le rapporteur. C’est déjà le cas, puisque la loi Veil protège la vie dès la conception, même si elle prévoit des dérogations. Si vous réclamez un statut pour l’embryon, n’est-ce pas pour lui apporter plus de protection qu’il n’en a aujourd’hui ? Mais dans le même temps, paradoxalement, vous vous dites favorable à la création d’embryons pour la recherche, interdite par la convention d’Oviedo, et vous voulez que son statut permette sa destruction, et même sa création dans un but de destruction ! Je ne comprends pas quel pourrait être un tel statut.

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Pour vous il y a deux catégories d’embryons : ceux qui sont conçus dans un but de reproduction et ceux qui sont destinés à la recherche. C’est donc l’intentionnalité de leur fabrication qui déterminera leur nature.

M. Claude Sureau. Vous avez partiellement raison ! Je souhaite que l’embryon ait un statut spécifique, qui mentionne qu’il pourra être détruit ou traité.

M. le rapporteur. C’est le cas aujourd’hui !

M. Claude Sureau. Non, car une femme a le droit de refuser la césarienne pour procidence du cordon, même si ce refus entraîne la mort de l’enfant. Les accoucheurs ne l’acceptent pas. Or, si la femme décède et qu’ils pratiquent une césarienne post mortem, ils peuvent être poursuivis pour viol de cadavre !

M. le rapporteur. Les médecins ne seront jamais protégés sur ce point, car la loi leur interdit d’intervenir médicalement sur une personne qui refuse cette intervention ! Même si l’embryon avait le statut de personne humaine, vous auriez à trancher entre son intérêt et celui de la mère que vous mettez en danger. Le fait de donner un statut au fœtus, à l’embryon ou à l’être humain à naître ne vous fera pas sortir de ce dilemme.

M. Claude Sureau. Sauf si des dispositions sont prises pour définir ce statut et ses conséquences sur le plan judiciaire. Si ce n’est pas nécessaire, pourquoi trois propositions de loi sur le statut du fœtus ont-elles été déposées – dont aucune n’a d’ailleurs été votée ?

M. le rapporteur. Peut-être pour des raisons théologiques…

M. Claude Sureau. La population attend ce statut. M. Houssin a indiqué qu’il y avait une demande croissante de reconnaissance du fœtus in vivo. La population n’a pas compris les arrêts de la Cour de cassation dans les quatre affaires liées à la mort des fœtus, les jugeant inadmissibles. En réalité, la Cour s’est contentée d’une application stricte de la loi pénale française. Il n’en demeure pas moins que lorsqu’un enfant meurt du fait d’une erreur médicale ou d’un accident de voiture, la jurisprudence française n’entend pas la mère.

M. le rapporteur. Ne confondez pas l’embryon et l’enfant qui est déjà né !

M. Claude Sureau. Je ne confonds pas, car il s’agissait de fœtus prénataux, après plus de six mois de gestation. La jurisprudence en matière de mortalité néonatale est considérable, et nous en connaissons les conséquences juridiques. Mais il ne s’agit pas de cela.

M. le rapporteur. Quelle aurait dû être, selon vous, la réaction du juge ?

M. Claude Sureau. Compte tenu de la rédaction de la loi française, la Cour de cassation ne pouvait pas dire autre chose, nous sommes d’accord sur ce point !

M. le rapporteur. Quelle protection supplémentaire souhaitez-vous dans la loi française pour l’embryon et le fœtus ?

M. Claude Sureau. Je voudrais que l’on reconnaisse son existence en tant que tel, et le fait qu’il peut bénéficier de soins mais également être détruit, car telle est sa spécificité : on ne peut détruire un nouveau-né !

M. le rapporteur. Selon la loi française, on ne peut pas non plus détruire un fœtus, sauf sous certaines conditions !

M. Claude Sureau. Sauf dans certaines circonstances médicales, en effet !

M. le rapporteur. Nous ne pouvons pas légiférer pour permettre la destruction des embryons et des fœtus !

M. Claude Sureau. Si, car la loi peut définir ces circonstances ! Dans le cas de la césarienne contre le vœu de la mère, on peut décider de la manière dont certaines situations devront être résolues. En Angleterre, on procède à une concertation juridique pour décider de la légitimité de pratiquer une césarienne pour sauver un enfant. Ce faisant, on reconnaît la valeur de cet enfant. En France les accoucheurs prennent sur eux la décision ; à ma connaissance, et à ce jour, cela n’a jamais entraîné de poursuites judiciaires. Il y a pourtant une exception : j’ai moi-même été poursuivi par le mari d’une femme sur laquelle j’avais pratiqué une césarienne. Cela s’est passé il y a une trentaine d’années devant le tribunal administratif de Paris. Sur le plan médical, je n’avais eu aucune hésitation : l’enfant est né et il était bien vivant. Le recours n’a pas abouti, ce qui prouve que les juges peuvent être sages… Mais le risque d’être poursuivi existe, la loi doit pouvoir l’écarter.

M. le rapporteur. Dans une démocratie, le risque juridique et judiciaire ne saurait disparaître. Il sera toujours difficile, dans les situations d’urgence, de faire un choix. Si nous donnons un statut à l’embryon, il faut qu’il ait des conséquences sur le plan pratique. Il est très difficile de définir un statut de l’embryon et de lui donner une définition protectrice, d’accepter de mettre en danger la vie d’une personne sous prétexte que cet être humain présenterait un intérêt supérieur à celui de la mère, tout en acceptant d’en faire du matériel d’expérimentation ou le détruire. C’est un statut très complexe !

M. Claude Sureau. C’est toute la spécificité de l’être prénatal !

M. le rapporteur. Il n’est pas plus que la personne humaine et il n’est pas moins qu’une chose ! Or, en tant qu’objet d’expérimentation, il s’apparente à une chose, et s’il est plus important que sa mère, il est supérieur à la personne humaine. Cela pose un problème !

M. Claude Sureau. Mon propos n’était pas de vous donner une solution, mais d’attirer votre attention sur un problème qui ne manquera pas de se poser et qui concerne la nature profonde, la protection et la destruction éventuelle de l’être prénatal.

M. le rapporteur. Si, dans l’inconscient collectif comme dans la loi, cet être n’est ni une chose, ni l’équivalent de la personne humaine, les deux situations que vous avez évoquées sont en contradiction avec ce statut « intermédiaire ». Si l’embryon n’est pas une chose, il ne peut être l’objet d’une expérimentation, et d’une fabrication en vue d’expérimentation ; s’il n’est pas une personne humaine, il ne peut pas mettre en danger la vie d’une autre personne humaine à laquelle, hiérarchiquement, il est inférieur ! Il y a donc une contradiction !

M. Claude Sureau. C’est justement cette contradiction apparente qui fait la spécificité de l’être prénatal !

M. le rapporteur. Peut-il être moins qu’une chose mais plus qu’une personne ? C’est difficile à comprendre.

M. Claude Sureau. Le terme de « chose » est ambigu : en réalité, il n’est ni une personne, ni un bien.

M. le rapporteur. Créer du matériel humain dans un but de recherche ou de destruction le rapproche plus du bien que de l’être !

M. Claude Sureau. Non, car cette recherche a pour finalité le bien de l’humanité. Il s’agit de manipuler du vivant humain, mais avec pour objectif d’éviter les malformations congénitales, qui sont le problème majeur de l’obstétrique.

M. le rapporteur. La fin ne justifie pas toujours les moyens… Nous savons tous que durant les périodes les plus troubles de notre histoire, des médecins ont pratiqué des expérimentations humaines en prétendant travailler pour le bien de l’humanité !

M. Claude Sureau. C’est vrai ! Souvenez-vous du magistrat qui demandait qu’on réfléchisse à un statut spécifique pour les animaux ! Je n’y étais pas favorable. J’ajoute qu’on m’a reproché à l’époque, sur un site Internet, de réclamer pour les fœtus humains le statut de l’animal de compagnie… Mais revenons à l’être prénatal : il mérite une attention spécifique, que ce soit pour sa protection ou pour sa destruction.

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. En quoi l’embryon qui se trouve dans une éprouvette est-il un être « prénatal » ? Il n’a aucune chance d’évoluer s’il reste dans le congélateur, et lorsqu’il en sort, c’est pour être détruit. Le statut d’être prénatal est donc réservé aux seuls embryons implantés dans un utérus.

M. Claude Sureau. Absolument !

M. le rapporteur. Lorsqu’il y a intentionnalité !

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Avant la réimplantation et en l’absence d’intentionnalité, ce n’est donc pas un embryon, mais autre chose.

M. Claude Sureau. Je ne suis pas d’accord avec vous : où qu’il soit, il s’agit d’un embryon humain !

M. le rapporteur. Même s’il a été généré à partir de cellules adultes dédifférenciées ?

M. Claude Sureau. Vous soulevez le problème délicat de l’embryon résultant d’un transfert nucléaire. Il est interdit par la loi française, et c’est son statut qui me pose un problème. Celui qui résulte d’une fécondation in vitro est un être humain, dans la mesure où il est transféré. Il y a quelques années, j’avais proposé de mettre dans la même catégorie les embryons issus d’un transfert nucléaire, mais le Parlement a refusé cette proposition. Aujourd’hui encore, je ne sais pas comment les définir. J’ai lu dans la presse que, pour la première fois, une équipe médicale a réussi à développer de tels embryons. Personnellement, cela me gêne, et le Parlement a interdit le clonage reproductif. Quant au clonage thérapeutique, il a été repoussé par le Parlement à la suite de discussions homériques…

M. le rapporteur. L’expérimentation est-elle plus légitime sur ces embryons-là que sur ceux résultant de gamètes ?

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Je reviens sur ce que vous avez appelé la vitrification des ovules. Cette technique, qui n’est pas encore au point, pourrait entraîner la disparition des embryons surnuméraires et nous ne féconderons à terme que les ovules nécessaires. Si nous voulons faire des recherches sur les cellules embryonnaires, nous serons donc conduits à fabriquer des embryons. Cette pratique sera-t-elle licite ?

M. Claude Sureau. Je le pense, puisque cette recherche aura pour objectif de prévenir les malformations congénitales et d’obtenir des lignées cellulaires qui seront utilisées en cardiologie ou en néphrologie… Nous allons, grâce à l’échographie, dans le sens d’une détection de plus en plus étendue des malformations, qu’elles soient certaines ou incertaines. Cette incertitude pose un problème que l’on retrouve dans le diagnostic préimplantatoire des prédispositions au cancer, auquel vous avez donné un avis défavorable. C’est un problème crucial, qui ne peut que s’amplifier.

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Je vous remercie.

Audition de Mme Emmanuelle PRADA-BORDENAVE, directrice générale et de M. SADEK BELOUCIF, président du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine


(Procès-verbal de la séance du 28 janvier 2009)

Présidence de M. Jean-Sébastien Vialatte, vice-président

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence du président Alain Claeys, qui m’a demandé de le remplacer.

Nous avons le plaisir d’accueillir cet après-midi Mme Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice générale de l’Agence de la biomédecine, maître des requêtes au Conseil d’État, et le professeur Sadek Beloucif, président du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine, praticien hospitalier en anesthésie-réanimation.

L’Agence de la biomédecine est au cœur du dispositif instauré par la loi du 6 août 2004, qui lui a confié de nombreuses missions de contrôle et de gestion. Son champ de compétences comprend les greffes, la reproduction, l’embryologie et la génétique humaine. L’Agence est dotée d’un conseil d’orientation qui veille à la qualité de son expertise médicale et scientifique et prend en compte les aspects éthiques.

Après trois ans d’activité, l’Agence ayant été créée par décret du 4 mai 2005, pouvez-vous nous indiquer quelles modifications éventuelles il conviendrait d’apporter à la loi de 2004 ?

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. Avant de parler des dispositions de la loi du 6 août 2004 qui, selon l’Agence de la biomédecine, pourraient être renforcées ou « réorientées », je souhaiterais dire un mot des apports successifs des lois de 1994 et 2004 en matière de santé et d’éthique biomédicale.

L’objectif de ces lois est de donner un cadre à tout ce qui relève de soins à partir d’éléments du corps humain – à l’exception du sang, dont la question est traitée à part –, ainsi qu’à toutes les études portant sur l’intime de l’homme, à savoir le début de la vie avec l’embryon et le génome, ainsi que les tests génétiques à des fins médicales.

La première activité de l’Agence de la biomédecine, à la fois en volume et historiquement, puisqu’elle a pris le relais de l’Établissement français des greffes, est la greffe, dont la loi de 2004 a fait une priorité nationale. La révision de la loi ne doit surtout pas amoindrir l’objectif : le cap doit être maintenu. Il y a eu 4 600 greffes en 2007 et à peu près autant en 2008. L’objectif, ambitieux, qui figure dans le contrat passé avec l’État, est de parvenir à 5 000 en 2010. Il y a eu également 1 400 greffes de cellules souches hématopoïétiques allogéniques, réalisées pour traiter des leucémies et d’autres maladies hématologiques mortelles. La greffe d’organes vitaux ou de cellules souches hématopoïétiques permet de sauver des vies mais aussi de changer la vie de beaucoup de malades, par exemple des insuffisants rénaux qui, contraints à des dialyses, sont d’une certaine manière à la charge de la société, alors qu’une fois greffés, ils peuvent retrouver une activité normale et comme n’importe lequel de nos concitoyens, apporter leur contribution à l’économie nationale. La greffe est, il faut le souligner, une activité économiquement rentable pour la sécurité sociale. Ainsi, une greffe de rein ne coûte-t-elle pas davantage qu’une année de dialyse. Or, elle permet d’en épargner de dix à quinze années.

Il faut donc conforter les greffes ainsi que la chaîne de solidarité sur laquelle cette activité de soin repose en magnifiant le don aux yeux de nos concitoyens pour qu’ils expriment le souhait de donner leurs organes après leur mort, ou plus exactement qu’ils fassent savoir qu’ils ne s’opposeront pas à leur prélèvement. L’Agence de la biomédecine œuvre sans relâche à informer la population pour que chacun prenne clairement position de son vivant et informe ses proches de ses volontés quant au sort de ses organes. Il est paradoxal aujourd’hui que la quasi-totalité des malades accepte le principe d’une greffe s’ils en ont besoin alors que nos concitoyens sont encore réticents à donner leurs organes après leur mort. Nos concitoyens doivent s’accoutumer à l’idée que la greffe est une thérapeutique qui sauve et que dans la mesure où ils souhaiteraient pouvoir en bénéficier s’ils étaient malades, ils doivent, par cohérence, être d’accord pour participer à cette grande chaîne de solidarité. Nous travaillons, en partenariat avec les associations, pour que ce message soit largement relayé. En 2009, la grande cause nationale sera précisément le don d’organes, de moelle osseuse, de plaquettes et de sang. Il y a là une formidable opportunité à saisir.

Lors de la révision de la loi, il me semble important de maintenir le régime juridique actuel de consentement présumé, qui a donné de bons résultats, le taux de refus n’excédant pas 30 %. L’Agence est convaincue que si on y substituait un régime de consentement explicite, jamais sept personnes sur dix n’accepteraient de donner leurs organes, car une démarche serait nécessaire, contraignant chacun à évoquer l’hypothèse de sa mort, ce à quoi beaucoup sont réticents. Modifier le régime actuel serait donc gravement préjudiciable à l’activité de greffe.

Il faudrait également conforter la greffe de rein à partir de donneur vivant. Celle-ci est très développée dans des pays voisins, comme les Pays-Bas ou la Norvège, alors qu’elle n’a, hélas, pas pris son essor en France. Il faudrait, d’une part, mieux informer les patients et leurs familles et aider les services hospitaliers à prendre en charge les donneurs, car le prélèvement d’un rein doit être préparé avec minutie et constitue une lourde charge pour le service qui l’organise. Mais les chances de survie du greffon sont très bonnes.

Il conviendrait aussi de développer les prélèvements de tissus sur personnes décédées qui, bien que tenus pour moins nobles et moins médiatisés, peuvent changer radicalement la vie de certains patients. Un prélèvement de cornée peut rendre la vue à un aveugle, un prélèvement de peau sauver un grand brûlé, et une greffe multicomposite de face permettre à une personne défigurée, privée de toute vie sociale, de retrouver une vie normale. Nous partageons l’avis de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui estime que c’est par le développement des prélèvements que l’on parviendra à lutter contre les trafics. Il est de la responsabilité des États de mettre en place des systèmes de prélèvement efficaces pour lutter contre le tourisme de transplantation et, partant, les trafics.

J’en viens à l’assistance médicale à la procréation (AMP), deuxième grand champ d’activité de l’Agence. Vingt mille enfants naissent chaque année en France grâce à une AMP et 125 couples, dont l’un des membres était contaminé par un virus comme celui du sida ou de certaines hépatites, ont pu grâce à une AMP, avoir un enfant sans lui transmettre la maladie. L’AMP bénéficie donc aux couples infertiles comme à des personnes atteintes de graves pathologies qui risqueraient sinon d’être transmises à l’enfant à naître. La société doit encourager et soutenir avec détermination cette activité dans notre pays. Il faut améliorer son taux de succès, encore trop faible. L’AMP n’est pas un soin de confort, c’est la réparation de la défaillance d’une des fonctions essentielles de l’espèce humaine, la reproduction, dont des personnes se sont trouvées privées par la maladie.

L’AMP est, pour l’essentiel, intra-conjugale. Elle ne fait appel que pour une part très modeste à des tiers donneurs. Il y a eu l’an passé 248 dons de sperme et 228 d’ovocytes. Plus de deux mille couples ont fait une demande d’AMP avec un don de spermatozoïdes et 1 300 sont en attente d’ovocytes. La faiblesse du don de gamètes en France est imputable pour l’essentiel aux difficultés, financières ou d’organisation, rencontrées par les centres d’AMP. Un tiers des centres ayant reçu une autorisation de l’Agence de la biomédecine pour le don d’ovocyte n’assurent plus aujourd’hui cette activité.

L’Agence est convaincue que si le recueil d’ovocytes est si insuffisant dans notre pays, cela ne tient pas à la non-rémunération des donneuses, mais à l’incapacité de notre système de soins de les accueillir convenablement. Nous avons reçu de nombreux témoignages de donneuses potentielles qui ont été dissuadées d’effectuer la démarche, soit qu’elles ne pouvaient être accueillies dans un établissement près de chez elles, ce qui les aurait obligé à se déplacer parfois très loin et à passer plusieurs nuits à l’hôtel, soit parce que les hôpitaux ayant des difficultés financières, elles en auraient été de leur poche, des frais exposés à l’occasion du don n’étant pas pris en charge.

Avant de s’interroger sur des remèdes extrêmes qui risqueraient de saper les piliers mêmes de nos lois de bioéthique, au premier rang desquels la gratuité du don, nous pensons qu’il faut se demander si la France s’est vraiment donnée les moyens d’assurer cette activité et si, de manière insidieuse, on ne s’est pas tout simplement reposé de manière confortable sur les pays voisins. En matière de prélèvements et de greffe d’organes, la France a longtemps été dans une situation inverse : nos voisins n’ayant pas massivement investi en ce domaine, leurs patients venaient se faire greffer chez nous, situation que nous critiquions. On connaît hélas, une situation opposée aujourd’hui en matière de dons de gamètes, en particulier d’ovocytes. Il faut donc soutenir cette activité dans les centres français. Nous pourrons revenir, si vous le souhaitez, sur la règle de l’anonymat. En effet, des sondages effectués auprès de donneurs de sperme ont révélé que près de la moitié d’entre eux ne viendrait pas si l’anonymat n’était pas garanti.

J’en viens aux tests génétiques, qui se sont beaucoup développés. Ils permettent désormais à une famille frappée par une très grave maladie génétique de savoir quels sont les individus porteurs de l’anomalie et le risque qu’ils ont de transmettre la maladie à leur descendance. Certains se sont inquiétés d’une possible dérive eugéniste avec ces tests. La législation et la réglementation actuelles dans notre pays rendent cette inquiétude sans fondement. Les maladies dépistées sont d’une extrême gravité, et le dépistage est toujours effectué dans un cadre pluridisciplinaire par des praticiens spécialement formés. Ces tests répondent à une demande formulée par des familles touchées par des maladies, souvent mortelles, en tout cas très invalidantes. On répond au souhait des parents, non pas d’avoir un enfant « parfait », mais de ne pas transmettre à leur enfant une maladie dont ils ont vu de nombreux proches mourir autour d’eux. Pour l’heure, le dispositif français, très encadré, permet de répondre de manière satisfaisante à ces demandes.

Je terminerai par la recherche. La loi de 2004 a chargé l’Agence de la biomédecine non pas de conduire des recherches, mais d’encadrer celles portant sur l’embryon dans le cadre du moratoire de cinq ans alors décidé. Vingt-huit laboratoires ont reçu une autorisation pour un total de quarante-trois projets. Sur ce point, je souhaite rectifier le chiffre qui circule dans la presse de 106 autorisations car il résulte de l’interprétation erronée de données figurant dans un rapport de l’Agence. Ce rapport comportait un tableau récapitulatif de l’ensemble des autorisations délivrées par l’Agence. Mais il faut savoir que la loi prévoit différents types d’autorisation – de recherche, d’importation, de conservation… –, et qu’un chercheur doit souvent solliciter trois autorisations pour une même recherche, d’où trois décisions de l’Agence. S’il y a bien eu 106 autorisations, celles-ci ne concernent que 43 projets.

Trois projets ont trait à des recherches sur l’embryon pour lui-même, consistant à observer et analyser son développement au tout début de la vie. Vingt-cinq laboratoires travaillent sur des cellules souches embryonnaires, en majorité pour des projets d’étude de lignées visant à comprendre les mécanismes d’apparition et d’évolution des maladies ou à « cribler » des molécules, c’est-à-dire à vérifier si telle molécule parvient à soigner telle maladie.

La loi de 2004 a institué un moratoire de cinq ans pour les recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires humaines lorsqu’elles sont susceptibles de permettre la réalisation de progrès thérapeutiques majeurs et à condition qu’une méthode alternative d’efficacité comparable ne soit pas possible pour mener l’expérimentation. Si la référence à des « progrès thérapeutiques majeurs » est ambiguë aux yeux de certains, l’Agence, pas plus que les chercheurs d’ailleurs, n’a aucun doute quant à l’interprétation à lui donner. Cela signifie pour nous que toute recherche sur des cellules souches embryonnaires humaines ne peut avoir pour but ultime que l’amélioration de la santé humaine. C’est une condition que nous vérifions toujours dans les projets qui nous sont soumis : ne saurait être autorisée une recherche pour la recherche ou au profit d’intérêts mercantiles. C’est en tout cas au motif que cette condition n’était pas remplie que nous avons refusé un projet dont les progrès attendus concernaient des produits cosmétiques.

Certains membres de la communauté scientifique critiquent l’exigence d’absence de « méthode alternative d’efficacité comparable », pour eux dénuée de sens. L’Agence, elle, en a fait une exigence d’excellence méthodologique. Nous demandons aux chercheurs, avant qu’ils osent demander à effectuer leurs recherches sur l’embryon humain ou sur des cellules souches embryonnaires, d’apporter la preuve qu’ils ont validé toutes les étapes de leur démarche scientifique, en utilisant tous les autres moyens à leur disposition. C’est en tout cas ainsi que nous avons interprété la loi.

Pour conclure, je dirai que l’Agence de la biomédecine a contrôlé les projets qui lui étaient soumis et que si le Parlement proroge ce dispositif d’autorisation, l’Agence continuera d’assurer la mission qui lui a été confiée en 2004 et de contrôler avec la plus extrême attention l’excellence, tant sur le plan scientifique que sur le plan éthique, des projets de recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.

M. Sadek Beloucif. Le conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine est chargé, aux termes de la loi de 2004, de veiller à la qualité de l’expertise médicale et scientifique de l’Agence au regard des questions éthiques susceptibles de se poser dans son champ de compétences. Il est ainsi saisi de toute question relative à la recherche médicale et scientifique. Le conseil d’orientation donne donc son avis sur les demandes d’autorisation soumises à l’Agence mais doit aussi formuler des propositions d’éthique appliquée sur la mise en œuvre des dispositions législatives et réglementaires.

Sa composition est originale puisqu’on y trouve à la fois des représentants des grandes institutions – Assemblée nationale, Sénat, Conseil d’État, Cour de cassation, Comité consultatif national d’éthique (CCNE), Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) –, six experts scientifiques dans le domaine de la biologie et de la médecine de la reproduction et dans les domaines du prélèvement et de la greffe d’organes, de tissus ou de cellules, six représentants d’associations, notamment de malades, et six personnalités qualifiées reconnues pour leur expérience dans les domaines d’activité de l’Agence ou dans le domaine des sciences humaines, sociales, morales ou politiques. Le souci de démocratie qui a présidé au choix de cette composition, pour paraphraser Philippe Lazar qui avait participé en son temps à la mise en place du CCNE, permet à la fois d’assurer une bonne représentativité, de parvenir à une sublimation du conflit en débat et de lutter contre d’éventuelles dérives technocratiques.

Le conseil d’orientation de l’Agence intervient dans le domaine de l’éthique clinique appliquée, en quoi son rôle est bien distinct de celui du CCNE. Il traite de l’application concrète de la loi, encore qu’il nous appartienne aussi d’instruire les dossiers. La qualité des débats au sein du conseil tient à celle des questions qui lui sont soumises mais aussi à la sérénité dans laquelle ils se déroulent. Le consensus n’est pas notre obsession, mais force est de constater qu’une réflexion lucide et approfondie, à laquelle on laisse le temps de mûrir, nous y amène souvent. Notre travail est de chercher comment peuvent s’articuler les pratiques et les grands principes énoncés dans la loi : l’indisponibilité du corps humain, la non-instrumentalisation des individus, nés ou à naître, le respect de l’intégrité de la personne avec ses corollaires, le primat du consentement et la préservation de la dignité, le respect de la liberté et de l’autonomie de l’individu, la protection de l’enfant et de la famille, de la personne et de sa santé.

Peut-être vaudrait-il mieux parler de réexamen, plutôt que de révision des lois de bioéthique, la loi de 2004 disposant qu’elle fera l’objet d’un réexamen après cinq ans. Il ne s’agit pas en effet de biffer d’un trait de plume la loi en vigueur et d’en repenser toutes les dispositions, mais de regarder ce qui est toujours pertinent, ce qui ne l’est peut-être plus, et ce qu’il faudrait en conséquence modifier. À trop souvent réviser la loi, celle-ci comportant, comme se plaît à le souligner Jean-François Mattei, sa propre « date de péremption », on risque d’en affaiblir les principes mêmes.

En France, le débat sur les questions éthiques est encore assez rudimentaire. L’information et l’éducation de la population sur ces sujets est insuffisante, du moins jugée telle par beaucoup, et ces sujets suscitant toujours beaucoup d’émotion, le risque est réel que le débat se focalise autour de cas emblématiques ou ne soit influencé par des campagnes d’opinion. Notre première mission en ce domaine d’éthique clinique appliquée est de faire naître un langage commun aux scientifiques et au public. Le groupe d’experts « Science et société » placé auprès de la Commission européenne a changé de dénomination et s’appelle désormais « Science dans la société », afin de dépasser toute logique d’affrontement. Il est bon que le public ait connaissance d’éléments scientifiques mais aussi que les scientifiques soient au fait des éléments symboliques fortement chargés d’émotion pour le public.

Notre deuxième mission ne consiste pas à proposer des solutions toutes faites, mais à clarifier les questions posées. En éclaireur, le conseil d’orientation de l’Agence n’a pas à délivrer du « prêt à penser » — c’en est fini de la tyrannie des clercs, il n’existe pas, heureusement d’ailleurs, d’« éthiciens » professionnels. La participation du public est un moyen pour la société d’exprimer, dans toute sa diversité, ses propres valeurs démocratiques et de nourrir le dialogue citoyen, en amenant chacun à se demander pourquoi il pense ce qu’il pense.

Même si nous n’étions pas toujours d’accord sur le fond, nous nous sommes en revanche toujours accordés au conseil d’orientation sur la forme du débat. Comment parvenir à un consensus respectueux de la diversité ? Il faut, semble-t-il, pour cela, parvenir à harmoniser trois concepts. Quelles valeurs morales porte notre société et quelle représentation nous faisons-nous de la nature et de la vie ? Quelle est notre responsabilité à tous dans la prise en charge de l’incertitude et des questions moralement sensibles ? Comment assurer l’équité et la justice ? La Commission européenne place la gouvernance sous la triple bannière de « responsability, accountability, ethics ». Accoler le terme « ethics » aux deux autres n’est pas une figure de style, c’est le ciment entre ces deux principes fondamentaux. Il ne suffit plus que nous assumions la responsabilité de nos actes, nous devons apprendre à en être comptables.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Merci pour ces deux exposés qui témoignent de l’actualité et de la très grande qualité du travail de l’Agence de la biomédecine.

Faut-il supprimer de la loi les termes « progrès thérapeutiques majeurs » et « méthode alternative d’efficacité comparable » ? Il ne semble pas que la formulation actuelle de la loi vous ait gênés dans la mesure où vous avez cherché à en donner une interprétation intelligente. Pour autant, le législateur, non sans une certaine hypocrisie, doit-il vous contraindre à des contorsions pour respecter l’esprit, et non la lettre de la loi ? Faut-il remplacer le terme « thérapeutique » par « médical », voire « scientifique » ? Le demandez-vous ou la difficulté vous paraît-elle avoir été levée ? De même, qu’en est-il de la référence à l’absence de « méthode alternative d’efficacité comparable » ? Vous avez là encore, semble-t-il, interprété le texte au mieux, afin de limiter les inconvénients de la formulation.

Ma deuxième question a trait à la cohérence entre la pertinence scientifique d’un projet et son encadrement éthique. M. Beloucif nous a rappelé certaines des valeurs aujourd’hui prises en compte. Faut-il invoquer des principes spécifiques, qui constituent des repères fondamentaux de portée générale, ou bien une valeur plus globale, comme celle évoquée notamment par Mme Simone Veil, de dignité humaine pourrait-elle suffire ? À elle seule, l’exigence de respect de la dignité humaine suffirait à exclure des recherches sur l’embryon à des fins cosmétiques par exemple. Les principes d’indisponibilité, de non-commercialité, de respect de l’intégrité de la personne, d’anonymat et de gratuité du don, vous paraissent-ils devoir être de temps à autre « revisités » pour s’assurer de la permanence d’un consensus ?

Troisième question : comment l’Agence de la biomédecine instruit-elle les dossiers qui lui sont soumis ? Travaillez-vous en amont avec les chercheurs ou ceux-ci vous adressent-ils des projets déjà bouclés, au risque que ceux-ci soient déclarés irrecevables, une pièce administrative faisant par exemple défaut ? En un mot, cheminez-vous préalablement avec les chercheurs ou non ?

Quatrième question : comment s’organise en pratique le travail de l’Agence ? Tient-elle des réunions plénières ? Qui valide au final les projets ?

Cinquième question : quel est le rôle des autres instances traitant ou pouvant être amenées à traiter de bioéthique compte tenu des missions et de l’efficacité de l’Agence de la biomédecine ? Le législateur peut-il se contenter d’édicter de grands principes, laissant à l’Agence la charge de la gestion des cas particuliers ? Souhaiteriez-vous que la loi soit plus précise ou au contraire la trouvez-vous trop tatillonne ? Existe-t-il des compétences partagées entre l’Agence de la biomédecine, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) et l’Établissement français du sang ? Si oui, comment gérer ce chevauchement de compétences ? Vous n’ignorez pas que la question des regroupements d’organismes est aujourd’hui évoquée, au motif de réaliser des économies mais aussi faciliter le dialogue. L’Agence présente-t-elle à vos yeux une spécificité qui justifie qu’elle demeure autonome ? Se sent-elle ou non à l’étroit dans les compétences qui lui ont été attribuées ? Serait-elle prête à en assumer d’autres si le législateur se déchargeait encore davantage sur elle et si son champ de compétences était élargi ?

Par ailleurs, M. Beloucif a parfaitement décrit la démarche bioéthique et ses impératifs. Au terme d’un débat approfondi mené au sein du conseil d’orientation, dans les conditions de sérénité décrites, reste-t-il un nombre important de cas litigieux ? Ne perçoit-on pas immédiatement ce qui ne pose aucun problème pour être autorisé ou bien interdit, et la majorité des cas ne se concentre-t-elle pas dans « l’entre-deux » ? Ou au contraire, les cas difficiles à trancher sont-ils finalement rares ?

Enfin, le conseil d’orientation de l’Agence a-t-il fait usage du droit d’autosaisine que prévu par le code de la santé publique, celui-ci disposant « qu’il peut faire toute recommandation qu’il estime propre à favoriser la bonne application de la réglementation en vigueur » ? Est-ce seulement une arme dissuasive ou en avez-vous fait usage ? Si oui, quelles ont été ces recommandations et celles que auriez-vous envie de faire ?

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. L’Agence de la biomédecine française constitue-t-elle une singularité en Europe ? Dispose-t-elle des moyens matériels et humains nécessaires à l’exercice de ses missions ? Sa tutelle sur les projets de recherche est-elle vécue par les chercheurs comme une entrave à leurs travaux, ou au contraire comme une sécurité juridique ? Ne faudrait-il pas clarifier les compétences respectives du CCNE et celles du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine, la loi de 2004 ayant prévu une possibilité de saisines réciproques ? Ainsi, le CCNE avait-il rendu un avis sur la greffe de visage alors même que le conseil d’orientation de l’Agence, dont les missions auraient pu justifier qu’il se saisisse de la question, ne l’avait pas fait. Si nous reformulons les critères d’autorisation des recherches sur l’embryon, devons-nous reprendre les garde-fous institués notamment par la convention d’Oviedo et ses protocoles ? La ratification de cette convention ne devrait-elle pas précéder la révision des lois de bioéthique ?

M. Xavier Breton. Quelles relations l’Agence de la biomédecine entretient-elle avec le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) ? Comment s’articulent leurs travaux respectifs ?

M. Sadek Beloucif. Les relations entre les deux instances sont excellentes et très fructueuses, ayant même enclenché un cercle vertueux. De nombreux membres siègent ou ont siégé dans les deux instances. Nous rencontrons régulièrement le professeur Alain Grimfeld, président du CCNE. Nos travaux sont complémentaires et, si je puis me permettre cette expression familière, nous « ne chassons pas sur les mêmes terres ». Nous nous intéressons au comment, le CCNE au pourquoi. Lorsque le CCNE avait rendu un avis sur la greffe de visage, abordant notamment les questions philosophiques et anthropologiques soulevées par ce type de greffe, certains s’étaient interrogés sur cette saisine qu’ils estimaient relever de la science-fiction. Or, peu de temps après, l’Agence a été saisie en urgence du projet des professeurs Dubernard et Devauchelle. Il est coutume de dire que « le bruit ne fait pas de bien et le bien pas de bruit ». C’est exactement ce qui s’est passé à l’Agence. Si l’opération a pu être réalisée dans d’aussi bonnes conditions scientifiques mais aussi éthiques, c’est qu’un travail considérable avait été effectué en amont. Le CCNE n’aurait pas pu faire le travail de l’Agence, mais celle-ci a grandement bénéficié de la réflexion de fond du CCNE.

Le conseil d’orientation de l’Agence agit en toute indépendance. En février 2006, alors que la première greffe de face avait eu lieu en novembre 2005, il s’est autosaisi de la question des prélèvements de parties visibles du corps et a formulé des recommandations sur le sujet, rendant d’ailleurs un avis très critique sur la médiatisation de certaines greffes. Nous y soulignions notamment que le caractère extraordinaire d’une greffe de visage ne devait pas faire oublier que la greffe de tout autre organe, fût-elle devenue banale, n’en demeure pas moins toujours extraordinaire.

S’agissant de la convention d’Oviedo, nous attendons avec intérêt les futurs développements. Nous avons beaucoup apprécié le rapport de M. Fagniez, qui s’étonne, à l’instar de nombreux membres du CCNE et du conseil d’orientation de l’Agence, que la France n’ait pas encore ratifié cette convention.

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. L’Agence de la biomédecine attend cette ratification, mais elle ne voudrait surtout pas que le législateur attende qu’elle ait eu lieu pour entreprendre la révision des lois de bioéthique. Le risque serait alors que chacun n’attende l’autre et qu’au final rien ne se fasse ! Il est urgent de ratifier cette convention, à la rédaction de laquelle la France a très largement contribué, inspirant même la plupart de ses dispositions, mais le retard pris ne doit pas bloquer la révision des lois de bioéthique.

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Vous semble-t-il urgent de réviser les lois de bioéthique ou peuvent-elles rester en l’état, à l’exception de la question du moratoire, pour lequel nous avons jusqu’à 2011 ?

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. La seule urgence tient à la date-butoir de février 2011 – autant dire demain, vu l’importance du sujet. Le législateur a certes prévu, dans sa grande sagesse, que les protocoles de recherche autorisés avant cette date pourraient se poursuivre. Mais les chercheurs, traumatisés par la précédente révision des lois de bioéthique — qui avait pris cinq ans de retard par rapport à l’engagement initial, les lois de 1994 n’étant finalement révisées qu’en 2004 –, seraient très inquiets de n’avoir pas d’horizon au-delà de 2011. La communauté scientifique ne voudrait surtout pas que se répète un tel retard. En effet, après la promulgation de la loi, il faut encore attendre les décrets d’application. Pour la loi de 2004, certains d’entre eux n’ont été publiés que l’année dernière ! S’il n’y a pas d’urgence absolue à réviser immédiatement la loi de 2004, l’Agence ne souhaite pas qu’on prenne du retard.

M. Sadek Beloucif. Les scientifiques vivent-ils la tutelle de l’Agence comme une entrave ou comme une sécurité juridique ? En réalité, un peu les deux, ce qui au final fait que ce n’est ni l’un ni l’autre. Nous avons appris les uns des autres et sommes, là encore, entrés dans un cercle vertueux. Lorsque des chercheurs déposent un projet, ils savent qu’il sera examiné sur le plan scientifique par les services de l’Agence mais que l’instance qui finalement l’autorisera ou non est le conseil d’orientation, dont la majorité des membres, conformément à ce qu’a souhaité le législateur, ne sont pas des scientifiques. De même que, d’une manière générale, l’Agence a appris à travailler avec les chercheurs, les différentes instances au sein de l’Agence ont appris à travailler ensemble. Cet auto-contrôle et ce va-et-vient permanent entre instruction et contrôle, sont très fructueux. À cet égard, nous vous remercions de nous avoir aujourd’hui invités en même temps, Mme Prada-Bordenave, directrice générale, maître des requêtes au Conseil d’État, et moi-même, président du conseil d’orientation, qui suis médecin. Nous aimerions symboliser par notre présence simultanée la dynamique qui est celle de l’Agence.

S’agissant des projets qui nous sont soumis, assez peu sont rejetés, car les scientifiques ont compris tout l’intérêt pour eux d’établir des relations de confiance avec les services de l’Agence. Tous craignent d’avoir à pâtir longtemps du refus d’un mauvais projet. D’où l’extrême qualité des projets présentés, que les experts examinent, non en censeurs ou en « pères la pudeur », mais en gardiens de l’esprit et de la lettre de la loi.

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. Les chercheurs qui travaillent sur l’embryon sont inquiets. Ils s’adressent à l’Agence pour savoir comment faire. À côté d’importants laboratoires qui possèdent déjà une grande expérience, il en est d’autres dont il convient d’accompagner au quotidien les démarches. L’Agence examine les projets sur pièces d’abord, puis sur place : sa mission d’inspection vérifie notamment que les conditions matérielles des recherches garantissent qu’elles se dérouleront dans les meilleures conditions possibles pour l’embryon ou les cellules souches embryonnaires. C’est un contrôle extrêmement important car certains laboratoires ne sont pas toujours conscients de l’extrême rigueur que requiert toute recherche sur l’embryon. La mission d’inspection les guide sur les conditions mêmes de leurs recherches : circuits, conservation, confinement, protection.

Il arrive que certains projets soient non pas d’emblée définitivement rejetés, mais reportés à une prochaine séance, dans l’attente d’une pièce manquante, d’une justification complémentaire ou d’un plan de financement plus complet. Je ne rendrais de décision positive, après autorisation du conseil d’orientation, que pour les projets remplissant toutes les conditions exigées, y compris de financement. Tout projet portant sur l’embryon doit avoir un financement irréprochable, de façon à garantir que, du début à la fin, le soin indispensable pourra y être apporté.

Les dossiers sont instruits par les services de l’Agence qui vérifient que toutes les pièces exigées par la loi sont réunies ; la mission d’inspection opère elle aussi les vérifications nécessaires ; les dossiers sont ensuite soumis à un collège d’experts qui juge de leur excellence scientifique. Ce collège d’experts réunit des spécialistes du plus haut niveau de toutes les disciplines pouvant être concernées par les cellules souches embryonnaires. Un projet médiocre n’a aucune chance de passer ce filtre. Les projets sont ensuite transmis au conseil d’orientation qui juge de l’ensemble des questions scientifiques, philosophiques, éthiques posées par le thème et les conditions de la recherche. Puis, en tant que directrice générale de l’Agence, je rends ma décision.

M. le rapporteur. La loi actuelle vous gêne-t-elle ou non ?

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. L’administration chargée de l’appliquer a essayé de lui donner un sens.

M. le rapporteur. Le législateur aussi, du moins je l’espère !

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. Après un débat très houleux, la tentation aurait pu être de bloquer tout le dispositif. Ce n’est pas ce que nous avons choisi, appuyés d’ailleurs en cela par le conseil d’orientation. Comme l’a rappelé Mme Questiaux, il est de notre responsabilité de donner le sens le plus pertinent possible aux dispositions voulues par le législateur, de façon à en permettre une application efficace, et certainement pas de nous réfugier derrière une crainte ou une incompréhension. Mais les dispositions de la loi continuent de susciter des débats sans fin dans la communauté scientifique. Il serait donc opportun d’en modifier la rédaction, sans en changer l’esprit.

On ne peut accepter le sacrifice d’un embryon que pour une recherche visant à soigner l’être humain ; il serait insupportable, en tout cas en a-t-il toujours été ainsi jusqu’à présent en France, de sacrifier un embryon ou une cellule souche embryonnaire pour un objectif militaire, agro-alimentaire, cosmétique… C’est ce qu’a voulu dire le législateur lorsqu’il a posé la condition de « progrès thérapeutiques majeurs » à escompter.

Les chercheurs s’inscrivent spontanément dans une démarche de soin, expliquant tout naturellement lorsqu’ils présentent un projet à l’Agence, même si celui-ci relève encore de la recherche fondamentale, qu’il pourra servir à comprendre telle ou telle maladie, et constitue donc le premier pas pour en soigner les malades, ou bien encore les mécanismes d’expression des gènes, ce qui est essentiel pour comprendre l’apparition et le développement des cancers. Il faut donc changer le mot « thérapeutique » qui gêne, mais conserver l’esprit des dispositions. Les chercheurs, comme l’Agence, pensent que ces recherches ne valent que parce qu’elles permettront, à un horizon plus ou moins lointain, de soigner l’homme.

M. le rapporteur. Si je vous ai bien compris, c’est précisément pour en conserver l’esprit qu’il faut modifier la lettre de la loi.

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. L’expression « méthode alternative d’efficacité comparable » n’a pas grand sens sur le plan scientifique. On a très rarement le choix entre plusieurs méthodes d’égale rigueur. Il est très rare, sinon impossible, que deux méthodes aient exactement la même efficacité. On perçoit bien ce qu’a voulu dire le législateur mais en pratique, cela n’est pas très pertinent. Ainsi la reprogrammation des cellules souches adultes, les fameuses iPS (induced pluripotent sem cells), cellules souches pluripotentes induites qui ont été découvertes par le professeur Yamanaka en 2006, ne donne pas les mêmes résultats que les cellules souches embryonnaires : son « efficacité » n’est pas « comparable ». Nous disposons de vingt années de retour d’expérience sur les cellules souches embryonnaires humaines, de deux ans seulement pour les IPS. Ces cellules, d’une part, ont déjà vécu, d’autre part, ont été génétiquement modifiées par l’introduction d’un virus ou d’une protéine pour retrouver la pluripotence du stade embryonnaire. Le recul est insuffisant pour évaluer les effets, potentiellement conjugués, de cette sénescence et des modifications génétiques. Dans ce contexte, il serait aujourd’hui périlleux de faire reposer les recherches sur les seules iPS, car les espoirs thérapeutiques considérables qui ont été placés en elles pourraient demain être déçus. Ce serait en tout cas prématuré. La seule cellule pluripotente non génétiquement modifiée aujourd’hui disponible est la cellule embryonnaire. Ce serait prendre un risque considérable que de transférer aujourd’hui tout l’effort de recherche sur les iPS. Peut-être dans quelques années n’en sera-t-il plus de même…

Mme Marie-Thérèse Hermange, sénatrice, membre du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. J’aimerais connaître la démarche suivie pour les dossiers présentés à l’Agence ne concernant pas des recherches sur l’embryon, relatifs par exemple à la constitution d’une banque de sang placentaire.

Le professeur Claude Sureau nous a dit que l’Académie des sciences et l’Académie nationale de médecine souhaiteraient que l’on dresse un bilan comparatif des différents types de cellules et des avancées thérapeutiques escomptées de chacune. L’Agence de la biomédecine pourrait-elle dresser ce bilan ?

S’agissant des iPS, alors même que le professeur Yamanaka n’avait publié le résultat de ses recherches que le 20 novembre 2007, dès janvier 2008, un Institut doté de près de 60 millions de dollars était créé aux États-unis en ce domaine. Devons-nous, dans ces conditions, attendre ou dégager nous aussi les moyens financiers nécessaires ?

M. Paul Jeanneteau. Toute recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines doit avoir pour but ultime un progrès thérapeutique. Mais par définition, les chercheurs cherchent, sans jamais savoir ce qu’ils vont trouver ni si ce qu’ils trouveront correspondra à ce qu’ils cherchaient au départ. Aussi me paraît-il quelque peu antinomique et vain de dire qu’il ne faut pas autoriser « la recherche pour la recherche ».

Les recherches doivent, avez-vous dit, respecter « la dignité » de l’embryon. Qu’entendez-vous par « dignité » de l’embryon, et au-delà, de la personne humaine ? Comment la définir ?

Certains souhaitent que le moratoire actuel sur les recherches sur l’embryon soit ou bien très longuement prolongé ou bien carrément levé, de façon que les jeunes chercheurs disposent d’un horizon suffisant. Faut-il, à votre avis, conserver un moratoire ? Si oui, pendant combien de temps ?

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. C’est l’Agence de la biomédecine qui délivre aujourd’hui les autorisations nécessaires pour l’importation de lignées de cellules souches. Ne pourrait-on pas alléger les procédures en ce domaine ? L’Agence ne devrait-elle pas avoir un œil aussi sur les recherches concernant les iPS ? En effet, si l’on sait aujourd’hui reprogrammer une cellule adulte en cellule pluripotente, on pourra peut-être bientôt la reprogrammer en sens inverse pour aboutir à la fabrication de gonades, et pourquoi pas d’embryons…

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. Sans doute, mais un œil lointain. L’horizon est encore loin où une iPS pourrait être transformée en gonade, a fortiori donner un embryon. Même si la presse se fait l’écho d’innombrables possibilités et si un premier essai clinique a été autorisé aux États-Unis, les recherches menées en France se situent encore à un niveau très fondamental. Je prends un risque en affirmant cela, car une prochaine découverte viendra peut-être tout accélérer, comme on l’a vu après celle du professeur Yamanaka….

En France, il ne peut être porté atteinte à la liberté de la recherche que pour des raisons exceptionnelles, comme cela a été le cas pour les recherches sur l’embryon. Doit-on intervenir chaque fois qu’une recherche est potentiellement porteuse de dérives ? Il faudrait y réfléchir à deux fois avant de faire peser de trop lourdes contraintes sur la recherche. Interdire une recherche ou la subordonner a priori à une autorisation doit demeurer exceptionnel. Il est normal en revanche de l’encadrer. Bien évidemment, si le législateur estimait que l’Agence de la biomédecine doit s’occuper de la recherche sur les iPS, elle le ferait, cette nouvelle mission se situant au confluent de celles relatives aux recherches sur l’embryon et de celles qui concernent l’AMP. Et s’il se révélait nécessaire que l’Agence interdise une recherche, elle ferait son devoir.

En matière de banques de sang placentaire, les recherches ne sont pas interdites, pas même soumises à autorisation de l’Agence de la biomédecine. L’Agence ne peut intervenir qu’en leur apportant un « coup de pouce » financier, son aide étant accordée à l’issue d’appels d’offres lancés chaque année, dont le montant cumulé ne dépasse pas 400 000 euros. L’Agence de la biomédecine n’est pas une agence de recherche, non plus qu’une agence de financement. En revanche, toute recherche sur des cellules souches embryonnaires ne peut être entreprise en France qu’une fois autorisée par l’Agence, si bien que, pour des raisons déontologiques évidentes, ce type de recherche ne peut bénéficier d’aucun financement de celle-ci.

L’Agence exerce une veille scientifique permanente. Lors de la dernière réunion du conseil d’orientation, un chercheur de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) qui travaille à l’Agence a présenté les différents stades auxquels on était parvenu pour chaque type de cellules. La comparaison portait essentiellement sur les cellules souches embryonnaires et les iPS, mais était abordé également dans cet exposé l’état des recherches et des essais cliniques pour certaines cellules souches adultes ainsi que pour les cellules mésenchymateuses et hématopoïétiques du sang de cordon. Cette veille scientifique est indispensable à un avis éclairé.

Mme Marie-Thérèse Hermange. L’Agence travaille-t-elle en liaison avec les équipes de l’hôpital militaire de Percy qui effectuent des recherches sur les cellules souches adultes, notamment dans le cadre du risque nucléaire ?

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. Nous avons un lien historique très fort avec les équipes de Percy. Un des responsables de cet hôpital était membre du conseil médical et scientifique de l’Agence. Lors du renouvellement de cette instance, il a de nouveau été fait appel à une personne du même établissement, avec lequel nous souhaitons conserver des liens privilégiés.

M. Sadek Beloucif. S’agissant de la définition de la dignité humaine, le groupe de travail du Conseil d’État, animé par M. Philippe Bas, mène une réflexion transversale sur la question que l’on pourrait essayer de résumer en disant qu’elle se pose lorsqu’il existe une tension entre les moyens et les fins autour de l’indisponibilité du corps.

La question de la définition de la personne est tout aussi importante. À partir de quel stade de développement peut-on parler de « personne » ? Les avis diffèrent sur le sujet, comme sur le caractère sacré de la vie. En revanche, chacun s’accorde à considérer que la vie ne doit pas être profanée, qu’il convient de préserver l’intégrité de la personne, au sens large, et de protéger les plus vulnérables. Les pratiques peuvent-elles modifier ces principes fondamentaux ? Dans le cadre du retour d’expérience qui avait été réalisé par le conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine, sous la précédente direction de M. Alain Cordier, quatre questions avaient été posées, les réponses à y apporter restant ouvertes.

Faut-il tout simplement lever l’interdiction des recherches sur l’embryon et les cellules embryonnaires ? Faut-il en maintenir le principe et supprimer toute dérogation ? Peut-on maintenir le dispositif actuel d’interdiction, assorti d’un moratoire ? Pourrait-on imaginer une dérogation permanente sous conditions strictes, fixées par la loi et contrôlée, pourquoi pas, par l’Agence de la biomédecine ? Si le législateur allait en ce sens, on voit mal comment on pourrait ne pas instaurer un contre-pouvoir au nouveau pouvoir important donné à l’Agence, contre-pouvoir exercé par l’exécutif et le législatif, de façon à garantir une veille sanitaire et éthique au moins une fois par an.

M. Xavier Breton. Il serait urgent que la France ratifie la convention d’Oviedo, nous avez-vous dit, mais quels seraient les effets concrets de cette ratification dans notre droit ?

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. Elle conforterait la législation française et le socle de valeurs communes sur lesquelles le législateur s’est entendu en 2004. La France a été le promoteur de cette convention internationale, et notre diplomatie a été très active pour la faire adopter. Notre pays s’est, hélas, arrêté au milieu du gué, ce qui rend difficilement compréhensible sa position sur le plan international. Il est vrai qu’une fois ratifiées, les dispositions de la convention auront valeur contraignante dans notre droit national, mais c’est notre propre pays qui les a inspirées.

M. Xavier Breton. Le professeur Claude Sureau a évoqué une contradiction potentielle entre l’un des articles de cette convention et l’un de ceux de notre code civil.

M. Sadek Beloucif. Il s’agit sans doute de l’article de la convention relatif à la non-brevetabilité du vivant et à la non-patrimonialité du corps. D’après les juristes interrogés, cela n’interdirait en rien la ratification. Le socle de la convention d’Oviedo, c’est de s’opposer à la création d’embryons à des fins de recherche, en parfaite concordance avec l’esprit et la lettre de la loi française. Ne pas l’avoir ratifiée amoindrit notre position sur cette question dans les instances internationales.

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Ce qui empêche la ratification de cette convention est peut-être la question du clonage thérapeutique. On sent bien que la tentation pourrait renaître de l’autoriser, alors que le débat a été si difficilement tranché en 2004.

M. Sadek Beloucif. Dans son rapport, M. Pierre-Louis Fagniez souligne que la convention d’Oviedo ne fait pas obstacle à des évolutions futures dans l’utilisation du clonage thérapeutique ou scientifique, dans la mesure où la question du clonage n’a pas été envisagée par les auteurs de la convention. En effet, la naissance de la première brebis clonée, Dolly, est postérieure à la finalisation du texte de la convention.

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Certains États ont ratifié cette convention, en formulant certaines réserves.

Dernière question : un seul décret d’application de la loi d’août 2004 n’a pas encore été pris, celui relatif à l’information de la parentèle en cas de diagnostic d’une maladie génétique grave. L’Agence de la biomédecine était chargée d’assurer l’interface entre les patients et leurs familles. A-t-elle eu à jouer ce rôle et pensez-vous que ce décret sortira un jour ?

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. Si le décret n’a pas été pris, c’est sans doute que les esprits n’étaient pas mûrs. Pour avoir assisté la semaine dernière à un colloque organisé par le Conseil national de l’ordre des médecins sur les questions éthiques soulevées par les tests génétiques, j’ai constaté que les médecins sont écartelés entre leur devoir de soigner et le respect du secret médical. Sans doute ne sont-ils pas encore assez informés en matière de génétique.

La solution qui aurait consisté à faire de l’Agence de la biomédecine l’interface entre les patients et leurs familles, ce qui évitait aux médecins une violation directe du secret médical, n’a pas marché, car le corps médical était encore trop hésitant. Les médecins généticiens, eux, sont parfaitement au fait de ces questions et seraient prêts à assumer cette information. Mais ils manquent de relais parmi leurs confrères.

Il est regrettable que le décret n’ait pas encore été publié car certaines maladies génétiques graves, comme les hémochromatoses, peuvent être soignées à condition que la personne porteuse de l’anomalie génétique en soit informée assez tôt. L’Agence n’a pas la clé permettant de résoudre le problème. Si on lui demande expressément de jouer ce rôle, elle le jouera, même si elle n’est pas convaincue que ce soit la meilleure solution.

M. Sadek Beloucif. L’une des solutions serait peut-être d’informer largement le public. Les futurs États généraux de la bioéthique pourraient en donner l’occasion. La difficulté de ce que le CCNE avait fini par appeler la « saisine Mattei » tient à la double injonction contradictoire (double bind) faite aux médecins. Ni le conseil d’orientation de l’Agence, ni le groupe de travail du Conseil d’État animé par M. Philippe Bas n’ont trouvé de solution. À titre personnel, je pense que le mieux serait d’exposer le plus clairement possible cette question et les difficultés qu’elle soulève lors des États généraux. Une fois parfaitement informé, le public pourrait s’en saisir et dialoguer avec les médecins, afin que des dispositions soient prises dans l’intérêt de tous.

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Je vous remercie de l’éclairage fort intéressant que vous avez apporté à nos travaux.

Audition de M. René FRYDMAN, professeur de médecine, chef du service de gynécologie-obstétrique à l’hôpital Antoine Béclère de Clamart


(Procès-verbal de la séance du 3 février 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous sommes heureux d’accueillir aujourd’hui le professeur René Frydman, chef du service de gynécologie-obstétrique et chef du pôle « Femme, couple, enfant » à l’hôpital Antoine Béclère de Clamart, également professeur des universités et responsable de l’équipe « Gamètes et implantation » à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Auteur de nombreux ouvrages, membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) de 1986 à 1990, votre éclairage sera précieux aux travaux de notre mission d’information, lesquels vont se poursuivre parallèlement aux États généraux de la bioéthique que le Président de la République a décidé d’organiser et qui se tiendront de mars à juin prochain. Notre mission ne rendra son rapport qu’à l’issue de ces États généraux.

Vous pourriez nous dire tout d’abord comment vous envisagez l’évolution de la loi actuelle et quelle vous paraît devoir être la nature de la future loi. Dès lors qu’a été créée une Agence de la biomédecine, bras séculier des pouvoirs exécutif et législatif pour autoriser les protocoles de recherche, ne faut-il pas s’orienter plutôt vers une loi-cadre ? Quelle appréciation portez-vous par ailleurs sur le travail de cette Agence ?

Pour ce qui est de l’assistance médicale à la procréation (AMP), pourriez-vous faire le point sur les différentes techniques existantes et aborder des sujets qui se font jour dans l’opinion et que le législateur devra traiter lors de la prochaine révision, comme la filiation, le don de gamètes, en particulier d’ovocytes, la gestation pour autrui et le diagnostic pré-implantatoire (DPI) – sur ce dernier point, la loi actuelle vous paraît-elle ou non adaptée ?

M. René Frydman. Tout d’abord, je vous remercie de votre invitation.

Dans le domaine des recherches sur l’embryon et de l’AMP, la prochaine révision des lois de bioéthique devra aborder trois volets. Le premier a trait à la recherche et aux aspects scientifiques : il s’agit de savoir si certains interdits posés par la loi actuelle doivent être levés, d’autres maintenus, voire renforcés.

Le deuxième concerne la mise en œuvre de certaines techniques, qui pose des problèmes de société plus que scientifiques : c’est le cas de l’accès à l’AMP pour les femmes seules ou les couples homosexuels, ou encore de l’implantation d’embryon post mortem.

Le dernier – que j’évoquerai d’abord – a trait aux procédures actuellement en vigueur pour la mise en place de projets de recherche scientifique ou clinique. On se félicite en pratique de la création de l’Agence de la biomédecine, désormais instance de référence pour l’ensemble des acteurs. Mais lorsque nous lançons un projet de recherche, nous devons passer non seulement par elle, mais aussi par beaucoup d’autres organismes comme l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), le Comité de protection des personnes, parfois l’Assistance publique… Pour notre dernier projet, toutes ces démarches ont pris quatorze mois, si bien qu’au total, si on inclut le temps d’élaboration, deux ans se sont écoulés avant que nous puissions nous mettre effectivement au travail. Autant dire que nous courons un grand risque que des confrères étrangers publient avant nous sur le sujet ! Nous ne remettons pas en cause ces procédures : le problème réside dans leur succession, d’autant que les compétences respectives de l’Agence de la biomédecine et l’AFSSAPS ne sont pas toujours claires…

M. le président. Pourriez-vous nous donner un exemple ?

M. René Frydman. Je pense à une nouvelle technique de congélation des ovocytes, la vitrification. Nous ne savons pas à qui nous adresser pour savoir si nous sommes autorisés à la pratiquer. L’AFSSAPS doit examiner les produits utilisés, l’Agence de la biomédecine se référer ensuite à ses travaux. En attendant, une publication est parue au Canada portant sur 200 enfants nés d’ovocytes ainsi vitrifiés. La plupart des équipes françaises souhaiteraient pouvoir tester cette technique, largement utilisée à l’étranger et dont il est possible qu’elle résolve certains problèmes. On pourrait congeler de manière plus sûre qu’aujourd’hui les ovocytes, les couples ne décidant de les décongeler qu’en fonction de leur projet parental, ce qui éviterait la constitution de stocks d’embryons surnuméraires.

Dès lors qu’existent déjà des publications scientifiques sur un sujet, peuvent-elles servir de référence pour qu’une autorisation soit donnée ? Par qui ? Faut-il à chaque fois parcourir de nouveau l’intégralité du processus ? Toute sécurité doit certes être garantie, mais, d’une part, il nous semble que les responsabilités ne sont pas assez bien définies, d’autre part, il y a trop d’étapes successives. L’allongement des délais qui en résulte est préjudiciable à notre recherche. Peut-être faudrait-il un organisme « multi-têtes » s’occupant des questions concernant des recherches sensibles, de façon que les aspects scientifiques, éthiques, de sécurité et de procédure soient examinés en même temps et qu’une réponse unique puisse être donnée sur l’ensemble des problèmes sous six à huit semaines, alors qu’aujourd’hui chaque étape prend à elle seule près de huit semaines, sans compter que si, comme il est normal, une modification nous est demandée, le délai est encore rallongé.

M. le président. Ce qui vous pose problème est la succession des procédures. À l’Agence de la biomédecine, la durée moyenne d’instruction d’un dossier est de quatre mois, assez comparable à ce qu’il est en Grande-Bretagne.

M. René Frydman. Ce serait un délai acceptable s’il incluait toutes les étapes. Mais le nombre et le poids des démarches administratives ralentit aujourd’hui nos recherches, je tenais à le souligner. Cela étant, la plupart des médecins et des chercheurs apprécient qu’il existe une instance qui délivre les autorisations. Peut-être suffit-il de revoir certains modes de fonctionnement, et de prévoir une rotation des responsables, car la recherche ne fait pas bon ménage avec la bureaucratie. La future loi pourrait peut-être d’ailleurs rapprocher les différents organismes.

J’en viens au contenu de la loi actuelle concernant la recherche. Elle interdit les recherches sur l’embryon, un moratoire de cinq ans ayant été accordé sous certaines conditions. Son texte même fait que les chercheurs, en particulier les plus jeunes, ont l’impression, conduisant ces recherches, d’avoir affaire à la pierre philosophale, sur laquelle on ne saurait porter la main... Je préfèrerais, pour ma part, que ces recherches soient tout simplement autorisées, à la condition bien sûr de faire l’objet d’une évaluation. Ceux qui les mènent ne doivent pas travailler en catimini, ni être contraints de franchir une interminable succession d’obstacles. Lorsqu’elles sont fondées, qu’il n’existe pas d’alternative et qu’on pense qu’elles peuvent apporter un progrès, leurs recherches doivent au contraire être soutenues, notamment par les dispositions législatives y ayant trait. Ou bien on les interdit ou bien on les autorise, mais si on les autorise, il faut, tout en les encadrant, les faciliter.

Le transfert nucléaire, ce qu’on a appelé le clonage scientifique à visée cognitive ou à visée thérapeutique ultérieure, doit-il être autorisé ou interdit ? Je suis, pour ma part, favorable à la levée de l’interdiction tout en maintenant, voire en renforçant, l’interdiction du transfert de tout embryon obtenu par cette technique, afin d’éviter toute visée de clonage reproductif – à supposer que celui-ci fût techniquement possible chez l’homme. Entre les cellules souches embryonnaires humaines et les cellules souches pluripotentes induites – les iPS (induced pluripotent sem cells) – obtenues à partir de cellules adultes, nul ne sait aujourd’hui quelle est la voie la plus prometteuse. La seule attitude scientifique est de laisser ouvertes toutes les possibilités afin d’être en mesure de déterminer ultérieurement si une méthode est meilleure que l’autre, y compris sur le plan éthique. En ce cas, c’est elle qui l’emportera.

Pour avoir été membre de la délégation française à l’ONU sur l’interdiction du clonage reproductif, je regrette beaucoup que la position défendue par la France et l’Allemagne n’ait pas encore abouti aujourd’hui. Devant la prolifération des centres de recherche sur l’AMP partout dans le monde, de la Chine (où on en dénombre plus de 300) au Brésil en passant par la Jordanie, il n’est possible de fixer de limites que sur la base de considérations éthiques, d’un consensus international sur certains points, et de législations nationales – comme celle dont nous élaborons en France la troisième version. Il faudrait chez nous en finir avec les contorsions sémantiques actuelles, et apporter un réel soutien à la recherche sur l’embryon, en la contrôlant a posteriori.

La création d’embryons à des fins de recherche devrait également être autorisée. C’est indispensable notamment pour mener des recherches, aujourd’hui rares, sur les gamètes car la seule manière d’obtenir des réponses à certaines questions sur les cellules germinales, c’est la fécondation – c’est-à-dire la création d’un embryon, lequel n’a pas vocation à être transféré pour donner naissance à un enfant. Avec une technique comme l’ICSI (intra cytoplasmic sperm injection), si on ne fait pas d’études préalables sur les embryons ainsi conçus, on se contentera d’observer leur développement, et ce n’est qu’après la naissance de l’enfant qu’on saura si tout est normal : paradoxalement, pour n’avoir pas voulu faire d’études expérimentales sur l’embryon, on les fait sur l’enfant. Pour éviter ce paradoxe, il peut être nécessaire de créer des embryons sans projet parental, bien sûr sous les conditions de consentement requises dans une démocratie.

J’en viens aux questions sociétales et d’abord à celle de l’anonymat du don de gamètes et de la filiation. Avant la loi de 1992, les donneurs avaient le choix de conserver ou non l’anonymat. Les couples amenaient souvent une donneuse d’ovocytes avec eux, mais finalement ils choisissaient souvent l’anonymat, afin d’éviter des problèmes relationnels ultérieurs : 85 % des couples préféraient ne pas connaître l’origine des gamètes. L’anonymat imposé en France, aussi bien que le non anonymat imposé par exemple en Suède, posent problème quant au respect de la liberté individuelle.

De plus, et cela complique le problème, certains enfants nés après don de gamètes souhaitent, à leur majorité, connaître leurs origines. Tout le problème tient au temps qui s’est écoulé depuis leur conception. Au départ, un couple souhaite un enfant qui naîtra d’un don de gamètes, anonyme ou non, selon leur choix. S’il choisit le non-anonymat, vingt ans plus tard, l’enfant ainsi conçu se trouve, qu’il le veuille ou non, confronté à la révélation de ses origines, que ses parents n’ont pas souhaité masquer. La situation est plus complexe si le don a été anonyme. Si un enfant, à sa majorité, part à la recherche de ses origines génétiques, c’est que quelqu’un lui a dit qu’il avait été conçu avec tiers donneur – ce peut-être ses propres parents qui le lui apprennent –, ou bien qu’il ressent un malaise né d’une situation pas assez claire. Je serais assez favorable à ce que les receveurs comme les donneurs puissent librement choisir l’anonymat ou non, mais aussi qu’ils puissent ultérieurement changer d’avis. Le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP) a été créé pour l’accouchement sous X et permet aux enfants qui le souhaitent de rencontrer la mère qui les a abandonnés à leur naissance, si celle-ci en est d’accord. Pourquoi un organisme analogue, qui pourrait être le même d’ailleurs, ne serait-il pas prévu pour les enfants conçus avec don de gamètes ? Si certains enfants nés après une AMP avec don de gamète anonyme souhaitent retrouver leurs origines génétiques et que les donneurs acceptent de communiquer leur identité à cet organisme, si la démarche est effectuée librement des deux côtés, pourquoi l’empêcher ? Ce qui me pose problème est que l’on impose l’un ou l’autre des termes de l’alternative. On m’objectera qu’il ne peut y avoir qu’une seule règle : soit on peut accéder à ses origines, soit on ne le peut pas. Mais dans la réalité, dans la « vraie vie » serais-je tenté de dire, la recherche de ses origines n’est pas un droit. La double possibilité que je préconise, avec un suivi à long terme de ces procédures pour en apprécier les avantages et les inconvénients, est certes moins confortable qu’une position unique mais garantirait une liberté effective de choix.

J’en viens au DPI. Sept ans après que trois centres ont été autorisés à le pratiquer en France, environ 140 enfants sont nés après un tel diagnostic et une trentaine de grossesses sont en cours. La limitation, tant des indications que du nombre de centres habilités, a fait que les demandes n’ont pas explosé. Pour autant, et même en restant dans le cadre très strict des indications posées par la loi actuelle, nous ne sommes pas en mesure de répondre correctement aux demandes, en particulier en région parisienne. Un couple qui demande à bénéficier d’un DPI doit attendre de douze à dix-huit mois avant de pouvoir procéder à une première tentative, qui n’a qu’une chance sur quatre de réussir, sans compter que plus le couple avance en âge, plus les risques d’échec sont élevés. Quadrature du cercle ! La prise en charge de ces couples qui ont souvent beaucoup souffert n’est pas satisfaisante sur le plan éthique. Il faudrait soit renforcer les moyens des centres existants, car il est vrai que l’expertise nécessaire est assez longue à acquérir, soit ouvrir un centre supplémentaire. Pour des couples qui ont parfois déjà un ou plusieurs enfants lourdement handicapés, traverser la France entière pour pratiquer une fécondation in vitro (FIV) peut poser des problèmes pratiques quasi-insurmontables.

M. le président. Combien y a-t-il de centres en France aujourd’hui et combien y a-t-il eu de demandes ?

M. René Frydman. Il existe trois centres, à Paris, Montpellier et Strasbourg. Notre centre parisien a enregistré quelque 700 demandes, dont toutes n’ont pas été acceptées, et 120 enfants sont nés après un DPI y ayant été réalisé. Nous effectuons une centaine de tentatives par an, ce qui est lourd, notamment pour identifier les gènes des maladies concernées. C’est l’Agence de la biomédecine qui collecte les données pour l’ensemble des trois centres.

La loi de bioéthique de 2004 a étendu les indications du DPI aux maladies à révélation tardive comme la chorée de Huntington – ce diagnostic est pratiqué à Strasbourg – mais aussi au typage HLA, c’est-à-dire à la sélection d’embryons immuno-compatibles avec un aîné atteint d’une maladie génétique dont le traitement fait appel à la greffe de cellules souches hématopoïétiques, ce que les médias ont appelé le « bébé-médicament ». Ce DPI-HLA, qui est très long, n’est pratiqué que dans notre centre parisien. La question s’est posée de savoir s’il fallait étendre les indications du DPI, notamment à la présence de certains oncogènes. Une mission, conduite par Dominique Stoppa-Lyonnet à l’Agence de la biomédecine, a conclu que le DPI ne pouvait être autorisé que pour les maladies génétiques d’une particulière gravité et à révélation précoce, et non pour rechercher des prédispositions particulières au développement d’un cancer, du sein par exemple du fait de la présence des gènes BRCA1 et BRCA2, dans la mesure où il s’agit d’une maladie qui ne se révèle qu’à l’âge adulte et qu’il est légitime de penser que, d’ici vingt à trente ans, des progrès auront encore été obtenus dans son traitement. Une sélection embryonnaire en fonction de la présence ou non de ces gènes ne se justifierait donc absolument pas, d’autant que les mécanismes d’expression de ces gènes sont encore mal connus.

En conclusion, je ne pense pas qu’il faille modifier le cadre actuel du DPI mais il faut impérativement renforcer les équipes le pratiquant, afin que l’on puisse répondre plus rapidement à la demande des couples.

S’agissant de la gestation pour autrui, j’y suis opposé. J’entends certes la détresse des femmes qui, bien que dépourvues d’utérus, sont fondées à souhaiter avoir un enfant. La question est de savoir si l’on est prêt à prendre les risques importants de dérives inhérents à la GPA pour satisfaire la demande d’avoir un enfant génétiquement issu de soi. En effet, la GPA repose sur un discours opposé à celui qui sous-tend le don de gamètes ou le don d’embryon : elle donne le primat à la génétique par rapport à l’éducation et à l’intention. Pour ma part, j’ai du mal à être schizophrène en expliquant à une femme qui va bénéficier d’un don d’ovocyte que son projet de maternité et l’expérience de la grossesse, vont faire d’elle la mère de cet enfant, même s’il n’est pas génétiquement issu d’elle – et à une autre que porter un enfant pour le compte d’autrui ne pose pas de problème et que la grossesse ne s’accompagne pas en elle-même d’attachement… Excepté dans quelques cas idylliques dont on peut certes toujours exciper, il serait naïf de croire qu’il n’y a pas de transaction en cas de GPA. Nous ne vivons pas dans l’univers d’Alice au pays des merveilles. Malgré toutes les barrières érigées dans les pays qui ont autorisé la GPA, il y a bel et bien exploitation du corps de la femme moyennant finances. Le groupe de travail sénatorial qui s’est prononcé en faveur de la GPA a sans doute pris en compte des cas irréprochables sur le plan éthique, sans bien mesurer cependant qu’une telle autorisation ouvrirait la voie à toutes sortes de dérives éthiques que l’on voit aujourd’hui survenir, en Inde notamment. Arguer de bonnes intentions pour refuser de poser cette barrière éthique, c’est se voiler la face et au final, accepter la marchandisation des corps et le développement d’un vaste marché autour. En outre, les problèmes psychologiques que pose pour les femmes la programmation de l’abandon d’un enfant à la naissance ne sont pas minces, sans rien dire des complications qui surviennent aujourd’hui dans beaucoup de grossesses, dont 15 % se terminent par une césarienne ou s’accompagnent d’hémorragies, et dont certaines provoquent une dépression du post partum chez la parturiente. En tant qu’obstétricien, j’ai du mal à ne pas prendre en compte ces aspects. D’une part, donner une telle importance à la génétique est extrêmement dangereux sur le plan idéologique – cela va à l’encontre de tous nos principes de tolérance et d’ouverture à l’autre –, d’autre part, c’est, sous couvert d’intentions louables, faire courir des risques, physiques et psychologiques, non négligeables à certaines femmes mais aussi à leur famille, car elles ont souvent un conjoint et des enfants. Dans les faits, quelles que soient les conditions de départ, la transaction évolue au cours de la grossesse, surtout si surviennent des complications.

Face à tous ces dangers, que vaut l’argument qui demande pourquoi des femmes n’ayant pas d’utérus seraient privées du droit d’avoir un enfant ? Car la réalité est aussi que près de la moitié des couples qui recourent à une AMP n’auront jamais d’enfant. Il est dangereux de laisser croire que tous les problèmes peuvent être résolus. Il y en a qui ne le peuvent pas, ou en tout cas ne le pourraient qu’à un prix éthique beaucoup trop élevé. L’AMP ouvre un champ considérable de possibles, que seuls des principes éthiques peuvent borner. Si l’on y renonce, je ne vois plus alors quels arguments invoquer pour interdire le clonage reproductif et empêcher le développement d’une marchandisation générale du corps humain et de ses produits, qui n’est absolument pas le but de l’AMP.

M. le président. Merci beaucoup de cet exposé. Je donne immédiatement la parole au rapporteur de notre mission.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Vous avez souligné, comme d’autres personnalités que nous avons auditionnées ici avant vous, les problèmes soulevés par le fait que dans notre pays, les recherches sur l’embryon ne sont aujourd’hui autorisées que pour un temps limité et ne peuvent être pratiquées que sur des embryons surnuméraires. Vous vous êtes déclaré favorable à la création d’embryons à des fins de recherche, ce qui est en contradiction avec la convention d’Oviedo.

Vous avez également fait observer que pour ne pas créer d’embryons à des fins de recherche, on en était paradoxalement réduit à faire les observations sur les enfants. Je pense que sous ce terme, vous entendiez les embryons destinés à devenir des enfants. Pour vous, l’intentionnalité parentale constitue-t-elle un élément majeur ? Quel est le statut d’un embryon résultant d’un transfert nucléaire ou de celui créé in vitro à seules fins de recherches, sans projet parental donc ? Qu’il soit implanté ou non dans un utérus, c’est-à-dire qu’il ait ou non une destination humaine finale, tout embryon n’a-t-il pas le même statut ?

La recherche obsessionnelle d’un enfant génétiquement issu de soi est en contradiction totale avec les valeurs les plus profondes de notre société. En effet, en France, le droit du sol prévaut sur le droit du sang et c’est donc logiquement que, dans un autre registre, on fait primer la parentalité affective et sociale sur la parentalité génétique. Favoriser le don de gamètes, c’est penser que l’acquis est plus important que l’inné. Au vu de votre expérience, pensez-vous que l’emporte aujourd’hui une vision plus individualiste et plus génétique ? Recevez-vous davantage de personnes qui souhaitent d’abord un enfant issu d’elles, plutôt que d’avoir la joie d’en élever un, d’où qu’il provienne ?

Sur le DPI, vous avez été clair. Le développement des techniques de DPI ne fait-il pas courir le risque que l’on soit tenté un jour, sinon de mettre au monde un enfant exempt de tout risque de développer une affection grave, du moins d’éliminer tous les embryons présentant un risque de développer une maladie grave – mais pas forcément précoce ni incurable ? Après avoir voulu légitimement aider des couples en grande souffrance, ayant déjà des enfants ou des proches affectés de pathologies dégénératives très lourdes, ne pourrait-on pas être tenté de détruire les embryons présentant un risque de pathologies à forte prévalence, même à révélation tardive, et ce sans tenir compte des progrès médicaux possibles entre temps ?

Est-ce volontairement ou non que vous n’avez pas évoqué dans votre exposé certains problèmes de société, comme l’accès des couples homosexuels à l’AMP ? Avez-vous une opinion sur la légitimité d’une telle demande ou vous interdisez-vous d’en avoir une ?

M. René Frydman. Quand commence la personne humaine ? Dès la fécondation, lors de l’implantation, lors de l’apparition du système nerveux, lors de la naissance seulement ? Les points de vue philosophiques sont infinis, et le débat pas près d’être clos. Je m’en tiendrai, pour ma part, à un fait incontestable, à savoir qu’aujourd’hui en tout cas, et pour longtemps, l’embryon ne se développe pas in vitro et ne le peut qu’en se reliant à la circulation maternelle. C’est pourquoi le projet d’implantation et l’implantation elle-même constituent pour moi l’étape fondamentale, qui fait passer de la puissance à l’acte.

Les centres de FIV sont autorisés à détruire au bout de cinq ans les embryons congelés si les couples ne se sont pas manifestés. Cela prouve bien que l’intentionnalité est déterminante puisque si aucun des membres du couple n’a fait connaître son souhait que l’embryon soit implanté, il peut être détruit – contrairement à la situation naturelle plus commune, l’homme est ici à égalité avec la femme car un embryon conçu in vitro ne peut être implanté que si les deux en manifestent concrètement le désir. L’intentionnalité prime donc dans les faits. Prime-t-elle sur le plan philosophique ? Jamais les positions sur le sujet, extrêmement diverses, ne se rejoindront… Mais avec quelque 200 000  interruptions volontaires de grossesse (IVG) pratiquées par an dans notre pays, où cet acte peut être pratiqué jusqu’à douze semaines d’aménorrhée, comment nier que ce qui prime est bien le désir de poursuivre ou non la grossesse ? Que cette intentionnalité prime ne signifie pas pour autant que tout soit permis sur l’embryon. Vous me reprocherez certainement une subtilité sémantique, mais je ne dirai pas qu’il faut créer des embryons pour la recherche, ce qui pourrait laisser penser qu’on crée des stocks d’embryons à des fins indéterminées, mais qu’il doit pouvoir exister des embryons de la recherche, issus de recherches sur les gamètes.

Le transfert nucléaire aboutit-il à la création d’un embryon, puisqu’il n’y a pas en ce cas d’intentionnalité ? Je persiste à penser que l’étape décisive, c’est l’implantation, après quoi le défenseur de l’embryon est la femme, la future mère, puisque c’est elle qui alors décide de son avenir – sa position pouvant d’ailleurs évoluer. Pour moi, le clonage scientifique, c’est-à-dire la fabrication d’embryons sans intentionnalité parentale, est licite.

M. le rapporteur. L’amas de cellules issu d’un clonage scientifique est-il quand même un embryon ?

M. René Frydman. Oui, c’est un embryon sans projet parental. Il faut bien voir que quantité d’embryons, bien qu’issus de la fécondation d’un ovule par un spermatozoïde, n’ont pas ou plus de projet parental, qu’il s’agisse de ceux que les couples n’ont pas réclamés et qui peuvent être détruits au bout de cinq ans, de ceux dont le développement sera interrompu parce qu’il n’a pas toutes chances de s’effectuer correctement, de ceux sur lesquels une maladie très grave a été identifiée et qui ne seront pas implantés…

Avons-nous relevé un essor de l’individualisme et recevons-nous davantage de personnes désireuses d’avoir d’abord un enfant génétiquement issu d’elles ? Non. Désirer un enfant issu de ses deux membres est le premier mouvement naturel d’un couple, indépendant du projet d’élever ensemble un enfant, mais ces demandes ne sont pas, et de loin, les plus nombreuses. Les femmes viennent tard pour les FIV, nous sommes tenus par une limite d’âge – j’espère que les choses évolueront sur ce point – et nous recourons au don d’ovocytes autour de 42-44 ans. Aujourd’hui, l’aspiration à avoir un enfant génétiquement issu de soi vient clairement en seconde position. En revanche, il est à craindre que si on met par trop l’accent sur les gènes, notamment par des discours faisant la part belle au réductionnisme génétique, on ne mette en place le socle d’une société où l’égalité ne serait plus une valeur fondamentale.

Ce sont la paternité et la maternité d’intention qui prévalent aujourd’hui dans notre pays. Dans les centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS), il est clairement rappelé aux couples que l’homme, bien qu’il ne soit pas le père biologique de l’enfant à naître, sera considéré comme son père et ne pourra se défaire de cette paternité. Donner le primat à la génétique reviendrait à inverser la donne.

S’agissant du DPI, je ne pense pas qu’il faille en modifier ni en élargir les indications – sauf cas particuliers clairement limités – et ce précisément pour ne pas donner le primat à la génétique. Ce qu’il faut, c’est améliorer les conditions de sa réalisation dans les cas jugés recevables sur le plan éthique. Ce qui est contraire à l’éthique, c’est de faire attendre des couples jusqu’à 18 mois ! Je le redis donc, il faut renforcer les moyens des trois centres actuels et peut-être en ouvrir un autre. Il faut savoir qu’une fois les DPI autorisés par la loi, nous avons dû nous battre pour obtenir les moyens matériels indispensables à leur réalisation.

S’agissant de l’accès des couples homosexuels à l’AMP, je me sens très mal à l’aise pour en parler et ce n’est sans doute pas un hasard si je n’ai pas abordé le sujet dans mon exposé liminaire. Mon premier souci est de répondre aux situations médicales d’infertilité, même s’il existe des zones-frontières floues, la définition de la santé comme un « état complet de bien-être physique, mental et social » retenue par l’OMS ouvrant un champ très large. Je ne trouve pas cohérent qu’une femme seule puisse adopter un enfant, mais pas bénéficier d’une AMP – quelle que soit sa sexualité. Me gêne en revanche le fait que des couples homosexuels masculins, pour avoir un enfant, fassent appel à une mère porteuse, pratique ouvrant la voie à toutes les dérives que j’évoquais tout à l’heure. Puisqu’il est possible d’y recourir à l’étranger, est-il si regrettable que ces pratiques demeurent interdites dans notre pays ? Est-ce un droit que d’avoir tout à portée de main ? Reste bien entendu la question du statut juridique des enfants ainsi nés. Sans être nullement juriste, il me semble que, quelle que soit leur origine génétique et quelle que soit la mère qui leur a donné naissance, ils devraient pouvoir être adoptés, dans le respect des règles de l’adoption dans notre pays.

Mme Pascale Crozon. Chacun sait qu’il est aujourd’hui possible de louer le ventre d’une mère, pas seulement dans des pays lointains, mais beaucoup plus près de chez nous, en Belgique par exemple. Si on continue d’interdire la gestation pour autrui en France – et pourquoi pas ? –, demeure posé le problème du statut juridique des enfants ainsi nés. Reconnaître ces enfants sur le plan juridique n’est-il pas contradictoire avec le maintien de l’interdiction de la gestation pour autrui dans notre pays ? L’association CLARA, vous le savez, milite dans notre pays pour la reconnaissance des mères porteuses.

M. René Frydman. Je le redis, ces enfants pourraient, me semble-t-il, être adoptés par le couple qui en assurera l’éducation, et ce même s’ils sont issus des gamètes des deux parents. Mais il faut savoir que beaucoup de mères porteuses donnent aussi leurs ovocytes –auquel cas, soit dit au passage, la médecine ne serait intervenue que pour éviter un rapport sexuel, en quoi on n’aurait peut-être pas tort de considérer que cela coûte fort cher pour ce dont il s’agit…

M. Xavier Breton. L’intentionnalité est en effet déterminante, puisque c’est d’elle que dépend la décision de poursuivre ou d’interrompre le développement de l’embryon. Mais est-ce cette intentionnalité qui fonde la dignité humaine, auquel cas cela signifierait que ce sont des personnes extérieures qui en décident ? Cela ne répond pas à la question de fond de la dignité humaine de l’embryon.

M. René Frydman. Vous avez raison de pointer cette contradiction, mais celle-ci est encore plus grande dans le cas de l’IVG, puisque celle-ci aboutit à détruire un embryon à un stade beaucoup plus avancé. Je comprends le problème que vous soulevez mais je ne vois pas comment le résoudre. Ce ne sont pas des personnes extérieures qui décident de la dignité de l’embryon. Il faut, dès le début de son développement, empêcher que l’on puisse faire n’importe quoi. C’est d’ailleurs pour cela que les pratiques sont encadrées – cela va dans le sens de la reconnaissance en l’embryon d’une « potentialité de vie humaine » – mais, qu’on le veuille ou non, la loi sur l’IVG fait que jusqu’à 12 semaines, il n’est bien considéré que comme une « potentialité ». Lors d’une IVG, la femme peut décider seule du sort de l’embryon, alors que pour celui conçu in vitro, l’accord de l’homme est nécessaire. Si l’un des membres du couple refuse qu’il puisse être donné à un autre couple ou servir à des recherches, il ne peut qu’être détruit.

M. Armand Jung. Vous avez évoqué l’immensité du champ des possibles. Tout le problème est de savoir où placer le curseur. Jean-François Mattei et Simone Veil, que nous avons auditionnés avant vous, nous ont tous deux dit qu’à partir d’un moment, il y avait transgression. Même issu d’un clonage à visée scientifique, un embryon est un embryon. Où placez-vous, pour votre part, ce curseur et sur quels critères ? Il ne faut pas entraver le progrès scientifique tout en balisant les évolutions – jusqu’où peut-on baliser d’ailleurs ? Y a-t-il transgression d’abord, à partir de quand et si oui, comment l’empêcher ? Sur quels fondements ?

M. René Frydman. Toute nouvelle connaissance constitue une transgression par rapport à l’ancienne. Il ne faut donc pas avoir peur des transgressions. Pour autant on ne peut pas ne pas s’inquiéter de savoir quelle sera la prochaine étape. Il faut s’en tenir le plus possible au champ médical des couples qui ne peuvent pas avoir naturellement d’enfants – c’est en tout cas ce que je fais –, rester dans le cadre de deux personnes exprimant à un moment donné le désir d’un enfant, même si, pour le fabriquer, il leur faut recourir à un don de gamètes. Cette intentionnalité doit primer. Sinon on pénètre dans des zones où le risque existe de porter atteinte à la dignité humaine, et je ne vois plus alors quels arguments opposer pour interdire le clonage reproductif.

Tout en reconnaissant la spécificité de l’humain et la dignité qui l’accompagne, l’étape clé, je le redis, réside dans l’implantation de l’embryon, car auparavant, son développement n’est que de l’ordre du possible. D’ailleurs, si le couple ne manifeste pas son projet parental, quelle que soit la dignité reconnue aux embryons, il est prévu qu’ils soient détruits au bout de cinq ans. L’intentionnalité peut changer au début de toute grossesse avec l’IVG, plus tard encore avec l’interruption médicale de grossesse (IMG)… Tout potentiel de développement humain n’aboutit pas nécessairement. Où mettre le curseur, demandez-vous ? Au risque d’être schématique, je dirai qu’il faut éviter les situations de convenance et s’en tenir aux situations pathologiques. Aucune pratique médicale n’est aujourd’hui aussi encadrée ni évaluée que l’AMP. À ma connaissance, depuis sept ans que le DPI se pratique en France, il n’y a pas eu de dérives, par exemple par rapport au choix du sexe. Les couples ne demandent pas l’ « enfant parfait ».

M. le président. En 2006, il y a eu 342 demandes de DPI, dont 77 ont été refusées.

M. René Frydman. Les demandes peuvent augmenter avec l’information, mais si l’on n’élargit pas les indications actuelles, c’est une situation qu’on peut maîtriser.

Si l’embryon a, dès la fécondation in vitro, un potentiel de développement humain, est « une potentialité de personne » plutôt « qu’une personne potentielle » – le débat sur la terminologie fit rage en son temps au CCNE –, l’intentionnalité n’en reste pas moins déterminante, elle est même un préalable.

M. le rapporteur. Je voudrais revenir sur l’anonymat et la double option que vous proposez pour les donneurs de gamètes de conserver ou non l’anonymat, puis ultérieurement pour les enfants nés de tels dons de connaître leurs origines. On peut comprendre qu’un enfant souhaite voir le visage de la personne qui a donné le spermatozoïde à son origine, mais quelles peuvent être les relations entre la personne qui a, un jour, donné des gamètes et celui qui en est né ? N’y a-t-il pas un risque de faire prévaloir le génétique sur l’éducatif ?

S’agissant de la gratuité du don, vous avez pointé toutes les dérives, inévitables selon vous, auxquelles peut donner lieu la gestation pour autrui. Dans certains de vos écrits, vous avez néanmoins envisagé que le don d’ovocytes puisse être indemnisé. Faut-il demeurer d’une intransigeance absolue sur le principe de la gratuité, ou, le don d’ovocytes étant assez lourd, peut-on envisager son indemnisation, au risque d’ouvrir la voie à une rémunération du don et à des grossesses pour le compte d’autrui, contractualisées et indemnisées ?

M. René Frydman. L’expérience a montré que les enfants qui, à leur majorité, souhaitaient avoir connaissance de leurs origines génétiques et obtenaient satisfaction, ne nouaient pas, la plupart du temps, de liens avec leur géniteur. Il y a certes de fervents militants du droit à connaître ses origines, mais il est aussi des personnes qui, bien que se sachant nées d’un don de gamètes, ne souhaitent pas connaître le donneur. Permettre de connaître ses origines, est-ce favoriser leur recherche ? Je ne sais pas. D’où ma proposition de double guichet, afin qu’il soit possible, mais en aucun cas obligatoire, pour l’enfant de connaître ses origines, à condition que le donneur fasse de son côté une démarche analogue. La probabilité que les deux volontés coïncident est faible…

M. le rapporteur. Dans votre esprit, le donneur fait-il cette démarche au moment du don ou plus tard ?

M. René Frydman. Plus tard. S’il ne s’est pas manifesté, la demande de l’enfant restera sans réponse.

M. le rapporteur. Comment être absolument sûr que c’est bien son père génétique que l’enfant rencontrera ?

M. René Frydman. Pourquoi présupposer des dysfonctionnements au sein des banques de sperme ? On y sait très bien quels donneurs ont donné naissance à quels enfants.

S’agissant du don d’ovocytes, j’aurais préféré que l’on puisse en rester à un acte de générosité, totalement gratuit. Mais la réalité est que l’obtention et le prélèvement d’ovocytes sont beaucoup plus compliqués qu’un don de sperme. En Grande-Bretagne, les femmes qui acceptent de donner leurs ovocytes ne paient pas leur FIV : c’est une façon détournée de rémunérer leur don. Pour éviter de telles situations aussi bien que les transactions directes, je serais favorable à une indemnisation solidaire, c’est-à-dire prise en charge par la société. Cela porterait certes atteinte au principe éthique de la gratuité. Mais parce qu’on aura légèrement déplacé le curseur, ira-t-il inéluctablement plus loin ? Je n’en suis pas sûr. Depuis dix ans, on peut connaître le sexe de l’embryon dès la sixième ou la septième semaine de grossesse et jamais cet outil n’a été utilisé en France – il n’en va certes pas de même en Inde ou dans d’autres pays. La frontière est bien sûr ténue entre indemnisation et rémunération, et on peut craindre qu’on passe facilement de l’une à l’autre. Mais je ne pense pas que l’on puisse demander à une femme de se soumettre à une stimulation ovarienne, ce qui dure une quinzaine de jours, puis de subir une ponction, sans l’indemniser. L’expérience en tout cas montre que les campagnes d’information et de promotion du don n’ont pas eu grand succès. Mieux vaudrait une solution du type de celle que je préconise plutôt que de distribuer, comme aujourd’hui, larga manu, des listes d’adresses de centres à l’étranger et d’encourager ainsi le tourisme procréatif.

M. le rapporteur. Le dispositif anglais vous paraît-il acceptable ?

M. René Frydman. Non. Il faut savoir qu’en Grande-Bretagne, une femme ayant besoin d’une FIV doit attendre dans le public un an et demi et n’a droit qu’à deux tentatives, alors qu’en France, la sécurité sociale en prend en charge au moins quatre. Les femmes anglaises sont donc nombreuses à devoir s’adresser au privé, et lorsqu’elles n’ont pas les moyens de payer leur FIV, elles donnent leurs ovocytes. Ce dispositif n’est pas sain. Je préfère une indemnisation raisonnable et solidaire, assortie des garanties nécessaires pour que des femmes ne puissent pas faire du don d’ovocytes une activité lucrative.

M. le président. Il me reste à vous remercier de vos réponses qui seront précieuses à nos travaux.

Audition de Mme Hélène LETUR-KONIRSCH, gynécologue, médecin responsable de l’activité de don d’ovocytes à l’Institut Montsouris, présidente du Groupe d’étude des dons d’ovocytes (GEDO) et du Professeur Patrick FENICHEL, coprésident du GEDO


(Procès-verbal de la séance du 4 février 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir le Dr Hélène Letur-Konirsch, gynécologue, médecin, responsable de l’activité de don d’ovocytes à l’Institut Montsouris, présidente du Groupe d’études pour le don d’ovocytes, et le Professeur Patrick Fenichel, coprésident de cet organisme.

Quelques chiffres : en 2006, en France, 220 femmes ont fait un don d’ovocytes, et ces dons ont permis de réaliser plus de 400 fécondations in vitro ; près de cent enfants sont nés suite à un don d’ovocytes, et, chaque année, environ 400 nouveaux couples ont besoin d’un don.

Ces chiffres nous invitent à vous poser quelques questions : comment expliquez-vous une telle pénurie de gamètes par rapport au nombre de couples demandeurs ? Quelles sont les motivations des donneuses, qui acceptent de se soumettre à un traitement médical contraignant et à un geste invasif ? La révision des principes de gratuité et d’anonymat aurait-elle un impact sur ces données ?

Mme Hélène Letur-Konirsch. Je vous remercie chaleureusement, monsieur le président, d’avoir accepté de nous recevoir, le professeur Fenichel et moi-même, pour évoquer avec vous les problèmes posés par l’exercice du don d’ovocytes en France.

Je vais tout d’abord vous exposer brièvement la situation et vous proposer des éléments susceptibles de l’améliorer.

En France, le don d’ovocytes fait l’objet d’un encadrement législatif et réglementaire, ce qui a des effets extrêmement positifs, tant pour les couples receveurs et les donneuses que pour les équipes soignantes. À la grande satisfaction de celles-ci, la loi d’août 2004 a clairement identifié le don d’ovocytes, le distinguant du don de spermatozoïdes. Il est désormais considéré comme l’un des aspects de l’assistance médicale à la procréation. Avant cette date, ces deux méthodes étaient regroupées sous le vocable "don de gamètes".

Quant aux receveuses, elles peuvent être reçues en consultation singulière, au cours de laquelle sont discutées les indications, et elles bénéficient d’une prise en charge spécifique et parfaitement adaptée. De plus, les couples receveurs bénéficient de prestations sociales leur assurant une entière couverture économique.

La loi protège également les donneuses en respectant leur statut maternel, leurs motivations réelles et leur santé physique et psychique. On pourrait donc dire que donner et recevoir, en France, relèvent d’un choix décisionnel éclairé et responsable.

Qu’en est-il dans les faits ? Vingt-cinq centres autorisés sont répartis dans l’hexagone. À ma connaissance, il n’existe pas de centre de don d’ovocytes en Corse, non plus que dans les territoires d’outre-mer. Sur ces vingt-cinq centres, six ne fonctionnent pas du tout et sept réalisent moins de dix attributions ovocytaires par an. S’ils ne fonctionnent pas, c’est qu’ils n’ont pas débuté l’activité ou qu’ils ont été contraints de l’arrêter par manque de moyens. En réalité, seuls douze centres – moins de la moitié – effectuent plus de dix attributions ovocytaires par an  (1). En 2005, l’Agence de la biomédecine a relevé qu’une grande partie de l’activité était concentrée sur la région Ile-de-France : 47 % des dons en cycle synchronisé donneuse-receveuse et 53 % en cycle différé, c’est-à-dire après congélation et décongélation embryonnaire.

Le niveau annuel de la demande n’est pas connu avec certitude. En 2006, l’Agence de la biomédecine notait l’inscription de 647 nouveaux couples demandeurs. Or, ce chiffre ne prend absolument pas en compte les couples qui choisissent de se rendre à l’étranger, soit après une première consultation dans les centres autorisés, soit après avoir été directement orientés vers un autre pays par leur praticien libéral ou leur association.

Si l’on prend en compte les couples qui se sont inscrits en 2006 en Espagne, en Grèce et en République Tchèque, la demande annuelle peut être estimée à 2 000 nouveaux couples. Or, durant la même période, seules 228 donneuses ont fait l’objet d’un prélèvement ovocytaire, ce qui représente 0,35 donneuse par couple receveur inscrit – et non pas par couple demandeur ! On peut donc à l’évidence parler d’une insuffisance de donneuses par rapport à la demande.

J’ajoute que 10 % des donneuses qui se présentent dans les centres n’iront pas jusqu’au bout de leur démarche, certaines de leur propre gré, d’autres parce qu’elles auront été récusées.

Enfin le « rendement » physiologique (si j’ose utiliser ce terme) du don d’ovocytes est relativement faible : on estime qu’il permet la naissance d’un enfant par donneuse en cycle synchronisé, et d’un enfant pour trois donneuses en cycle différé. Ces résultats sont très bons, et diffèrent peu de ceux obtenus en dehors de nos frontières, si l’on prend en compte l’âge des donneuses et le nombre d’embryons transférés.

Que sont devenus les 228 prélèvements effectués en 2006 ? Ils ont permis de procéder à 501 transferts, destinés à 368 couples en attente, anciennement ou nouvellement inscrits. Mais ce chiffre est à rapporter aux 2 000 couples demandeurs chaque année, et auxquels on peut ajouter, selon les sources de l’Agence, 1 162 couples en attente dans les centres français fin 2006.

Entre la demande et l’offre qui leur sera faite, les receveurs doivent se soumettre à un délai de prise en charge. Selon la loi française, cette prise en charge n’est pas subordonnée à l’apport d’un tiers donneur. Cette disposition législative est parfaitement prise en compte dans les centres, mais en réalité, les délais sont plus courts pour un couple qui a su motiver une donneuse, pour de simples raisons de gestion. Le délai moyen d’attente pour une attribution ovocytaire est de vingt-huit mois, mais il tombe à quinze mois si le couple présente une donneuse.

Ce délai peut paraître très long, pourtant il a été considérablement diminué grâce à la possibilité de synchronisation des cycles entre la donneuse et la receveuse. Cette synchronisation permet de transférer des embryons qui n’ont pas été congelés et décongelés. Quand ils l’ont été, le transfert donne lieu à une importante perte embryonnaire. Ce n’est plus le cas avec le transfert d’embryons frais. Ainsi, lorsque le lot ovocytaire s’avère suffisant, il peut alors être divisé pour être attribué à deux ou trois couples, jusqu’à quatre dans certains centres. Les couples en attente pourront ainsi bénéficier plus rapidement d’un transfert.

Mais cet optimisme doit être tempéré, car ces transferts n’aboutissent qu’à une seule grossesse par donneuse. Dans la mesure où une donneuse correspond à trois receveuses, deux risquent de voir leur attente prolongée.

D’autre part, le temps de gestion – déjà pléthorique – risque d’augmenter, en fonction du nombre de participants pour une seule donneuse. Ce temps de gestion – à moyens constants – devra être reporté sur un autre poste, ce qui augmentera le délai d’obtention d’une première consultation dans un centre. On peut donc parler d’une certaine paralysie du système, qui concourt à orienter la demande vers l’étranger.

En résumé : 50 % seulement des centres autorisés effectuent plus de dix attributions ovocytaires par an ; la demande est estimée à 2 000 nouveaux couples par an ; il existe une insuffisance de donneuses par rapport à la demande ; bien que l’on recense de très bons résultats attestant du savoir-faire des professionnels, le délai d’inscription est de six à douze mois, auxquels s’ajoute un délai d’attribution moyen de quinze à vingt-huit mois.

Cette situation est à l’origine d’un déplacement de la demande hors de France – avec parfois un remboursement partiel des frais par les caisses d’assurance maladie, ou par certaines mutuelles, au titre de la perte de chances en France.

Comment expliquer une telle situation ? Par l’inadéquation entre le faible nombre de donneuses et l’importance de la demande, d’une part, et par l’insuffisance majeure des moyens humains et matériels de fonctionnement des centres d’autre part.

Pourquoi une telle inadéquation entre l’offre et la demande ? Peut-être est-ce, tout d’abord, parce que l’information sur le don d’ovocytes est restée trop longtemps confidentielle. Mme Prada-Bordenave, directrice de l’Agence de la biomédecine, a constaté l’augmentation, légère mais sensible, du nombre de femmes prêtes à faire un don d’ovocytes au lendemain de la campagne d’information – la première du genre – qui a été menée, en mai dernier, sous la direction du service communication de l’Agence.

Seconde explication possible : notre société ne reconnaît pas la démarche de la donneuse. En effet, il ne faut pas confondre l’anonymat entre la donneuse et la receveuse, et le secret de la démarche. Aucun don n’est gratuit, ni symboliquement, ni réellement ; il implique toujours un « contre-don », essentiel si l’on veut préserver le principe de gratuité.

Beaucoup de donneuses se sentent humiliées par l’anonymat qui les entoure durant le parcours médical et par la nécessité de quêter le remboursement de leurs frais auprès des services hospitaliers. D’autant qu’il leur faut ensuite solliciter la compréhension de leur employeur, qui doit accepter tacitement les retards engendrés par la réalisation d’examens complémentaires et les congés nécessaires pour assurer leur récupération. Pour les femmes disposées à faire un don, ces éléments pèsent d’un poids aussi lourd que la pénibilité d’une stimulation ovarienne et d’un prélèvement ovocytaire.

La situation de l’exercice du don d’ovocytes en France s’explique également par l’indigence des moyens humains et matériels de fonctionnement. Cet exercice nécessite une prise en charge spécifique, tant des couples receveurs que des donneuses, dont une part non négligeable est consacrée à l’information et à la vérification de la compréhension des indications.

De plus la gestion du programme représente près de 90 % de cette activité – qui dans la loi française, je le rappelle, n’est pas individualisée. Or, le rôle du gestionnaire ne se limite pas à la pratique : il doit être étendu à la connaissance des indications, dans un domaine qui relève souvent de plusieurs spécialités, au traitement des situations inclassables et à l’évaluation des risques, qu’ils soient obstétricaux ou psychiques. Cette responsabilité nécessite une culture médicale particulière et une compétence spécifique qui dépasse le cadre du prélèvement ovocytaire, de la mise en présence des gamètes et du transfert embryonnaire. Or, ce sont les seuls gestes reconnus par la loi.

Cette spécificité n’étant pas reconnue, il n’a pas pu être identifié les besoins, ni allouer les moyens nécessaires. Or ce manque de moyens représente une entrave à la liberté de chacun, pourtant reconnue par la loi de bioéthique, d’accéder à ces soins, conformément aux principes d’égalité et de solidarité. C’est la qualité de cette approche qui donne son plein sens au terme de « don », mais elle ne sera efficace et pérenne que si l’on prend en compte le prix du respect de ces valeurs.

Comment améliorer notre approche ? Tout d’abord, en renforçant la politique d’information, dont nous avons pu constater qu’elle commençait à porter ses fruits. Ensuite, en reconnaissant officiellement la démarche des donneuses, ce qui suppose une prise en charge adaptée et valorisante au niveau des centres, en particulier après le prélèvement ovocytaire, ainsi que le remboursement des actes et médications par les caisses d’assurance maladie – qui, je l’espère, sera prochainement assuré. Enfin, en reconnaissant le temps qu’elles y ont consacré par un temps officiellement alloué, dans le même esprit que le congé maternité. Voilà ce que demandent beaucoup de donneuses d’ovocytes.

M. le président. Pouvez-vous nous préciser comment se déroule leur indemnisation, par rapport à leur emploi et à leurs frais hospitaliers ?

Mme Hélène Letur-Konirsch. Les frais occasionnés par le don d’ovocytes doivent, depuis le décret de 2000, être pris en charge par les hôpitaux autorisés. Or, ces frais ne sont pas compensés par un budget spécifique, mais inscrits sur le budget général de l’hôpital. Les directions hospitalières sont donc peu enclines à favoriser les programmes de don d’ovocytes, qui leur coûtent beaucoup sans leur rapporter.

M. le président. Car ces programmes n’entrent pas dans le cadre de la tarification à l’activité.

Mme Hélène Letur-Konirsch. En effet ! Or, la prise en charge des frais engagés par les donneuses doit comprendre les médications, les examens complémentaires, les déplacements et l’hébergement – et, pourquoi pas, un certain manque à gagner. C’est pourquoi les directions des centres ne se montrent pas très enthousiastes…

Concrètement, une femme qui fait un don d’ovocytes est remboursée par la direction de l’hôpital après avoir fourni les justificatifs de ses frais. Il serait préférable qu’elle soit remboursée par sa caisse d’assurance maladie ; c’est pourquoi nous avons engagé un recours devant le Conseil d’État – qui, semble-t-il, devrait aboutir.

Dans leur grande majorité, les femmes donneuses souhaitent qu’un temps leur soit officiellement alloué. Quant au versement d’une indemnisation pour pénibilité, il ne leur semble pas prioritaire.

Les praticiens, quant à eux, souhaitent une reconnaissance officielle de la gestion du don, en termes d’agrément et de codification, car celle-ci représente 90 % de l’activité. Cette reconnaissance aurait pour résultat d’inciter les directions hospitalières à entretenir et à faire évoluer ces programmes qui, faute d’être valorisés, se trouvent actuellement marginalisés.

Pour conclure, nous souhaitons que les demandeurs et les femmes donneuses, dont nous espérons voir augmenter le nombre, ne soient pas entravés dans leur démarche par une réalité susceptible de les décourager, comme elle décourage les équipes soignantes.

M. Patrick Fenichel. Je précise que les femmes susceptibles de bénéficier d’un don d’ovocytes – à savoir les femmes en âge de procréer mais souffrant de stérilité ovarienne définitive – représentent 2 % des femmes en âge de procréer. Ce n’est donc pas un problème si rare ! Songez que le diabète représente 2 % de la population. Le chiffre de 200 cycles de dons d’ovocytes en France ne traduit pas du tout cette réalité, car il y a une distorsion importante entre la demande et la fréquence de cette pathologie.

Chaque année, 1 800 françaises se rendent à l’étranger pour faire du "tourisme ovocytaire". Pourquoi ce chiffre est-il si élevé ? Parce que beaucoup de pays européens n’appliquent pas les mêmes principes. En Espagne, par exemple, la rémunération des donneuses est possible ; en Grèce, en l’absence de sécurité sociale, la femme qui demande une fécondation in vitro se voit proposer de donner la moitié de ses ovocytes en échange de la gratuité de la FIV. Dans ces conditions, la démarche devient beaucoup plus facile.

Les médecins qui ont une grande expérience de la pratique du don de gamètes ne remettent pas en cause les principes contenus dans la loi de bioéthique. Ils les ont soutenus, voire suscités. Donnons-leur les moyens de les appliquer !

Si nous ne sommes pas capables de répondre à la demande de tous les couples qui attendent un don d’ovocytes, c’est que l’État ne nous en donne pas les moyens. Comme l’a indiqué Mme Letur-Konirsch, aucune campagne d’information n’est menée sur le don d’ovocytes, mis à part la campagne, très timide, de l’été dernier. C’est une campagne de l’ampleur de celle qui a été menée sur le don d’organes qu’il nous faudrait. L’État n’en donne pas non plus les moyens aux hôpitaux publics – le privé ne pouvant réaliser le don de gamètes.

Pourquoi un tel manque de moyens ? Parce que le don d’ovocytes, en termes de T2A – le nouveau credo des hôpitaux – rapporte peu. Il n’est pas question, pour nous, de remettre en cause les principes de l’anonymat et de la rémunération, mais force est de constater que nous n’avons pas les moyens de répondre à la demande.

M. le président. Concrètement, comment parvenez-vous à réduire les délais d’attente pour les receveuses qui présentent une donneuse ?

M. Patrick Fenichel. En principe, la loi nous interdit de subordonner notre réponse à la présentation d’une donneuse, mais aucun des douze centres qui fonctionnent actuellement n’applique ce principe, car dans l’état actuel des choses, il est inapplicable ! Concrètement, nous informons les couples que ceux qui présentent une donneuse verront leur attente réduite. C’est ainsi que fonctionnent la plupart des centres…

Mme Hélène Letur-Konirsch. C’est exact. Cela dit, nous ne refusons pas d’inscrire les couples qui ne présentent pas de donneuse. Lorsqu’un lot ovocytaire est séparé, il est destiné à deux couples, voire plus. Le couple qui a présenté une donneuse bénéficie prioritairement d’un lot ovocytaire, et le deuxième lot est attribué à un couple qui n’a pas présenté de donneuse. A priori, les deux couples peuvent mener à bien leur projet. Sauf que dans la réalité des programmes, il n’y a que 0,3 donneuse par couple receveur, et la majorité des couples se présentent sans donneuse... C’est la raison pour laquelle il faut impérativement renouveler les campagnes d’information, car on constate que les femmes savent faire preuve de solidarité et sont disposées à donner leurs ovocytes, en dépit de la pénibilité de la tentative.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Ce que vous nous dites est à la fois consternant et enthousiasmant…

Qui est la donneuse qui accompagne le couple ? Est-ce la sœur, la cousine, une amie, ou bien peut-être une personne qui a reçu une rémunération occulte ?

Parmi tous les systèmes qui existent, en Europe et dans le monde, quel est celui qui, à vos yeux, répond le mieux aux principes éthiques et aux pratiques ? Est-ce la rémunération simple, l’échange entre la FIV et le don d’ovocytes, ou toute autre pratique – je pense à ce qui se passe en Belgique ?

La T2A est censée prendre en considération tous les actes inhérents à l’activité concernée, or le don d’ovocytes en comporte beaucoup : pourquoi est-il si peu pris en compte ?

Pratiquez-vous une sélection des ovocytes ? Les attribuez-vous en fonction de certains critères phénotypiques liés aux ressemblances physiques ? Avez-vous une demande, de la part des receveuses, de caractéristiques phénotypiques particulières, et comment y répondez-vous ?

M. Patrick Fenichel. La donneuse vit généralement en couple. Ce qui ressort d’une étude psychologique que nous avons menée au CHU de Nice, c’est qu’il n’existe pas de don gratuit. On trouve toujours, dans l’histoire de la donneuse, une dette, que ce soit vis-à-vis de sa famille, de sa mère, de sa sœur ou de la société tout entière. Ce don est un moyen pour elle de payer sa dette, au sens symbolique du terme, et cette motivation est très forte.

La rémunération n’est pas un élément important de la démarche, et les médecins, dans leur ensemble, défendent le principe de non commercialisation du corps humain. C’est tout à l’honneur de notre pays d’avoir reconnu ce principe. En revanche, il faut simplifier les procédures relatives au dédommagement des transports et à l’arrêt de travail, car la lenteur et la complexité de ces procédures incitent un grand nombre de personnes à abandonner leur projet. Mais, au vu de notre expérience, nous ne sommes pas favorables à une véritable rémunération.

La campagne d’information qui a été menée l’été dernier nous a surpris : on constate qu’il existe une réelle solidarité entre les femmes, et nous avons vu le nombre des donneuses augmenter après la campagne d’information. Multiplier ces campagnes – nous attendions celle-là depuis plus de dix ans – devrait suffire pour augmenter le nombre de donneuses, sans qu’il soit question de rémunération.

La donneuse présentée par le couple est rarement une sœur ou une parente. Le plus souvent, c’est une amie, ce qui pose peut-être moins de problèmes.

M. le rapporteur. Comment s’effectue la sélection ?

M. Patrick Fenichel. Comme pour les dons de spermatozoïdes dans les CECOS – je parle en tant que responsable du CECOS de Nice – on apparie en fonction du groupe sanguin, de la couleur de la peau et de celle des cheveux. Toutefois, et cela nous surprend, les critères tels que la taille et même l’intelligence intéressent très peu les femmes, déjà tellement heureuses d’accéder au don d’ovocytes !

Mme Hélène Letur-Konirsch. Je partage votre analyse. Très souvent, en effet, les donneuses sont des amies. Mais nous assistons à l’émergence d’un nouveau type de rencontres : celles réalisées sur Internet, dans des forums de discussions. Ce que nous disent les donneuses, c’est qu’ayant connu le bonheur d’être mère et se sentant solidaires des autres femmes, elles veulent partager ce bonheur et réparer une certaine injustice. Quant à l’éventualité d’une rémunération occulte, nous ne pouvons l’éliminer totalement, mais nous pensons qu’elle est très marginale.

Si les donneuses rejettent l’idée d’une rémunération, elles sont en revanche favorables à une indemnisation pour pénibilité. Celle-ci doit tenir compte du temps passé. Beaucoup d’entre elles reconnaissent l’opportunité d’une telle indemnisation mais ce n’est pas leur première motivation, qui est d’être reconnues dans leur démarche et de disposer du temps nécessaire pour la mener à bien.

M. le rapporteur. Que recouvre le terme de pénibilité ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. Vous évoquez l’efficacité des campagnes incitatives, mais le don d’ovocytes, qui suppose une forte incitation hormonale, comporte-t-il un risque médical ? Les donneuses bénéficient-elles d’un suivi médical, et de quelle durée ? Sait-on ce qu’elles deviennent ?

M. Patrick Fenichel. La donneuse subit la première partie d’une fécondation in vitro, la plus pénible, qui consiste en une stimulation ovarienne suivie d’une ponction ovarienne par voie vaginale, effectuée le plus souvent sans anesthésie générale. Il faut savoir qu’aucun acte médical n’est totalement dénué de risque. S’agissant du don d’ovocytes, il existe un risque d’hémorragie et d’abcès ovarien lors de la ponction, qui, comme vous le savez, consiste à introduire une aiguille dans un organe interne. Mais ce risque est minime, car en vingt ans de pratique de la fécondation in vitro, il a affecté moins d’une femme sur 2 000. La stimulation ovarienne ne comporte pas de risques majeurs. Le risque de cancer du sein ou de l’ovaire a été évoqué, mais il n’a jamais été confirmé. Quoi qu’il en soit, nous essayons de ne pas atteindre le stade de l’hyperstimulation.

Un suivi médical à court terme des donneuses a été mis en place. Nous les recevons quinze jours après la ponction et leur proposons de revenir si elles le souhaitent. Elles apprécient beaucoup cette sécurité. Ce qu’elles ne supportent pas, c’est de se sentir abandonnées dès lors que le don a été réalisé. Le "contre-don" est bien une réalité…

M. Armand Jung. A quel organisme, selon vous, doit-on confier la réalisation des campagnes d’information ? Et qui doit les financer : l’État, la sécurité sociale, ou telle ou telle fondation ?

M. Patrick Fenichel. La première campagne a été réalisée par l’Agence de la biomédecine, qui a montré ses compétences en la matière.

Mme Hélène Letur-Konirsch. Par ailleurs, l’Agence relaie fort bien les informations, en adressant les demandes d’entretien, notamment celles des journalistes, au centre autorisé en fonction de sa localisation.

M. Patrick Fenichel. Aucun organisme privé n’est habilité pour mener une campagne sur le don d’organes ou le don d’ovocytes, et la loi n’autorise pas les centres à le faire. Seules une agence nationale en a la possibilité.

M. Xavier Breton. Vous avez, madame, souligné l’émergence de sites Internet permettant aux personnes intéressées par le don de se rencontrer. S’agit-il de forums généralistes ou de sites spécialisés ?

Mme Hélène Letur-Konirsch. Il existe des forums généraux, mais on voit émerger des sites de discussion spécifiques sur le don d’ovocytes qui regroupent les demandes au niveau national. Je reçois ainsi des donneuses qui me disent vouloir aider une femme rencontrée sur Internet et inscrite dans une autre région.

M. Jean-Sébastien Vialatte. En matière de don, les associations qui militent pour la levée de l’anonymat nous adressent des demandes pressantes. Monsieur le professeur, vous qui êtes responsable d’un CECOS, pensez-vous que la levée de l’anonymat aurait un impact sur le nombre de donneurs ?

M. Patrick Fenichel. Cette question nous préoccupe. Avec l’expérience que nous avons des CECOS, qui ont été créés il y a presque trente ans, nous redoutons que la suppression de l’anonymat entraîne la baisse du nombre de propositions, comme ce fut le cas en Suède et en Angleterre.

Mme Hélène Letur-Konirsch. Le problème de l’anonymat ne se pose pas de la même façon pour le don de spermatozoïdes et le don d’ovocytes, car la maternité – ce « ventre actif » – implique une complémentarité. Il est clair qu’en France, les couples receveurs sont favorables à l’anonymat – dans le cas contraire, ils auraient consulté dans un autre pays. Les donneuses y sont également très attachées, car elles savent parfaitement que le gamète n’est pas un parent. Ce qu’elles recherchent, ce n’est pas le fait d’avoir un enfant dans la nature, mais de permettre à un autre couple d’avoir cet enfant. Les donneuses n’ont pas de projet parental et pour elles, il n’y a aucune confusion. Si le principe de l’anonymat était levé, je pense que nous verrions diminuer le nombre des donneuses.

M. Jean-Sébastien Vialatte. J’ai noté que vous parliez de « ventre actif ». Quel regard portent les professionnels de l’assistance médicale à la procréation que vous êtes sur la gestation pour autrui ?

M. Patrick Fenichel. C’est peut-être la question la plus délicate que vous pouviez nous poser. Les médecins qui s’occupent de la stérilité du couple – ce que je fais depuis près de trente ans – considèrent que la gestation pour autrui est un phénomène très médiatisé mais qui ne concerne qu’un tout petit nombre de couples, hors de proportion avec la fréquence de l’insuffisance ovarienne. Pour nous qui avons l’expérience des dons de gamètes – qu’il s’agisse de spermatozoïdes ou d’ovocytes –, il y a dans la gestation pour autrui une confusion entre l’aspect biologique et l’aspect affectif de la grossesse, et cela nous effraie. La donneuse d’ovocytes, comme l’indiquait Mme Letur, ne se considère à aucun moment comme une future mère. Le donneur de sperme a parfois des fantasmes… mais ceux qui nous paraissent en présenter de trop patents ne sont pas retenus. Globalement, les donneurs ne font pas la confusion entre le don de gamètes biologiques et une véritable relation parentale.

En revanche, le terme de "gestation pour autrui" – choisi pour adoucir la brutalité de celui de "mère porteuse" – recouvre une certaine confusion. La gestation pour autrui comporte des risques non négligeables, que je redoute comme médecin. Car au début d’une grossesse, rien ne permet au médecin – ni l’interrogatoire de la personne, ni ses antécédents – de garantir que tout va bien se passer, tant pour la mère que pour l’enfant. La gestation pour autrui pose le problème des responsabilités : si l’enfant meurt in utero, qui se sent responsable ? Qui se sent coupable ? Pour la mère, le risque n’est pas négligeable. Enfin, l’aspect commercial de la gestation pour autrui me préoccupe, car c’est une entreprise lourde et complexe de mener à terme une grossesse. Je doute que cette femme agisse uniquement par amour de l’humanité et de son prochain…

J’ajoute que la relation qui lie un enfant à la femme qui l’a porté n’est pas uniquement biologique. Nous savons aujourd’hui que pendant neuf mois, des liens se tissent entre le fœtus et sa mère, et que l’enfant gardera en lui le souvenir de cette relation. Cet enfant aura deux mères, bien au-delà de la biologie, et cet aspect de la gestation pour autrui nous interpelle. Je m’exprime bien entendu en mon nom personnel, mais je crois pouvoir dire que les médecins, dans leur ensemble, ne sont pas favorables à la gestation pour autrui. Ils sont ouverts à la discussion, mais pas dans la précipitation ni dans un cadre trop médiatisé.

M. le président. Les centres, si j’ai bien compris, sont financés par le budget général de l’hôpital. Dans la mesure où ils sont investis d’une mission d’intérêt général, ils ne devraient pas relever de la tarification à l’activité !

M. Patrick Fenichel. Ne relèvent de la T2A que la ponction effectuée sur la donneuse, qui entre alors dans le cadre d’une fécondation in vitro, et le transfert à un seul des couples receveurs, alors que les ovocytes sont souvent répartis sur plusieurs couples.

M. le rapporteur. Le reste est donc considéré comme une mission d’intérêt général ?

M. Patrick Fenichel. En effet, le reste entre théoriquement dans le champ des MIGAC – missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation. Je me bats depuis longtemps, car les MIGAC ne sont pas définies et fléchées…

M. le président. Je ne suis pas opposé à la tarification à l’activité, mais je pense que l’exécutif a pris le problème à l’envers : au lieu de définir a priori les missions d’intérêt général et de prévoir leur financement, il a mis en place la T2A, les missions d’intérêt général devenant ensuite bien souvent une variable d’ajustement. Je le constate dans le CHU que je préside. Les missions spécifiques sont de plus en plus financées par le budget général. Cela pose des problèmes, en particulier pour les dons d’ovocytes.

M. Jean-Sébastien Vialatte. C’est sans doute par manque de moyens qu’un certain nombre de centres ont fermé.

M. Patrick Fenichel. Le don d’ovocytes exige beaucoup de temps de la part des personnels médicaux, mais il ne rapporte rien ! Dans la logique actuelle, il faut faire des choix, et de nombreuses équipes choisissent d’abandonner ces pratiques.

C’est pourquoi nous vous proposons de prendre en compte, pour les dons de spermatozoïdes mais plus encore pour les dons d’ovocytes, les activités liées à la gestion du don. Ce qui est difficile, ce n’est pas de réaliser des ponctions et des stimulations, mais de coordonner les interventions pour quatre couples à la fois ! Cette gestion relève de la responsabilité d’un médecin. L’activité de gestion doit donc être cotée.

M. le rapporteur. La vitrification des ovocytes aurait pour conséquence de réduire le nombre d’embryons congelés, réglant ainsi une partie du problème que posent les immenses stocks d’embryons congelés que la France possède avant leur destruction. La généralisation de cette technique prometteuse aurait-elle des conséquences sur votre pratique ?

Mme Hélène Letur-Konirsch. La technique de la vitrification est effectivement prometteuse. Elle est déjà utilisée en Italie, où la production d’embryons surnuméraires est interdite. Toutefois, elle ne donne pas encore des résultats aussi concluants que ceux que nous obtenons avec des ovocytes qui ne sont pas passés par la congélation et la décongélation. Le jour où nous obtiendrions les mêmes résultats, nous réduirions le temps que nous consacrons à la gestion. Il nous est difficile de coordonner les interventions et surtout de gérer les dossiers, qui doivent être complets et actualisés – en termes de sérologie et de cultures. Nous devons être vigilants à tout instant pour donner le maximum de chances aux femmes, car l’ovocyte est extrêmement précieux et ne doit pas être galvaudé.

Nous aurions donc intérêt à ce que l’activité de gestion soit reconnue par une codification spécifique, car elle n’existe dans aucune autre spécialité. Elle pourrait être cotée comme le sont les consultations de psychologie, c’est-à-dire en tenant compte du temps consacré à l’écoute des patients ainsi qu’à la délivrance des indications et des informations.

Vous avez évoqué les MIGAC, mais encore faut-il les obtenir ! A l’Institut Montsouris, le directeur n’est toujours pas persuadé qu’il existe des MIGAC susceptibles de l’aider à faire fonctionner le centre de dons d’ovocytes. Et je sais que dans d’autres centres, qui avaient obtenu des MIGAC, le directeur les a utilisés pour un autre poste, plus lucratif…

M. le rapporteur. Les MIGAC doivent être ciblées. On ne peut les considérer comme un budget global, dans lequel on peut piocher. Au même titre que la T2A, elles doivent être évaluées, codifiées et fléchées.

M. le président. Selon vous, l’exigence que le conjoint donne son consentement peut-il constituer un obstacle au don de gamètes ?

Mme Hélène Letur-Konirsch. Dans des cas exceptionnels. Depuis que j’exerce dans le cadre des dons d’ovocytes, et j’ai commencé en 1984, cela s’est produit deux fois. Dans les deux cas, le conjoint disait craindre pour la santé de son épouse. En général, les conjoints considèrent que le don lie une femme à une autre femme. D’ailleurs, un conjoint sur dix seulement se présente en consultation, en général pour connaître les implications de la démarche et aider sa femme à organiser son parcours.

M. le président. Nous vous remercions de nous avoir éclairés.

Audition de Mme Geneviève DELAISI de PARSEVAL, psychanalyste


(Procès-verbal de la séance du 4 février 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Je suis heureux d’accueillir Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste, auteur de nombreux ouvrages. Dans votre dernier livre Famille à tout prix, vous analysez les changements provoqués au sein des familles par les progrès de l’assistance médicale à la procréation, l’AMP. Vous écrivez notamment dans un article récent : « Je pense qu’il faut préciser la notion de couple prévue par la loi. Pourquoi traiter différemment un parent qui peut potentiellement adopter en tant que personne seule, mais qui à ce titre ne pourra pas avoir accès à la PMA ? Pourquoi refuser un projet parental à une femme qui n’a pas d’utérus alors qu’on l’accepte quand une femme souffre d’une déficience de la fonction ovarienne ? Il faut homogénéiser les conditions d’accès. » De même vous vous êtes prononcée en faveur de l’adoption par les couples homosexuels. Autant de sujets qui s’inscrivent dans notre débat, lequel porte à la suite du rapport de l’OPECST, sur la préparation de la révision des lois bioéthiques, cependant que se dérouleront prochainement les États généraux de la bioéthique souhaités par le Président de la République.

Mme Geneviève Delaisi de Parseval. Ma réflexion partira du rapport de l’OPECST, que j’ai trouvé remarquable et qui constitue – même si je n’adhère pas à tout – une immense avancée par rapport à tous les rapports rendus sur ce sujet depuis vingt ans. Mon expérience, celle d’une psychanalyste qui suit depuis trente ans des couples désireux d’avoir un enfant sans pouvoir y parvenir par les voies naturelles, m’a convaincue de la nécessité d’homogénéiser les voies d’accès à ce qu’on peut appeler la parenté « médicalement et socialement assistée ». Médicalement, c’est l’AMP ; socialement, c’est l’adoption. En effet ce sont presque toujours les mêmes couples qu’on rencontre dans ces deux « parcours du combattant », et il importe que les procédures soient les mêmes. Réaliser pleinement cet objectif impliquerait une refonte complète de l’architecture de la filiation ; c’est à peu près ce que préconisait Mme Dekeuwer-Defossez, dans son rapport de 1999 à Mme Guigou, Garde des Sceaux.

Considérons tout d’abord la question de la demande parentale. Il me semble qu’il faut se fonder sur les lois existantes, en particulier la loi sur le PACS de 1999. Le Code civil dispose qu’un couple est composé de deux personnes de sexe différent ou de même sexe. L’existence d’un couple ainsi entendu me semble une condition nécessaire et suffisante pour l’AMP comme pour l’adoption ; que les membres du couple soient de même sexe ne me semble pas une question dirimante au regard de l’intérêt de l’enfant. Je me sépare en revanche du rapport de l’OPECST lorsqu’il envisage d’ouvrir l’AMP aux femmes célibataires médicalement infertiles. Cette possibilité me gêne déjà pour l’adoption ; c’est un lourd fardeau à faire peser sur un enfant, que d’être élevé par un parent seul. La notion de couple est très importante pour le devenir psychologique d’un enfant. La demande parentale devrait émaner d’un couple stable – le délai requis de deux ans me semble d’ailleurs un peu insuffisant –, de préférence marié : en un sens je préfèrerais que la loi, comme elle le fait pour l’adoption, exige le mariage pour l’accès à l’AMP, car la filiation d’un enfant est plus solide quand ses parents sont mariés – le PACS n’ayant pas d’effet sur la filiation. Je retiens pour cette belle formule du Conseil d’État en 1988 : « deux parents, pas un de plus, pas un de moins ». Je comprends bien pourquoi, en 1966, on a estimé qu’une personne célibataire pouvait adopter un enfant ; mais cette décision s’inscrivait dans un contexte aujourd’hui obsolète, marqué par les séquelles de la guerre. Il me semble important qu’un enfant ait deux parents, que ce couple soit stable, et que le législateur se donne les moyens d’aider ce couple et de vérifier sa stabilité – à l’instar des entretiens psychologiques qui précèdent l’adoption. Je suis favorable à l’adoption par un couple homosexuel, non par une femme – homosexuelle ou non, ce dont la loi n’a d’ailleurs pas à s’enquérir.

Un couple stable devrait donc pouvoir adopter ou accéder à l’AMP, selon l’âge, l’origine de l’infertilité, etc. Et j’approuve le rapport de l’OPECST quand il refuse qu’une question porte sur le « deuil de la parentalité biologique » lors de l’agrément, question qui relève d’une sorte de « prêt-à-penser » et n’a guère de sens.

Second point : l’anonymat des donneurs de gamètes. Je suis depuis trente ans favorable à sa levée. Une précision toutefois : si l’on rattachait la filiation par AMP non à la filiation charnelle, mais à la filiation adoptive, qui est une filiation digne, publique, sanctionnée par un jugement – la question de l’anonymat des donneurs de gamètes perdrait beaucoup de son importance. Leur statut serait analogue à celui des parents de naissance dans l’adoption, dont l’enfant, à sa majorité, a le droit de demander à connaître leur identité, sans que cela leur confère aucun devoir, ni à l’enfant aucun droit, afférent à la filiation : l’adoption est irréfragable. Il pourrait en aller de même dans l’AMP avec don. Ici se dresse la crainte qu’une levée de l’anonymat réduise le nombre des donneurs. L’expérience d’autres pays montre d’ailleurs que c’est le cas dans un premier temps, après quoi la courbe des dons remonte. Mais dans mon schéma les donneurs sauraient dès le départ qu’il y aura un jugement. Ils n’auraient pas à craindre que les enfants nés d’eux (d’une manière du reste beaucoup plus distanciée que dans l’adoption), voire les parents adoptifs, veuillent leur demander des subsides, ou faire intrusion dans leur vie.

Dans le cas d’une IAD le père pourrait ainsi adopter l’enfant de sa compagne. Le statut de la donneuse d’ovocyte pose une question particulière. Certes la mère juridique est celle qui accouche. Les juristes du groupe de travail auquel je participe proposent une procédure d’adoption originale : une adoption de gamètes, par laquelle la mère adopterait les gamètes de la donneuse dans le cas où le don aboutit effectivement à une naissance.

Quoi qu’il en soit, ce qui fait que je plaide pour la levée de l’anonymat des donneurs, c’est que nous pouvons maintenant entendre des enfants nés de la sorte et devenus adultes (et parfois eux-mêmes parents). Or, ce ne sont pas des fanatiques de la vérité biologique. Ils ne supportent pas que quelqu’un d’autre (en l’occurrence l’État) en sache plus qu’eux sur eux-mêmes. Ils ont le sentiment d’être des citoyens de deuxième ordre, d’être discriminés notamment par rapport aux enfants adoptés. Il est clair pour eux que leurs parents sont ceux qui les ont élevés. Leurs demandes sont variables : parfois ils veulent des informations sur le donneur, sa photographie, savoir l’âge et le nombre de ses enfants, ses motivations. Ils sont parfois hantés par la possibilité de rencontrer sans le savoir leurs demi-« frères » et « sœurs » biologiques.

Un point me préoccupe beaucoup : c’est le protocole d’accueil d’embryons, voté en 1994 mais mis en œuvre seulement en 2004. Ici encore il faudrait – et les juristes avec qui je travaille dans le cadre d’un groupe de réflexion de la Fondation Terra Nova sont de cet avis – l’envisager comme une adoption, en l’espèce une adoption prénatale. En 1994, M. Mattei et plusieurs sénateurs avaient d’ailleurs parlé d’« adoption d’embryon ». Le législateur a finalement opté pour le terme d’accueil, peut-être plus « politiquement correct ». Les enfants accueillis de la sorte sont encore très jeunes et je n’ai pu en rencontrer. En revanche je connais des parents : c’est très difficile pour eux, et ils se posent tous la question – de même que les donneurs d’embryons, que je connais également – de ces enfants qui auront de vrais frères et sœurs, non légaux certes, mais biologiques. Cette procédure est très hasardeuse, et serait considérablement assainie si l’on envisageait une adoption prénatale.

Il faudrait par ailleurs limiter le plus possible la congélation d’embryons surnuméraires, qui sont trop nombreux, de l’avis même des professionnels de la FIV. À l’inverse il faudrait favoriser le double don de gamètes (selon moi non-anonyme), beaucoup plus sécurisant pour l’enfant qui n’aurait pas de « frères » et de « sœurs » ailleurs. C’est au demeurant une procédure très limitative, qui concernera peu de cas par an, mais qui peut se dérouler dans de bonnes conditions.

Pour ce qui est du transfert post mortem, dans le cadre d’un projet parental, il me semble évident que, si le père meurt alors que la femme est engagée avec lui dans une FIV, on doit pouvoir réimplanter les embryons issus d’elle et de son compagnon.

Que penser de la gratuité des dons ? Je suis favorable au principe du défraiement des donneurs, principalement pour les donneuses d’ovocytes – car on trouvera sans doute toujours des donneurs de sperme, surtout si le contexte est clair, par exemple si l’on inscrit cette procédure au titre de l’adoption. Quant à la donneuse d’ovocytes, j’ai proposé qu’elle soit considérée comme « volontaire sain » au sens de la loi Huriet-Sérusclat : même si ce à quoi elle se prête ne relève pas strictement de la recherche biomédicale, il y a quelque chose de commun. J’ai fait partie d’un CCPPRB : j’imagine très bien que dans ce cadre une donneuse d’ovocytes puisse être non seulement défrayée, mais rémunérée, comme le veut la loi Huriet-Sérusclat. Il est absurde que la loi autorise le don d’ovocytes, mais le rende de fait impossible en dissuadant les donneuses – ce qui nourrit un désolant « tourisme procréatif ».

Il reste que le don d’ovocytes comporte des risques, même si aujourd’hui on ne les connaît pas exactement – ménopause précoce, cancers, kystes. Il est donc souhaitable de le réduire le plus possible, en le réservant à des cas très limités. Certains obstétriciens pensent même que le don d’ovocytes comporte plus de risques que la gestation pour autrui, surtout si celle-ci est assurée par une femme qui a déjà eu des enfants.

J’en viens à la GPA. Ce qui me semble important – et ici je suis en désaccord avec le rapport du Sénat – est de ne pas légiférer sur la gestation pour autrui en tant que telle : elle est selon moi une des déclinaisons de l’assistance médicale à la procréation. Elle s’adresse au cas de femmes qui ne souffrent pas d’une pathologie ovocytaire mais d’une pathologie utérine – qu’elle résulte d’une hystérectomie, de la prise de Distilbène par leur mère, d’un syndrome RKH, d’une agénésie utérine… Ces indications sont rares, et aisément constatables par les obstétriciens. Dans de tels cas, la GPA devrait être considérée comme une forme de third party reproduction, comme disent les Anglais, c’est-à-dire de reproduction avec un tiers. Ici le tiers est la gestatrice, tout comme il y a un tiers dans l’IAD, dans le don d’ovocytes, et des tiers dans l’accueil d’embryon. Ce tiers est certes différent des autres, notamment parce que le secret est impossible, comme l’anonymat.

Cela dit, je suis d’accord avec l’article 16-7 du code civil qui interdit les contrats et il faut maintenir cette disposition. Nous proposons toutefois – avec Mme Valérie Depadt-Sebag, maître de conférences en droit privé – de compléter cet article de la manière suivante : « Seul l’acte de gestation pour autrui est admis en cas d’incapacité gestationnelle constatée chez la mère d’intention, à condition que l’enfant soit conçu par les forces génétiques des parents d’intention ». Nous visons donc la GPA dite « gestationnelle », où la gestatrice ne fait « que » porter l’embryon du couple d’intention, sans fournir ses propres gamètes. On pourrait certes, considérant que la loi française accepte le don d’ovocytes, juger acceptable que la gestatrice porte un enfant issu du sperme du père et un ovocyte donné ; je laisse la question ouverte. Mais il ne faut pas que la gestatrice fournisse l’ovocyte.

En bref, la GPA doit être considérée dans le cadre de l’AMP, et non isolément comme dans le rapport du Sénat. Et elle doit être pratiquée hors convention, conformément à l’article 16-7. La question du défraiement des gestatrices se rapproche, en plus compliqué, de celle des donneuses d’ovocytes ; peut-être faudrait-il les considérer, elles aussi, comme des « volontaires saines » ; peut-être pourraient-elles être rémunérées à hauteur d’une sorte de SMIC, comme le propose le Pr Nisand. Cela reste à voir. Il faut évidemment éviter qu’elles fassent commerce de leur corps.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Vous avez développé des raisonnements analogiques permettant d’assimiler entre eux des éléments législatifs différents. Ces raisonnements tendent à ramener différents actes au modèle de l’adoption : vous parlez ainsi d’adopter un embryon, d’adopter des gamètes. La première assimilation pose question : « adopter » un embryon, est-ce semblable au fait d’adopter un enfant ? Si c’est le cas, faut-il conclure que l’embryon est comme l’enfant, une personne humaine ? On mesure les conséquences juridiques. Mais parler d’adoption de gamètes implique une seconde assimilation, cette fois entre les gamètes et l’embryon, plus difficile encore à accepter, les gamètes n’étant en aucun cas une « partie d’embryon » ou d’enfant, car elles ne s’inscrivent pas dans un projet.

Quant à la levée de l’anonymat, que signifie, selon vous, cette demande de connaissance d’une origine génétique qui ne s’assortit d’aucun lien parental ni affectif ? Quelle est dans ce désir la part du fantasme, que vous avez évoqué, de rencontrer sans le savoir son « demi-frère » ? Cette crainte a-t-elle une plausibilité dans la réalité quotidienne, ou n’est-elle pas plutôt à psychanalyser ?

Je souhaite revenir ensuite sur le problème du risque. Vos propos sur ce point s’opposent à ceux des praticiens du prélèvement d’ovocytes que nous venons d’auditionner : ils estiment en effet que le risque est minime, de un à deux pour mille, donc très inférieur aux risques de complications inhérents à une grossesse.

Enfin vous procédez à une autre assimilation, en envisageant de rattacher les donneuses d’ovocytes, mais aussi les mères porteuses aux « volontaires sains » de la loi relative à la protection des personnes se prêtant à la recherche biomédicale. Il est logique de rémunérer les gens qui acceptent de tester une nouvelle molécule ; toutefois ils ont peu de relations affectives avec celle-ci. La gestatrice d’une GPA peut en revanche difficilement rester affectivement isolée, par une cloison étanche, de l’embryon puis du fœtus qu’elle porte, et de l’enfant qu’elle voit naître. Si l’assimilation juridique est intéressante, là encore, toutefois, elle s’écarte de la réalité humaine. Même dans une GPA « gestationnelle », il sera bien difficile à une femme de considérer qu’elle participe à une expérience biomédicale – rémunérée au SMIC – où elle n’est « que » porteuse.

En résumé, ne vous semble-t-il pas que les assimilations juridiques, parfois complexes, que vous avez esquissées sont en rupture avec des réalités affectives et humaines, qu’éventuellement vous rencontrez dans votre pratique professionnelle ?

Mme Geneviève Delaisi de Parseval. J’ai volontairement été un peu télescopique en présentant ce raisonnement juridique, qui dans mon esprit ne tendait pas à une simple transposition d’une loi dans une autre. C’était plutôt, dans mon intention, une manière de prendre en compte la richesse des ressources de la loi française : au lieu d’aller, comme il est fréquent, voir ce qui se passe dans d’autres pays, je me suis demandé ce qui se passait dans d’autres lois chez nous. Sur le premier point, je ne crois évidemment pas que l’embryon soit une personne, même « potentielle » : c’est là une croyance religieuse dont j’ai fait la critique, avec Anne Fagot-Largeault, dans des articles de la Revue de métaphysique et de morale et de la revue Esprit. Nous avons proposé plutôt la notion de « personne possible », en nous référant à la pensée d’Engelhardt. Je n’assimile donc nullement l’embryon à un bébé en réduction. Ce que j’ai proposé concerne le raisonnement juridique : il s’agirait de rattacher la filiation par AMP à la filiation adoptive, en reconnaissant – comme dans l’adoption – le rôle des donneurs tout en sanctionnant par un jugement l’adoption des enfants par un autre couple.

Quant à la levée de l’anonymat, ce que recherchent les enfants qui la demandent, je le souligne, ce n’est pas du tout un père biologique : ils cherchent leur histoire. Ils souhaitent savoir, par exemple, pourquoi leur père a accepté l’insémination, non sans noblesse, afin de permettre à leur mère de vivre grossesse et accouchement ; il a dû faire un travail de deuil à cette occasion, et ils sont heureux de pouvoir l’en remercier. Quant au donneur, il apparaît lui aussi comme un homme respectable ; les enfants sont intéressés par ses motivations, et heureux de lire ce que les chercheurs peuvent apprendre à ce sujet. Bien souvent c’est un épisode de leur propre histoire familiale qui a rendu les donneurs sensibles au problème de l’infertilité. Pour en revenir aux enfants, ils souhaitent connaître leur histoire, qui est passée par une « chicane » particulière – mais beaucoup moins lourde que l’adoption, puisqu’ils n’ont pas été abandonnés. Il n’y a pas d’abandon dans cette histoire, seulement du don !

J’en viens à la question du risque lié au prélèvement d’ovocytes. Je sais que vous venez d’entendre Mme Letur-Konirsch, que je connais bien comme l’ensemble des praticiens de la FIV : ils disent en effet que le risque est faible, mais aussi qu’on ne le connaît pas, faute de recul temporel et en raison du petit nombre des protocoles. J’invoquerai ici un principe de précaution : le don d’ovocytes n’est pas anodin.

M. le rapporteur. Personne ne dit que le risque est nul. Il reste cependant très inférieur à celui d’une grossesse.

Mme Geneviève Delaisi de Parseval. J’assistais récemment à un colloque à l’hôpital de la Timone à Marseille : Mme Catherine Guillemain, gynécologue-obstétricienne au CECOS de Marseille, a présenté l’ensemble des travaux mondiaux sur la GPA qu’elle a pu rassembler. Il semble en ressortir que, dans les cas où les femmes qui se prêtent à la GPA ont déjà des enfants et ont connu des grossesses aisées, le taux de risque est inférieur à la moyenne des grossesses.

Sur le dernier point, j’aurais été plus claire si j’avais été plus longue – comme il m’a été loisible de l’être notamment dans le recueil Dalloz. J’ai conduit au Canada, avec l’anthropologue Chantal Collard, une étude avec des gestatrices, qu’a publiée la revue L’Homme. En tant que « psy », je ne soutiendrai certes pas qu’il est neutre pour une femme de porter un enfant, et j’ai toujours dit que les deux « mères » comptaient – y compris celle que pour la clarté j’appelle « gestatrice » mais qui est bel et bien une mère ; elle fait un don de maternité qui a l’avantage de se faire dans la sérénité, contrairement à l’abandon qui conduit à une adoption. Il s’agit ici de femmes qui (avec l’accord de leur mari quand elles en ont un) ont décidé de faire ce bout de parcours, de nourrir cet enfant et de le mettre au monde. Freud a bien montré que la « maternalité » (motherhood) est un processus psychique, qui ne saurait se réduire à la grossesse. Pour ce processus psychique consistant à devenir mère, la grossesse est évidemment un moment très favorable, car le processus s’inscrit dans le temps : des moments de refus peuvent survenir au troisième mois, puis les choses évoluent quand l’enfant bouge… Mais on connaît aussi bien des cas où toute la grossesse est mal vécue, et où le processus de maternalité a lieu seulement quand l’enfant est là et grandit. La grossesse n’est qu’un moment dans ce processus. En outre des travaux britanniques ont montré que les gestatrices bien suivies font beaucoup moins de dépressions post-natales que la moyenne des mères – sans doute en raison de la qualité de l’encadrement et de la clarté de leur projet.

Je le répète donc : les deux mères – la mère d’intention et la mère gestatrice – sont importantes. Et ici le rôle de la loi est décisif : il faut absolument éviter ces horribles trafics qu’on a pu voir en Ukraine ou en Inde, avec des femmes anesthésiées au moment de l’accouchement et qui ne savent même pas pour qui elles portent l’enfant… Mais, psychanalytiquement, la GPA tient la route, parce que la grossesse ne constitue pas l’alpha et l’omega de la maternité.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Votre pratique vous conduit à rencontrer des gens en souffrance, mais non à rencontrer la majorité qui ne demande rien, et surtout pas la levée de l’anonymat des dons de gamètes. A-t-on des données sur la proportion des enfants nés grâce à ces méthodes et qui réclament la levée de l’anonymat ?

Dans les pays comme la Suède qui ont levé cet anonymat, on a constaté (outre une baisse du nombre de donneurs) la restauration du secret à un niveau supérieur : les parents n’informent plus les enfants de leur mode de conception (alors qu’en France les CECOS les incitent à le faire). Et la mesure a provoqué une autre forme de « tourisme procréatif » où des couples suédois vont à l’étranger pour s’assurer du secret…

Sur la GPA, on évoque parfois (assez vaguement) le mari de la mère porteuse, mais jamais ses enfants. Quelles en sont les conséquences pour eux ? Comment de jeunes enfants peuvent-ils vivre cette aventure de neuf mois, et plus si l’on tient compte de la préparation ? Quelle sera leur réaction quand ils verront leur mère « abandonner » ce bébé qu’elle a porté ? Enfin, vous avez envisagé une rémunération de type SMIC. Comment éviter que cela devienne une véritable profession ?

Mme Geneviève Delaisi de Parseval. Personne ne peut dire exactement combien de personnes concernées demandent la levée de l’anonymat, car, jusqu’à une date récente, les parents ne disaient pas à leurs enfants qu’ils avaient été conçus par IAD. On estime que 70 ou 80 % des jeunes adultes nés par IAD ne le savent pas. Les 20 % qui le savent ne se précipitent pas tous dans les associations pour se plaindre. Mais beaucoup sont encore très jeunes. Or le précédent des enfants adoptés montre que le désir de connaître ses origines apparaît souvent chez eux lorsqu’eux-mêmes deviennent parents, vers la trentaine. Le groupe avec lequel je travaille comporte des adultes de 18 à 40 ans. Au total l’argument ne peut être utilisé ni dans un sens ni dans l’autre.

L’exemple de la Suède n’est pas pleinement pertinent, car ce pays a changé sa loi en 1987, il y a déjà longtemps. On sait en effet que les couples se sont alors rendus au Danemark, et en Norvège jusqu’à ce que celle-ci lève également l’anonymat ; et qu’aujourd’hui ils ne disent pas à leurs enfants qu’ils sont nés par IAD. Mais nous avons de nombreux exemples de pays qui ont levé l’anonymat, ainsi la Nouvelle-Zélande ou l’Australie ; le Japon s’apprête à le faire. Ces changements n’auront pas les mêmes effets qu’en Suède il y a 22 ans, car les sociétés ont changé. On peut certes prévoir une baisse du nombre des donneurs, mais heureusement il y a l’ICSI, qui rend les dons de gamètes moins importants qu’à l’époque.

Sur les enfants de la mère porteuse, je partage votre malaise. Je n’ai guère d’expérience à ce sujet, si ce n’est la rencontre avec une femme qui a porté deux fois, pour deux couples différents, en sus de ses trois enfants à elle. Elle en parlait avec fierté à tout le monde, y compris à ses enfants, qui semblaient le vivre bien – même si bien sûr je ne saurais prétendre que ce soit anodin pour eux. Enfin il s’agit d’un don et non d’un abandon, et c’est pourquoi c’était assumé avec fierté. Bien sûr tout cela suppose de la transparence et un accompagnement.

J’ai repris l’idée de « SMIC » suggérée par M. Nisand, à titre provisoire et sans être sûre que ce soit une bonne idée ; une autre piste est celle du « volontaire sain ». Ce qui est clair, c’est qu’on ne peut demander à une femme d’abandonner son travail pendant un an gratis pro Deo ; à la limite ce serait suspect. Mais l’absence d’anonymat fait que, si une femme en faisait métier, cela se saurait.

Mme Françoise Hostalier. Nos discussions, nos futures décisions, s’inscrivent dans une culture et une histoire ; elles ne seraient pas les mêmes dans un autre pays, même au sein de l’Europe. Une telle situation, pour les parlementaires, est motivante, mais effrayante aussi, par les responsabilités qu’elle implique.

Vous approuvez le transfert post mortem d’un projet parental. En revanche vous souhaitez, pour l’AMP, un couple stable, et n’êtes pas favorable à son ouverture aux célibataires. N’y a-t-il pas contradiction entre ces deux positions ? On pourrait même supposer que le transfert post mortem d’un projet parental où le père a disparu est plus traumatisant pour l’enfant que d’être l’objet du projet parental d’une personne célibataire.

Vous êtes également favorable au projet parental d’un couple homosexuel. Mais un tel couple n’est pas marié, et bien souvent il n’est pas fort stable. Ici encore, n’y a-t-il pas contradiction ?

Enfin j’aimerais connaître votre avis sur l’état psychologique des couples qui possèdent des embryons congelés. Comment vivent-ils cette parentalité potentielle ? Et que se passe-t-il quand on leur propose la destruction des embryons ?

Mme Geneviève Delaisi de Parseval. Il est clair qu’il vaut mieux avoir un père et une mère vivants ! Mais le transfert post mortem répond à un cas tout à fait particulier, à une « pathologie » de la médecine qui a créé des embryons congelés. Sans cette congélation le problème ne se poserait pas. Dans des cas si particuliers, et heureusement rares, je ne vois pas au nom de quoi on refuserait à une veuve le transfert de cet embryon conçu normalement. Qu’en est-il du point de vue psychologique ? J’ai travaillé sur la paternité avec l’historien Jean Delumeau, et dans ce séminaire (qui a donné lieu à l’ouvrage Histoire des pères et de la paternité) quelqu’un a étudié les enfants conçus pendant la Grande Guerre, et nés alors que leur père avait péri. Ils ont grandi avec une image héroïque de leur père défunt, avec sa photo posée sur le poste de radio. Or, l’étude montre que cette génération avait présenté une bonne santé sur le plan psychique. Or, les enfants issus d’un transfert post mortem savent qu’ils ont eu un père, ils savent qu’ils ont été fortement désirés, ils savent pourquoi il n’est pas là : il n’y a pas lieu de s’attendre à de gros problèmes – même si bien sûr il leur reste à faire un travail de deuil.

Je suis favorable à l’adoption ou à l’AMP pour les couples homosexuels stables, et non pour les individus seuls. Si j’ai jugé préférable qu’il s’agisse de couples mariés, c’est que je suis favorable au mariage homosexuel : il n’y a donc pas de contradiction. L’important pour un enfant est d’avoir devant lui un vrai couple, dont les deux membres ont des échanges sexuels, affectifs, intellectuels, et face auquel il pourra se construire dans cette triangulation. Il est certes plus facile d’avoir deux parents de sexe différent, comme il y a trente ans il valait mieux ne pas avoir de parents divorcés ou ne pas être métis : ce sont des choses qui évoluent.

Quant à la congélation des embryons, c’est, dans tout le domaine de l’AMP, le point qui m’inspire, comme psychanalyste, le plus de réserves. Ce procédé arrête le temps, peut inverser l’ordre des générations, oblige les gens à une gymnastique mentale bizarre, comprendre que deux « jumeaux » par exemple naissent avec cinq ans d’écart… Sur les couples qui donnent des embryons, je me rallie à la position d’une talentueuse jeune magistrate, Fabienne Clément-Neyrand, qui propose que leur consentement soit recueilli par un juge. Quant à ceux qui veulent accueillir ces embryons, le cas est différent : c’est une tentative de la dernière chance, après un long parcours, et ils s’interrogent moins sur ce qu’ils diront plus tard à cet enfant. Ils ne peuvent pas avoir d’enfant, on leur en donne un : le cas est assez simple. Il l’est moins pour ceux qui donnent : ils voulaient un ou deux enfants, mais pas quinze embryons surnuméraires, qui leur posent un problème dont ils se seraient volontiers passés… Parfois, de plus, l’homme et la femme sont en désaccord sur ce qu’il convient d’en faire, désaccord qui renvoie à de véritables problèmes philosophiques.

M. Jean-Sébastien Vialatte. D’après un document du Sénat sur la législation comparée des pays européens, notamment quant à l’accès des homosexuels à l’AMP, la plupart des pays qui l’ont admis la réservent aux couples de femmes. Qu’en pensez-vous ?

Par ailleurs, on constate qu’un nombre croissant d’adultes entoure la conception d’un enfant – donneurs de gamètes, mères porteuses… Lors d’une de nos auditions, une sociologue a développé le concept de co-parentalité, de parenté partagée. Jusqu’où faut-il aller dans cette voie ?

Mme Geneviève Delaisi de Parseval. Je suppose que la raison du phénomène que vous mentionnez, c’est que pour un couple d’hommes on est d’emblée confronté au problème de la gestation pour autrui, sur lequel la plupart des pays ne sont pas au clair. Réserver l’AMP aux couples de femmes était plus simple.

Je connais bien la sociologue que vous évoquez, et je suis sur ce point en désaccord avec elle : comment un enfant pourra-t-il, psychologiquement, se débrouiller avec cinq ou six co-parents ? Je m’en tiens pour ma part à l’expression, que j’ai citée, de « reproduction avec un tiers » (third party reproduction). Il doit y avoir deux parents, pas plus. Il y a, en plus, des tiers, que j’appelle « donneurs de corps » ; ce ne sont pas des parents, mais des sujets humains qui donnent quelque chose du corps (gamètes, gestation…). L’idée de parentalité partagée n’a d’intérêt que relativement aux beaux-parents des familles recomposées, mais je la trouve inadaptée pour l’AMP.

M. le président. Nous vous remercions.

Audition de Mme Jacqueline MANDELBAUM, chef du service d’histologie et de biologie de la reproduction et responsable du CECOS de l’hôpital Tenon, membre du CCNE


(Procès-verbal de la séance du 11 février 2009)

Présidence de M. Jean-Sébastien Vialatte, vice-président

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Jacqueline Mandelbaum, chef du service d'histologie et de biologie de la reproduction de l'hôpital Tenon, coordinatrice et responsable du centre d'AMP et du centre d'étude et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS), et co-organisatrice de l'enseignement de biologie de la reproduction à l'université de Paris 6.

Docteur en médecine, chef de clinique-assistante en endocrinologie et médecine de la reproduction, gynécologue médicale de formation, vous vous êtes très vite intéressée au traitement de la stérilité du couple. En tant que chargée de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et biologiste de la reproduction, vous avez contribué au développement de la fécondation in vitro (FIV) en France, dans le cadre notamment de l'équipe qui a permis la naissance du deuxième enfant français né d'une FIV, quatre mois après celle d'Amandine.

Devenue médecin hospitalo-universitaire, vous n'avez cessé depuis lors de vous consacrer à des activités de soins, d'enseignement et de recherche concernant la reproduction humaine. Membre de la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal, de 1999 à 2006, ainsi que du comité exécutif de la Société européenne de la reproduction humaine et de l'embryologie, entre 1999 et 2003 ; vous avez été également vice-présidente de la Fédération des biologistes des laboratoires d'étude de la fécondation et de la conservation de l'œuf, de 1998 à 2004.

Membre du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) depuis 2002, vous participez par ailleurs au groupe de travail sur le suivi de l’assistance médicale à la procréation (AMP) de l'Agence de la biomédecine. À ce titre, vous pourrez nous éclairer sur le fonctionnement et les missions respectives de ces deux instances.

Mme Jacqueline Mandelbaum. Je vous remercie pour cette invitation, qui m’honore. Je m’efforcerai de donner mon sentiment de praticienne de l’AMP et de biologiste de la reproduction sur certains des thèmes qui seront débattus lors de la révision des lois de bioéthique.

S’agissant de l’accès à l’AMP, je considère, comme la majorité de mes collègues, que les conditions fixées aujourd’hui par la loi correspondent bien à ce qui fonde notre pratique, c’est-à-dire le traitement de la stérilité des couples, qui est efficace dans plus de la moitié des cas. Si d’autres demandes devaient être acceptées, en dehors de ces indications médicales, il serait souhaitable qu’elles soient prises en charge dans un autre cadre que celui de l’AMP actuelle, qui aurait du mal à les intégrer.

Pour ce qui est de l’insémination intra-utérine et du transfert d’embryon congelé post mortem, je ne vois pas de raison majeure de changer la loi, organisée autour de l’idée d’un couple vivant, animé par un projet commun d’enfant. Tout comme les gamètes d’un individu ne doivent pas lui survivre, l’embryon ne doit pas survivre au couple qui l’a désiré et conçu. Certaines situations sont douloureuses et forcent la compassion, notamment lorsque l’homme décède et que demeurent des embryons congelés. Peut-être faudrait-il prévoir des exceptions ? Dans tous les cas, il conviendrait de respecter un temps de deuil, période lors de laquelle, comme j’ai pu le constater dans ma pratique, les positions évoluent souvent.

Dans les domaines du don de gamètes et du don d’embryons, je suis en accord, dans ma pratique, avec la loi actuelle et ses principes d’anonymat et de gratuité. L’anonymat a été remis en cause, plus particulièrement dans le cas du don de sperme – sans doute parce qu’il est la technique de beaucoup la plus ancienne, mais aussi parce que, dans le don d’ovocytes, la grossesse et l’accouchement établissent la mère plus sûrement que l’origine génétique des gamètes. Quelques cas très médiatisés de personnes nées d’une insémination artificielle avec donneur (IAD) et faisant état d’une vraie souffrance semblent légitimer pour certains la levée de l’anonymat du don de gamètes. Ces cas, pourtant, demeurent circonscrits – depuis 1973, 50 000 enfants sont nés d’un don de sperme, et 10 % d’entre eux au moins connaissent les conditions de leur conception, part qui va grandissant. Nous ne voyons que très rarement revenir dans les CECOS des enfants en souffrance ou leurs parents désirant les aider. Par ailleurs, deux études, l’une menée par les CECOS, l’autre par une équipe de sociologues ont montré que les couples receveurs adhéraient à 94 % au principe d’anonymat, tandis que 85 % des donneurs l’estimaient nécessaire.

Est-il donc urgent de changer les règles ? Le retour d’expérience dans les pays qui ont levé l’anonymat nous incite-t-il à le faire ? En Allemagne comme en Suède, les couples receveurs, semble-t-il, ne font plus état du mode de conception. Ce non-dit est, selon les psychologues, extrêmement délétère et rend l’annonce, lorsqu’elle a lieu, d’autant plus traumatisante. En outre, rien ne prouve que la rencontre avec le donneur puisse être de nature pacifiante. Ce peut être une expérience désagréable, voire choquante, pour les enfants comme pour le donneur. Les preuves de la nocivité de l’anonymat ne sont pas tangibles ; celles du bénéfice de sa levée non plus.

La gratuité est un principe qu’il ne faut pas davantage remettre en cause. Rémunérer le don reviendrait à minimiser le geste des donneurs, animés par un sentiment de générosité et par le souci d’aider un couple stérile. Pour les receveurs, ce serait introduire dans leur expérience un élément négatif, l’argent. L’histoire qu’ils auront à raconter aux enfants en devient toute différente : elle n’est plus faite tout entière de générosité et d’entraide. Pour autant, la gratuité ne signifie pas que le don doive coûter aux donneurs. Or le remboursement des frais liés à un don d’ovocytes par les hôpitaux, prévu par la loi, ne fonctionne pas bien et la tarification à l’activité n’améliorera pas la situation. Un décret devrait paraître prochainement : il prévoit d’affilier les donneurs à la sécurité sociale en tant que patients, ce qui leur permettrait de voir une partie de leurs frais remboursés ; mais il faudrait parvenir à un vrai défraiement, couvrant par exemple les gardes d’enfants.

Au passage, je me permets d’insister sur la nécessité de donner des moyens suffisants aux centres, afin de pérenniser une prise en charge des dons attentive et de qualité. Il s’agit d’une activité très chronophage. Le fait qu’elle ne puisse être cotée comme acte médical empêche notamment de demander des moyens en personnel.

Grâce au combat de couples et d’associations, l’interdiction de la gestation pour autrui (GPA) est aujourd’hui remise en cause et la moitié des Français se déclarent favorables à son autorisation dans des conditions très encadrées. Pour ma part, si je peux entendre et comprendre la souffrance d’une femme privée d’utérus, j’avoue avoir de grandes réserves à l’égard de la GPA. Non pas que les risques encourus par les enfants soient grands : ceux-ci sont aimés comme des enfants issus d’une gestation naturelle et s’adaptent à cette situation particulière, comme le montre une étude menée par Suzanne Golombok sur 34 familles. C’est le sort de la mère porteuse qui me semble plus problématique.

Les risques, quoiqu’on veuille en dire, sont loin d’être négligeables pour ces femmes, même si leurs grossesses précédentes se sont bien passées. Ils ne peuvent être comparés à ceux encourus par les donneuses d’ovocytes, circonscrits et limités dans le temps, mais déjà suffisamment importants pour constituer la limite de ce qu’il est possible de demander à autrui lorsque la vie du receveur n’est pas en jeu.

Il s’agit d’abord de risques physiques, inhérents à la grossesse : 15 % de fausses-couches, 1 à 3 % de grossesses extra-utérines, amniocentèse si l’âge de la donneuse-receveuse est élevé, interruption médicale de grossesse en cas d’anomalie, grossesse gémellaire… Le diabète gestationnel, l’hypertension, une menace d’accouchement prématuré peuvent compliquer la fin de la grossesse. L’accouchement peut être réalisé par césarienne, avec les risques que cela comporte. Enfin, il ne faut pas exclure une possibilité d’hémorragie de la délivrance conduisant à une hystérectomie d’hémostase. Ces accidents sont rares, mais ils sont déjà survenus dans le cadre d’une GPA. Leur multiplicité fait qu’il est difficile de présumer une grossesse sans problèmes, ce qui renforce encore la dose d’altruisme nécessaire pour porter l’enfant d’une autre.

Une étude anglaise a montré que les risques psychologiques d’une GPA n’augmentaient pas, au moins dans les six premiers mois de la grossesse – et dans le cadre de la loi anglaise, très restrictive et protectrice des gestatrices. Mais il n’existe aucune étude sur les conséquences d’une GPA sur l’entourage de la mère porteuse, son mari, ses enfants. Les risques d’instrumentalisation et de marchandisation sont bien réels.

L’un des arguments avancés en faveur de la GPA est qu’il faut limiter le tourisme procréatif. Mais une loi est-elle à même de résoudre ce problème ? Si cette loi est restrictive, et si la GPA n’est autorisée que pour les femmes privées d’utérus en raison d’une malformation ou d’une hystérectomie d’hémostase – une cinquantaine de cas par an –, cela ne répondra pas à toute la demande : le tourisme procréatif demeurera une solution pour les femmes sujettes à de multiples fausses couches, souffrant de pathologies utérines ou de pathologies interdisant la grossesse – une équipe recommande ainsi la GPA pour des femmes qui ont eu un cancer du sein – ou pour celles chez qui un problème de réceptivité utérine fait échouer les tentatives d’AMP. Si l’on accepte d’étendre la GPA à ces indications, il sera difficile de trouver suffisamment de mères porteuses, volontaires et bénévoles, et un glissement vers la rémunération ou le dédommagement substantiel se produira inéluctablement. Y parviendra-t-on sans attenter à la sécurité et à la dignité des mères porteuses, et sans modifier péjorativement le regard porté sur toute femme enceinte ?

Existe-t-il d’autres façons de pallier la stérilité d’une femme privée d’utérus ? Certains proposent un recours aménagé à l’adoption.  Le salut viendra peut-être de la greffe d’utérus. La faisabilité d’une greffe autologue a été attestée par des recherches menées chez la souris et la brebis. Des équipes travaillent actuellement sur une greffe allogénique chez la brebis, la souris et le singe. Une greffe allogénique nécessiterait un traitement anti-rejet, dont la nocivité n’a pas été démontrée sur la grossesse de femmes atteintes d’une insuffisance rénale. Les Suédois envisagent de mener d’ici deux à trois ans des essais cliniques chez l’humain.

S’agissant enfin de la recherche sur l’embryon, je plaide pour le passage à un système d’autorisation, la recherche étant encadrée par l’Agence de biomédecine. Il serait en effet légitime de donner à l’embryon sa place dans le continuum de la vie humaine, sans le sacraliser et sans attenter non plus à sa dignité.

La recherche non invasive a toujours été autorisée. Les études sur le milieu de l’embryon se développent actuellement grâce à de nouveaux moyens d’appréciation de sa consommation d’oxygène ou d’acides aminés, qui renseignent sur la qualité des embryons.

La recherche peut être semi-invasive, à l’image des travaux menés par une équipe australienne : celle-ci a prélevé des fragments du trophoblaste sur des blastocystes avant leur transfert dans l’utérus. Elle a ensuite comparé les gènes des enfants à ceux des blastocystes non implantés. Des techniques modernes de transcriptomie (étude de l’expression des gènes) lui ont permis d’observer également quels étaient les gènes à l’œuvre – on en compte environ 7 000 – dans un blastocyste viable, permettant son développement à terme. Pour les biologistes de la reproduction, dont le Graal est de savoir mesurer la qualité des embryons et leurs chances de s’implanter, ces recherches sont très intéressantes.

La recherche invasive, celle qui détruit les embryons, s’exerce sur les embryons anormaux, triploïdes par exemple, ou en voie de dégénérescence – ce sont 40 % des embryons issus d’une AMP – et sur les embryons détectés comme porteurs d’une anomalie lors d’un diagnostic préimplantatoire (DPI). Elle concerne également les embryons surnuméraires pour lesquels il n’existe plus de projet parental, lesquels représentent environ 4 % des embryons. Ce sont 2 000 couples par an qui décident de les donner à la recherche, comme la loi le leur permet. J’avoue ne pas comprendre que l’on ait le droit de donner son corps à la science après sa mort mais qu’un embryon voué à la destruction ne puisse devenir un sujet de recherche.

La loi a fléché la recherche sur les cellules souches embryonnaires : seule celle destinée à développer la médecine régénérative est concernée. Les professionnels s’accordent à penser qu’il faut continuer de développer ce type de recherches car elles représentent un outil de référence pour caractériser les autres types de cellules souches. Mais l’utilisation thérapeutique ne semble plus susciter le même intérêt des chercheurs, qui se tournent désormais vers d’autres cellules souches plus faciles à manipuler : les cellules du sang de cordon, les cellules mésenchymateuses et les cellules pluripotentes induites ou iPS. Plus prosaïquement, il est envisagé d’utiliser les cellules souches embryonnaires et les lignées cellulaires comme modèles d’études pour tester des médicaments.

Pour autant, il ne faudrait pas tenir à l’écart les recherches réalisées sur l’embryon lui-même, qui permettent de faire progresser les connaissances et d’améliorer les résultats de l’AMP, pour le bénéfice des autres embryons et des couples. La médecine reproductive ne pourra progresser qu’adossée à un solide corpus de recherche, dont l’embryon ne peut être exclu. Pourrai-je vous entraîner jusqu’à concevoir que créer des embryons pour la recherche peut être éthique ? Ce serait le garant que de nouvelles avancées de l’AMP – comme ce fut le cas pour l’ICSI ou pour la maturation in vitro – soient précédées, après une nécessaire expérimentation animale, par une phase d’essais cliniques chez l’humain. Cela éviterait ce que l’on peut qualifier d’expérimentation in vivo.

Le clonage thérapeutique – dont il fut un temps considéré comme assez réactionnaire de dire qu’il était si consommateur d’ovocytes humains qu’il ne pourrait être un outil thérapeutique qu’au prix d’une instrumentalisation des femmes – est aujourd’hui mis à l’écart par les chercheurs qui se tournent vers les cellules iPS. Devant la difficulté de se procurer des ovocytes humains, les chercheurs anglais autorisés à se lancer dans cette aventure ont très vite demandé à créer des cybrides à partir d’ovocytes animaux. Mais à leur tour, ces cybrides ont vu leur intérêt s’effacer devant celui des cellules iPS. Il est donc important que notre réflexion ne soit entachée ni d’un utilitarisme à courte vue, ni d’une peur du tourisme procréatif, qui pourrait nous faire choisir le moins-disant éthique.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Je vous remercie pour cet exposé précis, qui montre que si les avancées techniques induisent souvent de nouveaux problèmes, elles permettent parfois d’en résoudre. L’espoir que représentent les cellules iPS permet d’apaiser la polémique sur les cellules souches embryonnaires, tandis que les greffes d’utérus permettront peut-être demain de pallier certaines stérilités sans avoir recours à une GPA.

De la même manière, pensez-vous que la vitrification des ovocytes puisse, en permettant de réduire le nombre d’embryons surnuméraires, lever l’un des éléments polémiques concernant la recherche sur les embryons ?

Selon vous, faut-il que nos méthodes répondent à une problématique médicale ou à une problématique sociétale ? Doit-on étendre l’AMP aux femmes célibataires – voire aux couples homosexuels – passant ainsi d’une logique médicale de compensation d’un handicap à une logique sociétale de réponse au désir d’enfant ?

Enfin, vous semblez placer le curseur au-delà de la transgression actuelle en évoquant l’idée de créer des embryons dans un unique but de recherche. Vos arguments, déjà entendus ici – expérimenter sur un embryon sans devenir plutôt qu’expérimenter sur un embryon en devenir d’enfant – ne nous placent-ils pas en contradiction avec l’idée, que vous avez énoncée, d’un embryon ni sacralisé ni réifié ? N’est-ce pas faire de ces embryons, à l’origine desquels n’existerait pas même de projet parental, des choses créées uniquement dans un but de recherche ? Cela pose à mon sens un problème éthique.

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Quelques questions factuelles tout d’abord. Quel est le taux de réussite de l’AMP en France ? Est-il comparable aux résultats obtenus dans les pays de développement équivalent ? D’autre part, l’ICSI ne favorise-t-elle pas la transmission de la stérilité masculine ?

Questions éthiques ensuite. La loi actuelle réserve l’AMP aux couples hétérosexuels stables, c’est-à-dire ayant une vie commune depuis plus de deux ans : les centres d’AMP ont-ils les moyens de vérifier cette stabilité ? Ce critère doit-il être maintenu ? La loi doit-elle limiter le nombre d’embryons pouvant être créés pour être réimplantés ou cela relève-t-il des bonnes pratiques médicales ? N’y a-t-il pas aujourd’hui, entre les CECOS et les conseils généraux, une mise en concurrence de l’AMP et de l’adoption – de telle sorte que pour accéder à l’une, il faudrait avoir renoncé à l’autre ? En ce qui concerne le don d’ovocytes, êtes-vous favorable à la levée éventuelle de la condition d’une procréation antérieure ou à l’extension au secteur privé lucratif des autorisations de cette activité, pistes évoquées par l’Agence de la biomédecine ? Ceci dit, on ne voit pas pourquoi le secteur privé s’intéresserait à des actes non inscrits à la nomenclature de la sécurité sociale.

Mme Jacqueline Mandelbaum. La vitrification est une technique de congélation ultrarapide des ovocytes, qui semble la plus propre à préserver l’ovocyte. Elle ne saurait être cependant une alternative à la production d’embryons surnuméraires.

Personnellement, je ne partage pas votre hantise de l’embryon surnuméraire. Une fécondation in vitro (FIV) permet le recueil de huit à dix ovocytes en moyenne. Vingt-cinq pour cent des couples suivant un protocole de FIV bénéficieront d’une congélation d’embryons. Cette technique améliore de 7 % leur chance d’obtenir une naissance, puisqu’elle permet d’atteindre un taux moyen de presque 30 % de naissances par cycle. La congélation est donc pour les couples une chance supplémentaire.

L’immense majorité des couples demandent à ce que leurs embryons surnuméraires soient conservés. Même s’ils ont terminé leur projet parental, la loi leur laisse trois possibilités, qui satisfont la plupart des couples : soit la destruction des embryons, pour ceux qui ne supportent pas l’idée qu’ils soient utilisés par la recherche ou par un autre couple stérile ; soit le don à la recherche, qui suscite l’enthousiasme de ceux qui ont à cœur de faire progresser une technique médicale dont ils ont bénéficié ; soit le don à un autre couple stérile, pour ceux qui veulent donner leur chance à ces embryons et à un autre couple. Le nombre des couples en grande souffrance par incapacité à décider du sort de ces embryons est donc extrêmement limité et ne justifie pas une disposition légale. Il vaut mieux laisser aux praticiens le soin de s’entendre à l’avance avec ces couples pour limiter dans leur cas le nombre d’embryons surnuméraires.

La congélation d’ovocytes permet de conserver des ovocytes non fécondés afin de les réutiliser en cas d’échec d’une première tentative. Si on ne met en fécondation qu’un seul ovocyte, le taux de succès risque d’être extrêmement faible ; si on en insémine deux ou trois, il va y avoir des embryons surnuméraires, qu’il faudra congeler à leur tour pour éviter le risque de grossesses multiples, à moins d’interdire la congélation d’embryons, comme vient de le faire le législateur italien. Cette législation très restrictive, puisqu’elle interdit la congélation d’embryons et d’ovocytes fécondés, a été adoptée après qu’une équipe italienne a relancé avec succès la technique de congélation d’ovocytes matures dans le cadre d’une procréation médicalement assistée.

Si je défends la congélation d’ovocytes, que nous avons été une des premières équipes à mettre au point, c’est dans des indications bien particulières, comme la préservation de la fertilité féminine ou la simplification de la gestion du don d’ovocytes, et non pas comme une AMP parmi d’autres. De plus, la question se posera du sort des ovocytes congelés : faudra-t-il les garder, et si oui jusqu’à quand ? J’avoue que je ne vois pas en quoi cette technique est un progrès sur ce point. Elle a en outre le défaut d’introduire une inégalité dans le couple : pourquoi ne pas conserver également des spermatozoïdes ? Cela me semble une complexification technique excessive au regard du but unique d’éviter la production d’embryons surnuméraires. Il est vrai que la formule idéale de FIV serait « un ovocyte, un embryon, un enfant ». Mais c’est par une amélioration de nos pratiques – par une meilleure définition de ce que sont un gamète ou un embryon de qualité, par exemple, ou une plus grande précision dans la gestion des cycles – que nous y parviendrons, et non par une limitation arbitraire du nombre d’embryons surnuméraires. Quoi qu’il en soit, je ne vois pas dans la congélation d’ovocytes une alternative à la congélation d’embryons.

Vous m’interrogez sur la pertinence d’autoriser le recours à l’AMP aux femmes célibataires et aux couples homosexuels. Il ne me revient pas de me prononcer sur ce type de demandes : mon rôle, en tant que médecin, est de traiter la stérilité du couple. Je ne peux pas adhérer à ce type de démarche, quand tout l’intérêt que je trouve dans la médecine de la reproduction est de comprendre le fonctionnement et les dysfonctionnements de la reproduction humaine. Là, nous sommes dans un autre domaine, et c’est à vous de dire ce que veut la société.

En ce qui concerne la condition légale d’être un couple hétérosexuel stable pour bénéficier de l’AMP, cela revient à nous imposer de vérifier que ces couples mènent une vie commune depuis deux ans. Nous leur faisons bien évidemment signer des déclarations, mais nous ne sommes pas officiers d’état civil ! Le respect d’une obligation aussi précise est difficile à vérifier, même si l’exigence d’une réflexion minimale ou d’une vie commune d’une certaine durée comme préalable à ce projet procréatif est tout à fait légitime. Dans les faits, la question se pose rarement, ces couples ne s’adressant à nous qu’après de nombreuses années de vie commune. Sur ce point, un assouplissement de la loi serait bienvenu.

Vous m’interrogez sur les résultats de l’AMP en France. En 2006, pour la FIV, le taux de naissances par ponction est d’environ 19 % ; il est de 20 % pour l’ICSI et de 13 % pour le transfert d’embryons congelés. Nous ne sommes certes pas parmi les meilleurs, mais il convient de savoir de quoi on parle dans ces comparaisons internationales. Il faut ainsi distinguer le taux de grossesses cliniques par ponction ou de naissances par ponction, seules 70 % de ces grossesses arrivant à terme. Si on compte non plus les grossesses cliniques mais les grossesses biochimiques (repérées uniquement par une élévation transitoire de l’hormone de la grossesse, l’HCG, suivie d’une élimination spontanée précoce de l’œuf) par ponction, les taux de succès de la France seront encore plus élevés. Bref, en fait de statistiques, il faut bien préciser sur quoi portent les comparaisons.

Cependant, même si l’on pondère ces résultats, la France ne figure toujours pas dans le peloton de tête. Mais cette inégalité traduit aussi une différence des pratiques dans la gestion de l’infertilité du couple : les pays qui obtiennent les meilleurs résultats sont ceux qui utilisent d’emblée l’AMP comme traitement de l’infertilité. La France, à l’inverse, a opté pour la politique du « cheminement » : nous commençons par laisser faire le temps, avant d’entamer des cycles de stimulations simples et l’administration de traitements par voie orale. Ce n’est qu’une fois cette étape parcourue que nous effectuons des cycles de stimulations plus intrusives par voie parentérale. En cas d’échec, nous procédons à trois à six cycles d’insémination intra-utérine, et si cela ne marche pas, nous passons à la FIV. Dans les pays qui recourent immédiatement à la FIV, les grossesses qui auraient pu apparaître à ces différentes étapes seront obtenues dès le premier cycle. Ainsi, les pays dont les taux de succès sont les plus importants sont aussi ceux où le délai d’infertilité avant de pouvoir recourir à une FIV est le plus court, et où l’âge moyen des femmes faisant l’objet d’une FIV est le plus bas : ce sont autant de facteurs de succès. Si de tels choix permettent des résultats immédiats, ils supposent le recours systématique à une technique très intrusive et très coûteuse, même dans des cas où des moyens beaucoup moins invasifs auraient suffi.

Il se peut également que la France soit handicapée par l’insuffisance des moyens techniques de ses laboratoires. D’autres pays consentent des investissements plus importants dans des équipements tels que les étuves, le traitement de l’air ambiant, etc.

Je réfute absolument l’affirmation selon laquelle les CECOS mettraient l’AMP en concurrence avec l’adoption : nous rappelons toujours au contraire que l’adoption est une option qui s’ajoute à l’AMP.

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Le problème est plutôt de l’autre côté : on demande aux candidats à l’adoption d’avoir renoncé à bénéficier d’une AMP.

Mme Jacqueline Mandelbaum. Cette pratique, que je pensais révolue, n’est certainement pas le fait des CECOS, mais des structures en charge de l’adoption. Nous encourageons au contraire les gens à tout tenter en même temps. Mais ce sont souvent les couples eux-mêmes qui ne veulent entamer une démarche qu’après avoir été au bout de la précédente.

Pour ce qui est du nombre d’embryons transférés, les bonnes pratiques médicales ont suffi à le faire baisser au fil des années, et nous parvenons progressivement à l’objectif d’un seul embryon. La loi ne doit pas intervenir dans la « cuisine médicale » : tous les embryons ne sont pas équivalents ; toutes les femmes ne sont pas semblables, et limiter de façon arbitraire le nombre d’embryons transférés reviendrait à faire baisser d’emblée le taux de succès des FIV. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé en Belgique. Les praticiens doivent être fortement incités à transférer le moins d’embryons possible, mais cette tâche doit être confiée à nos sociétés savantes ou à l’organisme de régulation qu’est l’Agence de la biomédecine, sans qu’il soit nécessaire de passer par la loi.

L’ICSI favorise évidemment la transmission des stérilités masculines d’origine génétique, mais pas plus que les FIV conventionnelles s’agissant des stérilités féminines de même origine. Nous en informons les couples, mais l’immense majorité d’entre eux assume ce risque, arguant que leur enfant pourra bénéficier de la technique dont ils auront eux-mêmes bénéficié. Quant au reste, nous manquons de recul pour évaluer cette technique, qui n’existe que depuis 1992.

En ce qui concerne les donneuses d’ovocytes, le défraiement ne saurait se dissocier de la gratuité : un don ne doit pas coûter à celle qui donne. Il ne serait pas du tout raisonnable, par ailleurs, d’autoriser le don par des femmes qui n’ont pas eu d’enfants, en dépit de tous les avantages qu’offrirait la disposition d’ovocytes de femmes de vingt ans : les taux de succès exploseraient ! Mais on ne peut pas négliger les risques, même faibles, que la ponction d’ovocytes et les traitements afférents font peser sur la fécondité de la donneuse. Il y a aussi le risque psychologique encouru par ces femmes si d’aventure elles n’avaient pas d’enfants par la suite. D’une façon générale, le cadre législatif actuel me semble suffisamment protecteur et respectueux des donneurs, des couples receveurs et des enfants, le seul élément d’inquiétude étant l’interrogation éventuelle de ces enfants, une fois adultes, sur leur origine.

S’agissant de l’extension au secteur privé lucratif, vous avez vous-même répondu.

Je me rends compte que je n’ai pas été suffisamment claire concernant la création d’embryons pour la recherche. Celle-ci se justifie s’il s’agit de mettre au point de nouvelles techniques d’AMP. L’ICSI a été a contrario directement appliquée à l’être humain après une brève expérimentation animale : j’aurais préféré qu’on puisse analyser ses effets sur l’embryon avant de transférer celui-ci dans l’utérus, d’autant que nous disposons de plus en plus d’outils permettant d’analyser le fonctionnement embryonnaire. Dans un tel cas, c’est l’éthique elle-même, et le devoir qu’elle nous impose vis-à-vis des individus que nous allons faire naître, qui impose la création d’embryons, conformément au principe médical d’expérimentation préalable à l’utilisation d’une nouvelle technique.

M. Jean-Marc Nesme. Qu’attendez-vous du législateur : une simple loi-cadre fixant de grandes orientations, ou une loi encadrant de façon précise les progrès techniques en fonction de principes éthiques ?

Mme Jacqueline Mandelbaum. Dans leur grande précision, les lois de bioéthique ont finalement donné à l’AMP un cadre qui lui a été plutôt bénéfique. Aujourd’hui qu’il existe une Agence de la biomédecine, la loi devrait se cantonner à la définition des grands principes et laisser le soin à l’agence de régulation, plus proche du terrain et plus informée des évolutions techniques les plus récentes, d’entrer dans le détail de son application. Par ailleurs, la loi ne devrait plus imposer sa révision systématique à intervalles réguliers, mais la prévoir simplement dans le cas où de nouveaux développements la rendraient nécessaire. Le rendez-vous régulier risque de pousser à réviser systématiquement la loi, quand bien même ce ne serait pas indispensable.

Si je devais exprimer un seul souhait, c’est que la France adopte une attitude positive vis-à-vis de la recherche sur l’embryon ; qu’elle comprenne qu’elle n’est absolument pas attentatoire à sa dignité, quoi que les uns et les autres pensent du statut de l’embryon.

Mme Françoise de Panafieu. Vous nous indiquez un taux de réussite des FIV de plus de 50 %, alors que la plupart des journaux ont, à l’occasion des vingt ans d’Amandine, évoqué un taux de 30 % : c’est très différent.

Mme Jacqueline Mandelbaum. Le chiffre de 30 % est le taux de succès des grossesses cliniques par transfert. On atteint un taux de succès de 60 % au terme du parcours, c’est-à-dire des quatre tentatives prises en charge par la sécurité sociale. Vous voyez combien les chiffres peuvent être trompeurs !

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Que pensez-vous du recours à l’AMP pour des femmes qui ont très largement dépassé l’âge de la procréation ?

M. le rapporteur. Avez-vous eu connaissance d’études psychologiques consacrées au désir d’enfant des couples ? Ce désir, bien légitime, ne traduit-il pas parfois une obsession génétique, qui oublie que le père et la mère d’un enfant sont ceux dont l’affection et les soins ont fait de lui un adulte ?

Mme Jacqueline Mandelbaum. Le recul de l’âge de la grossesse est une cause majeure d’infertilité. À partir de trente-cinq ans en effet, la fertilité chute, pour devenir problématique à partir de quarante-deux ans. Mais le taux de succès de l’AMP connaissant la même évolution, celle-ci ne saurait être une solution pour ce type d’infertilité. Il faut absolument améliorer l’information sur ce point, et ne plus laisser penser qu’on peut être enceinte quand on le veut. Mais il faut aussi donner aux femmes les moyens de mettre en œuvre des grossesses plus précoces. On risque sinon de voir des femmes mettre leurs ovocytes en réserve par vitrification pour pouvoir poursuivre leurs études et mener à bien leurs projets professionnels.

Si l’AMP ne saurait être une réponse au vieillissement ovarien, le don d’ovocytes peut l’être en principe. Dans les faits, il faudrait disposer d’un nombre suffisant d’ovocytes, sachant que la priorité doit être donnée aux femmes plus jeunes souffrant de vraies pathologies de la reproduction.

Quant au désir d’enfant, il a donné lieu à une abondante littérature. Mon vécu de praticienne me permet de vous dire qu’on voit de tout. Certains de nos patients, très attachés à une notion sociale de la parentalité, à l’amour, à l’éducation, n’accordent pas une importance excessive à la génétique. Mais tous ne sauraient échapper aux sirènes du « tout génétique » actuel, pour qui la transmission des caractères héréditaires est l’alpha et l’oméga, le rôle essentiel de l’épigénétique n’étant pas encore suffisamment connu. On en voit même qui renoncent finalement à toute AMP, estimant que la vie est possible sans enfants.

Notre rôle est d’accompagner la démarche de ces couples, mais c’est à eux de choisir la solution qui leur paraît la plus appropriée à leur cas personnel.

Audition de Mme Hélène GAUMONT-PRAT, professeur de droit des biotechnologies à l’Université Paris-VIII, directrice du laboratoire de droit médical et droit de la santé, ancien membre du Comité consultatif national d’éthique


(Procès-verbal de la séance du 11 février 2009)

Présidence de M. Alain Claeys président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Hélène Gaumont-Prat, professeur de droit des biotechnologies à l’Université Paris VIII.

Vous dirigez actuellement, madame, le laboratoire de droit médical et droit de la santé de cette université. Vos domaines de recherche ainsi que votre qualité d’ancien membre du Comité consultatif national d’éthique, vous ont naturellement conduite à réfléchir sur les questions éthiques soulevées par les progrès scientifiques dans le domaine des biotechnologies.

Parmi vos publications, plusieurs retiennent l’attention de notre mission. Vous êtes l’auteur d’un Droit de la propriété intellectuelle et de nombreux articles portant sur le droit des brevets, notamment dans le domaine des biotechnologies. En effet, les règles permettant le dépôt de brevets sur des produits du corps humain ne sont pas toujours concordantes. C’est le cas en ce qui concerne les séquences génétiques, d’une part, et les cellules souches, d’autre part. Pourriez-vous nous éclairer quant à la compatibilité des règles nationales et européennes en la matière ?

Vous avez opposé, au cours de votre audition par l’Office d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, « le désir des adultes de fabriquer une sorte de droit à l’enfant » et le « droit des enfants ». Cette opposition est fondamentale dans le domaine de la bioéthique car elle concerne non seulement toutes les techniques d’assistance médicale à la procréation, mais aussi la gestation pour autrui. Faut-il, d’après vous, toujours privilégier les droits de l’enfant ?

Où se situe le juste équilibre entre désir d’enfant et droit des enfants ?

Mme Hélène Gaumont-Prat. Je m’exprimerai d’abord sur l’AMP, l’assistance médicale à la procréation, en précisant la méthode qui a guidé ma réflexion.

Je me suis demandé s’il fallait, lors de la révision de la loi de 2004, tout remettre à plat ou simplement proposer des ajustements. Le fondement scientifique de cette loi a nécessité des ajustements périodiques, mais le délai de révision – fixé à cinq ans – est court. Il ne me semble pas nécessaire de remettre à plat tous les principes fondamentaux : il suffirait de vérifier que les différentes transformations peuvent être, le cas échéant, intégrées.

Derrière la question de la procréation, il y a celles de la famille et du droit de la famille. Avant toute ouverture ou transformation de l’AMP, il me semble, dès lors, prudent de s’interroger sur ces notions. Dans la manière dont cette pratique a été organisée par les médecins, ceux-ci ont toujours mis en avant l’intérêt de l’enfant. Les médecins qui ont mis en place le réseau CECOS, le Centre d’études et de conservation des œufs et du sperme, par exemple, ont fixé des règles concernant le donneur et le receveur : le donneur doit avoir l’accord de sa compagne, il doit avoir déjà procréé et avoir des enfants ; le couple du receveur doit être stable. L’AMP est construite sur le modèle de la procréation classique, charnelle, qui inscrit l’enfant dans une lignée familiale avec deux parents – un père et une mère – et des grands-parents, paternels et maternels, modèle sur lequel est construit tout le droit de la famille, qui comprend à la fois, il ne faut pas l’oublier, le droit de la filiation et le droit des successions. Comme toute modification de l’encadrement de l’AMP aura des conséquences importantes sur le droit de la famille, il vaut mieux commencer par réviser celui-ci.

Cependant, je me demande si une révision de la loi tous les cinq ans n’imposerait pas un rythme accéléré car les lois de bioéthique sont maintenant bien assises. La caractéristique de la loi est d’être générale et abstraite et d’avoir vocation à être pérenne, la jurisprudence venant combler son caractère trop général. Il n’y a pas, concernant la loi de 2004, de vide juridique puisque le juge est tenu de juger. Une loi-cadre, complétée par des règles fixées par l’Agence de biomédecine, serait peut-être, dès lors, opportune.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Nous vous remercions, madame, pour ce propos liminaire.

J’aborderai plusieurs problèmes de droit.

Le premier, très complexe et largement débattu, renvoie à la notion de « respect de l’être humain dès le commencement de sa vie », inscrite à l’article 16 du code civil. Ce principe, présenté comme intangible, fait l’objet, dans la pratique, de nombreuses exceptions et dérogations : avortement, destruction de l’embryon en l’absence de projet parental. Faut-il définir, comme le préconise la convention d’Oviedo, un statut de l’être humain qui lèverait toute ambiguïté et gommerait les différences d’appréciation entre les États – les Hollandais, par exemple, n’ont pas tout à fait la même approche que les Français en ce domaine – ou estimez-vous préférable d’en rester à la situation actuelle qui, d’un certain point de vue, est confortable puisqu’elle permet une appréciation des États ?

Deuxième problème : le droit à l’accès à ses origines. Dans un article de presse récent, une sociologue a fait valoir que l’anonymat du donneur de gamètes conduit à bafouer le droit fondamental de toute personne d’avoir accès aux informations la concernant. Pensez-vous qu’il existe un droit fondamental obligeant la société à dévoiler le secret de l’anonymat des dons de gamètes ?

Troisième problème : la GPA, la gestation pour autrui, et son indemnisation, ou plutôt sa rémunération. Il est assez difficile d’imaginer que la gestation pour autrui s’effectue de manière purement altruiste si la mère porteuse ne connaît pas la famille. Dès lors, si la GPA se déroule en dehors du cercle familial et à la limite de l’anonymat, comment peut-on envisager qu’elle ne soit pas rémunérée ?

Enfin, que pensez-vous de la valeur de l’argument auquel a recouru la cour d’appel de Paris dans son arrêt du 25 octobre 2007, selon lequel il convient, au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, de reconnaître la filiation envers leurs parents d’accueil des enfants nés d’une GPA ? La Cour de cassation, le 17 décembre 2008, a cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel, jugeant que les actes de filiation qui avaient été établis étaient contraires à l’ordre public, qui interdit la gestation pour autrui. L’enfant est-il responsable des infractions éventuellement commises aux yeux de la législation française et doit-il pâtir de la situation qui lui est imposée en même temps que sa « naissance » ?

Mme Hélène Gaumont-Prat. Actuellement, l’embryon n’a pas de statut, mais il est très protégé par différentes législations : loi du 6 août 2004 sur la recherche sur l’embryon, texte sur l’IVG, directive sur les brevets du 6 juillet 1998 interdisant l’utilisation d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales. Un statut de l’embryon me semble présenter le risque, en figeant une définition, d’être moins protecteur que les différentes lois qui organisent la protection de l’embryon dans des registres différents. Ma réponse est donc plutôt négative.

M. le président. Un brevet sur des cellules souches embryonnaires a été déposé en Grande-Bretagne. Beaucoup d’autres brevets ont-ils été déposés depuis lors ?

Mme Hélène Gaumont-Prat. Il y en a eu quelques-uns. L’OEB, l’Office européen des brevets, est très frileux sur la question. La décision défavorable qu’il a rendue ne concerne que la méthode – qui nécessitait la destruction de l’embryon pour accéder à des cellules souches embryonnaires – et la grande chambre de l’OEB a bien précisé que sa décision ne valait pas pour d’autres brevets déposés concernant des lignées de cellules souches en général. La directive du 6 juillet 1998, qui a été transposée dans le droit français, interdit la brevetabilité de toute utilisation d’embryons à des fins commerciales ou industrielles. Le texte est clair.

Le Comité consultatif national d’éthique, dans son avis n° 90 de 2005, s’est longuement penché sur la question de l’anonymat du don de gamètes et sur l’accès aux origines. Je faisais à l’époque partie du CCNE, et je me souviens que notre réflexion a porté sur la distinction entre secret et anonymat.

Le secret est certainement plus délétère que l’anonymat car il entretient un mensonge permanent tout au long de la vie de l’enfant. Donner à l’enfant la connaissance de son mode de procréation paraissant assez normal, le CCNE était favorable à la levée du secret.

La notion d’anonymat est d’un ordre différent. En fait, il n’existe pas, en droit français, de textes sur l’accès aux origines. Un enfant peut engager une action en recherche de paternité ou de maternité, mais celle-ci est très encadrée et n’a rien à voir avec l’accès aux origines. Le CCNE avait envisagé une extension du rôle du CNAOP, le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles, qui peut donner des informations aux enfants nés sous X lorsque la mère génitrice est d’accord, ou la création d’un organisme calqué sur le modèle du CNAOP et pouvant donner un certain nombre d’informations non identifiantes, comme les raisons du don. Faut-il aller plus loin et donner des informations identifiantes ? Certains pays le font, mais cela ne peut se faire sans l’avis des donneurs.

Il serait intéressant de savoir si les enfants qui, dans les pays qui ont levé l’anonymat, ont retrouvé l’identité du donneur et le donneur lui-même, ont souhaité changer de filiation. L’Allemagne le permet, tandis que la France l’interdit, à l’instar de beaucoup d’autres pays permettant la levée de l’anonymat, sans éviter cependant les procès. Il serait utile de mener une étude à ce sujet avant de songer à basculer complètement vers la levée de l’anonymat.

Dans son livre Le passeur de gamètes, qu’elle a écrit en 1994, Simone Bateman-Novaes, explique que les médecins du CECOS ont instauré l’anonymat à la demande des couples et que, s’ils sont parvenus à légitimer la technique, c’est justement grâce à l’anonymat, le don de sperme n’apparaissait que comme un transfert de matériel biologique thérapeutique. Le père stérile d’intention était renforcé dans sa paternité parce que, en face, il n’y avait personne.

On constate, depuis un certain temps, la toute-puissance de la génétique et une demande accrue en faveur d’une connaissance génétique. Se fondant sur l’article 16-10 du code civil, la Cour de cassation, dans un arrêt de 2000, a affirmé que l’empreinte biologique était de droit en matière de filiation sauf motif légitime de ne pas y recourir. Mais prenons garde aux conséquences de cette tendance à la reconnaissance du génétique ! Si le géniteur apparaît en pleine lumière et que l’enfant ne se sent pas très bien avec son père d’intention, il peut avoir envie de se rechercher une autre filiation. De même, un enfant ayant perdu son père d’intention peut avoir envie de se trouver un père génétique. Il serait à cet égard intéressant d’examiner la jurisprudence de nos pays voisins qui ont levé l’anonymat.

La demande en matière de gestation pour autrui est très forte. Différents pays l’ayant légalisée, nous sommes confrontés à un tourisme procréatif, certaines personnes se rendant dans l’un de ces pays pour avoir recours à une GPA. On peut d’ailleurs se demander si ce tourisme procréatif n’aura pas toujours lieu car, même si la France décidait d’encadrer cette pratique, il y aurait toujours des personnes qui se retrouveraient en dehors de ce cadre et qui essaieraient de trouver ailleurs ce qu’elles ne peuvent trouver dans leur propre pays. Ces deux éléments, auxquels s’ajoute l’impossibilité pour les enfants concernés d’établir une filiation, semblent militer en faveur d’un changement de législation, mais on peut invoquer des arguments en faveur de son maintien.

Le CCNE s’est penché sur la question dans différents avis.

Il a montré, tout d’abord, qu’il s’agit d’un contrat de vente, dont l’enfant est l’objet. On ne voit pas comment une gestation pour autrui organisée à titre collectif pourrait se passer de financement. On peut admettre qu’au sein de la famille, dans le domaine du privé, elle relève de l’aide familiale et qu’il n’y ait pas de financement pour aider une sœur, une cousine ou une fille. Mais, dès lors qu’elle se généralise et qu’il y a une loi pour l’organiser, que l’on appelle cela « indemnisation » ou « rémunération », il s’agit toujours d’un financement car, en France, la grossesse est prise en charge par la sécurité sociale. Que va-t-on financer ? Le contrat ! L’enfant est destiné à être vendu !

C’est très choquant, à la fois pour l’enfant qui est l’objet du contrat et pour la femme mère porteuse, car c’est une régression des droits des femmes, une nouvelle forme d’esclavage moderne consenti par certaines femmes démunies en échange d’un financement.

La femme qui accepte d’être mère porteuse doit avoir une famille. On peut imaginer la réaction des autres enfants de cette famille : ils vont se demander pourquoi ils n’ont pas été vendus et se poser des questions sur leur devenir au sein de la famille. Tout cela est extrêmement gênant, et imaginer la légalisation d’une telle pratique l’est plus encore. Sur le plan purement juridique, c’est une atteinte frontale au principe de non-patrimonialité du corps humain, lequel est considéré par le Conseil constitutionnel comme faisant partie du principe de dignité et comme ayant en conséquence valeur constitutionnelle.

Le livre de Deborah L. Spar intitulé The baby business : how money, science and politics drive the commerce of conception et les sites Internet américains, comme www.planethospital.com et www.myivfalternative.com, montrent ce qu’est ce marché. Aux États-Unis, les prix varient entre 12 830 et 77 000 euros. Les mères porteuses sont des femmes de couleur, de niveau socio-économique faible.

Du fait de la mondialisation des échanges, vous pouvez trouver, comme dans la finance, des intermédiaires – des brokers – qui vont diriger les couples ne pouvant payer le plein tarif vers l’Inde et certains pays de l’Est qui, comme la Pologne, s’ouvrent à ce marché. En Inde, une mère porteuse reçoit la somme de 4 800 euros, soit l’équivalent de trois ans de salaire.

Vous m’avez demandé mon avis. Pour moi, le contexte est cauchemardesque. Je ne peux imaginer qu’on puisse légaliser en France la gestation pour autrui en sachant ce qui se passe dans les pays qui ont procédé à cette légalisation.

La situation des enfants m’a toujours préoccupée. J’ai beaucoup écrit sur le sujet afin d’obtenir des réponses à mes interrogations.

Je pensais que la situation des enfants nés de mères porteuses aux États-Unis serait différente de celle des enfants nés de mères porteuses en France en fraude. En fait, c’est la même. Lorsque les enfants sont nés ailleurs et qu’ils font l’objet d’un jugement, celui-ci peut être utilisé en France. Ils n’auront pas de filiation puisqu’on ne peut pas toucher à la symbolique de la filiation mais, dans la vie courante, notamment dans les rapports avec les administrations, les écoles ou les hôpitaux, les parents peuvent utiliser le jugement sous réserve de le faire traduire et de solliciter l’apposition de l’apostille, qui est une forme de légalisation de celui-ci. Mais ils ne seront jamais les parents institués.

M. le rapporteur. Et l’adoption ?

Mme Hélène Gaumont-Prat. L’adoption me paraissait être une solution au début de mes recherches, puisqu’un juge vérifierait l’intérêt de l’enfant. Pour ce dernier, ce serait l’idéal et il y aurait filiation.

Mais tous les enfants nés de mère porteuse n’auraient pas cette filiation car on vérifierait en amont l’intérêt supérieur de l’enfant : absence de fraude, d’échange ou de vente. Je pense qu’introduire une possibilité de filiation reviendrait à vider en partie – je dis bien : en partie – l’interdiction de la GPA. Cela pourrait constituer une solution intermédiaire.

M. le président. Je voudrais exprimer ma colère contre les sondages portant sur la gestation pour autrui. Ils sont, à mes yeux, faussés, car ils présentent cette pratique comme un acte de pure générosité, alors qu’il existe des contreparties et des trafics dont personne ne parle aujourd’hui. C’est précisément le rôle de notre mission d’information, ainsi que celui des futurs États généraux de la bioéthique, que de faire la lumière sur ce sujet et, avant de se prononcer, il faut absolument connaître tous les tenants et les aboutissants.

Si j’insiste tant, c’est que les cas de gestation pour autrui risquent de se multiplier à l’avenir. Il y a là un vrai débat à mener, mais encore faut-il que tous les éléments soient mis sur la table. J’avoue d’ailleurs que mon opinion personnelle a beaucoup évolué : je n’avais pas pris la mesure de la marchandisation qui prévaut aujourd’hui, en sus d’autres problèmes.

M. Jean-Marc Nesme. Madame Gaumont-Prat, ma question s’adresse au professeur de droit que vous êtes.

Je suis frappé de constater à quel point les évolutions techniques tendent à bouleverser des principes de droit international longtemps considérés comme intangibles – je pense en particulier à la convention relative aux droits de l’enfant, signée en 1989, ainsi qu’à l’ensemble des orientations retenues par l’UNESCO en matière de bioéthique.

Je rappelle que la convention de 1989 a été ratifiée par tous les États, à l’exception des États-Unis et de la Somalie, et que les positions prises par l’UNESCO ont été adoptées à l’unanimité. Ces normes ont donc une vocation universelle. Certains pays appliquent pourtant des mesures, issues de leur droit national, qui leur sont totalement contraires. Que pensez-vous d’une telle attitude ? Un pays qui a signé et ratifié une convention devrait écarter, dans son droit interne, toutes les dispositions qui la contredisent. Cela étant, on essaie aujourd’hui de maintenir à tout prix le principe de l’anonymat des donneurs de gamètes ou d’embryons alors même que toutes les normes internationales ont consacré le droit des enfants à connaître leurs origines.

Comme vous l’observiez tout l’heure, la mondialisation ne s’applique pas seulement aux échanges internationaux, aux transports aériens et maritimes, ou encore à la culture : elle concerne également les personnes, en particulier les plus vulnérables d’entre elles, c’est-à-dire les enfants. Or je constate avec inquiétude que, face à la pression des évolutions techniques, on est en train de remettre en cause des règles internationales qui paraissaient, hier encore, intangibles.

M. Jean-Sébastien Vialatte. De nombreux interlocuteurs, que nous avons rencontrés dans le cadre de cette mission d’information, mais aussi à l’occasion des travaux menés par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, se sont interrogés sur l’absence de ratification de la convention d’Oviedo par la France. Y a-t-il des dispositions de notre droit interne qui font obstacle à cette ratification ? Si c’est le cas, faut-il attendre la révision des lois de bioéthique avant de ratifier la convention, en formulant les réserves qui s’imposent ?

Mme Hélène Gaumont-Prat. S’agissant de l’anonymat et de la convention relative aux droits de l’enfant, une certaine confusion entoure la notion de droit à connaître ses parents « dans la mesure du possible » – j’insiste sur ce dernier point car il est souvent omis. Lorsque la convention a été rédigée, on songeait avant tout aux enlèvements d’enfants, alors fréquents en Amérique latine. Puis, l’article concerné de la convention a été interprété comme un droit à la connaissance de ses origines génétiques, ce qui est tout de même très différent.

Un enfant conçu dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation a certes le droit de connaître sa famille, mais il s’agit là de ses parents « intentionnels ». De façon similaire, en cas de procréation « charnelle », les enfants issus d’adultère ne vont pas chercher à connaître le nom de l’amant de leur mère : ils ont déjà une famille. Ne confondons pas la connaissance de ses origines génétiques et celle de sa famille !

Plusieurs avis du Comité consultatif national d’éthique ont d’ailleurs rappelé qu’on ne peut pas tirer de la convention relative aux droits de l’enfant un argument juridique recevable en faveur de la levée de l’anonymat : cette convention vise seulement à garantir le respect des familles constituées.

M. Jean-Marc Nesme. Nous n’avons probablement pas la même interprétation de la convention de 1989. Permettez-moi de rappeler qu’elle reconnaît à chaque enfant le droit de connaître ses parents « dans la mesure du possible », cette formule ayant été initialement retenue afin de prendre en compte les difficultés qui peuvent concerner les populations exilées ou déplacées.

Mme Hélène Gaumont-Prat. C’est exact, mais que signifie la référence aux « parents » ? Qui faut-il considérer comme le père ? Est-ce le géniteur, ou bien le père « institué » ?

M. Jean-Marc Nesme. Pour trancher, il faudrait se référer aux débats de 1989.

M. le rapporteur. S’agissant de la « mère », il me semble tout de même évident que c’est la femme qui accouché.

M. Jean-Marc Nesme. Compte tenu de l’état des techniques médicales qui existaient à l’époque, on peut douter que l’Assemblée générale de l’ONU ait envisagé le cas de la gestation pour autrui.

Mme Hélène Gaumont-Prat. Pour ma part, je pense que les « parents » mentionnés par la convention sont la famille légalement instituée. Je le répète : comme l’a indiqué le CCNE dans plusieurs avis, la convention relative aux droits de l’enfant ne peut pas être utilisée comme argument en faveur de la levée de l’anonymat en France.

S’agissant de la convention d’Oviedo, il existe effectivement dans notre droit une disposition qui peut faire obstacle à sa ratification : « la constitution d’embryons humains aux fins de recherche est interdite ». Il est vrai que le droit français, en l’état actuel, interdit aussi bien le clonage à visée reproductive que le clonage à visée thérapeutique. Toutefois, si des avancées significatives devaient se produire dans ce dernier domaine, on pourrait être conduit à accepter la constitution d’embryons humains à des fins de recherche. Mais ce serait contraire à la convention d’Oviedo. Il conviendrait donc d’émettre des réserves au moment de la ratification de la convention.

M. le président. S’agissant de la brevetabilité des gènes et des lignées de cellules souches embryonnaires, pouvez-vous nous indiquer s’il existe des différences entre les organismes chargés de délivrer les brevets aux Etats-Unis, au Japon et en Europe ?

Mme Hélène Gaumont-Prat. Sans me prononcer sur le droit japonais, que je connais moins bien, je peux vous dire qu’il existe des différences notables entre le droit applicable en Europe et le droit américain. Ce dernier est en effet très largement ouvert à la brevetabilité du vivant depuis les années quatre-vingt, et ne connaît pas l’exception de recherche.

À ce sujet, je rappelle que les chercheurs européens ont la possibilité d’utiliser librement des brevets dans le cadre de leurs travaux scientifiques, à l’exclusion de toute utilisation commerciale. Ce n’est qu’à partir du moment où d’autres inventions seront mises sur le marché qu’il faudra obtenir l’autorisation du détenteur du brevet initial. Aux États-Unis, il est en revanche nécessaire de conclure immédiatement un accord. J’ajoute que la publication des demandes de brevet, dix-huit mois après leur dépôt, favorise aussi la veille technologique, car les descriptions appuyant les demandes constituent un apport de connaissances très utile pour la recherche.

Quant aux différences entre l’OEB, l’Office européen des brevets, et l’INPI, l’Institut national de la propriété industrielle, je rappelle que nous avons eu quelques difficultés pour transposer la directive européenne du 6 juillet 1998. Si la transposition a finalement eu lieu, grâce aux lois du 6 août et du 8 décembre 2004, elle n’a pas été d’une complète fidélité : pour des motifs éthiques, le législateur français n’a pas autorisé la brevetabilité du vivant en tant qu’invention de produit, mais seulement en tant qu’application technique.

À l’inverse, l’OEB n’a fait que reprendre, telles quelles, les dispositions de la directive européenne, notamment son article 5, alinéa 2 : « Un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d’un gène, peut constituer une invention brevetable, même si la structure de cet élément est identique à celle d’un élément naturel. » Contrairement à l’INPI, l’OEB pourra donc délivrer un brevet de produit dans le domaine du vivant.

Cette divergence n’a pas encore produit d’effets gênants car les juridictions n’ont pas été saisies de la question pour le moment. Toutefois, si cela devait arriver, c’est le droit communautaire qui s’appliquerait. Sa place dans la hiérarchie des normes est en effet supérieure à celle du droit interne. J’ajoute que le Conseil constitutionnel a estimé que les dispositions de la directive étaient suffisamment claires et précises en l’état, ce qui signifie qu’un simple particulier pourra directement s’en prévaloir devant un juge. Il faut reconnaître que c’est un facteur d’insécurité juridique pour les entreprises. Celles-ci préfèrent d’ailleurs s’adresser à l’OEB, ce qui est logique, car il peut délivrer non seulement des brevets d’application, mais aussi des brevets de produit.

M. le président. Je rappelle toutefois que le Conseil constitutionnel s’est déclaré incompétent pour statuer sur la compatibilité de la loi avec la directive européenne lorsque nous l’avons saisi.

Madame Gaumont-Prat, je vous remercie pour les éclairages que vous nous avez apportés.

Audition de M. Jean-Luc BRESSON, président de la Fédération française des centres d'études et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS), chef du service de biologie du développement et de la reproduction au CHU de Besançon,
de M. Jean-Marie KUNSTMANN, vice-président de la fédération des CECOS, praticien hospitalier en médecine de la reproduction à l’hôpital Cochin et de Mme Dominique REGNAULT, présidente de la commission des psychologues de la fédération des CECOS



(Procès-verbal de la séance du 18 février 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président. Nous avons aujourd'hui le plaisir d'accueillir M. Jean-Luc Bresson, président, depuis mai 2003, de la Fédération française des centres d'études et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS). Professeur des universités et praticien hospitalier, vous dirigez le CECOS de Besançon depuis 1992 et le service de génétique, d'histologie, de biologie du développement et de la reproduction au CHU de Besançon depuis 1997. Également membre du centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal (CPDPN) du CHU de Besançon, vous avez par ailleurs participé à différents groupes de travail de l'Agence de la biomédecine. Depuis juin 2008, vous êtes membre suppléant du conseil d'administration de l'Agence de la biomédecine. Vous avez notamment fait partie du groupe de travail de la Commission nationale de médecine et biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal (CNMBRDP).

Vous êtes accompagné de M. Jean-Marie Kunstmann, vice-président de la Fédération française des CECOS, praticien hospitalier et responsable depuis 1995 du CECOS de l'hôpital Cochin, et de Mme Dominique Regnault, présidente de la commission des psychologues de la fédération des CECOS, psychologue au CHU et au CECOS de Reims.

Les CECOS étant au cœur des activités d'assistance médicale à la procréation (AMP) en France, votre expérience sera particulièrement précieuse pour nous éclairer sur un certain nombre de points : quel bilan tirer de l'application de la loi du 6 août 2004, notamment en ce qui concerne l’activité des CECOS ? Quelle est votre position face à des demandes comme la levée des principes d'anonymat et de gratuité des dons de gamètes, l'extension des indications de l'AMP ou le transfert post mortem d'embryon ? Quels interdits convient-il, selon vous, de maintenir et quelles barrières, à votre avis, pourrait-on lever ?

M. Jean-Luc Bresson, président de la Fédération nationale des CECOS. Les positions que je vais vous exposer sur les questions de bioéthique les plus importantes sont celles les plus largement partagées par mes collègues et les personnels des CECOS. Elles revêtent une signification particulière du fait de l’antériorité des CECOS en matière d’assistance médicale à la procréation et de la part que nous avons prise dans l’élaboration des lois de bioéthique. La présence à mes côtés de Jean-Marie Kunstmann est justifiée par la place particulière du CECOS de Cochin, qui a recueilli l’héritage de l’équipe fondatrice de l’hôpital Bicêtre. Quant à celle de Mme Regnault, elle traduit le caractère pluridisciplinaire des CECOS, dont les équipes ont toujours compté des psychologues en leur sein.

En ce qui concerne les grands principes réglementant l’accès à l’AMP, il ne nous semble pas opportun de revenir sur les dispositions générales des lois de 1994 et de 2004, qui réservent l’AMP aux couples hétérosexuels stables dont les deux membres sont vivants et en limitent les indications médicales à l’infertilité médicalement constatée et au risque de transmission d’une maladie d’une particulière gravité. Tout au plus pourrions-nous souhaiter de la collectivité plus d’engagement dans la définition de la notion d’« âge de procréer », mais c’est peut-être là un vœu pieux.

Je voudrais à ce stade faire un sort à l’accusation qu’il m’a semblé trouver dans le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) sur l'application de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique, et selon laquelle nous mettrions en concurrence AMP et adoption.

M. le président. Nous n’avons fait que retranscrire le sentiment de certaines des associations que nous avons auditionnées.

M. Jean-Luc Bresson. Bien loin d’entretenir une telle compétition, nous sommes convaincus au contraire que nous devons tout mettre en œuvre pour aider les couples demandeurs à trouver la solution la meilleure, et nous allons en cela au-delà des prescriptions légales, qui nous imposent simplement de rappeler aux candidats à l’AMP les possibilités offertes par la loi en matière d’adoption. C’est tellement vrai que des couples qui nous avaient sollicités pour une AMP sont revenus des années après nous présenter l’enfant qu’ils avaient adopté. De la même façon, nous ne considérons pas l’AMP avec tiers donneur comme une panacée valable pour tous les couples.

En ce qui concerne l’extension des indications, je rappelle que la formulation d’« assistance médicale à la procréation », préférée par le législateur à celle de « procréation médicalement assistée », était censée faire porter l’accent sur le caractère médical de ces pratiques. Dans cet esprit, la Fédération nationale des CECOS ne souhaite pas répondre à des demandes de prise en charge autres que celles délimitées par le cadre réglementaire en vigueur ; si les demandes d’extension de l’AMP à des indications non médicales devaient être accueillies favorablement, elles devraient, selon nous, relever d’un autre cadre que celui dont relève actuellement l’AMP.

Concernant les principes généraux applicables aux dons de gamètes et à l’accueil d’embryons, nous restons attachés aux principes d’anonymat et de bénévolat, qui encadrent le don en France.

La préservation du bénévolat en ce domaine suppose de faire émerger un dispositif de financement clair des établissements autorisés, d’obtenir l’application complète des dispositions légales en matière d’indemnisation des donneurs, et au-delà d’ajuster les moyens aux missions bien comprises des équipes. Comprendre nos missions, c’est ne pas réduire l’AMP à une succession de gestes techniques de préparation, de conservation et de replacement de gamètes et d’embryons : nos missions d’accueil, d’écoute et d’accompagnement des patients devraient également bénéficier de moyens à la hauteur du retentissement considérable d’une AMP sur la vie des individus et des couples. Or c’est là que nous péchons le plus.

Quant au principe de l’anonymat du don, le recul dont nous disposons, maintenant que des dizaines de milliers d’enfants sont nés d’AMP avec don de gamètes, nous laisse penser qu’actuellement aucun argument scientifique ne justifie sa mise en cause, même si on ne peut pas faire l’économie du difficile travail d’évaluation du vécu de ces enfants et de leurs familles. Les enquêtes les plus récentes montrent que notre position est partagée par la très grande majorité des couples demandeurs ainsi que des donneurs. Il est certes indéniable que des enfants issus d’un don de sperme, voire des parents, sont en souffrance et en quête de l’identité du donneur, mais la généralisation de ces quelques cas par certains médias est abusive. Même dans ces quelques cas, est-on sûr que la levée de l’anonymat suffirait à apaiser leur souffrance ? Il serait nécessaire de mettre en place des consultations pluridisciplinaires pour proposer à ces parents et à ces enfants une prise en charge et un suivi.

Ceci étant dit, les CECOS ne sont pas opposés par principe à la levée de l’anonymat ; ils s’interrogent simplement sur les enjeux et les conséquences d’une telle décision. Comment, par exemple, le donneur assumera-t-il la souffrance d’un enfant en mal de représentation paternelle ? Comment gérera-t-il cette intrusion dans sa famille ?

La solution du « double guichet » prôné par certains, qui laisserait au couple receveur et au donneur la possibilité de choisir de lever l’anonymat, comporte un risque de discrimination au détriment des enfants. En tout état de cause, il faudrait, avant de remettre éventuellement en cause l’anonymat tel qu’il a été organisé en 1994 et confirmé en 2004, établir un bilan approfondi de la pratique de ces trente dernières années et conduire une réflexion approfondie sur les conséquences de la levée de l’anonymat pour toutes les personnes concernées, sur la filiation et sur les possibilités d’accéder aux origines génétiques dans toutes les circonstances –  et elles sont nombreuses dans notre société – où la question se pose ou sera immanquablement posée.

S’agissant de l’accueil d’embryons, démarche, à nos yeux, fondamentalement différente du don de gamètes, il serait utile, sans remettre en cause l’anonymat, d’approfondir la réflexion : on pourrait ainsi envisager de conserver des « traces » et informations non identifiantes sur le donneur.

En ce qui concerne l’organisation générale de l’AMP, nous avions souhaité la création de l’Agence de la biomédecine, pour avoir un interlocuteur efficace et unique en matière d’autorisation, d’organisation ou d’évaluation, et nous sommes satisfaits du travail accompli avec elle. Mais elle n’aurait pas dû devenir un nouvel échelon qui vient s’ajouter aux échelons ministériels et régionaux existants – ces derniers ont même vu leurs prérogatives renforcées en dépit de la création de l’Agence, alors que le nombre de sites concernés dans une région est souvent réduit, parfois à l’unité. Compte tenu du travail accompli par l’Agence au cours de ces dernières années, il nous semblerait important au contraire que ses champs de compétence et d’autonomie soient élargis, que son rôle de proposition vis-à-vis du législateur soit mieux affirmé et que, dans le respect des principes généraux définis par la loi, elle ait plus de latitude pour décider de leurs modalités d’application.

J’aborderai pour terminer trois questions : le transfert post mortem d’embryon, la recherche sur l’embryon et l’autoconservation de gamètes et de tissus germinaux.

En ce qui concerne le transfert d’embryon post mortem, nous restons fidèles à notre position de 2004 : bien qu’un courant actuel se développe en faveur de son autorisation pour répondre à des situations ponctuelles humainement très douloureuses, nous restons défavorables à cette autorisation, ainsi qu’à celle de l’insémination après le décès du conjoint, sauf à ce qu’un futur texte précise les conditions très exceptionnelles et non programmées d’un tel transfert. En revanche, la position de repli de l’OPECST, qui envisage d’autoriser le transfert d’embryons post mortem dans le cas où le conjoint y aurait consenti avant son décès, nous semble la pire des solutions, en dépit de sa prudence apparente. En effet, il y a un risque lié au fait que l’insémination serait interdite après le décès du conjoint, tandis que le transfert post mortem de l’embryon in utero serait autorisé. Depuis trente ans, nous voyons régulièrement des couples qui, face à une maladie grave, ont recours à l’autoconservation de spermatozoïdes ; nous savons comment les tentations de se précipiter dans une AMP surgissent lorsque le pronostic s’assombrit. On peut craindre que l’autorisation du transfert de l’embryon post mortem ne suscite des demandes de fécondation in vitro (FIV) ante mortem, ce qui à notre sens ne serait pas un service rendu à cette population de patients.

M. le président. Sur ce point précis, considérez-vous que la législation actuelle est satisfaisante ?

M. Jean-Luc Bresson. Oui. Il est certes douloureux que le deuil mette ainsi brutalement fin au projet du couple, mais je ne suis pas sûr que la procréation post mortem soit une solution. Il faut respecter les limites qui sont celles même de la vie et que nous n’avons encore jamais transgressées.

En ce qui concerne la recherche sur l’embryon, les praticiens de l’AMP sont unanimes pour réclamer au moins un allégement et une simplification des procédures actuellement requises pour engager un projet de recherche. Par ailleurs, une évolution de ce cadre est souhaitable, au moins pour mettre fin aux contradictions actuelles. En effet, l’évaluation des nouvelles pratiques d’AMP, que la réglementation impose légitimement, suppose des essais de fécondation, et donc nécessairement des transferts in utero d’embryons issus de ces fécondations.

Il nous semble enfin indispensable de ne pas « écraser » le débat par une vision strictement utilitariste de la recherche sur l’embryon, la réduisant au seul objectif de production de cellules souches embryonnaire en ignorant qu’elle permet d’approfondir nos connaissances sur les gamètes, le zygote et l’embryon.

L’autoconservation de gamètes et de tissus germinaux est une activité sur laquelle il est plus particulièrement de notre responsabilité d’attirer l’attention du législateur, puisqu’elle représente la part la plus importante de l’activité des CECOS. Dans un très bref alinéa, la loi de 2004 en fait une activité d’AMP, de façon discutable puisqu’elle relève plutôt des textes européens régissant l’utilisation des tissus et cellules humains. D’une façon générale, elle nous semble pâtir actuellement d’une certaine incompréhension du législateur français, et même de l’Agence de la biomédecine : il n’est qu’à voir la place tout à fait secondaire que le décret définissant les règles de bonnes pratiques en matière d’AMP réserve à la cryobiologie. Dans sa définition du centre d’AMP – qui est en réalité un centre de fécondation in vitro (FIV) –, le législateur n’a pas prévu l’accès à un plateau de cryobiologie dédié à la reproduction, capable de gérer la conservation d’échantillons précieux pendant plusieurs dizaines d’années. C’est qu’il ne distingue pas entre l’autoconservation à court ou moyen terme, destinée directement à l’AMP, et l’autoconservation à long, voire à très long terme, en vue de préserver une fertilité. Cette conservation à très long terme est d’une tout autre ampleur du point de vue de son coût et de ses enjeux en termes de qualité, de sécurité et de pérennité. Étant donné la situation financière des hôpitaux, nous aurons beaucoup de difficultés à convaincre leur administration de l’importance de ces plateaux de cryobiologie aussi longtemps qu’ils ne seront pas prévus par la loi.

La question de la gestation pour autrui mériterait enfin d’être évoquée car elle interpelle tout praticien de la reproduction, mais elle n’a pas fait jusqu’ici l’objet d’un débat suffisamment approfondi au sein de la Fédération nationale des CECOS pour que son président puisse prétendre s’exprimer sur un tel sujet. Je crois toutefois pouvoir dire que beaucoup de mes collègues y voient une prise de risques importante et encore insuffisamment évaluée. Comme le transfert d’embryon post mortem, elle serait censée répondre à des situations exceptionnelles, ici l’absence d’utérus, là l’accident frappant un conjoint : il est probable que dans les faits les indications ne seraient pas aussi exceptionnelles.

M. Jean Leonetti, rapporteur. La frontière étanche que vous avez tracée entre indications médicales et indications « sociétales » de l’AMP tiendra-t-elle longtemps ? Jugez-vous éventuellement envisageable qu’elle recule, et sur quels points ?

Je voudrais également vous entendre sur l’indemnisation des donneuses d’ovocytes. Ce don n’est pas sans inconvénient, ni sans risque, fût-il minime. Il a également un coût, en temps et en argent, pour celle qui donne. Envisagez-vous un système équilibré d’indemnisation des frais, qui garantisse la gratuité sans constituer un obstacle au don d’ovocytes ?

En ce qui concerne l’anonymat du don de gamètes, quel bilan peut-on dresser de l’expérience des pays qui ont autorisé la levée de l’anonymat et comment pourrait-on concilier la demande, qui peut sembler légitime, de pouvoir accéder à ses origines et la garantie de l’anonymat du donneur ?

La loi doit-elle évoluer en matière de transfert d’embryon post mortem ? Un transfert d’embryon n’étant pas une insémination, la loi ne pourrait-elle pas l’autoriser, à condition qu’il fasse l’objet d’un projet parental parfaitement identifié et que soit respecté un temps de réflexion sur les motifs et les conséquences de ce transfert ?

Sur quels arguments vous fondez-vous pour rejeter a priori la gestation pour autrui, même à titre exceptionnel ?

Quels sont enfin les principaux obstacles à la recherche sur les embryons dans la législation actuelle ? Où placez-vous le curseur : prônez-vous une ouverture totale de la recherche sur l’embryon, qui irait jusqu’à autoriser la création d’embryons pour la recherche, ou simplement la levée du moratoire de cinq ans, afin de préserver les travaux actuellement engagés ? Ou bien souhaitez-vous que ce régime dérogatoire soit remplacé par un système d’autorisation, et seulement dans le cas des embryons surnuméraires ?

M. Paul Jeanneteau. Il serait donc possible de conserver des gamètes pendant vingt ans ou plus pour la reproduction ?

M. Jean-Luc Bresson. Oui, car les spermatozoïdes se congèlent très bien : des naissances ont été obtenues avec des spermatozoïdes congelés pendant une vingtaine d’années. On cherche aujourd’hui à congeler d’autres « matériels », tels que des fragments de tissu gonadique, alors même que l’on a encore des incertitudes sur les moyens de leur utilisation ultérieure. Mais cela suppose des centres de conservation particulièrement fiables. Le problème est que la loi ne distingue pas entre la conservation à court terme, qui est peu coûteuse, et la conservation pendant une vingtaine d’années, qui nécessite la mise en œuvre de moyens d’une tout autre ampleur, d’autant que derrière cette notion de plateau de cryobiologie se profile, pour des exigences de production in vitro de cellules de la reproduction à partir des tissus conservés, la notion de plateau de thérapie cellulaire et tissulaire.

M. Paul Jeanneteau. Concernant la question de la levée éventuelle de l’anonymat du don, les enfants conçus par don de gamètes ne souffrent-ils pas aussi parfois du secret entourant leur conception plutôt que de l’anonymat du don ? Pour ces enfants qui demandent la levée de l’anonymat, y a-t-il une réponse à leur souffrance ?

M. Xavier Breton. Vous préconisez un élargissement du champ de la compétence, de l’autonomie et du pouvoir de décision de l’Agence de la biomédecine. Ce souhait est-il motivé par des cas précis ?

M. Jean-Luc Bresson. L’expérience le montre, la production d’un simple texte, comme l’arrêté définissant les bonnes pratiques en matière d’AMP, et les incessants allers et retours qu’elle a entraînés ont gaspillé un temps considérable ; c’est pourquoi il serait bon de donner plus d’autonomie à l’Agence. De même, certains décrets d’application de la loi de 2004, que l’on prétend réviser, ne sont pas encore sortis. La délivrance des agréments et des autorisations suit également un cheminement d’une complexité qui n’est peut-être pas techniquement indispensable.

Mme Dominique Regnault, présidente de la commission des psychologues de la Fédération nationale des CECOS. L’anonymat renvoie à la problématique de l’accès aux origines et du secret, sur lesquelles les psychologues des CECOS travaillent depuis le début, tant avec les équipes médicales qu’avec les couples. Cette longue expérience montre que l’anonymat permet aux couples de construire un modèle nouveau de parentalité : il s’agit de définir comment devenir un père et une mère grâce au don d’un tiers.

Les couples viennent chercher aux CECOS une solution susceptible de sauver leur projet d’enfant, dont ils vivent la mise en échec d’une façon très douloureuse. La nécessité d’introduire un tiers dans leur histoire perturbe, chez la femme comme chez l’homme, la représentation de ce que doit être une reproduction normale. La technique médicale du don de spermatozoïdes leur permet de reconstruire un imaginaire et une symbolique de la reproduction, où celle-ci n’est plus la transmission d’un matériel génétique, mais le projet de construire une famille, de vivre durablement en couple, de partager et de transmettre des valeurs, d’occuper une place sociale, psychique et affective. La préservation de l’anonymat du donneur et même de la confidentialité du don permet à l’homme de faire au don de spermatozoïdes une place symbolique dans son projet de paternité.

On observe qu’une fois que le couple a réussi cette élaboration – et je ne prétends pas que ce soit facile –, la question du secret ne se pose plus : l’anonymat permet de raconter à l’enfant comment il a été conçu et dans quelle histoire il s’inscrit, sans avoir à lui désigner une personne extérieure au couple et à la famille.

En permettant au couple des parents de raconter à l’enfant son roman familial, l’anonymat préserve la famille d’un secret qui risquerait de devenir pathologique – le secret devenant en général pathologique sur deux générations, nous n’avons pas encore le recul suffisant pour mesurer les dégâts des secrets entourant les conceptions à partir de dons. Nous travaillons, pour notre part, à donner les moyens aux parents de ne pas garder un secret. Ainsi, qu’ils choisissent de « dire » à l’enfant pas, l’anonymat leur permet en tout état de cause de vivre cette situation d’une manière « suffisamment bonne » pour que ne se construise pas un secret pathologique.

Je n’ai pas eu connaissance d’études consacrées à la situation des enfants issus de dons de gamètes dans les pays qui autorisent la levée de l’anonymat. Combien d’enfants ont fait cette démarche et, s’ils sont venus, qu’ont-ils demandé précisément ? À rencontrer un père, parce que l’élaboration du couple parental aurait échoué ? Cette question là n’a pas véritablement de réponse. En tout état de cause, la levée de l’anonymat risque, à mon avis, de compliquer la tâche des familles.

M. Jean-Marie Kunstmann, vice-président de la Fédération nationale des CECOS. Cette question de l’accès aux origines s’est d’abord posée à propos de l’accouchement sous X et de l’adoption, où on recherche aujourd’hui à réduire au maximum la part de l’anonymat. C’est pourquoi certaines associations ont confondu cette problématique avec celle du don de gamètes, qui est bien différente. En effet, le don de gamètes nécessite une véritable réinterprétation de la question des origines – c’est d’ailleurs l’un des objectifs des CECOS depuis leur création par Georges David.

Après une première étape, où le couple doit faire le deuil de la fertilité et qui suscite chez certains une véritable sidération psychique, vient le questionnement sur la transmission : qu’est-ce que transmettre la vie ? S’agit-il d’une transmission purement biologique ? N’est-ce pas aussi fonder une famille sur le désir d’un enfant ? C’est sur cette réinterprétation de la question des origines et cette invention d’une nouvelle possibilité de fonder une famille que le couple élaborera son projet d’enfant.

L’anonymat correspond également au projet du donneur. Celui-ci considère qu’il fait don d’un support biologique dénué de tout projet d’enfant autre que celui du couple receveur ; il ne souhaite pas que sa responsabilité soit engagée dans le devenir de ces enfants. L’anonymat garantit aux yeux du donneur la dépersonnalisation du produit biologique, destiné à être humanisé par le couple receveur.

Nous avons, pour notre part, argué de cet anonymat pour inciter les couples à informer leurs enfants des conditions de leur conception. Ce n’était pas du tout le cas dans les CECOS de la première génération, dans les années soixante-dix : il était alors pratiquement inimaginable que les parents informent même leur entourage d’un tel mode de conception, alors presque assimilé à un adultère ! Toute l’entreprise de Georges David a été précisément de réhabiliter ce mode de procréation, mais ce n’est que depuis dix ou quinze ans, la banalisation de l’assistance médicale à la procréation aidant, qu’on peut envisager d’en informer les enfants.

Les enfants qui sont en souffrance aujourd’hui ont été conçus à cette époque révolue. C’est le cas de ceux dont Jean-Loup Clément, psychologue au CECOS de Lyon, a recueilli les témoignages dans un livre paru vers 2000. Même si tous ont déploré d’avoir été tardivement informés des conditions de leur conception, ils n’étaient pas en quête de l’identité du donneur, bien au contraire. Les deux à faire exception n’avaient appris leur mode de conception qu’après la mort accidentelle de leur père : il est compréhensible dans un tel contexte de s’interroger sur l’identité du donneur, mais on peut aussi penser qu’ils auraient vécu différemment le problème si leur père les avait informés de son vivant. Ces témoignages confirment que maintenir le secret sur les modalités de la conception est susceptible de déstabiliser ces enfants, notamment à l’occasion des aléas que la famille peut connaître, comme la séparation des parents.

Forts de l’expérience de cette première période, on considère désormais qu’il est bon de les informer quand ils ont entre trois et cinq ans, au moment où ils posent des questions sur la manière dont on conçoit les enfants.

M. Jean-Luc Bresson. Il est d’autant plus difficile de connaître les conséquences pratiques de la levée de l’anonymat qu’on ignore actuellement le pourcentage de couples qui ont révélé à leurs enfants qu’ils étaient nés d’un don de gamètes : on sait seulement qu’environ 50 % en ont manifesté l’intention. Il semble cependant qu’on puisse conclure, notamment de l’expérience suédoise, que la levée de l’anonymat favorise le secret sur le mode de conception.

En ce qui concerne ses effets quant au nombre de donneurs, on n’a pas non plus de chiffres, mais les dernières études montrent qu’au moins les deux tiers d’entre eux sont attachés à l’anonymat. Plus précisément, 50 % y sont fortement attachés, 10 % sont favorables à la levée de l’anonymat, et 40 % sont partagés.

M. Michel Vaxès. Si le travail d’élaboration symbolique du couple suppose la différenciation entre le géniteur et le père, la responsabilité du législateur n’est-elle pas de faciliter l’expression de cette différenciation ?

Mme Dominique Regnault. Tout à fait. Je récuse totalement l’expression très répandue de « père biologique » : les donneurs ne sont pas des pères pour les enfants nés par don et l’anonymat est une condition à mon avis très importante de cette distinction entre le père et le géniteur.

En ce qui concerne le transfert de l’embryon post mortem, nous sommes confrontés à des demandes d’autoconservation des gamètes en urgence parce qu’une maladie très grave, généralement un cancer, a été diagnostiquée chez le conjoint. Le problème est d’autant plus difficile que deux équipes médicales sont alors sollicitées : celle qui soigne le conjoint malade soutient tout ce qui est susceptible d’étayer son désir de vivre. En revanche, l’équipe d’AMP, soucieuse du devenir de l’enfant et de l’avenir à long terme, insiste sur la lourdeur des protocoles d’AMP et l’intrusion qu’ils représenteraient dans la vie d’un couple déjà confronté à des traitements très lourds. Il est en outre difficile de démêler dans un tel cas les motivations du couple : s’agit-il bien de faire aboutir un projet d’enfant préexistant à la maladie ? Ne s’agit-il pas plutôt d’une dénégation de la maladie et du deuil, ou d’une culpabilité de l’homme vis-à-vis de la femme, ou de la femme vis-à-vis de l’homme, ou d’un désir de lui venir en aide ? Faute de pouvoir bien démêler ces motivations, on encourt la responsabilité de réunir tous les éléments d’un deuil impossible en cas de décès du conjoint et d’acculer la femme dans une situation sans issue. Ces risques sont plus élevés que les bienfaits attendus d’une telle décision.

M. le rapporteur. Je vous avais également interrogé sur la frontière entre les indications médicales et sociétales de l’AMP.

M. Jean-Luc Bresson. Le rôle des équipes médicales est de soigner des pathologies, et c’est le cas aussi dans le domaine de la reproduction. Reconnaître la légitimité des indications sociétales de l’AMP reviendrait à faire du médecin un prestataire de services qui doit satisfaire une demande. Je ne juge pas la nature de cette demande : je dis simplement qu’elle relève d’un autre cadre. Si j’osais une comparaison quelque peu délicate, je dirais que la différence est la même qu’entre une interruption volontaire de grossesse (IVG) et une interruption de grossesse pour raisons médicales.

Mme Marie-Thérèse Hermange, sénatrice, membre du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. Même si vos propos sur l’anonymat m’ont touchée, je trouve qu’on donne beaucoup de place aux intérêts des couples receveurs et des donneurs, au détriment de l’enfant. J’aimerais connaître votre ressenti quand vous devez refuser à quelqu’un l’accès à une origine dont vous détenez le secret.

Vous dites par ailleurs que la gestation pour autrui n’est pas suffisamment évaluée. Or, selon le professeur David, qui se réfère là à l’expérience des CECOS, c’est l’expérimentation qui permettrait une évaluation. Êtes-vous d’accord avec lui ou jugez-vous, comme le fait l’Académie de médecine, les risques médicaux trop importants ?

M. Jean-Luc Bresson. C’est, je crois, une proposition pour chercher une solution. Vous savez que l’on a fait par ailleurs des comparaisons avec l’organisation du diagnostic prénatal : on pourrait envisager en effet une expérimentation très strictement encadrée, en s’inspirant de ce qui existe pour le diagnostic prénatal, dont le suivi est assuré par les centres pluridisciplinaires (CPDPN). La question est de savoir si les enjeux de la GPA sont assez importants pour justifier qu’on s’engage dans cette direction.

M. Jean-Marie Kunstmann. En ce qui concerne les enfants nés d’un don anonyme, nous ne sommes pas assaillis de demandes de levée de l’anonymat. Quand cela arrive, nous tâchons d’élucider avec ces personnes la question du sens de la rencontre, mais il ne faut pas se cacher qu’il est déjà bien tard pour intervenir : des personnes assez déstabilisées pour faire cette demande sont déjà dans une situation de blocage, face à laquelle nous sommes plutôt désemparés.

Quant aux donneurs, la possibilité de lever leur anonymat suscite chez eux de grandes inquiétudes, notamment quant aux conséquences pour leur famille. En outre, la confrontation entre le donneur et l’enfant – et qui plus est un enfant en souffrance – pourrait encore aggraver une situation qui deviendrait alors ingérable.

J’observe qu’en Suède, où la levée de l’anonymat est la plus ancienne, en 2005 les deux plus gros centres d’AMP n’avaient toujours pas reçu de demande de cette sorte. En revanche, à en croire de nombreuses études suédoises, il semble que beaucoup de couples demandeurs préfèrent se rendre dans des pays qui maintiennent le principe de l’anonymat.

M. Jean-Luc Bresson. Il faut ajouter que le nombre de personnes qui disent souffrir de l’anonymat du don est limité. Par ailleurs, nous n’avons pas pour habitude, par respect de notre devoir de confidentialité, de mettre en lumière les personnes issues de dons anonymes qui se satisfont de cette situation. Nous avons ce type de contact, heureusement, mais ces personnes ne ressentent pas, c’est compréhensible, la nécessité d’être médiatisées.

M. le rapporteur. Pour en revenir au don d’ovocytes, comment pourrait-on faire en sorte, sans hypocrisie, qu’il ne coûte pas à la donneuse ?

M. Jean-Luc Bresson. La loi actuelle comporte tous les éléments pour indemniser complètement les donneurs, mais c’est sa mise en œuvre qui pêche. Les obstacles sont pratiques plus que législatifs.

M. Jean-Marie Kunstmann. Les donneuses souhaitent, non pas une rémunération, mais une indemnité à la hauteur de la lourdeur des traitements et de l’investissement personnel que suppose un don d’ovocytes, par exemple pour la garde des enfants, les frais de transports ou une absence professionnelle. Il faut donc absolument organiser un remboursement au coup par coup, qui n’est pas possible à l’heure actuelle. En revanche, rémunérer le don d’ovocytes entraînerait un changement du recrutement et des motivations des donneuses.

M. le rapporteur. Le fait même de donner constitue-t-il la motivation principale ?

M. Jean-Marie Kunstmann. Oui : le don d’ovocytes est, comme le don de sperme, motivé par l’altruisme. Le vrai problème est que nous sommes submergés de demandes qui ne relèvent pas d’indications médicales. Le don d’ovocytes permet ainsi aux femmes qui n’ont plus l’âge de concevoir d’être enceintes. En Espagne, où le don d’ovocytes est pourtant rémunéré, il n’y a pas assez de donneuses pour satisfaire toutes ces demandes, et on en est à recruter des donneuses venues des pays de l’est. Dans un tel contexte, les déclarations des antécédents médicaux et informations génétiques du donneur sont beaucoup moins fiables, alors qu’il est essentiel que l’enfant issu de ce don puisse accéder à ces informations.

M. Jean-Luc Bresson. En ce qui concerne la recherche sur l’embryon, je souhaite que la loi évolue vers un régime d’autorisation. Concernant en revanche la création d’embryons pour la recherche, la question mériterait une réponse plus approfondie. Comme cela a été dit, l’évaluation de nouvelles techniques d’AMP aboutira de toute façon à produire des embryons qui devront bien être transférés. S’il s’agit en revanche d’instrumentaliser des embryons dans je ne sais quel but de recherche, c’est plus discutable.

M. le président. Vous êtes donc favorable à la remise en cause de l’interdiction de la recherche sur les embryons et du moratoire de cinq ans posés par la loi de 2004 ?

M. Jean-Luc Bresson. Tout à fait.

Audition de M. Christian FLAVIGNY, psychanalyste et pédopsychiatre


(Procès-verbal de la séance du 18 février 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Christian Flavigny, psychanalyste et pédopsychiatre, praticien hospitalier attaché au service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris.

Spécialiste de l’adoption et de la filiation, vous êtes l’auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels Parents d’aujourd’hui, enfants de toujours (2006), dans lequel vous abordez notamment les questions de l’homoparentalité et de l’adoption par des personnes célibataires. Vous avez également publié très récemment Avis de tempête sur la famille, où vous traitez de la gestation pour autrui, de l’anonymat dans le domaine de l’assistance médicale à la procréation (AMP), du statut de l’embryon ainsi que de la parenté et de la parentalité. Je vous cède immédiatement la parole.

M. Christian Flavigny. Je vous remercie de votre invitation. Je souhaiterais rappeler que la famille n’est pas seulement un lieu d’éducation pour l’enfant. Ce n’est pas l’éducation qui fait la spécificité du lien parent-enfant, mais la filiation psycho-affective – distincte de la filiation juridique –, qui fait de l’enfant le successeur de ses parents dans une lignée, porteur d’une mémoire familiale à partir de laquelle il se construit. L’enfant cherche à combler l’attente de ses parents : c’est le fondement de sa raison d’être. Quant au désir qui a porté la venue de l’enfant, c’est ce que j’appelle la relation d’enfantement, colonne vertébrale psychique de l’enfant et des relations familiales. On en mesure toute l’importance dans le principe de l’adoption plénière en France, qui donne le primat à ce désir d’enfantement, que celui-ci s’exprime chez un couple stérile ou chez un couple fécond qui a déjà des enfants mais souhaite aussi en adopter. L’adoption plénière est conçue comme une forme de l’enfantement ; elle n’efface pas la filiation biologique, ce dont on lui fait parfois abusivement le reproche, mais elle ne l’enregistre pas. Elle centre la relation parent-enfant sur la relation adoptive, la seule à avoir jamais été enregistrée, afin d’éviter un tiraillement psychique de l’enfant entre deux familles. Telle est en tout cas sa visée. Elle fait toute sa place au don parental, vis-à-vis duquel l’enfant a une dette qui est l’aiguillon de son développement.

Tout l’intérêt de l’adoption plénière, qui se fonde sur le principe de l’anonymat, aujourd’hui remis en question, est de faire coïncider une filiation juridique avec cette filiation psychique. La procédure préalable d’agrément des adoptants est un élément clé, permettant de s’assurer que la demande d’adoption relève bien d’une demande d’enfantement.

Dès lors que la loi française autorise une personne célibataire à se porter candidate à l’adoption, le problème est que cela risque de laisser penser qu’il existe un droit à l’adoption, le droit à la candidature étant abusivement assimilé au droit à l’adoption. Les homosexuels notamment revendiquent ce droit au motif qu’il est accordé aux célibataires, certaines femmes homosexuelles étant d’ailleurs devenues parents en adoptant des enfants en tant que célibataires. Les progrès médicaux permettent aujourd’hui que des enfants puissent advenir sans relation d’enfantement, et des demandes se font jour en ce sens de la part du corps social. Conjugués à certaines évolutions sociales comme l’augmentation du nombre des divorces et des séparations, ils nourrissent ces demandes. On en vient ainsi à penser que puisque tant d’enfants voient leurs parents divorcer ou se séparer très tôt dans leur vie, la relation d’enfantement n’est peut-être pas indispensable. Or, que l’enfant s’en passe dans les faits est une chose, que cela n’ait pas d’incidence sur la façon dont il se construit en est une autre. En cas de séparation de ses parents, l’enfant doit effectuer tout un travail psychique pour intégrer que leur relation se conjugue désormais au passé.

La question se pose donc aujourd’hui à notre société de savoir si un enfant peut advenir sans relation d’enfantement. Or, l’enfant naît de l’union d’un homme et d’une femme, sur le plan biologique mais aussi psychique. C’est tout l’enjeu de la différence des sexes. Si l’enfant naît de cette différence, c’est aussi que celle-ci est porteuse d’un manque. C’est le manque en chaque sexe qui provoque l’attrait vers l’autre sexe et il n’est pas indifférent que l’enfant éclose, si je puis dire, à cette croisée des manques, et se construise comme celui qui vient combler ce manque. Il me semble essentiel de ne pas perdre de vue le caractère fondateur de ce principe, quelles que puissent en être les déclinaisons dans les faits.

La loi, qui constitue la parole collective, est importante par le message qu’elle véhicule non seulement à l’endroit d’un enfant donné dans une situation donnée, mais par là même, à l’endroit de tous les enfants dans toutes les familles. L’assistance médicale à la procréation rend aujourd’hui possible la venue d’un enfant sans enfantement, pour des personnes célibataires ou homosexuelles. Que cette possibilité matérielle existe confère-t-il pour autant un droit à l’enfant ? Les enjeux de la réponse à cette question sont capitaux. Il est des cultures, notamment la culture américaine, où la satisfaction de la demande des individus est considérée comme de droit et où l’on ne tient pas compte de ce qui a conduit à mettre à l’écart l’enfantement, qu’il s’agisse pour une personne célibataire d’un évitement de la relation avec l’autre sexe ou, pour une personne homosexuelle, du refus de cette relation. Au contraire, en France, nous évaluons tous ces aspects lors de la procédure d’agrément. La différence d’approche culturelle de l’adoption aux États-Unis et en France est considérable. En France, c’est la filiation qui est primordiale avec le lien du don et de la dette, qui forge le double interdit de l’inceste et du meurtre. C’est le pivot de la relation familiale et son mode de régulation. À défaut de ce mode-là, que notre culture privilégie, il en faut d’autres. Ainsi la biologie est-elle souvent convoquée. Aux États-Unis, les enfants nés d’insémination artificielle avec donneur créent des sites internet pour rechercher ceux qu’ils appellent leurs frères et sœurs, justifiant cela par la recherche de leurs origines alors que l’enjeu psychique est de fonder l’interdit de l’inceste et de distinguer les personnes avec lesquelles une relation sexuelle est interdite.

Ces enjeux culturels sont cruciaux, aussi importants par exemple que celui de la laïcité, conçue très différemment dans la culture anglo-saxonne et la culture française. Il s’agit de savoir si doit être institué un droit à l’enfant, chaque adulte pouvant librement décider de sa propre manière de faire venir l’enfant. Il faut prendre la mesure de la mutation culturelle qui sépare le partage du pouvoir procréateur entre un homme et une femme qui se rendent parents par leur union sexuelle et les demandes actuelles où l’on demande à la société qu’elle rende parent. Je ne souhaite nullement défendre une vision traditionnelle, certains diraient même « ringarde », de la famille et de la façon dont celle-ci doit se constituer, ni stigmatiser qui que ce soit. Je souligne seulement qu’accepter des pratiques particulières s’écartant des principes de la dynamique familiale reposant sur la relation d’enfantement, aura une incidence sur la vie de toutes les familles. N’allons pas croire qu’il s’agit seulement de satisfaire quelques demandes ponctuelles : la réponse aura des conséquences beaucoup plus larges. Comme en matière d’environnement, où l’expérience nous a appris que la satisfaction d’un désir personnel n’est pas sans incidence sur l’équilibre général de la planète, dont chacun doit donc tenir compte, tout est lié.

S’il est logique de prendre en compte certaines demandes, la façon de les accueillir sera déterminante. Si on institue un « droit à » l’enfant, s’en trouvera inévitablement modifié le mode de régulation de la vie familiale pour l’ensemble des familles et on s’orientera vers le système américain… avec ses avantages et ses inconvénients.

Une solution serait, tout en conservant les principes qui sont les nôtres, de donner toute son importance à la procédure d’agrément avant adoption ou procréation médicalement assistée. Nous pouvons au cours de cette procédure poser toutes ces questions de manière à évaluer la demande et faire en sorte qu’elle ne soit pas assimilée à un droit pour chacun de faire sa famille comme il l’entend, ce qui aboutirait à reconnaître un droit à l’enfant.

Un dernier mot sur les mères porteuses. C’est une pratique qui, dans son esprit, donne le primat à la biologie et va à l’encontre de la pratique de l’adoption – que certains couples refusent en avançant des arguments, souvent discutables, comme celui de la longueur des délais. Elle pose le problème de la marchandisation du corps, remettant en question le principe du don et de la dette et donc celui de la gratuité. Enfin, elle ouvre la voie à la possibilité pour des couples homosexuels masculins d’avoir des enfants. En effet, quels que soient les verrous envisagés, ils seront fragiles.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Selon vous, le droit à l’enfant, même accordé pour satisfaire une demande individuelle exceptionnelle, remettrait en cause le schéma global de l’enfantement et de la filiation. Vous n’avez pas évoqué le droit de l’enfant et au final, l’objectif. Le débat de société porte plus largement sur la distinction entre droit-créance et droit-liberté. Peuvent-ils être confondus ? La société a-t-elle un dû à l’égard des individus, comme leur donner un enfant par tous moyens qu’ils ont librement choisis, ou bien n’a-t-elle « que » le devoir de les aider à trouver des solutions médicales pour avoir un enfant ? C’est toute l’opposition entre la vision anglo-saxonne dans laquelle on fait primer le choix des individus, et la vision française dans laquelle on donne le primat au projet collectif.

Deuxième question, corrélée à la première : qu’est-ce qui fait le bonheur d’un enfant ? Ce sont certes l’altérité et la rencontre de la différence qui permettent de faire un enfant, à la fois sur le plan biologique et sur le plan humain. Mais dans la réalité, les couples se séparent, parfois avec des enfants encore très jeunes, les familles se recomposent avec l’arrivée de beaux-parents – à ce sujet, pensez-vous qu’il faille définir un statut du beau-parent ? Faut-il ou non aujourd’hui construire la famille autour de l’enfant en tenant d’abord compte des réalités, et reconsidérer dès lors nos conceptions de l’enfantement et de la filiation, laquelle ne serait pas seulement génétique ou éducative, mais pourrait aussi procéder d’un réinvestissement affectif de l’enfant sur ses beaux-parents ? On a de plus l’impression de revivre l’éternelle querelle des Anciens et des Modernes… comme si la transgression était par nature moderne et la stabilité conservatrice, voire « ringarde », et comme si toute satisfaction d’un désir individuel égoïste constituait en soi une avancée sur le plan de la liberté, aux retombées positives pour l’ensemble de la société. Ce débat prend une tournure politique complexe en se cristallisant ainsi en un conflit entre Anciens et Modernes…

M. le président. Je ne l’ai jamais ressenti ainsi lors de la révision de la loi en 2004.

M. le rapporteur. Ce clivage existe toutefois, même s’il est un peu artificiel. Dans cette optique, j’aimerais que vous disiez comment vous voyez l’épanouissement et la construction psychique de l’enfant dans la société actuelle, dont nul ne peut nier que s’y rencontrent des situations nouvelles. Si ces nouveaux modèles possibles ne sont pas écartés, pourquoi ne pourraient-ils pas être reproduits ? Je pose une question volontairement un peu provocatrice, car telle n’est pas exactement ma pensée : pourquoi refuserait-on à une célibataire d’avoir un enfant puisque, dans les faits, beaucoup de mères célibataires élèvent seules leurs enfants ?

M. Xavier Breton. Je souhaite vous interroger sur la notion ambiguë, juridique mais aussi sociologique, de projet parental. Correspond-elle à la relation d’enfantement que vous évoquez et que vous jugez indispensable ? Ou bien recouvre-t-elle un droit à l’enfant que vous ne souhaitez pas ?

M. Michel Vaxès. La relation d’amour à l’enfant exige-t-elle l’hétérosexualité ? Pourquoi une mère qui adopte ou fait seule un enfant ne pourrait-elle pas l’aimer sans père, le rôle de celui-ci s’étant limité à celui de géniteur ?

M. Christian Flavigny. Le droit de l’enfant – je préfère parler, moi, du besoin fondamental de l’enfant –, c’est de se percevoir l’enfant de ses parents. Sa colonne vertébrale psychique est de sentir qu’il est au monde parce qu’à un moment donné, ses parents se sont rapprochés, désirés, et qu’il incarne cette union, telle qu’il la désire et qu’il la rêve. C’est une romance, bien sûr, à partir de laquelle il se construit sur le plan psychique. Encore faut-il que cette romance soit crédible. Il ne s’agit pas de penser une relation parfaite entre une mère et un père parfaits, ce qui serait d’ailleurs bien lourd à porter pour l’enfant. Mais il est incontestablement des situations qui décalent l’enfant de ce roman familial. Le divorce est la première. En cas de divorce, l’enfant doit comprendre et accepter que la relation entre ses parents se conjugue désormais au passé. C’est le beau-parent qui donne une concrétisation à la séparation. Tant qu’il n’y a pas de beau-parent, l’enfant peut entretenir la romance d’un raccommodage. Le beau-parent peut jouer un rôle éducatif précieux auprès de l’enfant, mais c’est un adulte qui ne se situe pas vis-à-vis de l’enfant sur le même plan que le parent ; les lois qui régissent sa relation à l’enfant sont les lois sociales et non celles du lien de filiation. C’est d’ailleurs pourquoi je suis réservé sur un statut du beau-parent, qui reviendrait à privilégier l’éducation, et non plus la filiation, dans la vie familiale. Ce serait insidieusement infléchir le mode de régulation de la vie familiale au profit des lois sociales où le plus fort protège le plus faible et au détriment du lien de filiation qui fait que l’enfant est protégé du seul fait même d’être l’enfant de ses parents.

Quant à l’amour, le terme est ambigu, s’appliquant à différentes situations. Le lien familial n’est pas fait seulement d’amour, mais implique un aspect de médiation. La vie familiale a besoin à la fois de tendresse et de fermeté. L’hétérosexualité, terme auquel je préfère celui de différence, permet que l’homme et la femme se rapprochent, mus par le désir. L’enfant aspire à se sentir advenu d’une union crédible qu’il symbolise : seule cette romance-là est constructrice.

Nous n’ignorons bien sûr pas les réalités de la vie des familles actuelles avec leur lot de séparations, de recompositions... Ce qui nous importe est de nous situer dans la vérité de la problématique de l’enfant à cet égard. Ce que je redoute est que les lois ne viennent brouiller ce cadre et fassent perdre à l’enfant sa capacité de se confronter à la complexité qui est la sienne dans une situation donnée.

Ce qui anime la vie homosexuelle est la contestation de la différence entre les sexes – précisément parce que l’union des deux sexes est porteuse d’enfantement –, par référence à ce qui s’est passé pour eux dans leurs relations à leurs propres parents. Cela, il n’est pas exclu que l’enfant puisse le comprendre, mais la parole et le regard collectifs ne doivent pas le transformer en une situation banale – auquel cas on changerait de registre, on s’éloignerait de la considération des désirs qui ont porté la venue de l’enfant.

M. Michel Vaxès. Vous avez parlé de principes de l’équilibre familial. Mais celui-ci a-t-il un fondement naturel ou social ? Si ce fondement est social, il est évolutif.

M. Christian Flavigny. Cet équilibre repose pour moi sur le lien de filiation qui fait que les parents délèguent à leur enfant une part d’eux-mêmes qu’il portera au-delà de leur finitude personnelle et en font le dépositaire. C’est par cette recherche que l’enfant trouvera l’estime de soi. La filiation oblige, aux deux sens du terme. D’un côté, le fils reconnaît le père et le père reconnaît le fils : cette reconnaissance mutuelle est narcissisante pour l’un et pour l’autre – on le voit, par défaut, dans les situations d’abandon. D’un autre côté, la filiation fait obligation : l’enfant a une dette et un devoir vis-à-vis de ses parents, qui est de les honorer et de les pérenniser. L’équilibre familial n’est donc ni seulement naturel, ni seulement social. Le naturel n’importe que pour la crédibilité. L’union homosexuelle ne peut être crédible pour l’enfant. Le désir des homosexuels est justement, en fonction de leurs interdits intérieurs et de leur vie psychique, de ne pas enfanter, et ils essaient aujourd’hui de sortir de cette impasse psychique en sollicitant l’aide de la société.

S’agissant du projet parental, il s’agit d’une notion très juridique, qui a été formalisée notamment pour protéger l’embryon. Nous, psychanalystes, ne l’utilisons pas. Elle relève plutôt du registre des assistantes sociales. Lorsque je travaille avec des couples souhaitant adopter un enfant – ayant donc un projet parental–, j’observe plutôt comment ils se situent dans la relation passée à leurs propres parents, comment ils vivent le lien de dette qu’ils ont à leur égard. Devenir parent à son tour, c’est toujours restituer quelque peu de cette dette passée – de même que contester le fait de devenir parent renvoie toujours à une façon de vivre cette dette. Dans mes consultations, je m’attache surtout à ouvrir ces questions, à savoir par exemple pourquoi une personne célibataire formulant un désir d’enfant n’a pas trouvé la possibilité de se rendre parent par le biais d’une rencontre et d’une union sexuelle.

M. Michel Vaxès. Le concept d’amour serait ambigu, avez-vous dit. Pourriez-vous préciser votre pensée ?

M. Christian Flavigny. Il renvoie par trop à une conception idéale et ne caractérise pas la relation parent-enfant car il s’applique aussi à une relation entre adultes. Aimer, c’est avoir le désir de combler le manque de l’autre par-delà sa différence, c’est retrouver en l’autre quelque chose de soi. L’être aimé est en quelque sorte ressenti comme soi-même si l’on avait été de l’autre sexe. S’inscrire dans la sexualité, c’est accepter la part de manque d’un sexe ou de l’autre et l’amour adulte, c’est retrouver cette part manquante de soi en l’autre.

L’enfant est dépendant de ce qu’il reçoit comme attente pour pouvoir se construire. Le mot « amour » est ambigu, disais-je, car, de manière quelque peu idéalisée, il occulte l’aspect du manque et du désir qui en résulte. C’est pourquoi je préfère ne pas considérer la dynamique familiale de ce point de vue. Nul ne doute qu’une femme célibataire puisse aimer un enfant mais la question de l’équilibre familial ne se situe pas là. Je l’ai dit, la vie familiale a besoin à la fois de tendresse et de fermeté. L’adulte qui devient parent a besoin pour engager spécifiquement la relation à son enfant, de modérer en lui certaines pulsions sexuelles – c’est l’interdit de l’inceste –, certaines pulsions de violence – c’est l’interdit du meurtre. À partir de là, s’engage une véritable transformation de sa vie intérieure. C’est cela tout le travail de devenir parent.

Audition de Mme Julie STEFFANN,
praticien hospitalier dans le service de génétique médicale de l’hôpital Necker



(Procès-verbal de la séance du mercredi 4 mars 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui le docteur Julie Steffann, praticien hospitalier dans le laboratoire de génétique médicale de l’hôpital Necker à Paris.

Vous êtes responsable des activités de diagnostic préimplantatoire (DPI) depuis cinq ans. Parmi les trois centres actuellement autorisés en France à pratiquer le DPI, le laboratoire de l’hôpital Necker est celui qui a le plus gros volume d’activité et qui organise le dépistage de la plus grande diversité de maladies génétiques. Vous encadrez également les activités de diagnostic prénatal (DPN) dans ce même hôpital depuis plus de cinq ans. Enfin, vous participez, dans le cadre d’une unité de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), aux recherches sur les maladies résultant d’une mutation de l’ADN mitochondrial.

Les décrets d’application de la loi de bioéthique de 2004 relatifs au DPN et au DPI ont mis un certain temps avant d’être publiés, certains ne l’ayant été que fin décembre 2006. Quelles explications voyez-vous à ce retard et cela vous a-t-il créé des difficultés ? Partant, le recul est-il aujourd’hui suffisant pour évaluer ces dispositions législatives ? Pourriez-vous nous brosser rapidement le tableau des indications du DPI par rapport à celles du DPN ? Vous paraît-il envisageable de dresser une liste définie des indications du DPI ? Comment expliquez-vous que les dispositions de la loi relatives au DPI combiné à un typage tissulaire HLA – appelé « bébé du double espoir » ou, plus fâcheusement, « bébé-médicament » – n’aient été que peu mises en œuvre ?

Enfin, dernière question, que je pose à toutes les personnalités que nous auditionnons : est-il utile de réviser les lois de bioéthique tous les cinq ans ?

Mme Julie Steffann. Je vous remercie tout d’abord de votre invitation.

Faut-il réviser les lois de bioéthique tous les cinq ans ? Je ne sais pas. Ces lois ont assurément besoin d’être sans cesse réévaluées dans la mesure où les connaissances, par exemple dans le domaine de la génétique, progressent très rapidement.

J’avais prévu de m’attarder sur les indications du DPN et du DPI, en évoquant notamment le cas particulier des « bébés-médicaments », sur les problèmes soulevés par l’information de la parentèle en cas de maladie génétique – la loi n’ayant rien réglé sur ce point, les décrets d’application n’ayant pas été pris –, et sur le libre accès à des tests génétiques sur Internet.

Les patients que je reçois sont tous confrontés de près à des maladies génétiques d’une extrême gravité, souvent incurables. Il ne s’agit pas d’une consultation de dépistage : mes patients sont eux-mêmes atteints d’une maladie très grave ou ont un enfant touché. Il est difficile à quiconque n’a pas eu à connaître de ce problème ou n’a pas une longue expérience clinique en ce domaine d’imaginer la souffrance humaine à laquelle nous sommes confrontés lors de nos consultations. Afin de dissiper certaines craintes parfois exprimées, je signale que jamais depuis dix ans ne m’a été formulée la demande farfelue d’un enfant parfait « zéro défaut ».

L’objectif du DPI est de permettre la naissance d’enfants indemnes d’une maladie génétique, en éliminant les embryons atteints, en aucun cas de mener des recherches. J’insiste sur ce point car il y a parfois eu une confusion dommageable entre DPI et recherches sur l’embryon.

Le DPN, proposé en cours de grossesse, la plupart du temps spontanée, est réalisé sur les cellules du fœtus. Si l’examen révèle qu’il est porteur de la maladie recherchée, une interruption médicale de grossesse peut être proposée. Le DPI, lui, est effectué sur des cellules d’embryons conçus in vitro et âgés de trois jours. Le DPI est en quelque sorte aux examens biologiques conventionnels ce que la haute couture est au prêt-à-porter. D’une très haute technicité, le diagnostic exige un très long travail, il est lourd à mettre en œuvre et coûte très cher, pour un résultat qui n’est pas toujours à la hauteur des espérances puisque les chances de ramener un bébé à la maison pour un couple s’engageant dans la démarche ne sont que de 17%. L’hôpital Necker reçoit environ 150 demandes de DPI par an. Les contraintes budgétaires font que le délai moyen d’attente entre l’inscription à une demande de DPI et le début de la FIV est aujourd’hui de deux ans.

Les activités de DPN et de DPI sont très encadrées. Elles font l’objet d’une autorisation spécifique et tous les praticiens intervenant en ce domaine sont agréés par l’Agence de la biomédecine. À l’hôpital Necker, les demandes de DPI font l’objet d’une évaluation, en liaison avec les équipes de l’hôpital Antoine-Béclère, à Clamart. Certaines demandes peuvent être exclues d’emblée, en cas, par exemple, de contre-indication à la grossesse en général ou à la FIV, ou d’impossibilité scientifique à pratiquer le dépistage souhaité sur une cellule isolée, ainsi que, bien sûr, si ces demandes ne répondent pas aux critères fixés par la loi. Si la demande est recevable à la fois sur les plans médical et juridique, les couples sont reçus en consultation pluridisciplinaire.

Pour ma part, je ne suis pas du tout favorable à l’établissement d’une liste définie d’indications du DPI. En effet, le critère de « particulière gravité » de l’affection recherchée mis en avant par la loi repose bien entendu sur des éléments médicaux objectifs, mais il existe aussi des éléments subjectifs de gravité. Leur appréciation peut varier d’un praticien à l’autre en fonction de la population reçue – le recrutement induit inévitablement certains biais –, mais aussi d’un couple à l’autre en fonction du vécu de la maladie. Outre ces critères médicaux déjà très difficiles à établir, interviennent également des critères sociologiques, psychologiques, voire géographiques.

Ainsi recevons-nous souvent des demandes de DPN pour la phénylcétonurie, maladie génétique assez fréquente qui, lorsqu’elle n’est pas prise en charge rapidement par le biais d’un régime alimentaire spécifique, entraîne dès les premières années de la vie de sévères retards chez les enfants atteints. Nous refusons systématiquement les demandes des résidents français dans la mesure où il est facile de suivre dans notre pays le régime alimentaire adapté. Il nous est en revanche arrivé d’accepter la demande de couples ne résidant pas en France et auxquels il aurait été très difficile dans leur pays de faire suivre à leur enfant le régime nécessaire.

Il faut aussi tenir compte des progrès réalisés dans la prise en charge de certaines maladies : la situation a beaucoup évolué depuis dix ans pour les patients atteints de mucoviscidose et des progrès sont encore à attendre.

À peine aurait-on établi une liste d’indications pour le DPN ou le DPI qu’elle serait dépassée et devrait être révisée. En outre, toute liste présenterait le risque d’être perçue comme opposable. Si des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN) ont des interrogations spécifiques, ils peuvent toujours se référer aux rapports d’activité des trois centres habilités à pratiquer des DPI, qui sont adressés chaque année à l’Agence de la biomédecine et comportent l’ensemble des indications pour lesquelles un DPI a été effectué.

Le DPI avec typage HLA – ce que l’on a appelé le « bébé-médicament » – a pour but la naissance d’enfants immuno-compatibles avec un aîné atteint d’une maladie génétique nécessitant une greffe de moelle osseuse. Les décrets d’application de la loi de 2004 qui a étendu le champ des indications du DPI à ce cas n’ont été publiés qu’en 2006. L’hôpital Necker, seul centre en France actuellement à assurer ce type de DPI, a reçu une dizaine de demandes. Chaque dossier a fait l’objet d’une demande d’autorisation auprès de l’Agence de la biomédecine, laquelle vérifie qu’il répond bien aux critères fixés par la loi française, à savoir que les embryons présentent eux-mêmes un risque d’être atteint et qu’un aîné déjà touché a bien besoin d’une greffe de moelle. Sur les neuf dossiers adressés à l’Agence, six ont reçu une autorisation. Dans trois cas, les couples, dont le dossier initial était de toute façon incomplet, n’ont pas souhaité poursuivre la démarche. Le DPI, déjà extrêmement lourd, l’est encore davantage lorsqu’il doit être couplé à un typage tissulaire HLA. Les résultats des autres équipes qui le pratiquent de par le monde depuis plus longtemps que nous, et qui ont donc plus de recul, révèlent que les chances de succès sont divisées par deux par rapport à un DPI standard, c’est-à-dire qu’elles deviennent extrêmement faibles.

M. le président. Quelles ont été les suites pour les six dossiers autorisés par l’Agence de la biomédecine ?

Mme Julie Steffann. Il y a eu trois DPI pour deux couples et, pour l’instant, aucune grossesse.

Ce type de DPI soulève deux difficultés.

La première est de savoir ce que l’on fait des embryons sains mais non HLA compatibles. Certains couples souhaitent d’abord l’implantation d’un embryon sain, quel que soit son typage HLA. D’autres veulent avant tout un embryon HLA compatible pour soigner leur aîné. La situation est compliquée et il est difficile de demander aux couples de prendre préalablement une décision ferme et définitive car, après la « galère » que représente un DPI, le jour du transfert, ils peuvent reconsidérer leur position. Des couples qui a priori ne souhaitaient pas l’implantation d’un embryon non HLA compatible peuvent encore changer d’avis.

L’autre difficulté tient aux couples dont un enfant souffre d’une maladie génétique qui nécessite elle aussi une greffe de moelle de donneur HLA compatible, mais qui résulte d’une mutation de novo chez l’enfant atteint, si bien qu’ils n’ont pas de risque de transmettre la maladie à un autre enfant, auquel cas ils n’ont pas droit au DPI, ce qu’ils ressentent comme une injustice.

L’information de la parentèle en cas de maladie génétique est une question très délicate. Cela tient au fait qu’en génétique, contrairement aux autres spécialités médicales, l’information délivrée au patient concerne également d’autres personnes que lui. Ainsi avons-nous suivi un couple qui avait perdu brutalement trois enfants atteints d’une même maladie génétique, dont le diagnostic avait été posé auparavant dans une autre branche de la famille, mais dont il n’avait pas été informé parce que les deux branches étaient brouillées. L’information de la parentèle pose un dilemme éthique entre non-assistance à personne en danger et transgression du secret médical, comme on a pu le voir dans le cas de l’infection par le VIH. Dans notre société, le respect du secret médical a toujours prévalu, conformément d’ailleurs à la position du Conseil national de l’ordre des médecins et du Comité consultatif national d’éthique (CCNE). La loi de 2004 avait prévu la possibilité pour les patients ne souhaitant pas informer directement leur famille de passer par l’intermédiaire de l’Agence de la biomédecine, à charge pour elle de prendre contact avec les personnes à risque. Mais imagine-t-on la réaction des personnes recevant un courrier de l’Agence leur indiquant qu’elle détient des informations importantes concernant leur santé et qu’elles doivent rapidement s’en enquérir ? Au vu des difficultés, dont la moindre n’est pas de garantir le respect du droit des personnes de ne pas souhaiter connaître leur statut, on comprend mieux pourquoi les décrets n’ont pas encore été publiés.

S’agissant enfin des tests génétiques en libre accès sur Internet, permettez-moi de vous raconter une anecdote. Nous avons récemment reçu en consultation un couple qui, lors d’une première grossesse, a, de sa propre initiative, procédé à un test de dépistage proposé sur Internet pour trois maladies génétiques fréquentes. C’est après le résultat douteux de l’un de ces tests que le couple s’est adressé à nous. Bien que nous ayons refait le test et que les résultats aient permis d’écarter tout risque, ce couple, dont le mari est médecin, se considère désormais comme « à risque » et il ne se passe plus de semaine sans que l’une ou l’autre personne, voire les deux, nous téléphone pour être rassurée. Ce genre de situations risque, hélas, de se multiplier. Nous ne pouvons pas faire comme si ces tests en libre accès n’existaient pas. Des tests de paternité sont aujourd’hui proposés sur Internet pour 300 euros et la Société américaine de génétique humaine pense qu’en 2010, il devrait être possible à tout un chacun de faire séquencer l’intégralité de son génome pour quelque 1 000 euros.

Dans un tel contexte, il faut insister auprès de nos concitoyens sur le fait que la génétique n’est pas toute-puissante, tant s’en faut ! À l’illusion d’une médecine qui pourrait tout soigner ou tout réparer ne doit pas se substituer celle d’une médecine qui pourrait tout prévoir !

M. Jean Leonetti, rapporteur. Avez-vous l’impression que les deux dispositifs du DPI et du DPN fonctionnent de manière équivalente ? Le professeur René Frydman a notamment estimé que le recours au DPN était devenu banal, pouvant être réalisé sur simple demande de la patiente, sans raison médicale précise, alors que le DPI demeure très difficile d’accès et qu’un soupçon pèse toujours sur les couples qui souhaitent y avoir recours. Pensez-vous qu’il y ait ainsi deux poids deux mesures ?

L’une des indications du DPI est aujourd’hui le risque de donner naissance à un enfant atteint d’une maladie génétique « d’une particulière gravité ». Mais certaines équipes, anglo-saxonnes notamment, le pratiquent également en cas de prédispositions génétiques à certains cancers, alors s’il s’agit là de maladies d’apparition plus tardive et dont le risque de survenue demeure somme toute faible. Pensez-vous que les indications du DPI puissent un jour être étendues à ces cas en France ?

Enfin, dès lors qu’un séquençage total du génome pourrait être prochainement proposé pour 1 000 euros sur Internet, ne devons-nous pas légiférer, de façon à éviter toute dérive vers des demandes d’ « enfant parfait » ?

Mme Julie Steffann. Je pense que le professeur Frydman visait le dépistage systématique de certaines maladies proposées en cours de grossesse à toutes les femmes enceintes. Pour le DPN que nous pratiquons à Necker et qui ne concerne que les couples ayant un risque élevé de transmettre une maladie génétique particulièrement grave à leur descendance, la procédure est assez semblable à celle du DPI. La demande est évaluée par un centre pluridisciplinaire de DPN et, dans les cas où le critère de « particulière gravité » n’est pas évident à apprécier, les deux centres de Necker et d’Antoine-Béclère rendent leur avis, chacun de leur côté et de manière indépendante. Il ne me semble pas nécessaire de modifier les procédures actuelles car, en fait, ce sont souvent les mêmes couples qui recourent à l’un ou l’autre diagnostic.

Le DPI ne marche pas très bien : la moitié des couples après trois stimulations ovariennes, trois FIV et trois DPI, n’obtiennent pas de grossesse. Ils retentent alors leur chance avec une grossesse spontanée, au cours de laquelle ils demandent un DPN. Je ne suis donc pas favorable à ce qu’on étende les indications du DPI à des situations pour lesquelles un DPN ne serait pas accepté.

S’agissant des gènes de prédisposition à certains cancers, je n’ai pas de position de principe. En effet, une mutation génétique fait par exemple que certains individus développeront presque à coup sûr un cancer du côlon, dont le seul traitement réside dans l’ablation de cet organe. Dès lors que vivre sans côlon est extrêmement contraignant, on peut comprendre qu’une personne atteinte de cette maladie ne souhaite pas la transmettre à ses enfants. Il paraît difficile de refuser un DPI dans ce cas, mais il n’y a aucune raison d’accepter le DPI mais pas le DPN dans de tels cas. Des couples dont la demande de DPN avait été rejetée sont venus nous demander à bénéficier d’un DPI. Je n’accepte, pour ma part, de DPI que pour des cas recevables pour un DPN. Les critères doivent être les mêmes pour les deux diagnostics.

Le gros problème posé aujourd’hui par le DPI, ce sont les deux ans d’attente car beaucoup de couples ne sont pas disposés à attendre aussi longtemps avant de lancer une grossesse.

Ma position est que la décision de recourir soit à un DPI, soit à un DPN appartient au couple et à lui seul, mais qu’en tout état de cause la demande doit avoir été validée dans un centre de DPN.

Risquons-nous de voir se multiplier les demandes d’ « enfant parfait » si l’intégralité du génome humain peut être séquencé pour un prix somme tout modique ? On n’en est pas là. Pour les DPI avec typage HLA, les chances de ramener un bébé à la maison ne sont que d’environ 10% à chaque tentative. L’« enfant parfait » du point de vue génétique est donc encore loin d’être garanti ! Il est vrai que certains couples nous demandent, lorsque nous réalisons un diagnostic pour la mucoviscidose, si nous ne pourrions pas faire en même temps celui de la trisomie 21. Bien sûr que non ! Les recherches nécessaires pour la mucoviscidose sont déjà assez difficiles ! Une fois que les couples ont vécu la « galère » des stimulations ovariennes et des FIV, que sur quatre embryons obtenus un seul s’est révélé sain et que, de toute façon, le risque d’erreur sur celui-ci demeure de 5%, ils mesurent mieux la difficulté de la tâche. Tous ces obstacles font que, personnellement, je ne crains pas de dérives.

M. le rapporteur. Il semble qu’ait été mis au point aux États-Unis un test permettant de diagnostiquer la trisomie 21 par une simple prise de sang chez la mère dès les premières semaines de grossesse. Pensez-vous que ce type de test puisse se généraliser, notamment chez les femmes enceintes d’un certain âge puisque le risque de trisomie 21 augmente avec l’âge de la mère ? Auquel cas, on en serait arrivé au dépistage systématique d’une affection grave mais non mortelle, et assez fréquente.

Mme Julie Steffann. Toutes les femmes enceintes qui le souhaitent, pas seulement celles d’un certain âge, peuvent d’ores et déjà bénéficier d’un dépistage de la trisomie 21 par une prise de sang réalisée au cours du deuxième trimestre de la grossesse. Vous évoquez un diagnostic fondé sur l’étude de cellules fœtales circulant dans le sang maternel. S’il est parfaitement fiable, certains gynécologues y seront très favorables, car le test actuel ne fait qu’indiquer un risque. Lorsqu’il est positif, on propose une amniocentèse aux femmes concernées, geste invasif qui entraîne dans un nombre non négligeable de cas une fausse couche, alors même que le risque de trisomie 21 de l’enfant est faible. Pour le reste, toutes les femmes enceintes doivent réaliser une échographie au cours du premier trimestre de grossesse, laquelle constitue aussi une forme de dépistage.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Un test sérique de dépistage de la trisomie 21 est aujourd’hui proposé à toutes les femmes enceintes sans exception. Si le résultat est douteux, une amniocentèse est proposée. C’est ainsi que Didier Sicard, ancien président du CCNE, ou bien encore Jacques Testart ont pu dire que nous étions peu à peu entrés dans une société eugéniste où l’on trie les fœtus. Cette dérive eugéniste s’aggraverait encore si l’on étendait les indications du DPI à l’oncogénétique. Dans certains pays, notamment en Grande-Bretagne, les considérations économiques ne sont pas étrangères à la pratique du DPI, notamment afin d’éviter la naissance d’individus dont la prise en charge coûte cher à la collectivité. Y a-t-il, selon vous, un risque de dérive eugéniste dans notre pays ? Si oui, comment l’éviter ?

Les trois centres aujourd’hui habilités à pratiquer le DPI en France le pratiquent-ils pour les mêmes indications ou existe-t-il des différences notables de l’un à l’autre ?

M. Olivier Jardé. Comment tracer une frontière claire entre prévention de certaines maladies et sélection des embryons ? N’y a-t-il pas, avec tous ces diagnostics, un risque de sélection de plus en plus fine des embryons ?

Mme Julie Steffann. Sommes-nous eugénistes quand nous pratiquons aujourd’hui le DPI en France ? Je ne le pense pas. On propose à toutes les femmes un suivi en cours de grossesse pour dépister les anomalies chromosomiques éventuelles du fœtus, notamment celles de la trisomie 21. Ce dépistage repose sur l’échographie avec la mesure de la clarté de la nuque du fœtus à la fin du premier trimestre de grossesse, complétée par la mesure de certains marqueurs sériques au cours du deuxième trimestre. Le problème est que ce dépistage n’est pas assez bien expliqué. Beaucoup de femmes pensent qu’il s’agit d’un diagnostic, alors qu’il ne s’agit que d’une évaluation d’un risque. Si le test sanguin est positif, elles pensent que leur enfant est atteint de trisomie 21. Même après leur avoir expliqué l’exacte nature du test et qu’une amniocentèse a écarté tout risque, cela laisse chez beaucoup d’entre elles un traumatisme psychologique irréversible.

Je ne pense pas, pour ma part, que la possibilité de prévenir la naissance d’enfants très lourdement handicapés risque de nous entraîner vers l’eugénisme. C’est une très grande responsabilité des parents que de laisser naître des enfants dont ils savent qu’ils seront gravement atteints. Beaucoup de femmes viennent accoucher à Necker alors qu’une maladie très grave a été dépistée chez leur enfant, afin que celui-ci y bénéficie d’une réanimation spécifique à la naissance ou de soins palliatifs. Tous les choix sont respectables et doivent être respectés. Il ne faut pas diaboliser les parents qui veulent éviter à leur enfant un lourd handicap, non plus que faire des reproches à ceux qui choisissent de laisser naître un tel enfant. Ces décisions renvoient au vécu de chacun, notamment durant son enfance, à la façon dont il a été ou non accueilli et soutenu. Enfin, la position des couples peut évoluer dans le temps. Il arrive que des couples, après la naissance d’un premier enfant atteint d’une maladie génétique grave, choisissent d’interrompre une deuxième grossesse après un DPN révélant que le fœtus est atteint, et, pour une troisième grossesse, ou bien refusent tout DPN ou bien décident de la poursuivre même si l’enfant est atteint. On assiste à toutes sortes de revirements et tous les choix doivent être respectés. Cela étant, je peux comprendre que les parents d’un premier enfant atteint de mucoviscidose ne souhaitent pas imposer à un deuxième enfant les contraintes très lourdes qu’induit cette maladie.

Les trois centres français autorisés à pratiquer le DPI ont-ils les mêmes pratiques ? Leurs équipes se retrouvent deux ou trois fois par an à l’Agence de la biomédecine, ce qui leur permet d’échanger. Leur mode de fonctionnement est assez similaire : toutes les demandes de DPI font l’objet d’une évaluation au sein d’un centre pluridisciplinaire de DPN. Tous les centres réalisent le dépistage des maladies les plus fréquentes. Pour les maladies plus rares, chacun s’est spécialisé dans certains diagnostics. La mise au point d’un test génétique à pratiquer sur une cellule isolée demande un travail considérable, beaucoup de moyens humains, et coûte donc très cher. Dans la mesure où les trois centres n’ont pas les moyens de dépister toutes les maladies, une certaine répartition s’est effectuée, même si elle tend à s’estomper. De par notre recrutement pédiatrique, nous nous sommes spécialisés à Necker dans les maladies de l’enfant alors que le centre de Strasbourg reçoit davantage de demandes de dépistage de gènes de prédisposition à des cancers de l’adulte. À Necker, nous en avons eu deux – en neuf ans ! – concernant les gènes de prédisposition au cancer du sein et de l’ovaire.

En Angleterre, le DPI est organisé de manière totalement différente. Tous les couples souhaitant y recourir doivent constituer un dossier qui est examiné par la HFEA, l’Autorité britannique pour la fécondation et l’embryologie humaines (Human fertilisation and embryology authority). Un sondage national a révélé que la plupart des personnes interrogées étaient, d’une manière générale, favorables au DPI pour les gènes de prédisposition au cancer, mais que, si elles étaient elles-mêmes porteuses d’une telle anomalie, elles y seraient opposées. Cela montre à quel point les positions sont déterminées par le vécu personnel et familial. Nous avons eu affaire à un couple dont le mari était porteur de la mutation génétique du syndrome de Li-Fraumeni, maladie qui se traduit par l’apparition de cancers multiples chez l’adulte jeune, parfois chez l’enfant. Tous les membres de la famille étaient décédés, à l’exception du père. Comment refuser un DPI à ce couple en faisant valoir que le test n’évalue qu’une prédisposition qui, fût-elle forte, n’est jamais un risque à 100% ? Il a été décidé en France que les demandes de DPI au titre des gènes prédisposant au cancer du sein et de l’ovaire n’étaient pas recevables car il s’agit de maladies qui se développent plus tardivement et qu’il est raisonnable d’espérer que, d’ici à vingt ou trente ans, le traitement de ces cancers aura encore beaucoup progressé.

Quoi qu’il en soit, on ne peut avoir en ce domaine de position de principe. On doit en discuter au cas par cas avec chaque couple. Si toutes les personnes porteuses d’une mutation sont décédées dans une famille, n’est-on pas, quelle que soit la maladie, dans le cas d’ « une maladie d’une particulière gravité » ? Le cas est discuté au centre pluridisciplinaire de DPN, où chacun peut faire valoir son avis mais, au final, la décision est prise lors du colloque singulier entre le médecin et le couple en consultation, où se passent aussi beaucoup de choses qui ne relèvent pas du champ médical.

M. Paul Jeanneteau. La décision est finalement prise, nous dites-vous, dans le secret de la consultation entre le couple et le praticien. Existe-t-il un consensus dans l’approche des trois centres français ?

Mme Julie Steffann. Nos pratiques sont très homogènes. Le centre de Montpellier, qui n’a commencé son activité qu’il y a peu, prend en charge les mêmes maladies que ceux de Paris et Strasbourg, à l’exception d’une ou deux indications très spécifiques. Les centres de Paris et de Strasbourg ont chacun leurs spécialités, mais leur approche est la même. Seul celui de Strasbourg pratique le DPI pour les gènes de prédisposition au cancer du côlon, et cela est suffisant car le nombre de familles concernées est assez restreint. Pour ma part, je ne suis pas par principe opposée au DPI en ce cas, car il peut être justifié dans certaines familles.

M. Michel Vaxès. Votre référence permanente à des cas particuliers semblerait indiquer qu’il n’est pas nécessaire de légiférer de nouveau. Pensez-vous néanmoins que des ajustements à la loi de 2004 soient nécessaires pour plus de clarté ?

Mme Julie Steffann. Après un très long débat à l’Agence de la biomédecine sur le sujet des gènes de prédisposition au cancer, nous avons conclu qu’il n’était pas nécessaire de modifier les dispositions actuelles de la loi s’agissant du DPN et du DPI, lesquelles étaient tout à fait pertinentes. Elles sont claires concernant les indications, ce qui nous assure une sécurité juridique, notamment pour écarter les demandes non recevables, tout en nous laissant une certaine liberté d’appréciation.

Il est toujours dangereux de légiférer pour des cas particuliers, comme on l’a vu pour les « bébés-médicaments » – les dispositions prises n’ont ainsi concerné que dix couples en deux ans. Pour ma part, j’ai peur des lois qui descendent par trop dans le détail. En effet, si la loi, visant un cas précis, autorise expressément un dépistage, les couples se sentent tenus d’y recourir pour ne pas se sentir coupables de n’avoir pas tout fait pour leur futur enfant.

Cela étant, il faudrait que la loi clarifie la situation s’agissant de l’information de la parentèle car, sur ce point, il existe aujourd’hui une véritable insécurité juridique – la loi peut être interprétée de manière différente selon les praticiens. Sur le sujet, mon avis n’est pas nécessairement celui de mes collaborateurs.

S’agissant des tests génétiques en libre accès sur Internet, faut-il légiférer ? Je ne sais pas.

M. le président. Comment, en ce domaine, pourrait-on faire appliquer la loi ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. Le délai d’attente de deux ans pour un DPI tient-il à des problèmes de financement ?

Mme Julie Steffann. Absolument. Auparavant, il n’y avait à l’hôpital Necker qu’une seule personne pour pratiquer les DPI. L’équipe s’est quelque peu étoffée, sur les effectifs du laboratoire de génétique. Nous sommes maintenant trois à y travailler, mais il faut savoir qu’un DPI exige la présence quotidienne d’un médecin, week-ends et jours fériés compris, durant six semaines d’affilée. La situation actuelle n’est donc pas tenable à long terme. C’est d’ailleurs pourquoi le DPI ne peut s’envisager que dans de grosses structures disposant d’un personnel suffisant.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Le DPI est-il pris en charge par la sécurité sociale ?

Mme Julie Steffann. La FIV est intégralement prise en charge par l’assurance maladie pour un coût d’environ 10 000 euros. Le coût du DPI, lui, est pour l’instant assumé en totalité par les hôpitaux qui le pratiquent mais, là encore, la situation ne pourra pas durer éternellement. En Belgique, ce diagnostic est facturé environ 6 000 euros.

M. le rapporteur. Votre avis sur l’information de la parentèle n’est pas nécessairement le même que celui de vos collaborateurs, nous avez-vous dit. Pourrions-nous le connaître ?

Mme Julie Stefann. Je l’ai donné en filigrane. Je considère, pour ma part, que le secret médical doit prévaloir en toutes circonstances. Si les médecins trahissent ce secret, les patients risquent de perdre confiance. Par ailleurs, il y aura toujours une bonne raison de dire la vérité à tel ou tel, et où s’arrêtera-t-on ? Nous sommes en permanence confrontés dans nos consultations de génétique aux questions de nos patients, qui veulent savoir qui est porteur sain et qui est indemne. Si obligation nous était un jour faite de leur répondre, cela modifierait considérablement nos pratiques.

Certains de mes collègues pensent qu’il faut informer la parentèle, au motif que les informations risqueraient sinon de se perdre au fil des générations. En ce qui me concerne, j’indique à un couple dont l’enfant est hétérozygote pour la mucoviscidose que celui-ci est sain. Si le couple demande à savoir s’il est porteur, je lui réponds que je ne peux pas le lui dire. En effet, l’information génétique ne concerne que l’enfant et encore ne lui sera-t-elle vraiment utile que lorsqu’il sera lui-même en âge d’avoir des enfants.

La génétique a ceci de cruel que, non seulement elle est à l’origine de maladies très graves, mais aussi que les parents se sentent de surcroît coupables de les avoir transmises à leurs enfants. Ma position est de ne pas signaler les porteurs sains. Certains collègues m’objectent que si ceux-ci ont plus tard un enfant atteint parce que l’autre parent était aussi hétérozygote, ils pourraient me poursuivre pour ne pas leur avoir indiqué leur statut. Ma position est que nous ne pouvons pas sereinement exercer notre métier si nous redoutons en permanence des poursuites judiciaires. Lorsque le professeur Dumez a fait l’objet d’un rappel à la loi, à l’hôpital Necker, notre travail en a été perturbé durant des mois. Ainsi, que fallait-il faire dans le cas de la mucoviscidose ? C’est assurément une maladie grave. Il existe néanmoins des soins et des essais thérapeutiques sont en cours. Pour autant, elle n’est pas actuellement curable. On mesure les infinies difficultés d’appréciation !

Nous avons besoin de la loi pour nous protéger et fixer un cadre. Mais celle-ci ne peut pas supprimer les dilemmes éthiques auxquelles nous sommes en permanence confrontés, ni régler tous les cas particuliers. Elle doit nous laisser la liberté de travailler.

M. Serge Blisko. Notre rôle de législateur est en effet de protéger les chercheurs et les praticiens, de façon qu’ils puissent travailler dans la sérénité. À défaut, au nom d’intérêts d’ailleurs tout à fait légitimes – il ne s’agit pas d’opposer une profession à une autre – les avocats n’en finiront pas d’interférer dans le travail des médecins.

Mme Julie Steffann. Tout à fait. Un cas que j’ai rencontré au tout début de ma carrière m’a beaucoup frappée : il s’agissait d’une patiente américaine dont le frère était mort d’une myopathie de Duchenne, et présentant donc elle-même un risque d’être porteuse saine de la maladie, laquelle pouvait toutefois aussi bien résulter d’une mutation de novo chez son frère. Aux États-Unis, tenus pour un pays en pointe en matière de génétique, on lui avait dit qu’on ne pourrait que lui proposer une interruption médicale de grossesse (IMG) si elle était enceinte d’un garçon puisqu’on n’avait plus accès au patrimoine génétique de son frère décédé, que l’on ignorait si elle était porteuse et que son taux normal d’enzymes musculaires n’excluait néanmoins pas tout risque. Elle a accouché en France d’un garçon sain alors que, dans son pays, elle aurait subi une IMG. Aux États-Unis, les médecins, les généticiens en particulier, refusent de prendre tout risque pour les enfants à naître, devenus prudents à l’excès par crainte des poursuites judiciaires.

M. Michel Vaxès. S’il faut protéger les soignants, il faut également protéger les citoyens. L’équilibre est difficile à trouver. Et ce n’est qu’en étroite collaboration avec les professionnels comme vous que le législateur y parviendra.

M. le président. Il me reste à vous remercier de votre contribution à nos travaux.

Audition de M. Jean HAUSER, professeur de droit privé
et directeur de l’institut européen de droit civil
et pénal à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV



(Procès-verbal de la séance du 4 mars 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons maintenant le plaisir d’accueillir M. Jean Hauser, professeur de droit privé à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV.

Vous dirigez actuellement, monsieur Hauser, l’Institut européen de droit civil et pénal de cette même université. Vos recherches portent sur l’évolution du statut juridique de la famille. Vous avez, en particulier, rédigé un traité de droit civil intitulé La famille, en deux volumes : Établissement et vie de la famille, et Dissolution de la famille, ainsi qu’une Sociologie judiciaire du divorce et un Code des personnes et de la famille.

Le développement des techniques de procréation médicalement assistée suscite de nouvelles demandes : certains couples homosexuels veulent bénéficier d’un statut de parent, certains couples stériles voudraient que la gestation pour autrui – GPA – soit autorisée, certaines veuves souhaiteraient que la fécondation post mortem soit permise, certains enfants réclament l’accès aux origines génétiques. Si toutes ces demandes peuvent être techniquement satisfaites, comment en mesurer les conséquences sur l’ensemble du système familial tel qu’il continue à structurer la très grande majorité des familles ?

Par ailleurs, l’extension du champ de la recherche sur l’embryon et le développement des techniques de diagnostic préimplantatoire sont-ils, selon vous, compatibles avec les articles 16 et suivants du code civil, qui énumèrent les principes constitutifs de la dignité humaine ?

Sur toutes ces questions, vos analyses contribueront à la richesse de nos travaux.

M. Jean Hauser. Compte tenu du temps qui m’est imparti et de ma compétence, je limiterai mon propos introductif aux questions en rapport avec le droit de la famille. Je ne prendrai pas non plus position sur les questions de principe, qui me paraissent mieux s’intégrer dans la partie consacrée aux questions et réponses que dans un exposé.

Puisqu’il est prévu de légiférer et que l’on a maintenant quinze ans de recul, un point me semble important à souligner : chaque fois qu’une interdiction ou une réglementation est réaffirmée en droit français, elle se heurte à l’argument de type « international » selon lequel, comme ce qui est interdit en France est permis dans d’autres pays, les personnes iront le faire ailleurs. Ce phénomène prend des aspects très divers : tourisme procréatif ou externalisation en économie.

Je citerai quelques exemples.

L’expertise génétique de curiosité est interdite en droit français par l’article 16-11 du code civil mais elle est autorisée en Allemagne et peut être réalisée par Internet.

La gestation pour autrui est interdite en droit français par l’article 16-7 du code civil mais elle est autorisée en Belgique, en Espagne et en Californie. Dernièrement, la Cour d’appel de Paris a accepté de faire inscrire à l’état civil des enfants conçus par GPA en Californie. La Cour de cassation a cassé l’arrêt mais pas sur le fond, si bien que la question demeure posée.

Dès lors, je ne sais pas si l’on peut encore légiférer sans prendre en considération le droit international et, plus particulièrement, le droit international privé. On risque de se voir de nouveau opposer l’argument du « c’est permis ailleurs ».

La question n’est pas nouvelle en droit international privé. Aux temps classiques, on allait divorcer aux Îles Vierges pour contourner la loi française, beaucoup plus restrictive à l’époque. La différence est qu’aujourd’hui les avions vont beaucoup plus vite et qu’on peut donc aller plus loin, et qu’on trouve facilement des adresses sur Internet.

Ce préalable m’a paru important car les controverses essentielles sur les questions que vous avez évoquées, monsieur le président – la gestation pour autrui, l’expertise génétique hors les murs, la procréation post mortem –, sont immédiatement débordées par le fait qu’elles sont autorisées dans d’autres pays. Toute législation, dès lors qu’elle ne sera pas la moins disante, risque d’être contournée par ce que l’on appelle le tourisme procréatif, expression maintenant retenue en doctrine.

Pour ce qui concerne le cadre, je me demande si l’on peut encore, comme en 1994 et 2004, répartir aussi nettement les interventions entre le code de la santé publique et le code civil. Il est vrai qu’en 1994, le problème semblait essentiellement de santé publique, quelques dispositions concernant la famille étant ajoutées par ailleurs. Comme vous l’avez indiqué, monsieur le président, la situation aujourd’hui n’est plus la même. Le recours à la procréation médicalement assistée et aux autres techniques conduit à s’interroger très sérieusement sur la définition de la famille.

Deux chemins sont possibles. Ou bien l’on maintient un droit civil classique pour ceux qui procréent de façon classique – « en alcôve » selon les termes du doyen Carbonnier – et l’on crée un droit spécifique pour ceux qui procréent en éprouvettes. Ou bien on modifie l’ensemble du droit pour que le droit commun comprenne – je ne sais trop comment – à la fois la procréation naturelle, « à l’ancienne » comme disait M. Cornu, et la procréation nouvelle manière. C’est un choix de structure législative en matière de filiation.

Je citerai quelques exemples qui illustrent mes propos.

L’article 16-11 portant sur l’expertise biologique aura grand besoin d’être revu, comme cela a été souligné dans nombre de rapports, dont ceux de l’Agence de la biomédecine et de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Cet article concerne uniquement l’expertise génétique car on croyait à l’époque que celle-ci allait tuer toutes les autres formes d’expertises. Il en résulte, en jurisprudence, une dichotomie injustifiable entre ce type d’expertise et la vieille expertise sanguine apparue dans les années 1950. Or, non seulement cette dernière n’a pas disparu mais elle a été tellement améliorée qu’elle suffit dans un certain nombre de cas.

Doit-on continuer à interdire en droit français l’expertise de curiosité et ne permettre, en matière de filiation, que des expertises « sérieuses » quand une action est intentée devant un juge, notamment une action d’état ? Je serais, pour ma part, assez partisan de lever cette interdiction que l’on est actuellement incapable de faire respecter. Il suffit d’envoyer une cellule épithéliale en Allemagne avec le paiement adéquat pour obtenir les renseignements souhaités. Il faudrait cependant faire attention aux conditions dans lesquelles ce type d’expertise serait réalisé. Je ne suis pas sûr que, si l’interdiction était levée, tout le monde se précipiterait pour savoir qui est son père ou sa mère. On se fait peut-être un peu peur mais il y a quand même une question de principe. Contrairement à ce que j’avais annoncé, je viens de vous donner mon opinion. C’est sans doute parce que la question est un peu plus simple que d’autres.

Quant à l’expertise post mortem, le législateur a ajouté, au mois d’août, un paragraphe à l’article 16-11 pour l’interdire. Je considère que c’est une imprudence législative. L’amendement déposé pour cette modification aurait été inspiré de l’affaire Montand-Drossard et aurait pour but d’éviter des exhumations de cadavres. Or, avec la législation actuelle, la jeune Drossard aurait hérité de Montand car le tribunal de grande instance de Paris s’en était tenu au fait qu’elle lui ressemblait. La Cour d’appel de Paris a eu le courage de demander une expertise qui a démenti qu’elle fût la fille de Montand. On raisonne toujours comme si l’expertise post mortem allait être positive. Or elle peut être négative.

Par ailleurs, la France risque une condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme. Dans l’arrêt Jäggi contre Suisse du 13 juillet 2006, la Cour a condamné la Suisse pour avoir interdit cette expertise. Plutôt que de l’interdire purement et simplement, il eût été plus avantageux de l’assortir de conditions de temps.

Enfin, par rapport à l’ordonnance de 2005 sur la filiation, les inconvénients qui existaient antérieurement sont beaucoup moins importants aujourd’hui puisque les actions d’état sont désormais soumises à une prescription décennale et non plus trentenaire. Si l’expertise post mortem était autorisée, elle serait donc limitée dans le temps. Personnellement, je ne crois pas qu’il y en aurait beaucoup, d’autant que la possession d’état est maintenant admise et permet donc de s’en dispenser. Là encore, on se fait un peu peur. L’affaire Montand présentait un caractère particulier du fait de ses nombreuses aventures et de son habitude de ne jamais reconnaître ses enfants, contrairement, par exemple, à Marcel Pagnol ou Picasso qui ont défrayé la chronique après la loi de 1972.

Pour ce qui concerne les conditions d’accès à la procréation médicalement assistée, un article de la loi exige un couple constitué d’un homme et d’une femme. L’article 311-20 retient les époux et les concubins. Quelque opinion que l’on ait sur le sujet, on ne pourra pas éviter d’harmoniser les dispositions concernant l’AMP et celles qui régissent l’adoption car l’on aboutit à des contradictions injustifiables : il n’est pas normal, par exemple, que des concubins de deux ans puissent recourir à l’AMP et pas à l’adoption. Les différences viennent de ce que, alors qu’il y a eu deux lois bioéthiques – en 1994 et en 2004 –, on n’a pas touché à l’adoption qui relève d’un autre secteur. Or ce sont deux modes pour « se procurer un enfant » – pardonnez-moi l’expression – entre lesquels il faut assurer autant que possible une cohérence.

Concernant l’ouverture de l’adoption et de la PMA aux couples homosexuels, je me contenterai de répondre aux questions que vous voudrez bien me poser. C’est plus une affaire de conviction que de démonstration.

Quant à la procréation post mortem, on ne fera pas l’économie, là non plus, si on la permet, d’un peignage du droit des successions parce que c’est là que le bât va blesser.

M. le président. Bien que je ne pense pas que ce soit un argument décisif, le ministère de la justice l’a déjà évoqué.

M. Jean Hauser. Ce n’est pas forcément un argument en défaveur de la procréation post mortem. Mais, si on admet cette dernière, il faudra en examiner de près les conséquences. Dans certains rapports, il est prévu de l’autoriser dans les trois ou quatre mois suivant la mort. Cela ne fera que retarder un peu la liquidation des successions car il faudra systématiquement vérifier qu’il n’y a pas de spermes ou d’embryons congelés. Il faudra aussi admettre qu’elle n’entraîne que certaines conséquences et pas d’autres. L’enfant sera-t-il totalement à égalité avec les autres sur le plan successoral comme sur les autres plans ?

Concernant l’anonymat des donneurs ou donneuses, deux conceptions s’affrontent, comme pour l’adoption et l’accouchement sous X, les psychanalystes et les psychologues n’étant d’ailleurs pas tous d’accord. D’aucuns soutiennent qu’il faut protéger les personnes qui ont accueilli ces enfants contre le risque de voir débarquer les parents biologiques, d’autres qu’il faut que les enfants connaissent leurs parents biologiques. De quel côté faut-il faire pencher la balance ? C’est un challenge délicat pour le législateur. Je vous donnerai mon opinion si vous me la demandez, mais ce n’est qu’une opinion.

En matière de gestation pour autrui, la Cour de cassation n’a pas répondu et ne répondra pas. La Cour de cassation de Paris a cassé l’arrêt de la Cour d’appel parce qu’il avait été dit que le ministère public ne pouvait pas contester l’acte d’état civil. C’est donc une cassation sans intérêt de fond. Si l’on autorise la GPA, il ne faudra pas agir, comme certains pays, en se disant que Dieu reconnaîtra les siens, parce que cela génère, en matière de maternité, des questionnements particulièrement importants.

J’avoue ne pas être convaincu par le rapport du Sénat. Les conditions drastiques qui sont proposées ne sont que des chiffons de papier. Dès le lendemain de la promulgation de la loi autorisant la GPA, aucune ne sera respectée. Les couples homosexuels n’y ont pas droit. Ils manifesteront et y recourront. Il est prévu un droit de rétractation de la mère porteuse. On est en droit de se demander comment il pourra s’appliquer, sans compter les drames que cela va occasionner. On regrettera peut-être alors d’avoir autorisé la GPA.

Il en est de la GPA comme du divorce dont mon maître Jacques Flour disait : soit on l’interdit, soit on l’autorise mais, si on l’autorise, ce n’est pas la peine d’espérer y mettre des conditions.

Je ne prétends pas détenir de solution, surtout aujourd’hui.

De manière générale, il faudra bien réfléchir à la répartition des textes entre le code civil et le code de la santé publique. Je ne suis pas sûr que certains textes figurant dans le second ne devraient pas se retrouver dans le premier afin d’être élevés au niveau de principes. Par exemple, il doit être clairement affirmé que la procréation médicalement assistée est permise aux couples composés d’un homme et d’une femme, à moins qu’on n’abandonne cette condition en étendant la PMA aux couples homosexuels.

(M. Jean-Sébastien Vialatte, vice-président de la Mission d’information, remplace M. Alain Claeys au siège de président.)

M. Jean Leonetti, rapporteur. Bien que vous ayez balayé l’ensemble des problèmes, vous avez plus posé de questions que donné de réponses, nous invitant à vous interroger pour connaître votre avis personnel. Permettez donc, professeur, que nous vous poussions dans vos retranchements.

Premièrement, j’aimerais connaître votre position sur le phénomène de mondialisation des pratiques que vous avez souligné, qui pousse à considérer toute interdiction comme inutile du fait que ces pratiques sont autorisées dans d’autres pays et accessibles sur Internet. Tout doit-il être réalisé dès lors que réalisable ? Est-il inutile de faire des lois exprimant, non pas une morale, mais un certain nombre de valeurs ? Ces valeurs doivent-elles céder le pas devant le moins-disant éthique ? Bref, faisons-nous un travail inutile, ou nous donnons-nous bonne conscience en interdisant certaines techniques accessibles ailleurs ?

Deuxième question, relevant à la fois de la philosophie, de l’histoire et de la sociologie : qu’est-ce qu’un père et qu’est-ce qu’une mère ? Une tension existe actuellement entre le génétique et le familial au point qu’on a vu apparaître les termes aberrants de père ou de mère génétique ou familial. On a un peu tendance à penser en France que, de même que le droit du sol s’applique en fait de nationalité, c’est l’éducation et l’entourage sociologique d’un enfant qui font de lui un Français et que les personnes qui l’élèvent sont ses parents. Va-t-on assister à une dérive génétique qui va remettre en cause un certain nombre de situations établies ? Faut-il légiférer sur ce sujet ?

Mon troisième point concerne la notion d’intentionnalité. La loi prévoit la destruction des embryons congelés lorsqu’il n’y a plus de projet parental. Cette prise en compte de l’intentionnalité, de la volonté des personnes n’est-elle pas un élément majeur qui nourrit l’affirmation selon laquelle toute restriction est totalement inutile ? En dépit des conditions posées par la loi – cas de détresse insoutenable, danger inhérent à la personne –, l’avortement est accordé à toute femme qui en fait la demande dans les délais. En Suisse, le suicide assisté est ouvert à 30 % de personnes qui n’ont pas de maladie grave ou insoutenable mais ont simplement exprimé la volonté de mourir. Ces manifestations de volonté individuelle doivent-elles être encadrées par un texte législatif ou doit-on se résigner, dans une société qui privilégie l’immédiat et l’individuel sur le projet collectif, à voir le droit-liberté se transformer en droit-créance ? Le droit-liberté du choix sexuel peut-il conduire à la revendication d’un droit à l’enfant ? Que pensez-vous à cet égard de la législation québécoise sur l’homoparentalité ?

M. Jean Hauser. Vous me poussez à dévoiler mes batteries.

Selon moi, il ne faut absolument pas se résoudre au raisonnement selon lequel ce ne serait pas la peine de faire des lois françaises sur des pratiques permises ailleurs. Pour ne parler que du cadre européen, il existe actuellement un grave déséquilibre dans la construction du droit des personnes et du droit de la famille du fait que, pour la première fois dans l’histoire, on construit un droit avant de construire un État, sans savoir quand ce dernier sera édifié. Or la famille n’a jamais été, dans l’histoire, une simple affaire individuelle : elle est aussi une structure de construction de la nation et de la société. Elle ne peut pas être réduite à un phénomène individuel.

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est assez claire à ce sujet. On s’aperçoit, en effet, que l’analyse est presque toujours individuelle. Vous avez prononcé les termes de « droit à », notion qui a été analysée dans une très jolie thèse d’un professeur de Lille. La somme des revendications de « droits à » est actuellement astronomique.

La présentation est également truquée. Quand on met en avant que telle pratique est permise en Belgique et en Espagne, on oublie de dire qu’elle est interdite dans quarante-cinq autres États, y compris dans les derniers rentrés dans l’UE, où le chemin sera encore très long.

Il ne s’ensuit pas que le droit français ne doive pas être adapté. Je ne pense pas qu’on puisse se désintéresser du droit international privé et des règles de conflit. Quand la filiation a été réformée en 1972, on a ajouté dans le code civil les règles de conflit précisant qu’en cas de désaccord entre les parents, c’est la loi française qui s’appliquera. Cela permet de faire prévaloir l’ordre public dans un certain nombre de cas. Je n’ai pas de respect particulier pour les couples qui vont faire faire des enfants en Floride ou en Californie. Certains contrats des surrogate mothers sont effrayants. Je ne sais pas comment on peut oser y mettre des clauses pareilles.

Nous avons tout intérêt, non pas à nous arc-bouter sur des vérités, mais à affirmer notre point de vue qui, d’ailleurs, est partagé par d’autres, tout en sachant que la loi sera contournée. La Cour d’appel de Paris a statué en faisant valoir que, les enfants étant là, il fallait faire quelque chose pour eux. Cela s’appelle la politique du fait accompli qui, si elle est suivie, rend inutile toute loi. Quand on aura dit non une fois ou deux, personne n’ira plus faire faire des enfants par des mères porteuses en Californie puisqu’on saura qu’ils n’auront pas d’état civil français. Si la loi doit toujours reculer devant le fait, cela signifie qu’elle doit reculer devant chaque infraction – puisque celle-ci est un fait…

Pour ce qui concerne la question de la parenté, il faut rappeler que le taux d’enfants nés par le moyen de la PMA reste inférieur à 3 %. Notre monde est fait de tellement d’exceptions qu’on a l’impression que le commun des Français est issu d’une gestation pour autrui. Dans la majeure partie des cas, on fait encore des enfants de façon très classique.

Il n’y a aucune raison pour ne pas maintenir deux systèmes, comme c’est déjà le cas dans la loi de 1994, avec les articles 311-19 et 311-20, par lesquels a été réorganisée la présomption de paternité. Cela a été fait, d’ailleurs, de manière bizarre puisque la seule paternité totalement indiscutable en droit français est celle qui n’est pas biologique puisqu’on a fermé toute action en contestation dès lors que le mari de la mère a consenti à la PMA et que cette dernière a eu lieu. Toute contestation est impossible à moins – chose extraordinaire – de prouver l’adultère.

Je pense que l’on devrait pouvoir arriver à faire un tronc commun et admettre que, dans deux modalités différentes, la définition de la parenté ne soit pas la même : il y aurait une parenté « à l’ancienne », selon les termes du doyen Cornu, et une parenté « à la moderne », si je puis dire. La loi familiale serait une loi à options comme en matière de divorce. Cela ne signifie pas pour autant que les options seraient libres et qu’on pourrait faire ce que l’on veut. Il y a quatre formes de divorce mais on ne fait pas ce qu’on veut dans chacune de ces quatre formes.

Il ne faut pas trop s’interroger sur la parenté. Le débat que vous avez évoqué, monsieur le rapporteur, existe déjà dans l’œuvre de Marcel Pagnol dans le dialogue entre César et Marius. Qui est le père ? Il est à noter la mauvaise foi de César qui, comparant la taille du bébé à sa naissance à celle qu’a alors l’enfant, explique à Marius que c’est Panisse qui lui a apporté le surplus.

Au technicien du droit que je suis, il semble possible de faire un tronc commun, fait de « dispositions communes », suivi de deux volets : l’un génétique, l’autre non.

Votre troisième question, monsieur le rapporteur, est encore plus redoutable que les autres. Les juristes n’aiment pas l’expression « contractualisation du droit de la famille ». Ils préfèrent celle de conventionnalisation car il ne s’agit pas, en la matière, de contrats mais de conventions, bien que l’on parle de contrat de mère porteuse.

Je suis stupéfait que le contrat et la convention aient été tués en matière économique jusqu’à une époque récente par un ordre public, datant de 1945, qui s’appuyait sur l’idée qu’il faut se méfier de la volonté parce qu’il y a toujours un perdant et une victime – il faut protéger, par exemple, les pauvres consommateurs des gros producteurs – et que l’on ait continué dans le même temps à considérer que, dans la famille, il n’y a que des égaux ! C’est une vision totalement inexacte du droit de la famille. Sans être pessimiste, on constate, lors de divorces comme dans tous les couples, que l’un est plus fort ou plus retors que l’autre. Doit-on le laisser libre d’agir comme il l’entend, du seul fait qu’a été signé un contrat ou une convention ? À ce moment-là, il faudra réinventer un code de la consommation à l’intérieur du droit de la famille…

Il y a quelques exemples de mères porteuses qui, après quelques mois, ont changé d’avis et n’ont plus voulu donner l’enfant qu’elles portaient. Dans le projet du Sénat, il est prévu un droit de rétractation. Comment pourra-t-il s’appliquer ? Dans le cas d’une mère simplement porteuse, l’enfant qu’elle porte provient d’un ovocyte ou d’un embryon qu’on lui a donné. Elle n’en est pas plus propriétaire que ceux qui l’ont commandé. Elle l’est même moins, biologiquement. Il faut être conscient que toute référence à une convention précipite dans les difficultés que connaît le code de la consommation en matière économique : délai de réflexion, droit de rétractation. Or, concernant un enfant, la rétractation est beaucoup plus grave que s’agissant d’un prêt pour acheter un réfrigérateur. Dans le processus de volonté et de conventionnalisation, on va rencontrer les mêmes difficultés.

Certains pays ont autorisé la GPA sans se soucier des conséquences. Les contrats de mère porteuse dans le droit californien sont effrayants : il est imposé à la mère porteuse un régime alimentaire pendant neuf mois, il lui est interdit bien sûr de fumer, il est fixé un délai pour remettre l’enfant. Ce n’est plus la peine, ensuite, de signer des conventions pour l’interdiction de l’esclavage parce que c’en est une forme.

Dans le rapport du Sénat, on fait valoir qu’il y a des femmes qui sont très heureuses d’accoucher. Elles le sont certainement d’un enfant qu’elles gardent mais je ne suis pas sûr qu’elles se précipiteront pour accoucher d’un enfant qu’elles devront donner à d’autres.

On met également en avant que la GPA sera gratuite, hormis l’indemnisation des frais. Je suis persuadé que la gratuité ne sera pas respectée. D’une part, il se développera, comme pour l’adoption, un marché. D’autre part, les gens riches iront se faire faire un enfant en Californie ou ailleurs.

Je ne dis pas que je suis contre la GPA. Je dis simplement que si, pour des raisons symboliques, psychologiques ou d’affichage, on la permet, il faudra, avant, bien mesurer les conséquences juridiques. Il ne faudra pas laisser à la jurisprudence le soin de les régler. Ce n’est pas son travail. Il faudra bien verrouiller le procédé.

Pour répondre très clairement à votre dernière question, monsieur le rapporteur, je ne juge pas souhaitable de consacrer l’homoparentalité.

J’ai vécu l’époque du PACS de très près puisque j’ai fait partie à la Chancellerie de l’équipe qui a proposé le pré-PACS, le PIC – pacte d’intérêt commun. Le choix sexuel relève de la liberté personnelle, laquelle est respectée en droit français. À part le droit de succession, il n’y a plus rien qui distingue le PACS du mariage, si bien qu’on se demandera bientôt pourquoi on choisit l’un plutôt que l’autre.

Toutefois le PACS remet en cause la définition du couple, mais pas celle de la famille. Dans la famille, il y a un tiers : l’enfant. On a beau me dire que l’expérience montre qu’un enfant peut très bien être élevé par un couple homosexuel, je me méfie et j’attends de voir, dans quelques années, ce qu’il en est. On peut s’apercevoir que ce n’est pas aussi évident qu’on le dit. En dehors de ces considérations, toucher à la définition génétique de la parenté va, là aussi, provoquer un certain nombre de conséquences.

Je considère que, pour l’instant, il faut en rester là car cela touche à quelque chose de bien plus grave que le PACS ou le concubinage.

M.  Jean-Sébastien Vialatte, président. Ne pensez-vous pas que le respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et, notamment, de la non-patrimonialité du corps humain puisse être un verrou supplémentaire contre la GPA ?

M. Jean Hauser. L’ennui est que la notion de dignité est une notion passe-partout que l’on utilise quand ça arrange et que l’on met de côté quand cela dérange. C’est le problème de ces notions molles qui sont souvent utilisées à tort et à travers. Il faudrait parvenir à en donner une définition plus nette.

Cela étant, vous avez raison. Il faut très être clair. Une femme qui accepte de se prêter à une GPA loue une partie de son corps. Si l’on admet cela, c’est la porte ouverte à bien d’autres choses.

Un argument sociologique en faveur de la GPA est que les femmes pauvres ne seront pas les seules à se prêter à cette pratique. S’y joindront, nous dit-on, toutes les femmes qui ont un esprit tellement généreux qu’elles accepteront de rendre service. Les premières hypothèses envisagées concernaient le cercle familial : une sœur offrait généreusement de porter l’enfant de sa sœur. L’éventualité d’une grand-mère porteuse est déjà plus discutable mais, quand on va entrer dans un système de gestation pour autrui avec des « professionnelles », ce sera forcément rémunéré et cela deviendra une tout autre affaire. On aura, comme pour l’adoption, un marché déséquilibré parce qu’il n’y aura pas assez de mères porteuses pour répondre à la demande. D’autres questions surgiront. Limitera-t-on la GPA aux cas de stérilité thérapeutique ou bien l’étendra-t-on à des motifs de convenance personnelle ? Telle dame, à l’agenda trop rempli, considérant qu’elle n’a pas de temps pour porter un enfant le fera porter par autrui. Il peut y avoir aussi des dérapages de ce genre.

M. le rapporteur. Il existe déjà un panel de prix sur Internet !

M. Jean Hauser. Tout à fait. Si on autorise la GPA, ce sera Internet qui fera la loi.

M.  Jean-Sébastien Vialatte, président. N’est-ce pas souvent par absence de législation dans certains États que certaines pratiques sont permises et ne voit-on pas les législations s’harmoniser peu ou prou d’un État à l’autre ? Alors que les tests génétiques étaient complètement libres il y a un an en Espagne, ce pays s’est doté au printemps d’une législation les concernant. On observe la même démarche en Californie. Ne pensez-vous pas que, à un moment donné, les législations se rapprocheront, qu’il n’y a donc aucune raison de faire un droit qui soit le moins-disant éthiquement mais qu’il y a toutes les raisons, au contraire, d’affirmer des valeurs à teneur pédagogique ?

M. Jean Hauser. Sans permettre les tests de curiosité, on pourrait revoir l’article 16-11. Actuellement, on ne peut recourir à des tests génétiques que si l’on a intenté devant un juge une action d’état tendant à prouver la filiation. Or la définition de cette condition est difficile, et elle a suscité une jurisprudence beaucoup trop abondante à mon sens. Sans revenir sur le principe, on pourrait décider que, dès lors que le juge est saisi par une action, on doit pouvoir lui demander ce moyen de preuve au même titre que les autres.

On ne dispose pas de beaucoup de chiffres mais je n’ai pas l’impression que, dans les pays qui permettent les tests de curiosité, il y ait beaucoup de personnes qui en font la demande. Mon collègue et ami allemand Rainer Frank, qui connaît très bien le sujet, m’a dit qu’en Allemagne, cette question ne suscitait pas particulièrement de difficultés parce que les demandes de recherche n’étaient pas nombreuses.

Mme Marie-Thérèse Hermange, sénatrice, membre du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. Je vous remercie pour vos remarques concernant le cadre international car la question qui se pose au législateur est de savoir s’il doit intégrer dans une loi la somme de tous les possibles qui existent ailleurs, et à quoi il engagerait la collectivité en faisant cela.

Premièrement, comme le rapporteur Jean Leonetti, j’aimerais avoir votre avis sur la levée de l’anonymat.

Deuxièmement, j’ai fait partie du groupe de travail du Sénat sur la GPA, et j’ai eu le sentiment, à la lecture des conclusions de ce groupe, que la femme était considérée comme un médicament dont on énumérait les conditions d’autorisation de mise sur le marché. J’ai eu l’impression de lire une fiche du Vidal.

Si l’on garde le principe mater semper certa est, ne peut-on dire que légaliser la GPA revient à légaliser l’abandon d’enfant ? Êtes-vous d’accord juridiquement avec cette analyse ?

Troisièmement, l’Académie de médecine va consacrer, la semaine prochaine, une de ses après-midi à la GPA. Or, dans son rapport, l’Académie estime, au cas où l’on légiférerait, qu’on pourrait, malgré les risques médicaux, conduire une expérimentation pour voir le devenir de l’enfant. Cela reviendrait, me semble-t-il, à expérimenter sur la tête de l’enfant... Pouvez-vous me donner des arguments juridiques forts que je puisse faire valoir la semaine prochaine ?

M. Jean Hauser. Concernant votre troisième question, l’argument majeur à faire valoir s’énonce sous forme de question : peut-on faire une expérimentation sur l’enfant alors qu’on nous répète chaque jour que toute décision doit être prise en fonction de son intérêt supérieur, norme de la convention internationale des droits de l’enfant ? Comment démontrer que faire une expérimentation sur lui est dans son intérêt supérieur ?

Je ne condamne pas le procédé mais il faut être très clair. En mettant en avant l’enfant, on veut nous prendre par le sentiment mais l’intérêt de l’enfant n’a rien à voir dans l’histoire : la GPA est une revendication relevant du droit subjectif des parents.

Pour ce qui est de votre deuxième question, je suis persuadé que, si on permet la GPA, il faudra modifier complètement la preuve de la maternité et créer une présomption de maternité analogue à la présomption de paternité. On ne pourra plus vivre sur le principe mater semper certa est. Sinon, c’est la mère porteuse, celle qui accouche, qui sera la mère, même si l’enfant n’a aucun lien génétique avec elle. On ne pourra pas faire l’économie d’une révision de cette notion si l’on veut être logique et fidèle à l’esprit du droit français, qui est de ne rien permettre sans en connaître les conséquences. Le code civil n’est pas une série de petits morceaux. C’est un ensemble qui a une logique interne.

On ne peut pas autoriser la GPA sans revoir le droit et le principe deviendrait mater incerta est. Il faudra encore réviser l’ordonnance sur la filiation, pourtant ratifiée par le Parlement le 16 janvier dernier…

Pour ce qui concerne l’anonymat, je répondrai, puisque M. Leonetti m’a invité à être très direct, que je suis contre sa levée. Je crois que, là encore, on confond deux choses. On commence par recruter des gens pour qu’ils donnent du sperme ou des ovocytes puis on fait valoir qu’il serait intéressant pour l’enfant de connaître le donneur. Il y a une contradiction entre l’arrivée et le départ car celui qui donne du sperme est un étalon – excusez-moi pour l’emploi de ce terme un peu vulgaire –, non un père.

Voyons maintenant ce à quoi cela peut conduire. Si un donneur revendique la paternité d’un enfant et demande à bénéficier d’un droit de visite, le lui accordera-t-on ? Cela risque de compliquer les choses une fois que l’enfant le connaîtra. Les législations qui admettent la recherche du donneur excluent l’obligation alimentaire. Je suppose qu’elles ne prévoient pas de droit de visite et surtout pas de droit de succession. Car quand on parle de filiation, on pense souvent au petit enfant ; mais, comme disait Jean Carbonnier, quand vient la succession, le petit enfant peut être devenu un bourgeois bedonnant…

Pour l’instant, les successions reposent sur la filiation. Si l’on permet la recherche du donneur, il y aura deux sortes de filiation : une filiation réelle et une filiation honoris causa pour simplement connaître celui qui aurait pu être son père mais qui ne l’est pas et ne le sera jamais.

L’anonymat a été choisi pour favoriser le don de sperme. C’est pourquoi on ne peut pas connaître ses origines. Ou alors, il ne fallait pas procéder ainsi. On ne peut pas avoir un avantage et l’autre.

On se heurte aux mêmes tergiversations en matière d’accouchement sous X. Alors qu’il dormait dans le code de la santé public, où il était très bien, on l’a mis dans le code civil, en 1993, avec une fin de non-recevoir, que l’on a retirée par la loi du 16 janvier 2009. Si un enfant parvient à connaître sa mère, il pourra donc faire une action en recherche de maternité, ce qui laisse présager de jolis procès.

M. Michel Vaxès. Vous avez employé l’expression de « droit subjectif ». Ne faudrait-il pas parler plutôt de désir que de droit ? N’assiste-on pas à un glissement, de la traduction dans le droit des attentes sociales vers une exigence de voir le droit prendre en compte des désirs particuliers, ce qui est à l’opposé de la visée législative ?

M. Jean Hauser. Vous posez un problème de fond qui dépasse notre sujet d’aujourd’hui. La société moderne a tendance à estimer que tout désir doit être traduit en droit. Or le rôle de ce dernier n’est pas de traduire à tout coup les désirs individuels. Il ne le fait que quand ceux-ci deviennent collectifs. Se pose donc une question de minorité et de majorité. Mais la tendance actuelle est de faire du droit marginal. Alors qu’il n’y a que 500 ou 600 accouchements sous X par an sur 800 000 naissances, on a l’impression que c’est devenu un problème national. Il faut cesser d’impliquer la France entière dans les ambitions individuelles de chacun. Toutes les thèses de droit de la famille de ces vingt dernières années en traitent. Or ce n’est qu’un problème parmi beaucoup d’autres.

Je persiste à penser que l’ordonnance que vous avez validée et la loi que vous avez votée le 16 janvier concernent 99 % des Français. Pourtant, on en a beaucoup moins parlé que de l’accouchement sous X.

Je suis donc d’accord avec vous. Il faut faire très attention car on ne peut pas construire un droit sur la marginalité.

M. Xavier Breton. Vous nous invitez à une mise en cohérence de notre droit. Existe-t-il un corpus de normes supérieures – Constitution, principes généraux du droit, réglementation européenne – encadrant notre pouvoir législatif ?

Deuxièmement, si l’on ne fait pas ce travail de cohérence, quelles peuvent en être les conséquences ? Les incohérences actuelles que vous avez relevées, comme celles entre l’adoption et la PMA, sont-elles uniquement des contradictions juridiques ou ont-elles des conséquences intenables sur le plan sociétal ?

M. Jean Hauser. Pour répondre, là aussi, très franchement, il n’y a pas grand-chose à attendre, pour l’instant, des normes constitutionnelles. Compte tenu de la compétence du Conseil constitutionnel et des conditions de sa saisine jusqu’à une époque récente, la moisson en matière de droit des personnes et de la famille est maigre. Cela ne signifie pas que le Conseil constitutionnel s’en désintéresse. Quelques décisions ont été rendues sur le mariage et la liberté du mariage pour contrer des lois un peu liberticides sur les étrangers.

En revanche, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme s’est employée à préciser plusieurs points, bien qu’elle soit incertaine car il arrive à la Cour de changer d’avis, comme sur l’adoption par les homosexuels après l’arrêt Fretté. Nous disposons maintenant d’un ensemble suffisamment cohérent. J’ai cité tout à l’heure l’arrêt Jäggi contre Suisse. Je ne donnerais pas cher de l’interdiction de l’expertise post mortem devant la Cour. Celle-ci applique en effet le principe de la proportionnalité : si elle pose le principe du respect des morts, elle ajoute aussitôt que ce respect cède devant le droit pénal – où il est possible d’exhumer – et même devant certaines parties du droit social : on peut exhumer quelqu’un pour faire apparaître les conditions d’un accident du travail. Il n’y aurait qu’en droit de la filiation qu’on n’aurait pas le droit d’exhumer. Je préfère ne pas préciser pourquoi…

Concernant votre seconde question, les discordances ne sont jamais bonnes en droit. Entre la PMA et l’adoption, elles sont inexplicables, d’autant que ce sont souvent les mêmes candidats qui, après avoir essayé l’adoption et n’avoir pas trouvé d’enfant à adopter, se tournent vers la PMA ou inversement. Il est très difficile d’expliquer pourquoi une personne célibataire peut adopter alors qu’un couple de concubins ne le peut pas. La raison est simplement chronologique : si l’adoption plénière a été revue sur toute une série de conséquences, ses conditions n’ont pas fait l’objet d’un réexamen depuis longtemps, tandis que les lois bioéthiques sont relativement récentes : 1994 et 2004. La cohésion impose une révision des deux.

M. Serge Blisko. Je ferai trois remarques.

Je souscris tout à fait à la critique formulée par le rapporteur Jean Leonetti à l’encontre d’un biologisme forcené qui nous entraîne à faire fi de toute une tradition française à la fois juridique et humaniste. Si je me suis opposé à l’amendement dit « ADN » en 2007, c’est qu’il tendait à entériner la suprématie du biologique sur la possession d’état. Je vous remercie, monsieur Hauser, d’avoir rappelé l’apport décisif en la matière de la sociologie juridique et notamment des écrits du doyen Carbonnier.

Je ne vois pas pourquoi cette tradition française serait inférieure à ce qui se pratique dans les autres pays. Nous avons le droit, y compris dans les conférences européennes et internationales, de ne pas céder au terrorisme qui veut que la biologie ait raison sur tout.

Deuxièmement, la défense d’un modèle d’organisation basée sur la famille n’est pas nécessairement réactionnaire ou passéiste. La famille n’est pas une simple image de télévision. C’est aussi un élément de construction de la société. Devant des situations très compliquées avec de nombreux enfants hors mariage et des conflits à n’en plus finir, une avocate avait coutume de dire : « Mariez-vous, ce sera beaucoup plus facile ! » Un peu de bon sens permet parfois de remettre de l’ordre.

Troisièmement, la levée de l’anonymat est également une demande très « biologisante ». Ne donnons pas des outils pour détruire ce que l’on a construit : l’adoption, le don de sperme, l’accouchement sous X – autant d’éléments, y compris le dernier, qui nous sont souvent enviés par les pays étrangers. Il faut savoir que trois quarts des 600 à 700 femmes qui accouchent sous X chaque année viennent de l’étranger parce qu’elles sont en danger de mort ou risquent de très graves ennuis. Il faut se souvenir aussi que l’accouchement sous X a été introduit pour éviter l’abandon d’enfants à la porte des églises, pratique qui perdure dans un certain nombre de pays. Nos prédécesseurs n’étaient pas tous bornés et n’agissaient pas sans réfléchir.

Pour concilier ce qui est difficilement conciliable – la recherche des origines et l’anonymat – a été mis en place le conseil national pour l’accès aux origines personnelles, le CNAOP, qui n’a pas mal fonctionné jusqu’à présent. Mais aujourd’hui il tend à considérer que son rôle n’est pas de favoriser le dialogue, mais de garder secrètes des informations qu’il devra dévoiler plus tard, ce qui pose le problème du secret comme en médecine. On affirme souvent qu’il n’y a rien de pire que le mystère, mais peut-être n’est-il pas bon non plus de tout dévoiler. Le don de sperme deviendra difficile si le donneur risque, dix-sept ans après, de recevoir un coup de fil d’une personne qui lui annoncera qu’elle est son fils ou sa fille et qu’elle souhaite déjeuner avec lui. Le secret peut être protecteur. Une possession d’état dans un cas de viol collectif protège un grand nombre de personnes, y compris l’enfant. J’ai été avec Mme Hermange au Haut conseil de la famille où étaient évoqués des cas d’inceste épouvantables. Nous étions heureusement tenus au secret le plus total. Vous imaginez apprendre à un enfant que son père est son grand-père ? L’enfant sent bien qu’on lui cache quelque chose mais on n’est pas obligé de tout lui révéler. Quelquefois les dégâts d’une transparence absolue sont plus grands que ceux d’un mystère entretenu. C’est pourquoi il est important que ce soit un organe public qui soit le dépositaire du secret.

M. le rapporteur. L’ouverture de la procréation médicalement assistée aux célibataires n’entraîne-t-elle pas automatiquement son ouverture aux couples homosexuels ?

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Comme l’adoption est autorisée aux femmes célibataires, il est, en effet, envisagé, pour des raisons de parallélisme, d’ouvrir la PMA aux femmes célibataires stériles.

M. le rapporteur. Si tel était le cas, une femme célibataire homosexuelle pourrait revendiquer le « droit à » la procréation médicalement assistée.

Jean Hauser. Je ne suis pas convaincu par l’argument. Si une femme célibataire recourt à la PMA, on établira un lien de filiation entre elle et l’enfant qu’elle mettra au monde, mais on ne lui permettra pas pour autant d’établir un lien de filiation avec sa compagne. Reste à savoir, ensuite, si l’on admet l’homoparentalité.

De même, ce n’est pas parce qu’on permet l’adoption par une femme célibataire que cela établit un lien de filiation avec la femme avec laquelle elle vit.

M. le rapporteur. À moins que le statut du beau-parent ne le permette !

M. Jean Hauser. Puisque vous évoquez le statut du beau-parent, je vais, là aussi, vous dire ce que j’en pense.

Ou bien il s’agit d’un vrai beau-parent au sens classique de parâtre ou de marâtre – en dépit du suffixe très péjoratif « âtre » qui fait penser à Blanche Neige, Cendrillon ou encore aux Thénardier –, et le projet me paraît à peu près sans intérêt. Y a-t-il besoin d’une loi pour permettre au monsieur qui vit avec la dame de faire les actes usuels de la vie, comme aller chercher les enfants à l’école ?

Ou bien, un train pouvant en cacher un autre, est visé le co-parent homosexuel et, là encore, je ne vois pas ce que la loi apporte car la Cour de cassation admet depuis plusieurs années la possibilité de faire une délégation d’autorité parentale. La loi n’a d’intérêt qu’en cas de séparation car elle ouvre un droit de visite. Mais nos enfants sont déjà écrasés de droits de visite : vrai père, deuxième mari de la mère, grands-parents... Entre les obligations alimentaires et les droits de visite, on est en train de construire une drôle de famille : une famille empilée – et l’empilage n’est jamais très bon.

Le texte n’est qu’au stade d’avant-projet. Il n’a pas encore été soumis au Conseil d’État. Ce n’est probablement que de l’affichage.

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. On voit que, dès qu’on touche à la législation, immanquablement des droits nouveaux se créent. En droit allemand, la levée de l’anonymat permet une remise en cause de la filiation.

M. Jean Hauser. Quel que soit le don, le donneur n’a que le statut de donneur. Si je donne mon sang, je ne cherche pas à savoir à qui il a été donné. Si je donne mon rein, je ne demande pas l’adresse de la personne sur qui il a été transplanté pour lui rendre visite et je ne vois pas pourquoi elle voudrait me connaître.

On avance aujourd’hui qu’il faudrait que l’enfant connaisse la personne qui a donné le sperme dont il est issu. Je vois là une contradiction avec le procédé institué au départ, à savoir la dissociation de la paternité et de la confection d’un enfant.

Quant au droit de connaître ses origines, il est finalement très négatif. C’est une conception psychanalytique qui n’a rien à faire en droit. Notre société post-freudienne est très « psy » mais il faudrait démontrer que c’est toujours un progrès. Comme l’a souligné M. Blisko, il est des cas où il vaudrait mieux que l’enfant ne connaisse rien. Il va peut-être falloir réhabiliter le secret.

M. Michel Vaxès. Il n’est même pas sûr que, d’un point de vue psychanalytique, la recherche de « l’étalon », du géniteur, soit une avancée. Peut-être faudrait-il distinguer de manière très nette dans le droit les notions de géniteur et de parent. Il faut une pédagogie en ce sens.

M. Jean Hauser. La parenté est une autre affaire. Nous sommes ici à la croisée du droit raisonnable et d’une pression à la fois compassionnelle et pédocentrique, d’ailleurs très contradictoire car tous les psychologues ne considèrent pas qu’il soit bon de connaître ses origines.

Dans l’incertitude, ne nous précipitons pas sur le droit de connaître. D’ailleurs, il y a peut-être plus d’honneur à ne pas vouloir connaître. Certains enfants abandonnés de l’assistance publique ne voulaient surtout pas connaître leurs parents d’origine.

M. Serge Blisko. Beaucoup de jeunes majeurs – de dix-huit ou vingt ans – viennent voir le CNAOP mais ne vont pas plus loin.

M. Jean Hauser. Un certain nombre d’avocats parisiens qui plaident des affaires de filiation contentieuse ont de plus en plus de cas à traiter où un père géniteur revendique une expertise biologique que l’enfant refuse : il fait valoir qu’il ne l’a jamais connu et que son père est celui qui l’a élevé.

M. le rapporteur. On ne refait pas sa vie ni son histoire !

M. Jean Hauser. Jusque-là, en droit de la filiation, on raisonnait en sens inverse : on partait du principe que le père biologique ne voulait pas reconnaître son enfant et que la mère essayait de le retrouver pour lui faire payer une pension alimentaire. Le raisonnement est maintenant inversé. Même si le phénomène n’est pas général, les cas sont intéressants.

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Je vous remercie, monsieur Hauser.

Audition de M. François OLIVENNES, gynécologue-obstétricien au centre d’assistance médicale à la procréation Eylau-La Muette


(Procès-verbal de la séance du mercredi 4 mars 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Monsieur le professeur, nous sommes heureux de vous accueillir.

Ancien interne des hôpitaux de Paris, vous avez pris vos fonctions de chef de clinique assistant dans le service du professeur René Frydman à l’hôpital Béclère de Clamart, en novembre 1992. Vous avez alors été amené à diriger l’unité d’assistance médicale à la procréation (AMP), parallèlement à une activité obstétricale et chirurgicale.

Professeur des universités en biologie et médecine de la reproduction depuis 2000, vous avez ensuite rejoint l’hôpital Cochin en septembre 2002, où vous avez assuré la direction de l’unité de médecine de la reproduction dans le service de gynécologie-obstétrique. En avril 2006, vous avez décidé de quitter le secteur public pour vous installer en exercice libéral et vous exercez aujourd’hui au sein du centre de fécondation in vitro (FIV) Eylau-La Muette.

Auteur ou coauteur de plus d’une centaine d’articles scientifiques référencés et de plusieurs livres ou contributions à des ouvrages, vos travaux de recherche ont notamment porté sur le déroulement obstétrical et le suivi des enfants après AMP, l’amélioration des techniques de maturation de l’ovocyte humain isolément ou après congélation, ainsi que sur le suivi des enfants conçus par micro-injection.

Dans un ouvrage intitulé N’attendez pas trop pour avoir un enfant, publié en 2008, vous estimez qu’il existe en France d’importantes différences entre les résultats des centres d’AMP. Ce n’est pas la première fois que nous entendons en parler. Nous aimerions que vous nous éclairiez sur ce point.

Depuis 1994, la législation sur l’AMP impose que les futurs parents soient mariés ou justifient d’au moins deux ans de vie commune. Or, dans cet ouvrage, vous indiquez que vous vous êtes toujours refusé à demander aux couples leur livret de famille et que vous contestez le bien-fondé de cette disposition. Pourquoi ?

Par ailleurs, la loi impose aux équipes médicales d’informer les demandeurs des possibilités ouvertes en matière d’adoption. Vous jugez étonnant que « nos ministres aient pu penser sérieusement que certains couples n’avaient jamais entendu parler de l’adoption et qu’ils consulteraient les services d’AMP en négligeant cette possibilité ». D’autre part vous vous affirmez plutôt favorable à l’accès à la parentalité des couples homosexuels féminins.

M. François Olivennes. Non.

M. le président. Je vous demanderai donc de corriger cette affirmation. J’aimerais enfin que vous nous disiez si vous considérez que le rôle de l’Agence de la biomédecine est aujourd’hui satisfaisant. Cette agence devrait-elle avoir d’autres responsabilités ?

M. François Olivennes. Merci de m’avoir invité. Je suis honoré de pouvoir vous donner mon point de vue, que j’illustrerai par quelques graphiques et tableaux.

On observe une augmentation majeure de l’âge de la première grossesse. Ce phénomène de société existe dans toutes les civilisations occidentales, du fait de l’implication des femmes dans le travail, de l’augmentation de l’espérance de vie et du développement de la contraception. Aujourd’hui, en France, l’âge de la première grossesse est de trente ans sur le plan national et de trente-cinq ans dans les grandes villes. Les femmes pensent qu’elles peuvent avoir un enfant jusqu’à l’âge de la ménopause, ce qui est faux. Le taux de fécondité baisse à partir de trente-cinq ans et devient quasiment infime à partir de quarante ans, alors que la femme continue d’avoir des règles jusqu’à la ménopause, vers cinquante ans. Ce n’est pas un phénomène nouveau. Une magnifique étude américaine a comparé les registres des mariages et des naissances des XVIIIème et XIXème siècles, à une époque où l’on faisait des enfants dès le mariage ; on s’est aperçu que les femmes qui se mariaient après quarante ans mouraient, dans plus de 70 % des cas, sans enfant.

La fertilité de la femme baisse avec l’âge, essentiellement parce que ses ovocytes se réduisent en quantité et en qualité, à quoi s’ajoute un très fort taux de fausses couches et de complication obstétricales à un âge plus avancé.

Les femmes en difficulté se tournent vers l’assistance médicale à la procréation (AMP), la médiatisation de ces techniques les amenant à penser que la fécondation in vitro sera pour elles une solution. Or il n’en est rien : toutes les techniques d’AMP, telles que la FIV ou l’insémination avec donneur, ont des résultats qui suivent exactement les courbes de la fertilité naturelle de la femme. Ces techniques n’améliorent donc en rien la fertilité naturelle de ces patientes.

Le décalage des grossesses aboutit au fait que la proportion de femmes en demande d’AMP et qui ont plus de trente-cinq ans ne cesse d’augmenter et représente, dans de nombreux pays européens, plus de la moitié des femmes sollicitant une AMP. En France, on a constaté une augmentation régulière de cette proportion s’agissant de la FIV.

Ce facteur de l’âge est déterminant, quelle que soit la technique ou l’indication. L’AMP ne peut pas régler le problème de la qualité ovocytaire. Une femme de quarante ans est jeune pour la vie, mais pas pour ce qui est de sa capacité de reproduction. Beaucoup de femmes l’ignorent. Une campagne d’information nationale me paraît urgente.

Dans ces conditions, la seule solution qui s’offre à ces femmes est le don d’ovocytes. Cette méthode permet d’utiliser l’ovocyte d’une femme jeune, ou donneuse, fécondé par le sperme du mari de la patiente concernée. On obtient un embryon qui sera transféré dans l’utérus de cette dernière, et s’implantera avec des taux de succès très élevés.

Cette technique existe depuis 1986. Elle a été mise au point pour les femmes traitées pour un cancer et auxquelles on retirait les ovaires. Mais comme vous pouvez le voir sur ce graphique retraçant les résultats de la fécondation in vitro aux États-Unis selon l’âge des femmes, le taux de succès est pratiquement constant quelque soit cet âge. Certains ont même utilisé cette technique pour obtenir des grossesses chez des femmes au-delà de soixante ans, et jusqu’à soixante-sept ans – ce que je désapprouve formellement.

En France, le don d’ovocyte est soumis à une réglementation très coercitive : interdiction de la publicité pour recruter des donneuses potentielles ; anonymat et gratuité obligatoires. Au début des années quatre-vingt-dix, lorsque l’on a encadré cette activité, aucun moyen n’a été donné aux centres publics d’AMP, qui sont les seuls à la pratiquer – elle est interdite dans le secteur privé. L’activité s’est ainsi quasiment arrêtée, en dehors de quelques centres. Par ailleurs, du fait de leur manque de moyens, la plupart de ces centres ont fixé la limite d’âge des receveuses autour de quarante ans, alors que nous voyons tous les jours des femmes de plus de quarante ans en recherche d’enfants, parce que la vie a changé, parce qu’elles se sont remariées ou parce qu’elles ont commencé tard leur vie reproductive. Les délais sont supérieurs à un an, si la femme peut aider le centre à trouver une donneuse, et de trois à cinq ans, si elle n’a pas de donneuse. Il y a là une incitation majeure au « tourisme médical » puisque la situation est différente dans d’autres pays d’Europe : des milliers de Françaises se rendent à l’étranger chaque année pour bénéficier de dons d’ovocytes.

Le système fait que le taux de grossesses des centres français, s’agissant des dons, est relativement faible : 32 % en 2005 selon l’Agence de la biomédecine, soit la moitié des résultats obtenus dans les meilleurs centres étrangers. Il y a eu, en 2005, dans notre pays, 238 transferts d’embryons frais, contre 14 000 tentatives de dons d’ovocytes aux USA. L’Espagne, qui est aujourd’hui la plaque tournante du don d’ovocytes, refuse de donner ses résultats, parce que cette technique est un business très rentable ; mais il a été fait récemment état, dans un congrès, de plus de 5 000 tentatives réalisées en 2006 dans la seule province de Catalogne. Et il ne faut pas oublier les centres de Crète, de Grèce et des pays de l’Est, qui reçoivent également des patientes françaises. Il existe de ce fait une véritable ségrégation par l’argent. En Espagne, par exemple, le don d’ovocytes coûte de 6 000 à 9 000 euros.

Ces limitations de la loi introduisent un stress important pour les couples. Ceux qui ont des revenus modestes se trouvent privés de famille, car ils n’ont pas les moyens de s’offrir de telles prestations. Enfin, il existe sur Internet une publicité de centres aux pratiques douteuses, qui ont fait des ravages – ainsi, une femme de quarante-trois ans, à laquelle on avait implanté trois embryons, est décédée récemment et une femme vietnamienne de cinquante-neuf ans a accouché à l’hôpital Cochin. Il est donc urgent de réexaminer la situation du don d’ovocytes. Et il est urgent d’informer les femmes sur les limites de leur reproduction.

Je suis un des rares médecins favorables à la gestation pour autrui. Les femmes portent des enfants pour d’autres femmes depuis la nuit des temps, dans des civilisations très anciennes, comme la civilisation grecque. Les études menées à ce sujet, même si elles sont peu nombreuses, concluent au faible retentissement psychologique de cette technique sur les personnes concernées, en particulier les mères porteuses. Les femmes dont l’utérus est inapte ou absent sont aujourd’hui les seules auxquelles aucune solution alternative n’est proposée. Bien sûr, un encadrement strict est indispensable – et probablement possible, en raison du faible nombre de cas.

Aujourd’hui, la situation de l’AMP en France est une honte. La France fut un pays pionnier de l’assistance médicale à la procréation, avec, en particulier, Jacques Testard et René Frydman. Nous avons eu la troisième grossesse issue d’une FIV dans le monde. Tous les médecins qui s’occupent d’AMP citent nos travaux pionniers du début des années quatre-vingt. Aujourd’hui, pour la troisième année consécutive, les résultats de la France sont classés parmi les plus mauvais d’Europe, avec ceux de la Slovénie et du Monténégro. Le désintérêt relatif des pouvoirs publics envers les aspects humains de cette technique est patent. Bien sûr, la loi existe et on discute dessus. Mais on s’intéresse assez peu aux résultats de l’AMP, à ses moyens et à la cotation appliquée aux actes.

La tarification actuelle des actes semble assez basse, d’après les comparaisons faites par les biologistes. Le laboratoire est le facteur de résultat principal. Or les nôtres sont sous-équipés par rapport aux laboratoires européens. Une patiente française a à peu près deux fois moins de chances en moyenne d’être enceinte qu’une suédoise. Ces résultats doivent faire l’objet d’une enquête, si l’on veut répondre à cette question : pourquoi de tels résultats ?

M. le président. Vous utilisez un terme assez fort, celui de « honte » : est-ce que vous remettez en cause la qualité des centres eux-mêmes ?

M. François Olivennes. Vous m’avez interrogé sur la disparité existant entre les centres. Mais nous n’obtenons pas les résultats des centres, pour une raison d’ordre historique. En 1990 ou 1991, un membre d’une revue médicale est allé dans un congrès de médecins de la reproduction, a pris la feuille distribuée à l’époque par FIVNAT, et l’a publiée in extenso sans consulter personne en établissant un palmarès des centres français. Cela provoqua une levée de boucliers. Il y a effectivement des disparités importantes, mais il y a aussi, de la part des centres, des politiques différentes de sélection des patientes qui influent sur les résultats. Le problème n’est pas simple.

M. le président. Je devine que vous avez vous-même une explication à une telle situation.

M. François Olivennes. Oui. J’ai beaucoup voyagé et j’ai passé une année de formation aux États-Unis. Il me semble qu’il y a des carences de moyens, matériels et humains, dans les laboratoires français. Le laboratoire de fécondation in vitro, où se trouve la clé du problème, demande des investissements lourds. Or, d’après certains biologistes du secteur privé, les actes biologiques de la FIV sont nettement moins rémunérés que dans les autres pays européens. Ils viennent d’ailleurs d’être encore dévalués très récemment. En outre, contrairement à d’autres pays, la FIV n’est pas une spécialité à part entière. Je suis un des rares à faire quasiment exclusivement de l’AMP. Or cette spécialisation est incontestablement un avantage. Se pose également un problème de formation permanente.

Enfin, l’Agence de la biomédecine tarde à prendre des mesures dans ce domaine délicat. L’association FIVNAT, à mon initiative, a accepté de présenter, sur une année, de manière anonyme, les résultats des centres français de FIV – et les a mis sur Internet. On constate que ces résultats vont de 8 % à 40 % : cette disparité n’est pas acceptable. Soit il y a un problème de qualité, soit certaines patientes sont traitées alors qu’elles ne devraient pas l’être. Ce problème doit être pris à bras le corps. Il faut certainement trouver le moyen de présenter les résultats des centres de manière équitable, en s’intéressant à tous les facteurs, notamment l’âge des femmes traitées. Ce serait le moyen de tirer les équipes vers le haut. Un certain nombre de pays, dont les États-Unis me semble-t-il, parviennent d’ailleurs à réaliser un tel classement. L’Agence de biomédecine devrait par ailleurs fixer un seuil, en deçà duquel un centre serait amené à se remettre en cause.

J’ai récemment participé à un audit auprès d’un centre d’AMP qui me l’avait demandé – ce qui est très rare – et cela a abouti à des améliorations très substantielles de ses résultats. Dans ce domaine, les évaluations sont indiscutables : les femmes sont enceintes ou ne le sont pas. Il est sûrement possible de trouver une méthode. Je suis allé dernièrement dans un centre espagnol, qui assure 50 % de grossesses – contre 30 % chez nous.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Merci pour votre exposé. Pensez-vous qu’il faille indemniser le don d’ovocytes, pour accroître le nombre de donneuses ? Il m’a semblé que vous mettiez en cause la législation française, que vous qualifiez de « très coercitive ». Souhaitez-vous que nous libéralisions ce don d’ovocytes ? Comment concevoir son indemnisation ?

En abordant la gestation pour autrui, vous vous êtes placé du point de vue de la femme qui la demande, précisant qu’il n’était pas possible de proposer autre chose à celle qui n’a pas d’utérus. Le fait de lui proposer un autre être humain qui lui louera son utérus ne risque-t-il pas de poser des problèmes éthiques ? On s’interroge déjà sur l’indemnisation d’une stimulation ovarienne associée à une ponction pour un don d’ovocytes. Comment pourrait-on « indemniser » une grossesse ? Ce n’est pas anodin d’être enceinte à la place d’une autre. Vous avez évoqué les civilisations anciennes qui utilisaient cette pratique. Mais elles n’avaient pas un respect particulier de la dignité humaine, et la femme qui portait un enfant pour une autre était considérée comme inférieure.

Par ailleurs, je vous lis : « Chaque sexe a un rôle dans la cellule familiale »… « Le père fait peur et la mère rassure, on ne voit pas souvent une mère faire sauter un enfant en l’air »… « Dans le cas des couples homosexuels, se pose le problème classique de l’accès à l’origine de l’enfant »… Mais vous écrivez plus loin : « Je serais plutôt favorable à l’accession à la parentalité des couples homosexuels féminins, mais réticent à l’accès à l’assistance médicale à la procréation… » Après ce que vous avez répondu tout à l’heure à M. Claeys, pourriez-vous définir votre position ? Si un couple homosexuel féminin a droit à un enfant, comment expliquer à un couple homosexuel masculin qu’il n’y a pas droit ?

Enfin, est-ce le fait que vous ayez une activité privée qui vous incite à penser qu’il faut revaloriser le système ? Est-ce que l’élément permissif que vous évoquez aujourd’hui a joué dans le fait que vous ayez trouvé dans le secteur privé une situation différente de celle que vous aviez connue dans le public ? L’ensemble des personnes pratiquant l’AMP dans les services publics que nous avons auditionnées n’ont pas semblé penser qu’ils étaient la honte de notre pays…

M. François Olivennes. Pendant six ans, à la Société européenne de reproduction humaine, j’ai été confronté quatre fois par an à mes collègues européens. Le terme de « honte » est peut-être un peu violent. Mais en tant que Français, lorsque je lis dans Human Reproduction, la revue de référence de notre discipline, que pour la deuxième année consécutive, la France est dépassée par tous les autres pays européens, hormis la Slovénie et le Monténégro, pour ce qui est des taux de grossesse, eh bien oui : j’ai honte !

Il n’est pas normal que notre pays connaisse cette situation. Je ne préjuge pas de ses raisons. J’ai évoqué la tarification de la biologie, en précisant qu’en tant que clinicien, je ne suis pas concerné par une revalorisation de ses actes. C’est d’ailleurs un sujet dont je ne parle pas seulement depuis que je suis dans le secteur privé, mais que j’ai abordé dès mon retour des États-Unis. On m’a souvent traité d’affabulateur, mais, à force de fermer les yeux, force est de constater que nous avons des résultats parmi les plus mauvais. Je ne porte pas de jugement, je dis seulement qu’il me semble que les pouvoirs publics, notamment la ministre de la famille, devraient s’interroger et essayer de comprendre pourquoi. Je propose une piste, qui ne me semble pas négligeable : l’amélioration de l’équipement des laboratoires.

Mon départ de l’hôpital public vers l’hôpital privé s’explique par l’impossibilité de faire, dans le cadre de l’hôpital public, le centre de fécondation in vitro (FIV) que je souhaitais. Je suis parti par dépit, pas par choix ni par intérêt financier.

S’agissant de la parentalité des couples homosexuels, je suis très embarrassé. À titre personnel, j’y suis réticent. Pour autant, je suis ami de couples homosexuels qui ont des enfants. Et surtout, il ressort de certaines études que le développement psychologique des enfants semble satisfaisant. Je précise par ailleurs que les propos que vous avez cités ne sont pas les miens : j’ai rapporté ceux du Dr Lévy-Soussan, qui dirige un centre d’études psychologiques dans le cadre des filiations. Il faut bien admettre, enfin, que les femmes des couples homosexuels ont accès à des inséminations en Belgique, en Espagne ou en Angleterre.

Un argument important a été avancé par le psychanalyste Jean-Pierre Winter : pour une homosexuelle, il est différent d’avoir accès à un don de sperme anonyme et de faire appel à un donneur connu. Pour l’enfant d’un couple d’homosexuelles, il est différent de savoir qu’il est le fruit d’une paillette de sperme dont il ne connaîtra jamais l’origine, et de savoir que M. Untel a servi de donneur, lequel serait éventuellement d’accord pour le rencontrer. Mais si on n’autorise pas le don de sperme, doit-on autoriser l’insémination avec un donneur connu ? Ce n’est pas simple.

Je suis tout à fait d’accord avec vous sur l’aspect discriminatoire que présenterait le refus de la parentalité à des couples homosexuels masculins, si on la permet aux couples homosexuels féminins. Je ne connais pas d’études sur l’intégration des enfants élevés par deux hommes. Il me semble que le rôle de la mère dans les premiers moments de la vie est très important. Mais je reconnais que ce point de vue est théorique et n’est pas très étayé scientifiquement.

J’admets vos critiques s’agissant de la gestation pour autrui. Je n’avais pas le temps de développer mes arguments. Disons que je ne suis pas favorable, dans l’ensemble, à la gestation pour autrui. Je remarque cependant qu’aux Etats-Unis, certains États ont interdit toute forme de rémunération, en s’en tenant au strict remboursement des frais ; des gestations pour autrui y ont néanmoins lieu. Il serait trop facile de considérer que les femmes qui portent des enfants pour d’autres femmes ne le font que pour l’argent. Cette démarche a été observée à l’intérieur de familles, où certaines femmes font preuve de solidarité féminine – comme c’est le cas avec les dons d’ovocytes. Les femmes qui ont porté des enfants pour d’autres femmes et qui ont elles-mêmes des enfants disent très bien comment ces deux types de grossesse sont différents, dans la mesure où elles n’ont pas « investi » les enfants qu’elles portaient pour une autre. Je vous renvoie sur ce point à la théorie de Mme Delaisi de Parseval.

L’affaire n’est pas simple, les risques de dérives sont importants. Mais rejeter la gestation pour autrui d’un simple revers de main, en mettant en avant le risque de mercantilisation du corps humain, serait réducteur et ne correspondrait pas à la réalité des expériences menées dans les pays étrangers qui l’ont autorisée.

Enfin, la France est très attachée à la gratuité du don d’organes. Ouvrir la porte à la rémunération du don d’ovocyte poserait des problèmes pour les dons de sang, de moelle, etc. Néanmoins, force est de constater que les pays qui ont aujourd’hui une forte activité de dons d’ovocytes ont mis en place un système d’indemnisation – 900 euros, par exemple, en Espagne. Je ne sais pas si c’est la solution, mais la France se trouve devant une alternative. Soit on maintient le système actuel, avec des femmes qui courent le monde, parfois seules, et se rendent dans des officines douteuses, ce qui peut provoquer des catastrophes. L’Agence de la biomédecine a bien fait une campagne sur le don d’ovocytes, mais cela n’a servi à rien, dans la mesure où elle faisait appel à de l’altruisme pur et simple. Soit on institue un dédommagement, au moins symbolique ; cela me semble être une piste à tenter, même temporairement.

Mme Martine Aurillac. Vous avez évoqué l’anonymat. Quelle est votre position sur le droit à l’accès aux origines ?

M. François Olivennes. Les médecins de la reproduction ne sont pas tellement sollicités à ce propos. Il est néanmoins sûr, pour l’enfant qui voudrait connaître l’origine de l’ovocyte ou du sperme, que l’anonymat constitue un obstacle important. Certains pays, comme la Suède ou l’Angleterre, ont récemment pris des mesures pour que les donneurs s’engagent à pouvoir être contactés ; cela n’a pas abouti à un arrêt total des dons. Je suis un peu hésitant, s’agissant de la France, qui a déjà du mal à recruter des donneurs.

On avait envisagé de mettre en place une structure intermédiaire susceptible de mettre en contact les intéressés, sous réserve de leur accord, ou de recueillir au moins des informations non identifiantes. Ce serait une voie possible qui éviterait les souffrances de certains enfants liées à l’anonymat du don de gamètes. Cela dit, les dons de gamètes ne s’apparentent pas à une adoption : dans cette dernière il y a eu un abandon, et souvent une période sans parents. Je signale enfin que, parmi la population féminine, une petite frange souhaite un don direct, de la part de quelqu’un de leur famille ou de leur entourage. Mais, d’après mon expérience, c’est assez marginal.

M. Michel Vaxès. S’agissant des taux de réussite des AMP, nous ne disposons pas de tous les éléments nécessaires pour établir des comparaisons entre les centres et nous faire une idée de la situation actuelle, concernant notamment les caractéristiques des demandeuses – leur âge, par exemple. Nous savons en tout cas que le taux de fécondité en France est bien supérieur à celui des autres pays comparables. La « honte » dont vous avez parlé pourrait se transformer en fierté : le faible taux de succès des AMP pourrait renvoyer à la rigueur des conditions d’accès, elle-même due au contrôle exercé par la société pour éviter les dérives.

En matière de gestation pour autrui et, dans une moindre mesure, de don d’ovocytes s’il était rémunéré, je crains que l’on n’aboutisse, à terme, à une instrumentalisation du corps humain. Même si ce n’est pas le cas aujourd’hui, même si l’on peut trouver des exemples aptes à apaiser nos inquiétudes, faut-il pour autant légiférer ? Ne serait-ce pas faire de la loi l’expression d’un désir plutôt que de la volonté générale de la société ?

M. François Olivennes. Certes, le terme de « honte » était un peu provocateur. Un certain nombre de ceux qui travaillaient sur les résultats de l’AMP, notamment des statisticiens, sont récemment revenus sur leur point de vue. Il n’en reste pas moins de vraies différences de résultats entre la France et d’autres pays, certains centres français ayant en outre de très bons résultats, et d’autres de moins bons. Il est possible de réduire ces différences, pour peu qu’on ait une véritable exigence de qualité. Vos remarques sont tout à fait recevables, mais les différences de moyennes nationales ne peuvent pas s’expliquer uniquement par des différences de populations.

La natalité mesure le nombre d’enfants que les femmes souhaitent faire et font. La France est un pays phare pour sa natalité, mais elle l’est aussi pour toutes les possibilités qu’elle offre d’aider les femmes à s’occuper des enfants. Nous avons des crèches, ce qui n’est pas le cas en Allemagne, où il est d’ailleurs très mal vu socialement qu’une femme ne s’occupe pas elle-même de ses enfants. Par voie de conséquence, le nombre d’Allemandes déclarant ne pas vouloir d’enfant est très élevé. Mais la natalité n’est pas la mesure de la fécondité de la femme. Je ne crois pas non plus qu’elle puisse expliquer les « mauvais » chiffres des techniques d’AMP.

Un autre élément important rentre en ligne de compte : le problème de la formation permanente des médecins. La médecine de la reproduction a progressé de manière extraordinaire et il n’y a pratiquement pas d’obligation de formation permanente en France dans le domaine médical. Aujourd’hui, certaines femmes ne sont donc pas traitées dans les règles de l’art.

Encore une fois, en se penchant sur les résultats et sur cet ensemble de facteurs, on devrait pouvoir déterminer dans quelle mesure le problème est lié à une insuffisance de moyens, de formation, de spécialisation, ou à la population. Il serait dommage de laisser s’installer une situation préjudiciable.

Vous avez évoqué les risques de dérives de la gestation pour autrui. Je ne pense pas être le mieux placé pour réfléchir aux moyens de les éviter. Mais je crois qu’un rapport au moins  – celui du Sénat– concluait à la possibilité de mettre en place une période d’essai avec des mesures d’encadrement.

M. Michel Vaxès. Si j’ai bien compris, il n’y a pas d’étude statistique qui permette de vérifier que les populations comparées sont les mêmes. Cela reste donc à faire.

M. François Olivennes. En effet.

M. Michel Vaxès. J’ai bien observé les graphiques que vous nous avez projetés. La fécondité naturelle des femmes diminue à partir d’une quarantaine d’années. Est-ce que les demandes et les grossesses suite à une AMP concernent les femmes au-delà de cet âge ?

M. François Olivennes. Cette information figure dans les tableaux et vous pourrez l’analyser. Mais, comme je l’ai déjà dit, la moyenne d’âge des populations ne semble pas être un facteur limitant. Ainsi, un des facteurs essentiels de succès est le nombre d’embryons transférés. Pourtant, dans les pays scandinaves, paradoxalement, on transfère un nombre d’embryons bien moindre qu’en France, avec des résultats nettement supérieurs. Il y a bien là une question de qualité, ou de population.

M. Michel Vaxès. Il n’en reste pas moins qu’on force la nature.

M. François Olivennes. Non. En France, la moyenne d’âge des femmes qui ont recours à la FIV est de trente-cinq ans. Et l’on n’a pas démontré qu’il y avait dans notre pays davantage de femmes de plus de quarante ans qui demandaient à bénéficier de ces techniques. Les âges sont sans doute assez comparables.

En 1850, l’espérance de vie des femmes était de quarante-neuf ans. Elles faisaient des enfants presque jusqu’à leur mort. Aujourd’hui, les femmes de quarante ans n’ont même pas vécu la moitié de leur vie, et celles qui désirent des enfants à cet âge se sentent et sont encore très jeunes. Du fait de ce décalage, nous sommes souvent sollicités pour des FIV et pour des dons d’ovocytes pour ces femmes, qui désirent un premier ou un deuxième enfant, et confrontés à leur désespoir et à un sentiment d’injustice.

Mme Pascale Crozon. Je ne savais pas que les femmes françaises faisaient des enfants aussi tard. C’est paradoxal, quand on sait que nous sommes le pays européen où naît le plus grand nombre d’enfants, un peu plus de deux par femme.

M. François Olivennes. En effet. Mais les chiffres de la natalité rassurent faussement. Une bonne natalité n’exclut pas qu’un grand nombre de femmes ne pourront pas avoir d’enfant et en souffriront jusqu’à leur dernier jour.

Plusieurs études, que je mentionne dans mon livre, montrent que les femmes du milieu rural font des enfants beaucoup plus tôt que celles du milieu citadin, et que les femmes qui ont un haut niveau d’éducation trouvent des gratifications dans leur activité professionnelle, que n’ont pas les autres, lesquelles peuvent trouver leur épanouissement dans le fait d’avoir des enfants. On peut très bien imaginer une forte population de femmes qui font deux ou trois enfants parce qu’elles s’y sont prises tôt, et en même temps une forte population, qui va croître de plus en plus, de femmes qui ne pourront pas avoir d’enfants et qui se tourneront vers le don d’ovocytes. Or celui-ci, malgré tout, ne constitue pas la panacée. C’est une technique secondaire, alternative, qui place les couples dans l’embarras. Mieux vaut l’éviter quand on le peut. Ce n’est pas fait pour que les femmes de quarante-trois ans aient des enfants, mais plutôt pour qu’une femme de trente ans qui a subi une chimiothérapie puisse en avoir un.

Je vois des couples qui vivent ensemble depuis quinze ans et qui décident d’avoir un enfant à la quarantaine. Quand on leur explique ce qu’il en est, ils regrettent les choix qu’ils ont faits, par manque d’information. J’ai été attaqué par certaines féministes, mais je me contente de donner de l’information. Chacun peut mener sa vie comme il le veut, mais qu’il le fasse en toute connaissance de cause.

Mme Pascale Crozon. Aujourd’hui, l’enfant qui a été abandonné peut avoir accès à ses origines si la mère qui l’a abandonné est d’accord. Qu’en est-il en cas d’AMP avec don de gamètes ? Existe-t-il des études sur les effets psychologiques qu’entraîne l’impossibilité d’avoir accès à ses origines ?

M. François Olivennes. Je ne me suis pas vraiment penché sur la question et je ne connais pas les publications qui existent. En tant que gynécologues, nous ne sommes pas sollicités par les enfants, même si le problème est crucial. C’est plutôt auprès des pédopsychiatres que vous pourriez obtenir une réponse adaptée. Je sais néanmoins que beaucoup de parents hésitent à dire à l’enfant qu’il est issu d’un don de gamètes. Ce n’est pas rentré dans les mœurs. L’existence de l’anonymat les pousse aussi à garder le secret. Or la plupart des psychologues et des psychanalystes ne sont pas très favorables à ce secret.

Mme Pascale Crozon. J’étais plutôt ouverte à la gestation pour autrui, mais plus j’en discute et plus je m’interroge, notamment sur les conséquences psychologiques qu’elle peut avoir pour la famille de la mère porteuse et sur la santé de celle-ci. Je me dis aussi que, de toutes façons, les Françaises peuvent aller en Belgique ou en Espagne pour y avoir recours. Je sais enfin que se met en place dans les pays en voie de développement, par exemple en Inde, un véritable marché, ce que je trouve parfaitement scandaleux.

J’en suis encore au stade de la réflexion, mais il me semble que si nous continuons à interdire la gestation pour autrui, nous aurons des problèmes par rapport aux pays voisins, ainsi qu’au regard des droits des enfants, et nous donnerons l’occasion aux femmes d’aller en Inde, en Ukraine, où les mères porteuses sont très peu indemnisées. La situation est bien difficile à gérer.

M. François Olivennes. Je partage l’intégralité de votre questionnement et je ne suis pas favorable à toutes les formes de gestation pour autrui ; je suis défavorable par exemple à la gestation pour autrui associée à un don d’ovocytes. Il me semble que l’on pourrait réfléchir à la façon de l’encadrer. Mais la rejeter sur le thème, utilisé par mon ancien patron, René Frydman, qu’elle s’apparenterait à la prostitution, constituerait un raccourci pour le moins sommaire.

M. le président. Nous l’avons auditionné, et il n’a pas utilisé ce terme.

M. François Olivennes. Je sais, mais c’était la manchette de l’article du Monde qu’il a signé avec Caroline Eliacheff, même si j’admets que ce ne sont pas les auteurs des articles qui choisissent la manchette. Pour ma part, je me demande si l’on ne pourrait pas sélectionner les femmes, car je suis sûr qu’il y en a, qui feraient ce geste par altruisme. Dans ces conditions, la gestation pour autrui serait acceptable. Mais si elle devait devenir un gagne-pain pour des femmes qui « loueraient » ainsi leur utérus, je n’y serais pas favorable. J’y serais même opposé.

M. le président. Vous avez exercé quatorze ans à Béclère et à Cochin. Avez-vous fait, pendant toutes ces années, un constat aussi dur qu’aujourd’hui ? Est-ce la raison de votre départ vers le secteur privé ?

M. François Olivennes. J’ai exercé douze ans à l’hôpital Béclère, puis j’ai eu l’opportunité de reprendre un service à l’hôpital Cochin et de devenir mon propre chef, ce qui constituait une évolution normale, malgré ma très grande gratitude envers René Frydman. À mon arrivée, j’ai constaté que cette structure avait des résultats calamiteux et nous l’avons redressée avec les équipes de biologie. Existait alors le projet d’un nouveau bâtiment destiné à accueillir le futur centre d’AMP. Mais je n’ai obtenu de satisfaction sur aucun des points qui font, selon moi, un centre moderne de prise en charge de la stérilité. Par ailleurs, je me heurtais en permanence à des difficultés de moyens. Je ne suis d’ailleurs pas le seul à avoir rencontré de telles difficultés – je pense, par exemple, aux centres de Limoges et de Poitiers, ce dernier ayant été fermé quelques mois. Enfin, il faut avoir l’honnêteté de dire que dans un hôpital comme Cochin, le traitement de la stérilité n’est pas la priorité.

M. le président. Je comprends. En matière d’AMP, s’agissant de la loi et de son encadrement, y a-t-il des sujets qui vous posent problème ?

M. François Olivennes. Pas beaucoup. Le don d’ovocytes me pose problème au quotidien. Par ailleurs, je n’ai pas dit que j’étais contre le contrôle d’identité. J’ai dit que je ne souhaitais pas que ce contrôle soit fait par le médecin. Pour autant, aujourd’hui, tant à Béclère qu’à Cochin et à La Muette, les couples présentent leurs pièces d’identité pour que l’on puisse vérifier qu’ils sont bien ceux que l’on doit traiter.

Je trouve par ailleurs dommage que l’on fasse la distinction entre un couple marié, qui n’a pas à faire état de deux ans de vie commune, et un couple non marié qui doit le faire. Comme si le mariage était un gage de longévité du couple ! Soit on demande deux ans de vie commune à tous, soit on ne les demande pas du tout. Je précise que cette disposition n’est pas respectée – par exemple, pour une femme de 38 ans qui vient de rencontrer l’homme de sa vie et qui devrait attendre encore deux ans pour être traitée.

Mme Suzanne Rameix, philosophe, membre du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. J’aimerais intervenir sur les publications internationales et les comparaisons qui sont faites en matière d’AMP. Il faudrait que l’on dispose de toutes les données pour apprécier les chiffres qui sont présentés.

M. François Olivennes. C’est ce que je souhaite.

Mme Suzanne Rameix. Que pensez-vous de cette femme américaine qui a accouché d’octuplés alors qu’elle avait déjà six enfants ? Sur quels arguments précis peut-on s’appuyer pour penser cette question ? Certains critères sont à prendre en compte. J’aimerais vous entendre à ce propos.

M. François Olivennes. Aux États-Unis, la procréation est devenue un business. Cela dit, le modèle américain est un modèle d’excellence dans certains domaines, puisque c’est dans ce pays que les femmes ont le plus de chances d’avoir un enfant.

M. le président. Confirmez-vous le fait que des médecins français interviennent en Espagne ?

M. François Olivennes. Oui. Ils ne se déplacent pas en Espagne pour faire des actes, mais les centres espagnols étant en pleine expansion, ils embauchent de jeunes médecins venant de toute l’Europe, dont des Français. Je sais qu’un des centres de Barcelone est passé en deux ans de 400 à 1 700 tentatives de FIV ! De tels centres ont un grand pouvoir d’attraction. Certains d’entre eux ont fait des investissements très importants, qu’on ne pourrait sans doute pas faire en France. Ce centre de Barcelone emploie 18 personnes, alors que nous ne sommes que 7, pour un nombre identique de tentatives. Nous ne pourrons jamais atteindre cet effectif ; mais c’est aussi parce que la France dispose d’un système de remboursement extraordinaire que tout le monde nous envie : une tentative de FIV à New York coûte 15 000 à 20 000 dollars, alors qu’elle est gratuite en France.

M. le président. Vous avez parlé d’indemnisation du don d’ovocyte. Qu’entendez-vous par là ?

M. François Olivennes. Je ne sais pas. En Espagne, par exemple, elle est de 800 euros.

Mme Suzanne Rameix. On retrouve la question des critères : ces actes sont-ils remboursés par la solidarité nationale ? Sont-ils à la charge des couples ? Combien d’embryons implante-t-on ? Y a-t-il des contraintes liées à l’âge ? Quel est l’espacement des diverses tentatives ? Quel raisonnement pourriez-vous conduire pour nous dire ce qui vous heurte dans l’exemple américain que j’ai évoqué tout à l’heure et, par voie de conséquence, l’encadrement qui vous paraît souhaitable ?

M. François Olivennes. Le système américain est un système fou, sans contrôle. Faire une stimulation ovarienne et une insémination artificielle avec donneur (IAD) à une femme qui a déjà six enfants constitue une première aberration. Elle vit seule ; c’est une deuxième aberration. Qu’elle se retrouve par ailleurs avec huit ou dix follicules, car il me semble impossible qu’on ait pu lui transférer huit embryons après une FIV, en constitue une troisième.

Personnellement, je n’ai pas honte, je suis même fier de la législation française, de la loi bioéthique et de son encadrement. Je suis très heureux d’exercer mon activité en France. Simplement, je suis peiné par le manque de moyens et le manque de considération envers les couples infertiles. C’est un problème, dans le contexte difficile que connaît aujourd’hui l’hôpital public. Le fait est qu’il existe des centres d’AMP qui, à mon sens, ne répondent pas aux exigences de prise en charge de cette pathologie.

M. le président. Merci beaucoup.

Audition de Mme Monique CANTO-SPERBER, philosophe, directrice de l’École normale supérieure, ancienne vice-présidente du CCNE


(Procès-verbal de la séance du 4 mars 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Monique Canto-Sperber, philosophe, ancienne vice-présidente du Comité consultatif national d’éthique et directrice de l’École normale supérieure.

Vous êtes l’auteure, Madame, de plusieurs ouvrages traitant de bioéthique, parmi lesquels Que peut l’éthique ? Faire face à l’homme qui vient, et, en collaboration avec le professeur René Frydman, Naissance et liberté. La procréation. Quelles limites ? C’est dire combien votre avis nous intéresse. Nous aimerions connaître votre sentiment, d’abord, sur les lois actuelles de bioéthique et leur application, puis sur la nature de la future loi. Faut-il se limiter à une loi-cadre ou entrer davantage dans le détail ?

Que pensez-vous enfin de l’assistance médicale à la procréation et des progrès que l’on peut en attendre ? Pourriez-vous définir plus précisément ce que vous avez appelé « un donné humain » ? Dans quel cadre doit s’inscrire aujourd’hui, selon vous, l’AMP, et quelle est votre position sur des sujets d’actualité comme la filiation, la gestation pour autrui ou l’extension des indications d l’AMP à d’autres cas que l’infertilité ?

Enfin, dans la mesure où vous avez été la rapporteure d’un avis du CCNE sur les greffes de tissus composites, dans lequel le Comité formulait les plus vives réserves sur la greffe de visage, pourriez-vous également nous dire un mot sur ce sujet ?

Mme Monique Canto-Sperber. Sachez d’abord que je suis très honorée de pouvoir m’exprimer devant votre mission d’information.

Avant d’en venir aux lois actuelles de bioéthique et aux améliorations qui pourraient leur être apportées, je voudrais souligner combien la situation des individus vis-à-vis de la procréation et de la naissance a évolué au cours des trente dernières années. Longtemps, les hommes et les femmes ont été totalement démunis face à ces événements. Or, des couples infertiles peuvent aujourd’hui de manière réaliste entretenir le désir, légitime, d’avoir une descendance biologique. Des solutions médicales existent à leur intention – même si la réussite n’est pas garantie dans tous les cas. Un remède peut de même être actuellement proposé aux couples qui auraient présenté auparavant un risque très élevé de transmettre une maladie génétique grave à leur descendance.

Jusqu’au début des années 80, ce qui avait trait à la procréation et à la naissance relevait essentiellement de la fatalité. À cette fatalité, s’est substituée une forme de choix – même si celui-ci demeure limité – et comme chaque fois qu’une possibilité d’agir se substitue à une impuissance, se pose la question fondamentale des limites dans lesquelles doit être contenue cette nouvelle capacité d’action.

En matière d’AMP, ces limites constituent aujourd’hui la principale question éthique. Les esprits ont beaucoup évolué depuis trente ans : nul ne remet plus en question le recours à ses techniques en cas d’infertilité. Plus personne ne songerait non plus à contester le bien-fondé de la prise en compte du souhait des parents quant à leur descendance dans certains cas particuliers. Aucune de ces pratiques n’est moralement répréhensible et nul n’en est choqué. En revanche, notre souci collectif de citoyens est que certaines limites soient respectées. Celles-ci doivent reposer sur des principes moraux clairs car nos contemporains n’acceptent que leurs préférences individuelles puissent être frustrées, et donc leurs libertés limitées, qu’à condition que soit parfaitement établi le bien-fondé des limites posées.

La loi de 1994 et ses décrets d’application ont parfaitement réglé les problèmes qui se posaient alors en matière d’AMP. Certains avaient exprimé la crainte que cette loi soit à la fois trop générale et trop précise. Trop générale en ce qu’il y avait tout lieu de penser que les innovations médicales amèneraient les futurs parents à formuler de nouveaux désirs, et que dans cette perspective, la loi se révélerait insuffisante. Trop précise dans la mesure où elle évoquait des cas particuliers appelés à être dépassés du fait des progrès de la médecine. Là réside d’ailleurs toute la difficulté de légiférer dans un domaine où les connaissances progressent très vite et où il est difficile de ne pas tenir compte des préférences des individus.

Pour ma part, et bien que, d’une manière générale, je ne pense pas que la loi doive tout régir -elle ne le peut d’ailleurs pas-, j’estime absolument nécessaire de légiférer en matière de bioéthique. Mais la loi doit demeurer assez générale et n’établir que les garanties fondamentales qui aideront à se prononcer sur les cas particuliers -y compris ceux pouvant se présenter dans le futur. Si l’on réussissait, à partir de cellules somatiques humaines, des fécondations aboutissant à des grossesses, de nouveaux problèmes éthiques se poseraient, que nul n’imagine encore bien. La loi doit fournir des outils de réflexion et d’intervention, permettant de régler les problèmes actuels et futurs.

La meilleure manière de justifier la limitation apportée à l’exercice de la liberté individuelle est de se référer à quelques principes faisant très largement consensus dans notre société. En matière d’AMP, ils sont peu nombreux et très simples.

Le premier de ces principes est la sauvegarde des intérêts de l’enfant à naître. Je n’ignore pas le débat philosophique sur la question de savoir comment peuvent être opposés à des préférences présentes les intérêts d’un être qui n’existe pas encore et dont l’existence même dépend d’actions auxquelles se livreront ou ne se livreront pas les individus en position de désirer telle ou telle chose par rapport à lui. Le CCNE a souvent eu à se prononcer en matière d’AMP sur des cas où il était clair que le désir des parents aurait été satisfait mais où les intérêts de l’enfant à naître n’auraient pas été respectés. Il nous aurait certes été difficile d’expliquer sur un plan philosophique ce qu’étaient les intérêts d’un être encore en puissance. Il était cependant clair pour tous que l’on ne pouvait pas mettre délibérément au monde, de surcroît avec l’aide de la médecine, un individu « dans une condition objectivement dommageable ». On peut là encore polémiquer sans fin sur cette notion de « condition objectivement dommageable », mais en la matière, un peu de jugement – de bon sens dirais-je, si je ne craignais la connotation réactionnaire du concept- suffit à trancher. Ainsi le CCNE a-t-il été saisi du cas de personnes malentendantes qui souhaitaient recourir à une AMP pour être certaines que leur enfant serait lui aussi malentendant. On ne saurait bien sûr accéder à une telle demande visant à mettre délibérément au monde un enfant handicapé – la surdité constituant bien un handicap. Cet exemple, quelque peu caricatural, montre que même si les frontières sont parfois floues, il est, dans la plupart des cas, assez facile de savoir ce qu’il convient de décider.

Second principe, l’autonomie de la personne. Il est impossible de ne pas prendre en compte le souhait des parents : c’est à eux qu’il reviendra de s’occuper de l’enfant pendant de nombreuses années. Le respect de l’autonomie ne concerne d’ailleurs pas seulement ces derniers, mais toutes les personnes impliquées dans le processus de procréation, et qui, dans le cas des donneurs de gamètes ou de la gestation pour autrui, peuvent être également des tiers. Lorsque ces personnes se sont mises d’accord après avoir réfléchi à leur projet, et dès lors qu’il n’y a pas de commercialisation d’une partie du corps ou de ses organes, il ne me semble pas que la loi puisse aller à l’encontre de cette sphère de décision autonome et libre de l’individu. En fait, je ne crois pas que la loi puisse toujours protéger la personne d’elle-même – au-delà d’un certain seuil, du moins. La loi peut empêcher la vente des organes ou la réduction en esclavage d’une personne, même consentante, mais elle ne peut véritablement se prononcer sur un certain nombre de choses qu’une personne peut faire avec son corps. D’une certaine façon, je le déplore, mais nous devons reconnaître le caractère intouchable de la sphère de décision autonome de l’individu.

Le troisième principe est assez classique : il s’agit de ne pas permettre l’instrumentalisation du corps d’autrui, en particulier en l’absence de consentement. Il est parfaitement justifié d’empêcher des actes qui laisseraient des traces irréversibles sur le corps. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles la vente d’organes est interdite. Quand bien même cette pratique ne constituerait pas un danger pour la vie, elle donne lieu, dans tous les cas, à un amoindrissement définitif de la personne.

Enfin, le quatrième principe, plus sujet à interprétations, est directement lié aux problèmes de déontologie médicale. Certes, celle-ci peut évoluer, et dans certaines circonstances particulièrement tragiques, les médecins eux-mêmes ne sont pas toujours sûrs de savoir ce que la déontologie recommande. Reste que la médecine est une pratique fondée sur des valeurs et des principes. Il est donc essentiel de respecter la liberté des médecins de refuser de pratiquer un acte contraire à leur déontologie.

Je plaide par ailleurs pour un certain minimalisme en matière d’intervention médicale. Cette dernière constitue un acte sérieux, le plus souvent lié à une condition pathologique – même si elle peut également se justifier pour répondre à une situation d’inconfort avéré, notamment en matière esthétique. Il me semble que la société ne doit pas encourager l’idée selon laquelle la médecine pourrait se transformer, dans la plupart des cas, en une médecine de convenance.

Ces quatre principes sont présentés dans un ordre de priorité, l’intérêt de l’enfant à naître l’emportant sur tous les autres.

Des problèmes sont apparus, depuis quinze ans, qui me semblent justifier une relecture au moins partielle de la loi de 1994, même si le cadre intellectuel dans lequel s’inscrivait son adoption me semble toujours valable. Ce cadre, c’est l’idée que l’assistance médicale à la procréation doit être en phase avec la procréation naturelle, et que les limites apportées à l’une se justifient par une comparaison avec l’autre. C’est ainsi, notamment, que j’interprète l’exigence d’un couple hétérosexuel – puisqu’il en est ainsi pour la procréation naturelle – ainsi que les limites relatives à l’âge de la personne, et notamment de la femme. Sur ce dernier point, on peut se demander si un parallélisme strict entre procréations assistée et naturelle doit être maintenu dans la future loi. La loi actuelle précise que les personnes doivent être en âge de procréer, ce qui signifie que la femme aura au plus 42 ans – 44 selon l’interprétation la plus libérale. Pourtant, certaines femmes plus âgées aimeraient avoir recours à la procréation médicalement assistée. On pourrait envisager un assouplissement de la loi sur ce point, mais cela reviendrait à mettre en cause le parallélisme entre procréation assistée et procréation naturelle qui fondait la loi de 1994. Ce serait donc une décision lourde de conséquences.

Un autre problème concerne le don d’ovocytes. Il est difficile de ne pas établir une relation entre la rareté de tels dons et leur encadrement strict – notamment en termes d’anonymat et de gratuité. Peut-être y aurait-il une offre d’ovules plus importante si ces deux principes étaient, sinon assouplis – car que signifie « assouplir » des principes ? –, du moins réexaminés.

Enfin, il est désormais impossible de ne pas prendre en compte la gestation pour autrui, une pratique aujourd’hui beaucoup plus répandue qu’il y a quinze ans. Son autorisation par certains pays a entraîné inévitablement une forte demande. Si la fertilité et la stérilité sont considérées non comme une maladie que la médecine doit soigner, mais comme une condition dommageable à laquelle il est nécessaire de remédier, pourquoi des personnes qui sont dans l’impossibilité de porter un enfant – notamment parce qu’elles souffrent d’une pathologie de l’utérus – seraient-elles les seules à ne pouvoir recourir à la procréation médicalement assistée ? La question peut se poser. On peut certes juger parfaitement légitime qu’elles en soient exclues, mais encore faut-il en expliquer les raisons, ce qui n’est pas si facile.

M. le président. Quelle est votre position sur ce point ?

Mme Monique Canto-Sperber. Je suis plutôt libérale de tempérament. Et même si, personnellement, je la désapprouve, j’estime que la gestation pour autrui fait partie de ces pratiques que l’on ne saurait interdire, dès lors que les personnes concernées sont informées et consentantes et que toutes les dispositions ont été prises pour éviter les abus et garantir le respect des quatre principes que je viens d’évoquer. Au final, et en dépit du peu de sympathie qu’elles m’inspirent, ces pratiques me semblent relever de la décision des individus. J’éprouve d’ailleurs le même sentiment à l’égard de la boxe ou du sadomasochisme… Mais je ne pense pas que la loi, après avoir posé certaines garanties qui relèvent de l’ordre public, puisse aller jusqu’à dire à la personne ce qu’elle doit faire ou ne pas faire d’elle-même.

J’en viens à la question des greffes de visage, sur laquelle le CCNE, en 2004, a en effet exprimé d’importantes réserves. La raison en est simple : d’après les informations dont nous disposions – notamment à la suite de nos contacts avec l’académie britannique de chirurgie, qui avait étudié la question en détail –, les risques de rejet, pour de telles greffes, sont extrêmement élevés. Et si un rejet intervenait après une opération de ce genre, on ne pourrait même plus parler de victime défigurée : celle-ci n’aurait tout simplement plus de visage. Dès lors, il nous a semblé que l’on sortait d’une proportion risques / bénéfices acceptable.

L’opération à laquelle vous avez fait allusion a eu lieu il y a trois ans, et depuis, aucun phénomène de rejet n’est apparu. Je m’en félicite. Toutefois, dans le cas d’une transplantation de tissus composites, la réaction de rejet peut être aussi forte quarante ans après que dans les jours suivant l’opération. Si nous avons fait preuve d’un excès de prudence, j’en serais heureuse, mais nous ne pouvons en être sûrs. Il m’est donc difficile de vous répondre de façon satisfaisante.

M. Jean Leonetti, rapporteur. La montée de l’autonomie que connaît notre société est difficilement réprimable, et peut d’ailleurs, dans une certaine mesure, être interprétée comme une libération. Dans ce contexte, il existe un conflit permanent entre le désir de l’individu et les obligations morales. Mais vous avez laissé entendre à plusieurs reprises que ces obligations pouvaient ne pas s’appliquer dès lors qu’un individu n’était pas lésé.

On retrouve ce conflit dans un de vos écrits : sous le titre : « mères porteuses, esclaves, machines ou prostituées ? », vous vous demandez si la loi peut interdire une possibilité désirée et librement consentie par des parties prenantes, dans la mesure où nul n’est lésé et où le devoir de protection de l’État à l’égard de l’enfant à naître n’est pas en jeu. Ailleurs, vous vous interrogez sur l’objectif de la médecine : est-il de soigner ou d’améliorer ? À l’instar de la chirurgie esthétique, la procréation médicalement assistée peut être considérée comme une amélioration, comme la réponse à un inconvénient, plutôt que comme le traitement d’une affection qui altère l’individu.

Or, derrière la difficulté à trouver le bon équilibre entre autonomie et nécessité de ne léser personne, n’y a-t-il pas remise en cause de la véritable autonomie ? Qu’est-ce qu’être libre et décider ? Je me rappelle une décision de justice sur le lancer de nains. Les nains étaient favorables à ce jeu de foire, parce qu’ils étaient rémunérés et y trouvaient leur compte. Néanmoins, la justice a considéré que cette pratique mettait en cause la dignité de la personne. Sans faire de strict parallélisme, ne pensez-vous pas que, quel que soit l’encadrement de cette pratique, accepter de porter l’enfant d’une autre personne, de surcroît contre une indemnité, c’est être instrumentalisé ? Le consentement n’est pas, en effet, un élément suffisant pour affirmer l’autonomie, car on peut toujours imaginer qu’il a été dicté par une forme de vulnérabilité, qu’elle soit psychologique ou financière.

On retrouve cette ambivalence dans les propos que vous venez de tenir : à titre personnel, vous êtes réticente à l’égard de telles pratiques, mais vous ne voyez pas comment les empêcher. Est-il donc illusoire de fixer des limites, toujours fragiles, à la réponse que l’on peut apporter à l’insatisfaction des individus ? La bioéthique, n’est-ce pas une tentative permanente de concilier ces limites avec le souhait de faire bénéficier le plus grand nombre des découvertes de la science ?

Mme Monique Canto-Sperber. Je ne dis pas qu’il faut laisser faire ce que par ailleurs je désapprouve parce qu’il serait de toute façon impossible de l’empêcher. Il est vrai que je désapprouve ces pratiques, mais je suis aussi profondément attachée à ce qu’on laisse l’individu libre de décider de manière souveraine ce qui le concerne seul. Cela ne signifie pas qu’il peut faire n’importe quoi : des lois existent, et elles interdisent déjà beaucoup de choses. Il n’en demeure pas moins que je n’ai pas compris la décision du Conseil d’État au sujet du lancer de nains. Elle ne m’a pas paru de nature à convaincre d’éventuels adversaires – ce qui devrait pourtant être son but.

M. le rapporteur. Et dans le cas de l’exposition, dans les foires, de personnes physiquement monstrueuses ? Quelle est la part de l’autonomie de la personne ?

Mme Monique Canto-Sperber. Il est un argument que le Conseil d’État aurait pu employer, et qui vaut pour l’exemple que vous donnez : c’est le caractère incitatif de telles pratiques, qui induisent des comportements de mépris à l’égard de personnes malformées. Des raisons d’ordre public peuvent donc justifier, dans de tels cas, une limitation de la liberté d’expression. Mais ces raisons doivent être précises.

Vous vous demandez si le consentement permet d’apprécier l’autonomie de la personne. Ce n’est peut-être pas toujours le cas, en effet. Mais pardonnez-moi de vous poser une question en retour : hors le consentement, qu’est-ce qui peut nous donner accès à l’autonomie de la personne ?

M. le rapporteur. C’est une condition nécessaire, mais pas suffisante.

Mme Monique Canto-Sperber. Mais il n’existe pas une autre condition nécessaire ! Certes, si une personne se trouve dans un état délirant, son consentement peut être remis en question. Mais les professionnels de santé savent très bien apprécier la capacité de consentement. Et dans certains cas, des personnes parfaitement lucides peuvent donner leur consentement à quelque chose que nous désapprouvons.

M. le rapporteur. Dans un cadre législatif, le consentement ou l’autonomie de la personne s’adresse à la société. Admettons que dans la plupart des cas, le choix effectué par l’individu soit éclairé, autonome et lucide. Pour autant, la société doit-elle répondre à toutes les insatisfactions et désirs des individus ? Ou bien, par principe, doit-elle regarder l’intérêt général non comme la satisfaction cumulée de ces désirs mais comme une exigence dictée par l’organisation de la société ? Enfin, donner satisfaction à un individu, n’est-ce pas affirmer que la société accepte son attitude, et considérer celle-ci comme relevant de la norme collective et non plus de l’acte individuel ?

Mme Monique Canto-Sperber. Vous touchez là au cœur du problème. L’intérêt général, le bien public sont des notions sérieuses et leur existence est incontestable. Mais à la différence des préférences des individus, elles sont difficiles à définir et à rendre convaincantes. Il n’est pas aisé de démontrer l’intérêt général ; le plus souvent, on ne fait que le déclarer. Et il se trouvera toujours quelqu’un pour affirmer son désaccord. Il faut donc faire très attention à ce que l’on désigne comme l’intérêt général, qui doit être, dans la mesure du possible, incontestable. Ainsi, aussi libéral soit-on, nul ne veut vivre dans une société où un individu peut vendre ses organes, parce qu’une telle pratique met en cause la vie humaine et entraîne un amoindrissement physique irréversible. Son interdiction sert donc l’intérêt général : sur ce point, le consensus est clair.

En revanche, s’agissant de pratiques dépourvues de caractère irréversible, lorsque l’amoindrissement de l’individu ne va pas de soi – surtout quand la personne ayant porté l’enfant d’une autre affirme qu’elle est plus heureuse après l’avoir fait –, il est difficile de trouver des arguments auxquels une large majorité peut souscrire pour affirmer que l’intérêt général commande une interdiction.

Vous évoquez enfin l’idée selon laquelle permettre quelque chose, c’est affirmer que la société l’accepte et l’encourage. C’est sans doute le point sur lequel je suis le plus éloignée de vous : je fais une différence majeure entre la loi et la morale. Ce n’est pas parce qu’une pratique est dépénalisée qu’elle est socialement encouragée. J’aimerais, au contraire, que dans bien des domaines nos lois soient plus libérales, et qu’il existe une réflexion publique morale infiniment plus contraignante quant au comportement des individus. Prenons l’exemple de l’avortement : en France, la loi est relativement stricte, puisqu’elle ne permet l’interruption volontaire de grossesse que jusqu’à douze semaines. Or, nous comptons un avortement pour trois accouchements. C’est, en comparaison avec les autres pays développés, une situation aberrante. En Angleterre, il existe depuis les années soixante une loi extrêmement libérale en matière d’avortement : celui-ci est permis jusqu’à la vingt-sixième semaine. Or il y a, en Angleterre, beaucoup moins d’avortements qu’en France. Ainsi, une loi très libérale peut aller de pair avec un faible nombre d’avortements, et inversement.

La différence entre les deux pays, c’est qu’en Angleterre, il existe un débat public extrêmement riche sur le problème moral que pose l’avortement dans certaines situations. On peut exprimer publiquement des arguments allant dans le sens d’un renoncement à l’avortement, sans pour autant être accusé de vouloir le dépénaliser ou de porter tort à un de ses droits essentiels. Le droit et la morale y sont bien distingués, ce qui n’est pas le cas en France, où la loi de dépénalisation de l’avortement est comprise comme une loi de permissivité morale. Comme on ne peut imaginer que, dans les démocraties modernes, la loi ait à intervenir sur toutes les questions possibles, il faudra bien qu’à un moment l’autorégulation spontanée des individus prenne le dessus. Nous avons donc tout intérêt à développer une capacité de délibération morale, meilleure garantie de l’autorestriction des comportements qui en découle. Les lois de bioéthique pourraient aller dans ce sens : marquer que la loi a un domaine d’action précis, et qu’une grande liberté doit être laissée à la réflexion morale à côté des dispositions juridiques.

M. le rapporteur. Les États généraux de la bioéthique seront d’ailleurs, pour les citoyens, l’occasion de participer à ce débat.

M. Michel Vaxès. Vous avez évoqué la notion d’individu souverain, ce qui pose le problème de savoir ce que recouvre cette souveraineté. Je n’ai pas le sentiment que l’on puisse exister sans l’autre : l’essence de l’humanité ne réside pas dans l’individu pris isolément, mais dans le rapport. Dès lors, tout ce que je fais a une conséquence sur ce que font les autres, et réciproquement. Et ce problème se pose indépendamment du caractère pertinent ou non de la loi.

Mme Monique Canto-Sperber. On ne peut nier, en effet, que les comportements soient mutuellement contraints. Quand je dis que l’individu est souverain – ou plutôt que sa volonté est souveraine –, je veux dire qu’il existe un domaine d’action qui ne concerne que l’individu et au sujet duquel il est seul à décider, sans que les autres puissent interférer. Le fait que l’individu soit totalement lié aux autres ne signifie quand même pas qu’il emporte avec lui le jugement de tous les autres, dans tout ce qu’il fait, en particulier s’agissant de sa propre personne. L’existence d’une sphère de volonté individuelle n’est pas en contradiction avec l’interdépendance maximale qui caractérise nos sociétés.

Ainsi, la notion de dignité peut avoir deux sens : elle concerne soit le rapport à autrui, soit le rapport à soi. Dans le premier cas, la dignité coïncide avec les droits de la personne : il est nécessaire de reconnaître à autrui la dignité d’une personne humaine et les droits qui vont avec. Violer ces droits, c’est avoir un comportement indigne à l’égard d’autrui.

En revanche, le second sens, le respect de la dignité humaine dans ce que l’on fait de soi, est plus controversé.

M. le président. Merci beaucoup, madame, pour toutes ces réflexions.

Table ronde avec Mme Pauline TIBERGHIEN, présidente, et M. Arthur KERMALVEZEN, porte-parole de l’association Procréation médicalement anonyme (PMA), Mmes Laure CAMBORIEUX, présidente, et Sandra SAINT-LAURENT, membre de l’association Maia, Mmes Marie-Pierre MICOUD, coprésidente, et Marie-Claude PICARDAT, porte-parole de l’association des parents gays et lesbiens (APGL), et Mmes Dominique LENFANT, présidente, et Hortense de BEAUCHAINE, membre de l’association Pauline et Adrien


(Procès-verbal de la séance du mardi 10 mars 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Je me félicite tout d’abord que le président Obama ait signé hier un décret autorisant le financement public de la recherche sur les cellules souches embryonnaires dans un encadrement strict.

Nous avons aujourd’hui le plaisir d’accueillir les représentants de plusieurs associations, qui pourront nous faire part de leurs réflexions sur l’assistance médicale à la procréation (AMP) et de leurs attentes dans la perspective de la révision des lois de bioéthique.

Mme Laure Camborieux est présidente de l’association Maia, qui milite notamment en faveur de la légalisation de la gestation pour autrui (GPA). Mme Sandra Saint-Laurent, qui l’accompagne, est membre de Maia.

Mme Pauline Tiberghien est présidente de l’association Procréation médicalement anonyme, gynécologue obstétricienne. Elle est accompagnée par M. Arthur Kermalvezen, porte-parole de l’association et auteur d’un ouvrage paru en 2008, intitulé « Né de spermatozoïde inconnu ».

Mme Marie-Pierre Micoud et Mme Marie-Claude Picardat sont respectivement coprésidente et porte-parole de l’Association des parents gays et lesbiens (APGL).

Enfin, Mme Dominique Lenfant est présidente de l’association Pauline et Adrien et, par ailleurs, membre depuis 2005 du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine. Elle est accompagnée par Mme Hortense de Beauchaine, également membre de l’association.

Je vous laisse la parole pour un propos liminaire d’une dizaine de minutes par association, avant d’ouvrir le débat avec le rapporteur et les membres de la mission.

Mme Laure Camborieux, présidente de l’association Maia. Je vous remercie de nous avoir invitées à présenter la contribution de notre association.

Celle-ci a été créée en 2001, au moment des précédentes révisions des lois car deux points cruciaux n’avaient pas été pris en compte : le recours au don d’ovocytes était très difficile en France – et il continue, malheureusement, de l’être huit ans après – et la question de la gestation pour autrui (GPA) n’avait pas du tout été débattue.

Nous sommes essentiellement, aujourd’hui, une association d’information et de soutien aux couples infertiles, présente sur tout le territoire. Notre idée majeure est que l’infertilité, quelle qu’en soit la cause, a des répercussions majeures sur les individus et les couples à tous les niveaux de leur vie. Nous considérons en outre qu’il existe différents moyens de fonder une famille, que ce soit par des traitements médicaux ou par l’adoption.

Nous accompagnons les couples, aussi bien ceux qui suivent un parcours classique que ceux qui sont concernés par le don de gamètes ou d’embryons ou par l’adoption, et nous militons pour l’encadrement de la gestation pour autrui.

Selon nous, la parentalité est bien moins affaire de biologie que de lien social. Les parents sont avant tout ceux qui élèvent et qui prennent la responsabilité des enfants. Cela vaut pour les couples concernés par la gestation pour autrui au même titre que pour les autres. Ces parents ne sont pas différents des autres couples infertiles. Ils ne sont ni irresponsables, ni dénués de valeurs morales ou éthiques ou de capacités de réflexion, comme l’a montré Dominique Mehl. Nous vous invitons d’ailleurs à nous rencontrer au pique-nique que nous organisons au mois de mai : vous pourrez vérifier que nous sommes des couples normaux et que nos enfants vont très bien.

Les couples membres de notre association ne sont pas allés en Inde ou en Ukraine mais aux États-Unis ou au Canada, deux démocraties avancées.

Les femmes qui ont porté leurs enfants sont blanches dans la quasi-totalité des cas. Elles sont infirmières, militaires, sages-femmes, employées municipales, employées de banques ou d’assurance, comptables. Leur mari est cadre, propriétaire de restaurant, fonctionnaire, employé. Permettez-moi de raconter une anecdote à ce sujet : lorsqu’une amie a rencontré pour la première fois sa « nounou » – c’est l’appellation qui a ma préférence –, cette dernière avait un sac et des chaussures Chanel ainsi que des lunettes Gucci. Habillée en Zara, mon amie s’est sentie « plouc »…

Les femmes qui ont accepté d’être nounous ne l’ont pas fait par nécessité vitale. Souvent profondément croyantes, elles souhaitaient aider un couple infertile. Elles sont généralement très investies auprès de leur église et au sein d’associations d’aide à la personne. Elles ont été dûment informées des implications médicales, personnelles, psychologiques et juridiques de leur choix. Vous pouvez, comme l’a fait la mission sénatoriale, aller les rencontrer en Grande-Bretagne pour connaître leurs motivations.

On parle souvent de l’Inde ou des pays de l’Est pour dresser une image apocalyptique de la GPA. Nous condamnons aussi les pratiques hors du temps et hors de l’acceptable qui y sont menées. Mais nous considérons que l’interdiction française, qui prive nos concitoyens d’une solution acceptable, les pousse à un « exil procréatif » et encourage ces filières plus ou moins douteuses. De même, la très grande difficulté du don d’ovocytes pousse les couples à se rendre à l’étranger et les place parfois à la merci d’intermédiaires peu fiables.

Mais veut-on interdire le don d’ovocytes en France sous prétexte qu’il est mal encadré dans certains pays ? Veut-on interdire le don d’organes sous prétexte qu’il y a des trafics inacceptables sous d’autres latitudes ? N’est-il pas préférable d’encadrer correctement ces pratiques comme on l’a fait pour d’autres ?

Nous avons passé en revue, dans un document, tous les arguments opposés à la GPA et nous montrons que, si on raisonne avec un minimum d’objectivité, il n’y a pas d’éléments indiscutables, solides, intangibles pour poursuivre l’interdiction. Tel est le sens de la réflexion que vous a présentée Monique Canto-Sperber.

L’éthique n’est pas la morale. La réflexion éthique doit répondre à un certain nombre de principes : autonomie, bienfaisance, non-malfaisance, justice. Nous ne pouvons pas mener une réflexion sur la bioéthique en partant de présupposés totalement faux. Je viens de recevoir un article très intéressant d’une anthropologue israélienne qui a travaillé sur la question de la gestation pour autrui et qui montre comment les stéréotypes ont des conséquences sur la réflexion bioéthique. Si l’on veut travailler sérieusement sur cette question, il faut lire ce papier pour mettre en perspectives un certain nombre de choses.

À ce jour, les données de la recherche scientifique ne montrent pas d’exploitation des femmes dans les pays où la GPA est correctement encadrée. On n’observe pas de dérives financières incontrôlables en Grande-Bretagne et au Canada. Les données médicales obstétricales et néonatales sont rassurantes. On n’observe pas non plus de refus de remettre l’enfant aux parents qui l’attendent. Les personnes qui ont porté l’enfant ne présentent pas de difficultés majeures pendant ou après sa remise – sous réserve, là encore, que la pratique soit correctement encadrée – et les relations entre les parents et les gestatrices sont harmonieuses pendant la grossesse et souvent après. Il en est de même des relations dans les familles ainsi constituées.

C’est bien parce que nous avons un argumentaire cohérent et complet que nous avons pu convaincre au cours de ces huit années de travail. Nous avons d’abord convaincu nos familles, nos amis, nos voisins que, sous certaines conditions, la gestation pour autrui est acceptable.

Nous avons aussi observé que le regard des médias changeait petit à petit. En 2001, les titres des journaux étaient extrêmement négatifs. Aujourd’hui, les journalistes m’encouragent à continuer et à témoigner pour faire avancer la question. Il serait intéressant que vous entendiez ces journalistes qui ont changé d’avis de façon spectaculaire car ils ne l’ont pas fait par compassion mais parce qu’il y avait des arguments forts. M. de Richemont a lui-même avoué avoir changé d’avis à l’issue des travaux de la mission sénatoriale.

Les médecins, les gynécologues qui se prononcent maintenant en majorité en faveur d’un encadrement de la GPA n’ont pas non plus changé d’avis par compassion mais bien parce qu’il n’y a plus d’éléments suffisamment solides pour interdire cette pratique.

Qui plus est, on ne le dit pas assez, l’interdiction actuelle est délétère. Les dérives existent déjà en France : en tapant « mère porteuse en France » sur Google, vous voyez apparaître les agences des pays de l’Est et les endroits où trouver des annonces. Croire que l’interdiction actuelle empêche les dérives, ne pas vouloir regarder la vérité en face, c’est être totalement naïf, voire irresponsable.

On nous dit que la loi doit protéger les plus faibles. Nous sommes tout à fait d’accord. En l’espèce, ce sont les couples qui savent qu’une solution existe de manière encadrée outre-Manche mais qui n’ont pas les moyens financiers ou la possibilité de s’y rendre. Dans leur détresse, ils sont prêts à tenter le tout pour le tout en France avec le maximum de risques.

C’est aussi au nom de cette interdiction injustifiée qu’on prive des enfants d’un lien de filiation avec leurs parents. Certains, de manière assez étonnante, justifient cette privation au nom de l’intérêt de l’enfant. Des juristes, comme Laurence Brunet, ont un avis différent.

Pour qu’une interdiction soit respectée, il faut qu’elle soit juste, justifiée et efficace. Aujourd’hui, l’interdiction de la GPA ne remplit pas ces critères. On ne peut pas demander à des couples de la respecter alors que la GPA pour eux la seule solution pour fonder une famille et qu’on sait trouver un cadre pour organiser cette pratique.

En conclusion, je résumerai les demandes de l’association Maia. Nous demandons un véritablement encadrement de la GPA qui mette fin aux dérives actuelles et offre un véritable cadre protecteur aux couples infertiles ainsi qu’aux gestatrices et aux enfants. La levée de l’interdiction de la GPA coupera également court aux tentatives de l’appareil judiciaire d’empêcher l’établissement de filiations stables pour les enfants déjà nés.

Par ailleurs, nous souscrivons totalement aux propos du professeur Olivennes quant à l’état de la prise en charge de l’assistance médicale à la procréation (AMP) en France, que ce soit pour les traitements intraconjugaux ou pour le don de gamètes.

Nous souhaiterions que la limitation en raison de l’âge et du nombre de traitements à partir de fécondations in vitro (FIV) soit revue et que les arrêts de traitement soient décidés en accord entre le médecin et le couple sur des critères biologiques – chances de réussite trop faibles, par exemple.

Nous aimerions plus de transparence quant aux résultats des centres d’AMP, le professeur Olivennes ayant observé que celle-ci n’est pas satisfaisante.

Nous souhaiterions la prise en compte des aspects psychologiques de l’infertilité dans les traitements.

Enfin, nous sommes favorables à l’accès aux origines pour les enfants nés par don de gamètes ou d’embryons, mais je laisse Mme Tiberghien développer ce point.

Mme Pauline Tiberghien, présidente de l’association Procréation médicalement anonyme. Je vous remercie de nous permettre de nous exprimer aujourd’hui.

L’association Procréation médicalement anonyme (PMA) a été fondée à la fin de 2004 à la suite d’un événement qui nous a paru brutal : la naissance du premier enfant français issu d’un don d’embryon anonyme.

En France, il existe deux catégories de personnes à qui la loi refuse une partie d’identité, un petit bout du puzzle que constitue l’identité : les enfants nés sous X et les enfants issus des AMP avec tiers donneur. Le don d’embryon anonyme prévu par la loi de 1994 dépasse, selon nous, les bornes dans l’irrespect de l’enfant.

Cela fait trente ans qu’on assimile un spermatozoïde à un globule rouge, qu'on nous dit que donner un ovocyte, c’est comme donner son sang, que donner un embryon, ce n’est rien, l’essentiel étant l’affectif et le social. Du moment qu’un enfant a des parents, cela devrait lui suffire…

L’accès aux origines que nous demandons n’est pas une idée franco-française. Il est émouvant de voir que toutes les personnes privées d’origine issues d’un don de sperme, qu’elles soient néozélandaises, canadiennes, françaises ou anglaises, emploient les mêmes mots pour décrire le trouble qu’elles ressentent et l’instabilité avec laquelle elles doivent avancer dans la vie.

Nous avons le projet de permettre l’accès aux origines, à leur majorité, aux enfants issus de don de sperme. Nous avons fondé une fédération internationale qui nous a permis, avec toutes les associations militant dans le même sens dans le monde, de mettre en commun nos idées, de confronter nos expériences et de prendre le meilleur de chaque loi. Aujourd’hui, seize États ou pays autorisent, d’une manière ou d’une autre, les enfants à accéder à leurs origines.

Nous prévoyons une période de transition pour laquelle nous avons un projet pédagogique très ambitieux puisque notre but est que la famille aille bien.

Les couples recourent au don quand ils sont en échec dans leur parcours intraconjugal. Ils ne vont pas au centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS) un beau matin parce que l’envie leur en prend, mais après cinq ou dix ans d’un parcours semé d’embûches et source de souffrances. On ne peut pas être sûr que les couples soient réellement autonomes et puissent se projeter dans l’avenir dans une telle souffrance.

En France, les enfants issus d’AMP avec tiers donneur sont aujourd’hui 50 000. Nous avons au moins une génération de recul, ce qui permet des retours d’expérience. Arthur Kermalvezen est ainsi venu pour vous expliquer pourquoi la loi doit changer.

M. Arthur Kermalvezen. Conçu par insémination artificielle avec un donneur de gamète anonyme, j’ai intégré l’association PMA en 2006 et suis aujourd’hui chargé par les autres enfants de porter leur parole jusqu’à vous.

L’association réunit des donneurs qui ont donné dans le cadre de l’anonymat il y a dix, quinze ou vingt ans et qui acceptent de réfléchir à la question avec des enfants et avec des parents. Elle est née de la souffrance exprimée par les enfants à leur majorité.

Lorsque j’ai adhéré, nous étions cinq enfants. Nous sommes aujourd’hui 51. J’ai créé un groupe sur Facebook et une nouvelle adhérente nous a encore rejoints hier.

Les parents nous ont expliqué pourquoi l’anonymat du don jouait une fonction très importante pour eux. D’abord, il permet la gratuité. Comme les parents se sentent redevables vis-à-vis du donneur, si ce dernier était un peu fourbe et leur demandait de l’argent, ils ne se sentiraient pas capables de refuser. Ensuite, l’anonymat protège la famille. Le couple se sent sécurisé de savoir qu’il ne va pas rencontrer le donneur, qu’il n’y aura pas d’image de lui dans un tiroir, qu’il n’y aura pas de revendication d’un droit à voir les enfants ou à aller les chercher à l’école, par exemple, ce qui est hors de question.

Notre cause a été énormément portée par les médias et les journalistes. Nous ne sommes pas pour une levée brutale de l’anonymat car, dans les pays comme la Suède, où celle-ci a été mise en œuvre sans transition, elle a renforcé le secret de famille puisque le couple ne se sent pas sécurisé.

Nous refusons une levée totale de l’anonymat comme nous refusons un anonymat total et à perpétuité. Même si ce sont mes parents qui sont à l’origine de ma venue sur terre puisque ce sont eux qui m’ont désiré et qui ont eu le projet d’avoir des enfants, l’homme qui a donné sa semence m’a permis d’être ici devant vous.

Bien qu’il y ait eu une demande forte de notre part, en tant qu’enfants issus d’un don de gamètes, nous avons compris, en discutant avec les parents, que nous ne pouvions pas égoïstement demander une levée totale de l’anonymat. On perdrait l’objectif principal des CECOS qui est, non seulement, d’assurer des normes sanitaires et d’arrêter les trafics mais également de permettre les dons directs en sperme frais. Notre projet est la possibilité d’accéder aux données identifiantes du donneur à la majorité de l’enfant.

Les donneurs ont également des revendications. Certains demandent au CECOS si leur don a servi à quelque chose. Ils veulent, en quelque sorte, un accusé de réception de leur don. Quand on fait un cadeau, on aime savoir s’il a fait plaisir ou, à tout le moins, s’il a été reçu. Il serait bon de prévoir un avis de réception pour les donneurs. Ils aimeraient aussi savoir combien d’enfants sont nés, quand et de quel sexe. Mais ils ne demandent pas plus d’informations. L’essentiel est que les enfants puissent avoir le choix, le choix de savoir ou de ne pas savoir : du côté des enfants, certains aimeraient simplement avoir une photographie, d’autres une lettre expliquant les motivations du don, d’autres encore qu’une rencontre soit organisée avec le donneur, à travers, par exemple, un centre national d’accès aux origines personnelles comme il en existe un pour les enfants nés sous X. Cela pourrait aussi être encadré, du moins pour la première rencontre, par un médiateur juridique. C’est ce que j’avais proposé il y a deux ans. Il est très bien et très sain que ce soit encadré. Il est bon de rappeler au donneur et au jeune adulte que les droits sont conservés en l’état, qu’il n’y a pas de revendication d’héritage ou de patrimoine.

Chez les enfants, il y a une grande souffrance. Il est faux de dire qu’ils vont bien.

Je donnerai un exemple pour illustrer mon propos. L’anonymat total laisse la possibilité aux parents de cacher et renforce donc le secret de famille. Or, en matière de secret de famille comme de plomberie, il y a, un jour ou l’autre, une fuite. Un des enfants de l’association, qui ne savait pas qu’il avait été conçu par ces techniques ni que son père était infertile, affirmait, sans comprendre pourquoi, à ses compagnes avec qui il avait des relations sexuelles, qu’il était infertile. Plusieurs sont tombées enceintes, ce qui a conduit à un avortement. Il est quand même dommage que cet enfant ait traduit en acte et reproduit le symptôme de son père.

Le non-dit est dévastateur. Si la loi peut avoir une fonction pédagogique, il serait bien qu’elle encourage les couples qui acceptent d’avoir des enfants par cette technique, à être formés car avoir des enfants de cette manière est vraiment « extra-ordinaire ».

Je mets tous mes espoirs en vous.

Mme Marie-Pierre Micoud, coprésidente de l’association des parents gays et lesbiens. Je vous remercie de nous avoir invités à contribuer à vos travaux et à vos réflexions.

L’Association des parents gays et lesbiens (APGL) a été fondée en 1986 et elle a donc 23 ans d’existence. Les premiers adhérents sont en train de devenir grands-parents…

Nous sommes, tout d’abord, une association familiale qui apporte des informations, fait fructifier l’expérience, apporte du soutien, crée des espaces de réflexion et d’échange entre parents et futurs parents et organise des rencontres et activités pour les enfants.

Notre seconde raison d’être est d’œuvrer pour que nos familles s’inscrivent dans la réalité sociale et juridique de notre pays.

Les parents sont normaux, les enfants aussi. Je vous invite à venir à notre prochain week-end convivial au mois de mai pour vous en rendre compte.

La loi relative à la bioéthique, en l’état actuel des choses, refuse l’accès aux techniques médicales de procréation et au don de gamètes aux gays et aux lesbiennes. C’est sur ces points que nous demandons une révision.

Les propositions que nous avons développées s’appuient sur trois principes essentiels.

Le premier est l’égalité de tous les citoyens et citoyennes dans et devant la loi. Lorsqu’il s’agit de devenir et de s’engager à être parent, il n’y a pas d’êtres humains moins dignes que d’autres à l’être.

Le deuxième principe est l’égale protection de tous les enfants, quels que soient le contexte de leur naissance et la structure de leur famille. Les parents d’un enfant sont les adultes qui sont à l’origine de sa venue au monde ou de son accueil en cas d’adoption et qui expriment la volonté et l’engagement d’en être les parents. Lorsque ces deux conditions sont réunies, la responsabilité de ces adultes envers cet enfant doit être engagée de manière irrévocable.

Le troisième principe est que nous ne demandons pas de loi spécifique mais la même loi pour tous et toutes.

L’APGL est concernée par cinq points : l’ouverture aux personnes seules ou aux couples de même sexe de l’AMP, la GPA, les dons de gamètes, le principe de l’anonymat du don et l’établissement de la filiation des enfants nés de don.

La loi actuelle est porteuse de discriminations fondées sur l’orientation sexuelle et le choix de vie.

L’assistance médicale à la procréation est constituée de deux éléments distincts : d’une part, un ensemble de techniques et de technologies qui ont été développées et mises en œuvre par la communauté scientifique et médicale et qui permettent, depuis quelques années, la procréation en dehors d’un rapport sexuel fécond entre un homme et une femme ; d’autre part, le concours de tiers donneurs de gamètes – sperme et ovocytes – et, peut-être un jour, de celui de donneuses d’engendrement avec les gestatrices.

Les avancées médicales alliées à la générosité des donneurs permettent donc à des personnes qui, hier, ne pouvaient pas procréer, de donner naissance à un ou plusieurs enfants.

Un argument qui est souvent avancé est que la médecine a pour but de soigner. Autoriser l’AMP à d’autres personnes que celles qui souffrent d’une pathologie de la stérilité serait donc un dévoiement de la médecine.

Regardons cependant de près ce que la médecine soigne dans le cas de l’AMP. Les personnes souffrant d’une infertilité sont-elles malades ? Leur santé ou leur vie sont-elles en danger ? Non. La médecine soigne-t-elle le problème de la fertilité pour permettre une procréation par rapport sexuel ? Parfois oui mais, dans bon nombre de cas, non, qu’il s’agisse de l’insémination artificielle ou de la FIV. Les personnes souffrant d’infertilité peuvent-elles être guéries ? Non. La médecine, à elle toute seule, peut-elle suppléer à l’infertilité ? Non, puisqu’il manque parfois du matériel reproductif dans le couple et il faut donc le concours de tiers donneurs de gamètes.

Il convient dès lors de se demander ce que la médecine prend en charge ? Pour nous, la réponse est simple : elle prend en charge le désir d’enfant de personnes qui sont dans l’impossibilité de procréer par rapports sexuels. Elle propose des moyens techniques et des moyens humains pour pallier, dans la mesure du possible, la douleur et la souffrance que peut engendrer cette impossibilité d’avoir des enfants.

Force est de constater qu’il y a des personnes qui ont aussi un désir d’enfant, qui ne peuvent pas procréer par rapports sexuels, pour qui ne pas avoir d’enfant est une réelle souffrance dans leur vie mais qui ne peuvent pas bénéficier de la procréation artificielle et du don de gamètes parce qu’elles ne rentrent pas dans le cadre juridique actuel, en particulier les gays et les lesbiennes.

Si la médecine prend en charge le désir d’enfant et la souffrance de ne pas être en mesure de procréer, la question devient donc de savoir selon quels critères il serait possible de dire que tel ou tel désir d’enfant, que telle ou telle souffrance est plus digne de considération, plus injuste ou plus insupportable que d’autres.

Le désir d’enfant a peu de choses à voir avec l’orientation sexuelle ou le fait d’être en couple ou non. S’il émerge aujourd’hui avec force chez les homosexuels, ce n’est pas tant parce qu’ils réclament d’avoir les mêmes choses que les autres, en référence à la notion d’enfant objet qu’on nous oppose souvent, ni parce qu’ils réclament un « droit à l’enfant » – ils ne le réclament pas plus que les hétérosexuels – c’est surtout parce qu’il survient après de longues années de négation et de refoulement et parce que la dissociation progressive de la sexualité hétérosexuelle et de la procréation, conjuguée à l’apparition de nouvelles technologies médicales, rend, d’une part, imaginable, d’autre part, possible le fait de faire naître un enfant au sein d’un couple de femmes ou en l’absence de partenaire de vie.

Si la médecine dispose de moyens technologiques pour prendre en charge le désir d’enfant et la souffrance qui accompagne l’impossibilité à concevoir, au nom de quoi doit-on permettre qu’elle vienne en aide aux uns et pas aux autres ?

Ce constat fait ressortir à l’évidence une discrimination profonde selon la catégorie à laquelle vous appartenez. Si vous êtes hétérosexuel, votre souffrance mérite d’être allégée. Sinon, non.

Une autre manière de démontrer cette discrimination est de comparer les réponses qu’apporte la loi dans le cas de la demande d’un couple hétérosexuel et dans le cas d’un couple de femmes.

Lorsqu’une femme, dont le partenaire masculin est infertile, demande à la médecine de l’aider, une réponse que la loi pourrait lui faire serait : « Madame, votre mari est stérile. Nous sommes désolés. Vous avez le choix entre rester avec cet homme et ne pas avoir d’enfant ou celui de trouver un partenaire fertile pour pouvoir résoudre votre désir d’enfant. » Ce n’est pas cette réponse que la loi apporte, parce qu’elle respecte le choix de vie de cette femme. C’est cet homme-là qu’elle aime. C’est avec cet homme-là qu’elle a envie de construire une famille. Avec celui-là et pas un autre.

Pourtant c’est exactement la première réponse que la loi apporte à une femme en couple avec une autre femme. En refusant l’accès à l’AMP, la loi dit à cette femme : « Madame, vous vivez avec une femme. Nous sommes désolés. Vous avez le choix entre être homosexuelle et ne pas avoir d’enfant ou celui de trouver un partenaire masculin pour résoudre votre désir d’enfant. » En clair et autrement dit, soyez hétérosexuelle et tout ira bien.

L’association souhaite que la loi évolue de façon à permettre l’accès à l’AMP et au don de gamètes et d’embryons à tout couple ou toute personne seule porteurs d’un projet parental, s’engageant à être parents des enfants qui en naîtront et en âge d’être parents. Il conviendrait en effet de remplacer l’expression « en âge de procréer » par celle d’« en âge d’être parent », dans la mesure où nous estimons que les conditions de recours à l’AMP et au don de gamètes doivent prendre en considération les progrès de la science qui permettent d’accroître l’espérance et la qualité de vie ainsi que l’âge de procréation pour les hommes comme pour les femmes. Le critère qui doit prédominer est que l’enfant soit accueilli par des adultes en mesure de l’accompagner jusqu’à l’âge où il sera autonome.

Nous demandons que la GPA soit autorisée pour toute personne seule ou tout couple porteur d’un projet parental, qu’elle soit organisée et strictement encadrée pour éviter toute dérive marchande, garantir la dignité de tous les protagonistes et permettre un consentement libre et éclairé de la femme qui accepte de porter un enfant pour autrui, et que les personnes qui mettent en œuvre une maternité pour autrui puissent bénéficier de conseils juridiques et d’un suivi médical et psychologique approprié. Je ne rentre pas dans le détail des conventions.

Concernant l’anonymat du don de gamètes, notre position ne relève d’aucun dogme : ni de celui du maintien impératif de l’anonymat, ni de celui de sa levée impérative. En revanche, nous demandons à ne pas hypothéquer l’avenir. Nous souhaitons que soit créé un conservatoire des origines afin de permettre aux enfants nés de don ou de maternité pour autrui de pouvoir accéder, s’ils le souhaitent un jour, aux informations concernant les personnes qui, par leur don, ont permis leur venue au monde.

Enfin, nous demandons l’établissement d’une filiation pour les enfants nés de parents de même sexe.

Mme Dominique Lenfant, présidente de l’association Pauline et Adrien. Je vous remercie d’entendre la parole des couples qui sont au sein du problème.

L’association Pauline et Adrien est un vécu de vingt ans : participation aux travaux de l’Assemblée nationale en 2001 sur le thème « Femmes, bioéthique, AMP », à un colloque parlementaire, à la Journée nationale de la fertilité, au conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine, traversée en 2004 de dix-neuf villes pendant un mois et demi dans un camion exposition qui a permis de rencontrer plus de 2 000 couples.

Au centre de toutes ces discussions, chaque personne infertile est un individu à part entière et non pas un cas parmi d’autres. En tant que patient, il arrive encore parfois de s’interroger sur la réelle motivation du médecin alors qu’il est considéré comme un expert.

Faut-il remettre en question les principes de la loi de bioéthique ? N’est-il pas logique de mettre sous forme de principes les applications depuis 2004 ?

Pour avoir accès à l’AMP, l’homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans et consentant préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination.

L’âge de procréer a été fixé par la loi à 43 ans. C’est une moyenne mais il est très difficile de faire entendre ce discours à un couple qui est dans la détresse. Une femme de trente ans peut avoir une ménopause précoce et être infertile alors qu’une femme de 45 ans peut être féconde. Si on augmentait un peu cet âge, cela permettrait aux couples d’être moins frustrés.

Quant à la notion de couple et de vie commune, je ne sais pas si l’AMP est là pour sacraliser le mariage : au lendemain du mariage, il est possible d’avoir recours à l’AMP alors qu’il faut deux ans de vie commune quand on n’est pas marié. Il existe des couples mariés qui vivent quinze jours par mois ensemble parce que leur mutation professionnelle les a envoyés chacun à un bout de la France. Il y a également de faux certificats de concubinage et les témoins peuvent être des passants ou des employés de mairie. Il serait beaucoup plus honnête d’accepter d’aménager le consentement éclairé quand on souhaite une AMP. Celui-ci, qui est obligatoire, devrait être le même dans tous les centres.

C’est à la suite de très longs examens, pouvant s’étaler sur une période de quatre mois à un an, qu’un couple infertile se rend chez son médecin qui, au vu des examens, lui indique la meilleure façon pour les aider. C’est à ce moment-là qu’est remis au couple le consentement qu’il doit signer et rapporter un mois plus tard. Ce délai de réflexion me semble suffisant pour être convaincu que ce couple veut vraiment avoir un enfant.

On pourrait aussi aménager ce consentement avec le transfert post mortem. Pour exceptionnels qu’ils soient, ces cas n’en sont pas moins dramatiques lorsqu’ils surviennent. Prenons le cas d’une femme de 36 ans qui a eu un parcours d’infertilité et a des embryons congelés. Si son mari décède, elle ne peut pas se faire transférer les embryons congelés, ni les adopter dans le cadre du don d’embryon alors qu’elle peut adopter un enfant. Les deux pratiques ne sont pas sur le même plan mais il est difficile de l’expliquer à des femmes dans ces situations. Il serait bien de donner un délai de réflexion, celui-ci variant selon l’âge de la femme. On pourrait confier à une instance comme l’Agence de la biomédecine le soin d’examiner ces dossiers car ils sont très peu fréquents.

Le nombre de tentatives prises en charge est également à revoir. À l’heure actuelle, il est limité à six inséminations intra-utérines et quatre tentatives de fécondation in vitro (FIV). Le compteur est remis à zéro après chaque naissance. Il faut savoir que, si, à la quatrième tentative de FIV, une femme est enceinte et que l’apparition d’une anomalie entraîne une interruption thérapeutique de grossesse, cette femme n’a plus droit à une autre tentative de FIV. C’est très difficile à vivre. Il faudrait également remettre le compteur à zéro et proposer à nouveau quatre tentatives de FIV quand l’interruption de grossesse est plus tardive, c’est-à-dire vers six ou sept mois.

J’ai voulu savoir si l’application de la loi avait amélioré les résultats des centres de fécondation in vitro mais je n’ai pas trouvé de réponse évidente. Il existe des différences de 10 à 30 % dans les résultats des centres d’AMP.

M. le président. Nous avons eu ce débat la semaine dernière.

Mme Dominique Lenfant. Les femmes ont besoin d’avoir ces informations pour pouvoir prendre des décisions.

Nous militons pour un don de gamètes gratuit, anonyme et volontaire.

Une information est indispensable. Il existe encore des gynécologues qui refusent de prendre en charge des femmes qui veulent faire un don d’ovocyte. Ils font valoir que, juridiquement, ils ne sont pas protégés et qu’ils ne peuvent pas gérer ce problème.

S’il y a peu de donneuses en France, c’est parce que le don est en fait payant pour celles-ci. Quand une femme est loin d’un centre de don, elle est obligée d’avancer l’argent, le délai de remboursement pouvant aller jusqu’à un an. Ne peut donner ses ovocytes qu’une femme riche, qui peut avancer plus de 500 euros pour faire un traitement. On pourrait imaginer une compensation sous forme de crédit d’impôt. Le don aux œuvres est bien déductible des impôts.

La solution la plus évidente pour aider les donneuses, c’est d’autoriser à pratiquer les activités de don de gamètes et d’accueil d’embryons les établissements de santé privés à but lucratif soumis aux mêmes règles que les centres agréés qui en font la demande. S’il existe un réseau national du don, on facilitera la vie des donneuses.

Je laisse la parole à Hortense de Beauchaine, qui est en train de faire une stimulation pour un don d’ovocyte, qui va vous exposer sa démarche et donner la position de l’association sur l’anonymat du don de gamètes.

Mme Hortense de Beauchaine. Merci beaucoup de nous entendre aujourd’hui.

Je suis membre de l’association Pauline et Adrien. J’ai, moi-même, connu de gros problèmes de fertilité dans mon couple et j’ai eu la chance d’avoir deux enfants depuis. Je suis en plein parcours pour faire un don d’ovocyte d’ici à trois semaines.

Faire un don d’ovocyte coûte aujourd’hui de l’argent quand on n’habite pas à côté d’un CECOS. Vivant à 400 kilomètres de Paris, je suis obligée de faire tous mes dosages ovariens et mes échographies près de chez moi. Ayant des enfants, comme toute donneuse, je ne peux pas me permettre de m’installer quinze jours à Paris, temps requis pour ces examens. Pour donner un ordre de grandeur, je précise que rien que mon dosage ovarien et mon échographie pour savoir si je pouvais ouvrir un dossier en tant que donneuse m’ont coûté 145 euros. Pour avoir fait de nombreuses FIV, je sais que, pour pouvoir procéder à une ponction ovarienne, je vais être obligée de faire cinq stimulations. Je ne suis pas sûre que toutes les femmes puissent avancer une telle somme. J’ai la chance d’avoir une mutuelle privée qui va prendre ces frais en charge mais ce n’est pas le cas général.

Mes déplacements à Paris ont également un coût. Depuis le mois d’octobre, je suis déjà venue quatre fois et je vais revenir une cinquième fois pour ma ponction à la fin du mois. Le CECOS m’a annoncé qu’il fallait compter à peu près un an pour obtenir le remboursement de ces frais, qui s’élèvent à 120 euros pour chaque voyage aller et retour.

Lors de chaque déplacement à Paris, je dois faire garder mes enfants et, pour mes derniers dosages et ma ponction, je devrai rester quatre ou cinq jours.

Tous ces coûts additionnés font une somme très importante. J’ai fait la promesse en 2003 de faire un don d’ovocyte car, ayant connu des problèmes de fertilité, j’aurais aimé que quelqu’un en fasse de même pour moi. Je tiendrai ma promesse mais à quel prix ?

Si le don n’était pas anonyme, personnellement, je ne le ferais pas. Je n’ai pas du tout envie, dans vingt ans, que quelqu’un vienne sonner à ma porte en me disant : « Bonjour, tu es ma mère ». Je donne des gamètes qui vont permettre de faire un enfant mais, pour faire un enfant, il faut être deux. Ce n’est pas moi qui vais le porter ni l’élever. C’est, certes, un geste de générosité mais l’enfant qui naîtra, grâce au don que j’aurai fait, ne sera pas mon enfant.

Sur les 50 000 enfants qui sont issus d’un don en France, moins de 10 % connaissent le secret de leur conception et le revendiquent. Que deviennent les 90 % qui ne le savent pas ? On n’en parle pas. Les psychologues et les psychiatres ne voient que ceux qui les consultent ou ceux qui veulent bien en parler.

Pourquoi vouloir lever l’anonymat ? C’est une épreuve de plus pour les couples qui recourent au don de gamètes en instaurant le doute sur la légitimité de cet anonymat. C’est mettre mal à l’aise ceux qui ne l’ont pas dit à l’enfant ainsi conçu. Cela risque d’accroître le nombre de départs à l’étranger par peur de la levée de l’anonymat et de diminuer le nombre de donneurs et de donneuses en France.

Je parle non seulement en mon nom, mais également au nom de nombreuses donneuses que j’ai rencontrées grâce à l’association Pauline et Adrien.

Mme Dominique Lenfant. Si vous me permettez d’ajouter un mot, je voudrais insister sur la place du don en France : 28 000 femmes âgées de quarante ans environ ont accouché en 2007 contre 8 000 en 1978.

M. le président. Dans le temps qu’il nous reste, nous avons à traiter quatre grands sujets : l’anonymat, la gestation pour autrui, l’élargissement de l’AMP aux couples gays et lesbiens, et l’encadrement de l’AMP et sa prise en charge.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Nous vous remercions pour ces interventions riches, passionnantes et passionnées. Je souhaite vous amener à préciser vos pensées.

Monsieur Kermalvezen, quand un enfant sait qu’il est né grâce à un don de gamètes et en souffre, quelles connaissances doit-il avoir de son géniteur ou de sa génitrice ? Jusqu’où doit aller la levée de l’anonymat ? Une rencontre peut être déstabilisante. En tout cas, si on va jusqu’à la permettre, il faudra informer de cette possibilité les donneurs et donneuses avant qu’ils ne fassent un don.

Madame Camborieux, vous dites que les parents sont ceux qui élèvent et vous vous déclarez en même temps pour la GPA. Quel est alors, selon vous, le sentiment des parents qui veulent absolument avoir un enfant à eux en demandant à une femme de porter l’enfant issu de leurs gamètes ? Par ailleurs, si les parents sont ceux qui élèvent, pourquoi ne pas recourir directement à l’adoption ?

Ma troisième question porte sur la motivation des femmes qui acceptent de porter un enfant pour autrui. Tout le monde condamne l’esclavage féminin sur Internet et la marchandisation du corps. Vous avez dit, madame Camborieux, que c’était la foi qui poussait ces femmes à faire don de leur corps pour offrir un enfant à autrui. Pouvez-vous nous expliquer comment la foi peut s’immiscer dans notre législation.

Mme Laure Camborieux. C’est ce que les femmes disent aux États-Unis. C’est une de leurs motivations.

M. le rapporteur. S’il n’y a pas de motivations mercantiles, il est intéressant de savoir sur quoi se fondent les motivations généreuses. Est-ce pareil en France aux États-Unis ou au Canada ?

Vous militez pour l’autorisation de la GPA à condition qu’elle soit strictement encadrée. Quel type d’encadrement envisagez-vous ?

Madame Micoud, vous avez développé avec beaucoup d’intelligence un argumentaire en faveur de la non-discrimination mais il soulève deux questions.

Premièrement, l’infertilité est-elle ou non une maladie ? Si oui, la médecine vient au secours de l’infertilité et non pas d’un désir de parentalité. Je suis sûr que vous ne considérez pas le choix sexuel comme une maladie. Il faut donc faire attention à ne pas créer d’ambiguïté.

Deuxièmement, l’ouverture de l’AMP aux femmes lesbiennes entraînerait, dans la même logique de non-discrimination, l’ouverture de la GPA aux hommes homosexuels. Votre démarche inclut-elle cette possibilité ?

Mme Pauline Tiberghien. Le docteur Whirthner, responsable de la plus grande banque de sperme de Suisse, m’a chargée de vous remettre un document dans lequel il montre qu’il n’y a aucun problème à trouver des donneurs de sperme quand l’accès aux origines est autorisé. Par ailleurs, on a observé, en Angleterre, une augmentation de 27 % du nombre des donneurs.

Si on lève l’anonymat, les donneurs ne seront pas les mêmes. Il suffit de leur expliquer qu’un don peut aussi être responsable.

Mme Laure Camborieux. Dans l’association Maia, plusieurs donneurs potentiels refuseront de donner dans les conditions actuelles qui empêchent des individus nés par don d’accéder à des informations sur leur origine.

M. Arthur Kermalvezen. La générosité est l’arbre qui cache la forêt. Si les donneurs sont si généreux et altruistes, ils ont beaucoup de gens à aider dans le monde.

Si cet élan de générosité ne peut être nié, il faut savoir qu’un donneur en retire aussi un bénéfice personnel, je l’ai constaté à chaque fois que j’ai parlé avec un donneur. C’est pourquoi je suis opposé à la rémunération du don de gamète.

Les bénéfices secondaires ne peuvent être anticipés et sont différents d’un individu à l’autre. J’ai rencontré un donneur issu d’une famille très nombreuse. Matériellement, il ne pouvait pas se permettre d’assumer la charge d’une grande famille mais il a toujours regretté de ne pas avoir pu faire comme ses parents. Le fait de donner lui a permis de remplir ce qu’il estimait être de son devoir et de se dire qu’il avait quand même une famille élargie, au sens propre du terme.

Personnellement, j’aimerais rencontrer mon géniteur pour qu’il me restitue le récit de sa motivation.

Au début, je me suis dit, naïvement, que le fait de rencontrer des donneurs allait me faire du bien parce que j’allais comprendre quelle était leur démarche. Or, je me suis rendu compte que celle-ci est toujours singulière car ancrée dans une histoire.

On me reproche souvent de vouloir une société plus biologique. Mais l’anonymat fait que le géniteur brille par son absence, et c’est ce qui est dommage. On a essayé de protéger le donneur. M. Hauser n’a pas hésité à le comparer à un étalon – tout en reconnaissant que l’expression était vulgaire. Je ne suis pas issu de la semence d’un cheval, mais de celle d’un homme, qui l’a donnée parce qu’il avait une motivation. Je considère que je suis en droit de la connaître.

J’ai parlé de l’éventualité d’une lettre écrite par le donneur. Le problème est qu’elle va figer une intention alors que la caractéristique d’un être humain est d’évoluer. Se pose dès lors la question du moment où cette lettre sera écrite.

L’objectif n’est pas seulement de rencontrer le géniteur et, au passage, de pouvoir lui dire merci puisqu’il a fortement contribué à notre venue sur terre – ce qui reste une dette impossible à combler – mais également de savoir, éventuellement, s’il a eu des enfants et – pourquoi pas ? – de les identifier. J’ai vécu toute mon enfance avec la peur, quand je serai adulte, de me marier ou d’avoir des enfants avec une demi-sœur sans même le savoir.

Les enfants qui ne s’expriment pas sont ceux auxquels les parents n’ont pas dit qu’ils avaient été conçus par don de gamètes. Or les secrets de famille sont dévastateurs. Des spécialistes vous le diront bien mieux que moi.

Le système actuel, fondé sur le principe de l’anonymat, s’adresse à des personnes qui surestiment le biologique et considèrent qu’ils font un don extraordinaire et d’une richesse incommensurable, alors qu’il n’en est rien. Ceux qui ont fait tout le travail, ce sont mes parents qui se sont « coltiné » mon éducation et celle de mes frères et sœurs, ce dont je les remercie aussi aujourd’hui.

Mme Hortense de Beauchaine. Faire un don – de gamètes comme d’organes – est un acte généreux. Je n’ai pas l’impression d’être une jument. J’espère de tout cœur, en faisant cela, que je vais aider des femmes à connaître la grande joie d’être mère. Mais je ne le saurai jamais et je ne veux pas le savoir. C’est une histoire qui ne me regarde plus.

La satisfaction que j’en tire aujourd’hui est que j’ai « parrainé » un couple dont le dossier pourra passer dans l’année au lieu d’attendre cinq ans. J’espère qu’ils auront la chance d’être parents.

Je l’ai dit, je donne des gamètes permettant de faire un enfant mais ce n’est pas mon enfant. Qu’est-ce qui me prouve aujourd’hui que mon père est mon père ? Rien, d’autant que je ne lui ressemble pas physiquement. Je donne des gamètes ; je ne donne pas un enfant.

Mme Sandra Saint-Laurent. Je suis membre de l’association Maia et j’ai fait un parcours de gestation pour autrui aux États-Unis qui nous a donné, à mon mari et à moi, une petite fille, âgée aujourd’hui de dix mois.

Nous avons eu, de façon traditionnelle, une petite fille qui a aujourd’hui cinq ans et demi. Deux ans et demi plus tard, j’ai mené sans problème une grossesse à terme mais, dans les cinq dernières minutes de l’accouchement, mon utérus s’est déchiré. J’ai perdu à la fois mon bébé et mon utérus. Je venais de fêter mes 31 ans.

Il nous a fallu faire le deuil de cet enfant, de la maternité et de l’enfant biologique. C’était d’autant plus douloureux que je me destinais à être mère au foyer.

Au bout de quelques mois, nous avons exploré les solutions possibles.

Laure Camborieux a dit que les parents sont ceux qui élèvent. Selon moi, ils sont avant tout à la base du désir de créer une vie. Aux États-Unis, on nous appelle d’ailleurs « parents intentionnels ».

Nous n’avons pas choisi l’adoption car cela consiste à accueillir un enfant avec sa culture et non à répondre à un désir d’enfant. De plus, nous savions que les enfants adoptés sont, quand ils sont grands, à la recherche de leurs parents biologiques. Nous ne nous sentions pas capables d’adopter pour deux raisons : il aurait fallu expliquer à notre fille, alors âgée de deux ans et demi, d’une part qu’elle avait perdu un petit frère et que nous avions beaucoup de chagrin, d’autre part, que nous entamions une procédure pour adopter un enfant qui était orphelin ou non désiré.

J’ai eu la chance que mes ovaires soient intacts. Mon mari et moi avons donc fabriqué notre enfant et c’est une femme exceptionnelle qui l’a porté pour nous permettre d’être parents à nouveau.

M. le rapporteur. Avez-vous rencontré cette femme ?

Mme Sandra Saint-Laurent. Oui. D’ailleurs, elle va venir en France cet été.

M. le rapporteur. Quels rapports a-t-elle avec votre enfant ? Ne le considère-t-elle pas comme le sien ? Quelle a été sa motivation ?

M. Sandra Saint-Laurent. Avant de rencontrer cette femme, j’ai parlé avec trente ou quarante autres femmes. Je suis allée sur des forums Internet américains et j’ai discuté avec différentes femmes pour trouver celle qui nous correspondait le mieux puisque nous allions lui confier un petit diamant.

Mon mari et moi avions un certain nombre de critères. Nous voulions qu’elle soit mariée ou en couple parce que nous jugions qu’il était très difficile de mener une grossesse toute seule. Je ne voulais pas qu’elle ait eu de césarienne auparavant parce que je ne voulais pas qu’elle ait un utérus abîmé. Je voulais qu’elle ait déjà eu tous les enfants qu’elle souhaitait, au cas où il lui arriverait la même chose qu’à moi car je ne voulais pas interférer dans son projet de vie après.

Quand nous avons trouvé la personne qui remplissait tous les critères, nous avons discuté avec elle. Dix ans auparavant, elle avait proposé à une de ses amies qui avait eu le même problème que moi de porter un enfant pour elle, puisque, aux États-Unis, cela fait vingt ans que c’est légal mais son amie avait trouvé qu’elles étaient trop proches. Elles avaient peur que cela remette en cause leur amitié. De plus, notre « nounou » n’avait pas terminé son projet familial. Elle a eu au total cinq enfants et elle n’en avait que trois à l’époque.

Quelques années plus tard, elle s’est retrouvée voisine d’une dame qui venait de porter des triplés pour un autre couple et qui était adhérente d’une association. Notre « nounou » est allée l’aider et elle s’est trouvée au milieu de mères porteuses, de « nounous » comme je préfère les appeler.

Comme elle avait achevé son projet familial, l’idée de porter un enfant pour autrui a germé à nouveau dans son esprit.

Elle est catholique croyante mais ce n’est pas sa motivation première. Cela a vraiment été, au départ, un acte généreux. Elle n’était pas mue par l’argent car elle travaille, malgré ses cinq enfants, et son mari a trois bars restaurants. Pour avoir vécu avec eux, je sais que ce sont des gens qui ne manquent de rien.

Cela étant, nous avons sans doute amélioré leur quotidien et peut-être contribué pour une part aux études de leur deuxième fille qui rentrait à l’université. Mais nous n’avons pas fait plus.

M. le rapporteur. Combien vous a-t-il été demandé ?

Mme Sandra Saint-Laurent. La compensation de la « nounou » a été de l’ordre de 18 000 dollars, c’est-à-dire d’environ 15 000 euros. Il faut ajouter à cela tout ce qu’on doit payer à côté. De ce point de vue, il est vraiment dommage qu’on ne puisse pas le faire en France.

La grande chance que nous avons eue dans notre malheur, c’est d’être très à l’aise financièrement. Nous avons eu beaucoup de chagrin et je ne souhaite à personne de vivre ce qui nous est arrivé. Mon mari a une entreprise avec son frère et celui-ci a pu le remplacer pour lui permettre de m’accompagner deux fois un mois pour les traitements et une fois un mois pour l’accouchement. Nous avons pu payer les avocats, les cliniques, les billets d’avion. Je me suis déplacée à chaque fois avec mon mari, notre fille et ma mère pour garder cette dernière pendant les traitements puisque nous avions rendez-vous un jour sur deux à l’hôpital.

C’est très lourd financièrement. Depuis que je suis dans l’association Maia, je vois arriver quasiment tous les jours de couples qui rêvent de faire comme moi mais qui n’en ont pas les moyens.

Vous avez parlé, monsieur le rapporteur, d’instrumentalisation de la femme. Je n’ai rien senti de tel avec notre « nounou ». D’ailleurs, je ne l’aurais pas accepté. Je n’aurais jamais pu faire la même démarche en Inde ou dans certains pays de l’Est où les femmes ont des motivations financières. Cela étant, c’est l’interdiction qui pousse les gens à partir dans ces pays où les femmes sont instrumentalisées.

Notre « nounou » nous a rendu un service immense. C’est même plus qu’un service. J’ai une reconnaissance à vie envers cette femme. La compensation financière m’a beaucoup aidée car elle me permet de sortir d’un éventuel asservissement vis-à-vis d’elle : elle m’a fait le don incroyable de me prêter son utérus mais j’ai, moi aussi, peut-être contribué à quelque chose de bien pour elle.

Nos rapports pendant la grossesse ont été extraordinaires. Quand elle allait faire une échographie, elle l’enregistrait et je pouvais voir Léonie – c’est le nom de notre fille – bouger. J’ai vécu son premier battement cardiaque au téléphone avec le médecin et avec elle. Mon mari et moi avons vécu l’accouchement avec elle et son mari. J’ai été la première à avoir Léonie dans les bras. Nous avons fait le choix de rester trois jours à l’hôpital toutes les trois dans la même chambre, parce que je ne voulais pas être un monstre et casser de façon abrupte le lien qu’avait Léonie avec elle parce que, même si ce n’est pas sa mère biologique, elle a aidé à son développement. Pendant les quinze jours que nous avons passés aux États-Unis ensuite, dans l’attente des papiers, nous nous sommes vus tous les jours.

Léonie a eu sa première dent avant-hier. Je l’ai appelée pour le lui dire. Cet été, toute la famille arrive le 11 juillet et vient passer trois semaines de vacances avec nous.

Nous avons toujours des liens et je ne pourrai pas les rompre. Léonie va connaître son histoire. Nous la lui racontons déjà. Je serais ravie qu’un jour, elle ait des questions à poser et que Don – c’est le prénom de la « nounou » – soit là pour y répondre.

Mme Laure Camborieux. Sandra a décrit ce que vivent la plupart des couples qui ont la chance, comme elle l’a très justement souligné, de pouvoir partir dans des pays où la GPA est encadrée correctement et en sécurité, ce qui n’est pas le cas de tout le monde.

J’ai vécu exactement la même histoire qu’elle. Je considère aujourd’hui la personne qui a porté mes enfants comme ma sœur. Il est hors de question de rompre les liens avec elle. C’est le cas pour la plupart des couples que nous connaissons dans l’association.

Vous nous avez demandé, monsieur Leonetti, pourquoi nous n’options pas pour l’adoption. Le propre de l’assistance médicale à la procréation est justement de permettre à des couples infertiles d’avoir un lien génétique avec leur enfant. C’est un souhait légitime que l’on ne peut pas, pas plus qu’aux autres, nous reprocher.

Concernant la motivation, je crois que Sandra vous a répondu. Je vous invite à lire le document que nous avons apporté et que nous vous laisserons à la fin de cette audition.

Pour ce qui est de l’encadrement, il est précisé dans la loi grecque.

Mme Marie-Pierre Micoud. Les couples de gays qui se tournent vers la gestation pour autrui à l’étranger vivent exactement la même chose. Ils ont également un lien très fort avec la gestatrice.

Le jour où la gestation pour autrui sera autorisée en France, elle devra l’être pour tout le monde. Il n’y a pas de discrimination à faire, à moins de pouvoir répondre à la question suivante : pourquoi est-ce qu’un homme ou un couple d’hommes seraient à ce point différents qu’ils seraient incapables de s’occuper d’un enfant ? Les conditions sont les mêmes, la façon de faire aussi.

Pouvez-vous me préciser votre autre question ?

M. le rapporteur. L’infertilité est une anomalie médicale que la médecine essaie de compenser. L’individu infertile souffre d’un manque dans ses possibilités et demande au corps médical et à la société de compenser son « handicap ».

On ne peut pas considérer qu’une préférence sexuelle soit un handicap.

Mme Marie-Pierre Micoud. Non, être hétérosexuel n’est pas un handicap ! (sourires.)

La présentation de l’infertilité comme une anomalie nécessitant l’aide de la médecine est la rhétorique utilisée aujourd’hui pour justifier que seuls les couples hétérosexuels aient droit à l’AMP. C’est un discours médical qui permet de justifier une discrimination. Mais la science et les donneurs de gamètes permettent d’élargir les possibilités de procréation à des personnes qui hier ne pouvaient pas procréer.

Mme Marie-Claude Picardat. Votre question, monsieur le rapporteur, est un peu gênante.

M. le rapporteur. Ma question n’est pas gênante. Elle est aussi pratique et médicale. Il se pose un problème de sécurité sociale et de destinataire du remboursement. Quand il y a une anomalie médicale, la société a fait le choix de la compenser et de la rembourser.

Mme Marie-Claude Picardat. Il y a différents cas de figure dans les familles homoparentales. Certaines, en coparentalité, sont constituées d’un homme et d’une femme homosexuels et, éventuellement, de leurs partenaires homosexuels. Quand un homme et une femme vivant dans une situation de ce genre se présentent dans un centre d’AMP, avec un projet parental sérieux de concevoir ensemble un enfant et de l’élever selon des modalités qu’ils ont arrêtées, mais qui n’impliquent pas de vivre sous le même toit, l’AMP leur est refusée.

Un homme séropositif a besoin d’une AMP pour ne contaminer ni sa partenaire, ni l’enfant à naître.

Une femme ou un homme homosexuels infertiles ne sont pas, comme les hétérosexuels, reçus, écoutés, assistés, orientés. Il leur est répondu : « Vous êtes homosexuels. Vous n’avez pas droit à l’assistance médicale à la procréation. »

M. le rapporteur. L’argument que vous développez, à savoir qu’un couple homosexuel infertile a droit à l’AMP, n’est pas le même que celui mis en avant par Mme Marie-Pierre Micoud.

Mme Marie-Claude Picardat. Je voulais montrer, par les exemples que j’ai cités, que votre question est délicate puisqu’elle met, comme toujours, les homosexuels entre le marteau et l’enclume. La discrimination à leur égard, inscrite en filigrane dans la loi, n’est pas prête d’être levée quand on vous entend parce que, de toute façon, l’interdiction qui leur est faite repose sur le fait qu’ils ne sont pas infertiles. Mais, même quand s’ils sont infertiles, on trouve des arguments pour leur retirer les moyens qu’on offre à tous leurs concitoyens.

M. Noël Mamère. Je n’ai pas le même point de vue que Jean Leonetti sur la fertilité. Considérer l’infertilité comme une pathologie conduit à nier les choix de vie d’une partie des Français qui ont une même orientation sexuelle. Notre mission doit consister à regarder la réalité d’aujourd’hui qui est que des hommes décident de vivre ensemble et que des femmes décident de vivre ensemble sans les empêcher d’éprouver un désir d’enfant. Je ne vois pas au nom de quelle discrimination on les empêcherait d’accomplir, dans des conditions de transparence et d’équité, ce désir d’enfant.

Les réponses qui ont été apportées doivent contribuer à éclairer notre réflexion. En tout cas, je suis de ceux qui pensent qu’il faut contextualiser cela socialement. Comme il a été dit, la parentalité est beaucoup moins une affaire de biologie que de lien social. Elle existe aussi dans les couples homosexuels.

Nous devons également nous interroger sur la question de l’anonymat. L’intervention d’Arthur Kermalvezen est une contribution intéressante. Selon lui, le fait, pour un enfant issu d’un don de gamètes, de connaître celui qui lui a permis d’exister, en dehors du projet parental formé par ses parents, permet à celui-ci d’être bien avec lui-même, avec ses parents et avec les autres. Mme de Beauchaine a fait remarquer avec raison que le fait de donner des ovocytes ne faisait pas d’elle une mère. Doit-on en conclure pour autant que l’anonymat doive être préservé jusqu’au bout ? L’expérience de Mme Saint-Laurent rappelle que ceux qui n’ont pas d’argent n’ont pas la possibilité d’accomplir un désir d’enfant.

Je me sens plus proche du point de vue exprimé par Arthur Kermalvezen mais il me semble beaucoup plus risqué.

M. Arthur Kermalvezen et Mme Pauline Tiberghien. Non !

M. Noël Mamère. Arthur Kermalvezen voit les choses d’une certaine manière mais tous n’auront pas la même vision. Celle-ci repose sur la notion très importante de responsabilité, non seulement de l’enfant, mais surtout des parents qui doivent assurer la transmission de la vérité. Le fait que Mme Saint-Laurent commence à raconter à sa fille son histoire alors qu’elle vient juste d’avoir sa première dent est la voie la plus intéressante.

M. Michel Vaxès. Madame Saint-Laurent, je n’ai pas compris la différence que vous faites entre la mère porteuse indienne et la mère porteuse américaine.

Nous avons entendu aujourd’hui l’avis d’adultes. J’essaie d’imaginer celui d’enfants. Vous avez commencé à raconter à votre petite fille son histoire mais vous avez aussi souligné le lien affectif qui est en train de se tisser entre elle et la maman porteuse.

Mme Sandra Saint-Laurent. J’emploie plutôt le mot de « femme » que celui de « maman », que je réserve à celle qui élève l’enfant. Le lien affectif se tisse en premier lieu et avant tout entre les deux femmes.

M. Michel Vaxès. Je ne sais pas comment évoluera la relation entre votre fille et l’autre personne et si elle ne considérera pas qu’elle a une maman qui l’a élevée et une maman qui lui a donné la vie. Qui sait si le lien avec cette dernière ne sera pas plus fort que l’autre ? C’est pourquoi le point de vue de l’enfant me semble important.

Je me pose le même type d’interrogation au sujet de l’anonymat. Sa levée, en ouvrant la possibilité de faire des recherches sur ses géniteurs, encourage ces recherches. Elle n’est donc pas neutre sur les enfants. Comment réagiront-ils ?

Je suis d’accord pour considérer les parents comme étant ceux qui élèvent l’enfant. L’attitude de Mme de Beauchaine est, dès lors, compréhensible, qui veut conserver l’anonymat car, pour elle, donner des ovocytes n’est pas être la mère de quelqu’un. Si une personne refuse de donner parce qu’on l’oblige à l’anonymat, comme le cas a été évoqué par Mme Camborieux, c’est qu’elle attend quelque chose en retour, ce qui pose un autre problème.

Mme Laure Camborieux. Non. Ces donneurs ou donneuses potentiels demandent juste que les enfants nés par don aient accès aux informations les concernant.

Mme Marie-Odile Bouillé. Votre histoire, madame Saint-Laurent, est magnifique mais je persiste à voir une différence entre donner des gamètes, même si c’est un geste généreux et très fort, et porter pendant neuf mois l’enfant d’un autre couple. Les motivations dans les deux cas me semblent différentes.

M. Noël Mamère. Concernant l’anonymat, le document du médecin suisse dont a parlé Mme Tiberghien me semble montrer que, quand l’anonymat est levé, cela change la posture du donneur ou de la donneuse et introduit un élément de confiance qui élimine beaucoup de risques que l’on connaît aujourd’hui du fait de l’anonymat.

M. Arthur Kermalvezen. Il est exact que la levée de l’anonymat est responsabilisante pour l’enfant et que le fait d’avoir le choix permet d’exercer sa liberté alors que l’absence de choix est aliénante.

J’estime que la loi doit être révisée pour tenir compte des demandes et des attentes des enfants. Le donneur ne souffre pas de donner. Les souffrances des parents ont été prises en compte et la société leur offre un palliatif. L’enfant, lui, a été, jusqu’à présent, écarté des préoccupations.

Nous proposons qu’il y ait dix-huit ans d’anonymat à partir de la naissance de l’enfant et que cet anonymat ne puisse être levé qu’à la demande de l’enfant. Cela respecte les couples et leur permet de dire ou non à l’enfant la manière dont il a été conçu. Il n’y a pas de recette miracle. Mes parents l’ont dit à leurs trois enfants le plus tôt possible mais ils l’ont fait en fonction d’eux-mêmes. Personne n’a à dire à un couple qu’il faut faire de telle manière ou de telle autre.

Dans le cadre du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP) qui a été évoqué, nous souhaitons, premièrement, que l’enfant puisse demander s’il a été conçu par des techniques particulières – tous les enfants de l’association qui l’ont découvert plus tard ne sont pas tombés des nues ; ils l’avaient pressenti – ; deuxièmement, que l’enfant puisse éventuellement demander des données non identifiantes, par exemple, pour compléter son dossier médical – ma petite sœur a formulé cette demande vers l’âge de seize ans – ; troisièmement, qu’il puisse demander une photographie – ma petite sœur était prête à la demander à l’âge de dix-huit ans – ; quatrièmement, qu’il puisse demander une lettre, cinquièmement, que l’enfant puisse, quand il se pose lui-même la question d’avoir des enfants, demander une rencontre.

Nous n’avons jamais demandé de rétroactivité. Nous demandons juste d’avoir le choix entre en savoir plus ou non.

Mme Pauline Tiberghien. En résumé, l’enfant doit pouvoir avoir le choix de savoir ou de ne pas savoir. S’il rue dans les brancards aujourd’hui, c’est parce qu’il y a une interdiction et que cette information génétique manque. C’est un vide que l’on transmet à nos propres enfants et c’est très grave.

Si la levée de l’anonymat est votée, l’enfant saura qu’il peut, un jour, s’il en a envie, savoir. C’est pourquoi nous sommes opposés au double guichet qui donnerait le choix aux donneurs et aux parents, mais pas à l’enfant.

M. le président. Êtes-vous plus proches de la solution espagnole ou de la britannique ?

Mme Pauline Tiberghien. En Espagne, le don est anonyme. Nous sommes convaincus par la solution britannique.

Mme Laure Camborieux. Les questions que vous posez sur la famille, les enfants, les gestatrices, les maris sont légitimes. La meilleure façon d’avoir des réponses est d’aller en Grande-Bretagne où la GPA est pratiquée depuis vingt ans. Par ailleurs, il y a au moins deux associations qui rassemblent des parents d’enfants nés par GPA et des gestatrices, qui se rencontrent au moins une fois par an lors de pique-niques. Des professionnels – médecins, psychologues – travaillent avec ces familles. La meilleure réponse que je puisse vous proposer est de traverser la Manche.

Mme Sandra Saint-Laurent. Je souhaiterais que, grâce à une loi, soit reconnue la filiation entre ma fille et moi. Pour l’instant, je n’ai pas de papiers français. Ma fille est américaine, avec un passeport américain.

S’il arrive quelque chose à mon mari et à moi-même, je ne sais pas où elle se retrouvera. S’il m’arrive quelque chose, elle héritera de moi, taxée comme si elle était ma nièce.

Compte tenu de la narration que nous lui ferons de son histoire, il serait incompréhensible pour elle plus tard de ne pas figurer sur notre livret de famille.

Je n’ai pas de certitude encore sur la manière dont elle recevra son histoire mais sa sœur, qui a cinq ans, a tout compris. Nous lui avons tout expliqué avec des mots très simples : les petits œufs de maman et la graine de papa. Je pense qu’elle comprendra aussi.

Sur notre livret de famille, figurent sa sœur et notre fils décédé. Elle n’y est pas alors que j’ai autant souffert pour la « fabriquer » que pour les deux autres.

Mme Marie-Pierre Micoud. L’APGL dénonce depuis très longtemps les conséquences de la filiation juridique actuelle qui est basée sur l’engendrement. Tous les témoignages qu’on vient d’entendre, qui rejoignent ceux des familles gays et lesbiennes, montrent que ce n’est pas le lien biologique qui doit faire le parent. La filiation est un acte social institué. Ce sont des adultes qui se disent être les parents et la société reconnaît ces adultes comme étant responsables jusqu’à la fin de leurs jours des enfants qu’ils ont en charge. Nous appelons à une évolution de la représentation du modèle familial actuel.

Nous connaissons les mêmes difficultés que Mme Saint-Laurent. Dans un couple de femmes, qui a un enfant par don de sperme à l’étranger, l’une est la mère légale qui a tout pouvoir et la compagne n’est rien. En cas de disparition de la mère légale, les enfants sont sans protection. C’est une discrimination absolument insupportable : nos enfants ne sont pas protégés dans les liens qu’ils ont avec leurs deux parents.

Mme Marie-Claude Picardat. Je souhaite vraiment que votre mission réfléchisse au moyen de mettre fin aux discriminations dont souffrent encore aujourd’hui les homosexuels dans le droit français, notamment au fait qu’ils n’ont pas les mêmes possibilités d’accès aux soins.

Nous vous demandons de prendre en compte le projet parental, quel qu’il soit, et d’ouvrir les procréations médicalement assistées à des couples de même sexe.

Sur la question de l’anonymat des dons de gamètes, nous vous demandons de penser à l’intérêt ultérieur des enfants en leur permettant, s’ils le souhaitent, d’obtenir les renseignements dont ils auront besoin pour soulager une éventuelle souffrance. Nous ne devons pas les laisser porteurs toute leur vie d’une souffrance qui peut se répercuter sur les générations futures.

Mme Dominique Lenfant. Je veux me faire le porte-parole des absents, c’est-à-dire des enfants nés par don de gamètes qui ne revendiquent pas l’accès à leur origine parce qu’ils ne connaissent pas leur histoire ou parce qu’il leur a suffi de savoir qu’un père ou une mère de famille a aidé leurs parents à les concevoir à l’aide de la médecine.

Nous devons respecter ces enfants. Nous avons voulu qu’ils deviennent une famille comme les autres et nous y sommes bien parvenus car nous les croisons tous les jours.

Il arrive qu’une femme accompagnée pour une AMP avec don de gamète, c’est-à-dire qui vient se renseigner, qui recourt à un don et qui est enceinte, nous appelle tous les trois jours pour nous demander des conseils sur sa grossesse. Une fois l’enfant né, nous n’avons plus de nouvelles. C’est dire si le don est caché à ce moment-là. Cela arrive assez fréquemment.

Mme Hortense de Beauchaine. Il ne faut pas oublier qu’un couple qui a recours à un don a souvent un parcours long derrière lui. L’homme et la femme ne sont souvent plus très jeunes. Un couple receveur pour un don d’ovocyte a cinq ans d’attente. Si une femme en fait la demande à 35 ans, elle aura 40 ans lorsqu’elle y aura droit. Leurs chances sont donc vraiment diminuées.

Si l’on veut augmenter le nombre de donneurs en France, il faut faciliter leur vie sur le plan financier comme sur le plan pratique. S’il y a autant d’attente aujourd’hui, c’est parce qu’il y a très peu de donneurs.

M. le président. Nous vous remercions.

Audition de Mme Françoise HÉRITIER, professeur honoraire au Collège de France


(Procès-verbal de la séance du 10 mars 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Françoise Héritier, anthropologue de renommée internationale, professeur honoraire au Collège de France – où elle a succédé à Claude Lévi-Strauss – et membre du Comité consultatif national d’éthique.

À travers nos auditions, nous menons une réflexion approfondie sur la famille et la filiation, notions définies et explorées par l’anthropologie. Dans un article datant des années 1990, vous écriviez, Madame : « Il va de soi, pour nous, que les partenaires de l’union conjugale sont de sexe différent, que cette union ne se noue qu’entre vivants, que le géniteur des enfants est normalement le père, que la famille conjugale – père, mère, enfants – est l’unité résidentielle et économique élémentaire par laquelle passent l’éducation et l’héritage. Or l’expérience ethnologique montre qu’aucun de ces principes n’est universellement admis ».

Pour nos sociétés, cette affirmation n’est plus forcément une évidence. C’est pourquoi nous nous interrogeons sur l’opportunité d’autoriser l’accès des couples homosexuels à la procréation médicalement assistée, sur les transferts d’embryons  post-mortem ou encore sur l’accès des enfants nés d’une PMA à leurs origines génétiques.

La médecine moderne fournit des techniques qui permettraient de lever la plupart des interdits de notre société. Votre éclairage d’anthropologue nous sera donc précieux sur ces questions, à nos yeux essentielles : faut-il conserver à l’assistance médicale à la procréation son caractère de technique médicale ? Que penser de la gestation pour autrui, notamment quand elle est réalisée dans un cadre familial ? Faut-il privilégier les liens du sang ou les liens sociaux, notamment en ce qui concerne l’accès aux origines ?

Mme Françoise Héritier. Je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer sur des questions comme la filiation et la gestation pour autrui. Je vous propose, avant de répondre à vos questions, d’aborder devant vous quelques points essentiels.

En premier lieu, la filiation est un phénomène essentiellement social. C’est le cas dans notre société, où l’engendrement et l’enfantement sont des faits de nature biologique, auxquels ne correspond pas nécessairement la règle de filiation. Cet « arbitraire social », comme toutes les constructions idéelles de l’humanité, se traduit par l’appartenance reconnue d’un individu, par l’intermédiaire de ses parents, à un groupe familial. Le meilleur exemple en est l’adoption plénière, qui ouvre à l’individu qui a été adopté les mêmes droits que s’il avait été engendré par ses deux parents ; il obéit, en matière d’inceste, aux interdits qu’imposent les liens du sang – ou plutôt de liens par le sperme, censé être le support du sang – alors même qu’il n’a aucun lien biologique avec sa famille adoptive.

La filiation sociale est une réalité universelle : aucune société ne bâtit la filiation sur la seule reconnaissance du fait biologique de l’engendrement et de l’enfantement. En revanche, les règles de filiation peuvent varier : la filiation peut être unilinéaire, c’est-à-dire passer uniquement par la lignée du père et ses ascendants ou par celle de la mère et ses ascendantes ; elle peut être bilinéaire, lorsque les deux lignées sont reconnues ; elle peut être cognatique, lorsque les quatre lignées des grands-parents sont reconnues – c’est celle que nous connaissons dans notre société ; elle peut être croisée, passant par le père et sa fille, ou par la mère et son fils ; enfin, elle peut être parallèle, passant par le père et ses fils, et par la mère et ses filles. Toutes ces possibilités mathématiques existent, il ne nous est pas possible d’en inventer de supplémentaires. La filiation croisée et la filiation parallèle sont rarissimes.

Dans notre société, la filiation est cognatique et indifférenciée, ce qui nous empêche de concevoir clairement en quoi consiste une filiation unilinéaire. Dans les sociétés qui ne connaissent que celle-ci, l’enfant n’appartient qu’au groupe de son père ou à celui de sa mère.

Il n’existe que deux sexes, leur réunion est nécessaire pour faire un enfant. Cet enfant a pour parents un représentant de chaque sexe, et ceux-ci font des enfants de l’un et l’autre sexe. La combinatoire entre ces quatre éléments – un père, une mère, un fils et une fille – multipliés par deux pour la filiation cognatique, qui prend en compte les grands-parents –, n’autorise qu’un nombre limité de systèmes de filiation, à savoir les six que j’ai énumérés plus haut. Il n’existe pas d’autre mode de filiation, sauf à envisager deux possibilités. La première, qui relève de la science fiction, serait induite si le clonage devenait le seul mode de reproduction autorisé : la reproduction à l’identique constituerait alors un nouveau mode de filiation. L’autre relève de la philosophie. Inventé par Platon, ce mode de filiation n’a jamais eu de réalité, même si quelques essais ont été réalisés en Israël et en Chine. Les enfants sont attribués à l’État et l’on ne tient compte ni des géniteurs, ni des parents. Confiés à des parents adoptifs chargés de les nourrir et de les éduquer, ils appartiennent à l’État et ne bénéficient ni de la transmission du nom, ni de la succession.

Je reconnais que le propre du génie humain est d’innover, même en matière sociale, mais j’avoue ma perplexité, compte tenu de cette constante, devant l’introduction dans le droit français, en 1982, sous la houlette du doyen Carbonnier, de la « vérité biologique » comme critère de la filiation. Non seulement nous en avons fait un critère de filiation, mais nous l’avons rendu opposable aux trois autres critères de filiation reconnus par le droit français : la filiation naturelle et légitime, la volonté, et la possession d’état. Cette introduction est gênante, en premier lieu parce que l’usage du mot « vérité » implique que le vrai se situe dans les gènes, et non dans l’amour et l’éducation que les enfants reçoivent de leurs parents, et dans la vie commune.

Le critère de vérité biologique opposable, s’il convient à l’adulte, crée une injustice profonde à l’égard d’enfants qui naissent avec une filiation et une identité, mais peuvent se les voir ensuite retirées l’une et l’autre. Quelques procès célèbres, survenus il y a une vingtaine d’années – notamment devant les tribunaux d’Orléans et de Nice – nous ont permis de comprendre les limites d’un tel dispositif. Il s’agissait dans les deux cas d’hommes, devenus pères par insémination artificielle avec donneur, et qui, afin d’obtenir le divorce, ont contesté la filiation de leur enfant au motif qu’ils n’en étaient pas les géniteurs. La justice leur a donné raison, s’appuyant sur un article de droit que, pour ma part, je croyais obsolète : on ne peut pas fonder le droit sur la « turpitude » – ce qui sous-entend que l’insémination artificielle avec donneur peut être comparée à un adultère consenti par le conjoint… C’est la raison pour laquelle des limites temporelles ont été fixées au droit de récusation de la filiation des enfants nés à la suite d’une procréation médicalement assistée.

Outre qu’il va à l’encontre du cadre légal et du vécu ordinaire de la filiation, le concept de vérité biologique introduit dans la société une nouvelle conception des rapports à l’autre, de la responsabilité et de la solidarité, et il renforce l’individualisme. Ses effets négatifs sont perceptibles. Une durée limite a donc été fixée au-delà de laquelle il n’est plus possible de recourir à la vérité biologique pour récuser la filiation d’un enfant, et les juges semblent vouloir réhabiliter le vieux critère de la possession d’état – c’est-à-dire la reconnaissance par l’entourage de la filiation d’un enfant. Je pense que la loi, sans nier les innovations techniques et sociétales, devrait garantir à la filiation son caractère social, car celui-ci est le fruit des réflexions de l’homme depuis l’origine. Ce n’est pas un hasard, en effet, si toutes les sociétés humaines ont fondé la filiation sur un critère social et non biologique, même si l’on peut penser que l’ignorance des gamètes ait poussé en ce sens.

La filiation, qui inscrit un enfant dans une lignée et un groupe, s’accompagne de certains droits – être protégé, nourri et éduqué, et, plus tard, succéder à ses parents – mais également de devoirs, comme l’éducation des enfants et la prise en charge des parents vieillissants. La filiation étant à la base de la famille, elle est la source de solidarités actives. Celles-ci sont d’ailleurs reconnues par l’État, qui attend des conjoints, mais également des enfants, qu’ils prennent soin de leurs parents atteints de maladies invalidantes comme la maladie d’Alzheimer.

Si certains de ces droits, notamment l’héritage, s’entendent uniquement dans le cadre de la filiation, les droits et devoirs, en général, ne sont pas uniquement attachés à la filiation ni au mariage ou à l’union reconnue qui inscrivent la majorité des individus dans la filiation. Une part excédentaire, notamment affective, s’exerce dans la parentèle.

Dans la mesure où la filiation sociale reconnaît le fait de vivre ensemble, de partager l’amour, la même alimentation et un certain nombre de droits et devoirs, il me paraît légitime, sans changer le droit de filiation des enfants – sauf dans le cas de l’adoption plénière – d’accorder des droits au quotidien à ceux qu’on appelle les parents en second, qu’il s’agisse de l’époux, du compagnon ou de la compagne qui prend la place d’un parent encore vivant, le beau-père et la belle-mère, plus exactement le parâtre et la marâtre, même si ces mots ont une connotation négative ainsi qu’au deuxième partenaire dans les cas d’unions homosexuelles où l’un des partenaires est déjà parent. La loi, à leur endroit, est encore très timide. Une démarche en ce sens, même minime, permettrait de reconnaître des situations existantes et d’assurer l’égalité des droits avant d’en venir – pourquoi pas dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique – à la reconnaissance juridique de l’homoparentalité. Celle-ci me paraît fondée et je pense que le temps est venu de l’inscrire dans la loi.

En second lieu, ne perdons pas de vue qu’en matière de procréation médicalement assistée, tout ce qui sera techniquement possible sera tenté expérimentalement, y compris le clonage, même si de fortes réticences intellectuelles s’expriment, simplement parce que ce sujet préoccupe l’humanité depuis Homo sapiens et le paléolithique… Aujourd’hui encore, malgré toutes les évolutions scientifiques, l’humanité est confrontée aux mêmes grands problèmes, qu’elle cherche par tous les moyens à résoudre : le caractère inévitable de la mort et la recherche de l’immortalité, la souffrance et le malheur biologique, mais aussi la stérilité, qui, en rompant les lignes de transmission et de filiation, compromet la survie des groupes (aux temps préhistoriques, les groupes consanguins nomades de chasseurs-cueilleurs n’avaient que de faibles effectifs).

À tous ces problèmes, l’humanité apporte des solutions variées que l’on observe dans des sociétés particulières, pas dans toutes. Nous nous croyons tout puissants, aujourd’hui, du fait de notre maîtrise technique, mais nous n’avons rien inventé : nous n’avons fait qu’apporter des solutions techniques là où nos ancêtres, qui n’en disposaient pas, apportaient des solutions institutionnelles. Si les réponses sont différentes dans leur forme, elles sont identiques sur le fond, car les motivations de l’homme n’ont pas changé. La forte pression qui s’exerce sur nous aujourd’hui vient de la nuit des temps, c’est pourquoi toutes les recherches qui pourront être faites seront nécessairement tentées. Ce qui ne veut pas dire que les solutions inventées doivent être nécessairement adoptées.

Je voudrais évoquer quelques aspects essentiels de la filiation. Partout dans le monde, pour des raisons cognitives – sur lesquelles je ne peux m’étendre, faute de temps – la stérilité est imputée aux femmes, ou plutôt à une sorte de « mauvais vouloir » de la féminité. On n’explique pas la stérilité par le refus de telle ou telle femme d’avoir un enfant, mais par ce mauvais vouloir, qui doit être maîtrisé par la semence masculine. Depuis l’origine, les humains se demandent pourquoi les femmes, qui sont les seules parturientes, ont cette capacité absolument exorbitante de pouvoir non seulement reproduire des formes identiques à elles-mêmes – des filles – mais également des corps différents – des garçons. A quoi servent donc les hommes ? Cette question, qui est posée à nouveau par la génétique, a trouvé une réponse : dans la mesure où les femmes ne sont pas dotées d’une puissance particulière leur permettant de donner naissance à des corps différents d’elles-mêmes, on a pensé que ce sont les hommes qui, par leur sperme, placent les enfants dans le corps des femmes.

L’existence des ovules et des spermatozoïdes n’a été découverte qu’à la fin du XVIIIe siècle et durant un siècle, les « homonculistes » et les « ovistes » ont combattu pour savoir qui, des spermatozoïdes ou des ovules, était à l’origine des enfants. À l’époque, le fait que l’un et l’autre sont également nécessaires était difficile à concevoir. Ce n’est qu’au XXe siècle que la recherche génétique nous a permis de comprendre que seul l’apport conjoint de l’ovule et du spermatozoïde permettait de faire un enfant.

Cela dit, même dans une société technicienne comme la nôtre, on refuse de reconnaître à la stérilité masculine sa part de responsabilité dans la stérilité d’un couple, ou bien on cherche à la masquer de toutes les manières possibles. Ainsi, malgré les risques accrus de malformation congénitale, depuis que l’ICSI (Intra Cytoplasmic Sperm Injection) permet au mari d’être le géniteur, non plus à partir de spermatozoïdes mais de spermatides, on a vu chuter considérablement le nombre des demandes d’insémination artificielle avec donneur, les couples préférant recourir aux spermatides du mari plutôt qu’au sperme d’un donneur.

Le professeur Georges David, créateur des CECOS (Centres d'Études et de Conservation des Œufs et du Sperme), s’étonnait de la campagne médiatique avec photographies et noms propres qu’avait suscitée la naissance des premiers bébés issus de fécondation in vitro – Amandine en France, Amanda Brown en Angleterre – tandis que les inséminations avec donneur n’avaient jamais fait l’objet du moindre article de presse. La raison est simple : s’il est anodin de rendre notoire la stérilité d’une femme, celle-ci étant normale, on ne saurait évoquer celle de l’homme or c’est ce que fait la seule mention de l’insémination artificielle avec donneur…

L’ICSI a pour avantage de superposer les fonctions de géniteur et de père et de rendre ainsi la filiation homothétique à l’engendrement. Mais c’est bien le déni de la stérilité masculine et le désir de caler la filiation paternelle sur l’engendrement qui expliquent pourquoi les couples demandent souvent à un proche – généralement un frère ou un cousin, parfois un ami – de jouer le rôle de donneur de sperme. De la même manière, en matière de don d’ovules, les femmes font appel à une sœur ou à une cousine.

Bien que les règles de fonctionnement des CECOS stipulent que le donneur présenté par un couple bénéficie à un autre couple, la plupart du temps, le couple qui se présente avec un donneur souhaite que ce don lui soit destiné. Pourquoi ? Parce que le sperme d’un frère permettra à l’enfant d’avoir les mêmes grands-parents et celui d’un cousin les mêmes arrière-grands-parents. Cela reste une histoire de famille et la ligne de filiation n’est pas interrompue. Si je vous dis cela, c’est pour vous montrer que ces idées, que l’on considère souvent comme archaïques et barbares, sont toujours sous-jacentes dans nos représentations de la filiation.

Les CECOS ont raison de refuser le don entre proches. En dehors du fait qu’amener un donneur pour un autre couple témoigne d’une certaine solidarité, c’est une manière moderne de renouveler l’un des pactes créateurs de la société. En effet, en prohibant l’inceste, les hommes des temps préhistoriques appartenant à divers groupes consanguins se sont obligés à échanger entre eux leurs filles et leurs sœurs, posant ainsi les bases d’un pacte susceptible de garantir une paix durable. Pour ne pas se faire tuer à l’extérieur, les hommes préhistoriques ont prohibé l’inceste et ils ont eu recours à l’exogamie pour se lier aux autres groupes, tout en instaurant la répartition sexuelle des tâches. La prohibition de l’inceste est bien un acte fondateur de la société.

La raison avancée par les CECOS pour refuser le don d’un frère ou d’une sœur n’a rien à voir avec l’inceste : il s’agit simplement de maintenir la paix dans les familles et de prévenir le risque de voir un donneur ou une donneuse revendiquer ultérieurement la paternité ou la maternité biologique de l’enfant, par exemple d’éviter qu’un frère ayant donné son sperme revendique le droit de récupérer l’enfant né de ce don. Mais cela nous renvoie en fait à la représentation, enfouie dans notre inconscient, de l’inceste du deuxième type, qui se caractérise par le contact des substances corporelles de deux consanguins de même sexe par l’intermédiaire d’un même partenaire sexuel. Cette représentation existe toujours dans notre droit civil, qui interdit le mariage avec les alliés dans la ligne directe. Ainsi, une femme ne peut épouser le mari de sa mère, ni celui de sa fille et un homme ne peut épouser la femme de son père, ni celle de son fils. Et jusqu’en 1982, le droit civil interdisait le mariage avec un beau-frère et une belle-sœur. Ces interdictions proviennent d’un héritage très lointain, puisqu’elles étaient déjà mentionnées dans les codes hittites et babyloniens, au VIIIe siècle avant Jésus-Christ.

Dans notre société, il semble toujours impossible d’admettre que deux consanguins de même sexe puissent partager le même partenaire sexuel, dans la mesure où cela reviendrait à mettre en contact leurs substances corporelles. Deux frères qui, partageant une même épouse, se rencontrent dans la même matrice, commettent un inceste. Lorsqu’un homme a des relations sexuelles avec la fille de sa femme – situation bien connue de nos tribunaux – l’inceste est commis entre la mère et la fille et non entre le beau-père et sa belle-fille. Les justiciables semblent partager cette perception de manière intuitive, et un juge me racontait récemment qu’un homme, s’étonnant d’être accusé, avait déclaré : « Je n’ai rien fait de mal puisque ce n’est pas ma fille et que, de toute façon, je ne couche plus avec sa mère ! » – ce qui sous-entend que, dans le cas contraire, il se serait interdit de coucher avec la fille… Le Coran, quant à lui, ne prohibe pas le fait d’avoir des rapports sexuels avec une fille « que l’on élève dans son propre giron », mais uniquement dans le cas où l’homme n’en a pas avec la mère. Cette perception de l’inceste n’est pas universelle, mais elle est très forte dans notre société. L’aventure de Woody Allen est très édifiante : en devenant le compagnon de la fille de sa femme, il n’avait pas l’impression de commettre un inceste car la jeune femme, ayant été adoptée, n’était pas la fille biologique de celle-ci, que d’ailleurs il n’avait jamais épousée… Si cette histoire a été perçue comme un inceste c’est que la jeune fille avait été élevée dans le giron familial.

Ces représentations sont toujours sous-jacentes. S’ils acceptaient le don de sperme pour un frère ou le don d’ovules pour une sœur, les CECOS commettraient grâce à la technique ce que la loi interdit : un inceste du deuxième type. La question mérite donc d’être posée ! Ce rêve de l’entre soi qu’autorise la consanguinité et le refus de l’altérité étant encore présents dans nos manières de penser, la réponse des CECOS est parfaitement appropriée.

Ces problèmes se sont toujours posés et ils ont été résolus de manière sociale. La preuve en est que les sociétés qui pratiquent le don d’enfant sont nombreuses. C’est notamment le cas des sociétés du Pacifique. Dans de nombreuses sociétés africaines, la stérilité masculine est niée et les jeunes filles n’ont pas le choix de leur conjoint. Très jeunes, elles sont offertes en mariage à des hommes beaucoup plus âgés qu’elles, mais auparavant, elles passent quelques années avec un amant prénuptial, choisi par leur mère. Sans rompre les interdits d’alliance, la jeune fille met au monde un premier enfant, mais celui-ci sera celui du mari légitime. Dans ces sociétés polygames où ils peuvent épouser jusqu’à six femmes, les hommes ont autant d’enfants que d’épouses légitimes. La stérilité masculine est donc totalement masquée, tout comme l’impuissance.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Est-ce uniquement pour masquer la stérilité masculine que les femmes rejoignent leur mari légitime avec un enfant ?

Mme Françoise Héritier. La réalité est plus complexe. Dans ces sociétés, on considère que les prémices sont toujours sacrées et l’on prête aux premiers enfants des pouvoirs particuliers, notamment de clairvoyance, tout en les considérant comme des êtres un peu frustres… En fait, ils appartiennent à la Terre et sont perçus comme n’ayant pas de père.

M. le rapporteur. Cela se passe ainsi dans quelle partie du monde ?

Mme Françoise Héritier. Le recours à l’amant prénuptial est présent dans toute l’Afrique occidentale, anciennement française, mais également au Nigeria, ou dans des sociétés bantoues. Ce n’est nullement une pratique isolée.

L’engendrement post-mortem, que nous connaissons à travers le lévirat, est assez répandu. Si l’inceste du deuxième type est interdit du vivant du frère, après la mort de son frère le cadet se doit d’épouser la veuve. Si ce second époux engendre, ce n’est pas toujours pour son compte mais parfois pour celui de son frère aîné décédé. Chez les Samo, société que j’ai étudiée, lorsqu’un homme hérite de la veuve de son frère aîné, il doit, s’il veut que les enfants qu’il a engendrés soient les siens, murer la porte – que l’esprit du mort est censé emprunter – et ouvrir une nouvelle porte pour empêcher l’esprit du mort de revenir. Mais s’il laisse la porte en l’état, il procrée pour son frère aîné et les enfants qui naîtront seront considérés comme ceux de ce frère décédé.

Dans d’autres sociétés, lorsqu’un jeune homme qui s’est constitué un troupeau pour payer la compensation matrimoniale meurt sans avoir eu le temps de se marier, son frère cadet ou un cousin parallèle patrilatéral récupère le troupeau et l’augmente pour pouvoir payer la compensation matrimoniale d’une jeune femme et l’épouser, mais les enfants qui naissent de cette union sont ceux du défunt ! Ce qui établit le mariage et la filiation est l’origine du troupeau

Dans d’autres sociétés encore, les unions entre femmes sont socialement et institutionnellement reconnues. Ainsi, chez les Nuer, les Dinka et bien d’autres peuples d’Afrique de l’Est, où la stérilité des femmes est très mal perçue, lorsqu’une femme mariée est reconnue stérile, on reconnaît que la nature s’est trompée et qu’elle est un homme. Si elle peut en payer le prix, elle se procure une épouse et pourra, par l’intermédiaire d’un serviteur, avoir des enfants. Ce serviteur, pour prix de son service, recevra un bœuf à la majorité de l’enfant… Elle est donc à la fois mari, et à ce titre servie par son épouse, et père de ses enfants.

En revanche, je ne connais pas de sociétés qui reconnaissent les unions stables entre homosexuels masculins. Lorsqu’elles existent, ces unions homosexuelles sont temporaires, autorisées pendant le temps qui précède celui où l’homme pourra avoir une épouse. Ces unions étaient pratiquées dans les sociétés indiennes d’Amérique du Nord. Les hommes qui choisissaient de vivre avec un autre homme et se comportaient comme des femmes étaient désignés par le terme occidental méprisant de « berdaches ». Les amateurs de cinéma se souviendront sans doute que Dustin Hoffmann, dans le film Little Big Man, fait l’objet des avances d’un Indien qui n’est pas tout à fait comme les autres… Si les unions stables entre homosexuels masculins n’existent pas, même si elles s’inscrivent dans l’éventail des possibles, c’est qu’elles ne permettent pas la reproduction de l’espèce.

La procréation pour autrui existe dans d’autres sociétés : à Rome, Caton avait prêté son épouse à un ami dont la femme était stérile. On la trouve également au Nigeria, généralement au bénéfice d’hommes qui veulent une descendance. En Ouganda, chez les Haya, la paternité revient à celui qui, le premier, copule avec une accouchée. Après le temps de l’allaitement, durant lequel les rapports sont prohibés, le mari reprend généralement ses droits, mais puisque seule compte la déclaration de la femme, quelques hommes stériles achètent fort cher cette parole qui leur permettra d’être pères.

Au Nigeria, le mariage entre femmes est un commerce très lucratif, organisé par des femmes commerçantes, généralement fort riches. Les « Mama Benz » achètent des épouses en payant très cher la compensation matrimoniale. Les jeunes femmes sont envoyées dans des tribus du Nord comme libres de tout lien matrimonial. N’ayant pas de parents, leur situation est une aubaine pour des hommes pauvres. Lorsqu’elles ont des enfants, la femme qu’elles avaient épousée excipe de son droit de mari et exige de se faire rembourser très grassement les enfants que sa femme a mis au monde pour le compte de cet homme, qui se retrouve grugé. Ce commerce très lucratif est un autre exemple de procréation pour autrui, celle-ci s’accompagnant de dispositifs qui écartent les génitrices des droits à la filiation.

Comme vous le voyez, toutes les formes d’évitement de la stérilité ont été envisagées, au-delà de ce que nous pouvons imaginer. Nos moyens techniques nous permettent d’aller plus loin et de peaufiner les solutions, mais nous n’inventons rien. Cela ne doit pas nous empêcher d’innover si cela se peut, mais en tenant compte des conséquences des possibilités proposées et de l’adéquation de telle ou telle pratique avec les autres pratiques sociales existant déjà.

La procréation pour autrui ne peut être envisagée de façon isolée, car elle soulève des problèmes de deux ordres. Le premier tient à la définition de la maternité : est-elle d’ordre génétique, comme on a tendance à le croire actuellement, et de ce fait réduite au rôle de l’ovule ? Est-elle liée à la gestation et la matérialité de l’accouchement ? Aux soins nourriciers, à l’amour des parents qui élèveront l’enfant ? Ce nœud gordien réclame nécessairement une réponse multiforme et exige de réserver les droits de filiation à l’une des trois possibilités que j’ai évoquées. On pourrait accorder un droit de visite aux co-géniteurs, à la donneuse d’ovule ou à la femme qui a assuré la gestation, il n’en demeure pas moins à mes yeux que la filiation appartient à ceux qui ont la responsabilité effective de l’enfant et cela dans l’intérêt primordial de ce dernier.

Le deuxième problème est une question, que se posent plus ou moins explicitement toutes les sociétés : le corps humain est-il une marchandise ? Peut-on disposer de son propre corps, de celui d’autrui, de certains organes tels l’utérus, les reins, les poumons, les yeux, le cœur ? Peut-on vendre son corps, le louer, le donner, en prélever des parties – le sang, les organes, la peau – et selon quelles modalités ? À cette question, les sociétés répondent toutes différemment. Cela va de l’esclavage, totalement admis et considéré comme une pratique naturelle, à l’interdiction totale du prélèvement d’organes en vigueur au Japon. Il convient de bien considérer que la location d’utérus doit davantage à la nécessité qu’à l’altruisme et qu’elle aboutit au don (vente ?) d’une personne humaine.

S’agissant des organes, les réponses sont multiples : en France, nous pouvons les donner, éventuellement les prêter, mais il nous est absolument interdit de les vendre. En matière de procréation pour autrui, il nous faut définir ce qui est tolérable et en fixer les modalités pratiques, conformément à nos modes de pensée : il faudrait donc conserver le principe de gratuité si l’on était amené à légiférer de manière positive.

Ne cherchons pas une réponse unique qui vaudrait pour toute l’Europe, voire pour l’humanité tout entière. Car les réponses sont variées si la question est universelle. Les réponses changent selon les époques, parfois en peu de temps, et si toutes les idées sont possibles, toutes ne deviennent pas intellectuellement pensables, donc formulables. Lorsqu’elles le deviennent, il faut encore du temps avant qu’elles ne soient émotionnellement concevables par la population. Ce n’est que lorsqu’elles ont atteint ce stade qu’il est possible de légiférer dans un sens ou dans l’autre. Ce temps, me semble-t-il, est venu pour l’homoparentalité et la gestation pour autrui dans un sens ou dans l’autre.

S’agissant du clonage reproductif, je le répète, toutes les recherches techniques possibles seront un jour entreprises. Je ne statuerai pas ici sur la question de savoir si l’embryon est une personne. Dans certaines sociétés dites primitives, il passe d’une matérialité purement animale – celle d’un lézard ou d’une grenouille – à une forme humaine au moment de l’animation dans l’utérus maternel. Dans d’autres sociétés, on considère que l’embryon n’est une personne qu’à partir du moment où il commence à bouger, que ses cheveux poussent et que l’anima lui est venue. La définition ontologique de l’embryon comme personne n’est donc pas universellement admise.

Si les gouvernements ont utilisé l’argument selon lequel l’embryon est une personne pour interdire la recherche utilisant des embryons humains et le clonage reproductif, il semble plus pertinent à l’anthropologue que je suis d’y voir plutôt, comme aux temps des origines, le refus d’un entre soi mortifère. L’homme a renoncé au bonheur de l’entre soi de la consanguinité en prohibant l’inceste, rendant par là même la société viable, mais l’entre soi contient un autre plaisir, fondé non sur la consanguinité mais sur le genre. Cela va des maisons des hommes, connues dans un très grand nombre de sociétés, aux casernes, aux clubs anglais et aux bistrots. On rencontre cet entre soi de genre dans les églises paroissiales, où les hommes et les femmes sont séparés, et dans les réunions post-prandiales, lorsque les hommes fument le cigare de leur côté pendant que les femmes discutent. Tant qu’il n’avait rien à voir avec la reproduction, ce plaisir n’était pas dangereux, mais dès lors que le clonage est possible, il devient un péril pour la société tout entière. Car qu’est-ce que l’entre soi de genre, si ce n’est le refus de l’altérité et la recherche du même ? L’entre soi du genre pour le clonage comporte deux volets : le féminin, que je ne souhaite absolument pas, car dès lors que les femmes auraient la possibilité de se reproduire toutes seules, le clonage reproductif n’ayant pas besoin de spermatozoïdes, les hommes disparaîtraient purement et simplement. En revanche, le clonage reproductif mâle exige l’intervention d’ovules féminins – pas nécessairement des utérus car les truies, les vaches ou les brebis pourraient convenir, en attendant l’utérus artificiel cher à Henri Atlan. Pour se procurer des ovules, il faudrait réduire en esclavage une humanité féminine, qui serait plus ou moins consentante…

Ces deux périls doivent donc être conjurés. Même si le clonage reproductif à grande échelle n’est pas pour demain, le danger que représente l’entre soi de genre n’en a pas moins été récusé par tous les gouvernements.

Notre pays interdit la recherche sur l’embryon. Compte tenu des enjeux qu’elle représente pour la santé publique de demain, cette position n’est pas tenable. La pression qui entoure cette question n’est pas propre à notre époque car depuis l’origine, je le répète, l’homme tente de vaincre la mort, le malheur et la stérilité.

M. le rapporteur. Je vous remercie de nous avoir présenté une vision universelle de l’organisation sociétale et de la filiation. Selon vous, dans le droit français, la filiation est essentiellement sociale, mais la découverte des gamètes et la possibilité offerte à l’homme de connaître l’origine génétique de l’enfant ont créé une confusion. L’incertitude de la paternité étant levée, ne craignez-vous pas que l’obsession génétique prenne le pas sur le principe de la filiation éducative et sociale, au risque de nous laisser croire que le clonage pourrait donner lieu à une personne identique ?

Mme Françoise Héritier. C’est certain, et je le regrette infiniment, d’autant que le droit civil, en la matière, a pris les devants en rendant le critère de vérité biologique opposable aux autres critères de filiation.

M. le rapporteur. Doit-on y voir une revanche du père ?

Mme Françoise Héritier. Je ne crois pas.

M. le rapporteur. Il peut désormais être certain de sa paternité !

Mme Françoise Héritier. Dans bien d’autres sociétés, les hommes sont prêts à accueillir tous les enfants, même en sachant qu’ils n’en sont pas les géniteurs ! Le fait de vouloir être sûr d’être le géniteur est une particularité contemporaine de notre société. Ailleurs, les hommes sont heureux de se voir attribuer des enfants ! Depuis le paléolithique, les hommes exercent leur domination sur le corps des femmes, leur refusant l’accès au pouvoir et à l’éducation. Qu’ils revendiquent en plus le droit de se délester d’un enfant dont ils ne seraient pas le géniteur me scandalise ! La fonction identificatoire de Pater est d’abord un lien d’amour et de responsabilité.

Mme Patricia Adam. Je tiens avant tout à vous dire, madame, que je vous écoute avec beaucoup de plaisir.

Nous avons introduit dans la loi française la possibilité pour les enfants adoptés de connaître leurs origines en s’adressant au Centre national d’accès aux origines. Cette recherche du lien biologique semble être devenue obligatoire. Nous avons évoqué cette question ici même, tout à l’heure, en écoutant un jeune homme qui avait été procréé grâce à un don de sperme. Pour lui, les enfants nés d’une procréation médicalement assistée doivent nécessairement avoir accès à leurs origines. Quel est votre sentiment sur ce besoin, érigé par notre société en diktat, et qui va à l’encontre de tout ce que vous venez d’exprimer ?

Mme Françoise Héritier. Ma réponse sera peut-être différente de toutes celles que vous avez entendues. Je considère qu’il n’est pas sain de dire à un enfant de cinq ou six ans qu’il est né grâce à une méthode artificielle ou qu’il a été adopté. Il faut certes lui dire la vérité, mais plus tard, car un enfant fabule autour de telles réalités. Dire la vérité soulage les parents mais ce n’est pas une nécessité. Et ce n’est pas parce que la société exerce une pression que la loi doit y céder ! Les enfants nés sous X ou adoptés qui veulent connaître leurs origines obéissent surtout à la curiosité. À part les situations douloureuses, notamment le cas d’enfants adoptés qui ne se sont pas intégrés dans leur famille d’accueil, si quelques-uns engagent une relation avec la famille d’origine, la plupart se contentent de rencontrer leur génitrice. Ce qui est important pour eux, c’est de répondre à cette question douloureuse : qu’ai-je donc fait de mal pour être abandonné ?

Mme Patricia Adam. Ma question allait plus loin : en inscrivant dans la loi la possibilité pour les enfants adoptés de rechercher leurs origines, nous l’avons en quelque sorte étendue à la procréation médicalement assistée, sous toutes ses formes. Pourtant, votre analyse, que je partage totalement, démontre qu’un individu peut très bien vivre sans connaître ses origines biologiques !

Mme Françoise Héritier. Je ne peux rien vous dire de plus, Madame la députée, et je regrette infiniment que la loi privilégie le critère biologique par rapport aux autres critères de la filiation. Je sais qu’il est impossible de revenir en arrière, mais il est clair qu’il ne fallait pas en faire un droit opposable aux autres. La réforme de 1982 a anticipé les demandes de la société française. Or, ces demandes me semblent superfétatoires, même si elles sont inscrites dans la loi. Il ne vous reste plus qu’à faire un coup d’État juridique pour la modifier…

M. Michel Vaxès. Vous dites, madame, que ces problématiques existent depuis l’origine de l’humanité, mais que cela ne doit pas nous empêcher d’aller de l’avant. Soit, mais où devons-nous aller ?

Mme Françoise Héritier. Ce que je veux dire, c’est que nous devons continuer à chercher, car c’est le propre de l’espèce humaine que de chercher à lutter contre les fléaux que sont la mort, la maladie et la stérilité.

M. Michel Vaxès. Selon vous, les décisions que nous allons être amenés à prendre représentent-elles une avancée ou une régression ?

Mme Françoise Héritier. Je ne pense pas qu’elles nous feront régresser, pour la simple raison que je ne crois pas au progrès. (Sourires.)

À partir du moment où l’on admet que l’homme a envisagé toutes les possibilités, depuis les débuts de l’humanité, on ne peut pas dire qu’il part du mauvais pour aller vers le bon. En prétendant que l’homme est passé de l’animalité à l’humanité, notre société fait preuve d’orgueil. En réalité, l’humanité existe depuis l’origine et l’homme a toujours utilisé ses capacités réflexives et cognitives. Si le fait de régresser signifie pour vous revenir à la sauvagerie et à la barbarie, il est clair que nous en sommes encore capables, comme en témoignent les génocides commis par les nazis, ceux du Cambodge et, plus récemment, du Rwanda. Sur le plan des institutions, je ne sais pas ce que cela veut dire, l’humanité ayant envisagé dès le départ toutes les possibilités que l’on trouve actualisées dans au moins une société. Sauf naturellement celles qui se fondent sur des données inconnues aux origines (les gamètes). Je pourrais vous répondre qu’il existe, dans des sociétés différentes de la nôtre, des possibilités pour lesquelles nous ne disposons pas d’équivalents techniques.

J’ai comparé les réponses apportées par notre société et par d’autres aux questions qui se posent aujourd’hui, mais j’aimerais bien savoir si elles apportent des solutions à des problèmes que nous n’avons pas encore envisagés.

M. Michel Vaxès. Il me semble qu’accepter la marchandisation du corps humain serait un recul. Je n’arrive pas à concevoir que le corps puisse faire l’objet de négociations. Or cette question est sous-jacente dans la gestation pour autrui. Le risque d’un glissement existe et cela ne me paraît pas aller dans le sens de l’humanisation de la société.

Mme Françoise Héritier. En effet, dans un pays qui a choisi la gratuité, faire de la procréation pour autrui un service marchand serait un recul car cela irait à l’encontre de notre éthique. Si nous considérons qu’une institution est un vecteur allant du moins au plus, la façon dont chaque société place le curseur est contingente. En matière de marchandisation du corps, nous ne pouvons pas porter de jugement moral, car les sociétés qui l’acceptent ne la perçoivent pas, contrairement à nous, comme un mal ! La question qui se pose alors est celle d’une éthique universelle, mais cela devient encore plus complexe…

M. Michel Vaxès. Il est tout de même heureux que nous ayons abandonné l’esclavage !

Mme Françoise Héritier. Je suis de cet avis, même si Aristote le considérait comme une chose normale et belle !

M. le rapporteur. Nous savons bien que notre culture est contingente et que nos normes sociales ne constituent pas nécessairement un progrès pour l’humanité, mais je suis troublé de vous entendre dire qu’en matière scientifique, tout ce qui sera possible sera tenté. Car tout ce qui est possible est-il souhaitable ? Nous sommes d’accord pour dire qu’il ne serait pas souhaitable de cloner des individus, de les fabriquer en série pour les vendre par morceaux, pour le bien-être du reste de l’humanité. Les valeurs qui sont les nôtres aujourd’hui, contingentes mais bien réelles, nous l’interdisent. Ma question est la suivante : doit-on libérer la technique pour lui permettre de faire face à tous les possibles de demain ? Je persiste à penser que la marchandisation du corps, l’esclavage et le clonage reproductif en série ne sont pas un progrès pour l’humanité.

Mme Françoise Héritier. Oui et je crois, pour ma part, en cela, à la sagesse des peuples et de leurs représentants !

M. le rapporteur. Ils peuvent aussi, momentanément, faire preuve de folie !

Mme Françoise Héritier. Sans doute, mais dès lors que leur plaisir est en jeu, ils savent se montrer sages. Or, le clonage reproductif est un lieu sans plaisir. Son interdiction me convient parfaitement car il représente la négation de l’altérité, et la société ne peut être constituée qu’avec les autres. Pour moi, il ne saurait devenir une norme de reproduction car il supprime les rapports sexuels avec l’autre, donc le plaisir.

M. le rapporteur. Nous pourrions dissocier le plaisir de la fécondation, la fécondation de la reproduction, la reproduction du génétique et la filiation du génétique. Mais notre société est déjà capable de dissocier la sexualité de la reproduction !

Mme Françoise Héritier. Une société dans laquelle la reproduction serait réalisée grâce à la technique n’aurait besoin que des femmes pour survivre !

M. le rapporteur. Imaginons le pire, à savoir une société où le plaisir et la reproduction seraient parfaitement dissociés : ce serait un monde totalement déshumanisé… Peut-être pourrions-nous conserver les anciennes formes de plaisir et assurer la reproduction en plaçant des gamètes dans un utérus artificiel pour ensuite extraire le bébé, et pourquoi pas raccourcir la durée de la grossesse, voire commander un enfant sur Internet en envoyant son matériel génétique ? (Sourires.)

Mme Françoise Héritier. C’est pourquoi je pense que les différents gouvernements qui ont interdit le clonage reproductif ont agi avec beaucoup de sagesse.

M. le rapporteur. Ils l’ont fait pour respecter certaines valeurs, non pour préserver le plaisir !

Mme Françoise Héritier. En effet, ils ont répondu à l’impératif de fonder le lien social sur le rapport avec autrui. Pour moi, l’interdiction du clonage reproductif est le pendant de la prohibition de l’inceste, qui, je l’espère, est durable – je fais confiance à l’humanité pour la maintenir. Je sais que quelques jusqu’auboutistes remettent en question l’interdiction de l’inceste, qui pourtant existe depuis les origines de l’humanité et nous a plutôt bien servi jusqu’à présent.

M. le rapporteur. Nous allons donc, pour suivre vos recommandations, conserver l’interdit de l’inceste et éviter de réduire en esclavage une partie de l’humanité… (Sourires.) Je vous remercie.

Audition de M. Pierre LÉVY-SOUSSAN, pédopsychiatre


(Procès-verbal de la séance du 11 mars 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous accueillons ce matin le docteur Pierre Lévy-Soussan, psychiatre, pédopsychiatre et psychanalyste, qui est directeur de la consultation « filiation » du centre médico-psychologique  du quinzième arrondissement et a été vice-président du conseil national d’accès aux origines personnelles, le CNAOP. Ses articles et son livre Eloge du secret (2006), qui abordent la filiation, la construction de l’identité, l’adoption et la recherche sur les origines, font autorité. Lors de votre audition au Sénat, docteur, vous vous êtes clairement prononcé contre la gestation pour autrui en faisant valoir les risques qu’elle implique pour la mère porteuse, le couple demandeur et l’enfant. Vous l’avez qualifiée de chimère médicosociale. Nous souhaitons vous entendre sur l’ensemble de ces sujets et vous remercions d’avoir pris sur votre temps pour venir nous éclairer.

M. Pierre Lévy-Soussan. Je vous remercie de m’avoir invité. Je vous apporterai un éclairage de clinicien. L’utilité d’un psychiatre pour enfants dans ce débat vient de ce qu’il peut témoigner des problématiques inconscientes et conscientes qui entourent l’enfantement et la filiation. Les lois de bioéthique, qui sont invisibles pour la plupart des gens, est d’une grande importance pour nous parce qu’elles font partie de notre pratique quotidienne et que nous observons leur impact structurant ou au contraire désorganisant.

Pour réviser les lois bioéthiques, il faut savoir si l’on doit prendre en compte toutes les demandes de tous les adultes et donc privilégier le désir d’enfant, en se demandant au nom de quelle morale on peut refuser l’accès à la procréation de certains individus, ou au contraire si l’on doit privilégier l’enfant à venir et ses intérêts. On sait qu’il existe des enfants adoptables, du sperme congelé, des embryons implantables, des ovocytes qu’on peut donner, des mères porteuses, des législations différentes de la nôtre : c’est ce qui transforme souvent de nos jours le désir d’enfant en un certain droit à la technique. Mais il est important de ne pas perdre de vue que dans toutes ces nouvelles questions, l’enfant n’est pas là pour faire valoir ses droits et ses intérêts.

La pilule, c’est-à-dire le sexe sans l’enfant, et les techniques de procréation médicale assistée, les enfants sans le sexe, ont participé à l’éclatement de l’atome familial. Les paramètres de la filiation ont donc été dissociés – filiation, désir, intimité, couple, rapport homme-femme, acte sexuel. Pourquoi ne pas aller plus loin dans cette dissociation, avec la grossesse pour autrui ou l’absence de père ? Pourquoi ne pas supprimer la différence de sexe, avec des parents de même sexe, ou la différence entre la vie et la mort, avec les inséminations post mortem ? Mais, ainsi que le dit Hans Jonas, lorsque l’homme se fait l’objet de sa propre technique et insère ses conditions naturelles dans le champ de l’artifice, ce qui fonde l’action humaine devient problématique. Il faut donc se demander si l’État doit faire créance à ces revendications, franchir une barrière et sortir les médecins de la problématique de l’infertilité en les transformant en fournisseurs de technique en dehors de tout contexte de soins ; se demander ce que ces revendications occultent ou impliquent à l’échelon de la société ; se demander si ces situations inédites appellent de nouvelles lois ou plutôt une explicitation de ce sur quoi repose la filiation et de la possibilité de réassocier ce qui a été dissocié.

Comment fonctionne donc la filiation – comment naissent les parents et les enfants ? C’est un double processus, de transformation de chaque être en père et mère ou fils et fille, et de transmission de produits corporels et de biens matériels et psychiques. Ainsi la filiation permet-elle par la suite sa propre reproduction aux enfants de nos enfants. La filiation repose sur trois axes – car il ne suffit bien évidemment pas d’avoir des enfants pour être parent : biologique, juridique et psychique. Lorsque l’axe biologique manque, les deux autres suffisent à la filiation, mais sont beaucoup plus sollicités. Les filiations marquées par la dissociation, c’est-à-dire qui sont allées chercher un produit médical ou un enfant à l’extérieur, sont donc plus vulnérables. Elles peuvent toutefois parfaitement permettre au sentiment de filiation d’exister.

La filiation biologique est celle de la procréation, des produits du corps. Le lien biologique ne suffit pas à créer la parentalité. En revanche, les autres données de la biologie – la reproduction sexuée, la différence des générations, la différence du mort et du vivant – serviront de base aux productions juridiques et psychiques de la filiation.

La filiation juridique, elle, est l’ensemble législatif qui encadre tous les enjeux émotionnels et fantasmatiques propres à une vie familiale. Elle relève de la convention, mais s’établit toujours à partir d’éléments biologiques et des données culturelles de la société. Aucune famille ne peut inventer un système de parenté, pratiquer l’inceste, ni réfuter ses parents en dehors de procédures strictes qui ne dépendent pas de son bon vouloir. Nous considérons donc que le repère de la loi est essentiel pour intérioriser des repères symboliques propres à définir la parenté et la filiation. La loi permet le processus par lequel l’enfant va transformer les adultes en parents et ceux-ci transformer cet être de chair en fils ou fille. Cette fiction juridique, comme l’appellent les juristes, est essentielle, en particulier lorsqu’il y a eu dissociation, c’est-à-dire procréation médicale assistée ou adoption, pour que l’enfant soit considéré comme s’il était né du couple – or le fait que les parents ne parviennent pas à le considérer comme tel peut conduire à l’échec. Cette fiction est donc importante, mais peut-elle aller jusqu’à la science-fiction, c’est-à-dire des filiations qui n’auraient pas pu exister ? Les Romains avaient déjà répondu par la négative, en interdisant par exemple l’adoption d’un enfant plus âgé que le père. Pour qu’une fiction opère, elle doit être crédible, raisonnable. Certaines fictions permettent un cadre maturatif et d’autres le fragilisent.

Enfin, la filiation psychique, pour nous le pilier le plus important, est une construction subjective de la propre vérité d’un individu. Toutes les familles sont concernées : on peut naître tout à fait naturellement et ne pas éprouver le sentiment que les adultes qui nous ont élevé sont des parents. Le psychiatre voit des cas où ce sentiment n’a pas pu se créer ; il voit des échecs d’adoption où les parents n’ont jamais pu s’approprier cette place, souvent parce qu’ils n’ont jamais pu dépasser l’aspect biologique de la filiation, auquel ils accordent une trop grande importance. Il s’en dégage une règle : toute société, toute loi qui valorise le pilier biologique le fait toujours au détriment de la certitude de la filiation psychique.

Voilà ce qui permet la transformation psychique d’un être en parent et d’un enfant en fils et fille et la transmission de ce sentiment aux enfants qui à leur tour feront des enfants, s’acquittant ainsi de la dette qu’ils ont vis-à-vis de leurs parents. Lorsqu’il faut aller chercher dans le social ou dans la médecine un élément pour régler cette dette filiative, il faut opérer une réassociation sur le plan psychique. C’est pour cela que ces filiations sont vulnérables : les parents peuvent ne pas arriver à réaliser ce lien entre leur enfant et leurs propres parents, malgré le montage qui les désigne comme pères et mères. Mais dans la majorité des cas, cela marche, ce qui indique que la fiction est crédible. Même les enfants adoptés qui sont d’une ethnie différente de leurs parents savent bien qu’ils ont des parents de naissance, mais considèrent leurs parents adoptifs comme leurs parents – considèrent qu’ils auraient pu venir d’eux. Ils savent qu’une scène originaire s’est jouée ailleurs, mais cette scène a pu se rejouer au sein de la famille. C’est là que se bâtit ce sentiment subjectif propre à la parentalité. L’anonymat, dans les inséminations artificielles avec donneur, ou la rupture filiative dans l’adoption plénière sont des rouages essentiels de cette réussite, de cette réappropriation par le couple. Tous les couples ne sont pas capables de cette gymnastique, d’où l’existence des procédures d’agrément pour l’adoption. Certains couples seront tellement envahis par l’histoire préalable de l’enfant qu’ils ne pourront pas accomplir le travail de réassociation. C’est aussi pourquoi un entretien psychologique est obligatoire pour ceux qui se dirigent vers une insémination artificielle avec donneur. J’ai le souvenir d’un de ces entretiens au cours duquel un homme m’expliquait qu’il ne serait pas tout à fait le père de cet enfant, qu’il aurait l’impression d’être, d’une certaine façon, trompé par sa femme… Dans ce cas là, un seul entretien ne suffit pas. Or, si une chose est sûre, c’est qu’en présence d’un enfant les vulnérabilités du couple seront immanquablement mises en évidence. Il faudrait donc renforcer la législation sur les entretiens. On voit aussi de nombreux couples qui expliquent qu’ils « savent » qu’il ne faudra rien dire à l’enfant. Pourquoi ? Parce « qu’on leur a dit ». Il est important qu’ils s’approprient la décision, quelle qu’elle soit, sans quoi l’enfant s’engouffrera dans ces fragilités. Et un enfant qui ne trouve pas dans sa famille l’assurance psychique nécessaire devient un adulte en souffrance, qui cherche cette assurance ailleurs – ce que traduit le discours militant sur la connaissance des origines.

Réviser les lois bioéthiques nous pousse à nous questionner sur les risques que nous sommes prêts à faire courir à un enfant. Trois principes peuvent nous aider à fixer le cadre juridique, qui sont en fait les conditions minimales pour que ce travail de transformation puisse s’effectuer. Le premier est que les lois respectent les éléments juridiques et symboliques qui désignent le père, la mère, le fils et la fille. Il ne s’agit pas de reconnaître des droits spécifiques à l’enfant, mais en tout cas de ré-hiérarchiser les normes minimales auxquelles il a droit. Le droit à l’enfant est de ce point de vue une revendication contestable. Avoir des enfants est une liberté, une possibilité, pas un droit conférant une créance auprès des médecins ou du législateur. L’enfant a droit à ce que les lois posent cette limite, lui évitent d’être le résultat d’un désir illimité et porteur de danger pour lui. L’enfant a droit à son être-tel, qui interdit qu’on lui impose des déterminations d’origine individualiste lui tenant lieu de condition naturelle. Ainsi, l’enfant a droit aux différences : il a droit à jouer avec l’identification soit à son père, soit à sa mère, soit aux deux. Il a droit à l’asymétrie parentale. La loi ne doit pas effacer ces différences qui sont si importantes pour sa maturation.

Le deuxième principe est que la société ne valorise pas à l’excès le biologique ni le social. L’excès de biologisme mettrait l’enfant dans une situation totalement paradoxale. Ainsi, les lois fondées sur le droit aux origines fragilisent la filiation adoptive. Dès qu’une émission parle d’adultes qui recherchent leurs origines, nos consultations se remplissent de couples avec des enfants de huit ou neuf ans qui veulent retourner en Asie pour voir leurs vrais parents. Dans la quasi-totalité des cas, c’est une situation familiale – une maladie de la mère, un départ du père en vacances – qui a rendu parents et enfants vulnérables. Face à cette situation d’instabilité, l’enfant se raccroche tout de suite à la certitude du biologique. Si l’on parvient à dire clairement que la réponse ne se trouve pas là, on peut travailler au sein de la famille. Mais si la société favorise la recherche des parents biologiques, beaucoup de familles ne se remettront pas en question. C’est ce que nous appelons le « kidnapping des origines » : le fait qu’on considère que c’est la biologie qui fait les origines de l’enfant, pas les familles adoptantes ou qui ont eu recours aux inséminations artificielles avec donneur. Pourtant, ce sont bien ces couples qui sont originaires dans ce désir, qui ont mis en place la fiction dont l’enfant est issu. Ce kidnapping des origines fragilise les familles adoptantes et peut conduire à des échecs dramatiques. Quant à l’excès de sociologisme, c’est l’idée que si quelque chose se fait quelque part, c’est que c’est possible et donc qu’il faut légiférer dessus. Cela plonge la société dans la confusion. L’homoparentalité par exemple – un terme en lui-même contradictoire – n’est qu’une situation homoéducative, pas une situation filiative. L’enfant est élevé par des personnes de même sexe, certes, mais au niveau filiatif il n’a qu’une mère ou un père. L’enfant ne s’y trompe pas. Il sait bien qu’il ne peut pas être issu de deux mamans ou deux papas. Rien n’empêche donc les célibataires avec un ami de même sexe de demander un agrément pour adopter ; la personne seule peut devenir parent et établir une filiation si les repères sont clairs, à savoir si l’ami n’est pas un second papa ou une seconde maman. Mais il faut être très vigilant pour éviter ce glissement du statut éducatif à la filiation, qui serait un non-sens.

Le troisième principe devrait être de ne pas instrumentaliser l’enfant dans des expériences filiatives. Cela revient à faire payer le prix à l’enfant du désir de l’adulte. Le principe de proportionnalité ne nous semble pas favorable à la pratique des mères porteuses : les risques encourus par la gestatrice, le couple, l’enfant et la société sont disproportionnés par rapport au bénéfice – le fait d’avoir un enfant.

Le rôle des tiers – médicaux, juridiques, sociaux – est de défendre le point de vue de l’enfant à venir, de faire le contrepoids de la forte pression sociale qui tend à banaliser des risques psychiques qu’il subira pourtant seul, au prétexte qu’un enfant peut tout surmonter – mais parfois non, et d’autres fois à quel prix ! Nous préférons à l’éthique de la conviction, propre à l’individualisme, celle de la responsabilité, propre à l’intersubjectivité. Si nous devions renoncer à nos montages filiatifs, si un enfant devait devenir un produit fabriqué, contractualisé, nous serions confrontés à une profonde mutation de notre civilisation. L’expansion du droit de chacun à l’enfant en serait la partie la plus visible et la plus difficile à contrarier car cela exige une pensée des limites ; or celles-ci sont difficiles à conceptualiser à notre époque, qui se plaint de la disparition de toute autorité et de la montée de la violence chez les adolescents, mais qui en même temps veut rendre flous les repères dont l’enfant a besoin et auxquels il doit se heurter pour pouvoir grandir.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Vous mettez en garde contre la tentation que pourrait avoir la société de faire pencher à l’excès la balance vers l’une des composantes de la filiation, le génétique ou l’éducatif. On pourrait ainsi dériver soit vers une recherche obsessionnelle de ses gamètes d’origine, soit vers une légalisation de faits sociétaux qui ne tiendrait aucun compte de l’intérêt de l’enfant. Nous sommes néanmoins le produit d’une convergence biologique et éducative. Ne vous paraît-il pas légitime de rechercher son origine biologique ? Nous avons vu hier une association qui représente cinquante personnes sur cinquante mille, mais qui exprime une souffrance incontestable. N’est-ce qu’un état pathologique résultant d’une fragilisation, ou y a-t-il un fond de quête légitime de ses origines ? Et l’anonymat doit-il donc être maintenu, voire le secret gardé, dans une société qui cultive la transparence à l’excès ? Quant à la gestation pour autrui, l’argumentaire qui s’y oppose est généralement bâti sur l’instrumentalisation de la femme, dont le corps ne serait que le réceptacle temporaire de la volonté d’un autre couple. Mais vous semblez évoquer, pour votre part, un risque de souffrance pour l’enfant. Pouvez-vous le préciser ?

M. Paul Jeanneteau.  Vous avez évoqué, à propos de la gestation pour autrui, un principe de proportionnalité. De quoi s’agit-il ? Par ailleurs, nous avons reçu hier l’association Maia, qui milite pour la gestation pour autrui. Ces familles fondent leur argumentation sur le fait que les parents sont les personnes qui élèvent l’enfant et prennent les responsabilités correspondantes, et non seulement les parents biologiques, que les relations entre les parents et la gestatrice se révèlent au final assez harmonieuses et qu’il n’y a pas de cas de refus de remettre l’enfant aux parents ni d’exploitation de la femme. Elles expliquent qu’elles ont fait aux États-Unis ou au Canada ce que notre législation leur interdit sans raison en France et que leurs enfants vont bien – elles nous invitent d’ailleurs à les rencontrer. Que leur répondez-vous ?

Mme Pascale Crozon. La difficulté pour nous est que ces familles vont en tout état de cause rechercher une grossesse pour autrui à l’étranger, ce qui pose le problème du droit de l’enfant et de son statut dans notre société.

M. Michel Vaxès. Les trois axes de la filiation que vous avez évoqués ne sont pas de même nature. Le biologique est lié à la préservation de l’espèce. Il renvoie à l’animalité. En gros, on a besoin d’un mâle et d’une femelle pour produire un petit. Le juridique et le psychique, eux, sont des constructions humaines. Le biologique relève de l’informatif – des gamètes – le juridique et le psychique de la construction de l’humanité d’un individu dans une relation. Aujourd’hui, le biologique est une réalité, un poids qu’il faut sans doute prendre en compte. Peut-on concevoir toutefois que, par l’éducation, on réduise son poids dans ce triptyque ?

Mme Dominique Orliac. Parmi les enfants génétiquement différents, quelle proportion souffre de troubles psychiques, et de quelle gravité ? Quelle est donc l’ampleur des conséquences ?

Mme Marie-Thérèse Hermange, sénatrice, membre du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. Je précise d’abord que l’Académie de médecine ne parle plus d’expérimentation en matière de grossesse pour autrui : une deuxième recommandation l’a emporté contre la proposition initiale, qui voulait calquer cette expérimentation sur ce qui s’était fait pour les CECOS. Pour ce qui est du tourisme procréatif, vous avez évoqué la nécessité de construire une pensée des limites. Il faut effectivement nous demander ce à quoi nous consentons et ce que nous sommes prêts à abandonner. Voulons-nous une loi qui recense toutes les possibilités juridiques de tous les pays, en s’alignant sur le moins-disant éthique, et qui menace nos principes d’humanité ; ou une loi qui fixe des limites et des principes que nous n’abandonnerons pas pour répondre à des désirs individuels ? Notre difficulté est d’inclure cela dans l’énoncé de la problématique.

M. Pierre Lévy-Soussan. Pour commencer par la quête des origines, il faut bien préciser que ce questionnement n’est pas du tout réservé à certaines catégories de personnes : chacun y est confronté à un moment de sa vie. Le problème se pose quand c’est la société qui donne la réponse, et qui affirme que l’essentiel se trouve dans l’informatif. Ayant été vice-président du CNAOP, j’ai bien vu que les gens que nous recevions, et qui étaient souvent dans une grande souffrance, ne la résolvaient pas quand bien même ils allaient au bout de leur quête. Leur passage à l’acte au niveau informatif ne leur apportait pas les réponses qu’ils attendaient. Ce qui fait très souvent défaut, c’est la mise en parole de leur histoire dans une famille qui ne parvient pas à effectuer le travail psychique de réassociation. L’enfant se tourne donc ailleurs. Lorsque la famille adoptante ou qui a eu recours à l’insémination artificielle avec donneur ne tient pas ferme face à sa quête, lorsqu’elle l’approuve et lui paye son billet d’avion pour retourner dans son pays, l’enfant dont la demande est de savoir qui l’a désiré, se retrouve en fait mis à la porte ! Le vrai questionnement sur les origines, c’est de savoir d’où vient la position dans la famille. Si les familles restent très fermes, l’enfant va pouvoir métaboliser son histoire d’abandon ou de procréation médicale dissociée.

S’agissant de la grossesse pour autrui, je considère qu’il y a tellement de risques qui se cumulent, pour l’enfant comme pour autrui, qu’on peut se demander si ce n’est pas disproportionné par rapport au seul désir d’avoir un enfant. Toute grossesse pour autrui doit s’envisager comme une illustration de la loi de Murphy : tout ce qui peut aller de travers ira réellement de travers. Et tous les cas ont déjà été expérimentés, des changements d’avis au décès d’une des parties prenantes. Il faut donc conclure un contrat extrêmement précis qui recense tous les risques, des problèmes médicaux du bébé au changement d’avis de la donneuse. Ce contrat implique l’irruption d’une réalité dérangeante que parfois, et c’est aussi le cas dans des histoires d’adoption, les couples ne peuvent pas métaboliser et qui va faire obstacle au lien avec l’enfant. Il peut s’agir par exemple de choses que l’enfant a vécues dans la rue avant d’être adopté, que les parents trouvent si angoissantes qu’elles les empêchent de devenir parents. Le réalisme du contrat est donc un facteur de risque. La tendance de la société à réifier le biologique en est un autre – alors que paradoxalement elle porte attention au côté psychique des choses. Et l’idée que ce sont les produits biologiques du couple qui se trouvent dans le ventre de la femme n’y change rien : c’est la dissociation majeure de la grossesse qui crée la difficulté à se sentir parent. On sait d’ailleurs à quel point c’est le fait d’accoucher qui rend mère : dans les cas de dons d’ovocyte, la mère peut tout à fait se les approprier parce que c’est elle qui accouche.

Vous m’avez interrogé sur les risques encourus par l’enfant – je passe sur les problèmes psychiques de la mère porteuse, de son mari et de leurs enfants, qui devront intégrer le fait de voir leur mère enceinte et qu’elle donne cet enfant à un autre, avec toutes les angoisses que cela suppose. Pour ce qui est de l’enfant donc, le risque est celui de la rupture imposée. Il ne s’agit pas d’un abandon, qui est la moins mauvaise solution décidée par une mère dans une histoire psychique compliquée, mais d’une rupture programmée, délibérée de ce que l’enfant a vécu pendant la grossesse (repères olfactifs, auditifs, traces mnésiques des rythmes de la mère…). Une telle rupture a toujours des conséquences psychiques. La psychanalyse de l’enfant sait désormais que la préhistoire psychique commence dès l’embryogenèse et perdure jusqu’à l’accouchement, et que la sensation de perte de la contenance utérine entraîne chez le bébé la recherche d’une autre contenance capable d’apaiser ses angoisses. Cette fonction apaisante est optimale lorsque le bébé peut établir une continuité sensorielle avec la peau, les odeurs, la nourriture, la voix, la rythmicité de la mère, repères déjà présents lors de la grossesse. Faute de la trouver, le bébé s’agrippera à d’autres objets, mais il s’agira d’une organisation défensive secondaire, après la faillite de l’environnement primaire à valeur organisatrice. D’autres conséquences pour l’enfant se trouvent aussi du côté de ses parents, qui doivent métaboliser une histoire compliquée. Il arrive bien sûr que tout se passe pour le mieux ; mais l’enfant devra faire appel au psychisme de ses parents pour savoir comment ils ont surmonté ce cheminement vers lui. Or toute vulnérabilité dans ce cheminement va fragiliser la construction de son identité.

J’en viens au fait que certaines pratiques existent à l’étranger : cela ne me semble pas un argument pour les adopter. Ce n’est pas parce qu’on trouve facilement de la drogue aux Pays-Bas que nous allons changer notre législation. On reçoit très souvent des femmes célibataires qui sont allées en Espagne ou en Belgique pour une insémination, et ont donc transgressé les interdictions qui existent en France. Je me souviendrai toujours de cette consultation lors de laquelle un enfant a dévasté entièrement mon cabinet pendant que la mère, épuisée et impuissante, m’expliquait que si c’était à refaire, elle ne procèderait jamais à l’insémination – mais qu’à l’époque, personne n’aurait pu l’arrêter. Il a fallu qu’elle prenne conscience de la place centrale qu’occupait dans sa vie le fait même de transgresser. Elle ne pouvait pas devenir mère de cet enfant parce qu’elle n’avait aucune représentation du tiers, totalement éliminé par son passage à l’acte. Tout cela a eu bien sûr des conséquences pour l’enfant.

Pour ce qui est des trois axes, on sait que lorsque l’axe biologique n’est pas présent, les deux autres sont davantage sollicités. Ils suffisent à garantir la filiation mais s’ils présentent la moindre vulnérabilité, l’édifice filiatif s’effondre.  Ainsi, une transgression des parents dans la procédure juridique de l’adoption – donc leur cheminement vers l’enfant – peut se traduire par une fragilité de leur lien avec lui. C’est le cas aussi lorsque les parents sont envahis de fantasmes sur l’histoire préadoptive de l’enfant. Ce n’est pas d’informatif qu’a besoin l’enfant, c’est de narratif. Il doit savoir sa place dans une histoire parlée par le couple, lequel doit se présenter comme originaire pour lui. La valorisation par la société du biologique participe des problèmes de filiation. Le pire pour nous, d’un point de vue psychique, est l’échec – les enfants qui sont ramenés aux services de la protection de l’enfance. Nous étudions ces cas pour savoir pourquoi la famille adoptive n’a pas pu réassocier ce qui était dissocié. Lorsque les parents ne se sentent pas parents, qu’ils vivent une déception, les enfants présentent toute une panoplie de troubles psychiatriques, du comportement violent jusqu’à la dépression. C’est que leur famille n’a pas pu leur assurer de repères suffisamment sûrs. C’est pour cela que l’agrément est essentiel : tous les couples ne peuvent pas adopter, et tous les enfants ne sont d’ailleurs pas adoptables.

Quant à la pensée des limites, la question est de trouver le cadre qui permettra des repères suffisamment clairs. Il ne faut pas céder sur les enjeux symboliques importants – la différence des sexes, ou la différence entre le vivant et le mort. Ainsi, les inséminations post mortem nous font franchir une limite. Or toutes ces limites sont liées les unes aux autres. Si on renonce à la différence des sexes ou des générations, pourquoi ne pas autoriser l’inceste ? La biologie ne fonde pas les règles de l’inceste. Ce n’est pas un problème de consanguinité. C’est une position symbolique : un homme ne doit pas être à toutes les places dans une famille. Ce n’est pas le génétique qui définit les liens psychiques entre les personnes. Il faut donc conserver certains repères qui permettent à l’enfant de se transformer en fils ou fille et aux adultes en pères et mères. Cette transformation est de l’ordre du travail psychique : elle n’est pas innée. Elle peut se produire ou ne pas se produire.

M. le rapporteur. Apporteriez-vous des modifications aux lois actuelles ?

M. Pierre Lévy-Soussan. Les principes qui ont prévalu depuis les années 1970 et qu’a repris la loi donnent un cadre suffisamment protecteur, nécessaire et suffisant à toutes ces filiations un peu compliquées à construire. Je renforcerais simplement l’accompagnement des personnes qui s’engagent dans les inséminations artificielles avec donneur, qui exigent un travail psychique important. Il faut parfois plus d’un entretien pour que l’enfant puisse se sentir bien dans sa famille en arrivant.

M. le président. Quel enseignement avez-vous tiré de votre passage au CNAOP ?

M. Pierre Lévy-Soussan. Pour rester bref, la loi sur l’accès aux origines personnelles nous a semblé à sa parution présenter des risques. Je pensais pouvoir les atténuer de l’intérieur et j’ai démissionné lorsque je me suis rendu compte que ce n’était pas possible. Cette loi qui valorise les origines biologiques au détriment du psychique est d’une extrême violence, tant pour les familles adoptantes que pour les femmes qui ont accouché et pour les enfants qui se construisent. J’en ai donc tiré l’enseignement que certaines lois sont désorganisatrices. Celle-ci l’a été énormément dans le champ de la parentalité et de la filiation adoptive.

M. le président. Je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation.

Audition de M. Stéphane VIVILLE, chef du laboratoire de biologie de la reproduction au centre hospitalier universitaire (CHU) de Strasbourg


(Procès-verbal de la séance du mercredi 11 mars 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président. Monsieur le professeur Viville, merci d’être venu. Vous êtes biologiste, universitaire, praticien et chef du laboratoire de biologie de la reproduction au centre hospitalier universitaire (CHU) de Strasbourg, responsable notamment des activités de diagnostic préimplantatoire (DPI). Vous êtes par ailleurs chef d’équipe sur l’ontogenèse des cellules germinales primordiales à l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire (IGBMC) de Strasbourg, l’un des premiers centres de recherche européens en biomédecine. Mais vous dirigez aussi, avec le professeur Marc Peschanski, des recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines porteuses de mutations à l’origine de maladies monogéniques, l’autorisation de ces recherches ayant été délivrée par l’Agence de la biomédecine en juin 2006.

C’est dire que votre expérience pourra nous éclairer sur un certain nombre de questions : quel bilan tirer de l’application de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique ? Faut-il modifier les dispositions de la loi relatives au DPI et aux recherches sur les cellules souches embryonnaires ? Quels sont les enjeux éthiques liés à l’extension des indications du DPI, s’agissant notamment des prédispositions à certaines formes de cancer ?

M. Stéphane Viville. Merci de me donner l’occasion de m’exprimer ici. J’ai en effet plusieurs casquettes : je suis tout d’abord chef du laboratoire de biologie de la reproduction au CHU de Strasbourg, l’un des tout premiers centres autorisés à pratiquer le DPI en France ; je dirige par ailleurs une équipe à l’IGBMC – sans être le directeur de cet institut, je tiens à le préciser – qui travaille notamment sur l’embryon humain ; je suis également membre de différentes commissions à l’Agence de la biomédecine et à la HFEA, (Autorité britannique pour la fécondation et l’embryologie humaines), qui a une commission de surveillance des avancées scientifiques. Je souhaite m’exprimer surtout sur le DPI, notre pratique et nos contraintes en ce domaine.

En quoi consiste le DPI ? Nous proposons à des couples qui savent qu’ils risquent de transmettre une maladie génétique une fécondation in vitro (FIV). La FIV a un double intérêt : obtenir des embryons en dehors de l’utérus, et les obtenir en grand nombre : quatre, cinq, six, sachant que le risque de transmission de ces maladies génétiques varie de un sur deux à un sur quatre – sur cinq ou six embryons, la probabilité est donc forte d’en avoir qui soient sains. Nous laissons ces embryons se développer jusqu’au stade de huit cellules, stade auquel on peut prélever une ou deux cellules sur un embryon sans risquer de l’endommager, pour réaliser une analyse génétique. Cette analyse nous permet de trier les embryons atteints de la pathologie et les embryons sains. Un ou deux embryons sains seront alors transférés chez la patiente.

Cette pratique est autorisée en cas de maladie génétique d’une particulière gravité, incurable au moment du diagnostic, et j’approuve cette spécificité de la loi française. Depuis 2004, l’anomalie doit être caractérisée chez l’un des parents ou chez l’un des ascendants immédiats. Avec l’association Huntington Espoir, j’ai milité, en 2004, en faveur de la prise en charge de certains patients risquant de développer une maladie de Huntington.

Qu’il s’agisse de diagnostic prénatal (DPN) ou de DPI, la loi fait mention de cette particulière gravité et de cette incurabilité de la maladie au moment du diagnostic. Le DPI représente donc, dans l’esprit de la loi tel que je le comprends, une forme ultra-précoce de DPN. Notons que, pour juger de cette notion de gravité, nos voisins anglo-saxons prennent en compte la perception qu’en ont les couples.

Il existe néanmoins une différence fondamentale entre le DPN et le DPI : le DPN est un test pratiqué in utero, à un moment où la grossesse a débuté, et de façon systématique puisque toutes les femmes enceintes, en France, ont droit à une échographie, première forme de DPN ; le DPI est un test ex utero, réservé en France à des couples avec des antécédents, et pratiqué avant que ne débute la grossesse.

À l’heure actuelle, les demandes de DPI émanent de couples ayant eu recours à une interruption médicale de grossesse (IMG), de couples qui se savent à risque mais qui, pour des raisons religieuses ou culturelles, refusent une IMG, ou de couples ayant un historique associé à des problèmes d’infertilité. Au centre de Strasbourg, la règle suivie est que si le DPN est accepté, le DPI l’est aussi.

Nous pouvons réaliser deux formes d’analyse génétique : la PCR (polymerase chain reaction) – en français, l’amplification en chaîne par polymérase (ACP), technique de réplication ciblée in vitro – ou la FISH (fluorescent in situ hybridization), technique d’hybridation fluorescente.

Les indications de la PCR sont les maladies génétiques dont les mutations sont caractérisées : maladies autosomiques récessives, maladies autosomiques dominantes et maladies récessives liées au chromosome X, avec des risques allant de 25 à 50 %.

Les indications de la FISH étaient les maladies récessives liées à l’X, où l’on pouvait se permettre de faire une identification du sexe des embryons pour ne transférer que les embryons de sexe féminin. Nous essayons, dans la mesure du possible, de développer des tests spécifiques nous permettant de transférer également les embryons masculins sains. Mais la FISH est surtout utilisée en cas d’anomalies chromosomiques. Certains pays européens et américains font des recherches d’aneuploïdies ; je ne suis pas favorable à ce procédé, en raison de son inefficacité. Dans certains pays, la FISH est malheureusement utilisée pour déterminer le sexe de l’embryon. Je suis totalement opposé à ce procédé, que les Anglais qualifient hypocritement d’« harmonisation familiale ».

La première phase de cette analyse consiste à réaliser une biopsie embryonnaire, qui peut intervenir à trois stades : globule polaire, embryon de huit cellules et blastocyste, sachant que la grande majorité des laboratoires de DPI travaillent au stade de huit cellules. Le globule polaire n’est quasiment pas utilisé parce qu’il présente un certain nombres d’inconvénients. Il permet seulement d’analyser le génome maternel, et pas le génome paternel. Il s’agit en outre d’un matériel en cours de dégradation, et les résultats obtenus sont donc très aléatoires ; les quelques laboratoires qui travaillent sur le globule polaire prélèvent un blastomère au stade de huit cellules pour confirmer le diagnostic réalisé sur le globule polaire. D’autre part, il est difficile d’obtenir des blastocystes en grande quantité. Le diagnostic se fait donc généralement au stade des huit cellules.

Le DPI présente des difficultés et représente des contraintes.

Pour le couple, la première difficulté est de savoir qu’il risque de transmettre une maladie génétique ; ceci est vécu comme une « tare », qui existe souvent depuis très longtemps dans la famille, et de risquer de transmettre la pathologie. Le DPI soulève par ailleurs les difficultés suivantes : la nécessité de passer par une FIV ; les faibles taux de grossesse obtenus ; le nombre restreint de diagnostics disponibles, malgré des progrès considérables ; le manque de moyens, matériels et humains des centres de DPI, qui entraîne des délais dramatiques.

Le processus de prise en charge de la demande part de la découverte d’un risque. Ce risque peut être très ancien, s’il s’agit d’une maladie dominante, certains membres de la famille – des parents directs – ayant développé la pathologie. Mais la découverte peut-être fortuite, s’il s’agit d’une maladie récessive.

La découverte d’un risque nécessite un conseil génétique, qui pourra aboutir à une demande de DPI, s’il est possible de pratiquer une FIV. Les critères sont assez contraignants : il faut une réserve ovarienne importante, avec un nombre suffisant d’ovocytes (au moins huit).

La demande de DPI sera ensuite étudiée. Pour cela, nous avons besoin d’un certain nombre d’informations : un compte-rendu de la mutation génétique ; un compte-rendu du caryotype ; un compte-rendu du conseil génétique ; un certain nombre de bilans, notamment un bilan de préfécondation ; un certain nombre de prélèvements, pour une analyse génétique préalable ; enfin, des consentements.

Si tout est en ordre, nous allons poursuivre. Le dossier sera présenté devant le centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal (CPDPN). Ce dossier peut être présenté à différents moments, en fonction de la demande. Si le CPDPN atteste qu’il s’agit d’une pathologie d’une particulière gravité, incurable au moment du diagnostic, le DPI peut être réalisé.

Entre la découverte d’un risque, le conseil génétique et une éventuelle demande de DPI, un délai très variable est constaté. Entre la demande de DPI et le DPI, le délai est actuellement de 20 à 24 mois, et il continue malheureusement à augmenter faute de moyens.

Je peux vous citer un exemple récent, un cas d’encéphalopathie spongiforme assimilable à la maladie de Creutzfeldt Jakob, celle de Gerstmann-Sträussler-Scheinker (GSS). Il s’agit d’une neurodégénérescence de l’adulte, avec des troubles progressifs mnésiques, moteurs et une démence. Elle est très rare : une cinquantaine de familles, essentiellement allemandes et alsaciennes, en sont atteintes dans le monde. Néanmoins, nous avons atteint aujourd’hui une telle technicité dans le diagnostic sur cellule unique que, si nous en avons les moyens, le fait de devoir développer un nouveau diagnostic n’est pas une limitation dans la prise en charge du couple. Cela signifie que nous pouvons assurer une quasi égalité de traitement des patients, quelle que soit la pathologie, qu’il s’agisse de la mucoviscidose, la pathologie la plus fréquente dans la population caucasienne, ou de ce genre de pathologie, extrêmement rare, où l’on observe une mutation du gène de la protéine prion.

Dans cet exemple, l’arbre généalogique du couple fait apparaître des décès à des âges très variables, de 31 ans à 54 ans pour la mère du monsieur et 73 ans pour sa grand-mère. Ce monsieur est âgé de 29 ans. Après l’apparition de la maladie à 37 ans, sa mère a été hospitalisée pendant dix-huit ans. Il est allé la voir tous les jours à partir de l’âge de dix ans. Elle est décédée à 54 ans. Il a été confié à l’âge de dix ans à sa tante maternelle. Il a pris connaissance du risque génétique à l’âge de vingt ans. Il a souhaité faire un test présymptomatique pour connaître son statut génétique parce qu’il avait un projet procréatif. Il a eu le résultat en juillet 2007 : la mutation a été retrouvée chez lui. Pour lui, il est hors de question de transmettre cette pathologie à sa descendance. Le couple est opposé à la pratique du diagnostic prénatal (DPN) et à l’interruption médicale de grossesse (IMG).

Nous avons eu un premier contact avec cet homme le 13 mai 2008. Il a eu un conseil génétique le 19 août 2008 à Nancy. Le dossier a été présenté au centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal (CPDPN) du CHU de Strasbourg le 10 octobre 2008, soit cinq mois après le premier contact, ce qui est tout à fait acceptable, car il faut prendre le temps de recueillir les données. L’indication a été acceptée pour le DPI lors de cette réunion du CPDPN. Nous avons donc débuté la mise au point du diagnostic le 1er décembre 2008. En deux mois, soit le 30 janvier 2009, le diagnostic était prêt. Il a été validé sur les cellules de l’homme du couple le 23 février 2009.

Le couple s’est marié pendant l’été 2008. En novembre 2008, les deux parents de la femme du couple sont décédés dans l’incendie de leur appartement. En décembre 2008, la tante qui avait pris l’homme du couple en charge est elle aussi décédée.

Fin janvier 2009, nous avons convoqué cet homme pour une consultation pluridisciplinaire à Strasbourg. Cette consultation a eu lieu le 1er février 2009. Je lui ai alors expliqué l’ensemble de la procédure et le type de test que nous allions faire. J’ai dû également lui annoncer que nous ne pourrions pas le prendre avant 2010. Il s’est effondré, en larmes, et la consultation est devenue très longue et très pénible.

Ce délai est uniquement lié au manque de moyens du centre. En effet, nous dominons la technique de mise au point de diagnostics sur cellule unique à un tel point que ceci n’est plus un facteur limitant. Il nous faut pour une nouvelle mise au point trois à six semaines. Nous traitons beaucoup de pathologies à révélation tardive. Nos patients sont donc pressés. Dans mon exemple, l’homme a bientôt trente ans et il sait que sa mère a développé les signes de la maladie de GSS à 37 ans. Lui annoncer qu’il devra encore attendre un an la première tentative de DPI est pour lui insupportable.

Le biologiste rencontre lui aussi des difficultés. Il a tout d’abord peu de matériel biologique disponible ; il est délicat de faire un diagnostic sur une seule cellule. Il manque également de temps ; il doit réaliser ce diagnostic en vingt-quatre heures. Le nombre et la qualité des embryons et les risques de contamination sont également source de problèmes.

À Strasbourg, nous avons développé des diagnostics pour une quarantaine de pathologies. Au début de notre activité, nous annoncions trois à six mois pour mettre en place un nouveau diagnostic. Actuellement, nous annonçons trois à six semaines. Notre centre a deux spécificités : les maladies neuromusculaires et les cancers.

Pour cette quarantaine de pathologies, nous avons développé plus de 150 diagnostics. En effet, il est parfois nécessaire de développer plusieurs diagnostics pour certaines pathologies parce que les mutations peuvent être différentes d’une famille à l’autre. Nous sommes capables de prendre en charge toutes les translocations ou presque. Cela nécessite une mise au point pour chaque couple mais, au fur et à mesure, cette mise au point est de plus en plus rapide.

Du fait qu’il n’existe que trois centres en France et que nous avons des tests spécifiques à Strasbourg, nous avons une activité nationale : un septième de cette activité provient du grand Est, le reste provenant de la France entière. Nous avons organisé un système de premier contact téléphonique, qui nous permet d’ouvrir un dossier, de contacter le généticien et de lui envoyer le couple. Cela nous permet de disposer de l’ensemble des informations nécessaires pour présenter le dossier au CPDPN. Une fois que nous savons que, techniquement, nous allons pouvoir lui proposer un DPI, nous faisons venir le couple à Strasbourg pour une consultation pluridisciplinaire, avec un praticien du DPI, un gynécologue et un psychologue. Nous pouvons ainsi mettre en place le DPI.

M. le président. Le DPI est-il pris en charge sur le budget général de l’hôpital ?

M. Stéphane Viville. C’est tout le problème ! Si je m’adresse à ma direction hospitalière, on me dit qu’il s’agit d’une activité nationale, qui doit donc être financée par le ministère de la santé, et le ministère de la santé me renvoie vers l’agence régionale de l’hospitalisation (ARH). Mais actuellement, le DPI est pris en charge par le budget général de l’hôpital.

Depuis le début de notre activité, en octobre 1999, nous avons traité plus de 774 demandes. Il s’agit principalement de maladies autosomiques dominantes (par exemple la myotonie dystrophique de Steinert ou la maladie de Huntington), de cancers et, pour un tiers de notre activité, d’anomalies du caryotype – domaine où nous avons débuté plus tardivement, le temps de recruter un praticien hospitalier.

L’historique des patients est le suivant : pour 20 %, au moins un de leurs enfants est atteint ; 30 % ont déjà eu recours à l’IMG – il peut s’agir des mêmes ; 25 % sont opposés à l’IMG, mais n’assimilent pas le DPI à celle-ci ; 35 % associent une infertilité ou une hypofertilité au risque de transmettre une maladie génétique.

Notre activité augmente en permanence. Faute de moyens, nous avons décidé de limiter notre temps de consultation pour ne pas augmenter artificiellement l’écart entre l’ouverture de dossiers et notre capacité à réaliser des cycles de stimulation ovarienne. À 117 cycles, nous sommes à saturation. Nous ne pouvons pas en prévoir davantage sur un an. La demande augmentant, les délais augmentent.

Quel est le bilan des DPI réalisés, d’octobre 1999 à décembre 2008 ?

Nous avons engagé 600 cycles pour 280 couples, qui ont conduit à 490 ponctions des ovaires et 463 biopsies embryonnaires. Un certain nombre de ces prélèvements ne sont pas suivis de transferts : il n’y en a eu que 352. Nous avons compté 116 débuts de grossesse – soit un taux de 33 % par transfert et de 24 % par ponction, taux proches de ce que fait la European society of human reproduction, qui publie tous les ans son bilan.

Après un certain nombre de fausses couches, nous avons obtenu 89 grossesses cliniques, 64 naissances et 81 enfants. En décembre 2008, nous avions 21 grossesses en cours.

M. le président. La loi de bioéthique, depuis sa révision de 2004, autorise la conception de « bébés-médicaments » ou « bébés du double espoir ». Votre centre a-t-il eu à connaître de tels dossiers ?

M. Stéphane Viville. Au tout début, nous avons eu deux ou trois demandes de ce genre. Mais c’est une activité dans laquelle je ne souhaite pas me lancer, pour des raisons déontologiques. Pour moi, c’est donner de faux espoirs aux couples. Statistiquement, le nombre d’embryons qui vont répondre aux deux critères (pas de maladie génétique et histocompatibilité) est de 3 sur 16. En moyenne, dans notre activité, nous analysons 5,6 embryons ; ainsi, les chances d’avoir des embryons qui répondent aux deux critères sont extrêmement limitées. Il s’agit en outre de patientes plus âgées que la moyenne de celles que nous recevons ; les chances de grossesses sont donc elles aussi très limitées. J’ai de très bonnes relations avec les médecins du centre de Bruxelles, qui est l’un des tout premiers centres mondiaux de DPI. Ils se trouvent confrontés à des situations qui ne me conviennent pas : refus du couple de transférer des embryons qui ne seraient pas affectés par la maladie génétique mais non compatibles ; grossesse trop tardive, l’enfant étant décédé ou décédant juste avant la naissance du « bébé-médicament ». Pourtant, quand on parle avec des hématologues, le traitement est idéal : avec un petit frère ou une petite sœur répondant au critère d’histocompatibilité, les chances sont excellentes.

Pour en revenir aux problèmes de moyens et de délais, je peux vous indiquer que, sur les six consultations que j’ai réalisées dernièrement, j’ai dû répondre à trois couples que nous ne pourrions les prendre que dans deux ou trois ans. Cela me met en rage, au point que si je n’arrive pas à augmenter les moyens du service, je songerai à arrêter la pratique du DPI.

M. le président. Quel est le coût d’un DPI ?

M. Stéphane Viville. À l’heure actuelle, nous l’évaluons entre 4 000 et 7 000 euros.

Nous rencontrons d’autres difficultés, qui sont moindres que les problèmes de moyens et de délais. Certains généticiens sont toujours opposés à la pratique du DPI. Il existe une mésinformation importante des couples et des généticiens. Parmi ces derniers, il y en a qui ont une notion, que je trouve tout à fait détestable, de mérite et de souffrance : pour mériter un DPI, il faut avoir souffert (fausses couches, IMG, enfants atteints). D’où l’impossibilité d’un accès direct au DPI, ce qui me semble inadmissible.

Que faudrait-il changer ? On pourrait envisager la possibilité de rechercher aussi la trisomie 21. Nous recevons des couples qui ont dépassé les trente-cinq ans. Alors que nous pourrions techniquement le faire, dans certaines situations, nous n’avons pas le droit de rechercher cette trisomie 21. Or ces patients bénéficieront automatiquement par ailleurs d’un dépistage de la trisomie 21 qui sera remboursée par la sécurité sociale.

Que faut-il conserver ? D’abord, l’absence de liste de pathologies. J’ai lu dans un rapport qu’on envisageait d’en instituer une. Pour moi, ce serait inadmissible. Cela relèverait d’une discrimination. Les patients et les associations de patients le vivraient très mal.

M. le président. J’ai été un de ceux qui ont fait cette proposition mais, à la réflexion, il ne me semble plus qu’il s’agisse d’une bonne solution.

M. Stéphane Viville. Je suis content de l’entendre. Je considère qu’il faut laisser au CPDPN la responsabilité de juger de la particulière gravité et de l’incurabilité, et ne pas toucher à la notion, introduite en 2004, d’identification de l’anomalie, non pas au niveau du couple, mais au niveau de la famille.

Enfin, je tiens à remercier tout particulièrement l’équipe remarquable avec laquelle je travaille. Nous aimerions poursuivre notre travail, qui nous a valu une reconnaissance au niveau international. Nous avons de très bonnes relations, notamment, avec les équipes de Bruxelles et de Maastricht.

M. le président. Merci pour la clarté de votre exposé.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Votre exposé était passionnant et complet, mais je souhaite vous interroger sur le critère actuellement retenu, à savoir que le couple doit avoir une forte probabilité de donner naissance à un enfant atteint d’une maladie génétique d’une particulière gravité reconnue comme incurable. Faut-il préciser, élargir ce critère ou le laisser à l’appréciation des opérateurs ? Faut-il l’élargir aux prédispositions de cancer, les pratiques du centre de Strasbourg ayant, semble t-il, suscité certaines interrogations ? Faut-il avoir une interprétation extensive de la loi ? Par exemple, dans le cas où les femmes d’une famille développeraient de manière presque systématique un cancer du sein, faut-il faire un DPI ? Ou peut-on considérer que, pendant le délai de trente ans ou de quarante qui va séparer le moment où l’on prend la décision du moment où la femme sera en âge de développer éventuellement ce type de pathologie, les découvertes permettront de traiter la maladie et que le DPI est donc inutile ?

On parle de cribler les cellules embryonnaires et de détecter simultanément plusieurs maladies génétiques. Ce n’est pas autorisé en France. Pensez-vous que ce soit une voie de recherche utile, si l’on peut détecter plusieurs maladies graves et incurables ?

Enfin, vous avez fait une distinction entre le DPI où l’on agit ex utero, et le DPN où l’on agit in utero. L’embryon est « sélectionné » avant d’être implanté par le DPI. Mais en cas de DPN, il est aussi sélectionné, avec les conséquences que cela peut avoir – éventuellement, une interruption de grossesse. J’ai eu l’impression que l’on était très restrictif s’agissant du DPI et beaucoup plus permissif s’agissant du DPN. Au fond, si l’avortement est autorisé en France, cela semble montrer que, paradoxalement, la permissivité existant au moment de la grossesse est plus importante qu’avant l’implantation. Ne serait-il pas plus logique d’être plus sélectif avant d’implanter l’embryon et de ne pas risquer le traumatisme d’une interruption de grossesse lorsque l’on décèle l’anomalie ? Autrement dit, ne doit-on pas déplacer les critères du DPN vers le DPI ?

M. Paul Jeanneteau. Vous avez dit qu’il fallait détecter plus systématiquement la trisomie 21. Cela nous amène à cette question : quelles limites fixer au DPN et au DPI ? Ne risque-t-on pas de franchir les limites de l’eugénisme ? La trisomie 21 est un handicap, plus qu’une maladie définie comme particulièrement grave et incurable. Il y a d’ailleurs plusieurs formes de trisomie 21 ; certaines personnes atteintes mènent une vie quasi normale, alors que d’autres sont beaucoup plus lourdement handicapées.

M. Noël Mamère. En vous écoutant, monsieur le professeur, je pensais à ce que nous a dit hier soir Mme Françoise Héritier, s’agissant notamment de la recherche sur l’embryon. La question posée par notre collègue montre bien les limites morales et de droit que l’on doit s’imposer. Pour ma part, je voudrais savoir si l’on doit aller plus loin dans la recherche sur l’embryon. Cette recherche est en principe interdite dans la loi de 2004. Quelle est votre opinion sur la décision prise hier par le président des États-Unis concernant la recherche sur les cellules souches ?

M. Stéphane Viville. Il y a une autre différence entre le DPN et le DPI : la probabilité ne se porte pas sur le même sujet. En DPN, la probabilité est portée sur le fœtus, qui risque d’être atteint d’une pathologie d’une particulière gravité. Dans le cadre du DPI, c’est le couple qui est à risque, qui a une forte probabilité de transmettre la pathologie. Il faudrait peut-être changer la formulation de la loi, car elle risque d’aboutir à certaines interprétations limitant la pratique du DPI.

Encore une fois, je suis convaincu qu’il ne faut pas faire de liste. Si on en faisait une, les associations de patients sauraient se faire entendre.

S’agissant du cancer, je vous renverrai au rapport rédigé par le professeur Stoppa-Lyonnet, que vous avez sans doute eu l’occasion d’entendre. C’est en effet nous qui avons débuté, à Strasbourg, l’activité de DPI. Les généticiens ont historiquement fait une erreur grave en parlant de « prédispositions ». Car ce n’est pas de cela qu’il s’agit : il s’agit éventuellement de pénétrances variables. À l’heure actuelle, tous les cancers pour lesquels nous proposons des DPI sont des cancers où la pénétrance est de 100 %. Il ne s’agit pas de « prédispositions » ; les gens savent qu’ils vont effectivement développer un cancer. Je peux vous donner plusieurs exemples : la polypose adénomateuse colique familiale, le syndrome de Li-Fraumeni, etc.

Dans le cadre du groupe de travail dirigé par le professeur Dominique Stoppa-Lyonnet, auquel j’ai participé, nous avons déterminé quatre catégories de situations, notamment des situations dans lesquelles la pénétrance est variable. Le cas classique auquel nous sommes confrontés est la demande de recherche des gènes BRCA 1 et BRCA 2, dont la mutation est à l’origine de cancers du sein. Nous avons déjà refusé des demandes concernant le gène BRCA 1. Je viens d’avoir une demande de BRCA 2 – j’ai d’ailleurs la lettre avec moi, dans la mesure où elle illustre bien la difficulté de la situation. Je ne crois pas qu’il faille interdire le DPI dans le cas de pénétrances variables. Il faut tenir compte au moins de deux éléments : d’abord, de la perception qu’a le couple de la gravité de la pathologie dans la famille ; ensuite, de l’historique de cette famille.

La situation de la famille décrite dans la demande de BRCA 2 est dramatique. Des femmes y décèdent de cancers multiples – des ovaires, de l’utérus ou du sein – , très tôt, entre 30 et 55 ans. Mais il y a aussi des cancers du pancréas et de la prostate chez les hommes. Il me semble qu’il est bon de réfléchir à la possibilité d’aider le couple qui se trouve dans une telle situation familiale. Un refus systématique est difficile à admettre.

Monsieur le rapporteur, vous avez parlé de traitement futur. Je n’ai aucune garantie que le cancer du sein, par exemple, sera traitable dans vingt ou vingt-cinq ans. Quand j’ai commencé ma thèse, j’étais plein d’enthousiasme pour la thérapie génique. Mais en ce domaine, nous n’avons obtenu qu’un succès – français – en presque trente ans.

Une autre de vos questions concernait les progrès des techniques génétiques qui permettront de réaliser un screening généralisé du génome de l’embryon. Cela fait des beaux films, mais à l’heure actuelle, il n’y a pas de demande. Par ailleurs, les données de la génétique dont on dispose à l’heure actuelle ne donnent pas un pouvoir de diagnostic important à ces technologies. Celles-ci sont remarquables mais comportent d’importantes incertitudes concernant leurs résultats. Aux politiques de voir ce qu’on doit en faire. Certes, petit à petit, on disposera de données plus robustes. Mais je ne crois pas que les couples seront prêts à passer par toute la procédure que je vous ai décrite précédemment pour éviter une éventuelle prédisposition à un diabète ou à une autre affection.

M. le rapporteur. En effet, je ne pense pas que toute la population française demande une cartographie génétique de tous les embryons et un DPI pour éviter des risques de diabète ou de maladie cardio-vasculaire. Mais dans le cas d’une mucoviscidose, par exemple, les couples pourraient demander que l’on détecte, par surcroît, un éventuel diabète. Si cela devient facile, faut-il s’en priver ?

M. Stéphane Viville. Nous serons confrontés au même problème que celui que pose le DPI couplé au typage HLA. Nous avons en moyenne 5 ou 6 embryons sur lesquels nous pouvons effectuer une biopsie. Il serait très difficile de retrouver les embryons qui répondent à plusieurs critères génétiques. Certaines personnes, comme Jacques Testart, élaborent des scénarios de science-fiction en disant qu’un jour on arrivera à obtenir mille ovocytes, donc mille embryons chez la femme. Mais c’est du George Orwell !

Vous avez parlé de la différence d’attitude entre le DPI et le DPN. Le DPI est interdit en Allemagne, alors que le DPN y est autorisé. C’est pour moi un paradoxe. Selon moi, certaines indications appellent plus logiquement le DPI que le DPN.

À Strasbourg, notre première activité a porté sur la maladie de Huntington. La grande majorité de ceux qui ont un parent atteint et qui savent qu’ils risquent de développer cette maladie refusent de connaître leur statut génétique et de savoir éventuellement qu’à partir de quarante ans ils vont devenir déments et mourir quinze ans plus tard dans des conditions abominables. Nous pratiquons donc le DPI d’exclusion, à savoir que nous proposons un DPI dont le but est de transférer des embryons indemnes de la maladie, mais sans que le parent à risque sache s’il est ou non atteint. L’équivalent a été pratiqué en France dans le cadre d’un DPN, lequel était éventuellement suivi d’un avortement lorsque l’on n’était pas sûr que le fœtus soit exempt de maladie. Dans ce cas, typiquement, le DPI est une meilleure indication que le DPN. En 2004, l’extension législative relative aux ascendants visait précisément à nous permettre de réaliser ce genre de diagnostic.

Monsieur Jeanneteau, vous avez parlé de la trisomie 21 et des risques d’eugénisme. Je ne crois pas à un risque d’eugénisme s’agissant des DPI. Tout d’abord, comment le définir ? Pour moi, l’eugénisme est une action politique coercitive de masse, ce que le DPI ne sera jamais. On peut en revanche s’interroger sur la détection systématique de la trisomie 21 en cours de grossesse. Celle-ci n’est pas obligatoire, mais vivement recommandée et très peu de patientes refusent le test. Si eugénisme il y a, c’est plutôt là qu’en matière de DPI. Vous avez également parlé d’une « vie normale ». Là encore, il faudrait la définir, en particulier s’agissant des trisomiques 21. Cela nous renvoie à la conception anglo-saxonne, qui s’appuie sur la perception, par la famille, de la gravité. D’ailleurs, dire que la trisomie 21 n’est pas une maladie n’est pas tout à fait exact : elle s’accompagne d’anomalies, notamment cardiaques et gastriques.

Je suis heureux que l’un de vous ait parlé de la recherche sur l’embryon, dans la mesure où nous en faisons et il est pour nous très désagréable de se trouver dans une situation où l’on a l’impression de faire quelque chose d’interdit, dans un système fait d’interdictions et de dérogations. Même si cela ne nous empêche pas de travailler, nous sommes confrontés à des problèmes importants en matière d’organisation de la recherche, de collaboration entre chercheurs au niveau européen et international. J’ai des projets de recherche que je ne peux pas mener avec eux, en particulier avec le centre de Bruxelles, à cause de cette interdiction de recherche sur l’embryon.

Nous sommes limités au niveau de la recherche, mais aussi du financement de cette recherche, par la communauté européenne et par les industriels privés. Ces derniers manquent de visibilité sur l’avenir de la recherche sur l’embryon humain en France, donc de la recherche sur les cellules souches pluripotentes. Nous prenons ainsi un retard considérable dans un domaine qui va exploser dans les prochaines années. C’est l’une des raisons pour lesquelles le président Obama a rouvert cette recherche au financement public. Il a bien conscience que, dans le milieu médical et pharmaceutique, des budgets énormes vont être débloqués, ce qui générera toute une économie, au-delà même de la thérapie cellulaire. L’industrie pharmaceutique et l’industrie cosmétologique ont des intérêts considérables s’agissant des cellules souches pluripotentes – je dis bien des cellules souches pluripotentes, non des cellules embryonnaires pluripotentes. Par ailleurs, cette décision donnera un élan supplémentaire aux laboratoires américains : la compétition en deviendra plus vive encore. À mon avis, il est donc urgent que la France ait une lisibilité beaucoup plus grande, de façon à attirer les chercheurs et les collaborations européennes, mais aussi les financements, tant européens que d’ordre privé et industriel.

M. le président. Savez-vous si l’information de la parentèle sur les maladies génétiques est bien organisée dans les autres pays ? Il peut être nécessaire de prévenir les tiers.

M. Stéphane Viville. Les problèmes sont les mêmes partout. Toute la difficulté de la génétique, c’est que nous avons à faire, non seulement à des individus, mais aussi à des couples, voire à des familles extrêmement larges. S’agissant de « tares », les réactions peuvent être très diverses, d’un individu à l’autre, au sein d’une même famille. Il est très délicat de manier l’information issue d’un test génétique. À ma connaissance, il en est de même dans les autres pays européens.

M. Paul Jeanneteau. Combien de couples prenez-vous annuellement en charge à Strasbourg ? Vous avez parlé de votre manque de moyens. S’agit-il de moyens humains, ou matériels ? Idéalement, pour répondre à la demande, combien de couples devriez-vous prendre en charge annuellement ?

M. Stéphane Viville. Cela fait un moment que nous travaillons sur ce manque de moyens. Les trois centres ont déposé un dossier commun auprès de la DHOS pour faire appel à ces moyens. Je peux vous le faire parvenir.

Nous avons besoin de moyens humains et matériels, mais leur montant n’est pas exorbitant. J’aurais besoin, pour ma part, de doubler le personnel de mon équipe de DPI, d’étoffer l’équipe de FIV et d’accroître le nombre de gynécologues.

À partir de l’expérience des trois centres, nous avons estimé que les demandes variaient entre 600 et 800 par an. Actuellement, chaque centre sature à partir d’une centaine de cycles débutés par an. J’estime, pour ma part, que les trois centres français suffiraient pour satisfaire l’ensemble des demandes s’ils avaient les moyens d’assurer chacun 200 à 250 cycles par an. Actuellement, ce n’est pas possible.

Il serait plus logique de renforcer les trois centres que d’en ouvrir un quatrième. Il existe en effet des synergies entre ces trois centres. Il n’est pas intéressant, par ailleurs, d’avoir de trop petits centres. Cela pose, par exemple, des problèmes pour l’organisation des gardes.

M. le président. Je vous remercie.

Audition de M. François FONDARD, président, et de Mmes Chantal LEBATARD et Christiane BASSET, administratrices de l’Union nationale des associations familiales (UNAF)


(Procès-verbal de la séance du mercredi 11 mars 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Je suis heureux d'accueillir les représentants de l’Union nationale des associations familiales (UNAF) : son président, M. François Fondard, deux administratrices, Mmes Chantal Lebatard et Christiane Basset, et une chargée de mission, Mme Sophie Maggiani.

L’UNAF anime le réseau des 22 unions régionales des associations familiales (URAF) et des 100 unions départementales des associations familiales (UDAF). Un représentant de votre institution siège à l'Agence de la biomédecine, sur laquelle il serait intéressant d’avoir votre avis. Vous êtes très concernés par les débats sur la bioéthique, l'intérêt des familles étant en jeu dans le cadre des réformes qui pourraient être entreprises eu égard aux progrès techniques d’aujourd’hui en matière de procréation.

Les sujets qui retiennent notre attention – ils faisaient encore l'actualité hier soir sur les chaînes de télévision – sont notamment la gestation pour autrui, l’homoparentalité, le transfert post mortem et le don de gamètes. L’UNAF est-elle arrivée à des conclusions sur l'ensemble de ces questions et quelles sont vos réflexions sur le modèle familial et sur son évolution – sujets sur lesquels, je le sais pour avoir assisté à plusieurs de vos réunions dans ma région, vous réfléchissez ? Il est important pour notre mission de connaître vos démarches, les thèmes sur lesquels vous travaillez aujourd'hui et vos positions. Ensuite, le rapporteur, Jean Leonetti, et les parlementaires ici présents vous interrogeront.

M. François Fondard. Monsieur le président, merci pour votre invitation. Je vais d’abord rappeler quelques principes auxquels l'UNAF est attachée, avant que n’interviennent Chantal Lebatard, présidente du département du droit de la famille et de la protection de l'enfance, et Christiane Basset, présidente du département chargé de la santé, de la politique familiale et de la politique sociale. Nous vous laisserons également une note relative aux questions que vous venez d’évoquer.

L'UNAF a pour première mission de représenter l'ensemble des familles françaises et étrangères, et pour deuxième mission de donner des avis – c’est ce que nous faisons à propos de la révision des lois de bioéthique.

Les questions que nous nous posons et nos positionnements sont issus des débats que nous avons au sein de notre institution. Nous avons demandé aux UDAF de travailler sur la révision des lois de bioéthique…

M. le président. Vous avez fait des États généraux avant l’heure ! C'est très bien !

M. François Fondard. Nous sommes en train de les tenir. Actuellement, une très grande majorité des UDAF organisent des réunions dans les départements, sachant que nous regroupons 8 000 associations familiales, 800 000 familles adhérentes et que nous sommes également ouverts à toutes les familles extérieures.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Je vous invite à mettre vos contributions sur le site internet des États généraux de la bioéthique. Compte tenu de votre engagement, cette contribution citoyenne n’en sera que plus forte.

M. François Fondard. C'est prévu ! C'est dire que le débat est vraiment en cours au sein de l'institution, qui mesure l'importance de la révision des lois de bioéthique. L’UNAF, je le rappelle, avait largement contribué à l'élaboration des dernières lois et à toutes les discussions sur les sujets évoqués.

À l’heure de cette nouvelle révision des lois de bioéthique, l'un des principaux aspects que souhaite développer l'UNAF consiste à montrer où se situent les enjeux familiaux dans toutes les pratiques de la biomédecine, que ce soit dans le domaine de l'assistance médicale à la procréation (AMP) ou au niveau des solidarités familiales. Nous sommes attachés à ce que la loi réaffirme des principes et leur permanence, comme la dignité de la personne, la gratuité du don, le respect de l'être humain et le droit de l'enfant. Pour nous, la loi doit tracer les grandes lignes directrices de l'encadrement des pratiques, dont la mise en œuvre peut être confiée à l’Agence de la biomédecine – au sein de laquelle nous avons un représentant, M. Philippe Vaur. Enfin, nous demandons que les représentants des familles soient présents dans tous les lieux de décision s’agissant de l’ensemble de ces sujets.

Mme Chantal Lebatard. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, mon intervention portera principalement sur les questions relatives à l’assistance médicale à la procréation (AMP), au diagnostic prénatal (DPN) et au diagnostic préimplantatoire (DPI) et aux recherches sur les embryons, autant de sujets sur lesquels je me penche depuis de nombreuses années, en particulier pour avoir participé à la mise en place de l'Agence de la biomédecine, ayant été le premier représentant de l'UNAF en son sein.

Je rappelle que l’UNAF s'est exprimée sur l’AMP dès le début car, très vite, sont apparus les enjeux familiaux de cette pratique et un ensemble d’interrogations qui ont conduit notre institution à affirmer, de façon constante – et même de façon solennelle dans un avis voté en assemblée générale –, son attachement à un certain nombre de principes, comme la forme familiale que doit toujours conserver l’AMP – et ce pour garantir l'intérêt de l'enfant –, le caractère médical de l'intervention et la protection juridique des filiations.

L'UNAF souhaite le maintien des exigences actuelles telles qu'elles sont affirmées dans la loi, car elles reposent sur un certain nombre de principes découlant de l'intérêt de l'enfant et de la défense de la famille. Elle demande également le maintien du rôle de l’Agence de la biomédecine (ABM) dans ses fonctions et ses missions actuelles, et pas plus, qu’il s’agisse de ses compétences en matière d’autorisation ou d’agrément, de l’encadrement des pratiques, de l’élaboration de guides des bonnes pratiques, mais aussi de l’évaluation. Sur ce dernier point, elle soutient la proposition du dépôt d'un rapport annuel devant la représentation nationale.

M. le président. C'était prévu.

Mme Chantal Lebatard. Pour nous, l'accès à l’AMP doit être réservé à des couples constitués d'un homme et d'une femme – ce que nous appelons la forme familiale –, mariés ou ayant une vie commune stable, le critère des deux ans de vie commune nous paraissant tout à fait satisfaisant, à la fois pour des raisons pratiques et pour des raisons médicales. Une stérilité doit se prouver par un temps suffisamment rigoureux de vie commune.

En outre, le couple doit être vivant. Bien entendu, nous nous interrogeons beaucoup sur la question du transfert des embryons post mortem, qui pose de tels problèmes juridiques que nous sommes plus que réticents.

Le couple doit également être en âge de procréer. Cette question ne doit pas être abordée sous l'angle social, mais bien sous l'angle médical – la décision médicale devant déterminer l'âge de procréer pour une femme et pour un homme au cas par cas.

Enfin, nous avons retenu le critère de la stérilité ou de l’infertilité médicalement constatée ou – c’était l’ajout de la loi de 2004 – du risque de transmettre une maladie grave à l'enfant ou à son conjoint, l’AMP ayant alors été ouverte aux personnes atteintes d'affections comme le VIH. Dans ce cas-là, l'accès au diagnostic préimplantatoire (DPI) suppose la possibilité ouverte d'accéder à l’AMP.

Un certain nombre de problèmes peuvent nécessiter le recours à un don de gamètes – même si la technique de l’ICSI (injection intra-cytoplasmique d’un spermatozoïde) a fait des progrès et permis de faire reculer le recours au don de sperme, d’où un fléchissement des naissances issues d’un don de sperme. Se pose aussi la question du don d'ovocyte.

Nous demandons donc le maintien des principes généraux encadrant le don en France, à savoir l'anonymat et la gratuité. Nous demandons bien sûr le maintien des règles protégeant les filiations issues du don, ce que la juriste Frédérique Dreyfuss-Netter appelle les « filiations super-protégées » ou « super-filiations ». Malgré la valeur et la culture du don, et le principe de solidarité qui s’y rattache, la question de l'anonymat se pose en ce qui concerne, non pas la gratuité, la solidarité ou la motivation du donneur – il ne s’agit pas de les remettre en cause –, mais la possibilité pour les enfants d’accéder à la connaissance de leurs origines, avec toutes les interrogations qui en découlent sur l'engendrement, la filiation, la génétique, etc. L'UNAF s’interroge. Pour l’heure, elle ne souhaite pas fondamentalement remettre en cause le principe tel qu'il est organisé par la loi, mais elle demande simplement dans quelle mesure il ne serait pas possible de trouver des dispositifs permettant d’assouplir la rigidité de l'anonymat absolu. La proposition du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) de créer l’équivalent du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP) ou d’étendre les missions de ce dernier, notamment en mettant en place un organisme de médiation, pourrait constituer une piste.

M. le président. Vous n'avez pas tranché sur l’anonymat.

Mme Chantal Lebatard. Nous n'avons pas tranché. Au-delà de la remise en cause du principe, la levée de l'anonymat remettrait complètement en question la pratique du don de gamètes et donc toute une partie de la construction de l’AMP. Nous sommes face à une interrogation fondamentale de la société – qu'est-ce que la filiation ? –, qui rejoint d’autres problèmes beaucoup plus larges sur la place du parent, de la génétique, du biologique, etc.

Un autre problème apparaît, celui de la gestation pour le compte d'autrui, c'est-à-dire la gestion de toutes les infertilités liées à l'incapacité, médicalement constatée, pour une femme de pouvoir mener une grossesse ou de pouvoir porter un enfant. Cette pratique pose aussi un certain nombre de questions et fait l'objet de nombreux débats. Sans reprendre tous les arguments développés par l’UNAF devant le Sénat, je rappelle simplement que ces interrogations concernent, d’une part, le principe – et donc la gestation en soi –, et, d’autre part, le problème des enfants qui en sont nés, et donc la réponse qu'il faudrait trouver.

Sur le principe, l'UNAF s'oppose, au nom de l’enfant qui en serait issu, à la légalisation de la gestation pour autrui (GPA), à la fois pour des questions de fragmentation de la maternité, de focalisation sur la seule filiation génétique, d'abandon organisé et du problème de l'enfant objet d'un contrat. Ces interrogations ne sont d’ailleurs pas spécifiques à l'UNAF. Elle pense également à l'intérêt de la gestatrice elle-même. Il faut prendre en compte les risques liés à la maternité, à la gestation et au déroulement de la grossesse – qui décide de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), du nombre d'implantation, de la réduction embryonnaire, qui prend les risques, etc. ?

Il faut aussi se poser la question – dans l'intérêt de l'enfant comme dans celui de la gestatrice – du lien à l'enfant qui se construit et de la relation in utero, car on ne peut pas passer sous silence, gommer ou instrumentaliser ces temps de vie importants. Il faut également tenir compte de l’environnement familial de la gestatrice – ses propres enfants, son conjoint – et du poids que l’on fait porter non pas seulement à un, mais à plusieurs individus.

En outre, n’oublions pas la question de société : peut-on accepter tout ce qui pourrait être contrat, convention, au risque d'une marchandisation du corps humain – probablement volontaire, certes motivée, compassionnelle, mais avec des risques certains ?

Enfin, se pose la question du contournement des règles actuellement établies sur la filiation.

S’agissant des enfants nés de la gestation pour autrui, l'UNAF ne les oublie pas. Il y a bien un problème dans la mesure où la filiation maternelle ne peut pas être juridiquement établie par nos règles actuelles.

Selon moi, en allant vers une régularisation systématique a posteriori, on encourage les pratiques, ce qui ne peut pas être très opérationnel, et le message risque d'être brouillé : ce n'est donc pas une bonne solution. En revanche, l'idée existe de laisser au juge la possibilité de contrôler au cas par cas la façon dont a été amenée cette naissance, en particulier si elle a été conforme aux aspects éthiques, voulus par la France, de gratuité, de don, de solidarité, bref à un ensemble de règles qu'il pourrait apprécier pour pouvoir statuer ou non sur la possibilité d'une adoption a posteriori permettant d'accorder la filiation maternelle qui ferait défaut.

M. le président. Il y a eu des décisions de justice contradictoires.

Mme Chantal Lebatard. Tout à fait, cela n’a pas échappé à l'UNAF. Il n'en reste pas moins que, à l’heure où pourrait peut-être se profiler une tendance lourde ou une acceptation sociale bien définie à l'issue des débats nationaux, la tendance générale de ce que nous ressentons et de ce qui est exprimé peut se traduire par l’idée suivante : le juge devrait pouvoir apprécier au cas par cas l'intérêt de l'enfant, et donc l'intérêt d'établir ou non la filiation qui manquerait. C'est, je crois, le point important si nous voulons nous inscrire dans une logique de l'intérêt de l'enfant – et non pas de « droit à l'enfant » –, car il s'agit de construire a posteriori une réparation pour des enfants dans leur intérêt et selon une démarche de protection de l'enfance.

M. le président. Et qu'on n'a pas voulu a priori accepter en France.

Mme Chantal Lebatard. Il ne faut pas construire a priori quelque chose qui encouragerait la GPA et qui serait incitatif. Toute la difficulté est là. C’est aussi toute l’ambiguïté de la demande à l’égard de la médecine car, finalement, en apportant ou en voulant apporter à tout prix des réponses à toutes les demandes, on risque de s'inscrire dans une logique de refus des limites. Or, selon moi, la compassion à l'égard des unes ne doit pas conduire à l'instrumentalisation des autres. On ne fait pas de la médecine simplement par compassion, même si la médecine doit prendre en compte toutes les souffrances et essayer d'y porter remède. L’équilibre à trouver est difficile.

L’UNAF rappelle aussi l’importance de prévoir, à côté de tous les dispositifs imaginés pour l'assistance médicale à la procréation, la prévention de certaines infertilités dues, par exemple, à des maladies sexuellement transmissibles (MST) ou à l'âge tardif de la procréation. Ce volet oublié de prévention peut être d'ordre social, avec l’information sur les risques des pratiques sexuelles non protégées et des maternités retardées, tout en favorisant la place des jeunes familles pour que les projets d'enfants ne soient pas retardés indéfiniment, ceux-ci pouvant conduire à des maternités à risque et des fécondités retardées.

Il est également important de développer la recherche pour lutter contre les infertilités et les stérilités non maîtrisées. Il faut consentir autant d’efforts en faveur de cette démarche que dans celle visant à contourner les stérilités et à y apporter des réponses. À mon avis, il faut aboutir à un équilibre.

En matière de diagnostic prénatal (DPN), l'UNAF redoute le glissement insidieux, sinon vers le refus de l'accueil de l’enfant différent ou malade, du moins vers l'idée d'une impossibilité induite d'accueillir l'annonce d'un enfant différent ou malade, en tout cas non conforme à l'enfant idéal attendu. Cette difficulté conduit à une société du refus du risque de l'engendrement, comme si l’on pouvait imaginer « l'enfant qualité zéro défaut ». Cette espèce d’induction sociale est gênante, mais toutes les pratiques – comme le dépistage échographique systématique, celui de la trisomie 21 par les marqueurs sériques, etc. – y conduisent et peuvent induire une banalisation et un oubli des enjeux. Dans le même temps, notre société éprouve des difficultés à délivrer le message clair qu’elle sait prendre en compte les difficultés rencontrées par les parents confrontés soit au handicap de l'enfant, soit à la souffrance d'un enfant malade et à l’avenir gravement compromis, qu’elle sait les accompagner, les prendre en charge et fournir les éléments d'un vrai libre choix.

Le regard du médecin quant aux capacités des parents à faire face aux situations auxquelles ils pourraient être confrontés est également très important. Cette rencontre de subjectivités rend évidemment la démarche très difficile.

L'UNAF demande donc le maintien de l'encadrement actuel des DPN et des DPI, qui concernent des maladies incurables ou d'une particulière gravité, et des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN). Toutes les dispositions sur l’encadrement du DPI tel qu'il est pratiqué – maladie ciblée, recherche d'une seule affection, etc. – nous paraissent devoir être conservées, sans oublier l'évaluation qui doit en être faite périodiquement, rôle qui revient à l'Agence de la biomédecine.

Toutefois, l’information doit être renforcée vis-à-vis des couples et des femmes – y compris par des rencontres avec des associations de parents d'enfants malades – afin de permettre aux familles un véritable libre choix, et non une induction dans un climat d'angoisse, de stress terrible et de souffrance. Nous demandons également le renforcement de l'accompagnement avant, pendant et après la décision prise suite à un diagnostic prénatal, car les parents – quelle que soit la décision – se retrouvent souvent seuls et livrés à une souffrance qu'ils n'arrivent pas facilement à gérer. Il faut aussi apporter un soutien à ceux qui œuvrent à la fois pour soutenir et pour accompagner les familles confrontées à ces difficultés.

Il convient enfin de soutenir la recherche pour des progrès thérapeutiques car, on l’oublie, la recherche d’un certain nombre d’outils de diagnostic progresse très vite par rapport à celle concernant les progrès thérapeutiques ; il serait bon de veiller à un rééquilibrage des moyens.

En ce qui concerne la recherche sur l’embryon, le problème des embryons surnuméraires avait conduit l'UNAF à la refuser, en s'attachant à la notion de personne humaine potentielle.

L’Union distingue cependant deux types de recherche. D’une part, la recherche à bénéfice potentiel direct, sinon pour l’embryon, au moins pour la mère. On entre là dans le cadre de la protection des personnes et de la loi sur la protection des personnes participant à la recherche médicale, ce qui est relativement clair.

D’autre part, la recherche sur l'embryon, c’est-à-dire en général à partir de l'élaboration des cellules souches. Il s’agit là d’un type de recherche pour laquelle l'UNAF a clairement marqué sa très grande réserve. Elle demande le maintien de l'interdiction.

M. le président. Le moratoire.

Mme Chantal Lebatard. Plus exactement, l’UNAF demande que l'interdiction soit exprimée dans la loi, même si elle reconnaît que la loi peut déterminer des conditions dérogatoires – c’est-à-dire le régime actuel d'une interdiction avec possibilité de dérogations.

M. le président. Vous en demandez le maintien.

Mme Chantal Lebatard. Nous en demandons le maintien, tout en estimant qu’il est nécessaire d’encourager les solutions alternatives, à savoir la recherche sur les cellules souches obtenues à partir du sang de cordon – d’où l’intérêt des banques du sang de cordon, par exemple – et sur les cellules souches adultes, celles-ci étant accompagnées d’une évaluation régulière pour éviter tout glissement vers un utilitarisme et une banalisation.

Mme Christiane Basset. Mon intervention portera sur le don et la greffe d'organes, thème que vous n'avez pas abordé, monsieur le président.

M. le président. Vous avez raison, cela fait partie intégrante des lois de bioéthique.

Mme Christiane Basset. En matière de greffes et de dons d'organes, l'UNAF tient à rappeler son attachement aux principes fondamentaux, c’est-à-dire aux trois piliers que sont l'anonymat, la gratuité et le consentement, et demande qu’ils soient réaffirmés par la loi.

L’UNAF rejoint les préoccupations de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) qui recommande d'accroître notamment la médiatisation de la journée du don d'organes et d'organiser des campagnes de sensibilisation plus médiatisées pour la greffe. Il faut donc sensibiliser au don, à la greffe et à la nécessité d'expliciter préalablement ses choix et d'en informer la famille et ses proches. Chacun doit pouvoir recevoir une information sur l'objectif du don, sur l'organisation et les conditions de prélèvements, sur l'intérêt d'expliciter son choix à ses proches. Pour consentir, il faut bien comprendre. Il est donc nécessaire de renforcer l’information si l'on veut que le don devienne « une véritable culture », afin que cela puisse être abordé de façon sereine au sein de la famille. Même si le consentement est implicite, aucune équipe ne prendra la décision sans en discuter avec les proches. L'UNAF souhaite donc que, à l’occasion de la révision de la loi de 2004, des dispositifs soient prévus visant à faciliter la diffusion d’une telle information.

Dans le cas du don sur cœur arrêté, le laps d'intervention est plus court. Pour connaître la position de la personne, on peut recourir à des systèmes tels que ceux de la personne de confiance ou des directives anticipées – dispositions prévues par la loi du 4 mars 2002 et celle du 22 avril 2005 sur les droits des malades. Lorsqu'on exprime ses volontés à une personne de confiance, la question du don doit être abordée ; d'où, là aussi, l’importance de l’information.

S’agissant des prélèvements sur un donneur vivant, il est nécessaire d'avoir des dispositifs qui protègent le donneur, car il peut y avoir des complications sur sa santé entraînant éventuellement une perte d'emploi. L'UNAF rejoint l’OPECST lorsqu'il préconise un véritable statut pour le donneur vivant, avec un suivi médical, un accompagnement psychologique et le bénéfice d'une assurance spécifique visant à couvrir les risques éventuels du don, tels que les problèmes de santé ou de handicap.

Il faut aussi penser à la qualité des établissements et aux procédures d'accréditation. Il convient d’insister sur la qualité des soins, de l'accueil, sur la dimension humaine, avec l'idée que, si la prise en charge a un coût, la médecine de la procréation est pour l'instant solidaire – mais en sera-t-il toujours de même ?

D’une manière générale, l'UNAF souhaite que soient bien pris en compte les enjeux familiaux des pratiques biomédicales, que la loi garantisse la permanence des principes qui l’ont fondée et que la mise en œuvre de ces principes, au travers des différentes pratiques biomédicales, tant en procréation qu’en médecine de réparation, soit encadrée par l’Agence de la biomédecine, à charge pour celle-ci de souligner dans son rapport annuel les nécessaires modifications à apporter à ces modalités d'encadrement. L'UNAF demande évidemment qu'il soit fait place à la prise en compte des enjeux familiaux dans toutes les décisions concernant ces pratiques et que la représentation des familles soit maintenue au sein du conseil d'orientation de l’Agence de la biomédecine.

M. le président. Merci beaucoup, ces trois interventions nous ont permis de connaître vos positions sur pratiquement l'ensemble des sujets liés aux lois de bioéthique.

M. le rapporteur. Sur beaucoup de points, vous avez pu préciser, de façon synthétique mais complète, vos positions.

Vous avez évoqué le maintien d'une forme familiale. Aujourd'hui, certaines familles sont monoparentales, d'autres recomposées et d’autres composées d’un couple de même sexe. Pour autant, devons-nous avoir ou pas, au travers de la révision des lois de bioéthique, un regard particulier sur les enfants qui naissent et vivent dans ces familles ? Sur cette base, je vais vous poser deux types de questions.

Vous paraît-il légitime qu'une personne célibataire adopte, sachant qu'elle ne correspond pas à la forme familiale équilibrée dont vous avez parlé ? Si une personne célibataire peut adopter, on peut imaginer qu'elle puisse également demander une AMP. Dans les deux cas, on ne préjuge pas de ses choix de vie personnelle ou sexuelle. Si cette adoption ou cette procréation est proposée à une femme vivant avec une personne de même sexe, n’y aurait-t-il pas alors une discrimination entre l'homosexualité féminine et l'homosexualité masculine ? Par conséquent, ne devrait-on pas envisager, pour le couple homosexuel masculin, une AMP sous une autre forme, à savoir la gestation pour autrui ? On le voit : en sortant du modèle, il y a un effet domino. Bref, vous paraît-il légitime de répondre à un désir d'enfant d'une personne célibataire, avec les conséquences presque inéluctables, en tout cas envisageables, dont je viens de parler ?

La deuxième question est liée à la première : la médecine et la société doivent-elles répondre à des anomalies, à des désirs ou à des insatisfactions des individus ? S’agissant des anomalies, on pourra bien entendu considérer que la détection de la trisomie 21 et le traitement de l’infertilité font partie du champ d'actions que la société doit à des personnes globalement – le terme ne doit pas être mal pris – en situation de handicap. Si c’est un désir de maternité, faut-il étendre le champ des possibilités d'aide à la procréation à un champ beaucoup plus large, et comment pourrait-on envisager de le limiter à autre chose qu'à l'ensemble des citoyens ? J’aimerais connaître votre position et vos propositions sur ces deux points.

Dernière question : les beaux-parents, c'est quoi ? Dans les familles recomposées, comment équilibre-t-on, dans le cadre de l'intérêt de l’enfant, les droits et les devoirs des beaux-parents avec les droits et les devoirs des parents, même de celui ne vivant pas sous le toit de l’enfant ?

M. Noël Mamère. M. Jean Leonetti a posé beaucoup de questions que je m’apprêtais à vous poser.

Vous dites, madame, que l’accès à l’AMP doit être réservé à des couples, c'est-à-dire à un homme et une femme. Cette expression renvoie à la question, soulevée par le rapporteur, de l’homoparentalité.

S’agissant du statut du beau-parent, évoqué également par le rapporteur, ce que nous avons entendu ne sera qu'un habillage d'une situation qui, pour l'instant, est difficilement vivable tant qu'on n’acceptera pas l'adoption pour un couple de même sexe.

Nous connaissions la position de l'UNAF sur les embryons, mais j'aurais tout de même voulu connaître votre avis sur la décision prise hier par le Président des États-Unis sur la recherche concernant les cellules souches.

Mais ce qui m'intéresse surtout, c’est votre conception de la famille. Hier, une anthropologue de grande qualité, Mme Françoise Héritier, a expliqué à notre mission – et son point de vue rejoint celui d'un certain nombre d'entre nous – la filiation, l'engendrement, le contexte social, mais aussi le lien social. Or si l’on tient compte dans la question de la filiation et de la famille des notions de lien social et de projet de couple, on va bien au-delà de vos propositions qui restent limitées dans un périmètre soit médical, soit lié à une conception de la famille limitée à l'homme et à la femme.

M. François Fondard. Compte tenu de la composition de l’UNAF – nous regroupons 8 000 associations familiales, 20 grands mouvements à recrutement général et spécifique au niveau national –, le positionnement en son sein est bien entendu pluraliste. Nous n’affirmerons donc pas, dans un sens ou dans l’autre, des positions précises dans différents domaines.

Vous avez évoqué rapidement l’actualité du moment : l’avant-projet de loi relatif à l’autorité parentale et aux droits des tiers, thème sur lequel nous nous sommes largement exprimés depuis de nombreuses années. Ayant été consultés en amont il y a plusieurs mois, nous avons fait connaître notre refus d’un statut du beau-parent ou d’un statut du tiers. Certes, l’avant-projet de loi facilite tous les actes de la vie quotidienne, mais il ne nous convient pas sur un certain nombre de points, notamment en son article 8 qui organise le partage et la délégation de l’autorité parentale. Nous sommes inquiets – et nous l’expliquerons au moment des discussions en nous fondant sur l’intérêt de l’enfant –, car ce texte risque de conduire à un manque de repères et de créer une confusion chez les enfants puisqu’ils n’auront plus deux parents, mais trois ou quatre, voire plus avec la possibilité ouverte au tiers de garder des liens avec ces enfants. L’UNAF défend le principe qu’un enfant a deux parents et qu’on ne divorce pas de son enfant – ce sont les parents qui divorcent. N’a-t-on pas eu de cesse, ces dernières années, de faire des textes dans le cadre du renforcement de l’autorité parentale ?

Mme Chantal Lebatard. Je vais essayer – en portant effectivement la parole d’une association très pluraliste – de répondre de manière synthétique. L’UNAF est traversée par ces questions qui sont celles de la société d’aujourd’hui. Dans le souci d’exprimer le bien des familles et de défendre leurs intérêts – c’est sa mission –, elle arrive à élaborer en son sein cette formulation de positions qui peuvent dépasser, ou même contredire, les positions que chacun des mouvements peut garder la liberté d’exprimer ; nous essayons à ce moment-là d’avoir une démarche plus consensuelle.

Un certain nombre de points peuvent cependant être clarifiés assez rapidement.

Vous avez établi un parallèle entre les règles concernant l’adoption et celles relatives à l’accès à l’AMP. Selon moi, il faut distinguer deux choses : d’une part, il faut poser le principe selon lequel les mécanismes régissant l’adoption correspondent à la façon dont la société entend réparer, pour un enfant déjà né, l’abandon dans lequel il se trouve, et organiser des suppléances parentales en leur donnant toute la force d’une filiation afin de permettre à l’enfant de se construire ; concernant d’autre part l’AMP, il s’agit d’aider à avoir un enfant ou répondre à un désir. Ce sont deux logiques différentes, et c’est peut-être une des clés pour répondre à ces questions.

L’UNAF a beaucoup travaillé et a été sollicitée sur l’adoption. Et lorsqu’elle a contribué aux différentes lois sur ce sujet, y compris sur l’ouverture de l’adoption à des personnes seules, elle se situait déjà dans cet esprit-là : il s’agissait pour elle de réparer une situation d’abandon pour un enfant et de mobiliser dans la société toutes les bonnes volontés, y compris des personnes seules, capables de répondre à des besoins d’enfants qui, sinon, n’auraient pu être satisfaits. Autrement dit, l’adoption vise à donner une famille à un enfant qui est là et en manque de famille.

La démarche est totalement différente quand il s’agit de répondre au désir d’un couple en souffrance d’enfant, soit pour des raisons médicales, soit pour d’autres raisons. La question posée est alors celle de la légitimité de l’intervention médicale permettant de répondre à ce désir, de la prise en charge et du coût de cette intervention. Jusqu’où peut-on mobiliser non seulement la technique médicale, mais également – ne l’oublions pas – l’ensemble de notre système de soins ?

À partir de là, nous tombons sous l’éclairage de l’intérêt de l’enfant. Si la société intervient pour aider à la constitution d’une famille ou pour répondre à la demande d’un couple, quel qu’il soit, elle est en droit de s’interroger sur la meilleure formule ou les meilleures conditions à fixer dans l’intérêt de l’enfant à venir. Et dans la mesure où l’UNAF considère – toujours pour l’instant – que l’enfant a besoin d’un père et d’une mère pour se construire, nous demandons que l’intervention médicale n’aboutisse pas à créer des orphelins ou des enfants confrontés à une situation difficile. Cela n’exclut pas le fait de pouvoir a posteriori, une fois les enfants nés, accepter ou gérer différemment l’accompagnement des familles ou des situations ainsi constituées, toujours dans l’intérêt de l’enfant déjà là. C’est en quelque sorte la clé de notre réponse, le principe sur lequel nous avons équilibré nos différentes interventions et nos différentes positions.

Autrement dit, il peut effectivement y avoir la reconnaissance de situations d’enfants vivant dans des familles avec deux personnes de même sexe, et il peut y avoir une organisation de la société, mais – je répète la question – faut-il a priori organiser l’intervention médicale « permettant de… » ? Car à ce moment-là, ne s’inscrit-on pas simplement dans l’accompagnement du désir ? La médecine doit-elle accompagner tous les désirs, chercher à les résoudre sans se poser la question des enjeux humains, dans la mesure où il ne s’agit pas simplement du couple ou de la souffrance du couple en demande, mais de l’enfant qui en naîtra, du devenir de la famille qui se constituera et de l’adulte que deviendra l’enfant ? La souffrance d’un certain nombre d’enfants confrontés aux problèmes de leurs origines et de leur situation justifie la nécessité de ne pas jouer impunément avec ces devenirs familiaux.

J’en viens aux cellules souches et à la décision du Président des États-Unis de revenir sur l’interdiction de refuser les financements publics à la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Sur ce sujet, je vous répondrai en m’appuyant sur mon expérience de membre de la commission ad hoc créée en 2005 pour autoriser les premiers protocoles de recherche, en examinant la question de l’origine des cellules et de leur caractère éthique, etc.

M. le président. Des lignées cellulaires.

Mme Chantal Lebatard. Oui. En l’espèce, il s’agit d’un choix de société, d’un choix politique. Certains pays autour de nous ont fait ce choix d’ouvrir la possibilité de fabriquer des cellules souches embryonnaires à partir d’embryons. D’autres pays, comme la France, sont dans une situation pas très satisfaisante sur le plan de la cohérence logique : ils acceptent l’importation de cellules, mais n’autorisent pas leur fabrication et s’inscrivent dans la logique du questionnement « qu’est-ce qu’un embryon ? ».

Jusqu’à maintenant, l’UNAF a tenu, dans sa réflexion, au respect de la personne humaine potentielle que l’embryon pourrait devenir, et donc au refus de toute instrumentalisation de l’embryon – la création de cellules souches mettant, de fait, l’embryon dans une situation d’instrumentalisation puisqu’il n’aura aucun devenir et sera détruit.

M. le président. L’UNAF s’est-elle demandée ce que doivent devenir les embryons surnuméraires ?

Mme Chantal Lebatard. C’est une vraie question pour les couples. Comme le savent tous les médecins de procréation – vous avez auditionné le Dr Jacqueline Mandelbaum et d’autres médecins spécialistes de la médecine de la reproduction –, tous les couples confrontés à ce problème vivent très difficilement cette relation aux embryons surnuméraires. L’occultation, l’oubli peut être la façon pour eux de résoudre cette difficulté sur laquelle l’UNAF s’est beaucoup interrogée. La position qui reste majoritaire à l’UNAF est la suivante : tout en refusant de sacraliser le projet parental, elle considère que s’il n’y a plus de projet parental, il faut envisager la destruction.

M. le président. C’est prévu dans la loi. Vous êtes donc favorable à la destruction des embryons surnuméraires. Par contre, vous refusez la recherche sur les cellules souches embryonnaires à partir des embryons surnuméraires.

Mme Chantal Lebatard. Ce n’est pas « par contre », c’est presque une conséquence. Les deux positions ne se contredisent pas.

M. le président. Selon la loi actuelle, des protocoles de recherche sur les embryons surnuméraires ne peuvent être envisagés qu’à deux conditions : d’une part, le projet parental doit être abandonné et, d’autre part, l’embryon surnuméraire objet de recherche ne doit pas pouvoir être implanté par la suite.

Mme Chantal Lebatard. Oui.

M. le président. Si je comprends bien, si ces deux conditions sont remplies, vous êtes favorable à la destruction des embryons surnuméraires, mais défavorable à la recherche sur les embryons surnuméraires.

Mme Chantal Lebatard. C’est cela.

M. le rapporteur. Je vois une contradiction dans la loi. Elle permet, à titre dérogatoire et dans un temps limité, de prélever des cellules sur les embryons surnuméraires. Cette situation met les chercheurs dans une position instable, un délai de cinq ans étant insuffisant pour lancer un projet et pouvant poser des problèmes aux jeunes chercheurs recrutés pour former des équipes. Parallèlement, cette recherche n’est peut-être pas la voie idéale, car la création de cellules souches à partir de cellules adultes est très probablement possible. C’est, avec les cellules de cordon, une des voies plus prometteuses.

Aujourd’hui, le choix est assez simple entre trois options.

Le premier est – et je ne vois pas comment la France le ferait – une interdiction totale de ces recherches, c’est-à-dire sans dérogation. Je ne l’envisage pas car peu de gens la proposent. Même ceux qui proposent l’interdiction proposent également une dérogation.

Le deuxième consiste en une interdiction avec dérogation, mais en levant le caractère temporaire de la dérogation pour ne pas mettre les chercheurs en difficulté.

Le troisième choix, c’est l’autorisation, qui pourrait poser un problème eu égard aux protocoles internationaux éventuels.

Que choisiriez-vous, sachant qu’il est tout de même paradoxal d’accepter la destruction d’embryons – la France, je le rappelle, autorise aussi la destruction des fœtus in utero, autrement dit l’avortement – et d’interdire le prélèvement d’une cellule sur un embryon qui va être détruit. Nous avons d’ailleurs vu un film tout à l’heure sur les prélèvements cellulaires. Dire, comme vous le faites, que l’embryon est une personne humaine en devenir, est analogique et exagéré. Moi, individu, personne humaine, on pourrait me détruire, mais on ne pourrait pas prélever une partie de mes cellules. Il me semble qu’il y a là une contradiction dans l’objectif.

Par conséquent, ne pensez-vous pas que l’on doit passer à une dérogation définitive ? Car si créer des embryons pour la science peut relever d’une conception susceptible de heurter l’éthique, comment pourrait-on ne pas envisager de prélever des cellules sur les embryons surnuméraires avant de les détruire ? Si l’on accepte de les détruire, la transgression n’est-elle pas d’abord de les détruire ? Ou est-elle de prélever une cellule avant de les détruire ?

Je me pose moi-même ces questions sur lesquelles je n’ai pas de réponse. Il ne s’agit pas pour moi de mettre qui que ce soit en difficulté : étant moi-même en difficulté, je cherche des secours extérieurs.

Mme Chantal Lebatard. Premièrement, l’UNAF n’a pas de réponse sur tout. Je suis donc très prudente.

Deuxièmement, pour avoir fréquenté le monde scientifique, je sais que la recherche sur les embryons et l’utilisation des embryons se pratiquent, sans qu’elles puissent toujours être cadrées dans les protocoles.

M. le président. Ayant siégé à l’Agence de la biomédecine, vous avez occupé un poste d’observation formidable. À votre avis, l’encadrement de l’Agence de la biomédecine sur ses demandes de protocoles de recherche sur les cellules souches embryonnaires est-il satisfaisant ou pas ?

Mme Chantal Lebatard. Selon l’UNAF, l’encadrement tel qu’il est proposé actuellement est satisfaisant pour deux raisons : première, nous sommes dans le régime de dérogation, le principe de l’interdiction étant posé dans la loi ; deuxièmement, nous sommes au début des pratiques et les équipes qui se battent pour obtenir l’autorisation de leur protocole de recherche ont le souci d’une qualité de dossier et d’une qualité de construction de leur projet qui est assez remarquable.

M. le président. Je voudrais aller jusqu’au bout dans le raisonnement.

Actuellement, la loi prévoit une interdiction assortie d’une dérogation pour cinq ans pour les seuls protocoles de recherche à finalité thérapeutique – ce dernier point ne voulant rien dire ! Pouvez-vous m’assurer que, lorsque vous avez eu à prendre ces décisions, les protocoles de recherche acceptés par l’Agence de la biomédecine étaient très concrètement à finalité thérapeutique ? Pour ma part, tout ce que j’ai vu, c’est de la recherche fondamentale !

Mme Chantal Lebatard. La recherche fondamentale était présentée comme une étape nécessaire pour un projet de progrès thérapeutique à terme.

M. le président. Voilà : à terme.

Mme Chantal Lebatard. Eh oui, il faut tenir compte de toutes les étapes de la recherche. C’est la première chose.

Deuxième chose : pour avoir fait partie du comité ad hoc, je peux vous indiquer que nous avons refusé un certain nombre de protocoles – mais ils étaient peu nombreux – car ils ne présentaient pas de finalité thérapeutique, mais qu’ils étaient uniquement de confort.

M. le président. Avez-vous voté les autres ?

Mme Chantal Lebatard. En tant que représentante de l’UNAF et en conscience, j’ai voté les autres, après les avoir examinés et demandé des éclaircissements ou des explications sur certains. L’UNAF, je ne l’oublie pas, comprend des associations de familles de malades dont la demande doit aussi être prise en compte.

Pour l’UNAF, les principes doivent être clairs pour éviter une banalisation de l’utilisation des embryons. Voilà pourquoi nous demandons, pour l’instant, dans le cadre de l’actuelle révision des lois de bioéthique, que le principe de l’interdiction reste posé et que la dérogation – contraignante, exigeant un travail de présentation de la recherche, de construction du projet, d’examen, etc. – reste admise.

M. le rapporteur. Si ma mémoire est bonne, l’Agence de la biomédecine a rejeté des projets de recherche sur l’embryon à but cosmétique.

Mme Chantal Lebatard. Pas l’Agence de la biomédecine, mais le comité ad hoc.

M. le rapporteur. Finalement, on peut considérer la loi comme extrêmement restrictive – elle parle de « progrès thérapeutiques majeurs » –, mais fort heureusement, l’interprétation qui en a été faite a été beaucoup plus large. Elle a ainsi permis toutes les recherches, directes ou indirectes, à plus ou moins long terme, au bénéfice de l’ensemble de l’humanité, en particulier pour répondre aux demandes légitimes des familles de malades. Il n’y a donc jamais eu d’interprétation restrictive aboutissant à rejeter un projet au prétexte que l’aspect thérapeutique n’aboutirait pas dans l’année.

Mme Chantal Lebatard. Effectivement, il faut être réaliste : l’échelle de temps de la recherche n’est pas celle de l’utilité immédiate.

M. le président. Merci beaucoup, mesdames, monsieur.

Audition de Mme Dominique MEHL,
sociologue, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS)



(Procès-verbal de la séance du 11 mars 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Merci, madame, d’avoir répondu à notre invitation. Vous êtes sociologue, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Vos travaux ont notamment porté sur les mises en question de la structure familiale traditionnelle que suscitent les progrès de l’assistance médicale à la procréation (AMP). Vous avez publié en 1999 Naître ? La controverse bioéthique, en 2003 La bonne parole et, en 2008, Enfants du don.

Pour ce dernier livre, vous avez recueilli divers témoignages, d’enfants nés d’un don de gamètes, de couples ayant eu recours à une gestation pour autrui, de couples homosexuels désirant devenir parents, de femmes ayant fait un don d’ovocytes. Nous aimerions savoir comment, à partir de vos analyses, vous souhaitez voir évoluer la loi, en particulier en matière d’assistance médicale à la procréation (AMP), de gestation pour autrui et de filiation. Sachez qu’hier, nous avons organisé une table ronde avec l’ensemble des associations pour évoquer ces sujets.

Mme Dominique Mehl. Je me réjouis que vous les ayez reçues car depuis l’adoption des lois de 1994, de grandes évolutions se sont produites.

L’évolution des mœurs, tout d’abord, pouvait déjà se constater en 1994, mais à l’époque elle n’avait pas été assimilée intellectuellement par l’ensemble du corps social : les transformations étaient là, mais les représentations restaient marquées par les formes traditionnelles de famille et de parenté.

En deuxième lieu, après vingt ans d’expérience de l’AMP, nous pouvons maintenant recueillir le sentiment des premiers concernés, parents et enfants. Ils avaient été ignorés et muets lors des débats qui avaient commencé avec la naissance d’Amandine en 1982, puis avec la création du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) en 1983 et le colloque « Génétique, procréation et droit » en 1985, et s’étaient poursuivis jusqu’en 1994. J’avais observé le choix des acteurs que l’on avait consultés pendant cette première phase d’élaboration des lois de bioéthique : de patients, il n’y avait point – et d’enfants, encore moins, puisqu’ils étaient encore tout petits. Depuis quatre ou cinq ans, on voit apparaître des associations – telles que l’Association des parents gays et lesbiens (APGL), les associations MAIA  et CLARA en faveur de la gestation pour autrui, l’association Procréation médicalement anonyme (PMA), qui recueille le témoignage d’enfants qui voudraient connaître leurs origines, ou encore Les enfants Kdos, qui relaie le vécu de l’AMP et de ses interdits. S’ajoute l’émergence, également très récente, de témoignages personnels, donnant une autre substance à un débat qui jusque-là était resté au niveau des idées. Cette parole sur le vécu manquait dans le paysage, et c’est d’ailleurs ce qui a motivé mon livre Enfants du don.

Mais je reviens à la première des deux évolutions que j’évoquais, l’évolution des mœurs, qui est notamment marquée par l’éclatement du paysage familial en de multiples modèles, dont aucun ne peut être désigné comme « le meilleur ». Familles monoparentales, familles recomposées, familles homoparentales, familles d’accueil, familles adoptives dessinent une mosaïque dans laquelle le modèle traditionnel – deux parents biologiques vivant au même foyer que leurs enfants – est tombé un petit peu en dessous de 50 %. Cette évolution était déjà bien engagée en 1994, mais les représentations restaient fondées sur l’idée que le modèle le plus légitime, le plus normal et « faisant référence », était le modèle traditionnel. Les autres étaient perçus comme des échecs, notamment en cas de divorce, ou comme des situations marginales. La législation de 1994 est l’expression la plus achevée de cette vision. Qu’il s’agisse des conditions d’accès à l’AMP ou de la filiation, elle a été entièrement conçue en fonction de ce modèle – selon la formule devenue célèbre de Guy Braibant, l’auteur du premier rapport de préparation des lois de bioéthique, « un père, une mère, pas un de plus, pas un de moins ». La définition des conditions d’accès à l’AMP et le principe de l’anonymat des dons de gamètes en découlent directement.

En ce qui concerne les conditions d’accès à l’AMP, l’article L. 2141-2 du code de la santé publique, issu de l’ancien article L. 152-2, dispose que celle-ci est destinée à répondre à la demande de couples, lesquels doivent être composés d’un homme et d’une femme, vivants, en âge de procréer, mariés ou en concubinage avéré depuis deux ans. Aujourd’hui, toutes ces conditions instituées par la loi de 1994 sont obsolètes.

La condition du concubinage stable et avéré depuis deux ans n’a jamais été appliquée : les médecins ne se sont jamais résignés à demander aux gens d’apporter la preuve de leur concubinage, considérant qu’ils n’avaient pas à entrer dans l’intimité des couples. En outre, un certificat de concubinage est très facile à établir et n’a donc pas beaucoup de valeur juridique. Quant au mariage, il existe encore, mais il est concurrencé par d’autres façons de former un couple.

Le modèle du couple composé de personnes de sexes différents se trouve écorné par l’existence de parentalités homosexuelles, soit par coparentalité, l’enfant étant élevé par deux couples homosexuels auxquels appartiennent son père biologique et sa mère biologique, soit à la suite d’une insémination artificielle avec donneur (IAD) pratiquée à l’étranger, souvent en Belgique.

Quant à l’interdiction de l’accès à l’AMP pour les célibataires, qui a toujours semblé étrange dans la mesure où l’adoption leur est ouverte, elle devient aujourd’hui de plus en plus difficile à justifier. La demande a en effet évolué. Dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, il s’agissait d’une demande de type féministe, visant à faire un enfant sans homme – sans père et sans présence masculine. Maintenant, la demande émane plutôt de femmes sans conjoint, qui regrettent de ne pas avoir trouvé celui avec qui elles pourraient faire un enfant et qui sont confrontées à leur horloge biologique. De ce point de vue, le témoignage de Guillemette Faure est tout à fait intéressant : elle n’est pas contre les couples, elle n’est pas contre les hommes, elle a une vie hétérosexuelle. Ces femmes qui se dirigent vers la quarantaine se disent que le conjoint et père souhaité risque d’arriver dans leur vie quand elles ne seront plus en âge de procréer ; d’où l’idée d’inverser l’ordre d’entrée en conjugalité et en parenté, qui progresse dans la société, d’autant plus que l’entrée en maternité est de plus en plus tardive.

Enfin, la condition relative à l’âge de procréer est évidemment problématique puisque cet âge est variable selon les individus. Dans mon enquête, j’ai rencontré des femmes dont la ménopause avait été précoce et qui, en France, ne pouvaient plus être prises en charge. C’était absolument dramatique, s’agissant de femmes qui étaient tout à fait capables de gérer une vie familiale et professionnelle. Le fait que la sécurité sociale retienne l’âge limite de 43 ans pour la prise en charge, ce qui conduit en fait les centres d’AMP à refuser les femmes à partir de 40 ans, est un énorme problème, dont je ne sais pas s’il relève de la réglementation de la sécurité sociale ou de la loi de bioéthique. Il est à l’origine de ce qu’on nomme terriblement le « tourisme procréatif », les femmes se rendant à l’étranger, notamment en Espagne, lorsqu’elles veulent bénéficier d’un don d’ovocyte.

À ce propos, certains, tel René Frydman, auraient tendance à remettre en cause le principe de gratuité des dons d’ovocytes en raison, notamment, de leur pénurie. Mais il est un problème beaucoup plus important encore : il faut avoir déjà été parent pour être donneur ou donneuse. On considère en effet que si la personne, après son don, devenait elle-même incapable de concevoir, elle risquerait d’infiniment regretter ce don. Le résultat, c’est que les donneuses sont rares et trop âgées : la pénurie de dons d’ovocytes en France tient pour partie au manque d’informations, mais plus encore au fait que ce don ne peut pas être proposé à des jeunes filles – à l’occasion, par exemple, d’une intervention chirurgicale – dès lors qu’elles n’ont pas eu d’enfant. Il serait important de réfléchir à ce problème car à ma connaissance, la France est le seul pays à avoir institué cette clause.

J’en arrive à la deuxième conséquence du primat du modèle familial traditionnel dans les lois de bioéthique, à savoir l’anonymat des dons de gamètes.

De la parole des enfants du don et de celle, qui commence à émerger, des donneurs, on retire la certitude que la situation actuelle ne peut pas perdurer. Mais il convient auparavant de faire une distinction, absolument essentielle pour les sociologues et les anthropologues, entre la filiation, la parentalité et la parenté. La filiation définit le lien légal et généalogique, la famille dans laquelle on s’inscrit ; elle ne peut être défaite que par la loi, elle n’est pas à disposition des personnes. Autre chose est la parentalité, terme que les sociologues ont dû forger au vu de l’évolution des familles, et qui définit l’exercice de la fonction parentale, avec ou sans statut de parent. Le meilleur exemple est celui du beau-parent, dont le statut est en discussion : il y a des beaux-parents qui élèvent au quotidien des enfants qui ne sont pas leurs enfants biologiques, et qui pourtant assument les fonctions d’alimentation et d’éducation : sans être parents, ils exercent une fonction de parentalité. La parenté, enfin, englobe le lien génétique, le lien légal et le lien domestique, sans que ceux-ci soient forcément incarnés dans la même personne ; dans les systèmes de parenté contemporains, on a souvent plusieurs parents, même s’ils ne se voient pas reconnaître un statut de parent légal.

C’est dans ce contexte que l’on doit aborder la question de l’anonymat des dons de gamètes. Moi qui attache beaucoup d’importance à la parenté sociale, sans donner le primat à la parenté biologique, j’ai constaté, en écoutant les témoignages des enfants qui commencent à prendre la parole sur le thème de la connaissance de leurs origines, qu’aucun ne demande à changer de filiation, même s’il s’entend mal avec ses parents, notamment avec son père dans le cas d’une IAD. Pour ces enfants, leur père est celui qui les a élevés et qui a la responsabilité légale ; ils ne souhaitent pas aller frapper à la porte du donneur pour qu’il les adopte ou les prenne en charge – ce qui était la crainte du législateur en 1994, comme des centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain (CECOS).

Ce que demandent les enfants qui souhaitent connaître l’identité de leur géniteur, c’est de disposer de la totalité de leur histoire personnelle. En effet les conditions de leur venue au monde leur sont non seulement cachées, mais interdites d’accès : le problème de l’anonymat n’est pas qu’il y ait un secret – il y en a dans beaucoup de familles –, mais que pour l’enfant ce secret-là ne puisse jamais être levé, n’étant pas à la disposition de ses parents ou de son entourage mais verrouillé par un système légal.

Beaucoup de ces enfants s’expriment en termes de ressemblances physiques. « À qui est-ce que je ressemble ? », « quel est le visage de ce donneur ? » sont les questions auxquelles ils aimeraient avoir une réponse. À défaut d’une identité, certains se contenteraient d’une photo, pour savoir d’où ils viennent physiquement. On ne saurait les accuser d’une obsession biologique, alors que dès qu’un bébé naît, on s’empresse de lui trouver des ressemblances… Ils n’affichent pas de dévotion envers le lien génétique, mais ils ne souhaitent pas non plus que celui-ci soit éradiqué. De l’enquête que j’ai menée auprès des parents et des enfants, j’ai retiré la certitude que ni les CECOS ni la loi ne peuvent décider ou décréter ce que représente le lien génétique sur le plan psychique dans les constructions identitaires. J’ai découvert, en écoutant ces personnes parler de leur expérience, que cette représentation est éminemment individuelle et subjective. Pour certaines d’entre elles, le gamète donné est une cellule comparable à d’autres, et les identités ne proviennent que de l’éducation. Pour d’autres, c’est une composante du socle identitaire, notamment dans sa dimension corporelle.

La future loi devra donc répondre à cette demande, pour l’instant minoritaire mais qui ne le restera peut-être pas, d’autant que les CECOS incitent à lever le secret sur les conditions de conception des enfants : désormais certains d’entre eux savent qu’ils sont issus d’un don mais, même lorsqu’ils le souhaitent, ils ne peuvent en savoir plus. Et quand bien même cette demande resterait minoritaire, j’ai la faiblesse de penser que la loi ne doit pas seulement satisfaire les majorités, mais qu’elle est aussi faite pour protéger les minorités.

Les solutions sont prêtes, elles ont été imaginées par les associations et les personnes qui se sont prononcées pour la levée de l’anonymat, ou mises en œuvre à l’étranger. On pourrait créer une sorte de conservatoire des origines, qui recueillerait certaines informations. Au moment de la procréation, pour les parents receveurs, le don resterait anonyme. Les parents expriment en effet très fréquemment le souhait que l’on respecte leur intimité, et ils craignent qu’un « fantôme de donneur » s’invite dans leur parcours procréatif, déjà difficile pour eux. Au moment où les enfants atteindraient leur majorité, on pourrait leur donner accès aux informations. Tous les pays qui ont levé l’anonymat ont adopté cette formule.

La troisième transformation majeure concerne la gestation pour autrui. Comme le remarquait Geneviève Delaisi de Parseval, entre 1994 et aujourd’hui, on est passé de la gestation pour autrui « première génération », où la mère porteuse donnait ses gamètes, ce qui la rendait doublement mère potentielle du point de vue biologique, à une GPA « deuxième génération », où la mère porteuse ne donne pas ses gamètes. La GPA « première génération », sans dissociation de la maternité, existait depuis la Bible et s’est pratiquée dans toutes les sociétés, au sein des familles, une femme portant par exemple un enfant pour sa sœur. La technique de l’AMP a apporté une révolution en permettant de scinder en deux la maternité biologique : on peut être mère biologique simplement par les gamètes, ou mère biologique simplement par la gestation.

Ainsi, on se trouve aujourd’hui devant une contradiction majeure : légalement, la maternité étant définie exclusivement par l’accouchement, la maternité biologique par les gamètes ne peut pas être reconnue. D’où cette question fondamentale : la loi peut peut-elle continuer à n’accorder un statut qu’à l’une des maternités biologiques, c’est-à-dire à légitimer le don d’ovocyte au motif que c’est la mère légale qui accouche, et à regarder comme illégitime la gestation pour autrui au motif que la mère légale ne serait pas celle qui va accoucher ?

Enfin, au cas où le législateur français déciderait de ne pas légaliser la gestation pour autrui, il faudrait impérativement se pencher sur la situation des enfants qui en sont issus. En effet, ceux-ci peuvent aller à l’école en France, y bénéficier de la sécurité sociale, mais ils n’y ont pas d’état-civil, ni de parents légaux. Cette autre contradiction est tout à fait insupportable.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Il ressort de vos propos qu’il existe un conflit entre le socio-éducatif et le biologique. Dans la tradition française, l’éducation prend le pas sur le biologique : quand on est sur notre sol, on devient français parce qu’on a une éducation française ; quels que soient ses géniteurs, on devient l’enfant du couple qui a apporté l’amour, l’affection et les repères. Dans ces conditions, que doit faire la loi ? Doit-elle épouser toutes les demandes sociétales, ou marquer sa préférence pour certaines valeurs ?

Que demandent ceux qui veulent lever l’anonymat ? Une photo, une lettre ? C’est un peu dérisoire et ne correspond pas sans doute à leurs attentes. La société doit-elle encourager à aller rechercher l’origine des gamètes ? Cela posera nécessairement des problèmes, les enfants qui naissent dans les couples n’étant pas toujours les enfants du père. Le législateur doit-il favoriser cette recherche obsessionnelle de la vérité génétique ? Certes, le biologique est un passage obligé pour créer un être humain, mais celui-ci est aussi fait de beaucoup d’éducation, d’amour, de lien à l’autre. N’est-ce pas beaucoup plus important que le don, si généreux soit-il, de gamètes ? Le même problème se pose pour la gestation pour autrui : vouloir à tout prix un enfant génétiquement de soi, n’est-ce pas donner au génétique une prééminence sur le social, et en même temps nier l’altérité puisqu’à la « mère porteuse », dont on n’a jamais évalué la souffrance, on ne laisse que la générosité de porter l’enfant ?

Qu’est-ce qu’être mère ? Est-ce porter l’enfant en soi et le porter dans la société, ou est-ce donner son ovocyte ? Qu’est-ce qu’être père ? Est-ce, comme le disait un psychologue, faire sauter son enfant au-dessus de soi pour le mettre en danger puis le récupérer en lui montrant à la fois autorité et affection, ou est-ce faire un don de spermatozoïdes ? Ces questions sont essentielles. Le législateur doit déterminer les valeurs auxquelles il veut se référer. Son objectif peut être de remédier à toutes les souffrances individuelles qui s’expriment, mais il lui faut alors évaluer toutes les souffrances qu’il va générer, et qui sont peut-être plus nombreuses. Ainsi, la levée de l’anonymat risque de faire souffrir des donneurs, ou d’autres qui verront la vérité biologique révélée. Une autre attitude est de ne retenir que la vérité génétique, mais c’est nier les valeurs fondatrices de notre démocratie.

Or j’ai eu l’impression qu’après avoir dit que la société l’emportait sur le génétique, vous nous proposiez d’épouser toutes les demandes de recours génétique. Cela m’a paru un peu contradictoire, et il me semble que cela ne correspond pas tout à fait au rôle du sociologue que vous êtes.

M. Paul Jeanneteau. Ce que je comprends de vos propos, madame, c’est que, les mœurs ayant fortement évolué depuis 1994, la loi doit évoluer dans le même sens. Il est vrai que certaines associations se livrent à du lobbying, mais elles ne représentent pas toute la société, qui est beaucoup plus complexe et multiforme. Le rôle du législateur est-il simplement d’accompagner l’évolution des mœurs, ou n’est-il pas plutôt de fixer un cadre, d’inscrire dans la loi certains principes intangibles issus de notre vécu commun, culturel et philosophique ?

Vous ajoutez que si nous ne prenons pas cette évolution en compte, le « tourisme procréatif » se développera. Mais le législateur français doit-il obligatoirement suivre le modèle des autres pays ? Ne peut-il plutôt adopter une loi correspondant à notre référentiel culturel et intellectuel ?

Mme Pascale Crozon. Plus nous avançons dans ce travail, plus je m’interroge. Doit-on répondre à toutes les souffrances en adoptant une attitude de compassion, ou doit-on se contenter de fixer un cadre ? En répondant à cette question, nous devons nous souvenir que la France n’est pas seule : pour recourir à la gestation pour autrui (GPA), il suffit d’aller en Belgique ou en Californie. Et dans ce cas, quel sera le statut de l’enfant ?

Vous avez souligné qu’en 1994, on ne pouvait pas recueillir de témoignages au sujet de l’AMP, et il en est de même aujourd’hui pour la GPA : nous manquons de recul.

Mme Martine Faure. La société a beaucoup évolué ces vingt dernières années, mais qu’en est-il des demandes et des besoins de l’enfant ? Comment grandit un enfant aujourd’hui ?

Mme Dominique Mehl. Ma position personnelle, qui est avant tout celle d’une sociologue, est que la loi, notamment pour tout ce qui concerne la vie privée (famille, conjugalité, entrée en parenté, procréation), doit accompagner les mœurs, même si elle doit aussi, comme les juristes savent s’y employer, éviter les dérives et les excès. Elle ne peut pas être prescriptive. Quand elle l’est, comme c’est le cas en France, elle occasionne des frustrations. C’est le cas chez ceux qui ne peuvent pas accéder à la parenté parce qu’ils ne répondent pas aux conditions définies il y a plus de vingt ans par le législateur, et il y a plus longtemps encore par les CECOS. J’ai en fait une vision plus anglo-saxonne que française du rapport entre la société et la loi, mais je sais que je risque d’en faire bondir certains en disant cela.

M. Paul Jeanneteau. Nous sommes ici pour préparer la révision des lois de bioéthique. Pour cela, nous entendons des intervenants aux positions fort différentes ; nous ne sommes pas là pour réagir au premier degré à vos propos, mais pour vous écouter, ainsi que tous ceux que nous auditionnons, dans le but de faire la meilleure loi possible.

Mme Dominique Mehl. J’entends bien, mais vos réactions sont liées à une question de fond que je n’avais pas traitée, celle de la place, par rapport aux mœurs, d’un système législatif concernant la famille, la parenté et la procréation. Ma position est que la loi doit accompagner les mœurs, et non préétablir un cadre.

Par ailleurs, monsieur le rapporteur, je ne pense pas du tout que le système qui régit la filiation en France soit exclusivement basé sur le lien social.

M. le rapporteur. Je n’ai pas dit cela.

Mme Dominique Mehl. J’avais compris que, selon vous, notre tradition était le primat du lien social sur le biologique.

M. le rapporteur. Ce n’est pas la même chose.

Mme Dominique Mehl. Or on autorise le recours en déni de paternité, qui implique des tests génétiques. Ce qu’on autorise d’un côté, on l’interdit pour l’AMP.

On définit la maternité, sauf dans le cas de l’adoption, par une donnée biologique, qui est l’accouchement. Le modèle traditionnel – les parents biologiques avec leurs enfants – reste le plus légitime, et c’est ce qui a justifié, beaucoup plus que la peur de voir un lien s’instaurer entre le donneur et l’enfant, l’anonymat du don de gamète, qui donne à l’enfant la possibilité de croire que les parents qui l’élèvent sont aussi ses parents biologiques.

Mais je souligne dans mon livre la grande contradiction qui consiste, pour les partisans de la neutralité de la cellule gamétique, à pratiquer par ailleurs dans les CECOS les appariements : on choisit un donneur qui n’est pas si neutre que cela, puisqu’il doit avoir le même groupe sanguin, afin que la « supercherie » ne soit pas découverte à l’occasion d’examens médicaux, la même couleur de peau, si possible la même taille, bref les mêmes caractéristiques phénotypiques. Autrement dit, même pour les CECOS, la préoccupation génétique n’est pas complètement absente.

Ce qui est demandé aujourd’hui, c’est qu’on prenne en compte toutes les composantes de la procréation, et non pas du tout qu’on affirme le primat du génétique – lequel pourrait aboutir à faire des donneurs les parents légaux, les parents sociaux se débrouillant ensuite pour adopter les enfants. À mes yeux, il convient que toutes les données soient à disposition des intéressés et que le législateur, lui, se soucie d’établir une filiation solide. Par ailleurs, je crois possible qu’il y ait autour de l’enfant plusieurs figures parentales, comme en témoignent d’ailleurs les familles recomposées. Je ne revendique donc pas du tout le primat du biologique ou la « re-génétisation » du lien familial, mais je souhaite que les différents acteurs de la venue au monde d’un enfant soient repérables. Dans le cas des enfants adultérins, le secret n’est pas verrouillé par la loi ; il peut être dévoilé par la mère, sur laquelle l’enfant a la possibilité de faire pression.

M. le rapporteur. Certes, mais je m’inquiète des conséquences que peut avoir l’obsession de la recherche génétique des origines. On parle de la souffrance de celui qui veut savoir et qui ne sait pas, mais il faut penser à la souffrance de celui qui ne voulait pas savoir et qui va savoir. De même, on se penche sur la souffrance des couples qui ne peuvent pas avoir d’enfant, mais a-t-on étudié la souffrance des mères porteuses ? Et a-t-on observé comment vivent ces enfants ? Ont-ils plus de difficultés que les autres, en ont-ils moins ? Il faut s’interroger sur le « meilleur des mondes » à offrir aux enfants : la vraie question, c’est de savoir ce qui est le mieux, ou le moins mal, pour eux.

M. le président. Cependant on n’a pas à choisir un modèle.

M. Jean Leonetti, rapporteur. En effet, et c’est bien la raison pour laquelle il faut retenir des critères, afin de créer le moins de souffrances possible et de permettre aux enfants de se développer de la manière la plus harmonieuse possible, les préparant à devenir des hommes et des citoyens.

M. le président. Aujourd’hui, la gestation pour autrui est interdite en France, autorisée dans certains pays étrangers et pratiquée par des couples français. Mais quid de l’enfant ? Quelle que soit la décision qu’il prendra sur la GPA, le législateur ne peut pas se désintéresser de cette question et laisser la jurisprudence trancher à sa place.

M. Paul Jeanneteau. La réponse que nous apporterons sur le statut de l’enfant déterminera notre position concernant la GPA : on ne peut pas dissocier les deux.

Par ailleurs, il ne faut pas confondre secret et anonymat, secret de son origine et anonymat du donneur ; nous devons là-dessus être très vigilants. Je ne sais pas quelle est la meilleure solution pour l’enfant. À écouter certains intervenants, laisser l’enfant dans l’ignorance de son origine peut nuire à son développement. Peut-être, donc, faut-il lever le secret. Ce faisant, ne va-t-on pas en même temps régler une partie du problème de l’anonymat ? Et une fois qu’il saura qu’il est issu d’une AMP, l’enfant ne sera peut-être pas enclin à demander la levée de l’anonymat.

Mme Dominique Mehl. Dans la réalité, secret et anonymat sont indissociables. Au début, les CECOS disaient aux futurs parents que l’important était leur projet parental, et que la manière dont l’enfant aurait été conçu ne le regarderait pas. Mais sous l’influence des psychologues et des psychanalystes, petit à petit les CECOS eux-mêmes sont arrivés à l’idée que les secrets de famille étaient pathogènes et qu’il ne fallait donc pas tenir secret pour l’enfant le fait qu’il avait été conçu avec l’aide d’une tierce personne. Comme vous, les CECOS pensent qu’il suffit de lever le secret et que l’enfant ne cherchera pas à en savoir plus. En vérité, il s’agit plus d’un interdit que d’un secret : aucun texte législatif n’impose le secret sur l’origine de l’enfant, c’est un secret d’ordre privé – les parents font le choix de parler ou de ne pas parler. Je reconnais qu’en Suède, où l’anonymat a été levé, le secret opposé aux enfants sur les conditions de leur venue au monde paraît plus répandu qu’en France : chez nous, environ 30 % des enfants conçus par IAD savent qu’il y a eu un donneur, alors qu’en Suède, selon la dernière étude que je connaisse, le pourcentage est de 15 % ; comme les enfants peuvent accéder à l’identité du donneur, davantage de parents décident de ne rien dire. Cela étant, la question qui concerne le législateur, c’est l’anonymat, non le secret.

Enfin, il n’y a pas de « meilleur des mondes » familial   une famille prétendument normale pouvant faire vivre un enfer à ses membres. Ce qui compte, du point de vue de la collectivité, c’est la sécurité des liens de filiation. Le reste – que l’enfant soit aimé, qu’il ne soit pas maltraité – échappe à la loi. Des enfants peuvent être très malheureux dans une famille recomposée avec garde alternée, d’autres se sont construits sur cette double appartenance.

Je suis moi-même enfant de divorcés. Je me souviens du discours que l’on tenait dans mon enfance sur les ravages que le divorce allait provoquer dans les familles, or les parents et les enfants se sont débrouillés avec cela. Les arrangements familiaux sont largement indépendants des conditions légales et des conditions conjugales du développement de l’enfant.

M. le président. Merci beaucoup.

Audition de M. Jacques TESTART, directeur de recherche honoraire à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)


(Procès-verbal de la séance du mercredi 18 mars 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons aujourd’hui le plaisir d’accueillir M. Jacques Testart, docteur es sciences, directeur de recherche honoraire à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM).

Disposant d’une formation d’agronome et de biologiste, vous vous êtes consacré tout au long de votre carrière aux problèmes de procréation naturelle et artificielle chez l’animal et chez l’homme, en tant que chercheur à l’institut national de la recherche agronomique (INRA), de 1964 à 1977 – où vous avez notamment travaillé sur la question des « mères porteuses » chez les bovins – puis de 1978 à 2007, à l’INSERM.

Considéré comme le père scientifique des premières fécondations in vitro (FIV), vous avez activement contribué au développement de l’assistance médicale à la procréation (AMP) en France. Fondateur et président d’honneur de la fédération des biologistes de la fécondation et de la conservation de l’œuf, vous avez également été l’un des pionniers de la conservation des embryons par congélation et de la fécondation in vitro avec micro-injection (ICSI).

Dès 1986, dans L’œuf transparent, vous avez alerté l’opinion publique sur les risques de dérives liées à « la rencontre de la médecine prédictive avec la médecine procréative », quelques années avant que ne soit autorisé en France le diagnostic préimplantatoire (DPI).

Vous êtes également l’auteur de nombreux ouvrages sur les questions de procréation assistée et de bioéthique, en particulier De l’éprouvette au bébé spectacle, paru en 1984, Le Désir du gène, en 1992, Pour une éthique planétaire en 1997, Des hommes probables – de la procréation aléatoire à la reproduction normative en 1999, ou encore Procréation et manipulations du vivant en 2000, Au bazar du vivant en 2001 et Le vivant manipulé en 2003.

Défenseur d’une « science contenue dans les limites de la dignité humaine », vous avez notamment écrit – dans la revue Entropia, en novembre 2007 – que « s’il est légitime de fonder des règles – comme les lois de bioéthique – dans une société où des charognards veillent sur toutes les détresses exploitables, on peut espérer qu’une autre “bio-politique” serait possible dans un monde apaisé ». Sans doute pourrez-vous aujourd’hui dresser les contours de cette bio-politique que vous appelez de vos vœux et nous indiquer les modifications qu’il serait utile d’apporter aux lois de bioéthique.

M. Jacques Testart. Je vous remercie de me donner l’occasion de répéter ce que je ne cesse de dire, avec un succès relatif, dans des colloques ou dans mes livres. Mon intervention portera sur la recherche sur l’embryon et sur le diagnostic préimplantatoire (DPI). Trop peu qualifié dans les autres domaines, je ne souhaite pas m’exprimer, comme le feraient certains gynécologues, sur la nécessité ou non de payer les mères porteuses.

Depuis vingt ans, les demandes de recherche sur l’embryon reviennent de façon récurrente ; les objectifs ont changé, mais les résultats se font toujours attendre. Pourquoi une telle obstination à vouloir trouver un usage à l’embryon humain ? Peut-être parce qu’il semble intolérable à nombre de chercheurs que la loi française ait placé l’embryon hors du domaine de la recherche, alors que le fœtus, le nouveau-né, l’adulte, le vieillard, le cadavre peuvent être des objets de recherche.

Dès les années 1980, la fécondation in vitro (FIV), qui rendait « disponible » l’embryon, fit naître les premières velléités de recherche. Le but était alors scientifique : il s’agissait de connaître les structures et les mécanismes de développement de l’embryon humain et de voir en quoi celui-ci différait des autres embryons animaux. M’opposant à mon ancien professeur Charles Thibault, je soulignai le manque de pertinence de ces recherches, entreprises alors que nous ignorions encore beaucoup de l’embryon de souris et que nous estimions fort probable qu’aux premiers stades du développement, les embryons de tous les mammifères présentent des caractéristiques très proches.

Dès 1990, les Britanniques autorisèrent les recherches sur l’embryon humain, ainsi que la conception d’embryons humains pour la recherche. Mais bien que ne connaissant aucune limite légale dans ce domaine, les leaders de la reproduction animale et humaine ne devaient obtenir aucun résultat, jusqu’à ce jour.

Il y a une dizaine d’années, les chercheurs avancèrent une autre revendication : il ne s’agissait plus de travailler « sur », mais « avec » l’embryon humain, c’est-à-dire avec des cellules embryonnaires. Le clonage thérapeutique laissait ainsi entrevoir la possibilité de réaliser des greffes autologues. L’apparition des cellules souches pluripotentes induites (iPS), qui ne posent aucun problème d’éthique et semblent compétentes pour remplir cette mission, aurait dû décrédibiliser depuis les demandes de cette nature.

Une nouvelle revendication est alors apparue, qui est toujours d’actualité. Il s’agit désormais de travailler sur les cellules souches embryonnaires afin de réaliser des greffes cellulaires et de fournir un support aux tests de toxicité de l’industrie pharmaceutique.

Un dernier argument est aujourd’hui utilisé en faveur de la recherche sur l’embryon : celle-ci permettrait d’améliorer les connaissances sur la viabilité des embryons. Quelques programmes sur ce sujet ont été déposés à l’Agence de la biomédecine, inspirés des résultats d’une équipe australienne qui a démontré voilà deux ans qu’il était possible d’évaluer à partir d’une cellule les chances de développement de l’embryon.

Une telle perspective est séduisante – il ne serait plus nécessaire de transférer plusieurs embryons et le taux de grossesses multiples diminuerait –, mais elle s’accompagne forcément d’une généralisation du DPI. En effet, si le but recherché est d’améliorer les résultats de la fécondation in vitro (FIV), le prélèvement de cellules sera effectué sur tous les embryons afin de réaliser les tests de viabilité. Il sera alors difficile, dans la foulée, de se passer des tests identitaires génétiques classiques utilisés pour le DPI.

C’est la raison pour laquelle le législateur doit être attentif aux tenants et aux aboutissants des demandes de recherche sur l’embryon. J’estime pour ma part qu’il ne s’agit pas de mieux connaître l’embryon humain, mais d’utiliser les cellules souches pour des développements médicaux ou pharmaceutiques et d’adopter une approche inquisitoriale, en triant les embryons selon leurs caractéristiques génétiques.

Si les cellules souches devaient se révéler indispensables au progrès de la médecine – c’était l’argument utilisé pour justifier le clonage thérapeutique – quelle démonstration avons-nous de la faisabilité de cette thérapeutique chez l’animal ? Pour le moment, il n’existe pas d’exemple de traitement définitif de pathologies. Avant de travailler sur les cellules souches de l’embryon humain, il y a encore beaucoup à faire chez l’animal. Par ailleurs, je ne vois pas l’intérêt de multiplier les lignées, alors que plusieurs dizaines d’entre elles sont aujourd’hui disponibles. Enfin, pourquoi prélever pour des études à visée pharmaceutique des cellules souches sur les embryons normaux, alors que les embryons rejetés à l’issue d’un DPI suffisent ?

M. le président. Pensez-vous qu’il faille modifier la loi de bioéthique sur ce point ?

M. Jacques Testart. Le moratoire n’a pas grande signification. Il faut contrôler l’application de la loi, en gardant à l’esprit que si la recherche sur l’embryon humain est autorisée dans le but de mieux connaître sa viabilité – les arguments ne sont pas négligeables puisque cela permettrait d’éviter les grossesses multiples, de rendre les techniques moins lourdes pour les personnes concernées et moins coûteuses pour la sécurité sociale –, le DPI sera généralisé.

Je ne suis donc pas favorable à la recherche sur l’embryon, non pour des questions de dogme ou de religion, mais parce que je pense que l’embryon humain – dont nous sommes tous issus – mérite notre respect. Par ailleurs, au risque de me répéter, je rappelle que les recherches sur l’embryon menées par les Britanniques depuis vingt ans n’ont rien apporté.

Permettez-moi maintenant d’aborder le point qui me semble le plus important, le DPI. Contrairement en effet aux dérives auxquelles pourrait donner lieu l’assistance médicale à la procréation, les risques éthiques liés au diagnostic génétique préimplantatoire concernent potentiellement tout le monde.

Contrairement à une idée assez répandue, le DPI n’est pas assimilable à un diagnostic prénatal (DPN) précoce : le DPI concerne plusieurs embryons in vitro, alors que le DPN est réalisé sur un fœtus in vivo ; le premier présente l’avantage de ne pas différer la naissance, alors que le second peut déboucher sur une interruption médicale de grossesse (IMG), éprouvante pour les parents.

Or la loi ne marque aucune différence entre les deux diagnostics. Le rapport de Dominique Stoppa-Lyonnet va jusqu’à affirmer que les deux techniques présentent « les mêmes risques de dérapage », ce que je conteste formellement. En étendant au DPI le champ de compétences des centres pluridisciplinaires prévus pour le DPN, le législateur s’est défaussé sur les praticiens, alors que le risque de dérive est incomparable.

Par exemple, lorsqu’un DPI est effectué afin de rechercher les embryons atteints d’une maladie récessive, les embryons hétérozygotes – sains, mais porteurs – sont rejetés. Dans le cas d’un DPN, la grossesse avec le même fœtus se poursuit. On outrepasse ainsi les limites de la loi, puisqu’avec le DPI il ne s’agit plus de faire en sorte que l’enfant à naître ne soit pas atteint d’une maladie particulièrement grave, mais de viser les générations suivantes. On entre alors clairement dans un cycle eugénique.

De quelle manière la loi encadre-t-elle la pratique du DPI ? Celui-ci doit être effectué dans des centres agréés, porter sur une « maladie d’une particulière gravité » – notion éminemment subjective et extensible – détectée chez les ascendants. La généralisation des tests sur Internet peut faire craindre que de plus en plus de personnes, se sachant porteuses de telle ou telle pathologie, revendiqueront le droit à bénéficier d’un DPI. Cela est pour le moment interdit, mais la machine est lancée et la pression sociale l’emportera un jour.

Si la pratique du DPI est aujourd’hui limitée – donc sous contrôle – c’est surtout en raison de la pénibilité des actes médicaux liés à la FIV et du nombre réduit d’embryons disponibles. Le DPI est donc rare, même dans les pays où la loi est moins restrictive.

Mais des évolutions technologiques dans le champ de la biologie de la procréation vont se produire. Dans un avenir prochain, il sera possible de cultiver in vitro un prélèvement  – pouvant être conservé plusieurs années – de la partie corticale de l’ovaire, qui contient les ovocytes et constitue le potentiel procréatif de la femme, afin de transformer les ovocytes en ovules le moment venu. Les techniques de culture in vitro mises en œuvre depuis une dizaine d’années sont pour l’heure encore aléatoires et surtout étudiées pour la sélection animale : des ovocytes de truie ont pu ainsi être transplantés chez la souris et on a obtenu des ovules qui ont été fécondés in vitro avant de donner naissance à des porcelets. Lorsque nous pourrons adapter ces techniques à l’espèce humaine, nous serons confrontés à une problématique radicalement différente pour l’usage du DPI.

De manière générale, ces techniques permettront de conserver une ressource ovocytaire en réalisant des prélèvements chez des femmes suffisamment jeunes pour que l’âge et la pollution n’aient pas encore eu d’impact sur le nombre et la qualité de leurs ovocytes. Elles auront deux types de conséquences : d’une part, les actes médicaux pénibles – stimulation hormonale, monitorage, ponction ovarienne – seront supprimés ; d’autre part, on disposera d’ovocytes en abondance.

Un ovocyte sur dix mille se transforme naturellement en ovule. En maîtrisant le processus de maturation ovocytaire par la culture in vitro, on peut imaginer améliorer ce taux, ce qui permettrait de produire des ovules par dizaines, voire par centaines, et des embryons dans les mêmes proportions. Cette production de masse – rappelons que les eugénistes ont toujours travaillé sur le nombre – rendrait possible une large inspection du génome.

Le comble sera atteint lorsque les deux techniques – le contrôle de la viabilité de l’œuf et la recherche de tous les caractères indésirables – seront liées. On pourra alors déterminer l’« horoscope génomique » et la viabilité de chaque embryon et optimiser la FIV en transplantant un embryon testé à la fois sur son métabolisme et sur sa qualité génétique. Ce sera le choix du meilleur œuf : viable et « normal » à la fois…

Ce DPI « futuriste », qui ne sera plus contraignant, répondra à l’angoisse des géniteurs et aux pressions sociales, notamment celles exercées par les assureurs – AXA n’a-t-il pas proposé il y a quelques années d’augmenter les polices d’assurance pour les personnes handicapées ? En outre, il sécurisera les praticiens. Ainsi, la loi espagnole de 1988 donne obligation au médecin de recourir à toutes les techniques disponibles pour faire naître un enfant normal. Imaginez les procès qui ne manqueront pas d’être intentés dès lors que l’on disposera de techniques permettant de ne faire naître que des enfants prétendument « normaux » ! La loi devrait préciser que les médecins n’ont pas obligation de perfection.

Cette perspective ne répond-elle pas à une idéologie sécuritaire, refusant toutes les déviances ? La technique n’empêchera pas des désillusions individuelles – surtout si le DPI se réfère à une corrélation statistique entre une caractéristique du génome et un caractère particulier plus fréquent chez certains individus –, mais elle donnera des résultats globalement satisfaisants à l’échelle de la population. Cela mènera à ce que j’appelle le « clonage social », tous demandant à peu près la même chose – un enfant indemne de la mucoviscidose, d’un risque de cancer, etc... Nous aurons alors affaire à un eugénisme désirable : consenti, consensuel, non violent, et même démocratique puisque le DPI permettra à tous, porteurs de gènes de maladies graves inclus, de procréer en sécurité. En ce sens, il sera très séduisant.

Par ailleurs, le DPI pourrait se substituer à la thérapie génique, qui prétend depuis longtemps guérir des maladies, sans véritable succès. Il serait en effet plus simple et plus efficace de fabriquer des enfants « normaux » dès le départ ! N’allez pas croire que je me félicite de cette évolution ; au contraire, je crains que ces arguments ne se développent avec une logique redoutable.

À dire vrai, cela a déjà commencé, avec le glissement du défaut avéré vers l’éventualité du défaut. Aux États-Unis, les femmes un peu âgées se voient proposer à l’occasion d’une FIV, contre espèces sonnantes et trébuchantes, un DPI pour détecter au moins les trisomies. La Grande-Bretagne comme la France ont inclus dans le champ du DPI les risques de cancer grave. Un autre glissement s’est produit, du défaut grave vers le défaut relatif. Depuis un an, le strabisme a intégré la liste britannique des pathologies susceptibles de faire l’objet d’un DPI, où figure également l’hémophilie – affection qui n’empêche pas une vie digne d’être vécue. Je ne sais pas si le législateur peut entrer dans ce type de débats, mais je trouve que confier ces définitions aux praticiens sous la pression de demandes extensives conduit à des dérives sans véritables limites.

Face à une Grande-Bretagne placée à l’avant-garde scientifique et technique de la procréation humaine et animale, je ne vois pas comment les positions de la France pourraient l’emporter. Les dérives sont unidirectionnelles – elles vont toujours dans le sens d’une plus grande permissivité – et elles sont irréversibles. L’éthique est soluble dans le temps ! Avant la fin du siècle, dans les pays développés, le DPI sera généralisé et les géniteurs qui n’y auront pas recours – ceux qui auront choisi de faire des enfants dans leur lit, à la façon de leurs parents obscurantistes – seront placés devant leurs responsabilités et culpabilisés, voire mis à l’amende.

En quoi la loi encadre-t-elle aujourd’hui le DPI ? Le législateur n’avait pas envisagé d’inclure les maladies qui « risquent » de survenir. Ce sont les praticiens qui lui ont forcé la main : aujourd’hui, le rapport de Mme Dominique Stoppa-Lyonnet affirme que la recherche de facteurs de risques est justifiée et qu’elle entre dans le cadre de la loi. Certes, le DPI ne concerne que les maladies « particulièrement graves », mais l’interprétation de cette notion est laissée aux praticiens, le législateur s’étant déchargé de sa responsabilité en étendant au DPI la compétence des conseils pluridisciplinaires prévus pour le DPN.

Pour résister à l’eugénisme du DPI, il existe trois solutions. La première consisterait à limiter, comme le font les Suisses, le nombre d’ovocytes mis en fécondation in vitro. Or le DPI ne peut pas être extensif s’il est réalisé sur deux ou trois embryons seulement. Cette solution, apparemment défavorable au succès de la FIV pour tous les couples stériles, est donc difficilement acceptable.

La deuxième solution serait d’établir une liste des pathologies susceptibles d’être recherchées dans le cadre d’un DPI. Je rappelle que les nazis ont dressé des listes des « tares », comme les Japonais après-guerre et les Chinois dans les années 1990. Le seul pays qui ait constitué une liste de ce type pour le DPI – de façon fort discrète – est, à ce jour, la Grande-Bretagne. On peut trouver les quelque 65 pathologies sur le site Internet de la Haute autorité chargée de la régulation des activités d'assistance médicale à la procréation et à la recherche en embryologie (HFEA). Cette solution heurte le respect que l’on doit aux personnes malades. De plus, ces listes ne peuvent être qu’extensibles. Cela pose enfin une question fondamentale : qui définit cette liste ? Est-ce que les praticiens doivent décider seuls ?

La troisième solution consisterait à limiter la détection à une seule pathologie génétique, sans compter les aneuploïdies (nombre anormal de chromosomes). Elle présenterait l’avantage d’éviter l’uniformisation et l’inflation des demandes. Cette proposition, que j’ai formulée en 1999, m’a valu d’être traité d’« Ayatollah » par certains de mes collègues. Je crois pourtant qu’elle permettrait à l’éthique d’aller, pour une fois, plus vite que la science et de lutter contre une permissivité à l’œuvre au-delà de nos frontières.

M. le président. Pensez-vous qu’il y ait eu des dérives dans les centres français de DPI ?

M. Jacques Testart. Je pense effectivement que la recherche des risques de cancer proposée par le centre de Strasbourg constitue une dérive. Elle est pour le moment circonscrite en raison des obstacles pratiques. Mais lorsque la technique permettra d’éviter les aléas de l’assistance médicale à la procréation, il y aura la queue devant les hôpitaux et notre loi ne pourra résister. Il faut légiférer dans la sérénité et ne pas attendre d’être placé sous la pression de ces nouvelles techniques.

M. le président. L’une des missions des États généraux de la bioéthique pourrait-elle être d’établir une liste de pathologies ?

M. Jacques Testart. Tout dépend de la façon dont les conférences de citoyens seront intégrées aux États généraux. La fondation Sciences citoyennes, dont je suis secrétaire, a proposé récemment de codifier l’organisation des conférences de citoyens. Nous estimons que les citoyens doivent être formés sur une longue période, afin qu’ils soient en mesure de produire des avis éclairés. Ces avis, qui ne doivent pas être interprétés par un rapporteur étranger, doivent être pris en compte par le Parlement et discutés dans la transparence. Cela dit, je ne trouve pas opportun d’établir des listes, contraires à la dignité des malades.

Il ne faut pas abandonner la régulation éthique aux praticiens, en leur abandonnant une trop grande marge d’interprétation de la loi. L’importance donnée à l’Agence de la biomédecine, gestionnaire technique proche des praticiens, a contribué à marginaliser le rôle du Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Cela est regrettable puisque c’est cet organisme qui, au plan international, a produit les avis les plus divers et les plus intéressants d’un point de vue anthropologique, historique et philosophique.

Gardons à l’esprit que ce qui convient à la satisfaction des besoins personnels n’est pas forcément ce qui convient à la survie de l’humanité et au respect des règles de civilisation. C’est pourquoi il faudra envisager de balancer entre les droits de l’homme et les droits de l’humanité. Ainsi, le DPI pourrait donner le droit à tous les couples de concevoir un enfant prétendument « normal », alors que l’humanité a intérêt à la diversité et à l’altérité. Ce n’est pas de la science-fiction que d’affirmer que, d’içi quelques siècles, nous aurons, grâce au DPI, dirigé notre propre évolution en choisissant les caractères génétiques adéquats, mais selon des critères nécessairement arbitraires et réductionnistes. Il est à noter que l’alliance de la GPA avec un DPI sans les épreuves de la FIV (par maturation in vitro des ovocytes) permettrait de s’affranchir simultanément de toutes les vicissitudes de la procréation : entre un seul prélèvement ovarien bénin et sans médication et la livraison de l’enfant contrôlé, le couple n’aurait rien « à souffrir »…

Enfin, je ne vois pas comment une loi française serait tenable. Il faut viser une éthique européenne, à défaut d’une éthique mondiale. Pourquoi mettre en avant le DPI, par rapport à d’autres thèmes sur lesquels vous êtes amenés à vous pencher, comme la gestation pour autrui (GPA) ou le clonage ? Parce que c’est la seule technologie susceptible de concerner tout le monde. À ce titre, le DPI constitue un défi unique pour la bioéthique.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Au travers de cet exposé riche, vous avez laissé entrevoir ce qu’Edgar Morin appelle la « barbarie civilisée ». Vos références à des expériences passées montrent les risques qui peuvent peser sur notre société et notre culture. Néanmoins, les trois solutions que vous proposez – vous ne vous en êtes pas caché – ne me semblent pas très satisfaisantes.

Une liste des pathologies présente l’inconvénient de stigmatiser les personnes malades – je crois d’ailleurs que la position du président Alain Claeys a évolué sur ce sujet ; en outre, elle sera toujours incomplète ou trop longue, ce qui nous renvoie à notre questionnement permanent : faut-il une loi générale, laissant les praticiens l’interpréter à leur gré, ou une loi précise, dont l’esprit tatillon contraindrait les chercheurs et les praticiens et les empêcherait de travailler dans la sérénité ? Si la loi est trop directive, si parmi les pathologies que doit rechercher le DPI figure la mucoviscidose et pas la maladie de Strümpell-Lorrain, les souffrances, ressenties de manière équivalente par les uns et les autres, seront rejetées de part et d’autre d’une frontière fictive.

L’idée de ne retenir qu’un embryon et de laisser ainsi jouer le hasard n’est pas davantage satisfaisante dans le cadre d’une technique dont le but est d’empêcher qu’une pathologie majeure survienne. Quant à diminuer simplement leur nombre, en obligeant à choisir entre deux possibilités, de quelle solution disposera-t-on si l’on trouve une pathologie dans les deux embryons, sinon celle de demander à la mère de renoncer à une grossesse que l’on aurait pu espérer normale si l’on avait multiplié les embryons ? Le mieux étant l’ennemi du bien, la situation actuelle paraît moins dangereuse.

Les trois centres français de DPI visent bien la détection des pathologies graves et leur pratique ne correspond pas, autant sur le plan technique que financier, à un eugénisme de masse. Cette évolution étant peu probable, pensez-vous qu’il faille prendre des mesures et limiter le DPI dans les cinq ou dix ans à venir, alors même que ces centres demandent davantage de moyens ?

Le comité de pilotage des États généraux – dont Suzanne Rameix et Marie-Thérèse Hermange ici présentes font partie – a prévu que, conformément à une idée de Noël Mamère, les panels de citoyens, qui auront reçu une formation de deux fois quarante-huit heures, feraient des propositions. Cependant, croyez-vous que l’on puisse demander à ces personnes de dresser une liste de pathologies ? Le débat ne doit-il pas plutôt porter sur de grandes thématiques ? J’avoue ma réticence à cette idée.

M. Noël Mamère. Jacques Testart a bien montré que la réflexion sur le DPI nous amenait à nous questionner non seulement sur l’avenir de l’espèce humaine mais aussi sur son évolution : Lamarck, qui y voyait un grand dessein, l’emportera-t-il sur Darwin, qui ne l’expliquait que par le hasard ? La société a le pouvoir de construire des barrages éthiques qui endiguent les évolutions de la science, même s’il existe toujours un décalage. Pour autant, le législateur a-t-il le pouvoir de déterminer quelles sont les pathologies concernées par le DPI ?

Je remercie Jean Leonetti d’avoir introduit la notion de conférence de citoyens dans l’organisation des États généraux. Sous son influence, un compromis a été trouvé. Mais une véritable conférence de citoyens exigerait une formation beaucoup plus approfondie du panel, afin que celui-ci puisse émettre un avis qui devienne la base de discussion des parlementaires.

Comme pour d’autres innovations technologiques, nous sommes confrontés à la question suivante : doit-on laisser aux praticiens, aux experts, voire aux lobbies financiers, le pouvoir de décider à notre place de ce que nous mangerons ou de ce que nous serons, ou est-ce à la société de décider dans son ensemble, grâce aux outils démocratiques dont elle dispose, en fonction d’une nécessité qui ne soit ni celle de la science ni celle du marché ?

Jacques Testart a dénoncé les amalgames que crée la loi actuelle entre le DPI et le DPN. Je suis convaincu qu’il existe des différences fondamentales, mais comment parviendrons-nous à sortir de cette ambiguïté ? Par ailleurs, la pratique de l’équipe de Strasbourg laisse craindre des dérives.

M. le président. Il n’y a pas de dérive. Je rappelle que les centres de DPI sont encadrés par l’Agence de la biomédecine.

M. Noël Mamère. Jacques Testart a pourtant montré que la recherche des risques de cancer représentait une dérive.

D’un point de vue philosophique, il est frappant de constater que la construction de normes, ici dans le secteur scientifique, là dans le secteur social – comme l’a démontré Laurent Mucchielli – conduit à des politiques de lutte contre la déviance et risque de déboucher sur une société totalitaire, peu éloignée des fictions d’Orwell ou de Huxley. Par ailleurs, je souhaiterais que notre mission entende les philosophes qui réfléchissent au posthumanisme, comme Jean-Michel Besnier, dont l’ouvrage Demain les posthumains. Le futur a-t-il encore besoin de nous ? fournit un certain nombre de clés pour la réflexion sur le DPI.

Enfin, Jacques Testart a souligné avec raison que, malgré nos lois, nous risquons d’être vite dépassés par les pratiques scientifiques à l’œuvre en Belgique, en Grande-Bretagne ou en Espagne.

M. Michel Vaxès. La dérive que constituerait une généralisation du DPI est envisageable. Mais quelle est sa probabilité ? Alors que ce problème n’est pas encore posé, le législateur doit-il limiter une technique dont l’objectif est de permettre aux couples d’avoir des enfants ne souffrant pas de pathologies graves ?

M. Xavier Breton. Je vous remercie pour vos propos vivifiants, qui ne manqueront pas d’inciter les politiques à reprendre la main sur les praticiens. Considérez-vous que les procédures d’évaluation et de contrôle de la mise en œuvre de la loi actuelle sont suffisantes ou faut-il selon vous envisager un niveau supplémentaire, afin d’éviter tout risque de dérive ? Doit-on concevoir une loi-cadre ou une loi détaillée, qui serait régulièrement révisée ?

Mme Marie-Thérèse Hermange, sénatrice, membre du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. Noël Mamère a parlé de la norme. Nous sommes ici les représentants de l’opinion et je pense à ce que Gaston Bachelard écrivait : « la science, dans son besoin d’achèvement comme dans son principe, s’oppose absolument à l’opinion… si bien que l’opinion a, en droit, toujours tort. » Un autre philosophe, lui aussi physicien, remarquait que la norme devait être occulte pour rester incomprise et que lorsqu’elle explosait, il convenait de changer de paradigme. C’est ce que l’on observe avec l’histoire de la recherche qui a voulu travailler sur l’embryon, puis avec les cellules de l’embryon, avant de se tourner vers les iPS. Pourquoi cette idéologie de l’embryon, alors que les paradigmes mis en avant ne sont pas viables ?

Vous nous avez démontré que la conjonction de deux évolutions techniques – l’une concernant la viabilité de l’embryon, l’autre la possibilité de rechercher à grande échelle les pathologies – pouvait déboucher sur une dérive majeure. Va-t-on ou non vers un eugénisme de convenance ?

M. Jacques Testart. M. Leonetti a bien noté qu’aucune des solutions envisagées ne me paraît satisfaisante. Mais la moins mauvaise est celle que j’ai proposée il y a dix ans. Il s’agit, non pas de retenir un seul embryon, mais de ne rechercher qu’une pathologie dans les embryons produits, quel que soit leur nombre, afin de maintenir l’altérité dont est porteuse l’espèce humaine, et ce serait le couple qui déciderait de cette pathologie – et pourquoi pas le strabisme ? – en fonction de ce qu’il estimerait être le plus important pour sa famille ou descendance.

M. le rapporteur. Cette pathologie serait-elle choisie selon sa prévalence et le risque maximum du couple ?

M. Jacques Testart. Non, ce serait donner aux praticiens un grand pouvoir. Il reviendrait au couple de décider de la pathologie recherchée en fonction de ce qu’il estimerait le plus important, compte-tenu bien sûr de sa propre histoire familiale.

M. le rapporteur. Le risque pathologique entrerait alors en ligne de compte.

M. Jacques Testart. C’est une notion très subjective. Il est possible qu’un hémophile préfère que son enfant ne soit pas atteint de strabisme, puisqu’il existe des traitements contre l’hémophilie.

M. le rapporteur. Cela peut aller à l’encontre des choix de la société, qui décide aussi de la norme. Nous avons récemment vu le cas de parents sourds-muets qui souhaitaient que leur enfant soit sourd-muet. Si votre solution devait être retenue, un couple pourrait choisir de rechercher le strabisme plutôt que la mucoviscidose.

M. Jacques Testart. Vous avez raison, mais il importe de rappeler que ce n’est pas aux praticiens de décider. Les choix parentaux, dans le cadre de la loi, sont déterminants. Le cas de ces parents sourds-muets est passionnant, car ce sont des personnes qui revendiquent un droit à la différence, qui conçoivent même leur handicap comme un avantage. C’est à la société de mieux les accueillir et de ne pas les considérer comme des handicapés ; c’est à ce compte que nous lutterons contre la normalisation.

Je suis pessimiste car que je ne pense pas que la France – malgré la qualité de la réflexion menée – pourra maintenir durablement son isolement. L’économie est mondialisée, comment l’éthique ne le serait-elle pas ? Les pays les plus permissifs n’accepteront pas de revenir en arrière. Nous ne pourrons faire valoir un point de vue qui aille à l’encontre des règles que se sont fixés les Britanniques, par exemple. Il y a un effet de contamination et de nivellement qui nous oblige à l’urgence.

M. le président. Nous serons d’autant plus forts pour mener des actions au niveau européen que nous disposerons d’une loi nationale claire. La France, conjointement avec l’Allemagne, a mené un certain nombre d’offensives sur la question du clonage reproductif. Celles-ci n’ont pas abouti car certains ont profité de notre demande de condamnation pour assimiler clonage reproductif et clonage thérapeutique.

M. le rapporteur. Faut-il s’aligner sur le moins-disant éthique ou, au contraire, poser une contre-norme européenne à l’encontre des pays trop libéraux dans ce domaine ?

M. Jacques Testart. Il nous faut une loi claire, qui, s’agissant du DPI, constitue un signal d’alarme. Nous devons marquer le coup, assumer nos positions, avoir l’audace de croire à ce que nous disons.

M. le président. Rappelons cependant que cela n’est pas un domaine de compétence de l’Europe. Il n’y a par conséquent pas de champ politique où nous puissions exercer notre influence au niveau communautaire. La seule fois où nous avons pu le faire, c’est lorsqu’il s’est agi de financer, sur des fonds communautaires, la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

M. Jacques Testart. Il y a quand même des comités d’éthique européens. Par ailleurs, je n’ai jamais dit que les trois centres français de DPI pratiquaient un eugénisme de masse. En revanche, j’estime que le fait de rechercher des risques de cancer constitue une dérive, malgré la meilleure volonté des praticiens. Le fait de travailler sous la pression des parents ne permet pas toujours de voir les conséquences des décisions qui peuvent être prises.

La loi doit-elle prendre en compte le péril que j’ai évoqué et à quel horizon ? Il n’est pas impossible que la technique de culture des ovocytes immatures soit maîtrisée prochainement. Lorsque le DPI sera sans épreuve et omnicompétent, nous nous trouverons démunis. C’est la raison pour laquelle il nous faut nous préparer.

S’agissant des États généraux, l’information des citoyens est une bonne chose, mais elle ne doit pas être concentrée dans le temps. Au contraire, il faut étaler les périodes de formation afin de donner aux personnes le temps de mûrir leur réflexion. Il est important que ce soit les panels qui rédigent les avis et que ceux-ci soient pris en compte par le Parlement.

Je ne suis pas favorable à la constitution d’une liste de pathologies, mais si cette solution devait être retenue, il reviendrait aux citoyens de contribuer effectivement à son élaboration. Les praticiens peuvent documenter la gravité des pathologies et les échelles de classement. Tout le débat est de savoir où cette liste s’arrête. Or je pense que des personnes ordinaires, correctement formées, ont toute compétence pour le faire.

M. le président. Il est prévu que la mission d’information terminera ses travaux après la conclusion des États généraux, qui auront leur propre rapporteur.

Mme Suzanne Rameix. Nous suivrons la méthodologie classiquement appliquée aux conférences de citoyens ; d’ailleurs, le prestataire retenu a déjà organisé plusieurs conférences de ce type. Au lendemain de la tenue des trois différents forums, ce sont bien les citoyens qui, à huis clos, rédigeront les avis respectifs.

M. Jacques Testart. Même au Danemark, pays qui a inventé le concept il y a vingt ans, il n’existe pas de définition précise des conférences de citoyens. La seule définition que vous pouvez trouver figure dans la proposition de loi qu’a rédigée la fondation France citoyenne. Il est regrettable que le Parlement ne s’en soit pas encore emparé.

Dans cette proposition, le programme de formation des citoyens est élaboré consensuellement par un comité de pilotage comptant les représentants des différentes positions exprimées. C’est ainsi qu’est recherchée l’objectivité de la formation.

M. Noël Mamère. La première conférence de citoyens a en effet eu lieu au Danemark en 1989. L’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a importé le concept à l’occasion du débat sur les organismes génétiquement modifiés (OGM) mais l’a complètement détourné, puisque le rapporteur a émis un avis tout à fait contraire à celui des citoyens, ce qui a débouché sur la loi que l’on sait.

Tant qu’existera un vide juridique, concernant notamment la composition des panels ou la formation des citoyens –, ce que vous proposez, madame, ne correspondra pas aux normes. Je suis d’accord avec Jacques Testart, l’esprit de la conférence des citoyens veut que le rapporteur soit issu du panel. Mais comme il s’agit ici d’un compromis, il est politiquement impossible que les citoyens se substituent au rapporteur nommé pour les États généraux.

Mme Marie-Thérèse Hermange. Députée européenne à l’époque, j’ai participé à la mission d’information qui, dans le cadre du débat sur le clonage thérapeutique et le clonage reproductif, a donné lieu à une proposition de résolution qui, fait exceptionnel, n’a pas été adoptée, ayant reçu le même nombre de voix pour et de voix contre. C’est dire les positions d’alors. Elles risquent aujourd’hui d’être réactivées à l’occasion du débat sur la politique du médicament.

Mme Suzanne Rameix. Les forums citoyens sont des outils dans le cadre des États généraux. Ceux-ci ont un rapporteur, qui travaillera à partir des avis émis par les forums, mais aussi des différentes contributions et des débats organisés en province. Nous tentons de nous rapprocher au plus près de la méthodologie classique.

M. Noël Mamère. Un cadre législatif aurait permis à cet outil éminemment démocratique de jouer tout son rôle.

M. le président. Il est vrai que ces États généraux sont à la fois contraints par le temps et par l’absence de cadre législatif.

M. Michel Vaxès. Si la probabilité d’une pathologie grave constitue un critère légitime de DPI, peut-on pour autant considérer que le désir d’un caractère singulier – de convenance – est illégitime, puisque porteur de dérives ?

M. Jacques Testart. Il est très difficile de faire la part des choses. Qui peut juger de la gravité ? Les personnes qui ont obtenu la détection du strabisme souffraient d’une forme très grave de strabisme génétique qui les avait laissées défigurées après de nombreuses opérations.

Grâce à la génomique et à l’épidémiologie, il sera de plus en plus facile de mettre en évidence, par des corrélations, la probabilité de pathologies, même si on continue d’ignorer les mécanismes de leur genèse. Le DPI sera donc plus souvent proposé. Pour le diagnostic prénatal (DPN), l’état de grossesse et l’acte d’avortement constituent des garde-fous. Pour le DPI, la lourdeur de la fécondation in vitro et le nombre faible d’embryons obtenus constituent pour l’instant des garde-fous. Mais ceux-ci disparaîtront avec la mise en œuvre de nouvelles techniques. Si nous ne faisons rien, la science, une fois de plus, sera allée plus vite que l’éthique.

S’agissant du contrôle de la mise en œuvre de la loi, je me bats depuis des années pour que les pratiques et les résultats des centres d’AMP soient publiés de manière transparente. Les praticiens en avaient accepté le principe, à condition de mettre en évidence un certain nombre de critères propres à chaque équipe, comme l’âge moyen des patients ou le nombre moyen d’embryons transférés. Mais alors que l’Agence de la biomédecine a donné son accord et dispose de toutes les informatinos, il n’existe toujours pas de bilans individualisés. Si bien que, par exemple, des centres continuent d’exercer certaines pratiques, comme la congélation d’embryons, sans obtenir de résultats, mais les patients n’en sont pas informés.

Audition de Mme Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ,
professeur émérite de droit à l’université Lille 2



(Procès-verbal de la séance du 18 mars 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous sommes heureux d’accueillir Mme Françoise Dekeuwer-Defossez, professeure émérite de droit privé à l’université Montesquieu Lille 2.

Madame la professeure, vous êtes l’auteure de nombreuses publications portant sur le droit de la famille, et vous avez présidé, en 1999, la Commission de réforme du droit de la famille. Vos travaux ont porté, en particulier, sur les droits de l’enfant.

Dans le domaine bioéthique, la question de l’enfant est paradoxale. Bien qu’étant au centre des problèmes, notamment en matière d’aide médicale à la procréation, l’intérêt de l’enfant paraît s’effacer devant les désirs des parents. Ne conviendrait-il pas pourtant de se pencher sur l’intérêt supérieur de l’enfant en cas de fécondation post mortem, de gestation pour autrui, de naissance au sein d’une famille monoparentale, voire de levée de l’anonymat des donneurs de gamète ?

Si l’interdiction de la gestation pour autrui est maintenue, que deviendront les enfants nés à la suite de cette pratique ? Nous recensons aujourd’hui une quinzaine de cas qui posent problème.

Mme Françoise Dekeuwer-Defossez. Il est un peu difficile à un juriste spécialisé dans le droit de la famille de s’exprimer sur ces questions, dans la mesure où il n’a pas, contrairement au spécialiste de droit médical, vocation à répondre à une demande thérapeutique. Le spécialiste du droit de la famille est confronté à des situations qu’il lui appartient d’organiser sachant que la finalité du droit de la filiation n’est pas de prendre acte de certaines pratiques, mais de donner sens à une société au moyen des normes juridiques. Mes propos vont sans doute vous surprendre, peut-être même vous choquer, dans la mesure où ils ne s’inscrivent pas dans une logique médicale, mais dans une logique généalogique.

Avant de répondre à des questions plus techniques, je voudrais vous faire part de quelques remarques générales axées autour de deux éléments : le droit des personnes et le droit de la famille.

Les droits de la personne et de l’enfant sont des droits fondamentaux. En matière d’assistance médicale à la procréation, l’enfant, pourtant le premier concerné, est le grand oublié de nos réflexions et de notre législation. Ce sont toujours les parents qui demandent à une équipe médicale de leur donner un enfant, et celui-ci ne pourra que subir les conséquences de cette décision. C’est la même chose pour tout acte de procréation, mais en cas d’assistance médicale, le fait de donner la vie est le fruit d’une volonté. Donner délibérément la vie à un enfant sourd-muet, par exemple, est une décision lourde de conséquences.

Dans ce domaine, les parents et les équipes médicales ont parfois été tentés d’adopter des pratiques qui ne sont pas forcément sans risques pour l’enfant. Une certaine inconscience semble même régner quant aux conséquences juridiques de certaines de ces pratiques. J’ai notamment lu à propos de l’injection intracytoplasmique de spermatozoïdes (ICSI) des choses très inquiétantes : les médecins ne peuvent affirmer que les enfants nés d’une ICSI ne seront pas stériles, mais ils préviennent les parents et les laissent prendre seuls leurs responsabilités. Je trouve cette attitude quelque peu légère. Les juristes ne devront pas être surpris si, un jour, les enfants issus d’une ISCI, se découvrant stériles, agissent en responsabilité contre les médecins et l’État. On se gargarise d’appliquer le principe de précaution pour des antennes relais dont la nocivité n’est pas démontrée, mais on accepte une pratique médicale qui donne des taux de malformations néonatales supérieurs à la moyenne.

Le juriste est également alerté par la culture de l’anonymat. D’origine médicale, l’anonymat arrange bien les parents, mais il se révélera de plus en plus insupportable pour les enfants. Ceux-ci ont créé un certain nombre d’associations, mais leurs revendications ont une faible portée car, à l’heure actuelle, la plupart des enfants nés d’une assistance médicale à la procréation ne le savent pas. Un jour viendra où ils seront nombreux à le savoir, et ce jour-là ils demanderont des comptes aux adultes. Que se passera-t-il alors ?

Ne serait-ce qu’à titre symbolique, il serait peut-être utile d’écrire dans les textes relatifs à l’assistance médicale à la procréation que seule la recherche de l’intérêt supérieur de l’enfant doit guider les pratiques en la matière.

Les droits de l’enfant sont désormais bien connus, puisqu’ils ont été définis en 1989 dans la Convention internationale des droits de l’enfant. Mais l’assistance médicale à la procréation les bafoue sur deux points : le droit d’avoir une identité et celui d’avoir deux parents. Les droits de l’enfant faisant partie des droits fondamentaux, ce n’est pas ici que je rappellerai que les lois bioéthiques se doivent de respecter ce principe cardinal qu’est la dignité humaine. Or, celle-ci est toujours menacée, notamment par l’exploitation économique. Les dérives mercantiles et les risques de marchandisation du corps sont désormais connus, et l’esclavage procréatif n’est malheureusement pas de la science-fiction. En témoigne la situation de ces femmes indiennes que la nécessité économique contraint à porter un bébé pour autrui. Osons le dire, il s’agit bien d’une forme d’esclavage, qui existerait aussi dans notre pays si la gestation pour autrui n’y était pas interdite.

Dans un tel contexte, le fait qu’il y ait eu consentement n’est pas suffisant, car ce qui caractérise l’atteinte à la dignité humaine, c’est que bien souvent, pour des raisons économiques, les personnes qui en sont victimes l’ont acceptée. Cela a été mis en lumière par une célèbre décision du Conseil d’État sur le « lancer de nains ». Les personnes fragiles, tant sur le plan économique que médical, sont prêtes à tout accepter, comme le sont aussi les personnes animées par un violent désir d’enfant.

Nous devons être très vigilants et préserver notre société de toute atteinte à la dignité humaine, sous quelque forme qu’elle se manifeste. Il est vrai qu’à chaque fois que l’on refuse le bénéfice de telle ou telle pratique, certains y voient une discrimination et entretiennent une polémique autour de ce refus. Il faut donc vérifier toute allégation de discrimination car il ne suffit pas de baptiser tel ou tel comportement comme étant discriminatoire pour que la discrimination existe réellement.

En matière d’assistance médicale à la procréation, les couples ressentent certaines décisions comme une discrimination, en particulier lorsqu’elles sont fondées sur leur âge. Ce n’est pourtant pas une discrimination mais une sage précaution que d’éviter à un enfant de dix-sept ans d’avoir une mère de quatre-vingts ans ! Notre réflexion doit aller au-delà de nos sentiments, car la dignité humaine n’est pas une question de ressenti. La législation et les juridictions doivent fixer des limites indispensables pour protéger l’humanité. L’eugénisme, notamment, pourrait porter atteinte à la dignité humaine.

J’en viens au droit de la famille, des couples et de la filiation. Si nous restons dans le cadre du droit des couples, peu de modifications s’imposent – sauf, peut-être, la suppression de l’obligation de deux ans de concubinage, qui ne signifie pas grand-chose. Tant que la filiation obéit à une logique de thérapeutique des couples, nous conservons la référence à la conjugalité et la volonté de donner un enfant à deux parents. C’est un cadre solide, mais qui n’est pas forcément conforme ni à ce qui se pratique à l’étranger, ni à ce qui est souhaité en France.

Certes, interdire l’accès à l’AMP pour les femmes célibataires et l’admettre pour les couples de concubins est, du point de vue du droit des femmes, très contestable. On peut concevoir le refus de procéder à une insémination artificielle chez une femme au motif qu’elle n’a pas de mari, mais pas au motif qu’elle n’a pas de concubin, car le concubinage n’a aucune portée juridique. D’ailleurs, n’importe quel partenaire pourrait jouer ce rôle.

Faut-il alors accepter l’insémination artificielle pour les femmes célibataires ? Si nous sortons du droit des couples, nous entrons dans un autre monde et nous perdons les repères qui nous permettent de fixer des normes. En quoi la demande d’une femme célibataire serait-elle plus juste que celle d’une veuve, ou que celle d’une femme homosexuelle vivant en couple ? Quant aux critères qu’il conviendra d’adopter pour classer les demandes, je n’en vois personnellement aucun, ce qui signifie que tous les cas seront acceptés. Mais, dans ces conditions, serons-nous contraints, par respect du principe de non-discrimination à l’égard des femmes célibataires, d’accepter le recours à la maternité pour autrui pour les couples homosexuels masculins ?

Ces questions ne sont pas simples. Notre référence actuelle, qui réserve l’AMP aux couples stériles, peut sembler contestable, voire dépassée, mais elle a le mérite d’être logique, comprise par tous, et de poser des bornes. Or, comme dit l’adage, lorsque les bornes sont dépassées, il n’y a plus de limites… Et je ne vois pas sur quels critères juridiques nous pourrions les fixer.

Sur le plan du droit de la filiation, les choses se sont plutôt bien passées, car l’irruption des techniques de procréation médicalement assistée dans le droit de la filiation, qui pourtant n’avait pas été conçu pour elles, n’a entraîné aucune catastrophe notable, certes au prix d’une certaine hypocrisie. Si la filiation paternelle est verrouillée dans notre droit, rien n’empêche, en pratique, celui qui n’en est pas le père de contester la paternité de l’enfant – il suffit simplement que les deux parents décident de ne pas parler au juge de l’AMP. Pour ma part, j’ai la faiblesse de penser que ce n’est pas très grave.

Dans notre pays, certaines difficultés juridiques liées à l’évolution de la filiation sont volontairement ignorées. Pour autant, il est certain que nous serons condamnés par la Cour européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg pour notre refus des expertises génétiques post mortem. L’arrêt Jäggi contre Suisse du 13 juillet 2006 l’a démontré : la Cour européenne considère que la paix des morts ne doit pas empêcher les recherches en matière de filiation des vivants. Quand serons-nous condamnés ? Lorsque des personnes, déboutées par la Cour de cassation, auront le courage, l’énergie et les fonds nécessaires pour porter l’affaire devant la Cour de Strasbourg.

L’évolution de la filiation nous conduit à répondre à deux questions redoutables : les transplantations d’embryons post mortem et la maternité de substitution.

En matière de transplantation post mortem, le fait de rattacher l’enfant à son père décédé ne poserait aucun problème d’ordre juridique, mais il aurait des implications sur le statut de l’embryon congelé. Ne serait-elle établie que six mois après un décès, la filiation serait nécessairement rétroactive : elle ne pourrait donc être établie que si l’embryon congelé avait vocation à être l’enfant de cet homme. Je vous laisse imaginer les polémiques que pourrait entraîner une telle situation…

En matière de maternité de substitution, ma position a évolué dans un sens négatif. La question n’est pas nouvelle puisque dans un arrêt de 1991, la Cour de cassation l’avait interdite. On peut imaginer, à l’instar des conclusions d’un groupe de travail du Sénat, un régime juridique semblable à celui de la Grèce : celui-ci permet le recours à la maternité de substitution, mais dans un cadre thérapeutique et sous réserve d’un accompagnement médical, psychologique et juridique. Il me semble évident qu’un tel cadre, qui ne pourrait être que rigoureux, compte tenu de la forte volonté dont font preuve les couples, ne supprimerait pas le tourisme procréatif. Son seul avantage serait de légitimer plus encore la rigueur dont nous serions obligés de faire preuve à l’égard de ceux qui iraient acheter un bébé en Californie ou en Inde. Le jeu en vaut-il la chandelle ? Je n’en suis pas persuadée. Et ne nous faisons pas d’illusion, ce cadre ne supprimerait pas les cas comme celui qui a donné lieu à un arrêt de la Cour de cassation en décembre dernier. En effet, les personnes disposant d’importants moyens financiers préféreront toujours effectuer un voyage de courte durée à l’étranger plutôt que de se soumettre au parcours médico-juridique qui serait mis en place en France.

S’agissant des dons d’ovocytes et d’embryons, les problèmes ne sont pas tant législatifs qu’administratifs. Les Français font peu de dons, car notre législation est rigoureuse. Les consentements réitérés et le passage devant le juge dissuadent les couples, et les délais de traitement des demandes sont trop longs. Si la maternité de substitution était légalisée, les mêmes problèmes se poseraient : comment trouver les mères porteuses ? Si elles ne sont pas rémunérées, il y aura assez peu de candidates, sauf dans le cadre de relations familiales ou amicales. Or, c’est précisément cette situation qui présente un danger psychologique.

Je rappelle que le dispositif français repose sur deux dogmes : l’anonymat et l’interdiction de tout lien direct entre la famille adoptive et celle de l’enfant adopté. Pour garantir l’éthique de ces pratiques, l’offre et la demande ne doivent en aucun cas se rencontrer. Or, la maternité de substitution fait éclater cet anonymat, mettant en relation directe les protagonistes de la fourniture et de l’achat d’un enfant. Certes, nous pouvons interdire la rémunération, tout au moins la limiter - j’ai lu récemment dans un rapport de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques que des femmes se présentaient avec une donneuse d’ovules qui se trouvait être leur femme de ménage ! Je ne pense pas qu’il soit judicieux de favoriser une telle pratique. Or, nous ne pourrons l’éviter si nous autorisons la maternité de substitution. Ce serait dommage, car la France peut se targuer d’avoir su, jusqu’à présent, éviter cette dérive tant pour les dons d’ovules – bien que nous glissions actuellement sur la mauvaise pente – que pour les dons de sperme, ainsi qu’en matière d’adoption.

La France est attachée au principe de l’anonymat, et il me paraît difficilement envisageable de distinguer juridiquement la maternité de substitution des autres secteurs de la bioéthique. Il y aura nécessairement un phénomène de contagion. Pourrons-nous refuser une entente directe entre une mère qui abandonne son enfant et la famille adoptive de l’enfant, si cette entente est non seulement acceptée, mais organisée pour la maternité de substitution ? Est-il concevable d’avoir le droit de commander un enfant sur mesure, mais pas celui de rencontrer la personne qui fournit un enfant déjà né ? Cette situation est-elle tenable ? Permettez-moi d’en douter.

Que recouvre enfin la notion de filiation ? Je suis frappée d’entendre les glissements qui émaillent les discours des uns et des autres. On cite souvent le cas douloureux des femmes qui ont des ovocytes mais ne peuvent pas porter d’enfant. Or, il est extrêmement rare que la maternité de substitution utilise l’ovule de la femme qui commande l’enfant. Le plus souvent, elle est réalisée à partir des ovules d’une autre femme – ce sont parfois ceux de la mère gestatrice, mais c’est une situation qu’il faut éviter car elle risque de s’attacher à l’enfant. La maternité de substitution repose, dans la plupart des cas, sur les apports génétiques de deux femmes – l’une donnant ses ovules, l’autre portant l’enfant – le bébé étant récupéré par une troisième femme. Celle-ci, en l’état actuel des choses – j’insiste sur ce point – l’a acheté.

M. Jean Leonetti, rapporteur. L’anonymat des donneurs de gamètes est-il en contradiction, dans le droit français et européen, avec le droit des enfants à connaître leurs origines ? Pensez-vous qu’il soit opportun de lever un interdit qui est l’un des éléments majeurs des lois de bioéthique ?

Si nous levons l’anonymat, le donneur doit accepter que l’enfant né de ce don souhaite un jour le rencontrer – ce qui peut satisfaire certains donneurs, mais sans doute pas la totalité d’entre eux.

En matière de gestation pour autrui, vous nous avez dépeint, madame, les difficultés que nous rencontrerons si nous abandonnons l’anonymat et la gratuité. Mais s’il existe un lien familial ou un impératif médical spécifique, y êtes-vous toujours défavorable ?

Mme Marie-Thérèse Hermange, sénatrice, membre du Comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. Si la gestation pour autrui était légalisée, le principe Mater semper certa est serait-il encore viable dans notre droit ? S’il était maintenu, cela ne reviendrait-il pas à légaliser l’abandon d’enfant ?

Monsieur le rapporteur, dans le cadre des travaux de l’Académie de médecine, nous avons auditionné un couple qui avait eu recours à la gestation pour autrui, ainsi que la mère porteuse. Cette dernière, suite à l’accouchement, a subi une ablation de l’utérus. Chaque situation contient sa part de complications judiciaires.

M. Xavier Breton. La notion de projet parental est récente dans notre droit. Y a-t-il eu des études sur cette notion et sur son impact en matière de droit des couples et de filiation ?

Mme Françoise Dekeuwer-Defossez. La notion de projet parental n’est pas très bien cernée dans notre droit. Elle n’est utilisée que pour l’assistance médicale à la procréation, bien que son emprise soit beaucoup plus large.

J’ai été frappée par les commentaires que j’ai entendus sur les enfants morts-nés et les « actes d’enfant sans vie ». Ces fœtus, je le rappelle, ne sont inscrits sur le livret de famille que si les parents le demandent. On a le sentiment que la nature juridique de l’embryon dépend du regard qui sera porté sur lui. En effet, celui qui est conçu pour donner naissance à un enfant n’est pas le même objet de droit que celui qui, demain, sera fabriqué par des scientifiques pour réaliser des expériences. De la même manière, un fœtus de vingt-deux semaines de gestation destiné à une interruption thérapeutique de grossesse ne donne normalement pas lieu à un « acte d’enfant sans vie ». Cependant, si les parents le souhaitent, il peut être inscrit sur leur livret de famille. C’est donc bien le projet parental qui donne son statut à l’embryon. C’est extrêmement dangereux, car ce projet est susceptible de changer, si les parents divorcent, par exemple, ou s’ils ne sont pas d’accord sur la naissance d’un autre enfant. Il est grand temps que les juristes se préoccupent de la notion de projet parental.

L’anonymat du donneur de gamètes est arrivé, en quelque sorte, dans les bagages de celui qui s’impose aux dons d’organes en général. C’est une ancienne pratique médicale, qui n’a jamais été contestée. C’est tout naturellement que dès les années 1970, les dons de sperme ont été réalisés de manière anonyme, ce qui arrangeait à la fois le donneur et le couple receveur. Mais la société française est devenue de plus en plus réticente face à cet anonymat, notamment en matière d’accouchement sous X, et j’ai été très surprise de constater que la loi du 16 janvier 2009 supprimait la fin de non-recevoir à l’action en recherche de maternité. Cette modification était sans doute nécessaire, mais cela augure que les beaux jours de l’anonymat sont derrière nous, car les personnes nées de pratiques secrètes exigent de connaître la vérité sur elles-mêmes. Leur demande finira nécessairement par être entendue, ce qui bouleversera les perspectives, et le risque est grand de voir le nombre des donneurs diminuer.

Il y aura toujours des accouchements sous X, parce que des femmes qui atteignent le terme d’une grossesse sans avoir les moyens d’accueillir un enfant dans de bonnes conditions existeront toujours ; en revanche, le don de sperme ou d’ovules procède d’une démarche réfléchie et anticipée, et il est à craindre que les donneurs n’auront pas du tout envie d’être confrontés à un adulte se disant leur enfant…

D’ailleurs, pouvons-nous affirmer que le don de gamètes et de sperme est une technique d’avenir ? Après avoir été très utilisée, cette pratique est en constante diminution. Si nous levons l’anonymat, les dons seront encore moins nombreux. L’ICSI a très largement relayé l’insémination artificielle avec donneur (IAD) car les couples préfèrent avoir un enfant issu de leurs propres gamètes et ne se tournent vers le don de sperme qu’en cas d’absolue nécessité.

Je n’imagine pas, pour ma part, que l’on puisse préserver le secret, surtout de la manière dont il est organisé à l’heure actuelle. Dans le cas de l’accouchement sous X, l’administration s’en sort grâce à la vacuité des dossiers : elle ne peut transmettre des renseignements dont elle ne dispose pas. La femme qui se présente dans une maternité sans ses papiers d’identité, qui accouche et repart sans se manifester, est tranquille : aucune trace ne subsiste de son accouchement. De la même manière, le Conseil national d’accès aux origines personnelles (CNAOP) ne peut donner des renseignements qu’il ne possède pas.

En revanche, l’identité des donneurs de sperme est parfaitement connue des centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS). Si nous ne la communiquons pas, c’est que nous ne voulons pas le faire. Ce système est-il tenable ? Pour la Cour de Strasbourg, ce qui est important c’est le consensus européen. Or, dans le cas de l’anonymat des donneurs, il n’y a pas de consensus puisque la moitié des pays européens accepte de transmettre leur identité, tandis que l’autre moitié s’y oppose. Cela fragilise énormément la position des pays comme la France. Un jour, la Cour de Strasbourg obligera l’État français à indemniser les personnes à qui l’on aura refusé de communiquer l’identité du donneur de sperme, et la réglementation française devra évoluer en ce sens.

Ce risque n’est pas négligeable, mais faut-il pour autant toucher à notre législation ? Deux politiques s’offrent à nous : la première consiste à anticiper pour ne pas être condamné, la seconde à attendre d’être condamné – comme ce fut le cas avec l’arrêt Mazurek de la Cour européenne des Droits de l’Homme : nous savions depuis 1979 que nous risquions d’être condamnés, mais nous ne l’avons été qu’en 2001.

La gestation pour autrui pourrait se justifier pour les femmes qui peuvent utiliser leurs propres ovocytes et si elles ont un lien d’amitié ou d’affection avec la mère porteuse. Ce lien est à la fois une bonne et une mauvaise chose, car il suppose que la mère porteuse continuera de côtoyer la mère qui accueille l’enfant, ce qui comporte d’énormes risques de complications psychologiques : la mère porteuse pourrait revendiquer l’enfant, celui-ci pourrait rejeter la mère qui l’a élevé et exiger d’être rattaché à celle qui l’a porté ; en cas de désaccord entre les deux femmes, celle qui a porté l’enfant pourrait exiger de l’argent… Tout peut arriver, et nous ne pouvons pas balayer ces questions d’un revers de la main. Certes, le pire n’est pas certain et les tribunaux sont là pour trancher les cas difficiles, mais il faut tout envisager. L’histoire d’un enfant est longue, et son éducation dure plus de dix-huit ans.

Vous avez évoqué, madame, le cas dramatique d’une mère porteuse qui ne pourra plus avoir d’enfant.

Mme Marie-Thérèse Hermange. Nous avons rencontré un cas encore plus bouleversant : celui d’une femme de cinquante ans, mère d’une enfant unique trisomique et qui, voulant absolument être grand-mère, avait imaginé que sa fille porte un enfant pour pouvoir devenir grand-mère.

Mme Françoise Dekeuwer-Defossez. Le rôle du droit, notamment civil, est de placer des bornes aux désirs de l’être humain. Ceux-ci sont infinis, mais ils se heurtent aux intérêts légitimes des autres. Et les personnes qui éprouvent un désir ne peuvent imaginer qu’il puisse être nocif pour autrui. Ainsi, les pédophiles ne cessent de proclamer que les jeunes enfants qu’ils abusent sont très satisfaits, voire demandeurs. Face à des désirs de ce type, la société est catégorique : elle interdit tout contact sexuel avec un mineur âgé de moins de quinze ans. Mais je vous rappelle que dans les années 1970, on considérait l’amour juvénile comme étant l’un des aspects de la libération des enfants, et le fait que des enfants de onze ans explorent les continents du sexe ne choquait pas. Nous avons évolué sur cette question, et nous avons eu raison !

Cet épisode illustre que des désirs qui nous paraissent admissibles à un moment donné ne le sont plus quelques années plus tard, lorsque nous nous rendons compte qu’ils portaient préjudice à d’autres. Or, le désir d’enfant est l’un de ces désirs qui peuvent porter préjudice à d’autres personnes.

Certains déplorent que la France soit en retard sur cette question. Elle l’est sans doute, mais elle sera peut-être en avance dans quelques années.

Il est juste, madame, de dire que la gestation pour autrui légalise l’abandon d’enfant. Je ne connais pas la législation grecque sur l’adoption, mais il est clair que les pays qui autorisent la gestation pour autrui sont ceux qui pratiquent l’open adoption, qui permet aux familles adoptives d’entrer en relation directe avec une jeune maman désireuse d’abandonner son enfant. Cette manière de voir les choses n’est pas la nôtre.

M. Michel Vaxès. Conserver l’anonymat du don revient à accepter qu’un enfant ne saura jamais s’il est né de la rencontre entre deux gamètes ou de l’expression de la double affection d’un père et d’une mère, mais je crains que la levée de l’anonymat ne renforce l’aspect biologique de la filiation, au détriment de son aspect humain.

M. le rapporteur. La gestation pour autrui n’est-elle pas en contradiction avec ce principe du code civil qu’est la non-patrimonialité du corps humain ?

Pouvons-nous autoriser les célibataires à adopter un enfant et, dans le même temps, leur refuser l’accès à l’assistance médicale à la procréation ?

Mme Françoise Dekeuwer-Defossez. Je suis parfaitement d’accord avec vous, monsieur le rapporteur : la gestation pour autrui remet en question le principe de non-patrimonialisation du corps. D’ailleurs, j’ai moi-même utilisé le terme d’esclavage. Le risque existe, même si nous encadrons les pratiques. D’ailleurs, la patrimonialité du corps humain est d’ores et déjà acceptée puisque les greffes d’organe, qu’il s’agisse d’un cœur, d’un foie ou d’un rein, sont remboursées par la sécurité sociale. La patrimonialisation n’existe pas lors du prélèvement d’un organe, mais son traitement ultérieur en fait une marchandise. J’ai été frappée de voir que l’assistance médicale à la procréation a été mentionnée pour la première fois dans un texte, dans les années 1970, à l’occasion de la parution au Journal officiel d’un arrêté du ministère de la santé fixant le montant du remboursement de la paillette de sperme ! Comme vous le voyez, nous n’échappons jamais totalement à la logique patrimoniale.

Les pratiques médicales consacrent la patrimonialité du corps humain, qui existe également dans les contrats de travail, par exemple lorsqu’un danseur perçoit de l’argent pour une prestation de danse. Ce qui importe, c’est d’en fixer les limites. Car en acceptant cette patrimonialité, nous entrons dans un engrenage qui n’est pas conforme à l’idée que nous nous faisons de la dignité de la personne humaine.

L’accès des célibataires à l’AMP à la procréation et à l’adoption est bien en contradiction dans nos textes législatifs. Pourtant, l’adoption par des personnes célibataires a été pratiquée dans de nombreuses sociétés : ainsi, à Rome, les hommes seuls adoptaient, à titre personnel, pour transmettre leur nom, le culte de leurs ancêtres et leur patrimoine à un héritier ; sous l’Empire, lors de la naissance du code civil, seuls les célibataires adoptaient, pour des raisons successorales. La logique familiale qui est la nôtre aujourd’hui ne date que de 1966.

Depuis cette date, la légitimité de l’adoption repose sur le couple : il ne peut y avoir de filiation légitime que pour deux personnes mariées. Si la loi a admis des demandes d’adoption plénière émanant de personnes célibataires, c’est uniquement pour favoriser l’adoption d’un plus grand nombre d’enfants, notamment des enfants à particularité. Cette possibilité est restée, mais elle a perdu sa signification : elle n’est plus qu’une revendication de la part de célibataires qui veulent fonder une famille et qui, faute de conjoint, exigent que la société leur fournisse un enfant.

Ce renversement des mentalités nous place en porte-à-faux vis-à-vis de l’assistance médicale à la procréation, que la logique médicale a toujours destinée au traitement de l’infertilité du couple. D’ailleurs, le médecin qui traite la stérilité d’une femme exige toujours de rencontrer son partenaire, et bien souvent, il lui demande de passer des examens.

L’AMP pour un célibataire n’a aucun sens, sauf à adopter une logique de prestation de services : l’équipe médicale fournit des gamètes à une personne qui, pour des raisons qui sont les siennes, n’a pas de partenaire. Cet état d’esprit n’est pas étranger à la médecine d’aujourd’hui, qui, par certains côtés, n’est qu’un ensemble de prestations de services. Une partie du corps médical ne se consacre-t-elle pas d’ailleurs à la chirurgie esthétique ?

M. le rapporteur. Mais ces actes n’impliquent pas autrui et ils ne sont, théoriquement, pas remboursés par la sécurité sociale : ils ne font donc pas appel à la solidarité collective.

Mme Françoise Dekeuwer-Defossez. Sérieusement, monsieur le rapporteur, trouvez-vous normal que la sécurité sociale supporte la charge de la maternité de femmes qui, elles, n’ont pas supporté de faire appel à un homme pour avoir un enfant ?

M. le rapporteur. En effet, mais c’est un autre débat…

Mme Françoise Dekeuwer-Defossez. Ce débat est pour demain !

M. Michel Vaxès. Je suis en désaccord profond avec vous, madame, lorsque vous faites référence, pour illustrer la marchandisation, au remboursement des greffes d’organes par la sécurité sociale. Celle-ci ne rembourse ni le foie, ni le cœur, ni le rein, mais la prestation médicale que constitue une ablation suivie d’une greffe. C’est fondamentalement différent. Je ne peux pas laisser passer une telle assertion, qui nie le don altruiste des donneurs.

Mme Françoise Dekeuwer-Defossez. Cette intervention fait bien l’objet d’une facturation, tout comme les poches de sang.

M. le rapporteur. C’est leur mise en place qui a un prix, ce n’est pas le prix du sang.

Mme Françoise Dekeuwer-Defossez. Naturellement, mais l’opération fait tout de même l’objet d’un transfert monétaire. J’entends bien que l’on ne vend pas le corps humain. On peut comparer cela au kilo de pommes de terre, qui rapporte cinq centimes à l’agriculteur mais sera payé 2,50 euros par le consommateur. Si le prélèvement est gratuit, le reste – transport, intervention, entretien – ne l’est pas, et obéit forcément à une logique marchande.

Certains considèrent que la gestation pour autrui doit s’accompagner d’une indemnisation. Mais à quel montant l’estiment-ils ? À 500, 5 000 ou 50 000 euros ?

Vous craignez, monsieur Vaxès, que l’aspect éducatif de la filiation passe derrière l’aspect biologique. Cette question, vieille comme le monde, n’a jamais reçu de réponse, et ce n’est pas la société actuelle qui lui en apportera une. Les personnes qui ont élevé des enfants en sachant qu’ils n’en étaient pas les parents biologiques ont toujours existé, de même que les enfants qui ressentent une affection profonde pour les parents qui les ont élevés. Le problème, c’est que toute affection peut entraîner des difficultés, voire des éclipses, et nous constatons que les enfants adoptés rencontrent souvent des problèmes au cours de l’adolescence. Ce dont nous sommes sûrs, c’est que l’anonymat des origines peut causer des ravages épouvantables. Tous les médecins psychiatres comptent dans leur clientèle des adultes détruits de ne pas savoir qui les a procréés, même s’ils ont été élevés par d’excellents parents.

M. le rapporteur. Permettez-moi d’ajouter que les cabinets de psychiatres sont également fréquentés par des personnes qui ont des difficultés avec leurs parents biologiques.

Mme Françoise Dekeuwer-Defossez. Il n’en demeure pas moins qu’un grand nombre d’enfants adoptés éprouvent de graves difficultés psychologiques liées à l’anonymat de leur naissance. Avons-nous le droit d’organiser volontairement une telle souffrance ?

M. le rapporteur. Si nous allons au bout de votre raisonnement, il faut interdire l’adoption !

Mme Françoise Dekeuwer-Defossez. Non, car les enfants adoptés ont été abandonnés, et la meilleure solution pour eux est de trouver des parents. Mais l’anonymat du donneur de gamètes a été délibérément organisé. Dans les années 1970, les associations d’enfants adoptés connaissaient déjà les dangers de l’anonymat. Mme Delaisi de Perceval le clame depuis presque quinze ans, ce qui ne nous empêche pas de persévérer dans cette voie.

M. le rapporteur. Quelle solution préconisez-vous pour un couple stérile qui se voit refuser à la fois l’assistance médicale à la procréation et l’adoption d’un enfant ?

Mme Françoise Dekeuwer-Defossez. L’adoption est un dispositif qui fonctionne plutôt bien. Quant à l’assistance médicale à la procréation, elle pourrait être réalisée avec un donneur de gamètes connu. Ce serait plus limpide. Nos voisins, notamment les Allemands, n’ont jamais imaginé que les donneurs de gamètes puissent rester anonymes.

J’ajoute que les médecins interrogent systématiquement les patients sur les pathologies de leurs parents – à quel âge la mère a-t-elle été ménopausée, le père a-t-il des problèmes de foie, etc. ? La personne qui ne peut répondre se sent alors discriminée. Les enfants adoptés s’en plaignent, comme s’en plaindront les enfants nés d’une IAD. La pire situation provient du mensonge. Si le médecin demande à une personne à qui l’on a menti sur ses origines si son père était diabétique, celle-ci répond naturellement par la négative. Si par manque de chance son père biologique était diabétique, cette personne perd une chance d’être soignée !

M. le rapporteur. Le problème du secret et du mensonge est réel : le premier est difficile à tenir et le second est toujours générateur de troubles. Il faut cependant noter qu’alors qu’on annonçait parfois que le CNAOP recevrait 400 000 demandes par an, le nombre de celles-ci n’est en définition que de 800. Le mensonge qui consiste à faire croire à un enfant qu’il n’a pas été adopté ou qu’il est né dans sa famille biologique représente un réel danger pour la famille. Certes, il faut distinguer l’acte de solidarité qu’est l’adoption et l’acte médical, délibérément anonyme et qui peut être générateur de mensonge. Or, 80 % des parents d’enfants ainsi procréés ne le disent pas à l’enfant. Le problème vient donc du mensonge, plus que de l’anonymat.

Ce parallélisme entre la naissance médicalement assistée et l’adoption nous invite à nous pencher sur l’accès des personnes célibataires à la procréation médicalement assistée, actuellement destinée à traiter l’infertilité du couple, car sur le plan juridique, ce sont deux situations différentes. Dans le cas du traitement de l’infertilité du couple, il s’agit d’une question médicale ; dans celui des personnes célibataires, il s’agit de répondre à une demande sociétale.

Mme Françoise Dekeuwer-Defossez. En effet !

M. Michel Vaxès. Cela pose également la question de la paternité.

Mme Françoise Dekeuwer-Defossez. Sur ce point également, le droit français n’est pas conforme à la Convention européenne des droits de l’homme, et nous serons certainement condamnés par la Cour européenne de Strasbourg dans les mois ou les années qui viennent. En effet, la Cour considère que les barrières dressées par la France ne sont pas pertinentes, notamment l’interdiction de l’accès aux tests génétiques. Il semble que nous attendions paisiblement d’être condamnés pour réagir…

Mme Suzanne Rameix, philosophe, membre du Comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. Il me paraît important de distinguer le secret et l’anonymat. Ne craignez-vous pas que la suppression de l’anonymat n’incite les parents à préserver mieux encore le secret des origines ? La souffrance des enfants nés par IAD ne provient-elle pas davantage du secret qui entoure leur naissance que de l’anonymat du donneur ? Pourquoi alors ne pas permettre l’accès à des données non identifiantes relatives au donneur de gamètes, ce qui maintiendrait une forme d’anonymat tout en préservant le secret ?

M. le rapporteur. Cette voie médiane, qui permettrait aux enfants de savoir d’où ils viennent sans connaître l’identité de leur géniteur, et aurait le mérite de ne pas perturber les familles, vous paraît-elle satisfaisante ?

Mme Françoise Dekeuwer-Defossez. La famille, en l’occurrence, vit dangereusement, car tout commence avec la stérilité de l’homme et son caractère encore souvent indicible. Il est facile de comprendre pourquoi les parents tiennent tant au secret… L’ennui, c’est que nous acceptons des pratiques sans nous demander ce que les enfants concernés deviendront. Nous ne disposons, à ce jour, que de rares études sur les dizaines de milliers d’enfants nés d’une IAD, mais l’une d’entre elles montre que deux tiers des ménages qui ont eu recours à cette technique se sont séparés. Ce taux de séparation est très supérieur à la moyenne nationale, qui se situe entre un tiers et la moitié des ménages. Ce n’est donc pas une technique totalement inoffensive.

Personne ne peut contraindre les parents à dire la vérité aux enfants. La plupart des enfants ne savent pas qu’ils sont nés d’une IAD, et cela ne semble pas poser trop de problèmes. Dans ces conditions, pourquoi nous tracasser ?

Je ne peux pas deviner quelle sera l’ampleur du mouvement d’interrogation des enfants et quel sera le relais qui lui sera donné par les organismes internationaux, notamment la Cour de Strasbourg. L’accès à des données non identifiantes – je pense en particulier aux renseignements médicaux – me paraît être le minimum. Car si nous privions ces enfants du bénéfice de certains soins médicaux en raison des particularités de leur conception, nous serions en faute à leur égard.

Par ailleurs, un certain nombre d’entre eux souhaite engager une relation avec leur géniteur. Avons-nous le droit de nous y opposer, et au nom de quoi ?

M. le rapporteur. Au nom du respect de l’autre partie, qui ne souhaite pas cette relation.

Mme Françoise Dekeuwer-Defossez. Sans doute, mais alors ce n’est pas une relation symétrique. Le donneur étant la cause de la naissance de l’enfant, celui-ci a une créance vis-à-vis du donneur, qui tient dans la question : de quel droit m’as-tu donné la vie dans ces conditions-là ?

M. le rapporteur. C’est une question que peuvent poser tous les enfants !

Mme Françoise Dekeuwer-Defossez. Oui, et ils la posent de plus en plus.

Mme Suzanne Rameix. Il semblerait que les jeunes couples abordent plus facilement les questions d’hypofécondité lors des consultations. Pensez-vous que, mieux informés, ils seront davantage enclins à lever le secret des origines ?

Mme Françoise Dekeuwer-Defossez. La quête des origines est aussi vieille que le monde. Le tabou de la stérilité perd de sa force, mais je ne suis pas certaine que cela soit suffisant pour modifier les comportements. J’ai été frappée de voir dans quel sens évoluait la législation relative à l’accouchement sous X, en particulier la loi de 1993, qui l’a inscrit dans le code civil, et celle de 2009, qui a supprimé la fin de non-recevoir. En seize ans, nous avons inversé le paradigme. Il est clair que la loi de 2009 et la mise en place du CNAOP ont entamé la légitimité juridique de l’accouchement sous X. Il ne disparaîtra pas, mais nous finirons par ne plus le défendre.

L’anonymat des donneurs risque de subir la même évolution. Nous le défendrons vaillamment encore quelques années, jusqu’au jour où nous ne le défendrons plus. Nous vivons dans une société qui valorise la transparence et donne toute leur place aux revendications identitaires. En un mot, je ne crois pas à l’avenir de l’anonymat du donneur de gamètes. Il ne disparaîtra probablement pas lors de la prochaine révision des lois bioéthiques, mais dans quelques années.

M. le rapporteur. Nous vous remercions pour votre brillant exposé.

Audition de Mme Nadine MORANO, Secrétaire d'État chargée de la famille
et de la solidarité



(Procès-verbal de la séance du mercredi 18 mars 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons l’honneur d’accueillir Mme Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille. Au-delà de vos fonctions actuelles, qui justifient à elles seules que nous vous entendions, les questions d'éthique médicale et de bioéthique vous sont familières puisque, au cours de votre mandat parlementaire vous avez notamment participé aux travaux de la mission d'information sur l'accompagnement de la fin de vie, dont vous avez été la vice-présidente, et de la mission d'information sur la famille et les droits des enfants, qui s'est notamment penchée sur les questions soulevées par l'assistance médicale à la procréation (AMP) et la gestation pour autrui. Nous entendrons donc avec un intérêt particulier votre opinion sur la gestation pour autrui mais aussi votre point de vue sur d’autres sujets tels le diagnostic préimplantatoire, le sort des embryons surnuméraires ou encore l’élargissement éventuel des indications de l’AMP.

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille. C’est un grand honneur pour moi d’être auditionnée par votre mission après avoir longuement réfléchi à vos côtés à des sujets aussi fondamentaux que les droits des enfants, la famille et les droits des malades. Le secrétariat d’État dont j’ai la charge est le plus transversal qui soit. En effet, qu’il s’agisse de justice, d’éducation, d’emploi ou de formation, tous les sujets y ramènent. Ce ministère qui concerne tous les âges est en quelque sorte le ministère de la vie. La politique familiale suppose donc une réflexion sur les structures familiales et sur la société française.

La préparation de la révision des lois de bioéthique m’a conduite à beaucoup consulter, étudier, écouter et regarder ce qui se passait à l’étranger. Je soulignerai d’abord que la France peut s'enorgueillir d'être l'un des rares pays à avoir adopté une loi en ayant une vision globale de la bioéthique. Cela étant, les évolutions scientifiques, techniques et sociales imposent une révision périodique des lois de bioéthique d’autant plus nécessaire que nos concitoyens se rendent aisément à l’étranger pour bénéficier de dispositions qui leur sont refusées sur notre territoire. Nous ne pouvons faire l’impasse sur ce qui se pratique hors de nos frontières ; nous devons en tenir compte et retenir le meilleur de ce qui se fait à l'étranger. Je pense notamment, disant cela, aux femmes qui se rendent en Belgique pour une insémination et reviennent en France élever leurs enfants, ou encore à la gestation pour autrui (GPA) pratiquée dans certains pays européens et aux États-Unis. Vous le savez, les enfants ainsi conçus par GPA se trouvent, en France, sans filiation légale. J’ai lu le rapport d’information sur la maternité pour autrui rédigé par le groupe de travail du Sénat ; je me suis aussi forgée une conviction personnelle, non sans avoir relevé les contradictions de nos textes selon que l’on traite de l’avortement, de l’embryon ou de la GPA.

Les lois de bioéthique nous imposent de définir des objectifs et des enjeux communs. À cet égard, un caractère médical me semble prioritaire. Car les lois de bioéthique sont aussi là pour apporter des réponses médicales aux familles. Pour ce qui est de la GPA, il ne s’agit pas d’opposer droit à l'enfant et droits de l’enfant mais de trouver comment répondre, avec justice, à un désir d'enfant lorsqu’il est contrarié par des problèmes médicaux. Je suis favorable à ce que la GPA soit autorisée, mais je tiens à ce l’on distingue gestatrice et génitrice ; c’est pourquoi je parle non pas de « mère porteuse », mais de « femme porteuse », puisque celle-ci ne transmet rien de son capital génétique à l’enfant à naître.

On estime à quelque 300 le nombre de femmes qui, chaque année, veulent désespérément un enfant mais sont dans l’incapacité médicale absolue d’y parvenir, qu’elles soient nées sans utérus, qu’elles souffrent des effets d’un traitement au distilbène, qu’elles n’aient pas ou plus d’ovaires ou qu’elles soient empêchées d’enfanter à la suite d’un accouchement qui s’est mal déroulé. Or, il existe un moyen de permettre à ces femmes stériles et à leur conjoint d’avoir, malgré cela, un enfant – leur enfant. « Qu’ils adoptent ! », diront certains. Mais, face à cette souffrance légitime, de quel droit priver ces couples du recours à une femme porteuse et n’apporter ainsi de réponse qu’à certaines catégories de femmes qui ne peuvent pas avoir un enfant, mais à qui l’on pourra proposer une fécondation in vitro (FIV), et alors qu’en France nous sommes attachés aux principes de solidarité et de gratuité du don ?

Cela étant, toute gestation pour autrui doit être strictement encadrée sur le plan juridique. La stérilité irréversible de la femme désirant l’enfant devrait être constatée par l’Agence de la biomédecine. La femme porteuse devrait déjà avoir eu au moins un enfant. Pour éviter toute marchandisation, sa rémunération serait interdite, seule l’indemnisation des frais occasionnés par la grossesse étant envisageable. Par ailleurs, les relations entre le couple et la femme porteuse devraient, comme c’est le cas aux États-Unis, être réglées au moyen d’une convention homologuée par un juge.

Plusieurs choses devraient être précisées dans cet accord car, évidemment, une femme qui va porter un enfant, ce n’est pas sans conséquences, physiques ou psychologiques – pour la femme porteuse, mais aussi pour le couple qui attend cet enfant. Cette convention, qui devrait être signée par toutes les parties, y compris le conjoint de la femme porteuse, devrait en particulier préciser certaines questions délicates telles que la décision à prendre en cas de découverte d’une malformation grave de l'enfant à naître ou d’une trisomie 21 – il doit vraiment y avoir entente parfaite sur ce point entre le couple et la gestatrice –, et prévoir l’accompagnement et le suivi psychologique de la femme porteuse et du couple des parents biologiques de l'enfant. La convention devrait aussi garantir le consentement parfaitement éclairé de la femme porteuse, y compris aux risques médicaux que présente l’accouchement, et prévoir des assurances, comme c’est le cas aux États-Unis. Se pose également la question du nombre d’embryons implantés et, en général, il est plutôt conseillé de n’en implanter que deux.

Autoriser la GPA, c’est permettre de donner beaucoup de bonheur à des couples en très grande souffrance par un acte profondément généreux. Y aurait-il une hiérarchie des organes ? Pourquoi aurait-on le droit de donner un rein et de ne pas prêter son ventre si, dans les deux cas, il s’agit d’un acte de générosité avec un consentement éclairé ? Encore faut-il, je le répète, que cela soit pour des raisons exclusivement médicales – il ne saurait être question de permettre une GPA par confort personnel – et à la condition qu’il s’agisse d’une femme porteuse, c’est-à-dire qu’elle ne donne pas une partie de son capital génétique. À mon sens, elle n’est donc en rien la mère, puisqu’elle est uniquement la gestatrice, et non la génitrice.

Certains se préoccupent de l’attachement et des liens in utero entre la mère et l’enfant ainsi que de l’équilibre psychologique futur de l’enfant porté par une autre femme que sa mère biologique. Mais qu’en est-il de l’équilibre d’un enfant né d'une fécondation in vitro (FIV) ou d’un enfant adopté après avoir été abandonné ? Est-il plus simple d’expliquer une conception en éprouvette après un don anonyme de gamètes ou dans le cadre d’un don d’embryon – une technique autorisée en France – , ou encore un abandon, que d’expliquer qu’une naissance a été rendue possible par un formidable geste de solidarité et d’amour et dans le cadre d’un véritable projet parental ?

On évoque souvent le risque de marchandisation du corps humain. J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec une femme qui a eu recours à la GPA à l’étranger et dont je sais que vous l’avez aussi entendue. L’enfant de ce couple de Français a été porté par une femme, déjà mère de cinq enfants. Elle est cadre et elle n’a pas agi de la sorte pour l’argent.

M. le président. Cela étant, le coût de la gestation a été de 18 000 dollars.

Mme Nadine Morano. Vous parlez des frais encourus, et non d’une rémunération, à laquelle je serais absolument opposée. La GPA a été faite par altruisme. L’étonnant est qu’après la naissance de la petite Léonie, cette femme gestatrice n’a pas eu de montée de lait, comme si son corps savait qu’elle portait l’enfant pour une autre. Cela démontre que l’on peut faire la différence entre porter un enfant et porter son enfant.

S’agissant des recommandations contenues dans le rapport du groupe de travail du Sénat sur la maternité pour autrui, l’idée que la femme porteuse pourrait disposer d’un délai de rétractation de trois jours après l’accouchement pour devenir la mère légale et garder un enfant qui ne serait pas le sien, me semble aberrante.

Pour le reste, nos règles relatives à l’établissement de la filiation de l’enfant, selon lesquelles la mère est celle qui accouche, devront évoluer – j’observe d’ailleurs que la femme élevant un enfant qu’elle a adopté est reconnue comme sa mère. Il est choquant qu’un enfant de parents français né à l’étranger au terme d’une GPA soit amené à vivre en France comme un clandestin, faute que son acte de naissance puisse être transcrit à l’état-civil. Puisque l’on ne peut empêcher des femmes stériles de se rendre au Royaume-Uni, en Ukraine ou dans certains États des États-Unis pour bénéficier d’une GPA, comment, ensuite, accueillir le nouveau-né en France ? La petite Léonie dont nous avons parlé n’a pas d’existence civile en France. Si ses parents meurent, qu’adviendra-t-il ? Aurait-on dû interdire l’entrée de cette enfant sur notre territoire ? Peut-on se satisfaire d’une telle discrimination ?

Encore la famille française considérée a-t-elle des revenus suffisants pour dépenser les 80 000 euros qui lui ont été nécessaires pour se rendre plusieurs fois aux États-Unis, y louer une maison, régler les frais de prélèvement d’ovocytes et d’implantation de l’embryon, accompagner la femme porteuse lors de l’accouchement. L’ampleur des frais encourus est discriminatoire. J’ai ainsi rencontré un jeune couple dont l’épouse a subi une ablation de l’utérus à la suite d’un accouchement à problème. Ces jeunes gens de moins de trente ans, désargentés, ont décidé de tout sacrifier dans leur vie quotidienne – vacances, voitures, meubles – pour atteindre leur unique objectif : avoir un enfant, grâce à une GPA.

Outre que la situation actuelle crée une injustice entre les couples selon leurs revenus, elle est dangereuse, car elle pousse des Français à s’entendre avec des femmes porteuses à l’étranger pour mener à bien un processus qui n’est pas toujours encadré sur le plan juridique. Il y a là une absence de réponse à un désir légitime d’enfant.

Pour toutes ces raisons, je suis favorable à l’autorisation de la gestation pour autrui, uniquement sur indication médicale, par recours à une femme porteuse, dans un cadre juridique précis, dont un des piliers doit être la gratuité, comme pour le don de gamètes.

Je sais qu’en Espagne et ailleurs, le don de gamètes est rémunéré et que certains médecins souhaitent qu’il en soit ainsi en France pour favoriser les dons d’ovocytes. Je n’y suis pas favorable. Le don de gamètes, comme le don de sang, doit demeurer gratuit.

S’agissant de l’anonymat du don de gamètes, le questionnement sur l’accès aux origines se comprend, concernant notamment la possibilité de donner libre choix au donneur et au couple de recourir à un don anonyme ou non. Le sujet est complexe, car une telle disposition pourrait donner lieu à débat, dès lors qu’elle pose un problème d’égalité en termes d’accès aux origines. En tout état de cause, le don identifié, tel qu’un don d’ovocytes entre sœurs, est quelque chose qui me choque.

Je suis favorable au diagnostic préimplantatoire (DPI) dans le cadre très contrôlé qui est actuellement le sien, c’est-à-dire uniquement dans le but de prévenir la transmission d’une maladie génétique grave, et certainement pas dans un objectif eugénique.

Pour ce qui est du « bébé du double espoir », terme que je préfère nettement à celui de « bébé médicament », je serais prête, si j’étais dans la situation tragique de devoir le faire, à concevoir un enfant indemne avec le concours du DPI pour aider au traitement d'un aîné malade. C’est un geste d’amour à expliquer comme tel aux enfants.

S’agissant des embryons dits « surnuméraires », je suis favorable à ce que l’on freine l'hyperstimulation ovarienne suivie de l'insémination d'un trop grand nombre d'embryons, les embryons surnuméraires pouvant ensuite être détruits. Il faut mieux informer à ce sujet les couples qui s’engagent dans une FIV.

Je suis par ailleurs favorable à la recherche sur les cellules souches issues d’embryons surnuméraires, en élargissant leur champ, car celles-ci se font actuellement par dérogation, n’est-ce pas ?

M. le président. En effet, ces recherches sont pour le moment interdites mais autorisées par dérogation, avec un moratoire de cinq ans. Seriez-vous favorable à un élargissement, avec l’encadrement existant ?

Mme Nadine Morano. Oui.

M. le président. Vous nous avez dit être favorable à l’autorisation de la GPA uniquement si elle est justifiée par des indications médicales. Votre position est-elle la même pour l’AMP et donc pour la fécondation in vitro (FIV) ou êtes-vous favorable à l’élargissement de l’accès à cette technique aux femmes homosexuelles ?

Mme Nadine Morano. J’avais exprimé mon avis sur cette question lorsque j’étais membre de la mission d'information parlementaire sur la famille et les droits des enfants et il n’a pas varié. Le fait est que des femmes homosexuelles partent à l’étranger pour avoir recours à la FIV qui leur est interdite en France. L’Institut national d’études démographiques (INED) estime que 30 000 enfants sont élevés dans notre pays par des couples homosexuels ; selon certaines associations, ils sont beaucoup plus nombreux. Au terme de ses travaux, la mission d'information sur la famille et les droits des enfants a réaffirmé que la famille est composée d’un père, d’une mère et de leurs enfants. Fort bien, mais on laisse des célibataires adopter… Le schéma de famille décrit par la mission d’information est le mien, mais comment ne pas reconnaître qu’il y a dans cette contradiction une sérieuse dose d’hypocrisie ? N’est-ce pas se voiler la face tout en sachant l’existence de milliers de « bébés Thalys » conçus par FIV en Belgique, nés en France et qui y sont élevés par des parents de même sexe ? Soit, par souci de cohérence, on interdit le retour en France d’une femme homosexuelle enceinte par FIV et qui va élever l’enfant avec sa compagne, soit, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, on lui donne le droit d’être aimé et éduqué par ce couple et de ne pas vivre un drame si sa mère biologique vient à mourir prématurément. Il s’agit d’une question de société, qui dépasse le cadre de la révision des lois de bioéthique. En 2006, je m’étais prononcée en faveur de l’assistance médicale à la procréation pour les femmes homosexuelles en France, dans le cadre d’un projet parental de plus de deux ans, à condition qu’elles en assument le coût puisqu’il ne s’agit pas d’une indication médicale mais de confort personnel. Je n’ai pas changé d’avis.

M. le président. Je vous remercie pour la clarté de votre exposé.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Vous avez proposé d’autoriser la GPA en l’encadrant avec une contractualisation très poussée. Aux États-Unis, ces contrats se sont développés avec des contentieux, par exemple en cas de divorce pendant la grossesse ou si l’enfant est malformé. Mais un contrat ne porte-t-il pas, d’ordinaire, sur un objet, alors que, dans le cas qui nous occupe, on parle d’un sujet, l’enfant ? Il y a là une contradiction de principe qui s’ajoute à la notion première de l’indisponibilité du corps humain.

Par ailleurs, vous insistez sur la générosité du geste et sur sa gratuité mais il semble difficile d’envisager une gratuité totale hors du cercle familial. Dans ce contexte, comment déconnecter entièrement gestatrice et génitrice pour empêcher toute perturbation des relations affectives ? Comment un tel geste pourrait-il ne pas créer des relations complexes entre l’enfant et la femme qui serait à la fois celle qui l’a porté et aussi sa tante, voire sa grand-mère ? L’alternative étant de choisir une femme porteuse à l’extérieur du cercle familial et de couper les ponts après la naissance, ou une femme du cercle familial au risque de créer des problèmes psychologiques à l’enfant, confirmez-vous votre préférence pour la seconde hypothèse ?

Par ailleurs, doit-on, dans le cadre des lois de bioéthique, tenter de répondre à des problèmes d’ordre médical, ou s’efforcer aussi de remédier à des insatisfactions, à des désirs ? Un prêt d’utérus ne peut être assimilé au don d’un rein, car si une femme infertile n’a pas d’enfant, elle souffrira mais sa vie ne sera pas en danger ; ce n’est pas le cas pour un insuffisant rénal sévère qui n’aura pas bénéficié d’une greffe.

S’agissant du DPI, faut-il laisser les choses en l’état ou en élargir un peu le champ ? L’équipe de Strasbourg que nous avons entendue a évoqué des lignées de femmes victimes de cancer du sein. Devrait-on dresser une liste des indications du DPI ou laisser l’Agence de la biomédecine trancher au cas par cas ? Pour ce qui est du « bébé du double espoir », M. Pierre-Louis Fagniez a rendu possible ce type de DPI, on le sait. S’agissant enfin du don d’ovocyte, ne peut-on envisager d’indemniser les donneuses pour les inconvénients qu’elles subissent ?

Mme Pascale Crozon. J’entends l’argument du rapporteur selon lequel le désir d’enfant n’est pas du même ordre que le besoin vital d’une greffe. Cela étant, la ministre a rappelé que certains de nos concitoyens vont à l’étranger bénéficier des possibilités de gestation pour autrui qui y existent, et à nos frontières pour ce qui concerne les FIV voulues par des femmes homosexuelles. Que pensez-vous, Mme la ministre, des conclusions du rapport de Mme Michèle André, favorable à l’autorisation d’une GPA très strictement encadrée ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. Vous nous avez dit, madame la ministre, que nous devions faire ce qui se fait ailleurs…

Mme Nadine Morano. Ce n’est pas ce que j’ai dit.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Faut-il s’aligner systématiquement sur le moins-disant éthique ? Certains parlent à juste titre de « dumping éthique » et de « dumping juridique ». De fait, on pourrait aussi imaginer poursuivre le trajet en Thalys de la Belgique jusqu’aux Pays-Bas pour s’y approvisionner en diverses substances…

S’agissant de la GPA, je tiens à rappeler qu’en Europe, seuls le Royaume-Uni et la Grèce l’ont légalisée, et qu’ils en réservent l’accès à leurs ressortissants. Cette pratique n’est donc aucunement généralisée. Vous avez parlé de discrimination mais, si je comprends la souffrance des femmes infertiles et je sais qu’elles sont prêtes à s’engager dans des parcours incroyables pour avoir un enfant, aucune loi ne permettra de régler le cas de toutes les femmes sans utérus de France, au regard notamment du nombre actuellement limité de donneuses ovocytes, et une liste d’attente subsistera.

En outre, l’Académie de médecine a mis en garde contre les risques liés à l’accouchement, rendant pour cela un avis défavorable à la légalisation de la GPA. Vous avez d’ailleurs souligné que de nombreuses femmes souhaitent recourir à une GPA après une ablation de l’utérus consécutive à un accouchement qui s’est mal passé. Comment peut-on demander à une jeune femme, même si elle est déjà mère, de prendre pour autrui un risque non négligeable qui pourrait empêcher par la suite une autre grossesse, avec un nouveau conjoint par exemple ? Il faut y réfléchir à deux fois avant de choisir la législation la plus permissive.

M. Philippe Gosselin. Je souscris à l’inquiétude du rapporteur s’agissant de la réification de l’enfant et je m’interroge sur la réification de la femme. Dissocier maternité utérine et maternité biologique, réduire la gestatrice à un nid, c’est prétendre déconnecter grossesse et affectivité. Pourtant, de très nombreux médecins soulignent que les interactions qui ont lieu pendant la période intra-utérine ont un très fort impact sur la suite de la vie de l’enfant.

Vous insistez sur la générosité de la GPA, mais doit-elle faire baisser la garde face au risque de marchandisation ? On parle d’ « indemnisation », mais il n’empêche qu’un échange financier a lieu et, ailleurs qu’en France, ces prêts d’utérus prétendument désintéressés sont sources de gains très rémunérateurs pour des cliniques spécialisées. Enfin, n’y a-t-il pas conflit entre la liberté – et il ne suffit pas simplement de donner son consentement – et la dignité de la personne ?

Mme Martine Aurillac. S’agissant de l’anonymat des dons de gamètes, ne faudra-t-il pas finir par sortir du dilemme, même si ce n’est pas facile ? Pour ce qui concerne la gratuité de la GPA, ne peut-on craindre que ce que l’on qualifie pudiquement d’ « indemnisation » ne donne lieu aux dérives financières déjà constatées en Asie ?

Mme Françoise Hostalier. Avec la GPA, on est à la charnière entre générosité et instrumentalisation de la personne, qu’il s’agisse de l’enfant à naître ou de tous les adultes qui vont participer à sa création, puisque c’est de cela qu’il s’agit. Il y a là-dedans un aspect « Meccano » qui fait froid dans le dos. Quels que soient les progrès scientifiques, le législateur doit-il accompagner aveuglément tous les désirs ? Ne doit-il pas instituer des garde-fous quand il s’agit du respect de l’être humain ?

Vous avez indiqué à la presse, Mme la ministre, que vous seriez prête à porter l’enfant de votre fille si elle avait une malformation utérine. Nous reconnaissons là votre générosité, mais qu’en serait-il du devenir psychologique d’un enfant ainsi fabriqué artificiellement ? Comment trouverait-il sa place dans l’ordre des générations ? N’y a-t-il pas là un danger extrême ?

Mme Nadine Morano. Vous m’avez interrogée, M. Leonetti, sur le principe de l’indemnisation du don d’ovocytes. Pourquoi pas ? Je ne serais pas hostile à ce qu’une femme qui doit prendre des jours de congé pour se rendre à la clinique et y subir une ponction d’ovocytes soit indemnisée, comme le serait une femme porteuse dans le cadre d’une GPA.

Pour ce qui est d’établir une liste des maladies dont la transmission peut être évitée par un diagnostic préimplantatoire, la plus grande prudence s’impose car le risque de dérive – le désir d’enfant parfait – est grand. Jusqu’où faut-il aller dans la définition de ce qui n’est pas tolérable ?

M. le rapporteur. D’autant que l’on peut maintenant imaginer le développement du diagnostic prénatal par une simple prise de sang fœtal ou encore le séquençage de nombreuses maladies et leur détection dans le cadre du DPI. Dans ce cadre, irait-on jusqu’à vouloir prévenir le strabisme, par exemple ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. Il y avait également le cas d’un couple sourd et muet qui souhaitait avoir un enfant également sourd et muet.

Mme Nadine Morano. Je trouverais cela choquant. Le cadre actuel – prévenir la transmission d’une maladie génétique grave – me paraît convenir et je suis très réservée à l’idée que l’on puisse sélectionner un enfant à naître en fonction d’une maladie qui pourrait survenir.

M. Jean-Sébastien Vialatte. La prudence est en effet de mise. La Fédération française de génétique a appelé l’attention sur le fait que l’analyse du sang fœtal donne des résultats fiables à 99,9 %. Le taux d’erreur est donc de 1 pour mille. Cela signifie que, pour 800 000 naissances annuelles, le DPI conduira à 800 faux positifs qui risquent d’aboutir à 800 IVG, pour une seule maladie. Le risque d’eugénisme est très fort. Il ne faut pas toucher au dispositif actuel relatif au DPI.

Mme Nadine Morano. N’étant pas médecin, je ne me prononcerai pas sur le plan scientifique, mais je ne suis pas favorable à une évolution en ce sens.

Si M. Leonetti a indiqué que faute de greffe de rein on peut mourir, et que l’on ne meurt pas de ne pas avoir d’enfant, cela cause, cependant, une sorte de mort intérieure.

Faut-il, m’a demandé M. Jean-Sébastien Vialatte, s’aligner systématiquement sur ce qui se fait ailleurs ? Non, bien sûr, mais l’on peut s’inspirer des bonnes idées, comme le soulignait encore récemment le Président de la République sur un autre sujet. Ainsi avons-nous élaboré une loi sur le laisser-mourir en imposant un cadre qui nous est propre. Dois-je rappeler qu’avant l’adoption de la loi autorisant l’interruption volontaire de grossesse (IVG), les femmes de France allaient avorter à l’étranger quand elles le pouvaient, ou qu’elles devaient avorter clandestinement dans des conditions épouvantables, avec les suites que l’on sait ? Là encore, nous avons dessiné notre propre législation. Cette fois, il n’est pas question de pratiquer un « copier-coller » du dispositif en vigueur aux États-Unis mais de donner un statut à des enfants qui, en raison des circonstances de leur conception, n’ont pas d’état-civil.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Ce n’est pas exact. La fillette dont il a été question a un état-civil : celui qui lui a été donné en Californie.

M. le président. Pour l’état-civil français, cette enfant bien vivante n’existe pas.

Mme Nadine Morano. Je ne trouve pas non plus satisfaisant que l’on imagine pouvoir choisir sa législation à la carte. Cela étant, la réalité est que l’acte de naissance de certains enfants de parents français vivant en France ne peut être transcrit dans nos registres d’état-civil. Si nous définissons un nouveau cadre légal, cette question sera réglée.

Concernant les répercussions psychologiques, Mme Hostalier, comme je l’ai dit, celles de la GPA, acte généreux, ne me paraissent pas pires que pour la FIV ou l’adoption – l’enfant devant alors vivre avec le double poids du déracinement et de l’abandon. Encore une fois, y-a-t-il une hiérarchie des organes ? Est-il plus important de donner un rein ? Est-il plus grave et inconvenant d’utiliser l’utérus d’une femme ? Comme M. Leonetti, vous vous inquiétez de l’incidence psychologique d’une GPA conduite dans le cadre familial. J’avais moi-même indiqué que je serais prête à porter un enfant pour ma fille et je le ferais également pour ma nièce. Dans ce cadre, l’enfant aurait le bonheur de grandir, aimé, dans une famille qui l’a attendu avec espoir, mais il est vrai que cela peut ne pas être exempt d’inconvénients. Aussi faut-il laisser le choix aux couples.

En tout état de cause, il existe des personnes qui seraient prêtes à faire ce geste par générosité, pour aider un autre couple – j’ai d’ailleurs été frappée par les liens qui existent entre les deux familles, qui gardent en général des contacts, en particulier entre la femme porteuse et la mère d’intention.

Le risque lié à l’accouchement existe – qui le nierait ? – comme les dons d’organe présentent un risque. M. Vialatte évoquait le risque pour une femme porteuse d’avoir le même accident médical grave entraînant la perte de l’utérus que la mère d’intention, mais il pourrait arriver pire et qu’elle meurt. C’est pourquoi la convention homologuée par le juge doit impérativement préciser ces risques, prévoir des assurances et faire mention du consentement libre et éclairé de la future femme porteuse, ces risques devant être connus et assumés.

Mme Pascale Crozon m’a interrogée sur ma perception des conclusions du rapport de Mme Michèle André. Comme je l’ai dit, je désapprouve formellement l’idée que la femme porteuse pourrait disposer de trois jours à compter de l’accouchement pour se rétracter et devenir ainsi la mère légale de l’enfant.

Pour ce qui est, M. Gosselin, de l’impact psychologique de la GPA sur les enfants concernés, des études ont été réalisées mais elles portent sur une durée de sept ans et le recul n’est pas suffisant aujourd’hui pour que l’on puisse encore le mesurer, ni le rapporter par exemple à la situation d’un enfant né de manière « classique » dans une famille où il est mal-aimé.

Enfin, concernant la question de l’anonymat des donneurs de gamètes, Mme Aurillac a bien souligné les difficultés qui se posent.

M. le rapporteur. En ce domaine, différentes options sont possibles : la levée de l’anonymat ; le « double guichet » ; la délivrance, sans lever l’anonymat, de certaines informations à ceux qui sont nés de gamètes donnés.

Mme Nadine Morano. Je suis favorable, à titre personnel, au libre choix, mais je sais que cela pose un problème d’égalité entre les uns et les autres.

M. le président. Mme la ministre, je vous remercie. Notre mission d’information va poursuivre ses travaux et elle prendra en compte les conclusions des États généraux de la bioéthique.

Audition de Mme Sylviane AGACINSKI, philosophe, professeur à l’École des hautes études en sciences sociales


(Procès-verbal de la séance du 18 mars 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Sylviane Agacinski, philosophe, professeur à l’École des hautes études en sciences sociales et auteur de nombreux ouvrages portant sur les rapports entre les sexes.

Dans le cadre des travaux du comité, présidé par Simone Veil, qui a réfléchi à une éventuelle modification du préambule de la Constitution, vous y avez, Madame, apporté une contribution écrite portant essentiellement sur le principe de non-commercialisation du corps humain et sur la gestation pour autrui. Permettez-moi de vous citer : « Si la pratique de la gestation pour autrui suscite aujourd’hui autant d’intérêt, c’est qu’elle s’inscrit déjà dans la perspective d’une médecine qui échappe à sa mission thérapeutique pour devenir, comme dans certains pays, un système artificiel de procréation, c’est-à-dire un système de production d’enfants. Et l’existence actuelle ou future d’une telle production ne peut qu’amplifier le désir d’enfant des individus et la souffrance de ne pas en avoir. » L’assistance médicale à la procréation soulève pour sa part bien des problèmes comme ceux de la filiation ou de l’extension des indications de l’AMP aux couples homosexuels… Mais nous allons nous concentrer ce soir sur la gestation pour autrui, sujet sur lequel nous avons souhaité vous entendre.

Mme Sylviane Agacinski. Tout d’abord, je vous remercie de m’avoir invitée à cet échange. Je m’en tiendrai strictement au sujet de la maternité pour autrui, dite gestation pour autrui, ou plus couramment pratique des mères porteuses.

La question est de savoir si, sous certaines conditions, la loi peut autoriser que l’on recoure à une femme pour implanter dans son utérus l’embryon issu d’un autre couple, qu’elle en assure la gestation et qu’elle mette l’enfant au monde pour le remettre à ce couple, comme l’a proposé dans son rapport un groupe de travail sénatorial – dont il faut préciser que l’avis ne représente pas celui du Sénat dans son ensemble.

Cette question est particulièrement grave parce qu’elle engage un choix de civilisation, en touchant au respect dû à la personne et à son corps. Elle pose également un problème social. Dans plusieurs régions du monde, comme la Californie, quelques autres États américains, la Russie, certains pays d’Europe de l’Est ou encore en Inde, se développe aujourd’hui un marché de la procréation particulièrement florissant, avec la vente de spermatozoïdes, d’ovocytes, d’embryons et la location d’utérus, nécessairement rémunérée, quel que soit « l’habillage » dont on pare cette rémunération. A ce sujet, peut-être avez-vous lu les ouvrages de Debora Spar The Baby Business et de Donna Dickenson Body Shopping, ou bien encore bien l’article paru dans The Observer sur le coût cruel des « dons » d’ovocytes, en Ukraine et à Chypre notamment, ou bien encore l’article de Jean-Yves Nau dans Le Monde sur la délocalisation des grossesses en Inde.

L’industrie procréative et le marché qu’elle ouvre concernent au premier chef les femmes, et nécessairement les plus pauvres d’entre elles, notamment les chômeuses. Lorsque la gestation est séparée de la fécondation in vitro, l’origine et les traits ethniques des gestatrices ne comptent pas. D’où un large recours au sous-prolétariat des femmes noires aux États-Unis et la délocalisation des gestations en Inde. À l’inverse, le marché des ovocytes, qui requiert des femmes blanches pour les couples occidentaux, fait massivement appel aux Caucasiennes qui sont à la fois blanches et bon marché. Celles-ci fournissent en ovocytes non seulement les établissements d’Ukraine et de Chypre, mais aussi des cliniques espagnoles spécialisées en procréation médicalement assistée. C’est en cela que cette pratique me paraît poser un problème social et ce contexte invite à ne pas tomber dans le piège d’une rhétorique exclusivement sentimentale et compassionnelle, qui ne parle que d’aider des couples en détresse.

Il n’est pas question pour moi de minimiser la souffrance que représente l’infertilité ni la situation cruelle des femmes dépourvues d’utérus. On ne peut qu’être favorable à l’utilisation des techniques d’assistance médicale à la procréation pour combattre l’infertilité. Ce n’est pas l’usage de ces techniques qui pose un problème éthique et juridique, mais le recours à de tierces personnes. La gestation pour autrui est souvent présentée comme une simple technique, une méthode de procréation assistée comme une autre. Raccourci à la fois étonnant et inacceptable ! Le vocabulaire isole la fonction gestatrice comme si celle-ci pouvait avoir lieu seule. L’expression « gestation pour autrui » occulte le problème majeur de l’accouchement, comme si l’on pouvait assurer une gestation sans accoucher et donner une gestation sans donner un enfant. Or, ce que l’on donne à la fin, c’est bien un enfant. Ce tour de passe-passe linguistique n’est pas innocent.

Une femme qui « met son utérus à la disposition d’autrui » – telle est la définition, cynique mais exacte, que donne Wikipédia de la mère porteuse – ne saurait pour moi participer du traitement de la stérilité. Pourtant, c’est bien ainsi que le groupe de travail du Sénat envisage le recours à une gestatrice, estimant que la gestation pour autrui pouvait être considérée comme un don « au même titre qu’un don d’organes ou de gamètes.»

En réalité, la logique de la maternité pour autrui n’est pas celle d’une thérapie, mais bien de la substitution pure et simple d’une personne à une autre. On parle pourtant souvent « d’aide » ou de « solution à un problème médical ». Or, ce n’est pas parce qu’un problème est médical que sa solution est médicale. Dans le cas d’une femme portant un enfant pour une autre, il n’y a là en soi rien de médical, même si on utilise des biotechnologies. En conséquence, porter un enfant pour autrui ne peut pas entrer dans l’ordre de ce que le code civil désigne comme « l’intérêt thérapeutique de la personne ou d’autrui. » L’article 16-3 du code civil dispose « qu’il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou, à titre exceptionnel, dans l’intérêt thérapeutique d’autrui. » Dans le cas de la gestation pour autrui et de l’accouchement qui s’ensuit, on porte atteinte, dans une certaine mesure, à l’intégrité du corps humain sans intérêt thérapeutique direct pour autrui. De plus, quel que soit le malheur de ne pas pouvoir porter un enfant, ce n’est ni un handicap ni une maladie mettant en danger la vie de la personne. Aucune comparaison n’est donc possible avec le don d’organes entre vivants, qui est envisagé lorsque le pronostic vital est engagé pour un malade.

Les articles 16-1 à 16-7 du code civil résultent de la reconnaissance par la loi de la dignité de la personne et du respect dû à son corps. Cette dignité et ce respect plongent leurs racines dans une profonde tradition culturelle : d’une part la pensée chrétienne, d’autre part la morale kantienne, à quoi s’ajoute depuis la Seconde guerre mondiale la condamnation de tout traitement dégradant de la personne humaine. Dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la dignité humaine prend une place importante et est élevée au rang de principe fondamental. Dans ce sens-là, la dignité signifie que la personne est son corps, comme l’écrivait Maurice Merleau-Ponty. Le corps n’est pas une chose que l’on posséderait comme une propriété. Et c’est d’ailleurs bien sur la distinction entre les personnes et les biens que repose l’ensemble de notre droit civil. On ne peut pas traiter le corps d’une personne, précisément parce qu’il a la dignité d’une personne, comme une chose : c’est ainsi qu’on ne peut l’utiliser comme un moyen ou un instrument. C’est pour la même raison qu’il est considéré comme inviolable, inaliénable – ne pouvant être ni donné ni vendu –, et ne peut faire l’objet d’un droit patrimonial.

Il faut rester fidèle à ces principes qui fondent notre civilisation et répondent aussi à une certaine idée que la France se fait des droits de l’homme. Tout don d’organes ou d’éléments du corps ne peut être appréhendé que comme une exception à des fins thérapeutiques – comme dans le cas du don de sang ou d’organes entre vivants. On pourrait d’ailleurs se demander si le don de gamètes lui-même répond à une fin thérapeutique. C’est une question épineuse, dans laquelle je ne m’engagerai pas pour l’instant. Il est en tout cas certain que la grossesse et l’accouchement ne peuvent absolument pas être comparés à un don de gamètes, ni sur le plan philosophique, ni sur le plan juridique, contrairement à ce qu’affirme le groupe de travail sénatorial. Cette comparaison n’a pas de sens parce qu’elle oublie qu’au terme de la grossesse, ce n’est pas un amas de cellules, mais un enfant que l’on donne, fruit biologique d’une fonction organique mais aussi personne sur le plan juridique. Prétendre, comme j’ai pu le lire, qu’il n’y a qu’une différence de degré et non de nature entre un don d’ovocytes et une gestation pour autrui me paraît aberrant. A ce compte, sur le principe de l’adage « qui vole un œuf vole un bœuf », qui donne des cellules pourrait donc donner un bébé… Il serait extrêmement inquiétant de légiférer sur de telles bases.

La grossesse constitue une série de transformations très profondes et très longues. Elle bouleverse l’ensemble de l’existence d’une femme sur le plan physiologique, mais aussi psychologique et moral. Considérer qu’une femme pourrait faire abstraction du processus d’enfantement qu’elle vit, c’est lui demander un clivage entre ce qui se passe dans son corps et le sens qu’elle donne à sa vie, comme si les aspects biologiques et biographiques d’une vie humaine pouvaient être scindés. Bref, c’est réduire son corps à une machine, ou à un animal.

Quant à l’accouchement, toujours soigneusement occulté quand on parle de gestation pour autrui, ses risques sont loin d’être négligeables, de l’épisiotomie à la césarienne qui requiert une anesthésie, en passant par les hémorragies. J’écoutais hier sur France Culture le témoignage d’une jeune femme qui avait « servi » – pardonnez-moi ce terme, mais en l’espèce c’est bien de cela qu’il s’agit– de gestatrice à un couple. Tout s’était fort bien passé pendant les neufs mois de grossesse, dans une sentimentalité des plus émouvantes, si ce n’est qu’après l’accouchement, cette jeune femme, à la suite d’une hémorragie, a dû subir une ablation de l’utérus. Il arrive également encore que des femmes meurent en couches. Chaque femme prend ces risques pour elle-même, avec tout le sens qu’une grossesse a pour elle, mais la loi doit-elle autoriser une femme à courir ces risques pour porter l’enfant d’une autre, sans que cela ait de sens dans sa propre vie ? Instrumentaliser ainsi les organes d’une femme, ce qui revient à la traiter comme une chose et à faire d’elle un outil vivant, est contraire au principe de l’inviolabilité du corps.

Une des difficultés tient à ce que la gestation pour autrui est sans nulle comparaison possible. On cherche à la rapprocher du don du sang, d’organes ou de gamètes, mais porter un enfant et le mettre au monde est une chose unique en son genre, qui a d’ailleurs été très peu pensée par la philosophie en général. Seuls le droit et la médecine s’y sont vraiment intéressés. Comme il est inconcevable de ne pas dédommager une gestatrice, notamment du fait de la durée de la grossesse, on est conduit, qu’on le veuille ou non, à fixer un prix à cette fonction organique et à l’enfant qui en naîtra. Faire entrer les organes humains dans l’ordre d’une production artisanale et d’un commerce contribue à défaire le lien établi par le droit entre la personne et son corps, qui assure que la même dignité est reconnue aux deux. C’est toute la différence entre l’usage des organes et l’usage du corps. Certains prétendent qu’après tout, chacun en travaillant vend en quelque sorte son corps, ses bras pour les travaux manuels, son cerveau pour les travaux intellectuels… Mais d’une part, on distingue soigneusement dans nos sociétés entre le temps de travail et la vie intime. D’autre part, le travail et la gestation pour autrui n’ont rien à voir dans la mesure où la gestation et l’accouchement, fonctions organiques, ne constituent pas une activité. Une femme qui attend un enfant ne fait rien et n’a rien à faire. C’est la substance corporelle qui est en cause, ce n’est en aucun cas une tâche ou un labeur.

Or, si la loi admet, même dans des cas particuliers et limités, que des organes ou des fonctions organiques, dont la gestation, puissent être utilisés par autrui moyennant une « indemnité », elle donne une légitimité morale à cette utilisation ; elle affirme que cette pratique est décente, qu’elle est humaine. A-t-on bien conscience de rendre alors possible un commerce, et par là une marchandisation, du corps de la femme et de l’enfant ? Dans aucun pays du monde où existent ces pratiques, on ne parle de prix, de rémunération ou de salaire, mais toujours hypocritement « d’indemnité », de « compensation », « de dédommagement raisonnable ». Je pense au directeur d’une clinique de Kiev qui paie de 300 à 500 euros les ovocytes prélevés sur des femmes après stimulation ovarienne avant de facturer 5 000 euros une fécondation in vitro, et assure de manière mielleuse que les donneuses d’ovocytes ne sont pas rémunérées, mais simplement « dédommagées » pour le temps passé. Partout où ces pratiques existent, y compris sur les sites internet américains où tout du corps s’achète et se vend (embryons, utérus, sperme, ovocytes…), elles sont parées des vertus d’altruisme et de générosité, et on n’y parle que « d’indemnité ». Pour ma part, je ne vois là qu’une marchandisation qui se dissimule derrière une rhétorique du don de pure façade. C’est d’ailleurs pour ouvrir ces marchés que l’on nous presse de modifier nos lois. En effet, le marché de la procréation ne saurait fonctionner sans cette pièce maîtresse que constitue l’utérus. On peut fabriquer des embryons en laboratoire, les congeler – un site américain propose, si on lui confie du sperme, de renvoyer un embryon congelé que le destinataire peut ensuite décider d’implanter dans un corps féminin de son choix –, mais on ne peut faire naître un enfant sans utérus, celui-ci dût-il être loué.

La responsabilité du législateur est de définir ce qui est conforme ou non à la dignité des personnes. Les lois de bioéthique depuis 1994 et la Constitution garantissent le respect de cette dignité. Le droit protège ainsi a priori les personnes les plus pauvres et les plus fragiles contre des marchés dégradants, la France et d’autres pays de l’Union européenne plaçant la dignité au-dessus du consentement éventuel des personnes. C’est la loi, et non la philosophie ou l’opinion personnelle de tel ou tel, qui doit, en l’occurrence, fixer la limite entre le digne et l’indigne. C’est lorsque cette limite est fixée que la liberté individuelle peut s’exercer et que le consentement des individus prend sens, sans qu’il puisse l’emporter sur la dignité. « Si cela plaît à une femme d’être mère porteuse, pourquoi l’en empêcher ? », entend-on parfois. Un professeur renommé de gynécologie-obstétrique se demandait ainsi pourquoi empêcher un couple de recourir à une gestation pour autrui si les deux membres du couple et la gestatrice y consentent tous trois de manière éclairée. Mais un intérêt financier ou une pression morale peuvent inciter une personne à sacrifier sa dignité et sa santé. Beaucoup consentiraient aujourd’hui à travailler douze heures par jour dans des conditions dangereuses pour leur santé si la loi l’autorisait ! C’est donc bien à la loi de fixer les limites, la liberté individuelle s’exerçant ensuite et dans le cadre fixé.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Merci de cet exposé d’une grande hauteur de vue. Je vais essayer de vous porter la contradiction. Vous avez axé votre développement sur la commercialisation du corps. Mme Nadine Morano, que nous auditionnions avant vous, parlait, elle, surtout de générosité et de don. Ne pensez-vous pas qu’il est possible que certaines femmes acceptent, par pure générosité, de porter l’enfant d’une autre, en particulier dans le cadre familial ?

Mme Sylviane Agacinski. Bien entendu, et il n’y a rien de plus compréhensible. Que ne ferait-on pas pour ses enfants, parfois même pour ses amis ? Je ne conteste pas que le don véritable puisse exister. Le don d’organes entre vivants relève lui aussi de la générosité –des barrières strictes ayant d’ailleurs été posées, seuls des membres de la famille ou des personnes très proches pouvant être donneurs. Cependant le cas de la gestation pour autrui dans le cadre familial est tout à fait singulier. L’anthropologue Françoise Héritier a montré dans divers travaux que porter un enfant pour un membre de sa famille ne peut être dénué de connotations incestueuses. Ainsi porter un enfant pour sa fille, c’est porter un embryon conçu avec le sperme de son gendre ; porter un enfant pour sa sœur, un embryon conçu avec le sperme de son beau-frère ; porter un enfant pour sa mère – pourquoi certaines filles ne le feraient-elles pas ? –, un embryon conçu avec le sperme de son père. Même le don d’ovocytes entre soeurs, souligne Françoise Héritier, constitue un inceste d’un autre type : c’est, d’une certaine manière, faire un enfant avec son beau-frère. Peut-on tenir pour négligeable ce brouillage des générations, une mère portant l’enfant de sa fille étant appelée à en être à la fois la mère et la grand-mère, et ignorer totalement ces aspects incestueux ? Si le don et la générosité sont assurément respectables, l’institution de la filiation, l’ordre des générations et la prohibition de l’inceste ne doivent pas être négligés. Tout se passe, hélas, à notre époque comme si le sentiment pouvait tout remplacer ! Il faut pourtant bien, avant de laisser s’exercer le sentiment, demander d’abord quel ordre humain, quel ordre symbolique entre les personnes est décent ou ne l’est pas.

M. le rapporteur. On ne peut mettre sur le même plan le don d’organes intra-familial entre vivants et le « prêt » d’utérus. Dans le cas d’un prêt d’utérus, la vie de la mère porteuse peut se trouver mise en danger – même si le risque est faible –, simplement pour combler un désir d’enfant, aussi légitime celui-ci soit-il, alors que dans le cas d’un don d’organes, il s’agit de sauver la vie d’une personne en attente d’une greffe vitale. Dans le dernier cas, contrairement au premier, le risque pris par le donneur est proportionné au bénéfice attendu pour le receveur.

La contractualisation détaillée de tous les risques potentiels au cours d’une gestation pour autrui – quid en cas de fausse couche, de problème lors de l’accouchement, de découverte d’une malformation en cours de grossesse ou à la naissance et qui éventuellement décide d’une interruption thérapeutique de grossesse ? – ne conduit-il pas inévitablement à réifier l’enfant ? Une personne, qui est un sujet, peut-elle faire l’objet d’un contrat ? Je pense à cet instant à la pièce de Shakespeare Le marchand de Venise dans laquelle un emprunteur s’engage par contrat à donner une livre de sa chair s’il n’a pas remboursé certains prêts à une échéance donnée. À la fin de la pièce, au dénouement heureux, l’héroïne, déguisée en « docteur de droit civil », arrive à emporter la décision du juge et à sauver celui qui aurait dû se départir d’une part de lui-même, en faisant valoir qu’il s’agissait d’une livre de chair mais non du sang qui l’accompagne. Le corps n’est pas une marchandise. L’existence d’un contrat engageant au minimum un organe, l’utérus, et au maximum un être humain, l’enfant, ne réifie-t-il pas à la fois le corps de la femme et l’enfant à naître ?

M. Paul Jeanneteau. Comment définiriez-vous, Madame, la dignité humaine ? Nous percevons tous à peu près en quoi elle consiste, mais il est assez difficile de définir précisément cette valeur. Sur quoi se fonde-t-elle ? Qu’est-ce qui différencie l’homme de l’animal et du végétal ?

Mme Sylviane Agacinski. Pour s’en tenir au concept antique de dignitas, qui n’avait pas tout à fait la même acception que celui actuel de dignité, Sénèque déjà distinguait le prix et la valeur des choses. La dignité de la personne humaine réside dans le fait qu’elle a une valeur absolue, si bien qu’elle n’a pas de prix. D’où le principe fondamental de non-patrimonialité du corps. Pour ce qui est de l’inviolabilité du corps et du respect de son intégrité, on peut se référer à Kant, et aux arguments qu’il développe dans La métaphysique des mœurs, notamment dans la Doctrine de la vertu, assez éclairants et proches du sens commun, à savoir que l’intégrité de ce qui a une valeur absolue ne doit pas être entamée. Pour Kant, ce qui a une valeur absolue et n’a donc pas de prix, c’est la personne morale de l’homme, le fait qu’il peut agir par devoir, et non pas seulement suivant ses inclinations ou ses intérêts. Cette faculté qui fait de nous des êtres raisonnables et nous permet de nous conduire selon une règle que nous nous prescrivons ou une loi, et non comme des animaux, là où notre intérêt immédiat nous pousserait, est ce qui fonde notre dignité. Pour Kant, celle-ci est essentiellement morale, mais comme la personne fait un tout avec son corps, le corps a droit au même respect que la personne morale. C’est pourquoi ni la personne morale ni la personne physique ne peuvent être achetées ni vendues. Pour Kant, acheter l’intégrité morale d’une personne – c’est-à-dire la corruption –, c’est porter atteinte à la personne morale même. De la même façon, il considère que l’intégrité physique ne doit pas être entamée. Chacun doit respecter son propre corps, ne pas le mutiler, ne pas l’étourdir par quelque drogue, ni se défaire d’une de ses parties, fût-ce pour la donner – a fortiori la vendre. Nul ne doit vendre ni même donner, écrit-il, « l’une de ses dents pour la transplanter dans la mâchoire d’un autre ». Kant ne pouvait bien sûr avoir conscience de tout l’intérêt thérapeutique de certains dons au profit d’autrui, comme celui du sang. Il envisageait seulement, et comme une exception, l’intérêt thérapeutique de la personne elle-même, indiquant par exemple qu’il était légitime d’amputer un membre gangrené puisque la gangrène mettait en jeu la vie de la personne.

Les principes de notre code civil actuel ne sont donc pas si éloignés de la morale kantienne. La dignité est la valeur de la personne en tant que personne morale, et la valeur de son corps en est absolument indissociable. Il faudrait à cela ajouter une acception plus moderne encore de la dignité qui est que, pour nous, chaque existence singulière est digne, pas simplement parce que nous sommes des êtres raisonnables, mais parce que nous existons en tant qu’êtres humains et que chaque personne a en elle-même droit au respect. Mais, comme l’indique très justement Pierre Manent dans son Cours familier de philosophie politique, protéger l’intégrité morale et physique d’une personne, ce n’est pas satisfaire n’importe quels désirs individuels jusqu’aux plus singuliers, précisément d’ailleurs parce que ces désirs peuvent porter atteinte à la dignité d’autrui.

Comme vous, je pense qu’il existe un risque réel de réifier la femme et l’enfant. Cette réification s’opère tout d’abord en utilisant des concepts, issus des biotechnologies, qui aboutissent à mettre le corps en miettes – j’en traite dans un petit travail, à paraître, intitulé Corps en miettes. De cet émiettement du corps, il n’y a qu’un pas à l’émiettement des personnes, notamment dans la production procréative. C’est ainsi que l’on parle de parents et d’enfants biologiques ou génétiques… en appliquant aux personnes des concepts qui normalement s’appliquent à leurs cellules ou à leurs organes. Or, il faut maintenir une distinction entre les personnes et les choses. Si on indemnise une femme pour une gestation et un accouchement, on donne un prix non seulement au temps des neuf mois de la gestation, mais aussi à l’enfant. Qu’on le veuille ou non, on le transforme en marchandise. On s’interroge beaucoup sur le devenir des enfants nés de techniques d’AMP ou d’une mère porteuse dont beaucoup souffrent de ne pouvoir donner un visage à leurs géniteurs, mais on interroge assez peu les gestatrices pour autrui et leur famille. Maurice Godelier, dans son ouvrage Métamorphoses de la parenté, s’est intéressé, lui, à des enfants dont la mère a porté un enfant pour un couple tiers. Comme ils auraient beaucoup aimé garder le bébé, ces enfants ont demandé à leur mère durant la grossesse s’il ne serait pas possible de le « racheter » à ses parents. Très spontanément, ils avaient donc compris que ce bébé s’achetait et se vendait. Enfin, non sans inquiétude, ils lui ont demandé si elle n’envisageait pas de les vendre eux aussi. Sans aller jusqu’à dire que la vérité sort toujours de la bouche des enfants, l’association absolument naturelle qu’ils font brise la fiction selon laquelle on pourrait rémunérer une gestation sans acheter un enfant.

Mme Françoise Hostalier. Merci de nous avoir éclairés de manière aussi passionnante et d’avoir ouvert autant de pistes par ces questions pertinentes auxquelles il est parfois bien difficile d’apporter réponse… On ne peut pas, vous l’avez fort bien dit, invoquer à tout propos la générosité, mais tous les parents le savent, ils seraient prêts à faire n’importe quoi pour leur enfant, ils pourraient même aller jusqu’à tuer. D’où la nécessité de poser des limites sociales.

Quand bien même le législateur interdirait la gestation pour autrui en France, il n’en demeure pas moins qu’il existe dans notre pays des enfants nés par ce biais dans des pays où la pratique est autorisée. Or, ces enfants n’ont pas d’existence reconnue chez nous…

Mme Sylviane Agacinski. Comment ? Ils ont un père… et un état civil établi dans leur pays de naissance.

Mme Françoise Hostalier. Ils ne sont pas reconnus dans notre structure sociale. Ils ne peuvent pas aujourd’hui figurer sur le livret de famille. Le législateur doit-il accompagner les évolutions en améliorant l’existence de ces enfants, notamment sur le plan juridique ? Doit-il faciliter la procédure au risque d’ouvrir une boîte de Pandore ?

Mme Sylviane Agacinski. Les enfants nés à l’étranger dont vous parlez sont généralement nés d’un père, et légal et génétique, résidant en France. Ils en sont donc bien légalement les enfants. Enfin, dans leur pays de naissance, leur ont été délivrés des papiers leur conférant un certain statut. Le problème, c’est la mère. Si on ne reconnaît pas en France la pratique de la gestation pour autrui, on ne peut pas davantage la reconnaître lorsqu’elle a eu lieu à l’étranger. On ne peut pas faire fi de cette illégitimité, une fois l’enfant ramené sur notre territoire. Pour autant, une fois que ces enfants sont là, ils doivent pouvoir vivre normalement et une solution doit être trouvée. Le statut du beau-parent ne pourrait-il pas précisément en être une ? (Sourires)

M. le président. N’ajoutons pas à la complexité du sujet… (Sourires)

Mme Sylviane Agacinski. Je n’ai pas de réponse précise sur la solution juridique possible. Mais ces enfants aujourd’hui ne sont absolument pas abandonnés et ils ont des papiers.

M. Paul Jeanneteau. La loi de 2002 sur la délégation de l’autorité parentale pourrait constituer une première solution.

Mme Sylviane Agacinski. On ne peut pas encourager les couples à recourir à la gestation pour autrui à l’étranger. Je suis d’ailleurs étonnée d’entendre dire que la France serait « en retard », la pratique des mères porteuses étant déjà autorisée dans de nombreux pays. Elle l’est en effet dans certains États des États Unis, et dans la jungle de l’ex-URSS, mais dans la plupart des pays européens, elle demeure formellement interdite. Seuls font exception, de manière très encadrée d’ailleurs, le Royaume-Uni, la Belgique et la Grèce. L’Allemagne interdit tout, y compris le don de gamètes, sans nul doute à cause de son passé ; l’Espagne, où l’achat d’ovocytes est courant, interdit la GPA… Ne laissons donc pas accroire que cette pratique serait courante à l’étranger. Sans doute y aurait-il là un important travail à conduire au niveau européen pour trouver un accord sur le sujet. En tout cas, la France n’est pas en retard. Elle me paraît même en avance dans la mesure où elle protège mieux la dignité des personnes.

M. Jean-Sébastien Vialatte. L’anonymat du don de gamètes et du don d’organes à partir de personnes décédées vous paraît-il garantir leur gratuité ? Pour le don d’organes à partir de donneur vivant, qui ne peut être anonyme, le processus de recueil du consentement éclairé de la personne est-il suffisant ? Ne crée-t-on pas une dette éternelle, à jamais impossible à payer, entre le donneur et le receveur ? Quelles sont les conséquences psychologiques potentielles pour ces deux personnes ?

Mme Sylviane Agacinski. Le problème du don de gamètes est extrêmement compliqué. Il est vrai que sur le plan du principe, l’anonymat protège de la marchandisation. Même pour le prélèvement d’organes sur personnes décédées, l’anonymat est garanti afin d’éviter tout marchandage avant ou après la mort. C’est d’ailleurs pourquoi la gestation pour autrui, ne pouvant par définition être anonyme, est inévitablement exposée à la marchandisation et aux trafics. S’agissant du don de gamètes, j’ai toutefois l’impression que l’anonymat a été défendu moins pour des raisons éthiques de non-marchandisation ou dans l’intérêt de l’enfant, que parce qu’il y allait de l’intérêt à la fois des couples de donneurs et des couples de receveurs. Les donneurs acceptaient de donner leurs gamètes sans vouloir en rien s’engager dans une quelconque paternité ou maternité. Quant aux receveurs, ils souhaitaient au fond construire une procréation conjugale, comme le montrent bien les travaux des anthropologues. Et il était de leur intérêt d’effacer le plus possible le donneur et le don. D’autant que le recours au don de sperme – le plus courant et le plus ancien, le don d’ovocytes n’ayant été rendu possible que bien plus tard – était souvent encouragé par les maris stériles qui, refusant d’assumer leur condition, souhaitaient la cacher à leurs proches et avaient donc intérêt à taire qu’ils recouraient à une AMP avec tiers donneur. À l’anonymat, chacun trouvait donc son compte.

Cet anonymat crée toutefois un vide génétique pour les enfants ainsi conçus, dont il est légitime qu’ils demandent à savoir comment ils sont venus au monde. Ils peuvent soudain s’apercevoir que leur conception repose sur un silence, voire un mensonge, et qu’ils n’ont pas accès à leurs origines. Ce n’est certes pas dans ces origines que se trouve la clé de leur identité singulière toujours unique, mais c’est là qu’ils peuvent s’inscrire dans une lignée humaine de personnes. Il y a quelque chose de gênant à dire à un enfant et à ce que celui-ci se dise à lui-même qu’il est né simplement à partir de matériau biologique. C’est pourquoi je me demande, tout en mesurant la difficulté de la tâche et la rupture que cela représenterait dans notre droit de la famille, si on ne pourrait pas, à côté des parents légaux qui demeureraient bien les seuls parents, conserver une trace des « ascendants » avec quelques renseignements sur eux. Cela donnerait à ces « ascendants » une place symbolique sans les engager dans quelque responsabilité parentale que ce soit.

M. le rapporteur. N’avez-vous pas l’impression que notre société est en quête obsessionnelle de l’identité génétique, alors même que le fait de devenir parent contient beaucoup plus que la rencontre d’un ovule et un spermatozoïde ? C’est à partir des repères qui lui sont donnés que se construit la personnalité de l’enfant. Les parents adoptifs sont les vrais parents des enfants qu’ils ont adoptés, sans avoir avec eux aucun lien génétique. Ne pensez-vous pas que la future loi, sans nier les aspects génétiques, devrait mettre l’accent sur les aspects affectifs et éducatifs plutôt que de privilégier cette quête génétique, d’autant qu’il n’existe pas de déterminisme génétique absolu ? La loi n’est-elle pas là aussi pour rappeler ces valeurs de base ?

Mme Sylviane Agacinski. Je serais assez d’accord avec vous. S’agissant de la place accordée à la génétique, il existe une énorme contradiction. D’un côté, on a des parents qui veulent à tout prix des enfants issus de leurs gènes, aspiration respectable, d’autant qu’au-delà des gènes, il n’est pas question de nier l’aspect charnel de la procréation. Mais d’un autre côté, lorsque l’un des deux parents ne peut fournir de gamètes, on fait appel à des donneurs anonymes qui ne comptent alors pour rien et sont totalement ignorés. Lorsqu’une femme ne peut pas fabriquer d’ovocytes mais peut porter un enfant, c’est alors la gestation qui devient essentielle – peu importe l’origine des gamètes. Dans ce cas-là, on valorise la phase d’enfantement, alors qu’au contraire, on la dévalorise lorsqu’un couple a des gamètes mais que la femme ne peut pas porter l’enfant. On joue sur tous les tableaux, de façon contradictoire.

Il est certain est que l’on survalorise le génétique alors que la transmission peut prendre de multiples formes et qu’elle peut se réaliser pleinement au travers de l’adoption, mais aussi d’autres moyens que la parenté, notamment dans la transmission de savoirs aux plus jeunes – je pense notamment à l’enseignement, mais beaucoup de métiers permettent d’assouvir ce désir légitime de transmettre, de servir de pont entre ceux qui nous précèdent et ceux qui nous succéderont, ne passant ni par la parenté biologique ni par l’adoption, mais par la relation entre les générations. Ne pas avoir d’enfant n’est pas nécessairement une tragédie.

M. le président. Il me reste, Madame, à vous remercier de votre contribution qui sera précieuse aux travaux de notre mission d’information.

Audition de Mme Sophie MARINOPOULOS, psychanalyste et psychologue clinicienne


(Procès-verbal de la séance du 24 mars 2009)

Présidence de M. Michel Vaxès, vice-président

M. Michel Vaxès, président. Nous poursuivons nos travaux en accueillant Mme Sophie Marinopoulos, psychologue clinicienne et psychanalyste à la maternité du centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes, auteur de plusieurs ouvrages, notamment Le corps bavard, en 2007, et 9 mois et caetera, ouvrage écrit en collaboration avec le professeur Israël Nisand.

Dans ce dernier livre, vous prenez position sur un large éventail de problèmes ayant trait à la bioéthique. Vous vous prononcez, par exemple, en faveur de la gestation pour autrui, mais vous estimez que l’anonymat du don de gamètes ne doit pas être fondamentalement remis en cause. N’est-ce pas, dans une certaine mesure, contradictoire ? Vous souhaitez en effet préserver l’anonymat dans un cas, alors que c’est impossible dans l’autre, la « gestatrice » étant connue.

Dans le prolongement de la réflexion engagée par Françoise Dolto, vous avez beaucoup travaillé sur le langage des sensations éprouvées. Pensez-vous que les liens existant après la naissance se développent également avant qu’elle ait lieu ? La séparation entre l’enfant et la « gestatrice », avec laquelle il a eu une première expérience relationnelle, n’est-elle pas une rupture difficile à assumer pour l’un comme pour l’autre ?

Par ailleurs, quelle est votre position sur les conditions régissant actuellement l’accès à l’assistance médicale à la procréation (AMP) ? Sont-elles satisfaisantes ou doivent-elles, selon vous, être modifiées ?

Mme Sophie Marinopoulos. L’ouvrage que vous évoquez a été écrit à deux voix, ce qui peut brouiller les pistes : le professeur Nisand et moi-même ne défendons pas systématiquement les mêmes positions, mais nous avons tenu à montrer que l’on peut diverger sur certains points et se retrouver tout de même dans une écriture collective.

En matière d’assistance médicale à la procréation, la vie psychique nous met dans l’embarras. En effet, l’AMP n’est pas qu’une affaire de progrès scientifiques, mais aussi de relations humaines. Celles-ci comportent une part très énigmatique : qu’elles soient amicales, amoureuses, sociales ou sexuelles, les relations humaines ne sont pas aussi simples qu’il y paraît. Dès lors qu’on entre dans le domaine de l’intimité, il existe toujours une zone d’ombre qui nous échappe.

Je ne partage pas l’idée, souvent relayée par la presse, que la frilosité du législateur nous mettrait en retard dans les domaines de l’anonymat du don de gamètes, de la gestation pour autrui ou encore de l’accès à l’AMP pour les célibataires. Il me semble, au contraire, que nous faisons preuve de fidélité envers une certaine forme de pensée, que je qualifierais de démocratique, en cherchant des règles et des normes valables pour tous. Nous préservons également la fertilité de notre pensée en continuant à nous poser des questions, au lieu de tomber dans ce piège qu’est la pensée binaire – être « pour » ou « contre », comme s’il suffisait de cocher la bonne case.

Même si l’on rejette souvent l’idée qu’une vie psychique existe, certaines dissonances montrent bien qu’on ne peut pas en rester à une logique exclusivement rationnelle. On peut raisonnablement affirmer que nous ne sommes pas des êtres raisonnables, sans être pour autant des êtres uniquement faits de chair. Si c’était le cas, nous ne nous interrogerions pas sur la question si complexe qu’est la procréation médicalement assistée.

La légitimité des psychanalystes dans ce débat est sans doute qu’ils peuvent témoigner d’un sujet que nous appelons le « sujet psychique », personnage énigmatique, qui n’est pas très raisonnable et qui agit toujours derrière la personne sociale. Le sujet psychique, autrement appelé « sujet symbolique », est pris dans des liens signifiants : il se construit dans des liens précoces, qui se tissent dans une histoire, dans laquelle il « s’origine ». Je précise que « s’originer » dans une histoire ne signifie pas forcément qu’on y soit né. On éprouve en revanche le sentiment, alimenté de façon très variable, d’être ancré dans une histoire de vie.

Certaines personnes vont accompagner le sujet psychique dans sa naissance, certains jouant des rôles principaux dans le « roman familial », notamment le père et la mère, et d’autres des rôles secondaires, en particulier les membres de la famille élargie. Au demeurant, ces différents personnages ne jouent pas des rôles comparables et interchangeables pour chaque enfant, car la famille intérieure que ce dernier construit est très singulière.

Grâce à ceux qui l’entourent, l’enfant aura un premier sentiment de lui-même et il recevra la notion de différence, en particulier celle des sexes et celle des générations. Il va en faire son arbre de vie intérieur et il va passer, au fil de sa croissance, par l’épreuve de séparations successives. Pour grandir, l’enfant doit en effet traverser des séparations physiques et psychiques, notamment avec ses parents. C’est ainsi qu’il pourra acquérir une autonomie toujours plus grande et une place singulière parmi les siens. Sa famille intérieure va jouer un rôle très actif pendant les grands moments de sa vie, l’enfance, l’adolescence, la vie d’adulte, la vie conjugale, la vie parentale. C’est cela, grandir.

Notre maîtrise scientifique est telle que l’on sait maintenant « faire » des enfants hors corps, hors sexe, hors vie. Mais avoir un enfant et être parent constituent deux temps très différents. Être parent est un processus étrange et complexe, qui nécessite en particulier de lâcher prise. Or, c’est d’autant plus compliqué que l’on peut de plus en plus construire un enfant selon ses désirs.

Les dissonances que j’évoquais tout à l’heure nous font prendre conscience de l’inconscient. J’ai plusieurs enseignants dans ma clinique, dont les premiers sont les enfants que je rencontre. Même s’ils ont souvent des parents biologiques, ainsi que des parents « légaux » au sens du livret de famille, ces enfants sont en souffrance de parents symboliques. Leurs parents présentent en effet des failles plus ou moins graves, soit dans les soins que l’enfant doit recevoir, les parents étant d’abord des soignants, soit dans la protection dont ils doivent faire l’objet. Il y a aussi ces parents qui doivent apprendre à se sevrer de leur enfant en l’autorisant à s’éloigner d’eux et en acceptant l’idée qu’ils vont le perdre tout en le gardant en eux. Il y a enfin les parents préœdipiens et œdipiens, qui autorisent l’enfant à les dépasser, à aller au-delà d’eux-mêmes.

Certains enfants ont le sentiment de ne pas avoir réussi leurs parents. Ce sera, par exemple, le cas d’un enfant que sa mère ne va pas laisser grandir, parce qu’elle ne parvient pas à se séparer de lui, et à l’accompagner vers l’extérieur de la famille. Mais il y a aussi ces faits divers dramatiques relatés par les journaux : des parents qui maltraitent leurs enfants ou bien ce père qui a séquestré sa fille et lui a fait des enfants. On en est là au stade de la « horde », cette première structure familiale dans laquelle le père tyrannique garde ses enfants et les possède.

Mes autres enseignants, ce sont ces parents qui nous exposent à l’impensable, notamment les mères qui abandonnent leur enfant. Pour les avoir accompagnées depuis longtemps, ce sont elles que je connais sans doute le mieux. Ces mères nous mettent en très grande difficulté, car nous sommes dans une logique de soignants – du corps ou de la psyché – et nous sommes formés à accompagner le lien entre les parents et l’enfant, et non la séparation. Ces parents nous dérangent, d’une certaine façon, mais ils nous apprennent aussi beaucoup sur ce que signifie être mère.

Il y a aussi les cas de néonaticide, c’est-à-dire de meurtre de l’enfant à la naissance. Quand on attend un enfant, c’est qu’on le désire, mais on oublie trop souvent que le désir comporte une part d’inconscient qui peut parfois surgir. Ces mères qui tuent leur enfant, rapportent souvent les médias, menaient une vie en apparence sans histoire, du moins du point de vue social. Du côté psychique, il y avait sans doute une histoire sans vie, ou bien une souffrance intense qui n’avait pas pu se résoudre.

Je le répète : il y a des moments où l’on prend conscience d’un surgissement de l’inconscient. Certaines patientes font, par exemple, une demande d’AMP et puis, une fois enceintes, elles souhaitent interrompre leur grossesse. On s’aperçoit alors qu’il y avait quelque chose que l’on n’avait pas pu, pas voulu ou pas su entendre : même si cela peut paraître choquant, une demande d’enfant ne s’accompagne pas toujours d’une attente, ce qui nous oblige à changer de paradigme.

Dans une certaine mesure, nous avons mis en échec la fatalité biologique en luttant contre la mortalité infantile, en parvenant à limiter les naissances, puis en combattant le fléau de l’infertilité. Mais nous sommes maintenant confrontés au défi de la filiation, qui se manifeste par des sollicitations et des revendications en tous genres.

Je rappelle que la filiation repose d’abord sur des limites naturelles, d’ordre biologique, qui résultent de l’ancrage dans le corps humain, de la reproduction sexuée, de la différence des générations et de la finitude de la vie. À cela s’ajoute un cadre culturel, qui institue le vivant : il s’agit tout d’abord des lois interdisant le meurtre et l’inceste, mais aussi des lois organisatrices, concernant la répétition de la vie, la mort, et la différence des sexes et des générations.

Puisque l’on peut désormais tout faire en matière de filiation, il faut que nous nous demandions à quoi nous tenons vraiment. Il en résulte des interrogations en cascade : sommes-nous capables de construire un cadre garantissant notre humanité ? Pouvons-nous penser des limites ? La remise en cause de la filiation, de nos jours, n’est-elle pas en réalité une attaque en règle contre ces limites ?

Une des questions posées par la gestation pour autrui (GPA) est de savoir ce que l’on peut s’autoriser à faire à l’intérieur de la famille. Un de mes collègues m’a un jour demandé si je prêterais mon utérus à ma fille. J’ai eu l’impression de devoir cocher la case : « oui », sous peine de passer pour une mère dénaturée. Puisque ce collègue envisageait que les mères et les filles puissent se « prêter » un bout de leur corps, je lui ai demandé si un père pouvait prêter son sperme à sa fille en cas de stérilité du mari. J’ai alors fait face à une levée de boucliers ! C’est que chaque partie du corps est investie d’une part psychique : en ce sens, un gamète n’est pas seulement biologique.

Tout n’est donc pas possible à l’intérieur de la famille, cela non pour des raisons morales, mais tenant à la vie psychique. Une mère devient psychiquement mère par étapes, à partir de l’enfance. Entre une mère et sa fille, il existe des liens d’identification intenses, qui évoluent d’ailleurs au fil du temps : entre l’enfant et celle qui la soigne, il y a d’abord un lien d’amour absolu, qui va être intériorisé ; l’enfant va ensuite grandir avec sa mère, et celle-ci avec lui. C’est d’ailleurs un vaste sujet de réflexion : comment grandit un parent ?

Par la suite, l’enfant va être autorisé à se séparer de la mère, qui est une passeuse de féminité et de maternité pour sa fille ; elle va construire son identité sexuée dans un rapport au masculin et au féminin, et elle souhaitera fonder une relation dans laquelle la mère rivale, œdipienne, sera dépassée. On ne devient mère que lorsqu’on a dépassé sa mère œdipienne tout en la gardant en soi. La maternité fait donc l’objet d’une transmission très complexe. Au demeurant, je trouve qu’on ne parle pas assez du sentiment croissant de solitude des femmes dans leur « devenir mère » – mais aussi des hommes dans leur « devenir père ».

Pour en revenir à ces femmes qui demandent une interruption volontaire de grossesse (IVG) après avoir bénéficié d’une AMP, elles n’avaient évidemment pas imaginé qu’elles seraient en difficulté. Elles pensaient sincèrement avoir envie d’être mères, mais elles ont été dépassées. Or, le rôle de la loi est précisément de protéger les humains contre eux-mêmes. Il faut instituer le vivant – vitam instituere – parce qu’il est violent. La loi est le garant du « vivre ensemble », ainsi qu’un garant à l’égard de nous-mêmes.

Si une mère acceptait de porter l’enfant de sa fille, elle renverrait cette dernière à son incapacité de la dépasser en devenant, elle aussi, une mère, parce qu’elle incapable de porter ses propres enfants. Cela vaut également pour le don intrafamilial de gamètes ou d’embryons, même si ces questions sont moins fréquemment abordées.

Cela étant, quelles solutions peut-on envisager en dehors de la GPA intrafamiliale ? Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer, dans un autre cadre, toute décision doit être prise en tenant compte des enjeux psychiques de la filiation : devenir parent, ce n’est pas seulement fabriquer un enfant. Il ne faut pas en rester à la seule perspective de la procréation ; nous devons, au contraire, nous placer dans le champ plus complexe de l’enfantement, qui conduit à la filiation. On parle désormais beaucoup de « gestatrice », de « génitrice », de « couple intentionnel », mais ces divers signifiants ne nous ouvrent pas sur la question du parent et de sa construction psychique.

Très paradoxalement, ce sont les mères qui abandonnent leur enfant, c’est-à-dire celles qui interrompent leur maternité après la naissance, qui m’ont le plus appris sur la construction psychique du parent. J’ai également découvert de nombreux aspects que j’ignorais en réalisant, pendant un an, un tour du monde. Je voulais mieux comprendre ce que signifie la filiation dans d’autres cultures.

Ce qui m’a le plus étonné chez ces femmes, généralement enceintes de quatre mois ou plus, qui indiquent d’emblée leur souhait d’abandonner leur enfant, c’est leur solidité psychique. Ce sont des femmes qui ont reçu des soins dans leur enfance, et que leurs parents ont su accompagner aux premiers stades de leur vie. La défaillance est venue plus tard : elles sont en souffrance de leurs parents symboliques. À la période œdipienne, leurs parents n’ont pas tenu leur place, ils n’ont pas permis la passation de la maternité.

Ces femmes n’ont donc rien à voir avec des femmes « carencées », incapables de se séparer de leur enfant, et qui vont essayer de réparer leur propre histoire d’enfance dans le lien avec leur propre enfant. Fragiles, ces dernières se nourrissent en réalité de leur enfant, dont elles doivent parfois être séparées par décision de justice.

En rencontrant des femmes qui abandonnent leur enfant, j’ai appris à quel point il était important qu’elles puissent dire quelque chose de ce qui arrive, au lieu de rester dans la sidération de la grossesse. Elles doivent commencer à mettre des mots sur ce qui, jusque-là, n’était qu’une histoire sans paroles, c’est-à-dire un imaginaire parental originaire, qui n’était pas dénué de sens, pas plus qu’il n’est dénué de sens de vouloir se séparer de son enfant. Ces femmes qui sont amenées à continuer leur grossesse pour accompagner leur enfant en vue de s’en séparer, ont une représentation tout à fait surprenante de leur capacité à pouvoir quitter leur enfant.

J’ai beaucoup parlé avec ces femmes dans le cadre des recherches menées par certains adultes, autrefois abandonnés. Une mère, à laquelle je demandais si elle serait d’accord pour laisser derrière elle quelques informations, m’a fait cette réponse surprenante : « quoi que je laisse, je ne laisserai jamais assez. » Il y a, dans les origines, quelque chose d’identitaire qui ne peut pas être fixé dans le nom de la mère ou dans une « biologisation » des origines. Comme le disait Soulages, « les origines, ce sont des fouilles à l’intérieur de soi ». En tout cas, ces femmes ne s’estiment pas capables de répondre aux réclamations qu’on pourrait leur adresser.

Le premier enseignement, c’est donc qu’il faut une certaine solidité psychique pour être capable de se séparer d’un enfant, et pour le laisser partir dans une autre histoire tout en continuant la sienne propre.

Un deuxième enseignement concerne l’anonymat, que la colère d’anciens enfants abandonnés a malheureusement contribué à diaboliser. L’expression d’une souffrance est certes légitime, mais ce n’est pas nécessairement le cas de la réponse qu’on lui apporte. En l’occurrence, l’institution d’un Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP) a produit des effets dramatiques.

Tout d’abord, les parents adoptifs ont eu le sentiment de ne pas être considérés comme de vrais parents, mais comme une famille entre parenthèses, pour seulement dix, quinze, vingt ou trente ans, sans ancrage véritable dans la vie. En autorisant les recherches rétroactives, l’État a également détruit beaucoup de femmes, soit parce qu’on est venu les chercher, soit parce qu’elles avaient peur que cela arrive. Enfin, la loi a fait croire qu’il pouvait exister un lieu des origines.

Je rappelle également que cette loi compassionnelle, qui a voulu « coller » à une souffrance, n’a fait l’objet que de 2 700 demandes en huit ans, dont environ 800 ont pu aboutir, alors qu’on annonçait un chiffre de 400 000 personnes à l’agonie des origines… Ce fut une loi désorganisatrice pour de nombreuses personnes.

Nous devons désormais veiller à bien réfléchir avant de nous engager dans une loi qui n’exercerait plus sa fonction propre, qui est de servir de tiers et de protection. Je pense notamment à la question du don anonyme de gamètes, certains adultes nés d’un tel don ayant les mêmes revendications que les enfants adoptés.

Sur ces différents sujets, je voudrais citer une réflexion de Monette Vaquin, elle aussi psychanalyste : « J’ai trouvé étrange de voir que tous les fantasmes enfantins relatifs à l’origine, ou qui visent à dénier notre ancrage dans le sexuel, se trouvaient réalisés à la lettre : “ je ne suis pas né d’un rapport sexuel ”,“ mes parents ne sont pas mes vrais parents ”, “ ma mère est vierge ” ; ces propos délirants, ou fantasmes de l’enfance, tous les enfants issus d’une PMA pouvaient les tenir, comme si à l’intérieur de la science la plus pointue régnait l’inconscient le plus archaïque. »

Dans le cas de l’adoption, de l’AMP ou du don de gamètes anonyme, la réalité court-circuite en effet la question des origines. Dans un petit film que j’ai présenté à des étudiants sur la question des origines, abordée sous l’angle : « comment on fait les bébés », un petit garçon rapportait, l’air un peu déçu, que ses parents lui avaient dit de se débrouiller tout seul pour comprendre d’où il venait. On a offert à ce petit garçon l’espace de grandir, on lui a laissé l’occasion de penser au lieu de lui donner une explication sur ses origines qui ne correspondait pas forcément à son attente. En effet, il est indispensable de ne jamais aller au-delà de ce qu’un enfant veut entendre. Il faut suivre sa pensée, au lieu de la devancer.

Je tiens également à répéter que l’anonymat des femmes à la maternité n’a jamais empêché d’accéder à leur nom. Je ne connais d’ailleurs que très peu de femmes qui n’aient pas laissé leur identité à l’enfant qu’elles abandonnaient. Quand une femme veut se séparer de son enfant, elle peut en effet le faire ou bien sous son identité, ce qu’on oublie souvent de lui indiquer, ou bien dans l’anonymat. D’autre part, le dossier conservé par la maternité est différent du procès-verbal de remise de l’enfant en vue d’adoption, qui appartient au dossier de l’enfant, tenu par le service en charge de l’adoption. Une femme peut donc accoucher sans dire à la société qui elle est – et c’est à la société de s’interroger : pourquoi n’ose-t-elle pas dire son nom ? A-t-elle peur d’être mal accueillie, mal entendue ou mal comprise ? Pour autant, cette même femme peut accepter que son nom figure dans le dossier de l’enfant. Un grand nombre des femmes que j’ai rencontrées étaient ainsi anonymes dans les dossiers de la maternité, mais pas dans celui de l’enfant.

Pour que cela se produise, encore faut-il accueillir ces femmes dans la dignité et avec respect dans ces instants très difficiles et très douloureux qu’elles vivent. Quand on est capable de les entendre, elles entendent elles-mêmes quelque chose de leur propre histoire et elles ont envie de transmettre quelque chose à leur enfant. Écouter le récit de leur vie présente donc une importance fondamentale. Or, nous attendons trop souvent d’elles des informations, au lieu d’une narration qui leur permettrait pourtant de prendre la parole, et ainsi de parler à leur propre enfant.

Ces femmes m’ont également appris l’importance de la grossesse psychique, à savoir la naissance de l’enfant dans la tête de sa mère. C’est d’ailleurs un élément qui pourra nous aider plus tard à propos de la grossesse pour autrui. Il est absolument nécessaire qu’une mère pense son enfant pour qu’il puisse naître à la vie. S’il est privé de cette alimentation indispensable à son devenir, l’enfant naîtra certes vivant physiquement, mais il ne sera pas en vie psychiquement.

Dans le cas des néo-naticides, les enfants meurent précisément de ne pas avoir été attendus. Ils sont impensés, ils appartiennent à l’ordre de l’impensable, et l’impensé des mères devient même de l’impensable dans l’espace collectif : on n’arrive pas à penser des mères qui ne pensent pas leur enfant. Ce qu’il faut, c’est qu’une mère puisse porter son enfant non seulement physiquement, mais aussi psychiquement. Contrairement à ce que pensent certains collègues, je n’ai pas rencontré de mère qui soit indifférente à l’égard son fœtus. J’en ai en revanche rencontré qui portaient leur enfant tout en se représentant une séparation, l’abandon.

Dans le cas des « faux positifs », où l’on annonce à tort aux parents que leur enfant pourrait souffrir d’un handicap, on constate que certaines mères arrêtent subitement d’alimenter la grossesse psychique, ce qui peut être plus tard difficile à rattraper. Ces mères nous disent qu’elles ont cessé d’y penser, afin de ne pas se faire de mal « au cas où », expression qui renvoie en fait à une interruption de la grossesse. Or, quand l’enfant a été vécu comme celui qui a trahi ses parents, parce qu’il semblait ne pas être celui qui était attendu, il se produit une rupture des liens fantasmatiques avec le fœtus, rupture qui a ensuite des incidences sur le lien précoce avec l’enfant. Quand ce dernier naît, c’est en effet avec son histoire intra-utérine qu’il arrive.

L’accompagnement des mères et des pères qui abandonnent leur enfant nous apprend également qu’il faut préserver une sorte de narcissisme parental : ces parents ne doivent pas être, par la suite, rongés par la culpabilité. On découvre en outre que le bébé doit être attendu dans une société capable de le penser avant sa naissance. Or, nous avons tendance – pour le dire vite – à être pour l’adoption et contre l’abandon. On dépense beaucoup d’énergie en matière d’adoption, mais on n’accorde pas un intérêt semblable à la question de l’abandon.

La narrativité ne présente pas seulement une grande importance pour la procréation, mais aussi pour les agréments en vue d’une adoption. Ceux-ci étant souvent diabolisés, je rappelle qu’on se place dans une position préventive, et non prédictive, en ce qui concerne la capacité à devenir parent, capacité qu’il s’agit de soutenir. Ceux qui souhaitent adopter s’étonnent parfois qu’on ne demande rien de tel aux autres parents. Mais croient-ils vraiment que le corps enceint de la femme ne provoque aucune réaction et aucune question chez les futurs parents biologiques ?

Il y a dans l’agrément une sorte de métaphore de l’attente d’enfant. Le corps social remplace, d’un point de vue métaphorique, le corps physique. On interroge la demande d’enfant, qui doit correspondre à une attente et revêtir une dimension imaginaire et fantasmatique. Il faut essayer de voir dans quelle mesure les parents pourront faire comme si l’enfant était né au sein de leur couple, ce qui implique de dépasser le biologique pour en faire du matériel psychique.

De même, le bénéficiaire d’un don de gamètes ne pourra accéder au statut de parent que s’il peut faire comme si les gamètes étaient siens. S’il répond à son enfant qu’il n’est pas son père, mais qu’il l’aime comme s’il l’était, l’enfant n’aura de cesse d’aller quêter ailleurs ce qu’il n’a pas pu trouver à l’intérieur de la structure familiale.

Il s’agit là d’une fonction fondamentale dans la construction du parent. Or, toutes les personnes qui demandent à adopter ne sont pas en mesure de construire une histoire avec un enfant. Si certaines adoptions échouent de façon terrifiante, et suscitent tant de souffrance des deux côtés, c’est parce qu’on n’a pas suffisamment été à l’écoute de la parole psychique. On s’est sans doute trop attaché à la demande d’enfant, sans prêter assez d’attention à la question de l’attente.

À ce sujet, je peux vous citer l’exemple d’un couple, présentant apparemment un grand équilibre, qui a souhaité adopter un enfant après quinze ans de vie commune. Une fois l’agrément obtenu, le couple entre en contact avec des œuvres d’adoption. C’est à ce moment-là, lorsque l’enfant commence à devenir plus réel, que le mari rompt très subitement avec sa compagne, qui a une quinzaine d’années de plus que lui.

Malgré sa souffrance, cette femme dépose une nouvelle demande, cette fois en tant que célibataire, et obtient de nouveau un agrément. Il me semble qu’une dérive compassionnelle s’est produite à ce stade, mes collègues s’identifiant probablement avec cette femme en souffrance, qui a passé l’âge de faire elle-même des enfants. Dans la semaine qui suit l’arrivée de l’enfant adoptif, survient une grave décompensation : la femme s’enferme chez elle, refuse de s’alimenter, et n’emmène pas l’enfant à l’école. C’est dans cette situation dramatique que je l’ai rencontrée.

Il y a certainement des moments où l’on ne veut pas tout entendre : si ce couple avait trouvé un équilibre, l’un était sans doute l’enfant et l’amant de l’autre. La petite fille a fait fuir le mari, puis elle a pris une place qui ne lui allait pas, puisqu’elle n’était qu’une simple enfant. Même si l’on peut espérer que cette situation s’arrange doucement, il en résulte une grande souffrance, et il me semble évident que l’on n’aurait pas dû s’engager dans cette affaire. S’il était normal d’éprouver de l’empathie pour cette femme et d’entendre sa souffrance, il n’aurait pas fallu se confondre avec elle. Quand on verse dans la compassion, il devient en effet impossible de protéger les personnes. Cette observation vaut également pour la loi, qui doit fixer des limites et protéger les personnes contre leurs propres demandes.

J’en viens à une dernière question : quelles solutions peut-on envisager en dehors de la famille ? Dans quelle mesure peut-on ne pas prendre en compte la différence des sexes, des générations, mais aussi des vivants et des morts ? Peut-on être mort, par exemple, et avoir des enfants ? C’est aujourd’hui possible. Qu’en est-il également de l’homosexualité ? Les homosexuels ont ouvert un débat, mais ils l’ont malheureusement fermé en utilisant cet argument écran qu’est la discrimination.

Je ne suis d’ailleurs pas seule à le regretter : une de mes patientes, qui sait que j’aborde parfois ces questions en public, m’a un jour demandé de ne plus évoquer les homosexuels en général, afin de ne pas tous les mêler aux revendications des homosexuels militants, engagés dans une démarche identitaire. Lorsque je lui ai demandé pourquoi elle ne faisait pas entendre son point de vue, elle m’a répondu qu’elle n’avait pas de problème identitaire, et que ce type de considérations ne la concernait pas.

Une des questions qui nous sont posées concerne la prise en compte des pratiques sexuelles, en l’occurrence l’homosexualité, en matière de filiation. Quand on s’interroge sur l’importance qu’il faut accorder à la différence entre les sexes, l’attention porte immédiatement sur des questions d’éducation, effectivement plus simples, et non sur les questions de filiation. D’autre part, je constate qu’on ne va jamais au-delà des approches psychologiques et sociologiques en matière de filiation. Or, cela conduit à négliger non seulement ce qui passe chez l’enfant, mais aussi la façon dont l’ancrage filiatif a lieu.

Sur cette question de la différence des sexes dans la construction psychique d’un enfant, j’évoquerai le cas d’un homosexuel qui est venu me consulter en compagnie de la mère de son enfant, une petite fille de six ans. Dans cette histoire, deux couples homosexuels ont passé une sorte de contrat moral : le couple de femmes s’est mis d’accord pour savoir qui porterait l’enfant, et le couple d’hommes pour savoir qui serait le père. L’enfant a donc un livret de famille faisant mention d’un père et d’une mère.

Ceux-ci sont venus me voir parce que leur fille ne voulait pas parler à son papa au téléphone, détail certes anodin, mais qui préoccupait tout le monde. Je précise que l’enfant vivait avec sa mère et la compagne de cette dernière, mais que le père était assez présent dans la vie de l’enfant. La consultation lui a permis de comprendre qu’il avait sans doute confondu le fait d’être géniteur et celui d’être père : il s’est aperçu qu’il s’agissait de deux processus très différents, et qu’il n’était pas nécessairement père parce qu’il était géniteur.

Le simple fait que sa fille ne veuille pas lui parler au téléphone l’a amené à dire qu’elle aussi, à l’image de sa mère et de sa compagne, l’excluait en tant que père, refusant de lui accorder une autre place que celle d’un géniteur. Cet homme n’arrivait pas à s’en sortir, alors qu’il était plutôt ouvert d’esprit : il se posait des questions au sujet de la paternité et éprouvait une réelle souffrance. S’il me venait consulter, c’est parce qu’il savait que la vie qu’il avait choisie, en compagnie de la mère de son enfant, n’était pas facile pour sa fille.

Il faut en effet reconnaître que les choix des parents sont parfois extrêmement difficiles, voire cruels pour les enfants, parce qu’ils ont bien du mal à trouver du sens et une place. Cela vaut notamment pour les familles recomposées ou séparées : bien des enfants essaient de remettre leurs parents ensemble, bien qu’ils soient séparés, ou bien ils cherchent au contraire à les mettre en opposition pour mieux les réunir.

L’homme que j’évoquais a peu à peu pris peu conscience qu’il avait, dans une certaine mesure, fait l’économie d’une représentation intérieure de l’enfantement : il ne s’était interrogé ni sur la place qu’il allait occuper, ni sur la façon dont il pourrait devenir père dans cette configuration si compliquée pour l’enfant. D’ailleurs, la situation était d’autant plus complexe que la compagne de la mère est entrée dans un conflit violent avec lui, en cherchant en permanence à le destituer de sa paternité.

Puisqu’il ne parvenait pas à obtenir la place qu’il souhaitait, cet homme en est arrivé à dire qu’il ne donnerait pas son sperme pour le deuxième enfant prévu aux termes du contrat initialement passé entre les quatre adultes : il était en effet convenu qu’il serait le père de tous les enfants. Le don de gamètes a donc tourné à la confrontation. Les deux femmes se sentant trahies, la compagne de la mère a déclaré qu’elles s’adresseraient à un autre homme, et qu’elle porterait elle-même le prochain enfant, contrairement à ce qui était prévu.

S’il faut dégager une règle de tout cela, c’est sans doute que nous devons poursuivre notre réflexion, et nous garder de toute décision précipitée. S’agissant des revendications des couples de même sexe, il me semble qu’on ne peut pas changer l’inscription filiative sans toucher à la construction des origines psychiques de l’enfant. En effet, les règles symboliques n’ont pas changé. Les constructions familiales peuvent naturellement évoluer, mais faut-il pour autant modifier la filiation ? Je me demande si une autre solution ne serait pas de se montrer créatifs en réfléchissant à de nouveaux statuts.

En tout cas, on ne peut décemment pas raconter à un enfant qu’il est né de deux papas ou de deux mamans. J’ai récemment été appelée au secours par les responsables d’une crèche, dans laquelle une maman, vivant en couple homosexuel, avait demandé à une puéricultrice de l’appeler « papa » devant son enfant.

Nous pouvons réfléchir aux besoins de chacun, y compris ceux des homosexuels vivant en couple. Mais s’il s’agit simplement d’aller chercher l’enfant à l’école ou de lui transmettre des biens, pourquoi changer la filiation ? Posons-nous les questions suivantes : à quoi tenons-nous ? Quel sens tout cela a-t-il ? Et vers quoi essaie-t-on de nous entraîner ?

Les enjeux sont essentiels. Il appartient au corps législatif de se prononcer en poursuivant sa réflexion en vue d’adopter des règles et des normes claires, ne visant pas à répondre aux souffrances ou aux désirs de quelques-uns, mais plutôt à fabriquer des consensus et des compromis indispensables à la construction des familles dans un état de droit.

Il faut également faire preuve de lucidité. Évitons la compassion, car elle affaiblit la loi, ce qui met ensuite l’homme en danger. Nous devrions également réfléchir à la place de l’enfant : ne le plaçons pas dans une situation qui ferait de lui l’objet d’une possession. Face à sa fragilité native, le droit des adultes à l’enfant doit se taire. Il faut donner à l’enfant toute la place qu’il requiert pour grandir.

M. Michel Vaxès, président. Nous vous remercions pour ces propos très complets, qui nous ouvrent l’appétit et nous donnent envie de vous lire ! Nous en venons maintenant aux questions.

Avant de donner la parole à notre rapporteur, j’observe que vous jugez nécessaire d’éviter la compassion en matière de jugements et d’appréciations. Cela vaut-il également pour la gestation pour autrui (GPA) ?

Mme Sophie Marinopoulos. Oui. S’agissant de la GPA dans le cadre familial, les règles symboliques de l’enfantement ne permettent pas d’établir un lien de filiation.

Pour ce qui est de la GPA en dehors du cadre familial, j’aurais tendance à dire que nous ne sommes pas prêts : nous ne sommes pas parvenus au terme de notre réflexion sur de nombreux sujets concernant la gestatrice, le couple à l’origine de la demande ou encore les personnes célibataires. Nous ne sommes pas en mesure de répondre à ces questions. Je resterai donc dans une posture empathique, mais pas compassionnelle.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Vous avez exposé la différence entre l’empathie, qui est indispensable au législateur, et l’émotivité. Celle-ci dérègle la raison alors qu’il faudrait précisément adopter des lois à l’usage de tous.

J’en viens à l’idée selon laquelle la France serait en retard par rapport à d’autres pays. J’avais cru comprendre que vous rejetiez cette position, considérant que la France suit une démarche fertile en continuant à s’interroger. Or, en affirmant que nous ne sommes « pas prêts », ne suggérez-vous pas que le corps social pourrait un jour accepter la GPA, au terme d’une maturation ?

Je m’interroge d’autant plus que j’avais également cru comprendre que selon vous l’humain ne pouvait pas faire l’objet d’une contractualisation, et que l’autre option, la GPA intrafamiliale, vous paraissait tout aussi impraticable. Vous avez en effet rappelé qu’une femme pourrait en quelque sorte stériliser sa fille en lui prêtant son utérus, car cela reviendrait à lui signifier qu’elle ne pourrait jamais la dépasser.

D’autre part, si l’on élimine l’intrafamilial, dont vous avez bien montré les dangers, on s’oriente vers la grossesse extrafamiliale. Mais comment imaginer qu’une grossesse puisse n’être vécue que biologiquement sans être pensée ? Si la grossesse est pensée psychiquement par la femme qui porte l’enfant dans le cadre d’une GPA, elle est une mère, et si cette grossesse n’est pas pensée, cette femme devient un objet.

En dernier lieu, je rappelle qu’il faut tout prévoir, notamment l’avortement dans l’hypothèse où l’enfant ne serait pas normal. Mais alors qui décide ? Et si l’on sort du cercle familial, quid de la rémunération, que certains qualifient hypocritement d’indemnisation ? Le contrat doit nécessairement en faire mention.

De votre intervention, je comprends que la GPA ne vous semble pas possible à l’intérieur de la famille, car elle perturbe les repères psychiques légitimes de la filiation et de la parentalité, et qu’elle n’est pas non plus envisageable dans le cadre extrafamilial, puisqu’il faut alors recourir à un contrat, solution que vous semblez rejeter. Vous ai-je comprise ?

Mme Sophie Marinopoulos. En disant que nous n’étions pas prêts, j’ai dû me laisser envahir par des images culturelles.

Dans notre société, quand on attend un enfant, on en est le parent : on ne peut pas séparer, d’un côté, les géniteurs et, de l’autre, les parents par volonté, comme le font certaines sociétés. En Océanie, par exemple, un enfant peut tout à fait être porté par une femme pour être ensuite donné à une autre. Or nous en sommes loin : quand nous attendons un enfant, nous en sommes les parents, et cet enfant nous appartient, notion qui est absente dans d’autres sociétés.

Dans les cultures tendant à biologiser les liens, les familles sont mises à mal quand on sollicite très fortement le psychisme, notamment dans le cas de l’adoption : devenir parent est alors très difficile. Il me semble donc que notre cadre psychique ne permet pas le développement de la grossesse pour autrui extrafamiliale. Je ne sais pas si cette position résulte d’une frilosité personnelle, mais j’ignore si nous arriverons un jour à imaginer qu’un enfant puisse être porté par un autre couple que celui qui l’attend.

Pour ma part, je ne redoute pas particulièrement une éventuelle revendication de la part de la femme qui aura porté l’enfant. En effet, j’ai rencontré beaucoup de mères qui accompagnent leur enfant en se représentant la séparation qu’elles ont projetée. J’ai plus de doutes concernant la fabrication d’un matériel psychique à partir d’un élément biologique provenant d’une tierce personne. Certaines femmes préféreraient avoir recours à une GPA, me disent-elles, au motif que l’enfant serait biologiquement le leur. Mais l’enfant naîtra tout de même d’une autre femme. C’est une donnée qu’il leur faudra transcender.

En Nouvelle-Zélande, dans un lieu nommé Bethany Centre, où l’on accompagne les parents qui veulent se séparer de leur enfant à la naissance, il est possible d’organiser le don d’enfant – on ne parle pas d’abandon – en le préparant d’une façon très surprenante, voire choquante : on peut en effet choisir les parents adoptifs sur catalogue. En fait, la réalité des couples figurant dans les catalogues n’a que peu d’importance. Cela permet surtout à ces femmes de se représenter psychiquement la séparation. C’est une façon pour elles de se préparer et de se dire qu’elles prennent soin de l’enfant dont elles vont se séparer.

Quand le couple de naissance et le couple adoptant se retrouvent chez le notaire, le premier geste de la mère adoptante est de se diriger vers la mère de naissance pour la prendre dans ses bras. Elle commence par l’accueillir avant de se tourner vers le père de naissance, qui lui tend alors l’enfant. J’ai été très touchée d’entendre un père de naissance dire à un père adoptif, assez tendu : « c’est mon bébé, mais c’est votre enfant ». Le parcours qu’il avait fait avec l’enfant était terminé ; il allait devenir le fils du deuxième couple.

D’autre part, j’observe que nous demeurons très centrés sur nos exploits scientifiques : nous savons « fabriquer » des enfants, mais nous ne prenons pas en compte le « devenir parent ». Nous n’arrivons pas à intégrer la logique psychique, presque comme si elle était scandaleuse. Un médecin m’a un jour expliqué qu’il manquait de temps pour cela. Or, j’aimerais qu’on donne la parole aux parents, ne serait-ce que pour faire une pause. Comment envisagent-ils un éventuel échec ? La vie serait-elle terminée pour autant ? L’ouvrage que j’ai écrit en compagnie du professeur Nisand se conclut sur l’idée que l’on peut vivre sans enfant. L’être humain est en effet capable de sublimer ses désirs et de dépasser les situations de manque.

Nous rencontrons bien sûr des couples en proie à une obsession de l’enfant. Mais la situation peut également être très compliquée une fois que l’enfant tant attendu est arrivé. Les couples infertiles mènent en effet une très longue vie avec l’« enfant imaginaire » et ils ne vivent d’ailleurs pas si mal avec lui, même s’il peut y avoir beaucoup de souffrance. L’enfant « réel » va bousculer les constructions parentales, ce qui peut susciter de graves difficultés. Sur ce processus psychique très particulier, le fait qu’il y ait une procréation biologique reste sans effet.

M. le rapporteur. J’ai une question portant sur ces couples néo-zélandais que vous avez décrits avec un peu de pathos. Existe-t-il un contrat devant notaire, dont l’enfant serait l’objet ?

Mme Sophie Marinopoulos. Oui, il y a un contrat, mais il doit se comprendre par rapport au contexte culturel auquel il est lié.

J’ai effectivement trouvé ces situations émouvantes, de la même façon d’ailleurs que les cas d’abandons auxquels j’ai assisté dans nos maternités. Toutefois, bien que la place d’un enfant soit aux côtés de son père et de sa mère, dans notre culture, il me semble que cette émotion ne doit pas nous conduire à empêcher les séparations.

J’ajoute que nous sommes sans cesse confrontés à des situations très diverses et très difficiles à appréhender. Dans la chambre voisine, il peut y avoir un couple qui vient de perdre son enfant, et un autre qui en est à sa cinquième fécondation in vitro.

Mme Patricia Adam. Au cours d’une récente audition, une anthropologue nous a expliqué que la filiation était d’abord un fait social. C’est en effet un lien juridique, unissant un enfant à ses parents. Cela étant, on constate une biologisation croissante des questions de filiation, comme vous l’avez d’ailleurs indiqué. Nous sommes donc aujourd’hui en pleine contradiction. L’adoption n’étant pas une filiation biologique, car elle est au contraire instituée par la loi, nous avons créé le CNAOP pour faire droit aux revendications de certains adultes, adoptés dans leur enfance, et qui souhaitaient connaître leurs origines. On en revient donc à une dimension biologique.

Pour ma part, je continue à m’interroger, en particulier sur les définitions que nous donnons aux mots. Lors d’une audition sur le projet de loi relatif au statut du beau-parent, j’ai eu la surprise de constater qu’on utilisait le terme de « parents biologiques » pour désigner les parents « légaux », qui disposent de l’autorité parentale. Sur les notions de parent biologique, de filiation et de parenté, qui peut être une réalité différente, nous sommes en pleine confusion.

S’agissant de la GPA, vous avez avancé que nous n’étions peut-être pas prêts. J’entends bien votre argument, mais vous savez très bien que nous sommes confrontés, en tant que législateurs, à une réalité objective. Il y a des situations, que vous connaissez du fait de votre activité professionnelle, auxquelles nous sommes bien obligés d’apporter des réponses, en nous plaçant de préférence du côté des enfants, plutôt que des parents.

Votre expérience vous permet-elle de penser que nous disposons aujourd’hui du recul nécessaire pour mesurer les effets produits par nos éventuelles réponses sur les adultes que deviendront un jour les enfants d’aujourd’hui ? Pourront-ils se revendiquer comme des êtres à part entière capables de se déterminer par rapport à une filiation au sens légal du terme ? Estimez-vous que nous pouvons nous appuyer sur un nombre suffisant d’études et de travaux pour bien écrire la loi ?

Pour y parvenir, il faudrait que les esprits soient prêts. Or c’est précisément sur ce point que j’ai des doutes. Je me demande si nous sommes en mesure d’écrire une loi permettant à ces futurs adultes d’être bien dans leur peau.

Mme Martine Aurillac. J’ai eu l’impression que vous étiez, vous aussi, très soucieuse de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant, même si votre métier vous conduit à rencontrer beaucoup de couples en souffrance et en attente d’enfant.

D’autre part, j’ai pris bonne note de vos remarques concernant l’anonymat. Comme vous, je pense que nous sommes allés un peu loin dans l’ouverture des registres. Vous avez mis en lumière les dégâts que peut produire, dans certains cas, la levée de l’anonymat.

S’agissant des abandons, pouvez-vous nous dire s’il y a un moment particulier où la femme ou le couple se décident ? Si la décision est prise au début de la grossesse, pourquoi n’y a-t-il pas d’avortement ? Est-ce à l’inverse une décision très tardive ? Je sais qu’il est difficile d’aborder ce type de problèmes du point de vue des statistiques, mais j’aimerais connaître votre sentiment.

Pour en revenir à l’exemple néo-zélandais que vous avez cité, j’aimerais savoir s’il s’agit d’un échange. Y a-t-il une forme de rétribution ?

M. Michel Vaxès, président. En réponse à un journaliste qui vous interrogeait sur cette phrase, que vous avez prononcée dans d’autres circonstances : « on est d’abord de la chair, puis l’on devient ensuite corps », vous avez précisé que, pour devenir un humain, un enfant arrivant au monde devait être investi par la pensée de ceux qui l’ont conçu. En effet, un enfant devient un sujet à part entière quand il rencontre quelqu’un qui le pense et qui va lui apporter ce que Boris Cyrulnik appelle « la nourriture affective ».

C’est un point de vue que je partage tout à fait, mais je me demande si la mère porteuse ne va pas nouer un lien avec l’enfant au cours des derniers mois de la grossesse, quand bien même les gamètes proviendraient du couple d’intention. D’autre part, l’enfant ne va-t-il pas également nouer des liens avec elle avant de naître ? Dans ces conditions, la rupture n’aura-t-elle pas des conséquences susceptibles de perturber l’un comme l’autre ?

Autre question : qui est la mère ? On se trouve face à de graves difficultés au plan juridique. Si la mère de l’enfant est la mère d’intention, c’est la mère qui porte l’enfant qui peut demander d’interrompre la grossesse pour des causes pathologiques. C’est naturellement une source de conflits potentiels.

En dernier lieu, j’aimerais connaître votre avis sur la question du transfert d’embryons post mortem.

Mme Sophie Marinopoulos. Je rappelle que le législateur a créé le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP), sans définir ce qu’étaient les origines. On peut donc légiférer sur la base d’un concept qu’on n’a pas défini… L’idée s’est installée qu’elles étaient d’ordre biologique, ce qui n’est pas sans incidence sur la pensée collective et sur l’inconscient collectif.

S’agissant de la filiation, on ne peut pas se limiter à une seule approche : il y a bien sûr un axe biologique, la filiation s’élaborant à partir des limites naturelles, qui tiennent à l’ancrage dans le corps humain – comme je le rappelais tout à l’heure, la reproduction est toujours sexuée. Il y a ensuite un axe juridique, qui consiste à nommer les parents, car on ne s’autoproclame pas tels : c’est le livret de famille qui transforme l’homme en père, la femme en mère et l’enfant en fils ou fille. Il faut enfin que le processus psychique de la filiation fonctionne dans le temps. De ce point de vue, on n’en a jamais fini d’être parent.

Cela étant, il arrive que l’on se dispense de l’axe biologique, notamment dans le cas de l’adoption ; les autres axes sont alors particulièrement sollicités, et c’est pour cette raison que l’adoption plénière a un sens : elle permet aux parents de prendre ancrage sur l’axe juridique pour affirmer leur parentalité.

Vous m’avez également interrogé sur le recul que nous pourrions avoir. Je constate que les enfants sont très préoccupés par ce qu’ils vivent avec leurs parents et par ce que ces derniers deviennent. Quand ils ne vivent plus ensemble, ou qu’ils vivent avec un autre, ils en souffrent. Les familles « recomposées » posent d’énormes difficultés, aussi bien pour les parents que pour les enfants. Quand on ne s’étripe pas en permanence, on a l’impression que tout se passe bien, mais c’est faux : même lorsque leurs parents s’entendent très bien, les enfants souffrent, et parfois davantage encore. En effet, ils ne comprennent pas pourquoi leurs parents ne continuent pas à être ensemble, au lieu de les faire vivre en permanence dans les valises.

Tout ce que nous savons, c’est que les enfants souffrent de ces situations complexes. Par exemple, on ne peut pas décemment affirmer qu’il est facile de grandir dans une famille monoparentale. S’agissant de la grossesse pour autrui et de l’homoparentalité, certains courants s’appuient sur des études, mais je ne sais pas si l’on peut parler pour autant de « recul ». En tout cas, on ne peut pas fermer les yeux sur la souffrance des enfants. Nous avons consacré leurs droits, mais il faut avouer qu’ils restent souvent privés d’enfance.

En effet, on leur pose des questions inadaptées à leur monde, puis leurs propos sont interprétés par les adultes. Dans ces conditions, les enfants font souvent le choix de se taire. Ils se sentent piégés par la parole des parents. « Préfèrent-ils aller avec papa ou maman ? » ; « Tonton est-il gentil ? » Plutôt que de répondre à ces questions, les enfants préféreraient qu’on les laisse vivre leur enfance et qu’on leur permette de s’ancrer dans une histoire solide.

Vous me demandez quand nous serons prêts pour un changement. C’est une question à laquelle je ne sais pas répondre.

En matière d’anonymat, je pense que nous avons été trop loin dans sa levée, faute de prêter suffisamment attention à la situation des femmes et des enfants.

J’en viens à la question des abandons. La moitié des femmes que je reçois viennent me consulter en couple, et celles qui viennent me voir le plus tôt en sont au quatrième ou au cinquième mois de leur grossesse, c’est-à-dire au-delà du délai de l’IVG. La plupart d’entre elles n’avaient d’ailleurs pas conscience d’être enceintes, et celles qui le savaient ne souhaitaient pas d’IVG, lors même qu’elles auraient pu y recourir. Ces femmes ont visiblement besoin de traverser une histoire avec l’enfant qu’elles attendent, sans doute afin de rompre avec leur propre histoire familiale.

J’ajoute que les abandons sont généralement décidés dès l’annonce de la grossesse, et que les rétractations sont rares. Seules reviennent sur leur décision des femmes qui ont été l’objet de pressions, familiales ou conjugales, ou bien des femmes « carencées » auxquelles on a recommandé de ne pas garder leur enfant compte tenu de leur situation. Dans la très grande majorité des cas, les femmes que j’ai rencontrées sont fermement décidées à abandonner leur enfant, qu’elles souhaitent accompagner dans la séparation. Cela m’a beaucoup appris sur la grossesse psychique.

À ce sujet, je confirme que l’enfant a besoin d’être investi par la pensée de sa mère. C’est absolument essentiel, car s’il n’est pas accueilli par le monde des humains, il n’a aucune chance de survivre. C’est pour cela que l’on retrouve dans des poubelles certains enfants : ils ont été traités comme des déchets, parce qu’ils n’ont pas du tout été attendus, puis accueillis dans notre monde humain.

Les femmes qui abandonnent leur enfant ont pris des décisions douloureuses pour elles, mais difficiles aussi pour les professionnels qui les entourent. Il s’agit de femmes qui ont été soignées et accompagnées dans leur enfance ; elles seraient donc capables de s’occuper d’un bébé. C’est pourquoi il est si particulier de les voir signer un procès-verbal de remise d’un enfant en vue de son adoption.

Dans le cas de la Nouvelle-Zélande, il n’y a pas de rétribution, non plus que d’anonymat.

En ce qui concerne la relation entre la mère porteuse et l’enfant, un lien va effectivement se créer, et c’est même indispensable pour que l’enfant parte du côté du vivant. Mais c’est un lien qui n’est pas filiatif. Il en va de même pour les femmes qui abandonnent : elles portent un enfant tout en sachant qu’elles vont s’en séparer. Il se produit une rupture filiative sans retour.

Les différents travaux sur la vie intra-utérine ont par ailleurs établi la capacité du fœtus à entendre, à sentir et à vibrer avec le corps de sa mère. Cette relation de corps à corps est fondamentale. L’abandon va entraîner des manifestations psychosomatiques, qui témoignent d’un état émotionnel intense. Les bébés concernés présentent généralement des problèmes de peau, ou bien souffrent de fièvres inexpliquées. Ils ont bien ressenti quelque chose de ce qui s’est passé. Toutefois, il ne faut pas en déduire qu’un traumatisme en résultera automatiquement.

J’ajoute qu’un traumatisme n’est pas nécessairement la conséquence d’une séparation réelle. De nombreux enfants souffrent en effet de situations traumatiques dans les bras de leurs propres mères. Les mères dépressives, par exemple, soignent, nourrissent et accompagnent leur enfant, mais sans parvenir à le porter psychiquement. Le holding décrit par Winicott, qui est à la fois physique et psychique, ne se produit pas. Le bébé est porté physiquement, mais on ne voit pas qu’il est en train de « tomber ». Nous n’avons malheureusement pas d’images des traumatismes psychiques.

M. Michel Vaxès, président. En raison de contraintes de temps, nous allons devoir en rester là. Merci en tout cas pour toutes vos réponses.

Audition de M. Pierre JOUANNET, professeur des universités,
praticien hospitalier consultant en biologie de la reproduction
à l’hôpital Cochin



(Procès-verbal de la séance du 24 mars 2009 )

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le Président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir le professeur Pierre Jouannet, consultant à l’hôpital Cochin, professeur des universités et ancien membre du conseil d’administration de l’Agence de la biomédecine, qui fut également vice-président du comité médical et scientifique de l’Agence de 2005 à 2008.

Vous avez été, professeur, responsable, de 1994 à 2007, du laboratoire d’histologie-embryologie de l’hôpital Cochin. Au cours de la même période, vous avez également dirigé le Centre d’études et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS) de Cochin, qui prend en charge les dons de gamètes et l’accueil d’embryons, et développe des techniques innovantes pour préserver la fertilité des patients. J’ajoute que vous avez présidé la Fédération française des CECOS de 1997 à 2003.

Membre correspondant de l’Académie de médecine depuis 2003, vous avez participé à ses groupes de travail concernant le statut de l’embryon en 2005, la proposition de loi relative à la possibilité de lever l’anonymat des donneurs de gamètes en 2006, enfin la gestation pour autrui et les modifications à apporter à la législation sur les centres de ressources biologiques, deux sujets qui viennent de faire l’objet de deux avis de l’Académie.

Arrivé au terme de votre carrière hospitalo-universitaire, vous venez, professeur, d’intégrer le groupe d’experts chargé d’animer l’Institut Génétique et développement créé par l’INSERM. C’est notamment dans ce cadre ainsi que dans celui de vos activités de consultant à l’hôpital Cochin que vous cherchez actuellement à mieux structurer la conservation et l’utilisation des cellules embryonnaires humaines à des fins scientifiques.

Quel bilan peut-on aujourd’hui dresser de l’application des lois de bioéthique dans le domaine de l’assistance médicale à la procréation (AMP) ? Dans quel sens conviendrait-il de les réviser ou d’en améliorer les conditions d’application ? Pour reprendre les questions que vous aviez soulevées dans une tribune parue dans la presse en 2001 : « Si le désir d’enfant est l’objectif qu’il convient de satisfaire, jusqu’où peut-on aller dans l’utilisation des techniques biologiques pour le satisfaire ? Le praticien peut-il utiliser ses compétences pour répondre à des demandes qui transgressent les modèles habituels de la procréation ou les normes sociales de la parentalité ? Bref, doit-on fixer des limites et lesquelles, à la médicalisation de la procréation ? ».

Avant de vous céder la parole, je vous poserai encore trois questions. Comment se classe la France sur le plan international pour ce qui est de l’offre de soins et des résultats en matière d’AMP ? Quels sont les délais moyens d’attente pour les couples demandeurs et le taux de succès de l’AMP selon les différentes techniques ? Comment expliquer que les résultats varient aussi fortement, semble-t-il, selon les centres ?

M. Pierre Jouannet. Tout d’abord, je vous remercie de m’accueillir. Vous m’avez posé beaucoup de questions. J’avais, pour ma part, prévu de centrer mon intervention sur l’AMP par don de gamètes. On évoque en effet souvent la nécessité de réviser la loi sur ce point alors que l’une des difficultés est que la loi actuelle n’a pas été appliquée comme elle aurait dû l’être. Le législateur va s’efforcer d’apporter des réponses au niveau éthique alors que les véritables problèmes peuvent se situer ailleurs. 

J’en veux pour preuve la plus emblématique la situation de l’AMP par don d’ovocytes, plus récente que celle par don de spermatozoïdes qui a été organisée et structurée en France à compter de 1973 avec la création des CECOS. La procréation par don d’ovocytes exigeant la maîtrise préalable des techniques de fécondation in vitro, ce n’est qu’en 1985 que les premières grossesses avec don d’ovocytes ont pu avoir lieu. Les lois de bioéthique de 1994 déjà, reconnaissant tout l’intérêt de cette technique, avaient traité de l’organisation du don d’ovocytes. Or, le bilan est à ce jour plutôt négatif : beaucoup de femmes infertiles résidant en France qui pourraient bénéficier d’un don d’ovocytes doivent se rendre à l’étranger, essentiellement en Espagne, en Belgique et en Amérique du Nord, pour obtenir des ovocytes.

D’une manière générale, la procréation par don de gamètes n’a pas été suffisamment reconnue par notre société ni par les pouvoirs publics. La légalisation de l’AMP avec don d’ovocytes opérée en 1994 ne l’a été qu’à reculons. Les mentalités ont certes évolué depuis, mais les pratiques fort peu. Pendant très longtemps, les centres autorisés ont dû assurer cette activité quasiment sans moyens – je suis bien placé pour le savoir puisque, depuis 1994, l’hôpital Cochin n’a jamais dégagé les moyens nécessaires, alors qu’il s’y était pourtant engagé. Et ce que nous avons réussi à y faire en matière de don d’ovocytes, comme dans les autres centres autorisés, n’a été possible qu’en prélevant sur des moyens normalement affectés à d’autres activités.

Le dernier bilan de l’Agence de la biomédecine indique qu’en 2006, il y a eu en France 510 transferts d’embryons après don d’ovocytes, qui ont conduit à 93 accouchements et permis la naissance de 106 enfants. Mais on ignore combien de femmes ont dû se rendre à l’étranger pour bénéficier d’un don d’ovocytes. On ne sait même pas combien exactement la CNAM a dépensé à ce titre. En effet, la CNAM, conformément aux conventions européennes, rembourse aux assurés les actes médicaux qui ne peuvent être réalisés en France. Il semblerait que, l’an dernier, plusieurs centaines de femmes en aient bénéficié. Je trouve, pour ma part, paradoxal que notre assurance maladie prenne en charge cette activité réalisée dans les cliniques privées étrangères. Cet argent serait mieux utilisé s’il était dévolu aux centres autorisés en France, qui, s’ils disposaient des moyens nécessaires, pourraient traiter ces femmes. Sur les 27 centres autorisés dans notre pays, seulement 20 fonctionnent. L’année dernière, il y a eu 228 donneuses d’ovocytes. À l’hôpital Cochin, il y a eu 78 transferts qui ont conduit à 19 grossesses, tandis que 138 nouvelles demandes étaient reçues. On le voit, la décision prise par le législateur en 1994, confirmée en 2004, n’a, hélas, pas été appliquée avec toute l’efficacité nécessaire.

Une autre raison pour laquelle le don d’ovocytes ne marche pas bien en France serait, nous dit-on, le manque de donneuses, ce qui amène d’ailleurs certains à préconiser de rémunérer ce don. Je ne partage pas ce point de vue : je pense qu’il y a dans notre pays des femmes tout à fait disposées à donner leurs ovocytes dans les conditions fixées par la loi actuelle. En 2008, nous avons reçu à Cochin 91 candidates. Quelque 60 dossiers ont pu être ouverts et plus de 35 prélèvements effectués. S’il n’y a pas davantage de donneuses, c’est que les conditions de leur accueil ne sont pas satisfaisantes. Imaginerait-on le don du sang ou d’organes sans tout le dispositif d’accueil des donneurs qui l’entoure ?

Le manque de donneuses tient aussi à une information et une sensibilisation insuffisantes. L’Agence de la biomédecine a lancé une première campagne en mai 2008. Si cet excellent travail se poursuit, nous n’aurons pas de difficultés de recrutement. Mais un an après, nous ne savons pas quand sera organisée la prochaine campagne.

Les premiers résultats d’une thèse qu’une jeune doctorante consacre à Cochin au suivi des donneuses d’ovocytes sont tout à fait intéressants : 80% des donneuses auxquelles, six mois après leur don, elle a demandé s’il convenait, à leurs yeux, de modifier les dispositions législatives actuelles sur la gratuité du don ont répondu par l’affirmative. Mais l’immense majorité d’entre elles souhaite simplement une prise en charge des frais exposés à l’occasion du don. Les donneuses ont en effet les plus grandes difficultés à se faire rembourser les actes infirmiers nécessaires lors des stimulations ovariennes, leurs frais de transport jusqu’aux centres autorisés ou de garde d’enfants durant les absences qu’imposent les ponctions.

M. le président. Quelles sont, à votre avis, les raisons de ce blocage ?

M. Pierre Jouannet. Pour moi, une grande partie du blocage tient au fait qu’on a confié cette activité aux administrations hospitalières, lesquelles ne disposent ni de la culture ni des moyens matériels, notamment en terme de gestion financière, nécessaires. Je serais, pour ma part, favorable, à la création d’un fonds spécifique de prise en charge des frais engagés par les donneurs à l’occasion des dons de gamètes comme de tous les autres dons d’organes ou éléments du corps d’ailleurs. Cette structure pourrait intervenir avec toute la rapidité, l’efficacité et la proximité requises.

N’est-il pas paradoxal que les donneuses d’ovocytes en soient réduites, dans leur très grande majorité, à demander que la loi change pour simplement bénéficier des dispositions déjà prévues ? Quelques donneuses, très minoritaires, ont dit qu’elles auraient souhaité une indemnité ou une compensation au vu des difficultés qu’elles ont dû surmonter : arrêts maladie, hospitalisations parfois…

Renoncer à la gratuité ne me paraît pas une bonne solution pour accroître le nombre de donneuses. Pour que l’AMP par don de gamètes fonctionne correctement, il faut d’abord une volonté politique en ce domaine, afin que les soins soient mieux organisés. Je ne partage pas du tout l’avis de l’Agence de la biomédecine qui, dans un rapport à la ministre de la santé, a suggéré qu’on transfère cette activité au secteur privé lucratif. Cela constituerait une rupture majeure dans la pratique du don des éléments du corps humain qui a toujours prévalu dans notre pays. Cela risquerait en outre de soumettre cette activité aux lois du marché. Il ne faut pas, à mon avis, rompre avec les choix éthiques faits depuis longtemps en France, qui ont évité les dérives constatées dans d’autres pays. Cette activité doit pouvoir s’exercer convenablement dans le secteur public.

Outre la gratuité, un autre principe sur lequel repose notre législation en matière de don de gamètes est l’anonymat. Sur ce point, je parlerai uniquement de mon expérience concernant le don de sperme puisqu’en matière de dons d’ovocytes, nous n’avons pas encore le recul nécessaire. En tant que médecin, je ne suis ni pour ni contre la levée de l’anonymat, et j’estime d’ailleurs que je n’ai pas à avoir de position sur le sujet. Il s’agit d’un problème de société complexe ayant des implications psychologiques ; sociales et juridiques importantes. Il ne s’agit pas d’un problème médical. C’est au législateur qu’il appartient de trancher. Mais les médecins sont bien entendu concernés au premier chef, et ils ne sont peut-être pas les plus mal placés pour réfléchir aux enjeux et aux conséquences des choix du législateur, dans la mesure où ce sont eux qui pratiquent cette activité et qui rencontrent les intéressés, futurs parents recourant à ces techniques ou enfants conçus après don de gamètes. Pour ma part, j’ai rencontré plusieurs des jeunes nés de don de sperme qui se manifestent aujourd’hui dans les médias et les ai longuement écoutés. Mais j’ai aussi essayé de rencontrer des jeunes conçus de la même façon, qui ne sont pas à la recherche de leurs origines et que l’on voit moins dans les médias : tous les jeunes concernés ne sont en effet pas en quête de l’identité du donneur qui a permis leur conception. Une certaine confusion règne, hélas, souvent dans la façon dont les médias traitent cette question complexe.

Quels arguments avancer pour solliciter la levée de l’anonymat ? Le premier, que j’ai trouvé dans l’excellent rapport de l’OPECST sur l’évaluation des lois de bioéthique, est qu’il y aurait un double état-civil géré par les CECOS. Je dois avouer avoir été fort surpris d’apprendre qu’ayant dirigé un CECOS, j’ai aussi géré un état-civil. Je n’en ai jamais eu l’impression mais peut-être le faisais-je sans le savoir ! Certains, et j’en fais partie, estiment choquant que des institutions, les CECOS, détiennent des informations inaccessibles aux principaux intéressés, à savoir les enfants conçus par don de gamètes. Il me paraît en effet anormal que les CECOS et leurs médecins conservent indéfiniment en leur possession l’identité des donneurs. Cet état de fait est d’ailleurs récent, consécutif à la loi de 1994. De 1973 à 1994, nous effacions des dossiers au bout d’un temps assez bref tous les éléments d’identification des donneurs, comme leur nom, leur date de naissance, leur adresse... Les dossiers étaient « anonymisés » et on ne pouvait plus y avoir accès que par le biais d’un numéro. Beaucoup de jeunes ont d’ailleurs eu du mal à croire que nous ne possédions pas l’information qu’ils recherchaient.

Pourquoi la situation a-t-elle changé depuis 1994 ? C’est que nous devons désormais recueillir le consentement écrit des donneurs et de leur partenaire, et qu’en matière de consentement, les documents doivent être conservés pendant trente ans. Or, un consentement ne peut par définition être anonyme. On devrait à mon avis autoriser les équipes médicales à supprimer les éléments d’identification des donneurs au terme d’un délai raisonnable et les dispenser d’observer la réglementation en matière de durée de conservation des consentements.

Un autre argument parfois avancé pour demander la levée de l’anonymat est qu’il serait souhaitable de pouvoir disposer de données génétiques relatives aux donneurs dans l’intérêt même de la santé de l’enfant en cas d’apparition de certaines pathologies. En fait, ce type de demande est exceptionnel – je n’ai eu à en traiter que fort peu lorsque je gérais un CECOS – et j’ai toujours pu répondre à celles qui m’ont été adressées sans avoir besoin de l’identité du donneur. En effet, lors du recrutement d’un donneur, un arbre généalogique est dressé pour cerner le risque de pathologies héréditaires et j’ai toujours été capable de renseigner le médecin traitant ou les familles à ce sujet. Les informations médicales figurant dans le dossier du donneur suffisent amplement, sans qu’il soit besoin de connaître son identité. D’ailleurs, si nous le souhaitions, les techniques actuelles permettraient de conserver de manière anonyme un échantillon d’ADN de chaque donneur afin de réaliser ultérieurement, si nécessaire, des tests génétiques pour rechercher une mutation par exemple. L’argument selon lequel la levée de l’anonymat permettrait de mieux protéger la santé de l’enfant ne me paraît donc pas recevable.

Un autre argument parfois avancé est qu’un enfant conçu par don de gamètes pourrait rencontrer par hasard une demi-sœur ou un demi-frère génétique avec lequel, s’il en tombait amoureux, il pourrait faire des enfants, au risque d’une forme d’inceste ou, à tout le moins, de consanguinité. Dès la création des CECOS, leurs responsables ont eu conscience de ce problème et ont décidé de limiter le nombre d’enfants pouvant être issus d’un même donneur. Nous avions alors calculé avec des généticiens des populations que le risque était bien inférieur au risque naturel pour tout individu de rencontrer dans la population un demi-frère ou une demi-sœur génétique. Mais si d’aventure une personne conçue par don avait a cette inquiétude, elle pourrait parfaitement s’assurer auprès d’un responsable de CECOS que tel ou tel avec qui elle souhaite faire des enfants n’est pas issu du même donneur qu’elle, sans qu’il soit besoin de lever l’anonymat de celui-ci.

Tous ces arguments techniques sont donc peu recevables. La véritable question est celle de l’accès aux origines – l’OPECST l’a d’ailleurs fort bien perçu, qui indique dans son rapport que « la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes, demandée par les enfants nés après IAD, est une revendication légitime au regard du droit à connaître ses origines. » On invoque souvent pour justifier ce droit d’accès à ses origines l’article 7 de la convention de l’UNESCO sur les droits de l’enfant. En réalité, cet article dispose seulement que « l’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a, dès celle-ci, droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevés par eux. » La législation française actuelle est en totale conformité avec cet article : tout enfant, dans la mesure du possible, connaît ses parents et est élevé par eux. Mais qui sont ses parents ? L’AMP avec don de gamètes aboutit, comme l’a souligné Mme Labrusse-Riou lors de son audition par l’OPECST, à dissocier les éléments constitutifs de la filiation entre les futurs parents qui manifestent le désir d’avoir un enfant grâce à une AMP et le donneur ou la donneuse de gamètes qui, par son don, les aide à mener à bien leur projet d’enfant. Quel type nouveau de parenté peut-il découler de cet acte? Quelle place accorder à chacun des acteurs dans ce dispositif ? Voilà les véritables questions.

Lorsqu’il est question d’accès aux origines, je suis frappé de voir à quel point on ne s’intéresse pratiquement qu’à l’identité du donneur de gamètes. Cela se comprend si on pense que la procréation est avant tout l’expression dans l’enfant à naître de tous les gènes de ses ancêtres entremêlés au fil des générations et que c’est cela qui est prioritaire dans la constitution de l’identité de l’individu. Mais, sans vouloir nullement nier ni sous-estimer le rôle du donneur, on peut aussi considérer que la procréation par don de gamètes résulte avant tout du désir d’un homme et d’une femme de marquer leur union en se perpétuant dans une descendance, malgré une stérilité ou des difficultés qui les obligent à recourir à un tiers. Privilégier cette seconde vision, c’est privilégier le rôle du parent stérile dans la procréation et dans l’origine de l’enfant. Il s’agit alors de rechercher les moyens de fortifier le lien qui va se créer entre le couple stérile et l’enfant qui va naître. De la multitude d’entretiens que j’ai eus avec des intéressés, je retiens que l’origine de l’enfant, c’est bien la démarche des deux membres d’un couple stérile qui souhaitent devenir parents. Cette démarche-là est irremplaçable quand le donneur, lui, est interchangeable. Voilà pourquoi je pense qu’un parent stérile peut néanmoins être à l’origine d’un enfant.

L’enfant qui part à la recherche, toujours empreinte de mystère, de ses origines cherche à savoir comment se sont rencontrés ses parents, à comprendre pourquoi il est là, mais aussi à s’inscrire dans une lignée. Dans quelle généalogie faut-il inscrire de manière prioritaire l’enfant né d’un don de gamètes ? Dans celle de ses parents ou dans celle du donneur de gamètes ? Certains diront qu’on peut l’inscrire dans les deux, mais quel en est alors le sens ? Avec les techniques d’AMP, sont apparues de nouvelles formes de famille fondées sur la parentalité, comme l’a souligné Mme Gaumont-Prat, où une place peut être donnée à un tiers, voire à plusieurs. Mme Delaisi de Parseval, quant à elle, évoque une « forme inédite de pluri-paternité. » Notre conception traditionnelle de la famille est en train d’être bouleversée. Pourquoi ne pas aller vers ce mode de filiation pluri-parental qui instaure une multitude de liens entre acteurs ? Mais, vous l’aurez compris, il ne s’agit pas là d’une question médicale.

Ce que demandent aujourd’hui les jeunes adultes nés par don de gamètes est de pouvoir accéder à l’identité du donneur, uniquement à 18 ans et s’ils le souhaitent. Pour avoir rencontré quelques-uns de ces jeunes mais aussi observé ce qui se passe dans certains pays où l’anonymat a été levé, je me demande si, au-delà d’une simple rencontre avec leur géniteur pour avoir une image de lui, il n’y a pas une quête plus profonde. Dès lors, quels liens sont susceptibles de s’établir avec le donneur et quelles limites y poser ? Quand j’entends certains jeunes conçus par don de sperme qualifier de « frères » et « sœurs » les enfants conçus dans d’autres familles avec le sperme du même donneur, je me demande pourquoi, après avoir rencontré leur père biologique, ils ne souhaiteraient pas logiquement rencontrer leurs demi-frères  ou demi-sœurs  biologiques. Quelles pourraient en être les conséquences pour ceux-ci et leur famille ?

S’il s’agit de reconnaître un nouveau modèle familial avec de nouveaux liens, je me demande aussi pourquoi attendre 18 ans. Si les parents à l’origine de l’enfant doivent partager une forme de parentalité avec le donneur de gamètes, pourquoi attendre la majorité de l’enfant ? Ne risque-t-on pas alors de les confronter brutalement à une situation qu’ils n’auront pas choisie et qu’ils vivront peut-être difficilement ? Si l’anonymat est levé, il faut que les parents eux aussi puissent avoir accès à l’identité du donneur, et ce sans attendre les 18 ans de l’enfant. Il faut également – pourquoi pas ?– qu’ils puissent choisir un donneur qui leur convienne afin de construire ensemble ce nouveau type de liens familiaux, cette nouvelle forme de « pluri-paternité ». Disant cela, je ne prends position ni pour ni contre. J’appelle seulement votre attention sur tous les enjeux et les conséquences des décisions futures.

On invoque souvent la législation en vigueur dans d’autres pays. J’y suis personnellement très attentif car nous avons grand besoin d’informations à la fois sur les différents dispositifs existants et sur ce à quoi ils ont conduit. En Suède, dès 1984 une loi a levé l’anonymat des donneurs de gamètes et permis aux enfants ainsi conçus de connaître, à leur majorité, l’identité du donneur. Nous ne disposons, hélas, d’aucune étude ni même simple information sur les conséquences qu’a eues cette loi. Lorsque j’interroge des collègues suédois, ils ne répondent pas. Il se trouve que je me suis entretenu avec une journaliste de la radio suédoise juste avant de venir ici et que j’ai pu lui poser précisément la question. Elle m’a dit qu’un de ses collègues qui avait souhaité l’an passé faire un reportage sur ce sujet avait dû y renoncer car il n’avait pas trouvé un seul enfant conçu par don de sperme s’étant manifesté dans les banques de sperme. Je ne sais pas qu’en conclure. Mais je sais qu’en Suède, et sur ce point nous disposons d’études scientifiques, la plupart des couples dont l’un des membres est stérile soit se rendent au Danemark où l’anonymat des donneurs est garanti, soit n’informent pas leur enfant de son mode de conception.

Une étude que nous avons menée il y a trois ans dans les CECOS sur près de 500 couples demandeurs d’insémination avec donneur a révélé que plus de 90% d’entre eux ne souhaitaient pas que la loi soit modifiée concernant l’anonymat des donneurs. En revanche, 60% d’entre eux disaient leur intention d’informer l’enfant de son mode de conception : 25% de ces couples indiquaient également que si la loi levait l’anonymat, ils n’auraient plus recours à cette technique de procréation. On dit souvent que la levée de l’anonymat risquerait de diminuer le nombre de donneurs, je pense, pour ma part, qu’elle diminuerait surtout la demande.

Dans les pays où l’anonymat a été levé, notamment aux États-Unis et au Canada, l’immense majorité des jeunes qui se manifestent auprès des banques de sperme ont été conçus pour des femmes seules ou homosexuelles. Dans la plupart des pays où n’existe plus d’anonymat, l’insémination avec tiers donneur leur est en effet accessible. Quand un enfant est élevé dans ces conditions – et je ne porte là aucun jugement sur cette forme de parentalité –, il n’y a en tout état de cause pas de père, même s’il peut y avoir deux parents dans le cas de femmes homosexuelles. On comprend que dans cette situation particulière, l’enfant puisse souhaiter avoir une image de son père. Il faut bien voir que la question de l’anonymat du don de gamètes se poserait de manière différente dans notre pays si l’AMP y était autorisée aux femmes seules ou homosexuelles.

L’anonymat du don de gamètes ne signifie nullement clandestinité ni secret sur l’origine – laquelle réside bien davantage dans le mode de conception que dans l’identité du donneur de gamètes. On ne peut pas non plus faire abstraction du contexte social ou culturel dans lequel vivent les individus. Des couples m’ont souvent dit qu’ils auraient souhaité informer leur enfant de son mode de conception, mais qu’étant donné le regard que pourrait porter leur famille ou leur entourage sur leur choix, ils y avaient finalement renoncé.

Il faudrait en tout état de cause procéder à une évaluation très rigoureuse des choix faits jusqu’à présent. Il est vrai que des jeunes sont aujourd’hui en difficulté et il faut les entendre. Mais leurs difficultés tiennent-elles essentiellement à ce qu’ils ignorent l’identité du donneur de sperme qui a permis leur conception ? Tout cela me paraît plus compliqué et il faudrait s’intéresser aussi à tous les jeunes conçus avec don de sperme – il y en a 50 000 au total dans notre pays – qui n’éprouvent aucune difficulté particulière et ne recherchent pas leurs origines génétiques.

Par ailleurs, vous m’avez interrogé sur le classement international de la France en matière d’AMP. D’après les études annuelles de la Société européenne de reproduction humaine et d’embryologie, notre pays ne se situe assurément pas en bonne position pour ce qui est du taux de grossesses, quelle que soit la technique utilisée – FIV ou ICSI. Je ne sais pourquoi. A mon avis, il faudrait apporter plus d’attention à la qualité des actes réalisés, tant au niveau clinique que biologique. Ce qui me frappe est la lenteur avec laquelle les pratiques évoluent en France sur des questions importantes.

L’une des principales difficultés de l’AMP réside aujourd’hui dans le risque pour la santé des enfants, résultant essentiellement du taux très élevé de grossesses multiples. Chacun sait qu’en cas de grossesse gémellaire, a fortiori triple ou quadruple, les risques de prématurité, d’hypotrophie fœtale, ou encore de nécessité d’une réanimation néonatale sont beaucoup plus importants. Si on souhaite améliorer nos résultats en matière d’AMP, il faut lutter résolument contre les grossesses multiples, ce qui signifie réduire le nombre d’embryons transférés. Un progrès a été enregistré sur ce point, hélas encore trop faible. Il a été beaucoup plus rapide dans d’autres pays, nordiques notamment, où le nombre de grossesses multiples a été quasiment réduit à zéro, sans que le taux de grossesses ne diminue. Je regrette donc qu’en France, on ne soit pas plus volontariste sur ce point, tant au niveau institutionnel que professionnel.

M. le président. A-t-on constaté, professeur, des résultats significativement différents entre les différents centres autorisés en France ?

M. Pierre Jouannet. On ne le sait pas, puisque leurs résultats ne sont, hélas, pas publiés. Aux Etats-Unis, le CDC (Center for disease control and prevention) d’Atlanta publie les résultats centre par centre avec des statistiques établies par catégorie comparable de personnes, les taux de succès dépendant largement de l’âge de la femme, de l’origine de l’infertilité. Il serait souhaitable que de telles statistiques existent en France. Certaines différences de résultats peuvent s’expliquer par des différences de recrutement. Certains centres sont plus stricts que d’autres s’agissant de l’âge des femmes, si bien que leurs résultats sont meilleurs. Mais on peut tenir compte de ces biais et établir des statistiques permettant d’utiles comparaisons à population comparable.

M. Xavier Breton. Si de telles statistiques n’existent pas encore dans notre pays, est-ce parce que les praticiens n’en ont pas ressenti l’utilité ? Ne faudrait-il pas que l’Agence de la biomédecine les exige ?

La levée de l’anonymat du don de gamètes, qui aurait assurément une incidence sur le nombre de donneurs, n’en aurait-elle pas une également sur leur profil ? Si oui, laquelle ? Ne risque-t-on pas d’attirer alors des donneurs s’inscrivant davantage dans une logique d’affirmation d’eux-mêmes ? Des études ont-elles été menées sur le sujet dans les pays où l’anonymat a été levé ?

M. Pierre Jouannet. Il faut savoir que, dans beaucoup de pays, le profil des donneurs est au départ très différent du profil français. Les donneurs et les donneuses, notamment en Espagne, sont souvent de jeunes étudiants célibataires, recrutés au moyen de publicités faites par exemple dans les universités, et qui donnent leurs gamètes de façon parfois quelque peu insouciante. Dans ces conditions, il semble que la levée de l’anonymat responsabilise davantage les donneurs. Dans les pays où l’anonymat a été levé, le profil des donneurs se rapproche du profil français d’un homme plus âgé, déjà père, vivant souvent en couple.

Dans l’enquête que nous avons menée il y a trois ans, que j’ai déjà évoquée, nous avons également interrogé les donneurs : plus de 90% d’entre eux se sont déclarés favorables au maintien de l’anonymat, et plus des deux tiers ne seraient plus volontaires si l’anonymat était levé. Il ne faut pas, me semble-t-il, en tirer argument pour justifier le maintien de l’anonymat car je suis convaincu que le recrutement de donneurs de gamètes est d’abord fonction de ce que l’on investit dans cette activité, notamment du travail d’information et de sensibilisation. Je suis persuadé que si on levait l’anonymat du don de sperme et d’ovocytes en France, il y aurait tout de même des donneurs. La question de l’anonymat est beaucoup plus fondamentale pour les couples receveurs, s’agissant notamment des conséquences potentielles sur les enfants.

M. le président. J’en viens à la gestation pour autrui. L’Académie de médecine s’est, dans un avis très récent, déclarée opposée à cette pratique. Pour votre part, en annexe à cet avis, vous avez formulé des propositions en vous plaçant dans l’hypothèse où la GPA serait autorisée. Vous y indiquez notamment que la capacité de la gestatrice à donner l’enfant à sa naissance devrait être « soigneusement appréciée » et évoquez un « dédommagement raisonnable ». Qu’entendez-vous par là ?

M. Pierre Jouannet. Notre groupe de travail à l’Académie, tout en considérant que nous n’avions pas en tant que médecins à prendre position sur le fond – ce qui n’a pas été l’avis final de l’Académie –, a toutefois longuement réfléchi aux aspects médicaux car si la GPA était légalisée, c’est aux médecins qu’il reviendrait de la prendre en charge. Nous nous sommes interrogés sur la situation très particulière de ces femmes acceptant de porter un enfant pour une autre et dont elles savent dès le départ qu’elles l’abandonneront à la naissance. Les deux obstétriciens membres de notre groupe de travail, Roger Henrion et Claude Sureau, nous ont dit qu’ils avaient rencontré dans leur pratique obstétricale des femmes qui n’investissaient pas l’enfant qu’elles portent et se plaçaient dès le départ dans une perspective d’abandon.

Au cas où la GPA serait légalisée, il convient d’anticiper tout ce qui peut l’être, en l’état actuel des connaissances, et de faire en sorte que tout se passe au mieux. Les équipes médicales devront travailler en lien avec des psychologues et des assistantes sociales auprès de ces femmes et leur famille, afin d’apprécier au mieux comment la grossesse sera vécue et de s’assurer qu’aucune conséquence dommageable n’en résultera pour quiconque. Mais nous entrons ici dans l’inconnu. C’est d’ailleurs pourquoi notre groupe de travail a demandé que si la GPA devait être autorisée, une évaluation extrêmement rigoureuse de cette pratique à long terme ait lieu, de façon que l’on puisse procéder à tous les ajustements nécessaires, y compris revenir sur l’autorisation si cela soulevait trop de problèmes.

M. le président. Et pour ce qui est de l’indemnisation ?

M. Pierre Jouannet. Le don d’ovocytes est déjà une épreuve, non dénuée de risques. Une grossesse en est une beaucoup plus grande encore. Les femmes doivent prendre un congé, peuvent avoir besoin de faire garder leurs autres enfants. La question d’une indemnisation se pose donc nécessairement. Mais il faudra bien entendu veiller à prévenir tout dérapage vers une commercialisation des corps, inacceptable au regard de nos principes éthiques.

M. le président. L’AMP est aujourd’hui réservée aux couples confrontés à un problème médical d’infertilité. Quel est votre avis sur l’élargissement éventuel à d’autres cas ?

M. Pierre Jouannet. Au risque de vous décevoir, je vous répondrai que ce n’est pas une question médicale. Je n’ai aucune légitimité en tant que médecin à donner mon avis sur le sujet.

M. le président. Avez-vous été confronté dans votre pratique médicale à ce problème ?

M. Pierre Jouannet. Oui, il y a longtemps, dans les années 70, lors de la création des premiers CECOS. Je répondais alors aux femmes homosexuelles qui s’adressaient à nous que nous prenions seulement en charge les indications médicales et que nous, médecins, ne pouvions pas accéder à leur demande, à moins que la société ne l’autorise.

Si les indications de l’AMP étaient élargies à ces cas, la première question serait de savoir si ce type d’AMP, sans aucune justification médicale, doit être pris en charge à 100% par les caisses d’assurance maladie. Ensuite, cela modifierait profondément l’organisation des soins et des pratiques. Une inflation de demandes s’ensuivrait nécessairement, qu’il faudrait gérer. En Grande-Bretagne aujourd’hui, la très grande majorité des procréations avec sperme de donneur concernent des femmes seules ou homosexuelles.

En tant que citoyen, je comprends le désir de ces femmes de devenir mères et je ne vois pas de raison de m’y opposer. Si cela est la meilleure manière de procéder pour qu’elles puissent le devenir, pourquoi pas ? Mais si les femmes seules ou homosexuelles obtiennent le droit de devenir mères, pourquoi les hommes seuls ou homosexuels n’auraient-ils pas le droit de devenir pères ? Il faut par cohérence pousser la logique jusqu’au bout. Si on reconnaît de nouvelles formes d’organisation familiale et de procréation, cela doit valoir pour les deux sexes. Il faut réfléchir à tous ces enjeux et toutes ces conséquences. Mais pourquoi pas ? Cela se fait bien dans d’autres pays. Et diverses études scientifiques – je pense notamment à des publications hollandaises, britanniques ou nord-américaines – sur ces nouvelles formes de parentalité sont plutôt rassurantes : elles montrent que les enfants élevés par des femmes homosexuelles – les études sont moins nombreuses sur les femmes seules – vont parfaitement bien, ont un développement tout à fait harmonieux et n’ont pas eu à souffrir de leur situation particulière. Reste à savoir si le législateur français souhaite que l’on s’engage dans cette voie.

M. le président. Il me reste, professeur, à vous remercier de votre intervention.

Audition de M. François STEFANI, vice-président, et de M. Piernick CRESSARD, membre de la section « éthique et déontologie » du Conseil national de l’Ordre des médecins


(Procès-verbal de la séance du 25 mars 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, Président

M. le président Alain Claeys. Nous avons aujourd'hui l'honneur d'accueillir les docteurs François Stefani et Piernick Cressard, respectivement vice-président et membre de la section « éthique et déontologie » du Conseil national de l'Ordre des médecins.

Les progrès des techniques médicales placent les médecins devant des dilemmes éthiques nouveaux. On mentionnera les interrogations éthiques du médecin face à un couple infertile pour lequel seule une gestation pour autrui assurerait une descendance génétique ; le dilemme entre la nécessité de respecter le secret médical et celui d'informer d'un danger pour la santé lorsque les résultats d'un diagnostic génétique concernent l'ensemble d'une parentèle ; le souci de garantir aux enfants une qualité de vie future sans tomber dans l'eugénisme rendu pourtant possible par les techniques de diagnostic préimplantatoire ; ou encore le sens à accorder au recours à l'AMP lorsque l'infertilité ne résulte pas d'une maladie ou d'un handicap naturel.

Ces différents problèmes suscitent-ils l'inquiétude des médecins ? Le code de déontologie répond-il aux nombreux défis moraux de la bioéthique d'aujourd'hui ? Quels sont les principes qu'il convient de préserver et quelles évolutions conviendrait-il d'envisager ?

Sur toutes ces questions, vos fonctions de garants de l'éthique médicale vous confèrent une autorité particulière. Je vous laisse la parole.

Dr. François Stefani. Le Conseil de l’Ordre est heureux de pouvoir communiquer l’état de sa réflexion sur ces sujets et vous remercie de cette invitation. Je me propose de vous donner lecture d’un texte validé par la section « éthique et déontologie ».

La science nous fait entrevoir les possibilités d'agir sur le vivant en ayant la capacité de modifier les caractères génétiques héréditaires de l'être humain avec pour finalité une transformation profonde de celui-ci. Face à cette révolution scientifique, les règles éthiques ayant inspiré le code de déontologie médicale et les dispositions légales seront insuffisantes pour préserver l'être humain contre les éventuelles dérives.

Naguère, la connaissance de l'héritage génétique d'une personne était étayée sur l'étude des antécédents familiaux, associée à des examens biochimiques complémentaires des protéines. Aujourd'hui, et surtout demain, l'étude du génome d'une personne par les techniques de haute valeur scientifique permet l'établissement du diagnostic ; elle ouvre aussi une perspective infinie sur le devenir de la personne et de ses descendants, entraînant une demande de thérapie génique pour des caractères qui pourront devenir des anomalies en fonction d’une demande sociale plus forte que l'éthique.

Face à cette évolution, il convient de rappeler les principes fondamentaux qui inspirent notre éthique : l'autonomie de la personne – qui requiert le recueil du consentement éclairé et le respect du secret médical – ; la non instrumentalisation de l'individu ; la non marchandisation du corps humain et de ses dérivés ; le respect de l'enfant à naître et de son environnement affectif et familial ; le refus de l’eugénisme ; la non-instrumentalisation du médecin.

L'autonomie de la personne ne peut se concevoir sans consentement éclairé. Dans le passé, la relation entre le médecin et son patient, faite d'autorité et de confiance, faisait que l'avis du médecin était rarement discuté. Aujourd’hui, le consentement est reconnu comme un impératif absolu ; éclairé, il suppose une compréhension parfaite par le patient de ce à quoi il consent.

Dans les domaines abordés par la loi de bioéthique, la complexité scientifique et technique des questions rend plus nécessaire et plus importante encore la qualité de l'information ; elle doit être apportée par des praticiens aux compétences indiscutables et disposant du temps nécessaire ; les personnes concernées doivent disposer d'un délai de réflexion suffisant, qui peut être imposé dans certains cas. Les associations de patients et les familles jouent un rôle essentiel : souvent parfaitement informées, elles se montrent capables, avec des mots plus simples et une grande sensibilité, de compléter l'information médicale.

Il est souhaitable, particulièrement en matière d'utilisation de matériel génétique, que ce consentement soit explicite et que la présomption de consentement ne puisse être admise que dans de très rares exceptions, comme le prélèvement d'organes post mortem.

Le consentement éclairé réclame aussi que l'on ne revienne pas, même par voie législative, sur la nature de ce consentement. Ainsi, la levée de l'anonymat des donneurs de gamètes, alors qu'il était garanti à l'époque du don, constituerait une trahison. Par ailleurs, la levée envisagée de l’anonymat pour les dons à venir aurait vraisemblablement un caractère dissuasif auprès de donneurs potentiels. Enfin, un consentement véritablement libre doit pouvoir être retiré à tout moment.

Élément fondamental de la confiance entre le malade et son médecin, le secret médical doit être respecté dans tous les cas. Il peut apparaître à certains que des nécessités de santé publique ou de protection des familles justifient que la loi fasse une exception et permette l'information des sujets exposés à une maladie génétique, sans l'accord du patient chez qui la pathologie a été détectée.

Rappelons que lorsque le sujet avait été discuté à propos du sida – dans la perspective d’une éventuelle information du conjoint sans l'accord du malade –, la règle du secret avait été maintenue. La rupture du lien de confiance qui résulterait d'une levée du secret aurait sans doute un effet contraire à celui recherché. D'abord, en décourageant un certain nombre de patients de se faire dépister ; ensuite en rendant plus difficile, voire impossible, la recherche de sujets exposés.

Quant à d'éventuelles sanctions en cas de non-coopération, elles nous apparaissent comme absolument contraires à l'esprit des bonnes pratiques. L'attitude qui privilégie la confiance entre le malade et son médecin permet au contraire à celui-ci d'exercer la persuasion nécessaire.

Enfin, le droit de ne pas savoir doit être respecté. Rien ne permet à une autorité, quelle qu'elle soit, de donner à une personne une information sur sa santé qu'elle ne désire pas recevoir.

S’agissant de la non-instrumentalisation de l’individu, il convient sans doute de rappeler la phrase de Kant : « Agis toujours de telle sorte que tu traites l’humanité en ta personne ou celle d'autrui comme une fin et non comme un moyen ». Quel est le droit qu’a chacun de disposer de sa personne et de son corps ? Peut-on, à travers soi-même, porter atteinte à la dignité de l'humanité en tant qu'espèce ?

La réponse est délicate et des arguments peuvent être développés dans un sens comme dans l'autre. Il y a quelques années, la justice avait interdit un spectacle de « lancer de nains » considérant, même avec l’accord de la personne, qu’il portait atteinte à la dignité humaine. Le débat n'est pas clos pour autant.

Le consentement, même éclairé, d'une personne ne peut pas justifier dans tous les cas l'utilisation que l'on fait d'elle, de son corps ou d'une partie de celui-ci. Qui pourra garantir l'absence de toute forme de pression, affective, sociale, pécuniaire ? Quelles pressions affectives subit le frère ou la sœur d'un malade nécessitant une greffe de rein ou de foie ? Qui peut garantir que la décision est prise en toute indépendance ? S’il n'est pas question d'interdire le don de greffons entre vifs – preuve d'amour et d'altruisme –, la décision doit être prise après mûre réflexion, et après une information claire et loyale sur les conséquences et les risques d'un tel geste.

La gestation pour autrui, quelles qu’en soient les motivations, implique l’utilisation du corps d'une femme au profit de tiers et pose la question de son indépendance. Si le désir de procréer est inscrit au plus profond de notre être et demeure l'un des plus légitimes qui soit, existe-t-il pour autant un « droit à l'enfant » absolu, et si oui, ce droit justifie-t-il toute méthode de procréation scientifiquement et techniquement possible ? N'entre-il pas alors en conflit avec le droit fondamental de l'enfant ? Nous estimons que l’enfant à naître doit être respecté. Alors qu’il est admis que se crée au cours de la grossesse un lien particulier entre l'enfant et sa mère, sait-on quel traumatisme représente pour le nouveau-né une séparation immédiate de la femme qui l'a porté ?

Par ailleurs, la gestatrice court un certain nombre de risques médicaux : fausses couches, dystocies de l'accouchement, anomalies foetales, troubles dépressifs ou psychotiques du post partum. Les addictions dont elle peut être atteinte – tabac, alcool, stupéfiants, médicaments – ont des conséquences sur la formation du fœtus, qui peut également souffrir des carences alimentaires de sa mère utérine.

Les relations étroites qui existent entre la mère et l'embryon conditionnent le bon développement du corps, des organes sensoriels, du système nerveux, des bases psychophysiologiques. Cela ne sera pas sans conséquences sur l’adaptation de l'enfant dans le monde extérieur, ses acquisitions, son accession à l'autonomie et à la maturité adulte.

Prend-on assez en considération le respect de cette femme gestatrice d'un enfant qui n'est pas le sien ? Quelles sont les véritables motivations qui l'amènent à un tel geste ? Altruisme pur, désir de se valoriser personnellement, raisons pécuniaires ? L'autorisation de porter un enfant dans de telles conditions sera-t-elle reconnue à toute femme en âge de procréer ? Ou doit-on la réserver aux femmes déjà mères ? Dans ce cas, quelles seront les conséquences sur leur environnement familial, leur conjoint, leurs enfants, et sur leur environnement social ?

Bien sûr, une enquête médico-psycho-sociale précédant la mise en œuvre de ces technique devrait tenter de limiter au maximum le risque d'effets collatéraux ; mais ces enquêtes, qui médicalisent et intellectualisent à outrance, ne dénaturent-elles pas l'acte de procréation dans ce qu'il devrait garder de spontané ?

Dans le prolongement du risque d'instrumentalisation apparaît celui de la marchandisation du corps humain et de ses dérivés. La règle de notre pays, restée constante dans ce domaine, est l'interdiction de leur commercialisation. Ce qui fait la dignité d'un être, dit Kant, c'est qu'il n'a pas de valeur marchande.

La réflexion sur la marchandisation du corps et de ses dérivés conduit à se poser la question de l'utilisation des cellules souches embryonnaires. Si l'utilisation à cette fin d'embryons promis à la destruction en l'absence de projet parental peut être envisagée – encore que ce ne soit pas sans poser des questions éthiques – il nous semble que les conditions dérogatoires et provisoires actuelles doivent être maintenues dans la prochaine loi, en attendant que les progrès de l'utilisation des cellules souches du cordon ombilical ou des cellules souches adultes permettent de s'en dispenser.

La production d'embryons humains aux seules fins de la recherche ou même de la thérapeutique nous semble contraire à la dignité de l'espèce.

Le diagnostic prénatal et le diagnostic préimplantatoire dans le cas de maladie génétique ou congénitale grave suspectée sont actuellement admis. Ces procédés, cependant, heurtent des consciences et restent contraires aux principes humanistes ou religieux de bon nombre de nos concitoyens. La liberté de conscience reconnue à chacun, patient ou médecin, exige donc qu'il ne soit exercé aucune pression pour effectuer des tests prénataux ou pour en tirer les conséquences sur le cours de la grossesse. La charge que constituerait l’enfant pour la société ne peut être un argument admissible.

La question de l'interruption de la grossesse en cas de pathologie grave et actuellement inaccessible au traitement se pose légitimement. Mais outre que la définition d'une maladie grave et incurable reste très délicate, les conséquences psychologiques d'un tel geste existent et sont imprévisibles. Il faut se méfier des simplifications hâtives. Le degré très important d'incertitude qui accompagne encore de nombreux tests génétiques doit, par ailleurs, conduire à une extrême prudence.

La suppression d'embryons ou l'interruption de grossesse en présence d'un sujet porteur monozygote d'une maladie à expression hétérozygote, dans le simple but de supprimer une maladie transmissible et d’« améliorer l'espèce », ne peut être autorisée. De telles pratiques pourraient justifier toutes sortes d'excès. Par ailleurs, il n’est pas certain qu'en voulant éliminer certaines particularités du génome humain, on n'obtienne pas un effet délétère ; ainsi, la drépanocytose, maladie extrêmement sévère dans sa forme homozygote, protège en partie du paludisme dans sa forme monozygote.

L'exposition génétique à la maladie cancéreuse est extrêmement variable. Comment décider si une mutation justifie une interruption de grossesse ou une sélection préimplantatoire ? Les progrès de la prévention, surtout lorsque le risque est connu, ainsi que ceux de la thérapeutique rendent incertains des pronostics aujourd'hui très péjoratifs – sauf pour certains cancers particuliers, notamment chez l’enfant.

Les implications économiques de telles pratiques sont potentiellement importantes. La suppression de fœtus ou d'embryons porteurs d'une mutation les exposant au risque de cancer dans leur jeunesse, source de coût pour la société, présenterait un intérêt économique certain. On peut imaginer les pressions qui pourraient peser sur les médecins et leurs patients.

Nous refusons l’instrumentalisation du médecin, qui a fait le serment de « délivrer complètement les malades de leurs souffrances ou émousser la violence des maladies... » Le domaine de la médecine est, en principe, celui de la pathologie. Jusqu'au milieu du siècle dernier, les médecins ne s'occupaient que des maladies et exerçaient à l'abri des conflits de conscience. De nos jours, alors qu'il devient possible d'intervenir sur l'être humain avant même sa conception, les praticiens s’interrogent de plus en plus sur la justification éthique de leur pratique.

S'efforcer d'aider un couple hétérosexuel stérile à procréer à partir de ses gamètes relève de la mission naturelle du médecin, dans la mesure où il ne porte pas tort à un tiers. Manipuler des cellules pour obtenir un enfant issu d'un couple homosexuel semble plus discutable.

Le risque de voir instrumentaliser la médecine et les médecins existe également dans le dépistage génétique. C'est pourquoi l'interdiction de recourir à des tests dans le but de souscrire un contrat d'assurance ou en vue d'une embauche doit être maintenue.

Les médecins, de façon individuelle ou collective, au travers de leurs institutions représentatives, sont en droit d'exprimer des réserves sur des pratiques qui leur apparaîtraient contraires à leur éthique personnelle ou professionnelle. Aucun geste ne doit donc pouvoir être imposé à un médecin lorsqu'il le considère comme contraire à son éthique. Une clause de conscience doit être prévue dans tous les cas.

C'est une des raisons pour lesquelles le Conseil national de l'Ordre souhaite être représenté au Comité consultatif national d'éthique et que les conseils régionaux de l’Ordre soient représentés au sein des comités d'éthique régionaux.

La réflexion bioéthique pose de nombreuses questions auxquelles il est difficile de répondre. La volonté de considérer la détresse individuelle s'oppose souvent aux principes fondamentaux d'une éthique protectrice de la dignité de l'espèce humaine et de son devenir. La loi, nous dit Aristote, est faite pour le cas général et non pour le cas particulier. En s'attachant à soulager – par une compassion compréhensible – les cas particuliers, la loi risque parfois de porter atteinte à ses principes fondateurs.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Je vous remercie d’avoir rappelé les fondamentaux qui président à la pratique médicale.

Lorsqu’une maladie génétique est découverte chez un sujet, il peut exister un conflit entre le respect du secret médical et l’information de la famille à des fins de prévention. Je connais le cas d’un couple qui a perdu trois de ses enfants avant d’apprendre que le diagnostic avait été établi chez l’un des cousins, sans que celui-ci, en raison d’une mésentente familiale, ait jugé bon de les en avertir.

Dans le cas d’une maladie génétique grave et incurable, que pensez-vous de la solution consistant à remettre au malade une lettre stipulant l’existence de risques majeurs encourus par sa famille et de son devoir de l’en informer ? Cette lettre pourrait être retournée contre le malade s’il ne respectait pas cette obligation d’information.

Dans un futur proche, une simple prise de sang pratiquée sur la femme enceinte permettra de connaître les anomalies du fœtus. Pensez-vous qu’il sera possible de limiter la recherche à une seule pathologie, déjà connue dans la famille ? Pourra-t-on échapper à la pression de la famille qui demandera également à ce que soient recherchées d’autres anomalies chromosomiques ? L’avortement étant légal avant la douzième semaine, la mère aura le choix de poursuivre ou non sa grossesse, même si le handicap est mineur. Ne risque-t-on pas alors de glisser vers une sélection de l’espèce ?

Le DPI doit-il concerner les prévalences majeures à un cancer ? Doit-on considérer qu’il ne s’agit pas de maladies graves et incurables, puisque certains cancers peuvent être traités ? Le DPI doit-il dépister des maladies dégénératives graves, comme la chorée de Huntington, qui ne se déclare que vers soixante ans ? Où doit-on placer le curseur ?

J’ai bien compris la position du Conseil de l’Ordre quant à la GPA, basée sur un refus d’instrumentalisation du médecin comme de la mère utérine. Avez-vous eu connaissance du cas de médecins ayant eu à suivre de telles grossesses ? Ceux-ci, sans être à l’initiative de la GPA, peuvent considérer qu’il est de leur devoir de suivre leur patiente. Le Conseil de l’Ordre aurait-il pris des sanctions à leur encontre ?

M. Noël Mamère. Je crains que le Conseil de l’Ordre ne se place en retrait des évolutions de la société, même si ses conceptions rejoignent celles d’une partie de l’opinion. Lorsque vous parlez du « caractère spontané » de la procréation, vous en revenez à une vision très biologique de la famille, excluant la dimension sociale de la parentalité, dont Françoise Héritier nous a montré l’importance. En opposant le droit de l’enfant au droit à l’enfant, vous excluez la possibilité pour un couple homosexuel d’exprimer son désir d’enfant. Je perçois votre position comme un frein à l’action du législateur.

Je ne prône pas pour autant l’eugénisme et l’instrumentalisation des corps. Je fais partie d’un groupe politique qui, depuis bien longtemps, clame haut et fort que le monde, et ceux qui l’habitent, ne sont pas une marchandise. Pour le reste, je rejoins les questions posées par Jean Leonetti.

M. Xavier Breton. La loi de 2004 prévoyait la mise en place d’espaces régionaux d’éthique. Vous avez indiqué votre volonté d’y être associés. Selon vous, la nouvelle loi doit-elle aller plus loin dans la formalisation de ces espaces éthiques et instituer un niveau plus local ? Y a-t-il une demande particulière des médecins pour pouvoir dialoguer au sein de ces espaces, ce qui leur permettrait d’éclairer leur pratique et les choix auxquels ils pourraient être confrontés ?

M. Michel Vaxès. J’ajouterai une seule question à celles qu’a posées le rapporteur : ne pensez-vous pas que la communication de l’Académie de médecine sur la gestation pour autrui manque de netteté dans ses appréciations ?

À dire vrai, je ferais le même reproche à votre intervention : vous semblez hésiter dans vos prises de position. Est-ce parce que vous estimez qu’il s’agit de questions sociétales, qui ne relèvent pas de votre expertise ? Vous avez été peu disert, par exemple, sur la recherche sur l’embryon, que celui-ci soit surnuméraire ou produit à cette fin.

Mme Suzanne Rameix, membre du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. S’agissant de l’information des personnes apparentées, je comprends que le secret médical doive être préservé lorsque le patient ne donne pas son accord. Mais la problématique n’est pas celle rencontrée avec le sida. Bien souvent, la personne index est coopérative, elle construit avec le conseiller génétique un arbre généalogique, mais elle ne peut tout simplement pas informer sa famille, pour différentes raisons, ne serait-ce que parce qu’il est difficile d’être le porteur de mauvaises nouvelles. Il s’agirait donc d’imaginer un mécanisme qui permette, lorsqu’il y a accord, de faire circuler l’information entre médecins et que les apparentés en soient destinataires. Comment mettre en œuvre ce qui est proposé par la loi, en l’absence actuelle de décret ?

Dr. Piernick Cressard. Le Conseil de l’Ordre est une institution chargée de gérer l’exercice médical au travers d’un code de déontologie, tout manquement entraînant la comparution du confrère devant la chambre disciplinaire. De par sa nature même, elle est conservatrice.

Les lois qui nous gouvernent ne sont pas toujours en accord avec l’éthique médicale ; bien qu’inclus dans la société, il peut être de notre devoir de médecins de nous y opposer, comme l’ont fait – souvent au péril de leur vie – nombre de nos prédécesseurs.

Cela explique que nous donnions l’impression de fluctuer. Nous nous en tenons à ce qui est notre rôle : protéger la personne qui se confie à nous. Nous ne devons rien imposer, nous ne devons ni la culpabiliser ni la stigmatiser.

Le diagnostic génétique, qui, en soi, est une chose merveilleuse, pose un certain nombre de questions. Doit-on révéler les maladies pour lesquelles il n’existe pas de traitement curatif ? Peut-on informer une personne qu’elle souffrira, à plus ou moins longue échéance, d’une pathologie grave et incurable ? S’agissant des maladies génétiques transmissibles, doit-on informer les apparentés alors qu’ils n’ont rien demandé ? La loi l’a prévu, mais l’Agence de biomédecine n’est pas parvenue à la mettre en œuvre. Enfin, certaines de ces maladies génétiques sont de type psychiatrique ; faut-il les révéler et doit-on donner la primauté à la génétique, quand on sait que le milieu, l’éducation, les éléments acquis peuvent modifier le comportement ?

Étant donné que l’IVG est légale jusqu’à la douzième semaine, le diagnostic établi à partir d’une prise de sang donnera au couple la responsabilité de décider de la poursuite de la grossesse. Décision dramatique, qu’il devra prendre à partir d’une information génétique laissant à penser que l’enfant aura peut-être une malformation.

M. le rapporteur. Il y a en effet un hiatus entre une maladie génétique grave et mortelle, et une anomalie qui peut être traitée, par exemple une prédisposition au diabète. Le couple n’aura-t-il pas tendance à refuser toute anomalie, quelle qu’elle soit ? La prédictivité pour l’enfant à naître constitue le plus grand problème bioéthique auquel nous serons confrontés dans les années à venir.

M. le président. Je ne suis pas certain qu’il puisse se régler par la loi.

Dr. Piernick Cressard. Par ailleurs, le couple ne manquera pas d’être stigmatisé s’il garde un enfant dont la prise en charge par la société sera coûteuse.

Le Conseil de l’Ordre n’a pas été saisi de cas de GPA sur le plan disciplinaire. Mais si nous comprenons bien les souffrances d’un couple stérile, qui, après un parcours médical douloureux, décide de se tourner vers la GPA, nous nous plaçons plutôt du côté de la mère porteuse et de l’enfant.

Quel intérêt a une femme à devenir le réceptacle d’un embryon qu’elle abandonnera à la naissance ? Quelles sont les conséquences pour l’enfant d’un tel abandon, lorsque l’on sait que, pendant neuf mois, il aura vécu en symbiose avec sa mère utérine, que son système neuro-végétatif se sera formé à son contact, qu’il aura réagi à ses mouvements, aux changements de sa respiration ou de son rythme cardiaque, qu’il aura développé ses organes sensoriels, entendu les sons et identifié les voix familières ? Que sait-on par ailleurs des risques psychiatriques encourus par la mère ? Certaines parturientes souffrent d’un « manque d’enfant » de type psychotique, estimant qu’elles n’ont jamais accouché, comme d’autres souffrent d’un déni de grossesse. Enfin, quelle sera la position des parents qui ont conçu l’embryon si la mère porteuse accouche d’un enfant malformé ?

Dr. François Stefani. Les avis, au sein de notre section éthique, sont assez partagés, ce qui explique que nous présentions notre réflexion sous forme interrogative.

À titre personnel, j’étais plutôt favorable à la GPA après avoir lu le rapport du Sénat. Depuis, j’ai changé d’avis, principalement en raison des risques encourus par l’enfant et par la mère porteuse. Ce n’est pas une position de principe ; elle est étayée par des raisons médicales. Par ailleurs, le statut de l’enfant reste imprécis : dans les pays où la GPA est autorisée, la mère porteuse peut garder l’enfant dans les trois jours qui suivent l’accouchement ; elle peut aussi décider d’une interruption de grossesse.

M. le rapporteur. Nous sommes confrontés à des problèmes en cascade. Le premier que j’entrevois, c’est la primauté donnée à la dimension génétique de la parentalité. Que signifie l’obsession d’avoir un enfant qui soit à tout prix issu des gènes des deux membres du couple ? Préférer la GPA à l’adoption, n’est-ce pas réduire la parenté au génétique ?

Deuxième problème : la GPA doit-elle être intrafamiliale ou extrafamiliale ? Les conséquences d’une GPA sur les liens familiaux seraient loin d’être négligeables. Comment la « redevance » affective sera-t-elle vécue ? Il conviendrait donc de déconnecter la grossesse de la maternité et de favoriser une GPA extrafamiliale. Mais cela pose alors la question de l’indemnisation, donc de la marchandisation des femmes.

Troisième problème, celui du contrat : l’enfant en devient l’objet, il est ainsi chosifié. Par ailleurs, qui décide d’un avortement éventuel ? Quelles sont les indemnisations prévues en cas de décès en couches de la mère porteuse ?

M. Noël Mamère. C’est un sujet sur lequel nous allons continuer de débattre. Si nous sommes appelés à légiférer, il faudra le faire sur le doute, et non sur les certitudes.

Certaines personnes ne souhaitent pas savoir qu’elles sont porteuses d’une maladie génétique, comme la chorée de Huntington. Le regard sur elles-mêmes et le regard que poseront les autres sur elles sont susceptibles d’affecter leur vie entière.

Mme Delaisi de Parceval ou Mme Marinopoulos, que nous avons entendue hier, montrent bien que c’est un projet parental qui fonde la GPA. Même si un tiers est nécessaire, celui-ci demeure un tiers. Le projet appartient aux parents.

Je trouverais très intéressant d’entendre un théologien sur la GPA car l’Annonciation, qui est fêtée aujourd’hui, nous rappelle que la première mère porteuse n’est autre que la Vierge Marie…

M. Xavier Breton. Elle n’a pas abandonné l’enfant à la naissance !

M. Michel Vaxès. Le doute, s’il a des vertus, n’interdit pas la conviction. Dans l’état actuel de ma réflexion, je ne suis pas du tout favorable à la GPA. Je ne peux me résoudre à considérer que le caractère biologique de l’enfant à naître prenne autant de poids dans la vision que l’on a de la filiation. L’essence de l’humanité est dans la relation avec autrui et non dans le biologique, qui renvoie à l’espèce et à l’animalité.

Docteur Cressard, peut-on considérer que le fœtus commence à s’hominiser dès que ses sens se développent et qu’il entre en relation avec l’extérieur ? La réponse à cette question serait à même de préciser votre position.

Dr. Piernick Cressard. Le débat sur la génétique évoque celui entre l’inné et l’acquis. Dans les premiers mois de l’existence du fœtus, les organes des sens se développent, les neurones se fabriquent, les connexions s’établissent, et cela se fait dans une certaine relation à la mère. C’est l’une des raisons pour lesquelles on s’abstient de prescrire à celle-ci des médicaments. Si la mère entre en anoxie, cela a un retentissement immédiat sur le fœtus. Si elle est toxicomane, l’enfant naît toxicomane.

Personne ne peut affirmer que le fœtus pense, mais il est certain qu’il ressent. Je pense que dès que le projet est réalisé, l’enfant à naître commence à s’hominiser. Il est, dès cet instant, différent de l’animal.

Dr. François Stefani. L’importance donnée au génétique découle des progrès de la génétique. La découverte et la connaissance de millions de gènes ont donné l’impression que là était le plus important, et que la seule façon de se survivre était de transmettre son capital génétique.

Je suis d’accord avec vous, les rapports humains l’emportent sur la génétique. De tout temps des enfants ont été reconnus et aimés par un père qui n’était pas leur père biologique. S’il est difficile de nier ce désir profond qu’ont les êtres humains de procréer, celui-ci peut-il tout justifier, jusqu’à contractualiser l’abandon d’un enfant ?

S’agissant de l’information des apparentés, la loi a prévu un décret. Le texte préparatoire a été étudié au Conseil de l’Ordre, mais dans l’état des choses, ce décret semble impossible à rédiger. Une lettre envoyée par un généticien à la famille ne nous semble pas souhaitable. Il faut également respecter le droit de ne pas savoir, notamment dans le cas de la chorée de Huntington, qui, je le précise, peut se déclarer bien plus tôt qu’on peut le croire, parfois à vingt ans. La solution la plus adaptée serait de passer par les médecins traitants des membres de la famille, les mieux placés pour informer correctement leurs patients.

Pour ce qui est des tests génétiques portant sur la prédisposition au cancer, tout dépend des pathologies et de l’âge auquel elles risquent de se développer. S’il s’agit d’un rétinoblastome se traduisant par un envahissement oculaire dès l’âge d’un an, je ne pense pas que l’on puisse faire autrement que de prévenir les parents. Mais s’il s’agit d’un cancer pouvant frapper entre quarante et cinquante, est-ce que cette vie ne vaut pas la peine d’être vécue, ne peut-elle être emplie de joie et d’actions altruistes ? De quel droit interdirions-nous à ces gens de vivre ?

Nous avons eu connaissance du cas d’un homme souffrant d’une maladie de Huntington et qui ne souhaitait pas qu’il soit mis fin à la grossesse de sa femme. Pourquoi, disait-il, empêcher cet enfant de naître alors que j’ai eu le droit de vivre ?

Dr. Piernick Cressard. On met toujours en avant la chorée de Huntington, qui est extrêmement rare. Mais les tests détectent bien d’autres maladies, et cela tend à m’inquiéter. Va-t-on se mettre à supprimer les trisomiques, les personnes susceptibles d’avoir des pathologies mentales ? Va-t-on bientôt trouver un gène de l’Alzheimer ? Déjà, on envisage de faire le diagnostic de l’Alzheimer à quarante ans, alors que l’on ne dispose pas de traitements curatifs. En tant que médecin, nous sommes là pour protéger nos patients. Nous n’avons pas à leur mentir ; nous n’avons pas à tout leur révéler non plus. Autant mettre des pancartes aux berceaux des maternités : « Mon petit bonhomme, c’est déjà fini ! »

M. le président. Je vous remercie. Vos propos soulèvent de nouveaux questionnements, mais ils contribuent au cheminement de notre réflexion.

Audition de M. Jacques MONTAGUT, médecin biologiste de la reproduction et directeur de l’Institut francophone de recherche et d’études appliquées à la reproduction et à la sexologie (IFREARES) à Toulouse


(Procès-verbal de la séance du 25 mars 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Je suis très heureux que Jacques Montagut vienne éclairer à nouveau le Parlement sur les lois de bioéthique, ayant eu l’occasion de le rencontrer lorsque, avec Claude Huriet, nous procédions il y a dix ans à l’évaluation des lois de bioéthique.

Docteur, vous dirigez aujourd’hui les activités d'assistance médicale à la procréation (AMP) d'un laboratoire privé de biologie clinique à Toulouse. Vous êtes l'auteur d'un livre intitulé Le clonage, paru en 2008, et vous venez d’en écrire un deuxième…

M. Jacques Montagut. Il est issu d’un colloque qui a réuni toutes les équipes privées. Je vous donnerai les documents et le livre à l’issue de cette réunion.

M. le président. Vous avez également été membre du Conseil consultatif national d’éthique (CCNE) et du conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine.

Vos activités passées et présentes dans ces différentes institutions justifient votre audition par notre mission d'information. En effet, vous avez été en France l'un des pionniers de l’accueil d'embryon. De surcroît, vous militez en faveur de l'extension aux centres privés des activités de recueil des dons de gamètes, notamment d'ovocytes. Enfin, la localisation de vos activités à proximité de l'Espagne fait de vous un observateur privilégié des différences de législations et de pratiques de part et d'autre de la frontière.

J’ai une question simple à poser à l’ancien membre du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine que vous êtes : comment jugez-vous le pouvoir dont dispose cette agence aujourd’hui ?

L’Agence de la biomédecine évoque trois pistes pour favoriser le don d’ovocytes : une meilleure application de la loi quant à la prise en charge financière des frais liés au don ; la levée éventuelle de la condition de procréation antérieure ; l’extension des autorisations au secteur privé lucratif, sous réserve d’une stricte réglementation. J’aimerais avoir votre avis sur ces trois pistes.

M. Jacques Montagut. Merci de m’avoir invité. Comme vous l’avez dit, je suis ici en tant que praticien de l’AMP. Je travaille dans le secteur privé et suis responsable d’un organisme privé à but non lucratif : un institut en charge de dons de gamètes, spermatozoïdes et ovocytes. Je m’investis depuis le début des années quatre-vingt dans le domaine de la bioéthique, avec huit années passées au CCNE, trois au conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine et trois ans et demi – depuis 2005 – au Comité directeur pour la bioéthique du Conseil de l’Europe.

J’aborderai la gestation pour autrui (GPA) et, surtout, l'état actuel de deux pratiques susceptibles d'être considérablement améliorées par une clarification de la loi sur l'AMP : l'accueil d'embryon et le don d'ovocytes.

Les remarquables rapports du Sénat et de l'Académie de médecine font écho à la relance du problème de la GPA par différentes associations et quelques affaires médiatisant, depuis 2004, les obstacles qu’oppose notre droit de la filiation aux enfants issus d'une GPA réalisée hors de notre pays.

La GPA est, en réalité, un choix de société qui met en tension éthique des approches bien différentes.

D'un côté, il y a ceux qui considèrent qu'il y a une cinquantaine d'indications médicales de GPA en France, qu'il faut les assumer plutôt que de les abandonner à des pays qui fonctionnent selon une logique financière d'exploitation des plus pauvres et que, de toute façon, notre réglementation nationale se trouve relativisée par la facilité des déplacements en Europe, assortie du droit de tout citoyen à recevoir des soins dans n'importe quel État de l'Union.

D'un autre côté, il y a ceux qui s'interrogent – et nous en faisons partie – sur la remise en question de grands principes éthiques inscrits dans le code civil : la primauté de la personne, l'indisponibilité du corps humain, sa non-commercialité. Emmanuel Kant disait d’ailleurs clairement que « 1'on peut disposer des choses qui n'ont pas de liberté, mais pas d'un être qui dispose de son libre arbitre ».

Mais notre interrogation porte aussi sur la philosophie qui fonde beaucoup de nos pratiques depuis plus de trente ans : la primauté de la filiation sociale sur la filiation biologique, qui a toujours prévalu en matière de don de gamètes et d'embryon, avec ce que nous expliquons tous les jours aux couples sur l'importance à donner à la grossesse quant à son rôle signifiant, voire identifiant pour l'enfant à naître. Ce poids, ce sens donné à la grossesse s'inverserait au titre de la GPA, dans une paradoxale primauté donnée au biologique, négligeant la relation fœto-maternelle et les repères sensoriels dont la rupture et la blessure pourraient retentir dans la construction de l'identité de l'enfant, comme nous le disent certains pédopsychiatres. Comment, en conscience, le praticien pourrait-il tenir des discours aussi différents sur la grossesse ?

Enfin, le rapport du Sénat et celui de l'Académie de médecine posent la question de l'incertitude qui pèse sur les conséquences sanitaires et psychologiques pour l'enfant à naître et la femme qui l'a porté. C'est là bien sûr que le débat est complexe et contradictoire, renvoyé une fois de plus à l'expertise scientifique, médicale et sociale, aujourd'hui en grande difficulté faute de connaissances suffisantes en la matière.

Les pro et les anti-GPA, s’il faut les opposer, ont tous des arguments respectables. Ils s’accordent cependant sur la nécessité de donner une reconnaissance civile, parentale aux enfants issus d'une GPA, aujourd'hui ballottés, me semble-t-il, par une jurisprudence fluctuante.

Il est bien de réfléchir sur la GPA à condition… de ne pas oublier les « GPS », les gestations pour soi, dont deux sont en grave rupture de soins. J’ai fait un petit calcul : pour une GPA interdite en France, ce sont 20 accueils d'embryon et 200 dons d'ovocytes qui ne se font pas, bien qu'autorisés par la loi.

L'accueil d'embryon est inscrit depuis 1994 dans notre droit, mais peu mis en pratique ; le texte a fait l'objet d'une remarquable clarification en 2004. Pour faire court : tout embryon donné en vue d'accueil est susceptible d'être accueilli par un couple présentant une double stérilité et, en cas de refus, une limitation de la durée de conservation à 5 ans est fixée afin d'éviter une conservation inutile d'embryons.

Ainsi, tous les embryons sont proposés et, dans le principe, ce n'est pas l'équipe, mais le couple receveur qui décide – c’est une façon de respecter le contrat « moral » du choix du devenir de l'embryon donné par ses géniteurs non pas à la science, mais à un autre couple stérile. L'équipe n'a pas à trier à sa convenance les embryons susceptibles d'être proposés à l'accueil, mais doit plutôt expliquer au couple donneur, en amont de sa décision, la probabilité de non-acceptation de son embryon s'il présente un risque qui, bien qu'acceptable pour lui, ne le serait pas pour un couple receveur.

Cependant, certaines équipes pensent aujourd'hui le contraire et qu'il leur appartient de décider des embryons à proposer aux couples receveurs. Cette interprétation de la loi mérite une clarification : de quel droit peut-on décider d'une rupture de contrat moral avec le couple donneur en ne proposant jamais certains embryons donnés, et cela jusqu'au délai limite de conservation et donc jusqu'à la possibilité de destruction ? Dès lors, quel sens donner au mot « accueil d'embryon » s'il devient une assistance médicale à la procréation au même titre qu'un don de gamètes ?

Peu d'équipes se sont mobilisées pour mettre en place l'activité d'accueil d'embryon, compte tenu des lourdes tâches à accomplir : convoquer les couples donneurs afin d'actualiser les procédures sécuritaires et de consentement, qui ont évolué ; travailler auprès des différents tribunaux de grande instance (TGI), parfois peu au fait de la spécificité de leur décision, notamment par rapport au don de gamètes.

Notre équipe à Toulouse a pu mettre en place, dès son autorisation ministérielle, une collaboration avec le juge Fabienne Clément – qui m’a autorisé à citer son nom –, aujourd'hui vice-présidente du TGI de Paris. Sa participation à des réunions pluridisciplinaires dans notre service, en l'éclairant sur les couples candidats à l'accueil d'embryon dans le respect du secret médical, a permis d'éviter d'onéreuses enquêtes sociales – entre 900 et 1 300 euros à Toulouse – et des délais d'accueil bien trop longs pour ces couples qui déjà ont un long parcours. Ce mode de collaboration a fait des émules et s'inscrit dans un enseignement que nous codirigeons à l'École nationale de la magistrature sur le juge face aux enjeux de la bioéthique.

Notre équipe fut à l'origine de la première naissance française par accueil d'embryon, puis de bien d'autres, avec un taux de grossesse par transfert de 42 %, encore inégalé dans les publications internationales. Malheureusement, elle fut contrainte d'interrompre son activité à la suite du décret d'application de la loi de 2004 qui, contrairement à celle de 1994, réserve l'activité d'accueil d'embryon aux seuls établissements publics de santé – en écartant ainsi le secteur privé, et même les organismes privés à but non lucratif pourtant autorisés pour le don de gamètes, comme notre Institut. Un recul incompréhensible à côté des avancées considérables apportées, je le redis, par cette loi en matière d'accueil d'embryon. L'Agence de la biomédecine nous a proposé une solution juridique de conventionnement avec un établissement public – ce qui nous allait très bien –, laquelle a été cependant refusée par une agence régionale de l’hospitalisation (ARH) peu compréhensive, sous le couvert de sa hiérarchie, au nom du principe de précaution quant à l'application de la loi. Il en découla une rupture de soins manifeste – pour un mot manquant dans le texte. Une pétition lancée par l'association Pauline et Adrien circule en France, signée non seulement par de nombreux couples, mais aussi par de nombreux praticiens du secteur public comme du secteur privé.

Permettez-moi de rappeler que les embryons conservés en vue de leur accueil se conservent et se transfèrent de la même façon que les autres.

De plus, sans l'intervention du législateur, d'inextricables problèmes de responsabilité médico-légale pourraient, un jour, survenir du fait d'une multiplication inutile des intervenants. Imaginez, en cas d'anomalie de l'enfant né d'un accueil d'embryon, qui pourrait être mis en cause : ceux qui ont conçu et congelé l'embryon, ceux qui l'ont transporté, ou ceux qui dans l'autre équipe ont pris le relais de la conservation, de la décongélation puis du transfert pour son accueil ?

Plutôt que de prendre de tels risques de contentieux, ne serait-il pas plus judicieux et moins coûteux qu'un registre national des embryons relevant d'un accueil soit centralisé et géré au niveau de l'Agence de la biomédecine, comme pour certains dons d'organes ?

Dès lors, toute équipe d'AMP conservant des embryons susceptibles d'être accueillis participerait à cette activité, sous la gouvernance de l'Agence, dans le respect du contrat moral passé avec le couple géniteur qui lui a confié la conservation et, dans une certaine mesure, le devenir de ses propres embryons en cas d’abandon du projet parental.

Le questionnement de tous les praticiens aujourd’hui est simple : la gestion du don et de l'accueil d'embryon – qui pourrait être confiée à l’Agence – justifie-t-elle la conservation et le transfert d'embryon par d'autres mains, à quel titre, pour quel coût et avec quels risques ?

J’en viens maintenant au don d'ovocytes. Sa situation dans notre pays est critique avec une effroyable pénurie de donneuses et un manque cruel de moyens. En 2006, moins de 300 receveuses ont été traitées en France, selon l'Agence de la biomédecine, contre 16 000 en Espagne. Certes, les règles du jeu ne sont pas les mêmes, notamment pour les donneuses. Mais, plutôt que de juger ce qui se fait chez les autres, n'est-il pas plus judicieux de juger ce qui ne se fait pas chez nous, dans le respect des valeurs éthiques qui sont les nôtres, dans notre État de droit ?

La réalité aujourd'hui est que de grandes équipes autorisées à pratiquer le don d'ovocytes jettent l'éponge par manque de donneuses et par manque de moyens. Elles adressent plus ou moins directement les couples en Espagne ou ailleurs, les sirènes de l'Internet contribuant largement au choix de l'équipe dans cet exode procréatif en plein essor.

L'accès au don d'ovocytes devient alors « à deux vitesses », inégalitaire au plan financier.

D'autres équipes donnent la priorité aux couples receveurs qui leur amènent une donneuse. Autre inégalité : la prise en charge étant de moins d’un an avec donneuse, de plus de cinq ans sans donneuse.

Les établissements et organismes agréés doivent prendre en charge tous les frais de la donneuse : déplacements, examens médicaux et biologiques, prélèvements ovocytaires, arrêt de travail. Un décret paru le 26 février dernier le confirme, malgré les positions de l'Agence de la biomédecine, et à la grande stupeur des couples et des praticiens. On comprend que, pour préserver l'anonymat des donneuses, l'écran des équipes autorisées soit nécessaire, mais le support de ce financement ne passe pas de façon claire par l'assurance maladie au titre de la solidarité, comme pour le don de spermatozoïdes, c'est-à-dire sous la forme d'un forfait basé sur une activité moyenne, par exemple. Du coup, 50 % seulement des centres hospitaliers universitaires (CHU) assument le don d’ovocytes : autre facteur d’inégalité.

Rappelons qu'un forfait de la paillette de spermatozoïdes de donneur est pris en charge au titre de la solidarité et que le donneur est susceptible d'être indemnisé de ses frais sur justificatifs.

En revanche, concernant le don d’ovocyte, l'assurance maladie indemnise directement les couples receveurs qui vont à l'étranger, autour de 1 500 euros en plus des médicaments, et parfois les mutuelles prennent en charge les compléments. Le coût en Espagne est de l'ordre de 4 000 à 5 000 euros. Dans l'Hexagone, il n'en est rien de ces 1 500 euros : autre situation inégalitaire, cette fois-ci au nom de directives européennes.

Et je ne sais pas si vous êtes comme moi à ce stade, mais, personnellement, je ressens un sentiment d'humiliation dans cette affaire.

M. le président. Qu’entendez-vous par directives européennes ?

M.  Jacques Montagut. La libre circulation et l’obligation de rembourser.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Est-ce le seul facteur ? Quels sont les facteurs en Espagne qui permettent ce chiffre faramineux par rapport au chiffre français ?

M. Jacques Montagut. Il n’y a pas de limite d’âge en Espagne où 10 % à 15 % des dons d’ovocytes concernent des femmes de plus de quarante-neuf ans. Premier point qui sort totalement des indications médicales, en tout cas pour nous en France, du don d’ovocytes.

Ensuite, il y a dans ce pays un élargissement des indications du don d’ovocytes lorsqu’il y a une difficulté en fécondation in vitro : ainsi, le passage au don d’ovocytes est plus facile qu’il ne l’est en France dans toute sa rigueur. Il y a des indications plus larges de don d’ovocyte, ce qui peut conduire à une hyperactivité.

Enfin, et cela est quasiment inquantifiable, un très grand nombre de Françaises vont se faire traiter là-bas.

M. le président. Il y a rémunération en Espagne.

M. le rapporteur. Il y a une rémunération et un élargissement considérable par rapport aux critères français.

M. Jacques Montagut. Je ne parlais pas des donneuses – dont je reparlerai –, mais des couples receveurs. En 2006, la France a satisfait 300 couples receveurs ; l’Espagne en a satisfait 16 000.

À Toulouse, nous nous battons pour répondre à la demande, avec des délais honorables bien qu'encore trop longs – autour de 18 mois – et sans priorisation. Mais la gestion des listes est rendue difficile par l'hyperactivisme au-delà des Pyrénées. Les couples en échec reviennent vers nous quand ils sont « exsangues » sur bien des plans. Comment pouvons-nous continuer de laisser les couples français dans un tel abandon, alors que le don d'ovocytes est autorisé dans notre pays ?

La réorganisation du don d'ovocytes passe par une véritable mutualisation de tous les moyens et de toutes les bonnes volontés du secteur privé comme du secteur public. L’Agence de la biomédecine le pense aussi. Cette décision revient au législateur. Cette réorganisation nous semble plus que nécessaire pour réduire les coûts, notamment pour les donneuses.

En Espagne, la donneuse est rémunérée en moyenne 900 euros, mais elle est prélevée souvent de nombreuses fois, jusqu'à sept, parfois dix fois… Sans qu’on puisse en chiffrer le nombre, de nombreuses donneuses françaises se laissent entraîner dans ces pratiques après avoir été emmenées en Espagne par des receveuses.

Il faut faire du don d'ovocytes une véritable cause nationale en France.

À titre personnel, je ne crois pas qu'il faille encourager la rémunération de la donneuse en France, ni par les receveuses, ni par les équipes autorisées. C'est au seul titre de la solidarité qu'un forfait compensatoire pourrait être conçu, à titre dérogatoire du principe de la gratuité qui reste fondateur de notre culture et de notre éthique du don, dans un souci d'accès égalitaire aux soins qui justifie le principe de solidarité, clef de voûte du don en France.

Dans notre culture, le don s'est construit comme une arche dont les deux piliers sont l'anonymat et la gratuité. Le socle s'est bâti sur les pratiques historiques du don du sang qui ont largement inspiré le don de sperme avec les centres d’études et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS), jusqu'à ce que la première loi de bioéthique modifiant le code civil cimente l'ensemble en 1994. L'édifice est solide et il ne me semble pas, à ce jour, qu’il y ait un désir de se débarrasser de cette construction. La question qui se pose aujourd'hui est plutôt de savoir s'il est des situations particulières justifiant une dérogation à ces principes fondateurs d'anonymat et de gratuité, plutôt qu’une remise en cause complète d'un de ces principes.

Le principe d'anonymat ne pourra pas être maintenu s'agissant de la gestation pour autrui, si elle devait être admise.

La levée de l'anonymat en cas de don de gamètes et d'embryon est rarement souhaitée : ni par les donneurs, ni par les receveurs, ni par les équipes médicales. Je n'insiste pas. Cependant, la question se pose pour deux autres acteurs. D’une part, les enfants issus d'un don, en quête de leurs origines à leur majorité dès lors qu'ils connaissent leur mode de conceptionet vous savez que nous encourageons les couples à ne pas entretenir un secret en la matière. D’autre part, la société dans un pays comme la France, moins enclin que d’autres à reconnaître un droit d'accès aux origines, même si les choses ont beaucoup évolué depuis 2002 avec la création du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP) pour l'accouchement sous X.

Dès lors, s'il est une situation dérogatoire susceptible d'être examinée, c'est bien celle de l'accueil d'embryon qui, comme l'adoption et la naissance sous X, provient d'une rupture forcée de projet parental. Y a-t-il lieu de s'interroger sur le regard social porté sur ces trois situations, considérées par certains comme inégalitaires vis-à-vis des enfants qui en sont issus ?

La levée possible de l'anonymat à la demande de l'enfant, à sa majorité, lorsqu'il est issu d'un accueil d'embryon, pourrait-elle, dans notre droit, traduire une différence d’importance éthique accordée à l'embryon par rapport aux gamètes, à l'accueil d'embryon plus qu'au don de gamètes, comme le suggérait le CCNE dès 1988 dans son avis sur la révision de la loi, ainsi que le rapport parlementaire de M. Fagniez ?

Une remarque sur l'anonymat du don de gamètes : nous nous sommes souvent demandé s’il ne faudrait pas éviter l'amalgame entre le don de spermatozoïdes et le don d'ovocytes, qui sont très différents. Dans le don d'ovocytes, la mère sociale est aussi la mère utérine qui a accouché. Cette mère n'est-elle pas plus perceptible par l'enfant qu'elle a mis au monde que la mère biologique, donneuse d'ovocytes, d'autant que la filiation est, en l'état de notre droit, à celle qui accouche ? Finalement, cette mère biologique n'est-elle pas plus facilement occultée – occultable – que le père biologique dans le don de spermatozoïdes ?

Le don anonyme d'ovocytes est bien la situation diamétralement inversée de la gestation pour autrui.

Passons maintenant au principe de la gratuité du don. Il procède en partie de la même démarche que l'anonymat. Comme l'anonymat, ce principe de gratuité est absolu, bien que peut-être pas aussi réciproque. Il est en tout cas un élément fondateur du don en France, contrairement à l'Allemagne pour le don du sang. Hormis le forfait compensatoire au titre de la solidarité pour les donneuses d'ovocytes, je ne vois aucune situation dans le don de gamètes qui justifierait une disposition dérogatoire au principe de gratuité du don. Ce forfait compensatoire ne s'oppose d'ailleurs pas à l'article 21 de la Convention sur les droits de l'homme et de la biomédecine de 1996, qui stipule que le corps humain et ses parties ne doivent pas, en tant que tels, donner lieu à un gain financier. Avec ce forfait compensatoire, on sera loin d’un gain financier.

Quelques observations maintenant sur l'éventuel élargissement du cadre de l’assistance médicale à la procréation (AMP). L'accès à l'AMP, aujourd'hui exclusivement réservé à des infertilités médicalement constatées, doit-il s'élargir à des stérilités sociales, c'est-à-dire aux femmes seules et aux couples de même sexe ?

Un nombre important de pays européens autorise l'AMP chez des femmes célibataires. De même, des couples homosexuels se rendent dans certains pays qui ne leur refusent pas l'AMP. Cette question n'est pas aujourd'hui à sous-estimer, sachant que la Cour européenne des Droits de l'Homme est intervenue le 22 janvier 2008 pour condamner la France en invoquant la discrimination pour une femme homosexuelle française qui n'avait pas pu adopter d'enfant. Ce qui pourrait ouvrir la voie de ce qu'il est convenu d'appeler l'homoparentalité.

Que se passe-t-il autour de nous ?

Entre 2005 et 2006, la London Women’s Clinic a effectué sur 500 patientes 1 036 cycles d'inséminations artificielles avec donneurs (IAD) non anonymes à des femmes seules et à des couples de même sexe.

En 2006, dans la revue Fertility and Sterility, la Société américaine de médecine reproductive, par son comité d'éthique, considère que le statut marital et l'orientation sexuelle ne sont pas des arguments justifiant de refuser l'accès de l'AMP aux célibataires et aux couples homosexuels.

En 2008, dans la même revue, une équipe israélienne fait état de la naissance d'enfants suite à un double don de gamètes, par des femmes seules dont l'âge dépasse largement celui de la ménopause. Ce thème fut repris et débattu au congrès de l’ESHRE – European society of human reproduction and embryology –, en juillet dernier à Barcelone.

Le refus de la discrimination et l’exemple de certains pays, comme la Grande-Bretagne et l'Espagne, sont-ils suffisants pour que nous revenions sur notre choix de donner à l'enfant issu d'une AMP un père, une mère, « pas un de plus, pas un de moins », comme l'avait préconisé le Conseil d'État en 1988, consacrant du même coup la règle de l'anonymat du don de gamètes ou d'embryon ?

La seule question que je poserai est la suivante : la gestation pour autrui, si elle était admise, pourrait-elle initier une remise en question de l'adage et un élargissement de la prise en charge des stérilités médicales aux stérilités sociales ?

Un mot enfin sur l’Agence de la biomédecine.

Dans le domaine de ses compétences, l'Agence de la biomédecine est une agence forte, en charge de l'application de la loi dans ses modalités pratiques, mais dont le pouvoir décisionnel est trop limité. C’est d'autant plus regrettable que sa mise en place, son fonctionnement et ses travaux sont remarquables et salués par tous.

Sa connaissance de l'application de la loi serait extrêmement précieuse s’il lui était donné le pouvoir, en plus du devoir, d'informer le Parlement des problèmes rencontrés : il lui manque aujourd'hui un certain pouvoir décisionnel, pourtant souhaité par le législateur. Une telle interactivité éviterait de devoir attendre une révision de la loi au terme d’un délai donné, pour que puisse évoluer son application.

Dès lors, la loi ne serait réexaminée que ponctuellement, en tant que de besoin pour son application, à la lumière d'une réalité scientifique, médicale ou sociale. Cela permettrait d'espacer les réexamens de l'ensemble des textes, un chantier – vous vous en souvenez – qui doubla le délai de 5 ans prévu en 1994.

Sur un plan sémantique, n'y a-t-il pas lieu de distinguer plus clairement ce qui relève de l'applicabilité de ce qui relève de l'application de la loi, en d'autres termes, du réexamen de la loi et de ses principes d'un côté, et de la révision des conditions nécessaires à son application de l'autre ? La première relèverait d'instances, comme le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), le Comité directeur pour les droits de l’homme (CDDH), l'Académie de médecine, et la seconde de l'Agence de la biomédecine dans le seul champ de ses compétences.

Comme moi, vous avez peut-être remarqué que notre pays, et par déclinaison chacun d'entre nous, a deux bras : l'un plutôt révolutionnaire et l'autre plutôt conservateur. Cela explique peut-être pourquoi, par rapport à d'autres pays, nous avons tant de mal à embrasser ces problèmes, à nous décider, pourquoi il y a tant d'instances de réflexion, tant de délais pour réviser un concept, pour rédiger un simple décret d'application, mais faut-il réellement s'en plaindre ?

Albert Camus écrivait en 1954 dans L'Été : « l'homme n'est pas entièrement coupable : il n'a pas commencé l'histoire ; ni tout à fait innocent, puisqu'il la continue. »

M. le rapporteur. Les deux bras sont gérés par une tête, et il est bien que la France ait deux bras équilibrés, ce qui lui permet de réfléchir avant d’embrasser n’importe quelle cause, comme vous l’avez souligné.

Votre introduction trace une orientation forte : le social, l’affectif, l’éducatif est dominant dans nos valeurs par rapport au génétique. Le don de gamètes, l’accueil de l’embryon, la gestation pour autrui doivent être considérés à l’aune de cette vision. Celle-ci doit être un guide. Même si, là aussi, il y a deux bras – les enfants sont ceux des pères et des mères génétiques et des parents sociaux et éducatifs –, c’est l’aspect social et l’éducatif qui est dominant par rapport au génétique dans notre conception française, humaniste – ce qui n’est pas toujours le cas dans d’autres domaines.

Ce rappel étant fait, pouvez-vous nous préciser à qui s’adresse exactement l’accueil d’embryon ? Vous avez parlé de double infertilité. Combien y a-t-il de cas ? Est-ce un problème important car, au fond, on a – pardonnez-moi de parler ainsi – un stock d’embryons congelés qui, lorsqu’ils ne font plus l’objet d’un projet parental, peuvent être détruits, utilisés pour la recherche ou acceptés dans le cadre d’un autre projet parental. Il est évident que la troisième solution est la plus souhaitable. Les donneurs conservent l’anonymat. Quant aux receveurs, veulent-ils savoir, comme dans certains pays, quel embryon ils vont recevoir, de qui il est ? Cette demande d’information, si elle n’est pas totalement illégitime, peut l’être dans la mesure où elle pourrait aboutir à une sélection de l’embryon. Comment ce dilemme se résout-il dans la pratique ?

J’ai bien compris votre plaidoyer, assez efficace, pour le don d’ovocytes. Vous avez cité les chiffres espagnols, mais aussi montré, me semble-t-il, qu’ils étaient entachés d’une vigilance éthique moindre. Faire des dons d’ovocytes aux femmes de cinquante ans va, bien sûr, aboutir à faire du chiffre. Comment ne pas essayer de faire du chiffre tout en répondant à la demande ? Quels sont, selon vous, les critères que l’on doit conserver et ceux que l’on doit élargir en matière de don d’ovocytes ? Vous avez assez bien répondu sur l’idée de l’indemnisation des donneuses d’ovocytes – le don d’ovocytes n’ayant d’ailleurs rien à voir avec le don de sperme, parce que les donneuses subissent un risque et une contrainte.

Enfin, je n’ai pas bien compris pourquoi vous n’avez pas pu obtenir une convention privé-public dans le cadre de l’ARH. Une demande est-elle passée au-dessus de l’ARH ? J’ai cru comprendre qu’elle avait été frileuse sur ce point ; quels arguments a-t-elle avancés ? Car autant le contrôle public sur ces pratiques prévu par la loi ne paraît pas complètement anormal, autant la possibilité existait de faire ce conventionnement avec la bénédiction de l’Agence de la biomédecine. Sans stigmatiser qui que ce soit, est-ce un problème de personnes ? Ou pensez-vous qu’il faudra modifier la loi ou préciser par décret dans quelles conditions le secteur privé – en particulier le secteur privé non lucratif que vous avez évoqué – peut, par conventionnement, avoir des activités dans ce domaine ?

Mme Martine Aurillac. Je voudrais remercier le docteur Montagut pour son exposé très complet qui montre, même s’il ne faut pas forcément modifier la loi, un certain nombre de lacunes dans le fonctionnement de l’AMP.

Je voudrais revenir sur l’Agence de la biomédecine, dont les très grands mérites nous ont été vantés par la plupart, pour ne pas dire la totalité, des spécialistes auditionnés par notre mission – cet organisme méritant effectivement, selon moi, le respect et l’admiration. Votre souhaitez, si j’ai bien compris, un élargissement de ses compétences. Néanmoins, que pensez-vous de son fonctionnement matériel, qui conditionne malgré tout les délais, en particulier des autorisations ?

M. Noël Mamère. Il y a beaucoup de similitudes entre votre propos et le discours de Pierre Jouannet que nous avons entendu hier, notamment sur la question des dons d’ovocytes. Comme vous, il se prononce pour un forfait – vous l’appelez forfait compensatoire – permettant d’assumer les frais occasionnés par ces dons. Et selon lui, il y a effectivement une anomalie dans la mesure où la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) rembourse les dons d’ovocytes à l’étranger, alors que l’on se trouve dans une situation aussi pénible en France.

D’après vous, 50 % seulement des CHU acceptent des dons d’ovocytes. Vous avez parlé d’une mutualisation de tous les moyens. En même temps, la loi de 2004 est selon vous plutôt bonne, une sorte de « pilier », pour reprendre votre expression. Quelles suggestions nous feriez-vous pour améliorer cette loi et développer la pratique des dons d’ovocytes, en évitant la fuite à l’étranger dans des conditions qui ne sont pas celles fixées par le législateur français ?

Si j’ai bien compris, vous vous êtes prononcé pour le maintien absolu de la gratuité. Il serait utile que vous nous donniez un peu plus d’explications sur l’anonymat, à la levée duquel le professeur Jouannet s’est montré très opposé, citant l’exemple de la Suède où l’on ne peut rien savoir… On peut comprendre que l’accès à ses origines soit une quête et une volonté, mais cet anonymat permet peut-être de prévenir beaucoup de troubles susceptibles de survenir plus tard.

Mme Marie-Thérèse Hermange, sénatrice, membre du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. Monsieur le professeur, vous semblez nous dire que si une loi fixait les principes généraux, l’Agence de biomédecine permettrait des avancées. Mais vous connaissez bien le droit européen. En admettant qu’une loi fixant un cadre général soit votée en 2010, ne craignez-vous pas que les directives européennes nous contraignent à suivre le droit européen ?

M. Jacques Montagut. Il y a beaucoup de questions. Je commencerai par l’Agence de la biomédecine. J’ai travaillé pendant trois ans au conseil d’orientation. L’Agence est extrêmement performante. Je salue le travail remarquable de Carine Camby – je faisais partie de son équipe au départ –, poursuivi actuellement de façon tout aussi remarquable. L’Agence est donc pour moi une réussite et nous n’avons plus rien à envier ou presque, eu égard au pouvoir décisionnel supplémentaire qui pourrait lui être donné – à la HFEA du Royaume-Uni.

Mme Aurillac me poussant un peu dans mes retranchements, j’ai envie de dire qu’il manque surtout à l’Agence un pouvoir décisionnel sur les textes réglementaires relevant du champ de ses compétences, qui sont confiés à d’autres services juridiques du ministère, peut-être moins au fait de la réalité. C’est le cas de certaines modalités pratiques de l’accueil d’embryon, de ce qui se passe pour la prise en charge financière des dons d’ovocytes, des autorisations des structures de soins, qui devraient relever en principe de la compétence de l’Agence, mais qui sont confiées à l’ARH au détriment d’une véritable politique nationale. En Midi-Pyrénées, nous sommes deux équipes…

M. le président. À mon avis, cela ne va pas s’arranger avec la création des agences régionales de santé (ARS) ! (Sourires.)

M. le rapporteur. Effectivement.

M.  Jacques Montagut. Sur cette discipline très réduite, très spécifique, avec des problèmes éthiques particuliers, je verrais plus une politique nationale sous la responsabilité de l’Agence. Les autorisations de structures de soins devraient pouvoir, me semble-t-il, relever de l’Agence – je ne vais pas me faire des amis en disant cela, mais tant pis, je le dis très simplement.

M. le président. Vous pouvez tout dire ici !

M.  Jacques Montagut. Et il y a autre chose…

M. le président. Justement, pour éclairer la mission, vous parlez de pouvoir réglementaire, mais on ne peut pas donner de pouvoir réglementaire à un établissement public.

M. le rapporteur. C’est vrai.

M. le Docteur Jacques Montagut. Je n’ai pas vos compétences en matière juridique, je propose des pistes.

Dernier point : en étant au conseil d’orientation de l’Agence pendant trois ans, on est amené à donner des autorisations de recherche sur les cellules souches embryonnaires en particulier ou sur les embryons. Le texte de loi indique que la recherche est autorisée si elle « est susceptible de permettre des progrès thérapeutiques majeurs ». Or le mot « thérapeutiques » pose problème. Cette qualification me semble un peu anticipative et peut mettre le conseil d’orientation dans des situations à risque de transgression. Je n’en dirai pas plus.

M. le président. Je sors de ma réserve de président pour dire que je suis mille fois d’accord avec vous.

M. le rapporteur. Je sors de ma réserve de rapporteur et je dis que je suis d’accord avec le président.

M. Noël Mamère. Je sors de ma réserve de commissaire et je dis que je suis d’accord. (Sourires.)

M.  Jacques Montagut. Je réponds maintenant sur les directives européennes. Pour avoir travaillé à un rapport publié au Comité directeur pour la bioéthique du Conseil de l’Europe (CDBI), je pense que, sur des problèmes comme le don d’ovocytes, le don de spermatozoïdes, l’accueil d’embryon, on n’est pas forcément à la veille de directives européennes, et qu’il faut que chaque pays, en fonction de sa culture, assume ses responsabilités – dans ce délai que j’ignore. En tout cas, au Conseil de l’Europe, il est très difficile de trouver un accord entre 44 pays, et on le comprend.

À qui s’adresse l’accueil d’embryon, demande M. le rapporteur ?

M. le rapporteur. J’ai aussi posé la question du nombre. Quelle est la demande et quelles sont les possibilités ?

M.  Jacques Montagut. D’abord, les indications étant plus larges dans certaines équipes que dans d’autres, elles méritent d’être précisées. Pour notre part, nous nous étions limités à la double stérilité : chez lui, chez elle. S’ils veulent une grossesse, ils n’ont pas d’autre moyen que de bénéficier d’un transfert d’embryon. Pour notre équipe, nous en comptions une douzaine par an sur cette indication.

M. le rapporteur. En fait, c’est une adoption avec gestation. On le voit bien, la gestation n’est pas neutre : un couple acceptant un embryon qui n’est issu ni des gamètes de l’homme ni des gamètes de la femme veut une grossesse parce qu’elle a du sens. Si la grossesse a du sens, comment peut-elle a contrario être niée dans la même loi qui dirait qu’elle n’a pas de sens en cas de gestation pour autrui ?

M.  Jacques Montagut. Vous soulignez parfaitement ce que j’évoquais tout à l’heure. Je crois que là on est gêné, y compris dans nos pratiques.

On ne peut pas faire un amalgame de tous les cas, car ce sont des cas thérapeutiques différents. Mais vous savez, cette double stérilité des couples n’est pas forcément venue d’emblée. Ces couples ont connu des échecs, ils connaissent très bien ce domaine, et on doit pouvoir leur expliquer le risque. Par exemple, si on propose à une femme de trente ans un embryon d’une femme de trente-huit ans, il faut bien le lui dire car des risques chromosomiques peuvent exister et elle peut relever d’un diagnostic prénatal.

M. le rapporteur. Y a-t-il alors une sélection ?

M.  Jacques Montagut. Non. Notre interprétation et celle d’autres équipes est la suivante : un travail en amont doit se faire lorsque le couple, en rupture de projet parental, est en train de décider de l’orientation qu’il va donner. Sachez-le : plus de 90 % des embryons susceptibles d’accueil ont une fratrie. Autrement dit, ces couples ont déjà eu des enfants, sont satisfaits dans leur projet parental et, par solidarité, décident que leurs embryons seront accueillis plutôt que détruits. Vous m’avez posé la question de leur nombre. Ils ne sont pas si nombreux : 80 % des couples demandent la destruction des embryons ne faisant plus l’objet d’un projet parental, 10 % à 11 % l’accueil, 8 % à 9 % la recherche. Ce sont nos chiffres depuis que nous congelons des embryons dans notre équipe, c’est-à-dire depuis 1986, et les chiffres nationaux sont semblables.

Il y a donc des indications. Il y a une grossesse, la femme accouche. Alors comment voulez-vous expliquer le peu d’importance de la grossesse dans la gestation pour autrui et son importance dans l’accueil d’embryon ? J’aurais du mal à le faire, car je suis dans une situation de conscience qui n’est pas simple.

M. le rapporteur. Que demande la famille d’accueil ? Vous demande-t-elle de lui dire d’où vient l’embryon ? Vous demande-t-elle de lui donner des indications, des garanties ? Ou accueille-t-elle sans déterminisme, dans le hasard ?

M. Jacques Montagut. Très franchement – et c’est là où je ne suis pas d’accord avec certains collègues –, je n’ai jamais vu de couple en demande d’accueil refuser un embryon ; et je pense avoir dans notre pays le recul le plus important. Cela dit, ce sont des situations auxquelles il faut penser, car elles peuvent arriver. Et vous les avez très bien prévues dans la loi en fixant une limite à la durée de conservation.

Le couple qui vient nous voir pourrait nous demander de détruire les embryons – c’est le cas dans 80 % des cas –, mais il nous dit : « après avoir bien réfléchi, nous souhaitons qu’il soit accueilli » ou : « nous souhaitons qu’il soit donné à la science. » Il y a donc une réflexion chez ce couple. Nous avons également réfléchi avec lui, car il est venu nous demander conseil. C’est à ce moment-là que nous pouvons lui dire : « vous avez accepté tel risque génétique, si vous souhaitez que vos embryons soient accueillis, sachez qu’on va dire au couple receveur le risque encouru pour l’enfant à naître et que ce couple receveur sera bien évidemment en droit de ne pas accepter le transfert ». Il y a donc cette transparence. Si vous souhaitez que l’accueil d’embryon soit une adoption, c’est comme cela qu’il faut faire. Si vous souhaitez qu’il soit une assistance médicale à la procréation, c’est-à-dire le rapprocher davantage du don de gamètes, nous dirons alors : « vous donnez, vous ne donnez pas, nous déciderons de l’appariement. » On peut apparier un spermatozoïde, un ovocyte, mais il est très difficile d’apparier un embryon avec un couple car, pardonnez-moi l’expression, le produit est génétiquement fini. C’est pourquoi on ne peut pas forcément avoir la même approche pour l’accueil d’embryon et pour le don de gamètes.

M. le rapporteur. Dans le cas d’une femme de trente ans qui va accueillir un embryon issu d’une femme de quarante ans, le risque de trisomie 21 existe. Le dépistez-vous avant ? Ou dites-vous simplement à la famille d’accueil : « il y a un risque potentiel, acceptez-vous ou pas ? »

M.  Jacques Montagut. Vous le savez : on propose systématiquement, on n’impose jamais le diagnostic prénatal. Dans votre exemple, on dira à ce couple : « Cet embryon susceptible d’être accueilli que nous vous proposons provient d’une femme de quarante ans. Vous en avez trente, mais l’anomalie peut être dans l’ovocyte, et si vous souhaitez un diagnostic prénatal et un dépistage de la trisomie 21, il est tout à fait légitime et c’est à vous de décider. » Bien sûr, on les encourage quand même à le faire.

Voilà pour l’accueil d’embryon. L’information est extrêmement importante. Un rapprochement s’opère avec le tribunal de grande instance. Nous avons amorcé ce rapprochement entre médecins et juges, et c’est une bonne chose.

M. le rapporteur. Quel est le nombre total d’accueils d’embryons en France et par an ?

M. Jacques Montagut. Il doit y en avoir au total une centaine. Mais attention, beaucoup ne se font pas parce que, pour un grand nombre d’embryons, il faut aller retrouver les couples donneurs pour leur faire signer les nouveaux formulaires de consentement, refaire des prises de sang, etc., énorme travail qui a découragé pas mal d’équipes.

Mais s’il y avait, tout d’abord, un registre national des embryons susceptibles d’être accueillis – l’Agence, si elle le veut, l’a déjà puisqu’il y a une transparence sur le devenir des embryons dans les laboratoires – et, deuxièmement, un registre des demandes, cette gestion serait mutualisée, centralisée.

M. le rapporteur. Comme pour les dons d’organes.

M. Jacques Montagut. À ce moment-là, tout le monde participerait et on ne prendrait pas de risques contentieux.

M. Noël Mamère. Il est particulièrement intéressant d’associer les juges en amont, avant même qu’ils soient en capacité de dire le droit. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur le travail que vous menez avec la justice, avec la vice-présidente du tribunal de grande instance dont vous nous avez parlé ?

M. le président. C’est un point très important.

M. Jacques Montagut. J’ai rencontré ce juge et nous avons décidé de travailler ensemble sur l’accueil d’embryon. Vous le savez : contrairement au don de gamètes où le juge ne fait que recueillir le consentement – c’est une façon de solenniser le consentement, avec la perspective d’éviter le désaveu de paternité, pour le don de spermatozoïdes en particulier –, le juge décide pour l’accueil d’embryon, selon des conditions d’accueil familiales, psychologiques et éducatives.

À partir de là, il y a deux façons de procéder. Soit une enquête sociale, coûteuse et entraînant des délais, est lancée par des gens pas très au fait de l’accueil d’embryon. Soit le juge fait équipe avec nous, nous l’éclairons, il peut interroger le psychologue, ce qui évite l’enquête sociale et des délais trop longs, sans compter que ce juge nous aide à réfléchir sur certains problèmes juridiques. Ce rapprochement est donc très intéressant et fructueux.

M. Michel Vaxès. Je n’ai pas très bien compris la comparaison qui est faite entre l’accueil de l’embryon – l’adoption avant gestation – et, d’autre part, la gestation pour autrui. Je ne sais pas si c’est vous, M. Montagut, ou si c’est notre rapporteur qui posait cette question, mais il me semble que les deux situations ne sont pas comparables, dès l’instant où il y a un tiers de plus dans la deuxième hypothèse et qu’on ne peut pas poser de la même façon la question pour l’un et pour l’autre.

M. Jacques Montagut. S’agissant de l’accueil d’embryon, sachez que, si on respecte le critère de la double stérilité, il y a à peu près une adéquation entre le nombre d’embryons dont on a besoin et ceux qui sont donnés. Si un homme et une femme, tous deux stériles, veulent vivre une grossesse et avoir un enfant, il n’y a pas d’autre solution que l’accueil d’embryon. Il n’y a donc pas au plan biologique, génétique – et encore, ça se discute –, de patrimoine génétique parental dans l’enfant issu d’un accueil d’embryon.

Dans la gestation pour autrui, c’est l’inverse puisque l’embryon vient des parents, mais la grossesse est confiée à un tiers. Et nous savons quand même l’importance de la grossesse sur un plan biologique. Il se passe des choses sur un plan physiologique, et même sur l’expression phénotypique d’un support génétique ou épigénétique. Elle est donc un peu l’image en miroir (inversée) de l’accueil d’embryon.

M. le rapporteur. C’est une opposition. Ou bien la grossesse a une valeur, ou bien elle n’en a pas. Pourquoi un couple choisit-il l’accueil d’embryon à la place de l’adoption ? Parce qu’il considère que la gestation a de l’importance. Alors comment dire a contrario qu’une grossesse pour autrui n’a pas d’importance ? La gestation n’aurait pas d’importance dans la grossesse pour autrui, mais en aurait dans l’accueil d’un embryon qui vient génétiquement d’ailleurs ! C’est l’importance de la gestation qui est posée.

Mme Marie-Thérèse Hermange. Eh oui !

M. Jacques Montagut. Les indications médicales pour la gestation pour autrui correspondent à des situations thérapeutiques différentes et ne sont pas sans poser de vrais problèmes pour le praticien.

M. Michel Vaxès. Je crois avoir compris que la grossesse est importante. C’est aussi mon opinion. L’ambiguïté est levée. Par contre, la gestation pour autrui, c’est autre chose parce qu’il n’y a pas de grossesse.

M. le rapporteur. Je voulais avoir des précisions sur les critères du don d’ovocytes.

M. Jacques Montagut. Vous m’avez posé la question du don d’ovocytes par rapport à l’Espagne.

Notre équipe, et toutes les équipes françaises, je pense, donnent une limite d’âge aux receveuses d’ovocytes équivalente à celle en vigueur pour les assistances médicales à la procréation homologues. Dans notre équipe, elle est de quarante-deux ans – on ne va pas jusqu’à quarante-neuf ans –, considérant que, dans le fond, l’âge n’est pas en soi une cause de stérilité. C’est le premier point.

Deuxième point : les critères sont strictement médicaux, voire biologiques.

Vous connaissez les critères médicaux : toutes les situations où les ovaires sont absents ou non fonctionnels, et quelques causes génétiques, à savoir la transmission par l’ovocyte d’une maladie génétique. Nous ne sortons pas de ces indications cliniques.

Mais il y a aussi des indications biologiques que nous apporte la fécondation in vitro. Il nous arrive de découvrir des stérilités à travers – je n’aime pas ce mot, mais il faut bien en trouver un – la mauvaise qualité morphologique des ovocytes qui ne peuvent pas donner des embryons. Il y a donc tout un champ que nous a fait découvrir la pratique de la fécondation in vitro. Mais c’est toujours avec des preuves très objectives qu’on indique un don d’ovocyte.

Cela dit, j’ai dit qu’à peu près 10 % des dons d’ovocytes en Espagne s’adressent à des femmes de quarante-neuf ans et plus. Mais si je soustrais 10 % de 16 000, il en reste quand même pas mal.

M. le rapporteur. C’est pourquoi je voulais savoir s’il y avait d’autres éléments de critère.

M. Jacques Montagut. J’ai vu, et malheureusement revu, des femmes qui avaient été suivies par nos équipes et qui, attirées par les sirènes de l’Internet, sont allées demander un don d’ovocyte parce qu’elles avaient échoué après deux transferts d’embryon. Pour elles, jamais nous n’aurions posé l’indication du don d’ovocyte. Car la nature a ses verrous, un don d’ovocyte a toujours le risque d’échouer après un transfert d’embryon, il faut parfois accepter les échecs, ça ne marche pas toujours du premier coup. Mais certains couples, en raison de leur souffrance, se laissent entraîner, traversent la frontière et demandent un don d’ovocyte. Et il suffit qu’ils tombent sur des équipes assez peu scrupuleuses sur cette indication pour l’accepter. C’est pour moi cette déviation de l’indication des dons d’ovocyte qui peut concourir à expliquer ce chiffre important.

Cependant, pour avoir assisté à une réunion en Espagne, où j’étais le seul Français, je crois pouvoir vous dire que l’essentiel ne vient pas seulement de la France, il vient aussi d’autres pays, et que, dans quelques équipes espagnoles, il y a une véritable industrialisation du don d’ovocyte. Connaissez-vous la moyenne d’âge des donneuses d’ovocyte en Espagne ? Vingt-neuf ans ! Alors ça peut marcher !

M. le président. Bien sûr.

M. Jacques Montagut. Les donneuses d’ovocyte en France sont plus âgées, ce qui retentit forcément aussi sur les résultats. Et il faut en tenir compte.

Les Espagnoles ont vingt-neuf ans, mais n’ont pas d’antécédent de maternité. Et elles donnent, je le répète, sept à dix fois. Imaginez qu’un jour elles aient des difficultés pour avoir un enfant, que se passera-t-il pour ces femmes sur un plan psychologique ? C’est un vrai problème.

M. le rapporteur. Stimuler une femme sept à dix fois dans le cadre d’un don d’ovocyte peut-il avoir des conséquences sur sa santé ?

M. Jacques Montagut. Cela n’a pas de conséquence sur sa réserve ovarienne, cela n’accélère pas la survenue d’une ménopause, par exemple. En revanche, je pense que trop stimuler peut avoir des conséquences sur sa santé car les traitements hormonaux ne sont pas neutres.

Mme Suzanne Rameix, philosophe, membre du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. Je n’ai pas très bien compris dans quel type de structure vous exercez. Est-ce un établissement privé à but lucratif, ou un établissement privé à but non lucratif ?

Je voudrais aussi avoir des éclaircissements sur les 1 500 euros et le forfait remboursé par l’assurance maladie en France. Quel est le reste à charge pour les couples qui recourent à l’établissement privé pour une aide médicale à la procréation ?

M. Jacques Montagut. Il y a deux structures. Une structure purement privée, dont je suis le coordonnateur. Et, en amont, l’IFREARES, que nous avons monté au départ à l’image des CECOS, association privée à but non lucratif, en charge de gérer le don de spermatozoïdes et le don d’ovocytes – comme le font les CECOS pour le don de spermatozoïdes et les centres publics de FIV pour le don d’ovocytes.

Je ne sais pas si la loi peut évoluer dans ce sens, mais la démonstration est faite que, pour l’accueil d’embryon et pour le don d’ovocytes, il faut travailler en réseau.

Pour le don d’ovocytes, la solution serait selon moi une charte commune fixée avec l’Agence de la biomédecine, gérée et contrôlée par l’Agence – ce qui exclurait le problème relatif à l’aspect lucratif ou non lucratif. Si un tel réseau se met en place en France, les déplacements inutiles des donneuses, qui coûtent de l’argent, seront évités et cette pratique sera rationalisée.

Pour répondre à votre deuxième question, nous ne pratiquons pas de dépassements d’honoraires et la sécurité sociale rembourse, comme dans les établissements publics. Par contre, tous les frais liés à la donneuse et au don d’ovocyte sont à la charge de l’organisme.

M. le président. Merci beaucoup, Jacques Montagut, d’avoir une nouvelle fois participé à nos travaux parlementaires.

M. Jacques Montagut. Bon courage à vous, surtout ! (Sourires.)

Audition de Mme Joëlle BELAISCH-ALLART, chef du service de gynécologie-obstétrique de l’hôpital de Sèvres, vice-présidente du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF)


(Procès-verbal de la séance du mardi 31 mars 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Joëlle Belaisch-Allart, chef du service de gynécologie-obstétrique au centre hospitalier des Quatre Villes à Sèvres.

Vice-présidente du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), vous êtes également membre du comité médical et scientifique de l’Agence de la biomédecine et avez participé à différents groupes de travail de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), concernant notamment les médicaments inducteurs de l’ovulation et les recherches biomédicales sur les produits de thérapie cellulaire.

Vous présidez également le groupe d’études de la fécondation in vitro en France (GEFF) qui a réalisé en 2008 une étude, dont vous nous présenterez les résultats, auprès de plusieurs centaines de praticiens afin de connaître leurs positions dans la perspective de la révision des lois de bioéthique. Vous êtes aussi l’auteur de plusieurs ouvrages, parmi lesquels Les enfants de l’impossible et Les bébés de l’espoir ou les traitements modernes de l’infertilité. Vous êtes donc particulièrement bien placée pour traiter devant nous aujourd’hui de l’assistance médicale à la procréation (AMP). Quelle évaluation faites-vous de la loi actuelle en ce domaine et dans quel sens conviendrait-il, selon vous, de la modifier ? Nous aimerions également mieux connaître le rôle de l’Agence de la biomédecine en matière d’AMP, en particulier les modalités de fonctionnement de son comité médical et scientifique.

Mme Joëlle Belaisch-Allart. Je vous remercie de me donner l’occasion d’exposer devant vous quelques-uns des problèmes que rencontrent au quotidien les praticiens de terrain.

Certains professionnels, dont je suis, avec le professeur Claude Sureau, s’étonnent que l’on s’apprête déjà à légiférer pour la troisième fois sur un sujet aussi récent. Le premier bébé éprouvette, Louise Brown, n’est né après tout qu’en 1978, et en France, Amandine, à Clamart, et Alexia, à Sèvres, ne sont nées qu’en 1982. Quant au premier bébé conçu par ICSI (intra cytoplasmic sperm injection), il n’est né qu’en 1992, et même deux ans plus tard en France.

On trouve sur le site Internet de l’Agence de la biomédecine toutes les données relatives à l’AMP dans notre pays. Les dernières données disponibles, qui se rapportent à l’année 2006, montrent que le taux d’accouchement en France après fécondation in vitro (FIV) classique est de 19 %, de 20 % après ICSI, de 9,6 % après insémination intra-utérine et de 13 % après transfert d’embryon congelé – il n’est pas mauvais de rappeler ces chiffres, qui ne sont pas tout à fait ceux rapportés dans la presse grand public. En 2006, on a dénombré 119 649 actes d’AMP dans notre pays et les enfants ainsi « fabriqués » représentent aujourd’hui 2,5 % des 800 000 naissances annuelles. Ces résultats sont donc à la fois magnifiques, puisque rien de tout cela n’était possible il y a trente ans, et limités.

J’en viens aux problèmes que nous rencontrons sur le terrain. Le premier concerne l’accès aux centres d’AMP. En Île-de-France, le délai moyen d’attente dans un centre public est de deux à trois mois, sachant qu’un deuxième rendez-vous est obligatoire un mois après la première consultation. Ces délais, qui peuvent être plus courts dans les centres privés, sont tout à fait acceptables par rapport à ceux constatés dans certains centres de province. Cela conduit d’ailleurs à ce que nous prenions en charge en Île-de-France des patientes de villes voisines comme Orléans ou Chartres, qui ne disposent pas de centres – celui d’Orléans vient tout juste d’ouvrir – ou bien de villes plus lointaines comme Tours ou Clermont-Ferrand, où les patientes ne sont pas disposées à attendre un à deux ans. Les délais sont beaucoup plus longs — plus de six mois — pour les couples sérodiscordants, c’est-à-dire dont l’un des membres est porteur du virus de l’hépatite B ou C, ou bien encore du VIH, et ils le sont encore bien davantage lorsqu’un don d’ovocyte est nécessaire. Il ne faut donc surtout pas réduire le nombre de centres d’AMP. Les centres reçoivent aujourd’hui une autorisation des agences régionales de l’hospitalisation (ARH), et les praticiens — cliniciens et biologistes — un agrément, accordé à titre personnel, de l’Agence de la biomédecine. Pourquoi l’Agence de la biomédecine ne pourrait-elle pas à la fois autoriser les centres et agréer les praticiens ?

La diminution des moyens des centres d’AMP pour des raisons économiques aurait de graves conséquences. Les données du registre FIVNAT, que nous avions mis en place en 1987 pour recueillir les données nationales relatives à la FIV, et qui a, depuis 2005, cédé la place à celui tenu par l’Agence de la biomédecine, montrent que l’activité de FIV des centres hospitaliers universitaires (CHU) stagne. Elle augmente encore, de façon limitée, dans les centres hospitaliers généraux comme celui de Sèvres, ainsi que dans les établissements participant au secteur public hospitalier. En Île-de-France, elle se développe désormais surtout dans le privé – afin d’éviter toute ambiguïté, je le dis d’emblée, bien que travaillant dans le public, je n’ai rien contre le privé, auquel je suis même favorable, et mon mari y étant clinicien, je connais bien les problèmes des deux secteurs. Or, il est fondamental que les patientes aient accès à l’AMP dans le secteur public. Ces évolutions tiennent au manque cruel de moyens des centres d’AMP. Le groupe de travail sur les missions et les moyens des centres d’AMP, mis en place à l’Agence de la biomédecine, a montré qu’aussi bien la FIV que l’ICSI étaient sous-cotées. La cotation de la FIV a été récemment abaissée de B 1 600 à B 1 550 et celle de l’ICSI de B 2 800 à B 2 600, alors même qu’un rapport des biologistes avait montré que, pour atteindre simplement l’équilibre, elles auraient dû être revalorisées de 56 %.

La tarification à l’activité (T2A) désormais en vigueur dans tous les établissements, publics ou privés, impose que toute activité soit rentable. Or, l’AMP non seulement n’est pas rentable, mais elle a même les plus grandes difficultés à être équilibrée. Déjà le parent pauvre des établissements de santé, elle est menacée de disparition si ses moyens continuent de diminuer. Or, en matière d’AMP, les moyens sont fondamentaux. Nous avons ainsi besoin dans nos laboratoires d’incubateurs permettant de maintenir à 37° C les gamètes et les embryons. L’efficacité exigerait un incubateur pour 100 ponctions, de façon à n’avoir pas à ouvrir trop souvent les portes, ce qui risque toujours de déséquilibrer la température et le pH. Or, aucun centre en France ne dispose d’un tel ratio d’appareils. À Sèvres, nous en avons trois, dont deux payés par l’hôpital et l’autre acquis grâce aux dons des patientes. Nous allons bientôt en avoir un quatrième mais avec 600 tentatives par an, nous demeurerons, comme tous les centres français, bien en dessous du ratio souhaitable.

Un autre problème tient au désir d’enfant, de plus en plus tardif dans notre société. C’est là un phénomène social qui résulte d’une meilleure maîtrise de la contraception. Toute une génération de femmes, leurrée par le slogan « Un enfant quand je veux » – certes porteur mais mensonger car la pilule, c’est seulement de ne pas avoir d’enfant tant que l’on n’en veut pas –, ont voulu prendre le temps de terminer leurs études, de progresser dans leur carrière professionnelle, de rencontrer l’homme de leur vie, d’acheter avec lui la maison de leurs rêves… avant de songer à faire un enfant vers la quarantaine, âge auquel cela est, hélas, beaucoup plus difficile. Il faut en outre compter avec les secondes unions, de plus en plus nombreuses, où des couples dont chacun des membres a déjà des enfants, souhaitent concrétiser leur amour par un autre enfant. Enfin, l’ignorance, voire le déni, du déclin de la fertilité avec l’âge des femmes se nourrissent de ces reportages diffusés à l’envi dans les médias sur des femmes enceintes de 50 ou 60 ans, où l’on oublie seulement de préciser que celles-ci ont bénéficié d’un don d’ovocytes et non pas d’une FIV classique.

En France, 28 % des femmes qui recourent aujourd’hui à une FIV et 20 % de celles qui recourent à une ICSI ont plus de 38 ans. Cela est fort dommage quand on sait que la fertilité chute nettement après 37 ans. La diminution des taux de succès, aussi bien en FIV qu’en ICSI, s’amorce à 35 ans et devient tout à fait nette à 37 ans. D’où la nécessité d’une intense campagne d’information sur le déclin de la fertilité avec l’âge mais surtout de mesures législatives pour favoriser des grossesses plus précoces – je ne parle pas seulement de la création de places en crèche. Dans un groupe de travail sur la féminisation du corps médical mis en place à l’ARH d’Île-de-France, j’avais proposé qu’on prévoie dans chaque promotion d’internes de chef de clinique et de praticien hospitalier deux postes « volants » dans chaque spécialité, qui auraient permis de remplacer les femmes médecins durant leur congé de maternité. En effet, celles-ci repoussent au maximum le moment de faire leurs enfants parce que les congés de maternité désorganisent le travail des services, notamment le tableau de gardes. Mon idée n’a eu hélas aucun succès. Et de telles mesures, il en faudrait beaucoup. À défaut, on continuera de pratiquer des FIV et des ICSI sur des femmes aux chances de tomber enceintes nettement diminuées du fait de leur âge.

Les résultats de l’AMP en France ne seraient pas bons, nous dit-on. Une étude de la revue anglo-saxonne Human Reproduction révèle qu’en 2004 le taux de grossesse, c’est-à-dire le nombre de grossesses rapporté au nombre de tentatives, n’est en France que de 20,6 % et le nombre d’accouchements de 15,6 %, contre 20 % au Danemark. Mais il ne faut comparer que ce qui est comparable. Tous les pays européens n’ont pas la même définition de la grossesse, ni d’ailleurs de la tentative. Par grossesse, vous entendez certainement la naissance d’un bébé qu’on ramène à la maison, et j’en serais assez d’accord avec vous. Mais il peut s’agir dans le langage médical d’un test de grossesse positif, d’un taux d’HCG plasmatique supérieur à un certain seuil, d’un embryon repérable à l’échographie, d’un accouchement… De même, dans les tentatives, on peut inclure toutes les patientes soumises à une stimulation de l’ovulation, ou seulement celles sur qui est effectuée une ponction, ou encore celles chez qui est transféré un embryon… Pour que les comparaisons aient un sens, il faudrait en outre lisser les biais de recrutement des patientes. La prise en charge de l’infertilité diffère fortement d’un pays européen à l’autre. Parmi les bénéficiaires de FIV, les femmes de moins de 29 ans ne représentent que 14,3 % en France contre 20 % dans les pays nordiques, dont les excellents résultats sont toujours cités en exemple, alors que les femmes de plus de 40 ans représentent chez nous plus de 15 %, contre seulement 8 % dans certains pays. Plus on prend en charge des femmes âgées, moins bons sont les résultats. La même logique vaut pour l’ICSI.

Un autre élément important est le temps au bout duquel on décide de recourir à une AMP. En France, le délai moyen oscille entre quatre ans et demi et cinq ans. Ailleurs, il est beaucoup plus bref. Il n’y a pas ou peu de stimulation ovarienne, peu ou pas d’insémination intra-utérine, si bien que les durées d’infertilité sont beaucoup plus courtes. Or, il a été démontré que plus longue a été l’infertilité, plus les couples sont vraiment infertiles et donc difficiles à traiter.

Il faut aussi rapporter le nombre d’AMP à la population. Alors qu’au Danemark, on dénombre 1 830 cycles de FIV ou d’ICSI pour un million d’habitants, ce nombre est de moitié inférieur en France. Cela signifie qu’au Danemark, on prend en charge des femmes beaucoup plus jeunes, beaucoup moins infertiles, avec lesquelles il est beaucoup plus facile d’obtenir de bons résultats.

Prétendre sans autre forme de procès que nous serions moins bons en France est donc fallacieux. Le profil des patientes n’est pas partout le même en Europe. La qualité de nos médecins et de nos biologistes peut-elle être en cause ? Je ne le crois pas, tous sont agréés par l’Agence de la biomédecine. La qualité des laboratoires et de l’environnement ne semble pas non plus pouvoir être incriminée. Le manque de moyens est en revanche un obstacle, et c’est là que le bât blesse en France. Les praticiens, notamment, ne sont pas assez nombreux. Et s’agissant des conditions de travail, mes collègues, belges notamment, sourient lorsque je leur avoue que notre centre doit fermer onze semaines par an en raison des cinq semaines de congés, des jours de réduction du temps de travail (RTT) qui finissent par représenter quatre semaines, des jours de congés accordés en compensation des gardes, des jours fériés… Ils comprennent, me disent-ils, pourquoi nos résultats sont moins bons ! Nous avons bien un problème crucial de moyens. Je souhaite y insister devant vous, politiques, car l’AMP a un effet direct, même s’il est limité, sur la natalité. Un démographe a calculé que si l’on pratiquait autant d’AMP en Angleterre qu’au Danemark, le taux de fécondité anglais passerait de 1,64 à 1,68.

Les résultats s’améliorent-ils dans notre pays ? En FIV, le taux d’accouchement par ponction, le seul qui devrait être pris en compte, car l’important est bien de ramener un bébé à la maison, a progressé de 16 % à 18 % entre 2003 et 2006. Les résultats se sont également améliorés de 2 points pour l’ICSI sur la même période.

La loi doit-elle imposer à chaque centre de rendre publics ses résultats ? Je ne le pense pas. Il faudrait en tout cas faire preuve de la plus extrême prudence, car l’arme est à double tranchant. La transparence risque en effet de conduire à une sélection des patientes…

M. le président. Existe-t-il seulement un organisme qui centralise tous les résultats et connaît l’exacte vérité des chiffres ?

Mme Joëlle Belaisch-Allart. Nous avons le sentiment, au comité médical et scientifique de l’Agence de la biomédecine, ainsi que dans le groupe de travail « Stratégie », que la quasi-totalité des données sont remises à l’Agence. Une autre question est de savoir si celles-ci sont parfaitement fiables. Tout en étant encline à faire confiance à mes collègues, je pense que quelques contrôles ne seraient pas inopportuns. Aux résultats globaux aujourd’hui communiqués, il faudrait substituer des données par patiente, comme nous le faisions avec FIVNAT. Il faut dire ce qu’il en est pour toute patiente commençant un traitement et non pas seulement ce qu’il advient par ponction. Ce n’est qu’alors que nous pourrons prétendre à l’exhaustivité.

Le recueil des données, tentatives par tentatives, est prévu dès janvier 2010 par l’Agence de la biomédecine.

Afin de ne mettre personne en cause, je vais vous présenter les résultats de mon centre. En 2005, sur les femmes de plus de 38 ans – puisque j’accepte, à Sèvres, les femmes jusqu’à la veille de leur 43ème anniversaire –, le taux de grossesse n’est que de 18 % par ponction, ce qui est mauvais. Pour les femmes qui répondent mal aux stimulations ou qui viennent d’un autre centre où de précédentes tentatives ont été annulées ou ont échoué, le taux demeure de 18 %. Mais pour les femmes de moins de 38 ans, qui n’en sont qu’à leur première ou deuxième tentative, le taux passe à 30 %, supérieur à celui des autres centres. Si la qualité du centre intervient – loin de moi l’idée de prétendre le contraire ! –, le profil des patientes accueillies est déterminant. Si je suis opposée à ce que la loi impose une transparence brute, c’est parce que les centres seraient alors inévitablement tentés de ne recruter que les bons « cas », les mauvais, au pronostic peu favorable, se trouvant relégués dans les mauvais centres et les personnes en ayant les moyens financiers allant à l’étranger. On grossirait donc encore le flux du tourisme procréatif, ce qui n’est ni médicalement, ni éthiquement souhaitable.

Si la transparence brute est à proscrire, un indice de performance est nécessaire, à l’élaboration duquel nous travaillons à l’Agence de la biomédecine. Si nous ne prenons en compte que les femmes jeunes, les épidémiologistes font valoir que l’échantillon n’est pas suffisant pour que les comparaisons soient valides. Si nous considérons à l’inverse que les « mauvais » cas, ce qui ne serait pas absurde car après tout, réussir une FIV sur un bon « cas » est facile pour tous, les résultats seront très bas pour tous les centres. L’Agence travaille à la mise au point d’un indice lissant les biais de recrutement, de façon à pouvoir vraiment comparer les résultats des différents centres. À une telle transparence « corrigée », on ne peut bien sûr qu’être favorable.

Certains prétendent qu’en France, nous prenons en charge des femmes pour lesquelles le pronostic est peu favorable parce que la sécurité sociale rembourse quatre tentatives, alors qu’aux États Unis, ces mêmes femmes ne tenteraient même pas leur chance car elles paieraient de leur poche. Mais quelle est la finalité de l’AMP ? Obtenir de bons résultats ou aider des couples en détresse ? En tant que responsable de centre, je souhaite bien évidemment les meilleurs résultats possibles ; en tant que femme ayant eu la chance d’avoir deux enfants, je comprends parfaitement que des patientes souhaitent faire une tentative même si sa chance de réussite n’est que de 5 %. Ces femmes auraient-elles la même position si elles n’étaient pas remboursées ? Il est légitime de s’interroger, mais il faudrait alors réfléchir également à la prise en charge des infarctus à plus de 90 ans ou des cancers à un stade avancé, dans lesquels la chance de survie est nulle, surtout s’ils sont liés au tabagisme ou à une intoxication « volontaire ».

Actuellement, l’assurance maladie prend en charge quatre tentatives jusqu’au premier jour du 43ème anniversaire de la femme. Les professionnels ne remettent pas en question cette limite d’âge, car les chances de succès sont trop faibles au-delà. En revanche, pour les femmes de moins de 37 ans, une cinquième ou une sixième tentative peuvent encore aboutir à une grossesse. Je serais donc, pour ma part, favorable à ce qu’une cinquième ou une sixième tentative puisse être prise en charge en-dessous de 37 ans.

La loi indique actuellement que « l’homme et la femme doivent être vivants, mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune depuis au moins deux ans », et que « le couple doit confirmer sa demande après un mois de réflexion ». Les praticiens sont nombreux à souhaiter une dérogation à ces conditions strictes, dans le cas notamment de survenue d’un cancer. Lorsqu’une femme de 36 ans apprenant qu’elle a un cancer du sein qui exige une chimiothérapie, nous demande une FIV d’urgence, nous n’exigeons bien sûr pas le délai de réflexion d’un mois non plus que, si elle n’est pas mariée, les preuves d’une vie commune depuis au moins deux ans. Le cas peut se présenter aussi pour la préservation d’ovocytes ou de cortex ovarien. Nous agissons alors dans l’illégalité. Peut-être suffirait-il que la loi précise que ces dispositions valent « sauf exception justifiée ». De même, faire attendre 2 ans de vie commune à une femme de plus de 38 ans n’est guère logique.

Le professeur Israël Nisand, que vous allez auditionner après moi, traitera de la gestation pour autrui. J’en dirai donc peu de chose, si ce n’est pour souligner que le sujet est si délicat que l’on ne peut être ni vraiment pour, ni vraiment contre, mais que j’y suis tout de même plutôt favorable. Un mot également de l’homoparentalité. Ce qui parasite le débat sur la question est que l’homoparentalité masculine exige la gestation pour autrui, alors que l’homoparentalité féminine n’exige que l’insémination. Bien que fervente féministe, je suis convaincue que si l’homme et la femme sont égaux, ils sont différents et que, pour cette raison même, ils ne peuvent être placés sur le même plan en matière d’infertilité. Je suis donc favorable à la prise en charge en France des femmes homosexuelles qui actuellement doivent aller à l’étranger et en particulier en Belgique.

Si pour des raisons économiques, on réduit encore davantage les moyens alloués à l’AMP, un effet s’en ressentira nécessairement sur la fécondité. Ainsi à compter de janvier 2004, les critères d’accès à l’AMP ont-ils été durcis en Allemagne où l’assurance maladie prenait jusque-là en charge à 100 % quatre tentatives sans limite d’âge, alors qu’elle ne rembourse plus désormais qu’à 50 % trois tentatives, la femme devant être âgée de 25 à 40 ans et l’homme avoir moins de 50 ans. Le taux de fécondité y est tombé de 1,34 à 1,32.

J’en viens au questionnaire sur l’AMP que nous avons élaboré avec Philippe Merviel et Patrice Clément, puis mis en ligne sur les sites du CNGOF et du GEFF. La Société française de gynécologie et la Fédération nationale des collèges des gynécologues médicaux s’y sont jointes, démontrant l’intérêt des professionnels pour la question. Six cents questionnaires nous ont été retournés, dont les résultats ont été publiés dans la revue Gynécologie, Obstétrique et Fertilité en 2009. Je vous en présente ici un résumé.

À la question « Souhaitez-vous que la phrase de la loi “le couple doit être marié ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune depuis au moins deux ans” soit supprimée et que tous les couples, mariés ou non, soient traités de la même façon ? », la majorité des praticiens, surtout parmi ceux qui pratiquent l’insémination intra-utérine (IIU) ou la FIV, ont répondu par l’affirmative. Il faut en effet tenir compte des évolutions sociales. La moitié des couples aujourd’hui, du moins en Île-de-France, ne sont pas mariés et ont le sentiment d’être discriminés en matière d’AMP. En effet, les couples mariés peuvent être pris en charge dès le lendemain de leur mariage tandis que les autres doivent apporter une preuve de vie commune depuis deux ans. La loi de 2004 ne reconnaît pas le pacte civil de solidarité (PACS) – il faudra y réfléchir. Enfin, nous, médecins, ne souhaitons pas être transformés en policiers, exigeant des pièces justificatives dont nous ne savons pas exactement lesquelles sont valables. Une femme qui rencontre à 38 ans l’homme de sa vie et vient immédiatement consulter ne peut, aux termes de la loi, bénéficier d’une FIV. Nous lui conseillons alors soit de se marier, soit de faire établir rapidement un certificat de vie commune, ce que certaines mairies acceptent, d’autres non. Comme chaque fois qu’on est obligé de contourner une loi, il faut se demander si celle-ci était vraiment nécessaire ou s’il n’y a pas une meilleure solution. Si les praticiens s’accordent à 80 % sur la nécessité d’une certaine durée de vie commune, variable, quasiment tous jugent deux ans excessifs et estiment qu’il n’appartient pas au corps médical de s’en assurer. La loi ne pourrait-elle pas là aussi prévoir que ces dispositions s’appliquent « sauf exception dûment justifiée » ou « sauf dérogation », notamment pour les femmes de plus de 38 ans ?

Pour ce qui est du nombre de tentatives prises en charge par la sécurité sociale, 32 % des praticiens consultés sont favorables à quatre tentatives comme prévu aujourd’hui. Ils sont 27 % à être favorables à la prise en charge de six tentatives en cas de transfert d’embryon unique, mais seulement 11 % si la femme est âgée de plus de 37 ans.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Par quatre tentatives, faut-il entendre quatre ponctions ?

Mme Joëlle Belaisch-Allart. Tout à fait, il s’agit de quatre ponctions suivies de transfert d’embryon pour obtenir une grossesse. Les embryons congelés ne comptent pas – c’est un bénéfice supplémentaire, si je puis m’exprimer ainsi. Au sens de la Sécurité sociale, ne sont comptabilisées comme grossesses que les fécondations ayant donné lieu à naissance.

Faut-il rendre obligatoire de ne transférer qu’un seul embryon, comme en Belgique, chez les femmes les plus jeunes ? Cette excellente technique, venue des pays scandinaves, donne de bons résultats, à condition d’être mise en œuvre dans des cas adaptés. S’il faut impérativement éviter les grossesses de triplés, il ne faut peut-être pas diaboliser les grossesses gémellaires. La majorité des professionnels souhaiterait une approche intelligente, au cas par cas, plutôt que des dispositions législatives strictes. En Belgique, il est obligatoire de ne transférer qu’un embryon à la première tentative pour les femmes de moins de 36 ans, pour qu’elles puissent être remboursées. À la deuxième tentative, n’est toujours transféré qu’un seul embryon sauf s’il est « de mauvaise qualité ». Bien entendu, dès la deuxième tentative, tous les embryons transférés sont jugés « de mauvaise qualité »… C’est la seule façon de contourner la loi pour implanter plusieurs embryons afin d’augmenter les taux de succès. Faisons confiance aux équipes médicales pour adapter le nombre d’embryons à transférer dans chaque cas. Pour imposer le transfert d’un embryon unique afin de réduire le nombre des grossesses multiples, qui comportent plus de risques que les autres et sont plus coûteuses, on pourrait tenir compte du nombre total d’embryons obtenus, de l’âge de la femme et du rang de la tentative, tous éléments qui pourraient être fixés dans la loi. Mais jamais ne pourra y être déterminée la « qualité » de l’embryon. La quantité de gonadotrophine qui a été nécessaire, la réserve ovarienne, l’origine de l’infertilité, le tabagisme, le poids… sont autant de facteurs personnels qui modifient les taux de succès et ne peuvent être pris en compte dans la loi. Il est faux de prétendre qu’il suffirait d’être jeune pour que le succès soit au rendez-vous. Il faut adapter la pratique à chaque cas. Et sur ce point, des dispositions législatives seraient inefficaces, voire nocives.

La loi doit-elle fixer une limite d’âge pour la prise en charge de l’AMP ? 80 % des praticiens consultés sont favorables à une limite, en moyenne de 42 ans chez la femme. Ils se prononcent également désormais en faveur d’une limite chez l’homme. En effet, les incidences négatives de l’âge paternel ont été scientifiquement établies : augmentation du nombre des fausses couches et des malformations, allongement du délai de conception… Trois quarts des praticiens consultés souhaiteraient que l’âge limite soit en moyenne fixé à 53 ans pour le père – il l’a été à 50 ans en Allemagne.

Une autre question, jusqu’ici taboue, est de savoir s’il faut tenir compte du nombre préalable d’enfants de chacun des membres du couple. Aujourd’hui, une femme et un homme ayant déjà chacun de leur côté plusieurs enfants peuvent prétendre à la prise en charge d’une FIV si leur nouveau couple est infertile. Plus de 45% des professionnels estiment qu’il serait légitime de tenir compte de leur situation préalable et, par conséquence, de réserver l’exercice de la solidarité nationale aux couples n’ayant aucun enfant.

L’AMP doit-elle être étendue aux femmes seules, aux femmes homosexuelles et l’insémination comme le transfert d’embryon post mortem doivent-ils être autorisés ? La majorité des praticiens consultés n’y est pas favorable, persistant à penser que l’AMP doit être réservée aux couples hétérosexuels.

S’agissant de la gestation pour autrui, 60 % des praticiens seraient d’accord pour l’autoriser, à condition qu’elle soit encadrée. Seuls 4 % y seraient favorables sans encadrement. En 1998, une enquête menée par Claude Sureau donnait des résultats inverses, 63 % du corps médical s’y étant alors déclaré opposés. Cela montre bien l’évolution des mentalités.

Comme vous l’a dit Jacques Montagut lors de son audition, l’anonymat du don de gamètes protège l’équipe médicale. Le maintien de cet anonymat fait très largement l’unanimité. S’agissant du don d’ovocytes, la question est de savoir qui peut y avoir droit. Si toutes les femmes ménopausées pouvaient en bénéficier, on manquerait encore plus cruellement d’ovocytes à donner. Pour l’instant, la loi réserve le bénéfice du don aux femmes « en âge de procréer ». Si pour la femme, cette notion est relativement claire, il n’en va pas de même pour l’homme qui peut procréer jusqu’à sa mort – voire au-delà, puisque des inséminations ont eu lieu aux États-Unis à partir de prélèvements de sperme opérés sur des hommes maintenus artificiellement en vie. La loi doit-elle plus précisément définir les indications du don d’ovocytes ? Les dispositions actuelles nous paraissent satisfaisantes.

Si le don de sperme ne présente aucune difficulté, le don d’ovocytes est beaucoup plus contraignant. Il exige des injections sous-cutanées d’inducteurs de l’ovulation durant une vingtaine de jours, cinq à six prises de sang, plusieurs échographies, une anesthésie, locale ou générale, pour la ponction d’ovocytes, et donc une journée au moins d’hospitalisation. Cessons d’être d’hypocrites. Le don d’ovocytes, aujourd’hui anonyme et gratuit, selon les principes qui prévalent en France pour le don d’organes et d’éléments du corps humain, est peu développé, avec seulement quelque 500 dons par an, selon les chiffres de l’Agence de la biomédecine, à comparer aux milliers de dons faits en Espagne. Faut-il maintenir le principe de gratuité, au risque que la pratique demeure confidentielle, ou bien faut-il indemniser, voire rétribuer ce don ? Il faut savoir qu’il existe des indications médicales au don d’ovocytes, notamment dans le cas de ménopause précoce ou de traitement anti-cancéreux ayant conduit à l’ablation des ovaires ou à l’altération de leurs fonctions. Or, le délai moyen d’attente atteint deux ans dans notre pays. Les professionnels sont à 80 % favorables à une indemnisation du don et les médecins et biologistes qui, pratiquant eux-mêmes des FIV savent la lourdeur du don d’ovocytes, sont même à 50 % favorables à sa rémunération.

Le don d’ovocytes et l’accueil d’embryons restent limités aussi parce qu’ils sont uniquement réalisés dans le secteur public. Les professionnels sont très largement favorables à ce que le don de gamètes, mâles ou femelles, l’accueil d’embryons et même le diagnostic pré-implantatoire puissent être réalisés aussi dans le secteur privé, dans les mêmes conditions bien sûr.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Pourquoi la moitié des CHU n’opèrent-ils plus de prélèvements ?

Mme Joëlle Belaisch-Allart. Par manque de moyens tout simplement ! L’AMP n’est pas une activité rentable au regard de la T2A, je l’ai dit Il n’y a par ailleurs eu que très peu de nominations de professeurs d’université-praticiens hospitaliers (PU-PH) dans ce domaine. J’ai très peur qu’entre l’application de la T2A et la diminution récente de la cotation des actes, l’AMP n’apparaisse de moins en moins rentable.

M. le président. La T2A s’applique également dans le privé.

Mme Joëlle Belaisch-Allart. Dans le secteur privé, les laboratoires ne font pas que des FIV, mais aussi des dosages hormonaux, des échographies… Dans le secteur public, par manque de personnel, nous ne pouvons pas pratiquer tous ces actes annexes et sommes obligés d’adresser nos patientes à l’extérieur. Cela étant, je crains que la sous-cotation des actes n’aboutisse à réduire aussi l’AMP dans le secteur privé. Les biologistes qui pratiquent l’AMP en France sont peu nombreux par rapport à l’ensemble de leurs confrères, si bien que lors des négociations syndicales, c’est la FIV qui a le plus fait les frais des économies demandées à tous.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Pour être biologiste, je puis vous dire que le syndicat des très grands laboratoires qui regroupe l’Institut Pasteur, l’Institut Mérieux… est très puissant et se défend fort bien pour ce qui concerne les analyses hormonologiques – dont on ne peut pas dire qu’elles soient sous-cotées !

Mme Joëlle Belaisch-Allart. Je ne parlais que de la valeur du B pour la FIV. Nul ne peut nier le manque de moyens de l’AMP…

M. Jean-Sébastien Vialatte. Ce qui pose problème, c’est que la moitié des CHU, pourtant investis de missions de service public, ont renoncé à effectuer des prélèvements d’ovocytes en vue de dons.

Mme Joëlle Belaisch-Allart. Certains centres hospitaliers non universitaires, comme le mien, pratiquent aussi le don d’ovocytes. Nous avions nous aussi arrêté cette activité par manque de moyens : cela nous avait été clairement demandé, vu que notre hôpital – comme tous les autres – était en déficit. Un décret de 2001 faisait obligation aux établissements de prendre en charge sur leur budget général tous les frais engagés par la donneuse. Ce n’est que tout récemment qu’un autre décret a permis que ces dépenses puissent être assumées par la solidarité nationale. Il est en outre difficile de trouver des donneuses. Nous demandons à nos patientes d’en amener une avec elles, sans que cela soit obligatoire, la loi interdisant d’en faire une condition sine qua non et exigeant qu’elle ait déjà eu au moins un enfant. Les grossesses étant de plus en plus tardives, les donneuses proposées ont en moyenne plus de 35 ans – contre 25 pour les espagnoles.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Les donneuses en Espagne ne sont pas espagnoles.

Mme Joëlle Belaisch-Allart. Pas toutes en effet, vous avez raison. On devrait, pour être exact, parler des femmes dont les ovocytes sont ponctionnés en Espagne.

L’un des problèmes récurrents est que les donneuses amenées par nos patientes ont en général leur âge, soit plus de 35 ans. C’est pourquoi nous nous arrêtons en général à 37 ans pour le don. Les consultations pour le don d’ovocytes sont beaucoup plus longues que les autres, la mise en relation donneuse-receveuse, de façon qu’il y ait une certaine adéquation – couleur d’yeux, groupe sanguin… –, demande elle aussi beaucoup de temps. Une contrainte supplémentaire résulte de ce que les cycles des deux femmes doivent concorder. Pour tout cela, il faut beaucoup de personnel, médical mais aussi de secrétariat. Or, nous n’en avons pas. Si j’ai pu reprendre l’activité à Sèvres, c’est parce que l’ARH, à laquelle j’avais exposé toutes ces difficultés, m’a attribué un poste de praticien hospitalier (PH) sur la dotation des missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation (MIGAC).

En conclusion, je rappelle que les enfants nés par AMP représentent aujourd’hui 2,5 % du total des naissances dans notre pays. Une enquête récente établit que dans presque toutes les classes de maternelle, il y a désormais un « enfant FIV ». Tout n’est certes pas idyllique en matière d’AMP, je crois l’avoir assez montré, mais tout n’est pas non plus aussi sombre que certains détracteurs l’affirment. Les parents heureux que l’AMP leur ait permis d’avoir un ou des enfants sont très nombreux.

M. le président. Je vous remercie de cet exposé très complet et donne immédiatement la parole au rapporteur de notre mission.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Chacun a bien compris que le don d’ovocytes n’est pas du tout de même nature que le don de sperme. Faut-il simplement trouver une solution pour rembourser plus rapidement les donneuses des frais qu’elles ont exposés ou faut-il les indemniser de manière forfaitaire ? Un simple remboursement des frais respecte le principe de gratuité posé dans la loi, alors qu’une indemnisation, dont resterait d’ailleurs à fixer le montant, serait vite tenue pour une rémunération. Par ailleurs, une patiente amenant avec elle une donneuse d’ovocytes a accès plus rapidement au don…

Mme Joëlle Belaisch-Allart. Ce n’est pas ce que j’ai dit.

M. le rapporteur. Vous l’avez néanmoins laissé entendre. Les donneuses qui accompagnent les patientes sont-elles, à votre avis, rémunérées directement par leurs amies ou leurs soeurs?

D’après les résultats du questionnaire que vous nous avez présentés, la majorité des gynécologues serait favorable à la gestation pour autrui, sous réserve que celle-ci soit encadrée. Quel encadrement imaginent-ils, à votre avis ? Certains plaident pour que la gestatrice appartienne nécessairement à la famille, afin d’éviter toute dérive mercantile, mais les psychiatres et les psychanalystes nous ont alertés sur les dangers pour un enfant que sa grand-mère ou sa tante soit aussi sa mère. Si en revanche la gestatrice est extérieure à la famille, comment imaginer qu’elle puisse ne pas être rémunérée, sauf à trouver, de manière bien improbable, des femmes prêtes à faire don de leur corps durant neuf mois par pur altruisme et capables de rester totalement neutres vis-à-vis de cette grossesse ?

Être l’enfant de ses parents comporte une dimension génétique et biologique, mais aussi sociale et affective. Avez-vous l’impression que notre société accorde une place de plus en plus importante à la génétique et percevez-vous chez les demandeurs d’AMP essentiellement le souhait d’avoir un enfant issu d’eux ? Ou bien veulent-ils avant tout un enfant, dont ils feront le leur au cours de son éducation ?

Dernière question : les limites d’âge fixées aujourd’hui sont-elles les bonnes ? En effet, le taux de grossesse chute bien avant 43 ans. Faut-il laisser croire à des femmes qu’elles pourront avoir un enfant alors que l’on sait pertinemment que ce n’est pas vrai ? Ne serait-il pas plus judicieux de rester entre des limites permettant à la fois aux médecins d’obtenir de meilleurs résultats et aux femmes d’être moins déçues ?

M. le président. Toutes les activités de l’hôpital liées à l’AMP ne sont pas prises en compte dans le cadre de la T2A. Certaines sont prises en charge par l’hôpital ou dans le cadre des MIGAC.

Mme Joëlle Belaisch-Allart. Les MIGAC sont extrêmement opaques…

M. le président. Elles sont peut-être mal définies en effet, mais tout n’entre pas dans la T2A.

M. Jean-Sébastien Vialatte. La loi pourrait, avez-vous dit, fixer un âge limite pour l’accès à l’AMP et traiter du cas des couples dont chacun des membres a déjà des enfants de son côté. Mais plutôt que de la loi, cela ne devrait-il pas relever d’un guide des bonnes pratiques que l’Agence de la biomédecine devrait édicter ?

Vous avez évoqué la possibilité de faire jusqu’à cinq ou six tentatives chez les femmes jeunes. Pour recevoir des candidates à la FIV dans mon laboratoire, notamment pour les dosages d’oestradiol, je connais le parcours du combattant qui est le leur. Ne pensez-vous pas qu’à multiplier les tentatives, on finit par fragiliser les couples ? Beaucoup connaissent en effet de graves difficultés à la suite d’échecs répétés de FIV. Ne serait-il pas plus sage de limiter le nombre de tentatives ?

Vous avez enfin posé le problème de la préservation de la fertilité des femmes soumises à un traitement anti-mitotique. La congélation d’ovocytes est-elle interdite en France, même dans ce cas ?

Mme Joëlle Belaisch-Allart. Elle n’est pas interdite, mais c’est une technique qui marche très mal. On peut en revanche attendre des progrès de la cryoconservation de tissu ovarien. La FIV d’urgence peut aussi être une solution, si la femme concernée a la chance d’avoir déjà un conjoint…

M. Jean-Sébastien Vialatte. Comment enfin pouvez-vous, comme vous l’avez fait, lier la baisse du taux de fécondité en Allemagne à la diminution de la prise en charge de l’AMP ?

Mme Joëlle Belaisch-Allart. L’Agence de la biomédecine a lancé une campagne en faveur du don d’ovocytes, qu’il faut saluer mais qui sera insuffisante. Le manque de donneuses est certain. Faudrait-il donc rémunérer le don d’ovocytes et sur quelles bases ? Le récent décret, que nous attendions avec impatience, marque déjà un progrès. Il n’en reste pas moins insuffisant. Tant que les établissements hospitaliers devront rembourser sur leur budget général les frais engagés par les donneuses d’ovocytes, le dispositif sera insatisfaisant. La solidarité nationale doit impérativement s’exercer. Faut-il prévoir un forfait ? Je ne sais pas. Il faut en tout cas recruter des donneuses et les remercier…

S’agissant de la gestation pour autrui (GPA), je visais un encadrement de la pratique par un comité national qui, comme le propose le professeur Israël Nisand, jugerait au cas par cas de la recevabilité des demandes et des possibilités. Faisons confiance aux patientes, aux patients et aux médecins.

Plusieurs études ont établi que, contrairement à ce qui est souvent avancé, les couples ayant recouru à l’AMP ne divorçaient pas plus que les autres. S’agissant du parcours du combattant qui serait le leur, vous avez à la fois raison et tort. Une étude menée en son temps par le secrétariat d’État aux droits de la femme avait démontré que 10 % des femmes faisant une FIV perdaient leur emploi, du fait des retards récurrents résultant de tous leurs rendez-vous médicaux. Nous veillons désormais dans nos centres à ce que les dosages hormonaux et les échographies puissent être réalisés tôt le matin, à ce que les femmes ne soient pas obligées de revenir l’après-midi et à ce que les résultats puissent être communiqués par téléphone. En un mot, nous nous efforçons de leur faciliter la tâche au maximum. Étant obstétricienne, j’ai la chance de suivre la grossesse des femmes après leur FIV, et il m’arrive de suivre des patientes pour leur troisième ou quatrième enfant obtenu par FIV. Ce qui me frappe est la rapidité avec laquelle elles oublient les difficultés qu’elles ont pu rencontrer. Les couples heureux n’ont décidément pas d’histoire, même après une FIV, l’essentiel étant pour eux l’enfant qu’ils ramènent à la maison. Loin de détruire la vie des couples, l’AMP aide beaucoup de couples à être heureux.

Pour ce qui est du nombre de tentatives, j’ai simplement montré que jusqu’à 37 ans, une cinquième ou une sixième tentative pouvait encore augmenter les chances, alors que ce n’est plus le cas au-delà. Nous ne plaidons d’ailleurs pas pour. Mais on pourrait réfléchir à la prise en charge de ces tentatives supplémentaires jusqu’à 37 ans.

Un premier guide des bonnes pratiques cliniques et biologiques est paru en 1999, un deuxième en 2008. Aucune réponse n’y est apportée concernant l’âge. Un certain nombre de praticiens, dont je faisais partie, étaient favorables à une limite d’âge. Ainsi lorsque l’homme avait plus de 59 ans, avions-nous simplement suggéré que le dossier soit discuté en équipe pluridisciplinaire. Le conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine a considéré que c’était s’arroger un pouvoir excessif sur la vie des couples. D’autres ont prétendu que c’était le lobby des femmes gynécologues qui cherchait à poser une limite pour l’homme, dans la mesure où il en existe une, biologique, pour la femme. Il est vrai que la formulation de la loi, « en âge de procréer », est floue, mais ce flou présente aussi des avantages. Et le guide des bonnes pratiques est lui-même flou sur le sujet – je puis d’autant mieux le dire que j’ai participé à son élaboration.

Dernier point : non, je n’ai pas l’impression que les aspects génétiques l’emportent. Le désir d’avoir un enfant de soi est tout à fait normal et il ne me choque pas que la solidarité nationale prenne en charge sa satisfaction, dans des limites raisonnables. Toute la question est de déterminer ce qui est «  raisonnable ». Est-il raisonnable de proposer une FIV, et pour combien de tentatives, à une femme de 42 ans chez qui on n’a que 5 % ou 6 % de chances d’aboutir à une grossesse ? La question est légitime mais se la pose-t-on dans la prise en charge d’un cancer avancé, dont le pronostic est à coup sûr fatal ?

M. le rapporteur Jean Leonetti. Ce n’est pas la même chose.

Mme Joëlle Belaisch-Allart. C’est une réponse facile.

M. le rapporteur. Non, Madame, c’est l’amalgame qui est facile.

Mme Joëlle Belaisch-Allart. Aux États-Unis, il est vrai que les femmes qui n’ont que 5 % à 6 % de chances qu’une FIV réussisse n’en font pas car elles la paient de leur poche. La question est de savoir si la solidarité nationale doit s’exercer. Jean Cohen, mon prédécesseur à l’hôpital de Sèvres, faisait valoir qu’une femme pouvait parfaitement ne rencontrer l’homme de sa vie qu’à 42 ans et qu’il était légitime de faire appel à la solidarité nationale, d’autant que le plus souvent cette femme avait travaillé et cotisé jusque-là. Au nom de quoi refuser de la prendre en charge, demandait-il ?

M. le rapporteur. Et à 45 ans ?

Mme Joëlle Belaisch-Allart. Toutes les études internationales montrent qu’après 43 ans, il n’y a, avec ses propres ovocytes, quasiment pas de chance de parvenir à un accouchement. Les professionnels sont unanimes sur ce point.

M. Michel Vaxès. Dans l’appréciation plutôt positive que vous portez sur la gestation pour autrui, vous mettez l’accent sur le désir d’enfant de la mère. Mais vous n’évoquez pas la situation de l’enfant à naître. Les répercussions possibles sur les enfants nés de GPA et sur leur fratrie ont-elles été étudiées ?

Mme Joëlle Belaisch-Allart. Il faut se garder des clichés. Ainsi sur l’homoparentalité, les psychologues français ont longtemps fait valoir que les conséquences en seraient désastreuses pour les enfants – on se demande d’ailleurs sur la base de quelles études puisque dans notre pays, elle n’est pas reconnue. Or, la littérature internationale fait apparaître qu’il n’en est rien. Les enfants de couples homosexuels ne sont pas plus enclins à l’homosexualité que les autres et vivent parfaitement bien. À l’exception de moqueries dont ils ont pu être victimes dans leur enfance, ils ne semblent pas avoir souffert de leur situation. Leurs capacités intellectuelles et affectives sont identiques à celles des autres enfants. Concernant les enfants nés de GPA, je laisserai le professeur Israël Nisand vous répondre, mais je souhaiterais, là encore, qu’on se garde de clichés.

M. Noël Mamère. Il est faux de prétendre que l’on n’a pas de recul sur le devenir des enfants nés de GPA. Il n’existe certes pas d’études en France puisque cette pratique y est interdite, mais il en existe beaucoup dans les pays où elle est tolérée ou autorisée. De même, s’agissant de l’homoparentalité, il a longtemps été de bon ton de dire que l’on n’avait pas le recul nécessaire. Ce recul existe dans d’autres pays et tous les psychiatres s’accordent à dire que les enfants construisent eux-mêmes leur altérité et que mieux vaut être élevé par un couple homosexuel qui s’aime et aime ses enfants que dans une famille déstructurée.

M. le président. Sur tous ces sujets, nous aurons un débat entre membres de la mission. Nous le tiendrons en temps et en lieu opportun. Ne l’engageons pas, cher collègue, au stade des auditions.

Il me reste, Madame, à vous remercier de votre exposé passionné et passionnant.

Audition de M. Israël NISAND, gynécologue-obstétricien,
chef de service à l’hôpital de Hautepierre, à Strasbourg



(Procès-verbal de la séance du 31 mars 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, Président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir le professeur Israël Nisand, gynécologue obstétricien, chef de service à l’hôpital de Hautepierre, à Strasbourg.

Monsieur le professeur, vous êtes l’auteur de nombreux articles et ouvrages portant sur l’assistance médicale à la procréation. Au terme d’une longue réflexion, vous avez pris une position claire concernant la gestation pour autrui. Nous aimerions vous entendre sur ce sujet, ainsi que sur l’homoparentalité et le transfert d’embryon post mortem.

M. Israël Nisand. En m’invitant, vous m’honorez et me rendez un grand service, puisque vous m’obligez à mettre en forme des éléments de réflexion quelque peu épars. Je nourris à l’égard des parlementaires jalousie et admiration : jalousie car vous avez l’occasion d’entendre de multiples voix sur ces sujets d’une grande complexité ; admiration car vous allez devoir trancher entre des opinions aussi solidement fondées les unes que les autres.

En tant que médecin, j’ai l’obligation de témoigner de ce que je rencontre. En tant que citoyen, j’estime que la gestation pour autrui ou l’homoparentalité sont des sujets dont la société doit s’emparer et j’appelle de mes vœux une appropriation de ces thèmes par le grand public. C’est là la démarche des États généraux ; il faut l’amplifier et inviter notamment les jeunes au débat.

Le citoyen que je suis aborde ces questions guidé par un principe philosophique défendu par Pierre-André Taguieff, inspiré de Schopenhauer : le « juste milieu ». Ce principe permet de dégager un consensus, en dépit des opinions dogmatiques et religieuses de certains pans de notre société.

Permettez-moi d’évoquer brièvement les avances remarquables qu’ont permis les lois de 1994 et de 2004, notamment la création de l’Agence de la biomédecine (ABM) et l’organisation des comités pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN). Dix ans après le décret d’application, ces comités sont un succès : ils permettent de réunir quarante personnes autour d’une table, quand autrefois on décidait d’une interruption médicale de grossesse (IMG) dans l’obscurité d’une salle d’échographie.

Je profite également de cette audition pour rappeler la nécessité de certains changements de détail. Je pense à la mauvaise organisation du don d’ovule – qui justifie un exode choquant vers Barcelone –, à l’interdiction du double don, à la complexité de l’accueil d’embryon, à l’absence de limite d’âge pour les pères – à qui il conviendrait de rappeler leur espérance de vie.

Mais je concentrerai mes propos autour des sujets de controverse que sont la grossesse pour autrui (GPA), l’homoparentalité, le clonage thérapeutique, la gratuité et le diagnostic pré-implantatoire (DPI) oncogénétique.

Le spectre des couples candidats à une GPA est si large qu’il recouvre à la fois des demandes hyperlégitimes et des demandes hyperexotiques.

Je pense à un couple, dont les deux membres sont âgés de vingt-sept ans : la femme a perdu son utérus au cours d’une bataille obstétricale, a vu son enfant mourir et failli elle-même trépasser. Elle dispose encore de ses ovaires, son mari a des spermatozoïdes mais, ouvriers tous deux, ils ne peuvent se permettre de dépenser les 50 000 euros que coûte une GPA à Londres. J’ai envie d’aider ce couple et de ne pas le pousser dans les rets des réseaux de chair humaine qui prospèrent à l’étranger. J’estime que cette vie, cassée par un accident médical, pourrait être un tant soit peu réparée.

En revanche, je n’imagine pas me plier à la demande de cet autre couple – l’homme a quarante-cinq ans, et la femme, âgée de cinquante et un ans, n’a plus d’utérus – à qui il faut un héritier pour protéger le patrimoine des deux enfants nés d’un premier lit. C’est un exemple d’hyperexotisme que nous tous, au nom des valeurs qui animent notre collectivité, ne sommes pas prêts d’accepter.

Le sort de l’enfant et celui de la mère porteuse posent problème. À tout le moins, les parlementaires se doivent de régler la question de la filiation maternelle des enfants nés d’une GPA à l’étranger et ne les pas laisser – ils n’y sont pour rien – sans état civil.

S’agissant de la mère porteuse, le principe de l’indisponibilité du corps humain – argument mis en avant par les opposants à la GPA – ne me parle pas sur un plan philosophique. Faut-il remettre en question les contrats de travail ? Le mineur de fond ne met-il pas sa force de travail au service de la houillère ? Le soldat ne risque-t-il pas sa vie en Afghanistan, et n’est-il pas rémunéré en conséquence ? Kant explique qu’il ne faut pas se servir de l’autre uniquement comme d’un moyen, mais nous nous servons de la force et du corps des autres à longueur de temps. Si l’utilisation du corps humain est un délit, l’État doit cesser de profiter du « travail » des péripatéticiennes et ne plus percevoir leurs impôts.

Le statut de la maternité ne me semble pas davantage remis en question par la GPA. L’Académie de médecine peut parler dans son rapport de « déni de maternité », et les magistrats peuvent se demander : « Qui est la vraie mère ? » Je leur répondrai que la vraie mère est celle qui adopte. Pour certaines femmes, l’adoption est immédiate, pour d’autres, plongées dans le déni de grossesse, elle n’existe pas et ne se fera jamais. Si la GPA nous questionne autant – la paternité pour autrui n’est un problème pour personne –, c’est qu’elle ébranle l’un des piliers sur lequel repose notre société tout entière – l’adage « mater semper certa est ». Que certains en ressentent une angoisse profonde, cela est légitime et constitue un argument recevable.

D’autres, comme René Frydman, se demandent pourquoi faire primer le tout génétique. Mais lui comme moi connaissons nos parents, nos enfants. Nous avons beau jeu de mépriser ceux qui voudraient tout simplement avoir un enfant de leur chair. Voyez les saumons qui remontent les rivières canadiennes pour aller frayer à l’endroit où ils sont nés et y mourir. Il y a du saumon en nous !

Longtemps, j’ai demandé à mes patientes pourquoi elles ne souhaitaient pas adopter, avant de réaliser que c’était pour elles une question obscène, tant qu’existait une possibilité de ne pas rompre la chaîne fantasmatique de la transmission biologique.

Je suis le premier à dire qu’il ne faut pas déterrer Yves Montand sur la requête d’une jeune femme qui s’en prétend la fille ou qu’il ne faut pas soumettre des familles aux tests ADN, car c’est nier leur composante sociale et adoptive. Je reconnais que la société a glissé vers le tout biologique. Mais, de fait, lorsque les couples disposent de leurs gamètes, ils font tout pour avoir un enfant issu d’eux-mêmes.

Je regrette que notre loi pose un interdit sans l’expliquer, l’assortissant d’une peine de prison et d’une lourde amende. Que cherche-t-on à protéger en proscrivant aussi sévèrement à trois citoyens adultes consentants la GPA, si ce n’est la maternité, ce socle psychologique sur lequel repose la société ? Si l’interdit devait être maintenu, il faudrait que les parlementaires le justifient.

Entre le « tout interdit » et le « tout permis » – que personne ne souhaite voir s’imposer – il existe un juste milieu : le « cas par cas ». Cette solution dispenserait le législateur de tracer une ligne blanche, ce qu’il n’est guère possible de faire avec intelligence et subtilité.

Cette solution a été adoptée pour le DPN : les centres pluridisciplinaires analysent chaque année 12 000 demandes, dont 6 000 donnent lieu à une IMG, autorisée par l’ABM, sans qu’aucun dérapage se produise. Ainsi, le législateur n’a pas eu à dresser une liste des pathologies, laquelle aurait été moralement inacceptable, puisque contraire à la prise en compte de l’immense variété des situations humaines.

Je propose qu’une organisation de ce type soit retenue pour la GPA. Une quinzaine de centres pluridisciplinaires régionaux, composés pour moitié de professionnels, comptant en leur sein des associations, auraient pour mission d’analyser les demandes formulées par des « trios ». Ils se concentreraient notamment sur l’aspect obstétrical ou sur l’existence d’une rémunération occulte. Au terme de cette instruction, qui pourrait durer une année, les centres transmettraient leur avis à une commission nationale, qui prendrait la décision finale en toute indépendance. Ainsi, les indications reconnues et acceptées seraient les indications que la grande majorité des Français, raisonnant en « bons pères de famille », accepteraient. Les autres seraient refusées. J’estime qu’il y a plus de risque à maintenir un interdit total qu’à accepter de dire « oui » de temps en temps. Au moins cela donnerait-il lieu à une discussion, et dissuaderait peut-être les couples de franchir les frontières. C’est le cas de ces personnes, paniquées en découvrant que leur fœtus n’a que neuf doigts, qui consultent un CPDPN, sont rassérénées par notre réponse négative, se le tiennent pour dit et ne tentent pas une IMG à l’étranger.

Je ne suis ni pour ni contre la GPA. Mais j’estime que le risque que nous courons à accepter de temps en temps une demande est moins grand que celui d’en refuser systématiquement le principe, comme s’il s’agissait d’une injonction religieuse. En tant que citoyen, je demande à mes parlementaires de me dire pourquoi ils interdisent aussi sévèrement cette pratique, pourquoi ils ne font pas confiance à des adultes intelligents et consentants, quelles sont les valeurs qu’ils cherchent ainsi à protéger.

Comme pour la GPA, l’homoparentalité recouvre des réalités bien différentes, qui vont de l’hyperlégitimité à l’hyperexotisme.

Je pense ainsi à ces deux femmes, professeurs d’université à Strasbourg, en couple depuis quatorze ans. L’un de leurs voisins, homosexuel, accepte de leur donner son sperme. Il sera le père de l’enfant, et la compagne de la mère en sera la marraine. Elles ne voient pas en quoi elles seraient moins capables qu’un couple hétérosexuel d’élever un enfant dans l’amour et l’équilibre. Nous n’avons aucun élément qui nous permette de leur soutenir le contraire – il n’y a rien, dans le millier de publications sur le psychisme des enfants issus de couples homosexuels californiens, qui aille à l’encontre de ce postulat. Comme des dizaines de milliers de femmes, leur seule solution a été de se rendre en Belgique, où des institutions entières vivent grâce à la prohibition française.

Je citerai, de l’autre côté du spectre, le cas d’un Français et d’un Américain, pour lesquels une première tentative avec les ovocytes d’une amie homosexuelle n’a pas fonctionné ; il reste un embryon. Aux États-Unis, ils achètent les ovules d’une donneuse, ainsi que les services d’une mère porteuse, à qui l’on implante l’embryon de l’amie, et les embryons issus de la donneuse. Deux jumelles naissent, sur lesquelles on pratique un test génétique : l’une est la fille de l’amie, l’autre de la donneuse. La première reçoit régulièrement la visite de sa mère génétique. Les deux enfants ont appris, grâce à un CD, à nommer correctement l’ensemble des membres de leur galaxie familiale. Sur l’acte de naissance californien, on peut lire : « Father : John. Mother : Antoine ».

Je suis pour l’homoparentalité, mais je suis opposé à l’homofiliation. Tout le monde sait que les hommes adoptent leur petit, que ce soit à la naissance ou plusieurs années après, au cours d’une partie de football. Puisque la paternité est une adoption, rendons possible l’adoption pour les couples d’hommes, après examen de la solidité du projet parental par un centre pluridisciplinaire. En revanche, je suis favorable, surtout lorsqu’un projet de coparentalité existe, à la levée de l’interdiction qui pèse sur les couples de femmes, et que rien n’explique. Les centres pluridisciplinaires instaurés pour la GPA pourraient ainsi analyser les demandes d’adoption des couples d’hommes et les demandes d’insémination des couples de femmes.

Que signifie l’interdiction de la recherche sur l’embryon ? Lorsque les décrets d’application concernant le DPI sont parus en 1999, deux équipes seulement ont obtenu l’agrément – celle du Pr. Frydman et la mienne –, parce qu’elles avaient pris la précaution d’envoyer l’un de leurs chercheurs s’entraîner sur les embryons humains à l’étranger et qu’elles pouvaient ainsi faire la preuve d’une certaine expérience dans la manipulation des embryons.

Pensez-vous que les Britanniques l’ignorent ? Pensez-vous qu’il soit acceptable de justifier l’interdiction de la recherche de l’embryon au motif que le clonage thérapeutique ne fonctionne pas, tout en gardant les yeux rivés sur les progrès de la science outre-Manche ? Si demain le clonage thérapeutique permet de réparer un infarctus, de soigner la maladie d’Alzheimer ou les conséquences d’une hépatectomie subtotale, nous finirons, j’en suis certain, par accepter les fruits de la recherche réalisée à l’étranger.

La condamnation du clonage reproductif, pour légitime qu’elle soit, est rédigée dans des termes excessifs et contradictoires sur un plan philosophique, puisque donner le jour est assimilé à un crime. Mais surtout, il était possible d’interdire cette pratique, revendiquée par Raël ou Antinori, sans pour autant la qualifier de « crime contre l’espèce humaine », une expression ethnocentrée qui nous permet de donner des leçons au monde entier. Chez les juifs, la filiation paternelle a une importance considérable : le président de l’Académie des sciences d’Israël a ainsi fait paraître dans Le Monde une tribune intitulée « Pour un clonage reproductif maîtrisé ». Le commandement « Tu ne cloneras point » ne figure pas dans la Bible et, si le clonage reproductif devenait possible, des pays s’en empareraient. Il faut s’en tenir à son interdiction pure et simple.

En revanche, arrêtons d’interdire le clonage thérapeutique ! Comme il consiste, c’est vrai, à créer des embryons pour la recherche, encadrons-le strictement : il devra être limité dans le temps, avoir un objectif scientifique précis, être réalisé par des équipes incritiquables. Faute de quoi nous continuerons d’envoyer nos chercheurs à l’étranger.

Je ne suis pas de ceux qui divinisent l’ADN et je ne comprends pas que les clergés se soient émus de ce que les Britanniques utilisaient des ovules de vaches pour y implanter des noyaux humains. Cette recherche est indispensable car nous ne savons pas, en amont, si les cellules souches adultes donneront plus de débouchés que les cellules souches embryonnaires. Laissons les chercheurs chercher !

La gratuité, instaurée il y a fort longtemps, porte en elle des éléments négatifs. Décider que les traitements de la stérilité devaient être pris en charge à 100 % était politiquement correct, mais a débouché sur un postulat tacite : l’enfant est devenu un droit, quel que soit le coût des tentatives – entre 10 000 et 15 000 euros. C’est une question compliquée, mais je crois que l’on pourrait concentrer nos efforts sur les couples qui n’ont pas encore eu d’enfants.

S’agissant du DPI, je n’ai pas les mêmes réserves que ceux qui estiment que cette technique revient à trier les embryons. Je réalise des IMG sur des femmes qui se sentent coupables d’avoir transmis une anomalie, et dans l’obligation d’interrompre la vie d’un enfant qu’elles avaient pourtant désiré. Pour cette patiente qui me disait : « Docteur, le jour où vous m’avez avortée, vous m’avez arraché la moitié de mon cerveau », pour celle dont le fils aîné est en train de mourir du mal dont est atteint son fœtus, je bénis le DPI. Jacques Testart n’a jamais vu d’IMG ; pour chaque IMG que je n’aurai pas besoin de réaliser, pour chaque femme que je ne précipiterai pas dans ces affres, pour chaque bouffée délirante d’aval que nous éviterons, le DPI est une bénédiction. La loi, sur ce point, est remarquable, et je ne trouve rien à y changer.

Lorsque j’ai réalisé pour la première fois à Strasbourg un DPI à visée oncogénétique, tout le monde a crié au dérapage. L’ABM s’est alors vue confier la rédaction d’un rapport, d’ailleurs remarquable, sur la nécessité d’inscrire des indications de cancer génétique.

Il existe quatre sortes de cancer génétique. La première comprend les cancers transmissibles à 100 %, qui se déclarent à l’âge de deux-trois ans et tuent à coup sûr, comme le syndrome de Li-Fraumeni ; la deuxième, les cancers transmissibles à 90 %, polytopiques, que l’on ne peut prévenir et qui se déclarent avant l’âge de quinze ans ; viennent ensuite les cancers qui frappent entre quarante et soixante ans et qui, dans 70 % des cas, peuvent être prévenus et traités ; enfin, les cancers dont la transmission est plus épisodique et plus tardive.

Les cancers génétiques du sein appartiennent à la troisième catégorie. La plupart des familles qui ont cette anomalie génétique ne demanderont pas un DPI, qui suppose un mode de conception très contraignant. Mais, pour les familles frappées à de nombreuses reprises par le cancer du sein, qui vivent avec horreur la transmission de cette pathologie, je suis favorable à ce que soit pratiqué un DPI.

L’opportunité de pratiquer un DPI pour la première sorte de cancers ne se discute pas. Il s’agit bien d’une anomalie « d’une particulière gravité » et, puisque le risque de transmission est de 100 %, d’une maladie. Je considère donc qu’il doit être inscrit dans la loi que le DPI peut avoir pour objet toutes les maladies graves transmissibles à 90 %, ne pouvant être prévenues et frappant avant l’âge de vingt ans. À la suite de la publication du rapport Stoppa-Lyonnet, j’attends l’avis des parlementaires sur cette question très controversée.

Le centre de Strasbourg est à l’origine de la première grossesse consécutive à un DPI, dans le cadre d’une myopathie de Duchenne de Boulogne. Malheureusement, cette grossesse a dû être interrompue car l’enfant était porteur d’une trisomie 21. Il ne serait pas scandaleux de revenir sur cet aspect de la loi, qui nous autorise à dépister une pathologie, mais pas une aneuploïdie.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Avec une telle force de conviction, vous devriez être appelé à une belle carrière politique !

M. Israël Nisand. Je suis conseiller municipal.

M. le rapporteur. C’est comme cela que ça commence…

Je partage, comme tout le monde ici, votre vision aristotélicienne du « juste milieu ». Mais parfois, celui-ci est introuvable et il appartient à la loi d’interdire – c’est le cas, notamment, pour le clonage reproductif. Votre proposition de procéder au cas par cas nous renvoie à notre questionnement constant : faut-il une loi universelle, que des agences appliqueraient de façon ponctuelle, ou faut-il entrer dans le détail, ne serait-ce que pour rassurer et informer ?

La paternité et la maternité ne sont pas aisées à définir. Si ce qui fait le père ou la mère est le moment où ils adoptent leur enfant, le désir d’avoir un enfant issu des gamètes du couple n’en est pas moins légitime. Ainsi, pour reprendre votre analogie, nous sommes certes tous des saumons du Canada, mais l’évolution nous a gratifiés d’un cortex qui nous permet de nous questionner sur la nécessité de remonter le courant.

S’agissant du clonage et du DPI, je partage en grande partie votre opinion. L’interdiction du « clonage reproductif », expression malheureuse, revient à sacraliser l’embryon, alors même que des lois autorisent l’IVG, ce qui est contradictoire.

Vous avez détaillé deux cas caricaturaux concernant la GPA et l’homoparentalité, sans pour autant répondre à la question suivante : la médecine et la société doivent-elles prendre en charge l’infertilité et se borner au médical – auquel cas la gratuité est légitime – ou prendre en compte le désir et répondre ainsi au sociétal ? Il y a là un clivage plutôt facile à définir entre le désir d’avoir un enfant à soixante-dix ans et ce qui peut être considéré comme le handicap d’un couple en âge de procréer.

Vous avez évoqué l’existence de trios qui veulent une GPA. Mais que recouvre le terme « vouloir » lorsqu’il s’agit de la mère porteuse ? Sa volonté est-elle fonction de la compensation financière qu’elle aura reçue ? Ce n’est pas tant le sort de l’enfant à naître qui m’inquiète que celui de la femme qui l’aura porté. Comment envisager, dans le cas de la GPA, le maintien de principes tels que la gratuité, l’anonymat et l’indisponibilité du corps humain ?

À ce sujet, vous avez tenté un rapprochement avec la force de travail, que nous mettons à disposition de notre employeur. Cependant, je n’ai pas l’impression que l’Assemblée nationale instrumentalise mon corps, alors même que je l’utilise pour travailler ! Ou bien l’on admet que la mère porteuse loue son corps, et il faut aller au bout de la logique et l’indemniser, ou bien l’on postule qu’il s’agit d’un don, entre sœurs par exemple. Mais alors, comment respecter l’anonymat, et que faire, dans ce pays pétri d’égalitarisme, pour les femmes qui sont filles uniques ?

Voilà l’état de ma réflexion sur la GPA. Je n’ai pas d’avis tranché, mais je me sens gêné par le fait qu’une femme puisse prêter son corps, et je m’interroge sur la part de maternité qu’elle pourra ressentir. Il me semble que la GPA est à même de faire tomber les principes de l’anonymat, de la gratuité et de l’indisponibilité, et de rendre possible la chosification de l’être humain, l’enfant devenant l’objet d’un contrat.

M. Israël Nisand. Comme vous, je ne suis pas inquiet pour l’enfant. Mais la situation actuelle est inégalitaire, donc inacceptable : les gens qui ont les moyens ne s’arrêtent pas à l’interdit français et se rendent à l’étranger.

M. le rapporteur. Nous sommes les législateurs français et, à ce titre, nous cherchons à protéger les femmes françaises susceptibles d’être instrumentalisées. Soutenir que ce qui se fait à l’étranger doit être ici légitimé n’est pas un argument.

M. Israël Nisand. J’en suis d’accord. C’est une question extrêmement importante. Lorsque j’ai commencé à réaliser des FIV, en 1983, je me suis rapproché d’une association, le Nid, qui, comme Alma Mater à Marseille, réunissait des femmes souhaitant être mères porteuses. Souhaitant faire une publication sur leurs motivations, j’ai interrogé la dizaine de ses membres. Je dois dire que, lorsque l’interdiction de la GPA a été adoptée, je me suis senti rassuré. La moitié d’entre elles reconnaissaient que leur motivation était l’argent. L’autre moitié étaient des donneuses de sang et de moelle. Certaines, catholiques, affirmaient que Dieu leur avait donné un corps intègre et s’inscrivaient dans le partage. Pour toutes, la gestation pour autrui était une forme de narcissisation. Elles étaient hypomanes, aucune ne portant grande attention aux liens qui peuvent exister entre la mère et le fœtus.

M. le rapporteur. Pensez-vous que l’on puisse rencontrer des femmes qui illustrent le « juste milieu », qui ne soient ni hypomanes ni mercantiles ?

M. Israël Nisand. J’en rencontre régulièrement, qui se sont rendues en Angleterre pour suivre toute la procédure. Ces femmes reçoivent une compensation narcissique ; elles sont totalement comblées par le service qu’elles rendent en portant l’enfant d’une autre. Il s’agit d’adultes consentantes, intelligentes, conscientes des risques de césarienne, de malformation du fœtus, d’accidents à l’accouchement. Toutes sont issues d’associations présentes sur Internet. Je ne perçois pas de mercantilisme dans leur démarche.

Cependant, pour éviter tout risque d’instrumentalisation, il faudrait définir de bonnes pratiques pour la GPA – limiter le nombre de gestations à une ou deux par femme, et indemniser sans que cela attente au principe d’indisponibilité. La morale kantienne veut que les personnes ne puissent pas être utilisées uniquement comme un moyen. On peut concevoir que certaines femmes assimilent ce type de grossesse au travail d’une nounou prénatale. Les liens qui se noueront avec le fœtus ne sont pas négligeables, mais ces échanges n’ont rien à voir avec ceux qui uniront parents et enfant après la naissance, bien plus complexes et affectifs.

J’accepte donc que deux femmes se rendent mutuellement service. En revanche, alors que j’étais favorable à une GPA intrafamiliale, Sophie Marinopoulos m’a convaincu des ravages qu’entraînerait l’existence d’une « dette impayable », entre mère et fille par exemple, ou des pressions insoutenables que pouvait exercer la famille, entre sœurs notamment. Je pense donc que la GPA intrafamiliale doit être interdite.

Enfin, le principe d’indisponibilité du corps humain ne s’applique pas à la greffe de foie entre vivants, qui comporte un risque de mortalité pour le donneur de 3 %. Nous avons affaire à des adultes consentants. Pourquoi ne pas accepter cette générosité pure ? Elle existe, je l’ai rencontrée.

M. Paul Jeanneteau. Vos arguments ne me convainquent pas.

Le premier, celui du « dumping législatif » ne me semble pas probant. Nous, législateurs, devons nous demander si nous faisons une loi en fonction de notre modèle culturel – nos traditions, notre passé judéo-chrétien – ou si nous faisons une loi qui s’adapte à l’ensemble des lois européennes, voire mondiales.

S’il faut interdire la GPA entre sœurs, il faut, par souci de parallélisme des formes, interdire la greffe d’organes entre membres d’une même famille.

Lorsque vous proposez d’encadrer la GPA et de la limiter à une ou deux par femme, pourquoi pas quatre ?

La GPA entraîne une rémunération, ce qui met en cause le principe d’indisponibilité du corps humain, qui est pour moi une valeur fondamentale. Surtout, vous suggérez que ce principe suppose que l’on revoie les contrats de travail. Mais peut-on considérer la grossesse comme une activité professionnelle ? Vous qui êtes obstétricien le savez mieux que moi : la grossesse est non pas un travail, mais la modification de la substance corporelle.

M. Michel Vaxès. Je me retrouve dans les interrogations de Jean Leonetti et de Paul Jeanneteau et j’attends des réponses plus précises que celles que vous venez d’apporter. La casuistique, à laquelle vous êtes attaché, nous est de peu d’aide lorsque nous devons légiférer.

Il est des responsabilités que le législateur ne peut prendre. Ainsi, lorsque nous nous sommes interrogés sur la fin de vie, Axel Kahn nous a indiqué qu’il souhaitait le maintien de la loi, prêt à prendre ses responsabilités s’il devait la transgresser. De la même façon, estimez-vous qu’il revient au législateur de poser les grands principes de manière ferme, tout en laissant une marge d’appréciation à une agence ?

Vous avez évoqué le fantasme biologique et parlé de la paternité comme d’une adoption. Cela nous renvoie à la question de la personne humaine et de son essence. Selon la prévalence que l’on donne à l’une ou l’autre de ses composantes, les réponses que l’on apporte à ces questions divergent.

M. Noël Mamère. Nous n’avons pas fini de débattre sur la GPA, mais votre contribution me semble déterminante et vos arguments me convainquent. Le législateur est là pour encadrer et protéger. Mais une interdiction totale ne fragilise-t-elle pas davantage qu’elle ne protège ?

La loi est un cadre, une garantie, qui pose des principes. Cela n’empêche pas que des comités, qui ne seraient pas composés uniquement de scientifiques ou de praticiens, examinent les demandes des « trios ».

Sur la question de la maternité, il existe de grandes différences d’appréciations parmi les spécialistes, qu’ils soient psychiatres, psychanalystes ou historiens. Les positions de Sylviane Agacinski diffèrent de celles d’Élisabeth Roudinesco ou de celles d’Élisabeth Badinter, pour qui l’instinct de maternité est une tradition judéo-chrétienne. Mais tout le monde s’accorde sur le caractère social de la filiation, rejoignant ainsi Françoise Héritier, qui nous a donné ici même une magnifique leçon.

Notre rapporteur a posé à de nombreuses reprises la question suivante : l’infertilité doit-elle être traitée médicalement ou peut-elle être considérée comme une question sociétale, à laquelle il faut apporter une réponse ? Personnellement, je trouve hypocrite de contraindre les gens qui le peuvent financièrement à se rendre à l’étranger, alors même qu’il existe des projets parentaux qui justifient la GPA. Si nous laissons perdurer cette situation, nous prenons le risque d’ouvrir la porte à la marchandisation du corps.

Le législateur, en 2009, est en mesure d’apporter des réponses, fussent-elles imparfaites. Au lieu d’interdire, tout en sachant que des moyens de contourner la loi existent – ce que fait le projet de loi HADOPI, actuellement discuté par le Parlement –, fixons un cadre. Nous ferons ainsi œuvre utile.

Vous avez évoqué d’autres sujets, comme le clonage thérapeutique. À cet égard aussi, des menaces pèsent sur notre société. Si le politique ne se préoccupe pas de ces questions, les mouvements post-humanistes ou trans-humanistes, inspirés par ce que Günther Anders appelle « la honte prométhéenne », prospéreront en prétendant régler le problème de la naissance avec le clonage, le problème de la souffrance avec les nano-technologies, et celui de la mort avec les rêves d’immortalité. Nous sommes là pour éviter que ces personnes ne nous conduisent à des cauchemars, cauchemars aux côtés desquels les fables de Huxley ou d’Orwell apparaîtraient comme des rigolades de garçons de bain !

M. Jean-Sébastien Vialatte. S’agissant du DPI, ne craignez-vous pas que le séquençage à haut-débit et les puces ADN ne permettent un jour de rechercher toutes les anomalies imaginables, ce qui ne laisserait aucune chance aux embryons ? Dans le cadre des états généraux de la bioéthique, un généticien a montré que, si l’on testait les 800 000 naissances annuelles avec des tests dont la sensibilité serait de 99 %, on trouverait 800 faux cas positifs par anomalie. Cela pose un vrai problème.

Je ne vous cacherai pas que je suis en désaccord avec votre position sur la GPA. À combien estimez-vous le nombre de demandes susceptibles d’être acceptées par les comités que vous suggérez de mettre en place ? Compte tenu de la difficulté à trouver des donneuses d’ovocytes, pensez-vous que le nombre de candidates à la GPA serait suffisant ? Dans la négative, ne craignez-vous pas de créer de nouvelles inégalités entre les couples qui pourraient avoir accès à la GPA et ceux qu’il faudrait inscrire sur une liste d’attente ? Je rappelle que le temps d’attente moyen pour bénéficier d’un don d’ovocyte est de vingt-huit mois.

Depuis quelques jours, une campagne en faveur de la GPA a été lancée, relayée par la pétition des époux Mennesson. J’entends toujours évoquer le même cas, propre à faire pleurer dans les chaumières : celui de la femme de vingt-sept ans, qui a perdu son utérus en couches. Trouvez-vous légitime de faire courir le même risque, celui d’une hystérectomie, à une mère porteuse ? Quelle est l’incidence de ces accidents d’accouchements qui aboutissent à une ablation de l’utérus ?

M. Israël Nisand. Je n’ai pas l’ambition de répondre à vos excellentes remarques puisque je suis, comme vous, confronté à l’ambiguïté.

Deux réactions sont possibles face au sentiment de vertige dont nous pouvons être saisis : le repli, la défiance ; la confiance et l’ouverture – mais pas à n’importe quoi ! Les problématiques qui nous sont posées sont d’une telle complexité que je ne vois pas comment le législateur pourra y répondre en s’affranchissant du « tout interdit » ou du « tout permis ».

Monsieur Jeanneteau, vous avez parlé de tradition judéo-chrétienne. Celle-ci a connu beaucoup de mères porteuses, à commencer par Agar. La Genèse nous apprend les écueils de la gestation pour autrui : l’esclave de Sarah est mise à la porte avec son fils Ismaël. Si nous autorisons la GPA, nous devons faire en sorte de ne pas créer de nouvelles figures d’Agar et d’Ismaël.

Un homme, que j’ai marié la semaine dernière, m’a raconté son histoire. Son père lui avait confié quelques mois auparavant, sur son lit de mort, qu’il n’était pas son père biologique. Devant l’infertilité de son mari, sa mère, très catholique, avait accepté de concevoir un enfant avec l’un de ses voisins. Ce secret a duré quarante ans. La maternité et la paternité pour autrui se pratiquent depuis des lustres, plus ou moins facilement et plus ou moins humainement. Aujourd’hui, la médecine permet d’adoucir ces situations.

Pour le moment, la loi interdit à trois personnes adultes consentantes de conduire une GPA et punit de prison le médecin qui accepterait de les y aider. Au début de ma carrière, j’étais plutôt contre la GPA. Mais c’est parce que je me suis retrouvé devant des humains en souffrance que j’ai changé d’opinion, et j’estime de mon devoir de vous faire part de ces cas, sans vouloir pour autant faire pleurer dans les chaumières.

Monsieur Vialatte, j’estime que, sur trois cents demandes de GPA annuelles, à peine une cinquantaine seraient recevables. Y aurait-il assez de mères porteuses ? Oui, clairement. Elles seraient recrutées via le réseau associatif, dans des villes voisines du couple demandeur, afin qu’elles puissent voir le couple pendant et après la grossesse. Les mères porteuses que j’ai rencontrées restent en effet des « super-marraines », et cela bien après la naissance de l’enfant.

Le couple qui m’a définitivement marqué était un couple de diplomates turcs qui avait perdu un premier enfant à Strasbourg lors d’un accouchement difficile, puis un deuxième à Ankara, à la suite d’un décollement placentaire, lequel avait nécessité une hystérectomie. Ce couple est revenu me voir, accompagné de la sœur de la femme, mère de trois enfants. Ils m’ont demandé de les aider pour une GPA. Cela ne me posait pas de problème moral, mais je leur ai expliqué que je ne pouvais pas transgresser la loi. Comme ils en avaient les moyens, je les ai adressés à un confrère bruxellois ; ils ont eu trois enfants.

Nous devons être capable de dire oui de temps en temps, ne serait-ce que pour discuter des indications. J’entends bien que vous cherchiez à faire une loi optimale, qui ne laisse pas trop de place à la casuistique. Mais, dans le cas du DPN, vous avez été obligés d’en passer par là : le législateur ne s’est pas mêlé de dire quelle grossesse il fallait interrompre ni quelle grossesse devait continuer son cours. Il a préféré laisser la décision aux médecins, réunis au sein d’un CPDPN. Il n’y a eu aucun dérapage, et la loi est remarquable.

J’appelle donc à la constitution de comités régionaux, qui recevraient les médecins comme grands témoins et les solliciteraient pour évaluer le risque obstétrical – il ne revient pas aux médecins de répondre au problème sociétal que constitue la GPA. Les décisions seraient prises sur le plan national, pour éviter les pressions locales ou les éventuels dérapages d’un comité régional.

Il ne serait pas choquant que les parlementaires, devant la complexité de l’homoparentalité et de la GPA, décident de ne pas voter une loi établissant la liste des indications, mais de s’en remettre à des comités. La France, très regardée à l’étranger pour ses décisions en matière de bioéthique, s’en trouverait honorée.

Accepter une demande sur cent, pourquoi pas ? Cela me semble moins risqué que de tout refuser. Et je fais le pari qu’une majorité des 99 % de couples qui auront vu leur demande rejetée n’iront pas à l’étranger.

Chaque année, 6 000 enfants naissent à l’hôpital de Hautepierre. La diversité des parturientes est inimaginable : une quarantaine d’entre elles souffrent d’un déni de grossesse, d’autres, ayant laissé passer le délai légal de l’IVG, sont dans le rejet total de l’enfant à naître, d’autres encore s’apprêtent à donner le jour au Youkounkoun, le diamant de leur vie. Dans ce large éventail figurent des femmes qui attachent beaucoup moins d’importance à la grossesse et à l’accouchement que la majorité des futures mères. Si celles-ci sont correctement informées des risques, si elles s’estiment rémunérées par la narcissisation qu’apporte le fait de rendre ce service inouï, si elles reçoivent de la sécurité sociale une indemnisation mensuelle à hauteur de 1 000 euros – toute tractation financière étant interdite –, elles accepteront de devenir mères porteuses.

Je ne promeus pas le dumping législatif et je ne vais pas chercher à l’étranger les raisons de mon engagement. D’ailleurs, je ne demande pas que l’IMG soit étendu aux fœtus à neuf doigts, quand des Françaises vont avorter en Espagne pour cette raison. La France doit tracer sa voie sans regarder les autres pays. Ma démarche est de rechercher, parmi les valeurs qui nous fondent, le plus petit dénominateur commun entre la dogmatique religieuse et le prométhéen.

Je regrette de devoir faire une différence entre la femme de vingt-cinq ans ménopausée, que je peux aider, et celle qui est née sans utérus, pour qui je ne peux rien. Si cette dernière continue de se voir refuser l’accès à la GPA, il faudra en expliquer les raisons. Et, si cette interdiction est dictée par un dogme religieux, cela me gêne.

Invoquer la glissade eugénique du DPI est imprécatoire, dans la mesure où celle-ci ne se produit pas : nos lois, qui existent depuis dix ans, sont bonnes et ont été respectées à la virgule près. Pourquoi craindre que la puce ADN ne nous conduise à un dérapage ? Nous disposons de quatre embryons en moyenne. Si nous faisons agir un test sur une maladie à 25 %, un ou deux embryons disparaissent. Si nous testons deux gènes, souvent il n’y a plus d’embryon. Si une puce ADN teste 300 gènes, il n’y aura jamais d’embryon implantable.

Jacques Testart, en agitant le spectre du tri d’embryon, joue au savant imprécateur. C’est un créneau que je lui laisse. Comment peut-on écrire dans Le Monde que l’on va faire de la sélection d’enfants intelligents ? Sait-on d’ailleurs s’il existe un gène, cent gènes, mille gènes de l’intelligence ? Nous ne nous embarquons pas vers l’inconnu. Nos parlementaires ont établi des lois qui sont strictement respectées et le DPI ne dérapera pas !

C’est aussi la raison pour laquelle je sollicite votre avis sur le DPI oncogénétique, qui constitue un point limite de la loi. Il ne s’agit pas de maladies d’une particulière gravité, mais de « susceptibilités » à des maladies d’une particulière gravité. Je ne veux plus nous voir reprocher d’être des eugénistes en herbe.

Longtemps, je n’ai su quoi répondre aux journalistes qui me disaient que le DPN était une pratique eugénique. Le philosophe américain Philip Kitcher a, depuis, éclairé ma lanterne. Il propose d’analyser un programme génétique selon quatre axes : est-il discriminant ? est-il coercitif ? son fondement génétique est-il correct ? quel en est le but ? Le programme génétique des nazis était extrêmement discriminant et coercitif ; ceux-ci croyaient être en mesure de produire de valeureux guerriers ; ils voulaient instaurer le « Reich de mille ans ». Pour notre part, nous ne discriminons aucun couple et n’obligeons personne à effectuer un DPN. La génétique d’aujourd’hui est juste et le but des couples est simplement d’avoir un enfant en bonne santé. Les deux programmes sont eugéniques, mais placés aux deux extrémités du spectre.

Oui, nous choisissons les enfants à naître dans notre pays, même si cela ne nous plaît pas. Sachez qu’avec le recul de l’âge des mères – quatre ans en vingt ans – 1 600 trisomiques supplémentaires sont conçus chaque année. Ils sont aujourd’hui 30 000, avec une espérance de vie de soixante-quinze ans. Si l’on comptait 1 600 trisomiques supplémentaires par an, l’argent de l’État ne suffirait pas à pallier leur dépendance. Aussi, vous ne pourrez interdire la mise sur le marché d’un test de dépistage de la trisomie 21 par prise de sang. Et, si vous le faisiez, le sang serait envoyé à Las Vegas.

Nous devons accompagner le progrès, en saisissant ce que nous pouvons accepter au nom de nos valeurs judéo-chrétiennes et ce que nous devons refuser au nom des valeurs de notre communauté.

M. le président. Je vous remercie pour cette brillante intervention, et pour la passion et la sincérité dont vous avez fait preuve. C’est la deuxième fois que je vous entends dans l’enceinte de cette assemblée et je constate de nouveau vos efforts pour rechercher, sur ce sujet compliqué, une voie praticable

Audition de M. Marc BENBUNAN, chef du service Biothérapies cellulaires et tissulaires à l’hôpital Saint-Louis et du docteur Jérôme LARGHERO


(Procès-verbal de la séance du 1er avril 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui le Dr Marc Benbunan, chef du service Biothérapies cellulaires et tissulaires à l’hôpital Saint-Louis, et son collaborateur, le Dr Jérôme Larghero.

C’est à l’hôpital Saint-Louis que votre prédécesseur, le Professeur Éliane Gluckman, a procédé, en 1988, à la première greffe à partir de sang de cordon ombilical, dit aussi sang placentaire, sur un enfant atteint de la maladie de Fanconi. Depuis lors, ces thérapies se sont développées et la greffe de sang de cordon est aujourd’hui utilisée dans plus de 85 indications thérapeutiques. Dans le cadre de notre réflexion sur la révision des lois de bioéthique, il est important pour nous d’évaluer les recherches en ce domaine, notamment par rapport à celles portant sur les cellules souches embryonnaires, qui soulèvent des problèmes éthiques. À ce sujet, les dispositions législatives actuelles concernant la recherche sur les cellules embryonnaires vous paraissent-elles satisfaisantes ou souhaiteriez-vous qu’elles soient modifiées pour assurer à ces recherches plus de lisibilité ? Y a-t-il, pour les chercheurs, complémentarité ou concurrence entre les voies de recherche sur les cellules souches embryonnaires et les cellules placentaires ? Vous semble-t-on assez encourager le recours à ces dernières ? Pourquoi la France, pionnière dans les techniques de greffe de sang de cordon, dispose-t-elle aujourd’hui d’un stock de greffons qui la place seulement au 16ème rang mondial ? La systématisation du recueil du sang de cordon en vue d’un usage autologue aurait-elle un fondement scientifique ou n’a-t-elle que des visées commerciales ?

M. Marc Benbunan. Je vous remercie de nous avoir conviés à exposer notre expérience de l’utilisation de sang de cordon ombilical en thérapeutique et en recherche.

La première greffe a en effet eu lieu en 1988 à l’hôpital Saint-Louis, des cellules du sang du cordon d’une petite fille à naître ayant été greffées à un aîné atteint de la maladie de Franconi. Bien qu’intrafamilial, il s’agissait d’un usage allogénique de sang de cordon, avec un donneur différent du receveur, dans des conditions d’histocompatibilité maximale.

Peu après cette intervention thérapeutique pionnière, les premières banques de sang placentaire allogénique ont commencé à se constituer et se sont depuis beaucoup développées. Nous avons effectué à Saint-Louis des études pilotes afin de vérifier que le prélèvement de sang de cordon n’était néfaste ni au bébé ni à la mère. Les premiers travaux ont été lancés en 1990, avant de s’arrêter pour reprendre et s’interrompre de nouveau, tous ces à-coups n’étant imputables qu’à des raisons financières. La constitution de banques de sang de cordon a ainsi végété plusieurs années en France, avant de prendre son essor en 1999 avec la création du Réseau français de sang placentaire auquel ont participé trois établissements à Paris (Saint-Louis), Besançon et Bordeaux. Paris a dû cesser cette activité en décembre 2003, encore une fois faute de financement, avant de la reprendre début 2008, l’Assistance publique, considérant qu’il s’agissait d’un enjeu majeur, ayant alors accepté de financer sur ses propres moyens les sommes nécessaires.

M. le président. Comment expliquez-vous qu’en 2007, 150 000 personnes environ étaient inscrites sur le fichier national des donneurs vivants de moelle osseuse, mais que seulement 6 164 unités de sang de cordon étaient disponibles en France ?

M. Marc Benbunan. Ce faible nombre d’unités de sang tient uniquement à des raisons financières. Nous n’avons cessé de solliciter l’Établissement français des greffes pour obtenir davantage de moyens, nos premiers essais ayant été financés sur des crédits de recherche. En 1999, il avait été proposé qu’un tiers du financement provienne des associations – nous n’en avons pas obtenu grand-chose –, un tiers de la Sécurité sociale, qui nous a effectivement soutenus pendant trois ans, et un tiers de l’Établissement français du sang. Ce sont ces incertitudes de financement qui nous ont conduits à arrêter nos travaux en 2003.

L’inscription sur le registre national d’un grand nombre de donneurs vivants de moelle osseuse est le fruit, elle, de campagnes de sensibilisation et de recrutement. Ces donneurs font simplement connaître qu’ils sont volontaires pour un éventuel prélèvement ultérieur, ce qui n’a aucun coût, alors que la constitution d’unités validées de sang de cordon exige des moyens financiers immédiats, pour le prélèvement et surtout la conservation.

Aujourd’hui, 400 000 unités de sang de cordon sont disponibles dans le monde, dont 150 000 en Europe et 7 000 en France. Et en effet, alors que nous avons été les initiateurs de cette thérapie, notre pays ne se situe plus qu’au 16ème rang mondial. L’objectif de l’Agence de la biomédecine est de doubler à très brève échéance le nombre d’unités disponibles, mais il faudrait aller bien au-delà. Le prix de revient de chaque unité validée, en tenant compte de toutes les opérations effectuées entre le prélèvement et l’inscription sur les registres internationaux, oscille entre 2 000 et 2 500 euros. L’Agence apporte une contribution de 1 000 euros par unité, pour 250 unités au maximum par an et par équipe.

La matière première, ce fameux sang placentaire, est très abondante, avec 800 000 accouchements par an dans notre pays, d’autant que les femmes, lorsqu’elles sont sollicitées, acceptent presque toutes le don. Il n’est néanmoins pas envisageable que toutes les maternités de France puissent opérer ces prélèvements qui sont très encadrés, de façon à garantir toute la sécurité sanitaire nécessaire. Moins de quinze maternités en pratiquent aujourd’hui dans notre pays. Les banques de sang de cordon travaillent en effet dans le cadre d’une étroite coopération internationale, exportant et important des unités en fonction des besoins. La qualité des produits, d’où qu’ils proviennent, doit donc être parfaitement garantie. Cette confiance mutuelle indispensable exige le respect de procédures très strictes et une accréditation. Si un nombre suffisant de maternités pouvait répondre à ces exigences, les objectifs fixés pourraient être rapidement atteints. Il est très frustrant que des femmes qui souhaiteraient donner du sang de cordon ne le puissent pas, simplement parce qu’elles accouchent dans une maternité qui ne pratique pas le prélèvement. L’un des objectifs est aussi de collecter des unités de sang représentant le mieux possible toute la diversité de la population qui vit sur notre territoire, d’où la nécessité d’un échantillon assez large de maternités.

Dans le cas d’usage autologue du sang de cordon, il s’agit de prélever et de conserver du sang de son nouveau-né au cas où celui-ci en aurait ultérieurement besoin lors d’une maladie. Il faut distinguer deux cas, celui des personnes en bonne santé, dans la famille desquelles il n’y a aucune pathologie génétique particulière et qui veulent prendre comme une assurance-vie pour leur enfant, et celui des personnes qui savent qu’il existe dans leur famille certaines pathologies transmissibles et dont la démarche serait plus compréhensible. On pourrait peut-être imaginer dans ces cas très ciblés, bien sûr beaucoup plus restreints, un prélèvement à usage autologue.

Un excellent article paru en juillet dernier montre qu’aucune preuve de l’intérêt d’un usage autologue de sang de cordon n’a pu être scientifiquement établie. En ce domaine, on ne fait pour l’heure que des paris sur l’avenir… Ces prélèvements autologues poseraient de toute façon quantité d’autres problèmes. Une unité de sang de cordon préparée aujourd’hui aura-t-elle conservé toutes ses propriétés dans cinquante ans ? Le sachet de conditionnement résistera-t-il aussi longtemps ? Les cellules recherchées qui, à l’horizon de vingt ans, paraissent avoir conservé tout leur potentiel, l’auront-elles encore au-delà ? À supposer qu’elles aient survécu à une aussi longue congélation, pourra-t-on les extraire facilement ? Si l’on souhaitait prélever du sang de cordon sur chaque nouveau-né, je vous laisse imaginer la logistique nécessaire avec 800 000 accouchements par an dans notre pays ! Au total, hasardeux sur le plan médical, le prélèvement à grande échelle de sang de cordon à usage autologue est quasiment impossible à réaliser sur le plan matériel.

Pour autant, faut-il l’interdire ? Quelque option que l’on prenne, il faut agir en toute transparence et délivrer une information parfaitement sincère. Répondre aux éventuelles demandes permettrait peut-être d’éviter des circuits clandestins, dont j’ignore le volume…

M. le président. Il en existe donc ?

M. Jérôme Larghero. Parler de « circuits clandestins » est peut-être excessif. Mais il est vrai que du sang de cordon français part pour être conservé dans des banques privées étrangères en vue d’un usage autologue sans passer par les voies légales et réglementaires. En effet, en France, ce produit obéit à la réglementation sur les cellules souches. Toute importation ou exportation doit donc en principe être autorisée par l’AFSSAPS ; je doute qu’en l’occurrence ce soit le cas.

M. Marc Benbunan. Les cellules de sang de cordon sont très différentes des cellules souches embryonnaires. Ces dernières sont totipotentes, susceptibles de se différencier en n’importe quelle lignée cellulaire, quand les premières sont seulement multipotentes, ne pouvant déjà plus que se différencier qu’en lignées bien déterminées, comme celles des éléments du sang.

Le sang de cordon a des indications médicales qui ont été validées pour diverses maladies hématologiques, malignes ou non : leucémies, aplasies médullaires, mais aussi drépanocytoses. La greffe de sang de cordon constitue une alternative à la greffe de moelle osseuse. En cas de besoin d’une greffe de cellules souches hématopoïétiques allogéniques, on recherche dans la famille proche un donneur compatible au niveau tissulaire HLA. Dans une famille de plusieurs enfants, on a une chance sur quatre d’en trouver un. Bien entendu, dans une famille plus restreinte, ces chances diminuent. D’où l’intérêt des registres internationaux de donneurs vivants de moelle – on dénombre actuellement onze millions de donneurs dans le monde, dont environ 150 000 en France – mais aussi des registres de sang de cordon. En matière de typage HLA, on retient dix marqueurs antigéniques pour évaluer l’histocompatibilité : une fois sur deux, hélas, on ne trouve pas de donneur présentant les dix mêmes caractéristiques que le receveur. Lorsqu’on recourt à du sang de cordon, on peut se contenter de six marqueurs identiques, ce qui accroît d’autant les chances de trouver un donneur compatible. Les banques de sang de cordon permettent donc de trouver des solutions là où il n’y en aurait pas avec des donneurs vivants de moelle. Il existe toutefois une injustice ethnique : les patients d’origine européenne ou nord-américaine ont plus de chance de trouver un donneur compatible que les autres. D’où l’intérêt de prélever du sang de cordon sur des patients de toutes origines afin d’enrichir les banques d’une plus grande diversité d’échantillons de population.

Un autre intérêt des cellules de sang de cordon est qu’encore « naïves », n’ayant jamais été confrontées à aucun élément extérieur à l’organisme, elles se révèlent beaucoup moins agressives chez le receveur. Elles ont de surcroît une plus grande capacité de prolifération et donc d’hématopoïèse.

Lors d’un prélèvement de moelle osseuse chez l’adulte, on prélève la quantité dont on a besoin au regard de la corpulence du patient à greffer. Pour ce qui concerne le sang de cordon, le prélèvement est, de fait, limité à la quantité de sang contenu dans le cordon ombilical, après qu’il ait été clampé au moment de la naissance de l’enfant. Cette quantité étant forcément limitée, en médiane entre 70 et 80 ml, la greffe de sang de cordon ne semblait indiquer au départ que pour des patients de petit poids comme les enfants. Dans le cas de patients adultes – puisqu’il arrive maintenant que l’on greffe du sang de cordon à des adultes, ce qui constitue un grand progrès –, on propose de greffer en même temps deux unités provenant de deux cordons différents, répondant aux mêmes exigences de compatibilité avec le receveur, de façon à garantir une richesse cellulaire suffisante au vu du gabarit de la personne.

M. Jérôme Larghero. L’avantage des banques de sang de cordon est que les greffons y sont immédiatement disponibles, ce qui raccourcit d’autant les délais. Toutes les mesures de « sécurisation » sanitaire du don ont été prises lors du prélèvement.

M. Jean-Marc Nesme. Comment expliquez-vous le manque de financement de cette activité ?

M. Marc Benbunan. Dans les premières années, un grand scepticisme a prévalu sur l’avenir de ces thérapies et l’intérêt des banques de sang de cordon. Puis nous avons eu affaire à des tutelles qui non seulement ne savaient pas comment procéder, mais étaient totalement dépourvues de moyens. Cela explique que les choses aient longtemps végété. Y a-t-il maintenant d’autres éléments qui jouent ? Je ne le sais pas.

M. Xavier Breton. Combien d’équipes préparent ainsi du sang de cordon ?

M. Marc Benbunan. Quatre, quatre autres essayant actuellement de devenir opérationnelles.

M. Jérôme Larghero. Cela ne signifie pas que nous nous limitions à 250 unités par an. Si nous pouvons aller au-delà, nous irons, mais nul ne peut nier qu’il existe un problème financier.

Mme Marie-Thérèse Hermange, sénatrice, membre du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. Une étude anglaise récente a montré qu’il serait raisonnable que chaque pays européen puisse disposer de 50 000 unités, alors que l’Agence de la biomédecine ne fixe, elle, un objectif que de 10 000. Qu’en pensez-vous ?

M. le président. Le pays d’Europe qui possède le plus d’unités disponibles, c’est l’Espagne qui en a 16 000…

Mme Marie-Thérèse Hermange. … mais s’est fixé un objectif de 35 000.

L’absence de politique publique en France en matière de sang de cordon explique peut-être que certains soient tentés de développer des banques privées.

Vous l’avez dit, la drépanocytose, maladie fréquente parmi les populations africaines, peut être traitée par une greffe de sang de cordon. Conduire dans notre pays, qui a une importante population immigrée, une réelle politique publique afin de développer le don de sang de cordon constituerait aussi un geste de solidarité envers les pays d’Afrique, vers lesquels nous pourrions exporter des unités.

Enfin, des travaux sont-ils actuellement menés, notamment à l’hôpital militaire de Percy, sur les cellules mésenchymateuses ? Si oui, où en sont-ils ?

Mme Martine Aurillac. À quels stades intervient exactement l’Agence de la biomédecine ?

M. Marc Benbunan. L’Agence, qui coordonne tout ce qui concerne les greffes, s’occupe donc logiquement de la greffe de sang de cordon. C’est une excellente chose. Nous avons besoin d’une tutelle qui s’investisse sur le sujet. L’Agence participe au financement de l’équipement initial des équipes, puis partiellement aux dépenses ultérieures, à hauteur de 1 000 euros par unité, pour 250 unités au maximum par an et par équipe. Chaque fois qu’une équipe a validé un sang de cordon, elle demande à ce qu’il soit enregistré dans le registre tenu par l’Agence, laquelle fait alors savoir si elle peut ou non apporter une contribution.

L’objectif visé de doubler le nombre actuel d’unités disponibles doit s’entendre à très court terme, d’ici un an. À moyen ou plus long terme, il faudrait en effet arriver à 50 000 unités. L’Assistance publique s’est d’ailleurs engagée sur un objectif d’enregistrement de mille nouvelles unités par an pendant cinq ans, soit un dixième de l’effort national nécessaire. Bien entendu, l’objectif à terme de 50 000 unités dépasse les besoins nationaux et tient compte des exportations. Il faut surtout que parmi ces unités soit le mieux possible représentée toute la diversité de la population qui vit sur notre territoire.

M. le président. Opposer, comme on le fait parfois, les recherches sur le sang de cordon et sur les cellules souches embryonnaires a-t-il un sens ? Les deux ne doivent-elles pas continuer en parallèle ?

M. Jérôme Larghero. Les cellules souches embryonnaires et les cellules de sang de cordon ont des caractéristiques et des potentialités différentes. Je n’ignore pas le débat éthique que peut susciter l’éventuelle utilisation thérapeutique de cellules souches embryonnaires. Cela étant, on en est encore loin, bien que la société américaine Geron Corporation vienne d’obtenir l’autorisation de la FDA (Food and Drug Administration) de procéder à des essais cliniques chez l’homme dans le traitement de maladies neurodégénératives. Pour ce qui est de la recherche fondamentale, les deux ne s’opposent pas, car ce sont deux types de cellules différentes, aux mécanismes de différenciation différents. Il faut poursuivre les recherches dans les deux voies.

M. le président Alain Claeys. C’est également ce que je pense.

M. Xavier Breton. Qu’il s’agisse des cellules souches embryonnaires ou des cellules de sang de cordon, des recherches sont-elles toujours effectuées d’abord sur l’animal, avant que l’on passe aux essais cliniques chez l’homme ?

M. Jérôme Larghero. En France, comme dans la majorité des pays développés, avant tout essai clinique chez l’homme, les modèles doivent, heureusement, avoir été validés in vitro puis chez l’animal, quel que soit le type de cellule utilisé.

Mme Marie-Thérèse Hermange. Existe-t-il en dehors des maladies du sang, d’autres indications thérapeutiques pour les cellules du sang de cordon ? Peuvent-elles servir à traiter aussi des adultes, et non pas seulement des jeunes enfants ?

M. Jérôme Larghero. Le sang de cordon est désormais utilisé aussi pour des sujets plus âgés qui ont besoin de greffes de cellules souches hématopoïétiques, dans le cas d’hémopathies, malignes ou non. À l’hôpital Saint-Louis, depuis un an, lorsque nous greffons des adultes, nous utilisons systématiquement un double sang de cordon.

Pour l’heure, il n’a pas été formellement établi que les cellules issues de sang de cordon, hématopoïétiques ou non, pouvaient avoir chez l’homme d’autres applications thérapeutiques que dans des maladies du sang. S’agissant des cellules souches mésenchymateuses, on en trouve facilement dans la moelle osseuse ou dans le tissu adipeux, alors qu’il est plus difficile de les extraire du sang de cordon. On les trouverait plus facilement dans le cordon lui-même.

M. Marc Benbunan. Il faut toujours garder présente à l’esprit la distinction entre usage autologue et usage allogénique. Dans le premier cas, il n’y a aucun risque de rejet immunologique. Dans le second cas, des traitements immuno-suppresseurs sont nécessaires, qui présentent toujours le risque de provoquer l’apparition de pathologies, comme certains cancers.

Les cellules souches embryonnaires relèvent d’un usage allogénique. D’où d’ailleurs tout l’intérêt des recherches sur la reprogrammation de cellules adultes qui permet de leur restituer la totipotence des cellules souches embryonnaires. Si les résultats sont concluants, cela éviterait d’avoir à conserver plus de 50 ans du sang de cordon, dans des conditions optimales difficiles à garantir sur des périodes aussi longues.

M. Paul Jeanneteau. En l’état actuel des recherches, la reprogrammation des cellules adultes donne-t-elle des cellules possédant exactement les mêmes qualités que les cellules souches embryonnaires, auquel cas on pourrait se passer de celles-ci ? Des études comparatives ont-elles été effectuées ?

M. Jérôme Larghero. Toutes les études sur les cellules reprogrammées, les fameuses iPS (induced pluripotent stem cells), sont toujours conduites parallèlement à des études sur les cellules souches embryonnaires. En l’état actuel des connaissances, il ne semble pas qu’il y ait de différence majeure entre ces deux types de cellules, tant en termes d’expression des gènes que de capacité de différenciation.

Un des problèmes initiaux était que pour reprogrammer des cellules adultes, il fallait utiliser des oncogènes, potentiellement inducteurs de tumeurs. Il semble que cela ne soit plus nécessaire et il y a fort à parier qu’à brève échéance, la reprogrammation soit même possible sans procéder à aucune modification génétique majeure. La question se posera alors de savoir si ces cellules adultes reprogrammées, dites aussi cellules « embryonnaires-like », pourront supplanter totalement les cellules souches embryonnaires.

M. le président. On en est toujours au stade de recherches fondamentales ?

M. Jérôme Larghero. Les cellules adultes reprogrammées (iPS) comme les cellules souches embryonnaires sont des cellules totipotentes, c’est-à-dire capables chacune de fabriquer l’ectoderme, le mésoderme et l’endoderme embryonnaires, desquels dérivent tous les tissus et organes. Injectées telles quelles chez l’animal, elles provoquent dans tous les cas des tératocarcinomes. Elles ne seront donc de toute façon utilisées en clinique qu’à un stade différencié. Des protocoles très stricts de différenciation devront être validés.

M. le président. Le vrai sujet pour la recherche fondamentale aujourd’hui, c’est la différenciation.

Mme Martine Aurillac. Y a-t-il déjà eu des cas de guérison en France avec ce que l’on a appelé les « bébés-médicaments » ?

M. Marc Benbunan. Le « bébé-médicament », qui suppose un diagnostic pré-implantatoire, permet de sélectionner un embryon non seulement indemne d’une maladie génétique donnée, mais également HLA-compatible avec un aîné à traiter. On est dans le cas d’un usage allogénique avec donneur immunologiquement sélectionné…

M. Jérôme Larghero. À ma connaissance, il n’y a pas eu de guérison observée en France grâce à un « bébé-médicament ». Un récent reportage télévisé aurait fait état de résultats obtenus à l’étranger.

M. Paul Jeanneteau. Comment provoque-t-on la différenciation cellulaire ?

M. Jérôme Larghero. Nous utilisons pour chaque type de cellules des facteurs de croissance particuliers, mais il faut savoir que, quelle que soit la technique utilisée, nous n’obtenons au mieux dans chaque cas que 40 à 60 % de cellules différenciées. Or, il n’est pas question, vu les risques, d’injecter des cellules indifférenciées.

M. Paul Jeanneteau. Concernant la recherche sur les cellules souches embryonnaires, les dispositions législatives actuelles ont-elles freiné vos travaux ? Vous conviennent-elles ou souhaiteriez-vous qu’elles soient assouplies ?

M. Jérôme Larghero. Étant précisé que je suis d’abord clinicien, et non chercheur fondamental, je n’ai pas personnellement rencontré de problèmes particuliers. Pour tout ce qui concerne les cellules souches, il faut formuler une demande auprès de l’Agence de la biomédecine, mais mes travaux, pour lesquels je collabore avec l’équipe du Pr Menasché, n’en ont en rien pâti. Les recherches sur les cellules souches embryonnaires doivent être encadrées, cela va de soi, mais il serait dramatique pour la recherche française qu’elles soient totalement interdites.

M. le président. Personne ne remet en cause leur encadrement. Là où il y a débat, c’est de savoir si la loi doit les autoriser, dans un certain cadre bien sûr, ou si comme aujourd’hui, elles doivent demeurer interdites, cette interdiction ayant été assortie d’un moratoire de cinq ans pour les protocoles permettant d’escompter un progrès thérapeutique majeur et ne pouvant être menés à bien par une méthode alternative d’efficacité comparable.

M. Jérôme Larghero. Il faudrait que vous interrogiez les chercheurs. Nous nous situons, nous, en aval de leurs travaux, dans le domaine des applications potentielles.

M. le président. Y a-t-il eu déjà ou y a-t-il actuellement des essais pré-cliniques en France avec des cellules dérivées de cellules souches embryonnaires ?

M. Jérôme Larghero. Oui, mais seulement sur des animaux. La question de savoir si l’on peut passer à des essais cliniques chez l’homme devra être tranchée. Nous avons interrogé à la fois l’Agence de la biomédecine et l’AFSSAPS. Toutes deux nous ont dit que cela n’était pas interdit mais leur réponse n’était pas claire.

M. le président. Ce n’est pas à la loi de dire à partir de quand on peut passer à des essais cliniques.

M. Jérôme Larghero. Mais c’est bien à elle de dire si c’est autorisé ou non.

M. le président. La loi ayant institué un moratoire de cinq ans pour les recherches à finalité thérapeutique directe, je vois mal comment on pourrait interdire des essais cliniques !

M. Noël Mamère. M. Benbunan nous a dit que les recherches sur n’importe quelles cellules souches adultes donnaient les mêmes résultats que sur des cellules souches embryonnaires.

M. Jérôme Larghero. Ce n’est pas exactement ce qu’il a dit. Elles n’ont pas les mêmes potentialités.

M. le président. Pourriez-vous à ce point, Messieurs, bien expliquer ce que sont les cellules souches embryonnaires, les cellules souches adultes et les cellules adultes reprogrammées ?

M. Marc Benbunan. Les cellules souches adultes n’ont pas les capacités des cellules souches embryonnaires ni des cellules reprogrammées, car elles sont déjà engagées dans une voie de différenciation. En revanche, il est vraisemblable que les cellules reprogrammées, les fameuses iPS, auront des potentialités identiques à celles des cellules souches embryonnaires. La question est de savoir si, en l’état actuel des connaissances, on peut décider d’arrêter les recherches sur les cellules souches embryonnaires et de tout miser sur les iPS. Ce n’est qu’une fois la reprogrammation totalement maîtrisée et les choses parfaitement claires concernant les iPS qu’on pourra, me semble-t-il, s’interroger sur l’opportunité de poursuivre les recherches sur les cellules souches embryonnaires.

M. le président. On n’en est pas encore là…

M. Michel Vaxès. Est-ce à dire qu’il faudra envisager un autre moratoire ?

M. Jérôme Larghero. Après avoir un temps pensé que la reprogrammation de cellules adultes résoudrait bien des questions éthiques, permettant notamment de se passer des cellules souches embryonnaires, d’autres problèmes sont apparus. Ainsi si n’importe quelle cellule adulte humaine peut être déprogrammée puis reprogrammée pour redevenir totipotente, alors il pourrait être envisageable de fabriquer un embryon à partir de n’importe quelle cellule prélevée sur un individu et qui lui serait identique. Sans aller jusque-là, a-t-on le droit de prélever une cellule chez une personne et de la reprogrammer, sans le consentement de cette personne ?

M. Noël Mamère. Nos sociétés s’autorisent-elles à faire tout ce qui est possible – on sait, depuis Hiroshima, ce dont l’homme est capable ! – ou s’imposent-elles à elles-mêmes des limites ? En sont-elles même capables ? Est-ce à la loi de fixer ces limites ?

M. Jérôme Larghero. Nos recherches sont plus encadrées en France que dans d’autres pays, et il faut nous en féliciter ! Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de scientifiques qui se livreraient à de telles expériences dans notre pays.

M. Noël Mamère. Ne faudrait-il pas une gouvernance mondiale en matière éthique et scientifique ?

M. le président. D’où l’intérêt de lois de bioéthique. Pour le reste, mon sentiment est que, pour faire avancer la recherche fondamentale, il faudra encore longtemps travailler sur tous les fronts simultanément avec la même intensité.

M. Jérôme Larghero. En effet, il ne saurait être question de tout miser sur les cellules souches embryonnaires, non plus que sur les cellules adultes reprogrammées. Toutes les pistes, y compris celle du sang de cordon, doivent être explorées en même temps et bénéficier des mêmes financements.

M. le président. Il serait intéressant de savoir combien l’Agence nationale de la recherche mobilise de crédits publics sur ces sujets.

Mme Marie-Thérèse Hermange. Elle consacre onze millions d’euros aux recherches sur le sang de cordon.

M. le président. Pourriez-vous, Messieurs, nous dire maintenant un mot des banques privées de sang de cordon ?

M. Marc Benbunan. Elles ne sont aujourd’hui ni interdites ni autorisées ! J’ignore si l’AFSSAPS a déjà reçu des demandes qu’elle aurait refusées. Nous sommes, nous, régulièrement contactés par des équipes qui souhaitent constituer des banques privées de sang de cordon à usage autologue. Pour ma part, je ne suis pas du tout convaincu des possibilités ni de l’utilité de l’usage autologue, mais je ne voudrais surtout pas que cet aspect brouille le message sur l’usage allogénique. Faut-il donc interdire les banques privées ? Comme en toute chose, à trop vouloir interdire, on suscite des circuits alternatifs qui échappent à tout contrôle. 

Certains ont proposé la constitution de banques solidaires où le sang placentaire conservé le serait pour partie pour un usage autologue, pour partie pour un usage allogénique. La proposition est ingénieuse car une démarche perçue au départ comme très égoïste se teinte ainsi d’altruisme. Pourquoi pas si cela permet d’obtenir des financements privés ? Mais quoi qu’il en soit, il faut disposer de financements publics à la hauteur des enjeux. Il ne faudrait surtout pas que le don solidaire pallie les insuffisances de nos tutelles.

Mme Marie-Thérèse Hermange. S’il y avait une vraie politique publique d’envergure en ce domaine, la question se poserait de manière différente. Pourquoi ne pas imaginer un registre national du don solidaire ? Ce ne serait que réinventer le principe mutualiste de solidarité.

M. Marc Benbunan. J’en suis tout à fait d’accord. Si une solidarité peut s’exercer en plus, tant mieux, mais cela ne doit pas servir de béquille au dispositif public qui doit par lui-même bénéficier des financements nécessaires.

M. le président. Je vous remercie, Messieurs, de vos interventions.

Audition de M. Bertrand MATHIEU, professeur à l’université Paris I-Panthéon-Sorbonne, directeur du Centre de recherches de droit constitutionnel


(Procès-verbal de la séance du mercredi 1er avril 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir une nouvelle fois M. Bertrand Mathieu, agrégé de droit public, professeur à l’Université Paris I-Panthéon-Sorbonne, président de l’Association française de droit constitutionnel et membre du comité exécutif de l’Association internationale de droit constitutionnel.

Monsieur le professeur, vous êtes l’auteur de nombreux ouvrages relatifs aux droits et libertés fondamentaux. Parmi vos travaux portant sur la bioéthique, on citera Génome humain et droits fondamentaux (2000), Les normes internationales de la bioéthique (2004), Le droit à la vie (2005).

Les nombreux problèmes que pose la bioéthique renvoient à des notions aussi importantes que le respect de la vie, la dignité de la personne humaine, la protection des intérêts de l’enfant, la liberté de la recherche ou l’intérêt, pour la société, des progrès de la connaissance médicale. Nous aimerions savoir comment, selon vous, s’organisent ces différentes notions au regard des principes et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

En ce qui concerne la recherche sur l’embryon, vous avez jugé « ambiguë » la position du Conseil constitutionnel et vous avez écrit ceci : « La reconnaissance, même indirecte, de la protection de l’embryon humain au nom du principe de dignité interdit qu’il soit traité comme objet. Or faire de l’embryon un matériau de recherche traduit une totale réification de ce dernier. »

Faut-il en déduire que le socle des principes fixés par les deux premières lois de bioéthique doit être précisé, complété ou modifié ? Les constitutions des autres pays européens vous semblent-elles avoir apporté aux problèmes de bioéthique des réponses dont nous pourrions nous inspirer ? Les normes internationales en cette matière vous paraissent-elles suffisamment contraignantes ? Sur toutes ces questions, vos analyses nous apporteront un éclairage précieux.

M. Bertrand Mathieu. Je vous remercie de m’avoir invité à nouveau à présenter mes observations. Je crains cependant de devoir encore jouer les Cassandre, au moment où nous nous trouvons à un nouveau tournant. En effet, je suis à la fois réaliste, résigné devant des évolutions inéluctables, et réellement inquiet de voir s’opérer lentement une rupture entre notre législation et les valeurs humanistes.

Comment se forme le droit de la bioéthique ?

Le droit exige la cohérence car c’est un point fixe de notre société. Il peut obéir à plusieurs logiques, mais il ne peut en aucun cas être incohérent. Sa légitimité repose essentiellement sur sa vocation à traduire et à faire respecter un système de valeurs autour duquel la société se construit. Il doit s’écarter de deux tentations : ignorer les évolutions techniques et sociales pour s’en tenir à la pureté de règles de ce fait inadaptées ; réduire le rôle du législateur à celui d’un notaire, s’employant uniquement à transcrire ces évolutions en règles juridiques.

L’emprise de la science sur le droit se manifeste par le caractère provisoire de la loi : ainsi, la législation relative à la bioéthique est l’objet d’une mise en chantier quasi permanente. Le législateur est partagé entre plusieurs exigences : le respect de la primauté de l’homme et de l’individu, qui est au cœur des droits fondamentaux ; l’adaptation à la logique scientifique, à la logique de santé publique, à la logique compassionnelle, à la logique économique ; enfin, la concurrence des normes internationales. Le risque est que le fossé se creuse entre des principes en apparence immuables et des dispositions techniques de plus en plus dérogatoires, au point que cette distorsion amène à revenir non pas sur les dérogations mais sur les principes eux-mêmes. Ces dérogations reflètent une vision anglo-saxonne de l’homme, plus utilitariste.

Dans l’architecture que dessine le débat préalable à la révision de la loi de 2004, le législateur est conduit à fixer un cadre très général, les problèmes devant ensuite être réglés au moyen des règles procédurales et par des organes indépendants, en général gérés par des médecins et des scientifiques, telle l’Agence de la biomédecine.

M. le président. Pensez-vous que la loi soit trop générale ?

M. Bertrand Mathieu. Pas aujourd’hui, mais je crains qu’elle ne le devienne.

M. le président. Vous n’êtes donc pas favorable à une loi-cadre.

M. Bertrand Mathieu. Il faudrait s’interroger sur sa constitutionnalité. En effet, dans ses dernières décisions, le Conseil constitutionnel s’est montré attaché aux « incompétences négatives » du législateur ; il est possible que sur des questions qui intéressent très directement les droits fondamentaux, il estime du devoir du législateur de ne pas rester dans l’imprécision. Aussi faudra-t-il veiller à respecter un équilibre entre ce qui est décidé par le législateur et ce qui est renvoyé à des autorités indépendantes.

Si des questions comme celle des tests génétiques de prédisposition, aux conséquences majeures, étaient réglées par l’Agence de biomédecine, la France se trouverait dans la position décrite par le Conseil de bioéthique américain lorsqu’il déclarait en 2003 : « Une société nouvelle se met en place sans que l’Amérique ne l’ait décidé ». Quand une question comporte des enjeux essentiels, la démocratie et la Constitution veulent que le législateur ne renvoie pas son traitement à une autorité indépendante.

Le débat sur l’évolution du droit de la bioéthique doit répondre à plusieurs exigences. Tout d’abord, il ne doit pas être escamoté par des tours de passe-passe sémantiques consistant à créer de nouvelles catégories – je pense notamment à la discussion sur le « pré-embryon ». Ensuite, il ne doit pas être manipulé par l’émotionnel – sur la question de la fin de vie, le Parlement a su résister à la pression qu’exerçait l’actualité. Enfin, il ne doit pas prendre en compte seulement les conséquences espérées des décisions sur le plan économique ou scientifique : remettre en cause un principe, c’est faire tomber un verrou que l’on ne pourra plus utiliser pour interdire de nouvelles pratiques. Ainsi, si l’embryon venait à être considéré comme un matériau, il ne serait plus possible d’empêcher son utilisation à des fins économiques. On ne peut pas avoir pour seules limites la faisabilité technique et la sensibilité émotionnelle de l’opinion, par définition provisoires et évolutives.

J’en viens à une brève analyse de quatre pratiques biomédicales : les tests prénataux, la recherche sur l’embryon, les « mères porteuses » et le transfert d’embryon post mortem.

Le développement des tests prénataux porte en soi le risque d’eugénisme. Une précaution oratoire veut que ce terme soit escamoté du débat, mais l’idée d’une sélection des êtres humains est ancrée dans les doctrines eugénistes : eugénisme hygiéniste, très prégnant dans le milieu médical de l’entre-deux-guerres ; eugénisme idéologique et totalitaire du nazisme ; eugénisme à la fois scientifique et compassionnel d’aujourd’hui.

Le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) montre bien que si les dépistages de prédispositions venaient à se développer, cela favoriserait la sélection d’un enfant sur-mesure. Ce risque est pour le moment limité par les difficultés techniques, mais il appartient au législateur de se montrer très vigilant.

M. le président. Selon vous, la loi actuelle encadre-t-elle suffisamment le diagnostic préimplantatoire (DPI) ?

M. Bertrand Mathieu. Il faut faire une distinction entre les tests prénataux et le diagnostic préimplantatoire, pour lequel le cadre actuel de la loi me paraît satisfaisant, mais le législateur ne doit pas renvoyer trop largement à des organismes indépendants le soin de réguler le recours aux tests.

M. le président. Précisément, quel regard portez-vous sur l’Agence de la biomédecine ? Considérez-vous qu’elle dispose de pouvoirs que le législateur devrait exercer plus directement ?

M. Bertrand Mathieu. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) avait essentiellement un pouvoir d’avis ou de proposition. L’Agence de la biomédecine, très largement dominée par le milieu scientifique et médical, est dotée d’un pouvoir de décision peut-être trop important. La position qu’elle a adoptée sur le diagnostic précoce de prédispositions à certains cancers illustre son grand pouvoir décisionnaire sur des questions dont les enjeux sont trop considérables pour qu’elles soient confiées à un organisme indépendant. Le législateur devrait encadrer le principe même des tests de prédisposition et déterminer les conditions dans lesquelles on peut y recourir ; il pourrait revenir ensuite à l’Agence de la biomédecine de décider quelles sont les affections qui entrent dans le cadre fixé par la loi.

Deuxième sujet : les recherches sur l’embryon. Je ne veux pas me faire le chantre d’une protection absolue de l’embryon, mais comme le relève Jürgen Habermas, l’autorisation de conduire des recherches sur l’embryon transforme la perception culturelle de la vie humaine.

La très forte demande provenant du secteur de la recherche, motivée par des espoirs peut-être excessifs, ne doit pas faire oublier les principes qui sont en jeu. Le débat est perverti par un renvoi abusif à la question de l’interruption volontaire de grossesse, alors qu’il s’agit dans ce dernier cas de concilier la liberté personnelle de la mère et la protection de la vie de l’embryon, et non d’utiliser un embryon à des fins collectives.

L’évolution de la législation s’est opérée en plusieurs phases. En 1994, on décide, au motif d’une contrainte factuelle, qu’il est possible de détruire les embryons surnuméraires : à partir du moment où ces embryons existent et ne sont pas implantés, on ne peut les maintenir indéfiniment et artificiellement en vie. En 2004, on décide de maintenir le principe de l’interdiction de la recherche sur les embryons, tout en permettant à titre exceptionnel, dérogatoire et provisoire, l’utilisation à des fins de recherche d’embryons surnuméraires voués à la destruction : il s’agit en quelque sorte d’un effet d’aubaine, limité dans le temps. Aujourd’hui, on envisage une rupture avec le principe d’interdiction : les recherches seraient autorisées mais entourées de garanties essentiellement procédurales.

Cette évolution doit être examinée au regard de sa conformité à la Constitution. La référence la plus pertinente est la décision du 27 juillet 1994 du Conseil constitutionnel, dont l’un des considérants est rédigé ainsi : « Considérant que le législateur a assorti la conception, l’implantation et la conservation des embryons fécondés in vitro de nombreuses garanties ; que cependant, il n’a pas considéré que devait être assurée la conservation, en toutes circonstances, et pour une durée indéterminée, de tous les embryons déjà formés ; qu’il a estimé que le principe du respect de tout être humain dès le commencement de sa vie ne leur était pas applicable ». Cette rédaction implique que les embryons in vitro bénéficient d’une protection constitutionnelle, même si le principe de dignité n’est pas évoqué ; le Conseil constitutionnel considère que le législateur dispose d’une marge de manœuvre importante vis-à-vis de ces embryons car ils ne sont pas protégés de la même façon que les embryons in vivo.

La question est de savoir si la mise en cause du principe d’interdiction des recherches sur l’embryon – interdiction qui ne peut que découler de la reconnaissance du principe de dignité – porte atteinte au principe de protection. Par réalisme, nous écarterons l’hypothèse consistant à mettre fin aux dérogations ouvertes par la loi de 2004 à l’interdiction des recherches : d’une part, le caractère expérimental du recours à de telles recherches était un faux-semblant ; d’autre part, il est difficile d’arrêter les recherches, du fait de la concurrence économique et scientifique des autres pays.

M. le président. La rédaction actuelle vous semble-t-elle satisfaisante ?

M. Bertrand Mathieu. Elle ne le serait plus si l’on faisait disparaître le caractère provisoire de l’autorisation. Si, par réalisme, l’on acceptait l’idée de pérenniser l’autorisation de recherches, même à titre dérogatoire, on ne pourrait évidemment plus maintenir le principe d’interdiction. Le législateur devrait alors rappeler que l’embryon humain est protégé, dans le même temps que cette protection est limitée dans certaines circonstances et sous certaines conditions. Il faudrait qu’il rappelle au niveau des principes – et non s’agissant des conditions dans lesquelles les recherches doivent être conduites – que les recherches ne conduisant pas à la destruction d’embryons doivent être privilégiées. Une telle rédaction permettrait la poursuite des recherches que le législateur souhaiterait autoriser, tout en ne rompant pas complètement avec le principe selon lequel l’embryon humain, quelle que soit sa situation, ne peut être assimilé à un matériau de laboratoire. Au surplus, elle s’inscrirait dans la logique de la jurisprudence constitutionnelle.

M. Paul Jeanneteau. Vous souhaitez que le législateur précise que les recherches ne conduisant pas à la destruction d’embryons sont privilégiées. De quelles recherches s’agit-il ?

M. Bertrand Mathieu. Je vise des recherches pouvant conduire aux mêmes résultats, telles les recherches sur les cellules souches adultes. Ce que la rédaction actuelle pose comme condition d’autorisation des recherches pourrait être rappelé au niveau des principes.

M. Paul Jeanneteau. La rédaction que vous suggérez ne serait-elle pas plus permissive que celle de 2004 ?

M. Bertrand Mathieu. Vous avez raison. Mais il est impossible de laisser la loi en l’état, puisqu’elle pose des règles provisoires. Il y a deux solutions : interdire toutes les recherches ou autoriser leur poursuite. Si cette dernière hypothèse devait être retenue, il faudrait maintenir le principe selon lequel l’embryon bénéficie d’une protection, fût-il in vitro, ce qui permettra de résister dans l’avenir à d’autres utilisations.

M. Michel Vaxès. Les exigences du droit ne pèsent-elles pas sur la légitimité des choix ? Vous avez cité le Conseil constitutionnel, qui prend une position philosophique en évoquant le « respect de tout être humain dès le commencement de sa vie » – et non « de tout être vivant ». Dès lors que l’embryon est une potentialité de personne, on lui reconnaît une dignité, mais lorsqu’il ne fait pas l’objet d’un projet parental, son statut change, ce qui justifie la dérogation prévue par la loi de 2004. Que nous soyons juge du droit, législateur ou scientifique, nous restons soumis à cette incertitude philosophique qui pèse sur le statut de l’embryon. N’est-ce pas au moyen d’instances collégiales permettant de confronter les différentes approches que nous pourrons apporter les meilleures réponses à toutes nos questions ? Si le scientifique ne peut dire la loi, le législateur ne peut pas s’exprimer à la place du scientifique. C’est la raison pour laquelle nous devons en permanence osciller entre le cadre que fixe la loi et l’utilisation qui en est faite.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Dans l’hypothèse où le législateur déciderait d’autoriser la poursuite des recherches, deux rédactions seraient possibles : les recherches sont interdites, mais il existe des dérogations ; les recherches sont autorisées, mais sous conditions. Ces deux formulations ont-elles la même force légale ?

M. Bertrand Mathieu. Les conséquences juridiques directes ne seraient pas tout à fait les mêmes car lorsqu’un texte d’application ne répond pas à une situation donnée, on remonte au principe ; or ici les principes – interdiction, autorisation – sont opposés. Le droit est la construction d’un système de références. En ce sens, il me paraît nécessaire de poser comme principe que l’embryon humain est protégé ; on peut ensuite autoriser des recherches à titre dérogatoire.

M. Xavier Breton. Pourquoi ne voulez-vous pas de dispositions provisoires ? Y voyez-vous une incohérence juridique ? Ce serait pourtant une solution sur le plan politique.

M. Bertrand Mathieu. Il n’est pas bon qu’il y ait une distorsion entre la réalité et ce que dit la loi : il ne faudrait pas que la recherche se développe en catimini pendant que la loi maintient le principe de son interdiction sauf exception. Dès lors que l’on peut s’attendre à un développement de la recherche sur l’embryon, il serait illogique que la loi ne l’autorise qu’à titre provisoire.

Monsieur Vaxès, pour le Conseil constitutionnel, le principe de dignité est un principe de valeur absolue. Le principe de respect de la vie humaine dès son commencement en découle, mais ce n’est pas un principe de valeur absolue. Vous faites référence au projet parental, mais la reconnaissance de la dignité d’un être humain ne peut dépendre d’un tiers, fût-il le père ou la mère.

S’agissant des rapports entre la science et le droit, le Conseil d’État a employé dans un rapport la formule suivante : « Face à la science qui s’assigne de connaître ce qui est, il revient au droit d’assurer la fonction normative et de dire ce qui doit être ». Le législateur a une fonction spécifique qui ne peut se réduire à celle d’un pourvoyeur de normes au service de la science.

M. Paul Jeanneteau. Ne pourrait-on écrire que l’embryon humain est protégé et que la recherche est donc interdite, sauf dérogation ?

M. Bertrand Mathieu. Il faudrait alors encadrer les dérogations : la loi ne peut pas poser le principe de l’interdiction de la recherche et donner à l’Agence de la biomédecine la possibilité de définir elle-même des dérogations. Si je m’en tenais aux seuls principes, ma position serait plus tranchée, mais j’essaie de les concilier avec le réalisme. Sans principes, au nom de quoi interdira-t-on dans l’avenir la création de chimères ? L’Agence de la biomédecine a déjà, me semble-t-il, été saisie de ce sujet.

Le principe de protection de l’embryon humain est encore plus fortement remis en cause par la création d’embryons à des fins de recherche. Si celle-ci devait être autorisée, on ne pourrait plus – à moins d’être totalement incohérent – maintenir le principe d’interdiction de la recherche sur l’embryon. Mais l’atteinte au principe de protection serait double puisqu’il ne s’agirait plus seulement de l’utilisation – qui découle d’un effet d’aubaine lorsqu’il s’agit des embryons surnuméraires –, mais également de la création d’embryons.

M. le président. L’article 18 de la convention d’Oviedo prévoit que « lorsque la recherche sur les embryons in vitro est admise par la loi, celle-ci assure une protection adéquate de l’embryon ; la constitution d’embryons humains aux fins de recherche est interdite ». La France n’a pas ratifié cette convention.

M. Bertrand Mathieu. Cela montre bien comment se prennent les engagements internationaux : on ratifie un texte non pour s’obliger, mais si la législation nationale n’est pas en contradiction avec lui.

Par une interprétation extrêmement extensive de cet article, on a considéré qu’il s’agissait d’une protection globale de l’embryon, mais qu’on ne visait pas l’embryon singulier sur lequel on effectuait une recherche. La vraie rupture serait de considérer que la création d’embryons à des fins de recherche peut être autorisée bien qu’elle soit interdite ! Cela ne pourrait se faire que par des tours de passe-passe sémantiques – car le problème du droit international est que l’on peut lui faire dire à peu près ce que l’on veut.

On avait initialement prévu dans cette convention une formule très cohérente, associant la protection de la dignité de l’être humain – notamment, donc, de l’embryon – et la protection des droits fondamentaux de la personne humaine – que l’embryon n’est pas : l’embryon, donc, n’était pas titulaire de droits mais était protégé au nom du principe de dignité. Mais pour satisfaire les pays anglo-saxons, on a préféré renvoyer la définition de l’être humain aux pays. Ainsi, le destinataire de la norme de droit est devenu le libre interprète de ce qu’elle signifie ! On voit là toutes les limites du droit international.

Si l’on autorise la création d’embryons pour la recherche, il faudra un jour répondre à la question de l’implantation de tels embryons. S’il arrivait que l’on considère l’implantation d’un embryon cloné comme nécessaire pour la guérison d’un enfant malade, il n’y aurait aucun moyen de s’y opposer. Il y aurait alors une incohérence juridique : le clonage reproductif, condamné comme crime contre l’espèce humaine, pourrait être autorisé sous certaines conditions.

J’en viens aux « mères porteuses ». La Cour de cassation a considéré que la gestation pour autrui (GPA) était contraire à l’ordre public ; cependant il ne lui revient pas de dire le droit à la place du législateur, et le débat reste ouvert. La question à laquelle nous sommes d’ores et déjà confrontés est celle du « tourisme procréatif », qui met le juge devant une situation de fait.

De façon sous-jacente, nous assistons à la revendication d’un « droit à l’enfant », très dangereuse car elle risque de conduire à un « choc frontal » avec le droit « de » l’enfant. On ne saurait invoquer un principe d’égalité entre les femmes – car nous sommes tous inégaux devant la vie.

La GPA pose par ailleurs le problème du sort de l’enfant, la mère qui a porté l’enfant pouvant décider de le garder : le destin de l’enfant, son lien de parenté sont choisis par l’une ou l’autre des parties. C’est une forme d’instrumentalisation de l’humain, qui s’ajoute à l’instrumentalisation de la femme. En outre, si la France admettait la GPA, la parenté pourrait être reconnue dans le cas d’enfants conçus et portés selon ses règles, et non reconnue dans le cas de mères porteuses vivant dans un pays aux règles différentes ; nous serions ainsi confrontés au même problème qu’aujourd’hui. Il faut donc être extrêmement prudent sur ce sujet.

M. Paul Jeanneteau. Sur quoi la Cour de cassation se fonde-t-elle pour dire que la GPA est contraire à l’ordre public ?

Par ailleurs, quel statut pour l’enfant né à l’étranger d’une GPA – qui peut, semble-t-il, être reconnu par son père ? Le problème du statut est plus encore celui de la femme qui va élever l’enfant. La loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale y apporte-t-elle une réponse, ou faut-il envisager autre chose ?

M. Bertrand Mathieu. La Cour de cassation a jugé contraire à l’ordre public français d’établir un lien de filiation entre une femme et un enfant qui a été porté par une autre femme, dans la mesure où c’est une remise en cause du lien de filiation qui existe nécessairement entre l’enfant et la femme qui l’a porté, sauf volonté contraire de l’intéressée.

Certes, il faut trouver une solution pour les enfants portés à l’étranger, délégation de l’autorité parentale ou autre, mais à mes yeux elle ne passe pas par l’établissement d’un lien de filiation. De plus, on risque d’ouvrir la voie à tous les trafics, puisqu’il y aura nécessairement un marché, avec des mères porteuses étrangères sur le sort desquelles on fermera les yeux.

M. Xavier Breton. Dans l’opposition que vous faites entre le « droit à l’enfant » et le droit « de » l’enfant, comment se situe la notion de « projet parental » ? Est-ce une notion moderne ou existe-t-elle depuis longtemps ? Ne penche-t-elle pas du côté du « droit à l’enfant » ?

M. Bertrand Mathieu. C’est une notion relativement nouvelle, créée lorsqu’il est devenu possible qu’un enfant échappe à ce projet.

Le « droit à l’enfant » n’est pas le droit pour un couple d’avoir un enfant, mais le droit d’obtenir de la société qu’elle l’aide à fabriquer un enfant, à n’importe quelles conditions. Cette demande doit nécessairement être encadrée.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Pourquoi avez-vous parlé de « choc frontal » entre droit à l’enfant et droit de l’enfant ?

M. Bertrand Mathieu. Le conflit entre les deux est illustré, par exemple, par le fait qu’une méthode de procréation médicalement assistée comme l’ICSI pourrait transmettre la stérilité masculine, ou encore que l’enfant de parents sourds-muets pourrait l’être aussi.

Le dernier point que je voudrais aborder est le transfert d’embryon post mortem, au sujet duquel ma position est différente.

Il me paraît en effet paradoxal qu’un embryon qui existe puisse être transféré à un couple tiers, détruit ou utilisé à des fins de recherche, mais qu’il ne puisse pas être implanté dans l’utérus de la femme qui est à l’origine de son existence. L’argument tenant à la structure familiale d’accueil ne peut être invoqué de la même manière que s’il s’agissait d’une fécondation post-mortem : personne ne songe à demander qu’on fasse avorter une femme enceinte qui devient veuve ou perd son compagnon.

Mais dans l’hypothèse où le transfert d’embryon post mortem viendrait à être autorisé – et je ne vois pas de principe qui s’y oppose –, il faudrait l’entourer de garanties. Deux me paraissent essentielles : l’une serait de recueillir systématiquement le consentement du père lors du recours à l’AMP. La seconde serait de limiter cette autorisation dans le temps, toujours dans le souci de se rapprocher du fonctionnement de la famille naturelle, comme on le fait pour le droit des procréations médicalement assistées.

M. le président. La commission présidée par Mme Simone Veil a-t-elle eu raison de ne pas vouloir faire figurer des principes de bioéthique dans le préambule de la Constitution ?

M. Bertrand Mathieu. Le comité présidé par M. Edouard Balladur, dont j’étais membre, s’est posé la question de l’introduction du principe de dignité dans le préambule. Mais très vite, il est apparu que les définitions qui pouvaient en être données étaient contradictoires et qu’il serait impossible de trouver un consensus entre ceux pour qui il s’agissait d’un principe objectif – comme dans les autres pays d’Europe continentale – et ceux qui l’assimilaient au principe de liberté – comme dans les pays anglo-saxons. La commission présidée par Mme Simone Veil a dû éprouver ce genre de difficultés.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Concernant le diagnostic préimplantatoire, votre position est-elle bien que les dispositions de la loi sont satisfaisantes et qu’il ne faut pas les modifier ?

M. Bertrand Mathieu. À mon avis, il ne faut pas aller plus loin dans les autorisations de diagnostic. En autorisant les tests de prédispositions, nous risquons d’être entraînés dans un engrenage, problématique aussi bien pour les enfants à naître que pour des personnes qui se trouveront ainsi confrontées à des difficultés dans leur travail ou en matière d’assurance. De plus, je pense que l’on ne peut pas avoir une législation très générale, qui laisse à une autorité indépendante le soin de prendre position ; le rôle de l’Agence de la biomédecine devrait se limiter à déterminer quelles sont les maladies qui répondent aux critères définis par le législateur.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Dans le cadre du diagnostic prénatal, il sera très prochainement possible de rechercher l’ADN fœtal dans le sang de la mère grâce à des techniques de séquençage à haut débit. Peut-on empêcher juridiquement cette évolution ?

M. Bertrand Mathieu. On ne peut guère agir sur les moyens de détection. En revanche, il faut rester extrêmement rigoureux sur les critères définis par la loi et ne pas laisser, comme en Grande-Bretagne, les parents apprécier la gravité de la maladie recherchée dans le cadre du diagnostic.

En 1994, il était question d’inscrire dans la loi que les pratiques eugéniques étaient interdites, mais un parlementaire avait judicieusement fait observer qu’elles existaient déjà. Il a alors été décidé d’interdire les pratiques eugéniques « tendant à l’organisation de la sélection des personnes ». Aujourd’hui, nous y sommes arrivés : le glissement est manifeste.

M. Michel Vaxès. Concernant les mères porteuses, pour sortir de l’imbroglio lié à la dernière décision de la Cour de cassation, ne serait-il pas possible de recourir à la formule de l’adoption ? L’enfant né serait celui de la femme qui l’a porté, mais il serait adopté par le couple qui a souhaité faire appel à une mère porteuse.

Ma deuxième observation concerne la recherche sur l’embryon. Je suis de ceux qui considèrent que la dignité est inhérente à la personne humaine, et que par conséquent, elle ne se donne pas. Mais pour qu’un embryon devienne promesse de personne humaine, il faut un cheminement. Les embryons qui n’aboutissent pas à ce stade, soit parce qu’ils meurent, soit parce qu’ils sont « surnuméraires », peuvent-ils être traités de la même façon ? La recherche sur ces embryons ne peut-elle être légitimée, sans que cela remette en cause la dignité de l’être humain ?

M. Bertrand Mathieu. Sur le premier point, je ne prendrai pas une position tranchée. La solution que vous proposez paraît séduisante au premier abord, mais elle n’empêcherait sans doute pas les dérives.

Concernant le deuxième point, si la dignité est inhérente à l’être humain, elle ne peut dépendre du choix fait par les parents potentiels ou la société quant au destin de l’embryon. En revanche, le principe de dignité n’entraîne pas celui de protection absolue ; l’embryon in vitro peut donc ne pas être protégé de la même manière qu’un embryon in vivo. De même, la protection de l’embryon in vivo est moindre jusqu’à sa douzième semaine qu’ensuite, car alors la liberté personnelle de la mère ne peut plus être opposée à sa vie. Il est donc possible de moduler la protection qu’on accorde aux embryons, mais on ne peut pas considérer qu’un embryon ne bénéficie d’aucune protection.

M. le président. Merci beaucoup.

Audition de M. David GOMEZ, senior legal adviser
de l'Autorité britannique pour la fécondation et l'embryologie humaines (HFEA)



(Procès-verbal de la séance du 1er avril 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous accueillons M. David Gomez, conseiller juridique à l’Autorité britannique pour la fécondation et l’embryologie humaine — Human fertilization and embryology authority (HFEA) —, et Mme Helen Chowne, assistante personnelle de la directrice générale de la HFEA.

Créée après la HFEA, l’Agence de la biomédecine s’est inspirée de son fonctionnement. Notre mission souhaite connaître les conditions de création de la HFEA et son domaine de compétences. Nous souhaitons aussi évoquer l’animation du débat citoyen, car, au contraire de l’Agence de la biomédecine, la HFEA dispose directement de cette compétence. En France, des États généraux vont être organisés ; il nous intéresse donc de savoir comment vous animez ce débat. Enfin, pouvez-vous nous parler du cadre que vous donnez à la question brûlante de l’assistance médicale à la procréation (AMP) ? Quelles sont les différences avec la législation française ? Pourriez-vous évoquer les questions de la filiation et des mères porteuses ?

M. David Gomez. Je vous remercie de votre invitation. Les questions que vous abordez relèvent de principes moraux et religieux fondamentaux. Les approches philosophiques diffèrent en matière de GPA comme de recherche sur les embryons humains. Les gens souhaitent que le développement et l’utilisation des nouvelles techniques soient guidés par quelques principes. Il y a des limites absolues à ne pas franchir. Mais une loi hâtive ou trop directive peut créer de réelles difficultés dans des domaines où il n’existe pas de consensus public. La médecine, comme l’opinion, peut aussi avancer très rapidement.

C’est le comité Warnock qui a été à l’origine de la HFEA, qui a été mise en place en 1991. Louise Brown, qui a été le premier bébé éprouvette, vient de fêter ses trente ans. Dans les années 1980, le comité Warnock a établi des principes majeurs : l’embryon, à l'extérieur du corps humain, doit bénéficier d’une protection légale ; les donneurs doivent être conseillés et éclairés avant de donner leur autorisation ; le bien-être de l’enfant doit être pris en compte, de même que son droit à l’accès à certaines informations relatives à ses parents génétiques ; enfin, l’utilisation de l’embryon in vitro à des fins de recherche doit être limitée à 14 jours.

C’est un long processus qui a abouti à la loi de 1990, qui a repris ces principes, puis à celle de 2008 qui l’a modifiée. Au contraire du système français, la HFEA est indépendante du Gouvernement. Nous sommes financés par celui-ci et nous recevons aussi des subsides des cliniques et d’autres organisations médicales. En revanche, contrairement à la France, les décisions prises, notamment en matière d’autorisations individuelles, n’impliquent ni ministre, ni personnes extérieures à la HFEA. Nous rendons des comptes au Parlement et établissons des rapports annuels. Mais nous n’avons pas de ministère de tutelle. Le secrétariat à la santé nous parraine. Il est présent à nos conseils d’administration. Nous avons des réunions avec ses représentants. Nous devons nous conformer aux indicateurs de performance qu’il nous donne. Mais il n’est pas vraiment pour nous un ministère de tutelle qui nous donnerait des directives d’action. Les membres du conseil d’administration sont nommés par la commission des nominations, qui est un organisme indépendant. Le processus de nomination est très rigide et strict. Il y a des normes, notamment de transparence, et il faut s’y tenir.

Nous formons un petit service. Le conseil d’administration de la HFEA comporte 22 membres, et l’ensemble de l’équipe environ 90. Nous menons un grand nombre d’inspections chaque année. Nous devons inspecter les centres tous les deux ans. Selon la nouvelle loi, les inspections pourront être plus ciblées sur les risques. Nous contrôlons 141 centres et cliniques qui s’occupent notamment de traitement et de conservation.

Le cadre législatif est conçu pour nous permettre de nous tenir à jour des progrès de la médecine et de la science, de façon à informer le Gouvernement pour l’élaboration de nouvelles réglementations, par exemple sur les règles de décision pour l’utilisation d’un embryon pour une naissance, ou sur des recherches ou des traitements mettant en jeu des embryons. Chaque autorisation donnée doit répondre à des normes. Cependant, la HFEA dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour certains cas individuels, comme pour l’octroi d’autorisations d’exportation d’embryons à l’extérieur du Royaume-Uni.

Nos politiques sont guidées par un code de conduite (code of practice). Il existe une commission des normes. Aucune nouvelle méthode ne peut être mise en œuvre tant qu’elle n’a pas été expressément autorisée.

On demande aussi au régulateur de non seulement délivrer des autorisations et de mener des inspections, mais aussi d’informer le public et les chercheurs et d’être plus en phase avec les progrès et l’évolution des situations, avec les changements, de manière à mieux coller à la réalité. Et il y a des tensions entre les dispositions prévoyant la confidentialité des informations sur les patients et les traitements, et le besoin de donner des informations aux chercheurs et à certaines personnes, notamment celles issues d’un don de gamètes, qui souhaitent de plus en plus avoir accès à leurs origines. Il y a là une tension entre les rôles de régulateur et d’information de la HFEA.

La loi nous demande d’établir des principes, et ce, puisque nous sommes un organisme public, de façon cohérente, équilibrée, ouverte et juste. Pour cela, avant de prendre des décisions de principe, nous menons des consultations très approfondies ; récemment l’une d’elles a duré trois mois. Il y a deux ans, nous en avons conduites sur la question très controversée sur le code de conduite de l’utilisation d’embryons hybrides (cybrid).

Nous tenons un registre des informations relatives aux traitements. Il comporte tous les renseignements sur les gamètes, leur utilisation, les embryons et les traitements, ainsi que les noms des personnes qui ont reçu un traitement et de celles qui ont été conçues avec donneur. Ces informations nous sont fournies par les centres, par transmission électronique. Nous tenons aussi deux autres registres ; l’un recense les plaintes et les incidents graves, l’autre les autorisations. Selon la nouvelle loi, qui entrera en vigueur en octobre, nous aurons le droit d’établir un registre des contacts volontaires : une personne conçue par insémination pourra s’y inscrire, par exemple pour savoir si elle a des frères ou sœurs du même donneur et les contacter. Il nous revient cependant d’être très attentifs au respect de la vie privée.

La loi distingue aussi les activités qui ne peuvent être menées qu’avec autorisation, et celles qui sont absolument interdites, comme la gestation d’un embryon humain dans un animal et inversement. Nous accordons quatre types d’autorisations, pour la recherche, les traitements, la conservation et l’obtention de gamètes.

Nous travaillons à mettre au point une stratégie pour réduire autant que possible les naissances multiples. L’objectif est de les faire passer en trois ans de 25 % à 10 %. Notre code de conduite et de pratiques est vraiment ce qui nous rend le plus influents : nos directives sont très claires. En tant que régulateur, notre tâche n’est pas de faire appliquer la loi. Mais nous voulons promouvoir la conformité à ses dispositions. Depuis avril 2008, nous avons délivré un certain nombre d’autorisations, dont 43 pour le diagnostic préimplantatoire (DPI).

Différence importante avec le système français, en 2005 l’anonymat des donneurs de gamètes a été levé. Pourquoi ? Cela découle des principes issus du rapport Warnock. Nous considérons de plus en plus au Royaume-Uni que pour son bien-être un enfant issu d’une AMP a le droit de connaître ses origines génétiques. À sa majorité, l’enfant peut demander à la HFEA s’il est issu d’un don de gamètes et, si c’est le cas, qui est son géniteur, l’âge, le nom et la dernière adresse du donneur. C’est une démarche volontaire. Lorsque nous recevons une telle demande, nous contactons le donneur. Nous ne lui donnons pas d’information sur l’enfant. Ainsi, c’est à l’enfant qu’il revient de déterminer quelle action conduire ensuite.

Cela a-t-il eu des effets sur le nombre de dons de gamètes ? En 1991, à peu près 500 donneurs ont été enregistrés, et 320 environ en 2008. La décroissance de ce nombre est due non pas seulement à la levée de l’anonymat, mais plutôt à la cessation de la rémunération des dons.

Nous disposons de plusieurs dispositifs de consultation pour être en lien avec le public. Pour les autorisations, il existe un panel composé d’embryologistes, de directeurs de cliniques et de médecins. Nous tenons trois ou quatre réunions par an avec eux. Nous leur expliquons les bonnes pratiques que nous attendons des cliniques. Ce panel nous est aussi utile concernant l’évolution de la législation. Notre lien avec la communauté scientifique est assuré par un panel scientifique composé d’experts britanniques et internationaux. Ce panel tient une conférence annuelle. Les opinions et les éléments d’intérêt qu’il fait valoir sont transmis à deux comités de la HFEA, un comité consultatif pour la législation et un comité consultatif pour les avancées scientifiques et cliniques, qui ensuite les communiquent au conseil d’administration de la HFEA. Nous maintenons aussi des liens étroits avec les parties prenantes, groupes de patients et de donneurs. Nous avons également mis en place un nouveau site internet ; sur ce site sont exposés aux patients et aux donneurs les dangers de naissances multiples. Ce site web comporte aussi, de manière anonyme, des témoignages de personnes qui y relatent leurs expériences. Nous voulons réduire à 10 % le nombre de naissances multiples suite à des fécondations in vitro.

Concernant le diagnostic préimplantatoire, nous fonctionnons au cas par cas. Il y a deux étapes. Les cliniciens individuels doivent vérifier si un risque particulier existe que l’embryon soit atteint d’une certaine maladie. L’Autorité doit vérifier si le risque est grave ou non. C’est très difficile : une maladie peut survenir de façon différente dans la même famille. Un phénomène est advenu, auquel nous ne nous attendions pas : des gens pensent que le fait de figurer sur une liste d’anomalies génétiques emporte des implications sociales. Ainsi, un groupe de pression de malentendants pense que figurer sur une telle liste est une stigmatisation.

La nouvelle loi a voulu tenir compte des changements de mentalité. Les débats les plus houleux ont porté sur les hybrides et le rôle de parent. La loi de 1991 considérait que l’enfant devait avoir un père. Ce n’est plus le cas aujourd’hui ; avec l’introduction de la notion de soutien parental (supportive parenting), l’enfant doit bénéficier de la nourriture affective nécessaire, dans la durée, en prenant en compte l’existence d’un réseau familial et social. Bref, le concept juridique de parent est de plus en plus large. On permet à des couples du même sexe d’être les deux parents de l’enfant.

Cependant, c’est la question des hybrides qui a suscité le plus de débats à la Chambre des Lords et à la Chambre des Communes. Elle reflète le débat de société aujourd’hui au Royaume-Uni. En janvier 2008, nous avons octroyé deux autorisations, pour l’utilisation d’un ovule de vache et un de cochon. C’était au moment même où le Parlement débattait sur l’utilisation possible des hybrides. Nous avons cependant donné cette autorisation car nous avions mené des consultations très approfondies avec des associations de patients et des scientifiques. Un processus de revue par les pairs extrêmement strict avait été conduit pour l’examen de la demande.

Nous donnons aussi des autorisations pour concevoir des embryons et pour l’utilisation des embryons surnuméraires. Les décisions sont prises par le conseil d’orientation. C’est un comité de cinq personnes qui prend la décision d’autoriser la création d’un embryon hybride ou non.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Merci de nous rapporter l’expérience de votre pays, voisin et ami, sur les sujets qui nous préoccupent actuellement.

Comment organisez-vous le débat public ? Faites-vous appel à un panel de citoyens, régulièrement organisé, et informé de la situation pour que ses membres puissent donner un avis régulier sur les questions qui nous préoccupent et que le débat soit à la fois informatif et participatif ?

J’ai cru comprendre qu’au Royaume-Uni, une femme peut être traitée en assistance médicale à la procréation (AMP) pour un coût moindre si elle cède une partie de ses ovocytes. Cet élément indirect de rémunération vous gêne-t-il dans la mise en place de l’assistance médicale à la procréation ? Comment est-il perçu et accepté dans votre pays ?

Vous avez parlé de la levée de l’anonymat, et vous nous avez exposé que la baisse des dons au moment de cette levée n’était pas due à cette décision, mais à l’absence de rémunération. Pourquoi avez-vous décidé de supprimer la rémunération du don du sperme, et avez-vous aujourd’hui un retour d’expérience de la levée de l’anonymat, non pas envers les enfants – le recul n’est sans doute pas suffisant –, mais envers les donneurs et les parents receveurs ? Ceux-ci ont-ils plutôt tendance à demander des gamètes anonymes ?

Vous nous avez indiqué que des dispositions visent à reconnaître les couples de même sexe comme parents légaux des enfants. Le Royaume-Uni a par ailleurs légalisé le don de gamètes aux femmes seules et supprimé l’obligation de l’existence d’un père pour l’AMP. Vous avez aussi institué les critères de l’épanouissement et du bien-être de l’enfant. Quels critères sont pris en compte pour définir le bien-être de l’enfant ?

Enfin, la prise en charge de l’AMP par la sécurité sociale s’exerce dans des conditions différentes des nôtres. Le Royaume-Uni a mis pratiquement sur le même pied les infertilités médicales et les infertilités sociales. Avez-vous envisagé d’instaurer des modes de remboursement différents pour ces deux cas ? Au Royaume-Uni, se peut-il que des personnes n’accèdent pas à l’assistance médicale à la procréation pour des raisons financières ?

La recherche sur l’embryon est, dans votre pays, limitée aux 14 premiers jours. Pourquoi cette durée ? Correspond-elle à une notion biologique, technique, administrative, sociale ? La recherche est-elle proposée, de temps en temps, sur des durées plus longues ?

La Grande-Bretagne admet l’existence des mères porteuses. Pourriez-vous nous préciser les critères et les conditions dans lesquelles elles sont sélectionnées ? Quel est leur mode de rémunération ? D’après mes informations, cette rémunération est comprise entre 7 000 et 15 000 livres. Des contrats précis sont-ils établis ? Des dédommagements sont-ils prévus ? Est-il ménagé un délai après l’accouchement pendant lequel la mère porteuse peut choisir de garder l’enfant ? Cette disposition a été proposée ici dans un rapport d’un groupe de travail du Sénat.

M. David Gomez. Au Royaume-Uni, les contrats commerciaux de mère porteuse ne sont pas exécutoires. Ainsi, si la mère porteuse veut garder l’enfant, on ne peut pas l’obliger à le donner. Si le couple commanditaire ne veut pas de l’enfant, la mère porteuse ne peut poursuivre le couple. Les personnes agissent à leurs risques et périls. D’après nos informations, les tarifs sont en effet compris entre 10 000 et 15 000 livres.

Des difficultés se posent par ailleurs dans le cas de couples anglais qui vont à l’étranger conclure des contrats de GPA, peut-être pour des raisons de prix. Nous connaissons l’exemple d’un contrat conclu en Ukraine où l’enfant pouvait se retrouver apatride : il risquait de ne pas pouvoir entrer en Grande-Bretagne, tandis qu’il n’était pas ukrainien selon la loi ukrainienne et risquait d’être placé dans un orphelinat. Nous avertissons les gens de bien s’informer sur les conditions légales avant de conclure un contrat, et de bien connaître la mère porteuse, car les contrats ne sont pas exécutoires. La publicité pour la gestation pour autrui est par ailleurs interdite au Royaume-Uni.

M. le rapporteur. Des contrats sont donc conclus de façon indépendante, hors de la compétence de votre Autorité et de l’État ? La loi ne prévoit pas de contrats, mais il y en a tout de même, au moins concernant la rémunération.

M. David Gomez. Nous utilisons le terme d’« arrangement ». La loi peut peut-être reconnaître l’existence d’un contrat, mais elle ne peut pas imposer son application. C’est donc une question de confiance entre les parties.

M. le président. Sur les mères porteuses, que dit la loi ?

M. David Gomez. Elle dit que de tels accords ne sont pas illégaux. En revanche, il n’est pas possible de demander à une Cour de les faire appliquer. Le juge déclinera sa compétence. Si des accords financiers, ou portant sur le bébé, tournent mal, il n’y a pas de recours. Les contrats ne sont pas contraignants.

M. le rapporteur. La loi dispose donc simplement que ce n’est pas interdit. Elle n’institue aucune condition.

M. David Gomez. En effet.

M. le président. Pourquoi l’exemple de l’Ukraine ?

M. David Gomez. Selon la loi ukrainienne, l’enfant qui naît est l’enfant du couple commanditaire. Selon la loi britannique, c’est la personne qui accouche qui est la mère de l’enfant. Il y a un hiatus entre les deux législations.

M. le président. Monsieur le rapporteur, si vous le voulez bien, nous allons traiter maintenant du débat citoyen.

M. le rapporteur. Nous avons entrepris de créer un débat citoyen sur la base d’un certain nombre de critères : tirage au sort des citoyens, formation, débat public avec des experts, contributions, remise de rapports. La HFEA est responsable du débat citoyen ; comment l’organisez-vous ?

M. David Gomez. Il y a d’abord les consultations. En 2008, elles ont été organisées par le Gouvernement. Nous, organisme public, sommes en contact permanent avec les groupes religieux, les réseaux de donneurs, les personnes conçues par donneurs, la communauté scientifique des chercheurs. Nous organisons des conférences annuelles pour parler de l’avenir. Nous développons aussi des consultations sur internet, et nous organisons des réunions. Nous avons créé un panel qui rend compte du point de vue des patients sur les expériences qu’ils ont vécues. Nous avons élaboré des questionnaires pour connaître les motivations et le vécu des patients.

Vous avez parlé des frais des traitements et de la prise en charge. Un organisme a établi en 2002 des lignes directrices. Il a été décidé que les couples mariés devaient pouvoir bénéficier de trois cycles d’AMP. Cependant, chaque centre a ses propres priorités budgétaires. Les centres ne sont pas obligés de respecter les lignes directrices qui ont été élaborées. Beaucoup de traitements sont payés à titre privé – de l’ordre de 85 % me semble-t-il. Il n’y a pas de tarif de référence pour un traitement donné. Il peut y avoir une différence entre deux cliniques. En tant qu’organisme public, nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir un impact négatif sur la concurrence ; il existe très peu de centres. Nous ne devons pas introduire des prix préétablis. Nous sommes actuellement en discussion pour savoir si les cliniques doivent donner une indication personnalisée du prix pour chaque patient avant le début du traitement.

Le bien-être de l’enfant est un nouveau concept. Sauf élément contraire, nous présumons que les parents sont aptes à être de bons parents aptes à apporter le soutien parental nécessaire. Ce nouveau concept entrera en vigueur au mois d’octobre. Nous ne voulons pas nous intéresser de trop près aux relations entre les gens. Être père ou mère est considéré comme engageant plus qu’être simplement un donneur de matériel génétique. Il faut aussi prendre en compte les liens familiaux et sociétaux, au sens large. Au Royaume-Uni, plusieurs types de familles coexistent. Leurs valeurs peuvent être différentes. Certaines familles considèrent que plusieurs personnes sont impliquées dans l’éducation de l’enfant, et pas seulement les parents génétiques. Nous essayons d’utiliser ce qui existe dans la société britannique. Ce concept est toujours en cours de mise en œuvre.

M. le rapporteur. Pourquoi limiter à 14 jours la période pendant laquelle il est possible de travailler sur l’embryon ?

M. David Gomez. Selon la loi, ce moment est celui de l’apparition de la « primitive streak », la « ligne primitive », où un individu est créé. Auparavant, la division des cellules peut aboutir à plusieurs individus. À partir de l’apparition de la « primitive streak », la recherche est interdite.

M. le rapporteur. Pour le diagnostic préimplantatoire (DPI), vous avez établi une liste de 60 maladies susceptibles d’être recherchées. Cette liste peut-elle poser problème, si l’on découvre une maladie hors liste, ou au contraire est-ce un critère de sécurité pour bénéficier d’un diagnostic préimplantatoire ? Composer une telle liste a-t-il apporté plus d’avantages que d’inconvénients ?

M. David Gomez. Lorsqu’il y a un embryon en attente d’une implantation et qu’il existe le risque d’une maladie particulière, les couples veulent le savoir aussi rapidement que possible. La déclinaison d’applications individuelles a pris du temps. Plus les maladies sont nouvelles, plus il faut de temps. L’avantage d’une liste, c’est qu’une fois que les conditions du test sont fixées, un centre ou une patiente qui souhaite en bénéficier n’a pas besoin, pour qu’il soit réalisé, de déposer une demande auprès de la commission des autorisations de l’Autorité, mais suit une procédure accélérée – d’où un gain de temps.

C’est l’Autorité qui doit décider de la gravité du risque. Nous pouvons prendre des décisions au cas par cas. Pour la chorée de Huntington, on sait exactement ce qui se passera, cela ne pose pas question. Les difficultés réelles que nous rencontrons concernent les maladies à révélation tardive et à plus faible pénétrance. En 2006, une consultation a été organisée sur ces questions. Nous prenons des décisions de principe, sur la base desquelles nous déclinons nos décisions individuelles. Lorsque l’objet de la demande est sur la liste, les choses peuvent aller rapidement.

M. le rapporteur. Si j’ai bien compris, pour une maladie qui est sur la liste, le dépistage se fait de façon quasiment automatique, sans référer à l’autorité supérieure, alors qu’hors liste, il faut demander l’autorisation, qui peut aboutir à l’ajout d’une maladie à la liste.

M. David Gomez. Oui.

M. le rapporteur. Vous avez présenté un concept qui pour nous est très britannique, celui du bonheur de l’enfant en fonction du contexte dans lequel il se trouve. Une évaluation au cas par cas va-t-elle éventuellement définir un bien-être de l’enfant différent selon la culture des parents ou du groupe ? Avoir ôté le père des éléments constitutifs de ce bien-être équivaut-il dans votre esprit à ne pas considérer que le mieux pour l’enfant – même si cela n’est pas toujours réalisable, ni réalisé – est d’avoir un père et une mère ? Vous ouvrez à des célibataires les traitements d’AMP. Pour vous, le bonheur et le bien-être de l’enfant peuvent donc se réaliser auprès d’une personne seule – ce qui peut bien entendu être le cas. Des critères nationaux du bien-être de l’enfant – moralité des parents, entourage familial, lien social… – ont-ils été établis ou votre décision est-elle prise au cas par cas ? Dans ce cas, quels critères peuvent-ils émerger d’une vision si qualitative ? Le bien-être de l’enfant nous intéresse beaucoup. En France, nous avons du mal à en établir des critères.

M. David Gomez. Nous pensons qu’il est difficile pour nous, Autorité, d’évaluer une vie en famille. La personne qui va prescrire le traitement va prendre une décision clinique individuelle. Cette décision est basée sur une information clinique sur la patiente, son histoire, sa famille et son entourage. Nous pensons qu’en quelque sorte, c’est une évaluation du risque.

Nous élaborons des conseils et des documents. Vous pourrez constater que des critères ont été définis pour cette évaluation des risques. En revanche, nous ne donnons pas de conseils pour la prise de décisions. Fournir le traitement est une décision du médecin ; cela ne regarde pas trop l’État.

En ce qui concerne le besoin d’un père, nous estimons que le soutien parental constitue un engagement soutenu à contribuer au développement, à la santé et au bien-être de l’enfant. Pour savoir si cet engagement est là, le centre peut prendre en compte le monde dans lequel l’enfant va vivre. Pour nous, tous les parents peuvent apporter un soutien à l’enfant en l’absence d’une cause raisonnable de préoccupation. Il faut essayer de savoir si l’enfant sera ou non exposé à un risque.

Sur la question des mères célibataires, nous sommes un organisme public et devons respecter la loi britannique, qui interdit la discrimination. En outre, l’an dernier, une loi a déclaré illégale pour les entreprises commerciales de services, qui incluent les cliniques dans le domaine de la fertilité, la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle des personnes. En tant qu’organisme public, il nous revient de donner des conseils aux cliniques et de leur expliquer comment ne pas opérer de discrimination. Quoi que puisse penser parfois une partie de l’opinion, nous ne pouvons pas refuser le bénéfice d’un traitement en fonction de l’individu. Il existe une clause d’objection de conscience, mais celle-ci concerne des activités, et non des individus particuliers. Dès lors qu’un service est proposé, il doit l’être à tout le monde. C’est cela, l’esprit de la loi britannique.

M. le rapporteur. Ma dernière question concerne la levée de l’anonymat. Vous nous avez dit qu’elle n’avait pas entraîné une baisse du nombre de donneurs de sperme, et avez attribué cette baisse à la non-rémunération. Pourquoi avez-vous renoncé à la rémunération du don de sperme, alors que, si j’ai bien compris, vous avez maintenu la rémunération du don d’ovocytes ? Si vous n’avez pas constaté de baisse du nombre de donneurs, leur profil a-t-il changé ? Il me semble qu’un donneur de sperme qui sait qu’il est protégé par l’anonymat n’est pas le même que celui qui sait que l’anonymat sera levé et que, peut-être, dix-huit ans plus tard, quelqu’un viendra frapper à sa porte et l’appellera « papa ».

M. David Gomez. La diminution ne peut pas en effet être attribuée uniquement à la levée de l’anonymat. D’autres facteurs sociaux entrent en cause, tels que l’argent.

Pourquoi a-t-il été décidé de ne plus rémunérer les donneurs ? En Europe, on s’est dit que, comme le don d’organes, le don de sperme devait être effectué sur la base de la bonne volonté. Un réseau de cliniciens chercheurs a présenté un rapport en novembre. Il y est exposé qu’au Royaume-Uni, 4 000 personnes souhaitent recourir à un donneur. Pour satisfaire ce besoin, il faudrait bien plus de donneurs (au moins 500 par an) ; nous en sommes à 327 par an. Il y a donc pénurie. Ce groupe a donc préconisé une approche beaucoup mieux coordonnée, où 14 centres régionaux vont passer des annonces pour des donneurs et effectuer le dépistage ; par ailleurs, 31 % des donneurs qui se déclarent ne se présentent pas dans les cliniques.

Nous nous intéressons aux centres qui vont fournir des traitements à moindre coût en contrepartie d’un don de spermatozoïdes. De la même manière, il existe de programmes de partage d’ovocytes. Cela devrait se développer dans l’avenir. Je pense que d’ici quelques années, nous allons légiférer sur ces questions.

Mme Suzanne Rameix, philosophe, membre du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. Qui prend en charge les techniques d’AMP sur les couples ? Est-ce le service national de santé (NHS) ? Prend-il en charge de la même façon une aide médicale à la procréation pour un couple biologiquement stérile et pour une femme célibataire ou un couple homosexuel qui recourt à cette technique dans le cadre d’une nouvelle parentalité ?

M. David Gomez. 85 % du coût est financé par les particuliers eux-mêmes. Qui veut le traitement le paye. Les prix diffèrent selon les centres, parfois de beaucoup. Les patients nous disent qu’ils aimeraient bien disposer de plus d’informations sur les prix, de façon à pouvoir faire des comparaisons entre les cliniques. Ce processus pourrait répondre à des besoins des patients, sans pour autant imposer un prix au marché. L’octroi de nos autorisations est gratuit. Nous ne régulons pas non plus les prix. Il faut être très sûr de ne pas le faire. Ce sont les affaires, du business pour certaines cliniques. Au Royaume-Uni, un mouvement existe pour mieux réguler.

Mme Suzanne Rameix. Les 15 %, en sus des 85 % à la charge des patients, sont-ils payés par le service national de santé ? Si oui, sur quels critères ? Une distinction est-elle faite entre les couples biologiquement stériles et ceux qui recourent à la fécondation artificielle pour des raisons de convenances personnelles et de mode de vie ?

M. David Gomez. Les lignes directrices de 2002, pour ce qui est des cycles de traitement, portent sur les couples mariés. Nous vous les adresserons. Mais les hôpitaux établissent leurs propres priorités, et fixent leurs propres lignes directrices. Les orientations que nous fixons ne sont pas toujours suivies.

M. le président. Je crois me souvenir que les conditions de prise en charge pouvaient varier en fonction des hôpitaux.

M. David Gomez. Oui.

M. le rapporteur. Comment se fait-il que, alors que la gestation pour autrui n’est pas interdite au Royaume-Uni, vous ayez fait mention de personnes qui se rendaient en Ukraine ou dans d’autres pays ? Y vont-elles parce que la législation y est plus permissive, ou pour des raisons financières ? En France, la raison alléguée pour ces démarches est que la gestation pour autrui est interdite dans notre pays. Tel n’est pas le cas au Royaume-Uni.

M. David Gomez. Au Royaume-Uni, la publicité pour ce type de service est interdite. Il n’y a pas de liste de mère porteuse mais comme pour les donneurs de gamètes, il y a un nombre insuffisant de mères porteuses. Le paiement est illégal en théorie. Mais peu de femmes sont prêtes à porter le bébé de quelqu’un d’autre sans incitation financière. Dans certains pays, la gestation pour autrui peut être rémunérée. Et il y est moins cher d’obtenir une mère porteuse. Je crois que c’est la réalité de la nature humaine. Dans le cas que j’ai évoqué, le statut juridique de l’enfant posait problème et ne pouvait donc pas être rapatrié au Royaume-Uni. Les difficultés surviennent lorsque les parents reviennent au Royaume-Uni et veulent obtenir la reconnaissance de leur enfant (parental order) ; c’est pourquoi ils doivent faire attention à ce que l’enfant puisse être reconnu comme le leur et bénéficie d’un statut légal dans leur propre pays.

M. le président. Merci beaucoup. Je crois que nous avons fait le tour des questions sur lesquelles nous aurons à nous prononcer.

Audition de M. Xavier MIRABEL, président de l’Alliance pour les droits de la vie


(Procès-verbal de la séance du 7 avril 2009 )

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le Président Alain Claeys. Merci, monsieur Mirabel, d’avoir répondu à notre invitation. Médecin cancérologue et radiothérapeute à Lille, vous êtes président de l’association Alliance pour les droits de la vie. Vous êtes accompagné de Mme Caroline Roux, qui en est la secrétaire générale.

Votre association se donne notamment pour mission de « sensibiliser à la protection de la vie et de la dignité de chaque être humain, de sa conception à sa mort naturelle ». Comment est-elle née ? Pourriez-vous nous préciser ses objectifs ?

Vous aviez déjà été auditionné dans le cadre de la mission parlementaire relative à la fin de vie ; nous souhaitons aujourd’hui vous entendre sur la problématique du début de la vie. Quelle est votre position concernant la recherche sur les cellules souches, adultes et embryonnaires ? Faut-il ouvrir la procréation médicalement assistée à d’autres situations que l’infertilité médicale ? Faut-il autoriser l’implantation post mortem ? Que pensez-vous de la gestation pour autrui ?

Je vous rappelle que notre mission d’information s’inscrit dans le processus de révision de la loi, laquelle devra intervenir courant 2010, ainsi que dans le calendrier des États généraux.

M. Xavier Mirabel. Merci de nous recevoir.

L’Alliance pour les droits de la vie a été fondée en 1993, juste avant les lois de bioéthique de 1994, avec le souci de se positionner sur les questions dont ces lois allaient traiter. La préoccupation bioéthique est donc au cœur de notre engagement.

Mais la réflexion « politique » – au sens de préoccupation du bien commun, d’intérêt porté à l’élaboration de notre législation – s’est très vite doublée d’une action d’écoute, d’aide et d’accompagnement, qui nous conduit à nous considérer aujourd’hui comme une forme d’ONG humanitaire. Nous développons une expertise de terrain auprès de personnes confrontées à des difficultés touchant au début de la vie – procréation médicalement assistée, interruption de grossesse, handicap, diagnostic prénatal, fausses couches… – et à la fin de vie.

M. le président. Comment votre association est-elle financée ?

M. Xavier Mirabel. Uniquement par des dons privés.

Les membres de l’association sont souvent concernés par ces questions. Pour ma part, je suis père d’une enfant trisomique, et au moment de l’arrêt Perruche, j’étais le porte-parole des parents qui s’étaient élevés contre cette jurisprudence. Tugdual Derville, le délégué général, a fondé un mouvement dénommé À bras ouverts, qui regroupe des personnes accueillant des personnes handicapées. Des personnes souffrant elles-mêmes d’un handicap ont rejoint l’association. Des couples, assez nombreux, souffrant de stérilité se sont également engagés auprès de nous. Enfin, des couples engagés à l’Alliance ont adopté des enfants souffrant de handicap.

Caroline Roux, qui coordonne nos services d’aide et d’écoute, va vous présenter ce qui ressort des témoignages des personnes que nous recevons.

Mme Caroline Roux. S’agissant tout d’abord du diagnostic prénatal, notre premier constat est que l’explosion des investigations rend bien souvent les grossesses anxiogènes. L’annonce d’un pronostic de handicap étant toujours un choc violent, une femme nous a dit, par exemple : « Je dois faire une amniocentèse demain, je suis inconsolable, j’ai peur, je me sens coupable et je n’arrête pas de pleurer. Même si ce bébé avait quelque chose, je ne pourrais pas avorter. Je ne suis même pas sûre que je pourrais supporter de le perdre ». Une autre, particulièrement investie dans sa grossesse qui résultait d’une fécondation in vitro, nous a confié la grande angoisse dans laquelle la mettait l’idée d’un éventuel pronostic de handicap, en ajoutant : « Pourtant, je ne le garderai pas s’il est anormal ». On voit ainsi de nombreux cas de grossesses très désirées où l’annonce du pronostic conduit à une décision brutale d’interrompre la grossesse, alors que précédemment le couple se sentait prêt à accueillir un enfant porteur d’un handicap. Nous voyons aussi des femmes se culpabiliser en se demandant si l’angoisse qu’elles ont éprouvée pendant leur grossesse aura retenti sur leur bébé. D’autres encore sont traumatisées et culpabilisées par une fausse couche consécutive à une amniocentèse, surtout si elles apprennent que le bébé était en parfaite santé.

L’annonce du pronostic de handicap est une telle épreuve que sous l’effet de la panique, les couples ont un sentiment d’urgence et ne prennent pas le recul nécessaire, d’autant qu’on leur demande en général de prendre leur décision très rapidement. La souffrance, toujours immense, qu’est la découverte du handicap s’exprime par des signes que l’on rencontre dans les grands traumatismes, comme la sidération, la révolte, la dépression, avant de pouvoir laisser place à une nouvelle perspective. Cette souffrance est d’autant plus grande qu’il n’est pas possible de voir le visage du bébé.

Après une interruption médicale de grossesse (IMG), les couples éprouvent des sentiments partagés, entre regrets et impression d’avoir pris la bonne décision. Leurs autres enfants sont bien souvent atteints par l’épreuve. Je pense en particulier à cette femme que nous avons accompagnée et qui nous disait combien il était difficile, après une IMG, d’avoir des relations normales avec sa petite fille de trois ans ; mère et fille ont dû finalement recourir à une thérapie.

Dans les cas de pronostic de vie de brève durée, in utero ou après la naissance, on présente le plus souvent l’IMG comme une issue évidente. Pour notre part, nous avons plusieurs témoignages de femmes qui ont poursuivi leur grossesse et dont le deuil a été beaucoup plus serein. Pour les nouveau-nés appelés à mourir, l’Alliance encourage, quand c’est possible, le recours aux soins palliatifs.

Le développement du diagnostic prénatal et les décisions « individuelles » d’IMG – présentées comme le résultat d’un dialogue singulier – ont des conséquences sur la capacité de la société à accueillir le handicap. On voit se dessiner une culture à laquelle les personnes finissent par se conformer ou se soumettre à contrecoeur. Ainsi une femme nous a dit : « J’étais paniquée, mais de quel droit avons-nous interrompu la grossesse ? Tout ça parce que ma fille était différente et que la société l’aurait rejetée ! » Une autre, qui avait subi une IMG à vingt semaines de grossesse pour trisomie 21, nous a écrit quelque temps après : « Si seulement notre monde pouvait changer ! Pitié pour tous ces bébés trisomiques… Laissez-les vivre et vous aimer. Ils ne souffrent de rien, sauf de notre regard, parce que nous préférons détecter pour supprimer ». Elle a signé : « Une maman endeuillée ».

Le retentissement est important aussi sur les personnes handicapées elles-mêmes. Celles qui sont membres de notre association nous disent combien le développement du DPN et de l’IMG remet en cause la légitimité de leur propre vie. Nous constatons donc, d’une part, une sorte d’injonction sociale – une femme a-t-elle encore le droit de mettre au monde un enfant imparfait – et d’autre part une dérive « sécuritaire » conduisant, par application d’un « principe de précaution », à empêcher beaucoup de naissances, au motif que la vie avec un handicap ne vaudrait pas la peine d’être vécue.

S’agissant maintenant de l’infertilité, on constate un décalage entre les prouesses affichées en matière d’assistance médicale à la procréation et la manière dont les pratiques sont vécues par les couples, qui nous parlent souvent de parcours du combattant. Certains déplorent de ne pas avoir eu le temps, après le choc de l’annonce de l’infertilité, de faire le point sur leurs vraies attentes. J’ai dernièrement accompagné un jeune couple qui avait consulté après avoir essayé pendant deux ans d’avoir un enfant et à qui on avait, immédiatement, proposé de recourir à l’insémination avec donneur.

Quant aux techniques d’AMP, elles sont ressenties comme très éprouvantes, tant physiquement que psychologiquement. La manière dont les femmes évoquent ce parcours dépend de son aboutissement, ou non, à une naissance. Ces techniques, présentées comme miraculeuses, suscitent des attentes multipliées, et les limites qui ont été posées sont souvent vécues comme des brimades, des discriminations dont les personnes se posent en victimes. J’ai ainsi accompagné des femmes qui avaient dépassé l’âge limite des AMP ; l’une, qui avait 45 ans, voulait donner un enfant à son compagnon afin de lui prouver son attachement : nous avons fait un travail sur la notion de fécondité, et lorsque je lui ai dit qu’il y avait d’autres types de fécondité, elle m’a répondu que c’était la première fois qu’elle entendait cela…

Il nous est arrivé aussi de recevoir des personnes célibataires ou des couples qui souhaitaient recourir à la fécondation in vitro pour éviter les relations sexuelles. Nous les avons orientés vers des personnes susceptibles de les accompagner pour dépasser leurs blocages ou les traumatismes qui avaient pu être vécus dans leurs relations.  

Enfin, nous voyons des personnes qui éprouvent un grand malaise face à la question du devenir des embryons congelés. Un couple nous disait ainsi : « À chaque demande que nous recevons, nous sommes incapables de répondre. C’est trop lourd et inhumain de demander cela à des parents ». Une femme, appelée à partir avec son mari à l’étranger pour des raisons professionnelles, a exprimé son déchirement de laisser ses embryons en France. Ce sentiment exprimé par beaucoup de parents d’être placés devant un choix impossible nourrit notre questionnement sur le regard à porter sur les embryons.

M. Xavier Mirabel. Certains paradoxes sont frappants. Le plus évident pour nous est sans doute celui qui concerne l’accueil du handicap : d’un côté, notre société fait beaucoup pour accueillir, et de l’autre elle fait beaucoup pour ne pas accueillir. On peut constater aussi, en matière de procréation, que parfois on survalorise le biologique et on minimise le vécu de la grossesse, et que dans d’autres cas on fait l’inverse.

Pour ce qui nous concerne, nous voulons à la fois prendre en compte les souffrances des personnes que nous rencontrons – personnes handicapées, couples confrontés à la stérilité, personnes atteintes de maladies transmissibles… – et refuser tout ce qui nous apparaît comme un risque pour les droits de l’Homme et le respect de la personne humaine.

Nous avons trois objectifs. Le premier est de faire passer l’intérêt de l’enfant devant les désirs, même légitimes et provoqués par leur souffrance, des adultes ; je vise là toutes les situations qui vont amener, par l’utilisation d’une technique, à priver délibérément un enfant d’un père et d’une mère. Le deuxième est de protéger l’intégrité personnelle de l’être humain, dès son stade embryonnaire, contre toute exploitation, qu’elle soit motivée par des intérêts particuliers ou par des intérêts collectifs. Cette protection individuelle est d’autant plus nécessaire pour l’embryon qu’il est sans défense et sans visage ; c’est la raison pour laquelle nous réclamons l’application des droits de l’Homme à l’embryon.

M. le président. Refusez-vous toute recherche sur l’embryon ?

M. Xavier Mirabel. Toute recherche qui amènerait à le détruire. Nous refusons qu’on détruise un être humain au prétexte d’en soigner peut-être un autre.

M. le président. Quelle était votre position sur la loi de 1994, selon laquelle les embryons surnuméraires étaient voués à la destruction au bout de cinq ans ?

M. Xavier Mirabel. À l’époque, nous nous sommes exprimés contre la congélation embryonnaire, qui nous semblait une impasse éthique. Les parents que nous accueillons nous prouvent par leurs inquiétudes et parfois par leurs pleurs la nature précieuse de ces embryons. Quant à la science, elle montre que notre existence commence au moment de la fécondation, puisque c’est le moment où apparaît un nouvel être vivant possédant un patrimoine génétique. Ne pas protéger l’embryon, c’est implicitement remettre en cause la nature des êtres humains que nous sommes.

Notre troisième objectif est le respect des plus vulnérables, en particulier de ceux qui portent une maladie ou un handicap.

À partir de ces grands axes, nous nous positionnons sur les divers sujets de bioéthique.

Nous sommes favorables au traitement de l’infertilité et de la stérilité. Nous pensons qu’il y a lieu de chercher à soigner ces maladies plus que nous ne le faisons aujourd’hui. Étant moi-même médecin, je vois bien à quel point la médecine se précipite dans des réponses d’ordre technique, sans toujours examiner les raisons profondes de la situation ni chercher à développer la prévention. On constate en effet une véritable épidémie de stérilité : en France, un couple sur sept va consulter pour infertilité et un couple sur dix bénéficie d’un traitement. Il y aurait urgence, en termes de santé publique, à développer la recherche sur ce sujet.

Nous contestons les techniques d’assistance médicale à la procréation lorsqu’elles impliquent la destruction d’embryons. L’Agence de la biomédecine nous apprend qu’en 2006, on a conçu 238 000 embryons pour faire naître 14000 enfants, soit 17 embryons pour une naissance : nous en sommes profondément préoccupés.

Nous contestons aussi la pratique des mères porteuses, même si nous entendons bien la souffrance des couples.

Nous demandons des recherches sur la prévention de l’infertilité et le traitement des stérilités. Nous souhaitons par ailleurs l’envoi de messages un peu plus honnêtes en direction de ces couples, dont la moitié ne parviendront pas à assouvir leur désir d’enfant ; certains nous font part de leur regret des années perdues, en nous disant que s’ils avaient su, ils auraient peut-être fait d’autres choix – que désormais ils ne peuvent plus faire.

M. le président. Pour vous, l’information donnée à ces couples dans les centres n’est pas objective ?

M. Xavier Mirabel. Oui, nous pensons qu’ils ne sont pas suffisamment informés des risques, tant pour leur couple que, d’un point de vue médical, pour l’enfant.

Nous nous opposons aussi à la congélation des embryons et nous demandons un moratoire sur cette congélation, face à l’imbroglio éthique qu’il représente pour la société, pour les médecins et pour les familles confrontées à la nécessité de prendre une décision.

Quant à la recherche, nous y sommes favorables, sauf lorsqu’elle conduit à relativiser la dignité de la personne. Nous contestons les recherches conduisant à la destruction de l’embryon et les « progrès thérapeutiques » sacrifiant des êtres humains au profit d’autres. Les recherches sur les cellules souches adultes et issues de cordon ne posent pas de problème à nos yeux. Nous souhaiterions que les moyens intellectuels et financiers y soient consacrés.

M. le président. Même si les cellules souches n’ont pas les mêmes spécificités ?

M. Xavier Mirabel. Il me semble que le discours des scientifiques a évolué : on nous expliquait il y a quelques années que la recherche sur les cellules souches embryonnaires était nécessaire aux progrès thérapeutiques, mais désormais les chercheurs ont surtout pour objectif de comprendre le début de la vie et le développement embryonnaire ; je suis moi aussi intéressé par les progrès de la connaissance en ce domaine mais je ne suis pas sûr qu’ils nécessitent l’utilisation d’embryons humains. Les scientifiques pourraient d’ailleurs tirer de leurs travaux des conclusions sur le statut de l’embryon, dans le sens d’un plus grand respect.

Enfin, nous contestons l’escalade actuelle du diagnostic prénatal, et encore plus du diagnostic préimplantatoire : on a vu récemment des cas de diagnostic concernant des risques de maladie, et peut-être certains d’entre nous n’auraient-ils pas franchi l’obstacle… Ces pratiques sont en contradiction de plus en plus évidente avec l’idée que la société doit se montrer accueillante envers les personnes souffrant d’une maladie ou d’un handicap. Nous souhaitons à la fois que l’on prenne mieux conscience du problème de la sélection prénatale et que l’on progresse dans la manière d’annoncer un handicap : l’échographiste, l’obstétricien ne sont pas forcément les personnes les plus compétentes pour expliquer ce qu’est ce handicap, comment pourra vivre l’enfant et ce qu’il peut devenir ; les familles auraient parfois besoin d’un éclairage complémentaire, qui pourrait être celui d’un médecin impliqué quotidiennement dans le soin et l’accompagnement de personnes souffrant de ce handicap.

Le développement inquiétant du diagnostic prénatal en France s’explique notamment par le remboursement de l’échographie. Il serait intéressant de disposer d’études sérieuses permettant de mieux comprendre les raisons pour lesquelles les familles sont prêtes, ou non, à accepter tel ou tel type de maladie ou de handicap, afin de savoir où nous allons et de mesurer les enjeux, notamment en termes de communication. Nous aimerions aussi que des études épidémiologiques précises soient menées ; elles contribueraient à éclairer le législateur sur la réalité des pratiques de sélection.

En conclusion, notre ambition est d’humaniser le regard sur l’embryon. Nous savons bien qu’en disant cela, nous sommes à contre-courant de la tendance générale. Nous savons aussi que c’est un chemin difficile parce que l’embryon ne s’exprime pas, n’a pas de visage et a peu d’avocats. Nous demandons avant tout qu’on évite la fuite en avant face à la concurrence internationale et au « tourisme procréatif » ; sachons conserver une voie française respectueuse de principes qui sont bons. Même si j’exprime des critiques sur certaines pratiques, je pense en effet qu’en France la législation de bioéthique est plus protectrice de la dignité de la personne humaine que dans d’autres pays. Il faut impérativement éviter les dérives ultra-libérales à l’anglo-saxonne, marquées par une marchandisation du corps. Il faut aussi résister aux revendications catégorielles, même si ce n’est pas facile, et revenir à des dispositions plus protectrices de l’être humain. Si telle n’était pas la volonté du législateur, nous préférerions le statu quo législatif.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Merci pour la clarté de votre intervention.

Considérez-vous que l’embryon est une personne humaine, ou pensez-vous qu’il faut lui définir un statut ? À vos yeux, faut-il totalement exclure le diagnostic préimplantatoire, le diagnostic prénatal, la congélation d’embryon, ou y a-t-il un curseur – que vous placez très haut ? S’agissant du diagnostic prénatal, y a-t-il des maladies graves, incurables, rapidement mortelles, qui à votre avis doivent être évitées, ce qui peut conduire à la destruction de l’embryon ou du fœtus, ou considérez-vous que tout être mérite de vivre ?

Ma deuxième question concerne l’anonymat du donneur de gamètes : j’ai cru comprendre que vous souhaitiez qu’il soit levé, en considérant que l’enfant devenu adulte avait le droit de pouvoir retrouver son géniteur. Cela soulève évidemment la question de savoir si son père est celui qui l’a élevé et entouré d’affection ou si c’est celui qui a fait un don de gamètes. N’a-t-on pas un peu trop tendance actuellement à faire pencher la balance du côté du biologique ?

Enfin, vous ne m’avez pas semblé très ferme au sujet de la gestation pour autrui, dont j’attendais plutôt de vous une condamnation sans appel. Pourriez-vous préciser votre position ?

M. Xavier Mirabel. L’embryon est-il une personne ? Je n’en suis pas certain, mais il y a un doute, et le doute devrait lui profiter. Je ne souhaite pas entrer dans une discussion philosophique sur le statut de l’embryon, qui dépasserait mes compétences, mais l’histoire de chacun d’entre nous commence à ce stade et, comme médecin, je ne vois pas, à partir de la fécondation, de point de rupture indiscutable.

M. le rapporteur. Il y a la nidation, qui est une étape biologique : quand l’embryon arrive dans un utérus, il répond à un projet parental, et le processus est irréversible. Dans la nature, il arrive que des embryons soient spontanément éliminés parce qu’ils ne sont pas implantés. L’embryon non implanté dans un utérus n’a pas nécessairement vocation à devenir un homme.

M. Xavier Mirabel. Je crois que l’implantation ne change pas la nature de l’embryon. D’ailleurs, une mère qui a un embryon congelé dans l’azote liquide n’en doute pas une seconde.

M. le président. Force est de reconnaître que votre analyse est cohérente, même si elle ouvre un vaste débat.

M. Xavier Mirabel. Quant au diagnostic prénatal ou préimplantatoire, nous y sommes bien sûr favorables dans les situations où il va être utile pour soigner – je songe par exemple au diagnostic d’une malformation cardiaque, et on peut imaginer divers progrès dans l’avenir. En revanche, à nos yeux, le fait qu’un embryon soit porteur d’une maladie ne doit pas conduire à sa destruction. Loin de nous cependant l’idée de jeter la pierre à ceux qui font ce choix, que nous accompagnons et dont nous voyons la souffrance. Dans le plus grand respect des histoires personnelles, nous affirmons que la vie, même malade, blessée, souffrante, doit pouvoir être accueillie et bien accueillie.

M. le président. Considérez-vous que les techniques de diagnostic vont de pair avec un rejet du handicap ?

M. Xavier Mirabel. D’une certaine façon, oui. Récemment encore, un couple qui allait avoir un enfant trisomique me disait être prêt à l’accueillir et à l’aimer, mais avoir peur « pour plus tard », en s’inquiétant de la place que lui réserverait la société.

Depuis les débuts du diagnostic prénatal de la trisomie 21, on a constaté une grande évolution. Aujourd’hui, ce diagnostic conduit à l’avortement dans plus de 98 % des cas. C’est bien le signe d’une forte pression sociale et psychologique. Pourtant, nombreux sont les gens qui me disent, à moi qui ai un enfant trisomique, que ces enfants sont très gentils, très affectueux. Et c’est vrai. En même temps, certains jours, c’est tellement dur que j’ai du mal à entendre ce discours. Quoi qu’il en soit, les parents ne peuvent pas faire un choix libre s’ils savent que leur enfant risque de ne pas être accueilli comme il le devrait par la société.

Mme Caroline Roux. J’ajoute que le développement du diagnostic prénatal aboutit à l’affaiblissement des recherches visant à soigner la maladie et à la réduction du nombre de praticiens susceptibles de la prendre en charge. Certaines associations travaillant sur le cancer s’inquiètent ainsi du développement de tests prédictifs.

M. le rapporteur. Dès lors que notre législation accepte l’avortement, la décision n’appartient-elle pas aux parents, auxquels il s’agit de communiquer un diagnostic de la manière la plus neutre possible ?

M. Xavier Mirabel. Indiscutablement, la décision appartient aux parents, mais nous pourrions davantage les aider à comprendre ce qui leur arrive, éviter de faire peser sur eux la pression de l’urgence, et faire en sorte qu’au cas où ils feraient le pari incroyable d’accueillir l’enfant, ils soient profondément convaincus que c’est possible.

Je ne nie pas tous les efforts qui sont faits en faveur des personnes handicapées, mais je m’inquiète de la pression qui s’exerce sur les parents, et plus encore de celle qui s’exercera sur eux lorsque, peut-être, on saura mesurer au premier stade embryonnaire le risque de cancer, d’hypertension, de diabète, de schizophrénie, d’obésité, de maladie d’Alzheimer…

M. le rapporteur. Cela repose la question du curseur.

M. Xavier Mirabel. Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée… Si on l’entrouvre, on voudra sans cesse l’ouvrir un peu plus et on s’enfoncera plus encore dans des problèmes éthiques insolubles.

M. Paul Jeanneteau. J’ai bien compris que vous étiez contre la congélation des embryons surnuméraires, mais aujourd’hui il existe des embryons congelés. Selon vous, que faut-il en faire ?

Pouvez-vous préciser votre position sur le diagnostic préimplatatoire lorsqu’il est demandé par des personnes issues de familles touchées par une maladie particulièrement grave et transmissible ?

Enfin, à un moment où il me semble que les pouvoirs publics prennent beaucoup d’initiatives en faveur des personnes handicapées, qu’est-ce qui vous fait dire que la crainte des parents est que leurs enfants soient mal accueillis par la société ?

Mme Marie-Thérèse Hermange, sénatrice, membre du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. J’ai été très touchée par ce que vous avez dit sur le handicap et par les témoignages que vous avez rapportés. Pour ma part, j’ai vu récemment une personne handicapée dire à quelqu’un : « Je suis une erreur ». J’ai également rencontré, alors que nous venions de voter la loi sur le handicap, un couple dont l’enfant trisomique devait passer d’un stade scolaire à un autre et qui affirmait qu’avec le développement du diagnostic prénatal et préimplantatoire, on trouvait de moins en moins de structures d’accueil. Est-ce, contrairement aux discours et à la loi, ce que vous constatez vous-même ?

Ma deuxième question est plus personnelle : avez-vous le sentiment que votre discours est entendu lorsque vous mettez en garde contre un eugénisme de convenance ?

M. Xavier Breton. Expliquez-vous par la seule pression sociale le fait qu’un diagnostic prénatal de trisomie 21 soit suivi d’un avortement dans 98 % des cas ? Ne s’agit-il pas aussi de la responsabilité individuelle des couples ?

Par ailleurs, avez-vous des contacts avec des associations étrangères et des informations à nous communiquer sur le fruit des échanges que vous pourriez avoir avec elles ?

M. Xavier Mirabel. Que faire des embryons congelés ? On peut envisager de les réimplanter dans l’utérus de leur maman si elle le souhaite. On peut aussi envisager d’arrêter cette congélation, que l’on pourrait regarder comme une forme d’acharnement thérapeutique, comme une pratique tout à fait indue sur un être humain très fragile. Faudrait-il, au prétexte qu’ils existent et sont congelés, s’en servir pour la recherche ? Je comprends la tentation, mais décider cela, c’est sacrifier ces êtres vivants au profit de la recherche. En avons-nous le droit ? Nous considérons que non.

Que faire en cas de diagnostic prénatal ou préimplantatoire très sévère ? Je ne peux pas vous le dire. La réponse relève du colloque singulier des parents avec des personnes qui peuvent être plus compétentes que moi.

Le diagnostic préimplantatoire est-il justifié ? Notre position, vous l’aurez compris, est que l’embryon est profondément respectable dès le commencement. Lorsque l’Agence de la biomédecine nous apprend qu’il faut une trentaine d’embryons pour en faire naître un, nous ne pouvons pas être favorables à cette pratique.

Qu’en est-il de l’accueil des handicapés ? Certes il existe des structures, mais la peur des parents concerne surtout le long terme et le très long terme. Lorsque ma fille est née, la question de ce qu’elle allait devenir quand je serais devenu vieux m’a immédiatement envahi l’esprit. Il ne fait pas de doute que l’on fait davantage aujourd’hui qu’auparavant pour les personnes handicapées ; on pourrait néanmoins faire mieux, surtout pour les personnes handicapées vieillissantes. Sans doute aussi une pédagogie est-elle nécessaire pour que les familles confrontées à ces difficultés aient davantage conscience des possibilités qui leur sont offertes. Pour répondre à Mme Hermange, je n’ai pas le sentiment d’une diminution des structures d’accueil, mais je ne suis pas un spécialiste de la question. En revanche, le risque me paraît grand d’une démission de la société. Les soignants, les financeurs, les responsables politiques risquent tous de dire : « à quoi cela sert-il ? » – à quoi cela sert-il, par exemple, dans le contexte actuel, de réaliser une maison d’accueil pour enfants trisomiques 21 ?

Monsieur Breton, la pression sociale ne fait bien sûr pas tout. Je suis le premier convaincu que chacun est libre, et qu’il l’est d’autant plus en France que l’enfant souffrant de handicap sera pris en charge par l’assurance maladie. En Belgique, aux États-Unis, on a dit à des familles d’assumer les conséquences financières du choix qu’elles avaient fait de laisser naître leur enfant. J’espère que nous ne dériverons jamais vers ces méthodes, qui bien sûr aggravent encore la pression.

Mme Caroline Roux. De ce que nous disent les couples qui ont été confrontés à un diagnostic prénatal de handicap, il ressort qu’ils étaient souvent un peu perdus, d’autant que le diagnostic n’avait pas toujours été posé de manière très certaine. Bien souvent, l’IMG n’est pas ressenti comme un choix personnel mais comme une décision médicale. De plus, si tout le monde fait ce « choix », cela finit par ne plus en être un.

M. Jean-Marc Nesme. Je vous pose la même question que Jean Leonetti : pourriez-vous préciser votre position concernant la gestation pour autrui ?

M. Xavier Mirabel. Nous n’y sommes pas favorables. Le fait de provoquer de cette façon une dissociation de la parentalité de l’enfant est problématique. Une telle dissociation peut certes se produire à la suite d’une séparation, d’un accident, d’une maladie, mais autre chose est de fabriquer cette situation. Dans la gestation pour autrui, l’enfant vit pendant neuf mois une histoire avec la « mère porteuse » ; il est un peu étonnant qu’aujourd’hui où l’on insiste sur l’importance des liens qui unissent l’enfant à sa mère avant la naissance, on soit prêt à les renier. Ce qui nous guide, ce sont les droits de l’enfant.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Vous êtes contre la congélation des embryons, mais le taux de succès des réimplantations étant très faible, quelle est l’alternative ?

Quant à la recherche sur l’embryon, vous vous y êtes dit hostile parce qu’elle entraîne la destruction de l’embryon, mais le DPI est bien la preuve qu’on peut faire des recherches sur un embryon sans le détruire. Seriez-vous favorable à une modification de la loi pour permettre l’implantation d’un embryon qui a fait l’objet de recherches ?

M. Xavier Mirabel. Je ne crois pas que ce soit l’attente des chercheurs, dont l’objectif est avant tout la recherche fondamentale, et que nous encourageons à étudier plutôt le développement embryonnaire chez l’animal.

M. Michel Vaxès. Dès l’instant où il n’y a pas de projet parental sur un embryon, il n’y a pas de potentialité de personne humaine. Quelle est alors la différence avec l’animal ?

M. Xavier Mirabel. Le concept même de projet parental me gêne. Pourquoi le regard qu’on pose sur l’embryon dépendrait-il du projet qu’on a sur lui ? Projet parental ou pas, un embryon est un être humain au début de son histoire. C’est une potentialité au sens où je suis la potentialité de celui que je serai dans dix ans…

M. Michel Vaxès. Pour moi, comme pour Jean Leonetti, la potentialité apparaît seulement à partir du moment où l’embryon se fixe dans l’utérus.

Ma deuxième question est inspirée par le problème que pose l’accueil du handicap dans des familles en situation de très grande détresse – morale, sociale, financière. Partagez-vous l’idée exprimée devant nous par les représentants des religions que la souffrance n’est pas rédemptrice ?

M. Xavier Mirabel. La souffrance, je suis attaché à l’idée qu’il faut essayer de la soulager, de la consoler, de l’accompagner. Je ne sais pas s’il existe des situations insurmontables, mais on ne peut pas, au motif de la souffrance, supprimer celui qui souffre – ou alors plus rien n’a de sens. La personne souffrante attend de nous que nous nous engagions auprès d’elle, que nous lui manifestions soutien et affection. Qu’il y ait des situations dramatiques, des cas d’espèce, je le sais bien, mais nous sommes ici pour réfléchir à ce que doit faire la société. Pour ma part, je souhaite très vivement qu’elle fasse tout pour accueillir avec une infinie délicatesse et toute l’attention possible la personne souffrante.

M. le président. Merci beaucoup.

Audition de Mme Laure COULOMBEL, directrice de recherche à l’INSERM


(Procès-verbal de la séance du 7 avril 2009 )

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le Président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Laure Coulombel, directrice de recherche à l’INSERM, rédactrice en chef adjointe de la revue Médecine Sciences. Vous êtes, Madame, spécialisée dans la recherche sur les cellules souches. Vous aurez d’ailleurs, à ce titre, pour tâche de former sur le sujet un panel de citoyens dans le cadre des états généraux de la bioéthique.

Je souhaiterais que vous puissiez aujourd’hui dresser devant notre mission un état des lieux précis de la recherche et que vous rappeliez, afin d’éviter des contresens et parfois des positions hâtives, ce que sont les cellules souches embryonnaires, les cellules souches adultes et les cellules adultes reprogrammées, les fameuses iPS (induced pluripotent stem cell). Où en est la recherche fondamentale pour chacun de ces types de cellules ? Quels sont les principaux défis que doivent aujourd’hui relever les chercheurs ? Où en est-on en matière thérapeutique avec les cellules souches adultes ? Des essais pré-cliniques ou cliniques sont-ils en cours sur les cellules souches embryonnaires ? Enfin, pensez-vous que les dispositions législatives actuelles relatives aux cellules souches embryonnaires doivent être modifiées ?

Mme Laure Coulombel. Il faut garder présent à l’esprit tous les stades du développement spontanément irréversible observé in vivo, qui de l’embryon conduisent à l’enfant, puis à l’adulte et à la personne âgée. D’une cellule souche dite embryonnaire initialement totipotente, on passe à des cellules souches fœtales puis adultes qui ne sont plus que multipotentes et perdent, au fil du temps, à la fois leurs capacités de prolifération et leurs potentialités. Ce sont enfin des cellules différenciées qui composent tous les tissus et organes de notre corps, elles aussi soumises à la sénescence.

Les cellules embryonnaires ne sont totipotentes, c’est-à-dire ne permettent de donner chacune un individu en entier, y compris les annexes embryonnaires, que pendant les 72 à 96 premières heures du développement de l’embryon. Elles passent ensuite au stade de pluripotence, où elles peuvent encore donner tous les tissus intra-embryonnaires mais plus les annexes, puis très rapidement au cours du développement de l’embryon, elles ne sont plus que multipotentes, spécialisées dans la fabrication des divers tissus. Très vite, elles voient leur potentiel restreint à la fabrication de ce tissu, peut-être étendu au feuillet embryonnaire dont il provient.

Parmi les cellules souches adultes, il faut distinguer entre les cellules fœtales, issues du sang de cordon ou de tissus fœtaux, et les cellules souches tissulaires de l’adulte. Ces cellules souches adultes sont très différentes des cellules souches embryonnaires, c’est-à-dire essentiellement des lignées de cellules dérivées de la masse interne du blastocyste. Les cellules souches embryonnaires sont pluripotentes, avec un profil d’expression génétique très différent à la fois de celui des cellules souches adultes et des cellules souches fœtales.

Les cellules souches adultes sont multipotentes, déjà engagées dans un processus de différenciation qui restreint leur potentiel. Ce sont des cellules rares, localisées dans des « niches » à l’intérieur des tissus, difficiles d’accès donc et qui, comme toutes les cellules de l’organisme, sont soumises à la sénescence. Des cellules souches d’une personne âgée sont infiniment moins performantes que celles d’une personne jeune, a fortiori d’un fœtus.

Il faut toujours garder à l’esprit la différence entre ce qui se passe in vivo, dans le cadre physiologique très particulier de l’organisme, et in vitro, où des cellules peuvent acquérir des propriétés particulières, différentes de celles qu’elles auraient dans l’organisme. Les cellules souches embryonnaires étudiées au laboratoire constituent en quelque sorte des artefacts car il n’arrive jamais dans le milieu physiologique, certes modulable mais infiniment complexe, que des cellules prolifèrent sans se différencier.

Les cellules souches adultes se répartissent en trois catégories : les cellules souches tissulaires, les cellules souches que je nommerais « généralistes », – dont font partie les cellules souches mésenchymateuses, entité des plus floues dont l’équivalent in vivo est encore mal connu mais qui peuvent avoir un intérêt thérapeutique – enfin les cellules reprogrammées à partir de cellules adultes différenciées, les iPS, auxquelles cette reprogrammation a redonné une pluripotence de type embryonnaire – je dis de « type embryonnaire » car ces cellules ne sont pas exactement similaires aux cellules souches embryonnaires et ne proviennent pas d’un embryon.

Les cellules souches adultes tissulaires sont aussi diverses que les tissus de l’organisme eux-mêmes. Il faut distinguer entre les tissus où le renouvellement cellulaire est extrêmement rapide comme la peau, l’intestin ou encore la moelle osseuse qui fabrique les cellules sanguines – pour deux de ces trois tissus, on utilise depuis longtemps des cellules souches en thérapeutique ; les tissus dont le renouvellement cellulaire est plus lent mais qui ont une capacité assez importante de régénération comme l’os, le muscle strié et, éventuellement, l’endothélium vasculaire – on est certain que des cellules souches de l’os fonctionnent in vivo ; enfin, les tissus dont non seulement le renouvellement cellulaire est très faible, sinon inexistant, mais pour lesquels on ne connaît pas, ou très mal, de cellules souches, ce qui rend très aléatoire une utilisation thérapeutique. C’est le cas du système nerveux central, où des cellules souches ont été mises en évidence chez le fœtus, beaucoup plus difficilement chez l’adulte où l’on n’est même pas sûr qu’elles fonctionnent. De même on ne sait pas très bien ce qu’est une cellule souche de cœur ou de rein. À l’heure actuelle, les seules indications thérapeutiques avérées des cellules souches adultes concernent la peau, l’os et le sang. Pour les autres tissus, c’est beaucoup plus flou.

Les cellules souches adultes sont localisées dans des « niches » spécifiques des tissus, où elles ont pu être repérées, notamment par des méthodes d’imagerie. Extraites de ces « niches », dont la configuration in vivo dans l’organisme leur permet de conserver leurs propriétés, soit elles meurent tout de suite, soit elles se différencient. Il est donc très difficile de prélever une cellule souche adulte et de la faire se multiplier in vitro, voire simplement de la conserver en vie. C’est un défi pour les chercheurs que de déterminer les composants et comprendre le rôle de ces « niches ».

Les cellules souches « généralistes » se trouvent, elles, dans le sang placentaire ou dans la moelle osseuse, et ont été appelées, terme imprécis, cellules mésenchymateuses ; elles adhèrent au plastique des boîtes de culture quand les cellules sanguines ou hématopoïétiques y surnagent. Il est très facile de faire se multiplier in vitro les cellules souches mésenchymateuses. Mais d’où proviennent-elles exactement et comment se comportent-elles in vivo ? Sont-elles utilisables en thérapeutique ? Ces cellules ont des potentiels extrêmement divers. Il est aujourd’hui certain qu’elles contiennent des progéniteurs d’os. Et on a pu reproduire l’expérience consistant à leur faire fabriquer de l’os, du cartilage, des adipocytes… Elles sont porteuses de beaucoup d’espoirs dans la réparation des gros dégâts osseux, en combinaison notamment avec des biomatériaux. D’autres études de laboratoire ont montré que, sous la stimulation de facteurs de croissance particuliers, elles étaient capables de donner des cellules comportant des marqueurs hépatocytaires ou neuronaux. On ne sait pas très bien pour l’instant ce que cela signifie et on ignore si, transplantées dans un organisme, ces cellules hépatocytaires – ou neurone-like – ainsi obtenues permettraient de reconstituer à terme un tissu fonctionnel. Aujourd’hui, les cellules souches mésenchymateuses disparaissent assez rapidement après transplantation. Il n’existe donc pour l’heure aucune preuve indiscutable de leurs capacités fonctionnelles in vivo. Je suis donc, pour ma part, très prudente s’agissant de leur utilisation thérapeutique pour remplacer les cellules déficientes d’un tissu. 

On ne sait pas très bien quel est l’équivalent in vivo de ces cellules, je l’ai dit. On pense qu’elles pourraient provenir de la multiplication des cellules entourant les vaisseaux, les péricytes. Il n’est pas exclu non plus que ces cellules, amplifiées in vitro, y acquièrent, sous l’effet des facteurs de croissance utilisés, des propriétés qu’elles n’auraient pas in vivo. Leur utilisation en thérapeutique peut être envisagée, mais il faut se souvenir qu’elles ne constituent pas un équivalent de cellules in vivo, contrairement aux cellules hématopoïétiques utilisées lors de greffes de moelle osseuse.

On trouve dans la moelle osseuse et le sang de cordon, à la fois des cellules souches hématopoïétiques, des cellules souches mésenchymateuses susceptibles de donner de l’os, du cartilage, divers progéniteurs – de l’endothélium vasculaire par exemple – et, éventuellement, d’autres cellules, dont la pluripotence n’a été démontrée pour l’instant qu’in vitro. Jusqu’à présent, dans l’utilisation du sang de cordon, ce sont clairement les cellules souches hématopoïétiques qui priment.

J’en viens à l’utilisation thérapeutique des cellules souches adultes. On peut, d’une part, stimuler les cellules souches tissulaires endogènes de l’organisme en agissant in situ sur leur « niche » – des essais cliniques ont eu lieu en ce sens –, notamment en l’activant par le biais de molécules pharmacologiques. On peut, d’autre part, greffer des cellules souches notamment mésenchymateuses, dans le but, non pas de remplacer les cellules des tissus détruits, mais d’aider à leur remplacement par la sécrétion de facteurs de croissance particuliers ou par la stimulation de la repousse des vaisseaux, essentielle à la reconstitution des tissus. C’est ainsi que les cellules souches mésenchymateuses pourraient être utilisées comme adjuvantes dans la réparation des tissus par les cellules souches endogènes. Elles présentent de surcroît une intéressante propriété immuno-modulatrice, qui leur permet d’être mieux tolérées et de faciliter la tolérance d’autres cellules greffées simultanément. Beaucoup d’essais cliniques ont été menés récemment sur cette utilisation des cellules mésenchymateuses comme adjuvant. Mais on a beaucoup de mal à prouver, excepté pour l’os, que les cellules souches mésenchymateuses permettent elles-mêmes de reconstituer des tissus détruits. Troisième possibilité, on peut également greffer des cellules souches exogènes pour remplacer un tissu détruit. Mais les cellules souches adultes tissulaires n’ont pas beaucoup d’indications thérapeutiques de ce type, à l’exception des cellules souches hématopoïétiques, épidermiques et osseuses.

M. le président. Pourriez-vous nous dire un mot des cellules souches embryonnaires ?

Mme Laure Coulombel. Ces cellules sont dérivées à partir de la masse interne du blastocyste. Au quatrième ou cinquième jour de son développement, l’embryon présente une couche externe de cellules qui donnera les annexes embryonnaires, dont le placenta bordant une cavité où se trouve à un pôle un agrégat de cellules, masse interne ou bouton embryonnaire. Ce bouton est appelé à s’organiser en trois feuillets, l’ectoderme, le mésoderme et l’endoderme, qui donneront tous les tissus de l’organisme. C’est à partir du bouton embryonnaire que l’on obtient des lignées immortelles de cellules souches embryonnaires qui, sous l’influence de facteurs de croissance, prolifèrent sans se différencier, conservant la possibilité ultérieure de se différencier en n’importe quel dérivé des trois feuillets.

Ces cellules souches embryonnaires humaines sont totalement différentes des cellules souches embryonnaires murines, vraisemblablement parce que, provenant d’un stade plus tardif, elles sont, pour certaines, déjà quelque peu engagées dans une différenciation en l’un des trois feuillets. Les lignées de cellules souches embryonnaires humaines sont extrêmement diverses et hétérogènes. Plus de trois cents ont été identifiées au niveau international, dont chacune a quasiment une spécialisation : ainsi certaines lignées sont-elles bien meilleures que d’autres pour se différencier en cellules pancréatiques sécrétant l’insuline. On commence tout juste à comprendre, à partir d’études effectuées à partir de cellules souches embryonnaires de souris, pourquoi ces cellules sont capables à l’état de lignée de conserver leur pluripotence alors qu’in vivo, elles se spécialisent. Si on réimplante de telles cellules de souris dans un embryon de souris, elles reprennent le chemin de leur développement normal et se différencient de nouveau en tous les tissus. Ces cellules embryonnaires dérivées du blastocyste sont des cellules pluripotentes normales, n’ayant été modifiées en aucune façon, contrairement aux iPS. C’est en comprenant quels gènes exprimés étaient responsables du maintien de cette pluripotence que l’on a pu fabriquer les iPS. On a notamment compris combien l’expression du génome dépendait aussi de la façon dont l’ADN s’enroule autour des histones ou bien encore subit certaines modifications chimiques, comme acétylation ou méthylation. L’étude des cellules souches embryonnaires murines et humaines a ainsi permis de mieux comprendre l’importance de l’épigénétique. On s’est ainsi aperçu que l’on pouvait probablement moduler le potentiel d’une cellule en agissant non seulement sur son programme génétique mais aussi épigénétique. La compréhension de tous ces phénomènes est déterminante, pouvant aboutir, à terme, à une modulation thérapeutique. C’est pourquoi je juge fondamentale l’étude des cellules souches embryonnaires.

Sur le plan thérapeutique, les cellules souches embryonnaires présentent l’avantage de n’avoir été modifiées en aucune façon, d’être pluripotentes et disponibles en très grande quantité, ce qui est essentiel si on envisage de les utiliser pour traiter des pathologies dégénératives fréquentes. Il faut en effet dans ce cas pouvoir disposer facilement de produits cellulaires standardisés et sécurisés, ce qui exige une matière première abondante.

Quels risques présente leur utilisation ? Tout d’abord, celui d’un rejet immunologique en raison d’une éventuelle incompatibilité donneur-receveur, comme dans toute situation allogénique. Il est difficilement évitable bien que l’on envisage de pouvoir administrer transitoirement au receveur un traitement immuno-suppresseur – on étudie actuellement le rapport bénéfices - risques de cette option. Le second risque est tumoral. Il pourrait résulter d’une possible contamination de la suspension cellulaire injectée au receveur par des cellules indifférenciées susceptibles d’induire des tumeurs – l’injection chez la souris de cellules indifférenciées y provoque des tératomes, qui sont des tumeurs bénignes mais dangereuses. Cela étant, le processus est de mieux en mieux maîtrisé. On a en effet appris à purifier les progéniteurs d’intérêt que l’on souhaite utiliser, et beaucoup de recherches sont conduites sur le sujet. Le risque pourrait aussi résulter de ce que les progéniteurs, même excellemment purifiés, présentent eux-mêmes un risque tumoral du fait de leur instabilité génétique, inhérente à tout progéniteur relativement immature. Cela ne peut être exclu. Un essai clinique vient d’être autorisé par la FDA (Food and drug administration) aux Etats-Unis. Mené par la société Geron Corporation et visant au traitement de lésions de la moelle épinière, il est actuellement en phase I de tests de toxicité et de tolérance. Cet essai fait appel à l’une des premières lignées de cellules souches embryonnaires qui aient été dérivées aux Etats-Unis, les H 1, que Geron fait se différencier en progéniteurs d’oligodendrocytes synthétisant la myéline autour des axones, et que l’on injecte dans la moelle épinière au niveau du traumatisme à réparer. Deux autres essais sont en cours de discussion, l’un conduit par Novocell, visant à une thérapie régénérative du pancréas par l’insertion de précurseurs, encapsulés pour plus de sécurité, des îlots de Langerhans, cellules qui synthétisent l’insuline, et un autre concernant certaines pathologies de la rétine.

Les cellules souches embryonnaires humaines peuvent aussi servir à un screening, c’est-à-dire un criblage, notamment toxicologique, de molécules pharmacologiques ayant, elles, un intérêt thérapeutique immédiat. C’est une voie à ne pas négliger, notamment au cas où il deviendrait de plus en plus difficile de tester la toxicité des molécules sur les animaux. Il est très intéressant de procéder à ce criblage sur des cellules souches embryonnaires provenant d’embryons ayant subi un DPI et non implantés car porteurs d’une mutation génétique à l’origine de la maladie que l’on veut éviter. Travailler sur des cellules porteuses de la mutation incriminée pourrait permettre de comprendre les mécanismes qui ont conduit à l’anomalie de différenciation, et, au-delà, de mettre au point des molécules pharmacologiques susceptibles d’atténuer, voire de réparer, le défaut identifié dans ces cellules. Dans ce cas, la cellule souche embryonnaire est utilisée comme outil de modélisation d’une maladie.

L’un des problèmes que soulève l’obtention de cellules souches embryonnaires est qu’elle suppose la destruction de l’embryon. Dériver ces cellules sans détruire l’embryon exigerait de travailler à un stade antérieur au blastocyste, comme celui de la morula, stade auquel est précisément réalisé le diagnostic pré-implantatoire par biopsie d’un blastomère. Cela étant, il est très difficile techniquement de dériver des lignées de cellules souches embryonnaires à partir d’un blastomère – les échecs sont nombreux et cela donne souvent des cellules de type trophoblastique – et je ne suis pas certaine que cela résolve le problème éthique.

Pour obtenir des cellules souches embryonnaires, on les dérive soit à partir d’embryons surnuméraires conçus par fécondation de gamètes in vitro, soit à partir d’embryons conçus uniquement dans un but de recherche, cette seconde voie étant aujourd’hui interdite en France. Il est aussi possible de créer des « embryons » par transfert nucléaire, technique qui consiste à insérer dans un ovocyte énucléé le noyau d’une cellule somatique et à induire de là le développement de l’ovocyte en embryon. Il n’y a pas de lignées de cellules souches embryonnaires humaines obtenues à partir d’un transfert nucléaire effectué dans un ovocyte humain. Le protocole récemment autorisé en Grande-Bretagne consistant à utiliser des ovocytes de vache ou de lapine pour fabriquer des hybrides cytoplasmiques, qu’on appelle cybrides, a été un échec, si l’on en croit une publication récente. Les chercheurs ont bien obtenu une division cellulaire mais non une reprogrammation de type embryonnaire, ce qui attesterait qu’il existe bien une barrière d’espèce. Il faut enfin signaler à titre anecdotique que des lignées de cellules souches embryonnaires ont également été obtenues à partir d’ovocytes parthénogénétiques, c’est-à-dire ayant engagé leur développement sans fécondation ni transfert de noyau.

J’en viens à la reprogrammation des cellules somatiques adultes. Les chercheurs savaient depuis longtemps que la fusion d’une cellule souche embryonnaire avec, par exemple, un lymphocyte B ou d’autres cellules différenciées induisait une reprogrammation, grâce à des protéines pluripotentes présentes dans le cytoplasme de la cellule embryonnaire. Les résultats obtenus par l’équipe du Pr Yamanaka au Japon sont donc le fruit d’années de recherche fondamentale. Comment fabrique-t-on une iPS ? Tout simplement en transférant des gènes pluripotents dans une cellule somatique adulte, qui vont y fabriquer des protéines pluripotentes capables d’agir sur le noyau de la cellule et de le reprogrammer en noyau de cellule embryonnaire pluripotente, ou, pour être plus exact, en noyau ayant acquis de nouveau des propriétés de pluripotence.

Le seul fait de faire exprimer par un fibroblaste de peau par exemple, qui normalement ne les exprime plus, quatre protéines caractéristiques de l’état de pluripotence suffit à reprogrammer une cellule somatique adulte. On y parvient par l’intermédiaire d’un virus intégratif, le plus souvent un rétrovirus, ayant intégré dans son propre génome l’ADN codant pour ces quatre protéines. Ce rétrovirus s’intègre dans le génome de la cellule adulte et y permet la fabrication de ces protéines en quantité importante. Le processus prend de 20 à 25 jours. La cellule reprogrammée va réacquérir un programme génétique très proche de celui de la cellule souche embryonnaire – du moins de ce que l’on en connaît pour l’heure –, y compris les modifications épigénétiques.

Ce qui est fascinant est que le processus s’autonomise. Il n’est besoin de ces protéines pluripotentes exogènes que pendant les dix premiers jours. Ensuite, la cellule adulte reprogrammée réactive ses propres gènes de pluripotence et produit les protéines adéquates. C’est ainsi qu’à partir d’un fibroblaste épidermique, on a pu fabriquer des cellules pluripotentes capables de se différencier en hépatocyte ou en hématie. À l’heure actuelle, ce procédé a été reproduit par de nombreux laboratoires dans le monde. Le plus efficace est d’utiliser un rétrovirus codant pour chacune des quatre protéines pluripotentes ; mais selon la cellule adulte de départ, il semblerait que trois protéines pluripotentes, ou même deux seulement, puissent suffire. On a aussi constaté qu’il était plus facile de reprogrammer une cellule adulte jeune qu’une même cellule âgée, encore que des fibroblastes épidermiques de personnes âgées aient pu être reprogrammés, et que certains types de cellules, épithéliales notamment, soient plus facilement reprogrammables que d’autres. Mais les recherches étant encore très récentes dans tous ces domaines, le recul est insuffisant.

L’analyse génétique de ces cellules adultes reprogrammées montre qu’elles sont très proches des cellules souches embryonnaires, mais qu’elles ne leur sont pas strictement identiques. On a, semble-t-il, quelques difficultés à les faire se différencier de manière efficace, ce qui est très important en vue d’un éventuel usage thérapeutique. Les recherches vont très vite et il faudra surveiller avec attention les prochains résultats. Il existe déjà de par le monde plusieurs centaines de lignées d’iPS, obtenues y compris à partir de cellules de patients porteurs d’une mutation génétique, et qui ont déjà fait l’objet d’un criblage pharmacologique.

Utilisées en thérapeutique, les iPS poseront exactement les mêmes problèmes que les cellules souches embryonnaires, notamment pour ce qui est du risque tumoral. Quant à l’hypothèse envisagée par certains que chaque individu fasse fabriquer un lot d’iPS autologue qu’il pourrait utiliser par la suite en cas de besoin, elle ne me paraît pas réaliste en termes ni de coût ni de logistique.

Le défi est maintenant de trouver un moyen de reprogrammer des cellules adultes sans avoir besoin de recourir à un rétrovirus intégratif, stratégie qui exclut toute utilisation thérapeutique de la cellule reprogrammée. Là encore, les recherches progressent très vite : la semaine dernière, trois articles ont encore été publiés sur le sujet ! Lorsqu’on comprendra mieux les mécanismes de la reprogrammation, il apparaîtra peut-être possible d’y procéder par le biais d’une molécule pharmacologique. À ce point, il est important de souligner une différence : une iPS est une cellule pluripotente, alors que le transfert nucléaire dans un ovocyte permet d’obtenir une cellule totipotente.

Une idée, encore à explorer, est qu’il ne serait peut-être pas besoin de « faire remonter » la cellule différenciée jusqu’à un état de pluripotence mais qu’il pourrait suffire de reprogrammer un progéniteur voisin de celui du tissu que l’on souhaiterait reconstituer. Je pense ainsi aux travaux d’une équipe américaine qui a réussi à reprogrammer des cellules exocrines du pancréas en cellules synthétisant l’insuline qui sont proches des précédentes.

Le préalable essentiel à tout « progrès thérapeutique majeur » est de parfaitement comprendre ce qui se passe in vivo. Ces connaissances fondamentales sont indispensables avant toute considération thérapeutique. Or, force est de constater que certains, notamment dans les médias, vont parfois un peu vite en besogne…

M. Jean Leonetti, rapporteur. Comme vous le savez, la loi de bioéthique de 2004 interdit les recherches sur l’embryon, cette interdiction ayant toutefois été assortie d’un moratoire de cinq ans pour les protocoles permettant d’escompter « un progrès thérapeutique majeur » et ne pouvant être menés à bien par « une méthode alternative d’efficacité comparable. » Elle précise de surcroît que seuls des embryons surnuméraires issus de FIV peuvent être utilisés pour ces recherches, dans la mesure où il est interdit de créer des embryons à seules fins de recherche.

Parallèlement aux recherches sur les cellules embryonnaires, se sont développées, notamment sous l’impulsion d’équipes japonaises, les recherches sur la reprogrammation de cellules adultes qui ont abouti aux fameuses iPS. Certains font aujourd’hui valoir que les iPS, tout en ne présentant pas davantage de risques que les cellules souches embryonnaires, offriraient une voie à la fois beaucoup plus simple et beaucoup plus prometteuse.

M. le président. Et soulevant moins de problèmes éthiques.

M. le rapporteur. Selon vous, Madame, les cellules adultes reprogrammées peuvent-elles constituer une alternative aux cellules souches embryonnaires ou faut-il poursuivre parallèlement les recherches dans les deux domaines ? Dans la première hypothèse, on pourrait se passer des cellules souches embryonnaires et les questions éthiques sur le statut exact de l’embryon passeraient à l’arrière-plan. Vous avez toutefois laissé entendre que ces deux types de cellules n’étaient pas exactement identiques et que la compréhension de certains mécanismes, de la différenciation cellulaire notamment, exigeait la poursuite de recherches sur l’embryon, même si aucun progrès thérapeutique majeur certain ne pouvait en être attendu à court ou moyen terme.

En un mot, le législateur ne doit-il pas continuer de permettre, sous une forme ou sous une autre, l’expérimentation sur les cellules souches embryonnaires ? Ne devrait-il pas, pour plus de clarté, supprimer toute référence à « un progrès thérapeutique majeur », certaines connaissances fondamentales pouvant d’ailleurs déboucher sur des progrès thérapeutiques que l’on n’avait pas au départ soupçonnés ?

Enfin, au vu des autorisations jusqu’à présent accordées par l’Agence de la biomédecine pour les recherches sur l’embryon, pensez-vous que l’on ait respecté, sinon la lettre, du moins l’esprit de la loi actuelle ?

Mme Laure Coulombel. Nous avons dix ans de recul pour les cellules souches embryonnaires humaines et seulement deux pour les cellules humaines adultes reprogrammées. Il est donc beaucoup trop tôt pour pouvoir dire si les secondes peuvent remplacer les premières. Les iPS ne se comportent pas exactement comme les cellules souches embryonnaires, notamment pour ce qui est de leur potentiel de différenciation. De surcroît, peut-être ne parviendra-t-on jamais à obtenir une iPS sans intégration rétrovirale. Ce serait donc une erreur scientifique que de conclure aujourd’hui qu’une iPS est équivalente à une cellule souche embryonnaire et peut s’y substituer. Enfin, se poseront aussi un jour des problèmes éthiques avec les iPS, notamment si on parvient à les différencier en gamètes.

Les iPS constituent une voie de recherche que l’on commence tout juste d’explorer. On est encore loin d’en avoir établi une efficacité thérapeutique. De nombreuses années de recherches seront encore nécessaires. La seule référence physiologique de cellule pluripotente normale dont nous disposons reste pour l’heure la cellule souche embryonnaire.

La rédaction actuelle de la loi qui institue un moratoire de cinq ans pour les recherches sur l’embryon à condition que les protocoles permettent « un progrès thérapeutique majeur » et ne puissent être menés à bien par « une méthode alternative d’efficacité comparable » pose en effet un problème. En effet, quelle limite de temps se fixe-t-on ? Toute recherche fondamentale est susceptible de conduire à un progrès thérapeutique majeur, mais nul ne sait, en commençant ses travaux, à quel horizon. C’est une préoccupation constante des chercheurs, tout particulièrement de ceux qui travaillent sur les cellules souches embryonnaires dont ils perçoivent bien qu’elles ne constituent pas un matériau tout à fait comme les autres. Personnellement, je ne vois pas bien ce qu’a voulu dire le législateur par ces mots.

M. le président. Cette formulation devrait donc, selon vous, être revue ?

Mme Laure Coulombel. Oui, je le pense.

M. le rapporteur. Un transfert nucléaire donne-t-il un embryon ou simplement un matériau expérimental ? Cela a-t-il un sens d’interdire le transfert nucléaire tout en autorisant, sous certaines conditions, les recherches sur l’embryon ? Ma question, vous l’aurez compris, est volontairement provocatrice. Sauf à tout interdire au motif que dans tous les cas on touche à des cellules qui, porteuses de notre patrimoine génétique, peuvent être soumises à reproduction – c’est aussi vrai, vous l’avez dit, dans le cas des iPS –, que faire ? 

M. le président. Une grande partie du débat a porté sur ce point en 2004. A priori, le transfert nucléaire devrait poser moins de problèmes éthiques.

M. le rapporteur. À mes yeux, il en pose moins – à condition bien sûr de ne pas implanter le produit du transfert dans un utérus –, que l’expérimentation sur l’embryon. Mais les chercheurs feraient-ils preuve des mêmes précautions s’ils travaillaient à partir du matériau expérimental obtenu à partir d’un transfert nucléaire ?

Mme Martine Aurillac. Êtes-vous, Madame, totalement favorable à la levée du moratoire sur les recherches sur les embryons surnuméraires ?

Mme Laure Coulombel. Oui, je vous réponds à titre personnel, mais la communauté scientifique partage largement cet avis. Il est très long de constituer les équipes et de trouver les financements. Ces recherches sont très difficiles. Un chercheur qui s’engage dans cette voie ne peut pas prendre le risque que ses travaux soient éventuellement interdits au bout de cinq ans. Le moratoire actuel freine incontestablement la recherche en ce domaine.

Il faudrait, me semble-t-il, distinguer entre le travail sur une lignée de cellules souches embryonnaires, dérivée pour certaines il y a déjà dix ans et déjà distribuée partout dans le monde, et la dérivation d’une lignée à partir du bouton embryonnaire d’un embryon surnuméraire. Les chercheurs font d’ailleurs spontanément cette différence.

M. le rapporteur. Le transfert nucléaire, aujourd’hui totalement interdit en France, est-il une voie prometteuse ? La recherche médicale française pâtit-elle de cette interdiction ?

Mme Laure Coulombel. Le transfert nucléaire pourrait permettre de mieux comprendre, dans l’ovocyte, les mécanismes d’enclenchement ou non de la reprogrammation. En revanche, cette technique pour dériver des lignées de cellules embryonnaires humaines ne me paraît pas d’un intérêt majeur sur le plan scientifique aujourd’hui.

Effectuer des recherches sur les cellules souches embryonnaires est tout à fait différent d’effectuer des recherches sur l’embryon. Les chercheurs qui essaient de comprendre les phénomènes du développement embryonnaire précoce, recherche très fondamentale particulièrement importante, ne sont pas les mêmes que ceux qui travaillent sur les cellules souches embryonnaires pouvant éventuellement présenter un intérêt thérapeutique. Les chercheurs qui travaillent sur la reprogrammation des cellules adultes peuvent être intéressés par le transfert nucléaire d’un point de vue connaissance fondamentale de ce mécanisme, plus que ceux qui dérivent des lignées de cellules embryonnaires dans un objectif plus appliqué.

M. le président. Il me reste, Madame, à vous remercier de votre contribution à nos travaux.

Audition de Mme Marie-Josée KELLER, présidente du Conseil national de l’Ordre des sages-femmes, de Mme Anne-Marie CURAT, trésorière et de Mme Marianne BENOÎT, conseillère nationale


(Procès-verbal de la séance du 8 avril 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. Alain Claeys, président. Madame Marie-Josée Keller, vous êtes présidente du Conseil national de l’Ordre des sages-femmes depuis 2006, date à laquelle vous étiez encore sage-femme à l’hôpital de Colmar, où vous avez exercé de 1979 à 2008. Depuis 1979, vous avez beaucoup travaillé sur les conditions d’accueil des mères désirant accoucher sous X, en coopération avec les services de la protection maternelle et infantile (PMI), l’aide sociale à l’enfance et la délégation départementale du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP). Vous avez également mis en place un centre périnatal de proximité en 2003, et organisé des réunions, en relation avec les acteurs médicaux et de prévention pour la petite enfance, pour soutenir des mères fragiles.

Madame Anne-Marie Curat, vous êtes trésorière du Conseil national de l’Ordre des sages-femmes au centre hospitalier du Val d’Ariège. Antérieurement, vous étiez trésorière de la Fédération nationale des associations de formation continue des sages-femmes.

Madame Marianne Benoît, vous êtes conseillère nationale à l’Ordre des sages-femmes.

Vous avez demandé à être entendues afin d’évoquer plusieurs points, mais vous pourrez aborder tout autre sujet.

Les premiers points portent sur le champ de compétence des sages-femmes, le diagnostic prénatal (DPN) et l’accouchement sous X. Même si ce dernier ne relève pas directement des lois de bioéthique, votre expérience et vos réflexions pourraient nous éclairer sur une demande, que nous voyons apparaître fortement, concernant l’accès aux origines dans le domaine de l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur.

Au-delà, et même si ce n’est pas un sujet directement en prise avec votre démarche professionnelle, vous pourrez aussi aborder la gestation pour autrui par rapport à votre vécu, avec cette notion d’abandon pour l’enfant.

Mme Marie-Josée Keller. L’Ordre des sages-femmes est l’autorité compétente pour l’inscription, la réglementation et le contrôle de l’exercice professionnel des sages-femmes exerçant en France. C’est donc un organisme chargé d’une mission de service public qui regroupe obligatoirement toutes les sages-femmes habilitées à exercer : 22 000 sont inscrites et à peu près 20 000 sont en exercice. Le Conseil national de l’Ordre a également une mission de défense et de protection de la santé publique en ce qui concerne les femmes et les nouveau-nés.

Au même titre que les professions de médecin et de chirurgien-dentiste, la profession de sage-femme est classée dans le code de la santé publique parmi les professions médicales. Les sages-femmes possèdent de nombreuses compétences qu’elles acquièrent au cours d’une formation de cinq ans. Elles sont compétentes pour suivre et assurer les grossesses et les accouchements dits physiologiques – c'est-à-dire normaux – et orientent immédiatement la patiente vers un spécialiste dès qu’elles détectent une pathologie. Elles jouent un rôle essentiel auprès des femmes et des nouveau-nés et mettent en œuvre leurs compétences dans des domaines aussi variés que la prévention, la prescription thérapeutique et le dépistage.

Ainsi que le dispose l’article L. 4151-1 du code de la santé publique, « l’exercice de la profession de sage-femme comporte la pratique des actes nécessaires au diagnostic, à la surveillance de la grossesse et à la préparation psychoprophylactique à l’accouchement ».

Nous aborderons quatre sujets : les sages-femmes dans les centres d’assistance médicale à la procréation (AMP), le dépistage de la trisomie 21, l’accouchement sous anonymat et la grossesse pour autrui.

Mme Marianne Benoît. Pour ma part, je suis conseillère nationale depuis deux ans à l’Ordre des sages-femmes et je parlerai plus précisément des sages-femmes dans les centres d’AMP.

Aujourd'hui, sur les 20 000 sages-femmes en exercice en France, une centaine travaille dans les 110 centres cliniques d’AMP. Même si elles sont peu nombreuses, elles y occupent une place très importante. Une majorité – 80 – travaille dans les centres hospitaliers universitaires, la majorité des centres cliniques d’AMP étant inclus dans les centres hospitaliers universitaires (CHU).

Quel est l’exercice des sages-femmes dans les centres d’AMP ? Elles procèdent à des échographies de monitorage de l’ovulation ou à des échographies folliculaires ; elles font des consultations au moment du démarrage du traitement de stimulation, de l’information sur les dons d’ovocyte et des échographies de début de grossesse ; elles suivent l’évolution des courbes des hormones de grossesse ; elles assurent le suivi des « issues de grossesse » – terme qui signifie que l’AMP a réussi ; elles s’occupent aussi de l’informatisation, notamment pour les bilans statistiques et ministériels ; enfin, elles gèrent des réunions d’information des couples en vue d’une fécondation in vitro (FIV), et des receveuses en vue d’un protocole de don.

M. le président. Avez-vous un rôle dans l’équipe médicale en matière de suivi à la suite d’échecs ?

Mme Marianne Benoît. Tout à fait.

Je vous propose de prendre l’exemple d’un grand hôpital parisien, l’hôpital Cochin, qui comporte un très grand centre d’AMP dans lequel exercent trois sages-femmes, afin de vous décrire le parcours du couple dans ce centre et la place de la sage-femme dans le cadre de ce parcours.

La consultation médicale décisionnelle – c’est-à-dire « le pourquoi » du besoin de l’AMP et la détermination du traitement à mettre en place – est pratiquée par le médecin. Ce « pourquoi » de l’AMP peut nécessiter plusieurs consultations.

La sage-femme entre en jeu dès le départ en faisant la consultation entrante – « le comment » de l’AMP. Elle effectue l’échographie de démarrage, c’est-à-dire avant le commencement du traitement et vérifie le dossier, des examens complémentaires pouvant être nécessaires. Elle explique le traitement, dont l’initialisation peut être assez complexe et évolutive, et en programme les premiers jours ainsi que les rendez-vous dans le centre. En cours de stimulation de certaines hormones, elle procède à des dosages pour vérifier l’efficacité du traitement et à des échographies folliculaires qui mesurent la taille des follicules ovariens. Elle adapte, avec les internes, le traitement grâce à des logiciels pour obtenir la meilleure stimulation possible et donne des consignes par téléphone à la patiente.

En hôpital de jour, le geste technique de la ponction d’ovocyte est réalisé par le médecin, sachant que la sage-femme prend en charge la femme à son entrée tandis que l’examen de sortie est pratiqué par l’interne.

Pour le transfert d’embryons, la prise en charge et l’accompagnement sont assurés par la sage-femme, notamment la préparation psychoprophylactique du geste, ce dernier ayant un impact psychologique très fort et pouvant être douloureux. L’insémination artificielle est, elle, du ressort de l’interne.

Pour la prise en charge après la tentative, qu’elle soit positive ou négative, un accompagnement avec un suivi téléphonique est assuré par la sage-femme et un psychologue s’il y en a un. Dans tout le système, le téléphone a une part très importante.

Quand, par bonheur, le résultat est positif, le suivi des bHCG, c'est-à-dire les hormones sécrétées dès le début de la grossesse, est fait par la sage-femme. Si la consultation après la fécondation in vitro (FIV) est réalisée par le médecin, l’échographie de dépistage de la grossesse est effectuée par la sage-femme ou par l’interne. Enfin, le suivi de l’issue de grossesse est fait par la sage-femme.

Quelques chiffres montrent que l’activité des sages-femmes est importante.

En 2008, sur les 5 343 échographies folliculaires réalisées à l’hôpital Cochin, 3 006 l’ont été par des sages-femmes. Les chiffres pour 2009 sont à la hausse puisqu’ils prévoient pour les sages-femmes 4 000 échographies, 1 350 consultations pré-FIV, 200 consultations d’information sur le don, notamment pour les dons d’ovocytes, et 1 500 accompagnements aux transferts, avec la prise en charge psycho-prophylactique – relaxation, sophrologie, etc.

J’en viens à la problématique en commençant par un bref rappel concernant les compétences des sages-femmes.

Comme vous l’a indiqué notre présidente, nous sommes, selon les termes de l’article L. 4151-1 du code de la santé publique, compétentes, de façon autonome, pour suivre toutes les grossesses normales et pouvons aussi participer aux consultations de planification familiale.

Aux termes de l’article R. 4127-318 du même code, de même que selon notre code de déontologie, nous pouvons faire des échographies, mais « dans le cadre de la surveillance de la grossesse » exclusivement. Nous n’avons donc pas en théorie de légitimité législative à travailler dans les centres d’assistance médicale à la procréation.

Une telle situation soulève des problèmes importants en matière de codification des actes et de tarification à l’activité (T2A). Les sages-femmes ne pouvant pas coter en acte externe les échographies et les consultations pré-FIV qu’elles réalisent, soit leurs actes ne sont pas cotés et ne rapportent pas d’argent à l’hôpital, ce qui pose problème, soit leurs actes sont cotés en actes de médecins, mais il s’agit alors en quelque sorte d’une fraude à l’assurance maladie, puisque les sages-femmes n’ont pas le droit de pratiquer ces actes. Ce sont pourtant les gynécologues-obstétriciens qui sont venus chercher les sages-femmes quand les centres d’AMP ont été mis en place. Et cette pratique, courante depuis de nombreuses années puisque la majorité des centres d’AMP comptent au moins une sage-femme, est efficace, utile et reconnue par tous, que ce soit le corps médical ou les patients.

M. le président. Comment s’en sort-on concrètement dans les CHU ?

Mme Marianne Benoît. On ne s’en sort pas ! Dans la majorité des cas, la tarification pour les échographies se fait dans le cadre de la classification commune des actes médicaux (CCAM). Le problème est moins compliqué s’agissant des hospitalisations, notamment en hôpital de jour où l’on n’est pas obligé d’utiliser la nomenclature sages-femmes : tout passe en CCAM.

Vous le savez la classification des actes médicaux a distingué deux parties dans la liste des actes pris en charge par l'assurance maladie : d’une part, la CCAM qui regroupe les actes techniques réalisés par les médecins – et tous les actes réalisés par les sages-femmes en hospitalisation sont cotés en CCAM puisque, étant une profession médicale, nous sommes intégrées dans l’hospitalisation pour la codification médicale – et, d’autre part, la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP) qui reste en vigueur pour les actes externes des sages-femmes, mais comme ceux en question ne nous sont pas autorisés, ils ne sont pas cotés.

M. le président. Des discussions ont-elles lieu avec le ministère à ce sujet ?

Mme Marie-Josée Keller. Notre ministère répond très peu à nos demandes.

Les syndicats professionnels mènent en revanche des discussions avec l’assurance maladie car le Conseil de l’Ordre demande, depuis de nombreuses années, la transformation des actes de sages-femmes en CCAM – ce dont personne ne voit l’utilité pour l’instant. Pourtant, les sages-femmes échographistes travaillant en libéral n’ont pas aujourd’hui le droit d’effectuer, par exemple, les surveillances folliculaires.

Mme Marianne Benoît. Un consensus existe pourtant au niveau médical. C’est ainsi que le Comité national technique de l'échographie de dépistage anténatal nous a adressé un courrier dans lequel il valide totalement la présence des sages-femmes dans les centres d’AMP et la possibilité pour elles de faire des échographies folliculaires.

Les sages-femmes sachant faire des échographies morphologiques de grossesse peuvent aussi effectuer des échographies folliculaires, qui sont un geste technique très simple. Toutes celles qui réalisent des échographies ont des diplômes universitaires d’échographie et sont reconnues dans le monde médical comme étant compétentes pour pratiquer les échographies folliculaires.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Dans le système français, les médecins ont conservé la possibilité d’effectuer des actes que d’autres professions médicales sont capables de faire. Pour autant, le législateur devrait s’emparer du problème de la délégation de tâches en faveur notamment des sages-femmes afin de savoir quels actes doivent être réservés aux docteurs en médecine.

Il ne s’agit pas d’enlever du pouvoir aux docteurs en médecine ou aux chirurgiens, mais de rééquilibrer les choses, car certains actes médicaux, très importants pour le diagnostic, le dépistage ou la surveillance, ne comportent pas de risque autre que celui de mal les faire. Au Canada, aux États-Unis, en Australie, en Grande-Bretagne, par exemple, d’autres professions médicales que celle des médecins pratiquent ces actes. Or ceux-ci sont d’autant mieux effectués qu’ils sont pratiqués souvent. Aussi finissent-ils par être mieux pratiqués par ces autres professions médicales que par les docteurs en médecine eux-mêmes.

M. le président. Des propositions en cours ne concernent-elles pas justement les infirmières ?

M. le rapporteur. La médecine s’est modernisée, et certaines tâches ont été déléguées. Cette pratique doit entrer dans les faits car à terme tout le monde gagnera à une nouvelle répartition des tâches, y compris l’assurance maladie. Si vous en étiez d’accord, monsieur le président, nous pourrions entamer une réflexion sur ce sujet afin de toiletter notre législation.

M. le président. J’ignore s’il est juridiquement possible de procéder à une telle avancée dans le cadre du volet relatif à l’AMP de la loi de bioéthique, mais je suis d’accord pour travailler en ce sens.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Ce ne serait pas le premier cavalier législatif !

Mme Marianne Benoît. S’agissant de la participation des sages-femmes aux activités d’AMP, il conviendrait selon nous de compléter l’article L. 4151-1 du code de la santé publique par un alinéa ainsi rédigé : « Sans préjudice des dispositions figurant au titre IV du livre premier de la deuxième partie du présent code, les sages-femmes peuvent concourir aux activités d’assistance médicale à la procréation. »

Nous ne demandons pas d’agrément pour effectuer nous-mêmes l’AMP, mais simplement que soit entérinée une pratique qui est courante depuis plus d’une dizaine d’années.

S’agissant de la délégation de tâches dont vous avez fait état, je rappelle que, en tant que profession médicale, nous avons une autonomie très forte dans le suivi des grossesses normales.

M. le rapporteur. Si j’ai parlé de délégation de tâches, c’est parce que les mots en la matière doivent être utilisés avec beaucoup de précaution et au regard de chaque profession. J’estime par exemple que la profession d’infirmier doit aussi devenir plus autonome.

M. le président. Le problème est peut-être plus difficile à résoudre pour les sages-femmes que pour la profession d’infirmier.

M. le rapporteur. Au contraire.

M. le président. Nous en rediscuterons.

Mme Marianne Benoît. Notre problème est que nous ne sommes pas assez nombreuses.

M. Paul Jeanneteau. La revendication des sages-femmes me paraît légitime. Cependant, il me semble que l’on s’écarte un peu du sujet, à savoir la révision des lois de bioéthique. Aussi est-ce sur ce problème que je souhaiterais les entendre et non sur la défense de leurs intérêts pour laquelle d’autres lieux existent.

M. le président. Il n’est pas mauvais d’aborder cette difficulté dont, je vous le rappelle, nous avons parlé à plusieurs reprises, ainsi que de la T2A, dans le cadre de cette mission. Suivant le conseil de notre collègue, revenons-en cependant, mesdames, à l’objet de notre mission.

Mme Marie-Josée Keller. Je me permets juste de souligner qu’il ne s’agit pas pour nous de procéder à une défense corporatiste, mais simplement de légaliser une pratique.

Mme Anne-Marie Curat. J’aborderai pour ma part le problème important du dépistage du risque de la trisomie 21 dans le suivi de grossesse.

La profession de sage-femme est une profession médicale, autorisée, selon l’article L. 4151-1 du code de la santé publique, à prescrire tous les examens nécessaires au bon suivi de la grossesse, sauf le test de dépistage du risque de la trisomie 21.

Au fil des années, le champ de compétences des sages-femmes a connu des extensions régulières afin de prendre en compte les évolutions de la science – à titre d’exemple, elles ont obtenu la compétence de l’échographie obstétricale depuis 1983 –, de permettre une prise en charge optimale de la grossesse et d’accompagner au mieux la femme tout au long de sa vie génitale.

Le test de dépistage du risque de la trisomie 21 est un examen proposé aujourd’hui dans le cadre du suivi de la grossesse normale. Le test se pratique en deux temps et permet une confirmation du diagnostic vers 18 à 20 semaines d’aménorrhée, c’est-à-dire vers quatre mois et demi de grossesse. Un nouveau test expérimental, plus précoce – qui permettra une confirmation du diagnostic entre 11 et 14 semaines d’aménorrhée –, est expérimenté dans différentes régions de France. Bien entendu, les sages-femmes participent au groupe de travail qui analyse les résultats de ce test, lequel devrait être généralisé au niveau national.

Or, dans la loi de bioéthique de 2004, le législateur a omis d’inclure la sage-femme comme prescripteur du test de dépistage du risque de la trisomie 21. En effet, l’article L. 2131-4 du code de la santé publique dispose que « seul le médecin prescripteur des analyses de cytogénétique et de biologie en vue d’établir un diagnostic prénatal est habilité à en communiquer les résultats à la femme enceinte. »

Dans la pratique, de nombreuses sages-femmes prescrivent ce test et, comme elles sont habilitées à prescrire tous les examens nécessaires au bon suivi de la grossesse, la disposition de la loi de bioéthique de 2004, qui ne mentionne que le médecin, est passée inaperçue. À tel point qu’on peut lire sur la notice du test de dépistage du risque de la trisomie 21, établie par le laboratoire Pasteur Cerba, le plus gros laboratoire agréé pour ce test : « Prescripteurs : médecins ou sages-femmes ».

Au vu de cette situation, il paraît indispensable de procéder à une modification de la loi, qui consisterait simplement à habiliter également la sage-femme. Un tel ajout permettrait une conformité entre la pratique et la loi et autoriserait la sage-femme à prescrire le test et à en donner les résultats.

M. le rapporteur. Prescrire un test et « en communiquer les résultats » comme le prévoit seulement la loi sont deux choses différentes.

Mme Marie-Josée Keller. La loi parle du « médecin prescripteur ».

Mme Anne-Marie Curat. Les sages-femmes font des suivis de grossesse normale. Or, depuis la loi du 9 août 2004, elles ont aussi la compétence pour la déclaration de grossesse, ce qui implique que les patientes peuvent choisir de faire suivre toute leur grossesse physiologique par une sage-femme. Pourtant, le test du risque de la trisomie 21 qui doit être proposé à toutes les femmes enceintes ne peut être prescrit par les sages-femmes. Cependant, dans la pratique, comme ce sont les sages-femmes qui procèdent aux consultations dans les services publics des hôpitaux, ce sont elles qui signent cette prescription, laquelle passe alors pour un acte du service en question.

Le problème se pose différemment dans le cadre de l’exercice libéral des sages-femmes, car certaines caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) refusent le remboursement de la prescription lorsqu’elle est faite par une sage-femme.

Mme Marie-Josée Keller. Pour ce qui est maintenant de l’accouchement sous anonymat en France, il permet à une femme, qu’elle soit mineure ou majeure, mariée ou célibataire, de faire suivre sa grossesse et d’accoucher gratuitement dans un hôpital privé ou public, conventionné au pas, sans révéler son identité ou en obtenant l’assurance absolue que celle-ci ne sera pas révélée à des tiers sans son consentement.

L’accouchement sous X poursuit deux objectifs. Il s’agit de protéger, d’une part, la santé de la mère et de l’enfant en évitant, autant que faire se peut, les avortements clandestins, les abandons sauvages et les infanticides, grâce à un suivi de grossesse et à un accouchement dans de bonnes conditions sanitaires, et, d’autre part, l’intégrité physique de la mère qui peut être menacée.

L’accouchement sous anonymat a plusieurs conséquences. S’agissant de l’enfant, l’acte de naissance ne porte pas de mention relative à la mère ou au père. Après sa naissance, il est pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance en vue d’une adoption. S’agissant de la mère, elle dispose d’un délai de deux mois de réflexion lui permettant de revenir sur sa décision. À la fin de ce délai, l’enfant devient pupille de la nation et peut alors être adopté.

L’accouchement sous anonymat a été réformé en 2002 grâce à la loi du 22 janvier voulue par Ségolène Royal, alors ministre déléguée à la famille. Cette réforme, dont l’objectif était de permettre aux enfants de connaître leurs origines, est intervenue dans un double contexte : d’une part, les revendications croissantes des associations d’enfants accouchés sous anonymat ou des mères de l’ombre ; d’autre part et surtout, la mise en œuvre dans le droit français de la convention internationale des droits de l’enfant, rédigée sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies (ONU) en 1989 dans le but de reconnaître et de protéger les droits spécifiques des enfants et ratifiée par la France en 1990. Cette convention stipule que « l’enfant a, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents ».

Quelles informations la mère doit-elle laisser dans le dossier auquel l’enfant peut avoir accès ? Au moment de l’accouchement, la mère est invitée à laisser tous les renseignements qu’elle souhaite sur elle et son histoire, notamment sur sa santé et celle du père, les origines de l’enfant, les circonstances de la naissance de l’enfant et les raisons de la mise en adoption. Elle est également vivement encouragée à laisser, sous pli fermé, son identité.

Quelles informations sont accessibles à l’enfant ? Le représentant du CNAOP peut transmettre les informations contenues dans le dossier de l’enfant hors pli fermé. D’après notre expérience, les enfants qui saisissent le CNAOP ne cherchent pas forcément à retrouver le nom de leur mère. Ils veulent surtout connaître leur histoire et les circonstances de leur mise en adoption, ce qui est parfois suffisant pour les aider à se construire.

Concernant les révélations sur l’identité de la mère, plusieurs possibilités peuvent se présenter. Si la mère a refusé de laisser son identité, ce qui arrive dans à peu près 40 % des cas, l’enfant a uniquement accès aux renseignements contenus dans son dossier. Si la mère a accepté de laisser son identité, le CNAOP contacte la mère en toute discrétion pour lui demander si elle accepte ou non de lever le secret sur son identité. Dans ce cas de figure, 40 % seulement des mères acceptent de dévoiler leur identité. En France, 500 naissances en 2008, soit 0,05 %, ont été des accouchements sous anonymat.

Il existe six profils de femmes, les uns et les autres pouvant se recouper.

Le profil le plus important est représenté par des femmes très jeunes qui vivent dans une dépendance familiale plus ou moins complète, donc avec très peu d’autonomie. Les deux tiers d’entre elles ont moins de vingt-cinq ans.

Le deuxième profil est constitué de jeunes femmes issues de familles musulmanes traditionalistes, originaires du Maghreb, d’Afrique subsaharienne ou de Turquie, et vivant chez leurs parents. Une grossesse conçue hors mariage est un déshonneur pour leur famille et les conséquences peuvent être dramatiques, car ces jeunes femmes seront maltraitées, retourneront dans leur pays pour y être mariées de force, voire seront tuées. Leur proportion est en augmentation et, selon le rapport du professeur Henrion de l’Académie de médecine, elles représentent à peu près 50 % des cas d’accouchement sous anonymat en région parisienne et 30 % en province.

Dans le troisième profil, on trouve des femmes très mal insérées professionnellement, en proie à de très grandes difficultés matérielles, parfois même sans abri. Les plus jeunes d’entre elles sont des mères célibataires, sans profession, n’ayant pas achevé leur scolarisation, et sont à la recherche d’un premier emploi. Quant aux femmes plus âgées, elles sont souvent séparées ou divorcées, ont déjà plusieurs enfants, vivent dans des conditions socio-économiques très difficiles et sont très souvent marquées par un long passé de violences conjugales.

Une minorité non négligeable de femmes accouchant sous X est issue d’un milieu aisé. Ce n’est pas la misère qui les pousse à mettre leur enfant en adoption, mais la pression familiale, le désir de poursuivre leurs études, de réussir professionnellement.

Un groupe dont l’importance est difficile à déterminer – à peu près 20 % – est constitué de femmes ayant subi un viol ou un inceste. Ces 20 % sont à prendre avec précaution, car ces femmes peuvent invoquer un viol ou un inceste comme justification de leur décision d’abandon, mais il ne s’agit pas pour autant de sous-estimer leur nombre car beaucoup peuvent ne pas pouvoir parler d’une expérience traumatisante.

Enfin, il y a les dénis de grossesse.

Pour toutes ces femmes, on retrouve une donnée constante : elles sont dans une extrême détresse morale et une très grande solitude affective et sociale.

Quel est le rôle des sages-femmes pendant la grossesse et l’accouchement, puis une fois l’enfant né ? Elles donnent tous les renseignements utiles à la mère, coopèrent avec l’aide sociale à l’enfance et le CNAOP, effectuent le suivi médical de ces femmes pendant la grossesse, toujours hors contexte pathologique, suivent le travail et réalisent les accouchements de ces parturientes et en surveillent les suites. Elles participent très activement à la rédaction du dossier de l’enfant – volet ô combien important, vous l’aurez compris – et remplissent le dossier médical et le carnet de santé de l’enfant en respectant strictement l’anonymat de la mère.

L’accompagnement de ces femmes se fait dans le plus grand respect de leur choix, sans les juger ni les influencer. En leur parlant, il ne sera jamais question d’abandon, mais de mise en adoption. Nous les laissons prendre le bébé dans leurs bras, sans le leur imposer. La femme a le choix de donner des prénoms à l’enfant et, si elle refuse, c’est la sage-femme qui choisit des prénoms en impliquant, dans la mesure du possible, la maman, sachant que le troisième prénom servira provisoirement de nom patronymique jusqu’à la mise en adoption.

Pour essayer de protéger au maximum la mère et lui éviter des souffrances supplémentaires, elle sera hospitalisée hors du service de maternité pour ne pas être en contact avec les femmes dont l’issue de grossesse est heureuse. Et généralement, l’enfant est placé en pédiatrie.

Quel est le droit des enfants ? Il est certain que ne pas connaître ses origines est un drame quotidien pour les enfants nés sous X : cela rend très difficile la construction harmonieuse de la personnalité et entraîne le plus souvent une grande souffrance psychique qui ne s’atténue pas avec le temps, comme toutes les associations l’attestent.

En matière d’accès aux origines, une différence existe entre les enfants nés après 2002 et ceux nés avant 2002. Certaines associations se mobilisent pour la suppression de l’accouchement sous anonymat et réclament l’obligation pour les mères de décliner leur identité qui pourrait être secrète jusqu’à ce que l’enfant ait dix-huit ans.

Obliger les mères à décliner leur identité aux dix-huit ans de l’enfant rendrait impossible pour au moins 40 % des femmes – puisqu’elles sont 40 % à refuser de décliner leur identité – le recours à ce type d’accouchement et mettrait leur vie et celle de ces enfants en grand danger. Elles pourraient de ne pas être suivies pendant leur grossesse, accoucher clandestinement et abandonner l’enfant de façon sauvage alors que du fait souvent de leur très jeune âge, elles courent des risques de déchirures très importantes et d’hémorragies, l’enfant pouvant même mourir.

Dans ce contexte, il n’y aura jamais de bonne solution, mais entre plusieurs, la moins mauvaise nous semble être à privilégier. La loi du 22 janvier 2002, ainsi que l’a jugé la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt du 13 février 2003, tente ainsi « d’atteindre un équilibre et une proportionnalité suffisants entre les intérêts en cause ».

Mme Marianne Benoît. Pour ce qui est de la grossesse pour autrui, le sujet n’est pas une spécialité des sages-femmes. Cependant, nous sommes parfois conduites à suivre des femmes qui attendent un enfant pour d’autres femmes.

La pratique de la gestation pour autrui (GPA) est autorisée aux États-Unis, au Canada, en Australie, en Israël et dans plusieurs pays de l’Union européenne – Danemark, Belgique, Royaume-Uni, Grèce notamment –, soit par la loi, soit par absence de cadre juridique. La façon dont cette grossesse est perçue et pratiquée est donc radicalement différente suivant les pays. Jusqu’à présent, la loi française a fermement condamné cette pratique au nom de l’indisponibilité du corps humain.

La GPA regroupe de nombreuses réalités : grossesse avec gamètes issus du couple d’accueil, mère biologique porteuse – ou gestatrice –, don d’ovocytes, etc. Ces contextes très différents débouchent, à terme, sur une réalité elle-même très différente.

Très peu de données médicales existent sur le sujet car, dans les pays l’autorisant depuis le plus longtemps comme les États-Unis, les recherches ont plutôt été faites sur les intérêts commerciaux que sur les intérêts médicaux. Il existe des études psychosociologiques britanniques plutôt favorables à ces grossesses pour autrui sur le court terme, mais faute de recul intergénérationnel, il est difficile de conclure. Je me souviens avoir lu dans le rapport du professeur Henrion de l’Académie de médecine que des adolescents américains et canadiens se plaignaient, dans des blogs, de leur mère gestatrice car ils se considéraient comme abandonnés par elle. Ce sujet est donc éminemment complexe. En tout cas, nous n’avons pas trouvé de conclusions « pour » ou « contre » dans la littérature médicale internationale.

Du point de vue de la sage-femme – tiré de notre expérience professionnelle –, beaucoup de secret entoure ces grossesses quand les mères porteuses se font suivre en France. Il y a une peur du jugement et, surtout, une peur des conséquences si elles sont découvertes. Ce secret complique considérablement la prise en charge obstétricale de ces femmes. La clandestinité est toujours néfaste dans une relation couple – sage-femme, comme dans toute relation couple-soignant. Ce secret finit toujours par émerger au moment de l’accouchement – moment crucial, intense –, conduisant à des situations très difficiles émotionnellement pour les patientes et les sages-femmes.

En conclusion, légiférer sur la grossesse pour autrui est un débat de société éthique et philosophique dépassant très largement le cadre de la médecine et de ses professionnels. Notre expérience de terrain nous engage à penser que, quel que soit le sujet abordé en santé, la clandestinité et le marchandage financier ne s’accordent jamais avec humanité, éthique et bonne pratique.

M. le rapporteur. Faut-il lever ou non l’anonymat des donneurs de gamètes ? Dans l’affirmative, faut-il le faire sur le même modèle que l’accouchement sous X ?

Nous pouvons, sur le plan législatif, soit maintenir l’anonymat, soit donner la possibilité pour la personne bénéficiant d’un don de gamètes de choisir un don anonyme ou non-anonyme, soit prévoir l’accès à une partie de l’information pour construire l’histoire, sans forcément accorder l’accès à la personne – ce qui est peut-être plutôt ce qu’ont retenu des membres de la mission.

Quant à la gestation pour autrui, qui relève davantage en effet du non-médical que du médical, faut-il, là aussi, un accès ou non à la mère porteuse ? N’allons-nous pas également vers une marchandisation obligatoire ?

Certes, on pourrait, au nom de la générosité affective, autoriser la GPA dans le cadre familial, une femme pouvant porter un enfant pour sa sœur – voire une mère pour sa fille en dépit du caractère incestueux d’une telle éventualité. Mais dans de tels cas, les psychiatres ne manqueront pas de nous alerter sur les situations inextricables qui s’ensuivront à l’intérieur d’une famille.

Quant à permettre une mère porteuse extérieure à la famille, quelles sont, d’après votre expérience, les relations qui s’instaurent entre la mère et l’enfant qu’elle porte pendant neuf mois ? Porte-elle ce dernier simplement ou est-elle déjà mère ? Il est important pour nous de comprendre cette réalité psychoaffective car s’il existe un lien affectif obligatoire, il n’y a plus seulement un port « mécanique » indemnisable d’enfant, mais abandon et adoption.

La personne fragile dans ce contexte est la mère porteuse tant en raison du rôle différent de celui de la parentalité qu’elle joue à l’intérieur de la famille, que du fait de son statut de mère porteuse extérieure car elle est, en quelque sorte, marchandisée : si elle fait l’objet d’un contrat souvent occulte, il nous paraît en effet difficile d’imaginer que porter un enfant pendant neuf mois ne donne pas droit à une certaine indemnité financière.

Pour autant, certains défenseurs de la grossesse pour autrui nous disent que certaines femmes porteuses sont simplement heureuses d’être enceintes : c’est leur état qui les rend heureuses et non leur relation avec l’enfant à venir.

Il est donc important pour nous d’obtenir des réponses en la matière, car si le bonheur d’être simplement enceinte peut expliquer qu’il n’y ait pas indemnité financière, comment comprendre inversement que ce bonheur de porter un enfant puisse aboutir à faire don de ce dernier à une autre femme ?

M. Xavier Breton. Disposez-vous, mesdames, des moyens de bien faire votre travail d’accompagnement pour les accouchements sous anonymat, voire pour les gestations pour autrui clandestines ? Autrement dit, êtes-vous formées pour pouvoir traiter ces cas particuliers ou faut-il que des modules de formation vous soient proposés au cours de votre formation initiale ou continue ? D’autres solutions au sein de l’offre de santé, par exemple au niveau des associations, pourraient-elles également permettre cet accompagnement ? Bref, notre système est-il performant en termes d’accompagnement de ces situations douloureuses ?

M. Michel Vaxès. Avez-vous des relations avec des sages-femmes qui travaillent dans des pays où se pratique la GPA ? Dans l’affirmative, quels échos en avez-vous ? Sinon, envisagez-vous de tisser des liens avec vos consœurs d’Espagne ou de Grèce, par exemple, afin de savoir comment celles-ci réagissent en la circonstance ?

M. le président. S’agissant des demandes de connaissance de leurs origines formulées par les enfants issus de l’AMP, c’est-à-dire du don de gamètes anonymes, êtes-vous favorable à la remise en cause de la notion d’anonymat, sachant que les associations que nous avons auditionnées ont souligné l’émergence de la demande en la matière ?

Mme Marie-Josée Keller. Une loi pourrait à cet égard être adoptée dans les mêmes termes à peu près que celle relative à l’accouchement sous anonymat, c’est-à-dire offrant le choix au donneur de révéler ou non son identité.

Mme Marianne Benoît. Cette problématique dépasse de beaucoup les professionnels de santé. En tout cas, les dons d’ovocytes non seulement sont extrêmement complexes, mais font également cruellement défaut en France.

Quant au droit des enfants, s’il est particulièrement important – je comprends qu’il leur soit capital de pouvoir retrouver leurs origines biologiques –, qu’en pensent les donneurs ?

M. le rapporteur. En fait, trois partenaires sont concernés : la famille qui accepte le don de gamètes, la personne qui donne les gamètes et l’enfant issu de ce don.

Généralement, la famille qui accepte le don de gamètes est fermement opposée à la levée de l’anonymat, d’autant que la vérité du don n’est pas toujours révélée à l’enfant.

Dans l’immense majorité des cas, la personne qui donne ses gamètes a l’impression – justifiée ou pas – de donner du matériel biologique et, en aucun cas, de faire un acte de paternité ou de maternité. Elle est donc généralement opposée à la levée de l’anonymat.

Par contre, l’enfant devenu adulte peut demander à connaître son histoire – c’est le cas d’une infime minorité d’entre eux en France, soit une cinquantaine. S’il me semble sage alors de ne pas donner accès à la personne, il me paraît en revanche légitime de donner accès à l’histoire.

Sans pour autant effectuer un « copier-coller » du dispositif prévu pour l’accouchement sous X, peut-être pourrions-nous donner cette possibilité, sachant que dans le cas de l’accouchement sous X, les enfants n’éprouvent pas forcément le besoin d’aller au-delà de la connaissance de leur histoire.

Mme Marianne Benoît. La génétique est systématiquement mise en avant par exemple en matière d’antécédents de cancers du sein et du côlon, souvent héréditaires. L’hérédité – par exemple des antécédents de cancer dans la famille du donneur – peut donc être un argument de santé important pour prendre en compte la demande de ces personnes.

Mme Marie-Josée Keller. À mon avis, si on lève complètement l’anonymat, il n’y aura plus de donneurs.

M. le rapporteur. C’est évident !

M. le président. Et concernant la formation ?

Mme Marie-Josée Keller. S’agissant des femmes en difficulté, des formations sont prévues pour les sages-femmes dans notre formation initiale, notamment pour l’accouchement sous anonymat.

La formation médicale continue reste cependant très importante car tous les cas sont différents et l’expérience dans ce domaine ne s’acquiert que peu à peu. Les femmes sont tellement murées dans leur douleur, leur situation de détresse est telle qu’il est très difficile de les accompagner. Aussi faut-il fournir un effort considérable en matière de formation des sages-femmes – comme des médecins d’ailleurs – à l’accompagnement psychologique.

Vous connaissez malheureusement les difficultés des hôpitaux où le budget alloué à la formation passe souvent à la trappe. Pourtant, 80 % des sages-femmes travaillent dans des établissements privés ou publics.

Mme Marianne Benoît. Pour moi, la personne fragile dans cette histoire, ce n’est pas la mère porteuse, mais l’enfant.

La mère porteuse est une adulte, le couple demandeur est constitué de deux personnes adultes. J’estime donc, peut-être à tort, qu’il s’agit d’un marché entre adultes, et que la personne à qui on ne donne pas le choix est l’enfant.

M. le rapporteur. On demande rarement son avis à un enfant avant qu’il soit porté !

Mme Marianne Benoît. Vous avez par ailleurs souligné une vraie difficulté en nous demandant si porter un enfant ne consistait pas, en quelque sorte, à être un réceptacle à vie. Pas une seule sage-femme, selon moi, ne pourra vous dire que c’est vrai. Pendant la grossesse, il y a des interactions majeures entre la mère et son enfant, qu’elle pense l’abandonner ou pas, mais je fais pour ma part une différence entre la notion d’accouchement sous anonymat – donc d’abandon de l’enfant – et celle de grossesse pour autrui.

Dans l’accouchement sous anonymat, il n’y a pas a priori de volonté initiale de grossesse. Dans la grossesse pour autrui, une telle volonté existe dans la plupart des cas, puisqu’elle découle généralement d’une fécondation in vitro. Dans le premier cas, la grossesse n’a en général pas été souhaitée, dans le second, elle n’est pas arrivée par accident.

En quinze ans de pratique, je n’ai vécu qu’une seule expérience de grossesse pour autrui. Alors qu’une femme allait accoucher, deux hommes et une femme ont commencé à faire des allers et retours à tour de rôle dans la salle d’accouchement dans un silence extrêmement pesant, palpable. J’en ai déduit – sans aucune preuve – que la seconde femme, qui gardait les yeux rivés sur le monitoring et posait de nombreuses questions sur le bébé, allait recevoir l’enfant et qu’il y avait eu un échange de papier d’identité pour que je puisse faire la déclaration de naissance au nom de la femme qui n’était pas enceinte.

J’étais dans l’impossibilité de faire correctement mon métier, d’entrer en contact vrai avec la femme qui allait accoucher du fait de ce secret extrêmement fort entre nous. Il est évident que cet accouchement ne s’est pas fait dans la joie et le bonheur.

Je pense que toutes les sages-femmes ont connu une expérience de ce genre dans leur carrière.

M. le rapporteur. S’agissait-il de deux personnes de nationalité française ?

Mme Marianne Benoît. Toutes, a priori, l’étaient

Nous avons des contacts réguliers avec des sages-femmes du Royaume-Uni, qui sont fréquemment confrontées à ces situations, mais n’avons jamais parlé de ce problème avec elles tant les interrogations sont nombreuses. Nous pourrons cependant en discuter lors d’une prochaine rencontre dans un mois. Nous avons également des contacts avec des sages-femmes américaines, mais n’avons pas non plus abordé le sujet avec elles.

M. le président. Je tiens à vous remercier, mesdames, pour vos témoignages. Vous avez eu bien raison de nous solliciter pour être auditionnées.

Audition de M. Philippe MENASCHÉ, professeur de médecine, chirurgien cardiaque à l’hôpital Georges Pompidou et directeur de recherches à l’INSERM sur les thérapies cellulaires en pathologie cardio-vasculaire


(Procès-verbal de la séance du jeudi 9 avril 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys : Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui le professeur Philippe Menasché, chirurgien cardiaque à l’hôpital Georges Pompidou et directeur d’une unité de recherche à l’INSERM sur les thérapies cellulaires en pathologie cardio-vasculaire. Après avoir longtemps travaillé sur les cellules souches adultes, vous êtes passé aux cellules souches embryonnaires et menez actuellement des essais pré-cliniques chez l’animal. Pouvez-vous, professeur, nous faire le point sur les potentialités thérapeutiques des cellules souches et leurs limites ?

Deux thèses s’affrontent aujourd’hui, largement reprises dans les médias. Certains assurent que de premiers essais cliniques de cellules souches embryonnaires sont en passe d’être réalisés chez l’homme et y voient un grand espoir. D’autres au contraire font valoir que la reprogrammation de cellules somatiques adultes, à laquelle sont parvenues plusieurs équipes, va rendre inutiles les cellules souches embryonnaires. Comme pour ma part, je crois encore en la valeur de la parole des experts, je compte sur vous, professeur, pour nous éclairer. Où en est la recherche fondamentale sur ces sujets ? Quels sont les défis actuels pour les chercheurs ?

M. Philippe Menasché. Je vous remercie tout d’abord de votre invitation. Au-delà même d’éventuelles préventions idéologiques, le débat est depuis le départ faussé par l’opposition entre les tenants des cellules souches embryonnaires et des cellules souches adultes. Le clinicien que je suis considère que cette opposition, sans aucun fondement, est parfaitement stérile. En effet, il faut partir des malades et des maladies, non des cellules.

Ce que nous avons appris en quinze ans de travail sur la thérapie cellulaire, puisque mon équipe s’y intéressait bien avant que le sujet soit devenu à la mode, est que pour certaines maladies, notamment du sang et de la peau, les cellules souches adultes ont fait la preuve de leur efficacité, comme on le constate chaque jour avec les greffes de peau et de moelle osseuse. Il est d’autres maladies en revanche pour lesquelles le recours à ces cellules n’a pas été aussi efficace qu’on l’avait pensé ou qu’on l’aurait souhaité. C’est dans le domaine de la cardiologie qu’il y a eu le plus d’essais de thérapie cellulaire, devant le diabète, l’artérite des membres inférieurs et, beaucoup plus loin derrière encore, les maladies neuro-dégénératives. C’est par pragmatisme, et non pour quelque raison idéologique ou philosophique, que nous en sommes venus à explorer la piste des cellules souches embryonnaires, et si celle-ci devait à son tour se révéler une impasse, il nous faudrait l’admettre – mais encore faut-il auparavant l’explorer entièrement. C’est ainsi seulement que progresse la science.

Nous avons longtemps travaillé sur les cellules souches musculaires adultes, en nourrissant l’espoir qu’en les insérant dans des zones nécrosées du cœur, à l’endroit d’un infarctus par exemple, elles y permettraient la régénération du muscle cardiaque. Après des essais chez l’animal, nous avons procédé aux premières greffes chez l’homme en 2000 et mené le plus grand essai de thérapie cellulaire de l’insuffisance cardiaque à ce jour. Hélas, force a été de constater que, contrairement à ce qui a pu être avancé ici ou là, l’essai n’a pas été concluant. Si l’insertion de cellules souches musculaires semble donner de bons résultats dans le traitement de l’incontinence urinaire par exemple, il n’en va pas de même pour le coeur – qui n’est pas tout à fait un muscle comme les autres –, et où sont nécessaires non pas des cellules musculaires quelconques, mais des cellules spécifiquement cardiaques.

Beaucoup d’espoirs ont également un temps été placés dans les cellules de sang de cordon. Mais celles-ci n’ont, pour l’heure, fait la preuve de leur efficacité que dans les maladies hématologiques. Il n’a pas encore été établi scientifiquement qu’elles aient permis de régénérer quelque autre type de tissu que ce soit.

M. le président. Y a-t-il eu d’autres essais cliniques de thérapie cellulaire en matière d’insuffisance cardiaque ? La presse a relaté des succès…

M. Philippe Menasché. Les journalistes n’aiment pas qu’on leur dise qu’une technique ne marche pas. Aussi sont-ils parfois tentés d’infléchir cette triste conclusion pour lui donner un tour plus séduisant… Il n’y a pas eu beaucoup d’essais de greffes de cellules musculaires dans le coeur. Il y a eu davantage d’essais d’injection directe de cellules de moelle osseuse dans les artères coronaires de victimes d’infarctus, qui y ont donné un micro-effet. Il y a là une piste, mais les résultats obtenus ne sont pas significatifs sur le plan clinique. De même, d’ailleurs, avec les cellules souches musculaires, le résultat n’a pas été totalement négatif, mais il demeure marginal.

L’exemple des cellules souches musculaires qui marchent dans certaines indications, et dans d’autres non, représente assez bien l’état des lieux en matière d’utilisation thérapeutique des cellules souches adultes.

Un mot des iPS (induced pluripotent stem cells), les cellules adultes reprogrammées. Leur intérêt n’est pas seulement de pouvoir être utilisées un jour en thérapie cellulaire – on ignore pour l’instant si elles pourront l’être – mais aussi de servir au criblage de molécules pharmacologiques et à la modélisation de certaines maladies génétiques. Dans ces domaines-là, elles peuvent rendre d’incommensurables services.

Pour ne négliger aucune piste, nous travaillons aujourd’hui à la fois sur les cellules souches embryonnaires, les cellules souches adultes et les iPS. La reprogrammation des cellules somatiques n’est pas si facile que certains voudraient le laissent accroire, même si certaines équipes ont réussi à se passer de virus intégratif, et le rendement ne dépasse de toute façon pas 1%.

J’en viens à un point que les médias n’aiment pas non plus, à savoir qu’une médecine personnalisée, souvent présentée comme le grand intérêt des iPS, ne peut s’adresser qu’à des pays ou des malades très riches. En effet, son coût est faramineux et elle exige une très lourde logistique. C’est d’ailleurs pourquoi les « Biotech », qui ne sont pas des institutions philanthropiques, ont centré leur activité sur l’allogénique. Il est illusoire d’espérer, dans le cas de maladies à forte prévalence comme le diabète ou l’insuffisance cardiaque, un traitement personnalisé pour chaque malade, chez qui on prélèverait une cellule adulte qu’on déprogrammerait puis reprogrammerait, afin d’obtenir une cellule souche destiné à un usage autologue.

M. le président. Indépendamment des aspects financiers et logistiques, où en est-on en matière de recherche fondamentale sur les iPS ?

M. Philippe Menasché. Le défi actuel est de trouver une méthode de reprogrammation des cellules compatibles avec une utilisation thérapeutique ultérieure. Il n’en existe pas pour l’heure puisque l’on recourt soit à des virus intégratifs, soit à des molécules chimiques, qui ne seraient pas acceptables en clinique.

Permettez-moi à cet instant une digression sur les essais cliniques : l’inscription du principe de précaution dans notre Constitution a été une catastrophe. Il devient de plus en plus difficile en France, comme d’ailleurs partout en Europe, de mener des recherches cliniques. Nos premiers travaux sur les cellules souches musculaires adultes ne seraient plus possibles aujourd’hui. Les exigences actuelles de l’AFSSAPS sont telles que pour utiliser par exemple des iPS en clinique, il faudrait préalablement apporter la preuve qu’aucune des substances utilisées n’a d’effet à court, moyen ou long terme sur le patrimoine génétique ni ne présente de risque tumoral. Tous ces aspects réglementaires ne peuvent pas être négligés si l’on souhaite passer de la recherche pure à une perspective clinique. Autre obstacle, je l’ai dit, à l’utilisation des iPS : l’insuffisance du rendement, qui ne dépasse pas 1%. Enfin, il n’a pas été établi scientifiquement qu’une iPS, une fois dédifférenciée puis redifférenciée, ait la même efficacité fonctionnelle qu’une cellule souche embryonnaire. Aucune étude n’a encore été menée sur ce point chez la souris ou le singe. La recherche sur ces cellules en est encore à un stade très fondamental et leur utilisation en thérapeutique lointaine…

Dans le cas de maladies très rares, comme certaines immunodéficiences très sévères de l’enfant que traite le professeur Alain Fischer à Necker, on peut se permettre d’envisager une médecine personnalisée. Ce n’est pas possible lorsqu’il s’agit de traiter le diabète ou l’insuffisance cardiaque – pour cette dernière, on dénombre 120 000 nouveaux cas par an en France !

M. le président. Nous devrons en tenir compte dans notre réflexion. Combien d’équipes travaillent aujourd’hui en France sur les cellules souches embryonnaires ?

M. Philippe Menasché. L’Agence de la biomédecine a délivré une quarantaine d’autorisations. En pathologie cardio-vasculaire, je crois que nous sommes la seule équipe à travailler sur le sujet.

M. le président. Êtes-vous satisfait du travail de l’Agence ?

M. Philippe Menasché. Tout à fait. L’Agence de la biomédecine a fait le maximum de ce qui était possible dans le cadre d’une loi, dont nous espérons qu’elle sera modifiée. Je tiens à rendre ici publiquement hommage à Carine Camby pour l’excellent travail qu’elle a effectué à la tête de l’organisme. Je n’ai d’ailleurs pas dissimulé nos sentiments collectifs lorsqu’elle a été démise de ses fonctions. Cela étant, les craintes que nous avions pu exprimer alors se sont révélées infondées et le travail engagé par Emmanuelle Prada-Bordenave, qui lui a succédé, s’inscrit dans le droit fil de celui mené jusqu’alors.

Nos travaux sur les cellules souches embryonnaires, je me dois de le dire, reposent sur ceux de Michel Pucéat, spécialiste international incontesté de l’utilisation des cellules souches embryonnaires dans le domaine cardiaque. On sait aujourd’hui différencier des cellules souches embryonnaires pluripotentes en progéniteurs cardiaques : la technique est parfaitement maîtrisée et reproductible. On a montré sur des modèles animaux, y compris chez les primates, que ces progéniteurs, injectés dans une zone nécrosée du cœur, achèvent de s’y différencier en cellules cardiaques fonctionnelles. Notre objectif est maintenant de pouvoir passer à des essais cliniques chez l’homme.

M. le président. Pensez-vous pouvoir déposer prochainement une demande ?

M. Philippe Menasché. Oui, mais il nous a déjà fallu six mois pour obtenir un courrier conjoint de la directrice générale de l’Agence de la biomédecine et du directeur général de l’AFSSAPS indiquant que la loi n’interdisait pas les essais cliniques, et donc le dépôt d’une demande…

M. le président. Si la loi autorisait clairement les recherches sur les cellules souches embryonnaires, cela réduirait-il les problèmes que vous rencontrez ?

M. Philippe Menasché. Pas en l’espèce. En effet, les exigences de l’AFSSAPS ne résultent pas de cette loi. Nul n’imaginait, je crois, lors du vote de la loi de 2004 qu’on en arriverait aussi vite au stade d’essais cliniques.

M. le président. Combien d’essais sont-ils en cours dans le monde ? Nous avons entendu parler de celui de Geron aux États-Unis…

M. Philippe Menasché. L’essai prévu par Geron Corporation, concernant la paraplégie, a été autorisé par la FDA, mais n’a pas encore commencé. Geron attend l’autorisation des comités d’éthique des hôpitaux dans lesquels l’essai doit avoir lieu. Il se trouve actuellement dans la situation dans laquelle j’aimerais que nous puissions nous trouver dans un an…

Un essai clinique va également sans doute être lancé par une autre société américaine Advanced Cell Technology visant à traiter par des progéniteurs rétiniens la dégénérescence maculaire liée à l’âge.

M. le président. Avez-vous du mal à faire revenir en France des chercheurs partis aux États-Unis ? Si oui, cela tient-il à la loi ?

M. Philippe Menasché. Très largement, à cause des incertitudes qu’elle entretient. Si la France substituait au régime actuel de dérogation pour les recherches sur les cellules souches embryonnaires un régime d’autorisation, sa position, aujourd’hui incompréhensible sur le plan international, s’en trouverait, enfin, clarifiée.

M. le président. Ce moratoire fait en effet débat. Mais au-delà, et cette question est à mes yeux aussi importante, le terme « thérapeutique » n’a-t-il pas été utilisé à tort et à travers, y compris par les scientifiques eux-mêmes ?

M. Philippe Menasché. Sans doute, mais ils y ont été contraints par la formulation même de la loi. Celle-ci disposant que pour qu’une recherche sur les cellules souches embryonnaires soit autorisée au bénéfice du moratoire de cinq ans, elle devait permettre « un progrès thérapeutique majeur » et ne pas pouvoir être menée par une « méthode alternative d’efficacité comparable », tous ceux qui ont déposé des demandes ont dû se livrer à des contorsions, souvent astucieuses d’ailleurs, pour donner l’impression que leur recherche, quel qu’en soit le caractère très fondamental, avait une finalité thérapeutique, contorsions auxquelles se sont également livrés les rapporteurs qui ont examiné les dossiers pour les valider. Il faut en finir avec cette hypocrisie et autoriser purement et simplement les recherches sur les cellules souches embryonnaires.

Les opposants à cette autorisation font valoir que la loi actuelle ne nous a pas empêché de travailler, comme en attestent d’ailleurs nos travaux. Mais perçoivent-ils que la position actuelle de la France n’est absolument pas comprise ailleurs dans le monde et nuit beaucoup à notre recherche sur le plan mondial ? L’Italie ou la Pologne interdisent strictement les recherches sur les cellules souches embryonnaires, ce qui a au moins le mérite de la clarté. Mais le moratoire français, qui laisse planer l’incertitude, fait fuir non seulement les chercheurs, mais aussi les entreprises de biotechnologie qui voudraient investir. C’est d’autant plus dommage que notre pays possède incontestablement des atouts avec d’excellentes équipes et des moyens financiers. Même si ce n’est pas « politiquement correct », je soutiens qu’il y a de l’argent pour la recherche en France. Hélas, ces atouts demeurent sous-valorisés.

M. le président. Imaginons que la loi autorise la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Faudrait-il modifier les critères et l’encadrement actuels ?

M. Philippe Menasché. Il faut absolument supprimer les deux formulations « progrès thérapeutique majeur » et « absence de méthode alternative d’efficacité comparable. » Même si l’on devait conserver le mauvais régime dérogatoire actuel, il conviendrait de le faire. Pour le reste, il suffit de faire confiance à l’Agence de la biomédecine dans l’expertise des dossiers… et aux équipes de chercheurs elles-mêmes, en s’appuyant sur le fait qu’il n’y a pas eu l’ombre d’une seule dérive jusqu’à aujourd’hui.

M. le président. D’une manière générale, pensez-vous que les publications scientifiques soient assez contrôlées ?

M. Philippe Menasché. Elles le sont, mais il existe des lobbies qui favorisent la publication des travaux de certaines équipes, plutôt que d’autres. Il semble toutefois que depuis l’affaire du Sud-coréen Hwang, une certaine reprise en mains s’est opérée et que les exigences posées par les éditeurs sont plus strictes.

M. le président. Ne faudrait-il pas que nous structurions davantage nos équipes de recherche comme au Royaume-Uni, en constituant des pôles d’excellence ?

M. Philippe Menasché. Cette structuration a commencé à s’opérer un peu spontanément, avec par exemple le STEM-Pôle « Cellules souches et médecine cellulaire » en Île-de-France, lequel fonctionne assez bien, fédère les équipes et propose des financements non négligeables.

M. le président. Considérez-vous que la technique du transfert nucléaire est dépassée, compte tenu des récents progrès, ou pensez-vous qu’il faudrait l’autoriser ?

M. Philippe Menasché. Mieux vaudrait poser la question à un chercheur plutôt qu’à un clinicien. Cela étant, je pense que le terme de clonage thérapeutique est un leurre. Les chercheurs sont d’ailleurs beaucoup moins mobilisés sur le sujet, surtout depuis que l’on dispose des iPS. Je ne me battrai certainement pas que pour notre pays autorise le clonage thérapeutique, mais pour qu’il ait une position enfin lisible sur le plan international.

M. le président. Vos difficultés à faire venir dans vos équipes de jeunes chercheurs ne tiennent donc pas à des problèmes financiers ?

M. Philippe Menasché. Non, ils ont d’abord peur que leurs travaux soient remis en cause à l’échéance du moratoire. Il est d’ailleurs extrêmement curieux d’avoir ainsi mis en avant dans la loi la « finalité thérapeutique » des projets, car il ne pourra y avoir d’application thérapeutique qu’à l’issue de recherches fondamentales de très haut niveau. C’est un clinicien qui vous le dit !

M. le président. Cela est, hélas, beaucoup moins porteur sur le plan médiatique !

M. Philippe Menasché. Mon équipe n’a pu avancer que grâce aux travaux de recherche fondamentale de Michel Pucéat. En outre un moratoire de cinq ans n’a aucun sens. Les progrès sont si rapides que de toute façon, une réactualisation permanente est nécessaire, ne passant sans doute pas par le biais de la loi.

M. le président. Vous avez évoqué les problèmes soulevés par les traitements personnalisés. Comment voyez-vous l’avenir en ce domaine ?

M. Philippe Menasché. Je ne suis pas opposé aux traitements personnalisés, mais il faut savoir de quoi l’on parle. Si l’on vise le dépistage génétique de prédispositions à certains cancers, cela peut même permettre, à terme, des économies de santé – sous réserve bien sûr que la procédure soit encadrée et validée par des essais cliniques sérieux. La pharmacogénomie aussi peut présenter un intérêt : à quoi bon dépenser des centaines de milliers d’euros dans certaines chimiothérapies si l’on sait d’avance qu’en raison de déterminants génétiques, elles seront inefficaces chez l’individu qui les reçoit ? Mais il serait ruineux sur le plan économique d’envisager une thérapie cellulaire personnalisée dans le traitement de pathologies à forte prévalence. Il faut plutôt s’orienter vers un modèle allogénique.

M. le président. Ne faudrait-il pas alléger les procédures ?

M. Philippe Menasché. Je ne saurais trop conseiller aux responsables politiques de se rendre plus souvent sur le terrain, notamment à l’hôpital – je ne m’étends pas sur le sujet. En matière de thérapie cellulaire, nous avons eu beaucoup de contraintes au départ, que Carine Camby, l’ancienne directrice de l’Agence de la biomédecine, a allégées autant qu’elle l’a pu. Ainsi, pour importer des États-Unis des cellules de la lignée H 1, devions-nous remplir une trentaine de formulaires, attendre plusieurs mois, si ensuite nous avions besoin, pour des raisons strictement scientifiques, d’importer pour la même recherche des cellules de la lignée H2 ! Cela a été fort heureusement modifié. Aujourd’hui, les procédures demeurent contraignantes – et il est normal qu’elles le soient, car il ne faut pas banaliser ces recherches –, mais elles sont sensées et les délais corrects. L’Agence de la biomédecine a une excellente connaissance des projets, dont la traçabilité est parfaitement assurée et l’évaluation très bien réalisée.

M. le président. Comment s’effectue cette évaluation ?

M. Philippe Menasché. L’Agence évalue les projets au bout d’un an, puis les réévalue chaque année. L’équipe doit présenter un rapport à l’Agence, exposer ses recherches ainsi que les difficultés qu’elle a rencontrées… L’Agence visite aussi les sites pour vérifier que les conditions de traçabilité, de stockage et de manipulation sont respectées. Le contrôle est strict, sans être tatillon, et sur ce point il n’y a rien à changer.

M. le président. L’Agence de la biomédecine a-t-elle aujourd’hui les moyens de contrôler l’importation des lignées de cellules souches embryonnaires ?

M. Philippe Menasché. Elle a clairement l’expertise et les compétences pour le faire. Mais en réalité, les connaissances scientifiques que l’on possède sur les lignées importées sont souvent très ténues. Les exportateurs, aussi importants soient-ils – je pense ainsi à l’université de Harvard qui a dérivé une trentaine de lignées –, ont beaucoup de mal à répondre aux questions de l’Agence sur les caractéristiques des lignées, excepté pour ce qui concerne le consentement des parents à ce que les embryons servent à la recherche. Il y aurait donc tout intérêt à dériver des lignées en France plutôt que de les importer, de façon notamment à connaître tout ce que nous souhaitons, notamment sur le plan microbiologique. Il est d’ailleurs surprenant que ces grands laboratoires n’aient pas mieux étudié les lignées qu’ils exportent.

M. le président. En tant que clinicien et chercheur, mais aussi en tant que citoyen, quels risques éthiques principaux voyez-vous à la thérapie cellulaire ?

M. Philippe Menasché. Le risque majeur me paraît la marchandisation des blastocystes. Mais dans un pays comme la France, où la loi sera de toute façon contraignante et où il existe une structure comme l’Agence de la biomédecine, ce risque me paraît plus théorique que réel. Je ne suis pas inquiet à ce sujet.

M. le président. Et que pensez-vous de la gestation pour autrui ?

M. Philippe Menasché. Je ne suis absolument pas spécialiste du sujet, comme vous vous en doutez.

M. le président. Existe-t-il un risque réel de marchandisation avec toutes ces nouvelles thérapies ?

M. Philippe Menasché. Quantité de charlatans ont ouvert des officines en Thaïlande, en Corée, à Singapour ou à La Barbade et abusent de la détresse de certains malades en essayant de leur vendre des cellules miracles. À Bangkok, certains proposent même le voyage et le séjour en même temps que le traitement ! Mais les dangers sont réels. Un enfant, qui a reçu des injections de cellules embryonnaires en provenance d’Ukraine, a ainsi développé depuis une tumeur de la moelle épinière. Il existe indéniablement un risque de dérive mercantiliste, qu’il faut combattre pour que le domaine reste crédible.

M. le président. Que pensez-vous de la course aux brevets dans le domaine du vivant ?

M. Philippe Menasché. Elle n’est pas malsaine en soi, puisque les brevets portent non pas sur des cellules, mais sur des procédés. L’AP-HP en a d’ailleurs déposé, et nous en avons impérativement besoin. En effet, pour que certaines techniques se développent, la coopération des industriels est indispensable. Or, leur premier souci est de savoir s’il existe un droit de propriété intellectuelle sur la technique.

M. le président. Arrivez-vous à nouer des partenariats avec le privé sur certains programmes de recherche ?

M. Philippe Menasché. Je n’en ai pas cherché dans le domaine des cellules souches embryonnaires et ne le souhaite pas pour l’instant. Dans un champ aussi éminemment sensible, je pense que les essais cliniques initiaux doivent demeurer dans le strict cadre académique. C’est ainsi que nous avions procédé avec les cellules souches musculaires adultes, avec un projet promu par la seule AP-HP et concernant dix patients. Je tiens à cet égard à souligner l’excellent travail réalisé par la Délégation de l’AP-HP pour la recherche clinique. Ce n’est qu’après le succès d’un essai strictement hospitalier que les hospitalo-universitaires peuvent se retirer au profit de sociétés privées. Pour les cellules souches embryonnaires, si les essais cliniques sont concluants, l’AP-HP ne pourra seule faire face aux besoins. Il faudra à ce moment-là, mais à ce moment-là seulement, faire appel à des partenaires privés. Mais pour les essais initiaux dans des domaines aussi sensibles, il faut se tenir à l’écart des firmes industrielles dans la mesure où il y a nécessairement des intérêts financiers en jeu – telle est en tout cas ma conviction et celle de Michel Pucéat.

M. le président. Je vous remercie, Professeur, d’avoir éclairé notre mission d’information.

Audition de M. Jacques HARDY, président, et de Mme Isabelle DESBOIS, responsable des tissus et cellules de l’Établissement français du sang


(Procès-verbal de la séance du 9 avril 2009 )

Présidence de M. Alain Claeys

M. le président Alain Claeys. Nous accueillons maintenant M. Jacques Hardy, président de l’Établissement français du sang (EFS) depuis avril 2006, professeur agrégé de droit public, et qui fut également, de 2003 à 2006, directeur de l’École nationale de santé publique, ainsi que Mme Isabelle Desbois, médecin, responsable des tissus et cellules au sein de l’Établissement.

L’Établissement français du sang est un établissement public de l’État, placé sous la tutelle du ministère de la santé, dont la mission est de satisfaire les besoins en produits sanguins labiles et d’organiser la collecte de sang sur l’ensemble du territoire national. Il collabore au fichier national des donneurs de moelle osseuse et participe au développement du réseau de prélèvement de sang de cordon ainsi qu’à des activités d’ingénierie cellulaire et tissulaire.

Depuis la fondation du Centre national de transfusion sanguine, ces activités reposent sur des principes de gratuité, d’anonymat et de sécurité. Ces principes risquent-ils d’être remis en cause, en particulier pour la conservation du sang de cordon ?

Avec 180 chercheurs, votre établissement est un acteur important de la recherche : au regard des espoirs suscités par les thérapies cellulaires, comment s’organisent les recherches déjà engagées, et quelles sont celles que votre établissement entend privilégier ?

Enfin, pouvez-vous nous faire part des résultats de la mission sur les nanotechnologies lancée par l’Établissement en 2006 ?

M. Jacques Hardy. Créé par la loi du 1er juillet 1998, l’Établissement français du sang a été mis en place le 1er janvier 2000. Dans un contexte de monopole, il exerce les activités de prélèvement, de préparation, de qualification et de distribution des produits sanguins labiles – que le législateur a voulu distinguer des produits dérivés du sang, dits produits stables, qui sont placés sous le régime juridique du médicament et produits par le Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB).

L’EFS, établissement public national, est déconcentré en dix-sept établissements régionaux de transfusion sanguine, chacun d’entre eux étant dirigé par un médecin ou un pharmacien nommé par le président de l’Établissement. Employant un peu moins de 9 000 salariés, celui-ci traite chaque année plus de 2,6 millions de dons de produits sanguins labiles – sang, plaquettes, plasma – et effectue plus de 500 000 transfusions. La cession de produits sanguins labiles – dont le tarif est fixé par un arrêté ministériel – aux établissements de santé, publics et privés, lui permet de dégager un chiffre d’affaires annuel de près de 900 millions d’euros.

Son savoir-faire en matière de cellules sanguines a permis à l’EFS de développer des activités connexes, prévues par le code de la santé publique. C’est ainsi qu’il dispense des soins dans une centaine de centres répartis sur le territoire national et offre des prestations telles que les saignées thérapeutiques ou les échanges plasmatiques. Il détient, par ailleurs, la moitié des banques de tissus qui existent sur le territoire national.

Dans le domaine des activités relatives au sang de cordon, l’EFS est l’opérateur historique puisqu’il a établi des banques à Bordeaux, à Besançon et à Annemasse. Suite à un appel d’offre lancé par l’Agence de la biomédecine, il a récemment créé une nouvelle banque de sang dans la région Rhône-Alpes, en partenariat avec les Hospices civils de Lyon, et une autre à Créteil, en partenariat avec l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).

Ses activités de recherche et développement font de l’EFS un acteur important du développement de la thérapie cellulaire et, de façon plus marginale, de la thérapie génique, et il est sur le point d’ouvrir à Nantes une unité de production de vecteurs viraux, en liaison avec l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et le Centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes.

M. le président. Quelles sont vos relations avec l’Agence de la biomédecine ?

Mme Isabelle Desbois. Nous travaillons en étroite collaboration avec l’Agence de la biomédecine et nous répondons totalement à ses exigences.

M. le président. Vos recherches sont-elles validées par l’Agence ?

Mme Isabelle Desbois. L’Agence fait un appel d’offres chaque année et nous lui soumettons certains projets afin de bénéficier de financements. Pour le reste, nous travaillons selon les voies classiques, en respectant la réglementation relative à la recherche.

M. Jacques Hardy. L’Agence de la biomédecine intervient sur tout ce qui ne relève pas de l’activité transfusionnelle, qui, elle, est soumise au contrôle de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), sur la base des bonnes pratiques transfusionnelles. Notre collaboration avec l’Agence de la biomédecine concerne en particulier les banques de sang de cordon et le fichier des donneurs de moelle, dont nous assurons le recrutement.

Les principes éthiques que vous avez rappelés sont parfaitement résumés dans une disposition du code de la santé publique qui, s’agissant notamment des produits sanguins labiles, met en avant l’intérêt du receveur. Ce principe est le fondement de notre action. Pourrait-il être remis en cause ? C’est possible, mais ce n’est pas souhaitable.

Cela l’est d’autant moins qu’on observe depuis 2004 un fait nouveau. Jusqu’à cette date, la consommation de produits sanguins labiles tendait à diminuer, mais en 2004 la courbe s’est inversée. Les cliniciens français étant plus économes que leurs homologues européens de produits sanguins labiles, nous avons tout d’abord pensé que cette évolution était conjoncturelle, mais nous avions tort, car depuis, cette consommation augmente de cinq points par an. Cette augmentation s’explique par le vieillissement de la population et par le fait que les cliniciens ont retrouvé une confiance totale dans la qualité et la sécurité des produits sanguins labiles à usage thérapeutique.

Dans un tel contexte, l’EFS doit se mobiliser pour collecter les produits sanguins labiles en quantité suffisante pour fournir à nos patients, 24 heures sur 24 et 365 jours par an, sur tout le territoire, les produits dont ils ont besoin. Cette exigence suppose une excellente organisation en termes de logistique et de planification. Le don du sang repose sur la générosité individuelle. La satisfaction des besoins nationaux exige que 9 000 personnes donnent leur sang chaque jour. Toute décision qui pourrait déstabiliser la relation que nous avons nouée patiemment avec les donneurs aurait un impact immédiat sur les collectes, donc sur notre capacité à approvisionner les établissements de santé et à satisfaire les besoins des malades.

Or toutes les enquêtes que nous avons menées font apparaître que les donneurs de sang souhaitent que les principes éthiques soient préservés. Tout ce qui pourrait leur porter atteinte aurait un effet démobilisateur. Et cela vaut tant pour les produits sanguins labiles à usage thérapeutique que pour les produits destinés au fractionnement, c’est-à-dire à la fabrication des produits dérivés. L’EFS fournit en plasma le Laboratoire français de fractionnement et des biotechnologies (LFB), dont les besoins augmentent eux aussi. En 2006, nous avons livré au LFB 650 000 litres de plasma sur la base du contrat pluriannuel. Selon nos prévisions, ce volume aura doublé en 2011 !

Pour satisfaire les besoins en plasma, nous pourrions être tentés, parce que cette pratique existe en Europe et partout ailleurs, de rémunérer les donneurs. Je le répète, la tradition française du don est fortement marquée par les principes éthiques, en particulier le bénévolat. Les donneurs sont unanimes : toute rémunération du don, sous quelque forme que ce soit, les amènerait à cesser de donner leur sang. Il y a donc un risque réel à envisager une évolution en ce sens...

En outre, les principes éthiques préservent la sécurité transfusionnelle. Pour le don du sang, il existe en effet des contre-indications, dont un arrêté ministériel établit la liste. Cette liste crée la possibilité pour les personnes averties de s’exclure elles-mêmes du don du sang. Si demain le don est rémunéré, nous verrons se présenter des personnes plus motivées par la rémunération que par le don lui-même. Or ce phénomène d’auto-exclusion du don du sang est incontestablement un facteur de sécurité. Car malgré la sophistication des tests que nous utilisons pour qualifier les produits sanguins labiles, il subsiste des fenêtres de séroconversion. Plus le nombre de personnes prélevées augmentera, plus grand sera le nombre de personnes susceptibles d’avoir été contaminées et d’être contaminantes. Pour toutes ces raisons, les principes éthiques ne doivent pas être remis en cause.

M. le président. Le nombre des nouveaux donneurs est-il suffisant ?

M. Jacques Hardy. Il est certain que nous sommes totalement dépendants de la générosité de la population. Quoi qu’il en soit, à ce jour la France n’a jamais connu de pénurie de produits sanguins labiles. Le législateur, en créant un opérateur unique, a voulu garantir notre autosuffisance. Dans notre pays, le don du sang concerne 4 % des personnes en âge de donner, ce qui correspond à la moyenne des pays européens. Depuis deux ans, la proportion de nouveaux donneurs a augmenté de façon significative, mais l’EFS doit faire face à un nouveau défi : le vieillissement de la population. Depuis deux ans, nous étudions la possibilité de fidéliser les jeunes, et nos résultats sont assez encourageants, bien que la population jeune soit aussi instable qu’elle est généreuse.

Après une fin d’année 2008 particulièrement difficile, nos stocks de produits sanguins atteignent un niveau jamais atteint, puisque nous disposons de dix-sept jours d’avance. Est-ce une tendance lourde, avons-nous réussi à convaincre nos concitoyens que le don du sang est une urgence quotidienne ? Dans un tel contexte, je vous en prie, ne renonçons pas aux principes éthiques !

Mme Isabelle Desbois. L’EFS est impliqué dans la préparation, la conservation et la distribution de tissus et cellules d’origine humaine. C’est un opérateur important sur le plan national puisqu’il possède dix-sept établissements, dont treize disposent d’une infrastructure et de personnels formés, travaillant au sein de vingt-quatre laboratoires. Le fait d’être un établissement unique lui permet d’harmoniser les pratiques, tout en préservant la sécurité et la qualité des produits.

Les principes éthiques doivent impérativement être préservés, car ils rendent possibles des exigences de qualité. Je rappelle que si la plupart du temps, les tissus sont prélevés sur des donneurs décédés – il en va de même des prélèvements multi-organes – les cellules hématopoïétiques sont prélevées sur des donneurs vivants, hormis le sang placentaire qui, lui, est prélevé lors d’un acte opératoire.

La question des banques autologues de sang placentaire est d’actualité… La France a développé un réseau de sang placentaire et dispose à ce jour d’un stock de 7 000 unités. Ce nombre n’est pas énorme mais n’oublions pas qu’en 1999 les créateurs de ce réseau ont imposé des normes de qualité et ont fait le choix de ne conserver que les unités de grande qualité, très riches sur le plan cellulaire. De ce fait, 30 % des unités prélevées sont inscrites sur le Registre France Greffe de Moelle. Si nous avions « banqué » toutes les unités collectées depuis 1998, ce stock atteindrait 25 000 unités !

La qualité des unités est essentielle, car le premier critère international de choix des greffeurs, au-delà de la compatibilité HLA – Human leucocyt antigen –, porte sur la richesse cellulaire. Notre pays a donc fait le bon choix en privilégiant un stock moins important mais de très grande qualité. Notre taux de cession de ces unités, qui est de 3 %, nous place au deuxième rang mondial. Il nous faut naturellement augmenter ce stock, même si nous pouvons toujours, en cas de besoin, faire appel au réseau international. À l’heure actuelle, nous pouvons satisfaire la quasi-totalité des besoins en unités de sang placentaire, avec des produits français ou provenant d’un pays étranger. Il est clair que si nous abandonnions nos principes éthiques, nous ne pourrions conserver nos exigences de qualité.

L’EFS intervient lors de la conservation de tissus et de cellules et participe pour plus de 50 % à leur préparation. C’est un partenaire incontournable, dont le savoir-faire hérité des pratiques liées à la transfusion est reconnu, et qui sait optimiser les moyens dont il dispose.

M. Jean Leonetti, rapporteur. L’affaire du sang contaminé, en laissant accroire que le don comportait un risque de contamination, a-t-elle entraîné une diminution du nombre des dons ? Les principes d’anonymat et de gratuité, ainsi que le haut niveau actuel de sécurité, sont-ils de nature à faire croître à nouveau le nombre des donneurs ?

Quel est le rôle de l’EFS au sein des banques de tissus ? Pratiquez-vous, par exemple, des greffes de peau sur les grands brûlés ? Cette activité va-t-elle évoluer au cours des prochaines années ?

Selon vous, les organismes privés doivent-ils participer, sous certaines conditions, au prélèvement, à la conservation et à l’utilisation du sang de cordon ? Enfin, quelles sont les perspectives de la recherche en matière de sang de cordon ?

M. Jacques Hardy. En matière de transfusion sanguine, la France peut être fière du chemin qu’elle a parcouru, car elle est devenue une référence mondiale en fait de qualité et de sécurité. La mise en place d’un opérateur unique, voulue par le législateur, en est l’une des raisons. La preuve en est qu’un fournisseur rejeté par le monde de la transfusion sanguine française est immédiatement catalogué par l’ensemble des marchés mondiaux comme indigne de confiance ! Cette image nous permet d’ailleurs de faire rayonner notre modèle à travers la coopération internationale.

Nous devons faire preuve de pédagogie pour promouvoir le don du sang, qui ne concerne que 4 % de la population en âge de donner son sang, alors même que 90 % des personnes interrogées disent avoir de la sympathie pour la démarche. Quel paradoxe ! Nous avons mené des enquêtes approfondies pour connaître les raisons pour lesquelles les personnes ne passent pas à l’acte. La première des raisons invoquées porte sur le manque de temps, alors même que le don de sang ne demande pas plus d’une heure. La deuxième raison tient à la méconnaissance du lieu où donner son sang : il nous faut améliorer la proximité des centres de collecte et demander aux collectivités locales de multiplier les fléchages. Une autre raison, plus rarement invoquée, est la peur – peur de la prise de sang, de l’ambiance médicalisée : à nous d’aménager nos installations, de les rendre plus attractives, suivant ainsi l’exemple de quelques pays voisins.

Il est bon enfin de rappeler que le don du sang ne présente aucun danger, mais je pense que la crainte que vous évoquez est dépassée. C’est sur autre chose que cela se joue : nos centres de collecte doivent être adaptés à la façon de vivre des personnes, se trouver dans les centres-villes plus que dans les établissements de santé, être ouverts aux heures auxquelles les personnes sont disponibles – qui ne sont pas nécessairement les heures « normales » de travail, avec les contraintes que cela suppose pour notre personnel – et présenter une ambiance moins dissuasive. Nous y travaillons.

Vous me demandez si je suis favorable à l’intervention d’opérateurs privés dans le domaine du sang placentaire. Nous sommes, là encore, très attachés aux principes éthiques, sans toutefois rejeter toute initiative privée. Notre établissement a ainsi conclu une convention avec le groupe Générale de Santé, aux termes de laquelle il peut être prélevé dans les maternités de cet opérateur privé, dans le respect total des principes éthiques, du sang de cordon destiné à être stocké dans nos banques. Par ailleurs, nous assurons la formation des personnels du groupe, en liaison avec l’Agence de la biomédecine.

La collaboration entre le domaine public et le domaine privé ne pose donc aucun problème à l’EFS, mais une banque privée de sang de cordon, qui aurait nécessairement des préoccupations mercantiles – et dont par conséquent les exigences de qualité et de sécurité seraient probablement quelque peu inférieures aux nôtres –, n’a pas sa place dans un tel contexte éthique. Le respect de ces exigences est une spécificité française à laquelle nous ne devrons jamais déroger. Notre pays, je le répète, a atteint pour le sang de cordon (comme pour les produits sanguins labiles) un niveau de sécurité et de qualité unanimement reconnu dans le monde entier, ce qui explique la proportion importante de nos stocks que nous cédons aux pays étrangers.

Mme Isabelle Desbois. Aucune raison médicale ne justifie le stockage du sang de cordon d’un nouveau-né en vue d’un usage autologue, puisque ce sang placentaire comporte les anomalies – en particulier la leucémie – dont risque de souffrir l’enfant : il ne pourra donc être utilisé pour la greffe.

M. le rapporteur. Votre remarque est importante. Dans un reportage télévisé diffusé récemment, à une heure de grande écoute, une femme demandait que l’on prélève le sang du cordon de son enfant pour assurer sa guérison s’il venait par la suite à souffrir de certaines maladies... Doit-on culpabiliser les mères qui refusent de dépenser 3 000 euros pour que le sang du cordon de leur enfant soit conservé dans un pays étranger ?

Mme Isabelle Desbois. Je répète que les indications médicales validées à ce jour en matière de greffe de sang de cordon concernent essentiellement les maladies hématologiques, et quelques autres. La greffe autologue dans ce type d’indication n’a pas d’intérêt. L’allogreffe en revanche stimule le système immunitaire et permet notamment une réaction de type « greffon contre la leucémie » (Graft Versus Leukemia : GVL).

Les greffes intrafamiliales, utilisées pour guérir un enfant atteint d’une maladie hématologique en récupérant le sang placentaire de son petit frère, correspondent à une prescription médicale : c’est un contexte très différent. La conservation du sang de cordon dans un but de greffe autologue mise sur l’hypothèse que, demain, les cellules contenues dans ce sang permettront de fabriquer des cœurs, des muscles ou des os… Mais cela relève de la recherche fondamentale, et cette hypothèse n’est nullement démontrée. Il ne faudrait pas que des patients décèdent faute de sang placentaire, pendant que celui-ci serait inutilement stocké dans une banque autologue ! Car la probabilité qu’il serve un jour en autologue est quasiment inexistante, tandis que les unités de sang placentaire sont couramment utilisées pour les greffes allogéniques.

Ne promettons pas ce que nous ne pourrons pas tenir, et ne discréditons pas la communauté médicale. Il y a aujourd’hui des indications reconnues, et l’on travaille à mettre en place les banques allogéniques. Je salue le Registre France Greffe de Moelle et l’Agence de la biomédecine qui ont œuvré afin que soient connectés les fichiers internationaux. Désormais, un patient français peut être greffé avec du sang placentaire provenant d’Australie ou d’Amérique du Sud, de la même manière que du sang placentaire provenant de France sera envoyé à l’autre bout du monde. Cette solidarité internationale doit être saluée.

Pour le sang de cordon, nous sommes aujourd’hui dans la situation de la transfusion sanguine et des produits sanguins dans les années 1960. La crainte de ne pas disposer des bons produits, incite ceux qui en ont les moyens à conserver leur propre sang au détriment de la solidarité.

Les principes éthiques assurent la qualité des produits : conservons-les. Lorsqu’un médecin se sent une dette envers une famille ou qu’il a créé des liens affectifs, il peut être tenté de déroger à certains principes.

Des efforts restent à faire en matière d’organisation et de moyens, mais tout ne se fera pas en un jour. Pour avoir accès aux maternités, nous avons passé une convention avec un groupe privé, et nous prospectons auprès de différents groupes, y compris publics. Les personnels de la Générale de Santé s’attendaient à ce que nous procédions de suite aux prélèvements, mais nous avons préféré mettre en place une banque allogénique de qualité. Pour cela, il nous fallait former le personnel tant sur le plan pratique et théorique que sur les modalités d’information des mères sur le don.

Il n’appartient pas aux banques de tissus de l’EFS de pratiquer les prélèvements, mais aux établissements de soins. L’Agence de la biomédecine a mis en place des coordinations hospitalières pour vérifier la non-opposition des défunts. Le prélèvement de tissus – contrairement au prélèvement de sang, qui relève d’une démarche volontaire – est réalisé en grande partie sur des sujets décédés, et la relation à la mort est toujours complexe. L’Agence de la biomédecine fait de gros efforts d’information pour inciter les personnes à prendre une décision de leur vivant. Lorsque les familles refusent un prélèvement, c’est généralement que la personne décédée n’avait rien prévu de son vivant.

Nos exigences de qualité nous amènent en outre à ne pas collecter n’importe quels tissus, même si nous sommes déficitaires. Or, dans les domaines de la peau, des vaisseaux et des valves, nous ne sommes pas autosuffisants et nous en importons de différentes banques européennes. Nous travaillons à régler ce problème, en liaison avec l’Agence de la biomédecine.

Au sein de l’EFS, nous avons souhaité réorganiser ces activités. Je rappelle que la directive européenne de 2004 tend à harmoniser les critères de qualité et de sécurité mis en œuvre lors de la préparation des tissus et des cellules, dans un domaine où nous sommes en concurrence avec des banques privées. Cela a amené l’EFS à participer à l’effort national d’autosuffisance. Pour y parvenir, il a concentré ses plateaux de production et adapté ses locaux et ses personnels aux normes sévères de l’industrie pharmaceutique.

Ces infrastructures étant lourdes et coûteuses, nous avons souhaité regrouper les unités de production, en liaison avec l’Agence de la biomédecine, afin de bénéficier d’une vision d’ensemble de nos besoins. Ce regroupement ne nous a pas empêchés de conserver une relation de proximité avec les établissements de soins.

À l’heure actuelle, en France, le prélèvement de tissus sur une personne décédée ne peut être réalisé que par les médecins, alors qu’ils pourraient être effectués par des personnels techniques bien formés. Il arrive parfois que des prélèvements ne soient pas effectués, faute de médecin disponible. Cette situation n’est pas satisfaisante.

M. le président. La réglementation actuelle en matière de sang du cordon et de greffe de moelle osseuse vous paraît-elle satisfaisante ?

M. Jacques Hardy. La réglementation est adaptée à nos besoins, mais elle est en partie contournée. Ainsi, dans certains établissements de santé, publics ou privés, les femmes sur le point d’accoucher se voient proposer, moyennant finances, que soit prélevé le sang du cordon en vue de le stocker, à l’étranger, dans une banque privée. Cette pratique est parfaitement illégale, puisque l’exportation de cellules nécessite l’autorisation préalable de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS).

M. le président. À votre connaissance, des sanctions ont-elles été prises ?

M. Jacques Hardy. L’un des praticiens de la Générale de Santé se livrait à des pratiques semblables dans l’un des établissements du groupe. Des sanctions ont été prises par l’employeur, mais, bien que le Conseil de l’Ordre des médecins ait été saisi, il n’y a pas eu de sanctions ordinales. Notre réglementation est satisfaisante, mais elle mériterait d’être appliquée de façon plus rigoureuse.

M. le rapporteur. Les donneurs sont attachés à l’anonymat et à la gratuité. De quelle manière la Nation pourrait-elle cependant leur témoigner sa reconnaissance ? Par ailleurs, les lois de bioéthique actuellement en vigueur vous conviennent-elles ?

M. Jacques Hardy. Des distinctions existent qui permettent d’honorer les donneurs fidèles et réguliers, mais ce dispositif mérite d’être rénové et appliqué de façon plus systématique. La Nation doit montrer sa reconnaissance envers les donneurs de sang réguliers, et c’est ce que souhaitent les associations de donneurs de sang, ainsi que les militants du don de sang – qui méritent aussi une reconnaissance.

Les lois de bioéthique, dans la mesure où elles visent principalement à protéger les receveurs, dans le respect des principes de bénévolat, d’anonymat et de gratuité, nous conviennent parfaitement. Mais elles doivent être appliquées avec la plus grande rigueur.

M. le président. Nous sommes autant que vous attachés aux principes éthiques, mais nous regrettons que des normes devenues plus rigoureuses excluent certaines personnes pourtant désireuses de donner leur sang.

M. Jacques Hardy. L’exclusion du don du sang est un vrai problème, mais je rappelle que nous avons récemment repoussé l’âge au-delà duquel il est interdit de donner son sang. Il est paradoxal en effet de restreindre les conditions d’accès au don, pour des raisons de santé publique, alors même que nous avons besoin des donneurs. Un peu moins de 15 % des candidats sont exclus du don du sang, pour des raisons, je le répète, de sécurité sanitaire, et ce n’est pas toujours bien compris. Nous devons concilier un discours de mobilisation et un discours de sécurité, donc faire preuve de pédagogie.

M. le président. Je vous remercie.

Audition de Mme Catherine LABRUSSE-RIOU, professeur émérite
à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne



(Procès-verbal de la séance du 28 avril 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys : Nous accueillons aujourd'hui Mme Catherine Labrusse-Riou que je remercie d’avoir accepté notre invitation. Vous êtes, madame, professeur émérite à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne et spécialiste des droits de la personne et de la famille, ainsi que du droit de la bioéthique. La liste de vos publications sur ces sujets est longue, et je me bornerai à citer le recueil Écrits de bioéthique paru en 2007. Vous avez été membre du Comité consultatif national d’éthique de 1984 à 1990, puis du groupe européen d’éthique pour les sciences et les nouvelles technologies de 2001 à 2005.

Vos travaux, qui couvrent l’ensemble du champ de la bioéthique, mettent toutefois l’accent sur la filiation. Vous avez ainsi écrit qu’« il faut s’interroger sur le rôle et la fonction du droit comme instrument d’institution de la vie, du sujet ou de la personne, et d’ordonnance de l’arbre généalogique face aux réalités ou aux faits, c'est-à-dire au désordre ou au chaos », tout particulièrement au regard « des risques de déstructuration de l’ordre généalogique » que font peser les techniques d’assistance médicale à la procréation.

Pourriez-vous, avant d’en venir aux sujets spécifiques qui intéressent notre mission, nous expliquer quel est selon vous le rôle de la loi ? Quelles évolutions l’Agence de la biomédecine, créée en 1994, peut-elle prendre en charge dans le cadre de la loi ? Celle-ci doit-elle être révisée tous les cinq ans ? Ou bien faut-il opter pour une loi qui s’inscrive dans la durée et confier un rôle réglementaire à l’Agence de biomédecine ? La justice pourra-t-elle prendre des décisions et, en quelque sorte, se substituer au législateur en matière de gestation pour autrui ?

Mme Catherine Labrusse-Riou. Merci de l’honneur que vous me faites en m’invitant. Depuis longtemps, je réfléchis aux problèmes que pose le développement des sciences de la vie et des technologies appliquées au vivant – pas seulement au vivant humain, du reste, même si, le droit étant fait par les hommes et pour les hommes, c’est l’humain qui m’a le plus retenue. Ce qui m’a conduit à m’interroger sur les questions les plus générales de théorie du droit et sur les fonctions du droit – entendu au sens large, en incluant les lois, mais aussi la jurisprudence et les normes internationales. Ce qui m’intéresse le plus sur le plan éthique, ce sont moins les problèmes de morale au sens traditionnel que ceux de nature anthropologique : qu’est-on en train de faire de l’homme, et surtout des relations entre les sujets – familiales et sociales, et notamment de la filiation – par l’effet d’une intrusion directe dans le corps et d’une circulation de plus en plus généralisée des éléments du corps humain ? À ces questions de nature anthropologique, le juriste n’a pas de réponse toute faite et la dimension subjective, fondée sur la conviction et l’expérience, est inévitable. Mais les juristes disposent d’un corpus théorique de principes et de méthodes qui permet d’aller au-delà de l’opinion – même si, en droit, on peut toujours argumenter pro et contra.

Déjà, s’agissant des lois dites de bioéthique, le terme de « bioéthique » me pose problème.

M. le président. Sont-elles mal qualifiées ?

Mme Catherine Labrusse-Riou. Le mot est entré dans le langage courant, sans doute plus tard en France qu’ailleurs : nous avons créé un Comité consultatif national « d’éthique », non de « bioéthique », pour les sciences de la vie et de la santé. Mais ensuite le terme de bioéthique est devenu usuel et il est désormais très difficile de s’en passer. Reste à expliciter le sens des mots. S’agit-il de l’éthique de la biologie, ou l’inverse ? Autrement dit, la première doit-elle être au service de la seconde et s’adapter ? L’intérêt est d’articuler la « bio », c’est-à-dire la science du vivant, qui relève du savoir et du faire, avec l’éthique qui renvoie à des valeurs normatives – dès lors que le savoir, qui se conjugue à l’indicatif, pose des problèmes sociaux, politiques ou économiques qui, eux, mettent en jeu l’ordre normatif. Par ailleurs, on ne sait pas exactement quel est le champ de la bioéthique. Où s’arrête-t-il ? Pourquoi ne pas y inclure l’environnement par exemple, dont le droit se fonde sur des principes politiques pour gérer la nature, la vie, les biens naturels ? Le flou est toujours gênant pour les juristes, suscitant toute une série de questions qui se révèlent à mesure de l’application et de l’interprétation des textes.

Le parti pris par le législateur français de réviser les lois qu’il a adoptées pose aussi problème. À combien de révisions devra-t-il procéder ? Faut-il programmer des révisions systématiques alors que la loi peut être modifiée à tout moment ? Ne serait-il pas opportun au contraire de fixer des positions, au moins pour un temps ? La perspective des deux premières révisions a permis d’élargir le débat ; les États généraux ont mobilisé de nombreuses professions. C’est une bonne chose du point de vue démocratique, mais on ne peut pas continuer indéfiniment. Deux fois, c’est bien. Le droit est aussi un instrument stabilisateur de la société, à moins qu’il soit envisagé dans une optique purement instrumentale et gestionnaire – dans ce cas, son adaptation incessante à la technique est inévitable mais néfaste. Mais ceci ne vaut que pour certains secteurs du droit ; d’autres, qui mettent en jeu des principes fondamentaux, ne se changent pas du jour au lendemain. J’ai été frappée du temps que la loi dite Leonetti a mis pour passer – ou ne pas passer… – dans l’esprit de ceux à qui elle était principalement destinée. Le temps du droit n’est pas celui de la technique ou de l’urgence économique. Si l’on considère le droit comme important pour structurer les rapports sociaux et mettre de l’ordre juste dans la société, il ne peut pas changer tout le temps.

S’agissant par exemple de la filiation, elle est fixée dès la naissance et nous porte toute la vie. Bousculer ses règles ne pose donc pas seulement des problèmes techniques, mais peut avoir des effets difficilement prévisibles sur les personnes. Si d’ailleurs la loi est claire dans son principe et dans sa teneur, elle pourra toujours évoluer dans son interprétation. La loi n’est pas un commandement comme peut l’être un arrêté préfectoral. Il n’est que de songer à certains articles du code civil, toujours valables depuis 1804 parce que leur interprétation a évolué. Il faut préserver cet espace de libre interprétation du juge, qui elle-même obéit à des règles et à des principes. C’est ainsi que la loi vit et entre progressivement dans la tête des gens – jusqu’à ce que le besoin d’un changement se fasse sentir.

On peut donc imaginer que, sur certains points, on procède encore à un moratoire appelant une révision future, mais pas de façon systématique et générale. Il faudrait en décider point par point.

De manière plus générale, il faut une relative cohérence dans le système juridique. Or, chaque fois qu’on adopte, dans un domaine particulier, des règles en contradiction manifeste avec le droit commun, cela pose problème. Ainsi, en matière de filiation, l’ordonnance de 2005, modifie substantiellement le droit commun réformé en 1972, mais les dispositions de la loi de 1994 sur l’insémination artificielle avec donneur ne sont pas compatibles avec le droit commun. Cela décrédibilise le système de filiation. On ne sait plus sur quoi il est fondé principalement : sur la vérité biologique ou sur le désir, l’intentionnalité des « parents » ? À cet égard, la gestation pour autrui pose un problème majeur. Il convient donc de conserver une relative cohérence entre une loi spéciale, celle de bioéthique, et le droit commun.

De même le principe du consentement présumé des personnes défuntes au don d’organe continue de me heurter. Il serait préférable de recueillir un signe positif d’accord. Le prélèvement d’organe tel qu’il est pratiqué renvoie à une vision du corps en contradiction avec l’ensemble des règles qui régissent la mort, notamment la loi de 1887 sur la liberté des funérailles. Il s’agissait d’une loi de « gauche » à l’encontre des veuves qui faisaient enterrer religieusement leur mari agnostique, auxquelles on a opposé l’expression de la volonté expresse du défunt ou la recherche de sa volonté tacite sur le lieu ou le mode des funérailles. En matière de greffe, il faut certes aller vite et solliciter l’avis de la famille n’est pas forcément facile, mais en pratique les médecins ne s’en dispensent pas ; et la contradiction interne au dispositif juridique est gênante. La loi de bioéthique doit ainsi être mise en rapport avec le reste du corpus juridique, car l’intervention médicale ne justifie pas toujours un régime dérogatoire.

On a aussi noté des contradictions internes aux lois de bioéthique, qui expriment les difficultés qu’il y a à légiférer quand on pose un principe en voulant l’assortir aussitôt d’exceptions. Des exceptions, il y en a toujours en droit, mais il faut qu’elles soient interprétables, de droit strict. De plus, il faut que les conditions qui les justifient soient vérifiables. Sinon, le principe ne tient plus du tout et l’exception l’emporte. Autrement dit, il faudrait gérer le rapport entre le principe et l’exception de façon plus rigoureuse qu’il ne l’a été, y compris dans le droit de l’environnement. Si le principe n’est pas clair et si l’exception n’est pas précisément définie, la loi ne sera guère interprétable et son application ne sera pas contrôlable : comment un juge pourrait-il vérifier que telle ou telle intervention médicale, telle ou telle expérimentation, éthiquement contestable, va apporter un « bénéfice majeur »? À quoi bon fixer un principe sans sanction possible ? Cela revient à laisser le champ totalement libre, ce qui est gênant si l’on attribue au droit une fonction de régulation des rapports humains.

Par ailleurs, nous allons de plus en plus vers une appropriation et une commercialisation généralisées du vivant. C’est un fait aux conséquences très importantes au plan économique, et l’évolution se fait sur le modèle de la propriété exclusive, aussi bien pour les tissus et cellules – dont le statut n’est pas clair – que par le biais des brevets.

M. le président. L’Office européen des brevets va-t-il dans ce sens ?

Mme Catherine Labrusse-Riou. La décision du 25 novembre 2008 marque un coup d’arrêt puisque la grande chambre de l’Office a décidé que les cellules embryonnaires ne pouvaient pas être brevetées.

M. le président. Faut-il y voir un recul par rapport à la directive européenne qui a été transposée en droit français ?

Mme Catherine Labrusse-Riou. Ce n’est pas un recul dans le sens où le droit français ne distingue pas l’origine des cellules. Recul au regard de l’extension du brevet ou progrès éthique ?

M. le président. La directive européenne concernait les gènes et leurs fonctions, ce qui conduisait à des brevets dépendants. Ceux qui la contestaient, dont j’étais, se posaient déjà la question de la brevetabilité des lignées des cellules souches embryonnaires.

Mme Catherine Labrusse-Riou. L’Office n’interdit pas l’utilisation des cellules embryonnaires, il pose qu’elles ne sont pas brevetables, qu’elles ne peuvent faire l’objet d’une exclusivité. Or la propriété intellectuelle fonctionne sur l’exclusivité. Dans la Déclaration des droits de l’Homme, la propriété découlait d’un principe politique. Les brevets se fondent quant à eux sur le modèle anglo-américain dans lequel la propriété est avant tout d’essence économique. Or l’économique est en train d’évacuer la dimension politique, mais elle peut être réintroduite en mettant des limites à l’exclusivité du droit de propriété dans le domaine intellectuel. C’est paradoxalement ce que font certains contrats d’ordre scientifique qui tentent d’organiser à l’intérieur des réseaux de recherche une forme de bien commun, de sorte que la connaissance puisse circuler sans qu’il faille acquitter des royalties à chaque transfert. Face au mouvement de fond, la nécessité se fait jour de penser des concepts juridiques nouveaux. Des propositions ont été faites, dès la commission Braibant, par des juristes, notamment par Marie-Angèle Hermitte, pour que ce qui vient de l’humain puisse en quelque sorte retourner à l’humain, à l’intérêt général, une part des profits étant affectée à des intérêts communs qui ne sont pas rentables.

M. le président. Le sujet dépasse l’humain. Le problème, c’est la connaissance ; la question de la propriété intellectuelle sur Internet était de même nature.

Mme Catherine Labrusse-Riou. Vous avez raison. Le problème des rapports avec le droit se pose pour l’ensemble des technologies. Les juristes sont mis à l’épreuve, sommés qu’ils sont d’inventer des modèles nouveaux à partir du droit existant.

Sans doute en France plus que dans d’autres pays, on se préoccupe d’instiller un peu d’intérêt général et de bien commun dans un système économique qui fonctionne sur l’exclusivité. C’est d’autant plus important qu’on ne pourra pas, à mon avis, maintenir indéfiniment la gratuité des dons des produits du corps humain si le système en aval relève du capitalisme pur. Les pourvoyeurs de « matières premières » finiront pas réclamer ce qu’ils estimeront leur dû. Or il serait regrettable d’anéantir ainsi la dimension de solidarité du don.

S’agissant du rapport entre la loi d’une part, et de l’autre la jurisprudence et la mise en œuvre de la loi par de grandes agences comme l’Agence de la biomédecine, je serais tentée de laisser faire les tribunaux dès lors que la loi est interprétable ou qu’il faut légitimer telle ou telle pratique, par exemple la gestation pour autrui qui soulève des difficultés considérables quant à l’établissement de la filiation maternelle.

M. le président. Faut-il maintenir l’interdiction ?

Mme Catherine Labrusse-Riou. L’interdiction n’empêche pas les gens de conclure des contrats, mais la loi les déclare nuls. C’est déjà beaucoup et la Cour de cassation s’est fondée là-dessus pour en annuler les conséquences, en déclarant que la filiation ne peut être établie à partir d’un acte illégal. La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 26 février 2009, vient de s’aligner sur cette jurisprudence, elle qui, dans un premier temps, avait accepté, au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, l’inscription à l’état civil en tant que mère de la femme française qui a fait porter son enfant par une femme américaine. La définition de la maternité ne permet pas à l’état civil français d’établir la filiation maternelle à partir de ce qui est en réalité une infraction pénale, la supposition d’enfant : la femme qui n’est pas accouchée d’un enfant n’en est ni en droit ni en fait la mère. D’ailleurs l’enfant n’est pas privé de filiation puisqu’il a un père ; nombre d’enfants n’ont pas leurs deux parents. Dans certains cas, prendre le temps de voir comment les règles évoluent n’est pas une mauvaise chose. En 1994, le législateur a confirmé par un texte clair les règles relatives à la procréation artificielle et à la gestation pour autrui, en reprenant celles qui avaient été posées par les tribunaux par interprétation du droit antérieur. J’aurais donc tendance à laisser les choses en l’état. Après tout, le nombre de personnes concernées n’est pas considérable et vouloir que la loi prévoie tous les cas risquerait de créer un désordre grave dans la définition de la maternité, pour une utilité très marginale. Et il est vain de vouloir encadrer cette pratique par des règles : si elles sont assez rigoureuses, les gens continueront à chercher une solution à l’étranger. La nullité des contrats de gestation pour autrui ne les en empêche d’ailleurs pas – à leurs risques et périls. On verra ce que décideront les tribunaux, dont les décisions résultent d’un processus de débat très rigoureux et réglé par la procédure.

En ce qui concerne les agences, dont les décisions pourraient éventuellement être contestées devant les tribunaux administratifs mais non devant le juge judiciaire, leur rôle est certainement bénéfique parce qu’elles servent d’intermédiaire casuistique entre la règle et sa mise en œuvre, en même temps qu’elles préviennent des illégalités possibles en matière d’expérimentation, et qu’elles évaluent l’opportunité scientifique de telle ou telle recherche. De plus, la multiplication des autorités administratives indépendantes est un phénomène généralisé. Cela étant, une telle organisation ne vaut que si la loi est claire sur le licite et l’illicite. L’Agence de la biomédecine n’a pas à autoriser telle ou telle entreprise en raison de seulement tel ou tel intérêt scientifique. Ce n’est pas à elle de décider si telle ou telle femme peut bénéficier de la gestation pour autrui. L’Agence est avant tout un comité d’experts. À ce titre, elle doit exercer une régulation scientifique, nécessaire et opportune, à condition qu’elle s’exerce à l’intérieur de ce que la loi aura déclaré licite de faire, si elle devient plus claire dans la détermination de la frontière entre le licite et l’illicite.

M. le président. Quel jugement portez-vous sur le fonctionnement de l’Agence de la biomédecine ?

Mme Catherine Labrusse-Riou. Je ne peux pas vous répondre car je ne la connais pas de l’intérieur. À la lecture de ses rapports, il me semble qu’il s’agit d’une instance essentiellement scientifique, sans dimension anthropologique. Or la recherche sur l’embryon, par exemple, lui laisse des pouvoirs considérables. Mais c’est une exception, me direz-vous, et sous moratoire, qui plus est ; on resterait donc dans la légalité.

M. le président. Considérez-vous que dans le cadre du moratoire, par les accords qu’elle a donnés à certains protocoles de recherche, l’Agence a outrepassé la loi ?

Mme Catherine Labrusse-Riou. Elle a donné, me semble-t-il, beaucoup d’autorisations à des recherches sur l’embryon, au moins quantitativement.

M. le président. C’est la première fois que j’entends cette critique.

Mme Catherine Labrusse-Riou. Je ne critique pas, je constate – alors que la question est toujours en débat et qu’au cours du moratoire, l’interprétation des textes devait être particulièrement stricte. S’agissant de sa composition, les non-scientifiques, qui n’ont pas d’intérêt dans la recherche, pourraient être plus nombreux.

À mes yeux, la recherche sur l’embryon humain relève d’un choix crucial. C’est oui, ou c’est non. Les deux points de vue se défendent. Même si je mesure la fragilité de ma position, je pencherais plutôt pour le non. Je n’entre pas dans le débat de savoir si l’embryon est une « personne » ou une « chose », mais c’est un individu de l’espèce humaine dont la vocation est de vivre et de mourir, pas de finir en médicament ou en matériau de laboratoire. C’est un choix qui relève du respect de la dignité humaine, fondé sur des raisons d’ordre anthropologique, plus que d’ordre moral ou religieux.

Il y a d’autres moyens de se procurer des cellules souches que l’embryon. On pourrait faire de la recherche et être concurrentiels là où les autres n’en font pas. La concurrence internationale n’oblige pas à faire partout la même chose. C’est un choix politique. La juriste que je suis n’a rien à dire à ce sujet, sinon que le traitement juridique de l’humain en son origine ne devrait pas relever d’un utilitarisme immédiat, envahissant, et qui n’a plus de contrepoids. Et si la position n’est pas tenable, l’Agence de la biomédecine peut être là pour organiser les choses. Après tout, ne pourrait-on s’inspirer de la controverse de Valladolid pour instruire une sorte de procès scientifique, en mettant en concurrence les recherches sur les cellules souches adultes ou dédifférenciées et celles sur les cellules souches embryonnaires ? L’Agence de la biomédecine offrirait un cadre adéquat pour une telle controverse. C’est d’ailleurs ce que nous allons faire à Paris I avec des biologistes et les juristes de l’équipe Droit des sciences et des techniques, en décembre prochain. Cela suppose une organisation lourde avec des argumentations pro et contra point par point. De son côté, Jean-Claude Ameisen propose de distinguer la recherche sur l’embryon et celle sur les cellules embryonnaires. Cela impliquerait une révision de la loi en ce qui concerne la décision de mort, ou de dépérissement, des embryons. Qui en décidera ? Actuellement, les couples doivent choisir entre la destruction ou le don à la recherche. L’alternative est ambiguë dans la mesure elle n’en est pas une : donner les embryons à la recherche revient à les détruire. À qui appartient-il de décider de leur sort ? Évidemment pas aux biologistes, qui veulent faire de la recherche sur les embryons.

Sur ces deux derniers points, il faudrait un moratoire prolongé.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Compte tenu de la recherche de cohérence dans le cadre législatif à laquelle vous appelez, n’y a-t-il pas contradiction entre l’existence de textes qui autorisent l’avortement, la destruction et la congélation d’embryons surnuméraires, et le fait qu’on s’interroge quant à la recherche sur l’embryon – la destruction pure et simple apparaissant en un sens plus « morale » que la destruction à des fins de recherche – ? Par ailleurs, vous avez qualifié l’embryon non pas de « personne », mais d’« individu humain ». Une telle notion n’obligerait-elle pas à revoir à la fois les lois de bioéthique et l’ensemble du corpus le concernant ?

Vous rejetez la gestation pour autrui dans un cadre juridique en faisant valoir, d’une part, que l’enfant qui en est issu a une filiation, celle du père ; d’autre part, qu’une personne qui n’a pas accouché d’un enfant ne peut en être la mère. Votre argumentaire est-il exclusivement juridique ou bien repose-t-il sur le principe que ce qui est humain ne doit pas être instrumentalisé, ni a fortiori commercialisé ? Il va de soi en effet qu’une gestation pour autrui est nécessairement rémunérée, ou au moins indemnisée. Dès lors, l’anonymat et la gratuité des dons ne sont plus respectés, ce qui est une double infraction aux règles actuelles de la bioéthique.

Enfin, je n’ai pas bien compris pourquoi vous étiez contre le consentement présumé, s’agissant du don d’organe. Dresser une liste des donneurs volontaires de leur vivant serait sans doute plus cohérent avec le droit général, mais, le moment venu, le consentement écrit serait quelquefois difficile à retrouver, ce qui réduirait considérablement le nombre de donneurs. Pensez-vous qu’il faille revoir le dispositif, ou bien le statu quo n’est-il pas la moins mauvaise solution possible dans la mesure où elle permet d’avertir les vivants qu’ils peuvent refuser ?

Mme Catherine Labrusse-Riou. L’interruption volontaire de grossesse et la destruction d’embryons faute de projet parental ou en vue de la recherche scientifique sont des situations différentes. Le lien, c’est la mort d’un être possible. Mais, dans le premier cas, il s’agit d’un embryon in utero et la loi présume que la mère est en état de détresse. Que l’IVG résulte vraiment de la détresse ou qu’elle soit devenue un moyen de contraception ne relève pas de la loi, c’est un problème de mœurs. La loi de 1975, modifiée en 2001, arbitre un conflit entre deux droits individuels fondamentaux de même nature : celui de la mère de ne pas pouvoir assumer un enfant et celui de cet individu qui aurait vocation à naître. Même si la répression de l’avortement illicite a été modifiée assez substantiellement dans le code pénal, la logique de la loi reste celle du fait justificatif, c'est-à-dire qu’elle ne dit rien sur le fœtus avorté, elle dispose seulement que la loi pénale ne s’applique pas. Le principe est le même pour la légitime défense. Le fait justificatif permet à une infraction pénale de ne pas être punie.

La loi Veil était nécessaire, et même sage, ne serait-ce que pour ne pas punir les femmes qui étaient doublement victimes. Par ailleurs, le nombre considérable d’avortements clandestins posait un problème de santé publique. Vouloir faire de l’IVG un droit subjectif de la femme me semble en revanche plus discutable. La clause de conscience a pratiquement volé en éclats. Il n’en demeure pas moins que la logique interne demeure un arbitrage entre des droits individuels.

Dans le domaine de la recherche en revanche, on considère l’embryon comme un matériau de laboratoire au motif que ce n’est pas un enfant à venir. Et on détourne la fécondation in vitro de son but qui était de permettre la naissance d’enfants. Déjà, la méthode des embryons surnuméraires est problématique parce que l’espèce humaine ne se reproduit pas massivement. En principe, l’embryon appelé à naître est singulier. On peut comprendre cette pratique, sans la justifier, mais utiliser cette technique à des fins différentes revient à faire de la procréation médicale assistée le moyen d’accéder à des embryons pour la recherche. Ce n’était pas l’intention du législateur de 1994. Et, s’il change d’avis, il faut qu’il le dise et le justifie.

L’intérêt de la recherche est collectif et général, il n’est pas focalisé sur une personne ou une catégorie définie. Certes les malades ont intérêt aux progrès thérapeutiques. Encore faudrait-il qu’ils soient attestés, ce qui n’est pas le cas. On arbitre donc entre l’intérêt individuel de l’embryon et un intérêt collectif aléatoire : la situation est bien différente de celle de l’IVG. En outre ces embryons sont extracorporels. C’est pourquoi j’ai du mal à comparer les deux hypothèses, sauf en ce qu’elles ont pour conséquence la destruction d’un individu humain. Je comprends les raisons puissantes qui poussent les scientifiques d’autant que, sous le microscope, il est difficile de se représenter un individu humain dans un embryon de quelques cellules. C’est ce qui rend ma position fragile. Mais, indépendamment de toute perspective religieuse, si l’être humain est autre chose qu’un animal fonctionnel, il n’a pas a priori de vocation utilitariste. Il est objet de respect avant que d’être utile. Sans sombrer dans le pathos, je ne peux m’empêcher de voir dans la recherche sur l’embryon un aspect sacrificiel, même s’il est peu sensible, qui met en jeu le respect de la dignité humaine.

Mon hostilité à la gestation pour autrui repose sur plusieurs arguments. Tout d’abord, le respect des femmes. Utiliser des femmes, fussent-elles consentantes, pour leur seule fonction gestationnelle, est manifestement contraire au respect de l’unité de la personne humaine. Il s’agit d’autre chose que de livrer un produit. Je m’insurge contre le traitement infligé aux femmes. Qui va les recruter ? Comment ? Sur quels critères ? Quels seront les contrôles ? La sécurité sociale va-t-elle les rembourser alors que l’enfant est destiné à quelqu’un d’autre ? L’autorisation serait lourde de conséquences.

Ensuite, pour l’enfant aussi. Loin de moi l’idée de survaloriser le rôle de la mère par rapport au père, mais il est tout de même fondamental de savoir qui sont son père et sa mère. Les enfants nés sous X se posent inlassablement la question. Être né tel jour, à tel endroit, de telle femme et de tel homme, fixe l’identité et permet de se construire avec un minimum de sécurité. Et je refuse l’idée qu’un enfant puisse être un produit qu’on livre.

Les contrats américains d’inspiration libérale sont fascinants par la servitude totale qu’ils organisent. La servitude volontaire est la pire qui soit. Dans de tels domaines, le consentement ne saurait être une condition suffisante de validité. Il y a des consentements pervers, extorqués, qui ne sont pas libres.

Enfin il serait impossible de ne pas admettre de rémunération. Et en un sens ce serait inique. D’autant que la gratuité maintiendrait inévitablement des liens entre la femme qui a commandé l’enfant et celle qui l’a porté. C’est ce qui s’appelle un don pervers. L’argent impliquerait donc une coupure plus nette. On invoque la solidarité, mais elle ne joue pas en matière de filiation.

Enfin, il faudrait bouleverser entièrement le système juridique actuel des règles de filiation pour pouvoir l’établir sur la base d’un contrat portant substitution de mère. Il y en aura forcément, en fait, sous une forme ou sous une autre. Et si c’est la société qui s’en occupe, je serais encore plus choquée ! Si l’on reste à l’intérieur de la famille, c’est ce que Françoise Héritier appelle l’inceste au second degré. En dehors, cela suppose de recruter des cohortes de femmes porteuses. L’idée m’est aussi insupportable que la traite des femmes. On ne change pas le droit de la filiation, les dispositions du code pénal sur la supposition d’enfant, l’état civil, la définition de la maternité, tout cela pour une utilité des plus réduites. L’humanité n’a aucune expérience de la division entre la maternité génétique et la maternité gestationnelle. Pour la paternité, c’est différent : on sait qu’il y a des maris qui sont présumés être pères sans être des pères biologiques. Cela ne vaut pas la peine de semer le doute sur ce qui fait la mère – la volonté et le contrat, ou l’enfantement – pour si peu. À la logique des intentions d’abandonner et de prendre, le principe de réalité s’oppose opportunément.

Enfin, comment contrôler de manière efficace une pratique licite de gestation pour autrui ? On peut bien poser toutes les conditions que l’on veut, mais plus elles seront rigoureuses, plus la tentation d’aller à l’étranger continuera de se développer et tout cela n’aura pas servi à grand-chose.

M. le rapporteur. Les Britanniques qui sont venus ici nous ont expliqué que, même si la permissivité était de mise chez eux, les femmes anglaises continuaient à aller dans les pays de l’Est parce que c’était moins cher.

Mme Catherine Labrusse-Riou. Une loi stricte ne servirait à rien. Après tout, la loi n’interdit rien. Si les couples recourent à la gestation pour autrui, ils auront un enfant adultérin du père. On verra si la jurisprudence envisage une possibilité d’adoption par l’épouse. Pour l’instant, la Cour de cassation refuse et rappelle en outre que la possession d’état dans ce cas n’établit pas la filiation. Rien ne dit que la jurisprudence n’évoluera pas. En droit anglais, il n’y a pas, à proprement parler, de droit de la filiation. Notre tradition romaine fixe l’ordre généalogique et il est très important de placer chaque individu dans une position singulière et non interchangeable. Être à la fois le petit-fils et le fils d’une même personne, et devenir ainsi le frère d’un de ses parents, fût-ce par adoption légale, n’est pas souhaitable. L’expérience a montré que chambouler l’univers généalogique rend les individus fous. Il ne faut pas semer le doute sur la maternité. Les Suédois l’ont bien compris, qui ont interdit le don d’ovocyte. Les cas particuliers ne font pas loi générale.

Quant aux dons d’organes, les pays étrangers qui ont retenu le consentement express, figurant sur la carte d’identité par exemple ou prévoyant un enregistrement spécifique, n’ont pas moins de donneurs que la France. Devoir dire non n’est pas gratifiant. Cela libère également la famille. En outre, le corps n’est pas l’objet d’une charge publique, comme les impôts. Or le corps mort devient le lieu d’une solidarité imposée pour la vie.

Je conclurai en suggérant des recherches d’ordre psychosociologique sur les situations d’échec, par exemple l’échec non médical des greffes. J’ai vu des familles détruites à l’issue de prélèvements ou de dons d’organe entre personnes vivantes. Ces cas prouvent que le corps n’est pas dissociable de la personne. Je pense à deux frères dont l’un a donné un organe à l’autre, et qui n’ont plus pu se parler après ; ou à deux sœurs dont la donneuse, célibataire, a gâché la vie de la receveuse, mariée, en venant s’installer chez elle sous prétexte qu’elle lui devait la vie et que la dette ne pouvait pas s’éteindre. De même, des magistrats m’ont dit qu’ils s’occupaient rarement de la PMA en tant que telle, mais qu’ils en voyaient les effets dans les divorces. Je ne dis pas qu’il faut interdire. Il s’agit seulement de prendre en compte le risque anthropologique. Il est déjà assez difficile de vivre et de tenir debout, pour que la loi ne vienne pas aggraver les déséquilibres.

M. le président. Merci, madame.

Audition de M. Alain PRIVAT,
directeur de recherches à l’Institut des neurosciences de Montpellier



(Procès-verbal de la séance du 28 avril 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir maintenant le docteur Alain Privat.

Docteur en médecine et en biologie humaine, vous dirigez l’équipe de l’unité INSERM « Physiologie et approches thérapeutiques des pathologies médullaires » à l’Institut des neurosciences de Montpellier. Vous êtes membre correspondant de l’Académie de médecine depuis 2006. Vous êtes également chargé depuis cette même année de la coordination du projet européen RESCUE – Research Endeavour for Spinal Cord in United Europe –, dont l’ambition est de proposer des pistes thérapeutiques pour réparer les traumatismes de la moelle épinière.

Vous avez orienté vos recherches récentes sur les possibilités offertes par les cellules souches adultes. Nous aimerions donc que vous nous présentiez vos travaux, puis que vous nous donniez votre avis sur l’évolution des recherches sur les cellules souches ainsi que sur l’état de notre législation. Merci de nous expliquer aussi le financement du projet RESCUE.

M. Alain Privat. Je m’intéresse depuis une quarantaine d’années aux cellules souches du système nerveux central. Quand j’ai commencé à travailler sur ce sujet, ce n’était pas très à la mode car on ne pensait pas que le système nerveux central contenait des cellules souches ; nous savons maintenant que c’est bien le cas.

Je rappelle qu’on appelle cellules souches des cellules capables, d’une part, de s’auto-reproduire à l’identique et, d’autre part, de donner naissance à des cellules différenciées. On distingue les cellules souches embryonnaires, issues de l’embryon très précoce, ou plus précisément du blastocyste, que l’on ne peut prélever qu’en détruisant cet embryon, et les cellules souches dites adultes, vocable qui recouvre aussi bien des cellules souches fœtales, prélevées sur des embryons surnuméraires, que des cellules souches réellement adultes, dont la caractérisation mériterait d’être un peu précisée.

On a très longtemps pensé que seules les cellules souches embryonnaires étaient réellement multipotentes, c’est-à-dire capables de donner naissance à quasiment tous les types cellulaires du corps. Or des travaux réalisés ces deux dernières années par des collègues japonais montrent qu’en partant de cellules adultes de la peau, on peut, par incorporation de quatre gènes bien identifiés, arriver à des cellules souches. On a pu penser que c’était fabriquer une bombe à retardement parce que ces cellules étaient reprogrammées avec des virus et risquaient, après une greffe, de les disséminer et d’entraîner des mutations. Mais on sait depuis quelques mois qu’on peut reprogrammer ces cellules non pas avec des virus, mais avec des plasmides, c’est-à-dire des petits fragments d’ADN qui, eux, ne peuvent pas passer d’une cellule à l’autre. Nous avons donc désormais la quasi-certitude que l’on peut arriver, à partir de cellules prélevées à partir de l’épithélium, du tissu sous-cutané, à reformer des cellules souches, lesquelles, une fois cultivées de façon appropriée, peuvent donner naissance à des cellules nerveuses, musculaires, osseuses ou autres.

Notre vision sur les stratégies thérapeutiques à partir des cellules souches se trouve donc radicalement transformée. En 2006, quand mon confrère et ami Pierre-Louis Fagniez avait remis son rapport au Premier ministre, on pensait que les cellules souches embryonnaires pouvaient être indispensables aux stratégies thérapeutiques ; on sait maintenant que ce n’est pas le cas, même si ces cellules demeurent des outils précieux pour la recherche.

M. le président. Qu’il s’agisse des cellules souches embryonnaires ou des cellules souches reprogrammées, il me semble qu’on en est au stade de la recherche fondamentale, et non de la thérapeutique.

M. Alain Privat. Non : aux États-Unis, fin janvier, la FDA a autorisé un essai clinique sur les cellules souches embryonnaires, pour les traumatismes de la moelle épinière. En revanche, il n’y a pas encore d’essai clinique sur les cellules reprogrammées. Force est de constater une formidable hypocrisie car les arguments qui fondaient le refus d’autorisation de l’administration Bush ne tiennent plus, dès lors que les cellules souches reprogrammées sont aussi capables que les cellules souches embryonnaires de former d’autres cellules. On doit donc repenser complètement les stratégies thérapeutiques au vu de ce que l’on a appris au cours des derniers mois.

M. le président. Votre conclusion est-elle que, d’un point de vue thérapeutique, les recherches sur les cellules souches embryonnaires ne sont pas utiles ?

M. Alain Privat. Oui, d’autant plus que ces cellules sont dangereuses.

M. le président. Donc, vous êtes hostile à la poursuite des recherches sur les cellules souches embryonnaires.

M. Alain Privat. J’étais déjà hostile à ces recherches en 2006, j’ai d’autant plus de raisons de l’être aujourd’hui.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Pour les cellules souches adultes reprogrammées, nous avez-vous dit, le risque pathologique est évité en utilisant des plasmides au lieu de virus. Pour les cellules souches embryonnaires, quelle est la nature du risque, dès lors qu’il n’y a pas de reprogrammation ?

D’autre part, l’essai clinique qui a été autorisé aux États-Unis avec des cellules souches embryonnaires pourrait-il aussi bien se faire avec des cellules souches adultes ?

M. Alain Privat. Concernant les cellules souches embryonnaires, le danger est la tumorisation. S’agissant du système nerveux central, les travaux réalisés sur des animaux le montrent bien.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Puisque les cellules souches reprogrammées, les iPS, ont les mêmes capacités à former des cellules nouvelles, en quoi la multiplication de ces cellules est-elle mieux contrôlée que dans le cas de cellules souches embryonnaires ?

M. le rapporteur. Autrement dit, qu’est-ce qui protège les cellules souches adultes reprogrammées de l’évolution vers la tumeur ?

M. Alain Privat. On ne le sait pas encore, mais les expérimentations qui ont été lancées montrent que, dans les conditions dans lesquelles des cellules souches embryonnaires donnaient des tumeurs, les cellules souches reprogrammées n’en donnent pas. C’est probablement parce que les gènes qui contrôlent la multiplication cellulaire ne sont pas activés de la même façon ; on reprogramme dans ces cellules des capacités de différenciation, mais les capacités de multiplication sont maîtrisées.

On sait par ailleurs que le système nerveux central humain adulte contient des cellules souches, et que ces cellules souches adultes sont susceptibles d’être différenciées. Nous avons nous-mêmes montré il y a quelques mois qu’il en existe dans la moelle épinière ; nous avons pu les prélever chez des patients en état de mort cérébrale, les multiplier in vitro et les différencier en neurones et autres cellules. Il paraît donc possible, sans apport externe, de réaliser une auto-thérapie avec ces cellules souches présentes dans le système nerveux central ; il faudrait pour cela réaliser in vivo ce que nous avons réalisé in vitro. Nous n’en sommes qu’au niveau de la recherche, mais l’éventualité d’utiliser ces cellules in situ pour les différencier, sans être obligé de les greffer, et donc sans traumatisme supplémentaire pour un système nerveux qu’un accident vasculaire cérébral ou un traumatisme a rendu très vulnérable, paraît très intéressante.

Dans une perspective thérapeutique, on se trouve donc à la croisée des chemins. Est-il nécessaire de modifier la loi à propos de l’utilisation des cellules souches embryonnaires, ou faut-il plutôt aller de l’avant en matière de recherche sur les cellules adultes, soit intrinsèques, soit reprogrammées, pour essayer d’en faire des outils thérapeutiques ? Il faut trancher cette question. Dans une perspective de recherche fondamentale, en revanche, les cellules souches embryonnaires peuvent être utilisées comme témoins dans des comparaisons avec les cellules souches adultes ou reprogrammées.

M. le président. Selon vous, que faut-il faire sur le plan législatif ?

M. Alain Privat. Je ne suis pas un spécialiste en la matière, mais un statu quo serait sans doute sage dans la mesure où, actuellement, les données scientifiques et les perspectives thérapeutiques qui en découlent évoluent très vite.

M. le président. L’encadrement de ces recherches en France est unanimement reconnu comme efficace. Dès lors, pourquoi se priver de telle ou telle piste de recherche ? Pourquoi ne pas laisser leur liberté aux chercheurs ?

M. Alain Privat. Pour ma part, en tant qu’individu, je ne vois pas l’intérêt d’élargir ou de généraliser ce qui, actuellement, se fait selon un système d’autorisations, données aux laboratoires sur des projets précis.

M. le président. Certains critiquent, dans la loi actuelle, d’une part l’utilisation du mot « thérapeutique », considérant que l’on est au stade de la recherche fondamentale, d’autre part la durée de cinq ans, parce qu’elle entraîne un manque de lisibilité pour les jeunes chercheurs qui voudraient venir en France. Pour vous, ces arguments sont-ils recevables ?

M. Alain Privat. Ils me paraissent contestables. Ce sont plus des arguties que des arguments sérieux.

M. le rapporteur. Aujourd’hui dans le monde, y a-t-il des équipes qui veulent continuer à travailler sur les cellules souches embryonnaires, ou tous les chercheurs se mettent-ils à travailler sur les cellules souches adultes ?

Quant aux cellules souches du système nerveux central, ont-elles la capacité de régénérer spontanément une partie du système nerveux ?

M. Jean-Marc Nesme. Selon quelles proportions les crédits affectés à la recherche se répartissent-ils entre cellules souches embryonnaires et cellules souches adultes ?

M. Alain Privat. Actuellement, il y a très peu de crédits affectés à la recherche sur les cellules souches adultes, en raison de l’inertie qui caractérise notre pays : au niveau de l’ANR – Agence nationale pour la recherche – et d’autres organismes, on en est encore à des projets qui ont débuté il y a quatre ou cinq ans ; avant que l’on parvienne à obtenir des crédits importants pour les recherches sur les cellules souches adultes, je crains qu’il se passe encore plusieurs années.

M. le président. De la part de l’ANR, il n’y a pas de déséquilibre dans le financement entre cellules souches adultes et cellules souches embryonnaires ; et s’il y avait un petit déséquilibre, ce serait au profit des cellules souches adultes. En revanche, il n’y a pas à l’ANR de fléchage sur les cellules souches en général.

M. Alain Privat. C’est exact. Il reste que dans le domaine de la neurobiologie, que je connais bien, l’essentiel des crédits va aux recherches sur les cellules souches embryonnaires, au détriment des recherches sur les cellules souches adultes. Si nous n’avions pas eu la possibilité de monter avec nos collègues européens le consortium RESCUE, nous n’aurions pas pu financer de telles recherches ; les demandes que nous avions adressées à l’ANR il y a quelques années avaient été rejetées sous prétexte que l’on n’avait la preuve ni de l’utilité thérapeutique, ni de l’intérêt scientifique des cellules souches adultes.

J’en viens à la deuxième question de M. Leonetti : les cellules souches adultes présentes dans le système nerveux central ont-elles des potentialités réparatrices ?

La première région du système nerveux central dans laquelle on a mis en évidence des cellules souches adultes est l’hippocampe, situé à la base du cerveau, qui joue un rôle essentiel dans l’apprentissage et la mémoire. Nous sommes de ceux qui ont montré, il y a maintenant vingt ans, qu’il y avait dans cette région une multiplication permanente de cellules précurseurs, qu’elles se transformaient en neurones et que ceux-ci étaient incorporés dans les circuits de fonctionnement de l’hippocampe – et jouaient ainsi un rôle dans l’apprentissage.

Concernant les cellules souches de la moelle épinière, nous sommes beaucoup moins avancés. Les données dont nous disposons actuellement semblent indiquer que ces cellules ne jouent pas de rôle précis dans l’homéostasie d’un système nerveux adulte. En revanche, d’après ce que l’on a constaté chez l’animal et que l’on essaie de confirmer chez l’homme, quand il y a une lésion, ces cellules souches sont activées, elles se multiplient un peu plus rapidement et certaines d’entre elles peuvent se différencier dans des types matures ; mais il faudrait pouvoir orienter cette différenciation pour obtenir des types utiles.

M. le rapporteur. Y a-t-il à l’étranger des équipes qui continuent à travailler sur les cellules souches embryonnaires ? Pendant la période du moratoire français et de l’interdiction américaine, les équipes d’autres pays ont-elles progressé plus vite que les nôtres, qu’aurait pénalisées le moratoire ?

M. Alain Privat. Au Royaume-Uni, en particulier, des équipes ont très activement travaillé sur les cellules souches embryonnaires et continuent à le faire, mais d’après ce que nous ont dit nos collègues de Cambridge et du Queen Square de Londres, elles sont en train de basculer massivement vers la recherche sur les cellules reprogrammées. L’analyse des travaux les plus récents montre que, malgré les moyens dont elles disposent, ces équipes n’ont pas réalisé de percée significative s’agissant des cellules souches embryonnaires et que les équipes françaises ne paraissent pas avoir été pénalisées.

M. Jean-Marc Nesme. Quel regard portez-vous sur les États généraux qui vont se dérouler ?

M. Alain Privat. Il est toujours utile de débattre, et il est indispensable que toutes les opinions aient les mêmes possibilités de s’exprimer. Nous avons trop connu, dans le passé, un lobbying extrêmement fort en faveur des recherches sur les cellules souches embryonnaires. J’espère que ces États généraux seront l’occasion d’avoir un débat vraiment ouvert avec tous les protagonistes, sur la base des données scientifiques les plus récentes.

M. Jean-Sébastien Vialatte. En dépit de vos réserves concernant les cellules souches embryonnaires, vous avez dit qu’elles pouvaient être utiles pour la recherche fondamentale. Ne pourrait-on, pour cela, utiliser plutôt des cellules souches embryonnaires animales ?

M. Alain Privat. Si nous avions la possibilité de travailler sur des cellules de macaques ou de babouins, par exemple, il est probable – nous ne pouvons pas avoir de certitude – que nous pourrions progresser autant qu’avec des cellules humaines. Un laboratoire est d’ailleurs en train de se monter en région parisienne pour travailler sur des primates.

M. le président. Merci beaucoup.

Audition de Mme Gisèle HALIMI, présidente de l’association « Choisir la cause des femmes », avocate, et de Mme Barbara VILAIN, membre du bureau de l’association


(Procès-verbal de la séance du 29 avril 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons aujourd’hui le plaisir d’accueillir Mme Gisèle Halimi, fondatrice et co-présidente de l’association « Choisir – La cause des femmes » depuis 1971 et avocate au barreau de Paris.

Nul besoin de présenter votre engagement féministe et l’ensemble de vos combats, concernant notamment l’avortement, la parité, la prostitution et toutes les formes de violences faites aux femmes. Vous avez été aussi députée de l’Isère et conseillère régionale pour la région Rhône-Alpes entre 1981 et 1984, ambassadrice déléguée permanente de la France auprès de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), entre 1985 et 1986, ainsi que membre et présidente de la commission politique de l’Observatoire pour la parité entre les hommes et les femmes entre 1996 et 1998. Vous avez publié de nombreux ouvrages, parmi lesquels La Cause des femmes (1973, édition revue en 1992), Avortement : une loi en procès. L’affaire de Bobigny (1973) et, très récemment, Ne vous résignez jamais (2008), dans lequel vous évoquez tour à tour le lyrisme convenu sur la maternité – « piège ou havre affectif ? » –, le désir d’enfant, parfois obsessionnel, ainsi que les dérives de la procréation assistée et la gestation pour autrui. Je rappelle que vous aviez soulevé cette question des mères porteuses dès 1983, l’année de la création du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), dans une question d’actualité à l’Assemblée nationale. Quelques années après, ce sujet est devenu prégnant et nous aimerions pouvoir vous entendre à ce propos. Sans tarder, je vous donne la parole, en précisant que vous êtes accompagnée de Mme Barbara Vilain, membre du bureau de l’association « Choisir – La cause des femmes ».

Mme Gisèle Halimi. Je vous remercie de nous avoir invitées, et d’autant plus que, si étrange que cela puisse paraître, cela n’a pas été le cas d’autres parlementaires chargés précisément de s’informer sur cette question existentielle. Le groupe de travail du Sénat présidé par Mme Michèle André, n’a pas cru utile de nous inviter. Est-ce parce que notre point de vue – que nous avions déjà exprimé – ne collait pas avec des conclusions peut-être un peu choisies à l’avance? Est-ce parce que, tout simplement, on nous avait oubliées ? J’ai écrit à Mme André pour lui demander ses raisons. Vous avez sa réponse … qui n’en est pas une.

Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un débat de la plus grande importance. Pourquoi ce débat, pourquoi tant de commissions, d’informations et d’auditions ? C’est qu’il s’agit de ce qu’on appelle le désir d’enfant. Mais pas n’importe lequel : le désir d’enfant ressenti par un certain nombre de femmes, confrontées à une stérilité particulière et voulant avoir recours à des mères porteuses, appelées joliment « mères de substitution » – en 1983, lorsque l’Assemblée nationale avait pris position contre cette pratique, elle avait utilisé le terme plus clair de « location des ventres ».

Vous êtes-vous demandé combien de femmes étaient concernées ? Bien sûr, quand le désir d’enfant devient une souffrance, il mérite la compassion. Mais jusqu’où doit aller notre compassion ? Doit-elle s’exercer à n’importe quel prix ? Et pour quelle partie de la population française ? Peut-être serez-vous surpris : les scientifiques que j’ai interrogés évaluent à quelques dizaines le nombre des femmes qui, privées d’utérus ou dont l’utérus est déficient, veulent donner suite à leur désir d’enfant.

Tant que nous sommes dans le désir d’enfant et dans la compassion, nous pouvons essayer de trouver des solutions. Mais si, comme cela semble se dessiner aujourd’hui, ce désir d’enfant dérive vers un « droit à l’enfant », nous ne pouvons plus suivre. L’enfant n’est ni un objet, ni un jouet, ni une thérapie. Nous ne saurions donc aller jusqu’à légiférer en ce sens.

Un droit, dans une démocratie, s’il est légitime, mérite qu’on le satisfasse. Or, en l’occurrence, nous ne pouvons pas accepter la notion de droit à l’enfant. Il y a tant d’autres solutions pour canaliser le désir d’enfant, comme on l’avait dit lors du débat de 1983 ; pensez au malheur des enfants abandonnés. Mais quand ce désir prend une forme quasi obsessionnelle, quand il débouche sur un acharnement procréatif, je pense que certaines valeurs de notre société et de notre civilisation sont en danger si l’on n’y met pas le holà. Mettre le holà, c’est refuser la pratique des mères porteuses ; c’est refuser qu’une femme porte pendant neuf mois un enfant qui lui est totalement étranger, qu’elle vive avec, qu’elle prenne les précautions qu’il faut prendre pour que l’enfant arrive au monde avec toutes ses chances, au moins physiques, et qu’elle s’accoutume à l’idée qu’à la naissance, une fois sorti de son ventre, cet enfant ne sera plus le sien.

Il y a là quelque chose de monstrueux. On a fait allusion au fait que « Choisir – La cause des femmes » s’était illustrée dans la défense du droit des femmes de choisir de donner la vie – d’où la contraception, l’éducation sexuelle et, comme ultime recours, l’IVG. Il n’y a là aucune contradiction. Si nous avons mené ce combat, c’est parce que nous donnons à la vie sa plus grande importance, que nous pensons que l’on ne peut pas donner la vie par erreur, par oubli de sa contraception ou par fatalité biologique. Pour nous, la vie ne peut être donnée que dans la lucidité et dans la responsabilité. Or, face aux mères porteuses, nous sommes en face d’un véritable déni de maternité. C’est même plus grave, plus complexe et plus troublant encore. Comment peut-on vivre psychologiquement en portant cet enfant qui n’est rien pour vous, de l’extérieur, mais qui est en même temps tout pour vous puisque vous le nourrissez, que vous le faites vivre, et qu’à partir du cinquième mois, il existe une osmose, une correspondance entre ce qui se passe dans le ventre de la mère et l’enfant qu’elle porte, tout en sachant qu’au bout de neuf mois vous n’en serez plus la mère ? Il y a là une exigence de dédoublement de la mère porteuse, qui ne peut pas lui faire beaucoup de bien.

Dans le projet de la mission sénatoriale, la mère porteuse doit déjà avoir des enfants. Elle aura sans doute un conjoint. Je n’aimerais pas être à la place de celui-ci pendant la grossesse de sa femme, avec laquelle, au moins pendant les premiers mois, il fera l’amour. Car il le fera avec une femme qui porte une graine qui n’est pas de lui, un enfant qui n’est pas de lui, enfant qui va sortir pour être abandonné. De leur côté, les enfants qu’a déjà cette femme peuvent s’interroger. Après avoir constaté que leur mère était enceinte, ils ne voient pas de petit frère ou de petite sœur. Comment leur expliquer ce qui s’est passé, et pourquoi on a fait cela ?

À ce propos, qu’on ne soit pas hypocrite, et qu’on ne nous prenne pas pour des imbéciles. On vous dit que l’on va donner à la mère porteuse une indemnité, et rien de plus. J’aimerais savoir combien de femmes à qui l’on ne donnerait qu’une indemnité accepteraient de porter un enfant pour une autre femme, qu’en principe elles ne connaissent pas. Chacun connaît l’existence des « dessous de table ». Comment vérifier que la mère porteuse se contentera de l’indemnité ? On est bien en face d’une location de ventre, ce qui n’est pas acceptable.

Une autre raison, liée à ce que je viens de dire, fait que nous sommes totalement opposés à cette pratique. Elle est d’ordre social. Je ne peux pas admettre que l’on crée deux catégories de femmes : celles qui vont acheter et commanditer – des femmes stériles et riches, ou qui ont en tout cas les moyens de le faire – et celles qui vont louer leur ventre, qui seront des femmes fécondes et pauvres. On s’est bien rendu compte de ces difficultés, puisque l’on a parlé d’un droit de repentir, de la nécessité d’encadrer cette pratique. Pourquoi le faut-il, si elle est si naturelle, si on ne paie pas et qu’on ne donne qu’une indemnité, et si le consentement de la mère porteuse est libre ?

Il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire sur le consentement libre. Ce n’est pas un hasard si ceux, ou plutôt celles, hélas,  qui défendent la pratique des mères porteuses sont les mêmes que ceux et celles qui défendent la thèse de la libre prostitution, de la prostitution « librement consentie », en ignorant que 80 % des femmes qui se livrent à la prostitution ont été violées dans leur enfance, ou viennent de milieux défavorisés, ont été abandonnées ou traumatisées. Je ne citerai pas de noms, mais il est facile de faire le rapprochement.

Les juristes savent à quoi s’en tenir, s’agissant du libre consentement. En l’occurrence, c’est d’appât du gain, voire de nécessité qu’il faut parler. Les femmes se disent que cela leur assurera une grosse somme – et pas une indemnité. Or nous ne pouvons pas accepter un contrat, une commercialisation de l’utérus d’une femme, qui ne serait qu’une variante de la prostitution.

Et l’enfant ? Notre association luttait déjà contre cette pratique dans les années 1983-1985. Nous avions même inventé une chanson : « Une mère m’a porté et largué, une autre m’a commandité et payé » ! Que dira-t-on à l’enfant ? Dans certains pays, des enfants se retrouvent avec cinq parents : un couple stérile, les gamètes d’un autre homme, celles d’une autre femme, et enfin la femme dont on aura loué le ventre…

Telles sont les raisons qui font que nous sommes totalement opposées à cette pratique. La responsabilité d’une démocratie et la vôtre, législateurs, consiste à édicter un interdit quand des valeurs fondamentales sont mises en cause. Ce n’est pas l’opinion publique, ce ne sont pas les sondages qui peuvent déterminer votre réponse.

Les progrès de la science peuvent mener à des avancées extraordinaires, comme dans le cas des dons gratuits d’organes qui peuvent sauver des vies, mais aussi à des situations perverties, insupportables pour l’humanité : c’est le cas des organes prélevés sur des individus ayant besoin de les vendre, et qui seront transplantés sur des individus riches. C’est un peu ce qui se passe avec la location de ventre.

Enfin, j’ai été frappée, au cours des débats sur cette pratique, de ne pas entendre poser la vraie question : quels enfants voulons-nous mettre au monde, et pour quel monde ?

M. Jean Leonetti, rapporteur. Les partisans de la grossesse pour autrui avancent deux arguments. Le premier est qu’une telle pratique a lieu à l’étranger, dans des conditions atroces d’exploitation des femmes pauvres. Le ventre indien est moins cher que le ventre ukrainien, lui-même moins cher que le californien. Permettre en France la gestation pour autrui s’accompagnerait d’une réglementation encadrant cette pratique afin qu’elle s’inscrive dans l’esprit des lois de bioéthique : gratuité, indemnité, suivi, etc.

Le deuxième argument est plus complexe. Nous avons entendu ici Mme Nadine Morano évoquer la possibilité d’une gestation pour autrui, dans la mesure où elle serait encadrée et resterait dans le cercle familial ; après tout, nous avons autorisé qu’un frère ou une sœur donne un rein, sans d’ailleurs que cela donne lieu à une indemnité particulière. Vendre son rein à travers le monde serait insupportable, mais le donner à son frère ou à sa sœur l’est moins. De même, est-il concevable qu’à l’intérieur d’une famille, on permette à une personne – sœur, cousine, mère – de rendre son utérus disponible pour entreprendre une grossesse, déconnectée de toute marchandisation et commercialisation ? Il s’agirait d’un don affectif, motivé par des raisons familiales.

Je précise que, même si je reprends ces questions et ces arguments, je reste plus que vigilant sur l’instrumentalisation de l’être humain et le consentement libre et éclairé, qui est rarement obtenu dans les circonstances précédemment évoquées.

Mme Gisèle Halimi. Le point de vue de Mme Morano est intéressant. Reste que son propos n’a rien à voir avec notre problème. Vous parliez d’un don de rein. Nous parlons de donner la vie, ce qui est tout de même assez différent… Vous parlez d’un don de rein gratuit. Or, encore une fois, je ne pense pas une seconde qu’une mère porteuse accepterait de porter un enfant gratuitement, voire pour une indemnité, pour quelqu’un d’autre. Ensuite, vous parlez d’un don de rein dans la famille. Or, si la législation devait permettre la pratique des mères porteuses, il faudrait prendre un certain nombre de précautions pour ne pas créer des situations quasi incestueuses. La position de Mme Morano me semble donc être hors du débat. Cela dit, je suis évidemment favorable au don d’organes gratuit et au don d’organes dans la famille ; c’est même ce qui est recommandé pour avoir les meilleures chances. Mais c’est sans rapport avec notre débat.

Il est exact, d’autre part, que la pratique des mères porteuses a lieu dans d’autres pays d’Europe. Mais il n’y a qu’un seul pays qui ait mis au point une législation complète, à savoir la Grande-Bretagne, et un autre pays qui la tolère sans avoir légiféré dessus, à savoir les Pays-Bas. Dans ces conditions, nous n’avons pas à aller dans ce sens par désir d’être européens à tout prix ! Nous avons plutôt à montrer la voie à l’Europe et à dire qu’il faut arrêter cette pratique. Nous ne sommes pas des moutons de Panurge. Ce n’est pas parce que cela se fait dans un certain pays que cela doit se faire chez nous. Nous avons un droit d’inventaire, un droit d’examen et un libre choix. Enfin, le fait que cela se fasse ailleurs dans des conditions déplorables, voire clandestines, n’est pas un argument qu’un législateur puisse retenir. Car si on le retenait, ne faudrait-il pas cesser de légiférer contre la drogue ? Dans certains pays, on obtient en effet de la drogue comme on veut. Devrait-il en être de même des mères porteuses ? Ce type d’argument me semble un peu puéril.

L’interdit est le devoir des législateurs que vous êtes, quoi qu’il se passe ailleurs, si les valeurs que nous considérons comme fondamentales, comme porteuses d’une humanité de progrès sont en cause. Nous devons regarder ce qui se passe ailleurs en espérant que nous contaminerons cet ailleurs – et non l’inverse.

M. Jean-Marc Nesme. Ceux qui défendent la gestation pour autrui considèrent que celle-ci est exactement la même chose qu’une adoption, y compris pour l’enfant. Qu’en pensez-vous ?

Mme Gisèle Halimi. Nous ne connaissons jamais l’avenir des enfants que nous mettons au monde. Il est très difficile de les élever et de savoir comment aider à leur épanouissement. Freud aurait répondu à une bourgeoise de Vienne, qui voulait savoir comment on doit élever un enfant : « Comme vous voudrez, madame. Dans tous les cas, ce sera mal »…

Il est très difficile d’élever un enfant qui n’a pas demandé à venir au monde. Mais si un enfant a cinq filiations et qu’il s’interroge dessus, je n’aimerais pas être à la place des parents « commanditaires ». Les psychanalystes mettent en avant le devoir de vérité. Il n’est pas évident que les parents commanditaires seront condamnés ou repoussés par l’enfant. Mais ce dernier va se demander qui il est, d’où il vient, quelles sont ses racines, de quoi il a bien pu hériter. Je crois que cela risque de peser lourdement sur son avenir et sur son projet de vie.

D’après ce que je sais, les psychanalystes, psychiatres et psychologues sont dans l’ensemble opposés à cette pratique. Ils ne savent pas ce qui va se passer et considèrent que l’enfant sera très mal parti. Peut-on faire cela parce que le désir d’enfant devient obsessionnel ? À mon avis, non.

M. Michel Vaxès. Quand bien même nous serions le seul pays européen à nous opposer à la pratique des mères porteuses, il faudrait que nous conservions notre position. Pourquoi devrions-nous changer d’avis et nous aligner sur des pays dont la position ne correspond pas aux valeurs que nous défendons ?

Certaines personnes recherchent une solution de GPA à l’intérieur de la famille. Je ne pense pas plus que vous qu’on puisse comparer cette situation aux dons d’organes dans une même famille. En outre, le risque de situations incestueuses que vous avez évoqué fixe les limites de la recevabilité d’une demande « intrafamiliale », même sincère.

Enfin, vous avez évoqué le nombre d’enfants qui, sur la planète, sont sans parents. C’est peut-être de ce côté qu’il faudrait chercher des arguments pour détourner les regards de la biologie – laquelle assure la reproduction de l’espèce, mais ne fait pas l’homme – et fonder une position de rejet, même lorsqu’on invoque la compassion au sein de la famille.

Mme Barbara Vilain. Pour assurer le succès de la GPA, il est très souvent nécessaire de transférer plusieurs embryons. Cela aboutit à des grossesses multiples, et il faut fréquemment recourir à une réduction embryonnaire, et cela accroît par ailleurs le risque de césarienne, pour la gestatrice, et le risque de prématurité, pour l’enfant. Même dans le cas où cette GPA aurait lieu dans le cadre familial, le risque physique ne saurait être occulté.

Un autre point a été mis en avant par le groupe de travail du Sénat : il considère qu’il appartient à la gestatrice, et à elle seule, de prendre des décisions afférentes au déroulement de sa grossesse, et notamment d’en demander l’interruption. La question qui se pose est la suivante : comment peut-on imposer humainement à un couple d’intention d’élever un enfant qui serait gravement malformé ou trisomique ? Même si la GPA a lieu dans le cadre familial, la question n’est pas résolue. Enfin, même dans le cadre familial, le chantage financier reste possible.

Mme Gisèle Halimi. Je voudrais dire ma déception : nous, les députés, ne tenons pas toujours parole. En 1983, à l’unanimité, dans un tonnerre d’applaudissements, nous avons décidé d’interdire la location de ventre. M. Hervé, alors secrétaire d’État à la santé, en réponse à une question que je lui posais, a pris l’engagement, non seulement de créer le Comité consultatif national d’éthique, mais encore d’agir pour faciliter au maximum l’adoption – laquelle était devenue un véritable parcours du combattant. Or je ne crois pas que, depuis 1983, on ait fait beaucoup de progrès en ce domaine, en termes de délais, de formalités ou d’exigences. Pourtant, la vraie réponse est là. Des enfants abandonnés pourraient ainsi trouver une famille d’accueil immédiatement, et pas à l’âge de quatre, six ou sept ans. On ferait passer le message, auprès de la famille qui hésite, que la gestation pour autrui est une pratique complexe et on lui conseillerait l’adoption.

Je suis sûre que c’est la vraie réponse compassionnelle, en accord avec tout ce que nous voulons faire : mettre fin à l’abandon de l’enfant, et éviter la marchandisation. Ne nous cachons pas derrière des masques, ne nous racontons pas d’histoires comme l’a fait le groupe de travail du Sénat : il s’agit bien d’un marché, des femmes pauvres et fécondes louant leur ventre à des femmes riches et stériles. On ne peut pas l’accepter, car on ne peut pas accepter la commercialisation du corps de la femme ou de l’homme. C’est d’ailleurs pourquoi l’association « Choisir » est radicalement opposée à toute forme de prostitution.

Qu’une commission travaille d’arrache-pied sur l’adoption, et « Choisir » sera là pour lui apporter son aide. L’adoption permet un autre avenir pour les enfants abandonnés, pour les femmes en mal d’enfant, et pour nous qui voulons rester rivés à des valeurs avec lesquelles on ne peut pas transiger. Or nous ne transigerons pas sur celle-ci.

M. Jean-Sébastien Vialatte. On nous oppose assez souvent un sentiment d’injustice. En effet, la médecine déploie des trésors de technicité et la société dépense beaucoup d’argent pour résoudre les problèmes des femmes atteintes de stérilité ovarienne, alors qu’elles n’ont pas de solution pour celles atteintes de stérilité utérine, sauf à accepter les mères porteuses. Partagez-vous ce sentiment d’injustice ? Est-ce à la société de le prendre en compte ? Ce qui repose en somme le problème du « droit à l’enfant ».

Mme Gisèle Halimi. On peut éprouver en effet un sentiment d’injustice, face à une telle situation. Mais on peut l’éprouver lorsque l’on constate que certains sont beaux et d’autres non, que certains sont handicapés et d’autres pas... La question est : jusqu’où peut-on aller pour remédier à l’injustice ? Je trouve frappant qu’un tel débat se développe pour une cinquantaine de femmes. Bien sûr, nous sommes confrontés à cinquante malheurs. J’ai discuté avec ces femmes, dont le désir d’enfant devient obsédant. Il faut bien dire aussi que la société explique aux femmes qu’elle ne seront pas complètement femmes si elles ne mettent pas des enfants au monde ; elles se sentent handicapées et pensent qu’elles ne sont pas les égales des autres. Pour autant, ce sentiment d’injustice ne saurait déboucher sur un droit. La raison majeure est que l’enfant n’est pas quelque chose sur laquelle nous aurions un droit.

Selon les psychothérapeutes, en cas de désir obsessionnel, le fait d’obtenir ce que l’on désire ne suffit pas à guérir la névrose ; une autre apparaît. De toutes façons, l’enfant n’est pas un objet de thérapie. Il n’est pas un objet du tout.

On peut admettre la souffrance, avoir de la compassion, manifester de l’intérêt, chercher d’autres solutions – comme l’adoption. Mais à un certain moment, il faut s’arrêter : il n’y a pas de droit à l’enfant.

M. le président. Merci beaucoup.

Audition de Mme Éliane GLUCKMAN, professeur d’hématologie, présidente de l’association Eurocord


(Procès-verbal de la séance du 29 avril 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le Président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir le professeur Eliane Gluckman, hématologue, présidente de l’association Eurocord. En 1988, vous avez, Madame, réalisé la première greffe de sang de cordon sur un enfant atteint de la maladie de Fanconi, technique aujourd’hui utilisée dans près de 85 indications thérapeutiques.

L’association Eurocord tient un registre européen des patients traités par greffe de sang placentaire. Elle contribue à l’élaboration des règles de bonne pratique en matière de conservation des unités placentaires et ses bases de données vous ont permis d’engager de nombreuses recherches. À ce point, pourriez-vous nous indiquer si les banques étrangères avec lesquelles vous collaborez fonctionnent selon les mêmes principes d’anonymat et de gratuité du don qui prévalent en France ?

Quel jugement portez-vous sur le réseau français de collecte de sang de cordon ? Son stock de greffons ne place la France qu’au 16ème rang mondial. Pensez-vous qu’autoriser l’activité de banques privées de sang placentaire contribuerait à résorber ce retard ? Quelles difficultés pourraient naître de l’autorisation de telles banques ? Comment se situent vos recherches par rapport à celles sur les cellules souches embryonnaires et les cellules souches induites ? Ces deux voies sont-elles, selon vous, complémentaires ou concurrentes ? Enfin, les greffes autologues de sang de cordon offrent-elles des perspectives thérapeutiques ?

Mme Eliane Gluckman. Je vous remercie tout d’abord de votre invitation. La première greffe de sang de cordon a en effet eu lieu il y a vingt ans sur un enfant atteint d’une maladie héréditaire de la moelle osseuse, la maladie de Fanconi. Le donneur était sa petite sœur dont un diagnostic prénatal avait montré qu’elle n’était pas porteuse de la maladie. Cette greffe intra-familiale se réalisait donc dans des conditions d’histo-compatibilité maximales. L’enfant greffé est aujourd’hui totalement guéri, alors que beaucoup étaient au départ sceptiques sur la technique.

Pour démontrer l’intérêt de la greffe de sang de cordon, nous avons tout d’abord commencé à développer les banques, en France à Paris, en Italie à Milan, en Espagne à Barcelone, en Allemagne à Düsseldorf et aux États Unis à New York. C’est au cours de multiples réunions, au début des années 90, que nous avons élaboré les règles destinées à assurer la qualité et la sécurité du produit. Cela a abouti à la mise en place d’un réseau international qui a reçu à trois reprises des crédits de l’Union européenne. Deux organisations parentes ont été créées, d’une part Netcord, association internationale de banques de sang de cordon, d’autre part Eurocord, association internationale d’enregistrement des résultats des greffes. Cela nous a permis de développer toutes les technologies afférentes à l’utilisation du sang de cordon.

M. le président. Comment l’association Eurocord est-elle née et comment est-elle désormais structurée ?

Mme Eliane Gluckman. Il s’agit au départ d’un projet européen, qui a bénéficié de financements européens et réunissait des médecins hématologues et transfuseurs, intéressés par le sujet. Maintenant que les crédits européens n’existent plus, c’est une association scientifique, implantée à l’hôpital Saint-Louis à Paris, et une marque déposée. Elle est affiliée au groupe européen d’étude sur la greffe de sang et de moelle osseuse, à l’IBMTR (International Bone Marrow Transplant Registry) qui se trouve à Milwaukee aux États Unis, au WMDA (World Marrow Donors Association) dont je viens d’être élue présidente et au WBMT (World Bone Marrow Transplant Association). Tous ces réseaux travaillent ensemble et nous avons demandé que la WBMT soit reconnue comme ONG par l’OMS.

Eurocord recueille des données cliniques dans le monde entier. Nous échangeons beaucoup de données avec les États Unis, desquels proviennent nombre de greffons, ce qui nous a permis de conduire de nombreuses études et de constituer une sorte d’observatoire. Chaque banque qui fournit une unité de sang de cordon en informe Eurocord qui l’enregistre, prend contact avec les centres de transplantation et recueille ensuite les données. Pour être accréditées par Netcord, les banques doivent fournir leurs résultats. Si une banque dispose d’échantillons de mauvaise qualité, ils peuvent ainsi être immédiatement repérés et les mesures correctrices prises à temps. Le réseau fonctionne globalement bien. Netcord, elle, est une fondation dont le siège social se trouve aux Pays-Bas et dont le président exerce à Barcelone.

Notre réseau n’associe que des banques allogéniques et ne traite que des données concernant l’usage allogénique. Parmi les banques accréditées figurent toutefois quelques banques mixtes, assurant une conservation à double usage, autologue et allogénique. C’est le cas de l’une d’entre elles en Californie, qui bénéficie en réalité de deux accréditations, pour chacun des usages.

M. Paul Jeanneteau. Pourriez-vous nous éclairer sur la distinction entre usage autologue et usage allogénique ?

Mme Eliane Gluckman. Lors d’un accouchement, on coupe le cordon ombilical et ce cordon, ainsi que le placenta et le sang qu’il contient, considérés comme des déchets opératoires, sont jetés. Pour prélever du sang de cordon, on ponctionne la veine ombilicale une fois le cordon coupé. C’est ce sang qui est ensuite utilisé pour les greffes. Le prélèvement est allogénique lorsqu’il est destiné à quelqu’un d’autre que la personne sur laquelle il est effectué, qu’il s’agisse d’un membre de la famille atteint d’une pathologie relevant de cette thérapeutique ou d’une personne étrangère dans le cadre d’un don anonyme et gratuit – comme pour la moelle osseuse. Les vérifications d’absence de maladie virale, héréditaire ou maligne sont effectuées comme lors d’un don de sang.

Le prélèvement de sang de cordon à usage autologue est exclusivement proposé par des entreprises privées, alors que toutes les banques allogéniques sont publiques. Les banques privées « vendent » ce prélèvement aux parents, en leur faisant miroiter une utilisation thérapeutique ultérieure de ce sang pour leur enfant si celui-ci venait à développer certaines maladies, et, moyennant paiement, en assurent la conservation.

Nous, hématologues, avons longtemps été opposés aux prélèvements à usage autologue, dont nous ne voyions pas l’intérêt car il n’y avait pas vraiment d’indications thérapeutiques. Les indications potentielles concernent aujourd’hui des maladies dont le pic de fréquence se situe vers 50 ou 60 ans. Anticiper aujourd’hui comment sera traité un lymphome ou un myélome à un tel horizon paraissait ridicule. Et dans le cas des leucémies infantiles aiguës, survenant dans les dix premières années de la vie, on a mis en évidence que très souvent, même si la leucémie ne se déclenche que plusieurs années plus tard, des cellules sanguines malignes étaient déjà présentes dans le sang de cordon. Il faut donc recourir à un prélèvement allogénique. Pour autant, la science progresse très vite et des évolutions ont eu lieu qui amènent à penser que les prélèvements autologues pourraient peut-être avoir un intérêt en médecine régénérative. Dans le sang et surtout dans le placenta, on trouve des cellules souches qui, conservées, pourraient ultérieurement être différenciées en hépatocytes, neurones, cellules pancréatiques… Il s’agit là seulement d’une indication thérapeutique en puissance, et on en est encore au stade des recherches. Là est d’ailleurs tout le problème des banques autologues qui promettent des choses pour l’heure totalement incertaines. Toutefois il ne se passe pas un jour sans une publication sur le sujet dans une grande revue internationale, en particulier depuis la découverte des cellules souches reprogrammées, les iPS, qui présentent les caractéristiques des cellules souches embryonnaires, dont on pourrait alors n’avoir plus besoin – on voyait d’ailleurs mal comment les utiliser en clinique. On pourrait imaginer de reprogrammer des cellules de sang de cordon, mais là encore, on en est au stade des recherches.

M. Paul Jeanneteau. Quelles sont les indications des greffes allogéniques ?

Mme Eliane Gluckman. Aujourd’hui, le recours à une greffe de sang de cordon allogénique a été validé dans le cas des leucémies aiguës de l’adulte et de l’enfant – pas toutes, certaines relevant d’un traitement chimiothérapeutique –, et ce sans limite d’âge, des lymphomes, des myélomes, des myélodysplasies, en bref de la plupart des hémopathies malignes. Elles sont également indiquées dans le cas d’hémopathies génétiques non malignes, comme la thalassémie, la drépanocytose ou le déficit immunitaire congénital, ou bien encore d’arrêt de fonctionnement de la moelle osseuse. Il a été démontré que la greffe de sang de cordon donnait les mêmes résultats que celle de la moelle osseuse.

M. Xavier Breton. La distinction entre banques allogéniques et banques autologues recoupe-t-elle exactement celle entre banques publiques et banques privées ?

Mme Eliane Gluckman. Presque toujours. Les greffes allogéniques ont des indications hématologiques reconnues et validées alors que les greffes autologues n’ont pas encore d’indications thérapeutiques validées. Certains défendent l’idée de banques mixtes. On en a créé en Espagne, où cela ne marche pas du tout…

M. le président. Pourquoi ?

Mme Eliane Gluckman. Parce que les personnes ne veulent pas payer pour la conservation d’un produit qui ne leur appartient pas entièrement ! Il ne faut pas mélanger les genres. L’allogénique et l’autologue relèvent de modèles économiques totalement différents. Nous en sommes tombés d’accord à Eurocord et Netcord : si les techniques sont les mêmes, les objectifs sont radicalement différents. On ne peut pas faire coexister dans une même banque d’un côté des prélèvements payants, et de l’autre des prélèvements à fin de don anonyme et gratuit.

M. Xavier Breton. Cela ne serait-il pas un moyen d’avoir plus de donneurs ?

Mme Eliane Gluckman. Non. Pour l’heure, les prélèvements à usage autologue ne servent à rien. Et les prix pratiqués sont éhontés. Cryo-cell facture 2 000 euros le prélèvement et la conservation du sang prélevé, soit le prix d’un greffon allogénique validé, alors même que la société ne procède à aucun test sur le greffon, qui ne peut donc pas être utilisé dans le dispositif public. Nous, nous faisons tous les tests nécessaires chez la mère et sur le prélèvement, nous nous assurons de l’absence de toute maladie génétique transmissible, plaçons l’échantillon en quarantaine de façon à vérifier qu’une maladie sous-jacente ne s’est pas développée ultérieurement et effectuons le typage HLA. Cette batterie d’examens coûte environ 2 000 euros.

M. Paul Jeanneteau. Les banques autologues font payer 2 000 euros pour la conservation de sang dont on ignore s’il aura jamais une utilité quelconque ?

Mme Eliane Gluckman. En effet, mais ce n’est bien sûr pas ainsi qu’elles présentent les choses. Le problème est très délicat car rien dans la loi n’interdit à un individu de conserver ses propres cellules…

M. le président. Ne faudrait-il pas renforcer le dispositif législatif actuel pour ce qui est de ces banques autologues ?

Mme Eliane Gluckman. Je ne pense pas qu’il faille procéder ainsi. On a du mal à déterminer le statut du sang de cordon, encore plus à s’accorder sur un statut uniforme au niveau international. Le sang de cordon est considéré comme un déchet, mais s’il est prélevé, testé et conditionné pour congélation, il devient un produit sanguin qui est, selon les pays, tenu pour un greffon ou pour un médicament. En France, c’est un produit de thérapie cellulaire. Le greffon autologue est, lui, soit un déchet car il n’a pas de finalité thérapeutique, soit un objet de recherche pour des organismes à but lucratif.

M. Paul Jeanneteau. Ne pourrait-on pas un jour nous reprocher de ne pas avoir légiféré sur la question et d’avoir ainsi permis que se développent des banques autologues privées auxquelles seuls les plus riches de nos concitoyens auraient les moyens financiers d’accéder, surtout si dans quelques décennies des traitements sont devenus possibles à partir du sang de cordon autologue ?

M. le président. Comment protéger les individus face à cette activité commerciale lucrative ?

Mme Eliane Gluckman. Je ne pense pas qu’il faille interdire les prélèvements autologues car de toute façon, il s’en pratique aujourd’hui dans le cadre de circuits clandestins, où des personnes se font abuser. Si les banques autologues sont amenées à se développer, il faut encadrer leurs pratiques, exiger de leurs produits les mêmes critères de qualité que pour ceux des banques allogéniques – ce qui d’ailleurs augmentera considérablement leurs coûts, entraînant la faillite de beaucoup d’entre elles – et s’assurer qu’elles ne trompent pas les parents. Aujourd’hui, leurs promesses sont insensées, laissant accroire que le sang de cordon permettrait de guérir quasiment toutes les maladies !

Il faudrait favoriser la création en France de biobanques de produits cellulaires, et là peut-être le législateur pourrait-il nous aider.

M. le président . Peut-on aujourd’hui ouvrir une banque autologue en France ?

Mme Eliane Gluckman. Ce n’est ni interdit ni autorisé. Rien n’interdit, je l’ai dit, à un individu de conserver des éléments de son corps. Dans le cas des banques autologues, le contrat porte uniquement sur la congélation et le stockage du prélèvement, pas sur une utilisation thérapeutique.

M. le président. Certains pays européens ont-ils déjà légiféré sur les banques autologues ?

Mme Eliane Gluckman. Oui, l’Espagne les a autorisées à condition qu’elles respectent les mêmes critères de qualité que les autres, de façon que leurs prélèvements puissent figurer sur le registre des greffons allogéniques et que si un greffon se révèle utile pour d’autres malades, il puisse être racheté au donneur ou que celui-ci soit obligé de le donner. Cela n’a pas marché du tout, car les gens n’ont pas voulu payer pour un produit qui pouvait leur être enlevé. En Italie, une loi similaire a été adoptée, dont les décrets d’application n’ont jamais été publiés, les autorités s’étant rendu compte que cela ne pouvait pas marcher. Il existe aujourd’hui des banques autologues en Italie et en Espagne, où a été mis en place un bureau délivrant les autorisations d’importation et d’exportation de produits sanguins, autorisations qui sont systématiquement accordées.

M. le président. Ces législations concernent seulement le stockage ?

Mme Eliane Gluckman. Oui.

M. Xavier Breton. Peut-on envisager un jour une banque autologue publique ? À quel horizon ?

Mme Eliane Gluckman. C’est un projet sur lequel nous travaillons au niveau européen. Les choses avancent à Barcelone et nous aimerions bien qu’il en soit de même en France. Il s’agirait de verser les unités de sang de cordon prélevées à une banque allogénique publique, tandis que serait parallèlement constituée une biobanque collectant les autres produits dérivés du cordon, du placenta, des vaisseaux ombilicaux et du liquide amniotique. L’intérêt serait de cibler des familles à risques, porteuses par exemple de formes génétiques de diabète, pour lesquelles on sait que la greffe de cellules pancréatiques donne de bons résultats. Pourquoi ne pas imaginer une banque d’iPS destinées à être différenciées en îlots de Langerhans pour ces diabétiques ? Ce pourrait être un projet public-privé. La même chose pourrait être envisagée pour les drépanocytoses, hémopathies qui touchent plus particulièrement les populations d’origine africaine. On a commencé à prélever du sang de cordon chez des femmes africaines afin de pouvoir réaliser des greffes chez les patients atteints, le taux de succès avoisinant les 100%. Ce type de biobanque permettrait de disposer d’une part, des unités de sang de cordon pour effectuer les greffes nécessaires, d’autre part d’une banque de produits destinés à servir à des recherches fondamentales.

Prélever du sang de cordon sur tous les individus à leur naissance et le conserver serait absurde sur le plan scientifique comme sur le plan économique. Si certaines personnes souhaitent effectuer un tel prélèvement chez leur nouveau-né, elles doivent payer, et très cher. Pour ma part, je leur demanderais de donner leur placenta en échange de la conservation de ce sang de cordon.

M. Paul Jeanneteau. Quel serait, à votre avis, le prix d’un projet tel que celui que vous évoquez ?

Mme Eliane Gluckman. Une biobanque serait très chère et supposerait nécessairement des financements à la fois publics et privés. À Barcelone, ce sont 20 millions d’euros qui ont été injectés dans le projet pour les seuls fonds privés.

Les banques autologues font payer très cher le prélèvement et la conservation de sang de cordon, je l’ai dit. Pour autant, elles ne rapportent pas autant qu’il pourrait y paraître, dans la mesure où elles dépensent les trois quarts de leurs bénéfices en publicité et rémunèrent grassement les accoucheurs. À Athènes, une clinique rémunère les accoucheurs 400 euros pour chaque prélèvement.

M. le président. L’Agence de la biomédecine rappelle dans son rapport que pour l’instant, la loi ne permet pas la conservation autologue du sang de cordon ombilical. Celle-ci n’ayant pas d’utilisation thérapeutique prouvée à ce jour, « toute demande d’autorisation conduirait à ce jour à un refus de l’AFSSAPS », indique l’Agence.

Mme Eliane Gluckman. Certes, mais rien n’empêche de conserver du sang de cordon à des fins non thérapeutiques. L’avis de l’Agence de la biomédecine ne me paraît pas assez nuancé. La France est le seul pays au monde à ne pas autoriser cette conservation autologue.

M. le président. L’Agence conclut que « la révision des lois de bioéthique pourrait être l’occasion de définir une position claire sur les banques de sang autologues. »

Mme Eliane Gluckman. Le législateur pourrait en effet aborder dans la future loi la question des collections biologiques constituées dans un but thérapeutique ultérieur éventuel. Il n’y a pas aujourd’hui d’indication thérapeutique pour le sang de cordon autologue mais admettons qu’une soit découverte dans les toutes prochaines années. Tout le problème est de savoir comment faire dans la pratique avec ces produits, pour l’heure à usage scientifique, mais susceptibles d’acquérir un usage thérapeutique ? Il faut s’assurer qu’ils présentent tous les critères de qualité afin qu’ils puissent un jour être utilisés et bien entendu que nous soyons autorisés à constituer ces collections, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

M. Paul Jeanneteau. Si nous ne prenons pas en compte ce problème maintenant, nous risquons d’intervenir trop tard, vu la rapidité des progrès des connaissances.

M. le président. C’est en effet un point qu’il faudra aborder dans la future loi.

Mme Eliane Gluckman. Il faut bien distinguer entre « à usage scientifique » et « à usage thérapeutique ultérieur éventuel ».

Mme Patricia Adam. Dans les banques allogéniques, le don est anonyme et gratuit. Mais peut-il aussi être effectué pour une personne connue d’avance ?

Mme Eliane Gluckman. Il y a deux types de banques allogéniques, intra-familiales, et celles qui se sont plus largement développées, non apparentées. Aujourd’hui, nous disposons dans le monde de 400 000 unités de sang de cordon.

Mme Patricia Adam. Imaginons le cas de parents ayant accepté un prélèvement de sang de cordon chez leur enfant en vue d’un don anonyme et gratuit et dont l’enfant développe quelques années plus tard une maladie …

Mme Eliane Gluckman. C’est un vrai problème. Même si les prélèvements sont « anonymisés », on peut retrouver le donneur. Les banques conservent la trace de la mère, car elles doivent être prévenues en cas d’apparition d’une maladie. Une unité de sang de cordon prélevée chez un enfant qui développe quelques années plus tard une leucémie doit impérativement être retirée du stock de la banque – en espérant qu’elle n’aura pas été utilisée entre temps – car elle a tous les risques de contenir des cellules cancéreuses.

M. Xavier Breton. Une banque allogénique pourrait devenir autologue ?

Mme Eliane Gluckman. Si l’enfant en question développe une leucémie dans les cinq ans, on n’utilisera certainement pas ce prélèvement-là, qui risque d’être contaminé. On procède au même type d’élimination des greffons pour les greffes de moelle osseuse.

M. le président. Quelle est votre position concernant les recherches sur les cellules souches embryonnaires ? Jugez-vous satisfaisante la rédaction actuelle de la loi ?

Mme Eliane Gluckman. Il faut impérativement poursuivre toutes les voies de recherches fondamentales en parallèle. Les cellules souches embryonnaires n’ont pas aujourd’hui d’indication thérapeutique, mais elles permettent des progrès essentiels dans la connaissance fondamentale. Elles pourront ainsi être à l’origine de découvertes fondamentales, qu’il s’agisse de nouveaux médicaments, de nouvelles molécules, ou de la compréhension des mécanismes de certaines maladies. Les iPS et les cellules de sang de cordon sont tout aussi importantes. Il faut mener les recherches dans tous ces domaines à la fois, comme cela se fait d’ailleurs partout dans le monde. Or, la France n’est pas très en avance en matière de recherche fondamentale sur ces sujets. Ces voies ne sont pas concurrentes. L’important est de parvenir à des produits utilisables en clinique de manière parfaitement sûre. Il faut notamment s’être assuré que les cellules utilisées ne présentent pas de risque tumoral et que leur différenciation sera bien maîtrisée – imagine-t-on les conséquences de cellules injectées dans le cerveau pour s’y différencier en neurones et qui s’y transformeraient en os, comme cela est arrivé chez la souris ? Beaucoup de points restent à vérifier avant de passer aux essais cliniques chez l’homme. Cela étant, les progrès sont très rapides.

M. le président. Ne commet-on pas avec la thérapie cellulaire la même erreur que celle commise lors du séquençage total du génome humain où on a eu tendance à penser que la génomique permettrait de tout résoudre ? Les recherches sur les cellules souches ont permis des progrès très rapides en matière de connaissances fondamentales mais on est encore loin d’applications thérapeutiques…

Mme Eliane Gluckman. Pas tant que cela. Il y a déjà eu des études pré-cliniques chez l’animal. Un essai sur les cellules neuronales vient d’être autorisé il y a un mois en Angleterre, la FDA a autorisé aux États Unis des essais cliniques chez l’homme avec des cellules souches embryonnaires. Je ne crois pas personnellement que les cellules souches embryonnaires auront d’applications thérapeutiques, mais je peux me tromper…

M. le président. La rédaction actuelle de la loi vous satisfait-elle ou préféreriez-vous que les recherches sur les cellules souches embryonnaires soient également autorisées dans un but scientifique ?

Mme Eliane Gluckman. Il faut à mon avis autoriser toutes recherches fondamentales sur ces cellules. Il est dommage que la loi les limite aujourd’hui à une finalité thérapeutique. Vu la rapidité des progrès dans les connaissances, certaines craintes actuelles se révéleront peut-être bientôt infondées. Il ne faut donc pas tout bloquer.

M. le président. Les stocks de sang de cordon sont faibles dans notre pays. L’Établissement français du sang explique que c’est à cause du niveau très élevé d’exigence de qualité. Qu’en pensez-vous ?

Mme Eliane Gluckman. C’est faux. Si les stocks sont si faibles, c’est qu’il a manqué d’une part des crédits, d’autre part une volonté. La banque de sang de cordon de l’hôpital Saint-Louis a dû fermer trois fois faute de financement ! Les greffes de sang de cordon ont été un temps perçues comme pouvant faire concurrence à celles de moelle osseuse, mais cela n’a plus aucun sens. La greffe de sang de cordon est aussi efficace que celle de moelle et présente l’avantage supplémentaire de ne pas nécessiter de typage HLA.

Il existe aujourd’hui en France quatre banques de sang de cordon et trois vont ouvrir, notamment après que le rapport de la sénatrice Marie-Thérèse Hermange sur le sujet a quelque peu fait avancer les choses.

M. le président. Le CHU de la ville de Poitiers, dont je suis maire, a un projet de banque. J’ai découvert à cette occasion la complexité des financements…

Mme Eliane Gluckman. Ce n’est complexe que parce qu’on le veut bien. Cela pourrait être très simple. L’investissement de départ pour créer une banque de sang de cordon est de deux à trois millions d’euros. Il est évident que plus les stocks seront importants, plus l’investissement pourra être amorti facilement. Aujourd’hui, les greffes réalisées dans notre pays proviennent pour un quart du stock français, pour le reste d’importations. Alors qu’un greffon coûte environ 2 000 euros, nous l’achetons 25 000 euros ! Si notre pays avait investi à hauteur suffisante, non seulement les investissements auraient été amortis, mais nous serions largement bénéficiaires. Il y a eu, hélas, sur ce point un manque de vision politique. Alors qu’il faudrait que nous disposions de 50 000 unités pour être à peu près autonomes, nous n’en avons que 10 000. Les crédits consacrés à cette activité sont très insuffisants. L’Agence de la biomédecine ne dispose pas des moyens nécessaires. Il faut des financements complémentaires, et pour cela une volonté politique est indispensable. Elle serait particulièrement bienvenue en cette année 2009, où le don d’organes a été déclaré grande cause nationale.

M. le président. Pourriez-vous nous préciser dans quelles conditions s’effectuent les prélèvements ? Quelles sont les motivations des mères qui acceptent le don et comment sont-elles informées ?

Mme Eliane Gluckman. Ce sont la plupart du temps les sages-femmes qui, après leur avoir expliqué la nature de ce don, anonyme et gratuit, en vue d’un usage allogénique – il leur est bien précisé que le prélèvement à usage autologue est interdit –, recueillent leur consentement, les informent que des tests sérologiques seront opérés sur le sang prélevé et leur demandent de revenir trois mois plus tard afin de refaire certains tests et s’assurer que le nouveau-né est en bonne santé. Les prélèvements ne sont effectués que dans quelques maternités dédiées : alors qu’il y a 800 000 naissances par an dans notre pays, on n’y réalise que mille prélèvements. L’acte lui-même est très simple, sans aucune interférence avec l’accouchement, et ne présente aucun risque, ni pour la mère ni pour l’enfant.

Pourquoi le sang de cordon me paraît-il une thérapeutique d’avenir ? Tout simplement parce que la ressource est infinie, que l’utilisation du produit ne soulève pas de problème éthique, que les contrôles sanitaires peuvent être effectués à l’avance – les produits en stock présentent toutes les garanties de sécurité –, que les cellules qui en sont issues ont une forte capacité proliférative et que les greffes de sang de cordon ne nécessitent pas d’histocompatibilité tissulaire donneur-receveur.

Mme Patricia Adam. Combien de maternités pratiquent ce type de prélèvement ? Sont-elles bien réparties géographiquement ?

Mme Eliane Gluckman. Hélas, non, il n’y a pas du tout de maillage du territoire national. Les maternités qui pratiquent ces prélèvements sont essentiellement situées à proximité des banques. À Paris par exemple, seule la maternité de l’hôpital Robert Debré le fait, celle de l’hôpital Trousseau le fera bientôt. Un nouveau plan serait en cours d’élaboration entre l’Établissement français du sang et la Générale de santé, mais je n’en sais pas davantage.

M. le président. Je vous remercie, Madame, de votre contribution à nos travaux.

Audition de M. Xavier LABBÉE, professeur de droit à l’université de Lille II, avocat


(Procès-verbal de la séance du 29 avril 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons à présent le plaisir de recevoir M. Xavier Labbée, professeur de droit à la faculté de Lille II et responsable de l’Institut du droit et de l’éthique de Lille.

Monsieur Labbée, votre expérience dans le domaine de la bioéthique est ancienne puisque, dès 1986, vous avez soutenu une thèse sur La condition juridique du corps humain avant la naissance et après la mort. Depuis, vous n’avez cessé d’étudier, sous l’angle juridique, les questions relatives au statut du corps humain. Vous êtes ainsi l’auteur des chapitres du Jurisclasseur portant sur le statut de l’enfant conçu in utero et sur celui de l’enfant conçu in vitro. Vous êtes également un spécialiste du droit de la famille et vous pourrez donc nous éclairer sur les problèmes juridiques soulevés par l’AMP et la gestation pour autrui.

Enfin, vous vous êtes récemment intéressé aux nouveaux champs de la bioéthique. Vous avez ainsi consacré un article, à paraître, aux concepts d’ « androïde » et d’homme « augmenté ».

M. Xavier Labbée. Je vous remercie pour l’honneur que vous me faites en me demandant de venir vous exposer mon point de vue sur le statut de l’enfant conçu et de l’enfant né d’une gestation pour autrui. Il est exact que je me préoccupe depuis fort longtemps, tant à la faculté que devant les tribunaux, où il m’arrive fréquemment de plaider, des questions relatives au corps humain – corps mort, enfant conçu – et, plus généralement, à la notion de personne.

Je rappellerai d’abord, pour éviter toute équivoque, quel est précisément le statut de l’enfant conçu – je ne parle pas pour l’instant d’embryon ni de fœtus, termes qui ne sont pas véritablement manipulés par le juriste.

Nous devons, dans un premier temps, évacuer la question de la qualification. La question n’est pas de savoir si un enfant conçu est un être humain, ou une personne humaine. Les expressions « être humain » ou « personne humaine » ne sont pas des notions juridiques. La vraie question est de savoir si l’enfant conçu est ou non une personne juridique, c’est-à-dire un sujet de droit. L’histoire – même récente – nous enseigne, en effet, que des êtres humains, considérés comme tels, ont pu être qualifiés par le droit de simples objets, tout simplement parce que le système juridique de l’époque refusait de leur donner la qualité de sujets de droit. On se souvient du Code noir de Colbert. Tout le monde s’accordait à l’époque pour dire que l’esclave est un homme – d’ailleurs la religion le baptisait – mais le système juridique lui refusait la qualité de sujet : il devenait alors une chose, un objet mobilier.

La personnalité juridique de l’enfant ne commence qu’à la naissance. C’est à partir de sa naissance que l’enfant a un état civil, une nationalité et, plus généralement tous les droits qui font de lui un sujet, ces droits étant réunis dans un patrimoine. C’est à partir de sa naissance que l’enfant représente une part fiscale et qu’on peut réclamer une pension alimentaire pour lui. Cela signifie que, tant qu’il n’est pas né, vivant et viable, l’enfant n’est pas une personne ; c’est pourquoi porter des coups à une femme enceinte qui la contraignent d’accoucher d’un enfant mort-né n’est pas actuellement un acte homicide. On ne peut tuer qu’une personne. Or, l’enfant conçu n’étant pas une personne, on ne peut utiliser la qualification pénale d’homicide. Je reviendrai sur cette jurisprudence de l’assemblée plénière car elle est critiquée.

Il existe, certes, la fameuse maxime héritée du droit romain infans conceptus pro nato habetur, aux origines d’ailleurs incertaines. Mais elle n’a pas pour effet de conférer à l’enfant conçu une qualité de personne. Il faut quatre conditions – que l’enfant vienne au monde, qu’il soit vivant, qu’il soit viable et que la demande soit présentée dans l’intérêt de celui-ci – pour qu’il puisse faire remonter fictivement sa personnalité au jour présumé de sa conception. Mais, que l’on se comprenne bien, la maxime infans conceptus n’est qu’une fiction qui fonctionne à rebours.

Si l’enfant conçu n’est pas une personne, l’enfant qui se trouve dans le ventre de sa mère ne sera qu’une fraction de chair dont celle-ci pourra se libérer impunément dans les douze premières semaines. L’IVG est un peu comme une amputation. C’est une liberté de la femme. Au-delà de douze semaines, c’est une fraction de chair un peu mieux protégée : on ne peut s’en débarrasser que pour raisons médicales, mais ce n’est pas pour autant une personne. Tel est le statut de l’enfant in utero.

Pour qualifier l’embryon in vitro, nous sommes obligés d’avoir recours à la notion de chose. Mais ce n’est pas une chose banale. C’est une chose respectable. Les lois bioéthiques mettent en avant le respect que l’on doit au corps humain. Dans une grande partie de la doctrine, ce respect est, actuellement, traduit par le qualificatif « sacré ».

J’appelle votre attention sur le fait que le qualificatif « sacré » ne veut pas dire « religieux » ou « saint ». Il est employé dans la Déclaration des droits de l’homme, aux côtés de celui d’ « inviolable », pour qualifier le droit de propriété. C’est donc bien un qualificatif juridique. Il n’est pas à prendre à la légère.

C’est un très beau qualificatif : Pufendorf disait que les choses sacrées sont celles dont on ne peut pas faire n’importe quoi. Si nous l’employons en doctrine pour le corps mort, nous pourrions l’employer pour l’embryon in vitro.

Même si la qualification n’apparaît pas dans le code civil, il existe, dans celui-ci, une catégorie de choses très voisine, celle des choses communes, définie à l’article 714 : les choses communes sont « des choses qui n’appartiennent à personne » – et qu’on on ne peut pas s’approprier – mais « dont l’usage est commun à tous. » Des lois de police règlent la manière d’en jouir.

Selon l’article 714, le droit réel exercé sur le corps de l’enfant serait, non pas un droit de propriété – impliquant usus, fructus et abusus – mais un simple droit d’usage. C’est intéressant parce que cela nous permet de limiter les actes que l’on peut faire sur l’enfant conçu.

Ces précisions données, voyons maintenant quelles évolutions peuvent être envisagées dans le cadre de la révision des lois bioéthiques.

J’envisage un double mouvement. L’un tendrait à accroître l’aspect matériel pour tout ce qui concerne l’embryon et accentuerait sa réification, en lien avec la notion de « chose sacrée ». L’autre, au contraire, viserait à personnifier le fœtus afin de revenir sur la jurisprudence tant décriée de l’assemblée plénière.

Concernant l’embryon in vitro, la loi peut, à mon sens, rester telle qu’elle est. Même si le mot n’existe pas dans le code civil, la doctrine emploie la qualification de chose « sacrée », ce qui est très bien : si l’embryon est une chose, on peut en disposer ; s’il est une chose sacrée, on peut faire ce que l’on veut sauf ce que la loi interdit. Il resterait au législateur de bien préciser les interdictions.

Le moratoire a été critiqué. Il est vrai qu’il y a une contradiction à dire : « Il est interdit de faire cela mais, dans les cinq ans, vous pourrez faire ce que vous voudrez ». C’est un peu un double langage. Il me semblerait plus honnête de dire : « La recherche est permise, sauf dans tels et tels domaines », avec une énumération de tout ce qui serait interdit.

Il serait peut-être bien de revoir également la procédure de demande des autorisations de recherche. Je me suis souvent interrogé sur les raisons pour lesquelles les protocoles sont confiés, non aux CPP – les comités de protection des personnes –, mais à l’Agence de la biomédecine.

M. le président. Elle a été créée pour cela.

M. Xavier Labbée. Cela ne complique-t-il pas la démarche expérimentale ?

La qualification de chose sacrée limiterait les actes que l’on pourrait faire sur l’embryon. Nous ne pourrions que l’utiliser, non nous l’approprier ni le transformer. Serait donc interdit tout ce qui viserait à « améliorer » l’embryon, ainsi que les opérations que j’appelle « contre nature », c’est-à-dire le clonage reproductif et les opérations de transgenèse. La femme ne se reproduit pas par parthénogenèse et on ne peut pas fabriquer un embryon avec des produits venant pour partie d’un animal et pour partie d’un homme.

À quelles fins pourrait-on utiliser l’embryon ? À des fins médicales. Je propose d’abandonner le qualificatif « thérapeutique » pour le mot « médical », un peu plus vaste.

Je suggère, par ailleurs, de compléter l’article 16-2 du code civil, qui permet de saisir le juge en cas d’atteintes illicites au corps humain. Il est très précieux pour le praticien et a été utilisé à maintes reprises pour protéger les cadavres contre certaines atteintes. En décembre 2008, le législateur a étendu cet article à la dépouille mortelle. Pourquoi ne pas profiter de la révision des lois bioéthiques pour l’étendre à l’embryon ? Il n’y a pas beaucoup de contentieux, mais j’ai eu l’occasion de plaider une affaire à Amiens où des embryons avaient dû être détruits à la suite d’une panne.

Concernant le fœtus, il me paraîtrait judicieux de mener une réflexion personnificatrice, car la jurisprudence de l’assemblée plénière passe mal. Bien qu’elle soit tout à fait logique et conforme aux principes du droit – on ne peut pas commettre un acte homicide sur un être qui n’est pas une personne –, elle est contestée, et certains tribunaux font même de la résistance. Par ailleurs, il y a un questionnement, actuellement, sur l’enfant mort-né, qui montre que le droit est peut-être trop rigide : il n’est pas délivré d’acte d’état civil, seulement un certificat d’enfant sans vie, et, en principe, on ne peut pas organiser de funérailles – celles-ci relèvent d’un droit subjectif ; or un enfant mort-né n’en a pas.

La perspective que je vous propose et qui ne toucherait en rien à la loi Veil, considérée comme une loi fondamentale et un acquis, serait de donner la faculté à toute femme enceinte, de déclarer sa grossesse – par exemple, à la mairie – après la douzième semaine de grossesse afin de donner à l’enfant qu’elle porte un statut de sujet de droit à part entière et de lui conférer les mêmes droits que s’il était né.

Actuellement, la femme n’a qu’une possibilité : celle de détruire l’enfant qu’elle porte. Avec ma proposition, elle aurait la possibilité, à partir de la douzième semaine, de l’élever au rang de personne. Cette possibilité donnée à la femme – ce ne serait pas obligatoire – m’apparaît tout à fait généreuse et ne coûte rien. Elle emporterait, certes, une sorte de discrimination – entre les fœtus qui bénéficieraient de cette déclaration et seraient donc considérés comme des personnes et ceux qui ne le seraient pas et resteraient dans l’état actuel, c’est-à-dire des fractions de chair – mais elle va dans le bon sens.

M. Jean Leonetti, rapporteur. La mère serait seule à décider si c’est une personne ou un morceau de chair ?

M. Xavier Labbée. Dans le système que je vous propose, oui, de même qu’elle est actuellement seule à décider de l’IVG. Je reconnais qu’on fait tout dépendre de la mère. C’est une matria potestas.

M. le rapporteur. Si donc elle ne fait pas la démarche, le fœtus reste un morceau de chair, et l’avortement est possible jusqu’à la veille de l’accouchement ?

M. Xavier Labbée. Non, il est possible dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui, celles de la loi Veil, qui reste inchangée.

M. le rapporteur. Si, après avoir donné un statut de sujet de droit à l’enfant qu’elle porte, une femme découvre qu’il est atteint d’une anomalie lui donnant le droit de faire une IMG – interruption médicale de grossesse –, on repasserait au statut antérieur.

M. Xavier Labbée. Oui, c’est cela !

M. le rapporteur. Quel est l’intérêt ?

M. Xavier Labbée. L’intérêt sur le plan des principes est considérable : le fœtus est personnifié. Toutes les religions – la religion catholique comme l’Islam – parlent du respect de la vie et de la personnalité de l’enfant porté. Le juriste ferait, pour une fois, un pas dans ce sens.

M. le rapporteur. Dans le cas que j’ai évoqué – la mère a élevé l’enfant qu’elle porte au rang de personne mais découvre, par exemple, au sixième mois de grossesse, qu’il est atteint de trisomie –, elle ne peut pas recourir à une IMG car, son enfant étant une personne, cela s’apparenterait à un homicide.

M. Xavier Labbée. On reviendrait à l’ancienne jurisprudence d’avant 1975 : l’état de nécessité constaté par le juge. En cas d’état de nécessité, l’avortement, qui est une infraction, est autorisé.

M. le rapporteur. Et qui déciderait de l’état de nécessité ?

M. Xavier Breton. N’est-il pas dangereux que le statut de personne dépende de la bonne volonté d’un tiers ? Existe-t-il d’autres cas ?

M. Xavier Labbée. L’idée que je vous propose rejoint très précisément celle du pater familias romain, qui accordait la personnalité à ses enfants à partir d’un certain âge.

M. le rapporteur. Le pater familias pouvait aussi décider de la mort et de l’abandon de l’enfant. Si on retourne au droit romain, cela veut dire qu’il y a un droit de vie et de mort.

M. Xavier Labbée. Oui, le jus vitae necisque. Mais, pour une fois, nous allons dans le sens de la vie et non de la mort. Si je lance cette idée, c’est parce que je constate que la jurisprudence de l’assemblée plénière, pourtant admise par les étudiants quand on la leur explique, n’est pas comprise par les gens.

Je terminerai mon propos liminaire sur la question de l’enfant de la gestation pour autrui, sur laquelle je vais plaider la semaine prochaine à la cour de Douai.

Actuellement, la convention de mère porteuse est interdite en droit français et je pense qu’il faut continuer à l’interdire. Mais nous devons sortir les enfants nés d’une gestation pour autrui de l’impasse dans laquelle ils se trouvent aujourd’hui : détenteurs d’un passeport américain, ils n’ont pas d’état civil et n’ont donc pas d’existence aux yeux du droit français. Or ces enfants ne sont pas responsables du fait que les parents ont fait quelque chose d’interdit. Ils se trouvent dans la situation des enfants adultérins avant que la loi de 1972 ait égalisé toutes les filiations. Jean Foyer disait d’eux à l’époque : ce n’est pas parce que les parents ont mangé les raisins verts que les enfants doivent avoir les dents agacées.

J’ai proposé à la cour d’appel de Douai la voie de la possession d’état, selon laquelle le fait de se comporter en parents suffit pour établir la filiation. Je crois que ce procédé permettrait de régler la question de l’enfant de la gestation pour autrui.

La loi qui interdit la convention de mère porteuse n’interdit pas d’établir la filiation. La seule filiation qui soit aujourd’hui interdite par la loi est la filiation incestueuse mais la filiation de l’enfant né d’une mère porteuse n’est pas expressément visée, en dehors d’une circulaire prise on ne sait trop dans quelles conditions, dont je conteste la légalité devant la cour. La convention concerne les parents. Or, les conventions ne peuvent pas nuire aux tiers.

M. le rapporteur. J’ai bien compris votre objectif, mais il est faux de dire que l’enfant n’a pas d’état civil.

M. Xavier Labbée. Il a un état civil étranger.

M. le rapporteur. Il a même un père.

M. Xavier Labbée. Pas nécessairement. Dans l’affaire que je suis amené à plaider, l’enfant n’a pas de père. Un couple français est parti aux États-Unis pour y recourir aux services d’une mère porteuse. Après avoir accouché aux États-Unis, la mère porteuse a abandonné l’enfant. Ce dernier a un état civil américain. Aux yeux du droit américain, le couple d’accueil est jugé parent.

Le couple est revenu en France avec l’enfant, où l’on s’est étonné qu’à cinquante ans la femme ait accouché. Il a expliqué sa démarche et on lui a répondu que son enfant, né de mère porteuse, n’était pas reconnu par le droit français. La cour de Nantes refuse actuellement de donner un statut de mère ou de père. Cet enfant n’a qu’un passeport américain.

M. le rapporteur. C’est demander de légaliser l’illégalité !

M. Jean-Sébastien Vialatte. En plus de la circulaire, il existe une jurisprudence de la cour d’appel de Paris de février.

M. Xavier Labbée. Qui parle de l’intérêt de l’enfant mais pas de la possession d’état.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Aucun tribunal n’a voulu reconnaître jusqu’à présent la possession d’état pour les enfants nés de mères porteuses.

M. Xavier Labbée. Si. J’ai demandé au tribunal de Tourcoing un certificat de possession d’état, que j’ai obtenu. C’est le parquet de Nantes qui n’a pas voulu le transcrire. Cela montre qu’il y a quand même eu un juge qui a reçu le couple d’accueil, l’a interrogé, a constaté qu’il s’occupait de l’enfant et lui a donné un acte de notoriété permettant d’établir la filiation. Je suis maintenant devant la cour d’appel pour essayer de faire trancher la question. Elle ne l’est pas à ce jour, et je ferai tout pour que la cour réforme la décision du tribunal de grande instance de Lille et déclare valable le certificat de notoriété délivré par le juge de Tourcoing.

M. le rapporteur. La question est de savoir si la possession d’état est une solution efficace. Celle-ci doit, en effet, être continue, paisible, publique et non équivoque.

M. Xavier Labbée. Le qualificatif « équivoque » est souvent pris comme synonyme d’illicite. Une possession d’état serait équivoque si l’enfant pouvait être rattaché à plusieurs pères. Dans mon hypothèse, il n’y a aucune équivoque.

M. le rapporteur. Quelle est, pour le droit français, la position de la gestatrice au regard de cet enfant ?

M. Xavier Labbée. Elle l’a abandonné au bénéfice d’une procédure américaine.

M. le rapporteur. L’enfant a un père, et un passeport américain. Souffre-t-il vraiment de cette situation ?

M. Xavier Labbée. Il me semble que l’intérêt de l’enfant, que tout le monde met en avant, est quand même d’avoir deux parents et d’être rattaché aux parents qui s’occupent de lui. Pendant des années, on nous a parlé des droits de l’enfant, avec la Convention des droits de l’enfant, et de l’égalité à instituer entre ces derniers. Or, voilà un enfant qui est dans une situation totalement inégale : il ne peut pas faire établir de filiation entre lui-même et les parents qui s’occupent de lui.

Mme Patricia Adam. Je sais bien qu’aujourd’hui, l’adoption n’est pas possible dans un tel cas. Mais ne serait-ce pas une meilleure solution que la possession d’état ?

M. Xavier Labbée. Premièrement, la Cour de cassation dénonce depuis des années les détournements d’adoption. Deuxièmement, si je propose le moyen de la possession d’état, c’est parce que je sais que l’adoption n’est pas possible aujourd’hui. Autrement, je prônerais cette dernière.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Il me paraîtrait quand même curieux que, dans le texte même où l’on interdit les mères porteuses, on prévoie des solutions à apporter aux couples qui transgressent la loi et vont à l’étranger faire faire des enfants. Il n’y a qu’à prévoir des solutions pour toutes les transgressions de la loi ! C’est extraordinaire de mettre le législateur dans cette situation.

Mme Patricia Adam. Il est sûr que les deux questions vont de pair. Si on légalise la gestation pour autrui, on trouvera des solutions juridiques pour établir le lien de filiation et, inversement, toute solution pour établir ce lien autorisera implicitement la grossesse pour autrui.

M. Xavier Labbée. Je précise que, dans le cas dont je m’occupe, le père n’a pas reconnu l’enfant car il n’avait pas envie de reconnaître qu’il l’avait eu avec une mère porteuse qui l’a abandonné à la naissance. Il considère cet enfant comme le sien et veut le reconnaître avec sa femme.

Songeons aussi à l’enfant qui apprendra un jour ou l’autre qu’il est issu d’une mère porteuse qui l’a abandonné.

M. le rapporteur. Il se posera peut-être également des questions vis-à-vis de ses parents !

Je voudrais revenir sur vos analyses concernant l’embryon et le fœtus. Vous avez cité les difficultés rencontrées par les mères qui ont perdu un enfant avant la naissance : délivrance d’un certificat d’enfant sans vie et non d’un acte d’état civil, difficulté, voire impossibilité, de faire des funérailles, alors que ces mères considèrent cet enfant comme une personne, ce qui vous conduit à proposer une personnification de l’enfant conçu, passé douze semaines. Ce que je n’ai pas compris, c’est comment on pouvait passer de la personne à la non-personne au gré de la demande maternelle. La demande maternelle seule est-elle légitime ? Ne doit-elle pas être celle du couple ? Le père n’a-t-il aucun droit ?

Deuxièmement, cette personnification est-elle réversible si la mère constate une anomalie la conduisant à souhaiter une IMG ?

Vous avez évoqué la possibilité d’avoir recours à l’état de nécessité constaté par le juge. Or, aujourd’hui l’IMG est envisagée pour des pathologies bien définies et ressortit donc du médical.

M. Xavier Labbée. La situation serait la même que pour une femme qui vient de mettre au monde un enfant et découvre qu’il est trisomique.

M. le rapporteur. Je vous rappelle qu’elle n’a pas le droit de le mettre à mort.

M. Xavier Labbée. Justement. Pourquoi aurait-elle le droit de le mettre à mort dès lors qu’elle l’a déclaré ?

M. le rapporteur. Parce que, comme vous l’avez vous-même indiqué, l’enfant est reconnu comme une personne après sa naissance et pas avant.

M. Xavier Labbée. C’est justement le pas que je vous demande de franchir.

M.  le rapporteur. Cela revient à supprimer toute possibilité d’interruption médicale de grossesse.

M. Xavier Labbée. Sauf à prévoir en droit pénal un fait justificatif.

M. le rapporteur. Le fait justificatif n’est pas médical. C’est une décision du juge.

Mme Patricia Adam. Une fois que la mère aura reconnu l’enfant et l’aura inscrit à l’état civil, celui-ci sera sujet de droit. Dès lors, le père ou un tiers, éventuellement une association, pourra s’opposer à une IMG. Cela devient très compliqué.

M. Xavier Labbée. On pourrait instituer un curateur au ventre, comme autrefois.

Mme Patricia Adam. Il y aura du travail pour la justice…

M. Xavier Labbée. Peut-être, mais il faut savoir ce que l’on veut. Si je fais cette proposition, c’est parce qu’il y a beaucoup de monde qui trouve scandaleux qu’un enfant avant la naissance ne soit pas une personne.

M. le président. Nous vous remercions.

Audition de M. Pierre SAVATIER, directeur de recherche à l’INSERM, responsable d’une équipe de recherche
à l’Institut Cellule souche et cerveau de Lyon



(Procès-verbal de la séance du 6 mai 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Pierre Savatier, directeur de recherche à l’INSERM, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, responsable d’une équipe de recherche à l’Institut cellule souche et cerveau de Lyon.

Monsieur Savatier, vous-même et vos équipes êtes à l’origine de la première lignée européenne de cellules souches embryonnaires de singe rhésus, et vous avez obtenu la première lignée française de cellules souches embryonnaires humaines. Depuis février 2008, votre institut mène des travaux sur un modèle préclinique de thérapie cellulaire de la maladie de Parkinson chez le primate. Vous serez donc particulièrement à même de nous éclairer à propos des potentialités des recherches sur les cellules couches embryonnaires.

Par ailleurs, vous avez fait partie, de 2004 à 2007, du comité ad hoc, qui préfigurait l’Agence de la biomédecine, puis du comité « embryon » de cette Agence, chargé d’autoriser les recherches sur les cellules souches embryonnaires.

Quel regard portez-vous sur la loi bioéthique de 2004 ? Le rôle de l’Agence de la biomédecine en matière d’autorisation des recherches sur les cellules souches embryonnaires a-t-il été satisfaisant ? Faut-il modifier à nouveau la législation ? Faut-il confier d’autres prérogatives à l’Agence de la biomédecine ?

Avec l’émergence des cellules iPS – cellules souches pluripotentes induites, dites aussi cellules reprogrammées –, la recherche sur les cellules souches embryonnaires est-elle devenue inutile, comme l’ont affirmé certaines personnes auditionnées ?

M. Pierre Savatier. Depuis une dizaine d’années, les cellules souches ont fait une entrée fracassante dans le domaine des biothérapies cellulaires, ouvrant de nouveaux horizons en matière de médecine régénératrice. Qu’elles soient d’origine embryonnaire, fœtale ou adulte, ces cellules présentent deux caractéristiques : elles se multiplient à l’infini sans modification de leurs caractéristiques fondamentales ; lorsque l’ordre leur en est donné, elles se différencient dans des cellules spécialisées.

Elles recouvrent une très grande diversité d’entités biologiques. Certaines sont pluripotentes, ce qui signifie qu’elles peuvent donner naissance à toutes les cellules d’un organisme adulte, tandis que d’autres sont unipotentes ou multipotentes, c’est-à-dire capables de produire un ou plusieurs types cellulaires spécialisés. Certaines, aisément manipulables in vitro, peuvent être obtenues en grande quantité, alors que d’autres survivent très difficilement hors de leur environnement naturel. Certaines, purs artefacts de laboratoire, n’existent pas à l’état naturel ; c’est le cas des cellules iPS et, dans une moindre mesure, des cellules ES (cellules souches embryonnaires).

La cellule souche idéale – c’est-à-dire répondant à toutes les exigences éthiques, scientifiques et médicales – n’existe pas, en tout cas dans l’état actuel des connaissances. Il est donc nécessaire de développer en parallèle des recherches dans différentes directions. Ainsi, la création des cellules iPS n’a été possible que grâce aux recherches effectuées sur les cellules ES, qui avaient permis d’identifier les facteurs d’auto-renouvellement et de pluripotence utilisés ensuite pour créer les iPS. De même ces recherches sont fondatrices pour les actuelles recherches sur les cellules souches adultes.

Jusqu’en 2006 ou 2007, avant les iPS, les cellules ES constituaient un modèle unique. Elles font toujours l’objet de très nombreux travaux dans tous les pays qui ont une activité scientifique importante et couvrent deux grands domaines. Le premier est la création de modèles cellulaires destinés à la pharmacologie et à la pharmacotoxicologie, avec la fabrication in vitro de cellules cardiaques, neuronales ou pancréatiques afin de cribler de nouvelles molécules thérapeutiques ou d’évaluer la toxicité des composés ; c’est très vraisemblablement dans ce domaine que les premières applications concrètes verront le jour. Le deuxième grand domaine est celui dont on parle le plus, la thérapie cellulaire, c’est-à-dire le remplacement de cellules dégénérées. Mais le chemin à parcourir est encore très long. Cependant, aux États-Unis, la FDA – Food and Drug Administration – a autorisé en janvier 2009 la société Geron à procéder à un premier essai clinique utilisant les cellules ES humaines sur des patients atteints d’une lésion accidentelle de la moelle épinière. Nombre de scientifiques considèrent cette autorisation très prématurée en raison des risques qu’elle comporte encore, a fortiori pour une pathologie ne mettant pas la vie du patient en danger.

M. le président. Où en sont ces recherches ?

M. Pierre Savatier. Nous ignorons si le processus a réellement démarré.

En France, depuis l’adoption de la loi de bioéthique, en 2004, vingt-cinq laboratoires ont obtenu des autorisations pour importer ces cellules, les conserver et mener des expérimentations. Quatre d’entre eux ont obtenu l’autorisation de créer de nouvelles lignées de cellules ES, soit à partir d’embryons surnuméraires dépourvus d’anomalies génétiques identifiées, soit à partir d’embryons porteurs de mutations responsables de pathologies graves détectées par un diagnostic préimplantatoire. Quelque vingt et une lignées ont ainsi été créées en France, pour développer des recherches fondamentales à finalité thérapeutique sur la biologie des cellules souches, pour mettre au point des stratégies de thérapie cellulaire de pathologies, pour étudier ces pathologies in vitro et pour commencer à constituer des banques de cellules ES destinées à être mises à la disposition d’autres chercheurs, français ou étrangers.

L’un des principaux obstacles à l’utilisation des cellules ES est la non-reconnaissance des cellules greffées par le système immunitaire et par conséquent leur rejet. Une solution consisterait à créer des banques de cellules ES, reflétant la diversité immuno-génétique des patients ; mais elle est irréaliste car des millions de cellules ES seraient nécessaires pour couvrir 80 % de la population humaine. La bonne solution serait donc de fabriquer des cellules ES pour chaque patient demandeur, ce qui nécessiterait un recours aux cellules iPS ; c’est vers cet objectif que tendent les recherches sur les cellules iPS.

Ces cellules iPS, quoique très récentes, ont bouleversé la recherche. Produites à partir de cellules somatiques d’un individu embryonnaire, fœtal ou adulte, elles peuvent provenir de la peau, du foie, du pancréas, du cerveau... Le processus biologique est une reprogrammation, c’est-à-dire un retour en arrière progressif de la cellule différenciée vers l’état embryonnaire primitif. Le mécanisme cellulaire en jeu est encore loin d’être compris ni maîtrisé, et la cellule en reprogrammation apparaît encore largement comme une boîte noire ; de nombreux travaux en cours cherchent à en savoir davantage.

En première analyse, les cellules iPS ressemblent en tout point aux cellules ES : elles en partagent la capacité d’auto-renouvellement in vitro permanent ou presque, c’est-à-dire l’immortalité ; et la capacité à se différencier dans les différents organes ou tissus constitutifs de l’organisme adulte. En théorie, on peut envisager de greffer des cellules différenciées autologues à un patient, réglant de ce fait le problème de rejet immunitaire.

Plusieurs équipes sont passées de la théorie à la pratique chez la souris, qui est presque le modèle de référence. La réussite la plus spectaculaire a été obtenue en 2008 par l’équipe de Rudolph Jaenisch, à Boston : elle a fabriqué des cellules iPS à partir de souris porteuses d’une mutation génétique responsable de l’anémie à cellules falciformes, corrigé la mutation dans ces cellules iPS, induit leur différenciation en cellules du système hématopoïétique puis opéré leur réinjection dans la souris d’origine, maîtrisant ainsi totalement la pathologie sans traitement anti-rejet.

M. Jean Leonetti, rapporteur. La mutation est-elle corrigée sur la cellule adulte ou bien après la différenciation ?

M. Pierre Savatier. La correction est effectuée dans la cellule iPS, après quoi celle-ci est redifférenciée.

Les cellules iPS vont sans doute aussi jouer un rôle très important dans l’étude des maladies rares, qu’elles soient d’origine strictement génétique ou plurifactorielles. Il est dorénavant possible de fabriquer des cellules iPS à partir d’un fibroblaste ou de n’importe quelle autre cellule différenciée prélevé chez un patient porteur, pour étudier les mécanismes moléculaires et cellulaires de la pathologie mais aussi pour rechercher de nouvelles molécules thérapeutiques – notamment dans des contextes génétiques multiples, ce qui est beaucoup plus difficile à envisager avec des cellules ES.

Les cellules iPS possèdent donc un potentiel énorme en recherche fondamentale comme en recherche à finalité médicale.

Après cette introduction consacrée à l’état des recherches, je terminerai mon propos par quelques recommandations.

Serait-il judicieux de concentrer les efforts sur les cellules iPS et d’abandonner les cellules ES, ce qui permettrait d’évacuer les problèmes soulevés par leur utilisation ? La majorité des chercheurs jugent au contraire nécessaire de continuer les recherches sur les cellules ES. À mesure que les travaux avancent, il apparaît que les cellules iPS ressemblent aux cellules ES, mais sans en être la copie parfaite. En l’état actuel de la technologie, le processus de reprogrammation est en effet très peu efficace. Il est également très mal maîtrisé et des erreurs s’y glissent, certaines bénignes, d’autres graves, notamment susceptibles d’altérer en profondeur les mécanismes cellulaires de contrôle de la prolifération, au point de constituer un risque majeur pour le patient. Les recherches sur les cellules iPS en sont à leurs balbutiements et il ne fait aucun doute que cet outil biotechnologique doit être amélioré ; à cet effet, les cellules ES restent une référence incontournable. Les recherches sur les cellules ES et iPS se nourrissent mutuellement et doivent être poursuivies de front.

Il faut également continuer la production de cellules ES à partir d’embryons. En effet, rares sont les lignées actuellement disponibles qui ont été obtenues dans des conditions de culture GMP – good manufacturing practice –, c’est-à-dire totalement dépourvues, en particulier, de produits d’origine animale, critères requis par les protocoles pour les rendre compatibles avec une utilisation clinique. Les recherches qui seront effectuées afin d’accroître le nombre de lignées utilisables pourront aussi être transférées vers la recherche sur les cellules iPS, les problèmes de qualité cliniques se posant dans les mêmes termes pour les deux catégories de cellules souches.

Il est important de ne pas restreindre les recherches sur les cellules ES et iPS aux travaux à finalité thérapeutique. Dans l’état actuel des connaissances, la thérapie cellulaire utilisant des cellules souches pluripotentes n’est pas dénuée de risque pour les patients car ces cellules possèdent un fort potentiel tumoral et sont relativement instables du point de vue génétique. La maîtrise de ces mécanismes passe par une recherche fondamentale poussée relative au fonctionnement des cellules souches.

Si la fabrication de cellules iPS ne requiert pas la destruction d’embryons humains, cette technologie n’en soulève pas moins des problèmes éthiques, dont deux au moins méritent d’être mentionnés. Premièrement, on peut craindre que des données génomiques des cellules iPS soient employées à l’insu de patients pour identifier des gènes ou des marqueurs de susceptibilité à telle ou telle pathologie. Deuxièmement, des cellules germinales obtenues à partir de cellules iPS pourraient être utilisées pour traiter des stérilités masculines ou féminines ; cette technologie constituerait un progrès notable mais risquerait de conduire à des usages socialement contestables comme la correction de gènes mutants ou l’introduction dans la lignée germinale de l’homme de gènes de résistance à des maladies. Des protections doivent être prévues pour empêcher de telles dérives.

M. le président. À la lumière de votre expérience, quel regard portez-vous sur le travail de l’Agence de la biomédecine et sur les autorisations qui ont été données en vue de travailler sur des cellules ES ?

M. Pierre Savatier. Ayant quitté le comité « embryon » depuis un an, j’ignore quelle a été son activité récente. Le comité ad hoc puis le comité « embryon », durant ses deux premières années de fonctionnement, ont évalué une trentaine ou une quarantaine de projets, pour la plupart translationnels, qui avaient généralement pour objet de développer des méthodes de différenciation cellulaire et éventuellement d’évaluer le potentiel thérapeutique des cellules obtenues dans des systèmes de greffe simples. Quelques projets, beaucoup plus fondamentaux, visaient à étudier des mécanismes essentiels de la multiplication et de la différenciation de ces cellules. La plupart des projets expertisés ont obtenu une autorisation, qu’il s’agisse d’importation, de conservation ou de recherche. De rares projets ont d’abord été rejetés au motif qu’ils étaient incomplets ou mal étayés scientifiquement ; l’autorisation leur a été accordée après l’apport de compléments, parfois au terme de plusieurs allers-retours. Un seul projet a été définitivement rejeté car il ne concernait pas une pathologie majeure. Le travail de l’Agence de la biomédecine a donc été très utile, sachant que le but n’était pas de présenter un projet scientifiquement très pointu mais de démontrer qu’il entrait dans le cadre de la loi.

Avec le critère de « recherches […] susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs », la loi aurait pu constituer un frein aux autorisations. Toutefois, toute recherche scientifique pouvant éventuellement déboucher sur des progrès thérapeutiques majeurs, même des projets de recherche très fondamentale ont été acceptés. Au final, je le répète, le seul rejet a été motivé par le fait que la pathologie concernée n’a pas été jugée grave.

Le critère d’absence de toute « méthode alternative d’efficacité comparable » n’a guère plus de sens du point de vue scientifique. Toute approche de recherche peut en effet apparaître un jour comme la plus performante et la plus efficace puis se révéler un échec six mois plus tard, laissant la place à une voie conceptuelle alternative. En matière de différenciation osseuse, par exemple, les cellules souches mésenchymateuses constituent le modèle le plus performant actuellement, mais un projet d’étude sur des cellules ES aurait pu aboutir s’il avait été proposé à l’ABM.

Dans la pratique, la loi n’a pas constitué un frein, si ce n’est en instillant la crainte de dérives qui ne se sont finalement jamais produites. L’ABM exerce des contrôles annuels extrêmement stricts dans les laboratoires et je crois qu’aucun problème majeur n’a jamais été décelé.

M. le rapporteur. Vous avez parfaitement cerné la problématique de la révision de la loi.

Quels que soient les progrès enregistrés au moyen des cellules souches adultes, il vous paraît inapproprié d’interdire la recherche sur les cellules souches embryonnaires, l’alternative étant crédible momentanément et non définitivement. Mais votre opposition à une interdiction est-elle conjoncturelle ou fondamentale ? Convient-il de lever quelques derniers points d’incertitude ou bien de rendre possible des découvertes futures, même si les espoirs sont largement déçus à ce jour ?

Si la loi n’a pas été limitante, c’est qu’elle n’a pas été appliquée… L’Agence de la biomédecine a interprété les notions de recherches « susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs » et d’absence de « méthode alternative d’efficacité comparable » de la façon la plus large, la plus permissive. Nous nous trouvons dans une situation un peu paradoxale. Puisque la loi n’a pas été limitante, pourquoi la changer ? Mais si elle n’a pas été limitante, c’est parce que son interprétation a été la plus libérale possible. Peut-être convient-il donc de revenir à une législation conforme aux pratiques, en remplaçant l’expression « progrès thérapeutiques » par l’expression « progrès médicaux » et en supprimant la référence à l’absence de « méthode alternative d’efficacité comparable ».

Enfin, quel est l’état de vos recherches sur la maladie de Parkinson chez le singe rhésus ? Le chemin à parcourir est-il encore long ? Est-ce la meilleure voie possible aujourd’hui ou seulement une hypothèse parmi d’autres ?

M. Pierre Savatier. Non seulement il est indispensable actuellement de continuer les recherches sur les cellules ES, car nous avons besoin d’informations qui ne peuvent venir que de là ; mais en outre nous ignorons complètement dans quelles directions elles s’orienteront d’ici trois, cinq ou dix ans, et elles pourront brutalement atteindre un point où la recherche sur ces cellules, voire sur l’embryon humain et l’ovocyte, redeviendraient absolument indispensables pour progresser, y compris dans les recherches sur les cellules iPS, et valider définitivement ces dernières pour des applications cliniques. Les recherches progressent à une telle vitesse que rien ne permet d’exclure ce champ d’investigation. La recherche fondamentale n’a de sens que si elle est menée tous azimuts, en laissant au chercheur la liberté de choisir le modèle qu’il juge pertinent en fonction de sa culture et de ses intérêts scientifiques propre.

L’ABM a appliqué la loi de façon très permissive en autorisant des projets de recherche très fondamentale, mais en veillant à ce que les laboratoires demandeurs fassent l’effort d’expliquer en quoi ces recherches étaient susceptibles de permettre un jour l’utilisation des cellules ES à des fins médicales.

M. le rapporteur. Il serait donc plus conforme à la réalité de remplacer, dans la loi, l’expression « progrès thérapeutiques » par « progrès médicaux ».

M. Pierre Savatier. Exactement.

Quant à nos recherches actuelles, elles restent fondamentales, mais ont une visée thérapeutique : nous ne cherchons pas à guérir à court terme la maladie de Parkinson, mais à mettre au point un test préclinique permettant de valider une thérapie cellulaire sur le modèle du singe rhésus. Il s’agit d’évaluer les améliorations cognitives et les améliorations des rythmes circadiens, en mesurant l’efficacité et la sécurité d’une thérapie cellulaire. La quasi-totalité des expérimentations effectuées dans ce domaine porte sur la souris ou le rat, animaux dont la durée de vie est d’un ou deux ans. Nous menons pour notre part des expériences sur des animaux dont la survie sera de cinq ou dix ans, afin d’évaluer les risques à long terme encourus par le patient.

Obtiendrons-nous des résultats demain, après-demain ou jamais ? Il importe de distinguer deux types de recherches. Des essais cliniques sur un nombre très limité de patients pour évaluer les effets d’une préparation cellulaire pourraient être menés assez rapidement, dans les mois ou les années à venir. Mais nous sommes encore très loin de pouvoir étendre ces technologies à un grand nombre de patients car il reste des problèmes énormes à résoudre, qu’il s’agisse de la qualité des cellules greffées, des rejets ou de la connaissance des risques encourus avec le processus de reprogrammation des cellules iPS.

Mme Martine Aurillac. Peut-on déduire de vos réponses non seulement que l’expression « progrès médicaux » vous apparaît plus adéquate que l’expression « progrès thérapeutiques », mais que, au fond, vous préféreriez de beaucoup à ce que la future loi autorise la recherche sur l’embryon ?

Suggérez-vous d’autres aménagements de la législation ?

Pourriez-vous nous donner quelques éléments d’explication supplémentaires à propos du processus de reprogrammation ?

M. Pierre Savatier. Toute recherche a des finalités médicales, même si elles ne sont pas forcément visibles ; le terme « médical » ne me semble donc pas poser le problème que « thérapeutique » pourrait éventuellement poser. Il serait plus déterminant que l’autorisation des recherches sur l’embryon soit franche et non pas dérogatoire, de façon à ne pas donner à la communauté scientifique un signal quelque peu négatif.

M. le président. Est-il exact que la rédaction de la loi dissuade de jeunes chercheurs ?

M. Pierre Savatier. Le problème ne se pose pas pour les jeunes chercheurs, mais plutôt pour certaines sources de financement privées, qui, eu égard au caractère trop flou de la législation, craignent de s’engager.

Dans une cellule différenciée, ou spécialisée, une fraction des gènes seulement sont actifs : ils commandent le bon fonctionnement de la cellule, sa multiplication, son métabolisme et l’exécution des fonctions qui lui sont dévolues. La reprogrammer consiste à bouleverser l’activité des gènes, en éteignant les gènes spécifiques et au contraire en réactivant les gènes nécessaires au fonctionnement d’une cellule souche pluripotente. Matériellement, cela s’effectue en introduisant dans la cellule différenciée certains facteurs – des gènes, ou de plus en plus souvent des protéines ou des composés chimiques – de nature à induire ces changements dans l’activité du génome. Le Japonais Shinya Yamanaka, en 2006, a ainsi accompli l’exploit d’identifier une combinaison très simple de quatre gènes clés qui, exprimés dans un fibroblaste, suffisent pour la conversion spontanée de celui-ci en une cellule de type souche embryonnaire pluripotente – avec une efficacité certes très faible, de l’ordre de 0,1 %.

M. le président. Parmi les problèmes éthiques soulevés par les cellules iPS, il ne faut pas oublier celui du consentement de la personne chez laquelle seront reprogrammées des cellules.

M. Pierre Savatier. Certainement, mais je ne pense pas être le plus compétent pour répondre aux questions de cet ordre. Le problème ne se posera pas lorsqu’il s’agira de prélever des cellules différenciées, de les transformer en iPS, de les différencier et de les réimplanter dans un tissu approprié du même patient, mais il se posera si des banques de cellules iPS sont constituées.

M. le président. Vos recherches ont été éligibles à des financements de l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, mais avez-vous obtenu des financements privés ?

M. Pierre Savatier. Notre seul financement privé émane de la Caisse d’épargne de la région Rhône-Alpes, spécifiquement sur le projet de thérapie cellulaire de la maladie de Parkinson chez le singe rhésus. L’ANR n’a encore jamais lancé d’appel d’offres ciblé sur les cellules souches ni même sur la médecine génératrice.

M. le président. Pour quelle raison ?

M. Pierre Savatier. Je l’ignore. En tout cas, parmi tous les pays qui développent des recherches significatives sur les cellules souches, la France, de ce point de vue, fait figure d’exception. Peut-être s’agit-il d’un effet négatif de la loi, qui instille l’idée que ces recherches se situent à la frontière entre ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas.

M. Jean-Marc Nesme. Quel regard le scientifique porte-t-il sur l’industrie du médicament ? Entretenez-vous des relations avec les entreprises de ce secteur ?

M. Pierre Savatier. Non. De façon générale, en France, les entreprises se montrent très frileuses dans ce domaine. Au Royaume-Uni, et bien sûr aux États-Unis, au Japon et à Singapour, qui sont les trois grandes puissances dans le secteur de la recherche sur les cellules souches, l’implication du privé est radicalement différente : les entreprises y financent la recherche, même la plus fondamentale.

M. Paul Jeanneteau. Si je vous ai bien compris, des cellules souches embryonnaires peuvent être utilisées pour mener des recherches sur des molécules à visée thérapeutique. Pourriez-vous préciser ?

M. Pierre Savatier. Le premier champ d’investigation consiste à fabriquer des modèles cellulaires différenciés à partir de cellules souches – ES ou iPS – et à évaluer, dans des cribles à grande échelle, l’impact sur ces cellules de molécules issues notamment de chimiothèques. Pour des cellules pancréatiques, par exemple, il peut s’agir d’évaluer la capacité des molécules à stimuler la synthèse d’insuline. Ces recherches sont très développées, encore une fois, au Japon, à Singapour et aux États-Unis, mais beaucoup moins en France.

Un autre champ d’investigation émergent et prometteur à un horizon lointain porte sur la recherche de molécules qui permettraient de stimuler la prolifération ou la différenciation de certains types de cellules souches tissulaires, avec l’idée sous-jacente de stimuler les cellules souches endogènes chez des patients atteints de pathologies dégénératives, afin de reconstituer les tissus lésés.

M. Jean-Sébastien Vialatte. L’industrie du médicament devrait être particulièrement demandeuse de recherches sur les cellules souches. Il est étonnant qu’elle ne le soit pas.

M. le président. Nous aurons l’occasion d’interroger les industriels dans quelques instants.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Les équipes de recherche ont-elles tendance à abandonner des projets sur les cellules ES et à glisser vers des projets sur les cellules iPS ? Est-il aussi aisé de trouver des financements équivalents dans les deux domaines ?

M. Pierre Savatier. À ma connaissance, les quelques équipes françaises qui ont obtenu des autorisations pour travailler sur les cellules ES ont beaucoup investi pour faire démarrer leurs programmes. Elles ont assez peu cherché à transférer leurs compétences et leurs technologies sur les cellules iPS. L’impact de ces dernières reste donc encore réduit en France. Si quelques équipes se mettent à travailler sur les cellules iPS, cela reste assez marginal. Il ne fait néanmoins aucun doute que ces recherches vont se développer dans les années à venir car ce modèle de biologie fondamentale est fascinant.

En revanche, toujours aux États-Unis, au Japon et à Singapour, pays qui possèdent la masse critique et investissent énormément dans ces domaines, l’arrivée des cellules iPS a conduit certaines équipes à modifier radicalement leurs finalités de recherche : c’est pratiquement du jour au lendemain qu’elles ont stoppé leurs travaux sur les cellules ES pour passer aux cellules iPS, et elles sont aujourd’hui à la pointe. Il faut dire qu’elles bénéficient d’une flexibilité inconnue en France.

Les différences entre ES et iPS ne sont pas suffisantes pour justifier des écarts de financement entre ces deux modèles cellulaires. Les financements que nous pouvons obtenir en France et en Europe peuvent les couvrir tous deux.

M. le président. Je vous remercie pour la clarté de vos analyses, qui seront utiles à notre réflexion.

Audition de M. Philippe LAMOUREUX, directeur général des Entreprises du médicament (LEEM), accompagné de Mme Catherine LASSALE, directrice des affaires scientifiques, pharmaceutiques et médicales, Mme Blandine FAURAN, directrice juridique et fiscale, M. Pierre-Yves ARNOUX, chargé de mission recherche et biotechnologies, et Mme Aline BESSIS, directeur en charge des affaires publiques


(Procès-verbal de la séance du 6 mai 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous accueillons M. Philippe Lamoureux, directeur général des Entreprises du médicament (LEEM), accompagné de Mme Catherine Lassale, directrice des affaires scientifiques, pharmaceutiques et médicales, Mme Blandine Fauran, directrice juridique et fiscale, M. Pierre-Yves Arnoux, chargé de mission recherche et biotechnologies, et Mme Aline Bessis, directeur en charge des affaires publiques.

Des chercheurs ont évoqué devant nous la frilosité du secteur pharmaceutique privé à investir dans le secteur de la thérapie cellulaire. Il est vrai que, pour eux, le cadre législatif pouvait aussi avoir sa part dans ces difficultés.

Le LEEM représente 98,7 % de l’industrie du médicament en France, laquelle y emploie 100 000 personnes.

Notre pays est-il bien armé aujourd’hui en matière de thérapie cellulaire et de recherches sur les cellules souches, qu’elles soient adultes, embryonnaires ou reprogrammées ? Quelles sont nos forces, nos faiblesses ? Quel bilan tirez-vous de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique? Votre opinion est importante pour les propositions que nous allons formuler en vue de la révision prochaine des lois bioéthiques.

En son temps, le décryptage du génome a profité, dans le monde entier et particulièrement aux États-unis, d’un financement privé tout à fait solide. Une déception relative au rythme des découvertes a suivi, et a entraîné son recul. Cette expérience n’a-t-elle pas rendu prudentes aujourd’hui les entreprises privées en matière de thérapie cellulaire ? Cette difficulté est-elle spécifique à la France ou la rencontre-t-on aussi dans d’autres pays ?

M. Philippe Lamoureux. La révision des lois bioéthiques doit se fonder sur les mutations très profondes qui touchent aujourd’hui le modèle de développement de l’industrie pharmaceutique. Nous constatons les limites de la stratégie des grands blockbusters – les médicaments à la plus forte diffusion , la montée en puissance des médicaments génériques, le passage désormais réalisé d’un système où la recherche et l’industrie étaient circonscrites à quelques grands pays développés à un autre, composé désormais d’une vingtaine, voire d’une trentaine de grands acteurs. Le modèle de développement de l’industrie pharmaceutique se construit aussi de plus en plus autour de produits de niche, de plus en plus fréquemment issus, en tout ou partie, des biotechnologies.

Dans le contexte d’une concurrence internationale exacerbée, les conditions de l’encadrement légal des activités de recherche sont un facteur déterminant de l’attractivité d’un territoire. Un nouveau paysage pharmaceutique se dessine. La France a plutôt bien pris il y a quelques années le virage du médicament chimique, puisqu’elle en est devenue le premier producteur européen. Si nous voulons rester une grande puissance pharmaceutique, nous ne devons pas manquer la révolution des biotechnologies en cours. Les futures décisions françaises, notamment celles du législateur, devront être prises à l’aune des évolutions en cours chez nos concurrents européens.

Depuis quelques années, sous l’impulsion de Mme Catherine Lassale, un travail très important de rapprochement entre le recherche publique et privée a été mené. Les deux parties ont la volonté très claire de développer des partenariats entre les secteurs public et privé. Le président du LEEM vient d’entrer au conseil d’administration de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) ; pour moi, c’est un message très clair adressé par les pouvoirs publics aux industriels du médicament. Nous avons créé une association, le LEEM Recherche. C’est une structure de dialogue, de réflexion et de proposition. En sont membres des industriels, mais aussi l’INSERM, représenté au plus haut niveau, le Commissariat à l’énergie atomique, et tous les grands instituts de recherche publics.

Nous avons étudié attentivement la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique, ainsi que le rapport, que nous trouvons tout à fait pertinent, qu’y a consacré l’Office parlementaire d’évaluation des choix technologiques et scientifiques (OPESCT). Deux sujets nous paraissent essentiels : la recherche sur l’embryon et ses applications en matière de thérapie cellulaire, et les collections d’échantillons biologiques humains.

La recherche sur les cellules souches ouvre le champ de la médecine régénératrice ainsi que de nouvelles pistes en recherche fondamentale. Nous avons apporté des documents, notamment une étude faite par le LEEM en 2006 sur la thérapie cellulaire. Cette étude est en cours d’actualisation. Pour développer la recherche française en ce domaine, il nous faut pouvoir disposer de nouvelles capacités de production de lignées cellulaires, de cellules souches embryonnaires et de cellules souches adultes. C’est pourquoi l’encadrement légal des recherches sur l’embryon – en particulier le statut accordé au transfert nucléaire somatique – est appelé à devenir un élément déterminant de la compétitivité internationale en matière de recherche en thérapie cellulaire. Nos principaux concurrents, la Grande-Bretagne, mais aussi les États-unis l’ont bien compris – parmi les premières mesures du président Obama figurent des gestes forts dans ce domaine – et ont pris des initiatives en la matière.

L’étude réalisée en 2006 montre une position académique forte de la France en matière de thérapies cellulaires. Elle expose en revanche que notre situation est beaucoup plus moyenne dans le domaine de la recherche appliquée. C’est que ce domaine est aujourd’hui marqué par l’absence de modèle économique. Le niveau global d’investissement est faible, que les opérateurs soient privés ou publics, et le nombre des sociétés spécialisées dans ce type de produits reste limité.

Au regard de ce contexte, le cadre législatif actuel doit être clarifié. La recommandation de l’OPESCT dans son rapport déjà cité va dans ce sens. Nous sommes particulièrement attachés à la levée du moratoire prévu dans la loi actuelle. Cette levée est indispensable à notre mise à niveau ; le cadre actuel devrait être remplacé par un encadrement des recherches et un régime d’autorisation clair et lisible, dont l’application pourrait être placée sous la responsabilité de l’Agence de la biomédecine.

Les collections d’échantillons biologiques humains ont pour intérêt principal de permettre l’accès au matériel génétique et par conséquent d’associer des informations génétiques à des mécanismes pathologiques ou de réponse thérapeutique. Ces collections sont constituées aussi bien pour la recherche fondamentale ou translationnelle, pour la recherche clinique, et pour des études épidémiologiques. Les prélèvements de matériel biologique font l’objet d’une information préalable du patient, même s’ils ne sont pas destinés à rejoindre une banque d’échantillons biologiques humains. Toute utilisation à des fins de recherche a donc reçu le consentement des personnes concernées. S’il est vrai qu’à l’origine la mise en œuvre du système introduit par la loi du 6 août 2004 a tâtonné, il permet aujourd’hui d’encadrer de façon éthiquement satisfaisante l’ensemble des activités liées aux collections.

Une charte éthique d’accès au matériel tumoral en recherche a été mise en œuvre par le LEEM et l’Institut national du cancer. A notre avis, les textes législatifs actuels pourraient être améliorés pour faciliter les activités de recherche, qu’elles soient conduites par le secteur privé ou le secteur académique. Les rôles respectifs du ministère chargé de la recherche et des comités de protection des personnes (CPP) dans le contrôle des collections devraient notamment être précisés. A notre sens le ministère de la recherche devrait se voir confier le contrôle des conditions matérielles et de sécurité de la constitution et de l’exploitation des collections, et les CPP le contrôle de leur pertinence éthique et scientifique. C’est du reste l’orientation de la proposition de loi adoptée en janvier à l’Assemblée nationale et actuellement examinée au Sénat. En créant une complémentarité entre l’Etat et les CPP, cette réorganisation pourrait provoquer une simplification significative du contrôle des collections, qui serait un facteur d’attractivité supplémentaire pour notre pays.

Les autres dispositions de la loi bioéthique nous concernent peu.

Enfin il ne faut pas confondre investissement financier et investissement industriel. Nous sommes tout à fait favorables au développement des investissements industriels dans les biotechnologies. Ce développement, notamment dans le domaine des thérapies cellulaires, fait aujourd’hui l’objet d’un travail considérable, conduit sous l’autorité du cabinet du Président de la République, en lien avec celui du secrétaire d’État chargé de l’industrie et de la consommation, M. Luc Chatel. Ce travail a pour objet la préparation d’un prochain conseil stratégique des industries de santé (CSIS). Le CSIS rassemble les membres du Gouvernement et les industriels majeurs du secteur implantés en France. L’un des volets du prochain conseil portera sur les biotechnologies. Comme la presse s’en est fait l’écho, l’une des questions à l’étude est la constitution d’un fonds de soutien aux biotechnologies, sous la forme d’un fonds partenarial entre l’État et les industriels.

M. le président. Dans le cadre du rapprochement entre recherches privée et publique, avez-vous abordé, par exemple avec l’INSERM, la question des brevets ?

Mme Catherine Lassale. La valorisation et la propriété intellectuelle constituent le cœur des difficultés de nos partenariats public-privé en France. Pour l’industriel, faire face à quatre ou cinq interlocuteurs, – les établissements qui seront signataires du contrat, l’INSERM, le CEA ou l’INRA, l’université, l’hôpital… – est très difficile. Les projets de décrets qui instituent un seul mandataire sont porteurs d’un progrès considérable ; mais le régime de copropriété qui en résultera restera compliqué. Cependant une volonté réelle existe de simplifier les règles de la valorisation. Une telle simplification est essentielle, notamment pour tout ce qui est collection d’échantillons biologiques – chose essentielle car il n’existe pratiquement plus de recherche clinique ni épidémiologique sans prélèvements biologiques. La valorisation doit pouvoir se faire de façon simple mais équitable pour tous.

M. Philippe Lamoureux. Disposer d’un hébergeur est un vrai progrès, même si la difficulté créée par les situations de copropriété n’en est pas résolue pour autant.

M. le président. L’évolution des avis de l’Office européen des brevets (OEB) vous satisfait-elle, ou vous laisse-t-elle dubitatifs ?

Mme Blandine Fauran. L’évolution se fait dans le bon sens, celui prévu par les textes, notamment par la directive relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques telle que transposée par la loi du 9 décembre 2004. Nous ne formulons pas de demande sur ce point.

M. le président. L’Office a déjà pris des décisions en matière d’embryons, en particulier sur leur destruction.

Mme Blandine Fauran. Dans ce domaine, les orientations de l’OEB ne sont pas encore complètement fixées. Nous attendons de disposer d’un peu plus de lisibilité.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Nos interrogations de législateur sont à la fois simples et complexes. Qu’est-ce qui, dans la loi, pose problème ? Dans la pratique, certaines situations réduisent-elles la compétitivité internationale de la France ?

Est-il vrai, tout d’abord, que les États les plus permissifs en matière de recherche, sur l’embryon en particulier, Chine, Royaume-Uni, ne présentent pas aujourd’hui d’avance sensible sur la France ? Selon les chercheurs du secteur public que nous avons entendus, si la loi est psychologiquement restrictive, elle ne gêne pas en pratique leurs recherches.

En revanche, toujours selon ces chercheurs, la lenteur administrative de l’attribution des autorisations de recherche et la multiplicité des organismes est cause pour eux de réelles difficultés. Pensez-vous que, pour permettre une instruction plus rapide des dossiers, l’Agence de biomédecine, dont personne aujourd’hui ne conteste l’utilité, devrait être fusionnée avec l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) ? Celle-ci travaille dans un domaine assez voisin.

Pensez vous que les banques de sang de cordon doivent se développer ? Si oui, dans quels domaines pourrait-on les favoriser et quel encadrement verriez-vous pour cette évolution ?

Enfin, pourriez-vous nous préciser la voie que vous avez évoquée pour le financement de l’industrialisation et de la recherche fondamentale, celle d’un soutien partenarial public-privé qui viendrait en aide financière directe à des programmes de recherche ? A notre connaissance, il n’existe pas aujourd’hui de dispositif de financement direct par le secteur privé de projets de recherche fondamentale bien identifiés d’organismes publics.

M. Philippe Lamoureux. Il faut savoir en finir avec la frénésie des meccanos administratifs. Le paysage est en permanence bouleversé. Le ministère de la santé a connu une efflorescence d’agences et d’instituts. Les compétences et le statut de l’Agence de biomédecine viennent d’être refondus par le législateur ; je ne suis pas sûr qu’un nouveau bouleversement soit bienvenu. D’autant que, pour nous, le fonctionnement de cette agence est aujourd’hui relativement satisfaisant. Inversement les études que nous venons de publier en matière d’essais cliniques montrent que la position de la France par rapport à ses principaux concurrents a plutôt tendance à se détériorer ; dans ses délivrances d’autorisation d’essai, l’AFSSAPS améliore pourtant ses résultats, mais moins rapidement que ses homologues à l’étranger. Je suis donc sceptique vis-à-vis d’une telle opération de fusion.

Le contenu de la loi bioéthique ne suscite pas de critique dirimante de notre part. Notre optique est beaucoup plus celle des améliorations qui pourraient lui être apportées. Le contexte international est mouvant et évolue très rapidement. Ainsi, la Grande-Bretagne autorise désormais les recherches sur les cellules souches embryonnaires et le transfert nucléaire somatique à des fins thérapeutiques. Cela lui donne une compétitivité internationale forte. En septembre 2007, après un débat public de plusieurs mois, l’autorité compétente britannique a donné son feu vert à la création d’embryons hybrides d’humain et d’animal à des fins de recherche. Aux États-unis, certains États, comme la Californie ou le New Jersey, autorisent la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Depuis mars 2009, des fonds fédéraux peuvent être alloués spécifiquement à ce type de recherches. Cette décision a été l’une des premières prises par le président Obama ; elle a été saluée par la communauté scientifique américaine.

Mme Catherine Lassale. Pour moi, pour être vraiment attractive et compétitive, la France doit disposer de banques de données, de tissus et de cellules. Des banques de cellules souches adultes, quand on saura les constituer, des banques de cellules de cordon, des banques de cellules embryonnaires seront un atout majeur pour les travaux de recherche réalisés par l’industrie pharmaceutique.

De plus, en termes industriels, il est fondamental qu’un système législatif soit lisible. Un dispositif législatif d’interdiction, assorti de dérogations, et un système ouvert et encadré n’envoient absolument pas le même signal à un industriel international dont le siège n’est pas en France. Cet élément est essentiel pour les industriels, même si nos chercheurs académiques n’en ont pas la même perception.

M. Paul Jeanneteau. Pour moi, le rapporteur n’a pas proposé un nouveau meccano administratif. J’ai cru comprendre au contraire qu’il propose que le législateur simplifie le dispositif et le rende plus fluide et plus simple pour nos chercheurs.

M. le président. Aujourd’hui, le temps d’instruction de l’Agence de biomédecine est comparable à celui constaté dans les autres pays européens et aux États-unis.

L’idée d’une simplification du dispositif avait été avancée par notre ancien collègue Jean-François Mattei. Aujourd’hui, des éléments justifieraient-ils le rapprochement de l’Agence de biomédecine et de l’AFSSAPS ?

M. Philippe Lamoureux. Dans l’industrie, le mot fusion a un sens – je pense qu’il a le même dans l’administration – ; pour moi, ce sens correspond exactement à l’idée que j’ai d’un meccano administratif.

Par ailleurs, nous n’avons pas le sentiment que le délai de délivrance des autorisations par l’Agence de biomédecine soit sensiblement plus long qu’à l’étranger. C’est plutôt les conditions de délivrance des autorisations d’essai par l’AFSSAPS qui tendent à se détériorer. Même si elles progressent en termes absolus, elles se détériorent en termes relatifs. Autrement dit, les délais d’autorisation d’essais cliniques par l’AFSSAPS se sont améliorés ; mais, dans le même temps, les progrès en Scandinavie ou en Grande-Bretagne ont été beaucoup plus importants. La situation à affronter en termes de compétitivité est donc plus difficile.

Mme Catherine Lassale. Les délais accordés par la loi sont de 60 jours. Le prochain rapport de l’AFSSAPS fera état de délais de 40 jours environ. Cependant, les délais d’autorisation les plus longs sont ceux des essais les plus précoces ou les plus innovants. L’enquête que nous avons conduite en 2006, en cours d’actualisation aujourd’hui, montre que les délais d’acceptation par l’Agence de biomédecine sont beaucoup plus courts que ceux de l’AFSSAPS ; il est vrai que les essais pour lesquels l’Agence de la biomédecine est compétente relèvent de la phase préclinique, qui précède l’application à l’homme, alors que les autorisations données par l’AFSSAPS concernent la première administration à l’homme d’une thérapie cellulaire. Cependant, les délais d’autorisation de l’AFSSAPS, tels qu’analysés dans l’étude, étaient extrêmement longs. La situation progresse. La fusion des deux agences l’améliorerait-elle ? Nous pouvons simplement dire que les industriels étaient contents de l’Agence de la biomédecine.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Je reste insatisfait de cette réponse. J’ai dit que malgré des législations plus permissives dans certains pays étrangers, nous n’y constations pas de différences avec la France dans les avancées de la recherche. La législation la plus permissive est la législation chinoise ; je n’ai pas l’impression que les publications scientifiques chinoises soient en avance sur les études japonaises, alors que la législation au Japon est beaucoup plus restrictive.

Vous n’avez pas répondu à la question suivante : la législation française est-elle cause de retard pour les recherches de l’industrie privée française ? Nous devons, pour prendre notre décision, savoir si des recherches sont bloquées du fait de la législation, et si les Britanniques et les Chinois ont fait des découvertes que les Français auraient pu faire avec une législation moins restrictive. En revanche, le seul fait qu’un régime d’autorisation soit psychologiquement préférable à un régime d’interdiction assorti de dérogations n’aura pas le même impact sur notre décision. Je n’ai pas l’impression que la psychologie ait tant d’importance sur la recherche, y compris lorsqu’elle est effectuée par les industriels privés.

Pour poser les questions de façon claire, la loi du 6 août 2004 a limité à cinq ans la dérogation permettant la recherche sur les cellules souches. Lever cette limitation pose-t-il une difficulté ? En ce cas en effet, la liberté de recherche sera à peu près la même dans tous les pays.

Pensez-vous aussi que le transfert nucléaire, autorisé en Grande-Bretagne, est un élément de recherche fondamentale que nous devrions envisager d’autoriser ?

Pour écrire la loi, le législateur va devoir trouver l’équilibre entre l’obligation éthique et la nécessité d’éviter que la recherche française, privée ou publique, soit bridée par rapport à celle de nos voisins.

M. Paul Jeanneteau. Quel est aujourd’hui le montant des investissements de l’industrie pharmaceutique privée pour la recherche sur les cellules souches ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. Des équipes privées travaillent-elles sur les cellules souches embryonnaires ? Si tel n’est pas le cas, est-ce pour des motifs de réglementation ou pour des raisons purement économiques, l’industrie pharmaceutique ne croyant pas que les développements issus de ces recherches puissent lui offrir assez rapidement des retours sur investissement satisfaisants ?

Mme Catherine Lassale. La recherche académique n’est pas en retard en France, au contraire. Au regard aussi bien de la Corée (plus en pointe que la Chine) que de la Grande-Bretagne, la France dispose de remarquables chercheurs, à l’origine de remarquables avancées.

Comment mesurer l’investissement de l’industrie privée ? L’industrie impliquée dans la thérapie cellulaire est surtout celle des biotechnologies. La France est en retard sur la Grande-Bretagne, sur l’Allemagne, et, de façon considérable, sur la Californie.

Dans notre industrie, à l’origine des découvertes et des développements les plus innovants – il y a vingt ans, il s’agissait des anticorps monoclonaux – on trouve plutôt les entreprises de biotechnologie ; l’exemple d’une société comme Amgen le montre. Ensuite seulement la grande industrie pharmaceutique prend le relais. Cela dit, des entreprises de biotechnologie déjà importantes, comme GenVec, sont présentes en France – mais moins que dans d’autres pays.

Les retards de la France dans l’industrie des biotechnologies, thérapie cellulaire comprise, ont plusieurs causes : la modestie de l’investissement financier, le faible nombre des centres de production – il faut savoir produire des lignées de cellules, ou encore, pour les petits industriels, des cellules à façon –, le peu de force de nos partenariats public-privé. Les entreprises de biotechnologie savent s’épanouir, dans le cadre de clusters, aux côtés d’universités, de grandes sociétés pharmaceutiques, de centres de recherches académiques. Avec la création des pôles de compétitivité, nous avons commencé à créer ces conditions. Nous espérons que le succès sera là.

Nous pensons cependant – sans pouvoir le prouver – que, au regard de l’excellence de sa recherche académique, si la France était dotée d’un dispositif législatif parfaitement lisible et si les délais administratifs d’autorisation y étaient un peu plus courts, elle serait plus attractive.

M. Pierre-Yves Arnoux. Je renverrai pour les éléments chiffrés à l’étude que nous avons réalisée en 2006, étude que, au regard de la rapidité de l’évolution du secteur, nous mettons actuellement à jour. Cette mise à jour comprendra des informations sur les niveaux d’investissement.

L’industrie pharmaceutique n’est pas encore aujourd’hui un acteur majeur de la thérapie cellulaire. Le développement de ce secteur est essentiellement l’affaire de petites entreprises. Le modèle économique est très différent de celui de la pharmacie.

M. le président. Avez-vous créé des partenariats avec ces petites entreprises ?

M. Pierre-Yves Arnoux. Il existe des partenariats entre de petites entreprises et l’industrie pharmaceutique.

M. le président. Ils traitent de la propriété intellectuelle ?

M. Pierre-Yves Arnoux. En général, chacun de ces partenariats est conclu d’abord sur un projet scientifique ; lorsque le projet est jugé pertinent et porteur d’espoir thérapeutique, un industriel de la pharmacie peut trouver justifié d’y consacrer un partenariat et d’y associer sa propre force de recherche.

M. le président. L’existence des pôles de compétitivité vous aide-t-elle dans cette démarche ?

M. Pierre-Yves Arnoux. Les pôles de compétitivité sont en effet un élément de dynamisme pour la mise en place de partenariats.

L’industrie pharmaceutique s’intéresse cependant bien aux cellules souches, notamment aux cellules souches embryonnaires ; cet intérêt a pour objet leur utilisation non pas comme matériel thérapeutique mais comme outil de recherche, notamment pour la compréhension des mécanismes pathologiques ou de différenciation cellulaire. De nombreux travaux visent à créer de nouveaux modèles cellulaires expérimentaux précliniques, aux fins d’expérimentation ultérieure dans l’industrie pharmaceutique. Cet intérêt de l’industrie pharmaceutique pour les cellules est un peu la partie immergée de l’iceberg. Cependant, avec le développement prévisible du nombre de « preuves de concept » dans le domaine de la thérapie cellulaire, l’industrie pharmaceutique devrait aussi s’intéresser de plus en plus aux utilisations thérapeutiques des cellules souches.

M. Paul Jeanneteau. Si je comprends bien, l’industrie pharmaceutique aujourd’hui n’a pas encore investi en force auprès des petites entreprises du secteur de la biotechnologie. Seuls quelques partenariats ont été conclus.

Mme Catherine Lassale. Pour être plus particulièrement vraie en France, votre remarque vaut aussi au niveau mondial.

M. Pierre-Yves Arnoux. Je parlais des applications de thérapie cellulaire, qui ne sont que l’un des domaines des biotechnologies.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Les entreprises de biotechnologie qui, sur le plateau de Saclay, travaillent sur les cellules souches subissent toutes des difficultés de financement. Il n’est donc pas illégitime de s’étonner quelque peu de l’intérêt limité que leur portent les majors de l’industrie pharmaceutique.

M. le président. Cette difficulté est déjà apparue lors du décryptage du génome : le relais n’a pas été pris entre les start-up et l’industrie pharmaceutique.

M. Philippe Lamoureux. De nombreux médicaments sont issus des biotechnologies : vaccins, insulines, anticorps monoclonaux. La France est aujourd’hui un grand pays pour la mise au point et la production de vaccins. Nous parlons ici d’un secteur très particulier, celui des petites entreprises de biotechnologies. Le CSIS va en traiter. L’idée de constituer un fonds pour aider ces PME de biotechnologies est une bonne idée. Ses modes de gouvernance devront cependant garantir absolument qu’il travaillera selon un modèle industriel et non financier.

Mme Catherine Lassale. Vous pourrez, dans l’étude réalisée en 2006, – elle est en cours d’actualisation – consulter la description de toutes les sociétés du secteur et leur répartition par pays. A l’époque leur nombre était de 350 et 60 % d’entre elles étaient basées aux États-unis. L’étude présente aussi un descriptif de la situation dans les principaux pays concernés, dont le Japon ou la France.

Elle fait également apparaître que les investissements en capital risque réalisés entre 2000 et 2005 dans le domaine de la thérapie cellulaire ont été de 441 millions de dollars, à comparer avec 20 milliards de dollars pour l’ensemble des sciences de la vie. La proportion de l’investissement consacré à la thérapie cellulaire est donc encore très faible partout. L’étude présente aussi les investissements publics. Ils ont été considérables en Grande-Bretagne, aux États-unis et en Allemagne. Il s’agit vraiment d’un domaine précurseur pour lequel, même si des partenariats public-privé peuvent seuls permettre d’avancer, la part du public reste très importante.

M. Philippe Lamoureux. Ce qui nous préoccupe n’est pas tant la découverte scientifique que la constitution d’un tissu de recherche et développement : on peut imaginer assez facilement qu’il y a corrélation entre l’intensité ou la densité du tissu de R&D dans les biotechnologies et le nombre de découvertes à venir. La question d’aujourd’hui est celle des moyens de constituer ce tissu.

M. le président. Merci beaucoup.

Audition de M. Jean MARIMBERT, directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS)


(Procès-verbal de la séance du mercredi 6 mai 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous accueillons aujourd'hui M. Jean Marimbert, directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), depuis février 2004, et ancien président du conseil d'administration de l'Établissement français du sang de 1993 à 1995.

Établissement public de l'État, placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé, l'AFSSAPS est notamment chargée de prendre des décisions relatives à l'évaluation, aux essais, à la fabrication, à la mise sur le marché ou à l'utilisation des produits à finalité sanitaire destinés à l'homme et des produits à finalité cosmétique, en particulier les médicament – l'AFSSAPS étant l’héritière de l'Agence du médicament – mais aussi différentes catégories de produits de santé, tels que les biomatériaux et les dispositifs médicaux, les dispositifs de diagnostic in vitro, les produits sanguins labiles, les organes, tissus, cellules et produits d'origine humaine ou animale, y compris lorsqu'ils sont prélevés à l'occasion d'une intervention chirurgicale, ainsi que les produits cellulaires à finalité thérapeutique.

L'Agence est chargée de procéder à l'évaluation des bénéfices et des risques liés à l'utilisation de ces produits, sur laquelle se fonde notamment la délivrance des autorisations de mise sur le marché des médicaments.

Il nous sera donc particulièrement utile de connaître les positions et les propositions de l'AFSSAPS dans la perspective de la révision des lois de bioéthique.

Nous aimerions aussi savoir ce qu’a changé la création de l’Agence de la biomédecine. Quels rapports entretiennent les deux agences ? Une clarification est-elle nécessaire ? Que pensez-vous de l’éventualité d’une fusion, qui avait été envisagée par M. Jean-François Mattei ?

M. Jean Marimbert. Avant de répondre à vos questions, je vous exposerai le point de vue de l’AFSSAPS sur les questions de bioéthique. Je serai assisté dans mes réponses par Mme Élisabeth Herail, directrice du service des affaires juridiques et européennes de l’agence, Mme Nadine Spielvogel, juriste chargée des produits biologiques, et Mme Sophie Lucas, responsable de l’évaluation des produits biologiques à effet thérapeutique.

Si le « cœur de métier » de l’agence est d’assurer la sécurité sanitaire des produits de santé, par une évaluation bénéfices/risques, elle rencontre fréquemment des questions de bioéthique dans l’exercice de ses missions, notamment lorsqu’elle participe au respect de règles de protection des personnes. Ainsi, l’agence veille au respect des règles d’information des personnes sur les sites d’essais cliniques, qui conditionne un consentement éclairé.

Au-delà, certaines évaluations relevant de la compétence de l’AFSSAPS et certaines des décisions que son directeur général doit prendre au nom de l’État font intervenir des considérations éthiques. C’est le cas de l’évaluation de certains projets d’essais cliniques ; par exemple, on n’acceptera pas un essai clinique où le groupe témoin soumis à l’action d’un placebo comporterait des personnes atteintes d’une affection grave ou qui engage le pronostic vital. De même, l’agence reste très réticente devant les essais cliniques destinés à tester des réactions allergiques à des produits cosmétiques, lorsqu’ils risquent de créer des réactions allergiques durables, voire définitives, chez des personnes sans antécédents – alors même que la valeur prédictive de la méthode est douteuse.

Troisième exemple, très actuel : peut-on, dans le respect de la loi bioéthique de 2004, autoriser des projets d’essais cliniques portant sur des préparations issues de cellules souches embryonnaires ? Nous sommes confrontés depuis l’année dernière à de telles demandes, qui font suite, non seulement à des recherches fondamentales autorisées par l’Agence de la biomédecine, mais également à des tentatives infructueuses de recherches cliniques à partir de cellules souches adultes.

L’AFSSAPS doit également s’interroger sur la possibilité d’évaluer et d’autoriser, dans le cadre juridique actuel, des recherches cliniques visant à améliorer les techniques de procréation médicalement assistée par des procédés tels que la vitrification d’ovocytes ou d’embryons. Dernier exemple : peut-on admettre que l’on détourne l’échographie de son usage médical pour proposer aux futurs parents des enregistrements vidéo du fœtus à des fins d’agrément ? Dans ce dernier cas en effet, l’exposition aux rayonnements est beaucoup plus forte que dans une échographie classique.

Ce sont là des situations générales. Mais des situations individuelles peuvent aussi nous confronter à des questions bioéthiques. Faut-il par exemple délivrer une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) à un médicament encore en cours de développement et dont l’efficacité n’est pas prouvée ? Le législateur a donné à l’AFSSAPS la possibilité de passer outre à l’absence de preuve lorsque le pronostic vital est engagé à très court terme et qu’il n’y a pas d’alternative thérapeutique. Nous pouvons sans doute étendre cette faculté aux cas où il y a douleur extrême, rebelle à tout traitement antalgique existant. Confronté à de tels cas à la suite de l’affaire d’Epinal, j’ai autorisé l’utilisation d’une thérapie cellulaire recourant à une préparation de cellules souches mésenchymateuses. En revanche, il nous semble impossible de passer outre à l’absence de preuve de l’efficacité lorsqu’il existe un risque plausible d’ajouter aux souffrances de la personne.

Nous nous interrogeons également sur l’opportunité d’autoriser la reprise d’essais de thérapie cellulaire utilisant des préparations de cellules souches mésenchymateuses où des anomalies chromosomiques ont été repérées, sans qu’on en connaisse exactement la portée pour ce qui est des risques de prolifération tumorale. On ne saurait faire totalement l’impasse sur l’évaluation de la portée de ces anomalies, mais on ne peut pas non plus bloquer des recherches prometteuses sur ces cellules souches aussi longtemps qu’on n’a pas la démonstration absolue de leur innocuité. Nous essayons d’apporter des réponses différenciées selon l’indication qu’il s’agit de traiter, la balance bénéfice/risque étant différente quand le pronostic vital est engagé.

Dernier exemple, mais non le moindre, d’interrogation éthique à laquelle l’AFSSAPS a été confrontée : où s’arrête le devoir d’informer, où commence le droit de ne pas savoir, dans le cas de receveurs de produits sanguins labiles ou de médicaments dérivés de sang issu d’un donneur ayant développé ultérieurement la maladie de Creutzfeldt-Jacob ?

Ces exemples montrent que la dimension de sécurité sanitaire des missions de l’AFSSAPS peut s’accompagner d’une dimension très forte d’interrogation éthique.

Je voudrais aussi faire part à la mission de ma conviction que les procédures d’évaluation collégiale de l’agence ont une valeur ajoutée très importante pour traiter ces situations où l’évaluation du rapport bénéfices/risques et les enjeux éthiques s’interpénètrent. Elles introduisent d’abord une certaine distance, qui n’est pas de l’indifférence, ni un manque d’empathie ou de compassion, vis-à-vis de situations individuelles dans lesquelles patients, entourages familiaux, médecins sont très passionnément impliqués. Ce recul permet de porter un autre regard sur ces situations, de protéger parfois le soignant de pressions destinées à lui faire prendre une initiative thérapeutique illusoire, voire dangereuse, ou le patient contre des velléités d’acharnement thérapeutique – je me réfère ici à des cas effectivement rencontrés.

La collégialité renforce en outre la qualité de la décision thérapeutique. Le soignant étant naturellement porté à croire qu’il est le meilleur juge des choix thérapeutiques, cet engagement peut le conduire à des erreurs, surtout lorsqu’il se conjugue à des convictions scientifiques très fortes, nourries par des recherches personnelles sur la problématique thérapeutique en cause. Là est l’utilité du débat collégial que nous pouvons organiser, non pour entraver le projet mais au contraire pour le consolider en renforçant sa fiabilité.

Une évaluation pluridisciplinaire de la décision thérapeutique, associant aux médecins spécialistes du domaine en cause d’autres médecins, des méthodologistes, des épidémiologistes, des pharmaciens, est en outre très importante pour la prise en compte de sa dimension éthique. La régulation des thérapeutiques innovantes ne peut pas être assurée uniquement par un dialogue entre hyper-spécialistes, qui comporte le risque d’emprise intellectuelle d’un individu ou des tenants d’une thèse scientifique, ou au contraire de querelles paralysantes entre écoles, voire entre personnes.

Enfin, je tiens à souligner que le décideur de santé publique garde son libre arbitre et sa liberté d’appréciation, même face au consensus des experts. Sans être nécessairement lui-même scientifique ou médecin, il est garant de la qualité méthodologique et déontologique de l’évaluation. Ce qui doit le conduire à prendre des initiatives, prescrire des mesures d’instruction complémentaires, demander un avis supplémentaire aux experts pour approfondir certains points. Il doit également leur rappeler parfois qu’une décision doit être comprise pour être bien mise en œuvre, et demander que l’évaluation soit approfondie dans cette optique, au delà de l’évaluation du bien-fondé proprement médical de la démarche. Dans cette mission, il peut arriver au décideur de santé publique d’introduire des critères qui lui sont propres : il pourra par exemple pondérer différemment certains critères au regard de la situation d’une personne, ou situer la décision thérapeutique dans une démarche plus globale de santé publique, ou encore poser la question de la perception de la décision.

Je pointerai pour finir les problématiques qui devraient être clarifiées par le législateur lors de la révision des lois de bioéthique.

Il faudrait tout d’abord donner un statut aux recherches cliniques sur les produits ou les thérapies issues de cellules souches embryonnaires. Celles visant à améliorer l’assistance médicale à la procréation (AMP) et impliquant l’utilisation de gamètes ou d’embryons – je pense notamment aux projets de vitrification de gamètes ou d’embryons – posent également question par rapport au cadre législatif en vigueur.

Le législateur devrait également renforcer l’encadrement des tests génétiques. S’il n’est pas contestable qu’ils peuvent faire progresser la thérapeutique, il ne faudrait pas négliger l’importance de l’information des patients, qui peuvent être égarés par des discours simplificateurs, voire mystificateurs, la plupart des maladies ayant des facteurs multiples. Il faudrait au moins engager le dialogue avec les patients et les professionnels de santé sur la place des tests génétiques, comme l’a proposé une récente expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Il faut aussi consolider les bases de l’évaluation de l’utilité médicale de certains tests. Cela implique d’associer les compétences de plusieurs organismes – AFSSAPS, Haute Autorité de santé, Agence de la biomédecine (ABM), entre autres.

La clarification du régime des banques de sang de cordon à usage autologue s’impose également, l’AFSSAPS étant confrontée aux demandes de femmes enceintes qui veulent conserver le sang du cordon ombilical pour un éventuel usage thérapeutique ultérieur, voire d’opérateurs souhaitant développer la commercialisation de sang de cordon à usage autologue. En l’état actuel de notre analyse juridique interne, que je crois partagée par l’ABM et le ministère, nous ne pouvons pas autoriser la conservation de sang de cordon à usage autologue, son utilité thérapeutique, condition essentielle posée par les textes en vigueur pour que l’AFSSAPS accorde son autorisation, n’ayant pas encore été démontrée.

Il est vrai que la pratique n’a pas attendu le droit dans ce domaine. Il faut certes trouver des solutions pour développer l’offre de sang de cordon, qui est insuffisante dans notre pays. Mais il faut aussi mieux informer les familles de l’état réel des connaissances scientifiques et des perspectives thérapeutiques de l’utilisation autologue du sang de cordon.

Indépendamment même des incertitudes touchant l’usage thérapeutique ultérieur de ces cellules, je dois aussi insister, en tant que directeur de l’AFSSAPS, sur la nécessité de garantir leur qualité, leur quantité et des conditions de transport, de stockage et de conservation conformes aux exigences de sécurité sanitaire.

La dimension éthique de cette question n’est pas à négliger. On peut quand même s’interroger sur la démarche qui consiste à faire payer une protection très hypothétique contre la maladie, même si on juge que cela relève de la liberté de chacun.

Il faudra enfin veiller à ce que ces démarches, à supposer qu’on les admette, ne perturbent pas la mise à disposition de sang de cordon à usage allogénique, dont l’utilité thérapeutique, elle, est démontrée et qui doit se développer.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Selon l’AFSSAPS, la recherche ayant pour objectif d’améliorer les techniques de l’AMP, soit par une action directe sur les gamètes, soit par une action sur les embryons, et impliquant la réimplantation de ces embryons, mérite d’être discutée dans le cadre de la révision des lois de bioéthique. Quel fondement juridique pourrait être donné à ces recherches, alors que la loi actuelle pose le principe de l’interdiction de la recherche sur l’embryon et proscrit le transfert à des fins de gestation des embryons ayant fait l’objet d’une recherche ? Sont-ce des situations précises qui vous incitent à nous demander de réexaminer ce dispositif ?

Pensez-vous que la loi doive définir un encadrement spécifique de la recherche clinique sur les cellules souches embryonnaires, précisant les compétences respectives de l’AFSSAPS et de l’ABM ? Ou n’a-t-on pas besoin de changement législatif ?

En ce qui concerne les organes et les tissus, l’AFSSAPS estime que la question du consentement au prélèvement et à l’utilisation des produits du corps humain pourrait être réexaminée, s’agissant notamment des cas, certes rares, où le consentement est présumé – comme dans le cas de l’utilisation de fragments osseux provenant de têtes fémorales lors de la pose d’une prothèse de hanche par exemple. Cela signifie-t-il qu’à vos yeux la preuve de l’absence d’opposition est difficile à apporter, ou que le consentement doit être présumé, s’agissant de tissus qui pour le patient ne présentent plus aucun intérêt ?

En ce qui concerne l’usage autologue du sang de cordon, doit-on nourrir – moyennant finances – les fantasmes de vie éternelle caressés par certains ? Mais vous avez pratiquement répondu.

Enfin, in cauda venenum, vous n’avez pas répondu à la question du président, qui vous interrogeait sur l’opportunité de fusionner l’AFSSAPS et l’ABM…

M. Jean-Luc Préel. Je compléterai cette dernière question. Les autorisations d’importation, de stockage ou de recherche relèvent de l’ABM, mais l’AFSSAPS intervient sur le projet de recherche. Cela signifie-t-il qu’on doit d’abord obtenir de vous l’autorisation du projet de recherche avant de solliciter l’autorisation d’importation ? Ou peut-on obtenir la seconde avant la première ? Une seule agence ne serait-elle pas préférable ?

M. Jean Marimbert. Les pouvoirs publics ont fait le choix fort de faire de l’AFSSAPS le guichet unique pour les autorisations d’essais cliniques. Ce choix est à mon sens profondément sain, l’AFSSAPS jouissant d’une vue d’ensemble du champ thérapeutique grâce à sa position distanciée par rapport à toute forme de milieux particuliers.

Il revient également à l’AFSSAPS de délivrer les autorisations pour les activités de thérapie cellulaire, qu’il s’agisse de préparation, de conservation, de distribution, de cession ou d’importation, l’ABM ne délivrant d’autorisations que pour les recherches fondamentales faites à titre dérogatoire sur l’embryon et l’importation de lignées dans ce but.

Nous sommes confrontés depuis un an ou deux à des demandes d’autorisation de projets de recherche portant sur les gamètes tels que la vitrification d’ovocytes ou d’embryons afin d’améliorer les techniques d’AMP et les taux de réussite. Il est douteux que le cadre légal actuel nous permette d’autoriser de telles recherches : seule une intervention du législateur nous permettrait de sortir de cette situation.

M. le rapporteur. Y seriez-vous favorable ?

M. Jean Marimbert. De façon très pragmatique, j’y suis plutôt favorable à titre personnel puisqu’il ne s’agit pas de fabriquer un embryon pour la science, mais d’améliorer par des recherches cliniques l’efficacité d’une AMP en réimplantant un embryon dans le cadre d’un projet parental. Il y a là de vraies perspectives thérapeutiques, déjà exploitées dans un grand nombre de pays étrangers, et dont je ne suis pas sûr qu’elles posent un problème éthique fondamental.

M. le rapporteur. Une amélioration de l’implantation des embryons par vitrification des ovocytes présenterait en outre l’avantage sur le plan éthique d’entraîner une diminution du nombre des embryons surnuméraires. Ce qui pourrait apparaître comme une transgression serait donc en réalité doublement éthique.

M. Jean Marimbert. Je partage ce point de vue.

En ce qui concerne les cellules souches embryonnaires, mes discussions avec les scientifiques m’ont conduit à penser que les solutions varieront suivant les domaines thérapeutiques. Les succès de l’équipe du professeur Yamanaka, qui a réussi à fabriquer des cellules souches pluripotentes à partir de cellules adultes, ne nous autorisent pas à penser qu’on pourra faire l’économie de l’utilisation du sang de cordon, voire de la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

M. le président. L’impression qui se dégage de la majorité des auditions est qu’il faut aujourd’hui mener de front l’ensemble de ces recherches.

M. Jean Marimbert. Il me semble que la solution dans ce domaine serait à tout le moins de proroger la faculté ouverte par la loi de 2004. À bien l’examiner, toutefois, la disposition de 2004 ne semble régir que la recherche fondamentale sur l’embryon.

M. le président. Le problème est que ce mot n’est pas dans la loi de 2004.

M. Jean Marimbert. Vous avez raison, monsieur le président, il y est « en creux ».

La thérapeutique progressant, nous sommes d’ores et déjà confrontés à des demandes d’autorisation de projets de recherche clinique. Le cheminement intellectuel est le suivant : certains de ceux qui présentent ces projets ont d’abord tenté de travailler à partir de cellules adultes. Après l’échec de ces tentatives, ils ont demandé l’autorisation à l’ABM de conduire une recherche fondamentale sur les cellules souches embryonnaires, et le progrès de cette recherche les conduit à présenter à l’AFSSAPS des projets de recherche clinique.

M. le président. Avez-vous étudié le premier essai clinique humain de thérapie à base de cellules souches embryonnaires qui ait été autorisé – autorisation accordée à la société Geron aux États-Unis ?

M. Jean Marimbert. Cette décision est trop récente pour que nous ayons pu l’étudier sur un plan scientifique. Mais c’est de toute façon un signal important.

Même si le législateur proroge la faculté ouverte par la loi de 2004 en ce qui concerne la recherche fondamentale et s’il consacre plus clairement la possibilité d’autoriser des recherches cliniques, les règles éthiques qui encadrent la recherche fondamentale depuis la loi de 2004 devront régir également la recherche clinique. Il ne s’agit pas de baisser la garde et de mettre de côté tout le corpus de garanties prévu en 2004.

M. le président. Les auditions que nous avons conduites ces dernières semaines nous ont convaincus que notre dispositif de contrôle et d’évaluation est opérant et n’est pas contesté. Il s’agit de savoir si, à partir de ce dispositif, on accorde la liberté de la recherche. C’est ce point que le législateur devra trancher.

M. Jean Marimbert. La contribution de l’AFSSAPS sur la question du consentement présumé est née de l’expérience de nos équipes.

Vous me demandez si j’avalise cette espèce de pari sur l’avenir que constitue la conservation du sang de cordon pour un usage thérapeutique autologue. À titre personnel, je ne vois pas la raison d’être d’une telle pratique, qui heurte quelque peu ma vision de la médecine et de la thérapeutique. Dans l’état actuel du droit, l’AFSSAPS ne peut pas l’autoriser tant que la preuve de son utilité thérapeutique n’a pas été apportée. Ce à quoi nous devons veiller, c’est d’une part à l’information du public, d’autre part aux exigences de sécurité sanitaire : il ne faudrait pas qu’on s’aperçoive in fine que le produit est de toute façon inutilisable !

En ce qui concerne la fusion de l’AFSSAPS et de l’ABM, il est vrai que ce projet, soutenu par M. Jean-François Mattei, était inscrit dans ma feuille de route quand j’ai été pressenti début 2004 pour prendre la tête de l’AFSSAPS. Mais cela ne me semble pas nécessaire.

Tout d’abord, l’AFSSAPS et l’ABM entretiennent déjà de très bonnes relations opérationnelles ; nos équipes travaillent ensemble, au point qu’il n’est pas rare que nous adressions des notes communes à nos tutelles sur des sujets très sensibles. Le projet de fusion a vite été abandonné. Il a eu peu de défenseurs, en dehors de Jean-François Mattei. En outre, l’imminence du vote de la loi bioéthique n’incitait guère à supprimer une agence, l’ABM, porteuse par nature des questions bioéthiques. Enfin, dans les milieux médicaux, certains étaient très attachés à l’Agence de la biomédecine. Pour toutes ces raisons, et notamment la bonne interaction entre les agences, je ne vois pas de réelle nécessité à une fusion – même si l’une et l’autre agence travaillent sur le domaine biologique.

Mais le problème de fond est celui de la manière dont on conçoit le dispositif public dans ce domaine. Historiquement, la création des agences traduit une conception qui distingue la régulation des fonctions opérationnelles. Dotée d’importants pouvoirs de contrôle, d’inspection et de police sanitaire, l’AFSSAPS assume une fonction régulatrice. En revanche, l’ABM, héritière de l’Établissement français des greffes, n’est pas historiquement régulatrice mais assure des fonctions de coordination opérationnelle et de promotion de la greffe et du don. Elle n’assume une mission régulatrice que depuis la loi de 2004, qui lui a donné un pouvoir d’autorisation dans le domaine de la médecine reproductive et embryonnaire. Faut-il rester attaché à la séparation entre les activités de promotion et de coordination opérationnelle et le domaine de la régulation, qui relève de la puissance publique ? Dans cette optique, l’AFSSAPS, agence transversale sur le vaste champ de la thérapeutique, est chargée de la régulation. Ou alors, on s’écarte de ce schéma en développant les missions de régulation de l’ABM, ce qui implique la délégation de pouvoirs d’État. Il s’agit là d’une question importante.

À titre personnel, je suis assez attaché à ce principe d’une distinction claire des fonctions, sur laquelle s’est fondée il y a quinze ans la refondation de notre système de sécurité sanitaire. Mais, quel que soit le choix du législateur à cet égard, la pratique actuelle montre qu’il est relativement aisé de faire fonctionner ensemble les deux maisons, d’autant que leur proximité, tant culturelle que géographique, facilite la communication entre elles.

M. le président. Je dois dire qu’au cours de nos auditions personne n’a réclamé la fusion. Il me reste à vous remercier.

Audition de M. Philippe BAS, conseiller d’État, président du groupe de travail du Conseil d’État sur la révision des lois de bioéthique, ancien ministre


(Procès-verbal de la séance du 13 mai 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons ce matin le plaisir d’accueillir M. Philippe Bas, conseiller d’État et président du groupe de travail du Conseil d’État sur la révision des lois de bioéthique, par ailleurs vice-président du conseil général de la Manche.

Ancien ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, de 2005 à 2007, et ministre de la santé et des solidarités en 2007, je rappelle que vous avez notamment été conseiller, puis directeur-adjoint du cabinet de Simone Veil, ministre des affaires sociales et de la santé, de 1993 à 1995 – soit au moment même de l’adoption des premières lois de bioéthique –, et secrétaire général de la présidence de 2002 à 2005.

Depuis son premier rapport De l’éthique au droit, élaboré en 1988, le Conseil d’État a apporté une contribution précieuse à l’élaboration des lois de 1994 et 2004 relatives à la bioéthique. Pour préparer le réexamen de la loi de 2004, prévu dans un délai de cinq ans après son entrée en vigueur, le Premier ministre a demandé en février 2008 au Conseil d’État de se pencher sur l’ensemble des questions soulevées par l’application de ce texte et sur les interrogations éthiques nouvelles suscitées par l’évolution de la biologie, de la médecine et des mœurs.

Dans cette étude, rendue publique le 6 mai dernier, le Conseil d’État propose « d’apporter certains aménagements aux règles actuelles, mais ne prône pas de bouleversement des équilibres existants », compte tenu notamment de « la relative stabilité de l’état des techniques et du caractère désormais bien ancré des principes posés depuis 1994 et qui font consensus ». Quels sont ces aménagements ?

Pourquoi le Conseil d’État se prononce-t-il désormais pour la ratification de la convention d’Oviedo – ce que nous considérons comme une bonne chose –, alors qu’il avait donné un avis défavorable en 1997 ?

En ce qui concerne la recherche sur les cellules souches embryonnaires, l’exigence selon laquelle de telles recherches doivent être « susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs » est maintenue. L’expression a fait débat au sein de notre commission. Pouvez-vous revenir sur ce point ?

Vous proposez par ailleurs de mettre un terme à la pratique du double DPI, qui était pourtant une avancée de la loi de 2004.

M. Philippe Bas. Pas exactement.

M. le président Alain Claeys. Dans ce cas, vous allez pouvoir nous préciser la position du Conseil.

Le rapport n’aborde pas certaines questions. Je pense à celle de la brevetabilité du vivant : pensez-vous que la législation communautaire dans ce domaine soit satisfaisante ? Je pense également à la question des neurosciences.

Enfin, la création de banques de sang de cordon à usage autologue vous paraît-elle éthiquement acceptable ?

M. Philippe Bas. C’est la troisième fois que le Conseil d’État se prononce sur les questions d’éthique biomédicale – une expression qui me semble plus exacte que « bioéthique ». La première fois, il l’a fait à la demande du premier ministre Jacques Chirac, et son rapport a été à l’origine des premières lois votées dans ce domaine, en 1994. À l’époque, la question fondamentale était de savoir si on pouvait laisser au colloque singulier du médecin et de son patient le soin de résoudre les questions d’éthique ou si, au contraire, un cadre de référence légal était nécessaire, pour ne pas laisser le praticien seul face à ces questions qui ne relèvent pas à proprement parler de la médecine, mais plutôt de la morale de l’exercice médical.

Des principes fondamentaux ont été posés en 1994, sur lesquels le Conseil constitutionnel s’est prononcé. Il a ainsi reconnu la valeur constitutionnelle du principe de dignité de la personne humaine et validé les lois de bioéthique. Celles-ci, par prudence, avaient prévu qu’un nouvel examen de ces questions aurait lieu après un délai de cinq ans. Un second rapport du Conseil d’État a donc été préparé, confirmant la valeur des principes qui avaient été posés. Non seulement la loi de 2004 a de nouveau prévu un réexamen au bout de cinq ans, mais elle a institué sur la question qui avait suscité le plus de débats, celle de la recherche sur l’embryon humain, un système particulier prévoyant sa propre extinction au bout du même délai.

Le Conseil d’État, saisi une troisième fois, a donc réuni un groupe de travail rassemblant des juristes, des médecins, des chercheurs, des universitaires, des philosophes, qui ont procédé à de nombreuses réunions délibératives ainsi qu’à une soixantaine d’auditions. Un projet a ensuite été soumis à la section du rapport et des études, qui lui a apporté certaines modifications. Enfin, le rapport a été adopté par l’assemblée générale du Conseil d’État, à l’issue d’une longue délibération.

Nous avons considéré qu’en matière d’éthique biomédicale, il n’y avait pas lieu de bouleverser les règles. En effet, ni l’évolution de la science, ni celle des mœurs ne conduisent à remettre en cause les principes fondamentaux posés dès les premières lois et confirmés en 2004. Nous avons toutefois examiné sans parti pris chacune des questions soulevées.

La question de la recherche sur les embryons humains conçus in vitro était sans doute la plus difficile, et nos débats ont été l’occasion d’exprimer sur ce sujet tout l’éventail des opinions possibles. En 2004, le législateur avait choisi de maintenir l’interdiction, tout en permettant, à titre dérogatoire, la délivrance d’autorisations, mais seulement pour une durée de cinq ans, au terme de laquelle une nouvelle décision serait prise en fonction de l’utilité de ces recherches. Conformément à son intention, nous avons donc voulu savoir si de telles recherches s’avéraient toujours utiles. Or, si des progrès très importants ont été obtenus dans le domaine des recherches sur les cellules souches adultes, porteuses de grandes promesses en matière de soins, on ne peut considérer que ces progrès enlèvent tout intérêt aux recherches sur l’embryon humain in vitro. C’est la raison pour laquelle nous proposons d’instituer un système d’autorisation permanente. En effet, une interdiction assortie de nombreuses dérogations pose un problème du point de vue de la sincérité de la loi, le nombre des dérogations faisant perdre à l’interdit une grande partie de sa force symbolique. Cependant, afin de prévenir tout risque de dérive vers une réification de l’embryon humain, le texte proposé indique qu’« aucune recherche ne peut être entreprise si elle n’est pas autorisée » avant de détailler les conditions dans lesquelles des autorisations peuvent être accordées.

Ces conditions sont celles établies en 2004, même si nous en proposons une rédaction qui nous paraît plus pertinente. Nous avons en particulier maintenu l’exigence que les recherches autorisées soient susceptibles d’apporter des progrès thérapeutiques majeurs. Bien sûr, une telle affirmation ne peut pas être posée a priori. Vérifier si une hypothèse est ou non porteuse de progrès thérapeutiques majeurs, c’est l’essence même de la recherche fondamentale. Toutefois, il ne s’agit pas de prouver que de tels progrès seront obtenus : il suffit d’établir qu’ils sont possibles. C’est pourquoi nous avons maintenu cette exigence, d’autant qu’elle n’a pas empêché la recherche fondamentale de se développer.

Nous aurions pu prévoir d’instituer à nouveau un système temporaire d’une durée de cinq ans : c’était notamment la proposition de la ministre de la santé. Mais rien n’empêche le Parlement, s’il le souhaite, de se saisir à tout moment de la question. En outre, si demain les recherches sur l’embryon humain conçu in vitro perdaient tout intérêt, les conditions posées par la loi ne seraient plus réunies et aucune autorisation ne pourrait donc plus être donnée ; dès lors, le régime juridique propre à ces recherches tomberait en désuétude. Il nous a donc paru inutile de demander au Parlement de revenir tous les cinq ans sur le sujet.

Une autre grande série de questions à laquelle nous avons été confrontés avait trait à l’assistance médicale à la procréation et à la gestation pour autrui. Dans ce domaine, les interrogations ne relèvent plus de la science, mais des convictions. En effet, aucun argument scientifique ne conduit à aller dans un sens ou dans un autre. Les réponses dépendent de notre conception de la famille et de ce que nous pensons être l’intérêt des personnes en présence – en particulier celui de l’enfant. Nous n’avons pas voulu proposer d’ouvrir aux femmes célibataires ou aux femmes vivant en couple homosexuel l’accès à l’assistance médicale à la procréation, ni permettre le transfert d’embryon post mortem. De même, nous ne suggérons pas d’autoriser la gestation pour autrui. Une telle position peut apparaître restrictive, mais nous la défendons au nom d’intérêts fondamentaux. Une première raison est de ne pas mobiliser le concours de la médecine et de la sécurité sociale pour concevoir des enfants sans père. Quant à la gestation pour autrui, tant la dignité de la femme porteuse que l’intérêt de l’enfant à naître doivent nous conduire à ne pas l’autoriser, car les procédures les plus rigoureuses ne permettront jamais d’évacuer toute dimension financière des relations entre les parents d’intention et la mère porteuse.

En matière d’assistance médicale à la procréation, une comparaison est souvent faite avec l’adoption qui, elle, est ouverte aux personnes seules. Mais n’oublions pas que l’adoption consiste à donner un père, une mère ou des parents à un enfant déjà né. La situation n’est donc pas la même. Par ailleurs, il nous semble nécessaire d’ouvrir une réflexion sur l’homoparentalité, afin d’améliorer la situation juridique des enfants élevés par deux adultes de même sexe formant avec eux une famille – notamment en s’inspirant des principes posés par la Cour de cassation en matière de délégation d’autorité parentale. Mais si nous insistons sur l’intérêt d’examiner cette question, il n’en demeure pas moins qu’elle dépasse le champ de la bioéthique.

D’autres thèmes sont abordés par notre rapport, tels le diagnostic prénatal, les tests génétiques, les banques de sang de cordon, les recherches et essais thérapeutiques menés dans les pays en développement, la fin de vie.

Bien que n’étant pas explicitement saisis de cette dernière question, nous n’avons en effet pas jugé possible, en 2009, d’aborder les questions d’éthique biomédicale sans ouvrir à nouveau le débat sur la fin de vie. En ce domaine, on a tendance à sous-estimer les avancées apportées par la loi Leonetti. Développement des soins palliatifs, opposition à une obstination déraisonnable en matière de traitement, prise en compte, dans ces traitements, de suppléances vitales tels que l’hydratation ou l’alimentation par sonde : quand les praticiens et la population se seront appropriés toutes ces nouvelles dispositions, la situation, en France, devrait rejoindre celle de la Grande-Bretagne, où la question de l’euthanasie active n’est plus posée. En effet, dès lors que souffrance est systématiquement évitée, les cas dans lesquels on pourrait envisager d’y avoir recours resteraient exceptionnels, à tel point qu’une autorisation apparaîtrait plus porteuse de risques que de solutions. Certes, nous savons bien que quand un patient connaît des douleurs réfractaires aux soins palliatifs, il peut arriver qu’un médecin fasse le choix de transgresser l’interdit et d’abréger sa vie. Mais même si nous avons examiné de telles situations avec respect, nous avons estimé qu’elles ne devaient pas conduire à une modification de la loi.

Ce court résumé peut donner à nos conclusions un caractère plus tranché qu’elles n’en ont en réalité ; de fait, chacun des points abordés mériterait un long examen.

M. Jean Leonetti, rapporteur. En matière de recherches sur l’embryon humain, vous avez fait le choix de renoncer au moratoire au profit d’un régime encadré d’autorisation. Qu’est-ce qui vous a fait choisir cette voie ? Cette option est-elle compatible avec les dispositions de la convention d’Oviedo ? N’aurait-il pas mieux valu, au vu de l’état du droit international, conserver un régime d’interdiction assorti d’autorisations dérogatoires, même si, en pratique, les deux solutions reviennent à peu près au même ?

En ce qui concerne l’assistance médicale à la procréation et la gestation pour autrui, vous avez dit qu’il s’agissait de problèmes d’ordre sociétal, relevant plus des convictions que de la science. C’est en grande partie vrai, mais cela laisse de côté le problème de savoir quel objectif une société évoluée comme la nôtre doit assigner à la médecine. La médecine doit-elle soigner des maladies et pallier des handicaps et des déficiences, ou doit-elle élargir son champ d’action à ce que l’on pourrait appeler le bien-être, ce qui pourrait impliquer de répondre aux insatisfactions et aux désirs d’une société ? Ainsi, on compare souvent la situation de l’avortement avec celle de la procréation médicalement assistée ou de la gestation pour autrui. Mais si l’on se souvient qu’avant la loi de 1975, de nombreuses femmes mouraient ou mettaient leur vie en danger en subissant un avortement, on se rend compte que son autorisation est bien fondée sur des raisons médicales. Cette question n’a donc pas d’équivalent avec celle du désir d’enfant – aussi puissant soit-il.

Si la médecine ne vise qu’à répondre à des problèmes strictement médicaux, la stérilité est un exemple de handicap qu’elle se doit de traiter. C’est la raison pour laquelle la loi autorise aujourd’hui l’assistance médicale à la procréation pour les couples stériles, mais pas pour une femme célibataire non stérile, car dans ce cas, le recours à la médecine ne viserait pas à suppléer à un déficit, mais simplement à permettre de procréer sans recourir à un partenaire masculin. Une telle grille de lecture – qui, dans le cas d’affections utérines, n’exclut pas la gestation pour autrui – vous paraît-elle recevable et compatible avec d’autres principes éthiques comme l’indisponibilité du corps humain, l’anonymat ou la gratuité du don ? Pensez-vous qu’il existe des domaines dans lesquels le critère scientifique l’emporte sur la conviction, et inversement ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. Cela fait déjà plusieurs mois que la révision des lois bioéthiques fait l’objet d’une réflexion : au sein de l’Office parlementaire des choix technologiques et scientifiques, d’abord, puis dans le cadre de cette mission, ainsi qu’au Conseil d’État. Or le débat me paraît très concentré sur les sujets éminemment médiatiques de l’assistance médicale à la procréation et de la recherche sur les cellules souches, occultant d’autres questions sur lesquelles je souhaite revenir.

En ce qui concerne les tests génétiques, la publication d’un décret sur l’information de la parentèle s’est heurtée à certaines difficultés. Quelle est la position du Conseil d’État sur ce sujet ?

En matière de greffes d’organes, alors que notre pays connaît actuellement un manque de greffons, des problèmes se posent pour les prélèvements sur patients décédés à la suite d’un arrêt cardiaque réfractaire. Bien que la loi les autorise et qu’ils soient pratiqués dans d’autres pays, l’Agence de biomédecine exclut tout prélèvement sur les patients classés dans la catégorie III de Maastricht. Or de nombreux médecins nous ont indiqué que les familles ne comprenaient pas cette restriction. Qu’en pense le Conseil d’État ?

Mme Martine Aurillac. Nos débats nous ont souvent donné l’occasion d’évoquer l’Agence de la biomédecine. Tout en saluant la qualité de son action, les intervenants que nous avons interrogés à son sujet ont jugé énormes les responsabilités qui lui sont confiées. Le Parlement n’a-t-il pas tendance à se décharger sur elle du poids des décisions les plus difficiles ?

En ce qui concerne la gestation pour autrui, je rejoins l’avis du Conseil d’État. Mais il existe des cas – par exemple quand une femme a subi une ablation de l’utérus à la suite d’un cancer – où cette pratique est – hormis l’adoption, bien sûr – le seul recours possible pour avoir un enfant. Quid de ce problème particulier ?

M. Olivier Jardé. Dans le cas des enfants nés à la suite d’une gestation pour autrui effectuée hors de France, vous proposez une filiation paternelle assortie d’une délégation d’autorité parentale au bénéfice de la mère d’intention. Pourquoi cette proposition, sachant que dans le cas d’un transfert d’embryon, celle-ci est également la mère génétique ?

M. Noël Mamère. À l’heure où les parlementaires poursuivent leurs auditions, et alors que l’on envisage la réunion d’états généraux sur cette question, je suis gêné de voir le Conseil d’État proposer un certain nombre d’orientations en matière d’éthique biomédicale. Quand on connaît le poids que peuvent avoir les avis de cette institution, la chronologie adoptée ne paraît pas favoriser le débat au sein de la société. Dans d’autres pays, de tels sujets ne sont pas accaparés par les experts, juristes ou sociologues, mais sont appropriés par la société tout entière. C’est à elle qu’il revient de décider, de manière démocratique, des risques qu’elle est prête à prendre.

Je note par ailleurs que le rapport n’aborde pas certains sujets importants, comme celui des neurosciences.

Comme notre collègue Leonetti, je suis surpris par votre proposition d’autoriser la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Les scientifiques que nous avons reçus ont indiqué que des progrès importants avaient été réalisés dans la recherche sur les cellules souches adultes – ce que vous avez d’ailleurs vous-même rappelé. Vous dites par ailleurs qu’il sera toujours possible, après quelques années, de revenir sur cette autorisation. Mais je pense que le principe aurait dû être celui de l’interdiction plutôt que de l’autorisation encadrée. C’est bien la réification du corps humain qui est en cause, et nous savons à quel point ce type de recherches pourrait aboutir à des dérives. Bien que la position du Conseil d’État soit présentée comme équilibrée et destinée à éviter tout risque, elle m’apparaît très dangereuse en ce qui concerne les embryons – alors qu’elle est très conservatrice sur la gestation pour autrui.

En outre, je suis dubitatif devant l’affirmation selon laquelle ces problèmes sont avant tout affaire de conviction. De quelles convictions s’agit-il ? Des vôtres, de celles du Conseil d’État ? De convictions civilisées par la société, de convictions religieuses, républicaines ? Il me paraît difficile, sur des questions aussi importantes, d’invoquer la conviction pour fixer des enjeux au législateur.

Ainsi, en ce qui concerne la fin de vie, la loi Leonetti a été un progrès ; mais au nom de quoi le Conseil d’État se donne-t-il pour modèle la Grande-Bretagne, où la question de l’euthanasie active, dites-vous, ne se pose plus ? D’autres pays ont choisi d’autres voies, sans pour autant que la société y soit bousculée ni que l’euthanasie active y soit pratiquée de façon massive.

Comme Mme Aurillac, je pense que l’on ne peut pas balayer d’un revers de main la question de la gestation pour autrui. Pour un certain nombre de familles – notamment lorsque la femme a été victime d’une affection de l’utérus –, cette pratique constitue véritablement un recours d’ordre médical. Elles doivent donc avoir le droit d’en bénéficier.

Enfin, en ce qui concerne l’homoparentalité – un problème auquel la Cour européenne des droits de l’homme a déjà eu l’occasion de s’intéresser –, on aurait pu espérer un peu plus de courage de la part du Conseil d’État.

M. Jean-Louis Touraine. Pour ma part, je me félicite de la position adoptée par le Conseil d’État sur les cellules souches, car elle a le mérite de nous faire sortir de l’hypocrisie. Contrairement à une opinion répandue, les cellules souches ne sont pas interchangeables : les progrès de la recherche sur les cellules adultes n’enlèvent pas son intérêt au travail effectué sur les cellules embryonnaires. Nous ne devons donc pas nous priver d’une voie possible de progrès thérapeutique.

En revanche, le Conseil me paraît faire preuve d’une certaine frilosité s’agissant des transplantations d’organes. Chaque année, en France, plusieurs centaines de patients décèdent faute d’avoir pu obtenir un greffon. Dans le cas des transplantations rénales, l’attente d’une greffe se traduit par un placement sous dialyse, ce qui est pénible pour la personne concernée et représente un coût financier important.

Dans une telle situation de pénurie, pouvons-nous nous permettre de rester en retrait par rapport à nos voisins ? Ainsi, toujours en matière de transplantation rénale, la plupart des pays connaissent un taux situé entre 10 et 40 %, tandis qu’en France, il reste largement inférieur à 10 %.

Une telle situation s’explique par un certain nombre de craintes liées aux transplantations. Celles-ci peuvent entraîner des accidents – même si on s’est aperçu que les donneurs, sélectionnés sur leur bonne santé, avaient en moyenne une meilleure espérance de vie. On peut craindre également que des pressions soient exercées. Mais j’observe que quand un proche est atteint d’une maladie très grave et a besoin de notre aide, cela constitue toujours une pression à laquelle il faut être capable de répondre – que cette aide se manifeste par un don d’organes, par une certaine disponibilité ou par une aide matérielle. Enfin, s’agissant du trafic d’organes, notre pays a pris de nombreuses précautions pour dissuader quiconque d’y recourir.

Toutes ces peurs empêchent notre pays d’avancer dans ce domaine. Un desserrement des contraintes apparaît nécessaire pour rejoindre la situation que connaissent la plupart des pays développés, d’autant que la durée de vie d’un organe greffé est deux fois plus longue avec un donneur vivant qu’avec un donneur cadavérique et que les risques d’échec et de complications sont bien moins élevés dans le premier cas.

S’agissant des prélèvements sur donneurs cadavériques, je note d’ailleurs que la règle du consentement présumé n’est pas réellement respectée. Alors qu’en vertu de la loi, toute personne n’ayant pas manifesté son désaccord est présumée donneuse, on consulte encore très souvent les familles. Or, lorsque l’on demande à celles-ci quelle était la position de la personne concernée, chacun a tendance à donner sa propre opinion. Et il suffit qu’un membre de la famille exprime un refus pour que l’on renonce au prélèvement. C’est pourquoi, dans environ la moitié des cas, celui-ci n’est pas effectué, soit après un refus explicite, soit parce que l’équipe médicale, anticipant une réponse négative, n’a même pas posé la question. Dans ces conditions, la seule application de la loi pourrait à elle seule constituer une réponse à la pénurie.

Enfin, les prélèvements à cœur arrêté ne méritent pas non plus tant de frilosité, même si un encadrement est nécessaire, ne serait-ce que parce que la moindre dérive, dans ce domaine, pourrait être exploitée dans les médias et nuire à toute l’activité de transplantation.

M. Philippe Bas. Je laisserai à Luc Derepas, rapporteur général du groupe de travail du Conseil d’État sur la révision des lois de bioéthique, le soin de répondre à une partie des questions que vous avez posées.

Quelles sont les limites de l’intervention de la médecine ? Elle peut avoir pour ambition de soigner et de guérir, ou bien jouer un rôle palliatif pour compenser un déficit organique ou corriger un handicap – et la lutte contre la stérilité entre bien dans ce cadre. Mais – et cela constitue un cas de figure bien différent – elle peut aussi être sollicitée pour des « prestations de service médical » relevant de convenances personnelles. Les questions éthiques que vous avez à résoudre sont liées à la classification entre ces différents objectifs. S’agissant de la gestation pour autrui, il va sans dire que le critère médical est déterminant : il ne peut s’agir de faire de cette pratique un moyen parmi d’autres de procréer.

Pour répondre à M. Mamère, lorsque nous disons que dans certains cas la loi ne peut résulter que de convictions démocratiquement partagées, il s’agit de convictions exprimées au nom de la nation par le Parlement. Quand vous faites la loi, en effet, il y a bien un moment où vous tranchez entre des convictions qui s’opposent. Ce que j’ai voulu dire, c’est que sur certaines questions, les références ne peuvent être d’ordre scientifique : ce qui est en jeu, c’est la vision que l’on se fait des intérêts en présence, des intérêts qui peuvent faire l’objet d’une différence d’appréciation. De tels débats ne seront jamais définitivement clos, car la société exprime des attentes, des demandes et des convictions multiples. Face à de telles questions, le rôle du Conseil d’État est de fournir au législateur des éléments qui l’aideront à décider. C’est là sa principale ambition.

Vous vous demandez si le moment était bien choisi pour publier le rapport du Conseil d’État, mais cette décision n’est pas de notre fait. C’est le calendrier qui nous a été imparti en vue de fournir un matériau pour le débat, sans trancher définitivement entre les différentes options. Toutefois, cela ne signifie pas que dans l’esprit du Conseil, toutes les solutions se valent. Ce sont les critères de choix, les arguments que nous avons cherché à mettre en avant, y compris lorsque nous ne les retenions pas. En cela, le rapport représente une contribution parmi toutes celles qui seront proposées dans le cadre des états généraux de la bioéthique.

Alain Claeys a évoqué la question très délicate du double diagnostic préimplantatoire – ce que l’on appelle le « bébé médicament ». Il existe très peu de demandes de transferts d’embryon effectuées dans ce cadre, si bien que nous manquons de recul dans ce domaine. Compte tenu des auditions auxquelles nous avons procédé, nous ne sommes pas sûrs que cette pratique puisse réellement tenir ses promesses. Or son développement implique de déroger à un principe fondamental, selon lequel un enfant doit être conçu pour lui-même, et non dans une perspective utilitariste. C’est pourquoi nous vous recommandons de reprendre sur ce point la démarche qui était celle de la loi de 2004 quant à la recherche sur l’embryon : prenons le temps d’évaluer le dispositif avant de le pérenniser. La loi l’avait d’ailleurs autorisé à titre expérimental, mais sans définir les modalités de cette expérimentation ni de son évaluation. Nous ne proposons pas sa suppression (même si nous nous sommes posé la question), mais appelons à définir ces modalités.

J’en viens à la question de l’information de la parentèle lors de la détection d’un cas de maladie génétique. Lorsqu’une personne est atteinte d’une grave maladie dont l’origine génétique est prédominante, d’autres membres de sa famille peuvent être exposés au même danger. Il peut donc être utile de les prévenir, soit à titre préventif, pour anticiper les premiers soins, soit pour qu’elles aient la possibilité de recourir au diagnostic préimplantatoire, afin d’éviter la transmission des gènes en cause à leur descendance. Cependant une telle information pose de nombreux problèmes : elle peut conduire les apparentés, qui ont aussi le droit de ne pas savoir, à s’inquiéter inutilement, et doit tenir compte du secret médical, dont le patient doit bénéficier.

La loi de 2004 a donc prévu une procédure particulière : l’obligation d’information pèse sur la personne malade, et si elle ne peut s’en charger, l’Agence de la biomédecine doit le faire à sa place. Toutefois, ces dispositions sont restées lettre morte, en raison des difficultés liées au secret médical. Nous proposons donc d’organiser un accompagnement de la personne malade, afin qu’elle-même, ou le médecin généticien, indique à la parentèle qu’elle peut accéder à une information médicale la concernant. L’objectif est de concilier deux exigences contradictoires : d’un côté, sauver la vie de personnes menacées par la maladie ; de l’autre, préserver le secret médical, dont les médecins nous disent qu’il est au cœur de leur relation avec le malade et qu’il contribue à faciliter le soin.

Laissant à Luc Derepas le soin de vous répondre sur l’Agence française de la biomédecine et sur les greffes, j’en viens à la question des mères porteuses, un sujet que j’ai mentionné brièvement tout à l’heure, mais qui a suscité de longs débats.

Où se trouve l’humanité ? Dans la réponse apportée à tout prix à la détresse d’un couple stérile qui revendique une sorte de « droit à l’enfant » ? En partie oui, tant cette détresse est poignante. Mais cette réponse ne peut être apportée au détriment d’une femme et de sa famille. La libre disposition de son corps par la femme va-t-elle jusqu’à permettre qu’elle se prête à une grossesse pour autrui ? En outre, dans la mesure où l’enfant conçu dans ce cadre sera, de fait, abandonné par la femme qui l’a mis au monde – même s’il sera aimé et élevé par les parents d’intention –, nous devons nous poser la question de ce qu’est son intérêt.

De notre point de vue, il n’existe pas de procédure qui permette d’évacuer le risque de marchandisation du corps de la femme. Le fait que la gestation pour autrui soit autorisée dans plusieurs États des États-Unis n’empêche pas certains couples américains de partir en Inde parce cela coûte moins cher : cela montre que l’altruisme, qui devrait être la motivation de la grossesse pour autrui, est en réalité rarement au rendez-vous. La preuve qu’un lien d’argent s’établit lors de cette pratique, c’est que certains vont préférer exploiter les femmes des pays en voie de développement pour pouvoir payer moins cher. Voilà pourquoi nous avons souhaité mettre en garde le législateur sur ce sujet.

Cependant notre position, si ferme soit-elle, ne va pas jusqu’à vouloir punir les enfants élevés en France à la suite d’une gestation pour autrui, légale ou illégale, effectuée à l’étranger. Une chose est de ne pas recommander de créer certaines situations, une autre serait, lorsque la réalité les a fait apparaître, de ne pas en tirer les conséquences. C’est pourquoi il convient – tout en refusant clairement d’aller jusqu’à vider de sa substance l’interdiction de la gestation pour autrui en effaçant les effets de cette interdiction sur les liens de filiation entre les parents d’intention et l’enfant – de mettre en œuvre les moyens de droit susceptibles de stabiliser la situation juridique des enfants déjà nés, car ils n’ont pas à faire les frais de l’éventuel délit commis par leurs parents. Aujourd’hui, quand un père a fait reconnaître sa paternité, le tribunal peut dire qu’elle a été obtenue frauduleusement ou, au contraire, considérer qu’il n’a pas à se poser la question de la manière dont elle a été reconnue. Nous considérons qu’elle doit être validée dans tous les cas, quel que soit le tribunal saisi. En revanche, dès lors que le lien de filiation ne pourra être établi avec la mère d’intention – car la mère, selon la loi française, est celle qui met l’enfant au monde –, la compagne ou l’épouse du père doit pouvoir bénéficier par un jugement d’une délégation partage de l’autorité parentale. Une telle solution permettra de régler la plupart des difficultés.

L’objectif est de rester, dans la mesure du possible, dans le cadre du droit de la famille existant. Celui-ci consacre une dissymétrie qui, habituellement, est à l’avantage de la filiation maternelle, car si on sait qui est la mère d’un enfant, il est plus difficile de déterminer qui est le père. Mais dans le cas de la gestation pour autrui, c’est l’inverse : la filiation paternelle est favorisée.

En ce qui concerne la recherche sur les cellules embryonnaires, j’ai déjà rappelé notre proposition de maintenir la condition selon laquelle la recherche doit être susceptible de permettre des progrès thérapeutiques majeurs. Certes, ce critère fait l’objet de discussions, car on ne peut jamais dire à l’avance qu’une recherche va permettre de tels résultats. Mais si un projet respecte les autres conditions requises, il faut et il suffit qu’il puisse déboucher sur ces progrès pour pouvoir être autorisé. En cinq ans, cela a été le cas de près de 90 % des projets de recherche, ce qui montre – et les scientifiques que nous avons interrogés l’ont d’ailleurs confirmé – que cette règle n’entrave pas le développement des recherches françaises. En outre, nos concitoyens comprendraient mal que cette condition soit levée. En résumé, il faut que les résultats espérés en vaillent la peine.

M. le président Alain Claeys. En revanche, il ne faudrait pas laisser croire qu’ils sont à portée de main.

M. Philippe Bas. En effet : il convient, sur ce point, de faire preuve de transparence.

Je comprends les arguments invoqués par Jean Leonetti et Noël Mamère en faveur du maintien d’un régime d’interdiction ; c’est également la position défendue par la ministre de la santé, et elle est légitime. Bien sûr, quelle que soit la manière dont on définit l’embryon – personne humaine, personne humaine potentielle… –, il est important de rappeler qu’il ne s’agit pas d’une chose. Mais dès lors que 90 % des recherches sont autorisées, il paraît difficile d’affirmer qu’elles sont interdites. En outre, le système proposé par le Conseil d’État viendrait à s’éteindre de lui-même le jour où les voies alternatives de recherche – c’est-à-dire la recherche sur les cellules souches adultes – enlèveraient toute justification à la recherche sur les cellules embryonnaires. Enfin, la rédaction proposée indique clairement qu’en ce domaine, tout ce qui n’est pas explicitement autorisé est interdit. En définitive, nous ne proposons pas de modification substantielle du régime adopté en 2004, d’autant qu’il n’est pas établi que l’intérêt scientifique de ces recherches dure au-delà de quelques années.

Je rappelle qu’aucun embryon ne peut être conçu pour la recherche ; celle-ci ne peut porter que sur des embryons surnuméraires. En l’absence de projet parental, ces embryons ont vocation à être détruits par arrêt de la conservation ou, dans certains cas exceptionnels, à faire l’objet d’un accueil d’embryon. La recherche porte donc sur des embryons qui, de toute façon, n’auraient pas été conservés. J’ajoute que l’autorisation est une simple faculté ; elle peut être refusée même si le projet remplit les conditions requises.

M. Luc Derepas, conseiller d’État, rapporteur public du groupe de travail du Conseil d’État sur la révision des lois de bioéthique. Des questions ont été posées au sujet de la convention d’Oviedo, que le Conseil d’État, en 1997, avait recommandé au Gouvernement de ne pas ratifier, alors qu’il indique une position contraire dans son dernier rapport. Cette différence s’explique par le changement de situation juridique. En 1997, l’objectif était la stabilisation du droit. Les lois de 1994 avaient été adoptées après une longue discussion, menée sur deux législatures. Or la ratification de la Convention d’Oviedo aurait conduit à rouvrir le débat sur les questions de bioéthique. Le Conseil d’État avait donc estimé qu’il fallait laisser un peu de temps et s’assurer de l’application des lois françaises avant d’envisager cette ratification.

Aujourd’hui, le sujet a mûri. Les dispositions figurant dans la loi française étant, pour l’essentiel, tout à fait conformes à la convention d’Oviedo, il n’existe plus d’obstacle juridique à sa ratification. En outre, ce texte a été ratifié par nombre de pays européens et constitue désormais un standard international, un instrument permettant de lutter contre le moins-disant éthique à l’échelle mondiale. Il paraît donc plus opportun de le ratifier que d’en rester éloigné.

J’en viens au problème, soulevé par M. Leonetti, de la compatibilité du dispositif que nous proposons en matière de recherche sur l’embryon avec les termes de la convention d’Oviedo. Sur ce point, il faut distinguer le fond du droit et la manière dont on l’écrit. Sur le fond, la convention n’interdit pas la recherche sur les embryons ; elle oblige seulement les États parties à organiser cette recherche de façon que la protection que la loi confère à l’embryon ne soit pas méconnue. D’ailleurs, la plupart des pays européens qui autorisent la recherche sur l’embryon ont ratifié la convention d’Oviedo, et des représentants du Conseil de l’Europe nous ont confirmé l’absence d’incompatibilité entre ces recherches et le texte de la convention.

Ensuite, tout dépend de la manière dont on veut écrire la loi : soit on autorise la recherche sous un certain nombre de conditions ; soit on crée un régime d’interdiction assorti d’autorisations dérogatoires. Juridiquement, les deux dispositifs ont des conséquences identiques : toute recherche qui ne répond pas aux conditions requises est interdite. De même, du point de vue de la convention, le choix entre l’une ou l’autre de ces formules est indifférent.

J’en viens à deux thèmes évoqués par les orateurs et qui n’ont pas été abordés par l’étude du Conseil d’État : la brevetabilité du vivant et les neurosciences. Ces thèmes ne figuraient pas dans la lettre de mission du Premier ministre, qui fixait le cadre de notre travail, et il ne nous a pas semblé que nous devions nous en saisir. En ce qui concerne la brevetabilité du vivant, nous avons constaté que la situation juridique était stable : la directive européenne a été transposée, et son application n’a pas soulevé de difficultés importantes depuis 1998, ni du point de vue scientifique, ni du point de vue éthique ou sociétal – même si elle peut en soulever sur des questions de principe. Le groupe de travail a donc estimé qu’il n’y avait pas lieu de rouvrir le débat. La seule fois où le sujet a été abordé, c’est lorsqu’une personne auditionnée, Pierre Tambourin, qui dirige le pôle de recherches génétiques au sud de Paris, a reproché aux lois sur la brevetabilité du vivant de ne pas permettre aux chercheurs français de protéger suffisamment leurs propres découvertes… Son point de vue allait donc à l’encontre de la façon dont on a l’habitude d’aborder le sujet en France.

La situation est différente en ce qui concerne les neurosciences. Il est apparu, lors de nos débats préliminaires, que le sujet n’était manifestement pas mûr. Certes, il existe des orientations de recherche en ce domaine, et certaines applications sont déjà envisagées, mais on n’a pas encore constaté de véritable mise en œuvre, au plan médical, susceptible de poser des problèmes éthiques. Si on peut anticiper des difficultés, celles-ci concernent plutôt les champs industriel et militaire que la médecine. Pour ces raisons, il ne nous a pas paru opportun de traiter le sujet dans le cadre d’un rapport sur l’éthique biomédicale.

En revanche, nous avons traité de façon précise la question des prélèvements à cœur arrêté, et proposé plusieurs modifications de la législation. Ainsi, il conviendrait de définir précisément les conditions de l’arrêt de la réanimation sur les personnes ayant subi un arrêt cardiaque, afin d’éviter que l’éventuel projet de prélèvement n’interfère sur cette décision médicale. On voit bien, en effet, à quelles dérives une confusion pourrait mener. Nous proposons également que la catégorie de patients dits de « Maastricht III », c’est-à-dire ceux qui ont connu un arrêt de traitement ayant conduit à la fin de leur vie, soit exclue du système de prélèvement – là encore, il s’agit d’éviter que la décision d’arrêter le traitement ne soit liée à la perspective d’un prélèvement. Enfin, nous proposons de définir par voie réglementaire les modalités de recours à l’assistance circulatoire thérapeutique, qui est une technique particulière de soin destinée aux patients victimes d’un arrêt cardiaque réfractaire.

S’agissant des banques de sang de cordon, des problèmes pourraient provenir de l’échelon communautaire. Actuellement, ces banques ne sont autorisées en France qu’à des fins allogéniques : on demande aux femmes enceintes la permission de stocker le sang issu du cordon ombilical et du placenta, afin de permettre l’usage des cellules souches hématopoïétiques au bénéfice d’autres personnes. À l’heure actuelle, en effet, seul le prélèvement à des fins allogéniques a un intérêt thérapeutique. Le prélèvement à des fins autologues – c’est-à-dire pour la personne elle-même – n’a pas encore révélé d’intérêt thérapeutique réel ou certain.

Cela étant, dans d’autres pays, des sociétés privées développent des banques de sang de cordon à des fins autologues, en faisant miroiter la perspective qu’à l’avenir, on puisse, grâce à son propre sang de cordon, se régénérer ou soigner certaines pathologies. Il s’agit, en quelque sorte, d’un placement effectué sur sa santé, dans l’espoir que certains progrès scientifiques soient obtenus. Nous n’avons pas proposé d’ouvrir cette possibilité en France, où la loi pose comme critère l’intérêt thérapeutique – lequel, je le répète, n’est pas avéré s’agissant du stockage à des fins autologues. Cependant, la Commission européenne pourrait, un jour, nous interdire d’empêcher de telles activités. Nous proposons donc, dans l’hypothèse où elles seraient autorisées, de prévoir une forme de servitude de service public : en cas de nécessité, l’usage allogénique des greffons primerait sur l’utilisation à des fins autologues. Un tel système permettrait de prévenir tout conflit avec le droit communautaire tout en préparant l’avenir, pour le cas où l’usage de sang de cordon à des fins autologues révélerait finalement un intérêt thérapeutique incontestable.

Je terminerai par le rôle joué par l’Agence de la biomédecine. Il est vrai que celle-ci s’est vu attribuer un grand nombre de missions. Il faudra peut-être y remédier s’il apparaît qu’elle ne peut pas y faire face. Mais, à l’heure actuelle, elle fonctionne bien, et l’étendue de ses missions nous semble moins poser problème que le risque de conflit d’intérêt auquel elle est confrontée. Nous devons veiller, en effet, à ce que l’Agence ne soit pas en même temps le promoteur de certaines activités et l’autorité qui les réglemente. Ainsi, dans la mesure où l’Agence est chargée de promouvoir l’activité de greffe en France, il convient de veiller à ce que les modalités de cette activité restent du ressort du ministère, garant de l’intérêt général en la matière.

(M. Jean-Sébastien Vialatte, vice-président de la Mission d’information, remplace M. Alain Claeys à la présidence).

M. Jean-Marc Nesme. Vous proposez de ne pas réexaminer les lois de bioéthique au bout de cinq ans. Pourquoi ?

M. Philippe Bas. Les lois de bioéthiques sont-elles provisoires ou permanentes ? Les principes que vous avez posés – dignité humaine, gratuité du don, consentement libre et éclairé, indisponibilité et non-patrimonialité du corps humain – sont-ils contingents et subalternes, ou s’agit-il de principes fondamentaux ? Le corps de règles déjà posé permet-il ou non d’incorporer les nouvelles pratiques médicales et de répondre aux questions qu’elles soulèvent ? Nous pensons que les lois en vigueur posent des principes fondamentaux, applicables à des situations nouvelles, non prévues au moment du vote. Si dans un premier temps, le Parlement a souhaité prévoir le réexamen de son propre travail, c’est parce que celui-ci était nouveau et unique – les autres pays ne mettent pas en place de telles architectures législatives. Aujourd’hui, les questions d’éthique biomédicale doivent entrer dans une ère de « normalité », et être traitées comme les autres. La loi est faite pour durer ; elle n’est pas provisoire. Et parce qu’elle a fait ses preuves dans ce domaine, il ne me paraît plus nécessaire de remettre votre propre travail en cause tous les cinq ans. Si un jour survient un problème scientifique nouveau, ou une nouvelle demande, ou une évolution des mœurs justifiant une telle remise en cause, rien n’empêche le Parlement de se saisir de la question. En attendant, il peut se tenir informé grâce à l’Agence de la biomédecine.

M. Noël Mamère. Il me semble que le Parlement comme le Conseil d’État devraient réfléchir à la définition de la découverte et à celle de l’invention. Si nous faisions la différence entre ces deux notions, nous devrions être plus critiques sur la question de la brevetabilité du vivant.

Quant aux neurosciences, elles me semblent faire partie intégrante du champ de la réflexion éthique. Il suffit de songer à des utopies comme celles du transhumanisme ou de la convergence des NBIC – nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives – : dans certains pays comme les États-Unis, des moyens importants y sont consacrés. Les progrès ne concernent pas que le domaine militaire – même s’il est vrai qu’il existe des nanosoldats. Nous pourrions, demain, nous retrouver confrontés à des projets scientifiques, philosophiques, voire religieux touchant aux questions de la naissance, de la souffrance et de la mort. Faut-il suivre cette voie ou refuser l’idée de l’homme augmenté ? Cette question devrait aussi faire l’objet de nos réflexions.

M. Michel Vaxès. Un passage de l’étude du Conseil d’État est consacré à la sédation profonde. Il est possible d’y recourir lorsque le patient connaît des douleurs réfractaires aux soins palliatifs, ou bien une très grande souffrance psychique et morale. En revanche, elle n’est pas autorisée, dites-vous, dans le cas où, le patient n’étant pas en fin de vie ou la souffrance pouvant être traitée par d’autres moyens, la mise sous sédation a pour seule visée de placer le patient sous suppléances vitales, dans l’objectif d’interrompre ensuite celles-ci pour mettre fin à sa vie. Or lorsqu’un patient placé sous suppléances vitales ne supporte plus d’être maintenu en vie de façon artificielle, il a le droit de demander l’arrêt de ces traitements, précédé d’une mise sous sédation profonde. N’y a-t-il pas une ambiguïté ?

M. Philippe Bas. Je répondrai avec prudence, et en demandant à Luc Derepas de compléter ma réponse. Nous atteignons en effet ici les limites les plus extrêmes de ce que permet la loi du 22 avril 2005, qui porte le nom du rapporteur de cette mission.

À nos yeux, la loi Leonetti ne permet pas l’euthanasie active. En particulier, elle n’a pas pour effet de la rendre possible en combinant sédation profonde et arrêt de traitement. Notre interprétation juridique de cette situation particulière, c’est que cette combinaison ne peut s’enchaîner de telle manière qu’elle reviendrait à une euthanasie active.

M. Luc Derepas. Le cas évoqué par M. Vaxès répond tout à fait à l’un des schémas prévus par la loi. Si un patient demande l’arrêt des suppléances vitales, il est possible, au moment de cet arrêt, ou un peu avant pour éviter les souffrances, de le placer sous sédation profonde. Cet enchaînement – sédation profonde précédant l’arrêt de traitement, ou simultanément à cet arrêt – est conforme à la loi. Ce que nous avons voulu écrire, c’est que le schéma inverse, lui, ne l’est pas, c’est-à-dire le cas dans lequel le patient n’est pas sous suppléances vitales, mais demande à être placé simultanément sous sédation profonde et sous suppléances vitales, dans la perspective d’un arrêt de ces suppléances qui entraînerait la fin de vie. La causalité n’est pas la même, et ce cas se rapproche, de notre point de vue, de l’euthanasie active.

M. Jean-Marc Nesme. Ma question n’a pas de relation directe avec le sujet abordé ce matin : avez-vous été sollicités pour avis à propos de l’avant-projet de texte de la ministre de la famille sur le droit des beaux-parents et des tiers, et si oui, quel est l’avis du Conseil d’État ?

M. Philippe Bas. Je ne crois pas que le Conseil d’État ait déjà été saisi de ce texte. Lorsqu’il le sera, nous pourrons en reparler.

En ce qui concerne l’homoparentalité, le Conseil d’État n’était pas saisi de cette question. Mais contrairement à ce qu’a dit M. Mamère, nous avons été courageux, car nous n’avons pas voulu l’éluder. Cependant, de notre point de vue, elle ne pouvait être abordée que dans le seul cas de l’assistance médicale à la procréation. Nous avons considéré que l’intérêt supérieur de l’enfant devait être mieux pris en compte, et que les règles applicables ne devaient pas dépendre des fluctuations de la jurisprudence. C’est pourquoi il est important de fixer une ligne dans ce domaine. Des enfants, en France, sont élevés par des couples homosexuels, et forment avec ces couples ce que l’on doit qualifier de famille. Il est donc indispensable que les actes de la vie courante puissent être réglés pour eux comme pour les autres enfants. Des solutions existent déjà, élaborées par les juges et confirmées par la Cour de cassation. Elles recherchent toujours l’intérêt supérieur de l’enfant, tout en prenant en compte les circonstances particulières. L’arrêt le plus important concerne la délégation de l’autorité parentale en faveur d’une femme qui n’est pas la mère des enfants mais vit avec celle-ci et élève ces derniers, la mère étant pour sa part accaparée par son activité professionnelle. Après avoir examiné la situation de cette famille, le juge a admis la légalité de la délégation partage. De telles solutions méritent d’être mieux connues et peut-être systématisées. Quoi qu’il en soit, ce que suggère le Conseil d’État, c’est que la question soit traitée. Je le répète, une chose est de ne pas vouloir que la médecine et la sécurité sociale contribuent à créer certaines situations, et une autre de dénier tout droit aux personnes – et d’abord aux enfants – qui se trouvent dans ces situations.

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Dans la mesure où le juge peut, de fait, décider de déléguer à un tiers l’autorité parentale, est-il nécessaire d’inscrire cette possibilité dans la loi, pour répondre au cas des enfants nés à la suite d’une gestation pour autrui ?

M. Philippe Bas. Sans doute pas. En revanche, il serait sans doute nécessaire de donner des instructions aux parquets afin qu’une politique uniforme soit appliquée sur tout le territoire national.

M. Luc Derepas. De même, comme le rapport ne propose pas de reconnaître les liens de filiation établis par gestation pour autrui, il suggère des solutions pragmatiques permettant d’atténuer les inconvénients que cette absence de reconnaissance peut entraîner pour l’enfant. Ainsi, si la mère décède – ou le père, si sa filiation n’a pas été reconnue –, les grands-parents ne seraient pas juridiquement fondés à maintenir un contact. C’est pourquoi il pourrait être utile de prévoir l’inscription en marge de l’acte de naissance de l’enfant d’une mention relative au jugement étranger qui a reconnu la mère d’intention comme mère.

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Merci beaucoup.

Audition de M. Jean-René BINET,
maître de conférences à la faculté de droit de Besançon



(Procès-verbal de la séance du mercredi 13 mai 2009)

Présidence de M. Jean Leonetti, rapporteur

M. Jean Leonetti, rapporteur. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Jean-René Binet, maître de conférences à la faculté de droit de l’université de Franche-Comté.

Vous êtes, Monsieur, un connaisseur averti du sujet qui nous occupe puisque vous avez consacré votre thèse de doctorat aux lois de bioéthique de 1994 et publié en 2005 un ouvrage sur la loi du 6 août 2004.

Vous avez également exercé des responsabilités administratives dans le domaine de l’éthique médicale, ayant été vice-président du Comité consultatif de protection des personnes dans la recherche biomédicale de Franche-Comté de 2004 à 2006.

Vous êtes donc particulièrement qualifié pour nous exposer les modifications qu’il conviendrait, selon vous, d’apporter à la législation actuelle. Nous vous interrogerons notamment sur l’encadrement législatif des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.

M. Jean-René Binet. Il me semble nécessaire, à titre liminaire, de rappeler les étapes qui ont précédé l’actuel encadrement légal de ces recherches.

Les techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP) se sont développées alors qu’il n’existait encore aucune réglementation spécifique sur le sujet. Ce sont les acteurs du secteur qui ont établi les principes régissant leurs activités et les règles de fonctionnement en découlant. Ils ont ainsi décidé de procéder à un nombre plus important de fécondations in vitro qu’il ne pourrait en naître d’enfants. Ce choix tenait alors à des raisons techniques liées au faible taux de réussite des grossesses après FIV et à l’impossibilité de congeler les ovocytes. Ces embryons dits surnuméraires ont été stockés dans l’attente d’un hypothétique projet parental. L’existence de ce stock d’embryons a rapidement suscité une interrogation profonde sur leur statut ontologique et juridique. Elle a surtout incité les acteurs de l’AMP à souhaiter les utiliser à d’autres fins que celles qui avaient présidé à leur création, notamment à des fins expérimentales. En l’absence de législation et de réglementation précises sur la question, c’est par la voie contractuelle que les CECOS l’ont permis : les couples candidats à l’AMP étaient informés de la possibilité de créer un nombre plus important d’embryons que ceux destinés à être implantés et étaient invités à consentir, par avance, à les abandonner au profit de la recherche.

Lors de l’adoption des lois de bioéthique de 1994, le Parlement a estimé qu’il ne fallait pas s’enferrer dans d’interminables discussions sur le statut juridique de l’embryon. Prenant acte de la nature de celui-ci, – le début d’une vie humaine pouvant se développer et donner naissance à une personne –, il a rappelé l’obligation de respect dû à l’embryon.

Le législateur a ainsi affirmé plusieurs principes, au nombre desquels l’interdiction de la création d’embryons à d’autres fins que l’AMP et l’interdiction des recherches sur l’embryon. Une partie de la communauté scientifique s’y est opposée, estimant que cela entraînerait un retard de la France pour les thérapies qui en étaient espérées.

Le problème a resurgi avec acuité en 2004 lors de la révision des lois de 1994. Le législateur a de nouveau manifesté son attachement à la non-instrumentalisation de la vie humaine à ses tout débuts en réaffirmant l’interdiction des recherches sur l’embryon. Toutefois, parce que certains scientifiques pensaient être très proches de résultats thérapeutiques prometteurs, il a institué un moratoire de cinq ans pendant lequel les recherches sur les cellules souches embryonnaires pourraient être autorisées sous certaines conditions. C’est ce régime qui est en vigueur depuis la publication du décret d’application du 6 février 2006.

Pour être autorisées, il faut que ces recherches présentent « un intérêt thérapeutique majeur », que cet objectif ne puisse être poursuivi par « une méthode alternative d’efficacité comparable », que les recherches soient entreprises sur des embryons surnuméraires ou des cellules issues de tels embryons – après consentement de leurs géniteurs – et par des équipes spécialement autorisées par l’Agence de la biomédecine. L’idée était de pouvoir comparer, après cinq ans, les résultats de ces recherches et de celles conduites sur les cellules souches adultes. Le législateur a alors décidé que lors de la prochaine révision des lois de bioéthique, il examinerait s’il convenait de proroger ce régime temporaire, parce qu’il aurait permis des résultats tangibles qui n’auraient pu être obtenus autrement, ou d’y mettre fin parce que les recherches sur les cellules souches adultes auraient tenu leurs promesses.

C’est au regard de l’état d’esprit qui vous animait en 2004 que je souhaite vous faire part de mes suggestions et réflexions sur deux points.

Tout d’abord, faut-il ou non revenir sur l’interdiction des recherches sur l’embryon humain ? La réponse dépend de considérations de plusieurs ordres. Certaines relèvent des convictions morales ou religieuses de chacun, qui ont toute leur place dans un débat sur un sujet engageant l’avenir de l’homme et de la société. Certaines autres dépendent de l’utilité même de ce type de recherches, considération qui a également sa place dans le débat. J’aimerais, quant à moi, me situer sur un plan juridique, sans négliger toutefois les aspects techniques ni les considérations anthropologiques qui fondent les solutions du droit.

Si le problème se pose avec autant d’acuité et depuis si longtemps, c’est parce que les recherches sur l’embryon entraînent nécessairement sa destruction. À quelle valeur juridiquement protégée cette destruction porte-t-elle atteinte ? Il est fréquent que l’on invoque ici la personnalité juridique. L’embryon n’en étant pas doté, cette personnalité s’acquérant par la naissance, certains en ont conclu qu’il ne pouvait être considéré que comme une chose. Or, un embryon étant un début de vie humaine, cette solution ne peut convaincre.

Le droit offre heureusement d’autres ressources. On peut notamment trouver une excellente solution à l’article 16 du code civil qui dispose, entre autres, que la loi « garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. » Cette vision juridique de l’embryon comme « être humain » est communément partagée par la doctrine, même s’il y a quelques exceptions. Elle est par ailleurs tout à fait conforme aux données scientifiques et aux définitions de la plupart des dictionnaires.

La question de l’interdiction des recherches sur l’embryon doit donc être envisagée au regard de la nécessité, posée par la loi, de garantir le respect de l’embryon. En 1994, de ce très bel article 16 du code civil, a logiquement suivi dans le code de la santé publique que la recherche sur l’embryon humain était interdite. Ce principe a donné une première consistance aux dispositions de l’article 16. Surtout il a reconnu une destinée humaine à l’embryon : l’humanité de celui-ci, qui n’est pas affaire de conviction mais donnée factuelle, commande de ne pas le considérer comme un matériau d’expérimentation. L’embryon a vocation unique à être implanté dans le corps d’une femme.

Sans remettre en cause ce principe, vous avez ouvert en 2004 une possibilité temporaire de mener certaines recherches sur les cellules embryonnaires, sous conditions strictes. Certains n’ont vu là qu’hypocrisie, faisant valoir que la loi n’avait affirmé un principe que pour le contourner aussitôt. Il est toutefois courant que dans notre droit s’articulent principe et exception, droit commun et dérogation. Le principe présente l’intérêt d’affirmer la valeur à laquelle on reconnaît un caractère prépondérant tandis que les exceptions en permettent un assouplissement encadré. Le principe a vocation à interprétation analogique tandis que les exceptions sont d’interprétation stricte. Derrière l’hypocrisie dénoncée réside en réalité le support de nos méthodes d’interprétation ! Au cas d’espèce, le principe d’interdiction des recherches sur l’embryon s’inscrit dans un principe plus général qu’on ne peut tenter de cerner que par une vision complète du sujet.

En effet, l’interdiction des recherches sur l’embryon ne doit pas être considérée isolément, mais dans un corpus de règles dont la combinaison permet d’affirmer l’existence, en droit français, d’un principe général de protection de la vie humaine prénatale, composante de la protection de la vie humaine. Ce principe s’applique à l’embryon comme au fœtus. Examinons, pour dégager ce principe, l’ensemble des textes de notre droit relatifs à la protection de l’enfant conçu.

Il existe en ce domaine deux catégories bien distinctes de dispositions. Les premières tendent à assurer la protection de l’enfant conçu, les secondes, au contraire, autorisent qu’il puisse, dans certaines conditions, être porté atteinte à son intégrité.

Certaines règles pourvoient à la protection de l’enfant de manière indirecte, c’est le cas des mesures relatives à la protection de la femme enceinte. D’autres les complètent qui concernent directement l’embryon. Ainsi est-il interdit de créer des embryons à des fins de recherche, d’en créer par clonage, fût-ce dans un but thérapeutique, d’en utiliser à des fins commerciales ou industrielles. Et la recherche sur l’embryon est interdite. Toutes ces règles attestent d’une volonté cohérente de protection du fruit de la conception humaine.

Pour ce qui est des règles qui, au contraire des précédentes, autorisent d’une certaine façon à porter atteinte à l’enfant conçu, elles sont dérogatoires. C’est le cas en matière de recherche sur l’embryon, je l’ai dit. C’est surtout le cas en matière d’interruption volontaire de grossesse où l’article L. 2211-2 dispose qu’il ne saurait être porté atteinte au principe mentionné à l’article L. 2211-1 – à savoir le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie – qu’en cas de nécessité et selon des conditions strictement définies. La jurisprudence est d’ailleurs sans ambiguïté : c’est cette formulation qui a permis au Conseil d’État et à la Cour de cassation d’estimer que le droit à la vie n’est pas méconnu par la loi de 1975 relative à l’IVG, qui le consacre et ne lui apporte exception que dans des cas limitativement énumérés.

L’existence de tous ces textes, envisagés comme autant d’exceptions restreintes, confirme l’existence d’un principe général de protection de la vie humaine prénatale. Le Comité consultatif national d’éthique a d’ailleurs affirmé la nécessité de cette protection dès son premier avis en indiquant que l’embryon ou le fœtus est « une personne humaine potentielle qui est, ou a été vivante et dont le respect s’impose à tous. » L’indiscutable humanité de l’enfant conçu impose qu’il soit protégé.

Abandonner le principe d’interdiction des recherches sur l’embryon marquerait une rupture avec cet ensemble cohérent. Autoriser ces recherches, même sous conditions strictes, reviendrait à poser la première règle affirmant à titre de principe la possibilité d’attenter à la vie humaine, si cette atteinte peut servir les intérêts d’autrui. Une telle évolution remettrait en question la cohérence du droit actuel et affaiblirait le principe de respect de l’être humain dès le commencement de la vie. Elle aboutirait également à diminuer la possibilité de contrôle des conditions que vous pourriez poser. Des deux points de vue, ce serait une mauvaise solution.

Pour ce qui est de savoir s’il convient de proroger le régime dérogatoire actuel, il s’agit d’une décision politique dépendant des espoirs raisonnables qui peuvent être placés dans les recherches respectivement en cours sur les cellules souches embryonnaires et les cellules souches adultes. Si vous décidiez de proroger ce régime, il conviendrait, selon moi, de maintenir les conditions actuelles, qui garantissent contre les dérives, et de veiller à ce qu’elles soient bien respectées.

J’en viens au second point de mon exposé. Que vous reconduisiez ou non le régime actuel, deux points pourraient être améliorés. Tout d’abord, les progrès techniques et scientifiques vous invitent à vous interroger sur la nécessité de fabriquer des embryons surnuméraires. Je l’ai dit au début de mon propos, les questions relatives au statut et au devenir des embryons humains ne se posent qu’en raison de l’existence de ces embryons surnuméraires – on en compterait près de 180 000 aujourd’hui. Or, il me semble que l’évolution des connaissances et des techniques en matière d’AMP permettrait de régler le problème non plus dans ses conséquences mais dans sa cause. Cela permettrait en outre de rendre les pratiques plus conformes aux règles qui les encadrent.

Aujourd’hui, comme aux tous débuts de l’AMP, il est courant de féconder plusieurs ovocytes afin d’obtenir plusieurs embryons. La loi le permet. L’article L. 2141-3 du code de la santé publique dispose que « compte tenu de l’état des techniques médicales, les membres du couple peuvent consentir par écrit à ce que soit tentée la fécondation d’un nombre d’ovocytes pouvant rendre nécessaire la conservation d’embryons, dans l’intention de réaliser ultérieurement leur projet parental. » Mais la loi est claire : si le couple peut consentir à l’existence d’embryons cryoconservés, c’est à condition que cette technique corresponde bien à l’état de la science. Or, s’il n’était pas possible de conserver les ovocytes au début des années 80, la vitrification le permet aujourd’hui avec des résultats qui semblent tout à fait satisfaisants. La méthode présente des avantages sur le plan technique : elle permet de prélever des ovocytes, y compris immatures, sans être dans l’obligation de tous les féconder. La fécondation d’un seul, et partant la création d’un seul embryon, suffit. En cas d’échec d’implantation de celui-ci, il est toujours possible de recourir aux ovocytes cryoconservés pour poursuivre la poursuite du projet parental. La méthode offre également certains avantages sur le plan juridique puisque, en cas de décès de l’homme, la femme pourra récupérer ses ovocytes alors qu’elle ne peut faire implanter post mortem un embryon déjà conçu. De même, en cas de séparation du couple, la femme pourra avoir un autre projet parental avec un autre homme et utiliser, à cette fin, les ovocytes conservés.

Cette voie permettrait de sortir des questions sans fin au sujet des embryons surnuméraires et de la congélation des embryons, dont la pertinence « sociale » semble en outre contestée. Je lisais dans la presse hier que la plupart des parents répugnaient à l’implantation d’embryons décongelés et que, dans la majorité des cas, ils avaient bien du mal à assumer la décision d’arrêter la conservation d’embryons qu’ils considèrent comme les frères et sœurs potentiels de leurs enfants nés.

L’existence de cette technique amène à s’interroger. Que l’on puisse techniquement s’abstenir d’une surproduction d’embryons dans le cadre de l’AMP alors qu’on continue de le faire, ne conduit-il pas, de manière masquée, à créer des embryons à des fins étrangères à la reproduction humaine, alors que le code de la santé publique l’interdit dans plusieurs articles et que le code pénal le sanctionne lourdement ? La question mérite d’être posée.

Je terminerai par une question relative à la durée des autorisations accordées par l’Agence de la biomédecine. L’article L. 2151-5 du code de la santé publique dispose que les recherches sur l’embryon et les cellules embryonnaires sont autorisées pour cinq ans à compter de la date du décret d’application. Ce décret, en date du 6 février 2006, a été publié au Journal Officiel du 7 février 2006. La date-butoir se trouve donc fixée au 6 février 2011. Toutefois, l’article R. 2 151-2, issu de ce décret, précise que le délai de cinq ans court à compter de la date de l’autorisation. Une autorisation délivrée en 2009 pourrait-elle donc valoir au-delà de 2 011 ? La hiérarchie des normes commanderait de considérer que la date-butoir prévue dans la loi prévaut sur celle du décret. Le Conseil d’État estime toutefois l’inverse. Il me semble que, pour éviter tout risque inutile de contentieux, vous pourriez valider les autorisations au-delà du 6 février 2011, dans la limite de cinq années à compter de la date de la décision de l’Agence de la biomédecine.

M. le rapporteur. M. Philippe Bas, membre du Conseil d’État, que nous auditionnions avant vous, a estimé qu’interdire en assortissant l’interdiction de dérogations ou autoriser sous conditions était équivalent sur le plan juridique. Il l’a notamment précisé en réponse à l’une de mes questions sur le fait de savoir si l’autorisation de recherches sur l’embryon ne serait pas contraire à la convention d’Oviedo. Vous nous conseillez plutôt, pour votre part, de continuer d’interdire ces recherches en accordant des dérogations. Cela serait plus cohérent, dites-vous, avec la loi de 1975 sur l’IVG qui pose le principe de l’interdiction de la destruction du fœtus, tout en prévoyant des dérogations. Il serait en effet curieux d’autoriser la destruction de l’embryon quand celle du fœtus est interdite.

Vous avez dit que l’embryon humain avait « vocation unique » à être implanté dans l’utérus d’une femme. Dans notre droit actuel, cette « vocation unique » n’est pas garantie, notamment lorsqu’il n’y a plus de projet parental. Comment régler ce problème ?

Autre point : la vitrification des ovocytes, technique utilisée notamment en Allemagne et en Italie, permettrait-elle de réduire massivement le nombre d’embryons surnuméraires ? Si oui, pourquoi continue-t-on d’en créer autant en France, ce qui pose beaucoup de problèmes à leurs géniteurs, indépendamment de leurs convictions morales ou religieuses ? En effet, ils se trouvent réduits à choisir entre trois solutions, toutes mauvaises : donner leurs embryons pour la recherche, ce qui aboutit à leur destruction, demander qu’ils soient détruits, ce qui, de toute façon, arrive au bout de cinq ans si rien d’autre n’a été décidé, ou les donner à un autre couple, choix rarement fait, car les parents ne peuvent pas imaginer que cet embryon, appelé à se développer, soit quelqu’un d’autre que le frère ou la sœur de leurs propres enfants.

Enfin, je n’ai pas bien saisi si vous nous conseilliez de lever ou de renouveler le moratoire de cinq ans. S’il doit être renouvelé, à quelles fins ? Que se passera-t-il à nouveau au bout de cinq ans ? Beaucoup de médecins et de chercheurs pensent aujourd’hui que les recherches sur les iPS, les cellules souches reprogrammées, sont beaucoup plus prometteuses que celles sur les cellules souches embryonnaires, lesquelles ont tendance, lorsqu’elles se différencient, à se cancériser. Si les espoirs placés dans les recherches sur ces iPS se concrétisent, pourrait-on envisager un jour d’interdire totalement, sans aucune dérogation possible, les recherches sur les cellules souches embryonnaires ? Il semble que cela poserait tout de même des problèmes aux chercheurs dont les recherches sur l’embryon ne portent pas seulement sur les cellules souches mais aussi sur la compréhension des mécanismes de la fécondation et donc, la fertilité.

M. Jean-René Binet. S’agissant de la vocation unique d’un embryon humain à être implanté dans un utérus féminin, elle ne me paraît pas en contradiction avec l’arrêt de la conservation de certains embryons. Le droit actuel n’autorise bien la création d’embryons que dans le cadre d’un projet parental.

M. le rapporteur. Mais ceux qui les créent ne peuvent ignorer que beaucoup d’entre eux seront détruits…

M. Jean-René Binet. Tout le problème tient à cette surproduction d’embryons. On est parfois obligé de décider l’arrêt de leur conservation, parce qu’il n’y a plus de projet parental ou parce que les parents ont eu assez d’enfants. Il n’en reste pas moins que les équipes d’AMP ne fabriquent des embryons que dans le cadre d’un projet parental. Autoriser l’arrêt de la conservation des embryons au bout d’un certain temps n’est pas méconnaître la vocation de l’embryon à être implanté, non plus que la destinée humaine puisque celle de chaque être humain est de vivre puis mourir. Je ne vois pas là de contradiction.

Pour ce qui est d’interdire avec possibilité de dérogations ou d’autoriser sous conditions strictes, la différence réside dans les approches interprétatives. En effet, s’il y a interdit, c’est ce principe qui prévaut largement, les dérogations n’étant accordées que de manière exceptionnelle. S’il y a autorisation, c’est ce principe-là qui prévaut, les exceptions étant strictement encadrées.

M. le rapporteur. M. Philippe Bas a fait valoir que dans une situation où les autorisations sont accordées dans 90 % des cas, mieux valait dire que la pratique était autorisée plutôt que de dire qu’elle était interdite sauf dérogation quand, de fait, elle n’est interdite que dans 10 % des cas.

M. Jean-René Binet. Les demandes d’autorisation auxquelles l’Agence de la biomédecine a répondu favorablement répondaient aux exigences posées par la loi. L’Agence souligne elle-même dans son rapport que les équipes d’AMP, parfaitement responsabilisées, ont soumis des projets sérieux, strictement sélectionnés en amont et présentant toutes les garanties exigées. Nous observons d’ailleurs le même soin pour les protocoles expérimentaux soumis à l’autorisation du comité de protection des personnes dans la recherche biomédicale dans le cadre de la loi Huriet : la plupart d’entre eux peuvent être autorisés. Bien entendu, si demain les conditions venaient à évoluer, il faudrait vérifier que les conditions prévues dans la loi sont toujours réunies. Mais une interdiction assortie de dérogations le permet tout à fait. Il n’y a là aucune hypocrisie.

Est-on certain que la vitrification des ovocytes donne de bons résultats en AMP ? Juriste, je ne suis pas le mieux placé pour répondre. J’ai seulement lu des articles scientifiques sur le sujet mais j’observe que dans d’autres pays où, comme en Allemagne, on n’autorise pas la production d’embryons surnuméraires et où l’on utilise cette technique, les choses ne se passent pas si mal. La validité de la technique devrait pouvoir vous être confirmée ou infirmée par des scientifiques.

M. le rapporteur. Pourquoi, à votre avis, certains pays ont-ils fait un choix différent du nôtre ?

M. Jean-René Binet. S’agissant de l’Allemagne, je pense que le pays a souhaité écarter tout risque de revoir des dérives dans l’instrumentalisation du corps humain comme celles qui ont eu lieu dans les camps de la mort et ont à jamais marqué son histoire et celle de l’humanité tout entière. Je ne puis affirmer en toute certitude que c’est seulement ce passé nazi qui a influé sur les choix du pays, mais c’est l’explication qu’on admet le plus souvent.

Pourquoi continue-t-on à fabriquer des embryons surnuméraires en France ? Je ne sais pas. C’est aux acteurs de l’AMP qu’il faut poser cette question.

Pour le reste, si vous réaffirmiez le principe de l’interdiction des recherches sur l’embryon, assorti de dérogations, faudrait-il conserver un moratoire comme aujourd’hui ou adopter un dispositif pérenne ? Je n’ai pas de position tranchée sur le sujet. Il existe des arguments dans les deux sens. Cinq ans est sans doute un délai court par rapport au temps des recherches et de leur valorisation. Fixer un moratoire de cinq ans est peut-être illusoire et contraint à se reposer la question tous les cinq ans. Une position pérenne pourrait être meilleure. Mais je le redis, je n’ai pas d’opinion tranchée.

Si les recherches sur les cellules souches adultes se révélaient plus intéressantes que celles sur les cellules souches embryonnaires, on pourrait imaginer d’interdire totalement les recherches sur l’embryon, au risque de freiner certains progrès utiles. Mais sur ce point, on retombe sur une question générale en matière de recherches portant sur l’humain. Comme le prescrit la loi Huriet, on n’en vient aux expérimentations sur l’homme qu’après des essais conduits avec succès chez l’animal. Il me semble que la proximité entre certains grands primates et l’homme permettrait de résoudre bien des questions. Travaillons d’abord sur l’animal avant de passer à l’homme.

M. le rapporteur. J’en viens à un tout autre sujet. Le cas nous a été rapporté d’un couple qui a perdu brutalement trois jeunes enfants d’une grave maladie génétique dont il n’avait pas été informé, alors même que le diagnostic avait été antérieurement posé dans une autre branche de la famille qui ne l’avait pas averti. Je souhaiterais vous interroger sur cette information de la parentèle. Partagez-vous l’analyse du Conseil d’État pour lequel « l’encadrement légal de l’information de la parentèle ne saurait faire obstacle au principe intangible du secret médical et au respect du droit commun de la responsabilité civile » ?

M. Jean-René Binet. Il s’agit de concilier deux principes fondamentaux, en partie contradictoires. La voie choisie en 2004 a été que le médecin informe la personne porteuse de la mutation génétique de la nécessité d’informer la parentèle, lui laissant le choix de procéder elle-même à cette information ou, si elle ne le souhaitait pas, d’en confier le soin à l’Agence de la biomédecine. Mais la responsabilité de la personne porteuse de la mutation pouvait être engagée si elle n’avait pas choisi l’une ou l’autre de ces deux solutions. Le décret d’application n’a jamais été pris.

Je suis, pour ma part, sincèrement convaincu que l’intérêt d’informer la parentèle en cas de maladie génétique grave peut justifier qu’il soit porté atteinte au principe du secret médical – atteinte dont il faut bien sûr s’assurer qu’elle soit la plus minime possible. Le Conseil d’État préconise aujourd’hui que le médecin incite le patient concerné à informer la parentèle et, à défaut seulement d’y avoir réussi, délivre lui-même cette information, en faisant tout pour éviter de divulguer des données identifiantes – mais on sait combien c’est difficile dans les familles ! Cela paraît un bon compromis sachant que la charge de la transmission de l’information reposerait sur le médecin, mais la responsabilité toujours sur la personne porteuse de la mutation. L’idée d’associer le médecin paraît de nature à mieux prévenir les dangers potentiels. Mieux vaut en l’espèce prévenir qu’agir ensuite en responsabilité !

Mme Suzanne Rameix, philosophe, membre du comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. Comment déterminer le niveau de gravité de la maladie génétique – et le niveau de prévention possible – faisant peser sur le patient, et éventuellement sur le médecin, l’obligation d’informer le reste de la parentèle ? Toute information génétique doit-elle être systématiquement délivrée à toutes les personnes potentiellement concernées ? Dans quels cas concrets la non-communication de cette information emporterait-elle des conséquences juridiques en responsabilité ?

M. Jean-René Binet. Transmettre une information génétique quand aucune conséquence dommageable n’est à en attendre ou s’il n’existe pas de prévention possible de la maladie n’aurait guère de sens…

Mme Suzanne Rameix. Sauf que des parents informés peuvent décider d’avoir un enfant ou non, par exemple dans le cas d’une maladie génétique pour laquelle il n’existe aucun moyen de prévention ni aucun traitement, comme la chorée de Huntington.

M. Jean-René Binet. Dans un cas comme celui-là, la non-information de la parentèle pourrait être considérée comme ayant eu une conséquence dommageable, les futurs parents n’ayant pas eu toutes chances de décider librement et en toute connaissance de cause s’ils voulaient ou non un enfant. Ce n’est de toute façon ni dans la loi ni dans le décret que l’on parviendra à positionner le curseur. La seule préoccupation du législateur doit être que le médecin, et le juge s’il est ultérieurement saisi, puissent se prononcer, le premier sur la nécessité ou non d’informer la parentèle, le second sur la possible mise en jeu de la responsabilité de la personne porteuse de la mutation. La loi et le décret doivent poser des conditions claires, mais c’est bien entendu aux médecins que l’on doit déléguer le choix ultime. On pourrait d’ailleurs imaginer une décision prise collégialement, comme dans le cas de l’interruption médicale de grossesse.

M. le rapporteur. Est-ce à cause de toutes ces difficultés qu’à votre avis, le décret n’est pas sorti ?

M. Jean-René Binet. Je le pense. On avait fait peser une charge très lourde sur l’Agence de la biomédecine qui n’était sans doute pas la mieux à même d’agir. Le médecin de la personne porteuse de la mutation me paraît beaucoup mieux placé pour intervenir, d’autant que les médecins, généticiens tout particulièrement, ont l’habitude de prendre des décisions difficiles.

Mme Suzanne Rameix. Vous avez évoqué, au début de votre intervention, Monsieur, la dimension anthropologique du droit. N’y a-t-il pas au final un risque diffus de culpabiliser les personnes porteuses d’une mutation génétique et, partant, d’eugénisme ? En quoi le porteur d’une mutation génétique porterait-il une responsabilité accrue ?

M. Jean-René Binet. C’est une question difficile à laquelle je vous demande de m’autoriser à répondre par une analogie dont je mesure la limite. Les parents sont responsables des dommages causés par leurs enfants mineurs. Ils assument cette responsabilité sans nécessairement se sentir coupables, ni sans que cela les empêche d’avoir des enfants. Il existe beaucoup de situations dans lesquelles l’individu assume une responsabilité sans être coupable.

M. le rapporteur. Les recherches sur l’embryon sont aujourd’hui autorisées dans le cadre d’un moratoire de cinq ans, à condition que puissent en être attendus des « progrès thérapeutiques majeurs » et que n’existe « aucune autre méthode alternative d’efficacité comparable ». Ne vaudrait-il pas mieux substituer « médical » à « thérapeutique » ? Presque toutes les autorisations sollicitées, sauf quelques-unes concernant des cosmétiques, ont été accordées. Ces deux conditions ne sont-elles finalement pas si restrictives que l’Agence de la biomédecine a davantage respecté l’esprit que la lettre de la loi ? Faut-il donc conserver la rédaction actuelle ?

M. Jean-René Binet. Je pense que l’Agence de la biomédecine a respecté la lettre de la loi et que les recherches qu’elle a autorisées répondaient aux deux exigences posées ; c’est ce qui me semble ressortir de son rapport. Cela étant, je saisis mal la différence qu’il y aurait entre « thérapeutique »  et « médical ». « Médical » est sans doute plus large…

M. le rapporteur. « Thérapeutique » laisse penser que ces recherches déboucheront nécessairement sur la guérison d’une maladie bien identifiée, pour laquelle on envisage dès le départ une thérapie, ce qui n’est bien sûr pas le cas au stade initial.

M. Jean-René Binet. La loi autorise les recherches « susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs. » La valeur en cause ici, c’est le respect garanti à l’embryon dès le commencement de la vie. Ce respect dû à l’embryon peut-il s’accommoder de recherches qui n’auraient que pour seul but de faire progresser les connaissances médicales ? Je ne le pense pas.

M. le rapporteur. Le terme « thérapeutique » me paraît trop précis. Une prise de sang n’est pas un acte thérapeutique, il n’empêche qu’aidant à poser un diagnostic, elle aide à soigner le malade de manière adéquate.

M. Jean-René Binet. L’idée est vraiment que les recherches sur l’embryon et ses cellules ne sont autorisées que si elles sont motivées par l’objectif de soigner.

M. le rapporteur. Soigner, c’est plus large que traiter.

M. Jean-René Binet. Il ne me semble pas qu’il y ait besoin d’élargir le champ des recherches en substituant « médical » à « thérapeutique ». Les équipes en tout état de cause ne se sentent pas bridées par la loi actuelle.

M. le rapporteur. De fait, elles ne le sont pas. Mais l’Agence de la biomédecine n’a-t-elle pas pris sur elle de donner une interprétation la plus permissive possible de la loi ?

M. Jean-René Binet. Peut-être, mais je suppose qu’elle a scrupuleusement respecté les exigences posées par la loi.

S’agissant de « l’absence de méthode alternative d’efficacité comparable », j’apprécie assez la position du Conseil d’État qui précise « au regard des recherches qui peuvent être conduites sur d’autres types de cellules. » Il semblerait que l’on puisse aujourd’hui conduire les mêmes recherches sur les iPS et les cellules souches du sang de cordon que sur les cellules souches embryonnaires. Plusieurs chercheurs eux-mêmes qui travaillaient auparavant sur ces dernières se montrent désormais plus intéressés par les cellules souches adultes. S’il existe effectivement une méthode alternative d’efficacité comparable, pourquoi porter atteinte au principe du respect dû à l’humain, par deux fois réaffirmé dans les lois de 1994 et 2004 ?

M. le rapporteur. S’il existe une autre méthode équivalente, pourquoi toucher à l’embryon en effet ? Le problème est que dans la réalité, rien n’est jamais strictement équivalent et que de surcroît, on ne peut pas garantir que dans quelques années, n’interviendra pas une découverte majeure à la suite de travaux sur les cellules souches embryonnaires.

M. Jean-René Binet. La loi actuelle n’empêche pas de travailler en ce sens puisqu’elle autorise ces recherches « en cas d’absence de méthode alternative d’efficacité comparable ». Le même cadre existe pour les expérimentations sur l’animal auxquelles on ne peut procéder que s’il n’existe pas de méthodes alternatives d’efficacité comparable. Le Centre européen de validation des méthodes alternatives, basé en Italie, mène d’ailleurs des études sur les méthodes alternatives qui permettraient d’éviter les expérimentations sur les animaux.

M. le rapporteur. En France, c’est à l’Agence de biomédecine d’apprécier s’il existe d’autres méthodes d’efficacité comparable.

Mme Suzanne Rameix. L’Agence ne peut être à la fois juge et partie.

M. Jean-René Binet. On pourrait imaginer que ce soit une autre instance que l’Agence de la biomédecine qui décide.

M. le rapporteur. Il me reste à vous remercier pour votre contribution aux travaux de notre mission. Vous y avez apporté un éclairage allant au-delà des seuls aspects juridiques.

Audition de M. Jean-François GUÉRIN, chef du service de biologie de la reproduction de l’hôpital de Bron, président du comité d’éthique des Hospices civils de Lyon et membre du conseil d’administration et du groupe d’experts sur la recherche sur l’embryon de l’Agence de la biomédecine


(Procès-verbal de la séance du 13 mai 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons maintenant le plaisir d’accueillir M. Jean-François Guérin, professeur des universités, praticien hospitalier en biologie de la reproduction, chef de service hospitalier et coordonnateur des activités d’assistance médicale à la procréation (AMP) à l’hôpital Femme-mère-enfant de la ville de Bron.

Président du comité d’éthique des Hospices civils de Lyon depuis 2009, vous avez été désigné par l’espace éthique régional pour l’organisation, en juin, des débats citoyens dans le cadre de la révision des lois de bioéthique. Dans le domaine de l’AMP, vous avez exercé de multiples responsabilités, notamment comme président de la fédération des biologistes des centres d’AMP de 1998 à 2004, et président de la commission éthique de la fédération des centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS) depuis 2000.

Vous êtes depuis 2008 membre du conseil d’administration de l’Agence de la biomédecine – vous pourrez donc nous donner votre sentiment sur le fonctionnement de cette agence –, et vice-président de son comité médical et scientifique en charge des questions relatives à l’AMP depuis 2009. Enfin, vous avez été nommé par la directrice générale, en 2005, membre du groupe d’experts pour la recherche sur l’embryon. Il était donc indispensable que nous vous entendions dans le cadre de cette mission.

Quel bilan peut-on dresser de l’application des lois de bioéthique dans le domaine de l’AMP, concernant par exemple l’accueil d’embryon ou les modalités de conservation des embryons ? Vous qui siégez au comité exécutif de la Société européenne de la reproduction humaine et de l’embryologie (ESHRE), quelles vous semblent être les forces et les faiblesses de la France en ce domaine ? Dans quelles conditions les recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires sont-elles autorisées et contrôlées par l’Agence de la biomédecine ? Quel regard portez-vous sur le contrôle de cette agence ? De quelle façon interprète-t-elle la loi lorsqu’elle autorise les recherches en ce domaine ?

Enfin, quels aménagements conviendrait-il éventuellement d’apporter à la réglementation actuelle ?

M. Jean-François Guérin. J’ai eu en effet la chance de faire partie des premiers médecins biologistes à avoir pratiqué l’AMP en France. Nous avons commencé par l’expérience des CECOS, avant de pratiquer la fécondation in vitro et toutes les techniques qui en sont dérivées.

La commission éthique de la fédération des CECOS, qui a examiné un certain nombre de questions éthiques relatives à l’AMP, s’est notamment penchée longuement sur le problème de l’anonymat du don de gamètes. Au moment où d’autres pays tendent à le lever, on reproche souvent à la fédération une position un peu rigide sur cette question. Il est vrai qu’elle s’est prononcée pour le maintien de l’anonymat, mais pas de manière dogmatique, au nom de principes érigés il y a de nombreuses années par ses fondateurs. Il nous apparaît simplement que les effets négatifs d’une levée de l’anonymat l’emporteraient sur ses avantages.

Une étude assez complète a été menée sur ce sujet à Lyon en partenariat avec le groupe de psycho-sociologie de l’université de lettres. Elle n’a pas encore été publiée, mais l’Agence de la biomédecine et la région Rhône-Alpes, toutes deux partenaires financiers du projet, ont bénéficié de ses résultats. Cette étude concernait 33 donneurs, 300 couples receveurs et 600 personnes sélectionnées selon les méthodes classiques pour être représentatives de la population générale. Comme on pouvait s’y attendre, tous les couples receveurs sont pour le maintien de l’anonymat, de même que la moitié des donneurs. Une faible minorité de ces derniers – 10 % – serait assez favorable à sa levée, tandis que les autres ne se prononcent pas. Enfin, dans l’échantillon représentant la population générale, 70 % des personnes interrogées sont favorables au maintien de l’anonymat.

Le problème de la levée de l’anonymat, c’est que dans les pays où elle a été décidée, on observe que la grande majorité des couples tendent à garder le secret sur la conception. Ainsi, dans un pays comme la Suède, qui a levé l’anonymat il y a plus de vingt-cinq ans, la grande majorité des enfants issus d’une insémination artificielle avec donneur (IAD) ignorent la façon dont ils ont été conçus. Or les psychologues de notre fédération ont toujours conseillé aux parents de ne pas cacher cette information à l’enfant, non seulement parce qu’il n’y a rien de honteux à naître ainsi, mais aussi parce qu’un secret est toujours quelque chose de lourd à porter.

Un autre effet pervers concerne les motivations du donneur. Aujourd’hui, son geste est réellement altruiste : non seulement il n’est pas payé, mais il ne connaîtra pas sa descendance. Dans le cas contraire, on peut penser que ses motivations seraient un peu différentes ; elles pourraient parfois être inspirées, par exemple, par un fantasme mégalomaniaque consistant à « répandre ses bons gènes » – je caricature, bien sûr. Ce n’est qu’une hypothèse, mais elle doit être prise en compte.

Enfin, d’autres inconvénients pourraient apparaître en ce qui concerne le donneur ou sa famille.

Il est vrai que l’on parle beaucoup des personnes qui affirment mal vivre cet anonymat parce qu’il les prive d’une dimension de leur histoire. Elles sont peu nombreuses, mais leur action de lobbying est très médiatisée. Toutefois, cela ne doit pas nous faire oublier qu’un grand nombre d’enfants nés d’une IAD vivent bien leur situation, et n’auraient pas eu envie de connaître leur géniteur. Une étude a été effectuée à Lyon sur une vingtaine de ces enfants – il ne s’agissait donc pas d’un échantillon représentatif. La plupart admettaient que la révélation par leurs parents de la façon dont ils avaient été conçus leur avait posé quelques problèmes sur le moment. Mais presque tous se prononçaient pour le maintien de l’anonymat. Si les médias préfèrent inviter sur leurs plateaux des gens qui crient leur mal-être, ces derniers ne doivent donc pas masquer ceux, les plus nombreux, qui se satisfont des règles de fonctionnement des CECOS.

Un autre problème qui se pose en matière de don de gamètes est le manque de donneurs, et surtout de donneuses. En effet, le don d’ovocyte implique une procédure beaucoup plus lourde que le don de spermatozoïdes. Les campagnes de communication telles que celle effectuée par l’Agence de la biomédecine l’an dernier peuvent conduire des femmes à se présenter spontanément, mais quand on leur explique combien la procédure est lourde, et qu’elle implique notamment des arrêts de travail, nombreuses sont celles qui ne donnent pas suite. C’est pourquoi nous observons un phénomène de « tourisme procréatif » : beaucoup de couples se tournent vers l’Espagne, la Grèce ou d’autres pays. En Espagne, en effet, même si on prétend ne pas rétribuer le don d’ovocytes, celui-ci donne lieu à une compensation financière qui, à ma connaissance, se situe entre 900 et 1 000 euros.

M. le président. Nous avons entre les mains une lettre envoyée par une équipe espagnole qui cherche des « clients », entre guillemets : elle propose en effet des cycles de dons d’œufs pour 6 000 euros, avec un paiement de 500 euros aux cliniques qui leur adressent des patients.

M. Jean-François Guérin. C’est l’exemple d’une récupération mercantile de cette activité. Et sachant à quel point le don d’ovocytes est long et difficile en France, les femmes qui en ont les moyens peuvent être tentées de s’adresser à de telles cliniques. Il en résulte une rupture du principe d’égalité devant les problèmes de santé. Toutefois, en dépit du manque de donneurs, nous sommes partisans de maintenir la gratuité du don. C’était d’ailleurs l’avis de toutes les personnes interrogées dans le cadre de l’enquête que j’ai évoquée.

Une autre difficulté à laquelle se heurte le don de gamètes est la lourdeur de la procédure pour les équipes soignantes, qui n’ont pas suffisamment de moyens à consacrer à cette activité. Même dans le cas très improbable où l’on verrait arriver un afflux massif de donneuses, de nombreuses équipes, faute de personnel médical et paramédical, seraient incapables d’y faire face.

J’en viens à la question de la recherche sur l’embryon. À ce sujet, en tant que membre du groupe d’experts ad hoc réuni par l’Agence de la biomédecine, laquelle donne son agrément aux demandes de recherche après avoir vérifié leur pertinence scientifique, je peux témoigner que, contrairement à une croyance répandue – y compris chez nos collègues –, nous ne croulons pas sous les protocoles.

La notion de « progrès thérapeutique majeur » est difficile à appréhender. Qu’il s’agisse des recherches sur les cellules souches embryonnaires ou des recherches, plus rares, sur l’embryon lui-même, on ne peut jamais garantir au départ qu’un tel progrès sera la conséquence immédiate des travaux effectués. On peut toutefois espérer une augmentation générale des connaissances, qui permettra – par exemple, si l’on connaît mieux la physiologie de l’embryon ou ses exigences métaboliques – d’améliorer les succès de la FIV. Aujourd’hui, en effet, les résultats ne sont pas si importants : en France comme ailleurs, ils sont de 25 % par cycle en moyenne et de 20 % d’enfants nés par tentative. On peut également chercher à connaître les risques éventuels liés à ces techniques. Ainsi, il y a quelques années, on s’est inquiété d’une maladie liée à l’empreinte génomique, dont la fréquence semblait être un peu augmentée chez les enfants nés par FIV. Les recherches sur l’embryon préimplantatoire sont un moyen de vérifier si de telles interrogations correspondent à une réalité.

Les cellules souches embryonnaires constituent un terrain très prometteur sur le plan thérapeutique. Il est vrai que d’autres techniques sont apparues, comme les iPS – induced pluripotent stem cells, consistant à reprogrammer les cellules d’un adulte de façon à les transformer en cellules souches. Mais il ne faut pas oublier que ces succès ont été rendus possibles grâce aux connaissances accumulées dans le cadre de la recherche sur les cellules d’origine embryonnaire. L’expérience du comité d’experts auquel j’appartiens m’incite à penser que la loi prévoit d’excellents garde-fous contre toute forme de dérive. Il me paraît donc préférable de renoncer au moratoire au profit d’un système d’autorisation sous conditions – les mêmes qu’auparavant. En pratique, cela ne changerait pas grand-chose, mais sur le plan conceptuel, cela permettrait d’éviter cette situation délicate dans laquelle des autorisations sont délivrées alors que les recherches sont supposées interdites.

Un autre thème abordé par la commission d’éthique des CECOS est l’extension éventuelle des conditions d’accès à l’assistance médicale à la procréation (AMP). Depuis 1994, celle-ci est en effet réservée aux couples hétérosexuels considérés comme stables, c’est-à-dire mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’au moins deux ans de vie commune. L’opinion générale des membres de la commission d’éthique est que l’accès à l’AMP doit rester soumis à des raisons médicales. Or, sans porter de jugement d’ordre moral, la demande d’un couple de femmes homosexuelles, par exemple, dépasserait le cadre d’une indication strictement médicale. Il en est de même, d’ailleurs, de la gestation pour autrui, un domaine dans lequel je ne m’aventurerai pas car il n’est pas de ma compétence.

Enfin, un des problèmes que nous avons examinés est ce que, dans notre jargon, nous appelons le don d’embryon et que le législateur a appelé l’accueil d’embryon. Le nombre de textes qui le mentionnent – qu’il s’agisse de la loi de 2004, du décret de décembre 2006 ou même du guide des bonnes pratiques – a quelque chose d’étonnant dans la mesure où son application est restée très limitée : jusqu’à présent, en effet, moins d’une centaine d’enfants sont nés grâce à cette technique, qui n’a d’ailleurs rien de nouveau. Les embryons concernés sont des embryons qui ne font plus l’objet d’un projet parental et que les couples dont ils sont issus ont bien voulu donner. Or ce don est rare : on s’aperçoit qu’il est difficile pour un couple de céder un embryon qui porte son patrimoine génétique et qu’il considère, d’une certaine façon, comme son enfant. En outre, la procédure administrative et juridique est assez lourde, puisque les donneurs doivent exprimer leur accord formel à trois reprises. Notons qu’en matière d’accueil d’embryon, le couple bénéficiaire accepte sans problème le fait que les embryons qui s’implanteront dans l’utérus de la mère n’auront, sur le plan génétique, rien à voir avec lui. En ce sens, c’est le contraire de la gestation pour autrui. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une technique intéressante qui mériterait d’être soumise à une procédure administrative allégée – même si je sais qu’elle a beaucoup inquiété le législateur en raison du risque de remise en cause des lois sur la filiation.

M. Jean Leonetti, rapporteur. En ce qui concerne l’anonymat du don de gamètes, il est vrai que la cinquantaine de personnes qui réclament un accès à leurs origines ne doit pas faire oublier l’immense majorité des enfants nés d’une insémination artificielle avec donneur et qui ne demandent rien. Et votre témoignage confirme ce que nous avons déjà entendu : la question de la levée du secret sur le mode de conception n’a rien à voir avec celle de la levée de l’anonymat.

Pour autant, même si nous décidions de confirmer le principe de l’anonymat, ne serait-il pas opportun de permettre l’accès à certaines données relatives au donneur, non pour que l’enfant puisse se raccrocher à un père génétique, mais afin qu’il puisse disposer d’éléments utiles tels que le passé médical ou le profil sociologique ? Je pense à des données peu identifiantes, comme l’origine géographique, la profession, les loisirs. Certaines personnes nous ont dit qu’elles auraient aimé avoir une photo ou une lettre provenant du donneur, afin de savoir à peu près qui il était.

J’en viens à la question de la gratuité, évidente pour le don de sperme, mais qui l’est moins pour le don d’ovocytes, compte tenu de la concurrence commerciale dont la lettre citée par notre président donne un exemple, mais aussi de la difficulté à trouver des donneuses, en raison des contraintes qu’implique cette forme de prélèvement : stimulation hormonale, ponction, temps perdu. Certaines femmes, notamment, estiment avoir sacrifié une partie de leur temps et de leur vie professionnelle et familiale sans qu’une reconnaissance leur soit apportée.

Pour répondre à ce problème, deux voies se dessinent. La première est celle du « donnant, donnant » : on peut par exemple demander à une femme qui bénéficie d’un don de sperme si elle veut bien donner des ovocytes. Certes, cela revient à une sorte de troc, mais cela permet aussi à celui qui bénéficie de la solidarité de faire preuve à son tour de générosité. La deuxième voie consiste à indemniser de manière plus rapide et selon des critères objectifs. Fixer un montant précis serait en effet prendre le risque de ne recruter des donneurs que parmi les femmes en situation précaire, qui viendraient ainsi vendre leurs ovocytes. De même, la reconnaissance pourrait s’exprimer sous forme honorifique. Que pensez-vous de ces différentes options ?

Comme vous l’avez rappelé, les couples stables stériles peuvent bénéficier d’une assistance médicale à la procréation. Le critère de stabilité retenu est une durée de vie commune d’au moins deux ans. Cette durée est-elle facile à établir ? Est-ce au médecin de la vérifier ? Si cette durée n’est que de dix-huit mois, le médecin doit-il demander au couple d’attendre encore six mois ? Il peut sembler que la stabilité d’un couple n’est que faiblement corrélée avec la durée de vie commune. D’ailleurs, les couples qui procréent de la façon la plus naturelle n’attendent pas deux ans… N’y a-t-il pas rupture de parallélisme entre la situation des uns et des autres ?

Enfin, en ce qui concerne le don d’embryon, il me semble voir une opposition entre la logique génétique et la logique sociale, affective et éducative. Lorsque l’on a recours à l’assistance médicale à la procréation, c’est bien parce que l’on est attaché à l’idée que l’enfant à naître soit, génétiquement, de soi-même et de son partenaire. Autrement, on pourrait recourir à l’adoption. Dans ces conditions, comment accepter de donner un embryon surnuméraire ? Ce que je peux considérer, peut-être abusivement, comme une personne potentiellement frère ou sœur de l’enfant que j’ai eu par la même méthode, comment accepter qu’il naisse dans un autre couple ? Dès lors, il n’est pas étonnant que les parents préfèrent la destruction d’un embryon surnuméraire plutôt que son implantation dans l’utérus d’une autre personne, ce qui serait vécu comme un abandon. C’est pourquoi je me demande s’il faut faciliter l’accès à cette technique.

Je ne vous demande pas de faire de la psychologie du couple, mais il me semble tout de même qu’il existe une contradiction majeure entre la démarche initiale – la fécondation in vitro – et la démarche complémentaire – le don d’un embryon surnuméraire.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Vous avez évoqué le problème du manque d’ovocytes, mais lorsqu’on lit le rapport de l’Agence de la biomédecine, on est surtout surpris de constater une forte disparité sur le territoire national, entre les régions où ce type de don fonctionne et celles où ces prélèvements ne sont pas du tout pratiqués. Pensez-vous qu’ils devraient être permis à des centres privés ? Pour quelle raison certains centres hospitaliers universitaires (CHU) ne disposent-ils pas d’un service de prélèvement ?

Vous avez par ailleurs souligné le faible taux de réussite des tentatives de réimplantation d’embryon. Les résultats sont-ils meilleurs avec des embryons « frais » qu’avec des embryons congelés, et si c’est le cas, y a-t-il toujours une justification à congeler les embryons ?

M. Michel Vaxès. Pour l’enfant issu d’une AMP avec donneur, le problème vient de la révélation du mode de conception. Si le secret est maintenu, son poids ne pèse que sur les parents, qui doivent assumer leur choix. N’a-t-on donc pas tendance à privilégier l’intérêt de ces derniers par rapport à l’intérêt de l’enfant, d’autant que la plupart du temps, les enfants à qui on a révélé la façon dont ils ont été conçus ne demandent pas nécessairement à rencontrer leurs parents génétiques ? Je m’interroge donc sur la levée du secret.

Je ne vois qu’un avantage à une levée partielle de l’anonymat du donneur, celui de recueillir des informations d’ordre médical qui seraient utiles à l’enfant. De même, en cas d’accouchement sous X, on conserve un dossier contenant de telles données. En revanche, je ne suis pas favorable au recueil de données sociologiques. En tout état de cause, ces données n’ont aucun intérêt dès lors que l’on conserve le secret sur l’origine de l’enfant.

Si je fais ces réflexions, c’est parce qu’il me semble que notre société « biologise » beaucoup trop les rapports entre les parents et l’enfant. Pour simplifier, je dirais volontiers que l’enfant est moins celui d’un géniteur et d’une génitrice que du couple qui l’élève.

Mme Marie-Odile Bouillé. M. Vaxès se demande s’il faut ou non révéler à l’enfant la façon dont il a été conçu. Personnellement, je pense qu’il faut toujours le lui dire, car rien n’est plus lourd qu’un secret de famille, d’autant qu’à un moment ou à un autre, il finira par apprendre la vérité. Il est vrai que la meilleure des choses, pour l’enfant, est l’amour des parents qui vont l’élever. Mais le secret doit être absolument évité.

M. Jean-François Guérin. L’argument essentiel des psychologues est en effet qu’un secret est toujours lourd à porter, et pas seulement pour les parents. Les enquêtes nous le montrent : il est très rare qu’un membre de la famille ne soit pas au courant, et le risque que des langues se délient à un moment ou à un autre n’est pas à écarter. Certes, dans le cas où les parents parviennent à maintenir le secret, il n’y a pas de problème, du moins en apparence. Mais les psychologues jugent préférable de le lever, si possible lorsque l’enfant est très jeune ; il ne faut pas attendre l’adolescence.

Cela étant, je rejoins M. Vaxès : la génétique ne fait pas tout. Ainsi, le rapport du Conseil d’État emploie le terme de « vérité ». Mais la génétique n’est pas la vérité ; elle ne constitue qu’une partie – importante, bien sûr – de la construction de l’enfant.

Sans lever l’anonymat du donneur, il est vrai que l’on songe de plus en plus à permettre l’accès à des informations non identifiantes. Mais quel type d’informations ? On pourrait envisager de conserver des données génétiques. On prélève déjà un peu de sang du donneur, afin d’effectuer un caryotype et de vérifier qu’il n’existe pas ce que l’on appelle des translocations équilibrées, lesquelles pourraient aboutir à des anomalies chromosomiques. Pourquoi ne pas prévoir de conserver ce sang dans une cryobanque afin de pouvoir l’analyser en cas de nécessité médicale ? Cependant, les médecins généticiens s’accordent à penser qu’une telle pratique n’apporterait que peu d’avantages, et dans très peu de situations.

S’agissant des informations d’ordre social, je ne peux que donner mon opinion personnelle. Qui sait comment peut réagir un enfant à qui l’on dit, par exemple, qu’il est né d’un homme qui était au chômage ? Le donneur n’est pas sélectionné sur la base de son niveau socioculturel, contrairement à ce qui se pratique aux États-Unis – où cette sélection s’accompagne même de gammes de prix différentes ! On a également envisagé que le donneur puisse laisser une lettre, mais il pourrait l’envisager comme une sorte de thérapie… La question est donc délicate, et fait l’objet de nombreuses discussions.

J’en viens au problème de la gratuité du don – qui, comme vous l’avez noté, concerne surtout les donneuses d’ovocytes. L’indemnisation est prévue par la loi mais nous avons connu jusqu’à une date récente une situation aberrante : il était impossible d’établir une prescription pour les médicaments destinés à stimuler les ovaires de la donneuse, puisque par définition celle-ci n’est pas stérile. Ces médicaments, qui coûtent cher, ne lui étaient donc pas remboursés par l’assurance maladie. Désormais, cette question est réglée. Quant à l’indemnisation, je crois en effet qu’elle doit être rapide et que son montant doit être établi selon des critères objectifs, tels que ceux qui sont utilisés en justice : perte de salaire, pénibilité, etc.

Une indemnisation me semble préférable à la règle du « donnant, donnant », même si celle-ci fonctionne plutôt bien dans les centres où elle est pratiquée. En tout état de cause, l’offre doit être spontanée. Il convient d’éviter les pressions.

Quant à l’idée d’une indemnisation au forfait, elle me gêne un peu, la même somme n’ayant pas la même signification pour une femme en difficulté financière et pour une personne bien installée dans la vie.

Vous vous demandez pourquoi certains établissements ont plus de mal à organiser le prélèvement de gamètes. Il faut savoir que l’activité d’assistance médicale à la procréation implique des procédures assez lourdes et une importante bureaucratie. Chaque tentative doit faire l’objet d’un dossier informatisé soumis à l’Agence de la biomédecine. Or de nombreuses équipes travaillent avec des moyens très limités. Quant aux activités de don, elles n’ont pas forcément un coût élevé, mais sont très chronophages. C’est pourquoi de nombreux CHU sont réticents à les ajouter à leurs activités habituelles.

Il faut savoir que la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) rembourse les tentatives de don d’ovocytes faites à l’étranger, ce qui est un peu aberrant. Il serait préférable de donner un peu plus de moyens aux équipes françaises.

Enfin, les activités qui relèvent du don ont, jusqu’à présent, toujours été réservées au secteur public, et quelle que soit l’estime que j’éprouve pour mes collègues du privé, il me semble que l’on doit maintenir cette situation.

J’en viens au problème de la vérification de la durée de vie commune des couples, qui pose la question de la limite de notre rôle de médecin. Dans la plupart des centres, l’attitude des équipes médicales est fondée sur la confiance. On demande au couple une preuve de vie commune, sous la forme de quittances, par exemple, mais aussi, souvent, d’une attestation sur l’honneur. Il ne nous revient pas de diligenter une enquête pour vérifier qu’un couple qui se prétend stable vit bien ensemble depuis au moins deux ans. Il est vrai que si on a la preuve que ce n’est pas le cas, on doit renoncer à le prendre en charge, ce qui peut poser des problèmes lorsque la dame approche les quarante ans. Ce n’est pourtant pas leur faute si cet homme et cette femme ne se sont connus que tardivement. Cela étant, on peut parfois commencer à procéder aux examens, car il faut un certain temps avant de parvenir au stade de la ponction ovocytaire – et lorsque c’est le cas, il est possible que le délai de deux ans soit alors acquis. Mais je reconnais que parfois, la condition posée semble un peu stricte.

Le taux de réussite des réimplantations peut en effet paraître assez faible, mais le taux de fécondabilité de l’espèce humaine n’est lui-même pas très élevé – environ 25 %. Il est vrai, toutefois, que le temps n’a pas la même valeur lorsque l’on tente d’avoir un enfant par les méthodes naturelles. Par ailleurs, les résultats ne sont pas les mêmes selon que l’embryon est « frais » ou congelé : il est de 25 à 30 % de grossesses débutantes dans le premier cas et d’environ 20 % dans le deuxième. Mais pour chaque tentative, les chances se cumulent, puisque l’on pratique d’abord un transfert d’embryon frais avant de transférer les embryons congelés.

Cela étant, la congélation peut encore être améliorée. Depuis un an ou deux, une nouvelle technique, celle de la vitrification, est de plus en plus utilisée dans de nombreux pays. Mais en France, le ministère de la santé considère qu’elle n’a pas encore fait ses preuves, et nous n’avons donc pas l’autorisation de la pratiquer. Quoi qu’il en soit, tous les biologistes sont d’accord pour dire qu’il faut maintenir la congélation. Car dans le cas contraire, que faire des embryons surnuméraires ? Il serait scandaleux, ou pour le moins contestable d’un point de vue éthique, de les détruire. Ou alors on en arrive à la législation italienne, qui ne permet de mettre en fécondation que trois ovocytes. Et quand on a obtenu trois embryons, on transfère les trois, si bien que dans ce pays, le taux de grossesses triples – et donc hautement à risque – a augmenté de manière spectaculaire en trois ans. Tels sont les effets pervers d’une loi qui se voulait plus moralisante.

Je terminerai par le conflit entre logique génétique et logique affective et sociale. On pourrait en effet penser que les gens qui demandent un accueil d’embryon pourraient tout aussi bien se tourner vers l’adoption : de toute façon, il ne s’agira pas, au point de vue génétique, d’un enfant issu de leur couple. Mais cela montre bien que pour certains couples, l’aspect biologique ne constitue pas une obsession. En outre, la différence est que dans le cas de l’accueil d’embryon, la mère va porter l’enfant, qui naîtra comme s’il était issu d’un mode de conception naturel. C’est pourquoi de nombreux couples sont très heureux de pouvoir accéder à cette technique.

La situation n’est pas la même, il est vrai, pour les couples donneurs. Et si nous ne voyons que ceux qui ont franchi le pas, ils nous disent souvent que la décision a été difficile à prendre. S’ils acceptent, c’est par altruisme, et en songeant à leurs propres difficultés. Ils jugent aussi – c’est un raisonnement un peu utilitariste – que le don d’embryon est préférable à sa destruction.

J’observe au passage que la loi interdit le double don de gamètes, destiné aux couples souffrant d’une double stérilité, alors que les indications sont les mêmes que pour l’accueil d’embryon. Je suppose que le législateur, en 1994, a autorisé cette dernière technique parce qu’il jugeait important que les embryons ne faisant plus l’objet d’un projet parental soient donnés. Mais en fait, on s’aperçoit que les couples qui acceptent de faire ce don ne sont pas si nombreux. Or le double don de gamètes serait très simple à mettre en œuvre, et je ne vois pas en quoi il pourrait poser des problèmes – que ce soit d’un point de vue médical ou psychologique. Peut-être serait-il même préférable à la procédure actuelle, qui oblige les couples donneurs à prendre des décisions difficiles.

M. Jean-Sébastien Vialatte. On a pu faire observer que les informations conservées par les CECOS constituaient une sorte d’état civil parallèle. La conservation indéfinie de données relatives aux donneurs de gamètes a-t-elle un intérêt en termes de santé publique ? Ne pourrait-on envisager qu’elles soient détruites après un certain délai ?

M. Jean-François Guérin. Les membres de la commission éthique de la fédération des CECOS, à laquelle je participe, seraient plutôt favorables à la destruction de ces données au bout d’un certain temps. Car, je l’ai dit, il n’y a pas de véritable intérêt médical à les garder. Les CECOS portent, à leur corps défendant, le poids d’un secret dont ils se débarrasseraient volontiers. En outre, pour les enfants qui vivent déjà mal le fait de ne pas avoir d’informations sur leur ascendant génétique, l’idée que les CECOS détiennent ces informations est insupportable.

M. le rapporteur. On entend de plus en plus dire que les cellules souches embryonnaires n’ont pas autant d’intérêt pour la recherche qu’on le pensait à une certaine époque. Depuis les découvertes japonaises, on se tourne de plus en plus vers les recherches sur les cellules adultes reprogrammées. L’avantage supplémentaire est que, contrairement aux cellules embryonnaires, les cellules adultes ont moins de risque de connaître une évolution mitotique vers le cancer. Nous ne sommes donc plus dans la situation de 2004, lorsqu’il paraissait absolument nécessaire de s’orienter vers la recherche sur les cellules embryonnaires.

Mais le problème que l’on n’évoque jamais à propos de la cellule adulte, c’est que lorsqu’elle redevient cellule souche, elle peut aussi devenir gamète, ce qui ouvrirait la porte au clonage. S’agit-il d’un pur fantasme, ou cette possibilité est-elle envisageable en pratique ? Et dans cette dernière hypothèse, ne faudrait-il pas prendre la précaution de préciser dans la loi que la création de gamètes est interdite ?

M. Jean-François Guérin. Il ne s’agit pas d’une simple possibilité théorique : il existe des publications sur le sujet – même s’il est vrai qu’elles sont contestées ; d’ailleurs, lorsque nous avons invité à l’ESHRE le chercheur concerné, il ne s’est pas présenté. Reste que sur le plan scientifique, ce n’est pas un pur fantasme.

Cela étant, je me demande s’il faut interdire toute recherche impliquant une création de gamètes. Peut-être serait-il préférable d’interdire l’utilisation de tels gamètes pour une procréation. En effet, on ne peut jamais prévoir à l’avance les effets positifs d’une direction de recherche.

M. le rapporteur. Il semblerait que la vitrification de l’ovocyte puisse conduire à réduire le nombre d’embryons surnuméraires. Or ces derniers sont source d’embarras pour les parents, à qui on demande de choisir entre la destruction, le don à un autre couple ou l’utilisation pour la recherche. Par ailleurs, il semble qu’il existe aujourd’hui environ 180 000 embryons congelés : il y a donc un nombre suffisant d’embryons surnuméraires pour que la recherche puisse se poursuivre quelque temps. Dès lors, ne pourrait-on pas considérer comme une bonne chose qu’il y ait moins d’embryons surnuméraires ? La vitrification de l’ovocyte n’est pas interdite, mais il semble qu’elle ne bénéficie pas de crédits. Ne devrait-on pas favoriser cette technique ? Ne contribue-t-elle pas à améliorer les résultats de la procréation ?

M. Jean-François Guérin. En France, la situation est bloquée : on peut, certes, vitrifier les ovocytes, mais lorsqu’un gamète est traité par une technique qui n’a pas été validée, il ne peut être utilisé dans la procréation. Or, contrairement aux spermatozoïdes, les ovocytes sont un matériau précieux, que l’on prélève toujours dans un but de procréation et non de recherche.

Il n’en demeure pas moins que la technique de la vitrification mérite d’être développée : l’expérience étrangère le montre. Cependant, je ne suis pas sûr que la fécondation d’ovocytes ayant été vitrifiés permette des résultats suffisamment intéressants pour que la vitrification vienne remplacer à terme la congélation embryonnaire. Je suis toutefois favorable à ce que l’on autorise la vitrification des ovocytes et des embryons, quitte à faire le point plus tard sur cette technique. Si elle fait ses preuves, on pourrait envisager de congeler bien moins d’embryons.

Cela étant, lorsque l’on parle de 180 000 embryons congelés, il ne faut pas oublier que 90 % d’entre eux vont être réutilisés par les couples.

M. le président. Merci beaucoup pour cet éclairage précieux.

Audition de M. Georges UZAN, directeur de recherches au CNRS, unité de recherche de l’INSERM U 602, hôpital Paul Brousse de Villejuif


(Procès-verbal de la séance du 13 mai 2009)

Présidence de M. Jean Vialatte, vice-président

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Nous avons le plaisir d’accueillir le professeur Georges Uzan, directeur de recherches au CNRS, responsable à l’hôpital Paul Brousse de Villejuif de l’unité INSERM « Les cellules souches, de leurs niches aux applications thérapeutiques ». Vous êtes en particulier spécialiste, professeur, des cellules souches présentes dans le sang de cordon.

Plusieurs auditions précédentes nous ont permis de dresser un tableau de l’organisation du recueil du sang de cordon en France et en Europe. En votre qualité de chercheur, vous pourrez compléter notre information en nous présentant les futures utilisations médicales que l’on peut attendre des cellules souches du sang de cordon. L’utilité des greffes de sang de cordon est aujourd’hui reconnue dans près de 85 indications thérapeutiques concernant des maladies du sang.

Il semblerait que demain les cellules de sang de cordon puissent être utilisées également en neurologie et en cardiologie. Elles pourraient également présenter un intérêt thérapeutique dans le cas de certaines maladies du foie et de certaines formes de diabète. En outre, comme l’ont démontré vos propres travaux, ces cellules souches sont utiles pour la recherche pharmacologique en permettant d’essayer des médicaments sans avoir besoin de recourir à des modèles vivants. Enfin, des chercheurs semblent s’intéresser aux cellules présentes non plus seulement dans le sang de cordon, mais dans le cordon lui-même et dans le placenta.

Toutes les informations que vous pourrez nous apporter sur ces différentes voies de recherche nous éclaireront utilement. Pensez-vous que ces perspectives rendent nécessaire la création de banques autologues de sang de cordon ? Quelle est la place des recherches sur les cellules souches de sang de cordon par rapport à celles sur les cellules souches embryonnaires et les cellules souches induites ?

M. Georges Uzan. Dans mon laboratoire, nous travaillons sur tous les types de cellules souches : cellules souches adultes, cellules souches embryonnaires, cellules souches reprogrammées – iPS – et cellules souches de sang de cordon.

Les iPS sont des cellules somatiques adultes reprogrammées grâce à l’expression de quatre gènes, obtenue par des moyens qui rendent difficile pour l’instant de les utiliser en thérapie cellulaire. On manque clairement de recul. Pour ce qui est des cellules souches embryonnaires qui, elles, n’ont fait l’objet d’aucune manipulation, l’état des connaissances est un peu plus avancé et la FDA a d’ores et déjà autorisé aux États-Unis la société Geron à conduire un essai clinique chez l’homme pour des maladies neurologiques.

En ce qui concerne les cellules de sang de cordon, voilà vingt ans qu’elles servent à soigner certaines maladies du sang. Des centaines, voire des milliers d’articles, ont été publiés sur le sujet. Comparé à la voie thérapeutique concurrente de la greffe de moelle, le recours à ces cellules est aussi efficace et revient moins cher. De plus, un prélèvement de sang de cordon n’a rien de traumatisant, contrairement à un prélèvement de moelle. Mais, en dehors de ces indications hématologiques, tout le reste, concernant les cellules de sang de cordon, relève encore du domaine de la recherche. Des promesses, plus ou moins lointaines, parfois farfelues, ont été formulées mais il n’y a eu aucun essai clinique. Ce qui a été démontré et validé, pour l’instant seulement chez la souris, pas encore chez le gros animal, est que certaines cellules souches du sang de cordon peuvent se différencier en cellules du système vasculaire. Ces cellules sont rares mais ont un important pouvoir de prolifération, et on arrive à en obtenir des quantités compatibles avec une utilisation thérapeutique. Reste à s’assurer qu’elles sont utilisables en clinique chez l’homme.

Il existe d’autres types de cellules souches dans le sang de cordon, assez équivalentes aux cellules souches embryonnaires, en ce qu’elles peuvent se différencier en cellules de divers types – neuronal, hépatique, musculaire… Mais pour l’instant, tout cela n’a fait l’objet que d’essais in vitro. La prudence s’impose donc, car, placées dans des milieux de culture contenant de nombreux facteurs de croissance, les cellules souches soit meurent, soit acquièrent, parfois de manière inattendue, des marqueurs de divers tissus – hépatique, neuronal… Mais entre exprimer de tels marqueurs et être véritablement un hépatocyte ou un neurone, subsiste un large fossé. Beaucoup de recherches demeurent nécessaires.

En dehors du sang de cordon lui-même, des laboratoires s’intéressent aux cellules présentes dans la gelée de Wharton, cellules mésenchymateuses capables de donner de l’os, du cartilage, du muscle lisse et des adipocytes. Ces cellules, bien que capables de se différencier donc en de multiples tissus, ne sont pas équivalentes aux cellules souches embryonnaires, capables, elles, de donner tous les tissus. On n’en est qu’au tout début des recherches mais en Chine, où les contraintes sont évidemment moins nombreuses qu’en France, on a déjà procédé à des essais cliniques chez l’homme, notamment pour des patients présentant une GVH (graft versus host disease), violente réaction immunitaire d’un greffon contre son hôte, qui peut être mortelle. Il aurait été montré que ces cellules mésenchymateuses auraient un effet modulateur de l’immunité. Un laboratoire chinois les a utilisées chez trente patients dans cette indication et chez d’autres atteints de maladies dégénératives, essentiellement vasculaires. J’ai personnellement visité ce laboratoire, dont je connais bien le patron qui a travaillé onze ans en France. Le travail y est très bien organisé et apparemment conduit dans de bonnes conditions.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Le sang de cordon aujourd’hui prélevé en France et stocké dans des banques allogéniques est utilisé non pour la personne sur laquelle le prélèvement a eu lieu, mais pour d’autres, souffrant de leucémies ou d’aplasie médullaire. En revanche, certains laboratoires privés proposent aux parents de conserver le sang de cordon de leur enfant, faisant valoir qu’il pourrait servir à soigner un jour certaines maladies du foie, du rein ou du cerveau, alors qu’aucun essai clinique n’a encore jamais été entrepris dans ces domaines, a fortiori donné de résultats concluants. Mais on ne peut exclure qu’un jour, à un horizon plus ou moins lointain, ce sang de cordon puisse servir à traiter de telles maladies.

Ces prélèvements dits autologues posent plusieurs problèmes. Tout d’abord, on quitte le champ du don solidaire, qui a toujours prévalu en France pour le don d’organes ou d’éléments du corps humain, chacun conservant alors son sang de cordon pour son usage personnel. Ensuite, ces laboratoires privés ne font-ils pas miroiter de fausses promesses ? N’y a-t-il là qu’exploitation commerciale ou existe-t-il une petite chance qu’un jour le sang de cordon autologue puisse être utilisé en thérapeutique ? Si oui, peut-on laisser se développer des banques privées de sang de cordon ? Respecteront-elles le principe de solidarité ? Cryo-Cell, la plus grande banque privée de sang de cordon au monde, qui dispose de quelque 50 000 unités stockées, promettait ainsi, dans la première version de son site, que le sang placentaire permettrait un jour de soigner la maladie d’Alzheimer. Est-ce abuser la crédulité de certains ou les recherches en la matière offrent-elles quelques perspectives ?

M. Georges Uzan. Il faut préciser que le sang de cordon, c’est exactement le même que le sang du fœtus. Ce n’est pas le sang de la mère, les réseaux circulatoires de la mère et du fœtus étant totalement distincts.

Il faut savoir qu’aujourd’hui la France n’est pas autosuffisante avec ses propres banques allogéniques. Nous importons 60% des unités de sang nécessaires, chacune coûtant plus de 18 000 euros. En revanche, le sang de cordon que nous produisons est très recherché.

M. le rapporteur. Nous exportons du sang de cordon, prisé car d’excellente qualité, tout en n’en ayant pas assez pour notre usage national ?

M. Georges Uzan. Pour être autosuffisants, il faudrait que nous disposions de 50 000 unités, ce qui est loin d’être le cas. En effet, pour avoir une chance de trouver une unité de sang immunologiquement compatible pour un patient, il faut statistiquement chercher au moins parmi 50 000 unités. Notre pays fait un gros effort pour devenir autosuffisant mais les moyens font clairement défaut.

S’agissant des banques autologues, des sociétés, basées notamment en Suisse, en Belgique et au Royaume-Uni, proposent aux mères qui accouchent de conserver le sang de cordon de leur enfant, par le biais de publicités parfois agressives et très culpabilisantes. Elles offrent aux mères un kit où stocker le sang prélevé qu’elles n’ont plus qu’à envoyer par courrier à la société ; celle-ci leur facture la congélation 2 000 à 3 000 euros, puis la conservation 500 euros par an.

M. Paul Jeanneteau. Un rapide calcul suffit à montrer que ces sociétés réalisent des marges considérables et gagnent beaucoup d’argent !

M. Georges Uzan. En effet, il y a là derrière un énorme « business ».

M. le rapporteur. Lorsqu’un parent aura payé 500 euros par an pour la conservation du sang de cordon de son enfant jusqu’à la majorité de celui-ci, on voit mal comment l’enfant, devenu adulte, pourrait décider d’arrêter cette conservation. Et ce, alors même que les conditions de conservation ne sont pas garanties !

M. Georges Uzan. Les banques allogéniques pratiquent un typage HLA de l’unité de sang, lequel revient assez cher. Les banques autologues, elles, n’y procèdent pas. Le problème de la conservation est crucial : au-delà de 24 heures, si le sang n’a pas été correctement conditionné et congelé, il ne contient pratiquement plus aucune cellule souche. Les conditions de préparation et de conservation sont donc primordiales. Autre problème important : le volume sanguin recueilli doit être suffisant pour que puissent ensuite être injectées assez de cellules souches au patient qui a besoin d’une greffe. En France, près de 60% des prélèvements effectués ne peuvent pas être cryoconservés, notamment parce que le volume prélevé est insuffisant. La déperdition est donc considérable, même si on les utilise alors pour la recherche.

La thérapie cellulaire, à même de permettre la réparation d’organes défaillants, concerne surtout des maladies qui surviennent plutôt après la soixantaine. Quel sera l’état d’unités de sang autologues qui auraient été conservées aussi longtemps, dans des conditions incertaines ? Et qu’en sera-t-il de la pérennité, après un temps si long, des sociétés qui les auraient initialement conditionnées ? Aujourd’hui, toutefois, beaucoup de mères donnent du sang de cordon qui n’est pas conservé dans des conditions optimales et dans le cadre de pratiques pas du tout encadrées. Ne vaudrait-il pas mieux autoriser ces prélèvements autologues et les encadrer strictement, afin d’éviter les escroqueries ?

M. le rapporteur. Autoriser que chaque enfant voie son sang de cordon prélevé et cryoconservé, pour peut-être s’en servir soixante-dix ans plus tard ?

M. Georges Uzan. Cela pose un grave problème éthique. Chaque mère devrait-elle pouvoir obtenir que le sang de cordon de son enfant soit prélevé et conservé, afin de garantir l’égalité de tous face à un éventuel traitement ultérieur possible ? Le coût serait alors considérable pour la Sécurité sociale, s’établissant entre 1 000 et 2 000 euros par mère. Est-il bien utile de conserver du sang de cordon autologue pour une utilisation thérapeutique ultérieure non encore prouvée et on ne sait à quel horizon ? Cinquante mille unités dans une banque allogénique de don solidaire permettraient déjà de répondre à quasiment tous les besoins. La marge de manœuvre serait encore plus importante si on disposait de 100 000 unités. Où faut-il donc faire porter l’effort ?

Une autre question est celle des mères qui souhaitent absolument que le sang de cordon de leur enfant soit prélevé. Pourquoi n’en auraient-elles pas le droit et en ce cas, pourquoi ne pas garantir que cela soit fait dans des conditions satisfaisantes ?

Mme Claude Greff. Ce qui me gêne est que selon l’utilisation qui pourra en être faite, ce sang aura plus ou moins de valeur. Certains pourraient chercher à le vendre.

M. Paul Jeanneteau. Une solution ne serait-elle pas de favoriser le développement des banques allogéniques, afin de disposer des 50 000 à 100 000 unités de sang nécessaires pour couvrir tous les besoins nationaux, et tout simplement d’interdire les banques autologues ? Même s’il est vrai que la loi ne pourra jamais totalement empêcher que certains n’abusent de la crédulité d’autres…

M. le rapporteur. Tout le problème est que l’on ne sait pas si la conservation de sang autologue est ou non une escroquerie. S’il était avéré que c’en soit une, il ne faudrait bien sûr pas autoriser les banques autologues. Mais nul ne sait si une utilisation thérapeutique ne sera pas trouvée un jour. Si cela peut être utile, il faut réfléchir aux conditions de conservation adéquates. Pour le reste, tant pis pour ceux qui se font abuser en confiant leur sang à de mauvaises banques qui le conservent dans de mauvaises conditions !

M. Georges Uzan. Il existe une troisième voie, dite mixte, proposée notamment par le laboratoire de Lyon. Des banques mixtes existent aussi en Espagne où du sang de cordon est conservé à usage autologue, mais après typage HLA ; et si un patient dans la population se trouve avoir besoin de sang correspondant à ce typage – la chance est infime –, ce sang lui est donné. Cela pose d’ailleurs des problèmes juridiques : comment dédommager la famille qui avait payé pour la conservation de ce sang de cordon et qui se voit obligée de le donner à quelqu’un d’autre ?

Il est aussi possible en administrant de l’ocytocine à la parturiente d’augmenter le volume de sang dans le cordon, afin d’augmenter la quantité prélevée, ce qui permettrait ultérieurement un usage mixte, à la fois allogénique et autologue. Mais la technique n’est pas encore parfaitement au point. Aujourd’hui, une bonne unité de sang de cordon fait 80 ml, et déjà ce n’est pas toujours suffisant pour un seul usage.

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. On ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec les transfusions autologues, très en vogue aujourd’hui pour les raisons de sécurité sanitaire que l’on sait. Mais en l’espèce, le caractère altruiste du don disparaît totalement.

M. le rapporteur. Un prélèvement de sang pour transfusion autologue est toujours réalisé dans la perspective d’une intervention chirurgicale précise. On n’imagine pas toute la population conservant des poches de sang au cas où… Le problème avec le sang de cordon est qu’il semble que l’on exploite un fantasme à des fins commerciales.

M. Jean-Marc Nesme. Pourquoi ne pas collecter de manière anonyme et gratuite du sang de cordon comme on le fait pour le sang normal ?

M. Georges Uzan. C’est déjà le cas. Plusieurs hôpitaux publics et l’Établissement français du sang effectuent des collectes où des mères donnent ce sang gratuitement. Il existe déjà plusieurs banques en France.

M. Jean-Marc Nesme. Pourquoi ne pas généraliser la pratique à l’ensemble du territoire ?

M. Georges Uzan. C’est une question de moyens. Pour bien connaître la banque de l’hôpital Saint-Louis, je sais que si elle avait davantage de moyens, elle collecterait davantage de sang de cordon. Elle travaille pour l’instant en collaboration avec la maternité de l’hôpital Robert Debré, et bientôt avec celle de Trousseau.

M. le rapporteur. Pourquoi est-il beaucoup plus compliqué de prélever du sang de cordon que du sang chez l’adulte ? Y a-t-il une technicité particulière du geste qui expliquerait cette pénurie et la difficulté de pratiquer des prélèvements de masse ? Enfin, quelles sont les propriétés particulières du sang de cordon par rapport à celles du sang d’adulte ?

M. Georges Uzan. Il y a dix à cent fois moins de cellules souches dans le sang d’adulte. Et non seulement ces cellules souches y sont plus rares, mais elles perdent peu à peu leurs propriétés réparatrices. C’est à juste titre que l’on dit que l’on a « l’âge de ses artères » !

La technicité requise pour le prélèvement de sang de cordon n’est pas extrême. Mais vous imaginez bien qu’au moment de la naissance, les sages-femmes, déjà en sous-effectif, ont d’autres gestes à faire, essentiellement consacrés à la mère et au bébé. Il faut quand même piquer deux aiguilles dans la veine du cordon qui a tendance à collapser et une sage-femme qui n’a pas été formée à ce geste spécifique et ne le pratique pas régulièrement, ne recueillera pas plus de 20 ml de sang. Il faut donc les sensibiliser et les former à ce geste. En Grèce, des personnels sont payés en fonction du nombre de prélèvements validés qu’ils effectuent. Cela les incite à être efficaces ! Pour le reste, après le prélèvement, il faut rapidement centrifuger le sang, réaliser les analyses bactériologiques et virologiques nécessaires, et procéder au stockage, ce qui exige aussi une certaine technicité. Pour l’instant, en France 99% du sang de cordon et des cordons sont jetés, alors qu’ils pourraient servir. C’est un gâchis considérable.

M. Paul Jeanneteau. Si l’on dégageait vraiment les moyens nécessaires à la création dans notre pays d’une banque publique de sang de cordon allogénique, de qualité et bien gérée, pensez-vous qu’il faudrait interdire les banques privées ou bien fermer les yeux et ne pas légiférer sur le sujet ?

M. Georges Uzan. La question est difficile. En effet, à qui appartient le sang de cordon ? Au bébé, mais comme celui-ci n’est pas en mesure de donner son avis, il appartient à sa mère, par délégation. Quels arguments éthiques valides opposer à une mère qui souhaite garder « son » sang de cordon ? Comme il n’y en a pas, on ferme les yeux sur les envois de sang de cordon à l’étranger. Si on voulait vraiment interdire cette pratique, ce sont ces envois qu’il faudrait empêcher. C’est pourquoi je pense que mieux vaudrait sans doute ne pas se voiler la face et encadrer correctement la pratique – ne seraient certes seules concernées que les mères qui en ont les moyens financiers – afin d’éviter la semi-clandestinité actuelle, où elles paient très cher un service qui n’est souvent pas à la hauteur.

Mme Suzanne Rameix, philosophe, membre du Comité de pilotage des États généraux de la bioéthique. Qui effectue le prélèvement dans le cas d’un accouchement qui a lieu en France et où le sang est envoyé à l’étranger ? Et qui le paie ?

M. Georges Uzan. La mère ou son entourage, me semble-t-il. La maternité où a lieu l’accouchement n’intervient pas, pour autant que je sache. Je ne sais pas exactement qui effectue le prélèvement. Il y a des kits prêts à l’emploi en vente sur internet. Le problème est que le prélèvement ainsi réalisé par des personnes non qualifiées est très faible par rapport à ce qui est nécessaire.

Mme Suzanne Rameix. Les cellules souches du sang de cordon pourraient-elles être utilisées pour le screening de molécules pharmacologiques, ce qui éviterait d’utiliser des cellules souches embryonnaires ?

M. Georges Uzan. L’énorme avantage des cellules souches embryonnaires est que la « matière première » que sont les cellules souches, si rare ailleurs, y compris dans le sang de cordon, est leur nature même. En outre, les techniques de différenciation des cellules souches embryonnaires en tous types cellulaires sont bien maîtrisées. Il existe un continuum entre la cellule souche embryonnaire et la cellule différenciée fonctionnelle qui permet facilement ce screening. Celui-ci est possible avec les cellules souches du sang de cordon, mais avec des applications beaucoup plus limitées, le spectre de différenciations possibles étant beaucoup plus étroit.

Mme Suzanne Rameix. Même avec ces cellules que l’on dit « semblables » aux cellules souches embryonnaires ?

M. Georges Uzan. Le problème est que ces cellules-là, seuls deux laboratoires au monde affirment les avoir isolées. Il y a très peu d’articles scientifiques parus sur le sujet. Et si pour les obtenir, il faut créer des conditions de culture totalement artificielles, susceptibles de conduire ces cellules à se comporter de manière imprévisible, la validité des tests menés en aval ne peut qu’en être affectée.

Mme Suzanne Rameix. La loi actuelle n’autorise les recherches sur les cellules souches embryonnaires que s’il n’existe pas de « méthode alternative d’efficacité comparable. » Lorsqu’un protocole est soumis à l’Agence de la biomédecine pour un screening, peut-on soutenir qu’il n’y a pas de méthode alternative ?

M. Georges Uzan. C’est exactement mon domaine de recherche à l’heure actuelle. Je travaille sur le comportement des cellules de la barrière hémato-encéphalique à la fois avec des cellules souches embryonnaires et des cellules souches de sang de cordon. Mais il est des cas où l’alternative n’existe pas. Ainsi en va-t-il pour les cellules neurales que l’on ne sait pas fabriquer à partir du sang de cordon – on n’arrive qu’à obtenir des cellules exprimant des marqueurs de neurones, pas des vrais neurones – alors qu’avec les cellules souches embryonnaires, on en est déjà dans certains laboratoires aux essais cliniques.

L’important dans la loi serait de bien définir les cas dans lesquels les cellules souches embryonnaires sont irremplaçables et ceux dans lesquels on pourrait se contenter des cellules souches du sang de cordon qui coûteraient moins cher et poseraient moins de problèmes éthiques.

M. Paul Jeanneteau. Pensez-vous qu’il faille lever le moratoire de cinq ans institué par la loi actuelle ? L’avis du Conseil d’État sur le sujet vous convient-il ?

M. Georges Uzan. Plutôt, il a le mérite d’être très clair.

M. le rapporteur. Il me reste, Monsieur, à vous remercier de votre contribution aux travaux de notre mission.

Audition de M. Jean-Marie Le MÉNÉ,
président de la Fondation Jérôme LEJEUNE



(Procès-verbal de la séance du 3 juin 2009)

Présidence de M. Michel Vaxès, vice-président

M. Michel Vaxès, président. Nous accueillons M. Jean-Marie Le Mené, président de la Fondation Jérôme Lejeune, conseiller maître à la Cour des comptes et auteur de La Trisomie est une tragédie grecque.

La fondation que vous présidez perpétue l'action du professeur Lejeune, généticien français décédé en 1994, découvreur en 1959 de l'origine chromosomique du syndrome de Down. Promoteur de la cytogénétique, le professeur Lejeune a dénoncé les dérives eugénistes que l'utilisation de ces connaissances pouvait engendrer. En 1998, la fondation Jérôme Lejeune a créé un Institut, qui offre à Paris une consultation médicale spécialisée aux patients atteints d'une déficience intellectuelle d'origine génétique, notamment la trisomie 21.

Chaque année, votre fondation participe, sur la seule base de dons privés, au financement de plus de cent programmes de recherche pour près de 2 millions d'euros, dans le but de trouver des traitements susceptibles d'atténuer la déficience mentale.

Vous êtes particulièrement critique envers le développement des pratiques de dépistage génétique dans le cadre d'un diagnostic préimplantatoire ou prénatal. Ainsi avez-vous eu l'occasion de dire que l'institut Jérôme Lejeune assurait des consultations pour les « rescapés de l'eugénisme ». Votre audition sera l'occasion de nous exposer votre analyse sur la multiplication des tests génétiques et de nous faire part de votre position sur les différents problèmes abordés dans la loi de bioéthique.

M. Jean-Marie Le Méné. Dans le cadre de la révision des lois de bioéthique, la Fondation Jérôme Lejeune se mobilise plus particulièrement sur deux sujets : l’eugénisme, parce qu’elle en reçoit les rescapés à sa consultation médicale, plus de 5 000 patients; la recherche sur l’embryon, dans la mesure où elle finance des projets de recherche en thérapie cellulaire utilisant les cellules souches adultes et les cellules de sang de cordon.

Comme l’indique le rapport du Conseil d’Etat, la quasi-totalité des projets de recherche sur l’embryon déposés ont été autorisés par l’Agence de la biomédecine – ABM. Pour les sages du Palais-Royal, cela « semble indiquer que les critères figurant dans la loi française ne sont pas un obstacle aux recherches sur les cellules embryonnaires » et confirme « l’approche pragmatique de l’ABM, notamment quant à l’interprétation du critère relatif aux perspectives de ‘progrès thérapeutique majeur’ ». En d’autres termes, cela signifie que l’ABM s’est affranchie du respect des deux exigences posées par la loi. 

S’agissant de la première exigence – la perspective d’un progrès thérapeutique majeur – les travaux parlementaires ont été clairs, l’intention du législateur sans équivoque. Le Parlement n’a pas autorisé la recherche sur l’embryon dans une vague perspective thérapeutique, laquelle représente la finalité ultime de toute recherche, même fondamentale.

Mais contre toute attente, à peine un an après le vote de la loi et avant même que les décrets d’application ne soient parus, le constat s’est imposé brutalement que les recherches sur l’embryon n’offraient plus les perspectives thérapeutiques attendues. Le rapporteur de l’OPECST, M. Alain Claeys, s’en expliquait alors ouvertement : « je trouve scandaleux de dire qu’aujourd’hui la recherche sur les cellules souches embryonnaires trouvera, demain, des applications thérapeutiques », point de vue confirmé par l’OPECST deux ans plus tard.

Comment expliquer qu’une disposition aussi centrale de la loi de 2004 soit précipitamment devenue inapplicable, sauf à supposer que cette exigence de progrès thérapeutique majeur n’avait pour autre but que de faire accepter la dérogation au principe de l’interdiction de la recherche sur l’embryon ?

Les travaux préparatoires montrent en effet que ni la visée cognitive, ni même la finalité simplement médicale, n’étaient en 2004 des arguments suffisants pour justifier la transgression. Seul le critère de perspectives thérapeutiques pouvait faire céder le législateur, rassurer l’opinion publique et trouver un écho médiatique. Comme le disait M. Jean Leonetti, il s’agissait de « compenser la violation de l’interdit », de « trouver une mauvaise compensation pour une mauvaise sémantique ».

Mme Carine Camby, que vous avez auditionnée le 10 décembre 2008, l’a confirmé : « les chercheurs ont beaucoup joué là-dessus pour faire accepter par l’opinion ces recherches ». Mme Nicole Questiaux, dans son audition du 17 décembre 2008, a expliqué que « c’était simplement les scientifiques qui, pour nous pousser, disaient qu’ils étaient presque prêts ». Le Pr. Fagniez, entendu le même jour, l’a dit dans des termes plus crus : « on savait, même si je disais le contraire avec beaucoup de conviction, que c’était complètement idiot. C’était idiot parce qu’on savait que ça n’avait pas de réalité », « aucun n’avait d’autre idée que de faire progresser la connaissance », « il faut partir de l’idée que même si l’on ne trouve pas, il faut bien travailler sur les cellules souches embryonnaires ».

Il en ressort des conséquences dont vous mesurerez la gravité. Tout d’abord l’exigence de progrès thérapeutique majeur n’a pu être respectée par l’ABM pour une bonne raison : c’est que, dès le vote de la loi, elle n’avait pas pour but d’être respectée, mais d’être un argument de circonstance. Ainsi, dès 2004, la représentation nationale et l’opinion publique ont été circonvenues, car ni l’une ni l’autre n’aurait jamais accepté la recherche sur l’embryon dans une perspective seulement spéculative.

La seconde exigence, en vertu de laquelle une recherche ne peut être autorisée qu’à la condition de ne pouvoir être poursuivie par une méthode alternative d’efficacité comparable, a elle aussi été clairement précisée lors des travaux parlementaires. Comme l’a expliqué le rapporteur à l’Assemblée nationale, « ces recherches ne sont concevables que s’il s’avère que les progrès attendus ne peuvent être obtenus qu’en travaillant sur l’embryon humain et lui seul ».

Or l’obtention de cellules reprogrammées à partir de cellules somatiques adultes par le Pr. Yamanaka en 2007 a montré que, d’une part, les iPS, cellules redevenues pluripotentes, équivalent aux cellules embryonnaires non différenciées, qu’elles présentent les mêmes caractéristiques que les cellules embryonnaires – morphologie, qualité d’auto-renouvellement et de prolifération – et qu’enfin, leur réaction in vitro et in vivo est identique à celle des cellules embryonnaires.

Le professeur Ian Wilmut, qui dès l’annonce de cette découverte avait déclaré qu’il renonçait au clonage embryonnaire, a réaffirmé récemment son impact sur les travaux des chercheurs : « Maintenant, la dédifférenciation de cellules somatiques a démontré que le même objectif pouvait être atteint en utilisant directement les cellules somatiques des malades ».

En 2008, le Pr. Kevin Eggan de l’Institut des cellules souches d’Harvard est parvenu à cultiver des iPS à partir de cellules de peau prélevées chez des personnes frappées par la maladie de Charcot et à les transformer en neurones, prouvant qu’il était possible de travailler très précisément sur des outils cellulaires reproduisant parfaitement les mécanismes de la maladie.

La même année, une autre équipe d’Harvard, supervisée par le Pr. Georges Daley, a abouti à un résultat aussi probant en recueillant les cellules cutanées dans un large panel de malades souffrant de diverses pathologies comme le diabète de type I, la trisomie 21, la chorée de Huntington, la maladie des bébés bulle, la maladie de Parkinson.

Comment expliquer, alors que même le grand public était informé dès la fin 2007 des possibilités offertes par les iPS, que l’ABM ait continué à délivrer des autorisations en vue de modéliser des maladies génétiques, ou de faire du criblage moléculaire, à partir de cellules souches embryonnaires ?

L’ABM, dans son « bilan d’application de la loi de bioéthique » daté d’octobre 2008 – un an après la découverte du Pr. Yamanaka et quelques mois après les résultats du Pr. Georges Daley – a continué d’analyser la situation en faisant abstraction de l’actualité scientifique : « Suivant la loi, les recherches autorisées ne doivent pas pouvoir être poursuivies par des méthodes alternatives d’efficacité comparable. Cette condition, bien que n’ayant pas posé de problèmes lors de l’examen des demandes, semble, au regard des réalités scientifiques, superflue. »

Même si ces découvertes ne peuvent plus être méconnues aujourd’hui, deux arguments, de nature à relativiser l’intérêt des iPS, sont utilisés : la reprogrammation cellulaire n’aurait été réalisée que grâce aux recherches sur les cellules souches embryonnaires ; et il resterait à valider beaucoup de paramètres, s’agissant, notamment, de la possibilité d’utiliser ces cellules dans des applications thérapeutiques.

S’agissant du premier argument, il faut rappeler que, contrairement aux recherches du Pr. Thomson qui utilisaient des cellules embryonnaires humaines, l’étude du Pr Yamanaka – précédant la découverte des iPS – a porté sur des embryons de souris. Celui-ci a identifié dans cette publication plusieurs facteurs potentiellement acteurs dans la reprogrammation. A sa grande surprise, le facteur Nanog – identifié auparavant par J. Silva comme essentiel puisque responsable de l’acquisition de la pluripotentialité dans les cellules embryonnaires – n’apparaît plus seul responsable de cette action. Quatre autres gènes jouent ce rôle. Nanog, identifié grâce à des études sur l’embryon humain, notamment par clonage, n’était donc pas nécessaire pour la reprogrammation telle que l’ont opérée les travaux de Yamanaka. Contrairement à ce qui est soutenu en France, les recherches sur l’embryon n’ont pas été requises pour reprogrammer des cellules somatiques.

Pour ce qui est du deuxième argument, qui suggère que les iPS comportent des risques majeurs qui les rendent inutilisables pour des thérapies, il est vrai qu’il reste du travail. Mais il faut savoir que certains défauts relevés lors de la découverte de 2007 ont été corrigés très rapidement : l’utilisation d’un gène résistant aux antibiotiques n’est plus nécessaire ; le gène oncogène qui posait problème a été remplacé par Yamanaka dès la fin 2007 ; et la reprogrammation cellulaire peut désormais se faire sans utiliser des vecteurs viraux.

De son propre aveu, l’ABM n’a pas respecté la seconde exigence posée par la loi de 2004, s’autorisant à la juger « superflue ». Ensuite, contrairement à sa mission de veille scientifique, elle a ignoré, au moins jusqu’à la fin de 2008, l’ampleur de la découverte de la reprogrammation cellulaire et de ses conséquences. Enfin, l’ABM a contribué à discréditer cette piste de recherche prometteuse en méconnaissant les arguments scientifiques qui fondent les iPS.

Il est pour le moins surprenant que toutes les institutions amenées à se prononcer sur les questions de bioéthique – ABM, OPECST, Comité consultatif national d’éthique, Conseil d’Etat – proposent de lever le moratoire et de passer du régime actuel d’interdiction de la recherche sur l’embryon humain, assorti de dérogations, à un régime d’autorisation assorti de limites. Ce consensus est d’autant plus troublant que la raison invoquée pour instaurer un régime d’autorisation pérenne est paradoxalement celle qui avait prévalu pour instaurer un régime de dérogations ! Je m’explique. Dans son rapport de 1999, le Conseil d’Etat avait précisé à propos du moratoire qu’au terme des cinq ans «  soit ce régime deviendrait caduc, soit le législateur devrait le reconduire pour une période limitée, soit encore le pérenniser en fonction des résultats obtenus par ces recherches ». Or, aujourd’hui, c’est bien l’absence de résultats obtenus par ces recherches qui va justifier, non le retour à un régime d’interdiction sans dérogations ou la reconduction du moratoire à laquelle on s’attendrait légitimement, mais le passage à un régime d’autorisation pérenne, au motif que la durée de cinq ans « priverait les acteurs de la visibilité nécessaire ». Autrement dit, ce serait la loi de 2004 qui briserait les élans des chercheurs sur l’embryon, alors que le dispositif a été mis en place à leur demande et à leur profit !

D’ailleurs le Conseil d’Etat, dans son rapport de 2009, ne dissimule guère le fait que les recherches sur l’embryon n’ont enregistré aucun résultat : « malgré l’importance des progrès enregistrés dans les recherches conduites à partir de cellules autres qu’embryonnaires, les données scientifiques ne permettent pas de conclure que ce que le législateur a voulu rendre possible en 2004 ne serait plus justifié aujourd’hui ou aurait des chances de ne plus l’être dans quelques années ». Le message est clair : non seulement la recherche sur l’embryon n’a rien donné, mais ce sont les autres recherches qui ont été performantes.

Etrangement, c’est parce les résultats se font attendre qu’il est proposé de donner à la recherche « qui ne trouve pas » la priorité sur la recherche « qui trouve », en lui assurant la pérennité ! Pour le Conseil d’Etat, il n’est pas exclu que cette recherche trouve, à condition de lui laisser encore du temps… et de l’argent. Non seulement le raisonnement est irrecevable sur le plan scientifique, mais il est contraire à la bonne gestion des fonds publics et à l’intérêt des patients. Combien de temps faudra-t-il financer une recherche qui ne trouve pas alors qu’il existe une recherche qui trouve ? Combien de temps continuera-t-on à faire croire à l’opinion publique que les chercheurs français ne trouveront pas tant qu’ils n’auront pas librement accès à l’embryon ?

Certes, il ne faut pas décourager les chercheurs et il convient encore moins de les contraindre à une obligation de résultats, mais de là à oser écrire, comme le fait le Conseil d’Etat, que « la notion d’efficacité ne serait pas pertinente pour juger d’un projet de recherche », il y a de la marge ! Plus la recherche est contre-performante, plus on donne de droits à ses auteurs, plus on demande au contribuable de la financer, plus on fait attendre le patient et plus on exige du législateur qu’il s’efface devant l’ABM qui fait la loi à sa place…

La capitulation éthique est plus grave encore. Le sens de la législation bioéthique ne consiste pas à « donner ses chances » à la recherche sur l’embryon mais, selon le Conseil d’Etat, à n’admettre de dérogation au principe d’interdiction de la recherche sur l’embryon que « pour des motifs majeurs d’intérêt général et par l’existence d’autres pistes de recherche laissant espérer qu’à terme, il serait possible de se passer des recherches sur l’embryon ».

Or, si la littérature scientifique montre qu’il existe une autre méthode pour modéliser des pathologies, comment interpréter le fait qu’on ne s’y intéresse pas ? Non seulement cette méthode présente des critères d’efficacité, n’en déplaise à l’ABM et au Conseil d’Etat, mais de surcroît son efficacité n’est pas comparable à celle de la recherche sur l’embryon : elle lui est infiniment supérieure, précisément dans la mesure où elle est capable de se passer des recherches sur l’embryon – ce qui est, in fine, le but recherché par la bioéthique.

Il est vain de comparer les deux méthodes, car elles sont incomparables : la première, inefficace et destructrice d’embryons, a les faveurs des « grandeurs d’établissement », selon le mot de Pascal ; la seconde, qui est efficace et qui ne détruit pas d’embryons, mais qu’elles ont choisi d’ignorer.

Pourquoi cet entêtement à vouloir « faire de l’embryon » ? Il est inquiétant de lire dans le rapport du Conseil d’Etat la phrase suivante : « Il faut enfin noter un fort intérêt du secteur privé, notamment pharmaceutique, pour ces recherches, s’agissant en particulier de l’utilisation des cellules souches embryonnaires comme outil de criblage de banques de molécules à visée thérapeutique ou dans le champ de la toxicologie ».

Serait-ce à l’industrie pharmaceutique que le Conseil d’Etat pense réserver le bénéfice de la recherche sur l’embryon ? Une telle philanthropie à l’égard du capitalisme est touchante mais l’on ne manquera pas de s’inquiéter que des fonds publics puissent venir en aide au secteur privé pour lui fournir, à bon prix, des embryons humains en guise de souris de laboratoire.

Pourquoi le secteur privé a-t-il besoin d’embryons ? Dans son rapport sur les cellules souches de 2001, François Gros, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, soulignait le fait que les travaux sur les primates se heurtaient partout dans le monde à des oppositions bien organisées. Mme Coulombel, auditionnée par votre mission, confirme d’ailleurs ce point de vue. De fait, une directive européenne protège les animaux utilisés à des fins expérimentales ou à d’autres fins scientifiques. Espérons que l’intérêt pour la recherche sur l’embryon humain ne s’explique pas par la nécessité de fournir une « méthode alternative d’efficacité comparable » à la recherche sur l’animal !

Au-delà de cette complaisance vis-à-vis du capitalisme pharmaceutique, il y a plus grave encore : la perte du symbole. Mme Dreyfuss-Netter, membre du CCNE, a considéré que le fait de passer du régime actuel d’interdiction assorti de dérogations à un régime d’autorisation assorti de limites, n’était qu’un « changement symbolique ». C’est précisément ce qui est le plus important ! Le symbole est au coeur de notre démocratie et s’en priver, c’est se priver de sens. Enoncer un principe, quitte à admettre des exceptions, est une chose ; renoncer au principe en est une tout autre.

C’est pourquoi, conformément aux intentions de la loi de 2004, il faut maintenir l’interdit de la recherche sur l’embryon et ne pas reconduire le moratoire. Les dérogations sont inutiles puisque la modélisation et le criblage moléculaires sont possibles sur les iPS. Les arguments en faveur du maintien du moratoire sont idéologiques ou économiques ; ils ne peuvent prévaloir sur un plan éthique.

En outre, l'article L. 2151-2 de la loi de 2004, qui dispose que la conception in vitro d'embryons à des fins de recherches est interdite, doit être respecté. Or le décret du 6 février 2006 prévoit que, dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation, le couple peut « consentir dans le même temps par écrit à ce que les embryons, qui ne seraient pas susceptibles d'être transférés ou conservés, fassent l'objet d'une recherche ». Ce consentement a priori revient à créer un flux d'embryons frais pour la recherche. Cette disposition, contraire à la loi, a échappé à la vigilance du législateur.

Enfin, nous préconisons que soit développée et valorisée de manière significative une recherche en thérapie cellulaire à partir de cellules souches adultes, de sang de cordon, et d’iPS, à l’image de ce qu’ont entrepris l’Allemagne ou le Japon.

Quant à la question de l’eugénisme, elle peut sembler théorique : il n’en est rien. Nous accueillons chaque jour, dans le cadre de notre consultation médicale, des rescapés de l’eugénisme. Les parents nous confient les pressions qu’ils ont subies avant la naissance pour les inciter à l’interruption médicale de grossesse : « Ce sera un chemin de croix, un calvaire, votre enfant sera handicapé mental, il ne pourra pas aller à l’école, il sera à votre charge pendant des dizaines d’années, il vous survivra, qui s’occupera de lui alors que la société ne fait rien pour les personnes handicapées vieillissantes ? » Ils nous confient aussi ce qui se passe après la naissance : « Le médecin qui m’a accouchée m’a dit : il est mongol, je vous avais prévenue, vous aviez les moyens de faire autrement », « Désolé, mais il n’y a rien à faire pour l’améliorer, la médecine est impuissante ».

Ces parents sont seuls avec leur chagrin, leurs difficultés, leur honte, leur sentiment de culpabilité ; ou presque seuls – car leurs enfants partagent ce chagrin, au point que certains nous ont dit : « on veut, on a voulu nous tuer ». Ces handicapés mentaux sont deux fois victimes : après avoir tenté de leur voler la vie, la société leur vole le droit à être accueillis, soignés et traités.

Quant aux personnes qui ont fait le choix d’une IMG, certaines viennent nous voir parce qu’elles ne s’en remettent pas. Elles entreprennent des thérapies et tentent d’expier ce qu’elles considèrent comme une faute impardonnable. Nous sommes également contactés par les médecins et les sages femmes. L’une d’entre elles nous expliquait récemment qu’elle savait interrompre une grossesse dans le cas d’une trisomie 21, mais qu’elle ignorait comment accompagner une femme qui voulait la poursuivre.

Si nous rencontrons chaque jour des victimes de l’eugénisme, c’est qu’il doit bien exister de l’eugénisme. Du reste, le fruit de notre expérience est corroboré par les témoignages récents de personnalités comme M. Didier Sicard, ancien président du CCNE, qui parle d’un dépistage devenu quasi obligatoire et qui renvoie à la perspective terrifiante de l’éradication, de M. Jean-François Mattei, généticien et ancien ministre, qui vient de déclarer que « ce qui s’est produit pendant la Seconde Guerre mondiale est absolument monstrueux mais ne doit pas nous empêcher de voir qu’il existe bel et bien en France un eugénisme de masse », de M. Bertrand Matthieu, professeur de droit, qui dit qu’on organise la sélection des personnes, ou encore de M. Emmanuel Hirsch, responsable de l’Espace éthique AP-HP.

Le constat de l’eugénisme est d’autant plus facile à poser que les intentions qui ont présidé à la mise en place du dépistage généralisé de la trisomie 21 étaient sans ambiguïté, et ont été publiquement formulées. La politique de prévention a été mise en place sur une triple base : « l’aversion » – je cite – pour le handicap mental (le rejet de l’altérité) ; la disponibilité des techniques (c’est possible techniquement, donc on le fait) ; le coût social élevé de la trisomie 21 (ils coûtent plus cher vivants que morts…). Aucune de ces raisons n’est une justification éthique et l’argument du coût implique que le dépistage débouche sur l’avortement, sans quoi le système n’est plus rentable – cela aussi a été écrit.

Douze ans après, la généralisation de cette politique – la plus radicale d’Europe, puisqu’elle ne repose pas sur un critère d’âge de la mère et qu’elle est imposée aux médecins – coûte chaque année 100 millions d’euros à l’assurance maladie et conduit à l’avortement de 96 % des enfants trisomiques dépistés.

En 1997 M. Jean-François Mattei avait, dans son rapport sur la généralisation du dépistage de la trisomie 21, prévu deux garde-fous à l’eugénisme. D’une part, un effort de recherche à visée thérapeutique équivalent à l’effort de dépistage devait être consenti « sauf à croire que le choix est fait de l’élimination plutôt que de la compréhension des causes de l’affection dans le but de mieux prévenir ». La France n’a développé aucune politique publique de recherche à visée thérapeutique et seule la Fondation Jérôme Lejeune organise et finance ces programmes, à partir de dons privés. D’autre part, les femmes devaient pouvoir donner un consentement éclairé. Une étude de l’Inserm a montré que seulement la moitié d’entre elles comprenaient le dispositif. Quant au taux de 96 %, il évoque plus un scrutin de démocratie populaire que l’existence d’un libre choix.

Les effets de cette politique sont très graves : un groupe humain est sélectionné à partir d’un critère arbitraire tiré de son génome ; il est porté intentionnellement atteinte à la vie des membres de ce groupe ; cette destruction totale ou partielle du groupe est le fait d’un plan concerté, puisque la prévention de la trisomie 21 par l’IMG fait l’objet d’une organisation contrôlée, financée, évaluée par l’Etat selon des critères de performance et de qualité.

Face à ce constat, le Conseil d’Etat semble prendre conscience de l’existence d’une menace eugéniste : « 96 % des cas détectés donnent lieu à une interruption de grossesse, ce qui traduit une pratique individuelle d’élimination presque systématique des fœtus porteurs ». Cela justifie un appel à la vigilance « afin que la politique de santé publique ne contribue pas, par effet de système, à favoriser un tel comportement collectif, mais permette au contraire la meilleure prise en charge du handicap ».

Mais le Conseil d’État propose de faire exactement ce qu’il dénonce : il donne son assentiment au renforcement plus précoce du dépistage de la trisomie 21, passant du deuxième au premier trimestre, et fait siens de prétendus avantages décrits par la Haute autorité de santé : baisse du taux d’amniocentèses, impact psychologique moins élevé pour la mère en cas d’interruption de grossesse. Pour la deuxième fois, il s’en remet au point de vue d’une autorité technique sans y ajouter de valeur éthique. A quoi sert la bioéthique s’il ne s’agit que d’enregistrer les demandes de la technoscience et de l’ultralibéralisme ?

Pratiquer des examens de dépistage plus tôt ne fera qu’anticiper le problème. Le dépistage n’est qu’un calcul de risques. Si le risque est faible, il n’écartera pas totalement la possibilité pour l’enfant d’être atteint. Si le risque est élevé, il faudra quand même procéder à la confirmation diagnostique par un prélèvement. Il sera alors proposé, l’amniocentèse étant impossible à ce stade précoce, de recourir à la choriocentèse – biopsie du trophoblaste –, qui induit un taux de pertes fœtales 1,5 à 2 fois plus élevé. La baisse escomptée du nombre des amniocentèses sera compensée par l’augmentation de celui des choriocentèses et le nombre de grossesses perdues sera le même. Le gain en fiabilité n’est donc pas avéré.

Les femmes n’en tireront pas un meilleur confort psychologique puisqu’elles subiront le harcèlement sur la trisomie 21 encore plus tôt dans la grossesse. L’article 10 du projet d’arrêté prévoit qu’elles devront être associées au choix de la technique : choriocentèse – plus risquée mais plus précoce – ou amniocentèse – moins risquée mais tardive. Certaines pourront même recourir à une IVG sans attendre la confirmation du diagnostic, sur la base d’un simple calcul de risque.

Par ailleurs, le temps de réflexion tend à disparaître. Avec le « one day test », le but est d’obtenir dans la journée les marqueurs sériques, l’échographie, le calcul du risque et la biopsie de trophoblaste en cas de risque, suivi du résultat en 48 heures chrono. Comment la femme, prise dans ce tourbillon, pourra-t-elle disposer d’une bonne information et réfléchir avec sérénité avant de donner son consentement libre et éclairé ? On dispose de plus de temps pour refuser une offre commerciale…

Dans sa lettre de mission au Conseil d’État, le Premier ministre avait demandé si les dispositions encadrant les pratiques du diagnostic prénatal garantissaient une application effective du principe prohibant toute pratique eugénique. Or, au moment même où se tiennent les Etats généraux, et avant que le législateur se prononce, le Conseil d’Etat préempte la réponse à cette angoissante interrogation en donnant par avance, et sans aucune justification, son feu vert à la publication des arrêtés du ministre de la santé destinés à mettre en œuvre le dépistage plus précoce de la trisomie 21.

A trois reprises dans son rapport, le Conseil d’Etat assume son immobilisme : « ce risque (d’eugénisme) ne peut jamais être totalement écarté » ; « les conditions d’accès au DPN (…) ne permettent pas d’écarter totalement d’éventuelles dérives » ; « il paraît illusoire et même injustifié d’empêcher ou de retarder l’accès à des techniques de dépistage ».

L’article 16-4 du code civil, prohibant toute pratique eugénique de sélection des personnes, est ainsi vidé de sa signification. Face à cette situation historique, le législateur devrait prendre trois mesures, à rebours de ce que préconise le Conseil d’État. Il s’agit d’abord de considérer que ce qui est dû aux familles n’est pas la mise à disposition systématique d’une nouvelle technique de dépistage, mais la vérité. Une vérité qui oblige à dire que la nouvelle technique renforce l’eugénisme. Ensuite, il faut cesser d’imposer le test du dépistage de la trisomie aux médecins, qui le répercutent ensuite sur les femmes. C’est la seule manière de briser le cercle vicieux de l’eugénisme. Enfin, un équilibre entre l’effort consacré au dépistage et les moyens alloués à la recherche doit être rétabli : pour chaque euro donné au dépistage, un euro doit aller à la recherche. C’est ce que préconisait M. Jean-François Mattei il y a quinze ans, mais cela n’a pas été suivi d’effet.

La trisomie reste une tragédie grecque. La découverte du chromosome 21, il y a cinquante ans, laissait entrevoir des perspectives intéressantes aussi bien pour la recherche que pour les malades. Mais la première s’est retournée contre les seconds. À cette tragédie, il faut ajouter un épilogue. Ce n’est pas au Conseil d’État ou à l’ABM qu’il revient de l’écrire, mais au législateur, garant de nos libertés.

M. le président. Votre exposé, très complet, laisse cependant peu de place au doute et à l’interrogation. Nous avons entendu dans cette enceinte des chercheurs tenir un tout autre discours quant aux voies de recherche alternatives et nous nous efforçons d’adopter une posture de grande humilité, en tenant compte des différentes approches.

Le législateur doit-il élaborer la loi d’une manière si précise qu’il ait à se placer dans une position hiérarchique vis-à-vis de compétences scientifiques, quitte à formuler à l’égard des chercheurs des injonctions sur leur propre terrain ? Doit-il, au contraire, s’en tenir aux principes et ne pas entrer dans les détails, ce qui justifie l’intervention d’une instance comme l’ABM ?

M. Jean Leonetti, rapporteur. Nous avons déjà eu l’occasion de débattre et je connais la richesse de votre argumentation ainsi que la force de vos convictions.

Le dépistage génétique peut porter sur la trisomie 21, mais aussi sur des maladies très graves, comme celle de von Hippel-Lindau, qui conduit à des cancers incurables touchant le nourrisson dans sa première année. Selon vous, est-il légitime d’interrompre la grossesse lorsque de telles maladies sont détectées ? Dans ce cas, diriez-vous aussi que cela revient à éliminer une population selon des critères arbitraires ?

Vous avez raison de dénoncer l’ambiguïté des critères autorisant une dérogation pour la recherche sur l’embryon. Mais un moratoire, qui suppose que des transgressions soient autorisées à certaines périodes et pas à d’autres, est-il éthique ? La contingence des valeurs morales dans le temps ne pose-t-elle pas problème ?

Les restrictions à la recherche sur l’embryon posées par le législateur de 2004 n’avaient pour autre fonction que de faire « passer » la transgression. Aucun chercheur ne peut garantir des effets thérapeutiques à court terme ; et aucune recherche n’est « d’efficacité équivalente » à une autre menée dans un autre domaine. Vous avez appelé cela la « capitulation éthique » ; j’ai, pour ma part, parlé d’ « argumentaire justificatif de la transgression ». Mais ce constat m’amène à vous poser la question suivante : qu’est-ce que l’embryon ? Si vous considérez qu’il s’agit d’une personne, il faut aller plus loin et poser la question de l’interdiction de l’avortement et celle de la destruction des embryons surnuméraires. Mais si l’embryon n’est ni une chose ni une personne – telle est la position de notre droit –, il n’est pas illogique de permettre à la mère d’interrompre la grossesse lorsque celui-ci est porteur d’une anomalie ou de prélever une cellule sur l’embryon avant sa destruction.

Il me semble que vous vous attaquez aux conséquences de la transgression, faute de pouvoir vous battre sur l’essentiel, qui serait de considérer l’embryon comme une personne humaine et, à ce titre, de ne tolérer aucune dérogation. Ce point de vue est respectable ; encore faut-il qu’il soit clairement exprimé.

M. Jean-Marie Le Méné. C’est une question fondamentale et, paradoxalement, il m’est aisé d’y répondre. La loi de 1975 énonce le principe du respect de la vie de tout être humain dès son commencement, avant de poser, dans un cadre précis, des dérogations. Pour autant, l’existence de ces dérogations, n’informe pas sur le statut de l’embryon ou sur son degré de respectabilité. À aucun moment la loi ne dit que l’embryon est disponible pour n’importe quel usage, notamment pour la recherche.

M. le rapporteur. Pour caricaturer, ne trouveriez-vous pas anormal que la détresse d’une femme – aux termes de la loi de 1975 – lui donne « le droit » d’avorter d’un enfant sans anomalie, quand une autre, enceinte d’un fœtus atteint d’une anomalie chromosomique, se verrait interdire le recours à une interruption médicale de grossesse ?

M. Jean-Marie Le Méné. Je ne juge pas les personnes, je dénonce le système français de dépistage, unique au monde, qui aboutit à une forme d’eugénisme. Il s’agit d’un choix collectif qui entraîne des décisions individuelles, et non l’inverse. C’est l’offre d’État qui, de fait, crée la demande.

Le moratoire est-il éthique ? C’est en tout cas un pis aller. Moins éthique encore serait l’abandon total du principe ! Le but de M. Jean-François Mattei était de maintenir un cap : la recherche sur l’embryon était interdite, sauf dérogation. Ce que l’on propose aujourd’hui, c’est de faire disparaître un principe sur lequel la représentation nationale et l’opinion publique étaient d’accord en 2004 et d’ériger la dérogation en principe. Sur un plan symbolique, c’est une position choquante et anti-pédagogique.

M. le rapporteur. Poser des dérogations, ce n’est pas décider d’un moratoire. Le moratoire a été choisi sur la base d’un argumentaire à mon sens assez fallacieux, qui postulait que dans un délai de cinq ans, la recherche sur l’embryon ne serait plus nécessaire. Autant la dérogation est légitime en éthique, autant le moratoire est un pari sur l’avenir, bien hasardeux en matière de recherche scientifique.

M. Jean-Marie Le Méné. D’autant que lorsque le moratoire a été décidé en 2004, on ne parlait pas encore des recherches du Pr. Yamanaka : seul le clonage dit thérapeutique paraissait être une voie alternative. La découverte des iPS est révolutionnaire car elle ouvre une perspective d’efficacité comparable à celle qu’offre la recherche sur l’embryon sans qu’il soit nécessaire de déroger à un principe que l’on a voulu maintenir. La messe est dite !

M. le rapporteur. Toutefois 180 000 embryons congelés sont susceptibles d’être détruits chaque année. N’est-ce pas à vos yeux la question essentielle ?

M. Jean-Marie Le Méné. Personne ne peut s’enorgueillir de ce stock d’embryons « surnuméraires » ou « dépourvus de projet parental ». La France devrait s’inspirer du modèle allemand, puisque le nombre d’embryons conçus dans le cadre d’une AMP est volontairement réduit outre-Rhin. D’aucuns disent que les Allemands ont choisi cette voie en raison de leur passé. Mais que je sache, ce passé concerne l’ensemble des Européens.

La France mène une politique « généreuse », grande consommatrice d’embryons, ce qui justifie a posteriori l’utilisation des embryons par la recherche. Pour ne pas se trouver confronté à ce problème, il faudrait commencer par ne pas constituer de stock.

M. le président. S’il faut protéger à tout prix les embryons et ne pas les détruire, le cas des embryons dont le père est mort pose problème : approuveriez-vous le transfert post-mortem ?

M. Jean-Marie Le Méné. Je n’y suis pas opposé. L’enfant reste le fruit de ses parents. Et il arrive que des enfants naissent, alors que leur père est mort pendant la grossesse.

M. Paul Jeanneteau. Vos propos m’ont parfois paru excessifs. Pour vous, « la messe est dite » : il y a une recherche qui ne trouve pas et une recherche qui trouve. Or, dans le domaine de la science, il est difficile d’avoir des certitudes. D’ailleurs, les chercheurs que nous avons auditionnés ont fait état de leurs doutes. Tout ce qu’ils demandent, c’est un espace de liberté pour travailler et aller au bout de leur démarche.

Toutes les instances – OPECST, CCNE, ABM, Conseil d’État – proposent une levée du moratoire. N’est-ce pas le signe d’un consensus ? N’avez-vous pas l’impression d’avoir raison contre tous ? Enfin, que feriez-vous du stock d’embryons surnuméraires ?

M. Jean-Marie Le Méné. Personnellement, je n’ai pas de certitudes dans le domaine de la recherche. Je n’ai pas même d’avis propre sur le statut de l’embryon. La seule chose dont je sois certain, c’est de la définition du dictionnaire : « Embryon : forme la plus jeune de l’être humain ». Il ne s’agit pas de discuter des mérites de telle ou telle recherche – aucun de nous n’est compétent sur cette question – mais du principe du respect de l’embryon et de son utilisation ou non.

Que faire du stock d’embryons surnuméraires ? Il faut déjà arrêter de l’alimenter ; nous aurions dû le faire dès 2004. Pour le reste, je n’ai pas de réponse.

Je n’ai pas le sentiment d’avoir raison contre le reste du monde. En réalité, je me bats sur très peu de choses. J’estime qu’il faut laisser carte blanche à la recherche, dès lors qu’elle respecte l’être humain, de la conception à la mort. Il est vrai que nous ne sommes pas nombreux à exprimer cette position. Je me sens proche sur ce point du Pr. Jacques Testart, qui estime qu’il n’est pas nécessaire d’instrumentaliser l’embryon humain dans une perspective uniquement spéculative.

Nous avons affaire à des instances composées d’experts qui appartiennent à la technoscience et qui semblent exprimer un consensus général. Notre position devrait être regardée de près par le législateur, quand ces instances sont critiquées pour leur pouvoir grandissant, empiétant sur celui du Parlement.

La définition de l’embryon humain n’appartient pas aux techniciens. Dans ce domaine, les prérogatives du Parlement doivent être sauvegardées. Il serait très dangereux d’accroître les pouvoirs de l’ABM, et donc du lobby technoscientifique.

M. Xavier Breton. Sur quoi les travaux de recherche que finance votre fondation portent-ils ? Quels espoirs suscitent-ils ?

M. Jean-Marie Le Méné. La fondation Jérôme Lejeune est seule à financer en France des recherches sur la trisomie 21 afin de mieux comprendre cette pathologie, et de rendre aux personnes qui en sont atteintes les aptitudes qu’elles portent en elles, mais qu’elle les empêche d’exprimer. Nous finançons des équipes de chercheurs qui souvent travaillent dans le secteur public – INSERM, CNRS – aussi bien dans le domaine de la recherche fondamentale que dans ceux de la recherche appliquée et de la recherche clinique.

Nous tentons par exemple de déterminer quels sont les gènes du chromosome « supplémentaire » susceptibles de causer le retard mental. Le but est de réduire au silence leur expression biochimique, par la recherche de médicaments. On recourt pour cela à une technique de criblage moléculaire. On envisage aussi d’autres techniques, notamment celle qui est rendu possible par les cellules IPS. Nous cherchons également à comprendre pourquoi cet accident chromosomique survient au moment de la méiose. Cela nous permettrait de l’éviter, peut-être par une supplémentation vitaminique intervenant avant la conception, comme c’est le cas pour le spina bifida.

Nous défendons l’idée de donner un euro pour la recherche lorsqu’un euro va au dépistage. Le Dr. Sadek Beloucif, de l’ABM, s’est montré intéressé par cette idée.

M. Jean-Marc Nesme. J’apprécie que vous fassiez état de vos certitudes, du moins de vos convictions. Dans un domaine aussi complexe, l’eau tiède est dangereuse…

Le rapport rendu par le Conseil d’État résume fort bien la problématique à laquelle nous sommes confrontés : « l’eugénisme peut être désigné comme l’ensemble des méthodes et pratiques visant à améliorer le patrimoine génétique de l’espèce humaine. D’une part, il peut être le fruit d’une politique délibérément menée par un État et contraire à la dignité humaine, et d’autre part, il peut être aussi le résultat collectif d’une somme de décisions individuelles convergentes. » En somme, nous devons savoir si nous répondons à une demande individuelle consumériste ou si nous répondons à une demande conforme à l’intérêt général et à la dignité humaine.

Par ailleurs, on parle de dérogation, d’exception, de transgression, mais ces trois termes n’ont pas la même signification. Lorsque le législateur prévoit une dérogation ou une exception, c’est un choix pour lequel il engage sa responsabilité. Il n’en va pas de même lorsqu’il doit reconnaître une transgression, qui provient de l’extérieur.

Enfin, nous avons auditionné les représentants de l’industrie du médicament – ce qu’il faut bien appeler un lobby. Il m’a semblé que ces personnes ne se posaient pas autant de questions que nous ! A mon tour, je vous pose cette question : qu’est-ce que, pour vous, la dignité humaine ?

M. Jean-Marie Le Méné. La notion de dignité est parfois instrumentalisée, comme cela a été le cas lors du débat sur la fin de vie, lorsque l’on a considéré que la perte de la « dignité » justifiait que l’on ne respecte plus la vie. Or la dignité ne peut être séparée de la vie : une personne humaine ne perd jamais sa dignité. Par conséquent, sa vie doit toujours être respectée.

M. le président. La certitude peut conduire au totalitarisme, le doute à l’inaction et au laxisme. Il faut trouver un équilibre, entre conviction et humilité. Je vous remercie.

Audition de Mme Michèle ANDRÉ, sénatrice, présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat

(Procès-verbal de la séance du 3 juin 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Michèle André, sénatrice du Puy-de-Dôme depuis 2001.

Entre 1988 et 1991, vous avez été secrétaire d’État chargée des droits des femmes, et vous présidez actuellement la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat. À ce double titre, vous êtes en mesure d’éclairer notre mission sur la question des droits des femmes dans le domaine de la bioéthique, en particulier de l’assistance médicale à la procréation (AMP).

Au Sénat, vous avez présidé un groupe de travail chargé de réfléchir à la maternité pour autrui, dont vos collègues Alain Milon et Henri de Richemont étaient les rapporteurs. Le rapport de ce groupe de travail, publié en juin 2008, a contribué, c’est le moins que l’on puisse dire, à relancer le débat sur cette question.

Nous souhaitons vous poser les questions suivantes : pour quelles raisons vous êtes-vous prononcés en faveur de la légalisation de la gestation pour autrui (GPA) ? Comment définir un encadrement susceptible de prévenir les dérives, en particulier la marchandisation du corps humain ? Comment prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant à naître ? Quels enseignements tirez-vous des pratiques observées dans les pays où la gestation pour autrui est autorisée ? Enfin, que pensez-vous de la situation des enfants nés d’une GPA à l’étranger ? Le débat devrait ensuite nous permettre d’aborder les questions des indications de la GPA, de son indemnisation ou de sa rémunération au regard du principe de la gratuité du don, de la GPA intrafamiliale, des risques pour la gestatrice et pour l’enfant à naître, enfin celle des implications de la GPA pour notre législation.

Mme Michèle André. Répondre à l’invitation de l’Assemblée nationale est le moins que puisse faire la sénatrice que je suis, et je vous remercie de m’avoir invitée.

Le groupe de travail du Sénat a été créé dans la perspective de la révision des lois de bioéthique prévue en 2009, mais surtout après un arrêt de la Cour d’appel de Paris validant en octobre 2007 la transcription sur les registres d’état civil français des actes de naissance américains de deux jumelles nées d’une gestation pour autrui en Californie – arrêt qui fut remis en cause par la Cour de cassation en décembre 2008. Ce groupe de travail, constitué à la demande de la commission des lois, à laquelle j’appartenais, et de la commission des affaires sociales du Sénat, avait pour mission de répondre à ces deux questions : faut-il légaliser la gestation pour autrui en France et que faire pour les enfants nés de cette pratique illégale qui vivent en France ?

L’arrêt de la Cour d’appel, pris au nom de l’intérêt de l’enfant, a interpellé les membres de la commission des lois. 

Au sein de notre groupe de travail, nous étions tous intéressés par la problématique de la gestation pour autrui : certains y étaient favorables, d’autres hostiles. Après avoir désigné deux rapporteurs – Henri de Richemont pour la commission des lois, Alain Milon pour la commission des affaires sociales – mes collègues m’ont confié la présidence du groupe de travail. C’est à ce titre que je m’adresse à vous, et non en qualité de présidente de la Délégation aux droits des femmes, que mes propos n’engagent pas.

Nos travaux ont débuté en janvier et, après une cinquantaine d’auditions et un travail intense, marqué par l’assiduité de nos collègues, nous avons déposé notre rapport en juin. Outre la cinquantaine de personnes de toutes opinions que nous avons entendues, nous avons organisé des tables rondes. Nous disposions d’une étude de droit comparé réalisée par notre service des études juridiques sur les pratiques dans différents pays européens. À l’issue de nos travaux, une grande majorité d’entre nous était favorable à l’autorisation de la gestation pour autrui, sous réserve d’un encadrement très strict. Cette opinion fut en grande partie induite par notre visite en Grande-Bretagne, où nous avons pu mesurer les effets de la législation de 1985. Les Anglais avaient vu se développer des pratiques relevant de la marchandisation du corps, phénomène accentué par la présence sur leur sol de communautés qui considèrent que le fait de porter un enfant pour une autre femme ne pose pas de problème. Pour mettre un frein à cette dérive financière, ils ont instauré dans la loi un dédommagement pour la mère porteuse, à charge pour le juge de se prononcer sur la somme convenable, sans aborder les autres aspects du problème.

Dès lors que les dérives existent, nous souhaitons que la pratique de la gestation pour autrui soit encadrée. Pour nous, il s’agit d’un don réfléchi et limité dans le temps d’une partie de soi, au même titre que le don de gamète et le don d’organe. Le principe de la dignité de la personne humaine, qui interdit de conférer au corps humain un caractère patrimonial, est donc respecté.

Certains de nos collègues ont exprimé leurs inquiétudes face à la situation d’abandon de l’enfant ainsi mis au monde, mais la majorité d’entre nous a considéré que cet enfant était désiré et attendu par ses parents intentionnels.

Il est clair pour nous qu’il n’existe pas de « droit à l’enfant », mais il nous est apparu au fil des auditions qu’il s’agissait ici de lutte contre l’infertilité, comme avec les autres techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP). N’est-il pas injuste de permettre l’accès à ces techniques aux femmes privées de la possibilité de concevoir et de le refuser à celles qui sont privées de la possibilité de porter un enfant ?

Le groupe de travail propose de définir des conditions d’éligibilité rigoureuses, tant pour les bénéficiaires de la gestation pour autrui que pour celles qui acceptent de leur venir en aide, et préconise un régime légal plutôt que contractuel. Seuls pourraient bénéficier de la gestation pour autrui les couples composés de personnes de sexe différent, mariées ou en mesure de justifier d’une vie commune d’au moins deux années, ou pacsées, en âge de procréer et domiciliées en France – qui sont les conditions exigées pour l’accès à la procréation médicalement assistée – dont la femme se trouve « dans l’impossibilité de mener une grossesse à terme ou de la mener sans danger pour sa santé ou pour celle de l’enfant à naître ». À ceux qui craignent les dérives, je répondrai que cette disposition ne s’adresse pas aux femmes qui, pour des raisons personnelles – professionnelles ou de confort – ne souhaitent pas mettre un enfant au monde.

Autres préconisations du groupe de travail : les deux membres du couple devront être si possible les parents génétiques de l’enfant, ou tout au moins l’un des deux. Le couple devra être agréé par une commission pluridisciplinaire, placée sous l’égide de l’Agence de la biomédecine.

La mère de substitution fera également l’objet d’un agrément, et elle devra être domiciliée en France. Elle ne saurait être donneuse d’ovocytes : les Anglais ont commis cette erreur et semblent le regretter. Elle devra être mère d’au moins un enfant et n’avoir pas rencontré de difficultés particulières pendant sa ou ses grossesses. Enfin, elle ne pourra mener plus de deux grossesses pour le compte d’autrui.

Une mère de substitution ne pourra porter un enfant pour le compte de sa fille – même si les Grecs semblent l’accepter. Pour le compte d’une sœur ou d’une cousine, nous laissons l’Agence de la biomédecine se prononcer au cas par cas.

Il appartiendra au juge judiciaire d’autoriser le transfert d’embryons après s’être assuré du consentement des intéressés, y compris du conjoint ou du concubin de la gestatrice. Il reviendra à cette dernière, et à elle seule, de prendre toute décision afférente au déroulement de la grossesse, éventuellement de demander son interruption en cas de problème.

Conformément au principe de gratuité du don, qui constitue l’un des fondements des lois de bioéthique, la gestation pour autrui ne saurait donner lieu à rémunération. Toutefois, une somme correspondant à un « dédommagement raisonnable » pourrait être versée par le couple à la gestatrice, à l’exemple de ce qui se pratique au Royaume-Uni, afin de couvrir les frais qui ne sont pas pris en charge par la sécurité sociale. Le juge fixera le montant de ce dédommagement.

Notre groupe de travail n’est pas favorable au « délai de repentir » de six mois prévu par la loi anglaise. Il est vrai qu’en Angleterre, la mère porteuse est très souvent la mère biologique, ce que nous excluons totalement – j’ajoute qu’il ne s’est produit qu’un seul cas de femme ayant souhaité revenir sur sa décision. Nous préférons limiter ce délai à trois jours. Dans l’hypothèse où la gestatrice n’aurait pas exprimé le souhait de devenir la mère légale de l’enfant dans les trois jours suivant l’accouchement, les noms des parents intentionnels seraient automatiquement inscrits sur le registre d’état civil, en exécution de la décision judicaire ayant autorisé le transfert d’embryons et sur présentation de celle-ci par toute personne intéressée, notamment les représentants du ministère public. Ainsi, l’enfant ne serait pas privé de filiation et les bénéficiaires de la gestation pour autrui ne pourraient se rétracter au dernier moment – au motif, par exemple, qu’ils se seraient séparés ou que l’enfant à naître présenterait un handicap – et se soustraire à leurs obligations légales.

Enfin, le groupe de travail préconise à titre transitoire, d’une part, de permettre l’établissement de la filiation maternelle d’un enfant né d’une gestation pour autrui avant l’entrée en vigueur de la réforme, à condition que ses parents intentionnels remplissent les conditions d’éligibilité, et, d’autre part, de maintenir pour l’avenir l’interdiction d’établir la filiation maternelle des enfants nés à l’étranger en violation des règles édictées par la loi française après l’entrée en vigueur de la réforme.

Ces recommandations ont suscité de vives réactions – parfois excessives – car il s’agit d’un sujet douloureux pour de nombreux couples. Les arguments d’ordre juridique, sociologique et psychologique ne semblent pas s’opposer à la légalisation éventuelle de la gestation pour autrui. La seule question posée au législateur est donc purement éthique : quelle est la moins mauvaise solution pour les femmes et les enfants ?

J’ai la conviction qu’il faut légaliser la gestation pour autrui, d’autant plus qu’elle risque de ne concerner qu’un petit nombre de personnes. Lors de la présentation de notre rapport, nous avons été surpris par le nombre impressionnant de témoignages évoquant des familles qui se rendent à l’étranger pour y rencontrer une femme décidée à porter un enfant en échange d’un paiement – ce qui constitue une violation de la loi française. Se pose ainsi le problème d’une prohibition qui est contournée de façon importante.

Selon les médecins que nous avons interrogés, environ cent à trois cents couples français souhaiteraient recourir à la gestation pour autrui dans le respect de la légalité. Certains de mes collègues suggèrent de les diriger vers l’adoption, mais chacun sait qu’il est de plus en plus difficile d’adopter un enfant. Il me paraît difficile de fermer les yeux sur ce qui se passe dans les pays voisins et de prétendre que l’absence de filiation maternelle ne crée pas de difficultés. Faisons le pari du progrès. Si, dans la Bible, c’est la servante qui met au monde un enfant avec le mari de la femme stérile, nous pouvons aujourd’hui, grâce à la procréation médicalement assistée, mettre au monde un enfant en dehors de toute relation sexuelle. Nous devons envisager sereinement cette question difficile, sachant que pour combler leur désir d’enfant, les hommes et les femmes sont prêts à payer très cher et à agir en toute illégalité.

M. le président. L’une des conditions d’éligibilité des bénéficiaires de la GPA, pour le groupe de travail du Sénat, est « l’obligation, pour la femme, d’être dans l’impossibilité de mener une grossesse à terme ou de la mener sans danger pour sa santé ou pour celle de l’enfant à naître ». Le Conseil d’État a jugé que cette définition, dans la mesure où elle ne se limite pas au cas des femmes privées d’utérus, risque d’être interprétée de façon extensive et d’ouvrir la porte à des convenances personnelles – il est en effet difficile d’affirmer a priori qu’une grossesse sera sans danger pour la santé de la mère ou pour celle de l’enfant à naître. Que répondez-vous à cette objection ?

Vous dites que l’impossibilité de porter un enfant constitue la seule forme d’infertilité féminine à laquelle il est aujourd’hui impossible de remédier. Mais ce n’est pas tout à fait juste, puisque certains estiment qu’environ 40 % des couples qui s’engagent dans une démarche de procréation médicalement assistée ne parviennent pas à mettre un enfant au monde.

Votre rapport indique par ailleurs que conformément au principe de gratuité du don, qui constitue l’un des fondements des lois de bioéthique, la gestation pour autrui ne saurait donner lieu à rémunération, mais à un « dédommagement raisonnable ». À quoi correspond ce dédommagement, quels frais serait-il destiné à compenser et quel en serait le montant ? Au Royaume-Uni, la somme versée varie entre 7 000 et 15 000 livres. Pourtant, l’expert britannique que nous avons auditionné nous a indiqué que la réglementation de la GPA n’avait pas réduit le nombre de femmes anglaises qui se rendent à l’étranger, notamment en Inde, où la rémunération de la mère porteuse est affichée.

M. Jean-Marc Nesme. Vos propos me semblent comporter un certain nombre de contradictions. Par exemple, comment entendez-vous concilier la gestation pour autrui et le principe, universellement reconnu, de la non patrimonialité du corps humain et de ses éléments, et de sa non commercialisation ? Comment concilier la gestation pour autrui et cet autre principe selon lequel la mère est la femme qui a accouché ? Comment concilier la gestation pour autrui et le principe, universellement reconnu, selon lequel il n’existe pas de droit à l’enfant, mais un droit de l’enfant ? Enfin, la gestation pour autrui doit-elle être considérée comme une réponse thérapeutique à un problème thérapeutique ?

Votre rapport soulève un certain nombre d’autres questions, que nous avons évoquées ici même avec Mme Sylviane Agacinski. L’article 16-3 du code civil dispose qu’ « il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou, à titre exceptionnel, dans l’intérêt thérapeutique d’autrui ». Or, dans le cas de la gestation pour autrui et de l’accouchement qui s’ensuit, on porte atteinte à l’intégrité du corps humain sans intérêt thérapeutique direct pour autrui. Quel que soit le malheur que représente l’impossibilité de porter un enfant, ce n’est ni un handicap, ni une maladie mettant en danger la vie de la personne. Aucune comparaison n’est donc possible avec le don d’organe entre vivants, qui n’est envisagé que lorsque le pronostic vital est engagé pour un malade.

Enfin, ne craignez-vous pas que la gestation pour autrui soit une forme d’exploitation des femmes, surtout des plus pauvres d’entre elles, qui trouveraient là un moyen légal de réduire leur pauvreté ?

M. Michel Vaxès. Je partage toutes ces interrogations. Il est clair que nos collègues sénateurs ne souhaitent pas inverser la priorité entre le droit de l’enfant et le droit à l’enfant. Mais où est l’intérêt de l’enfant lorsqu’il découvrira qu’il est né d’une mère différente de celle qui l’élève, ou qu’il apprendra qu’il a fait l’objet d’un contrat ? Ces découvertes ne risquent-elle pas de perturber son développement ? N’aura-t-il pas le sentiment d’avoir été abandonné par celle qui l’a mis au monde ? De n’avoir été pour elle qu’un moyen de gagner de l’argent ?

Dans le cas où la mère porteuse a d’autres enfants, que penseront-ils du sort de cet enfant que leur mère a abandonné – ou « rendu » à une autre femme ? Nous ne pouvons ignorer le risque de ces dégâts collatéraux.

Où est l’intérêt de la mère porteuse, qui se verra interdire toute relation affective avec l’enfant qu’elle porte ? Ce n’est sans doute pas simple de s’imaginer être une couveuse. Le droit français interdit la gestation pour autrui, mais dans les pays où elle est autorisée, son encadrement est fréquemment transgressé. Je crains, si nous légalisons la gestation pour autrui, que les transgressions soient de plus en plus fréquentes.

J’ai la conviction que la gestation pour autrui conduira à la réification et à la marchandisation du corps de la femme. Et aucune étude psychologique sérieuse, à ce jour, n’a évalué les dégâts qu’elle pourrait occasionner sur les enfants des mères porteuses, même si ceux-ci sont peu nombreux.

Peut-on envisager de légaliser la gestation pour autrui sans avoir pris en compte ces questions majeures ?

M. Jean-Luc Préel. Vous dites ne pas reconnaître le droit à l’enfant, mais jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour satisfaire le désir d’enfant ? Le législateur ne pouvant nier l’existence des mères porteuses dans les pays voisins, prévoyez-vous d’accorder la nationalité française aux enfants nés en dehors du cadre légal ? Si on légalise avec un encadrement strict, comme vous le proposez, il continuera d’y en avoir.

M. le président. Je précise qu’il s’agit des enfants conçus à l’étranger avec l’aide d’une mère porteuse et qui reviennent en France.

M. Jean-Luc Préel. En effet. Par ailleurs, les couples homosexuels attendent la légalisation de la gestation pour autrui ; en dehors des cas de femmes privées d’utérus, quel est le nombre réel de couples intéressés par la gestation pour autrui ?

Personne ne semble s’inquiéter de ce que va ressentir le mari de la femme porteuse. A-t-il fait l’objet d’une étude psychologique ? Quelles seront les conditions de son acceptation ? Quant aux enfants de la mère porteuse, comment vivront-ils la disparition de l’enfant après la grossesse ? Pourquoi souhaitez-vous qu’elle ait au moins un enfant ?

M. Patrick Bloche. Je rejoins M. Préel sur un point : je ne comprends pas que l’on puisse opposer droit de l’enfant et droit à l’enfant. Si le droit de l’enfant fait l’objet de conventions internationales, transposées dans notre droit interne, le droit à l’enfant ne correspond à aucune notion juridique : il n’y a aucun texte qui interdit le droit à l’enfant, cela n’a pas de sens ! Personne ne peut nier la réalité du désir d’être père ou d’être mère, et je remercie nos collègues sénateurs d’avoir recherché un équilibre entre le désir d’enfant et la prise en compte de l’intérêt supérieur de celui-ci.

Tant l’autorisation de la GPA dans les pays voisins que l’insécurité juridique des enfants conçus à l’étranger nous conduisent, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, à sortir de l’hypocrisie et à leur donner un statut.

M. Nesme a rappelé que la mère d’un enfant est celle qui accouche, mais, en droit français, le père est obligatoirement le mari de celle-ci. Ces notions juridiques ont sans doute leur pertinence et je n’aurai pas l’audace de contester la présomption de paternité, mais plus de la moitié des enfants naissent actuellement en dehors du mariage. Notre droit doit accompagner l’évolution de la société.

Pour encadrer la gestation pour autrui, les sénateurs proposent d’élargir simplement les possibilités offertes aux couples qui entrent dans le cadre de la procréation médicalement assistée, en maintenant la référence à l’infertilité définie dans le code de la sécurité sociale. L’accès à l’adoption étant ouvert aux personnes seules, les sénateurs ont-ils envisagé de permettre l’accès à la procréation médicalement assistée et à la gestation pour autrui aux personnes seules – pour ne pas évoquer les couples de même sexe ?

Mme Michèle André. Nous avons demandé à de nombreux interlocuteurs – médecins, psychanalystes, psychiatres, pédopsychiatres, juges, magistrats – de répondre à deux questions : tout d’abord, puisque la justice s’en mêle et que la Cour d’appel de Paris a validé la transcription de l’acte de naissance des fillettes, est-il opportun de légaliser la gestation pour autrui ? Par ailleurs, quel est « l’intérêt de l’enfant » ? La Cour d’appel de Paris a répondu à cette question, en transcrivant sur ce fondement l’acte de naissance de ces fillettes, qui avaient un père et une mère, en toute légalité, aux Etats-Unis. Pendant quatre mois, nous avons travaillé intensément pour tenter de répondre à ces deux questions.

Parmi nos collègues sénateurs, certains sont médecins ou gynécologues. Pour eux, la problématique était assez simple, mais d’autres ne pouvaient se référer qu’au code civil. Nous avons donc dû prendre en compte également la dimension affective de la maternité pour autrui et tenter de définir l’amour maternel et le fait d’être parent. En l’occurrence, pourquoi une femme qui porte un enfant pour le remettre à une autre serait-elle condamnée à ne plus jamais le revoir ?

M. le président. Votre rapport prévoit un contrat…

Mme Michèle André. Il prévoit un cadre légal, semblable à celui de la procréation médicalement assistée, avec un délai de repentir, d’une durée de trois jours.

M. Jean-Marc Nesme. Que se passe-t-il si la femme qui a porté l’enfant refuse de le donner au couple demandeur ?

Mme Michèle André. Vous allez trop loin : en Angleterre, cette situation ne s’est produite qu’une seule fois ! Il s’agit d’un contentieux, qu’il appartient à la justice de régler.

M. Jean-Marc Nesme. Je plains le juge…

Mme Michèle André. Il n’est pas moins en peine dans le cas des enfants dont les parents se séparent et ne peuvent s’accorder sur la garde !

Notre réflexion portait sur l’état civil de l’enfant, qu’il importe de sécuriser. Et je suis bien placée pour savoir quelles difficultés juridiques rencontreront les enfants nés en Inde, en Ukraine ou aux États-Unis lorsqu’ils voudront établir leur nationalité.

L’intérêt de l’enfant est de grandir dans un cadre stable au sein d’un couple, quel qu’il soit. Or, actuellement, un enfant sur deux naît en dehors du mariage et nombreux sont les parents qui se séparent. Ce qui importe, c’est de dire la vérité aux enfants, car ce sont les mystères familiaux qui génèrent des problèmes graves. Les enfants nés sous X ou après un déni de grossesse ont droit à la vérité, même si elle est difficile à accepter. Les enfants adoptés qui apprennent que leurs parents ont versé une somme importante à l’orphelinat ont droit à la vérité. Nous n’avons pas à juger ces situations. Le droit à l’enfant est celui de toute personne qui souhaite devenir parent. J’ai personnellement milité pour le droit à la contraception et à l’interruption volontaire de grossesse, et je reconnais aux femmes le droit de ne pas vouloir d’enfant.

M. Michel Vaxès. L’importance que vous accordez au désir d’enfant me gêne. La loi a-t-elle vocation à prendre en compte le désir d’un petit nombre ou à établir des principes dans l’intérêt général ? Le désir ne peut suffire pour modifier la loi. Si tel était le cas, nous légiférerions en permanence pour satisfaire les désirs légitimes de quelques-uns…

Mme Michèle André. Nous le faisons souvent !

M. Michel Vaxès. Je suis de ceux qui pensent que la loi doit prendre en compte l’intérêt général.

Selon vous, il ne sera pas interdit à une mère porteuse d’avoir une relation avec l’enfant. Je me mets à la place de l’enfant qui aura noué un lien affectif avec les deux femmes. Que se passera-t-il en cas de conflit ? Que se passera-t-il si l’enfant préfère sa mère biologique à sa mère intentionnelle ? Le juge tranchera, dites-vous, mais il est difficile pour la justice de trancher sur des problèmes de construction de la personnalité de l’enfant, qui est fragilisée par l’existence d’une double maternité.

M. Jean-Marc Nesme. En acceptant la notion de désir d’enfant, Mme la sénatrice, vous ouvrez la porte à toutes les dérives, car qui nous dit que, dans cinq ou dix ans, les familles ne revendiqueront pas le droit de mettre au monde des enfants aux yeux bleus ? Ce désir d’enfant ne peut-il déboucher sur une forme d’eugénisme ? Je rappelle que l’adoption a pour but de donner une famille à un enfant, et non de donner un enfant à une famille.

Mme Michèle André. Pour répondre à toutes vos questions, il me faudrait passer quatre mois parmi vous…

Nous n’étions pas, au sein du groupe de travail, préoccupés par la peur qui serait suscitée par le désir d’enfant, mais par le respect de l’enfant désiré – désir sur lequel nous n’avons porté aucun jugement, pas plus que je ne juge le fait de ne pas vouloir d’enfant. Nous avons seulement souhaité aider les couples infertiles –  que la femme n’ait pas d’utérus ou que celui-ci ait été gravement endommagé – et élargir la loi aux femmes dont la santé est en danger. Nous savons qu’un certain nombre de couples français signent un contrat privé avec des femmes, qui, j’en conviens, sont généralement pauvres. Cette question est préoccupante, mais dans la mesure où certaines femmes sont volontaires, nous devons mettre en place un cadre légal. Au fil des siècles, les femmes se sont débrouillées pour résoudre les problèmes d’infertilité. Au sein du groupe de travail, les femmes qui avaient vécu l’expérience de la maternité ont admis n’être pas propriétaires de leur enfant, n’ayant qu’une responsabilité devant eux. Prenez l’exemple des femmes actives qui confient leur enfant à une autre femme ou à leur grand-mère, au risque de rencontrer des conflits d’affection. Ces enfants n’ont pas plus de problèmes que les autres. L’amour maternel, évident pour certaines femmes, l’est moins pour d’autres.

Quant à l’aspect commercial de la gestation pour autrui, nous n’en avions pas pris conscience dans le cadre de nos travaux. Depuis, nous avons appris à quel point il est facile de trouver une mère porteuse sur Internet : il suffit de se rendre en Belgique ou aux Pays-Bas. En France, sommes-nous prêts à prendre en compte une situation qui existe, ou préférons-nous laisser les gens se débrouiller ?

M. le président Alain Claeys. La question n’est pas là : faut-il légiférer si cela doit impliquer la marchandisation du corps humain ?

Mme Michèle André. Elle existe déjà !

M. Jean-Marc Nesme. Certes, comme il existe des automobilistes qui roulent à 200 kilomètres par heure : ce n’est pas parce que certains transgressent la loi qu’il faut légaliser le délit ! Légiférer, c’est adresser un signe à la population.

M. Patrick Bloche. Où est la transgression dans le fait de vouloir un enfant grâce à la gestation pour autrui ?

M. Jean-Marc Nesme. Si légaliser la gestation pour autrui ne correspond pas à l’intérêt général, pourquoi le faire, d’autant qu’elle ne concerne qu’une cinquantaine de cas par an ?

M. le président. Il peut être important de légiférer, même pour un petit nombre de cas. Le diagnostic préimplantatoire, par exemple, concerne très peu de couples : pourtant, le législateur a encadré cette pratique. Il en va de même de la disposition relative au « bébé du double espoir » qui, autorisée par la loi de 2004, n’a semble-t-il pas encore été mise en oeuvre.

M. Jean-Marc Nesme. Nous avons le devoir de nous préoccuper de ces enfants, nés d’une gestation pour autrui en Ukraine ou en Californie, qui viennent vivre en France. Le Conseil d’État préconise de leur donner une identité – sans passer par la loi – en mentionnant simplement les conditions de leur naissance sur le livret d’état civil de leurs parents. Mais il y a une différence importante entre donner une identité juridique à ces enfants et légaliser la gestation pour autrui !

Mme Michèle André. Il s’agit de leur filiation, car ils disposent d’une identité. Grâce aux tests ADN, il est désormais possible de prouver la filiation d’un enfant issu d’une procréation médicalement assistée, quel que soit le pays dans lequel il est né.

M. le président. C’est un autre débat !

Mme Michèle André. Je n’en suis pas certaine !

M. Jean-Luc Préel. Vous et vos collègues souhaitez que la mère porteuse ait déjà un enfant. Comment réagiront cet enfant et le mari de la mère porteuse ?

Mme Michèle André. Nous ne sommes que de modestes parlementaires, et nous n’avons pas vécu personnellement ces situations, mais pour les experts que nous avons auditionnés, la gestation pour autrui engage deux couples : les parents intentionnels, d’une part, la mère porteuse et son conjoint d’autre part. Les motivations des gestatrices sont très diverses. À l’inverse d’un don du sang, qui ne se voit pas, il est évident qu’une grossesse pendant plusieurs mois se déroule dans la plus grande transparence ! Le conjoint existe, nous en sommes conscients, et la décision de la femme engage le couple et la famille tout entière.

J’insiste sur le fait que les femmes qui acceptent de porter un enfant pour autrui ne sont pas toutes motivées par le besoin d’argent. Nous avons ainsi rencontré, en Angleterre, une femme qui, ayant été elle-même adoptée, souhaitait offrir à une autre famille ce qu’elle avait reçu.

Nous devons rester sereins face à cette question. Je vous remercie de m’avoir permis de partager mes convictions.

M. le président. Je vous remercie.

Audition de Mme Marie-Claire PAULET, présidente de la Fédération des associations pour le don d’organes et de tissus humains (France ADOT), de M. Régis VOLLE, président de la Fédération nationale d’aide aux insuffisants rénaux (FNAIR), de Mme Yvanie CAILLÉ, cofondatrice du groupe de réflexion « Demain, la greffe » et membre du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine, et M. Christian BAUDELOT, cofondateur et professeur émérite de sociologie, de M. Jean ACCIARO, président de la Fédération nationale des déficients et transplantés hépatiques (Transhépate), et de M. Jean-Pierre SCOTTI, président de la fondation Greffe de vie


(Procès-verbal de la séance du 10 juin 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, Président

M. le président Alain Claeys. Mes chers collègues, nous ouvrons aujourd’hui un volet important du débat sur la révision des lois de bioéthique concernant le don et de l'utilisation des éléments et produits du corps humain, avec les représentants de plusieurs associations : Mme Marie-Claire Paulet, présidente de la Fédération des associations pour le don d'organes et de tissus humains (France ADOT) ; M. Régis Volle, président de la Fédération nationale d'aide aux insuffisants rénaux (FNAIR) ; Mme Yvanie Caillé, cofondatrice du groupe de réflexion « Demain, la greffe » et membre du conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine, et M. Christian Baudelot, professeur émérite de sociologie et donneur vivant, cofondateur de ce même groupe de réflexion ; M. Jean Acciaro, président de la Fédération nationale des déficients et transplantés hépatiques (Transhépate) ; M. Jean-Pierre Scotti et M. Gérald Du Crest, respectivement président et directeur général de la fondation Greffe de vie.

Nous aimerions dresser avec vous, mesdames et messieurs, un bilan de l'application des lois de bioéthique. Le recours au donneur vivant est-il entouré de garanties éthiques solides ? Peut-on envisager d'élargir le cercle des donneurs vivants ? Faut-il par ailleurs aménager le principe du consentement présumé ? Comment promouvoir le don d'organes et d'éléments du corps humain ? Je rappelle que le don d'organes, de sang, de plaquettes, de plasma et de moelle osseuse a été déclaré grande cause nationale de 2009, et a d’ores et déjà donné lieu à des manifestations diverses.

Mme Marie-Claire Paulet, présidente de la Fédération des associations pour le don d'organes et de tissus humains (France ADOT). Il nous semble fondamental que la loi prévoie la mise en place d’un fichier national ou tout autre moyen permettant de connaître et faire respecter la volonté de donner ses organes post mortem. D’après une enquête de l’institut Ipsos, 36 % des Français considèrent qu’il est difficile de discuter du don d’organes en famille, et 45 % qu’il est difficile de faire connaître leur position à leurs proches. Six Français sur dix n’ont pas informé leur entourage de leur position.

Nous demandons la mise en place d’un registre national des donneurs d’organe, un fichier national du don ouvert au oui et au non ne remettant pas en cause la règle de la présomption de consentement au prélèvement. Pour les personnes favorables au don qui craignent que leur volonté ne soit pas respectée, le registre national des refus (RNR) n’est-il pas plus dangereux qu’un registre national du consentement, qui viserait à recueillir un plus grand nombre de réponses positives dans le respect de la volonté généreuse de nos concitoyens ?

L’existence du RNR ne remet pas en cause le principe du consentement présumé : pourquoi un registre permettant d’exprimer sa volonté le remettrait-il en cause ? Nous estimons que la notification de l’information, éventuellement associée à l’inscription sur la carte Vitale, est cohérente et nécessaire.

En ce qui concerne le prélèvement sur donneurs vivants, France ADOT rappelle ses réserves, celui-ci ne devant être envisagé que comme une solution de dernier recours. Nous souhaitons par ailleurs que le donneur vivant bénéficie d’un véritable statut.

Les principes posés dès la loi Caillavet de consentement, de gratuité et d’anonymat sont régulièrement menacés par le contexte actuel de pénurie d’organes à transplanter : il n’est pas rare en particulier qu’on présente l’abandon du principe de gratuité comme la solution de la dernière chance. France ADOT s’y est toujours fermement opposée.

France ADOT reste également favorable au maintien du principe du consentement présumé : nous ne souhaitons pas qu’il soit remplacé par le consentement explicite. Mais est-il normal que la loi reconnaisse le droit à un enfant de treize ans de s’inscrire sur le registre national des refus, mais non d’exprimer son consentement au prélèvement ?

Afin que les adultes qui consentent au don d’organe soient certains que leur volonté sera respectée, même si leurs proches s’y opposent fermement, France-ADOT demande que le registre national des refus évolue vers un registre national des donneurs.

Les résultats d’une enquête sur les porteurs de cartes de donneur volontaire commanditée par France ADOT prouvent l’intérêt d’un tel registre : s’ils doivent être relativisés par la particularité de l’échantillon, ils montrent cependant que 50 % de nos concitoyens ne connaissent pas la loi. Il est donc nécessaire de l’expliquer par le biais d’une vaste campagne d’information. Une consultation des Français serait de nature à lever les dernières objections avant toute décision importante.

En ce qui concerne le prélèvement sur donneur vivant, le respect du donneur doit être notre premier souci. Un tel prélèvement ne laisse pas en effet de poser des problèmes éthiques : qu’arrive-t-il par exemple si le don intervient à l’intérieur d’un couple qui se sépare après la greffe ? Peut-il y avoir un droit à restitution ou à réparation ? Ces questions, qui commencent à se poser, nous interrogent sur les limites à fixer à cette forme de don.

Un assouplissement des conditions du prélèvement sur donneur vivant pourrait remettre en cause les principes de bénévolat et de gratuité, du fait de la difficulté à contrôler les risques d’arrangements familiaux contraires à l’esprit de la loi.

Nous réaffirmons notre profond attachement aux principes éthiques fondamentaux du volontariat, de la gratuité et de l’anonymat, ainsi que notre souci de la reconnaissance du donneur.

M. Régis Volle, président de la Fédération nationale d’aide aux insuffisants rénaux (FNAIR). Représentant ici plusieurs milliers de personnes en attente d’une greffe de rein, je voudrais souligner le caractère très spécifique d’un organe tel que le rein, qui doit lui valoir un traitement législatif spécifique en matière de prélèvement sur donneur vivant.

Il convient d’abord de rappeler que nous sommes aujourd’hui dans une situation de pénurie. Sachant que plus de 90 % des donneurs en France sont en état de mort encéphalique, le potentiel théorique est d’environ 4 000 donneurs, contre 3 000 dans les faits, pour des besoins exprimés de 11 000 greffes. Il nous paraît donc nécessaire de développer le prélèvement sur donneurs vivants. Il faut en effet rappeler que subir une dialyse pendant des années peut se révéler un calvaire, occasionnant perte d’emploi et problèmes familiaux.

De ce point de vue, restreindre les conditions du don en le limitant au cercle familial le plus strict serait une régression, qui ferait de la France un des pays les plus rétrogrades dans ce domaine. Il vaudrait mieux explorer des pistes telles que le prélèvement sur donneurs à cœur arrêté, les greffons « à critères élargis », une meilleure rémunération des personnes qui assurent le prélèvement et la transplantation. Nous proposons aussi de conforter le droit d’opposition : après avoir mené une très large campagne d’information sur la possibilité de s’inscrire sur le registre des refus, on pourrait estimer que ceux qui ne sont pas inscrits au RNR consentent au prélèvement. On pourrait envisager, conformément à ce qu’on nous avait annoncé, que la carte Vitale porte la mention que la personne a été informée de la loi.

Il semblerait aujourd’hui que le don d’organes ne soit pas au cœur des débats sur la révision des lois de bioéthique, qui se concentrent surtout sur les cellules souches ou la gestation pour autrui. Pourtant, la liste des personnes en attente de transplantation ne cesse de s’allonger, rendant de plus en plus nécessaire une politique volontariste, à défaut de laquelle le nombre de décès faute de greffe ne fera que s’accroître. Nous allons envoyer à tous les députés un texte qui vise à leur faire prendre conscience de la nécessité d’élargir le plus possible le champ des prélèvements.

Il est fondamental de distinguer le rein des autres organes solides. Le risque pour le donneur est minime, le prélèvement d’un rein n’ayant pratiquement aucune conséquence vitale pour lui. L’espérance de vie de ces donneurs est même sensiblement supérieure à la moyenne du fait de la sélection dont ils font l’objet. Le prélèvement d’une partie du foie, pour ne prendre que cet exemple, présente un risque vital beaucoup plus important. La transplantation rénale est en outre le traitement de choix de l’insuffisance rénale.

Le développement de la greffe rénale à partir d’un donneur vivant suppose la mise en place de mesures incitatives et d’objectifs chiffrés. Il convient en outre d’élargir le cercle des donneurs vivants en retenant comme condition l’existence d’une « relation étroite et stable » avec le receveur ; de rendre possible la réalisation de dons croisés anonymes ; de renforcer les dispositifs d’information précoce, bien avant le stade de la dialyse, des patients et de leurs familles sur ce type de greffe ; de conforter la mission d’information assurée par l’Agence de la biomédecine, qui a accompli dans ce domaine un travail remarquable. Nous voudrions également qu’on renforce les moyens des équipes de greffe.

Il faudrait en outre mener une réflexion sur les moyens de simplifier et de faciliter le parcours des donneurs vivants, dont la complexité actuelle est dissuasive, sans renoncer pour autant aux garanties offertes par le dispositif actuel. Il est également fondamental d’assurer la neutralité financière totale aux donneurs vivants, en assurant la prise en charge des frais réels, y compris les pertes de salaire. Il faudrait leur garantir une couverture assurantielle, notamment en matière d’emprunts, afin que le don d’organe ne les pénalise pas, et créer un fonds spécifique de prévoyance et d’indemnisation pour compléter le dispositif et assurer la couverture complète des donneurs tout au long de leur vie.

Nous proposons par ailleurs la mise en place d’un comité de suivi chargé d’évaluer ce dispositif. Il conviendrait également de réaffirmer l’absence de risque de santé aggravé pour les personnes ayant donné un rein, afin de prévenir toute difficulté d’accès à l’assurance.

Nous préconisons, dans le cas des comas dépassés, de réfléchir aux moyens de matérialiser la reconnaissance symbolique de la nation envers cet acte de solidarité. Il faudrait aussi renforcer le dispositif d’accompagnement des familles de donneurs.

Il convient également de veiller à mieux assurer l’équité des patients face à la greffe, plusieurs témoignages ayant mis en évidence de très importantes disparités territoriales en matière d’inscription sur la liste d’attente.

La FNAIR réaffirme enfin son profond attachement au principe de la gratuité du don d’organes, qui nous impose de lutter avec détermination contre le développement de la commercialisation des organes. Je veux cependant rappeler que les dérives auxquelles nous assistons viennent surtout de l’incapacité des États à répondre aux besoins de leur population. Le développement du prélèvement sur donneur vivant ou en coma dépassé en particulier vise à parer aux risques de trafics d’organes.

Mme Yvanie Caillé, cofondatrice du groupe de réflexion « Demain, la greffe » et membre du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine. « Demain la greffe » est un groupe de réflexion informel créé en 2009, rassemblant patients et proches de patients, donneurs, représentants de la société civile, professionnels du prélèvement et de la greffe, universitaires, issus des horizons les plus divers, mais partageant la même vision de l’avenir du don d’organe et de la greffe en France. Nous avons publié un manifeste qui est à la disposition de la mission d’information.

Le don d’organe ne trouve son sens que dans son objectif, qui est de soigner des malades et de sauver des vies. Toute considération éthique qui ignorerait cette finalité ferait bon marché du devoir de solidarité et du droit à la santé des hommes, des femmes et des enfants qui attendent une greffe. La greffe n’est pourtant pas au centre des débats autour de la révision des lois de bioéthique. Dans un tel contexte, le risque est grand de la reconduction pure et simple d’un statu quo insatisfaisant qui, associé à un défaut de volonté politique, explique notre retard par rapport à de nombreux pays et nous met dans l’incapacité de lutter assez vigoureusement contre la pénurie d’organes.

Il y a pourtant urgence : alors qu’en 2008, près de 14 000 patients attendaient un organe salvateur, seuls 4 600 greffes ont été réalisées ; plus de 200 personnes meurent chaque année faute de greffon, morts d’autant plus inacceptables qu’un traitement très efficace existe. Ce sont donc des morts par défaut d’accès aux soins, dans le pays qui se targue d’avoir le meilleur système de santé au monde.

Encore ne s’agit-il là que de la partie émergée de l’iceberg, les patients dont l’état de santé se dégrade en raison d’une trop longue attente étant en général retirés de la liste d’attente quand leur médecin estime qu’ils ne sont plus en état de recevoir une greffe. Les décès liés à la pénurie d’organes sont donc probablement beaucoup plus nombreux. Comment pouvons-nous encore le tolérer ?

Je prendrai l’exemple du rein, organe le plus représenté sur la liste d’attente et en termes de greffes réalisées : près de 3 000 sur les 4 600 greffes réalisées en 2008. La transplantation rénale s’est révélée le meilleur traitement de l’insuffisance rénale, alors que la dialyse ne permet qu’une survie prolongée. Elle augmente très sensiblement, à la fois l’espérance et la qualité de vie.

Sa supériorité est également économique, son coût pour l’assurance maladie étant très inférieur à celui de la dialyse : sur dix ans, l’économie est d’environ 560 000 euros par malade. La greffe de rein est donc un des rares traitements qui satisfassent à la fois le patient, son médecin, et le gestionnaire de santé.

Chaque année, 9 000 patients attendent un rein dans des conditions extrêmement difficiles, leur qualité de vie étant diminuée de 60 % par rapport à celle de la population générale. En outre, plus l’attente s’allonge, plus le succès de la greffe est compromis. La greffe de rein offrant au malade une espérance de vie trois à quatre fois supérieure à celle qu’il peut espérer de la dialyse, l’attente équivaut à une perte de chance.

M. Christian Baudelot, cofondateur du groupe de réflexion « Demain, la greffe », professeur émérite de sociologie et donneur vivant. C’est pourquoi il faut greffer davantage, et pour cela prélever davantage d’organes. Or, étant donné le caractère exceptionnel de la mort encéphalique, source principale des dons d’organe, il n’y a chaque année que 4 000 donneurs potentiels, alors qu’il en faudrait 11 000.

Lutter contre la pénurie suppose de jouer sur plusieurs claviers : mieux recenser ; faire baisser le taux de refus du prélèvement – on estime qu’il est possible de le faire baisser de 10 % en France, où il est de 30 %, contre 15 % en Espagne – ; développer tant le prélèvement sur les donneurs décédés après arrêt cardiaque que sur les donneurs vivants, du moins quand il s’agit du rein. En effet, le danger encouru par le donneur d’un rein à l’occasion du prélèvement est extrêmement faible, puisque la mortalité est de 1 pour 3 000 dans le monde entier, et qu’on n’en recense aucun cas en France. En outre, toutes les études internationales montrent que le devenir des donneurs est parfaitement rassurant, même à très long terme.

Pourtant, la pratique est beaucoup moins développée en France que dans des pays dont on connaît toutefois l’attachement aux valeurs éthiques : en 2008, 222 greffes de rein avec donneur vivant ont été réalisées en France, contre 400 aux Pays-Bas et 800 au Royaume-Uni. Pourquoi ce retard ?

Je déplore d’autant plus les réserves du Conseil d’État sur le don et les greffes d’organes. Celui-ci évoque en effet, dans son rapport sur la révision des lois de bioéthique, des « risques de dérive marchande » ou de « pression familiale ». Cette suspicion conduit à considérer tout individu qui souhaiterait venir en aide à une personne qu’il aime, au mieux comme une victime, sur laquelle on exerce une contrainte morale inadmissible, au pire comme un coupable en puissance. Cette suspicion déplacée me blesse d’autant plus, en tant que donneur vivant, qu’elle dénature complètement le geste accompli, non seulement par moi, mais par 5 000 personnes au cours des dernières décennies.

Les procédures réglementaires mises en place par les lois de bioéthique, que la France applique au pied de la lettre, telles que l’examen approfondi du donneur par des psychothérapeutes, l’intervention d’un comité d’experts chargé d’examiner le dossier dans toutes ses dimensions, médicales, juridiques, psychologiques ou sociales, et le recueil du consentement par un magistrat afin de garantir son caractère libre et éclairé, constituent pourtant un rempart efficace contre toute dérive marchande ou pression morale. Toutes les études réalisées dans ce domaine, ainsi que les nombreux rapports de psychologues ou des comités d’experts confirment que, dans l’immense majorité des cas, tout se passe parfaitement.

J’ai franchi moi-même toutes ces étapes puisque j’ai donné mon rein droit à ma femme il y a trois ans. Or, à soixante-dix ans, je pratique quotidiennement plusieurs activités physiques, telles que le vélo ou la natation ; d’une façon générale, je m’estime en pleine possession de mes moyens physiques et intellectuels, et les bilans de santé auxquels je suis soumis chaque année me déclarent en pleine forme. Je ne suis pas une exception : aux États-Unis, en Grande-Bretagne, dans les pays scandinaves, qui disposent de quatre décennies de recul sur cette pratique, tous les panels montrent que l’espérance de vie des donneurs est même supérieure à celle de la population générale, du fait de la sélection dont ils font l’objet. Sur le plan psychologique, toutes les enquêtes réalisées auprès des donneurs vivants attestent que l’immense majorité ne regrette rien.

Quant à la santé et à la qualité de vie de ma femme, elles se sont améliorées de façon spectaculaire, démontrant la supériorité des greffes rénales à partir d’un donneur vivant par rapport à celles effectuées à partir d’un donneur décédé.

« Qu’est-ce que je ne donnerais pas pour te sauver la vie ? » : combien de fois les proches de patients atteints d’une maladie mortelle n’ont-ils pas formulé ce vœu ! Alors que dans l’immense majorité des cas il ne débouche que sur un insupportable sentiment d’impuissance, dans le domaine de la greffe du rein, on peut faire de ce vœu une réalité.

M. le président. En élargissant le cercle des donneurs ?

M. Christian Baudelot. On peut en effet l’élargir à ceux qui entretiennent avec le receveur une « relation étroite et stable ». Il convient surtout d’améliorer sensiblement l’information dans ce domaine, la greffe avec donneur vivant souffrant actuellement d’une forme d’omerta.

M. Jean Acciaro, président de la Fédération nationale des déficients et transplantés hépatiques (Transhépate). En ce qui concerne le don cadavérique, la loi de 1994, qui conforte les principes de l’anonymat du donneur et du receveur, de la gratuité, du consentement présumé et l’existence d’un registre des refus, est bonne, mais son application est déficiente, faute d’un contrôle efficace et de sanctions.

Nous étions encore loin en 2008 du recensement total de tous les donneurs cadavériques. Il existe un manque de moyens et des disparités, parfois à l’intérieur d’une même région. Par exemple, à Marseille, dans deux centres hospitaliers universitaires (CHU) de même importance, il y a 52 donneurs recensés dans l’un et aucun dans l’autre. Les réseaux préopératoires sont insuffisamment développés, alors que les établissements, qu’ils soient privés ou publics, devraient être aussi efficaces que les CHU agréés pour ces actes de santé publique. Beaucoup de malades décèdent en liste d’attente, et d’autres en sont retirés à la suite de l’aggravation de leur pathologie.

Notre position en ce qui concerne les donneurs vivants est marquée par la spécificité du foie, qui n’a rien à voir avec le rein. Elle n’a pas changé depuis la dernière conférence de consensus, et a été réaffirmée par notre dernier conseil d’administration du 15 octobre 2005. Nous sommes très favorables à la transplantation à partir de donneur vivant pour les enfants, les risques de morbidité et de mortalité étant alors très faibles. Nous sommes en revanche très réservés s’il s’agit de transplantation hépatique à partir d’un donneur vivant vers un adulte, compte tenu du taux de mortalité de 0,3 % et du fort taux de morbidité de 30 à 40 %, d’autant qu’on n’a pas fait tous les efforts de recensement des donneurs cadavériques, ni développé toutes les équipes de transplantation, ni essayé de résoudre les causes techniques de non-prélèvement, et que le programme de prélèvement à cœur arrêté n’est pas encore lancé pour le foie. Sur le plan éthique, il est impossible d’envisager une transplantation avec donneur vivant tant que l’on n’a pas complètement exploité toutes ces possibilités.

La valeur symbolique de la carte de donneur est mise en relief par des événements exceptionnellement médiatisés, tels que le décès de Gregory Lemarchal, les associations enregistrant à cette occasion une très forte hausse de la demande de telles cartes. La distribution du guide de l’Agence de la biomédecine dans un hebdomadaire de télévision a également suscité un boom.

Quant à la promesse que nous avait faite Xavier Bertrand d’assurer l’inscription de l’information sur la carte Vitale, nous souhaitons sa réalisation la plus rapide possible.

M. Jean-Pierre Scotti, président de la fondation Greffe de vie. Comme vous l’avez rappelé Monsieur le président, le Premier ministre a décidé d’élever le don d’organes, de sang, de plaquettes, de plasma et de moelle osseuse au rang de grande cause nationale de cette année 2009, le collectif « Don de vie » que je représente ici et qui rassemble, sous la présidence du député Philippe Gosselin, une quinzaine d’associations, s’est constitué pour soutenir toutes les formes de don, depuis le sang de cordon jusqu’au don d’organes.

Notre position sur la révision de la loi de bioéthique est très claire : nous affirmons notre volonté que soient maintenus les principes d’anonymat et de gratuité et le droit d’opposition, c’est-à-dire le droit de s’opposer au consentement présumé par son inscription au registre des refus et en faisant part de son refus à ses proches.

Malheureusement cette loi n’est pas connue. Elle doit donc faire l’objet d’une communication massive, par le biais de la carte Vitale ou du passeport de vie, et non par la carte de donneur, celle-ci n’ayant pas de valeur légale puisque la famille peut s’y opposer. Nous proposons que dans les cinq ans, une fois que la loi sera connue de tous, l’inscription au registre national des refus soit l’unique moyen de s’opposer au don d’organe après la mort.

Aujourd’hui en effet, nous sommes au maximum des possibilités de la loi, avec un taux de refus du prélèvement qui stagne à 30 %, alors qu’il est de 15 % en Espagne. C’est que l’Espagne dispose de moyens d’incitation auxquels nous refusons de recourir, tels que la participation aux frais d’obsèques ou la rémunération au résultat des équipes de coordination.

Ne reste donc que le moyen de la loi. Je rappelle que l’objectif de sauver des vies a justifié le vote de lois telles que celle qui interdit de fumer dans les lieux publics ou celle qui impose le port de la ceinture de sécurité, qu’on a pu juger liberticides. Ce n’est pas le cas de notre proposition, bien au contraire, puisqu’on pourra s’opposer à tout moment au don d’organes, alors qu’aujourd’hui ce sont les proches qui décident, ce qui est la pire des solutions.

C’est pourquoi nous avons créé le concept du « passeport de vie », constitué de quatre cartes par lesquelles on fait part de son absence d’opposition au prélèvement de ses organes après sa mort : le donneur garde sur soi l’une de ses cartes et donne les trois autres à ceux de ses proches chargés de témoigner de son consentement.

Cette proposition de loi a été cosignée par une dizaine d’associations.

L’accident du vol AF 447, qui a suscité un formidable élan de solidarité, a fait 250 disparus, soit presque le nombre des personnes qui décèdent chaque année faute de greffon. Ces personnes, mesdames et messieurs les députés, vous pouvez les sauver en votant cette belle loi de solidarité, qui pourrait servir d’exemple au reste de l’Europe.

M. le président. Je comprends votre détermination, mais soyons toujours prudents sur les comparaisons que nous pouvons faire !

M. Jean Leonetti, rapporteur. Je ne peux pas laisser penser que la représentation nationale se désintéresse des problèmes liés à la greffe. Si la gestation pour autrui ou les cellules souches embryonnaires occupent le devant de la scène, c’est le fait des médias, non des parlementaires. Le 16 juin, dans le cadre des États généraux de la bioéthique, le forum citoyen de Strasbourg sera en partie consacré au prélèvement et à la greffe d’organes, de tissus et de cellules.

Je ne veux pas non plus laisser penser qu’il serait aisé aux députés de sauver 250 vies chaque année s’ils se départaient de leur frilosité. La loi actuelle est consensuelle et les principes de consentement présumé, de gratuité du don et d’anonymat ne sont pas remis en question. Je mets d’ailleurs en garde les collègues qui s’interrogeraient sur l’intérêt du système de financement espagnol, présenté comme un élément d’efficacité. Le problème ici n’est pas financier mais bien éthique : adopter un tel système créerait une brèche profonde dans le principe de gratuité.

Que faire pour que l’information soit la plus massive et la plus lisible possible ? Selon vous, informer les jeunes lors de la journée d’appel à la défense et indiquer sur leur carte Vitale le fait qu’ils ont été informés est-il une solution efficace ?

Est-il nécessaire, pour les dons de reins, d’élargir le cercle des donneurs vivants ? Qui peut être considéré comme un proche ? La personne avec qui le patient vit en concubinage depuis un an ? Il y a là une piste de réflexion importante mais il faut prendre garde, en rendant la notion de « proche » trop extensive, à ne pas faire surgir le doute quant à une possible commercialisation.

Que pensez-vous des dons croisés ? Ce système, basé sur une solidarité « intéressée », n’est peut-être pas idéal en termes éthiques, mais cela serait-il efficace et envisageable selon vous ? Enfin, quel est l’avenir des prélèvements à cœur arrêté ? Des problèmes techniques se posent, mais ils ne semblent pas insurmontables.

M. Jean-Marc Nesme. Confrontés ces deux dernières années à des problèmes de greffe – de foie pour ma belle-sœur, de moelle osseuse pour l’un de mes neveux – des membres de ma famille ont dû entamer un véritable parcours du combattant, ne serait-ce que pour voir recueillie leur volonté de donner. Je ne pense pas que la pénurie de dons soit seulement liée à une question d’information ou de générosité, mais aussi et surtout, à des problèmes d’organisation, en particulier pour les personnes habitant dans des villes où il n’y a pas de CHU. Comment parvenir à la plus grande réactivité possible du dispositif et ce, sur l’ensemble du territoire ?

Il existe par ailleurs un numéro vert pour le don de moelle, mais, il faut parfois rappeler trente fois pour joindre quelqu’un. Je rejoins également ce qui a été dit concernant le principe de gratuité du don.

M. Philippe Gosselin. L'Assemblée nationale se préoccupe des greffes et des dons, comme en témoignent les propositions de loi à ce sujet. Sous ma modeste impulsion, le collectif « Don de vie, grande cause nationale 2009 » s’est mis en place et les premiers spots d’information ont été diffusés cette semaine sur les chaînes de télévision.

Il est vrai que le parcours des patients et des donneurs peut ressembler à celui du combattant. Faut-il donc revoir, en partie ou en totalité, la chaîne opérationnelle ? Par ailleurs, confirmez-vous la nécessité d’utiliser la carte Vitale comme support  d’une inscription ? Enfin, il convient de trancher la question du choix entre le registre national des refus et un registre du « oui ». Beaucoup de nos collègues, à la suite du dépôt de la proposition de loi de François Calvet, hésitent encore.

M. Xavier Breton. M. Volle a évoqué les problèmes d’accès à l’assurance des donneurs vivants. La loi peut-elle résoudre ces difficultés ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. « Demain, la greffe » a évoqué l’idée de supprimer l’intervention du juge. Les magistrats, pour leur part, souhaitent conserver cette fonction qui permet parfois de détecter des pressions intrafamiliales, mais ils se plaignent du peu de temps qu’ils peuvent y consacrer.

Par ailleurs, j’aimerais connaître vos positions respectives sur le prélèvement à cœur arrêté et sur l’exclusion des donneurs décédés appartenant à la catégorie III de Maastricht. Les familles, bien souvent, ne comprennent pas que le don des organes de leur proche soit impossible.

Enfin, pourquoi existe-t-il des disparités entre les régions sanitaires ? Certains mettent en cause l’Agence de la biomédecine, d’autres louent son travail et plus particulièrement la mise en place de scores. La mauvaise organisation ne doit-elle pas être mise sur le compte des CHU et de leur mauvaise coordination ?

M. Jean Acciaro. Il est vrai que l’information ne circule pas dans le milieu médical et que de nombreuses structures n’appliquent pas les règles en vigueur. Elles tentent de retenir chez eux les patients ou de les traiter, sans considérer l’évolution de la maladie, ce qui fait que beaucoup de déficients hépatiques, lorsqu’ils entrent en CHU, vont directement en réanimation, peut-être parce qu’il existe un manque de formation à ce sujet dans les facultés de médecine.

M. Régis Volle. La dialyse en centre coûte deux fois plus cher que la dialyse à domicile ou la dialyse autonome. Mais la rémunération de la dialyse en centre étant supérieure pour les établissements et les médecins, c’est celle qui est la plus souvent prescrite. Par ailleurs, la tarification à l’activité (T2A) fait que certains directeurs d’hôpitaux demandent aux néphrologues de retenir le plus possible leurs patients en centre : cette pression à la rentabilité financière retarde l’inscription sur la liste des greffes. Cela explique en partie les disparités que l’on peut constater, notamment en région PACA.

M. Jean-Pierre Scotti. Inscrire sur la carte Vitale que le porteur a été informé de la loi est une bonne idée. Mais ensuite, que se passe-t-il ? Le prélèvement est-il automatique ?

M. le rapporteur. On constate simplement qu’il n’y a pas eu d’inscription au registre national des refus et la famille est informée que la personne est en situation de donner. Cela ne signifie pas que la famille n’est pas associée ; mais au lieu de dire « non, parce que nous ne savons pas », les proches peuvent dire « il savait, et voulait ».

Mme Yvanie Caillé. L’Agence de la biomédecine avait tenté de mettre en place un dispositif d’information sur le don de moelle osseuse pendant la journée d’appel à la défense, mais cela s’est révélé si compliqué qu’elle y a renoncé.

S’agissant de l’inscription dans le volet d’urgence de la carte Vitale par un professionnel de santé, il serait intéressant de connaître le taux potentiel de « transformation », c’est-à-dire la proportion des cas où l’information sera effectivement délivrée par le médecin et où cela sera mentionné sur la carte. En effet, il n’est pas certain que les médecins généralistes aient été nombreux à appliquer la mesure issue de la loi de 2004, qui prévoit l’obligation d’information des personnes de 16 à 25 ans.

« Demain, la greffe » apporte son soutien à tout ce qui peut être fait pour que la personne exprime sa volonté de son vivant et pour faciliter les relations avec la famille. Nous considérons qu’il serait très dangereux de mettre en place des mesures permettant de passer outre l’avis de la famille. Les personnels de coordination insistent sur le fait qu’il est impensable de s’opposer à une famille qui exprime un « non » violent. Ce sont des personnes que l’on doit respecter et les exemples récents – je pense à l’affaire d’Amiens – ont eu un impact très négatif sur le taux de prélèvements. Le seul pays européen qui ait jamais mis en place une telle mesure, consistant à effectuer le prélèvement sans avoir recueilli l’avis de la famille ni même l’avoir informée, était la RDA.

Le cercle des donneurs vivants doit être élargi. Nous sommes favorables à ce que la notion de « relation étroite et stable », déjà étudiée lors de la précédente révision, soit retenue. Les relations affectives doivent être prises en compte, même si elles ne sont pas mesurables. Pourquoi peut-on donner à un cousin éloigné et pas à un ami très proche ?

S’agissant des dons croisés, je ne suis pas certaine qu’il faille parler de « solidarité intéressée ». C’est un dispositif souhaitable, si toutes les garanties éthiques – notamment en termes d’anonymat – sont respectées. Il faut savoir que la France est, avec le Portugal, le dernier pays d’Europe à interdire ce type de dons.

M. le rapporteur. En tout état de cause, il faudrait que les couples soient totalement déconnectés de sorte qu’il ne puisse y avoir d’arrangement quelconque entre eux.

Mme Yvanie Caillé. Le parcours du donneur vivant est long et complexe. Alors que le bilan médical peut être pratiqué en trois jours ailleurs, cela prend plusieurs mois en France. Il faut ensuite que le donneur rencontre le comité d’experts – de l’avis de tous, un moment enrichissant. Au terme de ce cheminement, je ne pense pas que l’audience au Tribunal de grande instance (TGI) soit bien vécue.

M. Christian Baudelot. En effet, il faut passer les portiques tel un coupable, subir l’interrogatoire du greffier, attendre plusieurs heures avant de se retrouver devant le juge – qui finalement signe en deux minutes… Cette procédure purement formelle alourdit inutilement le parcours du donneur. Si les juges disposaient de suffisamment de temps pour examiner les cas et détecter les pressions éventuelles, ce pourrait être concevable. Mais ce n’est pas pour nous un problème majeur.

Mme Yvanie Caillé. Pour ce qui est des assurances, nous savons que beaucoup de personnes ayant donné leur rein éprouvent de grandes difficultés à contracter des emprunts, alors même qu’elles ne courent pas de risque médical aggravé. Les associations ont beaucoup travaillé avec les assureurs, sans résultat pour le moment. Le danger serait que les donneurs entrent dans le cadre de la convention AERAS destinée aux personnes présentant un « risque de santé aggravé ». Peut-être la loi devrait-elle prévoir que soit affirmée cette absence de risque aggravé en raison d’un don d’organe fait à un proche.

M. Régis Volle. L’inscription sur un registre d’acceptation entraînerait une chute brutale du nombre de prélèvements d’organes, comme cela a été le cas en Grande-Bretagne. Nous y sommes totalement opposés.

M. Jean-Pierre Scotti. Nous sommes du même avis. Un registre du « oui » ne serait efficace que si les Français s’y inscrivaient massivement : il faudrait donc accompagner sa création d’une très forte incitation. L’acceptation implicite est plus souhaitable.

M. le président. C’est une position constante de la part des associations depuis la précédente révision.

M. Michel Vaxès. Vous avez évoqué la nécessité d’un statut du donneur vivant. Pourriez-vous en préciser le contenu ?

J’ai récemment trouvé dans la poche d’un vêtement de cyclisme que j’avais acheté une carte invitant au don – son autre fonction était sans doute d’interpeller sur les dangers de ce sport. Avez-vous eu connaissance de ce type d’initiative, qui me semble intéressant ?

Malgré les informations qu’elles peuvent recevoir, certaines personnes continuent d’exprimer leur résistance à un acte symboliquement fort. Avez-vous des données sur cette résistance ?

Mme Marie-Claire Paulet. Les coordinateurs expliquent qu’ils ne trouvent jamais de carte de donneur sur les personnes en état de mort encéphalique. Pourtant, nous continuons de la distribuer car elle permet une prise de position personnelle et donne l’occasion d’en parler en famille. Le statut du donneur vaudrait surtout pour les questions d’assurance, parfois très ardues.

Mme Yvanie Caillé. Les donneurs rencontrent également des difficultés pour se voir rembourser les dépenses liées au don. Ce remboursement est pourtant prévu par la loi – ainsi la perte de salaire est-elle compensée à hauteur de 4 fois le plafond de la sécurité sociale – mais en pratique, il est difficile à mettre en œuvre, d’autant qu’il passe en partie par les services administratifs des hôpitaux. Il conviendrait peut-être de réfléchir à un système de guichet unique, voire à des mécanismes de subrogation qui éviteraient au donneur d’avancer de l’argent.

Les prélèvements effectués sur des donneurs décédés suite à un arrêt cardiaque pourraient représenter 10 à 20 % des transplantations. S’agissant des personnes appartenant à la catégorie III, nous avons été surpris par les conclusions du Conseil d’État, qui estime nécessaire de les exclure définitivement du don. En 2003, le comité d’éthique de l’Établissement français des greffes (EFG) avait décidé d’inclure ces personnes parmi les donneurs potentiels, mais également, dans le contexte de l’affaire Humbert et de toute une réflexion sur la fin de vie, d’y surseoir. Aujourd’hui, ces questions ont trouvé certaines réponses, et la position du Conseil d’État paraît déraisonnable : beaucoup de questions liées à la fin de vie ont trouvé des réponses et les équipes de réanimation sont déjà confrontées aux demandes de patients en fin de vie, qui veulent devenir donneurs.

M. Philippe Gosselin. Au-delà du maintien des principes de la loi de 1994, auxquels nous sommes tous très attachés, la question du statut du donneur et de sa reconnaissance doit être abordée lors de cette révision.

M. le rapporteur. Il faut savoir qu’au moins 80 % d’entre nous mourrons dans un établissement hospitalier et que notre mort sera due, dans 75 % des cas, à un arrêt ou à une limitation des traitements. La question d’inclure la catégorie III parmi les donneurs peut se poser, du moment qu’il n’existe aucun lien entre l’équipe qui propose l’arrêt ou la limitation et l’équipe chargée de la greffe.

M. le président. Nous nous retrouverons, je l’espère, lors du forum citoyen organisé sur ce sujet à Strasbourg dans le cadre des États généraux de la bioéthique et à l’occasion des auditions que la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi, si elle était créée, pourrait organiser en 2010. Dans l’intervalle, je vous invite à nous adresser vos suggestions, vos remarques et vos contributions.

Audition de M. Pierre BOYER, biologiste au service de médecine et de biologie de la reproduction de l’hôpital Saint-Joseph de Marseille


(Procès-verbal de la séance du 10 juin 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous sommes heureux d’accueillir M. Pierre Boyer, docteur en médecine et biologiste au service de médecine et de biologie de la reproduction de l’hôpital Saint-Joseph de Marseille.

Spécialiste de la procréation médicalement assistée, vous avez orienté vos recherches, Monsieur Boyer, sur une nouvelle technique de conservation des ovocytes, appelée vitrification. Cette audition sera l’occasion de faire le point sur les recherches dans ce domaine, ainsi que sur les éventuelles répercussions de cette technique. La conservation des ovocytes devrait notamment permettre de limiter le nombre des fécondations in vitro à celui des embryons réimplantés, ce qui aurait pour conséquence de restreindre la congélation des embryons surnuméraires. Il pourrait alors en résulter d’autres difficultés sur lesquelles nous souhaiterions également vous entendre.

D’autre part, j’observe que vos recherches paraissent impliquer de pratiquer des expérimentations sur les embryons faisant l’objet d’un projet parental. Dans ces conditions, pouvez-vous nous indiquer si vous rencontrez aujourd’hui des obstacles légaux ou réglementaires ?

M. Pierre Boyer. Je vais commencer par présenter rapidement cette nouvelle technique de cryo-préservation des ovocytes que l’on appelle la vitrification avant d’en venir aux difficultés auxquelles nous sommes aujourd’hui confrontés.

L’assistance médicale à la procréation a beaucoup évolué, de même que son encadrement administratif, légal et moral. Comme chacun le sait, la congélation des spermatozoïdes est possible depuis 1940. Les règles d’utilisation du sperme congelé n’ont été établies que dans les années 1970 par les centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS), autour de deux dogmes parfois remis en cause de nos jours : l’anonymat et la gratuité des dons.

La fécondation in vitro a ensuite vu le jour au Royaume-Uni, en 1978, grâce aux recherches conduites par Patrick Steptoe et Robert Edwards, puis en France grâce aux travaux de Jacques Testard et de René Frydman, lesquels ont débouché, en 1982, sur la conception d’Amandine. Parce qu’elles touchaient au commencement de la vie, ces évolutions ont conduit François Mitterrand à créer un comité consultatif national d’éthique (CCNE), chargé de mener une réflexion indépendante sur ces différentes questions.

Par la suite, un premier bébé issu d’une congélation d’embryon est né en Australie, en 1984, grâce aux travaux réalisés par l’équipe d’Alan Trounson, à laquelle on doit la première publication concernant la congélation d’ovocytes, en 1986. Je précise qu’il était fait usage, dans les deux cas, d’une technique de congélation qualifiée de « lente » sur laquelle je reviendrai.

L’ICSI, la fécondation in vitro avec micro-injection, a ensuite fait son apparition en 1992, c’est-à-dire avant l’adoption des lois de bioéthique en 1994 – je tiens à le préciser, car la chronologie joue un rôle essentiel dans ce domaine. Le législateur a souhaité que les individus puissent bénéficier de la conservation de leurs gamètes, voire de leur tissu germinal, mais il a interdit qu’un embryon issu de la recherche soit replacé in utero.

La vitrification de l’embryon s’est ensuite développée à partir de 1999, et la congélation du cortex ovarien, qui est un mode de préservation de la fertilité féminine, à partir de 2004, avant la révision des lois de bioéthique – détail important puisque cette technique est aujourd’hui autorisée. En revanche, la vitrification des ovocytes n’est devenue un acte de routine qu’en 2005, c’est-à-dire après la dernière révision des lois de bioéthique, laquelle a établi les éléments servant à apprécier les techniques utilisées.

A ce sujet, j’observe que le moment où le législateur se prononce n’est jamais anodin, car il en résulte des conséquences pour l’avenir. La congélation des embryons a ainsi été autorisée en 1994 parce qu’il était interdit de les détruire, mais on peut s’interroger sur l’évaluation qui en a été faite, ainsi que sur la faisabilité même de la congélation du cortex ovarien.

Depuis 2004, la liste des techniques autorisées est fixée par arrêté pris après avis de l’agence de la biomédecine en application de l’article L. 2141-1 du code de la santé publique, tandis que l’article L.2151-5 interdit le transfert d’embryons issus de la recherche. Cela signifie que le développement de l’injection intracytoplasmique de spermatozoïdes aurait été impossible si elle était apparue dans le cadre réglementaire actuel. Au demeurant, la recherche s’est plutôt orientée vers les cellules souches, celle qui porte sur l’embryon étant plutôt en recul dans notre pays.

M. le président. Je m’exprime sous votre contrôle, mais il me semble que le législateur n’avait pas débattu de l’ICSI en 1994.

M. Pierre Boyer. C’est exact, mais la recherche était déjà très avancée et ses résultats reproductibles, si bien que l’ICSI a été admise comme technique dans les bonnes pratiques de 1999.

J’en viens à la congélation des ovocytes. La congélation dite « lente », qui progresse d’environ 0,3 degré par minute, permet à la cellule, initialement liquide, de devenir solide après avoir atteint le point de cristallisation, marqué par la solidification de l’eau intracellulaire ; on descend ensuite jusqu’à une température de conservation égale à celle de l’azote liquide, à savoir moins 196°. La congélation « ultra-rapide » – terme sans doute plus heureux que « vitrification » – comporte une descente thermique beaucoup plus rapide ; elle aussi repose pour l’essentiel sur un phénomène essentiellement physique, même si on recourt à des cryo-protecteurs dans des concentrations plus élevées qu’en cas de congélation « lente ».

En cas de congélation « lente », la survie de l’ovocyte est compromise par la cristallisation de l’eau intracellulaire, les cristaux d’eau faisant augmenter le volume des cellules, qui cassent pour une grande partie d’entre elles. Cela explique que cette technique n’ait pas été suivie d’applications cliniques. Un ovocyte vitrifié pourra en revanche être fécondé par ICSI ; il donnera ensuite un œuf composé de quelques cellules. Celui-ci n’ayant jamais connu la cristallisation, il bénéficie d’un bien meilleur pronostic de développement qu’un embryon congelé, dont plusieurs cellules n’ont pas survécu et qui a perdu la moitié de ses chances de développement quand bien même il serait morphologiquement intact.

La vitrification des ovocytes étant autorisée dans la plupart des pays européens, j’ai eu la chance de me former à cette technique au sein d’une équipe portugaise. J’ai ainsi observé que les ovocytes présentent des signes normaux de fécondation dès le lendemain d’une micro-injection ; le deuxième jour, des embryons formés de quelques cellules apparaissent, sans que leur morphologie diffère de ce que l’on constate en cas de fécondation in vitro classique ; au 3e jour, leur développement demeure habituel, la chronologie des divisions cellulaires étant tout à fait satisfaisante, et la transformation en embryon viable est visible dès le 4e jour, où l’on arrive au stade de morula, à partir duquel se produit une différenciation de certaines lignées cellulaires ; on obtient alors un embryon préimplantatoire au stade de blastocyste. Sur six ovocytes fécondés, on peut ainsi produire trois embryons dont le pronostic d’implantation est proche de 50%.

Selon une étude réalisée en Espagne par Ana Cobo et Masashigue Kuwayama, qui a été publiée à la fin de l’année 2008, l’utilisation d’ovocytes vitrifiés puis réchauffés permet d’obtenir, à quelques pourcents près, statistiquement non significatifs, le même nombre d’embryons qu’avec des ovocytes « frais » : leur développement au 5e jour, sous forme de blastocystes, est identique et le taux de grossesse s’élève même à un taux relativement élevé de 47%, lequel ne doit pas surprendre car l’étude reposait sur des ovocytes donnés par des femmes jeunes.

Les travaux fondamentaux ayant débuté dès 1986, la vitrification repose aujourd’hui sur vingt années de recherche. L’ensemble de la méthodologie a ainsi été testé chez l’animal et les taux de concentration des cryo-protecteurs ont fait l’objet d’évaluations, de même que la façon de gérer l’échantillon biologique une fois qu’il est trempé dans l’azote liquide. Une publication très volumineuse consacrée à cette technique a d’ailleurs paru au début de l’année 2008.

La question de la contamination microbiologique se pose, mais je dois rappeler que la compression de l’azote liquide rend impossible la survie de tout organisme en son sein et que l’utilisation de l’azote liquide, comme celle l’oxygène liquide, ne fait l’objet d’aucune réglementation particulière dans la pharmacopée internationale; le seul risque provient donc d’une éventuelle contamination d’une cuve par des éléments extérieurs.

Dans un travail publié en 2008, le Dr Chian, de l’université canadienne McGill, a également démontré que cette technique ne conduisait pas à des différences dans l’état de santé des enfants — je rappelle qu’il y a aujourd’hui, dans le monde entier, environ 500 enfants nés d’ovocytes vitrifiés puis réchauffés.

Pour ce qui est de l’hôpital Saint-Joseph, nous avons déposé un protocole de recherche qui prévoit naturellement le suivi des risques de court terme grâce à la traçabilité de toutes les étapes biologiques, déjà en place pour l’ensemble de nos activités de PMA. Je précise en outre que nous n’avons perdu aucune issue de tentative depuis que j’ai ouvert le centre en 1994, et que nous avons instauré un suivi à long terme – unique à ce jour – de la santé des enfants conçus.

J’ajoute que les conséquences pratiques de la vitrification devraient aboutir à une modification notable de l’organisation des centres de PMA, notamment dans leurs rapports avec les couples qui s’adressent à eux. D’autre part, cette technique permettra certainement de faire bénéficier nos patientes de plus de tentatives sans augmentation de coût pour la sécurité sociale.

Il faut toutefois être conscient que certaines dérives sont à craindre : le développement de la vitrification pourrait ainsi relancer des programmes de transfert nucléaire ou bien stimuler la demande de conservation des ovocytes dans la perspective d’une utilisation ultérieure, sans indication médicale. Il reste que nous n’en sommes pas encore là : il s’agit, pour le moment, de réaliser une simple évaluation de cette technique.

Lorsque j’ai voulu démarrer mes recherches, je me suis bien sûr appuyé sur tous les travaux disponibles et je suis même allé me former auprès de l’équipe qui a développé en premier la vitrification. La directrice de l’agence de biomédecine, Mme Carine Camby, m’a toutefois demandé de me placer dans le cadre d’une recherche biomédicale, et non d’un simple transfert de technologie : tout en reconnaissant qu’il n’existait pas d’alternative à la congélation par vitrification et que cette technique représentait sans doute un progrès thérapeutique majeur, l’agence ne souhaitait pas valider la technique sans une évaluation réalisée au préalable en France.

Un dossier a donc été soumis en 2008 au comité de protection des personnes (CPP) de Marseille, lequel a émis un avis favorable ; dans le même temps, nous avons sollicité une autorisation de mise sur le marché auprès de l’AFSSAPS, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. En l’absence de dossier adapté au type de recherche que nous souhaitions entreprendre, celle-ci nous a alors demandé de remplir un dossier de thérapie cellulaire.

Je rappelle que le principe de précaution nous impose de traiter les personnes tout en portant un regard critique sur la qualité des soins que nous leur offrons. En général, l’évaluation se fait donc en même temps que nous avançons. Or, le dossier de l’AFSSAPS relevait d’un esprit quelque peu différent : il tendait en effet à vérifier, avant même de se lancer, qu’il n’y avait aucun risque.

Pour ma part, j’estime que notre recherche se place dans le droit fil de l’avis n°79 du CCNE, qui met en garde contre la surestimation des risques hypothétiques par rapport aux risques connus et avérés – en l’occurrence les accidents d’hyperstimulation, les actes chirurgicaux inutiles ou encore les problèmes posés par les embryons surnuméraires. De ce point de vue, j’estime qu’il y a aujourd’hui une dérive dans l’application du principe de précaution, sans doute due à la rédaction des décrets en vigueur ; elle ne correspond pas, en tout cas, à l’esprit de la loi de 1994.

La question posée est de savoir si la vitrification doit être considérée comme une recherche biomédicale ou bien, comme j’ai tendance à le penser en tant que praticien, comme un simple transfert de technologie, la mise en œuvre d’une nouvelle technique de soin dont nous devons bien sûr évaluer les risques et les bénéfices. A cet égard, je rappelle que les techniques ayant pour objet d’améliorer les possibilités de développement in utero devraient être considérées, d’après le rapport de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), comme des soins et non comme des recherches.

Il convient en effet d’améliorer les résultats de l’AMP, tâche en vue de laquelle la vitrification me paraît une technique adaptée. Or, la superposition des structures alourdit aujourd’hui le système au point de rendre inefficaces certaines recherches. Compte tenu des délais, nos travaux risquent même d’être caducs.

La vitrification des ovocytes permettrait pourtant d’améliorer l’efficacité de la fécondation in vitro, car le nombre d’embryons produits et replacés cesserait d’être un facteur déterminant pour le succès thérapeutique.

D’autre part, cette technique permettrait d’éviter la constitution d’embryons surnuméraires, phénomène qui pose de graves difficultés conceptuelles pour les couples, ainsi que l’a montré Geneviève Delaisi de Parseval ; depuis une étude réalisée par le Dr Adjiman, on sait même que la moitié des femmes éprouve un sentiment d’abandon d’enfant lorsque les embryons congelés ne sont pas implantés. Grâce à la vitrification, les embryons ne seraient plus produits qu’en vue d’un transfert immédiat : seuls les ovocytes seraient congelés afin de prendre en compte les risques d’échec d’implantation.

Un autre argument en faveur de cette technique est que les risques pour la santé des femmes pourraient également être réduits : une seule stimulation ovarienne et un seul prélèvement d’ovocytes seront en effet nécessaires.

La vitrification pourrait en outre permettre de remédier, du moins en ce qui concerne les cas de stérilité, à l’inadéquation entre les dons d’ovocytes et la demande, situation qui contraint une partie des femmes à chercher des solutions à l’étranger. Une des difficultés auxquelles nous nous heurtons pour le moment est en effet de synchroniser la donneuse et la receveuse. Or, cette synchronisation n’est plus nécessaire si l’on parvient à congeler les ovocytes, et les conditions d’anonymat du don seront également facilitées.

Enfin, la vitrification des ovocytes permettra de préserver la fertilité des femmes qui risqueraient de devenir stériles du fait de certains traitements médicaux. Tout retard dans les recherches ne pourra que leur porter préjudice.

M. le président. J’aimerais savoir si vos recherches ont pour but d’améliorer le taux de réussite de l’AMP, ou bien de réduire les stocks d’embryons surnuméraires pour des raisons éthiques.

M. Pierre Boyer. Notre motivation principale résulte des difficultés de gestion des embryons surnuméraires. Je travaille en effet dans une structure dont l’inspiration originelle était religieuse et où la question des embryons surnuméraires est sans doute plus sensible qu’ailleurs. D’autre part, j’ai eu l’occasion de rencontrer un certain nombre de couples qui, eux-mêmes, ne souhaitent pas la congélation d’embryons. La vitrification m’a paru intéressante pour répondre à cette demande.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Pourquoi ne va-t-on pas aussi vite en France que dans d’autres pays ? Chacun sait, par exemple, que cette technique se pratique déjà en Italie et en Allemagne. Comment expliquer ce retard ? Est-ce un problème de fonds disponibles, de législation ou bien de culture scientifique et technologique des CECOS ?

M. Pierre Boyer. L’argent n’est pas un obstacle ; ce qui compte en effet dans ce domaine, c’est avant tout l’investissement du praticien dans son propre laboratoire.

En revanche, je rappelle que j’attends la réponse de l’AFSSAPS depuis plus d’un an, alors même que l’évaluation que j’ai proposée n’exposerait les patientes à aucune perte de chance. Force est de constater que les habitudes agissent comme un frein dès qu’il s’agit de développer une technique révolutionnaire.

D’autre part, j’observe qu’on occulte parfois une partie de la réalité : le rapport de l’OPECST fait ainsi état d’un taux de naissance de 6 à 9% par ovocyte vitrifié puis réchauffé, ce qui est présenté comme un résultat assez faible ; or, on obtient le même taux avec des ovocytes « frais ». Il est vrai que la technique de micro-manipulation, de nature quasi chirurgicale, n’est pas aisée, et qu’elle ne pourrait sans doute pas être confiée à un technicien de laboratoire suivant un simple protocole ; on peut toutefois s’y former dans un délai raisonnable. C’est d’ailleurs ce que j’ai fait.

M. Paul Jeanneteau. Comment analysez-vous le délai de réponse de l’AFSSAPS ? Est-ce la conséquence d’un problème de gestion interne ou bien le signe d’une gêne par rapport à votre demande ? Seriez-vous favorable à un regroupement des instances compétentes, notamment l’AFSSAPS et l’agence de biomédecine ?

M. Pierre Boyer. Je n’ai pas qualité pour me prononcer sur l’opportunité d’un regroupement de ces instances dont les domaines de compétence sont très spécifiques. En revanche, je ne peux que regretter la longueur des délais de réponse, qui fait parfois obstacle aux recherches.

De la première série de questions que j’ai reçues de la part de l’AFSSAPS, je tire la conclusion que les experts sollicités manquent parfois des qualifications requises : un toxicologue, par exemple, ne me semble pas en mesure de porter un jugement éclairé en matière d’AMP, surtout quand il s’agit d’une technique aussi nouvelle que la vitrification. En outre, certains experts semblent croire que nous avons des centaines d’ovocytes à notre disposition pour refaire des expériences déjà réalisées à l’étranger.

J’ai également eu l’impression que les experts sollicités dans ma discipline rechignaient à envisager d’autres techniques que celles qui ont cours depuis vingt ans, et qu’ils ne saisissaient pas toutes les implications de ce que nous proposons. J’espère que la documentation que j’ai fournie nous permettra d’obtenir une réponse positive, même si je crains un refus compte tenu des délais déjà écoulés. J’ai notamment cru comprendre qu’il y avait des discordances dans la façon d’interpréter ces recherches, certains considérant qu’elles portent sur les embryons. A la décharge des experts, il faut toutefois reconnaître que les demandes dont ils sont saisis sont nombreuses et qu’il est parfois difficile d’estimer les répercussions de certaines techniques.

En dernier lieu, j’avoue avoir eu bien du mal à remplir le dossier de thérapie cellulaire que l’on m’a présenté : dans une perspective de contrôle de qualité, calquée sur celles qu’on applique à l’industrie pharmaceutique, il fallait considérer en effet que les gamètes étaient des « substances actives» et l’embryon un « produit fini », ce qui pose tout de même quelques difficultés !

M. le président. Revenons à la pénurie d’ovocytes : est-ce un problème d’information, de manque de rémunération ou de méthode de conservation ? Pensez-vous que la technique que vous souhaitez développer permettrait d’apporter une solution ?

M. Pierre Boyer. Pour les raisons que j’ai évoquées, le don d’ovocytes n’est pas nécessairement le bienvenu dans l’établissement au sein duquel j’exerce. Cela étant, il me semble qu’il présente un intérêt indéniable pour les femmes atteintes de stérilité, notamment en cas de ménopause précoce. La difficulté est qu’il faut aujourd’hui synchroniser la donneuse et la receveuse et que le don ne peut servir qu’à un seul couple. Si l’on pouvait conserver les ovocytes, ces difficultés disparaîtraient. En revanche, je ne pense pas que cela permettrait de répondre à la demande non médicale de femmes ménopausées qui souhaiteraient recourir au don d’ovocytes.

M. le rapporteur. A ce propos, quid des femmes qui souhaiteraient conserver des ovocytes en attendant de rencontrer le partenaire idéal, de terminer leurs études ou bien de réussir socialement ? Avez-vous eu des demandes de cette nature ? Quel traitement faut-il leur réserver ?

M. Pierre Boyer. L’histoire de la PMA démontre que les demandes évoluent et qu’elles peuvent être irrationnelles. C’est pourquoi je crois que nous devrons effectivement faire face à ce genre de démarches.

A titre personnel, je suis tout à fait favorable à la préservation de la fertilité des femmes subissant des traitements médicaux qui risquent de les rendre stériles et j’ai déjà été confronté à ce type de cas : on m’a, par exemple, demandé si je pouvais faire quelque chose pour une jeune femme de 25 ans qui allait subir une chimiothérapie. Or, pour le moment, je suis dans l’incapacité d’agir.

M. le rapporteur. Mais cette demande vous a semblé légitime.

M. Pierre Boyer. Oui, d’autant qu’elle se plaçait dans une perspective temporelle de conception tout à fait raisonnable. En revanche, je n’accéderais pas à des demandes de femmes qui ne seraient pas menacées de stérilité. Je considère en effet que ce n’est pas ma mission de thérapeute.

De nouvelles demandes verront probablement le jour, mais il me semble que nous serons en partie protégés, en France, des risques de dérive grâce à la nature des personnels exerçant dans les centres d’AMP : ces derniers ont reçu une formation médicale ou pharmaceutique, ce qui devrait nous préserver d’une approche limitée au simple usage des biotechnologies. Cela étant, il faut être conscient que si l’on n’apporte pas de réponse à ces nouvelles demandes en France, ce sera certainement le cas dans d’autres pays. Chacun sait qu’en Italie, où la loi est plus restrictive en matière d’AMP, certains couples choisissent déjà de s’adresser à des centres étrangers.

Je note d’ailleurs que la congélation des ovocytes a été développée dans ce pays pour contourner l’interdiction de congeler les embryons, et j’attends le bilan d’activité 2008, qui devrait faire la distinction entre la congélation  « lente », qui a été récemment réactivée, mais qui continue à donner des résultats assez moyens, et la vitrification des ovocytes. Grâce à ces techniques, la législation italienne, d’abord perçue comme imposant des restrictions à l’aide que l’on peut apporter aux couples infertiles, pourrait finalement déboucher sur des résultats semblables à ceux que l’on enregistre dans d’autres pays.

M. Michel Vaxès. Cette technique pourrait avoir des répercussions sur la quantité des embryons disponibles, et éventuellement conduire à un conflit avec les chercheurs travaillant sur les embryons. Comment éviter que ce problème conduise à certaines « coopérations » internationales ?

M. Pierre Boyer. En tant que praticien, je m’interroge sur les recherches concernant les embryons : je vois mal comment on pourrait obtenir des résultats probants à partir d’embryons considérés comme non intéressants pour une implantation immédiate, ou bien à partir d’embryons surnuméraires. Dans un cas, en effet, les capacités de développement sont en effet quasi nulles et, dans l’autre, elles sont très altérées. Ce matériel génétique ne présentant pas une grande qualité, je ne comprends pas très bien ce que l’on pourrait en tirer comme conclusion. J’observe d’ailleurs que les recherches sont aujourd’hui focalisées sur les cellules souches dans les pays où l’on ne peut pas produire d’embryons à des fins d’étude.

Dans ces conditions, il me semble qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter d’un éventuel tarissement de cette source d’embryons, dont je ne peux que me réjouir d’un point de vue humain.

M. le président. Il me reste à vous remercier pour votre contribution à nos débats.

Audition de M. Jean-Michel DUBERNARD, professeur au service de chirurgie de la transplantation de l’hôpital Édouard Herriot à Lyon


(Procès-verbal de la séance du 10 juin 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir maintenant le professeur Jean-Michel Dubernard, universitaire et chirurgien transplanteur de renommée internationale. Aujourd’hui membre du collège de la Haute Autorité de santé, vous avez été député du Rhône de 1991 à 2007 et président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale sous la douzième législature. Professeur émérite à l’université Claude Bernard, vous avez par ailleurs dirigé, de 1981 à 2002, le service d’urologie et de chirurgie de la transplantation de l’hôpital Édouard Herriot à Lyon.

Pionnier dans le domaine de la transplantation, vous avez été à l’origine de la première greffe européenne du pancréas en 1976, de la première greffe d’une main en 1998, de celle, bilatérale des mains et des avant-bras en 2000, et, en 2005, de la première greffe de visage – mais sans doute vaudrait-il mieux parler d’allotransplantation composite de tissus.

Vous êtes également l’auteur de plusieurs ouvrages, notamment L’hôpital a oublié l’homme en 1997 et Sauvons la sécu en 2004, ainsi que de nombreux articles et communications sur la chirurgie de l’appareil urinaire, la transplantation rénale et pancréatique ainsi que les greffes de tissus composites. Vous présidez aussi depuis 1989 le Collège européen de transplantation ainsi que la Société internationale de transplantation de mains et de tissus composites (IHCTAS).

C’est dire combien votre expérience nous sera précieuse pour mieux cerner les enjeux éthiques liés aux greffes d’organes et voir, le cas échéant, comment améliorer le droit actuel en la matière.

J’ajoute qu’en tant que président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, vous avez été en 2004 un acteur majeur de la révision des lois de bioéthique. J’ai eu grand plaisir à travailler avec vous à l’époque et j’ai beaucoup appris à vos côtés. Nous avons, je le crois, effectué alors un travail qui honore le Parlement. Je formule le vœu que celui que nous conduisons dans la perspective de la nouvelle révision présente la même qualité.

Merci donc, cher professeur et ancien collègue, d’être aujourd’hui de nouveau parmi nous.

M. Jean-Michel Dubernard. C’est avec grand plaisir que j’ai répondu à l’invitation de votre mission d’information et vos paroles me vont bien sûr droit au coeur. Je pense que vous souhaitez m’entendre sur le thème de la transplantation car sur les autres sujets de bioéthique, si j’ai mon opinion, elle n’est pas aussi étayée, n’étant pas fondée sur l’expérience.

Nos lois de bioéthique ont incontestablement été un succès. Il faut une loi en ce domaine, qui doit être révisée lorsque nécessaire. Je me félicite de l’écho considérable que suscitent dans la presse et tous les médias les travaux préparatoires à la prochaine révision, notamment ceux de votre mission dont la qualité fait honneur au Parlement.

La loi actuelle est bonne, même si elle doit évoluer sur certains points. Les principes qu’elle pose et qui sont inscrits dans le code civil, comme le respect de la dignité de la personne humaine, qui a désormais valeur constitutionnelle, l’inviolabilité et le respect de l’intégrité du corps humain, hors raisons médicales strictement définies, la gratuité du don d’organes ou d’éléments du corps humain, et d’une manière générale, la notion de primauté de la personne, sont très importants pour la transplantation.

La révision de la loi en 2004 n’a pas été simple, le ministre de la santé de l’époque étant opposé au principe même d’une révision tous les cinq ans. Je me suis longtemps demandé ce qui pouvait justifier cette position, partagée par certains parlementaires. Ses tenants pensaient-ils vraiment que face aux progrès extrêmement rapides de la science, mieux valait proposer un nouveau texte chaque fois que nécessaire plutôt que de réviser périodiquement la loi existante ? Je pense plutôt qu’ils craignaient que des mouvements d’opinion n’influencent les parlementaires, auxquels ils ne faisaient finalement pas assez confiance.

J’en viens au sujet sur lequel vous souhaitez m’entendre. Il faut impérativement augmenter le nombre de prélèvements et de greffes. C’est une question de vie ou de mort pour les personnes qui ont besoin d’un cœur ou d’un foie, de qualité de vie pour celles qui, dans l’attente d’une greffe de rein, sont contraintes d’être dialysées, pour celles qui attendent une greffe de pancréas afin de n’être plus dépendantes d’injections régulières d’insuline et bien sûr pour celles qui espèrent une greffe de tissus composites au niveau du visage ou de mains pour retrouver une vie digne. Une personne totalement défigurée n’ose en effet plus sortir de chez elle et une personne amputée des deux mains est totalement dépendante d’autrui pour des actes aussi élémentaires de la vie qu’aller aux toilettes ou se laver, ce que toutes les personnes concernées que j’ai pu rencontrer trouvent extrêmement humiliant.

Au 31 décembre 2008, on dénombrait en France 7 692 patients en attente de greffe, 6 006 nouveaux patients inscrits en liste d’attente et 424 personnes en liste d’attente étaient décédées dans l’année. En 2008, sur 3 181 donneurs potentiels en état de mort encéphalique, 1 513 prélèvements d’au moins un organe ont eu lieu, auxquels il faut ajouter 52 prélèvements de rein sur donneur à cœur arrêté et 232 prélèvements sur donneur vivant. Il est donc clair que les besoins ne sont pas couverts. En 2008, on a dénombré 360 greffes de cœur réalisées dans 23 centres de transplantation – dont trois en assurent à eux seuls plus de la moitié ! –, 19 greffes de bloc cœur-poumons, 1 000 greffes de foie, 2 937 greffes de rein, 84 greffes de pancréas, 13 greffes d’intestin et un nombre infime de greffes de tissus composites.

En Europe, on comptait en 2008 120 000 insuffisants rénaux sous dialyse et 65 000 en attente de transplantation, alors que seulement 25 000 transplantations ont pu avoir lieu et que 5 500 patients sont décédés ou ont été retirés des listes d’attente. À l’énoncé des chiffres, on mesure l’impérieuse nécessité d’augmenter les prélèvements et les greffes. C’est un véritable problème de santé publique.

Quels sont les principaux enjeux du débat ? Pour les donneurs en état de mort encéphalique, se posent les questions du consentement présumé, règle qui prévaut en France, et celle de la définition de la mort cérébrale. Il faut aussi réfléchir aux conditions des prélèvements opérés sur donneurs à cœur arrêté et sur donneurs vivants. Il faut aussi évoquer les xénogreffes à partir de tissus animaux et l’ingénierie tissulaire, techniques qui ne sont pas encore au point mais qui pourraient l’être plus tôt qu’on ne le pense et que le législateur doit anticiper.

En matière de consentement présumé, la France a été pionnière. Ce régime, qui prévaut aussi désormais en Belgique et en Autriche, donne des résultats bien supérieurs à celui du consentement explicite qui existe en Allemagne et aux Pays-Bas. Dans le régime du consentement présumé, on considère que chacun accepte que ses organes puissent être prélevés à sa mort sauf s’il s’y est opposé de son vivant en s’inscrivant au registre national des refus,  d’ailleurs difficile d’accès, ou en en informant ses proches. Il ne faut pas modifier ce dispositif mais il faut mieux le faire connaître et mieux l’expliquer. La création d’une carte de donneur a en effet provoqué une certaine confusion, les personnes ne sachant pas, alors même qu’elles souhaitent donner leurs organes, si elles pourront le faire si elles n’ont pas cette carte.

M. le président. Existe-t-il un bon dispositif en ce domaine ?

M. Jean-Michel Dubernard. Le régime du consentement présumé est le meilleur, à condition d’être bien encadré et bien expliqué.

La définition de la mort, elle, est relativement claire, même si des débats ont eu lieu, notamment en Allemagne il y a une vingtaine d’années, où l’individu n’était considéré mort que lorsque la dernière cellule de son corps était morte, c’est-à-dire deux ou trois jours après l’arrêt du cœur. Cela a freiné les prélèvements dans ce pays à l’époque et la question resurgit de manière récurrente ça et là. La question se pose également de permettre ou non le prélèvement d’organes dans les cas d’euthanasie pour les personnes qui souhaitent donner leurs organes.

La plupart des prélèvements sont réalisés sur des donneurs en état de mort encéphalique, maintenus en vie grâce à des respirateurs artificiels et dont le cœur bat encore. À côté de cela, sont possibles des prélèvements à cœur arrêté, à condition d’intervenir très rapidement. L’idée en a été conçue aux Pays-Bas il y a une trentaine d’années. Nous l’avions mise en pratique en France, à Lyon notamment, mais cela exige un important soutien des hôpitaux, dont les administrations doivent être sensibilisées à la question. La technique est aujourd’hui relancée grâce à l’action de l’Agence de la biomédecine et à la mobilisation du jeune chirurgien, Lionel Badet. Prélever à cœur arrêté est assurément un moyen d’augmenter le nombre de donneurs. Les organes prélevés dans ce cas-là sont essentiellement les reins, dont la fonctionnalité peut être préservée quelque temps et testée avant transplantation. Se pose aussi la question des prélèvements, aujourd’hui interdits, sur les personnes en réanimation chez qui on décide d’arrêter les soins, alors même qu’elles avaient fait savoir de leur vivant qu’elles étaient donneuses.

Le véritable problème aujourd’hui de mon point de vue en matière de transplantation réside dans le don d’organes entre vivants. J’ai moi-même pratiqué des greffes de rein à partir de donneur vivant jusqu’à la fin de 2008 mais à chaque fois, avec un profond malaise tenant à ce que l’un des piliers du serment d’Hippocrate demeure, qu’on le veuille ou non, primum non nocere – d’abord ne pas nuire. Mon maître, le prix Nobel américain, Joseph Murray, avec lequel j’ai travaillé plusieurs années à Boston, m’a dit avoir toujours éprouvé le même sentiment tout au long de sa carrière.

Le don d’organes entre vivants concerne essentiellement les reins, plus rarement le foie et beaucoup plus exceptionnellement les poumons. Les donneurs vivants se classent en plusieurs catégories. Tout d’abord, les donneurs apparentés, qu’ils aient des liens génétiques comme les parents et les enfants, les frères et les sœurs ou la famille élargie, ou qu’ils n’en aient pas, comme des époux ou des personnes vivant ensemble depuis un certain temps. En deuxième lieu, les donneurs proches, sans lien génétique ni vie commune, des amis par exemple. Le don entre amis, quasiment inexistant en France, est assez développé aux États-Unis. Il y a ensuite les dons croisés, ou dons « dominos », où une personne fait don d’un organe à un malade avec qui il est compatible et qu’il ne connaît pas, sachant que le proche de cette personne, qui est aussi malade et auquel il aurait souhaité donner son organe mais avec lequel il n’était pas compatible, lui, recevra un organe d’un proche de la personne à qui la première aura fait son don. Cette pratique est de plus en plus courante aux États-Unis et aux Pays-Bas. Il y a aussi la possibilité de don totalement altruiste et anonyme par des donneurs que les Anglo-saxons appellent « good Samaritans ».

M. Jean Leonetti, rapporteur. Où cela existe-t-il ?

M. Jean-Michel Dubernard. En Grande-Bretagne et aux Pays-Bas notamment.

Enfin, certains se battent, je pense notamment à un économiste allemand, pour la constitution d’un marché régulé d’organes. Leur raisonnement est que ce qui est rare étant cher, si on mettait en place un véritable marché, l’offre augmenterait nécessairement. Pour éviter toute dérive, ils estiment qu’il faudrait maintenir l’anonymat entre donneur et receveur et imaginent, non pas des compensations financières qui poseraient des problèmes éthiques, mais des avantages en nature, comme une réduction ou une suppression des cotisations sociales, une augmentation du niveau de retraite ou une possibilité de la prendre plus tôt. C’est pour lutter contre les trafics d’organes qu’expliquent-ils, ils en sont venus à imaginer une telle régulation du marché. Car il existe bel et bien des trafics d’organes et un tourisme de transplantation. Chacun connaît le marché chinois qui a longtemps été l’un des plus actifs, puisqu’on en était au point d’exécuter les condamnés à mort juste quelques heures avant certains vols entre la Chine et les États-Unis, afin de laisser assez de temps pour procéder aux prélèvements sans en perdre ensuite, de sorte que les organes arrivent dans le meilleur état possible. Cela étant, ce marché est en train de se tarir depuis la déclaration d’Istanbul de 2008 dans laquelle la Société internationale de transplantation a fermement condamné tout trafic d’organes. Il ne faut pas sous-estimer le risque de commercialisations des organes : s’il est pratiquement exclu en France, on sait que des patients européens, notamment français, mais en petit nombre, vont se faire transplanter un rein dans des pays où cet organe peut s’acheter bon marché, comme en Inde ou en Égypte, même si ce dernier pays revient un peu en arrière sur ces pratiques. Ces trafics doivent être absolument condamnés. Instituant une commercialisation d’éléments du corps humain considérés comme des marchandises, ils portent atteinte à la dignité humaine.

Les greffes à partir de donneur vivant présentent des avantages et des inconvénients. L’un des avantages tient à la facilité d’organisation puisque le prélèvement et la greffe à suivre peuvent être programmés à jour et heure fixes. Un autre est que les résultats sont meilleurs qu’avec des donneurs cadavériques, la durée d’ischémie (délai entre le prélèvement et la revascularisation) des organes étant beaucoup plus faible.

L’inconvénient majeur réside dans un taux de mortalité très faible mais qu’on ne peut négliger chez les donneurs. Il serait de 1/2000 ou 1/3000 lors de l’opération ou dans ses suites immédiates pour les dons de rein, mais il n’existe pas de statistiques vraiment fiables en Europe sur ce point. Pour les prélèvements de foie, il varierait entre 0,3 % et 1 % – vraisemblablement plus proche de 0,3 %. En France, deux donneurs de foie sont décédés ces deux dernières années. Un autre problème tient aux complications potentielles ultérieures chez les donneurs. Pour les donneurs de rein, le taux de morbidité varie entre 3 % à 5 % et pour les donneurs de foie, il peut atteindre 15 % à 20 %, voire davantage. La loi de 2004 avait institué un registre de suivi des donneurs, s’appuyant sur l’exemple de celui qui existe en Suisse. Je ne sais pas s’il a été constitué, ni s’il est alimenté de manière très précise. En Suisse, les complications à long terme, qu’il s’agisse d’hypertension, d’insuffisance rénale ou de tumeur du rein, sont rares car les donneurs sont très rigoureusement sélectionnés, tous ceux à risques étant exclus.

Enfin, un autre inconvénient selon moi, et non des moindres, est l’existence, quasiment inévitable, de pressions psychologiques sur les donneurs. Les principes fondamentaux de nos lois de bioéthique comme le respect de l’intégrité du corps humain, de la dignité humaine, de la gratuité du don doivent bien entendu s’appliquer aux prélèvements d’organes sur donneurs vivants, dont la loi de 2004 a élargi le cercle potentiel. J’y étais personnellement assez hostile. La loi a toutefois mis en place des garde-fous qui semblent avoir bien fonctionné – si bien d’ailleurs que d’aucuns souhaiteraient les supprimer car ils les perçoivent comme une limitation aux greffes. Elle a élargi le cercle des donneurs, – antérieurement limité à père, mère, enfant – à la famille élargie et à certaines personnes non apparentées pour lesquelles les pressions peuvent être moindres qu’au sein de la famille. Ces dons s’effectuent bien entendu sans contreparties financières, par pur altruisme.

En tant que chirurgien transplanteur, et je ne suis pas le seul à être de cet avis, je suis très réticent aux greffes à partir de donneur vivant car je crois impossible qu’il ne s’exerce pas de pressions sur le donneur, qu’elles émanent directement de la famille ou soient interiorisées par le donneur potentiel lui-même, qui jugera par exemple intolérable qu’une sœur ou un frère soit contraint à être dialysé à vie alors qu’il serait si simple qu’il leur donne un rein. La frontière entre amour, altruisme, contrainte subtile – concept développé par la philosophe éthicienne Michela Marzano –, devoir, sacrifice et obligation est ténue et difficile à établir. Michela Marzano écrit ainsi que « le don crée un ensemble de correspondances libres ; il ne peut pas se manifester sans réciprocité ni correspondances, même si la réciprocité reste toujours libre et n’est jamais une réponse nécessaire au don reçu ». « Le don s’effectue toujours gratuitement », poursuit-elle, « sans intention de rétribution mais il ne peut pas être pensé dans l’absence complète de désir d’échange d’affects et de réciprocité. » S’il n’est pas question de nier l’existence d’un « don gratuit, accompli pour le bonheur de l’autre en sacrifiant quelque chose qui vous appartient », il existe aussi un « don empoisonné qui peut être une forme de chantage, s’orienter vers la destruction psychologique de l’autre ou aboutir à une dette infinie intolérable ». Quoi qu’il en soit, il n’y a jamais de bénéfice direct pour le donneur, hormis la satisfaction d’avoir fait preuve de solidarité.

Pour essayer de vous expliquer comment s’est forgée ma position, je me limiterai à quelques anecdotes, mais je pourrais vous en livrer bien d’autres. Je me souviens ainsi d’un père qui ayant donné un rein à sa fille, a eu une très grave phlébite à la suite de l’intervention et n’a plus jamais pu retravailler. Je me souviens d’une étudiante ayant donné un rein à son petit frère qui est tout de suite allé mieux tandis qu’elle-même, tombée en proie à une sévère dépression, se suicidait quelques mois plus tard. Je me souviens d’un jeune homme de 21 ans ayant donné un rein à une sœur de 13 ans, mais qui, à la suite d’un accident chirurgical lors du prélèvement, a présenté une très grave hémorragie qui l’a plongé en coma dépassé avant qu’il ne meure quelques jours plus tard. La famille a souhaité que l’on n’annonce pas de suite la mort de son frère à sa sœur qui venait de recevoir son rein. Nous avons respecté ce souhait et, après avoir consulté la psychiatre de notre équipe, attendu quelques semaines. Du jour où la sœur a appris la mort de son frère, sa fonction rénale s’est dégradée, alors qu’il n’y avait aucune raison physiologique de rejet puisque le donneur était HLA identique. Il a fallu de nouveau la dialyser durant quelques mois puis elle est morte à son tour. Cette histoire est exceptionnelle, me dira-t-on. Il n’empêche que je l’ai vécue, j’étais le chirurgien transplanteur, et vous pouvez comprendre que je souhaite que nul n’ait jamais à revivre un tel cauchemar. Je me souviens aussi d’une personne à qui nous avions greffé le rein d’un frère, lequel, après s’être brutalement retrouvé au chômage, est allé lui réclamer tous les mois une importante somme d’argent, arguant que le rein dont il lui avait fait don le valait bien ! Plusieurs histoires sordides ont également défrayé la chronique aux États-Unis ces derniers temps comme celui d’un insuffisant rénal en dialyse qui avait fait croire à une femme qu’il l’aimait éperdument, l’a épousée pour qu’elle puisse lui donner son rein et qui, une fois la greffe effectuée, a aussitôt divorcé. Pis encore, un chirurgien de New York qui avait donné un rein à sa femme, vient de demander en justice à récupérer ce rein après avoir découvert qu’elle le trompait ! Il faut savoir qu’aux États-Unis, la moitié des greffes de rein s’opère à partir de donneurs vivants. Tout cela montre combien il faut être très prudent, surtout quand certains personnages médiatiques – je pense à un acteur connu qui a donné un rein à sa sœur – nous invitent à rattraper ce qu’ils considèrent comme un retard de notre pays par rapport aux États-Unis. La philosophe Michela Marzano souligne par ailleurs, dans l’ouvrage que je citais tout à l’heure, que « le donneur a souvent, à la suite de l’intervention, le sentiment d’être rejeté, le vrai malade étant le receveur, lui-même n’étant qu’un non-patient ».

Des essais cliniques de xénogreffes à partir de tissus animaux sont en cours en Suède et aux États-Unis, notamment de greffes d’îlots pancréatiques de Langerhans prélevés sur des animaux. Il faut savoir aussi qu’on « humanise » certains animaux, notamment des porcs, afin que leur cœur puisse être ultérieurement greffé chez un homme. La technique était au point il y a dix ans en Grande-Bretagne, avant que l’aventure ne s’arrête en raison d’un risque d’infection virale chez les receveurs mais peut-être aussi de considérations éthiques, qui ne sont pas nécessairement celles auxquelles on pourrait penser. Est-il admissible sur le plan éthique d’élever des animaux génétiquement modifiés dans le seul but de fournir des organes aux hommes ?

Il faut aussi tenir compte des progrès de l’ingénierie tissulaire. Si on n’est pas près encore de fabriquer du foie, on est déjà capable de fabriquer de la vessie, à partir de cellules prélevées chez le patient lui-même qui en a besoin. La maîtrise totale de ces techniques n’est bien sûr pas pour demain, mais le législateur doit dès aujourd’hui anticiper les évolutions afin de n’être pas désarmé le jour où la question se posera.

En conclusion, il ne faut pas modifier les dispositions de la loi sur le don d’organes et surtout ne pas élargir le champ potentiel des donneurs vivants, en dépit des pressions légitimes auxquelles vous allez être soumis, émanant d’associations de patients qui font valoir la faiblesse des risques pour les donneurs – ils sont faibles, c’est vrai, mais leur victime décède à tout coup ! –, mais aussi de certains médecins, y compris ceux du réseau Centaure que j’ai contribué à mettre en place, qui ne tolèrent pas que des patients meurent faute de greffons.

La véritable solution passe par l’augmentation des prélèvements sur personnes en état de mort encéphalique. On aurait fait état d’une diminution de leur nombre en 2009  – l’information reste à vérifier. Le premier devoir du législateur est de faire en sorte que la loi soit bien appliquée au niveau de l’Agence de la biomédecine, qui a remplacé l’Établissement français des greffes, lequel avait lui-même succédé à France Transplant. Sous la conduite de ses directions successives, l’Agence a accompli un travail remarquable. Elle doit le poursuivre en visant à résorber les disparités considérables observées entre régions. Ainsi y a-t-il dans la région nantaise un « coordonnateur » exceptionnel qui réussit presque toujours à nous trouver un donneur. Ce n’est, hélas, pas le cas partout. Des modifications réglementaires sont peut-être nécessaires sur ce point. Longtemps, les organes prélevés à Lyon par exemple, où nous effectuions beaucoup de prélèvements, étaient répertoriés sur une liste nationale et répartis par France Transplant en fonction des besoins et des histocompatibilités. C’est ainsi que longtemps, les Parisiens n’ont quasiment pas fait de prélèvements, se reposant sur la province en général. Une règle a ensuite été adoptée disposant que pour un rein partant au niveau national, un autre demeurerait au niveau local. Ne faudrait-il pas la revoir, maintenant que les équipes parisiennes sont au point ? Les prélèvements posent des difficultés considérables d’organisation du travail du fait du caractère imprévisible du moment où ils auront lieu, de même que de leur durée et de tous les aléas de l’intervention. Si les équipes savent que les deux reins seront conservés au niveau local et que leurs efforts seront « récompensés » par le fait de sauver un ou deux malades en attente de greffe dans le service voisin de néphrologie, elles n’en seront que plus motivées.

Il faut vraiment faire pression, par le biais des actuelles agences régionales de l’hospitalisation (ARH) et des futures agences régionales de santé (ARS), sur les coordinations hospitalières de transplantation, car si certaines marchent très bien, d’autres non. C’est parfois une question de personne, mais c’est le plus souvent une question de volonté de la structure hospitalière. La Fédération hospitalière de France (FHF) devrait vraiment se mobiliser pour être à la hauteur de ses ambitions en matière de greffes. Ainsi, à Lyon, une unité de réanimation neuro-chirurgicale ne donne-t-elle presque jamais aucun organe parce que ses médecins souhaitent éviter les tracas et qu’un patient en état de mort encéphalique représente pour eux un échec, ce qu’ils n’aiment pas reconnaître. À Lyon depuis le début de 2009, sur 25 donneurs en état de mort encéphalique, seuls 13 ont fait l’objet d’un prélèvement. Cela montre l’importance de l’effort à consentir au niveau local.

Un autre point peut faire débat, celui des incitations financières pour les équipes. En Espagne, ce dispositif marche bien : un chirurgien qui effectue un prélèvement pour greffe est payé le double de ce qu’il perçoit pour une garde normale, l’ensemble de l’équipe recevant, elle, quelque 1 000 euros par organe prélevé, si bien que de petits hôpitaux prélèvent pas mal, parce qu’avec les sommes ainsi perçues, ils peuvent améliorer leur équipement, participer à des congrès…

Un dernier point enfin me paraît devoir être abordé, celui des transplantations réalisées chez des non-résidents. Face à un insuffisant rénal en phase terminale qu’il sait pouvoir sauver par une greffe de rein, le médecin que je suis ne s’interroge ni sur sa nationalité ni sur le fait de savoir s’il est ou non assuré social. Pour autant, cela peut poser un véritable problème si cela réduit les chances d’obtenir un greffon pour un Français inscrit depuis longtemps en liste d’attente.

M. le rapporteur. Je vous remercie de cet exposé brillant et détaillé. En France, si l’euthanasie n’est pas autorisée, chaque année cent mille personnes admises en réanimation voient néanmoins leur respirateur débranché parce que l’équipe, collégialement, a conclu que le traitement était devenu disproportionné et vain, n’ayant plus d’autre but que le maintien artificiel de la vie. Or, aucun prélèvement d’organes ne peut aujourd’hui avoir lieu sur ces personnes. Ne pourrait-on pas l’autoriser, en s’entourant de toutes les précautions nécessaires, en veillant notamment à dissocier la décision collégiale d’arrêt du traitement de survie et celle de prélèvement prise par l’équipe de greffe ? En effet, au vu des évolutions de la médecine, dans un proche avenir, neuf personnes sur dix mourront dans une structure hospitalière, et pour les trois quarts d’entre elles, du fait de la limitation ou de la non mise en œuvre de traitements dont la poursuite sera apparue déraisonnable. S’il demeure interdit de prélever un organe chez ces personnes, le nombre de greffons disponibles risque de diminuer drastiquement.

S’agissant des greffes à partir de donneurs vivants, j’entends bien vos réticences, nées des expériences douloureuses dont vous nous avez fait part. Pour autant, si on les interdisait totalement, les possibilités de greffes fondraient inévitablement, quels que soient les efforts par ailleurs entrepris pour développer les prélèvements sur cadavres. Quel est le bon critère pour déterminer le cercle des donneurs vivants potentiels ? Parenté ou relations affectives profondes et stables ? Solliciter un ami intime depuis vingt ans n’est-il pas plus justifié que faire appel à un cousin lointain que l’on n’a jamais vu et avec lequel on ne prend contact qu’à l’occasion d’un besoin de greffe ? Existe-t-il, selon vous, un critère qui permettrait d’éviter bien sûr toute marchandisation et toute commercialisation, mais aussi toute pression – c’est plus difficile – et cette dette morale infinie à laquelle vous avez fait allusion ?

S’agissant de l’excellent principe du consentement présumé, je pense que nul ne songe à le remettre en question. Les prélèvements à cœur arrêté constituent une piste à explorer plus avant. Enfin, les dons croisés, qui pourraient au premier abord choquer sur le plan éthique, ne seraient-ils pas préférables, si l’anonymat et la gratuité sont parfaitement respectés, aux dons des « bons samaritains », lesquels ne sont peut-être pas toujours aussi désintéressés qu’ils le prétendent, qui pourraient peut-être trouver un moyen détourné de se faire rémunérer, et, comme certaines mères porteuses, présentent parfois un profil psychologique particulier ?

M. Jean-Michel Dubernard. Il existe sans doute des personnes qui acceptent de donner un organe par pur altruisme. Mais j’avoue personnellement ne pas trop y croire, au vu de certaines expériences que j’ai eues. Un confrère transplanteur allemand a ainsi donné un rein de manière anonyme mais il souhaitait par là « réparer » une erreur médicale qu’il avait commise lors d’une intervention. Un « bon samaritain » s’est aussi un jour présenté dans mon service pour donner son rein, mais il est apparu qu’il avait pris quelques mois plus tôt la fuite après avoir tué un enfant au volant et, n’ayant pas été identifié ni donc condamné, il souhaitait payer sa faute en sauvant une vie.

S’il ne faut surtout pas toucher au principe du consentement présumé, il faut mieux faire appliquer la loi. Il faut faire largement connaître le droit, tout à fait légitime, de chacun de refuser de son vivant tout prélèvement d’organes à sa mort – seulement 65 000 personnes sont aujourd’hui inscrites sur le registre national des refus, ce qui est fort peu –, afin de garantir le respect du libre arbitre, mais bien expliquer qu’à défaut d’avoir exprimé cette volonté, le consentement est considéré comme acquis. Il faut aussi mieux former les membres des coordinations locales de transplantation à l’information des familles, qui a, la plupart du temps, lieu dans des circonstances dramatiques. Au même moment où on leur annonce la mort d’un proche, on leur demande s’il s’est opposé de son vivant à un prélèvement d’organes, en leur indiquant qu’un tel prélèvement permettrait de sauver plusieurs malades. Elles se trouvent placées dans une situation impossible, sauf si ce proche en avait auparavant largement parlé autour de lui et avait dit s’il était ou non donneur de ses organes, auquel cas cela ôte toute culpabilité à sa famille, quelle que soit la décision prise.

M. le rapporteur. Mentionner sur la carte Vitale que la personne a bien reçu l’information et n’a pas fait connaître d’opposition au prélèvement de ses organes à sa mort pourrait-il être utile ?

M. Jean-Michel Dubernard. Cela pourrait être une piste. Il n’empêche que les équipes des coordinations locales continueront de consulter les familles.

M. le rapporteur. S’il est établi sans ambiguïté que la personne a été bien informée et ne s’est pas inscrite sur le registre national des refus, c’est qu’elle accepte le don. On avait évoqué l’hypothèse en 2004 qu’il en soit systématiquement considéré ainsi.

M. Jean-Michel Dubernard. Elle n’a pas été suivie. Le pays où les prélèvements marchent le mieux est, outre l’Espagne, l’Autriche, parce que des autopsies y sont presque systématiquement réalisées, si bien que la population est habituée à la pratique. En Tunisie, où existe comme en France aujourd’hui une carte de donneur, source d’ailleurs des mêmes confusions, les autorités travaillent à l’ajout de la mention du consentement au don d’organes sur la carte d’identité.

Je l’ai dit, je suis très réticent aux greffes à partir de donneur vivant, pour des raisons qui tiennent à mon expérience personnelle, notamment quand je repense à cette famille évoquée plus haut, dont les deux enfants, le donneur et le receveur, sont finalement morts. Cela étant, j’en ai pratiqué jusqu’à fin 2008 au moins une fois par mois, parce qu’il n’était pas possible de faire autrement. Lorsqu’un parent donne un rein pour sauver son enfant, il n’y a pas à hésiter. Dès qu’il s’agit d’un don entre membres de la fratrie ou de la famille élargie, c’est moins évident. Je pense moi aussi que faire appel à un ami proche peut avoir plus de sens qu’à un cousin inconnu. Mais je crois qu’il faut conserver l’encadrement actuel. La vraie solution passe par le développement des prélèvements sur les sujets en état de mort encéphalique, y compris sur celles chez qui on décide d’arrêter un traitement de survie.

M. le rapporteur. Ces prélèvements vous choqueraient-ils ?

M. Jean-Michel Dubernard. Pas du tout.

M. le rapporteur. Ne pourrait-on pas en effet, sous réserve d’un encadrement très strict, entrouvrir une porte ?

M. Jean-Michel Dubernard. J’y suis totalement favorable. Il y a là un gisement considérable d’organes qui permettraient de sauver de nombreux malades en attente de greffe et résoudrait le problème du manque de greffons. Une fois dépassées les hypocrisies – ainsi, lorsque je travaillais à Boston, on ne pouvait prélever les organes qu’une fois le cœur totalement arrêté, ce qui prend parfois jusqu’à un quart d’heure après l’arrêt de la machine –, cela ne devrait pas poser de problème. Faute d’aller dans cette voie, les greffes à partir de donneurs vivants sont appelées à se développer, au risque de tous les trafics.

M. Paul Jeanneteau. Qu’est-ce qui interdit aujourd’hui le prélèvement sur les personnes chez qui on arrête un traitement de survie ? La loi, un décret, une circulaire, une directive européenne ?

M. le rapporteur. Il peut paraître cohérent au premier abord sur le plan éthique que l’on ne puisse pas prélever d’organes sur ces patients, car on pourrait toujours se demander si l’on ne débranche pas le respirateur précisément pour pouvoir prélever les organes. Mais les progrès de la réanimation amènent à réanimer de plus en plus de personnes, si bien que l’arrêt des traitements de survie, devenus vains et disproportionnés, devient le mode de fin de vie de très nombreux patients. Ne pourrait-on pas considérer que chez les patients dont la situation médicale est si désespérée qu’une décision collégiale d’arrêt du traitement, prise après recueil de l’avis de l’entourage du patient ou de la personne de confiance qu’il a désignée, la mort équivaut à une mort naturelle ?

M. Paul Jeanneteau. La révision de ces lois de bioéthique peut être l’occasion de faire évoluer la réglementation, avec bien entendu tous les garde-fous nécessaires.

M. Jean-Michel Dubernard. Tel est le message que j’essaie de faire passer. Entrouvrons une porte, avec toute la prudence requise.

Les réunions de mortalité et morbidité, que tous les hôpitaux publics devraient tenir et que la FHF devrait imposer, seraient de la plus grande importance dans les services de réanimation, notamment pour sensibiliser les équipes à ces questions.

M. le rapporteur. Les personnes relevant de la catégorie III de la classification de Maastricht, c’est-à-dire pour lesquelles une décision d’arrêt de soins en réanimation est prise en raison de leur pronostic, sont exclues des prélèvements d’organes par le protocole de l’Agence de la biomédecine pris sur la base d’un décret. Les prélèvements sont en revanche autorisés sur les patients relevant des catégories I, II et IV. Les personnes de catégorie I sont celles qui font un arrêt cardiaque en dehors d’un milieu hospitalier et de tout contexte de prise en charge médicalisée, pour lesquelles le prélèvement d’organes ne pourra être envisagé que si des gestes de réanimation de qualité ont pu être réalisés moins de trente minutes après l’arrêt cardiaque. Les personnes de catégorie II sont celles qui font un arrêt cardiaque en présence de secours qualifiés aptes à réaliser un massage cardiaque et une ventilation mécanique efficaces, mais dont la réanimation ne permettra pas une récupération hémodynamique. Les personnes de catégorie IV sont les personnes en état de mort encéphalique qui font un arrêt cardiaque irréversible en cours de réanimation.

Peut-être faudrait-il scinder les patients de la catégorie III, assurément celle qui soulève le plus de difficultés éthiques, en deux sous-catégories et indiquer très précisément les conditions dans lesquelles le prélèvement d’organes serait licite. Mais ces patients constitueraient une source importante de prélèvements car ils sont de plus en plus nombreux, du fait des progrès de la réanimation. Si l’on continue d’interdire les prélèvements sur eux, il y aura nécessairement de moins en moins de greffons d’origine cadavérique. Et la conséquence sera que l’on fera de plus en plus appel à des donneurs vivants, avec tous les risques que cela comporte, aussi minimes soient-ils. Cela étant, s’il est déjà terrible de demander à une personne, en même temps qu’on lui annonce la mort d’un proche, si on peut prélever ses organes pour sauver une autre vie, ce l’est encore plus de lui poser la même question au moment où on lui annonce qu’on va arrêter un traitement de survie, devenu inutile.

Il faudra revoir tous ces points car si je vous ai bien entendu, mieux vaut augmenter par tous les moyens les prélèvements cadavériques que d’ouvrir plus largement le cercle des donneurs vivants potentiels.

M. Jean-Michel Dubernard. Et pour cela, il faut d’abord mieux faire appliquer le principe du consentement présumé. Il ne l’est pas toujours aujourd’hui, du moins de manière uniforme partout en France. Ce n’est pas la faute de l’Agence de la biomédecine, mais il existe une très grande hétérogénéité entre régions et entre hôpitaux. C’est sur le terrain, notamment par l’intermédiaire des ARH, qu’il faut faire évoluer les choses.

M. le rapporteur. Un dixième seulement des hôpitaux réalise la quasi-totalité des greffes ! Cela étant, peut-être n’est-il pas absurde que les greffes soient pratiquées par des établissements et des équipes qui en ont une grande expérience…

M. Jean-Michel Dubernard. Aux États-Unis, quatre équipes réalisent plus de 450 greffes de rein par an. Une équipe brésilienne à Sao Paulo en réalise entre 600 à 800 par an, dont beaucoup à partir de donneurs vivants.

Pour augmenter le nombre de transplantations, il faut accroître le nombre de prélèvements. Il faut donc mieux structurer l’organisation de notre dispositif, afin que, comme actuellement, trois centres de transplantation cardiaque ne réalisent pas plus de la moitié des greffes de cœur, alors qu’une vingtaine de centres en réalisent moins de vingt voire moins de dix par an. La remarque vaut pour tous les organes.

Mme Suzanne Rameix membre du Comité de pilotage des États Généraux de la bioéthique. Si les greffes de tissus composites sont appelées à se développer, pourra-t-on conserver le régime du consentement présumé ?

M. Jean-Michel Dubernard. Dans ces cas, on demande toujours l’autorisation de la famille.

Mme Suzanne Rameix. Ce n’est pas exactement la même chose qu’un consentement explicite de la personne.

M. Jean-Michel Dubernard. Il faut aussi distinguer entre parties visibles et parties non visibles du corps. Lors de prélèvements de mains et, désormais, de parties de visage, nous demandons toujours l’autorisation de la famille et faisons réaliser d’excellentes prothèses, de façon qu’elle puisse toujours, si elle le souhaite, revoir le corps de la personne décédée. Lors de notre première greffe de visage, l’équipe des prothésistes d’Amiens a accompli un travail remarquable, restituant à la donneuse un visage à l’identique. Sept greffes de visage ont déjà eu lieu de par le monde et plus de soixante greffes de mains mais il faudra bien dix à quinze ans avant que les greffes de tissus composites prennent vraiment leur essor. Avant qu’elles ne se banalisent, il faut conserver le principe de l’autorisation de la famille. Bien entendu si les donneurs ont pu exprimer de leur vivant leur accord pour donner leurs mains ou leur visage, tout sera plus simple.

Mme Suzanne Rameix. Ma question est de savoir si le maintien d’un régime de consentement explicite pour ces tissus composites ne peut pas porter un jour préjudice au consentement présumé pour le prélèvement d’organes vitaux.

M. Jean-Michel Dubernard. La question se pose en effet, mais je ne doute pas qu’elle se réglera avec le temps. Souvenez-vous qu’il y a quelques décennies seulement, certaines personnes étaient d’accord pour donner leur rein ou leur foie, mais pas leur cœur !

M. le rapporteur. Nous vous remercions, d’être revenus parmi nous nous faire une présentation aussi brillante, étayée de votre expérience à la fois d’éminent parlementaire et de très grand chirurgien transplanteur.

Audition de M. Yves CHAPUIS, membre de l’Académie nationale de médecine


(Procès-verbal de la séance du 17 juin 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Yves Chapuis, chirurgien universitaire, ancien président de l’Académie nationale de chirurgie et membre de l’Académie nationale de médecine.

Vous êtes l’auteur de diverses publications concernant en particulier les pathologies digestives et vasculaires, ainsi que la transplantation et la conservation du foie. Vous avez également été le rapporteur d’un groupe de travail de l’Académie de médecine sur le recours aux donneurs vivants, dont les conclusions ont été, en transplantation d’organes, adoptées en mars 2009. À cette occasion, vous avez auditionné diverses personnalités, notamment des sociologues, des psychologues et des responsables de l'Agence de la biomédecine.

Ce groupe de travail a recommandé le maintien des comités d’experts, chargés de se prononcer sur les dons d’organes envisagés par les personnes vivantes, avant que les tribunaux de grande instance recueillent le consentement des intéressés. Vous avez toutefois préconisé que l'Agence de la biomédecine allège et facilite les procédures en vigueur. Quel type d’améliorations faudrait-il apporter selon vous ?

Par ailleurs, pensez-vous qu'il soit nécessaire d'élargir les possibilités de recours à des donneurs vivants ? Quid également de la prise en charge de ces derniers et de leur indemnisation ? Considérez-vous que le suivi de leur état de santé est aujourd'hui satisfaisant ?

De façon plus générale, quelles autres recommandations souhaiteriez-vous nous adresser dans la perspective de la révision des lois de bioéthique ?

M. Yves Chapuis. En premier lieu, je rappelle que d’importants travaux, portant sur les donneurs en état de mort cérébrale, ont été préalablement réalisés par un groupe de travail de l’Académie de médecine présidé par le professeur Christian Cabrol. Compte tenu de la diminution du nombre de donneurs, notamment du fait de la réduction des accidents de la route et de l’amélioration de la prise en charge des accidents vasculaires cérébraux, un certain nombre d'aménagements ont été préconisés, de concert avec l’Agence de la biomédecine, en vue d’élargir les possibilités de prélèvements. Un travail sur les dons à cœur arrêté a également été réalisé, toujours en lien avec l’Agence de la biomédecine, et un protocole, initialement réservé au don du rein dans un certain nombre de centres pilotes, puis étendu au don du foie, a ensuite vu le jour.

Il restait à aborder les difficultés posées par les dons des personnes vivantes. Dans notre pays, les premiers dons de ce type ont d’abord eu lieu à Lyon, puis dans mon service de l’hôpital Cochin, à l’initiative de Didier Houssin. Je précise que les bénéficiaires étaient initialement des enfants – nous travaillions en collaboration avec l'équipe de Bicêtre – et qu’il s’agit encore, pour l’essentiel, de réaliser des transplantations du rein et du foie, celles du poumon étant exceptionnelles compte tenu des risques encourus et du nombre de donneurs nécessaires – on doit en effet prélever un lobe du côté droit et un autre du côté gauche chez deux personnes différentes.

Force a été de constater qu’aucune étude n’avait été menée sur les séquelles affectant les donneurs – pourtant déjà assez nombreux –, qu’il s’agisse de leur santé, mais aussi des répercussions de toute nature qu’ils peuvent subir dans la vie de tous les jours. Sur ces différentes questions, nous avons pu nous appuyer sur les travaux réalisés par Valérie Gateau, docteur en philosophie et sociologue, qui a mené une étude sur vingt donneurs de l’hôpital Cochin, et sur ceux de Mathilde Zelany à Beaujon qui a étudié une quarantaine de donneurs, ayant fait l’objet d’un suivi pendant sept ans.

Les bénéficiaires aussi mériteraient un suivi prolongé, notamment les enfants. Des travaux récemment présentés devant l’Académie de médecine ont fait état d’excellents résultats après greffe de foie, les taux de survie dépassant 90 % au-delà de dix ans ; toutefois, nous manquons encore d’informations sur les conséquences des transplantations à partir de dons vivants sur le ressenti des donneurs et des receveurs.

Le rapport attire également l’attention sur la pénurie persistante d’organes à laquelle nous sommes confrontés. Près de 50 % des personnes en attente d’une transplantation de rein ne peuvent pas être greffées. D’où l’idée de recourir davantage aux donneurs vivants, les risques étant par ailleurs modestes : pour le don du rein, la mortalité ne dépasse pas 0,03 %, et s’il existe des risques de complications, elles sont dans l’ensemble limitées ; pour le don du foie, le taux de mortalité est en revanche plus élevé – il est de 0,4 % en France.

M. le président. Le dispositif mis place dans notre pays vous paraît-il satisfaisant en matière de suivi ?

M. Yves Chapuis. Les registres de l’Agence de la biomédecine font apparaître les liens de parenté des donneurs, ce qui a permis de constater que l’élargissement familial du cercle des donneurs potentiels n’avait pas eu d’effets concrets : en général, les transplantations se limitent au cercle des proches – père, mère, frères et sœurs. S’il faut éviter de « médicaliser » les donneurs, il manque aujourd’hui un suivi des situations individuelles dans le temps. Cela permettrait d’éviter un certain nombre de cas douloureux par la suite.

Je ne reviens pas sur l’encadrement juridique du don d’organes à partir de personnes vivantes, développé dans notre rapport. En revanche, je voudrais insister sur la nécessité d’approfondir l’analyse des bénéfices et des risques pour le donneur et pour le receveur. En cas de greffe réalisée à partir d’un donneur vivant, on constate en effet des taux de survie supérieurs ainsi qu’une meilleure qualité de vie pour le receveur. Cela s’explique notamment par le fait que les prélèvements post mortem se sont multipliés sur les personnes âgées, dont les organes sont de moins bonne qualité.

J’ajoute que si les prélèvements peuvent être effectués par chirurgie vidéo-endoscopique, il faut s’assurer que l’équipement et la formation sont de grande qualité. S’agissant du rein, on doit notamment veiller à ce que l’hémostase des vaisseaux soit absolument sûre. D’où l’idée de concentrer les transplantations dans certains centres. En ce qui concerne le foie, le groupe de travail a relevé que les hépatectomies droites présentent des difficultés si importantes que cette technique a été abandonnée par certaines équipes.

J’en viens aux comités d’experts, également appelés « comités donneurs vivants ».

M. le président. Pouvez-vous nous rappeler la procédure actuelle et les améliorations que vous proposez ?

M. Yves Chapuis. De façon générale, il nous est apparu important qu’il y ait d’emblée une réflexion éthique au sein des équipes de transplantation, et non pas seulement dans le cadre des comités d’experts. Ces derniers, qui sont aujourd’hui composés de trois médecins jouissant d’une certaine expérience en matière de transplantation, ainsi que de personnalités extérieures, comprenant notamment des psychologues et des sociologues, interviennent aussitôt après la saisine du juge, qui a recueilli le consentement des intéressés. Les comités se prononcent sur l’opportunité des transplantations, bien que certaines équipes ne tiennent pas toujours compte de leurs conclusions. Ils examinent également les motivations des donneurs, ainsi que les conséquences que pourrait entraîner leur don. Tout cela prend naturellement du temps, ce qui allonge parfois les délais. Je précise enfin que l’Agence de la biomédecine s’oriente vers une division des comités en deux collèges, l’un composé de représentants de la société civile, l’autre d’experts médicaux. Je ne peux vous en dire davantage pour le moment.

En ce qui concerne l’élargissement des possibilités de dons, nous nous sommes interrogés sur les dons dits « croisés », faisant intervenir plus d’un « couple » donneur receveur, ainsi que sur les dons « altruistes ». Compte tenu notamment des interrogations liées à la notion de couple, de l’analyse de la situation actuelle concernant les donneurs vivants et des risques existants, notamment de possibles dérives de nature commerciale, le groupe de travail n’a pas adopté de recommandations sur ces deux sujets, mais il a souhaité poursuivre la réflexion. J’observe, par exemple, que lors d’un colloque récent, un philosophe américain justifiait la nécessite de légaliser le don « altruiste » par l’existence d’un marché noir – qui existe en Amérique du Sud mais aussi en Amérique du Nord – afin, d’une certaine manière de réguler ce monde marchand.

S’agissant de la prise en charge du don, j’avoue avoir été personnellement bouleversé par le cas d’un jeune donneur victime de nombreuses complications postopératoires, lesquelles lui ont ensuite fait perdre son emploi et détruit sa vie de famille. Ce malheureux n’a pu bénéficier d’aucune aide, passé le stade de l’intervention de l’assurance maladie. Afin de régler ces situations douloureuses, le groupe de travail a souhaité, en suivant la proposition de M. Claude Huriet, que les préjudices éventuels chez les donneurs vivants, dont le nombre est limité, puissent désormais être pris en charge par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM). Il convient enfin de renforcer l’accompagnement psychologique avant et après le don.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Nous manquons cruellement de statistiques en matière de dons d’organes, comme dans d’autres domaines, notamment les dons de gamètes. Je sais que la tâche n’est pas aisée, notamment lorsqu’il s’agit de recueillir des données de nature psychologique. Toutefois, comment le législateur peut-il se prononcer raisonnablement sur les transplantations à partir de personnes vivantes, si l’on ne peut pas en évaluer les répercussions ultérieures ?

Par ailleurs, j’observe qu’on attend généralement du législateur qu’il élargisse sans cesse les possibilités de dons, comme si la pente naturelle de la loi bioéthique était de toujours assouplir l’encadrement juridique et de le rendre plus permissif à chaque révision. L’élargissement des dons entre personnes vivantes à l’intérieur d’une même famille pose en particulier bien des problèmes : comment définir précisément la  famille ? Qui est la personne la plus proche de vous ? Votre cousin, votre tante, ou bien celui ou celle dont vous partagez la vie depuis deux ans ? Il arrive que les liens familiaux soient moins intenses que d’autres liens purement affectifs. Qu’en pensez-vous ?

Quid également des dons dits « croisés », ou en dominos, impliquant plus d’un « couple » de donneurs – 4, voire 6 personnes et pourquoi pas davantage encore ? On risque de sortir du cadre éthique aujourd’hui posé par la loi – il faudrait un jour « apporter » son donneur en vue de bénéficier d’une transplantation, comme pour les dons d’ovocytes. Toutefois, j’ai cru comprendre que vous n’étiez pas totalement hostile à une évolution dans ce domaine. Comment éviter, selon vous, les risques de dérive ?

Votre rapport demande, par ailleurs, que soient levés les « obstacles » qui s’opposent à la « totale neutralité financière pour le donneur en période initiale du don ». S’agit-il seulement de prendre en compte les préjudices éventuels, ou bien d’indemniser systématiquement le don, au risque de remettre en cause le principe de gratuité ?

En outre, que sait-on au juste sur les pressions psychologiques au sein des familles ? Quand il n’existe qu’un seul donneur possible, celui-ci ne risque-t-il pas de se sentir soumis à une obligation ? Existe-t-il des études à ce sujet ?

Pensez-vous également que les besoins de dons entre personnes vivantes pourraient se tarir grâce au développement des dons post mortem, du fait, par exemple, du renforcement de leur efficacité ou bien de l’élargissement des possibilités actuelles de don post mortem ?

M. Jean-Marc Nesme. J’ai malheureusement eu l’occasion de constater, dans ma propre famille, un certain nombre de dysfonctionnements en matière de dons. On croit souvent que les gens hésitent à donner ; en vérité, ils ne savent pas comment s’y prendre, surtout quand il n’y a pas de centres hospitaliers universitaires (CHU) dans la ville où ils habitent. Il existe donc des inégalités face au don, que l’on soit donneur ou receveur. Comment y remédier ?

D’autre part, pourriez-vous nous indiquer si la question du don fait aujourd’hui l’objet d’un enseignement dans le cadre du cursus médical ? Si tel est le cas, à quel stade cet enseignement a-t-il lieu ?

Nous avons appris que l’adoption de votre rapport avait fait l’objet de trois abstentions. Comment l’expliquez-vous ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. Vous avez évoqué les taux de mortalité – très faibles – chez les donneurs vivants, mais pas ceux de morbidité : quels sont-ils à court et à moyen termes ? Combien de donneurs présentent des complications ?

Quid également des donneurs décédés après un arrêt cardiaque réfractaire ? Où en est-on enfin en matière de xénogreffes ?

M. Olivier Jardé. Je comprends mal pourquoi toute indemnisation par l’ONIAM serait impossible. Les dossiers sont en effet recevables en cas de maladie de longue durée et de préjudice grave dans la vie courante après une intervention médicale.

M. Jean-Sébastien Vialatte. C’est qu’il s’agit, en l’espèce, de « mutilations » dites volontaires.

M. Yves Chapuis. En ce qui concerne les « dons croisés », je vois mal où l’on pourrait s’arrêter à partir du moment où ils seraient autorisés. C’est l’une des difficultés.

La question des liens entre les personnes est également un vrai sujet d’interrogation. En l’état actuel du droit, les dons entre deux personnes vivantes sont autorisés s’il existe entre elles une communauté de vie d’au moins deux ans. À titre personnel, cela me pose moins de problèmes qu’un don d’une personne très jeune au bénéfice d’un membre âgé de sa famille. J’ai ainsi eu connaissance d’un donneur de rein chez lequel un cancer s’était ensuite développé – fort heureusement, il a été possible de pratiquer une exérèse partielle.

S’agissant des potentialités de prélèvement chez des sujets en état de mort encéphalique, je rappelle que 18 à 20 % des donneurs ne peuvent pas faire l’objet de prélèvements en raison de contre-indications. On se heurte encore à près de 28 % de refus – même s’il y a eu une légère amélioration : le taux s’élevait encore, voilà peu de temps, à 30 %. On peut certes espérer réduire encore le nombre de refus, mais il faut être conscient que cela ne permettra pas de satisfaire complètement la demande de greffes rénales. Les campagnes de sensibilisation actuelles semblent avoir leurs limites.

En ce qui concerne les prélèvements à cœur arrêté, je rappelle que les nombreux patients entrant dans la catégorie III de la classification dite de Maastricht, à savoir les personnes placées en respiration artificielle dont on décide d’arrêter les soins, ne peuvent pas faire l’objet de prélèvements en l’état actuel de la réglementation. C’est en revanche possible en Belgique et dans le Nord de l’Europe. Ce type de prélèvement expose naturellement à des dérives, mais il me semble que la question mérite réflexion.

Pour répondre à M. Nesme sur l’inégalité face au don, je rappelle que les candidats à une transplantation de rein, de foie, voire de poumon sont pris en charge par un centre agréé sur le plan national, spécialisé, localisé dans un CHU et que dans ces Centres toutes les informations doivent être données s’agissant de la possibilité du don de vivant en respectant naturellement les limites établies par la Loi.

À M. Vialatte je rappelle que notre rapport relève en France en matière de don de foie droit un taux moyen de complications toutes gravité confondue de 51,5 % et qu’elles sont jugées sévères dans 15 %. En revanche la lobectomie gauche compte une morbidité de 10 %.

M. le rapporteur. Ne pensez-vous pas que l’on pourrait établir des distinctions entre les nombreux patients se trouvant dans cette situation et envisager, dans certains cas, des prélèvements en suivant une procédure très rigoureuse, qui dissocierait notamment la question de l’arrêt des soins et celle des prélèvements éventuels ?

M. Yves Chapuis. C’est effectivement une piste à explorer.

S’agissant des dysfonctionnements évoqués par M. Nesme, je rappelle que les possibilités de don sont avant tout limitées par l’interdiction du don « altruiste ». On pourrait aller plus loin dans ce domaine, mais je répète qu’il s’agirait d’un véritable bouleversement dans notre pays.

Quant à la question portant sur l’enseignement des questions de don, je suis dans l’impossibilité de répondre.

M. Olivier Jardé. Si je puis apporter une précision, la problématique du don et sa législation sont aujourd’hui abordées en cinquième année de médecine.

M. Yves Chapuis. J’en viens aux trois abstentions lors de l’adoption du rapport : elles s’expliquent par la présence des termes de « trafic » et de « tourisme de transplantation », qui figuraient initialement dans le rapport. Aux yeux de ces trois collègues les termes utilisés paraissaient trop brutaux et peu diplomatiques…

Nous nous sommes demandés par ailleurs s’il était acceptable qu’un praticien favorise le développement de la transplantation dans des pays dépourvus de cadre légal, ou qu’il aille y réaliser des transplantations. La question est donc de savoir avec qui et jusqu’où l’on peut poursuivre la collaboration scientifique. Le Conseil de l’Europe a demandé que les assurances nationales ne prennent pas en charge les frais exposés à l’occasion de ces transplantations, mais cela ne suffit pas. Au reste, il faut bien prendre en charge les personnes transplantées victimes de complications postopératoires, une fois revenues en France.

En ce qui concerne les xénogreffes, je regrette que les recherches aient été abandonnées, même s’il y a eu récemment des tentatives pour « humaniser » des porcs. Comme j’ai pu le constater moi-même, pour avoir été le premier à tenter ce type de greffes en 1969, nous nous heurtons à différents problèmes : les risques de contamination virale, bien entendu, mais aussi la difficulté à contrôler le rejet. Il reste que les xénogreffes ont montré leurs limites. Il faudrait donc continuer les recherches.

En dernier lieu, je répète que nous ne devons pas nous contenter de suivre les conséquences médicales des transplantations : il convient également d’assurer un suivi de leurs répercussions sur la vie sociale et professionnelle des donneurs. Comme l’a suggéré le sénateur Claude Huriet, il suffirait en outre d’un simple amendement aux lois de bioéthique pour assurer une indemnisation des préjudices éventuels par l’intermédiaire de l’ONIAM.

M. le président. Il me reste à vous remercier en notre nom à tous.

Audition de Mme Nicole LE DOUARIN, secrétaire perpétuelle honoraire
de l’Académie des sciences, professeur honoraire au Collège de France



(Procès-verbal de la séance du 17 juin 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir maintenant Mme Nicole Le Douarin, secrétaire perpétuelle honoraire de l’Académie des sciences et professeur honoraire au Collège de France, où vous avez occupé, Madame, la chaire d’embryologie cellulaire et moléculaire de 1988 à 2000.

Dans votre dernier ouvrage Les cellules souches, porteuses d’immortalité, vous écrivez : « Il est frappant de constater qu’en ce début du XXIe siècle, nous vivons un de ces moments rares dans l’Histoire où la science nous ouvre une liberté de choix et d’action dans un domaine où nous devions jusqu’alors nous contenter de subir les diktats de la nature. Nous pouvons désormais, et nous pourrons toujours davantage, intervenir au plus intime de ce qui crée et prolonge la vie. Cela bouleverse notre vision de l’homme et nos valeurs : un travail de réélaboration devient, à cet égard, nécessaire. »

Votre audition aujourd’hui par notre mission d’information prend précisément place dans le cadre d’un tel travail de « réélaboration ». Comment la loi de bioéthique du 6 août 2004 doit-elle évoluer au regard des derniers progrès scientifiques dans le domaine des sciences du vivant ? En quel sens adapter l’encadrement de la recherche sur les cellules souches embryonnaires ? Quelles valeurs éthiques vous semblent devoir être particulièrement protégées ? Quelles limites poser à la recherche et sur quels critères la contrôler ?

Mme Nicole Le Douarin. Je suis très honorée que vous m’auditionniez. Avant d’en venir aux problèmes éthiques que peut soulever l’utilisation des cellules souches, j’aimerais définir précisément ce qu’est une cellule souche.

Lorsqu’une cellule ordinaire se divise lors d’une mitose « classique », elle donne naissance à deux cellules identiques à elle-même et donc identiques entre elles. Tel n’est pas le cas d’une cellule souche. D’une manière générale, les cellules souches se divisent peu et lorsqu’elles le font, elles donnent naissance à une cellule qui leur demeure identique, reproduisant exactement leur phénotype, et à une deuxième cellule qui aura un destin totalement différent, ayant la capacité de se diviser de manière très abondante par mitose « classique ». En bref, une cellule souche a la capacité singulière de s’autoreproduire et de produire une cellule différente d’elle-même, capable de donner de multiples dérivés. Une cellule souche, c’est donc une cellule pluripotente douée d’autoreproduction. Tout cela a été démontré expérimentalement au début des années soixante lors de l’étude du renouvellement des cellules sanguines. Celles-ci vivent très peu de temps – pas plus de 120 jours pour un globule rouge ! On avait observé que la moelle osseuse contenait des cellules sanguines en phase de maturation, et c’est en effet là que se fabriquent les éléments figurés du sang. Ce mécanisme et sa localisation exacte ont été compris après Hiroshima : on s’est alors en effet aperçu que beaucoup des personnes qui se trouvaient dans le champ de l’explosion atomique, mais n’en étaient pas mortes directement, mouraient deux semaines plus tard d’aplasie médullaire. On a reproduit l’expérience en irradiant des souris qui mouraient elles aussi d’aplasie médullaire, mais survivaient si on leur injectait des cellules de moelle osseuse, qui permettaient la régénération de leur système sanguin. On a ainsi mis en évidence qu’une seule cellule souche de la moelle osseuse permettait de fabriquer tous les types de cellules sanguines.

Y a-t-il plusieurs types de cellules souches ? Oui, trois. Tout d’abord, les cellules souches embryonnaires des stades très précoces du développement de l’embryon, capables de donner tous les types tissulaires. Ensuite, les cellules souches des feuillets embryonnaires qui selon qu’elles proviennent de l’ectoderme, du mésoderme ou de l’endoderme, se différencient en tissus différents : ce sont là des cellules souches non plus totipotentes, mais encore pluripotentes. Enfin, les cellules souches adultes que je décrirai comme un « souvenir » des cellules souches embryonnaires et que l’on trouve dans différents organes comme les os, le cœur, la peau, les muscles et même le cerveau, dont on pensait pourtant que les neurones n’avaient aucune capacité de régénération.

À quoi servent ces cellules souches adultes ? Par exemple, à fabriquer notre sang, lequel se renouvelle en permanence. Mais tous les tissus de notre organisme se renouvellent aussi, plus ou moins vite. Les cellules de notre peau le font tous les trente jours, et celles de notre intestin tous les trois à cinq jours – c’est dire le travail fourni par les cellules souches de l’épithélium intestinal ! Et ce renouvellement cellulaire est observé dans bien d’autres organes. Ainsi à chaque instant, une partie de notre corps meurt, sachant que, dès lors qu’elle se différencie, toute cellule signe son arrêt de mort. Grâce à des recherches menées à la fin des années 90 sur un ver, on a découvert que chaque cellule possède dans son génome des gènes qui la poussent au « suicide ». Et il est bon que les cellules meurent comme programmé. En effet, lorsque ces gènes de « suicide » ont subi une mutation, les risques de cancer sont plus élevés. Il faut savoir que chaque année, nous perdons le poids de notre corps en cellules mortes. D’où l’importance des cellules souches.

Toutes ces découvertes autour des cellules souches ont conduit à l’espoir d’une médecine régénérative par laquelle on pourrait, en greffant des cellules différenciées dans le type cellulaire souhaité, « régénérer » les neurones des personnes souffrant de maladies neuro-dégénératives, les cellules musculaires des myopathes ou bien encore les cellules endocrines pancréatiques des diabétiques… Les cellules souches adultes sont, hélas, restreintes, dans leur capacité de différenciation tissulaire, surtout in vivo. Il y a donc peu d’espoir de pouvoir les utiliser en l’état actuel des connaissances.

En revanche, depuis 1981, grâce aux travaux de deux équipes d’embryologistes, l’une anglaise, l’autre américaine, ce sont les cellules souches embryonnaires qui ont suscité beaucoup d’intérêt. On a en effet réussi à prélever chez un embryon des cellules totipotentes et à les cultiver in vitro dans des conditions leur permettant de conserver cette totipotence. Toute la difficulté est d’ailleurs de trouver les bonnes conditions de culture car une modification infime peut la leur faire perdre. Ce type de cellules-là est capable de donner tous les tissus de l’organisme – de manière chaotique, alors qu’au cours du développement embryonnaire, cette différenciation est organisée. L’important dans ces recherches est d’être parvenu à « capter » l’état de totipotence et à le maintenir indéfiniment.

À quoi peuvent servir ces cellules totipotentes ? Greffées telles quelles chez l’adulte, elles induisent quasiment toujours des tumeurs. Avant de pouvoir les utiliser, il faut donc les différencier. On sait désormais le faire et par le biais de divers facteurs de croissance, les transformer en cellules musculaires, cardiaques, osseuses, neuronales… Voilà de réelles pistes pour la médecine régénérative, mais qui posent un problème éthique à certains car l’embryon humain sur lequel auront été prélevées ces cellules est irrémédiablement détruit.

Autant l’utilisation des cellules souches adultes ne soulève aucun problème éthique (les greffes de moelle osseuse ne posent aucune difficulté à quiconque), autant le sujet des cellules souches embryonnaires est éminemment sensible. L’une des questions est de savoir à partir de quand, après l’union de deux gamètes, on a affaire à un être humain, fût-il seulement en devenir. Dans la religion catholique, le dogme est que dès la fusion du spermatozoïde et de l’ovocyte, on a un être humain. C’est pour cette raison que l’Eglise catholique est fermement opposée aux recherches sur les cellules souches embryonnaires. En revanche, dans la religion juive, on considère qu’il n’y a d’être humain qu’au bout de quarante jours de développement qui ont conduit à une certaine organisation de l’embryon – les juifs considèrent qu’auparavant, il s’agit seulement d’un amas cellulaire.

L’instant où les cellules prennent la « décision » – c’est le terme scientifique ad hoc – de se différencier en tel ou tel tissu est extrêmement fugace mais en culture, il peut être saisi et maintenu. Dès lors qu’on peut espérer pouvoir utiliser ces cellules en thérapie, les chercheurs ont légitimement eu envie de poursuivre leurs travaux dans ce domaine.

Dans la perspective de l’utilisation des cellules souches embryonnaires en thérapie cellulaire, se pose le problème du rejet des cellules greffées par le système immunologique du patient receveur.

Une manière d’éviter ce rejet a été envisagée : obtenir des cellules souches en utilisant un embryon qui serait un « clone » du patient dans lequel les cellules seront introduites. Cette pratique a été dénommée « clonage thérapeutique ».

Ce terme a été mal choisi car la technique proposée a été assimilée à celle du clonage reproductif, qui doit être absolument proscrit. Il aurait mieux valu parler de transfert nucléaire destiné à fabriquer des cellules compatibles avec le système HLA du malade. La technique consiste à énucléer un ovocyte humain et à en remplacer le noyau par celui, diploïde, d’une cellule somatique du malade. On peut espérer obtenir le développement d’un embryon sur lequel on pourrait prélever des cellules souches après leur différenciation en un type cellulaire dont le malade a besoin.

Cette technique de transfert nucléaire n’est pas sans poser elle-même de problèmes éthiques. D’une part, elle est loin d’être au point chez les diverses espèces de mammifères où elle a été appliquée et, jusqu’ici, elle a toujours échoué chez l’homme. Pour donner naissance à la brebis Dolly, il n’a fallu pas moins de 270 ovocytes de brebis !

D’autre part, la qualité des cellules obtenues est très incertaine. S’agissant de l’être humain, où trouver en nombre des ovocytes ? Chez des femmes jeunes, après stimulation et ponctions ovariennes, lesquelles ne sont pas sans danger et peuvent donner lieu à toutes sortes de dérives mercantiles. Dans certains pays, des femmes de milieu défavorisé vont donner leurs ovocytes moyennant rémunération… Devant ces difficultés, certains ont proposé qu’on recoure à des ovocytes d’animaux, de vaches en particulier. De telles expériences, interdites en France, ont ainsi été autorisées en Angleterre mais leurs résultats sont très décevants. Les cybrides ainsi obtenus arrivent quelquefois au stade de la segmentation mais leur développement s’interrompt au bout de quelques jours. Cela a été l’occasion de s’apercevoir que, contrairement à ce que l’on pouvait penser, le cytoplasme n’était pas un milieu totalement neutre. Il contient aussi de l’information génétique, dans l’ADN des mitochondries. Et il est probable que les protéines codées par cet ADN mitochondrial ne sont pas parfaitement compatibles avec le génome des cellules humaines.

À ce point de mon exposé, je crois utile de vous indiquer que je fais partie de l’Académie pontificale des sciences, placée auprès du Saint-Siège, et dont j’ai été nommée membre non en raison d’opinions religieuses mais de ma seule expertise scientifique. J’y ai proposé qu’on organise un colloque sur les cellules souches embryonnaires, où l’on inviterait les plus grands spécialistes mondiaux du sujet. L’Académie, assez libérale, son Chancelier étant un ecclésiastique très ouvert, en a accepté le principe et ce colloque a été l’occasion pour l’Église catholique de constater que les chercheurs, loin de nourrir quelque arrière-pensée dans leurs recherches, n’avaient au contraire que des visées humanistes. La meilleure preuve en est qu’ils ont tout fait pour trouver le moyen de fabriquer des lignées de cellules souches embryonnaires sans détruire d’embryons. Une méthode, mise au point aux États-Unis, consiste à prélever une seule cellule sur un embryon au stade morula – c’est d’ailleurs ainsi que l’on procède lors des diagnostics pré-implantatoires. L’embryon, auquel il reste sept cellules, se développe tout à fait normalement, tandis que la cellule prélevée permet d’obtenir in vitro des lignées de cellules souches. Cette technique, qui demeure très difficile, n’est toutefois pas communément utilisée – elle n’a fait qu’apporter une preuve de faisabilité.

La véritable révolution est intervenue en 2006 avec la découverte du chercheur japonais Yamanaka. Celui-ci a ainsi découvert que 24 gènes spécifiques étaient toujours actifs dans les cellules souches. Il a isolé ces gènes, les a insérés dans des vecteurs rétroviraux (le rétrovirus permettant que ces gènes s’intègrent au génome de la cellule d’accueil) et les a injectés dans des fibroblastes de souris, lesquels ont été, de ce seul fait, « reprogrammés », retrouvant les caractéristiques de cellules souches. Après de longues recherches, Yamanaka a finalement découvert qu’avec l’adjonction de quatre de ces gènes seulement, toujours les mêmes, on obtenait des cellules présentant toutes les propriétés de cellules souches. C’est ainsi que venaient d’être découvertes les fameuses iPS (induced pluripotent stem cells) qui ont suscité un grand intérêt chez les chercheurs. Beaucoup de laboratoires ont immédiatement abandonné leurs recherches sur les cellules souches embryonnaires au profit des iPS, et même des laboratoires qui ne travaillaient pas du tout sur les cellules souches embryonnaires se sont mis à travailler sur ces cellules reprogrammées.

Mais les iPS sont-elles strictement identiques à des cellules souches embryonnaires ? Non, bien qu’elles possèdent incontestablement plusieurs des caractéristiques de cellules souches. Ces cellules reprogrammées, qui ont en quelque sorte « remonté le temps », sont capables de participer à la fabrication de tous les tissus et organes, y compris les cellules germinales. Cette possibilité de différenciation en gamètes pose d’ailleurs de nouveaux problèmes éthiques car l’on pourrait ainsi reproduire un individu – pour l’instant, on ne l’a tenté et obtenu que chez la souris –, sur lequel n’auraient été prélevées par exemple que quelques cellules de peau.

Après cette découverte, très prometteuse, des iPS, pourquoi continue-t-on à travailler sur des cellules souches embryonnaires humaines ?

Les expériences de Yamanaka montrent que les cellules iPS peuvent être à l’origine de tumeurs. Pourquoi ? Parmi les quatre gènes qui interviennent dans la reprogrammation, le gène c-Myc régule la prolifération. Or si ce gène c-Myc, qui a été introduit à l’aide d’un vecteur rétroviral, est déréglé dans la cellule iPS, ou s’il se dérègle au cours du temps, les cellules deviennent tumorales. En fait, pratiquement toutes les tumeurs, humaines ou animales, comportent une anomalie du fonctionnement du gène c-Myc. Pour avoir une tumeur, il faut plusieurs mutations, au minimum six. Ce gène peut se dérégler s’il s’insère dans la partie du génome où il y a un promoteur d’activité fort : il sera lui-même dérégulé par un promoteur qui n’est pas le sien. C’est une possibilité, mais il y en a plusieurs autres pour rendre compte du pouvoir tumorigène des cellules iPS.

Aujourd’hui, les scientifiques travaillent beaucoup sur les iPS et leurs interrogations rejoignent celles du public. Ces cellules sont-elles vraiment fiables ? Peut-on les utiliser ? Sont-elles de vraies cellules de type embryonnaire ?

Dans notre génome, et donc dans chacune de nos cellules, nous avons tous les gènes de l’espèce. Nous n’avons pas les mêmes protéines dans notre cerveau, dans nos muscles, dans notre foie. Ce ne sont donc pas les mêmes gènes qui fonctionnent dans chacun de ces types cellulaires.

Comment obtenir alors que tel gène fonctionne et que tel autre s’arrête ? On est en train de comprendre de mieux en mieux comment s’effectue la régulation de l’activité des gènes lors de la différenciation cellulaire. Certains processus bloquent les gènes. Quels sont-ils ? Ce peut être par exemple la modification de certaines bases. L’ADN est formé par une suite de bases qui peuvent être modifiées par l’addition d’un groupement chimique. S’il y a méthylation de certaines bases, ce gène ne peut plus être traduit, être copié : il est bloqué. C’est un verrou, mais il y en a d’autres : la conformation du filament d’ADN joue aussi un rôle.

Dans un tissu donné, on peut maintenant, depuis qu’on est capable de séquencer l’ADN, avoir une vue générale de ce qui est méthylé et de ce qui ne l’est pas. Dans certaines cellules, il y a beaucoup de méthylation, donc peu de gènes qui fonctionnent, et inversement. Et pour un territoire donné du génome, on peut étudier le degré de méthylation : on s’aperçoit alors que le type de méthylation n’est pas le même pour les cellules iPS et les cellules ES. Il y a des différences profondes, et leur signification exacte en termes de synthèse de protéines n’est pas encore connue. Sont-elles importantes sur le plan fonctionnel ? Je ne peux pas vous le dire. Mais de toute façon, elles ne sont pas équivalentes et ces différences sont importantes.

Par conséquent, il faut continuer à travailler sur les cellules souches embryonnaires pour mieux les connaître, tout en travaillant beaucoup sur les iPS. Il faut peut-être trouver d’autres méthodes pour activer les gènes spécifiques des cellules souches dans les cellules déjà adultes sans ajouter de rétrovirus et de gènes exogènes – peut-être faire fonctionner les gènes endogènes des cellules en question. Plusieurs pistes sont envisageables, mais pour qu’elles soient étudiées, il faut qu’on connaisse de mieux en mieux la nature de la cellule souche, ses caractéristiques et le moyen de l’imiter en prenant des cellules qui sont déjà adultes, qui ont déjà fait le chemin non vers l’immortalité, mais vers la différenciation.

M. le président. Au nom de la mission, je vous remercie vivement de cet exposé extrêmement brillant et complet.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Madame Le Douarin, vous avez brossé un tableau complet de l’état de la recherche actuelle sur les cellules souches. Bien entendu, le législateur est interpellé : s’il est inscrit dans la loi actuelle que cette recherche est subordonnée à la perspective d’un progrès thérapeutique majeur, nous savons bien que la recherche ne peut pas être fixée sur un résultat à court terme. Des pistes s’ouvrent, puis se ferment, cependant qu’on revient à une piste abandonnée antérieurement. On a ainsi constaté que la cellule souche embryonnaire amenait un taux de tumeurs important. Mais on voit bien que l’introduction de gènes extérieurs aboutit elle aussi à des résultats insatisfaisants.

Ma première question – un peu hypocrite car vous y avez déjà répondu en partie – est donc la suivante : pensez-vous que, considérant les découvertes de Yamanaka sur les cellules souches reprogrammées, on puisse se permettre aujourd’hui d’abandonner la recherche sur les cellules souches embryonnaires ?

Ensuite, devons-nous maintenir un moratoire ? Pouvons-nous dire qu’au bout de cinq ans ce volet de la recherche doit être abandonné au profit d’un autre ?

En outre, faut-il avoir vis-à-vis de l’embryon des autorisations de travail ou d’expérimentation avec un encadrement et des restrictions, ou plutôt une interdiction avec des dérogations ? C’est une question plus éthique que technique et scientifique

Enfin, ne faut-il pas être extrêmement vigilant sur le plan de l’éthique s’agissant de l’expérimentation sur l’embryon ? Vous parlez, par exemple, de prélever une seule cellule sur la deuxième division, où il y en a huit, ce qui n’empêche pas l’embryon de se développer. S’agit-il alors véritablement d’une « recherche sur l’embryon », dans la mesure où elle porte sur une cellule souche embryonnaire, n’altère en aucune façon le devenir de l’embryon et n’implique pas obligatoirement sa destruction ?

M. Paul Jeanneteau. Les détracteurs de la recherche sur les cellules souches embryonnaires avancent que, si au bout de quelques petites décennies, elles n’ont toujours pas permis d’avancée thérapeutique ou médicale très concrète, elles ne servent pas à grand-chose et qu’il faut se retourner vers les cellules iPS. Vous qui faites partie de l’Académie pontificale des sciences, et fréquentez donc les plus hautes autorités ecclésiastiques sur ce sujet, pouvez-vous, sans dévoiler de secret, nous dire comment elles ressentent les choses ? Car les personnes qui avancent l’argument que je viens de vous soumettre sont souvent celles qui se réclament de l’Église catholique.

Mme Nicole Le Douarin. Je pense qu’il ne faut pas arrêter les recherches sur les cellules souches. Ce serait une erreur funeste. Si les possibilités de recherche sur ces cellules avaient été moins restreintes, les progrès seraient probablement plus importants. Et il n’est pas exact de dire qu’il n’y a pas de résultat. Il y a des résultats prometteurs.

Il y a eu, au départ, une erreur de communication, mais il en va toujours ainsi avec les découvertes scientifiques : dès qu’on entrevoit une nouvelle approche, on laisse espérer aux gens la solution imminente de problèmes qui sont, en réalité, extraordinairement compliqués. On a tort – je veux dire les scientifiques, relayés par les médias – de ne pas avoir une attitude plus raisonnable consistant à dire que l’on va maintenant explorer telle possibilité, qui n’existait pas auparavant, mais sans en attendre des résultats rapides. Cela dit, je suis persuadée qu’il y aura des progrès.

À Haïfa en Israël, le laboratoire Technion, très actif et très dynamique, travaille beaucoup sur les cellules souches humaines et s’évertue à essayer de fabriquer des tissus à partir d’elles. Il a réussi, par exemple, à faire un tendon : une sorte d’éponge en matière plastique a été placée dans un milieu de culture où se trouvent des cellules souches humaines, lesquelles ont colonisé l’éponge, puis les fibroblastes se sont différenciés en cellules qui ont produit des fibres comme celles des tendons. Le tendon constitué de cellules humaines a été placé sur une souris dont le tendon avait été coupé, et elle ne l’a pas rejeté car elle était immuno-incompétente. Voilà un exemple de reconstitution d’un tissu fonctionnel.

Il est très important d’obtenir des cellules différenciées qui soient homogènes. Avec un milieu de culture, on peut aussi, par exemple, obtenir d’une manière très prépondérante des cardiomyocytes. C’est formidable, car en cas d’infarctus, et donc de destruction du tissu cardiaque, il faut remplacer le tissu avant qu’il ne soit déficient pour que le cœur demeure actif.

On arrive donc à faire tout cela. Mais pour injecter ces cellules chez un adulte, il faut veiller à ce qu’il n’y ait pas de cellules encore indifférenciées. Car, pour une raison qu’on ne comprend pas, ces cellules indifférenciées dérapent et deviennent tumorales quand elles sont dans un environnement adulte.

Il faut donc travailler, mais longtemps, humblement, modestement, en se disant qu’il faudra des années pour arriver à obtenir des cultures pures d’un type similaire sans risquer d’introduire des cellules susceptibles de devenir tumorales. La recherche biologique est longue et difficile. Elle progresse formidablement si on considère les progrès accomplis au XXe siècle, mais pour arriver à faire quelque chose de fiable quand il s’agit d’introduire des cellules vivantes dans un être humain, il faut vraiment prendre des précautions.

Il ne faut pas dénigrer les recherches sur les cellules souches humaines ; il est faux de les juger décourageantes et de dire que rien n’en sortira. Une percée interviendra à un moment donné, qui permettra de résoudre les problèmes les uns après les autres. Voilà mon point de vue. Si l’on n’avait pas travaillé sur les cellules souches embryonnaires, les cellules iPS n’existeraient pas.

M. Jean-Sébastien Vialatte. À la suite de ce long et passionnant exposé, nous avons bien compris que les cellules iPS et les cellules ES n’étaient pas superposables.

M. Olivier Jardé. Merci beaucoup pour cet exposé, madame. Vous avez insisté sur le fait que les expériences de Yamanaka pouvaient entraîner des dysfonctionnements génétiques, la formation de tumeurs. Pouvons-nous aller jusqu’à dire que le cancer est d’origine génétique ? Ou a-t-il une cause virale en plus de ce phénomène génétique ?

M. Nicole Le Douarin. Le cancer est une maladie génétique. Le virus apporte des gènes viraux, et ceux-ci interfèrent avec le fonctionnement de la cellule, ce qui peut dégénérer en cancer. On a fait beaucoup de progrès dans la connaissance des cancers depuis qu’on sait cela.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Il y a pourtant des facteurs environnementaux ?

Mme Nicole Le Douarin. Oui, mais ils agissent sur les cellules et les rendent plus susceptibles à la transformation cancéreuse.

M. Olivier Jardé. Le cancer est-il uniquement génétique, ou a-t-il à la fois des facteurs génétiques, viraux et environnementaux ?

Mme Nicole Le Douarin. À un certain moment, on a pensé que tous les cancers étaient viraux. Ce n’est pas le cas. On connaît des cancers d’origine virale, mais en petit nombre, par exemple, le cancer de Burkitt et le cancer du col de l’utérus. Ce dernier est dû au virus du papillome ; il existe même un vaccin. Le Prix Nobel de cette année a été décerné à la personne qui a démontré l’origine virale de ce cancer : c’est un virus de la même famille que celui qui produit des verrues sur la peau, mais il déclenche des hyperproliférations cancéreuses sur le col de l’utérus.

Pour beaucoup d’autres cancers, on n’a pas pu démontrer à ce jour qu’ils avaient une origine virale. Mais ils peuvent avoir une origine environnementale, car les facteurs de l’environnement, comme le goudron du tabac, abîment les génomes de certaines cellules avec lesquelles ils sont en contact, ce qui provoque des mutations.

Pour avoir une tumeur, pour que le fonctionnement d’une cellule soit complètement déréglé, on pense maintenant qu’il faut au minimum six mutations dans des gènes qui sont importants. Je vous ai parlé du gène c-Myc qui contrôle la prolifération cellulaire. Un autre est presque toujours muté dans les cancers : le gène p53, qui code pour un antioncogène. Il y a aussi les oncogènes, souvent impliqués dans les cancers. On connaît de mieux en mieux tout cela aujourd’hui.

Heureusement, beaucoup de ces mutations ont l’avantage de déclencher le processus de mort cellulaire. Les cellules qui ne se comportent pas d’une manière normale sont souvent éliminées grâce à ce suicide génétique qui est très positif.

M. Xavier Breton. On se sent plus intelligent après votre exposé… Peut-on avoir les références de votre livre ?

M. le président. Le livre de Nicole Le Douarin s’appelle Les cellules souches porteuses d’immortalité ; il est publié aux éditions Odile Jacob.

M. Xavier Breton. Vous nous dites qu’il faut continuer les recherches sur les cellules souches embryonnaires pour mieux les connaître ; et finalement, il faudrait trouver des solutions permettant de les remplacer. Est-il possible, pour mieux encadrer les recherches sur les cellules souches embryonnaires, de distinguer deux types de recherches ? Il y aurait d’une part, des recherches faites sur l’embryon – où l’embryon serait la fin –, pour mieux le connaître, de façon à pouvoir un jour le remplacer, ce qui peut se concevoir ; et d’autre part, des recherches qui pourraient être beaucoup plus restrictives, avec ou par l’embryon – qui serait cette fois simplement un moyen –, non pas pour mieux le connaître, mais en vue d’une médecine régénérative, avec le problème éthique que cela suppose ?

M. Nicole Le Douarin. En réalité, nous avons deux buts.

Le premier est un but de connaissance. Nous voulons savoir comment se développe un embryon, essayer d’éclaircir ce mystère extraordinaire qui fait que chacun de nous est issu d’une cellule d’environ 100 microns de diamètre. Rendez-vous compte de ce qui s’est passé : sans apport d’information, une cellule s’est transformée ; un milieu externe favorable à sa survie a donné un être aussi complexe que nous le sommes, mais comme l’est aussi une mouche, une souris, tout être vivant ! Pourquoi cette variabilité, cette biodiversité, et comment ? C’est un problème énorme : celui de la vie et de la compréhension la vie.

Si on comprend les mécanismes de la vie, il s’ensuivra évidemment des retombées très positives sur sa protection, celle en particulier de la nôtre en termes de longévité, de santé, etc. Par conséquent le travail des biologistes est important car il sert l’humanité tout entière. Il n’est pas seulement fait pour le plaisir des chercheurs. Le profit des hommes est une retombée de cette quête de savoir et de compréhension.

Le profit est aussi celui que vous évoquez, monsieur le député, quand vous dites qu’on veut utiliser l’embryon pour faire un organe, pour remplacer des cellules. Là, ce n’est pas l’embryon lui-même qui nous intéresse : c’est ce que l’on a appris sur lui qui va nous permettre de faire de la médecine régénérative.

Il est clair que ce sont deux démarches différentes. La deuxième découle de la première, mais la première est d’une importance capitale. C’est pour cela qu’il faut vraiment ouvrir plus largement les possibilités de recherche afin que la France ne reste pas en arrière dans le grand courant des recherches biologiques qui se développe au niveau mondial.

M. le président. Ce sera un des sujets que nous aurons à trancher.

Mme Nicole Le Douarin. Il faut le faire, car cela ne peut pas faire de mal ; au contraire, cela a de grandes chances de faire beaucoup de bien et, surtout, à long terme ! C’est d’une importance capitale pour comprendre la vie. La vie est très complexe, et il faut vraiment travailler sur l’embryon, sur l’œuf : c’est le début de tout, c’est une espèce de carrefour de toutes les disciplines des sciences de la vie.

M. le président. Ces recherches ont bien entendu des finalités thérapeutiques, mais, comme vous venez de le dire, elles nécessitent de faire de la recherche fondamentale pour mieux comprendre un certain nombre de mécanismes. Je crois qu’elles sont indispensables, c’est le message que nous aurons à faire passer à nos collègues.

Mme Nicole Le Douarin. Oui, le message est là : cette recherche peut servir pour beaucoup d’autres mécanismes, pas seulement pour faire de la médecine régénérative. On a d’ailleurs déjà trouvé des choses qui ont de l’importance dans d’autres domaines.

M. le président. Madame, je vous remercie.

Audition de M. Bruno RIOU, chef de service des urgences médicales, chirurgicales et psychiatriques à l’hôpital Pitié-Salpêtrière,
médecin coordonnateur des prélèvements d’organes
et de tissus du groupe hospitalier La Pitié-Salpêtrière,
vice-président de l’Université Pierre et Marie Curie, Paris VI



(Procès-verbal de la séance du 24 juin 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Monsieur Bruno Riou, vous êtes professeur d’anesthésie-réanimation, médecin coordonnateur des prélèvements d’organes et des dons de tissus du groupe hospitalier La Pitié-Salpêtrière depuis vingt ans, chef du service d’accueil des urgences et vice-président de l’Université Pierre et Marie Curie, Paris VI.

Si les données sur la pénurie de greffes, ou sur les avantages comparés du consentement explicite ou présumé des donneurs, sont connues, certains aspects de cette problématique sont moins familiers, comme la question des donneurs à cœur arrêté.

Le décret du 2 août 2005 a autorisé les dons par donneurs à cœur arrêté en les limitant au rein et au foie, dans des conditions qu’encadrent des protocoles élaborés par l’Agence de la biomédecine. Les premières transplantations utilisant ces techniques ont reçu peu d’écho dans les médias. Nous souhaiterions que vous nous présentiez cette procédure de prélèvement, et nous disiez combien il y a de donneurs à cœur arrêté en France, sachant qu’aux Pays-Bas, ils représentent 47 % des donneurs. Nous voudrions surtout vous consulter sur les problèmes éthiques que soulève cette pratique et sur lesquels réfléchit l’espace éthique de l’Assistance publique de la ville de Paris. Les conditions dans lesquelles est constatée la mort d’un patient sont-elles les mêmes pour le patient à cœur arrêté et le sujet en état de mort cérébrale ? Comment, en particulier, les réanimateurs vivent-ils la dualité de leurs missions, lorsqu’ils espèrent d’abord redonner vie à une personne et renoncent ensuite à cet espoir ? Faut-il interdire, comme le recommande le Conseil d’État, tout prélèvement d’organes sur les patients relevant de la catégorie III de Maastricht, à savoir les personnes hospitalisées pour lesquelles une décision d’arrêt de traitement est prise en raison de leur pronostic et qui décèdent d’un arrêt cardiaque ? Qu’attendez-vous enfin de la technique d’assistance circulatoire thérapeutique sur laquelle vous avez travaillé ?

M. Bruno Riou. Parmi les tout premiers prélèvement d’organes de la fin des années cinquante et du début des années soixante, certains furent effectués sur des patients à cœur arrêté ; par la suite, cependant, on opéra essentiellement sur des patients en état de mort encéphalique. Dès 2005, l’Agence de la biomédecine a réuni un groupe d’experts de différentes disciplines pour réfléchir à ce problème, définir un protocole et lever tous les obstacles réglementaires à l’activité de prélèvement à cœur arrêté. En effet cette pratique a été largement développée dans différents pays, notamment l’Espagne, les Pays-Bas et les États-Unis. Dans certains centres particulièrement actifs comme Barcelone ou Madrid, jusqu’à 50 % des prélèvements de reins proviennent de patients à cœur arrêté.

Face à la pénurie d’organes, l’Agence de la biomédecine s’est orientée d’emblée vers cette solution. L’Académie de médecine a été sollicitée, des modifications réglementaires ont eu lieu et, dans un premier temps, une dizaine de sites pilotes français, passant convention avec l’Agence de la biomédecine, ont commencé cette activité. Les prélèvements, effectués sur des patients à cœur arrêté, concernent des patients de catégories Maastricht I ou II.

La classification dite de Maastricht a été proposée sur le plan international par les sociétés savantes de transplantation. Les classes I et II correspondent à des arrêts cardiaques inopinés, le plus souvent en dehors de la rue : pour la classe I, le patient est amené à l’hôpital sans qu’aucune manœuvre de réanimation ait été entreprise ; pour la classe II, une réanimation a été tentée en vain et le patient a été amené à l’hôpital. La classe III correspond à des patients dont on a arrêté les soins, et qui se trouvaient pour la plupart en réanimation. La classe IV correspond à des patients déjà en état de mort encéphalique, qui font un arrêt cardiaque brutal. Ce dernier cas ne pose pas de problème éthique. D’ailleurs, tous les centres qui pratiquent des prélèvements sur des patients en mort encéphalique auraient dû se mettre en situation de pouvoir en faire chez ces patients.

J’avais fait partie des experts consultés. Nous avons été plusieurs anesthésistes-réanimateurs et réanimateurs à dire que nous étions favorables aux prélèvements à cœur arrêté sur les patients classés en Maastricht I et II, mais que nous y étions défavorables sur les Maastricht III pour des raisons éthiques liées au conflit d’intérêts entre la gestion de l’arrêt de soins et la gestion d’un prélèvement d’organes. Un débat assez vif s’était alors engagé avec les transplanteurs qui souhaitaient une extension maximale des possibilités de prélèvements. Nous sommes allés jusqu’à dire que si l’on incluait les patients en Maastricht III, les prélèvements à cœur arrêté se feraient sans nous. Voilà pourquoi le consensus s’est fait en incluant les patients en Maastricht I et II, et en écartant les patients en Maastricht III.

Comment se passent les prélèvements à cœur arrêté ? Un patient fait un arrêt cardiaque hors de son domicile, le plus souvent dans la rue. C’est un patient jeune, sans antécédent (hypertension, diabète). Au bout de trente minutes de massage cardiaque sans reprise d’activité du cœur, on considère – il y a un accord général sur ce point – que la réanimation cardio-pulmonaire est futile et on l’arrête. Le médecin constate le décès du patient. Si au bout de cinq minutes, il n’y a toujours aucune reprise de l’activité cardiaque, il signe le certificat de décès. Il peut alors se lancer dans des manœuvres de réanimation qui n’ont plus de visée thérapeutique, mais qui visent à préserver les organes de ce patient décédé. Une course contre la montre s’engage alors, pour éviter la souffrance ischémique des organes. L’Agence de la biomédecine fixe des délais maximaux entre l’initiation de la réanimation cardio-pulmonaire, son arrêt et la perfusion des organes à préserver, et même entre l’arrêt cardiaque et le prélèvement final.

Dès que le patient sous massage cardiaque arrive à l’hôpital, débute le même processus que pour un patient en état de mort encéphalique : consultation du registre national des refus, consultation des proches pour connaître la position du défunt sur les prélèvements d’organes, prélèvements sérologiques pour éviter de transmettre certaines maladies à l’éventuel receveur.

Dans un premier temps, l’Agence de la biomédecine avait donné son accord pour que l’on puisse prélever les reins et le foie. Mais pour l’instant, elle n’autorise que les prélèvements de reins, et cette activité de prélèvement est régulièrement évaluée.

Tout se passait plutôt bien. Mais on n’avait sans doute pas suffisamment pris en compte un phénomène, qui ne concernait d’ailleurs pas les prélèvements d’organes : le développement des techniques d’assistance circulatoire à visée thérapeutique.

Pour préserver les organes chez un patient qui va être prélevé en arrêt cardiaque, il y deux méthodes. On peut mettre en place, dans l’artère fémorale, une sonde de Gillot qui va isoler la circulation rénale et permettre de faire passer un liquide réfrigérant qui préservera le rein. C’est la méthode la plus simple, mais pas la plus efficace. L’autre méthode, un peu plus sophistiquée, développée par les Espagnols, consiste à mettre en place une sonde qui permet d’établir une assistance circulatoire équivalente à celle qu’on utilise au cours de la chirurgie cardiaque ; ses effets sont bien supérieurs en termes de reprise de la fonction chez les receveurs et en termes de complications.

En effet le pronostic de la transplantation avec prélèvement à cœur arrêté est moins bon qu’avec un prélèvement sur des patients en mort encéphalique, du fait de la souffrance des organes ; d’un autre côté, la mort encéphalique entraîne une cascade inflammatoire qui se traduit probablement par des effets délétères, à moyen et long terme. Au total, les prélèvements à cœur arrêté sont donc considérés comme un peu moins bons que ceux sur des patients en mort encéphalique. Mais avec l’assistance circulatoire telle que la pratiquent les équipes espagnoles, les résultats rapportés dans la littérature sont tout à fait satisfaisants. D’emblée, à la Pitié-Salpêtrière, nous avons décidé de ne pas utiliser la sonde de Gillot et de pratiquer cette assistance circulatoire pour les patients à transplanter.

Dans le même temps, deux équipes françaises ont longuement travaillé sur l’assistance circulatoire à visée thérapeutique.

L’équipe de Lariboisière, avec des chirurgiens cardiaques de la Pitié-Salpêtrière, avait développé cette technique de longue date pour soigner des arrêts cardiaques, dus essentiellement à une intoxication par des médicaments cardiotropes. Il s’agit de patients jeunes, qui font souvent leur arrêt cardiaque devant les réanimateurs et dont on n’arrive pas à faire repartir le cœur, en raison de l’effet toxique des médicaments cardiotropes, qui peut durer jusqu’à vingt-quatre ou quarante-huit heures. Mais dès lors qu’on met en place une assistance circulatoire, le cœur n’est plus un problème, et, si le patient n’a pas souffert sur le plan neurologique, les circonstances peuvent être très favorables. L’équipe de Lariboisière a rapporté, en 2007-2008, jusqu’à 30 % de survie dans des cas bien sélectionnés d’intoxication par ces médicaments, avec arrêt cardiaque réfractaire.

L’équipe de Caen, avec des chirurgiens cardiaques, des anesthésistes-réanimateurs et des cardiologues, a travaillé elle aussi sur une population très particulière. Il s’agissait de patients se trouvant à l’hôpital, essentiellement au bloc opératoire ou en salle de coronarographie, qui faisaient un arrêt cardiaque réfractaire. Dans une telle circonstance, il y a tout près des chirurgiens cardiaques capables de mettre en place une assistance circulatoire et des anesthésistes-réanimateurs capables de la gérer. Là encore, dans cette catégorie de patients très particulière, on obtenait 30 % de survie sans séquelles neurologiques.

L’année dernière, une équipe de Taïwan a publié, sur le même type de patients que ceux de Caen, une grande série d’assistances circulatoires à visée thérapeutique sur des arrêts cardiaques réfractaires.

En fait, on a changé de paradigme. Jusqu’ici, l’arrêt cardiaque réfractaire était défini par trente minutes de réanimation cardio-pulmonaire. Au-delà, on savait que le coeur et le cerveau du patient étaient détruits et que celui-ci n’avait aucune chance de survie. Avec l’assistance circulatoire à visée thérapeutique, le cœur n’a plus aucune importance : il peut repartir normalement lorsque les médicaments cessent de faire effet ; s’il est détruit par un infarctus, on peut envisager la pose d’un cœur artificiel ou attendre quelques jours une transplantation. D’une situation où l’on se basait sur l’irréversibilité cardiaque et l’irréversibilité neurologique, on est passé à une situation où ne compte plus que la seconde. Voilà pourquoi, à la Pitié-Salpêtrière, nous avons décidé d’utiliser l’assistance circulatoire à la fois pour les prélèvements d’organes et pour la thérapeutique. Le premier patient que nous avons traité ainsi était un noyé, qui n’était pas du tout dans la filière de prélèvement d’organes, mais bien dans la filière thérapeutique. Pour nos équipes, il était bon de montrer que l’on mettait en place une nouvelle technique, avant tout pour la thérapeutique, et pas seulement pour les prélèvements d’organes.

Le problème de fond a été que les équipes d’urgence, notamment les équipes préhospitalières dans les SAMU, ne savaient plus très bien comment faire. Fallait-il référer tel malade à une équipe qui n’a pas d’assistance circulatoire et qui ne ferait donc que du prélèvement d’organes ? Ou bien le référer à une équipe disposant d’une assistance circulatoire thérapeutique ? Comment choisir ? Les attitudes différaient d’un endroit à l’autre en France.

Puis la Pitié-Salpêtrière a fait l’objet d’un article dans le Parisien Libéré, repris dans Le Monde sans enquête supplémentaire. Les données étaient incomplètes et le titre très accrocheur, du style : « Le donneur d’organes s’est réveillé »… Or ce patient, qui a survécu, n’a jamais été dans une filière de dons d’organes. Il était arrivé dans la salle de coronarographie, parce que les médecins espéraient encore pouvoir le soigner. Son cœur n’étant pas reparti, le médecin avait refusé de faire une coronarographie sur un malade qui était massé. L’équipe de chirurgie cardiaque, qui n’avait pas pu venir tout de suite parce qu’elle avait été appelée par le SAMU, était à nouveau disponible et a pu, dans ce même bâtiment, mettre en place l’assistance circulatoire à visée thérapeutique.

Cela a jeté beaucoup de confusion dans les esprits, y compris dans ma propre équipe. Ce patient était crédité de douze minutes d’arrêt cardiaque sans réanimation. Cela paraissait impossible et remettait en cause tout ce que l’on savait.

Conscient de ce trouble, des interrogations des équipes d’urgence et de l’impact qu’allait avoir cet article, j’ai contacté un certain nombre de gens pour leur proposer un processus d’action : que toutes les sociétés savantes concernées par le problème définissent ensemble les indications et les contre-indications de l’assistance circulatoire thérapeutique. Toutes ont répondu à ma proposition. Certains sont intervenus, notamment au ministère, pour que je sois nommé responsable de ce groupe de travail par la Direction générale de la santé. Comme nous allions traiter de thérapeutique, l’Agence de la biomédecine, avec son accord, a été écartée du processus.

Toutes les sociétés savantes – y compris les pédiatres – se sont donc réunies pour définir un protocole en matière d’assistance circulatoire thérapeutique. Ma crainte était qu’un jour, par exemple à Lyon – où les critères étaient très restrictifs puisque n’y étaient mis sous assistance que les patients qui présentaient un arrêt cardiaque d’une durée inférieure à 5 minutes –, la famille d’un patient demande pourquoi il n’avait pas bénéficié de l’assistance circulatoire, et qu’une équipe de Paris ou de Caen lui réponde que, chez elle, il aurait pu en bénéficier et guérir. Un manque d’homogénéité de la prise en charge aurait eu des effets délétères sur le plan social.

L’objectif du groupe était de ne menacer ni le prélèvement à cœur arrêté, ni l’assistance circulatoire à visée thérapeutique. Cette dernière, appliquée à tort et à travers, commençait à agacer certains chirurgiens cardiaques qui se lassaient de devoir « ressusciter les morts », en raison du nombre d’échecs. En outre, en la pratiquant sur des patients très atteints neurologiquement, on risquait d’accroître le nombre des patients en coma chronique – situation effroyable pour les familles.

Nous sommes vite parvenus à un consensus s’agissant des indications de l’assistance circulatoire. Plus exactement, nous avons parlé d’indications « potentielles », dans la mesure où celles-ci ne pourraient pas être systématiques : il n’existe pas partout des équipes capables de pratiquer l’assistance circulatoire ; à Paris, si l’équipe chirurgicale de la Pitié est occupée, elle n’est pas disponible pour un deuxième patient. Je précise qu’en dehors de Taïwan, la France est le seul pays à pratiquer cette technique, qui est encore au stade où elle progresse et se définit.

Le résultat des réanimations avec assistance circulatoire à visée thérapeutique pratiquées sur toute la France sur des patients en arrêt cardiaque survenu en dehors de l’hôpital nous a interrogés: sur 140 patients, il n’y avait eu qu’un survivant. On avait mobilisé pour cela une énorme organisation technique et humaine, qui aurait pu être nécessaire à d’autres patients.

Nous nous sommes mis d’accord sur un certain nombre de critères et sur un petit algorithme, qui a été diffusé et qui a rassuré les équipes d’urgences. Elles disposaient ainsi d’un message clair concernant les quelques patients bien sélectionnés pouvant bénéficier d’une assistance circulatoire thérapeutique, et les autres, pour lesquels il n’était pas raisonnable de la pratiquer.

L’Agence de la biomédecine pouvait alors reprendre la main et redéfinir clairement les indications de prélèvement d’organes.

Voilà tout ce qui s’est passé autour du prélèvement à cœur arrêté. Rétrospectivement, je pense que l’on n’a peut-être pas tenu compte de tous les aspects éthiques, mais que cela n’a pas eu d’effets délétères sur les patients. Si nous nous sommes trouvés, en France, dans cette situation un peu difficile, c’est parce que nous sommes les premiers à avoir développé l’assistance circulatoire à visée thérapeutique. Les Espagnols ne comprennent pas le dilemme qu’il peut y avoir entre assistance circulatoire à visée thérapeutique et assistance thérapeutique à visée de prélèvement d’organes, la première n’existant pas dans leur pays.

La situation me semble aujourd’hui correcte. Mais elle peut évoluer. C’est pourquoi je considère qu’il n’est pas opportun de fixer dans la loi certains termes médicaux, d’autant que les sociétés savantes, par leurs recommandations, nous donnent le moyen de réagir très vite à ces évolutions.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Je pense que, lors de la révision des lois bioéthiques, le législateur préservera la souplesse nécessaire à l’évolution des techniques et à leur harmonisation sur l’ensemble du territoire. Il faut éviter à la fois de donner l’impression qu’on réanime des patients dans un but ambigu, et de perdre le bénéfice de dons d’organes potentiels.

Je voudrais vous interroger sur le Maastricht III, qui pose un problème éthique majeur, avec un risque de confusion des genres : c’est en effet un médecin qui décide de l’arrêt des traitements devenus inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre but que le maintien artificiel de la vie, et c’est un médecin – même s’il s’agit d’une autre équipe – qui propose le prélèvement d’organes. Faut-il pour autant totalement exclure ces patients de la liste des donneurs potentiels ?

Imaginons que se sachant atteint d’une maladie grave et incurable, quelqu’un rédige des directives anticipées et précise qu’il souhaite donner ses reins. Pourquoi ne pas respecter sa volonté, sous prétexte qu’il serait parvenu en Maastricht III ?

Même si l’on développe les techniques que vous avez évoquées, même si les donneurs de classes Maastricht I et II augmentent en nombre, la pénurie d’organes subsistera. On aura alors deux sources de prélèvement : les dons post mortem, et les dons entre vifs. On ne peut pas beaucoup augmenter les dons entre vifs, sans marchandiser le don d’organes. Ne pourrait-on étendre, avec beaucoup de prudence, les possibilités du côté du Maastricht III ? Deux cents personnes par an meurent aujourd’hui, faute de greffe.

M. Bernard Debré. Parmi les patients qui font un arrêt cardiaque réfractaire, il y en a qui ont tenté de se suicider en absorbant des médicaments. Éthiquement parlant, faut-il pratiquer cette assistance circulatoire à visée thérapeutique, qui utilise des techniques très sophistiquées ? Ne va-t-on pas vers des procès, d’autant que les risques de troubles cérébraux associés à cette technique sont bien réels ?

Il est exact que l’assistance circulatoire à visée thérapeutique se confond, à un moment donné, avec l’assistance circulatoire à visée de prélèvement d’organes. Parmi les 140 malades traités dont on a parlé, un seul a survécu. Que sont devenus les 139 autres ? A-t-on pu utiliser leurs organes ? Il a bien fallu mettre un terme à cette assistance. Comment passe-t-on, éthiquement parlant, d’une volonté thérapeutique à une volonté de prélèvement ?

M. Michel Vaxès. Pourriez-vous nous préciser les cas dans lesquels il n’est pas raisonnable de recourir à l’assistance circulatoire à visée thérapeutique ?

M. Bruno Riou. D’après ma longue expérience, le suicidant qui décide vraiment son suicide fait partie d’une très faible minorité. Le plus souvent, le suicide traduit une détresse et il n’y a aucune corrélation entre la réelle volonté de terminer sa vie et les moyens utilisés – qui dépendent de ce que le suicidant a dans sa pharmacie, de ce qu’il lit, etc. Le médecin réanime donc sans aucun état d’âme le suicidant qui a raté son suicide. Sur 1 000 d’entre eux, il y en a 999 qui sont en souffrance psychique et leur tentative de suicide n’est qu’un échec de la prévention.

Je n’ai jamais tenu compte, dans mes indications thérapeutiques, du fait que le patient ait tenté de se suicider. Peut-être qu’une fois sur mille, le patient, en toute conscience, en dehors de toute détresse psychique, voulait interrompre sa vie. Mais c’est une question philosophique, dont les médecins ne discutent pas au quotidien.

Je ne rentrerais donc pas dans l’intentionnalité du patient, même si une fois sur mille on risque de se tromper et de le réanimer « à tort ». Sans compter qu’il faudrait à ce compte interrompre la ventilation pendant vingt-quatre heures des centaines de milliers de patients qui font des intoxications médicamenteuses courantes…

M. Bernard Debré. Il existe une jurisprudence aux États-Unis sur le sujet. Une femme qui désirait mourir dans la dignité avait pris des médicaments qui avaient provoqué un arrêt cardiaque, mais elle a été réanimée. Sa fille a fait un procès.

M. Bruno Riou. Je prendrais le risque du procès, sans aucune arrière-pensée.

M. le rapporteur. La jurisprudence française va à l’inverse de la jurisprudence américaine. Pensez aux Témoins de Jéhovah qui sont transfusés contre leur gré et qui font un procès : la justice donne raison au médecin réanimateur.

M. Bernard Debré. En deuxième instance seulement…

M. Bruno Riou. Lorsqu’il y a une assistance circulatoire et que l’évolution neurologique est défavorable, le patient passe en état de mort encéphalique. Nous nous retrouvons alors dans une situation connue. De fait, un certain nombre des personnes qui avaient bénéficié de cette assistance circulatoire ont été prélevées.

M. Bernard Debré. L’assistance circulatoire peut s’accompagner de dégâts encéphaliques qui n’aboutissent pas forcément à la mort encéphalique.

M. Bruno Riou. Jusqu’ici, la crainte que nous avions du coma chronique ne s’est pas concrétisée. Les patients sous assistance circulatoire ayant par ailleurs une souffrance neurologique ont des complications cérébrales qui font que, très vite, ils passent en mort encéphalique.

Quelles sont les contre-indications à une assistance circulatoire ?

Tous les patients ayant des comorbidités suffisantes pour qu’on ne les fasse bénéficier ni d’une réanimation, ni d’une coronarographie ni de chirurgie majeure sont écartés d’emblée.

Sont par ailleurs éliminés les patients pour lesquels se sont écoulées plus de cinq minutes entre l’arrêt cardiaque et les premières manœuvres de réanimation : au-delà de ce délai, on observe des lésions neurologiques majeures. Il y a une exception : lorsque le rythme cardiaque constaté est une fibrillation ventriculaire ou une torsade de pointe, ce qui peut jeter le doute sur la réalité de ces cinq minutes.

Un autre critère est celui du temps écoulé au moment où l’on peut poser cette assistance circulatoire, une fois à l’hôpital. Au-delà de 100 minutes, ce n’est pas raisonnable ; la tendance est néanmoins de dépasser ces 100 minutes, mais les résultats ne sont pas bons. Le dernier critère est la concentration de CO2 dans l’air expiré : en dessous de 10 mm de mercure, il n’y a plus de débit cardiaque, ce qui indique que la réanimation cardio-pulmonaire a été inefficace et que le patient présente des lésions cérébrales majeures.

On finit par ne sélectionner qu’une toute petite catégorie de malades. Le malade idéal est celui qui s’est effondré dans la rue et qui a été massé tout de suite, ou celui qui fait un arrêt cardiaque dans une salle de coronarographie, une salle de réanimation ou une salle d’urgence.

M. le rapporteur. Ce débat médical est passionnant, mais le législateur n’est pas à même d’intervenir sur ces critères. Le Maastricht III en revanche sera pour lui un problème.

M. Bruno Riou. En août 2008, a été publié, dans le New England Journal of Medicine, un article sur trois cas d’enfants. Tout le monde était d’accord sur le fait qu’il fallait arrêter les soins. Ils ont été descendus au bloc opératoire, on a retiré la sonde qui les ventilait, on a fait ce qu’il fallait pour qu’ils s’arrêtent, et on a prélevé les organes le plus vite possible.

Dans certains pays, notamment en Belgique, des réanimateurs ont proposé que, lorsqu’on s’aperçoit que la réanimation est devenue futile, on descende le patient au bloc et qu’on fasse en sorte que tout se passe bien pour le deuxième patient, celui qui sera susceptible d’être greffé. Et on parle d’administrer au premier des sédatifs lourds ou du curare.

Cela pose un problème de fond. Je me demande ce que pourraient en penser les grandes religions monothéistes. Pour l’instant, elles sont d’accord avec le prélèvement d’organes, mais je ne suis pas sûr qu’elles le seront encore si vous leur parlez de descendre un patient au bloc opératoire et de lui injecter un produit pour arrêter son cœur et le prélever rapidement.

Les équipes de coordination de prélèvements d’organes et de tissus s’interdisent de parler de prélèvement à la famille tant que le patient n’est pas en état de mort encéphalique avérée. Si la famille en parle avant, l’équipe répond. Sinon, elle attend d’avoir annoncé le décès pour obtenir le consentement ou constater l’absence d’opposition. Si on brise cette barrière, si l’on peut descendre un patient au bloc et agir de façon proactive pour l’arrêter et procéder ensuite à des prélèvements d’organes, c’est que l’intentionnalité d’ensemble du processus est plus orientée sur le prélèvement d’organes que sur l’arrêt de soins. Où sont alors les limites ? Où placer la frontière entre le prélèvement d’organes et l’arrêt de soins ? Cela me pose un problème. Voilà pourquoi je suis réticent aux prélèvements d’organes sur des patients en Maastricht III. Les Etats-Unis et la Belgique n’ont pas le même système de santé que le nôtre, ni les mêmes valeurs que les nôtres en termes de prise en charge des patients. Aux Etats-Unis, nul n’est choqué d’entendre dire à un patient : vous ne serez pas admis en réanimation, votre assurance ne vous permet pas d’accéder à une transplantation hépatique…

J’ai discuté récemment, avec mes équipes, à propos des patients qui sont neurologiquement dans un état très grave, et dont on sait que le passage en mort encéphalique est inéluctable. Le problème est de savoir ce que l’on doit faire ou ne pas faire avec eux. Je vais vous donner un exemple : en phase thérapeutique, on place la tête de ces patients à 30 degrés, pour limiter la pression intracrânienne. Si l’on n’a plus d’espoir thérapeutique, cela n’a plus de sens. Autant les remettre à plat, ce que chacun est à même de comprendre. Mais on pourrait aussi décider, pour accélérer le processus, de placer le patient la tête en bas. Ce serait cette fois bien plus difficile à expliquer…

M. le rapporteur. Je crois que vous citez un cas qui s’est produit en Belgique. Nous avons été horrifiés d’apprendre que, dans certains pays, il y a des euthanasies programmées au bloc opératoire, à l’issue desquelles on prélève des organes.

Vous décrivez là une situation dans laquelle le processus de mort est accéléré. Telle n’est pas la législation française. En revanche le cérébrolésé grave qui a eu un accident sur la voie publique, qui est sur le point de passer en mort encéphalique et dont on doit arrêter le traitement, n’est pas dans cette situation, mais dans une situation équivalente à celle du patient en salle de coronarographie, et pour lequel on ne peut plus rien faire. Il n’y a pas eu d’action pour accélérer le processus, mais seulement la constatation que la poursuite du traitement est vaine. Ne pourrait-on pas prélever ce premier patient ?

M. Bruno Riou. J’ai conseillé à mes équipes de se référer à leur intention : si elle est de supprimer une thérapeutique inutile, pas de problème ; si elle est d’accélérer le processus, cela ne va plus. Chacun doit rester dans le cadre de la loi qui permet d’arrêter des thérapeutiques inutiles, mais non d’être proactif ; il faut être au clair sur son intention et capable de l’expliquer aux proches du patient, à un juge ou à un journaliste.

Le plus souvent, le passage à la mort encéphalique aura lieu. Mais il peut être très perturbant pour les équipes, notamment pour les infirmières, de voir des médecins agir de manière incompréhensible pour elles et pour les familles.

M. Bernard Debré. On a interrogé le Comité national d’éthique sur la façon de préparer des malades à des prélèvements, lorsqu’ils n’étaient pas encore en état de mort encéphalique. Nous avons été très gênés, mais nous nous sommes dits qu’il n’existait pas de « pré-mort ».

M. Bruno Riou. J’ai dit à l’ensemble de mes équipes de la Pitié-Salpêtrière que l’on n’intervenait pas tant que le patient n’était pas entré dans un processus irréversible de mort encéphalique.

M. Bernard Debré. Si l’on sait qu’il est perdu, on peut donc lui injecter un certain nombre de produits pour préparer les organes ?

M. Bruno Riou. Si ces produits ont une innocuité totale, cela ne pose pas de problème. Si ces produits sont censés accélérer le processus, cela en pose un. Avant qu’il ne rentre dans un processus de mort encéphalique, c’est un patient. De la même façon que je ne parle pas spontanément à la famille d’un prélèvement d’organes avant la mort, je ne m’autorise pas à administrer au patient des médicaments pour préparer sa mort encéphalique. En revanche, quand celui-ci fait son passage en mort encéphalique, je m’autorise éventuellement à lui administrer des bétabloquants pour limiter les dégâts cardiaques dus à ce passage. Mais le processus est déjà enclenché. Je n’agis pas sur la survenue de la mort encéphalique elle-même.

M. le rapporteur. Dans cette optique – qui me semble conforme à l’éthique –le patient reste un patient et une personne humaine, et l’on ne peut faire interférer rétroactivement ce qui se passera, en fait de prélèvements, après sa mort – même lorsque celle-ci est la conséquence d’un arrêt de traitement. Lorsque en revanche le patient entre dans un processus de mort encéphalique, même si cette mort résulte de l’arrêt d’un traitement jugé inutile, il entre dans la catégorie des malades susceptibles d’être prélevés. On peut aller voir sa famille, et recueillir son consentement présumé, qu’il avait pu donner de son vivant, pour un prélèvement. Mais il me semble qu’il vaut mieux s’adresser à une autre équipe, afin que les intentionnalités soient clairement dissociées et que la préparation pour le prélèvement d’organes n’interfère pas sur la limitation ou sur l’arrêt de traitement.

M. Bruno Riou. La dissociation des équipes est difficilement réalisable, ne serait-ce que parce que, lors de l’entretien qui aura lieu avec la famille pour un éventuel prélèvement d’organes, le réanimateur qui s’est occupé du patient sera lui aussi présent. C’est la raison pour laquelle je tiens à ce qu’on limite les traitements actifs qui faciliteraient la mort encéphalique ou un arrêt cardiaque.

S’agissant de la pénurie d’organes, il faudrait être plus nuancé. Un article du collectif « Demain la greffe » est paru récemment dans le journal Le Monde. Il reprenait le discours des transplanteurs, des patients éventuellement en attente de transplantation et des médecins qui s’en occupent. Mais il faudrait aussi entendre le discours des médecins qui s’occupent des éventuels donneurs et de leurs familles. Il y a un équilibre à trouver, et la pénurie ne justifie pas qu’on prélève n’importe comment. A-t-on déjà recensé correctement toutes les morts encéphaliques, tous les arrêts cardiaques Maastricht I et II ? Non. Ces dix dernières années, l’Agence de la biomédecine s’était fixé comme objectif de passer de 15 à 20 prélèvements par million d’habitants et elle y est parvenue. Elle n’y est pas parvenue en augmentant les prélèvements sur cœur arrêté, qui n’existaient pas encore, mais en améliorant le recensement des patients en mort encéphalique.

Avant de basculer sur une pratique dangereuse, il faudrait être sûr que l’on a épuisé toutes les solutions possibles pour gérer la pénurie, qu’on a développé suffisamment le prélèvement sur les patients en état de mort encéphalique ou sur donneurs vivants. Il y a beaucoup de pistes, et elles sont encore imparfaitement explorées. Pourquoi privilégier des avancées sur les points les plus conflictuels ? Le peu qu’on y gagnera risque de ne pas équilibrer les effets négatifs d’une absence de consensus. Rappelez-vous l’affaire d’Amiens, qui a abouti à réduire les prélèvements. Pour un envoi de facture à une famille, et quelques lignes dans la grande presse sur la façon dont le cadavre avait été refermé, la population s’est sentie en danger potentiel.

Lors d’un récent colloque, le représentant d’une association de malades transplantés s’étonnait que l’on ne prélève pas des patients qui avaient pourtant donné leur accord de leur vivant, parce que la famille s’y était finalement opposée. Il jugeait le fait scandaleux et pensait que l’on devrait pouvoir contraindre les familles. Mais je ne me vois pas, en tant que médecin coordonnateur, mettre dehors une famille manu militari, pour respecter ce que désirait le patient – lequel aura pu changer d’avis les derniers jours.

La coordination des prélèvements a beaucoup évolué depuis vingt ans. On avait naguère tendance à culpabiliser les familles qui n’acceptaient pas le prélèvement. Maintenant, on respecte leur refus. Peut-être que dans dix ou vingt ans, les familles qui avaient initialement refusé, dans le deuil et la douleur, regretteront leur geste. Inutile d’en rajouter. Tout cela est une question d’équilibre. En voulant gagner d’un côté, on risque de perdre de l’autre.

M. Michel Vaxès. Dans les cas d’états végétatifs chroniques, il arrive que la famille demande l’arrêt de traitements devenus inutiles. Cette demande ne vise pas à accélérer la mort, mais à arrêter les traitements. L’intentionnalité me paraît claire et sans ambiguïté.

M. Bruno Riou. Le problème est que, si vous ne faites rien de proactif, vous ne savez pas quand l’arrêt cardiaque interviendra, et qu’en attendant, les organes risquent de souffrir. Si vous êtes pragmatique comme les Belges et les Américains, pour pallier cet inconvénient, vous descendez le malade au bloc opératoire, vous faites en sorte que le délai soit le plus court possible et que le prélèvement se fasse au moment où vous l’avez décidé. C’est le problème que l’on rencontre avec les Maastricht III.

Le patient qui fait un arrêt cardiaque inopiné en réanimation – que certains ont appelé à tort Maastricht V – ne nous pose aucun problème. C’est le patient en réanimation dont on arrête les soins qui en pose. Le plus souvent, il ne va pas mourir tout de suite : sa pression artérielle va s’effondrer, sa fonction rénale va s’altérer, ce qui risque de compromettre la transplantation.

M. Jean-Marc Nesmes. Qu’attendez-vous du législateur, dans le cadre de la révision des lois de bioéthique ?

M. Bruno Riou. S’agissant des patients en Maastricht III, je ne sais pas comment vous pourrez intervenir, tant il est difficile de définir la limite... S’agissant des patients en Maastricht I et II, il n’y a pas de problème. En tant que médecin coordonnateur, je ne souhaite pas que l’on modifie la loi, notamment sur le consentement présumé. Malgré son ambiguïté, elle me convient bien. Ce serait un leurre de vouloir formaliser les choses.

Telle qu’elle est, la loi ne me pose pas de problème majeur au quotidien, ni dans ma relation avec les familles de patients. En revanche, je prévois de graves difficultés au niveau européen, en raison des différences entre les façons de procéder, qu’on aura du mal à expliquer aux populations. Ces disparités sont pour moi un souci.

M. Bernard Debré. Il y a aussi des disparités entre les États américains.

M. le rapporteur. Il y a en effet de grandes disparités, notamment avec la Belgique. Le Conseil d’État a rappelé que, même si le malade était consentant pour donner ses organes, s’il était en Maastricht III, il fallait spécifier qu’on ne pouvait pas le prélever. Le débat reste ouvert. Je vous remercie.

Audition de Mme Frédérique BOZZI, conseiller à la Cour d’appel de Paris, et de M. Pierre LECAT, vice-procureur chargé du service civil du parquet du tribunal de grande instance de Nantes


(Procès-verbal de la séance du 24 juin 2009)

Présidence de M. Michel Vaxès, vice-président

M. Michel Vaxès, président. Nous accueillons à présent Mme Frédérique Bozzi, conseiller à la Cour d’appel de Paris, et M. Pierre Lecat, vice-procureur chargé du service civil du parquet du tribunal de grande instance (TGI) de Nantes, qui ont tous deux été entendus par le groupe de travail sénatorial sur la maternité pour autrui, et dont l’expertise juridique nous sera particulièrement précieuse.

Quel est le statut juridique des enfants nés, en France ou à l’étranger, d’une gestation pour autrui illégale mais dont les parents d’intention veulent faire reconnaître en France la filiation, notamment par la transcription à l’état civil des actes de naissance dressés sur place ?

Quelles sont les conséquences de l’absence de transcription de la naissance vis-à-vis de la mère d’intention ? L’impossibilité, en l’état actuel du droit, de reconnaître la filiation maternelle devrait-elle être revue ? Dans quelles conditions la filiation paternelle peut-elle être transcrite ? « Des solutions ponctuelles » pourraient-elles être « imaginées dans le but de pallier les difficultés pratiques des familles, sans modifier les règles relatives à la filiation », ainsi que le suggère le Conseil d’État dans son rapport récent de mai 2009 ?

M. Pierre Lecat. J’interviens le premier, car le parquet du tribunal de grande instance de Nantes est la porte d’entrée de toutes ces affaires qui nous viennent de l’étranger. Ce parquet a des compétences de droit commun, s’agissant notamment des officiers d’état civil de son ressort, mais il a une compétence particulière dévolue par la loi, qui est d’exercer la tutelle sur l’ensemble des officiers d’état civil consulaires français répartis à travers le monde et sur le service central d’état civil du ministère des affaires étrangères implanté à Nantes. À ce titre, il exerce à l’égard de l’ensemble de ces officiers d’état civil les fonctions que l’Instruction générale relative à l’état civil qualifie de « fonctions d’autorité supérieure » ; c’est en cette qualité qu’il est amené à donner des instructions, lorsqu’il en est sollicité, pour résoudre une difficulté ou arbitrer un conflit entre des citoyens et un officier d’état civil. Il constitue un recours administratif contre une décision, par exemple le refus par un consul de transcrire un acte de naissance établi à l’étranger.

Je précise d’emblée que les affaires de ce type que nous avons à connaître sont peu nombreuses. Devant le groupe de travail du Sénat, j’avais parlé d’une quinzaine d’affaires. Quelques unes ont pu s’y ajouter, mais elles demeurent très rares et je n’en dénombre pas plus d’une vingtaine aujourd’hui. Je parle d’affaires identifiées, liées à des demandes de transcription d’acte de naissance d’un enfant issu d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger, exclusivement aux États-Unis, et très majoritairement en Californie.

On peut discuter de la définition de la gestation pour autrui et de la convention prohibée. On considère généralement que la gestation pour autrui fait intervenir un couple, l’homme donnant ses gamètes pour féconder l’ovule de sa propre femme ensuite implanté dans l’utérus d’une femme domiciliée à l’étranger, qui portera l’enfant. Mais, dans la pratique, pour la moitié des cas, elle concerne un homme célibataire français, dont le sperme insémine une femme qui portera l’enfant. Une convention préalable est conclue : la garde de l’enfant sera attribuée à cet homme, qui rentrera sur le sol français avec celui-ci.

Nous savons que nous sommes loin de connaître tous les cas existants. Nous avons découvert, il y a quelques années, à l’occasion d’une perquisition par la police judiciaire faite à Lille au domicile d’un homme soupçonné d’abus de confiance, deux enfants dont l’état civil figurait au service central de l’état civil et qui venaient des États-Unis. Ils avaient été ramenés en France par cet homme, qui y vivait avec un autre homme, et qui avait obtenu pour eux un certificat de nationalité française. Ce certificat avait été transmis à l’officier d’état civil consulaire compétent et l’acte d’état civil avait été dressé sans difficulté particulière, avec mention de la mère américaine et du père français, ce qui ne heurtait nullement les principes du droit français de la filiation. L’un et l’autre avaient néanmoins passé une convention, qui est prohibée dans notre pays.

La démarche des parents qui demandent la transcription de l’acte de naissance américain de l’enfant issu d’une gestation pour autrui se fait auprès du consul de France, généralement à Los Angeles ou San Francisco. Elle a lieu souvent dans des conditions de stress bien particulier, puisqu’il s’agit d’un évènement important pour les parents, soucieux de repartir aussi vite que possible pour la France avec leur enfant. Dès que l’officier de l’état civil consulaire soupçonne que cet enfant est issu d’une gestation pour autrui prohibée, il demande des justifications de la grossesse de la femme française, de son suivi médical, de sa déclaration à la caisse d’allocations familiales, de son séjour aux États-Unis. En général, on trouve sur son passeport la trace d’un voyage neuf mois auparavant et huit jours avant la naissance – ce qui est invraisemblable à neuf mois de grossesse.

La première affaire que nous avons connue date de 1996. La demande de transcription a été refusée, au vu de certains indices, et l’officier d’état civil consulaire a demandé l’arbitrage du parquet de Nantes.

Dès lors qu’il est vérifié que les soupçons de l’officier d’état civil consulaire sont suffisamment fondés, le parquet de Nantes refuse par principe la transcription. On pourrait concevoir de transcrire au moins la paternité. En fait, la transcription se fait ou ne se fait pas : ni l’officier consulaire, ni le parquet de Nantes ne sont autorisés à faire le tri dans l’acte étranger, qui est un acte authentique, dont toutes les données doivent être reprises.

Il existe malgré tout des exceptions. En effet, on ne transcrit pas des données qui sont interdites dans l’état-civil français : par exemple la race, la religion ou la nationalité, qui apparaissent dans certains actes étrangers.

Une exception récente résulte d’instructions ponctuelles écrites de la Chancellerie, s’agissant d’actes, notamment québécois, que nous ne connaissions pas il y a quelques mois et qui mentionnent deux mères, dont la mère biologique. La transcription, dans ces cas-là, fait uniquement état de la mère biologique et fait donc un tri dans les mentions de l’acte étranger.

Quels sont les fondements légaux du refus d’inscription ?

Pour le parquet de Nantes, la mère est la femme qui accouche. Le droit français est d’ailleurs de plus en plus attaché à la vérité biologique. Ainsi l’article 336 du code civil, depuis l’ordonnance de 2005 sur la filiation, accroît les prérogatives du parquet pour remettre en cause les filiations qui ne sont pas conformes à la vérité biologique dès lors qu’il y a fraude.

Le parquet se fonde également sur la nullité de la convention de gestation, qui est expressément mentionnée dans le code civil. Il s’appuie en outre sur certaines incriminations pénales : la supposition d’enfant, l’incitation à l’abandon d’enfants, le faux en écriture publique (dès lors que l’on voudrait mentionner une maternité inexacte dans un acte authentique français). Il prend enfin en compte les engagements internationaux de la France : l’article 370-3 du code civil et surtout la convention de la Haye sur l’adoption qui comporte des dispositions relatives au but de l’adoption, et à la manière dont le consentement peut être donné et dont il ne doit pas être obtenu (rémunération). Le parquet de Nantes considère que la gestation pour autrui est une adoption déguisée et interdit la transcription de l’acte étranger qui en est l’expression.

S’agissant de la paternité, le parquet se fonde sur le principe selon lequel on ne fait pas le tri dans l’acte d’état civil étranger dont on opère la transcription. De toute façon, au moment où on lui demande s’il faut ou non transcrire l’acte étranger, il a rarement en main la décision juridictionnelle étrangère qui désigne le père et la mère. En général, la filiation s’établit par rapport à la loi de la mère, mais de la mère connue comme ayant accouché. Il faudrait donc que le parquet sache si la loi américaine désigne comme étant le père celui qui se présente comme tel. Cela suppose une analyse juridique que le parquet estime ne pas pouvoir, ni devoir faire au moment où il est saisi. Il considère qu’il appartient aux juridictions qui seront éventuellement saisies, soit par lui-même, soit par un autre parquet, soit par les parents français, de se prononcer sur cette question.

Le faible nombre d’affaires, rapporté aux centaines de naissances par gestation pour autrui évoquées par les associations, montre bien que le parquet de Nantes n’a pas connaissance de l’ensemble de ces cas. D’abord, certaines de ces naissances se produisent chez des citoyens français vivant aux États-Unis et l’on n’a pas matière à nourrir les soupçons dont je vous ai parlé. Ensuite, certains ne demandent pas la transcription de l’acte ; en effet, celle-ci n’est pas obligatoire, et tant que personne ne contestera la validité de l’acte américain, il sera fait présomption de la filiation aussi bien maternelle que paternelle. On peut ainsi faire profil bas, mais cette présomption sera perdue dès lors qu’une juridiction aura été saisie et aura nié l’opposabilité de l’acte étranger.

Une affaire est récemment venue devant le tribunal de grande instance de Nantes. Celui-ci statue rarement, dans la mesure où il n’a pas compétence pour exercer les actions relatives à l’état des personnes dès lors que ses adversaires ne sont pas domiciliés dans son ressort. En l’occurrence, la transcription ayant été refusée, les intéressés ont assigné le procureur de la République de Nantes devant son tribunal pour que ce dernier ordonne cette transcription. Si le tribunal tient le même raisonnement que le parquet, il dira que l’acte américain dont on lui demande la transcription est un acte authentique, qu’il l’acceptera ou pas mais qu’il n’a pas plus que le parquet le droit d’y faire un tri. Il en eût été différemment si, reconventionnellement, nous avions saisi le tribunal de grande instance d’une action d’état en lui demandant de dire si la mère était la mère et le père était le père – ce qu’il aurait pu faire, et l’acte aurait été rectifié dans tel ou tel sens.

Nous sommes tributaires des autres parquets de France, qui ont rarement l’expérience de ces affaires. Sur nos signalements et nos transmissions, ils agissent ou n’agissent pas, opportunément ou non. Nous avons vu ainsi que l’action récemment menée devant le tribunal de Créteil n’était probablement pas la bonne, alors que celle menée devant le tribunal de Paris était plus correcte. Mais je me souviens d’autres parquets qui, malgré notre signalement, n’avaient pas du tout réagi : nous avions ordonné la transcription avec interdiction d’exploiter l’acte, à seule fin de saisine du juge, mais ce juge n’a jamais été saisi. Au bout de deux ans, et en l’absence d’instruction de la Chancellerie, nous avons autorisé l’exploitation de l’acte.

Ainsi, de nombreux actes ne sont donc pas soumis à l’autorisation judiciaire et sont transcrits parce qu’ils nous ont échappé et se trouvent librement exploités, cependant que d’autres nous sont passés entre les mains et nous en avons nous-mêmes autorisé l’exploitation.

Certains tentent de contourner le parquet de Nantes. Je vous ai donné l’exemple du Lillois chez qui on avait mené une perquisition : il avait demandé au greffier en chef, compétent territorialement, la délivrance d’un certificat de nationalité française. Il avait démontré, avec son acte américain, que son enfant était français dans la mesure où il avait au moins un parent français. Le greffier en chef lui a délivré ce certificat de nationalité, qui fut transmis directement au service central d’état civil en vue de la transcription. La transcription eut lieu, sans que personne n’y ait vu que du feu.

On peut tenter de contourner le parquet de Nantes en obtenant la délivrance d’un acte de notoriété. J’ai l’exemple, à Tourcoing, d’une demande faite au juge des tutelles d’un acte constatant la possession d’état pour établir, par un autre biais, la filiation. Il ne s’agissait plus de revendiquer l’acte de naissance américain, mais une situation de fait prévue par le code civil et qui s’appuie sur la réunion d’un certains nombre d’éléments constituant la possession d’état : le fait que les personnes traitent l’enfant comme le leur, que l’autorité publique le considère comme tel, que son nom est le même que celui des parents considérés, etc. L’acte de notoriété constitue un titre qui doit permettre, lui aussi, l’établissement d’un acte de naissance. En l’espèce, le parquet qui s’est rendu compte de la démarche, s’est tourné vers le tribunal de Lille, qui a statué ainsi : la possession d’état constatée par le juge des tutelles de Tourcoing n’est pas valide parce qu’elle est équivoque, car fondée sur la fraude. Encore fallait-il connaître l’histoire de l’enfant.

Je souligne donc ici les difficultés que rencontre le parquet de Nantes, dont on pourrait attendre qu’il filtre toutes les situations illicites. Les magistrats qui le constituent regrettent de ne pouvoir être plus efficaces. Ils dépendent bien sûr de nombreux intervenants, et au premier chef des consuls de France auxquels ces situations peuvent échapper.

Mme Frédérique Bozzi. Je ne reviens pas sur les définitions de la procréation ou de la gestation pour autrui. Je rappellerai simplement que le don de gamètes n’est pas prohibé : nous intervenons uniquement lorsque la personne qui porte l’enfant n’en est pas la mère génétique, cet enfant ayant la plupart du temps été conçu à partir des gamètes du couple demandeur ou d’une personne demanderesse, par le biais de la fécondation in vitro.

Le problème de la gestation pour autrui se pose parce que l’état des techniques scientifiques permet de concevoir par fécondation in vitro, l’embryon étant ensuite déposé dans le corps d’une personne tierce. Néanmoins, avant même que cette technique soit possible, la question de la maternité pour autrui s’était posée. Le premier arrêt de la Cour de cassation, qui a prohibé ce qui était déjà une gestation pour autrui, remonte au 31 mai 1991. Elle s’était appuyée sur les articles 6, 1128 et 353 du code civil, qui marquent encore aujourd’hui les limites de la problématique qui nous est posée, pour énoncer : « La convention par laquelle une femme s’engage, même à titre gratuit, à porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance, contrevient tant au principe de l’indisponibilité du corps humain qu’à celui de l’indisponibilité de l’état des personnes ». Cet arrêt a été la base sur laquelle s’est articulée la construction législative puis jurisprudentielle.

L’article 6 du code civil dispose qu’on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs. L’article 1128 du même code prévoit que seules les choses qui sont dans le commerce peuvent faire l’objet de contrats. L’article 353 du même code est relatif au pouvoir de contrôle par le tribunal de la licéité de l’adoption.

Par la suite, avec la loi du 29 juillet 1994, la prohibition de la gestation pour autrui est entrée dans le droit positif d’origine législative, en particulier par l’article 16-7 du code civil, qui dispose que toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour autrui est nulle. Cette disposition est complétée par l’article 16-9, qui précise que l’article 16-7 est d’ordre public. C’est ce qui fonde désormais, en droit positif français, la prohibition de la gestation pour autrui.

En dépit de la fermeté de cette prohibition, des couples ont essayé de la contourner, et pas seulement en se rendant à l’étranger. La première hypothèse s’est présentée devant la première chambre, saisie des questions relatives à l’état des personnes, du tribunal de grande instance de Paris, dans une composition ancienne : une femme, inséminée par un monsieur, ne reconnaît pas l’enfant dont elle est la mère biologique. Ce monsieur, qui est marié, reconnaît seul l’enfant et son épouse tente ensuite une procédure d’adoption plénière. Cette première hypothèse est tombée en désuétude. L’ordonnance de 2005 relative à la filiation disposant désormais que la mention du nom de la mère dans l’acte suffit à établir la filiation maternelle, elle n’a plus de sens.

Autre cas de figure apparu par la suite : une dame est inséminée par un monsieur qui vit en couple. Le lien est établi avec la mère biologique par l’apposition du nom de cette dernière dans l’acte de naissance, corroboré par un début de possession d’état. Au bout de deux ans, l’épouse du monsieur dépose une requête aux fins d’adoption devant le tribunal. En effet, les services de l’aide sociale de l’aide à l’enfance s’interposent toujours lorsque l’âge de l’enfant est inférieur à deux ans, mais, passé ce délai, ils s’effacent. Dans cette affaire, la même première chambre « état des personnes » du TGI de Paris s’est montrée vigilante et a considéré qu’il s’agissait d’un détournement de la procédure d’adoption.

Troisième hypothèse, elle aussi classique : la filiation est établie à l’égard de l’amant de la mère biologique, puis le père et la mère biologiques s’accordent pour que l’épouse du monsieur bénéficie d’une délégation d’autorité parentale. Là encore, le détournement de la procédure d’adoption a été dénoncé, cette fois-ci par le juge aux affaires familiales.

Ces cas sont issus de la jurisprudence, qui a toujours considéré qu’il y avait à la fois un détournement de la procédure d’adoption et une méconnaissance des principes de l’indisponibilité du corps humain et de l’indisponibilité de l’état des personnes. Néanmoins, il faut se garder d’une approche trop mécaniste. Nous avons rencontré l’exemple d’une dame qui avait épousé un monsieur, lequel avait été infidèle. La mère biologique s’étant montrée défaillante, l’épouse avait pris l’enfant dans son foyer, s’était attachée à lui et avait construit un vrai lien. Il ne s’agissait pas, cette fois, du détournement d’une procédure d’adoption, et cette adoption pouvait être considérée comme possible. Il ne s’agissait pas non plus de la validation d’une procédure de mère porteuse, mais de la création, au fil des années, d’un lien sincère justifiant l’adoption.

Je tenais à donner ces précisions, car la confusion peut naître dans les esprits du fait qu’il existe plusieurs sources à la maternité pour autrui. Le sujet qui nous préoccupe aujourd’hui nous ramène à la jurisprudence Mennesson, sur laquelle je vais m’expliquer.

Le droit interne a érigé des barrières. Mais la difficulté vient du fait que des personnes en mal d’enfant vont à l’étranger, notamment en Californie et en Ontario, et recourent aux procédés évoqués par M. Lecat.

Les Mennesson sont un couple marié. Deux petites filles ont été conçues in vitro, à partir de l’ovocyte de la mère d’intention et des gamètes du mari, les embryons ayant été ensuite implantés dans l’utérus de la mère porteuse, une dame américaine. Le 14 juillet 2000, soit antérieurement à la naissance des jumelles, la Cour suprême des États-Unis, conformément au Family Act californien, autorise la gestation pour autrui, puis décide que, aussitôt que des enfants naîtraient, on établirait des actes de naissance faisant apparaître la mère d’intention en tant que mère, et son mari en qualité de père. Les deux jumelles naissent le 25 octobre 2000. Immédiatement, la maternité dresse l’acte de naissance des deux petites filles. M. et Mme Mennesson se présentent au consulat, qui transcrit les actes, comme il a l’obligation de le faire, sur les registres d’état civil français, avant d’en aviser le parquet de Créteil.

Le parquet de Créteil engage une action pénale qui n’aboutira pas : on considérera que les faits constitutifs de l’infraction n’ont pas eu lieu en France. Il engage également une action civile d’une nature très particulière : il assigne les parents Mennesson en nullité des actes. Mais, par un jugement du 13 décembre 2005, confirmé par la Cour d’appel de Paris, le tribunal déclare le parquet irrecevable. Il ne valide pas le processus de mère porteuse. Il dit simplement que le parquet est irrecevable à agir pour demander la nullité des transcriptions.

Pourquoi la Cour d’appel a-t-elle réagi ainsi ? D’abord, parce qu’elle a été saisie d’une action en annulation d’actes, et non d’une action en matière d’état des personnes. Il n’y a pas de contestation de filiation, maternelle ou paternelle. L’action ne vise qu’à une nullité intrinsèque de l’acte, qui ne s’adosse à aucune action d’état. Ensuite, parce que l’annulation s’attaque à la régularité formelle de l’acte : c’est ce qui a lieu lorsque les énonciations sont fausses, sans objet ou font double emploi. Dans ce cas, la nullité est consubstantielle à celle de l’acte juridique, et cela suppose que les énonciations mêmes de l’acte soient attaquées quant au fond. Or, en l’occurrence, le parquet de Créteil s’était borné à dire que les actes avaient été transcrits irrégulièrement, sans s’expliquer sur les irrégularités en question, pour demander l’annulation. Enfin, le parquet n’attaquait pas la régularité internationale de la décision californienne. Pourtant, c’était là que résidait la véritable faiblesse du processus en cause : le jugement californien par lequel les actes américains ont été établis puis transcrits aurait mérité d’être passé au crible. Il aurait fallu vérifier si l’opération validée par le jugement était ou non conforme aux exigences de l’ordre public international français. Mais cela n’a pas été fait. La cour d’appel de Paris n’a pu que prononcer l’irrecevabilité de l’action du parquet, dans la mesure où celle-ci n’était pas juridiquement efficace au regard du but poursuivi.

Comme vous le savez, la Cour de cassation, par un arrêt du 17 décembre 2008, a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Paris en rappelant que le ministère public peut agir pour la défense de l’ordre public à l’occasion d’actes portant atteinte à celui-ci et sur la base des textes habituels, en particulier les articles 16-7 du code civil et 423 du code de procédure civile. Son attendu est le suivant : « En se déterminant par ces motifs, alors qu’il ressort de ses propres constatations que les énonciations inscrits sur les actes de l’état civil ne pouvaient résulter que d’une convention portant sur la gestation pour autrui, de sorte que le ministère public justifiait d’un intérêt à agir en nullité des transcriptions, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

Certains commentateurs ont relevé que la Cour de cassation, en visant l’article 16-7 du code civil, ainsi que l’article 423 du code de procédure civile qui autorise le parquet à agir lorsque l’ordre public est en jeu, avait entendu marquer son hostilité à la gestation pour autrui. C’est possible. Mais son arrêt se concentre essentiellement sur la recevabilité de l’action. La solution en est classique et se rattache parfaitement à la décision fondatrice de 1991. Il y a là une continuité jurisprudentielle.

La cour d’appel de Paris a été saisie par la suite d’une autre affaire qui se présente exactement comme l’affaire Mennesson quant aux circonstances de fait, mais qui a été « bien ficelée », pour reprendre notre jargon : le parquet de Paris demandera à son tribunal, puis, sur appel des parents, à la cour, de vérifier la régularité internationale de la décision californienne. Après avoir constaté que la décision heurtait frontalement l’article 16-7, elle dira que l’on ne peut pas maintenir sur les registres français des actes tels que transcrits en exécution d’une décision contraire à l’ordre public français. Elle confirmera la mise à néant, non pas de la filiation paternelle, qui va demeurer, mais de la filiation maternelle ainsi que la rectification de l’acte de naissance de l’enfant par ablation de l’indication de la filiation maternelle.

Ainsi, la même formation, dès lors qu’elle a été saisie convenablement, est revenue dans le classicisme jurisprudentiel. Je considère que l’arrêt Mennesson est un non évènement, un imbroglio judiciaire, mais pas un fait fondateur de jurisprudence.

Il est certain par ailleurs qu’une filiation maternelle obtenue dans ces circonstances heurte ce fameux article 16-7 du code civil qui prohibe toute convention portant sur la gestation pour autrui, laquelle est considérée par l’article 16-9 comme contraire à l’ordre public. La solution, en droit positif, est actuellement très simple et claire. Il appartient maintenant à la représentation nationale de voir si elle va, ou non, maintenir cet état de droit.

S’agissant de la filiation paternelle, la situation est un peu plus compliquée. En effet, quand on fait disparaître de l’acte d’un enfant issu d’un couple légitime la mention du nom de la mère, cet acte ne porte plus que la mention du nom du père. Or, en droit français, la mention du nom du père n’établit pas la filiation. Dans ce cas, il conviendrait, comme l’a dit M. Lecat, de se tourner vers la loi de la mère biologique pour savoir si, par cette loi, la simple mention d’un père dans un acte de naissance suffit à établir la filiation paternelle.

Quand le parquet attaque et fait tomber la filiation maternelle, que la juridiction française est saisie, il appartient à l’avocat du couple demandeur d’inviter le mari à reconnaître l’enfant : dans le cadre de la filiation naturelle, un acte de reconnaissance suffit à établir la filiation paternelle.

Je m’explique : lorsque la filiation est susceptible de procéder d’une reconnaissance, en droit international privé français, on change de règle de conflit. On quitte l’article 311-14 du code civil, qui est l’article de principe, pour entrer dans l’article 311-17. Il faut alors se poser la question de la validité de la reconnaissance, en application de la loi de l’enfant ou en application de la loi de l’auteur de la reconnaissance. En l’occurrence, on est en présence d’un père français qui reconnaît un enfant étranger et, en droit français, la reconnaissance est valide. Cela signifie que la filiation paternelle peut de toute façon subsister, dès lors que le mari de la mère d’intention reconnaît l’enfant. C’est une question de technique juridique et on n’a pas besoin d’un texte particulier pour intervenir et sauver la filiation paternelle.

Les 14 et 15 mai derniers, lors des États généraux du droit de la famille, un avocat m’a demandé ce qu’il faudrait faire si la gestation pour autrui avait eu lieu dans un pays qui n’admette pas la filiation paternelle naturelle, par exemple un pays de culture arabo-musulmane. La réponse est la même : le père d’intention reconnaît l’enfant. En effet, si la loi de l’enfant ne reconnaît pas la filiation paternelle naturelle, la loi de l’auteur de la reconnaissance, la loi française, entre en application et la reconnaissance est valide. La filiation est donc établie du côté du père dès lors que sa loi personnelle admet la validité de la reconnaissance. Voilà ce que je crois être le cheminement de l’établissement de la filiation paternelle lorsque l’on est confronté à l’annulation de la filiation maternelle par l’effet de l’action judiciaire.

Il n’y a donc pas actuellement d’obstacle fondamental à l’établissement de la filiation paternelle dans le cadre de la gestation pour autrui lorsque la filiation maternelle de la mère d’intention est annulée.

Comment donner aux enfants nés de gestation pour autrui un minimum de statut pour qu’ils puissent vivre convenablement au sein de leur famille ? Les suggestions faites par le Conseil d’État sont empreintes d’un grand pragmatisme, mais elles appellent certaines réserves de ma part.

Le Conseil d’État remarque que l’acte étranger peut produire effet en France. C’est tout à fait exact, mais cela n’est valable que tant qu’il n’est pas contesté. Dans le cas de la gestation pour autrui, il vient heurter de plein fouet nos conceptions, dans la mesure où il repose sur une décision dont l’opposabilité à l’ordre public français n’est pas évidente.

Il suggère par ailleurs de porter, en marge de l’acte de naissance, la mention selon laquelle il existe à l’étranger un jugement instituant la mère d’intention en qualité de mère, pour permettre ultérieurement à la famille de celle-ci d’adopter l’enfant si elle venait à décéder. Cette solution est compliquée et critiquable du point de vue des principes : c’est faire entrer par la fenêtre ce que l’on a chassé par la porte. Elle est source de confusion. Elle est aussi inutile : à supposer qu’une telle hypothèse se présente, le tribunal vérifiera la conformité de l’adoption à l’intérêt de la famille ; une enquête sera diligentée par le parquet et, lorsque le dossier viendra à l’audience, il est certain que la famille de la mère d’intention évincée viendra contester l’adoption et que le tribunal, sauf circonstances très exceptionnelles, sera amené à la refuser. Enfin, à force d’apposer des mentions marginales sur les actes d’état civil, on finira par y raconter la vie des intéressés. Je ne crois pas que ce soit l’objet des mentions marginales sur un registre, fût-il informatisé, de comporter de telles énonciations.

La prohibition de la gestation pour autrui, telle qu’elle est actuellement appliquée par la jurisprudence française classique, fait l’objet de diverses critiques de fond : est-il bien conforme à la convention de New York de priver un enfant de sa filiation ? Doit-on évincer le jugement étranger contraire à l’ordre public français, dès lors que cette convention stipule que l’on doit tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant dans toutes les procédures qui le concernent ? J’ai pensé que votre mission devait être informée de l’existence de ce courant doctrinal.

M. le président. Merci de vos exposés, qui étaient très complets et argumentés. Vous avez l’un et l’autre anticipé les interrogations que je me posais.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Vous avez relevé l’apparente incohérence jurisprudentielle de l’affaire Mennesson, une déclaration d’incompétence ne valant pas approbation du délit.

La question qui se pose à nous, en définitive, est bien celle de l’intérêt de l’enfant. Supposons que le législateur n’envisage pas de reconnaître la gestation pour autrui. Comment donner une filiation et assurer un développement harmonieux à l’enfant né à l’étranger de cette gestation pour autrui considérée comme illégale ? L’intérêt de cet enfant est indépendant de la faute commise par ses parents génétiques – de même que l’enfant de l’inceste ne porte pas le poids du crime dont il est le fruit.

Est-il aisé d’obtenir la reconnaissance de sa paternité, non pas sur le plan génétique, mais sur le plan du code civil français ?

Mme Frédérique Bozzi. On peut souscrire une reconnaissance devant n’importe quel officier d’état civil, même avant la naissance de l’enfant.

M. Pierre Lecat. On peut même considérer que la simple déclaration de la naissance de l’enfant vaut reconnaissance, dans la mesure où le monsieur qui se présente signe en tant que père.

M. le rapporteur. La solution ne serait-elle pas de diffuser cette possibilité, qui permet d’attribuer immédiatement une paternité à cet enfant ?

Mme Frédérique Bozzi. Dans le cadre d’un procès, c’est à l’avocat de conseiller à son client de reconnaître l’enfant. C’est très facile : il se présente dans n’importe quelle mairie et déclare qu’il est le père de l’enfant issu de telle dame. Mais pour que cette reconnaissance produise effet, elle doit figurer en marge d’un acte. La transcription est donc nécessaire.

M. le rapporteur. Si l’enfant a un père, il n’a pas d’état civil. Comment faire pour qu’il ait un état civil ? La transcription est-elle obligatoire ?

Mme Frédérique Bozzi. On ne peut pas enrichir directement un acte étranger d’une mention de reconnaissance française.

Les actes sont dissociés : l’acte français peut être enrichi par une reconnaissance française ou par un acte de reconnaissance souscrit à l’étranger, dans la mesure où les pays étrangers la connaissent. Mais la transcription demeure indispensable : c’est en marge de la transcription que la reconnaissance sera apposée, et c’est cette transcription qui donnera son effet matériel à la reconnaissance.

Dans la relation familiale, la reconnaissance existe dès qu’elle est souscrite. Mais vis-à-vis des administrations et des tiers, il faudra qu’elle soit apposée en marge de la transcription et donc qu’elle devienne publique, pour produire son effet.

M. le rapporteur. Mais n’est-il pas possible de transcrire un acte californien – pour prendre un exemple fréquent ?

Mme Frédérique Bozzi. C’est toujours possible, mais avec des risques d’annulation.

M. le rapporteur. Comment permettre la transcription de l’acte sans risque de nullité, lorsque l’enfant est issu d’une situation qui trouble l’ordre public en France ?

M. Pierre Lecat. La nullité du processus vient de la désignation de la mère par le jugement de la cour californienne. Nous avons examiné des dossiers dans lesquels la mère n’apparaissait pas. Dès lors que la décision californienne et l’acte américain ne désignent qu’un père, si par ailleurs, à l’analyse de cet acte et compte tenu des déclarations qui s’y trouvent, on peut considérer qu’il y a déjà une reconnaissance valide, même si elle mérite d’être réitérée « à la française », la transcription est possible.

Je n’ai malheureusement pas de solution à vous proposer pour résoudre le problème lié à la désignation de la mère.

M. le rapporteur. Il faudrait donc conseiller aux personnes qui vont s’adresser à une mère porteuse en Californie de ne mentionner que le nom du père.

M. Pierre Lecat. J’ai en mémoire une situation incestueuse et compliquée : un homme français avait fait procéder à l’implantation de l’ovule fécondé de sa sœur – avec l’accord de celle-ci – dans l’utérus d’une femme californienne. Génétiquement, le frère et la sœur étaient les parents, mais ce n’était pas la sœur qui avait accouché. La cour californienne, ayant sans doute conscience du problème, a déclaré que la femme qui avait accouché n’était pas la mère et que le père était bien le père. Il n’y avait donc pas de mère mais il y avait un père.

Je précise toutefois que toutes les assurances de paternité sont suspendues à la vérité biologique : la reconnaissance, la mention dans un acte américain du nom du père qui vaudrait reconnaissance, etc. ne constituent que des présomptions. Tant que la paternité n’est pas contestée, le père est considéré comme le père.

M. le rapporteur. Le père ne risque rien en cas de contestation, puisqu’il est justement le père biologique.

M. Pierre Lecat. On pourrait apprendre, dans certaines conventions, que le père n’est pas l’inséminateur. Il suffirait qu’un jour l’enfant agisse en contestation de paternité de l’homme présenté comme son père pour que l’on découvre qu’il n’est pas biologiquement le père.

Même si le droit s’appuie sur une présomption de paternité, l’ordonnance sur la filiation a majoré cette exigence de vérité biologique, et la suppression du délai de cinq ans pendant lequel le ministère public était autorisé à contester la filiation lui a donné un pouvoir énorme. Nous pouvons ainsi perturber la paix des familles pendant au moins dix ans pour rechercher la vérité biologique de la paternité.

M. le rapporteur. L’enfant qui est rentré en France avec un passeport californien a un père et une mère californienne qui, par contrat californien, l’a abandonné mais qui est reconnue comme étant sa mère sur le sol français. Si son père meurt, il devient orphelin et sa mère biologique, qui est aussi sa mère affective et sociale, pourrait se voir privée de son enfant, au moins théoriquement, par la mère porteuse. Comment protéger cet enfant et sa mère biologique ? Plus généralement, peut-on faire en sorte que la mère biologique redevienne la mère ?

Mme Frédérique Bozzi. La mère biologique a un droit : c’est son enfant. Elle a le droit de le récupérer.

M. le rapporteur. Mais il y a deux « biologies » en cause : l’utérus et l’ovaire. En l’occurrence, la « mère de l’ovaire » ne peut pas garder l’enfant, si la « mère de l’utérus » le revendique.

M. Pierre Lecat. Je crois savoir que, aux États-Unis, la décision californienne rompt définitivement le lien de filiation avec la mère porteuse, qui n’a plus le droit de récupérer l’enfant.

M. le rapporteur. À moins qu’elle ne vienne dans notre pays pour le revendiquer devant un tribunal français.

Ne pensez-vous pas que le juge aux affaires familiales aura tendance à laisser cet enfant à la garde de la femme qui l’a élevé ? Ainsi, cet enfant serait confié à la mère biologique (j’entends celle qui a donné l’ovocyte).

Mme Frédérique Bozzi. Je pense que oui. C’est la raison pour laquelle je trouve astucieuse la proposition du Conseil d’État sur la délégation de l’autorité parentale. Cette délégation fondera l’habitus de la mère d’intention de s’occuper de l’enfant. Le juge, constatant que l’enfant est très bien avec cette dame et qu’il a tissé des liens avec elle, n’aura aucune raison de le lui retirer.

M. le rapporteur. Ainsi, le juge aux affaires familiales, considérant la « carence » de la mère californienne et la délégation de l’autorité parentale donnée par le père qui a reconnu l’enfant, donnera à la mère d’intention le droit de garder l’enfant.

Mme Frédérique Bozzi. Pour avoir été juge aux affaires familiales, je pense que la tendance serait de laisser l’enfant dans son milieu avec la personne qui s’occupe de lui à la satisfaction générale et conformément à son intérêt.

M. le rapporteur. Les seules personnes qui pourraient revendiquer la garde de l’enfant seraient ses grands parents paternels.

Mme Frédérique Bozzi. Éventuellement. Mais c’est ce qui peut se passer dans n’importe quelle famille si la mère s’avère incapable d’élever son enfant.

M. le rapporteur. L’enfant a donc un père. Il a un état-civil, à condition que la cour californienne ne mentionne que ce père. Il a une mère qui gardera son enfant, même si le père décède – à condition que le père ait donné à la mère une délégation d’autorité parentale. Mais comment la mère peut-elle devenir la mère ? Est-ce que l’adoption, après deux ans, est une possibilité, devant le constat de l’abandon de l’enfant par la mère qui a accouché ?

M. Pierre Lecat. Le risque est qu’on oppose le vice initial au processus d’adoption. L’adoption doit répondre à un certain nombre de critères, en application de l’article 370-3 du code civil, dont le consentement et l’absence de contrepartie – le dédommagement en étant une.

M. le rapporteur. Si on exclut l’adoption et la transcription, il reste la possession d’état. C’est une réalité constatée, qu’il est possible de dissocier de l’acte antérieur, qui est illégal.

Mme Frédérique Bozzi. Malheureusement non. Cette possession d’état serait considérée comme équivoque ou viciée, parce que résultant d’un processus illégal : le recours à une gestation pour autrui. Cela dit, rien n’empêche de plaider la possession d’état devant une juridiction.

M. le président. L’article 311-2 du code civil dispose que la possession d’état doit être « continue, paisible, publique et non équivoque ». Or, dans ce cas-là, elle est équivoque.

M. le rapporteur. L’adoption est équivoque, mais on peut plaider que la possession d’état ne l’est pas. Or le qualificatif « équivoque » ne doit pas s’appliquer à l’origine de la situation, mais à la situation elle-même.

Mme Frédérique Bozzi. Ce n’est pas forcément faux, mais c’est très discutable. Une possession d’état peut être viciée dès le départ par le fait qu’elle a été acquise dans des conditions illégales. Je ne prétends pas que jamais une juridiction n’ira dans votre sens ; mais une telle analyse n’assure pas à l’enfant une sécurité juridique. Elle ouvre un débat. Ce serait la faiblesse du processus.

M. le rapporteur. Quelle solution permettrait de donner à cet enfant un statut juridique maternel ?

M. Pierre Lecat. Il n’y en a pas actuellement. La seule solution serait de modifier la loi, comme l’ont fait certains pays dont le matériel juridique était insuffisant pour régler une telle question. Je mets à part l’État de Californie, qui s’est d’abord appuyé sur une création jurisprudentielle.

Nous n’avons pas, en France, le matériel juridique qui nous permettrait de créer cette nouvelle filiation, qui s’apparente à une adoption, dans la mesure où l’enfant est déjà né. C’est d’ailleurs pourquoi on ne peut pas admettre le parallèle que font certains avec les dons de matériel biologique n’ayant pas de statut juridique, à la différence de l’enfant.

L’adoption est encadrée, notamment sur le plan international. Il serait très intéressant de savoir ce que pensent les auteurs, ou plutôt nos partenaires de la convention sur l’adoption. En effet, il faudrait la modifier si l’on voulait y intégrer une éventuelle modification législative, s’agissant notamment de cette notion de consentement sans contrepartie.

Mme Frédérique Bozzi. Nous sommes victimes de notre définition de la maternité, qui est liée à l’accouchement. Jusqu’ici, toutes nos sociétés se sont construites sur l’idée de l’accouchement. Devons-nous en rester là ? Devons-nous réfléchir à plusieurs types de maternité ? Le débat est ouvert. Il est probable que, lors des prochaines révisions des lois de bioéthique, nous soyons amenés à nous poser ces questions.

M. le rapporteur. Certes, l’éthique médicale et la société évoluent. Mais, à l’occasion de nos travaux, qu’il s’agisse des différents organismes saisis de cette question ou des jurys citoyens constitués dans le cadre des États généraux de la bioéthique, personne ne nous a suggéré de légaliser la gestation pour autrui. Notre objectif est plutôt de trouver le moyen de ne pas pénaliser l’enfant en raison de l’infraction commise par ses parents.

M. le président. Je crains que l’on ne trouve pas de sitôt de réponses à ces questions. Vous avez dit, madame, qu’il faudrait sans doute réfléchir un jour à la définition de la maternité et choisir entre l’accouchement et le patrimoine génétique. Mais il me semblerait essentiel de prendre en compte la maternité de la femme qui élève l’enfant.

M. le rapporteur. C’est pourquoi la possession d’état semblait une solution intéressante.

M. le président. Sauf que la décision du TGI de Lille du 22 mars 2007 est claire : « La possession d’état sur laquelle les demandeurs se fondent pour voir établir un lien de filiation légitime à leur profit, avec l’enfant issu d’une convention de mère porteuse prohibée, et l’acte de notoriété qu’ils ont obtenu sont viciés et ne peuvent permettre l’établissement d’un tel lien. »

La gestation pour autrui pose des problèmes éthiques avec lesquels, à mes yeux, on ne peut pas composer, et entraîne des difficultés auxquels on ne peut pas non plus apporter de réponse satisfaisante.

La seule question que nous ayons à nous poser est celle de l’intérêt de l’enfant. Nous pouvons faire confiance à la justice pour lui apporter une réponse au plan juridique. Encore faut-il en trouver la forme qui est la plus adaptée. Quelles suggestions pourriez-vous nous faire, afin de garantir la protection de l’enfant ?

M. Pierre Lecat. Je ne peux pas vous répondre. Je constate simplement que vous proposez de reconnaître une maternité sociale.

Je voudrais lever une ambiguïté : la possession d’état (ainsi que l’acte de notoriété qui la constate) n’a pas pour objet et ne permet pas de reconnaître une maternité sociale qui se serait construite au fil des années. Elle est un ensemble d’éléments qui permettent, d’une certaine manière, de présumer que la femme qui s’occupe de l’enfant est celle qui a accouché.

M. le rapporteur. Ne pourrait pas envisager une recherche génétique de maternité, à l’instar de la recherche génétique de paternité ?

Mme Frédérique Bozzi. Oui. Cela dit, l’existence d’une maternité obtenue par accouchement fait obstacle à l’établissement d’une filiation qui viendrait la contredire. Pour établir un autre lien de maternité, il faudrait d’abord détruire la maternité par accouchement.

M. le rapporteur. C’est ce qui se passe en cas d’adoption d’un enfant abandonné.

Mme Frédérique Bozzi. Justement, l’adoption apporte une certaine perturbation, dans la mesure où elle met en concurrence deux maternités.

Nous sommes un peu dans l’hypothèse de l’épouse qui recueille à son foyer l’enfant de la maîtresse de son époux, parce que cette dernière n’est pas capable de s’en occuper, et qui finit par tisser des liens avec cet enfant, au point de vouloir l’adopter au bout de plusieurs années.

M. le rapporteur. Ne pourrait-on pas considérer que s’il y a carence et abandon de la mère réelle, la femme qui s’occupe de l’enfant, quelle qu’elle soit, doit pouvoir l’adopter ?

Mme Frédérique Bozzi. Il faudrait pratiquement que les juridictions ferment les yeux sur l’origine de la situation – ce que l’on ne peut pas leur imposer – et constatent que des liens sincères se sont créés, que cette relation est bien conforme à l’intérêt de l’enfant, pour dire que l’enfant peut être adopté par la mère d’intention. Mais cela suppose une certaine « désinhibition » du juge, et un appel à sa conscience. Et l’on créera alors une inégalité entre les citoyens : selon que vous serez jugé par telle juridiction, telle collégialité ou tel individu, l’issue pourra être différente.

M. le rapporteur. L’argument à avancer serait que la mère californienne a abandonné cet enfant, qui vit depuis cinq ans, par exemple, avec une mère éducative, affective et sociale. Pourquoi en effet ne pourrait-elle pas adopter cet enfant, quelle que soit par ailleurs son origine génétique ?

Mme Frédérique Bozzi. Aménager une petite ouverture en ce sens, dans le cadre d’une réforme de l’adoption, est peut-être envisageable. Ce serait une issue pour ces enfants.

M. Pierre Lecat. Toutes les prohibitions qui concernent l’adoption ont pour but de protéger les enfants, notamment ceux du tiers monde, des risques de trafic. Si on ouvre cette porte, on protégera quelques dizaines d’enfants. Il ne faudrait pas que tous les autres en pâtissent. Cela dit, la gestation pour autrui n’est pas pratiquée dans des régions reculées d’Afrique, mais dans des régions beaucoup plus riches et développées.

Je tiens à faire une dernière remarque. Vous savez que certains pays de l’Union européenne, comme l’Espagne, la Grèce ou le Royaume-Uni, reconnaissent et encadrent la gestation pour autrui. Imaginez que nous soyons confrontés aux questions que nous venons d’évoquer, s’agissant d’un couple franco-grec, franco-espagnol ou franco-anglais. Si une filiation est reconnue en Grèce, en Espagne ou en Grande-Bretagne, peut-être serons-nous condamnés par la Cour de justice des communautés européennes pour ne pas la reconnaître en France.

M. le président. On nous a dit que la France avait la meilleure législation d’Europe pour régler les problèmes sociétaux. Mais dans quel sens se fera l’harmonisation européenne : vers le haut ou vers le bas ? Une telle question ne concerne pas uniquement le sujet qui nous préoccupe aujourd’hui.

Quoi qu’il en soit, je vous remercie l’un et l’autre de vous être prêtés à cette audition. Certaines interrogations demeurent et le problème reste celui de la légitimité de la gestation pour autrui. Mais je vous fais confiance pour trouver des réponses concrètes, dans l’intérêt de l’enfant.

Audition de Mme Valérie PÉCRESSE,
Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche



(Procès-verbal de la séance du 24 juin 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le Président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Valérie Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, ancienne députée qui a été rapporteure pour avis de la commission des lois lors de la révision des lois de bioéthique en 2004 et rapporteure de la mission d’information sur la famille et les droits des enfants en 2006. Vous êtes donc particulièrement qualifiée pour nous donner aujourd’hui votre sentiment sur la loi de 2004, son application et les révisions qui peuvent vous apparaître nécessaires.

Étant donné vos fonctions actuelles, nous souhaitons bien sûr vous interroger plus particulièrement sur les questions de recherche. Nous terminons avec vous un cycle d’auditions consacrées aux différents types de cellules souches et aux perspectives qu’elles offrent. Selon vous, faut-il continuer d’interdire les recherches sur les cellules souches embryonnaires, comme l’a fait la loi de 2004, en assortissant cette interdiction d’un moratoire de cinq ans, ou faut-il les autoriser, en les encadrant bien sûr de manière très stricte ? Nous aimerions aussi connaître votre sentiment sur d’autres sujets de bioéthique auxquels vous vous étiez antérieurement intéressée. Je vous laisse immédiatement la parole.

Mme Valérie Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Tout d’abord, je vous remercie de votre invitation. Vous savez tout l’intérêt que j’avais porté à la révision des lois de bioéthique en 2004 : ce sujet m’a passionnée et continue de me passionner. J’ai bien sûr un avis en tant que ministre chargée de l’application de certaines des dispositions de la loi du 6 août 2004, mais aussi un autre, plus personnel, que mon expérience de rapporteure pour avis de ce texte au nom de la commission des lois en 2004 et de rapporteure de la mission d’information sur la famille et les droits des enfants deux ans plus tard m’ont aidée à forger.

L’Agence de la biomédecine, créée par la loi de 2004, est incontestablement un succès. L’Agence a édicté des règles parfois très contraignantes pour les chercheurs, qu’elle a néanmoins su faire accepter de la communauté scientifique : personne aujourd’hui ne remet en question ni son expertise ni son efficacité. L’Agence est placée sous la tutelle du ministère de la santé mais tous les protocoles de recherche sur les cellules souches embryonnaires doivent être validés par le ministère de la recherche. À ce jour, aucun protocole soumis à mon ministère, après avis favorable de l’Agence, n’a été refusé, ni même amendé par mes services. Le dispositif actuel est donc équilibré et efficace.

M. le président. Souhaiteriez-vous un double pilotage de l’Agence par le ministère de la santé et le ministère de la recherche ?

Mme la ministre. Je n’oserais en rêver ! Au moment où se met en place un double processus de validation pour les centres hospitaliers universitaires (CHU), il est important que le ministère de la recherche soit très impliqué dans le fonctionnement de l’Agence. Mais sachant que nous avons d’excellentes relations avec l’Agence et que l’on cherche plutôt, dans la cadre de la revue générale des politiques publiques (RGPP), à simplifier les tutelles, je m’en remets sur ce point à la sagesse du Parlement.

En ce qui concerne les greffes d’organes et de tissus humains, nous avions eu en 2004 un débat très animé sur les principes de consentement présumé, de gratuité et d’anonymat du don, ainsi que sur le recours aux donneurs vivants pour les greffes rénales et hépatiques notamment. Un registre national des refus a été créé, sur lequel peuvent s’inscrire les personnes qui s’opposent au don de leurs organes. Toutes celles qui n’ont pas fait connaître leur choix de leur vivant, ce qui est le cas de la très grande majorité, sont présumées consentir à ce don, aux termes de l’article 7 de la loi du 6 août 2004. Pour autant, en France où le don d’organes ne fait pas encore pleinement partie de la culture, contrairement à l’Espagne par exemple, les familles frappées par un deuil brutal s’opposent encore dans 30 % des cas au prélèvement d’organes sur un proche décédé. Faudrait-il instituer un régime de consentement explicite, en mentionnant le choix des personnes sur leur carte Vitale, comme l’ont proposé certains ? Cette solution peut paraître tentante mais dans les pays qui ont abandonné le consentement présumé au profit du consentement explicite, les dons d’organes ont sensiblement diminué. Je serais, pour ma part, plutôt favorable à ce que l’on informe mieux et plus largement la population, afin de populariser encore la cause du don d’organes, et que l’on maintienne le consentement présumé, ainsi bien sûr que la gratuité et l’anonymat des dons.

S’agissant de la brevetabilité du corps humain, aucun des acteurs de la recherche, ni du milieu académique ni du milieu industriel, ne remet en cause la transposition en droit interne de la directive européenne de 1998. Jamais par exemple il n’a été argué du flou de cette directive pour expliquer la faiblesse de nos investissements dans le domaine des biotechnologies. En tout cas, il n’est jamais remonté jusqu’à moi que cette directive aurait créé un obstacle insurmontable. Je m’en tiens, pour ma part, à la position simple du ministre de la santé de l’époque, M. Jean-François Mattei, selon lequel seule une technique pouvait être brevetée, en aucun cas le vivant. Je crois prudent d’en rester là et de ne rien renégocier, le mieux pouvant être l’ennemi du bien en ce domaine.

Pour ce qui est de l’information de la parentèle en cas de maladie génétique très grave, j’avais proposé en 2004 que la personne porteuse d’une mutation soit informée des conséquences potentielles de son silence pour sa parentèle mais ne soit pas pour autant tenue juridiquement responsable des effets de ce silence. Le décret d’application sur le sujet n’a jamais été pris ; la mesure est d’une mise en œuvre difficile. Il faut poursuivre la réflexion en s’efforçant de concilier au mieux la sécurité de la parentèle, la liberté des personnes et le respect du secret médical.

En matière d’assistance médicale à la procréation (AMP), je ne m’exprimerai pas ici en tant que ministre mais en tant qu’ancienne rapporteure de la mission d’information sur la famille et les droits des enfants. La mission s’était plus particulièrement intéressée à trois sujets en ce domaine : l’accès aux origines des enfants nés d’insémination avec donneur, le transfert post mortem d’embryons conçus in vitro et la gestation pour autrui – sujet soigneusement évité par le législateur en 2004.

S’agissant des enfants adoptés après abandon, nous avions jugé quelque peu étrange que les parents légaux d’un enfant mineur puissent effectuer une recherche en paternité à sa place, y compris alors qu’il était encore bébé. Nous pensions qu’il fallait réserver la demande d’accès à ses origines à l’enfant lui-même, à condition qu’il ait atteint l’âge du discernement et que ses représentants légaux en soient d’accord. Pour le don de gamètes, nous avions proposé de créer, à titre expérimental, un « double guichet », c’est-à-dire un double régime de don pour les gamètes, l’un garantissant l’anonymat du donneur, l’autre autorisant l’accès des enfants à l’identité du donneur. Cela avait suscité une levée de bouclier de l’Académie de médecine qui craignait que le nombre de donneurs ne recule fortement si l’on s’engageait dans cette voie.

Sur le transfert d’embryon post mortem, la mission d’information avait estimé possible de l’autoriser entre le sixième et le douzième mois après le décès du père, de façon que la décision ne soit pas prise immédiatement sous le choc du deuil sans néanmoins tarder trop. Il nous avait paru extrêmement difficile sur le plan éthique que le législateur interfère dans la décision de la mère et puisse faire obstacle à son souhait d’avoir un enfant du père décédé.

M. le président En effet. Le transfert post mortem avait d’ailleurs été autorisé en première lecture, avant que l’on revienne dessus en deuxième lecture.

Mme la ministre. Je n’y étais pas au départ favorable mais je dois reconnaître que Martine Aurillac, qui a beaucoup plaidé en faveur de l’autorisation, a su me convaincre, et que, compte tenu de l’évolution des modes de vie familiaux, il me semble difficile de s’y opposer.

Sur la gestation pour autrui (GPA) en revanche, je n’ai pas changé d’avis. Je comprends le désir des parents infertiles d’avoir un enfant par tous les moyens mais je mesure aussi toutes les conséquences physiologiques et psychologiques d’une grossesse menée pour autrui pour une femme et pour l’enfant à naître. Cette pratique crée en outre un risque réel d’exploitation de certaines femmes en situation précaire par d’autres femmes. Pour toutes ces raisons, je suis hostile à la légalisation de la GPA dans notre pays. Je défends en revanche, comme déjà à l’époque, la délégation de l’autorité parentale à l’épouse du père légal d’un enfant né d’une mère porteuse à l’étranger. La situation entre le père et la mère est en effet asymétrique et déséquilibrée, le père pouvant reconnaître l’enfant et en devenir le père légal, ce qui n’est pas possible pour la mère. Je n’ignore pas que, soutenant cette position, je banalise le recours à la GPA hors de France mais je me place dans l’intérêt de l’enfant, qui est bien d’avoir deux parents et d’une certaine façon de prendre en compte la parenté de fait.

J’en viens à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, qui concerne plus particulièrement mon ministère. Le clonage thérapeutique, qui était au centre des débats en 2004, est aujourd’hui relégué au second plan et la question de la recherche sur les cellules souches embryonnaires est abordée de manière beaucoup plus sereine. Cela tient en grande partie à l’excellent travail de l’Agence de la biomédecine qui a montré que les recherches, effectuées exclusivement sur les embryons surnuméraires ne faisant plus l’objet d’un projet parental, sont conduites dans le respect de règles éthiques et juridiques très strictes. Tout risque de dérive et d’abus semble aujourd’hui écarté. C’est d’ailleurs pourquoi je pense que l’Assemblée pourrait dans ce contexte examiner la possibilité que ces recherches ne soient plus permises seulement par dérogation mais soient autorisées, avec bien entendu le maintien d’un encadrement très strict par l’Agence de la biomédecine. Cela permettrait d’en finir avec une certaine hypocrisie.

L’apaisement du débat tient également à ce qu’il n’y a plus d’opposition aussi nette qu’en 2004 entre recherches sur les cellules souches embryonnaires et sur les cellules souches adultes. La découverte des iPS (induced pluripotent stem cells), cellules somatiques reprogrammées pour retrouver la pluripotence des cellules embryonnaires, a ouvert de nouvelles perspectives. Pour autant, au stade actuel, il convient de continuer de travailler sur les deux types de cellules. Les deux voies de recherche sont complémentaires et doivent continuer d’être explorées en parallèle.

Enfin, faut-il continuer de réviser les lois de bioéthique tous les cinq ans, et y regrouper des dispositions ayant fait l’objet de textes spécifiques, comme sur la fin de vie ou la recherche biomédicale ? Je juge nécessaire le principe d’une révision tous les cinq ans, au moins pour engager périodiquement un débat au Parlement sur un sujet en permanente évolution, où jamais les choses ne pourront être tranchées une fois pour toutes. Si l’on s’apercevait par exemple, dans les années à venir, que les cellules souches adultes ont exactement les mêmes propriétés que les cellules souches embryonnaires, peut-être pourrait-on arrêter les recherches sur ces dernières. Nous n’en savons rien pour l’instant. En ces domaines, tout dépend des progrès de la science, des évolutions de la société… Un rendez-vous tous les cinq ans ne me paraît donc pas inutile, au moins pour évaluer le dispositif. Par cohérence, je suis favorable au regroupement dans un seul corpus de toutes les dispositions de bioéthique, aujourd’hui dispersées dans plusieurs textes.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Je vous remercie, Madame la ministre, de nous avoir parlé à la fois en tant qu’actuelle ministre de la recherche mais aussi ancienne rapporteure pour avis de la révision des lois de bioéthique en 2004 et rapporteure de la mission d’information parlementaire sur la famille et les droits des enfants.

S’agissant de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, le débat s’est en effet apaisé. Ces cellules apparaissent moins prometteuses qu’hier et les fameuses iPS soulevant moins de problèmes, à la fois éthiques et techniques, le nombre des protocoles de recherche sur les cellules embryonnaires a déjà commencé de diminuer. Pour autant, faut-il abandonner totalement ces recherches ? Non, d’après ce que nous ont dit ici de nombreux chercheurs, certaines recherches de types différents demeurant nécessaires sur ces cellules. Partagez-vous cette opinion ? Faites-vous par ailleurs la distinction, que le Conseil d’État n’a, semble-t-il, pas voulu faire, entre la recherche sur l’embryon et la recherche sur les cellules souches embryonnaires, distinction qui peut-être n’est pas pertinente dans tous les cas ? L’un des principaux arguments de ceux qui refusent les recherches sur l’embryon est qu’elles entraînent sa destruction. Plusieurs chercheurs nous ont dit qu’on pouvait prélever, à un stade très précoce, une cellule sur un embryon sans que cela nuise en rien au développement ultérieur de celui-ci. Mais c’est là réaliser une expérimentation sur un embryon destiné à devenir un enfant, ce qui pose des problèmes éthiques. En effet, qui peut assurer que le prélèvement de cette cellule n’aura pas un jour une conséquence pour l’instant insoupçonnable ? Pour le reste, les embryons surnuméraires qui n’ont plus de projet parental sont, en principe, détruits au bout de cinq ans. Pourquoi ne pourraient-ils pas servir à la recherche ? Faut-il distinguer entre l’amas cellulaire des tout débuts de la vie et l’embryon à un stade de développement plus avancé, ou bien l’embryon doit-il être considéré comme un tout et un continuum ?

Faut-il réviser la loi de bioéthique tous les cinq ans ? L’important est que cette loi s’adapte en permanence, dans la mesure où les connaissances évoluent très vite. Alors qu’en 2004, on plaçait tous les espoirs dans les cellules souches embryonnaires, la tendance s’est inversée, et on privilégie aujourd’hui les cellules souches adultes. Il faut donc régulièrement « revisiter » ces lois.

Enfin, faut-il interdire les recherches sur les cellules souches embryonnaires tout en accordant des dérogations ou les autoriser sous encadrement strict ? Les deux options présentent des avantages et des inconvénients. L’autorisation marquerait la fin d’une restriction qui handicape les chercheurs, en raison des incertitudes qu’elle laisse planer. L’interdiction, quant à elle, marque que l’embryon n’est pas une chose et ne saurait constituer un matériel de recherche comme un autre. Le régime d’interdiction avec dérogation n’est pas mauvais en soi. Ce qui pose problème en revanche est la durée du moratoire. Un horizon de cinq ans est trop court pour les chercheurs. Ne faudrait-il pas revoir d’abord la durée du moratoire ?

Mme la ministre. Il me semblerait prématuré au stade actuel des connaissances de dire que le développement très prometteur des recherches sur les cellules souches adultes permet de se passer des recherches sur les cellules souches embryonnaires. Il faut laisser les chercheurs libres de mener les recherches qu’ils estiment nécessaires, dans le cadre très strict qui leur est imposé.

Pour ce qui est de la distinction entre la recherche sur l’embryon et sur les cellules souches embryonnaires, si l’embryon n’est pas une personne sur le plan juridique, il n’est assurément pas non plus une chose, étant une « potentialité de personne », et il doit être protégé. Même s’il est techniquement possible de procéder à certaines expérimentations sans le détruire, je pense qu’il convient, du moins pour l’instant et en l’état actuel des techniques, de réserver ces expérimentations à des embryons n’ayant plus de projet parental et de ce fait, voués de toute façon à la destruction.

Interdiction avec dérogation ou autorisation avec encadrement strict ? Je pense que les deux régimes ont les mêmes effets. Si le Parlement souhaite conserver le principe de l’interdiction avec dérogation, sans doute la meilleure option, il faut en revanche impérativement supprimer la limitation de la dérogation à cinq ans. En effet, cinq ans est un horizon trop court pour les chercheurs. L’incertitude dans laquelle ils sont de pouvoir poursuivre leurs travaux au-delà les détourne de notre pays.

M. Olivier Jardé. La loi actuelle dispose que les recherches ne peuvent être menées que sur les embryons conçus in vitro ne faisant plus l’objet d’un projet parental, à condition qu’elles aient une visée « thérapeutique » et qu’il n’existe pas de « méthode alternative d’efficacité comparable. » Or, actuellement, on sait bien qu’il n’y a pas eu de résultats au niveau thérapeutique avec les cellules souches embryonnaires. Vous paraîtrait-il donc opportun de substituer au terme « thérapeutique » le terme « scientifique » ? Pour le reste, cinq ans me paraît un horizon suffisant pour évaluer une recherche. Si au bout de cinq ans, une recherche n’a donné aucun résultat concret, vaut-elle la peine d’être continuée ? Le moratoire de cinq ans permettait d’évaluer les projets – et les chercheurs ont besoin d’être évalués.

Mme la ministre. Nul ne le conteste. Pour évaluer la pertinence et la validité d’une recherche, cinq ans suffisent certes. D’ailleurs, les évaluations sont triennales et nous venons d’aligner la périodicité d’évaluation des enseignants-chercheurs et des chercheurs sur celle de leurs laboratoires. Le problème est, pour une équipe dont le projet a fait l’objet d’une évaluation favorable après ces cinq années, de savoir si la dérogation qu’elle a obtenue sera prolongée au-delà de la cinquième année. La loi ne dit rien sur ce point. Peut-être pourrait-elle disposer que les recherches sur l’embryon sont interdites avec « possibilité de dérogation accordée sous réserve d’une évaluation des projets », à une périodicité restant à déterminer.

M. le président. L’Agence de la biomédecine ne fait pas que délivrer les autorisations. Elle a également un rôle d’évaluation des projets.

Permettez-moi un instant de me départir de ma neutralité de président de la mission pour donner mon sentiment sur le sujet. L’encadrement actuel est parfait. Faisons confiance aux chercheurs et laissons-les libres.

Mme la ministre. Il faut surtout leur donner une visibilité à plus long terme. Il est incontestable que ce moratoire de cinq ans fait fuir de jeunes chercheurs hors de France.

M. Paul Jeanneteau. Il est vraiment dommage que de jeunes chercheurs, particulièrement bien formés dans notre pays, le quittent pour aller mener leurs recherches à l’étranger, dont nous ne recueillerons pas les fruits, et que d’autres refusent de venir travailler en France parce qu’ils se sentent bridés par ce moratoire.

Certaines équipes nous ont dit pâtir des délais, extrêmement longs, de mise en route et d’instruction administrative des protocoles de recherche, le temps que toutes les instances rendent leur avis. Ne pourrait-on pas imaginer des circuits administratifs plus courts, et néanmoins parfaitement sécurisés ? Une solution ne serait-elle pas de fusionner l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) et l’Agence de la biomédecine ?

Mme la ministre. Lorsqu’un dispositif fonctionne bien, je ne suis pas encline à le changer. Je n’ai pas l’impression que les équipes souffrent de la longueur des délais administratifs. Pour des projets où des considérations éthiques sont en jeu, un délai de six mois ne me paraît pas choquant. Ce qui m’inquiète davantage, c’est l’insécurité juridique dans laquelle elles travaillent ensuite du fait du moratoire. Personne ne m’a en tout cas demandé la fusion de l’Agence de la biomédecine et de l’AFSSAPS.

M. Paul Jeanneteau. Certains chercheurs se sont plaints à nous de délais bien supérieurs à six mois…

Mme la ministre. Il faudra vérifier. Il y a eu des retards au départ, notamment dans la publication des décrets.

M. le président. En effet, mais aujourd’hui, les délais sont les mêmes en France qu’en Angleterre.

Mme la ministre. Faut-il remplacer « à visée thérapeutique » par « à visée scientifique » ? Pour moi, ce qui justifie quand même que l’on utilise des embryons, fussent-ils surnuméraires et voués à la destruction, est l’existence d’une perspective thérapeutique. Ces recherches, même très fondamentales, ne sont pas conduites pour le plaisir de la recherche. Peut-être pourrait-on écrire « à visée médicale », un peu moins précis que « à visée thérapeutique », mais plus ciblé « qu’à visée scientifique », formulation qui, sur le plan éthique, ne me satisfait pas totalement. On mène ces recherches non pas seulement pour faire progresser la science, mais bien parce qu’on en espère des progrès dans le traitement des maladies.

Mme Martine Aurillac. Je me réjouis, Madame la ministre, que nous ayons cheminé parallèlement dans notre réflexion depuis la mission parlementaire sur la famille et les droits de l’enfant et je partage aujourd’hui tout ce que vous avez dit, tant dans votre propos liminaire que dans votre réponse au rapporteur. Je me félicite également que vous nous confirmiez, comme de nombreux chercheurs avant vous, la qualité du travail de l’Agence de la biomédecine. La très grande responsabilité dont fait preuve l’Agence a sans doute permis de lever bien des doutes et des réticences.

Pouvez-vous, Madame la ministre, nous donner votre sentiment sur ce qu’on appelle les « bébés-médicaments » ?

M. le président. Nous avions eu un large débat sur le sujet en 2004. Mais il se trouve qu’aucun bébé-médicament n’est jamais né en France mais il y a eu plusieurs demandes.

M. le rapporteur. Nous avons auditionné ce matin Mme Bozzi, conseiller à la cour d’appel de Paris, et M. Lecat, vice-procureur chargé du service de l’état-civil au parquet du tribunal de grande instance de Nantes, notamment sur le statut dans notre pays d’un enfant né de mère porteuse à l’étranger. La piste ouverte par la mission d’information sur la famille et les droits de l’enfant, à savoir que le père reconnaisse l’enfant et que la mère d’intention bénéficie d’une délégation de l’autorité parentale, est la bonne sur le plan juridique. L’adoption serait beaucoup plus difficile, notamment parce que ses règles interdisent toute rémunération.

Mme la ministre. Cette solution est la meilleure… à défaut d’autre ! Les hommes et les femmes se trouvent dans une situation totalement inégale sur ce plan, les hommes pouvant, contrairement aux femmes, reconnaître un enfant.

M. le rapporteur. Mais si mater certa est, pater semper incertus est !

Mme la ministre. Avec les mères porteuses, les choses ne sont plus aussi simples…

Qu’aucun bébé-médicament soit né dans notre pays prouve que les inquiétudes qui s’étaient fait jour à l’époque sur le risque d’instrumentalisation d’un enfant à naître étaient infondées. La sagesse humaine est plus grande qu’on ne le pense parfois et il faut s’en féliciter. Les craintes de dérives exprimées à l’époque au sujet des recherches sur les cellules souches embryonnaires n’étaient pas davantage fondées. Les chercheurs sont éminemment responsables et respectent les protocoles très stricts qui leur sont imposés. Pour autant, l’intervention du législateur a eu sa vertu et les a incités à cette responsabilité.

M. Paul Jeanneteau. S’agissant du transfert d’embryon post mortem, vous avez dit qu’il n’appartenait pas à la société de se substituer à la mère dans son choix et que le législateur n’avait donc pas à s’opposer à ce transfert. Vous me pardonnerez d’être ici un brin provocateur, mais si on pousse cette logique jusqu’au bout, pourquoi ne pas autoriser la GPA ? Car là aussi, c’est bien le choix de certaines femmes. Les limites que l’on pose pour interdire le transfert post mortem ne sont autres que celles de la vie elle-même, le père étant décédé…

Mme la ministre. S’agissant de la gestation pour autrui, de nombreux spécialistes que nous avions auditionnés nous ont dit que de profondes interactions s’établissaient entre le fœtus et la femme qui le porte. La grossesse n’est pas un phénomène physiologique neutre pouvant être banalisé. On ne peut pas soutenir que du seul fait qu’il proviendrait du matériel génétique d’une autre, l’enfant porté par une femme n’est pas aussi le sien. La grossesse est un événement physiologique mais aussi psychologique pour la mère. Mère de trois enfants, j’ai bien conscience de n’être pas objective sur ce sujet…

Une enquête a par ailleurs montré que dans la très grande majorité des cas, les mères porteuses ne sont pas, comme dans la vision idyllique qu’en donnent certains, les « meilleures amies » ou de proches parentes des mères d’intention, mais des femmes modestes, qui acceptent de porter l’enfant d’une autre parce qu’elles ont besoin d’argent. Il y a bien un risque d’exploitation de certaines femmes par d’autres femmes. Les contrats de gestation pour autrui signés à l’étranger interdisent à la mère porteuse de refuser de donner le bébé à la mère d’intention. Mais quid si finalement elle ne veut pas se séparer de l’enfant ? Quid, à l’inverse, si l’enfant naît handicapé et que la mère d’intention n’en veut plus ? Le droit des contrats peut certes prévoir très précisément toutes ces situations en théorie, mais la dimension psychologique dépasse les obligations contractuelles ou légales.

Le cas est totalement différent pour un transfert d’embryon post mortem, notamment sur le plan psychologique, car cet embryon a été conçu dans le cadre d’un projet parental élaboré par un couple. Que le père soit décédé n’efface pas pour autant la famille paternelle, et l’enfant pourra s’inscrire dans une lignée. Au départ, j’étais contre, car je considérais que l’intérêt de l’enfant commande qu’il ait deux parents, un père et une mère. Mais nous ne pouvons pas ne pas tenir compte des évolutions sociales. Il est si facile pour une femme de faire un enfant sans père – ou plus exactement, avec des spermatozoïdes seulement ! Pourquoi refuser à une femme qu’on lui implante un embryon qu’elle et le père ont à un moment voulu ensemble ?

M. le président. Une dernière question : pourquoi l’arrêté relatif à la mise en place des espaces régionaux de réflexion éthique n’a-t-il toujours pas été signé, et notamment, semblerait-il, par le ministère de la recherche ?

Mme la ministre. Je ne sais pas exactement. Mon ministère est en tout cas très favorable à la création de ces espaces. Il souhaite que les chercheurs et les universitaires, de toutes disciplines, sciences du vivant et sciences humaines, s’impliquent dans l’information la plus large possible du public. Quand un sujet mêlant science et société suscite des polémiques, on a tout intérêt à créer un espace de dialogue et à en débattre largement, afin de lever en amont les fausses peurs et de faire prévaloir une approche aussi rationnelle que possible. Pour ce qui est de votre question précise, je pense que le ministère de la santé, qui est en première ligne sur le sujet, a souhaité éviter toute interférence entre la création de ces espaces et la révision de la loi de bioéthique.

M. le président. Il me reste à vous remercier, Madame la ministre.

Mme la ministre. Je vous ai répondu en mon âme et conscience.

Audition de M. Jean-Michel BOLES, chef du service de réanimation médicale
du CHU de Brest, co-directeur de l’espace éthique de Bretagne occidentale



(Procès-verbal de la séance du mardi 30 juin 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. Jean Leonetti, rapporteur. Il me revient d’accueillir avec plaisir M. Jean-Michel Boles, chef du service de réanimation médicale au CHU de Brest et codirecteur de l’espace éthique de Bretagne occidentale.

C’est à ce double titre, Monsieur, que vous intervenez aujourd’hui devant nous. Les problèmes éthiques posés par certaines techniques de greffe sont divers et complexes. Vous avez, pour votre part, appelé l’attention sur les techniques de prélèvement à cœur arrêté qui représentent, selon vous, « l’ultime avatar de la désacralisation du corps ». Afin de rendre intelligible à tous ce problème, je vous demanderai d’exposer avec précision les différences qu’il y a entre les prélèvements d’organes, de tissus ou de cellules réalisés sur des personnes en état de mort cérébrale et ceux effectués sur des personnes reconnues mortes à la suite d’un arrêt cardiaque non récupéré. Pourquoi les conditions dans lesquelles s’effectuent les prélèvements à cœur arrêté vous semblent-elles remettre en cause le respect dû à la personne décédée ? Que pensez-vous de la méthode suivie par l’Agence de la biomédecine pour valider et introduire cette nouvelle pratique ? Quelle solution préconisez-vous pour pallier le manque de greffons ?

Par ailleurs, que pensez-vous de l’éventualité de prélèvements d’organes sur les patients relevant de la catégorie III de la classification de Maastricht, pour lesquels une décision d’arrêt de soins est prise en raison de leur pronostic et sur lesquels aucun prélèvement n’est effectué aujourd’hui dans notre pays ? Sans sous-estimer les problèmes éthiques que pourraient soulever ces prélèvements, nous nous sommes déjà demandé s’il ne serait pas possible d’en envisager chez ces patients, vu l’importance de la demande de greffons et pour éviter un recours accru aux donneurs vivants et un élargissement brutal de leur cercle potentiel.

M. Jean-Michel Boles. Je tiens tout d’abord à vous remercier d’avoir accepté de m’auditionner, ce dont je suis très honoré. Afin de lever toute ambiguïté, j’indique que, réanimateur médical depuis vingt-huit ans, j’ai participé à de très nombreux prélèvements d’organes. J’en reconnais pleinement le bien-fondé et la légitimité, les transplantations d’organes, solution de dernier recours certes, étant néanmoins du plus grand intérêt sur le plan médical, humain et économique. Il est hors de question pour moi de le nier, non plus que les bénéfices qu’en ont retiré tous les patients transplantés. Enfin, dernière précision, je porte sur moi une carte de donneur d’organe depuis quatorze ans.

Les prélèvements d’organes et de tissus reposent dans notre pays sur trois principes – le consentement présumé du donneur, l’anonymat du don, sa gratuité – et sur des règles d’attribution des organes édictées par l’Agence de la biomédecine. Nous sommes depuis longtemps confrontés à une pénurie d’organes, liée en partie à l’accroissement des indications des greffes. L’écart entre le nombre de malades greffés, environ 4 000 en 2008, et le nombre de ceux en attente de greffe, un peu plus de 13 500 à la fin de la même année, ne cesse de se creuser et l’an passé, 222 personnes sont mortes faute de greffon.

Face à cette situation qui s’aggrave d’année en année, la loi du 6 août 2004 a fait du don d’organes une priorité nationale. Le Gouvernement en a fait une grande cause nationale en 2009. D’où la campagne de sensibilisation actuellement menée par l’Agence de la biomédecine, qui a elle-même engagé diverses actions visant à accroître le nombre de donneurs, en direction du grand public d’une part, des professionnels d’autre part. Un décret a été pris le 2 août 2005, dont l’application relève de protocoles que l’Agence a élaborés en 2006. Le premier prélèvement sur donneur à cœur arrêté a été réalisé cette année-là et dix centres expérimentaux pratiquent ce type de prélèvement depuis lors.

L’un des arrêtés d’application de ce décret précise que deux organes peuvent être prélevés chez les personnes ayant fait un arrêt cardiaque non récupéré, le rein et le foie. Or, à ma connaissance, seuls des prélèvements de reins ont eu lieu. Pourquoi aucun prélèvement de foie ? Par ailleurs, ce qui m’a beaucoup choqué, c’est le silence absolu gardé sur le sujet par l’Agence pendant presque trois ans, d’août 2005 à mars 2008, tant vis-à-vis du grand public que des professionnels de santé. Souhaitant, à juste titre, augmenter le nombre de prélèvements, on a autorisé en France une pratique utilisée depuis des années à l’étranger, qui n’a donc rien d’expérimental. Pourquoi a-t-on gardé un silence total ? Qu’y avait-il donc à cacher ? On ne peut s’empêcher de s’interroger.

Qu’est-ce qui, selon moi, pose problème dans les modalités des prélèvements à cœur arrêté ? Tout d’abord, de quoi s’agit-il exactement ? Lorsqu’une personne fait un arrêt cardiaque, en milieu hospitalier ou extra-hospitalier le plus souvent, les secours appelés accomplissent les gestes de réanimation prévus. Hormis dans les cas très particulier des hypothermies et des intoxications médicamenteuses, si au bout de trente minutes le cœur n’est pas reparti, on arrête les manœuvres pendant cinq minutes, temps qui permettra de valider le fait que la personne est bien morte de cet arrêt cardiaque – cinq minutes étant aussi le temps nécessaire à la destruction totale et irrémédiable de l’encéphale. Si l’on pense qu’un prélèvement à cœur arrêté est possible, une fois confirmées la non-reprise de l’activité cardiaque et sa pérennité, on reprend les manœuvres de réanimation cardio-pulmonaire avec massage cardiaque externe, manuel ou automatisé, et ventilation mécanique par le biais d’une intubation oro-trachéale. Le cadavre, puisque la personne est alors officiellement considérée comme décédée, est alors conduit dans un établissement où les prélèvements peuvent être effectués. Ses organes sont alors immédiatement refroidis en injectant dans le sang par des sondes artérielles et veineuses un liquide glacé, qui sera ensuite récupéré par un ballonnet gonflé au niveau de l’aorte sous-diaphragmatique. L’objectif de ce refroidissement est d’éviter les lésions des organes dites d’ischémie chaude.

C’est alors que l’on convoque la famille. En même temps qu’on lui annonce le décès d’un proche, on lui demande s’il s’était opposé de son vivant à un prélèvement de tissus et d’organes. Elle a alors un temps extrêmement bref pour donner une réponse, car un compte à rebours s’est engagé depuis le début de l’arrêt cardiaque, le temps s’écoulant de l’arrêt du cœur au prélèvement des organes ne pouvant excéder quelques heures. Ou bien elle rapporte que la personne s’y était opposée de son vivant et tout est arrêté. Ou bien elle ne rapporte rien de tel et, dans la mesure où les médecins se sont assurés que la personne décédée n’est pas inscrite au registre national des refus, les prélèvements sont immédiatement effectués ; la famille ne pourra par conséquent rester que très peu de temps avec son proche. Ainsi décrite, la procédure peut ne pas sembler choquante. Mais pour être parfaitement honnête, il faudrait montrer exactement comment se passent les choses. Puisque l’on n’hésite pas à jouer sur l’émotion en évoquant les 222 personnes, hélas, décédées en 2008 faute de greffon, on pourrait utiliser le même registre en montrant comment sont traités les cadavres sur lesquels on opère l’instrumentalisation préparant les prélèvements, avant même que l’on sache si ces personnes, de leur vivant, étaient ou non d’accord pour donner leurs organes.

Les prélèvements sur les personnes en état de mort encéphalique se déroulent de manière totalement différente. Lorsqu’on pense qu’une personne intubée et ventilée en service de réanimation est en état de mort encéphalique, on corrobore le constat clinique en débranchant le respirateur et en constatant qu’il n’y a pas, après oxygénation, reprise d’une respiration spontanée puis on réalise soit deux électroencéphalogrammes à quatre heures d’intervalle pour s’assurer que tous deux sont absolument plats, soit un angioscanner pour vérifier qu’il n’y a plus aucune vascularisation intra-cérébrale.

Entre les deux types de prélèvements, à cœur arrêté ou en état de mort encéphalique, il y a, me semble-t-il, quatre ruptures. Rupture de temps tout d’abord : pour le malade qui était en réanimation, rien ne s’est arrêté, le traitement s’est poursuivi, il y a eu un continuum de soins alors que pour la personne victime d’un arrêt cardiaque, on a arrêté les gestes de réanimation pendant cinq minutes puis reconsidéré la situation. Rupture de lieu ensuite : le malade qui était en réanimation est resté dans son lit, alors que dans l’autre cas on a transporté un cadavre jusqu’à l’hôpital. Rupture de type de traitement encore : dans les services de réanimation, devant une suspicion puis une preuve de mort encéphalique, on modifie éventuellement les doses de drogues ou le débit de certains fluides pour basculer d’une visée curative à une visée préservatrice des organes, mais c’est le même traitement qui est maintenu, alors que dans l’autre cas les gestes qu’on effectue sur le cadavre ne s’inscrivent en rien dans une continuité de soins. Enfin, rupture d’équipe : en réanimation, ce sont les mêmes personnes qui continuent de s’occuper du patient, même une fois celui-ci déclaré en état de mort encéphalique, alors que dans l’autre cas, l’équipe de secours conduit le cadavre là où il fera l’objet de toutes ces manipulations et s’en décharge là.

Plusieurs questions de fond me paraissent se poser. Il ne s’agit pas du tout, je le répète, de mettre en question la nécessité des prélèvements d’organes afin de traiter des patients qui, faute de greffe, mourraient ou subiraient des préjudices certains ; mais – et c’est pour cela que j’ai demandé à être auditionné – il faut que la représentation nationale se demande ce que la société est prête à accepter, non pas d’un point de vue médical mais sociétal, que l’on fasse à l’homme. En un mot, la fin justifie-t-elle les moyens ? La volonté légitime de soigner des personnes en danger de mort justifie-t-elle que l’on se procure des greffons par tous les moyens ? Par ailleurs, existe-t-il un « droit à la greffe », comme l’a évoqué un sociologue, lui-même donneur vivant d’organe, lors d’un séminaire européen sur le sujet en mai dernier ? La greffe est-elle un soin ou un traitement comme un autre ? De la réponse à cette question fondamentale découlent des choix lourds sur le plan politique. Enfin, comment informe-t-on les citoyens sur le sujet ? Comment se comporte-t-on à leur égard ?

Si l’on considère que la greffe est un soin ou un traitement comme un autre, il faut aller jusqu’au bout de la logique. En ce cas, oui, il existe un droit-créance à la greffe. Si en tant que patient j’ai droit à une greffe, cela signifie qu’en tant que médecin, j’ai le devoir de procurer des greffons, faute de quoi des malades perdent des chances d’être soignés, ce qui est inacceptable sur le plan éthique. Dans un tel système, toute personne qui souhaiterait pouvoir bénéficier d’une greffe si nécessaire ne peut pas logiquement refuser de donner ses organes. Notons au passage que le don d’organe perd son caractère de don, nul ne pouvant plus décider librement du sort de son cadavre, que la société a le droit d’utiliser. À notre mort, nous devenons des réservoirs de pièces détachées. Dans cette logique, il n’est plus besoin de consentement. Sortons de l’hypocrisie du consentement présumé ! Souvenons-nous de ce que disaient, lors du débat sur la loi de 2004, le professeur Jean-Michel Dubernard, alors président de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, et Pierre-Louis Fagniez, rapporteur de la loi. M. Fagniez déclarait que l’objectif du gouvernement était de « transformer l’autorisation de prélèvement en obligation de service public ». M. Dubernard dénonçait, lui, « les ambiguïtés de notre législation. » « On peut se demander si l’erreur des médecins n’a pas été, poursuivait-il, d’établir les fondements de la transplantation sur l’altruisme. Un système de santé ne peut pas reposer sur la bonne volonté du public, dont on sait qu’elle peut changer d’un jour à l’autre (…) Pourrait se dessiner un système d’appropriation des organes par la société, mais afin de respecter l’autonomie de la personne, ce pourrait être une appropriation conditionnelle. (…) Cela pourrait représenter la véritable solution au prélèvement d’organes. La société pourrait déclarer qu’après la mort de la personne, les parties utiles de son corps pour sauver une ou plusieurs vies, mais non le corps dans sa totalité afin de respecter le rite des funérailles, lui appartiendraient sans qu’elle ait besoin de demander l’autorisation à quiconque ni avoir à présumer de la volonté du défunt. » Ce dispositif serait tout à fait cohérent. La greffe, soin comme un autre, doit être accessible à tous, les médecins ont le devoir de se procurer par tous moyens des greffons et l’organisation du système de santé doit le permettre. C’est une logique utilitariste, qu’il faut avoir le courage, l’honnêteté intellectuelle même, d’annoncer clairement.

Si en revanche on considère que la greffe n’est pas un soin ou un traitement comme un autre, il n’existe pas de droit-créance à la greffe. Celle-ci doit pouvoir se faire lorsqu’elle est possible, mais demeure un traitement d’exception, fondé sur le don volontaire de ses organes par une personne qui, dans une démarche altruiste, témoigne de sa solidarité vis-à-vis d’un prochain qui souffre, son choix relevant de sa seule responsabilité individuelle. Le consentement en ce cas ne peut être qu’explicite. Dès lors, ce n’est pas la fin qui justifie les moyens. Tout en respectant le libre arbitre des individus, il faut les inciter à prendre expressément position, les convaincre de donner leurs organes et recueillir leur consentement explicite. Notons d’ailleurs que le consentement présumé est un hapax dans notre droit, c’est-à-dire qu’il ne s’applique que dans un seul domaine – le don d’organes. Que l’on parle de don et non de donation témoigne aussi de ce que l’on n’est pas dans le registre du droit classique.

On ne peut pas mettre sur un même plan le devoir civique et l’esprit de solidarité, et il me choque profondément que cela ait été fait parfois. Le devoir civique relève du respect d’une règle commune, établie par la représentation nationale et opposable à tous. Un membre de l’Agence de la biomédecine, devant la commission d’éthique de la Société de réanimation de langue française, avait comparé le fait de donner ses organes à celui de partir à la guerre défendre sa patrie, comparaison qui avait suscité quelques remous… L’esprit de solidarité, lui, relève de l’altruisme. On ne peut pas taxer d’égoïsme une personne qui refuse de donner ses organes ni l’accuser de « rejet de la solidarité », comme l’aurait dit M. Kouchner lors du séminaire consacré à la pénurie d’organes en Europe, au mois de mai de cette année. Souhaiter ou non donner ses organes regarde chacun d’entre nous au plus profond de lui-même et on ne peut juger quiconque de ce point de vue. Celui qui fait don de ses organes n’est ni meilleur citoyen ni meilleur homme que celui qui s’y refuse. C’est une question de valeurs personnelles, et je renvoie à ce sujet aux écrits du sociologue David Le Breton. On ne peut pas réduire l’individu à la stricte rationalité médicale. Sinon, plus personne ne fumerait, ne boirait d’alcool, ne se nourrirait dans les fast-foods puisque rationnellement, chacun sait que cela n’est bon ni pour lui ni pour les autres ! Le don d’organes touche au plus intime de l’individu, ayant une très haute portée symbolique avec des significations anthropologiques majeures, et le choix intime de l’individu à ce sujet échappe à la rationalité. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas qu’un organisme public cherche à convaincre nos concitoyens de l’intérêt qu’il peut y avoir à le faire. Encore convient-il de veiller à la manière de dire et de faire les choses. Il faudrait notamment éviter les pressions de toute nature, qu’elles soient médicales, de la part des chirurgiens transplanteurs et de l’Agence de la biomédecine, sociétales, de la part des associations de patients, notamment en attente de greffe, médiatiques, car on n’hésite jamais dans des affaires douloureuses à exploiter l’émotion collective, politiques – vous êtes les mieux placés pour les connaître –, mais aussi économiques, une greffe rénale revenant beaucoup moins cher à terme qu’une dialyse.

Qu’est-ce qui est choquant dans les prélèvements à cœur arrêté ? L’instrumentalisation des cadavres, sur lesquels on réalise des opérations dans le seul but de préserver encore quelque temps leurs organes, risque d’induire une perte de repères pour les équipes soignantes, surtout pour celles qui ne feraient presque plus que cela, et de modifier le rapport des médecins à la mort. Il ne faut pas négliger les incidences psychologiques de la technique ni chez les soignants ni chez les familles. Enfin, ce type de prélèvement remet en question trois grands principes de droit. Tout d’abord l’inviolabilité du corps, laquelle vaut aussi pour le cadavre : c’est un délit que de porter atteinte à l’intégrité physique d’un cadavre, sauf dans les cas expressément prévus par la loi. Or, ce principe semble devenu caduc par la nécessité médicale d’obtenir des organes. Ensuite, l’indisponibilité et la non-patrimonialité du corps : l’individu n’a pas le droit de faire n’importe quoi de son corps de son vivant. C’est au nom de ces principes d’ailleurs qu’on interdit la vente d’organes. Mais une fois l’individu mort, la société aurait le droit de disposer de son cadavre, s’il ne s’y est pas opposé de son vivant et qu’on ne connaît pas sa position. Je vois là une réification du corps humain rendu « consommable » à défaut d’être marchandisé.

Nos concitoyens ne sont pas familiers de la mort encéphalique. D’une part en effet le risque de mourir ainsi est faible – il n’y a qu’entre 3 000 et 4 000 morts de ce type par an. D’autre part parce qu’on a du mal à conceptualiser cette mort du fait que rares sont ceux, heureusement, qui y ont été confrontés, à l’exception des réanimateurs. En revanche, tous savent que c’est l’arrêt cardiaque qui signe la mort et que nous mourons finalement tous ainsi. Dans le protocole qu’elle a établi, l’Agence de la biomédecine a pour l’instant limité les possibilités de prélèvement à cœur arrêté aux personnes âgées de 18 à 55 ans, mais nul doute que le champ des donneurs potentiels sera élargi. Rien ne s’y oppose d’ailleurs, puisqu’on prélève sur des morts encéphaliques au-delà de 65 ans. Quand tous nos concitoyens sauront que cette pratique est réglementairement autorisée – ils l’ignorent pour l’instant –, ils se sentiront beaucoup plus concernés, l’étant potentiellement tous, surtout à partir d’un certain âge. Les personnes qui étaient favorables au don de leurs organes parce que la probabilité de se retrouver en mort encéphalique était très faible, pourraient changer d’avis. On a donc changé de registre, sur le plan quantitatif et qualitatif – du fait de l’élargissement considérable du champ des donneurs potentiels. Sommes-nous entrés dans une logique de nationalisation des corps ? Chacun d’entre nous est-il donc devenu, dans une perspective utilitariste, un réservoir de pièces détachées ?

Enfin, comment les citoyens sont-ils informés, comment sont-ils traités ? Je suis profondément choqué, en tant que citoyen et en tant que médecin, par le silence assourdissant qui a entouré ce sujet d’août 2005 à mars 2008, date à laquelle l’Agence de la biomédecine a tenu sa première conférence de presse sur le sujet. L’Agence compte pourtant, parmi ses membres, des médecins soumis au code de déontologie médicale, lequel dispose que « le médecin doit à son patient une information claire, loyale et appropriée. » Force est de constater, hélas, que l’information des citoyens sur ces prélèvements à cœur arrêté n’a été ni claire, ni loyale, ni appropriée, ce qui est inacceptable, d’autant que ce sujet n’a pas du tout été abordé lors de la révision des lois de bioéthique en août 2004, non plus que par le Comité consultatif national d’éthique. Ce silence a été délibéré. J’ai entre les mains un courrier d’un ancien membre de l’Agence de la biomédecine, pour lequel j’ai beaucoup de respect, ancien président de la société des réanimateurs de langue française, qui écrivait au rédacteur en chef de la revue Etudes qu’on s’était tu délibérément « pour ne pas inquiéter la population ». Mais cette technique de prélèvement n’est pas expérimentale. Elle est parfaitement maîtrisée, pratiquée depuis longtemps dans de nombreux pays. On cherchait seulement à ce qu’elle soit autorisée en France. De quoi a-t-on eu peur ? Comme toujours sur ce genre de sujets, le secret est beaucoup plus pénalisant et hasardeux que la transparence et la vérité. C’est ce déficit démocratique que je dénonce.

Quelles sont mes propositions concrètes ? Premièrement, dire que le prélèvement d’organes, et il faudrait que cela soit rappelé de manière forte dans la loi, repose sur un don et non sur un dû – tout comme l’enfant non plus n’est pas un dû. Il n’existe pas de droit à la greffe, ni corrélativement de devoir de donner ses organes. Il existe simplement une possibilité de recevoir une greffe grâce à un don librement consenti relevant de l’altruisme.

Deuxièmement, il faudrait remplacer le consentement présumé par le consentement explicite, seule façon d’ailleurs de valoriser le don.

Troisièmement : il faudrait que la carte de donneur d’organes ait une validité légale, ce qu’elle n’a pas aujourd’hui. Cette carte pourrait être proposée par l’Agence de la biomédecine, les ADOT (associations pour le don d’organes et de tissus) départementales, les hôpitaux, la Sécurité sociale… Comme cela a été suggéré lors de certaines réunions de l’espace éthique de Bretagne occidentale, le choix de chacun, quel qu’il soit, pourrait être mentionné sur sa carte Vitale ou d’autres documents d’identité légaux, facilement accessibles et aisés à contrôler, la personne devant pouvoir à tout moment modifier son choix. Il faut aussi laisser à chacun une liberté de choix sélective. Aujourd’hui, c’est tout ou rien ! Or, on peut très bien être d’accord pour donner un organe et pas un autre.

Quatrièmement, l’Agence de la biomédecine doit fournir une information complète et loyale. Pourquoi n’est-il indiqué nulle part dans le compte rendu des Journées de la greffe en 2006 et 2007 que les prélèvements sur donneurs à cœur arrêté sont désormais possibles ? Il faudrait pourtant préciser les circonstances et les modalités de ces prélèvements.

Cinquièmement, il faudrait un contrôle parlementaire en ce domaine. En effet, l’Agence de la biomédecine est en quelque sorte le représentant du « système technicien » qu’évoquait Jacques Ellul il y a trente ans. Elle exerce en tout cas un pouvoir technique. Or, les enjeux sont tels que le contrôle doit être exercé par le Parlement. Dans une démocratie, le technique doit être subordonné au politique.

M. le rapporteur. Je vous remercie. Le panel citoyen des États généraux de la bioéthique à Strasbourg s’est étonné que l’on n’explique jamais dans les campagnes d’information sur le don d’organes ce qu’est le consentement présumé. On invite les citoyens à donner leurs organes, sans expliquer les conditions exactes prévues dans la loi. Cette information tronquée ne peut en effet que nourrir les inquiétudes. Seuls deux membres du panel connaissaient avant leur formation le régime du consentement présumé.

Vous souhaiteriez, vous, qu’on s’oriente vers un dispositif plus transparent de donneurs volontaires. J’y vois toutefois deux inconvénients. Le premier est que la personne qui exprimerait son refus de donner ses organes s’exclurait d’un certain champ de solidarité et il est à craindre que les équipes soignantes, sans lui être ouvertement hostiles, ne le lui reprochent, dès lors qu’elles liraient sur sa carte Vitale qu’elle est opposée au don. Refuser d’être donneur pourrait signifier en filigrane que l’on ne souhaite pas être receveur, en tout cas cela pourrait être interprété ainsi. On nous dit aussi que le passage à un régime de consentement explicite aggraverait encore la pénurie de greffons.

J’ai bien compris vos réticences concernant les prélèvements à cœur arrêté et les ruptures que vous avez soulignées dans le continuum de soins apportés au patient puis au corps. Mais que proposez-vous vraiment ? Souhaitez-vous simplement qu’on communique différemment sur ces prélèvements ou qu’on y renonce carrément ?

Enfin, que pensez-vous d’une éventuelle autorisation des prélèvements sur les patients de la classe III de Maastricht ? Cette autorisation devrait-elle valoir dans tous les cas ou être seulement accordée en fonction des situations ?

M. Jean-Michel Boles. Vous avez raison, il pourrait être dangereux que nos concitoyens fassent inscrire sur leur carte Vitale leur refus de donner leurs organes. Ils pourraient en revanche y faire clairement mentionner qu’ils sont d’accord. Le système actuel, dans lequel on ne peut officiellement exprimer que son refus, explique sans doute que seules 70 000 personnes se sont inscrites sur le registre national.

Le régime du consentement présumé prévaut en Espagne, au Portugal, en Belgique, en Hongrie, en Suède, en Italie et en France, alors que celui du consentement explicite prévaut en Allemagne, en Angleterre, aux Pays-Bas, au Danemark, en Suisse, aux Etats-Unis, au Canada et au Japon. Passer au consentement explicite risque-t-il de diminuer le nombre de donneurs ? Il appartiendrait à l’Agence de biomédecine de mener les campagnes d’information adaptées. Ne soyons pas pessimistes. Lorsque l’assurance maladie a décidé qu’il fallait stopper les prescriptions injustifiées d’antibiotiques pour les angines virales, les campagnes d’information ont permis de faire chuter les prescriptions de 30%.

M. le rapporteur. Ce sont les médecins qui prescrivent les antibiotiques…

M. Jean-Michel Boles. Mais ce sont souvent les patients qui les demandent.

M. le rapporteur. Les médecins sont quand même capables de résister à la demande d’une prescription inutile.

M. Jean-Michel Boles. Je ne suis pas certain que cela soit si facile pour les praticiens libéraux ! L’Agence de la biomédecine pourrait parfaitement conduire d’efficaces campagnes d’information sur le don d’organes, comme celle qu’elle mène actuellement pour inviter les citoyens à parler de leur choix à leurs proches. On pourrait sensibiliser les jeunes lors de la Journée d’appel de préparation à la défense…

M. le président Alain Claeys. On en avait parlé, mais cela n’a pas bien fonctionné.

M. le rapporteur. J’avais déposé un amendement à ce sujet, voté à l’unanimité, mais jamais appliqué.

M. Jean-Michel Boles. Je me sentirais très mal à l’aise de défendre devant vous l’interdiction des prélèvements sur donneur à cœur arrêté, car ce ne serait de toute façon pas réaliste. On le fera, ne serait-ce que parce que cela se fait dans d’autres pays avec succès. La pression de la société pour obtenir davantage de greffons est telle qu’on ne pourra pas l’empêcher. Mon véritable souci est de savoir comment rendre la pratique acceptable sur le plan politique, humain et sociétal. La seule façon que j’aie pu imaginer est que l’on passe à un consentement explicite, dont les services d’urgence confrontés à un arrêt cardiaque non récupéré devraient pouvoir trouver rapidement la trace – c’est pourquoi j’ai pensé à la carte Vitale. La question de fond porte sur ce qu’on accepte qu’il soit fait à l’homme.

S’agissant des patients de la classe III de Maastricht, je n’ai pas de réponse tranchée et formelle car, d’une manière générale, les lois ne valent que par ceux qui les appliquent. On peut toutefois se demander si la possibilité de prélever les organes de ces patients n’incitera pas à prendre plus facilement une décision de limitation de traitement chez ceux dont on pense que les organes sont en bon état. Ne nous leurrons pas ! Chacun sait qu’aujourd’hui on admet en réanimation certaines personnes non parce qu’on pense qu’elles peuvent s’en sortir mais parce qu’elles ont une « chance » de tomber en mort encéphalique et que leurs organes pourront être prélevés. Si on reste dans cette logique productiviste, à laquelle tout le système nous pousse, y compris la T2A, chacun cherchera à « produire » le plus possible. J’ai récemment lu un article disant qu’il conviendrait peut-être de prendre des sanctions à l’encontre des hôpitaux qui n’effectuent aucun prélèvement… Je suis quand même plutôt réticent à ce qu’on autorise les prélèvements sur les patients de la classe III de Maastricht, même si je sais qu’ils sont autorisés dans des pays voisins comme l’Angleterre.

M. le rapporteur. Certaines des personnalités que nous avons auditionnées nous ont dit que pour disposer d’un greffon de qualité, il ne fallait pas que la personne meure progressivement. Dans le cas d’arrêt d’un traitement de maintien artificiel en vie, la seule solution serait alors de descendre le patient au bloc opératoire et de hâter sa fin afin d’opérer le prélèvement dans de bonnes conditions. Voyez-vous là un danger réel ou cela vous paraît-il une peur irrationnelle ? Nous avons vu en Belgique des personnes ayant souhaité être euthanasiées l’être dans des conditions permettant le prélèvement de leurs organes, conformément à un souhait qu’elles avaient exprimé antérieurement. Craignez-vous qu’on puisse en arriver en France à une pratique aussi scandaleuse qu’un arrêt de traitement hâté pour obtenir des greffons de meilleure qualité ?

M. Jean-Michel Boles. Je n’ose pas penser que cela soit possible. Auquel cas on aurait déjà changé de société…

M. le rapporteur. Cela se passe en Belgique.

M. Jean-Michel Boles. Nous ne sommes pas obligés de copier tout ce qui se fait à l’étranger ! Je vous donne là mon avis de citoyen. J’en serais profondément choqué et j’espère que la représentation nationale fera tout pour que cela ne puisse pas se produire dans notre pays. Des garde-fous extrêmement stricts devront être mis. Cela étant, dans certains cas d’arrêt de traitement, les patients meurent assez vite. On pratique ainsi des extubations terminales, en accord avec la famille, qui souvent le demande car la mort en ce cas se rapproche d’une mort naturelle. Beaucoup de patients meurent ainsi quelques dizaines de minutes après. Il faudrait des études scientifiques fines pour mesurer l’incidence sur la qualité des organes.

Il y a une autre raison qui milite en faveur du consentement explicite et que je n’ai pas évoquée. On regrette qu’il n’y ait pas davantage de donneurs vivants d’organes en France et on cherche à en augmenter le nombre, pour atteindre un niveau élevé comme celui des Etats-Unis. Dans le cas d’un donneur vivant, il faut bien un consentement explicite. Au nom de quoi la nature du consentement devrait-elle changer après la mort de l’individu ?

M. le rapporteur. Entre les deux, il y a le passage de la vie à la mort ! On imagine mal le consentement présumé pour un donneur vivant…

M. Jean-Michel Boles. Je vous remercie de démontrer qu’il n’y a aucune raison d’empêcher le recueil du consentement explicite de la personne, même pour un prélèvement effectué après sa mort.

M. le rapporteur. A-t-on observé une diminution des greffons dans les pays ayant choisi le consentement explicite ?

M. Jean-Michel Boles. Je ne peux pas répondre pays par pays. Mais aux Etats-Unis, il semble qu’il y ait six fois plus de greffes de cœur et de rein qu’en France pour une population totale qui n’est que cinq fois supérieure à la nôtre. Il n’y a donc pas moins de prélèvements qu’en France, mais il est vrai que l’on y fait davantage de prélèvements sur donneurs vivants.

M. le président. Il me reste, Monsieur, à vous remercier.

Audition de M. Louis PUYBASSET,
praticien au service d’anesthésie-réanimation
de l’hôpital Pitié-Salpêtrière,
président du comité d’éthique de cet hôpital
et président du groupe de réflexion éthique de la Société française d’anesthésie-réanimation,
de M. Laurent JACOB, chef de service adjoint,
et de Mme France ROUSSIN, coordinatrice de dons d’organes
du service d’anesthésie-réanimation chirurgicale
de l’hôpital Saint-Louis



(Procès-verbal de la séance du 30 juin 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. L’audition de cet après-midi est consacrée à la question difficile des prélèvements sur cœur arrêté, dans une double optique médicale et éthique. Pour y voir plus clair, nous avons convié trois praticiens : le professeur Louis Puybasset, professeur des universités et praticien hospitalier (PU-PH) au service d’anesthésie-réanimation de l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière, président du comité d’éthique de cet hôpital et président du groupe de réflexion éthique de la Société française d’anesthésie-réanimation ; le professeur Laurent Jacob, chef de service adjoint du service d’anesthésie-réanimation chirurgicale de l’hôpital Saint-Louis ; Mme France Roussin, coordinatrice de dons d’organes du service d’anesthésie-réanimation chirurgicale de l’hôpital Saint-Louis.

Professeur Puybasset, les familiers de la problématique de l’accompagnement des arrêts de traitement en fin de vie connaissent votre investissement considérable dans ce dossier, qu’a eu à traiter Jean Leonetti. Votre avis, qui fut déterminant dans la réflexion des missions d’information de l'Assemblée nationale sur la fin de vie, nous sera très précieux.

M. Louis Puybasset. Je souhaite vous présenter un panorama des dons d’organes en France et à l’étranger, en abordant successivement les prélèvements en état de mort encéphalique (EME), les prélèvements à cœur arrêté, enfin les donneurs vivants. L’Espagne servira de pays de référence, puisque c’est là que les dons d’organes, en valeur relative, sont les plus nombreux.

Après la mise en place du plan greffe en 2000 par l’Agence de biomédecine, le nombre des patients en EME recensés en France a augmenté de 50 %. Cette évolution a entraîné une augmentation, dans les mêmes proportions, du nombre de patients prélevés.

Nous approchons d’un taux de 50 patients recensés par million d’habitants (pmh), pour une mortalité globale de 8 500 personnes pmh. Nous pourrions nous fixer comme objectif le taux atteint par les Espagnols de 60 patients recensés pmh. De la même manière, nous pourrions passer de 25 à 30 donneurs effectifs pmh, taux similaire à celui qui prévaut en Espagne.

S’agissant des causes du décès chez les patients en EME, la part des traumatismes crâniens recule très sensiblement du fait de la diminution du nombre d’accidents de la route, tandis que celle des accidents vasculaires cérébraux augmente dans les deux pays.

En France, l’âge des donneurs en EME augmente depuis quinze ans : il était de 41 ans en 2000, il sera de 52 ans en 2010. Malgré la diminution du nombre d’accidents de la route, le taux des donneurs de moins de 50 ans est constant, ce qui est le reflet d’un meilleur recensement. Parallèlement, le taux des donneurs âgés de plus de 50 ans et de plus de 65 ans augmente. En Espagne, on observe une légère baisse des donneurs de moins de 45 ans et une augmentation assez importante des donneurs de plus de 60 ans. L’âge moyen des donneurs espagnols est de 54, 2 ans. Il est passé au-dessus de la barre des 50 ans en 2003. L’âge moyen des donneurs français a dépassé 50 ans en 2007, pour atteindre 51,9 ans aujourd’hui.

On observe de grandes disparités régionales : en 2007, le Limousin était la région qui connaissait le plus de dons d’organes – 40 dons pmh – tandis qu’en Auvergne, ce nombre était de 15,7 pmh. Les fluctuations d’une année sur l’autre peuvent être importantes : la Bourgogne est ainsi passée de 27 prélèvements pmh en 2007 à 17,8 en 2008.

Cette grande variabilité géographique existe au-delà des Pyrénées : la moyenne nationale est de 34,2 dons pmh, mais certaines régions dépassent un taux de 45 dons pmh tandis que d’autres plafonnent à 22,6.

En conséquence, la distribution des organes étant régionale, le délai d’accès à la greffe varie selon que l’on habite en Midi-Pyrénées, en Île de France – 29 mois – ou en Poitou-Charentes – 6 mois. Cela tient autant au taux de prélèvements qu’au nombre de malades placés sur liste d’attente, certaines régions ayant tendance à retenir les patients en dialyse. La moyenne nationale est de 16,2 mois.

Les causes de non-prélèvement n’ont guère évolué. On prélève environ 50 % des malades en EME en France. Quant aux 50 % de non-prélèvements, ils sont dus dans 20 % des cas (soit 40 % des non-prélèvements) à une contre-indication médicale, et dans 30 % des cas (donc 60 % des non-prélèvements), à une opposition familiale. Ce dernier taux est moitié moindre en Espagne. On observe une légère augmentation des cas où la famille est en mesure de témoigner de l’opposition du patient et une baisse parallèle des cas où la famille s’oppose sans que l’avis potentiel du défunt soit évoqué.

De nouveau, on observe une grande disparité régionale pour ce qui est du taux d’opposition des familles. En 2007, on dénombrait 37,8 oppositions pour 100 donneurs potentiels en Picardie, et 11,7 oppositions pour 100 donneurs potentiels en Bourgogne. Mais cette dernière région a vu ce taux fortement augmenter en 2008 et dépasser les 37 %, tout comme la Franche-Comté – 23,8 % en 2007 puis 41,1 % en 2008. On peut imaginer, à la source de telles variations, des facteurs personnels, traduisant éventuellement un ressentiment ou une gratitude envers le système de soins, liés à des événements que nous ignorons.

En ce qui concerne l’activité de prélèvement, l’Espagne est le pays qui arrive en tête avec un taux de 29,6 donneurs en EME pmh, suivi par la Belgique – 28,1 –, les États-Unis – 26,6 – et la France – 25,3.

Les États-Unis ont un taux très élevé de donneurs en EME avec beaucoup de consentements explicites, auquel il convient d’ajouter un taux élevé de donneurs vivants – 19,9 – qui s’explique par le fait que les dialyses ne sont pas remboursées : un moment vient où le choix est entre le donneur vivant et la mort ; on peut donc supposer que la pression est plus forte. Les Pays-Bas connaissent également un fort taux de donneurs vivants – 22 – venant compenser un taux beaucoup plus faible de donneurs en EME – 16,9 ; l’Allemagne présente également un taux de donneurs en EME faible – 16 –, tout comme la Grande-Bretagne – 13,2. Outre Manche, le taux de donneurs vivants est néanmoins élevé – 13,4.

On peut donc conclure que, hormis aux États-Unis, moins les donneurs en EME sont nombreux, plus les taux de prélèvements sur donneurs vivants sont élevés. En outre, les pays où prévaut le consentement explicite – Allemagne, Grande-Bretagne, Pays-Bas – sont ceux où le taux de prélèvements sur donneurs en EME est le plus bas. Les Néerlandais tentent d’ailleurs de revenir sur ce système. Notons enfin qu’un taux très élevé de prélèvements sur donneurs vivants – qui ne sont pas sans poser des problèmes éthiques – n’est pas forcément le signe d’une efficience du système.

Pour ce qui est des prélèvements d’organes à cœur arrêté, on distingue cinq classes dites « de Maastricht ». Les classes I et II regroupent les arrêts cardiaques en milieu extra-hospitalier. La classe I désigne les arrêts avec une période de no flow – sans massage cardiaque – laquelle, pour qu’il puisse y avoir prélèvement, doit être inférieure à trente minutes ; la classe II, les arrêts avec un massage cardiaque débuté dans la première minute. La classe III regroupe les arrêts cardiaques consécutifs à une limitation des soins, la classe IV les arrêts cardiaques chez un patient en EME et la classe V les arrêts cardiaques en milieu hospitalier.

Certains pays européens interdisent les prélèvements d’organes à cœur arrêté : il s’agit du Portugal et de la Hongrie et, pour des raisons historiques, de l’Allemagne et de l’Autriche. La France et l’Espagne les ont récemment autorisés, mais uniquement sur les patients des classes I et II. Sur la côte Est des États-Unis et en Grande Bretagne, les prélèvements sur les donneurs des classes I et II, en l’absence de SAMU, ne se font pas ; les prélèvements sur les patients de classe III, encadrés par d’importants garde-fous éthiques, sont privilégiés. Aux Pays-Bas, les prélèvements sur les patients de classe III sont, selon toute vraisemblance, précédés d’une accélération du processus de mort. Enfin, en Belgique, les prélèvements sur classe III sont autorisés, ainsi que ceux pratiqués sur les personnes euthanasiées.

L’une des spécificités du système français de prélèvement à cœur arrêté est qu’il est national. Les docteurs Corinne Antoine et Alain Tenaillon ont établi un protocole, appliqué par l’ensemble des centres de prélèvement français. On compte 45 équipes de transplantation rénale, dont 9 en service pédiatrique, réparties de manière inégale sur le territoire. Dix centres – à Lille, Angers, Lyon, Strasbourg et Paris – pratiquent le prélèvement sur cœur arrêté.

Deux cents donneurs à cœur arrêté ont été recensés en France depuis deux ans : 86 ont été prélevés, 98 reins ont été greffés. Ce taux – un greffon pour deux donneurs – est inférieur à celui obtenu sur les patients en EME – deux greffons pour un donneur. Mais une étude de l’hôpital San Carlos de Madrid montre qu’avec un système de prélèvement régional correctement organisé, le taux de survie des reins prélevés sur cœur arrêté – provenant de donneurs jeunes – est supérieur à celui des reins de patients en EME âgés de plus de 60 ans. Le même hôpital a considérablement augmenté son activité de prélèvements sur cœur arrêté depuis 2000, passant de 50 prélèvements en 2000 à 90 en 2002 puis à 110 en 2004, le nombre de prélèvements sur patients en EME passant de 80 à 60 sur la même période.

S’agissant des donneurs de classe III, une sorte de moratoire prévaut actuellement. Le décret du 2 août 2005 relatif aux conditions de prélèvement des organes, des tissus et des cellules n’exclut pas ces donneurs, mais le rapport de l’Agence de la biomédecine sur l’application de la loi de 2004 indique que « les personnes décédées à l’hôpital après une décision d’arrêt des traitements sont exclues du protocole de prélèvement sur donneur décédé après arrêt cardiaque. Une évolution vers cette catégorie de personnes décédées n’est pas envisagée à court terme, d’autant qu’une réflexion est en cours dans notre pays sur la fin de vie. » Il est fait référence à la loi du 22 avril 2005 sur la fin de vie et à ses décrets d’application.

En Belgique, les prélèvements sur patients de classe III représentent 84 % des prélèvements à cœur arrêté, la part de ces derniers dans l’ensemble des greffes étant de 11 %. Aux Pays-Bas, où le consentement explicite entraîne un faible taux de prélèvements sur patients en EME, la part des prélèvements sur cœur arrêté est de 45 %, 93 % étant pratiqués sur des patients de classe III. En Angleterre, la part des « Non heart beating donors » est de 19 %, 82 % d’entre eux appartenant à la classe III. Alors que les Espagnols et les Hollandais présentent un nombre quasi identique de prélèvements sur cœur arrêté, les premiers prélèvent uniquement sur des patients de classe II, les seconds presque exclusivement sur des patients de classe III.

Aux États-Unis, on observe une partition Est/Ouest. Le New England Organ Bank, à l’Est, couvre une population d’environ 11 millions d’habitants. Ces quatre dernières années, 1450 patients en EME ont été recensés et, parmi eux, 752 donneurs dénombrés. On compte également 218 donneurs à cœur arrêté de classe III de Maastricht. L’âge moyen des donneurs est de 43 ans. On note que 110 prélèvements ont échoué en raison d’un temps trop long entre l’extubation et l’asystolie. Le délai moyen entre l’accident causal et l’extubation est de 4,5 jours ; pour 50 cas, il a été inférieur à 2 jours et pour 50 autres cas, supérieur à 6 jours. Ce temps paraît court, l’étiologie laissant apparaître 29 % d’anoxies cérébrales, 35 % de traumatismes crâniens, 29 % d’accidents vasculaires cérébraux. Le fait que les décisions soient prises aussi rapidement semble dû au système américain de remboursement des soins. Enfin, 25 % des reins proviennent d’un donneur de classe III, alors que la moyenne nationale s’établit autour de 10 %.

En Californie, une étude du Catholic Healthcare West, par Carol Bayley, parle de « Camel’s nose under the tent ». Elle souligne en effet les dérives potentielles d’une telle pratique – 35 000 personnes se trouvent en état végétatif et deux tiers des neurologues approuveraient un prélèvement sur ces patients – et les problèmes éthiques qui pourraient surgir : dons consécutifs à un suicide assisté ou dons provenant de patients tétraplégiques C1-C2 réclamant un arrêt de soins. Elle pointe le fait que si les prélèvements sur patients de classe III venaient à être autorisés, le consensus qui a été trouvé, non sans peine, autour de l’arrêt des soins pourrait s’écrouler et le taux de refus global augmenter. Pour l’auteur, il est préférable de s’en tenir à l’interdiction actuelle et d’augmenter parallèlement les prélèvements sur patients en EME. Elle conclut ainsi: « Some things take time. Birth takes time ; death takes time. »

La question des prélèvements sur patients végétatifs est débattue depuis de nombreuses années, comme en témoigne l’article paru dans The Lancet en 1997 intitulé « Should organs from patients in permanent vegetative state be used for transplantation ? ». Si l’article conclut par l’affirmative, un lecteur apporte la contradiction en ces termes : « en tant que neurochirurgien retraité, et avec une certaine expérience de ces patients, je pense qu’il n’y a pas matière à discuter. Cette proposition est impensable ». Telle est la réaction de ceux qui soignent ces malades au quotidien.

Comment ne pas s’interroger sur certains paradoxes, comme celui que relève incidemment un article du New England Journal of Medicine, paru en août 2008, rapportant la transplantation réussie de cœurs prélevés sur trois nouveaux-nés en anoxie cérébrale, morts – comme le veut la « dead donor rule » – 18 minutes après leur extubation, sous couvert d’un sédation profonde ? Le bébé meurt d’un arrêt cardiaque ; on prélève son cœur… et ce cœur repart. Comment justifier cela au niveau éthique ?

L’un des problèmes aux États-Unis, c’est que chaque hôpital définit sa politique. En France, il nous faut absolument un système national centralisé. Dans l’American Journal of Transplantation, des chercheurs de l’université de Pittsburgh ont défini des critères permettant de mesurer la probabilité d’un arrêt du cœur dans l’heure suivant l’arrêt des soins. Mais ces critères s’appliquent à 8 % seulement des 95 patients considérés comme donneurs « désirables » – âgés de moins de 60 ans, sans insuffisance rénale, ni sepsis évolutif. En conséquence, on peut estimer que seuls 2,5 % des 505 arrêts de soins dénombrés peuvent déboucher sur un prélèvement. Ouvrir la possibilité de prélèvement sur des personnes en Maastricht III n’apporterait donc qu’un très petit nombre de donneurs supplémentaires.

Les Belges, eux, vont jusqu’au bout de la logique du prélèvement sur donneur de classe III. Pour que le temps d’ischémie chaude soit le plus court possible, ils autorisent, à la différence des Américains, l’administration de curare, qui entraîne un arrêt du cœur dans les cinq minutes. Ceci est supposé se justifier dans les cas où aucune autre issue que la mort n’apparaît possible. Mais dans le cas des cérébrolésés ce n’est pas vrai : il y a simplement un état végétatif et pauci-relationnel.

Seuls la Belgique et les Pays-Bas pratiquent le prélèvement sur les patients euthanasiés – ce que j’appelle « la classe 0 de Maastricht ». Cette pratique s’appuie sur le principe d’une parfaite autonomie du malade, impliquant une dissociation, hautement discutable, entre le corps et l’esprit, le patient étant jugé capable de décider de son euthanasie, suivie du prélèvement d’organes, quel que soit son état – alors qu’il s’agit de personnes souffrant de désordres neuromusculaires, de locked-in syndrom ou de sclérose en plaques dans les quatre cas belges rapportés au congrès de Bruxelles en mai 2008. Le potentiel de prélèvements sur la classe 0 est en réalité très faible puisque la majeure partie des euthanasies concerne des personnes cancéreuses, sur lesquelles il n’est pas possible de prélever d’organes. Les 16 dons potentiels dénombrés en Belgique en 2005 valent-ils que l’on change les règles de la médecine ?

Pour ce qui est des donneurs vivants, leur part dans l’ensemble des prélèvements est très faible en France – 8,1 %. Elle est de 20 % en Allemagne et de 15 % en Autriche. En revanche, ces pays connaissent de faibles taux de prélèvements sur donneurs en EME.

Enfin, 10 % des organes proviennent du tourisme de la transplantation, les personnes greffées recevant à leur retour en France un traitement immunodépresseur. Une navigation sur Internet permet de se faire une idée des prix : en Chine, une transplantation rénale vaut 70 000 dollars, une transplantation hépatique 120 000 dollars ; en Philippine, le site « liver4you » propose le rein d’un donneur vivant pour 85 000 dollars, celui d’un cadavre pour 35 000 dollars.

Quels objectifs pouvons-nous nous fixer ? Pour ce qui est des prélèvements sur donneurs en EME, un maillage du territoire plus régulier pourrait être mis en place par les agences régionales de santé (ARS), dans le cadre des nouvelles compétences que leur confère la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST). Un taux de recensement de 60 donneurs par million d’habitants, identique à celui qui existe en Espagne, pourrait être atteint, le taux de donneurs effectifs passant à 30 par million d’habitants. Parallèlement, le taux de refus pourrait être réduit de 30 à 20 % des donneurs.

Par ailleurs, les délais et les critères d’inscription sur liste d’attente des insuffisants rénaux doivent être harmonisés, certaines régions pratiquant le « surbooking », d’autres faisant de la rétention de malades en dialyse. Cette dernière activité étant considérée comme plus lucrative, la tarification à l’activité (T2A) doit être révisée afin que les forfaits dialyse et les forfaits greffes soient plus cohérents.

Ces efforts combinés permettraient d’obtenir 1 245 greffons transplantables, en sus des 3 000 aujourd’hui disponibles. Le prélèvement sur personnes en EME est le plus « rentable » : il permet d’obtenir deux greffons, il ne pose pas de problèmes éthiques majeurs et sa pratique, après de nombreuses années de communication auprès du grand public, est entrée dans les mœurs.

S’agissant des prélèvements sur cœur arrêté sur patients de classes I et II, 15 centres, pratiquant la circulation régionale monothermique, pourraient être ouverts. En 2009, 20 % des reins greffés à Saint-Louis et à La Pitié Salpêtrière provenaient de patients de classe I et II. Cela pourrait devenir un objectif national à l’horizon 2010, avant d’atteindre, à terme, 40 % des prélèvements (le taux est de 65 % à Madrid). La communication au grand public doit être impérativement améliorée, et la coordination entre les centres renforcée. Au regard des engagements financiers que cela suppose, l’investissement est moins rentable que pour les prélèvements sur donneurs en EME puisque cela permettra d’obtenir « seulement » 600 greffons supplémentaires.

La part des donneurs vivants pourrait passer de 7 à 20 % des greffes de reins, ce qui paraît un objectif raisonnable : 621 greffons supplémentaires seraient ainsi obtenus. Je suis par ailleurs favorable à l’élargissement du cercle aux relations affectives et amicales et à l’autorisation des dons croisés anonymes.

Enfin, les machines de perfusion modernes permettent de récupérer un nombre indéterminé de reins limites prélevés sur personnes en EME.

En additionnant l’ensemble de ces efforts, et en intégrant un taux d’échec de 30 %, on peut escompter 4 663 greffes en 2014, soit une augmentation de 60 % en cinq ans. Cela suppose un maillage territorial homogène et resserré et un investissement financier important. Mais cela n’implique pas de rompre les règles éthiques de la médecine et de pratiquer des prélèvements sur donneurs de classe III. Commençons par bien faire les prélèvements sur personnes en EME et les Maastricht I et II, ce qui sera déjà un énorme travail, avant d’envisager ce saut, qui d’ailleurs ne procurerait que quelque 600 greffons par an…

S’il fallait toutefois en venir à envisager une telle procédure, il faudrait veiller à ce qu’elle soit nationale, transparente, sécurisée au plan médico-judiciaire et régie par un décret en Conseil d’État. Il conviendrait que le délai entre l’intubation pour détresse neurologique et la procédure soit inférieur à 7 jours, afin d’éviter les reports de décisions. Les donneurs concernés seraient uniquement ceux présentant l’une des conditions médicales suivantes : anoxies cérébrales sans N20, traumatisme crânien avec contusions bilatérales du tronc cérébral, hématome du tronc cérébral ou hématome profond avec destruction d’un thalamus et hémorragie intra-ventriculaire massive. L’accord de la famille serait demandé avant l’extubation. Un certificat affirmant la haute probabilité d’un mauvais pronostic neurologique signé par un médecin réanimateur neurologue serait requis. La procédure serait centralisée à l’Agence de la biomédecine, qui tiendrait des registres, et l’évaluation réalisée par un comité d’experts indépendants. Il faut des garde-fous solides, nationaux, avec des procédures fortes de contrôle.

M. Laurent Jacob. Je m’occupe d’activités de réanimation, de prélèvements et de transplantations depuis 1983 à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, où j’ai précédé Louis Puybasset, et depuis 1985 à l’hôpital Saint-Louis. Dans tous les centres de prélèvements et de transplantations, nous sommes mobilisés et concernés par les problèmes de réglementation, mais aussi les problèmes éthiques, d’équité et de respect des droits des personnes.

Saint-Louis est depuis 2007 un des dix centres pilotes qui ont développé l’activité de prélèvements d’organes sur donneurs décédés après arrêt cardiaque.

On constate aujourd’hui un manque d’organes à transplanter au regard de la demande. En 2008 en France, 13 700 personnes étaient sur liste d’attente. Ce nombre augmente régulièrement, de 5 à 7 % par an, en tout cas pour la transplantation rénale. Ainsi, 6 000 patients restent inscrits en attente d’une greffe de rein au 1er janvier de chaque année. Si l’on y ajoute les 3 000 personnes transplantées, 9 000 personnes par an passent dans le registre de la transplantation. On le voit, l’offre d’organes n’égalera jamais la demande. Pour essayer de l’accroître, on a développé les donneurs vivants, mais ils représentent une proportion très limitée des 2 000 reins transplantés.

La transplantation représente, que l’on considère l’espérance de vie des transplantés ou son coût pour l’assurance maladie comparé à celui de la dialyse, une économie considérable.

Entre 2000 et 2007, les services de réanimation et d’urgence ont accru de façon considérable le recensement des patients en état de mort encéphalique. Le nombre de patients prélevés a aussi augmenté, mais ils représentent toujours à peu près la moitié des patients recensés : 51 % en 2007. Le non-prélèvement sur les 49 % restants est dû à des oppositions familiales et juridiques pour 28 %, à des obstacles médicaux pour 10 %, aux antécédents du donneur pour 10 %, enfin à des obstacles techniques liés aux conditions de prélèvement pour 1 % des patients.

Pourquoi élargir le don et le prélèvement d’organes, en vue de transplantation, aux patients décédés d’arrêt cardio-circulatoire réfractaire (ACR) ? Tout d’abord, parce que c’est efficace. Malgré les conditions extrêmement brutales de l’arrêt circulatoire et celles de la perfusion et de la préservation des tissus, la transplantation de reins provenant de donneurs à cœur non battant donne les mêmes résultats que celle de reins provenant de patients en état de mort encéphalique. En Espagne, les greffons rénaux viennent principalement de patients en état d’arrêt cardiaque. En outre, le taux de refus familial dans ce pays n’est que de 7 % grâce à une action très volontariste des autorités et des équipes médicales espagnoles pour obtenir le consentement des familles.

En 2005, à la suite des recommandations d’un certain nombre d’experts, nous avons eu l’autorisation, sous le contrôle de l’Agence de la biomédecine, de mettre en place l’activité de prélèvement sur personnes décédées présentant un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, pour le rein et pour le foie. Jean-Michel Boles s’est interrogé sur le foie ; en fait, l’activité n’a pas commencé pour des raisons techniques et de validation de la procédure. Les conditions techniques pour le foie sont beaucoup plus aléatoires et difficiles, car il faut mettre en place une circulation extracorporelle normotherme pour avoir des greffons de bonne qualité. Compte tenu de cette contrainte technique, nous avons procédé par étapes, en commençant par le rein, la procédure étant validée depuis 2007 ; nous poursuivrons avec le foie dans le courant de 2009.

Conformément au protocole de l’Agence de la biomédecine, nous nous adressons à des patients présentant un arrêt cardiaque non contrôlé, non prévu, survenant en dehors de l’hôpital ou aux urgences de l’hôpital, soit en l’absence des secours, soit en présence de secours qualifiés pour débuter instantanément la réanimation cardiorespiratoire. Ce sont là les catégories I et II du classement de Maastricht : elles correspondent à des patients qui, en termes de résultats et de contexte, diffèrent complètement de ceux dont l’arrêt cardiaque a été provoqué par un arrêt de soins, ceux de la classe Maastricht III sur lesquels je pourrai revenir.

Les critères de sélection du donneur reprennent des critères de viabilité et de protection des receveurs vis-à-vis du risque viral, mais aussi des pathologies associées du donneur, en particulier le cancer, les sepsis graves et les maladies rénales. Le délai qui nous est donné pour réaliser les prélèvements pose de réels problèmes pour rechercher finement si les patients sont porteurs d’un cancer ; cependant, les donneurs ont entre dix-huit et cinquante-cinq ans, et les cancers les plus répandus – côlon et poumon – sont beaucoup plus fréquents après cinquante-cinq ans.

La certification du décès a posé beaucoup de problèmes, en particulier dans le cadre de l’arrêt thérapeutique. Aujourd’hui, je vous parle des arrêts cardiaques réfractaires pour lesquels les manœuvres de réanimation cardiorespiratoire d’au moins trente minutes conduites par les équipes médicalisées ont échoué et ont conduit au diagnostic de décès du patient potentiel. Je précise, en réponse à la question de Jean-Michel Boles, que les équipes de secours préhospitalier n’ont pas voulu prendre la responsabilité de décider le test d’arrêt de la réanimation pendant cinq minutes : c’est à l’arrivée à l’hôpital que sont réalisés le diagnostic et la certification du décès, sur le constat de l’arrêt circulatoire total et contrôlé de cinq minutes.

Les autres critères sont classiques : les patients sont déclarés décédés parce qu’ils n’ont pas d’activité cardiaque, pas d’activité respiratoire et pas d’activité neurologique.

Pour résumer, le patient fait son arrêt cardiaque, et il doit le faire en présence d’un témoin pour permettre aux équipes d’avoir le début du compte à rebours. La réanimation cardiorespiratoire doit débuter dans les trente minutes. Elle dure au minimum trente minutes – la société des urgentistes et les SAMU réclamant que cette durée soit incompressible –, mais peut être plus longue en fonction de la conviction des équipes de secouristes. Au terme de ces trente minutes, on considère que la réanimation est un échec, et le patient est transporté vers un centre agréé par l’Agence de la biomédecine.

À l’arrivée au centre, on procède à un arrêt de la réanimation, un arrêt du massage cardiaque et un enregistrement de l’électrocardiogramme durant cinq minutes confirmant l’absence totale d’activité hémodynamique, respiratoire et neurologique. À ce moment-là, on reprend l’activité de massage et de ventilation assistée pour mettre en place dans un délai de 150 minutes la technique de préservation, soit par la mise en place d’une sonde de Gillot perfusant les reins, soit par la mise en place d’une circulation extracorporelle (CEC).

Avant cette mise en place, nous nous efforçons d’interroger la famille lorsqu’elle est présente ou, lorsque le délai le permet, de consulter le registre national des refus pour savoir si le patient avait fait part de son refus du don d’organes et, si c’est le cas, on suspend la procédure. Nous avons été amenés à le faire plusieurs fois sur information des familles.

Ensuite, nous avons un délai de 180 minutes avec la sonde de Gillot, ou de 240 minutes avec la CEC, pour procéder au prélèvement. Enfin, nous avons dix-huit heures pour réaliser en urgence la transplantation rénale.

France Roussin vous parlera de l’entretien avec les proches. Il est clair que l’arrêt cardiaque est vécu autrement que l’état de mort encéphalique, car les proches ont généralement assisté à l’arrêt circulatoire et aux tentatives de réanimation par les équipes de secours ; la gravité de la situation ne leur a pas échappé et l’annonce du décès est donc mieux comprise.

Les équipes du SAMU se sont beaucoup interrogées sur la nature de l’information à donner aux familles lorsqu’elles sont présentes sur le terrain. De plus en plus de patients nous sont transférés après l’annonce à la famille du décès vraisemblable du patient et de l’échec de la réanimation, mais aussi du transfert du patient vers un centre où pourrait être envisagé un prélèvement d’organe – et non pas une réanimation éventuelle, pour ne pas faire durer un vain espoir pour la famille.

Notons enfin que le patient en état de mort encéphalique a un cœur qui bat, avec un électrocardiogramme en marche et une machine respiratoire en route : il faut un certain niveau d’abstraction pour reconnaître la réalité du décès. En revanche, le patient qui n’a plus de ventilation artificielle, ni d’activité cardiaque apparaît de façon plus intelligible comme étant décédé.

Des précautions sont prises pour protéger et informer les receveurs, mais aussi pour éviter qu’ils soient pénalisés : en acceptant d’être sur la liste des receveurs de greffons de patients en arrêt cardiaque, ils ne doivent pas voir diminuer leurs chances d’obtenir un greffon provenant d’un patient en EME ; risque qui pourrait naître du manque d’organes, des délais d’attente et des possibilités limitées d’accès à la transplantation rénale, des milliers de patients étant sur liste d’attente.

Quel est le bilan de l’activité de Saint-Louis de février 2007 à juin 2009 ?

Concernant les prélèvements de reins à cœur arrêté, nous avons eu 189 propositions – c’est dire que nous sommes très majoritaires sur l’activité en France –, et 89 acceptations (j’entends de patients transférés chez nous : je vous expliquerai pourquoi certains ne l’ont pas été), soit un pourcentage d’acceptation de 42 % pour les trois périodes cumulées, 2007, 2008 et 2009. Au début, nous acceptions tous les patients qu’on nous proposait ; nous sommes plus sélectifs aujourd’hui, ayant identifié des facteurs qui font avorter la procédure.

Les donneurs canulés sont au nombre de 85. En 2009, sur les 18 patients décédés acceptés, 18 ont été transférés à Saint-Louis et canulés – ils étaient 30 sur 31 en 2008 –, soit un taux de réussite de la procédure de préservation proche de 100 %.

Le nombre des donneurs prélevés est de 40, soit 47 % du total des patients transférés à Saint-Louis. Notre taux de réussite de prélèvement s’est amélioré sur la période 2009 pour s’établir, après une période d’apprentissage et de sélection des éventuels candidats, à 61 %.

Le nombre des patients transplantés est de 48. Pour 2009, sur 11 donneurs prélevés, 14 patients ont été transplantés, puisque les conditions techniques font qu’on ne peut pas, dans un délai de dix-huit heures, réaliser facilement la transplantation des deux reins in situ. Lorsqu’on prélève les deux reins, l’un d’eux est transplanté à Saint-Louis, le deuxième rein étant transporté pour être transplanté dans un centre agréé qui gère des listes de receveurs acceptant des reins de ce type, à la Pitié-Salpêtrière, au Kremlin-Bicêtre, voire dans d’autres régions sanitaires que l’Île-de-France.

La proportion de patients transplantés à partir de reins prélevés à cœur arrêté est passée de 15 % en 2007, à 8 % en 2008, puis à 20 % en 2009. Cette augmentation ouvre des perspectives pour les patients en liste d’attente.

L’étiologie des arrêt cardiaques des patients montre, toujours de février 2007 à juin 2009, 22 % de traumatisés crâniens avec hémorragie importante, 31 % pour lesquels une forte présomption ou un contrôle autopsique évoque une cause cardiaque – infarctus du myocarde –, 9 % d’accidents vasculaire cérébraux, 4,7 % de dissections de l’aorte, 11 % de causes diverses (pendaisons, fausse route, pancréatite…) et 20,6 % de causes inconnues  – il s’agit de cas où rien, dans les circonstances entourant l’arrêt cardiaque, n’en indique le mécanisme.

Nous avons fait à peu près une dizaine d’autopsies. Dans 50 % des cas, l’explication de l’arrêt circulatoire par la nécrose myocardique ou par l’accident vasculaire cérébral a été confirmée. Dans les autres cas, l’autopsie ne permet pas de conclure, d’autant qu’elle survient après des heures de massage cardiaque et de réanimation et que les lésions tissulaires peuvent être en rapport avec cette dernière.

Toujours sur la même période, 86 % des patients qui ont été transférés à l’hôpital Saint-Louis ont fait un arrêt cardiaque de type Maastricht I, c’est-à-dire sans présence de secours sur place, la réanimation ayant débuté dans un délai compris entre dix et dix-huit minutes. Et 14 % des patients ont fait un arrêt cardiaque de classe Maastricht II, c’est-à-dire en présence des secours. On le voit : les victimes d’un arrêt cardiaque sur la voie publique ont, dans la majorité des cas, une période d’arrêt circulatoire trop prolongée pour envisager un projet thérapeutique neurologique ou cardiologique qui permettrait éventuellement, malgré le caractère réfractaire de l’arrêt cardiaque, d’espérer les sauver.

Les lieux de l’arrêt cardiaque réfractaire (ACR) sont le domicile dans 52 % des cas, la rue pour 30 %, le lieu de travail dans 16 % des cas et l’hôpital pour 1,6 %.

Avant le transfert à l’hôpital, sur 122 appels pour ACR, 59 patients ont été exclus de la procédure pour diverses raisons : refus de la famille sur le site pour quatre d’entre eux, absence de témoin empêchant de connaître la date de l’arrêt circulatoire, problèmes logistiques, problèmes d’antécédents identifiés en interrogeant la famille. Sur les 63 patients admis, 7 ont été exclus en raison soit du contexte médico-légal (le procureur ayant opposé un refus dans un cas d’homicide), soit parce qu’ils étaient arrivés hors protocole, ou encore parce qu’ils étaient trop âgés – on a appris leur état civil a posteriori. Sur les 56 patients canulés, 29 ont été exclus, là encore pour des problèmes de refus familial dans 15 cas. Au total, les familles ont donc refusé leur consentement au prélèvement dans un tiers des cas.

Je précise (qu’il s’agisse de mort encéphalique ou d’arrêt cardiaque) que nous ne nous contentons pas de demander si le patient s’est officiellement opposé au prélèvement. Nous souhaitons que les familles expriment leur sensibilité et leur sentiment ; lorsqu’elles disent que le patient n’en avait jamais parlé, mais qu’elles pensent qu’il n’aurait pas souhaité subir un prélèvement d’organe, nous arrêtons les procédures. De même, lorsque les familles expriment le souhait qu’il ne soit pas procédé au prélèvement de certains tissus, nous le respectons systématiquement.

Au total, 27 patients ont été prélevés, soit 54 reins, dont 31 ont été transplantés. Les autres n’ont pas pu l’être faute de viabilité ou en raison de mauvaises conditions liées aux machines à perfuser. Après six mois, 28 reins sur 31 sont fonctionnels. Un des receveurs a arrêté spontanément son traitement, et le rein a été rejeté dans les jours qui ont suivi.

Au vu de ces deux ans et demi de pratique, certaines de nos questions rejoignent celles des deux précédents orateurs. Elles concernent d’abord la transparence et la sincérité de l’information donnée sur place aux proches. Les SAMU savent exprimer avec sincérité la gravité du pronostic – que les familles peuvent effectivement constater –, mais il faut être clair aussi sur le but du transfert vers un centre de prélèvement, qui n’est pas de sauver le patient, mais de le mettre en condition pour procéder éventuellement à un prélèvement d’organe.

Ensuite, les critères de définition de l’irréversibilité de l’arrêt circulatoire et des conditions de certification du décès ont posé énormément de questions aux équipes préhospitalières et hospitalières. Qu’est-ce qu’une personne décédée, à quel moment l’est-elle ? Dans le cas des Maastricht I et II, on a clairement affaire à des patients qui ont connu des délais extrêmement longs de no flow ou de bas débit de perfusion des organes, mais le problème devient très compliqué lorsqu’on aborde le Maastricht III.

Jean-Michel Boles a soulevé la question de la mise en place des dispositifs de préservation des organes, qui doit être faite avant le recueil du consentement. Mais ce dispositif nous donne le temps de demander aux familles si le patient aurait été consentant. Cette intrusion dans le corps du donneur avant qu'on ait connaissance de son choix peut donc être regardée comme une condition de préservation, une modalité conservatoire pour se donner le temps de consulter la famille.

Sur la question de l’accessibilité de la CEC de sauvetage, je vous renvoie à l’audition du professeur Riou.

Enfin, dire que le prélèvement d’organes est une priorité de santé publique nationale implique trois choses. Premièrement, il faut prévoir la logistique permettant notamment d’éliminer toute « interférence » entre cette activité et les urgences chirurgicales de l’hôpital ; sur le terrain, des problèmes se posent parfois à ce niveau. Deuxièmement, la disponibilité des équipes chirurgicales est aussi un problème crucial pour conduire ce programme qui coûte cher. Si les urologues sont partis prélever des reins à Marseille, ils ne sont pas à la disposition de l’hôpital pour y prélever des reins dans le délai imparti de quelques minutes, ce qui peut entraîner des échecs de procédures. Troisièmement, une information large du public doit aider à la compréhension à toutes les étapes de la procédure.

En conclusion, cette activité est en pleine croissance. Elle est une réponse potentielle à la pénurie de greffons, compte tenu de l’épidémiologie des arrêts cardiaques réfractaires sur la voie publique. Pour l’instant, elle ne concerne que les Maastricht I et II ; je laisse de côté les arrêts cardiaques survenus en état de mort encéphalique. Je pense que, dans l’état actuel des choses, la consolidation de cette activité doit maintenir sa focalisation sur les Maastricht I et II, afin d’éviter que l’acceptation et l’application de la loi sur la limitation de soins soit affectée par les dispositions sur les prélèvements d’organes. Des prélèvements de foie seront bientôt réalisés par différents centres. Enfin, cette activité est pluridisciplinaire : les coordonnatrices, les équipes chirurgicales, les équipes de réanimation jouent toutes un rôle très important, sans oublier la mobilisation considérable des secours préhospitaliers.

Mme France Roussin. Je voudrais insister sur deux critères : l’information du grand public, d’une part, la prise en charge et l’entretien avec les proches, d’autre part.

Il est fondamental que l’information passe et repasse, et l’Agence de la biomédecine a tout un travail à faire en la matière. Naguère des fascicules étaient à disposition dans les pharmacies et chez les médecins, mais ils ont disparu des premières, ce qui est regrettable : ils devraient être distribués largement pour que les gens puissent s’informer et, éventuellement, se positionner.

Là est en effet le vrai problème. Il faut que les gens arrivent à en parler beaucoup plus facilement avec leurs proches, avec plus de transparence, et que les proches puissent nous rapporter la position du défunt – qu’il ait été pour ou contre, toutes les positions étant respectables. Il est important de respecter le défunt ; en aucun cas il n’appartient aux proches de prendre la décision.

Nous sommes tous parties prenantes dans ce travail : nous aussi avons à faire un travail d’information et de formation de l’ensemble du personnel qui participe à ces activités au sein de nos différents hôpitaux.

À Saint-Louis, je m’occupe de l’activité de prélèvement depuis douze ans et de l’activité de prélèvement à cœur arrêté depuis deux ans et demi, puisque nous l’avons mise en place en 2007 après un an et demi à deux ans de préparation. Nous avons eu en effet de nombreuses réunions d’information et de formation avec l’ensemble des personnels concernés, ce qui est essentiel car ce type de procédure a une répercussion très brutale sur le personnel : il faut pouvoir en parler, s’exprimer, éventuellement faire des débriefings.

Pour ce qui est de l’entretien avec les proches et les familles que je reçois avec les médecins réanimateurs, à Saint-Louis ou ailleurs (je réalise des entretiens dans d’autres sites concernant des donneurs en état de mort encéphalique), je constate une nette évolution. Les gens ont entendu parler du don d’organe et, depuis douze ans, j’observe que les familles arrivent beaucoup plus facilement à nous rapporter la position du défunt. Quand celui-ci n’a pas pris position, dans le doute, les proches s’abstiennent et ne veulent pas prendre de décision en faveur d’un prélèvement d’organe.

L’annonce du décès des donneurs décédés par arrêt cardiaque est en effet plus facile, comme l’a dit Laurent Jacob, car dans l’esprit du public, c’est ainsi que normalement l’on meurt. Lorsque les proches ont assisté aux manœuvres de réanimation à domicile (c’est le cas pour 60 à 70 % des donneurs décédés après arrêt cardiaque transférés à Saint-Louis), la situation est assez claire et il n’y a aucun doute sur le fait que tout a été fait pour tenter de sauver la personne.

Lorsque le transfert peut se faire vers un site autorisé à procéder à ce type de prélèvement, il faut une transparence parfaite de l’information donnée aux proches lors de cette prise en charge, afin qu’il n’y ait aucune équivoque. Jusqu'à présent, en effet, ces patients étaient réanimés pendant trente minutes, voire plus, mais laissés sur place à domicile ou dans la rue, les services de l’état civil étaient appelés et il n’y avait pas de transfert à l’hôpital par les équipes du SAMU. Aujourd’hui, cette activité a donc considérablement modifié les pratiques et un peu bouleversé toutes les équipes préhospitalières qui se sont interrogées sur leur rôle et sur ce qu’elles devaient dire aux familles.

Un groupe de travail à l’Agence de la biomédecine, dont je fais partie, réfléchit à ce qu’il faut dire aux proches et devrait émettre des recommandations en vue de simplifier leur prise en charge extrahospitalière.

Je pense que si les proches ont assisté aux manœuvres de réanimation, il est assez simple de leur expliquer en toute transparence que le défunt va être transféré vers un site où il y a une possibilité de prélèvement.

Pour finir, les équipes extrahospitalières se sont interrogées, elles aussi, sur l’explication à donner aux proches, et un groupe de travail a abouti à des recommandations formulées en 2006 par SAMU de France et la Société française de médecine d’urgence (SFMU). Les choses ont évolué et je pense qu’aujourd’hui l’information est totalement transparente ; on peut expliquer les choses très simplement et complètement, y compris la possibilité d’un éventuel don une fois arrivé à l’hôpital.

M. le président. Concernant les donneurs vivants, pourrions-nous avoir des informations supplémentaires sur le problème de l’élargissement au delà de la famille et des dons croisés ?

M. Louis Puybasset. Le fait que ce soit en intrafamilial ne garantit pas plus l’absence de pression que lorsqu’il s’agit de liens affectifs. Cela peut même être l’inverse. L’intrafamilial peut engendrer plus de pression, en particulier sur les enfants pour donner aux parents. Dans le sens inverse, le problème est moins aigu, mais il reste qu’en intrafamilial il peut y avoir des pressions fortes. La garantie n’est donc pas dans la sélection des donneurs, mais dans la procédure de contrôle mise en place pour s’assurer de l’absence de pression : le collège des psychologues, les entretiens qui sont faits et le tribunal de grande instance.

Mme France Roussin. Concernant les donneurs vivants, dont je m’occupe et que je vois à Saint-Louis, je dirai qu’il faut être très prudent, car il peut y avoir une répercussion psychologique sur eux. Je ne suis donc pas pour qu’on élargisse le cercle des donneurs vivants : la pression psychologique peut être dramatique. Je pense qu’on peut améliorer la procédure du donneur vivant telle qu’elle existe.

Quant aux dons croisés, je n’y suis pas non plus favorable.

M. Louis Puybasset. Que changerait l’élargissement ? Il y a plus de pression dans les familles qu’à l’extérieur.

Mme France Roussin. Non, je ne suis pas d’accord.

M. Laurent Jacob. Nous en discutons nous aussi puisque nous avons à gérer des donneurs vivants. Ce n’est pas anodin : on parle de donneurs vivants de rein dans le cadre d’une transplantation qui ne joue qu’à distance sur le pronostic vital du receveur. Il est clair que pour les donneurs vivants de foie, pratique beaucoup plus difficile, la question ne se pose pas, car l’urgence vitale n’est envisagée que dans le cadre d’une mort quasiment annoncée du futur receveur s’il n’est pas transplanté.

Pour ce qui concerne le donneur de rein, il est vrai qu’on observe, malgré la générosité intrafamiliale, des phénomènes importants de pression psychologique liés au ressenti de l’environnement familial. La dialyse est en effet une cage dans laquelle les patients mènent une vie pénible, sont fatigables, voient leur existence sociale compromise, cependant que le risque sur leur pronostic vital n’est pas négligeable. Nous sentons cette pression, et je pense que toute autre source d’organes qui allégerait la pression sur le donneur vivant serait bénéfique pour ces familles, qui souffrent déjà du handicap de leur parent.

Sur les dons croisés et l’élargissement, je ne suis pas « qualifié » pour répondre : j’ai une opinion en tant que citoyen, mais non en tant que spécialiste, car je ne gère pas ces problèmes.

M. le président. Quelle est votre position sur l’interdiction du Maastricht III, par rapport à votre collègue qui n’exclut pas une expérimentation subordonnée à un strict encadrement ?

M. Laurent Jacob. J’en ai discuté il y a longtemps avec Louis Puybasset : je disais alors qu’il fallait enclencher la réflexion sur le Maastricht III, et lui soulignait que c’était un problème délicat.

Je crois qu’il faut faire attention à la simultanéité. On sait que la loi sur la limitation des traitements est encore mal ou insuffisamment appliquée, et pas bien comprise. Je pense qu’introduire l’arrêt de traitement avec prélèvement d’organe, alors qu’on n’a pas encore instauré la clarté sur la limitation de traitement, serait dangereux : cela pourrait remettre en cause la loi sur la fin de vie et son application, mais aussi l’activité de prélèvement d’organes. Il faut avancer progressivement.

Sur le principe, je pense qu’il n’y a aucune raison de ne pas se poser la question du Maastricht III dès lors qu’on peut, dans ce cadre, recueillir très tranquillement le consentement ou la volonté explicite des patients ou de leur famille.

M. Jean-Michel Boles. Je voudrais donner deux explications sur les taux de prélèvement, qui sont différents d’un pays à l’autre.

Le faible taux de refus des Espagnols est lié à plusieurs éléments, et j’en ai la preuve dans un article écrit par une Espagnole. J’y lis que pour de nombreux coordonnateurs, réanimateurs, anesthésistes, infirmières, chirurgiens espagnols, une partie de leur salaire est fonction de l’activité réalisée, et cela peut aller jusqu’à 70 % du total des ressources. D’autre part, les Espagnols proposent aux personnes immigrées de payer les frais de retour à domicile en échange des organes de donneurs à cœur arrêté.

Je précise enfin que les États-Unis avec le consentement explicite ont le même taux qu’en France avec le consentement présumé.

M. le président. Ces deux raisons sont-elles vraiment une explication ?

M. Laurent Jacob. En France, on a refusé toute financiarisation des équipes de prélèvements, et je pense qu’il est louable de ne pas mélanger les motivations. Il est vrai qu’en Espagne il y a une incitation financière : des avantages financiers ont été proposés à la fois aux équipes et aux familles. À nos yeux, rester dans le cadre du don et du désintéressement est extrêmement important. Cela ressort d’ailleurs des entretiens que nous avons avec les familles.

De la même façon, il faut éviter tout conflit d’intérêt entre les différentes équipes intervenant dans le processus. C’est pourquoi, contrairement à Jean-Michel Boles qui y voit un inconvénient, je pense qu’une rupture dans les équipes est importante pour éviter clairement tout conflit d’intérêt entre les gens qui réaniment les patients sur la route, ceux qui font les prélèvements et ceux qui réalisent les transplantations.

M. Louis Puybasset. L’idée qu’on puisse prélever des migrants et ne pas aider les familles à ramener les corps – car les ramener et les enterrer chez eux fait partie de la continuité du soin du corps – est incompréhensible. D’ailleurs, les familles nous disent souvent, car ce sont des gens simples qui n’ont pas beaucoup d’argent, qu’il est assez logique que nous payions le rapatriement si elles nous donnent les organes. Pour ma part, cela ne me choquerait pas du tout. Qu’on paie les obsèques est un problème, mais qu’on paie le retour à domicile des corps me paraît être la moindre des choses. J’y suis donc favorable, d’autant que cela fera peut-être reculer le taux de refus de 5 %, ce qui est énorme pour l’état de mort encéphalique et en termes de greffons sur toute la France !

Mme France Roussin. Moi aussi, je serais tout à fait favorable à ce qu’on participe au rapatriement des corps dans les pays d’origine, parce que c’est une demande très forte des familles et que je pense, en effet, que cela pourrait faire diminuer le taux de refus, de 3 à 7 %.

M. le président. Merci beaucoup pour votre disponibilité. Vos interventions nous seront très utiles, car si le sujet des greffes semble le moins médiatisé aujourd’hui dans le cadre de la révision des lois de bioéthique, il sera peut-être le plus important que notre mission aura à traiter.

Audition de Mme Ségolène AYMÉ, médecin généticien et épidémiologiste, directrice de recherche à l’INSERM


(Procès-verbal de la séance du 7 juillet 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. Alain Claeys, président. Nous accueillons, pour ce nouveau cycle consacré à la génétique, Mme Ségolène Aymé, médecin généticien et épidémiologiste, directrice de recherche à l’INSERM.

Vous assurez la présidence d’Orphanet, répertoire européen des maladies rares. Vous êtes, par ailleurs, l’auteur des Injustices de la naissance, publié en 2000 et vous avez collaboré en 2003 à un ouvrage consacré au Diagnostic prénatal. Pratiques et enjeux. Nous avons déjà abordé un certain nombre de questions relevant de la génétique, comme le diagnostic préimplantatoire et le diagnostic prénatal. Mais il nous reste à traiter des tests génétiques effectués sur des patients et à mieux comprendre les enjeux liés au conseil génétique. Quelle valeur prédictive a une information génétique ? Comment et à qui communiquer cette information? Dans quelle mesure les progrès du décryptage du génome humain permettent-ils d’espérer des avancées thérapeutiques ?

Nous devrons évidemment revenir sur les analyses génétiques réalisées sur l’enfant avant sa naissance et sur les problèmes éthiques qu’elles posent. D’autres questions telles que la protection des données identifiantes, l’encadrement des collections biologiques et les évolutions prévisibles dans le domaine de la pharmacogénétique seront également abordées. Les problèmes de brevetabilité feront l’objet d’un cycle particulier d’auditions.

Vous avez été membre du comité de suivi du plan national Maladies rares 2005- 2008. Quel bilan peut-on en tirer et que peut-on attendre de la recommandation du Conseil de l’Union européenne adoptée le 8 juin 2009 sur cette question ?

Dans un entretien, vous avez eu l’occasion de dire : « Il faut bien avouer que ce sont les chercheurs qui ont fait croire que la médecine de demain serait entièrement basée sur la génétique... cela vient de la révolution technologique des années 1990 qui a entraîné l’industrialisation de la recherche et le besoin de financements importants. » Il est vrai qu’on est passé du « tout génétique » à une situation où l’on fait preuve de plus de prudence. Quel tableau peut-on dresser aujourd’hui des applications thérapeutiques de la recherche génétique et quel est l’impact sur la santé publique des technologies qui y sont associées ?

Mme Ségolène Aymé. Je suis heureuse de pouvoir m’exprimer sur ce sujet qui me tient à cœur. Mes quarante ans d’expérience dans la génétique médicale, au service des patients et de la recherche, me donnent un certain recul. Je me suis par ailleurs toujours intéressée aux enjeux sociétaux – parfois angoissants – posés par les applications de la recherche génétique : membre de la société européenne de génétique humaine, je collabore désormais à la fédération internationale des sociétés de génétique humaine.

Je veux d’abord vous dire que je suis très fière des lois bioéthiques françaises : la France a été le premier pays à se doter d’un corpus de valeurs et à organiser de façon cohérente sa médecine génétique, au service de buts médicaux. Les lois de bioéthique ne nécessitent pas de modifications importantes dans le domaine de la génétique. Toutefois, quelques nouveautés sont apparues depuis la dernière révision, que je vais m’attacher à décrire.

Tout d’abord, le contexte a changé : le nombre et la diversité des tests disponibles ont crû de façon vertigineuse. Le décryptage du génome, rendu plus accessible technologiquement et financièrement, a permis une accumulation des connaissances, si massive d’ailleurs qu’il est difficile de les utiliser à bon escient.

Mus par l’illusion que le secteur des biotechnologies constituerait le marché du futur, les investisseurs ont engagé d’importants moyens financiers. Aujourd’hui, la pression pour de nouveaux produits est forte et certains tests n’ont d’autre utilité que de rentabiliser les investissements initiaux.

Par ailleurs, l’internet a permis de diffuser très largement ces tests et chaque citoyen français, pour une somme modique, peut faire tester son ADN, qui voyage très bien, en-dehors du territoire français.

Enfin, l’opinion publique, et en premier lieu les politiques, ont une perception très positive du dépistage précoce, alors que celui-ci peut être délétère lorsqu’il n’existe pas de solution thérapeutique. Cette illusion est difficile à combattre, d’autant que la culture de santé publique n’est que peu développée en France. Il y est difficile de raisonner en termes de bénéfices pour la société ou pour l’individu. Il est encore plus ardu d’organiser un débat public sur ces questions, tant celles-ci nécessitent de maîtriser des savoirs de base complexes.

La diversité génétique est une caractéristique du vivant. Les radiations telluriques et cosmiques sont à l’origine de mutations de l’ADN et les hommes sont porteurs depuis la nuit des temps de variants génétiques. Ces variations peuvent être bénéfiques, neutres ou délétères. Ainsi 1 % des humains ont une maladie monogénique – entièrement déterminée par la mutation d’un gène –, tandis que nous sommes tous porteurs de deux à trois gènes majeurs pathologiques, mais à effet récessif.

Nos 23 000 gènes sont contenus dans 10 % seulement du génome. Les 90 % restants, qui composent la partie non codante du génome, étaient encore récemment une boîte noire. Ces zones mal identifiées, dont on s’aperçoit qu’elles jouent un grand rôle dans la régulation de l’expression des gènes, constituent une voie prometteuse de recherche.

On distingue trois grandes catégories de gènes : les gènes nécessaires et suffisants pour l’expression d’une maladie ; les gènes majeurs de susceptibilité, qui sont nécessaires mais non suffisants pour développer une maladie ; les gènes modificateurs, qui ne sont ni nécessaires ni suffisants.

On sait aujourd’hui que les gènes sont organisés en systèmes et échangent de l’information, que le génome est très plastique, que son expression est régulée par l’environnement. Les populations sont le résultat d’une évolution, sous la pression de leur environnement. En conséquence, la découverte de gènes de susceptibilité chez les Argentins ne vaut pas pour les Japonais ou pour les Finlandais.

Hormis les maladies monogéniques, les maladies sont multifactorielles et impliquent plusieurs gènes. La mise en évidence de chacun de ces gènes – dont l’effet est faible – permet seulement de déterminer une augmentation minime du risque, le faisant passer de 1 à 1,1, à 1,5, au maximum de 1 à 10.

Ce qui compte, c’est la valeur prédictive du test – la probabilité de développer la maladie si l’on est porteur de la mutation – et l’existence ou non d’un traitement préventif ou curatif. Que montre le test portant sur le gène ApoE e4, que l’on nous vend comme étant un gène de susceptibilité à la maladie d’Alzheimer ? Un risque relatif de 10, ce qui signifie que l’on a 10 fois plus de chances de développer la maladie que la moyenne, dans une population où la prévalence de la mutation est forte, puisque 10 % des personnes en sont porteuses. Or l’on sait que, d’une part, cette mutation n’est présente que dans 30 % des cas de développement de l’Alzheimer et que, d’autre part, il n’existe aucun traitement préventif. Bien qu’il s’agisse d’un gène majeur, ce test ne présente donc aucun intérêt pratique.

Un autre test, très pratiqué, porte sur le facteur V Arg506Gln, qui est un gène de susceptibilité participant dans 30 % des cas à la survenue d’une thrombose veineuse. Il s’agit là encore d’un gène majeur, puisque le risque relatif est de 10. Mais que dire aux 10 % de la population porteurs d’une mutation de ce gène ? D’éviter de porter un plâtre, d’accoucher, de prendre l’avion ? Et pourquoi ne pas donner les mêmes conseils au reste de la population, puisque 70 % des personnes qui font une thrombose veineuse ne sont pas porteuses de la mutation ?

Ces tests, qui concernent pourtant des gènes majeurs, ne constituent pas un service rendu aux patients. Que dire alors des études pangénomiques, qui traitent de remaniements du génome ne contribuant que pour une très faible part au développement de la maladie, via des mécanismes très compliqués et dont on ne peut rien conclure ?

La notion de facteur de risque est née avec l’épidémiologie : la consommation excessive de tabac permet de prédire la survenue d’un cancer du poumon, l’obésité laisse présager un infarctus, l’hypertension artérielle une maladie cardiovasculaire. Il s’agit là de facteurs de risques déterminants. Pourtant, la population – dont la crédulité sert les marchands de tests – et dans une certaine mesure, les scientifiques et les médecins, surestiment l’importance de la génétique, conférant à tort une plus grande valeur prédictive à un test qu’à un simple examen clinique. L’ADN est devenu le support de la fatalité et les tests des « horoscopes des temps modernes ».

À quels problèmes se trouve-t-on aujourd’hui confronté ? Le développement des technologies a été si rapide en vingt ans que les pratiques n’ont pas été standardisées : chaque laboratoire utilise ses propres techniques, sans que la qualité du test et de son interprétation puissent être contrôlées. La Commission européenne s’en est émue, et l’on assiste depuis quelques années à un effort de standardisation. De son côté, l’Agence de biomédecine organisera prochainement une formation au contrôle de qualité des généticiens moléculaires.

Contrairement aux médicaments, les tests peuvent être mis sur le marché sans que leur utilité clinique soit démontrée. Un simple marquage CE suffit. Depuis des années, nous demandons à ce que les tests soient considérés comme des produits de santé et évalués comme tels.

M. le président Alain Claeys. Certains pays se sont-ils engagés dans cette voie ?

Mme Ségolène Aymé. L’Allemagne et le Royaume-Uni ont commencé à y réfléchir dans le cadre de leur système de santé national. Ils produisent des gene dossiers, qui rassemblent, pour chaque gène, les informations concernant les tests valides, leur interprétation, leurs limites. Les Allemands en ont publié une soixantaine. Je souhaite que nous fassions de même ou tout du moins, que ces dossiers soient traduits et mis en ligne pour informer les utilisateurs.

Un autre problème tient à l’absence de conseil génétique en amont ou en aval du test, les résultats pouvant être livrés sans explication et, en outre, sans vérification de l’identité. La prise en charge des conséquences individuelles et familiales qu’induisent ces tests n’existe pas et nous nous attendons, en tant que médecins généticiens, à recevoir dans nos consultations de plus en plus de personnes angoissées par les résultats de tests réalisés à l’étranger.

Par ailleurs, il nous faut être vigilants face à un possible renchérissement des coûts de santé, d’autant plus choquant en ces temps de crise que ce secteur n’en vaut absolument pas la peine.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Les tests pratiqués à l’étranger et le conseil génétique afférant sont-ils remboursés ?

Mme Ségolène Aymé. Les tests commandés individuellement sur internet ne sont pas remboursés. En revanche, dans le cadre des soins dits « transfrontaliers », les laboratoires français peuvent faire réaliser des tests par des laboratoires étrangers, et inversement.

M. le rapporteur. La sécurité sociale ne prend donc pas en charge des tests abusifs.

Mme Ségolène Aymé. L’inscription à la nomenclature des tests génétiques a été freinée. Les laboratoires de biologie moléculaire ont été responsabilisés et doivent désormais gérer une enveloppe globale qui leur est assignée. L’approche de la France est pour le moment très cohérente. Pour autant, nous ne sommes pas à l’abri d’une pression de consommateurs qui demanderaient à ce que les tests soient remboursés.

Quelles sont mes recommandations ? J’ai déjà mentionné la nécessité de développer un contrôle de qualité et une évaluation des tests, par une instance indépendante, avant leur mise sur le marché ; de ne prendre en charge que les tests utiles ; et de développer l’information du public sur les tests et leurs limites. Notre système doit d’autre part continuer de donner la priorité aux maladies génétiques véritables et coopérer avec les autres pays dans ce domaine. Aucun État n’est capable d’offrir les 1895 tests disponibles. La mucoviscidose est testée dans 32 pays. L’expertise est si rare que l’on dénombre 591 maladies qui ne sont testées que dans un pays. Les laboratoires français pratiquent 871 tests différents mais adressent 10 % de leurs échantillons à l’étranger, tandis que 10 % des tests réalisés le sont pour le compte d’autres laboratoires. Nous devons donc nous efforcer de mettre en place une organisation cohérente de l’offre européenne de tests.

M. le président. Les tests utilisés en France sont-ils évalués ?

Mme Ségolène Aymé. Nous avons encore des progrès à faire pour le contrôle de qualité. Les techniques ne sont pas standardisées et il y a encore beaucoup de résultats que nous ne savons pas interpréter. Il ne s’agit pas d’une médecine banale, nos pratiques restant proches de celles de la recherche. Aucun test n’est parfait : il est pour le moment impossible de tester l’ensemble des mutations du gène – pourtant connu depuis longtemps – à l’origine de la mucoviscidose. L’un des enjeux auxquels nous sommes confrontés est la constitution de bases de données de mutations observées dans des populations données, puisque nous recevons dans nos consultations des migrants.

Pour ce qui est des maladies communes, les tests doivent être validés à un niveau scientifique. L’Afssaps doit aller au-delà du marquage CE et évaluer la sensibilité, la spécificité et la valeur prédictive d’un test. Il convient d’exiger des fabricants qu’ils fournissent leurs sources concernant la population d’origine. Enfin, il reviendrait à la Haute autorité de santé d’évaluer l’utilité clinique du test : gain sur la morbidité, sur la mortalité et/ou la qualité de la vie.

L’information destinée aux professionnels doit porter sur les indications et les limites des tests, sur le modèle des gene dossiers. Afin de mieux protéger le consommateur, une veille sur l’offre de tests sur Internet pourrait être effectuée et déboucher sur la publication d’avertissements. Ce serait faire œuvre utile, et cela nous permettrait d’expliquer au grand public en quoi ces offres constituent des abus. Enfin, il faudrait examiner la possibilité de poursuivre les laboratoires pour publicité mensongère.

M. le rapporteur. Quels sont les arguments utilisés pour la promotion de ces tests ?

Mme Ségolène Aymé. Les juristes des laboratoires savent comment tourner leurs phrases : ils expliquent au consommateur que, grâce au test, il pourra mieux prendre en main sa santé, améliorer son espérance ou sa qualité de vie et se protéger contre la maladie en question.

Un marché tout puissant, des apprentis sorciers, l’idée illusoire d’une gestion par les individus de leur propre santé expliquent le succès de ces tests qui n’ont, bien souvent, aucun sens scientifique. Malgré les nombreuses pressions, les médecins généticiens doivent continuer dans la voie qui est la leur : offrir de bons services aux personnes qui souffrent de maladies génétiques rares et poursuivre la recherche en génétique, merveilleux domaine, mais dont les applications à la santé publique demeurent très limitées.

M. Jean-Marc Nesme. Je vous remercie pour cet exposé très éclairant. La tromperie du consommateur atteint des niveaux que je ne soupçonnais pas. Comment la combattre ? Notre législation donne-t-elle les instruments pour cela ? Peut-on rattacher cette forme de tromperie à la « cybercriminalité » ?

Mme Ségolène Aymé. Les lois bioéthiques prévoient sagement que les tests génétiques peuvent être pratiqués uniquement dans le cadre judiciaire ou médical. Une situation semblable à celle qui prévaut aux États-Unis est donc impensable. En revanche, il est impossible d’empêcher des laboratoires étrangers de vendre de tels tests. Nous devons nous contenter d’informer nos concitoyens et continuer de leur offrir, dans le cadre de notre système de santé, les tests que nous jugeons utiles. Mais pour rester fidèles à cette ligne, il faudra savoir résister aux pressions.

M. le président. Il faudrait également réfléchir à une procédure d’évaluation des tests, semblable à celle qui existe pour les produits de santé.

Mme Ségolène Aymé. Ce serait une avancée majeure.

M. le rapporteur. Dans le cadre d’un diagnostic prénatal ou d’un diagnostic préimplantatoire, la détection d’une maladie grave entraîne la possibilité d’avorter ou de ne pas implanter l’embryon. Doit-on craindre des dérives, dans la mesure où un risque relatif de 3 sur une prévalence de 0,01 fait passer les chances de développer la maladie de 1/10 000 à 3/10 000, soit une probabilité qui reste très faible ? Par ailleurs, faut-il redouter une interprétation extensive de la notion de « maladie grave » qui ouvrirait la voie aux tests de prévalence du cancer du sein ? Enfin, trouvez-vous légitime de rechercher, en même temps qu’une maladie grave, une anomalie chromosomique lorsque la mère a un certain âge ou considérez-vous qu’il faille limiter la recherche à une seule anomalie, définie par l’histoire de la famille ?

S’agissant de l’information de la parentèle, ne pensez-vous pas que la loi est trop respectueuse du secret médical, dès lors que la vie des membres de la famille est en jeu et que la maladie peut être évitée ? J’ai rencontré des personnes qui ont perdu deux de leurs fils d’un déficit en ornithine-carbamyl-transférase, maladie dont l’issue mortelle peut être évitée. Un membre de la famille – un médecin – connaissait le secret, mais a préféré se taire plutôt que de révéler cette « tare » familiale.

Mme Ségolène Aymé. Ma longue pratique me permet d’adopter une position très tranchée : il n’y a pas et il n’y aura pas de dérives. Depuis que le DPI existe, le nombre de demandes est stable. Cent couples y recourent chaque année : leur histoire douloureuse, émaillée de décès ou d’interruptions médicales de grossesse, fait qu’ils considèrent le DPI comme une alternative au DPN. Ils doivent pourtant se soumettre à une lourde procédure de procréation médicalement assistée, supporter des délais de préparation du test très longs et accepter un taux de succès peu élevé. Il ne s’agit pas du tout de consommateurs de tests génétiques qui souhaiteraient un enfant parfait. Il n’y a pas de dérives, d’abord parce qu’il n’y a pas de demandes injustifiées.

S’il était techniquement possible de détecter les principales mutations des 50 maladies les plus invalidantes entièrement génétiquement déterminées, je serais pour qu’on offre aux gens cette possibilité – encore que l’intérêt en serait limité, dans la mesure où chacune de ces maladies est très rare. En revanche, il me semble de bonne pratique médicale de détecter la trisomie 21 en même temps que la mucoviscidose si la mère est âgée de 42 ans, puisque cela lui évite un DPN et les risques d’avortement liés à l’amniocentèse.

S’agissant de l’information de la parentèle, le cas que vous citez – un cas extrême qui a fait grand bruit – a été causé par un grave dysfonctionnement familial, dans un milieu social sensible à l’appariement de ses membres. Mais la principale cause du drame est qu’à aucun moment les personnes concernées n’ont été adressées à une consultation de conseil génétique. Depuis, les pratiques se sont améliorées et les médecins s’efforcent de faire prendre conscience aux patients de leur responsabilité. Lorsqu’ils résistent, la bonne pratique consiste à écrire des lettres qu’ils peuvent remettent à leurs parents. Si cela n’est pas fait, ils doivent être tenus pour pénalement responsables.

M. le rapporteur. Connaissez-vous d’autres cas où l’information n’a pas circulé ?

Mme Ségolène Aymé. J’ai publié une étude sur la diffusion de l’information dans les familles. Dans 10 % des familles, l’information est bien diffusée et dans 10 % des cas, elle ne passe pas du tout. Pour le reste, elle est donnée ou non selon que l’on entretient ou pas de bonnes relations avec son parent.

M. Olivier Jardé. Il me semble qu’il n’y a jamais eu de décret d’application à la loi de 2004 concernant la responsabilité pénale des personnes. C’est la raison pour laquelle nous nous trouvons dans le flou le plus complet. Incidemment, nous allons réviser une loi dont les décrets ne sont pas tous parus.

M. Paul Jeanneteau. Les pratiques individuelles débouchant parfois sur un comportement de masse, on a pu parler – ici-même – d’eugénisme passif à propos du dépistage de la trisomie 21. Qu’en pensez-vous ?

Mme Ségolène Aymé. Cette position m’a toujours heurtée, surtout lorsqu’elle est exprimée par des personnes qui n’ont jamais reçu de personnes en consultation de DPN. L’offre de DPN est perçue très différemment d’un pays à l’autre selon que les personnes handicapées sont plus ou moins bien prises en charge par la société. La France n’est pas, dans ce domaine, un modèle. L’idée qu’il faudra assumer seul, sans aide conséquente de l’État, les déficiences mentales de son enfant explique que l’on puisse recourir au DPN en France, plus que dans le Nord de l’Europe.

J’ai participé à l’organisation de la politique de dépistage du risque de trisomie 21 et je crois pouvoir dire qu’elle est bien faite. Seulement 80 % des femmes acceptent la mesure du risque par les marqueurs sériques. Parmi elles, 20 % sont classées dans la zone à risque : seulement 80 % d’entre elles acceptent une amniocentèse. Enfin, 5 % de celles pour qui le DPN est positif décident de poursuivre leur grossesse. Nous sommes loin d’un taux de 100 % !

Le DPN est entré dans les mœurs, mais les chiffres sont stables. Ce n’est pas une pratique que les personnes prennent à la légère. Lorsque se pose la question de l’IMG, les parents sont confrontés à un dilemme terrible et je n’en ai jamais rencontré durant ma carrière qui aient affronté avec sérénité cette épreuve. Lorsque des IMG sont faites sur des cas limite, comme des fentes palatines, c’est que les professionnels n’ont pas bien fait leur travail et qu’ils n’ont pas su correctement informer leurs patients, par exemple sur les résultats des techniques chirurgicales.

En outre, beaucoup de personnes souhaitent malgré tout garder l’enfant. Dans le cas d’une mucoviscidose, 50 % des parents décident de poursuivre la grossesse. Malgré le fait que la France se classe parmi les pays réalisant le plus de DPN, notre pratique est raisonnable et équilibrée. Il faut arrêter de penser que les gens sont toujours prêts à appuyer sur la gâchette.

M. le rapporteur. L’article L. 1131-1 indique que le fait pour le patient de ne pas transmettre l’information relative à son anomalie génétique ne peut servir de fondement à une action en responsabilité à son encontre. Faute de décret d’application de la nouvelle loi, nous restons sous l’empire de cette disposition. En conséquence, effectivement, le secret médical déresponsabilise la personne. Il nous faudra examiner de nouveau cet aspect de la législation.

À titre expérimental, il a été proposé que des tests HLA soient réalisés lors d’un DPI, dans la perspective de pouvoir utiliser le sang de cordon. Savez-vous si cette expérience a eu lieu ?

Mme Ségolène Aymé. Je n’en ai pas eu connaissance. Le système HLA est un système de typage comme un autre, qui pourrait permettre de sélectionner un embryon compatible avec le futur receveur. C’est la problématique du bébé-médicament, qui a largement été commentée. Elle s’est posée dans de très rares cas, pour un service rendu que je considère immense. C’est une pratique qu’il faut permettre, tout en l’encadrant strictement.

M. Paul Jeanneteau. Vous réagissez en tant que médecin. Ne pensez-vous pas que le législateur doive adopter une autre approche ? La loi est-elle faite pour les cas particuliers ?

Mme Ségolène Aymé. La loi doit encadrer. Elle ne doit pas être normative au point d’empêcher des pratiques marginales, synonymes de service rendu aux malades. Mais je me place dans la même perspective que vous et je me félicite des lois de 1994 qui ont résolument placé ces questions dans une finalité médicale.

M. Paul Jeanneteau. Certes, les bébés thérapeutiques permettent de sauver une vie humaine. Mais imagine-t-on le poids qui pèsera sur ces petites épaules ?

Mme Ségolène Aymé. Cela n’empêche pas qu’ils soient aimés et choyés, comme leurs frères et sœurs. Mais je comprends votre questionnement.

M. le rapporteur. Vous avez dit que vous étiez favorable à la recherche de plusieurs maladies lors d’un DPI. Pensez-vous qu’une liste soit souhaitable ?

Mme Ségolène Aymé. Il faudrait que la liste contienne 6 000 maladies, et encore ne sera-t-elle jamais exhaustive. Il importe surtout de définir la finalité du DPI, qui ne doit s’appliquer que pour la recherche de maladies entièrement génétiquement déterminées, et non pas pour la détection de gènes de susceptibilité mineurs.

Je place le cancer du sein parmi les maladies graves, et entièrement génétiquement déterminées puisque la probabilité de développer ce cancer est de 80 % en cas d’anomalie génétique et que les traitements disponibles ne sont pas efficaces. Mais tout dépend des familles : certaines ne veulent pas savoir, d’autres ne pensent pas à recourir au DPI, d’autres ne peuvent supporter l’idée que leurs propres enfants soient atteints.

La perception de la gravité est subjective et les cas limite sont débattus dans le cadre des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal. Tout cela est bien sûr appelé à évoluer en fonction des progrès thérapeutiques.

M. le président. Je suis convaincu que ce sujet sera amplement débattu lors de la révision des lois. Je vous remercie.

Audition de Mme Anne CAMBON-THOMSEN, médecin, spécialisée en immunogénétique humaine, directrice de recherches au CNRS


(Procès-verbal de la séance du 8 juillet 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous accueillons aujourd'hui Mme Anne Cambon-Thomsen. Madame, vous êtes médecin, spécialisée en immunogénétique humaine, directrice de recherche au CNRS depuis 1998. Vous avez été membre du Comité consultatif national d’éthique de 2002 à 2005. Auteur de nombreux articles et ouvrages, vous travaillez actuellement dans une unité mixte de l'INSERM et de l'Université Paul Sabatier d'épidémiologie et d'analyses en santé publique, et êtes responsable de la plate-forme « Génétique et société » de la Génopole de Toulouse.

Vos travaux de recherche portent notamment sur la diversité génétique humaine et les aspects sociétaux de la génomique – en particulier les perspectives d’application que lui ouvre la constitution de biobanques –, l'analyse des enjeux sanitaires du développement des biotechnologies et l'information génétique dans les maladies multifactorielles.

J'ajoute que vous avez supervisé différents projets relatifs par exemple à la génomique appliquée aux greffes de cellules souches hématopoïétiques, et que vous êtes chargée des aspects éthiques de plusieurs projets européens, portant notamment sur la constitution d’une infrastructure européenne de biobanques, les outils « bioinformatiques » de traitement de données génétiques et cliniques, le développement des technologies de séquençage à haut débit en génétique médicale ou encore la génomique en santé publique.

Rapporteur d'un groupe d'experts auprès de la Commission européenne sur les aspects éthiques, légaux et sociaux des tests génétiques dont les recommandations ont été présentées en mai 2004, vous êtes aussi, depuis 2005, membre du Groupe européen d'éthique des sciences et des nouvelles technologies (GEE) auprès de la Commission, et vous présidez depuis 2006 le comité opérationnel pour l'éthique dans les sciences de la vie au CNRS.

Notre Mission d’information, qui poursuivra ses travaux jusqu’en octobre, a commencé à aborder le volet des tests génétiques. Nous sommes heureux de vous entendre sur ce sujet important, sur lequel nous devrons revenir, pour éventuellement préciser la loi telle qu’elle est aujourd’hui. La révision de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique doit en effet intervenir lors du premier semestre 2010. Certains de ses décrets d’applications n’ont du reste pas encore été publiés.

En vous remerciant d'être aujourd'hui parmi nous, je vous cède la parole. Je vous prie d’excuser notre rapporteur, M. Jean Leonetti, qui sera ce matin suppléé par M. Jean-Sébastien Vialatte.

Mme Anne Cambon-Thomsen. En vous remerciant de cette rencontre, je voudrais dédier cette brève présentation à Jean Dausset, qui fut l’un de mes maîtres et qui a disparu il y a un mois.

J’aborderai plusieurs questions. La première, que vous avez évoquée, est celle des biobanques, et de leur utilisation, ainsi que celle des collections d’échantillons et des données associées, dans les recherches. Il existe aujourd’hui une incertitude sur l’utilisation secondaire des échantillons pour la recherche. De façon générale, pour une série de possibilités d’exploitation, une procédure de non-opposition a été instituée. Cependant, en matière de génétique, des textes spécifiques requièrent un consentement explicite. Une interprétation rigoureuse de ces textes amène à considérer qu’en matière génétique, pour toute utilisation secondaire, il faut revenir vers la personne et recueillir son consentement explicite et écrit. En revanche, aux termes d’une interprétation souple, si le consentement a été suffisamment clair pour une recherche sur une pathologie donnée, la procédure de non-opposition pourrait peut-être s’appliquer lorsque le travail génétique s’effectue sur cette pathologie. Personnellement, je considère que la procédure de non-opposition pourrait parfaitement s’appliquer à certaines recherches dans le domaine de la génétique. Aujourd’hui cependant la règle à appliquer n’est pas claire et une clarification est donc nécessaire.

Un élément en faveur de l’interprétation souple concerne ce qu’on appelle parfois l’exceptionnalisme, le particularisme génétique. Dans la société, la génétique est ressentie comme un domaine aux enjeux d’une particulière gravité, un champ associé à des décisions difficiles à prendre. Or tout un pan de la génétique n’est pas de cet ordre-là. Que, parce que les données sont génétiques, il faille les protéger particulièrement et entourer de procédures particulières leur utilisation est certainement justifié dans les cas de maladies génétiques graves ; en revanche cette doctrine ne doit pas être nécessairement associée à toute donnée génétique ou toute exploration génétique.

J’en viens à un deuxième point. Aujourd’hui, pour leur utilisation pour la recherche ou dans un cadre médical, les données et les résultats génétiques ne sont pas divisés en catégories ; les mêmes textes s’appliquent à tout. Je me demande s’il est raisonnable de rester sur cette position, et si le caractère génétique d’une donnée ou d’un résultat doit par lui-même justifier une protection particulière. Il serait peut-être préférable de ne pas traiter à l’identique toutes les données génétiques, par exemple des données générées par l’examen génétique qui comportent des propriétés de prédiction ou des conséquences pour l’individu, et d’autres tout aussi génétiques mais qui n’apportent pas d’éléments utiles pour la santé ou sa connaissance. Créer des catégories est-il possible ? Si oui, sur quoi les baser ?

Un troisième élément, sur lequel cependant des praticiens du diagnostic ou du conseil génétique sont plus compétents que moi, concerne l’information de la parentèle. De nombreux débats ont déjà eu lieu sur ce point. C’est l’un de ceux où les modalités définies par la loi ne sont pas opérationnelles dans la pratique.

Le système actuel fait reposer l’information de la famille sur le patient ou la personne informée de données génétiques potentiellement utiles à ses membres. Une autre voie, celle de la transmission de l’information via l’Agence de biomédecine, n’est pas fonctionnelle : mettre en place un dispositif permettant d’avertir les membres de la famille d’une façon non directe et sans révéler l’identité du patient est très difficile.

Ne serait-il pas possible d’élaborer une procédure générale, automatisée, et systématiquement proposée ? Aujourd’hui, un médecin explique à une personne que la connaissance des caractéristiques génétiques qu’elle présente est potentiellement utile aux membres de sa famille. Cette personne peut alors décider d’en parler ou non à ceux-ci. Par ailleurs, même si la personne accepte d’en parler, il peut se trouver que la démarche soit difficile pour elle.

Je me suis donc interrogée – c’est une réflexion toute personnelle que je vous présente comme telle – sur un dispositif permettant de soulager les patients, qu’ils veuillent parler ou non. Ce dispositif pourrait être géré par l’Agence de la biomédecine. Le médecin lui-même rentrerait les informations, les adresses notamment, concernant les parents et les proches et fournies par le patient lui-même. Ces informations seraient transmises à l’Agence de biomédecine par voie électronique, dans des conditions protégées. Une lettre systématique pourrait alors être envoyée. Les membres de la famille, prévenus ou non par le patient, recevraient donc un courrier de l’Agence de la biomédecine. Le patient souhaitant évoquer la question ne se sentirait pas seul à porter l’information, tandis que les patients qui ne veulent pas donner l’information eux-mêmes ne seraient pas stigmatisés. Je vous soumets cette proposition.

Je travaille sur les maladies multifactorielles, notamment le diabète traité par l’insuline et la polyarthrite rhumatoïde, deux maladies où la génétique joue un rôle sans être, de loin, le facteur dominant. Dans ces maladies interviennent la nutrition, l’environnement, et également des facteurs génétiques ; ceux-ci peuvent être nombreux et interagir entre eux et avec l’environnement. Pour comprendre la partie génétique du mécanisme de déclenchement ou d’évolution de ces pathologies, une étape obligatoire est d’identifier les facteurs génétiques. Méthodologiquement parlant, ces facteurs sont définis par des risques que l’on calcule. On a longtemps pensé – le discours des scientifiques a été amplifié par les médias – que, dès lors que le risque pouvait être calculé, un paramètre était créé qui pouvait être utilisé. Or, dans les maladies multifactorielles, dans bon nombre de cas, les risques sont relatifs, souvent faibles et associés à des facteurs génétiques différents : autrement dit, même si leur identification est extrêmement importante sur le plan de la recherche, pour la compréhension des mécanismes, elle n’a aucune utilité clinique à titre individuel. Le nombre de cas où il y aura utilisation du risque, lorsque celui-ci peut vraiment être évalué, est vraiment faible.

Depuis quelques années, en matière de facteurs génétiques des pathologies multifactorielles, les avancées sont très nettes. De façon un peu inattendue pour le monde de la recherche et le monde médical, des entreprises s’en sont emparées ; aux États-Unis notamment, mais pas seulement, certaines d’entre elles commercialisent sur Internet des tests génétiques de toutes sortes. Quelques-uns de ces tests dépistent des mutations de maladies monogéniques, et se situent donc dans le cadre du diagnostic. Ils sont cependant assez peu nombreux. Ce qui fleurit, ce sont les tests de facteurs génétiques de maladies multifactorielles ; or, aujourd’hui, ils ne sont d’une grande utilité ni au plan individuel ni au plan clinique.

L’une des entreprises qui commercialisent ce type de tests, située aux États-Unis et associée à Google, l’entreprise 23andMe effectue même un travail, qu’elle qualifie de scientifiquement solide, consistant, au fur et à mesure de l’apparition de nouvelles avancées dans la littérature, à mettre à jour les données relatives aux marqueurs qu’elle a testés pour ses clients et à réévaluer en conséquence le risque. De ce fait, une personne dont le risque de développer une pathologie est fixé à 1 pourra être informée six mois plus tard, en consultant le site, que ce risque relatif est désormais de 2 ou de 3, et découvrir deux ans après, en fonction des progrès de la recherche, qu’elle est protégée au regard de la population générale.

On voit donc la complexité de l’information. Le résultat du test lui-même ne change pas : il indique la présence de tel ou tel marqueur. En revanche, son interprétation dépend totalement des avancées de la connaissance. Au fur et à mesure des progrès dans la capacité d’interprétation, le message va changer. C’est scientifiquement logique. On peut cependant s’interroger sur la commercialisation de cette technique.

À propos de cet exemple, je veux souligner la très grande importance de l’information associée. Celle-ci est très délicate à manier. Dans ces conditions, faut-il renoncer à essayer d’en expliquer l’économie, ou, parce qu’elle ne serait pas utile, en empêcher la diffusion ? Aujourd’hui, dans le système médical, scientifique et judiciaire français, il est à la fois impossible de vendre ces tests commerciaux et d’en utiliser les résultats. Pour autant, le public y recourt quand même : il y a en France des clients pour ces sociétés. L’alternative est donc soit de s’en tenir à la position actuelle d’interdiction, soit d’admettre l’existence du recours à ces tests commerciaux, et en conséquence de déterminer des critères très précis pour leur vente, de prévoir des contrôles de qualité, des évaluations, d’être très exigeant et vigilant sur l’information mise à la disposition du public qui leur est associée – en mettant notamment en place des systèmes de contrôle –, et d’organiser un dispositif de veille sur les offres présentées sur Internet ; le citoyen se verrait ainsi offrir de l’information sur la valeur de ce qui lui est proposé. Maintenir une position de refus, sans vouloir prendre en considération ce qui se fait à l’étranger, me paraît inconcevable aujourd’hui.

Outre la mise en place d’un système de veille sur le secteur des tests génétiques, il y a probablement place ici pour des sociétés professionnelles de génétique, et peut-être aussi pour un encouragement à l’organisation de lieux de débat entre différents types de parties prenantes, citoyens mais aussi généticiens et patients, bref de forums hybrides où la parole peut être libre et où les participants peuvent poser des questions et apporter des avis sans se sentir stigmatisés.

Dans le cadre du Conseil de l’Europe, un protocole additionnel à la convention d’Oviedo sur les tests génétiques à des fins médicales a été élaboré. Ce texte me paraît extrêmement intéressant.

M. le président. La France n’a toujours pas ratifié la convention.

Mme Anne Cambon-Thomsen. Je le sais. Si la France la ratifiait, il serait intéressant qu’elle ratifie aussi son protocole sur les tests génétiques, que j’estime assez bien conçu.

Par ailleurs, toujours au Conseil de l’Europe, est actuellement en préparation un protocole qui va traiter de génétique, mais plutôt au regard des assurances. On ne sait pas encore s’il traitera en même temps d’assurance et d’emploi ou s’il sera focalisé sur l’un de ces domaines. Une réflexion et des textes intéressants sont donc déjà disponibles.

Sauf peut-être sur la qualité des tests de diagnostic et les requis pour leur validité, l’Union européenne n’a pas publié de texte intéressant la révision. Aucune directive sur les tests génétiques n’a été élaborée. Personnellement, je ne pense pas qu’une telle directive soit souhaitable. Un cadre général sur les tests in vitro peut comporter quelques éléments particuliers sur la génétique.

Je voudrais maintenant évoquer les tests génétiques du type « séquençage complet », ou études sur le génome entier. Dans les protocoles de recherche, le séquençage complet devient relativement courant ; il est de plus en plus abordable en termes de coût et de temps nécessaire. Le séquençage de parties du génome se développe aussi déjà dans le domaine de la pratique diagnostique, avec ce qu’on appelle le séquençage de nouvelle génération, qui a recours à des techniques assez puissantes.

De ce fait, à l’occasion de la recherche d’un élément, il est produit de l’information hétérogène. Tester une mutation donnée procure une information très précise, mais unique et isolée de son contexte. Au contraire, séquencer pour obtenir plus d’information sur cette mutation crée de l’information qui n’est pas forcément nécessaire ni interprétable au moment où elle est produite. Lorsque le séquençage effectué est complet, on est loin de pouvoir donner une signification à l’ensemble de la séquence d’un génome. Cependant, l’information s’engrange. Un consortium international sur la génomique des cancers vient d’être créé ; il a pour objet de comparer le génome entier du tissu sain de patients atteints de certains cancers et le génome de cellules atteintes du cancer. L’objet est de déterminer les spécificités de la cellule atteinte au regard des autres cellules.

Ces recherches amenant à disposer de l’ensemble du génome des personnes testées, se pose alors la question des découvertes incidentes. À quoi faut-il s’intéresser ? Que faut-il faire d’une découverte imprévue, mais qui a une signification en termes de santé ? La problématique de la découverte incidente n’est pas nouvelle dans la recherche ; cependant, avec le séquençage du génome entier, cette découverte n’a plus rien d’incident : on sait que, chez chaque personne concernée, des éléments supplémentaires seront trouvés. Gérer au cas par cas n’est donc plus suffisant. Une doctrine doit être élaborée sur la conduite à tenir, les modalités d’information des personnes, le sort à réserver aux données. Certains considèrent qu’il faut jeter ce qui n’a pas d’usage ; cependant les données ont été extraites, elles sont solides sur le plan scientifique, éventuellement utilisables d’un point de vue médical. Pour moi, cette problématique nouvelle du séquençage du génome entier pose la question, que j’évoquais tout à l’heure, de la différenciation des données génétiques en catégories. Lorsque le cadre est celui d’un protocole de recherche biomédicale, la protection des données ou la pharmacogénétique doivent relever de la procédure simplifiée. Il ne doit pas être nécessaire de passer devant le CCTIRS, le Comité consultatif sur le traitement de l’information en matière de recherche dans le domaine de la santé. En revanche, à mon sens, l’exploitation du séquençage du génome entier ne devrait en aucun cas se faire sous le régime de la procédure simplifiée. Une obligation plus exigeante de fourniture de détails sur le sort des données ou leur mode de conservation devrait être instituée. La procédure simplifiée prévoit que les données sont non identifiantes ; or un génome entier est identifiant. Dans ce cas le consentement explicite de la personne devrait donc être obligatoirement et systématiquement requis. Il ne doit pas être possible de séquencer un génome entier sans que les personnes ne se soient vues expliquer ce dont il s’agit.

Enfin, on peut imaginer que la pharmacogénétique permettra assez rapidement de disposer d’un ensemble de marqueurs associés à des réponses plus ou moins efficaces ou fortes à des médicaments et qu’on sera amené à tester un marqueur pour un patient afin de lui prescrire au mieux un traitement. Cependant la technologie utilisée, la puce à ADN par exemple, choisie pour des raisons aussi bien technologiques qu’économiques, génèrera des informations sur mille marqueurs ! Pour travailler sur trois ou quatre marqueurs dispersés sur des chromosomes, il faudra peut-être séquencer une grande partie du génome. Comment le système de santé va-t-il organiser son dispositif d’information pour stocker ces données de façon protégée et faire en sorte qu’elles soient accessibles tout au long de la vie de la personne, sachant qu’au jour de la prescription cette production d’information n’est pas recherchée pour elle-même et qu’on ne sait pas forcément l’interpréter en entier ? Les étudiants en médecine de ma génération, et même ceux qui ont suivi, ont appris à prescrire des examens complémentaires avec une idée très précise de ce qu’ils en attendaient pour la formulation d’un diagnostic et d’une thérapie. Au contraire, ce type d’examen va générer de l’information dont une partie seulement sera utile au jour de la prescription. Pour moi, c’est un élément nouveau, et aucun système d’information n’est prêt à traiter cette réalité qui sera celle de demain. Il ne semble pas que le système de santé ait développé une réflexion approfondie sur cet aspect ; nous allons nous y intéresser dans le cadre de nos programmes de recherche.

Cette nouvelle réalité est déjà là en matière de recherche. La méthode traditionnelle – beaucoup de recherches continuent à être conduites ainsi – consistait à formuler une hypothèse, après quoi une expérimentation était conduite pour produire les données permettant de la confirmer ou de l’infirmer. Avec la génomique est apparue une nouvelle façon de travailler, qui consiste, grâce à la puissance de la technologie, à générer une masse d’informations, à en faire une analyse, et, sur ces bases, à formuler des hypothèses de recherches. Le système de santé va connaître la même évolution : des informations vont être générées dont une petite partie seulement sera immédiatement utile, le reste pouvant peut-être – on le ne sait pas toujours – l’être demain. Il faut y réfléchir.

M. Jean-Sébastien Vialatte, suppléant M. Jean Leonetti, rapporteur. En visitant avec vous la Génopole de Toulouse, j’ai pu constater la facilité et la rapidité avec laquelle il est possible de séquencer la totalité d’un génome, et comprendre les difficultés suscitées par les puces à ADN. Couplées à la capacité d’isoler des cellules fœtales dans le sang circulant, ces deux nouvelles avancées ne rendent-elles pas possible, avec une facilité déconcertante, lors d’un diagnostic prénatal, la recherche d’une quantité d’anomalies telles qu’elles pourraient créer un véritable risque eugénique ? Quelle est votre position sur le diagnostic prénatal et l’utilisation des puces à ADN avec les cellules du sang circulant ?

Dans le cadre d’un groupe éthique que vous animez, l’information de la parentèle avait été abordée ; le cas avait été évoqué d’un homme qui n’avait pas informé son frère qu’il était porteur du gène de la mucoviscidose, et de la naissance d’un enfant atteint. La loi de 2004 n’a pas su résoudre cette difficulté. Quels éléments pouvez-vous nous apporter ?

La loi comporte la notion d’anomalies génétiques graves pouvant faire l’objet de mesures de prévention ou de soins. Les médecins généticiens sont-ils en mesure de définir ce qu’est une anomalie génétique entrant dans le champ de la loi ?

On ne parle d’information qu’en présence de mesures de prévention et de soin. Ne pas informer en l’absence de telles mesures ne conduit-il pas aussi à une perte de chances pour la parentèle ? La rédaction actuelle de la loi définit une clause d’irresponsabilité. Le Conseil d’État suggère de la lever dans la mesure où une voie d’information subsidiaire serait ouverte pour les patients. Vous en avez décrit une. Que pensez-vous de l’idée de lever cette clause d’irresponsabilité ?

Votre proposition d’envoi automatique d’une lettre à la famille est intéressante. Que doit, selon vous, contenir cette lettre ? Le dispositif proposé pose en effet la question du droit reconnu au patient de ne pas connaître le résultat des tests pratiqués.

La législation suisse dispose que si la personne concernée refuse son consentement, le médecin peut demander à l’autorité compétente – en Suisse, c’est l’autorité cantonale – d’être délié du secret professionnel. Pensez-vous qu’un dispositif analogue pourrait être mis en place en France ? Dans ce cas, quelle serait l’autorité qui pourrait délier le médecin ?

Une question enfin sur les biobanques. Il semblerait qu’aujourd’hui, un certain nombre de collections d’échantillons aient été constituées sans l’autorisation expresse des donateurs pour leur utilisation à des fins de recherche. Que faire alors des informations récoltées, dont l’intérêt scientifique est grand mais dont l’exploitation pourrait être considérée comme illégale ? Est-il fréquent qu’une recherche menée sur une collection d’échantillons sorte du champ du consentement initial des donneurs ? Dans ce cas, pensez-vous comme le Conseil d'État, qu’il est nécessaire de procéder à la consultation d’un comité de protection des personnes, ou préconisez-vous comme l’OPESCT d’admettre l’existence d’une présomption de consentement ? Dès lors que les recherches ne sont pas celles initialement prévues, les résultats doivent-ils être communiqués aux personnes intéressées ?

Mme Anne Cambon-Thomsen. Je répondrai d’abord à la dernière question. Un texte de consentement comporte toujours des marges d’interprétation, de la plus restrictive à la plus large. On sait aujourd’hui qu’il est très difficile de prévoir toutes les possibilités d’exploitation des données qui s’ouvriront dans les années futures. Pour moi, il est désormais irresponsable de ne pas demander un consentement pour une utilisation secondaire, quitte à ce que les personnes la refusent.

M. le président. Il y aurait aujourd’hui un vide, un espace où le consentement n’existe pas ?

Mme Anne Cambon-Thomsen. Il existe en effet des cas où des cellules prélevées puis congelées se sont conservées et sont utilisées pour la recherche. Cela a pu exister avant même la loi Huriet, qui remonte au 20 décembre 1988.

Lorsque le prélèvement a été fait sur des volontaires sains, il y avait consentement, sinon écrit, au moins oral, à une utilisation des cellules prélevées pour la recherche. En revanche les prélèvements sur des patients ont souvent été effectués dans le cadre du traitement de ceux-ci, qui n’imaginaient pas qu’ils puissent être utilisés à des fins de recherche.

Dans le premier cas, où les personnes étaient volontaires pour que les prélèvements soient utilisés à des fins de recherche, tenter de les contacter de nouveau, des années plus tard, si l’objet de la recherche a évolué, peut avoir des effets étranges : j’ai l’expérience de réactions de grande inquiétude de volontaires ainsi retrouvés. La procédure de non-opposition doit donc pouvoir s’appliquer. Néanmoins, si le cadre de la recherche n’est pas strictement celui qui était prévu, ou s’il y a doute, il me paraît indispensable de demander systématiquement l’avis d’un comité de protection des personnes. En fonction du protocole de recherche, ce comité exigera des chercheurs qu’ils se retournent vers les personnes sur qui les prélèvements ont été effectués, ou autorisera la réalisation de la recherche. Dans certains cas, on peut vraiment se demander s’il faut revenir vers les personnes, notamment lorsque la nouvelle recherche est conduite longtemps après le prélèvement et qu’il n’y a pas eu de suivi régulier. À l’inverse, dans le cas de cohortes faisant l’objet d’un suivi régulier, le contact conservé rend facile la demande d’un nouveau consentement pour de nouvelles recherches ; cette démarche fait partie du processus.

Communiquer les résultats généraux de la recherche réalisée fait partie des standards requis. En revanche, communiquer des résultats individuels suppose que cette possibilité ait été évoquée lors du consentement. À mon sens une modalité adaptée consiste à envoyer aux personnes les résultats généraux, ainsi que les éléments pour contacter l’équipe de recherche. Les personnes qui souhaitent plus d’information peuvent ainsi l’obtenir. En même temps, celle-ci n’est donnée que si elle est désirée au moment où elle est disponible ; les personnes qui ont donné leur consentement peuvent en effet avoir changé d’avis entre celui-ci et l’obtention des résultats. Cette procédure leur donne l’initiative ; elle me paraît prudente.

Cette procédure est également applicable en cas de recherches non prévues initialement. Lorsque les personnes ont été informées dans le cadre d’une procédure de non-opposition, il est possible de leur envoyer des résultats généraux selon les modalités décrites ci-dessus ; en cas de demande consécutive d’éléments individuels, si des éléments ont été trouvés, une transmission doit être possible selon une procédure à déterminer, via un médecin par exemple. Il faut pouvoir disposer de systèmes souples qui permettent à la fois de répondre aux personnes en fonction de l’évolution de leur demande et de faire avancer la recherche. En revanche, fournir des résultats individuels à des personnes qui n’ont pas donné un consentement explicite et qui n’ont pas été informées de toutes les recherches ultérieures qui pourraient être conduites me paraît irresponsable.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Quelle est votre position sur la brevetabilité du vivant ? Je pense par exemple au cas où la découverte d’une mutation génétique associée à un cancer aboutit à la commercialisation d’un test génétique.

M. le président. Contrairement au souhait des instituts de recherche français, l’Office européen des brevets a accepté de retenir la notion de brevet large, en particulier pour Myriad Genetics. Quel est votre sentiment sur ce point ?

Mme Anne Cambon-Thomsen. Des praticiens seront sans doute plus à même de vous informer. Pour moi cependant, la notion de brevet large est une notion dangereuse, à la fois pour les patients et pour la pratique, du fait des blocages qu’elle peut causer. Ma logique n’est pas du tout celle de l’Office européen des brevets.

Pour moi, utiliser les cellules fœtales dans le sang circulant pour effectuer le diagnostic prénatal est, d’un point de vue médical, extrêmement utile, et bien préférable au recours à des interventions relativement invasives, qui peuvent avoir des inconvénients pour l’enfant à naître. La réduction des risques ainsi créée constitue un progrès.

Cette technologie ouvre cependant aussi la possibilité pour des sociétés commerciales de réaliser des diagnostics et d’étendre l’analyse à un nombre de marqueurs et de gènes supérieurs à ce que nous considérons comme raisonnable. L’encadrement de l’utilisation de cellules fœtales doit donc être très strict : leur utilisation par des sociétés commerciales doit être interdit, d’autant qu’il est possible de réaliser ces diagnostics dans le cadre médical au moyen des mêmes techniques. Élargir la recherche dans l’objectif d’un arrêt éventuel d’une grossesse hors de tout contexte médical, avec le simple avis du citoyen, et celui des parents, me paraît grave.

Comment définit-on médicalement la gravité d’une maladie ? À ma connaissance, il n’existe pas de liste de maladies graves et non graves. Le contexte, les circonstances, peuvent conduire à considérer qu’une pathologie relève ou non des caractéristiques de gravité. C’est notamment le cas pour les décisions d’avortement pour raisons médicales. Pour moi, les traits associés à des maladies monogéniques graves de l’enfant doivent être inclus dans un kit de diagnostic prénatal ; ces maladies ne sont pas si nombreuses. Le cadre actuel dans lequel sont faits les diagnostics doit être conservé, sachant que la technologie va peut-être étendre le champ des tests.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Aujourd’hui, la loi ne permet le test que d’une seule anomalie ?

Mme Anne Cambon-Thomsen. Oui. Celle qui est présente dans la famille.

M. Jean-Sébastien Vialatte. La technologie permettrait donc d’étendre le diagnostic à plusieurs maladies monogéniques ?

Mme Anne Cambon-Thomsen. Oui. Vous avez été informés de façon très complète, je crois, dans le domaine de l’assistance médicale à la procréation, sur les tests effectués dans les CECOS, sur les donneurs de sperme notamment. Nous pouvons nous situer dans la même logique. Mais réaliser dès le stade fœtal des puces à ADN ou des séquençages ne serait pas raisonnable.

M. le président. Que pensez-vous de l’extension du diagnostic préimplantatoire aux prédispositions génétiques au cancer ? La commission de recours et d’harmonisation des pratiques recommandée par le groupe présidé par Mme Dominique Stoppa-Lyonnet a-t-elle été mise en place ? Est-ce du fait d’une imprécision de la loi que l’institution d’une telle commission est nécessaire ?

Mme Anne Cambon-Thomsen. L’institution d’une telle commission est une mesure prudente et opérationnelle pour faire face aux incertitudes d’interprétation lors de l’apparition de nouvelles situations. Il y a dix ans, l’ampleur de l’évolution dans le domaine de la recherche à partir de cellules fœtales n’avait pas été complètement anticipée.

Vous évoquez la législation suisse relative à la levée du secret médical. Personnellement, je suis toujours très gênée par la levée de ce secret. C’est pour cela que j’ai réfléchi à un dispositif qui ouvrirait la possibilité d’informer sans lever le secret médical.

Je crois que le contenu des lettres envoyées dans le cadre de ce dispositif ne doit pas être très précis. Si l’on veut ne pas faire peur aux destinataires et respecter leur droit à ne pas rechercher d’informations complémentaires, il faut être assez neutre. C’est pour cela que j’ai envisagé une procédure automatique. On pourrait considérer qu’il est requis, lorsqu’une découverte génétique a été faite sur un patient, d’avertir les membres de la famille que cette information existe, et peut potentiellement être utile. La lettre pourrait comporter des termes comme « une information qui peut vous être utile », que cette information puisse mener vers un traitement ou qu’il n’en existe pas pour ce qui a été trouvé. À partir de cette première lettre type, les destinataires pourraient demander s’il leur faudrait suivre un traitement. S’il n’en existe pas, il pourrait leur être répondu que non, que l’information qui leur est communiquée est sûre, mais qu’il n’y a pas lieu à intervention médicale. Ils se verraient ainsi ouvrir la possibilité d’une réflexion. Je ne suis cependant pas sûre de la formulation à retenir. Mon idée est de rendre la communication systématique.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Le patient pourrait refuser la communication ?

Mme Anne Cambon-Thomsen. Pour moi, le patient doit toujours pouvoir refuser.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Dans l’hypothèse où il refuserait, la clause d’irresponsabilité devrait-elle être levée ? Le patient pourrait-il être rendu responsable des conséquences de cette absence d’information, comme aujourd’hui il existe un délit consistant à transmettre sciemment le virus HIV ?

Mme Anne Cambon-Thomsen. À mon sens, il faut faire la différence entre les cas où la non-transmission de l’information a des conséquences alors qu’un traitement est possible, et ceux où l’information peut être importante pour prendre des décisions personnelles, mais où il ne peut pas y avoir prévention ou traitement de la pathologie ; dans ce dernier cas, je vois mal comment quelqu’un pourrait être rendu responsable. À partir du moment où l’information qui sera fournie est sûre et en rapport avec la santé, qu’une intervention soit possible ou non, elle sera potentiellement utile. En revanche, la question de la responsabilité doit en tout état de cause se limiter aux cas où la non-transmission de l’information aurait effectivement des conséquences graves pour les personnes.

M. le président. Madame, merci beaucoup.

Audition de M. MENNESSON et Mme MENNESSON, co-présidents fondateurs de l’association Clara


(Procès-verbal de la séance du 8 juillet 2009 )

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous accueillons à présent M. et Mme Mennesson, coprésidents fondateurs de l’association Clara – Comité de soutien pour la légalisation de la gestation pour autrui (GPA) et l’aide à la reproduction assistée - qui ont souhaité être entendus par notre mission. Ils sont les parents de deux jumelles nées en octobre 2000 à l’issue d’une gestation pour autrui ayant eu lieu aux États-Unis, avec un don d’ovules provenant d’une femme autre que la gestatrice.

Madame, Monsieur, pour quelles raisons et à quelles conditions proposez-vous de légaliser la gestation pour autrui ? Quelles mesures préconisez-vous concernant le statut des enfants nés d’une GPA ? Mais avant de répondre à ces questions, peut-être pourriez-vous nous dire un mot de votre parcours personnel.

Mme Sylvie Mennesson. Tout d’abord, nous vous remercions de nous recevoir. Je commencerai par le côté humain de notre histoire. C’est celle d’un homme et d’une femme qui se rencontrent, tombent amoureux et veulent avoir des enfants. Hélas, n’ayant pas d’utérus, je ne pouvais pas porter d’enfant. Lorsque ma gynécologue me l’a annoncé, j’ai compris que l’opération que j’avais subie à l’âge de vingt ans était liée à un syndrome congénital, le syndrome MRKH. Dès lors, nous avons exploré toutes les pistes pour avoir des enfants, y compris l’adoption. Mais comme nous travaillons tous les deux à l’international, nous nous rendions souvent aux États-Unis pour des raisons professionnelles et nous y avions entendu parler des avancées en matière d’assistance médicale à la procréation, notamment de la gestation pour autrui. À l’époque, je travaillais aussi à Bruxelles et savais que cette pratique existait en Belgique. Notre choix s’est néanmoins porté sur les États-Unis où la filiation des enfants nés de GPA est beaucoup mieux garantie sur le plan juridique, un jugement reconnaissant que les deux membres du couple infertile sont bien les parents de l’enfant à naître étant délivré avant sa naissance.

Nous nous sommes donc rendus en Californie où nous avons pris contact avec plusieurs agences dont le rôle est de mettre en relation des couples infertiles, lesquels doivent d’ailleurs apporter la preuve de leur infertilité, et des couples dont la femme est volontaire pour porter un enfant pour d’autres. Notre choix s’est porté sur un couple qui avait les mêmes attentes que nous et dont la femme souhaitait par pure générosité porter un enfant pour un autre couple – dans notre cas, c’était même, pour cette femme, le projet de toute une vie. Elle avait déjà quatre enfants et ayant terminé son projet parental, avait envie de « rendre à la société ce que la société lui avait donné » parce qu’elle-même, enfant adopté, avait vu sa mère souffrir d’infertilité. De là, s’est engagée une très grande aventure humaine. En effet, alors que nos jumelles sont nées en 2000, nous sommes toujours en relations régulières avec cette personne. Nul n’a été lésé dans cette extraordinaire aventure…

M. le président. « Nul n’a été lésé », dites-vous. Y a-t-il eu un contrat financier entre cette personne et vous ? Comment cela s’est-il passé concrètement ?

M. Dominique Mennesson. Je prends la parole à cet instant afin de lever un malentendu majeur. On nous parle de contrat au sens de contrat commercial, à l’instar d’un contrat de vente qui est opposable. Mais un contrat, selon la définition même du terme, s’entend aussi comme un consentement révocable, dont le meilleur exemple est le contrat de mariage. Aucun pays au monde n’a autorisé de contrats où des personnes pourraient se trouver contraintes de faire usage de leur corps. Le consentement des personnes doit être libre et éclairé, et à tout moment révocable.

Il n’y a eu aucun contrat financier avec la femme qui a porté nos enfants, seulement une déclaration d’intention mutuelle précisant ce sur quoi nous étions d’accord comme le nombre d’embryons à transférer, la procédure envisagée en cas de grossesse multiple pouvant présenter un risque pour la gestatrice – réduction embryonnaire ou non ? – ou de détection d’anomalie du fœtus à l’échographie, la désignation de parrains pour le cas où nous serions décédés avant la naissance des enfants…. La gestatrice restait bien entendu libre de révoquer à tout moment son consentement – sachant que, de toute façon, le taux de réussite des fécondations in vitro (FIV) n’est pas de 100 %, tant s’en faut, même s’il est très élevé dans le cas des GPA.

M. le président. Pourriez-vous nous en dire davantage sur les aspects financiers ? Avez-vous indemnisé la gestatrice ?

M. Dominique Mennesson. Nous avons provisionné une somme sur un compte séquestre, de façon que, à juste titre, les examens médicaux relatifs à la grossesse ne soient pas à la charge de la gestatrice. C’est l’agence qui définit le montant de la somme à provisionner.

M. le président. Par quelle agence êtes-vous passés ?

M. Dominique Mennesson. Surrogate alternatives, qui, comme presque toutes les agences de la sorte, a été fondée par une ancienne gestatrice pour autrui.

M. le président. C’est une agence privée ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. Elle est rémunérée ?

M. Dominique Mennesson. En effet. Il n’existe pas d’agence publique en ce domaine.

M. le président. Sans vouloir être indiscret, à combien s’est élevée la rémunération de l’agence et de la gestatrice ?

M. Dominique Mennesson. J’y insiste, la gestatrice n’a pas été rémunérée, mais a reçu une compensation, une indemnité destinée à couvrir notamment les frais des examens médicaux ou la participation obligatoire à des groupes de parole… Cela a représenté environ 12 000 dollars, auquel s’ajoutait un engagement à rembourser les pertes de revenus de la gestatrice en cas d’arrêt de travail. L’agence, elle, a été payée 5 000 dollars pour effectuer tout le screening médical et psychologique, indispensable car la renommée d’une agence tient à ce qu’elle met en relation des couples solides avec des gestatrices solides sur le plan psychologique.

Mme Sylvie Mennesson. Les tarifs des agences varient de 5 000 à 15 000 dollars.

M. le président. Que signifie concrètement « consentement révocable » ? À la naissance par exemple, la gestatrice peut-elle refuser de donner l’enfant ?

M. Dominique Mennesson. Dans tous les États américains, comme d’ailleurs dans la plupart des pays du monde qui ont légalisé la GPA, la filiation est établie par la loi et ne repose pas sur des décisions prises par les personnes. La loi américaine dispose que l’on peut être parent « par un lien génétique, par un lien gestationnel ou par intention », sachant que la gestatrice peut contester la présomption de parenté et qu’en ce cas, le juge est appelé à statuer dans l’intérêt de l’enfant. Le couple infertile et celui de la gestatrice déclarent devant le juge que l’intention déterminera la filiation, et un jugement confirme que les enfants à naître seront bien ceux du couple infertile.

M. le président. Dans votre cas, les ovules ne provenaient ni de vous, Madame, ni de la gestatrice ?

Mme Sylvie Mennesson. C’est exact. Nous avons fait une tentative avec mes propres ovules qui, hélas, n’a pas marché, le syndrome MRKH dégradant la qualité des ovules. Les médecins nous ont conseillé de recourir à un don d’ovocytes extérieur, ce que nous avons fait.

M. Paul Jeanneteau. Après qu’une agence privée a été rémunérée pour vous mettre en relation avec une gestatrice, celle-ci a été indemnisée pour les frais qu’elle est ou pourrait être amenée à exposer. Mais les 12 000 dollars que vous lui avez versés incluaient-ils une rémunération ? En d’autres termes, a-t-elle gagné de l’argent avec cette grossesse ? Quid enfin de la donneuse d’ovules ? A-t-elle aussi été rémunérée ?

Mme Sylvie Mennesson. Il n’y a pas eu de rémunération de la gestatrice, seulement un défraiement – il faut savoir que le projet a pris une vingtaine de mois, trois tentatives de FIV ayant été nécessaires. Cette gestatrice gagnait davantage que nous et ne s’était en aucun cas portée volontaire pour de l’argent. D’une certaine manière, elle y a même un peu perdu sur le plan financier. Sa motivation était purement altruiste. Pour elle, comme pour beaucoup d’autres femmes en Californie, porter un enfant pour un autre couple est très valorisant. Elle nous présentait à tous ses amis, qui la félicitaient de son geste. La question de l’argent ne doit pas polluer le débat sur la GPA.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Sur le site web de votre association, on lit que l’objectif du comité de soutien est « d’œuvrer pour légaliser la GPA en France au titre de l’émancipation des femmes. » En quoi mettre son corps à disposition d’autrui peut-il constituer une émancipation ? On lit encore sur ce site que le terme de « mère porteuse » doit être banni en ce qu’il « porte atteinte à la dignité des femmes ». En quoi ? Vous proposez de le remplacer par celui de « gestation pour autrui ». Ne pensez-vous pas que ce terme est lui aussi contestable, dans la mesure notamment où il occulte totalement l’accouchement ?

Dans son rapport sur la GPA, l’Académie de médecine souligne les risques psychologiques mais aussi physiques pour la mère porteuse, une hémorragie du post partum pouvant par exemple conduire à une hystérectomie. Vous semble-t-il normal que des femmes qui précisément ont subi une hystérectomie suite à une telle hémorragie nous demandent aujourd’hui de légaliser la GPA ? Comment pourrait-il être légitime de mettre en péril l’utérus d’une autre femme ? Quelle est votre position sur ce point ? Par ailleurs, que pensez-vous de la levée de l’anonymat sur le don de gamètes ?

Lors du forum des États généraux de la bioéthique qui s’est tenu à Rennes, le panel citoyen, tout en se déclarant « très sensible à la détresse des couples infertiles, en particulier celle des femmes privées de la possibilité d’enfanter », s’est dit opposé à la légalisation de la GPA, craignant notamment des dérives commerciales et une exploitation du corps de la femme. Le panel s’est également interrogé sur les conséquences psychologiques de la GPA pour l’enfant à naître, pour la famille qui va le recevoir comme pour celle de la mère porteuse. Que répondez-vous à ces objections ?

Combien, selon vous, y aurait-il de cas chaque année en France, sachant que le vice-procureur du tribunal de grande instance (TGI) de Nantes chargé de la transcription de l’état-civil des enfants nés à l’étranger, nous a dit lors de son audition n’avoir eu à connaître qu’une vingtaine de cas d’enfants nés de GPA ? Si ces cas sont aussi peu nombreux, on peut s’interroger sur l’opportunité de légiférer sur le sujet.

Enfin, ma dernière question a trait à l’état-civil de ces enfants nés de GPA à l’étranger. Le Conseil d’État relève, dans son rapport sur la révision des lois de bioéthique, que l’absence de transcription dans notre état-civil ne pose pas de gros problèmes au quotidien à ces enfants qui, contrairement à ce qui est souvent dit, possèdent bel et bien un état-civil, au moins à l’étranger. Tout en proposant de continuer d’interdire la GPA dans notre pays, le Conseil d’État propose néanmoins pour faciliter les choses que puisse figurer dans les documents d’état-civil une mention particulière concernant la mère d’intention.

M. le président. Présentez-nous, Madame, Monsieur, vos propositions, et ce faisant, vous répondrez aux questions, nombreuses, de notre collègue.

M. Dominique Mennesson. S’agissant du vocabulaire, ce n’est pas nous qui avons inventé l’expression « gestation pour autrui » mais Noëlle Lenoir dans un rapport remis au début des années 90. Nous l’en félicitons car cela permet de bien distinguer deux pratiques très différentes, trop souvent confondues : la procréation pour autrui où la gestatrice, fournissant ses propres ovules, est inséminée et porte donc un enfant dont le patrimoine génétique est pour moitié identique au sien, et la gestation pour autrui, qui passe par une FIV et où il n’existe pas de lien génétique entre la femme qui porte l’enfant et celui-ci. La procréation pour autrui ne requiert qu’une insémination, qui peut être faite très simplement, sans intervention même du corps médical, ni donc vérification, conseil psychologique et cheminement éthique. Or, celui-ci nous semble indispensable. Le long parcours médical qu’exige la gestation pour autrui le rend précisément possible.

L’expression de « mère porteuse » doit, selon nous, être bannie car trop réductrice : on ne peut ramener tout ce cheminement, qui engage plusieurs personnes, à l’une seule d’entre elles. Il nous semble donc plus judicieux de parler de gestation pour autrui. À Terra Nova également, dont je suis membre sur le thème de la parenté et où nous auditionnons aussi depuis un an des personnalités du monde entier sur le sujet, chacun s’accorde à reconnaître que l’expression gestation pour autrui est la « moins pire », même si, je le reconnais, elle occulte l’accouchement.

Nous voyons deux écueils à éviter dans la gestation pour autrui. Le premier est que si de l’argent est en jeu, un chantage est toujours possible. Et dans bien des affaires qui ont défrayé la chronique et pollué le débat, il y a eu à un moment échange d’un enfant contre de l’argent. Pour éviter cet écueil, il n’est qu’un seul moyen, et c’est la mesure qu’ont adoptée tous les pays qui ont légalisé la GPA, il faut que l’établissement de la filiation ne dépende en rien des protagonistes. Si la loi dit clairement à qui seront les enfants, tout risque de chantage est écarté. Dans les affaires « Baby M » et « Johnson vs Calvert », qui ont conduit aux deux jurisprudences les plus célèbres sur le sujet, c’est la gestatrice qui a exercé un chantage à l’argent sur les parents, et non l’inverse.

Le deuxième écueil réside dans la possibilité d’exploiter la détresse financière de certaines femmes. Comment imaginer qu’une femme qui a besoin d’argent puisse s’engager dans une démarche totalement altruiste, mûrement réfléchie ? C’est pourquoi tous les intermédiaires, agences comme aux États-Unis ou travailleurs sociaux comme au Canada et en Australie, n’acceptent jamais de femmes en détresse financière parmi leurs candidates. Les femmes qui, en Californie, portent un enfant pour une autre, ont une activité professionnelle et un revenu annuel moyen de 24 000 dollars.

Il faut aussi veiller à éviter toute chosification des personnes. C’est d’ailleurs pourquoi je suis profondément choqué quand j’entends parler d’ « utérus sur pattes »…

M. le président. Sans aller jusqu’à utiliser de telles expressions, force est de constater qu’il existe de par le monde une marchandisation du corps des femmes.

M. Dominique Mennesson. Une femme qui porte un enfant pour une autre ne se réduit pas à son corps. C’est une personne qui doit être reconnue en tant que telle vis-à-vis de l’enfant à naître et des deux familles. Il est pour nous fondamental de lui donner une place et un statut. Nous serions tout à fait disposés à ce que cette personne ait un droit de visite auprès de l’enfant qu’elle a porté – ou un statut de beau-parent. C’est d’ailleurs ce qui se passe dans les faits : toutes les études menées dans les pays qui ont depuis longtemps légalisé la GPA montrent que dans 85% des cas s’établissent de véritables relations d’échange entre les deux familles.

Le premier code de l’histoire de l’humanité, celui d’Hammourabi, évoquait déjà le problème de l’infertilité et des solutions, qui étaient celles de l’époque, mais reconnaissait une place aux tierces personnes, à travers notamment la notion de maternité partagée. Le code d’Hammourabi disposait que l’enfant avait deux mères et recevait une part d’héritage de chacune. Sans aller jusque là, la loi que nous appelons de nos vœux devrait non seulement encadrer les pratiques mais aussi, et en aucun cas, ne retirer de droits à quiconque. L’Inde, que beaucoup invoquent pour dénoncer la pratique, est évidemment l’exemple à ne pas suivre en matière de GPA. Mais l’ambition de la France n’a jamais été de s’aligner sur un pays connu aussi pour l’exploitation des femmes et des enfants au travail, les trafics d’organes… Il n’y a pas de législation sur la GPA en Inde. On ne peut donc rien y trouver pour nourrir notre débat. Il n’y a pas de consentement libre et éclairé des personnes, l’argent entre nécessairement en jeu quand la somme versée à une gestatrice peut représenter jusqu’à dix ans de salaire minimum… Ce que nous voudrions nous, c’est qu’on analyse comment les choses se passent dans des pays plus semblables au nôtre qui ont pris des dispositions pour éviter ces écueils et qu’on vérifie si elles sont efficaces.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Comment expliquez-vous qu’en Angleterre ou en Californie, où la législation sur les mères porteuses est très permissive, il continue d’y avoir du tourisme procréatif ? Le responsable de la HFEA que nous avons auditionné, nous a dit qu’un certain nombre de couples britanniques continuaient de se rendre à l’étranger, notamment en Ukraine ou en Inde, où ces techniques ne sont pas encadrées. Pourquoi selon vous ?

M. Dominique Mennesson. Je me référerai à Françoise Shenfield, une Franco-britannique qui travaille depuis plus de vingt ans sur les questions d’infertilité et d’éthique, membre de l’European society of embryology and human reproduction. Elle a établi une liste de préconisations pour la GPA en Europe, très proche de la nôtre, après avoir notamment lancé, il y a un an, une étude sur « l’exil procréatif » –  ce que vous appelez vous, le « tourisme procréatif » et nous « l’exode procréatif ». Vous jugez la législation britannique permissive. Je ne partage pas votre point de vue : de nombreux garde-fous ont été mis en place dans ce pays, ce que nous approuvons. Le problème en Angleterre est que les soins sont très mal pris en charge et que les FIV des trois quarts des couples infertiles ne sont pas remboursées par le NHS. Dès lors, ces couples sont contraints de partir réaliser leur projet parental à l’étranger à moindre coût – on parle de low cost shopping.

D’après l’étude de Françoise Shenfield, l’Angleterre est le pays où le motif le plus fréquent pour lequel des couples infertiles recourent à une AMP à l’étranger est financier. Viennent ensuite l’Italie et l’Allemagne, ce qui est logique puisque dans ces pays, presque toutes les techniques d’AMP sont interdites. « L’exil » ou « l’exode procréatif » ne tient pas seulement au caractère permissif ou non de la législation, mais à des questions financières. Ainsi les couples australiens ne sont-ils jamais contraints à un tel « exode », l’AMP étant particulièrement bien prise en charge dans leur pays.

Il y aurait sur le territoire national environ un millier d’enfants nés de GPA. Mais tous les couples ne vont pas déclarer leurs enfants à l’état-civil de Nantes car ils n’ont nulle envie d’être, comme nous l’avons été, poursuivis par la justice et de subir ce que nous subissons depuis neuf ans : menaces d’emprisonnement, jugement de première instance puis d’appel, arrêt de la Cour de cassation de décembre 2008 cassant le jugement qui nous avait reconnus parents de nos filles…

Nous sommes les porte-parole de ces couples qui, bien légitimement, ne souhaitent pas aller au-devant des ennuis mais qui sont dans une profonde détresse car leurs enfants n’ont pas d’état-civil en France. Cela signifie que ces derniers ne peuvent pas hériter d’eux s’ils viennent à décéder ou bien encore qu’en cas de divorce, la mère n’a aucun droit vis-à-vis de ses enfants. Au nom même de l’égalité homme-femme, cette situation doit cesser car l’homme peut, à la limite, voir sa paternité reconnue, mais en aucun cas la femme. C’est un droit élémentaire de ces enfants que d’avoir une filiation stable. Certes, ils peuvent obtenir des papiers, notamment une carte d’identité, mais cela n’établit pas une filiation. L’urgence est aujourd’hui dans notre pays de donner un statut juridique à ces enfants – nos filles ont huit ans et demi, d’autres enfants nés de GPA ont déjà vingt ans… Et cette décision est indépendante du fait qu’on légalise ou non la GPA. Il faut bien distinguer les deux questions, dont l’amalgame a fait beaucoup de tort.

M. le président. Même si nous continuons d’interdire la GPA en France, nous aurons nécessairement à nous interroger sur le statut des enfants nés de cette technique à l’étranger.

M. Paul Jeanneteau. La GPA est interdite en France. Vous y avez eu recours à l’étranger, Madame, ainsi que d’autres couples, et vous demandez aujourd’hui que les enfants qui en sont issus soient reconnus dans notre pays. Vous avez en toute connaissance de cause transgressé la loi et demandez maintenant qu’on porte remède à la situation inextricable née de cette transgression, éventuellement en légalisant la pratique illégale. Cette démarche me paraît curieuse sur le plan intellectuel.

Mme Sylvie Mennesson. J’aurais préféré que ce soit notre avocate qui puisse vous répondre sur ce point. La loi française n’interdit pas de recourir à une GPA à l’étranger. Elle dispose même que cette pratique n’est pas pénalement répressible si on s’est rendu dans un pays où la pratique était légale. L’article 16-7 de notre code civil interdit toute convention de gestation ou de procréation pour autrui, sans rien dire ce qu’il en est de la filiation des enfants éventuellement nés par ce biais à l’étranger. Cela est laissé à l’interprétation du juge…

M. Jean-Sébastien Vialatte. Non, notre code civil dispose très clairement que la mère est la femme qui accouche.

M. Dominique Mennesson. Cette disposition date de 2005. Notre affaire remonte, elle, à 2000 ! Par ailleurs, ce principe général du code civil souffre bien des exceptions, ne serait-ce que dans le cas de l’adoption.

La question a été tranchée par le droit international, notamment la convention internationale des droits de l’enfant. C’est d’ailleurs sur ce texte que s’était appuyée la cour d’appel pour nous reconnaître parents de nos enfants, et la Cour de cassation n’a pas remis en question la référence à cette convention. La loi française ne s’applique qu’en France. Pour prendre un exemple trivial, en Angleterre, on ne roule pas à droite parce qu’on est français. Comme les Anglais, on y roule à gauche. Pour gérer les conflits nés de la divergence de législations nationales, il y a les conventions internationales.

M. Jean-Marc Nesme. De votre histoire personnelle, Madame, Monsieur, nous n’avons pas à juger. Je ne parlerai donc, pour ma part, que de votre action militante pour obtenir la légalisation de la GPA en France. Si les mots ont encore un sens, la mère de l’enfant est bien celle qui le porte et en accouche. Si on légalisait la GPA, on légaliserait subséquemment l’abandon d’enfant. Que dites-vous à cela ? Au-delà du vocabulaire, tous les principes de notre droit de la famille en seraient bouleversés, de même que, contrairement à ce que vous affirmez, Monsieur, ceux de la convention internationale des droits de l’enfant qui dispose que « les enfants ont le droit de connaître leurs parents ». Qui est la mère dans le cas d’une GPA ? Si l’on s’en tient aux définitions actuelles, c’est bien la femme qui accouche. Militer pour la légalisation de la GPA en France est votre droit le plus strict. Mais notre devoir de législateur est d’analyser tous les problèmes juridiques que soulèverait cette légalisation sur le plan national et international.

Mme Sylvie Mennesson. Dans certains pays, la mère n’est pas nécessairement celle qui accouche. Ce peut aussi être la mère d’intention. Pourquoi ne pas adopter la même définition en France ? La définition de qui sont le père et de la mère résulte de conventions sociales. Il existe déjà des cas où la mère d’un enfant n’est pas celle qui en a accouché comme dans l’adoption. Et s’agissant de l’abandon, que faites-vous de l’accouchement sous X ?

Pour nous, la GPA est une technique d’AMP comme une autre et doit être considérée comme telle. Il ne viendrait à l’idée de personne de soutenir qu’une donneuse d‘ovocytes abandonne son enfant ! Dans une GPA, dès le départ, la femme qui va porter l’enfant sait que ce n’est pas le sien et elle est volontaire, ayant exprimé son consentement de manière libre et éclairée. Elle n’abandonne pas l’enfant à sa naissance. Toutes les études psychologiques le démontrent, les femmes ayant porté un enfant pour autrui n’ont pas le sentiment de l’avoir abandonné, mais au contraire, après l’avoir mené à terme, de le « rendre » aux parents qui leur avaient confié un embryon. Toutes expliquent qu’elles n’ont jamais considéré l’embryon puis le fœtus qu’elles ont porté comme leur enfant, même si elles ont développé de l’affection pour lui. C’est chez la mère d’intention que s’enclenche tout le processus psychologique de la grossesse, pas chez la gestatrice. Voilà une nouvelle conception de la maternité, dans laquelle la mère n’est pas nécessairement celle qui accouche, et dont nous pensons que notre société est à même de la comprendre – d’autant qu’il existe des dénis de grossesse et des « néonaticides » qui font légitimement s’interroger sur la grossesse et la maternité.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Ces mères porteuses ne sont-elles pas précisément dans un déni de grossesse ? Que se passe-t-il dans leur psychisme ? Vous faites référence à des études. Or, très peu ont été menées, en tout cas sur des cohortes trop réduites pour que les résultats soient significatifs. Enfin, vous parlez de mère d’intention. Mais vu le nombre de femmes qui ont été mères sans intention de l’être, je ne peux que m’interroger. Ne court-on pas le risque avec ce concept de « mère d’intention » de banaliser l’abandon, à défaut de le légaliser ? Certaines femmes ne pourraient-elles pas faire valoir que puisqu’elles n’avaient pas l’intention d’être mère de tel enfant, elles sont en droit de l’abandonner ?

M. Dominique Mennesson. Le déni de grossesse n’a jamais été évoqué chez les gestatrices pour autrui, comme en attestent les études de Elly Teman, qui est celui qui en a conduit le plus sur le sujet, d’Israël aux États-Unis en passant par l’Angleterre. D’ailleurs, en cas de déni de grossesse, le poids de l’enfant est inférieur à la moyenne. Or, dans tous les pays, le poids à la naissance des enfants nés par GPA est, lui, supérieur à la moyenne, même en cas de grossesse multiple.

Pour ce qui est de l’abandon, le plus pertinent est, je crois, de se placer du point de vue de l’enfant. Une personne qui renonce à ses droits parentaux à la naissance d’un enfant et le remet pour qu’il soit adopté – Sophie Marinopoulos, psychanalyste spécialisée sur le sujet vous le confirmerait – ne l’abandonne pas. Un enfant abandonné est celui qui n’est remis à personne. Dans le cas d’une GPA, l’enfant est profondément désiré par les parents auxquels il va être remis, comme le long parcours qu’ils ont suivi pour arriver à sa naissance en atteste. Il n’y a aucun abandon.

Lors d’une audition au Sénat où j’exposais que toutes les études démontraient que les enfants nés de GPA allaient mieux que la moyenne, sans doute parce qu’ils avaient été très fortement désirés, le sénateur Alain Milon a fait valoir, et je pense qu’il avait raison, que la naissance d’un enfant est un événement si fort pour les parents que, même s’il n’a pas été désiré, on ne peut préjuger en rien de leur comportement futur. Un enfant peut être profondément aimé et parfaitement élevé par ses parents même s’ils ne l’ont pas désiré. Tout comme le désir préalable d’enfant n’est pas un préalable indispensable, nous soutenons, nous, que la grossesse n’est pas un préalable indispensable chez la mère d’intention, dès lors qu’existe un échange humain fort entre la gestatrice, sa famille et le couple de parents infertiles et qu’il y a bien eu une transmission entre eux, presque fusionnelle. Et, mon épouse l’a dit, si les gestatrices ne se projettent pas comme la mère de l’enfant qu’elles portent, elles développent quand même un lien d’affection avec lui.

Mme Sylvie Mennesson. Un mot des risques inhérents à toute grossesse. Nous ne les sous-estimons pas. C’est d’ailleurs pourquoi nous jugeons indispensable de prendre toutes les précautions nécessaires pour qu’une femme qui a été volontaire pour porter l’enfant d’une autre ne coure jamais le moindre risque. Certes, le risque zéro n’existe pas, mais si l’on s’assure par exemple que la gestatrice a eu précédemment des grossesses faciles et qu’elle n’a aucun problème de santé particulier, on minimise les risques à l’extrême, l’expérience le montre. Les cas parfois rapportés de femmes qui, portant un enfant pour autrui, ont connu de graves problèmes pouvant aller jusqu’à une ablation de l’utérus après l’accouchement, se rencontrent toujours lorsque les précautions préalables n’ont pas été prises. Cette analyse préalable des contre-indications potentielles ne peut d’ailleurs pas être correctement effectuée en France, puisque la GPA est illégale. Hélas, la GPA s’y pratique de manière clandestine et dans ces conditions, les gestatrices ne peuvent bien sûr pas faire l’objet de toute l’attention médicale et psychologique nécessaire. Au contraire lorsque la GPA est autorisée, encadrée et contrôlée, ces grossesses sont toujours surveillées comme des grossesses à risque, et dans l’immense majorité des cas, il n’y a aucun problème.

M. Jean-Marc Nesme. Que se passe-t-il si un couple qui a eu recours à une GPA ne veut plus de l’enfant à la naissance ?

M. Dominique Mennesson. Vous avez raison de poser cette question qui revient de manière récurrente. En France, dans le cas d’une naissance avec don de sperme, l’homme du couple qui a eu recours à cette technique ne peut pas renoncer à sa paternité, et si besoin, le juge peut être sollicité. Nous serions extrêmement favorables à ce qu’une telle disposition soit étendue à la GPA. Les couples infertiles que nous rencontrons dans notre association considèrent tous que les parents d’intention doivent assumer l’enfant qu’ils ont demandé à une autre de porter pour eux, et ce quoi qu’il en soit, même si par exemple l’enfant est handicapé.

M. Jean-Marc Nesme. Si d’aventure ils ne le font pas, que devient l’enfant ?

M. Dominique Mennesson. Il faudrait envisager que, comme dans le cas du don de sperme, où le juge peut contraindre l’homme à assumer sa paternité, il puisse obliger les parents d’intention à assumer l’enfant qu’ils ont voulu. Une telle disposition est même essentielle pour que les individus prennent leurs responsabilités en toute connaissance de cause. Cela étant, permettez-moi de faire observer que dans le cas de procréations tout à fait naturelles, des parents abandonnent leurs enfants – 80 % des enfants trisomiques sont abandonnés à la naissance. Le problème me semble donc plus facile à régler dans le cas de la GPA et des autres techniques d’AMP que dans le cas ordinaire.

M. le président. Madame, Monsieur, je vous remercie.

Audition de Mme Perrine MALZAC, praticien hospitalier dans le département de génétique médicale de l’hôpital de la Timone à Marseille et coordinatrice de l’Espace éthique méditerranéen


(Procès-verbal de la séance du 8 juillet 2009)

Présidence de M. Jean-Sébastien Vialatte, vice-président

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Je vous prie d’excuser le président et le rapporteur de cette mission, dont la présence était requise dans l’hémicycle.

Nous accueillons aujourd’hui Mme Perrine Malzac, praticien hospitalier dans le département de génétique médicale de l’hôpital de la Timone et coordinatrice de l’Espace éthique méditerranéen.

Vous êtes, Madame, l’auteur de plusieurs publications scientifiques dans le domaine de la génétique et de nombreux articles d’éthique biomédicale. Vous pourrez, en vous appuyant sur votre expérience de praticienne, nous rendre compte du questionnement éthique mené par la communauté des généticiens.

Qu’est-ce qu’une information à caractère génétique ? Comment l’interpréter et la faire comprendre ? Faut-il toujours la communiquer ? N’appartient-elle qu’au patient ayant fait l’objet d’analyses ou également à ses apparentés ? En quoi la médecine génétique prédictive risque-t-elle de contribuer à ce que vous avez appelé dans l’un de vos articles « l’idéologie préventive » ? Quels sont les dangers et les excès d’une telle idéologie ? Comment nos règles de droit peuvent-elles concilier la protection de l’individu avec le devoir d’encourager le développement des techniques médicales susceptibles d’être bénéfiques à la santé ?

Mme Perrine Malzac. Très honorée par cette invitation, je m’efforcerai de détailler le point de vue d’un médecin généticien de terrain, espérant ainsi éclairer vos réflexions concernant les tests génétiques.

Permettez-moi de rappeler les grands principes qui régissent la réalisation des tests de génétique. Édictés dès 1994 et révisés sans grands changements en 2004, ils ont largement inspiré le protocole additionnel à la convention d’Oviedo publié le 27 novembre 2008.

La primauté de l’individu est le premier principe : les tests sont réalisés au bénéfice d’une personne, même s’il convient de prendre en compte l’intérêt de la famille. Le droit à l’information vient ensuite : complexe, elle doit être détaillée dans le cadre d’un conseil génétique, avant et à l’issue des tests. Cela débouche nécessairement sur le recueil du consentement écrit. Une protection particulière est prévue pour les mineurs et les majeurs sous tutelle. En vertu du « droit de ne pas savoir », la personne peut refuser de prendre connaissance des résultats. L’utilité clinique est un autre principe qui doit dicter la réalisation des tests – la qualité doit en être avérée et un suivi individualisé prévu – mais nos lois sont plus silencieuses sur ce point. Dernier principe : plus encore que dans toute autre pratique médicale, la confidentialité doit être respectée, dans la mesure où les risques de discrimination et de stigmatisation sont importants. La communauté des généticiens, dans son ensemble, adhère à ces principes.

En préalable, je voudrais souligner un point d’ordre sémantique. La loi parle de « l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne », comme si les informations obtenues permettaient de caractériser la personne. Cela n’est pas toujours vrai et cette appellation quelque peu abusive conduit à poser un cadre parfois gênant pour les généticiens, dans la mesure où les situations, toutes différentes, n’ont pas les mêmes conséquences éthiques. Une étude ciblant la mutation d’un gène dans une famille pose ainsi beaucoup moins de questions que la réalisation d’un test pangénomique, d’interprétation plus difficile. Je préfère pour ma part utiliser l’expression « tests génétiques », comme le fait le texte européen.

Les tests génétiques sont réalisés dans le cadre médical pour l’aide au diagnostic, mais il arrive bien souvent qu’ils soient détournés vers la recherche clinique. Ce passage d’un domaine à l’autre est certes consubstantiel à la pratique de la génétique médicale, mais il pose un certain nombre de problèmes éthiques, notamment en termes d’information et de consentement.

Les indications d’un test sont variables puisqu’elles peuvent concerner des sujets symptomatiques ou de sujets asymptomatiques venant consulter dans le cadre d’un conseil génétique pour leur descendance. Les tests peuvent également aider à un diagnostic présymptomatique, dans le cadre de la médecine prédictive. Je préférerais pour ma part parler de médecine « présomptive », quand le degré de prédiction est faible.

En matière d’information et de consentement, la loi impose une séquence très précise : lors de la consultation individuelle préalable au test, une information détaillée est donnée et le consentement recueilli ; lors du rendu de résultats, et toujours dans le cadre d’une consultation individuelle, une information détaillée est à nouveau donnée, afin de mettre en place un suivi.

Ce principe, dont l’application est très encadrée, pose toutefois de nombreuses questions éthiques : quel est le rôle respectif des praticiens potentiellement impliqués – généticiens, conseillers en génétique, spécialistes d’organes amenés à prescrire des tests ? Les analyses étant souvent poursuivies et complétées dans le temps, comment en informer le patient ? Si elles sont reprises au bénéfice d’un tiers dans le cadre d’un conseil génétique, comment faire lorsque la personne est décédée ? Et comment agir lorsque les analyses sont poursuivies dans un cadre non plus médical mais de recherche ?

Par ailleurs, il semble que la dimension procédurale qui accompagne l’application du principe de consentement l’emporte parfois sur toute autre considération. Il serait sans doute nécessaire d’insister sur la formation au savoir faire et au savoir être nécessaire à la pratique des médecins lors de cette phase d’information, plutôt que sur leur aptitude à remplir les formulaires de consentement.

Des tests génétiques de plus en plus nombreux sont proposés en libre accès sur Internet. Les tests sans finalité médicale, comme les tests de paternité ou de diagnostic de sexe in utero, entraînent un certain nombre de questionnements sociétaux. Les tests dont la finalité médicale est avérée posent quant à eux la question de l’encadrement médical, de l’information et du recueil de consentement, puisqu’ils peuvent être réalisés sur un mineur ou à l’insu d’une personne. Enfin, beaucoup de tests, supposés aider à une meilleure prise en charge de la santé, sont sans validité scientifique et d’une utilité clinique discutable. Il est de la responsabilité des généticiens et des décideurs de recenser et d’évaluer l’ensemble de ces tests afin de mieux informer les personnes qui seraient tentées de s’y soumettre.

Bien que la plupart des tests soient ciblés sur une mutation ou un gène, les tests pangénomiques sont en plein développement, s’appuyant sur des techniques de puces à ADN ou de séquençage à haut débit. Cela ne manque pas de faire surgir de nouvelles questions : que faire lorsque l’on découvre une variation de séquence dont l’effet pathogène n’est pas scientifiquement démontré ? Faut-il informer le patient de la découverte fortuite d’une anomalie génétique, comportant un effet pathogène potentiel pour lui ou pour sa descendance ? Les connaissances demeurant incomplètes, faut-il remettre à jour les données transmises au patient, et à quel rythme ? Et comment valider ou invalider les informations initialement données ?

Un patient partage son patrimoine génétique avec les autres membres de sa famille. Les informations dont il dispose peuvent donc avoir des conséquences sur la santé de ses proches. Le généticien aura parfois à balancer entre son devoir de confidentialité vis-à-vis de son patient et son devoir d’information vis-à-vis de la parentèle.

La diffusion de l’information est complexe. Souvent, elle ne se fait pas parce que les données à transmettre sont difficiles à comprendre et que les sentiments de culpabilité ou de pudeur se trouvent exacerbés dans cette période de fragilité. Les liens familiaux distendus dans notre société ne favorisent pas non plus la circulation de l’information. Enfin, il arrive que les apparentés fassent la sourde oreille ou rejettent la personne porteuse de mauvaise nouvelle.

La loi, dans une rédaction quelque peu culpabilisante, en appelle à la responsabilité morale de la personne envers sa parentèle : il est prévu que le médecin informe les patients « du risque que leur silence ferait courir aux membres de leur famille potentiellement concernés ». Cette information est nécessaire lorsque l’anomalie génétique est grave ou lorsque des mesures de prévention ou de soin peuvent être appliquées. Mais qu’appelle-t-on une « anomalie génétique grave » ? Les diagnostics préimplantatoires ou les diagnostics prénataux peuvent-ils être considérés comme des mesures de prévention ou de soin ?

Il conviendrait peut-être de songer à une nouvelle dérogation à la règle du secret. Bien souvent, le patient est d’accord pour informer mais ne sait pas comment le faire ou ne veut pas le faire lui-même. Pourquoi ne pas envisager que cette information puisse être déléguée, dans une démarche collégiale, aux praticiens, si c’est au bénéfice de la famille et avec l’accord du patient ? Dans les rares cas où le patient persisterait dans son refus, il faudrait poser la question de sa responsabilité.

Si ses dispositions concernant l’information génétique sont exhaustives, la loi s’est peu attardée sur la question de la conservation des échantillons biologiques. Pourtant, des centaines de milliers d’entre eux sont stockées dans des conditions pas toujours optimales et sans finalité avérée. Peu d’échantillons permettront de reprendre certaines investigations dans le cadre de stratégies diagnostiques. Certains seront utilisés pour des mises au point techniques ou comme éléments de contrôle – ce qui ne va pas sans poser de questions éthiques, puisqu’il n’existe pas de consentement à cet effet. D’autres pourront être utilisés dans le cadre de protocoles de recherche pour la découverte de nouveaux gènes. Mais cela ne concerne que peu d’échantillons, alors que leur conservation est coûteuse et que les risques d’erreur et de mésusage sont importants.

M. le président. Quelles modifications doit-on apporter aux dispositions concernant l’information de la parentèle, qui deviendrait selon vous quasi automatique dès lors que le patient aurait donné son accord ?

Mme Perrine Malzac. Il est souvent difficile, pour les patients, de transmettre l’information dans des termes qui soient précis et qui n’affolent pas leurs proches. Il serait utile de rédiger, avec l’aide de l’Agence de biomédecine et des associations de familles, un certain nombre de documents pour les y aider.

Lorsque les patients ne veulent pas diffuser l’information, soit parce qu’ils ne s’en sentent pas le courage, soit parce qu’ils ont perdu le contact avec les membres de leur famille, la procédure est en principe de passer par l’ABM, mais cela n’a jamais été fait. Il me semble plus souhaitable que le praticien du conseil en génétique, en accord avec le médecin généraliste, établisse des lettres à l’attention des membres de la famille.

Reste la situation où le patient, malgré les efforts de persuasion des médecins, persiste à s’opposer à la diffusion de cette information. Au regard du principe de primauté de l’individu, il me paraît alors difficile de déroger au secret.

M. le président. Ne pensez-vous pas que la responsabilité du patient doive alors être engagée ?

Mme Perrine Malzac. Cela me semble difficile : ces personnes se trouvent déjà dans une situation critique, et elles n’ont pas volontairement transmis ce caractère pathogène.

M. le président. Pourtant, la notion de perte de chances existe. Cela a été le cas de ces trois cousins qui souffraient, sans le savoir, d’un déficit en ornithine-carbamyl-transférase. Faute d’information, les mesures préventives n’ont pas été prises et l’issue mortelle n’a pu être évitée.

Mme Perrine Malzac. Peut-être faut-il distinguer les cas où l’information ne circule pas par négligence et ceux, très rares, où le patient refuse, en connaissance de cause, d’informer sa famille. Mais même dans ce cas, qui devrait du reste être rare, il me semble difficile de mettre en jeu sa responsabilité.

M. le président. Pensez-vous qu’il faille aller au-delà de la loi actuelle et prévoir l’information de la parentèle lorsque l’anomalie génétique peut justifier un recours à un DPI ou à un DPN ?

Par ailleurs, l’autorité judiciaire, en Suisse, peut lever le secret médical. Cette disposition devrait-elle être introduite dans le droit français ?

Mme Perrine Malzac. Il a toujours été du rôle des praticiens du conseil en génétique de sensibiliser leurs patients à la dimension familiale d’une pathologie. C’est ainsi que nous étendons nos investigations aux membres de leur famille afin de leur permettre de choisir en connaissance de cause s’ils auront une descendance et si oui, d’avoir recours à un DPI ou à un DPN. Il me semble que cette démarche de prévention doit être toujours entreprise, même si elle ne doit pas être autant encadrée.

Mais si la responsabilité du patient devait être engagée, la possibilité pour un membre de la famille d’avoir recours à un DPI ou à un DPN ne devrait pas, à mon avis, faire partie des mesures de préventions et de soins dont l’existence rend obligatoire l’information de la parentèle.

M. le président. La loi française a organisé de manière précise l’information du patient, prévoyant une consultation à cette fin avant la réalisation des tests. Or, dans la pratique, j’ai pu constater que l’information des patients sur le dépistage de la trisomie 21 était souvent absente, le gynécologue se contentant, dans le meilleur des cas, de faire signer le formulaire obligatoire.

Ne faudrait-il pas insister sur l’information préalable et profiter de cette consultation pour demander au patient son autorisation de réaliser dans l’avenir des tests complémentaires, l’informant au passage que ses échantillons seront conservés ?

Mme Perrine Malzac. Dans la pratique, le consentement est toujours écrit. Mais les patients, bien souvent, signent le formulaire les yeux fermés, sans même le lire. Il y a, par ailleurs, un art médical d’informer que les conseillers en génétique manient mieux que d’autres praticiens, parce qu’ils y ont été formés et qu’ils disposent du temps nécessaire à cette information.

S’agissant des informations concernant la conservation et la réutilisation des échantillons, je suggère qu’elles soient données dans une seconde phase, lors du rendu des résultats par exemple. Il faut attendre que le patient ait reçu des réponses à sa préoccupation initiale avant de pouvoir lui faire entendre d’autres informations.

M. Jean-Marc Nesme. Mme Ségolène Aymé, que nous avons auditionnée hier, considère, comme vous, qu’il convient d’informer largement le public afin qu’il ne se laisse pas abuser par l’offre de tests sur l’Internet. Je suis pour ma part convaincu que l’information ne suffit pas.

Il a fallu attendre qu’une convention européenne interdise les serveurs présentant sur la toile les objets d’art pour pouvoir lutter efficacement contre le trafic sur l’Internet – interpeller les receleurs potentiels n’avait servi à rien. De la même manière, les campagnes d’information sur la pédopornographie n’ont eu aucun effet tant qu’une convention internationale n’était pas signée.

Ne faudrait-il pas mettre en place des dispositifs renforçant le contrôle des sites proposant des tests génétiques, voire interdire ces offres mercantiles ? Réfléchir avec nos partenaires européens à une convention permettrait de nous prémunir contre les risques que ces tests peuvent faire courir aux individus et à la collectivité.

Mme Perrine Malzac. Sans doute en effet l’information ne suffit-elle pas. Mais, contrairement au trafic d’objets d’art ou à la pédopornographie, les tests génétiques ne suscitent pas un rejet unanime. Les pays n’évaluent pas de la même manière l’utilité médicale ou les dangers de ces tests. Ainsi, les tests en paternité sont d’un accès aisé en Allemagne alors qu’ils sont très encadrés en France. Pour les tests sans validité scientifique, il faudra de longues discussions avant que les experts ne parviennent à élaborer des règles précises.

M. le président. Si l’harmonisation des critères permettant de juger de l’utilité de ces tests peut être difficile, il me semble que les pays pourraient au moins s’accorder sur la qualité des tests et prévoir, comme pour les tests diagnostics, une autorisation européenne de mise sur le marché.

Mme Perrine Malzac. C’est un travail qu’il faut en effet mener, sachant qu’il faudra le réactualiser en permanence, en fonction de l’évolution des connaissances.

M. le président. Les nouvelles techniques – puces à ADN, séquençage rapide – vous semblent-elles porteuses de nouvelles dérives ?

Mme Perrine Malzac. La possibilité d’accéder au matériel fœtal par le sang maternel associée à la puissance nouvelle de ces tests pangénomiques laisse craindre, en effet, des dérives. Aujourd’hui, le DPN cible une pathologie donnée pour un risque donné. Mais ces nouveaux tests produiront de nombreux résultats, que nous ne saurons pas toujours interpréter. Lorsqu’il y aura un doute, faudra-t-il poursuivre la grossesse ou, au contraire, l’interrompre ? La loi actuelle n’exige pas de certitude, mais une forte probabilité quant à l’existence d’une maladie d’une particulière gravité pour autoriser une IMG. Comment faudra-t-il interpréter cette notion lorsque nous aurons à notre disposition les résultats d’un test pangénomique ? Et si la grossesse est poursuivie, ces résultats n’imprimeront-ils pas leur marque de façon durable dans la relation que les parents entretiendront avec leur enfant ?

M. le président. Je vous remercie.

Audition de Mme Dominique STOPPA-LYONNET, chef du service de génétique oncologique de l’Institut Curie,
membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE)



(Procès-verbal de la séance du 8 juillet 2009)

Présidence de M. Jean-Sébastien Vialatte, vice-président

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Je vous prie tout d’abord d’excuser le président de notre mission d’information, Alain Claeys, absent cet après-midi. C’est donc moi qui ai le plaisir d’accueillir Mme Dominique Stoppa-Lyonnet, chef du service de génétique oncologique de l’Institut Curie, professeur à l’université Paris V- René Descartes, membre du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé.

Vous avez été, madame, à l’initiative de l’action engagée en 2002 par plusieurs organismes français, dont l’Institut Curie, contre un brevet protégeant une technique d’identification des prédispositions génétiques aux cancers du sein et de l’ovaire, qui avait été délivré à la société Myriad Genetics. Sans doute pourrez-vous nous rappeler les raisons de ce recours et nous faire part de votre sentiment sur la décision de l’Office européen des brevets (OEB) du 19 novembre dernier, qui a finalement donné partiellement raison à cette société, et, plus généralement, sur la réglementation applicable en matière de protection juridique des inventions biotechnologiques, issue de la directive européenne de juillet 1998.

Vous êtes par ailleurs l’auteur d’un rapport, établi à la demande de l’Agence de la biomédecine et de l’Institut national du cancer (INCa) et que vous avez remis en 2007 sur le diagnostic prénatal (DPN), l’interruption médicale de grossesse (IMG), le diagnostic pré-implantatoire (DPI) et les formes héréditaires de cancer. Le groupe de travail que vous avez animé a estimé qu’il n’était pas nécessaire de modifier les dispositions législatives actuelles mais qu’il était en revanche nécessaire de guider les centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN) dans leurs décisions, selon des modalités que vous nous préciserez.

Avant de vous céder la parole, j’ajoute que vous avez également été membre du groupe de travail du Conseil d’État, présidé par Philippe Bas, sur la révision des lois de bioéthique.

Mme Dominique Stoppa-Lyonnet. Je vous remercie de me recevoir.

Le rapport auquel vous venez de faire allusion et que j’ai remis en 2007 a été demandé par l’Agence de la biomédecine et l’Institut national du cancer à la suite d’une polémique née dans la presse, notamment au travers de plusieurs articles publiés dans Le Monde rapportant que des médecins généticiens pratiquaient à Strasbourg des DPI pour des prédispositions génétiques au cancer du côlon. Cette polémique était d’ailleurs infondée car il y avait un malentendu : on pensait que ces DPI visaient à dépister le syndrome de Lynch, qui apparaît chez des sujets assez âgés, ce qui aurait été interdit, comme l’a confirmé la directrice de l’Agence de la biomédecine à l’époque, Carine Camby, alors qu’en réalité, c’est la polypose adénomateuse qui était recherchée, maladie génétique pour laquelle sont déjà autorisés le DPN et l’IMG lorsque le fœtus est atteint. Devant la polémique naissante, fût-elle infondée, l’ABM et l’INCa ont commandé un rapport dressant l’état des lieux en matière de DPN, DPI et IMG concernant les formes héréditaires de cancer et m’en ont confié la charge. J’ai alors réuni un groupe pluridisciplinaire d’une vingtaine de personnes pour faire le point sur ces pratiques en France. Il est apparu qu’une soixantaine de DPN sont en moyenne réalisés chaque année pour des maladies monogéniques à transmission dominante, c’est-à-dire pour lesquelles si l’un des deux membres du couple est porteur d’une mutation, le risque qu’il la transmette à un enfant est de 50 %. Statistiquement, une trentaine de fœtus sont donc atteints chaque année, pouvant conduire à une trentaine d’IMG. Sur ce nombre, environ vingt sont faites dans le cas de maladies conjuguant une pathologie donnée comme la sclérose tubéreuse de Bourneville et un risque accru de cancer, du rein en l’espèce, et environ dix dans des cas de prédispositions à un cancer. Il s’agit essentiellement de cancers se révélant dès l’enfance ou chez l’adulte jeune comme la polypose adénomateuse, les syndromes de von Hippel-Lindau ou Li-Fraumeni. Il n’y a donc aujourd’hui aucune dérive par rapport aux dispositions de la loi qui autorisent DPN, DPI et IMG pour des maladies d’une particulière gravité.

Une fois ce constat posé, notre groupe de travail a classé les formes héréditaires de cancers en quatre catégories. La première regroupe des cancers de sites multiples, à révélation précoce, pour lesquels il n’existe quasiment pas de traitement ; la deuxième, certains cancers très localisés, se révélant eux aussi précocement, comme le rétinoblastome ; la troisième, des cancers dont certaines mutations accroissent le risque, comme celles des gènes BRCA1 et BRCA2 qui exposent à un risque élevé de cancer du sein et de l’ovaire. Ces cancers-là se révèlent plus tardivement, entre 30 et 40 ans, peuvent être dépistés et faire l’objet d’une prévention, certes pas anodine en ce qu’elle consiste en une chirurgie prophylactique. C’est dans cette troisième catégorie que l’on pourrait ainsi classer les prédispositions au cancer du côlon du syndrome de Lynch, qui furent à l’origine de la polémique évoquée plus haut. La quatrième catégorie, plus singulière, regroupe les cas où se conjuguent une maladie bien précise et un risque élevé de cancer – je pense à l’anémie de Fanconi, associée à un risque élevé de carcinomes de la sphère ORL et de leucémies.

Après avoir opéré cette classification, nous avons bien insisté sur le fait que s’y référer ne pouvait suffire et qu’il fallait toujours prendre en compte la singularité de chaque histoire familiale. Ainsi y a-t-il des familles où, en dépit d’une mutation des gènes BRCA1 ou BRCA2, peu de décès précoces ont été constatés, alors que dans d’autres, avec une mutation des mêmes gènes, l’histoire familiale est tragique avec des décès multiples et précoces. Nous recherchons les facteurs associés, notamment externes, qui jouent pour induire une mortalité plus ou moins élevée ou une réponse plus ou moins bonne au traitement. En effet, tout n’est pas « inscrit » dans la tumeur elle-même.

Notre groupe de travail a considéré que dans de rares cas, certaines prédispositions génétiques à des cancers, même à révélation plus tardive, pouvaient revêtir « une particulière gravité », et il a donc proposé qu’il soit dans tous les cas tenu compte de l’histoire familiale et de son vécu. Comment ne pas prendre en compte la situation particulière de femmes, orphelines très jeunes, qui ont vu plusieurs membres proches de leur famille décédés d’une forme génétique de cancer du sein, lorsqu’elles ont un projet parental ? La plupart du temps, les CPDPN n’attesteront pas de la « particulière gravité » de la maladie, mais il faut que, dans certains cas, ils puissent le faire. Il n’y a donc pas lieu de modifier la loi sur ce point.

Alors que le législateur n’a pas demandé en 2004 de liste des maladies concernées, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST), dans son rapport d’évaluation de l’application de la loi, a formulé le souhait d’une liste « à titre indicatif ». L’idée me fait un peu peur. Il me semble que la liste établie a posteriori à partir des rapports d’activité des CPDPN suffit. Je ne suis pas favorable à l’établissement d’une liste a priori, ne fût-elle qu’indicative.

Une autre de nos recommandations est de mettre en place à l’Agence de la biomédecine un groupe de travail qui puisse guider les CPDPN dans leurs décisions, à titre purement consultatif, les centres demeurant souverains. Il pourrait également être chargé de suivre l’évolution des demandes présentées et de faire le point dans quelques années.

Nous nous sommes demandés s’il convenait de distinguer entre DPN et DPI en matière de recevabilité et avons conclu qu’il n’y avait pas de raison que celles du DPI soient plus larges que celles du DPN. Au contraire, cela ferait courir un vrai risque de dérives eugénistes. Il faut en rester aux critères posés dans la loi, à savoir la particulière gravité de la maladie et son incurabilité. Enfin, il est une autre raison, plus triviale, pour laquelle une distinction ne serait pas opportune. En effet, le DPI passe nécessairement par une fécondation in vitro. Or, celle-ci a lieu en ce cas chez des couples qui n’ont pas de problème particulier de fertilité, si bien qu’une grossesse spontanée peut toujours survenir alors qu’ils se sont engagés dans une démarche de DPI. Il est important dans ce cas de pouvoir leur proposer un DPN.

Je voudrais ici insister sur un point, qui peut sembler de détail mais qui a néanmoins une portée symbolique forte. Les articles L. 2131-1 à L. 2131-5 du code de la santé publique traitant du diagnostic prénatal figurent dans le titre III du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique, intitulé « Actions de prévention concernant l’enfant », qui regroupe également les dispositions relatives au carnet de santé et aux examens obligatoires, ainsi qu’à l’alimentation, la publicité et la promotion. Je trouve cela assez choquant. C’est vraiment donner du grain à moudre à ceux qui craignent ou dénoncent déjà un eugénisme organisé, même si le DPN n’implique pas nécessairement une IMG si le fœtus est atteint d’une anomalie.

S’agissant de l’information de la parentèle en cas de maladie génétique d’une particulière gravité pour laquelle « des mesures de prévention ou de soins peuvent être proposées », nous nous sommes demandés si cette information concernait seulement les personnes déjà nées ou aussi celles à naître. Je n’ai pas, pour ma part, de position tranchée. En tout cas, si on laisse les dispositions relatives au DPN dans le titre « Actions de prévention concernant l’enfant », alors la parentèle doit aussi être informée pour les enfants à naître.

J’en viens à votre deuxième question concernant les brevets sur les gènes BRCA1 et BCRA2. Pourquoi l’Institut Curie a-t-il déposé un recours en 2001 ? Tout a commencé en 1998 quand plusieurs responsables de laboratoires européens, dont j’étais, ont été invités à Salt Lake City par Myriad Genetics pour un premier congrès international sur ces deux gènes – congrès dit international mais dont les participants étaient limités et choisis. Nous nous sommes vite aperçus que Myriad cherchait à cette occasion à obtenir des informations sur l’organisation de ces tests en Europe. Marc Skolnick, fondateur de Myriad et « découvreur » du gène BRCA1, nous a indiqué avoir déposé un brevet et demandé à l’Office européen des brevets le monopole de la réalisation du criblage complet des deux gènes. Il faut savoir qu’il existe deux types de tests génétiques, le criblage complet que l’on effectue pour la première fois dans une famille afin de rechercher s’il existe une mutation pouvant expliquer l’histoire familiale. Ce test est très long car il faut séquencer entièrement les deux gènes, les mutations pouvant s’être produites en de multiples endroits – nous découvrons tous les jours de nouvelles mutations. Le second type de test, ciblé, est celui que l’on effectue pour vérifier si se retrouve chez une personne une mutation déjà identifiée. Myriad souhaitait un monopole sur le séquençage complet et que tous les échantillons d’ADN lui soient adressés à cette fin. Pour les tests ciblés, qui peuvent porter sur une mutation déjà identifiée dans une famille ou sur des mutations fréquemment observées dans une population donnée – ainsi existe-t-il trois mutations très fréquentes des gènes BRCA1 et BRCA2 dans la population ashkénaze –, Myriad était disposé à accorder des licences et à ne toucher que des royalties.

Seulement Myriad, qui possède à Salt Lake City un laboratoire gigantesque, une véritable « usine à tests » entièrement automatisée, avait oublié que cette automatisation précisément ne lui permettait pas de mettre en évidence certaines mutations. Nous ne pouvions, nous, accepter que se mette en place un monopole pour des tests qui allaient coûter très chers et dont la qualité serait insuffisante. D’où notre recours auprès de l’Office européen des brevets, devant lequel il est possible de contester un brevet pendant neuf mois après sa délivrance. Les arguments que nous avons fait valoir, vite relayés par d’autres pays européens, étaient très concrets, se fondant notamment sur des erreurs de séquençage commises par Myriad qui avait avant tout cherché à déposer son brevet le plus tôt possible. La procédure ayant duré très longtemps, Myriad a entre-temps amélioré les choses. Il n’empêche que, je passe sur les détails, son brevet sur le gène BRCA1 a été totalement révoqué en 2004. Myriad a bien sûr fait appel, ne revendiquant plus de brevet que sur certaines mutations n’exigeant pas un séquençage de qualité parfaite, et a obtenu gain de cause le 19 novembre dernier. Même si Myriad possède aujourd’hui un brevet sur 75 % des mutations de BRCA1, nous avons gagné la bataille que nous avions lancée pour qu’il n’ait pas le monopole des tests. Mais 75%, c’est beaucoup, m’objectera-t-on. Il faut cependant savoir que, lorsqu’on séquence aujourd’hui BRCA1, on ne trouve, selon nos critères, une mutation que dans 7 % à 8 % des cas, si bien qu’il n’y a en gros que 5 % des tests qui tombent sous le coup du brevet de Myriad. En outre, il n’est plus question d’adresser les échantillons à Salt Lake City mais seulement de payer une redevance à Myriad, éventuellement à titre rétrospectif.

J’en viens à votre troisième question, plus générale, relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques. Comme vous le savez, « si l’intérêt de la santé publique l’exige et à défaut d’accord du titulaire du brevet, le ministre chargé de la propriété industrielle peut, à la demande du ministère de la santé, soumettre par arrêté une méthode de diagnostic in vivo au régime de la licence d’office ». Cela me paraît raisonnable, mais pour que la licence d’office puisse être appliquée, encore faut-il que les procédés et méthodes faisant l’objet d’un brevet soient « mis à la disposition du public en quantité et qualité insuffisantes ou à des prix anormalement élevés ». Cela signifie que si Myriad Genetics ouvrait une gigantesque « usine à tests » en Europe, il pourrait devenir obligatoire que les tests ciblés y soient réalisés. L’Office européen des brevets a néanmoins été assez courageux en acceptant un brevet pour les tests qui constituent une application de la connaissance première d’un gène, mais non pour des applications plus lointaines, par exemple de thérapie génique ou autres traitements, non décrites dans l’invention initiale. Espérons que cette position tiendra. Car le problème des brevets sur les inventions biotechnologiques va bien au-delà des tests génétiques : pour poursuivre efficacement leurs recherches, les laboratoires ne doivent pas être liés par des licences de dépendance.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Merci pour cet exposé très précis sur les tests génétiques et les brevets.

Je souhaite vous interroger, pour ma part, sur l’information de la parentèle en cas d’anomalie génétique grave pour laquelle des mesures de prévention ou de soins peuvent être proposées. Il semble que les acteurs se soient satisfaits de la souplesse offerte par la législation actuelle. Aux termes du code de la santé publique, la personne porteuse d’une mutation qui refuse d’informer ses apparentés bénéficie d’une clause d’irresponsabilité. Le Conseil d’État suggère de lever cette clause dès lors qu’une voie alternative d’information est ouverte. Que proposez-vous afin de concilier respect du secret médical et sécurité de la santé des personnes potentiellement concernées ? Quelles seraient les obligations exactes de l’Agence de la biomédecine et de la personne porteuse, voire de ses médecins ?

Mme Dominique Stoppa-Lyonnet. C’est un sujet extrêmement difficile. Les personnes porteuses sont déchargées de leur responsabilité si elles acceptent la transmission de l’information par l’Agence de la biomédecine mais non si elles refusent de transmettre l’information, quel qu’en soit le canal.

M. le rapporteur. Il est bien précisé à la fin de l’article L. 1131-1 du code de la santé publique que « le fait pour le patient de ne pas transmettre l’information concernant une anomalie génétique dans les conditions prévues au troisième alinéa [qui énonce les conditions d’information de la parentèle] ne peut servir de fondement à une action en responsabilité à son encontre ».

Mme Dominique Stoppa-Lyonnet. Soit la personne informe directement sa parentèle, éventuellement aidée par un document que lui aura remis son médecin, par exemple un courrier expliquant les enjeux du test génétique et donnant les éléments d’information nécessaires pour que les membres de la famille puissent y procéder s’ils le souhaitent ; soit elle passe par l’Agence de la biomédecine, notamment si, d’accord pour informer sa parentèle, elle n’en a pas le courage ou la possibilité matérielle. Pour que l’Agence de la biomédecine puisse prendre contact avec les apparentés, il faut que la personne ait communiqué leurs coordonnées. L’Agence ne peut se transformer en généalogiste ni en enquêtrice de police ! Si la personne ne veut transmettre l’information d’aucune façon, on en revient aux principes de droit commun de la responsabilité civile. Telle est en tout cas l’interprétation du Conseil d’État.

Les juridictions éventuellement appelées à se prononcer le feront bien entendu au cas par cas. Dans le cas d’une maladie dominante grave, où il y a déjà eu de nombreux décès dans la famille, on peut imaginer que le juge, saisi en responsabilité par un apparenté qui n’a pas été informé, puisse faire valoir que cet apparenté, vu l’histoire familiale, aurait pu par lui-même chercher à en savoir davantage, et que ne soit pas retenue la responsabilité de son parent qui ne l’a pas informé. En revanche, dans le cas d’une maladie récessive liée à l’X, où les apparentés ne disposent d’aucun indice pouvant les alerter et les amener à agir d’eux-mêmes, la responsabilité de la personne porteuse de l’anomalie génétique pourrait être recherchée. La question est complexe car passer outre la volonté du patient de ne pas informer sa parentèle et donc trahir le secret médical risque de ruiner la confiance entre patient et médecin. Le dispositif actuel, légèrement modifié comme le propose le Conseil d’État – l’ABM étant substituée par le médecin prescripteur –, permettant la transmission de l’information aux apparentés par le médecin lorsque que celui-ci y a été autorisé par le patient qui ne peut ou ne veut pas transmettre lui-même – apparaît raisonnable. Sa responsabilité civile pourrait rester engagée en cas de refus catégorique de transmission de toute information aux apparentés.

M. Paul Jeanneteau. L’interprétation du Conseil d’État est exactement celle que vous dites. La loi n’est ni simple ni claire sur ce sujet et, comme les décrets d’application ne sont jamais parus, c’est de fait une irresponsabilité totale qui prévaut. Profitons de la révision de la loi de 2004 pour clarifier ce point et le rendre compréhensible à tous, y compris nous-mêmes, législateurs.

N’est-il pas dangereux d’admettre que le secret médical puisse être levé dans certains cas ? Ne risque-t-il pas alors d’être trahi dans bien d’autres ? Il faut bien évaluer le rapport risque/bénéfice d’une telle disposition.

M. le rapporteur. Vous connaissez tous l’histoire de cette famille où une personne porteuse d’une anomalie génétique conduisant à un déficit enzymatique, de surcroît médecin, n’a pas informé ses apparentés et où deux jeunes enfants sont morts, alors qu’un régime alimentaire approprié aurait pu permettre d’éviter ces décès si les parents avaient été informés. Dans de tels cas, je me demande si le secret médical peut l’emporter sur la non-assistance à personne en danger. La médecine fourmille de cas de levée du secret médical s’il y a mise en danger de la vie d’autrui.

M. le président. Le dispositif de transmission de l’information par l’Agence de la biomédecine ne marche pas. Quelle solution pratique imaginer pour que la parentèle soit systématiquement informée, avec l’accord du patient ? Pourquoi pas l’envoi automatique d’une lettre-type indiquant aux personnes concernées qu’elles doivent consulter un médecin ?

Mme Dominique Stoppa-Lyonnet. L’objectif est bien d’arriver à cette information systématique, avec l’accord du patient, sans la coopération duquel, de toute façon, rien n’est possible.

M. le président. Toute consultation de génétique ne commence-t-elle pas par l’établissement d’un arbre généalogique ?

Mme Dominique Stoppa-Lyonnet. Si, mais sans qu’on demande les noms, prénoms et adresses !

Ce sont des questions très concrètes qui se posent. Comment prouver que le médecin a bien informé la parentèle ? Doit-il envoyer un courrier recommandé avec accusé de réception ? Faut-il, et si oui comment, exiger une réponse de la part des destinataires ? Surtout, quel doit être le contenu de ce courrier ? Les décrets d’application, qui doivent prévoir ces modalités pratiques, ne sont pas si simples à prendre. Quid des personnes perdues de vue ou n’habitant plus à l’adresse indiquée ? Quid du droit des apparentés à ne pas souhaiter connaître leur statut, du moins à un instant donné ? Quid enfin du surcroît de travail pour les médecins, qui ne sera pas négligeable ?

M. le rapporteur. Les CPDPN appliquent-ils tous les mêmes règles, et de façon homogène, sur l’ensemble du territoire national ?

Mme Dominique Stoppa-Lyonnet. Il est difficile de vous répondre car ils prennent toujours en compte la situation particulière d’un couple avec son vécu familial face à une maladie donnée. Des responsables de CPDPN seraient mieux à même que moi pour vous apporter cette précision. Cela dit, il semble qu’il existe une certaine hétérogénéité dans les décisions. Ainsi un CPDPN a-t-il refusé une IMG pour une malformation d’un membre d’un fœtus, alors qu’un autre l’a acceptée. Et les prérogatives des CPDPN n’étant pas territorialisées, un certain nomadisme des couples est possible. Il faudrait disposer d’une vision nationale des cas examinés. Ce pourrait être le rôle de la Fédération nationale des CPDPN que de travailler à l’homogénéisation de leurs positions. Cela ne relève pas du domaine de la loi, mais de bonnes pratiques.

M. le rapporteur. Faut-il interdire les tests génétiques proposés sur Internet, le plus souvent pratiqués à l’étranger ? Le Conseil d’État suggère d’envisager une réglementation européenne. Est-ce réaliste ou non ? Que peut la loi française à elle seule ? Peut-on pénaliser l’envoi de tests à l’étranger, censés prédire tout et n’importe quoi ? Enfin, les tests de paternité qui, eux, ne sont pas du charlatanisme même s’il peut y avoir des erreurs, doivent-ils être traités de la même façon que les autres ?

Mme Dominique Stoppa-Lyonnet. La réalisation d’un test de paternité est aujourd’hui très réglementée en France. Beaucoup recourent à des tests proposés sur Internet et pratiqués à l’étranger. Il me semble qu’un homme qui aurait fait réaliser un test sur son enfant à l’insu de sa femme pourrait être poursuivi pour acte commis dans des conditions illégales.

M. le rapporteur. Pardonnez-moi de me faire l’avocat du diable, mais pourquoi ? Cet homme ne fait que chercher la vérité. Au nom de quoi devrait-on l’en empêcher ?

Mme Dominique Stoppa-Lyonnet. Je vous réponds avec le cœur, au nom de l’intérêt de l’enfant pour qui la nouvelle que le père qui l’a reconnu n’est pas son père génétique constitue toujours un drame. Cela étant, il suffit qu’une mère dise à son enfant qu’il n’est pas l’enfant de son père pour que le mal soit fait ! S’agissant des tests de paternité, le mieux me paraît de s’en tenir à la réglementation actuelle, en allant si possible vers une harmonisation européenne, ce qui ne sera pas facile.

M. le rapporteur. Il faudrait sans doute préciser que, dès lors que le père a reconnu l’enfant, aucun résultat de test génétique ne peut le dégager de cette paternité. Cette position fait, je le crois, consensus.

Mme Dominique Stoppa-Lyonnet. S’agissant des autres tests, peut-être pourrait-on demander aux fournisseurs d’accès à Internet d’insérer un encart incitant à la prudence avant qu’il ne soit possible d’accéder aux sites qui les proposent. Il faudrait aussi tendre à une harmonisation au niveau européen puis international. Enfin, il est fondamental d’enseigner aux jeunes les rudiments de la génétique, ce qui commence à être fait, afin de les mettre en garde contre le charlatanisme et les dérives mercantiles de ces sites. Du strict point de vue théorique, les résultats donnés pour des maladies multifactorielles sont très solides, si ce n’est que leur utilité clinique est nulle. À quoi sert-il de savoir qu’on a un risque trois fois plus élevé que le risque « normal », infime, de développer tel cancer quand aucune mesure visant à mieux le prévenir n’est possible ? Les personnes qui se prêtent à ces tests risquent surtout d’en faire une mauvaise interprétation. En réalité, ces sites exploitent le besoin de réassurance de nos concitoyens, qui font ces tests comme ils liraient leur horoscope.

Pour ce qui est de la mise à disposition du grand public de diagnostics postnataux, je ne suis pas inquiète. Je ne pense pas qu’il existera de marché, du moins en France où nous disposons d’un bon système de santé et d’une bonne prise en charge. Les gens n’iront pas faire n’importe quoi, n’importe où et à leurs frais ! Le risque véritable est qu’à partir de l’analyse de l’ADN des cellules fœtales circulant dans le sang maternel, qui peut être pratiquée dès le tout début de la grossesse, des femmes, des couples mal informés et non accompagnés dans l’interprétation des résultats du test décident de manière irrationnelle de recourir à une interruption volontaire de grossesse (IVG), toujours possible dans le délai légal.

M. Paul Jeanneteau. J’ose espérer qu’un médecin dialoguera quand même avec le couple concerné !

Mme Dominique Stoppa-Lyonnet. Tant qu’on est dans le délai légal, le couple peut parfaitement alléguer d’autres raisons pour ne pas vouloir de cette grossesse.

M. le président. Ces tests réalisés sur les cellules fœtales circulant dans le sang maternel permettent aussi de connaître le sexe de l’enfant à naître et conduisent déjà à des IVG si le sexe n’est pas celui désiré.

Mme Dominique Stoppa-Lyonnet. Au Comité consultatif national d’éthique, (CCNE), nous avons reçu séparément deux gynécologues-obstétriciennes, Fanny Lewin et Alexandra Dürr, qui, toutes deux, nous ont dit qu’il fallait faire confiance aux femmes enceintes et que, pour leur part, pour en fréquenter en nombre, elles n’étaient pas inquiètes. Certes, il y a encore trop d’IVG dans notre pays, mais lorsqu’un couple a un vrai projet parental, il ne fait pas n’importe quoi. Tout en restant prudent, il faut compter là-dessus.

Avant de partir, je souhaiterais connaître votre avis sur le refus d’accès au dossier médical d’un apparenté d’une patiente que nous a opposé l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Nous avions demandé ce dossier car, dans les formes héréditaires de cancer, il est très important de connaître la localisation et la nature exactes de la tumeur dont un proche est décédé. Dans certains cas de cancers de l’ovaire, notre recommandation peut consister en une ovariectomie prophylactique. C’est donc essentiel.

Or, la direction de la Pitié-Salpêtrière nous a répondu, la demande ayant été, comme prévu par la loi, formulée par un ayant droit de la personne décédée, que l’article L. 1110-4 du code de la santé publique ne fait pas obstacle à ce que les informations concernant une personne décédée soient délivrées à ses ayants droit « dans la mesure où elles leur sont nécessaires pour connaître les causes de la mort, défendre la mémoire du défunt ou faire valoir leurs droits, sauf volonté contraire exprimée par le défunt avant son décès ». « Aussi, bien que Mme X soit ayant droit », poursuit l’administration, « la motivation de sa demande ne constitue pas l’un des trois cas d’ouverture prévue par ledit texte, ce qui ne peut qu’entraîner le rejet de sa requête ». Ne faudrait-il pas prévoir un quatrième cas de droit d’accès au dossier médical, précisément quand l’information recherchée présente un intérêt pour la santé de l’ayant droit ?

M. le président. Une mission d’information vient de remettre un rapport sur l’accès au dossier médical. Je crains, hélas, que la proposition que vous faites n’y figure pas. Concernant l’accès au dossier médical, je me demande également, surtout si l’on retenait le motif d’ « intérêt pour la santé d’autrui », s’il ne faudrait pas étendre le délai actuel de conservation des dossiers au-delà de vingt ans.

Un refus d’accès comme celui que vous évoquez ne peut aujourd’hui être contesté que devant la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), dont on connaît la lenteur et la lourdeur des procédures. C’est d’ailleurs pourquoi la mission d’information a suggéré que ces affaires puissent être confiées aux commissions régionales de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux afin d’obtenir des réponses plus rapides.

Enfin, que seuls les ayants droit puissent avoir accès au dossier médical exclut les concubins et les pacsés.

Mme Dominique Stoppa-Lyonnet. Certes, mais dans le cas que j’évoque, cela n’aurait pas d’intérêt car ils n’ont pas de lien génétique avec la personne décédée.

M. le président. Je vous remercie, madame, pour votre contribution à nos travaux.

Audition de M. Philippe GOSSELIN, député,
président du collectif « Don de vie, don de soi »



(Procès-verbal de la séance du 21 juillet 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous accueillons aujourd'hui notre collègue Philippe Gosselin, député de la Manche, membre de notre mission d'information et président du collectif « don de vie, don de soi ».

En novembre 2008, vous avez déposé une proposition de loi, qui a été cosignée par plusieurs collègues, visant à reconnaître le don de vie comme grande cause nationale 2009. À la suite de cette démarche, le premier ministre a choisi le don d'organes, de sang, de plaquettes et de moelle osseuse comme thème de la Grande cause nationale pour 2009.

Cette dernière est portée par un collectif associatif « Don de vie, don de soi », parrainé par Mme Simone Veil et M. Jean d'Ormesson et que vous présidez. Il réunit plusieurs associations, notamment la Fédération nationale d'aide aux insuffisants rénaux (FNAIR), la Fondation Greffe de vie, Transhépate et la Fédération des associations pour les dons d'organes et de tissus (France ADOT), que nous avons entendues le 10 juin dernier lors d'une table ronde.

Quels sont les objectifs de ce collectif ? Quelles actions de communication et d'information ont été engagées sous ce label ? De quelle façon pourrait-on faire diminuer le taux de refus au don d'organe, augmenter le nombre de donneurs de sang, de plaquettes et de moelle osseuse ? Dans la perspective de la révision des lois de bioéthique, quels aménagements pourraient être apportés à la réglementation actuelle ?

M. Philippe Gosselin. Je vous remercie de m'accueillir en qualité de président du collectif « Don de vie, don de soi ». Vous l'avez rappelé, les choses sont allées vite depuis que j'ai déposé, le 15 octobre dernier, la proposition de loi visant à faire du don d'organes, de sang, de plaquettes et de moelle osseuse, bref, du don de vie, la Grande cause nationale 2009. La décision ayant été prise très rapidement par le Premier ministre, ce collectif a été créé dans la foulée afin de donner corps à cette grande cause. Il représente plus d'un million de bénévoles répartis au sein de treize associations – vous en avez cité plusieurs, mais on doit aussi mentionner les associations Grégory Lemarchal et Laurette Fugain –, auxquelles il faut ajouter des associations associées et plusieurs établissements publics très importants, en particulier l'Etablissement français du sang et l'Agence de la biomédecine. Nous avons souhaité qu'il soit parrainé par Simone Veil et Jean d'Ormesson dont il nous est apparu qu'ils symbolisaient la force de la vie.

Tous, nous avons en commun la volonté de promouvoir le don de vie, depuis l'origine, c'est-à-dire le don de sang de cordon, jusqu'à la fin, avec le don d'organes post mortem. Nous nous sommes regroupés pour porter la grande cause nationale 2009, le choix fait par le Premier ministre nous ayant permis de mieux accéder aux médias et de lancer une campagne dynamique, destinée en particulier au jeune public, autour d'un beau film en noir et blanc et du slam de La Ruda. Ce film a été diffusé sur l'ensemble des chaînes du 7 au 14 juin et dans toutes les grandes salles de cinéma début juillet.

L'intérêt de notre collectif est aussi de disposer d'un réseau dense d'associations locales qui nous ont offert un relais dans la presse quotidienne régionale ainsi que dans la presse associative et municipale.

Cette campagne a suscité un regain d'attention pour la cause et donné au public des clés de lecture autour d'un message humaniste et citoyen sur la nécessité de lutter contre les maladies et de sauver des vies. Au-delà, nous souhaitons surtout que l'on parle du don de vie, qu'on lève les tabous et qu'on sensibilise le public.

Avant d'en venir aux enjeux et aux propositions de notre collectif, je souhaite rappeler l'importance des besoins en dons, dont il faut bien constater qu'ils ne sont pas totalement couverts aujourd'hui. Ainsi, 4,1 % des Français en âge d'être prélevés, soit 1,6 million de personnes, donnent leur sang. L'objectif est d'atteindre 2,3 millions. S'il faut saluer le récent arrêté qui a répondu à la demande des associations en élargissant la tranche d'âge des donateurs, on ne saurait s'arrêter là et il faut sans cesse continuer à communiquer et à sensibiliser. Ainsi, l'Établissement français du sang entend recruter cette année 80 000 nouveaux donneurs, la multiplication des opérations chirurgicales accroissant sans cesse les besoins.

Le don de plaquettes est indispensable au traitement des leucémies, qui touchent chaque année 250 000 personnes dans le monde et font 4000 décès en France. Pendant de longs traitements par chimiothérapie, on a besoin de ce support transfusionnel et il y a pénurie de donneurs d’où, là aussi, l'importance de la communication.

Le don de moelle osseuse est un acte volontaire, bénévole et anonyme qui représente la seule chance de survie pour des patients atteints de graves maladies du sang. En 2007, 1 307 nouveaux demandeurs de greffe ont été inscrits au registre national, s'ajoutant aux 1 754 malades déjà en attente. Fin 2008, on comptait 9 000 nouveaux demandeurs. Or, les rigoureuses exigences de compatibilité font qu'un demandeur à une chance sur un million de trouver un bon donneur. C'est donc aussi un domaine où la sensibilisation et la communication sont primordiales.

S'il présente des particularités et connaît une évolution plus favorable, le don d'organes n'en demeure pas moins insuffisamment développé : en 2007, grâce aux prélèvements consentis par 1 562 personnes, 4 666 malades ont pu être greffés, mais plus de 13 000 personnes sont en attente d'un organe et près de 230 sont mortes faute d'une greffe. On mesure donc les enjeux.

En France, ce don repose sur le principe du consentement présumé, chaque individu étant considéré comme favorable au don d'organes après sa mort à moins de s'y être explicitement opposé. Dans la pratique, on constate de fréquentes difficultés avec 30 % de refus de prélèvements : les familles, obligées de donner une réponse très vite alors qu'elles vivent une situation dramatique, sont incapables de franchir le pas et ignorent souvent ce qu'aurait souhaité faire leur parent décédé. C'est pourquoi certains proposent que l'on passe de l'actuel registre des non à un registre des oui.

Au total, les besoins en sang, plaquettes, moelle osseuse et organes étant très importants, nous avons constitué ce collectif afin de mieux faire circuler l'information au sein d'un véritable réseau : l'union fait la force !

Une meilleure prise en compte de la demande et des besoins, tel est tout simplement l’enjeu. Pour cela, il faut informer, sensibiliser et communiquer, mais aussi respecter des règles partagées et prendre en compte certaines spécificités relatives au don de cordon et au don d'organes post mortem.

Je me réjouis qu'il ait été décidé d'organiser des états généraux dans le cadre de la révision des lois de bioéthique. En effet, il est bon que ces sujets délicats qui touchent à la vie, à la mort et à ce que nous avons de plus intime, ne soient pas l'affaire des spécialistes et des techniciens mais que l'ensemble de la population soit sensibilisé.

Pour que ce thème se diffuse largement dans le public, nous croyons d'abord à l'action en direction des jeunes : outre l'intervention des associations dans les écoles et le relais des infirmières et des médecins scolaires, nous souhaitons que la question du don soit inscrite dans les programmes scolaires. Chacun de nous peut aussi parler du don de vie avec ses enfants sans qu’ils en soient traumatisés, je l’ai fait avec les miens. Au-delà, on peut encourager la coopération avec des associations d'étudiants, l'association des étudiants de l’ESSEC étant d'ailleurs membre de notre collectif.

S’agissant des actions en direction de l'ensemble de la population, il me semble que les généralistes ont un rôle important à jouer : même s’ils assument déjà de nombreuses fonctions, ils manifestent un véritable intérêt pour ce sujet. On peut aussi miser sur la médecine du travail et confier, au sein des entreprises, un rôle de sensibilisation aux comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

Si l’Établissement français du sang et l’Agence de la biomédecine mènent déjà des campagnes remarquables, la Grande cause nationale doit permettre de mieux faire passer le message : la pédagogie n'est-elle pas l’art de la répétition ?

Les règles qui doivent être respectées mais aussi acceptées et partagées par tous tiennent essentiellement à l’indisponibilité du corps humain, ce qui nous renvoie à la gratuité et à l'anonymat du don. Si l'on peut admettre une indemnisation des frais occasionnés, voire de frais annexes comme la garde d'enfants ou le manque à gagner professionnel, il faut sans cesse rappeler avec force que le corps humain n'est pas une marchandise et que l'on ne peut le vendre. De même, en dehors des cas exceptionnels de don entre parents, l'anonymat doit impérativement être préservé.

J’en viens aux spécificités du don de sang de cordon et du don d'organes. Le premier est relativement peu développé et il faudrait aller plus loin car il s'agit d’un bon palliatif à des recherches qui posent de très sérieuses questions éthiques. Nous souhaitons qu'en la matière un dispositif public efficace soit mis en place pour garantir le respect de la déontologie et de l'intérêt général et afin que les patients ne soient pas dépendants d'intérêts privés. La sénatrice Marie-Thérèse Hermange s'est particulièrement intéressée à ce sujet.

S'agissant des dons d'organes post mortem, c'est bien évidemment la question de la présomption d'accord qui est posée, l'objectif partagé par tous étant de diminuer le taux de refus. Si notre collègue François Calvet a déposé une proposition de loi et fait valoir un certain nombre d'arguments en faveur de la création d'un fichier des oui, je suis pour ma part plus réservé, ne serait-ce que parce que la présomption d'accord a jusqu'ici permis de développer le don. Je suis persuadé qu'il faut surtout insister sur ce formidable hymne à la vie qu’est le don. Mais ne soyons pas naïfs : il est difficile de parler de la mort et du don d'organes. Il faut donc dédramatiser et pour cela informer le public le plus large possible.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Merci pour cet exposé et pour votre engagement en faveur de cette cause.

La question du consentement présumé est particulièrement importante. Dans notre pays, nous sommes tous supposés connaître la loi qui dit que nous sommes a priori favorables au don de nos organes après notre mort. Malheureusement, lorsque l'on demande aux familles si elles savent si le défunt était pour le don, elles comprennent que c’est leur avis qu'on demande et le taux de refus atteint 30 %.

À l'occasion des états généraux, le panel des citoyens nous a dit qu'on lui délivrait le message « donnez la vie », mais qu'on ne lui expliquait pas le consentement présumé. C'est pour cela qu'est apparue l'idée de tenir un registre non plus des non mais des oui et des non. Au sein de votre collectif, les avis sont-ils partagés ? Certains sont-il résolument pour le registre des oui tandis que d'autres le refusent catégoriquement ? Savez-vous par ailleurs si dans les pays où il existe un registre du oui, comme les États-Unis ou le Canada, les dons sont plus importants qu'en France ?

En dehors des idées que vous avez avancées, notamment en matière d'enseignement, comment faire campagne plus systématiquement en faveur du don ? À l'occasion du débat sur les dernières lois bioéthique, j'avais fait adopter un amendement prévoyant une information à l'occasion de la journée d'appel et de préparation à la défense mais le décret d'application n'est jamais sorti. Comment faire en sorte que nos concitoyens soient véritablement informés ? En dépit de campagnes de grande qualité, ils restent largement dans l'ignorance et se trouvent subitement dans une situation dramatique lorsque le décès survient.

Par ailleurs, on sait qu'en raison des problèmes de compatibilité, notamment pour les dons de rein, même dans un contexte proche, on ne trouve souvent de donneur qu'à l'autre bout de la France. Ne conviendrait-il pas dans ce cas de développer les possibilités de don croisé afin que plus de personnes puissent bénéficier du don entre vivants ?

M. Xavier Breton. Outre la campagne nationale, les campagnes locales sont aussi de très bonne qualité. Ainsi, dans mon département de l’Ain, des associations se sont emparées de ce thème, ce qui me paraît porteur d'espoir car il faudra bien rebondir une fois cette année écoulée.

Par ailleurs, à vous entendre, on a le sentiment que vous êtes assez peu demandeur de modifications législatives et que vous considérez qu'en la matière c'est surtout de volonté et de communication dont on a besoin. Pouvez-vous le confirmer ?

Enfin, vous avez cité des points d'accord très fort entre les associations, mais existe-t-il aussi des points de désaccord ?

M. le président . Faut-il un registre des oui ? Telle est la question principale…

M. Philippe Gosselin. On n’est véritablement efficace que dans la durée et les différentes campagnes qui donnent un coup de projecteur à un moment donné ne sauraient bien évidemment suffire ; il faut sans cesse trouver de nouveaux relais. C'est bien pourquoi, conscients de la nécessité absolue d'informer, nous pensons qu'il faut sensibiliser les jeunes publics.

M. le président. Avez-vous envisagé des méthodes avec l'éducation nationale ?

M. Philippe Gosselin. Juste avant de quitter le ministère, Xavier Darcos avait accepté l'idée d'intégrer pendant dix ans dans les programmes scolaires une sensibilisation au don d'organes. Nous reprendrons bien évidemment les discussions avec Luc Chatel car ce serait un excellent vecteur d'information des citoyens de demain mais aussi des enfants et des adultes d'aujourd'hui : on sait que lorsqu'ils sont abordés en classe de tels sujets font ensuite débat dans les familles.

M. le président. Quel regard portez-vous sur l'information diffusée par l'Agence de biomédecine ?

M. Philippe Gosselin. L’ABM fait un excellent travail et l'exposition qui circule actuellement dans les hôpitaux est très intéressante. Peut-être ce travail mériterait-il d'être intensifié et destiné à un plus large public. C'est pourquoi j'ai évoqué la nécessité de relais que peuvent être les médecins généralistes, les médecins et les infirmières scolaires, les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, l'idée étant de faire du don une sorte de grande cause nationale permanente, un peu comme le plan cancer ou comme les actions en faveur de la sécurité routière, qui ont bénéficié de l'engagement continu de tous les gouvernements depuis des années. Je crois que ce n'est que de la sorte que l'on sera véritablement efficace.

J'en viens aux registres. S'il est vrai que la présomption d'acceptation est assez confortable, le problème est que lorsque les familles sont consultées, elles refusent le don parfois pour des raisons personnelles ou religieuses, mais surtout parce qu'elles ignorent ce que souhaitait faire le défunt.

Tout ce qui peut permettre d'améliorer les choses est bon à prendre. Au sein du collectif, nous n'avons pas à ce propos de discussion philosophique, nous cherchons simplement comment être le plus efficace possible.

On ne constate pas véritablement un taux d'acceptation supérieur dans les pays où il existe un registre des oui. L'Espagne, qui a fait diminuer de 15 % le taux de refus, est toutefois citée régulièrement en exemple.

Pour ma part, je pense qu'il faut mobiliser davantage autour du fait que les gens ont été informés et qu'ils étaient consentants. C'est pourquoi je suis plutôt favorable à l'idée d'une information transmise via la carte vitale, qui s'adresse à un public très large.

Il est vrai que, globalement, le collectif ne souhaite pas de révolution législative. Il souhaite surtout voir réaffirmer le grand principe de l’indisponibilité du corps humain. Même si, dans le détail, l'indemnisation peut sans doute être améliorée, cela ne nécessite nullement de modifier la loi.

Il y a en effet un désaccord entre nous sur la question du registre. Le collectif n'a pas tranché mais la majorité de ses membres et des centaines de milliers de bénévoles qu'ils représentent sont plutôt favorables au registre du non et à la présomption d'acceptation. Surtout, nous sommes tous attachés à l'idée d'une campagne d'information de longue durée, ce qui suppose que la Grande cause aille au-delà de la seule année 2009.

M. le président. Merci beaucoup.

Audition de Mme Françoise ANTONINI, déléguée générale de l’Alliance maladies rares, de Mme Viviane VIOLLET, responsable de la commission éthique de l’Alliance, de Mme Catherine AVANZINI, membre de la commission, et de Mme Marie-Christine OUILLADE, administratrice de l’Association française contre les myopathies (AFM)


(Procès-verbal de la séance du 22 juillet 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Françoise Antonini, déléguée générale de l’Alliance maladies rares, accompagnée par Mme Viviane Viollet, responsable de la commission éthique de l’Alliance et de Mme Catherine Avanzini, membre de cette commission, ainsi que Mme Marie-Christine Ouillade, administratrice de l’Association française contre les myopathies (AFM).

L’Alliance maladies rares, créée en 2000, rassemble aujourd’hui 193 associations de malades et représente environ 2 000 pathologies rares et deux millions de malades.

L’AFM, créée en 1958, a pour objectifs de guérir les maladies neuromusculaires et de réduire les handicaps qu’elles provoquent, à travers notamment l’organisation, chaque année, de la magnifique manifestation qu’est le Téléthon.

Je vous laisse la parole, mesdames, pour une intervention liminaire en vous demandant de préciser, à chaque fois, ce qui, selon vous, mériterait d’être amélioré ou changé dans les lois actuelles.

Mme Françoise Antonini. Je souligne d’emblée que, l’Alliance rassemblant des associations dont les tailles et problématiques sont très différentes, il lui est difficile de prendre position. Par ailleurs, la commission éthique n’a que trois mois d’existence. Nous avons préparé pour cette audition un document, quatre membres de la commission s’étant chargé chacun d’un thème. Mme Avanzini va introduire le sujet en parlant de la légitimité du désir d’enfant dans les familles à risques et de leur souci d’avoir une procréation responsable.

Mme Catherine Avanzini. Alors que le désir d’enfant des individus est entendu par la société d’aujourd’hui et pris en compte tant par la procédure d’adoption que par les techniques de l’assistance médicale à la procréation (AMP), celui des personnes atteintes de maladies rares est freiné soit pour des raisons liées au couple – cas de stérilité ou mise en danger de la vie de la femme –, soit en raison des risques de transmission d’une maladie d’une particulière gravité à l’enfant.

Certaines maladies rares ont pour conséquence de rendre le couple irrémédiablement stérile comme le syndrome de Turner et le syndrome de Rokitansky, ce dernier se caractérisant par une absence d’utérus. Dans d’autres cas, comme le syndrome de Marfan et la lymphangioléiomyomatose, la grossesse entraîne une flambée de la maladie mettant la vie de la femme en péril.

Dans ces deux situations, le recours à l’AMP n’étant pas possible, seule la voie de l’adoption est ouverte pour pouvoir réaliser le projet parental. C’est pourquoi nous vous demandons de revoir les conditions d’adoption pour les personnes atteintes de maladies rares dans le cadre du plan de réforme de l’adoption.

M. le président. L’Alliance a-t-elle pris position sur la gestation pour autrui ?

Mme Catherine Avanzini. Comme l’a précisé Françoise Antonini, l’Alliance rassemble un grand nombre d’associations. Certaines se sont prononcées à ce sujet mais l’Alliance n’a pas pris position.

Mme Françoise Antonini. Nous considérons que le refus probable par le législateur de la gestation pour autrui devrait le conduire à examiner la possibilité d’un assouplissement des conditions d’adoption dans le cas où l’un des adoptants est malade. Il y a actuellement une discrimination liée à la maladie.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Vous souhaitez que toutes les pathologies qui peuvent s’aggraver pendant une grossesse rendent possible l’adoption au même titre que l’infertilité ?

Mme Françoise Antonini. Tout à fait. Nous demandons également que l’adoption soit possible pour les couples qui ont un enfant très malade ou qui est décédé sans qu’on ait connaissance du gène responsable et qui ne veulent pas prendre le risque de mettre un autre enfant au monde. Actuellement, ils doivent prouver que la maladie est très grave et qu’il existe un risque de transmission.

Mme Catherine Avanzini. Dans certaines pathologies, on ne connaît pas le gène qui est en cause ni le risque qu’il fait courir. Le couple rencontre des difficultés pour adopter, d’une part, parce qu’il n’est pas foncièrement stérile, d’autre part, parce que les personnes qui délivrent les agréments hésitent à mettre un enfant sain dans une fratrie comprenant des enfants gravement malades. Il n’en reste pas moins que ce couple est tout à fait légitime dans sa demande d’avoir un enfant.

M. le président. Il s’agit là d’une question importante.

Mme Marie-Christine Ouillade. Le même problème se pose dans le cas des maladies neuromusculaires.

L’AFM ne s’est pas prononcée sur la gestation pour autrui car les avis sont partagés en son sein. Elle respectera strictement la décision du législateur. En revanche, elle appelle l’attention de celui-ci sur le fait que, si la gestation pour autrui était permise, il faudrait l’ouvrir non seulement aux femmes stériles, mais également à toutes les femmes qui ont des difficultés pour conduire une grossesse.

Actuellement, un petit nombre de femmes vont à l’étranger pour avoir un enfant issu de leurs gènes et se retrouvent ensuite en difficulté pour faire reconnaître la filiation de cet enfant.

Mme Viviane Viollet. Nous sommes plusieurs à l’Alliance à réfléchir sur l’information de la parentèle.

Une maladie rare est évolutive, invalidante, voire mortelle. Recevoir un diagnostic de maladie rare à caractère familial provoque un « tremblement de terre » qui déstabilise tant la personne que la structure familiale.

Comprendre le mode de transmission de la maladie génétique héréditaire amène à une forte prise de conscience. Comme l’a écrit une philosophe contemporaine, « Qui accroît ses connaissances, accroît ses douleurs. Cependant, qui accroît ses connaissances, accroît également ses responsabilités. »

Après le choc provoqué par l’annonce du diagnostic, la personne testée, pleinement consciente de sa réalité génétique, découvre que sa famille devient une « famille à risque », le risque étant de développer la même maladie ou de la transmettre lors d’une grossesse. Le désir d’enfant de la personne testée ne peut plus se concevoir dans l’insouciance. Sa procréation comme celle de sa parentèle deviennent une procréation responsable, avec la pleine connaissance du risque encouru pour l’enfant désiré.

Le médecin prescripteur ou le généticien entretient un climat de confiance entre lui et le malade de par le secret médical. Ce lien ne peut être rompu. C’est pourquoi il est demandé à la personne testée de faire passer dans sa famille l’information de l’existence de cette maladie grave. Le rôle qu’il lui est demandé de jouer alors est double : il s’agit d’être l’annonciateur de la mauvaise nouvelle, mais aussi le spectateur du choc émotionnel que cette annonce produit chez chaque membre de la famille. Cela nécessite d’avoir du recul sur la situation, ce qui est difficile pour la personne testée car chaque annonce réactive sa douleur.

Le devoir d’informer la parentèle entraîne différentes réactions.

– Dans un premier cas, la personne testée accepte d’informer les membres de sa famille mais désire le faire elle-même et sans aide particulière. Nous constatons que les informations données ne sont pas toujours de bonne qualité et sont parfois incorrectes.

– Dans un deuxième cas, la personne testée accepte d’informer sa famille avec l’aide de son généticien : soit elle contacte sa parentèle et organise une rencontre avec le généticien, soit elle distribue une lettre fournie par le généticien et demande à sa famille de prendre rendez-vous avec lui.

Dans ces deux cas, nous proposons que l’annonce soit faite à la personne testée lors de deux consultations successives : l’une pour annoncer – c’est le rôle du médecin prescripteur ou du généticien, souvent en binôme avec un psychologue –, l’autre – dont la date aura été donnée systématiquement à la fin de la première consultation –, pour reformuler et faire un conseil en génétique. La nouvelle profession de conseiller en génétique a là toute sa place.

Nous conseillons également de donner un document explicatif à la personne testée, afin d’éviter les informations incorrectes, et aussi d’accréditer les propos de la personne malade.

– Dans un troisième cas, la personne testée n’ose pas ou ne peut pas passer l’information dans sa famille mais demande qu’une personne de confiance le fasse à sa place. Elle donne les adresses et son consentement pour que les membres de sa famille soient contactés par une personne choisie par elle et investie de toute sa confiance. Cette personne de confiance pourrait, selon nous, être un membre de la famille, ce qui suppose de l’informer et de vérifier qu’elle a compris la pathologie et son mode de transmission. Elle pourrait également être le conseiller en génétique puisqu’il travaille sous la responsabilité des médecins généticiens et a, entre autres missions, d’informer et de conseiller la personne et son entourage sur la pathologie.

– Dans un quatrième cas, la personne testée connaît son diagnostic mais refuse que l’information passe dans sa famille. Depuis vingt ans que je fais de l’écoute auprès des familles, j’ai constaté qu’une personne qui apprend qu’elle a une maladie entraînant un handicap mental héréditaire a souvent honte et n’ose pas informer sa famille.

S’il est urgent d’informer la famille, il faut pouvoir agir. Si le refus persiste malgré les deux consultations, l’aide apportée par le support du document et la personne de confiance, nous proposons, dans l’intérêt de la personne testée et de sa famille, que la seconde consultation soit ouverte à un « grand témoin », à savoir une personne malade acceptant de parler de son vécu avec sa maladie, des retombées sur toute la famille et de l’urgence de faire de la prévention.

Après toutes ces démarches, la personne testée est en pleine conscience de la dure réalité et du danger encouru par sa famille. Si le refus persiste, la levée du secret médical serait à envisager pour informer le reste de la famille. Le généticien ayant fait le test génétique et le suivi de l’annonce pourrait envoyer un courrier au médecin traitant de la personne testée pour lui confirmer l’existence de l’anomalie génétique grave à caractère familial et lui indiquer qu’il est indispensable que les membres de cette famille soient reçus en consultation génétique.

– Dans un cinquième cas, que j’ai vécu, la personne testée refuse de connaître le résultat de son test génétique et refuse que l’information soit donnée à la famille. Cela arrive souvent quand la personne est la première à exprimer la maladie dans la famille. Ici il y a lieu de réfléchir sur l’avant diagnostic, c’est-à-dire sur ce qui conduit une personne à faire un test génétique, sur la manière d’accompagner la personne pendant le diagnostic, et sur ce qui se passe après le diagnostic, avec la question du droit de savoir – et du droit de ne pas savoir.

Quand la personne est dans le refus total, nous pensons qu’il faut engager une grande réflexion sur la levée du secret médical. Une association et des professionnelles ont réfléchi à ce sujet dans le cas de la maladie de Huntington.

Mme Marie-Christine Ouillade. Dans le cas des maladies neuromusculaires, le refus d’informer est très rare car la maladie se voit. En revanche, c’est au cours d’une même consultation qu’est annoncé le diagnostic de la maladie – et que la personne peut apprendre que son bébé ne va pas vivre au-delà de trois ou cinq ans – et qu’il est demandé à cette dernière d’informer sa famille, si bien que plus de la moitié des personnes ne se souviennent même pas que cela leur a été demandé.

Dans le cadre des consultations pluridisciplinaires de myopathies qui se mettent en place, nous insistons sur la nécessité de deux consultations – c’est parfois le cas mais doit être généralisé – et de la présence d’un psychologue au moment du diagnostic afin de soutenir la famille. Par ailleurs, la feuille qui est remise à cette dernière est souvent illisible. L’Agence de la biomédecine a un gros travail à faire pour éditer un guide de bonnes pratiques et créer des documents simples et clairs permettant aux familles d’informer la parentèle.

Comme le généticien ne peut pas intervenir dans les familles en raison du secret médical, certaines personnes nous demandent de le faire. Nos techniciens d’insertion, qui sont les personnes qui accompagnent les familles, s’en chargent, parfois même dans le cadre de réunions de famille. Dernièrement, une grand-mère qui avait bien compris ce qu’était la maladie de Steinert, nous a demandé de l’expliquer à sa descendance si bien que nous sommes intervenus devant une salle de soixante personnes.

Ce besoin d’assistance, parfois comblé par les associations, existe et doit être pris en charge de manière claire et structurée afin d’éviter les informations erronées.

Enfin, un certain nombre de médecins de ville auraient besoin d’une mise à niveau dans le domaine de la génétique, car il leur arrive de dire de grosses bêtises qu’il est ensuite difficile de rattraper.

M. le rapporteur. Je vous remercie pour vos interventions qui montrent les séismes en chaîne entraînés dans les familles par l’annonce d’une maladie rare génétiquement transmissible.

Les questions que nous nous posons sur le plan législatif se situent à plusieurs niveaux.

Nous nous demandons d’abord si la recherche, soutenue notamment par l’AFM, s’oriente vers le développement de thérapies à partir de cellules souches et même de gènes pouvant modifier des gènes malades ?

Deuxièmement, si j’ai bien compris, vous misez davantage sur l’ouverture de l’adoption plutôt que sur l’utilisation de méthodes d’aide à la procréation pour répondre au désir d’enfant des familles à risque.

Ma troisième question porte sur la levée du secret médical lorsque la personne testée ne veut pas ou ne peut pas informer la parentèle. Dans quelles circonstances et selon quelle procédure se ferait cette levée du secret médical ? N’y a-t-il pas un danger à informer sur un risque potentiel de maladie grave et incurable pour laquelle il n’existe pas de moyens de guérison ou d’amélioration ? Ne vaut-il pas mieux s’en remettre à la fatalité plutôt que d’ajouter l’angoisse à une réalité douloureuse ?

Quatrièmement, la notion de maladie grave introduite dans le cadre du diagnostic préimplantatoire (DPI) ou prénatal (DPN) vous semble-t-elle suffisante ou mérite-t-elle d’être précisée ? Où sera mis le curseur de gravité de la maladie ? Il faut être conscient que l’appréciation des familles différera à ce sujet : certaines tiendront pour graves des handicaps relativement modestes, tandis que d’autres considéreront que des pathologies graves à prévalence tardive, comme la maladie de Huntington, ne doivent pas y figurer dans la mesure où elle survient après soixante ans, quand la vie est accomplie. Ciblera-t-on uniquement la maladie connue dans la famille ou fera-t-on un test plus global en recherchant toutes les anomalies possibles, ce qui, à l’extrême, peut aboutir à une forme d’eugénisme ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. Dans le cinquième cas que vous avez évoqué, madame Viollet, le malade a quand même procédé à un test génétique, ce qui ouvre pour le professionnel une perspective de parvenir à l’amener à mieux comprendre sa maladie et à l’accepter. Ne craignez-vous pas que, si on lève le secret professionnel, un certain nombre de patients n’aillent plus faire de tests génétiques ?

M. Michel Vaxès. Votre expérience vous conduit-elle à une appréciation positive ou négative sur une autorisation de la gestation pour autrui ?

Mme Marie-Christine Ouillade. La gestation pour autrui a fait l’objet de discussions lors des Journées des Familles de l’AFM au mois de juin de cette année. Les avis étant très partagés au sein de l’Association, son conseil d’administration n’a pas formulé d’avis sur ce sujet.

On note cependant un intérêt très fort de toutes les jeunes femmes atteintes d’une maladie neuromusculaire évolutive en fauteuil pour ce type d’accès à la famille parce que, même quand l’évolution de la maladie est à long terme, l’adoption leur est refusée. Alors que certaines malades ont soixante-dix ans et que beaucoup travaillent, le seul moyen pour ces jeunes femmes d’essayer d’avoir un enfant est, actuellement, de mettre leur vie en danger.

Mme Françoise Antonini. La définition actuelle des maladies graves dans la loi et les dispositions légales encadrant le DPN et le DPI nous satisfont. La majeure partie des associations concernées souhaite que soit conservée la notion de « maladie génétique d’une particulière gravité reconnue incurable au moment du diagnostic ».

Nous ne sommes pas favorables à l’établissement d’une liste, d’une part, parce qu’on découvre tous les ans de nouvelles maladies, d’autre part, parce qu’on peut espérer trouver des traitements pour certaines d’entre elles.

La maladie de Huntington étant incurable, elle est visée à la fois par votre troisième et votre quatrième question, monsieur le rapporteur. En plus de la gravité et de l’incurabilité de la maladie, se pose le problème de mettre au monde d’autres enfants atteints par cette maladie quand on ne sait pas qu’on l’a, toute personne qui en est porteuse en étant obligatoirement atteinte.

Mme Viviane Viollet. J’ai envisagé une levée du secret médical uniquement dans les quatrième et cinquième cas. J’ai commencé mon intervention en réaffirmant que le secret médical est vraiment le lien absolu de confiance entre le malade et son médecin.

Quand il n’y a rien à faire, on peut peut-être, comme vous le suggérez, monsieur le rapporteur, laisser faire la fatalité. Mais, pour soulager la personne malade, faire de la prévention et éviter des cas mortels, on peut réfléchir à un partage de confidence dans l’intérêt de la famille.

Cela étant, il faut lutter en premier lieu contre le refus de la personne d’informer la parentèle, lequel refus est souvent le résultat d’une grande douleur. Sans vouloir faire de la psychologie à bon marché, son déni ne durera peut-être pas toute sa vie. Il faut entourer la personne qui est dans ce refus. C’est l’objectif des propositions que j’ai présentées : l’institution de deux consultations, quelle que soit la pathologie, le rôle des centres de références, des équipes pluridisciplinaires et des conseillers en génétique, le recours à une personne de confiance puis, en dernier ressort à un « grand témoin » lors de la seconde consultation. Le témoignage d’une personne souffrant de la même maladie – qui peut être un militant associatif – venue non pas pour pleurer mais pour donner à la personne testée une pleine conscience de la réalité et de la dureté de celle-ci peut créer un choc permettant à la personne de sortir du déni.

C’est quand tout cela n’a pas suffi pour combattre le refus d’informer que peut être envisagée la levée du secret médical dans l’intérêt, à la fois de la personne testée et de sa famille, afin d’améliorer la prise en charge au quotidien de la personne malade, d’obtenir une reconnaissance de sa pathologie, qui est un problème de santé publique, ainsi qu’un meilleur remboursement de son traitement.

M. le rapporteur. Dans le cas où, malgré tous les moyens mis en œuvre – double consultation, personne de confiance, « grand témoin » –, la personne malade refuse toujours d’informer sa parentèle et où cette absence d’information peut avoir pour conséquence l’absence de traitement ou de prévention d’une maladie qui pourrait éventuellement être améliorée ou guérie, on pourrait envisager d’entamer une procédure de levée du secret médical – mais uniquement à l’issue d’un tel cheminement.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Le Conseil d’État propose, dans son rapport, une levée partielle du secret médical consistant en l’envoi à la parentèle d’une lettre ne révélant pas l’identité de la personne dépistée ni la pathologie, et conseillant aux membres de la famille de procéder à une consultation génétique. Quelle est votre position à ce sujet ?

Mme Catherine Avanzini. La lettre adressée à la famille n’est pas obligatoirement nominative. On peut informer une parentèle en lui indiquant seulement qu’elle appartient à une famille à risque et en lui conseillant de consulter le centre de référence pour connaître la maladie et un médecin généticien pour connaître son mode de transmission. La famille est informée ; elle agit ensuite comme elle l’entend.

Vous avez posé la question, monsieur le rapporteur, de l’opportunité d’informer une famille quand il n’existe pas de traitement pour la maladie dont elle est porteuse. Il me semble que la majorité des personnes préfèrent en avoir connaissance pour consulter et prendre des dispositions. Si, pour beaucoup de ces maladies graves, évolutives, invalidantes, voire létales, il n’existe pas de traitement, la prévention peut en freiner l’évolution. Des conduites à risque peuvent être évitées quand on sait qu’on est porteur d’une anomalie génétique et qu’on va développer une maladie.

L’information de la parentèle évite également l’ouverture d’actions en responsabilité pour perte de chance qui sont beaucoup plus dévastatrices que l’envoi d’une lettre. Cette perte de chance peut être grave dans certaines situations car, fort heureusement, toutes les maladies ne sont pas orphelines de traitement. Si on ne peut pas les guérir, on peut les traiter et éviter leur aggravation.

C’est pourquoi il est important de s’interroger sur une procédure simple d’information de la parentèle.

Une procédure avait été envisagée faisant intervenir l’Agence de la biomédecine mais elle n’a pas abouti, sans doute parce qu’elle était trop lourde. Mais, comme l’a indiqué Viviane Viollet, de nombreuses structures – conseiller en génétique, personne de confiance, centre de référence, centre de génétique – peuvent passer l’information sans remonter à l’Agence de la biomédecine.

Mme Marie-Christine Ouillade. La proposition du Conseil d’État me paraît peu réaliste. D’abord, la personne qui est en déni de la maladie ne voudra pas fournir les adresses de sa parentèle. On ne va pas faire appel à un généalogiste pour les trouver. Ensuite, la réception d’une lettre informant que l’on doit consulter parce qu’il y a une maladie génétique dans sa famille provoque un choc énorme. La nouvelle est déjà difficile à entendre quand elle est annoncée de manière encadrée mais, par ce biais, elle est très violente.

M. Paul Jeanneteau. Bien qu’intéressante sur le plan intellectuel, il me semble, comme à vous, que cette proposition résisterait mal à l’épreuve des faits.

Mme Françoise Antonini. Même si des problèmes pratiques se posent, il faut savoir qu’il existe des maladies dont on peut mourir si l’on ne sait pas qu’on en est atteint. S’il existe des possibilités de prévention ou de traitement, il serait criminel de ne pas prévenir la parentèle. Le cas s’est présenté. C’est pourquoi a été introduit dans la loi de 2004 un paragraphe mentionnant l’information de la famille. Si le décret n’est pas paru, c’est parce que la disposition proposée pose le problème complexe du secret médical.

Personnellement, je ne pense pas que la parentèle recevrait un plus grand choc si était mentionné le nom de la maladie dans la lettre lui annonçant qu’elle appartient à une famille à risque.

Peut-être y a-t-il très peu de cas où l’on ne soit pas parvenu à convaincre une personne d’informer sa famille, compte tenu de la gravité de sa maladie et du risque qu’elle fait courir à sa parentèle. Cela étant, dans le cas où une personne s’enfermerait dans le déni, je ne sais pas jusqu’où nous pourrions aller.

Par ailleurs, les dépistages organisés en population générale posent des problèmes sociétaux et éthiques. La multiplicité des tests génétiques disponibles permet de diagnostiquer de plus en plus de maladies rares mais est-il éthique de dépister des maladies contre lesquelles on ne peut rien faire ? Actuellement cinq maladies font l’objet d’un dépistage néonatal : la phénylcétonurie, l’hypothyroïdie, l’insuffisance surrénale, la mucoviscidose et la drépanocytose. Le premier Plan national maladies rares prévoyait la mise en place d’un comité consultatif indépendant chargé de rendre un avis sur la politique de dépistage. Ce comité n’a pas été mis en place. Nous reprenons cette proposition. La création d’une autorité indépendante sur ce thème nous paraît indispensable.

Mme Marie-Christine Ouillade. Concernant les dépistages, la position de notre association est que, tant qu’il n’y a pas de traitement, il ne faut pas en organiser. Par contre, dès qu’on a la possibilité d’avoir un traitement efficace, il faut y soumettre les populations à risque, voire la population générale.

J’aborderai maintenant la question de la recherche. L’AFM finance à hauteur de 5 millions d’euros par an le laboratoire I-Stem – institut des cellules souches pour le traitement et l’étude des maladies monogéniques –, dirigé par le professeur Peschanski, qui mène des recherches à la fois sur les cellules souches adultes, sur les cellules souches embryonnaires et sur les cellules souches iPS. Dans tous les laboratoires où nous finançons des recherches, nous avons veillé à répartir de manière équitable ces trois types de recherche dans les budgets 2008 et 2009 afin de ne fermer aucune porte. Bien que présentant des limites, les cellules souches adultes peuvent apporter des solutions dans un certain nombre de maladies. Jusqu’à il y a deux ans, les cellules souches embryonnaires étaient la seule voie de recherche. Sont apparues depuis les cellules iPS qui offrent des potentialités mais peut-être moins qu’on ne l’espérait au départ : traitées par thérapie génique, elles n’ont pas exactement les mêmes qualités que les vraies cellules souches embryonnaires. C’est pourquoi nous n’avons pas l’intention d’arrêter les recherches sur ces dernières.

Plutôt qu’un régime dérogatoire sur cinq ans, comme il est prévu aujourd’hui – qui ne permet pas aux équipes de chercheurs de travailler dans la sérénité puisqu’ils se demandent toujours s’ils pourront mener à terme les projets qui devraient être poursuivis au-delà de cinq ans –, nous souhaiterions un régime d’autorisation strictement encadré de la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Pour Généthon et I-Stem, un contrôle régulier, strict, assorti d’indications très spécifiques ne pose aucun problème.

M. le président. Le rôle joué par l’Agence de la biomédecine dans l’évaluation de la recherche et la délivrance des autorisations vous paraît-il positif ?

Mme Marie-Christine Ouillade. Je suis partie prenante puisque je fais partie du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine.

L’Agence fournit un encadrement et une vérification des aboutissants sur lesquels les équipes de recherche s’appuient pour monter leur dossier. Elle prodigue également des conseils. J’estime que l’Agence de la biomédecine est bien placée pour faire ce travail de contrôle et de vérification des travaux de recherche. Après un temps de suspicion, les laboratoires lui sont maintenant largement ouverts, ce qui leur permet de travailler avec sérénité et évite que les chercheurs « aillent » dans tous les sens.

Mme Françoise Antonini. Pour ce qui concerne la recherche, celle menée par les associations regroupées dans l’Alliance se borne à l’origine de la maladie, son histoire et son caractère génétique ou non. Par ailleurs, comme je l’ai précisé d’emblée, je ne peux pas parler au nom de 193 associations.

À titre personnel, je ne vois pas pourquoi on s’interdirait de faire des recherches si des possibilités existent. Je trouve que le système dérogatoire actuel est un peu hypocrite et qu’on ne parle pas assez de la souffrance des malades.

Mme Marie-Christine Ouillade. Nous demandons un statut pour les banques de cellules et d’ADN afin de pouvoir constituer des collections permettant de faire de la recherche sur des maladies rares ne touchant que quelques naissances par an.

Par ailleurs, nous souhaitons que le consentement éclairé des donneurs ne soit plus ciblé mais ouvert à l’ensemble des recherches. Aujourd’hui, les ADN et les cellules ne peuvent être utilisés pour des recherches sur d’autres maladies ou d’autres projets que ceux pour lesquels chaque donneur a donné son consentement libre et éclairé. Or on recense aujourd’hui entre 2 000 et 3 000 maladies rares.

M. Xavier Breton. Le principe que vous avez énoncé, madame Ouillade, selon lequel il ne faut pas organiser de dépistage tant qu’il n’y a pas de traitement s’applique-t-il uniquement aux maladies rares ou est-ce un principe éthique général ? Appliqué à la trisomie, il entraînerait un certain nombre de conséquences.

Mme Marie-Christine Ouillade. Pour nous, ce principe se limite aux maladies rares. Le coût du dépistage d’une pathologie rare touchant une naissance sur 100 000 est prohibitif. Il ne doit donc être effectué que quand il y a un traitement et sur une population limitée.

Mme Françoise Antonini. Mon propos ne concernait que le dépistage néonatal. Le dépistage prénatal de la trisomie 21 relève d’un débat de société. De plus, il est ciblé sur les femmes d’un certain âge.

Le dépistage néonatal des cinq maladies que j’ai citées est important car, même s’il n’existe pas de traitement permettant de les guérir, la prise en charge de l’enfant atteint peut améliorer son état. Dans le cas de la phénylcétonurie, un régime permet à l’enfant dépisté puis à l’adulte de vivre tout à fait normalement. Dans le cas de la mucoviscidose, une prise en charge bien menée permet d’améliorer l’espérance de vie des personnes atteintes. On observe d’ailleurs que, dans les pays nordiques, l’espérance de vie de ces dernières est largement supérieure à celle des personnes vivant en France alors qu’il n’y a pas de dépistage néonatal. C’est pourquoi nous souhaiterions qu’une autorité indépendante se penche sur toutes ces questions.

Par ailleurs, nous souhaiterions que la loi permette l’utilisation secondaire des échantillons biologiques dans le cadre d’un examen des caractéristiques génétiques. Quand il est procédé à une collecte d’ADN dans des familles pour déterminer le gène atteint, aucun échantillon ne peut être réutilisé : le retour vers la personne pour un nouveau consentement est indispensable, ce qui pose des difficultés, notamment en cas de maladies rarissimes, ne touchant que quelques naissances par an, quand les collections se sont constituées au fil du temps.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Mme Ouillade a parlé de la crainte des chercheurs de ne pouvoir mener à terme leur recherche si celle-ci nécessite plus de cinq ans. Je croyais pourtant qu’on ne pouvait pas mettre un terme à une recherche en cours et que celle-ci pouvait se poursuivre jusqu’à son achèvement.

Mme Marie-Christine Ouillade. La recherche étant autorisée pour cinq ans, l’équipe de recherche doit présenter un nouveau dossier devant l’Agence de la biomédecine pour la relancer. Au départ, cela a suscité de grandes craintes, au point que le laboratoire de Marc Peschanski a failli s’installer à Bruxelles, car pour une grande partie de la recherche fondamentale, les projets s’étendent sur plus de cinq ans.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Bien que les tests soient de plus en plus fiables, il subsiste un taux d’erreur estimé à 1 % par les généticiens. Dans le cadre du dépistage systématique des cinq pathologies graves que vous avez citées, madame Antonini, cela signifie, étant donné qu’il y a 800 000 naissances par an en France, qu’il y aura, chaque année, 8 000 faux positifs. Cela ne présente-t-il pas un risque eugénique ?

Mme Françoise Antonini. Les erreurs dans le cas de la mucoviscidose sont avérées et calculées mais nous n’avons apparemment pas de souci de ce genre pour les quatre autres maladies.

Il est vrai qu’une erreur est dramatique pour l’enfant car il ne sera pas élevé de la même façon. C’est la raison pour laquelle nous réclamons une vraie réflexion sur la politique de dépistage menée en France, car elle a un coût énorme. Cette réflexion pourrait être avoir lieu dans le cadre de forums citoyens.

Mme Viviane Viollet. Un forum citoyen sur le dépistage serait très intéressant parce que les maladies rares sont très complexes.

Il existe des maladies rares d’ordre génétique, comme le syndrome de l’X fragile, qui ne se voient pas à la naissance et ne sont pas reconnaissables physiquement mais qui entraînent des retards mentaux. Bien qu’il n’existe pas de traitement pour les guérir, un dépistage précoce est très positif car il permet d’améliorer la prise en charge au quotidien et l’éducation. Ce qui montre que le dépistage même sans traitement a tout son intérêt.

M. Paul Jeanneteau. Concernant la recherche sur les cellules souches embryonnaires, devrait-on, selon vous, garder le régime actuel, à savoir un régime dérogatoire renouvelable tous les cinq ans, ou aller vers un régime d’autorisation strictement encadré ?

Mme Marie-Christine Ouillade. Nous souhaiterions un régime d’autorisation strictement encadré.

M. le rapporteur. Vous avez soulevé des questions d’une grande profondeur sur lesquelles je souhaite revenir un instant.

La question de la levée du secret médical se pose dans d’autres circonstances que celles des maladies génétiques. Il fut une époque où l’on faisait, lors de consultations prénuptiales, un dépistage de la syphilis dont le résultat n’était communiqué qu’à la personne atteinte. À l’heure actuelle, le secret médical est maintenu pour une autre maladie sexuellement transmissible : le sida. Il est, en effet, le lien de confiance indispensable entre le malade et le médecin. On recommande à la personne atteinte d’en informer son partenaire mais on n’écrit pas à ce dernier pour l’en informer. Si, demain, on décidait de manière brutale, au motif qu’il y a danger pour les autres, de lever le secret médical dans le cas de maladies génétiques graves, on créerait un « effet domino » qui entraînerait la levée d’autres secrets médicaux, ce qui ne serait probablement pas dans l’intérêt de l’ensemble de la population.

Vous avez raison de soulever la question de l’utilisation des échantillons biologiques. D’une part, une partie de ceux qui sont dans nos laboratoires n’a pas reçu un consentement de la part des donneurs. Ce consentement doit-il être considéré comme présumé pour pouvoir continuer à faire des recherches ? D’autre part, lorsque des personnes ont donné leur consentement pour une recherche spécifique – j’allais presque dire personnelle – à partir des échantillons qu’ils ont fournis, ces échantillons ne peuvent-ils pas être également utilisés pour une recherche intéressant l’ensemble de la population ? Des propositions diverses ont été avancées. Une réflexion s’impose sur le sujet car on ne peut demeurer dans l’incapacité d’utiliser le matériel contenu dans les collections de cellules et d’ADN. La recherche doit être menée non seulement pour la personne qui a donné les échantillons mais également pour toute la catégorie des personnes concernées par la pathologie. Il y a là une forme de solidarité qu’il me paraît logique d’envisager à travers un consentement présumé élargi.

Mme Françoise Antonini. Les règles de constitution et de fonctionnement des espaces éthiques régionaux créés par la loi du 6 août 2004 devaient être définies par un arrêté qui n’est toujours pas publié.

M. le président. Nous le réclamons également.

Mme Françoise Antonini. Nous souhaitons qu’il y ait une représentation forte des malades dans ces espaces.

M. le président. C’est déjà le cas dans de nombreux espaces.

Mme Françoise Antonini. Cette représentation est très inégale. Nous comptons sur vous pour veiller à la publication de l’arrêté et à la présence de représentants des malades dans les espaces éthiques régionaux.

Mme Marie-Christine Ouillade. Les tests génétiques disponibles sur Internet posent des problèmes. L’AFM a mené une mini-recherche en finançant quelques tests : si aucun faux négatif n’a été décelé – c’est-à-dire pas de personne atteinte qui n’aurait pas été détectée comme atteinte –, nous avons, par contre, relevé des faux positifs, les erreurs portant sur la distinction entre « sujet porteur » et « sujet atteint ».

L’accès aux tests génétiques sur Internet ne peut être encadré par la loi mais il faudrait faire des campagnes d’information sur la fiabilité des tests qui y sont proposés.

Mme Viviane Viollet. Certains tests diagnostiques ne sont remboursés que s’ils sont positifs, ce qui ne nous semble pas éthique.

Mme Catherine Avanzini. Je souhaite revenir sur le point que j’ai abordé au début de l’audition, à savoir le désir d’enfant, pour évoquer un sujet en lien avec la révision des lois de bioéthique : l’interdiction de l’insémination et du transfert d’embryons post mortem. Cette interdiction me paraît quelque peu paradoxale dès lors que la loi permet le recueil et la conservation de gamètes de personnes souffrant d’une maladie pouvant provoquer le décès ou nécessitant des traitements conduisant à la stérilité. Le désir d’enfant subsiste chez le conjoint survivant. Il est cruel de lui proposer de faire accueillir l’embryon conservé par une autre famille.

M. le président. Un débat a déjà eu lieu sur ce sujet lors de la dernière révision des lois de bioéthique. J’avais moi-même défendu cette position en première lecture et il est vrai que ce que l’on propose actuellement à la personne est insupportable. Les avis sont partagés au sein de la mission mais nous aurons à prendre position.

Je vous remercie, mesdames, d’avoir éclairé nos débats.

Audition de Mme Sylvie MANOUVRIER-HANU
présidente du collège national des enseignants et praticiens de génétique médicale



(Procès-verbal de la séance du 22 juillet 2009)



Présidence de M. Jean-Sébastien Vialatte, vice-président

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Nous avons à présent le plaisir d’accueillir Mme le professeur Sylvie Manouvrier-Hanu, médecin coordonnateur au service de génétique clinique du CHU de Lille, présidente du collège national des enseignants et praticiens de génétique médicale.

Votre audition sera l’occasion de nous exposer les difficultés que rencontrent les médecins généticiens dans leur pratique. L’information médicale que vous délivrez, lorsqu’il s’agit de tests génétiques présymptomatiques, présente en effet la double particularité de s’adresser à des personnes pouvant être encore en bonne santé et de concerner le destin non seulement d’un individu, mais aussi celui de sa famille. Comment procédez-vous ? Les cas où la parentèle n’est pas informée sont-ils nombreux et comment, dans ces situations, le médecin concilie-t-il ses deux devoirs de préserver le secret médical et de porter secours à autrui ?

Selon vous, les tests génétiques vendus sur internet, réalisés en-dehors de toute prescription médicale, constituent-ils d’ores et déjà une menace pour la bonne information des personnes ?

Dans un domaine où les techniques sont en pleine évolution, la formation des médecins généticiens vous semble-t-elle suffisante ? Nous organiserons en septembre une table ronde sur la nouvelle profession de conseiller en génétique. Mais d’ores et déjà, exposez-nous comment médecins généticiens et conseillers en génétique coordonnent leurs interventions.

Je vous cède immédiatement la parole.

Mme Sylvie Manouvrier-Hanu. Je suis particulièrement honorée d’avoir été invitée à exposer devant votre mission les joies mais aussi les difficultés de l’exercice du métier de médecin généticien. Je souhaiterais en préambule insister sur la diversité et la complexité du capital génétique humain, encore trop mal connues de la population, mais aussi des médias et de certaines de nos instances – diversité et complexité qui font aussi celles du métier de généticien. On surestime assurément la part de la génétique, ce qui aboutit à des espoirs thérapeutiques trop souvent infondés pour les patients porteurs d’anomalies génétiques. Il existe de très nombreuses variations génétiques, dont pour beaucoup d’entre elles, surtout lorsqu’on réalise une analyse pangénomique, nous ne connaissons ni la signification, ni les conséquences. Par ailleurs, même lorsqu’elles sont connues, ces conséquences peuvent être très variables d’une population à l’autre, même pour des maladies monogéniques. Ainsi l’anomalie génétique responsable en double exemplaire de la drépanocytose protège-t-elle du paludisme lorsqu’elle est présente en simple exemplaire ! Il faut également tenir compte de l’environnement pour évaluer l’incidence de certaines prédispositions génétiques. Ainsi certaines prédispositions au surpoids et à l’obésité qui s’expriment dans des conditions de vie sédentaires et d’alimentation déséquilibrée, ont pu, au contraire par le passé, dans des époques de famine ou de guerre, constituer des facteurs de survie.

La génétique est une discipline médicale très particulière. Comme tout praticien, le généticien s’adresse à un patient dans un colloque singulier. Il est tenu à la confidentialité, le patient ayant droit au respect du secret médical, de sa vie privée et de son choix de savoir ou non. Mais la particularité de la génétique est que l’on ne peut pas faire abstraction de la dimension familiale de la maladie ni de l’information des apparentés quand des mesures préventives peuvent leur être proposées, pour eux-mêmes ou pour leur descendance. Ces deux dimensions, individuelle et familiale, peuvent être source de conflits de valeurs. L’article L 1110-4 du code de la santé publique selon lequel toute personne « a droit au respect de sa vie privée et au secret des informations la concernant » peut entrer en contradiction avec l’article L 1111-2 selon lequel « toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. »

Je souhaitais évoquer devant vous la question des finalités de la prescription de tests génétiques, le libre accès des tests sur internet, l’information de la parentèle. Je dirai également un mot du diagnostic prénatal (DPN) et du diagnostic pré-implantatoire (DPI), les généticiens faisant partie des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN). Et je terminerai en vous indiquant, puisque vous m’avez interrogée sur ce point, comment sont aujourd’hui formés les généticiens.

Je commencerai par « l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne ». Comme vous l’a déjà dit Perrine Malzac, une personne ne peut être caractérisée par son génome, tant il y a de facteurs environnementaux et culturels qui interagissent. Mieux vaut donc se borner à parler de réalisation de tests génétiques. Les prescriptions peuvent s’effectuer dans des contextes très différents, à des âges différents, dans des buts différents. Elles peuvent s’adresser à un malade adulte, enfant, ou fœtus afin d’aboutir à un diagnostic. De celui-ci peut découler dans le cas d’un adulte ou d’un enfant la mise en place d’une prise en charge adaptée (prévention des complications…) et/ou l’information génétique à la famille. Dans le cas d’un fœtus, ce diagnostic pourra conduire à une décision du couple de poursuivre ou non la grossesse après DPN ou DPI, en accord avec le CPDPN. Elles peuvent aussi s’adresser à un apparenté qui n’est pas malade avec, là encore, différents objectifs : savoir s’il est lui-même concerné par la maladie pour prendre pour lui-même des mesures de prévention lorsque cela est possible, ou pour proposer un éventuel DPN pour sa descendance, mais aussi simplement sans qu’il existe de prévention, comme pour la chorée de Huntington, parce qu’il souhaite connaître son statut vis-à-vis de la maladie. Ces divers objectifs sont souvent intriqués

La prescription de ces tests est bien encadrée par la loi. Elle doit s’effectuer dans le cadre d’une consultation individuelle, être précédée d’explications claires et adaptées sur la maladie recherchée, les moyens de sa prise en charge et sa dimension familiale. Toute personne a le droit de refuser le test et si elle l’accepte, elle doit signer un consentement écrit. L’encadrement des tests chez les sujets asymptomatiques est encore plus strict puisqu’ils ne peuvent être réalisés qu’après une prise en charge par une équipe multidisciplinaire déclarée à l’Agence de la biomédecine, et ne sont autorisés chez le mineur que s’ils peuvent déboucher sur des mesures de prévention immédiate. La loi dispose également que l’égalité d’accès aux tests doit être garantie.

La réalité est quelque peu différente car les tests génétiques ne sont pas toujours prescrits par des généticiens. Ceux-ci connaissent bien la dimension familiale des maladies et syndromes, souvent rares, recherchés. Ils appartiennent souvent à des centres de référence « maladies rares et anomalies du développement ». A l’inverse, ils connaissent moins bien certaines pathologies que des praticiens dont c’est la spécialité – un cardiologue est nécessairement plus au fait des cardiomyopathies ou des troubles du rythme quand le généticien n’étudie que ce qui peut y prédisposer. Les spécialistes de la discipline, s’ils connaissent mieux la pathologie – encore que s’il s’agit de maladies rares, il vaut sans doute mieux s’adresser à un centre de référence « maladies rares » – connaissent beaucoup moins bien la dimension familiale et la réglementation encadrant les tests dits prédictifs. Il serait nécessaire tout d’abord de mieux faire connaître les dispositions de la loi, ensuite de faire édicter, par l’Agence de la biomédecine par exemple, des règles de bonne pratique. L’Agence pourrait créer une commission ad hoc sur la pratique de la génétique.

On sait ainsi que se pratiquent encore des consultations familiales de génétique. Il nous arrive certes aussi, dans les services de génétique, de recevoir en même temps plusieurs personnes d’une même famille, qui ont par exemple fait ensemble le déplacement jusqu’à notre consultation, mais il est extrêmement important que cette consultation, au cours de laquelle sont données des informations générales sur le mode de transmission de la maladie, s’accompagne d’un temps de consultation individuelle pour chacune des personnes, comme le prévoit la loi. Les équipes de génétique le font systématiquement, même si cela peut prendre parfois beaucoup de temps. Je ne crois pas, hélas, que ce soit le cas d’autres spécialistes

Les tests génétiques étant coûteux, complexes, difficiles à interpréter et les délais de réponse étant longs, il est important de s’assurer que la prescription est vraiment utile. L’utilité clinique devrait être un élément déterminant de la pertinence de la prescription. Il est des situations où savoir de quelle mutation exacte on est porteur ne sert strictement à rien. Il est parfois difficile de donner « des informations claires et adaptées » sur la maladie recherchée – quand on fait par exemple une étude pangénomique en présence d’un retard mental. Il faut aussi expliquer d’emblée aux personnes qu’il pourra être nécessaire de poursuivre les investigations au-delà du gène que l’on pensait impliqué et, éventuellement, passer à un cadre de recherche. Leur consentement doit être un reflet réel de leur compréhension. Les équipes multidisciplinaires qui comprennent un généticien et un conseiller en génétique permettent de s’assurer que ce consentement est effectif et que l’on ne se contente pas de leur faire signer rapidement un formulaire. Les généticiens ont l’habitude de passer beaucoup de temps avec les personnes pour s’assurer qu’elles ont bien compris l’utilité du test, voire à ne pas y procéder la première fois mais seulement après les avoir revues. Il existe des règles encore plus strictes de prescription des tests génétiques chez le mineur, dont il importe de s’assurer qu’elles sont respectées – elles ne le sont pas toujours. On pourrait peut-être confier un rôle de contrôle aux laboratoires qui reçoivent les prélèvements pour analyses, lesquels devraient pouvoir refuser par exemple d’effectuer un test pour la chorée de Huntington chez un mineur. Sur ce point, je m’en remettrais au législateur.

L’égalité d’accès aux tests, pourtant prévue dans la loi, n’est pas garantie partout en France. Il faut assurer un meilleur maillage du territoire, et nous y travaillons, mais les équipes de génétique ne sont pas très nombreuses. En outre, beaucoup d’analyses, qui ne peuvent être réalisées en France, le sont à l’étranger, où elles sont souvent facturées très cher. Il faudrait d’ailleurs sans doute réfléchir à des accords financiers européens, voire internationaux, pour la réalisation de ces tests – que nous ne facturons pas, nous, nécessairement très cher à nos collègues étrangers.

Il y a aussi le problème du suivi individuel après la communication des résultats, absolument nécessaire à la compréhension et l’appropriation du résultat et à son acceptation par le patient, et qui facilite la diffusion de l’information dans la famille. Là réside vraiment le métier du généticien et toutes les questions que l’on se pose sur l’information de la parentèle peuvent trouver une partie de leur réponse à ce niveau.

Se pose aussi la question de la communication du résultat lorsqu’on découvre fortuitement une anomalie non recherchée. Par exemple, que faire si, au décours d’une analyse pangénomique pour rechercher la cause d’un retard mental, on découvre une délétion du gène p53 responsable d’une prédisposition aux tumeurs ? J’aurais tendance à penser qu’une anomalie non recherchée et n’ayant pas de lien avec le motif initial de la prescription devrait pouvoir ne pas être révélée. La question se pose aussi en DPN, par exemple quand on recherche une trisomie 21 et que le caryotype révèle chez un fœtus de phénotype masculin un chromosome X supplémentaire. En effet, les hommes présentant ce syndrome dit de Klinefelter vont bien, ne présentent pas de retard mental particulier, le seul problème constant étant qu’ils sont stériles. Mais faut-il indiquer en anténatal que le garçon à naître sera stérile ? Le seul intérêt de signaler ce syndrome est que, dans un tiers environ des cas, ces garçons présentent un déficit hormonal à la puberté qu’il est possible de compenser. Mais lorsqu’on révèle aux parents la présence de ce syndrome chez le foetus, il arrive qu’ils demandent une interruption de grossesse – dont la justification est discutable.

J’en viens aux tests génétiques en libre accès sur internet qui ne font bien sûr l’objet d’aucun encadrement. Certains sites sont à l’évidence malhonnêtes, faisant miroiter de fallacieuses possibilités de prise en charge, notamment pour des maladies multifactorielles. Je ne parle même pas de la validité scientifique ni de la fiabilité de ces examens, dont, de toute façon, l’utilité clinique est très contestable dans la majorité des cas. Enfin, il n’y a aucun accompagnement lors de la transmission des résultats, aucune empathie à l’égard de leur destinataire et aucun respect de l’encadrement juridique de la prescription des analyses génétiques. Il faudrait mettre en place une veille européenne, peut-être parvenir à une convention européenne, voire internationale, sur l’interdiction des serveurs proposant des tests non validés ou sans fiabilité. Cela sera très difficile car les législations diffèrent fortement selon les pays et seront difficiles à harmoniser, pour ne rien dire des intérêts financiers qui pourront conduire certains États à refuser de participer à une telle veille ou de signer une convention d’interdiction. Quoi qu’il en soit, même sur les sites qui auraient été jugés fiables, fera toujours défaut l’encadrement de la prescription. Il faut donc informer largement la population, par le biais des médias, des instances administratives et hospitalières, et miser sur une formation à la génétique dès le collège et le lycée, les enseignants de sciences naturelles devant être formés à cet enseignement.

J’en viens à l’information de la parentèle qui peut entrer en conflit avec le respect du secret médical. Le temps passé par le généticien avec le patient et l’empathie dont il fait preuve à son égard sont déterminants. C’est ainsi qu’il peut expliquer l’importance de diffuser l’information aux apparentés – que des mesures de prévention peuvent être mises en œuvre, que certains parents souhaitent pouvoir pratiquer un DPN et une IMG en cas de maladie d’une particulière gravité et incurable, ou que les apparentés souhaitent simplement connaître leur statut. Lorsque la consultation d’annonce du diagnostic ne se passe pas mal, ce qui est quand même la très grande majorité des cas, l’information se fait correctement au sein de la famille, avec l’aide du généticien, du médecin traitant, des conseillers en génétique, des psychologues, éventuellement de la personne de confiance, à laquelle le porteur de l’anomalie génétique peut déléguer la tâche d’informer sa famille. Mais il faut mesurer la difficulté de la tâche. Le mot « génétique » fait encore souvent peur et reste tabou – on entend encore parfois parler de « tare ». C’est de surcroît à un sujet qui a déjà dû encaisser le choc de l’annonce du diagnostic pour lui-même ou son enfant et intégrer que la maladie était génétique et héréditaire, (toutes les maladies génétiques ne sont pas héréditaires) que l’on demande d’informer ses apparentés. Je pense au cas d’une jeune femme venant d’apprendre que son enfant a une myopathie de Duchenne, maladie mortelle, et qu’elle est porteuse de l’anomalie génétique. Si on ne prend pas tout le temps nécessaire lors de l’annonce de ce diagnostic, elle risque de se sentir responsable, alors qu’elle ne l’est pas ; et en même temps, on lui demande de diffuser l’information aux autres femmes de sa famille. C’est extrêmement lourd, atroce même. Ce sont ces difficultés-là qui expliquent la plupart du temps les délais observés dans l’information du reste de la famille.

Il faut aussi tenir compte du fait que les connaissances évoluent. Ainsi pour certaines pathologies que l’on avait cru un temps récessives liées à l’X, donc transmises uniquement dans les branches familiales maternelles, on s’est aperçu que certains hommes sains pouvaient transmettre aussi la mutation. On a pu à un moment dire à une personne qu’il existait des mesures de prévention pour les garçons dans les branches familiales apparentées par les femmes mais que les branches apparentées par les hommes n’étaient pas concernées, si bien qu’elle n’a pas jugé nécessaire de les informer. Et quand on s’est rendu compte, des années plus tard, que des hommes pouvaient être porteurs sains de l’anomalie et l’avoir transmise à leurs filles, les branches familiales paternelles ont pu reprocher de n’avoir pas été informées. Mais au vu des connaissances de l’époque, il n’était pas illogique que les porteurs de l’anomalie ne communiquent pas une information aussi lourde sur le plan psychologique à des personnes alors considérées comme non concernées. Enfin, restera toujours le problème des apparentés qui ne veulent pas entendre.

La loi actuelle est très incitative puisque le médecin doit avertir la personne ou son représentant légal « des risques que son silence ferait courir aux membres de sa famille potentiellement concernés dès lors que des mesures de prévention ou de soins peuvent être proposées à ceux-ci », la personne devant attester que cette information lui a bien été délivrée. Le décret relatif à l’information de la parentèle n’a pas été promulgué, à mon sens pour de multiples raisons. D’une part, parce que le nombre de personnes à prévenir peut être très élevé, notamment dans le cas de maladies récessives liées à l’X. Si les liens familiaux sont mauvais ou distendus, on ne disposera jamais des coordonnées de toutes. L’idée d’un courrier adressé systématiquement par l’Agence de la biomédecine par le biais d’un site sécurisé, proposée par certains collègues, n’est pas mauvaise en théorie mais irréalisable en pratique, compte tenu de sa lourdeur. Dans le Nord-Pas-de-Calais, nous donnons un peu plus de 4 000 consultations par an. Dans un quart des cas, il y a une information à diffuser à la parentèle avec en moyenne cinq à dix personnes à prévenir. Cela signifierait donc que, dans notre seule région, 5 000 à 10 000 personnes devraient recevoir un courrier – dont le contenu resterait d’ailleurs à déterminer. Car il faut penser à tous les problèmes psychologiques soulevés par la réception d’une lettre informant une personne de la présence d’une anomalie génétique dans sa famille – sans dire laquelle ni en indiquer le caractère de gravité – et l’invitant à aller consulter un généticien…

Je ne suis pas non plus très favorable à la levée de la clause d’irresponsabilité. Je partage assez l’avis du CCNE selon lequel « le respect du secret médical est un principe essentiel à la construction d’une relation confiante entre le patient et son médecin, qui permet un dialogue approfondi et sincère » mais « qu’il est important d’informer la personne de sa responsabilité personnelle et de son devoir envers les siens ». La persuasion marche en général, alors que l’obligation légale d’informer peut être contre-productive. Se pose en outre, je l’ai dit, le problème des apparentés qui ne veulent rien savoir. A supposer que la responsabilité du porteur de l’anomalie génétique soit engagée, comment pourra-t-il apporter la preuve qu’il a bien informé ses apparentés si sur le moment, ceux-ci n’ont rien voulu entendre et si, quelques années plus tard, confrontés au problème, ils se retournent contre lui ? Faut-il obliger les personnes, déjà fragilisées par le diagnostic qui leur a été annoncé, à adresser à toute leur parentèle un courrier recommandé avec accusé de réception ? La persuasion doit suffire et ce n’est que dans le cas de difficultés persistantes, si la personne ne se sent vraiment pas capable d’informer sa famille, qu’on peut lui proposer, avec son accord, de lever le secret médical. La tâche n’est d’ailleurs pas simple car nous ne savons pas très bien ce que nous devrions mettre dans le courrier que nous enverrions. En revanche, nos patients apprécient que nous leur rédigions un courrier à destination de leurs apparentés qu’ils peuvent eux-mêmes leur remettre.

Quelques mots maintenant sur le DPN et le DPI qui peuvent faire craindre des dérives eugénistes. Je juge satisfaisantes les dispositions de la loi relative à l’IMG et aux CPDPN. Il est logique que le DPN et le DPI soient encadrés de la même façon et aient les mêmes indications. Nous recevons très peu de demandes de diagnostics pour des maladies à révélation tardive, et c’est toujours dans des situations particulières avec un vécu familial très lourd. Je ne crois pas qu’il faille établir de liste des pathologies pour lesquelles l’IMG serait acceptable, au risque de stigmatiser certaines pathologies, certains patients pouvant trouver choquant que la leur figure sur cette liste quand dans d’autres familles, le vécu aura été si terrible pour la même maladie que des couples pourront souhaiter une IMG. Il faut toujours garder présent à l’esprit que chaque situation est un cas particulier, ce que permet précisément la loi actuelle. Les avis divergent parfois entre CPDPN mais c’est très rare. A Lille, sur les 2 320 dossiers que nous avons examinés en 2007, 446 IMG ont été réalisées, 26 avaient été jugées recevables mais n’ont pas été souhaitées par les parents, et 13 ont été refusées par le CPDPN. Sur ces 13 refus, un seul dossier a été adressé à un autre centre pour deuxième avis. Je ne trouve pas choquant que les avis puissent différer d’un CPDPN à l’autre car des divergences ne sont constatées que dans des cas limites.

Le DPN me semble en revanche soulever aujourd’hui deux problèmes. Le premier est lié au recul du délai légal d’IVG à 14 semaines d’aménorrhée alors qu’on réalise aujourd’hui des échographies très performantes à 12 semaines. Nous avons été confrontés le mois dernier au cas suivant : après la découverte à l’échographie pratiquée à 12 semaines qu’il manquait une main à un fœtus, pathologie isolée qui se prend très bien en charge par une prothèse – nous avons même une consultation multidisciplinaire associant généticiens et praticiens de rééducation fonctionnelle où nous expliquons aux couples toutes les possibilités d’appareillage pour les malformations des membres –, nous avons rappelé 48 heures plus tard le couple pour lui fixer un rendez-vous de consultation multidisciplinaire : la mère nous a dit que « son problème était résolu ». Il est clair que, se trouvant encore dans le délai légal, elle avait décidé de recourir à une IVG. En dépit de la loi qui distingue nettement entre d’une part l’IVG pour raisons personnelles, d’autre part l’IMG après découverte d’anomalies à l’échographie, il y a, du fait du recul de la limite légale pour l’IVG, une certaine porosité.

Le deuxième problème réside dans les IMG « pour raisons maternelles » qui ne requièrent pas l’avis d’un CPDPN. Il est tout à fait normal que les CPDPN n’aient pas leur mot à dire quand il s’agit d’une pathologie maternelle préexistante à la grossesse comme une cardiopathie, ou découverte en cours de grossesse comme un cancer, dans la mesure où cela n’a rien à voir avec le fœtus. Le problème est que lors de la découverte de malformations fœtales à l’échographie, de futures mères arguent de problèmes psychologiques ou psychiatriques pour demander une IMG « pour raisons maternelles ». Et dans ce cas, l’IMG peut être réalisée après avis seulement du médecin traitant, d’un obstétricien et d’une personne extérieure à la famille – sans passage par le CPDPN. A Lille, nous proposons une évaluation psychologique et psychiatrique du couple et il est arrivé qu’une IMG refusée « pour raisons fœtales » ait été quand même réalisée pour « raisons maternelles ». Le problème est qu’il peut y avoir une dérive pour des pathologies ne justifiant pas une IMG pour raisons fœtales si les couples comprennent qu’il est facile d’exciper de raisons maternelles.

Quelques mots sur la formation des généticiens. Le DES de génétique, créé il y a quelques années, est transversal, comportant une formation à la fois clinique et biologique, et sur le plan biologique à la fois en cytogénétique et en biologie moléculaire. Le caractère transversal de cette formation est essentiel, de façon que les cliniciens connaissent les difficultés du travail de laboratoire et que les biologistes aient conscience de celles, notamment humaines, de l’information génétique. Ils doivent notamment comprendre que les patients souhaitent obtenir un résultat dans des délais convenables. Après cette formation transversale, chacun se spécialise ensuite dans l’un ou l’autre des deux domaines, clinique ou biologie. Par ailleurs, tous les internes en génétique doivent obligatoirement effectuer un stage dans un service de pédiatrie et un service de gynécologie-obstétrique. Il nous paraît très important que les généticiens conservent le droit de faire des analyses biologiques ; un rapport en cours envisage que leur soit supprimé le droit de faire de la cytogénétique et de la biologie moléculaire, ce qui serait très dommageable et irait à l’encontre de l’objectif recherché par le Pr Mattei quand il a fait créer le DES de génétique.

Quelques mots de conclusion. Même en cas d’une maladie à transmission mendélienne simple, délivrer une information génétique est un métier et il est important que l’information, devenue d’autant plus complexe que les résultats sont de plus en plus difficiles à interpréter, puisse être délivrée par des équipes de génétique. Il convient également de vérifier dans chaque cas l’utilité clinique des prescriptions d’analyses génétiques. Il faut donc associer étroitement, voire impliquer obligatoirement, le médecin généticien dans ces prescriptions, comme il en va déjà en cas de diagnostic présymptomatique.

S’agissant des tests en libre accès sur internet, je ne suis pas sûre que le législateur puisse faire grand-chose. C’est l’éducation du public qui est essentielle. Souvenons-nous du conseil du Pr Mattei : « Ne nous laissons pas prendre dans les mailles du filet de l’ADN » !

S’agissant de l’information de la parentèle, si les consultations où a été expliquée la dimension familiale de la maladie et annoncé le diagnostic, se sont bien déroulées, en dépit de toute leur difficulté, il n’y a en général pas de problème ultérieur dans l’information de la famille. Il n’en reste pas moins que des familles sont dispersées, que des enfants ont été adoptés, que des pères ne sont pas les pères génétiques de leur enfant… Tous ces cas-là ne seront pas résolus par la procédure d’information familiale. Il arrive par ailleurs que nous disposions, nous, d’informations relatives à une autre branche de la famille qui ne sont pas connues de notre patient. Je pense que nous n’avons pas à les diffuser, même si bien entendu nous les utilisons, notamment pour orienter nos recherches. Restent les rares cas d’impossibilité psychologique à informer la famille, dans lesquels on pourrait envisager, avec l’accord du patient, la levée du secret médical.

Enfin, pour ce qui est du DPN et du DPI, la loi, je l’ai dit, est globalement satisfaisante. Ne se posent que les deux problèmes du recul du délai légal pour l’IVG et des IMG pour raisons maternelles.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Merci de la richesse et de la densité de votre propos. Pensez-vous que nous puissions légiférer de manière efficace concernant la commercialisation de tests sur internet et faire adopter des conventions européennes ou internationales d’interdiction? Comment concrètement empêcher certaines personnes de se livrer à des tests dont la fiabilité, et pis l’utilité, n’est pas prouvée ? Vu les sommes en jeu ne peut-on penser qu’on parviendra à des tests dont les résultats seront peut-être fiables, mais dont l’utilité clinique restera nulle ? Les résultats pourront même être utilisés de manière contre-productive.

Mme Sylvie Manouvrier-Hanu. Ces tests seront peut-être fiables, mais leur interprétation ne le sera pas.

M. le rapporteur. Une interdiction vous paraît-elle réaliste ?

Mme Sylvie Manouvrier-Hanu. Pour y avoir réfléchi dans diverses instances, nous avons conclu que l’on ne disposerait probablement jamais de l’arsenal législatif permettant d’empêcher la réalisation de ces tests. La seule solution est donc d’informer le public, dès le plus jeune âge. Il faudrait notamment actualiser les manuels de sciences naturelles, qui comportent encore beaucoup d’informations obsolètes. Il y a un gros travail à mener en liaison avec le ministère de l’éducation nationale.

M. le rapporteur. Ces informations sont-elles dépassées ou décalées ? Traite-t-on toujours dans les manuels scolaires de biologie de l’anatomie de l’escargot et des réflexes chez la grenouille ? Ne serait-il pas plus important de développer les sujets concernant l’homme ?

Mme Sylvie Manouvrier-Hanu. En génétique, il y a dans les manuels beaucoup d’informations ayant trait à l’homme, et certaines sont erronées, comme sur le syndrome de Klinefelter dont on dit par exemple qu’il s’accompagne d’un retard mental, ce qui n’est pas vrai. On donne, de manière sous-jacente, trop d’importance au génome. Il est certes difficile d’expliquer toute la complexité du génome et de son expression, dans la mesure où nous-mêmes découvrons encore tous les jours de nouveaux aspects, mais il faudrait essayer d’expliquer qu’un gène ne saurait se comparer à une « recette », que le génome ne détermine pas tout et que l’environnement joue un rôle extrêmement important. On pourrait fort bien expliquer qu’une personne qui a une alimentation équilibrée ne prendra pas de poids, quel que soit son capital génétique, alors qu’en revanche, si elle a une alimentation déséquilibrée, elle en prendra plus ou moins selon ses prédispositions génétiques.

M. le rapporteur. Pour ce qui est des tests génétiques sur internet, il faut donc développer l’éducation et la prévention plutôt que d’instaurer des sanctions, de toute façon illusoires.

S’agissant de la levée du secret médical, vous avez dit qu’elle serait envisageable avec l’accord de la personne, si celle-ci ne se sent pas capable d’informer elle-même sa parentèle. Chacun connaît ici l’histoire de cette famille où existait un déficit génétique en ornithine-carbamyl-transférase dans laquelle une personne, de surcroît médecin, qui avait perdu son fils n’a pas informé le reste de sa famille de cette anomalie, ce qui a entraîné la mort de deux autres adolescents, alors qu’un régime approprié aurait pu permettre d’éviter ces décès. Pensez-vous qu’un « dialogue approfondi » avec cette personne aurait permis qu’elle informe sa parentèle ? Peut-on être confronté un jour à un refus délibéré d’informer, ou pis, à une intention de nuire à une branche familiale haïe ? Le médecin ne serait-il pas confronté dans ces cas extrêmes à un dilemme, sachant que des personnes, non informées, sont en danger, alors que des mesures de prévention permettraient de les sauver ?

Mme Sylvie Manouvrier-Hanu. Loin de moi l’idée de nier le drame vécu par cette famille. Sans avoir pu dialoguer de manière approfondie avec le père des deux jeunes adultes décédés, je l’ai toutefois croisé. Il avait déjà perdu un enfant, avant que son jeune cousin ne décède. Le diagnostic n’a été posé que chez ce dernier. Seul le décès du troisième enfant aurait donc pu être évité. Ensuite, le déficit en OCT est une maladie récessive liée à l’X, donc transmise par les femmes, très peu symptomatique et à l’époque, le cas remonte à presque vingt ans, réputée comme non transmissible par les hommes. Les cousines qui ont perdu leurs enfants étaient apparentées par l’intermédiaire d’un homme, décédé à 70 ans et n’ayant présenté aucun symptôme de la maladie. L’information initiale donnée à ce père médecin, que personne n’a, soit dit au passage, jamais entendu sur le sujet, a très probablement été qu’il n’était nécessaire de diffuser l’information que dans les branches familiales maternelles. Le progrès des connaissances fait qu’on sait désormais que des hommes sains peuvent transmettre l’anomalie, mais on l’ignorait à l’époque. Il est tout à fait possible que ce père ait, en toute bonne foi, pensé qu’il n’avait pas à diffuser l’information et vu la lourdeur psychologique de ce genre d’annonce, se soit limité à ce qui lui avait été présenté comme nécessaire. Certes, ce médecin aurait pu s’interroger, sa cousine ayant aussi perdu un jeune fils dans des conditions un peu curieuses, à l’âge de 15 ans, mais chacun le sait ici, un médecin confronté à la maladie ne réagit pas en tant que médecin, mais en tant que malade. Il est hautement probable qu’il a fait de son mieux. Si on lui avait dit qu’il fallait aussi informer la branche paternelle, il l’aurait vraisemblablement fait. J’en veux pour preuve que c’est lui-même qui, après le décès du deuxième cousin, est allé dire qu’il existait peut-être des mesures de prévention.

M. le rapporteur. Mon intention n’est pas de faire le procès de quiconque. Avez-vous eu connaissance que de tels cas se soient reproduits et si oui, dans des cas extrêmes de refus d’informer, notamment dans une intention de nuire, pensez-vous que l’on pourrait autoriser la levée du secret médical ?

Mme Sylvie Manouvrier-Hanu. Je ne peux parler que de notre expérience à Lille. Il nous est arrivé que des personnes nous disent initialement qu’elles ne préviendraient pas leur famille, pour toutes sortes de raisons. Mais nous sommes toujours parvenus à les convaincre. Je n’ai pas le souvenir d’un seul cas où nous n’y avons pas réussi.

M. le rapporteur. Voilà une réponse claire.

Mme Sylvie Manouvrier-Hanu. L’information nécessaire a toujours été diffusée, parfois après plusieurs consultations, avec l’aide de psychologues et éventuellement en passant par le médecin traitant. D’où l’importance d’impliquer les généticiens dans la prescription des analyses génétiques et les explications qui doivent les accompagner aussi bien que dans la communication des résultats. Le médecin qui soigne un enfant passe beaucoup de temps à cela, on ne peut pas lui demander en plus de consacrer tout le temps nécessaire à détailler les aspects génétiques et la dimension familiale de la maladie. Ce sont deux métiers différents. C’est pourquoi aussi la multidisciplinarité est si importante.

M. le rapporteur. Avez-vous eu le cas de personnes ayant réalisé des tests sur internet et venues vous demander d’interpréter les résultats bruts qu’elles auraient reçus ?

Mme Sylvie Manouvrier-Hanu. Nous n’avons jamais été confrontés à une telle situation. D’une part, la réalisation de tests génétiques demeure assez marginale, concernant surtout des maladies multifactorielles, les personnes souhaitant savoir si elles présentent telle ou telle prédisposition. D’autre part, notre région, le Nord-Pas-de-Calais, est assez défavorisée et ses habitants ont sans doute mieux à faire de leurs revenus que de réaliser des tests génétiques sur internet ! Mes confrères parisiens seraient sans doute mieux placés que moi pour répondre à cette question. Les développements futurs de ces tests nous inquiètent, mais pour l’instant, le problème ne se pose pas vraiment.

M. le président. Quel est votre sentiment sur la conjugaison désormais possible d’une part d’analyses pangénomiques, par séquençage rapide ou grâce aux puces à ADN, d’autre part de la possibilité de pratiquer des analyses d’ADN sur les cellules fœtales circulant dans le sang maternel ?

Mme Sylvie Manouvrier-Hanu. Là non plus, nous n’avons pas été confrontés à une telle situation. Les analyses génétiques sur sang maternel constitueront un progrès important pour toutes les femmes à risques de pathologies graves, géniques ou chromosomiques. On ne prendra plus de risque de fausse couche lié au prélèvement nécessaire au DPN dans des situations de risque génétique sévère. Par exemple, on utilise déjà la détermination du sexe du fœtus à partir du sang maternel pour les maladies graves liées à l’X afin d’éviter tout acte traumatique si l’enfant attendu est une fille. Mais on est encore loin de pouvoir réaliser des tests pangénomiques à partir des cellules fœtales du sang maternel car il y circule quand même très peu d’ADN fœtal. En outre, on sait toutes les difficultés d’interprétation des polymorphismes découverts dans les rares cas où nous utilisons des puces à ADN en DPN. Là encore, ce sera une question d’information du public. Si de telles techniques devaient être proposées dans notre pays, elles devraient être très encadrées. La détermination du sexe du fœtus sur sang maternel l’est déjà très strictement, et il n’est pas question d’y recourir par exemple parce que des parents voudraient simplement choisir le sexe de leur enfant. Cela étant, on ne pourra jamais interdire aux gens de faire des tests sur internet !

M. le président. Quel intérêt portent les industriels à la mise au point de kits prêts à l’emploi, très simples à utiliser ? En existe-t-il déjà ?

Mme Sylvie Manouvrier-Hanu. Des biologistes seraient mieux placés que moi qui suis clinicienne pour vous répondre. Oui, les firmes développent des kits, d’ailleurs très utiles, permettant la recherche de plusieurs pathologies, par exemple pour des microdélétions pouvant être à l’origine de retard mental.

M. le rapporteur. Vous avez évoqué la porosité entre l’IMG et l’IVG. Vous avez cité le cas de futures mères recourant à une IVG, si elles sont encore dans le délai légal, en cas de découverte d’une anomalie, même mineure, du fœtus à l’échographie. Peut-on empêcher par la loi cette porosité dès lors que l’IVG est quasiment devenue un droit opposable, sans lien avec une quelconque détresse particulière de la mère ? Comment empêcher une femme dont le foetus n’a qu’une main d’interrompre librement sa grossesse ?

Mme Sylvie Manouvrier-Hanu. Tant qu’on est dans le délai légal de 14 semaines d’aménorrhée, on voit mal comment on l’en empêcherait, encore que, si on respectait la loi à la lettre, on ne devrait pas pouvoir faire d’IVG après un diagnostic échographique. Mais les mères donneront toujours un autre prétexte. Dès lors que l’on est passé de 12 à 14 semaines, nous savions, nous, que ce problème se poserait.

En revanche, il me semble qu’on pourrait agir dans le cas des mères arguant d’une détresse psychiatrique, sans que celle-ci n’ait été établie par un psychiatre, pour solliciter une IMG au-delà du délai légal de l’IVG, alors que le véritable motif de leur souhait d’interrompre leur grossesse est lié à la découverte d’une malformation, même mineure. S’il est logique que les IMG pour raisons maternelles liées à une pathologie maternelle préexistante ou se révélant en cours de grossesse ne soient pas soumises à l’avis du CPDPN, en revanche, lorsque la « détresse » est consécutive à la découverte d’une malformation fœtale, il devrait pouvoir donner son avis. C’est ce que nous faisons à Lille en sollicitant l’avis de psychiatres. Il nous est arrivé de préconiser une IMG dans de tels cas, mais après avis étayé d’un psychiatre. Comment juger avec seulement un généraliste, un obstétricien et une personne extérieure à la famille, de la réalité de la pathologie psychiatrique ? Et surtout comment juger de l’incidence psychologique pour un couple d’une telle décision ? On sait toute la difficulté qu’ont à se remettre les femmes ayant subi une IMG pour cause de malformation fœtale, même gravissime. Que risque-t-il d’en être en cas de malformation mineure, dont il leur aura été dit qu’elle pouvait être traitée ou prise en charge ? C’est pourquoi l’avis d’un psychiatre et du CPDPN me paraîtrait important dans ces cas.

M. le président. Il me reste, Madame, à vous remercier pour votre contribution à nos travaux.

Audition de M. Bernard LOTY, adjoint à la directrice générale, chargé de la politique médicale et scientifique, de Mme Corinne ANTOINE, médecin, responsable du programme de prélèvements sur donneur à cœur arrêté, de M. François THÉPOT, responsable du pôle stratégie, procréation et génétique, et de M. Jean-Paul VERNANT, président du comité médical et scientifique, de l’Agence de la biomédecine


(Procès-verbal de la séance du 22 juillet 2009)

Présidence de M. Jean-Sébastien Vialatte, vice-président

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Mes chers collègues, nous accueillons cet après-midi quatre représentants de l'Agence de la biomédecine (ABM).

Monsieur Bernard Loty, vous êtes adjoint à la directrice générale, chargé de la politique médicale et scientifique. Chirurgien orthopédique, vous avez travaillé à l'Établissement français des greffes et en avez tiré une expérience précieuse. Devant le constat que, chaque année, des malades meurent faute de greffon et que les prélèvements sur donneurs vivants peinent à se développer, le don d'organes a été déclaré grande cause nationale. L'Agence de la biomédecine a lancé en mars une campagne de communication, dont vous nous direz si elle a pu mesurer les retombées. Vos fonctions au sein de l'Agence nous conduiront également à vous interroger sur les cellules souches embryonnaires, les recherches biomédicales, la génétique et le sang de cordon.

Madame Corinne Antoine, vous exercez comme praticien hospitalier dans l'unité de greffes rénales et pancréatiques du service de néphrologie de l'hôpital Saint-Louis, à Paris. Responsable à l’ABM du programme de prélèvements sur donneurs décédés après arrêt cardiaque, vous nous apporterez un éclairage très utile sur cette pratique et sur les réactions des familles. Vous nous direz comment faire au mieux pour entourer les proches, se conformer à l'éthique médicale et respecter les vœux du malade.

Monsieur François Thépot, vous êtes spécialiste d'embryologie et de génétique et responsable du pôle Stratégie, procréation et génétique au sein de l'ABM. À ce titre, vous êtes chargé de proposer à la direction de l'Agence des actions en matière d'assistance médicale à la procréation (AMP), de diagnostic prénatal (DPN), de diagnostic préimplantatoire (DPI) et de génétique.

Monsieur Jean-Paul Vernant, vous êtes professeur au service d'hématologie de l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière et président du comité médical et scientifique de l'ABM.

M. Bernard Loty. Je vous remercie pour cette invitation. Je vais m’efforcer de détailler ce qui, dans le périmètre de l’ABM, pourrait être concerné par une révision des lois de bioéthique.

Le domaine de la greffe est celui que nous connaissons le mieux puisque l’ABM est la nouvelle forme de l’Établissement français des greffes. La France s’est montrée très novatrice dans ce domaine en adoptant dès 1949 la loi Laffay sur les donneurs volontaires. En 1976, la loi Caillavet sur les dons et les prélèvements d’organes a consacré les principes de gratuité, d’anonymat et de consentement. La loi de 1994 les a étendus à la greffe et au suivi de ses résultats, ainsi qu’aux deux autres catégories de produits d’origine biologique, les tissus et les cellules. Parallèlement, le législateur a créé l’Établissement français des greffes.

Aujourd’hui, notre situation est très satisfaisante. Après un passage difficile dans les années 1990, la France se place désormais en deuxième position après l’Espagne pour les prélèvements et greffes d’organes et elle est considérée par beaucoup comme un modèle. En outre, nous avons accompli de grandes avancées en termes d’évaluation des résultats : nous sommes les seuls avec le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Italie à publier sur Internet les résultats, par équipe et nominatifs, des greffes allogéniques d’organes et de cellules.

Les lois de bioéthique n’ont pas seulement édicté des grands principes, elles ont permis d’organiser et de structurer l’ensemble de la chaîne des soins, depuis les autorisations de prélèvement jusqu’à l’évaluation des résultats, en passant par l’encadrement de la sécurité sanitaire. Nos concitoyens ont pleinement confiance en ce système.

La France se trouve ainsi en avance sur la directive européenne relative à l'établissement de normes de qualité et de sécurité pour le don, l'obtention, le contrôle, la transformation, le stockage et la distribution de tissus et cellules humains et sur le projet de directive consacrée à la qualité et à la sécurité des organes destinés à la transplantation.

Mais la législation ne suffit pas. Pour pouvoir continuer de figurer parmi les meilleurs, il faut consacrer les moyens financiers nécessaires aux activités de prélèvement et de greffe – ce qu’ont compris les gouvernements successifs. Du reste, c’est un investissement rentable : ainsi, les greffes de rein permettent d’économiser plusieurs millions d’euros sur les dialyses.

Après le plan greffes 2000-2003, qui a permis d’affecter 140 équivalents temps plein – un tiers de médecins et deux tiers d’infirmières – dans les hôpitaux, nous avons pu aménager la T2A, avec des forfaits puis des paiements par greffe, de façon à pourvoir les services. Nous sommes encore en discussion avec la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS) sur certains points, comme le paiement des déplacements interurbains et nocturnes des chirurgiens pour les activités de prélèvement.

En ce qui concerne le prélèvement d’organe, la loi actuelle paraissant parfaitement adaptée, nous sommes un peu étonnés par certaines propositions. Ainsi, il n’y a selon nous aucune raison de revenir sur le consentement présumé, émanation du principe de fraternité si solidement ancré dans notre société, pour adopter un système de consentement exprès. Quant à l’idée d’un registre des donneurs volontaires, son application aux Pays-Bas, par exemple, montre qu’elle conduit à engager des dépenses inconsidérées, et pour un système qui, en fin de compte, agit comme un frein. Enfin, il nous paraîtrait impensable, sous prétexte de consentement présumé, de s’abstenir de prendre contact avec la famille ; même dans un pays comme l’Autriche où la législation le permettrait, les coordinations de prélèvement prennent en fait toujours le soin de consulter les proches.

Au sujet des registres de donneurs volontaires, je vous renvoie à la lecture de l’article très complet qu’avait rédigé le représentant suédois au Conseil de l’Europe. Nous pouvons vous le transmettre si vous le souhaitez.

S’agissant des donneurs vivants, la mise en place d’un « comité donneur vivant » me paraissait une très bonne idée. Or, après une petite augmentation des dons, on observe maintenant une stagnation. Il n’est pas exclu qu’elle soit liée à la complexité de la procédure ; il me semblerait donc utile de réexaminer l’intérêt d’un double examen par le tribunal de grande instance et par le comité d’experts. Il reste qu’au niveau européen, en tant que président du comité directeur sur la transplantation d’organes au Conseil de l’Europe, j’ai suggéré d’explorer ce système de « comité donneur vivant », afin de publier éventuellement une recommandation sur le sujet. Pour les pays du Nord de l’Europe et le Royaume-Uni – où les donneurs vivants représentent jusqu’à 50 % des prélèvements, contre moins de 10 % en France –, il apparaît que le système serait trop compliqué. Au Royaume-Uni, des comités de ce type existent néanmoins, mais au niveau local.

Le prélèvement sur donneur décédé après arrêt cardiaque est une technique très classique – la seule qui se pratiquait avant la description de l’état de mort encéphalique, qu’on a alors appelé coma dépassé. Cette pratique fait aujourd’hui l’objet d’un très large consensus, même si quelques-uns s’y opposent.

S’agissant toujours des greffes, quelques mots sur le problème des receveurs d’organe non-résidents, dont on ne se préoccupe guère mais qu’il conviendrait pourtant d’éclaircir. Actuellement, la situation est variable selon les pays. Dans les pays du Nord de l’Europe, il est interdit d’opérer les non-résidents. Dans certains d’entre eux, cette interdiction s’étend au cas où l’organe provient d’un donneur vivant, au motif que si la greffe échoue, on sera obligé de mettre le receveur sur la liste des personnes en attente de greffon. Au Royaume-Uni, l’opération des non-résidents est autorisée, mais la règle de répartition veut que les non-résidents ne puissent bénéficier que des greffons restants, ce qui, dans une situation de grande pénurie, n’arrive guère. Enfin, en France et dans les pays du Sud de l’Europe, on peut dire que l’étranger qui a les moyens d’assumer les frais de son opération a la possibilité d’être greffé. Le projet de directive européenne sur les soins transfrontaliers risque de compliquer encore la situation car il n’exclut pas les greffes d’organe de son champ. La France essaie de trouver une solution juridique qui permettrait d’instaurer, au bénéfice de la subsidiarité, des listes d’attente nationales ; j’espère que l’on va prendre cette question à bras-le-corps car on ne peut pas en rester là.

J’en viens aux greffes de cellules souches hématopoïétiques (CSH). Laissant à Jean-Paul Vernant le soin de vous parler du problème que pose la demande de quelques officines à but lucratif de conserver du sang de cordon à visée autologue, je voudrais évoquer celui du statut juridique des cellules issues du sang de cordon ombilical. Selon l’article L. 1221-4 du code de la santé publique, les cellules périphériques font partie du sang. Par conséquent, elles n’entrent pas dans le champ de la directive « Tissus, cellules », mais dans celui de la directive « Sang ». Mais le règlement européen sur les thérapies innovantes – thérapie génique, thérapie cellulaire et ingénierie du tissu humain – inclut les CSH. Je suis persuadé que tous les États membres n’interpréteront pas les textes de la même manière et que les essais cliniques internationaux seront donc très complexes à organiser. Il serait vraiment nécessaire, là encore, de clarifier la situation.

Autre sujet : l’assistance médicale à la procréation (AMP), nouvelle mission de l’ABM depuis 2004. La problématique en est assez proche de celle de la greffe : grands principes, chaîne de soins structurante – avec autorisation, définition des bonnes pratiques, évaluation des résultats – et difficultés financières.

Nous avons beaucoup avancé dans ce domaine. Un registre des fécondations in vitro (FIV) est en cours de constitution ; il procurera une visibilité aussi bonne que pour les greffes et permettra de standardiser nos résultats afin de les comparer à ceux des autres pays. Néanmoins je voudrais souligner plusieurs problèmes.

Le premier concerne les essais cliniques. Il me paraît aberrant, irresponsable et inacceptable d’avoir affirmé que, pour des raisons juridiques, les techniques d’AMP ne pouvaient pas donner lieu à évaluation. Aujourd’hui en effet, à en croire certains, les essais cliniques en AMP sont interdits. Pourtant, la loi sur les recherches biomédicales inclut les femmes enceintes et les parturientes (article L. 1121-5 du code de la santé publique) et prévoit des autorisations expresses de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) pour les recherches sur les cellules et les tissus d’origine humaine, sans aucunement exclure les gamètes (article L. 1125-1 du code de la santé publique). Par ailleurs, la directive européenne « Tissus, cellules » inclut bien les embryons.

On ne saurait continuer à pratiquer l’AMP sans pouvoir pratiquer une évaluation. Il faut donc absolument trouver une solution, étant entendu qu’il ne s’agit pas de faire de la recherche in vitro sur des embryons, mais bien d’exercer la thérapeutique qu’est l’AMP. Aucun pays n’a interdit ces études. Elles devraient pouvoir se faire d’autant plus aisément en France que c’est le seul pays à avoir prévu d’encadrer – par une autorisation de l’AFSSAPS – les essais cliniques à partir de produits biologiques d’origine humaine.

Une autre difficulté concerne la « liste des techniques permettant la procréation en dehors du processus naturel » qui doit être, en vertu de l’article L. 2141-1 du code de la santé publique, fixée par arrêté du ministre chargé de la santé après avis de l’ABM. Il n’est pas possible d’établir cette liste et nous souhaitons vous soumettre des solutions alternatives.

Nous proposons aussi de revenir sur une particularité française, l’agrément des praticiens en AMP, biologique et clinique, et en génétique. Cette tâche considérable, qui incombe à l’ABM, n’a plus de raison d’être puisqu’il s’agit désormais de spécialités reconnues. En outre, les laboratoires d’AMP entrent dans le champ de la directive « Tissus, cellules » et doivent donc déjà se soumettre à des procédures d’autorisations.

La levée de l’anonymat du don de gamètes, outre le fait qu’elle remettrait en cause un grand principe, poserait le problème de la sécurité des données et celui des conséquences juridiques de la découverte du donneur. De plus, elle serait suivie, à coup sûr, d’une diminution du nombre de dons.

Concernant le tourisme procréatif, notamment pour le don d’ovocyte, il conviendrait de se pencher sur les raisons qui poussent une femme à se rendre à l’étranger.

Le travail de l’ABM sur le diagnostic préimplantatoire (DPI) et le diagnostic prénatal (DPN) est moins avancé qu’en matière d’AMP, mais la problématique est assez proche, et nous commençons à y voir assez clair. Là aussi, il y a un problème financier : le financement des trois services de DPI est aujourd’hui mal assuré.

Dans le domaine de la génétique, les choses se présentent différemment. La loi de bioéthique, qui s’est centrée sur les principes et les risques correspondants, a confié à l’ABM un rôle d’autorisation ou d’avis sur les bonnes pratiques des laboratoires, mais pour évaluer la qualité globale des soins, nous avons besoin d’une vue d’ensemble de la chaîne. Or nous n’avons aucune visibilité sur l’approche clinique, sur la façon dont se déroulent les consultations et sur l’activité des réseaux.

Un mot sur la mission d’information de la parentèle qui avait été confiée à l’ABM. Nous n’avons pas trouvé de solution viable pour assumer ce rôle. Il faudra donc certainement réfléchir à nouveau à cette question.

Dernier sujet : la recherche sur l’embryon. Pour ma part, je pense qu’il ne faut pas trop s’interroger sur la spécificité des cellules souches embryonnaires, des cellules souches adultes ou des iPS car c’est un questionnement purement théorique : la réalité, c’est qu’il existe différentes sortes de recherches, utilisant diverses techniques, dont on ne peut jamais savoir à l’avance ce qu’elles pourront apporter. Le législateur avait choisi d’interdire la recherche sur l’embryon, tout en prévoyant des dérogations. D’un strict point de vue pratique, la tâche de l’ABM serait la même si le législateur choisissait de légaliser ces recherches, avec un encadrement strict. C’est surtout la durée maximale de cinq ans fixée par la précédente loi qui constitue un handicap.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Merci pour ce panorama. Je précise cependant que, travaillant sur la révision des lois de bioéthique, notre réflexion ne concerne pas les questions de financement ou de transposition des directives européennes dans le droit français.

À votre avis, existe-t-il une raison scientifique permettant de justifier la conservation de sang de cordon dans une perspective d’usage autologue ? Si tel était le cas, faudrait-il envisager de l’autoriser pour tous, ce qui représenterait un coût astronomique, ou pour certaines personnes seulement, ce qui poserait la question des critères de sélection ?

Par ailleurs, pourriez-vous préciser votre réponse concernant les recherches sur les cellules souches embryonnaires ?

M. le président. À ce sujet, pouvez-vous confirmer que les recherches autorisées par l’ABM ne sont pas tenues de s’arrêter à l’issue du moratoire de cinq ans, soit en 2011 ?

M. Bernard Loty. Oui, elles peuvent être poursuivies dans la limite des délais prévus par l’autorisation de l’ABM.

M. le rapporteur. Le moratoire aura en tout cas permis à l’ABM de mener une évaluation, précieuse pour notre réflexion.

S’agissant des greffes, pourquoi la situation est-elle si inégale sur le territoire français ? Les variations d’une région à l’autre s’expliquent-elles par des pratiques médicales différentes ou par des comportements culturels particuliers ? Comment expliquer que le taux de refus soit de 30 % en France, le double de celui que connaît l’Espagne ?

M. le président. Les mêmes questions se posent au sujet du don d’ovocytes.

M. le rapporteur. Les prélèvements d’organes sur des patients relevant de la classe III de Maastricht – décédés à la suite d’un arrêt des traitements – vous semblent-ils être une pratique utile et éthiquement justifiable ? Serait-il légitime de l’autoriser, compte tenu du nombre très faible de personnes concernées ?

S’agissant de l’information de la parentèle, vous dites que l’Agence n’est pas parvenue à trouver une solution lui permettant d’assumer cette mission. Quelle issue proposez-vous ?

Concernant la recherche sur l’embryon, il semble que les demandes d’autorisation portent sur des sujets variés, notamment les conditions de viabilité. Il n’est pas possible de leur opposer l’existence d’une « méthode alternative d’efficacité comparable ». Convient-il dès lors de conserver dans la loi cette expression ? Ne faudrait-il pas considérer qu’une recherche n’est jamais comparable à une autre ? Le législateur n’a-t-il pas créé une situation ambiguë ?

Enfin, pour ce qui est du DPI et du DPN, êtes-vous d’accord avec l’idée de ne pas établir de liste des « maladies d’une particulière gravité » ? Cette notion vous convient-elle ou souhaitez-vous la voir modifier ?

M. le président. J’ajoute encore quelques questions.

Le Conseil d’État a pris une position un peu différente de la vôtre à propos des recherches visant à améliorer les techniques d’AMP, en s’appuyant sur les articles L. 2151-2 et L. 2151-5 du code de la santé publique qui interdisent la réimplantation d’un embryon sur lequel a été conduite une recherche. Faut-il lever cette ambiguïté juridique ?

Pensez-vous que la vitrification des ovules présente un véritable intérêt, notamment en permettant de réduire le nombre d’embryons surnuméraires ? Quels sont les risques de cette technique ? Qui serait susceptible de donner – notamment à une équipe marseillaise que j’ai rencontrée, qui est demandeuse – l’autorisation de la pratiquer ?

M. Jean-Paul Vernant. Des banques de sang de cordon à visée autologue n’auraient à mon sens aucune justification scientifique. Il y a actuellement dans le monde probablement plus de 800 000 unités de sang placentaire congelé à visée autologue, mais on peut compter sur les doigts d’une ou deux mains le nombre des utilisations, et pour des indications extrêmement discutables. En revanche, on dénombre environ 350 000 unités de sang placentaire congelé à visée allogénique, et entre 10 000 et 20 000 greffes de sang placentaire ont été réalisées, dans deux grands types d’indications – les maladies constitutionnelles et les hémopathies malignes. Dans le cas des premières, la greffe autologue n’aurait évidemment aucun intérêt. Dans le cas des secondes, on risquerait aussi de réinjecter la maladie car, souvent, elle est déjà présente dans le sang placentaire ; par ailleurs, on réinjecterait un système immunitaire incapable de se défendre contre la maladie en question. Je ne vois donc à cette idée aucune justification, si ce n’est le mythe de l’éternelle jeunesse et le fantasme de régénérer un cœur ou un cerveau. Si d’ailleurs c’était possible un jour à partir de cellules souches, ce serait avec des cellules induites.

M. Bernard Loty. Concernant les recherches sur l’embryon, j’ai voulu souligner que pour nous, un système d’autorisation par l’Agence, sur examen des demandes, et un système d’interdiction assortie de dérogations, elles-mêmes accordées par l’Agence, reviennent au même. En revanche, les deux systèmes ne reviennent pas au même d’un point de vue philosophique ; et je comprends qu’actuellement les organismes de recherche se sentent blessés par l’interdiction de ce qui est leur raison d’être, même si des dérogations sont accordées pour cinq ans. La position prudente qu’avait adoptée le législateur constituait à l’époque une avancée, mais il vous est possible de faire aujourd’hui un nouveau pas.

S’agissant de la vitrification des ovocytes, logiquement c’est de l’AFSSAPS que devraient relever les autorisations puisque les essais cliniques sont de son domaine de compétence, même si l’ABM dispose d’une capacité d’expertise. Ce qui nous importe avant tout, c’est de voir les choses enfin avancer – beaucoup plus que de savoir qui fait quoi car les deux agences sont habituées à coopérer et à trouver des solutions pertinentes.

Concernant le fondement de l’interdiction des recherches, le problème est que le Conseil d’État ne fait pas la différence entre la recherche fondamentale et la recherche clinique. Il est évident qu’il faut s’abstenir de réimplanter un embryon sur lequel a porté une recherche fondamentale, et c’est ce qu’a prévu le législateur. En revanche, l’article sur lequel s’appuie le Conseil d’État ne signifie pas qu’il ne peut pas y avoir de recherche clinique dans le domaine de l’AMP. Il serait insensé que celle-ci soit la seule discipline à ne pas pouvoir être évaluée !

S’agissant des greffes, nous n’avons pas les moyens de dire si les refus sont ou non de nature culturelle. En revanche, je constate que dans des régions voisines, qui me paraissent culturellement comparables, les taux sont différents.

M. le rapporteur. Il arrive aussi que le taux de prélèvement chute à la suite du départ d’une équipe ou de son chef.

M. Jean-Paul Vernant. Les raisons peuvent être multiples. Le fort taux d’opposition que nous avons observé dans le XIIIème arrondissement de Paris, par exemple, a sans doute une explication culturelle. Mais le taux de prélèvement dépend aussi de la volonté des chefs de service, des neurochirurgiens, des réanimateurs.

M. Bernard Loty. Certes, il y a une inégalité de situation entre les régions mais nos règles de répartition permettent de la compenser : un patient atteint d’une hépatite fulminante sera greffé, quelle que soit sa région.

M. le président. Pouvez-vous nous éclairer sur ces règles de répartition ?

Mme Corinne Antoine. Le problème de l’accès à la greffe est d’abord celui de l’accès à la liste d’attente, très inégal selon les régions. C’est ainsi qu’après dix-huit mois de dialyse, 50 % des moins de 60 ans ne sont toujours pas inscrits sur la liste. Pour comparer les régions en matière d’accès à la greffe, il faut donc prendre en compte à la fois les flux d’entrées et les flux de sorties de la liste d’attente. Ainsi la région parisienne, que l’on dit en situation de pénurie, est celle où le taux d’inscription sur la liste est le plus élevé.

Le dynamisme des coordinations hospitalières et leur professionnalisation expliquent les très bons résultats obtenus en Espagne. C’est en copiant le système ibérique que nous sommes parvenus aux taux que nous connaissons aujourd’hui, certaines régions dépassant même les taux espagnols pour atteindre 69 donneurs recensés par million d’habitants et 39 donneurs pmh prélevés. En outre, le nombre de donneurs dont au moins un organe a été greffé est, chez nous, très proche du nombre de donneurs prélevés : on est à 22,8 pour 24, contre 29 pour 34 en Espagne.

Certes, la situation est variable selon les régions. Notre maillage territorial est très satisfaisant mais il faut renforcer la professionnalisation et la formation des coordinations. Par ailleurs, nous rencontrons de réelles difficultés logistiques du fait de la démographie des chirurgiens, qui n’a pas suivi la progression du nombre de donneurs. Il faut donc aller vers une plus grande mutualisation, une délégation du prélèvement à des chirurgiens non spécialistes de la greffe, mais formés et motivés – y compris financièrement –, notamment dans les régions où il est arrivé que des compagnies aériennes refusent d’acheminer de nuit les équipes. Il faudrait aussi travailler sur les critères autorisant le prélèvement et développer les machines de perfusion des organes, dont il est démontré qu’elles pourraient améliorer de 20 % le taux de prélèvement.

Pratiquant moi-même la transplantation rénale et pancréatique, je considère que la procédure très spécifique dont la France s’est dotée dans le cas des donneurs vivants est très satisfaisante et constitue un outil de confiance. Je ne pense pas que sa mise en œuvre ait eu un impact sur le taux de prélèvement. Et je crois qu’il faut profiter de cet outil pour élargir le cercle des donneurs vivants ; comme M. Belghiti l’a dit à Strasbourg, « moins on est biologique, plus on est humain ». Actuellement, le fait que des belles-mères, des neveux, des amis proches ne soient pas autorisés à donner aboutit à des situations extrêmement douloureuses. De la même manière, il faudrait autoriser les dons croisés, comme cela se fait dans beaucoup de pays. Il faut faire confiance à notre communauté médicale pour établir des règles et s’appuyer sur le comité donneur vivant, en ayant présent à l’esprit le fait que les greffes d’organes provenant de donneurs vivants ont de bien meilleurs résultats.

M. le rapporteur. Faut-il que le cercle des donneurs soit élargi, au-delà des membres de la famille, aux personnes entretenant avec le patient un lien affectif, durable et ancien ? Comment éviter les risques de commercialisation ?

Mme Corinne Antoine. Oui, le cercle pourrait être élargi au-delà de la famille, dès lors que le travail des équipes médicales et des comités donneurs vivants permet de repérer les situations ambiguës. Il faut s’appuyer sur ce système qui a fait ses preuves, en prévoyant peut-être une consultation automatique auprès d’un psychologue et des comités donneurs vivants à l’échelle locale.

J’ajoute que l’ABM vient de terminer la formalisation de recommandations vis-à-vis du donneur vivant en greffe rénale et hépatique, élaborées avec les sociétés savantes et qui seront validées par la Haute Autorité de santé.

M. le président. L’intervention du juge in fine pour recueillir le consentement vous paraît-elle indispensable ?

Mme Corinne Antoine. Mes patients considèrent que c’est une démarche totalement inutile puisqu’ils ont déjà dû attester la réalité de leur lien de parenté auprès du comité donneur vivant.

M. le rapporteur. Si le cercle des donneurs devait être élargi, il faudrait sans doute maintenir cette procédure.

Mme Corinne Antoine. Aujourd’hui, le juge se contente d’apposer sa signature. Et je ne vois pas ce qu’il pourrait vérifier, notamment dans le cas d’un lien non familial.

M. le président. Il peut lui arriver par exemple de constater que le donneur est accompagné par l’ensemble de sa famille, ce qui peut laisser supposer l’existence de pressions intra-familiales.

M. Bernard Loty. La fonction du juge se comprenait lorsque le comité donneur vivant n’existait pas. Ce n’est plus le cas ; de plus, le juge ne vérifie pas la licéité de la situation en termes d’apparentement.

M. le rapporteur. Dans un pays démocratique, le juge est indépendant. Les membres du comité, en revanche, sont nommés. C’est la raison pour laquelle, même si le passage devant le juge peut paraître inutile dans neuf cas sur dix, il faut garder cette sécurité juridique. Que serait une société où seuls les experts décideraient de l’avenir des individus ?

M. Bernard Loty. Dans le cadre du Conseil de l’Europe, nous avons mené des travaux, tout d’abord sur le don croisé, en étudiant notamment le cas des Pays-Bas puisque les Néerlandais ont été parmi les premiers à développer ce système. Je tiens à votre disposition une documentation sur le sujet. Concernant d’autre part le non-apparentement, nous avons publié deux recommandations, sur les greffes de rein et sur les greffes de foie ; sans empiéter sur la liberté des États membres de décider ou non d’élargir le cercle aux personnes non apparentées, elles les invitent, s’ils décident de le faire, à prendre toutes les précautions nécessaires, notamment en s’appuyant sur les comités donneurs vivants et/ou sur le recueil du consentement par un juge. Là encore, je tiens à votre disposition les documents.

Mme Corinne Antoine. J’en viens aux prélèvements sur donneurs décédés après arrêt cardiaque. Ils sont tombés en désuétude lorsque le concept de mort encéphalique a été établi et légalisé, la procédure étant dans ce cas plus simple et les résultats meilleurs. Mais dans certains pays, comme la Suisse et les Pays-Bas, les deux pratiques ont été poursuivies et développées parallèlement ; dans d’autres, comme le Japon, on a continué pour des raisons culturelles à s’en tenir aux prélèvements sur donneurs décédés après arrêt cardiaque. Beaucoup de progrès ont été ainsi accomplis dans cette technique, au point que certains pays l’ont à nouveau adoptée. La France a attendu jusqu’en 2004 pour s’interroger sur l’opportunité de la reprendre. Un comité de pilotage a alors été constitué. Composé de professionnels des sociétés savantes impliquées, il a auditionné et rendu visite à des équipes étrangères. Il a rédigé un protocole médical commun pour la prise en charge du donneur, depuis l’effondrement sur la voie publique jusqu’à la greffe, comportant des critères d’inclusion et d’exclusion très stricts et détaillant de façon très précise les temps d’ischémie chaude et d’ischémie froide.

Par une convention passée avec l’ABM, les établissements hospitaliers s’engagent à respecter l’ensemble du protocole et à se doter des moyens humains et matériels – machines à perfusion et machines à circulation extracorporelle – qu’il impose. Ce protocole médical commun est un facteur majeur d’acceptation du dispositif, et depuis 2007 les greffes de rein augmentent de 30 % par an. Le programme relatif aux greffes de foie démarre maintenant, avec une méthodologie identique. Notre démarche et nos résultats, que nous avons présentés dans des réunions internationales, ont retenu l’attention de nos confrères étrangers. Je pense que nous devons également utiliser cette méthodologie pour conduire une étude de faisabilité sur les donneurs relevant de la classe III de Maastricht : pour le moment, le protocole exclut ce type de prélèvement, mais il serait normal de travailler sur le sujet, en procédant à toutes les consultations utiles, afin de prendre une décision.

M. le président. Cela relève du domaine réglementaire, non de la loi.

Mme Corinne Antoine. La loi renvoie au protocole édicté par l’Agence, lequel exclut actuellement les donneurs de classe III.

M. le rapporteur. Les prélèvements sur donneurs de classe I et II ne posaient pas de problèmes éthiques, contrairement à ceux sur donneurs de classe III. Si ces derniers devaient faire l’objet d’un protocole, il faudrait un encadrement très strict.

M. le président. Il est vrai que les familles ne comprennent pas toujours qu’un proche soit exclu du prélèvement au motif qu’il relève de la classe III.

M. Bernard Loty. Il nous aurait paru très délétère de mélanger ce débat avec celui, particulièrement complexe, sur la fin de vie. C’est donc la prudence qui a conduit le comité d’éthique de l’Agence à reporter la réflexion sur les prélèvements sur donneurs de classe III. L’avantage de cette pratique est de pouvoir prévoir l’heure et le lieu du prélèvement. L’inconvénient, c’est le risque de doute sur les motifs de l’arrêt des traitements.

M. le président. On ne peut pas prévoir précisément le moment de la mort en cas d’arrêt des traitements – on ne le pourrait qu’en pratiquant l’euthanasie. Par ailleurs, peu de patients sont concernés.

Mme Corinne Antoine. Détrompez-vous : j’ai rencontré hier des représentants de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) qui m’ont communiqué des chiffres sidérants sur la mort à l’hôpital.

Il appartient aux sociétés savantes d’identifier les personnes qui pourraient être concernées par ces prélèvements. Il s’agirait d’individus ayant subi des dégâts cérébraux très sévères et irréversibles, mais n’ayant pas encore atteint l’état de mort encéphalique, et pour lesquels les réanimateurs choisissent de ne pas poursuivre le geste réanimatoire. On sait que dans 50 à 60 % des cas, les personnes décèdent très rapidement après l’arrêt de la suppléance respiratoire. Parallèlement à la réflexion éthique, les personnes compétentes sur le plan médical doivent pouvoir identifier la population concernée et écrire un protocole médical commun.

M. le président. Concernant les recherches biomédicales, vous indiquez dans le rapport de l’Agence que cinq demandes d’autorisation ont été déposées auprès de l’AFSSAPS. Quel sort leur a-t-on réservé ?

M. François Thépot. Elles sont en attente. La vitrification ovocytaire est l’exemple type des problèmes que pose l’interdiction de la recherche biomédicale dans le domaine de l’AMP. Cette technique n’a pu être validée en France car cela supposerait soit qu’on l’autorise préalablement sur des motifs théoriques, soit qu’on l’ouvre sans l’inclure dans des protocoles de recherche.

Concernant le DPN et le DPI, il ne faut pas dresser la liste des maladies les justifiant. La loi est très bien faite car elle laisse aux médecins le soin d’apprécier la gravité des maladies.

Enfin, pour ce qui est de l’information de la parentèle, le conseil d’orientation de l’Agence a estimé qu’il n’y avait pas lieu de tout bouleverser et de déroger à un grand nombre de principes pour régler les rares cas problématiques et parvenir à un résultat que l’on peut obtenir par une bonne pratique médicale.

M. le président. Le Conseil d’État suggère de lever la clause d’irresponsabilité dès lors qu’une voie alternative d’information est ouverte. Qu’en pensez-vous ?

M. François Thépot. Mes trente années d’expérience m’autorisent à penser que ce serait très dangereux.

M. le président. Ne pensez-vous pas que l’accès au DPI est inégalitaire, dans la mesure où le nombre de centres est très faible ?

M. François Thépot. Quarante enfants naissent chaque année en France après un DPI. Il s’agit d’une technique très complexe et très coûteuse – comme pour le recueil d’embryons et le don d’ovocytes, 80 % des freins sont d’ordre financier –, qui n’est pas comparable au DPN. En revanche, il n’est pas normal que le nombre de tentatives soit limité, alors même que le taux de réussite n’est que de 20 %. Il n’y a pas de comparaison possible avec le DPN, qui touche quasiment toutes les femmes enceintes.

Un quatrième centre de DPI permettrait de répondre de manière satisfaisante aux besoins. Le contrôle, assuré au niveau national par l’ABM, fonctionne bien.

M. le président. Une dernière question : que penseriez-vous d’une fusion ou d’un rapprochement entre l’ABM et l’AFSSAPS ?

M. Bernard Loty. Depuis 1998, les deux agences ont appris à se connaître et à travailler ensemble, mais leurs approches sont différentes. L’AFSSAPS est l’ancienne agence du médicament ; sa mission est de gérer des risques, dans une démarche de précaution vis-à-vis des produits industriels que sont les médicaments et les dispositifs médicaux. L’ABM, si elle est sensible à la problématique de la sécurité et de la qualité, est davantage tournée vers la prise de risque ; elle joue un rôle de promotion du don et de l’activité et soutient l’organisation de la chaîne de soins, jusqu’à l’évaluation des résultats. Nos rôles sont donc très différents, et je ne vois pas ce que nous aurions à gagner à nous fondre dans une nouvelle structure. L’ABM a déjà adapté son organisation lorsque vous lui avez confié la mission relative à la procréation, l’embryon et la génétique.

M. Jean-Paul Vernant. À l’ABM, nous avons la culture du « un pour un » : un donneur pour un receveur, qu’il s’agisse d’organes ou de cellules. L’AFSSAPS a la culture du lot, puisqu’elle gère les médicaments. Désormais, elle gère non seulement le médicament, mais aussi les produits thérapeutiques d’origine humaine. Nous coopérons, il existe des zones d’interface, mais nos métiers sont totalement différents.

M. le président. Merci beaucoup à tous les quatre.

Audition de M. Christian BYK, magistrat à la cour d’appel de Paris, secrétaire général de l’Association internationale Droit, éthique et science


(Procès-verbal de la séance du 22 juillet 2009 )


Présidence de M. Jean-Sébastien Vialatte, vice-président

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Mes chers collègues, nous avons le plaisir d’accueillir maintenant M. Christian Byk, magistrat à la cour d’appel de Paris et secrétaire général de l’Association internationale Droit, éthique et science.

Vous avez occupé la fonction de conseiller spécial pour la bioéthique auprès du secrétaire général du Conseil de l’Europe de 1991 à 1993 et, à ce titre, vous avez été le rédacteur de l’avant-projet de convention sur la biomédecine et les droits de l’homme, dont la version définitive a été adoptée à Oviedo en 1997. Vous avez par ailleurs fondé le Journal international de bioéthique, pour lequel vous avez rédigé de nombreux articles. Votre audition sera ainsi l’occasion d’éclairer les membres de la Mission sur l’approche de ces organismes internationaux et de rappeler le socle des principes faisant l’objet d’une reconnaissance consensuelle.

Votre intervention s’inscrivant dans le cycle d’auditions consacré à la génétique, nous vous interrogerons en particulier sur les problèmes posés par l’utilisation des informations relatives aux caractéristiques génétiques des personnes. Faut-il mieux encadrer le recours aux tests génétiques ? Les offres de tests par Internet doivent-elles faire l’objet d’un contrôle particulier ?

En matière d’assurances, les dispositions législatives actuelles sont très protectrices puisqu’il est interdit d’utiliser les tests génétiques dans le cadre de l’établissement d’un contrat. Pensez-vous que ce dispositif soit menacé par les récentes techniques de décryptage du génome qui rendent disponibles un nombre croissant d’informations d’ordre génétique relatives à des risques de maladie ?

Enfin, dans le domaine de la médecine du travail, dans quelle mesure des données génétiques sur des risques de maladie peuvent-elles être prises en considération pour définir l’aptitude d’une personne à occuper un emploi ?

M. Christian Byk. Je vous remercie de m’accueillir à l’occasion de votre réflexion sur la révision des lois de bioéthique. Permettez-moi de commencer par trois remarques générales sur les rapports de la bioéthique avec la loi.

La première concerne la clarification du rôle du droit. La question est celle de l’équilibre entre droit des principes et droit des pratiques, ainsi que de la liberté laissée aux acteurs du droit des pratiques de prendre une place dans le paysage législatif et de le faire évoluer – autrement dit, de la combinaison entre cohérence juridique et marge d’appréciation. Certains pensent que l’abandon du principe de révision périodique de la loi et le consensus sur un certain nombre de principes vont consacrer une stabilisation du droit, seules les normes techniques étant susceptibles d’évoluer. Je formulerai pour ma part deux réserves. D’une part, la stabilité des principes législatifs ne veut pas dire que ceux-ci ne vont pas continuer à vivre : on sera parfois conduit à les réaffirmer, comme l’a fait la Cour de cassation le 28 février dernier, dans un arrêt de principe important, à propos du consentement explicite à une recherche biomédicale ; et ils continueront à faire l’objet d’interprétations entrant éventuellement en conflit. D’autre part, l’évolution des normes techniques et des bonnes pratiques ne peut pas relever uniquement d’institutions spécialisées, aussi utiles et performantes soient-elles, telle l’Agence de la biomédecine, et exclure du débat les patients et les citoyens : lors des récents états généraux, ces derniers ont ainsi recommandé de modifier en ce sens tant la composition du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine que celle du Comité consultatif national d’éthique.

Ma deuxième observation porte sur la relation entre le droit interne et le droit des pays voisins. Peut-il y avoir une profonde divergence entre un droit national et son environnement juridique international, par exemple sur la question de la gestation pour autrui ? Comment ce droit peut-il rester efficace s’il suffit à ceux qui le contestent de partir dans des pays plus libéraux pour y bénéficier de ce qui est interdit chez eux ? Ces interrogations conduisent certains à prôner une harmonisation du droit dans l’espace européen, dès lors qu’elle ne se ferait pas sur un « minimum éthique ». En ce qui me concerne, je considère qu’il est tout à fait normal, dans un espace globalisé, de vivre des conflits de ce type. Ce qui est important, c’est qu’un pays fasse le choix de sa législation ; celle-ci est soumise au débat national ainsi qu’à un débat au niveau européen, non seulement à l’occasion d’une formalisation juridique lorsque, par exemple, la Cour européenne des droits de l’homme intervient, mais aussi dans le cadre d’un débat démocratique ou politique. Il me paraît très positif que l’on puisse ainsi s’apercevoir que des principes universels ont des applications différentes selon les pays.

Enfin, l’actuel processus de révision de la loi fait clairement apparaître que la bioéthique est devenue un phénomène social, touchant tout à la fois à la santé, à la famille et aux libertés publiques. Cela implique la reconnaissance d’enjeux de société, mais aussi d’enjeux de pouvoir car face aux citoyens qui peuvent souhaiter être plus libres, aux divers acteurs qui peuvent s’estimer trop contraints par le droit, les pouvoirs publics doivent s’efforcer de trouver un point d’équilibre. Il nous faut donc réfléchir à cet équilibre entre le droit des gens, qui règle leur vie quotidienne, et le droit de la cité, qui garantit la liberté dans la solidarité. A cet égard, il existe deux types d’enjeux. Le premier, c’est la vigilance éthique qu’il convient de conserver à l’égard des nouveaux domaines techniques, lesquels peuvent se combiner entre eux. Le deuxième, c’est la réflexion prospective sur les rapports entre l’homme et la technique et, éventuellement, sur les identités à reconnaître et à protéger, par exemple l’embryon humain ou certaines communautés.

Je voudrais maintenant apporter quelques réponses au questionnaire que vous m’aviez adressé.

Votre première question portait sur l’opportunité ou non de suivre l’exemple de la Suisse et très récemment de l’Allemagne, qui se sont dotées de législations portant spécifiquement sur les problèmes de génétique, tandis que le législateur français, jusqu’à présent, a adopté une démarche plus générale en rattachant ces questions au champ de la bioéthique. Je souligne tout d’abord que le droit français s’établit à la fois à travers un droit général, qui s’applique à la génétique comme à d’autres domaines des sciences de la vie – ce sont les « grands principes » –, et par l’élaboration de dispositions spécifiques ; notre méthodologie législative vise à favoriser la cohérence entre les principes et leur application à des domaines particuliers. La génétique connaît cependant deux exceptions à cette approche. D’une part, des règles de principe spécifiques à la génétique ont été élaborées : ce sont en particulier les articles 16-4 et 16-10 à 16-13 du code civil. Ce n’est pas là une spécificité française puisque tant la Convention du Conseil de l’Europe que la Déclaration de l’UNESCO font de même. Notre code pénal contient de la même façon des dispositions sanctionnant les crimes contre l’espèce humaine. D’autre part, tous les domaines de la génétique ne sont pas encore couverts par des dispositions spécifiques dans les lois de bioéthique. Je pense par exemple à l’accès aux tests via Internet, à l’utilisation d’informations génétiques dans le cadre de la biométrie ou aux utilisations de la génétique à des fins militaires.

Le niveau de l’attention accordée, sur le plan des principes généraux, à la génétique pourrait être critiquable s’il signifiait que la génétique constitue une part essentielle de l’identité individuelle, voire une caractérisation de l’espèce humaine – notion qui me laisse un peu sceptique, comme les dispositions pénales qui lui sont associées. Ce serait en effet réducteur par rapport aux dimensions culturelle, anthropologique, sociologique et juridique de l’homme, lequel reste à mes yeux avant tout un « animal politique ». En revanche, il n’y a pas de difficulté fondamentale à ne pas traiter toutes les questions spécifiques qui relèvent de la génétique dans le cadre de la loi de bioéthique, dès lors que l’on n’élude pas celles qui se posent ou qui se poseront et que, en les traitant, on garde à l’esprit la nécessité d’une cohérence juridique générale.

Vous m’avez interrogé aussi sur l’accès aux origines, notamment au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de ses conséquences sur le code civil, dont les dispositions interdisent le prélèvement génétique post mortem dès lors que la personne n’y a pas consenti.

Effectivement, dans l’arrêt Jäggi c/ Suisse du 13 juillet 2006, la CEDH a considéré que le droit à l’identité, dont relève le droit à connaître son ascendance, fait partie intégrante de la notion de vie privée. Elle a également considéré que les personnes qui essaient d’établir leur ascendance ont un intérêt « vital », protégé par la Convention, à « obtenir les informations qui leur sont indispensables pour découvrir la vérité sur un aspect important de leur identité personnelle ». Bien entendu, elle souligne en même temps qu’il faut garder à l’esprit la nécessité de protéger les tiers, ce qui peut exclure la possibilité de les contraindre à se soumettre à quelque analyse médicale que ce soit, et donc à une analyse d’ADN. Même si l’on peut contester la notion d’intérêt vital, la Cour reproduit ici une méthode d’analyse classique, consistant en une balance d’intérêts entre les parties : d’un côté, le droit du requérant à connaître son ascendance, et de l’autre, le droit du tiers à l’intangibilité du corps du défunt, ainsi que l’intérêt public à la protection de la sécurité juridique. Mais dans son analyse, la Cour donne les limites de ces différents interdits. Elle nous dit que la protection de la sécurité juridique ne constitue pas à elle seule un argument suffisant pour priver le requérant du droit de connaître son ascendance. En l’espèce, elle a même estimé que l’intérêt du requérant ne diminue pas avec l’âge et le fait qu’il a pu construire sa personnalité ; que le prélèvement d’ADN n’est pas intrusif ; qu’un prélèvement post mortem ne porte pas atteinte à la vie privée du défunt ; que le repos de celui-ci ne bénéficie que d’une protection temporaire, conformément au droit des concessions funéraires.

A mon avis, que l’on reste dans un régime d’autorisation expresse ou que l’on passe à un régime d’opposition expresse ne change pas grand-chose. Il ressort en effet de cette jurisprudence que ce qui compte, c’est le caractère légitime ou non du refus de prélèvement. D’ailleurs, la CEDH relève l’absence de motifs religieux ou philosophiques avancés par la famille, ce qui laisse éventuellement entendre que de tels motifs auraient pu être pris en considération. Pour faire en sorte que le droit français soit conforme à cette jurisprudence, il conviendrait à mon sens, en s’inspirant d’ailleurs de celle de la Cour de cassation en matière de filiation naturelle et d’examens génétiques, de dire que l’analyse génétique est de droit, sauf opposition pour un motif légitime apprécié sous le contrôle du juge.

J’en viens à la question de la compatibilité de la règle de l’anonymat des dons de gamètes avec la Convention européenne des droits de l’homme et la jurisprudence récente de la Cour. Au regard d’une jurisprudence qui fait du droit à connaître ses origines un intérêt vital, ni le respect de la vie familiale de ceux qui ont bénéficié d’un don de gamète ni l’intérêt du donneur ne peuvent justifier un refus absolu de délivrer des informations, dès lors qu’elles sont sans incidence sur le lien de filiation. On peut envisager, comme l’a proposé le Conseil d’État, non seulement l’accès à des données non identifiantes mais aussi, avec l’accord du donneur, l’accès à l’identité de celui-ci. Franchir une étape supplémentaire, consistant à ne faire appel qu’à des donneurs qui seraient d’accord pour révéler leur identité, ne serait envisageable que si c’était une solution socialement acceptée ; je ne suis pas sûr que nous en soyons là en France. Dans le schéma proposé par le Conseil d’État, l’intérêt à connaître ses origines, y compris biologiques, est pris en compte, mais sans porter atteinte au lien de filiation, lequel reste issu d’une volonté exprimée dans le cadre d’un projet parental. A mon sens, on ne risque donc pas de glisser, au-delà de ce qui a déjà été accepté dans le droit de la preuve, vers une filiation ou une identité de la personne uniquement construites à partir de données génétiques.

Vous m’avez par ailleurs interrogé sur l’utilisation des caractéristiques génétiques en droit du travail et en droit des assurances.

S’agissant du droit du travail, dans son avis du 30 octobre 1995 intitulé « Génétique et médecine : de la prédiction à la prévention », le Comité consultatif national d’éthique faisait le constat que les cas où l’examen des caractéristiques génétiques peuvent être utiles pour prévenir une maladie professionnelle restent rares. Il observait donc qu’en l’état des connaissances, l’utilisation des tests devrait rester exceptionnelle et strictement réservée à des cas limitativement énumérés, en soulignant qu’il conviendrait de s’assurer de la fiabilité et de la pertinence des tests disponibles. Il ajoutait qu’en aucun cas, un test de ce type ne devrait être systématique et que par ailleurs, son utilisation ne devrait jamais avoir pour conséquence de réduire la prévention des risques professionnels au motif qu’à l’aménagement de l’environnement de travail, on préférerait l’élimination des salariés les plus exposés génétiquement. C’est un rappel de ce qu’est normalement et classiquement la médecine du travail, laquelle est destinée à protéger le travailleur, ce qui conduit à aménager son environnement de travail, mais non à sélectionner les travailleurs dans une perspective d’adéquation d’ordre économique.

Le Comité avait jugé utile de souligner qu’une véritable garantie dans ce domaine ne peut être obtenue que par une modification du statut de la médecine du travail, dont les médecins sont actuellement salariés des entreprises. Il indiquait ainsi : « Tant qu’un statut assurant leur autonomie n’aura pas été organisé, leur rôle restera très ambigu ». De même, plus récemment, dans un rapport réalisé en janvier 2007 à la demande du ministre du travail, M. Hervé Gosselin, conseiller en service extraordinaire à la Cour de cassation, dénonçait l’ambiguïté de la notion d’ « aptitude au travail » ainsi que le manque d’autonomie et de moyens de la médecine du travail. Il abordait également la question des tests génétiques. L’important me paraît être de rechercher avant tout la cohérence, et donc de replacer l’utilisation des tests génétiques dans une perspective plus globale.

En ce qui concerne les assurances, je ne crois pas que pour le moment, les assureurs soient tentés de remettre en cause l’interdiction d’utiliser des informations génétiques pour l’établissement des contrats. Cela s’explique par plusieurs raisons : les tests génétiques coûtent relativement cher ; le risque de survenue d’une invalidité ou d’un décès en lien avec des caractéristiques génétiques n’est sans doute pas très élevé ; il est licite de solliciter d’autres données, comme les antécédents familiaux et personnels et les données biologiques, qui peuvent apporter des informations suffisantes ; enfin, un souci d’image conduit les assureurs, tant en France qu’à l’étranger, à s’abstenir d’évoquer ce sujet sensible.

En revanche, que dire d’une personne qui a connaissance d’informations d’ordre génétique ayant des conséquences sur sa santé et qui n’en informe pas l’assureur au moment où elle souscrit un contrat ? En gardant le silence, elle commet une faute, dès lors que l’information qu’elle ne révèle pas a une incidence sur l’évaluation du risque.

Enfin, les informations génétiques pourraient-elles donner lieu à un système de bonus/malus ? Si le marché de l’assurance évolue vers une répartition des personnes en catégories homogènes assumant le coût de leur propre niveau de risque – comme on le constate déjà pour certains risques, ce système tendant donc à se substituer à celui de la mutualisation des risques –, il est fort possible qu’on institue des surprimes liées aux risques génétiques. Y aura-t-il en contrepartie des boni ? On peut le faire croire aux assurés ! La génétique ne constituera cependant qu’un outil personnalisé d’évaluation du risque, parallèlement à d’autres outils. En outre, l’aspiration à un regain de solidarité peut s’exprimer, conduisant à une forme d’assurance plus mutualisée. En France, la mutualisation est forte dans le domaine de la santé, mais il n’est pas exclu que dans l’avenir, en matière de dépendance, les familles doivent faire appel à des systèmes assurantiels et que les compagnies leur proposent de cibler leurs risques.

Je terminerai par votre question sur l’information de la parentèle.

Le Conseil d’État a raison de souligner les difficultés d’ordre psychologique à faire reposer la transmission de l’information sur la seule personne pour laquelle l’examen des caractéristiques génétiques a été réalisé. Mais à l’inverse, l’information de la parentèle n’est pas possible sans la coopération de cette personne ; celle-ci doit être préparée, dans le cadre du conseil génétique, à l’idée que cette information peut avoir une utilité pour sa parentèle. Il faut donc que le dispositif qui va être mis en place favorise cette coopération. A mon sens, la référence à la responsabilité civile n’a pas sa place ici.

Si la personne refusait néanmoins de se laisser convaincre de la nécessité de cette coopération, je pense que la levée partielle du secret médical pourrait être envisagée, dès lors que le médecin serait à même de contacter les personnes mises en danger par l’attitude de leur parent et que la communication d’informations viserait à prévenir des risques graves. Ni juridiquement, ni d’un point de vue éthique, on ne peut totalement écarter la levée du secret médical si c’est l’ultime recours pour empêcher qu’un membre de la parentèle ne subisse une atteinte grave à sa santé. La situation n’est pas comparable avec celle du sida : le fait que la personne refuse de garder le contact avec l’équipe médicale n’entraîne pas une augmentation du risque de contamination. En outre, la personne encourt moins de risques de stigmatisation sociale. Enfin, la levée du secret peut, dans certaines situations, ne pas toucher l’identité du patient.

M. Xavier Breton. S’agissant de l’articulation entre le droit européen et les droits nationaux en matière de bioéthique, pourriez-vous nous préciser votre analyse de la situation ?

M. Christian Byk. Il faut distinguer deux espaces juridiques européens, celui du droit communautaire et celui du droit développé par le Conseil de l’Europe. De manière très caricaturale, on pourrait dire que l’un a un caractère plutôt économique et que l’autre concerne les droits de l’homme. Sur le plan de la formation du droit, les différences sont importantes : les règlements et, sous réserve de transposition, les directives communautaires s’imposent dans notre ordre juridique interne ; en revanche, le système du Conseil de l’Europe est avant tout celui d’une organisation intergouvernementale, dans le cadre de laquelle les États, sur les sujets de leur choix, négocient pour aboutir à des solutions convenant à tous – et ayant parfois l’ambiguïté nécessaire pour cela –, mais qui laisse chaque État membre définir l’essentiel de ses règles juridiques. Le Conseil de l’Europe agit pour sa part par voie de recommandations. La dynamique qui le soutient est celle des droits de l’homme et de la jurisprudence de la CEDH. Depuis l’adhésion de nouveaux États, assortie de leur obligation morale d’adhérer à la Convention européenne et de reconnaître la juridiction de la Cour – la France a attendu plus de vingt ans pour le faire –, cette dynamique s’est renforcée ; la Cour a pu toucher à tous les sujets, notamment du fait de la multiplication des recours individuels. Cela pose d’ailleurs des problèmes de cohérence. Le système du Conseil de l’Europe pratique l’harmonisation douce, le système communautaire une harmonisation un peu plus brutale !

En matière de santé et d’éthique médicale, la démarche du Conseil de l’Europe a d’abord été pragmatique : les coopérations techniques qui se sont développées dans les années soixante en matière de transplantations d’organes et de transfusion sanguine ont conduit à définir des normes techniques, et par voie de conséquence des bonnes pratiques sur le plan éthique. Le Conseil, que l’on considère souvent comme une organisation généraliste des droits de l’homme, a ainsi acquis une expérience spécifique dans ce domaine, comme aussi, par exemple, dans celui de la pharmacopée.

Lorsqu’au début des années quatre-vingt-dix, j’ai consulté les travaux des organes de la Convention européenne des droits de l’homme pour y rechercher des questionnements en rapport avec la bioéthique, j’ai constaté par exemple que dans l’immédiat après-guerre, les Britanniques et les Scandinaves s’étaient opposés à l’introduction d’articles sur l’interdiction de la stérilisation. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a elle-même laissé transparaître divers débats. La Convention nous a paru être le seul cadre de cohérence possible, mais il s’agit d’une cohérence dynamique. La Cour reconnaît aux États une « large marge d’appréciation » ; et elle contribue parfois à une avancée sur tel ou tel sujet en tirant les conclusions de leurs démarches.

La dynamique est différente dans le système communautaire, dans lequel toute ambiguïté est tranchée soit au niveau politique, soit par la Cour de justice. La jurisprudence de cette dernière a par exemple évolué depuis dix ans pour faciliter l’accès aux services de santé ; ainsi, dans son arrêt DocMorris du 11 décembre 2003, la CJCE a jugé qu’il n’était pas possible à un État d’interdire de façon absolue la vente de médicaments sur Internet. On pourrait transposer cette jurisprudence au cas des tests génétiques.

Les évolutions juridiques sont donc sans doute plus nettes dans l’espace communautaire que dans celui du Conseil de l’Europe, les logiques n’étant pas les mêmes. Mais quoi qu’il en soit, aujourd’hui la cohérence juridique n’existe plus de façon absolue ; comme l’a souligné Mireille Delmas-Marty, il faut s’employer sans cesse à la reconstruire. C’est néanmoins l’une des forces du droit d’avoir la capacité de s’adapter.

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. A votre avis, faut-il, comme le propose le Conseil d’État, encadrer la mise sur le marché des tests génétiques à finalité médicale en soumettant certains de ces tests à un régime d’autorisation, assorti de sanctions ?

M. Christian Byk. On peut aller dans cette voie, mais cela n’interdira pas la vente des tests génétiques sur Internet, laquelle peut être encadrée sur la base de la jurisprudence DocMorris ; ce qu’il faut interdire, ce sont les tests totalement libres et non fiables.

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Qu’est-ce qui aujourd’hui nous empêche de ratifier la convention d’Oviedo ?

M. Christian Byk. La France est très fière des principes universels qu’elle répand dans le monde, mais elle n’est pas toujours pressée de ratifier les textes qui les mettent en application. C’est l’attitude inverse de celle des Britanniques, qui sont cohérents avec leurs principes mais qui ne les exportent pas ! Pour ma part, je ne vois aucun obstacle à la ratification de cette convention.

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Il me reste à vous remercier de votre contribution à nos travaux.

Audition de M. Josué FEINGOLD, généticien épidémiologiste, pédiatre,
consultant à l’hôpital Pitié-Salpêtrière, directeur de recherche émérite à l’Inserm ;
de Mme Nicole PHILIP, médecin coordonnateur au département
de génétique médicale de l’hôpital de la Timone-Enfants à Marseille
et responsable du master « conseil génétique et médecine prédictive » à la faculté de médecine de Marseille ; et de Mme Marcela GARGIULO, psychologue clinicienne
au département de génétique de l’hôpital La Pitié Salpêtrière



(Procès-verbal de la séance du 9 septembre 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, Président

M. le président Alain Claeys. Nous reprenons aujourd’hui nos travaux. Cette séance clôt le cycle des auditions consacrées à la génétique. Nous aborderons ensuite deux derniers thèmes : les problèmes éthiques posés par les neurosciences et par les nanobiotechnologies ; la question de la brevetabilité du vivant. Les auditions publiques s’achèveront au cours du mois d’octobre avec les interventions des ministres de la justice et de la santé.

Nous avons le plaisir d’accueillir, pour débattre du thème du conseil génétique, le Docteur Josué Feingold, généticien, épidémiologiste, consultant à l’hôpital Pitié-Salpêtrière, directeur de recherche émérite à l’INSERM ; Mme le Professeur Nicole Philip, médecin coordonnateur au département de génétique médicale de l’hôpital de la Timone Enfants à Marseille et responsable du master « conseil génétique et médecine prédictive » à la faculté de médecine de Marseille ; et Mme Marcela Gargiulo, psychologue clinicienne à l’Institut de myologie, détachée au département de génétique de l’hôpital La Pitié Salpêtrière.

Qu’est-ce qu’une consultation de génétique médicale ? Aux termes de l’article R.l131-5 du code de la santé publique, elle ne peut avoir lieu que dans le cadre d’une consultation individuelle, le médecin devant œuvrer dans un cadre pluridisciplinaire lorsqu’il reçoit une personne asymptomatique. Quel est le rôle des conseillers génétiques, nouvelle profession médicale créée par la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique et dont la formation est assurée à la faculté de médecine de Marseille ? Quelle importance peut revêtir l’intervention d’un psychologue ?

Cette table ronde devra aussi aborder les problèmes légaux, et en particulier la question de l’information de la parentèle : faut-il lever le secret médical lorsque la santé des membres d’une famille est mise en danger du fait que la personne testée refuse que le résultat du test génétique soit communiqué ? Les cas où une personne refuse de prendre connaissance des résultats d’un test sont-ils fréquents ?

Par ailleurs, le recours croissant aux analyses génétiques et la multiplication des tests génétiques accessibles par l’Internet posent la question de l’usage qui est fait des informations rendues ainsi disponibles.

Mme Nicole Philip. Merci de me donner l’opportunité de présenter des réflexions inspirées de mon expérience de praticienne et d’enseignante, ainsi que de mes discussions avec les conseillers génétiques.

Permettez-moi d’abord de souligner la grande qualité des lois françaises, lesquelles nous ont aidés à progresser dans la pratique du conseil génétique. Certains aspects peuvent cependant sembler inadaptés ou perfectibles ; c’est ce que je m’attacherai à démontrer.

Le chapitre III du titre Ier du livre Ier du code civil peut servir de base à la définition du conseil génétique, pour peu que l’on détermine précisément ce que recouvre l’« examen des caractéristiques génétiques d’une personne ». Or le décret d’avril 2008, qui étend cet examen aux analyses de biologie médicale, ne mentionne pas les autres méthodes qui permettent pourtant aussi d’obtenir des informations sur les caractéristiques génétiques, comme l’examen clinique ou l’imagerie médicale. L’Agence de biomédecine a bien proposé de dresser une liste de ces méthodes, mais cela semble difficile à réaliser.

L’examen chez les sujets asymptomatiques est bien encadré. Il doit être conduit par un médecin appartenant à une équipe pluridisciplinaire s’étant dotée d’un protocole. Cette prise en charge est très efficace au niveau du diagnostic pré-symptomatique, dont le modèle est la maladie de Huntington. Cependant, les textes ne font pas la distinction entre ces analyses, dont le but est de déterminer si l’individu développera ou non une maladie génétique héréditaire, et les examens dont les résultats contribueront seulement à placer ou non l’individu dans un groupe à risque d’avoir un enfant atteint d’une maladie génétique. Il s’agit d’enjeux différents, qui requièrent des procédures plus ou moins lourdes.

Lors de son audition, Anne Cambon-Thomsen regrettait que notre société ressente toujours la génétique comme un domaine aux enjeux d’une particulière gravité. Les analyses génétiques ne sont pas toujours réalisées dans un contexte grave. Mais elles ont toutes un caractère potentiellement familial. C’est la raison pour laquelle l’information génétique doit être assurée.

Les exigences actuelles en matière d’information sont insuffisantes. La loi prévoit que l’information doit être donnée en cas de diagnostic d’une affection génétique grave. Le patient est généralement averti sur l’importance de cette information lors de la prescription de l’examen, avant même que le diagnostic soit établi. Il conviendrait plutôt que le médecin rappelle au patient cette nécessité lors de la remise de résultats ayant une possible implication familiale, et les accompagne d’un document écrit, si possible personnalisé, résumant les conséquences pour la descendance et les apparentés.

Lorsqu’un médecin traitant, sous prétexte qu’il suit un apparenté, demande à un service de génétique de lui communiquer les éléments du dossier d’un enfant, la bonne pratique consiste à refuser de communiquer cette information avant d’avoir recueilli l’autorisation du patient, ce qui crée beaucoup de précipitation et d’angoisse. A l’hôpital de la Timone, le patient doit indiquer dans le formulaire de consentement s’il accepte ou refuse que les résultats de ses analyses soient utilisés à des fins de conseil génétique pour des membres de sa famille et que l’information strictement nécessaire soit communiquée à un médecin qui en ferait la demande en leur nom. S’il n’y a pas de risque pour la parentèle, nous ne communiquons ni le résultat ni le diagnostic. Dans le cas contraire, nous transmettons le résultat de la mutation familiale. Cette procédure permet de faciliter l’information de la parentèle.

Sur ce dernier point, la loi nous a facilité la tâche en précisant que l’information devait être résumée et communiquée dans un document signé et remis par le médecin à la personne concernée. Permettez-moi ici de soulever un point de détail : le patient doit attester de la remise du document, ce qui est possible lorsqu’il s’agit d’un formulaire type, mais plus difficile lorsque le généticien lui fait parvenir une information personnalisée.

Très peu de patients refusent de transmettre cette information à leurs apparentés. La procédure prévue par l’ABM pour ces cas précis me semble vouée à l’échec. Lors d’une réunion en mars dernier, généticiens, conseillers en génétique et associations ont proposé que le secret médical puisse être levé, sous réserve que la personne concernée ait donné son accord et que le médecin prévienne directement la famille.

M. le président. Le nombre de refus est-il important ?

Mme Nicole Philip. Je n’ai connu qu’un cas de refus catégorique.

M. Josué Feingold. J’observe également très peu de refus mais j’ignore ce qui se passe dans les consultations génétiques de cancérologie.

Mme Nicole Philip. Tout le monde a en mémoire le décès de ce jeune homme en pleine santé qui aurait pu être évité si l’information avait été donnée. Il me semble que lorsqu’il existe un risque vital, la responsabilité pénale doit être invoquée. En effet, la levée du secret médical ne résoudra pas le problème des refus irréductibles, puisqu’il faudra encore que la personne communique les adresses de ses apparentés.

Lorsqu’il n’existe pas de risque vital, la pénalisation me semble hasardeuse. Cela pourrait mener à sanctionner une personne pour n’avoir pas évité la naissance d’un enfant handicapé, les parents de cet enfant n’ayant pas demandé de diagnostic prénatal, faute d’information. Il revient aux généticiens de convaincre les personnes de communiquer l’information ; les cas de refus catégoriques sont de toute façon exceptionnels.

M. Josué Feingold. Merci pour cette invitation. Cela fait quinze ans qu’avec Marcela Gargiulo et Alexandra Dürr nous avons mis en place le diagnostic présymptomatique de la maladie de Huntington, maladie dominante à révélation tardive, pour laquelle il n’existe pas de traitement. Les problèmes éthiques soulevés à cette occasion étaient nombreux ; des règles de bonne conduite ont été édictées par la société internationale de neurologie.

Ce diagnostic a servi de modèle pour d’autres maladies dominantes graves à révélation tardive, qui sont beaucoup plus fréquentes qu’on ne le croit : le cancer du colon héréditaire concerne un sujet sur 1 000, le cancer du sein héréditaire ou l’hypercholestérolémie familiale frappent un individu sur 500. On estime qu’1 % de la population adulte est porteuse d’un gène à l’origine d’une maladie héréditaire, qui se développera dans la majorité des cas – de quoi engorger durablement les consultations de génétique !

S’agissant du conseil génétique prospectif, j’estime que celui-ci n’est pas – ou mal – assuré. Les femmes enceintes sont soumises au test d’estimation du risque de trisomie 21 et à un certain nombre d’échographies, sans être informées exactement du but de ces examens. Le nourrisson subit à sa naissance cinq tests sans que, là encore, une information correcte soit donnée. Pour appliquer la loi, il faudrait conduire 800 000 consultations de génétique par an ! Il conviendrait de prévoir un conseiller génétique par maternité, mais malgré la formation assurée à Marseille, nous sommes bien loin du compte !

Aux États-Unis, et chez certains de nos voisins européens, nous assistons à un déluge de tests génétiques commercialisés sur l’Internet. Pour 260 dollars, une personne peut savoir si elle est porteuse du gène de la mucoviscidose – les résultats ne sont accompagnés d’aucun conseil génétique, ce qui est pour le moins problématique – pour 370 dollars, les marqueurs du diabète de type II sont étudiés.

Les tests de facteurs génétiques de maladies multifactorielles sont très coûteux : la société 23andMe propose de tester pour 999 dollars 600 000 marqueurs génétiques ; une entreprise concurrente teste un million de marqueurs pour 2 500 dollars et peut même effectuer, moyennant un abonnement annuel de 250 dollars, une mise à jour des données. Ces tests sont à la limite de l’escroquerie. Les risques sont relatifs et les marqueurs ne les augmentent ou ne les diminuent que très peu. De plus, un examen clinique permet de prévenir efficacement ces pathologies.

Le DPN est pour le moment accompagné d’un conseil génétique. Mais le développement des techniques permettra bientôt d’effectuer un DPN « prospectif » au travers des lymphocytes ou de l’ADN de l’enfant circulant dans le sang maternel. Pour 500 dollars, il est déjà possible d’étudier 90 maladies héréditaires pendant la grossesse, et ce sans conseil génétique. Je ne vois pas de solution à ce dernier problème. La loi française est satisfaisante, mais facile à contourner.

Mme Marcela Gargiulo. Apprendre que son enfant, son conjoint ou soi-même est atteint d’une maladie génétique incurable, handicapante, évolutive, parfois mortelle, est un moment d’effroi. La portée des maladies génétiques n’est jamais individuelle, mais collective : ce bouleversement personnel touchera ainsi l’ensemble de la constellation familiale et modifiera la vision que la famille a d’elle-même, de son passé, de son présent et surtout de son avenir.

Les maladies génétiques peuvent apparaître à l’âge adulte, sans crier gare, dans une vie que l’on croyait protégée. Beaucoup de familles sombreront alors dans le silence, les parents redoutant de parler à leurs propres enfants de la maladie. Quel que soit son mode de transmission, la maladie est synonyme de honte et de culpabilité. Elle oblige souvent la famille à un difficile travail de vérité et de dévoilement.

Comment convaincre les personnes de la nécessité de communiquer l’information lorsque les liens familiaux sont distendus, le dialogue impossible ? Comment faire sentir au consultant que, loin d’être destructrice, l’information peut permettre à leurs apparentés de se construire et d’agir ?

On observe trois types de comportement. La personne comprend l’intérêt de prévenir d’autres membres de sa famille et se sent investie de son rôle de messager ; la personne souhaite informer sa famille mais a besoin d’un accompagnement, que le médecin généticien ou le conseiller en génétique lui apportent en rédigeant une lettre pour lui permettre d’engager le dialogue, notamment avec les parents géographiquement éloignés ; la personne refuse et rejette toute aide, souvent en raison de problématiques familiales complexes reposant sur des mensonges soigneusement protégés.

La situation est très différente si l’on compare les maladies pour lesquelles il n’existe pas de traitement, comme la maladie de Huntington, et celles pour lesquelles il existe un moyen préventif, comme certains types de cancer.

L’équipe du Dr Alexandra Dürr a conduit une première enquête portant sur 166 personnes ayant demandé un test présymptomatique de la maladie de Huntington : 27 % d’entre elles seulement ont expliqué leur motivation par la nécessité de prévenir leur famille. Une seconde étude a porté sur 148 personnes concernées par la maladie de Huntington – 24 malades, 9 porteurs asymptomatiques, 55 personnes à risque, 60 conjoints. À la question : « Qui vous a informé du risque de maladie génétique ? », 21 % seulement des personnes ont répondu qu’elles avaient été informées par leurs propres parents, 32 % par des médecins, 14 % par d’autres membres de la famille que les parents ; enfin 24 % l’avaient compris toutes seules. L’information avait été faite en moyenne à l’âge de trente-deux ans.

Ces résultats montrent combien il est difficile de parler de la maladie de Huntington à ses propres enfants, et que l’information se fait assez tard – certainement en raison de l’apparition tardive de la pathologie et de l’absence de prévention possible. Une autre étude, réalisée par l’équipe de Marie Delliaux et Kathy Dujardin, souligne « que l’information sur la maladie de Huntington reste mal connue et peu transmise dans les familles concernées et ceci en dépit du haut risque de transmission à la descendance ».

Dans le domaine du dépistage génétique du cancer, les équipes ont mené une réflexion approfondie sur le problème de l’information familiale. Celle-ci revêt un caractère vital puisque les personnes porteuses de la mutation peuvent bénéficier de mesures préventives, de surveillance renforcée et d’un dépistage précoce de la maladie. Deux études sur la prédisposition héréditaire aux cancers familiaux du colon et au cancer du sein et de l’ovaire montrent que la personne qui consulte informe souvent ses frères et sœurs du risque encouru – 78 % et 90 % – ainsi que ses enfants – 52 % et 72 % –, beaucoup moins ses propres parents – 30 et 58 %. La diffusion de l’information est plus problématique pour les parents éloignés comme les oncles et tantes – 13 % –, soit par manque de contact, soit parce que la personne estime que d’autres se chargeront de les informer à sa place.

Dans les consultations de conseil génétique, nous devons convaincre les patients que l’information, bien que difficile à transmettre et à entendre dans un premier temps, permettra à chacun de décider ce qu’il veut en faire, et que l’ignorance ne va jamais de pair avec la liberté. Dans certains cas, l’impossibilité de prévenir la parentèle de l’existence d’une maladie génétique est à l’origine de grandes catastrophes, naissance d’enfants gravement handicapés, décès évitables.

Permettez-moi d’illustrer la tension qui peut exister entre le bien individuel et le bien commun par le cas de M. et Mme B. En apprenant que leur fils est porteur du gène de la maladie de Steinert, ils découvrent avec un « terrible soulagement » que les difficultés scolaires de leur enfant n’étaient pas dues à une « mauvaise éducation » – responsabilité qu’ils se renvoyaient l’un à l’autre – mais à une maladie génétique. Pourtant, ils ne souhaitent pas savoir lequel des deux est porteur asymptomatique, car cela reviendrait à relancer le conflit autour de la responsabilité de l’échec scolaire. Mais M. et Mme B. ont des neveux et des nièces en âge de procréer. Les voilà donc devant un dilemme : qui prévenir ? Tout le monde ? Faire le test pour n’informer que la branche familiale concernée ? C’est cette dernière option qui finalement, après beaucoup de temps, a été choisie.

M. Jean Leonetti, rapporteur. S’agissant des tests génétiques disponibles sur l’Internet – qui relèvent pour la plupart du charlatanisme – je pense que leur interdiction doit être maintenue, plutôt que de les encadrer. Il appartiendra aux médecins traitants ou aux généticiens de démontrer à leurs patients qu’ils n’ont fait que gaspiller leur argent.

Les tests réalisés à partir des lymphocytes ou de l’ADN d’un embryon circulant dans le sang de la mère posent davantage problème, dans la mesure où l’IVG est autorisée en France jusqu’à douze semaines de grossesse, lorsque la femme est en situation de détresse. Qu’est-ce qui empêchera une femme anxieuse de demander l’avortement si elle apprend que le risque de cancer du sein ou du colon est passé chez son enfant de 1/100 000 à 1/6 000 ?

Dans le cas d’une pathologie grave pouvant entraîner la mort ou un handicap majeur, et pour laquelle il existe une solution thérapeutique ou préventive, entrevoyez-vous une alternative à la levée du secret médical – accompagnée au besoin d’une enquête policière – ou à l’invocation de la responsabilité pénale ?

M. Paul Jeanneteau. Ne peut-on pas imaginer qu’une information rigoureuse soit donnée par l’AFSSAPS, l’INPES ou l’ABM sur les tests génétiques disponibles sur l’Internet ? Cela permettrait d’alerter nos concitoyens sur la dangerosité et la malhonnêteté de ces offres commerciales.

Mme Nicole Philip. Des mesures d’éducation seront en effet plus efficaces que l’interdiction actuelle.

Chaque jour, des enfants naissent avec une maladie récessive grave, qui concerne potentiellement une centaine d’apparentés. Il me semble difficile de lever le secret médical dans chacun des cas et de mener une enquête policière pour proposer aux cent personnes concernées un DPN en cas de grossesse. Avec un bon conseil génétique, nous pouvons réduire au minimum le défaut d’information qui aboutirait à une absence de DPN. L’alternative que vous avez évoquée – invocation de la responsabilité pénale, levée du secret médical – doit être réservée au risque vital.

M. Josué Feingold. L’information doit porter sur les tests concernant les pathologies multifactorielles. Contrairement aux maladies héréditaires qui sont rares, le médecin de famille voit chaque jour des maladies multifactorielles. Il lui appartient d’informer ses patients de l’inutilité de ces tests et de l’intérêt de l’examen clinique. La presse doit aussi jouer un rôle, comme l’ont fait autrefois les magazines féminins pour une bonne prise en charge des grossesses.

Mme Marcela Gargiulo. Les demandes de DPN pour les maladies génétiques à révélation tardive sont rares. Dans notre service, seulement 10 % des personnes dont le test a révélé qu’elles étaient porteuses du gène de Huntington ont demandé un DPN. C’est dire la complexité du désir d’enfant et du rapport à la transmission.

Mme Nicole Philip. S’agissant des tests réalisés à partir du sang maternel, la dérive majeure concerne le test de détermination du sexe fœtal. Heureusement, cette pratique est bien encadrée en France puisque deux laboratoires agréés seulement peuvent réaliser ce test, jusqu’à dix semaines de grossesse. Néanmoins, il conviendrait d’alerter les obstétriciens et les centres d’IVG sur la généralisation possible de ces tests.

M. le rapporteur. Est-il possible aujourd’hui de réaliser un test de détermination du sexe fœtal à partir des lymphocytes circulant dans le sang de la mère ?

Mme Nicole Philip. Le test se pratique à partir de l’ADN circulant.

M. le rapporteur. Est-il possible d’obtenir un génome complet ?

Mme Nicole Philip. Non. En raison des très petites quantités d’ADN, seuls les tests de détermination du sexe et du rhésus sont possibles, grâce à l’amplification des séquences ou des mutations qui n’existent pas chez la mère. Le jour où l’on pourra extraire des cellules du sang maternel, on pourra déterminer un génome complet ou du moins poser un certain nombre de diagnostics. Mais pour l’instant, cela reste de l’ordre de la science-fiction.

Mme Marcela Gargiulo. Trois instances composent le psychisme humain : le ça, le moi et le surmoi – ce dernier est en quelque sorte l’appareil législatif de la personnalité. Lorsqu’une personne sait qu’elle possède une information potentiellement vitale mais qu’elle ne veut pas la communiquer à ses apparentés, c’est que quelque chose de l’ordre du surmoi ne fonctionne pas. Un rappel à la Loi est alors nécessaire, et peut même être constructif pour elle.

M. le rapporteur. Rappelons que la justice française a reconnu la responsabilité pénale d’individus qui avaient transmis sexuellement le VIH. Pour autant, ces décisions n’ont pas remis en cause le secret médical. Remettre en question ce principe nous ferait entrer dans une société liberticide. Mieux vaut responsabiliser les individus.

M. Michel Vaxès. Dans quel cas une future mère doit-elle se rendre dans une consultation génétique ? Comment dissuader les femmes d’avoir recours au DPN lorsque celui-ci est inutile ?

Mme Nicole Philip. Le dispositif français de surveillance des grossesses est tout à fait exemplaire s’agissant des anomalies chromosomiques et des malformations. Si une future mère est à bas risque, il n’y a pas d’indication de DPN. Si ses angoisses perdurent, une consultation permettra de la dissuader de faire d’autres examens. Pour tout ce qui concerne les antécédents familiaux, elle devra se rendre dans une consultation génétique.

M. Josué Feingold. Dans certains pays, on peut faire une recherche systématique d’hétérozygotie pour la mucoviscidose, qui permet de dépister 80 % des couples à risque. En France, des couples dont un enfant déjà est atteint, demandent pourquoi ce test ne leur a pas été proposé. C’est une question à laquelle il faudra sans doute répondre dans l’avenir.

M. le président. Vos réponses nous seront précieuses. Je vous remercie.

Audition de M. Philippe BEAUNE, chef du service de biochimie de l’hôpital européen Georges Pompidou, professeur à la faculté de médecine de Paris-Descartes


(Procès-verbal de la séance du 9 septembre 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir le professeur Philippe Beaune, chef du service de biochimie de l’hôpital européen Georges Pompidou, professeur à la faculté de médecine de Paris-Descartes.

Nous abordons avec vous, Professeur, le thème de la pharmacogénétique, étude de l’incidence potentielle de la constitution génétique d’un individu sur l’efficacité des médicaments qui lui sont administrés. Quel bilan peut-on tirer des recherches en ce domaine ? Les variations des effets d’un médicament en fonction des caractéristiques génétiques du patient sont-elles fréquentes ou non ? Sera-t-on amené à multiplier les tests génétiques pour augmenter l’efficacité des traitements ? Quelles pourraient être les conséquences pour la santé publique d’une individualisation croissante des thérapies ? Un groupe de travail avait été constitué au ministère de la santé sur le sujet, important dans le cadre de notre système solidaire de soins.

M. Philippe Beaune. La pharmacogénétique, c’est l’étude de l’influence des variations des séquences de l’ADN sur la réponse aux médicaments, alors que la pharmacogénomique consiste dans l’étude de la relation entre médicament et gène, avec par exemple la recherche de gènes cibles pour certaines molécules (définition de l’Agence européenne des médicaments). La réponse à un médicament, que l’on envisage sa toxicité ou son efficacité, varie très fortement d’un individu à l’autre. Or, cette variabilité considérable n’est pas assez prise en compte, demeurant de toute façon mal comprise.

Les effets indésirables des médicaments constituent un véritable problème de santé publique. Ainsi une étude a-t-elle évalué aux Etats-Unis à 100 000 par an le nombre de décès liés à l’utilisation d’un médicament, ce qui en fait la quatrième à sixième cause de mortalité, pour un coût estimé de 2 à 50 milliards de dollars, selon les dépenses que l’on prend en compte. En France, on estime que les accidents iatrogènes médicamenteux sont à l’origine de 3,2% des hospitalisations pour un coût d’environ 320 millions d’euros. Le problème se retrouve de la même façon au Royaume-Uni.

M. le président. L’automédication, très développée aux États-Unis, y explique-t-elle le nombre élevé de ces accidents ?

M. Philippe Beaune. On rencontre le même problème en France où elle est plus limitée. Les anti-coagulants notamment, largement prescrits, sont à l’origine de beaucoup d’accidents.

L’efficacité d’un médicament est extrêmement variable d’un patient à un autre. La dose à administrer pour obtenir un résultat identique chez des patients souffrant d’une même maladie peut varier fortement. Cela rend utile de mieux caractériser chaque maladie, d’identifier la cible de chaque médicament et de mettre en évidence des biomarqueurs afin de mieux définir les stratégies thérapeutiques. Le plus souvent, la cause de la variabilité observée demeure inconnue. La génétique n’en explique qu’une petite part mais, pharmacogénéticien, c’est de ce point que je traiterai en prenant trois exemples cliniques.

Le premier concerne les anti-coagulants dits anti-vitamine K, première cause de iatrogénie médicamenteuse dans notre pays. Avec 600 000 patients traités, l’utilisation des AVK est à l’origine de 17 000 hospitalisations et de quelque 5 000 décès par an, soit davantage que les accidents de la route. Il y a là un véritable problème de santé publique. Or, il a été démontré que deux mutations dans deux gènes différents expliquaient à elles seules la moitié de la variabilité observée. De nouveaux médicaments ont été mis au point qui peuvent se substituer efficacement aux AVK, mais qui sont beaucoup plus chers et pour lesquels la pharmacogénétique est encore inconnue. Il est donc important de pouvoir déterminer si un patient présente, par une caractéristique génétique, un facteur de risque particulier s’il prend des AVK.

Deuxième exemple : celui de l’Abacavir, anti-rétroviral utilisé contre le sida. C’est un bon médicament qui, hélas, conduit à des réactions d’hypersensibilité retardée chez environ 5% de la population et a entraîné quelques décès. Or, on a établi qu’une variation dans le gène B 5 701 du système HLA permettait de prédire cette réaction. En procédant au test avant d’administrer l’Abacavir, le risque de réaction d’hypersensibilité a pu être réduit à néant, rendant ainsi le médicament tout à fait sûr. Le rôle des agences sanitaires pour recommander, voire imposer, un test préalable est capital.

Troisième exemple : celui des anti-cancéreux, dont on sait que l’efficacité est très variable selon les individus. Dans ce cas précis, il faut prendre en compte le génome du patient mais aussi celui de la tumeur, qui peut différer fortement. On a ainsi mis en évidence que les anticorps monoclonaux anti-EGFR n’ont aucun effet sur les tumeurs présentant une mutation du gène K-RAS. En revanche, en l’absence de mutation, une réponse positive est observée dans 50% des cas. Il ne sert à rien d’administrer ces produits très chers aux patients porteurs de la mutation. D’où l’intérêt des thérapies ciblées. En France, l’AFSSAPS a exigé lors de la délivrance de l’AMM à ces produits que la recherche d’une mutation du gène K-RAS soit préalablement effectuée à toute prescription. S’est alors immédiatement posée la question de savoir qui pratiquerait les tests, à quel coût et qui les prendrait en charge. Aujourd’hui, c’est l’INCa (Institut national du cancer) qui finance certains laboratoires, dont le mien, pour que nous puissions réaliser ces tests, qui ne coûtent rien aux patients tout en leur permettant d’avoir accès à des thérapeutiques innovantes.

Ces trois exemples montrent qu’à partir de certains déterminants génétiques, on peut largement prédire la réponse à une thérapeutique. Une personne possédant certaines variations génétiques « prédisposantes » court un risque 1 023 plus élevé, par exemple pour la carbamazépine chez les Asiatiques, qu’une autre. Parfois, le risque n’est que quatre fois plus élevé, comme dans le cas du ximelagatran, molécule qui, soit dit au passage, n’a pas été mise sur le marché. Pour les anticoagulants, les patients qui possèdent les « mauvais gènes », ont dix fois plus de risques que les autres.

La pharmacogénétique pose des problèmes à la fois de génétique et de pharmacologie. Elle n’identifie pas des mutations génétiques entraînant par elles-mêmes une maladie, donc potentiellement stigmatisantes : ces mutations n’ont en effet de conséquences qu’en cas d’exposition. La fréquence des variants est souvent élevée – de 1% jusqu’à 50% de la population peuvent être touchés, alors que pour les maladies rares, on est dans plusieurs ordres de grandeur inférieurs. Par ailleurs, l’identification d’une mutation mène à une solution – modification de traitement, changement de stratégie thérapeutique…–, alors que c’est loin d’être toujours possible pour les maladies génétiques. La pharmacogénétique augmente les chances, notamment des patients atteints de cancer, en leur évitant toute perte de temps avec des traitements voués à être inefficaces. Elle peut aussi parfois servir à prédire, et donc éviter, des interactions médicamenteuses. Enfin, comme ils influent sur la sensibilité aux médicaments, les facteurs génétiques influent sur celle à l’environnement. Des problèmes simples quand il s’agit de médicaments, auxquels on contrôle l’exposition, deviennent très complexes dès lors qu’il s’agit d’environnement – fumée de tabac, pesticides, tous éléments polluants…

Les agences sanitaires comme l’AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) ou l’AFSSET (Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail), dans leurs recommandations (guidelines) concernant le développement des médicaments et des produits chimiques (REACH), invitent désormais à mener des études de pharmacogénétique, sans que cela soit obligatoire, indiquent comment le faire et établissent dans quel cas un test génétique est prérequis ou non avant la délivrance d’un médicament. Aux Etats-Unis, la FDA a ainsi dressé la liste d’une série de gènes cibles identifiés comme responsables de variations de réponse à divers médicaments. Pour traiter par l’Abacavir, il n’est pas obligatoire de tester le gène HLA B 5701, contrairement à ce qui se fait en Australie. J’avais en son temps fait valoir auprès de l’AFSSAPS l’intérêt de rendre ce test obligatoire aussi chez nous. Pour le cetuximab et le panitumumab, anticorps monoclonaux utilisés dans le traitement du cancer, que la mutation du gène K-RAS rend totalement inefficaces, le test est prérequis.

Pour l’instant, ces tests sont essentiellement réalisés dans des laboratoires hospitaliers ou d’organismes de recherche dans le cadre de protocoles spécifiques lorsque des certitudes scientifiques restent à acquérir. Mais des laboratoires privés commencent à en faire également, ayant compris l’importance du marché qui pourrait en résulter. Et bien entendu des tests sont proposés sur internet, à l’issue desquels n’est délivrée qu’une information brute sur l’existence de telle ou telle mutation, sans aucun accompagnement ni information sur les éventuelles conséquences à en tirer. La plupart des laboratoires français qui font de la pharmacogénétique se sont regroupés en réseau et ont publié un livre blanc faisant le point sur les méthodes, la pertinence et le contrôle de qualité des tests. Ils travaillent essentiellement sur les anticoagulants, les anticancéreux, les immunosuppresseurs et les psychotropes. L’industrie pharmaceutique était au départ plutôt hostile à la pharmacogénétique qui risquait, à ses yeux, de segmenter le marché. Puis elle a fait contre mauvaise fortune bon cœur, comprenant qu’il lui serait impossible de ne pas en tenir compte, et maintenant elle la prend largement en compte. Les laboratoires préfèrent ainsi avoir un médicament efficace chez une fraction seulement de la population plutôt qu’un dont les études cliniques, menées sur des échantillons très vastes et non ciblés, ne parviennent pas à démontrer l’efficacité et qui ne sera pas mis sur le marché.

Une fois le gène cible identifié, on part du prototype lead, expérimenté in silico et in vitro, avant d’entamer le développement pré-clinique avec des expériences menées in vitro, in vivo sur les animaux, puis les essais cliniques de phase I, II et III, conduits in vivo chez des volontaires sains et des patients, avant l’autorisation de mise sur le marché et le passage à une utilisation à large échelle, qui permet des études de pharmacovigilance. Si l’on découvre un biomarqueur génétique permettant de prédire une toxicité ou une efficacité parmi une fraction de la population, il faut développer les tests génétiques. Comme dans les essais cliniques, des problèmes éthiques se posent aussi dans le domaine du codéveloppement, du fait notamment que s’affrontent des intérêts divergents. Les laboratoires pharmaceutiques s’intéressent d’abord à l’utilité clinique des tests et à leur marché potentiel ; les codéveloppeurs, eux, cherchent d’abord à vendre leur test qui doit être sûr, facile à réaliser et largement utilisable. Les deux, selon les cas, choisissent ou non de travailler ensemble.

Dès le stade préclinique, on fait de la génétique en déterminant l’importance des gènes et des biomarqueurs. Au stade clinique, les agences sanitaires ont formulé des recommandations et des réunions d’harmonisation ont eu lieu au niveau international. Se posent des problèmes de stratification, de constitution ou non de panels, éventuellement de statistiques si la fraction concernée de la population est importante, et bien sûr de coût. Cela impose des études rétrospectives et ancillaires. Cela soulève le problème des biobanques – à l’heure actuelle, les industriels stockent des cellules et de l’ADN pour faire des études de pharmacogénétique sans que celles-ci aient été expressément prévues au départ, ce qui pose le problème du consentement éclairé des personnes. Enfin, il faut tenir compte du retour individuel et familial, et éventuellement des questions de propriété – quid de celle d’un test, mis au point à partir d’une découverte faite sur le génome d’un ou plusieurs individus, et ensuite vendu ? Au stade de la pharmacovigilance, il faut s’intéresser à la toxicité, mais aussi, ce que l’on fait encore trop peu aujourd’hui, à l’efficacité. Une fois des effets repérés, il faut mener des études explicatives et prospectives. Reste à savoir qui en prend en charge le coût.

La pharmacogénétique touche à la génétique, ce qui implique que seules les personnes ayant un agrément peuvent la pratiquer – mais doit-il s’agir d’un agrément technique ou scientifique ? Les généticiens, les biochimistes sont capables de réaliser ces tests mais ne vaudrait-il pas mieux que les résultats en soient interprétés par des pharmacologues ou des cliniciens ? Faut-il dissocier la réalisation et l’interprétation ?

La pharmacogénétique interpelle les agences sanitaires. En matière de coût, toutes ces études coûtent extrêmement cher en terme de validation et de formation. La question de la responsabilité se pose aussi : les agences ne pourraient-elles pas être tenues pour responsables du décès de patients auxquels aurait été prescrit par exemple de l’Abacavir, chez qui il s’est révélé inefficace alors qu’on aurait pu savoir d’avance qu’il en serait ainsi si elles avaient exigé la réalisation d’un test préalable de prédisposition et qu’un autre traitement aurait pu leur être proposé ? Les médecins aussi sont concernés s’agissant de la formation comme de la responsabilité. De nombreux autres problèmes se posent : est-ce que ces informations génétiques, qui peuvent être intéressantes à connaître pour le médecin traitant en-dehors de toute pathologie, doivent figurer dans le dossier médical ? Qui réalise et qui paie les tests, notamment pour les médicaments déjà sur le marché ? L’industrie pharmaceutique est peu encline à payer des études permettant d’affirmer que tel pourcentage de la population connaîtra un effet indésirable de tel médicament ! Les biomarqueurs génétiques sont des biomarqueurs comme les autres, permettant seulement de déterminer un risque de toxicité ou une chance d’efficacité. Comme tous les autres, leur valeur prédictive, positive ou négative, doit être validée de manière sûre. Beaucoup de ces tests ont aujourd’hui une valeur explicative, pas encore prédictive. Une toxicité repérée a pu être imputée à une caractéristique génétique, mais l’utilisation prédictive du test demeure à valider. Enfin, se pose la question de la communication de l’information obtenue aux compagnies d’assurance, aux employeurs, à la famille…

En ces temps d’étranglement financier pour l’hôpital public, les aspects économiques sont extrêmement importants. Les accidents thérapeutiques, outre leur gravité pour ceux qui en sont victimes, ont en effet un coût très élevé. Mais là encore, des intérêts divergents s’affrontent. Un directeur d’hôpital aujourd’hui n’est pas intéressé par un test génétique car d’une part cela coûte – si personne ne le prend en charge, c’est l’hôpital qui le paie –, d’autre part, poussons le cynisme jusqu’au ridicule, cela n’est pas neutre sur la patientèle. Il importe ici de faire prévaloir l’intérêt général sur les intérêts particuliers.

Les mêmes aspects économiques sont à prendre en compte s’agissant de l’efficacité des médicaments. Des intérêts divergents existent de la même façon pour le développement de tests « compagnons » : qui les prend en charge et quand ? Valider un test prend plusieurs années et coûte très cher, alors qu’une fois celui-ci au point, il peut être très aisément réalisé.

La pharmacogénétique a bien entendu nourri l’espoir de pouvoir mettre au point des thérapeutiques personnalisées. Utopie ou réalité ? Certains font valoir que cela coûte tellement cher que cela demeurera un rêve inaccessible, d’autres que c’est si important qu’il faut tout faire pour que ce rêve se réalise. Disons raisonnablement qu’il faut apprécier le rapport coût/efficacité, ce qui est d’ailleurs très difficile.

La pharmacogénétique peut aussi permettre de « sauver » certains médicaments. Certains, pourtant très efficaces et bon marché, ne sont plus vendus aux Etats-Unis ou en France, alors qu’ils le sont encore en Australie. Simplement, un test génétique y est requis avant qu’ils puissent être prescrits : 5% de la population ne doivent pas y avoir recours, mais 95% en retirent un grand bénéfice.

En conclusion, je dirai que la pharmacogénétique a un rôle clé à jouer tant sur le plan des considérations économiques qu’épidémiologiques. Peut-on espérer un réseau de pharmacogénéticiens permettant de mettre la génétique au service d’une meilleure utilisation des médicaments ? Avec les biomarqueurs génétiques, l’idée est de développer les thérapeutiques personnalisées. Du médicament utilisé par tous, passera-t-on à un médicament sur mesure pour chacun ? Derrière cette question, se posent, on le voit, de véritables problèmes éthiques, notamment celui de l’accessibilité des soins.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Je vous remercie de cet exposé dans un domaine très neuf pour nous. Derrière les questions du rapport coût/efficacité et rêve/réalité pour les thérapeutiques personnalisées, il y a une responsabilité éthique. Des médicaments sont « morts », non parce qu’ils manquaient d’efficacité mais parce qu’ils provoquaient dans certains cas des décès. Je pense au Di-Antalvic, longtemps largement utilisé sans problème, avant d’être retiré du marché parce que des effets indésirables majeurs chez certains patients ont été identifiés. « Sauver » ce type de médicament, n’est-ce pas seulement sauver un marché ? Il est tout à fait possible de substituer un autre antalgique au Di-Antalvic et son retrait du marché dans notre pays n’a mis personne en danger ! La question est tout autre dans le cas par exemple des anti-cancéreux quand on sait qu’une molécule donnée sera efficace chez certains patients et absolument pas chez d’autres, alors même que ces produits coûtent très chers et sont très toxiques. La pharmacogénétique peut servir à des laboratoires pharmaceutiques à « sauver » des médicaments qui pourraient être menacés à cause d’accidents rares mais très graves survenus chez certains patients. Elle peut aussi aider à prescrire judicieusement à certains malades, notamment du cancer, des traitements très efficaces, à condition qu’ils soient parfaitement ciblés. Comment les pharmacogénéticiens envisagent-ils ces deux perspectives ? Sur le plan éthique, se laissent-ils porter par le marché ou ont-ils choisi une ligne ferme ? Il y a là une responsabilité éthique et une question politique de santé publique.

M. Philippe Beaune. Il ne m’appartient pas de me prononcer pour ce qui est du plan politique.

M. le rapporteur. Vous êtes beaucoup plus politique que nous ne sommes pharmacogénéticiens ! Vous avez posé dans votre présentation la question de l’individuel et du collectif, et par là même fait de la politique.

M. Philippe Beaune. Le problème crucial en pharmacogénétique demeure celui de la formation. Dans le monde médical et pharmaceutique, la formation à la génétique d’une manière générale est très insuffisante, même si des progrès considérables ont été accomplis ces dernières années. Une meilleure formation permettrait aux professionnels de savoir exactement ce que permet la pharmacogénétique, laquelle a longtemps été « survendue » en faisant miroiter qu’elle permettrait de tout prévoir. Sans céder à ces sirènes, les professionnels gagneraient à connaître l’existence de la discipline et ses possibilités, d’autant que les coûts de la biologie moléculaire ont beaucoup baissé, même s’ils restent élevés. On pourrait responsabiliser davantage tous les acteurs, au premier rang desquels les agences sanitaires qui longtemps n’ont pas eu de spécialistes de la question, lesquels manquaient eux-mêmes d’expérience. Une meilleure formation et un dialogue plus nourri permettraient d’appréhender la pharmacogénétique de manière plus objective, sans nourrir de faux espoirs ni prétendre non plus qu’elle ne sert à rien. Pour les anti-coagulants par exemple, médicaments très largement prescrits et appelés à le devenir encore davantage avec le vieillissement de la population, elle est très utile. De nouvelles molécules sont mises sur le marché, beaucoup plus chères, pour une efficacité pas meilleure et des risques mal connus. Mieux vaut parfois garder un vieux médicament, bon marché, dont on maîtrise bien l’utilisation, et réserver les nouveaux à des cas précis ou particulièrement difficiles. Il faut engager sur ce point une démarche globale suscitant l’adhésion de tous les acteurs.

L’industrie pharmaceutique a bien compris les enjeux. Alors qu’elle y était hostile au départ car soucieuse d’abord de réaliser du chiffre d’affaires et de pouvoir fabriquer des médicaments « prêt-à-porter », elle a compris toute l’utilité de la pharmacogénétique : mieux vaut pour elle ne vendre un médicament qu’à 20% de la population qu’en développer un autre, ce qui prend une quinzaine d’années, en prenant le risque qu’il soit ultérieurement retiré du marché, si quelques accidents graves imprévisibles surviennent, alors même qu’il est globalement efficace.

M. le rapporteur. Là où le problème se complique, c’est que la variabilité de la réaction des patients, aux anti-coagulants ou aux antibiotiques par exemple, ne s’explique pas seulement par la génétique. Beaucoup de facteurs extérieurs entrent en ligne de compte – éventuelles interactions médicamenteuses, alimentation… Peut-on espérer identifier génétiquement à coup sûr les personnes chez qui la prise d’un médicament présente un risque et celles chez qui ce risque n’existe pas ?

M. Philippe Beaune. Il y a le cas simple des médicaments dont on sait qu’ils risquent de provoquer des accidents graves chez 1% de la population et pour lesquels il n’est pas difficile de convaincre de l’utilité d’un test. Le cas des anticoagulants est plus complexe. Pour parvenir à un même équilibre, la dose varie de un à dix selon les individus. Les médecins tâtonnent donc nécessairement au début. Des études sont en cours pour voir comment limiter le risque et des algorithmes sont développés pour aider à prescrire la bonne dose, à la fois efficace et sans danger, en tenant compte de plusieurs critères car la réponse d’un patient à un médicament est toujours multifactorielle. La pharmacogénétique n’explique pas tout, loin de là. Mais son utilité est incontestable : on a ainsi découvert qu’un anti-agrégant plaquettaire était inefficace chez 5% des patients et cela a pu être relié à une mutation génétique. Un patient qui se trouvait dans ce cas avait subi sept coronarographies, sept interventions… alors qu’un test préalable aurait permis de savoir qu’il ne servait à rien de lui donner ce produit.

M. le président. Vos recherches font-elles l’objet de brevets ?

M. Philippe Beaune. Nous nous efforçons d’en breveter le plus possible, mais sommes confrontés au problème de la brevetabilité des gènes. Après avoir raté le brevet sur la mutation K-RAS, nous essayons d’être pro-actifs en déposant le plus tôt possible un brevet sur les mutations découvertes, même lorsque des incertitudes demeurent. Nous avons appris à nous protéger, ce qui est indispensable dans la compétition actuelle. Cela étant, pour la mutation K-RAS, même si nous ne possédons pas le brevet, nous n’avons pas à payer de redevance quand nous réalisons le test, tombé dans le domaine public.

M. Xavier Breton. Lors des essais cliniques, ne faudrait-il pas prévoir des garanties afin d’être sûr que le profil génétique des volontaires sains sera assez diversifié ? Enfin, les questionnements éthiques que vous avez soulevés sont essentiellement débattus entre experts. Existerait-il des lieux de débat collectifs, plus politiques ? Le Comité consultatif national d’éthique s’est-il par exemple penché sur la question ?

M. Philippe Beaune. La population des volontaires sains qui participent aux essais cliniques est assez volatile, composée plutôt de personnes jeunes qui cherchent à gagner un peu d’argent par ce biais. Il est donc difficile de travailler longtemps sur une population stable. Faut-il séquencer le génome de tous ? Cela poserait des problèmes techniques mais aussi éthiques, des gènes de maladie allant interagir avec des gènes de réponse aux médicaments. Une réflexion s’impose sur le génotypage de ces volontaires sains et sur les limites à poser. En effet, des personnes pourraient être tentées de se porter candidates à des essais cliniques uniquement pour obtenir le séquençage de leur génome, gratuitement et avec un meilleur accompagnement que sur internet.

S’agissant de lieux de débat collectif, force est de constater qu’en tant que pharmacogénéticien, je suis relativement peu sollicité. La pharmacogénétique est encore une discipline émergente, peu connue. Mais je suis toujours prêt, là où on m’invite, à venir en parler de manière équilibrée.

M. le président. Je vous remercie de cet exposé sur un domaine émergent, mais appelé à devenir central dans les années à venir.

Table ronde avec M. Jean-Jacques HAUW, membre de l’Académie nationale de médecine, M. Raymond ARDAILLOU, secrétaire-adjoint de l’Académie nationale de médecine, Mme Emmanuelle RIAL-SEBBAG, juriste, INSERM Unité 558 Toulouse,
et Mme Anne-Laure MORIN, avocate, docteur en droit



(Procès-verbal de la séance du 9 septembre 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. Alain Claeys, président. Pour cette table ronde consacrée aux biobanques, ou centres de ressources biologiques (CRB), nous avons le plaisir d’accueillir le professeur Jean-Jacques Hauw, membre de l’Académie nationale de médecine, auteur d’un rapport récent sur les CRB, professeur à l’Université Pierre-et-Marie-Curie de Paris, biologiste des hôpitaux, consultant au groupe hospitalier de la Pitié-Salpêtrière. Il est accompagné du professeur Raymond Ardaillou, secrétaire-adjoint de l’Académie nationale de médecine, président de sa commission de biologie et coauteur de deux rapports de l’Académie sur les centres de ressources biologiques, parus en 2002 et 2009.

Nous avons également le plaisir d’accueillir Mme Anne-Laure Morin, avocate, docteur en droit, et Mme Emmanuelle Rial-Sebbag, juriste de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et professeur de droit médical à la faculté de Toulouse.

Je rappelle qu’aux termes de la loi de 2004, les collections d’échantillons biologiques humains désignent la réunion, à des fins scientifiques, de prélèvements biologiques effectués sur un groupe de personnes identifiées et sélectionnées en fonction des caractéristiques cliniques ou biologiques d’un ou plusieurs membres du groupe, ainsi que des dérivés de ces prélèvements.

Quel est l’intérêt médical et scientifique des biobanques ? Quelles sont les conditions de prélèvement – en termes notamment de consentement –, de conservation et d’utilisation du matériel biologique ? Quelles modifications des lois de bioéthique vous semblerait-il opportun d’envisager dans ce domaine ?

Mesdames, messieurs, je vous laisse à présent la parole pour une intervention liminaire d’une dizaine de minutes environ pour chacun d’entre vous.

M. Jean-Jacques Hauw. L’Académie nationale de médecine s’est réunie plusieurs fois pour réfléchir aux modifications à apporter à la législation sur les centres de ressources biologiques. Son dernier rapport, daté du 8 janvier 2009, présente les réflexions d’un groupe de travail, dont j’ai été le président, de la Commission 1, elle-même présidée par Raymond Ardaillou. Je vais donc vous faire part de ces réflexions.

L’Académie de médecine a tenu à faire un bilan des conséquences des nouvelles réglementations régissant les CRB détenant des produits biologiques humains acquis dans des établissements de santé. Elle a consulté, à cet effet, de multiples personnalités, représentants des CRB, juristes et pharmaciens.

En 2002, l’Académie de médecine avait déjà adopté et publié un rapport sur ces centres. Elle préconisait la création d’un statut autonome permettant à ces CRB de disposer d’un conseil scientifique ainsi que d’un personnel et d’un financement propres, et d’autre part l’harmonisation et la simplification des textes législatifs et réglementaires les concernant.

Qu’est-ce qu’un centre de ressources biologiques ? On peut en donner une définition pragmatique, assez simple : un CRB gère les prélèvements biologiques destinés soit à la réalisation ultérieure d’actes diagnostiques ou pronostiques permis par le progrès technologique, soit à la recherche, soit aux deux. La définition réglementaire est plus difficile à préciser. Il nous a cependant semblé très important de distinguer les donneurs vivants du don post mortem pour la recherche.

Le fonctionnement classique d’un laboratoire est simple. Un donneur subit un prélèvement et l’envoie à un laboratoire qui rend un diagnostic. Mais s’il existe un centre de ressources biologiques de soins, le système est plus compliqué puisque deux prélèvements au moins sont effectués. Ce centre à visée sanitaire, par exemple une tumorothèque, assure l’assurance qualité et la gestion informatique des données. Un diagnostic ultérieur permettra de mieux traiter le patient.

Dans le cas d’un centre de ressources biologiques de recherche, les procédures sont encore plus compliquées puisque les prélèvements du donneur – patient ou personne décédée – sont envoyés au laboratoire qui les envoie au centre. Puis l’anonymisation permet d’envoyer les prélèvements aux équipes de recherche.

M. le président. Si un problème de santé est découvert, je suppose que le donneur est informé.

M. Jean-Jacques Hauw. Bien entendu. En cas d’anonymisation complète, toutefois, il n’est pas possible de revenir vers le donneur. En Angleterre, par exemple, une importante recherche sur des appendices collectés a permis de découvrir que certains d’entre eux étaient porteurs de l’encéphalopathie à prions, mais l’anonymisation a empêché de revenir aux patients qui avaient donné pour la recherche.

Mme Emmanuelle Rial-Sebbag. Il y a une situation intermédiaire avec des mécanismes de codage qui ne rendent pas l’échantillon anonyme, mais qui font que revenir vers le patient est très compliqué.

M. Jean-Jacques Hauw. On peut éventuellement proposer aux patients de choisir telle ou telle formule.

Des définitions réglementaires existent : elles sont fournies par l’OCDE, le Parlement européen, qui a élaboré une directive non transcrite en droit français, le Comité consultatif sur les ressources biologiques de l’INSERM, qui a donné des indications très importantes, et une norme AFNOR récente. Mais il est très difficile de trouver une définition réglementaire française spécifique des centres de ressources biologiques, pour deux raisons.

D’une part, la réglementation française applicable relève d’un nombre très important de textes : lois de bioéthique, code de la santé publique, code civil, code du travail, code général des collectivités territoriales, textes d’application, norme AFNOR, etc.

D’autre part, les tutelles sont innombrables : hôpitaux, universités et autres établissements publics à caractère scientifique et technologique, Agence de la biomédecine, Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), Comité consultatif sur les ressources biologiques, comités de protection des personnes… D’où un enchevêtrement parfois inextricable de lois et de textes d’application, et des normes très contraignantes pour certaines recherches.

Pourtant, les CRB sont devenus des structures essentielles à de nombreux traitements et à la grande majorité des investigations biomédicales modernes.

Les associations de malades l’ont bien compris. L’Association française de lutte contre la myopathie (AFM) a ainsi été la première à créer le Généthon. Les associations France Alzheimer, Connaître les syndromes cérébelleux, France Parkinson et l’Association pour la recherche sur la sclérose en plaques incitent leurs membres à faire un don de cerveau pour la recherche, mais aussi soutiennent et financent très largement le groupement d’intérêt économique (GIE) Neuro-CRB. L’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) – a fourni le terrain, l’université a donné des congélateurs, et les associations paient le personnel et les transports de corps, c’est-à-dire l’essentiel du fonctionnement du GIE.

L’Académie nationale de médecine a formulé cinq recommandations.

Premièrement, elle recommande de définir le statut des centres de ressources biologiques. Il doit être souple, et permettre de choisir entre le statut d’un organisme public exclusif ou tout statut permettant la coopération d’organismes publics, d’associations de malades et d’œuvres caritatives, à l’exclusion de partenaires industriels utilisant directement les dons de produits biologiques humains.

Ce statut doit garantir l’autonomie des CRB et leur assurer les moyens nécessaires à leurs missions, grâce à un coordonnateur responsable médecin pour les produits humains, et un conseil scientifique appréciant la pertinence des programmes de recherche irrigués par la collection.

En outre, ce statut doit reconnaître les métiers spécifiques qui sont nécessaires aux CRB, et dont certains n’existent pas en France. Enfin, il doit distinguer les CRB qui recueillent des produits provenant de donneurs vivants de ceux recueillant des produits provenant de personnes décédées.

Deuxièmement, l’Académie de médecine recommande de simplifier le fonctionnement des CRB. Il faut, d’abord, leur donner un interlocuteur administratif unique – le « guichet unique » – pour toutes les opérations, plutôt que les innombrables instituts, ministères…

M. le président. Cet interlocuteur unique devrait-il être, selon vous, l’Agence de la biomédecine ?

M. Jean-Jacques Hauw. C’est un très bon exemple.

Il faut, en outre, élargir les conditions de consentement des patients ou de leurs mandataires, appelés « personnes de confiance ». Les personnes qui le souhaitent doivent pouvoir effectuer un don pour la recherche sans spécificité, ou pour un domaine de recherche sans référence à un protocole particulier. Actuellement, le don doit être fait pour un programme précis, et si l’on désire en modifier l’utilisation, il faut recommencer le parcours administratif.

Il faut enfin simplifier les démarches administratives dès lors qu’est obtenu le consentement du patient ou l’accord de la personne de confiance ou des proches. Les prélèvements chez des patients atteints de maladies rares ou des personnes normales doivent être permis avec leur accord explicite, même en l’absence de protocole de recherche précis.

Troisièmement, l’Académie de médecine recommande de faciliter les études génétiques, en distinguant notamment le génome tumoral, pour lequel l’analyse doit pouvoir se faire sans autorisation spéciale – par exemple, la délétion 1p/19 q des oligodendrogliomes indique un traitement spécifique –, du génome constitutionnel (recherche de mutations, de polymorphismes et de microsatellites), ou bien, pour ce qui concerne la recherche d’associations, en garantissant un anonymat qui préviendrait, par exemple, toute recherche illicite de paternité. Enfin, on pourrait permettre les recherches d’associations ou de mutations sur des cohortes post mortem, domaine dans lequel la France accuse un retard considérable.

Pour le cas particulier des produits d’interruption de grossesse, l’Académie recommande de permettre toute recherche scientifique après accord explicite de la mère et avis d’un conseil scientifique.

Dans tous les cas, il faut permettre aux CRB non seulement d’informer les patients, mais aussi de promouvoir le don de spécimens biologiques pour la recherche. Cette pratique existe dans de nombreux pays, comme la Hollande.

M. le président. S’agissant des produits d’interruptions de grossesse, vous n’avez aucun interlocuteur administratif ?

Mme Emmanuelle Rial-Sebbag. Si, l’Agence de la biomédecine.

M. Jean-Jacques Hauw. Elle reçoit les protocoles.

Mme Emmanuelle Rial-Sebbag. Avant 2004, ce matériel biologique était totalement accessible sans information et sans consentement de la mère. Depuis 2004, ce matériel relève du système de non-opposition. Reste à vérifier s’il s’agit d’un accord écrit.

Mme Anne-Laure Morin. Il me semble que c’est le cas. Le régime actuel est un accord explicite, avec un avis de l’Agence de la biomédecine au vu d’un protocole spécifique de recherche.

Vous parlez certainement, monsieur Hauw, de la possibilité de constituer une collection à partir de ce type de tissus, sans programme spécifique, de manière à susciter des projets de recherche.

M. Jean-Jacques Hauw. Quatrièmement, l’Académie de médecine recommande de faciliter les dons post mortem pour la recherche, domaine dans lequel notre pays se heurte à de nombreuses difficultés, notamment administratives.

Il faut un recours plus systématique, mieux organisé à l’échelon national, au don post mortem pour la recherche, afin de constituer des collections suffisamment larges de matériel biologique, aujourd’hui seulement disponibles à l’étranger.

En outre, il faut optimiser la pratique des prélèvements post mortem, ce qui implique de créer un diplôme d’études spécialisées complémentaires d’autopsie, car les médecins anatomo-pathologistes et les légistes sont de moins en moins motivés pour pratiquer des autopsies. La piste envisagée actuellement est intéressante.

Cela implique, surtout, de reconnaître le métier d’aide au prélèvement post mortem, présent dans la majorité des pays, mais qui n’existe pas en France.

Enfin, il est important de simplifier les démarches administratives dès lors qu’un consentement explicite de don a été obtenu, par exemple, en augmentant les délais autorisés pour le transport de corps sans mise en bière – amélioration simple que le ministère de la santé n’a toujours pas réussi à obtenir, alors que l’on dispose aujourd’hui de transports réfrigérés, qui n’existaient pas à l’époque où les délais de 24 heures et de 48 heures avaient été fixés.

Cinquièmement, l’Académie de médecine recommande de poursuivre le recensement précis, assorti d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs, des CRB existants, et de favoriser leurs contacts et leurs échanges avec leurs homologues européens, par exemple la banque hollandaise de tissu cérébral.

Il est en effet dommage que les installations modernes et compétitives permettant aux patients d’aider la recherche selon leur souhait soient si rares dans notre pays, et que les équipes françaises doivent, à quelques exceptions près, baser leur recherche sur des produits biologiques qu’elles ne contrôlent pas.

M. Raymond Ardaillou. Il importe de distinguer les centres de ressources biologiques qui collectent des tissus de sujets vivants et ceux qui collectent des prélèvements post mortem. Les premiers sont en effet dans les établissements de soins et ont un double but de soin et de recherche. Par exemple, un prélèvement sur une tumeur du sein chez une femme servira au diagnostic, mais permettra peut-être, à échéance de cinq à dix ans, de mettre en évidence un antigène tumoral dont la connaissance conduira à un pronostic et à un traitement particulier. Par conséquent, le prélèvement doit être accompagné d’une fiche clinique, et non pas être anonyme.

Deuxièmement, les relations avec l’industrie pharmaceutique doivent être clarifiées. Les prélèvements humains n’ont pas de valeur patrimoniale. Mais ce qu’on peut vendre, c’est la valeur ajoutée, c’est-à-dire le travail réalisé sur ces prélèvements. Pour créer un test in vitro de mise en évidence d’un antigène particulier, Mérieux, par exemple, aura besoin de travailler sur des collections. Il est donc normal qu’il paie la valeur ajoutée, c’est-à-dire le travail réalisé sur les tumeurs par les CRB. D’où la nécessité d’une convention type qui serait rédigée par des juristes.

Mme Emmanuelle Rial-Sebbag. Le contexte scientifique et le contexte juridique des CRB sont particuliers. Les biobanques sont des outils largement utilisés de nos jours, plus particulièrement dans le domaine génétique. L’amélioration des techniques de conservation des échantillons, ainsi que des « données associées » (car les échantillons biologiques sont le plus souvent associés à des données soit personnelles, soit cliniques), jointe aux nouvelles méthodologies de recherche s’appuyant sur les outils de la génétique, a renforcé cette utilisation.

Sur la scène internationale, un cap a été franchi, puisqu’on en est à l’utilisation des données produites par les biobanques, alors qu’en France, la première phase, celle de leur structuration, accuse un retard. C’est pourquoi la proposition des représentants de l’Académie de médecine me semble très importante.

Si nous sommes dans un contexte de révision des lois de bioéthique, n’oublions pas que les CRB renvoient à de très nombreuses législations. Il faut donc aussi prendre en considération la recherche biomédicale.

M. le président. Les biobanques renvoient-elles aussi à la loi Huriet ?

M. Emmanuelle Rial-Sebbag. Oui, notamment dans le cadre du rôle des comités de protection des personnes (CPP).

Le terme de « biobanque » n’existe pas dans la loi, qui ne mentionne que les « collections d’échantillons biologiques humains ». La définition des CRB que donne l’OCDE mériterait d’être simplifiée, mais elle est intéressante car elle aborde, d’une part, l’aspect infrastructures et, d’autre part, la gestion des données.

Le législateur est face à un véritable enjeu : encourager et, surtout, faciliter l’utilisation des biobanques. Pour ce faire, je pense qu’une approche globale de cet outil est nécessaire : l’aspect administratif – repérage, autorisation, déclaration – ne doit pas être séparé des principes sur lesquels repose la mise en banque.

Pour ce qui est de la gouvernance externe des biobanques, une clarification de la réglementation actuelle est nécessaire. En effet, les bases juridiques sont disparates : lois de bioéthique, loi relative à la recherche, loi relative à l’informatique et aux libertés. En outre, l’existence d’analogies juridiques « imparfaites » – « morceau de corps », « corps dans son entier », « personnalité juridique », « personne humaine »… – aboutit à laisser à la discrétion des CRB tout un champ contractuel, liberté qui engendre un manque de repères communs. Or, jusqu’à présent, cette question n’a pas été abordée dans le cadre des États généraux de la bioéthique, mais seulement à l’occasion d’autres débats.

Je pense qu’on ne peut pas remettre en question la pertinence de l’outil législatif : il nous faut des repères apportés par une loi. Symboliquement, cela traduirait aussi la volonté nationale de soutenir l’activité des CRB, notamment financièrement.

Cet outil législatif doit s’insérer dans un contexte international – dans lequel la France tient une place très honorable –, tant au niveau des initiatives de projets que des principes de bonne conduite. Notre pays participe aux deux projets européens, BBMRI et P3G, d’où l’intérêt de faire en sorte qu’il ne soit pas freiné, sur le plan administratif, dans sa participation à ces réseaux. Les Guidelines for human biobanks and genetic research, recommandations de bonne pratique, en cours de finalisation au niveau de l’OCDE, seront certainement des références pour nos futurs CRB.

Je propose donc l’adoption d’un acte législatif particulier pour les biobanques, ou l’inscription dans la loi d’un paragraphe spécifique à leur sujet. Cet acte se justifie par la spécificité de l’application en l’espèce de l’ensemble des principes de bioéthique, de l’approche conceptuelle et des questions juridiques qui se posent, notamment en termes de consentement et d’information.

Cet acte démontrerait la volonté nationale de présenter les CRB comme une thématique forte, ce qui n’a pas été le cas jusqu’à présent. Certains États ont opté pour ce mode de régulation. La Hongrie, par exemple, a adopté un acte spécifique « biobanques et génétique ». Il faudra d’ailleurs discuter de la place de la génétique dans les biobanques, car elles ne font pas que de la génétique…

M. Raymond Ardaillou. Il existe, d’une part, les mutations somatiques dans les tumeurs qui ne permettent pas l’identification de la personne et ne sont pas héréditaires. Les tests nécessaires à leur mise en évidence doivent être considérés comme n’importe quelle détermination biochimique. Il existe aussi des gènes de prédisposition à des cancers qui, eux, sont constitutifs. Ces gènes de prédisposition peuvent être transmis à la descendance contrairement aux mutations constatées dans les cellules cancéreuses.

Mme Emmanuelle Rial-Sebbag. Mes propos ne doivent pas être mal interprétés. La Hongrie a adopté un acte spécifique pour les biobanques, mais en les envisageant uniquement sous l’angle « base de données génétiques ».

M. Raymond Ardaillou. Génétique somatique ou génétique constitutive ?

Mme Emmanuelle Rial-Sebbag. Tout type de génétique.

M. Raymond Ardaillou. Mais cela n’a pas de sens !

Mme Emmanuelle Rial-Sebbag. C’est vrai ! Je ne suis pas favorable à l’exceptionnalisme génétique.

Un acte spécifique, ou un chapitre de loi spécifique, devrait être composé de trois parties. Je précise que je ne suis pas favorable à des principes supplémentaires, mais à une mise en ordre des principes actuels, assortie des clarifications nécessaires, dont Anne-Laure Morin vous parlera.

Une première partie pourrait porter sur les aspects administratifs, et ici je rejoins totalement les propositions de l’Académie de médecine.

Une deuxième partie devrait reprendre les droits spécifiques accordés aux personnes, en termes de suivi, de contrôle, d’accès, de retrait, etc.

Une troisième partie devrait traiter de la question des données issues de la recherche, produites par les biobanques – activité qu’il faut distinguer de celle de la mise en œuvre des fichiers, y compris avec des données identifiantes, couverte actuellement par la CNIL. Les résultats des recherches doivent-ils être confidentiels ou non ? Doivent-ils être systématiquement partagés avec la communauté scientifique ? Quels droits des personnes sont attachés à ces données produites ? Il faut clarifier ces points.

Doit-on envisager ici un dispositif spécial pour la génétique ? Je ne le pense pas.

M. le président. À qui appartiennent les données obtenues à l’issue de la recherche ?

Mme Emmanuelle Rial-Sebbag. Pour l’instant, elles appartiennent à la structure qui les a générées. Cela dit, peut-on employer le terme « appartenir » dans la mesure où il est très important que ces données soient partagées pour pouvoir être utilisées, valorisées ?

M. le président. Peuvent-elles faire l’objet de brevets ?

Mme Anne-Laure Morin. Je crois qu’elles peuvent faire l’objet de droits de propriété intellectuelle.

Mme Emmanuelle Rial-Sebbag. Les chercheurs souhaiteraient néanmoins que les accès soient de plus en plus libres, que trop de droits ne soient pas revendiqués sur ces données, afin qu’elles profitent à tout le monde.

Mme Anne-Laure Morin. Certaines biobanques, par exemple, ne laissent l’accès aux échantillons que sous réserve de pouvoir récupérer non pas toutes les données issues de la recherche, puisqu’un laboratoire pharmaceutique ne les fournira évidemment pas, du moins quelques données intéressantes pour enrichir sa collection. Mais cela est de l’ordre du contrat.

M. le président. Vous n’excluez pas des structures privées ?

Mme Emmanuelle Rial-Sebbag. Pas du tout. En revanche, il faudrait répondre à deux questions : que laisse-t-on dans le champ du contrat et que met-on dans la loi pour réguler les relations entre secteur public et secteur privé ?

M. Jean-Marc Nesme. Le représentant de l’Académie de médecine a exclu l’industrie pharmaceutique. Quid alors de l’industrie ?

Par ailleurs, vous ne seriez pas opposées, si j’ai bien compris, à donner une valeur marchande à la valeur ajoutée tirée de la recherche sur le corps ou un élément du corps humain. Comment alors trouver le juste équilibre entre la non-patrimonialité et la non-commercialisation du corps humain et de ses éléments, qui sont des principes intangibles, et la commercialisation de la valeur ajoutée tirée de la recherche sur le corps humain et ses éléments ? Comment résoudre cette contradiction ?

Mme Anne-Laure Morin. Ce n’est pas ce sujet qui pose le plus de problèmes. Le service que rend la biobanque à une industrie pharmaceutique ou à tout chercheur peut être monnayé dès l’instant où aucun prix n’est fixé pour la cession de l’échantillon. C’est ce que mettent en œuvre les praticiens du droit à l’heure actuelle. La biobanque mobilise des personnels, entretient des congélateurs, stocke, elle détient un savoir-faire très technique : c’est ce coût qui est récupéré. Ainsi, il n’est pas dérogé au principe de non-patrimonialité.

L’industrie est très friande d’échantillons biologiques : elle souhaite y accéder.

Mme Emmanuelle Rial-Sebbag. L’industrie n’a pas directement accès à ce matériel. Pourtant, elle doit pouvoir y accéder pour mener ses recherches ou les valoriser.

M. Jean-Marc Nesme. Quelles sont alors vos propositions ?

Mme Emmanuelle Rial-Sebbag. Ces nouvelles modalités de partenariat sont déjà formalisées dans des contrats ad hoc.

Mme Anne-Laure Morin. Oui, cette pratique existe déjà.

M. le président. Pouvez-vous le confirmer, monsieur Hauw ?

M. Jean-Jacques Hauw. Oui. Mais je voudrais avant tout expliquer en quel sens j’ai exclu l’industrie pharmaceutique de la structure des centres de ressources biologiques. Je pense qu’un centre de ressources biologiques doit être neutre. Il est susceptible de passer des contrats avec des organismes de recherche, publics ou privés. Cela permet à la fois de préserver les droits de l’individu et de conserver toutes les possibilités d’exploitation des données obtenues grâce à cet individu et contrôlées par le centre.

En outre, un échantillon n’a de valeur que s’il est associé à l’histoire du malade. Si un échantillon est appelé « maladie d’Alzheimer » et que ce n’en est pas une, c’est un mauvais échantillon qui ne sera d’aucune utilité pour l’industrie pharmaceutique ni pour les autres chercheurs.

Mme Emmanuelle Rial-Sebbag. Le défi est de savoir quel type d’acte pourrait être adopté. Cet acte spécifique devrait être suffisamment large pour être souple et flexible. Or l’instrument législatif manque souvent de souplesse. C’est pourquoi je suis favorable à de grands principes clarifiés, complétés par des recommandations de bonnes pratiques.

J’en viens au don d’éléments du corps humain pour la recherche. Je partage totalement vos propos, messieurs, sur ce point. Des difficultés se posent pour le don post mortem, mais aussi pour les personnes vivantes : si celles-ci peuvent, aux termes du code de la santé publique, faire don d’éléments du corps humain, la filière n’est cependant pas organisée et ce don doit, à l’heure actuelle, être formalisé dans un protocole de recherche biomédicale. Dans le domaine de la cancérologie, par exemple, où l’on a de plus en plus besoin de matériel biologique, les gens ne peuvent pas faire de dons.

La summa divisio entre les choses et les personnes en droit complique la situation : on ne sait pas dans quelle catégorie mettre un échantillon biologique, ni si l’on pourra, un jour, le traiter comme une chose, auquel cas d’autres types d’utilisations et de valorisations seraient permises. C’est possible dans certains pays dès lors que toutes les garanties sont prises, notamment un anonymat complet : aucun retour vers la personne n’est possible, l’échantillon n’est plus rattaché à la personne humaine.

Telle n’est pas l’option choisie jusqu’à aujourd’hui par le législateur français, qui a usé de tous les artifices pour rattacher les éléments du corps à la notion de personnalité. C’est une question centrale à laquelle il faut réfléchir si l’on veut avancer.

Quelques mots enfin sur les études populationnelles sur le long cours.

Ces études sont anciennes, mais comportent aujourd’hui le plus souvent une composante génétique forte, associée à des techniques nouvelles : GWAS (genome-wide association studies), screening complet, etc. Elles fournissent un très grand nombre de données, dont seule une petite partie sera utile pour apporter une réponse. Que faire des autres données disponibles ? Ici de vraies questions se posent en termes de protection de la vie privée. Le problème n’est plus celui de la qualification de l’échantillon, mais celui de savoir comment sont utilisées les données qui en sont issues.

Dans l’exercice de ma profession, j’ai eu à répondre à des questions simples, par exemple : quelle autorité doit être saisie pour faire une étude de cohorte sur des personnes que l’on va suivre pendant vingt ans ? Le premier protocole passera devant le comité de protection des personnes, mais un accord du Comité consultatif sur le traitement de l’information en matière de recherche dans le domaine de la santé (CCTIRS) pourrait peut-être suffire. Il me semble d’ailleurs que les missions de ce Comité devraient être étendues. Elles sont trop limitées en matière de confidentialité, de traitement des données.

Quant aux comités de protection des personnes (CPP), leur composition actuelle ne leur permet pas de faire ce contrôle éthique. Anne-Laure Morin et moi-même le savons puisque nous sommes toutes deux membres d’un CPP. Soit il faut renforcer les missions des CPP et leur donner les moyens d’évaluer vraiment les collections d’un point de vue éthique, soit il faut réfléchir à une autre autorité.

J’ai été très étonnée de constater que beaucoup d’États européens se sont dotés d’un acte spécifique sur les bases de données génétiques. Je le répète : je ne suis pas favorable au traitement des données génétiques de manière particulière. La question est de savoir comment se positionne le législateur français.

En conclusion, mieux organiser l’activité des CRB constitue un enjeu fort.

D’abord, pour les biobanques elles-mêmes, car il faut leur permettre de régler les questions posées par leur constitution et encourager leur participation à des programmes de recherche, notamment européens. D’ailleurs, des collections constituées dans le cadre de protocoles de recherche sont de plus en plus souvent soumises aux CPP. Il importe que cette activité soit réellement reconnue.

Ensuite, parce qu’il y a des enjeux sociétaux. Malheureusement, comme je l’ai dit, le débat sociétal autour des biobanques n’existe pratiquement pas en France, contrairement à d’autres pays européens, notamment l’Angleterre ou l’Islande, où le débat s’est instauré à l’occasion de la création d’une biobanque nationale.

Mme Anne-Laure Morin. Je vais d’abord vous parler de l’encadrement juridique des activités relatives aux échantillons biologiques.

Tout d’abord, les termes de « biobanque » et de « centre de ressources biologiques » n’existent pas dans la loi. Le code de la santé publique distingue deux types d’activité.

D’une part, les activités de conservation et de préparation des échantillons à des fins scientifiques, menées par les organismes pour les besoins de leurs propres programmes de recherche, avec un régime de déclaration au ministère de la recherche.

D’autre part, les activités de conservation et de préparation de tissus et cellules du corps humain en vue de leur cession, menées par des organismes dans le cadre ou non d’une activité commerciale puisqu’il existe des biobanques privées –, pour un usage scientifique, avec un régime d’autorisation par le ministère de la recherche. Ce sont ces activités qui correspondent au statut du « biobanquier ».

Je ne partage pas tout à fait l’avis d’Emmanuelle Rial-Sebbag et de Jean-Jacques Hauw sur la nécessité d’un acte spécifique. La loi a en effet été suivie de ses textes d’application, parus en août 2007.

Le contrôle éthique est assuré par les CPP, mais uniquement en cas de « constitution de collections ». Je précise que les biobanques ne traitent pas que de collections : elles traitent les échantillons qui constituent une collection, réunis à partir d’un critère intellectuel de sélection des personnes ou d’échantillons en vue d’une utilisation scientifique ; mais elles manipulent également des échantillons appelés « séries d’échantillons », recueillis « au fil de l’eau », notamment dans les structures hospitalières, et qui serviront pour la recherche à des fins scientifiques.

Comme l’a souligné Emmanuelle Rial-Sebbag, le contrôle actuel effectué par les CPP en matière d’éthique n’est pas satisfaisant. Ils n’en ont pas les moyens. La majorité d’entre eux ne s’est pas emparée de cette nouvelle compétence dans la mesure où ils considèrent très souvent qu’examiner un dossier de biobanque, ce n’est pas protéger la personne.

De nombreux centres de ressources biologiques ont déjà obtenu ou sont en voie d’obtenir la certification. Les normes, issues des travaux de l’OCDE, concernent non seulement la qualité, mais également des principes éthiques.

Les règles juridiques relatives aux échantillons biologiques concernent l’accès au corps de la personne et le consentement ou la non-opposition, le don et l’utilisation des éléments et produits du corps humain, le traitement des données personnelles et la sécurité sanitaire.

Je poursuis mon propos par quelques réflexions éthiques relatives aux collections d’échantillons biologiques.

Il ressort des travaux de l’OCDE, de plusieurs réflexions internationales, mais aussi de l’avis n° 77 du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) que les collections sont traditionnellement considérées comme présentant une valeur commune, dont l’accès doit être facilité. Autrement dit, elles doivent servir le bien commun et être utilisées le plus possible par tous. Leur gestion par les organismes qui les conservent doit concilier les droits des donneurs, les droits des chercheurs et les droits des structures qui les détiennent. D’où les difficultés de gouvernance. Il ressort aussi des travaux de l’OCDE que les organismes doivent être les garants du respect de ces droits.

M. le président. Vous faites souvent référence à l’OCDE.

Mme Anne-Laure Morin. Oui, car ses travaux sur les ressources biologiques sont fondateurs.

J’en viens aux questionnements.

Les échantillons, en droit français, suivent le statut juridique de la personne, en conférant à la personne un certain droit de contrôle sur leurs utilisations et en maintenant l’échantillon dans un régime de non-patrimonialité. Non seulement le don d’un élément du corps doit être gratuit, mais l’échantillon humain ne peut faire l’objet d’un droit patrimonial, c’est-à-dire d’une contrepartie en argent.

Quelles sont les limites de ce régime « personnaliste » ? Je les examinerai en abordant deux points. Le premier est l’utilisation secondaire et les modalités d’information des personnes.

La vocation des biobanques est de conserver de façon pérenne les collections – qui, je le précise, sont enrichies régulièrement par l’arrivée de nouveaux échantillons dans le thème de recherche –, pour donner accès le plus souvent possible à des projets scientifiques, dès lors qu’ils ont été évalués. Cela requiert donc la possibilité d’un usage secondaire de l’échantillon. Après l’avoir utilisé une première fois, on doit pouvoir donner accès à des dérivés issus de ce même échantillon à une autre équipe de recherche.

La loi de 2004 permet un usage secondaire de l’échantillon, à « une fin médicale ou scientifique autre », à condition d’en avoir préalablement informé la personne et qu’elle n’ait pas formulé d’opposition. S’il est impossible de retrouver la personne, on peut s’estimer dispensé de cette obligation, ou recourir à l’avis d’un CPP qui dira si l’on peut, ou non, en être dispensé.

Ce texte pose des problèmes d’interprétation et d’harmonisation.

Qu’est-ce qu’une « autre fin » ? Tous les praticiens ont du mal à démêler cette question. Est-ce un simple changement d’une finalité médicale en une finalité scientifique ? Ou est-ce un « changement substantiel de finalité » – comme le dit la loi relative à la politique de santé publique lorsqu’elle confère aux CPP la compétence que j’ai énoncée – à l’intérieur de la finalité scientifique ?

Les conséquences en termes d’information sont multiples. À quel moment délivrer l’information préalable ? Peut-t-on demander à un patient qui va se faire opérer à l’hôpital, au moment de son accueil, s’il s’oppose ou non à l’utilisation pour la recherche d’échantillons qui vont lui être prélevés ? Ces pratiques sont courantes aujourd’hui. Sont-elles légales ?

Faut-il l’informer uniquement sur un usage à des fins scientifiques ? Autrement dit, lui donner une information très large. Ou faut-il l’informer sur une thématique précise de recherche ? S’il est opéré d’un cancer, lui dire que son échantillon servira pour la recherche sur le cancer, par exemple ? Ou encore faut-il l’informer sur l’usage pour un projet précis ? Ces questions se posent chaque jour. Je propose donc de définir et d’harmoniser les définitions relatives au changement de finalité.

Le droit de retrait des personnes est aussi une question très importante. En effet, par analogie (peut-être imparfaite) avec une recherche interventionnelle, on a conféré à la personne un droit de retirer son consentement « à tout moment ». Or les conséquences de ce retrait ne sont pas envisagées par le droit. Ce droit de retrait, issu du droit de contrôle de la vision personnaliste, ne doit-il pas être modulé en fonction de la volonté initiale du donneur ?

Le droit de retrait, il faut le noter, n’est plus possible une fois les données totalement anonymisées.

Je suggère donc de repenser le droit de retrait en relation avec une information suffisante sur la finalité des recherches. Est-il légitime qu’une biobanque reçoive, au bout de dix ans, des demandes de retrait de personnes qui considèrent que leur échantillon doit être retiré de la recherche ? Je propose également d’indiquer que le droit de retrait ne s’exerce plus si les données associées à l’échantillon sont totalement anonymisées. Même si cela va de soi, ce serait une clarification.

L’utilisation secondaire d’un échantillon pour l’examen des caractéristiques génétiques est actuellement illicite. Le droit français exige un consentement exprès et écrit, aux termes des dispositions du code civil et du code de la santé publique.

Ces dispositions sont inspirées par « l’exceptionnalisme génétique », dénoncé ici même dans le cadre des auditions de M. Jean-Claude Ameisein, Mme Anne Cambon-Thomsen et Mme Ségolène Aymé. L’exceptionnalisme génétique repose sur l’idée que la spécificité des informations génétiques exige de les traiter et de les protéger d’une façon particulière. Cette idée, il faut bien le dire, est passée de mode.

Comme l’a dit M. Hauw, ces dispositions hypothèquent l’utilisation de très nombreuses collections. En effet, de nos jours, les recherches en génétique utilisent et doivent réutiliser ces échantillons.

On pourrait même dire que, d’après la loi, même s’il est procédé au même examen des caractéristiques génétiques, il faut retourner vers la personne. La situation est donc absurde. Ces dispositions ne sont par conséquent pas du tout comprises par les praticiens qui, finalement, les détournent, ou les interprètent à la manière de l’Académie de médecine, en affirmant par exemple qu’elles ne s’appliquent pas à l’examen génétique des tumeurs.

À mon sens, il faut donc adopter pour l’examen des caractéristiques génétiques avec utilisation secondaire le même régime que pour les autres types de recherche. Je précise que ce n’est pas la position du Conseil d’État.

Deuxième point : les échantillons et le régime de non-patrimonialité.

En pratique, on constate l’émergence de nombreuses difficultés sur la « titularité » des collections, quasiment insolubles en raison du régime de non-patrimonialité, issu de la vision « personnaliste » de l’échantillon. Des auteurs comme Christine Noiville et Florence Bellivier ont imaginé l’adoption d’un régime de propriété au profit des détenteurs des échantillons, à la lumière de l’arrêt Catalona aux États-Unis, où une université s’est vue conférer la propriété des échantillons en raison du fait qu’elle les avait détenus et entretenus. Cependant ce droit de propriété devrait, selon elles, toujours être assorti d’un droit d’accès au profit des chercheurs, et d’un droit au partage des bienfaits au profit des donneurs.

Les cessions d’échantillons sont l’apanage des organismes autorisés. Je rappelle que les organismes qui collectionnent pour leurs propres besoins de recherche ne peuvent pas faire de cessions, mais font des transferts, aux termes du décret de 2007. Les organismes ne fixent pas de « prix » de cession, mais tarifient leurs services.

Cependant, les organismes doivent pouvoir assurer l’attributaire – une société de biotechnologie ou un chercheur public – qui a suffisamment transformé l’échantillon de la possibilité de commercialiser son produit.

Il existe à mes yeux un stade au-delà duquel l’échantillon n’appartient plus à la sphère personnelle, mais devient un « bien », c’est-à-dire qu’il pourra entrer dans un patrimoine. Ma proposition est donc de fixer un critère législatif permettant de déterminer le stade où l’échantillon est suffisamment transformé pour quitter le statut personnaliste.

Dans son avis n° 93, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a pris position sur la brevetabilité des cellules souches, en disant que lorsqu’une « activité humaine ingénieuse a suffisamment modifié la cellule pour en faire un produit qui a perdu les caractéristiques phénotypiques et fonctionnelles de la cellule, la question d’une éventuelle commercialisation du produit ainsi obtenu devrait être soumise à une agence ».

M. le président. Jusqu’à présent, une seule entreprise dans le monde a breveté une lignée de cellules souches embryonnaires.

Mme Anne-Laure Morin. En conclusion, le législateur doit repenser l’attachement indéfectible de l’échantillon biologique, objet de don pour la recherche, au statut juridique de la personne, eu égard aux modalités d’information des personnes, à l’usage secondaire des échantillons et à la nécessité de leur circulation.

La modification – facilitatrice – de ce statut juridique doit cependant être accompagnée des mesures destinées à garantir la transparence et le bon déroulement des activités : information clarifiée sur les usages, facilitation de l’accès aux collections, retours au profit des donneurs.

M. le président. Ce sujet des biobanques concerne non seulement les lois de bioéthique, mais aussi le travail de notre collègue Jean Bardet dans le cadre de la loi Huriet.

M. Xavier Breton. Je vous remercie, mesdames, messieurs, pour les pistes que vous nous avez exposées sur un sujet certes moins médiatique que les mères porteuses ou les « bébés médicaments », mais très intéressant. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le Comité consultatif des ressources biologiques ?

Mme Emmanuelle Rial-Sebbag. C’est un comité national auprès de l’INSERM.

Mme Anne-Laure Morin. Ce n’est pas un comité d’éthique.

M. Raymond Ardaillou. Dans les années 2000, l’INSERM avait lancé un appel d’offres pour la création, dans les hôpitaux, de centres de ressources biologiques. Cet institut a donc vraiment été précurseur dans ce domaine, et a créé ce comité consultatif.

M. Alain Claeys, président. Merci beaucoup, mesdames, messieurs, pour ce travail qui sera utile à notre mission.

Audition de Mme Laurence LWOFF, chef de la division bioéthique
du Conseil de l’Europe



(Procès-verbal de la séance du 15 septembre 2009 )

Présidence de M. Jean-Sébastien Vialatte, vice-président

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Laurence Lwoff, chef de la division bioéthique au Conseil de l’Europe. Votre intervention, madame, achèvera notre cycle d’auditions consacré à la génétique.

Vous avez suivi l’élaboration du Protocole additionnel à la Convention d’Oviedo portant sur les tests génétiques à des fins médicales. Vous pourrez nous rappeler les valeurs éthiques qui, dans ce domaine, font consensus au sein du Conseil de l’Europe et évoquer les problèmes communs à l’ensemble des législations nationales, s’agissant notamment du développement des tests génétiques disponibles sur Internet, du problème de l’information de la parentèle, ou de l’usage des données génétiques dans les domaines des assurances et du travail.

Enfin l’Allemagne a adopté cette année une nouvelle législation sur l’utilisation des données génétiques. Il nous serait particulièrement utile de connaître la nature des dispositions adoptées.

Mme Laurence Lwoff. Le 14 janvier dernier, Carlos de Sola remerciait votre mission d’information d’avoir invité le Conseil de l’Europe à s’exprimer devant vous. À mon tour, je vous remercie de m’inviter à vous faire part de la réflexion qu’a menée le Conseil en vue de l’élaboration d’un nouveau protocole additionnel à la Convention d’Oviedo relatif aux tests génétiques à des fins médicales. Cette réflexion a porté sur des questions qui sont au cœur de vos travaux ; certaines d’entre elles ont été abordées dans le cadre des États généraux de la bioéthique, auxquels j’ai eu le plaisir de participer en tant que formateur.

La « Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine », ouverte à la signature à Oviedo le 4 avril 1997, est une convention cadre qui a été complétée par quatre protocoles. Les trois premiers, consacrés respectivement à l’interdiction du clonage d’êtres humains, à la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine et à la recherche biomédicale, ont été évoqués par Carlos de Sola. Le quatrième protocole additionnel, relatif aux tests génétiques à des fins médicales, a été ouvert à la signature à Strasbourg le 27 novembre 2008.

Au moment de l’élaboration de ce dernier, la Convention contenait déjà des principes d’une grande importance relatifs à la génétique.

C’est d’abord le principe de la protection de la vie privée. Les tests génétiques donnent en effet accès à des informations sur la santé, qui sont des donnés à caractère personnel particulièrement sensibles.

Ensuite, le principe du consentement libre et éclairé pour toute intervention.

En outre, la Convention affirme l’interdiction de toute forme de discrimination à l’encontre d’une personne en raison de son patrimoine génétique, principe qui revêt une importance toute particulière dans les domaines de l’assurance et de l’emploi.

Enfin, l’article 12 de la Convention limite le recours aux tests prédictifs « à des fins médicales ou de recherche médicale, et sous réserve d’un conseil génétique approprié. »

Ainsi, comme les autres protocoles additionnels, ce protocole développe et complète les dispositions de la Convention.

Au départ, il avait été envisagé que le champ d’application de ce protocole soit très large et concerne toutes les applications de la génétique humaine, dans les domaines de la santé, de l’emploi et de l’assurance. Toutefois, pour des raisons que je qualifierai de pragmatiques, ce champ a, dans un premier temps, été limité au domaine des tests génétiques à des fins médicales, sur lequel la réflexion était déjà très avancée, contrairement aux autres domaines, relativement novateurs. Il n’était donc pas judicieux de retarder l’élaboration du protocole.

Adopté par le Comité des ministres le 7 mai 2008, le protocole a été ouvert à la signature le 28 novembre 2008. La Slovénie est le premier pays à l’avoir ratifié, le 3 septembre 2009.

Cet instrument couvre les tests génétiques à des fins médicales – non à des fins d’identification –, à deux exceptions près : ceux effectués sur l’embryon et le fœtus humains, car le Comité directeur pour la bioéthique a considéré qu’une réflexion indépendante sur ces questions spécifiques était nécessaire ; et ceux réalisés à des fins de recherche, pour éviter des recoupements entre instruments. En effet, le protocole additionnel sur la recherche biomédicale est tout à fait pertinent pour traiter des recherches en matière de génétique. Son annexe, qui liste les informations préalables devant être communiquées aux participants à la recherche et au Comité d’éthique, pourra éventuellement être complétée ultérieurement, pour aborder plus spécifiquement des questions concernant à la génétique.

J’en viens aux principales considérations qui ont guidé la réflexion du Comité directeur pour l’élaboration de ce protocole.

Tout d’abord, l’apport de la génétique depuis une vingtaine d’années est considérable, dans le domaine médical en particulier (notamment avec la publication du projet international HapMap sur le génome humain) : amélioration des connaissances sur les maladies, identification de cibles pour de nouveaux traitements, amélioration de la prévention et des thérapies. Dans ce contexte, on comprend l’importance des tests génétiques pour la santé en général et le progrès des connaissances sur les maladies ayant un déterminisme génétique.

Cependant, ces tests génétiques donnent accès à ce que j’appelle « l’intimité biologique » des personnes, c’est-à-dire à des données particulièrement sensibles qui doivent être protégées. Ce sont des données à la fois individuelles et partagées sur le plan biologique entre les membres d’une même famille. D’où les questions de l’information de la parentèle, mais aussi des études familiales impliquant des tests sur des personnes n’ayant pas la capacité de consentir, par exemple des enfants, sans bénéfice direct pour elles. Les problématiques de la protection de la vie privée et du secret médical ont été au cœur de notre réflexion.

En outre, les tests génétiques fournissent souvent des informations de nature prédictive, portant sur la santé future des personnes – dont elles n’ont pas forcément connaissance s’il n’y a pas de symptôme. Les questions de la protection de la vie privée, du droit de savoir et de ne pas savoir se posent alors de façon aiguë. Le principe du consentement, lié à la bonne compréhension des implications des tests prédictifs, est ici particulièrement important, et le protocole exige pour ce type de tests le consentement écrit de la personne concernée.

Les principales préoccupations dans le domaine médical ayant guidé l’élaboration du protocole sont de plusieurs ordres.

Tout d’abord, il existe un décalage entre la capacité d’analyse génétique et la possibilité d’agir sur les plans préventif et thérapeutique, où les progrès ont été moins rapides.

C’est pourquoi le protocole souligne l’importance, d’une part, de la validité clinique des tests – c’est-à-dire du lien entre leurs résultats et une maladie ou un trouble – et, d’autre part, de leur utilité clinique, c’est-à-dire de leur capacité à apporter une réponse par un moyen préventif ou thérapeutique sur la base de ces résultats. Ces deux préoccupations ont d’ailleurs été soulignées dans de nombreux articles, en particulier de la Société européenne de génétique humaine, mais également dans le rapport du Conseil d’État, entre autres.

Ensuite, la compréhension des implications de ces tests n’est pas simple pour le patient, notamment en cas de maladies multifactorielles. D’où l’importance d’une information préalable adéquate, pour s’assurer que la personne prend une décision éclairée.

S’y ajoute la complexité de l’interprétation des résultats de certains tests, comme l’ont souligné les généticiens que vous avez auditionnés, en particulier les tests pangénomiques qui se développent à l’heure actuelle. Les préoccupations concernent les conditions dans lesquelles le test est proposé, la confrontation des patients à leurs résultats et l’accompagnement des personnes dans la « gestion » de ces résultats, car elles peuvent avoir à prendre des décisions difficiles et perturbantes.

L’accompagnement des personnes, dit « conseil génétique », a été longuement débattu dans le cadre de l’élaboration du protocole. Il doit, avant tout, être un processus individualisé de communication, tenir compte de la situation de la personne pour l’accompagner dans les décisions qu’elle devra éventuellement prendre. En outre, selon le protocole, la nature et l’étendue de ce conseil génétique peuvent varier en fonction du test considéré et des implications pour la personne et les membres de sa famille. Dans ce contexte-là aussi, la sensibilisation à la pertinence de l’information pour les membres de la famille est particulièrement importante.

Ces préoccupations sont prégnantes, notamment en ce qui concerne les tests en accès direct sur Internet.

Autre problème : le risque d’atteinte à la vie privée. Il faut protéger le droit de savoir, mais aussi celui de ne pas savoir, ce que fait l’article 16 du protocole. Toutefois, celui-ci prévoit que ces droits peuvent faire l’objet de restrictions dans l’intérêt de la personne concernée. Il est en effet des situations où le droit de ne pas savoir peut poser problème, par exemple si des moyens thérapeutiques existent et sont susceptibles d’améliorer la santé de la personne concernée.

D’autre part, le problème de la confidentialité des données recueillies, particulièrement aigu s’agissant des tests en accès direct, nécessite une protection particulière.

La dernière considération du Comité que je voudrais évoquer a concerné les personnes qui n’ont pas la capacité de consentir, notamment les enfants, lorsque les tests portent sur des maladies à développement tardif. Le protocole affirme le principe du « bénéfice direct » des tests pour la personne, mais précise également qu’ils doivent être reportés jusqu’à la majorité afin que l’enfant devenu adulte puisse exprimer son consentement. Toutefois il prévoit une exception à ce principe si ce report est de nature à porter préjudice à la santé ou l’équilibre de l’enfant. Par exemple, lorsque les résultats d’un test permettrait de « prendre » des mesures préventives par rapport à une maladie ou encore dans le cas de certaines maladies comme la polypose adénomateuse, un test génétique précoce révélant que l’enfant n’est pas porteur de la mutation permettra de lui éviter des endoscopies régulières à titre préventif.

Il est aussi des situations où une étude familiale s’impose. S’agissant des personnes n’ayant pas la capacité de consentir – enfants ou adultes incapables – soumises aux tests au bénéfice de membres de leur famille, le protocole prévoit également les conditions, très encadrées, dans lesquelles il peut être fait exception au principe du bénéfice direct.

Toutes ces considérations ont amené le Comité à réfléchir aux conditions dans lesquelles les tests génétiques devaient être proposés.

Au départ de sa réflexion, le Comité a été guidé par la problématique des tests en accès direct. Finalement, il a engagé sa réflexion sous un autre angle en se demandant quels étaient les besoins essentiels des personnes envisageant un test génétique. Il en a identifié deux : une information appropriée et, le cas échéant, un accompagnement approprié dans la décision et la gestion des résultats.

Quelles conditions d’accès aux tests génétiques permettent de répondre à ces besoins ? La réponse figure au paragraphe 1 de l’article 7 du protocole, aux termes duquel « il ne peut être procédé à un test génétique à des fins médicales que si celui-ci s’inscrit dans le cadre d’un suivi médical individualisé. »

L’interprétation correcte des résultats et la garantie d’un conseil génétique approprié pour comprendre leurs implications restent la préoccupation essentielle. C’est dans ce cadre que l’on peut répondre au mieux aux besoins que j’ai évoqués.

On entend ici par « suivi médical » un processus global dans lequel s’inscrit le test génétique lui-même. Le rapport explicatif indique que le test génétique « doit répondre à une demande spécifique formulée sur la base d’une évaluation précise de la situation de la personne concernée, effectuée par un médecin. » S’agissant des tests en accès direct, par exemple, un simple contact téléphonique ne saurait permettre une telle évaluation.

L’article 7 prévoit que des « exceptions à la règle générale figurant au paragraphe 1 peuvent être autorisées par une partie » – un État ayant ratifié le protocole –, sous réserve du respect des autres dispositions du protocole, notamment en ce qui concerne l’information et le conseil génétique, et compte tenu « des conditions de mise en œuvre du test ». Il peut s’agir d’un test réalisé en totalité par la personne concernée grâce à un kit, ou d’un test effectué par un laboratoire auquel est envoyé l’échantillon, ou d’autres modalités. Cette marge de manœuvre est laissée aux États. Dans ces exceptions, plusieurs critères doivent être pris en compte : l’importance des implications du test pour la personne et les membres de sa famille, la facilité d’interprétation des résultats et, le cas échéant, les possibilités de traitement.

Toutefois, une telle exception n’est pas considérée comme acceptable – étant donné les critères que j’ai rappelés – dès lors que les tests ont des implications « importantes pour la santé des personnes concernées ou celle des membres de leur famille, ou pour des choix en matière de procréation ». Les résultats de tels tests peuvent en effet être particulièrement complexes à interpréter et nécessiter, par exemple, la prise en compte de données médicales complémentaires ou concernant l’histoire familiale. Enfin, l’impact psychologique que peuvent avoir les résultats du test sur la personne concernée nécessite un accompagnement approprié.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Selon le protocole additionnel, lorsque les résultats d’un test génétique réalisé sur une personne peuvent être pertinents pour la santé d’autres membres de sa famille, la personne ayant fait l’objet du test doit en être informée. Il ne va pas plus loin sur l’information de la parentèle.

Or deux types d’organisation existent selon les législations : une organisation, que l’on peut qualifier « à la française » ou « à l’allemande », consistant à ne pas lever le secret médical sans l’accord de la personne ; et la procédure helvétique qui lève le secret médical. Sont-elles toutes deux compatibles avec la Convention d’Oviedo ?

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est favorable à l’accès des personnes à leurs origines génétiques. S’oriente-t-on au niveau européen vers une valorisation du droit d’accès à ses origines génétiques – à l’« intimité biologique », pour reprendre votre expression –, auquel chacun a droit ? Ou cette recherche des origines doit-elle être encadrée ?

Si l’on peut regretter que les tests génétiques soient accessibles sur Internet, notre époque voit et verra se développer des tests globaux, pangénomiques. Cela pose plusieurs questions.

Premièrement, leur pratique est-elle compatible avec la signature de la Convention d’Oviedo ? Ces tests, que certains pays européens laissent faire, ne doivent-ils pas faire l’objet d’une interdiction expresse dans les législations ? Si l’objectif est bien que les tests soient assortis d’une information et pratiqués à des fins médicales et avec un suivi médical individualisé, tous les États devraient avoir cet encadrement dans leur législation.

Deuxièmement, la perspective se dessine de plus en plus de tests génétiques tous azimuts qui vont définir le profil de l’enfant à naître : est-il licite de la laisser se développer ? En effet, la découverte d’une anomalie génétique mineure à expression potentielle ne va-t-elle pas angoisser les futures mères et les amener à demander un avortement alors que cette anomalie peut ne jamais s’exprimer ?

En France, cinq maladies graves sont dépistées dans le cadre du dépistage néonatal. De la même manière, les tests ne devraient-ils pas être encadrés en étant limités à des maladies graves et sur lesquelles il est possible d’agir médicalement, plutôt que de laisser faire des tests complets sous prétexte qu’ils permettront de découvrir des anomalies, sur lesquelles on ne pourra pas agir médicalement, ce qui créera une angoisse sans solution, ou dont les risques seront peu évaluables et différés, ce qui créera des angoisses inutiles ?

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. La France a été un acteur majeur dans la rédaction de la Convention d’Oviedo, mais ne l’a toujours pas ratifiée. À votre avis, qu’est-ce qui fait obstacle à cette ratification ?

Mme Laurence Lwoff. Je vous renvoie la question ! (Sourires.)

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. En matière de recherche sur les cellules souches embryonnaires, si la législation française passait d’un régime d’interdiction avec dérogations à un régime d’autorisation sous conditions, cette modification serait-elle contraire à la Convention d’Oviedo ?

Enfin, la législation allemande vient d’évoluer et semble autoriser l’utilisation de tests génétiques dans le cadre des contrats d’assurance, à partir d’un seuil de 300 000 euros. Cela vous paraît-il compatible avec la Convention d’Oviedo ? Celle-ci laissera-t-elle aux États la possibilité de fixer des seuils financiers à partir desquels ces tests seraient autorisés ?

Mme Laurence Lwoff. Votre première question Monsieur le rapporteur, porte sur la compatibilité de la Convention avec l’approche de la Suisse, qui l’a ratifiée. Je pense que la réponse est positive.

Sur l’information de la parentèle, il y a une tension entre le devoir de protection de la vie privée (secret médical) et celui de prévenir les atteintes à la santé pour les membres de la famille. Il y a un consensus au niveau européen pour considérer que le secret médical est un pilier indispensable, non seulement à la protection de la vie privée, mais également à la qualité des soins. Si la Suisse envisage la possibilité d’aller à l’encontre du refus de la personne de communiquer des informations, cela se fait dans des conditions encadrées et en ultime recours, après avoir essayé de convaincre la personne de la nécessité de sensibiliser les membres de sa famille à l’importance de ces informations.

Le protocole dit simplement que la personne, lorsque les résultats d’un test peuvent avoir une pertinence pour la santé des membres de sa famille, doit être sensibilisée à l’importance de ces informations. Il laisse la responsabilité aux États de décider des modalités de cette communication. Mais le rapport explicatif apporte à cet égard des indications, et précise que les règles de confidentialité et de protection de la vie privée doivent être respectées.

S’agissant de la Suisse, je renvoie à l’article 26 de la Convention qui prévoit que « l’exercice des droits et les dispositions de protection ne peuvent faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires à la sûreté publique, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé publique ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » Je pense que le dispositif suisse, assorti de garanties, notamment procédurales, s’inscrit dans le cadre de ces exceptions, soumises à des critères de nécessité, légitimité et proportionnalité. Il est en effet requis que l’information soit de grande importance, que des moyens thérapeutiques ou de prévention existent, et que soit respectée une procédure bien définie. Car cette décision n’est pas laissée au simple jugement du médecin prescripteur ; en cela, elle est protectrice pour lui, chose également importante. Après les tentatives pour convaincre la personne de l’importance de ces informations et de la nécessité d’informer les membres de la famille, elle prévoit en cas de refus la possibilité pour le médecin de saisir l’autorité compétente – en l’occurrence cantonale – pour demander à être délié du secret médical. Elle prévoit également que cette autorité peut consulter la commission d’analyse génétique, pour « peser » les bénéfices et les risques – les bénéfices pour les membres de la famille, d’un côté, et de l’autre les atteintes à la vie privée dues à la communication des informations, refusée par la personne.

En outre il s’agit d’un processus d’extrême recours. À ce jour, depuis le vote de la loi suisse en 2004, entrée en vigueur en 2007, aucune demande n’a été formulée auprès de la commission de génétique.

Je précise enfin que ce dispositif de la loi suisse n’a pas été envisagé spécifiquement pour les tests génétiques. En fait, il s’inscrit dans le cadre de l’article du code pénal suisse sur le secret médical, qui prévoit des sanctions en cas de levée du secret sans autorisation, mais qui prévoit également que le secret médical peut-être levé « avec le consentement de l’intéressé ou si, sur la proposition du détenteur du secret » c’est-à-dire le médecin, « l’autorité supérieure ou l’autorité de surveillance l’a autorisé par écrit ».

La question de l’accès aux origines n’a pas fait l’objet de travaux intergouvernementaux au niveau du Conseil de l’Europe. Elle se pose cependant régulièrement : l’anonymat du don de gamètes, l’adoption, la gestation pour autrui.

Il est intéressant de constater qu’il peut y avoir dissociation, y compris dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que vous avez évoquée, entre la question de la filiation et celle de l’accès aux origines ; la Cour a reconnu à un plaignant le droit de connaître ses origines simplement pour son bien-être psychologique, sans qu’il en résulte aucune incidence sur la filiation.

Cette question s’est posée dans le cadre des travaux menés au Conseil de l’Europe dans le cadre de l’élaboration du Protocole sur les tests génétiques à des fins médicales. Il est en effet apparu que les résultats des tests génétiques effectués à des fins médicales pouvaient apporter des informations inattendues sur la filiation. Que doit faire le médecin dans un tel cas ? Considérant que la question ne relevait pas de sa compétence propre, le Comité directeur pour la bioéthique l’a posée au Comité d’experts sur le droit de la famille, qui prévoit de l’aborder plus généralement dans le cadre de l’accès aux origines. Je ne peux donc me prononcer aujourd’hui sur les résultats d’une réflexion qui n’a pas encore eu lieu au niveau intergouvernemental.

Les tests pangénomiques sont un outil puissant qui aura une grande utilité dans un contexte médical. Néanmoins, la question de la validité et de l’utilité clinique de ces tests est d’autant plus importante qu’ils permettront de balayer un ensemble extrêmement large de caractéristiques génétiques.

S’agissant des tests prénataux, les questions de leur validité et de leur utilité cliniques se posent en des termes encore plus aigus. Les tests génétiques peuvent faire partie d’un ensemble d’outils performants en cas d’indications dans le cadre d’une surveillance prénatale, par exemple des indications échographiques. Néanmoins, leur systématisation, avec les implications que vous avez évoquées, notamment quand il n’y a pas moyen d’agir et s’il s’agit éventuellement de maladies multifactorielles où la part de l’incidence génétique est faible et souvent mal connue aujourd’hui, est très problématique.

Sur le dépistage néonatal, l’utilité clinique me paraît rester un « critère essentiel », comme le dit le protocole, pour décider si l’on doit ou non proposer un test génétique. On peut vraiment se poser la question de la légitimité de ce type de test, notamment dans le cas de tests concernant des maladies à développement tardif, surtout si l’on ne peut pas agir préventivement.

Monsieur Vialatte, la Convention ne prend pas position sur la légitimité ou non de la recherche sur l’embryon ; son article 18 énonce simplement que « lorsque la recherche sur les embryons est admise par la loi, celle-ci assure une protection adéquate de l’embryon. » Le changement de régime que vous évoquez – notamment sur les embryons surnuméraires, puisque je pense que c’est de cela qu’il s’agit – ne présenterait donc pas d’incompatibilité avec cet article dès lors que la loi établirait un encadrement approprié de ces recherches.

Le Conseil de l’Europe a entamé une réflexion sur l’utilisation des données génétiques dans le domaine de l’assurance.

L’article 12 de la Convention interdit les tests génétiques prédictifs à des fins autres que « médicales ou de recherche médicale ». De ce fait, il interdit le recours à des tests génétiques prédictifs à des fins d’assurance. Quid cependant des informations déjà existantes, notamment dans le dossier médical, obtenues à des fins médicales, mais connues de la personne qui veut souscrire une assurance ? L’article 12 ne le dit pas. Nous nous penchons actuellement sur ce type de questions.

Nous avons élargi le champ de la réflexion au domaine de la prédictivité au sens large. En effet, dans ses premières réunions, le groupe de spécialistes qui travaille sur ces questions a constaté que la notion de prédictivité n’était pas spécifique aux tests génétiques, et que d’autres examens médicaux apportaient des informations de nature prédictive, comme par exemple les technique d’imagerie qui peuvent révéler des signes cliniques sans symptômes.

Cette réflexion sera, bien sûr, guidée par les principes de protection de la vie privée et de non-discrimination. Elle se fera également en fonction des risques couverts par les assurances, notamment ceux liés à des besoins considérés comme essentiels, comme l’accès aux soins de santé, mais également le risque dépendance, qui ne revêt un caractère important en raison de l’augmentation de l’espérance de vie. D’une façon générale, ce qui va guider la réflexion, c’est le droit de ne pas savoir, qui doit être protégé.

Des seuils sont prévus par la loi allemande, mais également la loi suisse – qui interdit bien le recours aux tests génétiques dans ce cadre – et la loi britannique, non pas pour autoriser la réalisation de tests génétiques à des fins d’assurance, mais pour donner accès à des informations qui résultent de tests génétiques. Ce qui est prévu au-delà du seuil pour des assurances vie ou des assurances incapacité complémentaires de celles couvertes par la protection sociale, c’est l’accès à des données existantes de nature prédictive.

Je n’ai pas d’éléments précis à vous donner sur ces seuils, mais le rapport explicatif qui accompagne la loi suisse précise que le seuil a été défini sur la base de la moyenne des montants des assurances vie souscrites, de façon à limiter le nombre de personnes potentiellement concernées par cette communication d’information. Environ 70 % des assurances vie souscrites sont en dessous de ce seuil ; une majorité de personnes n’a donc pas à fournir ces informations. Les sommes sont à peu près similaires pour la loi allemande ; on peut donc imaginer que les mêmes critères ont prévalu pour définir ces seuils.

D’une façon générale, on peut penser que les compagnies d’assurance ne vont pas, en dessous d’un certain seuil, entreprendre des investigations génétiques, qui représentent un coût.

M. Jean-Sébastien Vialatte, vice-président. Certains États autorisent-ils dans leur droit du travail l’utilisation des données génétiques dans le cadre de recrutements, si des postes sont particulièrement exposés à des maladies professionnelles susceptibles d’avoir un lien avec une mutation génétique ?

Mme Laurence Lwoff. Le rapport explicatif de la Convention précise que sont interdits les tests génétiques prédictifs à des fins autres que médicales ou de recherche médicale. Cependant, dans certaines circonstances, lorsque les conditions de travail pourraient avoir des conséquences préjudiciables pour la santé de la personne en raison de prédisposition génétique, on peut considérer que des tests peuvent être utilisés dans l’intérêt de la santé de la personne elle-même.

Les lois qui prévoient ces exceptions s’inscrivent dans le cadre de la médecine du travail et visent des situations précises, notamment quand l’employeur a développé toutes les stratégies possibles pour protéger les personnes contre les risques d’une exposition à des facteurs aggravants pour leur santé.

Dans certains secteurs professionnels, comme l’industrie chimique, il peut en effet se révéler impossible de protéger pleinement les personnes. C’est pourquoi l’autorisation de ces tests peut être envisagée, non pas pour exclure une personne d’un recrutement, mais pour adapter le poste à une sensibilité particulière mise en évidence grâce aux tests. Encore une fois, ce sont des circonstances encadrées.

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Comme pour les assurances, c’est la double peine. Une jeune femme porteuse du BRCA1 sera exclue de l’acquisition d’une maison, car la probabilité de développement d’un cancer du sein sera mise en évidence.

Mme Laurence Lwoff. S’agissant d’une exposition à certains éléments dans le cadre de l’emploi, je ne pense pas que le BRCA1 soit un facteur aggravant.

M. Jean Leonetti, rapporteur. La pratique des tests ADN sur les enfants dans le cadre du regroupement familial est-elle compatible avec la Convention d’Oviedo ?

Mme Laurence Lwoff. Cette question est-elle encore d’actualité ? (Sourires) Je ne peux vous apporter des éléments de réponse pertinents en la matière, cette question n’ayant pas été discutée car elle n’est pas considérée comme relevant du champ de la Convention.

M. Paul Jeanneteau. Vous avez dit que les recherches de filiation aboutissent parfois à des surprises… Elles concerneraient 7 % des enfants – au premier enfant, et bien plus au troisième… C’est la preuve que la filiation n’est pas forcément une question de tests ADN !

Mme Laurence Lwoff. Je reviens sur la ratification de la Convention.

Un des textes qui ont le plus influencé l’élaboration de la Convention a été la loi bioéthique française. Je pense que rien ne s’oppose à la ratification de la Convention par la France dans l’état actuel de sa législation, à une exception près : le don de tissus régénératifs. Vous aviez voté une disposition restrictive en la matière, qui a d’ailleurs inspiré celle de la Convention, mais ensuite vous avez étendu la possibilité de dons, notamment de tissus régénérables, à un cercle familial plus élargi. C’est le seul point, me semble-t-il, qui peut faire l’objet d’une réserve – laquelle peut accompagner une ratification.

Une modification de la législation sur les cellules souches embryonnaires ne serait pas incompatible avec la Convention d’Oviedo : son article 18 indique que si la recherche sur les embryons est admise par la loi, cette dernière assure une protection adéquate de l’embryon. La Convention ne prend pas position sur la légitimité de la recherche ni ne définit un régime particulier ni ne : elle laisse aux États cette possibilité.

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Une harmonisation des législations européennes est-elle à l’œuvre ? Ou faut-il distinguer deux types de législations divergentes : celle des pays anglo-saxons, plus permissifs en matière de recherche sur l’embryon, et celle des pays méditerranéens qui le seraient moins ?

Mme Laurence Lwoff. Il y a à la fois, selon les domaines considérés, des divergences et une harmonisation.

Prenons comme exemple les tests génétiques en accès direct. Pour les Anglo-saxons, on ne peut pas, au nom du principe d’autonomie, interdire aux personnes d’accéder si elles le souhaitent à des informations concernant leur santé. Pour d’autres pays, au contraire, un accès direct n’est pas apte à garantir une information appropriées : ce même principe d’autonomie est invoqué pour considérer qu’il ne peut être respecté et permettre que la décision soit éclairée.

Néanmoins, on constate des préoccupations communes sur les tests en accès direct, notamment en matière de qualité et d’accompagnement. La commission britannique de génétique humaine vient d’ailleurs de rédiger avec notamment les industriels du secteur une série de principes, destinée à devenir un engagement de la part des pourvoyeurs de ces services proposés sur Internet, afin qu’un minimum de garanties soient assurées en matière de qualité et de sécurité.

D’une façon générale, les pays sont soucieux d’encadrer ce type de tests dont le développement peut porter atteinte aux droits et libertés fondamentales.

M. Jean-Sébastien Vialatte, président. Il nous reste à vous remercier, madame, pour cet éclairage très intéressant.

Mme Laurence Lwoff. Merci de m’avoir accueillie.

Audition de M. Hervé CHNEIWEISS, directeur de l’unité de plasticité gliale à l’INSERM


(Procès-verbal de la séance du 15 septembre 2009 )

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. Alain Claeys, président de la mission d’information. Nous débutons aujourd’hui notre dernier cycle d’auditions qui portera d’une part sur les conditions de brevetabilité des éléments et produits du corps humain, d’autre part, sur les enjeux éthiques des sciences émergentes que sont les nanotechnologies et les neurosciences.

Nous avons le plaisir d’accueillir M. Hervé Chneiweiss, docteur en médecine, directeur de l’unité de plasticité gliale à l’INSERM et qui, de longue date, réfléchit aux enjeux éthiques des neurosciences. Dès 2003, vous écriviez, avec Jean-Yves Nau, Bioéthique : Avis de tempêtes puis en 2006 Neurosciences et neuroéthique : des cerveaux libres et heureux. Pour cette première audition consacrée aux neurosciences, nous souhaiterions que vous fassiez le point sur l’état actuel des recherches et sur les problèmes éthiques qui en résultent. Nous aimerions également connaître votre avis sur les régulations souhaitables. Les principes généraux de bioéthique, tels qu’énoncés dans le code civil, vous paraissent-ils suffisants pour encadrer les possibilités ouvertes par les neurosciences ou faudrait-il prévoir des dispositions spécifiques ?

M. Hervé Chneiweiss. Je vous remercie de votre invitation. Comme vous le savez, les questions de bioéthique me tiennent particulièrement à cœur, notamment depuis que j’ai travaillé à la révision des lois de 1994, alors que j’étais de 2000 à 2002 conseiller du ministre de la recherche de l’époque, Roger-Gérard Schwartzenberg.

Les neurosciences sont certes une discipline émergente mais déjà au 3ème siècle avant J-C, Straton de Lampsaque commençait de décrire l’anatomie du cerveau, où il situait le siège de la pensée, qu’Aristote plaçait, lui, plutôt dans le cœur. Au 19ème siècle, grâce au développement de la méthode anatomo-pathologique, avec d’éminents médecins français comme Cabanis, Bichat, Broca…, la neurologie et la psychiatrie ont été parmi les premières disciplines médicales véritablement scientifiques.

Avant d’en venir aux questions éthiques qu’elles peuvent soulever, il faut avoir conscience de l’enjeu considérable de santé publique que représentent les neurosciences. L’ensemble des pathologies psychiatriques – autisme, schizophrénie, dépression…–, et neurologiques, des plus simples comme la migraine ou l’épilepsie jusqu’aux plus sévères comme les accidents vasculaires cérébraux, qui représentent la deuxième cause de mortalité, la maladie de Parkinson, la maladie d’Alzheimer ou la sclérose en plaques, représentent près d’un tiers des dépenses de santé. Il est donc essentiel de comprendre le fonctionnement du cerveau humain, non seulement sur un plan théorique, mais aussi dans l’espoir de traiter des pathologies pour lesquelles les traitements font aujourd’hui cruellement défaut. La recherche en neurosciences, tant fondamentale que clinique, est donc capitale.

Mais avec les neurosciences, on touche à la question de l’identité de l’individu. En effet, qu’est-ce qui définit le mieux l’individu, si ce n’est le fonctionnement de son cerveau ? Qu’y a-t-il donc à craindre de leur développement ?

On peut d’ores et déjà modifier certaines fonctions végétatives de notre système nerveux central comme l’appétit, le sommeil ou la sexualité, mais aussi des fonctions cognitives comme l’humeur ou la mémoire, par le biais de molécules chimiques ou d’autres procédés plus invasifs comme les implants cérébraux, appelés à se développer. Ces possibilités nouvelles doivent faire l’objet d’une réflexion approfondie en ce qui concerne le respect de la vie privée, la protection des données individuelles, le respect des choix de la personne, notamment quand elle perd ses facultés intellectuelles ou devient incapable du fait d’une maladie psychiatrique et qu’une pression de la société peut s’exercer sur elle. Une réflexion est d’autant plus nécessaire que ces interventions sur le cerveau se produisent aujourd’hui dans un contexte médical, mais aussi extra-médical, entre lesquels il est parfois bien difficile de faire la distinction. De surcroît, se développe un mouvement en faveur du « dopage intellectuel », dont je veux pour preuve un récent article de la prestigieuse revue scientifique Nature, émanant de médecins et de philosophes, qui recommande « l’usage responsable des molécules visant à améliorer les performances cognitives. »

Certains mécanismes de fonctionnement du cerveau, récemment découverts, peuvent remettre en question d’anciennes conceptions. Ainsi en va-t-il de notre définition de la mort comme arrêt de l’activité cérébrale, jusqu’à présent attesté par deux électro-encéphalogrammes réalisés à quatre heures d’intervalle et tous deux plats. Jusqu’il y a peu, on considérait que le coma profond marquait une absence totale de possibilité de communication avec l’extérieur et l’extinction des fonctions cognitives de la personne. Or, des techniques d’imagerie cérébrale ont montré, certes dans un très petit nombre de cas, qu’il existait, sous l’effet de certaines stimulations, des réponses cérébrales chez des patients comateux profonds. Les équipes des Dr Naccache et Dehaene à la Salpêtrière ont développé de nouveaux tests pour détecter des capacités cognitives préservées chez des patients dans le coma. Cela peut amener à revoir certains des éléments aujourd’hui pris en compte pour décider d’un arrêt de soins. Pour autant, il ne faut pas donner de faux espoirs à des familles : l’existence de réponses cérébrales ne présume pas d’un cerveau fonctionnel dans son entier ni d’un retour possible à une capacité de conscience.

De la conscience, on en vient au champ de l’action. Les implants cérébraux se sont beaucoup développés depuis une vingtaine d’années. Aujourd’hui, des milliers de parkinsoniens, ne répondant plus aux thérapeutiques classiques, ont pu retrouver une certaine autonomie grâce à une stimulation à très haute fréquence délivrée par des électrodes directement implantées dans leur cerveau. Là encore, il s’agit d’une découverte effectuée par des équipes françaises, notamment celles de MM. Gross et Bioulac à Bordeaux, et MM. Benabid et Pollak à Grenoble. Ces implants soulèvent davantage de problèmes lorsqu’ils sont utilisés pour traiter certaines maladies psychiatriques comme les troubles obsessionnels compulsifs – une dizaine de malades en ont reçu un, avec succès d’ailleurs. Mais, on le pressent, le développement de ces techniques doit être très encadré. Car si dans le cas de la maladie de Parkinson, c’est le patient lui-même qui maîtrise le stimulateur, le mettant en marche ou l’arrêtant à son initiative, comme un déficient auditif peut le faire pour son implant cochléaire, la manipulation des circuits dopaminergiques peut faire craindre des dérives, surtout depuis que l’équipe d’Angela Sirigu à Lyon a démontré que nous ne percevions que ce qui avait d’abord fait l’objet d’une intention de notre part. Lorsqu’on stimule une région motrice, la main du patient bouge mais lorsqu’on lui pose la question, ce qui est possible car il est éveillé, il ne la sent pas bouger. En revanche, si on stimule la zone plus postérieure de perception et d’intention du mouvement, le patient dit avoir bougé la main alors même que celle-ci est restée immobile. Des expériences complémentaires ont confirmé que nous ne percevions un mouvement ou un acte que si auparavant nous avions eu l’intention de le faire. D’où la prudence qui s’impose avec ces implants cérébraux puisqu’une personne pourrait être amenée à faire quelque chose à son insu. La question se pose ainsi de laisser la libre disposition de l’usage d’une neuroprothèse à des personnes aux fonctions cognitives altérées. Ne serait-il pas préférable qu’un médecin en contrôle l’utilisation ou qu’un dispositif automatisé puisse ajuster la stimulation de meilleure façon que la personne elle-même ? Il s’agit certes encore de prospective mais il nous faut déjà y réfléchir.

De la thérapie, on en vient vite à l’amélioration des performances. Ce n’est pas un mythe, mais bel et bien une réalité, dont il convient d’évaluer le coût social. Chacun a entendu parler de la neuroéconomie. Au-delà des techniques d’imagerie cérébrale fonctionnelle qui permettraient de mieux comprendre les mécanismes de prise de décision, il existe des molécules comme l’ocytocine ou le Modafinil qui peuvent modifier non seulement les capacités d’éveil, mais aussi la réactivité et les comportements. Secret de Polichinelle, il n’y a pas de salle de marché aujourd’hui dans le monde où la plupart des acteurs ne prennent un psychostimulant, en particulier de Modafinil. Comment les traders pourraient-ils être éveillés et réactifs de l’ouverture de la Bourse de Tokyo à la fermeture de celle de New York ? On peut d’ailleurs se demander si l’hyperréactivité des marchés financiers et certaines de leurs fluctuations erratiques ne sont pas alimentées par les comportements collectifs que facilite la prise généralisée de certaines molécules.

Il faut aussi évoquer ici le problème des quatre millions d’enfants de moins de 12 ans traités aux États-Unis par méthylphénidate, la Ritaline, afin de les rendre plus calmes, notamment à l’école, sans que leurs performances scolaires n’en soient d’ailleurs pour autant améliorées par rapport à celles des enfants non traités – toutes les études l’ont démontré.

Les discriminations potentielles sont un autre aspect du coût social de l’amélioration des performances. Faudra-t-il créer une Agence nationale de l’amélioration des fonctions cognitives pour garantir que nul ne soit discriminé, évaluer les procédés, leur efficacité réelle, leur accessibilité ? Que fera-t-on quand on aura découvert des molécules améliorant réellement la mémoire ? Nul doute qu’on les utilisera au début pour les malades atteints de la maladie d’Alzheimer et d’autres troubles, avérés, de la mémoire, mais comment l’utilisation en sera-t-elle ensuite encadrée ? Certains ne seront-ils pas tentés d’en user comme dopants ?

L’information en ce domaine sera essentielle car s’il est bien un domaine où plus ne signifie pas mieux, c’est en matière cognitive. Plus de mémoire par exemple ne confère pas plus de capacité d’action. Souvenons-nous de la nouvelle de Jose Luis Borges, Funes ou la mémoire, ou bien encore du cas Shereshevkii traité par le célèbre neurologue russe Luria, deux exemples d’un sujet hypermnésique qui retient tout mais est incapable d’en extraire l’information pertinente. Très malheureuses et déprimées, ces personnes ne peuvent mettre à profit l’augmentation de capacité de leur mémoire. Dans notre cerveau, ce qui compte, ce n’est pas la quantité d’informations, mais la possibilité de les exploiter.

Un mot de l’imagerie cérébrale, dont certains aimeraient qu’elle puisse avoir valeur prédictive. À la fin du 18ème siècle, Franz Joseph Gall comparait le cerveau à un muscle et pensait que si on exerçait davantage une fonction cérébrale, la zone afférente, telle un muscle, se développerait davantage. L’imagerie cérébrale récente a certes montré que chez des virtuoses du violon, la zone cérébrale dédiée à la main gauche était plus développée. Ce qui était absurde était de penser que le cerveau déformait le crâne, et que de la forme de celui-ci, on pouvait déduire l’instinct criminel ou l’instinct maternel…

Après la bosse du crime issue de la phrénologie, après l’espoir placé dans la génétique de trouver un chromosome du crime, aurons-nous demain une image cérébrale du crime ? Aujourd’hui, certains tribunaux américains aimeraient bien pouvoir recourir à l’imagerie cérébrale pour diagnostiquer ou prédire la dangerosité d’un individu. Or, tout au plus parviendra-t-elle à montrer que la personne ne ment pas aux juges ou ne se ment pas, mais en aucun cas elle ne permettra d’établir la vérité. La personne ne dira jamais que « sa » vérité, de laquelle ne peut être inférée « la » vérité. Il n’existe pas de schéma neurophysiologique du vrai.

Les neurosciences soulèvent les mêmes questions que la génétique quant à la définition de l’individu et la nécessité d’en rester à des préoccupations thérapeutiques. Les progrès qu’elles ont permis doivent être mis au service de la restauration des fonctions perdues et de l’accroissement des libertés individuelles, en aucun cas favoriser l’assujettissement à une norme sociale.

M. Jean Leonetti, rapporteur de la mission d’information. La réalité n’est peut-être plus si loin de ce qui était hier encore de la science-fiction… Dès lors qu’on peut modifier le fonctionnement du cerveau, par des substances chimiques ou des stimulations électriques, on peut rêver que le paralytique marche de nouveau mais aussi craindre que la recherche d’une fausse performance ne fausse le libre arbitre et ne dénature la responsabilité de l’individu. Qu’en est-il exactement ? Ces espoirs ou ces craintes relèvent-ils encore du fantasme ou sont-ils une réalité plausible ? Demain, réalisera-t-on en justice des IRM pour savoir si un prévenu ment, ou du moins masque sa vérité ? Pourra-t-on répondre par la pharmacologie à la demande de toutes les personnes vieillissantes qui se plaignent de troubles de la mémoire, sans même parler de la maladie d’Alzheimer ? Enfin, en viendra-t-on à stimuler certaines zones cérébrales dans un but d’amélioration de la réactivité, de la mémoire, et pourquoi pas de la sexualité, le principal organe sexuel de l’être humain étant son cerveau ? Si tout cela peut être modifié, l’émotion pourra sans doute l’être aussi, et avec elle l’ensemble des relations entre individus. Or, si une non-émotivité peut se révéler utile dans certaines situations de stress, elle peut être dangereuse dans d’autres. Devons-nous dès à présent prévoir un arsenal législatif pour contrôler le développement des neurosciences ou ces applications relèvent-elles encore pour l’instant de la science-fiction ?

M. Hervé Chneiweiss. Fantasme ou réalité ? En un mot, ne joue-t-on pas à se faire peur ? Jusqu’à une période récente et même encore aujourd’hui très largement en France et en Europe, on joue à se faire peur, néanmoins à partir d’éléments réels. Tous les soldats de toutes les armées du monde, y compris l’armée française, prennent du Modafinil pour rester éveillés lors de certaines opérations. Il existe des programmes de recherche pour essayer de transmettre directement à leur cortex visuel des images du terrain. Déjà, grâce à des électrodes implantées dans leur cortex visuel, des aveugles peuvent s’orienter dans l’espace, de manière certes encore très rudimentaire, mais suffisamment pour pouvoir se déplacer de manière autonome. Les points de stimulation sont aujourd’hui au nombre d’une cinquantaine, mais le développement des nanotechnologies devrait permettre une rapide montée en puissance.

On peut de manière réaliste attendre des progrès fantastiques. Je suis convaincu, sans savoir à quel horizon, que des paraplégiques pourront marcher de nouveau, d’autant que les techniques des neurosciences se conjugueront avec l’utilisation des cellules souches qui, à elles seules, ne suffisent pas à restaurer la fonction perdue, car il faut aussi que les circuits neuronaux se reconstituent. Alors que l’organisme produit aujourd’hui des molécules qui forment une barrière à cette restauration, des résultats très prometteurs ont été obtenus avec des anticorps monoclonaux « humanisés » qui auraient la propriété de bloquer ces molécules-barrières. Combinés à des progéniteurs neuraux, ils permettraient des résultats spectaculaires.

Le débat aujourd’hui est plutôt de savoir comment limiter l’utilisation de ces techniques à la thérapeutique, et en prévenir d’autres usages, récréatifs ou déviants. Le Modafinil par exemple a été mis au point pour traiter une maladie génétique rare, particulièrement invalidante, la narcolepsie – les patients porteurs de la mutation génétique en cause sont sujets à des endormissements brutaux n’importe où et n’importe quand, ce qui peut être dangereux pour eux et les handicape lourdement sur le plan social. S’il est tout à fait légitime de leur prescrire du Modafinil, l’est-ce encore pour permettre à un navigateur en solitaire de ne pas s’endormir dans la tempête, à un militaire en opération de rester éveillé plus de 24 heures ou à des traders d’être plus performants ?

M. Jean Leonetti, rapporteur. Le Modafinil est-il prescrit ?

M. Hervé Chneiweiss. Absolument. Des médecins seraient même, dans certains pays d’Amérique latine, spécialisés dans la prescription de Modafinil et de Ritaline. La Ritaline, prescrite aux enfants américains présentant un syndrome d’hyper-activité associé à un déficit attentionnel – qui n’a pu être relié à aucune lésion cérébrale ni aucun dysfonctionnement, en particulier des circuits dopaminergiques – les rend plus calmes mais n’améliore pas en moyenne leurs performances scolaires. Mais il faut savoir qu’aux États-Unis, le diagnostic d’hyper-activité chez un enfant ouvre droit à une protection sociale, donne accès à des écoles spécialisées ainsi qu’à une aide scolaire et para-scolaire, tous bénéfices sociaux qui, bien sûr, ne sont pas neutres dans les prescriptions.

M. le président Alain Claeys. Peut-on encadrer efficacement la prescription de telles substances ?

M. Hervé Chneiweiss. Oui, par le biais de l’AMM qui leur est délivrée. Cela dit, comme il est devenu très facile de se procurer n’importe quoi sur Internet, l’encadrement est plus difficile. Pour autant, on ne peut pas fermer les yeux par exemple sur cet usage de la Ritaline qui ne relève pas de la science-fiction, du moins aux États-Unis. Quelle garantie avons-nous que l’on n’y viendra pas un jour en France ? Cette substance, qui est en fait une amphétamine, est devenue aux États-Unis l’une des drogues les plus faciles à se procurer parce qu’elle est bon marché. Alors qu’elle a un effet calmant sur le cerveau des enfants, elle a un effet dopant à l’âge adulte, tout comme le GABA, neurotransmetteur inhibiteur à l’âge adulte, est au contraire excitateur au cours du développement embryonnaire

M. Paul Jeanneteau. Je fais toujours confiance aux chercheurs et aux médecins, mais il semble qu’il leur soit vraiment possible aujourd’hui de jouer aux apprentis sorciers dès lors qu’on peut intervenir sur le cerveau, organe porteur de l’humanité de l’homme. Sur quoi toutes ces portes pourront-elles bien ouvrir ?

M. Hervé Chneiweiss. Les scientifiques sont là précisément pour ouvrir des portes, par exemple pour montrer que l’essentiel du fonctionnement de notre cerveau demeure inconscient et que ne parvient à notre champ de conscience qu’une infime fraction de toute notre activité cérébrale – heureusement pour nous d’ailleurs ! Lorsque vous écoutez un conférencier, c’est à cela que vous prêtez attention par intention, et vous ne pensez pas à tout ce que votre corps doit faire en même temps pour respirer, rester assis, éveillé… Que le fonctionnement du cerveau soit aujourd’hui mieux compris est capital pour tous les malades atteints de graves maladies neurologiques ou psychiatriques. Pensons aux dizaines de milliers de parkinsoniens qui ont vu leur vie transformée grâce à un implant. Heureusement que des espoirs existent aussi pour les victimes de la maladie d’Alzheimer, de la sclérose en plaques, de la dépression… La vraie question, qui relève du politique, est celle de la norme sociale. Laisse-t-on libre cours au libéralisme le plus total, chacun étant libre de faire ce qu’il veut de son corps, y compris de son cerveau, dès lors qu’il y consent, ou cherche-t-on à lutter contre les discriminations et souhaite-t-on que les performances, de quelque nature qu’elles soient, demeurent liées à l’effort personnel et non à la prise d’une substance médicamenteuse ?

M. le président Alain Claeys. Aux États-Unis, l’imagerie cérébrale est-elle déjà utilisée par les compagnies d’assurance, les employeurs ou la justice ?

M. Hervé Chneiweiss. Sur le plan judiciaire, elle commence d’être utilisée, pour le pire et pour le meilleur. Dans certains États, l’âge à partir duquel un détenu peut être condamné à mort a été repoussé sur la base d’images cérébrales montrant l’immaturité du cerveau. La Cour suprême a accepté leur requête de retarder l’âge d’application de la peine capitale à 20 ans au motif que le cerveau continuait d’évoluer jusqu’à cet âge-là. L’imagerie cérébrale est aussi utilisée dans certains tribunaux pour rechercher des images du « vrai » – je ne reviens pas sur le fantasme de découvrir ainsi LA vérité ! L’imagerie cérébrale est aussi utilisée par des firmes pour tester par exemple l’efficacité émotionnelle d’une campagne publicitaire. Des techniques sont également utilisées, mais c’est aussi le cas en France, pour prévenir l’apparition d’un stress post-traumatique. On propose ainsi aux victimes de graves accidents de voiture un traitement par bêtabloquants immédiatement après le traumatisme. D’autres usages paramédicaux devraient se développer.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Estimez-vous nécessaire de rappeler de manière générale dans les lois de bioéthique que l’imagerie médicale, comme le recours à d’autres techniques ou substances, ne doit servir qu’à des fins médicales, dans l’intérêt du patient, bref pour corriger des anomalies, en aucun cas pour améliorer les performances ? Ou peut-être serons-nous un jour contraints de décliner ce principe général en indiquant expressément qu’il est interdit d’implanter des électrodes dans des zones cérébrales où elles peuvent induire une modification des émotions, des pensées ou de la volonté…

M. Hervé Chneiweiss. Les lois de bioéthique gagneraient beaucoup à revenir à des questions de principe, en laissant aux agences le soin du détail. Il faudrait appliquer aux neurosciences et à leur usage la plupart des principes établis à partir des réflexions sur la génétique et protéger les caractéristiques neurales de l’individu autant que ses caractéristiques génétiques, sur lesquelles on s’est peut-être trop focalisé jusqu’à présent. Beaucoup trop d’actes sont aujourd’hui pratiqués dans d’autres buts que le strict intérêt du patient. Il faut réserver toutes ces techniques à des fins thérapeutiques et en restreindre tout usage qui pourrait résulter d’une coercition sociale, fût-elle consentie.

M. Paul Jeanneteau. En sport, on s’est accordé sur l’interdiction du dopage. C’est le signe que l’on a considéré que la performance devait correspondre à l’effort physique, et non résulter de la prise de substances l’améliorant artificiellement.

M. Hervé Chneiweiss. Un responsable militaire expliquera qu’il est dangereux qu’un soldat puisse s’endormir, ou voie sa vigilance diminuer, sur un théâtre d’opérations et qu’il est donc pertinent de lui prescrire du Modafinil. Les organisateurs du Vendée Globe feront valoir qu’on ne peut pas mettre en danger les navigateurs en solitaire. Et à Bercy, on dira certainement que la place de Paris ne peut pas prendre le risque d’être moins performante que ses concurrentes de Londres ou Francfort.

Le véritable problème n’est pas celui de quelques individus qui participent à ces « jeux du cirque », rémunérés en conséquence, mais de la mise en place d’une société, comme le prédisent les transhumanistes, où certains auraient accès à des outils d’amélioration de leurs performances, et d’autres non, avec tous les risques de discrimination que cela comporte. Il faudra bien entendu suivre cela de près, en évaluer l’efficacité, notamment pour savoir de quel prix se paient certaines performances. Le coût pour la société des dépressions nerveuses qui suivent souvent la prise de ces substances « dopantes » n’est-il pas plus élevé que le gain obtenu dans l’immédiat ? Seule la puissance publique peut réaliser cette évaluation, et elle doit le faire car il est vain de croire que le marché pourrait s’autoréguler !

M. le président Alain Claeys. Où en est-on dans l’utilisation thérapeutique de cellules souches au niveau du cerveau ?

M. Hervé Chneiweiss. Chez l’homme, aucun résultat thérapeutique concret n’a encore été obtenu qui ait pu faire l’objet d’une publication scientifique sérieuse. Hélas, des dérives ont déjà eu lieu. Un enfant, auquel on avait greffé en Russie des cellules souches dans le cerveau, a dû être soigné en Israël pour le développement consécutif d’une tumeur. Même s’il n’existe pas de thérapie du système nerveux à l’efficacité aujourd’hui avérée à partir de cellules souches, au Brésil, en Inde ou en Russie, des cellules souches et des cellules hématopoïétiques dites CD34 positives, contenant des cellules souches mésenchymateuses qui pourraient donner des neurones, sont greffées de façon sauvage, hors de tout encadrement scientifique.

Comme vous le savez, les cellules iPS offrent de nouvelles perspectives. Au Japon, un laboratoire spécialisé, celui du professeur Okano, produit déjà des cellules GMP devant permettre de passer rapidement à des essais cliniques et plusieurs millions de dollars ont été investis dans ce domaine, qui fait également partie des programmes prioritaires retenus aux États-Unis par le président Obama ; celui-ci a affecté 10 milliards de dollars supplémentaires en 2009 aux NIH avec une priorité demandée à la recherche sur l’ensemble des cellules souches. Si des avancées nettes ont eu lieu au Japon, les États-Unis connaissent actuellement plus de difficultés, le centre de recherches sur les cellules souches de Californie notamment ayant momentanément dû interrompre ses travaux faute de moyens financiers. Pour le reste, sur le plan éthique, les cellules iPS posent exactement les mêmes problèmes que les cellules souches embryonnaires. Preuve vient d’en être apportée par deux études menées chez la souris montrant que des cellules iPS peuvent parfaitement se différencier en cellules de la lignée germinale et donc redonner un individu entier, c’est-à-dire qu’il y a bel et bien une possibilité de clonage chaque fois qu’une cellule retrouve ses propriétés de pluripotence, qu’elle soit d’origine embryonnaire ou adulte.

M. le président Alain Claeys. Il me reste à vous remercier pour votre contribution à nos travaux.

Audition de M. Jean-Christophe GALLOUX, professeur du droit de la propriété intellectuelle à Paris II


(Procès-verbal de la séance du 16 septembre 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. Alain Claeys, président de la Mission d’information. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Jean-Christophe Galloux, professeur de droit de la propriété intellectuelle à l’université Paris II, pour une première audition consacrée à la brevetabilité des parties et éléments du corps humain. Les lois de bioéthique s’intéressent en particulier aux conditions de brevetabilité des procédés ayant recours à des cellules souches et des séquences génétiques humaines.

Au vu des rapports récents du Conseil d’État et de l’Agence de la biomédecine, qui n’abordent pas la question de la brevetabilité en tant que telle, il semble que cette thématique soit moins centrale dans l’actuelle révision des lois de bioéthique qu’elle ne l’était en 2004. En effet, les marges de manœuvre du législateur français ont été considérablement réduites par la transposition, en 2004, de la directive communautaire de 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques.

Plusieurs questions restent en suspens. La loi semble s’écarter en plusieurs endroits des objectifs de la directive qu’elle transpose. Est-ce également votre analyse ?

L’équilibre actuel entre la nécessité d’encourager la recherche et la libre disponibilité de ses résultats vous semble-t-il satisfaisant ?

M. Jean-Christophe Galloux. Je vous remercie de m’avoir invité à parler d’un sujet qui nous est cher et que je connais bien et depuis longtemps, puisque j’ai commencé à l’étudier en 1984.

Les questions liées à la brevetabilité ont été discutées dans notre pays lors de la double transposition, en 2004, de la directive européenne. Les dissensions qui sont apparues alors existaient déjà en 1998, lors de la parution de la directive. C’est après plusieurs rappels à l’ordre et une condamnation devant la Cour de justice que la France a transposé cette directive. Cela dit, notre pays n’est pas le plus mauvais élève de l’Europe, puisque les Italiens et les Allemands ont connu le même sort.

La saga de la directive a duré près de douze ans, de 1986 à 1998. Il faut noter que les gouvernements français qui se sont succédés au cours de cette période dans le COREPER, qui est l’organe décisionnel du Conseil, ont tous soutenu la directive. Nous avons donc été surpris des réactions suscitées lors de sa transposition – d’autant qu’à partir du moment où un texte communautaire est adopté, il s’impose aux États membres, qui engagent leur responsabilité s’ils ne la transposent pas, ou s’ils la transposent mal.

En 2004, c’est principalement l’article 5 de la directive qui a posé problème. En voici la teneur : « Le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son développement, ainsi que la simple découverte d’un de ses éléments, y compris la séquence ou la séquence partielle d’un gène, ne peuvent constituer des inventions brevetables.

« Un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d’un gène, peut constituer une invention brevetable, même si la structure de cet élément est identique à celle d’un élément naturel.

« L’application industrielle d’une séquence ou d’une séquence partielle d’un gène doit être concrètement exposée dans la demande de brevet. ».

Après le rejet de la première mouture, ce texte de compromis a été modifié par le Parlement européen – c’était la première fois que le Parlement refusait un texte, la deuxième, plus récente, concerne le projet de directive sur les brevetabilités des logiciels. Doit-on en conclure que la propriété intellectuelle est maudite au Parlement européen ? (Sourires)

M. le président Alain Claeys. J’ajoute que ces deux textes ont été rejetés par le Conseil constitutionnel !

M. Jean-Christophe Galloux. La rédaction de cet article n’a pas été adoptée par hasard. Il n’y a pas a priori de contradiction entre le premier et le deuxième paragraphe. Le premier concerne le corps humain, aux différents stades de sa constitution – c’est-à-dire le corps d’un enfant à naître, d’un embryon ou d’une personne – indépendamment de la qualification juridique de personne humaine, tandis que le deuxième paragraphe concerne un élément isolé du corps.

Il y a bien une différence, car le corps en son entier, qu’il soit ou non le support de la personne, ne peut être revendiqué comme le support d’une invention – ce qui n’aurait aucun sens au regard du droit des brevets. Quant aux éléments isolés du corps, il s’agit des cellules qui en sont prélevées, des organes, des organites intracellulaires…

Un élément « autrement produit par un procédé technique » peut être le support d’une invention. Pourquoi ? Parce que c’est déjà une chose. Je précise que pour le droit civil, un élément séparé du corps est une chose, qui relève du droit des biens. Pour le code de la santé publique comme pour le code civil, les éléments séparés du corps peuvent être considérés, s’il s’agit de deuxième ou de troisième utilisation, comme relevant du commerce juridique. Comment justifier autrement qu’un tarif puisse être défini pour le lait humain, le sang ou le sperme ? Ce qui est strictement interdit, c’est le commerce que la personne pourrait faire de ses propres éléments corporels, bien qu’il soit permis de vendre les phanères – cheveux, dents et ongles. Nous voyons bien que le corps dans son entier doit être clairement différencié d’un élément séparé du corps.

Les séquences et séquences partielles d’un gène, à partir du moment où elles sont séparées du corps, peuvent être le support d’une invention. Voilà ce qu’énonce le droit communautaire.

Lors de la transposition, certains juristes – dont je ne fais pas partie – ont considéré que les deux premiers paragraphes étaient contradictoires.

M. le président Alain Claeys. C’était mon cas !

M. Jean-Christophe Galloux. Rares sont les juristes qui soutiennent encore cette position.

M. le président Alain Claeys. Le Président de la République et le Premier ministre sont pourtant allés défendre leur position devant la Commission européenne !

M. Jean-Christophe Galloux. En effet ! Et la rédaction de l’article L. 611-18 a ainsi été modifiée en ce sens.

Le premier alinéa reprend le premier paragraphe de l’article 5 de la directive : « Le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son développement ainsi que la simple découverte d’un de ses éléments, y compris la séquence totale ou partielle d’un gène, ne peuvent constituer une invention brevetable ».

En revanche, le deuxième alinéa, qui devrait correspondre à celui de la directive, est ainsi rédigé : « Seule une invention constituant l’application technique d’une fonction d’un élément du corps humain peut être protégée par brevet. Cette protection ne couvre l’élément du corps humain que dans la mesure nécessaire à la réalisation et à l’exploitation de cette application particulière. Celle-ci doit être concrètement et réellement exposée dans la demande de brevet. ».

Cet alinéa, plus restrictif sur le champ de la brevetabilité, n’est pas conforme aux dispositions communautaires, car en droit français, l’élément séparé n’est pas brevetable, seule peut l’être l’application de cet élément ou le procédé utilisé pour l’obtenir.

En première lecture, l’Assemblée nationale avait repris le deuxième alinéa en y insérant une négation, constituant ainsi une violation flagrante du droit communautaire. C’est le Sénat, en deuxième lecture, qui a adouci le texte pour que cette violation soit un peu moins visible…

La question qui se pose est celle-ci : si ce n’est pas conforme à la directive, est-ce contraire ? Et cela a-t-il des conséquences ?

On peut tout d’abord se demander si le texte français est autorisé à être plus restrictif que le texte communautaire. Les juges communautaires du tribunal de première instance et de la Cour de justice des Communautés européennes raisonnent en tenant compte de la finalité du texte, qui est en l’occurrence l’harmonisation du droit des brevets en Europe. Force est de constater qu’à partir du moment où les pays divergent sur le point central de savoir ce qui est brevetable, cet objectif d’harmonisation n’est pas atteint.

Dans ce cas, pourquoi la Commission européenne n’a-t-elle pas réagi ? Il est évident que les autorités communautaires ne souhaitent pas raviver un conflit qui a duré plus de douze ans, et au cours duquel le Parlement européen avait rejeté la première mouture de la directive… Il est évident que ce n’est pas pour elle une priorité politique.

On pourrait penser qu’une directive ne doit pas nécessairement être interprétée de manière stricte, que les États ont une marge d’appréciation pour la transposer. Je suis très dubitatif sur ce point. Pour que nous soyons fixés, il faudrait que les juges communautaires aient à juger une question préjudicielle sur ce point.

M. le président Alain Claeys. La directive européenne a été acceptée par l’Office européen des brevets, qui représente un nombre de pays plus important que la Communauté européenne. Les brevets étant délivrés par l’Office, le débat entre la France et la Commission n’avait plus lieu d’être. M. Alain Pompidou, président de l’Office, a nommé une commission pour faire face aux problèmes des brevets « larges » qui se sont posés en Europe, aux États-Unis et au Japon, en réduisant le périmètre des brevets.

M. Jean-Christophe Galloux. En effet, l’Office européen des brevets fut créé en dehors du périmètre des Communautés européennes par une convention internationale pour délivrer des brevets valables dans les pays qui en sont membres. Il rassemble aujourd’hui trente-sept pays, dont les vingt-sept pays de l’Union auxquels s’ajoutent notamment la Suisse, la Norvège, les pays des Balkans, la Turquie… Aujourd’hui, la majorité des brevets qui sont délivrés et qui ont cours en France sont délivrés par l’Office européen des brevets.

Les dispositions prises aux niveaux français et communautaire n’affectent pas la convention internationale, mais il serait fâcheux qu’apparaissent des dissensions. Les responsables de l’Office, ne pouvant modifier la convention internationale, ont réintégré les articles que j’ai cités dans le document d’exécution qui l’accompagne, en les présentant comme explicitant la convention. De la sorte l’Office suit en pratique les règles fixées par la Communauté européenne sans pour autant être lié par celles-ci.

Les brevets qui ont cours en France ne sont généralement pas délivrés par l’Institut national de la propriété industrielle, mais au niveau de l’Office européen ; ils ne sont donc pas affectés par ces querelles de rédaction. Parmi les brevets de biotechnologie qui ont été récemment déposés, seuls une vingtaine l’ont été devant l’INPI. C’est donc au niveau européen que le problème se pose. Dans ces conditions, modifier seulement le texte français représentait une sorte de baroud d’honneur…

Cette modification aurait des conséquences si un brevet délivré par l’Office venait à être contesté en France devant une juridiction française, car celle-ci s’appuierait sur les textes communautaire, européen et français. Les deux premiers primant sur le troisième, elle interpréterait les dispositions de l’article L. 611-18 à la lumière du texte communautaire. Et si elle considérait qu’il y a contradiction entre les deux, elle aurait l’obligation légale de préférer le texte communautaire. Le problème est donc résolu.

Si vous me demandez : « faut-il aligner les dispositions françaises sur les dispositions communautaires ?»  je réponds sans hésitation : oui, car cela supprimerait toute incertitude. Si plusieurs textes existent, ils doivent être identiques. Cela dit, à ce jour, aucun contentieux n’est apparu sur cette question.

M. le président Alain Claeys. L’ambiguïté demeure. Je comprends votre raisonnement de juriste, mais la possibilité de voir apparaître des contentieux existe. Je pense que l’Office européen des brevets analyse les demandes de façon plus restrictive qu’il ne le faisait au départ, et c’est également ce qui se passe aux États-Unis.

Des lignées de cellules souches embryonnaires ont été brevetées : est-ce concevable, selon vous ? À quoi sert un brevet ? À reconnaître et à décrire une revendication à partir d’une invention. Une lignée de cellules souches embryonnaires représente-t-elle une invention, ou un élément de connaissance devant être mis à la disposition de tous ? Le brevet tel qu’il existe aujourd’hui est-il adapté au vivant et aux biotechnologies ? Ne risque-t-on pas de franchir la frontière et d’aller vers un monde où ce ne serait plus l’invention mais la connaissance qui serait brevetée ? Voilà les questions que se posent aujourd’hui les responsables publics.

Prenons un gène et une application. Vous brevetez le gène et son application – c’est ce que l’on appelle un brevet « large ». Si demain une équipe de chercheurs, à partir du même gène, trouve une application différente, le brevet qui lui sera délivré sera dépendant du vôtre. Est-ce acceptable ?

M. Jean-Christophe Galloux. Pour les spécialistes de la propriété industrielle, un brevet « large » est un brevet dont la portée des revendications est large. Il existe trois types de revendications : les brevets peuvent porter sur un produit – c’est-à-dire une chose comme un micro, une bouteille, une cellule – sur un procédé – la façon de produire la chose – et enfin sur des applications – l’aspirine est connue, mais on peut en breveter une nouvelle application, par exemple un certain dosage destiné à soigner une pathologie particulière.

Lorsque l’invention porte sur un produit, le brevet offre un monopole beaucoup plus large. Par exemple, vous découvrez et vous synthétisez l’acide acétique salicylique, à savoir l’aspirine. Tous ceux qui à l’avenir mettront cette molécule sur le marché seront contrefacteurs, quel que soit le procédé par lequel ils l’obtiendront, puisque c’est le produit qui est protégé. L’intérêt des inventions premières est que le brevet qui les accompagne permet une situation de monopole plus large.

M. le président Alain Claeys. S’agissant du décryptage du génome, les entreprises de biotechnologies avaient intérêt à déposer un brevet !

M. Jean-Christophe Galloux. Ce ne sont pas des médecins qui ont développé les biotechnologies, mais des personnes venues de l’industrie chimique. C’est pourquoi on a raisonné, à tort ou à raison, comme s’il s’agissait de produits chimiques. Les pionniers ont nécessairement un monopole plus large. Quelqu’un qui découvre un nouveau procédé peut parfaitement le breveter, mais il sera dépendant du premier brevet. Telle est la logique des brevets, depuis qu’ils existent.

M. le président Alain Claeys. Mais la description d’un gène représente de la connaissance !

M. Jean-Christophe Galloux. Il s’agit toujours de connaissance ! Le brevet est un droit de propriété intellectuelle, il porte sur un savoir-faire. L’alternative au brevet, c’est le secret, qui consiste à refuser l’accès à la connaissance. Le brevet apporte une connaissance qui donne une solution technique à un problème technique. C’est bien de l’information, au même titre que le droit d’auteur ou que toute autre forme de propriété intellectuelle !

M. le président Alain Claeys. Je ne le crois pas… Ce débat rejoint celui que nous avons eu sur les logiciels.

M. Jean-Christophe Galloux. C’est le droit de la propriété intellectuelle que vous remettez en cause, mais après tout, celle-ci n’a que deux siècles d’existence, nous pouvons peut-être vivre sans elle…

M. le président Alain Claeys. Je suis favorable au brevet, mais n’y a-t-il pas une dérive s’agissant du vivant ou du logiciel ? Lorsque l’institut Pasteur a attaqué Myriad Genetics

M. Jean-Christophe Galloux. Il n’était pas le premier à découvrir l’invention en cause, mais c’est la loi de la compétition internationale !

M. le président Alain Claeys. Je considère pour ma part que le problème qu’a posé Pasteur était un vrai problème !

M. Jean-Christophe Galloux. Je pense l’inverse. Lorsque l’Institut Pasteur a poursuivi le professeur Gallo aux États-Unis pour l’obtention du brevet relatif à la sonde nécessaire à l’identification du virus du sida, personne, en France, n’a trouvé cela scandaleux ! Soyons logiques.

M. le président Alain Claeys. Nous ne savons pas encore quelles seront les applications des cellules souches embryonnaires. Est-il normal qu’une entreprise américaine détienne un brevet sur une lignée cellulaire ?

M. Jean-Christophe Galloux. Il s’agit d’un problème de société, auquel le juriste ne saurait complètement répondre. Le même problème se pose pour le médicament qui, comme les biotechnologies, appartient au domaine de l’économie. Nous avons eu ce débat en 1959 et en 1968, mais il n’a plus lieu d’être. Jusqu’en 1959, les produits de santé n’étaient pas brevetables en France – pourtant l’industrie pharmaceutique était florissante.

M. le président Alain Claeys. Cela n’a rien à voir !

M. Jean-Christophe Galloux. Il s’agit pourtant de brevetabilité ! En 1959, nous avons mis en place le « brevet spécial de médicament ». En 1968, nous avons construit l’Europe des brevets, suite à la Convention de Strasbourg, en 1963, et décidé de breveter les médicaments. Depuis, la brevetabilité figure dans la loi française, mais également dans les conventions internationales.

M. le président Alain Claeys. Monsieur le professeur, selon vous, un gène et une cellule souche embryonnaire sont-ils brevetables ?

M. Jean-Christophe Galloux. Oui !

M. le président Alain Claeys. Notre désaccord sur ce point est majeur.

M. Jean-Christophe Galloux. Nous débattons des questions de brevetabilité depuis vingt-cinq ans, et tous les brevets pionniers en matière de biotechnologies sont tombés dans le domaine public. Qui, aujourd’hui, se plaint de la législation en matière de brevets ?

M. le président Alain Claeys. Les problèmes surviendront un jour ou l’autre.

M. Jean-Christophe Galloux. L’Office européen des brevets fait paraître plus de 3 000 brevets par an dans ce domaine depuis vingt-cinq ans, ce qui représente 75 000 brevets. Soyons réalistes, les brevets n’ont entraîné qu’un seul contentieux : l’arrêt Chiron contre l’Institut Pasteur, du 9 mars 2009, à propos de séquences génétiques – au terme duquel la Cour d’appel de Paris n’a même pas discuté de la brevetabilité.

M. le président Alain Claeys. L’Office européen des brevets a traité les brevets « larges » de façon très restrictive !

M. Jean-Christophe Galloux. Monsieur le député, vous me demandez s’il convient de breveter des gènes, des séquences et des lignées cellulaires – dans la mesure où les conditions de brevetabilité sont remplies – : je dis oui ! Si les milliers de brevets acceptés depuis plusieurs dizaines d’années étaient nuls, ou s’ils gênaient la concurrence, de nombreux contentieux seraient apparus.

M. Jean Leonetti, rapporteur de la Mission d’information. Jean-François Mattei disait que dans la biotechnologie, on peut breveter la technologie, mais pas le « bio ».

M. Jean-Christophe Galloux. Je ne comprends pas ce qu’il voulait dire. (Sourires.)

M. le président Alain Claeys. Un brevet revendique la description d’une invention. En quoi un gène ou une cellule souche correspondent-ils à cette définition ? La position que nous avions défendue, Jean-François Mattei et moi-même, mais également le Président de la République de l’époque, consistait à accepter le brevet sur la protéine – c’est-à-dire l’application – en laissant le gène dans le domaine de la connaissance. Est-ce totalement idiot ?

M. Jean-Christophe Galloux. Pas tout à fait ! (Sourires.)

M. Jean Leonetti, rapporteur. Imaginons que j’invente un processus qui permette de différencier une cellule souche, prélevée sur un embryon, pour en faire une cellule cutanée. Je n’ai pas le droit de breveter la cellule souche, mais je peux breveter le processus par lequel je suis parvenu à différencier la cellule.

M. Jean-Christophe Galloux. Ce n’est pas ainsi que fonctionne le droit des brevets. Une invention est un enseignement qui se concrétise dans une chose, un procédé ou une application susceptible d’apporter une solution technique à un problème technique. Si vous déposez devant l’Office européen une demande de brevet pour une cellule cutanée, l’examinateur va vous demander de préciser où est le problème, quelle est la solution et en quoi consiste votre enseignement. Or, ces trois éléments n’existent pas dans votre exemple.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Je ne peux donc pas obtenir de brevet !

M. Jean-Christophe Galloux. Non, car il s’agit d’une découverte et non d’une invention. Dans les années 1920, un certain Boulard a découvert un champignon et l’a appelé « Mucor Boulard ». Il n’a pu obtenir de brevet, car son champignon n’apportait pas de réponse technique à un problème technique.

Ce sont les chercheurs qui déposent des brevets et qui souhaitent élargir leur accès en matière de cellules souches, comme l’indique le dernier rapport de l’Agence de biomédecine. Le professeur Axel Khan, par exemple, a déposé des brevets sur des éléments neuronaux.

Si le professeur Gallo a pu se présenter devant l’Office américain des brevets, c’est que la souche qu’il avait réussi à purifier était intégrée dans une solution technique. Son invention, c’était cette souche identifiée et utilisable par l’industrie, prête à permettre la fabrication de kits de diagnostic – qui, vous en conviendrez, n’existent pas dans la nature. Les gènes BRCA1 et BRCA2 ont la même information génétique que celles qui préexistent dans le génôme de certaines femmes, mais ne sont pas le même objet qu’on trouve dans le kit de diagnostic de Myriad Genetics. Si nous allons au bout de votre raisonnement, l’aile en Kevlar d’Airbus ne devrait pas être brevetée, au motif que nous connaissons déjà le kevlar, et l’on ne pourrait plus déposer le moindre brevet dans le domaine de la chimie depuis Mendeleïev !

Il n’a jamais été question d’interdire l’utilisation des connaissances. Le brevet relève du droit commercial – c’est une affaire d’argent – et permet aux industriels de développer leur industrie. Ce n’est rien d’autre. Personne n’a besoin d’un brevet pour avoir accès aux bases de données scientifiques. La première source de connaissances techniques dans le monde, ce sont les bases de données des brevets : 80 millions de brevets sont accessibles en ligne. Cette connaissance est parfaitement libre, mais copier ce qui a déjà été fait dans un but commercial, cela s’appelle une contrefaçon.

M. Jean Leonetti, rapporteur. L’interdiction de breveter l’embryon, selon vous, n’est pas dictée par des considérations éthiques, mais parce que l’embryon ne constitue pas une invention ?

M. Jean-Christophe Galloux. La loi, fort heureusement, est très claire : le corps humain, à tous les stades de sa constitution et de son développement, ne peut constituer une invention brevetable.

M. Jean Leonetti, rapporteur. L’embryon ne peut être breveté, mais une partie de l’embryon peut l’être !

M. Jean-Christophe Galloux. Oui. Pourquoi ne pourrait-on breveter une partie de l’embryon, pendant que les établissements hospitaliers paient 110 euros un litre de sang ?

M. Jean Leonetti, rapporteur. Si tout ce qui est brevetable est commercialisable, l’inverse n’est pas vrai.

M. Jean-Christophe Galloux. Pourquoi voulez-vous priver quelqu’un qui fait des recherches sur le dépistage du cancer à partir d’une séquence génétique d’un retour sur investissement ?

M. Jean Leonetti, rapporteur. Votre comparaison avec le prix du litre de sang est inappropriée.

M. Jean-Christophe Galloux. C’est un raisonnement a fortiori. Alors que les produits du corps humain sont dans le commerce juridique, pourquoi une invention relative à un élément du corps humain – un droit de propriété industrielle ne porte pas sur un élément, mais sur une invention – ne serait-il pas commercialisable ?

M. Jean Leonetti, rapporteur. Le prix du sang n’est pas le prix de l’achat du sang, mais celui de la technique qui permet de le transfuser.

M. Jean-Christophe Galloux. C’est bien le prix de la technique, en effet, qui justifie le brevet.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Existe-t-il aujourd’hui des situations hétérogènes, à l’intérieur de l’Europe et vis-à-vis des États-Unis ?

M. Jean-Christophe Galloux. Si un texte fonctionne mal, ou bien il n’est pas appliqué, ou bien il engendre des contentieux. Or, par rapport au nombre considérable de brevets accordés depuis vingt-cinq ans, dont les premiers sont tombés dans le domaine public, combien ont fait l’objet de contentieux ? Il s’agit pourtant, pour certains, d’inventions dont la portée est considérable. En France, il n’y a eu qu’un seul contentieux !

M. Jean Leonetti, rapporteur. Les règles sont-elles les mêmes en France et dans le reste de l’Europe ?

M. Jean-Christophe Galloux. Notre transposition n’est pas conforme à la directive, mais cela n’a pas de conséquence puisque le droit communautaire prime sur le droit français. Il serait souhaitable toutefois que le législateur aligne la loi française sur la directive européenne, comme l’ont fait vingt-quatre autres pays européens. Les transpositions non conformes génèrent des contentieux auprès de la Cour de justice des Communautés européennes, engendrant d’inutiles pertes de temps et de moyens. Engager un contentieux devant la CJCE pour sauver une conception nationale peut coûter jusqu’à 200 000 euros au contribuable, et l’issue en est connue d’avance. Malheureusement, il existe encore des transpositions non conformes, autant par la faute du Conseil d’État que, plus souvent, celle du législateur.

Qu’en est-il dans les autres pays, à l’intérieur et en dehors de l’Europe ? En matière de brevets, les textes communautaires sont beaucoup plus restrictifs que la loi américaine, plus soucieuse de respecter un certain libéralisme. Les problèmes qui se posent à la propriété industrielle viennent de ce que le droit des brevets est un instrument économique, utilisé pour encourager la concurrence. C’est un outil au service de l’économie. Lorsque les Américains ont compris qu’ils pouvaient gagner de l’argent en brevetant les logiciels, ils l’ont fait, en accord avec l’US Patent and Trademark Office, qui est une administration nationale.

En Europe, nous avons l’Office européen des brevets, dont le seul souci est de délivrer des brevets de qualité et d’équilibrer ses comptes. Il n’existe pas de ministère public au sein de l’OEB. On envisage de créer une Cour européenne des brevets, mais il n’y a pas à Bruxelles l’équivalent d’un commissaire du Gouvernement pour représenter l’intérêt public !

En droit français, lorsque des contentieux apparaissent en matière de brevets, le ministère public a la possibilité de représenter l’intérêt général mais, en pratique, c’est rarement le cas.

Ce qui importe, au-delà des querelles techniques, c’est de conserver la notion d’intérêt général. Hélas, nous allons vers la libéralisation, au sens le plus négatif du terme. Le brevet reste un instrument de concurrence, destiné à promouvoir telle ou telle industrie. En 1959, nous avons dynamisé l’industrie pharmaceutique en autorisant les brevets sur les médicaments.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Ainsi le brevet, propriété intellectuelle, qui a pour seul but la commercialisation d’une invention, doit entrer dans le champ de la libre concurrence ?

M. Jean-Christophe Galloux. Bien entendu !

M. Jean Leonetti, rapporteur. Soit il n’y a pas de problèmes éthiques, soit ceux-ci s’effacent devant les exigences économiques…

M. Jean-Christophe Galloux. Si une société a des valeurs, elle doit les conserver. Cette réponse vaut pour tous les instruments juridiques, donc aussi le brevet. En 1844, nous avons décidé d’écrire dans la loi que les brevets devraient être conformes à l’ordre public et aux bonnes mœurs, dans la droite ligne de l’article 6 du code civil.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Cet article interdit en effet de breveter la façon de détruire des individus – ce qui ne relève pas de l’éthique mais de l’ordre public.

M. Jean-Christophe Galloux. Si la société et le législateur ne souhaitent pas breveter tel ou tel procédé, ils en ont le droit. Mais on ne peut diaboliser la commercialisation tout en acceptant l’utilisation des embryons au titre de la recherche, pour la simple raison que cette utilisation est gratuite ! Nous acceptons de fabriquer des embryons pour la recherche sans que cela nous pose de problèmes éthiques, mais nous refusons les commercialiser. Je n’adhère pas à cette éthique-là !

M. Jean Leonetti, rapporteur. Les choses sont plus complexes…

M. Jean-Christophe Galloux. L’idée qui consiste à séparer la recherche « pure » et l’exploitation commerciale qui pourrait en être faite n’est plus défendable.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Ce n’est pas la finalité de l’éthique !

M. Jean-Christophe Galloux. Les responsables de l’Office européen des brevets, qui sont des gens sérieux, ont mis en échec, le 25 novembre 2008, la brevetabilité des cellules souches. Les premiers à s’en plaindre furent les chercheurs, déçus de voir leurs recherches privées de brevets. Pas une seule instance éthique n’a commenté cette décision, qui fut pourtant la plus importante des dix dernières années en matière de biotechnologies !

M. Jean Leonetti, rapporteur. Elle répondait à une situation. Celle-ci est-elle définitive ?

M. Jean-Christophe Galloux. Il appartient au législateur de le dire. En tant que juriste, de confession catholique, je suis opposé à la création d’embryons surnuméraires pour servir de boîtes à outils à la recherche. Indépendamment de mes convictions religieuses, je pense que le fait de sacrifier une vie pour obtenir des matériaux pour la recherche ou à d’autres fins (qu’il s’agisse ou non d’une personne) est le stade ultime de l’instrumentalisation de la vie humaine.

Les pays anglo-saxons ont une conception plus utilitariste des embryons surnuméraires. Ce raisonnement a longtemps été celui de l’Office anglais des brevets, mais la Grande chambre de recours l’a obligé à voir les choses différemment. Pour l’USPTO – l’Office américain des brevets – cette conception ne pose aucun problème métaphysique. En Europe, 90 % des demandes de brevet sur les cellules souches émanent de chercheurs américains. Oui, il faut limiter la brevetabilité dans ce domaine, mais il faut le faire avec une technique éprouvée, qui atteigne exactement sa cible.

Je ne suis le porte-parole de personne, mais je n’ai jamais entendu, en Europe, de critiques fondamentales sur les conséquences de la directive européenne du 6 juillet 1998, pas plus de la part des centres de recherche que des industriels. S’ils avaient eu à s’en plaindre, le MEDEF et son équivalent communautaire l’auraient fait savoir…

Le droit est construit sur des expériences. Le législateur tâtonne, sans savoir si les solutions qu’il propose seront en mesure de résoudre les problèmes. Ici, nous avons désormais plus d’un quart de siècle de recul.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Les problèmes peuvent survenir bien plus tard. Par exemple, le fait d’avoir breveté un certain nombre de cellules souches pourrait, un jour, poser des problèmes éthiques.

M. Jean-Christophe Galloux. Pourquoi cela en poserait-il dans dix ans, si cela n’en pose pas aujourd’hui ?

M. Jean Leonetti, rapporteur. Parce que l’évolution des technologies ouvre de nouvelles possibilités.

M. Jean-Christophe Galloux. Le problème qui se posera dans dix ans, c’est que la Chine déposera 400 000 brevets par an. Cette inflation s’observe déjà dans le secteur du médicament, comme l’indique le rapport de la Commission européenne : un seul médicament peut faire l’objet de 1 300 brevets ! Actuellement, l’Office européen des brevets, le plus important du monde, délivre environ 150 000 brevets par an, mais l’Office chinois en délivre déjà 80 000…

M. Jean Leonetti, rapporteur. En quoi cette quantité de brevets poserait-elle un problème ?

M. Jean-Christophe Galloux. Si les brevets sont trop nombreux, dans toutes les technologies, il ne sera plus possible d’exploiter quoi que ce soit ! Dans le secteur des biotechnologies, les contentieux sont rares. À ma connaissance, depuis la découverte des cellules souches il y a une dizaine d’années, aucun médicament basé sur cette technologie n’a été mis sur le marché. Les choses ne pourraient évoluer autrement pour d’autres technologies génétiques. En revanche, les pays émergents, qui ont désormais accès au marché du brevet, vont agir comme nous, et nous serons certainement amenés à réviser les lois de la propriété industrielle. La technologie et le droit qui la protège ne sont plus réservés aux pays riches. Les Chinois, les Vietnamiens y ont désormais accès. Déjà, les Coréens déposent plus de brevets que les Français…

Pour conclure, ne touchons pas à ce qui existe, regardons plutôt avec acuité la façon dont sont appliqués les textes en vigueur. Mais gardons-nous de tout jugement hâtif sur le brevet et ses conséquences. Ce débat n’a jamais cessé d’être idéologique. J’ai commencé à rédiger ma thèse sur cette question en 1984, et je constate que les clivages d’alors n’ont jamais été dépassés, bien que les faits aient clairement donné raison à l’une des parties. Cessons de dramatiser ces questions : si la loi n’est pas satisfaisante, le législateur interviendra.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Cela n’empêche pas d’être vigilant !

M. Jean-Christophe Galloux. Absolument. L’Europe, et la France en particulier, ont pris du retard en matière de recherche appliquée à l’industrie, contrairement aux Anglo-saxons. Les chercheurs européens ont du mal à accepter que les Américains, les Chinois, les Japonais ou les Coréens déposent des centaines de brevets. Cependant leur mal-être ne peut être imputé aux brevets eux-mêmes, mais à l’insuffisante fraction du PIB que nous consacrons, en Europe, à la recherche…

L’Institut Curie a été pris de vitesse par Myriad Genetics, mais les Américains, à leur tour, n’ont pas vu d’un bon œil que le professeur Montagnier revendique l’invention du VIH. Si l’on accepte les règles du jeu, il faut savoir les utiliser à son profit. Nos chercheurs doivent être les meilleurs, dans un domaine où l’on ne fait pas de cadeau. Ils ont du mal à comprendre des règles économiques qu’ils n’ont pas apprises lors de leurs études.

Je rappelle que les directives communautaires ont été souhaitées par la France, tous gouvernements confondus. Les industriels se demandent pourquoi, vingt ans plus tard, le législateur envisage de les remettre en cause. Les investissements destinés à la recherche étant engagés sur de longues durées, les industriels doivent pouvoir compter sur une certaine stabilité juridique. L’exemple des OGM est édifiant : les investisseurs s’en sont détournés, car les textes qui les réglementent ne cessent d’évoluer.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Le législateur vous sait gré de plaider pour la stabilité juridique, et vous remercie de votre contribution.

Audition de M. Jean-Michel BESNIER, professeur de philosophie
à l’université Paris IV



(Procès-verbal de la séance du 22 septembre 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Jean-Michel Besnier, professeur de philosophie à l’université Paris IV et auteur de l’ouvrage Demain les posthumains. Le futur a-t-il encore besoin de nous ?, paru en 2009, où sont décrites les transformations que les techniques scientifiques seraient susceptibles de faire subir à l’homme.

En guise d’introduction, je souhaite vous poser trois questions. Pourriez-vous nous indiquer en quoi les avancées scientifiques permettent d’envisager une amélioration future des performances humaines ? Cette perspective engendre-t-elle de nouveaux problèmes éthiques, et en quoi sont-ils spécifiques ? Jugez-vous opportun de mettre en œuvre dès à présent des régulations encadrant les applications qui pourraient être faites de ces avancées techniques ?

M. Jean-Michel Besnier. Permettez-moi d’abord de vous faire part de mon étonnement que l’auteur d’un livre sur les posthumains soit auditionné à l'Assemblée nationale ! Mais si cette question paraît tant intéresser nos contemporains, c’est qu’une prise de conscience s’est fait jour, dans trois directions.

Tout d’abord nous prenons conscience du rôle important que joue l’imaginaire dans l’accueil que les citoyens réservent à l’innovation techno-scientifique. Les élus ont lieu de s’en préoccuper car ce qui paraissait relever de la science-fiction a désormais un impact sur l’acceptabilité de la science ou son refus.

Deuxième prise de conscience : celle de l’importance du débat science/société dans la décision politique. Les spéculations sur le posthumain reflètent les préoccupations de nos concitoyens à l’égard de l’avenir et de l’idée de progrès, que la décision politique doit prendre en compte.

Enfin, la prise de conscience porte sur l’importance de la vision de l’homme que portent certaines avancées scientifiques, en particulier les neurosciences. Le posthumanisme offre la vision – attractive pour les uns, répulsive pour les autres – d’un homme radicalement nouveau, « augmenté ». Il convient d’interroger cette volonté d’amélioration de l’espèce humaine dans le cadre de la révision des lois de bioéthique, car celles-ci sont concernées par la démesure des pouvoirs techniques et scientifiques que nous avons acquis sur nous-mêmes.

Cette démesure est relativement récente. Dans l’immédiat après-guerre, la biologie moléculaire et la cybernétique ont rendu concevable la réalisation, à grande échelle, du projet d’amélioration de l’homme. Ce projet est lié à l’idéal moderne (et propre à l’Occident), issu de la Renaissance, de perfectibilité de l’homme, mais il entre en conflit avec une vision plus ancienne de l’humanisme, qui s’accommode mal de la « fuite en avant » qu’elle reproche à la modernité.

Mon intérêt pour le posthumanisme procède d’une certaine irritation à l’égard de penseurs, tels Francis Fukuyama ou Jürgen Habermas, qui affichent leur méfiance à l’encontre de la science et de la technique, censées menacer la nature humaine.

Peter Sloterdijk, dès 1999, a donné une crédibilité philosophique à la question du posthumanisme. Au cours d’un colloque consacré à Heidegger et à la fin de l’humanisme, il a postulé que le développement des technosciences imposait d’envisager un nouveau système de valeurs qui accompagnera la production d’êtres nouveaux et qui légitime le pouvoir de ceux qui bénéficieront des technologies d’augmentation de l’être humain.

Les idéologies posthumanistes, idéologies de la rupture, trouvent leurs racines dans les courants intellectuels des années 1960. Mais là où les représentants de la contre-culture beatnik – William S. Burroughs ou Timothy Leary – se faisaient les chantres du LSD, les posthumanistes voient dans la technologie le nouveau vecteur de rupture – une technologie qui a déjà commencé à déborder le vieux monde, au point, peut-être de le renverser.

Pour eux, l’humanité devra s’élargir au non humain – cyborgs, clones, robots, tous les objets intelligents –l’espèce humaine perdant son privilège au profit d’individus inédits, façonnés par les technologies. La pensée posthumaniste anticipe ainsi, avec l’intelligence artificielle, l’avènement d’une intelligence non biologique, valant acte de décès de l’espèce humaine, et le passage à un au-delà de l’humanité, par suite de la suppression des limites qui nous caractérisent : naissance, souffrance, maladie, vieillissement, mort.

La différence entre le posthumanisme et le transhumanisme n’est guère fixée. Le second désigne souvent une phase de transition vers le premier. Le mouvement mondial du transhumanisme, World Transhumanist Association (devenue depuis Humanity+) est apparu en 1998. Théorisé par Nick Bostrom, il prône la convergence entre nanotechnologies, biotechnologies, technologies de l’information et sciences cognitives (plus connue sous l’acronyme NBIC). Inspiré du mouvement des extropiens – apparu dix ans auparavant dans le sillage de Max More – il est représenté en France par l'association française transhumaniste Technoprog!

Les transhumanistes prônent la transition vers le posthumanisme ou vers l’hyperhumanisme – un « H + ». Mais là où le posthumanisme conserve une orientation axiologique – les posthumanistes posent la question des valeurs –, le transhumanisme assume un certain cynisme : il s’agit en effet d’atteindre la « singularité » chère à Ray Kurzweil et Eric Drexler, une intelligence non biologique qui fera rupture.

Si je me suis penché sur ces mouvements, parfois folkloriques, c’est que j’ai voulu mener une expérience de pensée. Que serait un monde habité par le « Successeur », tel que l’auraient préparé les technosciences ? J’ai fait l’hypothèse qu’imaginer le vivre-ensemble d’une humanité élargie, qui ne serait plus anthropocentrée mais débarrassée du privilège de la conscience, pouvait avoir des effets éthiques.

Cette expérience de pensée m’a mené à définir l’éthique comme une démarche « homéostatique » de stabilisation des relations entre des individus en situation mobile et incertaine. Dans cette conception minimale, l’éthique ne serait plus de l’ordre de l’obligation, mais de la mise en harmonie, en phase : être dans une situation éthique, c’est savoir faire ce qu’il faut pour préserver l’harmonie d’un groupe. Pour l’illustrer, une réflexion convergente sur la distinction entre la morale et l’éthique pourrait être menée à partir de Machiavel : confronté à une situation où la guerre de tous contre tous ne permet plus l’exercice de la morale, il s’attache, en effet, à redéfinir une possible mise en cohérence entre les attentes de ses contemporains, en vue de rétablir un équilibre – permettant ultérieurement de rendre sa primauté à la morale.

J’ai également formulé l’hypothèse selon laquelle la pénétration des thèmes du posthumanisme s’explique par la mésestime de soi qu’éprouvent nos contemporains. Leur fascination pour les machines ne découle-t-elle pas de la « fatigue d’être soi » ? Ce qu’Alain Ehrenberg décrit comme la « tragédie de l’insuffisance » étreint les hommes d’aujourd’hui, insuffisants par rapport à leurs tâches, aux machines qui leur échappent, déresponsabilisés par la chape que constitue la mondialisation. De l’univers de la névrose, où nous étions tenaillés par la culpabilité, nous sommes passés à celui de la dépression, où nous sommes accablés par notre insuffisance. Fruit de l’idéal moderne de perfectibilité, le posthumanisme traduit aussi un retournement « dialectique » de cet idéal contre lui-même.

L’aspiration au « meilleur » peut alors tourner à une volonté de cantonner l’humain dans les limites qui sont les siennes. C’est ce qu’a montré le cas « Oscar Pistorius ». La Fédération internationale d’athlétisme, en refusant d’autoriser le coureur sud-africain appareillé de deux prothèses à disputer le 400 mètres des jeux de Pékin, au motif qu’il était un homme « augmenté », a été à l’encontre des idéaux modernistes censés animer l’idéal olympique : elle a manifesté une volonté de repli sur les idéaux canoniques de la Grèce et exprimé une idée fermée de l’humanisme. Dans les stades, les hommes peuvent devenir des dieux, du moment qu’ils restent entre eux et ne concourent pas contre des cyborgs.

Dans mon ouvrage, Demain les posthumains, j’explore aussi les parallèles possibles entre le posthumanisme et l’écologie profonde, qui vise à sa manière à en finir avec l’homme par une fusion avec la nature. Qu’il s’agisse des pulsions animales ou de mécanismes cybernétiques, les deux mouvements tendent à réduire l’homme à l’élémentaire, afin de le couler dans une nouvelle organisation – nature, cerveau planétaire dont chacun doit accepter d’être un simple neurone – qui soit son salut.

C’est ainsi que certains idéologues posthumanistes appellent à céder à la sagesse de la subsomption, à se plier à l’universel qui nous domine, à accepter le nouvel ordre des technologies que nous avons fait prévaloir. La perspective n’est guère exaltante.

Ces utopies sont également marquées par un refus du corps dans sa singularité, de la naissance et de la mort, et par un refus de l’intériorité. On m’objectera l’actuel culte du corps : mais il a pour objet un corps abstrait, objectivé et « labellisé ». Le choix de plus en plus répandu de la crémation est sans doute significatif quant à notre rapport au corps.

De ce point de vue, il est inquiétant de constater combien nous avons intériorisé les contraintes à l’élémentaire que les technologies nous imposent. Nous articulons au téléphone de façon à être décodés par des programmes de reconnaissance vocale, nous usons d’un vocabulaire réduit pour être compris par les logiciels, nous ne sourions plus sur nos photographies afin que les robots nous reconnaissent – autant de contraintes qui concourent à la « mutilation de l’homme » qu’évoquait Adorno, et dont on s’étonne que nos contemporains les acceptent sans protestation... Claude Lévi-Strauss attendait de l’avancement des sciences humaines qu’elles « dissolvent l’homme dans la nature ». Ce sont désormais les technosciences qui nous dissolvent, dans un environnement qu’elles nous imposent. A cet égard il est clair que le posthumain est humainement diminué. Ses émotions ne sont plus que des signaux qu’un robot peut imiter : comment affirmer dès lors (et l’on pense aux replicants du film Blade Runner) qu’il ne les éprouve pas ?

En nous assujettissant progressivement aux exigences des machines, nous nous acheminons vers l’avènement d’une autre espèce. Peut-être cette idée est-elle rendue acceptable par la thématique de l’ « émergence » qui imprègne notre époque. En effet, l’univers des nanotechnologies est marqué par le non contrôle, par le principe d’immaîtrise (pour parler comme Jean-Pierre Dupuy) à l’œuvre, aussi, dans les théories du « Bottom up ».

J’en viens à vos questions.

L’idéal d’amélioration est ancré dans nos esprits occidentaux depuis au moins trois siècles, le thème de la perfectibilité humaine ayant été développé par Rousseau, Kant ou Fichte. Ce que les Anglo-saxons nomment « enhancement » suppose l’idée d’une nature inachevée, d’une ontologie ouverte. A l’inverse, les sagesses anciennes ou orientales reposent sur l’idée d’un univers clos, dans lequel l’homme doit trouver sa place. Le conflit entre ceux qui misent sur la perfectibilité et ceux qui ne veulent pas céder à l’arrogance prométhéenne est encore à l’œuvre aujourd’hui.

Quels sont les facteurs qui rendent crédible l’idée d’une amélioration des performances humaines ? La découverte des neurotransmetteurs, comme la dopamine, l’ocytocine ou la sérotonine a été capitale. Leur application en pharmacologie a permis un « dopage » du dynamisme, de la motivation ou de l’empathie tout en lissant les émotions. On sait quel usage est couramment fait aujourd’hui de la Ritaline ou du Prozac. Le recours aux neuroprothèses offre aussi des perspectives vertigineuses : nous avons tous entendu parler des machines qui peuvent coupler l’activation neuronale d’un individu avec le fonctionnement d’un appareil relié à lui par ondes. Il ne faut pas non plus négliger la voie ouverte par les recherches en matière de cerveau artificiel. Les progrès réalisés dans le domaine du décryptage du cerveau et dans la simulation électronique alimentent le rêve de l’uploading, le téléchargement de la conscience sur des supports inaltérables, ce qui lui ouvrirait l’immortalité...

Dans le domaine des biotechnologies, le tri embryonnaire tend à installer un eugénisme « soft ». Il s’agit d’un eugénisme libéral selon Jürgen Habermas, un eugénisme consumériste qui devra son existence à la revendication, par les citoyens, du « droit » d’utiliser de telles techniques. Avec les thérapies géniques, son but est d’éliminer les sources de vulnérabilité. Et tandis que l’idée de clonage thérapeutique – on préfère parler de transfert nucléaire – fait son chemin, la recherche sur les nanomolécules ou encore la biologie synthétique, qui se propose de créer de la vie sans ADN, progressent. C’en serait fait, un jour, de cette « humiliation d’être né » où Günther Anders, dès 1958, voyait ce dont l’homme souffre, d'où le rêve de se fabriquer au lieu de naître, afin de devenir aussi performant et fiable que ses machines...

La « cyborgisation » commence dès l’implantation d’un dispositif électronique dans le corps : en ce sens, le détenteur d’un pacemaker pourrait être considéré comme un cyborg. Cela n’ira pas sans poser à terme la question de la limite de l’humain et du non humain en nous. Je vous recommande une visite sur le site internet http://www.slideshare.net/lpg/l-homme-augmente, ou sur celui de Kevin Warwick, ce scientifique britannique qui se présente comme le premier cyborg : les multiples puces qu’il s’est implantées lui permettraient bientôt, entre autres, de communiquer par télépathie. Par ailleurs, les laboratoires se mobilisent sur les recherches en matière d’augmentation de la mémoire, de vision nocturne, de suppression du sommeil. Les Japonais ont déjà recours aux exosquelettes.

M. Michel Vaxès remplace M. Alain Claeys à la présidence.

M. Michel Vaxès, président. Quelle définition donneriez-vous de l’humanisme ? Vous parlez de performances, mais il s’agit alors du support biologique de l’humain, qui n’est pas de même essence que l’humanité elle-même. Selon la définition que vous donnez de l’humain, la problématique change de nature.

M. Jean Leonetti, rapporteur de la mission d’information. Votre exposé ouvre de nombreuses pistes, et engage la réflexion dans des domaines divers. Deux questions me viennent à l’esprit.

Sommes-nous dans un monde où les courbes du progrès sont telles qu’un jour, l’homme sera dissous dans ce qu’il aura lui-même créé ? Cela n’est-il pas qu’un fantasme, extrapolé d’une réalité où l’homme se contenterait simplement de compenser ses propres handicaps, puisqu’il est né insuffisant, moins bien équipé par la nature que tout autre animal ?

Ce qui caractérise l’homme est précisément qu’il est conscient de ses handicaps. C’est ce petit rien génétique qui le distingue des autres espèces. Toute la question est de savoir si cette conscience peut être dissoute dans le progrès : une machine pourra-t-elle avoir la conscience de son insuffisance ? Aura-t-elle peur de mourir ? Sera-t-elle capable d’innover des relations avec l’autre ? Si ce risque n’existe pas, alors augmentons l’homme, car l’essentiel est préservé, son humanité.

M. Jean-Marc Nesme. Aux Etats-Unis, le mouvement transhumaniste possède des laboratoires de recherche largement financés par des crédits publics et des fonds privés. Derrière ces mouvements, n’y a-t-il pas une volonté de domination ? Nous savons bien que de telles tentatives ont existé au cours du XXe siècle – avec les moyens du bord ; le risque n’est-il pas qu’une poignée de gros laboratoires, ou un seul pays, en viennent un jour à posséder la totalité de ces sciences nouvelles et deviennent les maîtres du monde ?

M. Jean-Michel Besnier. Effectivement, les dotations pharaoniques qui ont accompagné la création par Ray Kurzweil de l’Université de la singularité sont une nouvelle manifestation de la puissance du mouvement transhumaniste. Mais ce questionnement n’est pas nouveau : l’ancêtre de l’Internet n’est-il pas le réseau Arpanet de l’armée américaine ? L’accentuation de la compétition sur les technologies de l’information et de la communication, ou autour des technologies cognitives, s’explique évidemment par une volonté de pouvoir délibérée. Peter Sloterdijk pose la vraie question lorsqu’il s’interroge sur le type de gouvernance qu’il conviendra d’installer dans un monde posthumaniste.

Monsieur Leonetti, peu importe qu’il s’agisse d’un fantasme ou d’une réalité. L’important est que l’imaginaire joue un rôle dans l’acceptabilité ou le refus des sciences ; il est impossible de faire l’impasse là-dessus, dès lors que cela engage des entreprises technoscientifiques de cette ampleur.

En effet, l’homme est constitutivement insuffisant – ce que raconte le mythe de Prométhée – et c’est précisément pourquoi nous engageons un processus cumulatif d’acquisitions, de sorte que nous sommes des êtres historiques. Parler de posthumanisme, c’est parler de la fin de cette histoire, lorsque l’homme aura détruit son insuffisance, et surtout sa conscience d’être insuffisant.

J’avoue ma perplexité devant le discours « hype », ce discours de l’hyperbole qui milite en faveur de l’oubli de l’insuffisance, tellement euphorique que l’on perd le sens de la mesure. Mais je n’adhère pas davantage au discours accablé de ceux qui se sentent écrasés par l’univers des machines et qui hypertrophient tellement leur insuffisance qu’ils ne voient plus d’issue.

Plus on essaye de répondre à la question de la conscience, moins on sait y répondre. Les philosophes, depuis Husserl, y ont renoncé. Les spécialistes des sciences cognitives, eux, s’en tiennent à une définition minimale de la conscience : un organisme conscient est un organisme qui dispose des moyens de distinguer l’intérieur et l’extérieur, ses propres limites : de ce point de vue, une amibe, comme tout autre organisme vivant, est conscient.

Or l’environnement technoscientifique tend à nous désubstantialiser, nous contraint à renoncer à tout contenu. Cela n’est pas nouveau. La psychologie du comportement, le behaviorisme, qui a triomphé dans les années 1920, nous avait habitués à ne plus considérer les questions liées à l’intériorité. Aujourd’hui, les psychanalystes ont affaire à des patients désubstantialisés, à qui ils s’efforcent de redonner de l’inconscient. C’est la pathologie de l’avenir : la « dépression essentielle », qui s’accompagne de la disparition de la conscience de l’insuffisance. Comme le montre bien le sociologue Alain Ehrenberg, de l’univers de la névrose, où nous étions tenaillés par la culpabilité, nous sommes passés au monde de la dépression, où nous sommes accablés par notre insuffisance…

Monsieur Vaxès, l’humanisme, pour moi, c’est ce que nous a montré Montaigne, le culte de l’homme dans ce qu’il a de fragile, une sagesse qui tente de pacifier l’homme avec un environnement qui lui est naturellement hostile. Il y a aussi bien sûr un humanisme flamboyant, qui veut que l’homme prenne en charge son destin. Mais ce peut être, de façon plus minimale, une attitude qui parle de tempérance, de modération, et qui avalise la finitude humaine.

M. Michel Vaxès, président. Je vous remercie.

Audition de M. François BERGER, professeur à l’université Joseph Fourier de Grenoble, responsable de l’équipe « Nanomédecine et cerveau »


(Procès-verbal de la séance du 22 septembre 2009)

Présidence de M. Michel Vaxès, vice-président

M. le président Alain Claeys. Nous accueillons à présent M. François Berger dont les travaux, en sa qualité de responsable de l’équipe « Nanomédecine et cerveau » à Grenoble, se situent à la croisée de deux disciplines dont nous percevons déjà les enjeux éthiques : les neurosciences et les nanotechnologies.

Vous êtes, monsieur le professeur, au cœur de ce que les institutions scientifiques américaines ont appelé dans un rapport de 2002 « la convergence NBIC » – entre les nanotechnologies, les biotechnologies, les technologies de l’information et de la communication, et les sciences cognitives – qui a pour perspective l’amélioration des performances humaines.

Dans ce rapport de plus de 450 pages, les aspects éthiques sont presque totalement absents. Est-ce un trait propre aux USA, ou est-il prématuré, en l’état actuel de ces sciences, de réfléchir à leurs enjeux éthiques ?

M. François Berger. Je vous remercie de m’avoir invité. En effet, il est temps que médecins et scientifiques se posent des questions relatives à l’éthique de leurs activités, ce qu’ils ont jusqu’à présent négligé de faire. En ce qui me concerne, la question éthique constitue désormais une grande part de mon activité, essentiellement parce que la Commission européenne vient d’engager un programme destiné à informer les citoyens sur les micro et nanotechnologies appliquées au cerveau.

Je me propose de vous exposer brièvement ce qui est possible aujourd’hui dans les domaines des nanotechnologies et des neurosciences, avant de laisser les spécialistes de l’éthique que vous êtes, décider de ce qu’il convient d’en faire.

À l’université de Grenoble, les questions éthiques ont été récemment abordées dans un contexte très violent, et les développements technologiques que nous poursuivons dans nos laboratoires ont fait l’objet de vives oppositions.

Toute technologie nouvelle doit répondre à un besoin médical. S’agissant du cerveau, notre approche reste anatomo-clinique – à savoir la gestion d’une maladie macroscopique dans un organe totalement inaccessible. Nous ne pouvons établir le diagnostic de la maladie d’Alzheimer à partir d’un bout de tissu. Nous avons besoin de l’hippocampe tout entier, car c’est toute la structure dédiée aux fonctions mnésiques qui est détruite. Les possibilités de régénérescence sont infimes, même avec les techniques les plus modernes. En la matière, les développements technologiques sont une réponse à un besoin médical.

Les nanotechnologies sont une science récente, puisque les outils que nous utilisons aujourd’hui datent des années 1970. Mais dans les années 1960, le professeur Feynman, Prix Nobel de physique, avait déjà évalué les potentialités d’une ingénierie au niveau nanométrique, c’est-à-dire à l’échelon moléculaire.

L’ingénierie à l’échelon du nanomètre implique des dispositifs de miniaturisation, des modifications de surface, de la microfluidique, des nanoparticules. Son aspect multifonctionnel, la convergence technologique qu’elle suppose, mais également l’association de chimistes, de physiciens, de spécialistes des nouvelles technologies et de médecins en font une science extrêmement intéressante. Cette convergence a une importance majeure dans le domaine médical.

La nanomédecine, à savoir l’utilisation des outils nanotechnologiques dans le domaine de la santé, a pour but de mettre en place une nouvelle génération de diagnostics, d’imageries et de thérapies. La méthode anatomo-clinique permet de diagnostiquer une maladie grâce à une radiographie, mais la maladie macroscopique est déjà très diffuse et peut avoir endommagé gravement un organe. L’échelon nanométrique, en permettant une détection plus précoce de la maladie, permet une gestion moins invasive et moins lésionnelle. Il aide également à mieux comprendre la maladie, car du fait de leurs caractéristiques intégratives, les nanotechnologies rendent possible d’observer la complexité individuelle de la maladie et de pratiquer une médecine personnalisée – ce que, jusqu’à présent, nous n’avions pas encore réussi à faire.

Les nanotechnologies sont utilisées dans les domaines du diagnostic et du pronostic – par exemple à l’aide de biomarqueurs placés dans le cerveau, qui permettent de détecter des traces de la maladie dans le sérum. Ces biomarqueurs font l’objet de débats très vifs car il n’en existe pas encore dont la qualité soit suffisante. Dès lors qu’elles seront suffisamment sensibles pour détecter des traces infimes de la maladie et de nombreux éléments moléculaires susceptibles de nous donner une description exacte de celle-ci, les nanotechnologies nous permettront, grâce à une puce dans laquelle sera installé un laboratoire, d’étudier la pathologie d’un individu à partir d’une seule goutte de sang.

L’imagerie permet d’appréhender la maladie de façon non invasive. Ici les nanotechnologies représentent une véritable révolution, en particulier dans le domaine du cerveau, car elles permettent d’isoler des éléments nanoparticulaires et d’imager la fonction cérébrale. Ainsi, dans les pathologies neuro-dégénératives, nous pourrons imager la mort cellulaire ou, à l’inverse, envisager, à partir d’un facteur neurotrophique, la survie des cellules.

Les nanotechnologies nous offriront un jour la possibilité de voir le cerveau fonctionner et d’en distinguer les fonctions moléculaires.

Dans le domaine thérapeutique, les nanotechnologies permettent de mieux cibler les médicaments. En couplant ceux-ci à des nanoparticules et à des éléments d’adressage spécifique dans le tissu, on peut en neutraliser la toxicité potentielle. D’ailleurs, de nombreux nanomédicaments sont déjà utilisés chez l’homme depuis une quinzaine d’années, dans le domaine de l’imagerie comme dans celui de la thérapeutique, et nous n’avons observé aucun phénomène toxicologique particulier.

Le cerveau constitue un champ nouveau de l’utilisation des nanotechnologies, qui permettront demain d’implanter des systèmes embarqués en utilisant des biomatériaux et, in fine, de développer la médecine régénérative en remplaçant la thérapie cellulaire par la régénérescence endogène du tissu lésé.

La question des implants cérébraux est celle qui soulève le plus de problèmes éthiques. Le cerveau est un organe particulier car nous le considérons comme le siège de la pensée. Il est inaccessible – étant protégé par la boîte crânienne –, fonctionnel – on ne peut prélever un fragment de cerveau pour étudier une pathologie –, et son potentiel régénératif est faible. Nos connaissances de cet organe et nos possibilités d’intervention sont très lacunaires.

Face à ces problèmes, la pathologie du cerveau doit être comprise en termes de réseaux. C’est un point important, car les micronanotechnologies vont nous permettre de mener une action thérapeutique extrêmement localisée – sur une zone représentant moins d’un millimètre. De telles interventions sont déjà réalisées dans un grand nombre de services de neurochirurgie. Les approches micro-invasives à visée thérapeutique concurrencent les approches médicamenteuses qui, en psychiatrie et dans les maladies neurodégénératives, suppléent un dysfonctionnement cérébral.

On utilise désormais, pour traiter la maladie de Parkinson, des technologies innovantes qui consistent à réaliser une neurostimulation en implantant dans le cerveau une électrode sans détruire les tissus. Mais personne n’a encore réussi à réaliser la biologie moléculaire de la maladie de Parkinson, et il n’existe pas de thérapie ciblée pour le traitement des maladies neurodégénératives et du cancer.

Les technologies utilisées sont issues de l’informatique, c’est-à-dire du silicium. Grâce à des nanomodifications de surface, il est désormais possible de réaliser des biopsies de molécules. Celles-ci feront dès 2009 l’objet d’essais cliniques, mais uniquement pour le traitement les tumeurs cérébrales. Pour des raisons éthiques, je n’ai pas le droit d’utiliser cette technologie pour la maladie de Parkinson, car celle-ci n’est pas une maladie létale. Mais je m’apprête à valider l’innocuité de ce dispositif et son efficacité dans les glioblastomes de patients dont l’espérance de vie est inférieure à un an. Si je ne détecte aucune réaction pathologique, j’essaierai de traiter la maladie de Parkinson. La possibilité de capter et de décrire les anomalies moléculaires – comme cela a été fait pour le cancer au cours des trente dernières années – et de dispenser des traitements personnalisés à visée moléculaire constitue un enjeu considérable. C’est le résultat de plusieurs années de travail, en collaboration avec le LETI – laboratoire du CEA chargé de développer l’innovation au service de l’industrie – et de démonstrations toxicologiques précliniques réalisées sur des primates. D’ailleurs, la Commission européenne, sur le point d’interdire l’expérimentation sur les primates, est heureusement revenue sur sa décision, car ces essais sont essentiels pour nos recherches.

En 1987, Alim-Louis Benabid, alors qu’il traitait la maladie de Parkinson en procédant à la destruction du noyau sous-thalamique dans le cerveau de ses patients par stimulation électrique, a découvert en celle-ci un traitement, dont les effets étaient réversibles et qui n’engendrait pas la moindre lésion. Or, l’enjeu majeur des traitements dans le cerveau est de traiter sans léser et, en cas de survenue d’effets secondaires, de pouvoir arrêter la thérapie. Ce traitement, qui s’apparente à un pacemaker cérébral, est une découverte fondamentale sur le plan médical, scientifique et économique. Il a déjà profité à 50 000 patients. Il est développé par une société américaine et a été étendu à d’autres pathologies neurologiques. Nous savons aujourd’hui, après vingt ans d’utilisation, que son effet persiste à long terme, et aucune complication majeure n’a encore été décrite.

Plus récemment, c’est dans le domaine psychiatrique que des problèmes éthiques se sont posés. Des essais réalisés aux États-Unis sur des patients hospitalisés dans des unités psychiatriques – et résistants aux électrochocs et aux traitements antidépresseurs – ont démontré l’efficacité de la neurostimulation. En activant, grâce à l’imagerie fonctionnelle, certains points du cerveau par stimulation à haute fréquence, on a obtenu des effets thérapeutiques intéressants. L’année dernière a été démontrée l’efficacité de la neurostimulation dans les troubles obsessionnels compulsifs, toujours chez des patients résistant aux thérapeutiques médicamenteuses et psychothérapeutiques.

Sur le plan éthique, l’utilisation non-encadrée de la neurostimulation en psychiatrie pourrait représenter un risque de dérives majeures comme cela a été le cas de la lobotomie. D’ailleurs, le professeur Benabid a saisi le Comité consultatif national d’éthique pour que ces essais fassent l’objet d’un cadre international – quelques neurochirurgiens s’étant engagés dans des expérimentations hasardeuses et incontrôlées.

Une autre implication soulève des interrogations sur le plan éthique : il a été démontré qu’une neurostimulation effectuée sur un singe atteint de la maladie de Parkinson, avant la survenue des symptômes, ralentit la mort neuronale. Cela ouvre le champ de la médecine régénérative. Les outils dont nous disposons nous permettent de détecter une maladie au stade infra-clinique, c’est-à-dire asymptomatique. Nous sommes en mesure d’instaurer des protocoles en vue d’implanter des biomarqueurs dans des conditions de sécurité absolue. Mais des questions se posent à nous : dans le but d’établir le diagnostic le plus précoce, dans quelle direction devons-nous orienter nos recherches ? Avons-nous le droit de stimuler des patients qui ne présentent aucun symptôme, sachant que cette pratique comporte, comme tout acte neurochirurgical, un certain nombre de risques ?

Enfin, les neurotechnologies ont permis de développer les prothèses sensorielles, en particulier dans le traitement des maladies oculaires. Le coating, au moyen de « nano-outils » comme les nanotubes de carbone, permet une meilleure subsistance de ces dispositifs. Ces nano-outils représentent un enjeu majeur, qui s’illustre particulièrement dans la thématique de l’interface homme-machine. L’année dernière, pour la première fois, un patient paraplégique s’est vu implanter dans le cerveau des électrodes, d’une taille d’une centaine de microns. Ces électrodes enregistrent l’activité cérébrale du patient, auquel on apprend à induire une activité cérébrale, et cette induction, captée par les électrodes, dirige un dispositif exogène. Un patient paralysé des quatre membres pourrait ainsi retrouver sa mobilité grâce à un exosquelette dirigé par son activation cérébrale – qui, je le précise, est différente de la pensée.

La revue Nature a cité le cas de deux patients, mais plus de la moitié des patients rejettent ce dispositif, souvent dans les trois semaines qui suivent l’intervention. Je pense pour ma part que ces expériences sont contraires à l’éthique. L’implantation de ces dispositifs dans le cerveau provoque des réactions cicatricielles et des micro-hémorragies. Il faut donc, avant de passer à l’homme, continuer les recherches pré-cliniques chez ce primate.

Les nanotechnologies apportent des solutions. Ainsi, on peut désormais préserver des neurones cultivés sur des nanotubes de carbone. On a mis en place, il y a deux ans, des implants cérébraux recouverts de nanotubes de carbone sur des singes, qui les supportent parfaitement. Mais compte tenu des problèmes éthiques qu’ils posent, nous ne sommes pas prêts à utiliser les nanotubes de carbone chez l’homme.

Au niveau préclinique comme au niveau cellulaire, nous pouvons sans doute aller beaucoup plus loin. Nous sommes capables aujourd’hui d’injecter dans le sang des nanoparticules multifonctionnelles afin qu’elles atteignent le cerveau. Demain, nous pourrons les stimuler de l’extérieur. C’est un progrès considérable, même s’il s’agit d’une technique invasive – 0,3 à 1 % de ces interventions chirurgicales se soldent par des hématomes intracérébraux. Il est clair que sur un plan éthique, la miniaturisation et la multifonctionnalité offrent des perspectives discutables.

Réussirons-nous à mettre au point un cerveau synthétique ? Cette question, qui intéresse encore bien peu d’équipes dans le monde, est pourtant à l’ordre du jour. Serons-nous en mesure, un jour, de greffer sur des patients atteints de maladie d’Alzheimer ou victimes d’un accident vasculaire cérébral des dispositifs micro-nano-électroniques capables de remplacer la circuiterie lésée ? Quelques groupes, notamment un à Tel Aviv, travaillent actuellement sur ces pratiques, qui sont encore aujourd’hui de la science-fiction…

L’impact des nanotechnologies dans les pathologies du cerveau est majeur. La médecine n’utilise plus le microscope. Nous sommes à l’heure du diagnostic précoce et de l’intervention symbiotique. Ces techniques sont déjà utilisées chez l’homme – lors d’une IRM, par exemple, on injecte des nanoparticules – sans que personne ne s’en inquiète.

Les enjeux éthiques, je le répète, ont jusqu’à présent été négligés par les chercheurs et les neurologues. C’est sans doute la raison pour laquelle nos travaux soulèvent de si vives oppositions. Nous avons assisté à des réunions européennes protégés par les CRS de manifestants nous traitant de fascistes… Ces réactions nous ont obligés à nous interroger sur les implications des expériences que nous menons, dont l’Histoire nous apprend qu’elles peuvent entraîner des drames : c’est bien un Prix Nobel qui a inventé la lobotomie !

En réponse, il nous faut multiplier les informations. Celles-ci sont abondantes dans le domaine des nanotechnologies, mais dans un domaine aussi complexe, il n’est pas simple d’informer correctement. Les jugements éthiques que portent sur les nanotechnologies et les implants des personnes étrangères à la science nous intéressent beaucoup. Nos concitoyens, fort raisonnablement, souhaitent que ces technologies soient encadrées, tout en conservant la possibilité de les développer si un besoin médical se présente, dans le respect de l’équilibre entre les risques que comporte une expérience et les bénéfices qu’elle pourrait apporter.

Les essais cliniques font l’objet d’une importante régulation. Actuellement, il est très difficile de transférer une innovation née dans nos laboratoires au lit du malade. Nous disposons d’un certain nombre de lois qui garantissent la sécurité du citoyen face à l’émergence de stratégies thérapeutiques innovantes. Lorsqu’elles sont respectées, ces lois fonctionnent bien, mais le code européen de bonne conduite en matière de nanotechnologies exagère le principe de précaution et alourdit la responsabilité des chercheurs qui développent des éléments innovants. Sa rédaction est dangereuse, car elle risque de mettre un terme à toute innovation.

Pour autant, on ne peut laisser les chercheurs et les médecins faire n’importe quoi. Il faut mettre en place des interactions permanentes entre les laboratoires de recherche et la société. En matière de nanotechnologies, nous avons raison d’avoir peur des innovations – en témoignent l’expérience de la lobotomie, les problèmes de l’amiante et le syndrome OGM, redouté par les Américains.

Nous devons être très rigoureux sur un point : toute innovation médicale doit être validée. Les médecins, les chercheurs ont tort de présenter leurs résultats comme s’il s’agissait de miracles. Dans le domaine des biomarqueurs, les essais seront longs et coûteux. Nous avons assisté récemment à des dérives – je pense à la vente au grand public de dispositifs innovants, qui a entraîné la démission du directeur général de l’INSERM, ou à la vente sur Internet, par la femme du PDG de Google, d’une étude sur une puce ADN. De telles pratiques doivent être interdites.

Faut-il, par ailleurs, réguler les analyses toxicologiques, que nous ne connaissons pas parfaitement ? Une nouvelle science est à inventer. Faut-il créer une commission de la nanomédecine, comme nous l’avons fait pour la thérapie génique ? Voici les principales questions éthiques que posent les nanomédecines. Sommes-nous en train d’évoluer vers un nouvel homme hybride ? La miniaturisation et la multifonctionnalité des dispositifs nous entraînent vers une prosthétique de plus en plus symbiotique et convergente, qui risque de laisser le patient seul avec la machine : à qui appartiendra la responsabilité d’éventuels dysfonctionnements ? Enfin, que penser de l’humanité modifiée – à savoir la machine dans l’humain ? Jusqu’où doit-on aller dans le domaine de la médecine d’amélioration ? Les frontières entre la médecine thérapeutique et la médecine d’amélioration sont difficiles à établir, en particulier chez les patients âgés. Ces questions sont extrêmement complexes. La médecine d’amélioration existe déjà, à travers le port de lunettes ou les prothèses sensorielles. Le jour où chacun d’entre nous aura la possibilité d’améliorer sa mémoire, il appartiendra au responsable politique – et non au médecin – de fixer les limites à ne pas dépasser.

L’intérêt des développements innovants est majeur, mais ils doivent être accompagnés sur le plan éthique, toxicologique et financier, et validés de façon rigoureuse. Cela dit, ils représentent un véritable challenge. Dans quinze ans, nous serons en mesure d’utiliser la nanomédecine comme une méthode anatomo-clinique. Espérons qu’elle ne générera pas de drames, faute d’être suffisamment encadrée. Un centre dénommé Clinatec dédié à la validation des micro et nanotechnologies implantées dans le cerveau, qui bénéficiera d’un environnement éthique et médical approprié, verra prochainement le jour à Grenoble.

M. Michel Vaxès, président. Je vous remercie pour cet exposé très complet et très dense. Vous allez maintenant répondre à nos questions. Je souhaite que vos réponses soient accessibles pour un public non averti…

M. Jean Leonetti, rapporteur de la Mission d’information. Mes questions contrasteront sans doute, par leur simplicité, avec la complexité des propos qui viennent d’être tenus.

Selon vous, monsieur le professeur, les lois de bioéthique actuelles ne sont-elles pas trop contraignantes ?

Le développement des nanotechnologies exige-t-il des régulations spécifiques ?

La loi fixe à l’Agence de la Biomédecine le soin de contrôler les nano-biotechnologies. L’Agence est-elle un outil adapté ? A-t-elle les moyens de faire son travail ? Enfin, a-t-elle trop de pouvoirs ?

M. François Berger. La réglementation des essais cliniques est suffisante, voire pesante pour qui la respecte. Ce que nous reproche le public, dans le domaine du cancer ou des maladies neurodégénératives, c’est justement la lenteur de l’accès à l’innovation. La réglementation est suffisante tant que nous restons dans le domaine de la médecine. Imaginons qu’en tant que médecin, je dispose d’un dispositif permettant d’améliorer la mémoire d’un patient atteint de la maladie d’Alzheimer. J’ai le droit de traiter un patient atteint de cette maladie. Mais si une personne de soixante-quinze ans, en parfaite santé – bien que ne bénéficiant pas des mêmes fonctions cognitives qu’à vingt-cinq ans – me demande de lui implanter ce dispositif, je serai dans l’obligation de refuser car il m’est interdit de la traiter. La frontière entre ce qui est permis et ce qui ne l’est pas est difficile à situer, et nous ne manquerons pas de voir apparaître des dérives, à savoir l’utilisation d’outils médicaux à des fins non thérapeutiques. Or, toute intervention médicale a des effets secondaires…

M. Jean Leonetti, rapporteur. La loi de bioéthique précise que la médecine ne s’adresse qu’à une carence, une maladie ou un déficit, et qu’elle ne doit en aucun cas faire prendre un risque à un individu pour améliorer ses performances. La loi est-elle insuffisante ? Vous la jugez contraignante : va-t-elle jusqu’à priver des malades du bénéfice de nouvelles technologies émergentes ?

M. François Berger. Je comprends votre préoccupation. L’innovation médicale doit être plus sûre. Cette question a été initialement soulevée aux États-Unis. Des protocoles de phase zéro, s’adressant à un nombre réduit de patients et dans un environnement saturé d’innovations, permettraient sans doute d’obtenir des preuves de concept très innovantes.

Les nanotechnologies ne nécessitent pas de régulations spécifiques. Dans ce domaine, les textes sont suffisants. À trop vouloir réguler, on risque de tuer l’innovation. Mais peut-être faut-il faciliter l’accès à l’innovation…

M. Jean Leonetti, rapporteur. Cela ne relève pas de la loi, mais du règlement !

M. François Berger. La question de la spécificité des nanotechnologies nous est souvent posée au cours des réunions européennes. Appliquons-leur les mêmes principes éthiques qu’à la médecine moléculaire. Cela dit, s’il est encore impossible de freiner la perte de mémoire liée au vieillissement, les outils dont nous disposerons dans dix ans offriront de formidables potentialités.

Cette régulation relève de la loi plus que du règlement, car les décisions de nature éthique appartiennent au législateur. Le jour où nous disposerons d’un traitement permettant de repousser le déclin cognitif au-delà de 90 ans, c’est la société tout entière qui devra en débattre, et ce débat devra avoir lieu dans un cadre démocratique. Le champ du pathologique correspond actuellement à un organe détruit, ou à un cancer de taille macroscopique. Les nanotechnologies vont nous obliger à définir autrement la pathologie puisqu’elles s’adresseront à une personne saine, qui n’a pas encore ressenti sa maladie. En tant que médecin, je n’ai pas le droit d’aller dans cette direction. Nombreux sont ceux qui souhaitent élargir le champ du pathologique. Ce n’est pas au médecin mais à la société et à ses représentants de définir ce qu’est un homme malade.

Quant à la modification de l’humain, lorsque j’ai présenté nos recherches sur les implants cérébraux à l’éthicien britannique Donald Bruce, qui a animé le débat sur les OGM et les cellules souches dans le cadre du réseau européen « Nano-2-Life », il a objecté que le cerveau était un sanctuaire auquel nous ne devions pas toucher, car il entre dans la définition de l’humain.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Mais le cerveau est déjà désanctuarisé par l’usage de certains médicaments !

M. François Berger. Certes, mais en psychiatrie, la neurostimulation a remplacé des drogues parfaitement inefficaces. Depuis le progrès qu’a constitué, dans les années 1960, l’usage des neuroleptiques dans le domaine des psychoses, nous n’avons pas beaucoup progressé. Mais nous serons bientôt capables de moduler le réseau neuronal avec une parfaite efficacité. Si les effets de la neurostimulation dans les troubles obsessionnels et dans les dépressions sont durables, son utilisation doit rester exceptionnelle et réservée à des patients qui ne répondent pas aux autres traitements.

M. Jean-Marc Nesme. Si j’ai bien compris, il est permis d’utiliser la nanomédecine pour soigner les personnes malades, mais non pour modifier les fonctions cérébrales d’une personne saine. Je suppose que vous êtes hostile au post-humanisme et au trans-humanisme, mouvements qui se développent aux États-Unis ?

M. François Berger. J’y suis hostile, en effet. Nous devons être très clairs et rigoureux face à ces mouvements, qui heurtent un interdit très fort aux yeux des médecins que nous sommes. On peut avoir envie d’améliorer le cerveau de l’homme et l’activité mnésique, mais, après tout, il peut être bon d’oublier, en particulier lorsqu’on vieillit… Des troubles que l’on perçoit comme des dysfonctionnements sont en réalité intrinsèques à l’humanité. Chercher à amoindrir ces troubles aurait pour elle des effets secondaires. Nombreux sont les neurologues et les scientifiques qui ne partagent pas mon opinion, mais je pense qu’il convient d’interdire certaines pratiques, comme cela a été fait en matière de clonage humain. Il appartient aux structures démocratiques d’en décider. La permission d’utiliser des thérapeutiques interventionnelles, susceptibles d’améliorer sensiblement les fonctions mnésiques des personnes de plus de 70 ans, est une décision qui ne doit pas être prise à la légère. Ces pratiques doivent être encadrées. L’utilisation de la neurostimulation en psychiatrie peut être dangereuse, l’invention de la lobotomie nous le rappelle avec force.

Avant d’encadrer ces pratiques, il est nécessaire de bien comprendre ce qui se passe dans les laboratoires. Pourquoi ne pas créer – à moins que cela n’incombe à l’ABM – une agence chargée de détecter l’émergence de nouvelles pratiques ? Il m’est difficile de savoir quels éléments, parmi tous ceux qui sortent de mon laboratoire, sont susceptibles de poser des problèmes éthiques. Or, actuellement, il n’existe aucune structure capable d’analyser les conséquences pour l’individu des preuves de concept innovantes, même si l’Europe nous a amenés à nous impliquer dans cette réflexion.

M. Jean-Marc Nesme. Une gouvernance globale ne s’impose-t-elle pas, dans un domaine où la compétition internationale est féroce ?

M. François Berger. Tout à fait, et l’Europe, sur ce point, dispose d’une avance indiscutable sur les États-Unis. La Commission européenne a apporté sa contribution financière à des travaux d’information et de réflexion éthique sur les nanotechnologies, ce qui n’a pas été fait aux États-Unis. Mauro Ferrari – qui, moyennant des sommes considérables, a vendu les nanotechnologies au président Bush – était très surpris lorsque nous lui avons fait part de nos interrogations éthiques…

M. Michel Vaxès, président. Vous laissez aux responsables politiques le soin de réfléchir aux incidences éthiques des avancées technologiques. Mais c’est également l’affaire des citoyens, y compris médecins !

Certes, les avancées technologiques doivent servir le diagnostic et la réponse thérapeutique à une pathologie, mais où commence la pathologie ? Si on en sort, ou si on la redéfinit, alors se posent des problèmes éthiques. Enfin, à l’heure du développement des nano-biotechnologies – pour la surveillance desquelles l’Agence de la biomédecine a compétence – les parlementaires que nous sommes, auront bientôt à se prononcer sur un texte modifiant les lois de bioéthique de 2004. La loi, selon vous, doit-elle intégrer des dispositions tenant compte de cette nouvelle dimension de la recherche ?

M. François Berger. Les nanotechnologies nous permettent de redéfinir des pathologies. C’est déjà possible en cancérologie et bientôt, nous pourrons détecter très tôt les maladies neurodégénératives chez des patients asymptomatiques. Imaginons que je me trouve devant un patient dont le test de prédiction de la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson a été validé. En tant que citoyen, je souhaite naturellement qu’il bénéficie de la médecine régénérative – sous forme d’une neurostimulation et de l’implantation de nanoparticules, mais il faut le faire dans des conditions toutes particulières de suivi et de sécurité ; c’est là l’esprit de Clinatec. Je suis donc partisan d’un certain activisme, car il y a des possibles qu’il faut utiliser ; et je pense que c’est notre rôle de redéfinir les pathologies, en particulier de façon plus précoce.

Je ne pense pas qu’il soit nécessaire pour cela de modifier les lois en vigueur, mais plutôt d’envisager la création de centres très spécialisés capables d’encadrer les preuves de concept dans les meilleures conditions de sécurité.

M. Jean Leonetti, rapporteur. On distingue aisément ce qui correspond à un souhait individuel et ce qui relève d’une pathologie. Mais ce n’est pas parce que sa maladie est décelée de façon précoce qu’une personne n’est pas malade. Si un traitement, même agressif, peut empêcher la maladie de survenir, il est parfaitement licite de prendre ce risque. En revanche, on ne peut accepter qu’un médecin implante une sonde à un trader qui souhaiterait améliorer ses performances. Pour répondre à des exigences éthiques, nous devons trouver un équilibre entre la réponse à une demande sociétale et la réponse à la vulnérabilité du malade. Dans les pays où les actes médicaux ne sont pas remboursés, cet équilibre n’a aucune importance, mais c’est très différent dans un système comme le nôtre, basé sur la solidarité collective.

M. François Berger. Je suis d’accord avec vous.

M. Michel Vaxès, président. Je vous remercie.

Audition de Mme Sarah SAUNERON, chargée de mission au Centre d’analyse stratégique et de M. Olivier OULLIER, conseiller scientifique et maître de conférences en neurosciences, responsables du programme « Neurosciences et politiques publiques » du Centre d’analyse stratégique


(Procès-verbal de la séance du 22 septembre 2009)

Présidence de M. Michel Vaxès, vice-président

M. le président Michel Vaxès. Nous accueillons à présent, Mme Sarah Sauneron, chargée de mission au Centre d’analyse stratégique, et M. Olivier Oullier, maître de conférences en neurosciences.

Vous êtes tous deux responsables du programme « Neurosciences et politiques publiques » du Centre d’analyse stratégique et avez, dans ce cadre, rédigé trois notes de veille, dont l’une nous intéresse particulièrement puisqu’elle a pour titre : « Impact des neurosciences : quels enjeux éthiques pour quelles régulations ? » Vous y détaillez les progrès récents accomplis dans le domaine des neurosciences et proposez des pistes de modification législative.

Estimez-vous que l’état d’avancement des neurosciences justifie que soient d’ores et déjà instaurés des mécanismes de régulation spécifiques ?

M. Olivier Oullier. Je vous remercie de m’inviter à nouveau en ces lieux, après l’audition du 26 mars 2008 de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, pour parler des neurosciences dans le cadre de la révision des lois bioéthiques.

Aujourd’hui, ce n’est pas uniquement l’enseignant-chercheur en neurosciences que vous invitez, mais aussi le conseiller scientifique au Centre d’analyse stratégique qui, avec Sarah Sauneron ici présente, et toute l’équipe du programme « Neurosciences et politiques publiques » du Département Questions sociales, vous remercie de prendre en considération nos travaux.

Notre présentation sera articulée en quatre points : d’abord, une brève introduction sur la place des neurosciences dans la société ; ensuite, un état des lieux non exhaustif des avancées théoriques et méthodologiques que nous estimons pouvoir intéresser la mission ; puis une réflexion sur les questions éthiques propres aux neurosciences ; enfin, Sarah Sauneron, avec qui je partage la responsabilité du programme « Neurosciences et politiques publiques », exposera notre réflexion sur les éventuelles régulations à apporter.

Considérons tout d’abord le cerveau et la société.

Le cerveau est notre organe le plus complexe tant par sa structure que par son fonctionnement, lequel lui permet d’échanger de l’information en permanence à de multiples niveaux. Comprendre le fonctionnement du cerveau est dès lors un défi pour nombre de médecins et de scientifiques.

Toutefois, l’étude d’un cerveau isolé ne sert pas à grand-chose. Pour en savoir plus, il faut comprendre les interactions et les coordinations qui interviennent à l’intérieur du cerveau lui-même, entre le cerveau et le corps qui l’abrite, entre le cerveau et les environnements, physiques et sociaux, dans lesquels il évolue, tout en gardant à l’esprit, qu’en tant qu’individus regroupés en une société, nous avons une histoire et un futur, ce dernier se manifestant, a minima, dans nos intentions. Tous ces éléments vont donc jouer un rôle majeur dans le fonctionnement de notre cerveau et dans l’émergence de nos comportements.

Face à un tel niveau de complexité, toute démarche scientifique et médicale en neurosciences, réalisée en laboratoire, sera réductrice, et ce d’autant plus qu’elle visera à lier des travaux scientifiques à la vie quotidienne. C’est pourquoi les neurosciences doivent se nourrir de la psychologie, de la sociologie, de la philosophie, de la médecine, de la biologie ainsi que des sciences physiques et de l’anthropologie, pour ne citer que certaines des disciplines que les sciences du cerveau convoquent dans leurs travaux. Les neurosciences sont pluridisciplinaires par essence.

C’est avec cette prudence et dans cette démarche pluridisciplinaire que nous cherchons à considérer le rôle des sciences du cerveau dans la société au sein du programme « Neurosciences et politiques publiques » du Centre d’analyse stratégique.

Lancé en 2009 par René Sève, directeur général du Centre, et destiné à se poursuivre en 2010, ce programme a pour but de montrer que, si l’importance des neurosciences dans le champ biomédical est aujourd’hui admise par tous, leur impact s’étend bien au-delà des laboratoires de recherche.

La question n’est plus de savoir si les neurosciences auront un impact sur la vie publique, mais comment elles agissent déjà sur elle, en menant une réflexion sur les possibilités qu’elles offrent et offriront. Nous nous interrogeons donc sur les moyens à mettre en œuvre pour, éventuellement, réguler les interactions entre la vie de la société et les résultats des recherches scientifiques et biomédicales. Un tel constat implique une réflexion sociétale et éthique de tous les instants, qui nous amène notamment à échanger aujourd’hui, et qui reste le fil conducteur de nos travaux.

Notre programme est, à notre connaissance, unique au monde dans le sens où il regroupe des thèmes traités de manière indépendante dans d’autres pays, afin d’explorer dans une vision globale leur application aux politiques publiques.

Nos travaux récents ont porté sur le rôle des neurosciences en économie et en finance – vous le comprendrez aisément eu égard au contexte économique et financier actuel –, en éducation, dans les domaines de la prévention en santé publique, de la loi et de la justice – une journée d’études sera organisée sur ce thème en décembre –, et du vieillissement cognitif, ainsi que dans le secteur des interfaces cerveau-machine, brillamment exposé par l’intervenant précédent. Ils donnent lieu à des notes de synthèse, et à des rapports qui, diffusés à grande échelle, servent de supports aux débats.

Récemment, nos travaux ont suscité l’intérêt d’institutions aussi diverses que le ministère de la santé, l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), avec qui nous travaillons de concert, notamment sur les questions de prévention en santé publique et de lutte contre l’obésité et le tabagisme – ou encore la Banque mondiale et le Forum économique mondial.

Un sujet d’étonnement récurrent chez tous ceux qui s’intéressent aux sciences du cerveau est l’intérêt grandissant pour la chose cérébrale de disciplines a priori non reliées au champ biomédical. Qu’est-ce qui fait que, lorsque l’on montre une image du cerveau, cela entraîne un engouement particulier ?

Une des explications est que nous vivons aujourd’hui dans une société qui déteste l’incertitude. Tous les moyens sont bons pour essayer de minimiser celle-ci et de prédire. En tant qu’animaux sociaux, nous sommes des machines à essayer de deviner les intentions des autres et leur état mental. Au-delà des perceptions que nous pouvons avoir et des inférences que nous pouvons faire sur nos prochains, de nombreux secteurs espèrent trouver dans les neurosciences un moyen d’obtenir des certitudes.

Cet engouement est en partie dû à la banalisation de l’image du cerveau. Les techniques extraordinaires dont nous disposons aujourd’hui permettent d’imager le cerveau et d’enregistrer ou d’estimer son activité. Deux études récentes en psychologie expérimentale ont montré que le fait d’étayer une description, une narration ou l’exposé d’une théorie au moyen d’explications neuroscientifiques et/ou d’images du cerveau augmentait de manière significative le degré de croyance des gens en ce qui était dit… L’utilisation de l’image du cerveau est devenue une version moderne de l’étiquette « testé scientifiquement » que l’on trouve sur de nombreuses publicités et qui, pour des raisons que nous n’expliquons pas forcément, nous fait acheter le dentifrice ou l’huile de moteur où est apposée cette étiquette.

Constat étant fait de l’utilisation, à plus ou moins bon escient et avec plus ou moins de prudence, des résultats des neurosciences au sein de la société, il convient de se demander quel type d’informations sur le comportement humain les neurosciences et la neuroimagerie peuvent vraiment fournir, sachant qu’elles proviennent d’expériences en laboratoires, dans des contextes isolés et éloignés de notre vie au quotidien ?

C’est pourquoi, dans un deuxième temps, nous vous présenterons quelques exemples, pouvant intéresser la mission, d’utilisation des sciences du cerveau en laboratoire, mais aussi dans la vie publique, par divers individus, institutions ou médias.

Considérerons quatre champs situés à l’interface des sciences et de la société.

Le premier champ est le décodage de la pensée, ou encore, comme le qualifient certaines personnes, la lecture mentale. C’est un fantasme que nous avons depuis des années ; c’est ce que nous faisons quand nous essayons de décrypter le sourire ou le froncement de sourcils d’une personne. Les techniques de neuroscience cognitive sont utilisées, depuis une dizaine d’années, pour essayer de décoder l’état mental des gens.

Une première précision à apporter est que le fait d’enregistrer l’activité du cerveau en train de penser, de rêver ou d’imaginer n’est qu’une estimation de l’activité cérébrale d’un individu en train de penser, de rêver et d’imaginer dans un certain contexte : ce n’est pas une mesure de la pensée, du rêve ou de l’imagination eux-mêmes.

En revanche, il est possible aujourd’hui d’opérer une certaine reconstruction de l’information à partir des données d’imagerie cérébrale. Ainsi, il est possible, à partir de ces dernières, de savoir si une personne est en train de regarder une ligne oblique ou une ligne perpendiculaire à une autre, ou de penser à un visage ou à une maison. Même si cela reste encore très simple, ce résultat était inimaginable il y a encore quelques années.

Peut-on savoir ce qu’une personne regarde ?

Des travaux allemands et américains ont permis, à la suite de nombreuses répétitions, de décoder si une personne est en train de regarder une image de chien ou une image de maison. Le processus pour parvenir à ce résultat consiste à montrer de nombreuses fois le même type d’images à une personne. On « moyenne » l’activité afin d’extraire un patron d’activation moyen du cerveau et on essaie de voir, dans un système en double aveugle pour l’expérimentateur, si ce patron cérébral réapparaît. Lorsqu’il réapparaît, on essaie de prédire si la personne est en train de voir ou non l’image de chien, par exemple, qui lui a été montrée.

Ce résultat reste très limité : il signifie qu’on peut éventuellement décoder ce qu’une personne voit mais à la seule condition que cette personne ait déjà vu l’image en question. Il ne s’agit pas d’une image neuve. En outre il est encore impossible aujourd’hui de décrypter ce qui est de l’ordre de la pensée et de l’intime d’une personne, c’est-à-dire ses souvenirs, ses plaisirs, ses goûts. Les expériences ne portent que sur le décodage d’un état de perception sensorielle.

L’avancée la plus récente en ce domaine a été réalisée par des chercheurs américains qui, après avoir flashé dans un scanner cérébral un millier d’images différentes à deux sujets – je précise, pour être honnête, qu’il s’agissait de deux membres de l’équipe d’expérimentateurs – leur ont ensuite montré des images qu’ils n’avaient jamais vues mais qui correspondaient, dans une certaine mesure, aux images qui venaient de leur être flashées. Ils ont réussi à reconnaître si la personne était en train de voir un chien, un ballon ou une autre image dans 72 % à 92 % des cas.

Ce genre de décodage de l’information peut être très utile, comme l’a montré le professeur Berger dans l’audition précédente, pour pallier certains handicaps et développer des prothèses : par l’activité cérébrale, couplée à des algorithmes, il peut être possible de déplacer un curseur sur un écran, voire de mouvoir une prothèse pour une personne amputée. Cela ouvre des perspectives dans le domaine de la réhabilitation, ainsi que dans celui de la défense avec les travaux sur les exosquelettes et l’amélioration de la performance du soldat en général.

Un deuxième champ d’utilisation des neurosciences est celui des tribunaux et de la justice.

L’utilisation des sciences du cerveau au sein des tribunaux et des procédures de justice est répandue aux États-Unis, où a été développé un programme « Neuroscience and the law », auquel collaborent l’État fédéral, les États et des dizaines d’universités, et qui bénéficie d’un très fort financement.

Les neurosciences sont convoquées dans les tribunaux à plusieurs niveaux. Le premier en date a été la détection de mensonge, afin de savoir si une personne dit ou non la vérité. Les résultats des neurosciences ont ensuite été utilisés pour sélectionner les jurés ou les juges, afin de vérifier qu’une personne ne présente pas un biais envers une communauté ou certains types de crimes l’empêchant de prononcer un jugement équitable. Ils sont utilisés enfin pour penser les lois et essayer de prévoir la façon dont la société va les appliquer, en étudiant la position que le citoyen peut adopter face à la transgression ou à l’acceptation de celles-ci.

Les personnes qui défendent l’utilisation des neurosciences au sein des tribunaux utilisent des raccourcis qui, comme tous les raccourcis, sont réducteurs. Le plus fréquent est le parallèle fait entre les tests ADN et l’imagerie cérébrale : sous prétexte qu’après avoir été décriés, les tests ADN sont aujourd’hui utilisés dans nombre de procédures, on prône l’utilisation des neurosciences, non seulement pour détecter le mensonge et faire de la sélection, mais pour établir la responsabilité d’une personne. La question posée actuellement est, en effet, la détermination de la responsabilité pénale à la lumière de la responsabilité cérébrale. En dehors de quelques cas qui ont posé des questions éthiques profondes, notamment en Inde en 2008, nous sommes, sur ces sujets, dans le domaine de la prospective.

Il faut bien distinguer les tests ADN des données d’imagerie cérébrale. Comparer deux échantillons d’ADN revient à comparer deux éléments biologiques de même niveau alors que chercher à faire correspondre un scanner cérébral ou des données d’imagerie cérébrale à un comportement revient à faire un grand écart – et c’est une litote ! – entre un niveau biologique et un niveau comportemental et sociétal.

L’utilisation des neurosciences au sein des tribunaux est pourtant examinée dans tous les pays du monde. Le Centre d’analyse stratégique consacrera une journée d’études à ce sujet début décembre.

Le troisième champ d’application des neurosciences est la prévention en santé publique.

Le secteur privé utilise de plus en plus les sciences du cerveau pour améliorer divers aspects de ses stratégies : communication, élaboration de produits, prise de décision. C’est ce que l’on appelle communément le neuromarketing ou les neurosciences du consommateur.

Certaines campagnes de prévention, qui utilisent des méthodes classiques de marketing, luttent contre des méthodes et des budgets bien supérieurs à ceux dont elles disposent. C’est pourquoi nous avons organisé, mi-juin, une journée d’études afin de montrer que les outils employés par le privé pour promouvoir certains produits peuvent être également utilisés pour améliorer l’information sur certaines grandes causes. Nous ne prétendons pas trouver, grâce aux neurosciences, la publicité parfaite pour convaincre une personne de s’arrêter de fumer ou de manger plus équilibré. Mais il serait dommage de ne pas utiliser dans la prévention en santé des stratégies analogues à celles qu’élabore l’industrie privée à partir des informations fournies par les neurosciences cognitives.

Je citerai quelques exemples sur lesquels nous travaillons : la lutte contre l’obésité, en lien avec la député Valérie Boyer, qui a rédigé un rapport sur la question; la lutte contre le tabagisme, en lien avec le ministère de la santé qui a l’intention de faire apposer sur les paquets de cigarettes des images chocs ; les études comportementales sur le marketing de la peur se développent en effet aujourd’hui. Nous collaborons avec l’INPES et avons des échanges avec le ministère de la santé sur ces questions afin d’utiliser les neurosciences pour affiner les stratégies de prévention.

Des programmes de recherche uniques au monde sont également développés dans notre pays pour essayer d’améliorer les campagnes de prévention et les stratégies de lutte contre les empoisonnements à domicile dus à l’esthétisation croissante des produits domestiques, qu’ils soient cosmétiques ou d’entretien.

Le quatrième champ d’application des neurosciences est l’aide à la décision. Des institutions, des gouvernements, voire des formations, notamment les MBA des grandes universités aux États-Unis, intègrent de plus en plus les résultats de l’économie comportementale, de la neuroéconomie et de la neuroscience sociale afin d’affiner l’aide à la décision. C’est un processus pour lequel nous sommes de plus en plus sollicités.

Le troisième point de cet exposé liminaire porte sur les enjeux éthiques.

Existe-t-il des questions éthiques propres aux neurosciences ? Nous avons tendance à le penser puisque l’utilisation des neurosciences dans la vie publique, l’application de leurs résultats, les extrapolations, voire les interprétations parfois abusives qui en sont faites soulèvent, dès aujourd’hui, de nouvelles questions tant au niveau scientifique qu’au niveau de la vie publique et de l’éducation. Les informations sont inédites et nécessitent une réflexion propre. Nous ne disposions pas, auparavant, d’une « mesure scientifique », du support de l’imagerie cérébrale pour étayer un propos sur l’état mental d’une personne. Que ces résultats soient valides ou non, ce sont des données nouvelles.

Je passe maintenant la parole à Sarah Sauneron pour la quatrième partie de cet exposé, consacrée aux éventuelles régulations à apporter

Mme Sarah Sauneron. Je vous remercie, à mon tour, de m’accueillir aujourd’hui.

Les pays anglo-saxons sont très en avance dans le domaine de la recherche en neuroéthique. Des programmes de recherche, aux budgets colossaux, sont menés sur ce sujet dans de prestigieuses universités américaines et canadiennes et des séminaires publics sont organisés, fortement relayés par les médias. Cependant, l’approche de cette question demeure essentiellement basée sur la réflexion, l’information et le dialogue et n’a pas donné lieu à des dispositions législatives, ni même à des recommandations. Dans ce contexte, l’intégration d’un volet spécifique aux neurosciences dans la loi bioéthique française conférerait à notre pays une position singulière, comme l’ont mis en avant les rapports remis par l’OPESCT, le CCNE et l’Agence de biomédecine – celui du Conseil d’État ne mentionnant pas ce point. C’est pourquoi le Centre d’analyse stratégique s’est interrogé sur la pertinence d’étendre le champ d’application de la loi bioéthique au domaine des neurosciences.

Deux types de régulations sont à considérer.

Un premier type porte sur la recherche, son encadrement, le déroulement des expérimentations, l’établissement des protocoles de recherche. Pour une majorité de chercheurs, les régulations actuelles sont suffisantes et conduisent à un juste encadrement, sans ralentir la recherche plus qu’il ne faut.

Un deuxième type de réflexions éthiques concerne l’utilisation des avancées des neurosciences hors des laboratoires et les possibles risques de mésusages. Ici certaines dispositions législatives nous paraissent nécessaires afin de répondre à ces enjeux.

Certaines relèvent de la loi bioéthique.

Il ne faut pas de droit d’exception pour les neurosciences. Comme une loi bioéthique détaillée se révélerait tôt ou tard incomplète, mieux vaut une loi-cadre car elle permettrait de répondre à de nombreuses interrogations éthiques déjà suscitées par diverses disciplines de la biologie, et que les neurosciences viennent simplement raviver. Cette loi-cadre définirait les principes éthiques fondamentaux, transversaux aux disciplines de la biologie – principe de primauté de la dignité de la personne, consentement libre et éclairé, accès équitable aux soins – auxquels seraient adjoints des principes plus spécifiques au domaine des sciences du cerveau, comme ceux qui ont été évoqués avec le professeur Berger : distinction entre restauration et amélioration des performances cognitives, même si la frontière est difficile à établir.

Ce système serait plus souple et réactif puisque la loi pourrait être révisée, dès lors qu’elle apparaîtrait insuffisante, sur suggestion d’un des organismes français de bioéthique. Reste à mieux définir les compétences des différentes agences. L’Agence de biomédecine pourrait jouer un rôle de régulateur en interprétant la loi en fonction des situations rencontrées. Si elle décelait une contradiction substantielle, elle passerait alors la main au législateur.

En dehors de la loi bioéthique, des mesures législatives spécifiques seraient nécessaires sur des questions ponctuelles. Le travail du législateur pourrait s’appuyer sur ce qui a déjà été fait – et bien fait – dans le domaine de la génétique. Je citerai deux exemples.

Le premier est la protection des données personnelles et sensibles issues des recherches en neuroimagerie et neuroinformatique. Cet enjeu recoupe en grande partie celui des données de la génétique. Le champ de compétences de la CNIL pourrait, dès lors, être étendu aux données des neurosciences.

Le second exemple est la régulation de l’utilisation éventuelle de la neuroimagerie dans les domaines judiciaire, sécuritaire ou social. Le code du travail, le code de la santé publique ou le code des assurances interdisent d’ores et déjà la discrimination génétique. Des dispositions identiques pourraient interdire la discrimination à partir des données de neuroimagerie que pourraient se procurer des assureurs ou des employeurs.

Cependant, les dispositions juridiques ne sauraient suffire. Elles doivent être accompagnées d’autres actions dans trois domaines particuliers.

Tout d’abord, il faut continuer d’ouvrir le débat éthique en impliquant le grand public. Nous saluons à cet égard l’initiative des États généraux de la bioéthique.

Ensuite, il faut développer l’effort de communication et de pédagogie, notamment par la communauté scientifique.

Enfin, on pourrait envisager l’inclusion dans les programmes scolaires d’une éducation à la bioéthique et, plus généralement, d’enseignements favorisant une meilleure compréhension des sciences et de la technologie, fondement des progrès d’une démocratie technique.

Ces trois éléments favoriseraient une éducation scientifique citoyenne permettant de distinguer ce qui relève du fantasme de ce qui relève du probable et d’éviter l’entremêlement, dans les discours, de la science et de la science-fiction. La science se dessert elle-même lorsqu’elle suggère des usages spéculatifs, voire irréalistes, car elle détourne alors l’attention des enjeux réels.

M. Olivier Oullier. Comme Sarah Sauneron vient de l’évoquer, il ressort de nos travaux au sein du programme – et cet avis est partagé par de nombreux enseignants-chercheurs et chercheurs en neurosciences – qu’il est désormais nécessaire d’inclure dans l’enseignement scientifique français une formation à l’éthique. Aussi surprenant que cela puisse paraître, celle-ci n’est pas systématique, loin s’en faut, notamment en neurosciences.

Il y a également un message à faire passer, à savoir que nous ne sommes pas notre cerveau. Je ne suis pas mon cerveau. Je suis le produit de l’interaction de mon cerveau avec d’autres cerveaux, un corps, des environnements, une histoire, et mon comportement résulte de cette interaction. Les neurosciences doivent aujourd’hui, dans la façon dont elles sont enseignées et diffusées, inscrire le cerveau au sein de la société.

Par ailleurs, les étudiants et les futurs professionnels des neurosciences ne vont plus uniquement travailler dans le monde académique mais seront l’objet de sollicitations du monde privé : ils doivent être prêts à se poser les questions nécessaires quant à l’utilisation de leur savoir. Il est surprenant que, lors des procédures de recrutement des chercheurs et des enseignants-chercheurs en France, il ne leur soit quasiment jamais posé de question sur l’utilisation du savoir qu’ils vont développer et des recherches qu’ils vont faire. Cette question est pourtant primordiale, quasiment un prérequis, pour une personne en passe de devenir un chercheur, qui plus est dans une institution publique.

Les enseignants-chercheurs et les chercheurs doivent aussi se demander ce que la société attend des sciences, et notamment des neurosciences. Ils ne doivent pas se situer simplement en spécialistes, en experts du cerveau, comme ils aiment à se définir. Y a-t-il une demande sociale d’utiliser le savoir acquis sur le fonctionnement du cerveau pour améliorer ou modifier ?

Un élément de réponse a été fourni par le programme européen Meetings of Minds qui a eu lieu en 2005-2006 et dans lequel la France a joué un rôle prépondérant. Cette initiative a permis une convergence de vues entre des citoyens néophytes et les experts quant aux attentes par rapport aux neurosciences et à leur développement dans le futur.

Les défis scientifiques, économiques et sociaux que nous vivons aujourd’hui en neurosciences nécessitent que les scientifiques continuent les travaux d’enseignement et de recherche avec la même passion et la même rigueur, mais aussi que les échanges hors du laboratoire avec les institutions publiques et privées continuent à se développer afin que les résultats des neurosciences soient intégrés dans le fonctionnement de la société. En un mot comme en cent, les meilleures armes contre les mésusages et les dérives des neurosciences resteront toujours la rigueur, l’excellence et la connaissance.

M.  Michel Vaxès, président. Je vous remercie pour cet exposé liminaire.

Je vous avoue que je suis particulièrement inquiet de l’utilisation possible des neurosciences pour modifier les comportements et non simplement corriger des anomalies et soulager des pathologies. Cela pose des questions de pouvoir et ouvre le champ à de multiples dangers.

Sans doute avez-vous réfléchi à ce problème puisque vous mettez en avant la question de l’éthique. Mais je ne suis pas sûr qu’il soit possible de définir un encadrement permettant de maîtriser l’utilisation des neurosciences hors du domaine strictement biomédical.

M. Jean Leonetti, rapporteur de la mission d’information. Je vous remercie pour cet exposé liminaire clair, documenté et brillant. Mes questions porteront sur la régulation et la manière de réguler.

Actuellement, la responsabilité ou l’irresponsabilité est définie à la suite d’un dialogue avec des experts, dialogue qui n’est pas forcément étayé de données scientifiques intangibles. La production devant un tribunal d’une imagerie cérébrale montrant des lésions du cerveau serait un élément à la décharge de la personne ayant commis un crime et pourrait étayer son irresponsabilité. Dès lors, je me demande s’il faut l’interdire. Je me demande même s’il ne faut pas la permettre dans l’intérêt même du prévenu et comme élément des droits de la défense.

M.  Michel Vaxès, président. Dans ce cas-là, c’est le médecin expert qui pratique le diagnostic.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Bien sûr, mais mon raisonnement va plus loin. Si l’on interdit dans la loi l’utilisation des neurosciences dans le domaine juridique parce qu’elle sort du domaine médical et des soins apportés à un malade et qu’on ne veut pas que les neurosciences soient utilisées pour la détection de mensonge dans le cadre d’une procédure judiciaire, le fait d’écrire que l’utilisation de ces dernières est interdite dans « toute démarche judiciaire » poserait un problème. Mais comment procéder à l’encadrement de cette utilisation ?

Vous préconisez, madame Sauneron, la réaffirmation de grands principes dans une loi-cadre. En fait, les grands principes ne suffisent pas dans le domaine des neurosciences car, le cerveau étant de quelque façon le siège de la pensée, toute manipulation de celui-ci ou toute perversion de la science sur celui-ci a des conséquences pires que toute autre utilisation, même excessive, du savoir médical.

Que va-t-on autoriser et que va-t-on interdire dans le cadre de la neuroéthique ? Cette question renvoie obligatoirement aux grands principes. Nous écrirons nécessairement qu’on ne peut pas se servir des techniques médicales concernant le cerveau dans un autre but que l’intérêt du patient et pour soigner des pathologies. Nous revenons aux notions d’autonomie et de vulnérabilité.

Doit-on interdire, dans des opérations de prévention de l’obésité ou du tabac, l’utilisation de techniques permettant d’étudier l’impact sur le cerveau d’images projetées afin de déterminer celles qui sont les plus efficaces alors que ceux qui incitent les gens à fumer ou à manger des aliments qui font grossir se servent des mêmes méthodes ? Cela soulève un problème éthique. Peut-on utiliser les mêmes moyens pour des fins opposées ? La fin justifie-t-elle les moyens ? Peut-on interdire – ce qui me paraît un peu difficile aujourd’hui – d’utiliser les neurosciences pour tester un document qui va arriver aux yeux du public ?

Étendons la réflexion au domaine politique. Un apprenti dictateur ne pourra-t-il utiliser des mécanismes testés par les neurosciences pour endoctriner le cerveau de ses concitoyens afin de les appeler à voter pour lui ? Dois-je interdire l’utilisation de ces techniques ou l’accepter du fait qu’on ne peut pas les contrôler ?

Enfin, comme je ne suis pas d’une nature pessimiste, je ferai remarquer que ce n’est pas parce qu’on voit certaines zones du cerveau s’activer que le spot publicitaire va forcément être convaincant ou que l’on saura si l’on dit la vérité ou un mensonge. Qui plus est, même si on dit la vérité, ce n’est jamais que « sa » vérité et non la vérité. Par conséquent, devant un juge, il faudra toujours garder le recul nécessaire et avoir à l’esprit que ce que je raconte, c’est ce que je crois, mais que ce que je crois n’est pas forcément vrai, notamment pour les autres – ce qui minimise un peu ce que j’ai dit auparavant !

Êtes-vous vraiment partisans d’introduire des dispositions en neuroéthique afin d’encadrer de manière plus sévère les neurosciences ? J’ai quand même tendance à penser que la manipulation du cerveau présente une certaine spécificité, toute comme la manipulation génétique.

M. Olivier Oullier. Il est intéressant que soit abordée la question de la manipulation du cerveau parce que nous parlons de l’imagerie cérébrale. Il y a des siècles qu’on manipule les gens sans scanner cérébral ni élecroencéphalogramme. Il y a des siècles que toute découverte scientifique est détournée de son utilisation première. Si un enfant se crève un œil avec une flèche en plastique, devrons-nous arrêter la recherche sur les polymères et leur production ?

L’une des personnes auditionnées par votre mission il y a quelques semaines me disait : ce n’est pas parce que l’industrie pharmaceutique communique d’une façon questionnable et coûteuse, sur des molécules qui ne le sont pas moins, que je vais arrêter mes recherches sur le traitement des tumeurs cérébrales. L’utilisation détournée, voire abusive, des résultats scientifiques est possible. Les scientifiques et les médecins doivent communiquer le plus clairement possible sur ce que l’on sait et, surtout, sur ce que l’on ne sait pas quant au fonctionnement du cerveau et à ce que l’on peut faire. Ensuite, que la société s’empare de certains des résultats, cela dépasse le cadre scientifique et les scientifiques eux-mêmes.

Pour ce qui est de l’utilisation des neurosciences pour affiner – et non déterminer ; les mots sont importants – le degré de responsabilité d’une personne dans un tribunal, je considère comme vous qu’il serait dommage de ne pas y recourir, d’autant que, dernièrement, des expertises psychiatriques ont été remises en cause.

Le scientifique que je suis se doit, par contre, d’être extrêmement prudent dans l’emploi de ses mots. Vous avez parlé de preuve scientifique « intangible ». Je ne sais pas, quant à moi, si la preuve scientifique existe.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Il y a une différence entre l’imagerie cérébrale et les tests ADN qui sont fiables, sensibles et spécifiques.

M. Olivier Oullier. Il faut, en effet, informer le public et les institutions sur ce que l’on peut voir sur les images cérébrales et sur ce que l’on peut en faire. Les belles images tridimensionnelles du cerveau que les médias utilisent à tour de bras ne sont pas un enregistrement de l’activité cérébrale, mais une estimation détournée de la consommation d’énergie par le cerveau. Cette estimation repose sur des suppositions théoriques sur le fonctionnement du cerveau qui sont très discutées aujourd’hui, l’une d’elles étant que toutes les parties du cerveau consomment de l’énergie de la même manière. Le rappel de ce postulat remet en question nombre d’interprétations et de surinterprétations.

Il faut donc appeler en permanence à la prudence sur l’interprétation des résultats.

Comme nous y avons insisté, il est impossible d’inscrire dans une loi des dispositions concernant les neurosciences sans que cette loi soit très vite caduque. Si vous m’aviez dit il y a trois ans qu’on décoderait les images de l’activité cérébrale, je vous aurais dit que cela relevait de la science-fiction. On y parvient aujourd’hui avec un taux de réussite supérieur à 80 %. Personne ne peut prédire comment les connaissances vont évoluer, surtout dans les sciences cognitives.

Il nous semble primordial d’informer, d’éduquer et d’intégrer ce type d’information dans la formation académique et médicale, où l’on n’étudie aujourd’hui que le fonctionnement du neurone. On commence à penser le cerveau en réseau et plus uniquement en termes de petites boîtes responsables de la pensée, de la lecture et de la parole. C’est un premier pas vers une vision un peu plus connexionniste du cerveau. Un grand nombre de neuroscientifiques français ont participé à ce développement.

La prochaine étape consistera à considérer les applications et les éventuels mésusages des neurosciences. Mais elle passera, à notre sens, plus par l’information, la diffusion et l’éducation que par un volet spécifique de la loi.

Mme Sarah Sauneron. Compte tenu de l’importance croissante des neurosciences, le domaine de la neuroéthique est amené à se développer, mais surtout peut-être par un effort de réflexion de la part de la communauté scientifique, d’éducation et de dialogue, comme dans les pays anglo-saxons. Le législateur interviendra ensuite, pour décliner certains points spécifiques comme pour la génétique, et anticiper certains autres dans une loi-cadre. Sur la base de celle-ci, une agence pourra s’adapter en fonction des situations réellement rencontrées.

M. Olivier Oullier. L’entreprise dans laquelle nous sommes impliqués est périlleuse car, d’un côté, une partie de la communauté scientifique fait la politique de l’autruche, en refusant de voir les applications des neurosciences en dehors du domaine biomédical ; de l’autre, le monde économique utilise les neurosciences dans des domaines aussi variés que le marketing ou la détection de mensonge de manière privée : aux États-Unis, deux sociétés sont apparues en 2006 qui proposent, moyennant finances, des neurotests de mensonge que vous pouvez faire passer à votre futur employé, à votre épouse ou encore à votre enfant…

Si nous attirons trop l’attention sur ces pratiques, nous risquons de susciter des réactions de peur. À l’inverse, pratiquer la politique de l’autruche revient à laisser se développer quantité de fausses idées qui peuvent nuire aux neurosciences. Si les seules informations données à l’opinion publique sur l’utilisation des neurosciences le sont par des personnes qui prétendent pouvoir décrypter le mensonge ou avoir trouvé le « bouton achat », elle demandera l’arrêt de ces recherches. Or ce type de recherche est primordial, non seulement en médecine, mais aussi en éducation : de nombreux travaux sont consacrés à de nouvelles méthodes d’apprentissage face aux nouveaux médias.

Nous faisons donc un travail de funambule qui nécessite de la réflexion et nous sommes heureux de l’étendre au travail de préparation réalisé par votre mission en vue de la révision des lois bioéthiques.

Le programme prospectif « Neurosciences et politiques publiques » du Centre d’analyse stratégique est unique au monde. La France est en avance. Elle sert d’exemple pour les autres pays qui, comme je l’ai indiqué, nous contactent de plus en plus pour savoir où nous en sommes et nous demander comment ils peuvent raccrocher le train de la réflexion. Je le répète, l’application des neurosciences dans la vie quotidienne n’est pas une idée, une perspective. Elle est une réalité avec laquelle il faut vivre et sur laquelle il faut réfléchir. Cela nécessite – j’y insiste à nouveau – de modifier la formation.

M.  Michel Vaxès, président. Si vous avez perçu dans mes propos une inquiétude par rapport au développement des sciences, vous vous trompez. Je suis pour l’essor des sciences dans tous les domaines.

Mes craintes concernent l’utilisation qui en est faite. Si la recherche sert le développement humain en aidant à l’établissement d’un diagnostic et à la correction d’une anomalie ou d’une pathologie, elle est bénéfique. Elle ne l’est pas si elle sert à modifier les comportements. Et je ne peux pas me satisfaire d’une réponse qui consiste à dire que de telles pratiques existent depuis longtemps. Je suis, moi aussi, favorable à l’appropriation de la connaissance par le plus grand nombre, au niveau le plus élevé, de telle sorte que le « viol des foules », par exemple, ne soit plus possible. Mais il y a toujours, d’une façon ou d’une autre, accaparement de certains moyens par une catégorie de personnes. Lorsque Pierre et Marie Curie faisaient leurs recherches sur l’atome, ils ne pouvaient imaginer Hiroshima.

La question du pouvoir est donc posée. Je n’engage pas une polémique mais j’invite à la réflexion. Il faut mettre des garde-fous à des évolutions qui, en dehors du cadre du diagnostic ou de la thérapie, conduisent à des modifications du comportement.

M. Olivier Oullier. Ce qui est important aujourd’hui, c’est de bien distinguer le fantasme et le résultat scientifique. Dans ce qui relève du fantasme, il existe un phénomène qui n’est pas neuroscientifique mais plutôt psychosociologique : l’autoréalisation. À partir du moment où certains vont prétendre décoder la pensée, des gens croiront qu’on décode leur pensée et modifieront leur comportement. Ils auront été manipulés, non pas par les résultats des neurosciences en tant que tels, mais par les gens qui les auront surinterprétés, les neuropportunistes ou les neurocharlatans, pour utiliser deux termes récemment repris dans la presse.

Le véritable enjeu est là. C’est pourquoi nous insistons sur la diffusion des connaissances et l’éducation afin de comprendre ce que les images peuvent fournir comme information. Il n’est pas possible aujourd’hui de faire un lien direct et univoque entre quelques centimètres cubes de matière cérébrale et un comportement aussi complexe qu’une décision d’achat ou une décision de vote, même si l’utilisation des neurosciences en politique n’appartient pas au futur : elle remonte à la campagne électorale de 2000 aux États-Unis…

L’important est de combattre le fantasme. C’est l’objectif de notre programme comme de votre mission. Ces actions servent à mettre en garde contre quiconque prétendrait savoir comment le cerveau fonctionne.

Il y a bien des expériences qui montrent que, si une partie du cerveau est manquante, une personne n’arrive pas à accomplir telle tâche ou à avoir tel comportement. Mais cela veut dire que cette partie du cerveau qui est manquante ou qui fonctionne mal participe à cette fonction, non qu’elle en est responsable. Imaginons qu’une image soit projetée au-dessus de moi et que je débranche le câble du projecteur. Sans le câble, il n’y a plus de projection. Cette dernière est-elle donc le résultat du seul câble ? Non, elle résulte de tout un ensemble d’éléments qui interagissent. Le cerveau fonctionne de la même manière. Toute réduction d’une fonction à quelques centimètres cubes de matière cérébrale est dommageable, non seulement pour la science, mais aussi pour les interprétations et les autoréalisations qui en découlent.

M. Michel Vaxès, président. Nous vous remercions pour la richesse de votre exposé, les pistes de réflexion que vous avez ouvertes et les assurances que vous nous avez données. Elles nous serviront, à n’en pas douter, dans la poursuite de nos débats.

Audition de Mmes Cyra NARGOLWALLA, trésorière et Frédérique FAIVRE PETIT, membre de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle et M. Jacques PEUSCET, membre de l’Association des conseils en propriété industrielle


(Procès-verbal de la séance du 6 octobre 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, Président

M. Alain Claeys, président. Dans le cadre de cette mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, nous avons choisi d’aborder le problème de la brevetabilité du vivant, même s’il ne fait pas directement partie des lois de bioéthique. La dernière fois que l’on a traité de ce sujet à l’Assemblée nationale, c’était lors de la transposition de la directive sur les brevets en 2004. Le débat n’est d’ailleurs pas clos, comme j’ai pu le constater lors d’un déplacement aux États-Unis, où des brevets larges sont accordés, notamment sur des lignées de cellules souches.

Nous recevons ainsi des représentants de deux associations de conseils en propriété industrielle : Mmes Cyra Nargolwalla et Frédérique Faivre Petit, pour la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle (CNCPI) et M. Jacques Peuscet, pour l’Association des conseils en propriété industrielle (ACPI). Nous souhaiterions que vous puissiez nous éclairer quant aux conditions de brevetabilité des cellules souches et des séquences génétiques humaines. D’après votre expérience professionnelle, est-ce que le brevet tel qu’il existe aujourd’hui est un bon outil pour ce qui concerne le vivant ? Y a-t-il sur ces sujets des clivages importants ou une convergence entre les offices européen et américain des brevets. Enfin, comment expliquer le retard français en matière de dépôt de brevets par rapport à la Grande-Bretagne et à l’Allemagne, qui est d’autant plus surprenant dans le cas de l’Allemagne que la législation de ce pays est beaucoup plus dure que la notre concernant la recherche sur le vivant ?

Mme Cyra Nargolwalla. Je souhaiterais tout d’abord vous remercier de nous accueillir ici, au nom de la CNCPI et de l’ACPI. Je vous propose de commencer par la question des cellules souches, avant d’aborder celle des séquences génétiques puis de répondre à vos questions concernant la situation aux États-Unis et le retard de la France en matière de dépôt de brevets.

Concernant les cellules souches, il n’existe ni dans la loi française, ni dans la directive européenne d’interdiction absolue de brevetabilité des cellules souches. L’article L. 611-18 exclut la brevetabilité des embryons humains à des fins industrielles ou commerciales. C’est de cette façon que le principe de l’interdiction de la brevetabilité des cellules souches embryonnaires humaines a été introduit dans le droit. Il n’y a pas actuellement de jurisprudence en France sur ce sujet mais la grande chambre des recours de l’Office européen des brevets, dans sa décision WARF, apporte une partie de la réponse à la question de la brevetabilité des cellules souches embryonnaires en indiquant que les méthodes qui nécessitent la destruction d’un embryon humain pour obtenir des cellules souches ne sont pas brevetables. Cette décision pose donc une interdiction claire : s’il y a destruction du vivant, la brevetabilité est exclue ; sinon, les options restent ouvertes.

M. Alain Claeys, président. Afin de préciser vos propos, est-ce que la décision porte sur un embryon qui a été créé pour la recherche ou sur un embryon surnuméraire ?

Mme Cyra Nargolwalla. Peu importe l’origine de l’embryon : si la méthode implique la destruction de l’embryon, elle n’est pas brevetable.

Mme Frédérique Faivre Petit. La décision WARF ne fait pas de distinction selon l’origine de l’embryon. De toute façon, la loi française n’autorise pas la constitution d’embryons à des fins de recherche. Nous ne nous sommes donc jamais posé cette question en ces termes, pas plus que l’OEB, dans sa décision WARF.

M. Alain Claeys, président. Le cas pourrait néanmoins se présenter devant l’OEB dans la mesure où tous les pays européens n’ont pas la même législation concernant la constitution d’embryons à des fins de recherche.

Mme Frédérique Faivre Petit. C’est vrai, mais dans la décision WARF, l’OEB ne fait pas cette distinction.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Mais ce qui importe, n’est-ce pas la destination de l’embryon ? Si un embryon doit de toute façon être détruit, ne peut-on pas prélever une cellule avant la destruction ? C’est le cas notamment des embryons surnuméraires, qui sont destinés à être détruits, que l’on prélève une cellule ou pas.

Mme Frédérique Faivre Petit. Tout ce que l’on peut dire avec la décision WARF, c’est que dès qu’il y a destruction de l’embryon, les cellules souches ainsi obtenues ne sont pas brevetables, peu importe l’origine de l’embryon.

Mme Cyra Nargolwalla. Cette décision répond à la question suivante : a-t-on le droit de breveter une lignée de cellules souches ? Non si elle a été obtenue grâce à la destruction d’un embryon ; probablement oui dans le cas contraire. Il pourra certainement y avoir des progrès techniques qui permettront d’obtenir des cellules souches embryonnaires sans destruction de l’embryon.

M. Alain Claeys, président. Mais aux États-Unis, certaines lignées de cellules souches ont fait l’objet d’un brevet alors qu’elles avaient été obtenues à la suite de la destruction d’un embryon.

Mme Cyra Nargolwalla. La situation est effectivement assez différente aux État-Unis, où l’on a tendance à penser que l’on peut breveter tout ce qui existe : anything under the sun made by man est brevetable. Ce principe très libéral reste effectif aux États-Unis, mais ce n’est pas du tout ce que l’OEB vient d’affirmer dans la décision dont nous parlons.

Concernant les séquences génétiques, il existe une transposition qui n’est pas littérale de la directive en droit interne. Cette transposition a été faite avec la volonté de ne pas permettre que soit brevetée une séquence de gènes en tant que telle. Les alinéas 2 et 3 de l’article 5 de la directive, qui ont été transposés dans la Convention européenne des brevets tels quels, sont clairs. Le 2 permet la brevetabilité d’une séquence génétique humaine et le 3 pose une limite précise : l’application du gène doit être clairement exposée dans la demande de brevet. En France, la loi a voulu s’assurer qu’une séquence génétique ne pouvait pas être brevetée en tant que telle.

M. Alain Claeys, président. Pour être concret, il faut distinguer le gène et son application. Or, certains brevets ont été déposés qui incluaient le gène et son application.

Mme Cyra Nargolwalla. Oui.

M. Alain Claeys, président. Cela signifie que si une deuxième application est découverte pour ce même gène, le nouveau brevet est dépendant du premier même si cette application est totalement différente.

Mme Cyra Nargolwalla. La revendication du premier brevet couvre bien la séquence de gènes puisque son application est contenue dans la description. La séquence est donc bien brevetable au sens de la directive. Si une autre application est découverte à partir de la même séquence, la revendication qui peut être formulée est une revendication d’application et non plus une revendication de produit. Le nouveau brevet serait donc dépendant du premier brevet. Tel est également le cas dans d’autres domaines de la propriété industrielle : si l’on découvre une nouvelle propriété pour l’aspirine, un nouveau brevet pourra être déposé pour cette nouvelle application mais il sera dans la dépendance du premier.

M. Alain Claeys, président. Tel est en effet le droit existant avec lequel je suis en désaccord : il faut pouvoir breveter une application d’un gène mais laisser la séquence génétique en dehors du brevet. Mais ce débat est clos.

Mme Cyra Nargolwalla. En effet, dans la directive, les inventions biotechnologiques sont des inventions comme les autres : il n’existe pas de condition spécifique pour breveter des inventions biotechnologiques. Il peut donc y avoir des brevets de produit sur les séquences génétiques.

M. Alain Claeys, président. Le droit existant provient en fait d’un contexte historique bien particulier : lors du décryptage du génome, les entreprises de biotechnologies étaient à la recherche de capitaux. Elles déposaient donc des brevets très larges afin d’avoir les chances de retour sur investissement les plus grandes possibles. Ceci a d’ailleurs provoqué des contentieux très importants aux États-Unis.

Mme Cyra Nargolwalla. Mais cette situation est spécifique aux États-Unis où ont été délivrés des brevets pour lesquels aucune application n’était connue. Cette situation est abusive mais elle ne s’est jamais produite ni en France ni en Europe, même avant l’existence de la directive sur les biotechnologies.

Aux États-Unis, la jurisprudence tend également à se rapprocher de celle de l’OEB : une séquence sans application ne pourra pas être brevetée ; une séquence avec une application déterminée pourra donner lieu à un brevet de produit, qui ne protège pas uniquement l’application exposée. Pour les autres brevets portant sur cette même séquence génétique, parce qu’une nouvelle application a été découverte, la protection ne porte que sur cette nouvelle application.

Entre Grande-Bretagne et le reste de l’Europe, il n’y a pas de différence majeure concernant la brevetabilité les séquences génétiques. En revanche, les conditions de recherche sur les cellules souches sont plus libérales sans que cela ait un impact direct sur les règles de brevetabilité, qui sont proches de celles de l’OEB.

Sur la question du retard de la France concernant le nombre de brevets déposés, celui-ci n’est pas spécifique au domaine des biotechnologies. Il a des causes générales qui résident dans la nature du tissu industriel français et dans l’effort de recherche dans le domaine des biotechnologies.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Vous nous indiquez que les différences de législation en matière de brevet ne sont pas pénalisantes pour les chercheurs français. Est-ce votre opinion ? Est-ce que les règles françaises génèrent des pesanteurs particulières qui freineraient le dépôt de brevets ?

Mme Cyra Nargolwalla. C’est à eux qu’il faut poser la question ! Si on n’acceptait pas du tout la brevetabilité des séquences génétiques en Europe, la réglementation serait pénalisante pour les chercheurs français. Mais les règles européennes et américaines se rapprochent. J’ajoute que l’Allemagne a transposé la directive de manière similaire à la France en tentant de limiter la portée d’une revendication de produit sur un gène à une utilisation spécifique de ce gène, ce qui n’est pas le cas aux États-Unis. D’autres disparités pourront apparaître en cas de contentieux.

M. Alain Claeys, président. Est-ce que vous être confrontés à des problèmes dans le domaine de la brevetabilité du vivant, sur lesquels le législateur devrait se pencher ?

Mme Cyra Nargolwalla. S’il existe un certain flou, il concerne les séquences de gènes. La transposition de la directive pour les séquences de gènes restreint la protection accordée à une partie de la séquence (qui est responsable de la fonction technique qui est décrite dans la demande de brevet) et fait qu’un deuxième brevet déposé sur la même séquence génétique ne serait plus dans la dépendance du premier. Cela revient à sortir du schéma de brevetabilité classique (avec un brevet dominant et un brevet de perfectionnement). Mais aucun cas ne s’est présenté devant les tribunaux français.

M. Alain Claeys, président. En fait, peu importe la teneur de la transposition puisqu’un chercheur qui veut déposer un brevet le fera auprès de l’OEB. Ce seront donc les règles européennes qui trouveront à s’appliquer.

Mme Cyra Nargolwalla. C’est exact mais ce sont les règles françaises qui continuent à s’appliquer pour la contrefaçon, ce qui risque d’entraîner des disparités. La protection conférée à la partie britannique du brevet européen sera par exemple supérieure à la protection accordée à la partie française.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Pour caricaturer, peut-on dire que dans les biotechnologies, on peut breveter le « techno » mais pas le « bio » : on ne peut pas breveter la cellule souche ou la séquence de gènes mais on peut breveter leurs applications ?

Mme Cyra Nargolwalla. On ne peut jamais breveter un produit issu de « bio » en tant que tel parce que la loi et la directive l’interdisent en l’absence d’application industrielle. Mais on peut breveter le « bio », dans la mesure où il a une application, par un brevet de produit, qui comportera des revendications de produit, d’application, voire de fabrication. Mais en France, on a tenté de limiter la portée des brevets à l’application du « bio ». Cette limitation n’existe pas en Grande-Bretagne, par exemple.

M. Alain Claeys, président. Pouvez-vous nous rappeler le mécanisme de l’exception de recherche et le jugement que vous portez sur celui-ci ?

Mme Frédérique Faivre Petit. Elle figure à l’article L. 613-5 b. du code de la propriété intellectuelle, qui exclut des actes de contrefaçon les actes accomplis à titre expérimental qui portent sur l’objet de l’invention brevetée. Dans l’exercice de notre activité, nous ne voyons pas de contentieux reposant sur ce fondement. Cette disposition semble donc être satisfaisante.

Mme Cyra Nargolwalla. Cet article a été repris à l’identique dans tous les grands pays européens.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Est-ce que le système de la licence d’office, c’est-à-dire le fait que le gouvernement puisse accorder une licence si le coût de mise en œuvre du brevet et de son exploitation fait qu’il n’est pas exploité, est appliqué et est-ce que cela pose des problèmes juridiques ?

Mme Cyra Nargolwalla. Cet article n’a jamais été appliqué ; je n’ai donc aucune suggestion de modification à vous faire. Ces dispositions pourraient être utiles dans des situations particulières de risque pour la santé publique.

M. Jacques Peuscet. Je voudrais juste rajouter que cela n’a jamais été appliqué à ma connaissance, y compris en dehors du domaine des biotechnologies.

Par ailleurs, il existe une autre disparité entre la directive et sa transposition. En effet, la directive indique que ne sont pas brevetables les procédés de modification de l’identité génétique germinale. Or, le terme « germinale » n’a pas été repris dans la loi française. L’interdiction est donc plus large.

Mme Cyra Nargolwalla. Le principal élément manquant pour apprécier les règles actuelles réside dans l’absence de contentieux, qui existe pourtant en Grande-Bretagne, en Allemagne et aux Pays-Bas.

M. Alain Claeys, président. Il ne me reste plus qu’à vous remercier pour votre contribution à nos travaux.

Audition de M. Alain POMPIDOU, professeur de médecine, ancien président de l’Office européen des brevets, président de l’Académie des technologies


(Procès-verbal de la séance du 6 octobre 2009 )

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. Alain Claeys, président. Mes chers collègues, nous avons le plaisir d’accueillir M. Alain Pompidou qui est professeur de médecine et président de l’Académie des technologies. Vous êtes membre de nombreux comités d’éthique et vous avez été également député européen et président de l’Office européen des brevets entre 2004 et 2007.

Vous avez joué un rôle très important à la tête de cet Office, en matière de bioéthique. Votre expérience nous sera très utile pour nous rappeler les conditions de brevetabilité des produits du corps humain et les convergences de l’Europe avec les États-Unis dans ce domaine.

M. Alain Pompidou. Je vous remercie de m’avoir invité à parler devant votre mission. Plutôt que de parler de brevetabilité, je souhaiterais saisir cette occasion pour évoquer deux questions liées à la révision des lois bioéthiques.

La première portera sur le statut de l’embryon et la culture de cellules embryonnaires ; je m’exprimerai sur ce plan à titre strictement personnel. La seconde aura trait aux problèmes posés par le développement des technologies convergentes et j’en parlerai en ma qualité de président de l’Académie des technologies.

S’agissant du statut de l’embryon, ce dernier pourrait être assimilé à l’être humain puisqu’il en a toutes les potentialités. Il a les mêmes devoirs et les mêmes obligations qu’un être humain déjà né. Dans le cadre du DPI, l’embryon, au stade de dix à quinze cellules, est l’objet de prélèvements d’une ou deux cellules pour voir, dans les conditions fixées par la loi, si des problèmes génétiques se posent et si la transplantation de cet embryon est possible dans le cadre d’une AMP. Le prélèvement de cellules, sans menacer le développement ultérieur de l’embryon, est autorisé par la loi, dans la mesure où il y a un bénéfice direct de cette opération pour l’enfant à venir et pour sa famille. Rien ne devrait s’opposer, dans ce cadre, à ce que deux ou trois cellules embryonnaires soient mises en culture pour un clonage à des fins thérapeutiques avec un bénéfice indirect. Dans ce schéma là, on serait en présence en effet d’un bénéfice indirect, à la différence du DPI. L’embryon serait alors perçu comme un embryon humain donneur de cellules avec une visée compassionnelle comme le don d’organes. Toutefois, cette pratique supposerait un encadrement juridique. Il conviendrait de s’assurer du consentement des parents géniteurs biologiques éventuels, si on les connaît, et des consentements des parents qui adopteraient, en quelque sorte, l’embryon vivant. On voit donc bien, à travers cet exemple, qu’il faut tenir compte, non seulement de l’interdiction du clonage reproductif, mais que l’encadrement de l’usage des cellules souches embryonnaires dans un but thérapeutique doit être très précis.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Vous semblez établir une corrélation entre le fait que l’embryon aurait le statut de personne humaine et la possibilité de prélever des cellules sur ce même embryon. En quoi le fait que l’embryon soit un élément de la personne humaine permet ce prélèvement de cellules ?

M. Alain Pompidou. La loi a autorisé le DPI sous conditions, mais la mise en culture de cellules à des fins thérapeutiques n’est pas prévue. Ce qui est important c’est que la loi, faute d’avoir défini un statut de l’embryon, encadre les modalités du consentement des parents géniteurs et des thérapies issues du clonage.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Il y a le contexte des embryons surnuméraires et le cas où l’embryon destiné à devenir un enfant fait l’objet de prélèvements. Les jurys citoyens, dans le cadre des états généraux de la bioéthique, ont d’ailleurs distingué l’enfant à naître – qui serait intouchable – du prélèvement d’embryons voués à la destruction lorsqu’il n’y a pas de projet parental.

M. Alain Pompidou. On peut effectivement penser que la dialectique est la même lorsque l’on est en présence d’embryons congelés et d’embryons frais. Sur le plan médical, les cellules d’embryons frais ont cependant des potentialités certainement supérieures à celles des embryons congelés, d’où l’intérêt de se caler sur le DPI. Le législateur, encore une fois, ne définit pas l’embryon mais autorise des prélèvements de cellules à des fins thérapeutiques. Il apparaît cependant nécessaire d’encadrer les conditions du consentement à ce prélèvement et de son usage.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Au cours de nos auditions, il a été proposé de remplacer le critère de l’intérêt thérapeutique par celui d’intérêt médical, qui serait à la fois plus objectif et global. L’argument en faveur de cette substitution serait que l’on ne peut demander par avance au chercheur ce qu’il va trouver. Partagez-vous cette analyse ?

M. Alain Pompidou. J’ai parlé effectivement de fins médicales et cela me paraît très utile.

Je souhaiterais dans un second temps évoquer devant vous les questions posées par le post humanisme et les technologies convergentes, qui regroupent notamment les biotechnologies, la biologie synthétique, les nanotechnologies et les sciences cognitives. Ces problèmes sont très bien présentés dans un livre américain intitulé « Medical enhancement and posthumanity ». Il existe actuellement un courant de pensée « transhumaniste » qui aspire à fabriquer des surhommes. Il existe un autre courant favorable au progrès pour développer les capacités réactives de l’homme et les orienter vers des fins médicales. Mais il y a une vraie différence entre des bénéfices liés à des thérapies considérées comme des substituts s’inscrivant dans la lignée des greffes d’organes et des bénéfices débouchant sur une sélection artificielle d’êtres humains dotés d’une surcapacité induite et artificielle. Jusqu’ici, l’élargissement des capacités de l’homme se heurtait à des barrières telles que la moralité, l’outrage aux bonnes mœurs, par exemple. Mais ces barrières risques d’être repoussées. Le dopage est interdit pour les sportifs, mais qu’en sera-t-il demain si leurs performances musculaires sont accrues par la neurobiotique, avec l’aide de simples petites puces ? On peut très bien imaginer que leurs fibres musculaires soient stimulées par ces petites puces.

M. Jean Leonetti, rapporteur. La neurobiotique accélère-t-elle la transmission nerveuse aux muscles ou augmente-t-elle la masse musculaire par une stimulation ?

M. Alain Pompidou. Elle fait les deux. Elle augmente les capacités fonctionnelles et la masse musculaire. Une micropuce se substitue au cerveau dans le cadre de l’entraînement. Ce n’est pas de la science-fiction, c’est de la recherche. En revanche, ce qui est déjà mis au point, c’est l’augmentation des capacités sensorielles de l’être humain, qu’il s’agisse de l’acuité auditive, de l’acuité tactile pour les malvoyants ou de l’acuité visuelle. On peut par exemple développer la capacité de la rétine pour lui donner des qualités comparables à celles d’une caméra infrarouge. L’introduction de telles techniques en matière de défense, qui sont le résultat des technologies convergentes, permettra de disposer d’avantages compétitifs considérables évidents. Ces applications existent déjà. Ces techniques peuvent être utilisées aussi, par exemple, pour accroître les facultés d’adaptation des individus à des conditions de vie extrêmes comme le grand froid, l’altitude ou la profondeur. Ces nouvelles perspectives soulèvent des problèmes juridiques : la loi va-t-elle limiter des capacités militaires ? Sur un autre terrain, le transhumanisme débouche aussi sur une sélection de l’être humain proche de l’eugénisme, même si on touche moins aux gènes qu’à leur capacité d’expression. Il y a là certainement une réflexion à mener. On a le sentiment que la science avance à l’aveugle, comme disait Martin Heidegger. L’Unesco a mis en place des groupes de travail sur la bioéthique ainsi que sur la science et la technologie pour définir des codes de bonne conduite pour les chercheurs. On estime à 300 environ le nombre des codes de bonne conduite en matière d’éthique pour la science dans le monde, en fonction des cultures de chaque pays. Des recommandations devraient être présentées au cours de l’année 2010. Il faut encadrer les modalités d’usage de la science en se fondant sur des objectifs éthiques, notamment celui de la restauration des capacités naturelles de l’homme.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Vous étiez venu pour nous parler de brevetabilité. Vous nous avez entraînés sur d’autres terrains et vous avez abordé la question de la frontière qui existe entre ceux qui prônent une amélioration de l’homme et ceux qui, au fond, aspirent à ériger une sorte de surhomme. Si l’on voulait différencier les médecines, on a l’impression que l’on aurait une médecine qui répare, une qui améliore et une qui répond à une demande sociétale de bonheur. A travers cette différenciation, il y a une philosophie qui plaide pour une élite dominante exprimant un désir de puissance et une autre qui obéit à une demande plus collective de bien-être, fondée sur la solidarité. N’est-on pas cependant fondé à se demander s’il n’y a des passerelles entre ces philosophies ? Au surplus dans la mesure où, avec le DPN et le DPI, on élimine aussi des cellules jugées malfaisantes, n’est-on pas déjà en présence d’une forme de transhumanisme ?

M. Alain Pompidou. La ligne rouge, c’est cette « surcapacitation » de l’être humain qui n’est pas acceptable et qui s’oppose à la substitution. S’agissant de la quête du bonheur, on constate aujourd’hui une tendance hédoniste dans nos sociétés, notamment en période de crise économique où l’on a envie de se faire plaisir. Là, cependant, le législateur n’a pas de prise sur cette évolution.

M. Alain Claeys, président. Je voudrais revenir sur les brevets. Pensez-vous, s’agissant de la brevetabilité du vivant au niveau européen, que nous sommes arrivés à un équilibre satisfaisant ?

M. Alain Pompidou. Jusqu’à il y a quelques mois, la directive européenne sur les inventions biothechnologiques était appliquée à la lettre par l’Office européen des brevets pour délivrer les brevets. Je ne vois pas de dérive majeure, mais les quatre autres offices américain et asiatiques – chinois, coréen, japonais – ont des règles plus souples. Le jugement récent de la Grande chambre des recours sur l’appropriation des cellules embryonnaires pose toutefois une limite à la brevetabilité des cellules souches embryonnaires.

M. Alain Claeys, président. Le jugement affirme en effet le principe que les cellules souches conduisant à la destruction de l’embryon ne peuvent être brevetées. Est-ce que, d’après vous, cela s’applique aux embryons à finalité de recherche ou à tous les embryons, y compris les embryons surnuméraires ?

M. Alain Pompidou. C’est un problème très difficile. Il y a les défenseurs acharnés de l’embryon en tant que personne potentielle et ceux qui estiment que, faute de projet parental, les embryons sont abandonnés à la recherche. On touche là à des différences considérables entre les religions. Chez les protestants, l’être humain existe dès le quinzième jour à partir de l’apparition des premières cellules nerveuses. En anglais, on distingue « I must » ce qui m’est imposé de l’extérieur, de « I have to », ce que je m’impose. Cela correspond à ma prise de conscience, dès l’apparition de mes premières cellules cérébrales. Les catholiques, quant à eux, sacralisent la fécondation issue de la pénétration de l’ovule par le spermatozoïde. Chez les musulmans, l’embryon n’existe pas en préimplantation, il est aléatoire. En revanche, dès qu’il est implanté, il est lié à la mère et à une potentialité de survie bien plus grande. C’est le fruit des travaux d’Avicenne. Il y a une petite communauté juive tunisienne qui s’appuie sur un texte du Talmud pour affirmer que l’être humain existe dès l’éjaculation avant même la fécondation.

Il faut se positionner sur cette problématique en européen et l’encadrement juridique doit être lié à l’utilisation postérieure des embryons. Le législateur doit réfléchir avant tout à l’encadrement d’usage, y compris en matière de brevetabilité.

M. Alain Claeys, président. Je vous remercie pour votre intervention.

Audition de Mme Christine VANHEE-BROSSOLLET, responsable de la propriété intellectuelle à l’Institut Curie, M. Frédéric FOUBERT, directeur du service Transfert de technologies de la direction de la politique industrielle au CNRS, Mme Isabelle BENOIST, responsable du pôle Nouvelles technologies et responsabilités de la direction des affaires juridiques du CNRS et M. Bernard BIOULAC, directeur scientifique adjoint de l'Institut des sciences biologiques


(Procès-verbal de la séance du 6 octobre 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, Président

M. Alain Claeys, président. Nous sommes heureux de vous accueillir devant notre mission d’information, dont le rapporteur est Jean Leonetti, que je vous prie de bien vouloir excuser. La mission a procédé à de nombreuses auditions, sur tous les thèmes relevant de la loi de bioéthique. Mais nous avons également souhaité élargir nos investigations aux questions de brevetabilité. C’est pourquoi, après avoir auditionné des spécialistes des questions de propriété intellectuelle, nous avons tenu à entendre également des représentants des organismes de recherche qui sont confrontés à ces problèmes de brevetabilité des produits et éléments du corps humain, et plus particulièrement, des cellules souches et des séquences génétiques. Nous avons ainsi le plaisir d’accueillir Mme Christine Vanhee-Brossollet, responsable de la propriété intellectuelle à l’Institut Curie, M. Frédéric Foubert, directeur du service Transfert de technologies de la direction de la politique industrielle, Mme Isabelle Benoist, responsable du pôle Nouvelles technologies et responsabilités de la direction des affaires juridiques, et M. Bernard Bioulac, directeur scientifique adjoint de l'Institut des sciences biologiques du CNRS, qui fut un de nos anciens collègues.

Nous souhaiterions savoir d’une part, quelles sont vos stratégies pour valoriser les découvertes que vous réalisez, en termes de propriété intellectuelle et, d’autre part, si les règles actuelles de brevetabilité vous conviennent.

Mme Christine Vanhee-Brossollet. À titre liminaire, je souhaiterais vous indiquer que je ne m’occupe que depuis quelques mois de la propriété intellectuelle à l’Institut Curie. Je suis une praticienne du droit des brevets de formation et j’ai pendant longtemps travaillé chez des industriels.

L’Institut Curie est une fondation privée qui regroupe un hôpital et un centre de recherches, au sein duquel travaillent des chercheurs de l’Inserm et du CNRS. Les problématiques que nous rencontrons sont donc similaires à celles des organismes publics de recherche.

L’Institut Curie est une petite structure, ce qui explique qu’il n’ait déposé que 120 familles de brevets depuis sa création. Actuellement, nous traitons entre vingt et trente déclarations d’invention par an et nous déposons entre dix et vingt demandes de brevets, dont la moitié se rapporte au domaine des biotechnologies. Nous avons peu de brevets portant sur des séquences géniques, moins d’une dizaine. Nous avons un seul brevet faisant appel à des cellules souches, qui est codétenu avec le CNRS et l’Institut Pasteur et qui porte sur une technique de délétion de séquences génétiques. Nous n’avons aucun brevet portant sur des cellules souches embryonnaires.

M. Alain Claeys. Quels sont les problèmes que vous rencontrez en terme de valorisation de vos découvertes ? Certaines règles juridiques y font-elles obstacle ?

Mme Christine Vanhee-Brossollet. Le principal problème tient à la différence entre les dispositions du code de la propriété intellectuelle et les directives appliquées par l’OEB. Ceci amène une incertitude juridique tant du point de vue de la procédure d’examen, puisque ce ne sont pas les mêmes règles de brevetabilité qui s’appliquent, que de la portée de la protection qui est délivrée. La question se pose notamment pour les demandes de brevets européens, qui ont pour conséquence la validation du brevet en France. Tant que les tribunaux n’auront pas rendu de décisions, nous resterons dans cette incertitude juridique.

Le deuxième problème provient des États-Unis. Pendant longtemps, des brevets très larges sur des gènes y ont été accordés. Mais cette époque est révolue parce que les brevets ne sont plus accordés pour ces revendications et que beaucoup de séquences ont déjà été brevetées. De manière générale, les demandes de brevet portant sur des séquences géniques ont chuté de moitié depuis le début des années 2000. Désormais, le niveau d’exigence de l’office américain rejoint celui des offices européen et japonais.

M. Alain Claeys. Pour prendre un exemple, en 2008, l’OEB a confirmé le brevet de Myriad genetics sur le test de prédisposition au cancer du sein. Que vous inspire cette décision, qui accorde un brevet large ?

Mme Christine Vanhee-Brossollet. Tout à fait, mais il est beaucoup moins large que ce qu’il était à l’origine. Il a de surcroît une forte présomption de validité dans les États contractants parce qu’il a survécu à une opposition et à un recours.

M. Alain Claeys. Quelle était l’argumentation de l’Institut Curie, qui a pris la tête de l’opposition à ce brevet ?

Mme Christine Vanhee-Brossollet. Le premier argument était que le brevet était trop large car il ne permettait de détecter qu’une partie des mutations rencontrées chez les femmes atteintes de cancer du sein. Il y avait également le fait que les hôpitaux qui pratiquaient ce test devaient envoyer leurs échantillons aux États-Unis, pour qu’ils y soient testés. Ceci aurait permis à Myriad de constituer la banque de données la plus étendue au monde de séquences géniques prédisposant au cancer du sein. Il n’aurait donc pas été possible aux chercheurs français d’utiliser ces échantillons pour pratiquer d’autres tests.

M. Alain Claeys. Est-ce que le mécanisme d’exception de recherche tel qu’il existe aujourd’hui vous paraît satisfaisant ?

Mme Christine Vanhee-Brossollet. Toutes les recherches qui sont réalisées dans nos laboratoires entrent dans le cadre de l’exception de recherche telle qu’elle existe aujourd’hui.

M. Alain Claeys. Mais cette notion est parfois remise en cause, notamment aux États-Unis.

Mme Christine Vanhee-Brossollet. L’exception de recherche n’a jamais été aussi large aux États-Unis qu’elle l’est en France. Elle a en effet été remise en cause à de nombreuses reprises aux États-Unis, où l’on tend à la réduire à la recherche purement académique.

M. Alain Claeys. Que pensez-vous d’un brevet déposé sur une lignée de cellules souches embryonnaires ?

Mme Christine Vanhee-Brossollet. L’USPTO a indiqué que les lignées de cellules souches humaines étaient brevetables. En Europe, la position de l’OEB est différente : dans l’affaire WARF, il a déclaré que n’étaient pas brevetables des cultures cellulaires qui n’ont pu être obtenues que par destruction d’un embryon humain. Mais le site Internet de l’OEB semble indiquer que des cellules souches non humaines sont brevetables, de même que des cellules fœtales, issues par exemple de sang de cordon.

M. Alain Claeys. Comment expliquez-vous le retard de la France en terme de nombre de brevets en biotechnologies ?

Mme Christine Vanhee-Brossollet. De manière générale, la France dépose moins de brevets que l’Allemagne et la Grande-Bretagne. C’est le cas également dans le domaine des biotechnologies. La cause tient pour partie à une culture moins portée sur le dépôt de brevets. D’autre part, le tissu industriel est moins développé en France dans le domaine des biotechnologies.

M. Frédéric Foubert. Le CNRS dépose 250 brevets par an pour un portefeuille de brevets comportant plus de 3 500 familles, que l’on crible chaque année pour abandonner des brevets et en conserver d’autres. 50 brevets sont déposés chaque année dans le domaine des biotechnologies au sens large. Mais très peu sont déposés sur les cellules souches. En 2006, on avait une dizaine de déclarations d’invention, mais nous n’en avons plus aucune en 2008 et en 2009. Sur l’ensemble de notre portefeuille de brevets, nous n’avons plus que cinq dossiers qui ont trait aux cellules souches en cours de procédure.

En ce qui concerne les séquences géniques, nous avions sept demandes de brevets en 2006 mais plus qu’une en 2009. Les brevets qui comportent des séquences sont uniquement à des fins d’exemplification. Ils ne portent donc pas sur la séquence en tant que telle.

Le choix du brevet n’est pas automatique. Nous menons une évaluation préalable quant au caractère transférable du brevet. Dans un passé récent, nous déposions systématiquement des brevets, y compris sur des matériaux de recherche, tels que des anticorps. Mais il est apparu que les flux financiers ne permettaient pas toujours de rembourser les frais de propriété industrielle. Nos plus gros retours financiers concernent essentiellement des molécules ou des méthodes d’extraction.

Pour nous, l’exception de recherche telle qu’elle existe en France nous convient. Elle couvre l’essentiel des activités de nos laboratoires.

Concernant la place de la France dans le nombre de brevets déposés, nous tenons à vous signaler que selon une étude de l’INPI, la France se situe avant l’Angleterre dans le domaine des biotechnologies, alors que le nombre d’entreprises de biotechnologies est bien moindre.

M. Bernard Bioulac. Au CNRS, nous avons moins d’équipes impliquées dans la recherche liée aux cellules souches que nos partenaires de l’Inserm car traditionnellement, le CNRS est moins impliqué dans une recherche à visée biomédicale.

M. Alain Claeys. Les règles régissant la propriété intellectuelle peuvent-elles constituer un frein à la recherche ? Par exemple, si on laisse se développer des brevets de produits sur les cellules souches embryonnaires, cela ne va-t-il pas conduire à des rentes de situation qui entraveront la recherche ?

Mme Christine Vanhee-Brossollet. Un brevet n’empêche pas les équipes de recherche de travailler avec les lignées cellulaires. Le problème réside dans l’accès au matériel. Si la recherche est menée par un industriel qui ne rentre pas dans ses frais, la lignée ne sera accessible à personne et personne ne saura qu’elle existe. Le brevet n’est donc pas le problème essentiel.

M. Frédéric Foubert. Je suis tout à fait d’accord. Souvent, la meilleure protection ne passe pas par le dépôt d’un brevet mais par la détention du matériel biologique. Que le produit soit breveté ou pas importe moins que le fait que le produit soit accessible.

M. Alain Claeys. Comment la structure de valorisation du CNRS est-elle organisée ?

M. Frédéric Foubert. Le dispositif de valorisation du CNRS comporte trois branches : la direction de la politique industrielle qui fait partie de l’administration centrale, les services du partenariat et de la valorisation, qui sont implantés dans chaque branche régionale du CNRS, en contact avec les chercheurs, et notre filiale de valorisation, qui prend la forme d’une société anonyme s’appelant Fist.

Pour ce qui est des brevets et du licencing, nos services de partenariat et de valorisation mènent des actions de formation aux enjeux de la propriété intellectuelle dans les laboratoires. Ils sont en contact avec nos équipes de recherche pour formaliser les déclarations d’invention, première étape dans le chemin conduisant au dépôt d’un brevet. Ces déclarations sont ensuite transmises à la direction de la politique industrielle dans les services où une première évaluation est réalisée portant sur l’opportunité de breveter l’invention, qui va donner lieu au mandatement d’un cabinet de propriété intellectuelle dans un délai bref. Pour promouvoir l’accès à la propriété intellectuelle, nous sommes engagés à répondre dans des délais rapides : à réception d’une déclaration d’invention par une équipe de recherche, nous sommes engagés à prendre une décision dans les quatorze jours, afin de stimuler les équipes et de réduire les lenteurs administratives. Ensuite, nous contactons un cabinet en vue de la rédaction du brevet, l’engagement général étant d’avoir un dépôt de brevet dans les trois mois à compter de la déclaration d’invention.

Juste avant le passage en phase PCT, nous réalisons une seconde évaluation, qui porte sur quatre critères : la qualité de l’équipe, la maturité de la technologie, la taille du marché et la qualité de la propriété intellectuelle. C’est alors que nous évaluons la transférabilité de l’invention en regard du tissu industriel car notre objectif n’est pas de déposer le plus de brevets possibles mais de faire sortir les technologies des laboratoires

Dès que le brevet est confirmé, voire même avant, nous mandatons notre filiale Fist pour faire un portage technologique et rechercher des entreprises qui seraient susceptibles d’être intéressées par cette technologie et entrer dans la négociation de la licence.

Voici le parcours du laboratoire aux industriels.

M. Alain Claeys. Est-ce que vous avez des brevets communs avec certains industriels ?

M. Frédéric Foubert. Un bon nombre de nos brevets sont en copropriété avec des industriels et sont issus de nos recherches communes. Il faut savoir que 18 mois après la demande de brevet, 30 à 40 % de nos brevets sont déjà entre les mains d’un industriel, que ce soit en copropriété ou sous forme de licence. Ce taux est satisfaisant et démontre que les chercheurs du CNRS sont à l’écoute des attentes des industriels et que leurs technologies sont transférables rapidement.

M. Alain Claeys. De manière plus générale, en tant que représentants de la recherche publique, sur quels points souhaiteriez-vous voir les lois de bioéthique évoluer ?

M. Frédéric Foubert. Il est difficile de répondre à votre question pour ce qui concerne les brevets portant sur les cellules souches et les séquences génétiques, par manque de cas pratiques, d’autant que tel n’est pas le cœur de notre activité.

M. Bernard Bioulac. Au-delà du domaine de la brevetabilité, en matière de transplantation, il faudrait réviser l’amendement Kouchner qui impose de s’efforcer de recueillir le témoignage de la famille, ce qui a été source de difficultés en matière de don. Il faudrait aussi être plus attentifs en ce qui concerne les transplantations à partir de donneurs vivants. Je pense également qu’il faut être très réservé concernant les mères de substitution et rouvrir le débat sur l’euthanasie.

M. Alain Claeys. Mais ce débat est hors du champ de notre mission. Par apport aux neurosciences, que tu connais bien, quels sont les problèmes éthiques qui pointent à l’horizon ?

M. Bernard Bioulac. Le principal problème éthique voire socioéconomique est le suivant : dans le cadre de la maladie d’Alzheimer et des syndromes apparentés, la projection des chiffres actuels sur la population vieillissante des quinze ou vingt prochaines années est préoccupante. Il ne faut pas tomber dans un utilitarisme simpliste mais ce point mérite réflexion.

Concernant les greffes et les transplantations, dans le cas de la maladie de Parkinson, les transplantations de cellules dopaminergiques posent également problème. Si nous maîtrisons mieux les techniques de dérivation de cellules souches, comme cela est déjà possible chez l’animal, il faudrait y réfléchir.

M. Alain Claeys. Dans le domaine de la propriété intellectuelle, est-ce qu‘il existe selon vous un risque de marchandisation du vivant ?

Mme Christine Vanhee-Brossollet. Tout dépend de ce que l’on appelle la marchandisation du vivant. À partir du moment où il existe une industrie biotechnologique en plein développement et où l’on souhaite qu’il existe une exploitation à grande échelle des découvertes scientifiques, la propriété industrielle est nécessaire. On peut citer l’exemple de l’industrie pharmaceutique, qui ne fait pas d’investissement en l’absence de brevet. Il y a donc forcément exploitation industrielle et dépôt de brevets sur le vivant. En revanche, il faut un débat concernant les limites de la brevetabilité.

Il est également faux de dire que la propriété intellectuelle constitue un frein pour la recherche. Certains de nos chercheurs refusent parfois, dans un premier temps, de déposer un brevet sur l’une de leurs inventions afin qu’elles soient à la libre disposition de tous. Mais ils se rendent généralement compte par la suite que cette absence de brevet empêche les industriels de travailler sur leur découverte.

M. Alain Claeys. Quel est l’intérêt de faire un brevet de produit quand on dispose d’un brevet d’application ?

Mme Christine Vanhee-Brossollet. Parce qu’un brevet de produit est beaucoup plus large en terme de protection. Pour un industriel, il est très important de disposer d’un brevet de produit dans la mesure où il peut empêcher toute exploitation de l’invention brevetée.

M. Alain Claeys. Toute la difficulté est de permettre le retour sur investissement. À la suite des investissements importants qui ont été consacrés au décryptage du génome humain et qui n’ont pas forcément débouché sur des applications industrielles, la tendance a été d’octroyer des brevets de produit, larges, afin de permettre le retour sur investissement. Ces brevets ne sont-ils pas susceptibles de créer des rentes de situation au lieu de favoriser la recherche ?

Mme Christine Vanhee-Brossollet. C’est l’un des dangers. Tout dépend de l’utilisation que l’on fait de la propriété intellectuelle. Certains industriels cherchent à créer le portefeuille de brevets le plus large possible non pour l’exploiter mais pour gêner leurs concurrents et les empêcher de mettre un produit concurrent sur le marché. C’est une dérive du système.

Il en existe une autre, aux États-Unis, qui permet à des professionnels d’exploiter les failles qui existent dans les brevets pour réclamer des droits alors qu’ils n’exploitent pas eux-mêmes le brevet.

Mais s’il faut combattre ces dérives, cela ne vaut pas dire pour autant qu’il faille renoncer au système dans son ensemble.

M. Frédéric Foubert. Il faut trouver le juste équilibre. Nous ne sommes pas favorables à des revendications trop larges. Mais il faut aussi que les brevets soient délivrés rapidement avec une sécurité juridique forte.

À ce titre, les États-Unis ont trouvé un autre équilibre : les brevets qui y sont délivrés peuvent paraître un peu trop large mais ils ne sont pas attaqués pour autant par les concurrents dans la mesure où les coûts judiciaires peuvent être faramineux. Il est donc de notoriété publique que certains brevets sont trop larges, tel que le brevet sur les biopuces. Ils bloquent le marché mais le coût et le risque judiciaire sont tellement importants qu’ils ne sont pas contestés.

En France, l’effet est inverse : les tribunaux n’accordent pas assez de dommages et intérêts et protègent de ce fait le contrefacteur qui peut avoir intérêt économiquement à la contrefaçon même en cas de condamnation : ses bénéfices demeureront supérieurs au montant de la condamnation.

Il faut donc avoir un système qui aboutisse à une délivrance rapide des brevets, fondée sur des critères aussi objectifs que possible et qui permette la contestation des brevets trop larges, qui freinent le développement économique.

Mme Christine Vanhee-Brossollet. Il existe un système qui fonctionne très bien et que les Américains nous envient : le système de l’opposition. Un des gros problèmes du système américain de propriété intellectuelle a longtemps été que l’USPTO accordait des brevets dont la validité était douteuse. C’est en train de changer.

En Europe, le système de délivrance des brevets est très performant et permet à un tiers de contester un brevet de manière centralisée.

J’ajoute que je souhaiterais que soit réduite l’incertitude juridique entre la transposition de la directive en droit français et cette dernière. Ceci constitue un réel problème pour les entreprises.

M. Alain Claeys. Ceci résulte des interrogations que l’exécutif et le législateur avaient sur cette directive. L’exécutif a été contraint de transposer cette directive et je partageais ses réserves à ce sujet. Telle est l’origine des difficultés que vous rencontrez dans l’application de ces dispositions.

Mme Isabelle Benoist. En ce qui concerne, plus généralement, les modifications qui pourraient être apportées à la loi bioéthique, il faudrait passer, ainsi que le préconise le Conseil d’État, d’un régime d’interdiction à un régime d’autorisation encadrée pour la recherche portant sur les cellules souches embryonnaires.

M. Bernard Bioulac. J’y suis tout à fait favorable.

M. Alain Claeys. Tous les chercheurs ont milité en ce sens. J’y suis également favorable mais il reviendra à la mission de trancher sur cette question.

Audition de M. Jean-Paul DELEVOYE, Médiateur de la République


(Procès-verbal de la séance du 7 octobre 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous accueillons aujourd’hui le Médiateur de la République, M. Jean-Paul Delevoye. Je rappelle que le Médiateur reçoit les réclamations concernant le fonctionnement des administrations de l’État, des collectivités publiques territoriales, des établissements publics et de tout autre organisme investi d'une mission de service public, dans leurs relations avec les administrés.

Lorsqu’une réclamation lui paraît justifiée, le Médiateur fait toutes les recommandations qui lui paraissent de nature à régler les difficultés dont il est saisi et lorsqu’il lui apparaît que l’application de dispositions législatives ou réglementaires aboutit à des situations inéquitables, il peut suggérer les modifications qui lui paraissent opportunes.

À ce titre, vous nous avez adressé des propositions de réforme concernant la réglementation applicable aux dons du corps à la science et aux autopsies – deux questions qui conduisent à nous interroger sur le principe du respect du corps humain après la mort –ainsi qu’à l’état-civil des enfants nés sans vie. Sur ces trois points, pour quelles raisons et dans quel sens conviendrait-il de modifier la loi ?

Je rappelle par ailleurs que les travaux de notre mission, qui pourront s’appuyer sur les rapports de l’Agence de la biomédecine, du Conseil d’État, de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST) et des États généraux de la bioéthique, ont pour objectif de préparer la révision des lois de bioéthique, prévue pour 2010.

Je vous demande également d’excuser le rapporteur, qui est retenu en ce moment même à Matignon.

M. Jean-Paul Delevoye. Je voudrais tout d’abord rappeler que depuis le 1er janvier 2009, nous avons mis en place un pôle « Santé, sécurité des soins », dirigé par M. Loïc Ricour. Cela représente ainsi un peu plus de 1 000 appels téléphoniques par mois et nous recueillons à ce titre des témoignages d’acteurs de la santé et de patients sur un certain nombre de situations qui ne sont pas réglées politiquement, du fait d’un vide juridique qui soulève un certain nombre de questions.

Je vous avais adressé des observations sur trois sujets qui nous préoccupaient : le régime des enfants nés sans vie, les autopsies judiciaires et le don du corps à la science. Ces sujets ont en commun d’avoir un fort retentissement sociétal, en posant la question de l’attitude face à la mort, mais aussi d’être insuffisamment pris en compte par notre droit, avec pour conséquences de reporter sur les médecins, les juges ou les agents d’état civil la responsabilité de décisions et d’arbitrages éthiques. Or, je suis de ceux qui considèrent que la politique doit toujours précéder le droit.

La problématique des enfants nés sans vie apparaît emblématique de cette absence d’engagement du politique. C’est un sujet sensible et les politiques se divisent entre ceux qui estiment qu’il est urgent de prendre une décision et ceux qui, par crainte d’un dérapage médiatique, estiment qu’il vaut mieux ne pas aborder le sujet.

Ainsi, il y a eu plusieurs tentatives de parlementaires de tous bords pour clarifier le régime juridique applicable aux enfants nés sans vie – qu’il s’agisse des amendements déposés dans le cadre du débat sur la législation funéraire ou sur la clarification du droit –, mais elles se heurtent à un certain nombre de réticences. Pourtant, cela est d’autant plus important que les arrêts de la Cour de cassation du 6 février 2008 posent, me semble-t-il, l’obligation d’une décision politique.

Il convient au préalable de rappeler brièvement l’historique de cette question et de bien cerner les différents problèmes posés et de mesurer la lacune persistante concernant l’absence de définition de la notion viabilité, qui pose un réel problème.

Les problèmes soulevés sont la fragilité du régime juridique des enfants sans vie et ses effets inéquitables.

En effet, le premier alinéa de l’article 79-1 du code civil prévoit que l’enfant déclaré « né vivant et viable » sur la base d’un certificat médical donne lieu à l’établissement d’un acte de naissance et d’un acte de décès. L’enfant ainsi déclaré fait donc l’objet d’une complète reconnaissance par l’état civil et possède la personnalité juridique, avec l’ensemble des droits qui en découlent : attribution d’un nom et d’un prénom, inscription obligatoire sur le livret de famille, aptitude à succéder, droits sociaux complets pour les parents et funérailles obligatoires.

Le second alinéa de l’article 79-1 du code civil énonce qu’à défaut du certificat médical prévu au premier alinéa, l’officier de l'état civil établit un acte d'enfant sans vie. S’il ne confère pas la personnalité juridique au fœtus, ni n’accorde de droit à succession, cet acte permet aux familles affectées par cette perte d’exercer certains droits, tels que l’attribution d’un prénom uniquement, l’inscription à titre symbolique sur le livret de famille, la reconnaissance de certains droits sociaux, dont le congé de maternité et le congé de paternité pour l’enfant né mort et viable – il y a là un premier problème juridique, puisqu’il y a un droit fondé sur la notion de viabilité, alors que cette notion n’est pas définie – et la récupération du corps possible pour funérailles.

Avant les arrêts de la Cour de cassation de février 2008, les conditions d’application de cet article étaient définies par deux circulaires.

La circulaire du 22 juillet 1993 relative à la déclaration des nouveau-nés décédés à l’état civil concernait les conditions d’application du premier alinéa de l’article 79-1, en définissant notamment la notion de viabilité. Elle se fondait pour cela sur les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en prévoyant que la limite basse pour l’établissement d'un acte de naissance et de décès, lorsque l’enfant est né vivant, correspond au terme de vingt-deux semaines d'aménorrhée ou à un poids de 500 grammes. Ces critères furent ensuite repris par la circulaire interministérielle du 30 novembre 2001, non seulement pour rappeler le contenu de la notion de viabilité visée par l’alinéa premier mais également pour recommander de réserver la délivrance d’un acte d’enfant sans vie à l’enfant mort-né présentant un des deux critères de viabilité. L’acte d’enfant sans vie devait en outre être établi pour un enfant né vivant et non viable.

Avant même les arrêts de la Cour de cassation de 2008, j’avais très clairement indiqué la fragilité du régime juridique des enfants nés sans vie, au motif que celui-ci ne reposait que sur de simples circulaires, qui ne conféraient qu’un caractère indicatif aux critères de viabilité.

J’avais aussi pointé certains effets injustes de l’acte d’enfant sans vie, notamment le fait que la femme avait droit au maintien de ses indemnités pour congé de maternité, mais l’homme ne pouvait bénéficier des indemnités pour congé de paternité. En outre, les couples non mariés et n’ayant pas déjà un livret de famille ne pouvaient y inscrire leur enfant né sans vie, à la différence des couples mariés ou de ceux disposant déjà d’un tel livret au titre d’un premier enfant.

J’ai obtenu gain de cause sur ces deux points, puisque le décret et l’arrêté du 9 janvier 2008 ont permis l’octroi du congé de paternité sur production d’un acte d’enfant sans vie mais uniquement lorsque l’enfant est décédé en ayant atteint le seuil de viabilité, ce qui aligne les conditions d’attribution de ce congé sur celles du congé de maternité. On voit bien la contradiction du système, puisque la Cour de cassation fait disparaître la valeur juridique de la viabilité et le politique établit un droit fondé sur cette notion, et on imagine les contentieux qui risquent de s’en suivre, alors même que c’est au politique, et non au juge, de décider sur cette question.

Par ailleurs, le décret n° 2008-798 du 20 août 2008 a mis fin à l’impossibilité pour les couples non mariés d’obtenir un livret de famille pour y faire figurer, à titre symbolique, l’enfant déclaré né sans vie.

Quelle est par ailleurs la portée de la réforme introduite par le décret n°2008-800 du 20 août 2008 sur les conditions de délivrance de l’acte d’enfant sans vie ?

La Cour de cassation, dans trois arrêts retentissants du 6 février 2008, a mis en évidence les lacunes du régime juridique des enfants nés sans vie en rappelant l’état du droit en la matière : elle a rappelé que l’article 79-1 du code civil ne subordonne pas la délivrance de l’acte d’enfant sans vie à un seuil de viabilité du fœtus et qu’une circulaire ne pouvait le faire en l’absence de fondement légal.

De ce fait, le nouveau dispositif mis en place par le décret n° 2008-800 du 20 août 2008 et son arrêté d’application ne se réfère plus à la notion de viabilité et prévoit que l’acte d’enfant sans vie sera désormais délivré sur la base d’un certificat médical d’accouchement.

Nous avons mis en place sur cette question un groupe de travail, qui a permis de mettre en avant des points positifs : ce dispositif fournit aux services d’état civil des indications attendues sur la procédure à suivre pour l’établissement d’un acte d’enfant sans vie ; elle devrait empêcher l’établissement d’un acte d’enfant sans vie dans les cas de fausse couche précoce ou d’avortement volontaire, puisqu’il faut un certificat d’accouchement ; ces nouvelles règles permettront enfin à des couples affectés par la perte d’un enfant attendu, survenue pour raison médicale, de solliciter un acte d’enfant sans vie leur ouvrant certains droits destinés à faciliter leur travail de deuil.

Des éléments de fragilité persistent cependant.

Tout d’abord, le flou de la notion d’accouchement, qui est laissée, une fois de plus, à l’appréciation des praticiens, ne va-t-il pas générer de nouvelles contestations ? Quelle sera la limite pour la délivrance d’un acte d’enfant sans vie dans la mesure où il n’y a plus de condition liée à la durée de gestation ?

Par ailleurs, le problème central posé par l’application du premier alinéa de l’article 79-1 du code civil, du fait de l’absence de définition juridique de la notion de viabilité depuis l’invalidation des circulaires interministérielles, n’est toujours pas résolu. Pas moins de quatre articles du code civil font pourtant référence à cette notion de viabilité !

L’absence de définition de la notion de viabilité pose un certain nombre de problèmes : la circulaire du 19 mai 2009, qui a pour objet d’expliciter les conditions de mise en œuvre du décret n°2008-800 et de l’arrêté du 20 août 2008, se contente de citer le premier alinéa de l’article 79-1 sans donner aucune indication sur ce qu’il faut entendre par enfant « né vivant et viable ».

Les termes du débat sont clairs : soit l’on conserve la notion de viabilité, mais elle doit alors être définie, soit on la supprime.

En effet, la notion de viabilité conditionne le type d’acte d’état civil établi pour l’enfant né sans vie et constitue l’un des deux critères conduisant à lui conférer la personnalité juridique. C’est un acte fondamental. Or, décider qui, en droit, est une personne ou ne l’est pas ne peut être laissé à l’appréciation diverse des médecins ou des juges mais relève d’une décision des pouvoirs publics.

Cela est d’autant plus important que la notion de viabilité détermine une série de droits d’ordre civil, social et pénal. Cette notion intervient dans quatre articles du code civil : l’article 79-1 (l’enfant né vivant et viable dispose d’un acte de naissance et de décès), l’article 318 (aucune action n’est reçue quant à la filiation d’un enfant qui n’est pas né viable), l’article 725 (pour succéder, il faut naître viable) et l’article 906 (la donation ou le testament n’auront leur effet qu’autant que l’enfant sera né viable).

En outre, la viabilité conditionne un certain nombre de droits sociaux : l’enfant né mort et viable ouvre droit au congé de maternité et, depuis peu, au congé de paternité. Je rappelle d’ailleurs que pour les interruptions de grossesse au-delà de 22 semaines, il s’agit d’un congé maternité, et en deçà d’un congé maladie.

La viabilité conditionne par ailleurs la protection pénale du fœtus. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la responsabilité pénale d’une personne ayant provoqué le décès d’un enfant à naître ne pourra être engagée qu’à la condition que l’enfant décédé soit né vivant et viable. Or cette notion de viabilité repose aujourd’hui exclusivement sur le certificat médical.

La définition de la viabilité fait pourtant l’objet d’un large consensus, puisque les dispositions des circulaires ministérielles qui reprenaient les critères de viabilité définis par l’OMS ne font pas l’objet de remises en cause, y compris de la part des associations représentant les familles confrontées à un deuil périnatal.

De plus, dans la plupart des pays européens, les critères de viabilité sont inscrits dans la loi ou dans un texte de valeur réglementaire et la France est devenu le seul pays dans lequel ces critères ne sont définis par aucun texte.

Quelles sont les pratiques actuelles ? Je me suis rapproché de l’AP-HP pour identifier les problèmes posés par cette absence d’encadrement et je me permets de vous lire le message qui m’a été adressé : « La suppression des seuils de viabilité jusqu’alors retenus par la circulaire du 22 juillet 1993 pose un véritable problème. L’absence de seuil conduit à faire désormais de la fin de la période où la perte de l’enfant est considérée comme une fausse couche précoce, soit en principe à quinze semaines d’aménorrhée, le nouveau stade de référence du développement du fœtus. Cette notion pour laquelle la durée de quinze semaines est donnée à titre indicatif, puisqu’elle ne semble pas réunir un véritable consensus médical, renvoie à une appréciation médicale qui peut être distincte selon les praticiens et donner lieu à des litiges. »

On s’aperçoit donc que, selon que l’on accouche à Bordeaux ou à Marseille, on peut avoir une appréciation médicale différente de la notion de viabilité, qui emporte des conséquences juridiques extrêmement importantes. Ce problème concerne également les officiers d’état civil dans les mairies.

Pour les fœtus de moins de quinze semaines, ne justifiant pas en principe la délivrance d’un certificat d’accouchement, la possibilité d’organiser des obsèques pour les familles qui le souhaitent demeure incertaine, sinon impossible, sans le bon vouloir des autorités municipales. J’ai encore en mémoire le témoignage d’une obstétricienne, qui m’indiquait qu’une famille était venue réclamer l’équivalent d’un tout petit bocal car elles souhaitaient organiser des obsèques. On voit bien la situation difficile et douloureuse dans laquelle on place les professionnels de santé ou les officiers d’état civil du fait de l’absence de décision politique.

J’attire par ailleurs votre attention sur le fait que les instructions ministérielles qui ont mis en œuvre le décret d’août 2008 renvoient désormais à l’initiative des parents la déclaration des enfants sans vie. Elle vise à faire de la déclaration à l’état-civil une responsabilité parentale et, ce faisant, elle conduit à ce que des enfants décédés en toute fin de grossesse puissent désormais ne faire l’objet d’aucune déclaration en mairie, faute d’initiative parentale. Ce qui revient à dire qu’un certain nombre d’enfants disparaissent des registres, alors qu’avant les autorités hospitalières déclaraient systématiquement à l’état civil les enfants décédés. Paradoxalement, des enfants décédés à un certain stade de développement qui étaient systématiquement déclarés ne le sont plus désormais.

Enfin, les textes en vertu desquels les corps des enfants non réclamés par les familles donnent lieu à une crémation à l’initiative de l’hôpital concernent les pièces anatomiques. C’est donc dans le cadre des dispositions du code de la santé publique relatives aux déchets hospitaliers qu’est pratiquée actuellement l’élimination des corps de ces enfants. Cette situation paraît choquante et fait référence, pour la crémation de ces corps, à des textes susceptibles d’entraîner des pratiques contestables.

C’est donc un sujet compliqué et il résulte notamment de la réglementation actuelle que le relevé épidémiologique mondial des morts périnatales n’est plus actuellement effectué de façon systématique.

M. le président. Pouvez-vous nous préciser de quelle façon d’autres pays ont défini cette notion de viabilité ?

M. Jean-Paul Delevoye. Ils se sont souvent fondés sur les critères fixés par la circulaire de l’OMS : 22 semaines et/ou 500 grammes. Une étude a été effectuée par le Sénat sur ce point.

Mme Martine Timsit. Les critères peuvent être cumulatifs ou alternatifs, mais ils sont effectivement fondés en général sur les critères de l’OMS.

Mme Catherine Génisson. Il est en effet intéressant de connaître la législation d’autres pays sur ce sujet, qui revient régulièrement dans les débats législatifs – je pense notamment à l’amendement Garraud –  et soulève la question de la prise en compte de la volonté sociétale, humaniste, de reconnaître l’existence de ces enfants, sans remettre en cause le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG).

M. Jean-Paul Delevoye. N’oublions pas ce qui est à l’origine de ce débat, qui au départ n’existait pas : en effet, une circulaire faisait référence aux critères de 22 semaines et de 500 grammes, puis l’avortement a été autorisé, etc.

Ce qui s’est passé, c’est que des parents ont contesté le refus d’un officier d’état civil de délivrer un acte d’enfant sans vie et qu’ils ont été déboutés, jusqu’à ce que le cas soit porté devant la Cour de cassation, qui ne s’est pas prononcée sur le fond, mais a estimé que la cour d’appel ne pouvait faire référence à la notion de viabilité et s’appuyer sur une circulaire qui n’a aucune valeur juridique. Le juge a dit ainsi au politique : « vous n’avez pas pris vos responsabilités et vous avez figé une notion sans force juridique ».

Je n’ose imaginer que pour des engagements ou des raisons philosophiques, des obstétriciens puissent dire que la viabilité commence à partir de quelques semaines, alors que le certificat, quelque soit l’âge du fœtus, engendre la personnalité juridique, avec notamment des conséquences en matière de responsabilité pénale…Aujourd’hui, il y a un véritable désarroi des obstétriciens, une attente des officiers d’état civil et un besoin des familles à voir clarifiée cette notion de viabilité, et il me semble que l’on peut aborder de manière apaisée ce débat, qui est finalement le suivant : comment stabiliser juridiquement une notion dont les fondements juridiques ont disparu suite à l’arrêt de au rappel de l’état du droit effectué par la Cour de cassation ?

M. le président. C’est un des sujets sur lesquels notre mission devra se prononcer.

M. Jean-Paul Delevoye. Il apparaît d’autre part nécessaire de renforcer l’encadrement juridique des autopsies judiciaires. J’ai en effet été saisi de plusieurs cas douloureux mettant en évidence les dérives auxquelles cette lacune peut conduire.

L’autopsie est la pratique de diverses incisions sur un corps mort dans le but d'en examiner les organes internes. Elle est dite « judiciaire » lorsqu’elle est effectuée sur mandat judiciaire dans le cadre d’une enquête, notamment pour déterminer les origines d’un décès dont la cause est inconnue ou suspecte. Elle se distingue de l’autopsie dite médicale, menée à des fins scientifiques pour obtenir un diagnostic sur les causes d’un décès.

Nous avons été alertés sur des pratiques médicales portant atteinte à la dignité du corps du défunt, c’est-à-dire la restitution du corps dans un état totalement inconvenant. Si on peut les considérer comme peu nombreux au regard du nombre d’autopsies judiciaires réalisées chaque année (entre 8 000 et 8 500 par an), ces cas ont toutefois pu conduire à la fermeture de la salle d’autopsie d’un CHU fin 2008.

Une autre affaire, actuellement portée devant les tribunaux et qui risque fort de finir devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), concerne le devenir des prélèvements humains : des parents désireux d’incinérer leur fils, qui fut victime d’un meurtre, se sont vus opposer un refus à leur demande de restitution des nombreux organes prélevés sur le corps de celui-ci au moment de l’autopsie, au motif que « les prélèvements effectués aux fins d’analyses dans le cadre d’une procédure judiciaire ne sont pas susceptibles de restitution », selon les termes de la réponse du procureur. En fait, ces organes avaient été détruits par le service hospitalier, sans que la famille n’en ait été informée.

Quels sont les différents problèmes posés par le régime actuel des autopsies judiciaires ?

La mission interministérielle en vue d’une réforme de la médecine légale a souligné que l’absence de cadre légal ou réglementaire est une caractéristique majeure de la médecine légale française. En effet, selon le rapport de la mission, la médecine légale n’est actuellement régie que par huit circulaires, peu structurantes et mal articulées entre elles, dont les prescriptions n’ont de surcroît guère été mises en œuvre.

Les autopsies judiciaires, qui constituent une des composantes de cette médecine légale, ne font l’objet d’aucune disposition particulière dans le code de procédure pénale, alors que l’on peut estimer que les prélèvements humains constituent une mesure d’enquête d’une nature particulière qui mériterait quelques dispositions spécifiques.

Ce défaut d’encadrement normatif est d’autant plus étonnant que le régime juridique des autopsies médicales, menées à des fins scientifiques de diagnostic ou de recherche, a été quant à lui clarifié par la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique.

Cette carence entraîne une série de problèmes : le manque de contrôle sur les pratiques médicales pouvant donner lieu à des agissements ou des négligences contestables, l’absence de précision sur les délais et les conditions de la restitution du corps et l’existence d’un vide juridique quant au statut des scellés humains et le devenir des organes prélevés.

Concernant le manque de contrôle sur les pratiques médicales, l’obligation faite aux médecins de s’assurer de la meilleure restauration possible du corps, formulée à l’article L. 1232-5 du code de la santé publique, ne s’applique qu’aux autopsies médicales et n’est pas expressément prévue pour les autopsies judiciaires.

Des dispositions juridiques consacrent de manière générale le respect dû aux morts, et notamment l’article 16-1-1du code civil issu de la loi du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire, qui dispose que « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort ».

Se pose également le problème de la désignation de médecins légistes qui ne disposent pas d’une formation adéquate. 80% des médecins légistes pratiquant des autopsies sont désignés à partir des listes d’experts des Cours d’appel, mais un grand nombre de ces médecins, pourtant répertoriés dans la rubrique « médecine légale », ne sont pas titulaires d’un diplôme attestant de leur qualification dans ce domaine.

De plus, il n’existe pas de dispositions juridiques précisant le principe et les délais de la restitution du cadavre. Cette situation a provoqué une condamnation de la France par la CEDH, dans son arrêt Pannullo et Forte du 30 octobre 2001. Lorsque j’avais été reçu par la Garde des sceaux concernant cette question des autopsies judiciaires, sur laquelle il me semblait important de légiférer, ses services avaient indiqué que le corps humain restait totalement sous main de justice. J’attire toutefois votre attention sur l’arrêt Al Fayed du 3 avril 2002 de la Cour de cassation, qui indique que la procédure de restitution des objets placés sous main de justice, prévue par l’article 99 du code de procédure pénale, n’est pas applicable aux prélèvements humains, qui ne peuvent être considérés comme des objets ordinaires. Ceci a été confirmé par la Cour d’appel de Toulouse en 2009 qui a clairement indiqué qu’il n’y a pas de disposition légale précise sur la façon dont doivent être traités les prélèvements faits pendants une autopsie judiciaire.

Le statut et le devenir des organes prélevés dans le cadre d’une autopsie judiciaire font actuellement l’objet d’un vide juridique. Le témoignage d’un médecin légiste éclaire les difficultés auxquelles peuvent se trouver confronter les services de médecine légale : « nous avons dans nos congélateurs des prélèvements et organes qui sont congelés, mis sous scellés, sans qu’aucun texte réglementaire ne prévoit, ni les modalités, ni la durée de conservation de ces scellés ». Selon le témoignage d’un justiciable, certains services sont dès lors conduits, pour faire face à l’accumulation des scellés d’organes, à faire une « charrette » pour les détruire par incinération.

Ces prélèvements ne sont pas concernés par les règles relatives à l’élimination des pièces anatomiques fixées par le code de la santé publique ; ces règles, qui prévoient l’incinération à la charge de l’établissement hospitalier, visent uniquement les organes recueillis à l’occasion des activités de soins ou assimilées.

Quand bien même ces dispositions seraient appliquées, par analogie, aux scellés humains, elles ne permettraient pas de régler le problème posé par une demande de restitution de ces scellés. Le problème se pose également pour les demandes de restitution d’organes ou de membres amputés pour des motifs liés à des convictions religieuses ou culturelles, opposées à l’incinération, compte tenu notamment de l’augmentation de l’obésité et du diabète entraînant une imputation. Et dans certaines religions, il faut être enterré en entier.

Quelle est la nature du prélèvement humain ? Il s’agit d’un sujet compliqué, car selon l’article R. 1335-11 du code de la santé publique, ne doivent être incinérées que les pièces anatomiques destinées à l’abandon. En revanche, rien n’est dit sur la réponse à apporter à une demande de restitution de ces organes aux fins d’inhumation ou d’incinération, ceux-ci ne pouvant plus être considérés comme voués à l’abandon.

Nous proposons dès lors d’étendre aux autopsies judiciaires l’obligation faite au médecin de s’assurer de la meilleure restauration possible du corps, mentionnée à l’article L. 1232-5 du code de la santé publique, d’exiger que le médecin désigné pour effectuer l’autopsie soit en possession d’un diplôme attestant de sa qualification en médecine légale et de transposer en droit interne la jurisprudence de la CEDH concernant le droit des proches à obtenir la restitution du corps du défunt dans un délai approprié. À cet égard, la jurisprudence de la CEDH laissait apparaître une forme de « droit de copropriété » de la famille sur le cadavre.

Il conviendrait, au minimum, de prévoir une obligation d’information de la famille avant la destruction des scellés. La question de la restitution des organes prélevés à la demande des intéressés est plus délicate, car elle doit se concilier avec les besoins de l’enquête de justice et des considérations de santé publique. Il convient cependant de relever que, dans le silence des textes, des hôpitaux disent procéder à cette restitution dans des conditions d’hygiène adaptées mais sont préoccupés par l’absence de contrôle sur ce que deviennent les organes ainsi restitués. En raison de traditions africaines, il y a par exemple des demandes de restitution du placenta. On laisse aujourd’hui les professionnels dans des situations difficiles.

Mme Catherine Génisson. Il convient tout d’abord de distinguer la question de la restitution d’éléments du corps humain, selon que la personne est vivante ou non. Il me semble peut-être plus facile de trouver une solution quand la personne est décédée. En revanche, dans le cas par exemple d’une personne diabétique, qui est amputée, il se pose non seulement des problèmes éthiques mais aussi de santé publique.

M. Paul Jeanneteau. Cela soulève également la question de la conservation des prélèvements humains.

M. Jean-Paul Delevoye. C’est un sujet très compliqué : jusqu’où prendre en compte les convictions notamment religieuses et philosophiques d’une personne et à partir de quand est-il considéré comme un patient dans un espace public permettant la neutralité de ses convictions ? Comment concilier la protection de la santé et les convictions religieuses ?

M. Xavier Breton. Vous avez indiqué que la loi de bioéthique d’août 2004 comportait des dispositions relatives aux autopsies médicales. Sait-on pourquoi ce sujet avait été évoqué à l’époque et les raisons pour lesquelles celui des autopsies judiciaires ne l’avait pas été ? Ou s’agit-il d’un oubli ?

M. Jean-Paul Delevoye. Cette situation s’explique probablement par la crainte du que la justice ne soit fragilisée par la modification du régime juridique des pièces nécessaires à la manifestation de la vérité. Or aujourd’hui on peut parfaitement prélever des lamelles pour conserver, sous forme de scellés, des prélèvements pouvant être ultérieurement utilisés pour d’autres analyses.

Nous avons par exemple été saisi du cas d’un homme dont la fille a été assassinée et qui a eu beaucoup de mal à récupérer le corps. Derrière cela, c’est au nom de l’efficacité de l’enquête et de la recherche de vérité que la justice a souhaité que les autopsies judiciaires ne soient pas trop encadrées, mais il me semble aujourd’hui que la possibilité de prélèvements microscopiques ou de lamelles permet de légiférer, sans fragiliser la recherche de la vérité, en trouvant un équilibre entre l’efficacité scientifique et le respect de la dignité des personnes.

M. Paul Jeanneteau. Concernant le cas qui a été évoqué d’une amputation d’un membre d’une personne diabétique, je partage tout à fait la position de Catherine Génisson quant à l’existence d’un problème de santé publique. On arrive aux limites de la liberté individuelle par rapport notamment à l’intervention médicale. Le législateur ne doit-il pas réaffirmer des principes forts et aider les professionnels à exercer leurs activités dans un certain cadre ? Je rappelle par ailleurs que si l’expression de toutes les religions est reconnue, notre pays reste une République laïque.

M. Jean-Paul Delevoye. Vous avez parfaitement raison, on ne peut pas laisser le juge trancher sur des questions qui relèvent du politique et laisser le médecin seul face à une absence de cadre juridique.

Ainsi, un courrier, provenant d’un hôpital important, m’indiquait qu’ « une partie de ces demandes résultent apparemment de convictions religieuses et du refus de crémation. Nous avons décidé de donner suite à ces demandes lorsqu’elles sont clairement formalisées dans des conditions encadrées de traçabilité et de dignité. Le ministère de la santé a été interrogé sur le bien-fondé de cette organisation sans nous apporter de réponse à ce jour ». En d’autres termes, le praticien se retrouve confronté aux demandes des familles, se retourne vers les autorités mais n’obtient pas de réponse.

En pratique, les personnes qui formulent ces demandes rencontrent de multiples difficultés, notamment auprès des mairies, par exemple si elles souhaitent l’inhumation des éléments corporels. C’est pourquoi les praticiens souhaiteraient que cette question soit clarifiée dans le cadre de la révision des lois de bioéthique.

Mme Catherine Génisson. Je partage ce qui a été dit mais la question n’est pas simple alors que tendent à se développer ces demandes culturelles et religieuses. La prise en compte de ces demandes peut en effet conduire à des refus de soins, par exemple un refus d’amputation. La prise en charge médicale des témoins de Jéhovah, s’agissant du moins des majeurs, s’avère à cet égard particulièrement compliquée.

M. Jean-Paul Delevoye. Se pose également la question de l’équité territoriale. En effet, peut-on laisser à la seule décision d’une autorité hospitalière ou médicale la responsabilité de déterminer si on restitue ou non le prélèvement humain ?

Concernant enfin le don du corps à la science, il existe actuellement 28 établissements agréés à recevoir les dons et environ 3 000 donateurs annuels.

Le législateur a posé un cadre juridique sommaire par les dispositions du droit funéraire inscrites dans le code général des collectivités territoriales. Ces dispositions énoncent notamment le principe incitatif aux dons, selon lequel l’établissement donataire assure à ses frais l’inhumation ou la crémation du corps, ainsi que la possibilité de choix entre l’inhumation et la crémation. Selon la position du ministère de la santé, les établissements sont également redevables des frais de transport du corps à partir du domicile.

Il apparaît tout d’abord que des établissements ont des pratiques illégales. En effet, de nombreux établissements ont progressivement développé une politique de mise à contribution des donateurs en facturant des « frais de participation » ou de « dossier » forfaitaires correspondant en fait aux frais de crémation, voire aux frais de transport du corps du domicile du donateur à l’établissement. J’ai donc demandé aux ministres de tutelle de rappeler les établissements au respect des termes de la loi et des droits des donateurs et de leurs familles.

Par ailleurs, le champ législatif et réglementaire actuel ne prend pas en compte toutes les exigences nouvelles imposées par la complexité et la spécialisation croissantes des protocoles de recherche en termes d’exploitation, d’échange ou de transfert de corps entre établissements et présente des lacunes quant à l’information des familles ou au contrôle de la capacité juridique des donateurs, voire à la possibilité pour les établissements de refuser certains dons.

Un groupe de travail interministériel, copiloté par le ministère de l’intérieur et celui de l’enseignement supérieur et de la recherche, a dégagé un scénario global de réforme de la procédure de don de corps à la science en avril 2008. Ce scénario s’articule autour des points principaux suivants :

– l’introduction d’une disposition législative dans le code de la recherche en raison de l’encadrement juridique croissant des restes humains et de la nécessité de prévoir une disposition demandant qu’il soit procédé à l’inhumation d’un corps « ayant fait l’objet de la meilleure reconstitution possible » à la suite des démembrements effectués ;

– prévoir l’obligation d’une information précise du donateur quant aux traitements (démembrements, collections…) et au devenir (inhumation, crémation, incinération de pièces anatomiques) possibles de son corps,

– inscrire clairement en droit la prise en charge des différents frais associés à cette procédure : les frais d’inhumation ou de crémation à la charge de l’établissement et les frais de transport à trancher ;

– trancher la question d’exclure ou non les centres privés de l’activité de dons de corps.

Ces modifications seraient d’autant plus nécessaires que la situation actuelle peut quelquefois poser des problèmes assez redoutables aux familles dans lesquelles des personnes souhaitent aider à la science, mais qui s’aperçoivent que les héritiers doivent faire face à un certain nombre de frais, voire à des attitudes des établissements particulièrement curieuses.

Mme Catherine Génisson. Ce sujet ne relève-t-il pas de l’amélioration des conditions d’application de dispositions existantes, plutôt que l’adoption de nouvelles dispositions ?

M. Jean-Pierre Delevoye. Il conviendrait de s’interroger sur les pratiques des établissements qui s’échangent des corps pour des raisons de recherche et ces transports ne sont pas du tout prévus. Par ailleurs, concernant l’information du donneur sur le devenir de son corps ainsi que l’information des familles, il y a là un vrai sujet.

Je pense donc qu’il y a plutôt un rappel des textes à faire ainsi qu’une refonte nécessaire de certaines dispositions, qui permettrait d’inciter à ce genre de don, mais avec une garantie du respect de la volonté du donneur ainsi qu’un encadrement des frais.

M. le président. Je vous remercie à nouveau.

M. Jean-Pierre Delevoye. Les travaux de votre mission sont particulièrement importants. Je souhaite également porter à votre information les questions qui nous ont été adressées dans le domaine de la bioéthique :

Concernant la médecine prédictive, nous avons été saisis par un médecin généraliste qui nous a fait part de la difficulté qu’il rencontre avec une famille. La fille possède le remaniement chromosomique de sa mère. Ce dernier a entraîné, chez l’un de ses frères, un handicap très lourd, et, pour la protéger, ses parents ne lui ont rien dit et ont demandé au médecin généraliste de respecter le secret médical. Aujourd’hui, la fille désire fonder un foyer et avoir des enfants. Le médecin généraliste est partagé entre le devoir de respecter le secret médical, qui le lie aux parents, et le devoir d’assistance vis-à-vis de cette jeune femme. Dans le cadre de la médecine prédictive, faut-il instituer un droit de savoir ?

Concernant le diagnostic préimplantatoire (DPI), M. et Mme B. ont dans sa famille cinq hommes handicapés mentaux. Ces hommes sont porteurs d’une maladie mentale non identifiée (« étiquetée ») probablement générique et qui semble n’atteindre que les garçons. Lors de ses trois premières grossesses, le fœtus étant de sexe masculin, Mme B. a demandé une interruption médicale de grossesse. Ces trois interruptions de grossesse ont été psychologiquement très traumatisantes et avant de mettre en route une quatrième grossesse, elle aurait souhaité bénéficier d’un diagnostic préimplantatoire afin d’avoir un fœtus féminin.

Enfin, nous sommes interpellés par des personnes qui nous indiquent avoir la possibilité de recourir à des tests génétiques sur Internet, ce qui est extrêmement préoccupant.

Au moment où l’on construit un espace européen, je serais extrêmement malheureux de voir que cet espace puisse devenir un espace juridique où chacun va faire son marché. Je pourrais ainsi vous indiquer le pays où il vaut mieux divorcer, mourir, avorter ou recourir à une mère porteuse… Il y a là un débat qui dépasse le cadre national et l’on peut se demander à quoi sert de faire des lois de bioéthique si celles-ci sont contournées à l’étranger. Il n’en reste pas moins nécessaire de légiférer et je suis à cet égard extrêmement admiratif du travail que vous faites. Il conviendrait cependant, me semble-t-il, de prendre en compte cette dimension européenne et d’évoquer un certain nombre de sujets à ce niveau.

Audition M. Jean-Didier VINCENT,
professeur à l’université de Paris Sud Orsay,
directeur de l’Institut de neurologie Alfred Fessard,
membre de l’Académie des sciences



(Procès-verbal de la séance du 7 octobre 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Jean-Didier Vincent, neurobiologiste, directeur de l’Institut de neurobiologie Alfred-Fessard (CNRS), membre de l’Académie des sciences et de l’Académie nationale de médecine. En dehors du monde académique stricto sensu. vous avez été président du Conseil national des programmes au ministère de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche et vous êtes actuellement membre du Conseil de l'éthique publicitaire.

Fort de ces multiples expériences, pourriez-vous nous indiquer quels sont, selon vous, les enjeux éthiques des neurosciences ? Sont-ils déjà pris en compte par les dispositions juridiques existantes ou nécessitent-ils une régulation plus forte ?

Ces sujets ne figurent pas dans les lois de bioéthique mais nous pensons qu’il nous faudra les traiter à un moment ou à un autre.

M. Jean-Didier Vincent. Bien que je ne sois plus directeur d’un laboratoire de neurosciences, je continue à m’intéresser au sujet. J’ai ainsi publié il y a deux ans un gros livre Voyage extraordinaire au centre du cerveau, chez Odile Jacob. Je ne suis pas un cognitiviste, mais un spécialiste des émotions qui s’occupe des profondeurs du cerveau. Pour moi, la conscience est une apparition, quelque chose de difficile à définir mais sur laquelle j’ai quelques idées.

Les neurosciences constituent un des champs où le domaine de l’éthique est le plus fragile. En touchant au cerveau, on touche au cœur même de l’espèce humaine, à son âme même pour certains. Bien que matérialiste, j’emploie le terme d’âme, ou de psyché, qui est tout ce qui relie, par les sensations, le corps de l’homme à un autre homme : la compassion, la capacité à acquérir la conscience de soi par la pénétration de la conscience de l’autre. C’est donc l’essence même de l’humain qui risque d’être mise en cause.

Depuis quelques années je m’intéresse au transhumanisme et au posthumanisme dans le contexte des travaux menés sur les technologies dites convergentes (NBIC) : nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives ou plus largement neurosciences. La conjonction de ces quatre disciplines augmente, par un effet d’amplification et d’émergence, les performances de chacune prise isolément. Des budgets importants y sont consacrés au États-Unis. Pour les scientifiques impliqués dans ces programmes, la perspective est de transformer l’homme. Il ne s’agit plus, comme pour Bacon ou Descartes, de réparer l’individu en lui redonnant une santé mais de l’augmenter en améliorant ses performances motrices et cognitives. On nourrit, par exemple, l’espoir d’implémenter, dans dix ou vingt ans, des cerveaux en programmant, à l’extérieur de celui-ci, des algorithmes qui lui donneront des performances nouvelles. Des recherches très avancées dans le domaine des interfaces cerveau-machine sont d’ores et déjà en cours, notamment à l’Université de Stanford et de façon large dans la Silicon Valley.

M. le président. Existe-t-il des programmes de recherches dans le domaine de la défense ?

M. Jean-Didier Vincent. Il se trouve que je suis président du club de réflexion sur l’éthique liée aux NBICdu Centre des hautes études en armement (CHEAr) au ministère de la défense. C’est le terrain de manœuvre par excellence du transhumanisme. Améliorer les performances de l’homme est en effet une nécessité pour les militaires, qu’il s’agisse de combattre la fatigue, d’améliorer les facultés de déplacement ou d’augmenter les capacités sensorielles. Les nanotechnologies permettent de produire des matériaux d’une très grande légèreté et de concevoir des sortes d’armures aux performances exceptionnelles, comme soigner les blessures. La vision de nuit est déjà possible. On entre dans le domaine des robocops : des petits robots (nanobots) disposant d’une sorte de pensée autonome accompagneront le soldat.

Il est facile de prendre connaissance des recherches conduites aux États-Unis, les Américains ne craignant pas la concurrence tant ils ont de l’avance. Il convient de souligner que la France n’occupe pas dans ce domaine une position ridicule.

Ces travaux menés par les militaires m’inspirent confiance. Le commandement est capable de réguler l’emploi de nouvelles techniques. Ainsi, l’utilisation du modafinil, molécule qui maintient le sujet éveillé trois ou quatre jours, a été refusée, la considération envers le soldat ayant finalement primé.

M. le président. Quels sont les autres problèmes éthiques qui se posent ? La publicité est-elle, par exemple, concernée ?

M. Jean-Didier Vincent. Oui, elle l’est. Faut-il par exemple faire des publicités différentes pour les adolescents ? Le cerveau d’un enfant n’est pas réceptif comme l’est celui d’un adolescent, lequel doit en conséquence être mieux protégé.

Le coût des campagnes publicitaires conduit, en tout état de cause, à une certaine autorégulation.

C’est aux chercheurs que je fais le moins confiance. Le champ éthique peut s’exercer avec efficacité dans le domaine des techniques et dans celui de l’interface sciences-techniques. Les techno-sciences propagent des technologies dangereuses. Des problèmes éthiques se posent d’ailleurs avec l’utilisation de techniques très simples, comme celles auxquelles on a recours pour une gestation pour autrui. Qu’on pense à ces expériences très récentes de clonage d’une souris à partir de cellules somatiques : la conséquence en est que toute cellule adulte peut devenir une personne potentielle ! Je mentionnerai aussi les techniques de transfert nucléaire qui peuvent conduire à ce qu’un enfant ait deux mères. Si la science elle-même doit rester libre, il faut instituer néanmoins des barrières dans la communication du savoir. Je suis en cette matière partisan d’un certain ésotérisme.

Les neurosciences sont peut-être les moins dangereuses en ce que le cerveau est relativement protégé. Des implants ou des greffes ne peuvent pas modifier un individu, c'est-à-dire son histoire, sa mémoire et généralement ce qu’il est.

Pour le moment, les possibilités d’intervention sont limitées. Dans le domaine des thérapies comportementales on sait, par exemple supprimer une émotion à l’évocation d’un souvenir. Au moyen de stimulations électromagnétiques, un sujet conscient peut évoquer, par la pensée, la commande d’un mouvement que réalise un robot ; en retour, le mouvement effectué envoie des décharges afférentes au cerveau qui permettent à la personne de suivre le mouvement entrain de se faire. Pour les grands obsessionnels, on peut poser des implants dans le cingulum, même si on ignore si l’électricité a un effet stimulant ou inhibitoire. Cette incertitude doit être pour nous un appel à la prudence. Souvenez-vous du recours massif à la lobotomie dans les années d’après guerre en France et de ce qu’on appelle le glissement progressif de l’indication.

En ce sens restons prudent avec la castration chimique. On sait qu’une thérapie comportementale est impuissante face à certaines pulsions, comme le prouve le fait que des personnes en récidive ont très souvent suivi en prison une psychothérapie. Ces malades sont susceptibles de faire une récidive comme un diabétique de faire un coma hypoglycémique.

Mme Catherine Génisson. Ce que vous dites est inquiétant. On est nombreux à demander une prise en charge psychothérapeutique des personnes incarcérées. Mais s’il s’avère que ce sont elles qui sont les plus aptes à récidiver…

M. Jean-Didier Vincent. Des statistiques américaines le prouvent. Il faut évidemment distinguer les grands pervers des petits, ce que sait faire tout psychiatre un peu avisé. Dès le moment où il y a ébauche de récidive, la prison ne fait qu’accentuer les pulsions, sans jamais les guérir. La psychothérapie est d’une inefficacité notoire. Je me souviens des résultats effroyables des encéphalographies que j’ai pu réaliser à l’hôpital-prison de Cadillac. J’avais eu l’occasion de parler de ces questions avec le Président Jacques Chirac.

M. le président. Le domaine des assurances est-il concerné par le développement des neurosciences ?

M. Jean-Didier Vincent. La génétique n’est pas encore entrée dans ces activités, ce qui n’est pas sans hypocrisie au vu des fiches de renseignements qu’on nous demande de remplir.

Si les maladies comportementales avérées ne peuvent pas être dissimulées, l’utilisation d’échelles de sociopathies peut susciter l’inquiétude. Ces évaluations de « maladies sociales » sont corrélées avec une atrophie de l’amygdale ou du cortex préfrontal.Ces structures interviennent dans le jugement moral et peuvent être visualisées au moyen des techniques de résonance magnétique nucléaire (RMN). Aux États-Unis, les avocats utilisent ces images pour défendre leurs clients, soit pour montrer que l’accusé devra rester emprisonné puisqu’il ne peut être guéri soit pour que celui-ci soit considéré comme un malade et non comme un criminel. Or il n’y a pas une corrélation absolue et il est difficile de prononcer des jugements catégoriques.

Mme Catherine Génisson. Peut-on imaginer qu’un jour on demande à des personnes prétendant à des fonctions professionnelles ou politiques de subir de tels examens ?

M. Jean-Didier Vincent. Je m’y opposerais car cela nous réserverait beaucoup de surprises ! Toute personnalité est composée d’éléments qui pris isolément peuvent être considérés de psychopathologiques.

M. le président. Quel regard portez-vous sur le transhumanisme ?

M. Jean-Didier Vincent. Les transhumanistes sont de drôles de gens mais qu’il faut prendre au sérieux. Sur ce sujet j’ai écrit un petit ouvrage, Voyage en transhumanie, qui paraîtra bientôt aux éditions Grasset. Ce sont tous des philosophes conséquents, et non des sectaires. Ils pensent que la science réussira à libérer l’homme de la mort. Leur premier objectif est de reculer les limites de la vie, ce qui a pour corollaire de lutter contre le vieillissement et ses maladies. Leur second objectif est d’intervenir sur le cerveau pour en augmenter les performances et éventuellement le reprogrammer en cas de dysfonctionnement.

Sur le plan métaphysique, le post humanisme a l’ambition démiurgique de construire une nouvelle humanité à partir d’une matière non vivante composée de nanoparticules. L’homme rendu immortel dans un monde où les dieux ne sont plus nécessaires sera doté d’une nouvelle liberté.

À une échéance d’une centaine d’années on peut craindre une nouvelle spéciation. Certes l’émergence de nouveaux humanoïdes relève de la science fiction. Mais le concept de singularité annonce un progrès exponentiel des connaissances résultant de la combinaison des quatre technologies convergentes. L’impossible deviendra possible et pensable l’impensable. En faisant disparaître la mort et toute notion de transcendance, source essentielle du déterminisme humain, de l’âme et des religions, apparaîtront de nouveaux humains dépourvus, entre autres, de sexualité. On peut d’ailleurs se demander ce que ces hommes feront avec leurs désirs ; peut-être, s’autodétruiront-ils.

Ces nanobots seront autorépliquants ; ils fonctionneront comme des ribosomes. Un risque de prolifération sera à craindre comme il en va déjà des nanotechnologies sur lesquelles aucun contrôle au moyen des sens ne peut s’exercer.

M. le président. Dans quel milieu se font ces recherches ?

M. Jean-Didier Vincent. Dans le milieu universitaire, en particulier sur la côte Est des États-Unis.

Qui dit nouvelle société dit probablement nouvelle espèce car une barrière de reproduction sera dressée entre ces nouveaux hommes et le reste de l’humanité. Les besoins énergétiques de ces nouveaux robots seront minimes et ils ne se reproduiront plus. Dans ce monde-là, la présence des mâles ne sera plus nécessaire, le clonage passant par l’utilisation des seuls ovocytes.

J’insiste sur le fait que toutes les manipulations génétiques sont faciles à réaliser. Cloner ou fabriquer de l’ADN de synthèse peut se faire dans sa cuisine ! En Californie, on modifie ainsi des bactéries. Il faut s’attendre à une multiplication du nombre d’apprentis sorciers.

Je suis d’avis qu’il faut le plus de contrôles possibles mais le moins d’éthique possible dans le cadre d’une loi souple et réversible.

M. le président. Comment définissez-vous le principe de précaution ? Il faut en effet entendre cette notion sans faire de contresens. Elle signifie que face à un risque incertain, relancer la recherche est nécessaire.

M. Jean-Didier Vincent. C’est ce qu’on a fait à l’Académie des sciences avec le problème des antennes-relais. Dans le domaine de la pharmacologie, de très bons médicaments ne peuvent pas être utilisés à cause de ce principe de précaution.

M. le président. Monsieur, je vous remercie de votre intervention.

Audition de Mme Michèle ALLIOT-MARIE, Ministre d’État, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés


(Procès-verbal de la séance du 3 novembre 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Madame la garde des Sceaux, je suis très heureux de vous accueillir. Nous nous devions de vous auditionner, car le ministère de la Justice est impliqué à plusieurs titres dans la révision des lois bioéthiques.

D’abord, parce que les principes fondamentaux qui encadrent la bioéthique, qu’il s’agisse du respect de l’être humain dès le commencement de la vie, de l’inviolabilité et de l’intégrité de la personne humaine ou de la non patrimonialisation du corps humain, sont inscrits dans le code civil depuis 1994. Ensuite, parce que certaines thématiques comme l’élargissement de l’assistance médicale à la procréation ou la gestation pour autrui touchent au droit des personnes et au droit de la famille. Enfin, parce que des magistrats interviennent dans plusieurs procédures pour s’assurer que le consentement des intéressés est bien respecté – par exemple, l’accueil d’embryon ou le don d’organes entre donneurs vivants. Par ailleurs, sans prétendre être exhaustifs, nous serons conduits à nous interroger très vraisemblablement sur d’autres sujets comme le statut des enfants sans vie, le transfert post mortem d’embryon ou la ratification de la convention d’Oviedo.

Qu’il me soit permis de profiter aussi de votre présence pour remercier vos services, que nous avons beaucoup sollicités, pour leur contribution à notre réflexion.

Madame la garde des Sceaux, je vous cède la parole.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, vous êtes en charge de la révision d’une législation qui porte de nombreux enjeux de société et pose la question de l’adaptation de notre droit à l’évolution de nos mentalités.

En 1994, puis en 2004, le législateur a ouvert le droit à la procréation médicalement assistée, ou PMA. Dans le même temps, il a tenu à fixer un certain nombre de limites pour encadrer ce droit. Aujourd’hui cependant, nous sommes amenés à nous interroger sur des sujets qui n’avaient pas été traités à l’époque, ou qui sont apparus depuis.

Première limite : l’accès à la PMA a été réservé aux couples constitués d’un homme et d’une femme. Ce cadre doit-il être maintenu ? Faut-il permettre, dans certains cas, à des femmes vivant seules, voire à des couples de femmes, de bénéficier de la procréation médicalement assistée ?

Autre limite : seuls les couples dont les deux membres sont vivants peuvent avoir accès à des interventions médicales telles que la fécondation in vitro ou le transfert d’embryon in utero. Que répondre aux femmes qui, après le décès de leur compagnon, demandent un transfert d’embryon, voire une insémination post mortem ?

Le principe de l’anonymat des donneurs, autre limite encore, s’applique aux PMA. Que répondre à l’enfant qui veut accéder à ses origines, considérées comme un élément de son identité propre ? Faut-il permettre une levée de l’anonymat, par exemple à la majorité de l’enfant ? Faut-il s’en tenir à la communication de certaines catégories de données non identifiantes relatives au donneur ?

Enfin, en 1994, les conventions de mères porteuses ont été strictement interdites. Aujourd’hui, elles sont admises dans d’autres pays. Le législateur doit-il, ainsi que l’a notamment proposé un groupe de sénateurs en 2008, revenir sur le principe d’interdiction de ces conventions ?

Ces questions engagent les principes généraux de notre droit. Elles nécessitent d’être traitées de manière cohérente. C’est notre conception même de la société qui est en jeu.

Notre droit positif repose sur plusieurs principes fondateurs. Certains sont inscrits explicitement dans le code civil ; d’autres l’ont été dans d’autres champs que celui de la bioéthique.

Les principes inscrits dans le code civil sont des dispositions d’ordre public, dont la plupart ont valeur constitutionnelle. D’abord, le principe de « primauté de la personne humaine et de respect de l’être humain dès le commencement de la vie » : la PMA vise à pallier certaines infertilités de caractère pathologique, mais elle ne consacre en aucun cas un « droit à l’enfant ». Ensuite, le principe de la « non patrimonialité et de la gratuité du corps humain », qui emporte de nombreuses conséquences sur les dons de gamètes, d’organes, de tissus, de cellules, d’une façon générale sur la recherche biomédicale ; il faut l’avoir à l’esprit lorsque l’on parle des conventions de mères porteuses. Enfin, le principe de l’« anonymat des dons portant sur des éléments ou des produits du corps humain ».

À côté de ces principes inscrits dans le code civil et ayant valeur constitutionnelle, un certain nombre de principes fondamentaux dépassent le champ de la bioéthique, mais peuvent s’appliquer en la matière. C’est le cas de la « sécurité juridique de la filiation », pour les enfants nés grâce au recours à un tiers, ou de la « non-discrimination entre enfants nés de filiations différentes ». Ils s’appliquent, notamment, aux examens génétiques qui permettent de confirmer ou de ne pas confirmer une filiation, ou au consentement des couples en matière d’assistance médicale à la procréation.

Un autre principe n’a pas été inscrit dans le code civil : « l’intérêt de l’enfant ». C’est un principe abstrait et difficile à appréhender, mais nous y sommes très attachés. Il permettra d’apprécier la frontière entre les procréations médicalement assistées susceptibles d’être autorisées et les interventions biomédicales qui reviendraient à consacrer une sorte de « droit à l’enfant », lequel a été écarté. De la même façon, la prise en compte de l’intérêt de l’enfant demeure pleinement d’actualité lorsque l’on est confronté à des revendications tendant à dissocier la procréation du cadre offert par un couple à un enfant, ou tendant à légaliser le transfert d’embryons post mortem. Si nous considérons que le couple constitué d’un homme et d’une femme doit être la base de la filiation, lorsque l’un des deux est absent, un problème se pose.

Une fois rappelés ces principes généraux, reste le fond du débat sur la gestation pour autrui, ou GPA, qui doit s’inscrire dans ce cadre éthique et juridique.

Les partisans d’une légalisation de la GPA s’appuient souvent sur le parallèle fait avec la PMA. Ils avancent deux arguments : il n’existerait pas de différence fondamentale entre le don d’ovocytes et la mise à disposition, par une femme, de ses fonctions de génitrice ; on pourrait, si on en acceptait le principe, prévoir d’encadrer rigoureusement la GPA, ainsi que ce fut le cas pour d’autres modalités de PMA.

Je suis ministre de la Justice et il ne me revient pas, à ce titre, d’édicter des normes morales. Mais il me revient d’énoncer certaines conséquences juridiques qu’entraînerait la légalisation de la gestation pour autrui. Ensuite, ce sera au législateur de faire les arbitrages nécessaires.

La légalisation de la GPA conduit obligatoirement à remettre en cause un certain nombre des principes fondamentaux que j’évoquais tout à l’heure.

D’abord, elle remettrait en cause le statut donné à l’enfant à naître. Dans l’état actuel du droit, une convention portant sur la filiation d’un enfant ou sur son accueil dans une autre famille est nulle, parce qu’elle porte atteinte au principe de la primauté de la personne et de respect de l’être humain. C’est ce qui interdit les conventions portant sur l’être humain. Légaliser ces conventions portant sur la filiation serait affaiblir la portée juridique des deux principes et de l’interdiction de convention.

Ensuite, parce qu’elle serait porteuse d’incertitudes, la consécration juridique de la GPA remettrait en cause le principe de la sécurité de la filiation, qui est au cœur du droit de la famille depuis le code Napoléon.

Enfin, elle remettrait en cause le statut conféré à la mère gestante, la génitrice. Selon un vieux principe latin, protecteur pour la femme qui accouche, mater semper certa est. Si on assimile une femme enceinte à une donatrice d’ovocytes, on ignore la réalité de la relation particulière qui se développe pendant la grossesse. Mais surtout, on court le risque d’une instrumentalisation et d’une exploitation des femmes génitrices pour le compte d’autrui, voire le risque de la mise en échec du principe de non patrimonialité du corps humain.

Certains estiment que la légalisation de la GPA réduirait le nombre de couples qui vont dans les pays où elle est assurée, pour conclure des conventions interdites par notre législation. Je ne suis pas de cet avis. Les personnes qui ne rempliraient pas les conditions fixées – âge, absence de contre-indication médicale, etc. – seraient toujours tentées de se rendre à l’étranger.

De telles propositions remettent en cause nos principes et, plus généralement, notre conception du droit et de la société. Il n’en reste pas moins que nous devons réfléchir au statut des enfants nés d’une gestation pour autrui à l’étranger. Leur actuelle absence de statut, au regard de l’état civil français, place le mineur et ses parents dans des situations incertaines. C’est moins un problème de quotidien que de confort moral et juridique des personnes.

Doit-on, dans ces conditions, accepter de faire produire des effets partiels aux conventions de mère porteuse conclues à l’étranger ?

Même s’il ne s’agit que de reconnaître la paternité du père d’intention, l’infléchissement de notre législation dans le sens d’une reconnaissance pose des difficultés : le fait, pour ce père d’intention, de conclure à l’étranger une convention qui est illégale en France, constitue un contournement de la loi française. Et il n’y a pas plus de motifs de retenir la filiation paternelle résultant de la fraude que la filiation maternelle : dans tous les cas, il y a un projet commun et ni l’un ni l’autre n’ont été pris au dépourvu.

La situation qui est recommandée n’est pas totalement satisfaisante parce qu’elle revient, grosso modo, à fermer les yeux. Mais je pense qu’il vaut parfois mieux fermer les yeux que remettre en cause les fondements de notre droit.

J’ai souhaité répondre sur un terrain juridique à des questions qui, j’en ai bien conscience, dépassent largement le problème du droit. Je n’ai nullement la prétention de détenir une vérité sur ces sujets infiniment difficiles. Mais nous ne pouvons pas ne pas nous les poser. Les Français attendent de nous un débat ouvert, constructif, sans tabou et sans a priori, et des réponses cohérentes. C’est ce à quoi j’essaierai de contribuer.

M. le président Alain Claeys. J’aimerais revenir sur la convention d’Oviedo. La France considère-t-elle que les conditions de sa ratification sont enfin réunies ?

Mme la ministre d’État. Aujourd’hui, notre droit positif est très largement conforme à la convention d’Oviedo. S’agissant des prélèvements de tissus régénérables sur des donneurs, mineurs ou majeurs, protégés par la convention, une discordance s’est fait jour, notre code de la santé publique ayant effectivement élargi en 2004 le champ des donneurs potentiels à d’autres membres de la parenté relativement proche : neveux, nièces, cousins germains, oncles et tantes. Comme dans toute convention, il est possible de remédier à cette discordance par une « réserve d’interprétation », qui ne devrait pas poser de problème ni au plan juridique ni au plan éthique et ne heurterait certainement pas nos partenaires du Conseil de l’Europe. S’agissant du régime du consentement des dons de sang placentaire, le droit d’opposition et l’information prévus dans notre code de la santé publique répondent déjà aux exigences de la convention.

Néanmoins, je ne pense pas qu’il serait bon de ratifier cette convention avant que nous n’ayons terminé nos discussions et mené à bien la révision de notre code en la matière.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Restons dans le domaine du droit. S’agissant de la gestation pour autrui, vous avez évoqué la fraude à la loi et souligné le fait qu’une légalisation dans notre pays, calquée sur d’autres lois plus permissives, n’empêcherait pas le tourisme procréatif. D’après le représentant de l’agence de la biomédecine anglaise, il y a une évasion des demandes de mères porteuses vers d’autres pays et les utérus londoniens sont plus chers que les utérus ukrainiens, ce qui montre le caractère potentiellement commercial de l’ouverture de nos frontières dans ce domaine.

Si accepter la gestation pour autrui revient à remettre en cause au moins trois des grands principes fondamentaux de notre droit positif, la vraie question pour moi est celle de l’enfant né de GPA. Vous êtes plutôt favorable au statu quo, ai-je cru comprendre, toute tentative de « normalisation » de l’enfant dans une recherche de filiation avec le père ou la mère d’intention risquant d’aboutir à une distorsion du droit.

Le Conseil d’État a proposé « l’inscription en marge de l’acte de naissance de l’enfant d’une mention relative au jugement étranger qui a reconnu la mère d’intention comme mère, en prévoyant que cette inscription aurait pour seul effet d’éviter qu’en cas de décès de la mère une procédure d’adoption plénière par un tiers puisse priver les parents de la mère d’intention de tout lien avec l’enfant. » Or je m’interroge, car une telle inscription revient à considérer l’acte étranger comme légal. J’aimerais avoir votre avis sur ce point.

S’agissant de la procréation post mortem, certains cas ont défrayé la chronique. Une insémination artificielle en vu d’un projet procréatif à partir du sperme d’un homme décédé semble contraire au droit de la personne, dans la mesure où cette partie de corps n’appartient pas à la personne qui vivait avec lui et que l’intention réelle de ce dernier n’est pas affirmée. En revanche, un embryon en attente de gestation ne pourrait-il pas être considéré, dans certains cas, comme un début de projet parental affirmé, et amener à accepter son implantation dans l’utérus de la mère, alors que le père est décédé ? J’avoue être hésitant sur cette question dont nous serons amenés à débattre : elle pose le problème d’une intentionnalité plus affirmée et d’un projet parental en cours. Pour dire les choses trivialement, à quelques jours près, cet embryon aurait pu être dans l’utérus de la mère qui, une fois veuve, n’aurait pas demandé un avortement et aurait donc gardé l’enfant d’un homme décédé.

Par trois arrêts rendus en 2008, la Cour de cassation a précisé le statut des enfants nés sans vie, en indiquant que l’article 79-1, alinéa 2, du code civil ne subordonne l’établissement d’un acte d’enfant sans vie ni au poids du fœtus, ni à la durée de la grossesse. Néanmoins, selon le médiateur de la République, une absence de critères précis entraîne des différences d’appréciation d’une juridiction à l’autre. En outre, les critères définis par l’OMS – 500 grammes et 22 semaines d’aménorrhées – apparaissent restrictifs. Vous paraît-il nécessaire d’introduire une norme afin d’éviter des disparités ?

Enfin, en l’état actuel du droit, l’imagerie radiologique, en particulier les IRM dynamiques, permet de voir s’activer certaines parties du cerveau en fonction de l’émotion, de la vérité ou du mensonge, même si ces mesures ne sont pas fiables de manière certaine. Faut-il selon vous interdire l’utilisation de la neuro imagerie dans le cadre d’une procédure judiciaire destinée à obtenir la vérité ?

Mme la ministre d’État. Je ne suis pas favorable à l’inscription en marge de l’acte d’état civil de l’enfant de la référence à la mère d’intention, pour deux raisons majeures. D’une part, étant donné que cet acte constitue un contournement de la loi française, une telle inscription n’entraînerait aucune conséquence juridique. D’autre part, elle risquerait d’aboutir à une forme de stigmatisation de l’enfant, alors même que nous sommes aussi chargés de nous pencher sur son intérêt.

S’agissant du transfert d’embryons post mortem, j’ai les mêmes hésitations que vous. Dans le cadre de mes précédentes fonctions de ministre de la défense, j’ai malheureusement assisté à des situations dramatiques : j’ai vu des jeunes femmes enceintes de deux mois, qui allaient devoir assumer seules leur grossesse et l’éducation de leur enfant, et j’ai rencontré des femmes qui demandaient l’établissement du mariage posthume. Et, au moins une fois, j’ai entendu une demande de transfert d’embryon post mortem. Comme l’actualité l’a montré encore récemment, cette demande est très forte et, vous l’exprimez fort bien, monsieur le rapporteur, à un mois près, voire à quinze jours près, quelle est la différence ? Selon moi, cette problématique mérite une vraie réflexion sur l’intention de la mère et ses conséquences potentielles – la naissance d’un enfant n’ayant absolument pas les mêmes conséquences qu’un mariage. Il y a tout le problème de l’émotion consistant à nier la mort pour mettre en œuvre un projet élaboré très peu de temps auparavant. Il y a aussi le fait qu’on ne sait pas si ce projet permettra la reconstruction d’une vie ou, au contraire, empêchera de faire le deuil et de se reconstruire. Sur ce sujet très difficile, l’interdiction peut paraître inhumaine, mais aussi ô combien raisonnable pour certaines personnes – et donc pas pour tout le monde. D’où une deuxième question : si une autorisation est décidée – comme pour le mariage posthume – qui jugera ? Tout en comprenant la question, je dis franchement ce que je ressens : je ne sais pas.

S’agissant des actes relatifs aux enfants sans vie, il faut faire la distinction entre les enfants nés sans vie et les enfants nés vivants et viables, mais décédés avant l’enregistrement de leur naissance. Pour les premiers, le législateur a introduit des avancées et le décret du 20 août 2008 permet, conformément à des décisions de la Cour de cassation, une mention symbolique de l’existence de l’enfant sur le registre d’état civil et sur le livret de famille, sans reconnaissance de la personnalité juridique. Pour les seconds, on tire toute la conséquence juridique de l’existence de la personnalité. Ces références permettent, me semble-t-il, de régler la problématique d’une façon équitable sur le territoire.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Je voulais savoir si vous êtes ou non favorable à l’introduction dans la législation des notions de 500 grammes et de 22 semaines d’aménorrhées.

Mme la ministre d’État. Ce sont les normes internationales, fixées par l’OMS, pour déclarer un enfant viable. Elles changeront peut-être par la suite en fonction des avancées.

Enfin, concernant votre question sur l’interdiction de la neuro imagerie, des détecteurs de mensonges, en matière judiciaire, elle est recommandée dans le rapport de l’Office parlementaire sur l’évaluation de l’application de la loi bioéthique de 2004, au motif notamment des détournements possibles, sachant que d’autres pays l’utilisent régulièrement, en particulier les États-Unis. Très franchement, les risques de dérive seraient très limités dans notre pays, où les procédures apportent des garanties et permettent au juge d’être libre par rapport aux conclusions d’une expertise, quelle qu’elle soit. Cela étant dit, l’interdire dans le domaine judiciaire impliquerait de l’interdire également dans d’autres domaines, par exemple l’assurance et le crédit. Il appartient au Parlement de choisir. La neuro imagerie est d’ailleurs très peu utilisée, voire pas utilisée du tout en France et n’est pas d’une grande fiabilité. Cependant, on peut aussi ne pas insulter l’avenir car il pourra aussi arriver que l’intéressé lui-même la demande.

M. Jean-Sébastien Vialatte. S’agissant de la grossesse pour autrui et de l’enfant né à l’étranger, il vous paraît impossible, dites-vous, d’établir aussi bien un lien de paternité qu’un lien de maternité.

Mme la ministre d’État. Cela serait injuste.

M. Jean-Sébastien Vialatte. En l’occurrence, le père est très souvent le père biologique.

Par ailleurs, qu’entendez-vous par « effets partiels » sur l’état civil de ces enfants ?

Mme la ministre d’État. C’est ce que demandent ceux qui souhaitent une reconnaissance, notamment pour éviter des problèmes en matière de droits relatifs à l’éducation des enfants. Certes, il y a une certaine hypocrisie car ces droits existent de facto dans la vie quotidienne ; néanmoins, cette reconnaissance n’existe pas. Ainsi, la demande d’un passeport peut se heurter aux principes précédemment énoncés. Les tenants d’une reconnaissance d’effets partiels espèrent probablement une reconnaissance totale.

M. Jean-Sébastien Vialatte. En matière de greffes d’organe, le consentement éclairé est in fine recueilli par le juge. Les professionnels de la greffe y voient une procédure très lourde, donc un frein au don, cependant que les magistrats nous parlent de délais extrêmement courts pour recueillir ce consentement. Êtes-vous favorable au maintien du recueil du consentement par le juge ou est-il possible d’envisager une procédure différente ?

Le problème de la discrimination en neuro imagerie ne se pose-t-il pas aussi avec les tests génétiques, les contestations de paternité pouvant être encore plus nombreuses ? Faut-il faciliter les tests génétiques, aujourd’hui très encadrés dans notre pays, mais librement accessibles sur Internet dans beaucoup de pays ? En outre, comment encadrer la possibilité de discrimination à l’assurance, mais aussi à l’embauche ?

M. Xavier Breton. L’émergence d’un droit de la bioéthique, avec les lois de 1994 et de 2004, s’est accompagnée de l’apparition d’un contentieux, qui révèle une discordance entre les faits sociaux et la loi que nous sommes amenés à réviser. Quels types d’affaires et quels points de la loi sont concernés par ce contentieux ?

Mme la ministre d’État. En matière de greffes, si nous voulons préserver à la fois les principes de notre droit, mais également l’éthique, le juge doit pouvoir intervenir. Cependant, pour les situations d’urgence, en particulier les greffes prévues de longue date, il serait possible de substituer par exemple un magistrat du parquet au juge du siège de façon à recueillir le contentement par tout moyen. Des assouplissements sont possibles, mais se passer de l’intervention du juge constituerait un risque de dérive à long terme.

Pour les tests génétiques, notre loi doit être précise quant à ce qui est autorisé et ce qui est interdit, c’est pourquoi l’intervention du juge est nécessaire dans un certain nombre de cas. Vous évoquez l’utilisation des tests génétiques pour la discrimination à l’embauche. Il y a quelques années, aux États-Unis, des quotas en matière d’accès à l’université avaient amené des parents à recourir aux tests génétiques pour apporter la preuve que leur enfant descendait d’une minorité et lui permettre d’entrer à l’université… Il nous faut veiller à éviter ce genre de dérives, ne serait-ce que parce que nos fondements culturels sont totalement différents. Nous nous appuyons sur des principes républicains, en particulier celui de l’égalité de tous devant la loi – qui s’oppose au communautarisme, auquel je suis défavorable – et celui de la stabilité de la filiation. C’est la raison pour laquelle l’encadrement actuel doit être maintenu.

Les contentieux ne sont pas très importants, mais je demanderai à mes services de vous en communiquer la liste.

M. Michel Vaxès. Si vous avez choisi de rester sur une posture de garde des Sceaux en matière de gestation pour autrui, j’ai malgré tout cru déceler dans vos propos le danger que représenterait la possibilité de faire appel à des mères porteuses en raison des risques liés à la marchandisation et aux problèmes de filiation.

Or, je ne vois pas très bien quelles réponses sont apportées à une question qui relève moins de la réflexion sur les lois de bioéthique que du statut de l’enfant né à l’étranger d’une gestation pour autrui. Ce problème doit être réglé car ces enfants sont là et ce sont le droit et l’intérêt de l’enfant qui doivent nous guider.

Par ailleurs, afin d’éviter tout risque de marchandisation, certaines personnes auditionnées proposent que l’on puisse trouver quelqu’un dans la famille pour porter l’enfant – la mère pourrait porter l’enfant de sa fille. Que pensez-vous de cette idée, qui poserait des problèmes majeurs de filiation ?

Mme la ministre d’État. L’enfant né dans le cadre d’une gestation pour autrui n’est pas sans statut : il a simplement un statut d’enfant étranger, la gestation pour autrui n’étant pas légale sur notre territoire. Comme tout enfant, son acte d’état civil, rédigé au moment de sa naissance, le suivra – avec toutes les conséquences qui en découleront sur certains points très particuliers. Les autorités françaises n’ont pas la possibilité juridique d’annuler un acte établi à l’étranger, ni même de le modifier : elles doivent purement et simplement le prendre en compte, tel quel. Elles se borneront simplement à vérifier, éventuellement, l’opposabilité de l’acte de naissance étranger au moment où leur sera présentée une demande de transcription sur le registre d’état civil français – et c’est là que le problème peut se poser car on ne peut retranscrire quelque chose d’illégal. De la même façon, établi sur la base de son acte d’état civil, le passeport de l’enfant sera étranger.

M. Michel Vaxès. Si ces enfants ont un statut d’enfant étranger, le père et la mère d’intention sont désignés comme parents dans l’acte étranger.

Mme la ministre d’État. Comme les parents ont leur acte d’état civil, l’enfant a son propre acte d’état civil étranger, avec l’ensemble des conséquences qui en sont tirées.

Enfin, quand bien même le problème de la marchandisation serait écarté, la gestation pour autrui dans le cadre de la famille – comme cela s’est produit en Italie – serait en totale opposition avec tous les principes de notre code civil, en particulier parce qu’elle aboutirait à une situation totalement aberrante en matière d’établissement de la filiation. Toutes les personnes saisies de cette question ont, me semble-t-il, écarté cette hypothèse.

M. le président Alain Claeys. Madame la ministre, je vous remercie. Nous avons abordé l’ensemble des sujets que la mission devra trancher.

Mes chers collègues, dans la perspective d’une publication du rapport courant décembre, il nous faudra organiser prochainement deux ou trois réunions d’échanges pour arbitrer les sujets les plus sensibles.

Audition de Mme Roselyne BACHELOT-NARQUIN, Ministre de la santé et des sports


(Procès-verbal de la séance du 15 décembre 2009)

Présidence de M. Alain Claeys, président

M. le président Alain Claeys. Je suis heureux, au nom de l’ensemble des membres de notre mission, d’accueillir Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé et des sports. Comme il est d’usage que le ministre chargé à titre principal du dossier soit entendu en dernier, c’est avec vous, madame, que nous allons clore le cycle des 108 auditions auxquelles nous avons procédé.

Notre rapporteur, Jean Leonetti, fera dans son rapport la synthèse de ces auditions, en tenant compte de l’ensemble des travaux menés par ailleurs sur le sujet par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’Agence de la biomédecine, le Comité consultatif national d’éthique, le Conseil d’État et les États généraux de la bioéthique. Alors que notre mission d’information termine ses travaux, votre avis, madame la ministre, nous sera précieux, comme l’ont été ceux de la ministre de la justice, de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche et de la secrétaire d’État chargée de la famille et de la solidarité, que nous avons entendues avant vous. Tout d’abord, pouvez-vous nous dire quand le Parlement examinera le projet de loi de révision des lois de bioéthique, sachant que le moratoire sur la recherche sur les cellules souches embryonnaires prend fin en février 2011 et qu’il y a là une date butoir ?

Les thèmes de réflexion de notre mission ont été nombreux. Comment encadrer la recherche sur les cellules souches ? Sur ce point, souhaitez-vous une évolution ? Si oui, laquelle ? Faut-il ou non élargir l’accès à l’assistance médicale à la procréation (AMP) ? Sur ce dernier point, nous avons bien entendu abordé les questions de la gestation pour autrui (GPA), de la filiation et du droit de l’individu à connaître ses origines qui, dans ce contexte, a pour corollaire la levée, au moins partielle, de l’anonymat des donneurs de gamètes. Comment garantir le respect de la volonté des personnes et l’amélioration de leur information lors d’un examen de leurs caractéristiques génétiques ? Faut-il ou non modifier les dispositions législatives relatives au diagnostic prénatal (DPN) et au diagnostic pré-implantatoire (DPI) ? Comment développer la solidarité en matière de dons d’organes ? Telles sont, brièvement résumées, les principales questions abordées par notre mission.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports. La révision prochaine des lois de bioéthique a été l’occasion d’échanges fructueux, d’intéressantes confrontations de points de vue, tant au Parlement que dans la population. Vous avez largement contribué, cher Alain Claeys, cher Jean Leonetti, à faire vivre le débat sur un sujet aussi complexe et je vous en remercie, ainsi que l’ensemble des membres de la mission. Le dialogue et l’écoute, que vous avez toujours privilégiés, ont en l’espèce des vertus heuristiques. Entendre toutes les objections et se réinterroger sans cesse soi-même exige beaucoup de modestie. Vous avez su en faire preuve, tout autant que de rigueur. Vous avez également insufflé à ce débat un supplément d’âme inestimable. Un grand merci donc !

En matière de bioéthique, les interrogations valent autant que les certitudes. La bioéthique n’est pas une discipline parmi d’autres. Ce n’est pas non plus seulement un champ de réflexion pluridisciplinaire. C’est une démarche totale qui se décline en interrogations obligeant à se prononcer sur une philosophie de la vie. La médecine doit-elle répondre à tout prix au désir d’enfant ? Jusqu’à quel point chercher à avoir un enfant en bonne santé ? Jusqu’où chercher à connaître le risque encouru de développer telle ou telle maladie ? Quel sens et quelle valeur donner au don d’organes ? Les réponses à toutes ces questions traduisent toujours une conception de la personne humaine, que la loi a vocation à exprimer.

Cette vision de l’humain détermine la fonction que nous assignons au droit. Soit nous considérons que les lois de bioéthique doivent s’adapter aux évolutions incessantes des techniques médicales, auquel cas le droit s’élabore de façon suiviste, au coup par coup, en tout état de cause après coup et toujours trop tard. Dans ces conditions, sanctifiant le fait, nos dispositions législatives, au mieux, confineraient au manuel de bonnes pratiques. Le droit serait toujours dépassé, énonçant ce qui doit être à partir de ce qui est. Vouée au seul encadrement des pratiques, une loi « traductrice » cesserait peu à peu de parler la langue des principes. Soit nous considérons – vous aurez compris que c’est, comme beaucoup d’entre vous, l’option que je retiens — que le droit a vocation à énoncer les principes et à ne descendre dans le détail que pour en assurer l’effectivité. Ce droit fondateur est alors créateur de normes, déductibles d’une conception de la personne humaine qui l’irrigue de part en part. Précédant le fait, ce droit est promoteur d’un idéal de progrès, irréductible à celui des techniques biomédicales.

Cet idéal de progrès, au fondement des lois de bioéthique, implique la protection des plus vulnérables, le respect de l’autonomie des personnes comme de l’intégrité du corps humain. Il commande de préserver chaque individu contre toute forme de marchandisation, d’exploitation biologique du corps, d’instrumentalisation et de discrimination. Il commande de traduire dans des procédures rigoureuses des principes bien identifiés, pour en garantir l’application effective. Cet idéal de progrès qui est celui d’une République solidaire, cet idéal qui est le mien, contredit les nouveaux conformismes que constituent le libéralisme débridé et le technicisme aveugle, désormais portés par une rhétorique compassionnelle. L’heure n’est pas à la dérégulation ni au dumping éthique, vous l’aurez compris.

Le réexamen des lois de bioéthique doit marquer un progrès au service de l’humanité, plaçant les techniques au service des personnes et non l’inverse. Aller de l’avant, franchir des pas décisifs : qui pourrait s’y opposer ? La nostalgie ne fonde pas une politique ni la défiance une éthique. La suspicion que nourrit une puissance technique toujours accrue n’est ni plus adulte ni plus responsable que la fascination qu’elle suscite. À l’heure du réexamen des lois de bioéthique, je n’ai donc pas les yeux rivés sur le rétroviseur. C’est au contraire en regardant loin devant, à l’aune de ce que nous voulons pour les générations futures, qu’il faut évaluer la pertinence de nos choix.

L’histoire est précieuse lorsqu’il s’agit de se prononcer sur le sens du progrès et d’affirmer qui nous sommes, en disant clairement qui nous voulons être. La réflexion éthique n’est pas sans mémoire, tant s’en faut. L’histoire nous apprend que toute nouveauté n’est pas nécessairement moderne et qu’aucune science, aucune expertise ne nous protège de la déraison. Elle nous dit aussi que les progrès de la rationalité instrumentale ne garantissent pas la sagesse. L’obscurantisme et la superstition peuvent parfaitement perdurer, voire se développer, en même temps que la science et les techniques avancent. Le perfectionnement technico-scientifique n’est pas en lui-même pourvoyeur de sens. Pour ne pas susciter une défiance grandissante mais au contraire emporter l’adhésion, il lui faut trouver hors de lui un point d’appui solide. Et ce point d’appui, c’est l’éthique. Cette exigence de discernement a orienté les travaux de votre mission et marqué le débat public ouvert à l’occasion des États généraux. Elle inspirera le projet de loi que je présenterai au Parlement au printemps prochain, cher Alain Claeys. Le moratoire sur la recherche sur les cellules souches embryonnaires expirant le 11 février 2011, et le second semestre du calendrier parlementaire étant toujours très chargé avec l’examen des textes budgétaires, il faut en effet que ce projet de loi soit examiné au premier semestre pour que nous soyons dans les temps.

Ce texte sera ambitieux, porté non par une ambition privilégiant la tonitruance de l’annonce à la subtilité de l’argumentation, mais une ambition qui consiste à aller de l’avant, sans jamais perdre de vue les repères qui structurent le lien social et fondent une civilisation que nous voulons hospitalière et non marchande.

Aller de l’avant ne signifie pas fatalement transgresser une limite. Qualifier les mères porteuses de « nounous des temps modernes » pour défendre, avec l’appui d’une rhétorique compassionnelle, la légalisation de la gestation pour autrui, admettre que l’enfant à naître puisse faire l’objet d’un contrat, faire risquer sa santé à une femme pour pallier l’infertilité d’une autre, et ce au nom de l’altruisme, lequel conduit à ne parler, par un euphémisme assourdissant, que de « défraiement », exposer les plus vulnérables et les plus démunies des femmes à la tentation de remplir l’office de mères de substitution, faire courir aux plus fragiles le risque d’une instrumentalisation aliénante de leur corps et de leur psyché, reconnaître le primat du génétique tout en admettant que la mère puisse être celle qui élève et non celle qui porte et accouche, voilà une bien étrange conception du progrès et de l’éthique, une bien étrange façon de défendre la cause des femmes !

Aller de l’avant, ce n’est pas brouiller tous les repères ni invoquer en dernier ressort la détresse pour faire plier le droit et infléchir le bon sens. Sans méconnaître la souffrance, la justice n’est pas la compassion. Sans être désincarnée, l’exigence éthique ne saurait se dissoudre dans l’immédiateté du sentiment. Sans être insensible aux cas particuliers, le droit n’est pas un libre-service parmi des options contraires. En ce sens, invoquer le seul critère de l’utilité thérapeutique, voire palliative, pour justifier certains actes, c’est se situer très en deçà des commandements les plus élémentaires de l’éthique biomédicale. C’est, jouant sur la corde sensible, oublier que la fin ne justifie pas les moyens, que l’exercice de la médecine, devant un dilemme, ne peut éviter l’épreuve tragique du choix. Si la bonté d’une intention suffisait à légitimer une pratique, la loi n’aurait rien à dire et nos débats seraient sans fondement. Les lois de bioéthique pourraient même disparaître. Elles ne disparaîtraient d’ailleurs pas nécessairement d’un coup mais par l’effet, à l’occasion de réexamens successifs, de petits arrangements et infléchissements aboutissant insidieusement à des mutations.

Voulons-nous que prévale une conception strictement utilitariste du droit, où le droit ne fait qu’accompagner les évolutions, favoriser toujours davantage l’adaptation de l’offre disponible à la demande sociale ? Voulons-nous au contraire un droit protecteur des personnes, ne se réduisant pas au seul encadrement compassionnel des pratiques ? Telle est bien la question.

La réponse qu’apportera le futur projet de loi ne participera pas d’une politique de la retouche, négligeant de consolider les fondements et au risque de perdre en consistance à force de détails. Le réexamen des lois de bioéthique ne doit pas être l’occasion « d’accessoiriser » le droit. Sur l’ensemble des sujets qui seront abordés, l’exigence argumentative doit prévaloir, appelant à la vigilance et au discernement.

S’agissant de l’AMP, je veillerai notamment à mieux distinguer procréation et parentalité, de manière à éviter le double écueil d’une biologisation de la filiation et de la discrimination induite par la confusion des deux réalités. Plus globalement, je serai soucieuse d’avancer des arguments visant à éviter, autant que possible, toute instrumentalisation du débat bioéthique. En ce sens, un caractère plus libéral de la société française, conçu comme un progrès dès lors qu’il émancipe des préjugés, n’implique d’affaiblissement ni de la loi ni des éléments de régulation.

Républicaine dans l’âme, je veillerai à ne pas réduire l’intérêt général à l’addition incertaine d’intérêts particuliers. Je ne laisserai pas l’engrenage de « l’exception à l’exception » altérer le droit en épuisant sa substance éthique par un émiettement continu des principes. La dérégulation des pratiques biomédicales ne serait d’ailleurs pas la marque d’une plus grande liberté, mais plutôt l’amorce d’un renoncement conduisant à une impasse. Ainsi le recours au DPI, progrès médical majeur, doit-il rester une pratique autorisée « à titre exceptionnel », strictement encadrée. C’est en considération de cas toujours singuliers qu’il convient d’apprécier « la gravité » et « l’incurabilité » d’une maladie pouvant justifier ce type de diagnostic. En aucun cas, une liste, normative et stigmatisante, de maladies par avance désignées, ne saurait être établie. Le DPI ne doit pas non plus, alors qu’il est l’exception, devenir la règle par un élargissement abusif de ses indications. Pas davantage, est-il besoin de le souligner, notre pays ne saurait autoriser l’usage dévoyé d’une technique qui n’a pas pour fonction de sélectionner les enfants à naître selon des déterminants génétiques de la bonne santé ni des critères de convenance laissés à la libre appréciation des parents. Deux cents couples seulement recourent au DPI en moyenne chaque année dans notre pays, pour une cinquantaine de naissances. Les dérives ne sont donc pas à craindre et les dispositions législatives en vigueur sont satisfaisantes.

Ce n’est donc pas un chamboule-tout législatif qui s’annonce, mettant en péril l’équilibre global d’un édifice protecteur. Les grands principes régissant notre droit en matière de bioéthique, de la gratuité du don jusqu’au secret médical, font largement consensus. Il faudra cependant expliquer, convaincre, établir au long cours les conditions d’un débat public élargi favorisant une appropriation raisonnée de ces questions mais aussi, tout simplement, mieux informer le public.

S’agissant du don d’organes par exemple, nous devons parier davantage sur l’implication responsable des citoyens au service de la solidarité. Le discours médical mettant en avant les bienfaits du don pour le receveur et les risques de pénurie d’organes, ne peut suffire. La communication sur le don d’organes ne saurait se satisfaire d’une approche strictement quantitative. La dimension symbolique du rapport au corps ne doit pas être négligée. D’une manière générale, les considérations symboliques sont loin d’être marginales dans le débat bioéthique. Elles occupent notamment une place centrale dans la réflexion concernant la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires. J’entends les arguments de ceux qui rappellent la fonction symbolique de l’interdit pour ce type de recherches. Je sais aussi que le système actuel, suspendu à la levée ou non d’un moratoire, apparaît en contradiction avec la pérennité des principes invoqués et n’est pas gage de sécurité juridique pour les activités de recherche. Je souhaite, sur ce point, améliorer la lisibilité globale du dispositif en vigueur mais aussi donner aux chercheurs la visibilité nécessaire. C’est pourquoi le projet de loi ne devrait pas prévoir de clause de revoyure. Mon intention, à ce stade de la réflexion, est de proposer la suppression du moratoire tout en maintenant le principe actuel d’interdiction assorti de dérogations, lequel ne semble pas pénaliser la recherche. En même temps, je souhaite qu’aucune voie de recherche ne soit privilégiée au détriment d’une autre. Les recherches sur les cellules souches adultes, les cellules issues de sang de cordon ou bien encore les cellules souches pluripotentes induites ouvrent toutes des perspectives thérapeutiques prometteuses innovantes et constituent une alternative crédible qui reste encore très largement à explorer.

Dressant le bilan des États généraux de la bioéthique en juillet dernier, cher Jean Leonetti, vous avez choisi de citer Bergson : « Sur dix erreurs politiques, neuf consistent à croire que ce qui était vrai hier l’est encore aujourd’hui mais la dixième, la plus grave sans doute, consiste à croire que ce qui était vrai hier ne l’est plus aujourd’hui. » C’est bien en effet notre rapport au temps qui se trouve interrogé par la réflexion bioéthique. Il s’agit de fonder des choix qui engagent notre avenir commun, qui décideront de la forme du monde où nous vivrons demain : société plus hospitalière, au sens premier du terme, ou au contraire une société toujours plus dure et normative, d’où la vulnérabilité serait écartée.

Des découvertes de la recherche, libre par essence, nous ne pouvons rien savoir ni contrôler. C’est pourquoi les choix qui nous permettront de relever, en toute connaissance de cause, les défis du monde moderne sont d’abord des choix éthiques. Ces choix, politiques au sens noble du terme, nous les ferons ensemble en nous plaçant sous le regard des générations futures. En effet, l’éthique du futur, ce n’est pas une éthique de demain, mais une éthique d’aujourd’hui au service du futur. À nous de décider, ici et maintenant, du sens que nous voulons donner à notre histoire commune, de la forme du monde que nous souhaitons léguer et des valeurs que nous souhaitons transmettre. Voilà ce à quoi je crois profondément et que je souhaitais vous dire, avant de répondre à vos questions.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Madame la ministre, vous avez rappelé les grands principes de bioéthique et affirmé votre volonté de rester fidèle à ces valeurs, tout en ouvrant largement le champ aux recherches et aux techniques les plus modernes. J’ai bien entendu votre position concernant les recherches sur l’embryon. Il semble que nous soyons d’accord. Certains, dont je suis, préfèrent le maintien d’une interdiction assortie de dérogations ; d’autres préfèreraient un régime d’autorisation strictement encadré – option qui présente, à mon avis, des difficultés non pas seulement éthiques mais aussi juridiques.

Pour ce qui est du DPI, vous êtes hostile à un élargissement de ses indications et pensez qu’il faut laisser apprécier au cas par cas ce qui constitue une « maladie grave », sans constituer de liste qui, de toute façon ne serait jamais exhaustive. Demeure le problème du dépistage de la trisomie 21 au cours de ce diagnostic, problème d’ailleurs plus théorique que pratique, dans la mesure où il n’y a pas plus de cinquante naissances par an après DPI et que seul un enfant à naître sur 600 est porteur de cette anomalie chromosomique. Ne jugeriez-vous cependant pas raisonnable, comme l’a proposé le CCNE, que la trisomie soit, dans ce cas tout à fait exceptionnel, recherchée en même temps que « la maladie d’une particulière gravité » ayant justifié le recours au DPI avant l’implantation de l’embryon, plutôt que de proposer ultérieurement à la mère une interruption médicale de grossesse, si le dépistage pratiqué en cours de grossesse se révélait positif ?

S’agissant de l’AMP, l’une des questions clés est de savoir s’il faut répondre aux demandes sociétales comme aux demandes médicales. Vous souhaitez distinguer clairement parentalité et procréation. Pensez-vous que l’AMP doit être réservée uniquement à des couples stériles ou qu’elle pourrait être accessible à des personnes célibataires, ce qui ouvrirait alors une voie, juridique et biologique, à l’homoparentalité ? Je connais votre ouverture d’esprit concernant l’homoparentalité, mais je souligne qu’il ne s’agirait pas là d’adoption, mais d’assistance médicale à la procréation au sein d’un couple ne présentant aucune infertilité médicale. Il existe là incontestablement une frontière et une ligne de clivage, notamment dans le cadre de notre système de soins, gratuit, accessible à tous, tenant compte des problèmes médicaux et de la vulnérabilité de chacun. Le constat d’une infertilité médicale me paraît être un point de repère.

Je ne reviens pas sur la GPA. Vous avez parfaitement exposé les arguments qui vous conduisent à vous y opposer. Je les partage, à l’instar de la grande majorité des membres de la mission, même si certains ont pu avoir des hésitations et osciller.

S’agissant du don d’organes, pensez-vous envisageable que certains patients en réanimation, relevant de la catégorie III de la classification de Maastricht – pour lesquels une décision d’arrêt de soins est prise en raison de leur pronostic –, puissent faire l’objet de prélèvements d’organes ? Cela est interdit aujourd’hui en France mais autorisé dans d’autres pays. Il faudrait bien entendu s’assurer d’une étanchéité totale entre l’équipe de réanimation proposant d’arrêter le traitement devenu vain et l’équipe de transplantation ? Comment cette pratique pourrait-elle être encadrée ?

Enfin, concernant les dons d’organes entre vivants, nous étions plutôt favorables à l’idée des dons croisés. Les dernières lois de bioéthique ont élargi le cercle des donneurs potentiels jusqu’aux cousins du receveur, mais au final, peu de personnes ont pu bénéficier d’une greffe dans ce cadre. Nous nous sommes demandés s’il fallait élargir ce cercle jusqu’à des proches comme les amis ou s’il ne fallait pas privilégier les dons croisés – où une personne fait don d’un organe à un patient avec lequel il est compatible, qu’il ne connaît pas mais que connaît l’un de ses parents, lui aussi en attente de greffon, lequel recevra un organe d’un proche de la personne à qui la première aura fait son don. Le dispositif, anonyme et gratuit, devrait bien entendu être hermétique afin qu’il ne puisse pas y avoir de contacts entre les uns et les autres. Ces dons croisés pourraient permettre d’accroître le nombre des donneurs vivants, en particulier de rein, tout en évitant la marchandisation des organes, et même l’indemnisation des donneurs.

J’aimerais, madame la ministre, connaître votre opinion sur tous ces points.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Madame la ministre, je partage quasiment tous vos points de vue. Vous avez indiqué que le futur projet de loi ne comporterait pas de clause de revoyure. Cela vaut-il pour l’ensemble du texte ou seulement pour les dispositions ayant trait à la recherche sur les cellules souches embryonnaires ? La loi pourra-t-elle être fondée sur des principes assez solides pour qu’il ne soit plus nécessaire de la réexaminer tous les cinq ans ? Pour ma part, je serais assez favorable à ce qu’il n’y ait plus de clause de revoyure.

Un avis récent du Comité consultatif national d’éthique relatif au dépistage de la trisomie 21 au détour d’un DPI a suscité une certaine émotion. Quelle est votre position ?

Pourriez-vous de même la préciser concernant l’anonymat des donneurs de gamètes, même si elle peut se déduire de votre souhait de bien distinguer procréation et parentalité ?

Mme Martine Aurillac. Madame la ministre, nous avons apprécié la hauteur de vue de votre exposé liminaire sur ce grand et beau sujet de la bioéthique. J’aimerais, pour ma part, simplement connaître votre position sur la recherche des origines.

M. Philippe Gosselin. L’absence de clause de revoyure concerne-t-elle l’ensemble de la loi ou seulement les dispositions relatives aux recherches sur l’embryon ? Pour ma part, je me réjouis que le principe d’interdiction de ces recherches ne soit pas levé, du moins pour l’instant.

Quelle est votre position sur l’utilisation du sang de cordon, dont on parle beaucoup aujourd’hui ? Certains modes de conservation pourraient contrevenir au principe d’anonymat. Que pensez-vous de l’usage autologue ? Un débat se fait jour qui exige de trancher, concernant notamment la constitution de banques privées.

M. Paul Jeanneteau. Pensez-vous que le secret médical puisse être, totalement ou partiellement, levé pour informer la parentèle d’une personne porteuse d’une anomalie génétique transmissible ?

M. Jean-Marc Nesme. Comment expliquez-vous le retard de la France par rapport à d’autres pays européens en matière de recherches sur les cellules du sang de cordon ?

M. Olivier Jardé. J’ai bien entendu, madame la ministre, votre position sur la GPA. Pour autant, nul ne peut nier qu’il existe un tourisme procréatif. Quelle est votre position sur la situation des enfants amenés en France après être nés à l’étranger d’une GPA ?

Mme Pascale Crozon. Je voulais poser la même question. Mon souci essentiel à ce sujet est celui des droits de ces enfants. Comment surmonter les problèmes juridiques de filiation qui se posent aujourd’hui ?

M. Serge Blisko. Pour développer les dons d’organes et les greffes, il faudrait sans doute « inverser la charge de la preuve », afin de faciliter les prélèvements. N’en reste pas moins posé le problème des conditions de recueil du consentement dans certains cas très particuliers. Des évolutions sont-elles envisagées ?

Mme la ministre. J’ai répondu sur le calendrier de l’examen du futur projet de loi au Parlement.

J’ai également répondu sur l’interdiction des recherches sur l’embryon, qui sera maintenue, les autorisations n’étant délivrées qu’à titre dérogatoire. Messieurs Vialatte et Gosselin, l’absence de clause de revoyure vaudra pour l’ensemble de la loi. Pour autant, cela ne contraindra nullement la représentation nationale et n’empêchera bien sûr pas une quelconque majorité future de souhaiter légiférer de nouveau en matière de bioéthique. Simplement, les lois de bioéthique ne seront plus rendues obsolètes à échéance régulière, ce qui pouvait curieusement laisser à penser que des principes fondamentaux pourraient être périodiquement revus. Nous nous souvenons tous des circonstances dans lesquelles cette clause de revoyure avait été initialement introduite. Cela avait permis de rechercher un consensus et sans doute au tout début de la réflexion sur ces sujets, cette démarche a-t-elle été constructive. Maintenant qu’une certaine maturité a été atteinte, une telle clause n’apparaît plus nécessaire.

L’AMP est aujourd’hui réservée aux couples mariés ou en mesure de prouver l’existence d’une vie commune depuis au moins deux ans, souffrant d’une infertilité médicale, et non pas sociale. Ne faudrait-il pas reconsidérer la notion de « couple stable », au regard des difficultés concrètes rencontrées dans l’application de cette disposition et de l’évolution des modes de conjugalité ? Étant donné ma position bien connue sur le pacte civil de solidarité, je suis bien entendu tout à fait favorable à la proposition du Conseil d’État visant à ce que les couples pacsés bénéficient des mêmes droits que les couples mariés. Pour autant, je considère que le recours à l’AMP ne peut répondre qu’à une infertilité biologique, médicalement constatée, donc celle d’un couple formé d’un homme et d’une femme. Je pense qu’un couple homosexuel doit pouvoir devenir parent s’il le souhaite, mais pas en recourant à l’AMP. Un enfant sur cinq vit aujourd’hui dans une famille monoparentale et élever un enfant seul n’a plus rien d’extraordinaire. S’il faut tenir compte des nouveaux types de famille, la monoparentalité ou l’homoparentalité ne sauraient induire le droit pour les couples homosexuels de recourir à l’AMP.

L’encadrement actuel du DPI est-il suffisant ? La réflexion sur le sujet lors des États généraux de la bioéthique a été très intéressante. Nos concitoyens, comme d’ailleurs le Comité consultatif national d’éthique, ont conclu, et je partage leur avis, que cet encadrement était satisfaisant. Je suis opposée à l’établissement d’une liste d’indications du DPI, laquelle serait nécessairement stigmatisante et risquerait d’être perçue comme une norme, alors que l’approche pragmatique actuelle, au cas par cas, donne toute légitimité à l’appréciation du caractère « d’extrême gravité et d’incurabilité » d’une maladie. Il conviendra sans doute de distinguer l’identification des maladies génétiques graves monosomiques transmissibles, auxquelles s’apparentent les prédispositions génétiques à certains cancers, de la simple susceptibilité d’origine multifactorielle à certains cancers. Se pose le problème soulevé par le CCNE de la recherche éventuelle d’une anomalie non transmissible survenant lors de la fécondation, comme la trisomie 21. L’extension du DPI à ce type de maladie, dans le cadre exclusif et restreint de ce type de diagnostic, pourrait éviter des IMG, toujours traumatisantes pour les couples, mais encore bien davantage dans ces circonstances. Je suis ouverte sur le sujet, sachant qu’il importe avant tout d’avoir une attitude humaine.

La question ne m’a pas été posée, mais je profite de l’occasion pour dire que les dispositions relatives au bébé du double espoir – dit aussi « bébé-médicament » – doivent être maintenues. Les modifications de nature rédactionnelle proposées par les citoyens lors des États généraux sont pertinentes et pourront être reprises dans le texte de loi.

S’agissant du don d’organes, il n’est pas question de revenir sur le régime actuel de consentement présumé.

L’attention a récemment été appelée sur la conservation et l’utilisation du sang de cordon ombilical. Celles-ci ne sont autorisées en France que pour des greffes allogéniques, les seules à présenter un intérêt thérapeutique. Comme l’ont bien expliqué les professionnels, le CCNE et le Conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine, la conservation de sang de cordon à des fins autologues n’a, elle, aucune utilité. Le nombre d’unités de sang de cordon conservées à ce jour en France est insuffisant – 8 200 à ce jour, alors qu’il serait souhaitable d’en avoir de 35 000 à 50 000. Nous sommes déterminés à combler ce retard. Des mesures sont en cours. Ces greffes s’adressant en premier lieu à des patients atteints de cancer, le plan Cancer, présenté début novembre par le Président de la République, prévoit une aide financière de quatre millions d’euros dès 2010 pour les banques de sang de cordon, reconductible pendant toute la durée du plan. Cette aide sera gérée par l’Agence de la biomédecine, responsable du réseau français de sang placentaire. Le soutien à des partenariats public-privé pour développer les prélèvements est également une piste pour augmenter le nombre d’unités disponibles. Par ailleurs, un arrêté du 14 septembre dernier permet de mieux garantir la qualité des prélèvements en instituant une autorisation pour les maternités habilitées à les pratiquer, les sages-femmes recevant une formation ad hoc. La proposition de loi de votre collègue Damien Meslot visant à autoriser des banques de sang de cordon à usage autologue comme les offensives auxquelles on assiste de la part de certaines banques privées, à la limite de la légalité, sont contraires à la législation actuelle, aux données médicales et in fine au principe de solidarité, puisque seraient égoïstement détournés d’une conservation utile à des fins allogéniques des prélèvements appelés à ne servir à rien puisqu’il n’y a pas d’indication médicale d’usage autologue.

S’agissant des dons croisés d’organes, nous poursuivons la réflexion.

L’interdiction de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, assortie de dérogations – comme le prévoyait le moratoire de cinq ans –, a-t-il entraîné un retard des recherches dans ce domaine en France ? Je ne le pense pas. Seuls neuf projets sur quarante-sept ont été refusés à l’Agence de la biomédecine. La recherche rencontre sans doute des difficultés dans notre pays, mais en ce domaine, ils ne tiennent pas au dispositif en vigueur.

M. le président Alain Claeys. J’ai un point de vue légèrement plus nuancé sur ce point.

Mme la ministre. C’est l’un des rares points sur lesquels nous avons une divergence. Il faut bien qu’il y en ait quelques-uns, et je respecte parfaitement votre position.

Monsieur Jardé, je n’ignore pas qu’il existe un tourisme procréatif. Mais ce ne saurait être un argument pour modifier les lois de bioéthique. La filiation des enfants nés à l’étranger de pratiques interdites en France ne relève pas des lois de bioéthique. Cette question concerne plutôt ma collègue ministre de la justice. Dès lors qu’on établit des principes stricts – qui, pour moi, reposent sur mes profondes convictions féministes –, on ne peut s’en écarter au motif qu’existent des pratiques qui y contreviennent.

Madame Aurillac, j’ai déjà eu l’occasion de dire clairement que je suis favorable au droit à la connaissance des origines. Je ne méconnais pas pour autant tous les problèmes que cela peut soulever et pense que chaque situation doit être examinée avec la plus grande humanité. Il faut distinguer la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes, que je ne souhaite pas remettre en question, de la possibilité d’accès à des données non identifiantes sur le modèle des dispositions actuellement vigueur pour l’accouchement sous X. Sylviane Agacinski, pour laquelle j’ai la plus grande admiration, a raison lorsqu’elle écrit qu’il s’agit « de ne pas réduire la filiation biologique d’un enfant à un tube de paillettes congelées ». La construction d’un adulte passe par une histoire unique, mais complète. L’accès, facultatif mais possible, à des données non identifiantes telles que l’âge du donneur doit être perçu comme faisant partie de cette histoire. Elle est une manière de reconstituer une partie du puzzle des origines de chacun. Dans le cadre des lois de bioéthique, nous ne nous intéressons pas à l’accouchement sous X, mais seulement à la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes. Il faut savoir que les procédures d’AMP avec don de gamètes représentent moins de 6 % des cas.

S’agissant de l’information de la parentèle d’une personne chez qui a été détectée une anomalie génétique, je ne souhaite pas légiférer. Tout cela se résout en général de manière humaine, par le dialogue entre cette personne et son médecin. Il n’y aurait aucun sens que la loi interdise cette information, car elle serait très souvent transgressée. En revanche, imposer au médecin de rompre le secret médical dans ce cas serait extrêmement difficile sur le plan éthique. Je pense qu’il faut faire confiance et laisser une large latitude au colloque singulier entre le médecin et son patient porteur d’une anomalie génétique.

M. Olivier Jardé. Quelle est votre position, madame la ministre, sur les fécondations post mortem ?

M. Jean Leonetti, rapporteur. Une femme a récemment demandé, quelques années après le décès de son conjoint, à récupérer le sperme congelé de celui-ci pour procéder à une fécondation in vitro. La justice a, à juste titre nous semble-t-il, rejeté cette demande. Une conception dans ces conditions n’aurait été dans l’intérêt ni de l’enfant à naître, ni probablement celui de la mère, et en tout cas aurait violé le principe de propriété inaliénable de son corps du conjoint décédé. Mais nous nous sommes demandé ce qu’il en aurait été si cette femme avait disposé d’un embryon congelé destiné à être implanté. Ne pourrait-on pas dans certaines circonstances bien particulières accepter l’implantation d’un embryon post mortem, dans la mesure où il est bien la preuve d’un projet parental partagé entre les deux parents ?

Mme la ministre. Je suis d’accord avec vous pour poser cette question.

M. Jean Leonetti, rapporteur. C’est moi qui suis d’accord avec vous, madame la ministre.

M. le président Alain Claeys. On irait donc vers une autorisation encadrée d’implantation d’embryon dans le cas d’un projet parental ?

Mme la ministre. La loi actuelle dispose que les deux membres d’un couple doivent être « vivants » pour qu’une AMP puisse leur être proposée. Il faut bien voir qu’implanter un embryon congelé après le décès d’un conjoint, a fortiori pratiquer une fécondation in vitro avec le sperme congelé d’un conjoint décédé, revient à faire naître délibérément un enfant orphelin. Certains arguent de la valeur du projet parental du couple et assimilent cet acte à l’insémination artificielle de femmes célibataires et y sont pour cette raison opposés. Sylviane Agacinski met en avant l’histoire familiale, « l’existence d’un père géniteur pour proposer une exception qui pourrait prendre le caractère d’une dérogation dont les modalités restent à définir : cause et circonstances du décès du père, délai entre le décès et la procréation médicalement assistée… ». La question est difficile et il faut poursuivre la réflexion. Pour l’heure, elle ne me paraît pas aboutie.

M. le président Alain Claeys. Nous l’avions déjà eue lors de la précédente révision.

Mme Martine Aurillac. Il est clair qu’il faut qu’il y ait un projet parental antérieur au décès du conjoint.

Mme la ministre. Mais comment l’évaluer ?

M. Olivier Jardé. La question du délai est primordiale. Quid par exemple si un conjoint décède une semaine avant la date programmée de l’implantation d’un embryon ?

M. Paul Jeanneteau. La naissance délibérée d’un enfant orphelin n’est pas tout à fait la même chose que l’insémination d’une femme seule. Faire naître un enfant orphelin, c’est aussi lui faire porter le poids du deuil de sa mère.

Mme Martine Aurillac. Il faudrait instituer l’équivalent d’un délai de viduité.

Mme la ministre. La mort est toujours tragique, c’est une dimension inéluctable de la destinée humaine. Elle emporte la personne avec tous ses projets…

M. le président Alain Claeys. La loi est terrible aujourd’hui interdisant toute possibilité de transfert post mortem.

Mme la ministre. Ce qui est terrible, c’est la mort de l’individu dont tous les projets sont stoppés nets par sa mort.

Mme Martine Aurillac. Un embryon conçu in vitro avant sa mort est bien la preuve qu’existait une volonté de projet parental.

Mme la ministre. Mais cet individu avait aussi la volonté de vivre, à laquelle la mort a mis fin…

M. Serge Blisko. Il faut, me semble-t-il, distinguer la situation où il n’y a que des paillettes de sperme congelé et celle où un embryon a déjà été conçu, preuve concrète d’un projet parental du couple. Comme dans certains cas, au demeurant rares, un mariage posthume peut être autorisé, ne pourrait-on pas autoriser, dans certains cas tout aussi particuliers, le transfert d’embryon post mortem ?

M. Jean-Sébastien Vialatte. Je voudrais revenir sur deux questions qui touchent à l’égalité d’accès aux soins. On manque cruellement de donneuses d’ovocytes dans notre pays et plusieurs CHU ne pratiquent plus ce type de prélèvement pour des raisons financières. Que pourrait-on faire pour remédier à cette situation et augmenter le nombre de donneuses ? De même, il n’existe que trois centres de DPI en France, ce qui contraint certaines familles à des déplacements exagérément longs. Ne pourrait-on pas créer quelques centres supplémentaires ?

Mme la ministre. Je suis consciente des difficultés que peuvent rencontrer les familles, mais la sophistication des équipements et la technicité requise des équipes font que l’on ne peut pas multiplier le nombre de ces centres. Il en existe aujourd’hui trois, à Paris, Strasbourg et Montpellier. Peut-être pourrait-on en ouvrir un quatrième mais quoi qu’il en soit, il n’est pas envisageable d’installer ce type d’équipement dans tous les CHU. Ce n’est même pas une question financière. Il faut garder à l’esprit que seuls deux cents couples par an recourent à un DPI – c’est-à-dire que moins d’un DPI par jour est effectué.

Mme Pascale Crozon. Peut-être ne sont-ils pas plus nombreux précisément parce que certains ne peuvent pas se déplacer aussi loin.

M. Jean-Sébastien Vialatte. On pourrait sans doute les aider financièrement.

Mme la ministre. Je veux en tout cas que le financement de ces activités soit mieux assuré et une MIGAC y sera spécifiquement dédiée. Cela pourra inciter certaines équipes à développer les prélèvements d’ovocytes.

M. Jean-Luc Préel. Si c’est lié au budget, il faut faire attention.

Mme la ministre. On ne peut pas vouloir une chose et son contraire, déplorer qu’il n’y ait pas assez d’argent pour ce type d’activités et quand il est proposé d’en donner dans le cadre des MIGAC, se méfier !

M. Philippe Gosselin. Vous confirmez, madame la ministre, que vous êtes opposée aux prélèvements de sang de cordon à des fins autologues et au maintien de l’anonymat des donneurs de gamètes, tout en permettant aux enfants nés d’AMP d’avoir accès à certaines données non identifiantes ?

Mme la ministre. Tout à fait.

M. le président Alain Claeys. Il me reste, madame la ministre, à vous remercier.

1 () Le terme « attribution » n’est pas équivalent au terme « prélèvement », car, dans certains cas, avec un prélèvement ovocytaire, il peut y avoir plusieurs attributions par répartition du pool ovocytaire recueilli d’une donneuse sur plusieurs receveuses.


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