Accueil > Documents parlementaires > Les rapports d'information
Version PDF
Retour vers le dossier législatif

N° 2570

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 2 juin 2010.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

en conclusion des travaux de la mission
sur
le financement des retraites
dans les États européens

ET PRÉSENTÉ

par M. Arnaud Robinet,

Député.

___

INTRODUCTION 5

I.- DES SYSTÈMES DE RETRAITE DIFFÉRENTS MAIS CONFRONTÉS AUX MÊMES DIFFICULTÉS DE RÉFORME DE LEUR FINANCEMENT 8

A. PRÉSENTATION DES GRANDS TYPES DE SYSTÈMES DE RETRAITE 8

1. Trois grands piliers 8

2. Deux grands modes de financement 10

3. Mais une évolution convergente 13

a) La fiscalisation progressive des systèmes bismarckiens et l’élargissement de l’assiette des ressources des systèmes beverdigiens 13

b) Trois approches de la « TVA sociale » : le Danemark, la Suisse et l’Allemagne 15

c) Et la France ? 18

B. RÉFORMES SYSTÉMIQUES OU PARAMÉTRIQUES 20

1. Un constat partagé ? 20

a) Les hypothèses démographiques 20

b) Les projections économiques et financières 23

c) Le niveau de vie des retraités 27

2. Les grands axes des réformes récentes en Europe 30

a) Les conditions politiques de la réforme 30

b) La nature des réformes 36

c) La capitalisation, une tendance croissante à la veille de la crise 39

3. Réformer en période de crise ? 43

II.- TROIS ÉTUDES DE CAS : L’ALLEMAGNE, LES PAYS-BAS ET LA FINLANDE 47

A. RENCONTRES AVEC LES CONSEILLERS SOCIAUX DES AMBASSADES 47

1. Un système « bismarckien » par excellence : l’Allemagne 47

a) Les grandes lignes du régime de retraite allemand 47

b) Quels enseignements tirer des réformes allemandes ? 50

2. Les Pays-Bas : un archétype « beveridgien » 55

B. UNE ÉTUDE DE TERRAIN EN FINLANDE, SOURCE D’UNE RÉFLEXION ENRICHISSANTE SUR LE CAS FRANÇAIS 59

1. Le système de retraites finlandais et ses réformes 59

a) Un contexte économique et social associant bien-être et économie compétitive 59

b) La réforme des retraites de 2005 62

2. Aux questions posées, des réponses qui refondent un pacte social 65

a) Un vieillissement actif 65

b) Une utopie raisonnable 69

TRAVAUX EN COMMISSION 71

ANNEXES 83

ANNEXE 1 : COMPOSITION DE LA MISSION D'INFORMATION 83

ANNEXE 2 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 85

INTRODUCTION

La création de la mission d’information sur le financement des retraites dans les États européens par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, en mai 2009, s’inscrit dans un cadre de comparaisons internationales qui est devenu la règle à l’Assemblée nationale comme au Sénat depuis plus de deux décennies, dans tous les grands domaines économiques et sociaux, et particulièrement de la protection sociale et des retraites. La commande passée au Conseil d’orientation des retraites par l’article 75 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, d’une étude sur les modalités techniques de remplacement du calcul actuel des pensions personnelles par le régime de base d’assurance vieillesse par un régime par points ou de comptes notionnels fonctionnant, l’un comme l’autre, par répartition en est un exemple récent.

De nombreux États européens ont été conduits, depuis vingt ans, à reconsidérer et à remodeler les différents systèmes de retraites dont ils disposent, afin d’en garantir la pérennité, sous la double contrainte de l’évolution démographique et de la compatibilité de besoins de financements croissants avec le maintien de leur compétitivité dans une économie mondialisée.

La crise financière majeure de 2008, devenue depuis économique et sociale, a évidemment un impact très net sur les différents régimes de retraite, en tout premier lieu ceux fondés sur le système de la capitalisation. La valeur des investissements des fonds de pension a chuté brusquement et si la situation s’est partiellement rétablie depuis, elle reste pourtant, comme en témoigne l’actualité, pour le moins fragile. Il est, néanmoins, apparu nécessaire d’engager une réflexion qui, devant être menée sur le très long terme, doit tenter de relativiser les effets de la crise pour permettre d’envisager des mesures à même de garantir la solidarité entre actifs et retraités.

Le sujet est extrêmement vaste et documenté, sa difficulté ne venant d’ailleurs pas de l’insuffisance mais de la surabondance des informations. Elles sont, à vrai dire, souvent contradictoires, non seulement dans les analyses qui traduisent naturellement les vues politiques de leurs auteurs mais également, ce qui est plus surprenant mais s’explique cependant par l’extrême diversité des outils statistiques, dans les données publiées, qu’elles soient démographiques, économiques ou financières. De plus, les données comparables disponibles sont rarement postérieures à 2008, ce qui n’influe pas sur la présentation des grandes tendances en terme de besoins de financement mais rend particulièrement délicate l’analyse de leur contexte économique. L’exemple de l’Islande, qui était naguère citée comme une référence en terme d’investissements dynamiques, illustre assez bien la difficulté de tirer des conclusions durables.

De multiples publications de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), de l’Union européenne, de l’Association internationale de la sécurité sociale (ISSA), du Conseil d’orientation des retraites (COR), de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), de l’Observatoire des retraites mais aussi des sites officiels nationaux présentent, de façon plus ou moins exhaustive, les systèmes de retraite en vigueur en Europe. Elles nourrissent pleinement cet échange d’expériences que Mme Danièle Karniewicz, présidente du conseil d’administration de la CNAV, estimait, lors de son audition, indispensable à l’élaboration de toute politique de protection sociale.

Le rapporteur s’est donc attaché à proposer, plutôt qu’une compilation de données par pays, une présentation très synthétique des différents systèmes en vigueur dans l’Union européenne et des réformes qu’ils connaissent, complétée par une étude plus détaillée consacrée à trois États qui ont fait l’objet d’auditions spécifiques ou de déplacement de la mission. Il s’est inspiré, bien sûr, du magistral exposé liminaire de M. Raphaël Hadas-Lebel, président du COR, dont l’audition avait inauguré les travaux de la mission. Les nombreuses auditions qui ont suivi lui ont permis, en comparant les points de vue, de mieux préciser les différents aspects de ce très vaste sujet.

Une étude transversale de l’architecture et des modes de financement des régimes de retraite et de leur évolution montre la place croissante que les États occupent dans leur gouvernance et leur sauvegarde. Il convient de la préciser, de même que l’élargissement ou la modification de l’assiette des cotisations sociales qui a fait l’objet de nombreuses expériences mais aussi de rapports, conduisant à une réflexion plus large sur leurs conséquences économiques.

Les réformes engagées, systémiques ou paramétriques, se fondent sur un constat souvent partagé, du moins implicitement, entre les partenaires politiques et syndicaux, sur les grandes tendances que dessinent les projections démographiques, économiques et financières. Elles comprennent aussi une évaluation d’un niveau de vie socialement satisfaisant pour les retraités.

Sur la base de ce constat commun, tous ne tirent cependant pas les mêmes conclusions. Les conditions politiques de la réforme et donc la nécessaire continuité de mesures s’appliquant, par définition, sur de longues durées ne sont pas toujours optimales. Les réformes elles-mêmes sont donc extrêmement variées, bien qu’il soit possible de distinguer quelques grands axes communs dont, à la veille de la crise, une tendance croissante à la capitalisation.

En effet, la crise aiguë que nous connaissons depuis deux ans a poussé beaucoup d’États européens à s’interroger sur la pertinence de nouvelles réformes des retraites dans un contexte aussi incertain. Il convient à cet égard de distinguer les mesures urgentes de sauvegarde, des décisions s’inscrivant dans la volonté d’assurer la viabilité durable des régimes de pension.

La deuxième partie du rapport, éclairée par les travaux de M. François Charpentier sur les retraites en France et dans le monde, est consacrée plus particulièrement aux réformes des systèmes de retraites de trois États éminemment représentatifs des différents régimes existant en Europe : l’Allemagne et son système « bismarckien », les Pays-Bas et son système « beveridgien », la Finlande et sa logique « nordique ».

La mission, dès sa constitution, s’est interrogée sur la difficulté de tirer des conclusions à partir d’exemples étrangers difficilement transposables. Chaque régime national de retraite s’insère, en effet, dans un cadre social cohérent qui est le produit d’années d’expériences, de confrontations mais aussi de réussites, dans toutes sortes de domaines comme la politique familiale, la santé, le handicap, l’emploi, les conditions de travail, l’éducation, la formation professionnelle, qui ne peuvent s’apprécier isolément.

Ces éclairages variés, au risque de redites, permettent d’ouvrir un questionnement enrichissant et non pas de figer des préconisations. Alors que se développe en France le débat sur les retraites, il serait inopportun et sans objet de tirer des conclusions pendant que ne se mène la concertation.

En revanche, la mission a articulé ses auditions, au-delà d’une approche comparative des systèmes de retraite européens, sur quelques questions précises permettant d’en mieux apprécier la logique : l’emploi des seniors, la prise en compte de la pénibilité et les pensions de réversion. Il a semblé qu’il était possible et enrichissant de tirer quelques enseignements des différentes solutions adoptées sur ces points en Allemagne et en Finlande. Elles seront présentées dans les chapitres consacrés à ces pays.

La question du bien-vieillir est devenue aussi cruciale dans tous les pays d’Europe, et ce n’est pas un hasard si cinq missions concomitantes de la commission des affaires sociales traitent respectivement de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, des personnes âgées dépendantes, de la pénibilité au travail dans les petites entreprises, des risques psychosociaux au travail et du financement des retraites. La situation des personnes âgées ou vieillissantes, la reconnaissance de leur rôle social symbolisent une civilisation. Il nous appartient de contribuer à refonder un pacte social en resserrant les liens intergénérationnels, seuls à même d’assurer une approche sereine des réformes à venir de nos régimes de retraite.

I.- DES SYSTÈMES DE RETRAITE DIFFÉRENTS MAIS CONFRONTÉS AUX MÊMES DIFFICULTÉS DE RÉFORME DE LEUR FINANCEMENT

A. PRÉSENTATION DES GRANDS TYPES DE SYSTÈMES DE RETRAITE

Les principaux systèmes de retraites européens peuvent s’analyser à la fois sous l’angle de leur architecture ou de leur mode de financement, les deux critères, liés, souvent complexes, étant le fruit de décennies d’histoire sociale, d’initiatives et d’accords politiques mais aussi de négociations et de pratiques privées, d’entreprises ou de branches professionnelles.

1. Trois grands piliers

Très schématiquement, les systèmes de retraite européens reposent sur trois piliers dont la place et le rôle varient assez considérablement suivant les États, leur définition même présentant des nuances suivant l’utilisateur. Cette approche par piliers est apparue dès les années 1990, portée par la Commission européenne (1) puis la Banque mondiale. Elle est fondée théoriquement sur la distinction entre gestion publique d’un régime légal par répartition d’un côté, et gestion privée d’un régime professionnel par capitalisation de l’autre.

Dans le document de la Commission, la direction générale « marché intérieur » distinguait les régimes de retraite suivant leurs sources de financement entre régimes de sécurité sociale, régimes complémentaires liés à un emploi ou à une profession et systèmes privés de retraite individuelle. Si elle constatait que cette division pouvait poser quelques difficultés dans l’analyse des régimes de certains pays, dont la France, elle soulignait cependant sa pertinence pour mieux préciser les modes de financement et de gestion. Le modèle permettait également de préciser l’objet principal du document de travail : le deuxième pilier et en particulier, les institutions financières autres que les entreprises d’assurance, qui ont pour caractéristique de fournir des prestations de retraite privées individuelles ou collectives liées à un emploi ou à une profession. Le document, comme les textes suivants de la Commission, faisaient dès lors de la gestion par capitalisation un élément de définition du deuxième pilier, s’ajoutant à son caractère professionnel. Hors domaine étatique, il pouvait ainsi entrer clairement dans le champ d’application des règles communautaires dans le domaine de la concurrence et permettre la promotion d’institutions de retraites par capitalisation, en plus du régime de base public, permettant ainsi une diversification des financements qui semblait mieux garantir la viabilité des systèmes de retraite.

La Banque mondiale, quant à elle, faisait paraître en 1994 une étude présentant une analyse analogue (2). Elle aussi concluait que « l’assurance vieillesse serait assise plus solidement si les gouvernements développaient trois systèmes ou "piliers", l’un, public, avec la participation des intéressés et l’objectif limité, de réduire la pauvreté des personnes âgées, les deux autres, privés, d’épargne d’entreprise ou personnelle. »

● Le premier pilier regroupe donc les régimes relevant de l’assurance sociale obligatoire, les régimes dits « de base » ou publics, versant des prestations soit forfaitaires (rarement), soit contributives c’est-à-dire proportionnelles, jusqu’à un certain point du moins, à la contribution. Ces régimes sont aussi, le plus souvent, financés par le système de répartition : les pensions payées aux retraités le sont par les cotisations versées par les travailleurs la même année. La taille de ce pilier, et donc la part qu’il occupe dans le montant total des pensions perçues par les retraités, varie cependant sensiblement suivant les pays.

Dans un premier groupe de pays européens, qui comprend la France, l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, l’Italie mais aussi la Suède, la pension de base représente en moyenne plus de 80 % du montant total de la retraite. Le deuxième groupe comprend les pays où la pension de base représente environ 1/3 de la pension totale, comme les Pays-Bas ou la Royaume-Uni (20 %), laissant alors une large place aux régimes complémentaires.

● Le deuxième pilier comprend les régimes complémentaires qui sont, le plus souvent, organisés dans un cadre professionnel. Ce sont, en effet, des régimes constitués dans l’entreprise ou dans la branche professionnelle, et dont l’affiliation se fait à travers l’entreprise. Ils reposent sur des cotisations qui comprennent une part relevant de l’employeur et une part provenant du salarié. L’initiative a pu en être de nature privée, liée à l’histoire de l’entreprise, mais l’organisation en repose, la plupart du temps, sur une obligation légale. Ce pilier n’est pas présent partout, mais joue un rôle central dans les pays où le premier pilier est relativement moins important, comme le Royaume-Uni, où il fournit l’essentiel des pensions de retraites et, dans une moindre mesure, les Pays-Bas, la Suède ou la Belgique. Son rôle est plus marginal en Allemagne ou en Italie. Ce pilier repose le plus souvent sur la capitalisation. Il convient de rappeler ici que les régimes complémentaires français AGIRC – ARRCO (Association générale des institutions de retraite complémentaire des cadres – Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés) qui, s’ils ne sont pas purement professionnels, sont obligatoires et gérés en répartition, sont à placer plutôt entre les deux premiers piliers.

● Le troisième pilier repose sur l’initiative et l’épargne retraite individuelles. Il est plus ou moins nécessaire, ou encouragé, en fonction de la part qu’occupent les deux piliers précédents dans le montant total de la pension. C’est ainsi qu’il constitue une source importante de revenus pour les retraités britanniques (30 %). Le dispositif commence à exister en Suède et en Allemagne, mais reste marginal ailleurs, comme en France, où l’épargne-retraite ne représente que 4 % environ de l’ensemble du système de retraite. On assiste cependant à sa montée en puissance dans le contexte plus général de responsabilisation des assurés sociaux.

Ces trois piliers n’excluent pas que l’épargne traditionnelle d’un salarié, l’achat d’un logement, la constitution d’un patrimoine tout au long de sa vie professionnelle ou d’autres ressources complémentaires du même type, en dehors de systèmes ou de dispositifs spécifiques aux retraites, soient parfois considérées comme formant un quatrième pilier. Si la place de ce pilier dans l’architecture des régimes de retraite est contestable, il faut le garder à l’esprit lorsque l’on étudie le pouvoir d’achat et les conditions de vie des retraités par rapport à ceux dont disposent les actifs, ces derniers, particulièrement les plus jeunes, le faisant d’ailleurs spontanément.

Il convient de remarquer que l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) propose une approche nuancée de cette architecture, en subdivisant les prestations globales de retraite en deux piliers obligatoires, l’un redistributif, public, comprenant retraites minimums ou de base et filets de protection, indépendant du revenu d’activité, l’autre assurantiel, public ou privé, liés à la rémunération d’activité, que complètent les régimes d’épargne retraite facultatifs.

2. Deux grands modes de financement

Il est classiquement admis de répartir l’organisation du financement de la protection sociale et donc des retraites entre deux grands ensembles, dont les noms mêmes décèlent l’ancienneté et l’origine, les modèles « bismarckiens » et « beveridgiens ». Ils traduisent deux conceptions de la protection sociale, le premier fondé sur les assurances sociales et le salaire, le second sur la sécurité sociale et l’impôt.

● Le modèle bismarckien tient, bien sûr, son nom du chancelier Bismarck qui instaura le premier des assurances sociales obligatoires pour les ouvriers allemands : la loi sur l’assurance vieillesse de 1889 succédant à celles sur l’assurance maladie de 1883 et les accidents du travail de 1884. On peut sans doute trouver étonnant d’attribuer le nom d’un régime de retraite longtemps très performant à une personnalité dont les préoccupations premières ne semblaient pas précisément l’amélioration des conditions de vie des couches laborieuses de l’Empire allemand, dont Bismarck fut également le principal re-créateur. Mais il s’agissait, à l’époque, de répondre aux besoins en salariés qualifiés d’une industrie se développant rapidement dans un pays qui conservait une tradition de forte émigration, comme à la pression du mouvement ouvrier allemand lui aussi et parallèlement, en expansion, le même chancelier ayant dissous le parti social-démocrate et les syndicats naissants. Le « réactionnaire rouge » comme l’appelait le roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV est ainsi considéré comme l’artisan du premier système complet de protection sociale en Europe. Il s’est, depuis, largement répandu puisque peuvent être considérés comme relevant de ce régime les systèmes mis en place en France, en Italie, en Belgique, au Luxembourg, en Autriche, en Suisse, en Espagne, au Portugal et en Grèce. Il convient de remarquer que, s’il s’inscrit dans la perspective plus large de l’amélioration de la condition des vieux travailleurs, ouverte par les écrits des philosophes des lumières, c’est surtout à travers ses applications pratiques telles qu’elles figurent dans les revendications ouvrières et leurs programmes mutualistes de la première moitié du XIXème siècle, en Angleterre, en France et en Allemagne.

Ce dispositif d’assurances sociales est, en effet, organisé entre les salariés suivant un principe de mutualisation solidaire. Il est donc lié aux droits acquis par le travail et non à la citoyenneté ou à la résidence. Les cotisations pour la retraite sont obligatoires et proportionnelles au revenu d’activité, tout comme le montant de la future retraite. Les prestations sont en espèces et contributives plutôt que forfaitaires et sous forme de services. Les conséquences de cette organisation sont directement en cause dans les problématiques soulevées par les prises en charge de prestations nouvelles, comme la dépendance par exemple, où il convient d’arbitrer entre offres de services ou de prestations, la première solution semblant la voie actuellement suivie en France.

Le système fonctionne par répartition, sur la base d’une solidarité entre les générations : les cotisations des actifs servent immédiatement à payer les retraites en cours. Il est géré par les partenaires sociaux, représentant les assurés, par l’intermédiaire d’un réseau de caisses de retraite. Ce régime est souvent structuré par secteur d’activité, pour des raisons liées à l’histoire de sa mise en place, comme le montre encore aujourd’hui l’organisation de l’assurance vieillesse des salariés et des non-salariés français. Reposant sur une redistribution directe, il offre enfin l’avantage, lors de son instauration, d’être immédiatement applicable.

Assez paradoxalement le système bismarckien, en matérialisant une solidarité de corporation entre les salariés, par la mise en commun des cotisations versées sur leur salaire et par la gestion paritaire du régime avec les employeurs, rend pertinente l’analyse de la protection sociale, dont les retraites, par certains syndicats comme étant un salaire « différé » (FO) ou un salaire « socialisé » (CGT), comme le rappelait M. Jean-Christophe Le Duigou, secrétaire confédéral de la CGT lors de son audition par la mission. Il confirme ainsi son ancrage dans les conflits sociaux du XIXème et du premier XXème siècle. Il s’est en général traduit par un niveau élevé des coûts salariaux, compensés, comme en Allemagne ou en France, par une forte productivité. Les retraites de base assurées par ces régimes étant élevées, ils ne comportent pas, sauf en France, mais de façon assez particulière on l’a vu, de retraites complémentaires importantes et n’offrent donc pas spontanément de voies à une gestion par capitalisation.

● Le modèle « beveridgien » est, quant à lui, issu de la conception de Lord Beveridge, partisan d’une protection sociale généralisée, fondée sur la solidarité, indépendamment de toute activité professionnelle, telle qu’il l’expose dans son célèbre rapport de 1942. Il participe d’un courant de refonte des idées libérales qui avaient prévalu jusqu’à la crise de 1929, et auquel se rattache également John Maynard Keynes, indépendamment des rapports, contrastés, qu’entretenaient les deux économistes, avec leurs conclusions pratiques respectives dans les domaines économiques et sociaux. Alors que le système bismarckien établissait en quelque sorte une solidarité de condition sociale entre les salariés, le système beveridgien repose, lui, sur une solidarité nationale, liée à la citoyenneté ou du moins à la présence prolongée du bénéficiaire sur le territoire. Idéologiquement et historiquement, il se rattache donc plus directement aux principes généraux des déclarations des droits de l’homme apparus au XVIIIème siècle, tels qu’ils figurent dans la notion de « secours public » de la déclaration républicaine de l’an I ou de « droit à la sécurité sociale » de la déclaration universelle de 1948.

La protection sociale étant gérée par l’État, elle est financée par l’impôt et repose donc sur le principe de solidarité nationale. Elle est universelle et couvre toute la population face à l’ensemble des risques sociaux. Les retraites assurent ainsi aux citoyens âgés un revenu minimum et les pensions versées ne dépendent pas de l’activité professionnelle antérieure. De nature essentiellement non contributives, c’est-à-dire attribuées à des personnes ayant peu ou pas cotisé, on conçoit qu’elles n’ont souvent garanti qu’un socle minimum, qu’il fallait naturellement compléter par des pensions relevant du deuxième pilier, les retraites complémentaires d’entreprises, souvent antérieures, et du troisième pilier qui lui est lié, parce qu’il en est le plus souvent issu et assises toutes les deux sur la capitalisation. C’est, en effet, en Europe, dans les systèmes beveridgiens que l’on constate un développement important et ancien de ce mode de financement. Outre le Royaume-Uni, ce système prévaut aux Pays-Bas, en Irlande et, avec des nuances, dans les régimes des pays nordiques : Suède, Finlande, Danemark, Norvège et Islande.

Les pays du bloc de l’Est, d’Europe centrale et orientale, disposaient avant son éclatement d’un système de pension étatique, « super-beveridgien » en quelque sorte, tout en se caractérisant par une situation démographique déjà peu favorable. La tendance dominante a été d’y développer, parallèlement aux réformes économiques et à leur intégration à l’économie de marché, un deuxième pilier par capitalisation sous l’égide de la Banque mondiale, pilier qui vient d’être, très brutalement, ébranlé par la crise financière. Le syndicat FO les classe, assez pertinemment, dans les documents qu’il utilise comme régimes « Banque mondiale », M. Bernard Devy ayant regretté, lors de son audition, qu’il n’ait pas été possible d’y défendre les valeurs de solidarité contributive, qui caractérisent, entre autres, les régimes français de retraite, celles-ci étant trop souvent perçues comme renvoyant aux conceptions idéologiques de la bureaucratie au pouvoir avant les années 1990.

Si, aujourd’hui encore, ces grands principes fondateurs soit des assurances sociales, soit de la solidarité nationale continuent d’influencer les modalités de financement et d’organisation des systèmes de protection sociale et, en particulier, de retraite dans le monde, de nombreux pays, confrontés aux difficultés de financement que rencontrent les deux modèles, ont, plus ou moins complètement, combiné les caractéristiques de chacun d’eux.

3. Mais une évolution convergente

En 2003 dans les quinze pays de l’Union européenne, la part de financement de la protection sociale relevant des cotisations sociales, 60 %, avait ainsi diminué de près de 6 points (10,6 en France) par rapport à 1990 et celles des contributions publiques, 37 %, progressé de 7. Entre 2003 et 2007, le même processus s’est poursuivi, 1,5 point supplémentaire basculant des cotisations vers les contributions. La volonté d’améliorer, ou du moins de maintenir le niveau des pensions comme revenu de remplacement, confrontée à cet alourdissement de la charge publique, ne pouvait que conduire l’ensemble des gouvernements européens à tenter de diversifier les modes de financement des retraites. En outre, l’importance économique grandissante de cette question a également entraîné un rôle croissant de l’État dans les modalités de la gestion, par les partenaires sociaux, des régimes bismarckiens et par les acteurs financiers, des fonds de pension complétant les systèmes beveridgiens.

a) La fiscalisation progressive des systèmes bismarckiens et l’élargissement de l’assiette des ressources des systèmes beverdigiens

Dans les pays de tradition bismarckienne, des dispositifs à caractère universel ont fréquemment été mis en place, notamment pour l’attribution de minima sociaux. Leur financement a dû s’appuyer sur l’introduction ou sur l’élargissement de ressources fiscales, les rapprochant ainsi des régimes beveridgiens. Il traduit le souhait d’effectuer plus clairement la distinction entre les prestations relevant de la solidarité nationale - à financer par des assiettes plus larges que les seuls salaires - et les prestations contributives, proportionnelles aux cotisations sur le salaire et considérées comme salaire différé.

En sens inverse, dans les pays de tradition beveridgienne, le système de protection sociale de base a généralement été complété par divers dispositifs, dont des systèmes de cotisations obligatoires, liant les prestations aux salaires, de manière à ce que le taux de remplacement assure une relative continuité du revenu au moment de la retraite.

En outre, comme le montrent l’actualité récente et les débats en cours, en France comme en Europe, la très vive concurrence fiscale et sociale entre les pays de l’Union européenne et, en particulier, ceux de la zone euro, tend à faire des coûts salariaux la principale variable d’ajustement des différentiels des coûts de production et donc de compétitivité dans une économie ouverte. La tendance à la réduction des cotisations sociales devient donc assez générale, rendant urgente sa compensation par des recettes fiscales nouvelles, sur une assiette élargie.

Il convient ici de remarquer que semblent entrer dans ce cadre les propositions de taxation ou de « nouveau partage » de la richesse produite, comprenant en particulier les revenus financiers, que défendent aujourd’hui certaines organisations – dont les représentants du syndicat de l’Union syndicale solidaire (SUD), lors de leur audition par la mission. Mais elles reviennent, en fait, à un relèvement progressif des contributions sociales et donc à une augmentation de la part des salaires dans la valeur ajoutée, compensée par une baisse des dividendes versés aux actionnaires. Si l’idée de consacrer une part plus importante du PIB à une partie de la société – les retraités – plus nombreuse, peut séduire, la méthode suggérée ne tient absolument pas compte de la concurrence internationale, particulièrement vive dans le domaine des capitaux. Elle transforme en vœu pieux le corollaire de la proposition qui, en n’intervenant que sur les dividendes, affirme ne pas pénaliser l’investissement productif.

En 1991, la France a introduit un mode de financement nouveau de sa protection sociale, dont la nature – impôt ou cotisation sociale – a fait l’objet de longs débats et de décisions du Conseil constitutionnel : la contribution sociale généralisée (CSG). Elle est prélevée à la source sur la plupart des revenus, quels que soient leur nature et leur statut au regard des cotisations sociales et de l’impôt sur le revenu. Rappelons en effet que la CSG a pour mission de financer, entre autres, les prestations non contributives des régimes de base de l’assurance vieillesse, et est la principale recette du Fonds de solidarité vieillesse (autour de 75 %) dont relève le minimum vieillesse (aujourd’hui l’allocation de solidarité aux personnes âgées, ASPA). Rappelons, enfin, qu’elle rapporte aujourd’hui nettement plus que l’impôt sur le revenu (83 contre 51 milliards d’euros en 2008). Réflexions et débats traversent la majorité comme l’opposition, sur la possibilité de fusionner ces deux impôts. Certains pensent qu’il s’agirait d’une réelle simplification et d’une clarification d’une partie essentielle de la fiscalité sur les revenus. D’autres craignent que la contribution vertueuse soit altérée par l’impôt sclérosé. Le taux relativement faible et la base très large de la CSG la rendent en effet peu propice aux exemptions et lui permettent d’amortir assez bien les brusques variations de l’économie.

Si la France a d’ores et déjà fait le choix d’une hausse progressive de la CSG et de l’élargissement de son assiette, en attendant d’éventuelles nouvelles montées en puissance, d’autres États membres ont eu recours à l’augmentation de la TVA et à l’attribution, aux régimes sociaux, des produits des points supplémentaires, ceux-ci contribuant parfois à la compensation d’une baisse, parallèle, des cotisations sociales. Cet élargissement ou, suivant les cas, ce véritable basculement du financement est communément résumé par l’expression de « TVA sociale ». On remarquera, paradoxalement, que l’expression et son acception restent assez françaises mais sont peu ou pas utilisées par les pays qui y recourent effectivement.

Techniquement, le financement par la TVA fait porter la charge de la protection sociale sur les produits et non plus sur la production, dans le cadre plus large d’une fiscalité repensée pour lutter contre les délocalisations et pour renforcer l’outil industriel national. On constate en effet que tout impôt sur la production finit par être acquitté par les ménages. Il apparaît dès lors raisonnable de développer directement les impôts pesant sur les produits, c’est-à-dire sur la consommation, donc la TVA.

Ce sont précisément les avantages des impôts indirects sur la consommation, comme la neutralité des prélèvements, l’absence d’impact immédiat sur les coûts de production, la taxation sans distinction des produits et services importés ou produits nationalement, la prise en compte les besoins sociaux élémentaires par l’introduction de taux réduits et le paiement tant par les actifs que par les inactifs qui ont conduit certains pays de l’Union européenne, comme le Danemark puis l’Allemagne, ou extracommunautaires, comme la Suisse, à faire ce choix.

On comprend qu’une telle substitution entraîne une amélioration de la compétitivité relative des biens produits sur le territoire national et soumis à la concurrence étrangère, en réduisant le caractère de « droits de douane à l’envers » des cotisations sociales. Les produits importés subissent eux aussi l’augmentation du taux de la TVA, celle-ci n’étant pas, rappelons-le, limitée par les règles européennes qui n’imposent pas de taux maximal. Les prix plus élevés des biens d’importation en limitent la compétitivité face aux produits nationaux qui bénéficient, eux, des baisses de charges sur la production tout en les faisant participer au financement de la protection sociale.

L’introduction de ce dispositif devrait parallèlement accroître la compétitivité des productions destinées à l’exportation qui bénéficient complètement de la réduction du montant des charges sociales pesant sur leur coût de revient, sans que la TVA n’enchérisse leur prix en compensation.

Il lisserait ainsi partiellement le différentiel de coût de production avec les produits importés des pays à faible protection sociale et donc à coût du travail peu élevé.

D’autres axes de réformes possibles ont été examinés qui ont soit pour objectif de rééquilibrer l’effort de cotisation entre les entreprises de main-d’œuvre, à forte masse salariale, et les autres soit d’homogénéiser les prélèvements et de les adapter aux nouvelles formes de rémunération. Il pourrait être envisagé de moduler les cotisations en fonction du rapport entre la masse salariale et la valeur ajoutée ou de créer un prélèvement assis directement sur la valeur ajoutée produite par les entreprises : la cotisation sur la valeur ajoutée, ou encore d’introduire un coefficient emploi-activité, consistant en la création d’un prélèvement nouveau portant sur le chiffre d’affaires diminué de la masse salariale. Une contribution patronale généralisée consistant en la création d’un nouveau prélèvement proportionnel et frappant les éléments de rémunération directe ou indirecte aujourd’hui exonérés de cotisations sociales a également été étudiée. Mais ces propositions de réformes n’ont pas, pour le moment, été retenues.

b) Trois approches de la « TVA sociale » : le Danemark, la Suisse et l’Allemagne

La TVA « sociale » semblait cependant la mesure la plus simple à mettre en œuvre, ce qui est une condition première pour réussir un tel basculement du financement de la protection sociale. L’exemple danois a ainsi longtemps fait référence sur ce point.

Le Danemark permet d’aborder des régimes de protection sociale que l’on classe, à défaut de mieux, comme nordiques, le cas finlandais étant examiné dans la seconde partie du présent rapport, et comprenant des éléments des deux grands modes de financement précédents. Il s’agit de systèmes beveridgiens avec une forte composante professionnelle collective gérée par des fonds de pension ayant longtemps investi dans l’appareil de production national et développés dans le cadre de systèmes politiques souvent perçus comme relativement égalitaires et très attentifs, traditionnellement, au bien-être de l’ensemble de la population.

En 2007, le pourcentage des recettes fiscales par rapport au PIB continuait de placer le Danemark avec la Suède en tête des pays de l’OCDE, avec un taux de près de 50 %. La répartition, en 2008 cette fois, montrait que l’impôt sur le revenu continuait d’en constituer la part la plus importante, stabilisée autour de la moitié, suivi de la TVA pour environ 22 %. Les cotisations sociales y sont en revanche très faibles si on les compare à celles des autres pays de l’Union européenne de niveau de vie comparable, de même que le coût du travail global. Le système de protection sociale n’en est pas moins de très grande qualité. Ces différentes données ont conduit beaucoup de spécialistes des questions sociales à s’intéresser de près à ce qui paraît une réussite et plus particulièrement à ce qui semblait, dès l’origine à la fin des années 1980, en être une condition nécessaire : l’affectation à la protection sociale de ressources tirées d’un accroissement du taux de TVA, élevé et unique, porté à 25 %.

Exemple plus récent mais également intéressant, parce que moins radical, la Suisse finance également une petite partie de sa protection sociale par l’affectation d’une fraction de ses recettes de TVA.

La Confédération helvétique dispose d’un système de pension avec un premier pilier de type bismarckien. Les cotisations à l’assurance vieillesse et survivants (AVS) correspondant au régime de base, sont payées par l’employeur et le salarié, à raison d’une moitié chacun. Elles s’élèvent à 8,4 %, indépendamment du montant du salaire. Pour les indépendants, c’est le revenu acquis au cours de l’année de cotisation qui sert de base de calcul. Le civisme qui caractérise ce pays prévoit en outre que les personnes n’exerçant pas d’activité lucrative doivent également payer des cotisations dont le montant dépend de la fortune ou du revenu annuel sous forme de rente.

Mais le pays a introduit la TVA en 1995, en remplacement de l’impôt sur le chiffre d’affaires qui pénalisait les entreprises. Son taux normal est assez bas : 7,6 % en 2009. L’AVS bénéficie d’un point de TVA affecté, ce qui correspondait à près de 9 % de ses recettes en 2008. Or, ce régime de retraite est lié, depuis sa création en 1946, à l’assurance invalidité (AI), chroniquement déficitaire, mais dont il assure l’équilibre. La garantie des rentes servies étant menacée, le relèvement du taux de TVA est apparu comme la solution la plus adaptée pour financer le retour à l’équilibre.

Un projet de relèvement du taux de TVA, celui-ci étant constitutionnel, approuvé par le Conseil fédéral et le Parlement et s’appuyant sur les analyses de l’Office fédéral des assurances sociales, a donc été soumis à une votation fédérale le 27 septembre 2009, pour permettre l’assainissement de l’assurance invalidité. L’augmentation du taux de base de 0,4 % pour le porter temporairement à 8 % de janvier 2011 à fin 2017 a été autorisée par un vote favorable. Le financement additionnel de l’assurance invalidité par la hausse du taux de TVA permet ainsi la création d’un fonds de financement autonome, séparé de celui de l’AVS, et constitue une étape clé du plan d’assainissement permettant d’éponger le déficit de l’assurance invalidité et d’endiguer la croissance de son endettement. Les deux grandes assurances sociales du premier pilier, vieillesse et invalidité, ne dépendront alors plus l’une de l’autre.

Il convient également de souligner que ce financement additionnel par la TVA a été adopté à une assez large majorité des voix : 54,5 %, même si la deuxième condition, la majorité des cantons, n’a été remplie, elle, que de justesse, du fait de l’opposition des cantons alémaniques montagnards. Les citoyens helvétiques ont ainsi montré que l’attachement à l’équilibre des comptes et donc à la pérennisation d’un régime d’assurance vieillesse peut se traduire par un accord populaire assez large sur des mesures de financement prenant la forme d’une augmentation, ciblée et temporaire, de la fiscalité sur la consommation. La mesure est d’autant plus d’actualité que les statistiques pour 2009 qui viennent d’être publiées montrent l’impact de la crise économique sur les recettes fiscales dont la TVA, leur part relative dans le financement de l’AVS étant en baisse de près de 10 %.

Le régime de retraite allemand, qui a fait l’objet d’une audition de la mission, sera étudié plus loin, mais il n’est pas inintéressant de remarquer que l’Allemagne elle-même, pays fondateur des systèmes bismarckiens, a élargi les bases de financement de sa protection sociale par l’attribution d’une fraction des recettes de la TVA. Le gouvernement de la grande coalition, s’appuyant sur une large majorité chrétienne-démocrate (CDU) et sociale-démocrate (SPD), alors au pouvoir, a porté en janvier 2007 le taux normal de TVA de 16 à 19 %, un point de ce relèvement du taux étant affecté au financement d’une baisse des cotisations chômage.

Cette évolution s’inscrit dans le cadre, plus large et solidement établi, de la détermination du gouvernement fédéral, depuis l’après-guerre, de maintenir sa monnaie (puis l’euro) à un haut niveau nominal tout en luttant contre l’inflation. Après le choc de la réunification, les différentes majorités politiques, confrontées à une dette extérieure importante, ont donc été conduites à mener une politique de désinflation compétitive assez active. Les salaires réels ont été contenus par l’affaiblissement de l’impact global des négociations collectives, pourtant symboliques du modèle social allemand et par une flexibilisation accrue, rendus possibles par la pression d’un chômage relativement important.

En matière de cotisations sociales, les baisses ont, certes, été limitées à certains types d’emplois à temps partiel (« mini-jobs »), mais l’idée d’asseoir la protection sociale sur une base fiscale élargie se substituant à la masse salariale s’est progressivement imposée. La fiscalité indirecte est dès lors apparue comme seule à même de maintenir la compétitivité économique du pays tout en en répartissant la charge sur l’ensemble des consommateurs. Le taux normal de la TVA a été relevé d’un point en 1993 puis en 1998. Jointes à l’introduction de l’écotaxe en 1999, ces ressources fiscales auraient déjà permis d’économiser près de trois points de cotisation du régime de l’assurance vieillesse, toute hausse de son taux s’accompagnant d’une augmentation automatique de la contribution publique. C’est cette assise budgétaire renforcée qui a constitué le socle de la réforme des années 2001-2002 et autorisé ses objectifs mesurés de hausse maximale du taux de cotisation à l’assurance vieillesse.

La décision de relever le taux normal de trois points en 2007, après avoir été largement commentée au moment de son adoption, a alimenté de nouveau un récent débat franco-allemand qui soulignait, sur la base de constatations statistiques, que ce basculement du financement d’une fraction de la protection sociale des cotisations sur la TVA agissait comme une dévaluation, et favorisait l’Allemagne par rapport à ses principaux partenaires commerciaux, dont au premier chef, la France. Les parts de marché des productions, et donc les exportations allemandes se renforcent tout en s’accompagnant d’une baisse du pouvoir d’achat des ménages à l’intérieur et par conséquent des importations. Il convient de remarquer que ce gain de compétitivité est particulièrement sensible entre économies aux structures industrielles voisines et économiquement très intégrées, appartenant à la même zone monétaire.

c) Et la France ?

L’idée de l’introduction de la TVA sociale est commentée en France depuis longtemps. Son éventuelle application a fait l’objet de nombreuses initiatives parlementaires et d’assez vives discussions au moment des élections législatives de 2007. La réflexion a été ensuite alimentée par des travaux menés, à la demande du nouveau gouvernement, par M. Éric Besson alors secrétaire d’État à la prospective et à l’évaluation des politiques publiques et par Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, puis par le Conseil économique, social et environnemental.

Les rapports des deux ministres, remis en septembre 2007, comprenant des analyses assez contrastées et des conclusions nuancées et très partiellement convergentes, faisaient apparaître la nécessité d’inscrire le débat dans le cadre plus global d’une réflexion sur les charges qui pèsent sur le travail et le financement de la protection sociale, l’enjeu étant d’assurer un financement suffisant et durable pour pérenniser le modèle français de protection sociale sans peser sur l’emploi, le pouvoir d’achat ou la compétitivité de l’économie nationale. Les avantages de l’introduction rapide d’un mécanisme de TVA sociale, tels qu’ils apparaissaient dans les exemples étrangers ne semblaient pas, en effet, dans la situation du moment, être nettement supérieurs aux risques inflationnistes qu’il était nécessaire de prévoir, alors même que le montant relativement bas des taux d’intérêt pouvait faire peser sur notre pays une tentation de l’endettement qui a sévi dans les pays périphériques de la zone euro et dont on perçoit aujourd’hui les conséquences redoutables.

Le Premier ministre ayant souligné qu’« une réforme d’ampleur du mode de financement de la protection sociale au regard de la problématique du coût du travail ne saurait être envisagée sans associer de façon étroite les partenaires sociaux, qui ont la responsabilité de la gestion des organismes sociaux », il décidait en conséquence de saisir le Conseil économique, social et environnemental de la question.

L’avis du Conseil, présenté par son rapporteur, Mme Anne Duthilleul, sur le financement de la protection sociale soulignait que la mise en place de la CSG et les transferts de cotisations sociales vers les ressources fiscales réalisés depuis plus de quinze ans avaient reposé sur le souhait d’effectuer plus clairement la distinction entre les prestations relevant de la solidarité nationale, à financer par des assiettes plus larges que les seuls salaires, et les prestations contributives, liées au salaire, en tant que salaire différé ou risque mutualisé entre les seuls salariés.

Après avoir rendu hommage au rôle du Conseil d’orientation des retraites (COR), lieu de concertation, de partage des données et de prospective, le rapport constatait que le caractère principalement universel de l’assurance maladie et de la branche Famille étant désormais acquis, ces deux risques étaient les plus immédiatement concernés par un financement fiscal élargi.

Il examinait trois assiettes de financement : la valeur ajoutée, en particulier la TVA avec les risques inflationnistes déjà mentionnés mais aussi les avantages compétitifs évoqués plus haut, la CSG dont il soulignait le bon rendement et les autres impôts, en remarquant qu’un alourdissement de la fiscalité directe serait néanmoins contradictoire avec le mouvement engagé depuis plus d’une décennie.

L’avis se concluait assez prudemment en rappelant que les fondements de la protection sociale reposant sur le rôle des partenaires sociaux dans la gestion et l’orientation des différents régimes ne devaient pas être remis en cause et qu’en matière d’assiette fiscale, il serait préférable de composer un panier de ressources comprenant également diverses taxes affectées.

Il convient de remarquer que, malgré la prudence du rapporteur, l’avis n’a pas été voté par les organisations syndicales des salariés. M. Bernard Devy, secrétaire confédéral du syndicat FO ayant souligné à cet égard, lors de son audition par la mission, que l’effet de gain en compétitivité de la fiscalisation des financements de la protection sociale profite, entre pays de la zone euro de l’Union européenne, au premier qui en prend l’initiative et s’annule en cas de généralisation.

Il reste qu’en matière de financement élargi des régimes de retraite, il est sans doute souhaitable, comme le notait l’étude du Conseil économique, social et environnemental et le démontrent les exemples européens, de ne négliger aucune piste, qu’elle soit provisoire, afin de rétablir l’équilibre des comptes, ou pérenne, pour garantir un système équitable.

B. RÉFORMES SYSTÉMIQUES OU PARAMÉTRIQUES

Confrontés aux limites des systèmes de retraite dont l’architecture et l’histoire viennent d’être retracées, la plupart des États européens ont engagé d’importantes réformes des régimes. On s’accorde à distinguer celles portant sur les différentes conditions d’application du régime existant, paramétriques, de celles proposant un changement radical des règles de calcul du régime, systémiques. Pourtant, il serait là aussi possible de constater que la multiplication des réformes portant sur les paramètres finit par radicalement modifier la nature du régime et qu’à l’inverse les changements radicaux, soit parce qu’ils sont extrêmement étalés dans le temps, soit parce que la crise financière en a modifié rapidement l’impact, voient leur application limitée au point d’avoir parfois recours, dans la toute dernière période, au renforcement des anciens systèmes publics qu’il s’agissait pourtant de dépasser.

1. Un constat partagé ?

Au-delà même des incertitudes économiques, immédiates ou projetées, ou de la modération relative des taux de croissance du PIB, constatés ou attendus en Europe, depuis la fin des années euphoriques comprises entre 1950 et 1970, l’analyse de l’évolution des retraites sur le vieux continent se fonde surtout sur des données démographiques qui le distinguent, encore, du reste du monde.

a) Les hypothèses démographiques

En effet, les éléments statistiques récents montrent une évolution démographique des pays d’Afrique ou d’Asie parallèle à celle des vieilles sociétés industrielles, après la phase de développement rapide de leur population fondé avant tout sur une très forte natalité qui n’existe plus. La proportion de personnes âgées de 60 ans ou plus et de 75 ans ou plus en Chine, en 2007, est ainsi proche de celle que connaissait la France au début du vingtième siècle, alors même que la part des moins de 20 ans y est, en revanche, nettement inférieure. Mais la pyramide des âges dans les pays européens pèse sur leurs sociétés depuis de nombreuses années.

Aussi, l’approche démographique du financement des retraites est presqu’aussi ancienne que l’instauration des régimes de protection sociale par répartition elle-même. En France, en particulier, où l’analyse de la défaite de 1871 et de la coûteuse victoire en vies humaines de 1918 a conduit à soulever très tôt la question de la dénatalité et du vieillissement de la population. Le rapport « Politique de la vieillesse » de la commission d’étude des problèmes de la vieillesse présidée par Pierre Laroque, en 1962, souligne déjà que ce vieillissement de la population « entraîne des conséquences dans tous les domaines de la vie nationale » et « d’une manière inéluctable, grève les conditions d’existence de la collectivité française ». Il préconise alors un âge normal d’ouverture du droit à pension fixé à 65 ans et un allongement de la durée de cotisation porté de 30 à 45 ans.

Cela étant, il convient d’apprécier les projections statistiques, en matière de démographie, comme de croissance du PIB d’ailleurs, avec une certaine prudence. En France même, les projections du Conseil d’orientation des retraites (COR) font l’objet d’ajustements réguliers sur la base des nouvelles données fournies par l’INSEE. Le huitième rapport publié par le COR, adopté le 14 avril 2010, continue de s’appuyer sur les données de 2007, les prochaines projections de l’INSEE étant attendues pour la fin de l’année.

La croissance de la population, et donc du nombre des cotisants potentiels, s’apprécie au regard des taux de fécondité et de natalité. La démographie française, on le sait, fait de notre pays, par ses taux durablement élevés par rapport à la moyenne des pays développés, une exception en Europe avec le Royaume-Uni et l’Irlande. Le niveau nécessaire au renouvellement de la population étant de 2,1 enfants par femme, les indices de fécondité ne dépassaient 1,8 en 2007 qu’en France (1,98 et plus de 2,00 en 2008), en Suède (1,88), au Royaume-Uni et au Danemark (1,84), en Finlande (1,83) et en Irlande (2,01). Ils étaient inférieurs à 1,4 en Allemagne (1,37), en Italie (1,35), en Espagne (1,4), au Portugal (1,33) et en Autriche (1,38) ; la moyenne européenne à 27 étant de 1,53.

Une modification de tendance de l’accroissement démographique, sauf à imaginer une forte et subite inversion, semblable à celle de l’après-guerre en Europe (le « baby boom »), mais que rien ne semble vraiment annoncer, ne pourrait donc provenir, pour la plupart des pays européens, que d’un solde migratoire positif. Celui-ci présenterait l’intérêt, compte tenu des législations en vigueur qui limitent le regroupement familial, de n’apporter, quasi-instantanément, que de nouveaux travailleurs cotisants. Mais il devrait rester, en Europe et en France, sans qu’il soit ici nécessaire d’en développer les raisons, assez faible. La Suisse, dont le taux de migration nette est l’un des plus importants d’Europe (0,5 % de la population en 2005 à comparer aux 0,08 % français pour la même année), en prévoit même une diminution assez forte, le rapprochant de 0,18 %, en 2030. Rappelons que certains pays d’Europe centrale et orientale, dont le bilan démographique est déjà nettement défavorable, sont même quant à eux d’importants pays d’émigration.

Le dernier facteur à prendre en compte dans cette rapide approche de la question démographique est l’espérance de vie, qui conditionne la durée de versement des prestations des régimes de retraite. Il est plus pertinent, dans ce domaine, de la prendre en compte à partir de 60 voire de 65 ans, en fonction de l’âge moyen de liquidation des pensions. Son accroissement devrait continuer d’être rapide jusqu’en 2030 : plus de trois ans pour les hommes comme pour les femmes dans les grands pays industriels, soit autour de vingt ans pour les hommes (France, Royaume-Uni, Finlande, Suède, Suisse ou Italie), et de vingt-trois (Royaume-Uni, Finlande et Suède) à vingt-cinq ans pour les femmes (France, Suisse et Italie).

La proportion de la population âgée de 60 ans et plus va donc continuer de croître rapidement. En 2007, elle était supérieure à 25 % en Italie (25,7) et en Allemagne (25,3) autour de 21 % en France métropolitaine (21,5), en Espagne (21,9) et au Royaume-Uni (21,8), mais de 15,5 % en Irlande. Rappelons que pour la seule France, cette proportion était de 12,7 % en 1901, mais devrait être près de 33 % en 2050.

La part des moins de 20 ans à la même date suivait une tendance de proportion inversée : autour de 19 % en Italie (19) et en Allemagne (19,5), de 24 % en France métropolitaine (24,8) et au Royaume-Uni (24,2) mais de 27,1 % en Irlande.

Une telle évolution à long terme va être aggravée dans les prochaines années par le phénomène, lui plus conjoncturel de l’accès à la retraite des classes d’âge nombreuses de l’après-guerre en Europe, entraînant une augmentation rapide du nombre de retraités.

Pour résumer et plus globalement, les projections Eurostat de 2008, contrairement à celles de 2006 – une telle incertitude sur deux ans seulement confirmant incidemment la difficulté de l’exercice – montrent une stabilité de la population européenne des 27 pays de l’Union et non plus un déclin, d’ici 2060 (505 contre 495 millions d’habitants). Mais la moyenne d’âge sera bien supérieure, la part des plus de 65 ans passant de 84,6 à 152 millions (soit de 17 à 30 %) et des plus de 80 ans de 21,8 à 61,4 millions (de 4,4 % à 12 %). Le rapport démographique devrait passer, dans ces conditions, de 4 personnes en âge de travailler (de 15 à 64 ans) en 2008 pour 1 retraité (plus de 65 ans) à 2 pour 1 en 2060, la dégradation devant être considérable pour des pays comme l’Italie ou la Finlande, moins brutale en France ou au Royaume-Uni.

Ces statistiques, qui ne font que prolonger des processus maintenant assez anciens, ont évidemment conduit la plupart des pays européens à prendre en compte le vieillissement de la population comme un élément majeur des réformes à apporter à leurs systèmes de protection sociale, depuis les services à la personne, la dépendance, l’organisation de la santé, le travail des seniors jusqu’aux régimes de retraite et aux conditions de vie des retraités.

Or, comme on l’a vu, les grands régimes de retraite européens ont tous été conçus pour s’insérer dans la perspective d’un développement démographique et économique continu et s’appuyaient, depuis les années 1950, sur une assez grande confiance d’une majorité des citoyens dans le maintien des grands équilibres non seulement économiques mais, plus paradoxalement, compte tenu des expériences passées, financiers et sans doute aussi, malgré la division de l’Europe, politiques.

C’est donc cette très pragmatique mais bien réelle confiance dans l’avenir, fondée sur une amélioration appréciable des conditions de vie, en particulier des personnes âgées – la retraite ayant cessé d’être synonyme de pauvreté et d’assistance – que les données statistiques régulièrement présentées par les gouvernements et les instituts démographiques ont graduellement remis en cause.

À ce premier constat, purement démographique, s’en ajoute un second, d’ordre économique et social, qui est plus spécifique à l’Europe continentale et particulièrement accentué en France : il s’agit de la diminution de la durée de la vie active elle-même. Elle s’explique à la fois par une entrée plus tardive des jeunes générations sur le marché du travail depuis trente ans, ce phénomène étant assez largement répandu en Europe, on le verra en Finlande, et par une diminution importante de l’âge moyen de cessation d’activité, pour la même période, qui tient à la chute rapide du taux d’activité des salariés âgés de 55 ans et plus depuis la fin des années 1980, particulièrement accentuée en France, mais aussi en Belgique ou en Pologne. L’ensemble de ces données se traduit par une réduction du nombre de cotisants, accentuée par les périodes de chômage et d’inactivité, et donc par une baisse encore plus brutale des ressources des systèmes de retraite.

C’est dans ce cadre que s’insère la politique européenne relative au vieillissement de la population active et directement rattachée à la « stratégie de Lisbonne » qui, adoptée par le Conseil européen qui s’y est tenu en 2000, prévoyait de « faire de l’Union européenne l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». Le Conseil de Stockholm qui l’a suivi en 2001 jugeait nécessaire de conforter la viabilité à long terme des finances publiques, garante des améliorations sociales attendues, en disposant de toute une série d’outils de gouvernance et d’objectifs, à même d’absorber l’impact des changements de rapport démographique au sein de l’Union.

b) Les projections économiques et financières

On conçoit cependant la difficulté d’une quelconque anticipation rationnelle dans le domaine des retraites, à la lumière des expériences assez discutables menées dans cette même voie pour les sphères économiques et financières, pourtant modélisées depuis fort longtemps. Ces modèles ont, en effet, montré largement leurs limites depuis deux ans. Pour autant, les dépenses annuelles liées au vieillissement de la population ne peuvent connaître, en Europe, sauf à envisager une remise en cause brutale des conditions de vie des seniors, qu’une augmentation de plusieurs points de PIB d’ici 2050, entre 3 et 4 pour la France, suivant le rapport du Conseil d’orientation des finances publiques de 2007. Et, pour les seules retraites, à législation constante, les dépenses publiques devraient en moyenne augmenter de 2,4 points de PIB d’ici 2060 pour les 27 pays de l’Union européenne, avec des maximums autour de 6 points pour certains pays comme la Grèce, l’Espagne ou l’Irlande. Pour la France, suivant les dernières projections élaborées par le Conseil d’orientation des retraites (COR) en avril 2010, le besoin de financement annuel à long terme, autour de 2050, devrait varier de 1,7 à 3 points, en fonction des perspectives de taux croissance et de chômage calculées sur une aussi longue période.

En effet, le COR, tout en proposant trois scénarios de projections actualisées pour 2020 et 2050, fondés sur des taux de chômage et de productivité alternatifs, souligne en outre, dans son huitième rapport, que l’enjeu principal, pour actualiser les projections financières relatives au système de retraite est de comprendre en quoi la crise que nous connaissons depuis 2008 affecte le raisonnement sur les perspectives économiques à long terme, au-delà de son impact, à court terme, sur la demande. Les répercussions possibles de la crise sur l’économie peuvent ainsi se décomposer en plusieurs niveaux : les effets de la crise sur le marché du travail, qui sont immédiats mais peuvent être aussi durables, les effets sur l’investissement, qui sont également rapides et enfin, mais à plus long terme, les répercussions éventuelles sur la productivité.

Le coût potentiel du vieillissement de la population a également fait l’objet de nombreuses études au niveau européen aussi bien globales que plus spécifiques et prenant en compte tant les retraites que les systèmes de santé.

Comme pour la France, de telles projections sont évidemment entourées d’une part d’incertitude importante, liées à la démographie, à l’environnement macroéconomique et aux comportements des populations concernées. Mais bien évidemment, elles font partout consensus sur ce point crucial : le vieillissement de la population va engendrer des dépenses supplémentaires importantes, et il ne faut pas raisonnablement compter sur la diminution du chômage, ou la baisse des dépenses d’éducation ou en faveur des classes d’âge plus jeunes, pour en absorber le coût. Par conséquent, ces projections montrent toutes la nécessité d’agir rapidement pour assurer l’équilibre, dans la durée, des finances publiques.

Le tableau ci-après, présente les dépenses publiques de pension rapportées au PIB en 2007 et en 2060. Comme on l’a vu précédemment, ces dépenses correspondent au premier pilier des systèmes de retraites, et ne traduisent donc pas, en particulier pour les pays « beveridgiens » ayant développé des dispositifs de retraite privés, l’ensemble des dépenses nationales consacrées aux pensions.

Les pays où la part des dépenses publiques rapportées au PIB est la plus faible sont également en général ceux où la dépense privée est la plus forte, la part du PIB consacrée globalement aux retraites est donc plus homogène que ne le laisse apparaître ce tableau, les pays où la part publique est importante n’étant pas toujours ceux où la dépense globale est également la plus élevée, comme le confirme la comparaison d’ensemble des dépenses de santé en Europe et aux États-Unis.

Les dépenses publiques de pension rapportées au PIB 2007-2060

(En  %)

 

2007

2060

Allemagne

10,4

12,8

Autriche

12,8

13,6

Belgique

10

14,7

Danemark

9,1

9,2

Espagne

8,4

15,1

France

13

14

Finlande

10

13,4

Irlande

4

8,6

Italie

14

13,6

Pays-Bas

6,6

10,5

Pologne

11,6

8,8

Portugal

11,4

13,4

Roumanie

6,6

15,8

Royaume-Uni

6,6

9,3

Suède

9,5

9,4

UE (27)

10,1

12,5

Source : Rapport de la Commission européenne - Economic Policy Committee (AWG) : « Pension schemes and pension projections in the EU-27 Member States – 2008-2060, octobre 2009».

En pratique et pour procéder à ces projections financières de leurs systèmes de retraites, les pays européens ont dû en déterminer les hypothèses, en particulier les horizons, court, moyen ou long terme, suivant différents scénarios économiques et des choix de présentation des indicateurs. Les échéances et les modes de calcul du tableau précédent, élaboré au niveau européen, ne correspondent pas exactement aux indicateurs utilisés et connus sur le plan national.

En outre, les perspectives des financements qui accompagnent maintenant systématiquement les discussions budgétaires n’ont pris un caractère systématique, renouvelé et sur le long terme, comme en France avec l’introduction des lois de financement de la sécurité sociale, que depuis les années 1990, parallèlement, bien sûr, au développement des débats sur les réformes des retraites.

Des procédures de suivi financier se sont ainsi mises en place, à la suite des pays anglo-saxons où les actuaires comme pour le monde des assurances, dont ils sont souvent issus, présentent des données statistiques régulières. La fourniture de ces éléments d’appréciation à long terme est souvent une obligation fixée par la loi, et d’une périodicité allant d’un an, pour la Suède, l’Espagne et l’Italie à cinq au plus, pour le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la France. L’horizon des projections longues est soit daté – 2050 en France, en Italie ou en Espagne, 2100 aux Pays-Bas – soit glissant, quinze ans pour l’Allemagne, soixante ans au Royaume-Uni, soixante-quinze ans en Suède.

Les organismes chargés d’établir ces projections dépendent en général des ministères, le ministère des affaires sociales en Allemagne, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni (par l’intermédiaire de son actuaire en chef), le ministère des finances en Italie, du travail en Espagne, l’Agence de la sécurité sociale en Suède. La France se distingue donc par le choix de confier ces études au Conseil d’orientation des retraites (COR), représentatif des différents acteurs, politiques, sociaux ou administratifs de la question des retraites, créant ainsi un cadre permanent tendant à la mise en place d’une approche aussi consensuelle que possible d’un point essentiel de la définition du cadre de la vie nationale.

Les échéances ainsi fixées, les différents organismes chargés des projections ont à déterminer les hypothèses qui les cadrent. Tous se fondent sur une législation constante, celle en cours à la date de l’étude, les hypothèses économiques et démographiques étant complétées par les ministères des finances ou les organismes statistiques nationaux.

Ces données sont, en général, présentées sous forme d’un scénario central, de base, fondé sur le développement de la situation existante, et de scénarios alternatifs, faisant jouer cette fois des modifications des paramètres économiques, démographiques ou législatifs dans le domaine des retraites. Le dernier rapport du COR, rappelons-le, procède ainsi. Il convient également de remarquer que seules la France et l’Italie confrontent leurs scénarios nationaux avec les scénarios européens.

L’information ainsi fournie, sous forme de notes détaillées des actuaires (Royaume-Uni), d’études publiques thématiques (Suède, Pays-Bas, France) ou de rapports internes de diffusion restreintes (Allemagne, Espagne) se présente sous forme de prévisions de dépenses annuelles exprimées en montants ou, plus généralement, en points de PIB. En revanche et contrairement à la France, les recettes et les besoins de financement sont rarement détaillés, soit parce que la construction même du modèle ne fait pas apparaître de déficits, soit parce que celui-ci est couvert par un fonds de réserve important qui en lisse l’impact.

Afin de rendre lisible aux citoyens l’évolution de l’impact de retraites sur les finances des États et de faciliter ainsi le débat public, la plupart des pays ont développé des indicateurs synthétiques politiquement significatifs.

L’Allemagne a par exemple développé des indicateurs du niveau des réserves, du taux de cotisation, du taux de remplacement entre le revenu d’activité et la pension, et de l’évolution du ratio de dépendance démographique. L’Espagne présente un indicateur de dépenses, de cotisations et la date d’épuisement du fonds de réserve, l’Italie les dépenses de retraite en points de PIB, le nombre de retraités, la pension moyenne et le rapport démographique entre actifs et retraités, le Royaume-Uni les dépenses de retraite en points de PIB et en livres, la situation financière du fonds de réserve et les taux de cotisation projetés, la Suède l’excédent ou le déficit du rapport entre les cotisations et les dépenses, et compte tenu de son système particulier de comptes notionnels, la taille du fonds de réserve, la situation financière globale du régime et les niveaux de pension des nouveaux entrants. Les Pays-Bas présentent un indicateur de l’écart « soutenable-viable » de financement, accompagné d’indicateurs du déficit, de la dette et de la richesse de l’État, et de la distribution entre les générations de différents éléments définissant le niveau de vie. La France, enfin, présente le solde de ses différents régimes, les dépenses de retraite en points de PIB, le rapport entre actifs et retraités et entre le salaire moyen net et la pension moyenne nette.

Tous se préoccupent de chiffrer les écarts de financement, et donc l’ajustement budgétaire nécessaire, en terme de dette ou de hausse de prélèvements exprimés en points de PIB. L’actualisation des indicateurs diverge cependant en fonction de la nature du financement, capitalisation et fonds de réserve ou répartition, les premiers se fondant sur l’évolution attendue du taux des placements financiers, en particulier des obligations, les autres sur le taux de revalorisation des pensions (Espagne) ou la croissance de la masse salariale (Suède).

C’est sur la base de ces projections à horizons et hypothèses variables que s’apprécie la viabilité des systèmes de retraites et la nécessité éventuelle de les réformer. Cependant, une dernière composante de la réflexion est également nécessaire, celle qui vise à apprécier les conditions de vie des retraités et leurs évolutions prévisibles.

c) Le niveau de vie des retraités

Toute étude sur le financement des retraites se doit, bien sûr, de tenter d’apprécier la façon dont les différents pays européens envisagent l’évolution des conditions et du niveau de vie de leurs retraités et de la première composante de leur revenu disponible, le niveau des pensions.

Chaque pays européen a défini une politique d’indexation nationale de ses pensions, prenant en compte l’impact de l’inflation. La nécessité de ces ajustements périodiques est incontestée dans la plupart d’entre eux, au risque, sinon, de connaître une situation comme celle de la Hongrie, où la valeur réelle moyenne des pensions avait baissé de 40 % au cours des années 1980. Une rapide évaluation pour l’ensemble des pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), calculée sur la base d’une hausse des prix annuelle de 2,5 % pour la durée moyenne de la retraite les réduirait, sans ajustement, de 37 % pour les hommes à 43 % pour les femmes. Des critères objectifs d’indexation, plus ou moins automatiques, sont donc souvent retenus qui présentent en outre l’avantage de transférer le problème du domaine politique qu’implique le choix discrétionnaire du montant des revalorisations au domaine économique auquel se rattachent les indicateurs de référence. Remarquons cependant que le principe même d’une indexation automatique a été contesté, dès l’origine, en particulier par Lord Beveridge lui-même qui craignait l’apparition de groupes sociaux, ici les retraités, protégés des conséquences de l’inflation sur leur pouvoir d’achat et donc indifférents à l’application des politiques anti-inflationnistes.

En matière de pensions publiques des régimes obligatoires, seules la Grèce, l’Autriche et la Lituanie connaissent un système d’ajustement discrétionnaire, et donc politique. Les autres pays disposent d’une indexation soit sur les prix (Belgique, Espagne Royaume-Uni), soit sur les salaires (Danemark, Pays-Bas), soit sur une combinaison des deux, en fonction de la nature la pension versée (liée au salaire, minimale ou autre), à laquelle peuvent s’ajouter les cotisations sociales ou l’évolution du PIB (Allemagne, France, Italie, Portugal).

Il convient de remarquer que si l’indexation peut porter sur le montant, elle peut également jouer sur les paramètres des systèmes de pensions. Une première illustration pourrait en être donnée par la réforme de 1993, en France, de l’indexation des salaires portés au compte pour le calcul des pensions du régime général sur les prix et non plus sur les salaires bruts, entraînant, en période de faible inflation, ce qui est le cas, une baisse du taux de remplacement. Mais le Royaume-Uni offre l’exemple le plus remarquable à cet égard. La valeur de la pension de base de son système beveridgien y est liée aux prix depuis 1981. Elle est ainsi passée de 24 % des salaires moyens à 15 % aujourd’hui. On a pu estimer qu’elle ne serait plus, pour les nouveaux entrants vers 2050 que de 6,5 %. Le gouvernement anglais, appuyé par l’ensemble des partis, vient donc de modifier cette indexation paramétrique du calcul de la pension pour la lier aux salaires.

En pratique, l’évolution de la valeur des pensions pour la plupart des pays d’Europe occidentale a connu une hausse réelle de 1960 à 1980, elle a ainsi plus que doublé en France et en Allemagne et nettement progressé au Danemark, mais connaît depuis une période de stagnation, due soit à des mécanismes de plafonnement des réajustements en Allemagne, soit à une indexation sur les salaires puis les prix non strictement suivie en France. La période d’augmentation a continué en Italie jusqu’au milieu des années 1980. En revanche, l’Irlande, la République tchèque, la Lituanie, l’Estonie et la Finlande ont connu une progression continue plus régulière et sur une période plus longue de 1960 à 2005.

Le choix des indexations automatiques entre le coût de la vie - et donc les prix - ou le niveau de vie - et donc les salaires - a souvent été tranché par des compromis. La référence aux salaires, qui ont tendance à augmenter plus vite que les prix, est budgétairement plus lourde, mais on a vu les conséquences politiques d’une seule référence aux prix. Des modèles existent prenant en compte la prestation (le taux de remplacement) au moment du départ en retraite, plus basse mais avec une indexation plus élevée, sur les salaires ou plus haute, mais avec une indexation plus faible, sur les prix. Un système de pension assurant un taux de remplacement initial égal à 60 % indexé sur les prix est ainsi en moyenne d’un coût global équivalent à un système assurant un taux de 48,5 % indexé sur les salaires.

Le choix des composants de l’indice des prix, base de la revalorisation est aussi variable suivant les pays européens. On peut en effet constater que l’indice des prix à la consommation global ne reflète pas toujours le caractère spécifique de la consommation des retraités. Le poids des prix alimentaires et de l’énergie est ainsi proportionnellement plus élevé. Une étude menée au Royaume-Uni a montré qu’en 2008, l’inflation pour les retraités atteignait 7,4 % contre 5,4 % pour l’ensemble de la population, différence qui existe aussi entre retraités classés par âge et revenu (de 6 à 9 %). Des critères « moraux » sont aussi parfois introduits, l’indice de revalorisation excluant les prix du tabac (France) et de l’alcool et de l’essence (Belgique), ou les dépenses des 10 % les plus riches de la population (Royaume-Uni).

Certains pays ont également mis en place des mesures d’indexation progressive, les pensions les plus faibles bénéficiant d’une indexation plus généreuse. C’est ainsi le cas de l’Italie, du Portugal, de l’Autriche ou de la Grèce, introduisant ainsi un élément redistributif à l’intérieur même du système de pension.

Si les périodes d’indexation et de revalorisation généreuses semblent passées en Europe, elles ont correspondu à des phases d’expansion économique mais aussi à la volonté politique de compenser le peu de temps dont ont disposé les premières générations, bénéficiant des systèmes généralisés de l’après-guerre, pour se constituer des droits à pension. Des périodes de suspension des indexations sont alors parfois intervenues, en Belgique entre 1983 et 1985, en Espagne entre 1983 et 1988, en Italie en 1992 ou plus largement et dans la plupart des pays, des retards ou des modifications des mesures d’indexation ont freiné leur impact.

Sur ces bases, pour l’ensemble des pays de l’OCDE, au milieu des années 2000, les revenus des personnes âgées de 65 ans ou plus représentaient en moyenne 82,4 % du revenu moyen de la population. En Europe, le revenu moyen des retraités représentait entre 95 et 100 % de celui des ménages en Autriche, en France, et en Pologne, un peu moins en Allemagne, autour de 80 % pour l’Italie, la Suède, la Suisse, la Grèce, l’Espagne et le Portugal, mais de 66 % pour l’Irlande, et de 75 % environ pour la Belgique, le Danemark, la Finlande et le Royaume-Uni. Ces éléments statistiques étant antérieurs à la crise qui a d’abord touché les actifs et les nouveaux retraités, on peut supposer que le niveau de vie des retraités s’est plutôt rapproché depuis de celui du reste de la population, comme semble le confirmer la situation française.

Le légitime besoin des retraités d’un pouvoir d’achat maintenu, alors même qu’ils ne peuvent plus raisonnablement compter sur une activité salariée complémentaire, semble impliquer la nécessité de mécanismes d’indexation dont l’automaticité permet d’écarter les incertitudes politiques et économiques et de garantir la sérénité du lien entre les générations.

Les questions de conditions de vie doivent, quant à elles, s’examiner de façon plus larges qu’à travers l’évolution des seuls montants des pensions. Elles comprennent toutes sortes d’éléments en matière de logement, d’accès aux services et aux soins, ou de consommation, dont l’approche est très différente suivant les pays. En France selon les données 2010 de l’INSEE, si les personnes âgées sont moins pauvres que la moyenne, elles sont relativement plus nombreuses dans la moitié la plus modeste de la population, mais aussi au sein des 5 % les plus aisés. Mais cette analyse ne prend pas en compte certains aspects patrimoniaux, comme le fait d’être propriétaire de son logement par exemple, situation plus répandue chez les personnes âgées. La difficulté d’une appréciation objective des conditions de vie des retraités en France même, traitées globalement, se retrouve accrue au niveau européen, les différences de paramètres rendant les comparaisons peu pertinentes, contrairement à la seule approche par les revenus.

2. Les grands axes des réformes récentes en Europe

a) Les conditions politiques de la réforme

Une première constatation s’impose : la plupart des réformes intervenues en Europe dans le domaine des retraites se sont appuyées sur la recherche d’un consensus national, tant sur l’analyse des modalités de financement que sur les solutions à apporter. Elles ont été mises en place en plusieurs étapes, soit par des gouvernements de coalition, soit par des gouvernements de majorités successives différentes mais prolongeant, dans ce domaine, la politique menée par la majorité précédente, traduisant une réelle continuité des prises de décision.

Les explications sont multiples et propres à chaque pays, mais il semble évident que l’importance cruciale de la question, qui détermine les conditions de vie d’une partie de plus en plus nombreuse, on l’a vu, de la population, et sur une période de plus en plus longue, impose à la fois des réformes s’inscrivant dans la durée, viables, et rencontrant une relative adhésion populaire, cette dernière ne pouvant être déterminée, comme le soulignait Mme Anne-Marie Guillemard lors de son audition par la mission, que par la clarté des enjeux du débat et le caractère mesuré et progressif des mesures prises.

Cette continuité dans les prises de décision doit donc souvent s’appuyer sur des organes de consultation et de négociation permettant d’associer les différents acteurs à la formation des décisions politiques en matière de retraites, avec non seulement un rôle stratégique des projections financières mais aussi la mise en place d’institutions indépendantes.

Au risque de surprendre, on peut penser que la réforme française de 1993 des retraites du régime général s’inscrit elle aussi dans cette logique de continuité politique. En effet, ses dispositions en matière de durée d’assurance pour une pension à taux plein et de meilleures années prises en compte pour le calcul de la pension, se sont appliquées sur une longue période de transition, jusqu’à quinze ans pour cette dernière mesure. Et la réforme dans son ensemble, indexation paramétrique sur les prix comprise, n’a pas été remise en cause lors du changement de majorité de 1997.

Il convient également de rappeler que le Conseil d’orientation des retraites (COR) lui-même, créé à l’initiative de cette majorité, a été confirmé dans son rôle par l’un des seuls articles adoptés à l’unanimité de la loi « Fillon », n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites (article 6). Il serait très souhaitable que, dans le même esprit, un socle minimum commun, fondé sur une analyse partagée, puisse à nouveau être établi sur la question des retraites cette année dans notre pays.

En Allemagne, une première série de réformes a eu lieu au moment de la réunification, prise par la majorité chrétienne-démocrate, puis en 2001, par la majorité sociale-démocrate et en 2007 par le gouvernement de la grande coalition chrétienne-démocrate – sociale-démocrate. Ces mesures, dans l’ensemble consensuelles et acceptées par les organisations syndicales, respectant la tradition de concertation et de partenariat extrêmement structurée propre aux relations sociales allemandes de l’après-guerre, seront présentées dans la seconde partie de ce rapport.

En Italie, la complexité et la multiplicité des régimes, à la veille des réformes du début des années 1990, pouvaient s’apparenter à l’actuelle situation française, avec un régime général, un régime pour les fonctionnaires et de multiples régimes spéciaux. Le système était double, avec une pension de vieillesse attribuée à partir de 60 ans pour les hommes et de 55 ans pour les femmes, sous réserve de 15 ans de cotisations minimum et une pension d’ancienneté attribuée, sans condition d’âge cette fois, après 35 ans de cotisation dans le secteur privé ou 20 ans dans le secteur public, se traduisant par un important pourcentage de « jeunes retraités ». Le taux de remplacement pouvait ainsi atteindre 80, voire 100 % pour le secteur public. Malgré un taux de cotisation de près de 33 %, dont plus des deux tiers à la charge de l’employeur, le déficit structurel du régime de base, comblé par l’État, atteignait dès lors 32 milliards d’euros en 1993. À ces données générales s’ajoutait un nombre extrêmement élevé de bénéficiaires d’une pension d’invalidité, qui est encore aujourd’hui de 2,7 millions pour 16,8 millions de retraités.

Les gouvernements de M. Giuliano Amato, de centre gauche, en 1992, puis de M. Silvio Berlusconi, en 1994, ont alors tenté de mettre en place des réformes comportant, entre autres, un relèvement de l’âge de départ. Mais il faut attendre les gouvernements successifs de M. Lamberto Dini en 1995 et M. Romano Prodi en 1997 pour que s’élaborent les grands principes d’une réforme assez radicale du système de pensions. Il convient à cet égard de souligner que le projet de loi présenté par M. Lamberto Dini et adopté par le Parlement en 1995 avait été étroitement négocié avec les trois principales confédérations syndicales italiennes, la CGIL, la CISL et l’UIL, (correspondant très approximativement aux confédérations françaises CGT, CFDT et FO), qui en contrepartie d’un accord global sur la réforme obtenaient une période de transition très longue pour son application. C’est à ce moment qu’ont été clairement distingués un système d’assurance fondé sur des cotisations définies, cette base contributive déterminant un compte individuel « notionnel » et un système de solidarité garantissant un minimum vieillesse. L’accroissement de la durée d’assurance minimale et l’introduction d’une condition d’âge conduisant à terme à mettre fin aux pensions d’ancienneté. Enfin les modalités des différents régimes, y compris celui des fonctionnaires, devaient être de complètement harmonisées.

Mais tout le bénéfice de la réforme pour l’équilibre du système était lié à la durée des transitions proposées. Or, les tentatives pour accélérer sa mise en place, par les gouvernements de centre-gauche de M. Massimo d’Alema en 1999, et surtout de droite de M. Silvio Berlusconi en 2004 avec l’introduction de surcotes (« super-bonus ») et de décotes, l’augmentation de l’âge de la retraite pour la pension d’ancienneté et le développement accéléré d’un fonds de pension financé par l’attribution du « TFR » (trattamento di fine rapporto, l’indemnité de fin d’activité) se solderont des demi-échecs. Le gouvernement, de majorité fragile, de M. Romano Prodi qui tenta, difficilement, en 2006-2007, de retrouver un consensus sur ces points, dût céder la place au gouvernement actuel.

Depuis le début des réformes, en 1992, un an avant la première grande réforme française donc, l’Italie aura connu cinq législatures, onze gouvernements et cinq présidents du conseil, ce qui correspond en fait à une période plutôt stable si l’on se réfère à sa tradition parlementaire. Tous s’inscriront sur une même ligne de stabilisation des dépenses de retraite et appuieront la réforme fondamentale de 1995.

Au total la recherche du compromis, par-delà la succession d’échéances électorales difficiles pour les différentes majorités parlementaires de coalition, a conduit au maintien de durées de transition extrêmement longues dans l’application de la réforme (le basculement complet du système devant être réalisé en 2065...) et aussi à la superposition de régimes différents suivant la date d’entrée en activité des assurés concernés, fragilisant fortement le lien intergénérationnel que les réformes avaient précisément pour objet de renforcer en garantissant la viabilité de l’organisation des régimes de retraite tout entière. La complexité pratique des mesures transitoire n’a pas aidé à rendre les réformes transparentes, alors que les gouvernements candidats à leur propre succession ne présentaient pas toujours clairement les changements attendus ou programmés. Force est donc de constater qu’en plus du consensus entourant la réforme, la continuité de la volonté politique exprimée par une majorité soudée est également fort nécessaire.

Au Royaume-Uni, paradoxalement, les réformes des retraites contrairement à l’image répandue d’une Nation dont les institutions sont fondées sur la recherche permanente du consensus et à l’opposé, dans sa pratique politique, des brusques mouvements sociaux du Continent, ne se sont pas caractérisées par une poursuite sereine des différentes orientations retenues dans ce domaine par les gouvernements successifs, travaillistes et conservateurs, depuis la mise en place du « National Assistance Act » beveridgien de 1948.

Les réformes du système initial, dans les années 1970, menées par les gouvernements travaillistes, avaient pour objet de le renforcer en le rendant plus contributif par des cotisations davantage proportionnelles aux salaires dans le régime de base et en mettant en place un régime complémentaire obligatoire par répartition, lui strictement proratisé (le State Earnings Related Pension Scheme –SERPS). Les gouvernements conservateurs ont, quant à eux, renforcé les régimes conventionnels d’entreprises et leurs fonds de pensions et encouragé les plans individuels d’épargne à cotisations définies (Appropriate Personnal Pension Schemes) en remettant en cause le SERPS. Les années 1990 ont vu la confiance dans ces deux systèmes par capitalisation fragilisée par différentes affaires très médiatisées, alors que le régime de base, on l’a vu, n’assurait qu’un taux de remplacement très faible et continuant de baisser du fait de son indexation sur les prix. Alors que le programme électoral conservateur de 1997 proposait, s’inspirant du modèle chilien de 1981, de supprimer les régimes publics, les dix premières années du gouvernement travailliste ont plutôt tenté de corriger le complexe système en place, en adaptant le régime au niveau de revenu : soit public et garantissant un minimum pour les plus faibles, soit comprenant une composante privée, collective puis individuelle, de plus en plus importante, à mesure que les revenus sont plus élevés.

La crise boursière du début des années 2000 a fragilisé l’ensemble du dispositif. Outre l’introduction en 2001 d’un système d’épargne retraite par capitalisation à cotisations définies le « Stakeholder Pension Scheme » tentant un élargissement du domaine des retraites privées dans des conditions incitatives favorables, le gouvernement travailliste confia en 2002 à une Commission des retraites, présidée par Lord Adair Turner et composée d’experts, le soin de proposer des recommandations à long terme. Les trois rapports publiés par cette commission portèrent successivement sur les conditions d’une réforme des retraites (Pensions: Challenges and Choices, 2004) les conditions d’évolution nécessaires du système pour faire aux échéances démographiques (A New Pension Settlement for the Twenty-First Century, 2005) et les solutions pour les assurés et les gestionnaires des retraites (The Final Report of the Pensions Commission, 2006).

Le gouvernement travailliste a repris l’essentiel des propositions de la commission en faisant adopter les « Pension Act » de 2007 et 2008 reposant sur la double logique d’une revalorisation des retraites publiques, par la réduction du nombre d’années pour obtenir une pension de base complète (30 ans), le report à terme de l’âge légal et le retour à une indexation des pensions de base sur les salaires et d’une stimulation de l’épargne privée par la création d’un mécanisme public de retraite par capitalisation, les comptes personnels (« Personnal Accounts »). Les conditions d’urgence qui entouraient l’élaboration de la réforme ont finalement conduit à la construction d’un relatif consensus, politique, mais aussi syndical autour de ces principales mesures.

Pourtant, le statut particulier des fonctionnaires, le maintien, voire l’accroissement de fortes inégalités entre les salariés du secteur privé, et surtout les effets durables de la crise financière et économique en cours, sur les fonds de pension comme sur les finances publiques, laissent penser que le processus de réforme est loin d’être achevé, alors que les chiffres annoncés régulièrement, par différents cabinets d’études – insuffisance du report d’âge, certains évoquant 70 ans (Pricewaterhouse Coopers), déficit global des pensions de 100 milliards de livres fin 2009 contre un excédent de 6 milliards en début d’année (Aon consulting) – sont particulièrement alarmants. Les débats de la campagne des élections législatives qui vient de s’achever ne semblent pas avoir fait apparaître un consensus, même si le nouveau gouvernement de coalition pourrait en dégager l’ébauche, et s’appuyer sur les travaux d’une nouvelle commission « Turner » élargie.

C’est en Espagne, cependant, que la volonté d’extraire les retraites de la controverse politique est allée institutionnellement le plus loin. Faut-il y voir un prolongement de l’accord de la Moncloa de 1977 passé entre l’ensemble des partis et des syndicats pour assurer, dans des conditions apaisées, le retour à la démocratie après la mort de Franco?

Quoi qu’il en soit, l’ensemble des partis espagnols représentés au Parlement signaient en 1995 le « Pacte de Tolède », un accord visant à sortir du débat politique les questions d’intérêt national et notamment les retraites. Il devait permettre plus généralement de garantir la viabilité économique du régime de sécurité sociale et de garantir ainsi la solidarité intergénérationnelle. Il convient cependant de remarquer que, contrairement aux deux principaux syndicats de salariés, l’UGT et les Commissions ouvrières (CCOO), l’organisation patronale, la CEOE, a refusé de rejoindre le pacte de Tolède ainsi que l’accord d’octobre 1996 qui le prolonge, faisant de l’allègement des charges sociales sa priorité et son argument pour ne pas s’associer aux différents accords conclus sur les retraites.

C’est néanmoins parce que l’accord a établi un certain nombre de grands principes que sa conclusion a été facilitée. Outre l’introduction d’une distinction des sources de financement entre les prestations contributives relevant des cotisations et les prestations universelles financées par l’impôt, une unification progressive des régimes, une stabilisation des cotisations, une plus grande flexibilité de l’âge de la retraite et le maintien du pouvoir d’achat des pensions, il était également mis en place un fonds de réserve de la sécurité sociale (57,2 milliards d’euros en 2008) et un système complémentaire de retraites privées fondé sur les assurances-vie et les plans et fonds de pension.

Par ailleurs, au Congrès des députés revenait d’instituer, tous les cinq ans, une commission non permanente pour étudier la conjoncture et les perspectives du système de sécurité sociale. La commission actuelle a été créée en mai 2008. La loi de 2007 relative à la sécurité sociale, adoptée de nouveau avec l’accord des deux principaux syndicats et cette fois de l’organisation patronale, établit que le ministère du travail et des affaires sociales publie, avant le 30 avril de chaque année, un rapport au Parlement sur l’évaluation et les stratégies du système de pensions.

Cependant, l’ensemble de ces dispositions fixant, avec beaucoup de subtilité, un cadre aussi neutre que possible aux débats sur les pensions semble très fragilisé depuis les déclarations du gouvernement espagnol de janvier dernier, annonçant le report de 65 à 67 ans de l’âge légal de départ à la retraite, la mesure devant s’appliquer progressivement à partir de 2013. Alors que les syndicats espagnols ont déjà fait part de leur hostilité, le patronat a, quant à lui, demandé que l’âge de la retraite soit porté au-delà, à 70 ans. La solidité du Pacte de Tolède et les discussions des projets de réforme, dans le cadre de concertation qui en est issu, vont donc être soumises à rude épreuve.

Le cas de la Suède, enfin, est un bon exemple de réforme radicale d’un système de retraite s’appuyant sur un consensus politique et syndical très large et établi sur une longue durée. En effet, la réforme suédoise n’a pas consisté à modifier les différents paramètres du régime par répartition en vigueur, fondé sur un régime de base universel complété par des régimes contributifs pour les salariés du secteur privé et les agents de l’État et des collectivités locales. C’est l’exemple type d’une réforme systémique par la mise en place d’un régime de « comptes notionnels », comme en Italie ou en Pologne et en Lettonie, mais dans un tout autre contexte et avec de tout autres résultats.

Le « modèle suédois », fondé sur une forte redistribution des revenus matérialisant une solidarité active entre les citoyens et qui était particulièrement en vogue dans l’Europe des années 1970, perçu comme un compromis idéal entre le socialisme bureaucratique et le capitalisme débridé, connaissait un passage difficile. Après une période d’érosion lente, tout au long des années 1980, la confiance dans l’État providence suédois se trouvait en effet largement ébranlée par la récession profonde qui l’a affecté au début des années 1990.

Baisse du PIB, augmentation brutale du chômage, croissance rapide du déficit budgétaire, tous les facteurs étaient réunis pour engager une réflexion urgente sur l’ensemble des composantes du modèle. Le moment était également propice pour lancer une série de réformes afin d’en sauver les caractères les plus essentiels pour le maintien de conditions de vie de qualité pour l’ensemble de la population. Ce vaste programme s’appuyait sur une politique budgétaire rigoureuse visant non seulement à rétablir l’équilibre des comptes publics, mais aussi à dégager des excédents, objectifs atteints puisqu’à la veille de la crise de 2008, le solde des administrations publiques dépassait 2 % du PIB alors que la dette brute consolidée de l’État était passée de 73 % en 1996 à environ 40 %.

C’est dans ce contexte particulier qu’était engagée la réforme des retraites. Après une première ébauche de réforme en 1984, à laquelle le parti social-démocrate, alors au pouvoir, ne donnait pas suite, mais dont les analyses ont été fort utiles pour la suite, un groupe de travail pluraliste (social-démocrate, conservateur, libéral, centre et chrétien-démocrate) élaborait, à partir de 1991, un projet de réforme complète, alors qu’un gouvernement de coalition de centre-droit venait de succéder à un gouvernement social-démocrate avec, parmi ses priorités, la volonté d’obtenir un large consensus sur la sécurité financière du système de retraite public. De façon inhabituelle pour la Suède, en revanche, les syndicats et le patronat n’ont pas participé aux négociations, ce qui explique sans doute aussi la rapidité avec laquelle des solutions aussi radicales ont pu être présentées.

Les principes du nouveau système ont été adoptés par le Parlement en 1994. Puis un groupe de suivi « exécutif » cette fois, composé de représentants des cinq mêmes partis à l’origine de la réforme, était alors chargé de leur mise en œuvre législative. C’est son existence qui a sans doute sauvé la réforme, initialement prévue pour être opérationnelle dès 1996, mais qui ne sera finalement adoptée, dans ses modalités précises, qu’en 1998, par 85 % des députés, traduisant ainsi le fort consensus maintenu pas le groupe exécutif mais aussi la forte discipline de parti qui existe au sein du Parlement suédois. L’opposition à la réforme, réelle, était néanmoins double : d’un côté les sociaux-démocrates « traditionalistes » qui la considéraient comme remettant en cause un niveau correct de pension, de l’autre les gestionnaires du ministère des finances qui la trouvaient, eux, trop onéreuse, situation qui rappellera sans doute le cas français.

L’ensemble du nouveau système est devenu complètement opérationnel en 2003, mais son impact sur les pensions réellement versées n’est pas encore perceptible, puisque l’entrée des générations de cotisants dans le régime des comptes notionnels ne se fait que progressivement. Il convient enfin de remarquer que si plus de dix ans ont été nécessaires pour finaliser la réforme, et même vingt ans si l’on prend en compte les premières propositions du milieu des années 1980, celle-ci est restée assez conforme aux premières propositions, les délais s’expliquant alors par la volonté et la nécessité d’obtenir l’accord le plus large. Mais le consensus finalement obtenu pourrait cependant être remis en cause si la valeur réelle des pensions devait baisser, hypothèse qui ne s’est pas encore concrétisée mais qui pourrait survenir dès cette année, si est appliqué le mécanisme d’équilibrage automatique entre actifs (les cotisations actuelles et futures) et engagements (les pensions actuelles et futures) du régime.

b) La nature des réformes

Les quelques réformes décrites précédemment, paramétriques ou systémiques, vont dans le même sens que celles opérées ailleurs en Europe mais aussi dans les pays du monde ayant un mode de développement équivalent. Elles portent toutes, en effet, sur les mêmes grands leviers : accroître les recettes en diversifiant les ressources et en augmentant le niveau des cotisations, réduire les dépenses en modulant les prestations. Elles se caractérisent par cinq objectifs principaux :

1. Assurer l’équilibre économique du système de retraites en jouant en priorité sur la prolongation de la durée d’activité, afin d’accroître la masse des cotisations, de freiner la masse des pensions tout en préservant le niveau du taux de remplacement, donc du rapport entre le montant du dernier salaire et le montant de la pension de retraite.

Plusieurs catégories de mesures ont été prises dans ce domaine :

– augmenter la durée de cotisation nécessaire pour disposer d’une retraite complète comme en France en 1993 puis en 2003, en Espagne ou en Belgique (45 ans), afin d’inciter les assurés à prolonger leur activité et à retarder leur départ à la retraite, la loi du 21 août 2003 en France pérennisant ce système en prévoyant que le rapport existant au moment de son entrée en vigueur entre la durée de cotisation et la durée prévisible de la retraite, en fonction de l’évolution de l’espérance de vie, devait être constant sur la période d’application, sous le contrôle de la commission de garantie des retraites, permettant ainsi de déterminer un passage de 40 à 41 annuités en phase avec ce rapport mathématique ;

– relever les âges légaux de départ à la retraite, soit l’âge d’ouverture des droits, soit l’âge d’obtention d’une pension complète (en France, 60 et 65 ans), Italie (65 ans), Allemagne (67 ans en 2029), Royaume-Uni (prise en compte de l’impact de l’évolution de l’espérance de vie globale des assurés sur l’âge de départ, porté à 68 ans entre 2044 et 2046), Espagne et Pays-Bas (projets à 67 ans) et, harmoniser les âges de départ entre les hommes et les femmes quand existe une différence, en les rapprochant ou les alignant à terme (Royaume-Uni) sur ceux des hommes, systématiquement plus tardifs.

L’Italie et le Royaume-Uni ont relevé l’âge minimum de liquidation des droits, les autres ont retardé l’âge nécessaire pour bénéficier d’une pension complète, la pension versée en deçà étant minorée au fil des générations.

Ces mesures ont été extrêmement étalées dans le temps, le relèvement des âges étant, on l’a vu, très progressif. Elles ont également été décidées de nombreuses années avant leur entrée en vigueur effective. Seule l’Italie en 2007 a pris des mesures applicables au jour de la promulgation, mais ces mesures étaient elles-mêmes progressives, le Japon se caractérisant, de son côté par un âge moyen de départ à la retraite très supérieur à l’âge légal, du fait d’un niveau de pension faible et d’une difficulté à faire valoir ses droits.

Dans la plupart des cas, c’est bien des décennies qui s’écoulent entre la réforme et son application. Ainsi, même aux États-unis, l’entrée en vigueur de la réforme de 1983 engagée sous la présidence de Ronald Reagan consistant à reporter de 62 à 67 ans l’âge de la pension complète s’achèvera, pour la génération née en 1960, en 2022. L’idée est donc de prévoir, sur le long terme et de manière graduelle, le relèvement des âges légaux de départ à la retraite, très probablement pour le rendre plus acceptable politiquement et socialement mais également pour permettre une adaptation du comportement des différents acteurs aux nouveaux paramètres, prolongation de l’activité pour les assurés, politique de gestion des travailleurs âgés par les employeurs, promotion de l’emploi des seniors par les pouvoirs publics ;

– refondre les barèmes des pensions en les rendant plus incitatifs à la prolongation de l’activité, par l’introduction de décote et de surcote. Cette politique a été suivie en Allemagne, au Royaume-Uni, en France, en Belgique, en Finlande ou en Espagne ;

– faire dépendre le montant de la pension de l’espérance de vie de la génération à laquelle appartient le retraité et donc de la durée de son service, dans les pays ayant mis en place des « comptes notionnels » fondés sur un capital virtuel appartenant à chaque cotisant sur la base de ses versements, comme en Suède (où l’espérance de vie prise en compte est celle de la génération indépendamment des différences de fait à l’intérieur de celle-ci, en fonction des catégories sociales) et, si la réforme atteint à terme ses objectifs, en Italie. Ainsi, plus l’espérance de vie est longue, moins élevée est la pension, ce qui rend le passage du capital accumulé virtuellement à la rente assez mécaniquement brutal ;

– restreindre les possibilités de départs anticipés prévus dans les dispositifs de retraite, afin de reculer l’âge de départ moyen, ces restrictions n’étant pas toujours simples à étendre en période de crise économique.

2. Rechercher des ressources ou prendre des mesures d’économies nouvelles afin, là aussi, d’assurer la viabilité des régimes de retraites.

– accroître les recettes par l’élévation du taux de cotisation, c’est le cas en Allemagne où il a ensuite été plafonné, tandis que d’autres l’ont porté ou maintenu à un niveau plus élevé que ne le nécessitait le montant actuel des dépenses afin de constituer des réserves, comme aux États-unis et au Canada ou, dans une logique différente, au Japon et en Belgique. D’autres, enfin, ont fait prendre en charge par le budget de l’État ou par transfert sur d’autres branches de la sécurité sociale certains des droits dont bénéficient les assurés : en France, l’Unedic finance les cotisations retraite des chômeurs, ou les caisses d’allocations familiales certains droits familiaux en matière de retraite. Il peut également y avoir un transfert direct du budget de l’État vers les régimes de retraite, pour les systèmes de pensions garanties, par exemple ;

– réduire les dépenses en renforçant la contributivité des systèmes de retraites et le lien entre cotisation et prestation, en essayant de se rapprocher de la neutralité actuarielle afin de favoriser un système d’équité intergénérationnelle et, ainsi, d’éviter un endettement dont la charge pèserait sur les nouvelles générations. La plupart des pays ont ainsi allongé la période de calcul du salaire servant de référence. En France, en 1993, pour le régime général, on est ainsi passé des 10 aux 25 meilleures années, en Espagne des 5 aux 8, puis aux 15 dernières années, en Finlande des 4 aux 10 meilleures années puis à toute la carrière, en Italie des 5 dernières années à la totalité de la carrière dans le cadre du système de comptes notionnels, et en Suède, dans le même cadre, des 15 meilleures années à la totalité de la carrière. Les différentes règles de revalorisation des pensions ont également été revues, en les indexant la plupart du temps sur les prix et non plus sur les salaires. Ainsi en Allemagne, en 1992, l’indice de revalorisation est passé d’une référence aux salaires bruts à une indexation sur les salaires nets, moins avantageuse, puis aux prix, pour revenir en 2004 sur une indexation sur le salaire net des cotisations vieillesse. En Suède, le nouveau régime de comptes notionnels comporte une règle d’indexation des pensions sur l’évolution nominale des salaires – 1,6 %, ce qui signifie, si les salaires n’augmentent pas, que les pensions peuvent baisser. En France, les pensions mais aussi les salaires portés au compte pour calculer le montant de la pension, évoluent comme les prix. Enfin, certaines mesures restrictives concernant les pensions de réversion ont été mises en place. Dans de nombreux pays, à l’inverse de la France, une tendance de nature presque philosophique se développe faisant dépendre les droits des femmes de leur propre activité et non de celle de leur conjoint. La spécificité française tient sans doute à des raisons sociologiques, mais surtout à la constatation que les droits propres acquis par les femmes les mettraient actuellement dans une situation de très nette infériorité par rapport aux hommes.

3. Organiser un pilotage continu des systèmes de retraite, non seulement en disposant de projections à long terme, pratique heureusement généralisée, mais aussi en introduisant des mécanismes qui stabilisent plus ou moins automatiquement les systèmes en cas de difficultés de financement, comme c’est le cas de la Suède et de l’Allemagne.

4. Instituer enfin des dispositifs correcteurs relevant de la solidarité en contrepartie de ces mesures de rigueur, depuis la couverture du déficit des régimes de retraite par l’État au Japon ou aux Pays-Bas jusqu’à la fixation de taux de remplacement minimaux en Allemagne ou les liant au report de l’âge en Suède ou encore par la mise en place de revenus minimums, (en France le minimum contributif et le minimum légal), ou leur amélioration comme au Royaume-Uni. Des garde-fous accompagnent donc, en général, les mesures de réforme allant très loin dans la contributivité ou la capitalisation, ils y sont soit directement intégrés, soit renvoyés à des accords collectifs.

Si la France a développé des droits non contributifs, dans certains pays la pénibilité est prise en compte, par des départs à la retraite plus précoces comme en Italie, ou en Espagne, en excluant les professions concernées des restrictions aux départs anticipés. Les négociations engagées en France sur ce point n’ont pas encore abouti, même si le dispositif de retraite anticipé pour carrière longue, adopté en 2003, couvre en fait partiellement la question.

5. Développer les régimes de retraites par capitalisation pour diversifier les sources de financement et constituer des fonds de pension suffisamment vigoureux, cette solution apparaissant, jusqu’en 2008, comme la plus simple à mettre en œuvre.

c) La capitalisation, une tendance croissante à la veille de la crise

Si la mission, dès sa constitution, a choisi de faire porter son étude sur les retraites par répartition parce qu’elles assurent, en France, on l’a rappelé, l’essentiel du financement des prestations, il convient cependant de constater que, jusqu’en 2008, le développement des régimes de retraites par capitalisation, préconisé par la plupart des organisations économiques et financières internationales, a été une constante dans la plupart des pays d’Europe.

Mais en France, il s’est agi avant tout de l’épargne retraite, alors que dans les pays beveridgiens en général, et anglo-saxons en particulier, se sont construits de puissants fonds de pension, dont l’objet et la gestion sont très éloignés des dispositifs d’épargne français.

Il convient, en revanche, de relativiser l’impact du système de retraite sur l’épargne globale des ménages. Une récente étude de la Banque de France comparant les droits à pension des ménages français, fondés sur la répartition et américains, pour lesquels les régimes d’entreprise et d’épargne ont une importance plus grande, montre que l’influence du système sur l’accumulation de l’épargne privée est peu importante. La différence porte sur la nature de l’épargne : davantage d’actifs financiers pour les ménages américains et de biens immobiliers pour les ménages français. L’épargne est ainsi plus risquée pour les ménages américains, dont la richesse nette s’est réduite de 19 % entre 2007 et 2008, que pour les ménages français pour lesquels la baisse n’a été que de 2,6 %. Répartition et épargne ne sont donc pas incompatibles.

Les pays d’Europe centrale ont souvent assez audacieusement basculé, non sans risques, une fraction importante de leurs régimes issus des anciens systèmes étatiques, de la répartition vers la capitalisation. Ils suivaient ainsi les recommandations de la Banque mondiale qui, créancière de nombreux pays en voie de transition d’une économie dirigée vers une économie de marché, disposait d’un rôle privilégié pour les conseiller dans ce domaine. Du coup, les dispositifs financés par la capitalisation et les régimes reposant sur des cotisations notionnellement définies y sont aujourd’hui prépondérants.

L’Europe occidentale et méridionale a plutôt développé des systèmes venant en complément de la répartition, maintenue à un haut niveau, comme en France et en Allemagne, mais aussi, il convient ici de le rappeler, en Suède où la réforme introduisant les comptes notionnels n’a pas porté sur le financement, resté par répartition, mais l’a seulement complété par un régime obligatoire par capitalisation de 2,5 points de taux de cotisation contre 16 pour le régime de base.

Parallèlement, se sont développées des réserves collectives, à travers des fonds permettant d’accumuler des ressources pouvant ensuite être reversées aux systèmes de retraites pour en assurer une partie des futurs besoins de financement. Cela a été le cas en Suède, en Espagne ou en France, avec le Fonds de réserve pour les retraites qui ne devait initialement intervenir en versements qu’à partir de 2020, pour lisser l’impact du gonflement conjoncturel du déséquilibre démographique créé par les départs à la retraite des générations du « baby boom », (ses actifs au 31 mars 2010 étaient de 34,5 milliards d’euros, soit un rétablissement du montant atteint à la veille de la crise financière, mais qu’il faut comparer à l’objectif fixé, au moment de sa création en 1999, de 160 milliards d’euros en 2020). Ces fonds de réserve publics représentaient, en 2007, 14,5 % du PIB des 30 pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), mais 80 % du PIB de la Norvège, où le fond est abondé par les revenus du pétrole, 11,5 % en Irlande, 4,3 % en Espagne et 1,9 % en France.

Mais l’essentiel de la question des régimes par capitalisation concerne les pays du Nord de l’Europe. Dans le cadre de leurs systèmes beveridgiens, ils ont développé, en complément des régimes de base insuffisants, des régimes privés, complémentaires d’entreprises ou individuels, gérés par des fonds de pension. Ces fonds d’investissement sont alimentés par les cotisations des employeurs et des salariés, et détiennent des actifs financiers destinés à assurer une rente viagère aux salariés qui y sont affiliés à partir de leur départ en retraite.

Au milieu des années 2000, la part des revenus des retraités provenant des divers modes de capitalisation, c’est-à-dire de l’épargne privée sous toutes ses formes était en moyenne, pour l’ensemble des pays de l’OCDE, de un cinquième mais de 46,5 % aux Pays-Bas, 43,8 % au Royaume-Uni, 36,1 % au Danemark, 32,7 % en Irlande, 32,7 % en Norvège, 23,8 % en Suède, la part étant plus faible ailleurs : 16,9 % en Allemagne, 8,6 % en France, 6,8 % en Espagne et au Portugal, 5,3 % en Italie, et à ce moment-là, 1 à 3 % seulement dans les pays d’Europe centrale et orientale. Quatre-cinquièmes des revenus des retraités provenaient donc encore globalement des diverses prestations des régimes publics. Ces statistiques, les dernières publiées par l’OCDE, sont antérieures à la crise et s’appliquaient à une population de retraités dépendant encore très majoritairement des régimes de retraites antérieurs aux grandes réformes de la décennie qui précède leur publication. Il ne s’agit que d’une approche des différences relatives entre les États européens au regard de la capitalisation. Depuis cinq ans, la montée en puissance des réformes et donc des systèmes de retraites privés d’un côté, et les réelles difficultés rencontrées par ces mêmes systèmes de l’autre ont naturellement bouleversé ces données, sans qu’il soit possible de procéder à des ajustements plus précis.

Les fonds de pension ont eux-mêmes connu des évolutions spectaculaires depuis les années 1980, y compris en Europe. Leur puissance financière a été tout d’abord liée mécaniquement à la croissance de la capitalisation boursière, indépendamment de toute politique visant à encourager leur développement. Elle a été renforcée par la part souvent prépondérante prise par les actions et les nouveaux produits financiers dans la composition de leurs actifs, leur assurant ainsi des rendements très supérieurs aux obligations, mais les exposant pleinement aux variations des marchés dont ils sont, parallèlement, des acteurs essentiels.

En valeur, en 2007, les actifs des fonds de pension privés représentaient ainsi 74,5 % du PIB des pays de l’OCDE : 138 % aux Pays-Bas, 134 % en Islande, 119 % en Suisse, 79 % au Royaume-Uni, 71 % en Finlande, 47 % en Irlande et 32 % au Danemark, un peu plus de 10 % en Pologne, au Portugal et en Hongrie, autour de 7-8 % en Suède, en Norvège et en Espagne mais seulement 4 % en Allemagne et en Belgique et 1,1 % en France.

On comprend que dans les conditions d’euphorie qui accompagnent les périodes de croissance des marchés financiers, les appels à la prudence et à la mise en place de règles de gouvernance minimales comme le propose l’OCDE à chaque reflux important des marchés, soient peu entendus, et ce d’autant moins que leur application restreindrait les rendements à court terme des actifs. Cependant, la nature des portefeuilles détenus par les fonds reste très variable d’un pays à l’autre. Certains tentent de conserver, malgré l’application des règles de libre concurrence, une vision « nationale » de leurs investissements et privilégient les placements dans l’industrie locale, alors que d’autres se sont résolument tournés vers des actifs aussi risqués que rémunérateurs. Les exemples opposés de la Finlande, qui a longtemps été dans le premier cas et de l’Islande, dont les fonds de pension ont massivement investi, non sans dommage on le sait, à l’étranger et par des engagements très exposés, en sont une bonne illustration.

La seconde évolution des fonds de pension a été la modification radicale du mode de sécurisation des retraites versées par ces régimes. On est passé de régimes à prestations définies et donc à engagements de résultats, qui étaient leur mode de fonctionnement traditionnel en particulier aux États-Unis, vers des régimes à cotisations définies, et donc à engagements de moyens. Rappelons, en effet, que si les régimes à prestations définies garantissent aux adhérents le versement d’une pension égale à une fraction de leur salaire, sous la condition qu’ils soient salariés de l’entreprise qui seule supporte le risque, au moment de leur départ à la retraite, les régimes à cotisations définies font, quant à eux, porter le risque sur les seuls bénéficiaires des pensions dont les rendements dépendent des placements. Outre cet avantage majeur et évident pour les entreprises, les régimes à cotisations définies présentent l’intérêt d’une portabilité des droits à pension intéressante pour les cotisants, dans une période où l’emploi à vie dans une même entreprise est de plus en plus exceptionnel en Europe.

Ce sont ces systèmes privés à cotisations définies qui ont été massivement développés, sous l’impulsion des institutions internationales, depuis vingt ans, dans le cadre des différentes réformes des systèmes de retraite. Pourtant, s’ils assurent une meilleure lisibilité et une incontestable viabilité pour le gestionnaire, l’absence de garantie du niveau de la prestation, en reportant le problème sur le retraité lui-même, ne peut d’évidence, en cas de dégradation forte du revenu de remplacement, qu’impliquer une intervention des pouvoirs publics et des financements publics qu’ils devaient partiellement remplacer.

C’est ainsi que le basculement complet vers la capitalisation au Chili, en 1981, s’est traduit par une telle crise, vingt-cinq ans après, qu’en 2008 il a fallu réintroduire des pensions minimales de solidarité, s’appuyant sur un financement par l’État et une dose progressive de répartition, montrant les limites de ce type de réforme.

Au Royaume-Uni, le basculement des prestations définies vers des cotisations définies, comme aux États-unis, devrait maintenant s’accompagner de l’introduction d’un régime national d’épargne retraite inspiré du « KiwiSaver » néo-zélandais, des comptes d’épargne volontaire à long terme.

En Europe, seuls les Pays-Bas conservent presque exclusivement des régimes professionnels à prestations définies, puisqu’ils concernent encore 94 % des salariés néerlandais.

Les systèmes de retraite financés par la capitalisation ne s’avéraient évidemment préférables que lorsque le taux de rendement de leurs investissements dépassait celui de la croissance de l’assiette des cotisations d’un régime par répartition. La crise a donc joué un rôle inattendu de rappel à l’ordre et de garde-fou face à des choix trop manichéens et dogmatiques pour correspondre au très long terme qu’implique la question des régimes de retraite.

3. Réformer en période de crise ?

Depuis un an, le Conseil d’orientation des retraites (COR) (3), la Caisse des dépôts et consignations (4), le Parlement (5) et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), avec beaucoup d’autres organisations et institutions, économiques ou financières, politiques ou sociales, ont très régulièrement organisé des rendez-vous, des colloques et des forums sur le thème des systèmes de retraites, en France et dans le monde, face à la crise. Cependant, ce suivi, presque médical, de la question se traduit plutôt, pour le moment, par des diagnostics que par des remèdes nouveaux.

Faut-il, comme Hegel, se contenter de remarquer qu’en tant que pensée du monde, la philosophie vient toujours trop tard et que ce n’est qu’au crépuscule que la chouette de Minerve prend son envol ou, comme les philosophes hellénistiques, utiliser les périodes de crise pour s’engager résolument, mais sans illusions, dans la recherche de solutions prospectives ? Nous choisirons cette dernière voie.

L’approche politique des réformes est double depuis 2008. Les actions des gouvernements européens continuent de s’inscrire dans le cadre structurel lié à la volonté de maintenir les grands équilibres, ou plutôt de lutter contre les grands déséquilibres analysés précédemment mais comprennent aussi de multiples mesures conservatoires visant, quant à elles, à remédier immédiatement aux conséquences les plus vives de la dévalorisation brutale des actifs des régimes de pension et donc de la situation des futurs retraités et à terme des retraités eux-mêmes.

La crise, d’abord financière, a en effet commencé par toucher assez lourdement les régimes privés de retraite, la chute du cours des actions et de l’immobilier ayant entraîné une contraction brutale de la valeur de leurs investissements. L’OCDE a estimé la dépréciation des investissements des fonds de pension autour de 23 % en 2008. Les pays où la part des pensions privées dans les revenus des retraités est importante ont été les plus touchés : le Royaume-Uni, les Pays-Bas et le Danemark. L’impact est d’autant plus grave que, dans ces pays, la chute des actifs des fonds de pension intervient précisément au moment où le nombre de départs à la retraite doit connaître une augmentation rapide, du fait du « baby boom » de l’après-guerre.

Cela étant, une crise économique et sociale a suivi presque immédiatement la crise financière. Elle s’est traduite, tout au long de l’année 2009, par un recul de la production, la montée du chômage et la stagnation des salaires affectant les régimes publics, puisqu’il y a baisse des cotisations sociales et hausse des transferts afin d’éviter le déclin des ressources des retraités.

De façon très synthétique et par catégorie de population assujettie à des régimes de retraites privés, les répercussions les plus profondes concernent les personnes approchant de l’âge de la retraite et ayant cotisé de nombreuses années à des régimes à cotisations définies privés ou les seuls retraités n’ayant pas opté pour une sortie en rente au moment de leur départ à la retraite, particulièrement si l’exposition des actifs des placements était forte. C’est, en Europe, le cas au Royaume-Uni.

Les répercussions individuelles ont été sensibles pour les personnes approchant de l’âge de la retraite, affiliées à des régimes à prestations définies, en particulier quand les dispositifs connaissent des problèmes de solvabilité, comme aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Italie, ou pour les retraités bénéficiant d’un régime avec ajustement automatique des prestations, comme c’est le cas en Suède, aux Pays-Bas et en Allemagne.

Si les régimes publics par répartition ne sont pas, par définition, directement exposés aux fluctuations des marchés financiers, dans les pays où les dépenses publiques de retraites sont déjà élevées, comme la Grèce, l’Autriche ou l’Italie, et où les filets de protection des personnes âgées sont insuffisants comme l’Allemagne, les personnes approchant de l’âge de la retraite risquent d’être frappées par les conséquences des difficultés de solvabilité ou de l’endettement de ces régimes, les financements supplémentaires à même de garantir les droits des futurs retraités devenant problématiques. Les discours qui se développent un peu partout et opposent les jeunes générations décrites comme sans droits à celles, plus âgées susceptibles d’en bénéficier encore, participent de cette inquiétante fragilisation du lien entre les générations que matérialisent les régimes de retraites par répartition.

Contrairement aux années 1995-2004, les années 2004-2009 se caractérisaient déjà par des réformes plus modestes, souvent des ajustements des grands bouleversements antérieurs. Et aujourd’hui, dans certains pays d’Europe comme la Norvège, l’Irlande ou l’Autriche, le processus de réforme des régimes est pratiquement arrêté. Les modifications législatives nécessaires en Italie, pour poursuivre la mise en place du régime en comptes notionnels ont été reportées. En République slovaque, enfin, les salariés affiliés aux nouveaux dispositifs de retraite à cotisations définies ont été autorisés à réintégrer le régime public. Même si ce retour au régime public ne semble pas, pour le moment, massif, l’adhésion au régime privé n’étant plus obligatoire, les répercussions sur sa viabilité à long terme ne manqueront pas de se poser.

Le « Big-Bang » des retraites parfois suggéré n’apparaît donc plus à l’ordre du jour en Europe, ses partisans proposant plutôt, à cette étape, le renforcement de la recherche et de l’innovation en matière de protection sociale. La tendance naturelle, en période de forte exposition aux risques, serait donc davantage à la mutualisation qu’à la réponse individualisée, au maintien de systèmes pourtant fragiles et porteurs d’inégalités, mais connus, plus qu’aux changements radicaux, aux transitions lisibles plus qu’aux basculements rapides.

S’il est parfois souligné que, sur le très long terme, la capitalisation boursière est toujours croissante, la crise a cependant accéléré les préconisations et les mesures en matière de bonne gouvernance des fonds de pension, dans les pays où ils jouent un rôle majeur, les échelles de temps entre les tendances historiques de la bourse et les proches et massifs départs à la retraite des générations de l’après-guerre étant en effet peu compatibles.

Depuis les scandales ayant touché au début des années 1990 au Royaume-Uni, certains régimes d’entreprises, puis les plans individuels de retraite (Appropriate Personnal Pensions Schemes - APP) une sorte de code éthique des fonds de pension s’est progressivement mis en place, portant tant sur le contrôle que sur le taux de couverture des engagements des fonds, comme c’est également le cas aux Pays-Bas, par exemple. Cette première tentative de réglementer un secteur clé du monde financier a trouvé son prolongement dans différentes recommandations de l’OCDE, à commencer par celle de sécuriser les pensions en choisissant des actifs d’autant moins risqués que le bénéficiaire potentiel de la rente approche de l’âge de la retraite.

À l’inverse, certains vont jusqu’à remettre en cause tout aide fiscale aux retraites par capitalisation, épargne retraite comprise, pour renforcer la seule répartition, ce qui implique évidemment, à prestations égales, une hausse des cotisations et à terme l’assèchement des systèmes de pensions privés. Cette remise en cause radicale des politiques menées depuis les années 1980 trouve certes un écho chez les défenseurs des systèmes publics par répartition, mais aussi chez certains libéraux qui soulignent que les incitations fiscales mesurables aux systèmes de retraite privés sont équivalentes à une participation publique et donc contraires au but recherché.

Il semble cependant que la crise, par l’accélération des ruptures comme des réflexions qu’elle engendre, pourrait être un moment clé d’une redéfinition de cet aspect essentiel du pacte social et de la confiance intergénérationnelle sur le long terme que sont les régimes de retraites.

Philippe Séguin, lors de la présentation à notre commission du rapport annuel de la Cour des comptes sur l’application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, le 16 septembre 2009, rappelait fortement que : « Rien ne serait donc plus dangereux que de faire de la crise un prétexte pour différer les indispensables réformes de notre protection sociale et de son financement. »

Les pressions politiques qui s’exercent depuis le début de la crise financière sur les pouvoirs publics sont aussi considérables que contradictoires, mais les défis auxquels les retraites sont confrontées sur le long terme appellent des réponses qui ne soient pas conjoncturelles, même si des mesures de sauvegarde sont nécessaires et souvent prises, dans l’ensemble des pays européens comme dans le nôtre.

L’OCDE, dans l’édition 2009 de son panorama des systèmes de retraites, souligne que la meilleure méthode en matière de retraites est de panacher, pour les retraités, les sources de revenu, publiques et privées, et pour les gestionnaires, les modes de financement, par répartition et par capitalisation, le recours à une seule méthode, face aux risques très divers auxquels sont confrontés les régimes de retraites dans une économie de marché, pouvant s’avérer imprudent. Sans qu’il soit nécessaire de partager complètement ces conclusions, les quelques études de cas qui suivent, correspondant à des auditions et un déplacement de la mission, devraient permettre d’en affiner les prémisses.

II.- TROIS ÉTUDES DE CAS : L’ALLEMAGNE, LES PAYS-BAS
ET LA FINLANDE

A. RENCONTRES AVEC LES CONSEILLERS SOCIAUX DES AMBASSADES

1. Un système « bismarckien » par excellence : l’Allemagne

a) Les grandes lignes du régime de retraite allemand

Historiquement, il convient de le rappeler, le système de protection sociale allemand est le doyen et l’archétype des systèmes européens nationaux par répartition. Ses performances l’ont longtemps placé parmi les plus efficaces, et les plus appréciés des bénéficiaires. Le maintien, dans les départements d’Alsace et en Moselle de beaucoup de ses composantes et cela depuis 1918, le montre encore aujourd’hui très clairement. Pourtant, depuis la fin des années 1980, ce modèle paraît fragilisé, particulièrement dans sa composante retraites.

L’Allemagne a été confrontée, avant la majorité des pays européens, à des changements démographiques majeurs. Après un siècle et demi de croissance soutenue suivie d’une période de stagnation, elle connaît aujourd’hui une baisse sensible de sa population (- 2,6 ‰ en 2008), le solde migratoire ne compensant plus la chute du solde naturel. L’indicateur conjoncturel de fécondité était de 1,37 ‰ en 2007 et le taux de natalité estimé à 8,3 pour mille en 2008. La part de la population âgée de 65 ans et plus devrait atteindre en 2010 20 % contre 19 % pour les moins de 20 ans, les projections pour 2050 étant respectivement de 30 % contre 16 %. Enfin, la durée moyenne de perception des pensions, qui était de 9,9 ans en 1960 est passée à 16,9 ans en 2004 et est évaluée à 19,8 ans en 2030.

C’est pour faire face à ces évolutions inquiétantes que des réformes visant à assurer une viabilité sur le long terme d’un système de retraite de qualité ont été entreprises, avant même la réunification.

Dès la fin des années 1950, plus tôt qu’en France donc, les pensions servies en Allemagne ont été nettement revalorisées et indexées sur les salaires bruts. L’équilibre démographique était d’autant plus assuré que les pertes très lourdes des deux guerres mondiales rendaient le nombre de retraités bénéficiaires relativement modeste par rapport au nombre de contributeurs. En effet, en 1965, on comptait 26,6 millions d’actifs pour seulement 5 millions de retraités mais, en 2005, 38,7 millions d’actifs cotisaient pour 19,7 millions de retraités.

Devenues de véritables revenus de substitution, les pensions assuraient un taux de remplacement d’environ 70 % voire 78 % au milieu des années 1980, pour une durée d’assurance complète. La chute du mur et l’intégration de l’ancienne République démocratique allemande dans des conditions portant progressivement au niveau de l’ouest les droits des citoyens de l’est a encore renforcé la nécessité d’une réflexion globale sur l’équilibre du régime de retraites des salariés.

Toutes les réformes successives ont eu en commun de se fixer un objectif de taux de remplacement, ce qui leur donne une assez grande lisibilité pour les futurs retraités qui, à défaut de consentement enthousiaste, disposent tout de même d’éléments clairs de projection de leur situation. De même, elles comportent des projections de taux de cotisation permettant aux entreprises comme aux salariés, les cotisations étant paritaires, d’en anticiper l’impact sur le coût global du travail.

La réforme de 1989-1992 fixait ainsi le taux de remplacement à 70 % pour une carrière complète de 45 ans, et reportait progressivement l’âge légal de la retraite, unifié à 65 ans (il était de 63 ans pour les hommes et de 60 ans pour les femmes). Le régime de retraite en annuités était transformé en régime par points. La subvention d’État au régime était reliée aux cotisations dont le taux devait se stabiliser à 21,4 % en 2010. Ses grands principes s’appliquaient également au régime des fonctionnaires, comme ce sera le cas des réformes suivantes.

La réforme de 1996 complétait la précédente en réduisant les prestations non contributives, dont la prise en compte de la durée des études ou le calcul des pensions de réversion, mettait en place des décotes pour les départs antérieurs à l’âge légal, et réduisait les systèmes de retraites anticipés liées au chômage.

La réforme de 1997 proposait de remettre en cause progressivement le taux de remplacement de 70 % et, parallèlement, de réduire le taux de cotisation à 19,6 % : il s’agissait cette fois clairement d’une baisse annoncée des pensions.

Mais c’est en 2001 que la réforme la plus novatrice a été adoptée. Elle continue de fixer les grandes lignes du régime actuellement en vigueur. Elle se caractérise par deux axes principaux, l’un qui prolonge les réformes précédentes en continuant de fixer une évolution contenue du taux de cotisations compatible avec le rapport démographique pour 2020 et 2030, et donc une baisse du taux de remplacement et des pensions publiques, mais l’autre en contrepartie, instaurant un système d’épargne individuelle par capitalisation. Ces plans de retraite individuels, « les plans Riester », du nom du ministre socialiste des affaires sociales les ayant institués, bénéficient d’une aide de l’État sous forme de prestations de base forfaitaires pour abonder les cotisations ou d’abattements fiscaux, le choix de l’un ou l’autre étant lié au niveau de revenu. Après des débuts hésitants, les contrats souscrits dans le cadre de ces plans d’épargne concernaient près de 13 millions de salariés en 2009, soit près de la moitié des salariés allemands relevant du régime public d’assurance vieillesse. Le coût actuel pour l’État étant de 5 milliards d’euros, il serait potentiellement du double si l’ensemble des salariés souscrivait des contrats d’épargne retraite.

Enfin, en 2007, le Bundestag (6) a adopté la loi sur l’adaptation de l’âge légal de retraite à l’évolution démographique et sur la consolidation des fondements financiers de l’assurance retraite légale, reportant progressivement l’âge légal de départ à la retraite de 65 à 67 ans entre 2012 et 2029, seul le parti Die Linke (la gauche) votant contre. Des dérogations sont prévues pour les assurés justifiant de 45 ans de durée d’assurance par leur activité salariée, mais aussi par la prise en compte d’années consacrées à l’éducation d’enfants ou à la prise en charge de personnes dépendantes, qui pourront continuer de partir à l’âge de 65 ans sans décote, et aussi pour les handicapés. Notons cependant que si la durée moyenne de cotisation, pour les anciens Allemands de l’Ouest, est inférieure à 45 ans - autour de 40 ans pour les hommes et de 26,3 ans pour les femmes - elle est proche du maximum pour les hommes et de 38 ans pour les femmes de l’ancienne Allemagne de l’Est.

C’est une rupture avec la politique allemande traditionnelle privilégiant des stratégies de sortie précoce de la vie active plutôt que d’activation des salariés âgés, la retraite à 60 ans sans décote existant pour les chômeurs depuis 1929 et pour les femmes validant quinze annuités depuis 1957, et à 63 ans depuis les années 1970. Pourtant, l’âge de 65 ans, malgré ces nombreuses possibilités de départs anticipés, était resté fermement ancré dans les esprits comme celui de la retraite puisqu’il en est l’âge légal depuis 1913 pour les employés et 1916 pour les ouvriers. Aussi la retraite à 67 ans, malgré un large soutien politique au Parlement, a été très âprement débattue dans le pays et n’a pas reçu l’approbation des syndicats ni de la majorité de la population.

L’adoption de ces mesures courageuses n’a pas été sans conséquences sur les résultats électoraux des deux principaux partis allemands les ayant défendues, successivement ou ensemble dans le gouvernement de la grande coalition, le parti chrétien-démocrate et surtout le parti social-démocrate.

L’ensemble de ces réformes a dessiné le système actuellement en vigueur, tant en terme de financement que de prestations.

En 2008, les recettes étaient de 244,2 milliards d’euros, dont 168,5 de cotisations, 74 milliards d’apports et de subventions de l’État fédéral donc des impôts, pour 240,4 milliards d’euros de dépenses correspondant à 163,8 milliards de pensions de vieillesse, 38,2 milliards de pensions du conjoint survivant et 14,2 milliards de pensions compensant la diminution de la capacité de gain. Il était ainsi excédentaire pour un peu moins de 4 milliards d’euros.

Le calcul de la pension se fait en multipliant un facteur caractéristique de la nature de la pension par le nombre points acquis, lui-même relié au nombre d’annuités – sur la base d’une année pour un point – et par la valeur du point. Cette valeur reste légèrement différente entre les Länder (régions) de l’ancienne République démocratique allemande et ceux de la République fédérale, en 2009 de 24,13 contre 27,20 euros. On obtient ainsi par exemple, pour une carrière complète de 45 ans et une pension de vieillesse de base, un montant mensuel de 1 224 euros. Ce niveau standard ne reflète pas la pension versée, en moyenne inférieure du fait, comme cela a été remarqué, d’une durée d’assurance insuffisante, en particulier pour les femmes.

Les conditions d’attribution des pensions de réversion et des pensions d’orphelin comprennent une base exonérée de prise en compte des ressources du conjoint survivant qui garantit un bon niveau de remplacement.

Parallèlement, on l’a vu, la loi définit deux « boucliers » : un taux de cotisation plafond, jusqu’à 20 % en 2020 et à 22 % en 2030 et un taux de remplacement plancher de 46 % en 2020 et de 43 % en 2030.

L’indexation des pensions suit celle des salaires mais est modérée en fonction à la fois de la constitution de l’épargne retraite, le facteur « Riester » et de l’évolution du rapport démographique conditionnant la viabilité du système. L’introduction d’une clause de sauvegarde, contrairement à la Suède où elle relève d’une appréciation politique, permet que cette modération ne puisse cependant conduire à une baisse des pensions. Ce réajustement négatif virtuel serait alors déduit des réajustements positifs à venir. Cette clause étant intervenue depuis le début de la crise, la modération des réajustements positifs devrait s’appliquer à partir de 2011. Le rapport entre une pension type, à l’indexation sur les salaires ainsi modérée, et le salaire moyen est donc en légère baisse, de 55 % en 1994 à 52 % en 2008.

Cependant, le développement des plans d’épargne retraite « Riester » devrait compenser partiellement cette baisse relative des pensions sous le double effet de la baisse programmée des taux de remplacement et du facteur de modération de l’indexation sur les salaires. Les évaluations du ministère des affaires sociales et du travail allemand font en effet apparaître un maintien du taux global de remplacement légèrement au-dessus de 50 % jusqu’en 2020, quand il est programmé une baisse le ramenant à 46 %.

b) Quels enseignements tirer des réformes allemandes ?

Les membres de notre mission d’information ont, dès sa création, souligné la difficulté d’apprécier un aspect central de la protection sociale d’un autre pays, même européen, comme les retraites, coupé de l’ensemble des autres caractéristiques des conditions de vie et de travail et plus largement de l’ensemble de son contexte économique, fiscal, politique et social.

Pourtant le régime de retraite, comme de nombreux autres aspects de l’organisation sociale allemande, est relativement proche du nôtre, qu’il a d’ailleurs largement influencé, dès la loi (certes peu appliquée) du 5 avril 1910 instituant les retraites ouvrières et paysannes d’ailleurs. Il ne semble donc pas qu’il soit artificiel ou sans pertinence d’en tirer quelques matières à réflexion.

1. Le relèvement de l’âge légal

Le relèvement de l’âge légal de départ à la retraite en Allemagne s’appuie sur la constatation que la plupart des pays européens ont été conduits à procéder de même, comme la montre le tableau ci-après :

Âge moyen de sortie du marché du travail et de la retraite

 

Âge de sortie
du marché du travail

Âge légal
de la retraite

 

2001

2007

2008

Allemagne

60,6

62

65

Autriche

59,2

60,9

60 (femmes)
65 (hommes)

Belgique

56,8

61,6

64 (femmes)
65 (hommes)

Danemark

61,6

60,6

65

Espagne

60,3

62,1

65

France

58,1

59,4

60

Finlande

61,4

61,6

62-68

Irlande

63,2

64,1

66

Italie

59,8

60,4

60 (femmes)
65 (hommes)

Pays-Bas

60,9

63,9

65

Pologne

56,6

59,3

60 (femmes)
65 (hommes)

Portugal

61,9

62,6

65

Roumanie

59,8

64,3

58 (femmes)
63 (hommes)

Royaume-Uni

62

62,6

60 (femmes)
65 (hommes)

Suède

62,1

63,9

61-67

Union européenne (27)

59,9

61,2

 

Source : Eurostat 2009.

Le relèvement de l’âge légal doit être très progressif. De 2012 à 2023, pour les personnes nées de 1947 à 1958, le relèvement se fera à raison d’un mois par an, et de 2024 à 2029, le relèvement s’accélère à raison de deux mois par an, le nouvel âge légal de 67 ans n’étant atteint que par les personnes nées à partir de 1964.

Surtout, la mesure s’accompagne d’une réflexion sur le rôle des salariés âgés et sur leur place dans l’entreprise. Le gouvernement allemand estime en effet, qu’en repoussant l’âge de départ, les possibilités d’emploi des seniors seront augmentées, permettant de remédier au manque prévisible de main-d’œuvre qualifiée, l’expérience acquise des seniors étant mieux utilisée pour maintenir, voire accroître la croissance économique fondée sur des compétences confirmées.

Confrontée, comme beaucoup de pays européens, à un important chômage des travailleurs âgés, l’Allemagne a développé pour eux une série de mesures spécifiques, réunies sous le nom de « Initiative 50 plus ». Les chômeurs âgés indemnisés reprenant un emploi dont la rémunération nette est inférieure à celle perçue avant d’être au chômage bénéficient d’une compensation partielle de leur perte de salaire ainsi que d’un complément à leur cotisation d’assurance vieillesse, pour en préserver les droits au niveau antérieur. Les employeurs bénéficient d’une aide à l’insertion si l’embauche d’un senior au chômage depuis au moins six mois implique un soutien individuel. Enfin, par dérogation aux règles générales, il est possible de conclure des contrats de travail à durée déterminée avec les salariés âgés de plus de 52 ans.

Plus largement, et là aussi l’Allemagne se trouve confrontée à une question qui ne nous est pas étrangère, une grande attention est portée aux conditions de travail. L’initiative « Neue Qualität der Arbeit » (7) regroupe les représentants de l’État fédéral, des Länder, des partenaires sociaux et des assurances sociales. L’objectif est de parvenir à élaborer en concertation une législation moderne sur la santé et la sécurité du travail, adaptant les emplois et les horaires de travail à l’évolution de l’âge des salariés concernés. Travailler plus longtemps ne se comprend que si l’on est plus longtemps en bonne santé.

2. La mise en place du calcul par points

Le régime par points qui est en vigueur en Allemagne présente la particularité d’être directement relié au nombre d’années de travail, et donc d’articuler en fait, annuités et points. Ce mode de fonctionnement tire son origine de la volonté de ne pas modifier le montant des pensions versées, lors de la transition, en 1992, entre l’ancien régime par annuité et le régime par points.

L’ancien mode de calcul par annuités, appliqué de 1957 à 1992, fixait un taux de l’annuité de 1,5 % du salaire moyen de l’ensemble de la carrière, que multipliait le nombre d’années de carrière, et un coefficient d’ajustement contributif fondé sur le rapport entre le salaire de l’assuré et le salaire moyen.

Le nouveau mode de calcul par points ne se fonde plus sur un taux de l’annuité appliqué au salaire moyen, mais sur une valeur de point. Cependant, le nombre de points obtenus chaque année est calculé comme le rapport entre la rémunération du salarié (jusqu’à concurrence d’un plafond) et la rémunération moyenne des assurés sociaux. Le montant de la pension est ainsi largement tributaire du nombre d’années de cotisation validées et présente un aspect contributif marqué.

Contrairement aux régimes complémentaires obligatoires français, le nombre de points acquis au cours d’une période est calculé à partir des salaires perçus et non des cotisations versées.

En outre, le système a été complété par un système de décote-surcote matérialisé par un coefficient le « Zugangsfaktor » (8) traduisant l’écart entre l’âge de départ effectif à la retraite et l’âge légal, pour accompagner le relèvement de l’âge légal. Il reste ainsi possible de partir à 63 ans à condition de disposer d’une durée d’au moins 35 ans de cotisation, mais avec une diminution de la pension de 3,6 % par année manquante (0,3 % par mois).

Comme le remarque le Conseil d’orientation des retraites (COR) dans son étude de janvier 2010, la transition d’un régime à l’autre était d’autant plus simple que le régime allemand par annuités était calculé sur l’ensemble de la carrière et non sur un certain nombre de meilleures années. On pourrait également ajouter que le caractère intermédiaire entre régime par points et régime par annuités a été pour les salariés un facteur de lisibilité important au moment de la réforme en Allemagne qu’il a ainsi passablement facilitée. Par ailleurs, l’État finance intégralement les dispositifs de solidarité, la part non contributive, mis à la charge du régime de retraite. Des réserves financières, correspondant à un mois de service du régime, ont également été instituées.

Lors de leur audition par la mission, deux organisations syndicales se sont prononcées sur ce mode de calcul. M. Bernard Devy, de FO, a souligné que le système français articulant un régime de base en annuités et un régime complémentaire obligatoire par points présentait l’intérêt d’équilibrer les inconvénients comme les avantages de chacun des deux, et de réguler par la mutualisation les aléas d’une vie individuelle. M. Jean-Louis Malys, de la CFDT, a fait remarquer qu’un système par points peut être plus lisible, et plus propice à une meilleure maîtrise individuelle de ses choix de vie, tout en permettant d’envisager à terme une unification des régimes, mais que des réformes aussi importantes demandent d’être mûrement et longuement réfléchies.

Si nos deux interlocuteurs ont fait remarquer que le mode de calcul, qu’il soit par annuités ou par points ne modifie pas en soi la question de l’équilibre financier des régimes de retraite, le système par points présente l’intérêt immédiat d’une meilleure lisibilité et d’une compréhension plus claire, par l’assuré, de l’évolution ses droits à pension.

3. Des droits satisfaisants pour le conjoint survivant

L’Allemagne a mis en place, en 2002, un système de partage des droits à la retraite acquis pendant la durée du mariage, le « splitting », qui doit permettre d’atténuer les inégalités entre hommes et femmes mais qui, malgré son originalité, ne semble pas, par la place nouvelle qu’il donne aux couples mariés, correspondre à l’évolution de la situation et donc des besoins en France sur ce point. Mais les droits accordés en matière de réversion pour les veuves, les veufs et les orphelins en font une référence. Notre collègue Denis Jacquat, dans son étude sur le système de retraites allemand (9), évoque à cet égard un « miracle allemand ».

Les droits du conjoint survivant s’appliquent également aux partenaires homosexuels ayant conclu un contrat de partenariat, ce dernier comportant la plupart des droits reconnus, en Allemagne, aux couples mariés.

Le système allemand connaît deux formes de pension de réversion.

La pension de veuvage au taux minoré, si la ou le bénéficiaire a moins de 45 ans et n’a pas d’enfant, est accordée au survivant sans revenu professionnel pendant deux ans et pour 25 % de la pension à taux plein du conjoint décédé.

La pension de veuvage entière, accordée à partir de l’âge de 45 ans (porté progressivement à 47 ans de 2012 à 2029, parallèlement au report de l’âge légal de départ à la retraite), ou avant si le conjoint survivant a des enfants à charge. Elle ouvre droit à une pension de réversion de 55 % de la pension du conjoint décédé ou de la pension à taux plein à laquelle il aurait eu droit. Elle est complétée par une majoration dégressive par enfant, cette dernière mesure ayant été accordée en contrepartie de l’abaissement du taux de réversion de 60 à 55 % en 2001.

Si le conjoint survivant travaille ou dispose de ressources propres, la pension de réversion est réduite de 40 % du montant excédent un plafond de revenus (718 euros au deuxième semestre 2009, avec majoration de 152 euros pour chaque enfant ayant droit à la pension d’orphelin).

Ce système distingue donc les conjoints survivants jeunes, qui peuvent travailler, qui ne bénéficient dans ce cas que d’une pension de réversion incomplète, et d’un montant dégressif mais complété éventuellement des droits des orphelins, des conjoints âgés qui peuvent cumuler retraite personnelle et pension de veuvage. Les partenaires sociaux allemands sont très attachés à ces pensions de réversion qui assurent des droits suffisants aux veuves et aux veufs pour limiter la chute brutale de revenus qui suit le décès du conjoint et une rupture de leurs conditions de vie, particulièrement pour les personnes jeunes ayant des enfants à charge.

4. Le développement de l’épargne retraite, les plans « Riester »

Après quelques tâtonnements, on l’a vu, au moment de leur mise en place, les contrats d’épargne retraite individuels connaissent un important développement. Un certain nombre d’aménagements ont été apportés au dispositif en 2005 qui ont notamment simplifié le processus de certification pour pouvoir bénéficier de l’aide publique et augmenté de 20 à 30 % la part du montant accumulé pouvant être liquidée en capital. La rente viagère peut être d’un montant mensuel progressif ou fixe à partir du début de son versement, qui intervient au plus tôt au moment où commence le versement de la retraite de base. L’institution qui verse la rente doit pouvoir garantir, au début de la phase de paiement, la présence du capital nécessaire. Il convient enfin de remarquer que les fonds ainsi constitués sont, majoritairement, investis dans des sociétés nationales.

Mais le caractère le plus novateur du système d’épargne retraite allemand est qu’il favorise surtout les familles à revenus modestes, à l’inverse des divers plans d’épargne complémentaire introduits dans certains pays d’Europe, dont la France. C’est ainsi que pour un couple ayant deux enfants et un seul revenu de 25 000 euros annuels, pour 1 000 euros épargnés (4 % du revenu annuel), la prime d’État pour constituer le plan d’épargne peut atteindre, en fonction de la date de naissance des enfants, 91 % du montant (908 euros). N’est-ce pas là une source d’inspiration pour la mise en place, en France, d’une forme de livret d’épargne retraite populaire qui permettrait de développer un système de retraite supplémentaire unifiant et simplifiant les multiples régimes d’épargne retraite facultatifs, collectifs ou individuels, introduits avec beaucoup de créativité mais un impact limité depuis de nombreuses années, sous différentes majorités politiques ?

2. Les Pays-Bas : un archétype « beveridgien »

Le caractère universel et simple du régime des retraites aux Pays-Bas reposant, pour le premier pilier, sur la solidarité nationale et financé par l’impôt, complété par des régimes professionnels par capitalisation, le deuxième pilier, et une composante d’épargne individuelle, le troisième pilier, en fait une parfaite illustration d’une approche la plus rationnelle possible de la question des retraites. Sa forme actuelle est relativement récente, même si le régime date de 1956 et ne se présente pas comme une cristallisation de strates successives de réformes plus ou moins abouties, qui rend souvent si complexe la lecture des systèmes de retraites européens, français compris.

Le premier pilier des pensions de retraite de l’assurance vieillesse, l’Algemene ouderdomswet (AOW) (10), géré et contrôlé par l’État, n’est pas lié à la carrière professionnelle. Il est universel en effet : ses prestations forfaitaires bénéficient à toutes les personnes ayant résidé aux Pays-Bas entre 15 et 65 ans, lorsqu’elles sont âgées de 65 ans ou plus, sans conditions de ressources ni d’activités et sont indexées sur le salaire minimum.

Le régime fonctionne selon le principe de la répartition et est financé par une cotisation à la charge des assurés âgés de moins de 65 ans dont l’assiette est constituée de l’ensemble des revenus imposables composant la première tranche du barème de l’impôt sur le revenu et est plafonnée à 18,25 %. Le montant de l’allocation pour un célibataire est de 70 % du salaire minimum net et pour un couple (marié ou partenaire d’un contrat d’union) du salaire minimum net, soit deux fois 50 %.

Le nombre de bénéficiaires de la pension publique de base à la fin de 2008 était d’environ 2,7 millions et le montant des dépenses engagées pour la même année de près de 27 milliards d’euros (4,4 % du PIB). Les recettes étant de 20,3 milliards d’euros, le déficit est actuellement couvert par le budget général et donc par les impôts des retraités qui se financent ainsi eux-mêmes, ce qui fait l’objet de controverses aux Pays-Bas.

Le régime de base d’assurance vieillesse AOW est complété par des régimes de retraite professionnels fonctionnant selon le principe de la capitalisation : c’est le deuxième pilier. Ces fonds de pension couvrent, séparément, les salariés des secteurs publics, fonctionnaires compris, et privés, soit près de 95 % des actifs, dont les cotisations sont principalement payées par l’employeur. Ce qui fait de ce second pilier un régime quasiment obligatoire, bien qu’il n’existe pas en soi de dispositif légal l’imposant aux employeurs. Il est intégré aux conventions collectives. Les fonds disposaient, à la veille de la crise, de réserves très importantes investies initialement aux Pays-Bas, puis largement aussi à l’étranger, la composition du portefeuille d’actifs ayant suivi l’orientation générale, les obligations extrêmement majoritaires jusqu’au début des années 1980 ayant progressivement cédé la place à des placements plus diversifiés, plus rentables mais aussi plus exposés.

Leur puissance a longtemps permis aux Pays-Bas d’envisager avec une relative sérénité les projections de financement des retraites à moyen et long terme. La détention d’un portefeuille de plus en plus important par les fonds de pension a eu pour principale conséquence d’accroître la part des produits financiers dans les recettes courantes et de permettre de stabiliser ou de diminuer les appels de cotisations et donc des prélèvements sur les employeurs et les salariés.

Les fonds de pension sont organisés et pilotés par les partenaires sociaux qui décident si ces régimes professionnels sont d’entreprise (12 % correspondant à de grandes entreprises comme Philips), ou de branche (76 %).

Les caisses de retraite d’entreprise sont des fonds de pension extérieurs à l’entreprise, constituées dans l’unique but de gérer les capitaux accumulés au profit des salariés d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises. Les caisses de retraite de branche en sont l’équivalent pour les branches. Ces caisses restent très nombreuses, environ 750 dont une centaine de branches fin 2006, mais la tendance, accélérée par la crise, est au regroupement et au changement d’échelle. Enfin, des assurances-vie de groupe représentent les contrats conclus entre une petite entreprise et une compagnie d’assurance-vie pour couvrir ses engagements en matière de retraite, il existe 46 000 dispositifs de ce type.

Les régimes complémentaires sont pour la grande majorité des salariés, 94 %, à prestations définies, spécificité néerlandaise là aussi, on l’a remarqué, et calculées pour 77 % d’entre eux sur le salaire moyen de la carrière complète, avec souvent une valorisation de l’ancienneté et pour 10 % seulement sur le dernier salaire, moins de 6 % sont à cotisations définies. Les pensions du deuxième pilier sont indexées pour la moitié d’entre elles par rapport aux salaires et pour 27 % par rapport aux prix. Les droits son transférables en cas de changement de travail.

En 2009, les ressources du deuxième pilier étaient de 23,7 milliards d’euros pour 23,2 milliards de dépenses (3,9 % du PIB). La capitalisation globale des régimes complémentaires professionnels était de 638 milliards d’euros soit 107,1 % du PIB alors qu’elle était de 18,7 % du PIB en 1950.

Pour une carrière d’une durée de 40 ans, l’objectif visé en matière de pension est un taux de remplacement du dernier salaire de l’ordre de 70 %, y compris la pension servie par le régime de base AOW, qui constitue une sorte de franchise. Les régimes de retraite du deuxième pilier, intégrés à l’ensemble, versent donc en fait une pension différentielle.

Pour faire face aux risques de la capitalisation, les caisses de retraites sont tenues de disposer de réserves à hauteur de 105 à 125 % de leurs engagements. L’État et la Banque centrale veillent au respect des différentes règles structurant le deuxième pilier, depuis la transparence et la viabilité des régimes professionnels jusqu’à l’égalité hommes femmes ou à l’absence de discrimination liée à la nature du contrat de travail.

Le troisième pilier assure une retraite complémentaire individuelle, sous forme de rente viagère, par l’assurance vie ou l’épargne retraite. L’affiliation y est par nature facultative. Il est surtout utilisé par les auto-entrepreneurs, qui n’ont pas accès aux régimes complémentaires d’entreprises. Les recettes en 2009 étaient de 6,3 milliards d’euros pour 7,7 milliards de dépenses (1,2 % du PIB) et la capitalisation globale de 303 milliards d’euros (60 % du PIB).

L’impact de la crise économique et financière pèse surtout sur les caisses de retraite du deuxième pilier, menaçant le taux de couverture des réserves. Le calcul de plus en plus répandu des prestations sur le salaire moyen et non sur le dernier salaire en a amorti l’impact. Ressources en baisse, placements en actions plus exposés, taux de couverture inférieur au pourcentage légal, le gouvernement a dû accorder des délais de redressement des comptes, passés d’un à cinq ans. Le caractère privé des fonds de pension limite cependant l’action des pouvoirs publics qui se sont plutôt tournés vers des réformes du régime du premier pilier, relevant directement de lui. La crise, servant de catalyseur, l’a conduit à proposer des mesures prenant en compte l’évolution démographique et stabilisant les dépenses.

La première est de porter l’âge légal de départ à la retraite de 65 à 67 ans en 2025 dans le premier pilier qui relève de la seule décision publique, mais aussi dans le deuxième où un accord des partenaires sociaux, hostiles, est nécessaire. Mais en contrepartie, seraient pris en compte la pénibilité, les carrières longues (au moins 42 ans) et un échéancier de mise en place afin de maintenir une certaine équité dans l’accès aux prestations. Les partenaires sociaux semblent, pour ce qui les concerne, être parvenus à un accord portant l’âge de départ à 66 ans en 2020, et à 67 ans en 2025, pour les deux piliers, mais la chute du gouvernement et la préparation des élections législatives du 9 juin 2010 suspendent pour le moment toute décision concrète.

Enfin, la suppression en 2005 des systèmes de retraite anticipée, a permis d’augmenter le taux d’emploi des seniors de 8 %.

On notera que la somme des dépenses nationales de retraite pour les trois piliers, et donc pour tous les régimes publics et privés confondus, atteint ainsi, en 2009, 9,5 % du PIB. Leur croissance est rapide et confirme le rapprochement des différents régimes de retraites européens, indépendamment de leurs structures initiales, confrontés aux mêmes problèmes démographiques et macro-économiques.

Comme la France, le gouvernement des Pays-Bas a mis en place, dès 1998, un fonds de réserves pour contenir le coût du régime public et le répartir sur plusieurs générations, « AOW-spaarfonds » permettant de préfinancer une fraction des engagements du régime AOW. C’est un compte spécial d’épargne alimenté par le budget de l’État et investi en obligations. Il bénéficiait à sa création d’une fraction de la diminution de la dette publique et de la réduction du service de la dette.

Les réponses politiques ne sont pas, elles non plus, si éloignées des nôtres, dans un cadre où la recherche du consensus doit s’articuler avec la nécessité d’assurer la viabilité à long terme, et la sauvegarde à court terme, des systèmes de pension. Aux Pays-Bas, où existe pourtant, au moins autant qu’en Allemagne, une forte tradition de concertation et de recherche d’accord avec les partenaires sociaux, les rendez-vous sur les retraites prévus en 2010 ne se préparent pas non plus sans tensions ni difficultés.

B. UNE ÉTUDE DE TERRAIN EN FINLANDE, SOURCE D’UNE RÉFLEXION ENRICHISSANTE SUR LE CAS FRANÇAIS

1. Le système de retraites finlandais et ses réformes

a) Un contexte économique et social associant bien-être et économie compétitive

Le déplacement de la mission en Finlande n’avait pas pour objet la recherche de solutions toutes faites pour la France, par exemple dans le domaine de l’emploi des seniors, mais plutôt de tenter de comprendre quelles conditions rendent possible les réussites finlandaises en matière de qualité de la vie sociale. La cohérence interne du modèle dans la durée est ici peut-être plus frappante que dans d’autres pays européens, comme la France ou l’Allemagne, où les systèmes de protection sociale sont le résultat contesté d’une histoire politique ancienne et assez sujette aux évolutions contradictoires.

Indépendante depuis 1917, encadrée de deux puissants voisins, la Suède et la Russie dont elle a tour à tour dépendu, la Finlande s’est forgé une forte personnalité nationale, que l’on retrouve dans les différents aspects de son organisation politique et sociale. Le volontarisme dynamique, qui a transformé en un siècle un pays agricole en centre industriel, la croissance de l’industrie y étant la plus rapide de l’Europe de l’entre-deux-guerres, se retrouve dans la gestion des questions du travail et de la protection sociale.

Le rapide développement économique s’est articulé autour de trois grands cycles de croissance dont l’histoire a structuré la production finlandaise d’aujourd’hui. Le premier, fondé sur les riches ressources forestières du pays, boisé à 70 %, remonte aux années 1870, bois de scierie, pâte à papier – avec déjà Nokia, né il y a 140 ans dans la ville éponyme du centre du pays – et papier, ces derniers surtout destinés au marché russe. Le deuxième est apparu dans les années qui suivirent l’indépendance. Il a été marqué par la réorientation des exportations vers l’Occident et le développement de la métallurgie (cuivre). Le troisième cycle, à l’issue de la seconde guerre mondiale s’est appuyé sur l’industrie mécanique et les chantiers navals, dont le groupe Koné est le symbole.

La Finlande a parallèlement connu d’importantes réformes agraires depuis l’indépendance, qui ont également modifié en profondeur l’organisation de ce secteur de l’économie, structuré depuis les années 1950 en de multiples petites exploitations. La forte politique de subventions qui avait pour objet de maintenir une activité considérée comme essentielle à la sécurité nationale a dû être amendée lors de l’entrée du pays dans l’Union européenne. Pourtant, de façon très symptomatique, si l’impact sur la taille et le nombre d’exploitation a été important, il a été possible de préserver une agriculture de type « biologique » et une spécialisation s’appuyant sur des subventions maintenues avec discernement.

Mais c’est avec l’ouverture du pays sur la mondialisation, concomitante de la crise des années 1990 consécutive à l’implosion du bloc de l’Est, jusque-là partenaire déterminant de la Finlande, que les ressorts qui structurent la société finlandaise ont pleinement joué. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication, portées par le groupe Nokia à l’activité, on l’a vu, protéiforme, ont assez nettement transformé le paysage industriel du pays en l’ouvrant largement à l’électronique. Et la création, en 1991, de Linux par le jeune Finlandais Linus Torvalds, symbolise bien le mélange d’esprit d’entreprise et de sens de la coopération qui a permis le dépassement de cette période d’incertitude.

Regroupements bancaires (banque Nordea), ouverture massive du capital des sociétés finlandaises, concentration et délocalisation des usines du premier âge industriel mais croissance des industries de l’information, les grandes tendances de l’économie mondiale n’épargnent pas un pays très inséré dans différents créneaux importants de la division internationale du travail. Il a su cependant, jusqu’à la crise qui permet aujourd’hui de tester le modèle finlandais au même titre que le modèle français, s’adapter et conserver son statut d’État industriel prospère. La Finlande avait encore, au début du mois de mai 2010, l’un des taux d’emprunts d’État à dix ans les plus bas de la zone euro (2,9 %).

Cette capacité d’adaptation s’appuie sur la conscience profondément ancrée d’avoir su mettre au point, nationalement, les bases d’une société de bien-être qu’il convient de défendre et de restaurer lorsqu’elle est, comme ce fut le cas il y a moins de vingt ans, fortement ébranlée.

Sur différents points importants de la vie sociale, la Finlande, comme ses voisins nordiques, a su déterminer des règles largement favorables à la population.

En matière de logement, un système de prêts aidé a, dès l’après-guerre, encouragé l’accession à la propriété, dans un cadre relativement planifié (les logements « Arava », du nom du fonds national d’aide au logement), favorisant la qualité de la construction et son intégration dans le tissu local de l’habitat, l’ensemble étant complété par des règles originales en matière de gestion des co-propriétés. Plus de 70 % des logements sont ainsi occupés par leurs propriétaires, niveau nettement au-dessus de la moyenne européenne, le parc locatif, social ou privé n’étant pas apparu comme le mieux à même de satisfaire les attentes, dans le domaine du logement, de la majorité des citoyens.

Mais c’est l’éducation qui est sans doute l’explication la plus simple de l’adaptation rapide des Finlandais aux évolutions économiques brutales de ces deux dernières décennies. N’ayant pu se constituer en État national que tardivement, l’éducation a joué un rôle de premier plan dans le renforcement de l’identité du pays, et d’abord autour de la langue finnoise majoritaire, tout en réservant une place spécifique au suédois. La foi dans l’éducation comme vecteur de l’ascension sociale est un autre élément de la place centrale qu’occupent aujourd’hui l’éducation, la recherche fondamentale et la formation tout au long de la vie, qui bénéficient d’investissements importants. L’école de base qui regroupe la scolarité primaire et du premier cycle du secondaire, comme le lycée qui suit, l’école professionnelle - l’apprentissage en entreprise est relativement peu développé - et l’université sont gratuits. En outre, le traditionnel repas gratuit pour tous les élèves à l’école, la prise en charge du matériel pédagogique comme les aides à la formation versées à chaque étudiant montrent l’étendue de la prise en charge collective du système scolaire. Un certain idéal égalitaire de l’État providence finlandais semble donc continuer de se matérialiser dans le domaine de l’éducation. Paradoxalement, une étude récente fait apparaître les élèves finlandais comme les moins heureux à l’école en Europe, sans que les résultats, 60 % de bacheliers, formations supérieures générales ou professionnelles suivies, s’en ressentent : 40 % des 25-34 ans avaient un diplôme d’enseignement supérieur en 2006. Cependant, les entretiens de la mission à Helsinki ont laissé apparaître une certaine inadaptation des formations universitaires générales au détriment de diplômes professionnels mieux adaptés aux besoins de l’économie et permettant une entrée plus précoce dans la vie active. Les études supérieures commencent relativement plus tard qu’en Europe, autour de 20 ans, et il n’est pas rare que l’entrée sur le marché du travail se fasse à près de 30 ans, ce qui influera à terme assez fortement sur l’équilibre du système de retraites.

Anticipant les sommets européens des années 2000, la Finlande s’est appuyée sur son puissant système scolaire pour relancer son économie au milieu des années 1990 par la construction d’une société fondée sur la connaissance, la part du PIB consacrée aux activités de recherche et développement atteignant 3,5 % en 2007, pour 3,2 % de l’emploi total - les seuls chercheurs représentant 2,1 % de l’emploi total en Finlande… - mettant ce pays, avec la Suède très largement en tête du classement européen.

Les conditions de travail sont, elles aussi, inspirées par l’État providence. Avec une échelle de salaire encore assez resserrée - un cadre de l’industrie gagnant en moyenne le double d’un chauffeur de bus, et un médecin le double d’un instituteur -, un temps de travail moyen autour de 37,5 heures, un mois de congés payés en été et un semaine en hiver,des indemnités chômages s’élevant à 60 % du salaire précédent et jusqu’à 90 % pour les bas salaires, une forte syndicalisation traditionnelle mais s’appuyant aussi sur la gestion des principales caisses d’assurance chômage par les syndicats, un puissant tissu associatif très influent pour défendre les droits de ses adhérents, une médecine du travail structurée par l’Institut finlandais de santé au travail créé en 1945 et couvrant avec une autorité reconnue 90 % des salariés, la Finlande présente effectivement tous les critères de la conception nordique du bien-être au travail.

Enfin, les dépenses de sécurité sociale représentaient environ 26 % du PIB en 2006 ce qui parmi, les pays nordiques, plaçait la Finlande derrière la Suède et le Danemark mais devant la Norvège et l’Islande et en Europe, au même niveau que l’Italie et le Royaume-Uni. Ces dépenses sont financées à 40 % par les cotisations patronales, 10 % par les cotisations salariales, 25 % par les recettes fiscales de l’État et 20 % par les impôts locaux.

L’assurance maladie assure la couverture de tous les Finlandais. L’accès aux soins est organisé au niveau local, autour d’un réseau de centres de soins et d’hôpitaux gérés par les communes. Outre la prise en charge d’une partie importante de l’ensemble des frais médicaux, les dépenses de toute personne faisant appel à la médecine publique sont plafonnées annuellement.

Dernier pilier de cet exemple très cohérent d’un État providence nordique, le dispositif de retraites finlandais a été assez significativement réformé en 2005, afin d’en assurer la viabilité.

b) La réforme des retraites de 2005

Les données comme les projections démographiques de la Finlande montrent un vieillissement assez rapide de la population et donc une évolution du rapport entre actifs et retraités là aussi assez défavorable à moyen terme. La part de la population âgée de 15 à 64 ans, qui est stabilisée autour de 67 % depuis 1990 devrait être ramenée à 58 % en 2030, alors que les personnes âgées de 65 ans et plus passeraient pour la même période de 14 % à 26 % soit presqu’un doublement. Ce taux de croissance pour les vingt prochaines années est même le plus rapide d’Europe.

Les partenaires sociaux, suivant la pratique nordique, se sont emparés assez tôt de la question, dès que les conséquences de la crise profonde du début des années 1990 ont commencé à se résorber. En 2002, les grands principes de la réforme étaient arrêtés, pour entrer en application en 2005.

Le système de retraite finlandais actuel créé en 1962, s’inscrivait dans une logique beveridgienne de couverture de l’ensemble de la population contre le risque vieillesse, sur la base d’une pension d’un régime public universel, accordée sous condition de résidence (40 ans à partir de l’âge de 16 ans pour un taux plein) et non pas de cotisation, et de régimes contributifs complémentaires d’entreprises gérés par des fonds de pension organisés en grandes branches professionnelles, avec l’objectif, comme aux Pays-Bas, ou dans les pays nordiques structurés autour d’un État providence, de garantir aux retraités un niveau de vie équivalent à celui qui était le leur pendant leur vie active.

Des réformes ont successivement aligné en 1993 les régimes de pension du secteur public, dont l’âge légal de départ à la retraite est ainsi passé de 63 à 65 ans, sur celui, moins favorable, du secteur privé puis modifié en 1996 le calcul du salaire de référence, porté des quatre aux dix meilleures années et introduit une condition de ressources pour déterminer le montant de la prestation de la retraite publique, jusque-là forfaitaire.

Parallèlement à l’adhésion de la Finlande à l’Union européenne, les organismes de retraite gérant les fonds de pension ont été autorisés à augmenter leur marge de solvabilité et donc à pouvoir réaliser des placements plus risqués mais plus rémunérateurs que les prêts aux employeurs qui étaient jusqu’à l’ouverture des marchés financiers leurs principaux investissements. Malgré les importantes réserves dont ils disposent encore et la relative prudence des placements opérés, l’acquisition d’actifs plus exposés n’a évidemment pas été sans conséquence sur le montant des fonds depuis le début de la crise financière. Les actifs des fonds de pension étaient à la veille de la crise fin 2007, de 72 milliards d’euros pour les quatre fonds principaux du secteur privé, et de 30 milliards d’euros pour les deux caisses du secteur public, leur gestion étant différente, en capitalisation pour les premiers ou en répartition avec fonds de lissage pour les seconds.

Les deux régimes versent des pensions de vieillesse à partir de l’âge légal, d’invalidité attribuables à partir de 16 ans, de chômage aux chômeurs de longue durée âgés, de retraite anticipée individuelle (supprimée en 2005), de retraite partielle et de réversion. À l’âge légal de départ à la retraite, 65 ans avant la réforme de 2005, les pensions de chômage, d’invalidité et de retraite anticipée individuelle sont converties en pension de vieillesse.

En apparence, mis à part l’âge légal, les règles semblent proches de celles appliquées en France, mais il convient de préciser que la part des pensions d’invalidité conduisant à une pension de vieillesse est très importante. En 2008, pour 1,4 million de bénéficiaires d’une pension, 1 million disposaient d’une pension de retraite, 287 000 d’une pension de réversion, 50 000 d’une pension de chômage de longue durée, mais 273 000 d’une pension d’invalidité (une même personne pouvant bénéficier de plusieurs pensions). Selon un représentant du patronat finlandais, en 2009, année record, le nombre de sorties du marché du travail avec une pension d’invalidité n’était pas loin d’approcher celui des bénéficiaires d’une pension de vieillesse. Cette croissance n’est peut-être pas sans lien avec la suppression des dispositifs de retraites anticipées. Les causes de ces pensions d’invalidité relèvent pour un tiers des troubles musculo-squelettiques, et pour un tiers des troubles mentaux.

L’ampleur de l’évolution prévisible des déséquilibres démographiques a poussé les partenaires sociaux, alors que l’environnement économique était redevenu plutôt favorable au début des années 2000, à renforcer la viabilité à long terme du système en en modifiant plusieurs paramètres. La pension nationale du premier pilier, déjà réformée par l’introduction d’une condition de ressources, se voit également appliquer un système de décote/surcote autour de l’âge pivot de 65 ans (où elle retrouve son taux normal).

Mais la réforme a touché essentiellement les pensions relevant du deuxième pilier, liées aux rémunérations. Elle était inspirée du modèle suédois en ce sens qu’elle établit un lien direct entre viabilité à terme et rapport démographique, tout en souhaitant satisfaire deux objectifs : garantir un niveau minimal de revenu aux personnes âgées et renforcer le caractère contributif de la pension, c’est-à-dire le lien entre les cotisations versées et la prestation. Pour cela, il était prévu de reculer l’âge effectif moyen de deux ou trois ans jusqu’en 2050.

La première mesure a consisté à mettre fin à la plupart des dispositifs de retraites anticipées qui répondaient au chômage massif du début des années 1990 (16,6 % en 1994, remonté à près de 10 % en 2010).

Un système de départ à la retraite « à la carte » de 63 à 68 ans, se substituant à l’âge légal de 65 ans a été mis en place, mais il est en fait fortement déterminé par le taux de l’annuité permettant le calcul des droits à pension. Le salaire est en effet pris en compte tout au long de la carrière, indexé à 80 % sur les salaires et à 20 % sur les prix. Le taux appliqué est 1,5 % de 18 à 52 ans, de 1,9 % de 53 à 62 ans et de 4,5 % de 63 à 67 ans inclus, enfin à partir de 68 ans, chaque mois travaillé est pris en compte au taux de 0,4 % soit 4,8 % annuels. L’année charnière de 62 ans qui correspond à la nouvelle limite d’âge de la retraite anticipée (60 ans avant la réforme) fait l’objet d’une décote de 0,6 % par mois manquant, soit 7,2 % pour l’année. Le système de forte décote appliqué à l’année manquante et de forte surcote après incite nettement à liquider ses droits à pension après l’âge légal de 63 ans.

En contrepartie du calcul de la retraite sur toute la durée de la carrière, un certain nombre de périodes non contributives ont été prises en compte. Les périodes de chômage, de maladie, de congé maternité ou parental et les années d’études sanctionnées par un diplôme ont été ainsi assimilées.

Un coefficient d’espérance de vie a également été introduit visant à maintenir la viabilité du rapport démographique en diminuant le montant des pensions versées pour une même durée d’assurance. Il est de 1, donc neutre pour les personnes nées en 1947 et atteignant l’âge de 63 ans en 2010, pour tomber à 0,8 pour celles nées en 1987, âgées de 63 ans en 2050. Le nombre de mois supplémentaires pour compenser l’impact de ce coefficient sur la pension versée sera alors de 32, soit près des trois ans retenus dans la réforme comme objectif de recul de l’âge du départ à la retraite.

Enfin, la pondération de l’indexation des pensions est l’inverse de celle des salaires portés au compte, de 20 % sur les salaires et de 80 % sur les prix.

Comme en Suède, la possibilité d’améliorer à court terme le montant des pensions par le système de surcote l’a rendu acceptable, tant par les syndicats que par la population, qui se sont ralliés au principe de travailler plus longtemps pour percevoir une pension plus élevée. De plus des mesures transitoires garantissent qu’est retenu jusqu’en 2011 le meilleur mode de calcul de la pension avant ou après la réforme. La pension moyenne était ainsi, fin 2008, de 1 263 euros, (soit 1 125 pour les femmes, et 1 437 pour les hommes). Globalement, sur ce montant, la part des pensions contributives était de 1084 euros et celle de la pension nationale de 155 euros, le reste relevant des pensions accordées au titre d’anciens combattants ou d’accidents du travail.

En février 2009 et malgré les mesures de 2005, le financement des retraites ne semblant plus suffisamment assuré sur le long terme, le gouvernement finlandais, en rupture avec la traditionnelle approche consensuelle des grandes questions sociales, a engagé les partenaires sociaux à faire des propositions crédibles pour accélérer le relèvement de l’âge moyen de départ effectif (59,8 ans en 2009). Un accord a été obtenu pour que l’objectif de trois ans initialement prévu pour 2050 soit avancé à 2025, l’allongement pour 2050 étant porté à 4,5 ans.

Mais les négociations confiées à deux groupes de travail et remettant en discussion une réforme relativement bien acceptée ont eu des résultats pour le moins contrastés. Une des suggestions initiales du gouvernement, le relèvement de 63 à 65 ans de l’âge légal, a été vigoureusement repoussée par les partenaires sociaux, dans des conditions similaires à celles que rencontrent les Pays-Bas pour le passage à 67 ans. De même, la proposition patronale de mettre fin, à terme, au système de préretraite pour les chômeurs de longue durée (le « tunnel du chômage »), n’a pas obtenu l’accord des syndicats qui estiment que les travailleurs âgés ne sont tout simplement plus en mesure de retrouver un emploi, et relèveraient alors d’une allocation minimale publique, transférant ainsi simplement la charge des entreprises à la collectivité. L’échec du groupe de travail chargé de ces questions ne semble pas devoir conduire à de nouvelles négociations décisives d’ici les élections législatives de 2011.

En revanche, le groupe de travail sur le bien-être au travail, présidé par M. Jukka Ahtela, directeur des affaires juridiques de l’organisation patronale - la Confédération des industries finlandaises, EK -, qui a accordé un entretien très détaillé à notre mission sur les questions de retraite, a abouti à un accord. Les mesures relatives à la santé au travail, l’emploi des jeunes peu ou pas diplômés, la formation continue et le maintien dans l’emploi des seniors ou des personnes relevant aujourd’hui des pensions d’invalidité sont en effet apparues aux acteurs syndicaux du groupe de travail comme des conditions aussi déterminantes, pour permettre l’allongement des carrières, que de nouvelles réformes des paramètres de la retraite, étudiées par le premier groupe.

2. Aux questions posées, des réponses qui refondent un pacte social

a) Un vieillissement actif

1. Le travail des seniors

Favoriser le travail des seniors dans des conditions satisfaisantes pour les salariés comme pour les employeurs a fait, on le sait, de la Finlande une référence. Si le taux d’emploi des travailleurs âgés lui-même reste inférieur à celui des pays où il est déterminé par le faible niveau des pensions, comme le Japon ou le Royaume-Uni, mais aussi par des raisons d’échelle, comme l’Islande, la Finlande est devenu un modèle par son rapide redressement.

En effet, le taux d’emploi des travailleurs âgés de 55 à 64 ans est passé d’environ 35 % en 1994 à près de 55 % aujourd’hui, contre un peu plus de 38 % en France en 2008 et 45,6 % pour l’ensemble des pays de l’Union européenne. L’objectif européen de 50 % en 2010 était franchi dès le milieu des années 2000. Il convient cependant de remarquer que pour la France, on observe une rupture nette entre la tranche d’âge 55–59 ans, où le taux est supérieur à 56 %, de la tranche 60–64 ans pour laquelle joue pleinement l’âge légal de départ à la retraite de 60 ans et où le taux tombe à 16 %.

Les particularités de la stratégie finlandaise dans le domaine du vieillissement actif sont doubles : la question y est abordée depuis longtemps et, surtout, de façon globale. L’objectif est assez pragmatiquement de maintenir plutôt que de réinsérer les seniors au travail dans un pays qui, comme la France, connaît depuis près de vingt ans un taux de chômage assez important. De vastes programmes de mobilisation sociale ont été lancés, parallèlement aux mesures en matière de retraite présentées dans le précédent paragraphe et tendant à limiter les départs, par la suppression de la plupart des dispositifs de retraites anticipés et par l’introduction d’un système de surcote attractif, auxquelles s’ajoutent le principe, assez généralement appliqué en matière de licenciement, du « dernier entré, premier sorti », et la mise à la charge des entreprises d’une partie des indemnités de chômage des salariés âgés de plus de 55 ans qu’elles ont licenciés et qui ne retrouvent pas d’emploi.

En plus du maintien des seniors au travail, les axes principaux de ces programmes visaient à faire accepter à l’opinion la prolongation de la vie active et à améliorer l’inclusion sociale des travailleurs âgés comme des retraités.

L’entretien et la promotion de la capacité de travail ont été mis en œuvre par l’Institut finlandais de santé au travail, qui s’est proposé de développer les actions dans quelques domaines principaux, la santé et les capacités fonctionnelles, l’adaptation de l’environnement physique et psychosocial de travail et les compétences.

Des programmes successifs ont été lancés depuis 1990 et ont fait l’objet de financements réguliers pour garantir dans la durée les mesures prises. Le premier, « respect du vieillissement », promu par l’Institut en 1990-1996, avait pour objectif de maintenir la productivité des travailleurs âgés en agissant, avec l’aide des importants services de médecine du travail, sur l’utilisation meilleure des capacités de travail. Il a été suivi du programme national pour les travailleurs vieillissants, en 1997-2002, puis du programme « Veto » (11) en 2003-2007, sous la tutelle du ministère des affaires sociales et de la santé. Ils visent à améliorer le statut des personnes âgées dans l’entreprise en s’attaquant aux dépréciations dont elles font l’objet et en insistant particulièrement, au-delà des questions de santé et d’aptitude physique, sur la formation professionnelle destinée aux seniors. D’importants objectifs ont été décidés dans ce dernier domaine, puisqu’il est envisagé de ramener la proportion des 50-64 ans n’ayant pas de diplôme de l’enseignement secondaire à 12 % d’ici 2025. Parallèlement, le ministère du travail lançait les programmes nationaux « Tykes » d’amélioration des lieux de travail portant plus particulièrement sur les conditions de travail elles-mêmes.

En période de crise, la notion de partage du travail entre juniors et seniors peut sembler généreuse. Or, elle est en fait inopérante et contreproductive. Les contre-performances françaises en matière d’emploi des juniors et des seniors trouvent sans doute là leur origine.

En effet, tous les pays ayant cette approche malthusienne de l’emploi ont échoué. Elle a déprécié le travail des seniors et de la main-d’œuvre âgée, rendant plus attractive la situation de jeune retraité actif dans le bénévolat que celle de vieux travailleur à qui l’ont fait sentir ses insuffisances chroniques. Cette dépréciation des seniors est un stéréotype souvent partagé par les plus jeunes dans l’entreprise, la discrimination par l’âge étant souvent devenu le principal facteur d’ajustement du marché du travail. Le paradoxe est que les mêmes arguments nuisent également aux juniors, la discrimination par l’âge à l’emploi jouant cette fois sur l’inexpérimentation des jeunes, par une inversion dialectique du reproche.

Cette analyse est constamment reprise, il faut s’en féliciter, par l’Association européenne des seniors « AGE », regroupant 150 organisations de personnes âgées de 50 ans ou plus et à laquelle participe la Confédération française des retraités, qui souligne combien les politiques de l’emploi ciblées sur un groupe d’âge sont perçues par les autres comme leur étant préjudiciable. Elle préconise donc des politiques de l’emploi qui favorisent le respect de l’âge sur le marché du travail, c’est-à-dire des mesures qui soutiennent toutes les personnes qui ont besoin ou envie de travailler, le resserrement des liens sociaux permettant d’améliorer l’égalité et la justice pour tous.

En l’absence de telles mesures, la dépréciation du travail aux deux extrémités de la vie professionnelle s’accompagne mécaniquement d’une surexploitation des générations intermédiaires, les seules productives, soumises à une pression forte qui est pour elles une source majeure du stress au travail régulièrement dénoncé. La Finlande et les pays nordiques savent incontestablement mieux respecter le collectif de travail, comprenant toutes les générations, en tant que régulateur à l’intérieur de l’entreprise.

De plus, l’âge n’est pas un facteur de baisse de rendement si les contraintes temporelles sont plus souples pour les seniors. L’utilisation en Finlande du temps partiel et des congés supplémentaires contribuent à prendre en compte le vieillissement des travailleurs dans l’entreprise. Les praticiens du vieillissement actif : responsable de services techniques municipaux, directeur des ressources humaines, concepteur de programmes, rencontrés par la mission à Helsinki ont témoigné de façon extrêmement vivante que l’entreprise est à même d’utiliser au mieux les capacités des travailleurs âgés.

En effet, le principal apport des programmes finlandais est d’avoir su convaincre les entreprises qu’elles avaient intérêt à disposer de seniors et à les accompagner. Car pour un employeur, comme l’a fait remarquer à la mission M. Kauko Nygren, directeur d’une société de travaux publics finlandais, une carrière longue n’est pas en soi un objectif, il faut aussi du personnel efficace. Tout repose donc sur les mesures d’accompagnement déterminées par les différents acteurs et sur leur confiance réciproque. Les Finlandais aiment se définir comme naïfs et simples. Il semble plutôt qu’ils appliquent avec assurance le : « ose savoir » d’Horace !

Les études et les publications sur l’emploi des seniors, dont celles de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT), se sont multipliées en France depuis plusieurs années, s’inspirant justement des bonnes pratiques observées ailleurs et notamment en Finlande. Ne devrions-nous pas passer aux travaux pratiques?

2. La prise en compte de la pénibilité

C’est dans ce cadre général de bien-être au travail, appuyé sur les études et les pratiques de ses nombreux groupes de travail spécialisés, institutionnels mais aussi au sein de l’entreprise, que la Finlande prend en compte la pénibilité du travail dans les réformes de son système de retraite, comme d’ailleurs la plupart des pays de l’Europe du Nord. En effet, il a été noté, dans la présentation des réformes engagées en Europe, que l’Espagne et l’Italie ont de cette question, en revanche, une approche assez voisine de la nôtre.

Sans aller jusqu’à la surprise de M. Takahiro Eguchi, professeur à l’université de Tsukuba au Japon, venu apporter à la mission un regard extérieur aux États européens, devant la notion même de traitement différencié des travailleurs en fonction de la pénibilité de leur métier, nos interlocuteurs finlandais ont tous souligné que la question ne pouvait se résumer à une prise en compte du problème au seul moment de la retraite, sauf à encourager en fait les mauvaises pratiques des employeurs.

La première difficulté, en France même, tient à l’inconvénient de donner une définition trop restreinte, ou trop large, des professions pénibles pour adapter l’âge de départ à la retraite au degré de pénibilité.

L’Institut de la santé au travail et le réseau efficace de la médecine du travail finlandais ont inversé la question en proposant des solutions tout au long de la vie professionnelle, comme l’a expliqué à la mission M. Juhani Ilmarinen. Cette sensibilisation de l’entreprise à la santé de ses salariés pendant toute leur carrière correspond d’ailleurs aux observations que les représentants de la Confédération française des retraités ont présentées à la mission. Un des paradoxes de la prise en compte de la pénibilité pour calculer l’âge de la retraite est en effet d’exonérer les employeurs de leur responsabilité à l’égard de la santé de leurs employés, pour la confier à la collectivité et aux pouvoirs publics, chargés de réparer in fine les traumatismes créés par l’exercice des métiers difficiles.

L’approche individuelle finlandaise et, plus largement, des pays de l’Europe du Nord, semble la mieux à même de répondre aux multiples conséquences du travail sur la santé des salariés, indépendamment de leur âge, en s’appuyant sur une médecine du travail structurée et efficace. Mais il n’est sans doute pas inutile de rappeler ici que ces pays, et particulièrement la Finlande, mais aussi le Danemark et les Pays-Bas, ont en conséquence une forte proportion de bénéficiaires de pensions d’invalidité, souvent de longue durée, sans commune mesure avec celle observée en France. Ils sont donc naturellement sensibilisés à la question de la qualité des conditions de travail des seniors.

Mme Anne-Marie Guillemard soulignait, lors de son audition par la mission, que « la solidarité entre les générations est une longue chaîne, qui suppose la confiance dans le maintien des droits ; elle est donc fragile. Il faut combattre résolument le pseudoconflit intergénérationnel. La mise en place de politiques actives de l’emploi devrait rester neutre sur le plan de l’âge et insister sur le transfert de compétences et la formation, utiles à tout âge. »

Les programmes de vieillissement actif, s’ils sont résolument menés très en amont, rendent possible le maintien du niveau des pensions et donc de la confiance établie entre les générations. La prise en charge de cette question par l’ensemble de la société, certes conforme à une forte tradition de recherche d’un large consensus, est une des raisons des bons résultats finlandais. Ne serait-il pas là aussi souhaitable que le débat français qui s’instaure s’en inspire ?

b) Une utopie raisonnable

« La Finlande pour des personnes de tous les âges est un défi, mais pas une utopie », titrait un rapport publié en 2009 par les services du Premier ministre finlandais sur l’évaluation des effets du vieillissement et sur le caractère adéquat de l’anticipation des changements démographiques. Il soumet à la concertation les trois axes de réflexions et de réformes suivants : améliorer l’emploi et donc maintenir les seniors dans l’emploi tout en suscitant une entrée plus précoce des jeunes dans la vie active, renforcer l’efficacité des prestations du service public et mieux en évaluer l’impact au regard des coûts et faire de la politique de la santé le cœur de l’action gouvernementale.

Le document précise sagement que tout ne peut être garanti ou résolu maintenant et que l’incertitude forte en matière de viabilité des finances publiques rendrait peu réaliste d’attendre qu’une politique de long terme puisse être déterminée à travers une décision unique. Si la garantie des pensions et des services nécessaires aux personnes âgées est une nécessité, les mesures qui seront prises devraient s’inscrire dans la logique de celles déjà mises en place, prenant en compte l’espérance de vie et donc l’âge de départ à la retraite mais aussi l’évaluation régulière de la qualité des prestations, pour disposer de périodes de transition suffisantes avant d’appliquer des réformes fondées sur ces appréciations.

Il ne semble pas que ces objectifs d’utopie réalisable, qui autorisent le gouvernement finlandais à un certain optimisme dans le maintien d’un bon système de pension et de bien-être collectif sans imposer des charges déraisonnables à la population active, nous soient très étrangers. Le pacte social intergénérationnel que beaucoup souhaitent refonder en France même s’inscrit dans cet équilibre à réinventer pour accompagner le « bien-vieillir ».

TRAVAUX EN COMMISSION

La commission s’est réunie, le mercredi 2 juin 2010 à 17 heures sous la présidence de M. Pierre Méhaignerie, président, pour examiner le rapport d’information de M. Arnaud Robinet, député.

Le président Pierre Méhaignerie. Je remercie le rapporteur et les membres de la mission pour leur travail, qui va nous éclairer avant d’examiner le projet de loi réformant les retraites. Il est difficile aujourd’hui de légiférer sans connaître ce que font nos partenaires européens en matière de retraites au-delà même de la question de la compétitivité de notre économie et de nos entreprises.

M. Arnaud Robinet, rapporteur. La création de notre mission d’information, il y a quelques mois, s’inscrit dans le cadre des comparaisons internationales qui est devenu la règle, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, dans tous les grands domaines économiques et sociaux, et particulièrement dans ceux de la protection sociale et des retraites. C’est le cas, par exemple, des rapports sur les lois de finances ou de financement de la sécurité sociale, qui comportent de plus en plus souvent une partie consacrée à l’étude des systèmes ou des secteurs équivalents dans l’Union européenne.

En effet, de nombreux États européens ont été conduits, depuis vingt ans, à reconsidérer et à remodeler les différents systèmes de retraite dont ils disposent, afin d’en garantir la pérennité. Ces réformes se sont effectuées sous la double contrainte de l’évolution démographique et de la compatibilité de besoins de financements croissants avec le maintien de leur compétitivité, dans une économie mondialisée.

La crise financière de 2008, devenue depuis économique et sociale, a évidemment un impact très net sur les différents régimes de retraite, en tout premier lieu sur ceux fondés sur le système de la capitalisation. La valeur des investissements des fonds de pension a chuté brusquement et si la situation s’est partiellement rétablie depuis, elle reste pourtant – comme en témoigne l’actualité – pour le moins fragile.

Il nous est, néanmoins, apparu nécessaire d’engager une réflexion qui, devant être menée sur le très long terme, doit tenter de relativiser les effets de la crise pour permettre d’envisager des mesures à même de garantir la solidarité entre actifs et retraités.

Le sujet des retraites en Europe est extrêmement vaste et documenté. La difficulté principale ne vient donc pas de l’insuffisance, mais plutôt de la surabondance des informations.

Et ces informations sont, à vrai dire, souvent contradictoires : non seulement comme on pourrait s’y attendre, les analyses traduisant les vues politiques de leurs auteurs, mais également les données publiées – ce qui est plus surprenant mais s’explique cependant par l’extrême diversité des outils statistiques. De plus, les données comparables disponibles sont rarement postérieures à 2008, ce qui n’influe pas sur la présentation des grandes tendances en terme de besoins de financement, mais rend particulièrement délicate l’analyse de leur contexte économique. L’exemple de l’Islande, qui était naguère citée comme une référence en termes d’investissements dynamiques, illustre assez bien la difficulté de tirer des conclusions durables dans ce domaine.

Comme vous le savez, l’OCDE, l’Union européenne, l’Association internationale de la sécurité sociale, le Conseil d’orientation des retraites (COR), la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), l’Observatoire des retraites mais aussi les sites officiels nationaux présentent, de façon plus ou moins exhaustive, les systèmes de retraite en vigueur en Europe. Ces informations nourrissent pleinement cet échange d’expériences que Mme Karniewicz, présidente du conseil d’administration de la CNAV, estimait, lors de son audition par la mission, indispensable à l’élaboration de toute politique de protection sociale.

La mission s’est donc attachée à proposer une présentation très synthétique des différents systèmes en vigueur dans l’Union européenne et des réformes qu’ils connaissent, plutôt qu’une compilation de données par pays. Nous l’avons complétée par une étude plus détaillée consacrée à trois États, qui ont fait l’objet d’auditions spécifiques ou de déplacement de la mission. Notre rapport s’est inspiré, bien sûr, de l’exposé liminaire de M. Hadas-Lebel, président du COR, dont l’audition avait inauguré les travaux de la mission. Les nombreuses auditions qui ont suivi – vous en avez la liste à la fin du rapport – nous ont permis, je crois, en comparant les points de vue, de mieux préciser les différents aspects de ce très vaste sujet.

La première partie du rapport présente une étude transversale de l’architecture et des modes de financement des régimes de retraite et de leur évolution. Il montre la place croissante que les États occupent dans leur gouvernance et leur sauvegarde. Il apporte des précisions sur l’élargissement ou la modification de l’assiette des cotisations sociales qui ont fait l’objet de nombreuses expériences mais aussi de multiples études, me conduisant à une réflexion plus large sur leurs conséquences économiques.

Les réformes engagées, qu’elles soient systémiques ou paramétriques, se fondent sur un constat souvent partagé, du moins implicitement, entre les partenaires politiques et syndicaux, sur les grandes tendances que dessinent les projections démographiques, économiques et financières. Elles comprennent aussi une évaluation d’un niveau de vie qui soit socialement satisfaisant pour les retraités.

Sur la base de ce constat commun, tous ne tirent évidemment pas les mêmes conclusions. Les conditions politiques de la réforme et donc la nécessaire continuité de mesures s’appliquant, par définition, sur de longues durées, ne sont pas toujours optimales. Les réformes elles-mêmes sont donc extrêmement variées, bien qu’il soit possible de distinguer quelques grands axes communs et parmi ceux-ci, à la veille de la crise, une tendance croissante à la capitalisation.

La crise aiguë que nous connaissons depuis deux ans a poussé beaucoup d’États européens à s’interroger sur la pertinence de nouvelles réformes des retraites dans un contexte aussi incertain. Il convient à cet égard de distinguer les mesures urgentes de sauvegarde, des décisions s’inscrivant dans la volonté d’assurer la viabilité durable des régimes de pension.

Je m’associe, quant à moi, à ce que rappelait Philippe Séguin, lors de la présentation à notre commission du rapport annuel de la Cour des comptes sur l’application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 : « Rien ne serait plus dangereux que de faire de la crise un prétexte pour différer les indispensables réformes de notre protection sociale et de son financement. »

La deuxième partie du rapport est consacrée plus particulièrement aux réformes des systèmes de retraites de trois États très représentatifs des différents régimes existant en Europe : l’Allemagne, les Pays-Bas et la Finlande.

La mission, dès sa constitution, s’est interrogée sur la difficulté de tirer des conclusions à partir d’exemples étrangers difficilement transposables. Chaque régime national de retraite s’insère, en effet, dans un cadre social cohérent, qui est le produit d’années d’expériences et de confrontations, mais aussi de réussites, dans toutes sortes de domaines comme la politique familiale, la santé, le handicap, l’emploi, les conditions de travail, l’éducation, la formation professionnelle qu’il est difficile d’apprécier isolément.

Ces éclairages variés permettent, je crois, d’ouvrir un questionnement enrichissant, mais pas de figer des préconisations. Nous débattons en ce moment des retraites en France, il m’a donc semblé qu’il serait inopportun pour notre mission de tirer des conclusions pendant que se mène la concertation.

Au-delà de cette approche comparative des systèmes de retraite européens, notre mission a également articulé ses auditions sur quelques questions précises, permettant d’en mieux apprécier la logique : l’emploi des seniors, la prise en compte de la pénibilité et les pensions de réversion. Ces questions s’inscrivent d’ailleurs pleinement dans notre débat national.

C’est pourquoi, il nous a semblé qu’il était cependant possible et enrichissant de tirer quelques enseignements des différentes solutions adoptées, sur tous ces points, en Allemagne et en Finlande.

S’agissant de l’Allemagne, le rapport insiste sur quatre points, tous réformés récemment. :

– le relèvement de l’âge légal de départ à la retraite introduit progressivement pour être porté à 67 ans en 2029, mesure qui s’accompagne d’une réflexion sur le rôle des salariés âgés et sur leur place dans l’entreprise ;

– l’introduction d’un régime par points directement relié au nombre d’années de travail et donc qui articule, en fait, annuités et points. Ce mode de fonctionnement tire son origine de la volonté de ne pas modifier le montant des pensions versées, lors de la transition, en 1992, entre l’ancien régime par annuité et le nouveau régime par points ;

– l’établissement de droits satisfaisants pour le conjoint survivant par un système de pension de réversion sous condition de ressources, favorable aux jeunes veuves. C’est un sujet de réflexion pour nous alors que, vous le savez, l’allocation veuvage telle que nous la connaissions doit disparaître à la fin de l’année et que la suppression progressive de la limite d’âge de la pension de réversion qui devait s’y substituer n’apparaît plus comme une solution adaptée et a été abandonnée en 2009 ;

– enfin, le développement de l’épargne retraite par les plans « Riester », dont le caractère le plus novateur est qu’il favorise surtout les familles à revenus modestes et qui concerne déjà 13 millions d’Allemands, à l’inverse des divers plans d’épargne complémentaire introduits dans certains pays d’Europe, y compris chez nous. Il me semble que ce pourrait être une source d’inspiration pour la mise en place, en France, d’une forme de livret d’épargne retraite populaire. Il permettrait de développer un système de retraite supplémentaire unifiant et simplifiant les multiples régimes d’épargne retraite facultatifs, collectifs ou individuels, introduits avec beaucoup de créativité mais un impact limité depuis de nombreuses années, sous différentes majorités politiques.

Le déplacement de la mission en Finlande avait lui pour objet principal d’étudier les facteurs ayant contribué à favoriser le travail des seniors dans des conditions satisfaisantes pour les salariés comme pour les employeurs. C’est le premier point abordé dans le rapport.

La politique menée dans ce domaine a fait, vous le savez, de la Finlande une référence. Si le taux d’emploi des travailleurs âgés lui-même reste inférieur à celui des pays où il est surtout déterminé par le faible niveau des pensions, la Finlande est devenue un modèle par son rapide redressement.

Le principal apport des programmes finlandais de développement du travail des seniors est d’avoir su convaincre les entreprises qu’elles avaient intérêt à disposer de seniors et à les accompagner. Car pour un employeur, bien sûr, une carrière longue n’est pas en soi un objectif, il faut aussi du personnel efficace. Tout repose donc sur les mesures d’accompagnement déterminées par les différents acteurs et sur leur confiance réciproque.

Le deuxième point abordé par la partie du rapport consacrée à la Finlande est un peu la contrepartie du précédent, puisqu’il concerne la prise en compte de la pénibilité.

C’est dans le cadre général du bien-être au travail que la Finlande prend en compte la pénibilité du travail dans les réformes de son système de retraite, comme d’ailleurs la plupart des pays de l’Europe du Nord, et contrairement à l’Espagne ou l’Italie qui ont de cette question une approche assez voisine de la nôtre.

Sans aller jusqu’à la surprise de M. Eguchi – professeur japonais venu apporter à la mission un regard extérieur aux États européens – devant la notion même de traitement différencié des travailleurs en fonction de la pénibilité de leur métier, nos interlocuteurs finlandais ont tous souligné que la question ne pouvait se résumer à une prise en compte du problème au seul moment de la retraite, sauf à encourager en fait les mauvaises pratiques des employeurs.

L’Institut de la santé au travail et le réseau efficace de la médecine du travail finlandais ont inversé la question, en proposant des solutions tout au long du parcours professionnel. Cette sensibilisation de l’entreprise à la santé de ses salariés pendant toute leur carrière correspond d’ailleurs aux observations que les représentants de la Confédération française des retraités ont présentées à la mission. Un des paradoxes de la prise en compte de la pénibilité pour calculer l’âge de la retraite est justement d’exonérer les employeurs de leur responsabilité à l’égard de la santé de leurs employés, pour la confier à la collectivité et aux pouvoirs publics, chargés de réparer in fine les traumatismes créés par l’exercice des métiers difficiles.

L’approche individuelle finlandaise et, plus largement, des pays de l’Europe du Nord, me semble aujourd’hui la mieux à même de répondre aux multiples conséquences du travail sur la santé des salariés, indépendamment de leur âge et donc de la pénibilité.

Les programmes de vieillissement actif, s’ils sont résolument menés très en amont, rendent possible le maintien du niveau des pensions et donc de la confiance établie entre les générations. La prise en charge de cette question par l’ensemble de la société est certes conforme à une forte tradition de recherche d’un large consensus et une des raisons des bons résultats finlandais. Mais ne serait-il pas souhaitable, là aussi, que le débat français s’en inspire ?

La question du « bien-vieillir » est devenue également cruciale dans tous les pays d’Europe, et ce n’est pas un hasard si cinq missions concomitantes de la commission des affaires sociales en traitent plus ou moins directement.

La situation des personnes âgées ou vieillissantes, la reconnaissance de leur rôle social symbolisent une civilisation. Mme Anne-Marie Guillemard soulignait, lors de son audition par notre mission, que « la solidarité entre les générations est une longue chaîne, qui suppose la confiance dans le maintien des droit ; elle est donc fragile. » Elle ajoutait qu’il faut « combattre résolument le pseudo-conflit intergénérationnel. » Il nous appartient clairement, je crois, de contribuer à refonder ce pacte social nécessaire pour resserrer les liens intergénérationnels, qui sont seuls à même d’assurer une approche sereine des réformes à venir de nos régimes de retraite.

M. Jean-Luc Préel. Je remercie le rapporteur pour son travail car il apparaît important d’étudier les exemples des réformes menées par différents pays européens au moment où nous menons une réforme de notre propre système. En effet, le constat de la nécessité d’une réforme des retraites s’est imposé à tous les pays pareillement confrontés à un problème démographique, le papy-boom, mais aussi, comme le relève le rapport, à une diminution de la vie active, un phénomène souvent peu pris en considération. La réforme systémique est longue et complexe et elle ne résout pas tous les problèmes, mais n’est-il pas urgent de s’y atteler dès lors que tous les pays ont déjà engagé de véritables réformes de fond ?

Au sujet du rapport, je ferai trois remarques. La question de la TVA sociale, qui ne pèse pas sur la production, me paraît intéressante, mais je regrette de ne pas en retrouver un développement dans les conclusions. De même, la partie du rapport consacrée à l’indexation des pensions relève, ce qui est d’ailleurs rarement remarqué, que la consommation en matière de transport, de logement, d’énergie ou d’alimentation diffère selon l’âge de la personne et donc que l’index des prix des produits consommés par les retraités pourraient être différent de celui de l’ensemble de la population. Il serait donc satisfaisant, là aussi, d’avoir des propositions en ce sens. Enfin, la recherche d’un consensus national, au moins sur les principes de base, ne me paraît pas impossible, dès lors que les données démographiques et les conclusions des travaux du Conseil d’orientation des retraites sont connues de tous. Je conclurai ces propos en vous faisant part d’une certaine frustration : de toutes ces comparaisons, aucune conclusion, aucune proposition dans le rapport n’apparaît clairement. Je serais heureux que le rapporteur en établisse, par exemple, sur l’urgence de la réforme, la recherche d’un consensus, le régime universel ou le système en comptes notionnels.

M. Jean Mallot. Je tiens à féliciter la mission d’information et son rapporteur pour le travail accompli. Ce rapport est intéressant, car il dresse un panorama des différents systèmes de financement des retraites dans les vingt-sept pays de l’Union européenne. Il semble naturel que le responsable de l’UMP pour les retraites ait eu à cœur d’approfondir la question du financement de celles-ci en Europe pour préparer le débat à venir en France.

Le rapport de la mission d’information démontre que la comparaison entre les différents systèmes en vigueur dans les États européens demeure difficile. En effet, la même notion recouvre des réalités différentes selon les pays. Par exemple, lorsque l’on parle d’âge légal de départ en France, il s’agit d’un âge de droit au départ à la retraite, alors qu’en Allemagne, il s’agit davantage d’un âge butoir. En pratique, les âges moyens de départ réels sont proches dans les deux pays, autour de 61 ans.

Bien que le rapport présente clairement les différents systèmes et les leviers de réforme mis en œuvre, je ressens une frustration à sa lecture, car il ne formule aucune proposition. Or, des descriptions des différents systèmes de retraite ont déjà été effectuées. Lorsque sont abordés les systèmes allemands, finlandais, on s’attend à ce que soient développées des propositions pour la France. Ainsi, s’agissant du mode de prise en compte de la pénibilité en Finlande, au-delà de la préférence du rapporteur pour une approche individualisée, nous souhaiterions d’autres développements pour notre pays. Le système devrait-il être médicalisé, standard, objectif ? Nous sommes déjà dans le temps du débat et non plus dans celui des grands principes, bien que nous attendions toujours les propositions du Gouvernement. Pour l’heure, seules les propositions du parti socialiste sont connues et alimentent le débat. Elles sont d’ailleurs bien reçues par l’opinion.

M. Jean-Luc Préel. L’idée de la retraite à 50 ans est évidemment bien reçue !

M. Jean Mallot. Au-delà de la caricature, le débat français pourrait être utilement éclairé par les travaux qui ont été menés par la mission d’information, notamment, je l’ai rappelé, sur le traitement de la pénibilité en Finlande, si vous proposiez des recommandations. J’aurai deux observations supplémentaires à formuler.

En premier lieu, le rapport de la mission apporte des éléments de nuance par rapport à la politique menée par la majorité. Il aborde en effet la question de la TVA sociale en vigueur au Danemark et rappelle qu’en « 2007, le pourcentage des recettes fiscales par rapport au PIB continuait de placer le Danemark avec la Suède en tête des pays de l’OCDE avec un taux de 50 % », l’impôt sur le revenu en représentant la part la plus importante. Les Danois ne fuient pourtant pas leur pays et il n’existe pas au Danemark de rigoureux bouclier fiscal. De la même façon, le rapport note à propos de la Suisse que : « le civisme qui caractérise ce pays prévoit en outre que les personnes n’exerçant pas d’activité lucrative doivent également payer des cotisations dont le montant dépend de la fortune ou du revenu annuel sous forme de rente ». Voilà une précision intéressante. Ce rapport va donc pouvoir servir de source d’information pour l’ensemble des formations politiques.

En second lieu, le rapport énumère les différents leviers utilisés en Europe pour réformer les systèmes de retraite, à savoir : « accroître les recettes en diversifiant les ressources et en augmentant le niveau des cotisations, réduire les dépenses en nivelant les prestations ». Il manque dans cette liste la taxation du capital et la suppression des niches fiscales et sociales, qui sont abordées dans d’autres parties du rapport. Il faudrait donc compléter la liste présentée.

En conclusion, si le rapport d’information est très intéressant, on éprouve une frustration à sa lecture en raison de l’absence de propositions et de la présentation d’une liste incomplète des outils à notre disposition pour porter remède, si on le souhaite, au système de retraite français.

M. Denis Jacquat. Le rapport de la mission d’information répond à la commande de la Commission des affaires sociales qui était de dresser un panorama du financement des systèmes de retraite en Europe. La mission d’information n’avait pas pour mandat de produire des préconisations, mais d’alimenter la réflexion de la commission. Elle a donc rempli son rôle. Selon leurs tendances politiques, les députés détermineront ensuite leurs choix. Si Jean Mallot en éprouve une frustration, je tiens à féliciter Arnaud Robinet, au nom de l’UMP, pour le travail accompli.

M. le rapporteur. La mission d’information avait pour mandat d’effectuer un travail de recherche, d’explication et de synthèse, afin d’enrichir le débat actuel et celui que nous aurons en juillet lors de l’examen du projet de loi en commission.

Pour répondre aux remarques de Jean-Luc Préel, nos voisins européens ont engagé des réformes systémiques à des moments bien précis : lorsque leurs caisses de retraite étaient excédentaires, comme en Suède par exemple. De plus, l’ensemble des pays a choisi de reculer l’âge de départ en retraite. En France, il n’est pas certain qu’un changement systémique permettrait de résoudre le déséquilibre financier actuel, même si l’on doit progresser dans cette direction. Quant à la TVA sociale, étant effectivement un impôt sur la consommation et non pas une cotisation, elle présente l’intérêt de ne pas peser sur les salaires et donc sur la production. Elle pose la question plus globale du financement future de la protection sociale.

Dans ce débat de société, l’objectif est d’obtenir un consensus entre les formations politiques et avec les partenaires sociaux. Un consensus sur le constat a déjà été trouvé, c’est un premier pas. Demeure la question des solutions à apporter. Lors d’un déplacement effectué en Finlande, la mission d’information a pu constater le consensus étonnant existant sur la méthode et les politiques à mener entre le patronat, les syndicats de salariés et le Gouvernement, notamment sur le financement du système de retraite et l’emploi des seniors.

Aux propos critiques de Jean Mallot, je répondrai que le rapport distingue les réflexions générales des pratiques réelles des États, dans la liste des leviers de réforme mis en œuvre qu’il dresse. La mission d’information avait pour objectif d’établir une panoplie des réformes menées et non pas de formuler des recommandations. Le Gouvernement comme la Commission des affaires sociales doivent continuer de mener la concertation. Il sera temps ensuite d’utiliser ce rapport lors de l’examen du projet de loi.

M. le président Pierre Méhaignerie. Je tiens à formuler quatre observations. Tout d’abord, partout en Europe, quel que soit la couleur politique des gouvernements, l’âge légal de départ à la retraite et la durée de cotisation ont été modifiés. Refuser de reconnaître cette réalité ne permettra pas de résoudre le problème de financement de notre système de retraite. Ensuite, la capitalisation est beaucoup plus développée à l’étranger. En outre, pour répondre à l’inquiétude des Français, il faut rappeler que la réforme sera mise en œuvre de manière progressive. Enfin, des efforts en faveur de l’emploi des seniors doivent être accomplis. Il faut être attentif à la question de la mise en invalidité, qui demeure très importante dans les pays scandinaves. En Suède comme en Finlande, il faut étudier le nombre des personnes en invalidité par tranche d’âge et les secteurs professionnels concernés. En Suède, si le taux de chômage est très faible, près d’un million de personnes se trouvent en invalidité. Il faut intégrer cette donnée, y compris sur le plan budgétaire.

M. le rapporteur. Les méthodes et les paramètres choisis par les pays européens peuvent être comparés, puisque nous sommes confrontés aux mêmes problèmes d’évolution démographique et de vieillissement de la population.

M. Rémi Delatte. Je tiens à saluer la qualité du travail accompli par la mission d’information et son rapporteur. Le rapport présente les différents systèmes de gestion des régimes de retraite qui partout ont été réformés face aux évolutions démographiques actuelles, comme le soulignait le président Pierre Méhaignerie. La question de l’allongement de la durée de cotisation a été prise en compte dans tous les pays européens lorsqu’ils ont réformé leurs systèmes.

Le rapport de la mission est très bien documenté. À l’instar de Denis Jacquat, il me semble fondamental que la mission d’information n’ait pas formulé de recommandations pour ne pas interférer avec l’action du Gouvernement.

Deux problématiques abordées dans le rapport m’ont paru particulièrement intéressantes. Il s’agit tout d’abord de l’emploi des seniors. Les pays scandinaves l’ont traité sous l’angle de « l’accompagnement des seniors ». Je trouve cette formule très juste, car si le processus de transmission des savoirs s’accomplit en principe naturellement, il doit être soutenu. Cette politique peut constituer une source d’inspiration pour la France qui doit diffuser des pratiques innovantes auprès des entreprises.

Il s’agit ensuite de la question de la pénibilité qui, selon moi, doit être abordée dans le cadre du travail. Comme le soulignait le président Méhaignerie, il faut être attentif à la question de l’invalidité. La dimension individuelle et le ressenti de la pénibilité doivent néanmoins être pris en compte. Si l’on établit une liste des professions pénibles, on risque de remettre en cause le travail de valorisation des métiers accompli par certains secteurs professionnels, comme le bâtiment et les travaux publics.

Le travail de la mission d’information permet de comprendre qu’il n’existe pas de solution unique au problème du financement du système de retraite. Il faudra certainement opter pour une solution mixte entre la répartition et la capitalisation, tout en tenant compte de l’histoire et de la culture nationales.

M. Christophe Sirugue. Le rapport présente l’intérêt de rassembler sous forme de recueil des éléments déjà connus mais dispersés sur les régimes de retraite de différents pays européens. J’en retire quelques enseignements. En premier lieu, le rapport montre qu’il est difficile d’aller au-delà de la stricte comparaison d’éléments objectifs concernant les différents régimes étudiés. En second lieu, il est également très difficile d’anticiper et d’effectuer des projections à trente, quarante ou cinquante ans. Le rapport se garde d’ailleurs bien de le faire, tant il est vrai qu’il convient d’être prudent sur les hypothèses économiques que l’on peut faire à des échéances aussi éloignées. Cela limite d’ailleurs l’appréciation sur les marges sur lesquelles on peut jouer et on pourra jouer à l’avenir. En troisième lieu, si le rapport rappelle que la crise économique récente nous montre, une fois de plus, la grande fragilité des systèmes de retraite par capitalisation, il eût été souhaitable de le rappeler en conclusion. Enfin, il eût été intéressant de mieux intégrer dans le raisonnement et les comparaisons effectuées les différences d’approche dans les différents pays en ce qui concerne la prise en compte du handicap social. Sans cela, les comparaisons, chiffres et ratios, sont biaisés.

M. Bernard Perrut. Le rapport, qui résulte d’un travail important et fournit des éléments objectifs, ouvre des pistes intéressantes concernant l’évolution de notre système de retraite. Il rappelle avec justesse que les régimes de retraite reposent sur l’association de dispositifs d’assurance sociale obligatoire, de régimes complémentaires liés à un emploi ou à une profession et des systèmes privés d’épargne retraite. Le rapport présente notamment le dispositif d’épargne retraite en vigueur en Allemagne qui est favorable aux familles à revenus modestes, à l’inverse des plans d’épargne introduits ailleurs en Europe, y compris en France ; cet exemple peut être pour nous une source d’inspiration. Le rapport y fait d’ailleurs écho en suggérant l’idée d’instaurer un livret d’épargne populaire. Cela pourrait constituer un pilier supplémentaire. Par ailleurs, notre réforme des retraites devrait s’inspirer des mesures de relèvement de l’âge légal de départ en retraite décidé dans nombre de pays européens.

M. Michel Issindou. Les rapports des missions d’information concluent en général en formulant des propositions de modification des dispositifs en vigueur. On peut se demander pourquoi le présent rapport ne fait pas de même. Peut-être n’est-ce pas opportun ou n’est-ce pas le bon moment. Le rapport évoque l’exemple de la Finlande et du large consensus qui a prévalu pour l’élaboration de la réforme des retraites dans ce pays et suggère de s’en inspirer. Pourtant, le Gouvernement ne suit pas cet exemple. En témoigne le délai serré – dépôt du texte en juillet et adoption en septembre – dans lequel il est prévu d’examiner le projet de loi. Par ailleurs, il convient de souligner la difficulté de comparer les différents systèmes de retraite en vigueur dans les différents pays étudiés, en raison de différences culturelles et structurelles en matière de travail, d’emploi et d’organisation sociale. Le rapport met notamment en avant l’exemple de la Suède – les pays du nord de l’Europe semblant étrangement trouver une certaine faveur aux yeux de la majorité – mais si, dans ce pays, 70 % des seniors travaillent, ils ne sont que 38 % en France. En outre, en Suède, le fonds de réserve qui a été constitué occupe une place importante dans le financement et la garantie du système, alors qu’en France le Fonds de réserve pour les retraites est « maigrichon » et, qui plus est, menacé d’être utilisé dans l’immédiat pour combler le déficit actuel. Au total, le rapport est intéressant, mais l’absence de propositions semble témoigner d’un manque de courage et de volonté politique d’aller au-delà du simple constat des différences nationales.

M. Fernand Siré. Européen convaincu, je me félicite des comparaisons européennes que présente le rapport de la mission d’information. Il y a lieu de souligner que les mouvements de population, qui existaient il y a plusieurs dizaines d’années, se sont aujourd’hui, en partie, inversés. On observe désormais des déplacements de Français, notamment implantés dans le sud de la France, qui vont travailler ou s’installer en Italie ou en Espagne, dont les démographies sont moins dynamiques que la nôtre et où, dans le cas de l’Espagne, les systèmes de prise en charge en cas d’invalidité sont beaucoup plus favorables qu’en France. Il serait d’ailleurs souhaitable d’approfondir l’étude des effets résultant des différences entre régimes de protection sociale des pays européens sur les mouvements de population en Europe. Au-delà, il serait souhaitable de favoriser le rapprochement des systèmes de protection sociale, afin d’assurer l’égalité des chances en Europe. Les informations présentées dans le rapport y contribuent dans le domaine des retraites.

M. Jean Mallot. Ce qui vient d’être dit met en lumière l’importance du débat que nous avons déjà eu dans cette assemblée à plusieurs reprises concernant l’harmonisation sociale et fiscale en Europe, notamment à l’occasion de la discussion du traité constitutionnel européen, puis du traité de Lisbonne, et encore récemment, à l’occasion du débat sur la crise des finances publiques de la Grèce et des interrogations sur la possibilité d’une monnaie unique sans gouvernement, par exemple. Nous sommes prêts et serions heureux de poursuivre aujourd’hui ce débat, afin d’approfondir notre réflexion pour savoir jusqu’où peut aller le fédéralisme européen et sur l’harmonisation fiscale et sociale.

M. le rapporteur. L’objectif du rapport, tel qu’il avait été défini par les membres de la mission d’information lors de sa première réunion, était de regarder ce que font nos voisins européens en matière de retraite afin d’enrichir notre propre réflexion, notamment en ce qui concerne la prise en compte de la pénibilité au travail, l’emploi des seniors et les pensions de réversion. Les retraités des pays européens ayant des systèmes fondés principalement sur la capitalisation ont vu leur revenu baisser parfois nettement. Il faut souligner le rôle important joué par notre système de retraite, en particulier dans cette période de crise économique. Il faut, en effet, rappeler que le système de retraite français, fondé sur la répartition, fait partie du socle social auquel nous sommes particulièrement attachés et a bien rempli son rôle d’amortisseur social. La sauvegarde de notre système par répartition est l’objectif de la réforme de 2010. Et de fait, le débat entre la retraite par répartition et la retraite par capitalisation est un débat qui date des années 1990 et n’est plus d’actualité. Mais rien n’empêche de faire des propositions pour que les dispositifs de l’épargne retraite soient accessibles à l’ensemble des salariés qui pourraient ainsi se constituer non pas une retraite complémentaire mais, et j’insiste sur l’adjectif, une retraite supplémentaire.

*

La Commission autorise, en application de l’article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.

ANNEXES

ANNEXE 1 

COMPOSITION DE LA MISSION D’INFORMATION

 

Groupe politique

M. Arnaud Robinet, président-rapporteur

UMP

Mme Marie-Christine Dalloz

UMP

M. Rémi Delatte

UMP

Mme Anne Grommerch

UMP

M. Denis Jacquat

UMP

Mme Valérie Rosso-Debord

UMP

Mme Danièle Hoffman-Rispal

SRC

M. Michel Issindou (12)

SRC

M. Jean Mallot

SRC

Mme Marisol Touraine (13)

SRC

M. Maxime Gremetz

GDR

M. Jean-Luc Préel

NC

ANNEXE 2

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

(par ordre chronologique)

À Paris, à l’Assemblée nationale :

Ø Conseil d’orientation des retraites (COR) – M. Raphaël Hadas-Lebel, président

Ø Mme Anne-Marie Guillemard, professeur des universités, professeur à l’institut des hautes études en sciences sociales

Ø M. François Charpentier, journaliste, spécialiste de la question des retraites, auteur des ouvrages Retraites et fonds de pension, l’état de la question en France et à l’étranger, Economica, Paris, 1997 et Les retraites en France et dans le monde, nouvelles problématiques, Economica, Paris, 2009

Ø Confédération générale du travail (CGT) – M. Jean-Christophe Le Duigou, secrétaire confédéral chargé des retraites, et M. Gérard Rodriguez, conseiller confédéral

Ø Force ouvrière (FO) – M. Bernard Devy, secrétaire confédéral chargé des retraites, et M. Gérard Rivière, conseiller technique

Ø Ambassade du Japon en France – M. Takahiro Eguchi, professeur à l’université de Tsukuba, M. Toshihisa Okamoto, premier secrétaire, M. Hiroatsu Satake, deuxième secrétaire, M. Yohei Takatsu, conseiller technique, et Mme Eri Kasagi, professeur adjoint à l’université de Kyushu

Ø Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) – M. Jean-Bernard Bayard, secrétaire général adjoint, M. Clément Faurax, directeur des affaires sociales, et Mme Nadine Normand, chargée des relations avec le Parlement

Ø Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) – Mme Danièle Karniewicz, présidente du conseil d’administration

Ø Ambassade des Pays-Bas en France – Mme Marjoleine Hennis, attachée à la mission économique : affaires sociales

Ø Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) – M. Jean-Louis Besnard, conseiller national chargé des retraites

Ø Mouvement des entreprises de France (MEDEF) – Mme Véronique Cazals, directrice de la protection sociale, M. Julien Guez, chef du service « retraites et prévoyance », et Mme Miriana Clerc, chargée de mission à la direction des affaires publiques

Ø Ambassade d’Allemagne en France – M. Hans-Ludwig Flecken, chef du département du ministère chargé des questions des retraites, et M. Lutwin Marchand, conseiller aux affaires sociales

Ø Confédération française démocratique du travail (CFDT) – M. Jean-Louis Malys, secrétaire national, et M. Yves Canevet, secrétaire confédéral chargé des retraites

Ø Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) – M. Pierre Mayeur, directeur, et Mme Élise Ganem, responsable du département des relations internationales et de la coordination

Ø Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) – Mme Martine Durand, directrice-adjointe à la direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales, et Mme Monika Queisser, chef de la division des affaires sociales

Ø Observatoire des retraites – M. Arnaud d’Yvoire, secrétaire général

Ø Confédération française des retraités (CFR) – MM. François Bellanger, Sylvain Denis, présidents, et MM. Charles Berder, Pierre Lange, et Michel Riquier, vice-présidents

Ø Union syndicale solidaire (SUD) – M. Pierre Khalfa, porte-parole, coordinateur de Les retraites au péril du libéralisme, Paris, Syllepse, 2002, et Mme Catherine Lebrun, secrétaire nationale

Ø Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (MSA) – M. Élie Quidu, sous-directeur à la protection sociale, chargé des prestations famille et retraites, et M. Christophe Simon, chargé des relations parlementaires

Ø Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) – M. Patrick Poizat, secrétaire national chargé des retraites

Ø Fédération syndicale unitaire (FSU) – M. Didier Horus, représentant au sein du conseil d’orientation des retraites (COR), secrétaire national du syndicat national unitaire des instituteurs professeurs des écoles et professeurs d’enseignement général de collège (SNUIPP), et Mme Élisabeth Labaye, secrétaire nationale

À Helsinki, en Finlande, les jeudi 18 et vendredi 19 février 2010 :

Ø Parlement finlandais – M. Arto Satonen, président de la commission du travail et de l’égalité, M. Kyösti Karjula, président de la sous-commission de l’emploi et de l’économie de la commission des finances, Mme Sirpa Asko-Seljavaara, vice-présidente de la commission des affaires sociales et de la santé, et M. Jarmo Vuorinen, secrétaire général-adjoint

Ø Ministère des affaires sociales et de la santé – Mme Marja-Liisa Parjanne, conseiller de gouvernement pour les affaires financières et Mme Marja-Tertuu Mäkiranta, conseiller du gouvernement pour les questions juridiques

Ø Centre national des retraites – M. Hannu Uusitalo, directeur de la planification, de la recherche et des statistiques, Mme Marjukka Hietaniemi, responsable du développement et M. Ismo Risku, économiste

Ø Confédération des entreprises finlandaises – M. Jukka Ahtela, directeur pour les questions juridiques et la politique commerciale

Ø Organisation centrale des syndicats – Mme Kaija Kallinen, responsable de la politique des retraites

Ø Société de travaux publics HKR-Tekniikka – M. Kauko Nygren, directeur

Ø Entreprise Solaris – M. Juha Leppä, directeur-adjoint

Ø Institut de la santé au travail – M. Juhani Ilmarinen, professeur spécialiste de l’emploi des seniors

1 () « L’achèvement du marché intérieur dans le domaine des retraites », document de travail de 1990

2 () « Averting the old-age crisis, policies to protect the old and promote growth – Prévenir la crise du vieillissement, des politiques pour protéger les personnes âgées et promouvoir la croissance ».

3 () « Les systèmes de retraite face à la crise en France et à l’étranger », Paris, 3 décembre 2009 ;

4 () « Les retraites entre crise financière et réforme », Bordeaux, 30 mars 2010 ;

5 () 5èmes rencontres parlementaires sur les retraites : « Préserver les droits à la retraite : une gageure dans un contexte de crise? », Paris, 22 septembre 2009.

6 () La Diète fédérale allemande.

7 () Nouvelle qualité du travail ;

8 () Facteur d’entrée.

9 () Assemblée nationale, rapport n° 3384, tome IV, sur le projet de financement de la sécurité sociale pour 2007.

10 () Loi générale sur l’assurance vieillesse.

11 () Attrait.

12 () À partir du 18 janvier 2010

13 () Démissionnaire le 15 janvier 2010


© Assemblée nationale