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N° 2623

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 juin 2010

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE

en conclusion des travaux de la Mission d’évaluation et de contrôle (MEC)  (1)

sur les recettes exceptionnelles de la Défense en 2009 et 2010

et prÉsentÉ

par M. Louis GISCARD D’ESTAING et Mme Françoise OLIVIER-COUPEAU

Députés

___

MM. Olivier CARRÉ et David HABIB

Présidents.

___

La mission d’évaluation et de contrôle est composée de : MM. Olivier Carré, David Habib, Présidents ; M. Jérôme Cahuzac, Président de la commission des Finances de l’économie générale et du contrôle budgétaire, M. Gilles Carrez, Rapporteur général ; MM. Pierre Bourguignon, Jean-Pierre Brard, Alain Claeys, Charles de Courson, Richard Dell'Agnola, Yves Deniaud, Jean-Louis Dumont, Jean-Michel Fourgous, Laurent Hénart, Jean Launay, François de Rugy, Philippe Vigier.

INTRODUCTION 7

I.– LES CESSIONS DE BIENS IMMOBILIERS 11

A.– DES RÉGLES AMÉNAGÉES ET DE MULTIPLES ACTEURS 11

1.– « Droit de retour » : une dérogation pour le ministère de la Défense 11

2.– L’intervention de plusieurs acteurs 11

3.– L’application des méthodes de cession de droit commun 13

B.– DE L’ÉVALUATION AU MONTANT RÉELLEMENT PERÇU 13

1.– Des estimations de départ surévaluées ? 13

2.– La lourdeur des procédures de dépollution 14

3.– Les cessions à l’euro symbolique aux collectivités 15

4.– Un cas d’école : une cession au profit de l’Éducation nationale : 17

5.– Une ferme photovoltaïque à la place d’une caserne ? 18

C.– DES RECETTES EXCEPTIONNELLES QUI CONCERNENT ESSENTIELLEMENT PARIS 18

1.– Le déménagement du ministère de la Défense à Balard 18

2.– L’opération Vauban 19

3.– Les biens cédés hors de l’opération Vauban 20

D.– L’ÉCHEC DE L’OPÉRATION VAUBAN 20

1.– Un projet de vente de gré à gré à un consortium 20

2.– La chronologie de l’échec 21

3.– France Domaine défend son évaluation 22

4.– La suite qui sera donnée aux projets de cessions 22

E– LE CAS PARTICULIER DE L’HÔTEL DE LA MARINE 23

II.– LES ALIÉNATIONS D’ONDES HERTZIENNES 24

A.– UNE REDISTRIBUTION LIÉE AU PASSAGE À LA TÉLÉVISION NUMÉRIQUE 24

1.– Le numérique nécessite moins de fréquences que l’analogique 24

2.– Une organisation nationale et internationale très hiérarchisée 25

3.– Une opportunité historique de valoriser une ressource publique rare 26

4.– Un processus imposé au ministère de la Défense 26

B.– LES CARACTÉRISTIQUES DES FRÉQUENCES CONDITIONNENT LE CALENDRIER 27

1.– Deux bandes aux caractéristiques différentes 27

2.– Une valeur difficile à apprécier 28

3.– Un calendrier retardé et fractionné 29

C.– TOUT CHANGEMENT DE FRÉQUENCE COMPORTE UN COÛT 29

1.– Le changement de fréquence aura un coût élevé 29

2.– Des conséquences opérationnelles non négligeables 30

3.– Qui supportera réellement le coût du dégagement ? 30

4.– L’armée de terre assure ses arrières 31

III.– LA CESSION DE L’USUFRUIT DE SATELLITES DE TÉLÉCOMMUNICATIONS MILITAIRES 32

A.– TRENTE ANS DE SATELLITES DE TÉLÉCOMMUNICATIONS 32

1.– Les satellites de télécommunications militaires français 32

2.– Une organisation complexe du ministère de la Défense à rationaliser 33

B.– LE MÉCANISME DE LA CESSION D’USUFRUIT 35

1.– Une quasi externalisation 35

2.– Le principe d’une vente des satellites a été écarté 35

3.– Suppressions d’emplois et pertes de compétences 36

4.– Le montant inscrit en loi de finances et le montant réellement attendu 36

C.– LES CANDIDATS : DEUX CHAMPIONS NATIONAUX 37

1.– Thales présente l’avantage d’avoir construit les satellites 37

2.– EADS a accumulé une solide expérience au Royaume-Uni 38

3.– Des risques limités en matière de confidentialité 38

4.– Faut-il associer Sicral aux deux satellites Syracuse ? 39

D.– LES LIMITES DE L’EXERCICE 40

1.– La garantie de disposer des capacités suffisantes 40

2.– Les capacités mises sur le marché sont faibles 40

3.– Le lancement de l’appel d’offres demande plus de temps que prévu 41

4.– Tout retard réduit l’intérêt de l’aliénation 42

IV.– LES ENSEIGNEMENTS À TIRER DE L’EXPÉRIENCE DE 2009 ET 2010 43

A.– DES RECETTES EXCEPTIONNELLES TRÈS DÉCEVANTES EN 2009 43

1.– Le retard pris par l’immobilier 43

2.– Aucune cession de fréquences 44

3.– Les palliatifs mis en œuvre 44

B.– DE NOUVEAUX ESPOIRS DÉÇUS EN 2010 46

1.– La désillusion immobilière 46

2.– Les retards en matière de fréquences et de satellites 46

3.– De nouveaux palliatifs pour boucler l’année ? 47

C.– LES CONSÉQUENCES POUR LE BUDGET TRIENNAL 2011-2013 48

1.– Des recettes exceptionnelles possibles en matière de fréquences 48

2.– Des recettes douteuses en matière de satellites 48

3.– Les principales recettes immobilières se feront attendre jusqu’en 2014 49

4.– La loi de programmation militaire et le contexte économique 49

LISTE DES PROPOSITIONS DE LA MEC 51

EXAMEN EN COMMISSION 53

ANNEXES 59

I.– LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 59

II.– COMPTES RENDUS DES AUDITIONS 61

Table des auditions 61

INTRODUCTION

Lors de la préparation du Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale, en 2008, il a été décidé d’adosser la construction du système de défense à un référentiel de programmation. La trajectoire de besoins élaborée pour la période 2009-2020 conduisait à une cible évaluée à 377 milliards d’euros. Celle-ci excédait d’environ 3,5 milliards d’euros le montant des sources de financement anticipées par le ministère du Budget, compte tenu d’une « bosse » de besoins se concentrant sur les années 2009-2011. Au départ, il était convenu que les ressources budgétaires seraient stabilisées en valeur – en euros 2008 – jusqu’en 2011, avant de connaître ensuite une augmentation de l’ordre de 1 % par an.

C’est pour « couvrir » cette bosse qu’il a été décidé de mobiliser des recettes exceptionnelles d’un montant équivalent, recettes principalement issues du produit de la cession des actifs immobiliers libérés dans le cadre des restructurations et de la réduction des formats programmées dans le Livre blanc. Pour autant, il était prévisible que le produit des cessions ne suffirait pas.

C’est la raison pour laquelle deux autres opérations ont été envisagées :

– d’une part, à l’occasion du passage à la télévision numérique et de la réorganisation internationale de l’attribution des fréquences hertziennes, il a été décidé de céder les fréquences Félin et Rubis de l’armée de terre et de la gendarmerie – convoitées par les opérateurs civils parce qu’elles seraient plus rentables que celles qu’ils utilisaient – et demandé à la défense de migrer vers d’autres parties du spectre hertzien ;

– d’autre part, à l’instar de ce que font nos voisins d’outre-Manche, la cession de l’usufruit des satellites de télécommunications en contrepartie de la location de services qui permettrait de limiter la dépense annuelle et de rationaliser leur utilisation.

Au total, le montant des ressources estimées devait excéder légèrement le niveau de la « bosse » de 3,5 milliards d’euros. Malheureusement, les recettes exceptionnelles n’ont été au rendez-vous, ni en volume, ni dans le temps.

Le ministère de la Défense attendait, en 2009, 1 637 millions d’euros, dont 972 millions de cessions immobilières et 600 millions de cessions de fréquences. Or, sur ce montant, seuls 626 millions d’euros ont été effectivement enregistrés, toutes les sommes ne correspondant pas exactement à des recettes exceptionnelles, ainsi que nous le constaterons dans le rapport.

Pour 2010, 1 702 millions d’euros de recettes exceptionnelles ont été inscrits en loi de finances initiale, dont 705 millions d’euros de cessions immobilières, toujours 600 millions d’euros de cessions de fréquences et 400 millions d’euros relatifs aux satellites de télécommunication. Or, selon les informations dont dispose le Parlement, il apparaît dès à présent que la majeure partie de ces recettes, une fois de plus, ne sera pas au rendez-vous.

*

* *

L’intervention de la Mission d’évaluation et de contrôle a donc été principalement motivée par l’exigence de contrôle démocratique de la sincérité budgétaire. Une mauvaise estimation des recettes d’un ministère aussi sensible que celui la Défense ne peut être appelée à se reproduire, d’autant que le rapport spécial de la commission des Finances sur le projet de budget pour 2010 attirait l’attention, dès novembre 2009, sur le fait que les budgets pour 2009 et 2010 reposaient en grande partie sur des recettes exceptionnelles très hypothétiques.

Pour mener à bien son évaluation, la mission a procédé à une série d’auditions dont la liste est jointe en annexe. Selon une habitude désormais solidement établie, la mission a, en outre, bénéficié, dans un esprit de coopération exemplaire, de l’expertise des magistrats de la deuxième chambre de la Cour des comptes.

Au terme de quatre mois de travaux, la mission d’évaluation et de contrôle, conformément à sa vocation, expose les raisons qui ont conduit la plupart de ces recettes exceptionnelles à ne pas être aux rendez-vous budgétaires. Ce diagnostic est assorti de propositions destinées à éviter le renouvellement de pareils errements.

Les recettes exceptionnelles de la Défense prévues en 2009 et 2010 reposent essentiellement sur des aliénations immobilières qui ne se sont pas réalisées, mais aussi sur des cessions d’ondes hertziennes, reportées, ainsi que sur la cession de l’usufruit de satellites de télécommunications, dont la mise en œuvre s’avère plus difficile qu’annoncé.

RESSOURCES EXCEPTIONNELLES PRÉVUES EN 2009 ET 2010 (2)

(en millions d’euros)

 

2009

2010

Prévu

Réalisé

Prévu

Estimation (mai 2010)

Cessions immobilières

972

561

702

247

Cessions d’ondes hertziennes

600

0

600

?

Cessions d’usufruit de satellites

0

0

400

0

Divers

65

65

0

0

TOTAL

1 637

626

1 702

?

*

* *

Le rapport de la Mission d’évaluation et de contrôle examinera dans trois parties successives les raisons du retard ou de l’abandon des opérations qui devaient aboutir à des recettes exceptionnelles. Dans une quatrième partie, il examinera dans quelle mesure le budget de la mission Défense a été affecté par ces moins-values et tentera de tirer les enseignements des exercices budgétaires 2009 et 2010 dans l’élaboration du budget triennal 2011-2013.

Les Rapporteurs déplorent l’absence de coopération voire de sincérité de certains de leurs interlocuteurs. L’exemple le plus flagrant est celui de l’abandon des négociations en vue de créer un consortium entre la Caisse des dépôts et consignations et la Sovafim que le ministère de la Défense n’a révélé que très tardivement.

Ils regrettent aussi que des documents promis ne leur aient jamais été transmis. Par ailleurs, plusieurs informations contradictoires leur ont été communiquées et ils ont pu constater une tendance marquée des ministères de la Défense et du Budget à se renvoyer les responsabilités.

I.– LES CESSIONS DE BIENS IMMOBILIERS

A.– DES RÉGLES AMÉNAGÉES ET DE MULTIPLES ACTEURS

Par rapport au droit commun des cessions immobilières, les ventes de biens de la Défense comportent diverses particularités.

1.– « Droit de retour » : une dérogation pour le ministère de la Défense

Conformément à l’article 47 de la loi de finances pour 2006 modifié par l’article 195 de la loi de finances pour 2009, dans l’hypothèse de cessions immobilières donnant lieu à relogement de services, les ministères bénéficient d'un retour de 85 % de ce produit, en vue de financer les opérations de relogement ou, si leurs dépenses réelles à cet égard s’avèrent inférieures, pour des dépenses immobilières d’investissement. Dans le cas de cessions d’immeubles inoccupés, les ministères bénéficient d’une attribution de produit équivalente à 50 % du produit des ventes si celui-ci est supérieur à deux millions d'euros, 85 % s’il est inférieur. Les sommes qui ne retournent pas aux ministères sont automatiquement affectées au désendettement de l'État, sur le compte d’affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l’État ».

Le « droit de retour » des ministères est automatique en cas de cessions dont le produit est inférieur à deux millions d'euros. S’agissant des cessions d’un montant supérieur, l’opération doit être validée par le ministre chargé du Budget. Cependant, l’article 60 de la loi de finances pour 2010 a baissé, le taux de « retour sur cession » à 65 %, afin de dégager une réserve de crédits mutualisés à hauteur de 20 %.

Ce même article fait bénéficier le ministère de la Défense d’une clause exceptionnelle : il conserve, jusqu’à la fin de la loi de programmation militaire 2009-2014, 100 % du produit des cessions qu’il réalise.

D’autres ministères bénéficient également de règles dérogatoires. Ainsi, les services de l'équipement, jusqu’à la fin 2009 et sous conditions, ont récupéré 95 % du produit des ventes d’immeubles réalisées. De même, le ministère des Affaires étrangères et européennes et la direction générale du Trésor bénéficient, en ce qui concerne les immeubles situés à l'étranger, de la totalité du produit des cessions.

2.– L’intervention de plusieurs acteurs

Pour la réalisation de chaque opération de cession, trois étapes successives peuvent être distinguées, faisant intervenir des acteurs différents : décision de cession, évaluation du bien, réalisation de la vente.

● Au sein du ministère de la Défense, c’est la direction de la Mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA) qui est compétente en matière immobilière. Cette appellation désigne la direction du Patrimoine du ministère de la Défense - patrimoine aussi bien immobilier que culturel et historique. C’est elle qui pilote et anime le chantier des « restructurations/cessions » au sein du ministère, avec les autres intervenants – armées, délégation aux restructurations, cabinet - en liaison avec les préfets, France Domaine et les cabinets ministériels.

C’est cette direction qui établit les schémas immobiliers des bases de défense, conformément au nouveau plan de stationnement des forces. C’est elle qui identifie les immeubles à céder, voire à acquérir pour le cas des villes où le ministère de la Défense « se densifie ».

● L’évaluation des biens est assurée par France Domaine, service à compétence nationale du ministère du Budget. Il tient à jour le Tableau général des propriétés de l’État (TGPE) appelé à être remplacé demain par le module de gestion immobilière RE-FX du système Chorus.

● Enfin, la réalisation de la vente peut être confiée à l’un des trois organismes suivants :

– au sein de la même direction, la Mission pour la réalisation des actifs immobiliers, la MRAI. En avance sur les autres administrations, le ministère de la Défense a organisé sa politique de cessions immobilière dès 1987 en créant un organisme spécifique qui négocie quasi exclusivement avec les collectivités territoriales. Selon un accord verbal passé en 2008 entre les différents intervenants, la MRAI a été chargée de valoriser les biens immobiliers politiquement sensibles en prenant en compte les considérations relatives à l’emploi local. La Mission n’intervient qu’en régions, mais non à Paris ;

– France Domaine, qui procède à des cessions essentiellement par appel d’offres. Le partage des compétences a principalement attribué à France Domaine la cession des biens identifiés comme étant les plus « liquides », tels que les casernes de centre ville faciles à vendre et dont la destination d’immeubles ne varie pas ;

– la Sovafim, Société de valorisation foncière et immobilière, qui est une société publique, créée en avril 2006 et dont l’État est l’actionnaire unique (3). Chargée d’assurer la valorisation des biens publics, la Sovafim a pour mission de porter les biens « de nature logistique et industrielle » et de trouver des repreneurs. M. Daniel Dubost, responsable de France Domaine, siège au conseil d’administration de la Sovafim.

3.– L’application des méthodes de cession de droit commun

Pour le ministère de la Défense comme pour toute autre administration, c’est France Domaine qui procède aux évaluations (4).

L’évaluation de France Domaine fait office de borne de référence, la position constante de tous les ministres du Budget successifs étant qu’il ne faut en aucun cas risquer d’être accusé d’« avoir bradé » le patrimoine de l’État. Lors d’un appel d’offres, si les propositions des soumissionnaires sont supérieures à l’évaluation, c’est la plus élevée qui est retenue, une fois effectués les contrôles nécessaires auprès de l’administration des douanes, de l’administration fiscale et, maintenant, de la direction centrale du Renseignement intérieur. Lorsque les propositions sont en deçà, les instructions sont claires : l’appel d’offres est déclaré infructueux et l’opération est soit reportée, soit réaménagée.

La nature des biens vendus par le ministère de la Défense, souvent situés en centre ville et, de ce fait, élément significatif du patrimoine historique d’une collectivité, est telle que les collectivités locales sont souvent intéressées si bien que nombre d’entre eux sont cédés de gré à gré. De manière générale, même en cas d’appel d’offres, la loi fait obligation à l’administration de soumettre les propositions en priorité aux collectivités locales. Lorsque celles-ci répondent favorablement, le bien leur est cédé à la valeur domaniale. Dans la négative, un appel d’offres est lancé, sans que soit indiquée la valeur domaniale, qui constitue pour France Domaine le prix de réserve.

B.– DE L’ÉVALUATION AU MONTANT RÉELLEMENT PERÇU

1.– Des estimations de départ surévaluées ?

« Les estimations de France Domaine sont trop élevées ». Le jugement de M. Hervé Morin, ministre de la Défense, est sans appel (5). Qu’en est-il réellement ?

Les biens militaires (casernes, terrains d’aviation, forts de montagne…) sont souvent atypiques et l’évaluation de leur valeur est difficile, compte tenu de la difficulté qu’il y a à établir des comparaisons. Tantôt accusée de sous-estimer la valeur des biens, tantôt de les surévaluer, France Domaine met en avant un marché « exubérant », notamment à Paris. Mais son chef de service, M. Daniel Dubost, souligne que lorsqu’un juge de l’expropriation est saisi, il retient dans l’immense majorité des cas un niveau de prix voisin de l’estimation celle de l’administration. Il reste que l’évaluation, surtout dans le cas de biens atypiques, est un art extrêmement difficile.

Les Rapporteurs relèvent, parmi les cessions effectuées en 2009, des écarts importants entre l’estimation du Tableau général des propriétés de l’État, le TGPE réalisé par France Domaine, et l’évaluation finale.

Selon M. Jacques Brucher, responsable de la MRAI (6), l’évaluation du TGPE est fonction du prix du terrain, fondé sur les transactions des années précédentes dans le secteur, et de l’évaluation des bâtiments, avec des coefficients d’abattement pour vétusté par exemple, ou parce que l’emprise est particulièrement grande. L’évaluation finale, elle, est le prix opérationnel, qui permet la vente. Elle est fonction du projet qui sera réalisé, et peut être très différente de celle du TGPE :

« Lorsque France Domaine fait l’évaluation pour le TGPE de la base aérienne de Toulouse, elle fonde son calcul sur 350 hectares de terrain et des centaines de bâtiments. Même si le prix au mètre carré des hangars et du terrain dans le secteur est faible, et même compte tenu du coefficient de vétusté, le montant peut atteindre 50 ou 60 millions. Mais aucun acquéreur ne déboursera cette somme juste pour du foncier. Les écarts, sur les emprises de ce type, sont donc très importants. La valeur finale, fondée sur ce qu’on prévoit de faire des biens – pour partie de la réserve foncière, pour partie l’installation d’une entreprise – peut s’établir autour de 5 ou 6 millions, soit dix fois moins. Mais il n’y a pas d’autre issue : pour vendre, il faut avoir un client ».

Proposition n° 1 – Lorsque sont inscrites en loi de finances initiale des recettes liées à des cessions de biens immobiliers, les présidents des commissions des Finances de l’Assemblée nationale et du Sénat doivent recevoir de France domaine, sous clause de confidentialité, la liste des emprises et les valorisations correspondantes les plus récentes.

2.– La lourdeur des procédures de dépollution

L’état-major des armées assure que le plan de restructuration des unités est respecté et que les lenteurs enregistrées dans le rythme des aliénations immobilières ne sont pas causées par d’éventuels retards dans la libération des locaux.

Mais deux facteurs retardent la réalisation des aliénations : d’une part, le marché relativement déprimé de l’immobilier, notamment en province, contraint le ministère à temporiser dans l’attente d’acquéreurs, notamment pour les biens les plus importants ; d’autre part, les terrains libérés doivent être dépollués ou faire l’objet d’opérations de valorisation comme la mise aux normes de sécurité des bâtiments. Cela demande parfois beaucoup de temps. M. Éric Lucas directeur de la Mémoire, du patrimoine et des archives au ministère de la Défense, le confirme : « La dépollution constitue pour l’instant le frein le plus important au transfert des terrains » (7). Certaines opérations peuvent durer plusieurs années dans la mesure où il s’agit à la fois de veiller à la sécurité des entreprises et de protéger la population. Le directeur de la MRAI, M. Jacques Brucher précise : « En cas d’évacuation, les périmètres peuvent atteindre un kilomètre ce qui suppose une organisation techniquement complexe et coûteuse ».

Sur ce sujet, les Rapporteurs notent que les sommes portées en recettes exceptionnelles au budget du ministère de la Défense sont brutes. Elles ne tiennent pas compte des frais de dépollution supportés par le ministère et indispensables à toute aliénation. Cela contrevient à la sincérité des lois de finances : les sommes inscrites en recettes exceptionnelles doivent correspondre aux sommes réellement attendues et donc être présentées nettes de ces frais.

Les Rapporteurs regrettent que les aspects relatifs à la dépollution soient « découverts » au moment de la cession et n’aient pas été pris en compte par une décote appliquée dès l’examen du projet de loi de finances.

Naturellement, le principe d’universalité et son corollaire, la règle de non-contraction des recettes et des dépenses, supposent de retracer au budget les recettes brutes et les dépenses correspondantes. Mais c’est le solde de ces montants qui doit être pris en considération pour vérifier le respect de la programmation militaire.

Proposition n° 2 – Lorsqu’il est prévu d’aliéner des biens immobiliers, ce sont les recettes prévisionnelles nettes des éventuels frais de dépollution estimés qui doivent être prises en considération, et non les sommes brutes.

3.– Les cessions à l’euro symbolique aux collectivités

La loi de programmation militaire a été bâtie avant que le Président de la République décide de céder certains sites pour l’euro symbolique. Une liste de collectivités situées en zone de restructuration de défense a été publiée par un arrêté du 1er septembre 2009. Il s’agit de communes qui connaissent des déflations d’effectifs particulièrement importantes, avec des conséquences économiques locales douloureuses.

Cette liste, limitative et intangible, a suscité des appétits et d’autres communes ont demandé à bénéficier de cette mesure. Ces demandes ont toujours été rejetées. En outre, même pour un bien figurant sur la liste des cessions à l’euro symbolique, la ville doit demander à bénéficier du dispositif à travers le vote d’une délibération du conseil municipal. La commune doit également produire un projet de reconversion cohérent. M. Jacques Brucher, responsable de la MRAI, souligne que, bien que le cas ne se soit pas produit, un projet de reconversion qui ne serait pas satisfaisant pourrait remettre en cause la cession à l’euro symbolique.

Ces cessions à l’euro symbolique représentent certes un manque à gagner pour le ministère de la Défense. Mais cette solution permet de résoudre rapidement le cas de certaines emprises dont l’aliénation aurait été longue. La Cour des Comptes a mis en évidence la longueur du délai – six ans en moyenne – entre le moment où la décision de vendre est prise et le moment où l’acte est effectivement réalisé. Ces cessions transfèrent la responsabilité de la dépollution, parfois coûteuse, à la collectivité qui bénéficie du transfert.

LISTE DES SEIZE BIENS CÉDÉS À L’EURO SYMBOLIQUE
AUX COMMUNES EN 2009

(en euros)

N° Dpt

Commune administrative

Appellation de l’emprise

Type d’emprise

Surface au sol

(m2)

SHON (1) (m2)

Estimation TGPE

Évaluation finale

04

BARCELONNETTE

Quartier Craplet

Casernes et leurs annexes

75 308

26 600

4 221 800

2 758 000

04

BARCELONNETTE

Champ de manœuvre de Barcelonnette

Infrastructures industrielles et logistiques

30 795

0

90 000

60 000

04

BARCELONNETTE

Logement du chef de corps

Logements et hébergements

973

328

541 491

488 000

04

BARCELONNETTE

Terrain de sport Quartier Craplet

Camps et terrains

20 400

0

408 000

408 000

04

JAUSIERS

Pavillons de sous-officiers

Logements et hébergements

7 340

1 113

283 500

480 000

04

JAUSIERS

Pavillon officiers

Logements et hébergements

2 864

454

286 335

310 000

04

JAUSIERS

Champ de tir de la Clapouse

Infrastructures industrielles et logistiques

     

14 000

04

JAUSIERS

Caserne Breissand

Casernes et leurs annexes

49 794

10 485

1 116 600

676 000

04

JAUSIERS

Casernement de Restefond

Casernes et leurs annexes

39 559

1 847

867

28 000

05

AIGUILLES

Poste des éclaireurs skieurs

Infrastructures industrielles et logistiques

508

505

150 000

140 000

08

GIVET

Logements Mangin

Logements et hébergements

702

172

167 280

240 800

08

GIVET

Caserne Mangin

Casernes et leurs annexes

10 893

4 447

1 131 827

1 273 400

08

GIVET

Base fluviale (fraction du fort de Charlemont)

Infrastructures fortifiées et ouvrages isolés

     

10 500

14

MONDEVILLE

Établissement central matériel de mobilisation du SSA

Infrastructures industrielles et logistiques

82 941

34 410

5 816 510

4 865 800

62

ARRAS

Bât. cadres célibataires - Citadelle

Casernes et leurs annexes

     

1 200 000

87

LIMOGES

Manège Montrouge

Logements et hébergements

2 001

1 298

380 000

500 000

       

TOTAL

14 594 210

13 452 500

(1)  Surface hors œuvre nette.

Le ministre avance par ailleurs un argument d’équité : « Au demeurant, que la collectivité nationale accomplisse un geste vis-à-vis de communes qui ont vécu en union avec leur garnison pendant des décennies et aspirent à se reconvertir le plus rapidement possible, c’est le minimum. Le montant annuel des cessions d’emprises régionales n’est que de 50 millions en moyenne ; il n’est pas scandaleux de perdre 5 ou 10 millions d’euros par an sur ce total si cela permet de supprimer des coûts – liés notamment au gardiennage – et de créer de la richesse pour le pays grâce à la reconversion ».

Par ailleurs, mettant en œuvre une décision de principe prise par le Président de la République, l’article 67 de la loi de finances pour 2009 prévoit un partage par moitié entre l’État et les collectivités des éventuelles plus-values réalisées dans un délai de quinze ans après la cession du bien à la collectivité territoriale.

Sur les vingt-trois emprises immobilières cédées en 2009, six l’ont été à titre onéreux et dix-sept l’ont été pour un euro symbolique, dont seize à des communes ayant conclu un contrat de redynamisation de site. La perte a été estimée par France Domaine à 13,4 millions. Mais ce montant ne tient pas compte des frais que la Défense aurait dû engager pour dépolluer le site et pour en assurer le gardiennage.

Les Rapporteurs remarquent que les cessions à l’euro symbolique constituent une charge supportée par le ministère de la Défense, mais répondant à un objectif d’aménagement du territoire. Cela pose un problème de sincérité budgétaire. Ils regrettent que le ministère de la Défense ne soit pas dédommagé.

4.– Un cas d’école : une cession au profit de l’Éducation nationale :

La dernière des dix-sept emprises cédées en 2009 l’a également été contre un euro symbolique mais au profit cette fois d’une autre administration d’État. Il s’agit du site du 2ème régiment de hussards de Sourdun offert au ministère de l’Éducation nationale et à la Sovafim pour y réaliser un internat d’excellence : l’emprise était évaluée à 22,5 millions d’euros. Cette seule cession dépasse largement par son coût toutes les autres cessions à l’euro symbolique dont ont bénéficié les collectivités territoriales.

Dans cette « transaction », une administration est gagnante puisqu’elle récupère gratuitement une emprise, et un programme budgétaire est perdant de 22,5 millions d’euros. Les Rapporteurs regrettent le caractère asymétrique de la transaction. On peut comprendre que le Premier ministre procède à des arbitrages après que des montants ont été inscrits en loi de finances initiale, mais la sincérité budgétaire doit être garantie. À défaut, la Défense contribue au financement de l’Éducation nationale sans autorisation préalable du Parlement.

Proposition n° 3 – Les cessions d’emprises militaires à l’euro symbolique au profit des collectivités territoriales ou d’autres administrations de l’État constituent des dépenses d’aménagement du territoire. Le manque à gagner doit être remboursé au ministère de la Défense. Corrélativement, une autre mission du budget de l’État doit en supporter la charge.

5.– Une ferme photovoltaïque à la place d’une caserne ?

Mais une partie de la parcelle de Sourdun a été dissociée du projet de l’Éducation nationale et a été proposée au maire de Sourdun qui n’a pas souhaité l’acquérir, même pour l’euro symbolique. La Sovafim a alors pris ce bien en charge pour y réaliser, sur les conseils de M. Christian Jacob, député de la circonscription, une ferme photovoltaïque. Si le projet aboutit et démontre sa rentabilité, la Sovafim rétrocédera 90 % des plus-values des cessions réalisées au ministère de la Défense.

Sur le plan technique, la Sovafim a créé une filiale à 100 %, Sovapar 1, devenue propriétaire de la parcelle en question, à Sourdun ; Sovapar 1 a elle-même constitué avec un partenaire spécialisé dans le photovoltaïque, Sunnco, une société de projet, Sovasun, dont elle détient 49 % des parts, et Sunnco 51 %.

Ce montage en cascade de filiales, qui peut sembler surprenant de la part d’une société d’État, a été qualifié de « matriochkamania » exaspérante par le Rapporteur spécial sur la politique immobilière de l’État, M. Yves Deniaud, qui regrette, comme les Rapporteurs de la MEC, la création de nouveaux conseils d’administration et de nouvelles charges.

Il reste que les quelques millions, voire dizaines de millions d’euros, en jeu dans le cadre des cessions immobilières de Province représentent peu par rapport aux cessions envisagées à Paris.

C.– DES RECETTES EXCEPTIONNELLES QUI CONCERNENT ESSENTIELLEMENT PARIS

1.– Le déménagement du ministère de la Défense à Balard

Les services centraux du ministère de la Défense, actuellement éparpillés sur plusieurs implantations à Paris et en proche banlieue doivent être regroupés en 2014 sur le site du nouveau ministère, à Balard. Ce projet, consubstantiel à la réforme des armées dans la mesure où il parachèvera l’interarmisation et la nouvelle organisation des états-majors, est également déterminant sur le plan financier puisque de son bon déroulement dépendra le succès des aliénations des principaux biens immobiliers parisiens.

Selon le ministre de la Défense, le calendrier de l’opération Balard, quoique particulièrement contraint, est respecté. Le ministre affirme que, contrairement à ce qui a pu être annoncé, ce projet ne sera pas sous-dimensionné : toutes les administrations qui ne sont pas nécessaires à Paris seront délocalisées en province. Ce sera notamment le cas des services de ressources humaines, redéployés à Tours, ou de la maintenance aéronautique, regroupée à Bordeaux. En outre, les mutualisations entraînées par les regroupements de services à Balard permettront de gagner 2 000 postes, rendant possible un regroupement général des services centraux du ministère de la Défense sur un seul site parisien.

Ce regroupement libérera, à l’horizon 2014, plusieurs biens immobiliers parisiens de grande valeur. La vente de ces biens ne constitue pas un préalable à la construction d’un nouveau ministère, bâtie sur un partenariat public-privé de long terme. Mais c’est elle qui est à l’origine des principales recettes immobilières exceptionnelles.

2.– L’opération Vauban

Le périmètre et la valeur des recettes exceptionnelles associée à la loi de programmation militaire 2009-2014 comprenaient deux sous-ensembles. D’une part l’opération Vauban, qui regroupait les huit biens ayant la plus grande valeur et que l’État voulait vendre au plus vite, d’autre part les autres implantations.

Le sous-ensemble Vauban comprenait les biens suivants :

– la caserne Reuilly, 20 rue de Reuilly, 75012 ;

– la caserne Lourcine, 37 boulevard de Port Royal, 75013 ;

– l’abbaye de Penthemont, 37 rue de Bellechasse, 75007 ;

– le pavillon Penthemont, 39 rue de Bellechasse, 75007 ;

– l’Hôtel du Génie, 104 rue de Grenelle, 75007 ;

– l’îlot Saint Germain, 231 boulevard Saint-Germain, 75007 ;

– l’Hôtel de l’Artillerie, 1 place Saint Thomas d’Aquin, 75007 ;

– la caserne de la Pépinière, 15 rue Laborde, 75008.

Ces biens avaient été regroupés dans la perspective d’une cession de gré à gré à un consortium qui aurait dû être constitué par la Caisse des dépôts et consignations et par la Sovafim selon un schéma aujourd’hui abandonné.

La valeur de ce sous-ensemble avait été fixée à 734 millions d’euros, dont 214 millions pour l’îlot Saint-Germain, selon une estimation réalisée vers 2007-2008 au moment de l’élaboration de la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014. Bien que ne figurant pas dans le projet de loi de programmation soumis au Parlement au printemps 2009, ces crédits ont été inscrits – d’une manière globale – dans la loi de finances pour 2009 puis dans celle pour 2010.

Une nouvelle évaluation, plus approfondie, réalisée à l’automne 2009 par France Domaine, a abouti à un montant de 744 millions d’euros dont 320 millions pour le seul îlot Saint-Germain, dont la valeur était ainsi majorée de moitié.

3.– Les biens cédés hors de l’opération Vauban

Les biens cessibles hors du périmètre Vauban sont les suivants :

– des bureaux situés au 6 rue Saint Charles, 75015 ;

– le pavillon Montparnasse, 93 boulevard du Montparnasse, 75006 ;

– un immeuble, 19 boulevard de la Tour Maubourg, 75007 ;

– la caserne Gley, 82 boulevard Ney, 75018 ;

– le fort d’Issy, à Issy-les Moulineaux (92) ;

– la caserne Sully, à Saint-Cloud (92) ;

– les ex-ateliers de Puteaux, à Rueil-Malmaison (92).

L’évaluation associée à la Loi de programmation militaire pour ces biens s’établissait à 192 millions d’euros. Deux d’entre eux ont été vendus en 2009 : le fort d’Issy, pour 60 millions d’euros payables en quatre fois, ainsi que les bureaux de la rue Saint Charles (1,6 million d’euros par adjudication notariale). Le pavillon Montparnasse est en cours de cession, au printemps 2010, à la Ville de Paris dans le cadre de son droit de préemption. L’immeuble de La Tour Maubourg est proposé en appel d’offres, en juin 2010.

Le total de ces deux sous-ensembles est donc évalué à 926 millions d’euros.

D.– L’ÉCHEC DE L’OPÉRATION VAUBAN

1.– Un projet de vente de gré à gré à un consortium

Alors que l’État se sépare habituellement de ses actifs immobiliers par le recours au marché, le ministre de la Défense a préféré, dans le cas spécifique des huit biens concernés par l’opération Vauban, mettre en œuvre une procédure de gré à gré avec un consortium qui devait être composé de la Caisse des dépôts et consignations et de la Sovafim.

Ce choix fut fait pour deux raisons : la première tenait au délai, étant entendu que la Caisse des dépôts et la Sovafim étaient prévenues que l’opération devait être conclue avant la fin de l’exercice 2009, conformément aux dispositions de la loi de finances ; la seconde étant que les biens transférés à la Sovafim l’auraient été sous une forme juridique qui dispensait l’État de les soumettre au droit de priorité des collectivités territoriales – c’est du reste ce qui justifiait la présence dans le consortium de la Sovafim aux côtés de la Caisse des dépôts.

Au sein de la société commune, la répartition des fonds propres aurait été d’environ un tiers pour la Sovafim et de deux tiers pour la Caisse des dépôts.

2.– La chronologie de l’échec

Il semblerait que ce soit en mars 2009 que les ministères de la Défense et du Budget aient sollicité la Caisse des dépôts et consignations pour qu’elle présente, en partenariat avec la Sovafim, une offre d’achat sur le périmètre des biens de l’opération Vauban. Le délai était court, l’État souhaitant une première indication d’intérêt avant l’été.

Après un travail rapide, la Caisse des dépôts a proposé une première indication de prix dans le délai imparti. Des études approfondies ont permis de déterminer, au cours de l’automne 2009, une fourchette comprise « entre 505 et 525 millions d’euros pour l’ensemble du périmètre ». Plus précis, M. Olivier Debains, président de la Sovafim, évoque un montant de 520 millions d’euros.

Pour justifier la relative faiblesse de son offre par rapport aux estimations de France Domaine (744 millions d’euros), la Caisse des dépôts et consignations met en avant la difficulté d’évaluer des biens dont la destination finale n’est pas clairement définie. Selon qu’ils seront convertis en appartements, en logements pour étudiants, en bureaux ou hôtels de luxe, ces biens connaîtront une valorisation plus ou moins élevée.

Ce prix était accompagné, selon les mots de M. Hubert Reynier, représentant la Caisse des dépôts, d’une « structure de complément de prix » destinée à intéresser l’État à la valorisation à terme des actifs (8). La formule proposée « était fondée sur un taux de rentabilité moyen du périmètre d’un peu plus de 6 % » (6,5 % selon M. Olivier Debains), le taux du marché pour ce type d’opération étant aujourd’hui « de 9 % minimum ». Quant au loyer que le ministère de la Défense aurait eu à payer pour les locaux occupés jusqu’en 2014, « il l’aurait pratiquement fixé lui-même » assure le représentant de la Caisse des dépôts.

Cette offre ne fut pas jugée par le ministère du Budget conforme aux attentes de l’État. Le ministère de la Défense, en revanche, à la recherche de recettes exceptionnelles et considérant que les estimations de France Domaine étaient surévaluées, était prêt à donner une suite favorable à la proposition. Mais l’arbitrage de Matignon, rendu au début de l’année 2010, donna raison au ministère du Budget, sonnant le glas de l’opération Vauban et de l’espoir d’une vente rapide et anticipée des principaux actifs immobiliers parisiens du ministère de la Défense.

3.– France Domaine défend son évaluation

Pour éclairer le ministère de la Défense sur la valeur des biens en question, France Domaine, selon M. Daniel Dubost, « pouvait se prévaloir d’une certaine expérience puisque ce service avait déjà vendu dix immeubles dans le 7ème arrondissement de Paris, dont certains aussi importants : aucun n’avait été cédé à moins de 8 000 euros le mètre carré. Entre 2005 et 2009, le montant total des cessions a atteint 3 milliards d’euros : l’échantillon est donc large. Le bien le plus important, le centre de conférences internationales, a été vendu pour 404 millions d’euros, soit un montant supérieur à l’évaluation la plus importante du périmètre Vauban » (9). L’Assemblée nationale a acquis, en 2009, un immeuble situé 33 rue Saint-Dominique à 10 200 euros le mètre carré, prix conforme, selon France Domaine, à ceux du marché. L’immeuble le plus proche de celui du ministère de la Défense, celui de l’ex-Crédit National, de taille comparable, a été cédé 11 058 euros le mètre carré.

L’offre de la Caisse des dépôts et consignations équivalait à un prix d’environ 3 800 euros le mètre carré pour l’ensemble Penthemont, 2 750 euros pour l’îlot Saint-Germain, et 4 400 euros pour l’Hôtel de l’Artillerie. Il a semblé à France Domaine que, même en période de crise, ces prix ne correspondaient pas à ceux du marché. Les évaluations de ce service, pourtant prudentes puisqu’inférieures au prix le plus faible des dix immeubles précédemment cédés, étaient toutes au-delà des prix proposés par le consortium.

Le ministère du Budget en a conclu, selon M. Daniel Dubost, que le prix proposé « ne permettrait pas au Gouvernement, en l’absence de recours au marché, de justifier auprès des nombreux organes de contrôle auxquelles est soumise la politique immobilière de l’État que les intérêts patrimoniaux de l’État auraient été sauvegardés. Les arbitrages interministériels ont conduit à ne pas donner suite à la proposition ».

4.– La suite qui sera donnée aux projets de cessions

Le Premier ministre a donc décidé que les biens immobiliers ne seraient pas cédés au prix proposé par la Caisse des dépôts et consignations, mais vendus au fur et à mesure de leur libération, certains dès 2012, la majorité en 2014, lors du transfert des services vers Balard.

Cette approche prive le ministère de la Défense de recettes exceptionnelles immédiates mais présente néanmoins un double avantage : d’une part elle permet d’attendre un redémarrage du marché immobilier parisien, peu affecté par la crise sauf pour ce qui concerne les biens exceptionnels pour lesquels le marché, étroit, est sensible à la conjoncture ; d’autre part, il évite aux services du ministère d’avoir à payer un loyer entre le moment de la vente et celui de la libération effective des biens.

Ces biens seront cédés d’ici 2014 selon un échéancier qui sera prochainement publié et compris dans le plan de cession de 1 700 biens annoncé par M. François Baroin dans sa communication au Conseil des ministres du 24 avril 2010. Les autres biens seront cédés en fonction des dates de libération effectives, à la valeur domaniale estimée à la date de leur libération.

Le chef du service France Domaine, M. Daniel Dubost, a confirmé devant la Mission d’évaluation et de contrôle que la dérogation qui permet au ministère de la Défense de bénéficier de la totalité des produits de cession était applicable jusqu’en 2014 (10).

E– LE CAS PARTICULIER DE L’HÔTEL DE LA MARINE

Siège de l’état-major de la marine, le magnifique Hôtel de la Marine, situé à l’angle de la place de la Concorde et de la rue Royale, sera libéré de ses occupants militaires en 2014, lorsque sera inauguré le nouveau ministère à Balard. Compte tenu de son histoire et de son caractère prestigieux, ce monument classé ne sera pas vendu mais devrait rester dans le patrimoine de la République. Il s’agit néanmoins de le valoriser, éventuellement en le louant sur une longue durée à un opérateur privé.

Le devenir de l’Hôtel de la Marine fait l’objet d’une gestion interministérielle, avec France Domaine et le ministère de la Culture, au niveau du Premier ministre. Il a été demandé à l’architecte des monuments historiques une étude d’authenticité du bien – pièces, escaliers, menuiseries, toitures, volumes et décors à préserver. Cette étude a été rendue. Un appel d’offres sera lancé, avec un cahier des charges spécifique afin que le bien ne soit réoccupé que dans le cadre d’un projet de qualité. Cela suppose inévitablement des contraintes, s’agissant d’un monument public et d’un bâtiment classé monument historique.

Le processus prendra du temps et sera mené, selon le ministère de la Défense, « en toute transparence et avec précaution ». La préférence du ministre irait vers un projet plutôt culturel car le site doit être appréhendé en fonction de son histoire, mais aucune décision n’est encore prise.

Il apparaît toutefois que, malgré l’absence de tout projet, une somme de 300 millions d’euros, inscrite en loi de programmation militaire mais non en loi de finances initiale, figurait au titre des recettes exceptionnelles attendues pour 2010. « Pour 2010, ces recettes à ce titre seront nulles » a confirmé le ministre de la Défense.

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* *

II.– LES ALIÉNATIONS D’ONDES HERTZIENNES

La loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, modifiée par la loi n° 2007-309 du 5 mars 2007, prévoit que la réaffectation des fréquences libérées par l’extinction de la diffusion hertzienne analogique est décidée par le Premier ministre, dans le cadre d’un schéma national de réutilisation des fréquences libérées par l’arrêt de la diffusion analogique, après consultation de la commission du dividende numérique, instituée par cette même loi. Mais les instances internationales ont ajouté des contraintes.

A.– UNE REDISTRIBUTION LIÉE AU PASSAGE À LA TÉLÉVISION NUMÉRIQUE

1.– Le numérique nécessite moins de fréquences que l’analogique

Grâce au basculement de la télévision analogique vers le numérique, une partie du spectre radioélectrique va être libérée et redistribuée. En France, l’arrêt complet de la télévision analogique est prévu pour le 30 novembre 2011.

Le spectre hertzien évolue régulièrement et est soumis à de fréquentes redistributions. Mais les fréquences sont une ressource rare et les usages ne cessent d’évoluer : des radioamateurs aux chaînes de télévision, des communications aéronautiques ou maritimes aux stations de radio, en passant par les liaisons satellites, le téléphone mobile ou le ministère de la Défense…

Historiquement, la radio, première utilisatrice, s’est installée dans les bandes de fréquence basses. Quand la télévision analogique s’est développée, elle s’est installée un peu plus haut, dans la bande UHF. Et le téléphone mobile a dû encore « grimper en fréquence ».

Pour la première fois, cette logique de progression dans le spectre n’est plus de mise. L’arrêt programmé de la télévision analogique va libérer de l’espace dans les bandes de fréquence plus basses. En passant à la télévision numérique, de précieuses fréquences seront libérées dans la bande UHF. En effet, une fréquence ne transporte plus une chaîne, comme dans le cas de l’analogique, mais six chaînes numériques. L’investissement réalisé par le passage à la télévision numérique va donc permettre à l’état propriétaire de percevoir une sorte de dividende, d’où l'expression de « dividende numérique ».

Dans le but de rendre plus cohérents les spectres ainsi disponibles, la Commission européenne a demandé aux armées des pays membres de l’Union européenne de libérer une partie des fréquences situées dans la continuité de celles libérées.

2.– Une organisation nationale et internationale très hiérarchisée

En France, onze affectataires se partagent le spectre radioélectrique, les trois plus importants étant le Conseil supérieur de l’audiovisuel, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, et le ministère de la Défense. Les ministères chargés des Transports et de l’Intérieur jouent également un rôle majeur.

Les fréquences sont réparties selon un tableau annexé à un arrêté du Premier ministre fréquemment mis à jour. La dernière modification date du 15 avril 2010. Les changements d’affectation font l’objet de réunions préparatoires. Le tableau définit également les droits de chaque affectataire, qui peuvent être exclusifs – il est alors seul à utiliser une bande de fréquences –, partagés – il peut y avoir un affectataire secondaire sur la même bande –, ou équivalents – plusieurs affectataires opérant sur la même bande.

La répartition des fréquences est harmonisée avec les décisions de l’Union internationale des télécommunications, l’UIT, au niveau mondial. Puis, c’est la Commission européenne des postes et télécommunications, la CEPT, qui intervient pour fixer les orientations des pays européens qui restent souverains chez eux. L’harmonisation permet d’utiliser son téléphone portable ailleurs que dans son propre pays ou de capter la télévision nationale à proximité d’une frontière. Enfin, certains pays, comme les membres de l’OTAN, se coordonnent pour utiliser leurs systèmes militaires dans les mêmes bandes et pour qu’ils ne se brouillent pas les uns les autres.

La France est très organisée face au système international et à la Commission européenne, parce que l’Agence nationale des fréquences présente une position nationale en coordonnant les intérêts des affectataires qui ne sont pourtant pas toujours convergents.

C’est dans ce cadre qu’a été traité le « dividende numérique », c’est-à-dire les fréquences dégagées par le passage de la télévision analogique à la télévision numérique. L’UIT et la CEPT sont convenues d’étudier l’attribution de ce dividende à tel ou tel service. La France a confié sa gestion à l’ARCEP, au profit de la téléphonie mobile, mais le spectre dévolu aux communications civiles a été élargi aux dépens du ministère de la Défense puisque la bande 830-860 MHz abrite la radio du système Félin (Fantassin à équipement et liaisons intégrées), tenue de combat du fantassin équipée d’une radio qui fait de chaque soldat équipé à la fois un émetteur et un récepteur. La CEPT ayant poussé au développement du haut débit, la même démarche a conduit au transfert du système de transmissions hertziennes du réseau de communication de la gendarmerie Rubis (Réseau unifié basé sur l'intégration des services), qui fonctionne sur 2 GHz.

3.– Une opportunité historique de valoriser une ressource publique rare

Les professionnels de l'audiovisuel et ceux des télécommunications se sont déclarés très intéressés par les fréquences à libérer. En effet, ces fréquences sont qualifiées par les spécialistes de « fréquences en or », dites basses (inférieures à 1 gigahertz). Elles présentent des qualités de propagation bien meilleures que les fréquences hautes : elles sont bien plus adaptées à la réalisation d’une couverture étendue et permettent de transporter de gros volumes de données sur de longues distances sans que le signal soit détérioré, avec un moindre coût de déploiement des réseaux. Les atouts sont cruciaux à un moment où l’implantation d’antennes relais est regardée avec suspicion par une partie de la population.

Les opérateurs téléphoniques, soutenus par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), évoquent également l’argument de l’aménagement du territoire et de l’égalité d’accès aux services à très haut débit : en effet, le déploiement de la fibre optique n’étant pas réaliste sur l’ensemble du territoire pour des raisons financières, les basses fréquences qui vont être libérées pourraient être utilisées dans les zones difficiles d’accès.

La radio prépare également sa numérisation. Enfin, de nouveaux services apparaissent, comme la télévision mobile personnelle (TMP). De plus en plus, les frontières entre l’audiovisuel et les télécommunications sont bousculées par l’évolution technologique : les canaux de diffusion de la télévision se multiplient avec le satellite, le câble, le téléphone portable...

4.– Un processus imposé au ministère de la Défense

Dans ce vaste processus de redistribution, le ministère de la Défense devra céder deux bandes. La première est la bande 2,6 gigahertz (GHz), bande haute servant à fournir de la capacité dans les zones denses et qui était, jusqu’à présent utilisée par le système Rubis de la gendarmerie nationale. La seconde est la bande 800 mégahertz (MHz), bande basse servant à assurer de la couverture dans les zones moins denses. Elle est actuellement utilisée par le système Félin.

Le ministère de la Défense ne s’est pas porté volontaire pour céder les deux bandes qui lui sont réclamées : c’est bien la Commission européenne qui a décidé – mais la France ne s’y est pas opposée – que le dividende numérique couvre une partie de la bande de la Défense. Lorsque la décision fut prise en 1998 d’installer le système Félin sur cette bande qui ne s’est pas révélée pérenne, la position de la Conférence mondiale des radiocommunications et celle de la Commission européenne ne pouvaient être anticipées, même si certains responsables pressentaient ce qui allait se passer.

Ce n’est certes pas la première fois que les militaires doivent migrer : toutes les bandes GPS et UMTS actuellement utilisées par le secteur civil sont d’anciennes bandes du ministère de la Défense. Le ministère devra continuer à fonctionner avec moins de fréquences, ce qui créera d’inévitables contraintes, au risque de manquer de place pour développer de nouveaux systèmes. Si les exemples de fréquences prises aux militaires sont nombreux, il n’existe pas de fréquences qui soient revenues au ministère de la Défense.

Or, les fréquences risquent de devenir une denrée de plus en plus rare, notamment avec l’utilisation intensive de drones qui transmettent au sol, en temps réel, un volume considérable de données, en particulier des images. De la même manière, le concept de guerre en réseau qui s’est imposé dans les armées modernes repose sur l’échange d’informations entre les forces et donc, sur l’utilisation des bandes passantes. Certains observateurs constatent avec regret que c’est au moment où explose le volume d’informations à transmettre que se concrétise la rétrocession au monde civil des fréquences jusqu’alors réservées aux applications militaires.

La nouveauté qui accompagnera ces changements de fréquences, c’est que, pour la première fois, les montants encaissés n’iront pas alimenter les recettes du budget général mais seront directement affectés au ministère de la Défense. Cette nouveauté est rendue possible par la loi de programmation militaire 2008-2014 qui prévoit explicitement ce mécanisme, ce qui est une première.

Certains observateurs font remarquer que le ministère de la Défense est d’autant plus heureux de bénéficier de recettes liées au système Rubis de la gendarmerie que la décision relative aux cessions d’onde a été prise juste avant le rattachement de ce corps au ministère de l’Intérieur…

B.– LES CARACTÉRISTIQUES DES FRÉQUENCES CONDITIONNENT LE CALENDRIER

1.– Deux bandes aux caractéristiques différentes

Aujourd’hui, la quantité de spectre dans la bande 2,6 GHz est assez grande – 190 MHz – et celle de la bande 800 MHz relativement faible : 72 MHz, mais 2 x 30 MHz sont utilisables par les opérateurs mobiles. Ces deux bandes de fréquences vont servir de support à la prochaine génération mobile – la quatrième –, construite pour fournir des services de données, c’est-à-dire des services d’accès à Internet mobile, en visant une augmentation des débits accessibles par les utilisateurs et une meilleure utilisation du spectre.

La bande 2,6 GHz, comme la bande 2,1 GHz utilisée aujourd’hui pour la troisième génération de téléphonie, a vocation à développer de la capacité essentiellement en zones denses – sur une partie relativement réduite du territoire : 75 % de la population, 30 % de la surface. La bande 800 MHz a vocation à couvrir les zones moins denses.

Les propriétés physiques de ces bandes sont différentes. Une bande de fréquences élevées, qui se propage moins bien, nécessite des réseaux plus denses avec des cellules plus petites et davantage d’antennes. Une bande basse permet d’assurer la couverture d’une zone étendue avec moins de sites et donc à un moindre coût. L’exercice pour les opérateurs consiste donc à utiliser ces deux bandes de fréquences pour satisfaire les besoins de leurs clients, couvrir le territoire et respecter les obligations de déploiement, le tout à un coût optimal.

La bande 2,6 GHz n’est guère compliquée à gérer. Elle offre beaucoup de fréquences disponibles, mais c’est un inconvénient sur le plan financier, la valorisation de ces fréquences par les opérateurs étant liée à la rareté du bien. L’ARCEP devra donc concevoir une procédure qui permette une valorisation raisonnable. L’objectif de l’autorité de régulation vise à essayer de créer une rareté relative, mais un peu artificielle, pour introduire un minimum de concurrence et tirer les enchères à la hausse.

2.– Une valeur difficile à apprécier

Le processus vient à peine de démarrer dans certains pays européens, et les premiers exemples viennent des pays nordiques – traditionnellement très réactifs, Ericsson et Nokia étant les grands constructeurs européens de mobiles – où les valorisations pour les 190 MHz de la bande 2,6 GHz s’étalent entre 4 millions d’euros et 200 millions d’euros.

Interrogés sur le poids respectif des deux bandes aliénées au sein des 600 millions d’euros attendus, les représentants de l’ARCEP n’ont pas pu répondre, en l’absence d’exemples historiques significatifs. Des montants astronomiques – 60 milliards d’euros – obtenus au Royaume-Uni et en Allemagne cohabitent avec des sommes plus modestes enregistrées en Suède (200 millions d’euros) (11). La réalité française se situera probablement entre les deux, sans qu’il soit aisé d’apporter plus de précision.

La Mission d’évaluation et de contrôle a eu les plus grandes difficultés à comprendre comment a été obtenu ce chiffre de 600 millions d’euros avancé par le ministère du Budget. M. Philippe Distler, directeur général de l’ARCEP, a reconnu qu’il était « très difficile de dire dans quelle mesure les évaluations économiques sont représentatives de la réalité ». Et de conclure prudemment : « Il n’est absolument pas exclu que les ordres de grandeur cités soient atteints » (12).

Ces propos nuancés contrastent avec ceux de M. Éric Querenet de Bréville pour qui, en matière de fréquences « les plus-values potentielles sont très importantes » (13). Le représentant du ministère du Budget n’a pas peur d’affirmer que « l’aléa favorable sur les fréquences est supérieur à l’aléa défavorable sur l’immobilier ».

3.– Un calendrier retardé et fractionné

L’attribution d’une autorisation à un quatrième opérateur mobile a pris du retard par rapport au calendrier initial puisqu’elle n’a eu lieu qu’en janvier 2010. Dans la foulée, l’ARCEP a lancé la procédure pour le reliquat de fréquences dans la bande 2,1 GHz au mois de février.

Pour la bande 2,6 GHz, l’autorité de régulation a prévu de lancer l’appel à candidatures d’ici à l’été. Ainsi, une attribution pourrait être effective d’ici à la fin de l’année. Or, le fait générateur de la recette financière est la décision d’attribution des fréquences et non leur transfert effectif au nouvel opérateur. L’ARCEP confirme que « c’est au moment où la décision d’utilisation des fréquences est prise que les redevances, et éventuellement la partie fixe résultant soit d’une fixation par le ministère, soit de la procédure elle-même, sont payées ».

Pour la bande 800 MHz, la situation est plus compliquée. En effet, dans la loi relative à la lutte contre la fracture numérique, le Parlement a fixé un objectif de prise en compte prioritaire de l’aménagement du territoire pour l’attribution de ces fréquences. Or, cette bande est idéale pour couvrir les zones les moins denses. Malheureusement, il y a peu de fréquences : seuls 60 MHz sont utilisables. Or, l’utilisation optimale du potentiel des technologies de quatrième génération nécessite de donner aux opérateurs des blocs de fréquences suffisamment larges, au minimum de 10 MHz, voire de 20 MHz.

L’ARCEP évoque désormais le second trimestre 2011 comme date d’attribution probable des fréquences de la bande des 800 MHz.

Au total, les Rapporteurs retiennent que l’ARCEP comme la DGSIC excluent que soit aliénée d’ici la fin de l’année 2010 la bande 800 MHz du système Félin. Seule la cession de la bande 2,6 Ghz correspondant aux fréquences Rubis a des chances d’intervenir d’ici là.

C.– TOUT CHANGEMENT DE FRÉQUENCE COMPORTE UN COÛT

1.– Le changement de fréquence aura un coût élevé

Le changement de fréquence aura un coût pour les armées : 118 millions d’euros pour les ondes utilisées par le programme Félin et 67 millions d’euros pour celles cédées dans le cadre du système Rubis, soit 185 millions au total. En effet, pour fonctionner sur les nouvelles fréquences allouées, les radios du système Félin devront être changées.

Or, 1 000 postes sont déjà utilisés par l’armée de terre et la cadence de déploiement est de 4 000 par an pour atteindre un total de 20 000. La date prévue pour la libération de la bande – le 30 novembre 2011 – interviendra en plein milieu du processus de réception des équipements : 13 000 tenues auront alors été livrées avec une radio fonctionnant sur une fréquence obsolète. Il ressort des auditions menées par la mission que, compte tenu du coût relativement modéré des postes radio, les modifier un par un n’est pas économiquement rentable : mieux vaudra les remplacer.

Le système Rubis devra également être remanié : 770 antennes devront être changées : il conviendra de remplacer non seulement la coupole, mais aussi l’émetteur-récepteur et, au niveau départemental et régional, le système de supervision.

2.– Des conséquences opérationnelles non négligeables

Ce coût inclut également la fabrication de relais mobiles supplémentaires. En effet, les nouvelles fréquences utilisées auront une portée inférieure à celles qui sont libérées. Cet inconvénient pénalisera le petit équipement de transmission dénommé RIF (Réseau d'information du fantassin), équipement d’une portée assez courte – quelques centaines de mètres – qui permet aux membres d’un groupe de combat – jusqu’à environ trente soldats – d’échanger entre eux.

Les soldats de l’armée de terre devront donc déployer des relais mobiles permettant d’assurer la continuité des communications entre les éléments qui pourraient être aux avant-postes et le reste de la troupe. Il s’agit évidemment d’une contrainte supplémentaire dont les militaires confrontés au stress du danger en opérations se seraient bien passés.

Une autre solution aurait pu consister à augmenter la puissance des émissions pour compenser la plus faible portée, mais la réglementation sanitaire et le simple principe de précaution ne permettent pas d’augmenter indéfiniment la puissance d’un émetteur porté à dos d’homme.

3.– Qui supportera réellement le coût du dégagement ?

Le coût de ces aménagements techniques est appelé « coût de dégagement ». Selon une pratique courante, il est admis que ce coût doit être réglé par l’opérateur qui récupère les fréquences convoitées et non par celui qui les quitte et qui, en l’occurrence, n’était pas demandeur du changement.

Si ce principe semble accepté par tous, la question qui se pose est de savoir si les 185 millions d’euros seront remboursés au ministère de la Défense en sus des 600 millions d’euros attendus par les cessions d’ondes où s’ils sont considérés comme faisant partie de cette somme dont le calcul, comme on l’a vu, repose sur des bases bien fragiles.

La plupart des interlocuteurs de la Mission d’évaluation et de contrôle n’ont, sur ce point, pas voulu s’engager, à l’exception du ministre de la Défense qui a déclaré : « Les coûts de dégagement seront déduits du produit de la cession ; en d’autres termes, ils seront à notre charge ». Les Rapporteurs soulignent toutefois que, de toute évidence, si cette somme était mise à la charge des acheteurs, elle grèverait les capacités financières des candidats à la reprise des ondes qui, en conséquence, enchériraient de manière prudente.

Proposition n° 4 – Lorsqu’il est prévu d’aliéner des fréquences militaires, ce sont les recettes prévisionnelles nettes des éventuels frais estimés de dégagement qui doivent être prises en considération, et non les évaluations brutes.

Lorsque le ministère de la Défense a abandonné les fréquences GSM et UMTS, les frais de dégagement remboursés par les industriels ne lui ont pas été reversés mais sont allés abonder le Fonds de réserve des retraites.

4.– L’armée de terre assure ses arrières

Les nouvelles fréquences utilisées par le système Félin sont connues : les forces terrestres utiliseront les bandes de recherche astronomique concurremment avec le ministère de la Recherche, les deux usages étant compatibles.

Toutefois, dans la mesure où elle opère souvent en opérations extérieures sur des territoires qui ne sont pas concernés par cette réglementation relative au partage des fréquences, l’armée entend conserver plusieurs milliers de postes radio fonctionnant sur les fréquences qu’elle doit abandonner en France. Ainsi, lors d’opérations dans des régions difficiles mais où les fréquences sont peu encombrées (montagnes afghanes, désert tchadien…) les fantassins pourront continuer à utiliser la « fréquence en or » qui offre une meilleure diffusion.

Les militaires devront donc se familiariser avec deux types d’appareils et de fréquences différents, ce qui ne manquera pas de poser de nouvelles contraintes opérationnelles (choix du type d’appareil et de la fréquence) ainsi que techniques, puisqu’il faudra maintenir en état de fonctionnement deux systèmes différents. En outre, le général Pierre Puget (14) a souligné lors de son audition que le nouveau système Félin « devrait être sur la bande des 2 GHz, qui n’est pas harmonisée par l’OTAN. Il ne sera pas directement interopérable. L’idéal serait d’être sur la même plage de fréquences ».

L’armée de terre négocie également la possibilité de pouvoir continuer à utiliser ces anciennes fréquences à l’intérieur de quelques camps d’entraînement métropolitains, le temps que tous les nouveaux postes soient livrés, d’ici 2014.

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* *

III.– LA CESSION DE L’USUFRUIT DE SATELLITES
DE TÉLÉCOMMUNICATIONS MILITAIRES

Dans le cadre des travaux de préparation du Livre blanc, et au regard de l’expérience britannique, le ministère de la Défense a examiné un scénario de cession d’usufruit des satellites de télécommunications militaires avec le double objectif d’obtenir des recettes extrabudgétaires aussi rapidement que possible et d’externaliser cette fonction, dans la mesure où il lui paraît désormais souhaitable au ministère de passer d’une logique patrimoniale à une logique d’acquisition de services. Ce projet a été baptisé « Nectar ».

La gestion des satellites de télécommunications militaires est un sujet sensible : sans ces satellites, il n’est aujourd’hui plus possible de projeter des forces de manière autonome pour participer à une opération extérieure ou à l’évacuation de ressortissants.

A.– TRENTE ANS DE SATELLITES DE TÉLÉCOMMUNICATIONS

1.– Les satellites de télécommunications militaires français

Syracuse (pour SYstème de RAdioCommunication Utilisant un SatellitE) est le nom du programme français de satellites de télécommunication militaires. Syracuse permet d'assurer l'ensemble des communications militaires entre la France et les unités déployées sur les théâtres d’opérations. Il participe à la conduite des opérations pour le commandement, le renseignement, et la logistique. Actuellement, le programme en est à la mise en place de Syracuse 3 en remplacement de la génération Syracuse 2.

● Syracuse 1

Le programme Syracuse, a été initié le 17 janvier 1980 et est constitué de trois satellites de la série Télécom 1 :

– Télécom 1A (lancé le 4 août 1984) ;

– Télécom 1B (lancé le 8 mai 1985) ;

– Télécom 1C (lancé le 11 mars 1988).

Ces satellites sont la propriété de France Télécom, qui loue aux armées deux « répéteurs », appareils servant à amplifier et renvoyer les signaux captés.

● Syracuse 2

La seconde génération Syracuse a été approuvée par le ministre de la Défense le 20 janvier 1987. Cette fois-ci, quatre satellites ont été mis en place, tous de la série Télécom 2 :

– Télécom 2A (lancé le 16 juin 1991) ;

– Télécom 2B (lancé le 15 avril 1992) ;

– Télécom 2C (lancé le 6 juin 1995) ;

– Télécom 2D (lancé le 8 août 1996).

Les satellites de la constellation Télécom sont co-propriété de France Télécom et de la DGA. Ainsi, les armées ne sont plus tributaires de l’opérateur de télécommunications, ce dernier ne pouvant modifier la position orbitale sans l'accord de l’état-major des armées.

● Syracuse 3

Le système Syracuse 3 a été conçu pour fonctionner de manière optimale avec deux satellites. La nouveauté de ce programme réside dans le fait que ses installations, autant spatiales qu’au sol, sont la propriété exclusive de l’EMA, assurant l’autonomie à l'armée française en matière de communications par satellites. C’est la raison pour laquelle l’appellation « Télécom », faisant référence à France Télécom, est abandonnée au profit du nom « Syracuse », définissant à la fois le programme et les satellites. Aujourd’hui, seuls les deux premiers sont en orbite. Un troisième satellite, Sicral 2 (Sistema italiano per comunicazioni riservate ed allarmi) développé en commun avec l’Italie, devrait être lancé vers 2012 ou 2013. Les satellites de la constellation sont :

– Syracuse 3A (lancé le 13 octobre 2005) ;

– Syracuse 3B (lancé le 11 août 2006) ;

– Sicral 2 (lancement prévu vers 2012-13).

Actuellement, la Défense dispose donc des deux satellites Syracuse 3, mais aussi du satellite Télécom 2D, en fin de vie mais qui semble encore actif quatorze ans après son lancement. Sicral est destiné, dans un premier temps à assurer les redondances nécessaires au système puis, à l’horizon 2017-2018 à prendre le relais des deux Syracuse 3 dont la longévité théorique est de l’ordre d’une douzaine d’années.

2.– Une organisation complexe du ministère de la Défense à rationaliser

Soucieux de mener leurs travaux de manière approfondie et de rencontrer les interlocuteurs idoines, les Rapporteurs se sont heurtés à la complexité de l’organigramme du ministère de la Défense en matière de télécommunications. Outre la DGA, qui apparaît être l’interface entre le ministère et les acteurs privés, d’autres entités interviennent en la matière. Deux directions : la DGSIC (direction générale des Services d’information et de communication) et la DIRISI (direction interarmées des Réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information de la Défense).

La direction interarmées des Réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information (DIRISI), créée le 31 décembre 2003, est chargée des missions suivantes : exploitation des réseaux et mise à disposition de services au profit des forces et des engagements opérationnels de la Défense ; acquisition des moyens d’information, des systèmes d’informations, des ordinateurs et de la bureautique, ainsi que de certains systèmes de communication ; exploitation de ces systèmes ; hébergement et mise à disposition de services liés à des applications « de service commun », de type messagerie ou autres au profit des agents militaires ou civils de la défense.

La DIRISI, placée sous la responsabilité du chef d’état-major des armées (CEMA), couvre l’ensemble des systèmes d’information et de communication du ministère de la Défense et pas seulement ceux des forces armées. La coordination est assurée par la direction générale des Systèmes d’information et de communication (DGSIC), aujourd’hui dirigée par l’amiral Christian Pénillard. L’activité de cette direction se limite aux réseaux et systèmes d’information et d’administration générale, les systèmes scientifiques techniques étant opérés par la direction générale de l’Armement (DGA) et les systèmes opérationnels projetés avec les bateaux, les avions ou les forces terrestres par l’état-major des armées (EMA).

Enfin, un collège composé de seize officiers de cohérence opérationnelle (OCO) intervient pour s’assurer de la cohérence de l’ensemble. Répartis selon les systèmes de forces, ces officiers ont pour fonction de vérifier que chaque « brique » de l’ensemble des capacités des armées est aussi en cohérence que possible avec les autres. Ils animent un réseau d’experts des différentes armées – dont certains sont affectés à la DIRISI – et vérifient que l’ensemble des opérations montées, en application du Livre blanc, pour la conduite des programmes d’armement et des matériels livrés aux forces, est le plus cohérent possible.

Le ministre de la Défense a reconnu que le pilotage des systèmes d’information et de communications de la Défense « posait problème » (15: « ce secteur recèle un potentiel d’économies considérable : à l’horizon de trois ou quatre ans, nous pourrions réduire les coûts de 1,5 milliard d’euros ». Ayant changé récemment le directeur de la DIRISI, il a indiqué qu’il entendait « continuer de mettre de l’ordre ».

Les Rapporteurs regrettent la complexité de l’organisation du ministère de la Défense en matière de télécommunications ainsi que la parcellisation des tâches et le relatif cloisonnement qui en résultent. En réforme quasi permanente depuis sa création, la DIRISI vient de connaître un changement de directeur. La mission d’évaluation formule le vœu que ce changement soit le point de départ d’une réorganisation plus rationnelle.

Proposition n° 5 – Rationaliser, décloisonner et fluidifier l’organisation du ministère de la Défense en matière de systèmes d’information et de communication.

B.– LE MÉCANISME DE LA CESSION D’USUFRUIT

1.– Une quasi externalisation

L’objectif de l’opération Nectar consiste à céder à titre onéreux à un opérateur privé l’usufruit des satellites de télécommunications militaires. En échange, l’opérateur privé s’engagera à gérer, moyennant un loyer qui lui sera versé, les communications satellitaires du ministère de la Défense, client privilégié. Mais les capacités non utilisées par les armées pourront être proposées à d’autres clients, essentiellement des armées alliées ou amies, mutualisant les moyens et augmentant les sources de revenus possibles.

En revanche, en cas de pertes de capacités des satellites, c’est à l’opérateur qu’incomberait la charge de trouver des solutions de rechange : le ministère de la Défense louerait ainsi un service global de télécommunications. Cette réforme repose sur le pari qu’il y a un intérêt économique à agir de la sorte et une valeur ajoutée pour le ministère de la Défense en termes de services et de recettes budgétaires. Les représentants de Thales ont souligné que les partenariats de ce type se développent partout en Europe ainsi que dans d’autres pays, à l’exception des États-Unis où les budgets militaires sont tels qu’il n’est pas nécessaire de recourir à de tels dispositifs(16).

Ainsi, les Britanniques, pionniers dans ce domaine, ont choisi de recentrer leurs armées sur le cœur de leur métier : le combat et les interventions sur le terrain. C’est la raison pour laquelle ils ont confié la gestion de leurs réseaux de télécommunications à des sociétés civiles. En outre, les techniques de communications évoluant à une vitesse considérable, le recours à des entreprises spécialisées peut faciliter l’adaptation des armées aux nouvelles technologies ainsi que l’exploitation des possibilités offertes par l’évolution des technologies.

Enfin, l’externalisation des télécommunications apparaît à l’usage comme un outil de rationalisation : Astrium, qui a déjà l’expérience de la gestion des télécommunications de l’armée britannique, fait remarquer que lorsque les militaires anglais ont commencé à recevoir une facturation liée au flux réel des télécommunications échangées, ces dernières ont été rationalisées et les capacités libérées au profit des tiers s’en sont trouvées significativement augmentées.

2.– Le principe d’une vente des satellites a été écarté

Se sont posées d’emblée des questions juridiques précises concernant l’aliénation d’un bien appartenant au domaine public de l’État. C’est la cession de l’usufruit qui a été retenue et rendue possible par une disposition législative intégrée à cette fin dans la loi de finances pour 2010.

Sur le plan pratique, cette solution juridique ne changera rien pour l’industriel retenu qui aura, à défaut de la propriété, la pleine jouissance des satellites, dans des limites définies contractuellement.

Au printemps 2010, la DGA s’apprête à engager un processus d’appel à candidatures suivi d’une mise en compétition, avant de passer à la contractualisation. Ce processus étant nouveau, la DGA fait pleinement appel aux expertises des directions des affaires juridiques des ministères de la défense et du Budget mais envisage également de recourir à une assistance juridique et financière externe en faisant appel à un cabinet d’avocats spécialisé.

3.– Suppressions d’emplois et pertes de compétences

Sur le plan humain, l’externalisation des fonctions de télécommunications militaires par satellites se traduira par la disparition d’une trentaine de postes militaires localisés au centre de mise en œuvre de Maisons-Laffitte. Ces suppressions de personnels feront suite aux réductions d’effectifs déjà enregistrées par la DIRISI sur ses sites de Favières (Eure-et-Loir) et de Bram (Aude) dans le cadre de la réforme générale des politiques publiques (RGPP).

La DIRISI reconnaît que cette cession d’usufruit induira une perte de compétence au profit des opérateurs privés. Ainsi, la compétence « maître de satellite », détenue par des militaires possédant un savoir-faire très spécialisé pour diriger la charge utile, s’éteindra en 2012. Les formations en la matière viennent de prendre fin. La question de la réversibilité se pose, car il faudrait de nombreuses années pour retrouver cette compétence. Il s’agira d’un métier supplémentaire pour lequel les armées semblent accepter de perdre la compétence au profit d’acteurs privés.

4.– Le montant inscrit en loi de finances et le montant réellement attendu

L’aliénation de l’usufruit des satellites de télécommunications doit faire l’objet d’une mise en concurrence des industriels candidats qui présenteront des propositions de prix. La logique aurait donc voulu que les autorités publiques ne citent aucun chiffre estimatif de manière à ne pas influencer les candidats à la reprise.

Or, la mécanique budgétaire démocratique rend nécessaire la présentation d’un budget comportant des recettes et des dépenses aussi proches que possible de la réalité. Tenu par cette contrainte, le gouvernement a donc été conduit à publier une estimation des recettes attendues par l’aliénation de l’usufruit des satellites de télécommunications : 400 millions d’euros inscrits aux recettes du budget 2010 de la mission Défense. Toutefois, s’agissant d’un appel d’offres relativement innovant auquel seul un nombre restreint d’entreprises est susceptible de répondre, il convient de n’accorder à ce chiffre qu’une valeur indicative qui sera peut-être démentie par les résultats de l’appel d’offres.

Mais s’en tenir au seul montant qui sera proposé par les industriels pour le rachat de l’usufruit des satellites n’est pas suffisant, car une fois démunies de leurs satellites, les armées devront louer les services de l’opérateur qui en aura acquis l’usufruit. L’opération devrait être bénéfique, puisque la Défense ne paiera plus alors que les communications réellement consommées, et non, comme c’est le cas aujourd’hui, l’ensemble des capacités de deux satellites non entièrement utilisées. Pour autant, le profit qu’elle dégagera ne sera pas égal à la somme brute versée par l’industriel, mais à cette somme minorée des loyers versés, dont nous ne disposons pas aujourd’hui d’estimation. Cet aspect ne semble pas avoir été clairement mis en évidence lors de la présentation du budget 2010.

Proposition n° 6 – L’aliénation de l’usufruit des satellites de télécommunications militaires obligera les armées à recourir aux services d’un opérateur de télécommunications. Ce sont donc les recettes prévisionnelles nettes de ces frais de location qui doivent être prises en considération, et non les sommes brutes inscrites dans les évaluations de recettes du budget de l’État.

C.– LES CANDIDATS : DEUX CHAMPIONS NATIONAUX

Deux entreprises se sont déclarées intéressées par la reprise de l’usufruit des satellites de télécommunications et s’apprêtent à répondre au prochain appel d’offres : Thales Alenia Space (TAS) et EADS, par l’intermédiaire de sa filiale Astrium. Il s’agit de deux entreprises d’origine française et encore en grande partie nationales, même si, par le jeu des alliances industrielles, elles se sont fortement internationalisées, notamment à l’échelle européenne.

1.– Thales présente l’avantage d’avoir construit les satellites

S’agissant de l’Espace, l’ensemble des activités de Thales sont organisées au sein de plusieurs sociétés conjointes, dont l’association forme l’Alliance spatiale entre le groupe italien Finmeccanica et Thales. Cette alliance est née, en 2005, du rapprochement des activités d’Alcatel et de Finmeccanica, l’un venant des télécommunications et l’autre du militaire. À un moment de l’histoire complexe d’Alcatel et de Thales, il est apparu souhaitable de transférer la part qu’Alcatel détenait dans l’Alliance spatiale à Thales, qui fait le même métier que Finmeccanica.

Thales Alenia Space est donc à juste titre considéré comme un champion en matière de satellites de télécommunications militaires. C’est cet opérateur qui a réalisé tous les satellites Syracuse, sous le nom, auparavant, d’Alcatel. Aujourd’hui, c’est lui qui dispose des capacités de fabrication les plus importantes en matière de télécommunications militaires. Ses usines sont pour la plus grande partie en France – à Toulouse et à Cannes.

Thales Alenia Space est fortement implantée dans les télécommunications militaires nationales françaises depuis des années. La partie réseaux assure une part du plan de charge de l’usine de Cholet.

2.– EADS a accumulé une solide expérience au Royaume-Uni

EADS a également répondu à cet appel à candidature par l’intermédiaire de sa filiale Astrium, première entreprise spatiale européenne avec un chiffre d’affaires de 4,8 milliards d’euros et 16 000 salariés en Europe dont un peu moins de la moitié en France. Astrium est le maître d’œuvre des missiles balistiques et de la totalité des programmes de satellites d’observation ou d’écoute, mais pas de ceux de télécommunications.

Également présent dans quatre autres pays européens (Allemagne, Royaume-Uni, Espagne et Pays-Bas), EADS est placé en concurrence directe avec Thales sur ce marché. La société se positionne plus en prestataire de services et met en avant ses victoires – notamment en France – dans des conventions de location de capacités sur des satellites d’Eutelsat et Intelsat. Mais l’atout principal d’EADS est de gérer, dans le cadre du projet Paradigm, la flotte de satellites de télécommunications militaires britanniques, pays précurseur en matière de partenariat public-privé dans le domaine militaire. C’est également Astrium qui fournit à l’Allemagne ses capacités de télécommunications militaires satellitaires et une nouvelle coopération pourrait s’annoncer avec l’Italie.

Compte tenu du fait que l’un des candidats, Thales, a construit les satellites et connaît parfaitement leur état de fonctionnement, la DGA s’est engagée à transmettre au second candidat, Astrium, les éléments techniques lui permettant de disposer d’une connaissance équitable du dossier.

3.– Des risques limités en matière de confidentialité

Les risques en matière de confidentialité apparaissent comme raisonnablement faibles dans la mesure où, souligne la DIRISI, les civils qui opèrent n’ont pas accès aux données qui transitent par les satellites. Par ailleurs, les deux sociétés candidates travaillent de longue date dans le domaine de la défense et peuvent être qualifiées « d’opérateurs de confiance ».

Les opérateurs font remarquer que, dans l’hypothèse où la location de capacités extérieures s’avérerait nécessaire, les communications les plus confidentielles continueraient à transiter par les satellites du système Syracuse, les compléments capacitaires extérieurs n’étant utilisés que pour les informations les moins sensibles.

Des personnels civils sont déjà colocalisés avec les personnels militaires au centre de mise en œuvre de Maisons-Laffitte. Tous les personnels sont habilités individuellement et les sociétés le sont au titre du marché qui a été passé. Des contrôles stricts sont réalisés au stade de la passation du marché.

Enfin, les contrats prévoient des clauses très strictes de mise à disposition des services en matière de grève et, en dernier recours, la réquisition reste possible.

4.– Faut-il associer Sicral aux deux satellites Syracuse ?

Lorsque la procédure d’aliénation des satellites de télécommunications a été lancée, l’idée consistait à associer les deux satellites Syracuse déjà en orbite au satellite franco-italien Sicral dont le lancement est prévu pour 2012 ou 2013. En effet, plus la capacité en volume de communications est importante, plus les synergies avec d’autres clients sont possibles et les retours économiques importants.

Toutefois, si les paramètres sont à peu près connus pour deux des satellites déjà en orbite, ce n’est pas le cas de Sicral dont le lancement et encore lointain et qui, en outre, est construit sur la base d’une coopération internationale, toujours plus périlleuse, quel que soit le pays partenaire. Ces éléments expliquent que certains industriels aient pu souhaiter dissocier les deux dossiers : d’une part les satellites en fonctionnement, d’autre part celui sur lequel pèsent encore quelques incertitudes, liées notamment au calendrier et à la réussite du lancement.

Thales, qui a construit les deux satellites Syracuse et travaille actuellement sur Sicral, milite pour que les trois engins soient associés dans un même contrat puisqu’ils présentent des solutions techniques proches et devraient être complémentaires. De son côté, EADS se montre plus prudent, pointant le probable retard de Sicral qui devait être originellement lancé en 2012 et qui le sera plus probablement en 2013. Un échec éventuel de mise en orbite compliquerait encore la situation. Qui devra supporter le risque et selon quelles modalités ?

Même si les avis restent partagés sur ce sujet, il semblerait que la DGA ait admis l’idée de ne pas faire porter à l’industriel qui sera retenu les incertitudes liées à la coopération franco-italienne ni au lancement et à la mise en orbite. La DGA se réserve donc, le moment venu, la possibilité d’associer les capacités françaises de Sicral à celles des Syracuse et de céder également l’usufruit des répéteurs français de Sicral.

Mais dans l’immédiat, il semblerait que la première cession d’usufruit ne concernera que les deux satellites Syracuse. Au cours de son audition, le ministre de la Défense a été on ne peut plus clair : Sicral « sera une option » (17). Il faut donc s’attendre, pour cette raison, à une moins value par rapport aux 400 millions d’euros inscrits en loi de finances et qui prenaient en compte la cession de l’usufruit des trois satellites.

D.– LES LIMITES DE L’EXERCICE

1.– La garantie de disposer des capacités suffisantes

Les moyens militaires modernes sont de grands consommateurs de télécommunications. Les drones, notamment, communiquent désormais leurs images en temps réel, ce qui nécessite d’autant plus de capacités de transmissions. C’est la raison pour laquelle il importe pour les armées de s’assurer de capacités suffisantes en cas de crise grave.

L’état-major des armées a considéré qu’en conservant 90 % de la capacité des satellites de télécommunications Syracuse, il pouvait satisfaire ses besoins en cas de crise. Il est donc disposé à laisser à l’opérateur la libre utilisation de 10 % de la capacité, sans exiger de droit de préemption.

En tout état de cause, s’il apparaissait de manière ponctuelle un besoin supérieur aux 90 % préservés, l’état-major des armées aurait toujours la possibilité de faire appel à la location de services auprès d’une société civile comme cela se pratique couramment.

En effet, les moyens dont les armées disposent en propre ne permettent pas toujours à la DIRISI de répondre à toutes les demandes opérationnelles, notamment lorsqu’une zone géographique n’est pas couverte par les satellites en orbite. Dans ce cas, la DIRISI utilise les conventions passées auprès d’opérateurs civils tels que SFR ou Orange Business Services pour satisfaire les besoins opérationnels immédiats. La Défense peut également utiliser les réseaux civils Inmarsat, Eutelsat ou Intelsat, mais à des prix relativement élevés

La DIRISI est formelle : tout risque de rupture capacitaire est exclu car d’autres possibilités existent, comme celle de racheter des services auprès d’opérateurs alliés tel le système britannique Paradigm (18). Même si les forces agissant en opérations extérieures se retrouvent en concurrence – aux moments les plus critiques – avec de grands consommateurs civils de télécommunications (les grands réseaux américains de télévision notamment), « c’est toute une ressource mondiale qui peut être mobilisée ».

2.– Les capacités mises sur le marché sont faibles

Le volume des capacités de communications proposées à des tiers paraît particulièrement faible : 10 % seulement. Compte tenu du vieillissement des satellites le risque de voir les répéteurs embarqués sur chaque satellite tomber en panne les uns après les autres est réel, ce qui réduira fatalement, dans les années à venir, les capacités mises à disposition des tiers.

Or, c’est la mutualisation de cette capacité résiduelle qui doit permettre de dégager un intérêt économique : en faisant payer des tiers, l’opérateur civil qui gère le satellite peut consentir des rabais à son principal client : l’état-major des armées. Mais avec la mutualisation d’un maximum de 10 % des capacités, les bénéfices escomptés seront probablement faibles. En outre, le montant du loyer qui sera payé par la Défense pour ses communications n’étant pas encore connu, la DGA reconnaît ne pas s’attendre à « réaliser des marges considérables ». Selon M. Philippe Jost, son directeur des plans, des programmes et du budget, la DGA veille « à ce que l’opération présente un intérêt pour l’État ». Mais « il est probable que l’équilibre économique de l’opération sera atteint de justesse ».

Regrettant la faible proportion des « capacités résiduelles » cessibles, le directeur du Développement et des partenariats stratégiques de Thales, M. Jean-François Pernotte, exprime une opinion proche : « ne rêvons donc pas : dans le cadre de l’opération Nectar, nous ne réaliserons pas des gains considérables à travers la vente de services à des tiers » (19).

Pour essayer d’améliorer le résultat économique de l’opération, la DGA envisage de proposer aux industriels d’allouer à des tiers un peu plus que 10 % des capacités, mais avec un « droit de rappel » permettant de récupérer dans les meilleurs délais et en toutes circonstances la libre disposition des 90 % initialement prévus. À titre de comparaison, Astrium dispose en Grande-Bretagne de 50 % des capacités des satellites britanniques de télécommunications militaires.

Les Rapporteurs formulent le souhait que cette externalisation ne se traduise pas par un bilan financièrement négatif ! Les propos du ministre de la Défense qui se voulait rassurant – « Si le calcul économique s’avère défavorable, nous ne le ferons pas » – confirment le risque d’une rentabilité négative du projet.

3.– Le lancement de l’appel d’offres demande plus de temps que prévu

Le projet de cession de l’usufruit des satellites de télécommunications a commencé à être évoqué à la mi-2008. Le calendrier, qui devait être contractualisé à l’automne 2009, a pris beaucoup de retard.

Fin mars, les industriels regrettaient que le périmètre de l’opération ne soit pas défini et qu’aucun appel d’offres n’ait été publié. Seul un appel à candidature, qui a permis de connaître les deux industriels intéressés, a été lancé en début d’année 2010. Insistant sur la nécessité de bâtir un dialogue constructif entre la puissance publique et les acteurs privés, les industriels constatent que ce dialogue tarde à se mettre en place.

La nécessité de définir un environnement juridique parfaitement clarifié pour une opération peu habituelle a conduit la DGA à s’entourer de toutes les garanties possibles, ce qui a ralenti le processus d’aliénation. Ensuite, le partenaire italien avec lequel doit se construire le futur satellite commun Sicral a souhaité être associé à la démarche française d’externalisation ce qui a encore retardé la mise en œuvre du lancement de l’appel d’offres.

La DGA rappelle que la demande de délais supplémentaires formulée par les industriels a également contribué à engendrer de nouveaux délais. Au total, compte tenu du fait qu’il est envisagé de procéder à trois consultations successives avant de déterminer le vainqueur de la mise en concurrence, une clôture de l’opération avant le 31 décembre apparaît exclue. Compte tenu de ces incertitudes, la position de la DGA est dépourvue de toute ambiguïté : « si nous ne croyons plus que la rentrée budgétaire pourra intervenir en 2010, nous ferons tout notre possible pour qu’elle ait lieu en 2011 » déclare M. Philippe Jost (20).

Le transfert de responsabilité entre les personnels militaires et ceux de l’industriel retenu devrait se faire en six mois si ce dernier dispose de compétences avancées. Cela signifie concrètement que les recettes espérées ne seront pas engrangées avant – au mieux – l’exercice 2011.

4.– Tout retard réduit l’intérêt de l’aliénation

La durée de fonctionnement résiduelle des deux satellites Syracuse en orbite étant limitée, tout retard entraîne mécaniquement une réduction du prix d’acquisition qui sera proposé par les opérateurs intéressés. Les 400 millions d’euros inscrits au budget de l’année 2010, s’ils ne sont pas réalisés rapidement, devront donc être revus à la baisse. L’espérance de vie résiduelle des deux satellites en orbite, lancés en 2005 et 2006, serait actuellement d’environ sept à huit ans.

Les responsables d’Astrium confirment la réduction du montant de l’opération : « Comme ce montant est lié à la valeur résiduelle de l’infrastructure transférée, plus nous avançons dans le temps, plus il est voué à diminuer ».

Les Rapporteurs de la Mission d’évaluation et de contrôle retiennent que non seulement cette recette exceptionnelle ne sera pas enregistrée en 2010, mais que sa réalisation en 2011 est loin d’être certaine. Compte tenu de la réduction de la durée de vie des satellites en orbite, les 400 millions d’euros inscrits courent le risque d’être revus à la baisse.

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IV.– LES ENSEIGNEMENTS À TIRER DE L’EXPÉRIENCE DE 2009 ET 2010

A.– DES RECETTES EXCEPTIONNELLES TRÈS DÉCEVANTES EN 2009

En 2009, le ministère de la Défense attendait 1 637 millions d’euros de recettes exceptionnelles, dont 972 millions de cessions immobilières, 600 millions de cessions de fréquences et 65 millions d’euros de cessions de matériels militaires d’occasion. Seule cette dernière recette a bien été enregistrée.

1.– Le retard pris par l’immobilier

Si l’on se limite au périmètre du compte d’affectation spéciale Immobilier, pour lequel 972 millions étaient attendus, ce sont en fait 561 millions d’euros qui ont été enregistrés en 2009 et qui se décomposent de la façon suivante :

– 65 millions d’euros pour les cessions réalisées dans l’année. Les cessions d’emprises en province ont rapporté une cinquantaine de millions d’euros et six biens ont été cédés en 2009 en région parisienne pour une somme totale de 15 millions d’euros ce qui aboutit bien à un montant total de 65 millions d’euros, même si, en raison de l’échelonnement des paiements, seuls 4 millions d’euros ont été réellement récupérés au cours de l’exercice ;

– 139 millions d’euros en reports de crédits de 2008 à 2009 au sein du CAS Immobilier ;

– 221 millions d’euros correspondant à une soulte versée par la Société nationale immobilière (SNI, filiale de la Caisse des dépôts) dans le cadre du renouvellement du contrat pour la gestion du patrimoine domanial de la Défense ;

– 136 millions d’euros provenant de redéploiements au sein de la mission Défense. Ce sont principalement les programmes 146 (Équipement des forces) et 178 (Préparation et emploi des forces) qui ont servi à abonder le CAS Immobilier en fonction des besoins.

Si nous ne prenons pas en compte les 136 millions d’euros issus d’un redéploiement interne, les recettes réelles s’élèvent à 425 millions d’euros, d’où un manque atteignant 547 millions d’euros en 2009.

L’essentiel des recettes exceptionnelles immobilières attendues en 2009 devait être constitué du produit de la vente par anticipation de la plupart des biens parisiens de la Défense. Le report, puis l’abandon, du projet dont le montant était estimé à plus de 700 millions d’euros (sur les 972 attendus) ont plongé le Gouvernement dans l’embarras. C’est la raison pour laquelle des solutions inhabituelles telles que l’autorisation de reporter des crédits non consommés (139 millions d’euros) ont été imaginées.

Les Rapporteurs relèvent par ailleurs que c’est de manière abusive que la « soulte » versée par SNI a été comptabilisée dans les recettes exceptionnelles. En fait de soulte, il s’agit de la capitalisation et de la perception par anticipation des loyers correspondants à des appartements dont le ministère de la Défense est propriétaire mais qui sont gérés par la Société nationale immobilière. Comme le faisait remarquer M. Charles de Courson lors de l’audition du général Jean-Marc Denuel, « si c’est une anticipation de loyer, c’est de la cavalerie »… (21)

2.– Aucune cession de fréquences

Conformément aux craintes exprimées dès l’automne 2009 par le Rapporteur spécial, le processus d’aliénation d’ondes hertziennes n’a pu être mené à son terme l’an dernier et ne sera probablement que partiel en 2010.

Le bilan de l’exercice 2009 en matière d’ondes hertziennes est donc particulièrement simple à établir. Annoncé : 600 millions d’euros. Obtenu : 0.

3.– Les palliatifs mis en œuvre

Le retard constaté dans les encaissements a été compensé par des mesures de trésorerie. La Défense a ainsi été autorisée à consommer une partie des reports de crédits du ministère, à hauteur de 400 millions d’euros, qui sont venus s’ajouter aux 500 millions d’euros dont la consommation a été autorisée au titre du plan de relance. Ces sommes ont libéré des marges de manœuvre pour engager des dépenses d’investissement.

Le compte d’affectation spéciale dédié à l’immobilier a été abondé par un redéploiement de crédits internes en provenance du budget général dans un premier temps, couvert par une partie des reports de crédits. Une autre partie des reports – 205 millions d’euros pour le programme 146 Équipement des forces et 40 millions pour le programme 178 Préparation et emploi des forces – a été consacrée aux dépenses immobilières.

Par ailleurs, une baisse des besoins financiers a été constatée en fin d’année, consécutive à une baisse du coût des facteurs. Bercy a évalué l’effet de cette « désinflation » à 590 millions d’euros, l’indice des prix à la consommation en France en 2009 ayant été de seulement 0,1 % alors que le budget avait été construit sur une hypothèse d’une inflation à 2 %. Les dépenses en carburant, par exemple, ont été réduites de 30 millions d’euros.

Si les militaires ne contestent pas le principe d’un tel gain, son estimation par Bercy est sujette à caution. « Ce gain est à nos yeux plus proche de 300 à 400 millions d’euros que de 590 millions », explique M. Hugues Bied-Charreton, directeur des Affaires financières au ministère de la Défense (22).

Pour autant, l’état-major des armées, par la voix du général Jean-Marc Denuel, considère que « globalement, ces mesures ont permis de respecter le volet capacitaire de la programmation. Dans le rapport annexé de la loi de programmation militaire, la priorité donnée à l’investissement se traduisait en 2009 par une enveloppe de 17,55 milliards d’euros valeur 2008 – soit 17,9 milliards en euros 2009 – pour les crédits d’équipement, y compris le plan de relance. L’estimation actuelle de la dépense d’investissement sur le même périmètre est de 17,5 milliards, l’écart étant constitué par des reports de crédits. La programmation a donc été globalement respectée » (23).

LES RESSOURCES EXCEPTIONNELLES DU MINISTÈRE DE LA DÉFENSE (2009 – 2010)

(en millions d’euros)

Ressources exceptionnelles 2009-2010

Ressources

2009

2010

LPM

LFI

RÉALISÉ

LPM

LFI

PRÉVISIONS

Emprises parisiennes (valeur TGPE 2007)

713

713

15

107

503

51

Diverses emprises franciliennes

0

0

0

0

80

43

Emprises régionales

35

35

50

239

119

73

Logements domaniaux de la Défense : soulte SNI

224

224

221

0

0

0

Transfert du budget général

0

0

136

0

0

80

Reports de crédits

0

0

139

0

0

300 à 400

Hôtel de la Marine

0

0

0

300

0

0

Sous-total immobilier

972

972

561

646

702

247

Aliénation d’ondes hertziennes

600 (1)

600

0

600 (1)

600

?

Usufruits satellites télécommunications

0

0

400

0

Cessions de matériel militaire d’occasion

65

65

65

0

0

0

TOTAL GÉNÉRAL

1 637

1 637

626

1 246

1 702

?

Désinflation estimée (réduction des besoins)

0

0

- 590

0

0

- 100

LPM : loi de programmation militaire LFI : loi de finances initiale

(1) Dans la loi de programmation militaire, le détail entre les deux opérations n’est pas précisé.

B.– DE NOUVEAUX ESPOIRS DÉÇUS EN 2010

1.– La désillusion immobilière

La loi de programmation militaire 2009-2014 prévoyait 646 millions d’euros de recettes immobilières exceptionnelles, pour 2010 : 107 millions d’euros pour l’immobilier parisien, 239 millions d’euros pour les emprises régionales et 300 millions d’euros pour l’hôtel de la marine.

De son côté, le projet de budget pour 2010 prévoyait un montant global assez proche des prévisions de la LPM (702 millions d’euros), mais reposant sur des bases fondamentalement différentes : 503 millions d’euros provenant de la vente des emprises parisiennes du périmètre Vauban (au prix proposé par la Caisse des dépôts), 80 millions d’euros provenant d’autres emprises parisiennes et 119 millions d’euros issus de la vente d’emprises régionales. L’hôtel de la marine disparaissait des prévisions.

Compte tenu de l’abandon du plan Vauban, le ministre prévoit désormais seulement 167 millions d’euros de recettes immobilières. Ces ressources proviendront en partie de cessions régionales, probablement à hauteur de 73 millions d’euros et, pour 94 millions d’euros, de la vente déjà entamée de quelques biens franciliens. Le ministère doit ainsi percevoir le deuxième versement de la vente du fort d’Issy-les-Moulineaux, dont le paiement s’échelonne sur quatre années. Il met également en vente l’immeuble de Latour-Maubourg et entend récupérer de la Ville de Paris, qui a fait jouer son droit de priorité, le montant de la vente d’un immeuble cédé à Montparnasse. Le ministère poursuit par ailleurs ses efforts pour vendre au meilleur prix la caserne Sully, située à Saint-Cloud, ainsi qu’une emprise localisée à Rueil-Malmaison.

2.– Les retards en matière de fréquences et de satellites

Un milliard d’euros de recettes exceptionnelles a été inscrit en loi de finances initiale grâce à la cession de deux bandes de fréquences d’ondes hertziennes (600 millions d’euros) et à la cession de l’usufruit des satellites de télécommunications militaires (400 millions d’euros).

Or, il semble acquis, à la fin du premier semestre 2010, que la procédure d’externalisation des télécommunications satellitaires, lourde et longue, ne pourra être bouclée au cours du second semestre de l’année. Quant aux ondes hertziennes, il apparaît que seule une partie d’entre elles pourrait être vendue d’ici la fin de l’exercice, selon un montant difficile à déterminer, réduisant encore les sommes qui devraient être enregistrées en 2010.

3.– De nouveaux palliatifs pour boucler l’année ?

Compte tenu du retard pris par l’ensemble des aliénations immobilières ou en matière de télécommunications, le second semestre 2010 s’annonce difficile sur le plan comptable. Le ministère devra de nouveau recourir à des mesures de trésorerie pour couvrir le besoin opérationnel, à commencer par des reports de crédits. Les mesures envisagées, sont les suivantes :

– 300 à 400 millions d’euros de nouveaux reports de crédits non consommés pourraient être mobilisés ;

– 80 millions d’euros devraient être transférés du budget général à celui du ministère de la Défense ;

– enfin, la désinflation attendue devrait réduire les besoins d’environ 100 millions d’euros.

Conscient de la difficulté dans laquelle va se trouver le ministère de la Défense, le représentant de la direction du Budget, M. Éric Querenet de Breville pointe notamment l’évolution du marché immobilier parisien qui pourrait faciliter, à l’horizon du prochain budget triennal 2011-2013, la cession des emprises dont la vente a dû être retardée. « Il s’agit d’un décalage dans le temps, résultant de la volonté de ne pas brader les actifs de l’État » (24).

Le général Jean-Marc Denuel, sous-chef Plans de l’état-major des armées se veut rassurant : « Ce ne sera qu’en fin de période que l’on pourra mesurer l’impact éventuel sur les capacités opérationnelles. Mais si les opérations se dénouent avec un écart de 100 millions d’euros, par rapport à 17 milliards d’investissements annuels, je ne pourrai pas dire que nos capacités opérationnelles ont souffert de retards. Les ordres de grandeur ne sont pas tels que la réalisation de la loi de programmation militaire soit mise en péril ».

Quoi qu’il en soit, le report répété des recettes exceptionnelles n’est pas un exercice satisfaisant. Outre qu’il porte atteinte au principe de sincérité budgétaire, il fait courir un risque au ministère de la Défense : à évoquer chaque année en loi de finances initiale des recettes élevées qu’il ne perçoit pas, ce ministère risquerait de se voir opposer l’argument selon lequel il peut fonctionner avec plusieurs centaines de millions d’euros en moins.

Les Rapporteurs constatent par ailleurs que, privé de la plus grande partie des recettes exceptionnelles prévues, le ministère de la Défense a consommé des crédits budgétaires, contribuant ainsi à accroître l’endettement de l’État.

C.– LES CONSÉQUENCES POUR LE BUDGET TRIENNAL 2011-2013

La Mission d’évaluation et de contrôle qui examine les recettes exceptionnelles du budget de la Défense pour 2009 et 2010 publie son rapport au moment où sont rendus les arbitrages interministériels relatifs au budget triennal 2011-2013. La question se pose donc de savoir si le Gouvernement présentera au Parlement un budget de la mission Défense reposant à nouveau en partie sur des recettes exceptionnelles.

1.– Des recettes exceptionnelles possibles en matière de fréquences

En matière d’ondes hertziennes, comme nous l’avons vu, la fréquence des 800 MHz, contrairement à celle des 2,6 Ghz, n’a pratiquement aucune chance d’être aliénée en 2010. Par conséquent, si le Gouvernement pense que la vente de ces fréquences au cours des prochains exercices est envisageable, ce que croient les Rapporteurs, l’inscription des recettes tirées de leur aliénation est légitime. Encore faudra-t-il s’entendre sur l’inscription d’un montant réaliste, compte tenu notamment des coûts élevés des frais de dégagement par les armées des fréquences convoitées. Même si ces coûts sont financés par les industriels, ils viendront grever les capacités financières de ces derniers.

Les responsables de l’ARCEP ont clairement relativisé la rareté à court terme de ces fréquences, même si un mouvement sociétal de fond laisse à penser que la transmission de données par ondes tendra inexorablement à se développer. La question du moment le plus opportun pour la vente reste posée.

2.– Des recettes douteuses en matière de satellites

Les recettes exceptionnelles tirées de la cession d’usufruit des satellites militaires de télécommunications sont, en revanche, plus discutables. En effet, comme nous l’avons vu, le chiffre avancé par le Gouvernement dans le cadre du budget de la Défense – 400 millions d’euros – ne repose sur aucune étude sérieuse et devra être « affiné » en fonction des propositions qui seront remises par les industriels intéressés.

À ce chiffre brut, il conviendra de retrancher le coût de la location du service de télécommunications à l’opérateur retenu, coût dont la mission n’a pu obtenir l’esquisse d’une évaluation. Le chiffre net ainsi dégagé sera le seul à pouvoir être légitimement considéré comme « ressource exceptionnelle » atténuant les charges de la mission Défense.

Encore faudra-t-il s’entendre sur l’exercice budgétaire au cours duquel il pourra entrer en ligne de compte car, compte tenu du caractère novateur de la procédure, si une finalisation de l’accord est à peu près exclue en 2010, il n’est pas sûr pour autant que cette ressource soit engrangée par les finances publiques dès 2011.

3.– Les principales recettes immobilières se feront attendre jusqu’en 2014

Dans la mesure où le Gouvernement a décliné, jugeant l’offre trop basse, la proposition qui lui avait été faite de vendre en bloc à une société de portage les immeubles parisiens aliénés, aucune rentrée financière importante ne devrait être enregistrée avant 2014.

En effet, décision ayant été prise de vendre les biens séparément, la logique veut que la majeure partie des immeubles parisiens soit cédés à l’horizon 2014, puisque leur libération interviendra à ce moment-là, lorsque les services dispersés du ministère de la Défense seront regroupés dans le nouveau ministère, à Balard.

Vendre les immeubles par anticipation et payer un loyer pendant trois ou quatre ans peut avoir un sens ponctuellement, mais ne saurait tenir lieu de ligne de conduite générale. Sauf offre exceptionnelle, le ministère de la Défense – qui a tout intérêt à communiquer sur ce sujet – ne doit pas se précipiter pour vendre par anticipation l’îlot Saint-Germain, pièce maîtresse du dispositif.

Par conséquent, à l’exception de la vente d’emprises dans les régions, dont l’expérience montre qu’elles sont généralement peu élevées, ou de quelques opérations franciliennes limitées, les Rapporteurs ne comprendraient pas que le budget 2011 comporte des prévisions de recettes immobilières exceptionnelles d’un ordre de grandeur comparable à celles qui ont été inscrites, mais non réalisées, en 2009 et 2010.

4.– La loi de programmation militaire et le contexte économique

Visiblement peu éloigné de l’analyse qui précède, le ministre de la Défense a indiqué que son administration essaierait « de procéder à ces affectations dans le budget triennal » 2011-2013 (25).

Mais, il a rappelé la configuration un peu particulière de son budget, également régi par la loi de programmation militaire. « J’ignore quel sort sera fait aux crédits de défense mais (…) lutter contre les déficits et l’endettement procède de la même logique qu’assurer la défense du pays. Ces questions sont aussi existentielles l’une que l’autre car, dans les deux cas, l’indépendance et la souveraineté sur le long terme sont en jeu. Par conséquent, en tant que ministre de la Défense, je ne m’arc-bouterai pas sur l’application au centime près de la loi de programmation militaire ».

*

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LISTE DES PROPOSITIONS DE LA MEC

Proposition n° 1 – Lorsque sont inscrites en loi de finances initiale des recettes liées à des cessions de biens immobiliers, les présidents des commissions des Finances de l’Assemblée nationale et du Sénat doivent recevoir de France domaine, sous clause de confidentialité, la liste des emprises et les valorisations correspondantes les plus récentes.

Proposition n° 2 – Lorsqu’il est prévu d’aliéner des biens immobiliers, ce sont les recettes prévisionnelles nettes des éventuels frais de dépollution estimés qui doivent être prises en considération, et non les sommes brutes.

Proposition n° 3 – Les cessions d’emprises militaires à l’euro symbolique au profit des collectivités territoriales ou d’autres administrations de l’État constituent des dépenses d’aménagement du territoire. Le manque à gagner doit être remboursé au ministère de la Défense. Corrélativement, une autre mission du budget de l’État doit en supporter la charge.

Proposition n° 4 – Lorsqu’il est prévu d’aliéner des fréquences militaires, ce sont les recettes prévisionnelles nettes des éventuels frais estimés de dégagement qui doivent être prises en considération, et non les évaluations brutes.

Proposition n° 5 – Rationaliser, décloisonner et fluidifier l’organisation du ministère de la Défense en matière de systèmes d’information et de communication.

Proposition n° 6 – L’aliénation de l’usufruit des satellites de télécommunications militaires obligera les armées à recourir aux services d’un opérateur de télécommunications. Ce sont donc les recettes prévisionnelles nettes de ces frais de location qui doivent être prises en considération, et non les sommes brutes inscrites dans les évaluations de recettes du budget de l’État.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa séance du 8 juin 2010 à 10 heures, la Commission des Finances examine le présent rapport.

Un débat s’engage après l’exposé des rapporteurs.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général. Je tiens à saluer l’excellent travail des Rapporteurs.

M. Richard Dell’Agnola. J’observe que les recettes prévues ne seront pas au rendez-vous et il fallait connaître les raisons précises de cette situation. Manifestement, on pratique la navigation à vue sur les recettes. Elles ont été surévaluées et il convient de procéder à une nouvelle estimation des perspectives réelles pour les prochaines années.

M. David Habib. En tant que co-président de la mission d’évaluation et de contrôle, je peux témoigner combien le travail de cette mission a été constructif et justifie de choisir régulièrement un sujet dans le domaine de la Défense. En effet, la question des recettes exceptionnelles de la Défense en 2009 et 2010 met en cause la sincérité des chiffres comme la nécessité de réaliser des économies.

La question de fond est celle de la cohérence des choix du Gouvernement. En effet, les décisions prises sont remises en cause durant leur processus même d’exécution et nous avons l’impression que le ministère de la Défense a interrompu le processus qu’il avait lui-même engagé.

Sur la question spécifique de l’organisation du ministère de la Défense en matière de systèmes d’information et de communication, j’observe que l’organigramme actuel est problématique de l’avis même de certains officiers généraux.

M. Jean Launay. J’ai été très intéressé par la transformation d’une partie de la caserne de Sourdun en ferme photovoltaïque. En effet, nous avons dans le Lot, près de Rocamadour, sur un territoire de causse bien ensoleillé, une ancienne base aérienne actuellement utilisée comme centre cynophile de la Gendarmerie. On pourrait envisager d’y implanter, sur une partie de son emprise, une ferme photovoltaïque, à condition de mesurer préalablement les coûts de remise à niveau.

J’émets par ailleurs toutes réserves sur la conduite de la politique immobilière de l’État. Sa gouvernance est à revoir.

L’opération Vauban nous rappelle que le temps, c’est de l’argent : sa mise en œuvre est incohérente, les recettes prévues font défaut, la mésentente règne entre les acteurs publics, ce qui montre les limites de la RGPP.

M. Jean-Louis Dumont. L’excellent rapport que nous examinons met en évidence les mauvaises pratiques du ministère de la Défense quant à sa gestion immobilière. Pourquoi ce ministère bénéficie-t-il d’un taux de retour à 100 % des produits de cessions ? Aujourd’hui il n’y a plus de dynamique de vente. La Mission pour la réalisation des actifs immobiliers de la Défense (MRAI) n’est sincère ni sur les comptes ni en matière de dépollution des sols. Les collectivités territoriales en supportent souvent la charge indûment. Ces pratiques doivent changer car la gestion immobilière des friches militaires mérite un autre traitement. Le ministre du Budget, qui doit prochainement faire le point sur la gestion des cessions immobilières, doit remettre de l’ordre dans ce dossier.

M. Michel Vergnier. Je me félicite de la réaffirmation de l’objectif d’aménagement du territoire comme paramètre de la gestion des sites de la Défense. Les sites industriels qui ont fermé laissent inemployés les ouvriers d’État. Leur traumatisme ne suscite pas l’intérêt et son coût social n’est pas chiffré.

Je me souviens d’une déclaration du Président de la République selon laquelle les frais de dépollution ne doivent pas être à la charge des collectivités territoriales. Les sites devraient leur être cédés dépollués.

Il convient de réfléchir aussi au coût des fermetures de sites très performants, qui venaient quelquefois de faire l’objet d’efforts de modernisation. Je pense notamment à l’établissement du matériel de Guéret, dont le coût de déménagement a été probablement supérieur au gain attendu.

M. René Couanau. Est-ce que, juridiquement, le patrimoine immobilier de la gendarmerie nationale a été transféré au ministère de l’Intérieur lorsque la gendarmerie lui a été rattachée ? Il peut s’agir d’emprises importantes en centre ville, comme pour un escadron de gendarmerie mobile à Saint-Malo.

En cas de cession d’un bien immobilier, l’administration peut-elle imposer une obligation de réalisation de mixité sociale à l’acheteur ?

M. Jérôme Chartier. Je souhaite avoir des précisions sur l’avenir de l’Hôtel de la Marine. La loi de programmation militaire a prévu une recette associée au projet de cession de cette importante emprise. Cela étant, il est prévu d’y implanter le futur musée de l’histoire de France. Où en sommes-nous ?

Par ailleurs, l’avenir de la base de Taverny pose problème car cette base ne dispose que d’une seule entrée, alors qu’une partie seulement du site militaire doit être vendue. Où en sommes-nous des projets de cession et quel est l’avenir de la base ?

M. François Goulard. Nous constatons une fois de plus un dysfonctionnement majeur dans la gestion de l’immobilier de l’État. Des emprises très importantes sont sous utilisées par le ministère de la Défense, mais aussi par des entreprises nationales comme la SNCF et Réseau ferré de France (RFF). Des terrains sont gelés, alors qu’ils présentent parfois un intérêt stratégique en plein centre ville. Comment peut-on expliquer cette absence de performance de l’administration et le gaspillage de centaines de millions d’euros ?

Mme Béatrice Pavy. Comment sont provisionnées les cessions et les charges de dépollution ? Je prends l’exemple de l’établissement du matériel de l’armée de terre (ETAMAT) dans la Sarthe : la cession a rapporté 2,3 millions d’euros alors que la dépollution en a coûté 6 millions.

Mme Aurélie Filipetti. La Moselle est l’un des départements les plus touchés par les restructurations militaires. La « désillusion immobilière » exprimée par les rapporteurs de la MEC évoque à mon esprit l’exemple de la base aérienne 128 de Metz. Je suis inquiète sur l’avenir des friches militaires. Comment le ministère de la Défense s’organise-t-il pour rationaliser la dépense immobilière ? Le transfert aux collectivités locales de sites encore à dépolluer fait peser sur elles une épée de Damoclès. Certaines mènent cependant à bien des reconversions exemplaires, telle la ville de Metz, qui a aménagé sur l’ancien site militaire de Vallières un habitat caractérisé par une forte mixité sociale.

M. Jean-Claude Mathis. Comme rapporteur spécial de la mission Anciens combattants, j’ai eu l’occasion il y a quelques années de visiter l’Hôtel de la Marine en compagnie des responsables chargés du projet de réhabilitation, mais aussi d’un représentant de Bouygues. Car l’entreprise est mécène du projet. Certes, les avantages fiscaux ne sont pas étrangers à sa décision, mais elle avait aussi l’ambition d’occuper certains salons pour des manifestations de prestige. Qu’en est-il si le bâtiment change d’affectation ?

M. Bernard Carayon. Quelle fut la méthode suivie pour évaluer les recettes tirées de la cession de l’usufruit des ondes hertziennes ?

M. Laurent Hénart. L’Est compte de nombreuses casernes et quartiers militaires. Certains sont abrités dans des locaux qui sont devenus trop vastes depuis une dizaine d’années. Ne peut-on envisager sur ces sites des regroupements d’unités ?

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Notre collègue Richard Dell’Agnola évoque une surévaluation des recettes. Je voudrais souligner que leur montant fait l’objet d’un débat entre le ministère de la Défense et celui du Budget. France Domaine s’efforce de valoriser les biens au plus haut niveau, dans l’attente d’un acquéreur prêt à payer le prix. Si notre collègue Jean Launay estime que « le temps, c’est de l’argent », le ministre du Budget n’hésite pas, pour sa part, à laisser du temps au temps pour mieux tirer parti de l’évolution du marché immobilier. L’immeuble de l’Imprimerie nationale rue de la Convention a été trop souvent cité comme exemple de vente à un moment inopportun. France Domaine en a tiré toutes les leçons.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Si les biens immobiliers de la Défense étaient vendus aujourd’hui, ils devraient être immédiatement loués jusqu’à ce que les locaux du pôle Balard soient achevés. La meilleure solution serait indéniablement de vendre seulement au moment de quitter les lieux, en 2014. Or, dans le budget, le produit des ventes est cependant déjà inscrit comme recettes…

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. S’agissant de la dépollution, l’État considère que les communes bénéficiant de cessions immobilières à l’euro symbolique peuvent, en contrepartie, se charger de cette contrainte. Pour les cessions à titre onéreux, c’est le ministère de la Défense qui, de façon logique, assume le coût de la dépollution, au rythme que lui autorisent ses finances. Lorsqu’une opération d’aménagement du territoire est en cours, le ministère de la Défense en tient compte, quand bien même cet aspect d’aménagement n’est pas sa finalité première.

S’agissant des biens jusqu’alors utilisés par la gendarmerie nationale, il serait logique que la recette correspondante soit inscrite dans la mission budgétaire Intérieur, puisque les crédits de la police et de la gendarmerie y sont regroupés. La cession des fréquences Rubis de la gendarmerie a cependant généré des recettes qui ont été affectées à la mission Défense. Il serait intéressant d’approfondir la question et de savoir en particulier si un inventaire immobilier a eu lieu lors du rattachement des crédits de la gendarmerie à la mission Intérieur.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. L’accès unique à la base de Taverny n’est qu’un aspect du problème. Le site abrite par ailleurs une champignonnière.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. La mission pour la réalisation des actifs immobiliers (MRAI), au sein de la direction de la Mémoire, du patrimoine et des archives, est en charge de ces questions au ministère de la Défense.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. L’Hôtel de la Marine est un monument classé. Il n’est pas envisagé de le vendre, mais de le louer sur une longue période, de manière à ce qu’il reste dans le patrimoine de l’État. Un appel d’offre sera prochainement lancé, avec un cahier des charges garantissant un projet de qualité. La préférence du ministre va à un projet plutôt culturel, qui sache appréhender l’histoire du site. Toutefois, la loi de programmation militaire prévoyait 300 millions d’euros de recettes, en 2010, au titre de ce bien immobilier. Rien n’a été perçu. Quant au mécénat de la société Bouygues, il devrait s’achever en 2012, puisqu’il a été conclu en 2007 pour une durée de cinq ans.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Je souscris à l’idée de notre collègue Laurent Hénart selon laquelle les restructurations devraient offrir l’occasion de regrouper des unités dans les sites devenus trop vastes. Je ne partage en revanche pas pleinement les inquiétudes de notre collègue Aurélie Filipetti au sujet des friches militaires, qui sont tout simplement destinées à être vendues.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Il faut bien distinguer la question des restructurations militaires du problème des recettes exceptionnelles tirées des cessions immobilières. Ce sont deux sujets différents. J’ajouterais que certaines collectivités sont paradoxalement réticentes à accueillir des bases de défense, faute de patrimoine foncier suffisant sur leur territoire. Enfin, les mauvaises pratiques du ministère de la Défense dénoncées ici et là ne sont parfois que le reflet de décisions imposées par le ministère du Budget.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. En ce qui concerne la valeur d’usufruit des ondes hertziennes, elle a été calculée en fonction de leur valeur capitalisée au vu de leur durée de vie résiduelle.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. La Mission d’évaluation et de contrôle envisage de soumettre ses conclusions au Gouvernement qui, conformément à l’article 60 de la LOLF, disposera de deux mois pour y répondre.

M. le Président Jérôme Cahuzac. J’enverrai pour ma part un courrier au ministre du Budget, en charge de la tutelle de France Domaine, pour attirer son attention sur le manque d’ouverture de ce service vis-à-vis de la Mission d’évaluation et de contrôle, qui n’en a pas reçu toutes les informations auxquelles elle doit avoir accès en vertu de la loi organique relative aux lois de finances.

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Puis, la Commission autorise la publication du rapport, en application de l’article 145 du règlement.

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ANNEXES

Les Présidents et les Rapporteurs de la mission d’évaluation et de contrôle tiennent à remercier particulièrement M. Alain Hespel, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes, Mme Françoise Saliou, conseiller maître, présidente de section, M. Jacques Rigaudiat, conseiller maître, M. Antony Marchand, conseiller référendaire, M. Claude Lion, conseiller référendaire, et M. Laurent Jannin, rapporteur, pour la précieuse assistance qu’ils ont apportée aux travaux de la MEC.

I.– LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

– le 9 mars 2010, M. le général de corps aérien Jean-Marc Denuel, sous-chef Plans à l'état-major des armées ;

– le 9 mars 2010, M. Éric Querenet de Breville, sous directeur, chargé de la 5è sous-direction, au ministère du Budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État ;

– le 9 mars 2010, M. Hugues Bied-Charreton, directeur des Affaires financières au ministère de la Défense ;

– le 25 mars 2010, audition conjointe de M. Philippe Distler, directeur général de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), de Mme Claire Bernard, directrice des ressources humaines, de l’administration et des finances, et de M. Jérôme Rousseau, directeur du spectre et des relations avec les équipementiers de l’ARCEP ;

– le 25 mars 2010, M. le général de division André Helly, adjoint du directeur de la direction interarmées des Réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information de la défense (DIRISI) ;

– le 25 mars 2010, audition conjointe de M. Jean-François Pernotte, directeur du Développement et des partenariats stratégiques de Thales et de M. Jacques Delphis, directeur des Relations extérieures et institutionnelles ;

– le 30 mars 2010, audition conjointe de MM. François Auque, président exécutif d'EADS Astrium, Éric Béranger, président exécutif d'Astrium Services et de l'amiral Alain Coldefy, conseiller défense du président d'EADS, chargé des questions d’espace et de dissuasion ;

– le 7 avril 2010, M. le général de brigade aérienne Pierre Puget, officier général chargé des fréquences à la direction générale des Systèmes d'information et de communication (DGSIC) ;

– le 7 avril 2010, M. Philippe Jost, directeur des plans, des programmes et du budget à la direction générale de l’Armement (DGA) ;

– le 7 avril 2010, M. le capitaine de vaisseau Arnaud Coustillière, officier de cohérence opérationnelle du système de forces « commandement et maîtrise de l’information » ;

– le 8 avril 2010, M. Éric Lucas, directeur de la Mémoire, du patrimoine et des archives au ministère de la Défense ;

– le 8 avril 2010, M. Jacques Brucher, chef de la mission pour la réalisation des actifs immobiliers (MRAI) du ministère de la Défense ;

– le 8 avril 2010, M. Olivier Debains, président de la Société de valorisation foncière et immobilière (Sovafim) ;

– le 8 avril 2010, audition conjointe de M. André Yché, président du directoire de la Société nationale immobilière (SNI), de M. Yves Chazelle, directeur chargé du développement de la SNI, et de M. Hubert Reynier, adjoint au directeur finances, stratégie et développement durable du groupe Caisse des dépôts ;

– le 11 mai 2010, M. Hervé Morin, ministre de la Défense ;

– le 11 mai 2010, M. Daniel Dubost, chef du service France Domaine au ministère du Budget, des comptes publics et de la réforme de l’État.

II.– COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

Pages

1. M. le général de corps aérien Jean-Marc Denuel 63

2. M. Éric Querenet de Breville 70

3. M. Hugues Bied-Charreton 87

4. M. Philippe Distler, Mme Claire Bernard et M. Jérôme Rousseau 95

5. M. le général de division André Helly 103

6. M. Jean-François Pernotte et M. Jacques Delphis 111

7. M. François Auque, M. Éric Béranger et l'amiral Alain Coldefy  119

8. M. le général de brigade aérienne Pierre Puget 126

9. M. Philippe Jost 133

10. M. le capitaine de vaisseau Arnaud Coustillière 140

11. M. Éric Lucas 147

12. M. Jacques Brucher 157

13. M. Olivier Debains 165

14. M. André Yché, M. Yves Chazelle et M. Hubert Reynier 171

15. M. le ministre Hervé Morin 179

16. M. Daniel Dubost 186

Audition du 9 mars 2010

À 16 heures : M. le général de corps aérien Jean-Marc Denuel, sous-chef Plans à l'état-major des armées.

Présidence de M. Georges Tron, Président

M. Georges Tron, Président. Je remercie le général de corps aérien Jean-Marc Denuel, sous-chef Plans à l’état-major des armées, d’avoir répondu à l’invitation de la MEC, qui s’intéresse à la politique de défense de notre pays, compte tenu de son poids spécifique au sein des politiques publiques. Cette année, le bureau de la Commission des finances a choisi de se pencher sur les recettes budgétaires exceptionnelles du ministère de la Défense.

Pour 2010, 1,3 milliard d’euros sont prévus, provenant de la vente de biens immobiliers, de l’aliénation d’ondes hertziennes et, enfin, de la cession de l’usufruit de satellites militaires de télécommunications. Plusieurs incertitudes pèsent sur le calendrier des recettes, dont certaines étaient attendues dès 2009, ce qui pose la question du pilotage d’ensemble du budget, voire de sa sincérité, et conduit à s’interroger sur la façon dont le ministère de la défense – et plus généralement l’État – entend valoriser son patrimoine – sujet sur lequel il y a beaucoup à dire.

Notre objectif, dans le cadre des auditions d’aujourd’hui, est d’obtenir une vision d’ensemble sur ces recettes.

La MEC se devant de dégager des propositions consensuelles, elle est coprésidée par deux parlementaires, provenant l’un de l’opposition – en l’occurrence, David Habib – et l’autre de la majorité, moi-même. C’est aussi le cas de nos deux rapporteurs : Françoise Olivier-Coupeau, membre de la Commission de la défense, appartient au groupe socialiste, et Louis Giscard d’Estaing, rapporteur spécial de la Commission des finances pour le budget opérationnel de la défense, fait partie, lui, du groupe UMP.

Nous avons la chance d’être assistés dans nos travaux par la Cour des comptes, et plus particulièrement par M. Alain Hespel, président de la deuxième chambre, Mme Françoise Saliou, conseiller maître, M. Antony Marchand, conseiller référendaire, et M. Laurent Jannin, rapporteur, que je remercie vivement pour leur participation fidèle.

M. le général Jean-Marc Denuel, sous-chef Plans de l’état-major des armées. En tant que sous-chef Plans de l’état-major, je suis responsable de la construction capacitaire et de l’entretien des capacités opérationnelles des armées. Pour cela, je dispose de la division de la cohérence capacitaire et de la division des plans, programmes et évaluation, laquelle est commandée par le général Bruno Le Ray, notre spécialiste financier, à qui j’ai demandé de venir pour répondre plus précisément aux questions les plus techniques.

Lors de la rédaction du Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale, il a été décidé d’adosser la construction du système de défense à un référentiel de programmation. La trajectoire de besoins, qui a été élaborée et évaluée à 377 milliards d’euros pour la période 2009-2020, excédait d’environ 3,5 milliards d’euros le montant des ressources initiales anticipées par le ministère du Budget, la « bosse » de besoins se concentrant sur les années 2009-2011. Au départ, il était convenu que les ressources budgétaires seraient stabilisées en valeur – en euros 2008 – jusqu’en 2011, avant de connaître ensuite une augmentation de l’ordre de 1 % par an. Aussi, pour « couvrir » cette bosse, il a été décidé de mobiliser des recettes exceptionnelles pour un montant équivalent, recettes issues du produit des cessions des actifs libérés dans le cadre des restructurations et de la contraction des formats programmées dans le Livre blanc. Pour autant, il était prévisible que le produit des cessions ne suffirait pas.

Dans le même temps, il a été question de céder les fréquences Félin et Rubis – convoitées par les opérateurs civils parce qu’elles étaient plus rentables pour eux que celles qu’ils utilisaient – et demandé à la défense de migrer vers d’autres parties du spectre des fréquences. D’autres types d’opérations ont également été envisagés pour faciliter l’acquisition des capacités de la défense en évitant des pics de dépense pour des achats patrimoniaux et en recourant, comme nos voisins d’outre-Manche pour les communications satellitaires, à la location de services – la location de nos satellites permet de limiter la dépense annuelle et de rationaliser leur utilisation.

Le montant des ressources estimées excédait légèrement la « bosse » de 3,5 milliards, mais les recettes exceptionnelles n’ont pas été au rendez-vous, ni en volume, ni dans le temps. Nous attendions 1 637 millions d’euros en 2009, dont 972 millions de cessions immobilières et 600 millions de cessions de fréquences.

Le retard constaté dans les encaissements a été compensé par des mesures de trésorerie. Nous avons ainsi été autorisés à consommer une partie des reports de crédits du ministère, à hauteur de 400 millions d’euros, qui sont venus s’ajouter aux 500 millions d’euros dont la consommation a été autorisée au titre du plan de relance. Ces sommes ont libéré des marges de manœuvre pour engager des dépenses d’investissement.

Le compte d’affectation spéciale dédié à l’immobilier a été abondé par un redéploiement de crédits internes en provenance du budget général dans un premier temps, couvert par une partie des reports de crédits. Une autre partie des reports – 205 millions d’euros pour le programme 146 Équipement des forces et 40 millions pour le programme 178 Préparation et emploi des forces – a été consacrée aux dépenses immobilières.

Par ailleurs, une baisse des besoins a été constatée en fin d’année, consécutive à une baisse du coût des facteurs. La crise a pesé à la fois sur les salaires et le coût des matières premières.

Globalement, ces mesures ont permis de respecter le volet capacitaire de la programmation. Dans le rapport annexé de la loi de programmation militaire, la priorité donnée à l’investissement se traduisait en 2009 par une enveloppe de 17,55 milliards d’euros valeur 2008 – soit 17,9 milliards en euros 2009 – pour les crédits d’équipement, y compris le plan de relance. L’estimation actuelle de la dépense d’investissement sur le même périmètre est de 17,5 milliards, l’écart étant constitué par des reports de crédits. La programmation a donc été globalement respectée.

Dans l’ensemble, l’infrastructure opérationnelle a été préservée, la contrainte se reportant plutôt sur les crédits d’entretien. À terme, l’exécution de la loi de programmation s’en ressentirait si les recettes exceptionnelles n’étaient pas au rendez-vous.

Pour qu’il n’en soit pas ainsi, il faudra que les cessions se concrétisent à hauteur des estimations initiales pour couvrir la « bosse » initiale de besoins. Compte tenu de la conjoncture actuelle marquée par une dépréciation des actifs immobiliers, le ministère est incité à élargir les plages du calendrier pour négocier et attendre une période plus propice, ce qui implique de nouvelles mesures de trésorerie pour couvrir les dépenses. Il est envisagé de mobiliser cette année de nouveaux reports de crédits, autour de 300 millions d’euros.

Les cessions de fréquences aussi prennent du retard. Le montant attendu reste de 600 millions d’euros mais les négociations avec les opérateurs ne sont pas terminées.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. En tant que rapporteur spécial du budget opérationnel de la défense, je me réjouis que la MEC travaille sur les recettes exceptionnelles du ministère de la Défense, qui constituent un enjeu majeur pour la période 2009-2010.

S’agissant des montants en cause, la loi de finances initiale pour 2009 prévoyait 972 millions d’euros de produit de cessions d’emprises immobilières. D’après nos informations, le chiffre serait tombé à 540 millions d’euros auxquels se sont ajoutés les 170 millions de mesures du plan de relance et 105 millions obtenus par un décret d’avance. Il manquait encore 138 millions d’euros pour atteindre le chiffre inscrit dans la loi de finances initiale. Comment se présentera la loi de règlement que nous voterons en juin ?

En ce qui concerne 2010, il est prévu des cessions immobilières et des cessions hertziennes – 600 millions – pour un total d’environ 1,3 milliard d’euros. Qu’en sera-t-il exactement ?

M. Georges Tron, Président. Pourriez-vous faire le point précisément sur les prévisions et les réalisations pour 2009 et 2010 ?

M. le général Jean-Marc Denuel. Je me préoccupe surtout de savoir si les crédits prévus pour réaliser les projets de l’année sont au rendez-vous ; or s’agissant de la construction capacitaire, c’était bien le cas.

Quant à la mécanique financière, elle relève de la direction des Affaires financières, dont vous entendrez le directeur tout à l’heure.

Je vous confirme que 972 millions d’euros étaient attendus en 2009, et que les 600 millions au titre des cessions de fréquences ont été reportés.

Par rapport à votre chiffre de 540 millions d’euros, j’affiche 561 millions qui correspondent, outre au produit de cessions pour 65 millions d’euros, à 136 millions d’euros provenant d’un transfert du budget général, à 221 millions d’euros de soulte de la SNI, et à un report de crédits de 139 millions au sein du CAS Immobilier.

M. le général Bruno Le Ray. En ce qui concerne ces chiffres, la difficulté tient au fait que certains d’entre eux sont relatifs à des crédits qui sont transférés sur le périmètre du programme 212 tandis que d’autres sont venus abonder directement le compte d’affectation spéciale, lequel a vocation à recevoir les recettes exceptionnelles.

Si l’on se limite au périmètre du CAS Immobilier, pour lequel on attendait 972 millions, ce sont en fait 561 millions d’euros qui sont « arrivés » en 2009, qui se décomposent de la façon suivante : 65 millions d’euros pour les cessions réalisées dans l’année ; 139 millions d’euros en reports de crédits de 2008 à 2009 au sein du CAS Immobilier ; 221 millions d’euros correspondant à la soulte versée par la SNI dans le cadre du renouvellement du contrat pour la gestion du patrimoine domanial de la défense ; et 136 millions d’euros provenant de la mission Défense du budget général.

M. Charles de Courson. À quoi correspondent ces 136 millions ?

M. le général Jean-Marc Denuel. Ils proviennent d’autres programmes, notamment des programmes 146 et 178, et ont servi à abonder le CAS Immobilier au fur et à mesure des besoins, et les transferts ont été compensés par les reports de crédits.

M. Charles de Courson. La loi organique permet-elle d’abonder un CAS de cette façon ? N’a-t-elle pas, en l’espèce, été détournée ?

M. le général Jean-Marc Denuel. Je ne suis pas en mesure de vous répondre et il vaudrait mieux interroger le directeur des Affaires financières.

M. Charles de Courson. Et à quoi correspond la soulte versée par la SNI ?

M. le général Bruno Le Ray. La soulte a été versée à l’occasion du renouvellement de la convention de longue période passée avec la SNI qui gérait déjà le parc de logements.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Compte tenu de la durée du bail – environ une quinzaine d’années –, il s’agit d’une sorte d’opération de lease back pour se procurer de la trésorerie.

M. Charles de Courson. Qui est le propriétaire des logements ? Si c’est une anticipation de loyers, c’est de la cavalerie.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Les 972 millions d’euros correspondent-ils à l’évaluation par le ministère de ses biens cessibles, dont 65 millions seulement ont été réalisés ?

M. le général Jean-Marc Denuel. Oui, à ceci près que c’est France Domaine qui a procédé à l’évaluation.

M. Georges Tron, Président. De mémoire, pour l’ensemble du budget pour 2009, 1,4 milliard de cessions étaient programmées – dont 1 milliard pour le ministère de la défense – et 400 millions environ ont été réalisés. Je m’étonne moi aussi du chiffre de 65 millions.

M. Charles de Courson. La soulte de 221 millions était-elle programmée ?

M. Georges Tron, Président. Nous poserons la question au directeur des Affaires financières.

M. le général Jean-Marc Denuel. Pour en terminer avec les questions financières, je sais, même si je n’étais pas membre de la commission du Livre blanc, qu’elle avait abordé le problème de la soulte de la SNI.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Vous avez invoqué, général, la crise immobilière, mais elle ne date pas de 2009.

Je m’interroge surtout sur la cause des retards. L’armée libère-t-elle les emprises à céder dans les délais impartis ? Le coût et le temps des opérations de remise en état et de dépollution ont-ils été correctement estimés ? Les cessions pour un euro symbolique ont-elles pénalisé le ministère de la Défense et à quelle hauteur ?

Est-il vrai que certains bâtiments seront vendus puis reloués par le ministère ? Si oui, de telles opérations ont-elles été chiffrées ? Combien vont-elles coûter ?

M. le général Jean-Marc Denuel. Je vous répondrai autant que mes compétences me le permettent.

À votre première question, je répondrai oui : le plan de restructuration des armées est suivi. En revanche, les terrains libérés doivent être dépollués ou faire l’objet d’opérations de valorisation comme la mise aux normes de sécurité des bâtiments ; dans un cas comme dans l’autre, cela demande du temps. Ainsi, lorsque j’étais commandant de base, j’ai vu un ancien hôpital libéré par les armées depuis des années rester vide parce que sa mise aux normes coûtait trop cher au regard de la rentabilité espérée. Toute immobilisation est coûteuse. S’il faut engager des dépenses pour dépolluer ou valoriser avant de vendre dans le but de financer la réalisation d’équipements nouveaux, il est extrêmement compliqué de s’en tenir au plan fixé : c’est pourquoi a été conçu un système pour transférer à l’acquéreur la charge de la dépollution.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Il est surprenant de ne pas avoir anticipé ce type de problème.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Il serait judicieux, monsieur le président, d’auditionner France Domaine dans la mesure où la valorisation ou la dépollution ne sont pas de la responsabilité exclusive de l’état-major des armées.

Dans le cadre de la réforme de la carte militaire, les emprises sont libérées dans les délais, sachant qu’en 2009, elles devaient être assez peu nombreuses.

M. le général Bruno Le Ray. Vingt-trois exactement devaient être abandonnées en 2009.

M. le général Jean-Marc Denuel. …dont seize devaient être cédées pour un euro symbolique aux communes ayant conclu un contrat de redynamisation de site. La perte a été estimée par France Domaine à 13,5 millions. En outre, le site du 2ème régiment de hussards de Sourdun a été cédé pour un euro au ministère de l’Éducation nationale et à la SOVAFIM pour réaliser un internat d’excellence : l’emprise était évaluée à 22 millions d’euros. Les six dernières emprises – hors contrat de redynamisation de site – ont été cédées pour une somme totale de 15 millions d’euros mais, en raison de l’échelonnement des paiements, seuls 4 millions d’euros ont été récupérés jusqu’à présent.

M. le général Bruno Le Ray. Le contrat de redynamisation de site de défense – le CRSD – est proposé aux collectivités locales, qui sont libres de l’accepter ou non. Les démarches administratives expliquent que les cessions aient pris du retard en 2009.

Pour certaines emprises parisiennes, une opération du type de celle que vous avez décrite, madame la Rapporteure, a été imaginée, avec le versement de loyers intercalaires dans l’attente de la disponibilité des locaux de Balard.

M. Georges Tron, Président. En toute sincérité, qui, de France Domaine ou du ministère de la Défense, décide ?

M. le général Bruno Le Ray. À ma connaissance, la décision est collégiale mais France Domaine a un rôle leader. Les cessions sont réalisées tantôt par la Mission pour la réalisation des actifs immobiliers, tantôt par France Domaine, selon un partage décidé conjointement par les différents partenaires.

M. Georges Tron, Président. En théorie, vous avez raison, mais nous avons l’impression d’une certaine opacité, au moins quand il s’agit de comprendre qui propose et qui décide. Et le financement des recettes exceptionnelles du ministère de la Défense pose en définitive la question du pilotage de la fonction immobilière de l’État. Nous avons du mal à comprendre le rôle particulier de la MRAI.

M. Charles de Courson. De nombreux terrains militaires sont pollués, et cela a constitué pendant longtemps un obstacle aux cessions. On peut se demander si en modifiant la loi afin d’autoriser la vente de biens à condition que leur valeur tienne compte du coût de la dépollution, cela a permis de réaliser un certain nombre d’opérations pour des valeurs positives…

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Le produit de l’aliénation des ondes hertziennes alimentera le CAS créé pour financer l’amélioration de l’utilisation du spectre hertzien ainsi que l’interception et le traitement des émissions électromagnétiques à des fins de surveillance et de renseignement. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?

S’agissant des cessions d’usufruit de satellites de télécommunication, de quelles garanties l’état-major s’est-il entouré pour pouvoir, en cas de crise, utiliser toutes les capacités nécessaires ? Existe-t-il des cas d’externalisation similaires à l’étranger ? Les avez-vous étudiés ?

M. le général Jean-Marc Denuel. Votre curiosité a été aiguisée par la dénomination du CAS, laquelle a en fait été choisie pour être la plus large possible.

Quant à la cession de l’usufruit de Syracuse, il faut savoir que Syracuse met à disposition des forces opérationnelles des répéteurs – ils servent à amplifier les signaux interceptés et à les renvoyer. Nous avons estimé nos besoins opérationnels dans les années à venir à vingt-trois répéteurs. Avec nos satellites Syracuse, nous n’en avons que dix-neuf, dont trois sont loués à l’OTAN. Il nous fallait donc des répéteurs supplémentaires, et c’est la raison pour laquelle nous avons lancé le projet de coopération franco-italien Sicral qui garantira la couverture de nos besoins militaires. Avec nos trois satellites, il y aura des capacités excédentaires, au minimum 10 %, qui pourront être louées à des opérateurs. Notre réticence, seulement apparente car l’exemple britannique était concluant, venait de ce que nous voulions nous assurer que notre besoin opérationnel maximal à un horizon de dix ans serait satisfait. C’est pratiquement chose faite.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Avons-nous trop de fréquences hertziennes ? Est-ce le progrès technique ou la réduction du format des armées qui libère les fréquences ? Ou bien les prévisions étaient-elles surdimensionnées ? En ce qui concerne plus particulièrement les fréquences Rubis, attribuées à la gendarmerie, le rattachement de cette dernière au ministère de l’Intérieur a-t-il eu une incidence ?

M. le général Jean-Marc Denuel. Sur ce dernier point, la cession était prévue de longue date, bien avant le changement de tutelle.

C’est parce que les fréquences Félin intéressaient les opérateurs civils, notamment pour la télévision numérique, qu’il nous a été demandé de migrer sur une autre bande de fréquence, de façon à ne pas les gêner.

Par ailleurs, la technique permet d’utiliser des bandes plus étroites et de mieux rentabiliser l’ensemble du spectre.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Les capacités opérationnelles resteront-elles identiques ?

M. le général Jean-Marc Denuel. Si différences il y a, elles concerneront la portée des ondes. Plus une onde est basse, plus loin elle se propage. Si la fréquence augmente, il faut davantage de répéteurs pour que l’onde se diffuse. Cela dit, nous sommes capables de gérer tout cela.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Vous ne risquez pas de regretter votre décision dans quelques années ?

M. le général Jean-Marc Denuel. Non.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. La migration d’une fréquence à une autre qui obligera à augmenter la puissance des émissions ne rendra-t-elle pas le système Félin plus facilement détectable, donc plus vulnérable ?

M. le général Jean-Marc Denuel. Il faudra des relais supplémentaires mais cela a été prévu et ne devrait pas générer de demandes de crédits supplémentaires. Si des conséquences opérationnelles existent, elles sont liées au fait que Félin étant utilisé au sein du groupe de combat, donc à faible distance, il existe des situations en zone urbaine notamment où cette portée plus réduite peut être un handicap, auquel il sera remédié par la mise en place de relais.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Du point de vue de l’état-major des armées, les retards constatés dans l’encaissement des recettes prévues ont-ils des conséquences sur vos programmes et missions, en particulier sur le plan opérationnel ?

M. le général Jean-Marc Denuel. Les dépenses d’investissement de 2009 ont été couvertes, soit 17 milliards d’euros, à 300 millions près de reports de crédits qui viennent d’être décidés.

En 2010, les recettes exceptionnelles risquent de ne pas être non plus au rendez-vous ; celles liées aux fréquences devraient rentrer fin 2010 ou début 2011. Il faudra encore recourir à des mesures de trésorerie pour couvrir le besoin opérationnel, à commencer par des reports de crédits. Ce ne sera qu’en fin de période que l’on pourra mesurer l’impact éventuel sur les capacités opérationnelles. Mais si les opérations se dénouent avec un écart de 100 millions d’euros, par rapport à 17 milliards d’investissements annuels, je ne pourrai pas dire que nos capacités opérationnelles ont souffert de retards. Les ordres de grandeur ne sont pas tels que la réalisation de la loi de programmation militaire soit mise en péril.

M. Georges Tron, Président. Je vous remercie l’un et l’autre d’avoir répondu à nos questions, dont certaines étaient un prélude à celles que nous ne manquerons pas de poser au directeur des Affaires financières.

Audition du 9 mars 2010

À 17 heures : M. Éric Querenet de Breville, sous-directeur chargé de la 5è sous-direction, au ministère du Budget, des comptes public, de la fonction publique et de la réforme de l’État.

Présidence de M. Georges Tron, Président

M. Georges Tron, Président. Nous accueillons maintenant M. Querenet de Breville – qui est un habitué des auditions devant notre Mission –, sous-directeur en charge de la 5e sous-direction au ministère du Budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État.

M. Éric Querenet de Breville, sous-directeur au ministère du Budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État. Permettez-moi, pour commencer, de rappeler la genèse des recettes exceptionnelles de la Défense telles qu’elles sont prévues dans la loi de programmation militaire.

Il y a tout d’abord ce qui a été présenté, il y a un peu plus de deux ans, comme une « bosse » de crédits de paiement, telle qu’elle apparaît à la page 2 du document qui vous a été distribué. Il s’agissait d’épouser la trajectoire des besoins de la Défense, en répondant aux besoins exceptionnels par des recettes exceptionnelles – d’autant plus que les contraintes de la norme de dépense imposent une certaine régularité dans l’évolution des crédits budgétaires.

D’autre part, il y avait le constat que des actifs, immobiliers et immatériels, seraient à réaliser : le projet de « Pentagone à la française » à Balard libère des emprises parisiennes ; la densification du réseau d’implantation de la Défense sur le territoire national conduit à libérer des emprises régionales ; des matériels militaires d’occasion sont régulièrement vendus ; les conventions internationales conduisent à céder en bloc les fréquences Félin aujourd’hui utilisées par l’armée de terre, voisines de celles libérées par le passage de la télévision analogique à la télévision numérique, pour faire un paquet de quatrième génération. Avec ou sans « bosse » de paiements, donc, il y aurait eu de toute façon des recettes exceptionnelles.

La particularité, liée aux contraintes de financement du ministère de la Défense, est tout d’abord que nous avons adapté un véhicule existant, le compte d’affectation spéciale Immobilier, en introduisant des dérogations au droit commun : nous avons maintenu le taux de retour à 100 % – comme dans la précédente loi de programmation militaire – et fluidifié les règles de remploi, notamment par une conception large des dépenses éligibles. Par ailleurs, nous avons créé en 2009 un compte d’affectation spéciale pour les cessions de fréquences – dont le produit, dans le droit commun, va au budget général. Ce CAS a vocation à recevoir en recettes le produit, d’une part, de l’attribution de fréquences libérées par le ministère de la Défense – ou par celui de l’Intérieur pour la partie du réseau Rubis utilisé par la gendarmerie – et, d’autre part, de la cession d’usufruit de bandes passantes satellitaires de la constellation Syracuse, objet d’un article voté dans la loi de programmation militaire à l’automne dernier. Sont destinées à figurer en dépenses celles qui, sur le programme du ministère de la Défense, concernent les télécommunications, notamment l’aménagement du spectre.

La page 3 du document décompose les ressources prévues sur la période de la loi de programmation militaire, année après année, en crédits budgétaires, dépenses de relance – qui ont vocation à être remboursées, mais de manière relativement étalée dans le temps – et recettes exceptionnelles.

Ces recettes exceptionnelles, telles qu’elles avaient été prévues dans la LPM en 2009, 2010 et 2011, figurent dans le tableau de la page 4. Elles se partagent, pour l’essentiel, entre recettes tirées des actifs immobiliers et recettes tirées des actifs de télécommunications. Les « autres recettes » correspondent aux cessions de matériels militaires, auxquelles s’ajoute en 2009 le reliquat de crédits de masses issus du régime dérogatoire des « dépenses à bon compte ».

Qu’en est-il de la réalisation de ces recettes exceptionnelles ?

En 2009, sur les 1 637 millions d’euros prévus, 357 millions d’euros ont été réalisés : 220 millions d’euros ont été tirés de la soulte versée par la SNI, une soixantaine de millions de la cession d’emprises en province, 15 millions de la cession d’emprises parisiennes ; s’y sont ajoutés le reliquat des masses et les cessions de matériels militaires d’occasion, représentant 65 millions d’euros.

Le ministère de la Défense a bénéficié de compensations à ces moindres recettes exceptionnelles, comme le montre la page 5 du document. La première, et la plus importante, a été l’autorisation de consommer des crédits de report issus de la précédente loi de programmation militaire, à hauteur de 900 millions d’euros. En second lieu, une marge de 600 millions d’euros a résulté des moindres besoins de dépenses, liés au fait que l’inflation en 2009 ne s’est élevée qu’à 0,1 % alors que le budget avait été construit sur l’hypothèse d’une inflation à 2 % ; certes, la sensibilité du budget du ministère de la Défense à l’inflation ne concerne pas à court terme, tous les compartiments de dépenses, mais sur les programmes d’armement, il existe des clauses de révision de prix automatiques. L’annexe I du document précise le détail de ces gains. Au total, sur l’année 2009, on peut parler de « surcompensation » des moindres recettes exceptionnelles, puisque le ministère a finalement bénéficié de 1,9 milliard alors que la prévision était de 1,6 milliard de recettes exceptionnelles.

Pour l’année 2010 – page 6 du document –, le montant prévisionnel des recettes exceptionnelles tirées des fréquences est maintenu à ce stade, à titre conservatoire, au montant qui avait été initialement prévu en LPM, soit 600 millions d’euros – qui devraient être perçus en fin d’année, voire au début de 2011 – car l’ARCEP, qui a la maîtrise du calendrier et des modalités d’attribution, a lancé une enquête publique début 2009, dont le retour est un peu plus long que prévu. Pour les recettes exceptionnelles de l’immobilier, le montant prévu en LPM était de 650 millions d’euros et la prévision actuelle est de 190 millions. La différence s’explique par le retournement du marché immobilier : l’État ne veut pas brader ses actifs et préfère donc renoncer au bénéfice immédiat d’une recette de trésorerie. Les négociations engagées avec la Caisse des dépôts et la SOVAFIM, dont une filiale commune devait reprendre en bloc une grande partie des emprises parisiennes, ont été ajournées. Sur les 190 millions d’euros attendus, 130 concernent la vente de lots isolés à Paris, pour lesquels un appel d’offres sera réalisé – Lourcine, Latour Maubourg, Montparnasse – et 60 seraient imputables aux cessions en province. Enfin, les marges de désinflation devraient représenter 100 millions d’euros.

Au total, en 2009 et 2010, comme le montre le tableau de la page 7, le décalage dans le temps de la perception des recettes exceptionnelles est plus que compensé. Ainsi, en 2009, si les recettes exceptionnelles prévues en LPM et non perçues représentaient environ 1,3 milliard d’euros, les compensations ont atteint 1,7 milliard, et il est venu s’y ajouter une atténuation de la bosse de crédits de paiement sur les programmes d’équipement, si bien que le report de charges a diminué de 800 millions d’euros par rapport à fin 2008. À l’issue de l’année 2010, le report de charges prévisionnel est encore de 750 millions d’euros inférieur à celui constaté fin 2008 – ce qui signifie que, même si les recettes tirées des fréquences, soit 600 millions d’euros, n’étaient perçues que début 2011, le report de charges serait encore inférieur de 150 millions d’euros à ce qu’il était fin 2008.

J’insiste sur le fait qu’il faut bien distinguer le décalage dans le temps de la perception des recettes exceptionnelles et les moins-values à terminaison – qui, dès lors qu’il a été décidé de décaler les cessions immobilières, seront moindres : selon les dernières évaluations de France Domaine, la moins-value sur l’ensemble des cessions parisiennes prévues en LPM devrait être de l’ordre de 100 millions d’euros ; elle aurait été bien plus importante si les cessions avaient eu lieu au moment initialement envisagé.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Nous cherchons à rapprocher les chiffres du ministère du Budget et ceux du ministère de la Défense, et pour cela nous aimerions connaître votre regard sur la valorisation des actifs immobiliers.

Le projet de loi de finances initiale pour 2009 qui avait été présenté au Parlement prévoyait des cessions immobilières à hauteur de près d’un milliard d’euros – 972 millions –, sur la base des valorisations de France Domaine ; vous nous dites que 357 millions ont été réalisés, mais en fait, seulement 80 millions sont des recettes exceptionnelles de cessions immobilières – 65 en province et 15 à Paris – puisque les 221 millions de la SNI n’en sont pas à proprement parler. Autrement dit, il manque près de 900 millions pour 2009. Pour 2010, vous nous dites attendre 190 millions sur les 650 millions prévus : il manque donc 460 millions. Sur les deux années, les recettes immobilières prévues et non concrétisées atteignent ainsi près de 1,4 milliard d’euros. Vous nous dites que les cessions se feront un peu plus tard et que la moins-value, in fine, ne sera que de 100 millions… mais quand ?

M. Éric Querenet de Breville. Le fait d’arbitrer en faveur d’un décalage des cessions immobilières a en effet pour conséquence une moindre recette de 1,2 milliard sur 2009-2010. Ces cessions, en particulier celle du bloc de l’îlot Saint-Germain, interviendront en tout état de cause avant la fin de la LPM. Selon les prévisions économiques, la stabilisation et le redressement du marché immobilier interviendraient à l’horizon 2011-2012.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Concrètement, de quels ensembles immobiliers s’agit-il ? Nous aimerions que vous le précisiez, d’autant qu’il nous avait été dit que l’opération îlot Saint-Germain/Balard était en dehors du champ des recettes exceptionnelles, puisqu’il est fait appel à une société de portage immobilier.

M. Éric Querenet de Breville. L’opération Balard fait en effet l’objet d’un partenariat public-privé. Le loyer qui sera versé à compter de 2014 sera inférieur au coût de maintenance des différentes emprises actuelles. Le décalage des cessions dans le temps a par ailleurs pour avantage de réduire les loyers intercalaires qui résultent d’une vente en site occupé.

M. Charles de Courson. Nous avons toujours eu le sentiment que les recettes immobilières étaient systématiquement surestimées, mais nous n’avons jamais eu entre les mains un programme physico-financier des cessions prévues, nous permettant de procéder a posteriori à des vérifications. La direction du Budget en avait-elle un en septembre 2008, lorsqu’elle achevait de mettre au point le projet de loi de finances pour 2009 ?

M. Éric Querenet de Breville. La réponse est « oui » pour les cessions parisiennes, « non » pour les cessions régionales.

L’estimation de départ était celle du tableau général des propriétés de l’État (TGPE) à fin 2007. Le reproche qui a été fait pendant longtemps à France Domaine était plutôt de sous-estimer les actifs, dans le contexte d’un marché immobilier très dynamique. Néanmoins, des moins-values à terminaison peuvent résulter d’une surestimation. Dans le cas des emprises régionales, celles qui vont apparaître tiendront au fait que la liste des cessions à l’euro symbolique s’est allongée par rapport à ce que le ministère de la Défense avait auparavant prévu.

M. Georges Tron, Président. Pour 2009, le produit attendu des cessions immobilières de l’État était de 1,4 milliard, dont près d’un milliard – 972 millions – sur le patrimoine du ministère de la Défense. Or le produit réel des cessions du ministère s’établit, d’après les chiffres que vous nous avez fournis, à 85 millions. Expliquez-vous cet écart uniquement par des considérations économiques et financières ? N’y a-t-il pas une reprise en main par le ministère de la Défense de son pilotage immobilier ?

Qui est le décisionnaire final ? Est-ce le ministère de la Défense ou le ministère du budget ? On nous a parlé de « copilotage », mais la notion me paraît bien floue.

M. Éric Querenet de Breville. Pour les cessions parisiennes, c’est le ministre du Budget qui prend la décision, après concertation avec le ministère de la Défense. Pour les cessions régionales, en revanche, c’est la Mission pour la réalisation des actifs immobiliers (MRAI) du ministère de la Défense qui décide.

Par ailleurs, il ne faudrait pas que vous écartiez trop vite les 220 millions de recettes SNI.

M. Georges Tron, Président. C’est une avance.

M. Éric Querenet de Breville. On ne peut pas comparer 80 millions à un milliard ; il faut comparer 80 millions, qui est hors SNI, à un milliard moins les 220 millions de recettes SNI.

Non, il n’y a pas de retournement de politique. Pour les emprises parisiennes, à l’issue de la négociation qui a duré plusieurs mois et pour laquelle nous nous sommes faits aider d’un conseil – Jones Lang LaSalle – qui a pu contre-expertiser les valeurs de France Domaine, nous savons ce que nous pouvons attendre des cessions parisiennes dans un contexte de marché normal. Tout dépend donc maintenant du marché immobilier ; on peut raisonnablement penser que son évolution à l’horizon du prochain budget triennal – 2011-2013 – permettra de céder la totalité des emprises dont la cession était prévue dans le premier budget triennal. Encore une fois, il s’agit d’un décalage dans le temps, résultant de la volonté de ne pas brader les actifs de l’État.

M. Georges Tron, Président. Sur les près de 800 millions d’euros de recettes de cessions initialement prévues hors recettes SNI, quelle était la répartition entre Paris et la province ?

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Pourriez-vous nous donner la liste des actifs qu’il était prévu de céder pour ce montant ?

M. Charles de Courson. Nous aurions besoin d’avoir, d’une part, un état physico-financier des cessions que vous aviez prévues en septembre 2008, correspondant au montant total que vous avez inscrit dans le projet de budget pour 2009, et, d’autre part, un état physico-financier des cessions réalisées en 2009. Pour 2010, il nous faudrait aussi les deux listes. À l’époque où je travaillais à la direction du Budget, j’avais pu constater que les recettes non fiscales tirées de cessions n’étaient pas évaluées avec une très grande précision analytique…

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. C’était avant la LOLF !

M. Charles de Courson. Certes…

M. Éric Querenet de Breville. J’ai bien noté votre demande, qui implique de distinguer ce qui relève d’un report dans le calendrier et, à la date de cession, les éventuelles moins-values par rapport à ce qui était initialement prévu.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. L’évaluation de France Domaine a-t-elle pris en compte les frais de dépollution ?

M. Éric Querenet de Breville. Les équipes de France Domaine et les conseils immobiliers ont fait de longues visites dans chacune des emprises, qui ont également donné lieu à des travaux notariaux très importants.

En ce qui concerne les emprises régionales, qui sont les plus concernées par les problèmes de dépollution, ce critère est intégré dans la valorisation. Il faut cependant rester conscient que les normes en la matière sont appelées à évoluer dans les années à venir. Par ailleurs, il y a une disjonction entre la responsabilité pénale et la responsabilité de dépollution telle que validée dans la convention de dépollution signée avec la DRIRE locale : même s’il a rempli toutes ses obligations conventionnelles, l’État conservera une responsabilité pénale au titre de la pollution des sites. Cette difficulté n’avait pas été oubliée au moment de l’évaluation initiale mais elle a peut-être contribué à allonger la liste des cessions à l’euro symbolique. La MRAI pourrait vous le confirmer – même s’il est possible, sur un site pollué, de lancer un projet de développement du photovoltaïque.

En ce qui concerne les cessions de fréquences, la situation est plutôt inverse. Les recettes inscrites dans les lois de finances sont des montants conventionnels. Le calendrier, dont la maîtrise relève de l’ARCEP, subit un décalage d’environ un an – et ce sera peut-être quatorze mois –, mais les recettes attendues – 35 entreprises se sont déclarées intéressées par les fréquences libérées – sont très largement supérieures à ce qui a été inscrit dans la loi de programmation militaire. C’est si vrai que le Sénat a adopté un amendement à la loi de finances pour 2010, selon lequel le CAS Fréquences ne contribuera pas au désendettement de l’État avant 2015, l’idée sous-jacente étant d’affecter les plus-values à des dépenses de télécommunications du ministère de la Défense éligibles au CAS.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Sur les 35 entreprises intéressées, combien y a-t-il d’entreprises françaises et combien d’étrangères ?

M. Éric Querenet de Breville. Je ne peux pas vous les citer toutes, mais il y a dix opérateurs et fournisseurs de services, des constructeurs équipementiers, des acteurs d’Internet ou de l’audiovisuel. Parmi les plus intéressés, on compte Orange, SFR, Bouygues, Iliad, Ericsson, Canal Plus, Google, Skype…

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. D’après le tableau qui figure à la page 4 de votre document, les recettes exceptionnelles prévues en LPM étaient, pour les actifs de télécoms, de 600 millions en 2009 et à nouveau de 600 millions en 2010. En réalisation, les recettes ont été nulles en 2009 puisqu’il n’y a pas eu de cession. Vous nous dites attendre 600 millions fin 2010 ou début 2011, mais alors que devient l’autre paquet de 600 millions ?

M. Éric Querenet de Breville. Le premier paquet de 600 millions correspond à la cession de Félin. Le deuxième globalise ce que nous attendons du projet Syracuse – que nous n’avons pas voulu distinguer dans la loi de finances, et une part de ce que nous attendons de Rubis. Le solde de Rubis, soit 250 millions d’euros, a été prévu en LPM pour 2011. On arrive ainsi à un total de 1,45 milliard.

M. Louis Giscard d'Estaing, rapporteur. Il va donc y avoir un décalage général dans le temps.

M. Éric Querenet de Breville. Oui, d’environ un an.

Encore une fois, c’est l’ARCEP qui maîtrise le calendrier. Elle a fait le choix de terminer l’attribution des fréquences résiduelles de troisième génération avant d’entamer celle des fréquences de quatrième génération.

M. Charles de Courson. Pensez-vous qu’on puisse attendre sur les cessions de fréquences une plus-value qui compenserait la moins-value sur les cessions immobilières ?

M. Éric Querenet de Breville. J’ai évoqué tout à l’heure une moins-value de 100 millions du côté des cessions immobilières – en supposant que le marché immobilier revienne à la normale, comme cela semble se dessiner.

M. Charles de Courson. Le marché immobilier ne s’est pas effondré.

M. Éric Querenet de Breville. Les montants que proposait le consortium CDC-SOVAFIM intégraient une décote trop importante pour que nous réalisions les actifs.

M. Charles de Courson. Vous auriez pu mettre au point une clause de partage de la plus-value d’anticipation.

M. Éric Querenet de Breville. Nous avons négocié une clause de ce type, mais elle ne suffisait pas à compenser la décote. À cet égard, le consortium avait l’avantage d’être prêt à acheter en bloc, mais l’inconvénient de ne pas être mis en concurrence. Les cessions que nous allons réaliser en 2010 – Lourcine, Latour Maubourg, Montparnasse – sont aussi une manière de montrer que nous sommes prêts à ne pas vendre en bloc et à recourir aux appels d’offres.

La moins-value de 100 millions que nous attendons sur l’ensemble des cessions immobilières concerne les emprises parisiennes. À Paris, nous considérons que les évaluations initiales n’étaient pas surestimées. Les évaluations d’emprises régionales relèvent de la MRAI.

Du côté des fréquences, les plus-values potentielles sont très importantes, mais je ne m’avancerai pas sur les évaluations car elles vont de un à cinq. Je crois en tout cas que l’aléa favorable sur les fréquences est supérieur à l’aléa défavorable sur l’immobilier.

M. Charles de Courson. On peut aussi faire des appels d’offres avec des clauses d’intéressement.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. En ce qui concerne les satellites, ne risque-t-on pas de prendre du retard sur Sicral, qui n’a pas encore été lancé, contrairement aux deux satellites Syracuse déjà en orbite ?

M. Éric Querenet de Breville. À ma connaissance, il n’y a pas d’impact direct sur le lancement de Sicral. En revanche, parmi les industriels intéressés, certains pourraient avoir intérêt à mutualiser le consortium Syracuse avec Skynet.

M. Georges Tron, Président. Merci beaucoup pour cette nouvelle participation à nos travaux.

Audition du 9 mars 2010

À 18 heures : M. Hugues Bied-Charreton, directeur des Affaires financières au ministère de la Défense.

Présidence de M. Georges Tron, Président

M. Georges Tron, Président. Nous accueillons maintenant M. Hugues Bied-Charreton, qui est directeur des Affaires financières au ministère de la Défense.

Je vous souhaite la bienvenue, monsieur le directeur.

Vous connaissez nos deux rapporteurs, Mme Françoise Olivier-Coupeau, membre de la commission de la Défense, et M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur spécial pour le budget opérationnel de la défense : ils sont issus de la majorité et de l’opposition, car la MEC a vocation à établir un rapport consensuel. Vous connaissez également M. Charles de Courson.

Par ailleurs, vous le savez, la Cour des comptes nous accompagne dans nos travaux.

Monsieur le directeur, je souhaiterais, avec l’accord des rapporteurs, revenir sur des questions qui ont été posées au cours des deux précédentes auditions car j’ai le sentiment que nous nous trouvons en plein flou artistique : je ne mets pas en cause la compétence des personnes, mais les chiffres, qu’il convient à nos yeux de préciser.

M. Hugues Bied-Charreton, directeur des Affaires financières au ministère de la Défense. Je souhaite vous apporter le plus grand nombre possible de précisions, dans la limite de mes compétences, sur un sujet complexe qui mobilise de nombreux services au sein du ministère de la Défense.

La question des recettes exceptionnelles est très importante pour le ministère de la Défense puisque l’équilibre budgétaire de la loi de programmation militaire repose sur l’encaissement effectif de ces recettes, dont les deux principaux chapitres sont les cessions immobilières et les cessions de fréquences. Le caractère complexe de ces opérations explique sans aucun doute les incertitudes actuelles.

Il convient en effet de distinguer le très court terme du moyen terme.

Dans le court terme, il s’agit pour le ministère de la Défense de faire face à des difficultés de calendrier d’encaissement de ces recettes, difficultés qui nous obligent à trouver des solutions de trésorerie afin de couvrir les opérations prévues : nous nous y employons avec l’aide du ministère du Budget et du cabinet du Premier ministre. Nous ne sommes pas inquiets puisque nous avons dégagé des solutions nous permettant de faire face aux aléas inévitables.

En ce qui concerne la LPM, au regard du bilan qu’il faudra bien tirer de la perception effective, ou non, des recettes exceptionnelles, notre préoccupation est de nous assurer que les comptes seront équilibrés à moyen terme, compte tenu des vicissitudes rencontrées. Nous serons très vigilants, au cours des prochaines discussions, sur le financement de la LPM afin de pouvoir maintenir, en moyenne période, les équilibres prévus par le législateur.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Alors même que nous sommes en phase préparatoire du projet de loi de règlement du budget de 2009, nous souhaiterions connaître la ventilation et l’articulation des différents chiffres. Pouvez-vous notamment nous donner le montant des cessions immobilières réalisées au titre de l’année 2009, afin que nous puissions le comparer avec les chiffres que nous ont fournis le général Jean-Marc Denuel et M. Éric Querenet de Breville ? Je tiens à rappeler que sur les 972 millions d’euros prévus par la loi de finances initiale au titre des cessions d’emprises immobilières, mon rapport spécial sur le projet de loi de finances pour 2010 faisait déjà apparaître un manque à gagner de quelque 138 millions d’euros, et ce alors que je tenais compte des 170 millions d’euros apportés par le plan de relance, des 105 millions d’euros obtenus par un décret d’avance et des 19 millions destinés à augmenter le pourcentage versé par avance aux entreprises – ce qui fait un total de 294 millions d’euros. Le ministère du Budget fait également apparaître dans les comptes des gains de désinflation.

Pouvez-vous nous indiquer avec exactitude dans quelle mesure les 972 millions de recettes exceptionnelles au titre des cessions immobilières ont été réalisés ?

Par ailleurs, quelles sont les mesures palliatives permettant d’atténuer l’effet des cessions non-réalisées ?

Enfin, quel est le montant résiduel non couvert en 2009 ?

M. Georges Tron, Président. Monsieur le directeur, ces questions très précises appellent des réponses tout aussi précises.

M. Hugues Bied-Charreton. En ce qui concerne la situation comptable du CAS, il est vrai que la prévision de recettes s’élevait à 972 millions. Nous en avons effectivement perçu 561 millions, qui se répartissent comme suit : 65 millions de recettes de cessions effectives,…

M. Charles de Courson. Le ministère du Budget a évoqué le chiffre de 80 millions d’euros.

M. Hugues Bied-Charreton. Ce sont bien 65 millions d’euros qui ont été encaissés en 2009. Il convient toutefois de tenir compte des échéanciers négociés, notamment avec les collectivités locales. C’est le cas d’Issy-les-Moulineaux où nous encaisserons le produit de la cession sur trois ans. Il est possible que Bercy raisonne en termes non de trésorerie mais de volume de cession – les paiements ultérieurs à valoir – et que ce soit la raison de la différence entre les deux chiffres : je m’en assurerai.

M. Georges Tron, Président. La règle des 85 % joue-t-elle ?

M. Hugues Bied-Charreton. Non, puisque nous encaissons 100 % des recettes sur le CAS.

À ces 65 millions d’euros, il convient d’ajouter 139 millions de crédits de report issus de la gestion antérieure, 221 millions de la soulte SNI et un transfert de la mission Défense vers le CAS de 136 millions, ce qui fait un total de 561 millions.

Si nous ôtons aux 972 millions d’euros d’emplois-ressources prévus à l’encaissement 136 millions de mesures de gestion, les recettes réelles s’élèvent donc bien à 425 millions d’euros, le manque se chiffrant à 547 millions d’euros.

M. Charles de Courson. Les reports n’ayant pas été budgétés dans la loi de finances initiale, vous ne devriez pas inclure dans votre calcul la somme de 139 millions d’euros.

M. Hugues Bied-Charreton. Tout dépend du point de vue dans lequel on se place. Nous raisonnons en termes d’emplois-ressources et considérons donc que nous pouvons mobiliser les 139 millions de report, ce qui, il est vrai, n’allait pas de soi dans la construction de la LPM, puisque le législateur avait raisonné hors reports.

M. Charles de Courson. Ces crédits de reports vous ont arrangé, mais ils peuvent disparaître.

M. Hugues Bied-Charreton. En effet, et c’est la raison pour laquelle ils ont été maintenus. En termes de programmation immobilière – tel est l’objectif du CAS –, la mobilisation de ces 139 millions d’euros, qui n’était pas prévue à l’origine, constitue une recette supplémentaire que nous intégrons dans notre plan de financement.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Les 221 millions d’euros de la soulte SNI étaient-ils bien inscrits dans les 972 millions ?

M. Hugues Bied-Charreton. Oui. Toutefois le montant n’était pas exactement le même : il est finalement supérieur de quelques millions d’euros.

M. Charles de Courson. Disposiez-vous, dans la négociation avec la direction du Budget sur l’élaboration du projet de loi de finances pour 2009, du détail analytique des cessions, opération par opération, vous permettant de parvenir à la somme de 972 millions d’euros ?

M. Hugues Bied-Charreton. Nous disposions d’une estimation par catégorie d’actifs, qui n’était pas analytique, emprise par emprise. Lors de l’élaboration de la LPM, les valeurs que nous avons retenues étaient tirées du tableau général des propriétés de l’État, le TGPE : nous n’avons pas affiné l’analyse par la suite. Si nous ne disposions pas de l’analyse lot par lot, nous avons toutefois procédé à des estimations forfaitaires, notamment en termes de catégorie d’actifs et calendrier des cessions, lesquelles dépendent pour beaucoup de l’état du marché.

M. Charles de Courson. Pourrez-vous nous fournir un tableau relatif aux 972 millions d’euros de recettes immobilières prévus dans la loi de finances initiale de 2009, auxquels devaient s’ajouter 600 millions de recettes en aliénation de fréquences – le total s’élevant à 1,6 milliard ?

Je tiens à rappeler que le retard pris pour la cession des fréquences n’ayant pas permis de percevoir en 2009 les 600 millions d’euros prévus à ce titre, ils ont été reportés en 2010, année où, nous venons de l’apprendre, une partie seulement sera perçue.

Pourriez-vous nous fournir un tableau équivalent pour les 650 millions d’euros de recettes immobilières prévus dans le projet de loi de finances pour 2010, auxquels il convient d’ajouter les 600 millions d’euros pour les fréquences ? Il nous semble en effet que nous assistons à un resserrement des prévisions de recettes.

En accompagnement de ces tableaux, nous souhaiterions également pouvoir disposer d’un commentaire ligne par ligne de l’exécution en 2009 et d’une prévision actualisée pour 2010 – je rappelle que la loi de finances de 2009 prévoyait 1,6 milliard d’euros de recettes exceptionnelles et le projet de loi de finances pour 2010, 1,27 milliard : nous souhaitons pouvoir expliquer à nos collègues de la représentation nationale des écarts aussi considérables entre la prévision et l’exécution.

M. Hugues Bied-Charreton. Nous disposons évidemment de ces informations.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Monsieur le directeur, selon quelle méthode avez-vous travaillé avec le ministère du Budget ?

Chacun sait déjà, en effet, que le « Balardgone » sera trop petit, ce qui entraînera des coûts supplémentaires. On sait également que le ministère de la Défense devra procéder à des locations plus ou moins temporaires à la suite de vente de biens immobiliers. Comment ces dépenses ont-elles été prises en compte ? Comment avez-vous travaillé avec France Domaine ?

M. Hugues Bied-Charreton. La LPM, en raison des contraintes budgétaires, a prévu de mobiliser des recettes extrabudgétaires, qui ont fait l’objet de négociations interministérielles. Il a finalement été décidé que le plafond global des ressources budgétaires fixé par la LPM serait complété par un volume de 3,5 milliards de recettes exceptionnelles.

Une démarche analytique, associée à cette démarche générale, a permis de dégager le premier milliard et demi de recettes exceptionnelles via la mobilisation des actifs du ministère de la Défense. Un travail relativement fin, en vue d’identifier les emprises pouvant être cédées, a été effectué sur le patrimoine immobilier du ministère, compte tenu des désengagements opérés par le ministère de la Défense dans le cadre de la RGPP, des restructurations et de la réduction du format des armées.

Ce sont évidemment les grosses emprises, notamment parisiennes, qui ont bénéficié des études les plus affinées. En effet, compte tenu du caractère gigantesque du parc immobilier du ministère de la Défense, l’étude portant sur les emprises régionales a été conduite de manière plus globale, tout en demeurant rigoureuse.

M. Georges Tron, Président. Ces études ont-elles également porté sur le patrimoine du ministère de la défense à l’étranger ?

M. Hugues Bied-Charreton. Je ne le pense pas.

Nous n’avions évidemment pas d’autre solution que de nous appuyer sur les valeurs, indiquées par France Domaine, issues du TGPE : c’est la référence en la matière.

M. Georges Tron, Président. Il y a eu également un audit de cabinet.

M. Hugues Bied-Charreton. Nous recourons à l’assistance de conseils pour la négociation en cours avec la Caisse des dépôts et consignations et la SOVAFIM sur la cession des emprises parisiennes, ce qui nous permet de corroborer, ou non, les estimations de France Domaine.

Nous avons retenu, au moment où elles ont été faites, des hypothèses relativement optimistes sur le volet immobilier : nous ne disposions en effet à l’époque d’aucune autre expertise de marché que celle de France Domaine.

Pour les fréquences, la situation est différente. Le premier bloc concerne la cession des fréquences Rubis et Félin, qui devront être cédées dans le cadre de la procédure que lance l’ARCEP sur la quatrième génération. Nous avons dû retenir des estimations forfaitaires, fondées sur l’évaluation la plus réaliste que l’ARCEP a pu nous fournir à l’époque. Nous n’avons aucun motif particulier de nous inquiéter à ce stade. Pour le second bloc, qui concerne la procédure innovante de cession d’usufruit de la constellation Syracuse, nous avons retenu une estimation forfaitaire qui correspond à ce que nous pensions devoir encaisser en termes d’usufruit compte tenu de la durée de vie résiduelle des satellites.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Je n’évoque pas les valeurs, monsieur le directeur, mais le fait que, depuis que vous avez fait ces hypothèses, nous sommes passés de quatre-vingts bases de défense à soixante-cinq, voire moins. Une telle différence aura des conséquences en termes de regroupement immobilier. Puisque le parc immobilier qui devait être vendu ne l’a été jusqu’à présent que fort peu, une procédure est-elle prévue pour analyser l’opportunité de vendre certaines emprises ?

M. Georges Tron, Président. Chacun a en effet compris que la vente d’une partie du parc immobilier de la Défense ainsi que la cession de fréquences ou de l’usufruit des satellites ont pour objet de couvrir un pic de dépenses. Si nous sortons de l’aspect financier pour entrer dans celui de la gouvernance, pourrions-nous savoir si c’est le ministère du Budget ou celui de la Défense qui a pris ces décisions ?

De plus, une fois les choix arrêtés, qui a décidé des emprises qui feraient l’objet de cessions et, parmi elles, de celles qui seraient cédées à l’euro symbolique ?

En résumé, qui a été le pilote politique de la gestion immobilière du dispositif ?

M. Hugues Bied-Charreton. Je ne saurais vous répondre sur le processus décisionnel du fait que je n’occupais pas à l’époque les fonctions que j’assume aujourd'hui. Ma connaissance des rouages politiques et administratifs me permet toutefois de supposer que la décision a été le fruit d’une discussion, à la demande de Matignon ou de l’Élysée, entre Bercy et la Défense, lorsqu’il s’est avéré que le bouclage budgétaire de la LPM impliquait de dégager des recettes extrabudgétaires, l’arbitre ultime ayant été l’Élysée. J’ignore en revanche les canaux suivis ab initio par la décision.

M. Georges Tron, Président. Ne sommes-nous donc pas en droit de penser que la décision de cession a visé à assurer, pour des raisons budgétaires, un pic de dépenses ?

Nous avons le sentiment que la gestion du patrimoine immobilier du ministère de la Défense, qui est gigantesque – 45 % du patrimoine immobilier de l’État –, est fondé uniquement sur des raisons budgétaires déconnectées de toute vue d’ensemble. En effet, au cours des auditions de cet après-midi, personne n’a fait référence à un autre pilotage que strictement budgétaire d’un patrimoine aussi professionnalisé que l’est celui du ministère de la Défense. Ces auditions semblent donc révéler que des pans entiers de notre fonctionnement administratif demeurent étrangers à la réforme de la gestion de l’immobilier à laquelle nous avons essayé de procéder il y a quatre ou cinq ans.

M. Hugues Bied-Charreton. Il n’y a pas à mes yeux contradiction entre un objectif de valorisation maximale du patrimoine immobilier du ministère de la Défense et une gestion efficace de notre patrimoine au regard des contraintes de ce même ministère. Le ministère de la Défense s’évertue au contraire à concilier ces deux approches.

M. Georges Tron, Président. Ces approches sont contradictoires en termes non pas de gestion mais de pilotage ou de gouvernance.

M. Hugues Bied-Charreton. Notre objectif est de valoriser au mieux nos emprises, notamment celles dont nous n’avons plus besoin. Jusqu’à présent nous n’avons pas sacrifié des contraintes capacitaires ou opérationnelles à des fins budgétaires, ce que d’aucuns ne manquent pas de nous reprocher. Nous n’avons pas non plus sacrifié aux contraintes de calendrier la cession du patrimoine immobilier du ministère. Si nous n’avons pas encore conclu avec la Caisse des dépôts et consignations et SOVAFIM la cession des emprises parisiennes, c’est parce que nous considérons que le prix proposé actuellement ne préserve pas les intérêts patrimoniaux de l’État.

M. Georges Tron, Président. Qui décide qu’il n’est pas opportun de réaliser actuellement cette opération : le ministère de la Défense ou Bercy ?

M. Hugues Bied-Charreton. Les cabinets et l’administration des deux ministères cogèrent le dossier au travers de comités de pilotage. Les décisions ont été prises par les ministres et par le cabinet du Premier ministre. Il ne s’agit donc pas d’une gestion au fil de l’eau : un vrai processus d’instruction donne lieu à des décisions prises sur la base de dossiers parfaitement étayés.

M. Georges Tron, président. Qui a établi la liste des terrains à céder : France Domaine pour Bercy ou la mission pour la réalisation des actifs immobiliers, la MRAI ?

M. Hugues Bied-Charreton. La liste a été établie par le ministère de la défense, qui dirige le processus au premier chef et décide si une emprise doit être cédée en priorité, au regard du plan de stationnement des armées et des négociations avec les collectivités locales, lesquelles portent notamment sur les règles d’urbanisme et les contraintes en matière de logement social. Et c’est in fine le ministère de la Défense qui propose à France Domaine de céder telle ou telle emprise, France Domaine étant, sur le plan juridique, la seule institution autorisée à procéder aux cessions. Nous sommes donc contraints d’assurer un dispositif de co-pilotage. C’est donc bien la Défense qui a l’initiative dans le processus de négociation, notamment en termes de calendrier, sous le contrôle de France Domaine qui nous appuie efficacement.

M. Georges Tron, président. Des désaccords se sont-ils déjà produits entre France Domaine et la MRAI sur l’opportunité de telle ou telle cession ?

M. Hugues Bied-Charreton. Pas à ma connaissance.

M. Georges Tron, Président. Toutefois, en cas de désaccord, France Domaine aurait-il le dernier mot ?

M. Hugues Bied-Charreton. Pas nécessairement. Nous demanderions l’arbitrage des deux cabinets ministériels et si le désaccord persistait, le dossier serait tranché à Matignon.

Le processus engagé est évidemment fonction de l’importance de l’emprise.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Notre objectif n’est pas de remettre en cause la méthode mais de prévenir tout report de « bosse ».

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Le général Denuel, que nous avons interrogé sur l’impact des non-réalisations mobilières sur le budget du ministère de la Défense, nous a répondu que la question n’était pas du ressort de l’état-major des armées et que c’était vous qui pouviez nous éclairer.

Les 561 millions d’euros de recettes comprennent 139 millions de reports de crédits et 136 millions du budget général du ministère. Quel est l’impact des ressources manquantes sur le budget de la défense ?

M. Hugues Bied-Charreton. Nous avons mobilisé 400 millions d’euros de reports de crédits pour combler les ressources manquantes : d’une part, 136 millions ont été transférés via l’émission d’un titre de perception par France Domaine vers le CAS Immobilier afin de couvrir des factures correspondant aux opérations basculées fin 2008 ; d’autre part, 264 millions ont été reportés sur le programme 212, qui a repris à sa charge le financement des opérations nouvelles en 2009 que le CAS Immobilier aurait dû financer. Nous avons donc dégagé 400 millions sur les 547 millions manquants pour financer le programme immobilier du ministère. Le reliquat de quelque 145 millions d’euros a fait l’objet, selon Bercy, d’une marge de manœuvre dégagée par la désinflation. Nous avons également reprogrammé certaines opérations. Globalement, nous avons pu sans difficulté financer la plus grande partie du programme immobilier prévu en 2009.

M. Charles de Courson. Vous contestez donc le montant du gain de désinflation estimé par Bercy à 590 millions pour 2009 et à 100 millions pour 2010.

M. Hugues Bied-Charreton. Le ministère de la Défense conteste non pas le principe d’un tel gain mais son estimation par Bercy : ce gain est à nos yeux plus proche de 300 à 400 millions d’euros que de 590 millions. Les experts de la direction des Affaires financières du ministère de la Défense et ceux de la direction du budget de Bercy ont entrepris des travaux pour apprécier au plus juste le montant des gains de la désinflation, lequel est très difficile à établir car la seule variation d’un dixième de point sur le curseur modifie de manière importante les résultats.

M. Charles de Courson. Pour l’année 2009, il suffit de comparer les chiffres définitifs avec les hypothèses initiales. C’est un travail de bénédictin, certes, mais il est réalisable.

Pourquoi Bercy vous a-t-il donné pour 900 millions d’euros d’autorisations de consommation de reports alors que 600 millions auraient suffi d’après ses propres calculs ?

M. Hugues Bied-Charreton. Nous avons également dû gérer l’absence des recettes de cessions de fréquences : nous n’avons rien perçu alors que nous espérions 600 millions d’euros.

En raison de la structure des dépenses du ministère de la Défense, une partie non négligeable des gains de désinflation concerne les dépenses d’équipement. De fait, ces gains ont bénéficié plutôt au programme d’armement – le programme 146 – qu’au fonctionnement courant du ministère et à ses dépenses immobilières.

L’indice de la construction ne s’est pas infléchi en 2009 dans les mêmes proportions que l’inflation. C’est la raison pour laquelle, je le répète, nous contestons le montant du gain lié à la désinflation avancé par le ministère du Budget.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. En 2009, les recettes exceptionnelles ont fait l’objet de moins-values alors que les OPEX se sont traduites par des surcoûts. Il ne convient pas non plus d’oublier les surcoûts liés à la réintégration complète de la France dans l’OTAN et au financement des bases d’Abou Dhabi, lequel ne figurait pas dans la loi de finances initiale. Comment réussissez-vous à financer le tout ?

M. Hugues Bied-Charreton. Pour les moins-values, des ressources supplémentaires ont pu être dégagées grâce à la consommation des reports et aux gains de désinflation. Le décalage d’encaissement sur les fréquences et les moins-values sur l’immobilier ont donc pu être compensés sans conséquences significatives sur la programmation militaire. Cela nous a permis de traiter de manière distincte les surcoûts en gestion, qui sont de natures et de montants très différents.

En ce qui concerne les OPEX, des économies sur les carburants de l’ordre de 47 millions d’euros ont permis de dégager des marges de manœuvre. De plus, un financement extérieur au ministère, intervenu en loi de finances rectificative, a permis de couvrir, intégralement pour la première fois depuis de très nombreuses années, le surcoût des OPEX, sans amputation des crédits d’équipement.

En ce qui concerne l’OTAN, le surcoût est modeste en 2009 : en deçà de dix millions d’euros. Il a donc pu être absorbé sans difficulté en gestion. Il est toutefois appelé à monter progressivement en régime au rythme de l’armement par les forces françaises des états-majors de l’OTAN : la question se posera à compter de 2010 et surtout de 2011 et de 2012.

M. Georges Tron, Président. Je vous remercie, monsieur le directeur.

Nous en avons terminé avec l’ordre du jour.

Audition du 25 mars 2010

À 9 heures : M. Philippe Distler, directeur général de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), Mme Claire Bernard, directrice des ressources humaines, de l’administration et des finances, et M. Jérôme Rousseau, directeur du spectre et des relations avec les équipementiers de l’ARCEP

Présidence de M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Je suis heureux d’ouvrir cette deuxième matinée d’auditions de la Mission d’évaluation et de contrôle consacrée aux recettes budgétaires exceptionnelles de la défense en 2009 et 2010. Il me revient de présider cette séance, notre coprésident Georges Tron ayant été, comme vous le savez, appelé à entrer au Gouvernement.

Nous serons accompagnés au cours de cette matinée par un fort contingent de la Cour des comptes : M. Alain Hespel, président de la deuxième chambre, Mme Françoise Saliou, conseiller-maître, président de section, M. Antony Marchand, conseiller référendaire, et M. Laurent Jannin, rapporteur.

Pour ouvrir cette série d’auditions relatives aux aliénations de fréquences hertziennes et aux cessions d’usufruit de satellites militaires, nous recevons des représentants de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP.

Avant de vous poser des questions avec ma collègue Françoise Olivier-Coupeau, je vous propose de nous expliquer brièvement les missions générales de l’ARCEP, en particulier son rôle dans l’aliénation des fréquences hertziennes dans le périmètre de la défense, dont nous espérons des recettes exceptionnelles en 2010.

M. Philippe Distler, directeur général de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP). Je vais d’abord vous présenter le processus de gestion des fréquences et le rôle particulier qu’y tient l’ARCEP.

Au niveau mondial, schématiquement l’Union internationale des télécommunications découpe le « grand gâteau » des fréquences en parts individuelles identifiées pour des usages spécifiques – télécommunications civiles, mobiles, services par satellite, services fixes, usages aéronautiques – dans les grandes régions du monde, en particulier l’Europe.

Au sein de l’Union, la Commission européenne décline l’application de ce découpage. Puis, dans chaque pays, est établie la cartographie des fréquences utilisables par les différents affectataires.

En France, une dizaine d’affectataires sont concernés : l’ARCEP en matière de communications électroniques civiles ; les militaires, historiquement grands utilisateurs de spectre ; la radiodiffusion ; l’aéronautique ; la météo, etc. Les transferts de fréquences d’un usage militaire à un usage civil résultent d’un arrêté du Premier ministre modifiant le tableau national de répartition des fréquences entre les différents affectataires.

En l’espèce, nous parlons de deux nouvelles bandes de fréquences, identifiées au niveau mondial, pour la prochaine génération de téléphonie mobile qui succédera à la troisième, actuellement en service et en cours de déploiement sur le territoire. La première est la bande 2,6 gigahertz (GHz), bande haute servant à fournir de la capacité dans les zones denses. La seconde est la bande 800 mégahertz (MHz), bande basse servant à faire de la couverture dans les zones moins denses et résultant pour moitié du transfert des fréquences du CSA à l’ARCEP avec l’arrêt de la télévision analogique le 1er décembre 2011, et pour moitié, d’un transfert de fréquences de la Défense, qui y développait le système Félin.

L’ARCEP est compétente pour délivrer les autorisations d’utilisation de fréquences aux différents utilisateurs, notamment aux opérateurs mobiles. Cette attribution se fait selon des procédures prévues par le code des postes et des communications électroniques. Cette compétence est partagée avec le ministre chargé des communications électroniques lorsqu’il y a rareté de ces fréquences, la loi imposant de passer par un processus d’appel à candidatures faisant l’objet d’une décision de l’ARCEP. L’Autorité propose la procédure au ministre qui la lance en publiant un arrêté fixant à la fois la partie redevance et la procédure elle-même.

L’utilisation de ces fréquences est soumise au paiement, par les titulaires des autorisations, de redevances alimentant le budget de l’État.

Les coûts de dégagement de bande – de libération des fréquences – de la bande 2,6 GHz, utilisée par le réseau RUBIS, et de la bande 800 MHz, utilisée par le système Félin, sont pris en charge – avec un mécanisme de préfinancement par le fonds de réaménagement du spectre géré par l’Agence nationale des fréquences – par les opérateurs bénéficiant de ces fréquences.

Où en sommes-nous aujourd’hui dans le calendrier ?

L’objectif annoncé par le Premier ministre en termes de politique active de gestion du spectre pour la génération actuelle de systèmes mobiles et son successeur est en cours de réalisation. L’attribution d’une autorisation à un quatrième opérateur mobile a pris un peu de retard par rapport au calendrier initial puisqu’elle n’a eu lieu que début janvier 2010. Dans la foulée, nous avons lancé la procédure pour le reliquat de fréquences dans la bande 2,1 GHz au mois de février. Le dépôt et le dépouillement des candidatures devraient conduire à une attribution fin mai ou début juin. Nous aurons alors achevé la « mise sur le marché » du stock de fréquences résiduelles qui n’avait pas trouvé preneur pour des raisons compliquées sur lesquelles je ne reviendrai pas.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Vous pouvez y revenir, car nous n’avons pas connaissance de tous les sujets.

M. Philippe Distler. Pour valoriser au mieux de nouvelles fréquences, il convient de s’assurer que celles déjà existantes et directement utilisables pour les générations en cours de déploiement sont effectivement utilisées par les opérateurs. L’objectif est donc d’essayer d’étager le mieux possible la mise sur le marché de ces ressources, en cohérence avec les besoins des opérateurs et l’état de développement des technologies par les équipementiers.

Aujourd’hui, la quantité de spectre dans la bande 2,6 GHz est relativement importante – 190 MHz – et celle de la bande 800 MHz relativement faible : 72 MHz, mais 2 x 30 MHz sont utilisables par les opérateurs mobiles. Ces deux bandes de fréquences vont servir de support à la prochaine génération mobile – la quatrième –, construite pour fournir des services de données, c’est-à-dire des services d’accès à Internet mobile, en visant une augmentation des débits accessibles par les utilisateurs et une meilleure utilisation du spectre.

La bande 2,6 GHz, comme la bande 2,1 GHz utilisée aujourd’hui pour la troisième génération, a vocation à faire de la capacité essentiellement en zones denses – sur une partie relativement réduite du territoire : 75 % de la population, 30 % de la surface. La bande 800 MHz a vocation à faire de la couverture dans les zones moins denses.

Les propriétés physiques de ces bandes sont différentes. Une bande de fréquences élevées, qui se propage moins bien, nécessite des réseaux plus denses avec des cellules plus petites et davantage d’antennes. Une bande basse permet d’assurer la couverture d’une zone étendue avec moins de sites et donc à un moindre coût. L’exercice pour les opérateurs consiste donc à utiliser ces deux bandes de fréquences pour satisfaire les besoins de leurs clients, couvrir le territoire et respecter les obligations de déploiement, le tout à un coût optimal.

Pour la bande 2,6 GHz, nous avons prévu de lancer l’appel à candidatures d’ici à l’été. Ainsi, une attribution pourrait être effective d’ici à la fin de l’année.

Cette bande n’est pas très compliquée à gérer. Il y a beaucoup de fréquences disponibles, mais c’est un inconvénient en termes financiers, la valorisation de ces fréquences par les opérateurs étant liée à la rareté du bien. Or cette bande ne présentant pas de grande rareté, il faudra essayer de concevoir une procédure qui permette une valorisation raisonnable. Le processus vient à peine de démarrer dans certains pays européens, et les premiers exemples viennent des pays nordiques – traditionnellement très allants en matière de mise à disposition de spectre et de développement de nouvelles générations de réseaux mobiles, Ericsson et Nokia étant les grands constructeurs européens de mobiles – où les valorisations pour les 190 MHz de la bande 2,6 GHz s’étalent entre 4 millions d’euros et 200 millions d’euros. Vous le comprenez : il est difficile de prévoir les sommes qui seront obtenues in fine.

Pour la bande 800 MHz, la situation est beaucoup plus compliquée. Premièrement, dans la loi relative à la lutte contre la fracture numérique, le Parlement a fixé un objectif de prise en compte prioritaire de l’aménagement du territoire pour l’attribution de ces fréquences. Il y a peu de fréquences : 60 MHz sont utilisables. Deuxièmement, l’utilisation optimale du potentiel des technologies de quatrième génération nécessite de donner aux opérateurs des blocs de fréquences suffisamment larges – au minimum de 10 MHz, voire de 20 MHz.

Ainsi, l’arbitrage que nous avons à faire n’est pas simple.

En effet, le premier objectif est de donner suffisamment de spectre pour rendre réellement accessible aux utilisateurs finaux le potentiel de cette nouvelle génération de services mobiles.

Le deuxième objectif est d’assurer une couverture prioritaire des zones les moins denses, ce qui génère des surcoûts pour les opérateurs, l’optimum économique se situant aux alentours de 75 % de la population, soit 30 % du territoire.

En outre, et c’est le troisième objectif, les quatre opérateurs mobiles présents sur la troisième génération doivent avoir accès, de façon directe ou indirecte, à ce spectre, indispensable pour développer la génération suivante sur l’ensemble du territoire.

Vous le voyez : il sera difficile de mettre sur le marché les fréquences à 800 MHz et celles à 2,6 GHz selon le même calendrier. Au mieux, l’appel à candidatures se terminera avant la fin de l’année, dans un calendrier très tendu. Au pire, la partie des fréquences à 800 MHz fera l’objet d’une affectation au plus tard au cours du deuxième trimestre 2011. Néanmoins, qu’elle ait lieu fin 2010 ou début 2011, l’attribution de ces fréquences interviendra très en amont du déploiement des réseaux de nouvelle génération. Les premiers réseaux quasi expérimentaux viennent d’être ouverts à Stockholm en Suède, mais pour avoir de réels produits industriels et, surtout, des terminaux pour les utilisateurs finaux, on peut sans trop se tromper se projeter plutôt vers les horizons 2013-2014-2015 pour un déploiement commercial important de cette nouvelle génération de mobiles.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. 600 millions d’euros sont inscrits au budget 2010 du ministère de la Défense au titre des cessions de fréquences hertziennes, mais un autre sujet est la mise sur le marché des capacités excédentaires des dispositifs satellitaires Syracuse.

M. Philippe Distler. Si une partie des fréquences utilisées aujourd’hui sur les satellites militaires fait l’objet d’un usage commercial, on retombe dans le cas générique : elles sont transférées du domaine militaire au domaine civil dans le cadre des procédures habituelles de l’ARCEP (attribution des fréquences aux différents opérateurs et redevance pour l’utilisation du spectre).

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Qu’est-ce qu’un coût de dégagement des bandes ?

S’agissant de la valorisation, vend-on une bonne fois pour toutes ou pour une durée déterminée ? Le versement est-il effectué en une fois ou étalé dans le temps ?

Le ministère de la Défense est-il au courant que l’attribution d’une partie des fréquences ne se fera pas avant 2011 ?

M. Philippe Distler. L’ARCEP a des échanges très réguliers avec le cabinet du ministre sur les aspects à la fois techniques et de calendrier. S’agissant de la bande 800 MHz, elle lui a signalé la difficulté à tenir le calendrier pour la fin de l’année. Cette difficulté résulte de la complexité de la procédure et d’objectifs contradictoires : couverture maximum des zones les moins denses, recettes budgétaires, maximisation des potentiels de la nouvelle technologie en termes de débits offerts aux utilisateurs, et souci de conserver un accès au spectre pour préserver la concurrence actuelle sur le marché des mobiles. Le ministère de la Défense est donc au courant. Nous ferons tout notre possible pour tenir l’objectif d’attribution de ces fréquences d’ici à la fin de l’année, mais lui avons fait part du risque qui ne dépend pas uniquement de nous – de dérapage de quelques mois.

Nous travaillons d’arrache-pied pour conduire la procédure et mettre sur le marché la bande 2,6 GHz. Il paraît réaliste d’y parvenir d’ici à la fin de l’année car, d’une part, cette procédure est plus simple, d’autre part, les opérateurs auront moins d’état d’âme pour répondre aux appels à candidatures dans la mesure où il y a moins de concurrence entre eux car beaucoup de spectre. En fait, la conception de la procédure vise à essayer de créer une rareté relative, mais un peu artificielle, pour introduire un minimum de concurrence.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Qui pilote ces sujets techniques et de procédure administrative au ministère de la Défense ? Vos interlocuteurs sont-ils à la direction générale de l’Armement – DGA –, à la direction interarmées des Réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information de la défense – DIRISI –, à l’état-major des armées ou au cabinet du ministre ?

M. Philippe Distler. Il y a moins d’un mois, nous avons eu une réunion avec le directeur adjoint du cabinet du ministre de la Défense pour faire le point sur l’aspect budgétaire, mais aussi sur le calendrier de libération de ces bandes.

La libération des bandes attribuées aux opérateurs est assortie d’un calendrier négocié avec l’occupant actuel, le ministère de la Défense. Pour la bande 2,6 GHz, la libération sur l’ensemble du territoire s’étalera jusqu’à fin 2013, début 2014, avec un calendrier par région. Pour la bande 800 MHz, le calendrier est assorti de contraintes résiduelles jusqu’en 2015 : la bande ne sera pas disponible autour de quelques camps militaires dans lesquels le ministère de la Défense souhaite continuer à utiliser ses équipements Félin pour l’entraînement opérationnel.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Votre interlocuteur était donc le directeur adjoint du cabinet du ministre de la Défense ?

M. Philippe Distler. Nous avons eu avec lui et ses collaborateurs une réunion où l’ensemble des services opérationnels était représenté.

M. Jérôme Rousseau, directeur du spectre et des relations avec les équipementiers de l’ARCEP. Le point d’entrée habituel pour toutes les questions touchant aux fréquences, notamment les négociations relatives au calendrier de libération, est la direction générale des Systèmes d’information et de communication, qui comprend un officier général chargé des fréquences.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Les 600 millions d’euros de valorisation vous paraissent-ils réalistes et quelle est la part respective de chacune des deux bandes ? Est-ce le bon moment pour vendre, sachant que le quatrième opérateur de téléphonie mobile n’a pas été choisi ? En fait, notre souci est de savoir quand le ministère de la Défense disposera de ces recettes.

M. Philippe Distler. Le 4ème opérateur a été choisi, mais n’est pas opérationnel. Les sommes dont nous parlons sont les parties fixes des redevances payées au moment de l’attribution des fréquences.

Le fait générateur est la décision d’attribution, et non le calendrier de libération : c’est au moment où la décision d’utilisation des fréquences est prise que les redevances, et éventuellement la partie fixe résultant soit d’une fixation par le ministère, soit de la procédure elle-même, sont payées.

S’agissant de l’attribution de la quatrième licence à Free, par exemple, qui comprenait un bloc à 2,1 GHz et un bloc à 900 MHz, la partie fixe associée au bloc à 2,1 GHz a été fixée dans l’appel à candidatures à 240 millions d’euros par le ministre chargé des communications électroniques. Quant à la partie variable pour l’occupation du spectre dans la durée de l’autorisation – vingt ans –, elle est de 1 % du chiffre d’affaires. Ainsi, après avoir publié le résultat de l’appel à candidatures, l’Autorité a procédé à l’attribution de ces fréquences, et c’est cette décision qui a été le fait générateur. Le jour suivant, Free a versé les 240 millions correspondants – aux alentours de la mi-janvier. Et il est assujetti au versement d’une redevance annuelle de 1 % du chiffre d’affaires.

M. Jérôme Rousseau. En outre, Free a payé une somme correspondant au remboursement du fonds de réaménagement du spectre, de l’ordre de 3 millions d’euros.

La bande 2,1 GHz était également occupée par des équipements du ministère de la Défense. Le coût technique opérationnel de libération de ces fréquences par le ministère a été évalué à une quarantaine de millions d’euros au début des années 2000. C’est ce coût qui fait l’objet d’un remboursement par les opérateurs.

Trois opérateurs mobiles avaient été autorisés. Chacun a payé un quart - 10 millions d’euros. Pour Free mobile, la quatrième licence a été divisée en trois : il a donc payé un tiers de 10 millions d’euros – 3 millions. La procédure en cours pour l’attribution des fréquences résiduelles dans la bande 2,1 GHz prévoit également le remboursement du reliquat de ce coût par les futurs titulaires de ces fréquences.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Compte tenu de l’état d’avancement des technologies de quatrième génération, ne faudrait-il pas mieux attendre 2012-2013 pour la cession des fréquences sur le plan de la rentabilité pour l’État ?

M. Philippe Distler. Vous avez raison, mais il est difficile de tirer des conclusions particulières de ce constat général. La valorisation du spectre dépend de plusieurs facteurs : des profits futurs espérés par les opérateurs au travers de ces nouvelles technologies ; de leurs anticipations en termes d’utilité pour eux de ces fréquences ; des calendriers de disponibilité des équipements ; des structures de marché, donc du degré de concurrence entre les opérateurs pour accéder au spectre. Dans les pays nordiques, il est de tradition de ne pas faire payer très cher les fréquences pour des raisons de politique industrielle. Ce coût est particulièrement bas en Finlande où la procédure n’a pas organisé de concurrence entre les trois opérateurs, chacun ayant été quasiment assuré d’avoir le morceau minimum de spectre dont il avait besoin.

La valorisation du spectre dépend aussi de la situation économique générale. Vous connaissez les montants astronomiques – 60 milliards – obtenus au Royaume-Uni et en Allemagne au moment de la mise sur le marché des licences 3G. Ce fut une des causes de l’éclatement de la bulle Internet, les mécanismes d’enchères délirantes dans lesquels les opérateurs s’étaient lancés ayant durablement asséché le marché.

On est loin de ces risques, mais il est très difficile aujourd’hui de savoir exactement ce qu’on pourra obtenir en termes de valorisation. En outre, attendre une embellie de la situation économique générale et, surtout, le besoin de nouveaux spectres par les opérateurs n’est pas une garantie. En l’espèce, on met sur le marché des fréquences additionnelles à 2,1 GHz – 10 MHz –, immédiatement utilisables par les opérateurs et leur servant à rajouter de la capacité dans leur réseau. Cet afflux additionnel de spectre va répondre à leur besoin de court et moyen termes et les incitera probablement moins à anticiper celui de la prochaine génération qui arrivera dans trois ou quatre ans.

Enfin, la valorisation dépend de la stratégie commerciale et technique. Les opérateurs voudront utiliser pleinement la technologie de la 3G avant de passer à la génération suivante. S’ils repoussent l’introduction de la 4G, leur appétence pour accéder aujourd’hui à ces fréquences sera moindre.

Sur la bande 2,6 GHz, il y a place pour quatre opérateurs et 190 mégahertz – la partie utilisable étant de 2x70 MHz. Des quantités de spectre de l’ordre de 2 x 20 MHz par opérateur permettent de tirer tout le parti de la technologie. Or avec 2 x 70 MHz et quatre acteurs, il est difficile d’anticiper une grande rareté. Il va donc falloir être innovant en termes de conception de la procédure pour stimuler les opérateurs. Si l’on ne passe pas par un mécanisme endogène dans lequel les opérateurs proposent eux-mêmes des prix, l’État peut fixer une redevance fixe a priori, comme cela a été fait pour l’autorisation de Free et les anciennes licences 3G.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Sur les 600 millions d’euros escomptés, combien viendront de la bande 2,6 GHz et de la bande 800 MHz ?

M. Philippe Distler. Je ne peux pas anticiper la valorisation qui sera retirée de ce spectre.

Nous n’avons pas d’historique en termes de procédure d’enchères en France pour la 3G : la redevance a été fixée a priori par le Gouvernement sur la base d’évaluations économiques. Le seul risque est que le prix de redevance soit mal positionné et décourage certains opérateurs de répondre ou, a contrario, qu’il soit trop bas par rapport à ce qu’une procédure d’enchères aurait permis d’obtenir.

La situation dans les pays étrangers est très variable. Dans les années 2000, les enchères ont fluctué entre 3 centimes par mégahertz par habitant aux États-Unis et quatre euros en Allemagne et au Royaume-Uni. Il est donc très difficile d’en tirer des conclusions financières, d’où une grande incertitude. Avec 200 millions, la Suède peut être un élément de référence.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. D’où vient alors ce chiffre de 600 millions ? Avez-vous été consultés par Bercy ?

M. Philippe Distler. Je pense que des études économiques ont été faites, en particulier un rapport de la DGTPE s’est fondé sur des évaluations économiques classiques à partir des calculs de cash-flows actualisés. En revanche, il est très difficile de dire dans quelle mesure elles sont représentatives de la réalité.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Existe-t-il des procédures qui permettent de fixer un prix minimal en deçà duquel les attributions seraient jugées infructueuses ? Ces 600 millions d’euros sont-ils plausibles ? À quelle date seront-ils versés ?

M. Philippe Distler. Notre objectif étant l’attribution de la bande 2,6 GHz d’ici à la fin de cette année, l’ARCEP devra faire une proposition au ministre chargé des communications électroniques pour un lancement de la procédure avant l’été. Cela donne une chance raisonnable d’aboutir aux décisions d’autorisation de fréquences génératrices du versement des redevances d’ici à la fin de l’année.

Il y a un choix à faire en termes de valorisation pour la redevance fixe : soit rester dans le schéma utilisé pour les fréquences 3G, soit opter pour une procédure d’enchères endogène, qui peut comprendre un prix de réserve. Pour les 10 MHz restants dans la bande 2,1 GHz et faisant l’objet d’une procédure en cours, un prix de réserve de 120 millions d’euros pour chacun des deux lots de 5 MHz a été fixé, et la proposition que chaque opérateur devra faire pour obtenir ces blocs devra être supérieure.

Nous discutons avec Bercy sur ce sujet. Les aspects financiers ne sont pas de la responsabilité de l’Autorité, même si la conception de la procédure a un impact direct – bien qu’imprévisible – sur le résultat.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Les armées vont libérer des fréquences plus ou moins convoitées par des opérateurs civils, et migrer vers des fréquences moins demandées.

Quelle est la différence technique entre les fréquences libérées et les fréquences récupérées ?

Les capacités opérationnelles des nouvelles fréquences seront-elles identiques à celles des fréquences libérées ? Répondront-elles techniquement aux besoins des armées ?

L’utilisation de bandes plus étroites nécessitant plus de puissance pose-t-elle des problèmes en termes de risque détection ?

Enfin, ne va-t-elle pas réduire l’autonomie des batteries individuelles des militaires ?

M. Philippe Distler. Je suis embarrassé, n’étant pas sûr de pouvoir répondre à ces questions.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Elles pourront en effet être posées à la DIRISI en deuxième partie de réunion.

M. Jérôme Rousseau. S’agissant des différences techniques, le ministère de la Défense examine actuellement deux solutions avec deux bandes de fréquences différentes.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Nous vous remercions.

Nous serons très attentifs au déroulement de la procédure, en espérant un résultat le plus proche possible des sommes inscrites au budget 2010, conformément au calendrier prévu.

M. Philippe Distler. J’espère que mon message n’a pas été trop négatif. Il n’est absolument pas exclu que les ordres de grandeur cités soient atteints.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Nous sommes aussi optimistes que vous et espérons même une somme au-delà.

M. Philippe Distler. Je partage cet espoir.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Le représentant de Bercy lui-même nous a dit espérer que les ondes hertziennes soient vendues plus cher que prévu afin de compenser le manque à gagner sur l’immobilier. Tel est le défi que vous devez relever !

Audition du 25 mars 2010

À 10 heures : M. le général de division André Helly, adjoint du directeur de la direction interarmées des Réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information de la défense (DIRISI)

Présidence de M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Nous accueillons M. le général de division André Helly, directeur central adjoint de la direction interarmées des Réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information de la défense (DIRISI).

Compte tenu du poids du budget de la défense, il est aisément compréhensible que les questions qui s’y rapportent intéressent particulièrement cette mission d’évaluation et de contrôle. Les recettes exceptionnelles attendues s’élèvent à 1,3 milliard d’euros, provenant de la vente de biens immobiliers, de l’aliénation de fréquences hertziennes et de la cession de l’usufruit de satellites militaires de télécommunications.

Plusieurs incertitudes pèsent néanmoins sur le calendrier des recettes, dont certaines étaient attendues dès 2009, ce qui pose la question du pilotage d’ensemble de ces questions, voire de la sincérité budgétaire des éléments inscrits, et conduit à s’interroger sur la façon dont le ministère de la défense, sur le point qui nous intéresse aujourd’hui, entend valoriser son patrimoine.

La Mission d’évaluation et de contrôle est présidée par deux parlementaires : l’un de l’opposition, M. David Habib, et l’autre de la majorité, qui était jusqu’à la semaine dernière M. Georges Tron, que je remplace aujourd’hui à la suite de sa nomination au Gouvernement. La Mission compte également deux co-rapporteurs : Mme Françoise Olivier-Coupeau, du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, pour la commission de la Défense nationale et des forces armées, et moi-même, en tant que rapporteur spécial de la commission des Finances pour le budget opérationnel de la défense.

Nous avons la chance d’être assistés dans nos travaux par la Cour des comptes, représentée ici par M. Alain Hespel, président de la 2e chambre, Mme Françoise Saliou, conseiller maître, M. Antony Marchand, conseiller référendaire et M. Laurent Jannin, rapporteur, que je remercie pour la qualité du suivi qu’ils apportent aux questions relatives au budget de la défense.

Général, nous souhaitons que vous nous exposiez la mission générale de la DIRISI et son rôle dans le cadre de l’aliénation de fréquences hertziennes et de satellites militaires, afin d’éclairer les perspectives de réalisation des données inscrites au budget de la défense.

M. le général de division André Helly, adjoint du directeur de la Direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information de la défense. La direction interarmées des Réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information, créée en 2004, est montée en puissance, à partir d’une structure initialement limitée à certains services de réseaux, par agrégat des grands commandements et services de systèmes d’information et de communication de la défense. Ses grandes missions sont désormais les suivantes : exploitation des réseaux et mise à disposition de services au profit des forces et des engagements opérationnels de la défense ; acquisition des moyens d’information, des systèmes d’informations, des ordinateurs et de la bureautique, ainsi que de certains systèmes de communication, pour la défense ; exploitation de ces systèmes ; hébergement et mise à disposition de services liés à des applications « de service commun », de type messagerie ou autres au profit des agents militaires ou civils de la défense.

La DIRISI, placée sous la responsabilité du chef d’état-major des armées (CEMA), couvre l’ensemble de ces services pour le ministère, et non pas seulement pour les forces armées. La coordination est assurée par la direction générale des Systèmes d’information et de communication (DGSIC), aujourd’hui dirigée par l’amiral Christian Pénillard.

L’activité de cette direction se limite aux réseaux et systèmes d’information et d’administration générale, les systèmes scientifiques techniques étant opérés par la direction générale de l’Armement (DGA) et les systèmes opérationnels projetés avec les bateaux, les avions ou les forces terrestres par l’état-major des armées (EMA).

Nos services recouvrent trois grands domaines : les missions intérieures et extérieures, au titre du contrat opérationnel, les services assurés au titre des systèmes d’information et de communication (SIC) internationaux, dans le cadre de l’OTAN et de l’Union européenne, et la mise à disposition des grands liens stratégiques pour les opérations extérieures.

Notre effectif est de 9 244 personnes, dont environ 2 700 personnels civils, et nous couvrons le territoire métropolitain, avec 7 directions locales et avec 8 directions en outre-mer et à l’étranger, notamment à Djibouti.

La montée en puissance engagée en 2004 avait pour objectif final un effectif de 13 000 personnes. Aujourd’hui, avec les objectifs du Livre blanc et de la révision générale des politiques publiques (RGPP) une déflation a été engagée depuis 2008 jusqu’en 2014, où l’effectif devrait être de l’ordre de 8 500 personnes, car nous continuons à rallier les personnels des grands organismes, afin de maîtriser l’ensemble du système, jusqu’aux postes de travail, de manière à assurer à la fois une meilleure synergie pour l’exploitation et une meilleure sécurité et une meilleure cohérence d’ensemble, y compris en amont au niveau des achats et du maintien en condition opérationnelle.

La transformation de la DIRISI est ambitieuse, portant sur 38 grands projets très divers qui visent principalement à améliorer la gestion prévisionnelle des compétences et leur cohérence d’ensemble – car il s’agit d’un agrégat de différentes entités – et à assurer une meilleure exploitation et de meilleurs services par des démarches processus coordonnées. Tout cela doit permettre d’améliorer les pôles de capacité et de rendre plus efficace la relation client. En effet, nous rendons des services à l’ensemble de la défense, ainsi qu’à l’échelle interministérielle, en lien par exemple avec le ministère de l’Intérieur et d’autres ministères, qui nous rendent également des services.

Sur les grands projets techniques structurants, je me contenterai d’indiquer qu’une grande rénovation de l’Intranet de la défense est en cours et que de grandes améliorations sont engagées avec la rationalisation des centres d’hébergement et des centres de mise en œuvre, notamment avec l’exploitation des grands réseaux opératifs, en particulier du réseau Syracuse.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Merci de cette présentation de la DIRISI. Votre directeur,…

M. le général André Helly. Le général Fresko, de l’armée de l’air.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. L’ARCEP évoquait tout à l’heure le général Puget ?

M. le général André Helly. Le général Pierre Puget est responsable des fréquences au sein de la direction générale des Systèmes d’information et de communication (DGSIC). Il a été particulièrement chargé des dossiers de cession de fréquences. À l’état-major de l’armée de terre, où j’étais précédemment affecté en qualité de sous-chef d’état-major plans, programmes et programmes d’armement, j’ai contribué avec le général Puget à des études sur les cessions de fréquences de Félin. Ayant quitté ces fonctions depuis près de huit mois, j’ignore où en est le dossier.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Sans doute devrons-nous donc auditionner aussi le général Puget au titre de la DGSIC.

Pour en revenir à la DIRISI, la cession des fréquences hertziennes de Rubis et Félin oblige-t-elle à utiliser d’autres types de fréquences ? Comment cela s’articule-t-il avec la gestion du spectre hertzien pour les besoins opérationnels des forces et pour vos propres besoins ?

M. le général André Helly. L’opérateur DIRISI n’est pas partie prenante à l’utilisation des fréquences de Rubis et Félin, utilisées par les moyens des systèmes d’information opérationnelle de commandement. En revanche, nous rendons des services par l’intermédiaire de Syracuse. Je ne puis donc vous répondre pour ce qui concerne Rubis et Félin. Pour ces systèmes, notre rôle se limite, avec quelques personnels, à l’allocation des fréquences sous les ordres de la DGSIC et de l’EMA. Nous nous contentons de nous assurer que ces fréquences sont bien allouées et d’envoyer les messages appropriés pour que les forces puissent en disposer.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Selon vous, l’aliénation des ondes hertziennes par les armées tient-elle à ce que, du fait de la réduction du format, ces fréquences étaient sous-utilisées, ou à ce qu’elles avaient été surdimensionnées ?

M. le général André Helly. À ma connaissance, la cession des fréquences Rubis et Félin et leur affectation à des fins civiles au profit de la télévision et des radios libres, ainsi qu’à la téléphonie mobile, est imposée aux armées. Pour le programme Félin, que j’ai un peu mieux suivi, il nous a fallu trouver d’autres moyens, notamment étudier le développement d’appareils spécifiques. C’est à ce titre que la défense avait constitué des dossiers auprès de l’ARCEP et qu’un vote avait eu lieu à l’Assemblée nationale pour autoriser une rétrocession, contre des éléments contractuels que je ne connais pas, afin de permettre à la défense de relancer cette acquisition.

C’est là cependant, je le répète, un dossier sur lequel je n’ai pas autorité pour m’exprimer, car je n’en suis plus chargé depuis huit mois.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. La nécessité d’utiliser d’autres fréquences se traduit-elle par des contraintes opérationnelles, en termes par exemple de poids des batteries ou de risques de détection ?

M. le général André Helly. L’abandon des fréquences existantes au profit d’autres gammes de fréquences suppose de construire de nouveaux postes adaptés à ces fréquences. On pouvait aussi réduire ces plages de fréquence, mais cela supposait une réduction de la couverture, car ces fréquences ne pouvaient être utilisées que lors d’opérations réelles, et non pas sur le territoire métropolitain ou dans des pays souverains où elles sont également utilisées.

Sans doute devriez-vous auditionner le général Puget, qui connaît parfaitement, à l’échelle interarmées, le dossier de l’ensemble des fréquences, qu’il a défendu devant plusieurs commissions ministérielles.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. La cession de l’usufruit des satellites de télécommunications doit permettre de céder à des acteurs civils des capacités non utilisées par les armées. Pouvez-vous nous indiquer, pour les satellites de type Syracuse 3, quelle est la proportion des capacités utilisées en temps normal par la défense et la proportion de celles inutilisées et cessibles ? On évoque en effet un pourcentage de 10 % seulement.

M. le général André Helly. Syracuse comporte un segment spatial, dont certains composants permettent d’orienter le faisceau sur un théâtre donné. Toutefois, les satellites ne couvrant pas l’ensemble du globe, nous disposons de dispositifs complémentaires, avec des satellites civils ou des marchés de mise à disposition de services par des opérateurs civils. Nous gérons les capacités spatiales avec une planification normale et une utilisation d’urgence, de manière à rendre le service voulu en temps utile.

Dans ce cadre, on distingue trois segments : le segment spatial, le segment terrestre – les grandes antennes permettant d’envoyer des signaux aux satellites et d’en recevoir pour les retransmettre – et le segment sol de pilotage, composé lui-même de deux éléments : d’une part, le maintien des satellites à poste et leur surveillance et maintenance, afin qu’ils soient en permanence totalement opérationnels ; d’autre part, les composants actifs, segment pour lequel il incombe à la DIRISI d’orienter les capteurs diffuseurs pour assurer, au moment voulu, le lien de communication adapté.

La DIRISI est responsable des champs d’antennes de réception des deux sites de Favières, près de Chartres, et de Bram, près de Carcassonne. Un centre de mise en œuvre rassemble des personnels civils de Thales et d’autres sociétés, responsables du maintien à poste du satellite, et colocalisés avec les personnels militaires, lesquels sont chargés, en fonction des besoins, d’orienter les composants de la charge utile du satellite.

Trois satellites sont disponibles : Télécom 2D, Syracuse 3A et Syracuse 3B. Cette constellation permet de répondre aux besoins des opérations. L’EMA a défini que le besoin opérationnel représentait 90 % de la capacité de Syracuse, et a donc décidé que 10 % de cette capacité pouvaient être mis à la disposition d’autres opérateurs, la défense pouvant, en cas de besoin, racheter au prix du marché les 10 % manquants. Dans l’intervalle, la batterie de possibilités que j’ai déjà évoquée permet d’agir.

Je ne saurais indiquer quelle est la capacité utilisée, car l’utilisation est très variable.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Raisonne-t-on, en la matière, en termes d’utilisation moyenne, haute ou basse, ou de fourchette ?

M. le général André Helly. En tant qu’opérateur, nous recevons des demandes de liens. Si la planification permet d’offrir le service demandé, nous le faisons. À défaut, nous utilisons les autres moyens dont nous disposons, comme VSAT ou ASTEL. Ainsi, nous avons toujours été en mesure de rendre le service sans rencontrer de difficulté.

Dans les cas spécifiques, lorsqu’une zone territoriale n’est pas couverte, nous utilisons des moyens satellites permettant d’utiliser, pour des missions données, des moyens tactiques très ciblés et d’un coût assez élevé, tels qu’Iridium ou Thuraya.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Vous achetez donc ces créneaux ? À quel coût ?

M. le général André Helly. Oui, dans le cadre de conventions passées auprès des grands opérateurs civils tels que SFR ou Orange Business Services. Je vous fournirai les coûts au plus vite.

Syracuse offre quasiment l’ensemble des possibilités, mais un troisième satellite permettrait de couvrir l’ensemble du globe.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Vous évoquiez tout à l’heure l’éventuel rachat, en cas de besoin, des 10 % de capacité cédés.

M. le général André Helly. Sur les questions financières, les officiers de cohérence opérationnelle de l’EMA expriment auprès de la DGA des besoins très précis et les budgets correspondants.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Ma question est de savoir de quelles garanties s’est entouré l’EMA pour pouvoir racheter instantanément, au besoin, les capacités cédées ? Y a-t-il un risque ?

M. le général André Helly. Il n’y a pas de risque, car d’autres possibilités existent, comme celle de racheter des services auprès d’opérateurs – par exemple britanniques, avec le système Paradigm, ou allemands. Au-delà des 10 % que vous évoquez, qui pourraient en effet être occupés lorsqu’on en a besoin, c’est toute une ressource mondiale qui peut être utilisée.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Le fait qu’on permette à des civils d’utiliser des satellites de télécommunication à vocation militaire a-t-il des conséquences en termes de confidentialité ?

M. le général André Helly. Non, car les civils qui opèrent n’ont pas accès aux données qui transitent par les satellites. Quant aux zones d’opération, elles sont connues par la presse ou par Internet. Pour ce qui est, enfin, des risques de grève, les contrats prévoient de clauses très strictes de mise à disposition des services et, en dernier recours, la réquisition est toujours possible. Les personnels civils sont déjà colocalisés avec les personnels militaires au centre de mise en œuvre (CMO) de Maisons-Laffitte. Tous les personnels sont habilités individuellement et les sociétés le sont au titre du marché qui a été passé. Des contrôles très stricts sont réalisés au stade de la passation de marché.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Le dispositif d’externalisation des capacités excédentaires de Syracuse se traduirait-il par la suppression de postes au sein de la DIRISI ? On a évoqué une trentaine de postes. Cela induirait-il une perte de compétences au profit de l’opérateur privé ? Concrètement, l’équipe de la DIRISI chargée de gérer les satellites est-elle au CMO de Maisons-Laffitte, et les utilisateurs des fréquences résiduelles y seraient-ils eux aussi colocalisés ?

M. le général André Helly. Les sites de Favières et de Bram ont déjà connu des réductions de personnel, notamment militaire, car l’outil Syracuse se modernise depuis des années. Il a ainsi été décidé de procéder à la télégestion de l’ensemble des champs d’antennes, avec des contrôles à distance. Dans le cadre de la RGPP, ce mouvement a été étudié de très près et le pôle d’externalisation de la charge utile va conduire à supprimer 30 postes militaires à Maisons-Laffitte d’ici 2011-2012.

Par ailleurs, nous serons amenés à rationaliser les processus et les procédures de gestion des CMO et à réunir sur un même CMO plusieurs systèmes Syracuse, la maîtrise des réseaux d’infrastructures et la maîtrise de systèmes d’information sécurisés, à partir de quoi nous rationaliserons nos procédures. Nous réduirons donc encore nos effectifs pour moderniser l’opérateur. Nous supprimerons une trentaine de postes, mais changerons aussi de métier et créerons des bureaux de la relation clients, qui nous permettront de bien recevoir les demandes et de vérifier que le service est bien assuré, en appliquant au besoin des pénalités et en exerçant une meilleure maîtrise des coûts pour rentabiliser au mieux cette externalisation vers des opérateurs, qu’ils soient étatiques ou industriels.

Par ailleurs, il y a aura bien perte de compétence au profit des opérateurs privés. Ainsi, la compétence des « maîtres satellites », militaires possédant une compétence très spécialisée pour diriger la charge utile, s’éteindra en 2012 et les formations en la matière viennent de prendre fin. La question de la réversibilité se pose, car il faudrait plusieurs années pour retrouver cette compétence. Il existe, du reste, de nombreux métiers pour lesquels est prévue une mise à disposition par les industriels et dont nous avons abandonné la compétence. Les trente postes supprimés à Maisons-Laffitte sont des postes militaires – de fait, sur les 78 personnes actionnant le CMO, on ne compte qu’un seul personnel civil, dont le travail n’est en outre pas directement lié au système.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Quel est le calendrier prévisionnel de cette cession et qui a la gouvernance de l’opération ?

M. le général André Helly. La gouvernance de l’opération incombe à l’EMA et la DGA contractualise. Quant à la DIRISI, elle doit opérer le système dans les segments qui lui sont alloués, celui d’aujourd’hui étant un peu plus important que celui de 2012. Le calendrier, qui devait être contractualisé voilà six mois, a pris un peu de retard, mais l’appel d’offres devrait être lancé avant l’été et la contractualisation devrait intervenir pour la fin 2011. Le transfert de responsabilité de nos personnels vers ceux de l’industriel devrait se faire en six mois si l’industriel dispose de compétences avancées.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Cela signifie donc qu’il n’y aura pas de recettes avant la fin 2011.

M. le général André Helly. En effet.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. A-t-on une idée de la valorisation ?

M. le général André Helly. Je ne dispose pas de cette information. Il faut la demander à la personne responsable des marchés à la DGA. Nous ne sommes qu’une partie prenante parmi d’autres dans la définition du besoin.

Pour ce qui est des délais, j’ajoute qu’un recouvrement sera nécessaire, car nous devons pouvoir garantir à l’EMA que l’opérateur retenu est apte à assurer le service souhaité.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. A-t-on une idée des candidats potentiels ?

M. le général André Helly. Les plus significatifs sont Thalès Alenia Space (TAS), un opérateur allemand et un opérateur britannique. D’autres peuvent certes se présenter, mais ils n’ont pas le même métier et l’on retrouverait sans doute, en fin de compte, les premiers mentionnés.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Quelle est, dans ce contexte, la finalité de Sicral ?

M. le général André Helly. Sicral est destiné à prendre le relais de Syracuse 3 et à assurer la continuité du service, car la durée de vie prévue de ce satellite est de l’ordre de douze ans. Ce relais est prévu à l’horizon 2017, selon deux volets : la mise à disposition de liens, comme le faisait Syracuse, et l’augmentation des débits au moyen du système Athéna.

Plusieurs choix étaient possibles : une mise à disposition totale, du type de ce qui prévaut avec le système Paradigm britannique, dans lequel l’industriel prend le risque, un système de tout-patrimonial, avec le lancement d’un troisième satellite Syracuse, et une coopération avec d’autres partenaires. C’est ce dernier choix qui a été fait, et qui donne lieu à une collaboration avec l’Italie, au titre de laquelle seront envoyées une charge utile française et une italienne.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Si la durée de vie de Syracuse est limitée, que vend-on au juste ?

M. le général André Helly. Je ne puis vous répondre. Il faudrait le demander à l’officier de cohérence opérationnelle de l’EMA, qui est porteur du programme.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Nous souhaiterions un éclaircissement. Vous avez décrit une situation actuelle dans laquelle 10 % de capacité résiduelle pourrait être louée à d’autres opérateurs. Nous avions par ailleurs à l’esprit le schéma de type Skynet, à l’anglaise, dans lequel les armées font une opération de sale and lease back, vendant à l’opérateur l’ensemble de leur constellation, pour la relouer ensuite. Nous pensions que l’opération en cours de conception était de cette nature.

M. le général André Helly. Le général Denuel a, me semble-t-il, été auditionné par votre mission. C’est à lui qu’il reviendrait d’expliquer cela. J’en suis, pour ma part, resté à l’idée qu’une partie des répéteurs du satellite Syracuse seraient loués. Du reste, une partie de ces répéteurs est louée à l’OTAN. À ma connaissance, il est prévu de rester dans un système de nature patrimoniale. Dix pour cent de la capacité seront cédés, avec la faculté de racheter ces capacités au prix du marché en cas de besoin – ce que fait d’ailleurs quotidiennement la DGA.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Est-ce votre service qui achète les capacités nécessaires sur les autres systèmes, tels qu’Astel ?

M. le général André Helly. Oui, au moyen de conventions.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Cela ne vous donne-t-il pas une idée de la valorisation des 10 % que vous céderiez ? Il s’agit, somme toute, du même type d’opération, mais à l’envers.

M. le général André Helly. Personnellement non, car je suis depuis peu de temps dans ce service, où je suis en outre directeur des ressources humaines. Je vous fournirai néanmoins ces informations.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Il serait du reste souhaitable que ces informations précisent quels sont les montants en cause et sur quelle imputation budgétaire ils se situent.

M. le général André Helly. Je ne manquerai pas de vous les fournir.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Général, nous vous remercions de vos réponses, notamment sur la gouvernance de ces questions au sein du ministère de la Défense et sur le partage des responsabilités entre la DGSIC, l’EMA, la DGA et la DIRISI – sans parler du ministère du Budget. Nous avons bien noté, en outre, que votre présence aujourd’hui s’explique par l’absence du directeur de la DIRISI.

M. le général André Helly. Il est en effet en inspection en Nouvelle-Calédonie.

Audition du 9 mars 2010

À 11 heures : M. Jean-François Pernotte, directeur du Développement et des partenariats stratégiques de Thales et M. Jacques Delphis, directeur des Relations Extérieures et Institutionnelles

Présidence de M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Je vous souhaite la bienvenue devant notre mission au sein de laquelle majorité et opposition travaillent ensemble. Ainsi, notre collègue Françoise Olivier-Coupeau, membre du groupe socialiste et de la Commission de la défense, partage avec moi, membre du groupe UMP et rapporteur spécial de la Commission des finances pour la préparation et l’emploi des forces, la responsabilité de préparer le rapport sur le thème qui nous occupe aujourd'hui. Je remplace en outre Georges Tron qui assumait, jusqu’à sa nomination au Gouvernement, la coprésidence de la MEC, avec notre collègue David Habib.

Comme à l’accoutumée, nous sommes assistés dans nos travaux par des représentants de la Cour des comptes : M. Alain Hespel, président de la deuxième chambre, Mme Françoise Saliou, conseiller-maître, président de section, M. Antony Marchand, conseiller référendaire, et M. Laurent Jannin, rapporteur, que je remercie pour leur présence et pour leur aide.

Les recettes exceptionnelles de la défense, thème de la présente évaluation, proviennent de la vente de biens immobiliers, de l’aliénation de fréquences hertziennes et de cessions, en particulier celle des satellites Syracuse 3A, Syracuse 3B et Sicral. Thales avait réalisé les Syracuse et s’est déclaré intéressé par leur acquisition. C’est pourquoi nous avons souhaité que vous nous éclairiez sur la consistance de ces satellites, sur leur durée de vie et sur l’exploitation qui peut en être faite.

M. Jean-François Pernotte, directeur du Développement et des partenariats stratégiques de Thales. Vous avez évoqué trois aspects des recettes exceptionnelles : nous n’avons aucune compétence en matière immobilière et nous concentrerons notre propos sur le projet qui concerne les satellites Syracuse. Toutefois, même si nous ne sommes ni opérateur ni candidat à l’acquisition de fréquences hertziennes, nous fabriquons des matériels pour lesquels les forces armées les utilisent et je souhaite dire un mot à ce propos.

En fait, nous craignons que se produise un effet de ciseau entre d’une part le besoin en ressources exceptionnelles, qui fait que l’on cherche à valoriser les fréquences réservées et non utilisées, d’autre part l’incroyable augmentation du volume des informations qui doivent transiter par les fréquences restantes. En effet, les fréquences devenant une denrée très rare, la densité de l’utilisation de celles qui sont réservées aux forces armées va devenir de plus en plus considérable.

Cela tient en premier lieu au fait que l’équipement du soldat du futur, en particulier avec le programme Félin (Fantassin à Équipements et Liaisons INtégrés), fera de chaque homme, qui sera à la fois émetteur et récepteur, un véritable nœud de communications. On imagine le besoin en bande passante lié à ces nouveaux usages.

Cela tient ensuite au développement de l’usage sur les théâtres d’opération des systèmes non pilotés de type drones UAS (Unmanned Aerial Systems) - UAV (Unmanned Air Vehicles), sur lesquels on ne peut embarquer des systèmes de traitement des informations, qui seraient trop pesants, et qui nécessitent donc de transmettre au sol, en temps réel, un volume considérable de données, en particulier des images.

Enfin, le concept de guerre en réseau repose bien évidemment sur l’échange d’informations entre les forces, donc sur l’utilisation de bandes passantes.

En tant que fournisseurs de ces équipements, nous sommes frappés de constater que c’est précisément au moment où explose le volume d’informations à transmettre, donc le besoin en fréquences, que se concrétise la rétrocession au monde civil des fréquences qui avaient jusque là été réservées aux applications militaires. Cette dernière répond sans doute à un souci de bonne gestion mais il ne faut pas aller trop loin, d’autant qu’utiliser de façon plus dense les fréquences restantes supposera d’être plus précis, ce qui sera onéreux.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Merci pour cet éclairage très intéressant, qui complète les informations que nous avons déjà recueillies.

M. Jean-François Pernotte. J’en reviens au projet de cession des Syracuse, auquel la délégation générale pour l’Armement, la DGA, a donné, dans le cadre de l’appel à candidatures, le nom de « Nectar ». Nous avons répondu très récemment à cet appel et nous sommes aujourd’hui pratiquement entrés dans une phase de compétition avec la seule autre entreprise qui a répondu : Astrium, filiale spécialisée du groupe EADS. C’est pour nous un enjeu très important.

Pour le ministère de la Défense, il s’agit ici de recourir à ce que l’on appelle un partenariat innovant, qui consiste à associer le fournisseur de l'équipement au financement, qu'il assume lui-même ou qu'il partage avec d'autres, tandis qu'il se fait payer en échange au travers de la livraison d'un service aux forces armées. Ces partenariats sont une tendance majeure partout en Europe, ainsi que dans d’autres pays exportateurs, à l’exception des États-Unis, où les budgets militaires sont tels que l’on n’a pas besoin de recourir à de tels dispositifs.

Dans un cadre budgétaire contraint, le recours à de tels partenariats répond à un triple objectif. Il s’agit d’abord, comme cela a été fort bien souligné dans des rapports au Parlement britannique, de recentrer les armées sur leur cœur de métier : le combat et les interventions de terrain et non la gestion de réseaux de télécommunication. Si l'on a besoin de réseaux pour parvenir à un résultat, leur gestion est-elle une tâche qui doit incomber aux forces armées ? Le débat est ouvert à ce propos.

Il s’agit ensuite d’améliorer le service rendu : nous sommes mieux à même que les forces armées elles-mêmes d’être opérateur de confiance des réseaux de télécommunication pour les opérations stratégiques. En effet, si les forces armées font cela parmi de très nombreuses autres choses, pour notre part, nous concevons, nous installons et nous mettons en œuvre les matériels et nous pensons donc que, vivant au contact permanent des forces, nous sommes bien placés pour comprendre les besoins opérationnels et pour définir les besoins capacitaires tels qu’ils évoluent sur les théâtres extérieurs.

Enfin, les technologies évoluant à une vitesse considérable, en particulier dans le domaine des télécommunications, en maîtriser l'usage et la gestion suppose une formation continue : il faut être plongé en permanence dans cette ambiance pour s'adapter facilement et pour exploiter véritablement les possibilités offertes par ces technologies. Les forces armées peuvent difficilement satisfaire cette contrainte.

M. Jacques Delphis, directeur des Affaires politiques de Thales. Cela nous renvoie d'ailleurs au débat sur le MCO, le maintien en condition opérationnelle.

M. Jean-François Pernotte. Je me souviens que l'un des grands responsables de l'activité télécommunications de Thales, s'était rendu compte, en Bosnie, que, par respect des contraintes de rotation des personnes, les opérateurs radio du champ de bataille changeaient tous les six mois alors que trois mois étaient nécessaires pour tirer pleinement parti de l'outil…

L'idée que les industriels ne se contentent plus de fournir les matériels, ni même de dispenser par la suite des formations, mais assument la gestion à proximité de la ligne de bataille – on n’imagine pas qu'ils interviennent sur la ligne de bataille elle-même car ils ne sauraient exposer la vie des techniciens – paraît de nature à améliorer l'efficience de l'organisation, mais aussi l'efficacité économique car si l'on utilise pleinement les matériels, il en faut moins pour parvenir au même résultat.

M. Jacques Delphis. C’est en effet un gage d'efficience, mais cette idée a quand même du mal à entrer dans les choix politiques français, à la différence de ce qui se passe au Royaume-Uni, des représentants de Thales étant présents sur le terrain auprès des troupes opérationnelles britanniques. En France, le débat tourne rapidement court et l'on nous assène que cela relève du domaine régalien.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Le blocage politique ne vient, en tout cas, pas du Parlement puisque nous avions fait l’an dernier une préconisation en ce sens dans un rapport sur le financement et le coût des OPEX.

M. Jean-François Pernotte. Il y a quelques années, nous avions remporté un contrat pour le ravitaillement des appareils de la Royal Air Force et la question était de savoir jusqu'à quel degré de crise le ravitailleur pouvait être piloté par un civil. Nous avions alors un débat non pas sur les principes mais sur des considérations techniques. Les choses seraient sans doute beaucoup plus compliquées si de telles discussions s'ouvraient en France…

Pour en revenir au partenariat stratégique Nectar, nous sommes d'autant plus intéressés que nous avons construit les satellites et que nous travaillons à leur gestion et à leur opération en liaison très étroite avec la direction interarmées des Réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information, la DIRISI, à tel point que la frontière paraît parfois un peu floue, des personnels de Thales étant détachés auprès de la DIRISI.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Nous venons de procéder à l'audition de son directeur adjoint. Vous confirmez que vous partagez déjà, de façon concrète, une part d'expertise avec la DIRISI.

M. Jacques Delphis. En effet, c'est même une des conditions sine qua non de l'exercice du métier.

M. Jean-François Pernotte. S'agissant d'un domaine de souveraineté, il faut être, au-delà d'un opérateur économique ou industriel, un véritable opérateur de confiance, même s’il ne s’agit pas d’une catégorie juridique reconnue.

M. Jacques Delphis. Les militaires le comprennent très bien, mais les politiques ont un peu de mal à admettre cette idée pour certains secteurs d'activité.

M. Jean-François Pernotte. S’agissant de l’Espace, l'ensemble de nos activités sont organisées au sein de plusieurs sociétés conjointes, dont l'association forme l'Alliance spatiale entre le groupe italien Finmeccanica et nous-mêmes. Cette alliance est née, en 2005, du rapprochement des activités d'Alcatel et de Finmeccanica, l'un venant des télécommunications et l'autre du militaire. À un moment de l'histoire complexe d'Alcatel et de Thales, il est apparu souhaitable de transférer la part qu’Alcatel détenait dans l'Alliance spatiale à Thales, qui fait le même métier que Finmeccanica.

Le projet Nectar s'inscrit naturellement dans la coopération franco-italienne dans le domaine de l'espace militaire. Le programme en cours, Sicral 2, qui s’est de fait substitué au troisième satellite Syracuse, est une plate-forme italienne qui comporte une charge utile française et une charge utile italienne. La part française étant identique à la charge utile embarquée sur Syracuse et étant opérée à partir du même segment sol, il est logique d’inclure cette part dans le projet Nectar, de même d'ailleurs ultérieurement qu’Athena-Fidus, le projet italo-français suivant de satellite de télécommunications militaires et civiles pour lequel l’accord entre les gouvernements est en place et le contrat de fourniture déjà signé. Le prochain sommet franco-italien des 8 et 9 avril pourrait être l'occasion de la mise en œuvre du contrat Sicral 2.

S'agissant de la durée du projet Nectar, la DGA sera sans doute prudente au lancement de la consultation car il s'agit de satellites conçus pour durer au-delà de l'engagement contractuel. Le dispositif élaboré devra ainsi prendre en compte la totalité de la durée de vie, au prix d'une éventuelle prolongation des contrats initiaux.

Par rapport aux projets similaires, par exemple au programme Skynet 5 géré par Astrium en Grande-Bretagne, Nectar présente la particularité que les objets en cause sont déjà construits et sont même en l'air. Ce que l'on appelle habituellement le build, dans les partenariats innovants, est donc déjà traité. La législation empêchant d'en céder la propriété, la solution imaginée consiste à céder l'usufruit des satellites, mais là on ne peut se référer à aucun précédent. Il faut donc être particulièrement vigilant sur le libellé et sur la conduite de l'appel d'offres, dans le cadre du code des marchés de l'État, ainsi que dans la définition des risques effectivement transférés à l'industriel.

Cela nous amène à la question du calendrier : la date du 31 décembre 2010 est-elle crédible ? En tant qu’industriels, nous ferons tout pour tenir ce délai, qui nous paraît réaliste dans la mesure où le départ a été donné avec le lancement de l'appel à candidatures, mais à la condition que les étapes s'enchaînent rapidement. Nous disposerons sans doute d’un calendrier précis lorsque la consultation elle-même sera lancée. Ce ne sera pas facile car, je viens de le dire, il faudra élaborer une solution ad hoc et l'on découvrira donc un certain nombre de choses au fur et à mesure. Qui plus est, la DGA a décidé de mettre ce programme en œuvre dans le cadre de ce que l'on appelle le dialogue compétitif. Si ce dernier paraît parfaitement adapté car il permet aux deux candidats d'enrichir à tour de rôle le débat, il faudra qu’il soit mené rondement bien que le sujet soit particulièrement complexe. Ceci étant, si nous étions convaincus que le délai est impossible à tenir, nous vous le dirions.

M. Jacques Delphis. Dans l'intérêt du budget de l'État comme des industriels, il est souhaitable que les choses soient bouclées au plus vite.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Peut-on envisager que le versement qui sera demandé à celui qui se verra attribuer l'offre soit effectué avant même que les aspects techniques du projet soient arrêtés ?

M. Jean-François Pernotte. Non car un tel projet repose sur un transfert de risques : si les deux partenaires, l'État et l'industriel, ne sont pas au clair sur le risque transféré, on court à la catastrophe. Nous ferons vraiment tout pour tenir le délai, mais il faut absolument que ce soit dans une clarté complète.

Vous nous avez par ailleurs demandé dans le questionnaire écrit si nous étions intéressés par l'usufruit des deux satellites Syracuse seulement ou par les trois, Sicral 2 compris. Il faut absolument que le périmètre de l'opération englobe les trois satellites, même si Sicral 2 n'est pas encore lancé. Il est évident qu'en cas de difficultés sur les satellites Syracuse, la solution viendra d’abord de Sicral 2 puisqu'il s'agit en fait de la même solution technique.

Pour autant, la complexité de l'opération de cession des deux satellites qui sont pleinement la propriété de l'État français est déjà telle que l'on voit bien les difficultés juridiques que poserait la cession de l’usufruit d'une charge utile embarquée sur une plate-forme appartenant à l'État italien. On ira donc probablement vers une formule proche de l'autorisation d'occupation temporaire (AOT) d'un bien public.

Une fois ce problème juridique résolu, nous ne voyons pas d'inconvénient au programme Sicral 2. En décembre dernier, dans un échange de courriers entre le délégué général pour l’Armement et son homologue italien, le gouvernement français s’est montré ouvert à l'idée d'une démarche commune mais n'a pas souhaité pour autant retarder son propre programme, d'autant qu'il semble très difficile de combiner une cession d'usufruit sur bien public dans deux pays différents. Si les choses devaient finalement se concrétiser, il est vraisemblable qu'il y aurait trois contrats : un contrat français pour la cession d'usufruit sur les satellites français, un contrat italien pour la cession d'usufruit sur les satellites italiens et éventuellement un contrat de prestation de services qui pourrait être franco-italien, portant sur l'exploitation en commun du segment sol. Mais nous pensons difficile de traiter l’ensemble sous la forme d'un appel d'offres binational unique.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Que pouvez-vous nous dire sur la question des capacités ?

M. Jean-François Pernotte. Elle est essentielle dans la mesure où les partenariats innovants reposent en particulier sur l'idée que les objets en question ont en général une capacité résiduelle, qui est souvent mal employée par l'État propriétaire.

Au Royaume-Uni, les heures creuses des centres de formation des pilotes sont utilisées pour former d’autres pilotes que ceux de la Royal Air Force, ce qui apporte un revenu complémentaire. En France, la loi de finances prévoit la possibilité de faire usage de 10 % de capacités résiduelles. Peut-être sera-t-il possible d'aller au-delà mais, quoi qu'il en soit, la réponse ne peut être qu'évolutive, en particulier en période de crise. Ne rêvons donc pas : dans le cadre de l'opération Nectar nous ne réaliserons pas des gains considérables au travers de la vente de services à des tiers.

Dans l’expérience britannique des avions ravitailleurs, on peut voir la limite de tels dispositifs, avec l'idée de transformer, en temps de paix et en l'absence d'une crise ouverte, les avions ravitailleurs en charters : à l'évidence, on ne saurait installer aisément des sièges à la place des réservoirs…

Dans la mesure où nous sommes dans un domaine qui relève de la sécurité nationale, il faut prendre en compte la contrainte du droit de préemption absolu et permanent au bénéfice de la puissance publique, par exemple pour assurer les communications avec les forces françaises engagées sur les théâtres extérieurs. C'est sur cette base que nous répondrons à la consultation et nous avertirons de cette contrainte nos clients extérieurs, par exemple le gouvernement polonais lorsqu'il utilise un satellite tiers pour des applications gouvernementales mais pas forcément militaires.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Mais, au motif de cette contrainte, vous vendrez moins cher au gouvernement polonais. Or, vous n'êtes pas des philanthropes et l’on peut donc penser que vous serez ainsi conduits à faire payer plus cher le gouvernement français.

M. Jean-François Pernotte. Je ne dirais pas les choses ainsi. Dans une telle opération, on essaie d'établir le plus juste prix pour le client principal, qui désinvestit et qui achète un service au lieu de financer un actif immobilisé. Si l’on tient compte dans cette équation des revenus tiers que l'on peut dégager, c’est que nous disposons déjà de références. Nous savons ainsi par exemple ce qu’Eutelsat nous facturerait si nous lui demandions de nous réserver en permanence une capacité sur ses satellites. On peut donc considérer, même s'il s'agit de clients très particuliers et si l'offre est assez limitée, qu’il existe en quelque sorte un prix de marché dans ce domaine.

Cela m'amène d'ailleurs à la question de la confidentialité. Il s'agit bien sûr d'un sujet central, mais, à moins que les trois satellites (Syracuse 3 et Sicral 2) ne soient détruits par des astéroïdes, la probabilité est que nous soyons incapables d'assurer les communications véritablement stratégiques, (qui ne représentent qu'un petit pourcentage du volume total à traiter) sur l’un de ces trois satellites.

Nous sommes convaincus que, à terme, les gouvernements européens ne pourront faire l'économie d'un partage de ces ressources : les satellites seront de plus en plus complexes et leur usage de plus en plus coûteux, d'autant que le volume d'informations à faire transiter sera de plus en plus considérable. Mais, en la matière, la décision appartient aux politiques et non aux industriels.

Pour l'heure, il est évident que l'État français doit avoir la pleine disposition des moyens en question, en particulier en temps de crise. Cela signifie qu'aucune autre décision, en particulier d'un État étranger, ne doit interférer avec la sienne. C'est aussi ce qui empêche d'envisager de recourir à des capacités disponibles au Royaume-Uni : un État tiers ne saurait non plus interférer avec l'exercice de la souveraineté nationale britannique.

On voit là la limite du recours à de telles formules, c’est néanmoins une donnée essentielle du projet Nectar.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Lors de l’audition précédente, le directeur-adjoint de la DIRISI nous a dit que lorsque Syracuse ne permettait pas de répondre aux besoins, des capacités étaient achetées grâce à Astel.

M. Jean-François Pernotte. Dans ce cas, on déporte vers un système tiers les informations les moins sensibles, mais pour celles qui relèvent d'impératifs de sécurité absolue, il y a toujours assez de place sur Syracuse (et Sicral, demain).

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Le ministère annonce une recette de l’ordre de 600 millions d'euros pour la cession d'usufruit, cela vous paraît-il réaliste ?

M. Jean-François Pernotte. Pour le périmètre défini dans l'appel à candidatures, c'est une somme de 400 millions d'euros qui a été évoquée pour la valeur de l'usufruit sur les deux satellites Syracuse et l'accès à la charge utile de Sicral 2, et qui constituera une sorte de mise à prix s'imposant à tous les candidats. Peut-être la somme de 600 millions tient-elle compte d'un élargissement ultérieur du périmètre à certains éléments des segments sol - stations d'ancrage et de contrôle, etc. – qui sont des éléments essentiels pour gérer le système. Nous espérons que l'appel d'offres laissera aux candidats la porte ouverte à des propositions sur ce périmètre plus large, mais nous ignorons pour l'instant si tel sera le cas. Quoi qu'il en soit, la valeur a été arrêtée sur la base de calculs précis, elle s'impose à nous et nous la traitons aujourd’hui comme une donnée d’entrée dans le projet. Le calcul du coût du service rendu tient compte de l'amortissement de ce montant, sous la forme de loyers.

Je pense par ailleurs que, s'il était intéressant que nous disposions d'une estimation pour pouvoir faire nos propositions dans le cadre de l'appel à candidatures, la puissance publique devra être très prudente dans la façon dont ce montant sera cité dans l'appel d'offres : il semblerait préférable que les industriels candidats fassent eux-mêmes ce travail et prennent leurs risques en calculant la valeur du bien.

Pour en revenir à la confidentialité, la question est presque choquante : en est-on encore à se demander aujourd'hui si Thales peut être un interlocuteur de confiance ? Ou, mieux, un « opérateur de confiance » ?

Depuis quatre ans, dans le cadre du contrat ISAF (International Security Assistance Force), des opérateurs de Thales sont sur le terrain, en Afghanistan, et gèrent toutes les communications stratégiques de l'OTAN. Les choses se sont bien passées…

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Est-ce vous qui gérez aussi l’Internet à Warehouse, car il ne fonctionne plus ?

M. Jean-François Pernotte. Je ne crois pas.

M. Jacques Delphis. Nous gérons aussi, dans le cadre du contrat Lydian, la transmission d'informations de drones pour le gouvernement britannique et si nous faisions n'importe quoi, cela se saurait...

M. Jean-François Pernotte. Dans le domaine de la défense, la relation client-fournisseur est en train de se transformer fondamentalement et la crise ne peut qu'accélérer ce mouvement : demain, nos métiers ne ressembleront plus du tout à ce qu'ils étaient auparavant.

M. Jacques Delphis. S'il n'y a pas, face à une contrainte budgétaire sans précédent et à des exigences de plus en plus onéreuses, une véritable coopération européenne, on court à la catastrophe, en premier lieu pour l'industrie européenne. Dans ces conditions, si l'on ne parvient pas, dans le cadre franco-français, à instaurer un rapport de confiance entre le client – la DGA ou d'autres administrations – qui en a besoin, au nom de la sécurité, et EADS ou Thales, autant fermer boutique !

Le débat sur la sécurisation des réseaux et sur le cloud computing n'a été qu'effleuré à l'occasion du grand emprunt. Mais, si la plupart des observateurs crient au génie quand un jeune Français annonce fièrement être parvenu à pirater Twitter, c'est en fait extrêmement grave car cela signifie que la France a un retard considérable dans les infrastructures de sécurité dites « critiques », celles non seulement de l'État mais aussi des pôles de compétitivité.

J'évoque ce sujet pour montrer que le débat sur la sécurité ne concerne pas uniquement les industriels mais qu'il doit aussi impliquer la puissance publique et qu’un véritable contrat de confiance paraît aujourd'hui indispensable.

M. Jean-François Pernotte. Concernant les comparaisons internationales, il n'existe pas de précédent au cas de figure qui se présente aujourd'hui. Tout au plus peut-on dire que l'expérience assez longue des pouvoirs publics britanniques montre qu'un tel mécanisme a des effets positifs et permet de véritables économies. En France, Nectar semble s'inscrire dans une tendance plus générale, en particulier avec un projet portant sur tous les réseaux d'infrastructures de communication de la défense. Nous, industriels, sommes convaincus qu'il faut aller dans ce sens et l'expérience que nous avons déjà au Royaume-Uni dans le champ de la formation, de la simulation et de l'entraînement, vient de s'élargir à la formation des pilotes d'hélicoptères de secours. Je crois donc vraiment que ces processus sont en train d'entrer dans les mœurs et que ce sera aussi bientôt le cas en France.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Il me reste à vous remercier.

Audition du 30 mars 2010

À 18 heures : MM. François Auque, président exécutif d'EADS Astrium, Éric Béranger, président exécutif d'Astrium Services et de l'amiral Alain Coldefy, conseiller défense du président d'EADS, chargé des questions d’espace et de dissuasion

Présidence de M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Je suis heureux d'ouvrir cette séance de la Mission d'évaluation et de contrôle sur les recettes budgétaires exceptionnelles de la Défense en 2009 et 2010. S’il me revient de la présider, c’est que, vous le savez, le coprésident de la MEC, M. Georges Tron, a été appelé au Gouvernement.

Je me dois aussi d'excuser l’absence de ma corapporteure, Mme Françoise Olivier-Coupeau, qui m'a chargé de vous faire part de ses regrets de ne pouvoir participer à cette réunion, pour raisons de santé.

Depuis sa création, la MEC porte une attention particulière à l'évaluation de la politique de défense, en raison de son poids au sein des politiques publiques. Cette année, le Bureau de la commission des Finances lui a demandé de se pencher sur les recettes exceptionnelles de ce budget. En 2010, 1,3 milliard d'euros sont prévus à ce titre, issus de la vente de biens immobiliers, de l'aliénation d'ondes hertziennes et de la cession de l'usufruit de satellites militaires de télécommunications.

Cependant, alors même que certaines de ces recettes étaient attendues dès 2009, nous nous trouvons face à un échéancier incertain, ce qui induit des questions sur le pilotage d'ensemble du budget, voire sur sa sincérité – tous points dont l’examen est bien du ressort de notre mission, et de celui de la commission des Finances et du Parlement. Au-delà, ce mode de financement nous amène à nous pencher sur les politiques au moyen desquelles le ministère de la Défense, et plus généralement l'État, entendent valoriser leur patrimoine.

La Cour des comptes, qui nous accompagne dans nos travaux – et que je remercie une fois encore pour sa participation fidèle et attentive –, est aujourd'hui représentée par MM. Alain Hespel, président de la deuxième chambre, Antony Marchand, conseiller référendaire, et Laurent Jannin, rapporteur.

Nous recevons aujourd'hui M. François Auque, président exécutif d'EADS Astrium, accompagné de M. Éric Béranger, président exécutif d'Astrium Services et de l'amiral Alain Coldefy, conseiller défense du président d'EADS, chargé des questions d’espace et de dissuasion.

Messieurs, nous vous remercions de votre disponibilité. Nous avons tenu à recueillir le point de vue des entreprises qui ont manifesté leur intérêt pour l'usufruit des satellites de la défense. Après avoir entendu jeudi dernier des représentants de l’entreprise Thales, nous souhaitons savoir comment votre candidature s'inscrit dans la démarche générale d'EADS et comment vous abordez cette procédure de cession d’usufruit.

M. François Auque, président exécutif d'EADS Astrium. Je voudrais d’abord présenter rapidement Astrium. Cette société, qui appartient en totalité à EADS, est, de très loin, la première entreprise spatiale européenne. Son chiffre d’affaires est de 4,8 milliards d'euros. Elle emploie 16 000 personnes en Europe, dont près de la moitié en France. C’est aussi la troisième société spatiale mondiale.

Notre place dans la défense française est tout à fait déterminante. Astrium est en France le maître d’œuvre des missiles balistiques et de la totalité des programmes de satellites d’observation ou d’écoute, à l’exception de ceux de télécommunication. Astrium est aussi présente dans quatre autres pays d’Europe : l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Espagne et les Pays-Bas.

Notre intérêt pour l’usufruit des satellites de communications militaires procède de notre expérience des services spatiaux. Dans ce domaine, Astrium est de très loin, en Europe, l’entreprise la plus expérimentée.

Elle est aujourd’hui la seule entreprise privée au monde à gérer des flottes de satellites de communications militaires – plus précisément la flotte britannique et la flotte allemande. Elle est la troisième entreprise au monde pour les services d’observation de la Terre, aussi bien pour la filière optique – avec notamment Spot Image – que pour la filière radar. Dans le domaine des télécommunications, elle est même le premier acteur mondial. Les services spatiaux représentent aujourd’hui presque le quart de son chiffre d’affaires.

Notre expérience des télécommunications est essentiellement britannique. Un des deux grands acteurs européens du secteur, avec la France, la Grande-Bretagne a en effet choisi la forme du partenariat public-privé pour la gestion de ses satellites. Les conditions de transposition à la France des leçons apprises en Angleterre nous paraissent donc tout particulièrement intéressantes pour la MEC. Je laisse le soin à M. Béranger d’exposer ce point.

M. Éric Béranger, président exécutif d'Astrium Services. C’est en 2008 que nous avons commencé à entendre parler du projet actuel de cession de l’usufruit des satellites de la défense. Dans les forums où notre avis nous a été demandé, nous avons répondu que cette idée constituait une opportunité pour la défense. Lorsqu’une logique de prestation de services est substituée à une logique d’acquisition de moyens, l’État peut, d’un point de vue économique, gagner au moins sur deux tableaux. Le premier est celui de la mutualisation : aujourd’hui, l’État n’utilise pas à 100 % ses moyens de télécommunication militaire par satellite ; pouvoir placer la capacité restante auprès d’autres utilisateurs est source d’économies. Le second est l’optimisation des coûts ; elle dépend cependant du périmètre confié in fine à l’opérateur.

Il faut ajouter à ce bilan économique – c’est lui qui est le plus souvent cité dans la communication publique – un bénéfice opérationnel considérable pour les forces. Un contrat bien défini leur procure une garantie de service dont elles ne disposent pas lorsqu’elles achètent un système et le mettent elles-mêmes en œuvre. Contracter un partenariat avec un opérateur national de confiance leur permet aussi de mieux anticiper leurs besoins et leur assure une meilleure évolution de leurs moyens au fil de l’évolution des technologies.

Enfin, grâce au produit de cession de l’usufruit, les forces armées pourront aussi financer certaines priorités du Livre Blanc.

Opter pour un partenariat suppose cependant de s’assurer de l’existence d’acteurs capables de fournir ces services et d’exploiter ces infrastructures satellitaires. Astrium est l’un d’eux : notre société exploite déjà sept satellites de télécommunications militaires. Il faut également s’assurer que les mesures de sécurité adéquates seront mises en œuvre. Nous pouvons là aussi fournir des gages concrets. Acteur majeur de la dissuasion – le président Auque vient de le rappeler –, Astrium sait mettre en place les mesures de sécurité et de cloisonnement nécessaires à la préservation de l’intérêt national. Astrium Services compte à elle seule 500 personnes en France, dispose d’un téléport à Toulouse, et offre aux forces des services de télécommunications personnelles par satellite – c’est l’offre dénommée PASSEREL.

De plus, loin de gêner les coopérations futures, le partenariat envisagé les facilitera. Les nations adoptent de plus en plus souvent ce type de solution. Outre le Royaume-Uni, l’Espagne a elle aussi recours à un opérateur privé de télécommunications par satellite. François Auque l’a rappelé, c’est Astrium qui fournit aux Allemands leurs moyens de télécommunications militaires satellitaires. Bénéficier d’un opérateur de confiance déjà capable de mettre en place le schéma envisagé ne peut qu’aider à mettre sur pied les nouvelles coopérations qui s’annoncent, avec l’Italie ou encore le Royaume-Uni, pour la nouvelle génération de satellites Syracuse IV.

Enfin, d’un point de vue humain, seules quelques dizaines de personnes sont susceptibles d’être touchées par l’opération. Qu’est-ce au regard de l’ensemble des évolutions prévues à la direction interarmées des Réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information de la défense (DIRISI) ? De plus, à travers l’expérience réussie de la base aérienne de Cognac, nous avons montré notre capacité à reclasser un effectif militaire de cet ordre.

Pourquoi Astrium est-elle intéressée par l’offre proposée ?

Le chiffre d’affaires global d’Astrium, le président François Auque l’a évoqué, est de 4,8 milliards d'euros. Une fois l’activité lanceurs retranchée, il passe à 2,8 milliards d'euros. En ajoutant Thales Alenia Space – 2 milliards d'euros environ –, Eutelsat – un milliard d'euros –, la partie européenne de SES – environ un milliard également –, on arrive en Europe, pour le secteur, à un chiffre d’affaires d’au moins 6,8 milliards d'euros.

Si ces montants peuvent paraître élevés en comparaison du montant de l’opération, l’offre proposée nous intéresse principalement pour deux raisons. Nous pensons chez Astrium que les éléments que je viens d’évoquer démontrent que nous savons faire. Je dois mentionner aussi la convention ASTEL-S, en application de laquelle nous fournissons aux armées françaises des capacités satellitaires pour leurs communications.

D’autre part, nous voyons dans cette proposition une opportunité de créer une relation bilatérale avec le ministère de la Défense et avec les forces armées, et de la développer dans le temps. Chaque fois que nous entrons dans ce type de démarche, ce n’est pas pour « faire un coup », mais bien pour travailler dans la durée. Le contrat signé en 2003 avec la Grande-Bretagne a été modifié en 2005, puis de nouveau très récemment pour accroître l’étendue et surtout la durée des services que nous allons fournir aux forces de ce pays. Une telle évolution n’aurait pas été possible si nous n’avions pas établi avec celles-ci une relation à long terme, et un vrai partenariat. C’est dans le même esprit que nous abordons l’opportunité qui nous est offerte en France.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Selon quel calendrier, quelle procédure et quelles conditions juridiques et financières cette cession d’usufruit pourrait-elle se faire ?

Selon vous, est-il réaliste d’envisager un aboutissement de la procédure avant le 31 décembre 2010, comme le fait la loi de finances initiale pour 2010 ?

La cession de l’usufruit d’une propriété de l’État aux applications exclusivement consacrées au service de la défense et de la sécurité est une forme de première. Les ordres de grandeur figurent en loi de finances initiale pour un montant de 400 millions d'euros. Souhaitez-vous également englober dans votre offre le futur satellite SICRAL (Sistema italiano per comunicazioni riservate ed allarmi), non encore opérationnel à ce jour ?

Quel est votre regard sur la sécurité des capacités globales ? Quelles interrogations sur la situation au-delà des années 2018-2020 vous suggère la durée de vie prévisible des satellites Syracuse ? Envisagez-vous une articulation avec le lancement de SICRAL ?

M. Éric Béranger. Je répondrai en me fondant sur notre expérience.

Le contrat conclu avec la Grande-Bretagne était complexe. Il comportait un volet construction. Ici, l’infrastructure est déjà construite et en service. Aujourd’hui, les Britanniques ont externalisé tous leurs équipements – terminaux, stations au sol… –, n’en conservant aucun à titre patrimonial. Le périmètre de l’opération française sera sans doute différent.

Pour autant, nous retenons de l’expérience britannique que, alors qu’il nous avait fallu un peu plus de trois ans pour négocier le contrat qui nous a conduits à reprendre l’infrastructure Skynet et à l’exploiter en tant qu’opérateur de télécommunications, la négociation, deux ans plus tard, de l’avenant que j’ai déjà évoqué – et qui est revenu à revoir de fond en comble la structure du contrat – nous a pris onze mois seulement.

Même si l’opération envisagée en France est une grande première, sa complexité est moindre, son périmètre plus restreint. Cependant, pour affiner l’analyse, le besoin de dialogue est impératif. Aujourd’hui, je ne connais pas ce périmètre. Aucun appel d’offres n’a été publié. Seul l’a été un appel à candidatures, auquel j’ai répondu le 2 mars. Or, de la définition de ce périmètre dépendront les engagements réciproques et aussi le supplément d’efficacité économique que nous pourrons apporter par notre prestation.

Par ailleurs, si la puissance publique souhaite – comme c’est son intérêt – que se manifeste une réelle concurrence, il lui faut mettre identiquement tous les concurrents à même d’apprécier l’état de santé technique et de comprendre le mode d’opération du système. Si vous savez comment est employé un réseau de télécommunications, vous êtes mieux en état de voir comment il pourrait éventuellement être utilisé plus efficacement.

Autrement dit, si je comprends bien la contrainte de temps que vous évoquez, monsieur le rapporteur, il est essentiel, pour aboutir à une solution optimale pour l’État, de laisser suffisamment de temps à un dialogue constructif entre la puissance publique et les concurrents potentiels. Or, aujourd’hui, ce dialogue n’est pas entamé. L’appel d’offres n’a pas encore été lancé.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Quels sont vos interlocuteurs au ministère de la Défense ? Qui pilote le projet ?

M. Éric Béranger. L’appel à candidatures nous a été envoyé par la direction générale de l’Armement et c’est à cette même DGA que nous avons répondu. C’est donc d’elle que je m’attends à recevoir l’appel d’offres.

Le processus, dont nous avons entendu parler pour la première fois à la mi-2008 – je vous l’ai déjà indiqué –, n’a toujours pas été lancé en cette fin du mois de mars 2010. Dans ces conditions, il est peu probable que le projet puisse faire l’objet d’un contrat avant la fin de 2010. Cela dit, si la puissance publique en fait une priorité raisonnable, une contractualisation avant la mi-2011 est envisageable.

Sur les enjeux juridiques, je vais être obligé de m’en tenir aux conclusions de nos propres travaux. Comme je vous l’ai dit, nous n’avons en effet pas reçu d’appel d’offres.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. L’expérience anglaise peut-elle servir de base à une approche ?

M. Éric Béranger. Elle nous a beaucoup appris sur les conditions de la conduite du dialogue et sur la nécessité de ne pas laisser dans l’ombre des questions qui, en phase d’exploitation, s’avèrent cruciales.

Ajoutée à celle que nous avons déjà acquise en Allemagne ou – sur d’autres sujets –, en France, elle nous a convaincus que, dans cette phase de dialogue, toutes les questions essentielles pour assurer ensuite le service des forces nécessaire doivent être traitées. Le service qu’il s’agit d’offrir a pour objet de permettre à des personnes, sur le théâtre d’opération, de sauver leur vie ! Dans une telle situation, quand vous prenez votre téléphone, que la communication passe par le satellite ou par d’autres voies n’a guère d’importance ; ce qui est crucial, c’est qu’elle passe ! Nous vivons cette situation tous les jours avec les troupes britanniques.

Notre action en Grande-Bretagne nous offre un autre atout : elle nous a procuré un arsenal d’idées pour structurer le même type de dispositif dans un autre cadre juridique, car, nous avons étudié diverses solutions, dont celle de l’usufruit. Les études conduites par nos conseillers juridiques nous ont persuadés que ce schéma est tout à fait applicable en France.

J’en viens à votre question concernant les montants en jeu. Le chiffre que vous avez cité a été avancé en 2008, au début de cette affaire. Comme ce montant est lié à la valeur résiduelle de l’infrastructure transférée, plus nous avançons dans le temps, plus il est voué à diminuer. Beaucoup de facteurs entrent en jeu, notamment la durée de vie, que nous ne pourrons apprécier que lorsque nous disposerons de données techniques.

Pour ce qui est de l’articulation avec SICRAL, deux « éléments de langage » ont été recueillis par le passé.

On nous a d’abord expliqué que la France avait besoin d’une simple redondance pour pallier une éventuelle défaillance du système Syracuse. Pour assurer cette redondance, il nous est apparu plus rapide et probablement moins onéreux d’utiliser les capacités dont nous disposions déjà, à savoir la flotte Skynet.

Mais la définition du besoin a évolué. On prévoit maintenant une augmentation de l’utilisation du système si importante que des capacités supplémentaires seront nécessaires, ce qui justifierait l’achat en « patrimonial » d’une part de SICRAL.

Étant donné notre configuration actuelle, plus le projet nous permet d’étendre notre flotte, plus nous sommes intéressés. En effet, pour répondre aux besoins de troupes déployées sur des théâtres assez dispersés comme c’est le cas aujourd'hui, il est important de disposer de flexibilité dans les moyens, tant en couverture qu’en débit. Notre propre expérience montre qu’il existe un marché dans ce domaine puisque nous avons servi la France et que nous servons actuellement l’OTAN, l’Allemagne, les Pays-Bas, les États-Unis, le Portugal, l’Australie, le Canada...

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. En France, ne travaillez-vous pas avec l’Économat des armées, par exemple au camp Warehouse en Afghanistan ?

M. Éric Béranger. En effet. Les pays que j’ai mentionnés sont ceux auxquels nous fournissons de la capacité ou des services appuyés sur l’infrastructure Skynet. Pour ce qui concerne l’Économat des armées, nous offrons des services de téléphonie classiques, destinés aux conversations privées des soldats avec leur famille ou leurs amis.

Toujours est-il qu’il existe un marché pour les capacités sécurisées et que l’extension de notre flotte nous intéresse.

Cela dit, comment lier à l’opération Syracuse la demi-charge utile de SICRAL qui reviendra à la France ? À la différence de SICRAL, Syracuse existe, fonctionne et peut être transféré : la décision de lancer un appel d’offres et de fixer un calendrier aboutissant à un contrat est entièrement entre les mains du ministère de la Défense.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Le contrat ne pourrait-il porter sur une offre globale associant les deux systèmes ?

M. Éric Béranger. La difficulté est que le satellite SICRAL n’existe pas encore et qu’il n’a même pas fait l’objet d’un contrat. Sa mise en orbite, annoncée pour 2012, se fera plus probablement en 2013.

Pour le relier à Syracuse, il existe trois possibilités.

La première serait de prévoir dans la soulte un montant dédié à SICRAL. Le paiement se ferait immédiatement contre l’engagement de l’État de livrer un demi-SICRAL. Mais, si le lancement du satellite est un échec, l’État devra faire face à l’obligation de rembourser l’opérateur. Une incertitude pèserait alors sur le budget de l’État jusqu’en 2013.

Deuxième possibilité : l’opérateur s’engagerait à payer en 2013 un montant donné contre le transfert de cette capacité. Mais tout opérateur normalement constitué s’emploiera alors à couvrir la variation des taux entre aujourd’hui et la date de dénouement de l’opération, si bien que le coût risque d’être très élevé.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Cela signifie-t-il que la somme ne serait pas exprimée en euros ?

M. Éric Béranger. Non, mais qu’il faudra prendre en compte le risque de variation des taux d’intérêt de base.

Troisième possibilité : passer dès maintenant un accord aux termes duquel l’opérateur paiera une sorte de loyer annuel pour récupérer la capacité lorsque SICRAL sera mis en orbite. Cette formule me semble la meilleure tant pour l’État que pour la partie privée, dans la mesure où elle permettrait de fixer les variables dès maintenant.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Quelle est la sécurité offerte, en termes de capacités, pour l’objet principal de l’utilisation de ces satellites, à savoir les besoins de défense ? Quel pourrait être le pourcentage résiduel des capacités par rapport à ces besoins dans le système Syracuse ? On parle parfois de 10 %, parfois de 50 % : nous avons du mal à comprendre.

Au cas où une crise accroîtrait fortement la demande de capacité de la part du ministère de la Défense, comment gérera-t-on d’éventuels problèmes de flux ?

M. Éric Béranger. Chaque satellite Syracuse contient neuf répéteurs utilisables – soit, pour une constellation de deux satellites, dix-huit répéteurs. L’appel à candidatures indique que le ministère de la Défense en laisserait à l’opérateur deux ou trois – jamais plus – suivant les années. En d’autres termes, l’opérateur disposerait en moyenne d’environ 10 % de la capacité pour la vendre à des tiers. À titre de comparaison, nous disposons en Grande-Bretagne de plus de 50 % de la capacité.

On pourrait donc considérer que la proportion de 10 % est relativement faible. Ce qui est certain, c’est que les économies que la mutualisation peut générer sont directement liées au pourcentage laissé à la commercialisation à des tiers.

Le pourcentage prévu dans l’appel à candidature laisse à penser que le schéma serait, en l’état actuel, assez rigide. Or c’est précisément un point sur lequel il serait très utile de mener un dialogue avec la puissance publique pour mieux comprendre comment ces satellites sont utilisés et pour fixer, le cas échéant, des schémas plus flexibles d’évolution entre la capacité réservée et la capacité commercialisable à l’extérieur.

Lorsque nous avons repris l’infrastructure britannique, il nous a fallu un certain temps avant d’être à même de facturer les communications à l’usage. Dans le mois qui a suivi la mise en place de cette facturation, le « remplissage » des satellites a été divisé par deux ! Peut-être ne se passerait-il pas exactement la même chose en France, mais c’est un trait assez humain que de faire attention à « nettoyer » ce que l’on n’utilise plus lorsque l’on paye ce que l’on utilise.

Au total, la puissance publique et l’opérateur ont tout à gagner à discuter ouvertement de l’utilisation de l’infrastructure et de son évolution.

J’en viens à votre question relative aux « pics » d’utilisation. Il convient tout d’abord d’établir des règles de fonctionnement claires, en déterminant la proportion de la capacité – nécessairement supérieure à son utilisation réelle – réservée en première priorité à la puissance publique et celle qui serait réservée en première priorité à la commercialisation à des tiers. Le jour où un pic se produit, rien n’interdit à la puissance publique de réserver – c'est-à-dire de louer – de la capacité qui serait restée disponible dans la partie mise à la disposition de tiers. Rien ne lui interdit non plus de demander à l’opérateur de trouver de la capacité ailleurs. Dans notre cas, étant donné que notre flotte Skynet offre beaucoup de capacité disponible, nous serions bien entendu en mesure d’aider les forces françaises à faire face à de tels pics. Au demeurant, elles ont déjà eu recours à Skynet et l’on sait qu’il n’y a aucun problème de compatibilité.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. De vos propos, il ressort clairement que c’est la DGA qui est votre interlocuteur au ministère de la Défense ; c’est visiblement elle qui pilote le projet. Vous avez apporté des réponses en matière d’ordres de grandeur et au sujet des personnels militaires de la DIRISI et vous avez évoqué les expériences menées dans d’autres pays, notamment en Grande-Bretagne.

À ce stade, une hypothèque pèse sur le calendrier. Il est peu vraisemblable que le projet puisse aboutir en 2010. Néanmoins, ce qui importe à nos yeux est de savoir si les ordres de grandeur évoqués peuvent être obtenus – sinon en 2010, du moins en 2011. En matière de cessions immobilières, nous sommes loin du compte : 65 millions d’euros réalisés en 2009 pour un montant global escompté de 972 millions.

Je vous remercie.

Audition du 7 avril 2010

À 16 heures 30 : général de brigade aérienne Pierre Puget, officier général chargé des fréquences à la direction générale des Systèmes d'information et de communication (DGSIC)

Présidence de M. David Habib, président

M. David Habib, Président. Nous accueillons le général de brigade aérienne Pierre Puget, officier général chargé des fréquences à la direction générale des systèmes d’information et de communication du ministère de la Défense.

La Mission d’évaluation et de contrôle consacre cette année une partie de ses travaux aux recettes exceptionnelles du ministère de la Défense. Nos rapporteurs sont Mme Françoise Olivier-Coupeau et M. Louis Giscard d’Estaing, membres de commissions et de groupes politiques différents. Je salue les représentants de la Cour des comptes : Mme Françoise Saliou, conseiller maître, présidente de section à la deuxième chambre ; M. Antony Marchand, conseiller référendaire, et M. Laurent Jannin, rapporteur.

Nous vous auditionnons, général, sur les recettes liées à l’aliénation des ondes hertziennes ou aux cessions de l’usufruit des satellites militaires. Pourriez-vous commencer par nous expliquer le rôle de la direction générale à laquelle vous appartenez dans la cession des ondes hertziennes et, éventuellement, de l’usufruit des satellites militaires ?

M. le général Pierre Puget, officier général chargé des fréquences à la direction générale des systèmes d'information et de communication. À la DGSIC, je suis le conseiller du directeur général des systèmes d’information et de communication pour la gestion des fréquences utilisées par les militaires, mais aussi par les services, ce qui fait de moi le représentant de l’affectataire Défense.

En France, onze affectataires se partagent le spectre radioélectrique, les trois plus importants étant le Conseil supérieur de l’audiovisuel, en raison de son pouvoir ; l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, par l’étendue du spectre qu’elle couvre et par son pouvoir économique ; le ministère de la Défense pour l’étendue du spectre qu’il utilise. N’oublions pas en outre les ministères chargés des transports et de l’intérieur.

Les fréquences sont réparties selon un tableau annexé à un arrêté du Premier ministre. Les changements d’affectation font l’objet de réunions préparatoires. En France, comme ailleurs, les fréquences servent à la téléphonie mobile, à la télévision, à la radio et aux satellites. Le tableau définit également les droits de chaque affectataire, qui peuvent être exclusifs – il est alors seul à utiliser une bande de fréquences –, partagés – il peut y avoir un affectataire secondaire sur la même bande –, ou équivalents – plusieurs affectataires opérant sur la même bande. Certains services cohabitent facilement, d’autres pas. Par exemple, la télévision analogique était compatible avec les transmissions hertziennes des systèmes de communication de l’armée de terre, mais pas la télévision numérique.

La répartition des fréquences est harmonisée à partir des décisions de l’Union internationale des télécommunications, l’UIT, au niveau mondial. Puis, c’est la Conférence européenne des administrations des postes et télécommunications, la CEPT, qui intervient pour fixer les orientations d’une cinquantaine de pays européens qui restent souverains chez eux. L’harmonisation permet d’utiliser son téléphone portable ailleurs que dans son propre pays ou de capter la télévision nationale à proximité d’une frontière. Enfin, certains pays, comme les membres de l’OTAN, se coordonnent pour utiliser leurs systèmes militaires dans les mêmes bandes, pour qu’ils ne se brouillent pas les uns les autres. Ma mission consiste à défendre dans ces organisations les intérêts du ministère de la Défense de sorte qu’il puisse remplir ses missions. La France est très organisée face au système international et à la Commission européenne, qui est très influente, d’autant plus que l’Agence nationale des fréquences présente une position nationale en coordonnant les intérêts des affectataires qui ne sont pourtant pas toujours convergents.

C’est dans ce cadre qu’a été traité ce que l’on appelle le « dividende numérique », c'est-à-dire les fréquences dégagées par le passage de la télévision analogique à la télévision numérique. L’UIT et la CEPT sont convenues d’étudier l’attribution de ce dividende à tel ou tel service. La France a confié à l’ARCEP ce dividende, au profit de la téléphonie mobile, mais ce nouveau spectre dévolu aux communications civiles a aussi été élargi aux dépens de la bande 830-860 MHz du ministère de la Défense qui abrite le système Félin (Fantassin à équipement et liaisons intégrées) de radio du fantassin. La CEPT et la Commission européenne ayant poussé au développement du haut débit numérique, la même démarche a conduit au transfert du système de transmissions hertziennes du réseau de communication de la gendarmerie Rubis (Réseau unifié basé sur l'intégration des services), qui fonctionne sur 2,6 GHz.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Nous cherchons à mieux comprendre le rôle respectif de la délégation générale pour l’Armement – la DGA –, de l’état-major des armées – l’EMA –, de la direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information – la DIRISI –de la DGSIC, de l’officier de cohérence opérationnelle dans les opérations de cession de fréquences hertziennes ainsi, éventuellement, que dans celles de cession de l’usufruit des satellites de télécommunication.

M. le général Pierre Puget. Quand l’état-major des armées a jugé nécessaire d’équiper les soldats d’un système de radio, la DGA a demandé à la DGSIC, qui s’appelait alors bureau militaire national des fréquences (BMNF), de désigner les bandes ad hoc. En fonction des orientations fixées alors par l’UIT et la CEPT et des fréquences attribuées à la Défense, le BMNF a fait trois propositions. La solution qui nous semblait préférable n’a pas été retenue. En 1998, la bande du dividende faisait déjà l’objet de pressions de l’UIT, par l’intermédiaire de la conférence mondiale des radiocommunications. Sentant le risque, nous avions proposé de développer le système sur une bande plus large, englobant le dividende numérique. Mais il aurait fallu développer une technologie vraisemblablement très onéreuse et qui n’était pas instantanément disponible. Il a donc été décidé de déployer le système Félin sur une bande qui, malheureusement, ne s’est pas révélée très pérenne.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Qui a décidé de sacrifier la bande dévolue au système Félin ?

M. le général Pierre Puget. La Commission européenne a décidé et la France a accepté que le dividende numérique couvre une partie de la bande de la Défense, dont celle servant au système Félin. L’issue n’était pas évidente en 1998 et tous les pays européens ne sont pas dans le même cas.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. En 1998, vous pressentiez les difficultés ?

M. le général Pierre Puget. Il est difficile d’être aussi affirmatif. Nous savions aussi que la bande voisine comme celle que nous allions utiliser étaient visées. Nous avons exprimé des craintes raisonnables, mais l’orientation prise par la Conférence mondiale des radiocommunications n’était pas définitive.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Aujourd'hui, elle l’est, et nos troupes n’ont pas encore reçu l’intégralité des équipements Félin. Quelles implications matérielles et financières concrètes aura la cession ? Que feront nos troupes pendant la période de transition ?

M. le général Pierre Puget. Ce n’est pas la première fois que l’on change de fréquences. Toutes les bandes GSM et UMTS sont d’anciennes bandes du ministère de la Défense. En France, il est prévu que, quand un affectataire doit quitter une bande, le déménagement lui soit remboursé par le nouvel entrant. Aujourd'hui, nous sommes en phase de déploiement du système Félin – 1 000 postes sont déjà utilisés par l’armée de terre et la cadence de déploiement est de 4 000 par an, pour atteindre un total de 20 000. Parallèlement, la libération de la bande est prévue pour le 1er décembre 2011. Je suis en train de négocier avec l’ARCEP pour pouvoir continuer, sous certaines conditions, à utiliser cette bande jusqu’à ce que les forces soient équipées du nouveau système Félin.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Et en opérations extérieures ?

M. le général Pierre Puget. Pour le moment, nous pouvons utiliser la bande actuelle, mais la décision de l’UIT finira par s’imposer, un jour ou l’autre. De toute façon, il faudra changer le système. C’est pourquoi nous menons parallèlement le déploiement des matériels et le développement d’un nouveau système de radio dans une autre bande.

Le coût de dégagement est évalué à 118 millions d’euros, correspondant à l’étude et au développement d’une nouvelle radio et à la fabrication des 20 000 nouveaux postes radio et de relais mobiles supplémentaires. La bande que nous quittons est la meilleure, c’est pourquoi elle a été donnée à la téléphonie mobile. Ses caractéristiques techniques font qu’on l’appelle communément la « bande en or » parce qu’elle permet à la fois une grande couverture – les soldats peuvent se parler à des distances qui leur conviennent – et un débit important – elle peut être utilisée pour transmettre des données, et pas seulement la voix. Nous ne pouvions déménager que pour une fréquence plus élevée, ce qui réduit la portée. Pour compenser, nous utiliserons des relais mobiles qui seront disposés de façon que les soldats de l’avant puissent continuer à communiquer avec le reste de la troupe.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Ces relais ne rendent-ils pas les troupes plus faciles à détecter ? Et n’obligent-ils pas à utiliser des postes plus lourds ?

M. le général Pierre Puget. En général, plus grande est la portée, plus facile est la détection. En l’occurrence, la portée sera plus faible. Les relais ne porteront pas plus.

Si on monte en fréquence, le poids, paradoxalement, devrait un peu diminuer parce que la taille des antennes diminue. Mais, pour gagner en puissance, il faut des piles plus lourdes. C’est pourquoi nous déploierons des balises relais, que nous récupérerons ensuite. De toute façon, la réglementation sanitaire ne permet pas d’augmenter indéfiniment la puissance d’un émetteur porté par quelqu’un.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Que recouvre exactement la somme de 118 millions d’euros ?

M. le général Pierre Puget. Le coût du déménagement de Félin.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Et pour Rubis ?

M. le général Pierre Puget. Les raisons qui ont poussé au déménagement sont un peu différentes. Les véhicules de gendarmerie sont équipés de postes radio, relayés par des antennes qui assurent un maillage du territoire national à partir de faisceaux hertziens, tous dans la bande 2,6 GHz que nous devons quitter. Il faut donc remplacer toutes les antennes des faisceaux hertziens et leur nombre variera en fonction de la puissance. Avec une fréquence plus basse, la portée augmente ; avec une fréquence plus haute, il faut plus d’antennes. Ce sera sans doute le cas en ville, mais, en campagne ou en montagne, on utilisera des bandes qui portent plus loin, le tout étant harmonisé par l’OTAN. Nous avons calculé qu’il faudrait changer 770 antennes, c’est-à-dire non seulement remplacer la coupole, mais aussi l’émetteur-récepteur et, au niveau départemental et régional, tout le système de supervision. Il en coûtera 68 millions d’euros qui seront pris en charge par le Fonds de réaménagement du spectre.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Les 600 millions d’euros annoncés en recettes sont-ils nets des frais de dégagement ?

M. le général Pierre Puget. Toute la question est là ! Quand la Défense a abandonné les fréquences GSM et UMTS, elle n’a pas envisagé de se faire payer. Les fréquences ont été vendues par l’ARCEP sous forme de licences et l’argent est allé au Fonds de réserve des retraites. Mais le déménagement a été payé par les opérateurs. Il faut donc bien distinguer le montant de la licence et le remboursement du déménagement. J’ai toujours milité pour qu’il en soit de même pour la cession des bandes Félin et Rubis : il faut ajouter au prix de cession le remboursement des deux déménagements.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. C’est le point de vue de la DGSIC. Qui d’autre relaie cette position ?

M. le général Pierre Puget. En mars 2008, une réunion interministérielle a acté que les déménagements seraient payés par les opérateurs. Ensuite, le Président de la République lui-même a annoncé des ressources exceptionnelles pour financer la loi de programmation militaire. Pour ce qui me concerne, il s’agit de la vente des fréquences. Dans les montants annoncés, le coût du déménagement n’est jamais évoqué. S’il était équivalent au produit de la vente, serait-ce à dire que la bande en question est gratuite ? La bande vaut cher parce que la Défense renonce à la bande en or, à laquelle elle était attachée comme à la prunelle de ses yeux, et il est prévu que les opérateurs de radio téléphonie payent le déménagement.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Qui fabrique les équipements ? L’entreprise en question est-elle candidate au rachat des fréquences ?

M. le général Pierre Puget. Pour Félin, c’est SAGEM. Non, parce que les candidats sont tous des opérateurs de télécommunication. Néanmoins, rien n’empêche un industriel de devenir opérateur. SAGEM fabriquait du téléphone portable mais n’a jamais été opérateur de téléphonie mobile. Le système technique que SAGEM utilisait à ce moment-là pour les téléphones portables était rentable, peu onéreux, utilisable tout de suite, et la proposition était satisfaisante. Mais aujourd'hui cette technologie est trop gourmande en spectre. Cependant, comme nous allons changer de fréquences, tout cela appartient au passé.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Ils auront tout de même vendu 20 000 équipements…

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. D’où les 118 millions d’euros ?

M. le général Pierre Puget. Les 118 millions d’euros iront principalement chez SAGEM et, pour une petite partie, chez Renault Véhicules Industriels.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Les nouvelles fréquences Félin sont-elles connues ?

M. le général Pierre Puget. Oui, ce sont les bandes de la recherche astronomique que nous utiliserons concurremment avec le ministère de la Recherche parce qu’il n’y a pas d’incompatibilité. En revanche, Rubis restera dans les bandes de la Défense, mais le problème est double. D’une part, on perd les fréquences utilisées par Rubis, d’autre part, on devra l’accueillir dans les bandes qui restent. On s’entasse, ce qui crée des contraintes au risque de ne plus avoir de place pour développer d’autres systèmes. Or il n’y a pas d’exemple de fréquences qui soient revenues au ministère de la Défense.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Et le ministère de l’Intérieur ?

M. le général Pierre Puget. Il a très peu de fréquences.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Que vont devenir les fréquences utilisées par les gendarmes ?

M. le général Pierre Puget. Le ministère de la Défense a décidé que les fréquences utilisées par les gendarmes resteraient de sa responsabilité. Il s’agit en outre de fréquences harmonisées au niveau de l’OTAN.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Quid du calendrier ?

M. le général Pierre Puget. À partir de 2011, la bande Félin relèvera non plus du ministère de la Défense, mais de l’ARCEP. Mais les opérateurs décideront de leur cadence d’installation. La vente des fréquences n’est pas encore faite. Celle de Rubis sera la première. Pour ce qui est de Félin, les opérateurs n’arriveront pas en 2011, en tout cas. Peut-être en 2012.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Auront-ils alors payé ?

M. le général Pierre Puget. La licence, perçue par l’ARCEP, correspond au droit d’usage de la bande. La redevance, elle, est annuelle. Les opérateurs auront donc payé le droit, valable quinze ans.

Il faut distinguer le calendrier technique et l’échéancier.

À partir de 2011, le ministère de la Défense n’aura plus le droit d’occuper les fréquences dédiées à Félin. Je négocie avec l’ARCEP pour continuer à utiliser l’ancienne bande, afin que nos soldats puissent s’entraîner. L’accord vise à limiter les contraintes qui pèseront sur les opérateurs jusqu’à l’été 2014, date à laquelle nous aurons suffisamment d’équipements adaptés à la nouvelle bande pour ne plus utiliser l’ancienne, en France. L’utilisation du système Félin sera restreinte à quelques camps de manœuvre.

La vente des fréquences Félin et les entrées de fonds n’auront certainement pas lieu en 2010. Pour Rubis, la bande ne nous appartient déjà plus, même si le système de la gendarmerie doit continuer à fonctionner. La DGSIC a obtenu de la Commission européenne un délai dérogatoire, étant entendu que le calendrier est compatible avec le déploiement des opérateurs sur le territoire national. Le déménagement commence dès 2010, il se fera région par région, d’abord par le Nord-Pas-de-Calais, puis les grandes agglomérations. Il se terminera en 2015. Un point sur le respect des échéances sera fait à mi-parcours avec la Commission européenne. La vente des fréquences, sous forme d’enchères, sera menée à bien par l’ARCEP à l’été 2010. J’ignore quand le processus se terminera. Les contraintes qui pèsent sur cette bande se feront peut-être sentir sur les prix. À la lecture des documents de l’ARCEP, je comprends qu’elle rencontre quelques difficultés. La probabilité que la vente soit conclue en 2010 existe, mais, à mon sens, elle est extrêmement faible.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. À qui est affectée la bande Rubis ?

M. le général Pierre Puget. À l’ARCEP, selon le tableau national de répartition des bandes de fréquences. Un alinéa précise que la Défense continuera à utiliser gratuitement les fréquences Rubis jusqu’en 2014. Ce sont les opérateurs qui paieront.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Le même mouvement de redéploiement s’observe-t-il ailleurs en Europe, par exemple en Allemagne ?

M. le général Pierre Puget. En Allemagne, les militaires ne veulent pas quitter la bande. Le dividende numérique est plus limité. Les fréquences basses sont données aux opérateurs et les militaires gardent la moitié supérieure, jusqu’à nouvel ordre.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Si le système Félin déménage et si la Bundeswehr reste sur sa bande, comment l’interopérabilité sera-t-elle possible, en Afghanistan par exemple ?

M. le général Pierre Puget. La fréquence n’héberge pas un système de communication pour les soldats.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Comment sont équipés les soldats allemands envoyés en opération ?

M. le général Pierre Puget. Je ne suis pas sûr de vous répondre parfaitement, mais ce sont généralement les bandes OTAN qui servent aux systèmes de communication. Le nouveau système Félin devrait être sur la bande des 2 GHz, qui n’est pas harmonisée par l’OTAN. Il ne sera pas directement interopérable. L’idéal serait d’être sur la même plage de fréquences.

Mme Françoise Saliou. Comment nos soldats feront-ils ?

M. le général Pierre Puget. Les autres soldats, américains, allemands, ne communiquent pas non plus sur la bande OTAN. Il y a une plage qui pourrait servir à Félin, mais elle n’est pas vraiment disponible et elle est incompatible avec notre technologie. SAGEM est en train d’étudier l’alternative : soit la bande des 2 GHz, soit la bande OTAN, avec la perspective de vendre plus d’équipements. Pour nous, ce ne serait pas plus mal.

Sur le dernier point, les satellites, la DGSIC intervient très peu puisque le ministère de la Défense garde ses fréquences et que ce sont des bandes OTAN. L’opérateur retenu pour utiliser Syracuse devra respecter certaines contraintes. Tout ce qui concerne les contrats, les cessions, les prix est dans les mains de la DGA.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Pourriez-vous préciser la répartition des rôles entre la DGSIC et la DIRISI ?

M. le général Pierre Puget. La DIRISI est l’opérateur du ministère de la Défense, elle attribue les fréquences selon un plan de charges. En quelque sorte, elle donne des licences temporaires ou définitives pour faire fonctionner tel ou tel système.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Général, je tiens à vous remercier pour la clarté de votre exposé et de vos réponses.

M. David Habib, Président. En effet, grâce à vous, nous avons compris… Merci, général.

Audition du 7 avril 2010

À 17 heures 15 : M. Philippe Jost, directeur des plans, des programmes et du budget à la direction générale de l’Armement (DGA)

Présidence de M. David Habib, président

M. le président David Habib. Nous vous souhaitons la bienvenue, monsieur le directeur. La Mission d’évaluation et de contrôle a engagé une réflexion sur un certain nombre de recettes budgétaires exceptionnelles du ministère de la Défense – c’est à ce titre que nous avons tout à l’heure auditionné le général Puget. À la suite de ces auditions, nos deux rapporteurs, M. Louis Giscard d’Estaing et Mme Françoise Olivier-Coupeau, rédigeront un rapport inspiré de leur expérience et de leurs convictions.

Nous serons assistés au cours de cette audition par plusieurs membres de la Cour des comptes qui, comme le prévoit la nouvelle organisation de nos travaux, pourront s’exprimer à tout moment. Il s’agit de Françoise Saliou, conseiller maître, président de section à la deuxième chambre, Antony Marchand, conseiller référendaire, et Laurent Jannin, rapporteur.

Je vous propose de nous dresser un tableau complet du processus de décision concernant l’aliénation des fréquences des satellites militaires et de nous préciser le rôle de la direction générale de l’armement en la matière.

M. Philippe Jost, directeur des plans, des programmes et du budget à la direction générale de l’Armement. La direction générale de l’Armement est en charge de la maîtrise d’ouvrage des opérations d’armement en général et, pour ce qui nous concerne aujourd’hui, des systèmes de communication à finalité opérationnelle militaire. À ce titre, elle dispose depuis de nombreuses années de programmes de télécommunications spatiales.

Dans le cadre des travaux de préparation du Livre blanc et de la loi de programmation militaire 2009-2014, nous avons examiné un scénario de cession d’usufruit des satellites de télécommunications actuellement en service opérationnel. Ce scénario avait deux objectifs : le premier, non dissimulé, était d’obtenir des recettes extrabudgétaires à échéance aussi proche que possible afin de conforter les ressources de la loi de programmation militaire en début de période, le second d’établir un schéma d’achat et de location de services, dans un domaine où il paraît souhaitable et économiquement intéressant de passer d’une logique patrimoniale à une logique d’acquisition de services.

Cette évolution était envisagée de longue date pour la génération qui suivra Syracuse, à un horizon ultérieur à 2015, mais il a alors été décidé de l’appliquer, sous la forme originale de cession d’usufruit, aux satellites de l’actuelle génération, qui sont des possessions patrimoniales de l’État. La DGA a ainsi entrepris une démarche d’acquisition relativement originale, qui consiste à la fois à céder l’usufruit d’une propriété patrimoniale de l’État et à acquérir des services.

Se sont posées d’emblée des questions juridiques très précises qui ont amené les directions juridiques du ministère de la Défense et des ministères financiers à étudier ensemble les moyens de mener à bien cette opération, tout en demeurant dans un cadre constitutionnel. Ce travail conjoint les a amenées à envisager la possibilité d’aliéner le domaine public de l’État à travers une cession d’usufruit. Une disposition législative fut intégrée à cette fin dans la loi de finances pour 2010, complétée par un décret d’application qui conférera au ministère de la Défense, en lieu et place des Domaines, la capacité de procéder lui-même à la cession de l’usufruit et de déterminer – à partir de l’étude que nous menons actuellement – le prix qu’il proposera aux entreprises susceptibles d’offrir le service et d’acquérir l’usufruit. Ce projet de décret vient d’être soumis au Conseil d’État.

Cette opération repose sur le pari qu’il y a un intérêt économique à agir de la sorte. L’une des composantes de la procédure consiste donc à établir un scénario susceptible de dégager un intérêt économique pour l’État et une valeur ajoutée pour le ministère de la Défense, en termes de services et de recettes extrabudgétaires.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Vous évoquez la cession d’usufruit des satellites Syracuse mais celle des fréquences hertziennes nous intéresse tout autant. Nous savons que vous n’êtes pas en première ligne sur ce sujet, mais la cession des équipements Félin pourrait avoir un impact sur les matériels et les équipements.

S’agissant des satellites, pouvez-vous nous confirmer que la DGA est l’interface entre le ministère de la Défense et les éventuels repreneurs ?

M. Philippe Jost. En effet, la DGA est l’acteur principal des contractualisations pour l’acquisition de services mais elle interviendra aussi en tant qu’entité cédant l’usufruit du satellite.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Nous avons auditionné deux industriels candidats à la reprise de l’usufruit – Thales Alenia Space et EADS Astrium. Aucun d’entre eux ne peut dire avec précision qui pilote l’opération, entre le cabinet du ministre de la Défense, la DGA, la DGSIC – direction générale des Systèmes d’information et de communication – et la DIRISI – direction interarmées des Réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information de la Défense. Pouvez-vous nous confirmer que le pilote de cette opération est bien la DGA ?

M. Philippe Jost. Tout à fait, la DGA étant l’interface avec le monde industriel. Nous avons engagé un processus de candidature, suivi d’une mise en compétition qui nous permettra d’évaluer les meilleures offres, avant de contractualiser. Cela dit, cette opération innovante implique depuis dix-huit mois de nombreux acteurs de l’État, en particulier le ministère du Budget, qui est largement intervenu dans les débats et qui est toujours notre interlocuteur – certains, au sein de l’État, n’étant pas indifférents à l’éventualité d’une déconsolidation.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Pour un processus innovant de ce type, disposez-vous au sein de la DGA des expertises juridiques nécessaires ou faites-vous appel à des conseils extérieurs ?

M. Philippe Jost. Ce processus étant nouveau pour nous, nous faisons pleinement appel aux expertises que nous offrent les services de l’État, en particulier les directions des affaires juridiques des ministères concernés. En ce qui concerne la déconsolidation, nous sommes en relation, via la direction du Budget, avec les bureaux qui travaillent régulièrement avec Eurostat et qui, à ce titre, connaissent bien les critères.

En dehors des ressources de l’État, nous prévoyons de recourir à une assistance juridique et financière et nous avons engagé une procédure pour sélectionner un expert de type cabinet d’avocats spécialisés.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Actuellement, le ministère de la Défense utilise 100 % des capacités de transmission et de communication des satellites Syracuse. Quel sera le pourcentage des capacités résiduelles et de celles qui seront cédées ?

M. Philippe Jost. Cette question n’a pas reçu de réponse précise lorsque nous avons commencé à examiner le projet en 2008, les utilisateurs ayant tendance à vouloir préserver un maximum de ressources.

À l’issue des discussions, l’état-major des armées, l’EMA, a considéré qu’en conservant 90 % de la capacité du satellite Syracuse, il pouvait satisfaire ses besoins, y compris en temps de crise. Il est donc disposé à laisser à l’opérateur la libre utilisation de 10 % de la capacité – et ce sans exiger de droit de préemption. Mais nous envisageons de proposer aux industriels de leur allouer un peu plus de ces 10 % moyennant un droit de rappel, afin de conserver la libre disposition de 90 % de la ressource.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Quelle garantie avez-vous qu’en cas de crise ces 90 % seront disponibles pour le ministère de la Défense ?

M. Philippe Jost. Ce point sera spécifié dans la consultation. Nous en examinerons les modalités en étudiant les réponses qui nous seront faites.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Il n’existe donc pas de garantie contractuelle ?

M. Philippe Jost. Nous aurons la garantie que nous aurons accès à 90 % de la ressource. Ceux qui sont en charge de l’expression du besoin pensent que les 90 % sont suffisants.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Nous ne sommes pas en mesure, aujourd’hui, de vous poser ce genre de question.

M. Philippe Jost. Avec l’EMA, nous avons examiné l’évolution de nos besoins à échéance de quelques années : même avec une option de crise, il nous est apparu que nous pouvions céder 10 % de nos capacités.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Les opérateurs éventuellement intéressés font valoir que plus l’on attend, plus la durée de vie résiduelle des deux Syracuse actuellement en orbite se réduit, moins le prix d’acquisition de leurs capacités sera élevé. Pouvez-vous nous communiquer le calendrier des appels d’offre ? Avez-vous établi un prix de réserve, et si oui est-il compatible avec les recettes exceptionnelles inscrites en loi de finances initiale ?

M. Philippe Jost. Il est clair que plus nous attendons, plus le prix de cession que nous pouvons espérer obtenir diminue.

Le point de départ de la procédure a été reporté principalement en raison de la complexité du parcours juridique de l’opération. Dans un contexte aussi concurrentiel, le processus devait être particulièrement solide, les compétences du ministère de la Défense et de la DGA clairement définies et l’environnement constitutionnel parfaitement clarifié. Tout ceci nous a menés au début de l’année 2010.

S’est ajoutée, in extremis, une réflexion sur la manière de donner suite à une demande de notre partenaire italien d’envisager cette opération en coopération franco-italienne. Compte tenu de notre longue coopération avec l’Italie en matière de télécommunications spatiales, nous avons décidé de laisser la porte entrouverte à nos partenaires italiens en leur donnant le temps de conforter leur approche et d’étudier la façon de concrétiser ce rapprochement.

Nous engageons donc une procédure de consultation en direction d’un petit nombre d’industriels français. Une fois qu’ils se seront déclarés intéressés, nous passerons à l’étape suivante, à savoir la transmission du cahier des charges, prévue pour le mois d’avril.

Vous semblez dire que les industriels souhaitent aller rapidement. Nous en sommes d’autant plus heureux que certains d’entre eux se sont empressés de nous demander des délais supplémentaires, ce qui ne peut que ralentir le calendrier…

Tous ces retards nous amènent à envisager la clôture de l’opération en 2011. En toute sincérité, son caractère novateur ne nous permet pas aujourd’hui de dire combien d’étapes seront nécessaires pour arriver au but. Si les offres sont satisfaisantes d’emblée, nous pourrons nous satisfaire d’un tour, mais nous n’y croyons guère et nous n’excluons pas de devoir procéder à trois tours. Ce sont ces incertitudes qui nous empêchent d’affirmer avec certitude que l’opération sera achevée courant 2011. Mais, si nous ne croyons plus que la rentrée budgétaire pourra intervenir en 2010, nous ferons tout notre possible pour qu’elle ait lieu en 2011.

Le montant de 400 millions d’euros découle d’une estimation que nous avons faite en 2008 et des échanges que nous avons eus alors avec les industriels. Il est lié à la durée de vie des satellites, au pourcentage de capacités cédées, mais également à l’appréciation des prix du marché par les industriels. À l’heure où je vous parle, ce montant n’est donc en aucun cas une certitude. Bien sûr, c’est une somme importante et, les liquidités étant devenues plus rares et plus chères, il est probablement plus difficile aujourd’hui qu’il y a deux ans pour un industriel d’effectuer un versement de 400 millions d’euros. Mais n’oublions pas que nous lui céderons 10 % de nos capacités pour une durée de sept à huit ans. Nous avons choisi d’être prudents : certes, notre objectif est d’obtenir 400 millions d’euros, mais nous nous laissons la possibilité de faire une offre à une valeur différente.

Ce choix est déterminé par un autre facteur : si la redevance pour la location de services était trop élevée, l’intérêt économique de l’opération serait moindre. Il faut donc trouver un équilibre entre le montant de cette redevance et la recette extrabudgétaire.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Quel est le montant de la recette inscrite au budget ?

M. Philippe Jost. 400 millions d’euros.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Comme dans l’appel à candidatures.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. J’en viens à Sicral. Est-il judicieux et financièrement avantageux de lier la cession d’usufruit des deux satellites Syracuse avec la cession d’usufruit d’un satellite qui n’est pas encore lancé et qui fait l’objet de discussions avec notre partenaire italien ? Outre que l’industriel devrait assumer une partie du risque inhérent au lancement, l’un des candidats n’a pas d’intérêt direct dans le projet, ce qui crée une distorsion de concurrence. Qui plus est, la cession porterait sur une période bien plus longue, Sicral étant appelé à prendre le relais des Syracuse à l’issue de leur durée de vie. Dans ces conditions, ne serait-il pas opportun de dissocier les opérations ?

M. Philippe Jost. Même si l’option Sicral est retenue, nous ne prévoyons pas de faire porter à l’industriel les incertitudes liées au lancement d’un satellite, pas plus que tout ce qui pourrait arriver dans le cadre de la réalisation de cette opération. Nous souhaitons simplement avoir la possibilité, le moment venu, d’ajouter une cession d’usufruit du répéteur hébergé par le satellite Sicral, donc des communications correspondantes. Au total, je peux vous rassurer : nous ne lions pas de manière impérative la cession d’usufruit des Syracuse à celle de Sicral.

Quant aux éventuelles disparités entre les candidats, il y en a toujours : les candidats ne disposent jamais du même historique ni de la même expérience, dans des domaines variés Nous n’avons donc pas d’autre choix que d’ouvrir la concurrence et de donner à chacun ses chances, en particulier en faisant en sorte, à travers les documents que nous mettrons à leur disposition, d’établir une parité, pour ce qui est de notre ressort.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Les armées ne louent-elles pas déjà à des opérateurs les 10 % de capacités qu’elles n’utilisent pas ?

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Certainement, en vertu de la convention Astel-S.

M. Philippe Jost. La convention Astel-S correspond plutôt à l’acquisition de capacités. Cela dit, nous louons déjà à l’OTAN une part des capacités de transmission que nous possédons de façon patrimoniale.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteur. Vous avez donc une expérience en matière de recettes.

Savez-vous par ailleurs dans quelle mesure le marché peut absorber ces capacités ? Avez-vous effectué une comparaison entre les recettes britanniques et celles que nous offrent nos capacités résiduelles ? Quels avantages un partenaire privé comme Skynet présente-t-il en termes d’efficacité économique et de capacités commerciales ?

M. Philippe Jost. Les capacités de télécommunications qui seront mises à disposition étant localisées dans des bandes militaires, nous pensons que les utilisateurs seront des militaires. Nous n’avons pas le sentiment qu’un opérateur privé serait bien plus efficace que nous face à des utilisateurs comme l’OTAN, mais il pourrait en trouver d’autres car il y a bien un marché.

Nous n’avons pas souhaité procéder à des simulations précises, laissant cela aux industriels qui répondront à notre offre. Il est possible que l’équilibre économique de l’opération soit atteint de justesse : nous ne prévoyons pas de réaliser des marges considérables, nous veillons simplement à ce que l’opération présente un intérêt économique pour l’État. Dans les mois qui viennent, nous étudierons les hypothèses des opérateurs et l’intérêt économique de leurs propositions.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. En somme, selon vous, cette opération présente un triple intérêt : les deux premiers, à court et moyen terme, pour les finances de l’État, le troisième étant d’améliorer la qualité du service. Mais est-ce réellement un objectif ? Existe-t-il des marges de progression, que les exemples étrangers vous permettraient d’escompter ?

M. Philippe Jost. La consultation nous permettra d’explorer la possibilité non seulement de céder des capacités de transmission et d’en récupérer 90 % en location, mais aussi d’externaliser l’exploitation des satellites et du réseau. Cette opération devrait améliorer le rapport coût-efficacité.

En ce qui concerne le service de transmission à proprement parler, nous ne prétendons pas faire porter par l’opérateur le risque de la perte du satellite, qui peut survenir à tout moment, mais dans le cas de pertes de transmission, nous envisageons de lui demander une compensation partielle par la mise à disposition d’autres capacités de transmission. La flexibilité du service ouvre donc des pistes intéressantes.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Nous allons vendre deux bandes hertziennes, dont l’une est associée aux équipements Félin – au total 20 000 équipements doivent être acquis, auprès de Sagem pour la partie transmissions –, qui ne seront ainsi plus utilisables. Nous voulons donc être certains que les 118 millions d’euros que coûtera l’achat des nouvelles radios et des relais désormais nécessaires sera bien pris en compte dans de frais de dégagement.

Par ailleurs, si un délai est prévu pour que les troupes puissent continuer à utiliser ces fréquences dans des périmètres qui ne sont pas destinés aux opérateurs de téléphonie mobile sur le territoire national, les choses sont très différentes dans le cadre des Opex. Combien de temps encore pourra-t-on continuer à utiliser les équipements Félin actuels sur des bandes appartenant à l’OTAN ? Les troupes, qui s’entraîneront bientôt avec de nouveaux équipements, devront-elles revenir aux anciens si elles sont envoyées en Afghanistan ? Comment comptez-vous rendre compatibles les deux dispositifs Félin ? Comment sera assuré le MCO, le maintien en condition opérationnelle, des anciennes radios ?

M. Philippe Jost. L’ensemble de l’équipement Félin présente de nombreux constituants, dont la radio, qui est un matériel susceptible d’évoluer, pour un montant important mais limité au regard de l’ensemble de l’opération. Le dégagement de la bande sera organisé de façon à perturber aussi peu que possible l’équipement des régiments, qui ne seront pas dotés avant 2013 d’équipements radio fonctionnant sur la nouvelle bande de fréquence.

L’état-major des armées et l’armée de terre ont toutefois jugé intéressant, dans la mesure où l’armée de terre intervient très souvent en dehors du territoire national, de conserver un certain nombre de postes radio Félin fonctionnant sur l’ancienne bande de fréquences. Le moment venu, il faudra acquérir des radios équipées de la nouvelle bande de fréquence, pour un montant de 118 millions d’euros, mais rien n’oblige à se défaire de la totalité des postes radio fonctionnant sur l’ancienne fréquence. Si l’armée de terre souhaite conserver tout ou partie de ces postes, c’est que la portée de l’ancienne bande de fréquence est plus favorable que celle de la nouvelle bande. À l’horizon 2015-2020, l’armée de terre disposera de 18 000 postes Félin dotés de la nouvelle bande de fréquence et utilisables en France, et de quelques milliers de postes, livrés entre 2010 et 2013, dotés de l’ancienne bande de fréquence, qui pourront être employés avantageusement en Opex ou dans des zones où les contraintes ne seront pas celles qui pèsent sur notre territoire. Il reste à déterminer le nombre de radios d’ancienne génération qu’il sera judicieux de conserver. Je pense que l’armée de terre, qui décidera probablement d’équiper quelques régiments de quelques milliers de postes de la génération précédente, saura ainsi limiter les inconvénients de ce qu’elle vit aujourd’hui comme une contrainte.

S’agissant de l’entraînement des troupes, en dépit de particularités liées aux nouvelles fréquences, l’interface des postes radio ne doit pas être très différente.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Pouvez-vous nous confirmer que ces 118 millions d’euros seront bien financés par l’opérateur, en dehors de toute négociation ?

M. Philippe Jost. Je ne suis pas la personne la plus compétente pour vous éclairer sur ces circuits financiers. Ces 118 millions d’euros proviendront des opérateurs et ne seront donc pas disponibles pour des recettes extrabudgétaires. La loi de programmation militaire, dans sa prévision de recettes extrabudgétaires, a intégré le fait que le fonds de réaménagement du spectre disposerait de 118 millions destinés à rembourser les dépenses engagées. Cette somme ne viendra donc pas en déduction des recettes extrabudgétaires prévues pour abonder la loi de programmation.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. La DGA a-t-elle déjà testé la nouvelle génération des postes émetteurs Félin sur les bandes qui devront désormais être utilisées ?

M. Philippe Jost. Il nous est impossible de tester en grandeur réelle un équipement qui n’est pas encore développé. Les radios équipées des nouvelles fréquences ne seront disponibles qu’en 2013. Mais nous ne sommes pas inquiets quant au résultat, car les conditions de propagation radioélectrique sont connues et prévisibles.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Il semble que la bande des 800 MHz soit très recherchée : on l’appelle la « bande en or »… Cela signifie aussi que les autres bandes sont moins intéressantes.

M. Philippe Jost. Elle présente en effet certains avantages, c’est la raison pour laquelle elle avait été choisie par la Défense mais aussi pour laquelle elle est tellement convoitée… Les autres bandes ont une portée moindre. Puisque nous ne pouvons pas augmenter la puissance d’émission, nous subirons une perte de portée, mais cette caractéristique a été assumée.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. À propos de Syracuse, vous avez évoqué la possibilité pour un industriel de rechercher des clients. Les industriels connaissent-ils les contraintes liées à la vente des capacités de transmission ? Les procédures sont-elles plus souples en Angleterre ?

M. Philippe Jost. Il est naturel qu’un opérateur essaie de vendre des capacités de transmission à des utilisateurs militaires étrangers. Il reste à établir la manière dont nous exercerons notre contrôle. Nous ferons preuve de pragmatisme dans notre dialogue avec les opérateurs, mais nous n’entendons pas renoncer à nos principes. Cela dit, je ne vois pas en quoi nos procédures pourraient entraîner une forte distorsion de concurrence avec le Royaume-Uni.

M. le président David Habib. Je vous remercie.

Audition du 7 avril 2010

À 18 heures 30 : Audition de M. le capitaine de vaisseau Arnaud Coustillière, officier de cohérence opérationnelle du système de forces « commandement et maîtrise de l’information »

Présidence de M. David Habib, président

M. David Habib, Président. Le travail pour lequel nous sommes réunis donnera lieu à un rapport de M. Louis Giscard d’Estaing, membre de la commission des finances et du groupe UMP et de Mme Françoise Olivier-Coupeau, membre de la Commission de la Défense et du groupe SRC.

Je salue la présence des trois représentants de la Cour des comptes qui suivent nos travaux, Mme Françoise Saliou, conseiller-maître, M. Antony Marchand, conseiller référendaire, et M. Laurent Jannin, rapporteur.

Nous accueillons M. le capitaine de vaisseau Arnaud Coustillière, officier de cohérence opérationnelle (OCO) du système de forces « Commandement et maîtrise de l'information ». Commandant, quelle analyse portez-vous sur les cessions déjà effectuées ?

M. le capitaine de vaisseau Arnaud Coustillière, officier de cohérence opérationnelle du système de forces « commandement et maîtrise de l’information ». J’appartiens à la division « cohérence capacitaire » de l’état-major des armées (EMA), et je fais partie d’un collège de seize officiers de toutes armes et armées, le collège des officiers de cohérence opérationnelle (OCO), répartis selon les systèmes de forces. Nous avons pour fonction de vérifier que chaque « brique » de l’ensemble des capacités des armées soit aussi en cohérence que possible avec les autres. Nous sommes à la tête d’un réseau d’experts des différentes armées – certains sont par exemple affectés à la direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'informations de la défense (DIRISI) – et nous vérifions que l’ensemble des éléments que nous montons, en application du Livre Blanc, pour la conduite des programmes d’armement et des matériels livrés aux forces soit le plus cohérent possible.

En tant qu’officier de cohérence opérationnelle, je ne suis intervenu en matière des cessions de fréquences que pour les fréquences de l’équipement Félin (Fantassin à équipement et liaisons intégrées), avec l’Armée de terre, pour vérifier si les perturbations opérationnelles causées par l’abandon de ces fréquences étaient acceptables, où étaient les enjeux de capacités et vers quelles nouvelles gammes de fréquences nous devions aller. Nous avons vécu la migration comme quelque chose d’imposé, dû à la pression sur le spectre global des fréquences – qui n’est propre ni à la France ni à l’Europe – qui fait que les anciens occupants historiques des fréquences sont poussés à faire de la place à l’économie numérique.

Cette pression a principalement concerné le petit équipement de transmission dénommé RIF (Réseau d'information du fantassin), équipement d’une portée assez courte – quelques centaines de mètres – qui permet aux membres d’un groupe de combat – un sergent et ses hommes, soit quelques personnes, puis une section d’environ trente soldats – d’échanger entre eux. Il nous fallait vérifier que la migration de la bande de 800 mégahertz, choisie initialement en 2001, vers la bande de 2 gigahertz, ne posait pas trop de difficultés opérationnelles.

La cession de Syracuse, elle, n’est pas une cession de gamme de fréquences mais une opération de cession de l’usufruit d’un satellite en espace contre un loyer qui sera payé à un repreneur. La problématique est totalement différente, le seul point de rencontre des deux projets étant l’outil budgétaire qui permet d’injecter des ressources extrabudgétaires dans le budget de la Défense.

Dans mes fonctions d’OCO, j’ai eu, avec l’officier de programme Syracuse et nos camarades de la Direction générale de l’Armement (DGA), la responsabilité, d’une part, de vérifier que ce qui sera mis à la disposition des industriels et ce qui sera immédiatement reloué sera compatible avec les besoins opérationnels de nos forces en cas de déploiement, d’autre part, de définir le socle que l’opérateur ne pourra pas ensuite relouer à des tiers.

En effet, sans Syracuse, noyau dur des communications militaires, il n’est plus possible de projeter des forces de façon autonome – par exemple d’intervenir en toute autonomie en Afghanistan ou au Tchad - ni d’évacuer des ressortissants. Aujourd’hui, sans liaison à haut débit entre la métropole et les forces projetées, il n’est plus possible de commander. C’est pour assurer la sécurité de ces liaisons que, en complément de capacités civiles que nous pouvons louer à des opérateurs civils comme Inmarsat, Eutelsat ou Intelsat, nous nous sommes dotés depuis les années 85 du système militarisé Syracuse. En effet, lorsque nous louons de la capacité sur des systèmes civils en zone de crise, nous sommes en concurrence avec des opérateurs américains de tous types, CNN par exemple et, à un endroit donné, il n’y a pas forcément d’espace libre dans une bande de fréquences. Ainsi, afin de pouvoir déployer des drones en Afghanistan nous avons été amenés à louer un répéteur complet sur un satellite, qui plus est pour une année complète, condition pour que l’opérateur accepte de déplacer l’engin sur la zone qui nous intéressait.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Vous avez été obligés – nous avez-vous dit – de rendre des fréquences du fait de pressions internationales. Cependant, les Allemands, sur qui s’exercent sans doute les mêmes pressions, ont refusé cette démarche. Selon l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, le moment n’est sans doute pas le bon pour céder ces fréquences. Pouvez-vous nous éclairer plus précisément ?

M. le capitaine de vaisseau Arnaud Coustillière. Vous avez reçu la direction générale des systèmes d’information et de communication, la DGSIC, dont dépendent les fréquences militaires, ainsi que le général Pierre Puget, qui est l’interlocuteur de l’ARCEP et des ministères dans ce domaine. Ce sont eux les premiers impliqués dans ces négociations. Les pressions s’exercent sur l’ensemble des nations, mais, outre que chaque pays répartit souverainement ses fréquences, les services chargés d’étudier la façon de répondre à cette pression – qui est peut-être moindre en Allemagne qu’en France – peuvent proposer des scénarios différents.

Depuis une vingtaine d’années que je travaille dans le domaine des télécommunications, j’ai pu constater cette pression, avec de fréquentes migrations de fréquences sur des faisceaux hertziens. La question a été mise sur la table en 2007-2008 dans le cadre de la loi de programmation militaire : il a semblé opportun, au moment où le débat sur la vente de la quatrième licence de téléphonie mobile était vif et où l’on pouvait envisager que les opérateurs se livrent une vraie bataille pour acheter des fréquences, de chercher à se procurer de la sorte des ressources extrabudgétaires.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Vous avez donc été amenés à travailler sur la conciliation entre impératifs financiers – le financement de la « bosse »  du ministère de la Défense – et opérationnels ?

M. le capitaine de vaisseau Arnaud Coustillière. La question ne se pose pas exactement dans ces termes. La migration d’une bande de fréquence vers une autre a pour origine la pression de l’économie numérique. L’idée est de dégager des fréquences dans les bandes qui intéressent les opérateurs. Les bandes les plus convoitées sont comprises entre 500 MHz et 2 à 3 GHz. La bataille se déroule depuis une vingtaine d’années. En général, quand un organisme quitte une bande de fréquences, les coûts de migration sont compensés par un fonds spécifique, le Fonds de réaménagement du spectre (FRS). La nouveauté est que, avec la loi de programmation militaire, les montants récupérés par la libération de fréquences peuvent être désormais réaffectés au budget de la Défense, ce qui, à ma connaissance, est sans précédent.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Vous a-t-on demandé s’il était opérationnellement possible d’abandonner des fréquences, dans l’intérêt du budget, ou a-t-on exigé que vous trouviez des solutions opérationnelles en conséquence d’une décision autoritaire de céder des fréquences ?

M. le capitaine de vaisseau Arnaud Coustillière. La question ne se pose pas dans des termes aussi clairs. La pression sur les fréquences est un mouvement de fond. Aujourd’hui, le général Pierre Puget et le bureau militaire national des fréquences ont pour mission de faire valoir la position des forces armées, en lien avec d’autres services de l’État.

Les fréquences abandonnées dans le programme Félin sont situées dans les mêmes types de bandes que celles dont va avoir besoin l’infrastructure nationale partageable des télécommunications (INPT), qui va desservir l’ensemble des forces de police et de gendarmerie, mais aussi les SAMU, dans les départements. En région parisienne, l’État manque déjà de fréquences pour permettre à la préfecture de police de déployer tous ses réseaux.

Jusqu’ici le ministère de la Défense était historiquement un très important affectataire de fréquences. Il en détenait beaucoup. Aujourd’hui, il en rend. Nous subissons la pression de l’économie numérique, du fait du besoin nouveau de fréquences, pour la quatrième licence, et parallèlement nous bénéficions d’un élément nouveau, la récupération par le budget de la Défense des sommes correspondant à la cession de ces fréquences. En tout état de cause, que la Défense récupère ou non le produit de la cession, elle aurait probablement été – tôt ou tard –poussée hors de la bande que nous cédons. Ce n’est pas le ministère de la Défense qui a pris l’initiative de vendre des fréquences pour récupérer des financements extrabudgétaires. Cette affaire est plutôt la conséquence d’une rencontre entre deux calendriers.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Nous sommes très intéressés par votre approche. Lorsque nous l’avons auditionné, le général André Helly nous a déclaré, au nom de la DIRISI, que, dans les relations entre le ministère de la Défense et les industriels sur les satellites Syracuse, la gouvernance était à l’EMA, tandis que la DGA contractualisait. Confirmez-vous ce schéma ?

M. le capitaine de vaisseau Arnaud Coustillière. C’est en effet le schéma général des relations entre l’EMA, la DGA et la DIRISI. La mission de la DGA est la définition générale des projets et du processus de négociation et de contractualisation avec l’industrie. In fine, c’est le délégué général qui signe les contrats au nom du ministre. En revanche, le besoin opérationnel et les capacités militaires sont définis par l’EMA.

Nous travaillons en général en équipes de projets intégrées. Pour la cession de Syracuse, j’ai travaillé en binôme avec un « architecte de système de force » de la DGA qui exerce des fonctions « miroirs » des miennes. Ensuite intervenaient un officier de programme de l’EMA et, en face de lui ou en binôme avec lui, le directeur du programme à la DGA. C’est bien ce dernier qui in fine endosse le cahier des charges, qui mène la négociation avec les industriels et qui, au total, porte donc la responsabilité. Pour autant, lorsqu’il recevra les industriels, il aura à ses côtés un officier de l’EMA, qui sera son officier de programme. Cette organisation vaut pour tous les projets.

La DIRISI intervient par la suite en tant qu’opérateur du ministère de la Défense, c’est elle qui met en œuvre les choix et les décisions mais elle contribue aussi en amont au dossier. Aujourd’hui, au sein de l’équipe de programme Syracuse, la DGA fournit un directeur de programme et les architectes, l’état-major des armées et la DIRISI une « équipe de marque ». Ensuite, la gestion du réseau Syracuse est effectuée exclusivement par des personnels de la DIRISI.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Quelles sont vos relations hiérarchiques avec les généraux Denuel et Le Ray, que nous avons précédemment auditionnés ?

M. le capitaine de vaisseau Arnaud Coustillière. Le général Jean-Marc Denuel est le sous-chef « plans » de l’état-major des armées. J’appartiens à la division « cohérence capacitaire », qui lui est rattachée. Le général Bruno Le Ray dirige une autre division, aussi rattachée au général Denuel, la division « plans, programmes et planification », qui suit plutôt les aspects budgétaires.

Nous travaillons donc en coordination très étroite. La division du général Le Ray est un peu l’homologue de la direction de la planification de la DGA, qui travaille sous les ordres de M. Philippe Jost. Notre rôle est de mettre en avant l’aspect capacitaire, le leur l’aspect financier.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Nous vous serions reconnaissants de nous fournir l’organigramme afin que nous puissions l’intégrer dans notre rapport.

M. Jean-Michel Fourgous. Comment vivez-vous la concurrence entre les industriels français Thales et EADS sur les matériels que vous utilisez ?

M. le capitaine de vaisseau Arnaud Coustillière. Un appel d’offres étant en cours, je n’ai pas le droit de vous répondre.

M. Jean-Michel Fourgous. Qu’en a-t-il été dans le passé ?

M. le capitaine de vaisseau Arnaud Coustillière. Il y a en France un champion national des satellites de télécommunication militaire, Thales Alenia Space. C’est cet opérateur qui a réalisé tous les satellites Syracuse – sous le nom, auparavant, d’Alcatel. Aujourd’hui, c’est lui qui dispose des capacités de fabrication les plus importantes en matière de télécommunications militaires. Ses usines sont pour la plus grande part en France – à Toulouse et à Cannes. Il a face à lui un challenger, Astrium, qui ne dispose que d’une petite entité en France. En revanche, dans le domaine des télécommunications par satellite, Astrium travaille beaucoup en Angleterre. En matière de satellites militaires, les deux opérateurs sont en situation de forte concurrence.

Thales Alenia Space est fortement implantée dans les télécommunications militaires nationales françaises depuis des années. La partie réseaux assure une part du plan de charge de l’usine de Cholet. De l’autre côté, EADS, représenté par Astrium, est en situation de challenger, se positionne plus en prestataire de services et met en avant ses victoires – notamment en France – dans des conventions de location de capacités sur des satellites d’Eutelsat et Intelsat, ainsi que sur le fait qu’il porte, en Angleterre, le projet Paradigm en partenariat public-privé.

En matière de véhicules satellitaires, de plateformes, la situation est au contraire équilibrée. Les deux opérateurs coopèrent par exemple sur des satellites pour les Émirats arabes unis.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Une réponse commune des deux opérateurs n’est donc pas envisageable ?

M. le capitaine de vaisseau Arnaud Coustillière. Sur ce sujet, je ne peux que m’exprimer à titre personnel. Il me paraîtrait sain qu’ils s’accordent sur la partie concernant les services. Dans la mesure où nous nous dirigeons vers l’externalisation d’une partie de nos réseaux militaires, une partie du métier aujourd’hui effectué par des militaires ou des civils de la défense devra être confiée à un prestataire extérieur. Il y a complémentarité entre les travaux que conduit EADS en France pour les réseaux cellulaires de l’infrastructure nationale partageable des transmissions (INPT) du ministère de l’Intérieur – au sein de laquelle le ministère de la Défense va entrer – et ce que fait Thales dans les réseaux de transport fortement résilients en fibre optique pour la défense. Le secteur comporte aussi un troisième grand acteur, Orange. Ce sont là les trois principaux acteurs de confiance avec lesquels l’État pourrait instaurer un partenariat de longue durée au profit des différents ministères. Aujourd’hui, si l’on constate un début de rapprochement en matière de réseaux, en matière de satellites la concurrence est frontale.

Cela dit, un appel à candidatures a été lancé pour le projet Nectar. Les opérateurs vont recevoir, probablement d’ici la fin du mois, le cahier des clauses techniques.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Dans la mesure où la satisfaction des besoins opérationnels des forces doit rester assurée, avez-vous été associé au chiffrage des coûts de l’abandon des fréquences initialement destinées aux programmes Rubis et, surtout, Félin ?

M. le capitaine de vaisseau Arnaud Coustillière. Les armées ont été associées au chiffrage du coût du basculement de la bande de 800 MHz à celle de 2 GHz. L’Armée de terre a analysé les solutions proposées par la DGA. Passer dans ces bandes de fréquences crée une perte opérationnelle, mais elle nous paraît acceptable dans la mesure où ces fréquences sont utilisées au niveau du groupe de combat, c’est-à-dire pour de faibles distances. Dès lors, la DGA a bâti un devis, qui a servi à instruire le dossier de définition du coût du dégagement. Cependant, c’est la direction du programme Félin, et non l’EMA ou l’Armée de terre, qui a chiffré le coût.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Comment l’EMA voit-il le calendrier prévisionnel de ces libérations de bandes ?

M. le capitaine de vaisseau Arnaud Coustillière. Nous devons libérer les bandes Félin pour le 1er décembre 2011. Nous essayons de négocier le remplacement des 13 000 postes Félin qui auront été déjà livrés ; s’agissant de matériels qui peuvent valoir environ 1 000 euros pièce, le « rétrofitage » (la modernisation) ne serait pas justifié. Mais nous n’aurons pas le temps de les remplacer tous avant 2011. Nous négocions donc actuellement, sous l’égide de la DGSIC, un accord pour utiliser les anciens équipements dans les camps d’entraînement, de façon à permettre à l’armée de terre de continuer à préparer correctement ses forces. En 2014 ou 2015, l’ensemble des postes devrait avoir migré vers les nouvelles bandes de fréquences.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Est-ce que vous concluez des réflexions opérationnelles que vous avez conduites sur Syracuse qu’en relouant 90 % des capacités du système à l’opérateur qui sera choisi, vous resterez en mesure de satisfaire tous les besoins opérationnels nécessaires, même en situation de crise ?

M. le capitaine de vaisseau Arnaud Coustillière. Les prévisions sont toujours délicates, mais le niveau défini correspond à un juste besoin que nous avons considéré comme satisfaisant. Évoquer une proportion de 10 % est un peu réducteur. Nous avons élaboré un abaque, qui combine un nombre de répéteurs et leur durée de vie. Syracuse a été dimensionné à partir d’hypothèses d’emploi des forces. Les répéteurs installés sur un satellite en orbite tombent en panne au fil du temps. Pour pallier les insuffisances au cours du temps d’un système à deux satellites (débits, couverture…), les États en ajoutent habituellement un troisième. Nous avons plutôt choisi au contraire d’installer une partie française d’ampleur limitée sur le satellite italien Sicral.

La livraison de celui-ci en 2013/2014 nous permettra d’accroître nos capacités : nous pourrons alors mettre à la disposition de l’opérateur locataire davantage de répéteurs sur les deux autres satellites. Mais, du fait de la diminution progressive du nombre de répéteurs en fonction, nous ne devrions plus pouvoir offrir de répéteurs à la location à l’horizon 2020.

C’est dans ces conditions et par simplification que nous avons globalement annoncé le taux de 10 % pour les capacités « opérateur », mais les spécifications du cahier des charges sont précises. Selon nos calculs, le risque est acceptable. L’EMA s’est engagé. Avec la DIRISI, nous avons effectué des modélisations. Les abaques que nous avons validées correspondent, sur la durée, à cette proportion.

Cela dit, nous ne restons pas entièrement démunis. La politique satellitaire globale des armées comporte un « noyau dur », nous permettant un premier engagement autonome de nos forces. Ce noyau dur, c’est Syracuse, qui utilise la bande de fréquences X. Avec cet équipement, nous couvrons l’arc de crise. Ce sont ces liaisons que nous sommes capables de protéger contre le brouillage. En parallèle, nous louons des capacités à l’année, à des compagnies d’exploitation de satellites telles qu’Intelsat ou Eutelsat. Nous pouvons basculer nos capacités d’un système à l’autre. En troisième élément, nous louons des capacités à la communication, comme dans le système Inmarsat.

Notre architecture de satellites de communication est donc globale. Si une crise de forte intensité se déclenche à un moment donné et que nous manquons de capacité en bande X, nous pensons pouvoir basculer un certain nombre de capacités sur d’autres fréquences. Au pire, nous devrons sous-louer à l’industriel, à prix fort, le complément de capacité que nous lui aurons préalablement loué.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. La DGA nous dit qu’elle se prononcera sur le projet Nectar sur la base de son intérêt économique pour l’État. Or, les offres comportent un volet d’options, portant notamment sur les risques supportés par l’industrie et la continuité de service espérée – dans certains cas, on espère que l’industriel pourrait proposer de compenser des défaillances grâce à des services qu’il pourrait fournir lui-même. Comment ces avantages opérationnels sont-ils convertis en valeur économique pour la prise de la décision ?

M. le capitaine de vaisseau Arnaud Coustillière. Je ne suis pas en mesure de vous répondre.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. L’état-major n’est pas associé à ce type de chiffrage ?

M. le capitaine de vaisseau Arnaud Coustillière. Ces éléments sont extrêmement difficiles à chiffrer. À mon sens, la valorisation ne pourra être effectuée qu’une fois les offres des deux industriels connues. Nous sommes associés à la négociation ; nous avons accès au dossier. Cependant, l’état-major des armées ne dispose pas d’expert en ingénierie financière. Une mission interne au SGA, le secrétariat général de l’administration, du ministère pourra apporter sa contribution. Aujourd’hui, je crois que le ministère recherche l’appui d’un cabinet en assistance à maîtrise d’ouvrage.

M. le coprésident David Habib. Merci beaucoup, commandant, pour ces précisions.

Audition du 8 avril 2010

À 9 heures : Audition de M. Éric Lucas, directeur de la Mémoire, du patrimoine et des archives au ministère de la Défense

Présidence de M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Nous poursuivons nos travaux relatifs aux recettes exceptionnelles du budget de la Défense, pour une matinée consacrée aux cessions immobilières. Je suis heureux d’accueillir, au nom de la MEC, M. Éric Lucas, directeur de la Mémoire, du patrimoine et des archives au ministère de la Défense.

Le principe de la MEC est de dégager des positions de consensus. C’est pourquoi notre organisation est paritaire entre majorité et opposition. Nous assumons ainsi conjointement la préparation du rapport, Françoise Olivier-Coupeau, qui siège à la commission de la Défense et qui est membre du groupe SRC, et moi-même, qui suis membre de la commission des Finances et du groupe UMP.

Georges Tron, qui était coprésident de la MEC avec David Habib, a été appelé à des fonctions gouvernementales. Dans l’attente de la désignation de son successeur, j’assure également l’intérim de la présidence de cette session.

La Cour des comptes, qui nous accompagne dans nos travaux et que je remercie pour sa participation très fidèle, est aujourd’hui représentée par : M. Alain Hespel, président de la deuxième chambre ; Mme Françoise Saliou et M. Jacques Rigaudiat, conseillers-maîtres et M. Claude Lion, conseiller référendaire et qui a, plusieurs fois par le passé, suivi nos travaux consacrés à la gestion du parc immobilier de l’État.

Monsieur le directeur, vous avez la parole pour nous présenter le rôle de votre direction s’agissant des recettes exceptionnelles de la Défense, nous donner votre appréciation sur le processus des cessions immobilières, définir les emprises concernées, dont certaines présentent des caractéristiques patrimoniales ou historiques, préciser votre rôle dans le pilotage de ces cessions.

M. Éric Lucas, directeur de la Mémoire, du patrimoine et des archives au ministère de la Défense. Sous l’appellation de cette direction, se cache en fait la direction du Patrimoine du ministère de la Défense – patrimoine aussi bien immobilier que culturel et historique. C’est elle qui pilote et anime le chantier des « restructurations/cessions » au sein du ministère, avec les autres intervenants – armées, délégation aux restructurations, cabinet -, en liaison avec les préfets, France Domaine et les cabinets ministériels.

Pour nous, 2009 et 2010 sont des années importantes car plusieurs dossiers sont en cours pour les emprises tant parisiennes que régionales.

Pour les ventes parisiennes, des discussions ont eu lieu avec le consortium Caisse des dépôts-Sovafim lesquelles, finalement, n’ont pas débouché. Nous menons également un travail sur l’Hôtel de la Marine.

S’agissant des cessions régionales, ma direction établit tous les schémas immobiliers de bases de défense, suite au nouveau plan de stationnement : à la suite de l’annonce des départs ou des déplacements d’unités, nous identifions finement les immeubles que nous devons céder, totalement ou partiellement, et ceux que nous devons parfois conserver pour loger des petits services – DMD (Délégations militaires départementales), bureau du service national. La direction établit aussi des schémas plus compliqués, dans des villes d’où nous partons ou dans lesquelles nous nous densifions.

À partir de ces schémas directeurs, nous entamons les processus de cessions en présentant d’abord les terrains aux services publics et en discutant avec les préfets ; ensuite en mettant en œuvre les procédures de vente, soit par la MRAI (mission de réalisation des actifs immobiliers), qui appartient à ma direction et qui négocie quasi essentiellement avec les collectivités territoriales, soit par France Domaine en appels d’offre, soit par la Sovafim, avec laquelle nous travaillons actuellement.

Notre direction a préparé, avec France Domaine et la DATAR, les textes sur la cession à l’euro symbolique et a mis en œuvre cette année les premières cessions d’emprises régionales dans ce cadre.

Même si c’est le service d’infrastructure de la Défense qui passe les marchés, nous pilotons les opérations nécessaires à l’accueil des unités déplacées sur les sites densifiés, en établissant la programmation des opérations avec les états-majors. Nous établissons aussi les conventions de réservation pour loger les militaires et les civils dans les zones où nous nous densifions et nous devons céder les immeubles domaniaux, dénoncer les conventions de réservation de logements, dans celles que nous quittons.

Enfin, la direction est en charge du pilotage du BOP (budget opérationnel de programme) Crédits de la politique immobilière et du compte d’affectation spéciale, pour faire en sorte que les ressources et les dépenses soient ajustées tout au long de l’année.

Voilà comment je peux résumer notre participation à ce chantier très important des restructurations.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Merci. Depuis quand occupez-vous cette fonction ?

M. Éric Lucas. Depuis septembre 2007.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Nous nous intéressons plus spécifiquement aux années 2009 et 2010. Pouvez-vous nous rappeler les montants des recettes immobilières exceptionnelles prévues au titre de la loi de finances initiale de 2009 et les comparer aux sommes concrètement encaissées en 2009, ainsi que les emprises concernées ? Pouvez-vous également nous donner les montants des recettes exceptionnelles prévues au titre de la loi de finances de 2010 et vos attentes en matière de réalisation ? Nos précédentes auditions nous ayant amené à constater, pour 2009, un écart très significatif, nous aimerions connaître précisément les cessions qui ont été réalisées et les processus en cours.

M. Éric Lucas. Une somme de 972 millions d’euros avait été arrêtée dans le PAP, le projet annuel de performances 2009 car nous espérions que les discussions avec la Caisse des dépôts et la Sovafim aboutiraient en vue de la cession à ce consortium de l’essentiel des emprises parisiennes. Cela nous aurait d’ailleurs conduit à payer des redevances puisque nous aurions continué à occuper les bâtiments pendant un certain temps. Les discussions ont duré jusqu’au début de l’année 2010 mais l’accord ne se fera pas, ce qui explique l’essentiel de l’écart important entre le résultat et la prévision, fondée sur les évaluations du tableau général des propriétés de l’État (TGPE) à la valeur 2007 faites par France Domaine, et que nous pourrons vous fournir.

Au final, le résultat 2009 est de 561 millions d’euros de ressources sur le compte d’affectation spéciale, dont il faut déduire le versement de 136 millions du budget général, qui a été effectué dans l’année. Au total, nous avons donc 425 millions d’euros de recettes de cessions dont 221 millions d’euros pour la Société nationale immobilière, la SNI, correspondant au bail civil que nous avons passé avec elle, l’autorisant à louer les immeubles domaniaux de la Défense et à nous verser, pour une durée de dix ans, un loyer payé immédiatement.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Ces 221 millions étaient-ils déjà prévus dans les 972 millions ?

M. Éric Lucas. Oui, nous espérions 224 à 225 millions d’euros. Aux 215 millions d’euros payés par la SNI s’ajoutent six millions que nous lui avions versés à l’avance pour faire des travaux et qu’elle nous a restitués dès lors que nous sortions du cadre de la convention de 1972.

Nous disposions également de 139 millions de reports de crédits provenant des recettes immobilières antérieures.

Enfin, 65 millions d’euros ont été portés en recettes au titre de cessions régionales et parisiennes. Ils correspondent à des ventes d’emprises régionales intervenues avant les restructurations et pour lesquelles les paiements des collectivités territoriales ont été échelonnés ; à une partie de la vente du fort d’Issy-les-Moulineaux, pour laquelle nous avons perçu 15 millions d’euros ; à un acompte sur la vente à la Faculté de médecine de l’École de la logistique et du train, à Tours (pour 3,7 millions d'euros, le reste des paiements devant intervenir cette année et en 2011). C’est, pour 2009, la principale cession onéreuse au titre des restructurations régionales.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Il s’agit des opérations correspondant à ces 65 millions, mais pouvez-vous également nous donner la liste des emprises qui ont été cédées à l’euro symbolique ?

M. Éric Lucas. Je peux vous la remettre.

Ces cessions à l’euro symbolique ont débuté en 2009. Nous avons vendu ainsi 16 emprises, pour une valeur vénale de 13,4 millions d’euros, selon la nouvelle expertise de la valeur des parcelles réalisée par les services de France Domaine. C’est à partir de cette valeur de cession qu’est ensuite appréciée la plus-value réalisée par la collectivité, et que la plus-value est partagée entre l’État et la commune ou la communauté de communes, l’État en récupérant alors 50 %.

Seize emprises ont été cédées à des collectivités territoriales – les communes de Barcelonnette, Lausiers, Givet, Arras et Limoges – pour un total de 13,4 millions d'euros. Certaines communes n’ont pas encore toutes récupéré ces biens, qui sont parfois difficiles à viabiliser et à rentabiliser. C’est le cas du fort de Charlemont, à Givet, qui occupe 90 hectares sur un éperon.

À Arras, une ville que nous avons quittée l’année dernière, la communauté d’agglomération envisage de reprendre le bien pour le prochain semestre, ce qui nous évitera de porter ces emprises, d’assurer un gardiennage et la maintenance des bâtiments, enfin d’assumer une responsabilité pénale en cas d’incident éventuel.

Par ailleurs, nous avons transféré à l’euro symbolique l’emprise – estimée à 22,5 millions d’euros au TGPE – de Sourdun, en Seine-et-Marne, pour moitié à l’Éducation nationale pour réaliser un internat d’excellence, et pour moitié à la Sovafim. L’Éducation nationale prévoyant un internat d’excellence d’État, le bien a été transféré de la Défense à l’Éducation nationale.

Les cessions à l’euro symbolique sont une perte pour le budget de la Défense ; toutefois, le fait de trouver un acquéreur immédiatement peut parfois nous éviter des coûts de portage et à terme d’obtenir une participation à la plus-value.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Outre qu’il faudra nous expliquer en quoi les différentes emprises sont affectées par le retournement du marché immobilier, la dépollution faisait partie des coûts prévisibles, s’agissant d’emprises connues du ministère de la Défense pour avoir accueilli des munitions ou des dépôts de carburant. Ces éléments auraient donc dû être pris en compte dans la valorisation faite par France Domaine. Un opérateur immobilier, un acquéreur, qu’il soit collectivité locale ou entrepreneur immobilier, devra bien assumer à un moment donné le coût de cette dépollution.

Comment se fait-il que les aspects de dépollution soient découverts, par exemple au moment de la cession, et n’aient pas été pris en compte par une décote appliquée directement sur la valeur inscrite au moment de la loi de finances ?

M. Éric Lucas. Les armées savent qu’un terrain est pollué, compte tenu de l’activité qu’on y a exercée, mais elles ne connaissent pas son degré de pollution. Pour cela, on doit d’abord mener une étude historique du site. Ensuite, en cas de présomption de pollution, notamment pyrotechnique, on réalise des diagnostics et des sondages pour établir le type et la localisation de cette pollution. Enfin, on procède à la dépollution.

France Domaine ne peut pas connaître avec précision le degré de pollution des sols. Nous sommes en train de monter une base des sites et des sols pollués, mais à l’époque où l’on a construit la loi de programmation militaire et anticipé les ressources, on n’avait pas le temps d’examiner chacune des emprises, de faire cette étude historique et d’identifier un coût de dépollution. Nous avons bien tenté d’établir un coût de dépollution au mètre carré, mais nous n’y sommes pas parvenus, dans la mesure où la situation varie énormément d’un site à un autre.

Dans ces conditions, il a été pris pour hypothèse qu’on prendrait les valorisations de France Domaine, et que les recettes de cession paieraient la dépollution. J’ajoute que le coût de dépollution pour la commune, dans le cas d’une cession à l’euro symbolique, vient en déduction de la part de plus-value affectée à l’État.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. N’est-il pas possible de faire travailler le service historique des armées pour savoir quelle unité était présente sur chaque site et si elle utilisait des munitions, des carburants, etc. ?

M. Éric Lucas. Nous utilisons les archives, mais elles ne sont pas toujours suffisamment précises pour nous permettre de savoir où étaient localisées les activités polluantes. Pour y arriver, le service d’infrastructures a passé en fin d’année un marché cadre, qui nous permettra de réaliser 150 études historiques sur les sites que nous allons abandonner pour avancer dans les cessions actuelles. Je précise que ce marché cadre a été financé sur les crédits de la politique immobilière affectés au ministère de la Défense.

Quand on discute avec les préfets ou avec les collectivités territoriales, on s’aperçoit de l’importance du problème posé par la pollution du sol. Une opération de dépollution est complexe et lente. Ces chantiers prennent plusieurs mois, d’autant qu’il faut préparer les appels d’offres et les notifier. La dépollution constitue pour l’instant le frein le plus important au transfert des terrains.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Vous nous avez dit que le ministère avait transféré le site de Sourdun à la Sovafim à l’euro symbolique. Pourquoi ?

Pourriez-vous par ailleurs, comme Louis Giscard d’Estaing vous y avait invité, comparer pour l’année 2010 les recettes exceptionnelles prévues et prévisions actualisées à ce jour ?

M. Éric Lucas. Jusqu’à présent, nous travaillions essentiellement pour les collectivités territoriales avec la MRAI. Face aux montants de cession à effectuer, nous avons identifié trois catégories de biens. D’abord, les biens liquides, comme les casernes de centre ville, que l’on peut vendre facilement et dont la destination d’immeubles ne varie pas ; on procède alors par appels d’offre. Ensuite, les emprises qui sont lourdes à restructurer et qui nécessitent un dialogue et des études avec les collectivités territoriales, suivies par la MRAI. Enfin, les emprises sur des sites de nature logistique et industrielle, qui peuvent par exemple être portées par la Sovafim, dont la mission est de porter des biens d’État et, ensuite, de trouver un repreneur. À Sourdun, la partie du site qui a été transférée à la Sovafim, est de ce dernier type.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. À partir d’un euro symbolique, je pense que ce sera le cas… Le retour à l’État sera-t-il de 50 %, comme en cas de plus-value ?

M. Éric Lucas. Non, parce que ce n’est pas une commune.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Je connais bien le terrain de Sourdun, qui était le quartier du 2ème régiment de hussards. C’est une implantation des années soixante-dix, dans la Brie agricole, à l’extérieur de la ville de Provins, où était situé l’ancien quartier du 89ème dragon, lequel avait lui-même été cédé il y a une quinzaine d’années à la ville.

Pouvez-vous en effet nous parler de l’année 2010, mais aussi de l’articulation 2009-2010 ?

En 2009, 972 millions d’euros ont été inscrits en recettes exceptionnelles ; moins les 221 millions de la SNI, on arrive à 751 millions, dont vous nous dites que 65 millions ont été encaissés…

M. Éric Lucas. Tout a été encaissé. Il y a eu 65 millions de ventes régionales par ailleurs.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Mais le reste n’est pas constitué de cessions. Sur les 690 millions d’euros restants, quelles sont les emprises ? Vous avez dit qu’il s’agissait d’emprises parisiennes. Ces montants-là ne sont pas les mêmes, je suppose, que ceux que l’on va retrouver en recettes exceptionnelles 2010…

M. Éric Lucas. Non, c’est autre chose.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Pouvez-vous donc nous expliquer l’articulation et nous dire quand seront cédés les biens correspondant aux quelque 600 millions d’euros de recettes prévus en 2009 ?

M. Éric Lucas. En 2010, le schéma est le même. Nous avions prévu au PAP 700 millions de recettes pour la Défense, sur l’anticipation d’une vente au consortium CDC-Sovafim, sur l’anticipation de recettes régionales avant restructuration et sur l’anticipation de recettes régionales issues des restructurations. Les mêmes causes produisent les mêmes effets : faute d’accord avec le consortium, la majeure partie de ces recettes ne va pas se réaliser au niveau attendu.

Désormais, nous allons renoncer à l’idée de vendre en un bloc et en une seule année les biens parisiens, qui constituaient la plus grande partie de la recette. Nous procéderons donc à la vente bien par bien, en fonction du départ des unités et en essayant de tirer la meilleure valeur de chacun.

Les biens concernés sont les suivants : les casernes de Lourcine et de Reuilly, à Paris, que nous quitterons en 2012 ; l’îlot Saint-Germain, que nous quitterons au dernier moment lorsque Balard sera réalisé ; les implantations militaires de la Pépinière, de Saint Thomas d’Aquin, de la rue de Bellechasse et de la rue de Grenelle : ces emprises seront cédées au fur et à mesure, avant notre départ, de façon à en tirer individuellement la meilleure valeur. Nous n’avons pas prévu précisément de date. C’est sur cette base que nous reprenons actuellement une analyse, avec France Domaine et avec les cabinets des ministres.

Cela signifie que nous n’aurons pas cette année les 700 millions d’euros attendus. Comment allons-nous dès lors gérer l’année 2010 ?

Nous avons à peu près 230 millions d’euros à payer sur le compte d’affectation spéciale et nous avons aujourd’hui en recettes 100 millions d’euros, qui proviennent à hauteur de 20 millions d’euros de ventes régionales avant restructuration, et d’un virement du budget général de 80 millions d’euros, opéré très récemment.

Le reliquat des recettes sera assuré d’abord par la poursuite des ventes régionales d’avant restructuration puisque chaque année arrivent entre 50 et 60 millions d’euros ; ensuite par la vente déjà entamée de biens parisiens. Nous allons ainsi percevoir le deuxième versement de la vente du fort d’Issy-les-Moulineaux, dont le paiement s’échelonnera sur quatre années. Nous allons mettre en vente, par un appel d’offres que nous sommes en train de préparer, l’immeuble de Latour-Maubourg et vendre à la Ville de Paris, qui a fait jouer son droit de priorité, un immeuble à Montparnasse. Nous poursuivons, avec la ville de Saint-Cloud, le travail sur la cession de la caserne Sully. Nous avons aussi une emprise à vendre à Rueil.

Viennent enfin en recettes les emprises régionales que nous quittons cette année pour la partie qui ne sera pas vendue en CRSD (contrat de redynamisation de site de défense). Nous fermons en particulier la base aérienne de Toulouse-Francazal, mais nous n’en tirerons aucune recette en 2010, car il n’y a pas de projet de reprise finalisé. Sur Nantes et Montpellier, nous sommes déjà en discussion avec France Domaine pour mettre des sites en vente et obtenir ainsi des recettes dans l’année.

Nous pouvons également imaginer de transférer une emprise parisienne à d’autres ministères, si certains sont intéressés. Cela facilite la recette, puisque ce serait un transfert de crédits, au sein du compte d’affectation spéciale.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Cela rentre dans un autre débat, qui est celui de la gestion du parc immobilier de l’État, entendu de façon globale ; ce n’est pas de votre ressort.

Nous aimerions être assurés que les mêmes emprises parisiennes n’ont pas été inscrites deux fois de suite en loi de finances initiale…

M. Éric Lucas. Ce n’est pas exactement cela.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. …donc avoir la liste de ce qui constituait les 972 millions de 2009 et les 700 millions de 2010.

Pour 2010, vous nous avez parlé de Lourcine, Reuilly, etc., mais il n’y a qu’une vingtaine de millions de cessions réelles. Sur les 100 millions de recettes dont vous nous avez parlé, 80 millions viennent du budget général, en admettant qu’il ne s’agisse pas d’une opération interne au ministère. En tout cas, cela laisse 600 millions d’euros de cessions prévues.

Vraiment, disposer de la liste et de la valorisation pour 2009 et 2010 nous permettrait de vérifier sur quelles bases ont été établis les montants.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Les implantations parisiennes qui seront vendues ultérieurement, par exemple en 2011, entreront-elles dans les recettes exceptionnelles de la Défense ? L’engagement de Bercy portait sur 2009-2010...

M. Éric Lucas. Pour toute la durée de la loi de programmation militaire, donc jusqu’en fin 2014, la totalité des ventes d’emprises immobilières « Défense » revient à 100 % au ministère de la Défense.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Comment se déroule exactement la procédure de cession d’un bien immobilier de la Défense ? Qui décide des biens qui sont à vendre et du montant demandé ? Est-ce que vous vous appuyez sur l’expertise de cabinets ? Qui arbitre, éventuellement, entre la MRAI et France Domaine ?

J’aimerais aussi comprendre comment s’effectue le paiement. Quel est le délai d’encaissement d’un bien vendu ? Un bien vendu entre le 1er janvier et le 31 décembre 2010 est-il encaissé directement ? Le paiement peut être réalisé en plusieurs fois ?

M. Éric Lucas. Il y a eu deux temps : avant et avec les restructurations.

Avant les restructurations, nous avions fait une « segmentation » du patrimoine : nous avions pris la totalité des biens de la Défense et nous les avions classés en : biens immédiatement cessibles ; biens cessibles après relogement ; biens non cessibles qu’on n’abandonnera pas ; biens cessibles mais difficiles à vendre, par exemple parce que fortement pollués. C’est sur cette base que nous lancions des ventes, après consultation et accord des états-majors.

Depuis les restructurations, le schéma est un peu différent, les états-majors et le ministre ayant décidé de modifier, sur des bases d’abord opérationnelles, le plan de stationnement de la défense : d’où un nouveau plan de stationnement et un nouveau plan de densification d’emprises.

Dans ce cadre, la DMPA élabore un schéma directeur par base de défense. Elle identifie les biens que l’on peut céder ou qui sont libres, à la suite d’une suppression ou d’un transfert d’unité, et nous en dressons l’inventaire. Le ministère pousse à la vente du patrimoine quand les armées s’en vont : on ne peut pas se permettre d’entretenir du patrimoine qui n’est pas exploité.

Sur la base des listes de biens que nous cédons, nous procédons à un premier tour avec les préfets : avant de proposer un bien à des collectivités ou au marché, il faut s’assurer que les services de l’État n’ont pas de souhaits de réinstallation – réutilisation par les services de la gendarmerie ou de la police, par l’Éducation nationale, réorganisation territoriale des services de l’État. Si tel est le cas, le ministère demande que le bien soit cessible à titre onéreux et un arbitrage interministériel peut avoir lieu. Les biens sont alors proposés à la vente.

Dans le cadre d’une cession à l’euro symbolique, nous demandons à la commune si elle souhaite acquérir le bien. Si elle répond favorablement, nous enclenchons les mécanismes de transfert : vote du conseil municipal, puis transfert par décret.

Dans le cadre d’une cession à titre onéreux, un dialogue s’engage principalement entre la MRAI, les communes et France Domaine. La MRAI est l’interlocuteur de premier niveau des collectivités territoriales. Elle dispose d’une dizaine de personnes.

Une fois que l’on a un repreneur certain, chaque emprise est à nouveau analysée avec les services de France Domaine en termes de surface, de degré de pollution, de réutilisation possible, de compatibilité d’une réutilisation immédiate avec le PLU, etc.

France Domaine établit alors une valeur. Si l’on est dans une négociation avec une collectivité territoriale (article R. 148-3 du code du domaine de l’État), la MRAI négocie sur la base de cette valeur, avec une autorisation de marge de négociation. Si l’on est dans un appel d’offres, sur la base de la valeur domaniale, France Domaine passe l’appel d’offres.

Je précise que, dans tous les cas, la MRAI n’a aucune autonomie. La Défense prend la valeur qui est établie par les services de France Domaine.

Il peut y avoir débat sur le prix fixé par les domaines, une commune contestant la valeur du bien. Les services de France Domaine peuvent alors faire appel à des cabinets spécialisés pour avoir l’avis d’un tiers et appuyer la négociation.

L’État se fait également aider par des conseils. Ainsi, au moment de la discussion avec le consortium, nous avons eu recours à un groupement de conseils recrutés par France Domaine.

Enfin, il est extrêmement rare qu’une cession soit encaissée en totalité dans l’année. Pour la vente d’Issy-les-Moulineaux, l’encaissement est prévu sur quatre ans. Même pour des petites communes ou de plus petites emprises, il se fait généralement sur plusieurs années. Ce sont les services de France Domaine qui accordent les échéanciers de paiement.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Nous réitérons notre souhait que vous nous transmettiez au plus vite les listes d’emprises.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Vous avez expliqué que, pour les emprises parisiennes qui devaient être vendues, un plan serait réalisé en fonction des départs des effectifs qui les occupent actuellement. Pouvez-vous aussi nous donner quelques indications sur la façon dont l’Hôtel de la Marine sera loué, et sous quelle forme ? Quelle est à l’heure actuelle la nature du projet ?

M. Éric Lucas. Pour l’instant, il n’y a pas de projet. L’Hôtel de la Marine ne sera pas vendu, les ministres s’y sont engagés, compte tenu de sa valeur inestimable sur le plan historique et patrimonial. Si l’opération offre un intérêt suffisant, l’idée est effectivement de louer ce bien dans la durée à un opérateur.

Nous avons demandé à l’architecte des monuments historiques une étude d’authenticité du bien – pièces, escaliers, menuiseries, toitures, volumes et décors à préserver. Cette étude a été rendue.

Si le processus se poursuit, l’État publiera un appel à projets, avec un cahier des charges spécifique, afin que le bien ne soit réoccupé que dans le cadre d’un projet de qualité. Cela suppose inévitablement des contraintes, s’agissant d’un monument public et d’un bâtiment classé monument historique. Le processus prendra du temps. Il sera mené en toute transparence et avec précaution.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Une opération de rénovation de l’Hôtel de la Marine avait été engagée avec Bouygues, moyennant un droit d’usage. Comment les engagements vis-à-vis de Bouygues seront-ils repris dans le cadre de la nouvelle opération ?

M. Éric Lucas. Il s’agissait d’une convention de mécénat, d’une durée de cinq ans, portant sur une très grosse et très belle opération. En tout état de cause elle sera échue avant le départ de la Marine, qui ne saurait intervenir avant 2014.

L’opération sera assez longue. Une fois que la commission nationale des monuments historiques aura rendu son avis, il faudra élaborer un cahier de charges, qui devra recueillir l’accord des trois ministères : Culture, Finances, Défense, puis que soit lancé un appel d’offres. Ensuite, on peut imaginer un dialogue avec les candidats, qui peut prendre plusieurs mois. Enfin, le candidat pressenti déposera un projet, qui devra être validé par le ministère de la Culture.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Le produit d’une location entre-t-il dans les recettes exceptionnelles ?

M. Éric Lucas. Oui.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Quoi qu’il en soit, aucun montant n’était inscrit à ce titre, ni en 2009, ni en 2010.

M. Éric Lucas. Non. C’était très difficile à évaluer dans le cadre du projet annuel de performances.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Vous avez dit que la valeur vénale des 16 emprises cédées à l’euro symbolique avait été réappréciée par France Domaine à 13,4 millions d’euros. Connaissez-vous la valeur TGPE qui avait été donnée au départ pour les recettes exceptionnelles ?

M. Éric Lucas. C’est celle-là, très légèrement supérieure.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur la soulte SNI ? Les discussions n’ont pas toujours été faciles entre les ministères de la Défense et de l’Économie. Le ministère de la Défense, de manière assez constante depuis 1972, souhaitait sortir de la convention SNI. Il me semblait que la soulte SNI n’était pas, à l’origine, intégrée dans les recettes exceptionnelles et que ce changement de doctrine, de la part du ministère de la Défense, avait été un peu tardif.

Je souhaiterais revenir sur l’emprise de Sourdun. Les ventes à l’euro symbolique étaient initialement prévues en direction des communes affectées par les restructurations. Il me semble que le Conseil des ministres, qui avait statué en octobre 2008, avait limité le périmètre des cessions quasiment gratuites à ces seules communes en contrat de redynamisation des sites de défense. N’y a-t-il pas là, dans cette utilisation par les administrations civiles, un précédent et un risque de contagion qui font peser des doutes sur de futures recettes exceptionnelles ?

Enfin, confirmez-vous que les recettes exceptionnelles étaient calculées dans le TGPE, brutes des coûts de dépollution ?

M. Éric Lucas. Absolument.

Votre première question concernait la valeur des cessions à l’euro symbolique. La valeur initiale TGPE était de 14,6 millions et la réévaluation, avant vente par les domaines, est de 13,4 millions.

Par ailleurs, quand on a construit les échéanciers de recettes de la loi de programmation militaire, on a intégré dès le départ la soulte SNI dans les comptes de recettes exceptionnelles.

S’agissant des administrations civiles, le risque que vous avez mentionné est réel. Le ministère de la Défense souhaite obtenir la plus forte valorisation. Il prévient les autres administrations que si elles veulent récupérer le bien, elles doivent l’acquérir à titre onéreux ; parfois, l’arbitrage remonte au niveau du cabinet du Premier ministre. Si une administration se délocalise ou vend un bien pour en récupérer un autre, il n’y a pas de raison que la Défense ne perçoive pas la valeur du bien qui lui appartient.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Dans le cas de Sourdun, vous avez parlé de 22 millions d’euros. Qu’est-ce qui a été crédité au budget du ministère de la Défense ?

M. Éric Lucas. L’euro symbolique de la Sovafim. Pour la partie de Sourdun qui sert pour l’internat d’excellence, le bien a été, en terme domanial, transféré de la Défense à l’Éducation nationale, qui a ensuite occupé l’emprise. Pourquoi ? Il fallait réaliser très vite ce projet d’internat d’excellence, pour la rentrée, ce qui aurait été impossible s’il avait fallu procéder à des études préalables.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Dans cette affaire, une administration est gagnante puisqu’elle récupère une emprise sans avoir eu à la payer, et un programme budgétaire est perdant de 22 millions d’euros. C’est préoccupant. On peut comprendre que le Premier ministre procède à des arbitrages après que des montants ont été inscrits en loi de finances initiale, mais il faut tout de même garantir une sincérité budgétaire. À défaut, c’est la Défense qui contribue au financement de l’Éducation nationale. Certes, vous n’y pouvez rien, mais la question mérite d’être posée dans le cadre global de la gestion immobilière de l’État. Nous aurons peut-être l’occasion de vérifier si ce type d’arbitrage est conforme, ne serait-ce qu’à la LOLF.

Merci, monsieur le directeur, de toutes ces précisions.

Audition du 8 avril 2010

À 10 heures 30 : M. Jacques Brucher, chef de la mission pour la réalisation des actifs immobiliers (MRAI) du ministère de la Défense

Présidence de M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Nous accueillons maintenant M. Jacques Brucher, chef de la mission pour la réalisation des actifs immobiliers du ministère de la Défense.

Je salue la présence de notre collègue Yves Deniaud, rapporteur spécial de la commission des Finances pour la politique immobilière de l’État. Notre MEC est organisée, comme à l’habitude, avec deux rapporteurs représentant respectivement l’opposition et la majorité, en l’occurrence Mme Françoise Olivier-Coupeau, qui siège à la commission de la Défense, et moi-même, membre de la commission des Finances. J’occupe parallèlement aujourd’hui la fonction de président, en attendant le remplacement de Georges Tron. Nos travaux bénéficient de l’assistance de la Cour des comptes, représentée aujourd’hui par M. Alain Hespel, président de la deuxième chambre, Mme Françoise Saliou, conseiller maître, présidente de section, M. Antony Marchand, conseiller référendaire, M. Jacques Rigaudiat, conseiller maître, qui, à la deuxième chambre, suit plus particulièrement les questions immobilières, et Claude Lion, conseiller référendaire.

Monsieur Brucher, nous voudrions pour commencer connaître le rôle de la MRAI en matière de cessions immobilières, ainsi que son fonctionnement et ses relations avec France Domaine, le tout dans un contexte bien particulier puisque les recettes exceptionnelles au titre des cessions immobilières pour 2009, dont le montant prévu en loi de finances initiale était de 972 millions d’euros, ne se sont établies à notre connaissance qu’à 65 millions, en dehors de la soulte de la Société nationale immobilière, la SNI – vous nous direz aussi ce qu’il en est pour 2010.

M. Jacques Brucher, chef de la mission pour la réalisation des actifs immobiliers du ministère de la Défense. La mission a été créée en 1987, avec pour objectif de faciliter la cession des biens devenus inutiles du ministère de la Défense. Elle est rattachée à la direction de la Mémoire, du patrimoine et des archives, la DMPA, et travaille également en collaboration avec France Domaine.

La MRAI a, quasiment depuis son origine, une particularité parmi les acteurs des ventes de l’État puisqu’un décret en Conseil d’État, prorogé à plusieurs reprises - dernièrement jusqu’en 2014 –, l’autorise à effectuer des cessions à l’amiable aux collectivités locales. Elle emploie treize personnes, dont six négociateurs qui se répartissent le travail de terrain par zone géographique – lesquelles ne correspondent pas aux zones administratives ou de défense. Chacun suit quelques dizaines de dossiers.

L’action de la MRAI pour une année est reflétée par les signatures d’engagement d’acquérir, c’est-à-dire une sorte de promesse d’achat des acquéreurs, qui sont pour la plupart publics. Ces actes sont évidemment différents des recettes effectives de cession, qui ne sont perçues qu’à la signature de l’acte de vente et peuvent même être étalées dans le temps, lorsqu’un paiement en plusieurs fois a été négocié. Depuis ses débuts, le montant des signatures d’engagement d’acquérir est de l’ordre de 80 à 100 millions par an, pour quelque 70 à 80 cessions annuelles. Nos prévisions pour 2009 étaient d’environ 85 millions. Le total signé atteint 106 millions, dont 60 pour le fort d’Issy-les-Moulineaux.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Quelle est la répartition entre recettes exceptionnelles et recettes de cessions courantes ?

M. Jacques Brucher. Les recettes exceptionnelles, liées aux restructurations de 2008, proviennent pour une large part, pour l’instant, de ventes à l’euro symbolique. À Limoges par exemple, où l’ensemble des emprises font partie d’un CRSD – contrat de redynamisation de site de défense – toutes sauf une doivent être vendues à l’euro symbolique. Nous en sommes au début des cessions de ce type. Toutefois, France Domaine procède quand même à l’évaluation des biens.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Quelle est la liste des emprises correspondant aux 972 millions de recettes exceptionnelles inscrits en loi de finances initiale pour 2009 et aux 700 millions prévus pour 2010 ? Nous avons besoin de les distinguer des autres cessions opérées par la MRAI. Le fort d’Issy-les-Moulineaux par exemple – une vente de 60 millions étalée sur quatre ans, dont 15 millions payés en 2009 – en fait-il partie ?

M. Jacques Brucher. Non, c’est une opération courante.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Mais les précédentes auditions ont montré que ces 15 millions étaient comptabilisés dans les recettes exceptionnelles de 2009.

M. Jacques Brucher. C’est une cession dont les négociations remontent à plusieurs années. Elle fait partie de notre stock d’opérations antérieures aux restructurations.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Il faut donc déduire son montant des recettes exceptionnelles. Quelle est la liste des transactions menées à terme par la MRAI en 2009, et quelle est la répartition entre recettes courantes et exceptionnelles ?

M. Jacques Brucher. Je ne dispose pas du détail ici. Je vous l’adresserai.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Qu’en est-il de Limoges ?

M. Jacques Brucher. C’est un des cas, comme Arras, de vente découlant des restructurations, dans le cadre d’un CRSD. Un des aspects importants de nos transactions est la dépollution des biens. Dans le cas des ventes à l’euro symbolique, c’est l’acquéreur qui la prend en charge, sous le contrôle technique et effectif du ministère de la Défense. Cette dépollution est une cause non négligeable de délai entre la signature de l’engagement d’acquérir, qui marque l’aboutissement du travail de la MRAI, et la vente réelle. Entre les deux, le bien est remis à France Domaine, et le site est « mis au propre ». Les textes imposent que la dépollution soit effective avant la signature de la vente.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Y a-t-il eu beaucoup de transactions retardées pour ce motif en 2009 ?

M. Jacques Brucher. En règle générale, plus de la moitié des transactions le sont. La dépollution peut prendre plusieurs années.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. La dépollution retarde la vente, et peut aussi justifier un abaissement du prix au bénéfice de l’acquéreur qui la prend en charge. Sur les 972 millions de recettes exceptionnelles de cessions immobilières prévus pour 2009, y a-t-il des cas où une telle décote a eu lieu, qui n’avait pas été prévue par France Domaine ?

M. Jacques Brucher. Le montant de la dépollution, pris en charge par l’acquéreur, vient en déduction du montant de la cession prévu par France Domaine. Ce sont des cas relativement nouveaux, puisque la loi qui traite du sujet est récente. Les décrets concernant la prise en charge technique et administrative de la dépollution par l’acquéreur, sous le contrôle de la Défense, sont en préparation. Je vous communiquerai les chiffres concernant ces décotes.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Sur les 972 millions, qui ne prennent donc pas en compte la décote, quelles sont les emprises qui n’ont pas été cédées pour les montants espérés ?

M. Jacques Brucher. Je vous rappelle que l’objectif spécifique de la MRAI, portant sur des cessions régionales, était de 80 millions, et que nous avons au total réalisé 106 millions. Je vous communiquerai le détail des emprises qui n’ont pas été cédées aussi vite que souhaité du fait de la dépollution. Dans certains cas, à Châteaudun par exemple, le travail est extrêmement important – c’est souvent le cas pour les bases aériennes. À Saint-Cyr-L’École, en région parisienne, il est en cours depuis deux ans et n’aboutira que fin 2010.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Les 106 millions que vous évoquez constituent-ils des recettes courantes ou exceptionnelles ?

M. Jacques Brucher. Nous ne faisons pas la distinction, mais nous pourrons bien sûr vous l’établir. Les 106 millions sont la somme des engagements signés en 2009.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Le reste du montant prévu en loi de finances ne relève-t-il pas de l’action de la MRAI ?

M. Jacques Brucher. La MRAI n’intervient qu’en région, pas dans les cessions parisiennes.

M. Yves Deniaud. Et quelle est la part de ces cessions parisiennes dans les 972 millions ? Je ne pense pas qu’elles aient dû être beaucoup retardées par un travail de dépollution !

M. Jacques Brucher. Je ne connais que les chiffres des cessions régionales dont je vous ai parlé. En fin d’année, nous établissons l’objectif de l’année suivante, fondé sur les signatures probables. Nous avions annoncé 87 à 90 millions et en avons réalisé 106, en comptant le fort d’Issy-les-Moulineaux.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Dont seulement une partie en recettes exceptionnelles.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Ce sont des sommes qui reviennent au CAS immobilier.

M. Jacques Brucher. Oui, après le délai pris par la signature de la vente puis le paiement effectif, qui peut être fractionné en plusieurs échéances lors de la négociation.

Pour ce qui est de notre fonctionnement général, la MRAI est un négociateur. Pour chaque emprise – un terrain, une caserne en ville – nous prenons contact avec la commune pour savoir ce qu’elle envisage comme projet de reconversion et trouver, si elle le souhaite, un accord de cession. France Domaine est présent dès le début. Les représentants assistent à la maturation du projet et procèdent à l’estimation lorsqu’un début de programme est proposé par l’acquéreur. En effet, un certain nombre de nos terrains n’ont pas de qualification urbanistique dans le plan d’occupation des sols ou le plan local d’urbanisme. Ils ne sont rien d’autre qu’emprise militaire. Tant qu’on ne leur donne pas de destination, ils ne valent rien. Nous travaillons avec la collectivité, maître de son urbanisme, à la qualification du terrain. L’évaluation de France Domaine est aussi fonction du projet : le prix sera moins élevé si le bien est reconverti en ensemble d’équipements publics que s’il s’agit d’un projet purement commercial de bureaux ou de logements. Notre action se termine en mettant au point la valeur finale avec l’acquéreur, avec l’aide de France Domaine.

Il nous arrive d’aller plus loin. Dans certains cas, la collectivité concernée n’a pas les moyens, ou parfois l’envie, de définir immédiatement un projet, ou alors l’affaire est complexe, notamment pour des raisons d’urbanisme – certains de nos terrains en bordure de Méditerranée sont protégés par la loi littoral par exemple. Nous lui proposons donc une étude de reconversion, établie par des professionnels extérieurs. Nous avions proposé cette solution pour un dossier à Montauban. En fait, la commune s’est décidée pour un projet de logements et a choisi un opérateur qui a procédé à l’étude puis a proposé un programme. Nous nous sommes donc mis d’accord relativement rapidement sur un prix. Mais dans une quinzaine de cas par an, nous choisissons ensemble un bureau d’urbanistes pour mettre au point un projet qui permet de définir la densité de construction et la destination du terrain, préalables à l’évaluation et à la cession. C’est le cas pour la reconversion de la base aérienne de Francazal : un ensemble de 350 hectares avec une piste de 1 800 mètres, extensible à 2 000, à dix minutes du centre de Toulouse. Nous avons désigné une équipe d’urbanistes et travaillons en commun avec les communes, le préfet et les services de l’État sur les deux grandes hypothèses : rester dans l’aéronautique, en conservant la piste et en examinant les activités qui peuvent en découler, ou imaginer un nouveau quartier de la ville. Ce type de travail prend beaucoup de temps, mais il est indispensable pour réaliser la vente. La reconversion des bases aériennes est souvent complexe. À Toul par exemple, une portion de la base sera utilisée pour une centrale photovoltaïque, mais une emprise de ce genre est longue à reconvertir.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Qui décide de vendre à l’euro symbolique ?

M. Jacques Brucher. Un décret a fixé la liste des emprises concernées. Ce sont les villes qui connaissent des déflations d’effectifs particulièrement importantes, avec les conséquences économiques que cela implique, qui en bénéficient. Évidemment, cela a suscité l’appétit des autres : il y a eu plusieurs demandes, que le ministre de la Défense a toujours rejetées. Et, outre que le bien doit figurer sur la liste, la ville doit demander à bénéficier du dispositif et produire son projet de reconversion.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Pouvez-vous refuser de vendre à l’euro symbolique si le projet ne vous convient pas ?

M. Jacques Brucher. Il n’y a pas eu de cas, mais cela serait possible.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Et la liste est intangible ?

M. Jacques Brucher. Sans exception ! Nous avons rejeté par exemple une demande pour une caserne qui est en négociation depuis plusieurs années – une restructuration difficile, dans une petite ville du sud-ouest qui estimait qu’elle aurait dû figurer dans le décret.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Dans le tableau des cessions effectuées en 2009, à quoi est due la différence entre l’estimation du Tableau général des propriétés de l’État, le TGPE, et l’évaluation finale ?

M. Jacques Brucher. L’évaluation du TGPE porte sur le bien tel quel : elle est fonction du prix du terrain, fondé sur les transactions des années précédentes dans le secteur, et de l’évaluation des bâtiments, avec des coefficients d’abattement pour vétusté par exemple, ou parce que l’emprise est particulièrement grande. L’évaluation finale, elle, est le prix opérationnel, qui permet la vente. Elle est fonction du projet qui sera réalisé, et peut être supérieure ou inférieure à celle du TGPE.

Lorsque France Domaine fait l’évaluation pour le TGPE de la base aérienne de Toulouse, elle fonde son calcul sur 350 hectares de terrain et des centaines de bâtiments. Même si le prix au mètre carré des hangars et du terrain dans le secteur est faible, et même compte tenu du coefficient de vétusté, le montant peut atteindre 50 ou 60 millions. Aucun acquéreur ne déboursera cette somme juste pour du foncier. Les écarts, sur les emprises de ce type, sont donc très importants. La valeur finale, fondée sur ce qu’on prévoit de faire des biens – pour partie de la réserve foncière, pour partie l’installation d’une entreprise – peut s’établir autour de 5 ou 6 millions, soit dix fois moins. Mais il n’y a pas d’autre issue : pour vendre, il faut avoir un client.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Les seize biens cédés pour un euro symbolique en 2009 représentaient une évaluation finale de plus de 13 millions. Comment cela se traduit-il en termes budgétaires : par des moins-values ?

M. Jacques Brucher. Pour les cessions à l’euro symbolique, cette évaluation est faite par France Domaine au moment de la signature de l’engagement à acquérir.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. C’est une charge supportée par le ministère de la Défense, mais qui correspond à un objectif d’aménagement du territoire. Cela pose un problème de sincérité budgétaire. Le ministère de la Défense ne demande-t-il pas à être dédommagé ?

M. Jacques Brucher. Il ne l’a pas fait pour l’instant.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Quelle est l’implication de la MRAI dans le projet Balard ?

M. Jacques Brucher. Nous ne sommes pas impliqués, pas plus que dans les cessions parisiennes qui en découlent. Nous avons beaucoup de travail en région, et le sujet est suffisamment spécifique pour être traité différemment.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Votre expertise en matière immobilière n’a donc pas été mise à contribution.

M. Jacques Brucher. On m’avait demandé au tout début de réfléchir à l’organisation de l’opération et à l’aspect un peu plus urbanistique des choses. J’avais évoqué un montage en partenariat public-privé, ainsi que les questions concernant le projet urbain lui-même. L’emprise de Balard se divise en deux secteurs : l’un à l’est, côté porte de Versailles, qui est occupé et doit faire l’objet d’un réaménagement, et l’autre côté ouest sur lequel se construira le nouveau siège du ministère. À l’extrémité de ce secteur se trouve un terrain de 3 hectares que j’avais proposé de céder, ce qui est toujours envisagé je crois, pour diminuer le coût total de l’opération. Mais c’est à titre personnel que j’avais été sollicité, puisque j’ai eu la chance, il y a une vingtaine d’années, de travailler à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris sur un grand nombre d’opérations de rénovation et de restructuration.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Qui pilote la cession des emprises parisiennes au sein du ministère ?

M. Jacques Brucher. Le directeur, M. Éric Lucas, avec la sous-direction du patrimoine.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Lorsqu’une commune se défait à son tour d’un bien qu’elle a acquis à l’euro symbolique, l’éventuel retour à meilleure fortune est-il partagé avec le ministère ?

M. Jacques Brucher. Il n’existe pas encore de cas concret, mais la solution préconisée est une clause de retour à meilleure fortune. Il paraît normal, la commune ayant obtenu le terrain à l’euro symbolique, de partager les retours en cas de revente, mais je ne sais pas encore dans quelles conditions.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Les conventions des seize cessions de 2009 n’ont-elles pas encore été signées ?

M. Jacques Brucher. La clause figurera dans les actes de vente, qui n’ont pas encore été signés. Nous en discutons avec France Domaine. Mais nous pratiquons déjà couramment le système : le prix des ventes étant établi en fonction du projet, France Domaine établit quasi-systématiquement une clause imposant à la commune, si la densité de constructions prévue est accrue, de partager le bénéfice. Si l’évaluation a été faite sur la base de 2 000 mètres carrés de surface hors œuvre de bureaux et que la commune, en modifiant ses règles, a pu en vendre 3 000, le bénéfice est calculé par France Domaine et partagé, souvent par moitié. J’ai quelquefois un peu de mal à faire admettre de telles clauses aux communes, mais elles paraissent somme toute parfaitement normales.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Y a-t-il des opérations importantes sur le point d’aboutir ?

M. Jacques Brucher. En région parisienne, il y en a une à Saint-Cyr l’École, pour environ 15 millions et une autre, très spécifique, à Vélizy : la vente à des entreprises qui travaillent en partie pour la défense, comme EADS ou Messier-Bugatti, des emprises qu’elles occupent. Les textes ont été modifiés il y a plusieurs années afin de permettre de les leur vendre à l’amiable, sans mise en concurrence – mais sur la base bien sûr de l’évaluation. L’opération pourrait se monter à plusieurs dizaines de millions. La cession de la base aérienne de Toulouse, selon l’option choisie, avoisinera peut-être la dizaine de millions – beaucoup moins de toute façon que l’évaluation in abstracto du TGPE, mais il faut trouver un acquéreur…

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Il y a tout de même 350 hectares.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Ce n’est pas le moment de vendre. N’est-il pas possible de temporiser, pour des opérations aussi importantes ?

M. Jacques Brucher. Le marché nous y contraint : nous ne trouvons pas toujours d’acquéreur rapidement !

Nous avons une autre grosse opération à Marseille, pour une emprise très bien placée derrière la gare Saint-Charles. Nous venons d’en vendre une partie pour 10 millions d’euros, il en reste vraisemblablement au moins autant. À Bayonne, un aménagement très important est prévu le long de la rive droite de l’Adour en 2015 ou 2016, pour l’arrivée de la ligne à grande vitesse. Il se trouve que nous avons un terrain en plein milieu… Nous sommes en train de négocier la vente avec la collectivité. À Nantes, nous avons une emprise très importante, le quartier Mellinet, d’une dizaine d’hectares. Nous commençons à y travailler avec la ville. À Montpellier, nous libérons une emprise en plein centre-ville. C’est une probabilité de recettes importantes, même si nous sommes aussi sollicités, de façon globale, pour l’implantation des internats d’excellence – nous sommes en train d’y travailler avec le ministère de l’Éducation. Il y aura enfin des opérations dans l’est, à Metz et à Nancy notamment. Nous sommes en train de finaliser une cession pour l’euro symbolique à Arras – la clause dont nous parlions tout à l’heure est sur le point d’être finalisée. C’est un très grand ensemble immobilier, avec la citadelle et la caserne Schramm, qui est cédé à la communauté de communes.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Le décret sur les ventes à l’euro symbolique ne concerne-t-il que des communes ? L’opération de Sourdun, qui va pour moitié à l’Éducation nationale et pour moitié à la Sovafim, y est-elle dérogatoire ?

M. Jacques Brucher. Oui. La liste du décret ne comprend que des communes.

L’intervention de la Sovafim est une solution complémentaire à l’action de la MRAI. Nous travaillons avec elle sur huit emprises en province. La Sovafim nous paierait le bien à la valeur basse de la fourchette, avec une clause de retour à meilleure fortune une fois le projet de reconversion réalisé.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Les cessions produisent des recettes, mais il faut aussi financer les contrats ou plans locaux de redynamisation. L’enveloppe correspondante se montait à 320 millions, outre-mer compris. L’État vend donc plusieurs emprises pour quelques euros et finance 320 millions : cela fait un bilan net quelque peu déséquilibré… Ce montant de 320 millions est-il toujours d’actualité ? Une partie en est supportée par le Fonds pour les restructurations de la défense, ou FRED, c’est-à-dire le ministère. Le FRED a-t-il un pourcentage ?

M. Jacques Brucher. Le montant n’a pas changé. Quant au pourcentage, je pourrai vous le communiquer.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Vous êtes en discussion avec la Sovafim pour qu’elle reprenne huit emprises, les valorise et les revende. Mais dans quel cadre ce partenariat se tient-il ? N’y a-t-il pas eu d’appel d’offres, avec plusieurs candidats en mesure de monter des opérations de ce type ?

M. Jacques Brucher. C’est la DMPA qui gère cette affaire. Je ne sais pas si le cadre juridique permettant la cession à la Sovafim est bouclé.

M. Yves Deniaud. Ils travaillent sans cadre juridique ?

M. Jacques Brucher. Le cadre de base se trouve dans l’objet social même de la Sovafim, qui était au départ la vente des biens de Réseau ferré de France et a été étendu à l’ensemble des biens de l’État. J’ignore si la DMPA a déjà précisé les choses, mais ce sera nécessaire.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. La Sovafim interviendra-t-elle dans les opérations qui avaient été envisagées à Paris ?

M. Jacques Brucher. Non, seulement en région.

M. Yves Deniaud. Une confusion assez fâcheuse semble régner dans tout cela. Vous avez une grande expérience en matière de négociation et de cession des biens de la défense, vous avez fait vos preuves. Pourquoi la DMPA agit-elle directement pour les emprises parisiennes ? Et même si l’on admet que les grosses emprises parisiennes ont un caractère particulier, pourquoi faire intervenir un autre opérateur en province ?

M. Jacques Brucher. La Sovafim nous permettrait de démultiplier notre action, et si possible d’accélérer les cessions.

M. Yves Deniaud. Il est supposé qu’elle sera plus rapide ?

M. Jacques Brucher. Je ne peux pas vous répondre aujourd’hui, je ne peux qu’espérer !

M. Yves Deniaud. Vous avez fait l’objet de critiques concernant votre délai moyen : six ans entre la décision de vendre et la fin du processus.

M. Jacques Brucher. La période de dépollution est la principale raison de ce délai. Il arrive couramment qu’elle dure deux ans. C’est une affaire très compliquée : il faut veiller à la sécurité des entreprises, notamment en cas de pollution pyrotechnique, et protéger aussi la population – en cas d’évacuation, les périmètres de sécurité peuvent atteindre un kilomètre. Cela suppose une organisation techniquement complexe, et coûteuse.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Merci d’avoir répondu à toutes nos questions. Nous sommes sensibles à l’éclairage que vous nous avez apporté, même si nous attendons encore quelques précisions, en particulier sur la répartition entre recettes exceptionnelles et recettes courantes.

Audition du 8 avril 2010

À 10 heures 30 : M. Olivier Debains, président de la Société de valorisation foncière et immobilière (Sovafim)

Présidence de M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Nous accueillons M. Olivier Debains, président de la Société de valorisation foncière et immobilière, la Sovafim.

Monsieur le président, vous vous trouvez en présence de Mme Françoise Olivier-Coupeau, membre de la commission de la Défense, rapporteure avec moi de la Mission d’évaluation et de contrôle pour les recettes exceptionnelles de la Défense – moi-même, j’appartiens à la commission des Finances –, de M. Yves Deniaud, rapporteur spécial de la commission des Finances sur la politique immobilière de l'État, et d’une délégation de la Cour des comptes conduite par M. Alain Hespel, président de la deuxième chambre, et composée de Mme Françoise Saliou, conseiller maître, M. Jacques Rigaudiat, conseiller maître, M. Antony Marchand, conseiller référendaire, et M. Claude Lion, conseiller référendaire.

La Mission d'évaluation et de contrôle, qui se penche sur les recettes budgétaires exceptionnelles de la Défense, souhaite mieux appréhender les procédures, délais et contraintes qui s’appliquent aux cessions immobilières du ministère de la Défense, et mieux cerner le rôle de la Sovafim dans certains de ces processus même si, nous le savons, une de vos hypothèses de travail a tourné court. Vous nous direz aussi le rôle joué par la société que vous présidez dans la cession de l’emprise militaire de Sourdun.

M. Olivier Debains, président de la Société de valorisation foncière et immobilière (Sovafim). La Société de valorisation foncière et immobilière est une société publique dont l’État est l’actionnaire unique. Elle a été créée en avril 2006 à l’initiative de M. Jean-François Copé pour mettre en application les dispositions de la loi de finances pour 2006, dont l’article 63 prévoyait que les biens immobiliers propriété de Réseau ferré de France inutiles à ses missions pouvaient être déclassés du domaine public et transférés en pleine propriété à une société détenue par l'État et chargée d'en assurer la valorisation. Le champ des biens transférables a été élargi dès décembre 2006, puis en décembre 2007 et en décembre 2008 : il a été étendu aux biens immobiliers appartenant à l’État ou à ses établissements publics, le transfert pouvant se faire au bénéfice de la Sovafim ou de toute entreprise publique dont elle détient une partie du capital.

Depuis sa création, il y a quatre ans, la société a cédé des biens immobiliers pour 1,1 milliard d’euros ; des biens en provenance de RFF pour 483 millions, des biens de la Caisse des mines pour 607 millions environ. Elle a aussi acquis quatre actifs. Le premier, situé avenue Bosquet, à Paris, était une copropriété de l’État et de l’Office national interprofessionnel des céréales. Nous avons piloté sa transformation et sommes en passe de livrer l’immeuble restructuré à l’État qui y installera la Maison de la francophonie. Dans le 11ème arrondissement de Paris, nous avons fait l’acquisition d’un immeuble, l’ancien siège de l’ACOSS, que nous valorisons. Comme vous le savez, nous avons aussi acquis environ la moitié de l’emprise militaire de Sourdun, ainsi qu’une ancienne caserne de gendarmerie située à La Roche-sur-Yon. Ces deux dernières acquisitions ont été faites par le truchement de sociétés par actions simplifiées constituées par la Sovafim à l’effet d’accueillir un portefeuille de biens du ministère de la Défense d’une part, du ministère de l’Intérieur d’autre part. Une autre société du même type a été créée, vouée à acquérir des biens du ministère de la Justice et en particulier de l’administration pénitentiaire.

Telle a été jusqu’à présent l’activité de la Sovafim, qui a évolué au fil de l’évolution de la politique immobilière de l’État.

La société a pour objet et pour objectif de valoriser des biens publics au profit de ses propriétaires historiques ou, le cas échéant, de ses occupants, tout en dégageant une rentabilité de ses fonds propres acceptable pour une entreprise publique – c’est-à-dire une rentabilité correcte, tenant compte des risques pris.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Quelles sont les perspectives de valorisation envisagées pour l’emprise militaire de Sourdun, qui vous a été cédée pour un euro symbolique ? Une clause de retour à meilleure fortune a-t-elle été prévue au bénéfice du ministère de la Défense ? Par ailleurs, la Sovafim pouvait être le partenaire de la Caisse des dépôts, également pressentie, dans une opération qui n’a finalement pas abouti ; pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

M. Olivier Debains. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la Sovafim cherche à acquérir des clients. Ces clients sont les ministères, les services déconcentrés de l’État, les organismes publics et en particulier les opérateurs. Le ministère de la Défense est naturellement un client privilégié ; dès le début de l’année 2008, j’ai pris contact avec lui pour envisager le rôle que pouvait jouer la Sovafim dans la valorisation de « ses » biens immobiliers. Notre première réunion, en janvier 2008, avait pour objet de définir le rôle que nous pourrions avoir dans la valorisation des emprises provinciales dont le ministère, restructurant ses implantations, était appelé à se défaire. Nous avons tenu plusieurs réunions à ce sujet en 2008, puis le dossier a été mis sous le boisseau en 2009 ; les discussions viennent de reprendre. D’autre part, à partir de l’été 2008, j’ai été approché pour discuter du rôle que la Sovafim pourrait jouer dans la valorisation des emprises parisiennes de la Défense.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Quels ont été vos interlocuteurs ?

M. Olivier Debains. Pour le ministère du Budget, M. Proto et M. de Lestrange au cabinet de M. Woerth, ainsi que le directeur du Budget ; pour le ministère de la Défense, M. Viau et M. Bodin au cabinet de M. Morin, ainsi que M. Lucas, directeur de la Mémoire, du patrimoine et des archives, la DPMA ; pour France Domaine, M. Dubost.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Quel était le rôle de la Mission pour la réalisation des actifs immobiliers – la MRAI – du ministère de la Défense ?

M. Olivier Debains. La Mission venait en appui de la DPMA.

Pour les emprises provinciales, la répartition des rôles entre France Domaine, la MRAI et Sovafim a fait l’objet, il y a dix-huit mois, d’un accord verbal qui n’a pas été remis en cause à ce jour. Les actifs présumés « liquides », tels les immeubles qui abritaient les mess d’officiers dans des villes moyennes, devaient être vendus par France Domaine ; il revenait à la MRAI de valoriser les biens immobiliers politiquement sensibles en prenant en compte les considérations relatives à l’emploi local ; enfin, il a été convenu que la Sovafim s’occuperait des biens qui n’entraient ni dans la première ni dans la seconde catégorie.

Pour la Sovafim, cet accord n’a trouvé à ce jour qu’une application : l’opération de Sourdun, qui a été réalisée dans un calendrier extrêmement serré. La décision a été prise de scinder l’emprise en deux parcelles. La première est dédiée au premier internat d’excellence. Le maire de Sourdun n’ayant pas voulu acquérir la seconde, même pour l’euro symbolique – ce qui se conçoit étant donné l’isolement du lieu –, le ministère de la Défense m’a approché pour me demander si l’acquisition de ce site intéresserait la Sovafim. J’ai répondu par l’affirmative en considérant qu’il était inapproprié pour la société, qui souhaitait s’engager dans une relation commerciale avec le ministère, de refuser la première proposition qu’il lui faisait, bien que la valorisation du site paraisse compliquée. De plus, le défi était intéressant à relever.

M. Christian Jacob, député de la circonscription concernée, m’ayant suggéré d’envisager la réalisation d’une ferme photovoltaïque, nous nous sommes engagés dans cette voie. En partenariat avec la société Sunnco, nous avons répondu à l’appel d’offres du ministère de l'Écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer relatif à la sélection d’une ferme de ce type dans chaque région de France. Si ce projet aboutit, nous aurons démontré qu’une société publique peut trouver des solutions innovantes pour valoriser des emprises qui semblaient initialement difficilement exploitables. En étudiant ce dossier, nous nous sommes rendu compte que plusieurs emprises militaires pouvaient se prêter à cette utilisation. L’Allemagne a, pour une large part, développé le photovoltaïque de cette manière. J’ai appris, depuis que nous nous sommes lancés dans ce projet, que Mme Nadine Morano a annoncé qu’un grand projet photovoltaïque serait lancé à Toul.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Si le projet aboutit et s’il est rentable, une partie des bénéfices tirés de la ferme photovoltaïque reviendront-ils au ministère de la Défense ? Si oui, dans quelle proportion ?

M. Olivier Debains. J’ai indiqué à nos clients, et en particulier au ministère de la Défense, que, sauf exception, nous étions prêts à leur rétrocéder 90 % des plus-values des cessions réalisées. C’est l’engagement conventionnel que nous avons pris pour le site de Sourdun. Cette règle peut souffrir des exceptions. Comme je vous l’ai dit, le principe qui fonde notre démarche est que le propriétaire historique des lieux soit intéressé à la valorisation du site dont nous faisons l’acquisition, dès lors que nos fonds propres dégagent une rentabilité correcte au regard des risques que nous prenons. Cela étant, la Sovafim est une société publique, et les produits qu’elle dégage peuvent être reversées soit au ministère de la Défense soit au budget général sous forme de dividende.

Après que le dossier des sites parisiens a été mis de côté – nous aurons l’occasion d’y revenir –, nous avons continué de travailler avec le ministère de la Défense sur une trentaine d’emprises provinciales qui entrent dans la catégorie précédemment décrite : ce sont des biens à la fois peu « liquides », compliqués à mettre en valeur – pour certains si compliqués que l’on voit mal à quoi les destiner – et qui ne sont pas situés dans les zones de restructuration de la Défense, pour lesquelles la loi de finances pour 2009 a institué un traitement spécial. Dès lors que nous nous mettrons d’accord avec le ministère sur une liste de sites, sur les prix de transfert et sur les conditions d’intéressement, nous sommes prêts à acquérir pour 30 à 50 millions de ces biens en 2010.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. À qui précisément seront versées les recettes issues de l’exploitation de la ferme photovoltaïque?

M. Olivier Debains. Elles viendront alimenter le compte de résultat de la société de projet. L’architecture est la suivante : la Sovafim a créé une filiale à 100 %, Sovapar 1, qui est propriétaire du site de Sourdun ; Sovapar 1 a elle-même constitué avec notre partenaire Sunnco une société de projet, Sovasun, dont elle détient 49 % des parts, et Sunnco 51 %.

Le projet de ferme photovoltaïque suppose un investissement de 18 millions environ, que Sovasun financera par emprunt à hauteur de 15 millions, et sur fonds propres pour 3 millions. Étant donné la répartition des parts, le financement en fonds propres incombant à Sovapar 1 s’élève donc à 1,5 million. Les bénéfices futurs alimenteront Sovasun ; quand cette société aura prospéré, Sovapar 1 pourra décider de revendre ses parts, le produit de la cession remontant dans les comptes de la Sovafim après le versement éventuel d’un complément de prix au profit du ministère de la Défense. Je suppose que ce produit sera alors inscrit au compte d’affectation spéciale des cessions de l’État et fera l’objet d’une répartition entre le budget général et celui du ministère de la Défense.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Quel sort a été fait à vos projets parisiens ?

M. Olivier Debains. Mes premières discussions avec l’État à ce sujet remontent à l’été 2008. Lors de l’examen de la loi de finances pour 2009, votre assemblée a adopté un amendement du Gouvernement permettant à une société foncière, filiale commune de la Sovafim et de la Caisse des dépôts, d’acquérir par transfert un portefeuille de biens parisiens du ministère de la Défense. Ce n’est qu’en mai 2009 que l’État a approché le groupement informel que la Sovafim et la Caisse des dépôts avaient constitué, et des négociations se sont engagées en vue de l’acquisition d’un portefeuille de huit biens parisiens affectés au ministère de la Défense. Il s’agissait bien de négociations, qui ont fait l’objet, entre mai et décembre 2009, d’une dizaine de réunions bilatérales entre l’État et ce groupement informel. Nous avons choisi par appel d’offres un prestataire immobilier pour nous permettre d’évaluer le potentiel de valorisation des biens en question. L’exercice était ardu : outre qu’il fallait se projeter à l’horizon 2013-2014, les biens n’étant libérés qu’à cette échéance, il s’agit de biens très peu liquides – singulièrement l’îlot Saint-Germain.

Une fois ce travail achevé, nous avons estimé les valeurs qui en résultaient, en totale transparence vis-à-vis de l’État. Mais, au terme des négociations, l’État a estimé que notre proposition était insuffisante au regard de l’évaluation réactualisée par France Domaine des valeurs figurant au tableau général des propriétés de l'État, si bien que fin 2009, il nous a été dit qu’il n’y avait pas d’accord possible ; cela nous a été confirmé au début de cette année.

M. Yves Deniaud. Je retiens de vos explications qu’à ce jour l’acquéreur potentiel, la société foncière commune, n’existe pas.

M. Olivier Debains. La société existait en quelque sorte en pointillés et nous avions envisagé très précisément quelle devait en être l’architecture pour répondre aux exigences de l’État ; mais comme il a renoncé à la transaction, nous ne l’avons pas créée.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. À notre connaissance, la valeur de l’îlot Saint-Germain figurant au tableau général des propriétés de l'État est de 214 millions d’euros. Quelle proposition avez-vous faite ?

M. Olivier Debains. La valeur TGPE du portefeuille de six emprises parisiennes – Saint-Germain, Reuilly, Pentemont, Pépinière, l’hôtel d’Artillerie et Lourcine – qui nous avait été indiquée en avril 2009 était de 734 millions, dont 214 millions pour l’îlot Saint-Germain. À la fin de la négociation, en novembre 2009, nous avons appris que France Domaine avait porté cette valeur à 744 millions, dont 320 millions pour le seul îlot Saint-Germain. Pour cette parcelle, nous avions proposé 205 millions, valeur proche de l’évaluation figurant au TGPE en 2007, mais très éloignée de la valeur actualisée. L’écart est apparu trop important, et M. Woerth a jugé la transaction inopportune.

Nous avons été très surpris que, dans la conjoncture immobilière actuelle, la valeur estimée augmente, et dans de telles proportions. Nous avons cru comprendre qu’entre les deux évaluations faites par France Domaine, la méthode d’évaluation du périmètre de l’îlot Saint-Germain avait été modifiée. J’ajoute que la transaction prévoyait, outre le prix de transfert qui a été jugé trop faible, un mécanisme de complément de prix permettant à l’État de récupérer une partie de la plus-value éventuelle réalisée par le groupement. Permettez-moi d’en donner une illustration. L’ancienne abbaye de Pentemont, située rue de Bellechasse dans le 7ème arrondissement, est un site dont la valorisation est très compliquée, mais on peut imaginer qu’un acquéreur, étranger notamment, éprouve pour ce bien un coup de cœur qui le pousse à une acquisition à un prix « déraisonnable ». Ce n’est pas en spéculant sur une telle perspective que nous pouvons fonder notre évaluation, car nous devons fixer un prix raisonnable. En revanche, la clause de complément de prix a pour objet de permettre à l’État de profiter pour partie d’une vente ultérieure à un prix extraordinaire. Malgré cela, un accord n’a pas été possible.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Quel était le montant de votre offre pour le portefeuille global ?

M. Olivier Debains. L’écart était de 30 % : nous avons proposé 520 millions, ce qui correspondait à un taux de rendement interne de 6,5 % pour le groupement. Le prix que nous avons offert était correct au regard du risque que nous prenions. Je le répète, se projeter à l’horizon 2013-2014 pour envisager ce qu’en faire est un exercice très difficile. De plus, il s’agit de sites très compliqués, dont certains doivent être entièrement rénovés, avec des aléas très importants et des coûts considérables. Le mandat que j’avais reçu de mon conseil d’administration m’interdisait toute proposition qui aurait abouti à un rendement inférieur à 6,5 %.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Pouvez-vous nous donner la liste des sites que la Sovafim a la responsabilité d’aliéner et préciser pour chacun le montant espéré de la vente et sa date prévisionnelle ?

M. Olivier Debains. Pour l’instant, comme je vous l’ai indiqué, la Sovafim n’a aucun site « militaire » en portefeuille autre que Sourdun. Le dossier des emprises parisiennes semble fermé ; pour les sites provinciaux, les négociations ont repris au début de l’année 2010, et j’espère que nous parviendrons à un accord avec le ministère de la Défense en juin.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Quel était le montage prévu avec la Caisse des dépôts ?

M. Olivier Debains. Nous avions envisagé d’acquérir ce portefeuille pour un prix de 520 millions d’euros environ et nous avions lancé un appel d’offres auprès des banques pour déterminer dans quelles conditions nous pourrions financer ce portefeuille par emprunt, à hauteur de 300 millions au plus. Il fallait au moins 200 millions de fonds propres. J’étais autorisé par mon conseil d’administration à investir la moitié des fonds propres de la Sovafim – soit 75 millions d’euros – dans cette opération. Au sein de la société commune, la répartition des fonds propres aurait donc été d’environ un tiers pour la Sovafim et de deux tiers pour la Caisse des dépôts. En même temps que nous négociions avec l’État, nous négociions entre nous le fonctionnement de l’entreprise commune que nous étions en train de constituer.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Au nombre des interlocuteurs avec lesquels vous avez négocié pendant six mois avec l’État, vous avez cité un représentant du ministère du Budget et, pour France Domaine, M. Dubost ; ces deux personnes font bien partie de votre conseil d’administration ?

M. Olivier Debains. M. Dubost est membre de mon conseil d’administration, c’est exact. Il était présent aux réunions de négociations, sachant que le négociateur désigné par l’État était M. Viau.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Est-ce bien en décembre 2009 que la décision a été prise de mettre fin à la négociation relative aux sites parisiens entre la Sovafim et la Caisse des dépôts d’une part, l’État tel que vous l’avez défini d’autre part ? Est-ce bien en décembre 2009 que l’État vous l’a dit ?

M. Olivier Debains. Oui, juste avant Noël. Lors de la réunion de notre conseil d’administration du 17 décembre, la messe n’était pas encore dite. C’est au début 2010 qu’il nous a été indiqué que l’État renonçait finalement à la transaction avec le groupement.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Sous quelle forme la décision vous a-t-elle été notifiée ?

M. Olivier Debains. Lors d’une réunion au cabinet de M. Morin présidée par M. Viau, qui nous a indiqué qu’à la suite de discussions entre les cabinets et avec celui du Premier ministre, la décision avait été prise de renoncer à la transaction pour la raison que je vous ai dite.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Je vous remercie, monsieur Debains, pour ces utiles précisions.

Audition du 8 avril 2010

À 12 heures : M. André Yché, président du directoire de la Société nationale immobilière (SNI), de M. Yves Chazelle, directeur chargé du développement de la SNI, et de M. Hubert Reynier, adjoint au directeur finances, stratégie et développement durable du groupe Caisse des dépôts.

Présidence de M. Yves Deniaud

M. Yves Deniaud, Président. Je suis heureux de souhaiter la bienvenue à MM. André Yché, président du directoire de la Société nationale immobilière (SNI), Yves Chazelle, directeur chargé du développement, et Hubert Reynier, adjoint au directeur finances, stratégie et développement durable du groupe Caisse des dépôts.

Les rapporteurs de la Mission sont, d’une part, M. Louis Giscard d’Estaing, qui est membre de la commission des Finances, et, d’autre part, Mme Françoise Olivier-Coupeau, qui, elle, est membre de la commission de la Défense.

La Cour des comptes, qui nous accompagne dans nos travaux, est aujourd'hui représentée par M. Alain Hespel, président de la deuxième chambre, Mme Françoise Saliou et M. Jacques Rigaudiat, conseillers-maîtres, et MM. Antony Marchand et Claude Lion, conseillers référendaires.

L’audition qui vient de se dérouler nous a appris que, pour la cession du siège actuel du ministère de la Défense, corrélative au projet « Balard », le projet de constitution d’un acheteur des emprises immobilières actuelles de ce ministère par la création d'une société commune entre la Caisse des dépôts et la Sovafim était abandonné. Que pouvez-vous nous dire sur l’évolution future de ce dossier ?

M. André Yché, président du directoire de la Société nationale immobilière (SNI). La négociation sur l’immobilier parisien a été conduite sous le pilotage de M. Hubert Reynier. Les autres négociations le sont sous celui de M. Yves Chazelle.

M. Hubert Reynier, adjoint au directeur finances, stratégie et développement durable du groupe Caisse des dépôts. L’État, représenté par les ministères du Budget et de la Défense, nous a sollicités en mars dernier pour que nous formalisions avec la Sovafim une offre d’achat sur un périmètre d’actifs immobiliers à Paris. Le délai était relativement court : l’État nous demandait de présenter une première indication d’intérêt avant l’été et souhaitait que nous l’aidions à trouver un mode de reprise pour les actifs qui seraient libérés entre 2011 et 2014, du fait du transfert du ministère et des états-majors sur le site de Balard.

Bien que nous ayons travaillé très rapidement, nous n’avons pas pu, dans le délai imparti, effectuer de diligences approfondies. Aidés de nos conseils, nous avons cependant réussi à proposer une première indication de prix pour la valorisation de ces actifs.

Ayant testé les capacités du marché bancaire à nous fournir les crédits nécessaires à l’acquisition, nous avons pu indiquer avant l’été que les actifs nous semblaient valorisables et que nous pourrions, avec la Sovafim, faire une offre à l’État. À ce stade, nous n’avons cependant pas pu présenter un prix ferme.

Après avoir demandé un délai supplémentaire pour opérer diverses diligences techniques, nous avons pu décanter la problématique de la valorisation au cours de l’automne. Conjointement avec la Sovafim, nous avons déposé en décembre une indication de prix, soit une fourchette comprise entre 505 et 525 millions d'euros pour l’ensemble du périmètre. Celui-ci est constitué de différents îlots, les casernes de Reuilly et de Lourcine
– dans le 12ème et le 13ème arrondissement – l’Hôtel de Pentemont, dans le 7ème arrondissement, l’Hôtel d’Artillerie, l’îlot Saint-Germain – l’actif le plus important en taille et en surface – et la Pépinière, dans le 9ème arrondissement, près de la gare Saint-Lazare.

Nous avons ensuite compris que notre offre n’était pas véritablement conforme aux attentes de l’État – autrement dit des ministères de la Défense et du Budget – eu égard notamment à la valorisation effectuée par France Domaine. France Domaine a entre temps montré ses capacités à mettre en œuvre des techniques d’appel d’offres, et réussi des opérations emblématiques, comme celle du siège de Météo-France. L’État continue semble-t-il à réfléchir aux deux options qui lui sont présentées, sachant qu’elles ne sont parfaitement comparables ni dans leurs structures, ni dans leurs modalités, ni dans leurs perspectives. La SNI et nous nous situons traditionnellement plutôt dans un rôle de propriétaires et d’exploitants d’actifs immobiliers. C’est dans cette optique que nous avons effectué notre valorisation. Si elle ne nous interdit pas, bien sûr, de revendre les actifs acquis, de les valoriser au mieux sur le marché, nous ne sommes pas – au contraire de France Domaine – des gestionnaires d’appels d’offres recherchant le meilleur offrant immédiat pour un actif. Notre perspective n’est donc pas exactement la même que celle de France Domaine, qu’il s’agisse de calendrier ou de modalités d’exécution d’une transaction, et donc, finalement, de valorisation.

Il est donc sans doute assez difficile pour l’État de se positionner par rapport à deux structures assez dissemblables, aboutissant à des valorisations manifestement différentes. Les ministères de la Défense et du Budget devront donc procéder à un arbitrage définitif, lorsque ces actifs vont commencer à être évacués par leurs occupants, pour choisir entre un appel d’offres classique et une transaction du type de celle que nous avons essayé de structurer avec Sovafim.

Je rappelle aussi que notre prix « cash », compris entre 505 et 525 millions d'euros, était accompagné d’une structure de complément de prix. En l’absence de diligences techniques et d’une réflexion complète sur la destination future des bâtiments, l’exercice était pour nous assez compliqué. Réaliser sur le site de l’îlot Saint-Germain des bureaux, un hôtel de luxe ou des appartements de standing correspond à des problématiques très différentes en termes d’investissements, de coût initial, de valorisation à terme, et de perspectives de marché d’ici à 2013, 2014 ou 2015. Nous avons donc souhaité accompagner le prix immédiat, « cash », par une structure de complément de prix. L’objet de celle-ci était d’intéresser l’État à la valorisation à terme des actifs. Elle visait, à partir du premier socle de 505 à 525 millions d'euros, à donner à l’État une perspective de partage de la valorisation future de ces actifs, une fois connue la date exacte de leur libération – et donc celle possible du lancement des travaux – et leur destination, mise en exploitation ou revente au marché.

Notre approche était donc assez différente de la recherche immédiate d’un acquéreur sur le marché au fur et à mesure de l’évacuation des immeubles.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Pouvez-vous nous préciser la forme sous laquelle la décision de l’État vous a été notifiée ? Avez-vous reçu une annonce officielle, et, si, oui à quel moment et de la part de qui ?

M. Hubert Reynier. Nous n’avons reçu aujourd’hui aucune notification d’un arbitrage définitif. Comme il n’a pas été donné suite à la proposition de structure que nous avons faite, nous avons cru comprendre que ni la valorisation ni la structure que nous proposions pour le périmètre proposé par l’État ne satisfaisaient les représentants de l’État, du fait de l’écart – considérable de leur point de vue – entre le prix « cash », immédiat, que nous proposions et les valorisations de France Domaine.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. C’est donc de vous-mêmes que vous avez renoncé à constituer une société de portage avec la Sovafim ?

M. Michel Bouvard. En ma qualité de président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, je voudrais rappeler que, dépassant le seuil de 150 millions d'euros d’investissements, l’opération, conformément aux dispositions de la loi de modernisation de l’économie et du règlement intérieur de la Caisse, a été soumise au comité d’investissement. Dans ce comité, que je préside, siègent également Mme Nicole Bricq, sénatrice de Seine-et-Marne, et M. Pierre Simon, président de la chambre de commerce et d’industrie de Paris. Le comité a considéré que les termes de la proposition de la Caisse constituaient un maximum. Le directeur général, qui est tenu de prendre l’avis du comité, en a pris acte et il a été rendu compte à la commission de surveillance. Celle-ci a ensuite évoqué de nouveau ce dossier, connu à la Caisse sous le nom de code de « Louvois ». Pour la commission de surveillance, dès lors que l’État n’a pas donné suite à ce dossier, il est désormais considéré comme abandonné.

Pour éclairer les travaux de la MEC, j’ajoute que le comité d’investissement s’était interrogé sur la répartition des différents actifs et, par conséquent, sur celle du portage des opérations futures entre la Sovafim et la SNI. Il avait constaté que si la proposition faite par le groupe Caisse des dépôts était équilibrée et permettait de satisfaire l’État en termes de rentabilité et les objectifs d’investisseur avisé que la loi fixe à la Caisse, la Sovafim prenait en charge les opérations les plus faciles et les moins risquées, tandis que les plus complexes revenaient plutôt à la SNI. Le procès-verbal de la réunion du comité d’investissement – qui est à la disposition de la MEC – en porte témoignage.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Monsieur Reynier, je suis très étonnée de la manière dont la décision de l’État ne vous a pas été signifiée. Cela signifie-t-il que la porte n’est pas fermée, comme vous semblez le laisser entendre ? S’agit-il d’un élément de négociation pour vous pousser à accepter des prix plus élevés ? Nous sommes étonnés de constater que les opérations traînent en longueur ; de ce fait, les crédits prévus au titre des recettes exceptionnelles du ministère de la Défense restent virtuels.

Par ailleurs, le partage des résultats futurs aurait-il dû prendre – ou a-t-il pris – la forme d’une convention, et selon quel contenu ?

M. Hubert Reynier. Comme l’a rappelé le président Bouvard, nous sommes assistés de conseils techniques, financiers et immobiliers. Même si les délais pour formuler l’offre indicative ont été très brefs, nous pouvons penser que les éléments de valorisation que nous avons proposés répondaient aussi bien aux objectifs de l’État qu’aux nôtres. Ils ont aussi fait l’objet d’accords de convergence technique avec les conseils de l’État. Dans ces conditions, il nous paraît difficile d’imaginer que, dans la négociation, la Caisse – de même que, à mon sens, la Sovafim – aille très au-delà des montants que j’ai mentionnés. Nous avons envoyé les signaux nécessaires à l’État en ce sens. De plus, la création de la structure de complément de prix déjà évoquée aboutissait à ce que les gains supplémentaires que nous pouvions tirer de l’opération soient partagés avec l’État. Dès lors que nous proposions à l’État de partager les bénéfices futurs, nous ne pouvions pas prendre un risque plus élevé sur le prix immédiat.

S’il s’agissait là d’une stratégie de négociation de la part de l’État – à mon sens, tel n’est pas le cas –, elle ne pourrait guère être fructueuse. Comme l’a rappelé le président Bouvard, la commission de surveillance et le comité d’investissement ont bien indiqué que le prix proposé était celui qu’ils estimaient praticable pour la Caisse.

Les représentants de l’État nous ont fait savoir très clairement que l’écart de notre valorisation par rapport à celle de France Domaine leur rendait très difficile la poursuite d’une discussion formelle et était un élément bloquant de la négociation. Pour autant, nous ne connaissons pas la stratégie alternative qu’ils pourront adopter. Voudront-ils revoir le périmètre ? Voudront-ils procéder, pour une partie des biens, par appel d’offres ? Voudront-ils utiliser certains bâtiments pour d’autres objectifs ? L’ensemble de ces éléments peut les amener à réfléchir sur la définition du périmètre, la vocation des immeubles, et la façon dont ils pourront gérer au mieux ces actifs avant les dates contraignantes d’évacuation, de façon à éviter que ces immeubles restent vides, de manière dommageable pour le patrimoine de l’État.

M. André Yché. La valorisation de chacun des sites est étroitement liée à sa destination. Certains d’entre eux seront reconvertis en logements – logements sociaux, logements intermédiaires, ou encore, dans d’autres cas, logements de standing ayant vocation à être revendus. Il est aussi possible d’y aménager des logements pour étudiants, ou encore d’en transformer certains en immeuble de bureaux. Nous avons dû estimer la répartition entre ces catégories d’affectation. Or, nous ne sommes évidemment pas les seuls décideurs. Dans ce type d’exercice, une négociation étroite et permanente avec la Ville de Paris est indispensable ; celle-ci supervise la destination finale des biens.

La démarche qui a abouti à l’estimation décrite par Hubert Reynier reposait sur l’idée que nous négociions non six biens disjoints mais un panier de biens, un ensemble.

Dans ces conditions, nous pouvions afficher un prix ferme plus élevé d’un montant de 70 à 80 millions d'euros par rapport à une estimation prudente : nous étions en effet partis du principe que les risques ne se réaliseraient pas simultanément sur la totalité du périmètre.

Une illustration de ces risques peut être présentée avec la caserne de Reuilly. Nos hypothèses de constructibilité les plus optimistes la portaient à 57 000 m2. Cependant, la réalisation d’une telle hypothèse est étroitement liée non seulement à l’accord que nous aurions pu trouver avec la ville de Paris – aucune difficulté ne se présentait – mais aussi avec l’architecte des bâtiments de France, sachant que pour atteindre ce niveau de constructibilité, le site devait être très largement démoli. Notre projet était de conserver deux immeubles témoins de ce qu’était la cour d’honneur, à la manière de ce qui a été réalisé à la caserne Dupleix, pour conserver la mémoire du site et le valoriser. Si la constructibilité retenue devait être moins favorable, la valorisation du site s’en trouverait diminuée d’autant.

Un autre exemple peut être fourni par les immeubles du 7ème arrondissement
– l’îlot Saint-Germain, l’ancienne abbaye Saint Thomas d’Aquin et le site du ministère des Anciens combattants rue de Bellechasse. Ils se trouvent tous inclus dans le périmètre du plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV), ce qui les fait échapper au quota de logements sociaux en vigueur à Paris. Or, ce PSMV est en cours de renégociation entre l’État et la Ville de Paris depuis un an environ ; les négociations pourraient encore durer un an et demi à deux ans. Clairement, la Ville veut aligner les règles du PSMV sur les règles générales appliquées dans Paris. Dès lors, nous ne pouvons pas écarter l’hypothèse d’une augmentation du quota de logements sociaux dans l’opération que nous voulons conduire. Pour concilier les contraintes pesant sur les sites, nous avons donc élaboré avec la Ville des hypothèses prenant en compte ce risque économique et financier, et travaillé sur la localisation des futurs logements sociaux.

En conclusion, autant une approche globale du périmètre nous permettait d’offrir un prix ferme relativement élevé et une clause de répartition de prix finalement favorable pour l’État – à partir d’un certain seuil, tous les profits supplémentaires lui revenaient –, autant une démarche site par site ferait disparaître l’avantage de la mutualisation : dans ce cas, tout acquéreur devra, pour élaborer son offre, prendre en compte le risque le plus fort couru pour chaque site, et, au contraire de notre hypothèse – plutôt bienveillante –, se refuser à écarter le risque maximum sur la totalité des sites.

M. Hubert Reynier. Le partage aurait en effet fait l’objet d’une convention, qui aurait tenu compte des dates de libération et de début de mise en exploitation des différents bâtiments. La formule que nous avions imaginée était globale : elle était fondée sur un taux de rentabilité moyen du périmètre d’un peu plus de 6 %. Ce taux, qui avait servi de base à notre proposition, pouvait être considéré comme un taux d’intérêt général ; le taux de marché pour ce type d’opérations immobilières est aujourd’hui de 9 % minimum. Entre le taux de base et le taux de marché de 9 %, un partage était institué. Au-delà de ce seuil de 9 %, l’État récupérait l’intégralité de la mise, afin qu’il n’ait pas l’impression que le groupe Caisse des dépôts profitait avec cette opération d’une rentabilité supérieure à celle du marché.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Les loyers, notamment pour l’îlot Saint-Germain, auraient-ils pu constituer un frein à la conclusion de l’accord ?

M. Hubert Reynier. Dès lors que nous acquérions les immeubles avant qu’ils soient libérés, des loyers devaient évidemment être versés. La formule envisagée permettait à l’État de payer un loyer qu’il est possible là aussi de qualifier « d’intérêt général ». Il l’aurait pratiquement fixé lui-même : il existe des clauses de loyer habituelles entre l’État et la Caisse des dépôts. Nous tenions évidemment compte des loyers dans la valorisation du bien mais, dans l’ensemble, l’opération était équilibrée. De plus, la période de location était limitée, nombre d’actifs devant être libérés assez vite. Ainsi, les casernes de Reuilly et de Lourcine devaient être libérées dès 2011 ou 2012 ; la location la plus longue était celle de l’îlot Saint-Germain, qui courait jusqu’en 2014, soit sur une période de trois ans.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Quelle est la cause du recul du ministère de la Défense ?

M. André Yché. Ce mécanisme de loyers, mis en place notamment par M. André Viau, le précédent directeur de cabinet du ministre de la Défense, comportait des rendez-vous obligatoires et visait à sécuriser autant que possible la dynamique du transfert des services du ministère de la Défense sur le site de Balard. L’idée était de mettre en place des loyers tout à fait raisonnables pendant une période contractuelle.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Pourrez-vous nous en fournir les montants ?

M. André Yché. Oui, je le pense.

Au-delà des dates de transfert fixées par le ministère lui-même, ces loyers devaient ensuite s’élever de façon progressive ; ils jouaient ainsi un rôle de garantie de la dynamique du transfert vers le site de Balard. C’est notamment pour cette raison que les loyers de l’îlot Saint-Germain, dont la libération en 2014 était considérée comme l’élément final du transfert, faisaient l’objet d’une révision sensible au-delà de cette date. Il s’agissait de faire peser sur les organismes qui devaient déménager un système vertueux et auto-contraignant.

M. Hubert Reynier. Un système d’incitation au respect du calendrier était en effet mis en œuvre.

À mon sens, pour les pouvoirs publics, l’arbitrage était assez difficile à faire. Notre offre proposait une rentrée de fonds sûre. Cependant, comme l’analyse sur laquelle elle reposait était relativement limitée, nous avons été assez prudents en termes de prise de risque. Nous prenions également un risque en termes de calendrier : celui-ci était long et relativement mouvant. Par définition, l’anticipation du risque au moment de la formulation de l’hypothèse pèse un peu sur le prix.

Inversement, l’État peut prendre le risque de vendre au fur et à mesure des prévisions de libération de chaque bâtiment, et de parier sur l’état du marché immobilier à ces dates, de façon à – peut-être – valoriser beaucoup mieux ces actifs sur la base d’appels d’offres. Cette réflexion ne repose pas sur les mêmes termes que la nôtre. Elle n’est pas fondée sur une prise de risque immédiate avec une perspective d’exploitation immobilière, mais sur une approche transactionnelle : l’intérêt d’un acheteur pour un bien à un moment donné peut permettre de tirer de celui-ci un bien meilleur prix qu’auprès d’un acheteur qui réfléchit très longtemps à l’avance sans savoir, compte tenu des contingences, ce qu’il arrivera précisément à en faire. L’État doit choisir entre deux perspectives : vendre dans des conditions relativement sûres, mais assez conservatrices – au moins au départ –, ou suivre pendant quatre ou cinq ans le marché immobilier et prendre le risque transactionnel de réaliser un appel d’offres qui, selon l’état du marché immobilier, pourra apporter un bien meilleur résultat… ou un moins bon.

M. André Yché. L’arbitrage qui vient d’être décrit comporte un autre paramètre, extérieur au dossier. Au-delà des actifs du ministère de la Défense, d’autres immeubles ressortissant à l’État – du ministère chargé de l’équipement par exemple – pourraient être mis sur le marché dans des délais comparables ; dans ces conditions, il importe de s’assurer de la capacité du marché à absorber non seulement les immeubles mis en vente par le ministère de la Défense, mais aussi d’autres actifs immobiliers publics qui viendraient à être mis simultanément sur le marché. La décision doit donc aussi prendre en compte une programmation de cession à l’horizon des années 2014 ou 2015 d’autres actifs immobiliers de l’État situés dans la même aire géographique.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Depuis deux ans, la loi de finances initiale inscrit au budget de la Défense des recettes exceptionnelles, constituées pour une grande partie par la vente de ces actifs immobiliers. C’est cette situation qui est à l’origine de notre mission. Votre argumentation – que je comprends – est un peu contradictoire avec ces inscriptions.

M. Yves Deniaud, Président. Monsieur Yché, vous avez bien décrit le choix qui s’offre à l’État. La première option est celle de la sécurité sans aléas, c’est-à-dire sans perspectives de recettes très élevées – les résultats obtenus pour les opérations du centre de l’avenue Kléber ou de la rue Monsieur relèvent d’une époque où le marché n’était pas celui d’aujourd’hui. La seconde option est celle d’appels d’offres site par site au fil du temps et aux risques du marché. Il semble qu’aucune décision n’ait été encore réellement prise.

Michel Bouvard nous a indiqué que certains sites devaient être valorisés par la Sovafim et d’autres par la Caisse des dépôts. J’avais cru comprendre au contraire qu’une société unique, détenue par deux actionnaires – la Caisse pour les deux tiers et la Sovafim pour le tiers restant –, devait s’occuper de l’ensemble des sites. Qu’en est-il ?

Je suis exaspéré par ce que j’appellerai la « matriochkamania », les montages en cascades de filiales. Je n’étais pas favorable à la création de la Sovafim. En 1997, lors de la séparation entre la SNCF et Réseau ferré de France (RFF), la mission de RFF était la construction et la gestion des infrastructures et la valorisation des cessions immobilières. Parce que cette mission n’a pas été remplie correctement, il a été créé une nouvelle structure, dont le domaine d’intervention a été étendu au-delà de l’immobilier ferroviaire. Chaque opération aboutit à la création d’une nouvelle structure, avec un nouveau conseil d’administration, de nouveaux locaux, de nouvelles charges, de nouveaux comptes. Qu’en pensez-vous ?

Enfin, la Caisse n’aurait-elle pas pu réaliser l’opération seule ?

M. Hubert Reynier. Le portefeuille d’actifs devait être acquis en commun, avec un partage de l’actionnariat en fonction des moyens des uns et des autres. Cependant, la Sovafim nous a fait valoir que son objet social ne se limite pas à la propriété d’immeubles, mais s’étend aussi à la valorisation et à la gestion de biens immobiliers. Elle a donc souhaité que lui soit donné un rôle dans ce domaine, à l’instar de celui que joue la SNI au sein de la Caisse des dépôts. Nous avons donc entrepris de déterminer – de façon théorique – un partage des tâches. Sans que les éléments soient vraiment fixés, nous avions plutôt prévu pour les casernes, l’îlot Saint Germain, et peut-être l’Hôtel de l’Artillerie, la construction de logements, tandis que nous envisagions plutôt des bureaux pour les immeubles de la Pépinière ou de Pentemont.

Dans ces conditions – mais nous restons là dans les très grandes lignes de la négociation avec la Sovafim –, il nous semblait que la SNI devait être un acteur majeur plutôt pour les casernes, voire pour l’îlot Saint-Germain – actif dont la valorisation est très complexe – tandis que le rôle de la Sovafim se serait plutôt concentré sur les immeubles destinés à la construction de bureaux, dont la valorisation et la gestion sont sans doute plus faciles : les transformations à effectuer sont moins nombreuses, les questions de permis de construire moins compliquées. Il est donc vrai que la partie la plus lourde de la valorisation et de la gestion nous revenait, tandis que la Sovafim se voyait plutôt confier les « chevau-légers » du périmètre.

M. André Yché. J’ajoute que les structures juridiques ou financières envisagées étaient des structures sans personnel ; celui-ci provenait des structures opérationnelles. L’intervention de la Sovafim en était par la même structurellement limitée : cette société ne dispose pas des personnels capables d’assurer ce qu’on appelle « l’asset management », c’est-à-dire les arbitrages sur la destination et la valorisation des actifs. En pratique, son champ d’intervention était presque objectivement limité à la Pépinière. Il était hors de question que la Sovafim assure la responsabilité de Reuilly, où beaucoup de travaux de conduite de chantiers étaient prévus, et encore moins celle de l’îlot Saint-Germain et de sa redoutable complexité.

M. Yves Deniaud, Président. Je réitère ma dernière question : la Caisse n’aurait-elle pas pu conduire l’opération seule ?

M. Michel Bouvard. Si la Sovafim n’avait pas été bénéficiaire d’un droit de transfert, la Caisse aurait pu réaliser l’opération seule. C’est à cause de ce droit qu’il a fallu créer une société commune. La Caisse dispose déjà d’outils, dont la SNI, pour traiter d’immobilier d’État.

M. André Yché. La SNI a réalisé des opérations de reprise d’actifs de l’État sans la Sovafim : c’est le cas de celle consistant à réaliser entre 400 et 450 logements sur le site de l’ancien hôpital militaire de Dijon. J’ajoute que, depuis quelques années, près de 2 000 logements sont construits sur les sites des immeubles que nous avons repris. Enfin, des négociations sont en cours pour une deuxième série d’actifs.

En priorité, la SNI, conduit des négociations sur certains terrains d’assiette sur lesquels elle a fait construire des immeubles et dispose de baux, pour une durée de quarante ans environ. Elle a proposé à l’État de les racheter car ces terrains ne sont pas valorisables autrement. Aucune concurrence n’étant possible, puisque le repreneur est unique, la SNI se trouve en quelque sorte en situation de monopsone. Dans ce but, la SNI a engagé depuis deux ans une négociation avec France Domaine. Les fourchettes d’estimation se sont rapprochées : l’offre maximale de la SNI est de 95 millions d'euros, tandis que France Domaine en attend au moins 98. Nous espérons trouver un accord en 2010. En fait, la SNI n’est intéressée par l’achat de ces terrains que pour en devenir pleinement propriétaire.

Cela dit, dans le premier lot de terrains et d’immeubles – dont l’hôpital militaire de Dijon – que nous avons acheté, 1 700 logements sont aujourd’hui en production. Nous négocions un deuxième lot pour 700 logements et 4 millions d'euros.

Comme vous le voyez, indépendamment des transactions où la Sovafim intervient en application des dispositions dérogatoires dont elle bénéficie, la SNI a conclu de gré à gré nombre de transactions avec l’État.

M. Yves Deniaud, Président. Merci, messieurs, pour la qualité de vos réponses.

Audition du 11 mai 2010

À 9 heures 30 : M. Hervé Morin, ministre de la Défense

Présidence de M. David Habib, Président

M. David Habib, Président. Je remercie M. Hervé Morin, ministre de la Défense, d’avoir accepté de participer aux travaux de la MEC.

La mission d’évaluation et de contrôle achève aujourd’hui ses auditions relatives aux recettes exceptionnelles de la Défense.

Vous le savez, monsieur le ministre, la MEC a pour principe de dégager des propositions de consensus. Elle est organisée paritairement entre majorité et opposition ; comme l’an dernier, Louis Giscard d’Estaing et Françoise Olivier-Coupeau assument conjointement la préparation du rapport.

La Cour des comptes, qui nous accompagne dans nos travaux et que je remercie une fois encore pour sa participation fidèle, est aujourd’hui représentée par Mme Françoise Saliou, conseiller maître, et M. Antony Marchand, conseiller référendaire.

Un thème relatif à la politique de la défense nous a réunis chaque année depuis la fin de la législature précédente. Après la conduite de divers programmes d’armement et la logique des opérations militaires extérieures, nous avons choisi, cette année, un sujet plus strictement budgétaire : les recettes exceptionnelles de la Défense. Ces recettes constituent une réponse originale au problème de la « bosse de financement » à laquelle notre défense doit faire face au cours de la période couverte par la loi de programmation militaire. Chacun aura noté que votre ministère ne manque pas d’imagination en matière de financements innovants.

Mais encore faut-il que les recettes soient au rendez-vous. C’est à la fois un enjeu de défense nationale et une question de sincérité budgétaire, année après année. Or les résultats de 2009 sont apparus pour le moins décevants, d’où notre volonté de faire le point sur les chiffres et de comprendre les sources de décalage, afin d’anticiper les conditions de réalisation de la programmation en 2010 et les années suivantes.

Depuis le 9 mars, nous avons mené une quinzaine d’auditions relatives au cadrage d’ensemble et aux différentes sources de recettes exceptionnelles : cessions immobilières, vente de fréquences hertziennes et de l’usufruit de satellites. Nous arrivons maintenant au temps de la conclusion.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Nous travaillons en effet depuis quelques mois sur le dossier des recettes exceptionnelles inscrites dans les lois de finances initiales de 2009 et 2010 au titre du ministère de la Défense et, pour tout vous dire, monsieur le ministre, les auditions précédentes n’ont pas permis de faire toute la clarté. Nous sommes donc très impatients d’entendre vos réponses à nos questions.

Sur 972 millions d’euros de recettes exceptionnelles immobilières prévues pour le seul exercice 2009, nous sommes parvenus à identifier 286 millions de recettes réalisées, correspondant essentiellement à la soulte versée par la SNI, la Société nationale immobilière, au titre de loyers capitalisés sur dix ans. Et, sur 713 millions d’euros d’aliénations immobilières parisiennes, seuls 15 millions ont été réalisés.

En 2010, sur 702 millions d’euros de recettes exceptionnelles immobilières inscrites en loi de finances initiale, il nous a été indiqué que vous ne pourriez réaliser que 247 millions.

Grâce aux auditions précédentes, nous cernons bien comment vous vous êtes organisés pour compenser le manque à gagner en 2009. Mais comment vous y prendrez-vous pour boucler le budget 2010 ?

M. Hervé Morin, ministre de la Défense. Lors de mon entrée en fonction, j’ai constaté que la SNI se « faisait beaucoup de gras » aux dépens du ministère de la Défense et que notre politique immobilière pouvait être améliorée. J’ai invité le patron de la SNI à revoir les modalités des relations nous liant à elle, faute de quoi j’aurais dénoncé la convention et fait jouer la concurrence. C’est ainsi que nous avons gagné 200 millions d’euros et j’en suis fier. D’autant que, depuis 2007, nous pratiquons une politique immobilière un peu plus dynamique, en vendant des immeubles qui ont perdu leur utilité, en entreprenant de grands programmes de construction – notamment en Provence-Alpes-Côte d’Azur et en Île-de-France –, et en faisant évoluer les règles relatives à la situation de famille pour l’accès à un logement.

Votre description des recettes pour l’exercice 2009 est conforme à la réalité.

J’ajoute que France Domaine joue un rôle complexe ; mon collègue du ministère du Budget affirme que j’exagère mais c’est la vérité.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Nous auditionnerons le chef du service France Domaine cet après-midi. Si vous avez des questions à lui poser, nous pourrons les lui transmettre.

M. le ministre. Les estimations de France Domaine sont trop élevées, alors que, d’une part, nous devons réaliser nos actifs afin de percevoir des recettes et de nous débarrasser des coûts liés au gardiennage, et que, d’autre part, les villes frappées par la fermeture d’un régiment sont pressées de pouvoir engager des plans de reconversion. Pour le fort d’Issy-les-Moulineaux, un arbitrage du Premier ministre a été nécessaire pour aboutir à un accord, sur un montant de 50 millions. Nous avons besoin d’un système plus efficace.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Que penseriez-vous de l’instauration d’une procédure contradictoire pour évaluer les biens immobiliers dont le produit de la cession est inscrit en loi de finances initiale ?

Nous attendons toujours la liste des opérations correspondant aux 972 millions d’euros et nous espérons que nous l’obtiendrons cet après-midi.

M. le ministre. L’évaluation est effectuée par France Domaine, pas par nous. Nous décidons certes de procéder ou non à la cession mais nous ne disposons pas d’un pouvoir de gestion autonome, comme ce fut le cas par le passé. Une fois cette décision de principe prise, nous ne sommes que les exécutants de décisions prises pour l’essentiel par France Domaine.

En 2009, 15 millions d’euros ont effectivement été réalisés sur les emprises parisiennes et 50 millions sur les emprises régionales. Outre les 221 millions que vous avez évoqués correspondant à la soulte SNI, 136 millions ont été transférés depuis le budget général et 139 millions d’euros inscrits sur le compte d’affectation spéciale ont été reportés, soit un total de 561 millions. Par ailleurs, un rebasage de 260 millions a été opéré sur le programme 212 et le solde correspond aux effets de la désinflation ou à un décalage sur 2010.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. J’avais souhaité que vous soyez auditionné en compagnie de votre collègue du budget car nous avons effectivement le sentiment que beaucoup de choses se décident à Bercy.

M. le ministre. Tout se décide à Bercy !

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Vous nous avez bien expliqué les mécanismes comptables pour 2009 mais comment ferez-vous pour que nos armées, en 2010, ne soient pas pénalisées sur le plan opérationnel ?

M. le ministre. Pour 2010, nos discussions avec la Caisse des dépôts ont échoué car je me suis refusé à être le ministre responsable d’une nouvelle affaire de l’imprimerie nationale, vous voyez à quoi je fais allusion. Je ne voudrais pas être accusé, dans quatre ou cinq ans, d’avoir bradé le patrimoine de l’État dans un contexte défavorable au lieu d’attendre quelque temps pour obtenir des recettes supérieures. Faute de mieux, compte tenu du différentiel important entre l’estimation de France Domaine et la proposition de la Caisse des dépôts et de la Sovafim, nous avons décidé de différer la transaction et de procéder à la cession progressive, dans des conditions optimales, des immeubles – sur les sites de Lourcine et de Reuilly notamment –, que nous pourrons libérer dans les années à venir, avant l’achèvement de la construction de Balard en 2014.

Mais il s’ensuivra une différence entre les prévisions et les réalisations. La loi de programmation militaire prévoyait, pour 2010, 107 millions d’euros de recettes pour les emprises parisiennes, 239 millions d’euros pour les emprises régionales et 300 millions d’euros pour l’Hôtel de la Marine. Pour être clair, nous prévoyons maintenant 247 millions d’euros de recettes, eu égard notamment à la complexité de l’opération de l’Hôtel de la Marine, soit une différence de 400 millions d’euros. Mais, comme l’an dernier, nous pourrons « assurer la soudure » en consommant 360 millions de reports.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Quel reliquat de reports restera-t-il alors ?

M. le ministre. Tout dépendra de l’exécution budgétaire de l’exercice 2010.

Je souligne au passage que grâce, si je puis dire, au formidable système informatique Chorus, que nous avons le redoutable privilège d’expérimenter, nous accusons un retard d’exécution budgétaire de 2,3 milliards d’euros. J’ai procédé au recrutement d’intérimaires, mais encore faut-il que les trésoreries générales affectent des effectifs adéquats aux opérations de paiement.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. La loi de finances pour 2010 ne faisait apparaître aucun mouvement en lien avec l’Hôtel de la Marine. Or la loi de programmation militaire prévoyait une recette de 300 millions au titre de 2010. Pouvez-vous nous éclairer ?

Eu égard aux coûts de dépollution et dans un souci d’accompagnement des collectivités locales touchées par la réforme de la carte militaire, certaines emprises sont cédées pour l’euro symbolique, alors que les opérations étaient inscrites en loi de finances initiale pour des montants non négligeables. Qui prend ces décisions ? Le Fonds national d’aménagement et de développement du territoire, le FNADT, intervient-il ? Quelles compensations budgétaires obtenez-vous ?

M. le ministre. Le projet de l’Hôtel de la Marine est géré dans un cadre interministériel, avec France Domaine et le ministère de la Culture, au niveau du Premier ministre. Des réflexions sont en cours et un appel d’offres sera lancé. Ma préférence va vers un projet plutôt culturel car le site doit être appréhendé en fonction de son histoire. Aucune décision n’est encore prise.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Si nous souscrivons à votre sentiment quant à l’intérêt patrimonial et historique du lieu, il n’en demeure pas moins que la loi de programmation militaire prévoyait 300 millions de recettes pour 2010 au titre de sa cession.

M. le ministre. Pour 2010, les recettes à ce titre seront nulles. Je le répète, la différence entre les 646 millions de recettes prévues et les 247 millions de recettes réalisées sera couverte par des reports.

La loi de programmation militaire a été bâtie avant que le Président de la République décide de céder des sites pour l’euro symbolique. Une liste de collectivités situées en zone de restructuration de défense a été établie. Je préfère mille fois que nous cédions certaines emprises pour l’euro symbolique au lieu d’en garder la charge. Au demeurant, que la collectivité nationale accomplisse un geste vis-à-vis de communes qui ont vécu en union avec leur garnison pendant des décennies et aspirent à se reconvertir le plus rapidement possible, me paraît le minimum. Le montant annuel des cessions d’emprises régionales n’est que de 50 millions en moyenne ; il n’est pas scandaleux de perdre 5 ou 10 millions d’euros par an sur ce total si cela permet de supprimer des coûts – liés notamment au gardiennage – et de créer de la richesse pour le pays grâce à la reconversion.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Dans le cas de Sourdun, par exemple, le ministère de l’Éducation nationale, qui récupérera le terrain, ne devrait-il pas vous verser une compensation ? Le FNADT intervient-il ?

M. le ministre. Cela dépend des sites. Dans le cadre de la convention passée avec Valérie Pécresse pour construire des logements étudiants, des transferts financiers sont prévus. En revanche, l’opération de Sourdun s’est soldée par un gain d’un euro pour le ministère de la Défense.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Croyez-vous que le délai prévu pour le projet Balard, à savoir 2014, sera tenu ? Nous entendons dire que ce projet serait déjà sous-dimensionné. Qu’en pensez-vous ?

M. le ministre. Le calendrier du projet Balard est contraint mais nous sommes parfaitement en ligne. Et ce projet n’est absolument pas sous-dimensionné ! Je veux délocaliser et déconcentrer toutes les administrations de gestion du ministère de la Défense, dont la localisation à Paris n’est pas indispensable : les services de gestion des ressources humaines seront rassemblés à Tours et la maintenance ira à Bordeaux. Seuls les services participant à la décision et à la gouvernance du ministère doivent demeurer dans la capitale. Le motif est d’ordre social : un militaire ou un fonctionnaire civil gagnant 1 000 à 1 500 euros par mois préfère habiter en province plutôt que de passer une heure et demie matin et soir dans les transports en commun. En outre, les mutualisations entraînées par les regroupements de services à Balard permettront de gagner 2 000 postes.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Il était prévu que la cession des bandes hertziennes RUBIS et FELIN rapporte 600 millions d’euros. Quelle somme sera réalisée ? À quelle échéance ? Quel montant correspond à chacune des deux bandes ? L’ARCEP, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, doute manifestement de l’intérêt que ces réseaux pourraient susciter auprès du marché, même si l’un d’entre eux, FELIN, est considéré comme une « bande en or ».

Les coûts de dégagement de ces fréquences devraient théoriquement être portés par les industriels mais nous ne parvenons pas à savoir si les 600 millions d’euros sont nets des coûts de dégagement ou bruts.

M. le ministre. Les coûts de dégagement seront déduits du produit de la cession ; en d’autres termes, ils seront à notre charge.

Nous comptons toujours sur cette recette courant 2010. L’attribution devrait en effet intervenir avant la fin de l’année et le paiement sera immédiat. La somme ira au budget du ministère de la Défense.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Céder l’usufruit de satellites de télécommunications, dont l’espérance de vie est assez faible et dont la part capacitaire dévolue à des tiers est limitée à 10 %, ne permettra pas d’obtenir une marge importante. Nous serons probablement très loin des 400 millions d’euros nets prévus, d’autant que le ministère devra payer ses propres communications.

M. le ministre. Je constate que les Italiens sont demandeurs d’une réflexion à ce sujet. Si le calcul économique s’avère défavorable, nous ne le ferons pas. Le service étant actuellement gratuit, l’utilisation des capacités suit une augmentation considérable et permanente ; dès lors qu’il devra payer, le ministère de la Défense se montrera un peu plus attentif.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Sur ces deux sujets, nous avons eu le sentiment qu’il existait des petits problèmes de pilotage. Nous avons eu des difficultés à saisir si le dossier des fréquences hertziennes est traité à la DIRISI, la direction interarmées des Réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information, ou à la DGSIC, la direction générale des Systèmes d’information et de communication. Pour ce qui concerne les satellites, les industriels semblent avoir eu du mal à comprendre qui pilotait la procédure d’appel d’offres. Le futur programme franco-italien Sicral fera-t-il nécessairement partie du projet ou sera-t-il optionnel ?

M. le ministre. Ce sera une option.

Le pilotage des SIC – les systèmes d’information et de communication – posait problème, ce n’est pas un mystère. Ce secteur recèle un potentiel d’économies considérable : à l’horizon de trois ou quatre ans, nous pourrions réduire les coûts de 1,5 milliard. Michèle Alliot-Marie a créé la DIRISI, regroupant l’ensemble des SIC du ministère de la Défense, ce qui impose un effort de rationalisation considérable.

Elle a aussi créé la DGSIC mais sans la doter de pouvoir ni de moyens et en portant un civil à sa tête ; ce n’était qu’une autorité morale, considérée à l’aune de son budget et jugée éloignée des problématiques opérationnelles. J’ai choisi pour ma part de nommer à ce poste un militaire, reconnu comme l’un des meilleurs, l’amiral Christian Pénillard, et de regrouper progressivement entre ses mains tous les budgets des SIC. Auparavant, chaque armée s’ingéniait à développer ses propres systèmes, sans réfléchir à leur compatibilité avec ceux des voisins. Avec un patron unique, j’espère que nous sommes sortis de cette logique.

Les SIC constituent un très beau sujet d’étude pour un rapporteur spécial de la commission des Finances. Si le Parlement s’intéressait à la question, cela m’aiderait beaucoup à continuer de mettre de l’ordre.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Nous avons essayé d’auditionner le directeur interarmées des Réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information, mais il n’a pas pu venir…

M. le ministre. Nous en avons changé !

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Les recettes exceptionnelles inscrites en 2009 et en 2010 mais non réalisées seront-elles reportées sur le budget 2011 ? Sinon, quand seront-elles réalisées ou quand les services de Bercy constateront-ils les écarts ?

M. le ministre. Nous essaierons de procéder à ces affectations dans le budget triennal mais nous sommes dans une configuration un peu particulière puisque nos finances sont aussi régies par la loi de programmation militaire. J’ignore quel sort sera fait aux crédits de défense mais, comme je l’ai dit hier aux futurs chefs de corps de l’armée de terre, lutter contre les déficits et l’endettement du pays procède de la même logique qu’assurer la défense du pays. Ces questions sont aussi existentielles l’une que l’autre car, dans les deux cas, l’indépendance et la souveraineté du pays sur le long terme sont en jeu. Par conséquent, en tant que ministre de la Défense, je ne m’arc-bouterai pas sur l’application au centime près de la loi de programmation militaire.

Les trois années passées peuvent toutefois être marquées d’une pierre blanche car le niveau des crédits d’équipement est comparable à celui du début des années quatre-vingt-dix. Les unités commencent à en percevoir les effets, avec en particulier l’arrivée de VBCI – les véhicules blindés de combat d’infanterie – ou la rallonge de 200 millions d’euros au profit de nos forces déployées en Afghanistan, qui sont dorénavant aussi bien équipées que les troupes américaines et britanniques. À cet égard, la crise de 2008 a constitué une chance extraordinaire pour la Défense, puisque nous avons été les grands bénéficiaires du plan de relance, que nous avons parfaitement exécuté ; notre ministère n’a eu aucun problème pour dépenser ces crédits à une vitesse considérable, il a suffi d’ouvrir les vannes – à l’époque, Chorus n’existait pas encore… Je trouverais cependant assez normal que le ministère de la Défense contribue à l’effort de rationalisation budgétaire.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Nous avons tout de même eu énormément de mal à comprendre qui décidait quoi, à qui incombait la gouvernance de ces dossiers. J’ai le sentiment que vous avancez en marchant. D’autres recettes exceptionnelles sont-elles susceptibles d’apparaître dans les années à venir ?

M. le ministre. Non.

Pour l’immobilier, nous avons le temps. Nous pouvons espérer que l’Europe aura retrouvé davantage de croissance en 2013 ou 2014 et le ministère de la Défense, tout comme la France, est éternel... Je préfère donc que nous prenions un peu de temps pour vendre notre patrimoine immobilier dans les meilleures conditions. La mission de la Sovafim et de la Caisse des dépôts n’a pas abouti ; pour nous, l’affaire est close. Nous percevrons davantage de recettes exceptionnelles uniquement si nous sommes capables de vendre notre immobilier dans de meilleures conditions.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Dans le futur, en admettant que le marché se porte mieux ou que sa capacité d’absorption s’améliore, lorsque les recettes seront réalisées, est-il envisagé de les affecter au ministère de la Défense ou bien de les rediriger vers le budget général de l’État, considérant que vous avez déjà bénéficié de crédits de report ?

M. le ministre. À ce jour, il est établi qu’elles reviennent au budget du ministère.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. En tout cas, aujourd’hui, l’arbitrage est favorable au ministère de la Défense ?

M. le ministre. Oui.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. L’ARCEP n’a pas porté un jugement identique à propos des bandes FELIN et RUBIS : la première serait susceptible de rapporter des liquidités tandis que, pour la seconde, ce serait un peu plus compliqué ; par conséquent, la vente de RUBIS risquerait de ne pas se matérialiser cette année et il serait préférable d’attendre pour accroître sa rentabilité. Or vous semblez considérer que la bande RUBIS sera vendue cette année.

M. le ministre. C’est simple, nous sommes entre les mains de l’ARCEP ; elle seule décide. Or son directeur général, lors de son audition, a affirmé que l’attribution pourrait être effective avant la fin de l’année. Nous comptons sur cette recette. Si l’ARCEP estime que les conditions nécessaires à la vente de RUBIS ne sont pas réunies, un arbitrage sera rendu. Or, jusqu’à présent, lorsque les recettes exceptionnelles prévues n’étaient pas réalisées, le Premier ministre décidait d’un abondement.

Quoi qu’il en soit, depuis vingt ans, jamais le budget de la Défense n’a été aussi bien respecté : pour la première fois, les opérations militaires extérieures ont été financées sans ponction des crédits d’équipement et les budgets 2009 et 2010 n’ont fait l’objet d’aucune annulation de crédits significative.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Je cite les propos tenus ici par le directeur général de l’ARCEP : « il sera difficile de mettre sur le marché les fréquences à 800 MHz et celles à 2,6 GHz selon le même calendrier. Au mieux, l’appel à candidatures se terminera avant la fin de l’année, dans un calendrier très tendu. Au pire, la partie des fréquences à 800 MHz fera l’objet d’une affectation au plus tard au cours du deuxième trimestre 2011. »

M. David Habib, président. Monsieur le ministre, je vous remercie.

Audition du 11 mai 2010

À 17 heures : M. Daniel Dubost, chef du service France Domaine au ministère du Budget, des comptes publics et de la réforme de l’État

Présidence de M. Olivier Carré, Président

M. Olivier Carré, Président. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Daniel Dubost, chef du service France Domaine au ministère du Budget, des comptes publics et de la réforme de l’État.

Notre mission est assistée par la Cour des comptes, représentée aujourd’hui par Mme Françoise Saliou, conseiller maître ; M. Jacques Rigaudiat, conseiller maître ; M. Antony Marchand, conseiller référendaire et M. Claude Lion, conseiller référendaire.

Je salue également la présence de Mme Nathalie Deguen, secrétaire générale adjointe du Conseil de l’immobilier de l’État.

Quel est, monsieur Dubost, le rôle de France Domaine dans les opérations de cession menées par l’État, tant à Paris qu’en province, en particulier s’agissant du patrimoine immobilier de la Défense ? Quelles sont vos relations avec l’état-major des armées ? Comment les évaluations sont-elles pratiquées ? Quelles sont les remarques d’ordre général que votre travail vous inspire sachant que nous nous efforçons, par nos investigations, d’améliorer la législation et la conduite des politiques de l’État ?

M. Daniel Dubost, chef du service France Domaine au ministère du Budget, des comptes publics et de la réforme de l’État. Mesdames, messieurs, le service que j’ai l’honneur de diriger est le représentant de l’État propriétaire. « L’État propriétaire » est une notion apparemment simple, mais elle a été très longue à émerger. Jusqu’à une période récente, les fonctions immobilières étaient dispersées auprès des administrations, lesquelles se comportaient en quasi-propriétaires. À la suite des travaux de la MEC notamment, sous la houlette de son président M. Georges Tron, la politique immobilière de l’État s’est profondément transformée.

L’État s’est lancé dans des opérations de cession importantes, contrastant avec le faible flux constaté sur une période longue de dix ans – de l’ordre de 100 millions d’euros en moyenne par an. Depuis 2005, ce chiffre a fortement progressé, de 615 millions la première année (2005) à plus de 800 millions en 2007 et s’est maintenu depuis à un niveau élevé (près de 500 millions d'euros), malgré une conjoncture difficile. Toutefois, une politique de cession ne saurait tenir lieu de politique immobilière. D’ailleurs, M. Tron, en tant que président du Conseil de l’immobilier de l’État, l’a dit à maintes reprises. Nous avons donc essayé de mettre en place une stratégie de l’État, qui a concerné d’abord les administrations centrales, ensuite les services déconcentrés, puis les opérateurs.

En quoi consiste cette stratégie ? Il s’agissait de passer d’une politique événementielle de l’immobilier – souvent pour loger dans l’urgence tel ou tel, promu à une fonction éminente – à des prévisions à trois ou cinq ans. Le cas le plus connu est celui du ministère des Affaires étrangères encore éparpillé sur dix sites à Paris en 2005, qui va se regrouper sur deux sites, celui historique du quai d’Orsay et l’immeuble Gütenberg, rue de la Convention. Plus de la moitié du chemin a été parcouru par le ministère des affaires étrangères dans la réalisation de ce schéma. Le ministère de la Justice doit, lui aussi, se recentrer sur deux sites : la place Vendôme et un autre site qui n’est pas encore déterminé. France Domaine travaille avec les deux ministères concernés dans la réalisation de leur projet. Le ministère de la Défense, lui, a prévu de s’installer à Balard. Ce sont des illustrations sur trois administrations centrales, mais chacune a son schéma.

Nous avons fourni le même effort pour les administrations déconcentrées, dans le cadre de la réforme de l’administration territoriale de l’État, qui s’est traduite par la mise en place d’une direction régionale par ministère et de deux ou trois directions départementales interministérielles, ce qui, du point de vue immobilier, a exigé un effort considérable. Ces réorganisations sont menées en respectant des critères de performance immobilière. Les circulaires du 16 janvier 2009, qui ont créé l’État propriétaire, ont confié respectivement au ministre du Budget, pour les administrations centrales, et au préfet, au plan local, le soin de représenter l’État propriétaire.

La troisième étape, qui est encore devant nous, consiste à appliquer les règles de la politique immobilière de l’État aux opérateurs. Jusqu’à une période récente – et la situation était fréquemment dénoncée par la commission des Finances et la MEC – nous ne connaissions pas le patrimoine des opérateurs, tant quantitativement que financièrement. Dans un premier temps, nous avons recensé le parc immobilier de l’État occupé par les opérateurs, qui ne figurait ni dans son bilan, parce qu’il n’en avait pas le contrôle, ni dans celui des opérateurs. Ce travail a été très laborieux car il s’est heurté à la mauvaise volonté de certains opérateurs jusqu’au moment où, à la demande de la commission des Finances, M. Woerth, ministre du budget alors en fonction, a menacé les récalcitrants de sanctions budgétaires ou personnelles, ce qui nous a permis de sortir de l’ignorance dans laquelle nous étions tenus. L’évaluation est venue dans un second temps. Elle a fait l’objet d’une communication de M. Baroin en Conseil des ministres le 27 avril 2010. Les biens contrôlés par les opérateurs sont évalués à 42 milliards d’euros, une somme tout à fait considérable. Il s’agit des biens contrôlés par les opérateurs, dont une part importante est propriété de l’État. Il reste à définir la stratégie à mettre en œuvre pour le parc immobilier des opérateurs et de donner de la cohérence à l’ensemble.

S’agissant du ministère de la Défense, force est de reconnaître qu’il avait pris une longueur d’avance puisque sa politique de cessions immobilières remonte à 1987, dans le cadre de la loi de programmation militaire de l’époque. Il avait, pour ce faire, créé la Mission pour la réalisation des actifs immobiliers, la MRAI. Dans le cadre de l’unification de la fonction de l’État propriétaire, nous tentons d’appliquer à l’ensemble des administrations, quelles qu’elles soient, et sous réserve de quelques exceptions, les mêmes règles en matière de politique immobilière. Le ministère de la Défense bénéficie d’une exception concernant la contribution des cessions immobilières au désendettement de l’État, fixée en règle générale à 15 %. Sur ce sujet du désendettement, la loi de finances pour 2009 n’a fait que consacrer ce qui se faisait mais a donné une force légale à ces usages et préservé ainsi la contribution au désendettement.

Qui procède aux évaluations ? Que ce soit pour le ministère de la Défense ou pour un autre, c’est France Domaine. Notre évaluation fait office de borne de référence, la position constante de tous les ministres du Budget successifs étant qu’il ne faut en aucun cas risquer d’être accusé d’avoir « bradé » le patrimoine de l’État. Lorsque nous procédons par appel d’offres, ce qui est la règle, et que les propositions des soumissionnaires sont supérieures à notre évaluation, nous retenons la plus élevée, une fois effectués les contrôles nécessaires auprès de Tracfin, de l’administration fiscale et, maintenant, de la direction centrale du Renseignement intérieur. Lorsqu’elles sont en deçà, les instructions sont claires : nous déclarons l’appel d’offres infructueux et, soit, nous reportons l’opération, soit nous procédons à un réaménagement des conditions de la vente pour la relancer

Traditionnellement, les opérations de cession de la Défense ne faisaient pas l’objet d’appel d’offres et étaient conclues de gré à gré, parce que la procédure d’appel d’offres est extrêmement récente : elle date de l’institution de la nouvelle politique immobilière de l’État. En outre, la nature des biens vendus, souvent situés en centre ville et élément essentiel du patrimoine d’une collectivité, est telle que les collectivités locales sont souvent intéressées, si bien que le gré à gré est de mise. De manière générale, même en cas d’appel d’offres, la loi nous fait obligation de soumettre nos propositions en priorité aux collectivités locales. Lorsqu’elles répondent favorablement, nous leur cédons à la valeur domaniale. Dans la négative, nous lançons l’appel d’offres sans indiquer la valeur domaniale, qui constitue pour nous le prix de réserve.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Ce matin, nous avons auditionné le ministre de la Défense qui considère que les évaluations, utilisons un euphémisme, ne sont pas toujours optimales. Nous aimerions comprendre par exemple pourquoi, s’agissant de l’immobilier parisien, France Domaine a fait une évaluation de 713 millions d’euros alors que le consortium CDC-Sovafim – qui a vécu – a fait, lui, une offre de 500 millions d’euros. Comment s’explique une telle différence ? À ne pas vouloir brader, ne risque-t-on pas de ne pas vendre ? Vous interroge-t-on sur l’opportunité de vendre ou d’attendre ?

M. Daniel Dubost. Je me garderais bien de dire que les évaluations de France Domaine sont les meilleures du monde. L’évaluation est un art extrêmement difficile, d’autant plus délicat que le bien à vendre est spécifique et qu’il y a peu de références sur le marché local. Évaluer un logement est facile, un immeuble de bureaux moyennement facile – en fonction de l’existence d’un marché –, une caserne ou un terrain militaire beaucoup plus compliqué.

En la matière, le juge de la qualité de l’évaluation n’est autre que le marché. Nous prenons un soin tout particulier à comparer les propositions faites dans le cadre d’un appel d’offres à nos propres évaluations. Il y a deux ans, les critiques fusaient sur le thème « France Domaine sous-évalue la valeur des biens », non sans fondement puisque nombreuses étaient les propositions qui excédaient nos chiffres. En réalité, dans un marché exubérant, souvent une proposition dépassait nettement toutes les autres, mais il y avait aussi un cœur de propositions qui étaient peu éloignées de la nôtre.

En cas d’opération de gré à gré, le marché n’intervient pas, d’où la difficulté ; il faut être sûr de ne pas se tromper. Dès lors, n’y a-t-il pas un risque de blocage ? C’est arrivé, et nous avons pris des mesures. Si un conflit surgit entre l’État et une collectivité locale, la loi prévoit que, si la seconde n’est pas satisfaite de l’offre du premier, elle peut aller devant le juge de l’expropriation, qui, dans l’immense majorité des cas, – et j’ai plaisir à le dire – retient une proposition égale ou voisine de la nôtre. Il nous est arrivé aussi de choisir de concert un prestataire externe pour nous départager, en particulier dans le cadre d’une des plus grosses cessions du ministère de la défense : celle du fort d’Issy-les-Moulineaux. Au cas particulier, en accord avec la SEMADS, la société d’économie mixte d’Issy-les-Moulineaux, nous avons finalement retenu un opérateur chargé de juger la qualité de l’évaluation. Sur la base de cette évaluation, par des négociations bilatérales continues, pour en sortir et parce qu’il fallait conclure, nous avons fini par nous entendre sur le prix.

Vous avez, madame la Rapporteure, fait allusion à la plus grosse opération du ministère de la Défense, l’opération Vauban. Le ministre avait décidé de déroger à la règle de l’appel d’offres et de négocier avec la Caisse des dépôts et la Sovafim. Pour l’éclairer sur la valeur des biens, France Domaine pouvait se prévaloir d’une certaine expérience puisque nous avions déjà vendu dix immeubles dans le 7ème arrondissement de Paris, dont certains aussi importants : aucun n’avait été cédé à moins de 8 000 euros le mètre carré. Entre 2005 et 2009, le montant total des cessions a atteint 3 milliards d’euros : l’échantillon est donc large. Le bien le plus important, le centre de conférences internationales, a été vendu pour 404 millions d’euros, soit un montant supérieur à l’évaluation la plus importante du périmètre Vauban. Nous ne sommes pas les seuls sur le marché et nous avons informé le Gouvernement que l’Assemblée nationale par exemple avait acquis en 2009 un immeuble situé 33 rue Saint-Dominique à 10 200 euros le mètre carré, prix conforme, à nos yeux, à ceux du marché. Nous nous sommes aussi référés au prix de cession de l’immeuble le plus proche de celui du ministère de la Défense, à savoir celui de l’ex-Crédit National, et de taille comparable, à savoir 11 058 euros le mètre carré. Certains de ces prix remontent à un peu avant la crise, mais d’autres pas. Nous avons par ailleurs procédé en 2010 à une cession importante quai Branly. La comparaison est un outil essentiel pour nos évaluations et la sanction du marché le meilleur des juges.

Le consortium a fait une offre globale un peu supérieure à 500 millions d’euros, correspondant aux immeubles du périmètre Vauban, soit 3 800 euros le mètre carré pour l’ensemble Pentemont, 2 750 euros pour l’îlot Saint-Germain, et 4 400 euros pour l’Hôtel de l’Artillerie. Il nous a semblé que, même en période de crise, ces prix ne correspondaient pas à ceux du marché. Nos évaluations, pourtant prudentes puisque toutes inférieures au prix le plus faible des dix immeubles précédemment cédés par France Domaine dans le 7ème arrondissement, étaient toutes au-delà des prix proposés par le consortium. Nous avons conclu que le prix proposé par ce dernier ne permettrait pas au Gouvernement, en l’absence de recours au marché, de justifier auprès des nombreux organes de contrôle auxquels est soumise la politique immobilière de l’État que les intérêts patrimoniaux de l’État auraient été sauvegardés. Les arbitrages interministériels ont conduit à ne pas donner suite à la proposition.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. S’agissant des emprises immobilières dont la cession était prévue dans la loi de finances pour 2009, nous nous interrogeons sur l’écart entre le chiffre prévisionnel – 972 millions d’euros – et les réalisations – 65 millions.

M. Daniel Dubost. Les recettes inscrites en loi de finances correspondaient pour l’essentiel au périmètre Vauban. À partir du moment où les cessions n’étaient pas réalisées en 2009, les prévisions ne pouvaient être tenues.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Et dans quel délai les cessions pourront-elles être réalisées ?

M. Daniel Dubost. La date butoir est la date de déménagement du ministère de la Défense à Balard puisque, dans les considérations qui ont conduit le Gouvernement à ne pas retenir la proposition du consortium, figurait la clause obligeant l’État à payer des loyers au nouveau propriétaire jusqu’en 2014. Nous avons procédé aux petites cessions : la plus petite d’entre elles s’est faite un peu au-dessus de la valeur domaniale, par adjudication ; la seconde est allée à la Ville de Paris qui a exercé son droit de priorité, à la valeur domaniale ; la troisième – La Tour-Maubourg – sera portée à votre connaissance le mois prochain une fois que l’appel d’offres aura été publié. Pour le reste, M. Baroin a annoncé en Conseil des ministres un plan de 1 700 opérations prévoyant, sur la période 2011-2013, soit des appels d’offres classiques, soit une procédure adaptée pour l’îlot Saint-Germain.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Quand les fonds rentreront-ils ?

M. Daniel Dubost. La décision n’est pas encore formalisée, mais, indépendamment du moment de la vente, la date de versement des fonds pour la vente de l’îlot Saint-Germain devrait se situer en 2014, de sorte que l’État n’ait pas à payer de loyers pour occuper des locaux qui lui appartenaient.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Les fonds iront-ils alors au ministère de la Défense ou au budget général ?

M. Daniel Dubost. Aujourd’hui comme hier, tous les produits de cession vont au compte d’affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l’État » et, s’agissant de ceux du ministère de la Défense, ils repartent intégralement vers un budget opérationnel de programme du ministère de la Défense. La loi qui fixe le taux minimum de contribution au désendettement de l’État prévoit explicitement jusqu’en 2014 une dispense au profit du ministère de la Défense. À ce jour, rien ne laisse augurer qu’il en sera autrement.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Pouvez-vous nous communiquer une liste des emprises dont la cession entre dans les recettes exceptionnelles de la défense, avec leur évaluation et leur prix de cession effectif ? Et, si elles n’ont pas été vendues, la raison du report, la date prévue de réalisation.

M. Daniel Dubost. Elles ne sont pas très nombreuses, et ce ne sera pas difficile de vous les communiquer. Dans le cadre de la loi de programmation militaire 2009-2014, le montant des recettes exceptionnelles, de 926 millions d’euros, comprenait le périmètre Vauban pour 734 millions d’euros, la caserne Gley pour 43 millions d’euros, le pavillon Montparnasse pour 15 millions d’euros, l’immeuble de La Tour-Maubourg qui n’avait pas été valorisé, la caserne Sully pour 43 millions d’euros, les ateliers de Puteaux pour 15 millions d’euros, et le fort d’Issy pour 76 millions d’euros. Autrement dit, tout ce qui n’était pas dans le périmètre Vauban était évalué à 192 millions d’euros. Ces chiffres de la loi de programmation militaire 2009-2014, préparée en 2007, ont été retranscrits dans la loi de finances pour 2009 et dans celle pour 2010.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Au moment de l’élaboration des lois de finances pour 2009 et 2010, les évaluations des recettes immobilières étaient-elles, à votre avis, parfaitement réalistes ?

M. Daniel Dubost. Comme le savent les représentants de la Cour des comptes ici présents, en loi de finances, les prévisions de recettes n’étaient pas assorties d’une liste précise d’immeubles avec un montant individuel prévu de cession. Les chiffres étaient néanmoins cohérents avec les prévisions de recettes exceptionnelles arrêtées en 2007 au moment de l’élaboration de la loi de programmation militaire. À l’époque, ces prévisions n’étaient pas fondées sur des évaluations précises comme celles que nous avons faites bien par bien en 2009, dans une conjoncture beaucoup plus difficile. D’où des écarts possibles, notamment par rapport au tableau général des propriétés de l’État – TGPE –, c’est-à-dire au bilan de l’État.

M. Olivier Carré, Président. À votre avis, la soulte SNI, correspondant à des anticipations de loyers, a-t-elle sa place dans un CAS immobilier qui doit retracer des produits de cessions ?

M. Daniel Dubost. La question méritait d’être débattue. Elle a fait l’objet d’une décision ministérielle dans une lettre tout à fait explicite.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Vous en avez appelé au marché pour juger de la valeur des biens. Or le choix a été fait, pour le périmètre Vauban, d’une opération de gré à gré avec un consortium. Pourquoi ?

M. Daniel Dubost. Pour deux raisons : la première tenait au délai, étant entendu que la CDC et la Sovafim étaient prévenues que l’opération devrait se déboucler avant la fin de 2009, conformément aux hypothèses de la loi de finances ; la seconde étant que les biens transférés à la Sovafim l’auraient été sous une forme juridique qui dispensait l’État de les soumettre au droit de priorité des collectivités locales – c’est du reste ce qui justifiait la présence dans le consortium de la Sovafim aux côtés de ce mastodonte qu’est la CDC.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Et qu’en est-il de l’Hôtel de la Marine, valorisé dans la loi de programmation militaire à 300 millions d’euros, et dont on ne parle plus ?

M. Daniel Dubost. Une seule décision a été prise à ce jour : l’Hôtel de la Marine ne sera pas vendu. Les discussions actuelles portent sur les conditions dans lesquelles il pourrait être valorisé. Mais il n’a jamais figuré dans le périmètre Vauban.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. D’où sort le chiffre de 300 millions d’euros, qui figure dans la loi de programmation militaire mais pas en loi de finances ?

M. Daniel Dubost. France Domaine n’a pas participé à la préparation de loi de programmation militaire. Le sujet étant éminemment sensible, nous sommes extrêmement prudents.

Mme Françoise Olivier-Coupeau, Rapporteure. Quittons Paris et mettons le cap à l’Est où beaucoup de cessions prévues ont été anticipées dans les recettes. Dans de nombreux cas, les collectivités locales devront débourser un euro symbolique. Avez-vous dressé la liste de ces biens et leur valeur est-elle inscrite au TGPE ? Autrement dit, quel est le manque à gagner par rapport aux recettes exceptionnelles anticipées ?

M. Daniel Dubost. Dans le cadre des contrats de redynamisation de site de défense, il a été décidé de procéder à la cession à l’euro symbolique quand les collectivités locales le souhaitaient. Chaque décret autorisant la cession d’un bien mentionne sa valeur inscrite au TGPE. Je pourrai donc vous communiquer le chiffre. On doit être aujourd’hui autour d’une dizaine de biens environ. Toutefois, les collectivités locales n’useront pas forcément de manière systématique de leur droit et les prévisions sont difficiles. Par ailleurs, mettant en œuvre une décision de principe prise par le Président de la République, l’article 67 de la loi de finances pour 2009 prévoit un partage par moitié entre l’État et les collectivités locales des plus-values réalisées dans les quinze ans.

M. Olivier Carré, Président. Il ne me reste plus, monsieur Dubost, qu’à vous remercier au nom de notre mission.

1 () La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

2 () Un tableau plus détaillé figure page 45 du présent rapport.

3 () Voir en annexe ci-après, le compte rendu de l’audition de M. Olivier Debains, président de la Sovafim.

4 () Voir en annexe ci-après, le compte rendu de l’audition de M. Daniel Dubost, chef du service France Domaine, le 11 mai 2010.

5 () Voir en annexe ci-après, le compte rendu de son audition le 11 mai 2010.

6 () Voir en annexe ci-après, le compte rendu de son audition le 8 avril 2010.

7 () Voir en annexe ci-après, le compte rendu de son audition le 8 avril 2010.

8 () Voir en annexe ci-après, le compte rendu de son audition le 8 avril 2010.

9 () Voir en annexe ci-après, le compte rendu de son audition le 11 mai 2010.

10 () Voir en annexe ci-après, le compte rendu de son audition le 11 mai 2010.

11 () Voir en annexe ci-après, le compte rendu de son audition le 25 mars 2010.

12 () Voir en annexe ci-après, le compte rendu de son audition le 25 mars 2010.

13 () Voir en annexe ci-après, le compte rendu de son audition le 9 mars 2010.

14 () Voir en annexe ci-après, le compte rendu de son audition le 7 avril 2010.

15 () Voir en annexe ci-après, le compte rendu de son audition le 11 mai 2010.

16 () Voir en annexe ci-après, le compte rendu de leur audition le 25  mars 2010.

17 () Voir en annexe ci-après, le compte rendu de son audition le 11 mai 2010.

18 () Voir en annexe ci-après, le compte rendu de l’audition du 25 mars 2010.

19 () Voir en annexe ci-après, le compte rendu de son audition le 25 mars 2010.

20 () Voir en annexe ci-après, le compte rendu de son audition le 7 avril 2010

21 () Voir en annexe ci-après, le compte rendu de l’audition du 9 mars 2010.

22 () Au cours de son audition le 9 mars 2010 : voir en annexe ci-après.

23 () Voir en annexe ci-après, le compte rendu de son audition le 9 mars 2010.

24 () Voir en annexe ci-après, le compte rendu de son audition le 9 mars 2010.

25 () Voir en annexe ci-après, le compte rendu de son audition le 11 mai 2010.


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