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N° 2638

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 18 juin 2010

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA MISSION D’INFORMATION (1)

sur les marchés de quotas de gaz à effet de serre

AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

ET PRÉSENTÉ

PAR M. François-Michel GONNOT,

Député.

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(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

La mission d’information sur les quotas d’émission de gaz à effet de serre est composée de : M. Philippe Martin, président, M. François-Michel Gonnot, rapporteur, M. Michel Havard, M. Jean-Marie Sermier, Mme  Claude Darciaux,, M. Stéphane Demilly, M. André Chassaigne.

SOMMAIRE

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Pages

DIX PROPOSITIONS POUR MIEUX FAIRE 5

INTRODUCTION 7

PREMIÈRE PARTIE : LE SYSTÈME QUI NOUS DIVISE LE MOINS 9

I.— POURQUOI UN SYSTÈME DE QUOTAS ? 11

A.— L’INTROUVABLE TAXE SUR LES ÉMISSIONS DE CARBONE 13

B.— L’INFLUENCE DES NÉGOCIATIONS INTERNATIONALES 15

C.— LA DÉCISION EUROPÉENNE : DE SUIVEUR À CHEF DE FILE 17

II.— LE FONCTIONNEMENT DU SYSTÈME EUROPÉEN 19

A.— L’ÉMERGENCE D’UN SIGNAL PRIX PAR L’ÉCHANGE DE QUOTAS SOUS PLAFOND 20

B.— LES TROIS PHASES D’ALLOCATION 23

1. La phase I (2005-2007) : un cadre expérimental 25

2. La phase II (2008-2012) : un cadre réellement contraignant 26

3. La phase III (à partir de 2013) : vers un cadre durable 29

C.— UN OBJECTIF RÉALISTE DE RÉDUCTION DES ÉMISSIONS POUR 2020 32

III.— LES FAIBLESSES DU SYSTÈME EUROPÉEN 36

A.— UNE VOLATILITÉ DES COURS ASSUMÉE 38

B.— UN MARCHÉ INSUFFISAMMENT RÉGULÉ 41

C.— UNE COUVERTURE PARTIELLE DES ÉMISSIONS 47

SECONDE PARTIE : PARFAIRE LE SYSTÈME 51

I.— ÉTENDRE LA COUVERTURE DU SYSTÈME 53

A.— INCLURE DE NOUVEAUX SECTEURS 53

B.— APPRÉHENDER LES ÉMISSIONS DU SECTEUR DIFFUS 55

C.— VALORISER LES PUITS DE CARBONE ET LES MÉCANISMES DE PROJET 58

II.— PRÉSERVER LA COMPÉTITIVITÉ DES INDUSTRIES EUROPÉENNES 63

A.— LE RISQUE DE FUITES DE CARBONE 65

B.— LA NÉCESSITÉ D’UN AJUSTEMENT AUX FRONTIÈRES 68

C.— LA COMPATIBILITÉ AVEC LES RÈGLES DU COMMERCE INTERNATIONAL 70

III.— CONSTRUIRE UNE EUROPE DÉCARBONÉE ? 75

A.— LA DÉFINITION CRUCIALE D’UNE PLATEFORME D’ENCHÈRES 76

B.— UNE EXPÉRIENCE À VALORISER À L’ÉCHELLE MONDIALE 79

C.— EXEMPLARITÉ VOLONTARISTE OU RÉALISME PRAGMATIQUE ? 83

EXAMEN PAR LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE LE MARDI 15 JUIN 2010 85

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 97

ANNEXES 99

– Directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil
du 13 octobre 2003 établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil

– Directive 2004/101/CE du Parlement européen et du Conseil
du 27 octobre 2004 modifiant la directive 2003/87/CE établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté, au titre des mécanismes de projet du protocole de Kyoto

– Décision n° 406/2009/CE du Parlement européen et du Conseil
du 23 avril 2009 relative à l’effort à fournir par les États membres pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre afin de respecter les engagements de la Communauté en matière de réduction de ces émissions jusqu’en 2020

DIX PROPOSITIONS POUR MIEUX FAIRE

1. Promulguer avant la fin de l’année 2010 le cadre réglementaire de la phase III

Parce que les industriels assujettis au système demandent une visibilité sur le dispositif pour définir une stratégie carbone pertinente.

2. Définir juridiquement et au niveau européen le quota d’émission

Parce qu’il est déstabilisant pour les échanges que le quota change de nature juridique à l’intérieur des frontières de l’Union européenne.

3. Instituer une régulation spécifique

Parce que pour un meilleur fonctionnement du marché, et comme la définition du quota reste à donner, une régulation ad hoc est nécessaire.

4. Constituer pour la phase III une plate-forme d’enchères unique

Parce que la simplicité du dispositif plaide pour un rassemblement sur le site de la place de marché la plus performante.

5. Fixer un prix plancher pour l’adjudication des quotas

Parce qu’un prix plancher sur le marché primaire stabilisera le signal-prix.

6. Définir à l’échelon européen une taxe sur les émissions du secteur diffus

Parce que le secteur diffus représente 60 % des émissions européennes et qu’il est nécessaire de compléter le marché de quotas.

7. Limiter l’assujettissement du secteur de l’aviation aux vols moyen-courriers

Parce que les aéroports européens seraient handicapés dans la compétition internationale et l’Europe y perdrait de son attractivité.

8. Instaurer un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières

Parce que les entreprises européennes doivent faire face à leurs concurrents à armes égales, et pour entraîner les pays non engagés dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.

9. Établir une coopération avec les pays asiatiques

Parce que l’expérience du modèle européen peut faciliter l’émergence des marchés de quotas à l’étranger.

10. Une fois les recommandations précédentes appliquées, accroître l’objectif européen de réduction des émissions de gaz à effet de serre

Parce que le développement durable, économique et environnemental, l’exige.

MESDAMES, MESSIEURS,

Le premier Sommet de la Terre, tenu à Stockholm en juin 1972, a fait émerger les préoccupations environnementales sur la scène internationale. Vingt années plus tard, le Sommet de Rio confirmait la prise de conscience du caractère limité des ressources naturelles et des dangers des activités humaines pour les équilibres physiques et biologiques de la planète. Néanmoins, l’écologie s’est encore longtemps trouvée rejetée dans les dernières places de l’agenda politique, reléguée par des intérêts plus immédiats mais moins fondamentaux. Ainsi que l’affirmait en 2002 devant l’assemblée plénière du IIIe Sommet de la Terre le Président Jacques Chirac : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ».

Ce n’était pas tout à fait exact ; du moins, c’était en passe de ne plus l’être. Les traités internationaux s’inquiétaient de préservation du milieu naturel dès les précédentes décennies. On citera pour mémoire la convention de Washington de 1973 sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction, la convention de Barcelone de 1976 contre la pollution en Méditerranée, ou encore la convention de Berne de 1979 sur la protection de la vie sauvage.

Les années 1980 marquèrent une étape, dans la mesure où la volonté de protéger la nature se doubla de la crainte de détruire la planète et, avec elle, l’humanité. La convention de Vienne de 1985 sur la protection de la couche d'ozone et ses protocoles traduisent en droit le constat scientifique du caractère néfaste de certains gaz pour les équilibres naturels fondamentaux.

La même démarche prévaut à partir des années 1990 lorsque l’origine anthropique du dérèglement climatique est établie. Les émissions de gaz à effet de serre générées par les activités humaines doivent être contrôlées pour espérer pouvoir stabiliser le processus. Le principe politique en est acquis en 1992 lors du Sommet de Rio ; sa traduction juridique reçoit le paraphe de l’écrasante majorité de la communauté internationale à Kyôto en 1997.

Cependant – hélas ! – et pour diverses raisons, tous les États ayant signé le traité ne l’ont pas ratifié. Tous ceux qui l’ont ratifié n’en reçoivent pas une obligation de limiter leurs rejets de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Et tous ceux qui ont reçu cette obligation ne s’y sont pas conformés, soit que les événements les en ont dispensés, soit qu’ils ne semblent pas en mesure d’honorer leurs engagements.

Au milieu de cette succession de dédits, le continent européen fait exception. Les nations qui le composent ont été les premières à orchestrer un effort politique majeur, économiquement coûteux, pour contrôler le volume de gaz à effet de serre rejeté dans l’atmosphère qui tombe sous leur responsabilité. À travers l’Union européenne, un mécanisme contraignant est apparu, qui fixe la limite supérieure des émissions autorisées, le cap à ne pas doubler. C’est un système d’échange de quotas d’émission.

Ce mécanisme fait l’objet de préjugés qui découragent la curiosité – avec d’autant plus de succès qu’ils sont pour beaucoup justifiés. Il est complexe car il compte plusieurs opérateurs. Il est obscur car il ne concerne pas le citoyen. Il est étranger car il a été imaginé par des Anglo-Saxons et mis en pratique par les États-Unis. Il est immoral car il crée un intérêt attaché à une quantité de pollution, alors que l’instrument fiscal aurait transcrit une démarche sociale plus punitive.

Pourtant, une étude approfondie et des consultations nombreuses prouvent que le système européen de crédits ETS (pour European Trading Scheme) possède des vertus et surtout une efficacité. Conçu en 2003 et entré en vigueur en 2005, il est devenu la pierre d’angle de la politique européenne de lutte contre le changement climatique et les émissions de carbone.1 C’est grâce à lui, du moins en partie, que les États qui composent l’Union européenne atteindront les objectifs qui leur avaient été assignés à Kyôto.

Comme tout système, le marché d’échange de quotas est perfectible. Il a vocation à encadrer les émissions industrielles, non les activités de la population et des petites entreprises. Conçu comme une bourse d’échange, il en a les inconvénients : spéculation, tentatives de fraude, fluctuation des cours.

Mais si le système européen interroge, c’est par-dessus tout parce qu’il remplit la mission pour laquelle il a été créé : contrôler les émissions de CO2, donc mécaniquement brider la croissance économique en détournant une partie des moyens financiers vers un achat de quotas ou vers des investissements environnementaux que la stricte logique de production n’aurait pas exigé. Dans un monde où l’Europe seule s’engage sur cette voie, les crédits carbone sont un handicap face à la concurrence internationale, handicap qui se paie en richesses et en emplois. C’est une forme d’injustice.

Il est pourtant hors de question de renoncer à une politique ferme de développement durable. Des améliorations doivent donc être imaginées pour concilier lutte contre le changement climatique et compétitivité économique.

PREMIÈRE PARTIE

LE SYSTÈME QUI NOUS DIVISE LE MOINS

Hormis les industriels concernés et les administrations chargées de le mettre en œuvre, quel citoyen français a entendu parler de l’existence même d’un système européen d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre ? Cette dénomination fort longue laisse augurer d’un mécanisme particulièrement complexe voire inintelligible. La fixation de l’attention médiatique sur les négociations internationales de lutte contre le changement climatique n’a pas vraiment permis de lever les ambiguïtés. Bien au contraire, la connaissance des mécanismes internationaux de limitation d’émissions de gaz à effet de serre suscite la confusion, car il existe un marché d’échange de quotas né du Protocole de Kyoto de 1997. Mais ce dernier ne correspond que partiellement à la structure européenne ; plus exactement, il est à l’origine du mécanisme européen qui l’a depuis surpassé.

Si le citoyen a appris l’existence d’une « subtile » machinerie européenne conçue pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre, ce fut probablement lorsque le Conseil constitutionnel se fonda sur celle-ci pour prononcer la censure de la taxe carbone qu’instaurait la loi de finances initiale pour 2010 (2). Plus exactement, les juges de l’aile Montpensier considérèrent contraire au principe d’égalité devant les charges publiques de dispenser les émetteurs industriels de gaz polluant de leur contribution carbone au motif qu’ils étaient par ailleurs assujettis à un système continental de quotas, alors que lesdits quotas ne cesseraient d’être alloués à titre gracieux qu’en 2012. Quelle que soit l’opinion de chacun sur cette décision – dont les auditions conduites par la mission d’information ont montré qu’elle ne saurait se prévaloir d’une unanimité – il a marqué la fin de l’ambition d’instaurer une taxe carbone nationale. On peut douter qu’il ait aidé à préciser les contours du système européen d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre (SCEQE).

Le SCEQE s’inscrit en opposition avec les traditions institutionnelles européennes. L’histoire et la culture des États européens les auraient plus volontiers conduit à édicter un mécanisme réglementaire ou à adopter une mesure fiscale pour interdire en droit ou limiter en fait le recours à un produit considéré comme dangereux pour la collectivité. C’est en fait la troisième option de contrôle de la pollution identifiée par la théorie économique, le marché de quotas, qui s’est imposée contre toute attente et, par ironie de l’histoire, à l’initiative de la diplomatie américaine avant qu’elle ne se désengage des négociations de lutte contre le changement climatique.

Mais s’il est né d’un compromis davantage que d’une conviction, le système européen d’échange de quotas donne aujourd’hui satisfaction dans son fonctionnement. Si l’on excepte les failles inhérentes à un mécanisme économique et juridique nouveau, failles qui sont d’ailleurs en cours de correction et qui ne remettent pas en cause les fondements du système, la mission a pu constater le consensus qui s’est formé autour de sa perpétuation et de son évolution. Ce jugement favorable est notamment apparu chez les industriels qui louent la visibilité conférée par le dispositif. Cette caractéristique permet l’établissement d’une stratégie à moyen et long terme qui intègre dans l’économie d’entreprise la contrainte environnementale. Il a d’ailleurs été grandement regretté que le passage à la phase supérieure du dispositif ne soit pas encore parfaitement arrêté dans ses principes réglementaires.

La mission d’information a abordé le sujet des quotas de carbone depuis son origine. Elle s’est en premier lieu interrogée sur les raisons qui avaient présidé à l’instauration de pareil système si complexe (I). Le fonctionnement du marché a ensuite été exploré dans sa philosophie et dans ses mécanismes successifs d’allocation des quotas (II). Ses faiblesses n’ont pas été ignorées (III). La France se montre particulièrement active pour convaincre ses partenaires européens et la Commission d’y apporter de nécessaires correctifs.

I.— Pourquoi un systÈme de quotas ?

La pollution n’est pas en soi une variable qui trouve sa place dans la décision d’agir ou de s’abstenir que prend un acteur économique. Dans un monde aux ressources infinies, elle serait indifférente. Si les matières premières sont limitées, mieux vaut même se montrer prompt à les consommer dans leur ensemble sous peine de s’en voir privé par les actions d’autrui. Pour que les choix s’ajustent en fonction de cet élément extérieur, il convient de l’internaliser, c'est-à-dire de lui conférer une valeur économique à même d’influer sur le comportement. La science économique envisage à cette fin trois méthodes à la disposition de l’autorité publique (3).

Dans l’article La tragédie des biens communs, Garret Hardin (4) explore les mécanismes de prédation des ressources naturelles à partir de l’exemple de villages entourés de pâturage communaux. Il est admis que tout membre de la communauté peut librement y accéder pour nourrir ses bêtes. Le système perdure sans heurt seulement si le pré supporte le passage de la totalité du bétail. Dans le cas contraire, chacun a intérêt à se précipiter sur le moindre brin d’herbe disponible au mépris des besoins des voisins et sans veiller à la reconstitution naturelle du pâturage. Celui-ci, in fine, se voit détruit car surexploité.

La prise de conscience de la nécessité d’un environnement sain ne saurait mieux s’exprimer que par cette scène. Le village correspond à la planète, ses habitants à l’humanité, son pré communal au milieu naturel que nul ne peut s’approprier. La croissance économique globale et l’émergence de nouvelles puissances économiques sur la scène internationale menacent d’épuisement les ressources naturelles en général et les équilibres climatiques en particulier. Alors que l’origine anthropique de l’élévation des températures semble faire consensus dans la communauté scientifique, il est de l’intérêt de tous de tenir sous contrôle les émissions de gaz à effet de serre. Néanmoins, tant que la pollution demeure gratuite, rien n’incite à réorienter une fraction de l’activité économique vers des secteurs propres ni à détourner une part de la richesse produite vers l’élaboration de processus de fabrication moins émetteurs de carbone. La lenteur des phénomènes climatiques plaide de surcroît en faveur de ce comportement consumériste puisque, quoi qu’il advienne, ce sera dans un avenir suffisamment lointain pour que la responsabilité se disperse et qu’aucun sentiment de culpabilité ne s’impose.

La collectivité peut édicter des règles pour dissiper la fatalité de l’issue. Les trois mêmes méthodes sont à la disposition des villageois pour préserver leur pré, et de la communauté internationale pour limiter les émissions de carbone : l’outil réglementaire, l’instrument fiscal et l’institution du marché.

Il est d’abord possible d’organiser par la loi le droit de pâturage et l’accès au pré. La consommation de la ressource est ainsi individualisée dans le temps ou dans l’espace, par la délimitation de parcelles ou par des rotations déterminées. Ces règles doivent être impératives et donc, pour s’assurer de leur respect, être assorties de sanctions dissuasives. Cette méthode a déjà fait ses preuves dans la politique de protection de l’environnement. Le Protocole de Montréal établi en 1987 a mis en œuvre un système graduel d’interdiction des chlorofluorocarbures (CFC) responsables de la dégradation de la couche d’ozone. Son succès a été si complet que Kofi Annan, alors secrétaire général des Nations unies, l’a qualifié de meilleur traité international jamais conclu. Cette solution se prête cependant mal à la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre dans leur ensemble, produits à de bien plus nombreuses occasions que les CFC. Elle impliquerait de réglementer toutes les activités de la vie quotidienne et d’attenter grandement, à terme, aux libertés individuelles. Le contrôle ne saurait être poussé à ce paroxysme sur l’ensemble de la planète.

Il est ensuite possible de frapper d’une redevance l’usage privé de la ressource commune. Son montant serait établi de sorte à augmenter le coût de pâture jusqu’à l’accorder à la quantité exacte de fourrage qui peut être prélevée sans menacer la reconstitution du pré. La collectivité disposerait de surcroît d’une manne financière qu’elle pourrait employer dans l’intérêt général. On parle alors de double dividende, puisque la préservation de la ressource commune est atteinte tout en libérant des moyens financiers. Cet avantage annexe ne doit pas masquer le principal ni distraire sur l’objectif premier de la mesure. Il ne s’agit pas de mobiliser de nouvelles ressources fiscales. L’idée d’une taxe vouée à internaliser la contrainte environnementale et à faire supporter à celui qui la détruit le coût de sa disparition, dite taxe pigovienne (5), est à la source du principe pollueur-payeur. La principale difficulté de sa mise en œuvre tient à l’évaluation du taux de taxation, suffisamment élevé pour freiner la consommation et suffisamment souple pour ne pas la dissuader tout à fait au risque de voir disparaître des ressources fiscales.

Il est enfin envisageable de confier à un marché le soin de déterminer le prix de la ressource commune qui concilierait nécessité de production et préservation du bien commun. Les villageois désireux de gérer au mieux leur pré communal ont historiquement procédé de cette façon, en instaurant la propriété privée des terres et en les fermant à la collectivité par la généralisation des clôtures. Déclinée dans un modèle de permis d’émission négociables et échangeables par Ronald Coase (6), cette théorie postule que la fixation d’une quantité maximale d’émission fait émerger un signal prix qui concentre automatiquement l’effort sur les participants au marché dont le coût d’abattement est le plus faible. Elle a également fait ses preuves dans le domaine de la protection de l’environnement puisqu’elle a permis aux États-Unis de contrôler leurs émissions de dioxyde de souffre, responsables du phénomène des pluies acides. Les installations assujetties pouvaient s’échanger les quotas reçus ou les reporter vers une production future.

De ces trois réponses à la pollution offertes par la théorie économique, la réglementation ne pouvait donner satisfaction. La culture et l’histoire des démocraties européennes leur dictaient de se prononcer en faveur d’un mécanisme de taxation, ce qui fut leur premier mouvement. Pour des raisons institutionnelles plus que pratiques, cette tentative s’acheva sur un échec. Par une ironie de l’histoire, c’est un autre échec de l’Europe, dans le cadre international des négociations de Kyoto et devant les États-Unis, qui a conduit le Vieux Continent à développer le marché de quotas le plus performant au monde.

A.— L’introuvable taxe sur les émissions de carbone

La querelle scientifique entre géologues et climatologues quant à l’origine anthropique du changement climatique s’est déroulée jusqu’à la fin des années 1980. La création du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), à l’initiative conjointe de l’organisation météorologique mondiale (OMM) et du programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), a permis de faire émerger un consensus. Il est désormais globalement admis par la communauté scientifique internationale que les émissions de CO2 jouent un rôle dans le phénomène de réchauffement. Au reste, même les adversaires de cette thèse ne soutiennent pas que la libération de carbone dans l’atmosphère puisse susciter un quelconque effet positif.

La certitude de la nocivité du CO2 établie scientifiquement, le continent européen a été parmi les premiers à en déduire l’opportunité d’une action politique destinée à limiter les émissions. La France aborde ainsi les questions écologiques avec la création en 1992 de la mission interministérielle de l’effet de serre (MIES). Comme le souligne Michel Rocard, « à l’époque, le développement des écotaxes semblait l’instrument public le plus approprié ». Pionniers dans ce domaine, les pays scandinaves (Finlande, Danemark, Suède) ont édicté dès le début des années 1990 des impôts écologiques portant essentiellement sur les énergies fossiles émettrices de carbone et, parfois, sur l’électricité.

Une telle initiative pénalise toutefois la compétitivité des entreprises et le pouvoir d’achat des ménages par rapport aux États voisins. C’est particulièrement vrai dans le marché commun que constitue alors l’Europe des Douze. Pour se montrer réellement efficace, une incitation à la modération des émissions de gaz à effet de serre doit s’exercer à l’échelle communautaire. La Commission européenne a ainsi proposé d’instaurer une taxe paneuropéenne sur le carbone et l’énergie en 1992.

Séduisante bien qu’elle ait été formulée dans une période où la prise de conscience collective des enjeux du développement durable restait embryonnaire, cette idée s’est heurtée à des oppositions. Le secteur industriel, notamment, a exercé des pressions considérables sur les États membres. L’échec, cependant, s’explique principalement par le système institutionnel de la Communauté d’hier, qui n’a d’ailleurs que faiblement évolué dans l’Union d’aujourd’hui. Il découle aussi en droite ligne des intérêts divergents des partenaires européens, la France et l’Allemagne en premier lieu.

Les Traités européens prévoient que les procédures d’adoption d’un acte communautaire diffèrent en fonction de la mesure proposée. Le rôle du Parlement européen s’en trouve renforcé ou diminué. Quant au Conseil de ministres, le vote qu’il émet requiert de réunir une certaine majorité de ses membres. En matière fiscale, la règle qui prévaut est celle de l’unanimité des États. Instituer une taxation sur le carbone revient donc à s’assurer de l’accord de la totalité des douze membres qui composent alors la Communauté. Or certains estiment que l’autonomie fiscale de l’État et les prérogatives souveraines du Parlement national excluent, sans discussion possible, de discuter d’une mesure de taxation. La spécificité de la politique environnementale n’est pas de nature à dépasser cette opposition, d’autant plus qu’une taxe carbone constituerait un dangereux précédent qui ne manquerait pas d’être invoqué par les organes communautaires pour justifier une fédéralisation de la politique fiscale.

Il aurait fallu un large rassemblement autour d’un projet consensuel pour emporter cette opposition de principe. Les négociations franco-allemandes ont pourtant achoppé sur le degré d’inclusion de l’électricité dans l’assiette de la taxe carbone. Berlin, fort dépendant de centrales à charbon, réclamait la prise en compte de la globalité de l’énergie électrique. Paris refusait pour sa part de grever son parc nucléaire d’une fiscalité sur le carbone alors que, précisément, l’électricité produite par l’atome a pour caractéristique d’être décarbonée. Il a été rapporté à la mission d’information un propos attribué à Dominique Strauss-Kahn, qui aurait considéré que la proposition allemande consistait à « combattre l’alcoolisme par une taxation sur les jus de fruit ».

Finalement, devant les oppositions et face aux divergences, aucune décision communautaire n’a été prise sur les émissions de carbone et de gaz à effet de serre. L’Union s’est limitée à harmoniser le taux minimal des taxes et des accises (7) appliquées aux produits énergétiques. La Commission a formellement renoncé à sa proposition en 1997.

Cet échec vieux de treize ans est riche d’enseignements. Les institutions européennes ont évolué. Toutefois il reste nécessaire de réunir l’unanimité des États membres du Conseil pour décider la création d’une mesure fiscale nouvelle – unanimité de douze représentants auparavant et de vingt-sept désormais. C’est un paramètre fondamental de la négociation engagée en ce moment par la France à Bruxelles. En 1997, cela signifiait surtout qu’une politique volontariste de réduction des émissions de gaz à effet de serre devait explorer une autre voie. Les rencontres internationales provoquées par les rapports du GIEC allaient donner l’occasion à l’Europe de promouvoir une taxation mondiale du carbone, propre à lever les objections de son secteur industriel, à l’occasion des négociations du Protocole de Kyoto.

B.— L’influence des négociations internationales

Le canevas de la lutte internationale contre le changement climatique a été rédigé en 1992 à l’occasion du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro. La convention cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC) conclue alors pose notamment le principe des responsabilités communes mais différenciées : il revient aux seuls pays développés, principaux responsables des émissions de gaz à effet de serre, de consentir les efforts nécessaires à la réduction de leurs activités polluantes (8).Cette déclaration de bonnes intentions n’emporte cependant aucun effet juridique. Une conférence des parties à la convention (COP) est constituée pour dresser annuellement le bilan des actions engagées.

Les événements prennent un tour décisif à l’occasion de la troisième COP, tenue à Kyôto en décembre 1997, théâtre de la négociation d’un protocole additionnel à la convention cadre. Le mandat confié aux négociateurs européens tient à l’engagement des pays développés sur des plafonds d’émissions, une ambition indifférenciée de 15 % en deçà des niveaux d’émission constatés en 1990 (9), et une opposition formelle à tout système d’échange de quotas pour parvenir à l’objectif. Une possibilité d’échange fondée sur le référentiel de 1990 constituait en effet une rente – un air chaud – pour la Russie et l’Ukraine dont la puissance industrielle s’était effondrée dans l’intervalle, provoquant une réduction drastique des émissions de carbone. Le maintien en fonctionnement d’installations fortement polluantes non seulement n’empêchait pas d’atteindre des objectifs par construction réalisés, mais de surcroît le système permettait de revendre les quotas reçus en excédent aux États contraints à un effort réel.

Les négociations de 1997 se sont traduites par une marginalisation à peu près complète des positions européennes. D’ici 2012, les trente-neuf pays développés, qui ont ratifié le protocole de Kyôto et qui sont recensés à son annexe B (10), doivent en moyenne réduire de 5,2 % les émissions de six gaz à effet de serre notoire – le dioxyde de carbone, le méthane, l’oxyde nitreux, l’hexafluorure de soufre, les hydrofluorocarbures et les perfluorocarbures – par rapport au niveau de 1990. C’est le seul point sur lequel le Vieux Continent a obtenu satisfaction. Chaque pays se voit assigner un objectif particulier. Il se monte ainsi à 8 % pour l’Union européenne, qui a pris par la suite l’initiative de répartir la charge des efforts à accomplir entre ses États membres (11).La délégation américaine, menée par le vice-président Al Gore, a insisté sur sa volonté d’instituer un marché mondial de quotas d’émissions échangeables complété par des mécanismes de création de crédits dans les pays en développement – mécanisme pour un développement propre (MDP) – et de récupération de quotas dans les autres pays signataires mentionnés à l’annexe B – mise en œuvre conjointe (MOC).

C’est une spécificité de la lutte contre le changement climatique qui se retrouve également dans les enceintes de l’Union européenne : comme le pays responsable de lourdes émissions anéantirait le système en ne s’y associant pas, il se trouve en position de force dans la négociation. Paradoxalement, le poids de la parole diminue en proportion de la vertu de celui qui s’exprime. Or, en 1997, les États-Unis sont les premiers pollueurs de la planète. Le Protocole de Kyôto aurait été vidé de son sens en leur absence. Le COP 3 décida donc d’ouvrir droit aux demandes américaines et d’instaurer un système de quotas d’émission échangeables opératoire dans la période 2008-2012. Le dispositif futur ferait l’objet de négociations ultérieures sur l’établissement de nouveaux objectifs et l’actualisation de la liste des États juridiquement contraints.

Ironiquement, la signature des États-Unis ne fut pas suivie d’une ratification. Le pouvoir politique américain s’alarma de l’effet négatif sur la croissance qu’aurait une politique de restriction des émissions de gaz à effet de serre. Par le phénomène de l’air chaud, la puissance industrielle russe est également dispensée d’efforts significatifs. Quant aux puissances émergentes, notamment la Chine et l’Inde, elles ne sont pas identifiées comme des pays développés en 1990 : aucun objectif contraignant ne leur a été assigné alors que Pékin a désormais dépassé les États-Unis dans la hiérarchie des émetteurs de gaz à effet de serre. Lorsque le Japon s’opposa, dans la foulée de Kyôto, à tout mécanisme de sanction juridique dans le cas où les ambitions de réduction seraient déçues, il devint clair que l’Europe demeurait à peu près seule à s’engager dans une politique de réduction des émissions.

La Commission en déduisit que le mécanisme d’échange ne serait efficace que s’il était transcrit en droit communautaire, c'est-à-dire si elle s’assurait elle-même de son respect à travers la menace de recours en manquement devant la Cour de Justice (12). Il fallait pour cela recommencer, et cette fois avec succès, le processus normatif. Le changement de son objet, d’une taxe à un marché de permis d’émission, allait faciliter son cheminement.

LE PROTOCOLE DE KYÔTO

– en vert les États parties au traité ; en rouge les États signataires ne l’ayant signé pas ratifié ; en gris les États non signataires

Source : Ministère des affaires étrangères.

C.— La décision européenne : de suiveur à chef de file

L’Europe avait connu l’échec dans sa tentative d’instaurer une taxe carbone et dans sa volonté d’éviter la création d’un marché international de quotas. Elle s’appropria cependant l’instrument pour en livrer le modèle le plus performant au monde. Il est vrai que, selon la formule de Richelieu, « il faut vouloir ce qu’on ne peut empêcher ». Le Protocole de Kyôto devait être ratifié par 55 États responsables d’au moins 55 % des émissions de 1990. Le retrait des États-Unis – 34 % des émissions – grevait le système international d’une lourde hypothèque. L’Europe déploya cependant une intense activité diplomatique pour convaincre les pays étrangers de s’engager malgré tout. La ratification russe, qui valait entrée en vigueur du Protocole, fut ainsi échangée en 2004 contre l’admission de Moscou au sein de l’Organisation mondiale du commerce. Les Européens n’avaient pas attendu pour construire leur propre dispositif.

L’Acte unique européen de 1986 avait fait du marché commun une réalité. Les frontières économiques entre les États membres disparues, il devenait possible de considérer la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre comme un objectif commun sans craindre un différentiel de compétitivité entre les industries nationales. En outre, la persistance des initiatives anciennes, telles les taxes scandinaves, la floraison de marchés de quotas d’émission locaux comme au Royaume-Uni, et les réflexions nombreuses menées en France et en Allemagne sur la question démontraient tout à la fois une évolution des mentalités, une prise de conscience des enjeux environnementaux, et le risque réel d’une fragmentation du continent en systèmes cloisonnés. L’étude du bon fonctionnement du marché américain du dioxyde de soufre (SO2) joua également un rôle majeur pour emporter la conviction des représentants du monde économique, en démontrant qu’un système d’échange de permis d’émission pouvait se concilier avec la prospérité des entreprises.

Le livre vert de 2000 sur un marché de quotas d’émission lance la procédure de création du système européen. S’il a pour vocation de provoquer un débat, ce document formule déjà des choix stratégiques. Il propose la création d’un mécanisme dès 2005 de façon à anticiper l’ouverture du marché international en 2008 afin d’y bénéficier des acquis de l’expérience. En mettant l’accent sur les secteurs de l’industrie lourde et de l’électricité, il pose déjà les bases d’un contrôle des émissions de carbone en fin de processus industriel plutôt qu’en amont, par un contingentement des sources énergétiques et des importations.

Le projet de directive a été officiellement présenté au Conseil et au Parlement européen en 2001. Sans aborder les détails de la négociation entre les deux organes, il est frappant de constater que les positions du Conseil ont prévalu au cours de la montée en puissance du dispositif – allocation gratuite par les États membres – alors que les demandes des parlementaires ont toutes les chances de se trouver réalisées à compter de 2013 – adjudication des quotas aux enchères administrée par la Commission. Mais ce qui permet le succès des discussions et l’émergence d’un marché de quotas, plus que l’exemple international ou les convictions théoriques, c’est la souplesse du cadre institutionnel. Il tranche avec les rigueurs de l’exigence d’unanimité qui avait précipité l’échec de la taxe carbone. En effet, hors du domaine fiscal, les décisions du Conseil requièrent simplement une majorité qualifiée d’États membres. Cette subtilité des Traités, quoique totalement étrangère aux thématiques environnementales, reste ou constitue la principale raison pour laquelle l’Europe s’est dotée d’un système d’échange de quotas d’émissions.

La directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté est finalement publiée le 13 octobre 2003. Elle entre en vigueur le 1er janvier 2005. Elle construit aussi un modèle potentiellement ouvert, capable de servir de base à une action mondiale future si des puissances tierces étaient tentées de le rejoindre. Habilement, elle prévoit une montée en puissance progressive permettant de juguler les craintes du secteur industriel et de collecter les données nécessaires à son bon fonctionnement à moyen terme.

Ii.— Le fonctionnement du systÈme européen

La philosophie d’un marché de permis d’émission diffère fondamentalement de la taxation initialement envisagée. Lorsque la puissance publique veut limiter la consommation d’un bien déterminé, elle peut choisir de le faire, soit directement en contingentant les volumes échangés, soit indirectement en élevant les prix pour dissuader la demande.

Le principal thème abordé à l’occasion des auditions de la mission d’information, tant par les administrations que par les opérateurs économiques, a été celui de la visibilité. Aucun mécanisme ne permet de décider avec certitude des quantités finales et des surcoûts générés. Une mesure fiscale présente l’avantage de déterminer avec certitude le prix de la tonne de carbone, mais elle ne préjuge en rien du volume de carbone émis qui varie avec l’activité et les capacités de production. Au contraire, un marché de permis trace une limite d’émission intangible ; cependant les fluctuations des cours influent sur le coût du quota consommé.

Le choix d’un marché de quota fait peser un risque de cours sur les entreprises. La mission d’information a cependant pu constater l’excellente acceptation du système par ces dernières – qui s’étaient d’ailleurs prononcées en faveur de la directive SCEQE lors de son élaboration – dès lors que le cadre réglementaire présente une stabilité suffisante pour être intégré dans un plan de production à moyen et long terme. En effet, le crédit carbone est considéré comme une matière première nécessaire à la manière du combustible : il suffit de s’en doter à l’avance, d’ajuster la production en fonction des réserves et de comptabiliser les coûts induits sur le prix de vente. Un fonctionnement correct du marché et une possibilité de report des quotas pour une utilisation postérieure fournissent une lisibilité correcte. En revanche et pour les mêmes raisons, les ajustements ex post dans les quantités de quotas offertes et une réglementation incertaine inquiètent grandement les assujettis dans la mesure où elles perturbent ou empêchent leurs anticipations.

Cet argument a convaincu la mission d’information de la pertinence du système européen d’échange de quotas d’émissions. En effet, dans une stricte perspective de protection environnementale, le contingentement du carbone apparaît préférable à une taxation puisqu’il fixe un maximum de pollution qui ne pourra en aucun cas être dépassé. La fiscalité assurerait dans ce cas un supplément de recettes, mais elle ne préserverait pas l’atmosphère d’émissions supplémentaires. Sur certains marchés qui se caractérisent par l’inélasticité de la demande, elle n’aurait même qu’un effet très limité sur la consommation.

Il aurait cependant été délicat de défendre un mécanisme qui aurait constitué une entrave à la vie des entreprises, au potentiel industriel de l’Europe et, en dernier lieu, à la prospérité des Français. Dès lors que la crainte d’une hypothèque sur la performance économique n’a pas lieu d’être, rien ne justifie de réclamer un nouveau système – sans qu’il soit évidemment interdit de suggérer des moyens d’amélioration.

Le SCEQE se présente sous la forme d’un marché de quotas classique, dans un fonctionnement qui respecte les attributs théoriques du mécanisme. 40 % des émissions européennes de gaz à effet de serre sont couvertes par le SCEQE, 45 % même si on ne considère que le CO2. Quelque onze mille sites sont concernés sur le territoire des vingt-sept États membres, dont 1 018 en France. Le mécanisme ne s’attache en effet qu’aux pollueurs les plus considérables, comme il serait ardu et relativement liberticide d’étendre son application aux petites unités de production et aux consommateurs particuliers. Il a cependant été rapporté à la mission d’information que le Royaume-Uni envisagerait de couvrir ainsi les activités de ses sujets à travers une « carte de crédit carbone » comptabilisant les retraits de chacun. L’idée demeure à l’état de projet et rien n’indique que sa mise en œuvre apparaisse souhaitable.

Les caractéristiques principales du marché européen tiennent davantage à une montée en puissance progressive correspondant à trois séquences successives dont la dernière, qui s’étendra de 2012 à 2020, reste partiellement à définir. Les deux premières séquences ont fonctionné sur le principe de la gratuité des quotas, posture qui a provoqué de nombreuses critiques et qui a justifié la décision de censure de la contribution carbone par le Conseil constitutionnel, mais dont l’examen montre qu’elle n’est pas dépourvue de logique en tant que disposition transitoire.

L’ensemble recueille un sentiment positif de la part des acteurs économiques et un satisfecit en termes de résultat. La réduction des émissions européennes plaide effectivement en faveur du maintien du système, voire de son approfondissement.

A.— L’émergence d’un signal prix par l’échange de quotas sous plafond

Le marché des permis d’émission de gaz à effet de serre fonctionne suivant la double logique du plafond et de l’échange. Ce système est le plus souvent désigné par sa dénomination en langue anglaise de cap and trade.

En premier lieu, l’autorité publique fixe la quantité maximale de gaz à effet de serre qui pourra être émise sur une période donnée. Cette enveloppe globale constitue le plafond de pollution que l’économie est en droit d’émettre dans le respect de ses objectifs environnementaux.

Les quotas sont ensuite répartis aux opérateurs économiques par site de production assujetti au système. Chaque fabrique, chaque centrale électrique, reçoit un nombre de crédits calculé à partir de ses émissions passées et des objectifs de réduction qui lui sont assignés. Il lui appartient dès lors de mettre en œuvre tous les moyens afin de respecter cette limite. L’amélioration des procédés de production et la recherche d’énergie propre sont naturellement des pistes privilégiées. Il est théoriquement tout aussi possible de réduire la production de carbone en bridant l’activité de l’unité de production. Mais ce raisonnement de décroissance qui affecte la performance économique ne sera privilégié par l’entreprise qu’à la suite d’un choc externe, une chute de la demande par exemple. Ce n’est évidemment pas le comportement que cherche à promouvoir l’Union européenne. Pour éviter son apparition, le système ajoute à sa logique de plafond une démarche d’échange.

Le plafond d’émission fixé s’entend en termes globaux. Si une entreprise est amenée à produire davantage que sa dotation en crédits carbone le lui permet, elle peut se procurer un quota non utilisé auprès d’un autre site assujetti qui se séparera ainsi, contre rémunération, d’une ressource inutilisée. Le schéma suivant illustre ce mécanisme d’échange.

LE MÉCANISME D’ÉCHANGE DE QUOTAS D’ÉMISSION

Source : Mission climat de la Caisse des dépôts et consignations.

Le prix demandé par le vendeur de crédit est fonction de l’offre et de la demande. Si tous les sites de production souhaitent dépasser les dotations reçues, le marché fixera pour les quelques quotas disponibles un prix élevé. Si, au contraire, une conjoncture économique défavorable conduit à une contraction de l’activité, le foisonnement de crédits à la vente provoquera une baisse des prix. La possibilité d’échanger les quotas tempère par ailleurs la répartition par site de production en permettant aux groupes industriels de globaliser les crédits reçus et de les réaffecter en fonction de leur stratégie de développement.

Le signal-prix existe par conséquent sur le marché secondaire, c'est-à-dire au moment de l’échange de crédit entre vendeur et acheteur. Il est totalement indépendant du prix fixé à l’origine, au moment de la dotation des sites de production par l’autorité publique. C’est un point qui a fréquemment été souligné au cours des travaux de la mission : ce n’est pas parce qu’un quota est gratuit, comme c’est le cas jusqu’à 2013, qu’il n’a pas de valeur. Si une entreprise fait le choix de la production, elle intègre dans ses coûts la valeur d’un quota, soit qu’elle ait dû se le procurer sur le marché et donc rétribuer le vendeur, soit qu’elle ait renoncé à l’économiser et à le revendre pour la même somme sur le même marché. Le système européen permet d’identifier le coût du carbone dans le processus de production, de l’internaliser dans la décision économique. C’est précisément le but poursuivi par l’autorité publique lorsqu’elle souhaite responsabiliser les opérateurs dans leur relation avec le milieu naturel.

Que se passerait-il si une pénurie de quotas survenait à la suite d’une croissance inattendue de la production et, partant, des émissions de gaz à effet de serre ? Le prix augmenterait fortement. S’il venait à dépasser le gain escompté pour un supplément de production, il mènerait certainement l’entreprise à reconsidérer sa stratégie. Plus prosaïquement, la situation encouragerait probablement quelques industriels indélicats à poursuivre leur activité sans sacrifier à l’achat de quotas carbone. Il était donc nécessaire de doter le mécanisme d’un instrument de contrôle des émissions et de sanctionner sa méconnaissance par une mesure dissuasive.

Le suivi du système est assuré par les États membres. Ils établissent un registre national contenant des informations sur la délivrance, la détention, le transfert et l'annulation de quotas. En France, la tenue de ce registre est assurée par la Caisse des dépôts et consignations. Ces informations permettent de s'assurer de la conformité des transferts avec les obligations fixées au moment de l’allocation initiale. L'exploitant déclare annuellement à l'autorité compétente les émissions de gaz à effet de serre produites par son installation ; si les vérifications des déclarations apparaissent insatisfaisantes, il est interdit de transfert de quotas jusqu'à régularisation de sa situation. Les États membres assurent la libre circulation des quotas dans l’Union. Ils veillent également à ce que, le 30 avril de chaque année, les exploitants des installations restituent un nombre de quotas correspondant au total de leurs émissions au cours de l'année précédente. Ces quotas restitués sont ensuite annulés.

L’opérateur assujetti qui ne présente pas un nombre de quotas équivalent à ses émissions de l’année est frappé d’un prélèvement sur les émissions excédentaires. Cette amende s'élève à cent euros par tonne de CO2. Surtout, elle ne libère pas l'industriel assujetti de présenter un nombre de quotas correspondant à sa production. Le fraudeur est donc contraint de s’acquitter de l’amende prévue et d’acquérir sur le marché un crédit particulièrement onéreux car sans délai et sans marge de négociation. Le mécanisme apparaît suffisamment rigoureux pour décourager toute tentation de s’exonérer de l’effort commun (13).

Du reste, même si les textes ne le mentionnent pas, un plafond existe au prix de l’émission de CO2. Il correspond au coût de captage et de stockage des rejets avant leur libération dans l’atmosphère. Si, pour l’heure, celui-ci est très supérieur – de l’ordre de 65 € par tonne en plus – notamment parce que les technologies d’enfouissement peinent à donner satisfaction, rien n’indique que les courbes ne puissent jamais se croiser. Il existera sans doute, à terme, un substitut aux quotas d’émission plus bénéfique encore pour la protection de la nature.

Que se passerait-il si survenait au contraire un excédent de quotas offerts sur le marché ? Cette situation signifierait une sous-consommation massive des crédits initialement attribués. Il y aurait d’abord lieu de s’en féliciter dans la mesure où elle signifierait une réduction importante des émissions de gaz à effet de serre, événement positif pour la protection de l’environnement. Dans le meilleur des cas, on peut imaginer qu’elle découlerait de progrès fulgurants dans la recherche scientifique et d’une amélioration qualitative des procédés de production. Plus probablement, elle trouverait son origine dans une contraction de la demande et une réduction quantitative de l’activité. Il en découlerait une baisse du prix de marché des crédits carbone, rendant leur poids marginal dans la décision économique. Par construction, il n’y aurait néanmoins aucun risque de voir la faiblesse du signal-prix provoquer une pollution accrue puisque, justement, les mauvais déterminants économiques décourageraient celle-ci.

Dans un contexte économique difficile, les quotas apportent donc une aide à l’entreprise qui peut se séparer d’une ressource devenue inutile contre un supplément de liquidité, fût-il modeste. Ils peuvent également être conservés pour l’avenir, dans des temps plus propices à la production, et représenter une valeur future non négligeable.

C’est finalement un effet économique inattendu du marché de permis d’émission. Toujours positif pour l’environnement, il joue le rôle économique d’un stabilisateur automatique. En période de croissance, il renchérit le coût du carbone pour des entreprises prospères qui disposent des moyens de l’acquitter. En temps de crise, la contrainte s’allège et les opérateurs disposent d’une ressource convertible en monnaie sonnante et trébuchante.

Seuls les points fondamentaux du système européen d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre ont été présentés ici. Ils permettent, déjà, de jeter un regard positif sur le mécanisme. Il convient cependant d’apprécier sa montée en puissance par phase, qui n’est pas encore achevée, et qui devrait à la fois renforcer son efficacité et diminuer les rejets de carbone dans l’atmosphère.

B.— Les trois phases d’allocation

Parce qu’il s’engage dans un processus de réduction des émissions de gaz à effet de serre, le SCEQE se fonde nécessairement sur les volumes d’émission historiques : à celui qui émet le plus de gaz à effet de serre, le plus de quotas alloués. Ainsi formulée, la problématique paraît limpide. En réalité, les modalités de l’allocation des crédits soulèvent de nombreuses difficultés. Il faut fixer le plafond global des émissions européennes, déterminer leur répartition par pays et préciser les modalités pratiques de cette répartition. La chronologie de ces étapes peut évoluer dans le temps. La procédure suppose une vue claire sur les émissions réelles des sites assujettis et une appréhension correcte des progrès attendus dans les méthodes de production.

L’institution du système européen a été présentée à la mission d’information comme un modèle d’action publique, sans doute en grande partie du fait de l’accord des opérateurs économiques. La démarche progressive dont elle a fait l’objet s’est appuyée sur trois séquences successives. La première phase, entre 2005 et 2007, a permis d’enregistrer les émissions de chaque site sans pénaliser la production industrielle. La seconde phase, commencée en 2008 et qui s’achèvera fin 2012, corrige les imperfections constatées auparavant. À partir de 2013, la troisième et dernière phase sera celle d’une plus grande limitation des émissions à travers, notamment, la généralisation des quotas payants.

Source : Journal des Finances, 5 décembre 2009

1. La phase I (2005-2007) : un cadre expérimental

L’article 9 de la directive de 2003 ordonne que chaque État élabore un plan national précisant la quantité totale de quotas qu’il a l’intention d’allouer et la manière dont il se propose de les attribuer. Ces plans nationaux d’allocation de quotas (PNAQ) sont ensuite notifiés à la Commission qui s’assure de leur respect des prescriptions édictées par le droit communautaire. Elle a le pouvoir de les rejeter en cas d’incompatibilité ; son silence vaut approbation.

Ce sont donc les États qui détiennent le pouvoir d’allouer les quotas d’émission de gaz à effet de serre. Le plafond global européen n’est pas réparti entre les différents membres ; c’est au contraire la somme des plafonds nationaux qui livre la limite des émissions des sites assujettis de l’Union. En outre, la distribution n’est pas forcément homogène entre deux sites comparables en concurrence sur un même marché. Ce niveau élevé de décentralisation traduit la réticence des autorités nationales à confier aux organes communautaires la gestion d’un instrument nouveau potentiellement handicapant pour leur industrie et leur compétitivité.

L’objectif de la première période tenait moins à la réduction effective des émissions de carbone qu’à la préparation de l’entrée en vigueur du Protocole de Kyôto. Aussi le plafond était-il volontairement fixé à un niveau peu restrictif, destiné à communiquer aux opérateurs économiques et aux administrations de contrôle l’expérience requise pour affronter dans de bonnes conditions la séquence suivante, vouée à détenir un caractère nettement plus contraignant. La Commission se limita donc à comparer les volumes prévus par les PNAQ avec les émissions exigées par le Protocole, et accepta les projets des États dès lors qu’ils exposaient des données compatibles avec l’atteinte des objectifs de 2012. Les autorités de Bruxelles ont accepté une enveloppe globale correspondant aux propositions agrégées des États diminuées de 4,3 %, réduction dont le plan polonais représentait près de la moitié. La phase I mettait ainsi à disposition près de 2,28 milliards de quotas chaque année, dont presque 500 millions pour la seule République fédérale allemande et 157 millions seulement pour la France.

La fixation du plafond a été compliquée par l’ignorance générale des Européens au regard du volume effectif des émissions de gaz à effet de serre par les sites assujettis au SCEQE. Les données collectées par les Nations unies conformément à la convention cadre sur le changement climatique n’étaient pas pertinentes : elles concernaient l’ensemble de l’économie et non les seuls gros émetteurs, elles reposaient sur une analyse des consommations de combustible et non sur les rejets constatés de gaz polluant. La solution retenue consista à solliciter des déclarations volontaires des industriels. Elle comportait un inconvénient pour le présent et un avantage pour le futur : certes, une surévaluation des estimations pouvait être induite par la volonté d’obtenir le plus de quotas possible ; les données utilisées étaient au moins protégées contre l’accusation d’inexactitude néfaste au développement économique. En outre, cette procédure déclarative était la seule à même de satisfaire les exigences de délais très serrés qui étaient imposés par la directive pour un lancement du système au 1er janvier 2005.

Une fois les PNAQ validés, il restait à chaque État à procéder à la distribution de l’enveloppe disponible. La théorie économique offrait plusieurs options. Il était possible de proposer les quotas aux enchères contre paiement, ce qui aurait généré une rente pour la puissance publique. Il était également possible de les allouer gratuitement, soit par application de facteurs d’émission moyens en fonction de la production attendue (benchmarking), soit en fonction des volumes de rejets historiques (grandfathering). En pratique, les systèmes de quotas étrangers avaient tous procédé à une allocation gratuite. De plus, le soutien du secteur industriel au projet se fondait précisément sur une répartition fondée sur les émissions passées. La directive exigea par conséquent que 95 % au moins des quotas de la première période soient octroyés gratuitement aux installations. Le reliquat trouvait son origine dans l’insistance du Parlement européen de ménager la possibilité d’organiser des enchères pour une part des crédits. Seul le Danemark saisit cette opportunité, qui ne concerna que 0,13 % de l’enveloppe globale de quotas. Copenhague ne recourut d’ailleurs pas à des enchères, préférant vendre sur le marché ces 5 % de son allocation. Des aménagements étaient enfin prévus pour les fermetures de sites, sommés alors de restituer les quotas reçus, et pour les ouvertures de nouvelles structures, dotées à partir de réserves constituées sur les enveloppes nationales.

Au vu des circonstances de la définition des plafonds nationaux et de la faible ambition des objectifs de réduction, il était prévisible que la période s’achève sur une masse de quotas non consommés témoignant d’une allocation initiale excessive. Elle s’est montée à 267 millions de tonnes de CO2 à l’issue de la période, soit approximativement 4 % des crédits alloués au cours des trois années de fonctionnement. Le report vers la deuxième phase n’étant pas autorisé, ce surplus de crédits condamnés à perdre leur valeur au 31 décembre 2007 provoqua logiquement une baisse régulière du prix de marché à mesure que l’échéance approchait.

2. La phase II (2008-2012) : un cadre réellement contraignant

Les contraintes qui avaient conduit à renoncer à une démarche ambitieuse pour la première phase s’étaient estompées au moment de la définition de la deuxième. Les données d’émissions enregistrées en 2005 pouvaient servir de base à la conception du nouveau plan national d’allocation de quotas (PNAQ 2). Les délais de réalisation étaient également fixés par la directive, donc anticipés par les administrations des États membres. Ces conditions, ajoutées à l’expérience accumulée, ont conduit à retenir des plafonds d’émission plus ambitieux à même d’assurer le respect des engagements pris à Kyôto. L’institution du SCEQE équivalait même à un transfert de l’engagement étatique de réduction des émissions vers le seul secteur industriel.

COMPARAISON ENTRE PNAQ1 ET PNAQ2

(en millions de quotas par an)

État membre

PNAQ1

PNAQ2

PNAQ2 à périmètre constant

Allemagne

499

453,1

442,1

Autriche

33

30,7

30,35

Belgique

62,1

58,5

53,5

Danemark

33,5

24,5

24,5

Espagne

174,4

152,3

145,6

Finlande

45,5

37,6

37,2

France

156,5

132,8

127,7

Grèce

74,4

69,1

69,1

Irlande

22,3

22,3

22,3

Italie

223,1

195,8

195,8

Luxembourg

3,4

2,5

2,5

Pays-Bas

95,3

85,8

81,8

Portugal

38,9

34,8

34

Royaume-Uni

245,3

246,2

236,7

Suède

22,9

22,8

20,8

Union à 15

1 729,6

1 568,8

1 524

Chypre

5,7

5,5

5,5

Estonie

19

12,7

12,4

Hongrie

31,3

26,9

25,5

Lettonie

4,6

3,4

3,4

Lituanie

12,3

8,8

8,75

Malte

2,9

2,1

2,1

Pologne

239,1

208,5

202,2

Rép. Tchèque

97,6

86,8

86,8

Slovaquie

30,5

32,6

30,8

Slovénie

8,8

8,3

8,3

Dix nouveaux entrants

451,8

395,6

385,8

Union à 25

2 181,4

1 964,4

1 909,7

Bulgarie

42,3

42,3

42,3

Roumanie

74,8

75,9

75,9

Union à 27

2 298,5

2 082,7

2 027,9

L’enveloppe globale de crédits alloués en deuxième phase ne peut être directement comparée à celle de la première phase dans la mesure où l’augmentation du nombre d’installations couvertes par le système génère 2,5 % d’émissions supplémentaires. À périmètre constant, le total des PNAQ2 pour vingt-sept est inférieur de près de 12 % à celui de la première période. La Commission a raboté les propositions des États membres de plus de 10 %, allant jusqu’à une diminution de 55 % pour le plan letton. Il reste que les plafonds imposés aux nouveaux entrants montrent une forme de traitement de faveur par rapport aux quinze membres historiques, souplesse justifiée par une plus grande facilité à atteindre les objectifs acceptés à Kyôto.

Pour la période 2008-2012, les États membres devaient distribuer 90 % au moins des quotas de manière gratuite. Dans les faits, l’allocation onéreuse a concerné huit États et 3 % de l’enveloppe globale. Si les gouvernements ont si peu favorisé ce mode de distribution pourtant rémunérateur, l’explication en réside probablement dans la volonté toujours présente de faire accepter le système par les opérateurs industriels. L’Allemagne et le Royaume-Uni ont cependant recouru à des enchères sur respectivement 8,8 % et 7,7 % de leur dotation à la suite d’une polémique sur les profits exceptionnels (windfall profits) des entreprises ayant revendu au cours de la première phase leurs crédits alloués gratuitement.

Contrairement à la séquence précédente, l’achèvement de la seconde phase ne marquera pas la péremption des quotas distribués dans le cadre des PNAQ2. Les installations assujetties sont autorisées à conserver les crédits non consommés dans la perspective d’une utilisation future. Cette différence prévient l’effondrement du prix de marché du crédit carbone tel qu’il avait pu être observé à l’approche de l’expiration de la première période.

Il faut enfin signaler une difficulté qui pourrait apparaître au cours des deux années à venir dans le cadre national. Selon toute vraisemblance, la France rencontrerait des difficultés pour doter de façon suffisante les entreprises de production assujetties sur son sol. La source de la pénurie se trouve d’abord dans les ambitions contenues dans le PNAQ2. À périmètre constant, il représente pour la France une réduction de 18 % par rapport au PNAQ1 contre une diminution de 17 % pour l’Espagne, de 12 % pour l’Italie, de 11 % pour l’Allemagne et de 4 % pour le Royaume-Uni – la moyenne de l’Union s’établissant à 12 %, que l’on considère l’ensemble des membres ou seulement les Quinze.

Le manque de crédits s’explique aussi par la constitution d’une réserve trop faible pour doter les installations ouvertes après l’adoption du Plan, ou nouveaux entrants, pour l’essentiel des centrales thermiques destinées à couvrir les besoins nationaux en électricité de pointe. Cette sous-allocation risquant de décourager les projets et de fausser les conditions de concurrence entre les industriels existants et les nouvelles installations, la loi de finances rectificative pour 2008 accordait à l'État l’autorisation d’effectuer des cessions de quotas sur le marché, en prélevant une part de l'allocation gratuite destinée aux producteurs d'électricité existants, et à acquérir la même quantité de quotas sur le marché afin d'abonder la réserve destinée aux nouveaux entrants. La Commission européenne s'est cependant opposée à cette initiative, qui aboutissait à prélever le dixième des quotas alloués aux électriciens à titre gratuit, et a suspendu la délivrance de quotas aux entreprises du secteur électrique français durant l'année 2009. Les allocations des PNAQ sont ainsi difficilement modifiables.

Les auditions effectuées par la mission d’information n’ont pas permis de déterminer quelle solution envisage le Gouvernement pour résoudre cette difficulté. Dans une situation comparable, le Royaume-Uni a résolu de ne délivrer des crédits qu’aux premiers inscrits sur une liste d’attente. Quant à l’Allemagne, elle a organisé des enchères partielles qui ont généré près d’un milliard d’euros par an et qui lui permette d’acquérir les quotas requis par son industrie.

3. La phase III (à partir de 2013) : vers un cadre durable

Ni les objectifs quantitatifs ni les conditions réglementaires d’exécution de la troisième séquence du SCEQE ne sont encore pleinement définies. Si un canevas général a été esquissé dès l’année 2008 et formalisé par la directive 2009/29/CE du 23 avril 2009 modifiant la directive 2003/87/CE afin d’améliorer et d’étendre le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, beaucoup restait suspendu aux modalités du dispositif que la communauté internationale devait arrêter à la fin de l’année 2009 à l’occasion du sommet de Copenhague. La deuxième phase de l’organisation européenne avait été pensée pour une compatibilité avec les mécanismes du Protocole de Kyôto, il était normal que la suivante se conforme aux spécifications de Copenhague. L’absence d’accord juridiquement contraignant à l’issue du COP 15 a jeté un voile d’incertitude sur l’avenir du système européen. Plus exactement, de la même façon que le retrait américain avait contraint l’Union européenne à avancer seule dans la décennie précédente, le défaut de réglementation internationale laisse l’Europe maîtresse de ses choix pour 2013.

Les concertations ont commencé au cours du premier semestre 2010 et on peut espérer qu’elles aboutissent à la fin de l’année. Ce souhait ne procède pas exclusivement d’une inquiétude pour la protection de l’environnement. Il se fonde également sur la principale demande présentée à la mission d’information par les dirigeants des entreprises assujetties : les structures économiques ont besoin de visibilité pour s’adapter à la contrainte réglementaire et au mécanisme de marché de quotas d’émission. Les représentants de l’industrie pétrolière ont par exemple souligné qu’une période de dix ans semblait nécessaire pour repenser le fonctionnement d’une raffinerie, qui n’est normalement arrêtée qu’à l’issue de plusieurs années de fonctionnement ininterrompu. De la même façon, EDF a insisté sur la nécessité de réserver plusieurs années à l’avance ses crédits carbone pour assurer la bonne marche de la production électrique : une décision réglementaire exhaustive qui tarderait au-delà de la fin de l’année 2010 plongerait l’entreprise dans l’incertitude.

Le principal changement acquis par rapport à la phase II tient aux modalités de répartition de l’enveloppe européenne de crédits carbone. La troisième séquence de fonctionnement du SCEQE verra la remise en cause progressive de l’allocation gratuite des quotas d’émission.

Cette évolution relève de la pure logique. Le principe des dotations gratuites a été édicté à partir de 2005 pour laisser aux opérateurs industriels les marges nécessaires pour s’adapter à la nouvelle réglementation et pour obtenir leur participation dans la collecte des données statistiques de suivi des émissions de gaz à effet de serre. Une fois passée la période – en l’occurrence les deux périodes – d’expérimentation, rien ne justifie plus que les installations assujetties jouissent d’une allocation gracieuse, éventuellement convertible en bénéfices sur les marchés de carbone. Cette transformation dans le marché d’échange de permis d’émission le rapproche en pratique d’une mesure fiscale, dès lors que les sites assujettis sont contraints, à production constante, de se séparer d’une somme d’argent pour s’assurer l’autorisation d’exercer leur activité.

Tous les secteurs ne sont cependant pas soumis à un traitement identique. Ce ne sont que les deux tiers des quotas qui devraient devenir effectivement payants en 2013. La prise en considération des réalités économiques et de la compétition internationale dans un contexte de libre-échange explique en grande partie les distinctions opérées.

Les premières installations assujetties confrontées aux allocations payantes seront les centrales de production d’électricité. À compter de 2013, la totalité de leur activité exigera l’acquisition onéreuse de quotas d’émissions de gaz à effet de serre. Une dérogation partielle et temporaire est prévue, pouvant aller jusqu’à 70 % de crédits offerts en 2013. Toutefois, les critères de son attribution – notamment le degré de dépendance à une source unique d’énergie et la qualité de la connexion au réseau européen – la réservent en pratique aux États membres de l’est du continent.

Les autres secteurs industriels seront également concernés par l’achat de quotas pour leur niveau production historique, mais le dispositif envisagé les exempte d’un basculement brutal dès 2013. Seul le cinquième des quotas requis reviendrait alors à leur charge, le reste demeurant alloué gratuitement. Les proportions s’inverseraient pour voir l’allocation gratuite se restreindre à 30 % du total en 2020 pour disparaître définitivement en 2027.

Enfin, les activités économiques soumises à la concurrence internationale et potentiellement menacées de délocalisation – ou de fuite de carbone – en cas de surcoût bénéficieront d’une allocation gratuite pouvant couvrir jusqu’à 100 % de leurs besoins. Les installations de chaque secteur recevront une dotation correspondant au volume d’émission moyen du décile le plus vertueux en leur sein. En choisissant cette procédure, l’Union européenne cherche à concilier compétition économique et valorisation des technologies propres.

Le passage d’une allocation gratuite à une dotation initiale payante pose la question du prix unitaire d’un crédit. Il aurait été délicat de le fixer arbitrairement et peu cohérent de retenir le coût sur les marchés au moment de la mise en vente. C’est très logiquement le principe d’une adjudication aux enchères qui a été retenu par les autorités communautaires. Il présente le double avantage de remédier à l’interprétation de la gratuité comme un cadeau offert aux industriels et d’éviter les distorsions sectorielles du fait d’allocations de quotas gratuits d’ampleur différente suivant les États.

Le graphique ci-dessous présente la marche attendue des enchères au cours de la troisième séquence du SCEQE. Cette option ne manquera cependant pas de soulever de délicates questions. Il conviendra d’une part de déterminer à quel moment ouvrir les enchères en fonction des coûts constatés sur le marché secondaire, en évitant les deux écueils d’une asphyxie de l’industrie par des tarifs prohibitifs et d’une abondance peu à même d’inciter à moderniser l’outil de production. D’autre part, la manne financière levée par l’adjudication des crédits de carbone devrait dépasser vingt milliards d’euros en 2020. La question de son utilisation se posera avec insistance car l’Union laissera les États en décider tout en recommandant un investissement dans les technologies vertes.

LES VOLUMES DE QUOTAS SUSCEPTIBLES D’ÊTRE MIS AUX ENCHÈRES
EN PHASE III AU SEIN DE L’UNION EUROPÉENNE

(en millions de quotas sur 2013-2020)

La disparition de l’allocation gratuite équivaut à la fin des plans nationaux d’allocation de quotas utilisés au cours des deux premières périodes. Ceux-ci ont été l’instrument de la mise en œuvre du système, mais ils ne peuvent perdurer alors qu’il atteint sa maturité. La lourdeur et les délais des procédures d’élaboration, les négociations sur la pertinence du plafond et les pressions des opérateurs au moment de la répartition de l’enveloppe nationale ont eu raison de l’action des États. En outre, la surévaluation manifeste de l’allocation globale de la phase I a suscité une demande en faveur d’une détermination du plafond plus rigoureuse, qui pouvait difficilement s’exercer à travers vingt-sept documents. Institutionnellement, la Commission se trouvera renforcée à compter de 2013 puisque les organes communautaires détiendront un contrôle étendu sur le fonctionnement du SCEQE.

La fin du recours aux PNAQ équivaut à matérialiser le partage des coûts de la contrainte entre les États par une répartition entre eux des droits de mise aux enchères et des revenus afférents. Aux termes de la directive, 88% de la quantité totale des crédits à mettre aux enchères sont répartis entre les États membres en parts identiques à la part des émissions de l'État membre concerné vérifiées dans le cadre du système communautaire en 2005, ou à la moyenne de l'État membre concerné pour la période 2005-2007, le montant le plus élevé étant retenu. La France ne recevra rien du reliquat : 10 % des quotas à mettre aux enchères sont répartis entre certains États aux fins de la solidarité et de la croissance ; les 2 % restant sont enfin alloués aux États dont les émissions de gaz à effet de serre, en 2005, étaient d'au moins 20 % inférieures aux niveaux de leurs émissions de l'année de référence applicable en vertu du protocole de Kyoto – autrement dit les pays de l'ancien bloc de l’Est.

Il résulte de ce mécanisme de solidarité au bénéfice des pays les moins bien dotés de l’Union que, si le plafond global des émissions devait atteindre 70 % des émissions de 2005, la France ne mettrait aux enchères qu’un nombre de quotas correspondant à 62 % de celles-ci. Naturellement, l’industrie nationale n’en serait pas affectée dans la mesure où l’enveloppe globale demeurerait inchangée et qu’il suffirait d’acheter ailleurs, dès l’adjudication ou sur le marché secondaire, les crédits manquants. Seul l’État aurait à souffrir d’un manque de recettes. Mais un produit des enchères diminué signifie une somme mobilisable moindre en faveur de la recherche dans les technologies vertes, dans le soutien à l’industrie ou encore dans le développement de l’attractivité du territoire. La question méritait donc d’être évoquée.

Enfin, la troisième phase ambitionnera une plus grande limitation des rejets de CO2. Le plafond devrait atteindre approximativement 1,7 milliard de quotas à l’échelle de l’Union contre quelque 2,08 milliards sous l’empire des PNAQ2. Cet objectif semble réaliste ; tout du moins aucun interlocuteur entendu par la mission d’information n’a dénoncé sa faisabilité.

C.— Un objectif réaliste de réduction des émissions pour 2020

En termes d’efficacité, le système européen a fait ses preuves. Les performances constatées laissent penser que les ambitions élevées formulées pour la troisième séquence ne présentent aucun caractère inaccessible. D’ores et déjà, le terme de la phase II correspondra avec certitude à une diminution des rejets européens de CO2 d’au moins 7 % en 2012 par rapport à 2005. Encore faut-il se garder d’un enthousiasme excessif puisque les réductions d’émissions constatées depuis Kyôto proviennent pour une part importante d’un changement des sources employées pour la production d’électricité et de la modernisation profonde engagée par les pays d’Europe orientale après la chute du Mur de Berlin.

Le Ministère de l'Écologie, de l'Énergie, du Développement durable et de la Mer produit sur une base quadriennale un bilan de l’état de l’environnement en France. La dernière analyse met notamment en avant la réduction des émissions nationales de gaz à effet de serre définies par le Protocole de Kyôto de 5,6 % en 2004 par rapport aux données de 1990, quand les rejets mondiaux progressaient d’un quart sur la même période. Ces chiffres sont positifs, mais ils ne permettent de tirer aucune conclusion sur la performance du SCEQE entré en vigueur en 2005. De façon plus intéressante, le document mentionne que l’évolution du secteur industriel – donc pour l’essentiel des installations assujetties – constitue un facteur clé de la tendance positive globale. Dans la seule branche de l’énergie, celle qui a été la plus contrainte par le SCEQE et qui a le moins bénéficié de délais d’adaptation, la baisse des émissions constatées atteint 7 % entre 2000 et 2007.

Forte de ces bons résultats, la réunion du conseil des ministres européens du 20 février 2007 a arrêté l’objectif général d’une réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2020 par rapport aux rejets de 1990. Les représentants des États membres ont insisté à cette occasion sur le rôle majeur du système d’échange de quotas dans le succès de cette entreprise. Les installations fortement émettrices du secteur assujetti se voient en effet assigner une cible de 21 % alors que les secteurs diffus nationaux sont soumis à des objectifs plus limités, de l’ordre de 14 % pour la France. L’extension de la période à huit années, contre cinq pour la phase II et trois seulement pour la phase I, garantit une perspective de long terme et une prévisibilité renforcée.

Cet effort continu aboutira à rationner l’offre de quotas sur le marché européen du CO2. La contrainte retenue pour l’ensemble des secteurs concernés représentera ainsi une diminution progressive de l’offre de quotas de l’ordre de 1,74 % chaque année à partir de 2013. Ce facteur correspond à la diminution linéaire requise pour atteindre la réduction désirée de 21 % en 2020, sans pour autant que la décrue ne cesse avant 2025. Il devrait logiquement en découler une augmentation proportionnelle du prix des crédits carbone sur les places de marché.

La mission d’information s’interroge toutefois sur la part que représente effectivement le système d’échange de quotas d’émissions dans ces bonnes performances environnementales des industries française et européenne. Les acteurs économiques auditionnés ont certes souligné les efforts consentis pour recueillir des données statistiques fiables et pour améliorer les procédés de production. Ils n’ont pas non plus manqué, pour expliquer leur crainte de voir les organes européens définir des objectifs excessivement limitatifs, de rappeler l’impact de la crise sur l’activité européenne. Dès lors que la collectivité consomme moins et que l’industrie produit en conséquence, il est normal que les rejets constatés accusent une baisse sérieuse. Les représentants de l’industrie cimentière ont par exemple fourni des rapports de production indiquant une contraction de la production de près de 18 000 clinkers (14)en 2007 à quelque 16 500 en 2007. Alors que les émissions de CO2 par tonne de ciment n’ont pas grandement été réduites – du fait d’ailleurs des propriétés physiques du matériau plus que d’une quelconque mauvaise grâce des opérateurs, une fabrication moindre explique que la contrainte posée par le PNAQ2 ait été facilement respectée.

Les émissions vérifiées de gaz à effet de serre provenant des installations assujetties se sont élevées en 2009 à un total de 1,873 milliard de tonnes de CO2, soit 11,6 % de moins qu'en 2008. La Commissaire européenne chargée de l’action pour le climat, Mme Connie Hedegaard, qui supervise le SCEQE, a reconnu que le marché de permis d’émission ne pouvait prétendre expliquer ces bonnes statistiques.

« Compte tenu de la crise, la chute des émissions n'est pas réellement une surprise. L'Union européenne dispose d'un système d'échange opérationnel qui encourage les réductions des émissions, même en cas de récession. On ne peut nier que la récession a considérablement affaibli le signal de prix. Le marché du carbone peut et doit davantage inciter les investissements dans les technologies à faibles émissions de carbone. Force est aussi de reconnaître que la crise a soudainement rendu plus faciles les réductions des émissions, et c'est une bonne chose. Malheureusement, cela signifie également que les entreprises européennes n'ont pas investi autant que prévu dans l'innovation, ce qui pourrait compromettre notre compétitivité future sur les marchés prometteurs. (15)»

La satisfaction des objectifs de la deuxième phase livre des conclusions forcément fragilisées par la concomitance de la crise et des baisses de production industrielle qu’elle induit. Dès lors, peut-on, sans dommage pour la compétitivité européenne et pour la bonne marche des économies nationales, exiger une limitation toujours plus avancée des émissions de gaz à effet de serre ? Les travaux de la mission d’information permettent de penser que la réduction globale des rejets de 20 %, soit un objectif de 21 % pour les installations assujetties, reste dans le domaine du réalisable. Les entreprises entendues ont exprimé des inquiétudes bien plus fortes sur les délais de publication du cadre réglementaire que sur les progrès sollicités.

Il n’en irait pas de même si l’Union européenne prenait unilatéralement la résolution d’aller plus loin dans ses exigences environnementales. Avant la réunion de la COP 15, la position européenne consistait à envisager une réduction des émissions de gaz à effet de serre portée de 20 % à 30 % dans la perspective d’un accord mondial, juridiquement contraignant et engageant toutes les puissances industrielles de la planète. Ces conditions semblaient frappées au coin du bon sens. Une amplification de l’effort demandé aux opérateurs continentaux n’aurait pas eu de conséquence dans la compétition internationale du moment que les États étrangers sollicitaient des investissements similaires de la part de leurs concurrents.

L’échec de Copenhague a écarté ces hypothèses, mais il n’a pas éliminé la tentation de procéder sans réciprocité à un rehaussement des contraintes posées par le SCEQE. Un rapport de la Commission, remis fin mai 2010,  défendait cette approche par le double argument d’un coût réduit du fait de la crise économique et de créations substantielles d’emplois dans le secteur des technologies vertes. Les récentes négociations à Bruxelles laissent planer le doute sur l’accueil de cette proposition par les grandes nations industrielles. L’hostilité générale dont la France et l’Allemagne se faisaient les figures de proue à la présentation du rapport (16) paraît avoir évolué dans un sens favorable d’après les comptes rendus du Conseil européen du 11 juin 2010.

*

La mission d’information juge positivement le fonctionnement du système européen d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre. Le choix de procéder en début de période à une allocation large de crédits gratuits, s’il a traduit un effort limité sur la maîtrise des quantités de CO2 rejetées, a permis l’émergence d’un large consensus parmi les opérateurs assujettis. La déclaration volontaire des émissions a évité d’importantes difficultés dans le recueil des données autant qu’elle a prévenu les récriminations futures. La deuxième séquence a montré que le marché de quotas permet d’exercer une pression efficace pour une baisse des rejets carbonés dans l’atmosphère, même si la crise économique vient semer un doute sur la pertinence des conclusions que fournit l’expérience. Le passage à la troisième phase devrait accroître ce mouvement en levant les rigidités nées des PNAQ, si toutefois l’objectif assigné ne pèche pas par excès de volontarisme.

Pour autant, ces succès ne doivent pas faire oublier les imperfections du SCEQE. Celles-ci tiennent à sa nature de marché et aux comportements suscités chez les opérateurs. Les critiques émises soulèvent de réelles interrogations, mais tout laisse penser que des corrections pourront facilement être apportées.

III.— Les faiblesses du systÈme europÉen

Rares sont les politiques publiques dont les auteurs peuvent à bon droit s’enorgueillir de résultats idéaux sans délai ni mesure d’adaptation. Le système européen d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre n’échappe ni à la règle, ni aux critiques. Cela ne signifie pas pour autant que toutes soient fondées. C’est notamment le cas de la qualification d’illusoire de la contrainte carbone qui a pu circuler dans la presse au sujet des installations couvertes par le SCEQE. La décision du Conseil constitutionnel de censurer la création d’une taxe carbone portant sur les particuliers et les entreprises non assujetties a jeté une lumière crue sur certaines caractéristiques du mécanisme sans les inclure dans une vision d’ensemble. L’allocation initiale gratuite sous le régime des PNAQ a contribué à nourrir le sentiment selon lequel les émetteurs modestes faisaient l’objet d’une sollicitation financière alors que les sites particulièrement polluants jouissaient d’un privilège injustifié leur permettant de continuer leur activité sans être réellement incités à contrôler leurs émissions.

La mission d’information a consulté un grand nombre d’études et procédé à de multiples auditions pour parvenir à la conclusion que ce jugement médiatique n’est que très partiellement fondé.

Il faut rappeler en premier lieu que l’institution d’un marché de permis d’émission répond à la volonté de limiter les rejets de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, non au besoin de lever de nouvelles recettes fiscales. Or l’objectif est atteint, encore qu’on puisse contester à l’infini les ambitions trop étroites de la première phase ou le volontarisme excessif de la troisième séquence. Le plafonnement ex ante de la quantité de carbone a été respecté. Dans une optique de protection de l’environnement, c’est tout ce qui importe. On peut toutefois comprendre que le contexte de tension sur le pouvoir d’achat des particuliers comme sur les finances publiques conduise à aborder la problématique financière.

La gratuité de l’allocation des quotas ne signifie pas leur absence de valeur puisque l’existence de marchés secondaires permet précisément l’émergence d’un signal-prix. Le quota consommé a un coût direct s’il a été acheté suite à un dépassement de la dotation initiale ; il équivaut à un coût d’opportunité s’il a été obtenu gratuitement puisqu’il ne pourra être revendu. Devant la commission des finances du Sénat, Jean-Michel Charpin a émis une comparaison intéressante que tous pourront apprécier. Il serait hasardeux de qualifier les quotas de gratuits « alors même qu'ils s'échangent tous les jours sur un marché et pour une valeur de l'ordre de 15 euros la tonne. On pourrait faire une analogie avec l'ensemble des terrains disponibles sur le territoire national. La plupart sont acquis par héritage et ne coûtent donc rien aux personnes qui en disposent ; cela n'empêche aucunement le marché des terrains de fonctionner comme un marché normal. Il ne viendrait à l'idée de personne de dire que le prix des terrains est égal à zéro, parce que la plupart de ces terrains ont été acquis par héritage. Le fait que les quotas aient été distribués gratuitement ne change absolument rien au fait qu'ils ne sont pas gratuits, qu'ils ont un prix, et que cela crée des effets incitatifs qui sont exactement de même nature que les effets incitatifs d'une taxe carbone. »

La réalité du signal-prix est incontestable. Elle ne signifie pas pour autant que les assujettis sont réellement mis à contribution financière. C’est ainsi que la jurisprudence du Conseil constitutionnel doit être entendue. Un coût d’opportunité n’est pas comparable à l’acquittement d’une imposition, il s’apparente moins à une perte qu’à un manque à gagner. En outre, les PNAQ ont pu générer des effets d’aubaine en dotant des installations assujetties plus que leurs besoins ne l’auraient exigé, les crédits superflus générant des bénéfices sur les marchés. (17)

La mission d’information admet cette dernière interprétation. Cependant, il faut rappeler que l’allocation gratuite est vouée à reculer dès 2013, et le début de la phase III, pour totalement s’éteindre en 2027. Elle ne correspond qu’à une construction – très – progressive du système européen d’échange de quotas pour une meilleure conciliation des intérêts économiques et des impératifs environnementaux.

Les plus fortes critiques recensées par la mission d’information ont moins porté sur la logique du système que sur les faiblesses des marchés qui le structurent. La volatilité des cours a été dénoncée comme une source d’incertitude pour les entreprises assujetties et comme la conséquence directe d’une spéculation excessive. Plus préoccupant, des manœuvres frauduleuses ont permis d’identifier des failles inquiétantes dans les mécanismes de régulation et de contrôle. Enfin, l’efficacité réelle du SCEQE a été mise en cause à la fois au regard de sa couverture partielle de l’activité économique et en raison de la dissymétrie qu’il implique dans la répartition des efforts.

Ces imperfections auraient été avantageusement corrigées par la création d’une taxe européenne en substitution au marché d’échange de quotas d’émission. Le dispositif fiscal, en effet, ne subit pas de variation de taux à moins que l’autorité publique ne le décide ; les services chargés de contrôler son respect sont compétents et expérimentés ; il frappe également et uniformément l’ensemble du territoire visé. La mission d’information n’a pas souhaité entrer dans ce débat. L’étude historique à laquelle elle a procédé a démontré que la création d’une taxe carbone à l’échelle de l’Union a été sérieusement envisagée et qu’elle s’était heurtée à des obstacles difficilement surmontables. L’idée peut être séduisante, sa concrétisation demeure plus qu’aléatoire. Il a été résolu de se concentrer sur l’existant et sur ses voies d’amélioration.

A.— Une volatilité des cours assumée

La première inquiétude quant à la bonne marche du SCEQE a trait à la volatilité du prix du crédit carbone sur les marchés secondaires. Les quatre premières années de fonctionnement du dispositif se sont en effet traduites par une forte instabilité qui pourrait pénaliser les industries assujetties dans la mise en œuvre d’un effort constant de modernisation de leurs procédés de production. Après avoir fluctué entre 20 et 30 € en 2005, il est tombé à 15 € en 2006, pour remonter à 25 € en 2008 et retomber à moins de 15 € en 2009. Surtout, l’année 2007 a vu l’anéantissement du signal-prix : le quota carbone n’avait alors plus aucune valeur. La mise aux enchères d’une partie de sa dotation par la Lituanie en septembre 2007 fixa le niveau d’adjudication d’un crédit à seulement six centimes.

L’établissement d’un prix à zéro marque, par construction, un échec du cadre de marché par saturation de la demande due à une offre plthorique. La mission d’information s’est interrogée sur les événements qui avaient pu provoquer cet effondrement(18) Il résulte d’une logique certaine, née de la conjonction de l’allocation volontairement excessive de 2005 et de l’expiration de la phase I du système au 31 décembre 2007.

ÉVOLUTION DES PRIX DU CARBONE SUR LE MARCHÉ EUROPÉEN
D’ÉCHANGE DE QUOTAS DE CO2

Source : Regards Croisés sur l’Économie (n° 6, octobre 2009).

Les courbes présentées ci-dessus correspondent au coût des quotas sur les marchés d’échange entre 2005 et 2009. Le pluriel peut surprendre. En effet, il existe plusieurs prix car il existe plusieurs sortes de quotas dans le SCEQE. En gris clair sont présentées les fluctuations du quota de première phase. En vert sombre figure le prix du crédit carbone de seconde phase. Enfin, la courbe en noir représente les crédits spécifiques au Protocole de Kyôto, partiellement utilisables dans le cadre européen. Seules sont pertinentes, ici, les données européennes des première et deuxième séquence.

Les courbes sont relativement similaires jusqu’au printemps 2006. Le prix du quota de première phase s’est effondré en avril 2006, lorsque les déclarations des entreprises assujetties sur leurs émissions vérifiées ont fait apparaître une situation d’allocation excessive par les PNAQ1. La Commission européenne a confirmé un reliquat de quotas prévisible se montant à 4 % de l’enveloppe globale. En quelques jours, le prix du crédit carbone s’est brutalement ajusté de plus de 50 %, avant de varier jusqu’à l’automne 2006 dans une fourchette comprise entre 15 et 20 €. À partir de cette date, les deux courbes divergent irrémédiablement. Deux logiques distinctes sont à l’œuvre : une baisse tendant vers zéro du prix du quota de phase I en raison de l’impossibilité pour les opérateurs de les conserver pour une utilisation future ; une stabilisation des prix des contrats à terme de phase II autour d’une moyenne de 20 €.

Au 1er janvier 2008, les crédits de première phase ont vu disparaître leur valeur légale, bien après avoir perdu leur valeur financière. Le marché a évolué en 2008 dans une bande comprise entre 20 et 25 €, avant d’atteindre son plus haut historique à 30,60 € en juillet, amorçant ensuite une baisse continuelle sur le deuxième semestre. Le prix du quota d’émission de CO2 sur le marché européen a chuté à 8,20 € le 12 février 2009, avant de se stabiliser ensuite dans une bande comprise entre 10 et 15 €.

Sur les cinq années de fonctionnement du marché européen d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, deux modifications brutales des prix attirent le regard. L’effondrement en fin de phase I et la longue baisse des prix de 2009 trouvent des explications différenciées – réglementaires ou conjoncturelles – mais les deux phénomènes ne remettent pas en cause le fonctionnement du marché.

– Le premier pic de volatilité, la baisse brutale des prix de 2006, a indirectement été abordé à travers la description des trois phases de mise en place du SCEQE. On sait combien la première séquence de fonctionnement a répondu à une logique pragmatique d’installation du dispositif plutôt qu’à la recherche d’un fonctionnement d’ores et déjà efficace. L’absence de données précises sur les quantités de carbone rejetées par les installations assujetties, et la volonté de réunir un consensus aussi large que possible autour du nouveau mécanisme, avaient conduit la Commission à valider des PNAQ1 peu contraignants de façon à préserver la compétitivité des entreprises. L’abondance de crédits distribués devait aboutir à une saturation du marché. Or il était exclu de concéder aux bénéficiaires le privilège de reporter les quotas détenus sur la phase II, à peine de fortement dévaluer la contrainte imposée dans le cadre des PNAQ2. Cette conjonction a entraîné des ventes massives et une chute brutale du prix jusqu’à la perte de toute valeur.

Il est donc erroné de prétendre que le prix du carbone a atteint zéro en 2007 : c’est seulement le quota de première phase, voué à disparaître, qui a vu s’effondrer son cours. Le quota de deuxième phase, pour sa part, a connu des cotations normales entre 15 et 25 €.

La forte diminution du prix au cours de la phase II s’explique quant à elle par la contraction de l’activité économique provoquée par la crise. Les baisses conjuguées de la production industrielle et de la consommation d’énergie qui ont accompagné le ralentissement économique européen ont, en effet, entraîné une diminution des émissions de CO2 des installations assujetties, avec comme conséquence une baisse de la demande de quotas. À cet effet réel significatif –l’élasticité des émissions de gaz à effet de serre au PIB excède 1, c'est-à-dire qu’une baisse de la richesse nationale provoque une baisse plus que proportionnelle des rejets de carbone – est venu s’ajouter un mécanisme financier qui a accentué la baisse du prix du quota. En effet, le durcissement des conditions d’accès au crédit et aux marchés des entreprises a conduit les détenteurs de crédits à monétiser leurs excédents sur le marché pour lisser leurs besoins de trésorerie à court terme. Cette stratégie d’optimisation est autorisée par le décalage d’une année entre la délivrance des quotas par les pouvoirs publics et la restitution obligatoire par les entreprises. Un opérateur peut ainsi monétiser son allocation immédiatement après la délivrance des quotas, grâce un contrat à terme qui lui assure de couvrir ses besoins anticipés à un an. Il en a résulté une augmentation de l’offre de quotas.

Cette situation ne peut être tenue pour négative, même si elle affaiblit le signal-prix. En libérant des ressources pour les entreprises, les quotas ont apporté une aide précieuse pour surmonter la crise, préserver le futur des assujettis et protéger l’emploi. Toutefois, l’interrogation reste permise quant à l’existence de ces phénomènes spéculatifs dans les marchés du carbone. Certes, la spéculation donne aux échanges une fluidité nécessaire à leur fonctionnement correct. Mais les difficultés rencontrées pour une moralisation de la finance internationale laissent craindre l’émergence de dérives à même de pénaliser l’industrie européenne, la protection de l’environnement ou les deux à la fois.

Le tableau ci-dessus montre ainsi que les volumes échangés sur les marchés croissent régulièrement. Il est significatif que 2009 ait vu un volume de transactions supérieur à cinq milliards de crédits alors même que l’allocation annuelle de la phase II dépasse à peine les deux milliards de quotas.

Source : Rapport de la commission Prada

La mission d’information est convaincue que la volatilité des prix sur le marché européen du CO2 ne remet pas en cause son bon fonctionnement, dans la mesure où les brusques variations s’expliquent par des événements externes et non par une action spéculative. Du reste, il ne semble pas que les fluctuations se singularisent par leur ampleur au regard des autres cotations de matières premières, notamment en ce qui concerne le pétrole.

Les sommes qui transitent désormais sur les plateformes d’échanges rendent cependant nécessaire l’instauration d’un cadre strict de régulation financière et juridique, qui fait pour l’heure défaut, et que la mission d’information appelle de ses vœux.

B.— Un marchÉ insuffisamment rÉgulÉ

En février 2010, la presse s’est fait l’écho d’une perturbation de l’activité de la place de marché parisienne du carbone, Bluenext. Une attaque criminelle a entraîné une suspension des opérations dans treize pays de la zone euro après que des détenteurs de quotas de carbone eurent reçu des courriers électroniques les incitant à communiquer le mot de passe ouvrant l’accès à leur compte.

Cette affaire donne un aperçu de l’organisation des plateformes d’échange de quotas d’émission, du moins de ce que les médias en perçoivent et du déficit de régulation classique qui peut y être constaté. En réalité, le type d’infraction mentionné – le phishing – se pratique indifféremment sur internet, dans les banques en ligne et jusque sur des sites de vente d’ouvrages littéraires. La communication médiatique qui a suivi résulte, pour l’essentiel, du caractère de nouveauté associé aux marchés de CO2.

Il n’en reste pas moins que la régulation de la finance carbone demeure plus que perfectible. Sur ce point comme sur d’autres, la France peut légitimement se targuer d’un rôle décisif dans le perfectionnement de l’organisation européenne. La mission d’information a constaté au cours de son déplacement auprès des instances de Bruxelles à quel point le rapport réalisé par la commission présidée par Michel Prada a suscité l’intérêt de l’exécutif de l’Union. La somme de travail réalisée à cette occasion et la pertinence des recommandations formulées pour une amélioration du système ont d’autant plus reçu un accueil favorable que la position française n’a pour l’heure pas été contestée par un autre État membre. Convaincue par les conclusions qui lui ont été présentées, la mission d’information les a faites siennes dans leur totalité.

Le marché européen s’est librement structuré en plateformes de négociation standardisées. Leur part de marché s’est accrue de manière très significative avec le démarrage de la deuxième séquence du SCEQE au 1er janvier 2008. En 2007, les transactions de crédits européens sur les plateformes de négociation représentaient un peu moins d’un tiers des échanges en volume. Elles ont depuis connu une progression continuelle : elles organisent désormais autour de 60 % des volumes.

Sur le marché des crédits internationaux créés par le Protocole de Kyôto, le gré à gré demeure en revanche majoritaire. C’est aussi de cette manière que s’opère le reste des transactions de quotas européens. Deux composantes se distinguent : d’une part le marché de gré à gré passant par une chambre de compensation (dit compensé) et le marché de gré à gré en bilatéral pur(19). En combinant les transactions conclues sur les plateformes de négociation et les échanges de gré à gré passant par une chambre de compensation, les marchés organisés sur les quotas européens contrôlent 85 % des volumes de carbone échangés.

La consolidation de la prépondérance des marchés organisés, et notamment des plates-formes de négociation, sera un facteur de sécurisation du marché pour trois raisons. En premier lieu, par le degré de standardisation des produits échangés, l’importance des volumes traités et la réelle transparence des prix et des volumes qu’elles permettent, les plateformes de négociation jouent un rôle essentiel dans la révélation du signal-prix. En second lieu, la centralisation des données autorise une plus grande transparence sur les transactions réalisées. Enfin, en organisant le passage par une chambre de compensation, elles procurent un meilleur encadrement des risques de contrepartie qui limite le risque systémique. Ainsi, la résolution sénatoriale du 7 décembre 2009 a appelé l’attention sur l’intérêt d’une obligation de passage par une chambre de compensation pour toutes les transactions sur le marché européen de permis d’émissions de CO2. Pour autant, la possibilité de conclure des transactions de gré à gré ne devrait pas se voir remise en cause.

Sept bourses de carbone ont été créées depuis l’entrée en vigueur du SCEQE en 2005. Trois sont uniquement actives sur le marché au comptant : Climex au Pays-Bas, Green Market en Allemagne et EEXA en Autriche. Trois autres ont développé à la fois un marché au comptant (spot) et un marché à terme (futures) : BlueNext en France, EEX en Allemagne et Nordpool en Norvège. Enfin, ECX, au Royaume-Uni a créé à côté d’un compartiment dérivé classique, un marché dit de « spot-futures ». Ce compartiment spécifique, qui s’apparente à un marché au comptant dans sa finalité, a, du fait d’un règlement-livraison différé, le statut de marché financier pour les autorités britanniques.

LES MARCHÉS ORGANISÉS DU CO2 EN EUROPE

Source : Rapport de la commission Prada.

Il est difficile d’appréhender le caractère juridique du quota en raison de son double usage, qui correspond au choix des autorités de l’Union dans la définition d’un mécanisme de marché de permis échangeables. Un quota constitue à la fois un instrument réglementaire permettant de satisfaire les obligations environnementales imposées par le plafonnement des émissions autorisées ainsi qu’un objet qui a vocation à s’échanger sur le territoire de l’Union européenne. Quoiqu’économiquement tout à fait concevable, cette double nature lance un défi à la science juridique : à quelle catégorie de droit rattacher ce nouvel instrument et, le cas échéant, quel corpus de règles instituer pour répondre aux besoins de son bon fonctionnement ?

Un permis d’émission de gaz à effet de serre emprunte des caractères de l’autorisation administrative, en ce qu’il concourt à l’objectif général de politique publique de réduction des rejets atmosphériques de gaz à effet de serre, et à un objet négociable correspondant à l’ambition d’optimisation économique du dispositif que permet l’échange entre allocataire excédentaire et consommateur dans le besoin. Le choix de la qualification juridique des quotas révèle l’importance respective que la puissance publique confère à chacun de ces deux objectifs. Le crédit carbone constitue un objet juridique non identifié à mi-chemin entre l’actif immatériel et le produit de base classique, auquel il s’apparente, en représentant une tonne de CO2 physique.

LE QUOTA D’ÉMISSIONS ET LES CATÉGORIES JURIDIQUES DU DROIT FRANÇAIS

Source : Rapport de la commission Prada.

Aucun accord n’existe en Europe dans le cadre du SCEQE, ni dans le monde au sens des mécanismes du Protocole de Kyôto, sur la nature des permis d’émissions de gaz à effet de serre. Chacun s’est attaché à relever les caractéristiques qui conduisaient à l’exclure d’une catégorie existante, mais nul n’est parvenu à l’inscrire évidemment dans un référentiel connu.

En France, le Parlement s’est prononcé en faveur du rattachement des quotas européens et internationaux à une catégorie existante du droit civil, en les assimilant à des biens soumis au droit de propriété. Cette option est audacieuse dans le silence des textes européens qui ne confèrent même pas un droit au détenteur d’un crédit carbone. Le quota de CO2 se rapproche cependant effectivement d’un bien en certaines de ses caractéristiques, compatibles avec les attributs traditionnels de la propriété dans la tradition juridique latine : l’usus s’exerce dans les limites de la contrainte administrative de restitution une fois l’année écoulée ; l’abusus se manifeste par le droit de vendre les quotas possédés. Il n’y a pas lieu d’évoquer le fructus dès lors que le quota lui-même ne produit rien. Cette situation n’a cependant rien d’exceptionnel et se retrouve dans la majorité des biens de consommation. Un crédit carbone peut également être saisi en application des procédures civiles d’exécution. Le caractère précaire du quota n’est donc pas un obstacle à son appropriation, comme le droit de propriété peut sans restriction s’exercer sur un objet périssable.

Pour autant, le rapprochement entre quota et bien au sens du droit civil n’est pas évident. Le Congrès américain a ainsi volontairement exclu la possibilité de constituer un droit de propriété sur les quotas de SO2, comme pour en mieux souligner le contenu moral, tout en prévoyant la possibilité de les transférer entre propriétaires et exploitants des installations concernées, ainsi que toute autre personne en détenant régulièrement. Dans une stricte perspective juridique, l’identification d’un permis d’émission de CO2 à un bien peut apparaître critiquable. La puissance publique n’a pas vocation à créer des droits de propriété dans le cadre de l'exercice de sa mission de service public. Le choix du Parlement a été guidé par la volonté d’assurer la protection des échanges, en rattachant les quotas au champ protecteur du droit civil. Le principal avantage de la qualification en bien meuble est d’assurer l’application des dispositions du Code civil relatives aux modalités de cession et de protection des biens.

Toutefois, cette solution ne semble pas pleinement satisfaisante. La décision de considérer un quota comme un bien meuble ne constitue qu’un pis-aller. De surcroît, il n’est pas concevable que des crédits carbone destinés à être échangés sur le territoire européen changent de nature juridique en fonction de la nationalité de leur possesseur. Enfin, des dysfonctionnements naissent de cette organisation imparfaite, qui sont parfaitement utilisés par des opérateurs peu scrupuleux.

Ainsi, deux opérations frauduleuses d’envergure sont survenues en l’espace d’une année sur le marché européen du carbone. Toutes deux découlent en droite ligne d’une insuffisante régulation juridique et financière.

– L’année 2009 a été marquée par une manœuvre délictuelle importante touchant la TVA sur le marché européen du CO2. Le mécanisme en jeu a été celui d’une fraude à la TVA de type carrousel, fondée sur le régime fiscal applicable aux transactions transfrontalières entre deux États membres de l’Union européenne. Les opérateurs incriminés achetaient des volumes élevés de crédits auprès de fournisseurs localisés dans un autre État membre avant de les revendre sur le marché national. L’acquisition extérieure des droits donnait lieu à collecte et déduction immédiate de la taxe par l’acquéreur, selon la procédure d’autoliquidation, c’est-à-dire sans décaissement effectif accompagnant la déclaration de TVA. Lors de la revente du quota au profit d’un acquéreur établi sur le marché national, il était loisible au revendeur de facturer la taxe sans pour autant la reverser aux services fiscaux. En l’absence de TVA d’amont à imputer, la taxe ainsi éludée – mais qui avait été régulièrement payée par le client – se transformait en bénéfice. Quant à l’administration, elle était dépourvue de moyens de recoupement permettant d’assurer le suivi des acquisitions de quotas et d’intervenir en temps utile, avant que l’opérateur indélicat ne disparaisse sans laisser de trace. La fraude était rendue d’autant plus aisée que les quotas sont des droits incorporels dont la circulation est particulièrement facile puisque les transactions ne peuvent faire l’objet de déclarations d’exportation et de vérifications physiques. La fraude s’est avérée d’autant plus efficace que la liquidité du marché a permis de réaliser des opérations portant sur des volumes très importants. Si le montant des fraudes potentielles ne peut être évalué avec précision – jusqu’à cinq milliards d’euros ! – on peut cependant noter la corrélation entre la suspension du régime de TVA applicable en France sur le marché au comptant à la fin du deuxième trimestre 2009 et la diminution alors, des volumes échangés d’une part, des transactions effectuées via des plateformes de marché d’autre part.

La fraude à la TVA a trouvé sa source dans le régime fiscal appliqué au marché au comptant des quotas de CO2, régime de TVA pourtant non destiné aux instruments financiers immatériels. L’administration fiscale française a réagi par une instruction du 10 juin 2009 instaurant un dispositif d’imposition à la TVA à taux zéro qui a, en supprimant les profits potentiels, éliminé de fait le risque de fraude carrousel. L’Union européenne a par la suite proposé un régime spécifique de TVA d’application laissée à la discrétion de chaque État membre. Le conseil ECOFIN du 2 décembre 2009 a agréé la proposition de la Commission d’une directive modifiant la directive 2006/112/CE en ce qui concerne l’application facultative et temporaire de l’autoliquidation aux livraisons de certains biens et prestations de certains services présentant un risque de fraude. Le risque de fraude ne sera cependant écarté que lorsque la totalité des États aura procédé à la transposition. Si la plupart des grands États actifs sur le CO2 ont déjà mis en place les mesures nécessaires, la subsistance du régime précédemment applicable dans un seul État membre rend possible la répétition du même mécanisme de fraude.

Cette mésaventure n’est pas liée à la nature même des marchés de carbone. La fraude carrousel est apparue il y a plus de trente ans. La vulnérabilité est cependant plus grande pour les raisons exposées, par la jeunesse des dispositifs et par l’insuffisance de régulation.

– En mars 2010, un dysfonctionnement d’un autre type a été identifié. La Hongrie a utilisé les services de plusieurs intermédiaires pour procéder à la vente d’une masse d’unités de réduction certifiées d’émissions (URCE), une forme de quota reconnue par le Protocole de Kyôto. Budapest affirme avoir signifié à son premier intermédiaire que les crédits étaient d’anciens quotas européens convertis en URCE, cessibles uniquement sur le marché international et interdits à la vente dans l’Union européenne. En effet, une mise à disposition sur le marché européen du carbone équivaut à une émission illégale de quotas hors du contrôle de la Commission. Cette fausse monnaie, si elle est injectée dans le SCEQE, revient à relever le plafond d’émissions autorisées de gaz à effet de serre. Cependant, un nombre relativement considérable de ces URCE a été retrouvé sur BlueNext, la plateforme parisienne d’échange de crédits carbone. Cette découverte a provoqué une agitation qui a conduit BlueNext et sa concurrente scandinave NordPool à suspendre les transactions portant sur les URCE pendant près d’une semaine, temps nécessaire à l’identification des crédits douteux. La recherche a été facilitée par le gouvernement hongrois qui a donné aux autorités compétentes toutes les informations nécessaires. La Commission a, pour sa part, interrompu au printemps les procédures de conversion de quotas.

Ces affaires imposent le sentiment que la régulation de la finance carbone est tout à fait perfectible. En ne précisant pas suffisamment les règles de contrôle du marché européen, les directives communautaires laissent le champ libre aux aigrefins. Il est impératif de définir un cadre précis pour les échanges de quotas et d’instituer une autorité de contrôle chargée d’assurer son respect. Idéalement, cette instance aurait compétence sur l’ensemble du territoire de l’Union et des transactions qui s’y tiennent ; à défaut, la mission pourrait valablement échoir aux autorités de marché des États membres.

Le rapport Prada a formulé un ensemble de recommandations propres à limiter les risques de dysfonctionnement du marché. Il est primordial que l’Union européenne les prenne en considération pour éviter la répétition d’affaires de même nature, qui jettent le discrédit sur le SCEQE.

C.— Une couverture partielle des émissions

Finalement et à l’exception des imperfections de jeunesse qui perturbent le fonctionnement optimal des marchés d’échanges de quotas d’émission, le système européen peut légitimement prétendre à un satisfecit. L’architecture édifiée par les autorités communautaires avec le concours des États membres a précipité l’émergence d’un ensemble cohérent, performant du point de vue environnemental et bien accepté par les acteurs économiques. La limite principale à son action en faveur de la limitation de rejets de CO2 dans le milieu tient cependant à son périmètre, particulièrement restreint au regard d’enjeux d’envergure planétaire. La mise en perspective est d’autant plus troublante si l’examen porte sur le volet français du SCEQE, tant le paradoxe est grand entre efforts consentis et impact effectif.

Même s’il embrasse les installations les plus énergivores et les plus émettrices – 80 % des plus petites installations assujetties représentent seulement 10 % des émissions couvertes – le système européen contrôle seulement 4 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Ainsi, la réduction des rejets assujettis de 21 % prévue pour 2020 équivaudra à l’économie d’un peu plus de 0,8 % des émissions mondiales de carbone et autres composés propices au changement climatique, en supposant que les puissances industrielles étrangères n’aient pas augmenté leur propre production d’ici là.

À l’intérieur même de cet ensemble relativement modeste, du fait de son choix en faveur de l’électricité nucléaire et des efforts de modernisation déjà accomplis par ses industriels, la France demeure un petit émetteur de gaz à effet de serre. Aux termes du PNAQ2, elle rejette annuellement dans l’atmosphère près de 130 millions de tonnes de CO2, dont moins de 30 pour sa production énergétique. Elle ne détient ainsi que le vingtième des quotas de l’ensemble de l’Union. Pour donner un ordre de grandeur, il suffit de mentionner que l’électricien allemand RWE reçoit à lui seul une allocation correspondant à 170 millions de crédits.

Le plan national d'allocation des quotas en vigueur pour la phase II couvre actuellement 38 % des émissions totales de CO2 en France, dont 93 % des émissions industrielles.

LA COUVERTURE PAR LE SCEQE DES REJETS DE CO2 DANS L'INDUSTRIE NATIONALE (ENTREPRISES DE PLUS DE 10 SALARIÉS, HORS CARBURANT)

Branches soumises au SCEQE

Part des émissions de la branche couverte par le SCEQE

Sidérurgie

100 %

Chimie

47 %

Chaux et ciment

100 %

Céramique

5 %

Tuile et brique

100 %

Verre

100 %

Papier et carton

98 %

Autres

43 %

Source : ADEME.

La couverture du SCEQE est étendue sur certains secteurs : dans d’autres, elle reste marginale. Les États avaient la possibilité d’inclure des unités de production dans le système au fur et à mesure de la mise en place de celui-ci. Ces ralliements ont été rares et, de toute façon, la faible taille des installations en question n’aurait pas permis un gain significatif. En outre, les secteurs visés sont ceux dont les émissions étaient déjà, pour l’essentiel, stabilisées ou décroissantes depuis plus de deux décennies (-13 % pour l’industrie depuis 1990), alors que celles du secteur diffus, non concerné par ce signal prix, continuent à croître (de 14 % pour les transports sur une période identique).

ENVELOPPE ANNUELLE DE QUOTAS D'ÉMISSION DANS LE CADRE DU PNAQ2

(en millions de tonnes de CO2)

Secteur d'activité

Allocation

Chauffage urbain

5,46

Combustion d'énergie

0,37

Électricité

25,59

Transport de gaz

0,84

Raffinage

16,54

Combustion agro-alimentaire

5,97

Combustion chimie

9,79

Combustion externalisée

2,64

Combustion industrie

1,11

Combustion (autres)

2,88

Acier

25,73

Ciment

15,40

Chaux

3,18

Verre

3,73

Céramique

0,02

Tuiles et briques

1,11

Papier

4,32

Source : Décret n° 2007-979 du 15 mai 2007.

En outre, la réduction des émissions pose toujours une question de faisabilité à l’avenir. Les modernisations les plus faciles, les adaptations les moins coûteuses ont pu être réalisées dans les premiers temps du système. Plus le plafond de rejets autorisés s’abaisse, plus il sera délicat d’explorer des gisements d’économie. La mission d’information a entendu les représentants de l’industrie cimentière expliquer que les deux tiers des émissions de leur branche correspondent à une libération dans l’atmosphère inhérente à la production de matériau, phénomène chimique sur lequel il n’est pas envisageable d’effectuer le moindre progrès. Il ne reste par conséquent qu’un tiers des rejets sur lequel travailler, lié à la combustion énergétique nécessaire à la fabrication des clinkers. Les cimentiers ont signalé avoir obtenu un gain de 10 % sur ce second volet du processus. Pour appréciable qu’il soit, il ne représente jamais que 3 % d’économie dans l’ensemble des émissions du secteur.

La répartition française par secteur est voisine de celle qui a cours dans l’ensemble de l’Europe, où une grande partie des abattements obtenus serait imputable aux producteurs d'électricité qui, contrairement aux secteurs industriels, ont le pouvoir d'ajuster à très court terme leur structure de production, en substituant par exemple du gaz au charbon pour l'alimentation des centrales thermiques de pointe. La production thermique de pointe ne représente néanmoins que 10 à 15 % du parc de production français.

Source : Mission climat de la Caisse des dépôts et consignations (2008)

La couverture des secteurs économiques polluants par le système européen d’échange de quotas constitue, au terme de cette présentation, le point faible le plus important identifié par la mission d’information. Son extension à de nouvelles branches à compter de 2013 ne parvient pas à inverser ce jugement, d’autant moins qu’elle soulève de sérieuses interrogations sur sa pertinence face à une concurrence internationale particulièrement dynamique. En l’état actuel, et même si son acceptation sociale et surtout économique a été parfaitement orchestrée par les directives, le SCEQE ne paraît pas être l’instrument qui permettra à lui seul à l’Europe de relever le défi du changement climatique.

Toutefois, plus que d’une substitution, la mission d’information considère que le système d’échange de crédits carbone nécessite l’adjonction d’un dispositif propre à élargir le contrôle européen sur d’autres sources de pollution sans faire supporter aux seuls citoyens et entreprises du continent la charge de cette politique vertueuse dont d’autres, tout aussi responsables sinon plus, continuent de s’exonérer. La coordination entre le système européen et les mécanismes de Kyôto a également été abordée. La faisabilité et l’opportunité d’un mécanisme de taxation ont été évoquées tout au long des trois mois d’investigation de la mission, en partie en raison de la propension médiatique à qualifier toute nouvelle mesure de taxe carbone, même si elle ne s’apparente en aucun cas à un mécanisme fiscal.

SECONDE PARTIE

PARFAIRE LE SYSTÈME

Le plafonnement des rejets de gaz à effet de serre à travers le système d’échange de quotas sous plafond présente une efficacité certaine et un fonctionnement cohérent, entamés néanmoins par des dysfonctionnements qui devront être rectifiés rapidement et par une insuffisance dans le périmètre de couverture des installations émettrices de CO2.

La mission d’information a retiré de ses investigations la conviction que le SCEQE constitue un outil important dans la mise en œuvre de la politique européenne de lutte contre le changement climatique. Le consensus ressenti auprès des opérateurs économiques, que le passage à la phase III du dispositif ainsi que la substitution progressive de l’adjudication aux enchères à l’allocation gratuite ne devraient nullement entamer, mérite d’être préservé. Une fois les crédits carbone devenus payants, les États membres recevront un appréciable supplément de recettes. Dans un contexte de tension sur les finances publiques, cet aspect doit être pris en considération. En outre, il est toujours préférable d’asseoir une imposition sur un comportement socialement néfaste – ici la production de composés nuisibles à l’équilibre environnemental – que sur une activité économiquement vertueuse et créatrice de richesse, traditionnellement le travail ou l’investissement.

Les travaux menés ont néanmoins forgé la certitude que le contrôle des installations assujetties tel qu’il existe à l’heure actuelle ne pourra suffire à atteindre les objectifs environnementaux de l’Union européenne. Il menace de surcroît de pénaliser son économie en la grevant d’une préoccupation écologique dont ses concurrents internationaux s’exonèrent volontiers. La valorisation du carbone équivaut à un surcoût pour les opérateurs économiques, qui sont conduits à le reporter sur leurs marges, affaiblies par la crise, ou à le répercuter sur le prix de vente final au risque d’inciter l’acheteur à se tourner vers des productions moins onéreuses.

Tant pour la correction des carences du système que pour la promulgation de mesures complémentaires, la mission d’information se félicite du rôle moteur joué par la France au sein des instances communautaires. Déjà à l’œuvre pour l’adoption du paquet énergie climat, la diplomatie française s’investit fortement pour convaincre ses partenaires d’approfondir la logique du système tant dans ses objectifs environnementaux que dans ses contreparties économiques. Aux recommandations de Michel Prada sur la régulation, il faut ajouter le rapport de Jean-Michel Charpin sur la problématique des enchères de quotas de la troisième séquence. Ces positions argumentées jouissent d’un poids important dans la négociation.

La mission d’information s’est attachée à l’exploration des diverses options d’amélioration et de complément du mécanisme de quotas actuel. Elle a dégagé trois axes de réflexion faisant chacun écho à une problématique majeure pour l’avenir de l’Europe et du monde.

En premier lieu, il importe de parfaire le contrôle exercé sur les émissions de gaz à effet de serre. L’Union européenne joue depuis Kyôto le rôle de locomotive internationale pour le combat contre le changement climatique. Comme elle a su construire une architecture institutionnelle bien acceptée, la logique suppose qu’elle continue dans cette voie. Cependant, le volontarisme environnemental n’exclut pas la sagesse. Il est nécessaire de mener une étude précise sur les conséquences effectives des initiatives retenues et de considérer l’environnement comme un bien global, dont la préservation doit être effectivement assurée à l’intérieur des frontières de l’Union comme à l’extérieur (I). Il n’y aurait aucun intérêt à imposer aux nationaux des États membres, citoyens et industriels, une série de restrictions qui aboutirait à déplacer les sources d’émission de carbone plutôt qu’à les diminuer.

En deuxième lieu, et cette ambition rejoint la précédente, il convient de prendre des mesures adaptées pour limiter les effets négatifs de la politique environnementale de l’Union sur son dynamisme économique. Une croisade irraisonnée contre les émissions de gaz à effet de serre précipiterait les délocalisations industrielles au bénéfice de territoires moins regardants, aux technologies plus récentes et donc plus polluantes. Une Europe décarbonée ne doit pas signifier une Europe appauvrie et seul îlot d’air pur dans un monde toujours indifférent au niveau général des émissions. Au contraire, l’Union doit se doter de mécanismes propres à faire émerger l’intérêt environnemental comme une variable déterminante des relations commerciales internationales (II).

En troisième et dernier lieu, l’édification d’une Europe décarbonée suppose une cohérence d’ensemble dans l’organisation retenue et une prise en compte réaliste de l’influence du continent dans la mobilisation de la communauté internationale. Celle-ci n’est pas nulle : l’exemple du succès européen incite des puissances industrielles – les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud notamment – à envisager l’institution d’un marché de quotas. Pour autant, l’échec de Copenhague a montré crûment les limites de la vertu (III).

I.— ÉTENDRE LA COUVERTURE DU SYSTÈME

Les installations assujetties sont responsables de 40 % des émissions européennes de gaz à effet de serre. Il s’agit d’une part importante, mais qui reste limitée au regard de l’ensemble de l’économie de l’Union européenne. La sélection des sites intégrés au SCEQE s’est opérée en fonction du volume de carbone rejeté dans l’atmosphère, mais aussi au sein de secteurs d’activités jugés prêts à subir cette contrainte supplémentaire. Cette politique cherche à bénéficier d’un effet de masse. Elle répond aussi à des impératifs pratiques précédemment évoqués : il est relativement aisé de contrôler le CO2 rejeté par une fabrique de grande envergure, plus délicat de soumettre des usines de petite taille et des particuliers à une surveillance comparable.

À mesure que les objectifs de réduction d’émissions gagnent en ambition, il devient de plus en plus improbable que les seules onze mille installations assujetties parviennent à exploiter des gisements d’économie de carbone dans leurs procédés de production. Seule une contraction de leur production pourrait alors satisfaire le plafonnement imposé, mais cette option n’est évidemment pas souhaitable. Il est donc nécessaire d’entraîner le reste de l’économie dans l’effort commun en faveur de la préservation de l’environnement et de la lutte contre le changement climatique.

La mission d’information a recensé trois développements envisageables dans cette perspective. Il est d’abord possible de procéder à une extension du SCEQE à des secteurs d’activité et à des zones géographiques pour l’heure non assujettis. Il est également souhaitable d’inciter les particuliers et les très petites industries – le secteur diffus – à modérer leur consommation. Enfin, la lutte contre les rejets de carbone peut explorer d’autres voies que la limitation des émissions européennes : soit en finançant des investissements favorables à la protection de l’atmosphère sur d’autres continents, soit en agissant pour le stockage du carbone dans le meilleur réservoir à la disposition de l’humanité, les massifs forestiers.

A.— INCLURE DE NOUVEAUX SECTEURS

L’extension sectorielle du système européen d’échange de quotas a toujours été envisagée par les autorités communautaires. Dès la première phase de fonctionnement du dispositif, les États membres ont disposé de la possibilité d’inclure de nouvelles branches d’activités et d’autres gaz à effet de serre à la seule condition de pouvoir effectivement surveiller les volumes d’émission. Cette faculté est cependant restée peu employée en raison des difficultés pratiques résultant de l’assujettissement d’installations de taille modeste et des coûts engendrés par le suivi de leurs rejets. Sur les 538 sites unilatéralement intégrés au cours de la première séquence, 274 l’ont été par la Suède et 221 par la Finlande. Le bilan de la phase II est plus restreint encore dans sa géographie, puisque seuls les Pays-Bas ont résolu l’inclusion de sites émetteurs d’oxyde nitreux (N2O).

La phase III marque le passage de nouveaux secteurs dans le cadre réglementaire de la directive quotas : l’aluminium, les acides, la chimie et, dès 2012, le transport aérien. Ce dernier ajout suscite l’intérêt dès lors qu’il représente la première ouverture du système hors du cadre industriel, vers une activité de service.

À compter de 2012, les compagnies aériennes verront leurs émissions occasionnées par un décollage à partir du sol européen et par un atterrissage sur celui-ci soumises à un mécanisme de rattachement au SCEQE(20) Les quotas d’aviation – dits ATS pour Aviation Trading Scheme – seront liés aux crédits européens de façon asymétrique. Les entreprises de transport aérien pourront acheter des quotas européens pour satisfaire leurs obligations, mais il sera au contraire interdit de procéder à la revente de crédits d’aviation sur le marché européen. Le plafond des émissions sera fixé à 97 % des rejets moyens sur la période 2004-2006. L’année 2015 verra son abaissement à 95 %. L’extension du contrôle européen au monde de l’aviation représente 300 millions de tonnes annuelles de CO2, soit plus du double des émissions françaises.

La couverture de l’aviation couvre indifféremment les vols intracontinentaux et intercontinentaux. Or les liaisons internationales représentent deux tiers du trafic total du ciel européen et elles sont exclues de l’application du Protocole de Kyôto. L’Union européenne a entendu couvrir ces connexions extracommunautaires pour conserver son rôle moteur dans la lutte contre le changement climatique. De plus, le critère territorial retenu permet d’assujettir l’ensemble des compagnies aériennes sans considération du pavillon de l’appareil, évitant ainsi une distorsion de concurrence au détriment des opérateurs européens. Une extension unilatérale similaire est envisagée, dans un avenir proche, au transport maritime.

La mission d’information a profité de l’audition des représentants d’Air France par la commission du développement durable pour les interroger sur la question des émissions de carbone. Ils ont fait état d’une crainte quant à la compétitivité du secteur aérien européen, non pour les compagnies directement, mais à travers l’attractivité des structures aéroportuaires. Pour des raisons qui tiennent à l’histoire et du fait de sa position géographique privilégiée, le territoire européen bénéficie de la meilleure desserte au monde par les liaisons internationales. Londres et Paris sont des lieux d’escale de premier choix pour un voyageur asiatique se rendant aux États-Unis et inversement. Or l’assujettissement des vols internationaux touchant terre en Europe aux quotas d’émission de carbone grève la compétitivité des aéroports en provoquant un surcoût auquel échappent les pays étrangers. Il est donc possible que les compagnies redéfinissent leurs liaisons internationales en se détournant des nœuds de connexion européens au bénéfice des plateformes du Golfe persique.

La mission d’information juge fondée l’appréhension d’Air France devant l’extension au secteur de l’aviation du système de quotas. Il est cohérent d’assujettir suivant un principe territorial les vols intérieurs à l’Union européenne dès lors qu’une offre de substitution s’avère impossible. Mais il serait regrettable que la desserte internationale de la France vienne à pâtir d’une relocalisation des compagnies internationales vers des aéroports étrangers, d’autant plus que cette perte économique ne générerait en contrepartie aucune réduction des émissions de CO2. Quant à l’inclusion d’autres secteurs industriels, il y a lieu de s’en féliciter dès lors que les compétences techniques le permettent.

Un autre type d’extension du SCEQE est possible en dehors de l’inclusion sectorielle. Il s’agit d’un élargissement territorial, ce qui s’est déjà produit à deux reprises dans la courte histoire du marché européen de carbone. En 2006, les trois pays de l’Espace économique européen – Norvège, Islande et Liechtenstein – se sont agrégés à la directive. L’année suivante, l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’Union européenne a signifié leur adhésion au marché de crédits. Ces deux vagues d’inclusion ont étendu la couverture des émissions de quelque 6 %, soit 138 millions de tonnes de CO2. L’adhésion prochaine de la Croatie à l’Union européenne devrait fournir l’occasion d’un nouveau progrès.

Sous réserve de la pertinence d’une inclusion des liaisons aériennes intercontinentales, toute extension sectorielle ou territoriale des mécanismes européens de contrôle des émissions de gaz à effet de serre est positive. On ne saurait cependant en attendre des avancées majeures. Les industries lourdes figurent déjà pour la plupart dans la liste des installations assujetties et les coûts de couverture des sites de moindre importance excèdent les bénéfices attendus. Quant à l’expansion territoriale de l’Union européenne, elle approche également de sa limite alors que les pays candidats à l’adhésion ne se singularisent pas par des émissions massives de carbone. Les gains significatifs sont à rechercher ailleurs, et notamment dans un contrôle des rejets du secteur diffus.

B.— APPRÉHENDER LES ÉMISSIONS DU SECTEUR DIFFUS

Le système de quotas demeure limité dans son principe aux installations massives et aux acteurs économiques dont les émissions peuvent être facilement évaluées. Il n’est ainsi pas question d’étendre son principe au transport routier. Auditionnés, les représentants du secteur ont signifié la taille insuffisante de leurs entreprises – 90 % d’entre elles ont moins de dix salariés – pour intégrer efficacement un mécanisme de quotas. Leur plaidoirie en faveur d’une orientation des transports de marchandise vers une infrastructure multimodale, réservant l’acheminement routier aux derniers kilomètres, a convaincu la mission d’information de sa pertinence dans une optique de protection de l’environnement. Pareille organisation aurait également l’avantage de lisser les différences de coût provoquées par les différences de réglementation environnementale et sociale.

Il n’en demeure pas moins que les hydrocarbures pèsent lourdement dans le bilan carbone des économies occidentales. Un litre de gazole génère ainsi 2,62 kilogrammes de CO2. Les émissions relatives au chauffage individuel comptent également lourdement alors que, paradoxe, les équipements collectifs de réseau de chaleur souvent plus respectueux de l’environnement tombent sous le coup du système de quotas d’émission.

L’Union européenne a fixé la répartition des efforts à accomplir par chacun des États pour les émissions de son secteur diffus. La France a reçu pour objectif une réduction de 14 % de ses émissions non couvertes par le SCEQE. (21)

Il n’existe pour l’heure pas de mécanisme européen d’incitation à la restriction des émissions de gaz à effet de serre par le secteur diffus. Une spécificité française mérite d’être soulignée sur le marché de l’électricité. EDF a précisé à la mission d’information que la structure du parc électrique français permet de partiellement répartir le coût des quotas d’émission en faveur des consommateurs les plus vertueux. En effet, la différence de tarif de vente de l’électricité entre heures pleines et heures creuses correspond à une production de pointe générée par des centrales à combustible fossile dans le premier cas, à une production de base issue des installations nucléaires non émettrices de carbone dans le second cas. Quoique marginale et instituée pour des raisons autres qu’environnementales, cette disposition tarifaire produit un signal-prix positif. Un affinage des tarifs serait néanmoins souhaitable en fonction de l’heure de la journée et de la saison, afin de mieux faire apparaître le coût du CO2 libéré dans celui du kilowattheure consommé.

Si l’on se réfère à la théorie économique et aux trois mécanismes qu’elle offre pour internaliser le respect de l’environnement dans la décision de consommation de la ressource naturelle, il apparaît que le marché de quotas est inadapté aux faibles émissions qui caractérisent les particuliers. Quant à l’action réglementaire, elle conduirait à encadrer les activités quotidiennes de tous ; il convient par conséquent de l’écarter. La seule construction réaliste d’un signal-prix repose donc sur le dispositif fiscal. Cette approche est confirmée par l’histoire récente qui a vu la diminution de la consommation d’hydrocarbures au moment de la flambée des prix du baril de pétrole, au cours de l’année 2008. Elle est aussi l’occasion de rappeler qu’une forme de fiscalité écologique pèse déjà sur les particuliers à travers la taxe intérieure sur les produits pétroliers et ses vingt-cinq milliards d’euros de recettes annuelles.

La présidence suédoise de l’Union européenne a présenté à l’été 2009 une proposition de taxe carbone intérieure construite sur le modèle de celle que le pays a instauré à l’intérieur de ses frontières dès le début des années 1990. Elle s’est néanmoins heurtée à la rigoureuse exigence d’unanimité du Conseil, qui avait écarté le premier projet d’imposition paneuropéenne quinze années auparavant.

La Commission européenne porte désormais un projet de réforme de la directive 2003/96/CE du 23 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité. Celle-ci fixe les taux minimaux d'imposition applicables au pétrole, au charbon, au gaz naturel et à l'électricité, lorsque ces produits sont utilisés comme carburant ou combustible de chauffage. L’option retenue par le commissaire à la fiscalité et à l'union douanière, M. Algirdas Semeta, consiste à articuler le nouveau mécanisme avec la directive quotas en ajoutant deux nouvelles composantes dans la manière de calculer ces accises : la première en fonction des émissions de CO2, la seconde sur la base de l'efficacité énergétique des produits.

D’après les documents de travail que la Commission a fait circuler, cette restructuration fiscale s’effectuerait à coût relativement constant pour le consommateur. Il ne s’agirait pas de lever de nouvelles recettes fiscales, mais de provoquer la généralisation de comportements vertueux en termes de rejets de carbone dans l’atmosphère. Cette précaution posée, il semble que les États membres considèrent avec défiance cette intervention de l’exécutif européen dans leurs mécanismes fiscaux. La fiscalité sur les hydrocarbures constitue en effet une source fondamentale de leur financement ; la taxe intérieure sur les produits pétroliers est en France le cinquième pourvoyeur de recettes du Trésor public.

Sans pouvoir apprécier dans le détail les propositions exprimées par la Commission, la mission d’information juge favorablement le principe d’une incitation à travers les accises sur les carburants pour limiter les émissions du secteur diffus. Elle s’inquiète cependant de la capacité de l’Union européenne à réunir une unanimité sur le sujet.

Si l’action de l’Europe est complexe, celle de la France est pratiquement impossible. La censure constitutionnelle qui a frappé la taxe carbone proposée par la loi de finances initiale pour 2010 empêche en pratique l’instauration d’une fiscalité sur le carbone sur le territoire national. Les motivations données par le Conseil constitutionnel ne permettent pas d’imaginer un mécanisme de substitution qui soit à la fois réalisable par l’administration, lisible par le citoyen et complémentaire avec le marché d’échange de quotas. Il semble toutefois que le projet initial échappera au grief de rupture d’inégalité devant les charges publiques dès la disparition de l’allocation initiale gratuite, soit à compter de 2013. La solution réside peut-être, finalement, dans l’attente.

C.— VALORISER LES PUITS DE CARBONE ET LES MÉCANISMES DE PROJET

La directive liaison – ou projets – n° 2004/101/CE du 27 octobre 2004 a tissé le lien entre le système d'échange de quotas d'émission de l’Union et les mécanismes du Protocole de Kyôto, en rendant compatibles avec la structure européenne les mécanismes de projet internationaux. Il s’agit de la mise en œuvre conjointe dans laquelle un investissement permet une diminution des émissions de CO2 dans un État développé (MOC) et du mécanisme de développement propre qui voit la même opération réalisée dans un pays en développement (MDP). Les opérateurs sont autorisés à utiliser ces deux mécanismes pour s'acquitter de leurs obligations dans le cadre du SCEQE. Ils bénéficient ainsi d’une réduction des coûts de mise en conformité des installations soumises au système dès lors que le prix des crédits internationaux est inférieur à celui des permis européens. Les estimations pour la phase II prévoient une réduction de 20 % du coût annuel de mise en conformité des installations assujetties.

Source : Mission climat de la Caisse des dépôts et consignations (2008)

La directive reconnaît la validité des crédits résultant des projets MOC et MDP, qui génèrent respectivement des quotas URE – pour unité de réduction d’émissions – et URCE – pour unité de réduction certifiée d’émissions. En outre, la Commission a évité que l’inclusion des crédits MOC et MDP sur le marché communautaire ne conduise à des situations de double décompte. Une telle situation se produirait si un site industriel non seulement bénéficiait d’une réduction d’émissions grâce à son investissement, mais conservait en plus les quotas qui lui ont été alloués pour compenser ses émissions. Ce risque est présent dans le cas où des projets de type MOC sont exécutés au bénéfice d’entreprises soumises à un plafonnement d’émissions au titre du SCEQE, et qu’ils réduisent, simultanément, ces émissions. La situation pourrait également se produire si des projets MDP réduisent les émissions des entreprises assujetties situées à Chypre ou à Malte, qui sont considérés comme des pays en développement par le Protocole de Kyôto. Dans ces situations, les crédits ne peuvent être délivrés que si un nombre égal de quotas est annulé dans le registre national de l’opérateur.

La directive reconnaît la validité de tous les crédits de développement générés à la suite d’une réduction des émissions de carbone dans un États tiers. Deux exclusions sont toutefois affirmées.

D’une part, conformément à la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques et au Protocole de Kyôto, les crédits issus de projets liés à l’énergie nucléaire ne sont pas admis sur le marché communautaire. La mission d’information regrette que cette énergie parfaitement décarbonée, qui permet à une grande nation industrielle comme la France de n’être qu’un émetteur mineur de CO2 à l’échelle européenne, soit ainsi considérée comme neutre du point de vue de la lutte contre le changement climatique. Sans nier les précautions qu’exige la maîtrise de l’atome en termes de sûreté des réacteurs, et sans occulter la question du stockage et du retraitement des déchets ultimes, il est difficilement soutenable que la substitution du nucléaire au charbon, à puissance égale, n’a aucun impact sur le volume de gaz à effet de serre rejeté.

D’autre part, la Commission affiche une hostilité constante concernant les crédits résultant d’une activité liée à l’utilisation des terres, au changement d’affectation des terres et à la foresterie. Ces derniers sont exclus du marché communautaire. Selon la Commission, le caractère temporaire et réversible des absorptions de gaz à effet de serre par les puits de carbone présenterait des risques considérables dans un système d’échange de type commercial. En outre, l’inclusion de tels projets dans le SCEQE nécessiterait des règles de surveillance des émissions rigoureuses dont la mise en œuvre supposerait un coût prohibitif. Enfin, cette exclusion se justifie par la volonté de ne pas susciter une abondance de crédits sur le marché. Si elle peut admettre les obstacles pratiques à l’inclusion de la forêt dans le mécanisme de surveillance du système européen, la mission d’information ne comprend pas l’objection de principe. L’objectif premier demeure la protection de l’environnement et la limitation des émissions de gaz à effet de serre. Le marché d’échanges de quotas n’est que le moyen de cette ambition. Si des projets sylvicoles foisonnants venaient à reconstituer le poumon vert de la planète, en quoi serait-il gênant que le prix des crédits carbone s’effondre ? Cette intégration ne pourrait-elle pas être opérée progressivement de façon à préserver les fondamentaux du marché ?

Les mécanismes de projets ont suscité les critiques par leur faiblesse conceptuelle. Tout d’abord, ils correspondent à une limitation des émissions de CO2 opérée par rapport à un niveau de référence qui ne peut être qu’hypothétique puisqu’il équivaut aux émissions qui auraient eu lieu en l’absence du projet. Par ailleurs, des préoccupations ont pu naître s’agissant de l’excédent d’offre que les mécanismes de projet pourraient provoquer sur le marché international du carbone. L’Union européenne a tenu compte de ces interrogations et de ces craintes d’inefficacité du MDP par rapport à l’objectif environnemental global. L’utilisation des URE et des URCE est donc contingentée dans le cadre du SCEQE. Par une ironie certaine, le quota est lui-même soumis à quota.

La détermination du degré de complémentarité que peuvent apporter les mécanismes de projet a été laissée, au cours des premières phases, à la discrétion des États membres et des orientations retenues dans les PNAQ. Ces documents portaient mention de la proportion de crédits de Kyôto qu’ils autorisaient à chaque exploitant pour compenser ses émissions. La somme de ces plafonds a abouti dans la deuxième séquence à une quantité maximale de crédits URE et URCE pouvant entrer sur le marché communautaire équivalente à 13 % du montant total de quotas alloués – soit 1,4 milliard de crédits sur cinq ans. Craignant un accroissement de leur utilisation à l’ouverture de la phase III, ce qui aurait réduit à néant l’effet incitatif de l’abaissement du plafond et l’intérêt des entreprises assujetties à investir dans de nouvelles technologies plus sobres en carbone, la Commission a souhaité fermer le marché européen à l’entrée de nouveaux crédits en l’absence de convention cadre internationale. Cela ne signifie pas qu’aucun crédit ne pourra être utilisé lors de la phase III, mais que le montant total des crédits intégrés dans le SCEQE ne dépassera pas le seuil maximal collectivement fixé par les États membres à travers les PNAQ2.

Depuis 2008, les restitutions cumulées de crédits de développement n’ont utilisé qu’environ 12 % des 1,4 milliard autorisés à l’occasion de la phase II du SCEQE. Les URE, principalement issues de l’ancienne zone soviétique, ne représentaient que 0,17 % des restitutions. Le volume des URCE le surpasse largement, ce qui n’a rien de surprenant puisque chaque implantation d’usine moderne en Inde et en Chine vaut investissement technologique et donc dotation en crédits sur la base du MDP.

Restitutions européennes totales pour les émissions 2009

1 923 221 174

100 %

Dont URCE et URE

81 975 108

4,3 %

Dont quotas gratuits ou acquis aux enchères

1 841 246 066

95,7 %

La reconnaissance de la valeur des URE et des URCE dans le cadre européen a ouvert une correspondance entre le système international de Kyôto, dont les parties sont des États souverains, et le système européen d’échange de permis d’émission, qui assujettit des sociétés privées. Cette situation s’exprime par la coexistence de crédits distincts mais liés :

– les permis d’émission alloués aux nations de l’annexe B du Protocole de Kyôto en fonction de leurs émissions passées et des objectifs consentis, dits UQA pour unité de quantité attribuée ;

– les permis URCE et URE ;

– les quotas ETS européens, qui sont en fait les UQA accordées aux États membres de l’Union européenne à Kyôto et qui sont alloués aux entreprises couvertes par le SCEQE.

La demande de crédits UQA émane des États dont les émissions réelles excèdent les objectifs de Kyôto ; ils cherchent à acquérir le reliquat dans le marché. Les crédits européens sont recherchés par les entreprises assujetties qui doivent également se procurer des crédits pour gager un supplément de production. Enfin, les deux catégories peuvent substituer à leur demande des crédits URCE et URE, dans la limite admise par la Commission toutefois pour les industries européennes.

Or l’émergence d’air chaud russe et ukrainien, dû à la désindustrialisation consécutive à la disparition de l’Union soviétique, a provoqué une abondance de l’offre d’UQA. Le SCEQE est devenu par conséquent le marché préférentiel des quotas générés par les MOC et les MDP. Et comme les URE et les URCE sont admis en substitution des quotas européens alors que leur valeur de marché est moindre, les opérateurs assujettis ont eu tendance à investir massivement dans des mécanismes de développement pour se libérer de l’obligation européenne avant de se séparer sur le marché de leur allocation initiale non consommée. Cette situation a pu générer des effets d’aubaines d’autant plus regrettables que les URCE sont fréquemment issus de délocalisations et donc synonymes de désindustrialisation du continent européen.

La fermeture du SCEQE ainsi que le plafonnement des URE et URCE utilisables à concurrence de l’autorisation consentie en deuxième phase ont retiré son dynamisme au phénomène, qui subsiste désormais uniquement sur les crédits résiduels. Elle rappelle toutefois que l’équilibre des marchés de carbone est fragile, que la moindre faille est systématiquement mise à profit. La nécessité d’une régulation stricte n’en est que plus impérieuse. Pourtant, il est permis de regretter que les investissements dans les pays en développement aient été ainsi détournés de leur objet premier. Le faible chiffre des MDP mis en œuvre dans les pays africains, l’industrialisation rapide de la Chine et de l’Inde sans considération environnementale, montrent que le développement durable n’a été que très rarement au centre des décisions d’investissement.

Ces constats ont enfin valeur de rappel. Au-delà des ambitions environnementales, un marché de permis demeure un mécanisme économique commandé par des intérêts financiers. La mission d’information souhaite que les Européens conservent cette réalité présente à l’esprit au moment d’accroître la contrainte environnementale qui pèse sur la compétitivité de leurs entreprises.

II.— PRÉSERVER LA COMPÉTITIVITÉ DES INDUSTRIES EUROPÉENNES

Une fois évalué l’effet environnemental du SCEQE sans exagérer l’importance des conséquences à en attendre, il importe de s’interroger sur le coût économique et financier de l’exercice d’une contrainte de production sur le fonctionnement des grandes unités industrielles européennes. La jurisprudence du Conseil constitutionnel l’a estimé négligeable puisque, d’après les motivations de la censure de la loi de finances initiale pour 2010, l’assujettissement au système de quotas provoque des conséquences si peu comparables à une mesure de taxation qu’il en résulte une rupture de l’égalité devant les charges publiques et un échec de la lutte contre le changement climatique.

On pourrait alors considérer, en première analyse, que la soumission des industries polluantes à une fiscalité carbone en sus de leur intégration au système européen d’échange de quotas d’émission ne ferait que renforcer l'incitation à la réduction des émissions et serait non seulement égalitaire en termes financiers, mais encore vertueuse du point de vue environnemental.

Tel n'est pourtant pas le cas. En effet, l'introduction d'une taxe carbone pour les entreprises sous quotas n'aurait pour seul effet que de renchérir le coût moyen de réduction des émissions au niveau national sans modifier le résultat environnemental global. De fait, les entreprises françaises soumises à la fois aux quotas et à la contribution carbone réduiraient leurs émissions davantage qu'en l'absence de taxe. Mais le plafond global d'émissions autorisées à l'échelle communautaire n'étant pas modifié pour autant, cette baisse d'émissions en France libérerait des quotas qui seraient revendus à des entreprises européennes situées hors de France, et qui émettraient donc davantage de CO2. Le bilan sur les émissions globales de CO2 à l'échelle européenne serait donc nul, les émissions évitées en France se retrouvant à due proportion chez ses partenaires. En revanche, la baisse de la production et la perte de compétitivité auraient des incidences réelles et facilement observables sur la bonne santé de l’économie hexagonale.

Selon M. Christian de Perthuis répondant à l’interrogation formulée par un membre de la commission des finances du Sénat, « superposer une taxe nationale avec les quotas payants pour les entreprises n'apporte aucun bénéfice environnemental supplémentaire. Il faut en être bien conscient. Le surcroît de prix du carbone résultant de l'application de la taxe aux entreprises sous quotas va générer des réductions d'émissions sur le territoire français mais aussi des surcroîts de droits à produire d'un montant équivalent chez nos partenaires allemands, polonais ou anglais. On ne fait donc que déplacer la contrainte ».

De même, selon M. Jean-Michel Charpin, « un système de taxe incitative qui se superposerait aux quotas serait rigoureusement inutile du point de vue de la réduction des émissions de carbone. Dans un système de cap and trade, la quantité de carbone émise s'aligne, quoi que l'on fasse, sur le cap. Non seulement cette superposition serait inutile mais, avec elle, on régresserait du point de vue de l'optimalité économique. »

Cette analyse est partagée par la Commission européenne. Le considérant 7 de la proposition de directive sur la révision du cadre communautaire de taxation des produits énergétiques est particulièrement explicite. Il énonce sans doute possible l'exclusion réciproque d'une taxe sur le CO2 et du système européen des quotas. En effet, il affirme que « la taxation liée au CO2 devrait être adaptée aux dispositions de la directive 2003/87/CE – la directive SCEQE – afin de la compléter effectivement. Cette taxation devrait s'appliquer à tous les usages – y compris aux usages autres que destinés au chauffage – de produits énergétiques générant des émissions de CO2 au sens de la directive, sous réserve que l'installation concernée n'est pas assujettie au système communautaire résultant de cette directive ». Cette exclusion réciproque est ensuite motivée : « dans la mesure où l'application cumulative des deux instruments ne permettrait pas de réductions d'émissions supérieures à celles globalement atteintes par le seul système communautaire, mais augmenterait simplement le coût total de ces réductions, les taxes sur le CO2 ne devraient pas s'appliquer aux consommations au sein des installations soumises au SCEQE. »

Le système européen d’échange de quotas d’émissions fonctionne sous un plafond. C’est un mécanisme d’une grande simplicité : la réduction des rejets de gaz à effet de serre dans l’atmosphère passe par un abaissement de la limite autorisée. Il n’y a pas lieu d’envisager la création d’une mesure fiscale additionnelle frappant les industries assujetties si la protection de l’environnement en constitue la cause réelle. S’il est question de dégager de nouvelles recettes fiscales, ou s’il s’agit d’inaugurer une démarche punitive à l’encontre des grands émetteurs, le mécanisme se montrera en revanche adéquat. Telles ne sont pas les ambitions de la mission d’information, qui émettrait une désapprobation dépourvue de nuance si l’idée venait à être lancée à nouveau.

Il reste que le système européen impose des sacrifices aux installations assujetties. Modestes en phase I, réels en phase II, ils se feront conséquents en phase III avec le renforcement de l’objection de limitation des rejets de CO2 et la fin de la gratuité de l’allocation initiale des quotas. Devant le risque de délocalisation que susciterait une application brutale et uniforme de la mesure, les instances communautaires ont envisagé des mesures d’adaptation et de transition destinées à prévenir les fuites de carbone. L’inégalité subie par les entreprises françaises et européennes confrontées à la compétition internationale ne s’en trouve pas corrigée pour autant. La France et l’Allemagne ont réclamé conjointement la fondation d’un mécanisme d’ajustement aux frontières à même de rétablir des conditions de concurrence égales. D’abord entendu en termes de philosophie économique de l’échange par crainte d’une résurgence du protectionnisme, le débat s’est déplacé vers la question de la conformité d’une telle initiative avec les conventions internationales régissant les relations commerciales dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce.

A.— LE RISQUE DE FUITES DE CARBONE

Le SCEQE est un marché unique qui inclut des secteurs économiques très différents. Durant les deux premières phases, cette particularité a autorisé la répartition des dotations de quotas à travers un partage intermédiaire entre enveloppes sectorielles. Cette situation a conduit à une inégalité assumée de traitement entre les branches de l’économie face à la menace d’un déficit global. En l’occurrence, la plupart des États membres a résolu de transférer la totalité du risque sur les producteurs d’électricité. Ce sont certes les installations les plus faciles à moderniser, celles pour lesquelles une réduction des rejets de CO2 s’avère réalisable dans les meilleurs délais. Ce sont aussi et surtout des productions qui ne sont pas confrontées à la concurrence mondiale du fait des caractéristiques physiques de l’électricité. Aucune délocalisation n’était à craindre ni aucune perte de part de marché au profit de productions importées ; le surcoût pourrait être facilement reporté sur le consommateur. Cette analyse a toutefois rencontré un écueil en France dès lors que subsistent des tarifs régulés qui empêchent ce report.

Alors que le passage à la troisième phase du dispositif se caractérise par l’apparition d’une adjudication aux enchères à la place de la précédente allocation à titre gratuit, l’électricité demeure le secteur le plus rapidement exposé à la contrainte carbone. Contrairement à toutes les autres installations assujetties, les centrales électriques ne bénéficieront d’aucune progressivité dans le passage d’un dispositif à l’autre. Les opérateurs électriques seront amenés dès 2013 à acquérir à travers les enchères un nombre de crédits correspondant à 100 % de leur production. Les représentants du secteur, auditionnés par la mission d’information, ont confirmé cette analyse. Les risques de fuite de carbone présentent une probabilité tout à fait négligeable. L’installation des moyens de production d’électricité de l’autre côté de la Méditerranée nécessiterait la pose de câbles de transport sous-marin ; on ne parle pour l’heure que de projets photovoltaïques pour lesquels l’existence du SCEQE n’a strictement aucune incidence quel que soit le territoire choisi pour la production. Quant à la connexion aux sources d’énergie russes, elle pose suffisamment de difficulté pour le gaz sans que l’électricité ne s’y accole. En revanche, il a été fait mention de la multiplication des projets de centrale à charbon au Kosovo à partir de financements européens, pour une puissance installée de 4 GW très supérieure aux besoins de la population locale. Il semble que la proximité géographique du Kosovo, ses facilités de connexion et son indépendance vis-à-vis du plafonnement européen des émissions permettent à des producteurs de se libérer des obligations fixées par l’Union en matière d’émissions. La mission d’information espère que la Commission européenne engagera envers les différents responsables de cette situation, si elle vient à être avérée, toute action susceptible de faire prévaloir le respect de l’enveloppe globale d’émissions et, sinon de la lettre, du moins de l’esprit de la directive quotas.

La phase III prévoit une montée en puissance de la contrainte carbone plus progressive pour les autres secteurs industriels. Son impact sur la compétitivité risque de se faire sentir car les coûts induits ne sont pas neutres. La tonne de ciment se négocie aux alentours de 100 €, l’intégration d’un crédit carbone équivalent à 20 € entraîne un renchérissement d’autant. Le supplément pour une tonne d’acier approche 60 € pour un coût initial de plusieurs centaines d’euros, très variable suivant les fluctuations des cours mondiaux. Dans une vision globale de l’activité d’une entreprise, Total a déclaré prévoir un coût total compris entre 150 et 450 millions d’euros du fait de son assujettissement au système européen.

Le 1er janvier 2013 verra la mise en place d’un mécanisme d’allocation spécifique au bénéfice des activités particulièrement exposées à la concurrence internationale et dont les surcoûts liés au SCEQE pourraient signifier la disparition sur le territoire européen. Ces secteurs limitativement énumérés bénéficieraient d’une dotation pouvant couvrir jusqu’à la totalité de leurs besoins en quotas d’émissions. La comparaison des performances environnementalesbenchmark – conduirait à la détermination du dixième le plus remarquable des différents sites. Les plus vertueux trouveraient ainsi une récompense en échappant à l’obligation d’acquérir des quotas à titre onéreux ; ce serait pour les 90 % restants une incitation supplémentaire à investir pour de meilleurs procédés de production et des technologies libérant moins de carbone dans l’atmosphère. Les interlocuteurs de la mission ont souligné le caractère assez aléatoire de la désignation des 10 % de sites les plus vertueux. Les circonstances peuvent expliquer la performance : ainsi la raffinerie la plus respectueuse de l’environnement se situe-t-elle en Autriche, protégée de la concurrence de sites rivaux par la topographie et donc moins contrainte en termes de prix. De même, les cimenteries les plus performantes utilisent des déchets en guise de combustible et leur implantation a été en partie arrêtée pour s’assurer de leur approvisionnement ; elles ne pourront pas être rattrapées par des investissements technologiques.

La directive précise que les secteurs exposés à un risque important de fuite de carbone doivent être déterminés par la Commission au 31 décembre 2009, puis révisés tous les cinq ans. Une première liste a ainsi été présentée dans une décision du 24 décembre 2009. Sur 268 activités exercées dans le cadre du marché européen d’échange de quotas, 164 sont jugées vulnérables aux fuites de carbone.

Au sens de la directive, un secteur est considéré exposé à un risque important de fuite de carbone dans trois hypothèses. C’est d’abord le cas lorsque la somme des coûts supplémentaires directs et indirects induits par le SCEQE entraîne une augmentation d'au moins 30 % de la valeur ajoutée brute. C’est également acquis si l'intensité des échanges avec des pays tiers, définie comme le rapport entre la valeur totale des exportations vers les pays tiers plus la valeur des importations en provenance de pays tiers et la taille totale du marché pour la Communauté (chiffre d'affaires annuel et total des importations), est supérieure à 30 %. Les critères sont enfin satisfaits quand la somme des coûts supplémentaires directs et indirects induits par le SCEQE entraîne une augmentation des coûts de production d'au moins 5 % de la valeur ajoutée brute, alors que l'intensité des échanges avec les pays tiers excède 10 %.

Un rapport publié en janvier 2008 par Climate Strategies considère que, sur les 159 secteurs assujettis au SCEQE analysés dans le cadre de l’étude, 23 seulement seraient susceptibles de subir un impact significatif sur leurs coûts de production, c'est-à-dire une augmentation de leurs coûts de l’ordre de 1 %. En outre, ces secteurs seraient généralement faiblement exposés au commerce avec des pays tiers. Cette position est confirmée par les recherches de l’Institut Öko sur les secteurs couverts par le SCEQE en Allemagne, citées par le WWF. Seuls quelques secteurs industriels allient une ouverture au commerce supérieure à 10 % et une forte valeur ajoutée en danger plus de 10 %. Ceux-là, seulement, seraient réellement affectés.

EXPOSITION AU COÛT CARBONE –
RÉSULTATS EMPIRIQUES POUR L’ALLEMAGNE 
(22)

Cette analyse rejoint celle de la Commission européenne qui a déclaré à la mission d’information que les coûts induits par la troisième séquence du système seraient globalement marginaux hormis pour l’industrie de la chimie. Il semble également qu’elle ait convaincu le Gouvernement français de revoir à la baisse ses craintes de fuite de carbone, d’après les comptes rendus de la réunion des ministres européens de l’environnement du 11 juin 2010.

La mission d’information accepte l’augure d’une atteinte limitée à la compétitivité, mais elle ne se satisfait pas de cette réponse. Même si le mécanisme incitatif retenu par la directive semble satisfaisant en évitant une exposition excessive des secteurs commercialement sensibles à la concurrence internationale, il demeure que les entreprises européennes sont appelées à poursuivre leurs efforts en l’absence de volonté comparable chez leurs rivales établies sur d’autres continents.

B.— LA NÉCESSITÉ D’UN AJUSTEMENT AUX FRONTIÈRES

L’opportunité de la création d’un mécanisme d’ajustement aux frontières de l’Union européenne s’impose, par conséquent, pour rétablir l’égalité des conditions de marché. Le président de la République et la Chancelière allemande semblent en accord sur ce point. Ils ont rédigé plusieurs courriers communs en ce sens au cours des douze derniers mois, à destination des instances européennes mais aussi, notamment, à l’attention du secrétaire général des Nations unies en préalable aux négociations internationales de Copenhague.

La position française a souvent été présentée par les médias comme la création d’une taxe aux frontières. Les investigations de la mission d’information à Bruxelles montrent qu’il s’agit ici d’un abus de langage. Les partenaires européens de la France sont trop attachés aux principes du libre-échange pour accepter la restauration d’un mécanisme tarifaire qui, sur une base environnementale, équivaudrait à un retour au protectionnisme douanier. On sait également que pareille mesure nécessiterait une unanimité des États européens au Conseil de ministres.

De façon plus réaliste, la France milite en réalité pour un mécanisme d’ajustement aux frontières qui prendrait la forme d’une extension de la couverture du système européen d’échange de quotas d’émissions aux importations : le mécanisme d’inclusion carbone (MIC). Il n’y aurait alors aucun risque de distorsion de concurrence étant donné que le cadre imposé aux productions étrangères serait strictement identique, dans la réglementation comme dans le signal-prix, aux sujétions qui pèsent déjà sur les industries nationales. Cette solution semble de surcroît ouverte par le droit européen. Le huitième considérant de la directive 2009/29/CE du 23 avril 2009 affirme ainsi qu’il importe « de garantir une plus grande prévisibilité du système et d'élargir son champ d'application en incluant de nouveaux secteurs et de nouveaux gaz, en vue de renforcer le signal de prix du carbone de manière à susciter les investissements nécessaires ».

Plusieurs objections sont formulées à l’encontre de cette proposition française. La première signale qu’une extension du système européen de quotas à des nations émergentes ou en voie de développement les évincerait du commerce international sans pour autant développer leur recours aux technologies respectueuses de l’environnement dont le coût empêche la généralisation. L’analyse peut se révéler exacte, mais elle fait peu de cas du fondement même de l’engagement européen dans les crédits carbone, à savoir la limitation des émissions de gaz à effet de serre. Si l’objectif principal de cette politique publique consiste à préserver l’environnement, la mise sous plafond des émissions des pays émergents y répond évidemment dès lors que la Chine a détrôné les États-Unis en tant que premier émetteur de CO2 au monde. La substitution d’une production domestique, libérant moins de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, à des livraisons extérieures insensibles à la contrainte carbone, apparaît sans aucun doute comme un progrès dans la lutte contre le changement climatique. Elle inciterait ainsi les pays riches à ne pas exporter leurs pollutions industrielles vers un Sud moins à même d’imposer des réglementations environnementales draconiennes.

D’aucuns craignent ensuite qu’un ajustement aux frontières ne déclenche des représailles commerciales de la part des États-Unis et des puissances asiatiques. Cette hypothèse n’est en effet pas à exclure. Mais en limitant à son économie le plafonnement des émissions de carbone sans que l’étranger fasse de même, l’Europe s’impose déjà une forme de pénalité dans la compétition internationale. Elle n’a donc pas à craindre d’égaliser les conditions. En outre, l’argument pourrait être employé à bon escient dans les négociations climatiques futures où l’Union européenne ambitionne toujours de jouer un rôle d’impulsion. La volonté d’échapper à un mécanisme d’ajustement aux frontières pourrait conduire les grands émetteurs de CO2 à effectuer des concessions que les seules préoccupations environnementales n’auraient pas suscitées. La dissuasion a aussi ses vertus.

Lors de sa visite à la direction générale de l’action climatique, la mission d’information a entendu l’argument selon lequel, si une extension du système de quotas aux importations apparaît séduisante de prime abord, sa mise en pratique se révèle extrêmement complexe. Elle imposerait en effet d’évaluer la quantité de carbone moyenne contenue dans un produit importé. Or il est délicat de déterminer comment une tonne d’acier – par exemple – a été fabriquée, selon quel procédé et avec quelle incidence sur l’environnement. Cette interrogation peut avoir sa pertinence. Toutefois, la mission d’information juge qu’une difficulté dans les modalités de mise en application pourrait justifier d’écarter la proposition française après un examen rigoureux de toutes les options, mais pas d’emblée et par principe. Si des obstacles se présentent dans l’exécution pratique du mécanisme, une réflexion pourra être ordonnée pour les aplanir. Dès lors que la Commission est parvenue à couvrir l’aviation, secteur commercial, par un système de permis d’émissions adossé au SCEQE, il est fort probable qu’un mécanisme existe qui permette d’aboutir à un résultat comparable pour les importateurs de biens industriels.

Enfin, il a été soulevé que le mécanisme d’inclusion carbone proposé par la France et l’Allemagne constituerait une infraction au droit international et notamment aux règles de l’Organisation mondiale du commerce. Cet argument est certainement le plus sérieux ; il mérite un examen approfondi.

C.— LA COMPATIBILITÉ AVEC LES RÈGLES DU COMMERCE INTERNATIONAL

La limitation du libre-échange international sur la base de dispositions de protection de l’environnement n’est pas une vue de l’esprit. La question suscite une large controverse dont l’issue n’est pas assurée. En l’absence de règle juridique précise et explicite, le sujet a fait l’objet d’un rapport conjoint de l'Organisation mondiale du commerce et du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE). (23) Publié à l’été 2009, ce document se montre ouvert à l'idée d'ajustements fiscaux frontaliers et à la limitation des échanges commerciaux ; il les inscrit toutefois dans un cadre strict délimité par les décisions précédemment rendues par l'OMC dans son activité contentieuse. Sous conditions, donc, il semble qu’un mécanisme d’ajustement aux frontières pourrait être juridiquement envisagé. Sans avoir aucunement force de loi, ce rapport conjoint constitue une forme de doctrine officielle de l’organisation internationale et, sans doute, la base de travail la plus solide qui puisse être retenue dans la discussion européenne actuelle.

Le rapport conjoint PNUE-OMC mentionne en premier lieu que les mesures fiscales aux frontières sont fréquemment employées, pour les taxes intérieures sur la vente ou la consommation de produits, pour l’application du principe du pays de destination en vertu duquel les produits sont taxés dans le pays où ils sont consommés. La justification des ajustements fiscaux à la frontière tient à l’égalisation des conditions de concurrence entre les productions nationales soumises à taxation et les importations étrangères qui y échappent, en assurant la neutralité des taxes intérieures sur les performances commerciales. Ainsi, les ajustements fiscaux sont fréquents pour des produits frappés d’accises tels que les cigarettes, les boissons alcooliques et les hydrocarbures.

Toutes les taxes intérieures ne se prêtent néanmoins pas à un ajustement. Le rapport conjoint juge que l’inclusion des taxes sur le carbone et sur l'énergie dans ce champ suscite « un vaste débat juridique » quant à l’interprétation à donner aux dispositions de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) de 1947 modifié. Sans lui apporter une réponse tranchée – un simple rapport ne dispose de toutes façons pas de la légitimité pour ce faire –, le document s’appuie sur l’analyse de l’affaire États-Unis / Fonds spécial, au cours de laquelle le Groupe spécial du GATT compétent pour régler le différend a constaté qu'une taxe, appliquée par les États-Unis sur des substances utilisées comme intrants dans le processus de production de certains produits chimiques, et qui visait directement les produits considérés, pouvait légitimement faire l'objet d'un ajustement fiscal à la frontière. Comme le rapport conjoint, la mission d’information constate avec intérêt que, si nul ne peut supposer que l'OMC autorise systématiquement les ajustements fiscaux à la frontière sur les importations lorsqu'une taxe intérieure est appliquée sur certains intrants utilisés dans le processus de production, il est déjà certain qu’elle ne rejette pas par principe une telle disposition. Dès lors, les gaz à effet de serre nécessaires à la fabrication de bien importés en Europe pourraient faire l'objet d'un ajustement à la frontière, bien qu’ils ne soient pas incorporés au sens strict dans les biens importés.

Le document met toutefois en avant les interrogations pratiques que soulèverait pareil mécanisme. En premier lieu, il est ardu de concevoir un mécanisme permettant d'ajuster le coût des quotas d'émission et de calculer le montant approprié de l'ajustement à la frontière. Selon le rapport et comme l’avance la direction générale de l’action climatique, la difficulté tient à l’évaluation des émissions de CO2 par produit et aux variations du signal-prix du carbone dans le cadre d'un système d'échange de quotas d'émission. De plus, l’allocation gratuite d’une partie des quotas complique grandement les calculs – même si ce point est purement conjoncturel, étant entendu qu’un mécanisme d’ajustement aux frontières retirerait son fondement à la détermination des secteurs exposés. Les auteurs signalent également qu’il serait particulièrement délicat de tenir compte d’une mesure de protection de l’environnement qui prendrait une forme réglementaire plutôt qu’incitative. Cette dernière remarque présente un intérêt certain : si le coût de production du bien importé excède la moyenne constatée sur le territoire européen en raison de la prohibition à l’étranger d’un procédé autorisé en Europe, faudrait-il alors octroyer un bonus d’entrée à la production étrangère ?

En ce qui concerne l'évaluation des émissions liées aux produits, le rapport conjoint relève que la quantité de gaz à effet de serre libérée à l’occasion du processus de production dépend du produit, de l'entreprise et du pays. Dès lors, si l'intrant n'est pas identifiable dans le produit final, « une simple inspection du produit à la frontière ne permettra pas de calculer la taxe ou la redevance, et il faudra recourir à d'autres méthodes pour évaluer le montant de l'ajustement à la frontière à appliquer aux produits importés ». Les auteurs estiment qu'une estimation fondée sur le principe selon lequel les produits importés ont été fabriqués selon « la meilleure technologie disponible » (c'est-à-dire, en fait, la plus courante, dont la définition pourrait être livrée par un organisme indépendant) serait probablement validée par l'OMC. En effet, le Groupe spécial du GATT a procédé à une analyse comparable dans le cas précédemment évoqué États-Unis / Fonds spécial. Il avait été admis que, si l'importateur d'un produit ayant nécessité l'emploi de matières premières chimiques taxables ne fournissait pas les renseignements concernant les matières employées, l’administration américaine était fondée à appliquer à la place un taux qui serait égal au montant qui serait appliqué si le produit était « fabriqué par la méthode de production la plus courante ».

De la sorte, l'inclusion des importateurs des secteurs sous quotas d'émissions dans le SCEQE pourrait être envisagée. Cette solution présenterait l’avantage de répondre à l’objection d’un écart entre le tarif résultant de la taxation et le prix du carbone constaté sur le marché.

La mission d’information lit dans le rapport conjoint de l’OMC et du PNUE une validation des positions franco-allemandes en faveur d’un mécanisme d’ajustement aux frontières. Le droit international ne devrait pas en contester le bien-fondé dès lors que l'égalité de traitement est assurée entre importateurs et producteurs nationaux.

Il convient enfin d'évoquer l'article XX du GATT, relatif aux exceptions générales, dans la mesure où il pourrait trouver à s’appliquer au sujet du changement climatique. (24) Dès lors qu’il existe une cohérence entre la mesure imposée aux tiers et le dispositif interne auquel sont soumis les opérateurs domestiques, et dans la mesure où des mesures équivalentes ne s’appliquent pas déjà dans le pays producteur, les politiques publiques en faveur de la préservation de l’environnement sont réputées admises par l’accord général.

Le rapport conjoint évoque longuement cet article qui permet, sous conditions, de déroger aux obligations s'imposant aux membres de l'OMC. Il relève que, dans l'affaire États-Unis / Essence, le Groupe spécial du GATT avait reconnu qu'une mesure destinée à réduire la pollution de l'air résultant de la consommation d'essence entrait dans la catégorie des mesures mentionnées à l'article XX concernant la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou la préservation des végétaux. La protection de l'air était considérée comme une politique visant à la conservation d'une ressource naturelle au sens de l'article XX g. Il est donc probable que les politiques destinées à réduire les émissions de CO2 puissent entrer dans le champ de l'article XX.

Il est également envisageable que l’intérêt de l’Union européenne à agir pour la limitation des rejets carbonés dans l’atmosphère soit reconnu. En effet, dans l'affaire États-Unis / Crevettes, l'Organe d'appel de l'OMC a jugé qu'il existait un lien suffisant entre les populations de tortues marines migratrices et menacées d'extinction et les États-Unis pour que l'article XX trouve à s'appliquer.

Dès lors, le rapport établit une liste des conditions de recevabilité des mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre ayant un effet restrictif sur les échanges :

– une adéquation entre les moyens déployés et l'objectif environnemental affiché. L'Organe d'appel de l'OMC a eu recours à la pratique du soupesage, qui lui permet de mesurer la légitimité de l'action entreprise, puis qui l’amène à comparer la mesure et les solutions alternatives raisonnablement envisageables ;

– une impartialité de la mesure décidée au regard de la position respective des entreprises domestiques et étrangères sur le marché international. Ainsi, dans les affaires précitées, l'Organe d'appel a vérifié que les mesures restrictives à l'importation édictées par Washington s'accompagnaient de restrictions ou de contraintes équivalentes pour la production américaine ;

– une application de la mesure de bonne foi, sans volonté malicieuse d’apporter une restriction déguisée au commerce international. La jurisprudence de l'OMC a dégagé un faisceau d’indices qui laissent présumer une application correcte de l’ajustement aux frontières. Il s’agit des « activités pertinentes de coordination et de coopération entreprises (…) au niveau international en matière commerciale et environnementale, (de) la conception de la mesure, (de) la marge de manœuvre qu'elle ménage pour tenir compte des situations différentes dans différents pays ainsi (que d'une) analyse de la justification avancée pour expliquer l'existence d'une discrimination ». Dans la décision États-Unis / Essence, l'Organe d'appel a considéré que les États-Unis n'avaient pas suffisamment étudié la possibilité de conclure des arrangements de coopération avec les pays affectés afin d'atténuer les problèmes administratifs qu'ils mettaient en avant pour justifier un traitement discriminatoire. Dans le cas États-Unis / Crevettes, le fait que les États-Unis aient considéré « les Membres de l'OMC d'une manière différente » en adoptant, pour la protection des tortues marines, une approche fondée sur la coopération avec certains membres et pas avec d'autres montrait que la mesure était appliquée d'une manière établissant une discrimination injustifiable. En revanche, au stade de la mise en conformité dans cette même affaire, l'Organe d'appel a constaté que, étant donné les efforts sérieux consentis par les États-Unis pour négocier un accord international sur la protection des tortues marines, la mesure n'était plus appliquée de façon à constituer un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable.

L’institution d’un mécanisme d’ajustement conforme aux vœux de la diplomatie française gagnerait donc à être précédée d’une étude approfondie des conséquences de sa mise en application. Un mécanisme d'inclusion carbone ne devrait pas être perçu comme une restriction injustifiée du commerce international si toutes les conclusions en sont tirées, et notamment la suppression du reliquat de quotas gratuits attribués en phase III du SCEQE. En effet, les installations assujetties sont les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre et donc les plus touchés par une concurrence carbone internationale. Le marché d’échange de quotas d’émission est un mécanisme cohérent, uniforme sur tout le territoire de l’Union européenne, qui n’est pas voué à créer des inégalités de traitement dans la compétition économique. L’objectif qu’il poursuit, la lutte contre le changement climatique à travers une moindre libération de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, est reconnu comme légitime par l’accord général de 1947. Enfin, la question du taux de taxation ne se pose pas puisque le prix des quotas est établi dans des conditions de marché, et que la vente aux importateurs s’opérerait à travers un mécanisme d’enchères dans les mêmes conditions que les industriels européens. Le mécanisme ne générerait aucune discrimination. Il resterait à déterminer la quantité de carbone des produits importés en présumant qu’ils ont été fabriqués selon la meilleure technologie disponible (soit en fait la plus courante).

Le seul problème identifié par la mission d’information tient à la convention cadre des Nations unies sur le changement climatique et au Protocole de Kyôto. Ces deux textes internationaux ont formulé le principe des responsabilités communes mais différenciées, principe qui exempte les pays émergents et les nations en voie de développement de l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cette dissymétrie actée par le droit international peut-elle être invoquée par les pays du Sud pour échapper à un mécanisme d’inclusion carbone ? Elle le serait certainement le cas échéant. Néanmoins, il est clair que les catégories établies en 1992 n’ont plus aucune pertinence en 2010, quand la Chine est devenu le principal émetteur de gaz à effet de serre au monde. Sans doute les faits seraient-ils alors pris en compte pour une application juste des textes.

La mission d’information est convaincue de l’opportunité de porter sur les fonts baptismaux européens le mécanisme d’inclusion carbone défendu par la diplomatie française. Si des représailles doivent avoir lieu de la part des pays tiers, elles emprunteront plus probablement le terrain politique que des voies juridiques qui apparaissent suffisamment favorables. Cette initiative permettrait en outre à l’Europe d’exporter hors de ses frontières son modèle vertueux et protecteur de l’environnement, pour continuer à assumer un rôle moteur en la matière sans pénaliser plus avant ses propres structures économiques.

III.— CONSTRUIRE UNE EUROPE DÉCARBONÉE ?

Le succès du système européen d’échanges de quotas de gaz à effet de serre a fait de l’Europe le premier acteur de la lutte contre le changement climatique : premier par l’antériorité de son action, premier par le volume des émissions sous contrôle, premier par le respect des orientations fixées par le Protocole de Kyôto.

Cette position emporte des avantages et des handicaps sur la scène internationale, qui sont d’ailleurs proches de ceux que connaît la France au sein des instances européennes.

Par les succès rencontrés, l’Europe peut espérer générer un effet d’entraînement sur ses partenaires moins avancés dans la lutte contre les émissions de CO2. La contrainte carbone imposée aux installations assujetties précipite des investissements de recherche et de développement vers les technologies propres, nouvelles, et susceptibles de renfermer de considérables gisements d’emploi et de croissance. En outre, le bon fonctionnement de son marché du carbone, que devrait encore améliorer l’adoption d’un cadre de régulation plus strict, place le continent en position idéale pour imposer ses normes comptables et financières dans la perspective de l’édification d’un système d’échange international. Conçu pour pouvoir embrasser le monde entier, le SCEQE trouverait alors son aboutissement. Sans pessimisme excessif, les travaux de la mission d’information laissent penser qu’il y a loin de la coupe aux lèvres.

L’échec du sommet de Copenhague a en effet montré les limites d’une situation intérieure vertueuse dans une discussion internationale sur le climat. Les discussions ont fait apparaître l’avantage des gros émetteurs : parce que leurs rejets s’effectuent encore en quantité, ils disposent d’une marge de négociation. Au contraire, l’Union européenne ayant déjà mené une politique volontariste de réduction de ses émissions de carbone, elle se trouve dépourvue au moment de proposer des contreparties. La demande réitérée d’une réciprocité dans les efforts de limitation, même appuyée par l’engagement d’élever de 20 % à 30 % l’objectif de réduction pour 2020, a conduit à la marginalisation des Européens alors que Chine et États-Unis entretenaient un dialogue bilatéral. La décision de Washington et de Pékin s’avérerait totalement fructueuse si, alors qu’ils n’ont effectué que de faibles concessions, Bruxelles résolvait de porter unilatéralement son objectif de réduction à 30 % comme certains échos le laissent penser.

L’Europe climatique est désormais à la croisée des chemins. Si elle parvient en entraîner dans le SCEQE dans opérateurs tiers et des États étrangers, elle pourra prétendre exercer une direction réelle dans la politique mondiale de lutte contre le changement climatique. Elle disposera, aussi, d’un instrument d’influence de premier ordre par les volumes financiers contrôlés. Si elle échoue et que le SCEQE ne sert que de modèle à dépasser par les initiatives étrangères, il y a fort à parier que les grands émetteurs de CO2 ne tarderont pas à accaparer l’organisation d’un marché qui les concerne davantage que les autres États, pour y imposer leurs traditions et leurs habitudes.

A.— LA DÉFINITION CRUCIALE D’UNE PLATEFORME D’ENCHÈRES

Le passage à la troisième phase du dispositif d’échange de quotas de CO2 exige que la Commission arrête prochainement, avant le 30 juin 2010, un règlement fixant le cadre juridique des enchères de permis d’émissions. La connaissance en amont du calendrier, de la gestion et des aspects pratiques des adjudications est indispensable pour que celle-ci soit réalisée de manière ouverte, transparente, harmonisée et surtout non discriminatoire. Les opérateurs industriels rencontrés par la mission d’information estiment déjà évoluer dans des délais contraints qui nuisent à une prévisibilité correcte. Dans les marchés spécifiques qui anticipent leurs transactions, notamment celui de l’électricité, les entreprises assujetties ne disposeront que de la fin de l’année 2010 pour passer leurs ordres pour 2013.

La directive indique également que les mises aux enchères sont conçues de manière à garantir le plein accès, juste et équitable, des exploitants, et en particulier des petites et moyennes entreprises couvertes par le système communautaire. Tous les opérateurs assujettis doivent jouir d’un accès simultané aux mêmes informations. Le mécanisme retenu doit éviter au maximum la génération de coûts d’organisation afin de dégager une rentabilité optimale.

La Commission a fait circuler un projet de règlement en avril 2010. Il prévoit l’institution d’une plateforme centralisé tout en ménageant la possibilité de s’en exclureopt-out. Le Gouvernement français s’oppose à ce projet dans lequel il décèle le risque d’une fragmentation et d’un affaiblissement du système européen d’échange de quotas. Ses représentants à Bruxelles plaident en faveur d’une place d’enchères unique qui concentrerait l’ensemble des opérations d’adjudication de quotas.

La mission d’information partage cette opinion. Une telle architecture devrait logiquement s’imposer comme une conséquence de l'unicité juridique du marché et du fait que la phase III met fin à la logique des PNAQ et, partant, à la distribution de crédits sur le fondement de la nationalité des enchérisseurs. En outre, une plateforme unique constitue le meilleur moyen de prévenir les risques de distorsion au sein du marché intérieur ainsi que les immanquables difficultés de coordination. À l’inverse, des plates-formes nationales qui conduiraient des politiques d'émissions autonomes, forcément différentes et même éventuellement concurrentes en termes de quantités ou de calendrier, engendreraient un danger de décorrélation des prix qui ne manquerait pas de déstabiliser le marché secondaire. Enfin, il est évident que l'instauration d'une plate-forme unique serait de nature à réduire les coûts administratifs du processus d’adjudication.

Au cours d’une étude passée de la question des enchères, le Sénat a regretté le manque d’implication de la Commission européenne en faveur d’un système unifié propre à favoriser l’émergence d’une Europe décarbonée. De la même façon, la mission d’information n’a pas ramené de son déplacement à Bruxelles la certitude que la religion de l’exécutif européen était faite sur ce point.

Au contraire, la France a grandement contribué au débat à travers le rapport confié à Jean-Michel Charpin, qui dresse une liste exhaustive des avantages procurés par une place d’enchères unique et des inconvénients suscité par son éclatement en structures nationales. Paris milite donc en faveur du plus petit nombre de plateformes possible et, si plusieurs devaient naître, pour une réglementation rigoureuse dans la coordination de leurs émissions.

Certains ont accusé la France de poursuivre son ambition plutôt que l’intérêt commun en défendant la place de BlueNext comme futur opérateur unique de la procédure d’adjudication.

DISTRIBUTION DES VOLUMES D’ÉCHANGES SUR LES DIFFÉRENTES PLACES
(EN TONNES DE CO2)

Source : rapport Charpin (2009)

Il est vrai que le marché parisien joue les premiers rôles dans les échanges de crédits européens. Comme le montre le graphique ci-dessus, seul l’opérateur britannique ECX excède son volume d’échange. De surcroît, l’assimilation de la plateforme anglaise à un marché financier par les autorités publiques trouble la hiérarchie. Mais si la localisation à Paris de l’autorité adjudicatrice européenne unique serait naturellement saluée par la mission d’information, rien ne permet d’affirmer qu’il en ira ainsi. Comme l’Europe a pesé peu à Copenhague du fait de ses émissions contrôlées, la faible intensité en carbone de l’économie française nuit à son influence dans les discussions européennes. Les positions de la France en faveur d’exigences environnementales élevées et de structuration poussée des mécanismes communautaires sont parfois assimilées à une volonté d’affaiblir une concurrence industrielle qui, contrairement à l’économie hexagonale, a besoin de rejeter énormément de carbone dans l’atmosphère pour fonctionner correctement. Au contraire, en matière de limitation des émissions de CO2, l’Allemagne et la Pologne ont encore beaucoup à négocier. Si l’idée s’imposait d’une nécessaire proximité entre la localisation des enchères de quotas et les rejets les plus importants, alors Francfort serait en bien meilleure position que Paris.

La position française en faveur d’une place d’enchères centralisée n’est pas guidée par d’égoïstes intérêts nationaux. Les arguments développés dans le rapport Charpin suffisent à le démontrer. Il est cependant à craindre que cette option ne soit pas retenue in fine. L’Allemagne, l’Espagne, la Pologne et le Royaume-Uni se sont prononcés en faveur de plateformes multiples. Eu égard à la répartition des voix au Conseil, l’espoir français est donc ténu ; la proposition de la Commission apparaît comme un moindre mal. La diplomatie française, si elle échoue à faire prévaloir le modèle de place centralisée, devra s’attacher à réduire au strict minimum l’option de sortie du système.

L’organisation des enchères de quotas pose également la question de l’affectation du produit recueilli, dont le principe est celui d’une redistribution aux États membres. Cet objectif est d’ailleurs pleinement compatible avec l’architecture unitaire défendue par la France, qui verrait une répartition des recettes générées à due proportion de la part d’autorisation des États dans les autorisations d'émissions de l’Union européenne. C’est par exemple ainsi que fonctionne le marché mis en place par dix États du nord-est des États-Unis dans le cadre de la « Regional greenhouse gas Initiative » (RGGI).

La révision opérée en 2009 de la directive SCEQE confie aux États la détermination de l'usage du produit des enchères, tout en prescrivant que la moitié au moins de ce produit soit affecté à des actions en faveur de la réduction des émissions. Celles-ci peuvent prendre différentes formes énumérées comme suit :

– réduction des émissions de gaz à effet de serre ;

– développement des énergies renouvelables, d'autres technologies contribuant à la transition vers une économie à faible taux d'émissions de carbone et contribution au respect de l'engagement de la Communauté d'augmenter de 20 % son efficacité énergétique pour la même date ;

– éviter le déboisement et accroître le boisement dans les pays en développement ainsi que transfert de technologies et facilitation de l'adaptation aux effets du changement climatique dans ces pays ;

– piégeage par la sylviculture sur le territoire de l’Union ;

– captage et stockage géologique du CO2, y compris dans les pays tiers ;

– incitation à adopter des moyens de transport à faible émission et les transports publics ;

– financement de la recherche en matière d'efficacité énergétique et de technologies propres ;

– mesures destinées à améliorer l'efficacité énergétique et l'isolation ou à fournir une aide financière aux ménages à revenus faibles et moyens ;

– couverture des frais administratifs liés à la gestion du SCEQE.

Ces options couvrent une grande part du champ environnemental. Les interlocuteurs entendus par la mission d’information ont souscrit à ces lignes directrices, regrettant simplement parfois que le fléchage ne soit pas davantage directif ou que l’Union européenne ne procède pas directement aux investissements. Pour sa part, la mission d’information se félicite de voir apparaître parmi les actions recommandées le développement des massifs forestiers.

Le dernier point évoqué dans le cadre de la réflexion sur les systèmes d’enchères tient à l’opportunité d’imposer un prix de réserve, plus clairement un prix plancher pour la vente des quotas d’émissions de gaz à effet de serre. Le débat avait eu lieu en ce qui concerne le marché secondaire lorsque les prix des crédits de phase I avaient atteint zéro. Il avait néanmoins rapidement été écarté : si le prix d’un bien est nul, c’est en raison d’une absence de demande. L’établissement par l’autorité publique d’un prix minimal n’aurait eu d’effet qu’esthétique puisque, sans transaction pour le formaliser, le signal-prix n’a aucune valeur sur les opérateurs. En outre, on sait quelles raisons objectives et réglementaires avaient conduit à cette situation au cours de l’année 2007.

L’option d’un prix de réserve lors de l’organisation des enchères, autrement dit d’un prix plancher sur le marché primaire des quotas, se montre plus séduisante. Afin de ne pas déstabiliser les échanges entre les opérateurs, son montant devrait être soigneusement établi en prenant en considération les différentes places de marché secondaires et les cotations des crédits internationaux du Protocole de Kyôto. Sous ces conditions, la mission d’information juge positivement l’instauration d’un signal-prix minimal qui puisse aider les opérateurs à valoriser une tonne de CO2 et à gagner en visibilité.

B.— UNE EXPÉRIENCE À VALORISER À L’ÉCHELLE MONDIALE

L’expérience du SCEQE place l’Europe dans une position de diapason dans la constitution du marché international du carbone. L’Union européenne pourrait légitimement prétendre utiliser sa maîtrise de l’instrument de marché pour tenir la plume lors de la fixation des normes comptables et financières applicables sur l’ensemble de la planète.

La mission d’information a malheureusement appris au cours de ses travaux que cette valorisation de l’expérience demeure insuffisante pour convaincre des opérateurs étrangers de s’assujettir volontairement au système européen d’échange de quotas. Au contraire, il semble même que les pays développés restés jusqu’à présent en retrait dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre utilisent la pratique européenne pour forger leurs propres instruments : le SCEQE pourrait se poser en modèle ; il est cruel de le considérer seulement comme un brouillon.

– Au Japon, le gouvernement a hésité à mettre en place en 2008 un système d'échange de quotas sous plafond obligatoire, conforme à la philosophie et au fonctionnement du mécanisme européen. Finalement, le Premier ministre a opté pour un marché unifié d'échange à titre expérimental (UMET), fondé sur le volontariat. Ce marché s’étend sur la période 2009-2012 avec un périmètre extrêmement large : des grands groupes aux petites sociétés, tous les acteurs économiques peuvent y adhérer. Le dispositif est peu contraignant puisque chaque opérateur fixe ses propres objectifs de réduction de CO2. Les entreprises pourront recourir à des crédits Kyôto et à des crédits domestiques pour compenser leurs émissions. L'État se positionne en soutien, en allouant les quotas et en vérifiant le niveau des émissions. Si ce marché reste peu documenté, la spécificité de la culture japonaise maintes fois vérifiée dans la vie économique pourrait en faire un succès inattendu dont il y aurait lieu de se réjouir pour l’environnement, mais qui viendrait directement concurrencer le modèle européen.

Dans le cadre du protocole de Kyoto, le Japon a souscrit un engagement de baisse de ses émissions de 6 % en 2012 par rapport au niveau de 1990. Or, en 2006, ses émissions étaient de 6,2 % au-delà du niveau de 1990. L'écart a conduit le gouvernement à mettre en place ce marché. Mais la crise économique bouleverse la situation et provoque une baisse automatique des émissions, notamment dans le secteur énergétique qui représente 90 % des émissions du pays.

– Quant aux États-Unis, l’administration Obama s’est inspirée du système européen en lui apportant quelques modifications. Dans son premier projet de budget transmis au Congrès, le président américain espérait générer quelque 80 milliards de dollars de recettes annuelles dès 2012. L'objectif de ce système de droits à polluer couplé au développement des énergies propres est de diminuer les émissions de CO2 du pays de 80 % d'ici à 2050 (par rapport au niveau de 1990). Les États-Unis ont été dépassés par la Chine en termes d’émissions globales, mais ils restent encore le premier pollueur du monde par habitant.

Après de longs débats – commencés avec Kyôto – autour de l’opportunité de réduire les émissions de carbone, la Chambre des Représentants a adopté, le 26 juin 2009, l’American Clean Energy and Security Act, dit projet de loi Waxman/Markey, qui réglemente de manière contraignante les émissions américaines à travers notamment l’instauration d’un marché fédéral d’échange de quotas d’émissions. Inclinaison sensible dans l’approche américaine du changement climatique, il reconnaît l’origine anthropique du changement climatique et il trace la stratégique du pays pour moderniser son économie, fortement dépendante des énergies fossiles, et la réorienter vers des modes de production plus propres, assis sur des énergies renouvelables et faiblement émetteurs de gaz à effet de serre. Le texte est actuellement examiné par le Sénat.

Comme le SCEQE constitue la pierre angulaire de la politique européenne de limitation des émissions de CO2, la clef de voûte de la loi Waxman/Markey devrait être la fondation d’un marché d’échange de quotas sous plafond global. Son objectif assigné est une réduction de 17 % en 2020 et de 83 % en 2050 par rapport à l’année 2005. Converti à 1990, année de référence retenue par le Protocole de Kyôto et base intelligible pour la comparaison internationale, cet engagement équivaut seulement à une réduction de 3,5 % en 2020. L’effort américain ne vaut pas encore l’effort européen.

Le système assujettirait les installations responsables de 85 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2016. L’allocation des quotas commencerait en 2012 pour les secteurs de l’électricité, du raffinage d’hydrocarbures et des gaz fluorés. Il serait étendu en 2014 aux installations émettant plus de 25 000 tonnes de CO2 par an et, en 2016, aux compagnies de distribution de gaz. Il est prévu que 85 % des quotas d’émissions soient alloués gratuitement, le reliquat faisant l’objet d’enchères dont le produit serait redistribué aux consommateurs. Contrairement au modèle européen, les quotas gratuits ne seront pas confiés aux installations assujetties. Leur attribution à des agences fédérales et à des compagnies de distribution d’énergie vise au contraire à accélérer le développement de technologies propres et à prévenir un renchérissement du coût de la vie pour les consommateurs. La loi prévoit enfin la reconnaissance des mécanismes de projets, qu’elle dénomme offsets.

Il est difficile pour la mission d’information de porter une appréciation sur un texte dont le Congrès américain n’a pas encore achevé la discussion et dont les mécanismes appellent à être précisés. Le seul commentaire général qui puisse être formulé tient à la modestie des engagements de réduction de moyen terme, assez engageants, et à la forte ambition de l’objectif de long terme, peu contrôlable. L’économie américaine peut et doit mieux faire pour la préservation de l’environnement et la lutte contre le changement climatique.

Deux points sont à signaler particulièrement dans le projet de loi américain. En premier lieu, le texte Waxman/Markey prévoit d’assujettir le secteur de l’importation à son marché de quotas. Le dispositif envisagé se conforme aux préconisations contenues dans le rapport conjoint de l’OMC et du PNUE. Certes, son entrée en vigueur ne pourrait avoir lieu au plus tôt qu’en 2025. Le cadre ci-dessous contient le résumé de la section en question du projet de loi, tel que l’a rédigé la commission des finances du Sénat.

Section 766 du projet de loi « Waxman-Markey » (Résumé)

Le Président des États-Unis peut, après avoir déterminé que, dans un secteur donné, moins de 70 % de la production provient de pays n'ayant pas mis en place de programme contraignant de réduction d'émissions de gaz à effet de serre et non parties de traités (dont les États-Unis sont également parties) visant à réduire ces émissions, mettre en place un programme d'allocations internationales de réserve pour ce secteur.

Dans ce cas, l'administrateur de l'Agence de protection de l'environnement (EPA), doit, dans les 24 mois, décréter des règlements :

– déterminant un prix approprié pour les allocations internationales de réserve et les offrant à la vente aux importateurs des biens concernés aux États-Unis ;

– exigeant la soumission des montants appropriés de telles allocations au vu des importations aux États-Unis d'un produit de ce secteur ;

– exemptant de ces dispositions les pays les moins avancés selon la définition des Nations-Unies ainsi que les pays responsables de moins de 0,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre ;

– interdisant la commercialisation des produits pour lequel le nombre d'allocations adéquat n'a pu être présenté.

Il est précisé que le programme doit être compatible avec « les accords internationaux dont les États-Unis sont une partie » (donc, notamment, le GATT) et doit viser à compenser la différence de coût de production résultant du non-respect d'une réglementation aussi contraignante qu'aux États-Unis (compte tenu, le cas échéant, des allocations gratuites distribuées aux États-Unis pour le secteur visé). Un tel programme ne pourra entrer en vigueur avant le 1er janvier 2025, le Président des États-Unis ayant notifié aux autres pays du monde l'éventualité de la mise en place d'un programme de ce type avant le 1er janvier 2020.

En second lieu et surtout, les représentants des acteurs économiques entendus par la mission d’information ont fait état d’un grand dynamisme de la diplomatie américaine pour convaincre d’autres États industrialisés de rallier le marché d’échange de quotas que Washington envisage d’édifier. Le Japon et la Corée du Sud auraient été tout particulièrement approchés. Par ailleurs, les opérateurs financiers américains attendent une explosion de la finance carbone dès que le système d’échange de quotas d’émissions, pour l’heure assis sur une base volontaire, sera imposé par la loi. Plus de cent lobbyistes travailleraient sur les questions climatiques au bénéfice des banques d’affaires, contre aucun au moment de la réélection de George W. Bush. Or le marché du carbone se prête admirablement à l’activité spéculative puisqu’il s’exerce sur des biens immatériels strictement identiques les uns aux autres.

La mission d’information est partagée sur cet activisme des États-Unis et la tentation d’amener à leur système de quotas les autres puissances industrielles de la zone Pacifique. D’une part, ce serait un progrès substantiel dans la lutte contre le changement climatique, du moins si le plafond d’émissions retenu exerce une contrainte réelle sur les industriels. D’autre part, une légitime méfiance s’impose devant le déferlement annoncé des opérateurs financiers sur les marchés du carbone. Si les règles américaines venaient à prévaloir dans l’organisation des plateformes, non seulement les efforts européens dans la définition d’un cadre strict de régulation auraient été vains, mais de surcroît on pourrait craindre un emballement du système plus inquiétant encore que la crise des subprimes. La mission d’information recommande donc aux gouvernements européens de se faire les avocats du SCEQE et de convaincre les pays asiatiques de le rallier de préférence à la future structure américaine.

C.— EXEMPLARITÉ VOLONTARISTE OU RÉALISME PRAGMATIQUE ?

À l’issue de cette étude approfondie du système européen d’échange de quotas d’émission sous plafond, la mission d’information demeure circonspecte face à l’opportunité d’élever encore les objectifs de réduction de rejets de l’économie continentale, accroissement qui ne manquerait pas de solliciter de nouveaux efforts de la part des installations assujetties.

Bien que la Commission européenne ait déclaré que le passage d’un objectif de -20 % à -30 % en 2020 provoque un effet sur les coûts des entreprises assujetties de l’ordre de 1 % à l’exception de la chimie, et quoique le Gouvernement ait semble-t-il été convaincu de l’opportunité de cette option après s’y être préalablement opposé, ce mouvement unilatéral ne semble pas renforcer la position européenne dans l’optique des négociations internationales à venir. Il n’est pas cohérent de se départir régulièrement d’instruments de négociation alors que la Chine se contente de déclarations politiques non contraignantes et que le processus législatif américain encore inachevé laisse craindre l’émergence d’un marché de droits à polluer aux ambitions environnementales trop faibles.

Il convient de conserver en tête la répartition internationale des émissions de gaz à effet de serre. L’Europe n’est responsable que de 17 % d’entre elles, et cette part tend à se réduire. Sa progression solitaire vers un modèle économique respectueux de l’environnement peut ouvrir la voie du changement, mais son impact direct demeure limité.

La Commission européenne juge que la réalisation de l´objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre admis actuellement de -20 % d´ici 2020 coûtera un tiers en moins (22 milliards d’euros) que les montants calculés en 2008. Selon la Commission, la hausse de l‘objectif à -30 % d´ici 2020 pourrait permettre d‘économiser jusqu'à  40 milliards d‘euros en importations de combustibles fossiles et créer des centaines de milliers d'emplois dans les technologies vertes.

On peut toutefois s’interroger sur l’opportunité d’infliger un nouveau surcoût carbone à l’industrie européenne dans une période de crise où ses marges de manœuvre sont déjà réduites. L’impact de l’abaissement du plafond aurait peut-être un effet tout à fait minime sur la croissance mais, au niveau où se situe celle-ci ces dernières années, la moindre entaille semble particulièrement malvenue. C’est juste pour l’Europe ; ça l’est d’autant plus pour la France dont l’économie largement décarbonée doit consentir des sacrifices particulièrement lourds pour dégager des gains de carbone quand d’autres États-membres disposent encore de réserves de réduction en importance dans le parc électrique.

La mission d’information estime que la volonté d’accroître les objectifs de réduction d’émission de gaz à effet de serre dans le cadre du SCEQE ne doit pas aller à l’encontre des améliorations nécessaires qu’elle a identifiées dans la gouvernance de celui-ci. Les impératifs premiers de l’action en faveur de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre passent par la structuration d’un mécanisme d’adjudication cohérent et par une régulation stricte des places de marché. L’extension envisagée à de nouveaux secteurs d’activité ne manque pas de pertinence, notamment en ce qui concerne le transport maritime.

La phase III du système européen commence le 1er janvier 2013, avec un objectif assigné il y a quelques mois seulement. Une fois les conditions d’un fonctionnement correct de la nouvelle architecture réunies, une fois détaillées les mesures pour la prise en compte du secteur diffus, une fois appréciés les efforts consentis par les puissances tierces pour préserver l’environnement et leur influence sur leur compétitivité économique, une fois mis en place un mécanisme d’ajustement aux frontières, il sera temps d’éventuellement revoir à la hausse les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre à travers le système d’échange de quotas sous plafond.

EXAMEN PAR LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE
ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

Lors de sa réunion du 15 juin 2010, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a examiné le rapport d’information de la mission d’information sur les marchés de quotas d’émission de gaz à effet de serre (François-Michel Gonnot ; rapporteur).

M. Christian Jacob, président.– Avant que nous n’entamions l’ordre du jour de notre commission, je signale à tous les commissaires qu’un vote solennel est prévu aux alentours de 17 h 45. Il durera trois quarts d’heure ; nous nous adapterons en conséquence et nous suspendrons notre séance un instant si cela s’avère nécessaire.

La commission a créé une mission d’information sur les marchés de quotas de gaz à effet de serre au mois de février dernier. Les différentes sensibilités y étaient représentées ; Philippe Martin en a exercé la présidence, François-Michel Gonnot a assuré la fonction de rapporteur. Je les remercie de leur investissement et des nombreuses auditions qu’ils ont réalisées, à Paris et à Bruxelles. Tout s’est déroulé dans un excellent esprit. J’en félicite l’ensemble des membres de la mission.

M. Philippe Martin, président de la mission d’information.– Je souligne également l’excellent état d’esprit dans lequel s’est déroulé cette mission d’information. François-Michel Gonnot et moi avons parfaitement coopéré sans qu’il n’y ait la moindre divergence dans l’approche adoptée dans nos investigations, dans les auditions réalisées et dans les constats que nous en retirons.

Effectivement, la mission a procédé à plus de vingt-cinq auditions à Paris et à Bruxelles. Plusieurs de nos collègues ont participé à ses travaux, notamment Claude Darciaux qui est aujourd’hui présente pour cette présentation des conclusions. Nous avions des délais assez courts dans la mesure où le Gouvernement nous a demandé de terminer nos recherches au mois de juin pour que la France puisse disposer d’un document parlementaire à l’occasion des prochaines négociations européennes.

Sans anticiper sur ce que vous exposera le rapporteur, nous avons pu assez bien évaluer ce marché qui a fait l’objet de plusieurs études par ailleurs. Nous avons aussi exploré l’hypothèse d’une taxation qui viendrait soit se substituer aux quotas d’émission, soit compléter l’architecture institutionnelle. Nous en retirons la conviction que ce système, qui a été mis en place à la suite de l’échec d’une tentative d’instituer une taxe carbone communautaire dans les années 1990, est devenu au fil du temps le dispositif qui, malgré ses imperfections, nous divise le moins. Il remplit son objectif principal : la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Dans le même temps, il reçoit un satisfecit de la part de ceux qui le contrôlent comme de ceux qui lui sont assujettis.

Évidemment, nous nous sommes interrogés sur l’incidence des négociations internationales, du Protocole de Kyôto de 1997 au Sommet de Copenhague de décembre dernier. Nous en déduisons que le marché de quotas donne satisfaction, même s’il nécessite des améliorations en termes de sécurité et de couverture. Il ne sera réellement performant que s’il s’applique à davantage de pays et à davantage de secteurs d’activité.

Je laisse maintenant François-Michel Gonnot vous présenter avec plus de précision ce rapport, qui vous est soumis dans la foulée immédiate de sa rédaction.

M. François-Michel Gonnot, rapporteur.– Je confirme tout à fait les propos du président en ce qui concerne la qualité du travail que nous avons mené ensemble et avec le concours de tous les membres de la mission d’information.

Lorsque nous avons commencé l’analyse du marché de quotas de CO2, nous étions tous assez réticents devant ce système complexe, méconnu et d’inspiration anglo-saxonne. Il est en effet directement inspiré du marché de permis imaginé par les États-Unis pour lutter contre les dégagements de dioxyde de souffre. L’Europe l’a adopté après avoir échoué à instaurer un mécanisme de taxation, ceci en raison principalement de l’opposition de l’Allemagne et du Royaume-Uni, ainsi que de l’exigence d’obtenir une unanimité des États membres en ce sens. L’Union européenne s’est alors orientée vers un marché de quotas, qui présente l’avantage d’être autorisé par une simple majorité qualifiée du Conseil.

La mission d’information a commencé immédiatement après la censure de la contribution carbone nationale par le Conseil constitutionnel. À notre surprise, l’ensemble des industriels, la quasi-totalité des personnes auditionnées, tous ont considéré que le système des quotas était un bon système, qui peut naturellement être amélioré, mais qui mérite de perdurer.

Je crois utile de présenter brièvement le fonctionnement du système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre (SCEQE). C’est un marché de permis d’émission, distribués par pays en fonction des rejets historiques. Les États les répartissent ensuite entre les installations les plus polluantes de leur territoire. Cette allocation s’est opérée gratuitement pour permettre l’adhésion au mécanisme de tous les acteurs. Un crédit permet l’émission d’une tonne de CO2. S’il n’est pas consommé, il peut être soit reporté à l’année suivante, soit vendu à un autre industriel, dans un autre secteur ou dans un autre pays européen, qui a pour sa part excédé son quota et qui doit donc acquérir les permis correspondant à sa production.

Cette répartition a relativement bien fonctionné. La France, qui est un petit émetteur par rapport à l’Allemagne – les Allemands sont responsables du triple de nos rejets – a correctement appliqué la directive européenne. Le besoin des opérateurs de réaliser des échanges a fait émerger un marché et un signal-prix pour la tonne de carbone. Il s’est établi d’abord à quelques euros, puis il a excédé les 30 € ; il fluctue maintenant aux alentours de 15 €. Le rapport analyse en détail ces fluctuations relativement importantes et les raisons qui les justifient.

Il convient de rappeler que la construction du SCEQE s’est déroulée en trois phases. De 2005 à 2007, la contrainte sur les industriels était relativement légère, les allocations nationales s’effectuaient gratuitement et les quelques échanges ont permis l’apparition du signal-prix.

La deuxième période a commencé en 2008 ; elle s’achèvera à la fin de l’année 2012. L’allocation est inchangée, mais les contraintes sont accrues. Quelques pays ont mis en vente aux enchères une faible partie de leurs allocations, essentiellement par choix budgétaire.

Si nous avons accéléré la présentation de ce rapport, c’est que l’Europe se trouve dans une négociation pour fixer les conditions de la troisième phase, qui s’étendra de 2013 à 2020. Nous serons là dans un marché plus complexe : le plafond d’émission autorisé va baisser de 21 % en fin de période par rapport à 2005 ; les quotas seront désormais attribués aux enchères. Les secteurs exposés à la concurrence internationale feront cependant exception. Après le rapport Charpin sur le système d’adjudication, après le rapport Prada qui formule des recommandations pour une meilleure régulation du marché – recommandations perçues de façon extrêmement positive par les services de la Commission européenne –, il était normal que le Parlement prenne position avant que les décisions pour 2013 ne soient définitivement arrêtées.

Bien sûr, le SCEQE comporte un certain nombre de faiblesses. J’ai déjà évoqué la volatilité des prix, qu’il faut toujours surveiller de près dans un marché de matière première. Les écarts constatés montrent bien qu’il faut y prendre garde : même si le carbone cher a la vertu de conduire les industriels à réduire leurs émissions, il ne faudrait pas qu’une valeur excessive les convainque de diminuer leur activité, de se lancer dans un investissement insupportable ou de quitter le territoire européen au profit d’espaces aux contraintes moindres.

La deuxième faiblesse tient à une régulation insuffisante qui a donné lieu à quelques cas de fraude que nous avons analysés dans le rapport. Les propositions du rapport Prada, rendu public il y a quelques mois, seront un élément important de la contribution française à cet égard.

Enfin, troisième faiblesse, le mécanisme ne couvre que 40 % des émissions européennes de gaz à effet de serre. Cela nous pousse à nous interroger sur les 60 % restants : il est difficile d’imaginer un système national qui permette de contrôler ces rejets de sources diffuses. L’option idéale serait un instrument de taxation européen.

Comment essayer de parfaire ce système européen de quotas ? On peut d’abord noter que sa couverture s’accroît par chaque nouvelle adhésion à l’Union européenne. On procède aussi à des extensions à de nouveaux secteurs, ainsi le transport aérien en 2012 : chaque décollage, chaque atterrissage sur un aéroport européen sera assujetti. Bien sûr, cela aura un effet sur les comptes de nos compagnies aériennes, voire sur la compétitivité entre les aéroports. L’appareil qui se posera à Roissy sera taxé ; celui qui atterrira en Suisse ne le sera pas.

La couverture du secteur diffus semble passer par une taxe européenne sur le carbone, plus précisément par les accises sur les carburants. C’est en ce sens que s’orientent les discussions de l’après Copenhague.

Enfin, les « mécanismes de projet » créés par le Protocole de Kyôto permettent à des émetteurs européens de se libérer de leurs obligations en investissant dans des technologies propres hors de leur territoire. Les projets conduits sont contrôlés par les Nations unies. Néanmoins, même si des marchés de carbone sont imaginés au Japon ou aux États-Unis sur la base de l’expérience européenne, il existe toujours des espaces sans contrainte qui demeurent des lieux de délocalisation.

Il faut donc préserver la compétitivité européenne. Il est prévu dans la phase III du SCEQE de distribuer une part de quotas gratuits dans les secteurs à risque. Nous devons prendre garde à prévenir les délocalisations industrielles en Europe, surtout dans le contexte économique actuel. Un ajustement aux frontières serait bienvenu pour égaliser la concurrence en tenant compte des efforts environnementaux des uns et du laxisme des autres. C’est une idée sur laquelle nous avons travaillé, qui est celle de la « taxe carbone aux frontières ». En réalité, ce n’est pas une taxe aux frontières, mais une extension du marché de quotas aux importations venues de pays qui n’appliquent aucune réglementation en termes d’émissions de CO2. Le mécanisme est complexe, beaucoup se sont montrés sceptiques notamment au regard des règles de l’OMC. Nous pensons pourtant que l’idée doit être approfondie. Être vertueux est une bonne chose, mais dans un monde où la vertu est la même pour tous. Dans le cas contraire, il faut savoir se montrer pragmatique.

L’objectif final est évidemment de construire une Europe décarbonée. Un des enjeux de 2013 est celui de la détermination du dispositif d’enchères : faut-il une place unique ou plusieurs plateformes ? Paris est actuellement bien développé, mais nous devons garder à l’esprit que la France est un petit émetteur de CO2. Le rapport Charpin formule des propositions intéressantes en faveur d’une plate-forme unique. Nous souhaiterions tout de même sauver la place de Paris.

Il faut aussi essayer de valoriser l’expérience européenne pour qu’elle serve de modèle international. Je pense en particulier à nos règles de régulation. Les États-Unis sont déjà en train de faire la publicité de leur système avant même qu’il n’existe. Leur volontarisme a assez surpris notre mission d’information.

Voila, M. le Président, l’essentiel de nos conclusions. Le système doit être régulé ; le système doit être étendu. Il faut prendre en compte un certain nombre de nos intérêts qui peuvent être fragilisés par le dispositif. Nous devons aussi avoir le souci de faire de ce modèle un exemple pour le monde, pour l’Asie notamment. La mission n’est pas opposée au principe d’une taxe européenne, tout en demeurant sceptique sur la condition d’unanimité des États. Quant à l’ajustement aux frontières, il devra voir le jour si les autres marchés mondiaux tardent à se mettre en place, tout en conciliant protection de l’environnement et exigences pratiques : il ne s’agit pas de contrôler l’ensemble des biens importés, plutôt les grandes masses de matériau. On envisage d’exclure le secteur de l’automobile – ce qui est peut-être une erreur – car il serait trop complexe de calculer le coût carbone d’un véhicule importé.

M. Christian Jacob, président.– Je vous remercie, l’un et l’autre, pour cet excellent rapport et pour cette présentation très précise.

M. Jacques Le Nay.– Le rapport me semble très intéressant et très technique. Je relève particulièrement une phrase dans les dernières pages : « infliger un surcoût carbone à l’industrie européenne dans une période de crise où ses marges de manœuvre sont déjà réduites. » S’inscrit-elle dans le court ou le long terme ? L’écart entre les pays est-il déjà si important ?

M. Jean-Paul Chanteguet.– J’ai écouté avec intérêt la présentation du président et du rapporteur de la mission d’information. Vous avez auditionné M. Michel Rocard, je le sais, car cette mission a été mise en place à la demande du groupe SRC après son audition de M. Rocard au sujet de la taxe carbone. C’est lui qui nous a laissé entendre que le marché européen de quotas fonctionnait imparfaitement. Qu’est-il ressorti de votre entretien avec lui ?

Je m’interroge aussi sur les variations de prix. De 3 € à 30 €, nous en sommes aujourd’hui à 15 €. Le signal-prix me paraît faible, même s’il ne faut évidemment pas pénaliser l’activité européenne.

Vous avez signalé que l’instauration d’une taxe européenne représenterait probablement un long chemin. C’est sans doute vrai, mais je persiste à penser que ce serait une bonne solution.

En ce qui concerne les mécanismes de développement propre qui traduisent des fuites de carbone à l’étranger, je m’interroge. Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne chose d’acheter des crédits carbone à l’étranger au détriment de leur investissement en Europe.

Enfin, nous avons auditionné le professeur Hansen à l’initiative du président Jacob. C’était particulièrement intéressant. Ses propos laissaient apparaître sa préférence pour une taxe carbone mondiale, ainsi que l’inclination de la Chine et de l’Inde vers un instrument fiscal au détriment d’un marché de permis.

Mme Françoise Branget.– Nous ne pouvons qu’adhérer à l’ambition de limiter les émissions de gaz à effet de serre. Tout à l’heure, le rapporteur a évoqué les délocalisations vers les zones moins contraintes. Je voudrais mentionner le secteur de l’automobile. Que faire quand la Chine est le premier marché mondial, quand une automobile sur trois sera vendue en Chine en 2020 ? Les constructeurs français, par exemple PSA, seront pénalisés en France alors qu’il n’y aura pas de quotas sur le territoire chinois, où la production de la marque dépassera de beaucoup sa production européenne. La décision de lutter contre les émissions de carbone ne devrait-elle pas être mondiale plutôt qu’européenne ? Ne devons-nous pas protéger nos industries ?

M. Albert Facon.– Je suis sceptique sur l’instauration d’une taxe européenne. Donner l’exemple au monde coûte cher, surtout que nos émissions sont très limitées par rapport à celles des pays qui ne respectent pas le Protocole de Kyôto. Je ne comprends pas qu’on ne puisse pas instaurer une taxe aux frontières sur les produits importés de ces territoires-là. Tous génèrent du CO2 ; nous pourrions ainsi renforcer la compétitivité de nos entreprises. Il me semble de plus que le Président de la République y était favorable. Je suppose qu’on ne veut pas heurter la Chine, mais on ne peut pas la laisser polluer sans protester et taxer en sus nos concitoyens. Dans le Nord de la France, on se chauffe encore parfois au charbon par manque d’alternative : vous n’allez pas en plus imposer ces gens-là ?

M. Jean-Marie Sermier.– Je suis impressionné par le rapport qui m’apparaît très technique et qui parvient à formuler des propositions concrètes. Pensez-vous que nous pourrons avancer seul en Europe, et quelle est la position de l’OMC sur ce sujet ? On ne peut pas déconnecter le marché mondial des modes de production. Il faut en tenir compte dans les échanges. Par exemple, il y a dans ma circonscription un cimentier soumis aux quotas qui pourrait être contraint d’importer si sa production se trouvait limitée ; le transport de ce ciment de moins bonne qualité provoquerait de plus une libération conséquente de CO2. Il faut se montrer pragmatique.

En outre, on parle beaucoup de CO2. Qu’en est-il des autres gaz à effet de serre ?

Enfin, le rapport mentionne les mesures envisagées par la directive pour l’emploi des fonds levés à l’occasion des enchères de quotas. C’est particulièrement intéressant, par exemple les puits de carbone. Ne peut-on pas mettre ainsi en œuvre des alternatives à la mise sous quotas ?

M. Christian Jacob, président.– On me signale que les votes solennels vont avoir lieu. Je vous propose que nous suspendions la séance le temps d’aller voter, et que nous reprenions immédiatement après.

(La séance est suspendue à 17 h 30, puis reprise à 17 h 45)

M. Christian Jacob, président.– Nous reprenons les questions des commissaires. Les membres de la mission d’information apporteront leurs réponses ensuite.

M. André Chassaigne.– Les conclusions qui nous ont été présentées m’inspirent deux questions. D’une part, quelle est la dimension spéculative du marché dans la phase actuelle d’allocation gratuite des quotas ? Je comprends que la crise ait poussé les entreprises à rechercher des gains où elles le pouvaient, mais j’aimerais savoir ce qu’il en est avec plus de précision. Des effets pervers auraient pu se produire, et le pourraient encore, puisque la gratuité serait partiellement maintenue après 2013 pour les entreprises exposées à la concurrence.

D’autre part, lorsque vous avez fait référence à l’extension de la couverture du système, je pensais à la forêt. On dit que sa reconnaissance ferait baisser le prix des quotas en raison de la masse de crédits qu’elle représenterait. En outre, les États-Unis achètent déjà des arpents de forêt en masse pour les utiliser ensuite comme une valeur d’échange pour pouvoir polluer impunément ailleurs. C’était notamment apparu dans la presse pendant la réunion de Copenhague.

M. Philippe Martin, président de la mission d’information.– Je vais répondre à la question relative à la position de M. Michel Rocard. Il a renouvelé devant nous les prévenances qui sont les siennes à l’endroit du mécanisme des quotas – notamment ses aspects spéculatifs – et il a réitéré sa préférence en faveur d’un mécanisme de taxation. Pour dire la vérité, il est le seul parmi les auditionnés à avoir tenu ce propos.

S’agissant des variations de prix, on est passé de l’interrogation sur la définition d’un prix plafond à un questionnement sur l’opportunité d’un prix plancher. Les industriels pensaient que le signal-prix était voué à remonter progressivement aux alentours de 30 €. Mais la crise a contrarié cette prévision. Le ralentissement économique réduit mécaniquement les émissions, donc le prix des crédits carbone.

Albert Facon demandait pourquoi ne pas instaurer une taxe aux frontières. Nous avons ressenti à Bruxelles beaucoup de politesse à l’égard de cette idée du Président de la République, mais aussi des doutes extrêmes sur la capacité à susciter une unanimité pour y parvenir. En outre, nos interlocuteurs ont émis des arguments qui doivent être pris en compte : ainsi si une usine d’acier était délocalisée et ses produits taxés au moment de leur arrivée en Europe, ce serait une « double peine » pour le citoyen.

En ce qui concerne la plateforme d’enchères, M. Prada – je le rappelle, ancien président de l’Autorité des marchés financiers – a souligné que son unicité faisait courir le risque d’une disparition de la place de marché française. Un système multipolaire serait donc une possibilité.

M. François-Michel Gonnot, rapporteur.– En réponse aux questions de nos autres collègues, nous évoquons effectivement à la fin du rapport un surcoût infligé à l’industrie française. Je ne l’ai pas précisé dans mon intervention, mais nous faisons ici référence au débat actuel sur l’élévation de l’objectif européen de réduction des émissions de 20 % à 30 %. Cette position est portée par la France et, semble-t-il, par la Commission européenne, mais l’Allemagne s’y oppose. Surtout, nous nous posons des questions d’opportunité : nous sommes dans une période de négociation internationale, ne vaudrait-il pas mieux attendre l’échéance de Cancun ? Je rappelle que cette ambition serait d’autant plus élevée pour la France qu’elle a une économie très peu carbonée, dans laquelle il est difficile d’amoindrir les rejets. De plus, cet objectif n’est affiché qu’en raison de la crise et du ralentissement qu’elle a provoqué.

Les projets de développement sont agréés par l’ONU. On ne peut pas acheter des forêts n’importe où, ni y faire n’importe quoi. Il faut une validation qui n’est pas simple à obtenir. On ne peut pas, aux frais du tiers-monde, se dispenser de contrainte de réduction des émissions. Il faut aussi comprendre que c’est l’opportunité, pour ces pays, de consolider des projets économiques et de se développer. Il ne faut pas y voir un réflexe colonialiste ; le mécanisme a des aspects très positifs.

L’Inde est absente du débat sur le carbone. La Chine a compris qu’on lui demanderait tôt ou tard, dans le cadre de l’OMC, de mettre en place des mécanismes de réduction. Je n’ai pas perçu de préférence pour la taxe par rapport aux quotas. Les taux de croissance industrielle sont de toutes façons tels que les émissions chinoises augmentent, même si les technologies s’améliorent. Il s’agit surtout, pour eux, d’échapper à un système européen ou américain d’ajustement aux frontières : un dispositif domestique interdirait, du fait des règles de l’OMC, que leurs exportations soient ensuite taxées ou refoulées au nom du carbone.

Le secteur de l’automobile n’est pas soumis aux quotas, mais les producteurs d’acier et de verre le sont. Pour l’heure, l’essentiel des fabrications de véhicules destinés à l’Europe a lieu en Europe. L’industriel qui vend en Chine produit en Chine, il ne se pose donc pas la question des crédits carbone. La vraie question concerne les constructeurs japonais et coréens, mais ces deux pays sont en train de se doter d’un marché de permis. La question sera réglée, de même demain pour les États-Unis.

La difficulté de la taxe aux frontières comme elle est nommée en France, c’est qu’elle serait perçue par certains de nos partenaires comme un retour des tarifs douaniers. La solution retenue est plutôt celle du mécanisme d’inclusion carbone (MIC), qui étend le marché de quotas aux importations. On rééquilibre de cette façon les conditions de concurrence.

L’OMC autorise l’Europe à se doter d’un système de quotas, mais elle ne peut appliquer une taxation ou un contingentement au nom de la protection de l’environnement dès lors qu’il existe dans le pays exportateur un système de limitation des émissions contraignant. Pour les autres États, une action est possible à condition de se montrer de bonne foi, non discriminatoire, etc. Le rapport développe longuement ce point.

En ce qui concerne les cimentiers, que nous avons rencontrés, ils agissent sur des marchés locaux. Le ciment est un produit à faible valeur ajoutée, il n’est donc acheminé que sur de faibles distances. Le problème des cimentiers tient plutôt au respect des limitations d’émission. Les méthodes de fabrication sont simples, soumises à des contraintes physiques, et elles ne dégagent pas de marges importantes. Un rehaussement de l’objectif européen de 20 % à 30 % serait pour ce secteur extrêmement délicat, sauf à acheter des permis supplémentaires sur le marché.

Le SCEQE couvre six gaz à effet de serre ; le méthane et le protoxyde d’azote sont, par exemple, visés par la directive européenne. On ne mentionne que le carbone dans la mesure où il représente le principal polluant contrôlé en termes de volume d’émissions.

Le marché du carbone a une taille restreinte par rapport aux ensembles financiers et aux bourses de matières premières. La spéculation y est donc relativement contenue, surtout dans le contexte économique actuel et eu égard au prix de la tonne de CO2. Les interlocuteurs de la mission d’information ont fortement pondéré les craintes de M. Rocard à ce sujet. Les quotas circulent en moyenne trois fois par an. Les industriels doivent pouvoir se couvrir. Quant à la gratuité, elle est appelée à disparaître au bénéfice d’enchères dont les modalités restent à définir. Les allocations gratuites se limiteront de plus en plus aux secteurs exposés à partir de 2013.

La forêt est exclue du système puisqu’elle n’émet pas de carbone, alors que le dispositif vise justement à encadrer les rejets. C’est assez paradoxal car les forestiers souhaiteraient être intégrés en tant que puits de carbone. On peut le regretter pour le développement de la forêt française.

M. Philippe Tourtelier.– Je voudrais féliciter les auteurs du rapport. Les fluctuations du prix du quota sont très bien expliquées. Il me semble que le ciment et l’acier seront des secteurs protégés.

Vous utilisez largement le rapport de M. Prada, effectivement très intéressant. Il me semble ne pas répondre à la question de la qualification juridique des quotas. Que proposez-vous sur ce point ?

Enfin, sur les mécanismes de flexibilité, vous avez rappelé que c’était assez limité. J’aimerais savoir s’il y a une limite théorique posée par le droit européen.

M. Michel Havard.– Je complimenterai moi aussi la mission d’information pour cette synthèse. Mon interrogation est prospective. Entre le marché européen et l’émergence d’un marché mondial, quel serait le lien possible ? Où les discussions doivent-elles se tenir : à l’ONU, à l’OMC, à travers le dialogue des autorités nationales ? Cette question revêt une importance fondamentale car c’est la condition pour qu’une logique globale s’impose dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.

M. Philippe Plisson.– Les marchés de quotas sont peut-être la moins mauvaise des solutions. Mais n’y a-t-il pas quelque chose d’immoral dans la valorisation d’un polluant ? Ne vaut-il pas mieux garder l’objectif de la taxe ?

M. Christophe Bouillon.– Je voudrais évoquer la question du nucléaire, dont vous regrettez qu’il ne donne pas droit à quotas. Vous énoncez les arguments qui ont été opposés à son inclusion dans le système – arguments que nous connaissons, ils sont ceux des opposants à l’atome. Pensez-vous que la renaissance actuelle de la filière atomique soit de nature à faire évoluer la réglementation d’ici 2013 ? C’est une question importante pour la France.

M. Didier Gonzales.– Le protoxyde d’azote pourrait être inclus dans le système européen en 2013, me semble-t-il. Comment les autres gaz que le carbone pourraient-ils être pris en compte ?

M. François-Michel Gonnot, rapporteur.– Je n’ai peut-être pas été clair en ce qui concerne les gaz couverts par le SCEQE. Le protoxyde d’azote est déjà visé par la directive européenne. Mais la quantité qu’il représente dans le volume global des émissions est tout à fait marginale.

Le ciment et l’acier devraient effectivement figurer parmi les secteurs exposés bénéficiant d’allocations gratuites. On voit déjà à quel point notre sidérurgie est mise à mal par les délocalisations.

La nature juridique d’un crédit d’émission reste aujourd’hui sans réponse. Les juristes des différents pays sont en désaccord. La définition est importante, car la catégorie de rattachement décide du corpus de règles applicables. Pour la France, un quota est un bien meuble. Nous sommes dans l’attente d’une définition européenne qui unifierait les différents régimes. La régulation serait également clarifiée. Les Britanniques seraient intéressés par un classement dans la catégorie des instruments financiers.

Il y a effectivement une limite théorique dans l’utilisation des crédits internationaux dans le marché européen. Elle correspond au maximum autorisé par les États membres au cours de la phase II.

Il n’y a aujourd’hui qu’un marché, celui de l’Europe, qui existe parce que les États l’ont voulu. D’autres pourraient émerger, qui n’auraient qu’une étendue nationale. Leur coordination sera un enjeu majeur des négociations de demain. Les États-Unis sont très actifs, ils cherchent déjà à imposer leur modèle alors même que la proposition de loi qui le porte n’est pas encore votée. Nous souhaitons, et la Commission européenne partage ce vœu, profiter de la qualité reconnue de l’architecture du SCEQE – le premier marché opérationnel – pour utiliser notre expérience hors de nos frontières.

L’avantage du système de quotas consiste en une limitation certaine des émissions. Le plafond défini est acquis avec certitude et précision. Une taxation n’offre pas la même prévisibilité du point de vue environnemental, elle ne conduit pas l’industriel à s’aligner sur un niveau de pollution. Le marché de permis est consensuel, chacun admet son principe. Il a le défaut de ne pas embrasser le secteur diffus ; pour cela une taxe européenne serait idéale. Encore faudrait-il une unanimité pour fixer une base et un taux… Mais il n’y a pas d’objection de principe. La présidence suédoise, en 2009, a proposé un dispositif sur la base de sa propre taxe nationale, instaurée dans les années 1990.

Le nucléaire est exclu du système par les conventions internationales. Les règles en vigueur s’appliquent comme s’il n’existait pas, comme s’il était un « non émetteur ». En fait, il évite des émissions. Cette approche pénalise la France. Il est cependant douteux que la directive évolue en 2013 sur ce point. La renaissance du nucléaire est pour l’heure celle des projets, pas encore de la filière.

M. Christian Jacob, président.– Merci pour ce rapport de grande qualité. Je vais maintenant proposer à la commission d’autoriser sa publication.

La commission du développement durable autorise la publication du rapport à l’unanimité.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

À l’Assemblée nationale :

– M. Michel Rocard, ancien Premier ministre, président de la conférence des experts sur la taxe carbone, accompagné de M. Yves Martin, ingénieur général honoraire des mines

– MM. Fabrice Accary, délégué au développement durable et à l’action professionnelle, Nicolas Paulissen, délégué général adjoint, et Luc Serveau, adjoint au délégué au développement durable (Fédération nationale des transports routiers), et M. Stéphane Lévesque, délégué aux activités routières (Fédération des entreprises de Transport et logistique de France)

– M. Benoît Leguet, directeur de la recherche, CDC Climat recherche (mission climat) et Mme Emilie Alberola, experte au sein de l’équipe de recherche sur le marché européen des quotas – Caisse des dépôts et consignations

– M. Joffrey Celestin-Urbain, chef du bureau « marchés carbone », direction de l’énergie, direction générale de l’énergie et du climat, ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer, et M. Pascal Dupuis, chef de service climat et efficacité énergétique

– M. Bruno Bensasson, directeur Économie et Prix, direction de la stratégie et du développement durable de GDF SUEZ, et Mme Valérie Alain, directeur des relations institutionnelles

– M. Jean-Pierre Bompard, délégué à l’Énergie, à l’Environnement et au Développement durable à la CFDT 

– Office national des forêts, représenté par M. Pierre-Olivier Drege, directeur général, et Mme Marianne Rubio, chargée de mission forêt-climat

– Forêt privée française, représentée par M. Luc Bouvarel, directeur général, et M. Éric Toppan, adjoint au directeur chargé des affaires économiques

– M. Bruno Carré, président du Syndicat français de l’industrie cimentière, et Mme Anne-Bernard-Gély, déléguée générale

– Mme Anne-Laure de Coincy, secrétaire générale adjointe, Secrétariat général des affaires européennes, et M. Matthieu Autret, chef du secteur Industrie, environnement, énergie, recherche, télécom et espace

– M. Dominique Becouse, directeur, technique, environnement, raffinage et sécurité et M. Christian Chavane, directeur des relations institutionnelles, Union française des industries pétrolières (UFIP)

– Mme Manuelle Lepoutre, directrice du développement durable de Total

– M. Bruno Carré, président du Syndicat Français de l’Industrie cimentière, Mme Anne Bernard-Gély, déléguée générale, et M. Guillen, Lafarge

- M. Pierre de Montlivault, directeur des nouvelles offres énergétiques DALKIA France (Veolia Energie), et M. Thomas Philippe

– MM. Henri Lamotte, chef du service politique publique, Xavier Bonnet, Jean-François Ouvrard et Schwan Badirou-Garari, direction générale du Trésor

– M. Serge Harry, président de Bluenext

– Mme Claude Nahon, directrice du développement durable, groupe EDF, et M. Jean-Yves Caneill, spécialiste des questions de marchés carbone au sein du groupe EDF, membres du C3D

– DGCIS : M. Alain Pesson, chef de la mission pour le développement industriel durable

– MEDEF : M. Philippe Rosier, PDG de Rhodia Energy, président du groupe de travail stratégie énergétique et compétitivité au Medef, Mme Sophie Liger-Tessier, directeur du développement durable, M. Philippe Chauveau, marketer ORBEO (joint venture Rhodia - Société Générale), Mme Miriana Clerc, chargée de mission aux affaires publiques

– M. Claude Jeandron, directeur de l’Environnement d’EDF, M. Michel Matheu, direction de la Stratégie, et M. Bertrand Le Thiec, directeur-adjoint, direction des affaires publiques

– M. Michel Prada, ancien président de l’Autorité des marchés financiers, président du Conseil de normalisation des comptes publics, M. Jean-Jacques Barberis, adjoint au Chef du Bureau Environnement et Agriculture de la Direction générale du Trésor et de la Politique Économique, et M. Aurélien Tignol, direction énergie-climat

– M. Pierre-Henri Gourgeon, directeur général d’Air France

À Bruxelles :

– M. Philippe Léglise-Costa, représentant permanent adjoint et M. Fabrice Dubreuil, conseiller en charge de l'environnement, représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne

– M. Jos Delbeke, directeur général, direction générale de l'action climatique, commission européenne

– M. Peter Vis, chef de cabinet et M. Niels Ladefoged, conseiller du cabinet de la Commissaire en charge de l'action climatique, Mme Connie Hedegaard

ANNEXES

Voir les annexes ci-dessous au format PDF sur le site de l’Assemblée :

Directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil
du 13 octobre 2003 établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil

Directive 2004/101/CE du Parlement européen et du Conseil
du 27 octobre 2004 modifiant la directive 2003/87/CE établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté, au titre des mécanismes de projet du protocole de Kyoto

Décision n° 406/2009/CE du Parlement européen et du Conseil
du 23 avril 2009 relative à l’effort à fournir par les États membres pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre afin de respecter les engagements
de la Communauté en matière de réduction de ces émissions jusqu’en 2020

1 () Le système européen d’échange de quotas d’émission ne couvre pas seulement le CO2 mais celui-ci représente l’essentiel des gaz émis en volume. Sauf précision contraire, on emploiera donc indifféremment carbone et gaz à effet de serre dans les pages suivantes.

2 () Décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009

3 () Christian de Perthuis, Le puzzle des marchés du carbone, Pour la science, n° 365, mars 2008.

4 () Garrett James Hardin (1915–2003), écologue américain, a notamment écrit sur la surpopulation et sur les dommages infligés à l’environnement par les actions individuelles.

5 () Arthur Cecil Pigou (1877–1959), économiste britannique, est un des pères de l’économie du bien-être. Il a aussi été le maître de John Maynard Keynes.

6 () Ronald Coase, économiste britannique né en 1910, a fondé la théorie des coûts de transaction. Son approche a reçu le Prix Nobel d’économie en 1991.

7 () Une accise est un impôt indirect portant sur des objets de consommation, historiquement concentré sur les boissons et étendu ensuite aux carburants.

8 () La liste qui les désigne est adjointe au traité, à l’annexe 1. Elle comprend les pays développés : Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Canada, CEE (en tant que telle), Danemark, Espagne, États-Unis, Finlande, France, Grèce, Irlande, Islande, Italie, Japon, Luxembourg, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Suède, Suisse, et Turquie. Elle inclut aussi les États de l’ancien bloc de l’Est, en transition vers une économie de marché : Biélorussie, Bulgarie, Estonie, Fédération de Russie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Tchécoslovaquie, Ukraine.

9 () L’année 1990 sert de base aux négociations climatiques car elle était la référence retenue par la CCNUCC de 1992.

10 () La Croatie, le Liechtenstein, Monaco et la Slovénie se joignent aux pays de l’annexe 1. La Biélorussie et la Turquie la quittent.

11 () Cette politique, décidée au Conseil européen de juin 1998, est désignée par l’anglicisme burden-sharing. Elle a conduit à fixer un objectif de réduction de 21% à l’Allemagne du fait de l’intensité carbone de son économie. Faiblement émettrice de carbone grâce notamment à son choix nucléaire, la France a reçu un objectif de maintien en l’état (0%). Une hausse de 4% a même été autorisée à la Suède, particulièrement vertueuse. L’agrégation des quinze pays membres de l’Union au moment de la signature du Protocole aboutit à une diminution de 8%.

12 () Le recours en manquement est une procédure de droit de l'Union européenne. Il est déposé devant la Cour de justice contre un État membre accusé de manquer à ses obligations découlant des traités ou du droit dérivé de l'Union. Si la Cour reconnaît que l'État membre concerné ne s'est pas conformé à son arrêt, elle peut lui infliger le paiement d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte.

13 () De toutes les installations qui participaient au système en 2009, 2 % n’ont pas restitué la quantité de quotas requise pour la date limite du 1er mai 2010. Il s’agit d’installations de petite taille, dont les émissions cumulées représentent moins de 2% de toutes les émissions relevant du SCEQE.

14 () Le clinker est un constituant du ciment obtenu par calcination d'un mélange d'acide silicique d'alumine, d'oxyde de fer et de chaux. Moulu puis additivé avec des laitiers de hauts-fourneaux par exemple, le clinker sert à fabriquer le ciment, entrant lui-même dans la liste des constituants du béton.

15 () Communiqué de presse IP/10/576 du 18 mai 2010.

16 () Conférence de presse conjointe du ministre français de l'Industrie Christian Estrosi et du ministre allemand de l'Economie Rainer Brüderle.

17 () Il a été souligné devant la mission que la France a moins avantagé son secteur électrique que d’autres pays. L’existence de tarifs régulés inférieurs aux prix mondiaux a en effet absorbé les éventuels crédits carbone distribués en excès.

18 () Les éclairages apportés par l’audition de Michel Prada et de ses collaborateurs, entendus pour présenter leurs recommandations en termes de régulation des marchés de carbone, ont été particulièrement utiles pour comprendre le déroulement des événements décrits ici.

19 () Une vente de gré à gré est un accord contractuel conclu entre deux contreparties. Une telle transaction, si elle porte sur un instrument dérivé, génère pour chacune, un risque de crédit. En effet, dans le cas où l’une des deux ferait défaut et s’avèrerait incapable d’honorer ses engagements, l’autre pourrait se retrouver dans une position financièrement défavorable.

20 () Directive 2008/101/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008.

21 () Décision n° 406/2009/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à l’effort à fournir par les États membres pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre afin de respecter les engagements de la Communauté en matière de réduction de ces émissions jusqu’en 2020.

22 () Légende : Value at stake : valeur ajoutée en danger ; Direct CO2 cost : coût CO2 direct ; Indirect CO2 cost : coût CO2 indirect ; Trade intensity : ouverture au commerce ; Trade intensity non EU : ouverture au commerce avec des pays non européens. Noms des secteurs, en partant de gauche à droite : Colorants et pigments ; Pâte à papier ; Autres produits chimiques inorganiques de base ; Autres produits chimiques organiques de base ; Autres articles en verre ; Produits en cuivre ; Aluminium et produits en aluminium ; Feuilles de placage ; anneaux lamellés, de particules et de fibres ; Papier et carton ; Engrais et composés azotés ; Verres creux ; Verres plats ; Sidérurgie ; Matières plastiques de base ; Fibres de verre ; Carreaux en céramique ; Produits amylacés ; Articles en papier à usage sanitaire ou domestique ; Sucre Coke, produits pétroliers raffinés et matières nucléaires ; Transformation et conservation de pommes de terre ; Briques, tuiles et produits de construction ; Ciment ; Chaux ; Ennoblissement textile.

23 () Commerce et changement climatique, PNUE-OMC, juin 2009.

24 () « Sous réserve que ces mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays où les mêmes conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce international, rien dans le présent Accord ne sera interprété comme empêchant l'adoption ou l'application par toute partie contractante des mesures (...) nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux ; (…)se rapportant à la conservation des ressources naturelles épuisables, si de telles mesures sont appliquées conjointement avec des restrictions à la production ou à la consommation nationales(...). »


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