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N° 2686

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 30 juin 2010.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE

en conclusion des travaux de la Mission d’évaluation et de contrôle (MEC)  (1)

sur le crédit d’impôt recherche

et prÉsentÉ

par MM. Alain CLAEYS, Jean-Pierre GORGES et Pierre LASBORDES

Députés

___

MM. Olivier CARRÉ et David HABIB

Présidents.

___

La mission d’évaluation et de contrôle est composée de : MM. Olivier Carré, David Habib, Présidents ; M. Jérôme Cahuzac, Président de la commission des Finances de l’économie générale et du contrôle budgétaire, M. Gilles Carrez, Rapporteur général ; MM. Pierre Bourguignon, Jean-Pierre Brard, Alain Claeys, Charles de Courson, Richard Dell'Agnola, Yves Deniaud, Jean-Louis Dumont, Jean-Michel Fourgous, Laurent Hénart, Jean Launay, François de Rugy, Philippe Vigier.

LES 9 PROPOSITIONS PRIORITAIRES DE LA MEC 5

A.– AMÉLIORER L’EFFICACITÉ DE LA DÉPENSE 5

B.– MIEUX SÉCURISER LE DISPOSITIF 5

C.– MIEUX CONTRÔLER 5

INTRODUCTION 7

RAPPEL : LES ÉVOLUTIONS DU CRÉDIT D’IMPÔT RECHERCHE  ENTRE 1983 ET 2008 9

I.– L’EFFICACITÉ DE LA RÉFORME DE 2008 :  UN BILAN NUANCÉ SELON L’OBJECTIF POURSUIVI 11

A.– MALGRÉ LA CRISE, UNE STABILISATION DE L’EFFORT DE RECHERCHE SANS ATTEINDRE LES OBJECTIFS DE LA STRATÉGIE DE LISBONNE 11

1.– La réforme de 2008 semble avoir arrêté la baisse continue de l’effort de recherche privée en France depuis 1993 11

2.– L’effort de R&D a bien été stimulé grâce au CIR... mais pas assez pour atteindre l'objectif de consacrer 3 % du PIB à la R&D 14

3.– Les raisons de ce bilan positif mais insuffisant 16

a) L’impact de la crise économique et financière 16

b) L’impact de la désindustrialisation  18

B.– ATTRACTIVITÉ DU TERRITOIRE ET EMPLOI : DES RÉSULTATS ENCOURAGEANTS À CONFIRMER 22

a) L’attractivité de la France est confirmée en 2009 22

b) L’impact sur l’emploi des chercheurs, perceptible, reste à confirmer 24

C.– MAIS UN DISPOSITIF FAVORISANT DES STRATÉGIES D’OPTIMISATION FISCALE 26

II.– L’ÉVOLUTION GALOPANTE DU COÛT DU CIR DEPUIS 2008 29

A.– UNE DÉPENSE FISCALE EN TRÈS FORTE PROGRESSION 29

1.– Une augmentation pérenne du fait de la réforme de 2008 29

2.– Un renchérissement temporaire du fait du remboursement anticipé et accéléré des créances depuis 2009 31

3.– Un coût comparable à celui des dispositifs équivalents dans certains pays de l’OCDE 33

a) Aux États-Unis 33

b) Au Japon 33

B.– UN BÉNÉFICE PARTAGÉ PAR L’ENSEMBLE DES ENTREPRISES 35

1.– La répartition du montant du CIR selon la taille de l’entreprise 35

a  Le CIR bénéficie prioritairement aux entreprises petites, moyennes et de taille intermédiaire 35

b) La qualité des statistiques doit être améliorée 37

2.– La répartition du montant du CIR par type de dépenses et par secteur d’activité 39

a) Une surévaluation des dépenses de fonctionnement 39

b) L’analyse de la répartition du CIR par secteur d’activité montre que l’industrie est largement bénéficiaire 41

III.– LES PROPOSITIONS DE LA MEC 47

A.– AMÉLIORER L’EFFICACITÉ DE LA DÉPENSE 47

1.– Cibler sur les PME indépendantes, catégorie d’entreprises la plus intensive en R&D 47

a) La pérennisation du remboursement anticipé de la créance de CIR 47

b) Caractériser les entreprises les plus intensives en R&D pour éventuellement prévoir un ciblage du crédit d’impôt recherche 48

2.– Limiter les effets d’aubaine et les stratégies d’optimisation fiscale injustifiés 50

a) Lutter contre les effets d’aubaine liés à l’évaluation forfaitaire des dépenses de fonctionnement 50

b) Lutter contre les stratégies d’optimisation fiscale injustifiées 51

B.– MIEUX SÉCURISER LE DISPOSITIF 55

1.– Améliorer l’information des entreprises sur les dépenses éligibles au CIR 55

2.– Développer le recours à la procédure de rescrit et au contrôle sur demande 59

C.– MIEUX CONTRÔLER 60

1.– Améliorer la qualité et l’efficacité du contrôle fiscal 60

2.– Améliorer les outils d’évaluation de la performance du CIR 63

EXAMEN EN COMMISSION 67

ANNEXES 73

I.– PASSAGE DNRD - DIRD 73

II.– LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 75

III.– COMPTES RENDUS DES AUDITIONS 78

LES 9 PROPOSITIONS PRIORITAIRES DE LA MEC

A.– AMÉLIORER L’EFFICACITÉ DE LA DÉPENSE

Proposition n° 1 : Pérenniser le remboursement accéléré du crédit d’impôt recherche au profit exclusif des PME indépendantes.

Proposition n° 2 : Établir le ratio financements publics / dépense intérieure de R&D des entreprises, ventilé par tranche d’effectifs (moins de 10 salariés, de 11 à 50 salariés, de 51 à 249 salariés, 250 à 5 000 salariés et grandes entreprises) et par nature des financements publics (directs, indirects, locaux, nationaux, communautaires…).

Proposition n° 3 : Abaisser le forfait de droit commun applicable aux dépenses de fonctionnement de 75 % à 33 % tout en instaurant un régime de frais réels optionnel au-delà de ce forfait.

Proposition n° 4 : Introduire une obligation légale de réemploi minimal des créances de crédit d'impôt recherche au profit des entreprises ou de leurs services ayant réalisé les opérations de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt.

Proposition n° 5 : Calculer le plafond de 100 millions d’euros de dépenses éligibles au-delà duquel le taux de crédit d'impôt recherche est réduit à 5 %, à l’échelle du groupe et non plus à l’échelle de chaque filiale.

B.– MIEUX SÉCURISER LE DISPOSITIF

Proposition n° 6 : Établir une nouvelle instruction fiscale faisant directement référence au manuel de Frascati de l’OCDE afin d’expliciter l’éligibilité des dépenses de R&D au crédit d’impôt recherche.

Proposition n° 7 : Former au sein des réseaux consulaires un « correspondant fiscalité des PME » chargé d’informer les entreprises sur le crédit d'impôt recherche et de promouvoir la procédure de rescrit en particulier.

C.– MIEUX CONTRÔLER

Proposition n° 8 : Créer des équipes communes de contrôle du crédit d'impôt recherche entre les services fiscaux et les services du ministère de la recherche, au niveau central et dans les principales régions françaises.

Proposition n° 9 : Mettre en place des outils quantitatifs et qualitatifs de suivi de la performance du crédit d'impôt recherche.

INTRODUCTION

Le bureau de la commission des Finances a souhaité que la mission d’évaluation et de contrôle (MEC) procède à une évaluation de la réforme du crédit d’impôt recherche résultant de l’article 69 de la loi de finances pour 2008 (2).

Trois Rapporteurs ont été désignés : outre les deux Rapporteurs spéciaux de la commission des Finances pour la mission Recherche – MM. Alain Claeys et Jean-Pierre Gorges –, M. Pierre Lasbordes qui, au nom de la commission des Affaires économiques, a présenté l’avis budgétaire relatif aux grands organismes de recherche lors de l’examen du dernier projet de loi de finances. Les députés chargés du rapport représentent à la fois les deux Commissions les plus concernées, mais aussi deux groupes politiques sur les quatre composant l’Assemblée nationale : respectivement l’Union pour un mouvement populaire et le groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

Les travaux de la mission, de février à juin 2010 lui ont permis d’entendre les principaux acteurs des sphères publique et privée concernés par la politique en faveur de la recherche et développement et de l’innovation.

La recherche et développement (R&D) ainsi que l'innovation constituent les éléments essentiels de la croissance et de la compétitivité dans les économies dites de la connaissance. Le volume des activités de R&D engagées en France apparaît à cet égard insuffisant. En effet, avec 2,1 % de son PIB consacré à la R&D en 2006, la France se situe dans une position intermédiaire : au dessus, certes, de la moyenne européenne, mais très en deçà de l'Allemagne, des pays scandinaves, des États-Unis et du Japon. L'intégralité de l'écart d'intensité de R&D entre la France et ses principaux partenaires est imputable au volume de R&D réalisé par le secteur privé.

Or, la littérature économique est unanime sur le fait qu’un soutien public aux activités de R&D des entreprises, justifié par les retombées économiques hors de l’entreprise qui consent l’investissement (externalités positives), s’avère nécessaire compte tenu de la prise de risque, qui peut être difficilement finançable. Depuis quelques années ces arguments classiques ont été renforcés par la nécessité d’accroître l’attractivité des territoires nationaux pour les activités de R&D.

Pour inciter les entreprises à développer leurs activités de R&D et d’innovation, la France a donc instauré un ensemble d’aides directes à travers des subventions versées aux entreprises sous certaines conditions, et d’aides indirectes par des dispositifs d’allègements fiscaux et sociaux avantageux : le crédit d’impôt recherche (CIR) et les statuts de jeune entreprise innovante ou universitaire (JEI et JEU) en sont les mesures phares.

En 2007, le montant des aides directes en faveur des entreprises s’est élevé à 2,6 milliards d’euros tandis que le montant des allègements fiscaux en faveur de la R&D atteignait 1,8 milliard d’euros.

Créé en 1983, le crédit d’impôt recherche est un dispositif dont le mode de calcul a connu de multiples ajustements rappelés dans l’encadré ci-après. Ces modifications successives avaient abouti à la mise en place d’un dispositif fondé sur un système de calcul mixte (avec une part en volume de recherche et une part en accroissement), rendu trop complexe et insuffisamment incitatif.

La réforme du CIR en 2008 a donc été engagée pour en améliorer l'efficacité à travers quatre actions :

– sa simplification, par l’abandon de la déduction fiscale appliquée à la part en accroissement des dépenses de R&D ;

– l’élargissement de son assiette, en rendant éligibles la somme totale des dépenses de R&D engagées par l’entreprise ;

– son renforcement, par le relèvement du taux du crédit d'impôt applicable de 10 % à 30 % ;

– sa sécurisation pour les entreprises, par l’extension du rescrit et l’assouplissement des conditions du contrôle sur demande.

Depuis cette réforme, la France est devenue le pays de l’OCDE qui apporte le plus fort soutien aux dépenses de R&D des entreprises, que ce soit à travers des aides directes ou des allègements fiscaux et sociaux. À lui seul, le CIR représentait une dépense fiscale de 4,155 milliards d’euros en 2008. Compte tenu des mesures adoptées dans le cadre du plan de relance de l’économie en 2009, le CIR est devenu la première dépense fiscale en France pour un montant de 5,8 milliards d’euros.

Cette montée en charge du coût du crédit d'impôt recherche depuis 2008 était une raison supplémentaire pour évaluer, deux ans après, l’impact de la réforme introduite en loi de finances pour 2008. Ses travaux ont permis à la mission d’évaluation et de contrôle d’apprécier le succès du nouveau dispositif mais également de détecter certains dysfonctionnements.

C’est pourquoi, sans chercher à remettre en cause l’architecture générale du crédit d'impôt recherche issue de la réforme de 2008, dont l’attractivité a été saluée de façon unanime et appuyée par tous les interlocuteurs auditionnés, la mission souhaite présenter dans ce rapport une série de propositions destinées à en améliorer encore l’efficacité.

*

* *

RAPPEL : LES ÉVOLUTIONS DU CRÉDIT D’IMPÔT RECHERCHE 
ENTRE 1983 ET 2008

Lors de sa création par l’article 67 de la loi de finances pour 1983, le crédit d’impôt recherche était un dispositif relativement simple et ciblé. Il était égal à 25 % de l'accroissement de l’effort de recherche d’une entreprise, d'une année par rapport à l’année précédente, dans la limite de 3 millions de francs (soit environ 460 000 euros) par entreprise et par an.

●  Les réformes intervenues entre 1983 et 2003

– le relèvement du taux à 50 % de l'accroissement des dépenses de recherche d'une année par rapport aux dépenses de même nature de l'année précédente (article 4 de la loi de finances pour 1986) ;

– le rehaussement du plafond à 5 millions de francs (article 4 de la loi de finances pour 1986) puis à 40 millions de francs (soit 6,1 millions d’euros) (article 82 de la loi de finances pour 1991), avec un plafond spécifique fixé à 10 millions de francs (soit 1,5 million d’euros) (article 7 de la loi de finances pour 1988) pour les dépenses de recherche sous-traitées ;

– l’élargissement de l’assiette des dépenses éligibles aux dotations aux amortissements des brevets acquis en vue de réaliser des opérations de recherche et de développement expérimental (article 7 de la loi de finances pour 1988), aux dépenses de normalisation afférentes aux produits de l'entreprise (article 20 de la loi de finances pour 1990) et, enfin, aux dépenses liées à l'élaboration de nouvelles collections exposées par les entreprises industrielles du secteur textile-habillement-cuir (article 61 de la loi de finances pour 1992).

● La réforme réalisée en loi de finances pour 2004 (article 87)

Au début des années 2000, le principe d’un crédit d’impôt assis uniquement sur l’accroissement des dépenses de recherche a montré ses limites : il favorisait, pour un temps limité, les entreprises réalisant des dépenses de recherche pour la première fois ou de façon ponctuelle ou cyclique, et excluait celles dont l’effort de recherche était important en volume, mais stable ou en érosion. Or une recherche efficace suppose un engagement durable.

– Une part en volume (5 % des dépenses engagées) a donc été introduite pour toutes les entreprises qui engagent des dépenses de recherche au cours d’une année, quelle que soit l’évolution de ces dépenses ;

– la part en accroissement a été maintenue, ouvrant droit à un crédit d’impôt égal à 45 % de ces mêmes dépenses, minorées de la moyenne des dépenses des deux années précédentes ;

– le plafond du crédit d’impôt recherche a été porté à 8 millions d’euros et son assiette élargie, dans la limite de 60 000 euros, aux dépenses afférentes aux frais de défense de brevets et de celles relatives à la veille technologique ;

– afin de renforcer le partenariat entre recherche publique et recherche privée, les dépenses de recherche confiées aux organismes de recherche publics ont été retenues pour le double de leur montant.

● Les aménagements du dispositif entre 2004 et 2008

– Pour mettre le CIR en conformité avec le droit communautaire, l’article 45 de la loi de finances rectificative pour 2004 a supprimé la condition de réalisation en France des dépenses de R&D, les dépenses éligibles confiées à des organismes de recherche publics, des universités ou des organismes de recherche privés agréés établis dans un autre État membre de l’Union étant cependant plafonnées à 2 millions d’euros ;

– le taux du crédit d’impôt calculé sur le volume des dépenses a été relevé de 5 % à 10 % (article 22 de la loi de finances pour 2006) tandis que celui appliqué sur la part en accroissement a diminué de 45 % à 40 % ;

– le plafond a été relevé de 8 à 10 millions d’euros puis 16 millions d’euros (article 91 de la loi de finances rectificative pour 2006) et le plafond spécifique à la recherche sous-traitée de 2 à 10 millions d’euros (à condition qu’il n’existe pas de lien de dépendance entre le donneur d’ordre et le sous-traitant) ;

– les dépenses relatives aux jeunes docteurs sont désormais retenues pour le double de leur montant et les frais de fonctionnement y afférents portés de 100 % à 200 % ;

– enfin, l’article 15 de la loi de finances pour 2007 a supprimé le plafond applicable au frais de prise et de maintenance des brevets et élargi l’assiette aux frais de prise, de maintenance et de défense des certificats d’obtention végétale.

● La réforme opérée par l’article 69 de la loi de finances pour 2008

1) Une simplification du dispositif

– suppression de la part en accroissement et du plafond de CIR au-delà de 16 millions d’euros : le CIR ne repose plus que sur le volume des dépenses éligibles ;

– triplement du taux de CIR applicable à un volume de dépenses éligibles inférieur à 100 millions d’euros. Au delà, application d’un taux de 5 % sans limitation ;

– introduction d’un taux majoré de CIR 50 % à un volume de dépenses éligibles inférieur à 100 millions d’euros la première année et de 40 % la deuxième année.

2) Un renforcement des mesures de sécurisation à l’égard des entreprises

– possibilité ouverte aux entreprises de solliciter un avis préalable de l’administration (rescrit) avant le démarrage des travaux de recherche si elles souhaitent s’assurer que leurs projets de recherche ouvrent bien droit au crédit d’impôt. La loi de finances a raccourci de 6 à 3 mois le délai de réponse de ladministration à défaut de laquelle la réponse est réputée favorable ;

– suppression de la condition de chiffre d’affaires pour le bénéfice du contrôle sur demande, désormais ouvert à l’ensemble des entreprises bénéficiant du crédit d’impôt recherche. Celles-ci peuvent demander à l’administration d’effectuer un contrôle sur certains points précis. Si l’administration conclut à une absence d’anomalie, cette conclusion lui est ensuite opposable. Si, au contraire, le contrôle fait apparaître, sur les points concernés, des erreurs ou inexactitudes, omissions ou insuffisances dans les déclarations souscrites, le contribuable peut procéder à une régularisation moyennant un intérêt de retard à taux réduit.

I.– L’EFFICACITÉ DE LA RÉFORME DE 2008 : 
UN BILAN NUANCÉ SELON L’OBJECTIF POURSUIVI 

Le crédit d’impôt recherche, principal instrument de la politique française d’incitation à la recherche en direction des entreprises, poursuit un double objectif : accroître au niveau national le montant global des dépenses de R&D engagées par les entreprises – que ce soit par l’accroissement du volume de dépenses déjà réalisé ou la progression du nombre d’entreprises les réalisant – et inciter les entreprises multinationales à localiser leurs activités de recherche sur le territoire français.

Les premières analyses de l’impact de la réforme du CIR de 2008 mettent en évidence des résultats contrastés selon l’objectif : les dépenses de R&D n’ont pas augmenté en 2009 comme cette réforme pouvait le laisser espérer, mais l’effet de la crise est indéniable. En revanche, les retombées en termes d’attractivité et d’emplois induits dans la recherche s’avèrent plutôt probantes, même si elles doivent être confirmées dans la durée. Enfin, la MEC a constaté certains dysfonctionnements liés à l’existence de pratiques d’optimisation fiscales injustifiées.

A.– MALGRÉ LA CRISE, UNE STABILISATION DE L’EFFORT DE RECHERCHE SANS ATTEINDRE LES OBJECTIFS DE LA STRATÉGIE DE LISBONNE

1.– La réforme de 2008 semble avoir arrêté la baisse continue de l’effort de recherche privée en France depuis 1993

L’effort de R&D d’un pays se mesure par deux indicateurs portant, l’un sur l’exécution des travaux de R&D, et l’autre sur leurs financements.

Le premier indicateur, retenu pour les comparaisons internationales, retrace la dépense intérieure de recherche et développement (DIRD). Les dépenses intérieures correspondent aux travaux de R&D exécutés sur le territoire national, quelle que soit l’origine des fonds. Elles comprennent les dépenses courantes (la masse salariale des personnels de R&D et les dépenses de fonctionnement) et les dépenses en capital (3). La DIRD est la somme estimée à partir des DIRD déclarées par chaque entité enquêtée (entreprises, établissements d’enseignement supérieur, organisme de recherche, centres hospitaliers, associations ou institutions sans but lucratif, ministères).

Le second indicateur appréhende, sans double compte, la dépense nationale de recherche et développement (DNRD). Cet agrégat mesure l’effort financier des acteurs économiques nationaux quelle que soit la destination des financements. L’écart entre le montant de la DIRD et celui de la DNRD représente la différence entre les échanges en matière de R&D entre la France et l’étranger, y compris les organisations internationales. La DNRD est la somme estimée à partir des financements et dépenses externalisées déclarés par chaque entité enquêtée (le mode de passage de la DIRD à la DRD est schématisé en annexe n° 1).

Le tableau suivant retrace l’évolution de la DIRD et de la DNRD en France depuis 1993.

ÉVOLUTION DE LA DIRD ET DE LA DNRD EN FRANCE ENTRE 1992 ET 2008

(en millions d'euros)

 

1992

1996

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

D N R D '(a)

26 229

28 091

31 438

33 570

34 759

34 395

35 327

36 654

38 738

39 620

41 155

en % du PIB

2,37 

2,29%

2,18%

2,25%

2,24%

2,16%

2,13%

2,12%

2,14%

2,09%

2,11%

D I R D (b)

25 821

27 836

30 954

32 887

34 527

34 569

35 693

36 228

37 904

38 959

40 296

en % du PIB

2,33%

2,27%

2,19%

2,20%

2,23%

2,17%

2,15%

2,10%

2,10%

2,06%

2,07%

(a) Dépense nationale de recherche et développement.

(b) Dépense intérieure de recherche et développement.

Source : MESR DGESIP-DGRI SIE.

En 2007, les travaux de R&D exécutés en France représentaient une dépense de 38,9 milliards d’euros, ce qui correspond à 2,06 % de la richesse nationale (mesurée par le PIB). En 2008, avec 40,2 milliards d’euros consacrés aux dépenses de R&D (soit une progression de 3 %), l’intensité de la R&D se situe à 2,07 % du PIB.

En volume, la DIRD en France a augmenté de 1,1 % par an en moyenne depuis 1991, soit à un rythme inférieur à celui observé aux États-Unis (4,1 %) mais également au Royaume-Uni (2,6 %), au Japon (2,6 %) et en Allemagne (2,2 %).

Cette faiblesse s’est renforcée ces cinq dernières années puisque le taux moyen de croissance de la DIRD française est tombé à 0,5 %, alors que celui de ses partenaires européens augmentait, comme l’illustre le graphique suivant.

ÉVOLUTION DE LA DIRD EN FRANCE ET DANS PLUSIEURS PAYS DE L’OCDE EN VOLUME

Source : Eurostat et MESR DGESIP-DGRI SIE pour la France depuis 2007. Les données 2007 sont semi-définitives et les données 2008 sont provisoires.

Ce décrochage est à mettre sur le compte de la faiblesse de la dépense privée (part de la recherche des entreprises – DIRDE) par rapport au PIB, puisque les comparaisons internationales montrent que la France est dans la moyenne des pays de l’OCDE pour la part exécutée par les administrations (DIRDA), comme l’illustre le graphique ci-après.

Le tableau suivant fournit le détail de l’exécution de la DIRD entre les entreprises et les administrations en France depuis 1993.

DÉTAIL DE LA DÉPENSE INTÉRIEURE DE R&D (DIRD)
PAR LES ENTREPRISES ET LES ADMINISTRATIONS

(en millions d’euros)

 

1993

1997

2001

2005

2006

2007

2008

DIRD

26 484

27 756

32 887

36 228

37 904

38 959

40 296

En % du PIB

2,37

2,19

2,20

2,10

2,10

2,06

2,07

DIRD par les administrations

10 144

10 399

12 105

13 725

13 994

14 489

14 836

En % du PIB

0,91

0,82

0,81

0,80

0,77

0,76

0,76

Part des administrations dans la DIRD (en %)

38,30

37,47

36,81

37,88

36,92

37,19

36,82

DIRD par les entreprises

16 340

17 357

20 782

22 503

23 911

24 470

25 460

En % du PIB

1,46

1,37

1,39

1,30

1,32

1,29

1,31

Part des entreprises dans la DIRD (en %)

61,70

62,53

63,19

62,12

63,08

62,81

63,18

Source : MESR DGESIP-DGRI SIE.

Il montre que si la participation des entreprises à la réalisation des travaux de R&D est structurellement supérieure à celle des administrations, puisqu’elles exécutent près des deux tiers de la DIRD, l’effort des entreprises françaises rapporté au PIB a diminué entre 1993 et 2005 (il est passé de 1,46 % à 1,30 %), puis stagné sur la période 2005-2007. L’année 2008 semble marquer le début d’une légère reprise, la part des entreprises passant de 1,29 % à 1,31 %, mais cette tendance restera à confirmer.

2.– L’effort de R&D a bien été stimulé grâce au CIR... mais pas assez pour atteindre l'objectif de consacrer 3 % du PIB à la R&D 

Il ressort en première analyse que la légère amélioration du ratio mesurant l’intensité de la R&D (2,06 % en 2007 et 2,07 % en 2008), intervenue de surcroît dans un environnement économique particulièrement peu favorable du fait de la crise, peut être attribuée au renforcement du soutien direct à la R&D des entreprises dont la réforme du crédit d’impôt recherche constitue indéniablement la mesure phare entre 2007 et 2008.

Le graphique suivant souligne la réduction des aides directes à la R&D en part du PIB pendant la décennie 1995-2005. C’est l’augmentation du CIR qui permet au total des aides publiques à la R&D de regagner son niveau de 1995 à partir de 2006, puis de le dépasser après à la réforme de 2008.

Au total, pour l’année 2008, la somme des aides directes et indirectes à la R&D des entreprises en France atteint 0,35 % du PIB, soit un montant sensiblement plus élevé qu’aux États-Unis ou au Canada (0,22 %), deux pays qui soutiennent aussi fortement la R&D des entreprises.

Néanmoins, c’est en partant du constat qu’en pourcentage du PIB, les dépenses de R&D des entreprises françaises étaient en moyenne inférieures de 25 % à 40 % à celles observées respectivement au Japon, aux États-Unis ou en Allemagne que la réforme du CIR a été initiée pour « doper » les dépenses de R&D et les porter à 3 % du PIB à l’horizon 2010.

En effet, dans le prolongement du Conseil européen de Lisbonne de mars 2000, qui avait fixé pour objectif de faire de l'Union européenne « l'économie de la connaissance la plus dynamique et la plus compétitive du monde », les conclusions de la présidence du Conseil européen de Barcelone (qui s’est tenu les 15 et 16 mars 2002) sont ainsi rédigées : « Si l'on veut réduire l'écart entre l'Union européenne et ses principaux concurrents, l'effort global en matière de R&D et d'innovation dans l'Union européenne doit être fortement stimulé, et l'accent doit être mis plus particulièrement sur les technologies d'avant-garde. En conséquence, le Conseil européen considère que l'ensemble des dépenses en matière de R&D et d'innovation dans l'Union doit augmenter, pour approcher 3 % du PIB d'ici 2010. Les deux tiers de ce nouvel investissement devraient provenir du secteur privé (4)».

Avec une intensité de la dépense en R&D de 2,07 % du PIB en 2008, cet objectif semble bien difficile à atteindre pour 2010, et la réforme du CIR n’a pas permis le « bond en avant » du volume de dépenses de R&D attendu.

3.– Les raisons de ce bilan positif mais insuffisant

Ce premier résultat un peu décevant de la très faible progression des ratios DIRD/PIB et DIRDE/PIB entre 2007 et 2008, peut s’expliquer par deux causes principales : la première, conjoncturelle, liée à la survenue de la crise économique et financière à l’automne 2008, et la deuxième, structurelle, liée à la modification de la structure de l’économie, caractérisée en particulier par la baisse du poids de l’industrie.

Une troisième explication, plus hypothétique et difficilement quantifiable, peut également avoir joué un rôle : elle concerne la plus grande prudence, observée aussi bien par les grandes entreprises que les PME, dans la mise en œuvre du nouveau dispositif du CIR, les conduisant à « sous-déclarer », pour une partie, leur montant de dépenses de R&D, pour des raisons d’appropriation des nouvelles règles et de sécurité fiscale.

a) L’impact de la crise économique et financière

L’analyse des facteurs déterminant la dynamique des dépenses de R&D des entreprises montre qu’il faut retenir trois éléments : l’évolution du PIB, l’évolution de la part de l’industrie dans le PIB et l’environnement fiscal et réglementaire lié à la R&D.

Le schéma suivant illustre la relation liant l’évolution du PIB et de la DIRDE.

ÉVOLUTION DE LA CROISSANCE DU PIB ET DE LA R&D DES ENTREPRISES EN FRANCE

Source : MESR – juin 2010.

Sur la période 1987-2003, une des caractéristiques de la DIRDE mise en évidence est son caractère pro-cyclique, c’est-à-dire que son évolution est étroitement liée à celle du PIB. Ainsi, après l’éclatement de la bulle Internet en 2001, les années 2002 et 2003 marquent un véritable effondrement de la DIRDE.

En revanche, pour les années suivantes, la corrélation est moins forte : c’est vrai en particulier pour les années 2004, 2006 et 2008, dates qui correspondant à l’introduction de modifications substantielles du dispositif du CIR (2004 : introduction d’une part en volume fixée à 5 % des dépenses engagées (5) ; 2006 : augmentation de la part en volume qui passe à 10 % (6) et relèvement du plafond de 10 à 16 millions d’euros (7) ; 2008 : passage au tout volume, relèvement du taux à 30 % et relèvement du plafond à 100 millions d’euros (8).

Ces données indiquent clairement pour chacune des réformes successives du CIR, un impact fort, immédiat et positif sur l’évolution de la dépense intérieure de recherche et développement des entreprises.

On peut rappeler que parmi les arguments classiques qui justifient le soutien de l’État à la R&D privée figure la nécessité de mutualiser les risques. Il est en effet admis que, si aucune mesure de politique économique n’était prise, les entreprises (et particulièrement les PME) auraient tendance à sous investir en ce domaine. C’est donc logiquement qu’en période de forte incertitude, les dépenses de R&D forment le premier poste de dépenses sur lequel l’entreprise cherche à réaliser des économies, soit par des débudgétisations, soit par des reports sur les années suivantes. M. Jean-Marc Thomas, vice-président recherche et innovation d’EADS, l’a rappelé devant la mission : « Une des variables d’ajustement que l’on utilise souvent dans les périodes difficiles, même si elle fait mal parce qu’elle a toujours des conséquences quelques années plus tard, est la recherche. »

Aussi les Rapporteurs de la MEC mettent-ils en avant le fait que la progression en 2008 de 3 % du niveau des dépenses de R&D constitue un fait remarquable dans la mesure où on aurait pu s’attendre à ce qu’elles diminuent. Le CIR a donc – pour sa part – joué un rôle nettement contra-cyclique, et permis de soutenir le volume des dépenses de R&D engagées. S’est ajouté à l’effet de la réforme initiale du CIR le soutien supplémentaire apporté à la trésorerie des entreprises par l’instauration, dans le cadre du plan de relance, du double dispositif de remboursement immédiat des créances des années 2005-2009 (cf infra), qui a largement contribué à son rôle d’amortisseur des effets de la crise.

Les représentants des entreprises auditionnés par la MEC soulignent fréquemment cet aspect :

– M. André-Michel Ballester, président général du groupe Sorin : « En 2009, 18 % du chiffre d’affaires du groupe a été investi dans la recherche. Cette même année, notre effort de recherche et développement a crû de 18 %. Le crédit d’impôt recherche est une incitation à faire plus de recherche, et à localiser la recherche en France » ;

– M. Jean-Marc Thomas, vice-président recherche et innovation d’EADS : « Dans un contexte traditionnel, il y aurait eu très certainement des coupes sombres dans le programme de recherche. J’ai piloté la recherche à Airbus. J’ai été patron du bureau d’études. J’ai connu des années noires à cause des coupes sombres opérées dans la recherche. Au cours des trois dernières années, il n’y en a pas eu ! [...] Non seulement la recherche n’a pas été réduite, mais elle a été maintenue à un très haut niveau, ce qui ne se serait pas passé en d’autres circonstances » ;

M. Jean Perrot, directeur des relations institutionnelles recherche d’EADS, va même plus loin car selon lui, le CIR réformé a même joué un rôle d’accélérateur : « Le caractère incitatif de la réforme de 2008 [...] a un effet d’accélérateur, notamment en période de crise. Les industriels sont incités – comme nous l’avons été – à anticiper des projets qu’ils auraient, sinon, peut-être eu tendance à retarder. » Et il cite des exemples d’initiatives « qui ont pu être maintenues et même organisées à un bon niveau grâce à l’existence du crédit d’impôt recherche, qui a aidé tous les acteurs [...] à maintenir leur effort de recherche »

Le MEDEF, dans son Livre blanc (9), met également en avant plusieurs témoignages de responsables d’entreprises qui insistent tous sur le rôle tout à fait déterminant joué par le nouveau dispositif du CIR dans leur décision managériale de conserver le même niveau de dépenses de R&D dans leur entreprise en dépit du contexte économique particulièrement dégradé.

Par conséquent, même si la réforme du CIR de 2008 n’a pas conduit au niveau national à une progression substantielle du volume des dépenses de R&D comme on l’aurait espéré, il convient évidemment de tenir compte des conditions économiques exceptionnelles créées par la crise et considérer que le simple maintien entre 2007 et 2008 de la part privée du volume de dépenses de R&D constitue en soi un résultat considérable.

b) L’impact de la désindustrialisation (10)

Comme nous l’avons vu précédemment, la baisse de l’intensité en R&D de l’économie française est continue depuis 1993 (excepté sur la période 1999-2002) et s’est accélérée depuis 2002. Le rapport entre les dépenses de R&D et le PIB a baissé de 0,35 point depuis 1993, dont 0,21 point à partir de 2002.

Ce recul est imputable pour un tiers à la R&D exécutée par le secteur public et pour deux tiers à celle des entreprises.

La baisse de l’effort privé de R&D peut elle-même se décomposer en un effet intra-sectoriel (c’est-à-dire l’évolution qu’aurait connue le ratio des dépenses privées de R&D au PIB si la structure sectorielle de l’économie était restée inchangée) et un effet de composition sectorielle.

Le tableau suivant indique l’évolution de cette décomposition sur plusieurs périodes et met en évidence un effet de composition sectorielle négatif sur longue période (1999-2006), qui explique en majeure partie la baisse du ratio des dépenses privées de R&D au PIB.

CONTRIBUTIONS INTRA-SECTORIELLE ET INTER-SECTORIELLE À LA BAISSE DE L'INTENSITÉ DE R&D DES ENTREPRISES EN FRANCE (11)

Intensité de la R&D des entreprises en points de PIB

2006/1999

2006/2002

2002/1999

Intensité initiale

1,36 %

1,41 %

1,36 %

Effet intensité intra-sectorielle

0,31 %

0,18 %

0,13 %

Effet composition sectorielle

– 0,35 %

– 0,27 %

– 0,08 %

Intensité finale

1,32 %

1,32 %

1,41 %

Source : OCDE, calculs direction du Trésor.

Le diagnostic élaboré à l’issue des États généraux de l’industrie a confirmé le phénomène de désindustrialisation de la France : la contribution globale de l’industrie au PIB est ainsi passée de 21 % en 1987 à 17 % en 2002 et 14 % en 2008.

Or la structure industrielle joue un rôle clé sur la dynamique d’investissement et d’innovation nationale, puisque la très grande majorité des dépenses de R&D des entreprises en France est réalisée dans l'industrie (90 %).

Le tableau suivant indique le poids relatif de chaque branche d’activité dans la réalisation de la DIRD et donne la tendance entre 2002 et 2007.

ÉVOLUTION DE LA RÉPARTITION DES DÉPENSES PRIVÉES DE R&D
PAR BRANCHE D’ACTIVITÉ

 

Répartition de la DIRDE par branche d’activité

2002
(en %)

2007
(en %)

Différence (en points de pourcentage)

Agriculture, sylviculture, pêche, aquaculture

1,4 %

1,4 %

0,01 %

Industries agricoles et alimentaires

2,3 %

2,1 %

– 0,12 %

Énergie et extraction de produits énergétiques

3,3 %

3,4 %

0,08 %

Autres extractions et métallurgie

1,3 %

1,2 %

– 0,08 %

Textiles, habillement, cuirs et chaussures

0,5 %

0,7 %

0,18 %

Bois, papier, carton, édition, imprimerie

0,4 %

0,5 %

0,09 %

Industries manufacturières diverses

0,9 %

0,9 %

0,02 %

Industrie chimique

6,0 %

5,7 %

– 0,30 %

Industrie pharmaceutique

12,8 %

14,6 %

1,76 %

Caoutchouc et plastiques

3,2 %

3,5 %

0,30 %

Fabrication de verre et articles en verre

0,7 %

0,6 %

– 0,05 %

Fabrication de matériaux de construction

0,4 %

0,5 %

0,10 %

Travail des métaux

0,8 %

1,0 %

0,22 %

Fabrication de machines et équipements

4,5 %

4,8 %

0,23 %

Fabrication de machines de bureau et matériel informatique

1,1 %

0,4 %

– 0,70 %

Fabrication de machines et appareils électriques

3,5 %

4,4 %

0,97 %

Fabrication d'équipements radio, télé et communication

13,1 %

10,1 %

– 3,03 %

Fabrication d'instruments médicaux, de précision, d'optique

6,8 %

6,2 %

– 0,58 %

Industrie automobile

14,6 %

14,3 %

– 0,34 %

Construction navale et matériels de transport terrestre

0,2 %

1,1 %

0,83 %

Construction aéronautique et spatiale

10,7 %

10,9 %

0,21 %

Industrie du bâtiment et du génie civil

0,4 %

0,6 %

0,23 %

Services de transport et de communications

5,8 %

3,4 %

– 2,43 %

Services informatiques

3,8 %

5,6 %

1,82 %

Ingénierie, études et contrôles techniques

1,5 %

2,1 %

0,57 %

Source : MESR DGESIP-DGRI SIES.

Une analyse portant seulement sur les cinq branches industrielles traditionnellement les plus intenses en R&D (chimie, machines et équipements, machines électriques, technologies de l’information et de la communication, transport) révèle que l’effort de R&D des entreprises concernées est de façon générale plus important en France que dans nombre d’économies développées(12).

Cependant, la part relative de ces secteurs les plus intensifs en R&D voit son poids dans l’économie décliner sur la période 1999-2006 (à l’exception de l’industrie pharmaceutique), comme le montre la figure suivante.

ÉVOLUTION DU POIDS DES PRINCIPAUX SECTEURS INVESTISSANT
DANS LA R&D AU REGARD DE LEUR INTENSITÉ EN R&D

Source : OCDE, Calculs DGTPE.

Il en résulte que la position française se trouve fragilisée par un mauvais positionnement sectoriel. En effet, la spécialisation industrielle de la France vers des secteurs traditionnellement peu utilisateurs de R&D explique son retard global en la matière par rapport à d’autres économies comparables.

Selon le Conseil d’analyse stratégique (CAS) (13), « En 2008, parmi l’échantillon des 1 350 plus gros budgets mondiaux de R&D, les entreprises françaises se caractérisent par une intensité globale en R&D largement inférieure à celles de leurs homologues américains alors que, au niveau sectoriel, elles sont fréquemment plus intensives en R&D ». Les entreprises de forte intensité technologique sont sous-représentées (6 % des entreprises de l’échantillon français contre plus du quart pour l’échantillon américain). L’absence d’un tissu suffisamment dense d’entreprises engagées dans des projets de R&D d’envergure est également largement souligné.

En conclusion, la réforme du CIR a été engagée en 2008 pour répondre en partie aux faiblesses structurelles de l’industrie française. Cependant, s’il est attendu de cette réforme des effets portant à la fois sur l’intensité de R&D de chaque branche d’activité, mais également, et à plus long terme, sur la structure même de l’économie, il est encore trop tôt à la date de publication du présent rapport pour observer et évaluer de tels effets.

En revanche la MEC a pu identifier un impact de la réforme de 2008 plus immédiat et très net sur les performances réalisées par la France en termes d’attractivité de son territoire et sur le soutien apporté à l’emploi des chercheurs.

B.– ATTRACTIVITÉ DU TERRITOIRE ET EMPLOI : DES RÉSULTATS ENCOURAGEANTS À CONFIRMER

a) L’attractivité de la France est confirmée en 2009

Dans un contexte pourtant rendu hautement incertain par la crise économique et financière installée à la fin de l’année 2008, l’année 2009 affiche pour la France de bons résultats quant à l’accueil des investissements directs étrangers (14) : l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII) a en effet enregistré 639 décisions d’investissement étranger créateur d’emplois, soit plus qu’en 2007 (624), et presque autant qu’en 2008 (641). Il s’agit du quatrième meilleur résultat depuis quinze ans.

Parmi ces projets d’investissements, l’évolution du nombre d’implantations de centres de R&D ne laisse place à aucune ambiguïté, comme le montre le tableau suivant.

NOMBRE DE PROJETS ET CRÉATIONS D’EMPLOIS EN FRANCE
EN 2008 ET 2009 PAR FONCTION

 

Nombre de projets

Création d’emplois

Fonction

2008

2009

2008

2009

Marketing et ventes

262

249

2 194

2 138

Activités de production

112

139

4 155

5 873

Logistique

42

49

1 322

1 645

Centres de R&D

25

41

875

2 115

Autres

29

31

677

436

Centre de décision

42

14

2 867

380

Services de support

11

6

913

711

Source : Baromètre Attractivité du site France 2010 – Ernst & Young.

41 projets d’implantation de centres de R&D ont été annoncés en France en 2009, soit 64 % de plus qu'en 2008. Ces projets doivent permettre de créer 2 115 emplois, une progression de 142 %, qui place la France en tête des pays européens créateurs d'emplois liés aux investissements internationaux dans la recherche.

Les témoignages recueillis au cours des auditions sont convergents et confirment le rôle réel joué par le nouveau dispositif du CIR sur l’attractivité de la France :

– M. David Appia, ambassadeur délégué aux investissements internationaux : « Dans la valorisation de l’image de la France à l’étranger, le crédit d’impôt recherche et, plus largement, la politique française de soutien à l’innovation constituent des arguments forts. C’est un véritable atout pour convaincre les investisseurs étrangers de choisir la France plutôt que d’autres destinations. » Dans son activité de prospection, l’AFII déploie un argumentaire très offensif centré sur le crédit d’impôt recherche, et démontre à l’aide d’une simulation chiffrée qu’il est le meilleur dispositif fiscal de soutien à la recherche d’Europe (15).

Un fait souligné également par Mme Marie-Christine Lepetit, directrice de la Législation fiscale : « Le dispositif français du crédit d’impôt recherche est l’un des plus puissants du monde et notre système fiscal suscite l’attention, voire la jalousie de nos correspondants au sein de l’OCDE. Les autres pays sont intéressés par deux points : d’abord la puissance budgétaire du dispositif de crédit d’impôt, ensuite le fait que nous accordions un avantage fiscal assis sur tout le volume de l’effort de recherche. Certains pays envisagent de s’inspirer du régime français du crédit d’impôt recherche. »

Dans ces conditions, les chefs d’entreprises font leurs comparaisons et peuvent être amenés à modifier leurs arbitrages, comme le rappellent les témoignages ci-après :

– M. Hervé Amar, directeur général d’Alma Consulting Group, a déclaré à la mission : « La réforme a modifié la réflexion d’un certain nombre de grands groupes. Le coût de la R&D est apparue plus faible en France qu’auparavant et la compétitivité s’en est trouvée renforcée par rapport à des pays « exotiques ». La proximité du centre R&D par rapport au siège social, la sécurité de l’implantation en France ont été considérés également comme des avantages comparatifs » ;

– M. André-Michel Ballester, président-directeur général de Sorin Group : «  Notre groupe conduit des activités de R&D dans des États qui ont adopté des mesures proches du crédit d’impôt recherche, tels l’Italie et le Canada. Mais ces mesures sont plus modestes. [...] Les dispositifs d’incitation sont d’autant plus efficaces qu’ils sont pérennes. De ce point de vue, le crédit d’impôt recherche permet le rapatriement en France d’activités de recherche et développement jusqu’alors effectuées à l’étranger, le développement de R&D nouvelle en France, ainsi que le développement de partenariats public-privé. ».

Contribuer à renforcer l’attractivité du site France était un des objectifs majeurs de la réforme du CIR de 2008. Les premiers résultats confirment que cet objectif d’attractivité a été atteint en 2009. Dans un contexte de compétitivité mondiale exacerbée, la France a su tirer le profit de son crédit d’impôt recherche réformé pour en faire un véritable facteur de différenciation dans la compétition mondiale, déterminant dans le choix des implantations des centres de R&D.

b) L’impact sur l’emploi des chercheurs, perceptible, reste à confirmer

Lorsqu’une entreprise embauche un chercheur pour son premier contrat (16) après son doctorat (ou un diplôme équivalent), son salaire est pris en compte dans l’assiette du CIR pour le double de son montant pendant les 24 premiers mois.

Selon le MESR, cette mesure aurait déjà incité près de 30 % des entreprises bénéficiaires du CIR à recruter de jeunes docteurs(17). Si l’on en juge par la croissance du volume de dépenses de personnel relatives aux jeunes docteurs entre 2007 (30 567 K€) et 2008 (77 134 K€), la MEC ne peut que constater que leur recrutement s’en est trouvé favorisé.

Les propos recueillis au cours des auditions de la MEC confirment l’intérêt des entreprises sur cet aspect du dispositif :

– M. Paul-Joël Derian, directeur de la Recherche et du développement du Groupe Rhodia : « En 2004, le groupe a subi une première crise de liquidités, et nous avons pris des mesures sur les frais fixes qui ont touché l’ensemble du groupe. En ce qui concerne la recherche et développement, nous avions décidé d’économiser 16 millions d’euros de frais fixes au niveau mondial, ce qui correspondait entre autres à 200 postes en équivalents temps plein. La France a vu ses effectifs diminuer de 165 ETP en recherche, supportant une très grande partie de l’effort du groupe. En 2009, nous avons été à nouveau confrontés à une crise de liquidités, et nous avons pris des mesures de chômage partiel qui n’ont pas touché la recherche, grâce au crédit d’impôt recherche. Il n’y a eu aucune suppression de poste, et nous avons maintenu les embauches de jeunes docteurs – alors qu’il n’y a pas eu d’embauche dans le reste du groupe, pas de voyages, etc. » ;

L’emploi de jeunes docteurs par le groupe Rhodia a été confirmé par M. Sébastien Léonard, représentant CGT du Groupe qui a déclaré : « Le groupe procède à de nouvelles embauches, notamment en signant des conventions CIFRE. Il possède deux centres de recherche, l’un à Paris, l’autre à Lyon. Quant au « Laboratoire du futur » de Pessac, créé en 2005 et commun à Rhodia et au CNRS, il emploie une dizaine de personnes, pour l’essentiel des doctorants qui, à l’issue de leur contrat, sont embauchés chez Rhodia ou ailleurs. De nouveaux « thésards » sont alors recrutés sur leurs postes. En outre, le personnel qui part en retraite est remplacé. On voit donc apparaître de nouvelles têtes, mais le renouvellement reste limité, puisque les effectifs s’érodent ».

– M. François Desprairies, directeur des affaires publiques France d’EADS a lui aussi indiqué : « Depuis sa création, EADS a embauché plus de 15 000 personnes, dont la moitié en France, et a même continué d’embaucher pendant la période de crise : nous avons embauché plus de 1 000 personnes l’année dernière et nous allons en embaucher 1 500 cette année. [...] le dynamisme de la filière aéronautique reste une bonne nouvelle pour l’économie de notre pays et le CIR a été et est un élément de soutien tout à fait déterminant. »

Mme Jacqueline Lecourtier, directeur général de l’Agence nationale pour la recherche a confirmé que : « Le CIR a été un moteur de la recherche partenariale, un des objectifs de la création de l’ANR. Nous pouvons donc d’ores et déjà dresser un bilan positif du dispositif ». M. Ludovic Valadier, responsable du département Politique de compétitivité a précisé que : « Sur le plan purement quantitatif, la participation des entreprises aux programmes de recherche en réponse à nos appels à projets a connu en 2009 dans tous les secteurs scientifiques une augmentation de 20 %. Celle-ci semble indiquer que le cumul des deux dispositifs gérés par l’Agence – aides directes et CIR – ont incité les entreprises à répondre davantage à des appels à projets, qu’ils soient nationaux ou internationaux (…) Associant systématiquement une entreprise et un laboratoire public, nos appels à projets ont pour effet d’amplifier la coopération public-privé. En outre, l’externalisation de la recherche des entreprises vers des laboratoires publics est favorisée par le dispositif du doublement de l’assiette ».

À la question posée au ministère de l’Économie par les Rapporteurs de la MEC sur l’évolution du nombre d’embauches de chercheurs pour les entreprises bénéficiaires du crédit d’impôt recherche depuis 2007, il n’a été apporté aucune réponse exploitable, faute de suffisamment de recul depuis 2008 (18). Le même défaut d’information a été rencontré sur l’évolution du nombre de publications et de brevets déposés pour les entreprises bénéficiaires du crédit d’impôt recherche.

Cependant, en 2008, la direction du Trésor (ex-DGTPE) a conduit une analyse prospective des effets macroéconomiques de la réforme du CIR sur les besoins supplémentaires en chercheurs (19) : ils sont estimés, toute chose égale par ailleurs, à 25 000 nouveaux chercheurs sur l’ensemble de la période 2008-2020 : 5 300 chercheurs de plus par an en début de période (2009-2010), 200 nouveaux chercheurs en fin de période (2019-2020).

La MEC constate donc un faisceau d’indices permettant de penser que l’impact de la réforme du CIR de 2008 est positif pour l’emploi dans la recherche et la collaboration des entreprises avec les laboratoires de recherche publics, mais elle regrette de ne disposer d’aucun chiffrage précis à ce stade. Cette première estimation devra donc être confirmée au cours des prochains mois.

À l’inverse, il apparaît que le dispositif du CIR réformé en 2008 engendre un risque non négligeable de stratégies d’optimisation fiscales non justifiées par les objectifs assignés à la réforme.

C.– MAIS UN DISPOSITIF FAVORISANT DES STRATÉGIES D’OPTIMISATION FISCALE

En vertu des articles 223 A et suivants du code général des impôts, le régime d’intégration fiscale permet à la société mère d’un groupe, sur option, de se constituer seule redevable de l’impôt sur les sociétés dû par l’ensemble des sociétés du groupe formé par elle-même et ses filiales dont elle détient 95 % au moins du capital, de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement, par l'intermédiaire de sociétés ou d'établissements stables membres du groupe. Le capital de la société mère ne doit pas être détenu à 95 % au moins, directement ou indirectement, par une autre personne morale soumise à l'impôt sur les sociétés sauf exceptions.

Ce régime, issu de l’article 68 de la loi de finances pour 1988, a été modifié à plusieurs reprises et dernièrement par l’article 14 de la loi de finances rectificative pour 2009 (20).

Ce régime est avantageux en ce qu’il permet de compenser les résultats positifs et négatifs des sociétés et qu’il prévoit de nombreux retraitements pour neutraliser certaines opérations intra groupe. Le b) du 1 de l’article 223 O du code général des impôts précise par exemple que le crédit d'impôt recherche est déterminé au niveau de chaque filiale de groupe et non au niveau de la société mère. Celle-ci se substitue à ses filiales pour l'imputation des crédits d'impôt dégagés par chaque société du groupe. Le CIR est ainsi imputé sur le montant de l'impôt sur les sociétés dont la société mère est redevable. Par ailleurs, la société mère demeure seule propriétaire des CIR transmis par ses filiales et peut les réutiliser à sa convenance.

Or, il convient de rappeler que depuis la réforme du CIR en 2008, l’assiette du crédit d’impôt fonctionne par tranche :

– le taux de crédit a été relevé de 10 % à 30 % pour la fraction des dépenses de recherche inférieure ou égale à 100 millions d'euros. En outre, les entreprises qui bénéficient pour la première fois du CIR bénéficient d’un taux majoré pour la première tranche de 50 % la première année et de 40 % la deuxième ;

– au-delà de 100 millions de dépenses de recherche, le taux est de 5 %, sans plafond.

Les Rapporteurs de la MEC en déduisent que le b) du 1 de l’article 223 O du code général des impôts invite les entreprises têtes de groupe, qui effectuent des dépenses de R&D supérieures à 100 millions d’euros, à avoir recours à un mécanisme d’optimisation fiscale.

La stratégie consiste à créer des filiales intégrées fiscalement afin de répartir, sur ces filiales, des dépenses de R&D, et se soustraire ainsi à la limitation du taux à 5 % au-delà de 100 millions d’euros de dépenses déclarées.

Dans la mesure où le crédit d'impôt recherche est déterminé au niveau de chaque filiale de groupe, chacune d’entre elles est ainsi susceptible de bénéficier du taux de CIR de droit commun égal à 30 % des dépenses de R&D déclarées (voire 50 % la première année et 40 % la deuxième).

Concrètement, si un groupe d’entreprises réalise plus de 100 millions d’euros de dépenses éligibles au CIR, le montant de sa créance de CIR sera différent selon qu’il bénéficie ou non du régime de l’intégration fiscale au sens de l’article 223 A du code général des impôts. Un exemple permet de le montrer.

Soit A, un groupe d’entreprises composé d’une société mère et de 10 filiales intégrées fiscalement. Cinq de ces filiales déclarent chacune 100 millions d’euros de dépenses de R&D et bénéficient chacune d’un CIR égal à 30 millions d’euros. Compte tenu de la législation fiscale en vigueur, la société mère sera substituée à ses cinq filiales pour l’imputation de 150 millions d’euros de CIR sur le montant de l’impôt sur les sociétés dont elle est redevable. Dans cette hypothèse, rien n’impose à la société mère de redistribuer l’équivalent du montant du CIR aux cinq filiales ayant réalisé des travaux de recherche.

Soit B, une entreprise filiale d’une autre société C. B ne bénéficie pas du régime de l’intégration fiscale au sens de l’article 223 A du code général des impôts. Si B réalise 500 millions d’euros de dépenses de R&D, le montant de sa créance de CIR sera plafonné à 50 millions d’euros du fait de l’application du taux de 5 % au-delà du plafond de 100 millions d’euros de dépenses. Dans cet exemple, seule l’entreprise B sera propriétaire de la créance de CIR. En aucun cas, l’entreprise C ne pourra décider de l’affectation des sommes perçues. Il est donc très probable que B reverse en tout ou partie, le montant de sa créance de CIR au profit des activités de recherche de ses équipes.

Cet exemple théorique met en évidence le fait que pour un même niveau de dépenses de R&D, le régime de l’intégration fiscale permet à un groupe d’entreprise de multiplier par trois sa créance vis-à-vis de l’État par rapport à une entreprise filiale d’un groupe non intégré fiscalement, tout en l’exonérant de toute obligation de reversement auprès de ses filiales ayant réalisé des travaux de R&D.

Or, les chiffres transmis par le ministère de la recherche semblent confirmer l’incitation à l’optimisation fiscale ainsi décrite puisque le nombre de holdings bénéficiaires du CIR a plus que doublé entre 2007 et 2008, passant de 971 en 2007 à 2 436 en 2008, alors que la part des entreprises indépendantes a peu progressé en comparaison (6 314 en 2007 et 6 379 en 2008).

De plus, les auditions menées par la MEC ont montré qu’en pratique des entreprises ont mis en œuvre de telles stratégies d’optimisation fiscale pour échapper au plafond de 100 millions d’euros.

M. François Desprairies, directeur des affaires publiques France du groupe EADS, a ainsi dénoncé l’existence de telles stratégies : « Il n’y a pas pour nous d’effet d’aubaine, loin s’en faut. Le plafonnement à 100 millions s’exerce à plein sur la principale division du groupe, qui est Airbus, où est localisé l’essentiel des budgets de R&D. Si nous avions voulu créer un effet d’aubaine, nous aurions « coupé Airbus en rondelles ». Je sais que de telles pratiques ont eu lieu à certains endroits. Ce n’est pas notre cas ».

De la même manière, M. Vincent Drezet, secrétaire national de l’Union SNUI SUD Trésor Solidaires, principal syndicat des agents des impôts, a précisé lors de son audition : « Nous observons également des opérations de rachat de PME menées pour gonfler le montant du crédit d’impôt recherche (…) on sent qu’il existe une véritable ingénierie de l’optimisation fiscale qui sait parfaitement jouer d’une assiette souple, pour ne pas dire permissive ».

Dès lors que l’objectif du CIR est d’inciter à l’augmentation de l’effort de recherche en France grâce à un allègement de la fiscalité pour l’ensemble des entreprises réalisant des opérations de R&D, il est paradoxal de maintenir un dispositif d’optimisation fiscale discriminant selon que l’entreprise est intégrée fiscalement ou non.

Or, ce dispositif a directement pour effet de renchérir le coût du crédit d’impôt recherche pour l’État. À l’heure où le CIR est devenue la première dépense fiscale en France et où l’état de nos finances publiques interdit toute dérive budgétaire, une remise en cause de la législation fiscale en vigueur pour consolider le calcul des dépenses de R&D éligibles au CIR au niveau du groupe doit être envisagée sérieusement.

II.– L’ÉVOLUTION GALOPANTE DU COÛT DU CIR DEPUIS 2008

A.– UNE DÉPENSE FISCALE EN TRÈS FORTE PROGRESSION

1.– Une augmentation pérenne du fait de la réforme de 2008

Le tableau ci-après retrace l’évolution du coût du crédit d’impôt recherche et du nombre d’entreprises déclarantes depuis 2003.

ÉVOLUTION DU CIR DE 2003 À 2008

Au titre de l’année

Nombre de déclarants

Écarts
n/n-1

Montant du CIR
(en millions d’euros)

Écarts n/n-1

2003

5 833

 

428

 

2004

6 369

+ 9,19%

890

+ 107,94 %

2005

7 400

+ 16,19%

987

+ 10,90 %

2006

8 071

+ 9,07%

1 495

+ 51,47 %

2007

9 658

+ 19,66%

1 687

+ 12,84 %

2008*

12 949

+ 34,08%

4 155

+ 146,24 %

* Chiffres établis à partir des déclarations reçues au 15 avril 2010

Source : MERSR.

Depuis la réforme de la loi de finances pour 2008, le crédit d’impôt recherche constitue l’une des dépenses fiscales qui pèsent le plus lourd dans le budget de l’État. Elle a atteint, en 2008, 4,15 milliards d’euros contre 1,68 milliard d’euros en 2007 soit multiplication par 2,5 du coût du CIR tandis que le nombre d’entreprises déclarantes a cru d’un tiers entre 2007 et 2008.

Cette augmentation considérable du coût du CIR après la réforme de 2008 est à rapprocher de celles enregistrées suite aux réformes de la loi de finances pour 2004 (doublement de la dépense fiscale de 428 à 890 millions d’euros pour une augmentation du nombre d’entreprises déclarantes de 9,2 %) et pour 2006 (augmentation de 50 % de la dépense fiscale pour la même progression du nombre d’entreprises déclarantes).

Les Rapporteurs de la MEC en déduisent que loin d’avoir une augmentation linéaire, le coût du crédit d’impôt est directement lié aux évolutions législatives du dispositif. Dans les deux cas, c’est la création puis l’accroissement du taux de la part en volume qui explique pour l’essentiel l’augmentation de son coût. S’agissant de la réforme de 2008, au triplement du taux de la part en volume s’est ajouté à un déplafonnement total du crédit d’impôt, augmentant d’autant plus fortement son coût.

En l’absence de mesures de restitution accélérée provoquant un renchérissement immédiat mais temporaire du coût du CIR entre 2009 et 2012 (cf. infra), il ressort des informations transmises par le MESR et la direction du Budget que la dépense fiscale du CIR aurait crû régulièrement de 2008 à 2012 pour atteindre près de 5 milliards d’euros en 2013 comme le montre le graphique ci-après.

ESTIMATION DE LA DÉPENSE FISCALE DU CIR EN L’ABSENCE DE MESURES DE
RESTITUTION ANTICIPÉE 
(21)

(en millions d’euros)


Créances antérieures à 2009 (créances 2005-2008)


Créances 2009


Créances postérieures à 2009 (créances 2009 non comprises)

Source : direction du Budget, 1er juin 2010.

Les Rapporteurs de la MEC relèvent que 2012 aurait été la première année de pleine application de la réforme de 2008 en n’intégrant que des remboursements ou des imputations sur l’impôt sur les sociétés issus des créances 2008-2011.

En régime de croisière, la réforme du CIR en loi de finances 2008 aurait entraîné, hors mesures de remboursement anticipé, une dépense fiscale supérieure à 4,3 milliards d’euros par an.

2.– Un renchérissement temporaire du fait du remboursement anticipé et accéléré des créances depuis 2009

Dans le cadre du régime de droit commun, seules les entreprises de moins de 5 ans, les jeunes entreprises innovantes (JEI) ou les « gazelles » pouvaient profiter du remboursement immédiat du crédit d’impôt recherche. Celles qui ne répondaient pas à ces critères et qui ne pouvaient pas l’imputer sur leur impôt sur les sociétés, devaient alors attendre trois ans pour en obtenir le remboursement.

Pour faire face au contexte de crise financière et améliorer la trésorerie des entreprises, l’article 95 de la première loi de finances rectificative pour 2008 a modifié les modalités de remboursement du CIR en garantissant à toutes les entreprises un remboursement total en 2009 de la créance fiscale au titre du CIR 2008 et de la créance résiduelle au titre du CIR 2007, 2006 et 2005.

Outre ce remboursement anticipé, un régime de remboursement accéléré a également été créé afin de permettre aux entreprises de bénéficier dès les premiers mois de 2009 d’un remboursement d’une estimation de leur créance de CIR calculé au titre de 2008.

Lors de l’examen de ladite loi à l’Assemblée nationale, le coût de ces mesures de remboursement anticipé et accéléré a été estimé à 3,8 milliards d’euros en 2009. L’exécution 2009 montre que le coût réel de ces deux mesures, supérieur aux prévisions initiales, atteint 4,243 milliards d’euros pour 14 727 bénéficiaires, dont 13 000 PME réparties comme suit :

ENTREPRISES BÉNÉFICIAIRES DU REMBOURSEMENT ANTICIPÉ ET ACCÉLÉRÉ EN 2009

 

Nombre

Montant
(en millions d’euros)

Part

PME de croissance (art. 220 decies du CGI)

27

3,3

0,08 %

JEI (art. 44 sexies-0 A et 44 sexies A du CGI)

458

31,8

0,75 %

Entreprises nouvelles (art. 44 sexies du CGI)

33

1,1

0,03 %

Autres PME

12 482

3 596,2

84,75 %

Autres entreprises

1 727

497,61

11,72 %

TOTAL

14 727

4 243,4

100 %

Source : DGFIP : données établies à partir des déclarations de résultat des exercices clos en 2008.

Cette disposition de remboursement anticipé et accéléré a été prorogée par l’article 5 de la loi de finances pour 2010 pour les dépenses exposées en 2009, portant l’estimation de la dépense 2010 de 1,5 milliard (hors mesures de remboursement) à 4,2 milliards.

Il résulte de ces mesures de remboursement anticipé que la dépense fiscale du crédit d’impôt recherche en 2009 a connu une progression plus heurtée que prévu : 5,8 milliards d’euros en 2009 et 4,2 milliards d’euros en évaluation révisée en 2010.

En 2009, le CIR est donc devenu la première dépense fiscale du budget de l’État.

Le schéma ci-après montre l’effet de la mesure de remboursement anticipé (portant sur les créances 2005-2008) et de la mesure de remboursement accéléré (portant sur les créances 2009) sur le montant de dépense de CIR en 2009 et sur les perspectives 2010-2013.

ESTIMATION DE LA DÉPENSE FISCALE DU CIR COMPTE TENU DES DEUX MESURES DE RESTITUTIONS VOTÉES EN LFR 2008 ET LFI 2010

(en millions d’euros)


Créances antérieures à 2009 (créances 2005-2008)




Restitution accélérée


Créances 2009




Restitution anticipée


Créances postérieures à 2009 (créances 2009 non comprises)

   

Source : Direction du budget, 1er juin 2010

Compte tenu de l’apuration des créances antérieures à 2010 en 2009, le coût du CIR devrait diminuer assez fortement en 2011 (1,8 milliard d’euros), pour se stabiliser en régime de croisière en 2013 (remboursement des créances 2010, 2011, 2012) autour de 3 milliards d’euros par an si l’on retient une dynamique d’assiette de 100 millions d’euros par an.

3.– Un coût comparable à celui des dispositifs équivalents dans certains pays de l’OCDE

a) Aux États-Unis

Les États-Unis ont institué un crédit d'impôt au titre de l'effort de recherche engagé au cours d'un exercice par rapport à un niveau minimum de dépenses de recherche engagées au cours de périodes de référence antérieures : le crédit n’est accordé que pour le montant des dépenses supplémentaires engagées dans la recherche, par comparaison avec celles constatées sur cette période de référence.

Le crédit d’impôt recherche est un crédit temporaire, son existence est renouvelée année après année par le Congrès, parfois de façon rétroactive. L’administration a proposé dans son projet de budget 2011 de rendre ce crédit permanent. L’adoption de cette mesure est loin d’être une certitude : cette proposition est présentée chaque année devant le Congrès, sans effet jusqu'à présent. Le coût du dispositif américain a évolué de la façon suivante depuis 2008 :

ESTIMATION DES DÉPENSES FISCALES AUX ÉTATS-UNIS

Montant du crédit impôt recherche

2008

2009

2010

2011

En millions de dollars US

7 440

8 010

5 880

3 850

En millions d’euros (1)

6 247

6 464

4 745

3 107

(1) Taux de conversion au 21 juin 2010 : 1$=0,807176 EUR et 1 EUR = 1,23889 USD

Source : Statistical Abstract of the US, 2010.

b) Au Japon

Les grandes lignes du dispositif actuel du crédit d’impôt R&D ont été mises en place au cours de l’exercice fiscal 2003 suite à la réforme du système japonais. Les sociétés bénéficient d’un crédit d’impôt recherche et développement d’application générale et, pour la période courant du 1er avril 2008 au 31 mars 2012, de deux crédits d’impôt supplémentaires.

Les entreprises japonaises peuvent bénéficier d’un crédit d’impôt dont le montant dépend, d’une part, de la taille de l’entreprise et, d’autre part, du « ratio de dépenses », soit le rapport entre les dépenses de recherche et développement de l’année et le chiffre d’affaires moyen des trois exercices précédents et de l’exercice en cours. Le taux maximal de crédit d’impôt est de 20 % du montant des dépenses de R&D déclarées.

Pour les exercices ouverts entre le 1er avril 2008 et le 31 mars 2010, le Gouvernement japonais a introduit des mesures temporaires complémentaires consistant à augmenter le crédit d’impôt des entreprises dans deux cas :

– les entreprises bénéficient d’une majoration de 5 % en cas d’accroissement de leurs dépenses de recherche par rapport à la moyenne de ces dépenses au cours des trois années précédentes dès lors que ce montant de dépenses de recherche est plus élevé que celui des dépenses de cette nature exposées au cours des deux derniers exercices comptables ;

– les entreprises bénéficient d’une majoration de 5 % si leur ratio de dépenses de R&D excède 10 %.

Au total, le taux maximal du crédit impôt recherche est de 30 % (20 % pour le crédit d’impôt général et 10 % pour les crédits supplémentaires).

Cependant, le taux maximal de 20 % du crédit impôt recherche a été porté à 30 % entre le 1er avril 2009 et le 31 mars 2011 à l’occasion du dernier plan de relance voté en janvier 2010 : les entreprises pourront ainsi déduire jusqu’à 40 % de leurs dépenses de R&D de leurs recettes opérationnelles (30 % aujourd’hui) et également reporter l’excédent sur les trois prochaines années (jusqu’à présent, le report est limité à l’année suivante).

Le coût du dispositif japonais a donc évolué de la façon suivante depuis 2003 :

JAPON : ÉVOLUTION DU NIVEAU DES DÉPENSES FISCALES
AU TITRE DU CRÉDIT IMPÔT R&D

(en milliard de yens)

 

Montant des dépenses fiscales au titre du crédit impôt recherche et développement

2003

104 ,6 (0,8 milliard d’euros)

2004

424,2 (3,2 milliards d’euros)

2005

566,3 (4,3 milliards d’euros)

2006

582 (4,5 milliards d’euros)

2007

626,9 (4,8 milliards d’euros)

2008

651 (5 milliards d’euros) estimation du ministère des Finances (MoF)

2009

254 (2 milliards d’euros) estimation du MoF

Source : National Tax Agency et MoF.

Selon les estimations du ministère japonais des Finances, le niveau des dépenses fiscales au titre du crédit d’impôt R&D enregistre une forte chute pour l’année 2009. Cette tendance serait notamment imputable à une forte contraction des revenus des entreprises japonaises qui ont été touchées par la récession mondiale de ces derniers mois.

Il est à souligner que le dispositif du CIR réformé depuis 2008 constitue désormais une dépense fiscale dont le coût est comparable aux dispositifs de crédits d’impôt en faveur de la recherche et développement mis en place aux États-Unis et au Japon depuis 2004 comme le montre le graphique ci-après.

ÉVOLUTION DU COÛT DES DISPOSITIFS DE CRÉDIT D’IMPÔT RECHERCHE EN FRANCE,
AU JAPON ET AUX ÉTATS-UNIS SUR LA PÉRIODE 2003-2013

B.– UN BÉNÉFICE PARTAGÉ PAR L’ENSEMBLE DES ENTREPRISES

1.– La répartition du montant du CIR selon la taille de l’entreprise

a  Le CIR bénéficie prioritairement aux entreprises petites, moyennes et de taille intermédiaire

Les tableaux suivants mettent en évidence l’évolution du nombre d’entreprises bénéficiaires du CIR et le montant du CIR associé entre 2007 et 2008, ventilée par taille d’entreprises.

2007

Bénéficiaires

 

Montant CIR

 

 

Dont non intégrés fiscalement

Dont intégrés
fiscalement

 

 

 

 

 

 

nombre

nombre

Pourcentage

nombre

pourcentage

(keuros)

Dont non intégrés fiscalement

pourcentage

Dont intégrés

pourcentage

fiscalement

1 à 9

2 034

1 846

25,34%

188

2,58%

144 685

81 882

4,52%

62 803

3,47%

10 à 49

2 087

1 915

26,29 %

172

2,36%

275 801

176 053

9,73%

99 747

5,51%

50 à 99

489

433

5,94 %

56

0,77%

90 749

72 475

4,01%

18 274

1,01%

100 à 249

469

406

5,57 %

63

0,86 %

118 636

80 632

4,46 %

38 004

2,10%

Total < 250

5 079

4 600

63,14%

479

6,58%

629 871

411 042

22,71%

218 828

12,09%

250 à 2 499

399

266

3,65%

133

1,83%

451 141

161 943

8,95%

289 198

15,98%

2 500 à 4 999

22

5

0,07%

17

0,23%

83 466

1 462

0,08%

82 004

4,53%

Sup. 5 000

28

9

0,12 %

19

0,26 %

131 447

6 298

0,35 %

125 149

6,92%

Total

5 528

4 880

66,99 %

648

8,89%

1 295 925

580 744

32,09%

715 181

39,52%

Non renseigné

1 757

1 434

19,68%

323

4,43%

513 676

56 886

3,14%

456 791

25,24%

TOTAL

7 285

6 314

86,67%

971

13,33%

1 809 601

637 630

35,24%

1 171 971

64,76%

                     

2008

Bénéficiaires

 

Montant CIR

 

 

Dont non intégrés fiscalement

Dont intégrés
fiscalement

 

 

 

 

 

 

nombre

nombre

Pourcentage

nombre

pourcentage

(keuros)

Dont non intégrés fiscalement

Pourcentage

Dont intégrés

Pourcentage

fiscalement

1 à 9

3 268

2 454

27,22%

814

9,03%

498 492

132 801

3,11%

365 691

8,58%

10 à 49

2 949

2 470

27,40 %

479

5,31%

711 581

346 850

8,14%

364 731

8,55%

50 à 99

709

582

6,46 %

127

1,41%

245 660

170 419

4,00%

75 242

1,76%

100 à 249

617

476

5,28 %

141

1,56%

335 607

173 317

4,07%

162 290

3,81%

Total < 250

7 543

5 982

66,36%

1 561

17,32%

1 791 340

823 387

19,31%

967 954

22,70%

250 à 2 499

509

314

3,48 %

195

2,16%

1 430 153

365 617

8,58%

1 064 536

24,97%

2 500 à 4 999

33

9

0,10 %

24

0,27 %

202 230

31 198

0,73 %

171 032

4,01%

Sup. 5 000

31

6

0,07 %

25

0,28 %

407 999

80 680

1,89%

327 319

7,68%

Total

8 116

6 311

70,01 %

1 805

20,02%

3 831 721

1 300 881

30,51%

2 530 841

59,36%

Non renseigné

899

268

2,97%

631

7,00%

431 759

43 947

1,03%

387 812

9,10%

TOTAL

9 015

6 579

72,98%

2 436

27,02%

4 263 480

1 344 828

31,54%

2 918 653

68,46%

Source : MESR, réponse au questionnaire de la MEC

L’analyse de ces tableaux montre que les PME profitent majoritairement du CIR :

– elles représentent 83 % du total des entreprises bénéficiaires en 2008 contre 69 % en 2007 ;

– le nombre de bénéficiaires augmente nettement (+ 48 %) ;

– le montant du CIR attribué pour cette catégorie d’entreprises a quasiment triplé entre les deux années considérées ;

– elles recueillent 42 % du montant total du CIR en 2008 contre 35 % en 2007 ;

– les parts relatives de montant de CIR entre les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) restent stables entre 2007 (35 % du montant du CIR pour les PME et 30 % pour les ETI) et 2008 (42 % pour les PME et 38 % pour les ETI) ;

– en comparaison, la part des grands groupes dans le montant total du CIR évolue faiblement entre 2007 (7,2 %) et 2008 (9,5 %). Le montant total du CIR qui leur est attribué est multiplié par trois, mais pour un nombre quasiment stable d’entreprises bénéficiaires. Cette progression n’est donc que le reflet du passage au nouveau mode de calcul du crédit d’impôt ;

En conclusion, la MEC constate que l’un des objectifs principaux de la réforme est atteint : les PME bénéficient de la réforme du CIR de 2008, tant par un effet d’entraînement (croissance du nombre de nouvelles entreprises bénéficiaires) que par le montant de l’aide attribuée.

Ce constat mérite cependant d’être suivi et approfondi car il repose d’une part, sur des données encore provisoires (22) et dont la précision nécessite d’être améliorée.

b) La qualité des statistiques doit être améliorée

L’analyse de la répartition du CIR par tranche d’effectifs est essentielle pour mesurer le soutien réel apporté par le nouveau dispositif fiscal aux entreprises et permettre ainsi une évaluation fine et nuancée de son impact. Pour y parvenir, les Rapporteurs font remarquer que la qualité des statistiques recueillies par le ministère de la Recherche a besoin d’être améliorée.

On constate en effet qu’en 2007, la part des entreprises dont l’effectif n’est pas renseigné représente 19,4 % du nombre total des entreprises, soit une proportion de près de 28 % du CIR.

Cette carence est liée à la méthodologie utilisée : les données sont recueillies à partir d’une base alimentée par le double des déclarations (23) faites par les entreprises. Or, si celles-ci sont attentives à remplir de façon systématique les informations nécessaires à la mise en œuvre du dispositif fiscal, elles le sont beaucoup moins pour la partie purement informative qui ne conditionne pas l’octroi du crédit d’impôt demandé. Le ministère doit donc réaliser une opération postérieure complémentaire consistant à compléter à la main, par le croisement avec d’autres sources, la rubrique « effectifs », ce qui prend nécessairement du temps et mobilise des ressources supplémentaires.

Un effort important a été réalisé entre 2007 et 2008 : ainsi, la part des effectifs non renseignés est descendue à 11,1 % en 2008, ce qui représente un montant du CIR ramené à moins de 14 %.

Cependant, des incertitudes demeurent : ainsi, le nombre d’entreprises bénéficiaires du CIR fiscalement intégrées (groupe d’entreprises) de moins de 10 salariés est passé de 188 à 814 entre 2007 et 2008. Interrogée sur les raisons d’un tel « boom », la DGRI a précisé que sur les 814 entreprises décomptées, 188 entreprises avaient été comptabilisées dans cette catégorie en 2007, 117 entreprises avaient été comptabilisées en 2007 dans la catégorie « non renseignées », 75 entreprises indépendantes en 2007 sont devenues des groupes d’entreprises en 2008 et 85 nouvelles entreprises ont été enregistrées en 2008 et bénéficient d’un taux de CIR égal à 50 % du montant des dépenses déclarées éligibles. Toutefois, ces explications ne permettent pas d’expliquer la différence entre les 465 entreprises fiscalement intégrées de moins de 10 salariés décomptées ainsi par le MESR et le chiffre de 814 mentionné dans le tableau, chiffre pourtant confirmé.

D’une manière générale, la progression très importante du nombre total de groupes d’entreprises fiscalement intégrées (+ 250 %) entre 2007 et 2008 pourrait confirmer la mise en œuvre d’une stratégie d’optimisation fiscale afin d’éviter le seuil de 5 % au-delà du plafond de 100 millions d’euros de dépenses déclarées, à travers la création de holdings « coquilles vides ».

La mission souhaite donc que le ministère de la Recherche, dans ses contacts avec les entreprises et les services des impôts, sensibilise plus ses interlocuteurs sur l’intérêt de renseigner les déclarations avec une plus grande rigueur au regard des nécessités liées aux traitements statistiques ultérieurs.

2.– La répartition du montant du CIR par type de dépenses et par secteur d’activité

a) Une surévaluation des dépenses de fonctionnement

L’analyse de la répartition du crédit d’impôt recherche par type de dépenses de recherche fait apparaître le poids considérable des dépenses de personnel, ainsi que le montre le tableau suivant :

ÉVOLUTION, PAR TYPE DE DÉPENSES, DES DÉPENSES DE R&D DÉCLARÉES

(Montant en %)

 

2004

2005

2006

2007

2008

Dotation aux amortissements

5,06

6

5,6

5,6

5

Dépenses de personnel (chercheurs et techniciens)

39,27

47

47,21

47

45,3

Dépenses de jeunes docteurs

0,15

0,18

0.21

0.18

0,5

Dépenses de fonctionnement

29,54

35

35,9

35,9

33,8

Prise et maintenance de brevets, dotation aux amortissements de brevets acquis en vue de la recherche

2,05

2,6

3

3

3

Dépenses liées à la normalisation

0,03

0,01

0.01

0.01

0,04

Dépenses liées à la veille technologique

0,06

0,1

0,1

0,1

0,3

Frais de collections des entreprises industrielles du secteur textile - habillement -cuir

1,39

2

1,8

1,8

2,2

Opérations de sous-traitance

22,44

7,5

6,5

6,5

9,3

Subventions publiques remboursées

       

0,6

Source : MESR, réponse au questionnaire de la MEC, 2 juin 2010

Le poids des dépenses de personnel est d’ailleurs en augmentation depuis 2004, même s’il plafonne désormais autour de 45 % du total des dépenses de recherche déclarées (7,05 milliards d’euros en 2008). Selon les chiffres transmis par le MESR, les secteurs pour lesquelles les dépenses de personnel sont les plus élevées sont les suivants : conseils et assistance en informatique (55 % des dépenses déclarées), services bancaires et assurances (52,64 %), industrie électrique et électronique (52,17 %) et construction navale, aéronautique et ferroviaire (50,95 %).

Dans la mesure où les dépenses de fonctionnement sont fixées forfaitairement à 75 % des dépenses de personnel (ce taux étant porté à 200 % lorsque ces dépenses se rapportent aux personnes titulaires d’un doctorat ou d’un diplôme équivalent pendant les deux années suivant leur premier recrutement), ces dépenses constituent le second poste de dépenses le plus important (33,8 % de l’ensemble des dépenses déclarées soit 5,214 milliards d’euros en 2008).

Or, il ressort de l’enquête R&D menée par le MESR en 2007 que le poids des frais généraux se rapportant aux personnels de recherche est très différent selon les secteurs d’activité concernés et représente en moyenne 60 % des dépenses de personnel. À supposer que les frais généraux de l’enquête R&D comptabilisent l’ensemble des dépenses de fonctionnement éligibles au CIR, il est probable que soient également pris en compte d’autres dépenses éligibles au CIR telles que les frais de dépôts et de maintenance des brevets, les dépenses de normalisation et les dépenses relatives à la veille technologique notamment.

Il convient donc d’apprécier ces chiffres avec précaution en considérant que les frais généraux mentionnés ci-après correspondent à une assiette plus large que les seules dépenses de fonctionnement éligibles au CIR.

VENTILATION DES DÉPENSES INTÉRIEURES DE R&D DES ENTREPRISES
PAR BRANCHE D’ACTIVITÉ (2007)

Branches d'activité économique

Dépenses de personnel

Frais généraux

Rapport frais généraux / personnel

Total 

 

 

 

 

 

Agriculture, sylviculture, pêche, aquaculture

174

123

70,69 %

297

Industries agricoles et alimentaires

325

148

45,54 %

474

Énergie et extraction de produits énergétiques

421

314

74,58 %

736

Autres extractions et métallurgie

162

124

76,54%

286

Textiles, habillement, cuirs et chaussures

93

65

69,89 %

158

Bois, papier, carton, édition, imprimerie

65

26

40,00 %

91

Industries manufacturières diverses

124

96

77,42 %

221

Industrie chimique

797

523

65,62%

1 321

Industrie pharmaceutique

1 836

1 427

77,72%

3 264

Caoutchouc et plastiques

464

240

51,72 %

704

Fabrication de verre et articles en verre

81

64

79,01%

145

Fabrication de matériaux de construction

68

44

64,71%

112

Travail des métaux

148

77

52,03 %

225

Fabrication de machines et équipements

726

344

47,38%

1 070

Fabrication de machines de bureau et matériel informatique

83

72

86,75 %

156

Fabrication de machines et appareils électriques

622

280

45,02 %

902

Fabrication d'équipements radio, télé et communication

1 639

780

47,59%

2 420

Fabrication d'instruments médicaux, de précision, d'optique

979

465

47,50 %

1 444

Industrie automobile

1 837

1 057

57,54 %

2 893

Construction navale et matériels de transport terrestre

127

144

113,39 %

271

Construction aéronautique et spatiale

1 318

1 186

89,98 %

2 504

Industrie du bâtiment et du génie civil

65

23

35,38 %

88

Services de transport et de communications

594

130

21,89 %

724

Services informatiques

1 212

430

35,48 %

1 642

Ingénierie, études et contrôles techniques

280

119

42,50 %

399

 

 

 

 

 

TOTAL BRANCHES

14 243

8 302

 

22 545

Source : MESR.

En tout état de cause, il ressort de ce tableau que l’application d’un forfait égal à 75 % des dépenses de personnels profite très largement au secteur des services, et en particulier aux secteurs des transports et communications, services informatiques ainsi qu’à l’industrie du bâtiment et du génie civil (pour lesquels le ratio est de l’ordre de 20 à 35 % et non 75 %). En revanche, les secteurs industriels, fortement soumis à la concurrence internationale, sont perdants à l’application du forfait, en particulier les secteurs de la construction navale et de transport terrestre (113 % et non 75 %), celui de la construction aéronautique (90 %) et celui de la fabrication de machines de bureau et matériels informatiques (87 %).

La mission constate que l’application d’un forfait de dépenses de fonctionnement correspondant à 75 % de dépenses de personnel est globalement supérieure à la réalité des coûts engendrés et dessert les industries les plus soumises à la concurrence internationale au profit des entreprises de services. Il n’en demeure pas moins que le CIR bénéficie très largement au secteur industriel comme le montre l’analyse de la répartition du CIR par secteur d’activité.

b) L’analyse de la répartition du CIR par secteur d’activité montre que l’industrie est largement bénéficiaire

Dans son rapport de juillet 2009 sur l’application des mesures fiscales contenues dans les lois de finances et dans la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat (24), le Rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, M. Gilles Carrez, avait signalé, à partir des données transmises par le MESR, que « l’industrie n’est pas la principale bénéficiaire du crédit d’impôt recherche. C’est le secteur des services qui, avec 1 174 millions d’euros en 2007, représente près des deux tiers des créances, en particulier les entreprises de services bancaires et d’assurances qui, avec 312,6 millions d’euros en 2007, sont celles qui ont bénéficié le plus du crédit d’impôt recherche ».

Cependant, Mme Valérie Pécresse, ministre de la Recherche et de l’enseignement supérieur, est revenue sur cette analyse le 9 novembre 2009 (25) en rappelant que : « En réalité, cette évolution résulte d’un changement de traitement statistique par l’INSEE qui, en 2008, a revu ses nomenclatures d’activité et fait passer toutes les holdings des grands groupes industriels dans la catégorie « secteur bancaire, assurance, assistance et conseil ». Or les groupes industriels consolident leurs bénéfices au niveau de leur holding, qui bénéficie de ce fait du crédit d’impôt-recherche. Ainsi, si l’on retraite les chiffres de 2007, les holdings récupèrent 29,3 % du CIR et le secteur banques-assurances seulement 2,3 %. Autrement dit, le CIR profite à 60 % aux groupes industriels, à 29 % aux holdings, et à 2,3 % au secteur bancaire. Le reste se concentre sur des activités de services de R&D. J’insiste vraiment sur le fait que c’est le changement de nomenclature qui explique le phénomène mis en évidence dans le rapport. En aucun cas le CIR ne paie les bonus des traders ! Ainsi, Renault est une holding de groupe industriel classée par l’INSEE dans la nomenclature parmi les « banques et services financiers ».

Les holdings de sociétés sont, au sens de l’INSEE, des « entités qui détiennent les actifs d’un groupe de sociétés filiales et dont la principale activité est d’être propriétaire de ce groupe. Les sociétés holding ne fournissent aucun autre service aux entreprises dans lesquelles elles détiennent des fonds propres, en d’autres termes, elles n’administrent pas ou ne gèrent pas d’autres entités (26) ».

Ces holdings détiennent des entreprises industrielles et de services non financiers, même si l’activité principale de la tête du groupe est classée parmi les activités financières dans la nomenclature de l’INSEE.

Mme Marie-Christine Lepetit, directrice de la Législation fiscale, a ainsi expliqué lors de son audition par la MEC que : « Comme beaucoup d’observateurs, nous avions été surpris par l’importance apparente des chiffres. Nous nous sommes rendus compte que beaucoup de holdings étaient présentes sous une codification de holding, avec des montants importants, alors que les sommes en question n’étaient que la récapitulation des crédits d’impôt recherche prenant naissance dans des filiales qui, souvent, avaient un caractère industriel (…) c’est pourquoi nous avons décidé, avec le ministère de la Recherche, de poursuivre l’analyse des réponses des holdings – mais aussi du secteur de la banque et de l’assurance, dont les résultats sont parfois curieux – de façon à affecter de manière véridique les sommes en fonction de leur nature exacte. »

S’agissant des statistiques pour l’année 2008, le MESR, en liaison avec le ministère du Budget, a donc fait l’effort de retraiter les chiffres de l’INSEE pour distinguer le CIR du « secteur bancaire, assistance et conseil » et le CIR récupéré par les holdings ou les autres sociétés mères pour le compte de leurs filiales fiscalement intégrées.

Les deux tableaux ci-après présentent donc l’évolution de la répartition du CIR, en valeur et en pourcentage, par secteur d’activité depuis 2004, sachant qu’en 2007, le secteur des services comprend, dans la catégorie « secteur bancaire, assistance et conseil » le CIR des holdings pour le compte de leurs filiales fiscalement intégrées.

Il en ressort qu’en 2004 et 2005, le CIR a profité plus largement à l’industrie (2/3 du CIR) qu’au secteur des services (1/3 du CIR). À compter de 2006, ce ratio s’est inversé en faveur du secteur des services. Deux facteurs explicatifs doivent ici être mis en évidence :

– d’une part, à compter de 2006, les sociétés de conseil et d’assistance aux entreprises se sont multipliées (230 entreprises bénéficiaires en 2006 contre 14 en 2005) et ont vu leurs créances de CIR exploser (18,73 % du CIR en 2006 contre 1,92 % en 2005). De la même manière, les entreprises de conseil et d’assistance en informatique ont largement profité des réformes intervenues en 2006 (27) et 2007 (28) pour élargir l’assiette et le plafond du CIR (1 253 entreprises bénéficiaires en 2007 contre 296 en 2006, leur créance ayant plus que doublé : 9,73 % du CIR en 2007 contre 4,17 % en 2006) ;

– d’autre part, cette évolution traduit la stratégie d’intégration fiscale de nombreuses entreprises industrielles au sein d’une holding, la créance de CIR de ces holdings ayant été comptabilisées au sein de la catégorie « secteur bancaire, assistance et conseil » en 2007. Du coup, alors que la créance de CIR de ce secteur représentait 0,76 % du CIR en 2006, celle-ci a atteint 18,88 % en 2007.

RÉPARTITION DU CIR PAR SECTEUR D’ACTIVITÉ EN VALEUR ENTRE 2004 ET 2008

Secteurs d’activités

2004

2005

2006

2007

2008

Nombre

Montant en M€

Nombre

Montant en M€

Nombre

Montant en M€

Nombre

Montant en M€

Nombre

Montant en M€

Industries

2 368

573,6

2 884

669,9

2 857

581,6

2 426

551,8

3 257

1 336

Industrie électrique et électronique

363

99

456

101,3

516

173,2

504

173,8

630

345

Industrie automobile

62

22,1

85

22,5

107

32,6

102

63

128

219

Construction navale, aéronautique, ferroviaire

135

164,5

152

47,9

151

55,9

41

52,9

51

131

Pharmacie, parfumerie et entretien

25

28,2

29

27,4

32

41,3

149

40,6

183

159

Industrie mécanique

6

20,3

191

160,3

353

39,8

354

38,5

489

101

Chimie, caoutchouc et plastique

196

26,9

511

59,2

571

82,9

294

66,9

362

121

Habillement et cuir

171

10

26

5,2

156

13,7

266

15,4

441

50

hydrocarbure et production d’énergie

658

57,8

341

55,8

381

87,4

16

29,2

15

61

Industries agricoles et alimentaires

85

3,7

51

4,7

55

7

157

14,8

215

34

Industrie des produits minéraux

85

7,7

119

7,8

127

5,4

47

3,2

67


17

Industrie textile

333

109,8

578

148

83

9,4

127

8,7

170

20

Industrie des équipements du foyer

112

7,2

130

8,4

122

11,2

132

18,2

164

32

Industrie du bois et du papier

15

0,4

29

1,2

33

4,6

34

2,8

50

6

Métallurgie et transformation des métaux

122

16

186

20,2

170

17,2

203

23,8

292

40

Activité des sociétés holdings en 2008

 

 

 

 

 

 

 

 

1 176

1 367

Services (dont holdings en 2007)

1 598

295,7

2 383

285,3

1 790

857,2

2 941

1 105,3

4 735

1 393

Commerce

240

46,4

340

27,5

13

20,6

452

90,5

647

246

Recherche et développement

107

39

311

78,8

338

95,9

363

105,6

441

224

Conseil et assistance aux entreprises

253

24,6

14

18,6

230

280

282

271,7

327

79

Conseil et assistance en informatique

255

81

269

37,4

296

62,3

1 253

161,1

1 731

354

Services bancaires et assurances

239

41,4

177

14,6

240

11,3

914

312,6

285

124

Services de télécommunication

34

3,2

236

12,4

35

17,4

46

24,2

65

56

Service d’architecture et d’ingénierie

368

51,4

915

86,1

1 072

117,9

674

76,7

915

178

Services de l’audiovisuel

5

2,8

8

4,6

12

9,9

40

5,1

53

9

Autres services

160

9,7

281

28,7

710

263,7

229

70

360

149

Autres secteurs (agriculture, pêche…)

124

9,7

270

32

303

73,3

151

22,5

217

57

TOTAL

4 090

879

5 537

987,2

4 950

1 512,1

5 518

1 679,6

9 385

 4 155

RÉPARTITION DU CIR PAR SECTEUR D’ACTIVITÉ EN POURCENTAGE ENTRE 2004 ET 2008

Secteurs d’activités

2004

2005

2006

2007

2008

% CIR

Montant en M€

% CIR

Montant en M€

%CIR

Montant en M€

% CIR

Montant en M€

% CIR

Montant en M€

Industries

64,61%

557,6

67,19%

649,7

37,76%

564,4

31,89%

528

32,17%

1 336

Industrie électrique et électronique

11,47 %

99

10,48 %

101,3

11,59 %

173,2

10,50 %

173,8

8,31%

345

Industrie automobile

2,56 %

22,1

2,33 %

22,5

2,18 %

32,6

3,80 %

63

5,27 %

219

Construction navale, aéronautique et ferroviaire

19,06 %

164,5

4,95 %

47,9

3,74 %

55,9

3,19 %

52,9

3,15 %

131

Pharmacie, parfumerie et entretien

3,27 %

28,2

2,83 %

27,4

2,76 %

41,3

2,45 %

40,6

3,83 %

159

Industrie mécanique

2,35 %

20,3

16,58 %

160,3

2,66 %

39,8

2,33 %

38,5

2,43 %

101

Chimie, caoutchouc et plastique

3,12 %

26,9

6,12 %

59,2

5,55 %

82,9

4,04 %

66,9

2,91 %

121

Habillement et cuir

1,16 %

10

0,54 %

5,2

0,92 %

13,7

0,93 %

15,4

1,20 %

50

hydrocarbures et production d’énergie

6,70 %

57,8

5,77 %

55,8

5,85 %

87,4

1,76 %

29,2

1,47 %

61

Industries agricoles et alimentaires

0,43 %

3,7

0,49 %

4,7

0,47 %

7

0,89 %

14,8

0,82 %

34

Industrie des produits minéraux

0,89 %

7,7

0,81 %

7,8

0,36 %

5,4

0,19 %

3,2

0,41 %

17

Industrie textile

12,72 %

109,8

15,31 %

148

0,63 %

9,4

0,53 %

8,7

0,48 %


20

Industrie des équipements du foyer

0,83 %

7,2

0,87 %

8,4

0,75 %

11,2

1,10 %

18,2

0,77 %

32

Industrie du bois et du papier

0,05 %

0,4

0,12 %

1,2

0,31 %

4,6

0,17 %

2,8

0,14 %

6

Métallurgie et transformation des métaux

1,85 %

16

2,09 %

20,2

1,15 %

17,2

1,44 %

23,8

0,96 %

40

Activité des sociétés holdings en 2008

 

 

 

 

 

 

 

 

32,92%

1 367

Services (dont holdings en 2007)

34,70%

299,5

31,92%

308,7

58,80%

879

67,49%

1 117,5

34,17%

1 419

Commerce

5,38 %

46,4

2,84 %

27,5

1,38 %

20,6

5,47 %

90,5

5,92 %

246

Recherche et développement

4,52 %

39

8,15 %

78,8

6,42 %

95,9

6,38 %

105,6

5,39 %

224

Conseil et assistance aux entreprises

2,85 %

24,6

1,92 %

18,6

18,73 %

280

16,41 %

271,7

1,90 %

79

Conseil et assistance en informatique

9,39 %

81

3,87 %

37,4

4,17 %

62,3

9,73 %

161,1

8,52 %

354

Services bancaires et assurances

4,80 %

41,4

1,51 %

14,6

0,76 %

11,3

18,88 %

312,6

2,99 %

124

Services de télécommunication

0,37 %

3,2

1,28 %

12,4

1,16 %

17,4

1,46 %

24,2

1,35 %

56

Service d’architecture et d’ingénierie

5,96 %

51,4

8,90 %

86,1

7,89 %

117,9

4,63 %

76,7

4,29 %

178

Services de l’audiovisuel

0,32 %

2,8

0,48 %

4,6

0,66 %

9,9

0,31 %

5,1

0,22 %

9

Autres services

0,69%

5,9

0,56%

5,3

16,42%

241,9

3,52%

57,8

2,98%

123

Autres secteurs (agriculture, pêche…)

0,69 %

5,9

0,91 %

8,6

3,50 %

51,5

0,63 %

10,3

0,75 %

31

TOTAL

100 %

863

100 %

967

100 %

1 494,9

100 %

1 655,8

100 %

4 155

Les Rapporteurs observent cependant qu’après réaffectation, par secteur d’activité, du CIR perçu par les sociétés mères pour le compte de leurs filiales fiscalement intégrées, le crédit d’impôt recherche profite bien, en priorité, au secteur industriel (2/3 du CIR en 2008) comme le montre le tableau ci-après réalisé par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche pour l’année 2008.

DISTRIBUTION DES DÉPENSES DÉCLARÉES ET DU CIR 2008 APRÈS RÉAFFECTATION DU CIR DES SOCIÉTÉS MERES LE PERCEVANT POUR LE COMPTE DE LEURS FILIALES (29)

 

CIR

Dépenses
déclarées

Industries manufacturières

68,7 %

73,1 %

Industrie électrique et électronique

18 %

17 %

Industrie automobile

6,6 %

10,9 %

Construction navale, aéro. et ferroviaire

6,6 %

7,5 %

Pharmacie, parfumerie produits entretien

13,8 %

16,7 %

Chimie, caoutchouc, plastique

6,2 %

5,6 %

Textile, habillement, cuir

3,3 %

2,7 %

Autres industries manufacturières

14,2 %

12,8 %

Services

29,5 %

25,3 %

Recherche et développement (30)

2,1 %

1,8 %

Conseil et assistance en informatique

9,9 %

8,2 %

Services de télécommunication

1,4 %

1,7 %

Services bancaires et assurances

1,8 %

1,5 %

Autres services (31)

14,4 %

12,2 %

Autres secteurs

1,9 %

1,6 %

Bâtiment et travaux publics

0,7 %

0,6 %

Agriculture, sylviculture, pêche

1,2 %

1 %

Total 2008

100 %

100 %

Source : MESR

Ce tableau montre également que le secteur des services bancaires et assurances à proprement parler ne perçoit, après retraitement, que 1,8 % du CIR en 2008, ce qui représente environ 75 millions d’euros.

Enfin, il confirme que les sociétés de conseils et assistance en informatique ont largement profité des réformes du crédit d’impôt recherche introduites depuis 2006 et se maintiennent à un niveau de créance de crédit d’impôt élevé (9,9 % du CIR en 2008 soit 411 millions d’euros).

III.– LES PROPOSITIONS DE LA MEC

La mission se rallie à l’avis unanime recueilli au cours des auditions de conserver l’économie générale du nouveau dispositif du CIR. La réforme de 2008 est encore trop récente pour que des modifications substantielles soient de nouveau apportées : les chefs d’entreprises, comme les services du MESR et du ministère de l’économie, insistent sur leur besoin d’être assurés d’une certaine pérennité du système pour en tirer les bénéfices sur la durée, au profit des entreprises mais aussi de la collectivité tout entière.

Pour autant, les travaux menés par la MEC ont mis en évidence la nécessité de procéder à certains aménagements sans remettre en cause l’architecture du CIR, vantée pour sa simplicité et son efficacité.

C’est la raison pour laquelle la mission formule les propositions suivantes, articulées autour de trois axes : améliorer l’efficacité de la dépense, sécuriser davantage le dispositif et renforcer son contrôle.

A.– AMÉLIORER L’EFFICACITÉ DE LA DÉPENSE

1.– Cibler sur les PME indépendantes, catégorie d’entreprises la plus intensive en R&D

a) La pérennisation du remboursement anticipé de la créance de CIR

L’ensemble des entreprises engagées dans une démarche de R&D ont apprécié la mesure de remboursement anticipé et accéléré de la créance de CIR décidée dans le cadre du plan de relance. Les témoignages sur ce point sont clairs :

– M. Jean du Mesnil du Buisson : « Il y a un autre point très important à nos yeux pour éviter l’instabilité juridique, c’est la pérennisation du remboursement anticipé, qui a été un véritable booster » ;

– M. Emmanuel Leprince, délégué général du Comité Richelieu : « Pour ce qui est du remboursement anticipé de la créance du CIR, qui représente un coût important dans le budget de l’État, les PME estiment qu’il s’agit de quelque chose de fondamental qui explique le succès du dispositif. Au moins pour les PME, il faut pérenniser cette disposition » ;

– M. Ronan Stephan, directeur général pour la Recherche et l'innovation au ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche :  « La mesure a en tout cas été très appréciée par les plus petites entreprises, notamment par les jeunes entreprises en croissance. C’est un élément de compétitivité qui leur confère de réels avantages au quotidien. [...] nous y sommes favorables [à sa reconduction] car cette mesure est de nature à stimuler l’appétit des jeunes entreprises innovantes pour le CIR. »

En conclusion des États généraux de l’industrie (32), le Président de la République a fait part de son souhait de voir reconduite cette mesure de remboursement immédiat.

De mesure ponctuelle, elle deviendrait donc pérenne, tout en étant réservée strictement aux PME, catégorie d’entreprises pour laquelle la question de la trésorerie est à la fois cruciale et récurrente. Selon les chiffres transmis par la direction du Budget et la direction générale du Trésor en juin 2010, le coût du remboursement anticipé du CIR au profit des PME est évalué entre 150 et 200 millions d’euros par an entre 2011 et 2013, avec une réduction à 25 millions d’euros en 2014.

Il en résulte que le coût du CIR atteindrait 2 milliards d’euros en 2011 et 3,2 milliards d’euros en régime de croisière à compter de l’année 2013.

En présentant cette proposition, la mission précise que la pérennisation du remboursement anticipé du CIR ne devrait concerner que les PME non intégrées fiscalement à un groupe. En effet, l’objectif de cette mesure est exclusivement d’améliorer la situation des PME qui peuvent se trouver en difficulté du fait de la crise économique actuelle. Or, il est évident qu’une PME intégrée fiscalement dispose d’une solidité financière nettement plus grande qu’une PME non intégrée, du fait même de son appartenance à un groupe d’entreprises.

Proposition n ° 1 : Pérenniser le remboursement accéléré du crédit d’impôt recherche au profit exclusif des PME non intégrées fiscalement.

b) Caractériser les entreprises les plus intensives en R&D pour éventuellement prévoir un ciblage du crédit d’impôt recherche

Le tableau suivant met en évidence la répartition de la dépense intérieure de R&D des entreprises par taille d’entreprise et compare son évolution entre 2002 et 2007.

RÉPARTITION DE LA DIRDE PAR TAILLE D'ENTREPRISE

Taille des entreprises

2002 (en %)

2007 (en %)

Différence
(en points de pourcentage)

Inférieur à 500

22 %

26 %

5 %

De 500 à moins de 1 000

11 %

9 %

– 1 %

De 1 000 à moins de 2 000

10 %

12 %

3 %

De 2 000 à moins de 5 000

18 %

15 %

– 3 %

Egal ou supérieur à 5 000

39 %

38 %

– 2 %

Source : MESR DGESIP-DGRI SIES.

Sans surprise, ce tableau montre que la DIRDE est principalement réalisée par les grandes entreprises, avec une intensité stable entre 2002 et 2007 (avant la réforme du CIR). Mais il est intéressant de noter la forte proportion réalisée par les entreprises de moins de 500 salariés (un quart) et surtout la tendance à la hausse marquée entre 2002 (22 %) et 2007 (26 %).

Selon le Conseil d’analyse stratégique (33), l’origine du retard d’intensité en R&D privée de la France par rapport aux États-Unis ne relève pas de la structure démographique des entreprises mais de la capacité de chaque catégorie d’entreprises à investir dans les activités de R&D. Il souligne dans son étude que les entreprises de moins de 50 salariés seraient largement plus intensives en R&D en France qu’aux États-Unis (cet écart étant plus particulièrement prononcé dans les secteurs non manufacturiers). Et il conclut en déclarant que même si le crédit d’impôt recherche est un « outil a priori adapté au renforcement de l’investissement en R&D des entreprises, son absence de ciblage peut cependant amoindrir l’efficacité de cette mesure. »

Dans le même temps, une note d’information (34) du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche met en avant le potentiel des entreprises de taille intermédiaire en terme de R&D. Mais elle constate que, par rapport aux PME, elles sont globalement moins intensives en R&D : en 2006, le ratio DIRDE/chiffre d’affaires est de 6,8 pour les PME et de 2,7 % pour les entreprises de taille intermédiaire.

La MEC en déduit qu’il pourrait être utile d’engager une réflexion sur un ciblage du crédit d’impôt recherche sur les PME. Cependant, comme il s’agit précisément de la catégorie d’entreprises pour laquelle il existe déjà un grand nombre de dispositifs de soutien public, il conviendrait, dans un premier temps, d’introduire un nouvel indicateur statistique pour pouvoir disposer d’informations précises sur le niveau de financements publics nationaux et locaux, directs et indirects, perçu par chaque catégorie d’entreprises par tranche d’effectifs (PME de moins de 10 salariés, de 11 à 50 salariés, de 51 à 249 salariés, ETI de 250 à 5 000 salariés et grandes entreprises).

Le ministère de la Recherche et de l’enseignement supérieur utilise déjà un indicateur semblable, qui calcule le ratio de financements publics sur la DIRDE et détaille la nature des financements publics reçus. Il ne comptabilise cependant que les financements publics directs de la R&D dans les entreprises, soit les crédits incitatifs des ministères et autres organismes et les financements des collectivités territoriales (35).

La MEC souhaite donc que l’information disponible soit complétée par la prise en compte des dépenses indirectes, dont les deux mesures les plus importantes sont les avantages fiscaux liés au statut de la jeune entreprise innovante ou universitaire (JEI ou JEU) et bien entendu le crédit d’impôt recherche.

En fonction des résultats obtenus sur la période 2007-2009, une réflexion pourra s’engager sur l’opportunité d’un ciblage du CIR sur une certaine catégorie d’entreprises, par la mise en place, par exemple, de taux majorés. Dans cette hypothèse, il conviendra naturellement de vérifier la compatibilité d’un nouveau régime d’aides ciblé avec le droit communautaire de la concurrence.

Proposition n° 2 : Établir le ratio financements publics / dépense intérieure de R&D des entreprises, ventilé par tranche d’effectifs (moins de 10 salariés, de 11 à 50 salariés, de 51 à 249 salariés, 250 à 5 000 salariés et grandes entreprises) et par nature des financements publics (directs, indirects, locaux, nationaux, communautaires…).

2.– Limiter les effets d’aubaine et les stratégies d’optimisation fiscale injustifiés

Le CIR constitue une dépense fiscale dont l’impact sur les finances publiques françaises est comparable à l’abaissement de la TVA dans la restauration à 5,5 % depuis la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 relative au développement et à la modernisation des services touristiques. Au demeurant, la MEC constate qu’à tout le moins, le CIR réformé en 2008 constitue une dépense fiscale qui a permis de maintenir le niveau de la R&D des entreprises en améliorant l’attractivité du territoire français et l’emploi des chercheurs malgré le contexte de crise économique.

Par conséquent, ce n’est pas le coût du CIR qui pose un problème en soi, mais bien l’efficacité de la dépense fiscale, qu’il est nécessaire de renforcer en luttant contre les effets d’aubaine et les stratégies d’optimisation fiscales injustifiées.

a) Lutter contre les effets d’aubaine liés à l’évaluation forfaitaire des dépenses de fonctionnement

M. Rodolphe Gintz, sous directeur au ministère du Budget, a précisé, à propos de la détermination forfaitaire des dépenses de fonctionnement dans l’assiette du CIR, que : « Le taux de 75 % me semble un peu élevé. Nous n’avons pas accès aux comptes des entreprises mais quand nous regardons les organismes de recherche, comme le CNRS, nous voyons des dépenses de fonctionnement d’environ 15 % du budget. Il faudrait donc engager une discussion avec le ministère de la Recherche sur cet aspect ».

Or, il a déjà été démontré, page 39 ci avant, qu’au regard de l’enquête R&D réalisée chaque année par le MESR, les dépenses de fonctionnement sont en moyenne surévaluées dès lors que l’on retient pour le calcul un forfait égal à 75 % des dépenses de personnel (chercheurs et techniciens de recherche). En outre, l’analyse des conséquences de ce forfait par secteur d’activité a montré que les entreprises de services bénéficient d’un effet d’aubaine certain tandis que les industries les plus soumises à la concurrence internationale en pâtissent.

Il conviendrait donc de revenir à une appréciation plus réaliste des dépenses de fonctionnement retenue dans l’assiette des dépenses éligibles au CIR en retenant un forfait de droit commun égal à 33 % des dépenses de personnel, auquel les entreprises pourraient déroger dès lors qu’elles démontrent avoir subi des dépenses de fonctionnement plus lourdes, notamment pour tenir compte des coûts engendrés par le personnel de soutien des chercheurs.

L’introduction d’un régime de déclaration de frais réels au-delà du forfait permettrait de concilier les intérêts des entreprises et les principes de réalité et de sincérité de la dépense.

La MEC n’est en revanche pas favorable à la remise en cause de la règle dérogatoire selon laquelle le taux du forfait s’élève à 200 % des dépenses de personnel qui se rapportent aux personnes titulaires d'un doctorat ou d'un diplôme équivalent pendant les vingt-quatre premiers mois suivant leur premier recrutement à la condition que le contrat de travail de ces personnes soit à durée indéterminée et que l'effectif salarié de l'entreprise ne soit pas inférieur à celui de l'année précédente. En effet, cette disposition est justifiée par son objectif consistant à améliorer l’emploi des chercheurs en France et contribue à l’attractivité du territoire pour les entreprises étrangères souhaitant implanter leur centre de R&D en France.

L’abaissement du forfait de droit commun de 75 % à 33 % des dépenses de personnel produirait une économie substantielle, qui pourrait atteindre jusqu’à 865 millions d’euros par an, hors prise en compte de dépenses de frais réels (36).

Dans le contexte extrêmement difficile des finances publiques françaises, il ne paraît pas incohérent de calculer le crédit d’impôt à partir d’une appréciation réaliste des dépenses de fonctionnement afférentes aux opérations de recherche menées dans les entreprises. En tout état de cause, la MEC estime que l’économie réalisée pourrait notamment être consacrée au financement de la proposition n° 1 relative à la pérennisation du remboursement anticipé en faveur des PME indépendantes, d’un coût évalué à 200 millions d’euros par an jusqu’en 2013.

Proposition n° 3 : Abaisser le forfait de droit commun applicable aux dépenses de fonctionnement de 75 % à 33 % tout en instaurant un régime de frais réels optionnel au-delà de ce forfait.

b) Lutter contre les stratégies d’optimisation fiscale injustifiées

La MEC et ses Rapporteurs se sont longuement interrogés sur les stratégies d’optimisation fiscale, en particulier des très grandes entreprises.

Il est certes tout à fait assumé que le CIR poursuit deux objectifs complémentaires : améliorer l’effort de recherche en France et réduire la pression fiscale sur les entreprises à forte valeur ajoutée. Il n’en demeure pas moins que la législation actuelle encourage des comportements d’optimisation fiscale dont ne peut profiter qu’une minorité d’entreprises et qui, du point de vue de l’efficacité et de la justice fiscale, méritent d’être examinés en détail.

● Sur le plan de la justice fiscale, la MEC s’interroge sur la pertinence de maintenir la possibilité de calculer le CIR au niveau de chaque filiale fiscalement intégrée à un groupe d’entreprises tout en imputant l’ensemble des créances de CIR des filiales sur le montant de l’impôt sur les sociétés de la société mère.

Comme il a été démontré précédemment, le régime de l’intégration fiscale permet d’une part à la société mère d’échapper à l’abaissement du taux du CIR à 5 % au lieu de 30 % pour les dépenses éligibles supérieures à 100 millions d’euros, et lui offre d’autre part, la possibilité de réutiliser le montant de la créance de CIR de ses filiales comme elle l’entend, sans nécessairement les réaffecter aux filiales ayant réalisé des travaux de recherche, et encore moins aux équipes de recherche desdites filiales.

En 2008, 20 groupes d’entreprises fiscalement intégrées dépassaient le plafond de 100 millions d’euros de dépenses de R&D. Ces 20 entreprises ont bénéficié d’une créance de CIR de 1,188 milliard d’euros, soit 28,5 % du CIR en 2008.

Si le montant du CIR était calculé au niveau de chaque filiale pour lequel les 20 sociétés mères se sont substituées pour l’imputation de l’impôt sur les sociétés dont elles sont redevables, l’économie qui en résulterait est évaluée par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche à 390 millions d’euros.

La MEC en conclut qu’il conviendrait d’apprécier le plafond de 100 millions d’euros au-delà duquel le taux de CIR est réduit à 5 % à l’échelle du groupe et non plus à l’échelle de chaque filiale afin d’éviter les montages d’optimisation fiscale injustifiés. Cette proposition permettrait, toute chose égale par ailleurs, de réaliser une économie annuelle de 390 millions d’euros.

● Sur le plan de l’efficacité de la dépense fiscale, la MEC souhaite faire valoir deux observations complémentaires.

– En premier lieu, même si l’on retient la proposition consistant à consolider à l’échelle du groupe le montant des dépenses déclarées afin d’apprécier le plafond de 100 millions d’euros au niveau du groupe et non plus des filiales, il n’en demeurera pas moins que la société mère sera toujours substituée aux filiales du groupe pour l’imputation du CIR sur le montant de l’impôt sur les sociétés dont elle est redevable. Or, à ce jour, la loi ne donne pas d’indication concernant les modalités d’une distribution interne des créances de CIR au sein du groupe.

En pratique, les groupes peuvent mettre en place par convention des systèmes de réallocation sous la forme de subventions versées par les filiales ou par la société mère. La MEC a pu constater lors des auditions que certains groupes procèdent ainsi, comme le montrent les exemples suivants :

– Groupe Rhodia : M. Paul-Joël Derian, directeur de la R&D, a affirmé : « chez Rhodia, les coûts de la recherche sont centralisés puis réalloués sous la forme de forfait à chaque unité opérationnelle. Les variances sont enregistrées au niveau du groupe. Nous n’avons pas pu affecter cette somme aux entreprises pendant l’exercice 2008, mais nous l’avons fait en 2009 » ;

– Groupe EADS : M. Jean-Marc Thomas, vice-président Recherche et Innovation d’EADS, a déclaré « Deux aspects sont à distinguer : l’aspect mécanique et l’aspect comptable. Selon le premier, l’argent est directement affecté aux équipes de recherche. Il est injecté dans notre budget de recherche. Ce point est très important parce que, dans d’autres systèmes que nous connaissons, l’argent va dans la poche globale et, quand les chercheurs demandent des budgets pour leur recherche, ils doivent passer à chaque fois sous les fourches caudines de la direction. La recherche centrale d’EADS a bénéficié, l’année dernière, de 11 millions d’euros au titre du crédit d’impôt recherche » ;

M. Jean Perrot, directeur des relations institutionnelles Recherche a ajouté : « Dans tous les projets de recherche d’Innovation Works, une ligne comptable « contribution du crédit d’impôt recherche » apparaît en plus des subventions que nous pouvons recevoir et des fonds propres que nous pouvons injecter. Du point de vue comptable, un chef de projet a la ligne identifiée du CIR, ce qui garantit que l’argent est remis à cette fin ».

La MEC estime toutefois nécessaire d’introduire une obligation légale de réemploi minimale des créances de crédit d’impôt recherche au profit des entreprises ou des services des entreprises ayant réalisé les opérations de recherche ouvrant droit au CIR.

Proposition n° 4 : Introduire une obligation légale de réemploi minimal des créances de crédit d’impôt recherche au profit des entreprises ou de leurs services ayant réalisé les opérations de recherche ouvrant droit au crédit d’impôt.

– En second lieu, les membres de la MEC partagent les doutes de leur collègue sénateur, M. Christian Gaudin, quant à l’effet d’entraînement d’un taux de CIR de 5 % au-delà d’un plafond de dépenses éligibles de 100 millions d’euros.

Ainsi, dans un rapport publié le 25 mai 2010, M. Gaudin, Rapporteur spécial, affirme : « l’efficacité réelle de la tranche de crédit d’impôt au taux de 5 % dont bénéficie la fraction de dépenses de R&D des entreprises qui dépassent 100 millions d’euros paraît douteuse alors même que son coût s’est élevé à 588 millions d’euros en 2009 » (37).

Les Rapporteurs de la MEC constatent toutefois que le coût du CIR au-delà du plafond de 100 millions d’euros de dépenses doit être évalué avec prudence. Il n’est pas égal à la différence entre la créance de CIR dont bénéficient actuellement les 20 entreprises concernées par le plafond (1 188 millions d’euros) et la créance dont elles pourraient bénéficier en application d’un taux de CIR de 30 % sur 100 millions d’euros de dépenses maximum (600 millions d’euros).

En effet, sur les 588 millions d’euros de différence constatée, il convient de retirer les créances de CIR perçues par ces 20 têtes de groupe pour le compte de leurs sociétés filiales en application des articles 199 quater B, 223 A et 223 O-1-b et 244 quater B du code général des impôts, évaluées par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche à 390 millions d’euros.

En outre, ce ministère a indiqué que sur les 20 groupes concernés par le plafond, 16 filiales de ces groupes déclarent plus de 100 millions d’euros de dépenses de CIR et sont, pour le surplus, plafonnées à un taux de CIR de 5 % ce qui représente au total 107 millions d’euros.

Par conséquent, à droit constant, la suppression du taux de 5 % au-delà de 100 millions d’euros de dépenses déclarées ne produirait qu’une économie de 107 millions d’euros.

L’économie de 588 millions d’euros calculée par le sénateur Gaudin ne pourrait être réalisée que si l’on décidait de modifier le droit en vigueur pour procéder à une consolidation des dépenses du CIR au niveau du groupe (et non plus au niveau des filiales) et que l’on décidait de supprimer le taux de CIR de 5 % applicable au-delà de 100 millions d’euros de dépenses.

Compte tenu du faible nombre d’entreprises concernées par le plafond de 100 millions d’euros en 2008 (20 entreprises) et de l’incertitude pesant sur l’effet d’entraînement ou non d’un taux de CIR réduit à 5 % des dépenses déclarées au-delà du plafond, les Rapporteurs de la MEC ont souhaité procéder à une autre simulation afin d’apprécier l’effet d’un abaissement du plafond tout en maintenant un taux de CIR de 5 % au-delà, et ce à droit constant.

Le tableau ci-après rend compte des résultats d’une telle mesure pour l’année 2008.

ESTIMATION DE LA CRÉANCE DE CIR EN CAS DE RÉDUCTION DU PLAFOND DE DÉPENSES ÉLIGIBLES ET DU MAINTIEN D’UN TAUX DE CIR RÉDUIT À 5 %

Seuil de passage au taux réduit

Montant total du CIR (en millions d’euros)

 

Taux de 30 % puis 5 %

Économie réalisée

Mode de calcul actuel :

100 millions d’euros / 20 groupes fiscalement intégrés

4 154

0

80 millions d’euros / 22 groupes fiscalement intégrés

4 012

142

75 millions d’euros / 24 groupes fiscalement intégrés

3 983

171

55 millions d’euros / 37 groupes fiscalement intégrés

3 814

340

50 millions d’euros / 38 groupes fiscalement intégrés

3 761

393

30 millions d’euros / 61 groupes fiscalement intégrés

3 483

671

Source : MESR, à partir de la base CEGIR, mai 2010

Les Rapporteurs en déduisent qu’en divisant par deux le plafond de dépenses au-delà duquel les entreprises bénéficieraient d’un taux réduit de CIR à 5 %, c'est-à-dire en passant le plafond de 100 à 50 millions d’euros, l’économie réalisée serait d’environ 390 millions d’euros par an, toute chose égale par ailleurs.

En revanche, une telle mesure combinée avec la consolidation au niveau du groupe et non plus des filiales, des dépenses de CIR déclarées, entraînerait un accroissement important du nombre d’entreprises dépassant le plafond de 100 millions d’euros, qui serait encore plus élevé en cas de plafond fixé à 50 millions d’euros.

La MEC estime néanmoins essentiel de conserver l’architecture de la réforme du CIR en 2008 afin d’assurer la pérennité dans le temps de ce dispositif encore nouveau. Par conséquent, seuls des aménagements à la marge du dispositif réformé en 2008 pourraient faire consensus.

Aussi, paraît-il nettement plus justifié, tant sur le plan de la justice fiscale que sur celui de l’efficacité de la dépense fiscale, d’apprécier le plafond de 100 millions d’euros au-delà duquel le taux de CIR est réduit à 5 % à l’échelle du groupe, que de réduire ce plafond à 50 millions d’euros tout en laissant se multiplier des stratégies d’optimisation fiscales injustifiées.

Proposition n° 5 : Calculer le plafond de 100 millions d’euros de dépenses éligibles au-delà duquel le taux de crédit d’impôt recherche est réduit à 5 %, à l’échelle du groupe et non plus à l’échelle de chaque filiale.

La MEC en conclut qu’il est possible d’améliorer l’efficacité de la dépense fiscale à travers deux aménagements qui ne remettent pas en cause l’architecture du CIR issue de la réforme de 2008 : l’adéquation de la fixation forfaitaire des dépenses de fonctionnement à la réalité de la dépense et la consolidation au niveau du groupe des dépenses éligibles au regard du plafond de 100 millions d’euros.

Les propositions n° 3 et n° 5 produiraient ainsi une économie globale de plus d’un milliard d’euros par an.

B.– MIEUX SÉCURISER LE DISPOSITIF

La MEC a pu constater au cours des auditions menées que les objectifs en matière de sécurisation du dispositif n’ont pas encore été pleinement atteints et que des marges de progrès doivent être encore réalisées.

1.– Améliorer l’information des entreprises sur les dépenses éligibles au CIR

Il convient tout d’abord de souligner qu’avec la réforme de 2008, le périmètre et la définition des dépenses éligibles au CIR n’ont pas été modifiés.

l’assiette des dépenses ouvrant droit au crédit d’impôt recherche

– les dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche, y compris les rémunérations allouées aux dirigeants non salariés qui participent personnellement aux travaux de R&D de l’entreprise qu’ils dirigent et aux salariés non chercheurs, auteurs d’une invention ;

– les frais de fonctionnement calculés forfaitairement à 75 % du montant des dépenses de personnel susmentionnées sauf cas particulier ;

– la sous-traitance de recherche effectuée par des organismes de recherche publics, des établissements d’enseignement supérieur délivrant un diplôme conférant un grade de master, des établissements publics de coopération scientifique ou par des entreprises, experts et certains organismes agréés par le ministère chargé de la Recherche (fondations de coopération scientifique, fondations reconnues d’utilité publique du secteur de la recherche, associations ayant pour fondateur et membre un organisme de recherche public ou un établissement d’enseignement supérieur ou sociétés de capitaux dont le capital est majoritairement détenu par ces mêmes entités publiques) ;

– les dotations aux amortissements des immobilisations affectées à la recherche et au développement technologique ;

– les frais de dépôts et de maintenance des brevets ;

– les dotations aux amortissements des brevets acquis en vue de la recherche, les dépenses afférentes aux frais de défense des brevets ainsi que les primes et cotisations afférentes à des contrats d’assurance de protection juridique (dans la limite de 60 000 €) dans le cadre de litiges portant sur des brevets ;

– certaines dépenses de normalisation ;

– les dépenses relatives à la veille technologique dans la limite de 60 000 euros.

Enfin, pour le secteur textile, habillement, cuir, il faut ajouter les dépenses liées à l'élaboration de nouvelles collections exposées par les entreprises de ce secteur.

Source : Encadré n° 1 du rapport au Parlement sur le crédit d’impôt recherche 2009, publié en mars 2010.

En revanche, le nouveau mode de calcul du CIR en 2008 a eu deux effets principaux :

– pour les grandes entreprises, il a accru nettement le montant des dépenses de R&D déclarés et donc modifié les enjeux liés à ces déclarations ;

– pour les autres entreprises, l’effet d’entraînement a été fort, comme en témoigne la croissance du nombre de nouveaux déclarants entre 2007 et 2008, et a conduit de nombreux chefs d’entreprises à s’interroger davantage sur l’éligibilité de leurs dépenses de R&D au CIR réformé.

Dès lors, d’une façon globale, une attention nouvelle s’est trouvée portée par les entreprises sur la définition des dépenses éligibles au crédit d’impôt recherche, donnant lieu à l’apparition d’un certain nombre de difficultés.

La complexité des règles d’éligibilité des dépenses de R&D au crédit d’impôt recherche est un écueil signalé par les auditionnés à maintes reprises :

– M. Laurent Gouzènes, président du comité Développement et innovation au MEDEF : « Les dépenses éligibles au crédit d’impôt recherche ne le sont pas par nature, mais par destination. Un même acte, par exemple un prélèvement sanguin dans un laboratoire pharmaceutique, est éligible s’il est destiné à une activité de recherche stricte, mais ne l’est pas s’il ne vise qu’à l’amélioration ou une nouvelle validation d’un produit existant. Or, la distinction est parfois difficile à opérer. [...] Ne pourrait-on pas décider une fois pour toutes que le manuel de Frascati, publié par l’OCDE, sera la référence ? » ;

– M. Franck Debauge, membre de la commission Recherche-innovation et nouvelles technologies au MEDEF : « Or, aujourd’hui, l’administration a édicté des instructions fiscales, et le ministère de la Recherche et de l’enseignement supérieur a élaboré un guide, qui s’écarte des définitions internationales » ;

– M. Bruno Coulmance, directeur technique du pôle innovation d’Alma Consulting Group : « De mon point de vue, la simplification pourrait concerner la valorisation des dépenses liées au crédit d’impôt recherche qui aujourd’hui sont assez complexes à comprendre, du fait de la superposition de dispositions réglementaires successives au fil du temps » ;

– M. Hervé Amar, directeur général d’Alma Consulting Group : « Il existe un autre souci au sujet de l’éligibilité d’un projet de R&D au crédit d’impôt recherche. Pour les entreprises, la définition de la R&D renvoie au manuel de Frascati, très documenté, et dans lequel se trouvent tous les exemples utiles de projet de R&D, permettant de juger de leur éligibilité au crédit d’impôt recherche. La difficulté pour les entreprises est la différence entre la « définition Frascati » et celle de l’administration fiscale qui a largement évolué. Frascati n’est plus la référence. Revenir à la « définition Frascati » permettrait aux entreprises d’être assurées que leurs dépenses, que leur projet correspond bien aux trois familles de la R&D. »

Les documents dont il a été fait mention précédemment sont les suivants :

– la définition des dépenses de R&D financées par le CIR est précisée à l’article 49 septies F de l’annexe III du code général des impôts. Elle distingue trois catégories de dépenses éligibles : les activités ayant un caractère de recherche fondamentale, les activités ayant le caractère de recherche appliquée et les activités ayant le caractère de développement expérimental ;

– les critères d’éligibilité des dépenses de R&D sont explicités dans l’instruction fiscale 4-A-1-00 n° 27 du 8 février 2000 ;

– le ministère de la Recherche et de l’enseignement supérieur a édité son propre guide sur le crédit d’impôt recherche (38);

– dans ce guide, le ministère rappelle que la définition des activités de R&D éligibles au CIR est très proche de celle figurant dans le manuel de Frascati (39), qui est la référence internationale dans le domaine de la définition des dépenses de R&D. Son objet est de présenter une méthode permettant de distinguer les activités de développement expérimental d’autres activités ne relevant pas de la R&D.

Il est apparu au cours des auditions de la MEC que dans la pratique, des confusions pouvaient être faites dans l’utilisation de ces documents par leurs différents utilisateurs (ministère, entreprises, cabinets de conseils, administration fiscale, ...) rendant possible des interprétations divergentes et suscitant des incompréhensions.

Conscient de ces difficultés, le ministère de la recherche a rapidement travaillé à l’enrichissement de l’édition 2010 de son guide et axé son action sur les points suivants :

– la présentation du périmètre des dépenses de R&D est davantage détaillée, et s’appuie sur des raisonnements présentés par le manuel de Frascati ;

– les trois types de dépenses éligibles sont plus clairement énoncés : il s’agit des dépenses de R&D mais également des dépenses relatives à la propriété industrielle, aux normes et à la veille technologique, et de celles prises en charge dans le cadre du crédit d’impôt recherche applicable au secteur textile-habillement-cuir ;

– la question du périmètre des dépenses de R&D a été distinguée plus nettement du mode de calcul de l’assiette du CIR.

En complément, un groupe de travail interministériel a été constitué en 2010 avec pour objectif d’aboutir à une clarification des textes de référence servant à l’application du crédit d’impôt recherche (instruction fiscale, guide pratique et manuel de Frascati). Des améliorations nécessaires ont été identifiées sur les points suivants :

– procéder à une harmonisation car le manuel de Frascati et l’instruction fiscale n’utilisent pas la notion d’état de l’art contrairement au guide du ministère de la recherche ;

– préciser la définition des dépenses de R&D éligibles et notamment les limites du développement expérimental ;

Les résultats de ces travaux devraient donner lieu à l’élaboration d’une nouvelle instruction fiscale, qui serait actuellement en cours de préparation d’après les informations transmises aux Rapporteurs de la MEC.

Si la MEC salue les efforts engagés par l’administration pour clarifier les textes de référence, elle insiste sur la nécessité d’établir une nouvelle instruction fiscale faisant directement référence au manuel de Frascati.

Proposition n° 6 : Établir une nouvelle instruction fiscale faisant directement référence au manuel de Frascati de l’OCDE afin d’expliciter l’éligibilité des dépenses de R&D au crédit d’impôt recherche.

2.– Développer le recours à la procédure de rescrit et au contrôle sur demande

Compte tenu des difficultés d’interprétation de la définition des dépenses éligibles, les entreprises disposent de plusieurs outils de sécurisation a priori. En effet, le CIR étant accordé sur la base d’une simple déclaration, son contrôle se fait principalement a posteriori, via le contrôle fiscal de droit commun. Cependant, la réforme du CIR en 2008 a permis de renforcer la sécurité fiscale du dispositif pour les entreprises :

– elles ont la possibilité de solliciter un avis préalable de l’administration avant le démarrage des travaux de recherche si elles souhaitent s’assurer que leurs projets de recherche ouvrent bien droit au crédit d’impôt : il s’agit du rescrit. L’administration dispose alors de trois mois pour répondre ; à défaut, la réponse est réputée favorable, en application du 3° de l’article L. 80 B du livre des procédures fiscales ;

– les PME peuvent s’assurer auprès de l’administration qu’elles appliquent bien les règles fiscales en lui demandant d’effectuer un contrôle sur certains points précisés dans la demande : il s’agit du contrôle sur demande du contribuable, défini par les articles L. 13 et L. 13 CA du livre des procédures fiscales. Les conclusions du contrôle constituent des prises de position formelles qui engagent l’administration (articles L. 80 A et L. 80 B du livre des procédures fiscales). Si l’administration conclut à une absence d’anomalie, cette position peut lui être opposée. Si au contraire, le contrôle fait apparaître, sur les points concernés, des erreurs ou inexactitudes, le contribuable peut procéder à une régularisation moyennant un intérêt de retard à taux réduit ;

– de nouvelles dispositions pour développer la procédure de rescrit ont été adoptées, par voie d’amendement parlementaire, dans la loi de modernisation de l’économie (40) et sont définies au 3° bis de l’article L. 80 B du livre des procédures fiscales. Ainsi, depuis le 1er septembre 2009, les entreprises peuvent demander directement au ministère de la Recherche, via notamment les délégués régionaux à la recherche et à la technologie, à Oséo Innovation ou encore à l'Agence nationale de la recherche (ANR), si leur projet présente un caractère scientifique et technique le rendant éligible au crédit d'impôt recherche. Cette mesure est destinée à contourner la difficulté liée à l’idée solidement ancrée selon laquelle le chef d’entreprise prenant contact avec l’administration fiscale pour obtenir simplement une expertise risque un contrôle fiscal ensuite.

● Les statistiques montrent que la procédure de rescrit engagée en application de l’article L. 80 B-3° du livre des procédures fiscales connaît une forte progression entre 2006 et 2009, mais reste encore très largement sous-utilisée :

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE RESCRITS

2006

2007

2008

2009

34

60

122

286 (a)

(a) Sur 307 dossiers reçus.

Source : réponse au questionnaire de la MEC.

● L'évolution du nombre de rescrits, déposés en application de l'article L. 80 B-3° bis du livre des procédures fiscales, depuis le 1er juillet 2009, montre que le recours se fait principalement auprès du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche (23 demandes) et qu’il est encore trop faible pour être significatif auprès des organismes habilités (trois demandes seulement adressées à l’Agence nationale de la recherche et quatre en cours d'instruction auprès d’OSÉO).

Les témoignages recueillis au cours des auditions semblent indiquer que les entreprises ne se sont pas encore approprié cette procédure de rescrit, ce qui contribue à alimenter l’activité des cabinets de conseils... rémunérés généralement en proportion de l’économie d’impôt réalisée, avec un taux compris entre 15 % et 20 % du montant du crédit d’impôt recherche obtenu par l’entreprise.

La MEC souhaite limiter ces pratiques peu vertueuses et donner une nouvelle impulsion à la procédure de rescrit, par définition gratuite pour les entreprises.

Elle propose qu’un correspondant spécifique au sein des réseaux consulaires (chambres de commerce et d’industrie territoriales, chambres des métiers et de l’artisanat départementales, chambres d’agricultures) soit désigné comme interlocuteur auprès des entreprises pour informer les entreprises sur le CIR et promouvoir la mise en œuvre du rescrit, en insistant sur les nouvelles possibilités offertes par la loi depuis 2009 qui leur permet de faire appel à l’expertise d’organismes extérieurs à l’administration fiscale, tels que l’ANR et OSÉO.

Proposition n° 7 : Former au sein des réseaux consulaires un « correspondant fiscalité des PME » chargé d’informer les entreprises sur le crédit d’impôt recherche et de promouvoir la procédure de rescrit en particulier.

C.– MIEUX CONTRÔLER

1.– Améliorer la qualité et l’efficacité du contrôle fiscal

Pour éviter les détournements à des fins d’évasion fiscale et pour s’assurer de la bonne utilisation du crédit d’impôt recherche au regard de l’objectif de progression de la R&D des entreprises, la qualité et l’efficacité du contrôle fiscal a posteriori sont essentielles et s’inscrivent comme le nécessaire corollaire du développement du rescrit et du contrôle sur demande a priori.

M. Jean-Marc Fenet, directeur adjoint chargé de la fiscalité à la direction générale des Finances publiques, a précisé lors de son audition les modalités du contrôle fiscal sur le crédit d’impôt recherche :

« En aval, l’administration peut procéder au contrôle fiscal du crédit d’impôt recherche, dans deux cas de figure.

Le premier s’inscrit dans le cadre d’une vérification générale de comptabilité, c’est le cas le plus fréquent. Il faut rappeler que le crédit d’impôt recherche n’est pas le point d’entrée du contrôle fiscal et qu’un avantage fiscal ne constitue jamais un axe de contrôle. Le crédit d’impôt recherche est alors contrôlé parmi les autres éléments de la déclaration fiscale. Il est remarquable que, dans 80 % des cas, le redressement au titre du crédit d’impôt recherche est accompagné d’un autre motif de redressement. Comme pour le rescrit, l’administration fiscale analyse les dépenses mentionnées et la démarche de l’entreprise ; sur les aspects techniques et scientifiques (par exemple la différenciation entre la recherche développement, l’innovation ou l’invention d’un prototype) elle renvoie le dossier à l’expertise du ministère de la Recherche, d’OSÉO ou de l’ANR.

Le deuxième cas de figure est celui de contrôles dans le cadre de vérifications ponctuelles – une année un impôt – où le crédit d’impôt recherche représente 14 % de l’ensemble de ce type de contrôle. »

Mme Frédérique Sachwald, chef du département Politiques d’incitation à la R&D des entreprises au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche et responsable du contrôle du crédit d’impôt recherche pour ce ministère, a expliqué, lors de son audition, les modalités du contrôle sur le fond mené par le réseau d’experts du MESR : « Le contrôle d’une entreprise en termes de CIR porte sur les dépenses de R&D attachées à des projets. Nous demandons une description précise projet par projet – parfois plus de cinquante pour une grande entreprise. Le contrôle porte sur la description technique du projet, les objectifs, atteints ou non, les difficultés scientifiques et techniques, les personnels attachés à ce projet et la quotité de temps qu’ils y ont consacré. Il s’agit d’une étude non pas statistique mais précise. La réforme du CIR a déjà provoqué un accroissement des contrôles, en quantité et en volume : 458 contrôles en 2008 et 570 en 2009 ».

Elle a également rappelé par écrit, en réponse à une demande des Rapporteurs, que l’article R. 45 B-1 du livre des procédures fiscales fixe les conditions dans lesquelles des agents dûment mandatés par le directeur de la Technologie du MESR, les délégués régionaux à la recherche et à la technologie ou des agents dûment mandatés par ces derniers, peuvent se rendre dans les entreprises après envoi d'un avis de visite pour, notamment :

– prendre connaissance de la déclaration spéciale si elle ne leur a pas été communiquée précédemment ;

– consulter les documents comptables prévus par les articles L. 123-12 à L. 123-28 du code du commerce, ainsi que tous les documents annexes ou justificatifs, en vue de s'assurer de la réalité des dépenses affectées à la recherche ;

– consulter tous les documents techniques, effectuer toutes constatations matérielles, procéder à des vérifications techniques, en vue de s'assurer de la réalité de l'activité de recherche à laquelle les dépenses ont été affectées.

Les résultats de ce contrôle sont notifiés à l'entreprise et sont communiqués à l'administration des impôts.

Il en résulte que les agents du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche disposent d’une simple faculté, et non d’une obligation, de se rendre dans l’entreprise pour effectuer un contrôle. Dès lors, le fait d’émettre un avis uniquement sur examen du dossier n’est pas entaché d’un vice de procédure. Conformément à la jurisprudence constante du Conseil d’État, les agents du MESR ne sont donc pas tenus d’engager un débat oral et contradictoire avec l’entreprise.

Toutefois, Mme Sachwald a expliqué qu’en pratique le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche privilégie la rencontre avec l’entreprise chaque fois que l’examen du dossier le nécessite. Techniquement, il n’y a, au jour de la rédaction du rapport, que 4 agents chargés des aspects relatifs au contrôle du CIR au sein département Politiques d’incitation à la R&D des entreprises. Cependant, ils disposent d’un réseau d’environ 200 experts en régions, nommés soit par la direction générale pour la Recherche et de l’innovation soit par les délégations régionales de la recherche et de la technologie. Souvent issus des institutions publiques de recherche, ces experts sont rémunérés par le MESR pour chaque mission d’expertise à laquelle ils participent.

L’Union SNUI SUD Trésor Solidaires, principal syndicat de la direction générale des Finances publiques, observe cependant un certain nombre de lacunes dans la mise en œuvre du contrôle fiscal sur le crédit d’impôt recherche résultant de l’existence d’un double contrôle partagé, mais non coordonné, entre les services des impôts (contrôle formel) et les services d’instruction du MESR (contrôle sur le fond).

Son secrétaire national, M. Vincent Drezet, a ainsi déclaré lors de son audition par la MEC : « il est crucial d’améliorer les procédures de contrôle entre les services fiscaux et les services du ministère de la Recherche. Le crédit d’impôt recherche étant promu par ce ministère, nous avons le sentiment que son accord est systématiquement délivré. Or nous n’avons pas les compétences techniques pour contrôler le fond des dossiers. Les directions régionales de la technologie, quant à elles, ne semblent pas toujours disposer des moyens humains pour opérer des vérifications. On en reste parfois à un simple contrôle de forme (…) il conviendrait de travailler davantage avec le ministère de la Recherche et d’harmoniser nos pratiques afin d’aller plus au fond des dossiers (…) Une vérification coordonnée entre les services fiscaux et les services du ministère de la Recherche constituerait un premier progrès. Ils pourraient additionner leurs compétences et croiser leurs approches de manière efficace. Le ministère cherche toutefois à promouvoir le crédit d’impôt recherche, ce qui peut le mettre en porte-à-faux lorsqu’il s’agit d’en limiter l’usage ».

S’agissant de la qualité des expertises menées par le réseau du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, certains agents des services fiscaux mettent en avant le manque de formation de certains experts (nomination d’un étudiant chercheur par exemple) ou l’absence d’une motivation détaillée de l’avis rendu par l’expert, des délais parfois trop long…

Interrogés sur ces différentes critiques relatives à la qualité et l’efficacité du contrôle du CIR, les services du ministère de la recherche ont reconnu que l’année 2009 avait été marquée par une montée en charge des demandes d’expertises formulées par les services fiscaux, à laquelle les services du ministère ont pu avoir du mal à faire face. La direction générale pour la recherche et l'innovation a donc décidé, dans le plan d’action sur le contrôle du crédit d’impôt recherche en préparation, de renforcer son équipe en charge du contrôle du CIR en s’appuyant notamment sur du personnel des services fiscaux en détachement. Il s’agit de renforcer les liens entre les services des deux ministères et de contribuer à l’unification des méthodes et à la clarification des rôles lors des contrôles. S’agissant du contrôle réalisé en région, la DGRI s’efforce d’homogénéiser le recrutement et la formation des experts du réseau régional et veille systématiquement à ce que l’expert chargé d’une mission signe un engagement de non-conflit d’intérêt.

La MEC salue les efforts engagés par la DGRI pour améliorer la qualité et l’efficacité du contrôle du CIR à travers une meilleure coordination avec les services fiscaux mais considère qu’il faut aller plus loin. La création d’équipes de contrôle communes du CIR en administration centrale et dans les principales régions françaises entre les services fiscaux (en charge du contrôle formel) et les services du ministère de la recherche (en charge du contrôle sur le fond), serait sans doute le meilleur outil pour unifier les méthodes de contrôle et clarifier les rôles de chacun.

Proposition n° 8 : Créer des équipes communes de contrôle du crédit d’impôt recherche entre les services fiscaux et les services du ministère de la recherche, au niveau central et dans les principales régions françaises.

2.– Améliorer les outils d’évaluation de la performance du CIR

L’évaluation des dépenses fiscales constitue l’une des réclamations le plus souvent formulées par les rapporteurs spéciaux des commissions des Finances de l’Assemblée nationale et du Sénat chaque année. Ainsi, dans le rapport d’information n° 1780 intitulé « Trois ans de performance dans le budget de l’État », les Rapporteurs de la mission d’information sur la mise en œuvre de la LOLF (MILOLF) ainsi que les Rapporteurs spéciaux compétents pour les principales missions assorties de dépenses fiscales (Agriculture, pêche, Forêt et affaires rurales, Développement des entreprises et régulation économique, Engagements financiers de l’État, Outre-Mer, Travail et emploi) ont largement insisté sur la nécessité d’introduire un véritable dispositif d’évaluation de la performance des dépenses fiscales, assorti d’objectifs et d’indicateurs de performance pertinents.

Cette réclamation est d’autant plus fondée que le conseil de modernisation des politiques publiques, le 12 décembre 2007, a pris un certain nombre de décisions parmi lesquelles la définition de règles d’adoption plus strictes pour les dépenses fiscales. Il y avait été indiqué que toute création de dépense fiscale nouvelle serait subordonnée à la réalisation d’une étude d’impact préalable comportant une comparaison des outils fiscaux et budgétaires, que les dépenses fiscales nouvelles seraient limitées dans le temps et que leur renouvellement serait conditionné à la réalisation d’une étude d’impact.

S’agissant du CIR, les documents budgétaires (projet annuel de performances et rapport annuel de performances) font état d’un seul indicateur d’évaluation du CIR qui mesure le supplément de dépense de recherche et développement par euro de crédit d’impôt recherche investi (actuellement cet indicateur est de 1,01). Or, cet indicateur ne paraît pas satisfaisant, car il existe nombre de facteurs ayant pour effet d’accroître les dépenses de R&D indépendamment du CIR. M. Rodolphe Gintz, sous-directeur chargé de la 3ème sous-direction de la direction du Budget, a confirmé cette analyse et précisé : « Nous réfléchissons, avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, à l’évolution de cet indicateur qui ne semble plus totalement adapté au nouveau dispositif. En tout état de cause, je ne suis pas persuadé qu’un indicateur unique de performance, de périodicité annuelle, soit suffisant pour évaluer un dispositif de 4 milliards d’euros ».

En outre, les rapports rendus au Parlement sur le crédit d’impôt recherche en 2006, 2008 et 2010 ont rendu compte des travaux d’évaluation menés entre 2005 et 2007 et des premiers résultats de l’impact de la réforme 2008. Toutefois, la périodicité de ces rapports (biannuelle) et les méthodes d’évaluation utilisées (sondage auprès des entreprises dont les taux de réponses sont faibles (41)) mettent en évidence l’insuffisance du suivi de la performance du CIR.

Dans la mesure où la dépense fiscale attachée au CIR constitue en 2009 la première dépense fiscale en valeur (5,8 milliards d’euros), la mise en place de véritables outils quantitatifs et qualitatifs de suivi de la performance du CIR s’impose.

À cet égard, M. Ronan Stephan, directeur général pour la Recherche et l’innovation, a bien mis en évidence, lors de son audition, les difficultés à surmonter pour évaluer correctement la performance du CIR : « De l’éventail des aides accordées aux entreprises au titre de la R&D, il conviendra toutefois d’extraire l’impact réel et différencié du crédit impôt recherche, ce qui implique de procéder à une analyse très fine, permettant de déconvoluer les chiffres dont nous disposons des autres modalités d’accompagnement des entreprises visant à stimuler leur R&D, afin de voir si la réforme a permis de dépasser en 2008, les résultats de la décennie 1993-2003 et si cet argent a été majoritairement réinjecté dans la R&D ».

Pour parvenir à réaliser une évaluation précise de la réforme du CIR et évaluer d’éventuels effets d’aubaine, la DGRI a mandaté deux experts en économétrie chargés de rendre un rapport au troisième trimestre 2010 afin d’intégrer leurs conclusions dans le prochain rapport au Parlement fin 2010. De plus, l’Inspection générale des finances (IGF), représentée à certaines auditions de la MEC, mène actuellement des travaux en vue de définir des outils permettant d’améliorer l’évaluation des dépenses fiscales, dont le CIR.

Sur le plan quantitatif, la MEC estime nécessaire de renseigner de nouveaux indicateurs répondant aux questions suivantes : quel est le coût d’un chercheur (et d’un technicien de R&D) en France (avant et après CIR) et dans les autres pays de l’OCDE ? Comment ce coût a-t-il évolué depuis 2007 ? Quelle est l’élasticité de la R&D en France par rapport à ce coût ? En d’autres termes, le CIR a-t-il eu pour effet d’accroître l’emploi des chercheurs ou les investissements en R&D en France (effet volume) ou d’accroître le salaire des chercheurs et/ou les tarifs pratiqués par les entreprises de conseils sur le CIR (effet prix) ? Est-il possible d’affiner ces questions pour avoir des réponses par tranche d’effectifs des entreprises et par secteur d’activité ?

Sur le plan qualitatif, même s’il est exact que le CIR réformé en 2008 ne peut expliquer à lui seul l’évolution de certaines variables macroéconomiques compte tenu de l’importance de l’ensemble de l’écosystème de la recherche en France, il serait utile d’avoir une vision claire de l’évolution annuelle des variables suivantes depuis 2003 afin de pouvoir procéder à des comparaisons dans le temps au regard des dernières réformes législatives du crédit d’impôt recherche :

– le nombre de chercheurs et de techniciens de recherche français et étrangers employés par les entreprises bénéficiaires du CIR ainsi que le montant des dépenses déclarées s’y référant ;

– le nombre de brevets, certificats d’obtention végétale, logiciels et licences déposés à l’année n+3 suivant la première déclaration du crédit d’impôt recherche, par dizaine de millions d’euros de CIR ;

– le nombre de contrats de recherche passés avec des organismes publics par les entreprises bénéficiaires du crédit d’impôt recherche ;

– le nombre de contrats de sous-traitance passés par les entreprises bénéficiaires du crédit d’impôt recherche ;

– le nombre de filiales fiscalement intégrées par des entreprises réalisant plus de 100 millions d’euros de dépenses de R&D ;

– la nature des différents types de financement publics en faveur de la recherche (subventions et allègements fiscaux et sociaux) par tranche d’effectifs.

Proposition n° 9 : Mettre en place des outils quantitatifs et qualitatifs de suivi de la performance du crédit d’impôt recherche

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission examine le rapport de la mission d’évaluation et de contrôle relatif au crédit d’impôt recherche, présenté par MM. Alain Claeys, Jean-Pierre Gorges et Pierre Lasbordes, Rapporteurs.

M. le Président Jérôme Cahuzac. Je rappelle que le crédit d’impôt recherche est devenu la première dépense fiscale en 2009 pour un montant de 5,8 milliards d’euros en 2009, et d’environ 4,2 milliards d’euros prévus en 2010, hors mesures de remboursement anticipé et accéléré en 2009.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. En synthèse, la MEC constate un bilan nuancé selon l’objectif poursuivi, en particulier au regard de l’objectif de renforcement de la recherche privée, afin de parvenir à une dépense totale de recherche et développement
– R&D – portée à 3 % du PIB, dont les deux tiers réalisés par les entreprises, dans le cadre de la stratégie de Lisbonne.

En fait, la réforme du crédit d’impôt recherche, le « CIR », en 2008, semble avoir arrêté la baisse continue de la recherche privée en France depuis 1993. En effet, la dépense intérieure de recherche et développement (DIRD), qui est l’indicateur mesurant l’effort de recherche d’un pays, a continuellement baissé depuis 1993, passant de 2,37 % du PIB à 2,06 % en 2007. La France se place ainsi en dessous de la moyenne de l’ensemble des pays de l’OCDE en 2007, ce qui n’est pas satisfaisant. Ce décrochage est à mettre sur le compte de la faiblesse de la DIRD des entreprises, passée de 1,46 % du PIB en 1993 à 1,29 % en 2007 et largement en dessous du niveau observé aux États-Unis, au Japon ou en Allemagne.

Avec la réforme du CIR, l’année 2008 semble marquer le début d’une légère reprise, la part des entreprises passant de 1,29 % à 1,31 %, et la DIRD a timidement progressé, de 2,06 % du PIB en 2007 à 2,07 %.

Il s’agit donc actuellement d’une dépense fiscale très lourde pour un effet assez faible sur la dépense de recherche. Pour autant, sachant que la DIRD des entreprises est par nature procyclique, la MEC considère que cet impact constitue en soi un résultat important au vu de la crise économique sans précédent à laquelle nous devons faire face et du processus de désindustrialisation croissant en France.

Pour autant, la MEC ne peut que constater que, malgré le coût de la réforme du CIR en loi de finances pour 2008, les objectifs de la stratégie de Lisbonne sont loin d’être atteints en 2010.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. La MEC a néanmoins observé les effets positifs de la réforme de 2008. Premièrement, les PME profitent majoritairement de cette réforme : elles représentent 83 % du total des entreprises bénéficiaires en 2008 contre 69 % en 2007 ; le nombre de PME bénéficiaires a augmenté de 48 % ; le montant du crédit d’impôt recherche attribué aux PME a quasiment triplé entre les 2007 et 2008 ; enfin les PME ont recueilli 42 % du montant total du CIR, contre 35 % en 2007.

Deuxièmement, le secteur industriel a capté plus 68 % du montant du CIR en 2008, ce qui est une bonne nouvelle.

Troisièmement, la réforme du crédit d’impôt recherche en 2008 a renforcé l’attractivité de la France : 41 projets d’implantation de centres de R&D ont été annoncés en France en 2009, soit 64 % de plus qu'en 2008. Ces projets devraient permettre de créer 2 115 emplois, soit une progression de 142 % qui place la France en tête des pays européens créateurs d'emplois liés aux investissements internationaux dans la recherche. En outre, l’analyse des dépenses déclarées montre un doublement des sommes consacrées à l’embauche de jeunes docteurs entre 2007 et 2008. Cet excellent résultat devra néanmoins être confirmé dans les années qui viennent.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour être le plus bref possible, je vais présenter le bilan du coût de la réforme en 2008 et présenter les premières propositions y afférents. Tout d’abord quelques chiffres : en 2008, le coût du crédit d’impôt recherche est passé de 1,6 milliard d’euros à 4,15 milliards d’euros alors que le nombre d’entreprises bénéficiaires a augmenté de seulement 34 %. Il faut y ajouter un renchérissement temporaire en 2009 lié aux mesures de remboursement accéléré et anticipé votées dans le cadre du plan de relance de l’économie, si bien que la dépense de CIR a atteint 5,8 milliards d’euros en 2009 pour devenir la première dépense fiscale. Ce coût est comparable au coût des dispositifs de crédit d’impôt recherche au Japon et aux États-Unis, étant précisé que, dans ces deux pays, le crédit d’impôt n’est accordé qu’en cas d’accroissement des dépenses de R&D d’une année sur l’autre, ce qui n’est plus le cas en France depuis la réforme de 2008.

La MEC a cependant pu constater deux dysfonctionnements du dispositif de 2008 : une surévaluation des dépenses de fonctionnement prises en compte et l’existence de stratégies d’optimisation fiscale injustifiées.

S’agissant de la surévaluation des dépenses de fonctionnement, le mécanisme est simple : le poids des dépenses de personnel correspond à 45 % du total des dépenses de R&D déclarées – 7,05 milliards d’euros en 2008. Les dépenses de fonctionnement, quant à elles, sont calculées forfaitairement et représentent 75 % des dépenses de personnel, soit 33,8 % des dépenses de R&D déclarées – 5,2 milliards d’euros. Or, les investigations de la MEC ont montré que la réalité se situe à un niveau inférieur : en moyenne 60 % mais la proportion (dépenses de fonctionnement / dépenses de personnel) est très variable selon les secteurs d’activité. Les chiffres montrent que l’application du forfait est largement défavorable au secteur industriel, pourtant soumis à la concurrence internationale, et très favorable au secteur des services, en particulier le secteur des services informatiques.

S’agissant des stratégies d’optimisation fiscale, le régime de l’intégration fiscale aboutit à ce que le CIR soit déterminé au niveau de chaque filiale de groupe et non au niveau de la société mère. Pour autant, celle-ci se substitue à ses filiales pour l'imputation des crédits d'impôt dégagés par chaque société du groupe. Or, il convient de rappeler que depuis la réforme du crédit d’impôt recherche en 2008, l’assiette du crédit d’impôt fonctionne par tranche : au-delà de 100 millions d’euros de dépenses, le taux de CIR passe de 30 % à 5 %. La stratégie d’optimisation consiste à créer des filiales intégrées fiscalement afin de répartir les dépenses de R&D entre ces filiales, et se soustraire ainsi à la limitation du taux à 5 % au-delà de 100 millions d’euros de dépenses déclarées. Pour un même volume de dépenses de recherche déclarées, le montant de crédit d’impôt recherche n’est évidemment pas le même selon que l’entreprise fait partie d’un groupe ou non. Or, dans les faits, le nombre de holdings bénéficiaires du CIR a plus que doublé entre 2007 et 2008, passant de 971 à 2 436 entre 2007 et 2008, tandis que la part des PME indépendantes a peu progressé – 6 314 en 2007 et 6 579 en 2008.

Les trois premières des neuf propositions de la MEC ont donc pour objet de limiter ces effets d’aubaine et ces stratégies d’optimisation fiscale.

Nous proposons tout d’abord d’abaisser le forfait applicable aux dépenses de fonctionnement de 75 % à 33 %, tout en instaurant un régime optionnel de frais réels au-delà du forfait. Cette mesure permettrait d’économiser jusqu’à 865 millions d’euros par an (hors prise en compte de dépenses de frais réels au-delà du forfait).

Nous proposons aussi de calculer le plafond de 100 millions d’euros de dépenses éligibles au-delà duquel le taux de CIR est réduit de 30 % à 5 % au niveau du groupe et non plus de chaque filiale. Cette mesure permettrait d’économiser 390 millions d’euros par an.

Au total, nous pouvons donc économiser jusqu’à 1,2 milliard d’euros sans remettre en cause l’architecture du crédit d’impôt recherche réformé en 2008.

Enfin, il nous semble important d’introduire une obligation légale de réemploi minimal des créances de crédit d’impôt recherche au profit des équipes de recherche, afin que le crédit d’impôt finance des activités de recherche.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. La MEC a formulé trois propositions supplémentaires pour améliorer l’efficacité de la dépense en faveur des PME. Il s’agit de pérenniser le remboursement anticipé de la créance de crédit d’impôt recherche au profit des PME non fiscalement intégrées – et non pas à l’ensemble des PME, car celles qui appartiennent à un groupe d’entreprises fiscalement intégré n’ont pas les mêmes besoins de trésorerie. Il s’agit également de mieux caractériser les entreprises les plus intensives en R&D pour adapter les différents dispositifs d’aides publiques. Enfin, la MEC insiste pour que soient mis en place des outils quantitatifs et qualitatifs de suivi de la performance du crédit d’impôt recherche.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Trois autres propositions devraient permettre de mieux sécuriser le dispositif pour les PME et mieux le contrôler. Premièrement, il apparaît nécessaire d’améliorer l’information des entreprises sur les dépenses éligibles au crédit d’impôt recherche par l’intégration de la référence au manuel de Frascati, publié par l’OCDE, dans une nouvelle instruction fiscale. En effet, les utilisateurs du crédit d’impôt peuvent utiliser quatre documents de référence différents pour définir les dépenses éligibles, ce qui entraîne des confusions auxquelles il convient de mettre fin. Deuxièmement, il faut promouvoir le recours à la procédure de rescrit et au contrôle fiscal sur demande par la formation d’un correspondant « fiscalité des PME » au sein des chambres consulaires. Les réseaux consulaires doivent s’impliquer dans le dispositif. Troisièmement, il est aujourd’hui très important d’améliorer la qualité et l’efficacité du contrôle fiscal grâce à la création d’équipes de contrôle communes aux services du ministère de la Recherche et de l’administration fiscale.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général. Je reste perplexe devant les montants d’économie annoncés, qui me semblent extrêmement élevés. Les préconisations formulées ne mettraient-elles pas à mal l’équilibre du dispositif du crédit d’impôt recherche ? Je voudrais revenir en particulier sur deux d’entre elles : la réduction des dépenses de fonctionnement donnant droit à déduction, qui ne seraient plus évaluées forfaitairement à 75 %, mais à 33 % du montant des dépenses de personnel ; l’application du plafond de 100 millions d’euros non plus à l’échelle de chaque filiale, mais du groupe dont elles sont constitutives, ce qui rend ce mécanisme plus rigoureux.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 45 % du crédit d’impôt est alloué au titre des dépenses de personnel et 33 % au titre des dépenses de fonctionnement. Alors que les dépenses de fonctionnement sont évaluées de manière forfaitaire à 75 % des dépenses de personnel, tout le monde s’accorde à dire qu’elles n’en représentent souvent que 33 %. Revenir à la réalité sur cette évaluation permettrait en effet d’économiser de l’ordre de 800 millions d’euros. D’autre part, couper court à l’optimisation fiscale en matière de plafonnement rapporterait plus de 300 millions d’euros. Enfin, pérenniser le système de remboursement accéléré seulement pour les PME indépendantes permettrait aussi des économies substantielles, par rapport à une éventuelle pérennisation généralisée.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général. Ne remettez-vous pas en cause la distinction entre part en volume et part en accroissement ?

M. Alain Claeys, Rapporteur. Non, cet aspect central de la réforme de 2008 doit être conforté.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Au-delà de la méthode d’imputation, il faut dresser ce constat simple : à partir de 2008, le crédit d’impôt recherche a servi à de nombreuses entreprises d’instrument d’optimisation fiscale à vaste échelle…

M. Philippe Vigier. Vous avez raison !

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. …faute d’instrument de mesure et de contrôle approprié : chaises, tables, matériel de bureau, toutes ces dépenses ne devraient même pas pouvoir entrer dans l’assiette du crédit d’impôt recherche. Certes, le mécanisme de crédit d’impôt a empêché la délocalisation de certaines entreprises, et en a même ramené quelques-unes en France. Mais à quel prix ! L’effort total de recherche et développement n’a augmenté que de manière infinitésimale en 2008. Encore faudrait-il le décomposer de manière rigoureusement analytique, comme le suggère la Cour des comptes, qui, au cours de nos travaux, a proposé d’effectuer des vérifications qualitatives des dépenses déclarées. Les abus sont par exemple nombreux dans le domaine de l’informatique : les mathématiques appliquées ne sauraient être assimilées à une activité de recherche. Dans le domaine de la banque aussi, des irrégularités sont à relever, même si elles sont moins répandues qu’on ne l’a dit, et si finalement le crédit d’impôt recherche du secteur bancaire ne représente qu’un enjeu marginal.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général. L’Inspection des finances s’est-elle intéressée à la question ? D’autre part, le sénateur Christian Gaudin a rendu, il y a un mois, un rapport sur le sujet. Vos propositions sont-elles proches des siennes ?

M. Alain Claeys, Rapporteur. Nous présentons nos propositions par le menu dans le rapport. Vous y verrez notamment que le taux forfaitaire de 75 % permettant d’évaluer les dépenses de fonctionnement s’applique au détriment des entreprises qui sont précisément exposées à la concurrence internationale la plus sévère.

Les propositions du sénateur Gaudin visent d’une part à supprimer le taux de CIR de 5 % au-delà de 100 millions d’euros de dépenses et d’autre part à consolider le calcul du plafond au niveau du groupe. Ces deux propositions combinées rapporteraient quelque 580 millions d’euros d’économie.

Sans remettre en cause l’objectif de soutien à la recherche, les nôtres visent à lutter contre les comportements d’optimisation fiscale et contre les effets d’aubaine, qui coûtent au total près d’un milliard d’euros. En revanche, nous ne proposons pas de supprimer le taux réduit au-delà de 100 millions d'euros, pour maintenir l’architecture du CIR réformé en 2008. Quant à l’Inspection des finances, nous avons rencontré au début du mois de juin l’un de ses membres, qui a pris note de nos pistes de travail.

M. Alain Rodet. Vous présentez dans votre rapport des statistiques qui mettent en regard les projets des holdings et ceux des PME. Disposez-vous d’une ventilation analogue par répartition géographique ?

Puisque notre collègue Jean-Pierre Gorges dit que les réseaux consulaires doivent s’engager davantage, je tiens à souligner qu’ils ne sont pas tous également armés pour cela, car ils ne disposent pas tous des mêmes moyens.

M. Charles de Courson. Les travaux de la mission d’évaluation et de contrôle nous ramènent à la question essentielle de la finalité du crédit d’impôt recherche. Son coût a explosé, sans que les dépenses de recherche aient augmenté. Les entreprises en conviennent elles-mêmes. Sous sa forme actuelle, le crédit d’impôt est émis à guichet ouvert. Devant cette situation, je ne suis pas certain qu’il suffise, ni même qu’il soit possible, de recentrer le dispositif au vu des résultats obtenus par les investissements ouvrant droit à déduction.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Beaucoup de pistes d’amélioration restent en effet difficiles à exploiter, tant que les renseignements appropriés ne sont pas disponibles. C’est pourquoi nous plaidons en particulier pour que des indicateurs budgétaires servent au suivi de la performance du dispositif. Les données font encore défaut pour répondre à des questions simples : combien de doctorants sont-ils employés dans le secteur privé ? L’effort de recherche s’observe-t-il principalement dans les secteurs d’avenir ?

Hier, au cours du débat de la MEC avec les représentants de la Cour des comptes, un accord s’est dégagé sur l’opportunité pour la Cour de conduire une enquête sur le ciblage du dispositif et sur ses effets qualitatifs. Quant à la répartition géographique de l’effort de recherche, vous pouvez vous reporter aux chiffres du ministère de la recherche qui ont été publiés en mai.

M. Laurent Hénart. Le dispositif du crédit d’impôt recherche produit-il des effets bénéfiques sur les universités ?

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il a en effet favorisé une augmentation de la coopération des entreprises privées avec les laboratoires publics.

M. Patrice Martin-Lalande. Comment évoluent les dispositifs analogues à l’étranger ? La question me semble essentielle si le nôtre a pour fin de maintenir les entreprises en France en évitant les délocalisations.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Il faut regretter que des éléments de comparaison exhaustifs fassent défaut bien que nous ayons demandé de telles informations au ministère de l’Économie.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Au Japon et aux États-Unis, les mécanismes sont différents. Ils retiennent en effet comme base de calcul la différence de volume d’investissement par rapport au volume d’investissement de l’année précédente, à l’instar de l’ancien mécanisme français. Quant aux montants, l’effort public est néanmoins équivalent.

M. René Couanau. Je trouve intéressant ce rapport, dont les conclusions me semblent directement opérationnelles. Il est cependant paradoxal de déplorer l’absence d’impact visible, tout en reconnaissant que les instruments sont encore à inventer qui permettraient d’en mesurer l’ampleur. Ces dispositions ne peuvent produire leur plein effet que dans le temps et nous ne disposons tout simplement pas encore du recul nécessaire.

M. le Président Jérôme Cahuzac. Je remercie les co-présidents de la mission d’évaluation et de contrôle, sous la présidence de nos collègues David Habib et Georges Tron, puis Olivier Carré, du travail en effet très intéressant qu’ils ont effectué.

La Commission autorise la publication du rapport, en application de l’article 145 du règlement.

Puis elle autorise le Président Jérôme Cahuzac à en notifier les conclusions au Gouvernement, selon la procédure de l’article 60 de la loi organique relative aux lois de finances.

ANNEXES

I.– PASSAGE DNRD - DIRD


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

II.– LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Pages

Auditions du 23 février 2010

à 10 heures : M. Jean du Mesnil du Buisson, secrétaire général de la CGPME, M. Pascal Labet, directeur des affaires économiques et fiscales, et M. Gérard Orsini, président de la commission juridique et fiscale  78

à 11 heures : M. Luc Rousseau, directeur général de la Compétitivité, de l'industrie et des services, au ministère de l'Économie, de l'industrie et de l'emploi 85

à 12 heures : M. Emmanuel Leprince, délégué général du Comité Richelieu  94

Auditions du 23 février 2010

à 16 h 15 : M. Ronan Stephan, directeur général pour la Recherche et l'innovation au ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche, accompagné de Mme Frédérique Sachwald, chef du département Politiques d’incitation à la R&D des entreprises 99

à 17 h 15 : M. Patrick Schmitt, directeur de la Recherche, de l’innovation et des nouvelles technologies au MEDEF, M. Laurent Gouzènes, président du comité Développement et innovation, M. Franck Debauge, membre de la commission Recherche-innovation et nouvelles technologies, et Mme Miriana Clerc, chargée de mission à la direction des Affaires publiques 107

à 18 h 15 : M. Gilles Avenard, vice-président de France Biotech et directeur général de Bioalliance Pharma, Mme Haude Costa, déléguée générale, et Mme Lison Chouraki, expert-comptable, membre du conseil d’administration 113

Auditions du 6 avril 2010

à 10 heures : MM. Christophe Fornes, président de la commission Recherche et innovation de Croissance Plus, et Hugues Souparis, membre du comité directeur de Croissance Plus et membre de la commission Recherche et innovation 118

à 11 heures : M. François Drouin, président-directeur général d’Oséo 125

à 12 heures : M. David Appia, président de l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII), ambassadeur délégué aux investissements internationaux 130

Auditions du 27 avril 2010

à 10 heures : Mme Jacqueline Lecourtier, directeur général de l’Agence nationale de la recherche (ANR), Mme Martine Latare, secrétaire générale, et M. Ludovic Valadier, responsable du département Partenariats et compétitivité 133

à 11 heures : MM. Sébastien Léonard et Bernard Ughetto, représentants du syndicat CGT de Rhodia 141

à 12 heures : MM. Jean-Marc Thomas, vice-président recherche et innovation et directeur délégué Grand Sud France d’EADS, François Desprairies, directeur des affaires publiques France, Jean Perrot, directeur des relations institutionnelles recherche, et Mme Annick Perrimond-du Breuil, directeur des relations institutionnelles France 146

à 16 h 15 : Représentants de la Fédération bancaire française (FBF) : M. Patrick Suet, président du comité fiscal, Mme Valérie Ohanessian, directrice générale adjointe, et Mme Séverine de Compreignac, responsable des relations institutionnelles 157

à 17 h 15 : M. Pierre Bigot, président du Syndicat national des entreprises de sous-traitance électronique (SNESE), M. Michel de Nonancourt, vice-président, M. Dominique Pellizzari, M. Pierre-Jean Albrieux et M. Richard Crétier, délégué général 166

Auditions du 1er juin 2010

à 16 h 15 : Mme Marie-Christine Lepetit, directrice de la Législation fiscale à la direction générale des Finances publiques 173

à 17 h 15 : M. Rodolphe Gintz, sous-directeur chargé de la 3ème sous-direction de la direction du Budget, et M. Stanislas Godefroy, chef du bureau de la Recherche et de l’enseignement supérieur 180

à 18 h 15 : M. Jean-Marc Fenet, directeur adjoint chargé de la fiscalité à la direction générale des Finances publiques 187

Auditions du 2 juin 2010

à 16 h 15 : M. Paul-Joël Derian, directeur de la Recherche et développement du Groupe Rhodia 191

à 17 h 15 : M. Vincent Drezet et Mme Florence Toquet, secrétaires nationaux de l’Union SNUI SUD Trésor Solidaires 196

à 18 h 15 : Table ronde réunissant M. Éric Thiercelin, délégué général du Syndicat de l’instrumentation de mesure, du test et de la conversion d’énergie dans le domaine de l’électronique (SIMTEC) ; M. Benoît Neel, vice-président d’Agilent Technologies ; M. André-Michel Ballester, président directeur 204

à 19 h 15 : M. Hervé Amar, directeur général d’Alma Consulting Group, M. Abbas Djobo, directeur du pôle innovation, et M. Bruno Coulmance, directeur technique du pôle innovation 209

III.– COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

Audition du 23 février 2010

À 10 heures : M. Jean du Mesnil du Buisson, secrétaire général de la CGPME, M. Pascal Labet, directeur des affaires économiques et fiscales, et M. Gérard Orsini, président de la commission juridique et fiscale

Présidence de M. Alain Claeys

M. Alain Claeys, Rapporteur. M. David Habib, coprésident de la Mission d’évaluation et de contrôle, ne pouvant être parmi nous, je présiderai la séance. Notre collègue Pierre Lasbordes, corapporteur, est également empêché et il vous prie de l’excuser.

Je remercie M. Jean du Mesnil du Buisson, secrétaire général de la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises, M. Pascal Labet, directeur des affaires économiques et fiscales, ainsi que M. Gérard Orsini, président de la commission juridique et fiscale, d’avoir répondu à notre invitation inaugurant ainsi les travaux que nous allons consacrer au crédit d’impôt recherche (CIR).

Jean-Pierre Gorges et moi-même avons déjà travaillé ensemble sur les pôles de compétitivité, et nous sommes rapporteurs spéciaux de la commission des finances pour les crédits de la recherche. La MEC est assistée dans sa tâche par la Cour des comptes.

Pourquoi le crédit d’impôt recherche ? Nous constatons aujourd'hui que l’effort de recherche-développement du secteur privé est en retard dans notre pays. Depuis 1983, le crédit d’impôt recherche a été remanié à plusieurs reprises. La dernière réforme, remontant à la loi de finances pour 2008, visait à donner une forte impulsion à l’effort de recherche des entreprises. Le champ du dispositif a été élargi, notamment aux grandes entreprises, et la dépense fiscale de l’État a considérablement augmenté : près de 5,8 milliards d’euros en 2009, compte tenu du remboursement anticipé accéléré décidé dans le cadre du plan de relance.

Le crédit d’impôt recherche est l’objet de critiques, notamment de la part de la Cour des comptes, laquelle a mis en évidence un effet d’aubaine au profit de grandes entreprises qui auraient de toute façon investi, même sans l’aide de l’État. Plus généralement, on peut s’interroger sur les effets économiques de ce dispositif : encourage-t-il les PME ? Quel est son effet sur la croissance ? Contribue-t-il au développement de la recherche et à l’attractivité de la France ? Enfin, quels sont les risques de fraude ?

M. Jean du Mesnil du Buisson, secrétaire général de la CGPME. C’est à notre tour de vous remercier, monsieur le président, messieurs les députés, de commencer vos auditions avec la CGPME.

La CGPME, je vous le rappelle brièvement, est une organisation patronale interprofessionnelle qui regroupe 200 branches professionnelles dans quatre catégories : commerce, industrie, services et artisanat. Nous sommes constitués en 123 unions territoriales, soit une union par département et par région. Tout ce qui touche aux PME nous intéresse et le crédit d’impôt recherche est fondamental pour nos adhérents.

Nous sommes convaincus que la réponse à la crise passe par l’innovation et, à cet égard, le crédit d’impôt recherche est un rouage essentiel de la reprise dans notre pays, dont les PME seront la courroie de transmission. Les pouvoirs publics ont consenti un effort colossal en réformant le crédit d’impôt recherche, puisque la dépense fiscale est passée de 1 milliard d’euros en 2007 à 5,8 milliards en 2009. L’essentiel pour nous est que les PME puissent en bénéficier au même titre que les grandes entreprises.

Les PME profitent d’environ 20 % du crédit d’impôt recherche nouvelle mouture, avec des différences, très importantes à nos yeux. Sans surprise, ce sont les plus petites entreprises qui en profitent le moins puisque celles qui comptent entre zéro et dix-neuf salariés représentent 4,3 % de la dépense fiscale, contre 16,5 % pour les entreprises qui emploient entre vingt et deux cent cinquante salariés. Il faut donc recalibrer le mécanisme pour que l’aide soit mieux répartie.

Le crédit d’impôt recherche, aussi positif soit-il, s’est arrêté en cours de route, au seuil de la propriété intellectuelle. Le dépôt d’un brevet, qu’il s’agisse d’un modèle ou d’un dessin, n’est pas pris en compte dans le cadre du crédit d’impôt recherche. Nous suggérerons de faire en sorte que le financement des brevets soit éligible au crédit d’impôt recherche.

D’une manière générale, il nous semble que le dispositif actuel est trop tourné vers la recherche fondamentale et pas suffisamment vers la recherche appliquée. Nous ne comprenons pas pourquoi une entreprise qui fabrique du chocolat ne peut bénéficier du CIR si elle entreprend d’améliorer son packaging, c'est-à-dire le conditionnement de ses produits qu’elle aura ainsi valorisés et qu’elle pourra mieux vendre par la suite. L’innovation ne se limite pas aux nouvelles technologies et elle doit se diffuser dans toutes les catégories d’entreprise car toutes ont vocation à innover. Si un plombier décide demain d’équiper sa camionnette d’un GPS de façon à être plus efficace, il s’agira bien d’innovation et il serait dommage qu’il ne puisse pas bénéficier d’une aide.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quel est le nombre de vos adhérents ? Qui sont les bénéficiaires du CIR en nombre et en pourcentage ? Quelle en est la répartition par secteur d’activité ? Et par taille d’entreprise ?

M. Jean du Mesnil du Buisson. Notre vocation est de représenter les PME, c'est-à-dire les entreprises de zéro à deux cent cinquante salariés, selon la définition européenne. Elles sont 1,7 million en France et nous regroupons 550 000 adhérents, directement ou par le biais des fédérations professionnelles.

M. Pascal Labet, directeur des Affaires économiques et fiscales de la CGPME. S’agissant des chiffres, nous n’avons pas d’autre choix que de nous référer au rapport de M. Gilles Carrez du 2 juillet 2009 car nous n’avons pas d’études statistiques, bien que des informations remontent jusqu’à nous par l’intermédiaire des branches ou des structures territoriales.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quel diagnostic global portez-vous sur le CIR ?

M. Alain Claeys, président et rapporteur. L’année 2008 a-t-elle marqué une rupture ? En quoi ? Avec quels effets, positifs ou négatifs ?

M. Jean du Mesnil du Buisson. Oui, l’année 2008 a marqué une rupture. Oui, la réforme a été extrêmement positive. J’ai en tête l’exemple d’une entreprise grenobloise, Saunier-Plumaz, qui, grâce au crédit d’impôt recherche, a créé des systèmes de chauffage sous forme de tableau, à peine plus épais qu’une toile classique, et décoré au gré de l’acheteur.

M. Gérard Orsini, président de la Commission juridique et fiscale de la CGPME. Les avantages et les inconvénients du dispositif perdurent, malheureusement. Malgré la réforme, la réaction des PME est la même. Le CIR reste mal connu et les PME hésitent au seuil de la recherche en raison du flou de sa définition.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Est-ce le dispositif qui est mal connu ou sont-ce les PME qui sont réticentes à se lancer dans des programmes de recherche-développement ?

M. Gérard Orsini. Les deux. Le dispositif est mal connu dans la mesure où la définition même de la recherche est mal appréciée par les chefs d’entreprise. Les critères ne correspondent pas à la sensibilité des PME les plus performantes, si bien qu’il y a toujours un hiatus entre la définition stricte du crédit d’impôt recherche et son application. Qui plus est, les chefs d’entreprise ont peur du contrôle fiscal et de la remise en cause de l’avantage qui a été consenti. Certes, des procédures de rescrit sont prévues pour les rassurer, mais l’information ne passe pas toujours bien, qu’il s’agisse de la définition du CIR, de son application ou de sa sécurisation. Il est difficile de sauter le pas en se lançant dans un projet de longue durée, et c’est là que le bât blesse. Le problème persiste, en dépit des améliorations – les rescrits ont notamment mis fin au risque d’un double contrôle du ministère des finances et du ministère de la recherche.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous un service dédié pour aider les petites entreprises ?

M. Jean du Mesnil du Buisson. Nous représentons les PME, nous sommes pauvres par définition. Nous ne pouvons pas accompagner les entreprises comme nous le souhaiterions. Nous diffusons l’information et, quand les entreprises ont des questions à poser, elles se tournent en général vers les structures locales présentes sur le terrain, et que nous utilisons aussi comme canal de diffusion.

En ce qui concerne les secteurs bénéficiaires, selon nos informations, un tiers du dispositif va à l’industrie et deux tiers vont aux services, en particulier au secteur bancaire.

M. Gérard Orsini. D’après les dernières statistiques parues, celles de 2007, le secteur banques-assurances est largement bénéficiaire du CIR tant en nombre d’entreprises – 914 sur 6 771 bénéficiaires – qu’en montant puisqu’il a drainé 312 millions d’euros.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Cela tient à la classification des entreprises.

M. Pascal Labet. Il y a une grande inconnue, nous semble-t-il, liée à la montée en charge du système SEPA, l’Espace unique de paiements en euros, qui harmonise les systèmes de paiement interbancaires au niveau européen. Il s’est déployé par étapes, depuis le passage à la monnaie unique en 1999. Son coût est colossal pour les établissements bancaires et il serait très intéressant de savoir s’il a été répercuté sur les usagers et si le crédit d’impôt recherche n’a pas été utilisé dans ce cadre. Il y a peut-être un problème de classification des entreprises, mais la question du financement du passage à l’euro, dont le coût se situe entre 500 millions d’euros – hypothèse basse–  et 5 milliards d’euros – hypothèse haute – demeure.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le CIR serait-il utilisé pour financer les logiciels nécessaires au fonctionnement du nouveau dispositif de paiement, qui n’a pas grand-chose à voir avec de l’innovation ?

M. Pascal Labet. Oui, tout en reportant le coût sur l’usager. En tout cas, la question se pose.

M. Alain Claeys, Rapporteur. On va la creuser, même si nous ne disposons pas encore d’un bilan exhaustif de l’année 2009.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. La réforme n’a-t-elle pas créé un effet d’aubaine et provoqué un détournement du CIR de son objectif premier ? Dans le cas que vous avez cité, le problème serait double : un mauvais usage du CIR couplé à une facturation des coûts à l’usager. Mais, au-delà, dans les petites entreprises que vous représentez, n’avez-vous rien relevé ?

M. Jean du Mesnil du Buisson. Pour nous, la question est plutôt de savoir si le périmètre du CIR est adapté aux PME. Je ne peux citer d’exemple concret de dérive de l’utilisation du crédit d’impôt recherche. Dans les plus grandes entreprises, on pourrait s’interroger sur l’externalisation des dispositifs de la recherche, mais les PME n’ont guère cette possibilité.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le CIR est-il, à vos yeux, une aide à l’innovation ou bien une subvention à la recherche privée ?

M. Jean du Mesnil du Buisson. Ce n’est pas qu’une subvention à la recherche privée. Le CIR devrait être une aide à l’innovation mais, en l’état actuel des choses, on comprend que certaines entreprises y voient une subvention déguisée.

M. Gérard Orsini. Pour les PME, le crédit d’impôt recherche est incontestablement une aide à l’innovation en ce qu’il permet de vaincre leur frilosité entretenue par la question de la définition de la recherche. En matière de présentation, de design, les petites entreprises sont prêtes à faire des efforts, mais pas pour la recherche fondamentale. Le CIR est une aide que l’État leur apporte pour promouvoir les produits français.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quelles évolutions faudrait-il pour recentrer le CIR sur l’innovation ?

M. Jean du Mesnil du Buisson. Il faudrait aller au bout du processus d’innovation et intégrer dans le périmètre du crédit d’impôt recherche le coût de la propriété intellectuelle. C’est important pour l’économie française : le nombre de brevets a plutôt tendance à diminuer et certaines de nos PME renoncent parfois à protéger leurs produits, au risque de les fragiliser, pour des raisons purement financières.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous avez évoqué le risque que le dispositif soit réformé, voire suspendu.

M. Jean du Mesnil du Buisson. Nous souhaiterions bien sûr une stabilité des textes législatifs. Cela dit, quand les entreprises choisissent d’investir dans l’innovation, ce n’est pas uniquement en fonction de l’avantage fiscal, lequel ne doit constituer qu’un aiguillon supplémentaire. L’objectif reste la rentabilité du produit et de l’entreprise et, au-delà, la croissance et l’emploi. Le CIR doit permettre d’enclencher un cercle vertueux.

M. Gérard Orsini. Le CIR est le type même du dispositif qui dure puisqu’il a été créé en 1983. L’insécurité vient des évolutions qu’il a subies. S’agissant de la définition des termes, il y a le référentiel de l’OCDE, le manuel de Frascati, dont on peut s’inspirer. Le CIR, qui a maintenant quelque vingt-sept ans, est pertinent mais il mérite d’être affiné.

M. Jean du Mesnil du Buisson. Il y a un autre point très important à nos yeux pour éviter l’instabilité juridique, c’est la pérennisation du remboursement anticipé, qui a été un véritable booster.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Cela représente un coût supplémentaire pour le budget de l’État.

M. Jean du Mesnil du Buisson. L’État s’y retrouvera puisque le mécanisme permet aux entreprises de croître.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour vous, c’est utile ?

M. Jean du Mesnil du Buisson. Vraiment très utile !

M. Pascal Labet. Il s’agit d’une simple anticipation de trésorerie, et non d’un coût net supplémentaire pour l’État.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quels sont, dans l’ordre, les freins qui bloquent l’accès au CIR des PME ? Comment les supprimer ?

M. Gérard Orsini. Le premier handicap, c’est la crainte de voir un mécanisme de soutien disparaître, ou remis en cause par les contrôles.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous voulez dire que les chefs d’entreprise redoutent de s’engager dans une procédure qu’ils ne connaissent pas très bien.

M. Gérard Orsini. Le rescrit, même si le délai a été ramené à trois mois, ne suffit pas. Sans doute faudrait-il des guichets où l’on puisse se renseigner plus facilement. À cet égard, la CGPME produit une information d’ordre général diffusée par l’intermédiaire de ses structures locales.

M. Jean du Mesnil du Buisson. Comme 65 % seulement des entreprises de 250 à 500 salariés connaissent l’existence du crédit d’impôt recherche, il reste une marge de progression importante. La proportion tombe à un tiers parmi les entreprises de moins de vingt salariés.

M. Gérard Orsini. Connaître l’existence du dispositif ne veut pas dire connaître ses arcanes.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La prise en compte de la propriété intellectuelle suffirait-elle à transformer le CIR en crédit d’impôt innovation ? Que signifie exactement pour vous la notion d’innovation ?

M. Gérard Orsini. Sur le plan pratique, l’entreprise est poussée à innover faute d’avoir trouvé sur le marché ce qu’il lui fallait. L’exemple du packaging ou du design est caractéristique. Beaucoup d’entreprises adaptent les emballages à leurs produits. Or les dépenses afférentes ne sont pas éligibles au CIR. L’innovation réside dans l’aspect pratique du packaging mais elle peut donner lieu aussi à un dépôt de brevet, surtout si le conditionnement porte sur un produit très courant ou standardisé.

M. Jean du Mesnil du Buisson. Autre exemple : les prototypes. La fabrication d’un prototype entre dans le cadre du CIR, mais pas l’étape suivante, au moment de passer à l’industrialisation et à la valorisation du produit.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Que les choses soient claires, le CIR ne s’arrête pas à la recherche fondamentale : il intègre la recherche appliquée.

M. Pascal Labet. Entendue de façon restrictive ! En définitive, seuls les brevets déposés stricto sensu sont reconnus par la doctrine administrative, contrairement aux autres types de propriété intellectuelle comme les marques, dessins et modèles, d’où les amendements que nous suggérons depuis deux ans. L’innovation ne se résume pas à des titres de propriété intellectuelle. Le Sénat nous avait objecté que cela coûterait 100 millions d’euros. C’est pourquoi il faudrait affiner progressivement la définition de façon à amortir le choc d’une prise en compte globale trop brutale.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. La MEC a travaillé sur les pôles de compétitivité et elle a relevé des ruptures entre la recherche fondamentale, la recherche appliquée et l’entreprise. Nous avons recommandé que les crédits aillent davantage à la recherche appliquée. Que faudrait-il faire de plus pour toucher les petites entreprises qui sont très peu concernées par la recherche fondamentale ?

M. Jean du Mesnil du Buisson. Il faudrait mieux traiter la valorisation de l’innovation en aval, en particulier les dessins et modèles, les concessions de licence et, plus généralement, les dépenses engagées pour assurer le débouché des produits. Entre le prototype et la commercialisation, il y a une étape. Il faudrait accompagner les petites entreprises jusqu’au bout. Pour elles, cela changerait radicalement la donne.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Au lieu de faire du saupoudrage, ne vaudrait-il pas mieux financer la chaîne complète jusqu’à la valorisation ?

M. Jean du Mesnil du Buisson. Ce serait préférable, pour les PME en tout cas, et cela irait dans le sens d’une meilleure prise en charge de l’innovation sans risquer de financer des dépenses qui seraient engagées en tout état de cause.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Il ne s’agit pas d’accorder des subventions déguisées.

M. Jean du Mesnil du Buisson. Le risque est plutôt dans les grandes entreprises. Dans le secteur automobile, par exemple, la recherche est permanente et, dans ce cas, un crédit d’impôt fondé sur l’augmentation des dépenses de recherche était sans doute plus incitatif que celui calculé sur le volume des dépenses. Mais, pour une PME, s’il n’y a pas de dépenses de recherche, il n’y a pas de crédit d’impôt. Dans ce cas, la PME n’est pas incitée à se lancer dans un programme de recherche tant qu’elle ne bénéficie pas d’un dispositif assis sur le volume. Et elle a besoin d’être soutenue jusqu’à la production. Sinon, elle s’appauvrit trop.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Faudrait-il transformer le crédit d’impôt recherche en crédit d’impôt innovation ?

M. Jean du Mesnil du Buisson. L’important est de couvrir la chaîne de bout en bout et d’accompagner l’entreprise qui fait l’effort d’innover. Notre propos n’est pas de dire que le dispositif doit moins profiter aux grandes entreprises.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Faut-il réserver le crédit d’impôt recherche à certains secteurs d’activité – biotechnologies, développement durable, notamment – ou à certains types d’entreprise ?

M. Jean du Mesnil du Buisson. Pourquoi pas des efforts particuliers, en faveur du développement durable par exemple ? Mais nous ne sommes pas favorables à l’idée de cibler le CIR sur certaines catégories d’entreprise. À trop cibler certains secteurs, on fera à nouveau rimer innovation avec nouvelles technologies. Or nous sommes convaincus que toutes les entreprises, quels que soient leur secteur et leur taille, peuvent innover.

M. Gérard Orsini. Qui plus est, sur un plan strictement technique, plus on met de frontières, plus le risque juridique s’accroît.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Que pensez-vous de l’amendement du Sénat qui visait à inclure dans l’assiette du CIR les dépenses des PME financées par les avances remboursables d’Oséo ?

M. Pascal Labet. Il faut surtout pérenniser le remboursement anticipé car la PME doit financer l’ensemble des dépenses. Une fois obtenue, la première avance permet d’autofinancer les dépenses suivantes éligibles au crédit d’impôt recherche.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La Cour des Comptes parle à ce sujet de « superposition » des aides. Que lui répondez-vous ?

M. Gérard Orsini. Le remboursement accéléré était avant tout une mesure conjoncturelle prise pour soutenir les plus exposés à la crise. C’est pourquoi il est difficile de parler d’un doublement de l’aide. Le dispositif profite à l’entreprise en améliorant sa trésorerie à un moment où c’est nécessaire.

M. Pascal Labet. De toute façon, l’aide réelle se limite au loyer de l’argent puisqu’il s’agit seulement d’une anticipation de flux.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Il était question de conditionner le CIR à l’embauche de chercheurs et aux projets de collaboration public-privé, la recherche fondamentale étant surtout le fait du public et des grandes entreprises. En travaillant sur les pôles de compétitivité, nous avions déploré l’absence de tuilage, c'est-à-dire que les chercheurs spécialisés dans la recherche fondamentale ne suivent pas leurs découvertes dans les entreprises et ne se lancent pas dans la recherche appliquée. Les actions transversales contribuent au saupoudrage. On engage des sommes importantes mais sans obtenir forcément des résultats à la hauteur. Financer un processus de bout en bout devrait, à mon avis, donner de meilleurs résultats et créer in fine davantage de valeur ajoutée.

M. Jean du Mesnil du Buisson. Conditionner strictement les aides à l’embauche de chercheurs interdirait aux PME l’accès au crédit d’impôt recherche, ce qui me paraît dangereux.

M. Gérard Orsini. Une PME n’a pas les moyens de recruter à ce niveau de compétences. Pouvoir externaliser la recherche est pour elle fondamental. Il faut aussi rapprocher le secteur public et le secteur privé. L’accès des PME aux laboratoires d’université est essentiel même si l’organisation et le financement des programmes doivent être améliorés. Les délais de réponse et de financement ne sont pas adaptés car le poids de la gestion administrative ne correspond pas toujours à la réactivité nécessaire dans une entreprise. Ainsi, on voit des dépenses comptabilisées par l’entreprise qui ne donnent pas lieu à versement immédiat puisque, en contrepartie, la prestation n’est pas rendue, ce qui risque de conduire à une remise en cause du CIR par les instances de contrôle. La dette de l’entreprise est certaine mais elle n’est pas réglée au secteur public.

M. Jean du Mesnil du Buisson. Au sujet des partenariats public-privé, deux ou trois points méritent l’attention. Certaines grandes entreprises achètent des brevets qu’elles n’exploitent pas. On se prive ainsi de création de richesse, et c’est dommage. Nous sommes en train de voir avec une grande entreprise qui a beaucoup de brevets dans ses tiroirs comment faire en sorte que des PME puissent les valoriser. Nous souhaiterions aussi que la puissance publique acquière des brevets et organise en quelque sorte une bourse pour les PME.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Préféreriez-vous que ce soit l’État qui porte les brevets ?

M. Jean du Mesnil du Buisson. Cela permettrait de mieux les valoriser grâce à des partenariats public-privé.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Nous vous remercions d’être venus jusqu’à nous.

Audition du 23 février 2010

À 11 heures : M. Luc Rousseau, directeur général de la Compétitivité, de l'industrie et des services, au ministère de l'Économie, de l'industrie et de l'emploi

Présidence de M. Alain Claeys

M. Alain Claeys, Rapporteur. Monsieur le directeur général, nous vous accueillons une nouvelle fois, la MEC vous ayant déjà auditionné au sujet des pôles de compétitivité. Celle-ci se penche à partir d’aujourd’hui sur le crédit d’impôt recherche pour en faire une évaluation, à la suite de la Cour des comptes et de notre rapporteur général. Il s’agit de commencer à faire le point de la réforme de 2008, en attendant les chiffres de 2009.

M. Luc Rousseau, directeur général de la Compétitivité, de l’industrie et des services au ministère de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi. La réforme, entrée en vigueur en 2008, a été décidée à la fin de l’été 2007 après plusieurs constats.

Premier constat : depuis une dizaine d’années, l’effort global de R&D dans notre pays stagne autour de 2,2 % du PIB sans se rapprocher de l’objectif de 3 % fixé par la stratégie de Lisbonne, et déjà atteint par les pays technologiquement les plus avancés. L’analyse de la R&D française met en évidence un déséquilibre entre la recherche publique, qui avec près de 1 % du PIB, frôle son objectif et se situe au premier rang dans les comparaisons internationales, et la recherche privée, qui est loin du sien et des concurrents japonais, américains, allemands ou nordiques. Or la recherche privée est un élément de compétitivité et un facteur de croissance puisqu’elle permet à nos entreprises de se positionner sur les créneaux à forte valeur ajoutée. Il est donc impératif d’accroître la part du privé dans la dépense nationale de R&D.

Deuxième constat : la faiblesse des liens entre laboratoires publics et entreprises privées avec, parallèlement, une coopération trop timide entre les entreprises.

Troisième constat : le renouvellement de notre tissu industriel par des jeunes entreprises innovantes est insuffisant, en particulier dans les nouveaux secteurs.

Le Gouvernement a arrêté une série de mesures appropriées consistant à supprimer l’Agence d’innovation industrielle, qui finançait à hauteur de 700 millions d’euros par an des projets conduits par de grandes entreprises ou des entreprises de taille intermédiaire. Les interventions directes – subventions directes et avances remboursables – ont été recentrées autour d’Oséo, dont les moyens classiques destinés aux PME et aux entreprises de taille intermédiaire (ETI) ont été renforcés. Dans le même temps, l’accent a été mis sur des dispositifs automatiques clairs pour envoyer aux investisseurs un signal fort de notre volonté de soutenir l’innovation. Le crédit d’impôt recherche est devenu pratiquement le plus attractif de l’OCDE. Il s’adresse aussi bien aux PME qu’aux investissements internationaux mobiles, français ou étrangers. Plutôt qu’une fiscalité globale attractive, nous avons privilégié les mesures ponctuelles ciblées sur les activités de recherche qui dégagent une forte valeur ajoutée et servent d’ancrage à d’autres – siège social ou production.

Y a-t-il eu effet d’aubaine ? Le crédit d’impôt recherche coûtait en 2007 1,6 milliard d’euros par an, contre 3,5 ou 4 milliards aujourd'hui. Nous avons consenti un effort important en faveur des entreprises innovantes, qui s’inscrivait dans le prolongement de la loi TEPA dont le but était de réduire les prélèvements obligatoires. Pour le rendre plus lisible par les responsables de PME, le CIR a été simplifié en unifiant le taux – 30 % – et en le calculant sur le volume des dépenses de recherche et non plus sur leur accroissement. Les délais de rescrit ont été raccourcis. Cette plus grande simplicité a sans doute créé, au moins en partie, un « effet d’aubaine » que le Gouvernement avait bien anticipé puisqu’il avait délibérément préféré une baisse de l’imposition des entreprises les plus innovantes à une diminution générale du taux d’IS. Une telle option était cohérente avec la volonté du Gouvernement d’attirer les entreprises bien positionnées dans la course internationale.

Le retard dans la coopération entre recherche publique et recherche privée justifie le maintien d’un taux double pour certaines activités, afin d’encourager le décloisonnement des projets et des personnels. Il s’agit d’inciter les entreprises à embaucher nos jeunes docteurs, qui ne sont pas proportionnellement aussi nombreux que leurs homologues étrangers à rejoindre le privé. Pourtant, cela présente un intérêt à la fois pour les uns, car tous ne trouvent pas de débouchés dans le public, et pour les autres, qui peuvent s’appuyer sur une élite scientifique.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Et maintenant, quel est le diagnostic ?

M. Luc Rousseau. Je n’ai encore que très peu de données quantitatives, les résultats des statistiques des déclarations faites en 2009 n’étant pas encore diffusés.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Où peut-on se les procurer ?

M. Luc Rousseau. À ma connaissance, il y a deux fichiers : un de la direction générale des Finances publiques, qui est couvert par le secret fiscal, et l’autre, couvert par le secret statistique, est au ministère de la Recherche qui continue d’exploiter les données reçues en 2009. Celui-ci estime leur collecte à ce jour et leur fiabilité insuffisantes pour diffuser les résultats. C’est une question de mois.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. À votre avis, le CIR nouvelle mouture a-t-il remis la France dans la course ?

M. Luc Rousseau. Le dispositif n’est pas passé inaperçu, ni dans les entreprises, ni à l’Agence française pour les investissements internationaux, qui s’en sert pour faire la différence. Dans la pharmacie, l’informatique, l’électronique, certaines sociétés en ont tenu compte. Thales a même déclaré publiquement que la part des développements de l’A350 localisée en France avait été plus importante grâce au crédit d’impôt recherche. Le CIR a donc eu un effet indéniable de localisation. Pour la trésorerie des entreprises, 4 milliards, ce n’est pas négligeable.

Nous sommes confiants dans la justesse de la décision. Mais la réforme n’est pas passée inaperçue des autres pays, dont beaucoup ont fait évoluer leur crédit d’impôt recherche.

Le nombre de déclarants a augmenté de 25 %, autour de 11 000 selon le rapport de M. Carrez. Les montants ont suivi, logiquement. Il faudra un recul de deux ou trois ans pour savoir si l’augmentation de la R&D en France a été supérieure à celle des pays riverains. L’effet d’aubaine s’observe dans les premiers mois ; après, ce sont des projets de plus long terme qui se décident et prennent de l’ampleur. De plus, en 2009, la R&D s’est ressentie de la crise. Il faudra attendre pour savoir si nous sortons du peloton.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les institutions financières auraient beaucoup bénéficié du crédit d’impôt recherche. Que savez-vous sur cette question soulevée par notre rapporteur général ?

M. Luc Rousseau. De mémoire, 2,3 % du crédit d’impôt recherche bénéficieraient aux services bancaires et à l’assurance. L’innovation financière joue dans la compétition avec Londres et Francfort, ou avec d’autres places, asiatiques ou américaines. L’ingénierie financière est devenue une discipline universitaire et elle contribue à mettre au point des produits de pointe au service des clients. Qu’elle se développe en France plutôt que de l’autre côté de la Manche ne me choque pas.

L’ambiguïté vient des holdings de gestion, qui consolident à leur niveau le CIR des unités de recherche et de production de groupes à caractère industriel. On trouve également des entreprises de R&D pour 6,3 %. À ce jour, nous n’avons pas le sentiment que le secteur financier ait abusé du crédit d’impôt recherche.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Au-delà de la nomenclature statistique, nous nous interrogeons sur le projet d’espace unique de paiement en euro, dit « SEPA ». Cette architecture des échanges interbancaires européens aurait été financée par ce biais en même temps que son coût aurait été facturé aux utilisateurs. Il n’y a pas moins de 900 millions en jeu sur 5 milliards ; près de 20 % de la dépense fiscale qui auraient couvert des investissements courants. N’y a-t-il pas eu pour les plus habiles un effet d’aubaine ? Cette question appelle une réponse précise.

M. Luc Rousseau. Je n’avais pas cette information. D’après ce que vous me dites, je doute que ces dépenses correspondent à ce qui est prévu dans les textes, législatifs ou réglementaires. Au cours des contrôles fiscaux, les services vérifient l’assiette du CIR. Or les adaptations de l’outil de production à la réglementation ou à des standards professionnels, tels que le SEPA, ne me semblent pas correspondre aux critères de R&D définis dans le manuel de Frascati. Je suis surpris.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Il faudrait vérifier et donner des instructions. Le risque est que le CIR ne devienne un fourre-tout.

M. Luc Rousseau. Je n'avais pas cette information à propos du SEPA. Je doute fort que cette pratique, telle que vous la décrivez, soit conforme aux textes qui régissent le crédit d'impôt recherche. Lors des contrôles qu'ils opèrent périodiquement, en particulier dans les grandes entreprises, les services fiscaux examinent les assiettes du crédit d'impôt recherche. Je ne crois pas que l'adaptation à de nouveaux standards tels que le SEPA corresponde aux critères de définition de la recherche et du développement, tant dans les textes français que dans le manuel de Frascati.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Ce sont les représentants de la CGPME qui nous ont alertés. Le sujet mérite que l'on donne des instructions. Sinon, le CIR risque de devenir un fourre-tout, d'autant que le camouflage est aisé en la matière.

M. Alain Claeys, Rapporteur. C'est aujourd'hui que vous découvrez cela ?

M. Luc Rousseau. Concernant le SEPA, oui. J'alerterai mon collègue de la direction générale des finances publiques.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quels sont, selon vous, les freins qui pourraient empêcher l’accès des PME au dispositif et altérer ainsi la bonne idée de départ ?

M. Luc Rousseau. La concentration de la relation entre les PME et l'administration au niveau d’Oséo constitue un progrès. Si le taux du CIR ne varie pas en fonction du secteur ou de la taille de l'entreprise, c'est aussi pour que la Commission européenne ne requalifie pas le dispositif en aide d'État. Il est néanmoins possible de plafonner cette disposition fiscale horizontale en volume. Ainsi, l'ancien CIR était moins favorable aux grandes entreprises. Le but n'est pas d'opposer grandes et petites entreprises, mais il est légitime et souhaitable de soutenir davantage les PME.

Ainsi en résumé, le système français comprend un dispositif unique, le CIR, qui s’applique à toutes les entreprises, et des aides additionnelles dispensées par Oséo aux petites et moyennes entreprises. Ces dernières bénéficient donc d'un soutien à l’innovation plus important.

Par ailleurs, Oséo assure la promotion du CIR auprès des PME et les aide dans leurs démarches pour obtenir le rescrit fiscal, c'est-à-dire l'assurance donnée par le fisc qu'il ne remettra pas en cause l'éligibilité des dépenses de recherche et de développement que l'entreprise lui aura déclarées au préalable.

Ce qui reste quelque peu compliqué, ce sont les différences d'interprétation, voire les contradictions, entre les documents existants – loi, instruction fiscale, guide du ministère de la Recherche. Il reste des zones de flou que nous nous employons à clarifier, notamment pour dissiper les incertitudes des PME quant aux dépenses éligibles, dont le périmètre est sans doute un peu plus restreint que celui du manuel de Frascati. L'objectif est d'épargner aux entreprises le recours à des conseils privés ou la multiplication des demandes de rescrit, dans la mesure où cette procédure prend un certain temps.

Certains voudraient que l'on passe au « tout Frascati » – c'est notamment la demande du MEDEF dans son rapport –, que l'on étende le dispositif aux dépenses d'innovation ou que l'on adopte une solution intermédiaire qui irait jusqu'au prototype.

M. Alain Claeys, Rapporteur. On a également évoqué la question de la propriété intellectuelle et du dépôt de brevet.

M. Luc Rousseau. Sauf erreur de ma part, les frais de dépôt sont inclus dans le dispositif, de même que les frais de défense jusqu'à un certain plafond. Lors des états généraux de l'industrie, il a été demandé que les frais de normalisation, qui sont aujourd'hui pris en charge à hauteur de 50 %, soient intégralement inclus dans l'assiette.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Ce que demandent les PME, c'est l'extension du dispositif à tous les dépôts de brevets, quel que soit le financement au titre de la recherche.

M. Luc Rousseau. L'accès des PME à aux brevets constitue un sujet en soi.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Nous l'avons abordé lorsque nous avons travaillé sur les pôles de compétitivité.

M. Luc Rousseau. L'Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) a développé une activité de conseil et d’incitation auprès des PME et, malgré la crise, le nombre de brevets que celles-ci ont déposés en 2009 a augmenté de près de 7 %. L’INPI a fortement différencié les prix qu’il pratique à l’égard des PME et des grandes entreprises. Pour les premières, les coûts se situent désormais parmi les plus bas d'Europe. En outre, les accords de Londres, ratifiés par le Parlement il y a un peu plus de deux ans, ont permis une baisse générale que nous sommes en train d'évaluer. L'objectif est maintenant le brevet communautaire, c'est-à-dire un brevet à coût raisonnable et valable sur tout le territoire de l'Union, à l'instar de ce qui existe aux États-Unis. L'extension d’un brevet pays par pays est coûteuse. Il faut donc limiter les frais de traduction, parvenir à un coût administratif unique et instituer une juridiction unique.

Au-delà des aspects linguistiques, l’accord obtenu au Conseil européen en décembre 2009 jette les bases de ce brevet communautaire.

Il n’est en revanche pas envisagé de créer un crédit d’impôt spécifique aux brevets à côté du crédit d’impôt recherche. Le choix s’est porté, je le répète, sur une forte baisse des coûts pour les brevets déposés en France.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avec le recul, considérez-vous que le crédit d’impôt recherche favorise l’innovation dans les PME ? Comment améliorer le dispositif, le cas échéant, pour qu’il constitue un véritable levier ?

M. Luc Rousseau. Avec un pourcentage de 30 %, le CIR est un bon levier même s’il est concentré sur la partie amont. Je rappelle que son coût est de 4 milliards d’euros, dont 20 à 25 % pour les PME, et qu’il s’ajoute au soutien financier et méthodologique d’Oséo en matière de R&D.

Le dispositif est déjà important. Son extension vers l’aval, jusqu’au prototype, représenterait un coût supplémentaire.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Mais c’est peut-être là notre faiblesse.

M. Luc Rousseau. La création du CIR repose sur l’analyse qu’il n’y a pas de bonne innovation sans recherche. Nous avons essayé d’aborder le problème le plus en amont possible.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il semble néanmoins qu’il existe un maillon faible.

M. Luc Rousseau. Ce que l’on peut dire, c’est que plusieurs organisations d’entreprises demandent l’extension du crédit d’impôt recherche au domaine de l’innovation. Le coût ne serait pas négligeable...

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel est votre sentiment personnel ?

M. Luc Rousseau. Si les ressources budgétaires le permettaient, ce serait sans doute une voie intéressante à expérimenter.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le CIR contribue au financement d’une seule tranche. Ne vaudrait-il pas mieux envisager le processus de bout en bout et financer, à coût égal, tous les types de recherche. En effet, plus l’entreprise est petite, plus elle risque de rencontrer de difficultés pour mener à bien un projet souvent unique. Ne pourrait-on redistribuer la même masse financière en fonction de critères tels que le domaine d’activité ? Ce serait plus conforme aux attentes des PME qui, même en bénéficiant d’un avantage ciblé sur les premières phases, ne peuvent de toute façon pas financer la dernière phase, celle de la mise en production du produit et de la génération de valeur ajoutée, et sont contraintes d’arrêter leurs projets.

M. Luc Rousseau. Dans les pays dont les dépenses de R&D sont supérieures aux nôtres, la part majoritaire des financements ne vient pas des PME. On n’atteindra pas l’objectif de 3 % en augmentant seulement les dépenses de R&D des PME. D’où l’importance d’avoir un dispositif global. C’est le choix que le Gouvernement a fait en portant le plafond du CIR à 100 millions d’euros.

Les PME bénéficient néanmoins d’une attention particulière, avec, en plus du CIR, les crédits d’intervention d’Oséo, le dispositif « jeune entreprise innovante » qui, mesure unique dans l’OCDE, exempte les entreprises innovantes de charges sociales sur le personnel de R&D pendant huit ans, ainsi que la mesure ISF-PME qui apporte près de 1 milliard d’investissements privés, dont la moitié issus des business angels, les « investisseurs providentiels », soit directement, soit indirectement à travers des fonds.

En additionnant les 30 % de CIR et les 50 % d’avances remboursables d’Oséo, le projet est soutenu entre 65 % et 80 %. Certes, les 50 % sont remboursés en cas de succès, mais le soutien global est très significatif.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Ce qui importe, même dans les pays qui en sont à 3 % de R&D par rapport au PIB, c’est de mesurer la productivité de cette dépense. À la limite, celle-ci pourrait ne rien générer en valeur ajoutée. Souvent, la phase de mise en production est impossible pour les PME. Il ne suffit pas de comparer les chiffres globaux : on peut être plus productif à 2,2 % qu’à 3 %.

Quels seraient les indicateurs pertinents pour mesurer l’efficacité des euros investis en R&D ?

M. Luc Rousseau. Lorsque nous évaluerons le nouveau CIR dans les prochaines années, nous examinerons différents éléments : qui a consommé ce crédit d’impôt ? Cela s’est-il traduit par une augmentation de l’effort de R&D – même si ce n’est pas un but en soi ? Quelles en ont été les retombées sur les entreprises bénéficiaires en matière d’augmentation du chiffre d’affaires, de l’emploi, des exportations, de la valeur ajoutée ?

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Voyez ce qui se prépare pour la taxe professionnelle : la valeur ajoutée devient un critère intéressant.

M. Luc Rousseau. C’est ce qui fait la richesse du pays. S’il n’y avait qu’un seul indicateur à retenir, ce serait celui-là, j’en suis bien d’accord.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. L’importance du chiffre d’affaires n’est en revanche pas très révélatrice.

M. Luc Rousseau. Ce qu’il faut éviter, c’est que des taux de subvention très élevés dans la partie amont ne donnent rien en aval, voire incitent à entretenir des équipes qui ne coûtent pratiquement rien à l’entreprise mais qui ne sont pas utiles à la collectivité. Il faut donc se garder d’augmenter le taux global résultant du CIR et des aides d’Oséo.

A contrario, il faut se préoccuper de l’aval. Oséo fait parfois l’objet de critiques, mais cet organisme a raison de demander non seulement un descriptif des travaux de recherche, mais un business plan complet pour examiner le financement de l’industrialisation de ce qui est développé. Il s’agit d’aider l’entreprise à anticiper cette phase afin qu’elle ne perde pas de temps, voire de l’accompagner – tel était le sens de la fusion de l’ANVAR et de la BDPME en un seul organisme assurant le suivi de l’entreprise depuis l’innovation jusqu’à la mise sur le marché. Cette approche intégrée est importante. La mesure ISF-PME ne distingue pas s’il s’agit de capital pour la recherche ou pour la phase industrielle : elle est une incitation à renforcer les fonds propres de l’entreprise, ce qui permettra d’accéder à des prêts bancaires plus importants.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Lorsque le Gouvernement indique qu’il consacre tant de millions d’euros à une phase, cela procède de l’effet d’annonce. Ce qui est intéressant, c’est la chaîne complète, la valeur ajoutée que l’on dégage et dont la croissance dépend. Il y a une certaine contradiction entre l’acte politique, qui est assez transversal, et le souci du chef d’entreprise, qui porte sur la chaîne complète. Les représentants des PME viennent de nous le répéter : à la fin, il y a la commercialisation.

L’État procède par coupes transversales et annonce des millions d’euros dont on a du mal à évaluer l’incidence. Il faudrait modéliser cela pour le traduire en génération de PIB, en faisant ensuite des dérivées partielles sur chacune des variables pour observer comment elles contribuent au processus.

M. Luc Rousseau. La bibliographie scientifique consacrée à ce sujet est mince, y compris au plan international. Néanmoins, la convergence des politiques des pays les plus avancés pour soutenir leur croissance et leur valeur ajoutée par habitant en mettant l’accent sur la R&D et l’innovation conforte notre analyse.

Dans cette optique, les outils les plus pertinents sont les mesures fiscales horizontales et l’accompagnement financier et méthodologique des PME assuré par Oséo, qui est l’interlocuteur unique du début à la fin du projet.

Il faut ensuite rompre le cloisonnement de l’entreprise en l’amenant à travailler avec des partenaires qui viendront booster son développement.

Deux approches se complètent. D’abord, il y a le dispositif territorial et thématique des pôles de compétitivité, qui rencontre un certain succès puisque l’on voit éclore des projets collaboratifs en bien plus grand nombre. Nous nous sommes inspirés d’exemples réussis en Amérique du Nord, en Scandinavie, en Asie. On constate un engouement qui se traduit par des gains de compétitivité. Il y a ensuite le renforcement du travail par filière, c'est-à-dire de l’amont à l’aval, de façon à coordonner les développements entre partenaires : tout comme un intégrateur est tributaire de ses fournisseurs, un fournisseur est tributaire de ses clients. Au-delà des rapports de prix et de délais à court terme, il existe un intérêt mutuel à collaborer dans une vision de moyen et de long terme qui définisse la répartition des rôles et permette de « chasser en meute » à l’étranger.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Est-il prévu d’ajouter de l’argent à destination des pôles de compétitivité dans le cadre du grand emprunt ?

M. Luc Rousseau. Oui, 500 millions d’euros, dont 200 millions pour les plateformes et 300 millions pour les projets de R&D. L’idée est de consacrer cet argent à des projets de taille unitaire plus importante, dont les effets structurants seront donc plus forts.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel est l’impact budgétaire du remboursement anticipé de créances du crédit d’impôt recherche ?

M. Luc Rousseau. C’est un impact ponctuel puisqu’il s’agit d’un effet de trésorerie. En 2009, il a correspondu à 3,8 milliards d’euros dans le cadre du plan de relance. Pour 2010, le coût de trésorerie de la reconduction de cette mesure est estimé à 2,5 milliards.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Envisage-t-on une prolongation en 2011 ?

M. Luc Rousseau. Je crois que cette mesure est regardée attentivement et très favorablement par le Gouvernement. Optiquement, elle coûte 2,5 milliards ; réellement, en retenant 4 % de taux d’intérêt, elle coûte 100 millions d’euros. Dans la conjoncture actuelle, elle est très souhaitable. Si l’on peut espérer que les résultats des entreprises se rétabliront assez rapidement, ce sera plus long pour ce qui concerne leur bilan. La mesure est favorable aux entreprises qui se développent et qui doivent investir avant de recueillir les dividendes de la vente de leurs biens ou services innovants.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Concernant le coût, il y a un débat avec la Cour des comptes. Mais la dépense réelle correspond bien aux frais financiers.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour en revenir à la compétitivité, ne pourrait-on envisager de moduler les critères d’éligibilité au CIR en fonction des secteurs, en se focalisant par exemple sur ceux auxquels le plan recherche du Gouvernement donne la priorité – les nanotechnologies, par exemple ? Ne pourrait-on moduler également la mesure en fonction de la taille de l’entreprise ?

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Votre question rejoint mon propos : travailler sur des filières complètes dans des secteurs précis.

M. Luc Rousseau. Si l’on thématise le dispositif, on se heurte à un problème juridique : l’ensemble du crédit d’impôt recherche serait requalifié en aide d’État et nous rencontrerions des difficultés considérables avec l’encadrement communautaire des aides à la R&D. Ce n’est donc pas possible.

Une modulation selon la taille de l’entreprise poserait une difficulté analogue, mais que l’on pourrait contourner en fixant des plafonds assez bas – ce fut le cas au début des années 2000, où le plafond du CIR fut de 8, puis de 12, puis de 16 millions d’euros –, ce qui revient, a priori, à concentrer davantage le bénéfice sur les PME. Mais ce n’est pas ce qu’a souhaité le Gouvernement, qui a au contraire relevé considérablement le plafond il y a deux ans. En matière de véhicules électriques, par exemple, on ne peut opposer la PME qui apporte une innovation dans le domaine des batteries ou des moteurs, par exemple, au constructeur. Comme dans l’aéronautique, il faut considérer l’ensemble. La compétition est rude et la localisation de la R&D apparaît comme un élément structurant à moyen et long terme, avec un fort effet d’entraînement.

Nous ne souhaitons donc pas opposer grandes et petites entreprises, mais apporter des compléments. D’ailleurs, l’Agence nationale de la recherche (ANR) fixe des priorités thématiques sur des programmes de recherche, dont certains concernent également les entreprises. De même, le fonds démonstrateur de recherche de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) correspond à un choix sectoriel et porte précisément sur la phase qui va du développement technologique à l’arrivée sur le marché.

Le sujet des biotechnologies est compliqué.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La France a beaucoup de retard.

M. Luc Rousseau. Oui, car nous avons malheureusement démarré plus tard que les autres. De très gros investissements – de plusieurs centaines de millions d’euros, voire un milliard – sont nécessaires entre le concept de base et l’autorisation de mise sur le marché. Nous essayons de traiter cette question de financement en utilisant l’effet de levier du dispositif France Investissement.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Avez-vous opéré des contrôles sur l’utilisation du CIR ? Avez-vous trouvé des entreprises qui se seraient mises en faute ?

M. Luc Rousseau. Nous allons procéder à des évaluations du nouveau CIR. Le ministère de la Recherche est en train d’exploiter des données quantitatives et nous disposerons des résultats dans les prochains mois. Nous assurerons également des mesures d’impact. Les contrôles concernant la régularité relèvent des services fiscaux. Ils sont bien entendu indispensables mais les entreprises doivent pouvoir en prévoir l’objet, d’où la nécessité de clarifier encore quelles sont les dépenses éligibles.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Que le délai de délivrance du rescrit ait été ramené de six à trois mois a-t-il eu une incidence sur le nombre d’entreprises déclarantes ?

M. Luc Rousseau. Le dispositif est en place depuis peu. On constate un frémissement. À mon avis, la simplification apportera encore un peu plus. Mais le délai de six mois nous paraissait inadapté au but recherché, qui est avant tout de sécuriser les PME. L’innovation est une course de vitesse pour laquelle les agents de l’administration doivent aussi se mobiliser.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pourquoi les métiers du cuir et des textiles bénéficient-ils d’un crédit d’impôt recherche spécifique accepté au niveau européen ?

M. Luc Rousseau. Ce dispositif a déjà quelques années. Il ne vise pas une activité de recherche au sens du manuel de Frascati ou du code général des impôts, mais une activité de création et de design qui influe beaucoup sur le client. Le dispositif a été mis en œuvre parce que l’on avait le sentiment que les activités créatives étaient en dessous de ce que le marché demandait. Étant sectoriel, il est aligné sur les aides de minimis – 200 000 euros sur trois ans.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Merci, monsieur le directeur général.

Audition du 23 février 2010

À 12 heures : M. Emmanuel Leprince, délégué général du Comité Richelieu

Présidence de M. Alain Claeys

M. Alain Claeys, Rapporteur. Monsieur Leprince, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation.

Cette audition s’inscrit dans le cadre des travaux que la Mission d’évaluation et de contrôle, issue de la commission des finances de l’Assemblée nationale, consacre au crédit d’impôt recherche. Nous avons auparavant mené un travail semblable sur les pôles de compétitivité.

Notre objectif est d’obtenir une bonne photographie du dispositif de crédit d’impôt recherche après la réforme de 2008, d’en faire une évaluation, de détecter d’éventuels effets d’aubaine ou effets pervers, de déterminer si tous les secteurs de l’innovation sont pris en compte ou s’il subsiste des zones d’ombre.

La Cour des comptes a déjà tiré un certain nombre d’enseignements du travail qu’elle a consacré à ce sujet. Le rapporteur général de la Commission des finances, M. Gilles Carrez, a également examiné la question.

À un moment où l’on veut faire de la recherche une priorité nationale, il est important d’évaluer ce dispositif qui représente une mobilisation importante du budget de l’État.

M. Emmanuel Leprince, délégué général du Comité Richelieu. Je vous remercie de votre invitation.

Comme vous m’avez envoyé une série de questions préalables, les éléments de réponse que je vous fournirai proviennent de plusieurs sources : du conseil d’administration du comité Richelieu et de sa commission R&D ; de la commission innovation de la CGPME à laquelle nous participons ; des travaux approfondis menés récemment par le MEDEF ; enfin, des résultats d’une enquête que nous avons menée auprès de nos adhérents.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quel est le nombre d’adhérents à votre association ? Parmi ces adhérents, combien bénéficient du CIR, et selon quelles proportions par domaine d’activité et par catégorie d’entreprise ?

Quel est l’avis général que vous portez sur la réforme de 2008.

M. Emmanuel Leprince. Les 275 adhérents du comité Richelieu sont des PME innovantes indépendantes (il n’y a pas de filiales). Par « innovantes », nous entendons que ces entreprises proposent, chacune dans son domaine, une offre qui se différencie de ce qui existe en France.

Parmi elles, 90 % bénéficient du crédit d’impôt recherche, dans de multiples secteurs : technologies de l’information et de la communication, électronique, télécommunications, industrie, énergie, secteur médical, ingénierie, conseil et services.

Le Comité Richelieu s’emploie à comprendre pourquoi les PME françaises à potentiel ont en général du mal à devenir des entreprises de taille intermédiaire, des ETI. À la demande des entreprises, notre axe d’action prioritaire est l’accès au marché.

Les entreprises du Comité Richelieu sont à 40 % des très petites entreprises, TPE, comptant moins de 10 salariés, 30 % ont entre 10 et 50 salariés, 20 % entre 50 et 250, 10 %, soit 27 entreprises, sont des ETI, regroupant plus de 250 salariés. Après la remise du rapport du sénateur Bruno Retailleau au Premier ministre, nous avons créé une « commission ETI ».

Le regard que portent nos adhérents sur le crédit d’impôt recherche en général est très positif. Sur les 76 réponses que nous avons reçues, le sentiment général est quasi unanime, certains allant même jusqu’à dire que la formule est préférable, compte tenu de sa simplicité et de la brièveté des délais, aux autres formes d’aide telles que les aides sur projet.

La question de l’accès à la recherche publique dans le cadre des travaux éligibles au CIR est soulevée, dans la mesure où il arrive à certains laboratoires d’exiger de passer par les cellules de valorisation, qui, elles, ne sont pas éligibles au coefficient 2.

Une remarque récurrente est que le dispositif présente un vrai différentiel par rapport aux autres pays européen, mais que le recours aux consultants afin de sécuriser la démarche de la PME se traduit par un coût important.

Le Comité Richelieu avait en son temps approuvé la réforme, estimant que la simplification apportée répondait aux besoins des PME. Certes, la question du poids des grandes entreprises parmi les bénéficiaires se pose, mais il faut reconnaître que, malgré sa diminution en valeur relative, le montant dont les PME bénéficient a doublé en valeur absolue. Il n’y a donc pas eu d’impact négatif sur la participation des PME au CIR.

Rappelons qu’en moyenne, les dépenses de R&D des grands groupes français sont déjà supérieures à celles de leurs homologues américains ou japonais. Notre performance globale est mauvaise car nous ne comptons pas suffisamment d’acteurs de cette taille. C’est donc en facilitant la croissance des PME ou ETI à potentiel que nous pourrons l’améliorer durablement.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pensez-vous que le dispositif profite vraiment aux PME, ou plutôt aux grandes entreprises ?

M. Emmanuel Leprince. Il est évident que, proportionnellement, il profite plus aux grands groupes. Néanmoins, il profite plus aux PME que le système antérieur. Pour ce qui concerne les PME, il y a donc une amélioration.

M. Alain Claeys, Rapporteur. De quel type ?

M. Emmanuel Leprince. La simplification des démarches.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La CGPME a estimé au contraire que c’était un peu compliqué.

M. Emmanuel Leprince. La réforme a apporté une simplification objective par rapport au mode de calcul précédent. Mais il existe toujours effectivement une véritable complexité pour déterminer la frontière entre les dépenses de recherche et les dépenses aval, ce qui pose des problèmes sur le plan fiscal.

Cela étant, la première réponse de nos entreprises est que c’est une très bonne mesure et que c’est une très bonne réforme.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Sur quels secteurs la réforme a-t-elle principalement porté ses effets ?

M. Emmanuel Leprince. Nous ne disposons malheureusement pas d’analyses sectorielles car le Comité Richelieu est une organisation transverse. Les biotechnologies sont toutefois peu représentées au Comité Richelieu. (Les entreprises de ce secteur ont donné une réponse sur l’intérêt du dispositif semblable à celle des autres PME). Il est donc difficile d’affiner l’analyse.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vos adhérents ont-ils évoqué le problème de la propriété intellectuelle ?

M. Emmanuel Leprince. Non.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La CGPME estime que toutes les dépenses relatives au dépôt de brevets et à la propriété intellectuelle devraient être éligibles au CIR.

M. Emmanuel Leprince. C’est un thème important qui suppose un élargissement du CIR, ou la mise en place d’un éventuel crédit d’impôt innovation.

Notre principal sujet de préoccupation, lorsque nous avons vu que la part des grands groupes dans le dispositif a augmenté après la réforme, a tenu à l’impact sur les budgets d’Oséo et Oséo innovation. On peut s’interroger sur un éventuel lien de cause à effet entre l’explosion du montant du CIR et la diminution des budgets consacrés aux aides sur projet.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Certaines entreprises ne se contenteraient-elles pas de profiter d’un effet d’aubaine ? N’y a-t-il pas un subventionnement déguisé d’entreprises qui auraient quoi qu’il en soit fait de la recherche ?

M. Emmanuel Leprince. Pas pour les PME innovantes, qui sont de toute façon soumises à des contrôles fiscaux. En revanche, nos adhérents se demandent si de tels phénomènes ne peuvent exister dans de grandes structures, où il est peut-être moins évident que le CIR ait toujours un impact direct sur la R&D.

S’agissant du plafonnement, il est singulier que les filiales des grands groupes soient considérées comme des entreprises indépendantes. D’après nos informations, le plafond ne s’applique pas à l’ensemble du groupe en consolidé, mais à chacune de ses entités. Cela pourrait fausser le dispositif.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le système est-il vraiment accessible ? Fournit-il une vraie visibilité ?

M. Emmanuel Leprince. Les deux tiers des entreprises qui nous ont répondu estiment que la réforme profite suffisamment aux PME.

Cela dit, les PME sont plus concernées par la recherche aval que les grandes entreprises, ce qui nous conduit, avec la CGPME, à demander un élargissement du périmètre vers l’aval. Le crédit d’impôt recherche est adapté au long terme ; il répond moins bien aux besoins de court terme des PME.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Alors que l’aide est transversale, la CGPME estime qu’il vaudrait mieux financer une chaîne complète, en intégrant les prototypes et en allant pratiquement jusqu’à la mise en production. Elle souhaiterait aussi que les avances remboursables intègrent les frais financiers.

M. Emmanuel Leprince. C’est un sujet de fond que nous avions déjà évoqué au sujet des pôles de compétitivité : quand la France fait les entretiens de Grenelle, l’Allemagne fait des panneaux solaires. La recherche et la réflexion sont nos points forts, pas vraiment la production et le chiffre d’affaires. Nous avons quelques idées pour éviter que tout l’effort ne porte sur l’amont.

Pour ce qui est des PME, on peut soulever la question du crédit d’impôt innovation, voire du crédit d’impôt commercialisation, car les besoins en la matière ne sont pas limités à l’exportation. Du point de vue de nos adhérents, le besoin prioritaire des PME se situe en aval du crédit d’impôt recherche : il semble se trouver aujourd'hui dans le périmètre d’Oséo innovation, par exemple pour les dépenses de prototype ou d’industrialisation. Pour certains, le problème se situe encore plus en aval, au niveau de l’accès au marché, donc d’un Small Business Act, qui est un objectif prioritaire du Comité Richelieu. Il n’est pas très utile de dépenser beaucoup d’argent en R&D si les projets n’aboutissent pas à des produits vendus à des clients. Tant qu’il y aura un verrou en aval, on n’aura pas traité la cause du problème.

« La recherche est source d’innovation mais les innovations ne sont pas toujours le fruit de la recherche », nous a-t-on notamment répondu. Ce qui signifie qu’une PME innovante peut entrer à l’aval du dispositif. La problématique, je le répète, se situe plus en aval.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Faut-il élargir l’assiette du CIR ?

M. Emmanuel Leprince. On ne peut poser cette question sans poser celle du périmètre des missions d’Oséo innovation. Oséo avait mis en place un programme « Passerelle », destiné à financer les prototypes réalisés par les PME pour les clients potentiels. La démarche est très intéressante puisqu’elle vise l’accès au marché, les clients étant généralement de grands groupes. Le MEDEF a pris parti en faveur de cette initiative. Le dispositif est très développé en Norvège et en Corée du Sud où des budgets de plusieurs dizaines de millions d’euros lui sont attribués annuellement. En France, il a bénéficié de 1,3 million d’euros l’année dernière. Il ne s’agit pas de la recherche collaborative telle que l’encouragent les pôles de compétitivité, mais d’une démarche où le client finance un tiers du prototype, et les pouvoirs publics un autre tiers.

Faut-il transférer ce dispositif vers un crédit d’impôt innovation ou revient-il à Oséo de poursuivre dans cette voie ? Le Comité Richelieu n’a pas encore formulé de position officielle à ce sujet et les deux approches ont chacune leurs avantages. Mais on ne peut pas ne pas poser la question.

À la question : « Faut-il compléter le dispositif de soutien à la recherche et au développement par la création d’un crédit d’impôt innovation ? » les PME nous répondent oui à 73 %. C’est une position que nous partageons avec la CGPME.

Dans les réponses, il apparaît que l’existence d’un brevet devrait être déterminante pour l’éligibilité à un tel dispositif, de même que le développement de nouveaux produits.

La Mission d’évaluation et de contrôle évoque également la possibilité d’un « crédit d’impôt recherche + ». Je crois que notre souhait concerne surtout le crédit d’impôt innovation, principalement pour financer les dépenses de prototype.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Nous rejoignons le débat qui s’est tenu au sujet des pôles de compétitivité.

M. Emmanuel Leprince. S’agissant d’éventuelles évolutions, 91 % des réponses sont défavorables à une modulation des critères d’attribution en fonction des secteurs d’activité, 87 % sont défavorables à conditionner cette attribution à l’embauche de chercheurs et 92 % sont défavorables à la conditionner à un projet de recherche collaborative. La recherche collaborative est intéressante pour les PME, mais les projets individuels restent les plus rapides et les plus simples.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Sans compter le risque de confiscation par les partenaires.

M. Emmanuel Leprince. Surtout, la mise en place est très lourde.

En revanche, 70 % estiment que la modulation du CIR en fonction de la taille de l’entreprise serait une bonne chose, certains proposant de revenir aux critères antérieurs pour les grandes entreprises. Il faudrait aussi que le plafond s’applique à la grande entreprise consolidée, filiales incluses.

Par ailleurs, il est de plus en plus suggéré que les grandes entreprises bénéficiaires du CIR soient tenues de s’engager dans le Pacte PME afin de créer avec les PME innovantes des écosystèmes durables et pérennes. Un comité de suivi du Pacte PME, composé de représentants de PME et de grands groupes, assurera désormais une autorégulation qui pourra aboutir à l’exclusion d’un grand groupe qui ne jouerait pas le jeu. Le label nous paraît donc offrir suffisamment de garanties pour être associé à l’éligibilité au CIR. Cela nous semble plus efficace et plus structurant que d’imposer aux grands comptes de sous-traiter une grande part de leur recherche aux PME.

Quant à l’intégration des avances remboursables dans l’assiette, le Comité Richelieu estime que le problème tient à l’existence même d’avances remboursables. Il recommande que les aides sur projet soient des subventions, quitte à les attribuer de façon beaucoup plus sélective. Quant aux entreprises interrogées, elles sont majoritairement d’accord avec le rapport de la Cour des comptes, qui considère qu’il y a superposition de deux aides.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. C’est marginal puisque cela ne touche que les frais financiers.

M. Emmanuel Leprince. Certaines associations ont été assez virulentes.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour votre part, vous défendez l’idée de subventions sur projet…

M. Emmanuel Leprince. Effectivement

Pour ce qui est du remboursement anticipé de la créance du CIR, qui représente un coût important dans le budget de l’État, les PME estiment qu’il s’agit de quelque chose de fondamental qui explique le succès du dispositif. Au moins pour les PME, il faut pérenniser cette disposition.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Cela donne de la trésorerie...

M. Emmanuel Leprince. Il n’y a pas de raison que ce soit le seul crédit d’impôt qui soit décalé.

Interrogées sur les freins dans l’accès au CIR, les entreprises citent beaucoup moins le contrôle fiscal, qui auparavant figurait en première position. Cette évolution est peut-être liée au rescrit. Sont en revanche cités le coût du recours aux consultants et le problème de la définition des dépenses éligibles, notamment pour ce qui touche à la frontière entre R&D et innovation. Il est demandé une notice ou des formations qui permettent de clarifier ces aspects.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Je vous remercie.

Audition du 23 février 2010

À 16 heures 15 : M. Ronan Stephan, directeur général pour la Recherche et l'innovation au ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche, accompagné de Mme Frédérique Sachwald, chef du département Politiques d’incitation à la R&D des entreprises

Présidence de M. Alain Claeys

M. Alain Claeys, Rapporteur. Je suis heureux d’accueillir, au nom de la Mission d’évaluation et de contrôle, M. Ronan Stephan, directeur général pour la recherche et l’innovation au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, accompagné de Mme Frédérique Sachwald.

Je vous prie de bien vouloir excuser le co-président de la MEC, M. David Habib, bloqué par la grève des contrôleurs aériens, ainsi que notre co-rapporteur, M. Pierre Lasbordes, empêché.

Ce dernier, Jean-Pierre Gorges et moi-même, qui avions déjà travaillé ensemble l’an dernier sur le rapport consacré aux pôles de compétitivité, sommes cette année chargés de préparer un rapport sur l’évaluation du crédit d’impôt recherche (CIR). La MEC bénéficie traditionnellement de la participation de la Cour des comptes et nous sommes aujourd’hui accompagnés de M. Philippe Rousselot, conseiller référendaire à la troisième chambre de la Cour.

Les travaux de la Cour des comptes et ceux du Rapporteur général de la Commission des finances, M. Gilles Carrez, nous ont conduits à engager cette évaluation dans la durée du crédit impôt recherche, en particulier au regard de la réforme de fond intervenue en 2008.

Je commencerai par vous demander si le dispositif actuellement en place concourt, avec d’autres, au développement de la recherche privée et à l’innovation ? Ne pénalise-t-il pas les PME au profit des grandes entreprises ? Couvre-t-il l’ensemble du processus qui va de la recherche fondamentale à la création des produits ? Qu’en est-il de la question de la propriété intellectuelle et des brevets ?

M. Ronan Stephan, directeur général pour la Recherche et l’innovation au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Un diagnostic du dispositif « crédit impôt recherche » après la réforme de 2008 doit être fondé sur des données définitives. Or elles ne sont pas encore complètes pour l’année 2008 : nous ne disposerons qu’en avril prochain des indications définitives relatives aux déposants de dossiers CIR, qui figureront dans le rapport que nous devrons rendre au Parlement en octobre 2010. Les informations que je vous donnerai à partir de données tendancielles ne pourront donc faire l’objet que d’extrapolations très prudentes.

Les différentes études qui ont été conduites ont toutefois montré que la réforme du CIR a eu un impact très important sur le développement des dépenses de recherche et développement – R&D – des entreprises, notamment des PME.

Au cours de la période 1993-2003, l’étude 2007, remise au Parlement en 2008, a montré qu’un euro de CIR se traduisait, pour les entreprises, par un peu plus d’un euro supplémentaire de dépenses de R&D. Il conviendra évidemment d’évaluer l’impact par rapport à cette base de la réforme en profondeur intervenue en 2008.

La quasi-totalité des entreprises engageant des dépenses de R&D adressent une déclaration de crédit impôt recherche. L’accroissement de la demande a été significatif puisque l’on est passé de 9 700 entreprises déclarantes en 2007 à 12 400 en 2008.

De l’éventail des aides accordées aux entreprises au titre de la R&D, il conviendra toutefois d’extraire l’impact réel et différencié du crédit impôt recherche, ce qui implique de procéder à une analyse très fine, permettant de déconvoluer les chiffres dont nous disposons des autres modalités d’accompagnement des entreprises visant à stimuler leur R&D, afin de voir si la réforme a permis de dépasser en 2008, les résultats de la décennie 1993-2003 et si cet argent a été majoritairement réinjecté dans la R&D. Nous ne pouvons pas encore vous donner de conclusion à ce sujet.

Des enquêtes ont déjà été réalisées auprès des entreprises, dont les données figurent dans le rapport au Parlement 2009.

Mme Frédérique Sachwald, chef du département Politiques d’incitation à la R&D des entreprises. Nous savions que nous ne pourrions pas procéder à une étude économétrique avant de disposer des données et nous avons donc conduit deux séries d’enquêtes.

La première, à la fin de l’année 2008, a porté sur la pratique du CIR en 2005-2007 et sur les prévisions des entreprises à la suite de la réforme. C’est de là que sont issues les informations sur la réactivité différentielle entre les PME et les grandes entreprises à l’accroissement du CIR et sur le fait que les entreprises utilisent souvent un portefeuille d’aides et non pas une aide unique, ce qui pose un vrai problème méthodologique d’un point de vue économétrique. En effet, il existe trois profils d’entreprises : celles qui n’ont recours qu’au CIR, l’aide la plus utilisée ; celles qui, plus petites, utilisent également OSEO et des aides régionales, les très petites utilisant le dispositif Jeune entreprise innovante – JEI – ; celles qui, plus grandes, recourent aux subventions des pôles de compétitivité et de l’Europe. Il conviendra donc de distinguer les différents impacts de chacun des dispositifs, ce que nous n’avions pas fait avant que l’enquête de 2008 ne souligne clairement cet aspect de la question. Ce sont les très petites entreprises qui ont tendance à cumuler le plus grand nombre d’aides.

La seconde enquête, conduite à la fin de l’année 2009, s’est concentrée sur un des objectifs majeurs de la réforme de 2008, l’attractivité du territoire : un questionnaire a été adressé, d’une part, à des multinationales françaises, d’autre part, à des multinationales étrangères présentes en France.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Il est vrai que la période d’observation de la réforme de 2008 est brève, d’autant que nous ne disposons pas encore des chiffres définitifs. Toutefois, quels sont les critères auxquels vous recourez pour vérifier, d’une part, si la réforme du CIR s’est traduite par un effet de levier en termes d’investissement dans la recherche et le développement, et d’autre part, si cet investissement a été efficace en termes de valeur ajoutée ?

M. Ronan Stephan. Notre objectif est de réaliser les études les plus fines possibles, ce qui suppose soit de disposer des bases de données complètes, soit que les entreprises répondent à nos enquêtes de la manière la plus fiable possible. Ainsi, l’enquête sur l’attractivité du territoire, qui concerne les sociétés dont l’activité est différenciée sur le territoire européen, voire international, vise à évaluer la manière dont le CIR se traduit en matière de développement local et national des activités de R&D. Or nous éprouvons une vraie difficulté à consolider les éléments de réponse, du fait que le taux de réponse des entreprises à nos questions stratégiques de localisation de leur effort de R&D tourne autour de 10 % seulement : nous n’avons donc qu’une visibilité réduite.

Sur le plan qualitatif, nous pouvons toutefois observer que les PME notamment poussent de manière plus régulière les portes des établissements de recherche et d’enseignement supérieur pour conclure des partenariats, modestes au départ et qui s’amplifient et se pérennisent par la suite, notamment au travers des pôles de compétitivité, ce qui va dans le sens d’un accroissement, d’une part, de l’effort de R&D partenarial, d’autre part, de l’effort que les entreprises consentent, au moment du transfert, aux phases de pré-développement : nous sommes encore dans le domaine de la R&D, avant d’entrer dans celui de l’industrialisation. Il est très difficile d’évaluer les dispositifs, les plus utilisés ou les plus incitatifs, auxquels il conviendrait d’attribuer ce mécanisme vertueux.

Nous observons donc un accroissement de la R&D et un renforcement de la relation entre les PME et les laboratoires de recherche sans pouvoir isoler la contribution spécifique du CIR. Les tableaux qui vous ont été remis dans le dossier préparé pour la mission ont vocation à y aider. Nous avons besoin de disposer de chiffres plus complets, de statistiques réelles pour réaliser une analyse plus précise.

Il est probable que, dès lors qu’ils agissent au sein d’un éventail de dispositions très incitatrices en matière de développement de la R&D, les différents dispositifs ont un effet de catalyse et que leur efficacité serait moindre s’ils étaient employés isolément.

Le rapport des entreprises à la recherche et au développement entre très souvent dans un cadre partenarial, avec les centres de R&D publics ou avec d’autres entreprises, dans une recherche de synergies visant à accroître leur efficacité par le biais, notamment, de la chasse aux doublons. Le renforcement de la relation à la recherche publique permet de catalyser aujourd'hui ce facteur. Les entreprises se sont déplacées ces quinze dernières années du champ de la recherche exploratoire, qu’elles avaient investi depuis de nombreuses décennies, vers celui d’une recherche plus ciblée ou applicative, en contact avec les préoccupations du marché.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le rapprochement entre les PME et la recherche publique a donc favorisé la recherche privée de ces mêmes PME ?

M. Ronan Stephan. Absolument !

Alors que notre recherche exploratoire reste au meilleur niveau international, même si son poids relatif diminue en raison de l’arrivée de nouveaux acteurs comme la Chine ou l’Inde, nous n’en éprouvons pas moins une vraie difficulté à passer au stade du partenariat industriel. Et ce même dans le cas où les résultats de la recherche ont été identifiés comme prometteurs. C’est du reste la raison pour laquelle une des actions du grand emprunt visera à stimuler dans les établissements publics, avec un regard mixte, la maturation et la qualification de ces résultats, pour rendre plus aisée leur captation par les entreprises, notamment les PME, et promouvoir ainsi l’innovation. D’ici trois ou quatre ans, cette action permettra de compléter l’éventail déjà fourni des dispositifs que la France a institués en la matière.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quels effets ont eu, d’une part, la suppression de la part en accroissement, d’autre part, la création d’un taux spécifique pour les primo-accédants ?

M. Ronan Stephan. Quoique importants, ces changements n’ont pas déstabilisé le dispositif.

Pour les primo-accédants, le taux est porté à 50 % la première année et à 40 % la deuxième, afin de ne pas pénaliser les entreprises innovantes les plus jeunes dont les premières dépenses en matière de R&D, notamment dans le domaine des biotechnologies, sont très élevées, alors qu’elles souffrent par ailleurs souvent d’un double déficit de capitalisation et de capacité de suivi de leurs primo-actionnaires.

Mme Frédérique Sachwald. Précédemment, le CIR se calculait chaque année en additionnant une composante « en volume » de 10 % des dépenses de R&D engagées sur l’année et une composante « en accroissement » de 40 % de la différence entre ces dépenses et la moyenne des dépenses de même nature : pour une entreprise primo-accédante, cela revenait donc au même. D’un point de vue théorique le crédit d’impôt en accroissement paraît optimal, mais dans la pratique le dispositif était complexe et propice à l’optimisation fiscale. La mesure était donc brouillée, notamment pour les PME. Afin de rendre le dispositif plus lisible, la part en accroissement est supprimée à partir de 2008 et la part en volume représente 30 % des dépenses. Quant à la majoration du taux à 50 % puis à 40 % pour les primo-accédants, elle provient de la prise en compte de la situation spécifique des JEI dont les taux de croissance sont très forts durant les premières années et que la réforme aurait pu désavantager. La mesure ne vise donc pas tant à les favoriser qu’à leur éviter de pâtir de la réforme.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Un tel système ne risque-t-il pas d’aboutir à des subventions déguisées ?

Mme Frédérique Sachwald. Vous évoquez ce qu’on appelle l’effet d’aubaine. L’objectif des études d’évaluation est précisément de déceler cette éventualité. Elles révèlent que le dispositif précédent n’en provoquait pas. L’étude économétrique à laquelle nous allons procéder cette année, dans un cadre méthodologique qui suit l’état de l’art, visera à déceler un éventuel effet d’aubaine après la réforme de 2008. Quant à l’indicateur, comme avant la réforme, il consistera dans le multiplicateur découlant du rapport entre le CIR et la dépense supplémentaire en R&D des entreprises – il était précédemment, je vous le rappelle, un peu supérieur à 1 euro supplémentaire de R&D pour 1 euro de CIR. C’est cet indicateur qui nous permettra de conclure ou non à l’existence d’un éventuel effet d’aubaine.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Avez-vous construit des indicateurs permettant d’évaluer l’efficacité en termes de valeur ajoutée et de PIB des recherches financées par le CIR ou, autrement dit, de mesurer le rapport entre l’évolution de la R&D et celle du PIB ?

Mme Frédérique Sachwald. Techniquement, notre étude économétrique utilisera les méthodes les plus pointues.

Je rappelle que l’objectif premier du crédit impôt recherche est de stimuler la recherche-développement, laquelle est supposée profiter aux entreprises comme à l’ensemble de la société en favorisant la croissance et en développant l’innovation.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le MEDEF veut une définition claire et précise de la recherche-développement. Cette demande est-elle justifiée ou fait-elle débat ?

M. Ronan Stephan. Il peut y avoir débat dès lors qu’on s’achemine vers la frontière qui sépare la recherche-développement du développement industriel : le prototypage doit-il être intégré dans l’assiette de la R&D ? Doit-il en être de même de toutes les dépenses de recherche et de développement de type normatif et, si oui, à quel taux ? Le débat n’est pas d’ordre technique mais politique.

En ce qui concerne les dépenses normatives, il est clair que l’investissement des sociétés dans les normes comme levier d’innovation est un facteur extraordinaire de compétitivité qui permettra la diffusion d’un produit sur le marché au même titre que la levée d’un verrou technologique. Ces dépenses sont déjà prises en compte dans l’assiette du CIR.

Mme Frédérique Sachwald. Pour le Livre blanc du MEDEF, la définition de la R&D dans le crédit d’impôt recherche n’est pas claire. Pour votre part, c’est la question d’une possible évolution de l’éligibilité au CIR que vous avez abordée.

La recommandation du MEDEF ne pose aucun problème puisque la définition de la R&D du CIR correspond à celle du manuel de Frascati de l’OCDE.

Il n’en est pas moins vrai que la frontière entre le développement expérimental et son aval – les prototypes industriels ou les essais pour production – est souvent difficile à déterminer, même si le ministère de la recherche et de l’enseignement supérieur communique sur le sujet, notamment en ligne : il y aura toujours besoin d’une expertise pour préciser certaines dépenses à la frontière.

M. Alain Claeys, Rapporteur. À l’heure actuelle, les dépenses éligibles sont-elles plus restrictives que la définition internationale du manuel de Frascati ?

Mme Frédérique Sachwald. Non, le guide du CIR actualisé annuellement par le MESR fait référence à cette définition.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Nous voudrions vous faire part d’une double inquiétude.

Tout d’abord, les statistiques révèlent que les secteurs bancaire et assuranciel profitent beaucoup du CIR. Certes, c’est le plus souvent par le jeu des holdings : toutefois, quelles sont les masses financières qui partent vers ces secteurs ?

Par ailleurs – ce qui serait plus grave –, les entreprises, à la demande des banques, feraient entrer dans la recherche et le développement et donc financer par le CIR, les dépenses relatives à leur mise en conformité aux nouvelles normes européennes de dialogue interbancaire – la SEPA : Single Euro Payments Area –, alors qu’il ne s’agirait que de la mise à jour de systèmes d’information. Cela serait d’autant plus injustifiable que les banques facturent à leurs clients l’utilisation de ce dispositif. Ce détournement représenterait quelque 900 millions d’euros, soit près de 25 % des 4 milliards d’euros du CIR !

M. Ronan Stephan. La publication, il y a quelques mois, d’un tableau qui faisait apparaître les activités financières comme bénéficiant majoritairement du CIR avait suscité de l’émoi. En l’occurrence, il s’agit des holdings : pour les entreprises privées fiscalement intégrées, c’est la holding qui reçoit en totalité le CIR pour ses filiales en R&D, lesquelles remplissent les déclarations. Cela concerne notamment les domaines de la chimie, de la pharmacie, de l’automobile ou de l’aéronautique, qui sont de gros utilisateurs des aides publiques afin de soutenir leur recherche et développement.

Mme Frédérique Sachwald. Le tableau qui vous a été distribué donne la distribution des dépenses de R&D et du CIR par activité, en pourcentage, pour 2007 : il permet de distinguer les services bancaires et assurances, placés dans les services de la gestion, des holdings, qui sont placées dans les industries manufacturières.

J’ignore le problème que vous évoquez, relatif à la SEPA. Notre rôle est d’expertiser les dépenses qui sont déclarées par les entreprises lorsque les services fiscaux nous le demandent, c'est-à-dire en cas de contrôles ou de rescrits – il y a pour l’instant très peu de rescrits.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Cette expertise ne porte donc que sur les dossiers qui vous sont soumis. Sur quel type de dossiers de mise aux normes avez-vous été consulté ?

Mme Frédérique Sachwald. Il s’agit d’une mesure fiscale déclarative. Nous avons souvent été consultés sur le règlement européen Reach – enRegistrement, Evaluation et Autorisation des produits Chimiques – par les représentants de l’industrie chimique qui souhaitaient intégrer le coût de son entrée en application dans l’assiette du CIR : nous l’avons refusé, sauf si la mise aux normes engendrait des dépenses supplémentaires de R&D. Une mise aux normes SEPA dans le secteur bancaire sans impact sur la R&D ne saurait donc entrer dans l’assiette du CIR. Quant à la somme de 900 millions d’euros, elle me paraît excessive compte tenu du fait que le secteur bancaire ne représente que 2,3 % du CIR.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il s’agit toutefois de lignes faciles à cacher. Qu’en est-il en particulier de la ligne « Conseil et assistance en informatique » ?

Mme Frédérique Sachwald. Cette ligne concerne les entreprises informatiques – IBM ou Bull – et non pas le secteur bancaire : une banque qui fait de l’informatique n’apparaîtra pas sur cette ligne.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Comme il s’agit de la mise à jour des systèmes d’information, tous les secteurs sont concernés, y compris le secteur bancaire.

Mme Frédérique Sachwald. Ce sont les banques qui dépensent : ce sont donc elles qui déclarent.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. C’est un domaine que je connais : lorsqu’une entreprise met aux normes son système d’information avec la banque, elle peut faire passer ces dépenses dans cette ligne du fait que les banques facturent le service à ses utilisateurs tout en leur expliquant que la mise aux normes sera en partie financée par le CIR.

M. Ronan Stephan. Assurément, mais cette ligne concerne les entreprises du secteur de l’informatique et elles seules, qui interviennent comme sous-traitants, pour le compte d’entreprises désireuses de mettre à jour leur système d’informations – les dépenses de ces dernières apparaîtraient dans leurs charges propres et non sur cette ligne.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Ce n’est en rien contradictoire ! Ces dépenses peuvent en effet être camouflées : les représentants des PME ont appelé notre attention sur ce phénomène et c’est la raison pour laquelle nous vous demandons d’étudier la possibilité de l’utilisation du CIR pour la mise aux normes des systèmes d’informations : les fonds du CIR seraient ainsi détournés de leur vocation propre avec le risque supplémentaire que les banques facturent à leur tour cette mise aux normes. Le CIR ne doit pas devenir un fourre-tout !

Mme Frédérique Sachwald. J’ai bien noté votre demande et nous serons attentifs à ce sujet lorsque nous aurons des contrôles.

Le contrôle d’une entreprise en termes de CIR porte sur les dépenses de R&D attachées à des projets. Nous demandons une description précise projet par projet – parfois plus de cinquante pour une grande entreprise. Le contrôle porte sur la description technique du projet, les objectifs, atteints ou non, les difficultés scientifiques et techniques, les personnels attachés à ce projet et la quotité de temps qu’ils y ont consacré. Il s’agit d’une étude non pas statistique mais précise.

La réforme du CIR a déjà provoqué un accroissement des contrôles, en quantité et en volume : 458 contrôles en 2008 et 570 en 2009.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Proportionnellement, les grandes entreprises bénéficient davantage du CIR que les PME, qui aimeraient savoir s’il ne vaudrait pas mieux financer des processus complets plutôt qu’un processus transversal qui s’arrête avant la phase de mise en production, voire de prototypage, difficile à réaliser pour une petite entreprise.

M. Ronan Stephan. Les nouveaux outils en matière de maturation des résultats les plus prometteurs pouvant donner lieu à innovation seront de nature à déplacer le curseur vers l’aval, tout en restant dans le cadre de la R&D, et à accompagner de manière plus systématique la qualification des résultats de recherche avant les phases de pré-développement.

Il est vrai qu’un effort important fourni par les entreprises sur des résultats insuffisamment qualifiés conduit à des déperditions, qui seront d’autant moins importantes que les entreprises auront la capacité à suivre physiquement le processus. Cette capacité appartient évidemment davantage aux grands groupes qu’aux PME, notamment du fait que le recours aux doctorants pour suivre ce type de phase y est plus fréquent. Le nouveau dispositif permettra de disposer d’un segment partenarial entre l’entreprise et le laboratoire de recherche plus sécurisé, ce qui sécurisera du même coup les phases de développement portées uniquement par l’entreprise.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le risque n’est-il pas alors d’entrer en concurrence avec les missions d’OSEO ?

M. Ronan Stephan. La réponse est négative tant qu’il ne s’agit pas de s’attaquer au marché mais de sortir un résultat de la communauté scientifique qui lui a donné naissance pour le mutualiser dans une approche interdisciplinaire et accroître ainsi sa qualification dans la chaîne de création de valeur. Nous ne sommes donc pas en compétition avec un dispositif OSEO. En revanche, on peut imaginer qu’un tel dispositif puisse prendre le relais, notamment à la phase du prototypage.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Nous aurons à la fin de l’année 2010 le bilan de l’année 2008 : ce décalage de deux ans est-il structurel ou des améliorations sont-elles susceptibles d’intervenir dans les prochaines années ?

Par ailleurs, quand disposerons-nous d’une masse de données suffisante et d’une méthodologie suffisamment fiable pour obtenir une évaluation non plus annuelle mais globale du CIR ?

M. Ronan Stephan. Le bilan est nécessairement asynchrone puisque l’exercice d’une année est toujours déclaré l’année suivante et que la consolidation des données n’est acquise que quinze mois après la fin de l’exercice. J’ignore si on peut exiger des entreprises que leurs déclarations soient synchrones avec l’exercice afin de pouvoir disposer de capacités de contre-réaction plus rapides.

Par ailleurs, dans le contexte délicat qui est le nôtre, les entreprises rencontrent des difficultés de projection : une entreprise ignore si elle pourra amplifier son projet l’année suivante en s’appuyant uniquement sur le caractère attractif des dispositifs, compte tenu de l’intervention toujours possible de facteurs extrinsèques.

Mme Frédérique Sachwald. La déclaration en matière de CIR fait partie de la liasse fiscale : elle en suit donc les délais. Nous essayons, de notre côté, d’accélérer notre temps de saisie, mais celui-ci ne représente rien par rapport à la période de la déclaration fiscale. Nous recevons le plus gros paquet de déclarations au 15 avril de l’année n +1, et elles s’étagent ensuite jusqu’au 15 avril de l’année n +2.

L’étude que nous réaliserons en 2010 et qui fera le bilan de la réforme de 2008, s’appuiera sur les données de plusieurs années. Notre objectif est de calculer une élasticité nous permettant de déterminer le multiplicateur comme expliqué précédemment.

Il est vrai que certaines études distinguent l’effet de court terme de l’effet de long terme. C’est ainsi que la DGTPE, la direction générale du Trésor et de la politique économique, a réalisé cette année une projection macroéconomique qui répond à votre question sur le PIB, Monsieur Gorges : elle a entré les résultats de notre étude microéconomique dans un modèle macro afin de calculer à dix ans l’impact sur le PIB. Cette étude est mentionnée dans le rapport 2009 qui nous remettrons au Parlement.

M. Ronan Stephan. Il ne faut pas oublier non plus la différence des temporalités entre la recherche publique – aux alentours de quatre ans, soit la durée d’une thèse – et la R&D privée, qui est passée en quelques années de dix-huit à quinze mois. Il s’agit donc de temporalités pluriannuelles avec des facteurs extrinsèques très importants, qui peuvent avoir un impact sur l’engagement d’une entreprise à développer un produit dans le cadre de partenariats avec la sphère académique. Il nous est donc difficile d’analyser le moyen terme, c'est-à-dire la capacité à anticiper.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. La Cour des comptes a fait des remarques sur l’intégration des avances remboursables dans l’assiette du CIR, qui ne joue toutefois que sur les frais financiers.

L’impact budgétaire du remboursement anticipé des créances de CIR a-t-il été efficace ?

M. Ronan Stephan. La mesure a en tout cas été très appréciée par les plus petites entreprises, notamment par les jeunes entreprises en croissance. C’est un élément de compétitivité qui leur confère de réels avantages au quotidien.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Êtes-vous favorable à ce que la mesure soit reconduite en 2011 ?

M. Ronan Stephan. La décision ne nous revient pas mais nous y sommes favorables car cette mesure est de nature à stimuler l’appétit des jeunes entreprises innovantes pour le CIR.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pensez-vous qu’il faudra établir des critères d’éligibilité au CIR fondés sur la taille de l’entreprise, le secteur d’activités ou un mixte des deux ? Convient-il à votre avis de limiter le champ d’action du CIR tout en l’ouvrant davantage vers l’aval ?

M. Ronan Stephan. Les plus grandes entreprises faisant de l’optimisation à partir de certains seuils, j’ignore si la mesure aurait sur elles des conséquences significatives. En revanche, elle pourrait être considérée comme un retour en arrière en matière d’attractivité du territoire. Il convient en effet de respecter l’équilibre fragile existant entre le taux d’utilisation du dispositif par les grandes entreprises et la part d’attractivité territoriale que ce taux engendre. J’ai rencontré récemment des industriels européens du secteur de la pharmacie qui portaient des jugements très positifs sur l’attractivité de notre territoire. J’ignore en revanche à quelle implantation réelle de R&D sur le territoire correspondait leur perception de cette attractivité. Il convient également de prendre en considération les règles communautaires.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Madame, monsieur, je vous remercie.

Audition du 23 février 2010

À 17 heures 15 : M. Patrick Schmitt, directeur de la Recherche, de l’innovation et des nouvelles technologies au MEDEF, M. Laurent Gouzènes, président du comité Développement et innovation, M. Franck Debauge, membre de la commission Recherche-innovation et nouvelles technologies, et Mme Miriana Clerc, chargée de mission à la direction des Affaires publiques

Présidence de M. Alain Claeys

M. Alain Claeys, Rapporteur. Je vous souhaite la bienvenue.

Nous avons souhaité vous entendre dans le cadre de nos auditions sur le crédit d’impôt recherche, dispositif qui a fait l’objet d’observations dans un rapport de la Cour des comptes et auquel notre rapporteur général, Gilles Carrez, a consacré une partie de son rapport d’information sur l’application de la loi fiscale à la fin de l’année dernière. Enfin, des évaluations sont en cours au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche : le rapport sur les données 2008 devrait être disponible en octobre de cette année. L’organisation patronale que vous représentez a, pour sa part, récemment publié un Livre blanc sur ce dispositif qui comporte diverses propositions. Je vous laisse la parole.

M. Patrick Schmitt, directeur de la Recherche, de l’innovation et des nouvelles technologies au MEDEF. Je vous remercie de cette invitation. Nous avons publié ce Livre blanc avec le concours de plusieurs partenaires, dont le cabinet ACIES, membre de notre commission Recherche-innovation et nouvelles technologies depuis une dizaine d’années déjà, mais aussi diverses associations représentatives du monde de la recherche, publique et privée, en France comme le Comité Richelieu, l’Association des Instituts Carnot, le réseau C.U.R.I.E – Coopération des services Universitaires de Relations Industrielles et Économiques – et l’Association nationale de la recherche technique (ANRT) qui mène un travail considérable, au travers de la plate-forme FutuRIS, pour rapprocher recherche publique et privée.

Ce Livre blanc comporte trois volets. Le premier intitulé « Que disent les chiffres ?» évalue l’impact économique du crédit d’impôt recherche, du moins ce que l’on peut en savoir au travers des statistiques officielles, les seules dont nous disposions, et qui, hélas, ne sont pas toujours interprétées de la même façon par toutes les parties. Nous avons voulu apporter notre propre éclairage. Le deuxième, intitulé « Que dit le terrain ? » est, lui, fondé sur le témoignage d’entreprises et a trait aux aspects qualitatifs du dispositif. Nous avons ainsi constaté que le crédit d’impôt recherche a permis d’accroître non seulement le volume mais aussi la qualité de la recherche-développement dans les entreprises. Enfin, le troisième volet recense nos dix propositions pour rendre le dispositif encore plus efficace. Convaincus de son caractère stratégique et de son rôle-clé de catalyseur pour les entreprises de toutes tailles, aussi bien en amont qu’en aval, nous souhaiterions notamment que sa sécurité soit mieux établie, de façon que les entreprises aient toute la visibilité nécessaire pour investir, que les dépenses éligibles soient plus clairement définies et les coopérations plus fortement encouragées.

M. Laurent Gouzènes, Président du comité Développement de l’innovation du MEDEF. Pour les données chiffrées, nous ne disposons que de quelques statistiques fournies par le ministère de la recherche, avec retard puisque toutes les données 2008 ne sont pas encore disponibles. Ce n’est pas l’idéal pour pouvoir bien juger du dispositif. De toute façon, il ne suffit pas de connaître le montant de l’aide ainsi apportée aux entreprises. Il faut aussi savoir comment elles l’utilisent concrètement – dépôts de brevets, embauches de docteurs,… D’où notre enquête qualitative, conduite en lien avec le cabinet ACIES, auprès de grandes entreprises, d’entreprises intermédiaires (ETI) et de PME.

L’une des questions récurrentes est de savoir si le crédit d’impôt recherche profite davantage à une catégorie particulière d’entreprises. Les grandes entreprises réalisent 30 % de la recherche-développement alors qu’elles ne bénéficient que de 17 % de l’enveloppe totale du crédit d’impôt recherche, les ETI en réalisent 46 % pour 52 % et les PME 23 % pour 28 %. Si on mesure l’efficacité du dispositif en prenant pour base un ratio de 1 pour les grandes entreprises, le ratio des ETI est de 1,8 et celui des PME de 1,92. Le dispositif bénéficie donc bien en priorité aux ETI et PME.

M. Alain Claeys, Rapporteur. À quelle année se rapportent ces chiffres et sur quel échantillon d’entreprises ont-ils été établis ?

M. Franck Debauge, membre de la commission Nouvelles technologies du MEDEF. Ce sont les statistiques nationales fournies par le ministère de la recherche après ses premières évaluations. S’agissant de la répartition du montant du crédit d’impôt recherche par taille d’entreprises, il faut corriger les données parues dans Les Échos. Je vous invite pour ce faire à vous reporter à la page 14 de notre Livre blanc.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le directeur général pour la recherche et l’innovation au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, que nous avons auditionné avant vous, nous a indiqué que les données définitives pour 2008 n’étaient pas encore connues. Les chiffres actuellement disponibles ne porteraient que sur un échantillon de 6 865 entreprises.

M. Patrick Schmitt. Une question est de savoir si la recherche-développement des ETI et PME est à ce point plus performante qu’elle mérite d’être davantage soutenue. Il existe une volonté politique claire de favoriser cette catégorie d’entreprises, que ne contestent d’ailleurs pas les grandes entreprises. Le dispositif nous semble aujourd’hui globalement équilibré.

M. Laurent Gouzènes. Le MEDEF a vocation à dynamiser les entreprises. C’est d’ailleurs pourquoi ces statistiques nous intéressent autant car elles nous permettent de mieux connaître ce que font les entreprises en matière de recherche-développement et quelles peuvent être leurs difficultés. Le problème principal de la France est sa capacité à exporter, qui a beaucoup fléchi. Le seul remède passe par l’innovation, notamment technologique, laquelle exige une forte recherche-développement, que le crédit d’impôt recherche permet justement de soutenir.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. La réforme intervenue en 2008 a-t-elle pu constituer un effet d’aubaine pour certaines grandes entreprises qui auraient de toute façon investi en recherche-développement ?

M. Laurent Gouzènes. Il m’est difficile de répondre. En effet, la réforme du crédit d’impôt recherche a eu lieu en plein milieu de la crise. Les grandes entreprises exportatrices, particulièrement exposées à la concurrence internationale, ont beaucoup souffert de l’appréciation de l’euro par rapport au dollar et du ralentissement de l’activité économique, qui a pu atteindre jusqu’à 50 % dans certains secteurs. Or, que je sache, aucune entreprise n’a réduit de moitié ses efforts de recherche-développement. Le crédit d’impôt recherche les a donc incontestablement aidées à traverser cette passe difficile, leur permettant de ne pas réduire leur effort de recherche ni leurs effectifs en ce domaine. Je ne vois pas là d’effet d’aubaine, plutôt un effet salvateur durant la crise. Le crédit d’impôt recherche a aussi favorisé l’implantation ou le renforcement de centres de recherche-développement de grands groupes en France. Cela a été le cas pour Microsoft, Nestlé… IBM a renforcé ses équipes de recherche à Grenoble, STMicroelectronics a lancé ses grands programmes de recherche sur cinq ans grâce à ce dispositif.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Venons-en à vos propositions. Vous demandez une définition plus claire et plus précise de la recherche-développement. Qu’est-ce qui pose problème dans la définition retenue en 2008 ?

M. Laurent Gouzènes. Les dépenses éligibles au crédit d’impôt recherche ne le sont pas par nature, mais par destination. Un même acte, par exemple un prélèvement sanguin dans un laboratoire pharmaceutique, est éligible s’il est destiné à une activité de recherche stricte, mais ne l’est pas s’il ne vise qu’à l’amélioration ou une nouvelle validation d’un produit existant. Or, la distinction est parfois difficile à opérer. Les directeurs des services de recherche-développement font ce tri du mieux qu’ils peuvent à un instant donné. Puis le ministère de la recherche mandate ses experts qui parfois, c’est rare, mais cela est arrivé, ne connaissent même pas le manuel de Frascati, référence méthodologique internationale pour l’étude statistique des activités de recherche-développement, et se fondent sur des critères académiques, qui les conduisent à exclure du bénéfice du crédit d’impôt recherche des dépenses que les entreprises ont en toute bonne foi classées en recherche-développement. Ne pourrait-on pas décider une fois pour toutes que le manuel de Frascati, publié par l’OCDE, sera la référence ?

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les critères retenus aujourd’hui sont plus restrictifs que ceux du manuel de Frascati ?

M. Laurent Gouzènes. C’est surtout l’application qui en est faite dans la pratique qui pose problème.

M. Franck Debauge. Tant qu’elle ne figure pas expressément dans la loi, une définition du manuel de Frascati n’est pas opposable à l’administration. Or, aujourd’hui, l’administration a édicté des instructions fiscales, et le ministère de la Recherche et de l’enseignement supérieur a élaboré un guide, qui s’écartent des définitions internationales.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Les PME souhaiteraient que les frais financiers liés aux avances remboursables puissent être intégrés dans les dépenses éligibles au crédit d’impôt recherche, point sur lequel la Cour des comptes a formulé des observations. Qu’en pensez-vous ?

M. Laurent Gouzènes. Les avances remboursables, comme celles d’Oseo, qui ne sont jamais que des prêts bancaires figurant au passif, ne peuvent pas être traitées de la même façon que d’éventuelles subventions, donc il est normal qu’elles soient déduites des dépenses engagées.

M. Franck Debauge. Une avance remboursable n’est pas une aide à proprement parler, contrairement à un crédit d’impôt. Suite à la proposition de la Cour des comptes qui avait signalé une problématique de suivi des avances devenues non remboursables, il a été mis fin à compter de 2008 à un dispositif ancien et économiquement justifié. Il aurait été plus efficient d’envisager les moyens d’en sécuriser le contrôle que de pénaliser les entreprises.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le remboursement anticipé du crédit d’impôt recherche, décidé dans le cadre du plan de relance l’an passé, a-t-il eu un effet positif ?

M. Laurent Gouzènes. Incontestablement : il a apporté une bouffée d’oxygène en trésorerie. Ce sont les entreprises industrielles qui effectuent plus de 90 % de la recherche-développement – 70 % pour l’industrie lourde et 20 % pour celle du logiciel. Or, c’est le secteur industriel qui a le plus souffert de la crise. Si l’on revenait à un remboursement à l’année n+3, et non n+1 comme aujourd’hui, s’ensuivraient de grosses difficultés de trésorerie. Ce remboursement anticipé n’est pas un cadeau fait aux entreprises. C’est le remboursement avec un décalage de trois ans qui constituait une anomalie.

M. Patrick Schmitt. La conjugaison de tous les éléments de la réforme de 2008, y compris le remboursement anticipé, ont modifié le mode même d’utilisation du crédit d’impôt recherche. Celui-ci n’est plus un outil d’optimisation fiscale comme il a pu l’être parfois, aux mains des directeurs financiers, mais, comme il est normal, un outil stratégique de gestion de la recherche-développement, aux mains des directeurs de la recherche qui utilisent au mieux la trésorerie disponible pour accélérer les programmes, ce qui est déterminant à l’exportation.

M. Franck Debauge. Le remboursement sans délai du crédit d’impôt recherche est crucial pour les PME et les ETI, qui ne disposent pas toujours des financements nécessaires, a fortiori pour la recherche-développement qui n’est pas finançable auprès des banques.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le crédit d’impôt recherche servirait plutôt dans les phases amont de la recherche. Or, plus une entreprise est petite, plus elle a besoin d’être aidée longtemps, quasiment jusqu’au stade de la mise en production. Ne serait-il pas judicieux de mieux cibler le crédit d’impôt recherche par taille d’entreprises et d’en élargir l’assiette, jusqu’au prototypage par exemple ?

M. Laurent Gouzènes. Le soutien apporté aux entreprises en matière de recherche-développement se justifie par les incertitudes scientifiques et technologiques que celle-ci comporte et qui ne peuvent être levées que par l’expérimentation. Alors même que c’est dans cette phase de recherche en amont que se joue la compétitivité future des entreprises, c’est là qu’elles ont toujours du mal à trouver des financements, et ce quelle que soit leur taille. Comment convaincre une banque de vous prêter de l’argent quand vous ne pouvez lui fournir aucun business plan, pas même lui dire à quel produit exact vos recherches aboutiront, ni à quel horizon, encore moins combien et à qui il sera vendu ?

M. Alain Claeys, Rapporteur. Êtes-vous favorable au développement des partenariats avec la recherche publique ?

M. Laurent Gouzènes. Bien sûr. La réforme du crédit d’impôt recherche les a considérablement renforcés, comme notre Livre blanc en est la preuve, fruit d’une collaboration entre le MEDEF, les Instituts Carnot, le réseau C.U.R.I.E… Une véritable révolution culturelle a eu lieu, que le crédit d’impôt recherche n’explique pas à lui seul – la création des pôles de compétitivité y a sa part – mais à laquelle il a largement contribué.

M. Patrick Schmitt. En dépit de la crise, les coopérations entre le CNRS et les PME ont augmenté de 30 % en 2008 quand d’ordinaire, elles ne progressaient pas de plus de 3 % à 5 % par an.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Y a-t-il moins de problèmes dans le secteur aval que dans le secteur amont ?

M. Patrick Schmitt. Pour nous, l’amont va jusqu’au prototypage technique. D’ailleurs, les prototypes techniques figurent dans le manuel de Frascati.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Les PME demandent l’intégration des prototypes dans les dépenses de recherche-développement.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les représentants de la CGPME, que nous avons auditionnés ce matin, ont soulevé le problème.

M. Franck Debauge. Pour nous, il est clair que la mise au point des prototypes doit être intégrée dans les dépenses éligibles. Toutes les phases jusqu’au test du produit final doivent l’être. En réalité, le débat sur l’intégration ou non des prototypes est né de la non-application ou de la mauvaise application des définitions internationales.

M. Patrick Schmitt. Un autre problème est celui de l’éligibilité des dépenses de design au crédit d’impôt recherche. Nous estimons qu’elles devraient l’être plus systématiquement, alors qu’elles ne le sont que si elles prennent place dans le cadre d’un projet technologique. Lors des États généraux de l’industrie, la création d’un crédit d’impôt innovation a été évoquée. Mais l’innovation, elle, relève du manuel d’Oslo et dans ce cadre, le design ne peut pas être pris en compte. Un débat a été ouvert au MEDEF, qui n’est pas encore tranché, sur l’éventualité d’un crédit d’impôt design-création, analogue au crédit d’impôt recherche, et qui fusionnerait les trois crédits d’impôt existant pour les métiers d’art, les collections des secteurs du textile, de l’habillement, du cuir et le secteur des jeux vidéo. Alors même que le design apporte une forte valeur ajoutée aux produits, déterminante à l’exportation, sa filière demeure encore fragmentée en France, très loin de la structuration qu’elle a acquise en Italie par exemple. Pourquoi ne pas envisager un tel crédit d’impôt complémentaire, en veillant toutefois à ce qu’il ne siphonne pas les sommes aujourd’hui dévolues au crédit d’impôt recherche ? Il a fallu près de 25 ans pour disposer en France d’un crédit d’impôt recherche efficace. Ne détricotons surtout pas le dispositif actuel pour un autre, flou et incertain, qui serait encore plus difficile à appliquer !

M. Laurent Gouzènes. Une autre difficulté tient au fait que l’État exige pour que les dépenses de recherche-développement soient éligibles qu’il y ait un saut qualitatif dans la performance attendue du produit. Or, et cela vaut pour toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, les progrès dans la recherche sont de nature incrémentale et c’est le plus souvent une suite de petits progrès qui finit par permettre un saut technologique. Reste à en convaincre le ministère de la recherche !

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Les PME, qui travaillent plutôt dans le prototypage, donc en aval, souhaiteraient que les phases aval puissent bénéficier des mêmes aides que les phases amont.

M. Franck Debauge. La question-clé est moins la distinction entre amont et aval – il est clair que la recherche-développement va bien jusqu’au prototypage – qu’entre projets comportant ou non des incertitudes de développement futur. Sur les vingt-quatre milliards d’euros dépensés par les entreprises en recherche-développement, seuls quinze sont éligibles au crédit d’impôt recherche. D’où notre demande d’une parfaite clarification des critères pris en compte, afin de garantir toute sécurité fiscale.

M. Alain Claeys, Rapporteur. L’un de nos problèmes en France est que les jeunes docteurs ne se dirigent pas naturellement vers les entreprises privées. Y a-t-il eu une amélioration sur ce point ? Que faudrait-il faire, selon vous, pour optimiser le dispositif actuel d’embauche ?

M. Laurent Gouzènes. La situation s’est nettement améliorée. L’ignorance mutuelle dans laquelle vivaient le monde de l’entreprise et celui de la recherche se dissipe peu à peu. La mise en place du système européen de LMD (licence-mastère-doctorat) y a contribué, poussant les ingénieurs à faire de nouveau des thèses, dans la mesure où il est désormais clair pour tous que le plus haut niveau est bien le doctorat. La thèse est une excellente formation intellectuelle supplémentaire pour les ingénieurs, dans la mesure où elle les oblige à connaître ce qui se fait de mieux dans leur domaine et à se tenir informés des dernières évolutions. Embaucher de jeunes docteurs est pour une entreprise, outre l’assurance de recruter des personnes excellemment formées, un moyen de tisser des liens durables avec des laboratoires de recherche, car ces liens se tissent d’abord par les hommes. L’ANRT a également consenti de gros efforts, augmentant notamment son budget pour qu’il y ait davantage de docteurs formés en entreprise ou au contact de l’entreprise.

Là où pèche le dispositif actuel, c’est que l’attribution d’un crédit d’impôt recherche pour l’embauche d’un doctorant est subordonnée au fait que l’effectif global de l’entreprise augmente.

M. Franck Debauge. Il faudrait ne tenir compte que des seuls effectifs que maîtrisent les directeurs de la recherche. En effet, aujourd’hui, ils peuvent recruter un jeune doctorant pensant avoir droit à un crédit d’impôt recherche puis s’en voir refuser le bénéfice, parce que l’effectif global de l’entreprise aura diminué du fait de réductions de postes au service commercial !

M. Laurent Gouzènes. De très nombreux départs à la retraite vont avoir lieu prochainement dans la recherche publique. Cela va créer un énorme appel d’air et il n’est pas impossible que les entreprises privées soient confrontées à une pénurie, la plupart des jeunes docteurs ayant été « aspirés » par les organismes publics de recherche. Il serait d’ailleurs utile que le ministère de la recherche nous communique les statistiques démographiques dont il peut disposer sur les docteurs en entreprise.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Nous alertons depuis longtemps sur la pénurie à venir de docteurs. Dans tous les grands laboratoires, le nombre de thésards diminue dangereusement, sans parler même du fait que nombre de directeurs de recherche partant en retraite ne sont pas remplacés.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pour pallier la pénurie de docteurs dans les entreprises, une solution ne consisterait-elle pas à faciliter la mobilité des chercheurs entre public et privé ?

Les entreprises sont demandeuses de telles passerelles permettant des allers-retours le temps d’un projet. La difficulté est moins d’ordre financier que statutaire.

M. Laurent Gouzènes. Tout à fait. Mais d’une manière générale, le nombre de docteurs décline et le contexte démographique est mauvais. Il faut donc faire mieux connaître encore les formations doctorales et attirer les étudiants dans ces filières.

M. Franck Debauge. Selon les prévisions d’embauches de jeunes docteurs, un recrutement sur trois en France s’y ferait dans la recherche – contre seulement 6 % en Allemagne et 8 % en moyenne dans l’Union européenne. C’est dire la dynamique enclenchée grâce au crédit d’impôt recherche, dont l’efficacité tient bien sûr au volume de l’enveloppe qui y est affectée mais aussi à la stabilité du dispositif sans laquelle aucune efficacité durable n’est possible.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il me reste, Madame, Messieurs, à vous remercier.

Audition du 23 février 2010

À 18 heures 15 : M. Gilles Avenard, vice-président de France Biotech et directeur général de Bioalliance Pharma, Mme Haude Costa, déléguée générale et Mme Lison Chouraki, expert-comptable, membre du conseil d’administration

Présidence de M. Alain Claeys

M. Alain Claeys, Rapporteur. Je vous souhaite la bienvenue.

Pour évaluer le dispositif du crédit d’impôt recherche, la mission d’évaluation et de contrôle peut déjà s’appuyer sur plusieurs travaux. Notre rapporteur général, Gilles Carrez, a déjà consacré un rapport au crédit d’impôt recherche. La Cour des comptes aussi a travaillé sur cette question et nous sommes accompagnés cet après-midi de M. Philippe Rousselot, conseiller référendaire à la troisième chambre de la Cour des comptes. En outre, pour la mission qui lui a été confiée sur le crédit d’impôt recherche, la MEC a déjà reçu le MEDEF, qui a élaboré un Livre blanc.

Il nous faut donc évaluer le dispositif actuel du crédit d’impôt recherche. Est-il pour vous un bon outil pour le développement de la recherche dans le secteur privé ou au contraire un instrument imparfait, créateur d’opportunités ? Est-il adapté à la recherche et au développement dans toute leur diversité ? Sa réforme a-t-elle été un progrès pour votre secteur d’activité ? Peut-il être encore amélioré ?

Nous aimerions aussi aborder la question de la propriété intellectuelle, essentielle pour vos secteurs d’activité.

M. Gilles Avenard, vice-président de France Biotech et directeur général de BioAlliance Pharma. Merci de recevoir France Biotech. Médecin de formation, j’ai travaillé vingt ans dans l’industrie pharmaceutique, avant de créer moi-même en 1997, avec un associé, une société de biotechnologie, BioAlliance Pharma. Partie de rien, elle emploie aujourd’hui 90 personnes, est cotée sur Euronext et a mis un premier médicament sur le marché. Je suis aussi vice-président de France Biotech, dont Haude Costa est déléguée générale et Lison Chouraki, par ailleurs expert-comptable, membre du conseil d’administration.

Les biotechnologies, c’est la mise en œuvre du vivant. Cette discipline est née il y a plus de trente ans aux États-Unis, lorsqu’a été découverte la possibilité de manipuler les cellules ou les gènes pour leur faire produire des protéines, notamment des médicaments. L’utilisation de cette technologie a été élargie au domaine végétal, puis développée jusqu’à produire des biocarburants.

Le terme de « société de biotechnologie », – ce sont ces sociétés que regroupe l’association France Biotech – désigne quant à lui un modèle économique, né également il y a trente ans aux États-Unis, de sociétés de nature entrepreneuriale et financées non pas par de la dette mais par des augmentations de capital : les cycles extrêmement longs selon lesquels elles travaillent imposent en effet ce mode de financement. Ces sociétés ont pour socle la R&D et l’innovation : sans recherche de très haute qualité, il n’y a pas de sociétés de biotechnologie. Aujourd’hui, 80 à 100 des principaux médicaments « blockbusters » mondiaux ont été inventés par ces sociétés. Ainsi organisées, elles créent, sur la durée, de la valeur pour un payeur futur, qui pourra être la grande industrie pharmaceutique. Ainsi, les antirétroviraux utilisés pour lutter contre le VIH – dont la plupart est aujourd’hui vendue par des grands groupes pharmaceutiques – ont pratiquement tous été découverts par des sociétés dites de biotechnologie.

La longueur du cycle économique de ces sociétés est un point essentiel. Pendant dix, quinze ans, voire plus, elles ne sont pas rentables. Elles créent de la valeur là où les grands groupes ne veulent pas prendre de risques, au cœur de ruptures technologiques où la recherche est trop innovante et trop loin de leurs marchés.

Si la France aujourd’hui est plutôt bien placée en Europe, en troisième position – derrière le Royaume-Uni et la Suisse, et devant l’Allemagne –, les sociétés de biotechnologie européennes ont vingt ans de retard sur les américaines, qui sont devenues de vraies grandes sociétés de l’industrie pharmaceutique.

De 1997 à 1999, les Länder allemands ont réalisé un considérable effort de financement : pour un deutsche mark investi, un deutsche mark de subvention était apporté. De nombreuses sociétés se sont alors créées. Cependant, ni l’État ni les investisseurs n’ont relayé l’effort fait. En conséquence ces sociétés n’ont pas perduré et cette action n’a été qu’un feu de paille.

Les sociétés de biotechnologie que regroupe France Biotech travaillent dans trois domaines. Le premier est la thérapeutique, le médicament, avec par exemple la thérapie cellulaire – qui consiste à injecter non plus des molécules mais des cellules, qui vont aller réparer un organe – ou encore la thérapie génique. Le deuxième est le traitement des malades et le diagnostic ; avec la découverte de nouveaux outils pour diagnostiquer ou suivre des maladies, il est en pleine expansion aujourd’hui, et les « biomarqueurs » vont sans doute devenir demain l’une des clés des traitements. Le troisième est constitué par ce qu’on appelle le dispositif médical. Ses innovations sont à la frontière de disciplines différentes, comme l’électronique ou les biomatériaux. Le cœur artificiel, ainsi que des prothèses, en relèvent ; dans les vingt ou trente années à venir, les innovations porteront probablement d’abord sur ce domaine, avant le médicament.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Dans cette révolution où la transversalité est le maître mot, qu’apporte le crédit d’impôt recherche ?

M. Gilles Avenard. Dans notre métier, le crédit d’impôt recherche est, avec le statut de jeune entreprise innovante (JEI), la pierre angulaire de la création et du développement des sociétés. La réforme du dispositif, qui a fait passer son calcul de l’accroissement des dépenses de recherche à un pourcentage des dépenses dans ce domaine, a été globalement favorable aux PME de biotechnologie. Néanmoins, pour nous, les aides remboursables n’auraient pas dû être incluses dans l’assiette du crédit d’impôt recherche. En effet, ce ne sont pas des subventions mais des dettes des sociétés. Elles figurent d’ailleurs à ce titre dans leur comptabilité. Surtout dans les phases de démarrage et de croissance – c'est-à-dire au moment où les sociétés sont les plus fragiles et ont le plus besoin d’argent –, cette inclusion les prive d’une partie des fonds du programme pour lesquelles elles ont demandé une aide à Oséo. Or, exclue du crédit d’impôt recherche, cette aide ne se transformera en subvention que si le programme est un échec. Si c’est un succès, elle sera remboursée ! Cette disposition a été pénalisante pour beaucoup de sociétés. En avril 2008, nous avons réalisé une étude pour attirer l’attention du Gouvernement sur ce point.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pour quelles raisons le dispositif est-il favorable aux PME ? D’autre part, certaines entreprises n’auraient-elles pas profité d’un effet d’aubaine ?

M. Gilles Avenard. Dans notre secteur, les PME sont toutes fondées sur la recherche et le développement. La définition de la recherche par le dispositif du crédit d’impôt recherche nous convient parfaitement. Grâce à elle, 100 % des membres de notre association qui effectuent de la recherche et du développement en bénéficient.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pourtant, ces entreprises effectueraient de la recherche même en l’absence de crédit d’impôt recherche. Ce dispositif ne recouvre donc t-il pas une subvention déguisée, qui pourrait à ce titre être contestée ?

M. Gilles Avenard. Le crédit d'impôt recherche participe à l’attractivité internationale de la France depuis des années. Les sociétés de notre secteur sont financées par des augmentations de capital, apportées par des fonds d’investissement en capital-risque. Ces opérateurs – y compris les français – travaillent à l’échelle internationale. Ils disposent d’un large choix d’affectation de leurs investissements. Or, la France est aujourd’hui connue pour son attractivité : le crédit d'impôt recherche est ainsi pour nos sociétés non pas un effet d’aubaine mais un élément structurant. Le supprimer équivaudrait probablement à mettre fin à une grande partie de la création d’entreprises.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. À l’évidence, le dispositif vous satisfait. Néanmoins, avez-vous identifié des freins qui empêcheraient des entreprises d’accéder au CIR ? Quelles contraintes avez-vous repérées ?

M. Gilles Avenard. Il est probable que la réforme de 2008 a fortement favorisé de grands groupes. La Cour des comptes a dénoncé un effet d’aubaine. Cependant, cette préoccupation est hors du champ d’action de France Biotech.

Nous n’identifions que peu de contraintes. Au départ, l’un des freins à l’utilisation du crédit d'impôt recherche était le risque de contentieux avec l’administration. À BioAlliance Pharma, nous avons subi successivement un contrôle très difficile du ministère chargé de l’industrie et de la recherche, sur la définition de la recherche, puis un contrôle fiscal. Depuis sa création, BioAlliance Pharma a bénéficié de 8 millions d'euros de CIR pour 100 millions d'euros d’investissement en capital. Le ratio est peu élevé eu regard de ses 30 % de dépenses de R&D : 8 % sur treize ans, sachant que nous avons mis un médicament sur le marché, réalisé des développements aux États-Unis et que seule la recherche stricto sensu entre dans l’assiette du CIR.

Aujourd’hui, au contraire, la procédure de rescrit – c'est-à-dire de demande d’avis préalable – auprès de l’administration fiscale, d’Oséo, ou de l’Agence nationale de la recherche (ANR) lève beaucoup de ces freins. Plus d’aisance pour les entreprises suppose probablement une meilleure communication du ministère. Nous, leurs associations, nous efforçons de les informer au mieux.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel succès le dispositif de diagnostic préalable rencontre-t-il ?

Mme Lison Chouraki. En fait, c’est le rescrit JEI que les entreprises mettent en œuvre. Comme la définition de la recherche y est la même que dans le rescrit relatif au CIR, il valide, de fait, celui-ci.

M. Gilles Avenard. La plupart des sociétés de notre secteur ont en effet le statut de JEI.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Croyez-vous à l’efficacité du remboursement anticipé du crédit d'impôt recherche ?

M. Gilles Avenard. Oui. De plus, sa suppression après deux ans d’existence risquerait de créer des difficultés sérieuses pour les trois ans qui viennent. Néanmoins, France Biotech propose de cantonner le remboursement anticipé du CIR aux PME, et plus précisément à celles qui consacrent 15 % de leurs dépenses à la recherche – autrement dit, le même critère que les JEI. L’adoption de ce ratio – qui pourrait être contrôlé par Oséo – limiterait le remboursement anticipé aux seules entreprises qui en auraient réellement besoin.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Des critères d’éligibilité par taille d’entreprise ou secteur d’activité pourraient-ils être institués ?

M. Gilles Avenard. L’attribution du crédit d'impôt recherche par secteur ne nous paraît pas forcément une bonne idée. En revanche, sa modulation par taille d’entreprise pourrait être une évolution souhaitable. Nous proposons aussi de plafonner de nouveau le taux de 30 % du crédit d'impôt recherche à 50 millions d'euros de dépenses – ce taux passant ensuite à 5 % – et, au-delà d’un certain montant – nous proposons 30 millions d'euros – de conditionner le CIR à des collaborations avec des JEI. Extrêmement vertueux pour l’ensemble de l’économie, ce dispositif réduirait en partie la dépense actuelle, de 4 milliards d'euros, et ne pénaliserait que peu de groupes industriels. Ainsi, par exemple, Sanofi Aventis, ne serait concerné qu’à hauteur de 15 millions d'euros.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pour quelles raisons refusez-vous de cantonner le crédit d'impôt recherche à quelques secteurs ? À l’instar du grand emprunt, ne faudrait-il pas être sélectif et concentrer l’effort par exemple sur les biotechnologies, l’espace, le développement durable, au détriment de secteurs polluants, comme l’automobile ?

M. Gilles Avenard. La définition de la recherche dans les textes relatifs au crédit d'impôt recherche me paraît adéquate : elle est restrictive et limitative. Une décision politique pourrait certes limiter le CIR à certains secteurs. Je comprends très bien qu’une partie du grand emprunt soit ciblée sur les secteurs dont le développement est souhaité pendant les vingt prochaines années. Cependant, dans notre métier, il faut éviter les coups d’accordéon. Dans les biotechnologies qui contribueront à la santé de demain, une continuité de l’investissement est nécessaire. Des représentants d’autres secteurs technologiques tiendront sans doute devant vous des propos du même ordre. C’est un leurre de penser qu’il est possible d’innover pendant dix ans dans un domaine, puis de se reporter sur un autre secteur. BioAlliance existe depuis treize ans, or, nous venons seulement de mettre un médicament sur le marché. D’autres sont en cours de mise au point. Mettre fin dans cinq ans au crédit d'impôt recherche serait déstructurant.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour vous, les brevets sont l’un des critères de la mesure de l’efficacité du crédit d'impôt recherche. Avez-vous observé dans votre secteur une augmentation de leur nombre du fait de ce dispositif ?

M. Gilles Avenard. Oui, c’est indéniable – même si je ne peux pas vous répondre sur les effets de la réforme de 2008. Lors de sa création en 1997, BioAlliance n’était propriétaire d’aucun brevet ; à ce jour, elle en a déposé 300. Les dépenses réalisées à ce titre étant éligibles au CIR, on mesure l’importance de ce dernier pour nos sociétés.

Son doublement pour les dépenses auprès d’organismes publics de recherche est également vertueux. En favorisant les partenariats entre le secteur privé et le secteur public, il transforme ce qui serait une simple subvention au secteur privé en une aide à la création d’entreprises dans le domaine de la R&D. Dans notre secteur, ce mécanisme est un vrai moteur de l’économie.

En revanche, en élargissant le champ des entreprises éligibles au CIR, la réforme de 2008 a eu pour conséquence la multiplication des consultants et sociétés de conseil qui se rémunèrent au pourcentage sur ce crédit. Beaucoup de nos membres s’en plaignent. Certes, ils ne sont pas obligés de céder. Mais nous trouvons que ce mode de rémunération n’est pas vertueux en termes d’utilisation de l’argent public et qu’il pénalise la recherche : en effet, les sommes ainsi dépensées ne vont ni à la recherche ni à l’innovation. Nous proposons donc que, lorsque les consultants sont rémunérés au pourcentage, ils soient obligés de le préciser sur leur déclaration fiscale. Un suivi pourrait ainsi être effectué. Il serait aussi envisageable que, au-delà d’un certain pourcentage, une partie des fonds ainsi utilisés soit déduite du crédit d'impôt recherche lui-même.

M. Alain Claeys, Rapporteur. À leurs débuts, les start up, ont pourtant besoin de conseils.

M. Gilles Avenard. Non. L’utilisation de la procédure de rescrit, avec l’aide d’Oséo ou de l’ANR, est largement suffisante. BioAlliance Pharma n’a jamais eu besoin d’aide en matière de CIR.

Mme Lison Chouraki. Que le temps du consultant soit rémunéré est logique. En revanche, sa rémunération en pourcentage du CIR n’est pas éthique.

M. Philippe Rousselot. France Biotech a été créée en 1997. Pouvez-vous nous présenter quelques exemples concrets d’amélioration des relations entre secteurs public et privé depuis cette date ? Au-delà des partenariats, le nombre de thésards, de jeunes doctorants, a-t-il augmenté parmi les effectifs de vos adhérents ?

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous tissé des partenariats avec votre interlocuteur public principal, l’INSERM ? France Biotech les facilite-t-elle ?

M. Gilles Avenard. Les partenariats sont le socle de l’activité des sociétés françaises de biotechnologies. Pratiquement 100 % d’entre elles en ont conclu, avec l’INSERM, mais aussi le CNRS, l’Institut Pasteur, les autres grands organismes de recherche et les universités. La plupart des 300 brevets déposés par BioAlliance sont venus des universités. Nous leur en rendons une partie. Le dispositif est vertueux.

France Biotech a élaboré en 2007 un Livre blanc de la valorisation. Nous pourrons vous le communiquer. Il traitait de l’amélioration des relations entre les secteurs public et privé. Il est prévu de créer actuellement des sociétés régionales d’aide aux transferts de technologie. Elles auront pour objet de travailler avec les universités et l’ensemble des acteurs pour favoriser la valorisation de leurs travaux auprès des entreprises privées. L’actuelle réforme des universités contribue aussi à faire évoluer profondément la situation.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La réorganisation des sciences de la vie autour de l’INSERM est un élément essentiel.

M. Gilles Avenard. Oui. Le secteur évolue en profondeur, et favorablement, même si les délais de négociation avec les organismes sont toujours beaucoup trop longs au regard de nos attentes. Le mandat unique de gestion de la propriété intellectuelle contribue aussi à cette évolution. De réelles améliorations sont en cours. Nous y travaillons.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Merci beaucoup.

Audition du 6 avril 2010

À 10 heures : MM. Christophe Fornes, président de la commission Recherche et innovation de Croissance Plus, et Hugues Souparis, membre du comité directeur de Croissance Plus et membre de la commission Recherche et innovation

Présidence de M. David Habib

M. David Habib, Président. Je remercie M. Christophe Fornes, président de la commission Recherche et innovation de l’association Croissance Plus, et M. Hugues Souparis, membre du comité directeur de Croissance Plus et membre de cette même commission, d’avoir répondu à notre invitation.

Messieurs, la Mission d’évaluation et de contrôle a retenu parmi ses thèmes de travail pour l’année 2010 le crédit d’impôt recherche. Nos trois rapporteurs, MM. Claeys, Gorges et Lasbordes, qui représentent des commissions et des sensibilités politiques différentes et qui ont déjà travaillé ensemble sur les pôles de compétitivité, rédigeront un rapport qui sera versé au débat par ailleurs alimenté par la Cour des comptes, dont je salue ici les représentants, MM. Jean-Pierre Cossin, conseiller-maître et Philippe Rousselot, conseiller référendaire. Notre collègue Michel Lejeune, membre de la commission des Affaires économiques, qui n’est pas membre de la MEC, est également parmi nous pour participer à notre réflexion.

Nous vous laissons présenter votre association, puis nous vous poserons des questions.

M. Christophe Fornes, président de la commission Recherche et innovation de Croissance Plus. Croissance Plus est une association d’entrepreneurs qui ont créé et dirigent des entreprises de croissance. Elle existe depuis 1997 et compte environ 300 membres. Au sein de la commission Recherche et innovation, nous réfléchissons à tout ce qui peut favoriser l’innovation dans les PME et TPE, les très petites entreprises.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel diagnostic portez-vous sur la modification du dispositif du crédit d’impôt recherche intervenue en 2008 ? Le nombre de bénéficiaires est passé de 2 700 en 2007 à 12 500 en 2008 ; s’agit-il réellement d’entreprises qui font de la recherche-développement ? Pensez-vous que le mécanisme ait pu être détourné de ses objectifs ?

M. Christophe Fornes. D’après notre enquête interne, sur nos 223 membres susceptibles de faire de la recherche et de l’innovation, 67 bénéficient du crédit d’impôt recherche, soit 30 % – mais nous ne sommes pas forcément représentatifs de l’ensemble des entreprises françaises. Le classement par secteur et par taille auquel nous avons procédé montre que les principaux bénéficiaires sont les éditeurs de logiciels et les SSII, et en grande majorité des sociétés employant entre 50 et 100 personnes.

La réforme de 2008 a simplifié les procédures, en les rendant plus lisibles et plus claires. Le déplafonnement du CIR et sa fixation à 30 % des dépenses procurent de la visibilité aux entreprises et permettent d’assurer un niveau de recherche et d’innovation pérenne.

M. Hugues Souparis, membre du comité directeur de Croissance Plus, membre de la commission Recherche et innovation. J’ai fondé et je dirige une entreprise dénommée Hologram Industries, qui emploie 220 personnes et qui fait beaucoup de R & D puisqu’elle y a consacré l’année dernière 13,5 % de son chiffre d’affaires – supérieur à 33 millions d’euros.

Les membres de notre association ont créé plus de 50 000 emplois au cours des cinq dernières années. Ce sont majoritairement des jeunes entreprises, ce qui explique le poids relatif des services, et en particulier du secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC), dans lequel il est aujourd'hui beaucoup plus facile de créer une entreprise que dans le secteur industriel – auquel appartient néanmoins la mienne. Ces précisions me paraissent importantes pour analyser les chiffres que nous vous avons transmis sur les bénéficiaires du CIR.

Je confirme ce que vient de dire Christophe Fornes quant à la simplification apportée par la réforme. Même si mon entreprise, qui a vingt-cinq ans, bénéficiait précédemment du CIR, il est clair que le nouveau dispositif nous facilite beaucoup les choses car il nous permet de prévoir. Par ailleurs, le calcul sur le volume permet de disposer d’une aide beaucoup plus importante.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Ce changement n’a-t-il pas justement créé un effet d’aubaine pour les grandes entreprises ?

M. Hugues Souparis. Pour tout le monde, cela a produit un effet d’entraînement. Si les grandes entreprises rapatrient leurs centres de R & D en France, on pourra parler d’effet d’aubaine ; mais s’agit-il d’aubaine pour elles ou pour le pays ? Les grandes entreprises ne décident pas de faire plus de R & D à cause du crédit d’impôt recherche, mais peut-être décident-elles d’en faire plus en France.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous des informations sur ce point ?

M. Hugues Souparis. Nous sommes venus vous parler des PME. Cependant je pense pouvoir vous dire que les grandes entreprises n’implanteront ou ne réimplanteront des centres de R & D en France que si la pérennité du dispositif est assurée. Le fait même que nos élus s’interrogent sur le CIR est un très mauvais signal adressé aux entreprises. S’agissant de prendre des décisions qui les engagent pour une dizaine d’années, elles ont besoin d’être assurées de la stabilité du système.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Il ne s’agit pas pour nous de remettre en cause le dispositif du CIR, mais de l’évaluer, en vérifiant que les mesures que nous avons prises en 2008 sont profitables.

M. Christophe Fornes. À ce propos, CroissancePlus souhaite le maintien du CIR et réclame instamment une étude précise par taille d’entreprise, les chiffres étant en général globaux. D’après ce que nous constatons, le CIR a un impact très fort sur les petites et très petites entreprises, mais il serait nécessaire de disposer d’analyses fines.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous êtes-vous intéressés aux motivations de ceux de vos membres – les trois quarts – qui ne sont pas entrés dans le dispositif du CIR ?

M. Christophe Fornes. Ne disposant que des moyens d’une petite association, nous n’avons pas enquêté sur ce point. Nous savons néanmoins que de nombreux entrepreneurs objectent la complexité du CIR, la crainte d’un contrôle fiscal, la difficulté de constituer un dossier… Nous essayons de lutter contre ces a priori, mais il reste que les démarches prennent un peu de temps et que les chefs d’entreprise ont souvent d’autres priorités. Par ailleurs, toutes les entreprises ne font pas de la recherche au sens du crédit d’impôt recherche.

M. Hugues Souparis. Une partie seulement de nos adhérents ont des projets éligibles au CIR, mais je pense que parmi eux la plupart en tirent effectivement parti car c’est une aide très importante. Si le dispositif était étendu à l’innovation, les entreprises concernées seraient beaucoup plus nombreuses.

M. Christophe Fornes. Cette année, deux de nos membres ont fait appel au crédit d’impôt recherche pour la première fois. À notre échelle, c’est assez significatif.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le CIR a-t-il permis de resserrer les liens entre recherche publique et recherche privée ? Avez-vous connaissance de coopérations ?

M. Hugues Souparis. Oui, dans mon entreprise qui fabrique des hologrammes destinés aux passeports biométriques ou aux billets de banque. Jusqu’à très récemment, toute notre R & D se faisait en interne. J’ai poussé mes chercheurs à s’ouvrir au monde des laboratoires universitaires, sans grand succès au début mais, depuis deux ou trois ans, le mouvement est sensible. Je ne saurais pas faire la part entre les réformes internes à l’université, encourageant ses laboratoires à travailler avec des entreprises, et le fait que le CIR apporte des financements à l’université. Pour notre part, nous sommes incités à cette coopération puisque le taux de crédit d’impôt passe de 30 % à 50 % sur tout ce que nous sous-traitons à des laboratoires universitaires – où le crédit d’impôt recherche contribue certainement à faire évoluer les mentalités : j’y rencontre des chercheurs qui écoutent les entreprises, s’intéressent à leurs problématiques et ont envie de travailler avec elles.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Que faudrait-il faire pour que davantage de PME utilisent le crédit d’impôt recherche ?

M. Hugues Souparis. Le but est-il de faire plus de recherche fondamentale ou d’avoir plus de produits innovants à vendre ? En fonction de la réponse, il faut soit conserver l’assiette actuelle du CIR, soit l’élargir à l’innovation.

Au sein de celle-ci, il faut aussi distinguer l’innovation dans les méthodes de vente et l’innovation dans les produits eux-mêmes. Le CIR va certes un tout petit peu au-delà de la recherche fondamentale, mais il ne couvre pas les prototypes et préséries ; c’est certainement un problème si l’on veut toucher plus d’entreprises industrielles, dont la situation est bien différente de celle des fabricants de logiciels – pour lesquels la totalité de la chaîne, de la conception au produit, est considérée comme de la recherche. Pour fabriquer un produit industriel, ou un produit hybride comme l’iPhone ou l’iPad, la recherche ne suffit pas ; il faut beaucoup de prototypes et de préséries, permettant tests et corrections jusqu’à obtenir un produit satisfaisant. L’élargissement du CIR à cette partie de l’innovation permettrait aux PME industrielles d’y recourir davantage, et contribuerait ainsi à soutenir l’industrie de demain.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Faut-il en conclure que vous êtes favorable à une modulation des critères d’attribution en fonction des secteurs ?

M. Hugues Souparis. Je ne propose pas de modulation ; il s’agirait seulement d’élargir un peu l’assiette, ce qui ne changerait rien pour les fabricants de logiciels mais bénéficierait aux entreprises industrielles et aux fabricants de produits hybrides.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Jugez-vous préférable de faire entrer la phase de maturation dans l’assiette du CIR plutôt que de la faire bénéficier d’une subvention ?

M. Hugues Souparis. Le crédit d’impôt recherche est à mes yeux un excellent outil. Nous ne demandons pas des aides, mais une réduction de nos charges.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le CIR est bien une aide.

M. Hugues Souparis. C’est un allègement de l’impôt, mais une entreprise innovante qui en bénéficie supporte encore une pression fiscale supérieure à la moyenne européenne.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Ne faudrait-il pas moduler le CIR en fonction des secteurs d’activité, en cohérence avec les grandes priorités du ministère de la Recherche ?

M. Hugues Souparis. Notre commission Recherche et innovation n’en a pas discuté mais, personnellement, je suis totalement contre. On ne va pas revenir au temps du Commissariat au Plan… Quand on fait de la recherche ou de l’innovation dans une direction, les applications et le succès commercial apparaissent souvent ailleurs. Le minitel, par exemple, n’a pas du tout été créé pour ce qui lui a valu son succès.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Ce que vous dites est vrai pour la recherche fondamentale. Mais je prends l’exemple des biotechnologies : chacun convient que c’est une priorité, notre pays ayant du retard dans ce domaine ; faut-il qu’elles bénéficient d’un effort particulier dans le cadre du CIR ?

M. Hugues Souparis. Je ne pense pas que ce soit le bon instrument. Mieux vaut donner des moyens aux universités et aux chercheurs.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le CIR ne doit-il pas aider les toutes petites entreprises de biotech ? Faut-il traiter de la même façon un grand groupe pharmaceutique et une start-up qui met au point une nouvelle molécule ?

M. Christophe Fornes. Votre question nous ramène au débat général sur les grandes et petites entreprises, mais la question n’est peut-être pas là. Notre association regroupe des petites entreprises, mais parmi nos principaux clients, il y en a des grosses.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les chiffres montrent que la réforme du CIR a certes profité aux PME mais, en volume, surtout aux grandes entreprises. Or, toute politique publique ayant un coût, il arrive qu’il faille arbitrer.

M. Christophe Fornes. Si c’était le cas, il ne faudrait pas qu’il y ait de changement pour les PME. Les grandes entreprises n’ont sans doute pas les mêmes problèmes de financement. Mais il est souhaitable de favoriser le développement des laboratoires de recherche ; cela fait aussi progresser les petites entreprises sous-traitantes des grandes. Dans le domaine des biotech, il ne doit pas y avoir beaucoup de start-ups car il faut des moyens énormes, sans commune mesure avec ce qu’il faut, par exemple, pour développer des logiciels.

M. Hugues Souparis. D’une part, les grandes entreprises sous-traitent aux petites, et d’autre part, la création par elles de centres de recherche provoque nécessairement un essaimage des talents. Les petites entreprises ont tout intérêt à embaucher des chercheurs qui ont une expérience autre qu’universitaire.

Nous nous attendions à votre question sur la modulation. Si le budget de l’État ne permet pas de conserver le système actuel et si l’on veut privilégier les entreprises de plus petite taille, il est un critère qui pourrait être utilisé, parce qu’il différencie beaucoup les grands groupes des PME, c’est le taux moyen d’imposition. Les grands groupes paient moins d’impôts – parce qu’ils ont des filiales dans le monde entier et une stratégie d’optimisation fiscale. On pourrait par exemple réserver le plein bénéfice du dispositif aux entreprises qui paient plus de 25 % d’impôt en France, et établir un système de prorata pour celles qui se situent entre 15 et 25 %. Ce serait une mesure juste, qui permettrait, tout en faisant des économies, de favoriser d’une part les PME, et d’autre part les grandes entreprises « citoyennes » qui paient leurs impôts en France.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Il ne faudrait pas que cela pousse les grandes entreprises à délocaliser encore davantage leur recherche à l’étranger.

M. Hugues Souparis. Elles pourraient être à l’inverse incitées à payer leurs impôts en France.

M. Michel Lejeune. Un tel système serait-il « eurocompatible » ?

M. Hugues Souparis. La question dépasse mes compétences mais, si le CIR est « eurocompatible », je ne vois pas pourquoi sa modulation ne le serait pas.

M. David Habib, Président. La question vaut aussi pour la modulation par secteur.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Sans le CIR, vos adhérents auraient-ils renoncé à certains programmes de recherche ?

M. Hugues Souparis. On ne peut pas le dire comme cela, mais le fait est que le CIR est entré dans le paysage. Il y a deux jours, on m’a présenté en réunion un budget « après CIR »...

M. Alain Claeys, Rapporteur. Y a-t-il eu parallèlement un développement des brevets chez vos adhérents ?

M. Christophe Fornes. Notre enquête ne dit rien sur ce point. Je ne suis pas sûr qu’il y ait dans les esprits un lien direct entre CIR et brevets, mais c’est l’un des problèmes sous-jacents lorsqu’on cherche à rapprocher recherche publique et recherche privée.

M. Hugues Souparis. Mécaniquement, plus on fait de R & D, plus on se pose la question de la propriété intellectuelle. Dans le domaine des logiciels, il n’est pas toujours facile de déposer un brevet, et les entreprises se contentent souvent d’un copyright. Par ailleurs les universités, qui s’ouvrent de plus en plus à la collaboration avec les entreprises, sont très sensibles au thème de la propriété intellectuelle.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Votre relation avec les laboratoires des universités ou des grands organismes s’inscrit-elle dans un cadre institutionnel ? Est-ce une relation commerciale directe, ou trouve-t-elle sa place dans les réseaux techniques de recherche avancée (RTRA), les pôles de compétitivité ou une autre formule destinée à faciliter les relations entre le public et le privé dans le domaine de la recherche ?

M. Hugues Souparis. En ce qui concerne mon entreprise, il s’agit de relations directes car notre activité porte sur des créneaux étroits de l’optique, ce qui nous conduit à approcher directement les laboratoires qui travaillent sur ces thèmes. Nous avons conclu différents types de contrat – convention industrielle de formation par la recherche (CIFRE), contrat de sous-traitance, contrat de développement partenaire.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Quelles améliorations apporteriez-vous au crédit d’impôt recherche ?

M. Hugues Souparis. Si j’y touchais, ce ne serait qu’à la marge car il faut que les entreprises françaises et étrangères soient assurées de son caractère pérenne. S’il y avait sur ce point un consensus politique, ce serait parfait.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Sur le principe du CIR, le consensus existe. Il ne faut pas oublier qui l’a créé.

M. Hugues Souparis. Concernant son champ, il conviendrait d’aller au-delà de la recherche fondamentale.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous souhaitez couvrir la modélisation, donc. Nous avions constaté ce besoin à l’occasion de nos travaux sur les pôles de compétitivité : il y a une zone grise qui n’est couverte ni par la recherche publique, ni par la recherche privée.

M. Hugues Souparis. En fait, il ne s’agit plus de recherche. Entre ce qui est fait au laboratoire et ce qui est vendu au client, il y a le travail sur les prototypes et préséries, qu’il conviendrait de couvrir.

M. Christophe Fornes. Nos entreprises adhérentes font de la recherche dans le but de répondre aux besoins du marché ; il s’agit de recherche appliquée plus que de recherche fondamentale. L’idée d’un crédit d’impôt innovation avait été évoquée lors des états généraux de l’industrie, mais nous penchons plutôt en faveur d’un élargissement du CIR. Plus on étendra son champ en se rapprochant de la mise sur le marché, plus on dynamisera l’économie.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Votre association constate-t-elle des progrès dans les relations entre l’université et les entreprises ? Les pôles de compétitivité, notamment, ont-ils permis de développer les liens entre recherche publique et recherche privée ?

M. Christophe Fornes. Ce type de dispositif favorise le rapprochement, qui se fait petit à petit depuis quelques années. Une évolution des mentalités de toutes les parties est aussi nécessaire. Dans mon entreprise, ce rapprochement passe d’abord par une collaboration humaine, avec l’embauche de stagiaires et de personnes en formation alternée. Il me semble que les pôles s’adressent surtout aux entreprises plus importantes. M. Souparis et moi n’avons sans doute pas la même approche puisqu’il emploie 220 personnes, et moi 17.

M. Hugues Souparis. Mon entreprise fait partie du pôle Cap Digital pour une partie de son activité. Les pôles ont de grands avantages du point de vue des rencontres et de l’animation, mais présentent l’inconvénient de ne retenir que des projets collaboratifs. Dans le cadre d’un programme Eureka, alors que nous étions leader sur le projet, nous avons été obligés d’avoir pour partenaires deux entreprises qui, incontestablement, auraient été beaucoup plus efficaces comme sous-traitantes. Nous avons notamment dû conclure un contrat commercial qui est aujourd’hui un boulet au pied… Il reste que les pôles de compétitivité contribuent à faire évoluer les esprits, ce qui est essentiel.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel regard portez-vous sur l’ensemble des dispositifs qui existent aujourd’hui pour aider la recherche et l’innovation – CIR, Agence nationale de la recherche, Oséo… ? Que faudrait-il faire pour que le système soit plus performant ?

M. Christophe Fornes. Croissance Plus défend l’idée d’une porte d’entrée unique vers les dispositifs existants car le plus gênant aujourd’hui, c’est la multiplicité des aides et des acteurs qui restent trop opaques. Oséo, qui commence à être très connu des entreprises et dont l’aide est très importante pour les TPE-PME, pourrait jouer ce rôle. Il s’agit de rassembler les informations et d’aiguiller les chefs d’entreprise, qui n’ont pas beaucoup de temps à consacrer à ces démarches. Plus on simplifie, mieux c’est.

M. Hugues Souparis. Je voudrais aussi souligner le fait qu’aujourd’hui, si les TPE ont plus besoin de subventions que d’avances remboursables, en revanche les entreprises moyennes sont plus intéressées par l’assurance que procure l’avance remboursable. Dans le cadre du CIR, il faudrait considérer l’avance remboursable comme un prêt et non comme une subvention – quitte, en cas de constat d’échec, à considérer les fonds définitivement acquis à l’entreprise comme une subvention. Je suis favorable à ce qu’Oséo devienne le « partenaire gouvernemental unique » – ne parlons pas de « guichet unique » – des entreprises, ayant pour mission de fédérer les mécanismes d’assistance.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pourrez-vous nous communiquer les résultats de votre enquête ?

M. Christophe Fornes. Nous vous ferons parvenir une note synthétique.

M. David Habib, Président. Merci beaucoup pour vos deux témoignages, qui nous seront précieux.

Audition du 6 avril 2010

À 11 heures : M. François Drouin, président-directeur général d’Oséo

Présidence de M. David Habib

M. David Habib, Président. Nous avons maintenant le plaisir d’accueillir M. François Drouin, président-directeur général d’Oséo.

Merci, monsieur le président, d’avoir accepté de participer à nos travaux sur le crédit d’impôt recherche (CIR), en présence des représentants de la Cour des comptes. Je salue également l’arrivée d’un représentant de l’exécutif, M. Olivier Velter, membre du cabinet de Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi. Les représentants de l’association Croissance Plus que nous venons de recevoir nous ont dit beaucoup de bien d’Oséo, qu’ils souhaitent voir devenir le partenaire central en matière d’assistance à la recherche et à l'innovation. Je vous laisse formuler vos observations, puis nous vous poserons quelques questions.

M. François Drouin, président-directeur général d’Oséo. Oséo essaye d'être le plus utile possible aux entreprises. Nous considérons le CIR comme un outil très puissant, portant sur des sommes considérables et efficace au regard du but poursuivi – la défiscalisation de l’activité de recherche et développement. On peut cependant s’interroger sur son rapport coût/efficacité et sur la nécessité éventuelle d’une régulation.

Il existe une confusion sémantique entre deux notions fondamentalement différentes, la recherche et l'innovation. La première consiste, en finançant des laboratoires et en payant des chercheurs, à transformer de l’argent en idées, que l’on essaie de breveter afin de les protéger – parfois d'ailleurs de façon trop défensive car le brevet devrait être une arme d'attaque des marchés ; la deuxième, à transformer des idées préexistantes en argent. Il s’agit donc de deux démarches opposées. Elles sont néanmoins complémentaires et indispensables l’une à l’autre.

Le monde de la recherche, dominé par les chercheurs, a besoins de relais pour communiquer avec celui des chefs d'entreprise. On pourrait comparer le lieu de rencontre de ces deux mondes au coude d’un tuyau. Le dialogue entre les deux est difficile, particulièrement en France. Mais les choses s’améliorent : les pôles de compétitivité, par exemple, sont un succès. Cependant des progrès sont encore nécessaires. En outre, je déplore que dans notre pays, l’on soit trop dans la logique technology push, selon laquelle les chercheurs, en amont du coude, poussent leurs idées le plus loin possible ; le monde de l’innovation est à l’inverse dans la logique market pull, selon laquelle le marché détermine ce qui peut être vendu.

Le CIR vise un peu trop exclusivement l’amont. La circulation dans l’ensemble des parties du tuyau serait meilleure si l’on se préoccupait davantage de la sortie, en renforçant le soutien de l'innovation en aval. Les intervenants de l’amont utilisent parfois l’argent dont ils disposent pour, au-delà de la recherche et du brevet, passer aux prototypes et aux démonstrateurs, mais ils ne sont pas pour autant assurés d’avoir un marché pour vendre leurs produits.

Globalement, notre diagnostic du système est positif, mais une régulation nous semble néanmoins souhaitable. Oséo, dont l’action s’exerce en aval, à travers la sélection de projets de nature à créer de la richesse, souffre de la diminution des ressources disponibles pour aider les entreprises à innover, du fait de la concentration des moyens sur le CIR.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Dans certains secteurs, notamment celui des biotechnologies, la France accuse aussi des retards dans le domaine de la recherche fondamentale, y compris en termes de crédits publics.

Vous souhaitez une « régulation » du système, mais que faut-il réguler ? Est-ce le CIR lui-même ou bien les relations de celui-ci avec Oséo ? En d’autres termes, faut-il élargir l’assiette du crédit d’impôt jusqu’à la modélisation, ou au contraire réduire l’enveloppe du CIR pour assurer, à travers une structure comme la vôtre, un rééquilibrage en direction de l’innovation ?

M. François Drouin. Je suis favorable à la deuxième solution. Il serait irréaliste d’élargir l’assiette du CIR à l’aval car ce serait beaucoup trop coûteux pour nos finances publiques. Déjà actuellement, cette assiette ne comprend pas toute la R&D.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pensez-vous que le CIR produit des effets d’aubaine ?

M. François Drouin. Certains secteurs ignoraient encore récemment qu’ils pouvaient en bénéficier. J’ai appris par exemple la semaine dernière qu’une banque avait passé un contrat avec un cabinet de conseil pour savoir comment elle pourrait bénéficier du CIR pour ses activités financières. C’est toute la différence entre une aide indirecte, perçue comme un droit dont on peut profiter en remplissant des imprimés, et une aide directe telle que celle qu’Oséo s’efforce d’apporter à de vrais projets innovants. Au vu de ce type d’exemple, il est clair qu’une régulation s'impose.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La sélection peut se faire sur les secteurs d’activité ou sur les types de dépenses.

M. François Drouin. La régulation peut aussi porter sur les montants.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Quel est le taux de chute des projets que l’on vous présente ?

M. François Drouin. Il est difficile de répondre car nous travaillons les dossiers avec les intéressés : quand quelqu’un arrive avec une idée, soit nous n’y croyons pas et nous rejetons son dossier, soit nous approfondissons le projet avec lui et dans ce cas, il arrive que l’aboutissement ait peu de choses à voir avec l’idée d’origine… Par ailleurs, des projets que nous finançons peuvent évidemment échouer.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Considérez-vous que vous passez trop de temps à épauler les porteurs de projets ?

M. François Drouin. Non car c’est aussi notre travail. C’est d’ailleurs pourquoi nos délais d’instruction de projets innovants sont parfois très longs ; nous cheminons avec les chefs d'entreprise.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Y a-t-il une bonne coordination entre l’Agence nationale de la recherche (ANR) et Oséo ?

M. François Drouin. Oui. Oséo siège au conseil d’administration de l’ANR et l’ANR siège au comité Innovation stratégie industrielle (ISI) d’Oséo. Malgré quelques questions de partage de territoire, nous fonctionnons en bonne entente.

M. Alain Claeys, Rapporteur. En quoi le CIR facilite-t-il la coopération entre les PME et les laboratoires publics ?

M. François Drouin. Le doublement de la quotité du crédit d’impôt lorsque l’entreprise fait travailler un laboratoire public devrait avoir un effet incitatif important. Mais en fait, les laboratoires publics n’aiment pas être dans une position de sous-traitant, pour des raisons culturelles et de propriété industrielle. Les accords de consortium permettent de régler par avance la question du mode de répartition de la richesse attendue, mais le problème est souvent escamoté ; le mérite du doublement du CIR est surtout d’obliger à le traiter, en développant les relations contractuelles entre les entreprises et les laboratoires publics. Pour une entreprise créée dans l’année, le doublement fait passer de 50 % à 100 %, ce qui est particulièrement intéressant… Certains organismes ont d’ailleurs fait la promotion du système en recommandant de créer une entreprise pour lui confier une recherche et la sous-traiter à un laboratoire public. Ce n’est que l’utilisation de la loi, mais dans cette affaire, le contribuable a bon dos…

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour réguler le CIR, faut-il envisager un plafonnement ? Si oui, de quelle façon ?

M. François Drouin. Je n’y ai pas réfléchi. En revanche, j’observe qu’entre le soutien à l’amont et le soutien à l’aval, il y a le même rapport qu’entre un cheval et une l’alouette. Le CIR a atteint 4 milliards d’euros en 2009 ; en réorientant vers l’aval seulement 10 % de ce montant, on améliorerait considérablement son soutien. C’est une affaire de réglage.

M. Alain Claeys, Rapporteur. L’instruction des dossiers par Oséo, donc, est beaucoup plus sélective que le CIR.

M. François Drouin. Bien sûr, par construction : le CIR est une aide indirecte, qui suppose simplement de remplir un imprimé fiscal ; pour notre part, nous étudions chaque projet en évaluant sa capacité à produire de la richesse.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Si nous faisons le choix d’une régulation du CIR, ne risquons-nous pas de décevoir les PME, qui nous ont dit souhaiter la pérennité du système ? Croyez-vous possible de les convaincre que si, en contrepartie de cette régulation, on donne 400 millions de plus à Oséo, ils seront mieux servis en aval ?

M. François Drouin. Je propose des petits ajustements, mais en aucun cas une remise en cause du système.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les dépenses éligibles au CIR sont également déductibles de l’assiette de l’impôt sur les sociétés – au taux de 33,3 %. Est-il envisageable qu’elles cessent de l’être ? Ne serait-ce pas un moyen très simple de faire la distinction entre les entreprises déficitaires – qui ne subiraient pas d’inconvénient – et celles pour qui le CIR produit un réel effet d'aubaine ? Pour ces dernières, cela reviendrait à réduire d’un tiers le taux du CIR, en le faisant passer de 30 à 20 %.

M. François Drouin. Il ne m’appartient pas d’en juger.

M. David Habib, Président. Nous approfondirons cette question.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Au-delà des établissements financiers, que vous avez déjà évoqués, quels sont les secteurs que vous recommanderiez de tenir un peu à l’écart du CIR, afin de dégager des crédits en faveur de l’aval ?

M. François Drouin. Les choses ne sont pas simples : dans le secteur dit « financier », il existe des holdings industrielles ; il y a cependant matière à faire un tri. Il reste que la force du CIR est la simplicité du dispositif ; la question des dépenses qui peuvent être prises en compte est plus complexe, mais il faut veiller à ne pas trop compliquer le système.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Le système actuel est-il plus simple que le précédent ?

M. François Drouin. Il apporte plus d’argent, donc il incite à faire les efforts nécessaires...

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Apporte-t-il trop d’argent ?

M. François Drouin. Il s’agit de dépenses vertueuses ! Le système est efficace, mais massif – sans discernement.

M. Alain Claeys, Rapporteur. En France, nous connaissons un problème au stade de la modélisation, mais je ne suis pas convaincu qu’il y ait trop d’argent pour la recherche et pas assez pour l’innovation.

M. François Drouin. Le rapport Guillaume de 2007 sur la valorisation de la recherche, notamment, a montré que le CIR ne générait que 1 % de royalties au titre des brevets d’invention, pour un investissement de 30 milliards d’euros en amont.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour vous, donc, le problème actuel serait moins celui du financement de la recherche que celui du financement de l’innovation.

M. François Drouin. Je pense surtout que le système doit être tiré par le marché. Il faut des entrepreneurs pour exploiter le fruit de la recherche.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Existe-t-il dans d’autres pays européens des dispositifs plus adaptés au financement de l’innovation ?

M. François Drouin. Des pays comme l’Allemagne et le Royaume-Uni me paraissent plus pragmatiques ; le monde de la recherche y est davantage tiré par l'aval. Cependant nous progressons, notamment grâce aux pôles de compétitivité.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Au-delà de la question du financement, n’y a-t-il pas, en France, un problème général de taille des PME ?

M. François Drouin. Cela joue aussi, en effet. Ce sont les PME qui innovent le plus, mais si elles étaient plus grandes, elles innoveraient encore plus, comme on le constate en Allemagne.

M. Michel Lejeune. Considérez-vous que les banques apportent suffisamment leur soutien aux entreprises qui souhaitent innover ?

M. François Drouin. Les banques considèrent que le financement de l’innovation ne fait pas partie de leurs missions. Certes elles peuvent y contribuer de façon marginale en tant que propriétaires de sociétés de capital risque, mais les nouvelles règles vont les en détourner encore davantage. Elles sont très prudentes, et une petite entreprise venant présenter un projet innovant sera systématiquement éconduite et renvoyée vers l’État et Oséo.

Pour terminer, je voudrais évoquer la question du rescrit fiscal.

Le principe est, afin de sécuriser le CIR, de permettre au contribuable de solliciter l’administration pour savoir si son projet sera éligible au dispositif. Par crainte de provoquer un contrôle fiscal, les entreprises se montraient ces dernières années très réticentes – on ne dénombrait qu’environ 80 demandes de rescrit par an. La loi de modernisation de l'économie (LME) du 4 août 2008 a donc prévu que le rescrit pourrait désormais être effectué par d'autres organismes que le fisc – autrement dit par Oséo, par l'ANR et par les directions régionales du ministère. Le décret d'application a été publié en septembre 2009. Mais en fait, notre responsabilité est seulement, d’après le texte qui a été voté, de « caractériser » la recherche, sans qualifier ni chiffrer les dépenses correspondantes. Il s’agit donc d’un rescrit partiel. En outre, cette caractérisation doit intervenir avant le début des travaux ; autrement dit, celui qui les a commencés pour préciser sa réflexion n’a plus le droit de poser la question… De ce fait, depuis septembre 2009, Oséo n’a reçu que deux demandes, et l'ANR une seule, qu’elle a jugée incomplète. Il est dommage que ces deux restrictions – limitation à la « caractérisation » et intervention avant le début des travaux – aboutissent à des résultats contraires à l’objectif qui était affiché.

M. David Habib, Président. Nous en prenons note.

Il me reste à vous remercier de votre présence et de votre clarté.

Audition du 6 avril 2010

À 12 heures : M. David Appia, président de l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII), ambassadeur délégué aux investissements internationaux

Présidence de M. David Habib

M. David Habib, Président. Nous accueillons maintenant M. David Appia, président de l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII), ambassadeur délégué aux investissements internationaux.

Monsieur l’ambassadeur, merci d’avoir répondu à notre invitation. Nous vous avions déjà entendu l’an dernier dans le cadre de nos travaux sur les pôles de compétitivité. Nous souhaitons cette fois aborder avec vous le thème du crédit d’impôt recherche, qui est cette année l’un des sujets de réflexion de la Mission d’évaluation et de contrôle. Nous le ferons avec deux de nos trois rapporteurs, MM. Pierre Lasbordes et Alain Claeys, notre collègue Jean-Pierre Gorges n’ayant pas pu être des nôtres, et en présence d’un représentant de la Cour des Comptes, M. Cossin, conseiller-maître, ainsi que de M. Olivier Velter, conseiller au cabinet de Mme la ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi.

M. David Appia, président de l’Agence française pour les investissements internationaux. Votre invitation, dont je vous remercie, est l’occasion de vous donner quelques informations sur l’action de l’Agence française pour les investissements internationaux, dont la mission première est la prospection et l’accompagnement des investisseurs étrangers sur les territoires français.

Dans la valorisation de l’image de la France à l’étranger, le crédit d’impôt recherche et, plus largement, la politique française de soutien à l’innovation constituent des arguments forts. C’est un véritable atout pour convaincre les investisseurs étrangers de choisir la France plutôt que d’autres destinations.

Chaque année, nous rencontrons plus de 7 000 entreprises étrangères et nous identifions plus de 1 000 projets nouveaux. Le bilan annuel pour 2009 fait état de 639 nouveaux projets d’investissement étranger en France. Les activités de recherche et développement en constituent une part modeste : 42 projets en 2009, ce qui représente néanmoins une croissance importante par rapport aux années précédentes, puisque, depuis 2003, on dénombrait en moyenne une trentaine de projets chaque année.

C’est dire que nous sommes attentifs à la venue sur le territoire français de sociétés étrangères désireuses d’y développer des activités de recherche et développement. Nous en faisons d’ailleurs un axe important de notre prospection, en cherchant également à attirer sur notre territoire les centres de décision de groupes étrangers.

D’une manière générale, l’un des objectifs de notre action est de différencier le « site France » des sites concurrents en Europe, afin de mettre en évidence son caractère attractif ; et nous le faisons très volontiers sur le thème de l’innovation. Nous parlons à la fois du crédit d’impôt recherche et des pôles de compétitivité, éléments indissociables pour caractériser l’« offre France ».

Les pôles de compétitivité sont incontestablement ouverts : les informations que nous avons rassemblées en 2009 auprès des différents acteurs concernés font clairement apparaître que la présence étrangère y est croissante. On y dénombre 528 entreprises étrangères, dont certaines ont des implantations dans plusieurs pôles, soit au total plus de 750 établissements contrôlés par des sociétés étrangères, ce qui représente un peu plus de 10 % des acteurs des pôles.

Sans que nous puissions quantifier le phénomène, nous avons la conviction que les entreprises étrangères qui choisissent de s’implanter en France au sein d’un pôle de compétitivité pour développer des activités de recherche sont des candidates naturelles au crédit d’impôt recherche.

Nous ne sommes pas en mesure de répondre à votre question sur le nombre d’entreprises étrangères qui bénéficient du CIR ; nous avons interrogé le ministère de la Recherche, mais cette information ne semble pas disponible. En revanche, nous avons une connaissance précise des flux, c’est-à-dire des nouveaux projets d’implantation dans les activités de recherche et développement, grâce au recensement annuel des nouveaux projets d’investissement. Ainsi, de 2003 à 2009, nous avons recensé 237 projets d’investissement étranger dans des activités de R&D, lesquels sont à l’origine de 8 750 emplois. Il s’agissait dans la majorité des cas d’activités nouvelles, mais aussi d’extensions de capacités existantes ; ainsi par exemple, une petite société britannique qui travaille sur les clés 3G et 4G à Sophia Antipolis projette d’y employer une cinquantaine de nouveaux chercheurs dans les trois ans qui viennent.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Le crédit d’impôt recherche est un atout de la France, dites-vous, mais avez-vous connaissance de systèmes équivalents ?

M. David Appia. Nos principaux concurrents sont en Europe – même si des pays lointains tels que Singapour développent des politiques très soutenues pour attirer des centres de recherche étrangers. La France, selon notre analyse, est parmi les pays de l’OCDE celui qui est considéré comme ayant le système le plus attractif. Je pourrai vous laisser un document chiffré qui montre qu’elle se situe clairement au premier rang en Europe en termes d’incitation. Certes les dispositifs sont différents selon les pays, mais les comparaisons auxquelles nous avons procédé en prenant un cas concret aboutissent à des conclusions sans ambiguïté.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Parmi les facteurs qui décident une entreprise étrangère à installer en France tout ou partie de son activité de recherche-développement, quelle place le crédit d’impôt recherche occupe-t-il ?

M. David Appia. Nous avons des éléments de réponse dans des rapports internationaux et dans des études que nous avons nous-mêmes réalisées ou fait réaliser.

Selon le rapport publié chaque année par la chambre américaine de commerce en France – AmCham –, dont la réalisation est confiée à une société, 37 % des entreprises américaines interrogées en 2009 considèrent que la politique de soutien à l’innovation en France constitue un atout. Il faut ajouter que 48 %, soit une proportion encore plus grande, identifient comme atout de notre pays la qualité des formations. Je lie les deux car, à l’évidence, le crédit d’impôt recherche ne peut être isolé d’autres facteurs, parmi lesquels il faut également citer les relations avec l’administration.

Pour notre part, nous avons fait réaliser une étude par TNS Sofres en juin dernier auprès d’entreprises étrangères – et non plus seulement américaines – implantées en France : 52 % des chefs d’entreprise interrogés ont cité parmi les atouts de la France la qualité de l’environnement en matière de recherche-développement et d’innovation.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Je vous posais la question précise du poids du CIR dans l’attractivité de notre pays. Le rapport sur le CIR remis au Parlement par le ministère de la Recherche indique que pour 80 % des entreprises interrogées, le CIR n’a pas été un élément déterminant de l’implantation en France. Comment interprétez-vous ce résultat ? Selon vous, peut-on en tirer la conclusion que le CIR est un outil anti-délocalisation plus qu’un instrument d’attractivité du territoire ?

M. David Appia. Honnêtement, le pourcentage que vous citez m’a étonné. Peut-être faut-il rechercher l’explication notamment dans le fait que le dispositif rénové du CIR est récent et parfois encore mal connu des investisseurs étrangers. Par ailleurs, le temps de maturation des projets d’investissement est long, surtout à l’international – douze à dix-huit mois en moyenne –, et l’on ne vient certes pas s’implanter dans un pays, démarche qui engage le moyen et le long terme et qui peut échouer, sans considérer un grand nombre d’éléments, parmi lesquels l’environnement de marché : j’aurais du mal à citer le cas d’une entreprise étrangère qui aurait implanté en France uniquement son unité de recherche-développement ; bien souvent au contraire, celle-ci est développée dans une deuxième phase, en soutien d’une implantation première.

Il reste que pour un grand nombre d’entreprises – la moitié de celles que nous avons interrogées –, le crédit d’impôt recherche, et plus largement la politique d’innovation et de soutien à la recherche-développement, constituent des atouts du « site France ».

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Le nombre des entreprises étrangères qui bénéficient du CIR est-il connu du conseiller de Mme Lagarde ?

M. Olivier Velter, conseiller au cabinet de Mme la ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi. Non, mais j’essaierai de vous donner cette information. Les données statistiques sont détenues par le ministère de la Recherche.

M. Alain Claeys, Rapporteur. On nous dit d’un côté qu’il faut s’adresser au ministère de l’Économie, de l’autre que c’est à celui de la Recherche…

M. Olivier Velter. Le ministère du Budget détient les informations sur les dépenses fiscales. Il faut en fait rassembler les données en provenance des trois ministères, et pour interroger celui de la Recherche, il faut passer par celui du Budget. Je vais essayer de vous fournir les dernières informations disponibles.

M. David Appia. Nous avons engagé un chantier assez lourd, mais nécessaire, consistant à examiner, sur les 237 projets que nous avons enregistrés depuis 2003, lesquels bénéficient du CIR. Il est évident que le nombre d’entreprises étrangères qui, parmi les 22 000 présentes en France, ont demandé à bénéficier du CIR est bien plus élevé, mais l’AFII n’a pas les moyens de le déterminer.

M. David Habib, Président. Merci à tous pour cet échange.

Audition du 27 avril 2010

À 10 heures : Mme Jacqueline Lecourtier, directeur général de l’Agence nationale de la recherche (ANR), Mme Martine Latare, secrétaire générale, et M. Ludovic Valadier, responsable du département Partenariats et compétitivité

Présidence de M. David Habib

M. David Habib, Président. Dans le cadre de nos travaux sur le crédit d’impôt recherche, nous avons le plaisir d’accueillir Mme Jacqueline Lecourtier, directeur général de l’Agence nationale de la recherche (ANR), et Mme Martine Latare, secrétaire générale.

Je salue nos trois rapporteurs, M. Alain Claeys et M. Jean-Pierre Gorges, rapporteurs spéciaux des crédits de la recherche au nom de la Commission des finances, M. Pierre Lasbordes, rapporteur pour avis sur les mêmes crédits pour la Commission des affaires économiques, ainsi que M. Rousselot, conseiller référendaire à la troisième chambre de la Cour des comptes.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous, madame le directeur général, constaté un impact significatif de la réforme, en 2008, du crédit d’impôt recherche (CIR) sur le niveau de la recherche en France ?

Mme Jacqueline Lecourtier, directeur général de l’Agence nationale de la recherche (ANR). Les responsables de la recherche et développement (R&D) des grands groupes ou des PME avec lesquels j’ai échangé à ce propos m’ont tous fait part de leur satisfaction et de l’adhésion des industriels au nouveau dispositif, qui contribuerait notamment à maintenir la recherche en France. En contrepartie de ce dispositif, nous avons, à la demande de notre conseil d’administration, diminué notre taux de soutien aux entreprises, qui est actuellement de 30 % des dépenses éligibles pour les grands groupes et de 45 % pour les PME.

Par ailleurs, nous avons fait savoir aux entreprises que l’ANR serait impliquée dans la procédure du rescrit fiscal.

Je laisse à Ludovic Valadier, chargé du département transverse Partenariats et compétitivité, et qui a géré à ce titre les conséquences de la réforme du CIR, le soin de vous indiquer une mesure chiffrée de l’impact de la réforme, notamment en termes d’accroissement de la recherche partenariale.

M. Ludovic Valadier, responsable du département Partenariats et compétitivité de l’Agence nationale de la recherche (ANR). Sur le plan purement quantitatif, la participation des entreprises aux programmes de recherche en réponse à nos appels à projets a connu en 2009 dans tous les secteurs scientifiques une augmentation de 20 %. Celle-ci semble indiquer que le cumul des deux dispositifs gérés par l’Agence – aides directes et CIR – ont incité les entreprises à répondre davantage à des appels à projets, qu’ils soient nationaux ou internationaux.

Mme Jacqueline Lecourtier. Nous sommes en effet passés de 168 millions d’euros en 2008 à 210 millions d’euros, ce qui représente une augmentation très significative, et ce dans tous les secteurs, notamment dans celui des sciences et technologies de l’information et de la communication (STIC).

M. Ludovic Valadier. Associant systématiquement une entreprise et un laboratoire public, nos appels à projets ont pour effet d’amplifier la coopération public-privé. En outre, l’externalisation de la recherche des entreprises vers des laboratoires publics est favorisée par le dispositif du doublement de l’assiette.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le CIR ne finance-t-il pas les laboratoires publics par le biais de ce dispositif ?

M. Ludovic Valadier. D’une certaine façon.

Le dispositif des instituts Carnot constitue notre deuxième observatoire. Sur le modèle allemand des instituts Fraunhofer, ce programme, initié en 2005, vise à développer la recherche partenariale, notamment la recherche contractuelle, l’institut contractant directement avec une entreprise.

De 2005 à 2008, soit juste avant la dernière réforme, mais après trois réformes successives du CIR, on observe que les recettes tirées des contrats de recherche partenariale ont augmenté de 30 %. Le programme en cours devant se terminer à la fin de cette année, nous n’avons pas encore les chiffres nous permettant d’évaluer l’impact de la réforme de 2008. Nous espérons que cette réforme permettra de passer la barre des 30 %.

La recherche collaborative et la recherche contractuelle se sont donc développées de façon continue de 2005 à 2008.

Mme Jacqueline Lecourtier. Le CIR a été un moteur de la recherche partenariale, un des objectifs de la création de l’ANR. Nous pouvons donc d’ores et déjà dresser un bilan positif du dispositif.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pouvez-vous nous indiquer des chiffres plus précis, en ce qui concerne le nombre de projets, la collaboration entre le privé et le public, et l’embauche de chercheurs ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Non, mais en général, les projets ANR se traduisent par l’embauche d’un ou de deux doctorants et d’un ou de deux ingénieurs en post-doctorat. En termes d’embauches définitives en revanche, nous avons du mal à mesurer l’impact de nos projets.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. C’est dommage, car c’est un critère très pertinent.

Mme Jacqueline Lecourtier. Nous devons attendre les fins de projet pour mesurer cet impact. Si nous avons pu mener une première enquête sur l’effet des projets ANR 2005 pour l’emploi scientifique, nous n’avons pas encore les chiffres pour 2008, les chercheurs étant engagés seulement pour une durée d’un ou deux ans dans le cadre des projets ANR. Nous manquons encore du recul suffisant pour évaluer l’impact du CIR.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Ce qui est intéressant au niveau national, c’est de susciter des vocations scientifiques.

Mme Jacqueline Lecourtier. De ce point de vue, le développement de la recherche partenariale est un très bon moteur, puisqu’elle offre aux chercheurs d’autres débouchés que la fonction publique et constitue une nouvelle voie d’entrée dans le monde de l’entreprise. C’est ce qu’a mis en évidence le bilan des programmes de 2005, seuls 5 % des chercheurs étant en recherche d’emploi à l’issue du projet. Je pense que les conclusions seront similaires pour les projets initiés en 2008.

M. Alain Claeys, Rapporteur. N’y a-t-il pas un risque d’effets d’aubaine, dans la mesure où le CIR permet à l’entreprise d’externaliser sa recherche vers les laboratoires publics ? Il y a là un double guichet, un laboratoire public pouvant dans certaines hypothèses cumuler des crédits ANR avec le CIR.

Mme Jacqueline Lecourtier. Ce n’est pas comme cela que les choses se passent. Soit il s’agit d’un projet partenarial : dans ce cas, l’entreprise bénéficiera du financement ANR – 30 % des dépenses éligibles pour les grands groupes, 45 % pour les PME ; soit il s’agit d’un second type de recherche, une recherche B to B en quelque sorte, où l’industriel sous-traite au laboratoire un projet à réaliser pour son activité industrielle immédiate. Dans ce cas, l’entreprise finance la recherche à 100 % : c’est ce qui se passe dans le cadre du dispositif Carnot.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel est le mode d’intervention de l’ANR dans ce dernier cas ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Elle n’intervient pas à ce moment. Certes, les instituts Carnot reçoivent de l’ANR un abondement financier calculé en fonction du volume des recettes tirées des contrats de recherche partenariale, mais cet abondement ne finance pas le projet : il leur permet de « recharger les étagères » et de faire de la recherche « amont ».

Ce sont donc deux mécanismes très différents. Nous constatons une augmentation de la recherche partenariale et de cette « sous-traitance high tech », de ce « travail à façon » des laboratoires au bénéfice des industriels.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Il serait donc équitable qu’une partie du CIR des entreprises revienne au laboratoire public ?

Mme Jacqueline Lecourtier. La recherche publique a ses propres mécanismes de financement.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. La définition des dépenses éligibles au CIR vous semble-t-elle satisfaisante ?

M. Ludovic Valadier. Il faut un référentiel qui soit le plus simple et le plus universel possible et a priori non sectoriel. De ce point de vue, le manuel de Frascati donne toute satisfaction, même si le retour d’expérience est encore limité, puisque cela ne fait que quelques mois que nous sommes habilités à traiter les rescrits fiscaux. C’est un outil pratique, « eurocompatible », donc utilisable pour nos appels à projets. Sa simplicité permet la rapidité. Un référentiel plus détaillé ne nous serait pas utile, étant donné que la décision finale n’est prise qu’à l’issue de l’examen au cas par cas de chaque dossier.

Mme Jacqueline Lecourtier. Le CIR a aussi pour objectif de permettre la maturation des projets, c’est-à-dire la consolidation et la valorisation des résultats de la recherche. C’est la vocation de nos appels à projets « Émergence ». Il s’agit de réduire la Death Valley qui sépare en France la recherche amont de la phase industrielle. De ce point de vue, le CIR peut jouer un rôle crucial.

M. Alain Claeys, Rapporteur. À en croire les dirigeants de PME, le CIR ne va pas assez loin dans ce passage entre recherche et innovation.

Mme Jacqueline Lecourtier. Le manuel de Frascati indique bien que seuls des activités innovantes sont susceptibles de constituer de la R&D, et cela est vrai pour le CIR comme pour les appels à projets de l’ANR. Ainsi, une installation pilote relève de la R&D si elle permet une innovation réelle. La notion d’originalité et de création d’une nouvelle valeur est cruciale. Il faut une ligne de démarcation nette entre la R & D et ce qui relève de la mise en production.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. La grande entreprise et la petite entreprise ne sont pas égales pour affronter cette étape, seule la première ayant les reins assez solides pour cela.

Mme Jacqueline Lecourtier. Il est certain que, si le CIR ne finançait pas la maturation des projets de recherche, ce seraient d’abord les PME qui en souffriraient. Nous devons cependant veiller à ce que les projets qu’elles nous proposent soient créateurs d’une nouvelle valeur.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quelles seraient les pistes pour améliorer le dispositif ?

M. Ludovic Valadier. Pour le savoir, il nous faudrait un retour d’expérience complet sur tout l’exercice fiscal. Or nous ne disposons pour l’instant que de données partielles. Les chiffres dont nous disposons déjà indiquent que la croissance de la dépense n’est pas aussi importante que cela en dépit du passage à 30 % du plafond des dépenses éligibles – 2,5 milliards d’euros, au lieu des 4 milliards annoncés. C’est donc a priori un dispositif efficace, et nous n’avons pas de suggestion d’amélioration dans tel ou tel sens.

Cependant, les PME nous disent que le CIR profiterait surtout aux grandes entreprises, le déplafonnement à 100 millions d’euros étant surtout utilisé par ces dernières. Il est vrai que, si les PME sont les principales bénéficiaires de la créance de CIR, le facteur d’amplification est passé de 1 à 4 pour les grands groupes contre 1 à 3 pour les PME, qui n’ont profité que du passage de 10 % à 30 % des dépenses éligibles.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pourquoi ne pas mettre en place un plafond en fonction du taux global d’imposition des entreprises ?

M. Ludovic Valadier. On peut en effet se poser la question du plafond, voire, au-delà du plafond, du taux : on pourrait moduler le taux de 5 % en fonction des premiers retours d’expérience. En tout état de cause, il faut être extrêmement prudent tant qu’on ne dispose pas d’un bilan complet du dispositif.

On peut également se poser la question de l’assiette des dépenses éligibles. En effet, le CIR n’est pas encadré par un référentiel similaire à la grille dont nous disposons pour les appels à projets. On pourrait envisager de renforcer l’encadrement des dépenses éligibles. Je rappelle cependant que la réforme du CIR visait à envoyer un signal de simplification et de lisibilité ; il ne faudrait donc pas revenir en arrière en compliquant le système. Il vaut mieux se laisser le temps de l’observation. En termes d’emplois, par exemple, il est un peu tôt pour évaluer la réforme de 2008.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quel délai serait suffisant pour en prendre une mesure significative ?

Mme Martine Latare, secrétaire générale de l’Agence nationale de la recherche (ANR). L’impact d’une mesure fiscale sur un phénomène économique comme la décision d’embauche est toujours difficile à évaluer. Cependant, notre enquête sur cinq programmes ANR lancés en 2005, et qui se sont terminés en 2009, indique un taux d’embauche des jeunes chercheurs très satisfaisant, avec un faible pourcentage des personnels en recherche d’emploi à l’issue du programme – de 4 à 5 %. Quant aux autres, ils ont été à parts à peu près égales embauchés en contrat à durée indéterminée – CDI – et en contrat à durée déterminée – CDD –. En outre, le dispositif a renforcé l’attractivité des carrières de recherche et a permis l’embauche par le secteur privé de chercheurs venus du public.

Mme Jacqueline Lecourtier. C’est ce qui nous permet de dire que le CIR permettra probablement d’améliorer l’embauche des jeunes chercheurs, puisque c’est la recherche partenariale qui permet le plus grand nombre de CDI dans l’industrie.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Que pensez-vous de la mise en place d’un système de bonus-malus en fonction des résultats obtenus sur le plan de l’innovation par les bénéficiaires du CIR ?

Mme Jacqueline Lecourtier. L’ANR n’y est pas favorable, car nous considérons que la recherche doit rester risquée si l’on veut de l’innovation, même s’il y a du déchet. D’excellentes idées peuvent ne déboucher sur rien, alors que des idées apparemment médiocres peuvent donner d’excellents résultats. Un bonus-malus risquerait d’être mal perçu et de limiter l’incitation à la prise de risque. Nos programmes nous ont montré que les PME qui obtiennent des résultats ont vraiment envie de s’affronter au marché.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Vous considérez donc que, dans son état actuel, le dispositif permet de prendre des risques ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Je pense que oui, et je crains qu’un système de bonus-malus ne les pousse à développer des projets plus convenus, ce qui serait contraire à l’objectif visé.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le cumul des appels à projets ANR et du CIR ne risque-t-il pas à terme d’assécher les laboratoires publics ?

Mme Jacqueline Lecourtier. La recherche partenariale constitue au contraire un moteur en permettant des fertilisations croisées, et c’est le meilleur moyen d’alimenter la recherche amont en lui permettant d’envisager des applications potentielles. Quant à la sous-traitance aux laboratoires publics, le dispositif Carnot a été conçu précisément pour éviter l’assèchement de la recherche publique. Le Laboratoire d’électronique et des technologies de l’information du CEA (LETI), un des grands succès de la recherche partenariale, nous a dit que le système Carnot lui avait permis de se ressourcer. Il y a, certes, un équilibre à trouver entre la recherche « à façon » et la recherche partenariale, mais je pense que nous sommes aujourd’hui très loin de l’assèchement, les laboratoires ayant au contraire tendance à privilégier la recherche amont.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les pôles de compétitivité ont-ils joué un rôle important ?

M. Ludovic Valadier. Ceux-ci jouent un rôle considérable en termes d’ingénierie de projets, de propositions et de constitution d’offres de recherche.

En ce qui concerne l’assèchement prétendu de la recherche publique, il faut souligner combien le montant des dépenses de R&D externalisées par les entreprises vers les laboratoires est faible, puisqu’il s’élève à 700 millions d’euros. Quant au budget des appels à projets ANR, il est d’environ 650 millions d’euros, soit 10 % du coût des projets récurrents des laboratoires français. La part de la recherche sur projet reste donc faible, même si elle a beaucoup augmenté les cinq dernières années. Le modèle économique des laboratoires publics n’a donc pas été bouleversé ; au contraire, cette voie différente a permis de renforcer l’offre de recherche.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pensez-vous que ce dispositif souffre d’un déséquilibre au détriment de l’innovation, laissée pour compte de la définition de l’assiette éligible ?

M. Ludovic Valadier. Le référentiel de Frascati offre un « bouquet de recherches » extrêmement large, mais peut-être insuffisamment connu des PME. On peut en effet distinguer trois types de recherche : la recherche fondamentale, qui a pour but de développer la connaissance ; la recherche industrielle, qui permet de développer des modèles et des concepts ; le développement expérimental de prototypes. La définition des dépenses éligibles au CIR va assez loin puisqu’elle considère que le prototype à l’échelle 1 constitue déjà de l’innovation. Il faudrait peut-être mieux assurer la publicité de ce qui peut être considéré comme dépenses de R&D.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Votre rôle n’est-il pas d’assurer cette publicité ?

Mme Jacqueline Lecourtier. C’est la raison pour laquelle nous avons participé à la réunion du Comité Richelieu en décembre. En outre, la journée « Pôles de compétitivité » en janvier et les rencontres avec les entreprises que nous organisons en octobre nous permettent d’échanger sur toutes ces questions. Les industriels doivent impérativement comprendre que le CIR finance la recherche jusqu’à la maturation.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Les PME attendent peut-être que vous alliez jusqu’à la production…

Mme Jacqueline Lecourtier. Il s’agit d’un crédit d’impôt pour la recherche : nous finançons la recherche, et non la production. Mais nous finançons la maturation, ce qui est bien de l’innovation.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Sur ces trois types de recherche que vous venez de décrire, monsieur Valadier, y a-t-il une évaluation de la part de la recherche financée par le CIR ?

M. Ludovic Valadier. L’entreprise est libre d’utiliser la créance de CIR comme elle le souhaite ; celle-ci vise à compenser a posteriori les dépenses de recherche, mais l’entreprise n’est pas tenue de l’affecter à de la recherche. Elle peut donc l’utiliser pour faire de l’innovation, voire pour financer des activités plus en aval encore.

Selon des études du ministère de la recherche sur le CIR, ces crédits ont bien été affectés à la recherche. En revanche, on n’a pas encore, à ma connaissance, établi la part respective de la recherche fondamentale, de la recherche industrielle et du développement expérimental dans l’utilisation de la créance.

M. Alain Claeys, Rapporteur. En discutez-vous avec OSÉO ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Avec OSÉO, nous sommes en train de travailler à l’élaboration d’un mécanisme de continuité, afin que cet établissement puisse prendre le relais après l’étape de la maturation, finançable par l’ANR.

Je veux répéter qu’en ce qui concerne le CIR, nous sommes encore dans une phase de démarrage et que nous manquons de recul.

M. Ludovic Valadier. Depuis que l’ANR est habilitée à traiter le rescrit fiscal, une convention tripartite a été signée entre l’Agence, OSÉO et le ministère de la recherche, laquelle prévoit la réunion, tous les mois, d’un comité de pilotage, destiné à nous permettre d’analyser le fonctionnement du dispositif et de partager nos informations. Mais le retour d’expérience n’est que de six mois.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le dispositif du rescrit vous paraît-il satisfaisant ?

M. Ludovic Valadier. Nous communiquons sur cette nouvelle procédure, notamment via notre site Internet et auprès des pôles de compétitivité et des instituts Carnot, et nous avons mis en place un standard téléphonique dédié à ce nouveau « service » pour nos entreprises. Le premier bilan, dressé par le ministère de la recherche à la fin de l’année, est satisfaisant, avec 25 % des rescrits attribués par l’Agence, sur 29 demandes adressées depuis la réforme aux trois opérateurs – ministère de la recherche, ANR, OSÉO –, les entreprises préférant encore s’adresser directement aux services des impôts. Mais ce dispositif est appelé à monter en puissance, et nous attendons l’année prochaine entre 50 et 80 demandes de rescrit par opérateur.

Ce nouveau dispositif nous satisfait en ce qu’il renforce notre lien avec les entreprises qui sont nos clientes dans notre dispositif de recherche partenariale. Le colloque que nous organiserons en octobre nous permettra de demander aux entreprises si elles sont satisfaites du nouveau dispositif. Pour l’instant, il est encore trop tôt et le nombre de dossiers traités est encore trop faible pour permettre une analyse qualitative.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Ne pensez-vous pas que les difficultés de certaines PME avec le CIR tiennent à la méconnaissance de notions telles que « prototypage », « maturation », « innovation », ou des définitions du manuel de Frascati ? J’ai la conviction que cette méconnaissance révèle l’insuffisance de l’information et de la pédagogie en direction des PME. L’action du Comité Richelieu est marginale étant donné la modestie des moyens dont celui-ci dispose. Les PME elles-mêmes manquent des ressources suffisantes pour s’informer. Il y a un effort à faire en ce domaine. Quant aux pôles de compétitivité, ils sont constitués surtout par de grandes entreprises.

Mme Jacqueline Lecourtier. Nous éprouvons en effet une vraie difficulté à toucher les PME. Notre participation à la réunion du Comité Richelieu nous a permis de rencontrer une bonne soixantaine de PME. Quant à la situation des PME dans les pôles de compétitivité, elle s’améliore d’une façon significative.

Tous les deux ans, nous organisons une rencontre avec les entreprises. Enfin, la création du département Partenariats et compétitivité a précisément pour objectif d’informer les PME sur les dispositifs que nous gérons. L’habilitation à délivrer le rescrit fiscal nous permet de leur offrir une solution globale.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Selon le président-directeur général d’OSÉO, le système du rescrit fiscal est trop partiel. Partagez-vous cette opinion ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Il couvre pourtant toute la recherche, à l’exclusion de la mise en production.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le représentant d’une association de PME innovantes auditionné par la Mission nous a expliqué que les membres de son association n’avaient aucun moyen de contacter un laboratoire public pour lancer un projet de recherche partenariale. Est-ce vrai ? Ne faudrait-il pas créer des outils propres à faciliter l’accès aux dispositifs CIR et ANR pour les PME ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Il est vrai que la complexité du système de la recherche fondamentale rend celle-ci peu accessible aux PME. C’est pourquoi, l’année dernière, l’ANR a mis en ligne sur son site une base de données, nommée Ariane, en référence au fil de l’héroïne du même nom : elle doit permettre aux entreprises, en particulier aux PME, de trouver les compétences dont elles ont besoin. Elles y trouveront une liste des laboratoires dotés par l’ANR pour la compétence recherchée. Ce site fait l’objet de plusieurs centaines de connexions par mois.

En outre, à la demande de Mme Valérie Pécresse, l’Agence a mis en place le Moteur de la Recherche, premier portail global visant à faciliter les collaborations entre les entreprises et la recherche publique. Ce portail agrège toutes les bases de données publiques pour répondre aux questions que se posent les entreprises et les chercheurs qui souhaitent mener des projets de R&D partenariale. Ce site propose des réponses concrètes pour faire connaître un appel à projets, trouver une cartographie de tous les acteurs de la recherche sur un thème donné, s’informer sur les brevets et technologies issus de la recherche publique, recruter un docteur dans une discipline précise, trouver de l’aide et de l’accompagnement pour toute démarche de R&D partenariale.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. L’augmentation de l’assiette constatée en 2009 est due majoritairement aux STIC. Est-ce le résultat de votre politique, qui vise à donner la priorité à la recherche publique nationale, ou est-ce un effet spontané de l’activité des entreprises ?

M. Ludovic Valadier. Il s’agit d’un effet spontané, puisque le budget du département STIC n’a pas connu une telle augmentation.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Avez-vous envisagé d’évaluer l’efficience des outils que vous mettez en place, à rebours de la tradition de l’administration française ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Depuis 2009, nous suivons le parcours des chercheurs non titulaires financés par l’ANR. Les appels à projets clôturés font l’objet, quant à eux, d’un bilan annuel destiné à notre conseil d’administration. Les dispositifs que nous mettons en place, notamment le dispositif Carnot, font également l’objet d’une évaluation. Ce dernier dispositif a par ailleurs fait l’objet d’une évaluation positive de la part de l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche.

En ce qui concerne la base de données Ariane, c’est le nombre de connexions mensuelles qui permet d’évaluer son efficacité : celui-ci montre qu’Ariane est un dispositif bien vivant.

Nos échanges avec des dirigeants d’entreprise nous permettent de faire état de retours positifs sur ces dispositifs. Le colloque d’octobre sera aussi l’occasion de mesurer l’efficacité de ces nouveaux outils auprès des entreprises.

Enfin, après l’enquête confiée à l’IFOP en 2008, nous lançons une deuxième enquête de satisfaction auprès des chercheurs qui participent aux appels à projets de l’ANR, et dont nous connaîtrons les résultats début juillet. Il s’agit de recueillir l’avis des chercheurs sur les procédures de nos appels à projets.

D’une façon générale, la culture du résultat n’est pas étrangère à la culture « projet » qui est la nôtre. Nous avons le souci de progresser constamment, bien que nous soyons en quelque sorte des pionniers ! S’agissant plus précisément du CIR, la rencontre avec les entreprises que nous organisons en octobre sera l’occasion d’obtenir des réponses.

M. David Habib, Président. Mesdames, monsieur, nous vous remercions.

Audition du 27 avril 2010

À 11 heures : MM. Sébastien Léonard et Bernard Ughetto, représentants du syndicat CGT de Rhodia

Présidence de M. David Habib

M. David Habib, Président. Nous accueillons M. Sébastien Léonard et M. Bernard Ughetto, représentants du syndicat CGT du groupe Rhodia, lequel, pendant longtemps, a été installé dans ma circonscription. Il nous semblait important de recueillir l’avis de syndicalistes sur le crédit d’impôt recherche (CIR), mais ceux-ci ont manifesté d’eux-mêmes le désir de faire entendre leurs arguments et de répondre à nos questions. Je précise que, dans un souci d’équilibre, la Mission entendra ultérieurement des représentants de la direction de Rhodia.

M. Sébastien Léonard, représentant du syndicat CGT de Rhodia. En 2008, le groupe Rhodia a touché au titre du CIR une somme de 20 millions d’euros, qu’il a utilisée comme du « cash », pour reprendre le terme prononcé par le président lors du comité central d’entreprise (CCE). Elle a servi à rembourser la dette, à rémunérer les actionnaires ou à procéder à des investissements.

Notre syndicat s’est ému de la situation, qu’il a signalée à Mme la ministre de l’Économie, et les services du ministère sont intervenus auprès de Rhodia. Depuis lors, l’utilisation du CIR par le groupe a changé. Son montant est défalqué des frais de recherche et développement engagés par le groupe, et réparti entre les cinq entreprises de Rhodia au prorata de leur activité dans ce domaine. Pour un total d’environ 100 millions d’euros consacrés à la R&D, Rhodia reçoit 20 millions au titre du CIR et facture 80 millions d’euros à ses entreprises. Cette utilisation nous semble désormais conforme à l’esprit dans lequel a été créé le CIR, qui vise à diminuer le coût de la recherche en France.

Cependant, si la recherche bénéficie du dispositif, ce ne sera pas le cas de l’industrie. Chacun sait que, si certaines recherches menées en France grâce au CIR aboutissent à la fabrication de nouveaux produits, ceux-ci seront industrialisés dans d’autres pays, même s’ils sont consommés sur notre territoire. On s’attendrait plutôt à ce que le dispositif favorise en priorité des projets dont les retombées industrielles concernent la France.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Peu importe que les montants perçus au titre du CIR ne soient pas nécessairement utilisés pour la recherche : il suffit qu’ils aillent à l’entreprise, qui les utilisera comme elle voudra. Dès lors que le budget de Rhodia pour la recherche représente 100 millions, le groupe peut utiliser les 20 millions qu’il reçoit comme il le souhaite. Les responsables de l’ANR, que nous venons d’auditionner, ne l’entendent pas autrement. Que cette somme ait servi à verser des dividendes aux actionnaires n’a donc rien d’étonnant dès lors qu’elle entre dans la trésorerie de l’entreprise, même si l’on peut préférer qu’elle serve à porter son budget de recherche de 100 à 120 millions.

M. Bernard Ughetto, représentant du syndicat CGT de Rhodia. Nous estimons que dans un premier temps, l’utilisation du CIR par le groupe laissait à désirer. Nous vous communiquerons la correspondance que nous avons échangée sur ce point avec les responsables de l’entreprise.

À notre sens, les représentants syndicaux devraient pouvoir vérifier l’emploi des subventions publiques par le groupe. Si elles visent à diminuer le coût de la recherche en France, elles ne sauraient être considérées simplement comme du « cash » pour l’entreprise.

La preuve que notre intervention auprès de Mme Lagarde était justifiée est qu’elle a modifié la situation.

Le CIR serait une bonne mesure s’il rendait la recherche française compétitive, mais nous déplorons, en tant que représentants du personnel de Rhodia, que l’augmentation des sommes versées au groupe s’accompagne en fait d’une diminution du nombre de salariés dans le secteur de la recherche.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le groupe Rhodia possède-t-il des centres de recherche ailleurs qu’en France ?

M. Bernard Ughetto. Il possède deux centres de recherche en France et un à Shanghai, mais la diminution des postes que nous pointons ne concerne que la France.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pensez-vous qu’à la suite de votre intervention l’utilisation du crédit d’impôt recherche chez Rhodia soit devenue plus satisfaisante ?

M. Bernard Ughetto. Oui, puisqu’elle est désormais conforme à l’objectif visé lors de la mise en place du CIR. Cependant, bien que nous ayons accès à certains chiffres concernant les comptes de l’entreprise, il est difficile de vérifier que les sommes sont réellement affectées aux postes annoncés. Surtout, comment considérer que le CIR diminue réellement le coût de la recherche, dès lors que le nombre de chercheurs dans le groupe est en constante diminution ?

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le crédit d’impôt recherche vise non à diminuer le coût de la recherche, mais à inciter les entreprises à développer leur activité dans ce domaine. La recherche représente 2 % du PIB en France, contre 3 %, voire plus, dans les autres pays, qu’il faut imiter, sinon dépasser si nous voulons gagner les compétitions de demain. À mon sens, si une entreprise qui consacre 100 millions à la recherche en reçoit 20 de la part de l’État, c’est pour pouvoir en engager 120 dans la recherche. C’est pourquoi, eu égard aux attentes du législateur, j’ai l’impression que les entreprises ne jouent pas tout à fait le jeu.

Au cours de l’audition précédente, nous avons demandé à l’ANR si le CIR avait permis de créer des postes de chercheurs ou de multiplier les projets qui débouchent sur de l’innovation. C’est ce point qu’il faut examiner, et non l’emploi que l’entreprise fait des sommes qu’elle reçoit.

M. Bernard Ughetto. Il nous semble que, lorsqu’un groupe se voit attribuer 20 millions de subventions publiques, il doit pouvoir justifier l’emploi d’une telle somme. Or nos employeurs nous présentent le dispositif non comme vous le faites, c’est-à-dire comme une aide qui leur permettrait de consacrer plus d’argent à la recherche, mais comme une manière d’abaisser le coût du chercheur français, de manière à le rendre plus compétitif.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Avez-vous étudié l’évolution des sommes consacrées à la recherche depuis la mise en place du CIR ? On peut imaginer que le budget recherche du groupe était antérieurement de 60 millions et qu’il n’a pu augmenter que grâce au CIR.

M. Sébastien Léonard. Les aides perçues par Rhodia sont passées d’un peu moins de 1 million d’euros avant la réforme à 19,8 millions en 2008 et en 2009, c’est-à-dire qu’elles ont été multipliées par vingt. Mais, dans le même temps, l’effort de recherche et développement du groupe en France est passé de 156 millions d’euros en 2005 à 93 millions d’euros en 2007, et à 73 millions en 2008 et en 2009.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Est-ce à dire que le CIR est inversement proportionnel à la dépense de recherche ?

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. C’est là que se situe la véritable anomalie !

M. Sébastien Léonard. Notre employeur prétend que le CIR permet à Rhodia de maintenir son effort en R&D.

M. David Habib, Président. Peut-être faut-il relativiser ces données pour tenir compte du fait que, pendant la même période, le groupe a vu sa sphère d’activité se modifier.

M. Sébastien Léonard. Pour raisonner à périmètre constant, nous avons considéré la part de l’effort de R&D dans le chiffre d’affaires, laquelle n’a cessé de diminuer depuis la mise en place du CIR.

M. David Habib, Président. Cette situation est-elle propre au groupe Rhodia, ou l’avez-vous observée dans les autres grands groupes chimiques ?

M. Sébastien Léonard. La CGT d’ARKEMA ou les salariés de Bayer CropScience l’ont également constatée chez eux, mais je ne suis pas habilité à parler pour les autres groupes.

Les graphiques que nous avons réalisés montrent que, chez Rhodia, la part financée par des aides est passée de 1 % – à l’époque où le groupe touchait 1 million d’euros pour 100 millions engagés – à plus de 25 % aujourd’hui, où il perçoit 20 millions d’euros de CIR pour 73 millions engagés. On mesure l’importance des sommes en jeu.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Les chiffres demandent à être regardés de près, car j’ai peine à croire que le montant du CIR soit inversement proportionnel à celui des sommes consacrées à la recherche.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. La réforme de 2008 a supprimé le système d’abondement, de sorte qu’il n’est plus possible d’obtenir des entreprises qu’elles investissent davantage en matière de recherche. Or diminuer le coût de la recherche ne sert à rien si nous ne parvenons pas à augmenter notre activité dans ce domaine.

M. Sébastien Léonard. Je ne nie pas que le périmètre d’activité de Rhodia ait changé, mais c’est précisément parce qu’il est impossible de raisonner à périmètre constant que nous considérons la part de l’effort de recherche dans le chiffre d’affaires.

M. David Habib, Président. Il s’agit d’une donnée révélatrice.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Si les propos tenus au comité central d’entreprise sont bien ceux que vous avez rapportés,…

M. Sébastien Léonard. Lors du CCE du 1er juillet 2008, M. Paul-Joël Derian, directeur de la R&D, a dit textuellement : « Maintenant, le crédit d’impôt recherche abaisse, au niveau du groupe, le coût total de la recherche. Et nous avons enregistré ce gain au niveau du groupe : c’est 12 millions de cash supplémentaire. »

M. Alain Claeys, Rapporteur. …ils sont tout à fait contraires à l’esprit dans lequel a été créé le dispositif.

M. David Habib, Président. Ma circonscription abritant de nombreux groupes chimiques, je rencontre souvent M. Le Hénaff, président-directeur général d’ARKEMA, qui tient exactement le même discours, tout en attribuant au CIR le maintien des deux centres de recherche de son groupe.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Comment évolue l’emploi scientifique ? Quelles tendances observez-vous dans ce domaine ? Par ailleurs, le groupe Rhodia travaille-t-il en collaboration avec les laboratoires publics, et quelles répercussions cela a-t-il sur le niveau d’emploi scientifique dans l’entreprise ?

M. Sébastien Léonard. Le périmètre de Rhodia ayant évolué avec les années, il est difficile de mesurer la baisse des effectifs. Certains chercheurs travaillaient pour des entreprises du groupe qui ont été cédées. Cela dit, l’effectif total des chercheurs est tombé de 767 en 2007 et à 660 en 2009. Le groupe a donc perdu 107 chercheurs pendant les deux années durant lesquelles le CIR a été mis en place.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Sur le plan qualitatif, voyez-vous arriver de jeunes chercheurs ?

M. Sébastien Léonard. Les seules évolutions positives intervenues au cours des trois dernières années en relation avec la recherche publique sont liées aux pôles de compétitivité. C’est uniquement par ce biais qu’un groupe comme Rhodia noue des partenariats avec d’autres industriels ou des laboratoires publics, à l’aide des financements du fonds unique interministériel (FUI).

De fait, Rhodia perçoit, outre le crédit d’impôt recherche, les subventions du FUI, à travers les pôles de compétitivité, les subventions de la région Rhône-Alpes ou du département, ou encore celles de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Les sommes sont loin d’être négligeables. Nos employeurs n’en communiquent pas le montant aux représentants du personnel, mais nous savons que Rhodia a reçu environ 2 millions d’euros de l’ADEME pour l’année 2009. Le montant de l’argent public investi dans le groupe est par conséquent considérable, mais pour un piètre résultat en matière d’emplois. Chez Rhodia, le coût d’un chercheur français – en tenant compte de la structure qui l’accueille et des produits qu’il utilise – est de 150 000 euros par an, ce qui signifie qu’une somme de 20 millions d’euros devrait permettre de créer plus de cent postes de chercheurs. Même si toutes les sommes perçues ne sont pas converties en créations de postes, l’impact du crédit d’impôt recherche sur les effectifs devrait être visible.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Les sommes en question pourraient du moins être converties en dépenses de recherche.

M. Bernard Ughetto. Le directeur de la recherche de Rhodia considère que la seule utilité du CIR a été de faire tomber le coût salarial du chercheur à 60 000 euros par an.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Depuis que Rhodia touche 20 millions d’euros au titre du CIR, rencontrez-vous dans les couloirs des têtes nouvelles – jeunes doctorants, jeunes chercheurs ou boursiers CIFRE – qui viendraient renouveler la qualité de la recherche ?

M. Sébastien Léonard. Le groupe procède à de nouvelles embauches, notamment en signant des conventions CIFRE. Il possède deux centres de recherche, l’un à Paris, l’autre à Lyon. Quant au « Laboratoire du futur » de Pessac, créé en 2005 et commun à Rhodia et au CNRS, il emploie une dizaine de personnes, pour l’essentiel des doctorants qui, à l’issue de leur contrat, sont embauchés chez Rhodia ou ailleurs. De nouveaux « thésards » sont alors recrutés sur leurs postes. En outre, le personnel qui part en retraite est remplacé. On voit donc apparaître de nouvelles têtes, mais le renouvellement reste limité, puisque les effectifs s’érodent.

M. David Habib, Président. À y regarder de plus près, les chiffres concernant l’évolution du nombre de chercheurs entre 2007 et 2009 me semblent pertinents, puisque la modification du périmètre des activités de Rhodia remonte à la fin des années 1990, voire au début des années 2000.

M. Sébastien Léonard. Quelques évolutions sont intervenues après 2000.

M. David Habib, Président. Quoi qu’il en soit, l’année 2007 est un repère fiable, puisque les modifications du périmètre d’activités sont antérieures à cette date.

M. Sébastien Léonard. En 2008, le groupe possédait encore en Italie un centre de recherche, où travaillaient environ trente chercheurs. Rhodia l’a fermé dès lors que, grâce au CIR, les chercheurs ont coûté moins cher en France. Au final, trente emplois ont été supprimés en Italie, pour seulement dix emplois créés en France, puisque vingt postes n’ont pas été reconduits.

M. Bernard Ughetto. Avant de terminer, j’aimerais encore insister sur un point. Nous sommes fortement demandeurs de droits nouveaux des représentants du personnel dans le suivi de l’utilisation des subventions. Actuellement, aucune obligation n’est faite à l’entreprise de transmettre aux représentants du personnel les documents de référence qui mentionnent le montant des sommes versées par l’État à l’entreprise et la manière dont elles sont utilisées. Ces chiffres devraient être publics et transparents.

M. David Habib, Président. Je vous remercie, Messieurs, pour votre contribution à nos travaux.

Audition du 27 avril 2010

À 12 heures : MM. Jean-Marc Thomas, vice-président recherche et innovation et directeur délégué Grand Sud France d’EADS, François Desprairies, directeur des affaires publiques France, Jean Perrot, directeur des relations institutionnelles recherche, et Mme Annick Perrimond-du Breuil, directeur des relations institutionnelles France

Présidence de M. David Habib

M. David Habib, Président. Nous avons le plaisir d’accueillir maintenant MM. François Desprairies, directeur des affaires publiques France d’EADS, Jean-Marc Thomas, vice-président recherche et innovation et directeur délégué Grand Sud France – que nous avions entendu l’an dernier durant nos travaux sur les pôles de compétitivité -, Jean Perrot, directeur des relations institutionnelles recherche, et Mme Annick Perrimond-du Breuil, directeur des relations institutionnelles France.

M. François Desprairies, directeur des affaires publiques France d’EADS. Je présenterai brièvement la société que nous représentons car elle est souvent mal connue.

EADS est la première société aéronautique mondiale, avec un chiffre d’affaires de l’ordre de 43 milliards d’euros. Elle emploie 120 000 personnes, dont 97 % en Europe et 45 000 en France. C’est probablement le groupe industriel le moins délocalisé de notre pays.

EADS achète en France de l’ordre de 11 milliards d’euros. Elle a une recherche autofinancée de 2,9 milliards d’euros, dont 1,3 milliard en France, un carnet de commandes de près de 400 milliards et une trésorerie nette, fin 2009, de l’ordre de 10 milliards.

Comme notre groupe fait parfois les gros titres de la presse en étant présenté sous un angle négatif, je souhaite appeler votre attention sur quelques paramètres.

Depuis sa création, EADS a embauché plus de 15 000 personnes, dont la moitié en France, et a même continué d’embaucher pendant la période de crise : nous avons embauché plus de 1 000 personnes l’année dernière et nous allons en embaucher 1 500 cette année. Je ne crois pas qu’il y ait un seul groupe industriel qui continue à recruter comme nous le faisons.

EADS est probablement le premier contributeur à l’économie nationale puisque l’industrie aéronautique civile a un solde positif de 15 milliards d’euros. C’est le premier poste excédentaire de la balance commerciale française, suivi des boissons avec 7 milliards.

Pour notre filière, qui a des cycles très longs, les instruments mis en place à ce jour par la puissance publique sont tout à fait remarquables. À titre sectoriel, nous avons le soutien de la direction générale de l’Aviation civile (DGAC), qui a été restaurée par M. François Fillon, et quatre instruments puissants accompagnent notre industrie en France. Le premier réside dans les « machines à fonds propres » que sont le fonds stratégique d’investissement (FSI), OSÉO et Aerofund pour la partie aéronautique civile. Le deuxième est le CIR, qui est un instrument extrêmement puissant d’aide à la recherche – c’est en partie grâce à lui que la recherche a pu être maintenue l’année dernière en période de crise. Le troisième est les pôles de compétitivité, qui sont un outil important d’association des grands groupes aux PME. Enfin, il existe, en France, un savoir-faire d’accompagnement de grands projets, que le grand emprunt va encore renforcer.

En résumé, vu de notre fenêtre, la France est probablement le pays d’Europe qui accompagne le mieux sa filière aéronautique.

Je ne dis pas que tout est idéal ni que tout va bien. Les grèves à Airbus aujourd’hui même suffiraient à démentir mes propos. Mais le dynamisme de la filière aéronautique reste une bonne nouvelle pour l’économie de notre pays et le CIR a été et est un élément de soutien tout à fait déterminant.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quel diagnostic global portez-vous sur le crédit d’impôt recherche ?

Nous nous demandons, au sein de la mission, si cet outil ne donne pas lieu à des effets d’aubaine dans les grandes entreprises comme la vôtre alors que son but est de soutenir les efforts de recherche afin de placer les entreprises françaises en position de soutenir la concurrence des entreprises des autres pays comme l’Allemagne ou les États-Unis.

Plus précisément, quel diagnostic faites-vous du dispositif réformé depuis 2008 ?

M. François Desprairies. Il n’y a pas pour nous d’effet d’aubaine, loin s’en faut. Le plafonnement à 100 millions s’exerce à plein sur la principale division du groupe, qui est Airbus, où est localisé l’essentiel des budgets de R&D. Si nous avions voulu créer un effet d’aubaine, nous aurions « coupé Airbus en rondelles ». Je sais que de telles pratiques ont eu lieu à certains endroits. Ce n’est pas notre cas.

Le plafonnement à 100 millions a été intéressant, mais il n’a pas eu des effets démesurés comme ceux dont j’ai pu entendre parler ici ou là.

M. Jean Perrot, directeur des relations institutionnelles recherche d’EADS. L’industrie aéronautique porte des projets à long terme, à vingt ans, qui nécessitent une avance cohérente de tout le train industriel et de recherche afin de préparer des échéances à dix ou quinze ans. Il faut, pour ce faire, une vision directive qui mette tous les acteurs autour du même projet ou de la même feuille de route. Cette vision directive est soutenue par l’ensemble des aides apportées à la filière. Le crédit d’impôt recherche est un élément important de ce cocktail.

Le caractère incitatif de la réforme de 2008, qui a fait passer à 30 % le crédit d’impôt recherche pour la tranche de dépenses inférieure à 100 millions d’euros, a un effet d’accélérateur, notamment en période de crise. Les industriels sont incités – comme nous l’avons été – à anticiper des projets qu’ils auraient, sinon, peut-être eu tendance à retarder.

Le fait que le montant du CIR ait été identique en 2008 et 2009, soit 140 millions d’euros, montre que les efforts de réseaux et télécommunications (Recherche & Technologie et Développement) – on sait que le crédit d’impôt recherche cible une fenêtre qui est entre les deux – ont été maintenus dans l’industrie aéronautique, malgré un contexte de crise.

Mes propos sont corroborés par les chiffres puisque les déclarations d’Airbus sont de l’ordre de 350 millions d’euros, pour un crédit d’impôt recherche de 42 millions d’euros. Les efforts de l’industrie privée, des administrations de tutelle et du pays aident à diriger les énergies de recherche des grands groupes, de leurs principaux partenaires et de leurs partenaires naturels que sont les PME, les laboratoires et la recherche académique. Le crédit d’impôt recherche intervient comme un élément supplémentaire et exerce un pouvoir d’accélérateur indéniable.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pouvez-vous citer des exemples de projets qui n’existeraient pas aujourd’hui s’il n’y avait pas cet avantage financier ?

M. Jean Perrot. Dans le cadre de notre laboratoire central Innovation Works, à Suresnes, des projets ont été lancés grâce au crédit d’impôt recherche dans le domaine des technologies de différenciation.

Dans le cadre du pôle de compétitivité Technocampus EMC2, dans les Pays de la Loire, des initiatives touchant aux technologies composites ont pu être maintenues et même organisées à un bon niveau grâce à l’existence du crédit d’impôt recherche, qui a aidé tous les acteurs – Innovations Works, Airbus, industriels locaux – à maintenir leur effort de recherche.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous dites, d’une part, que le CIR est un accélérateur de la recherche et, d’autre part, qu’il a simplement permis de maintenir le niveau de recherche pendant la crise. Quelle est la réalité ?

M. François Desprairies. Le CIR présente ces deux caractéristiques.

Dans certains cas, il a un effet d’accélérateur sur des sujets centraux de préparation des technologies de l’avenir.

Dans le cas d’Airbus, il a permis, comme l’a reconnu Louis Gallois, d’éviter que la recherche ne soit la grande sacrifiée pendant la période de basses eaux que nous avons connue du fait de la crise. Bien que nous ayons sorti, l’année dernière, le plus grand nombre d’Airbus jamais produits – pratiquement 500 avions –, nos résultats économiques ne sont absolument pas à la hauteur, ce qui nous oblige à faire des économies pour essayer de revenir à des niveaux plus acceptables. Les arbitrages nécessaires pour y parvenir n’auraient pas été aussi favorables à la recherche s’il n’y avait pas eu le crédit d’impôt recherche.

M. Jean-Marc Thomas, vice-président recherche et innovation et directeur délégué Grand Sud France d’EADS. Pour travailler depuis près de trente-cinq ans, à un niveau ou à un autre, chez Airbus, je puis corroborer les propos de François Desprairies.

Une des variables d’ajustement que l’on utilise souvent dans les périodes difficiles, même si elle fait mal parce qu’elle a toujours des conséquences quelques années plus tard, est la recherche. Dans un contexte traditionnel, il y aurait eu très certainement des coupes sombres dans le programme de recherche. J’ai piloté la recherche à Airbus. J’ai été patron du bureau d’études. J’ai connu des années noires à cause des coupes sombres opérées dans la recherche. Au cours des trois dernières années, il n’y en a pas eu !

En dehors de l’apport financier que représente le CIR, la volonté exprimée par l’État en faveur de la recherche pousse à être exemplaire. Non seulement la recherche n’a pas été réduite, mais elle a été maintenue à un très haut niveau, ce qui ne se serait pas passé en d’autres circonstances. Les travaux sur les composites ont été poursuivis dans le cadre de la mise en œuvre de l’A350, ainsi que ceux sur les systèmes, puisque cet avion va présenter des nouveautés en ce domaine par rapport à l’A380.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Réinjectez-vous la totalité du crédit d’impôt recherche dans la recherche ou cet outil vous rassure-t-il sur le fait qu’il faille continuer à investir dans la recherche ?

L’affirmation selon laquelle il y aurait probablement eu des coupes sombres dans les programmes de recherche sans le CIR tient beaucoup de la pétition de principe. Comment le prouver concrètement ?

M. François Desprairies. Vous savez aussi bien que moi que notre industrie dépend essentiellement de la recherche. Or, pour mille raisons, largement relatées par les journaux, nos résultats économiques de ces dernières années ne sont pas à la hauteur de ce qui était attendu. Si nous avons pu maintenir notre effort de recherche, c’est très clairement grâce aux dispositifs mis en place par le Gouvernement, dont le CIR.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quels ont été les montants des crédits d’impôt recherche perçus par votre groupe en 2007 et en 2008, c’est-à-dire avant et après la réforme ?

M. François Desprairies. Airbus a touché 16 millions de crédit d’impôt recherche en 2007 et 42 millions en 2008.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour quel niveau de dépenses de R&D ?

M. Jean-Marc Thomas. Le niveau de recherche global pour Airbus était de l’ordre de 310 millions d’euros en 2007. Il était un peu plus important en 2008 et il se monte aujourd’hui à 350 millions d’euros.

M. Alain Claeys, Rapporteur. On peut donc dire que le crédit d’impôt recherche a été réinjecté !

M. Jean-Marc Thomas. Deux aspects sont à distinguer : l’aspect mécanique et l’aspect comptable.

Selon le premier, l’argent est directement affecté aux équipes de recherche. Il est injecté dans notre budget de recherche. Ce point est très important parce que, dans d’autres systèmes que nous connaissons, l’argent va dans la poche globale et, quand les chercheurs demandent des budgets pour leur recherche, ils doivent passer à chaque fois sous les fourches caudines de la direction.

M. Jean Perrot. La recherche centrale d’EADS a bénéficié, l’année dernière, de 11 millions d’euros au titre du crédit d’impôt recherche. Dans tous les projets de recherche d’Innovation Works, une ligne comptable « contribution du crédit d’impôt recherche » apparaît en plus des subventions que nous pouvons recevoir et des fonds propres que nous pouvons injecter. Du point de vue comptable, un chef de projet a la ligne identifiée du CIR, ce qui garantit que l’argent est remis à cette fin.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Si nous vous posons la question, c’est parce que nous avons des contre-exemples. Comme le CIR diminue le coût de la recherche, certaines structures le traitent comme une subvention.

M. François Desprairies. Je vais vous donner un exemple qui montre qu’il ne faut pas séparer le crédit d’impôt recherche de l’ensemble des mesures prises par les pouvoirs publics.

Le programme A350 va représenter, en incluant les dépenses en capitaux, un investissement de 13 ou 14 milliards d’euros. C’est le plus gros projet que l’industrie privée, et même publique, va lancer au cours des prochaines années. Il représente un tunnel sous la Manche ou encore quatre EPR.

Or, au sujet de l’A350, pour lequel nous avons déjà reçu 530 commandes, je soulignerai la part importante de son développement en France, pour Airbus et sa filière, grâce au soutien à la recherche aéronautique en France. L’Allemagne ne bénéficie pas, à ce jour, d’un dispositif comparable. Le programme de recherche aéronautique allemand (LUFO), ne comporte par les mêmes incitations. Les pouvoirs publics allemands étudient un dispositif équivalent au CIR.

Voilà un exemple concret de ce que la France peut apporter en termes d’optimisation.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Très intéressant !

M. François Desprairies. Je ne pouvais manquer de signaler, alors que l’on parle de désindustrialisation de notre pays, que le plus gros projet industriel européen des prochaines années est positif pour la France, au point d’être une source de conflit avec les Allemands.

Ce résultat est à mettre au crédit non seulement du CIR, mais également de l’ensemble du dispositif global mis en place par la France incluant les pôles de compétitivité et le FSI.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Et le grand emprunt !

M. François Desprairies. Le grand emprunt sera effectivement un élément important de ce dispositif puisqu’il nous permettra de « dérisquer » un certain nombre de projets futurs.

M. Jean Perrot. Pour une industrie comme la nôtre, poussée dans les reins par la compétition internationale, il est important de franchir le plus rapidement possible les Technology Readiness Levels (TRL), c’est-à-dire les niveaux de maturité technologiques qui permettent d’aller de la recherche au produit. Ce n’est donc pas tant le volume du réservoir qui compte que les accélérateurs que nous avons sous le pied. La flexibilité des mesures mises en place par les pouvoirs publics, et notamment celle du CIR, nous permet d’accélérer les projets, de maintenir vivace la volonté de progresser rapidement et d’être au rendez-vous pour le lancement des produits. C’est le point essentiel !

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. La définition des dépenses éligibles vous semble-t-elle satisfaisante ou avez-vous un regard un peu différent sur le sujet ?

M. Jean Perrot. Comme la nouvelle règle du CIR repose sur une analyse technique poussée par rapport aux critères de Frascati – nous saluons le soutien apporté par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche dans cette démarche fiscale –, elle n’est encore qu’en période de rodage : sa complexité pose des problèmes de compréhension, la jurisprudence des critères doit être assise, et les experts s’expriment encore sur le sujet. Il serait utile que, à partir des retours d’expérience des premières années d’application du nouveau dispositif, des vade mecum soient établis et des directives simples et claires rédigées afin de permettre à tout le tissu industriel de mieux l’appliquer. Les grands groupes peuvent demander le concours de fiscalistes et d’experts mais, comme je l’ai déjà souligné, les efforts de recherche ne peuvent se faire qu’en partenariat avec toute la supply chain.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous avez abordé de nombreux sujets. Pouvez-vous les reprendre plus en détail ?

M. François Desprairies. Permettez-moi, au préalable, de préciser notre regard sur le CIR et sur le grand emprunt.

Nous considérons, nous le répétons, que le CIR est une bonne mesure. Mais les critères de sa mise en œuvre limitent la maturité technologique des domaines pour lesquels nous pouvons y avoir recours.

Nous avons un bon financement amont de notre recherche jusqu’à un certain niveau de maturité technologique des projets. Nous disposons également d’un bon outil de lancement de produits que sont les avances remboursables, tant qu’elles sont permises par Bruxelles et par l’OMC. C’est ainsi qu’ont été financés tous nos avions.

Mais il existe un « trou dans la raquette » française, entre l’aide amont apportée au développement de nouvelles technologies et les avances remboursables qui ne s’appliquent qu’à des produits finis. Et ce trou, ce sont les démonstrateurs.

Le grand emprunt, quant à lui, est une solution ad hoc et ponctuelle.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Où se situe le prototype par rapport au démonstrateur ?

M. Jean-Marc Thomas. Dans notre industrie, il n’y a plus de prototype. Nous ne gardons qu’un avion, généralement le premier, parce qu’il a une valeur symbolique. Par exemple, nous avons gardé l’avion n° 1 de l’A320, qui est à Toulouse, ainsi que l’avion n° 1 de la famille A330/A340. Même les avions d’essai en vol – généralement le 2, le 3, le 4 et le 5 – sont refurbished, c’est-à-dire reconditionnés, et revendus. Le premier avion est déjà pratiquement le premier de série, sauf s’il y a de grosses erreurs de conception. Cela vaut pour tous les avions Airbus civils.

En revanche, le démonstrateur est un sous-ensemble représentatif de l’avion qui va faire le pont entre un certain nombre de technologies ayant démontré a priori leurs potentialités et une certaine maturité, et les faire fonctionner ensemble. Par exemple, lors de la réalisation d’une tranche de fuselage, on va appliquer de nouvelles technologies de peau ou d’encadrement de porte.

M. Alain Claeys, Rapporteur. C’est la définition qui est donnée dans les textes des activités de R&D : elles ont pour objectifs de vérifier des hypothèses scientifiques ou techniques, d’évaluer de nouvelles formules de produits, d’évaluer de nouvelles spécifications de produits finis et d’étudier un équipement et des structures spéciaux pour un nouveau procédé.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Ce point fait l’objet d’un débat. La présidente de l’ANR, que nous avons entendue ce matin, affirme que le CIR couvre toutes les étapes jusqu’à la commercialisation.

M. Jean-Marc Thomas et M. François Desprairies. Oh que non !

M. Jean-Marc Thomas. Le problème est que nous nous heurtons très rapidement, comme nous l’avons indiqué tout à l’heure, à des effets de seuil.

Les démonstrateurs du grand emprunt étant multipartenaires, ils nous permettront, non seulement de « dérisquer » – je reprends le terme employé par François Desprairies car il est tout à fait adapté –, mais également de vérifier les nouvelles technologies dans l’ensemble de la filière en associant les différents acteurs de celle-ci. Nous réduirons ainsi le niveau du risque tout en préparant l’ensemble de notre supply chain.

M. François Desprairies. Je vais vous donner un exemple concret. Notre concurrent principal, Boeing, semble avoir fait l’impasse sur la phase de démonstrateur du caisson central en composite de son avion 787. Il y a eu des ruptures aux essais, si bien qu’il a pris trois ou quatre ans de retard, ce qui se chiffre en milliards de dollars.

Avec un tel exemple en tête, nous ne pouvons pas faire l’impasse sur les démonstrateurs et avoir uniquement recours aux simulations.

Comme Jean Perrot vous le dira, le CIR ne couvre pas cette partie-là.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. C’est un point sur lequel nous allons devoir nous pencher car l’ANR nous assure que le CIR couvre cette phase tandis que des utilisateurs comme vous disent que non.

M. Jean Perrot. Les TRL 6 ou 7 qui nous concernent se situent dans une zone un peu grise où les critères de Frascati sont relativement lâches alors que nous avons une lecture assez rigoureuse des choses, pour ne pas nous mettre en exposition de redressement et pour ne pas avoir une lecture trop avantageuse de la mesure. Les démonstrateurs de caisson en composite dont a parlé François Desprairies ne sont pas éligibles au crédit d’impôt recherche.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. N’êtes-vous pas un peu timides dans l’utilisation du CIR ? Avez-vous peur d’être sanctionnés ?

M. François Desprairies. Une autre raison pour laquelle le CIR ne permet pas d’aller jusqu’au démonstrateur est le plafonnement du crédit d’impôt recherche. Le démonstrateur du caisson central en composite de l’A350 coûte, dans le cadre du grand emprunt, entre 80 et 90 millions d’euros. Cela représente deux fois le CIR d’Airbus. Je l’ai dit, nous n’allons pas découper Airbus en rondelles en vue d’une optimisation fiscale.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Le « trou dans la raquette » serait donc dû au plafonnement ?

M. François Desprairies. Pas uniquement. Il est dû à la fois au plafonnement du CIR et à une lecture peut-être différente des critères de Frascati.

M. Jean-Marc Thomas. Il est vrai que l’on peut observer des différences de perception sur ces critères.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pourquoi n’utilisez-vous pas les rescrits pour vérifier préalablement et vous entourer de garanties ?

M. François Desprairies. Dans le cadre des consultations organisées sur le grand emprunt, nous avons parlé avec de nombreux interlocuteurs industriels que nous n’avions pas eu l’occasion de rencontrer par ailleurs : ils avaient tous le même type de problème. Nous pensons réellement que le financement des démonstrateurs, qui permettent de « dérisquer » les technologies développées en amont est aujourd’hui un « trou dans la raquette » française.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Nous l’avions signalé dans l’étude que nous avions réalisée sur les pôles de compétitivité. Mais, par rapport aux définitions données, il y a une ambiguïté…

M. Jean-Marc Thomas. C’est pourquoi un travail de clarification s’impose afin d’aboutir à des définitions communes et partagées.

M. Jean Perrot. Chaque dossier fait l’objet d’une expertise technique. Or les experts sont en nombre réduit et établissent une sorte de jurisprudence sur laquelle il est difficile d’anticiper un rescrit. Nous avons vu le même expert donner des appréciations très différentes sur des sujets qui, pour nous, étaient équivalents.

Si le rescrit peut être utilisé au regard de la loi fiscale, il ne peut l’être au regard du contenu technique pour lequel il existe une marge de manœuvre et d’appréciation. C’est un facteur qui augmente la crainte.

Peut-être y a-t-il un réglage de la mesure à faire.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quelle est la solution ?

M. Jean Perrot. Définir une règle en termes de maturité et de typologie sur la base d’exemples qui, réunis, donneront ce que j’appellerai un abaque.

M. Jean-Marc Thomas. Il faut traiter un certain nombre d’exemples venant de plusieurs sources et définir une philosophie en s’attachant à choisir les bons mots.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Qu’il y ait un plafond ou non n’affecte pas votre stratégie de développement. C’est ce que j’ai cru comprendre de votre introduction.

M. François Desprairies. Non : chaque industrie est spécifique.

Les exemples de l’A380 et de l’A400M montrent que les risques sont systémiques. Notre intérêt est donc de « dérisquer » au maximum les technologies – ce que Boeing n’a pas fait pour le 787 et ce que nous n’avons pas fait pour l’A400M –, d’autant que nous utilisons aujourd’hui de nouveau matériaux que nous connaissons mal et sur lesquels nous n’avons pas d’historique.

Au moment du lancement de l’A350, j’avais demandé au patron du programme, qui est un ami, en quoi la puissance publique pouvait l’aider en plus de son budget de 12 milliards d’euros et des avances remboursables. Il m’avait répondu : « À dérisquer cet avion ! »

M. Alain Claeys, Rapporteur. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

M. François Desprairies. Couvrir les fameux démonstrateurs qui représentent un coût collectif important. Cela permet de « dérisquer » un projet lorsqu’on est capable de faire travailler ensemble cinq ou dix acteurs autour de celui-ci.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Cela ne dépend pas du crédit d’impôt recherche.

M. François Desprairies. Nous sommes d’accord, mais vous nous avez demandé quelle était notre réflexion sur le sujet.

Nous pensons qu’il existe un « trou dans la raquette ». Même s’il est difficile à estimer, nous l’avons identifié et nous l’avons repéré également chez Alstom sur des systèmes de récupération de CO2. Je pense que cette entreprise a dû faire ses démonstrateurs en dehors de France, aux États-Unis.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les États-Unis sont-ils plus avancés que nous en ce domaine ?

M. François Desprairies. Aux États-Unis, c’est le Pentagone qui finance l’aéronautique.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pourquoi Boeing a-t-il pris quatre ans de retard si le Pentagone finance tout ?

M. François Desprairies. Ils avaient six ans d’avance sur nous. Ils n’en ont plus que deux.

M. Jean-Marc Thomas. Ils ont fait des recherches dans lesquelles la NASA a beaucoup investi – par exemple, ils ont réalisé neuf pointes avant composites –, mais elles présentaient un caractère académique. De plus, ils ont fait un certain nombre d’impasses techniques qui, cumulées à une répartition des tâches internationales sur de nouveaux acteurs, les ont empêchés de maîtriser l’ensemble de leur conception.

C’est toute la différence avec les démonstrateurs que nous proposons aujourd’hui. Mais nous sortons du sujet du CIR…

M. Alain Claeys, Rapporteur. C’est peut-être plus utile que le CIR !

M. Jean-Marc Thomas. Non. Cela ne se situe pas dans le même espace temporel et ne répond pas aux mêmes préoccupations.

Je donnerai un exemple de démonstrateur pour bien le différencier des autres démarches.

Le démonstrateur composite associera, au premier niveau, les deux avionneurs Airbus et Dassault, ainsi qu’AEROLIA, DAHER-SOCATA, Latécoère et SAFRAN. Puis nous lancerons sur Internet un appel à idées, un appel à innovation, de telle façon que tout un chacun, petit, moyen ou gros, PME, ETI ou autres, puisse apporter sa contribution. Cela aura pour résultat, non seulement de « dérisquer », mais également de faire monter le niveau de la filière.

Boeing a eu une approche de démonstrateur, mais celle-ci n’était pas pertinente : il a travaillé tout seul, a réparti son travail et n’a jamais fait le pont entre tous les aspects. C’est ce qui lui pose un problème aujourd’hui.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quel est le nombre de chercheurs employés par EADS ? Le CIR a-t-il eu un effet sur le nombre d’embauches ?

M. Jean Perrot. On compte environ 150 chercheurs en central, en France, et un nombre à peu près identique dans les business units. On observe un étiage du même ordre dans les postes purs de chercheurs chez Airbus à Toulouse.

Le crédit d’impôt recherche, les mesures en faveur des doctorants et les contrats CIFRE ont conduit à une augmentation relative des embauches. La Fondation EADS aide également, en amont, à se rapprocher du monde universitaire et à financer des actions.

Nous pourrons vous communiquer les chiffres exacts des embauches. J’ai en tête un taux de progression de celles-ci à deux chiffres.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Cette progression est-elle exclusivement due au crédit d’impôt recherche ?

M. Jean Perrot. Pas exclusivement. Elle est due au travail à faire, lequel a indéniablement été soutenu par le crédit d’impôt recherche.

M. Jean-Marc Thomas. Je vais vous donner un exemple de la démarche volontariste qui est la nôtre et vous montrer comment elle acquiert plus d’ampleur quand elle est accompagnée.

Il y a cinq ans, a été créée par les industriels majeurs de l’aéronautique et de l’espace la Fondation de recherche pour l’aéronautique et l’espace, afin de doper la recherche. Cette structure, dont j’assume la présidence, a réalisé aujourd’hui huit ou neuf appels à projets. Comme il s’agit d’une fondation d’intérêt public, la propriété intellectuelle appartient totalement aux laboratoires. Elle a été créée grâce à un abondement des industriels de 9 millions d’euros – dont 6 millions provenant d’EADS – et à un abondement d’un même montant de l’État. Ce dernier nous ayant fait savoir qu’il ne procéderait pas à un nouvel abondement, nous nous sommes concertés et avons décidé de proroger la Fondation même sans apport étatique. Nous consultons actuellement l’ANR pour savoir si elle peut nous accompagner sur certains appels à projets.

La recherche est pour nous fondamentale. La R&D représente 15 % de notre chiffre d’affaires. Il ne doit y avoir que la pharmacie qui ait un niveau de recherche de cet ordre. Avec ou sans accompagnement, il nous faut sans arrêt réinvestir dans ce domaine. Mais, quand nous bénéficions d’un accompagnement, comme avec le CIR, cela dope notre effort.

M. François Desprairies. Nous connaissons dans le groupe des impacts très différents du CIR. Je citerai deux exemples : Airbus et Eurocopter.

Pour l’avionneur, les investissements en R&D sont tels que ce seuil de 100 millions d’euros est très largement dépassé. L’effet très incitatif de la mesure joue un rôle moteur dans la localisation en France des travaux de R&D, comme l’illustrent les arbitrages faits par Airbus pour adapter ses travaux de recherche à la période de crise économique.

Pour l’hélicoptériste, le CIR est une incitation forte à accélérer ses efforts en R&D. Nous allons annoncer dans quelques jours un investissement massif en R&D pour renouveler la gamme d’Eurocopter, ce qui devrait augmenter le montant de son CIR dans les prochaines années.

Pour finir, signalons que chez Astrium, le CIR a partiellement contrebalancé la baisse considérable du budget de R&D de la DGA.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le crédit d’impôt recherche a-t-il accru le partenariat avec la recherche publique ?

M. Jean Perrot. C’est marginal.

Nous regrettons la rupture de charge qui existe dans la répartition de la recherche entre la part réalisée en propre et celle qui est déléguée ou sous-traitée à d’autres structures. Il existe deux seuils majeurs dans le crédit d’impôt recherche : le seuil de dépenses au-dessous duquel le CIR est de 30 % et au-dessus duquel il n’est plus que de 5 % – seuil qui est de 100 millions d’euros –, et le seuil de sous-traitance qualifiée que l’on peut déléguer à des structures innovantes, lequel n’est que de 12 millions d’euros. Cette dissymétrie du crédit d’impôt recherche est un peu pénalisante car, comme l’a souligné Jean-Marc Thomas, l’activité aéronautique repose sur un partenariat de l’ensemble de la filière et une équirépartition des efforts, qui suppose une équirépartition des soutiens.

M. Alain Claeys, Rapporteur. J’imagine que vous souhaiteriez le relèvement du seuil de 12 millions sans qu’il soit touché à celui de 100 millions.

M. Jean Perrot. C’est évident.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Dans la concurrence mondiale, la baisse de l’euro doit également être un handicap.

M. François Desprairies. Oui, d’autant que notre principal concurrent se trouve outre-Atlantique et qu’il est massivement aidé par les pouvoirs publics. Pour lui, l’A400M est inimaginable, même en rêve.

Il ne faut pas oublier non plus qu’il n’a jamais accepté que nous soyons ce que nous sommes, et qu’il ne l’accepte pas plus aujourd’hui qu’hier.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Allez-vous répondre au nouvel appel d’offres sur les avions ravitailleurs ?

M. François Desprairies. Oui. Le développement de l’entreprise passe par une meilleure présence sur les marchés américains. Le contrat « Tankers » vient après deux premiers contrats gagnés par Eurocopter et Airbus Military. Il marquerait une étape importante dans cette progression. Sur ce cas particulier, je rappelle que nous avons gagné, à ce jour, toutes les compétitions internationales face à Boeing. La compétition américaine avait été gagnée par deux fois par EADS. Nous y retournons donc.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quoi qu’il en soit, il faut mener cette guerre économique.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pensez-vous qu’il faudra introduire un plafond de créance de CIR en fonction du taux global d’imposition des entreprises pour tenir compte de l’optimisation ?

M. Jean Perrot. Le crédit d’impôt recherche est une incitation pour accélérer la recherche. Le lier à des notions d’optimisation fiscale dénaturerait un peu cette perception. Nous n’y sommes pas favorables. Jusqu’à présent, le CIR a permis de soutenir les efforts de recherche, et même, comme nous l’avons souligné, d’accélérer des projets qui n’auraient pu voir le jour sans lui.

Le pôle de recherche Technocampus est un bel exemple de structure ayant bénéficié de l’ensemble des montages de soutien à la recherche. Il est né de l’association d’investissements régionaux et d’investissements privés : une vingtaine de millions d’euros ont été mis par l’industrie privée dans les locaux financés par la région pour créer, en partenariat avec l’ensemble des écoles et des industriels de la région, un pôle d’excellence dans les technologies composites. Nous avons insisté à plusieurs reprises sur ce qui était pour nous le caractère névralgique de cette structure, qui emploie des équipes de quelque 180 personnes, et dont la rapide montée en puissance est due à tout un ensemble de mesures incitatives dans lequel le crédit d’impôt recherche joue un rôle important.

Le CIR doit rester au plus près des projets de recherche afin d’y être réaffecté.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Seriez-vous favorables à un fléchage de la créance du crédit d’impôt recherche sur la recherche ?

M. Jean-Marc Thomas. Un tel fléchage exprimerait clairement ce que nous souhaitons et faisons.

M. François Desprairies. Nous y sommes favorables.

Comme la recherche est pour nous le nerf de la guerre, flécher le CIR sur la recherche ne nous pose aucun problème.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Madame, Messieurs, nous vous remercions.

Audition du 27 avril 2010

À 10 heures : Représentants de la Fédération bancaire française (FBF) : M. Patrick Suet, président du comité fiscal, Mme Valérie Ohanessian, directrice générale adjointe, et Mme Séverine de Compreignac, responsable des relations institutionnelles

Présidence de M. David Habib

M. David Habib, Président. Nous entendons aujourd’hui des représentants de la Fédération bancaire française : M. Patrick Suet, président du comité fiscal, Mme Valérie Ohanessian, directrice générale adjointe, et Mme Séverine de Compreignac, responsable des relations institutionnelles. Je précise que M. Suet est par ailleurs secrétaire général de la Société Générale. Mesdames, monsieur, je vous remercie d’avoir répondu à l’invitation de cette mission, qui se consacre à l’évaluation du crédit d’impôt recherche. Nos trois collègues rapporteurs, MM. Alain Claeys, Jean-Pierre Gorges et Pierre Lasbordes, ont estimé nécessaire d’entendre à ce sujet la Fédération bancaire française.

Je vous prie d’excuser l’absence de M. Lasbordes, empêché. En revanche, la Mission bénéficie traditionnellement de l’assistance de la Cour des comptes et, à ce titre, M. Jean-Pierre Cossin, conseiller maître à la deuxième chambre de la Cour, participera à cette audition.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Monsieur le président, pouvez-vous nous indiquer, pour la période 2007-2009, quel est le nombre d’adhérents de la Fédération bancaire française, le nombre de bénéficiaires du crédit d’impôt recherche et le montant perçu à ce titre par les banques et les assurances ?

M. Patrick Suet, président du comité fiscal de la Fédération bancaire française (FBF) et secrétaire général de la Société Générale. Je vais probablement vous décevoir, mais nous ne disposons d’aucune méthodologie nous permettant de compiler les impôts payés ou les avantages fiscaux obtenus par les banques. Ce n’est pas la vocation de la Fédération bancaire de réunir de tels éléments. Pour avoir réalisé une enquête qualitative, nous disposons néanmoins de certaines informations concernant les principaux établissements mais, s’agissant de l’ensemble de notre secteur, seule l’administration en dispose.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le Parlement est en droit de s’y intéresser également !

M. Patrick Suet. Je parlais de l’administration en tant que détentrice des déclarations.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Contrairement à mon collègue Jean-Pierre Gorges, qui a une longue expérience dans le secteur bancaire, je suis pour ma part novice et je me demande quelle est l’utilité, pour une banque, du crédit d’impôt recherche et en quoi consistent les projets de recherche et développement.

M. Patrick Suet. Une part de la réponse se trouve sur votre carte de crédit, qui comporte des éléments d’une extrême sophistication, notamment à des fins de sécurité. La sécurité des systèmes bancaires constitue une part essentielle de notre travail.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Que vous faites rémunérer par vos clients !

M. Patrick Suet. En effet, mais c’est le cas de toute activité économique. Comme toutes les entreprises, les banques recourent à trois types de recherches : la recherche fondamentale, relativement rare dans notre secteur même si nous utilisons de plus en plus des modèles mathématiques très complexes – dans le cadre du pôle de compétitivité « finance-innovation », nous avons passé des accords avec différents établissements universitaires et centres de recherche, relevant notamment de plusieurs universités parisiennes et de l’École polytechnique – ; mais surtout la recherche appliquée et le développement expérimental, qui représentent l’essentiel de nos activités relevant du crédit d’impôt recherche.

Ces recherches s’appliquent principalement aux logiciels informatiques dédiés à la sécurité. Ainsi, bien que ce sujet ne nous soit pas propre, le développement de la banque à distance a accéléré les travaux sur la signature électronique.

Nos recherches portent également sur la modélisation : modélisation pour l’élaboration de produits financiers et modélisation des risques. Depuis moins de dix ans, en application de Bâle 2 – et demain de Bâle 3 –, les banques s’efforcent de modéliser les risques de marché et les risques de contrepartie, ce qui nécessite des travaux mathématiques très sophistiqués.

Ces trois types de recherche se situent exactement dans le champ du crédit d’impôt recherche. Cela retentit sur les qualifications : c’est dans les banques que vous trouverez le plus de normaliens et de scientifiques de haut niveau.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Monsieur le président, vous ne m’avez pas convaincu. J’ai travaillé pendant de nombreuses années à la direction des systèmes d’information d’une grande banque, sur des systèmes de pointe pour la fabrication des cartes ou pour les procédures d’autorisation. Il ne s’agit pas à proprement parler de recherche. La plupart des entreprises font de la recherche appliquée, mais elles achètent la recherche fondamentale à l’extérieur. Dans les grands groupes que je connais, sur près de 50 000 salariés, moins de dix personnes faisaient réellement de la recherche – au sens où nous l’entendons ici.

Pour ce qui est de modéliser des risques, les artisans le font aussi avec leur calculatrice. Que vous utilisiez des normaliens pour garantir ces calculs, soit, mais ce n’est pas réellement de la recherche. Je suis quelque peu surpris que le monde bancaire tire un tel bénéfice de sommes qui, selon moi, seraient plus utiles à d’autres activités.

M. Patrick Suet. Annoncez alors publiquement, monsieur le député, que vous souhaitez supprimer le crédit d’impôt recherche à toute activité de fabrication de logiciels. Mais je vous rappelle que la réforme l’a étendu, il y a maintenant vingt-cinq ans, au secteur informatique.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Lorsque vous utilisez des ordinateurs et des algorithmes, vous achetez un élément qui a fait l’objet d’une recherche. Les banques externalisent de plus en plus l’informatique, qu’il s’agisse du matériel – le hardware – ou des logiciels – le software. J’ai l’impression que nous payons deux fois : en amont, à l’entreprise informatique à l’origine de l’innovation, et en aval, à la banque. J’ai moi-même eu l’occasion d’inventer des algorithmes, dont l’un a été utilisé dans la banque pour effectuer des transferts de données : il s’agit de la compression verticale, qui n’a fait l’objet d’aucun brevet car cela entrait dans le cadre de mon travail. Les solutions techniques viennent de l’extérieur et aujourd’hui, aucun banquier ne se risquerait à créer au sein de son établissement un système d’information car il cherche avant tout à se protéger de ses propres informaticiens. Je ne comprends pas votre conception. Pour moi, le crédit d’impôt recherche représente un effet d’aubaine pour les banques.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les programmes de recherche auxquels vous avez fait allusion sont-ils externalisés ou réalisés en partenariat ?

M. Patrick Suet. Je ne dispose pas de chiffres concernant l’ensemble des banques, mais la Société Générale ne sous-traite que de l’ordre de 10 % des programmes de recherche bénéficiant du CIR. L’essentiel de la recherche est bien réalisé en interne, simplement parce que nous préférons conserver notre savoir.

On peut sans doute discuter de l’assiette du crédit d’impôt recherche. Il se trouve que, dans les années 1980, j’ai participé à la rédaction du projet de loi qui l’instituait. Il était d’abord uniquement destiné à la recherche débouchant sur des brevets. L’ensemble du monde industriel nous a vite fait comprendre qu’il devait être étendu car la recherche, en particulier dans le domaine informatique, ne débouche pas nécessairement sur des brevets. C’est ce qui a conduit à inclure l’innovation, et la législation en vigueur aujourd’hui est très cohérente à cet égard puisqu’elle pose comme critère de principe qu’il doit y avoir rupture par rapport à « l’état de l’art ». Il appartient au ministère des finances et au ministère de la recherche de contrôler qu’il en est bien ainsi. Pour notre part, nous ne discutons pas le champ du crédit d’impôt recherche, nous ne faisons qu’appliquer les textes.

M. Alain Claeys, Rapporteur. L’innovation entre-t-elle comme telle dans ce champ ?

M. Patrick Suet. Celui-ci inclut tout ce qui est en rupture par rapport à l’état de l’art. Nous appliquons donc les textes, au même titre qu’une entreprise pharmaceutique ou industrielle, sous le contrôle de l’administration.

Puisque vous souhaitez des chiffres, permettez-moi de démythifier un peu à cet égard les enjeux : si nous additionnons les montants du crédit d’impôt recherche accordés aux banques les plus importantes de la place, nous ne devons pas dépasser 50 millions d’euros, qu’il faut rapporter aux 4 milliards dépensés au titre du crédit d’impôt recherche – c’est à peine plus de 1 % ! Je rappelle qu’en France, les banques paient 18 % de l’impôt sur les sociétés. Les enjeux financiers doivent donc être relativisés.

Si les banques souhaitent bénéficier du crédit d’impôt recherche, c’est qu’au cours des dix dernières années la technologie s’est considérablement développée. De même, et tout aussi récemment, la mathématique appliquée à notre activité.

La réforme de 2008 – et c’est ce qui a fait son succès – a mis en place un dispositif de crédit d’impôt en volume, ce qui permet de développer des stratégies d’innovation à moyen terme. Grâce à ce dispositif, lorsque nos équipes mènent à bien un programme de recherche, elles perçoivent une partie du produit du crédit d’impôt recherche qui leur avait été affecté. Il ne s’agit pas d’un windfall profit, d’un « coup » pour la banque, mais d’un bon profit pour le développement de la recherche et des équipes de recherche. Cela n’a été possible que parce que nous sommes passés à un système favorisant des programmes d’innovation à moyen terme. Si, comme on le raconte souvent, on a financé une Formule 1 grâce au crédit d’impôt recherche, c’était il y a bien longtemps et cela ne s’est produit qu’une fois…

Ce n’est pas la façon dont nous voyons les choses. Nous poursuivons une politique de compétitivité, reposant sur le développement de l’innovation dans l’entreprise, et ce dans une logique de propriétaire : contrairement à ce que vous pensez, il ne s’agit pas pour notre banque de se comporter comme une SSII, mais de protéger son savoir, pour éviter que d’autres ne le captent. Les travaux qui relèvent du crédit d’impôt recherche sont précisément ceux que nous ne mettons pas sur la place publique. La Société Générale a 125 projets en cours, qui mobilisent un grand nombre d’équipes, et nous faisons appel à des conseils extérieurs chargés de vérifier que les normes sont respectées. La recherche, dans le monde bancaire, est beaucoup plus élaborée que vous ne semblez le supposer. Nous ne profitons pas du système : nous bénéficions des mêmes avantages que toutes les entreprises qui font de la recherche. D’ailleurs, les 50 millions d’euros du crédit d’impôt affectés aux banques représentent moins du quart de la seule taxe sur les salaires payée par la Société Générale !

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le problème n’est pas là !

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. En effet ! Le CIR n’a pas été créé pour offrir un avantage à tel ou tel secteur mais pour encourager la recherche en France. À partir du moment où une entreprise se dote d’un système d’information, il est normal que ses personnels essaient de le développer pour prendre de l’avance sur leurs concurrents et éventuellement présentent ces actions de développement comme de la recherche. Mais seule une petite part de la recherche fondamentale est mise sur la place publique. Développer un système d’information est un travail comme un autre. Vous parlez d’innovation : pour moi, le crédit d’impôt recherche intervient dans la phase qui précède l’innovation.

M. Patrick Suet. J’ai dit « en rupture avec l’état de l’art ».

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Les textes vous offrent peut-être une brèche, mais l’un des objets de notre mission est de mettre fin à de tels abus. La somme de 50 millions d’euros n’est sans doute pas considérable mais elle pourrait être utilement attribuée à des PME, avec des répercussions considérables sur l’emploi.

D’ailleurs, en termes d’emploi – qui est à nos yeux l’unité de mesure la plus importante –, quel est l’impact du crédit d’impôt recherche dans les banques ? Combien y avait-il de chercheurs avant 2008, et combien y en a-t-il aujourd’hui ?

M. Patrick Suet. Nous ne disposons pas, je le répète, de données chiffrées sur ce sujet. Quoi qu’il en soit, monsieur le député, votre question est formulée de manière trop mécaniciste : la recherche existait avant 2008, et le fait que le CIR permette de créer tel ou tel emploi n’est pas le plus important. Pour répondre à votre question, il suffirait de diviser la somme de 50 millions par le coût d’un chercheur.

L’essentiel est que nous ayons réalisé des activités de recherche pendant cette période, sous le contrôle de l’administration. On peut discuter du champ du crédit d’impôt recherche, mais cela reste une question théorique. Or, je ne suis pas un théoricien : je ne fais qu’appliquer un texte de loi qui mentionne la recherche fondamentale, la recherche appliquée et le développement expérimental. Si nous allons au bout de votre raisonnement, monsieur le député, les SSII ne devraient pas se voir accorder de crédit d’impôt recherche, or elles en bénéficient largement. La question ne se pose donc pas dans ces termes-là.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les différentes réformes ont-elles réduit ou accru les effets d’aubaine du crédit d’impôt recherche ? Si vous deviez corriger le dispositif, que suggéreriez-vous, notamment en ce qui concerne les dépenses éligibles ?

M. Patrick Suet. Le crédit d’impôt recherche offre les mêmes caractéristiques que tout dispositif fiscal d’aide et les mêmes effets d’aubaine. Le métier d’un industriel de la pharmacie étant de faire de la recherche, il en fera, avec ou sans crédit d’impôt. Il existera toujours des effets d’aubaine, mais la réforme a apporté de la visibilité à l’activité de recherche en France. Cette visibilité est l’une des raisons du succès du dispositif et détermine l’attitude des entreprises, car celles-ci ne sont pas intéressées par les subventions qui ne sont délivrées qu’une fois. Pour développer une stratégie de recherche, il faut pouvoir le faire dans la durée.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Je partage votre opinion sur ce point. Mais, j’y reviens, la réforme de 2008 a-t-elle accentué les effets d’aubaine ?

M. Patrick Suet. Franchement, je ne le crois pas. Autrefois, l’effet d’aubaine était très important car il suffisait de lancer une recherche – qui de toute façon devait être faite – pour empocher un crédit d’impôt. Aujourd’hui, le dispositif nous incite à poursuivre ces travaux.

En qualité de spécialiste fiscal, je pense que l’effet d’aubaine serait plus lié au forfait de 75 %, qui profite à ceux dont les dépenses de fonctionnement sont inférieures et pénalise les autres. L’assiette, elle, est adaptée puisqu’elle se compose uniquement des salaires et des actifs servant à la recherche.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Je vous livre la réflexion de Jérôme Cahuzac, le président nouvellement élu de la Commission des finances : « Le crédit d’impôt recherche, qui coûte près de 4 milliards d’euros, est en cours d’évaluation par la Commission des finances. Le fait que les banques en aient beaucoup profité pour développer des algorithmes décisionnels et consacrer de l’argent public à développer des produits permettant d’acheter ou vendre quelques millièmes de seconde avant les autres me semble discutable. » Qu’en pensez-vous ?

M. Patrick Suet. Reprocheriez-vous à tel ou tel industriel d’améliorer la performance de ses produits ? Probablement non. Eh bien, c’est ce que font les banques. Mais ce n’est pas l’essentiel de leurs activités de recherche.

M. Alain Claeys, Rapporteur. À quoi correspondent les 75 % que vous avez évoqués ?

M. Patrick Suet. Il s’agit d’un forfait de dépenses générales, qui s’ajoute au montant des salaires et dont l’assiette comprend les dotations pour amortissements, les dépenses de personnel et les dépenses de fonctionnement.

M. le président David Habib. Je vous propose de revenir sur les recherches appliquées.

M. Patrick Suet. Elles portent sur les outils relatifs à la banque électronique, utilisés par les banques comme par tous les acteurs de la vente en ligne.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Ce sont des produits standards du marché !

M. Patrick Suet. Non, car la banque a besoin d’introduire des éléments de sécurité qui ne sont nécessaires nulle part ailleurs.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. La sécurisation des paiements est un produit standard sur le marché !

M. Patrick Suet. Si c’était le cas, il y aurait moins de problèmes.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Je ne vous citerai qu’eBay !

M. Patrick Suet. On ne peut comparer le paiement d’une somme de 200 euros sur eBay et le transfert électronique de capitaux !

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Ce sont des milliards d’euros qui circulent chaque jour sur eBay !

M. Patrick Suet. Nous devons sécuriser des montants très importants.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. L’algorithme est le même.

M. Patrick Suet. Entre autres applications, nous réalisons des scénarios de stress tests, de modélisation des risques, en vue de la conception de produits ou de contreparties, et des systèmes liés aux cartes à puce.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. C’est de la mathématique appliquée !

M. Patrick Suet. La recherche appliquée entre dans le champ du crédit d’impôt recherche. Nous travaillons sur des sujets aussi sophistiqués, sur le plan mathématique, que les calculs de trajectoire de missiles. Et c’est particulièrement dans les banques qu’on développe le calcul stochastique.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les éléments éligibles que vous décrivez nous ont été présentés par certaines PME comme n’étant pas éligibles. Ne relèvent-ils pas de l’innovation ?

M. Patrick Suet. Je pourrais vous citer à nouveau les instructions administratives…

M. Alain Claeys, Rapporteur. Nous avons reçu ce matin même un représentant d’EADS qui nous a indiqué qu’entre la recherche fondamentale et la construction d’un avion, il existe une séquence qui n’est pas couverte par le crédit d’impôt recherche. C’est un peu contradictoire avec ce que vous venez de dire.

M. Patrick Suet. Les éléments que je vous ai décrits sont très loin du produit final. La modélisation, par exemple, s’applique aux risques.

M. Alain Claeys, Rapporteur. J’ai entendu dire que les banques avaient bénéficié du crédit d’impôt recherche pour la mise en place du système SEPA – Single euro payments area : l’espace unique de paiement en euros. Est-ce vrai ?

M. Patrick Suet. Je ne sais pas d’où vous tenez cette information. J’ai vérifié au sein de la Société Générale et dans les principaux réseaux : nous n’avons pas trouvé trace d’un crédit d’impôt recherche qui aurait été affecté au SEPA.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Les représentants d’entreprises industrielles telles qu’EADS nous ont dit qu’une partie de leur activité n’est pas éligible au crédit d’impôt recherche. Or, il semble que ce soit précisément la partie que vous nous avez décrite : la phase amont, celle de la modélisation. On voit bien qu’il y a une ambiguïté et que les pratiques diffèrent selon les entreprises.

M. Patrick Suet. À ma connaissance, les techniques de modélisation et le calcul stochastique appliqué entrent dans le champ du crédit d’impôt recherche. Cela concerne aussi bien les missiles chez EADS que le secteur bancaire. Ce sont les mêmes sujets, traités par les mêmes mathématiciens, et ils sont éligibles dans les deux cas.

M. Alain Claeys, Rapporteur. C’est le secrétaire général de la CGPME qui nous a indiqué que les banques avaient bénéficié du crédit d’impôt recherche pour mettre en place le projet SEPA.

M. Patrick Suet. Cette organisation ne compte pas dans ses membres des banques connues de la Fédération bancaire…

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Il nous a également affirmé que les migrations d’applications étaient comptabilisées comme des nouveautés.

M. Patrick Suet. Les migrations d’applications ne sont jamais intégrées au crédit d’impôt recherche dans le secteur bancaire. Je parle de recherche véritable et nullement de mise en œuvre.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quelle est la part de crédit d’impôt que vous réaffectez aux équipes ?

M. Patrick Suet. Nous réaffectons 100 % du CIR aux équipes qui ont réalisé la recherche.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Qu’en est-il dans les autres banques ?

M. Patrick Suet. Je ne puis vous répondre pour les autres mais, à la Société Générale, cette mesure a accru la motivation des équipes.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le crédit d’impôt recherche a-t-il renforcé les coopérations de la banque avec les laboratoires publics ?

M. Patrick Suet. Sans aucun doute. Nous travaillons avec les équipes de Mme El Karaoui à Paris VI, avec l’Institut Louis-Bachelier – qui dépend de l’École polytechnique et de l’École normale supérieure – et avec l’université de Toulouse sur la question du risque. Le crédit d’impôt recherche et le pôle de compétitivité ont été des vecteurs très positifs pour une activité qui présente l’avantage d’être localisée en France.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Est-ce la réforme de 2008 qui a permis un tel partenariat ?

M. Patrick Suet. Le partenariat avec les chaires a commencé avant 2008. La Société Générale, avec d’autres grandes banques, a créé l’Institut de finance en 2003.

Mme Valérie Ohanessian, directrice générale adjointe. Au-delà des questions fiscales, les banques ont un intérêt réel, sincère à investir dans la recherche, et ce depuis de nombreuses années. La Fédération bancaire investit depuis longtemps dans des chaires. Au nom de la collectivité bancaire, j’aurai le plaisir de vous communiquer un dossier sur ce sujet. Vous verrez qu’il n’y est pas question de crédit d’impôt recherche. Le développement des activités de marché relève d’une logique intellectuelle et économique et témoigne de l’excellence française, qui est reconnue à l’étranger. Il est bon de le rappeler, car on associe facilement la recherche et l’industrie, moins la recherche et le service. Pourtant, les banques sont de gros utilisateurs d’esprits savants, de normaliens, de polytechniciens.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Monsieur le directeur, lorsque, dans les années 1980, vous avez participé à la rédaction du premier texte relatif au crédit d’impôt recherche, vous êtes-vous interrogé sur l’éligibilité des banques ?

M. Patrick Suet. Nous ne nous posions pas la question en ces termes puisque la clé du crédit d’impôt était le dépôt d’un brevet ; or l’activité bancaire fait très peu l’objet de brevets – aux États-Unis, il y a eu quelques cas, pour des modèles financiers, mais les travaux européens, malheureusement, n’ont toujours pas abouti.

C’est à la fin des années 1980 que la banque a changé de nature : elle est devenue technologique et très sophistiquée sur le plan mathématique. C’est à partir de cette date que la question de la recherche s’est posée. Je rappelle qu’en 1986, le MATIF n’existait pas.

M. Alain Claeys, Rapporteur. L’État a-t-il adressé au secteur bancaire des observations sur son utilisation du crédit d’impôt recherche ?

M. Patrick Suet. Aucune discussion de principe n’est prévue, mais nous évoquons ensemble l’étendue du champ d’application du crédit d’impôt recherche. Les sujets qui se situent à la limite entre l’innovation et la recherche font l’objet de contrôles, tout comme les pilotes dans le secteur industriel. Notre chance vient de ce que le ministère de la recherche accorde des agréments, ce qui nous garantit une sécurité juridique qui n’existait pas il y a encore dix ans.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Je pense que c’est bien avant les années 1990 qu’il fallait engager des recherches dans le domaine informatique, car les systèmes étaient très hétérogènes. L’informaticien devait se montrer ingénieux. Beaucoup d’inventions, développées par les banques ou les assurances, ont été reprises par les constructeurs. Aujourd’hui, les sociétés de service se sont multipliées et la banque est devenue utilisatrice de ces systèmes.

Permettez-moi de vous lire quelques passages du compte rendu de l’audition, par notre mission d’évaluation, de représentants de la CGPME. M. Jean du Mesnil du Buisson, secrétaire général, indiquait : « En ce qui concerne les secteurs bénéficiaires, selon nos informations, un tiers du dispositif va à l’industrie et deux tiers vont aux services, en particulier au secteur bancaire ».

M. Gérard Orsini, président de la commission juridique et fiscale, a alors enchaîné : « D’après les dernières statistiques parues, celles de 2007, le secteur banques-assurances est largement bénéficiaire du CIR tant en nombre d’entreprises – 914 sur 6 771 – qu’en montant puisqu’il a drainé 312 millions d’euros ».

Notre rapporteur Alain Claeys, ayant observé : « Cela tient à la classification des entreprises », M. Pascal Labet, directeur des affaires économiques et fiscales, a déclaré : « Il y a une grande inconnue, nous semble-t-il, liée à la montée en charge du système SEPA, l’Espace unique de paiement en euros, qui harmonise les systèmes de paiement interbancaires au niveau européen. Il s’est déployé par étapes, depuis le passage à la monnaie unique en 1999. Son coût est colossal pour les établissements bancaires et il serait très intéressant de savoir s’il a été répercuté sur les usagers et si le crédit d’impôt recherche n’a pas été utilisé dans ce cadre. Il y a peut-être un problème de classification des entreprises, mais la question du financement du passage à l’euro, dont le coût se situe entre 500 millions d’euros – hypothèse basse – et 5 milliards d’euros – hypothèse haute – demeure ».

Pour l’ouverture du droit au crédit d’impôt, entre le brevet et l’existence d’une simple « rupture », l’espace est très large. Le risque existe d’inciter les entreprises, en particulier les banques, à innover en permanence.

M. Patrick Suet. En 2007, le ministère de la recherche évaluait à 39 millions d’euros le crédit d’impôt recherche affecté aux banques. Le nombre d’entreprises bénéficiaires a été considérablement faussé du fait de la difficulté de classifier, dans la comptabilité nationale, les holdings et les activités financières, mais nous sommes parvenus pour les grandes banques à ce chiffre de 50 millions que j’avançais tout à l’heure.

À la Société Générale, il n’existe aucun projet correspondant à de la simple mise en œuvre relevant du CIR. Cela ne correspond pas à l’esprit dans lequel nous travaillons. Nos programmes de recherche se situent beaucoup plus en amont.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous comprendrez néanmoins que le législateur s’interroge sur les activités ne relevant pas à proprement parler de la recherche et développement.

M. Patrick Suet. Certes. Mais nous ne pouvons vous suivre lorsque vous considérez que ce que font les banques est différent de ce que font les autres entreprises.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Nous sommes à la frontière de la connaissance et de l’innovation. Or la connaissance n’est pas brevetable. Deux secteurs posent problème : le logiciel et le vivant. Dans l’un et l’autre cas, le brevet valide-t-il un progrès de la connaissance, qui est ouverte à tous, ou une innovation ? J’ai pour ma part l’impression que, s’agissant du secteur bancaire, il y a plus développement de la connaissance que rupture.

M. Patrick Suet. Les raisons pour lesquelles il n’existe pas de brevet en matière financière en Europe sont essentiellement liées à la tradition. Mais le crédit d’impôt recherche est beaucoup plus large, ce qui fait son grand succès. Nous nous contentons d’appliquer les textes, notamment en matière de recherche appliquée. Je n’ai pas dit que nous étions les premiers en matière de recherche fondamentale, car ce n’est pas notre activité centrale. Nous sommes exactement dans le champ défini par le législateur, à qui il appartient, si nécessaire, de changer la règle, et, à cet égard, notre situation est celle de toute entreprise, industrielle ou pas – sauf à dénier au secteur des services la possibilité de faire de la recherche.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Ce n’est pas une critique, mais la frontière n’est pas évidente…

M. Patrick Suet. Sauf à considérer que les services ne sont pas éligibles par nature au crédit d’impôt recherche.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Sur les 50 millions perçus au titre du crédit d’impôt recherche, quel montant les banques ont-elles affecté à l’ensemble des projets de recherche ?

M. Patrick Suet. Il faut multiplier les 50 millions par trois.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quel est le prix de revient d’un chercheur ?

M. Patrick Suet. Le prix d’un chercheur, charges comprises, se situe autour de 100 000 euros.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Au minimum ! Dans le secteur bancaire, 1 500 personnes seraient donc affectées à la recherche ? Ce chiffre me paraît élevé.

M. Patrick Suet. Il n’est pourtant pas choquant qu’un millier de salariés sur 600 000 fassent de la recherche.

Mme Valérie Ohanessian. Nous recrutons 30 000 personnes par an, et moins de la moitié de nos effectifs – environ 200 000 personnes – travaillent au guichet.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour terminer, je souhaiterais poser à M. Suet une question au titre de ses anciennes fonctions. Que pensez-vous, monsieur, d’un système qui permet qu’une dépense soit pratiquement remboursée par l’impôt ? C’est le cas de la sous-traitance, à laquelle vous dites recourir. Cette dépense est retenue pour 200 % de son assiette et remboursée à hauteur de 30 %. Grâce à la déductibilité fiscale de l’impôt sur les sociétés, ce sont ainsi 93 % de vos dépenses qui vous sont remboursées. Pensez-vous que cela durera encore longtemps ?

M. Patrick Suet. Dans notre secteur, je l’ai dit, la recherche éligible au crédit d’impôt recherche n’est sous-traitée que dans la proportion de 10 %. Ce n’est donc pas au cœur du sujet. Vous critiquez la structure du mécanisme. En tant que technicien, je dirai qu’il appartient à l’État et au législateur de définir la cible et le taux des subventions. Le crédit d’impôt recherche a été créé en 1983 comme substitut d’une subvention directe. Que la sous-traitance soit mieux ou moins bien traitée relève d’un arbitrage public. Je ne m’érigerai pas en juge sur un tel sujet.

M. David Habib, Président. Je vous remercie, mesdames, monsieur, pour l’éclairage que vous avez apporté.

Audition du 27 avril 2010

À 17 heures 15 : M. Pierre Bigot, président du Syndicat national des entreprises de sous-traitance électronique (SNESE), M. Michel de Nonancourt, vice-président, M. Dominique Pellizzari, M. Pierre-Jean Albrieux et M. Richard Crétier, délégué général

Présidence de M. Alain Claeys

M. Alain Claeys, Rapporteur. Nous accueillons maintenant M. Pierre Bigot, président du Syndicat national des entreprises de sous-traitance électronique, le SNESE, M. Michel de Nonancourt, vice-président, M. Dominique Pellizzari, M. Pierre-Jean Albrieux et M. Richard Crétier, délégué général.

La commission des finances a souhaité que la mission d’évaluation et de contrôle évalue le dispositif du crédit d’impôt recherche, ou CIR.

Messieurs, nous souhaitons avoir votre sentiment sur la réforme de 2008 et, éventuellement, vos critiques et vos propositions en vue d’améliorer ce dispositif.

M. Pierre Bigot, président du Syndicat national des entreprises de sous-traitance électronique (SNESE). Nous apprécions beaucoup de pouvoir vous exposer notre vision de ce sujet, auquel nous avons consacré il y a quelques mois une réflexion qui nous a conduits à émettre plusieurs propositions.

En premier lieu, nous avons estimé que le crédit d’impôt recherche devrait être étendu à l’innovation dans les procédés, dans un souci de maintenir la performance industrielle française.

Deuxièmement, nous préconisons qu’il soit rendu plus accessible aux PME – la procédure reste en effet un peu compliquée.

Troisièmement, il faut que le crédit d’impôt recherche rapporte le maximum de valeur ajoutée à la France.

Bref, il importe que l’argent mis à la disposition des entreprises par l’État ait le meilleur « bras de levier » possible pour l’emploi en France.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous affirmez que le dispositif réformé en 2008 ne profite pas suffisamment aux PME. Les chiffres dont nous disposons pousseraient plutôt à une conclusion inverse...

M. Pierre Bigot. Dans le questionnaire adressé pour préparer cette audition, vous indiquiez en effet que les PME ont reçu 35 % du crédit d’impôt recherche correspondant à 22 % des dépenses de R&D – recherche et développement – déclarées. Mais, en 2008, ces taux, pour les entreprises de moins de 250 salariés, ont respectivement baissé de 35 à 28 % et de 22 à 20,8 %. La tendance n’est donc pas bonne. Or les petites PME représentent plus de 60 % des entreprises françaises…

M. Richard Crétier, délégué général du SNESE. Proportionnellement à leur nombre, les PME sont très largement sous-utilisatrices du crédit d’impôt recherche.

M. Pierre Bigot. Il faut dire aussi que 44 % de nos adhérents ne savent même pas ce qu’est le crédit d’impôt recherche, alors que leurs entreprises recèlent des trésors d’innovation, méritant d’être exploités. Ils croient, à tort, que ce dispositif est destiné aux grandes entreprises.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le dispositif lui-même serait-il mal adapté aux PME ?

M. Michel de Nonancourt, vice-président du SNESE. C’est ce que nous pensons. Il y a quelques années, les entreprises de la sous-traitance électronique n’étaient que des prestataires de services pour le compte des donneurs d’ordres. En quelques années, elles sont devenues des entreprises à part entière : nous procédons aux achats, nous conduisons la fabrication, nous vendons nos produits et nous gérons le poste clients. En outre, nos clients nous demandent d’aller plus loin dans la mise au point de leurs propres produits en nous confiant de plus en plus de tâches de R&D, voire en nous les déléguant complètement, au point que nombre d’entre eux ne connaissent même plus le contenu de leurs produits. Il est dès lors difficile pour nous de distinguer entre les travaux de R&D pure, éligibles au crédit d’impôt recherche, et les travaux d’industrialisation, qui ne le sont pas, le produit étant pris en charge par les mêmes personnes de bout en bout, de la conception du cahier des charges à l’industrialisation.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Arrive-t-il que le crédit d’impôt recherche correspondant à votre travail de recherche soit perçu par les entreprises donneuses d’ordres ?

M. Pierre Bigot. Oui, c’est l’effet pervers de l’agrément recherche : l’économie d’impôt profite aux donneurs d’ordres, qui sont de grands groupes, et non aux PME, qui pourraient réinvestir ces sommes. C’est précisément pourquoi nous proposons de supprimer cet agrément.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. D’autres types de PME tirent-elles mieux parti que vous du crédit d’impôt recherche ? Si oui, pour quelles raisons ?

M. Dominique Pellizzari. La sous-traitance électronique est une industrie de process ; elle ne met pas de produits finis sur le marché – ce qui la distingue d’autres types de PME –, mais met en œuvre des procédés de fabrication, dont la finalité est déterminée par les donneurs d’ordres. Or il est plus facile de déterminer la nouveauté d’un produit final que celle de procédés de fabrication. Nous avons donc du mal à faire valoir la part d’innovation qui est la nôtre.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous posez là un problème qui touche les entreprises sous-traitantes en général : le donneur d’ordres vous laisse une bonne partie du travail de recherche mais bénéficie du crédit d’impôt recherche, auquel vous n’êtes pas éligibles.

M. Pierre Bigot. Absolument.

M. Dominique Pellizzari. Or la localisation des emplois se détermine davantage à notre niveau qu’à celui des donneurs d’ordres.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous citez deux pays européens, l’Espagne et le Royaume-Uni, dans lesquels le problème de l’agrément ne se pose pas.

M. Richard Crétier. À notre connaissance, ces deux pays ne pratiquent effectivement pas l’agrément ; cela montre qu’il est possible de vivre sans.

En France, une entreprise réalisant de la R&D pour son propre compte est présumée compétente pour faire de la recherche, donc éligible au crédit d’impôt recherche. En revanche, une entreprise qui réalise de la R&D pour un tiers doit demander l’agrément. Cette différence de traitement est difficilement explicable.

Inversement, quand un donneur d’ordres nous paie pour effectuer de la R&D, il ne peut bénéficier du CIR que si nous disposons de l’agrément.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Une entreprise éligible au crédit d’impôt recherche pour son propre compte doit-elle demander l’agrément pour les produits qu’elle fabrique à l’intention d’un donneur d’ordres ?

M. Richard Crétier. Pour que son donneur d’ordres puisse percevoir le crédit d’impôt recherche, le sous-traitant doit demander l’agrément au ministère de la Recherche s’il est une entreprise de droit privé – les organismes de recherche publics étant, eux, agréés d’office.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous estimez que cela constitue pour vous un handicap important ?

M. Pierre-Jean Albrieux. Oui, d’autant que, pour obtenir cet agrément, l’entreprise doit employer des salariés de niveau Bac + 5 ou 6. Or, dans le domaine des procédés de fabrication, nous préférons de loin les techniciens titulaires d’un BTS – brevet de technicien supérieur – ou même simplement de niveau BTS, pourvu qu’ils aient le savoir-faire. Beaucoup de directeurs techniques n’ont que le niveau Bac + 2. Autant il est indispensable d’avoir des docteurs pour faire de la recherche fondamentale, autant le sens pratique et l’expérience doivent être privilégiés dans les métiers de production et d’industrialisation. Cette exigence de diplôme ou de niveau d’études constitue donc un frein pour obtenir l’agrément recherche.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous affirmez également que le CIR soutient beaucoup plus la recherche que l’innovation, alors même qu’aux termes du guide 2008 publié par le ministère de la Recherche, pour être éligible, « la création ou l’amélioration d’un produit, d’un procédé, d’un process, d’un programme ou d’un équipement doit présenter une originalité ou une amélioration substantielle ne résultant pas d’une simple utilisation de l’état des techniques existantes ».

M. Richard Crétier. Dans les faits, obtenir un agrément au titre de l’innovation en matière de procédé est relativement ardu, parce que celui qui l’attribue est un chercheur, dépourvu de culture industrielle.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Ce n’est pas du tout ardu si vous disposez d’un brevet.

M. Richard Crétier. Nous sommes des sous-traitants, les brevets sont déposés par nos clients.

M. Dominique Pellizzari. Nous hésitons à déposer des brevets de procédés. Même, nous ne nous y résolvons presque jamais car cela implique de publier le procédé ; or il est très difficile – et coûteux – de prouver la contrefaçon en la matière.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Mais faire bénéficier vos donneurs d’ordres du CIR n’a-t-il pas une incidence sur votre chiffre d’affaires, sur votre volume d’activité ?

M. Michel de Nonancourt. C’est possible, mais nous manquons un peu de recul pour en juger. Des entreprises donneuses d’ordres commencent à nous solliciter pour que nous demandions l’agrément au titre des travaux qu’elles nous confient, ce qui prouve qu’elles cherchent à percevoir le crédit d’impôt. Cela peut être un facteur de développement d’activité pour nous et nous pouvons alors obtenir qu’elles nous paient les études, alors qu’en général, les donneurs d’ordres considèrent que le fait de nous passer commande suffit.

M. Pierre Bigot. Certains collègues estiment que cela leur permet de développer leur activité tandis que d’autres considèrent que le donneur d’ordres se décharge sur eux pour faire baisser ses impôts. Cela peut certes constituer un facteur de marketing déterminant pour récupérer de la R&D supplémentaire, mais le crédit d’impôt recherche dont pourrait bénéficier la PME en contrepartie de son innovation « remonte d’un cran » vers le donneur d’ordres, et cela nous gêne dans son principe.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. En quoi cette procédure est-elle si complexe ? N’est-ce pas une simple formalité ?

M. Michel de Nonancourt. L’agrément peut se comprendre pour des projets très importants, développés sur plusieurs années. Mais les donneurs d’ordres nous sollicitent le plus souvent pour des réalisations à très court terme. Nous déposons donc des dossiers sans même savoir si nous parviendrons à bonne fin.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Votre demande principale est donc de faire tomber cette procédure.

M. Pierre Bigot. La supprimer, purement et simplement.

M. Richard Crétier. Cette proposition avait déjà été formulée dans le rapport de Maurice Lévy et Jean-Pierre Jouyet relatif à l’économie de l’immatériel.

Cela n’a pas valeur statistique mais, sur un échantillon de huit de nos adhérents ayant obtenu l’agrément recherche, la procédure a été prise en charge par les clients dans quatre cas et deux d’entre eux l’ont même déléguée à des cabinets spécialisés, ce qui est révélateur de la complexité de la procédure. Je précise que 70 % des quelque 730 entreprises de sous-traitance électronique et numérique, qui interviennent dans la conception et la fabrication de cartes et de systèmes, sont de toutes petites entreprises, des PME de moins de cinquante salariés. À leur échelle, l’agrément constitue une formalité administrative lourde. Au surplus, l’issue de la démarche est incertaine et, s’il y a refus, les raisons ne nous en sont même pas communiquées.

La différence de régime entre les entreprises, selon qu’elles effectuent de la recherche pour leur compte ou pour un tiers, est une injustice et un illogisme.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Mais l’agrément constitue aussi une garantie vis-à-vis du donneur d’ordres.

M. Pierre-Jean Albrieux. Si une entreprise fait appel à un sous-traitant, c’est qu’elle le connaît bien et qu’elle le sait compétent.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le champ du CIR doit-il être étendu en aval du processus de recherche et d’innovation ?

M. Pierre Bigot. Nous pensons que le ministère « arbitre » devrait être, plutôt que celui de la recherche, celui de l’industrie : il serait plus qualifié pour juger de la pertinence de nos projets d’innovation car il connaît mieux nos entreprises et leurs besoins. Il dispose en outre d’un réseau régional, d’OSEO et de JESSICA CAP’TRONIC, outil merveilleux.

La plupart des quelques entreprises de notre métier qui profitent du crédit d’impôt recherche font appel à des consultants extérieurs, dont la rémunération oscille entre 15 et 25 %, voire 30 %, du montant du CIR. Cela me révolte : il est stérile de consacrer autant d’argent au montage du dossier, sans aucun profit industriel. Si les réseaux du ministère de l’Industrie étaient utilisés pour aider les entreprises à élaborer les dossiers, le pays y gagnerait de la valeur ajoutée.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le crédit d’impôt recherche vous a-t-il tout de même apporté quelque chose ?

M. Pierre Bigot. Je précise que nous ne sommes pas opposés à ce crédit d’impôt, bien au contraire, mais nous souhaitons qu’il soit adapté afin de le rendre plus pertinent et d’en faire un levier de développement de nos entreprises.

M. Michel de Nonancourt. Il nous sert incontestablement car la part de nos coûts de R&D est substantielle. Nous développons tous nos bureaux d’études, nous employons des ingénieurs et des techniciens très hautement qualifiés. Les dépenses éligibles couvrent déjà cette masse salariale, plus 75 % des frais de fonctionnement, soit environ 175 % d’une rémunération, cotisations d’assurances complémentaires et autres scories exclues. Or 30 % de 175 %, cela représente tout de même plus de 50 %. Dans nos entreprises, le crédit d’impôt recherche peut donc financer la moitié de la rémunération d’un ingénieur. Dans la mienne, il a permis d’en recruter un.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le CIR crée donc des emplois pour votre recherche.

M. Michel de Nonancourt. Et le gain va bien au-delà puisque ces emplois irriguent l’aval de l’entreprise, c’est-à-dire la fabrication locale.

M. Dominique Pellizzari. Nous ne remettons nullement l’outil en cause car c’est en pratique celui qui nous aide le plus à maintenir nos emplois industriels ; nous cherchons à le rendre encore plus accessible, à étendre son champ d’application, à le simplifier, à l’adapter à la nature de nos entreprises, qui sont de petite taille.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le problème ne tient-il pas davantage à votre statut de sous-traitants qu’à la taille de vos entreprises ?

M. Dominique Pellizzari. La taille de l’entreprise joue sur la capacité à accéder à l’outil. Quand il n’a que cinquante salariés, le chef d’entreprise est obligé de gérer lui-même le dossier.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La tâche est-elle plus facile pour les entreprises intégrées dans un pôle de compétitivité ?

M. Dominique Pellizzari. Oui, car la définition de l’innovation est alors mieux cadrée. Néanmoins, les problèmes de gestion du dossier sont identiques. Pour ma part, je m’adjoins les services d’un consultant pour être sûr que la question sera traitée conformément aux exigences de l’administration.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Que pensez-vous des dépenses éligibles ? Faut-il les limiter au domaine de la recherche ou bien en élargir le champ ?

M. Dominique Pellizzari. Nous souhaitons un élargissement : il faudrait en particulier que le dispositif couvre l’innovation en matière de procédés de mise en œuvre, et pas seulement en matière de design de produit fini. Ce n’est pas tant une question de montant des dépenses éligibles que de définition de l’innovation.

M. Pierre-Jean Albrieux. Nous voulons que le CIR finance le « comment faire », les procédés industriels, et pas uniquement le « quoi faire », la recherche sur le produit. Dans nos métiers, les mêmes équipements et les mêmes procédés de fabrication pourront servir pour le secteur médical, le spatial, l’automobile ou l’agriculture ; nos innovations sont donc complètement transversales, c’est une de nos caractéristiques.

Comme le choix a été fait de ne pas en créer de transversaux, nos métiers intéressent dès lors tous les pôles de compétitivité. La fabrication d’électronique et de numérique, c’est la vie de tous les jours et c’est « l’innovation produit » de tous les jours, même en matière médicale ou pharmaceutique.

M. Dominique Pellizzari. Les produits de nos entreprises constituent les éléments de base de tous les biens de consommation électroniques et numériques. Sans eux, aucun système électronique ne démarre ! Nous intervenons donc uniquement sur l’innovation des procédés de fabrication.

M. Richard Crétier. Dans l’industrie électronique et numérique, lorsque la part de la main-d’œuvre excède 20 %, il est nécessaire de rechercher une solution de fabrication low cost. Seule l’innovation en matière de procédés permet de rester sous ce seuil, c’est-à-dire de conserver ces fabrications en France mais aussi de promouvoir des emplois qualifiés : plus nous automatisons le process de fabrication, plus nous avons besoin de collaborateurs hautement formés. Par conséquent, élargir le champ du crédit d’impôt recherche à l’innovation dans les procédés, c’est maintenir le lien de proximité avec nos donneurs d’ordres mais aussi préserver la fabrication locale.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quand un sous-traitant détient l’agrément, comment les mouvements financiers liés au versement du crédit d’impôt recherche sont-ils facturés ?

M. Pierre Bigot. Chaque entreprise agréée « recherche » reçoit un document en faisant foi. Le donneur d’ordres adresse aux services des impôts la facture R&D présentée par son fournisseur.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le total de la somme facturée est donc pris en compte pour le calcul du crédit d’impôt recherche du donneur d’ordres ?

M. Pierre Bigot. Oui, pour la partie couverte par l’agrément de chaque projet.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous sentez-vous mal traités par le ministère de la Recherche ?

M. Pierre Bigot. Non, mais notre proximité de longue date avec le ministère de l’Industrie est évidente. En revanche, la recherche fait un peu peur à nos membres : nous ne baignons pas dans le même milieu que ces docteurs, nous n’avons pas la même perception des choses. Pour autant, une des sommités mondiales pour les procédés de soudure, haut dirigeant de Sony, n’a même pas un BTS.

M. Pierre-Jean Albrieux. Il convient de distinguer entre recherche fondamentale et production industrielle, qui doivent relever respectivement du ministère de la Recherche et du ministère de l’Économie. Nous sommes beaucoup plus à l’aise avec le second.

M. Pierre Bigot. Le crédit d’impôt recherche doit nous permettre de développer nos industries. Or, dans le système actuel, il permet certes de financer le travail d’ingénieurs sur des projets mais, au bout d’un an, les prototypes sont fabriqués en Chine et la production de masse est délocalisée à Taiwan ; la valeur ajoutée est donc très faible pour la France. Nous mettons en œuvre d’innombrables innovations susceptibles de favoriser l’emploi en France. Imaginons des incitations pour que le crédit d’impôt recherche profite davantage au prototypage et à la production de masse ! Pourquoi financer de la même manière les projets qui créent de l’emploi en France et ceux qui en apportent à la Chine ? Pour nous, c’est un peu frustrant.

M. Richard Crétier. Nos propositions ont reçu le soutien d’un organisme important, le Syndicat des industries de tubes électroniques et semi-conducteurs, qui œuvrent au cœur de l’électronique. Nous ne souhaitons pas plus que le Président de la République ou le ministre de l’industrie une augmentation de l’enveloppe de ce crédit d’impôt : ce que nous voudrions, c’est qu’il devienne un levier pour la création de richesses, provoquant un retour sur investissement. À cet effet, il suffit de favoriser les relations de proximité et d’imposer que les budgets de R&D bénéficiant de cet avantage fiscal soient consommés en France.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous défendez là un dispositif autre, consistant à aider la recherche dans son ensemble…

M. Richard Crétier. Absolument. Néanmoins, quand un chercheur apporte une preuve de concept faisant intervenir des entreprises de proximité pour le prototypage, cela crée de la richesse, alors qu’un résultat de recherche sans preuve de concept n’est qu’un résultat de recherche.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Je vous remercie, messieurs.

Audition du 1er juin 2010

À 16 heures 15 : Mme Marie-Christine Lepetit, directrice de la Législation fiscale à la direction générale des Finances publiques

Présidence de M. Olivier Carré

M. Olivier Carré, Président. Je suis heureux d’accueillir, au nom de la Mission d’évaluation et de contrôle, Mme Marie-Christine Lepetit, directrice de la Législation fiscale à la direction générale des Finances publiques.

Nous reprenons aujourd’hui nos travaux relatifs au crédit d’impôt recherche, en principe pour les deux dernières journées d’auditions, qui doivent nous permettre de nous appuyer sur les résultats d’exécution de 2008 et 2009. Nous entendons cet après-midi les représentants des diverses directions de Bercy qui sont concernées, chacune dans sa sphère de compétences, par le crédit d’impôt recherche.

Trois députés sont chargés d’animer les travaux de la mission et de préparer son rapport : il s’agit de Messieurs Jean-Pierre Gorges et Alain Claeys, Rapporteurs spéciaux des crédits de la recherche au nom de la commission des Finances, et M. Pierre Lasbordes, Rapporteur pour avis sur les mêmes crédits pour la commission des Affaires économiques.

La MEC bénéficie traditionnellement de la participation de la Cour des comptes. Nous serons accompagnés par M. Jean-Pierre Cossin, conseiller maître à la deuxième chambre de la Cour, dans nos auditions de cet après-midi.

J’indique que nous venons de recevoir à 15 heures les réponses du Gouvernement au questionnaire d’exécution qui devait nous permettre d’engager notre discussion. Nous comptons donc sur vous pour nous apporter oralement les précisions que nous attendons, au moins sur la partie concernant la législation fiscale.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il y a une question à laquelle nous n’avons pas eu de réponse. On vous demandait, pour la période 2000-2009, de ventiler les dépenses de recherche et développement ainsi que le montant du crédit d’impôt recherche par secteur d’activités. Nous souhaitions d’une part que soit individualisé le secteur de la banque et de l’assurance et, d’autre part, que les dépenses de recherche et développement des holdings d’entreprises, ainsi que leur crédit d’impôt recherche, soient ventilées en fonction des secteurs d’activité de la holding. Pouvez-vous nous donner la réponse ?

Mme Marie-Christine Lepetit. Nous avons eu des échanges techniques précis avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche qui dispose de la base de données alimentée par les déclarations. Comme beaucoup d’observateurs, nous avions été surpris par l’importance apparente des chiffres.

Nous nous sommes rendus compte que beaucoup de holdings étaient présentes sous une codification de holding, avec des montants importants, alors que les sommes en question n’étaient que la récapitulation des crédits d’impôt recherche prenant naissance dans des filiales qui, souvent, avaient un caractère industriel.

À la réflexion, il ne nous a donc pas paru pertinent de continuer à afficher des informations qui laissaient apparaître des montants importants mais biaisés relatifs aux holdings.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La réponse ne vous a peut-être pas paru pertinente, mais la question l’était.

Mme Marie-Christine Lepetit. Certes, c’est pourquoi nous avons décidé, avec le ministère de la Recherche, de poursuivre l’analyse des réponses des holdings – mais aussi du secteur de la banque et de l’assurance, dont les résultats sont parfois curieux – de façon à affecter de manière véridique les sommes en fonction de leur nature exacte. Nos travaux sont en cours et progressent. Ma réponse n’est pas dilatoire : il y a un vrai travail qui devrait aboutir à une vraie ventilation des dépenses.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il serait souhaitable que nous ayons le résultat de ces travaux pour notre mission.

M. Olivier Carré, Président. Si je consulte le rapport du sénateur Christian Gaudin, je constate notamment qu’un tiers des montants va aux holdings et 3 % au secteur de la banque et de l’assurance. La question est de savoir quelle est la ventilation des 33 %. À votre avis, quelle est la proportion de l’industrie et des services dans ce chiffre ?

Mme Marie-Christine Lepetit. Je ne sais pas. C’est la raison pour laquelle la réponse au questionnaire a tardé.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Dans quels délais recevrons-nous la réponse à cette question ?

Mme Marie-Christine Lepetit. Dans des délais compatibles avec la publication de vos travaux.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il apparaît, au fil des auditions, que la définition des activités éligibles au crédit d’impôt recherche fait l’objet de divergences d’interprétation malgré l’instruction fiscale censée la préciser. Les éléments dont nous disposons ne nous permettent pas d’avoir un guide suffisamment détaillé et précis. Qu’en pensez-vous ?

Mme Marie-Christine Lepetit. J’ai assisté à l’ensemble des évolutions du crédit d’impôt recherche depuis 2003 et je mesure à quel point le dispositif a été modifié. Or, les entreprises recherchent constamment la sécurité juridique.

Dans un premier temps, les entreprises ont essayé d’obtenir une forme de sécurité juridique en interrogeant l’administration, la réponse de cette dernière étant opposable. Le Parlement et le Gouvernement ayant été sensibles à cette préoccupation, cela a abouti à l’évolution du rescrit que vous connaissez. On observe aujourd’hui une évolution de la manière dont les entreprises s’adressent à la puissance publique. La demande de sécurité juridique reste la même et l’inquiétude se nourrit de l’absence de frontière claire entre la recherche et l’innovation. Or, cette frontière est une des rares choses qui n’ait pas changé. L’instruction fiscale est claire et date de 2000. Elle a dix ans.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Y aura-t-il une nouvelle instruction fiscale ?

Mme Marie-Christine Lepetit. À ce stade, non, car la loi n’a pas changé. Ce que nous avons prévu de faire, c’est de traduire les annonces du Président de la République à la suite des États généraux de l’industrie. Nous avons un texte de loi, une préoccupation des entreprises et un souhait que les ambiguïtés soient levées. Les premières réactions enregistrées par les administrations concernées laissent à penser qu’il y a peut-être plus de problèmes avec les guides pratiques qu’avec l’instruction fiscale. Le travail est en cours : s’il faut changer l’instruction, nous la changerons.

Mais j’ai le sentiment que plus nous essaierons de nous caler sur des exemples pratiques, plus nous risquons d’accroître l’instabilité juridique que les entreprises redoutent.

L’esprit du dispositif est de subventionner fiscalement les dépenses qui sont en avance. Nous sommes donc en perpétuel mouvement. Mais lorsqu’on s’interroge sur l’état de l’art, afin de savoir si les dépenses engagées par une entreprise sont en avance ou non par rapport à cet état, on prend le risque de le figer. La nature de la dépense subventionnée fiscalement rend l’exercice délicat car la matière, par essence, est en évolution permanente.

Nous ferons l’exercice puisque nous avons le souhait présidentiel et la sollicitation du monde de l’entreprise, mais je ne suis pas sûre que nous arriverons à un résultat très satisfaisant.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Prenons un exemple concret : est-ce que les prototypes sont pris en charge par le crédit impôt recherche ?

Mme Marie-Christine Lepetit. Cela dépend lesquels. Les principes sont donnés dans la loi, l’instruction ne faisant que les illustrer.

M. Olivier Carré, Président. Aujourd’hui, avez-vous connaissance de contentieux ?

Mme Marie-Christine Lepetit. Pas à ma connaissance, mais c’est à vérifier. Les dossiers que j’ai vu passer sur ce thème sont très peu nombreux. Il peut y avoir, dans des cas rarissimes, une mauvaise compréhension de l’économie du projet.

Nous allons donc faire l’exercice demandé et travailler également pour lever l’ambiguïté sur la définition des personnels dont le poids est très lourd dans la dépense. Des améliorations semblent pouvoir être apportées également sur ce point.

Je voudrais partager une intuition avec vous : il me semble que nous allons résoudre le problème par le vide grâce à la pérennisation du remboursement immédiat de la créance pour les PME. En effet, cette préoccupation forte des entreprises est liée au temps où elles s’adressaient à leur banquier pour mobiliser leur créance. Et les banquiers ont besoin d’être raisonnablement sûrs que la mobilisation de cette créance a une valeur. Le remboursement immédiat peut donc permettre de résoudre cette question de la sécurité recherchée en matière fiscale.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. À vous écouter, on a l’impression que le « manuel de Frascati » n’est pas une référence, puisqu’il y a de nombreuses ambiguïtés et que nous avons du mal à définir ce qui relève réellement de la recherche.

Notre préoccupation est de savoir si le crédit d’impôt recherche est efficace, surtout depuis 2008. Il nous semble que beaucoup d’entreprises, qui effectuent d’importants travaux de recherche, sont timides à l’égard du crédit d’impôt recherche dont elles pourraient bénéficier. D’autres entreprises, soit parce qu’elles sont sous-traitantes, soit parce qu’elles ne sont pas au fait de la procédure, nous ont déclaré ne pas avoir accès au dispositif. D’autres nous ont déclaré qu’il s’agissait d’un allègement d’impôt, ramenant le coût du chercheur à 80 % du coût initial.

Et surtout, je relève une surprise : j’ignorais que le secteur bancaire recelait autant de chercheurs. Selon les estimations, dans ce secteur, ce sont 150 millions d’euros qui seraient investis annuellement dans un secteur de la recherche comptant 1 500 chercheurs. Nous aimerions avoir des réponses précises sur ce sujet.

Le crédit d’impôt recherche, tel qu’il a été modifié en 2008, est-il réellement incitatif et va-t-il conduire à augmenter l’effort de recherche du pays ? La recherche française va-t-elle passer de 2,04 à 3 % du PIB ? N’y aura-t-il pas, au contraire, de regrettables effets d’aubaine pour certaines entreprises, dans la mesure où le dispositif de 2008 n’oblige pas à réinjecter systématiquement les sommes perçues dans la recherche ?

Mme Marie-Christine Lepetit. Nous sommes restés, y compris lors de la réforme de 2008, sur l’idée d’un dispositif fiscal centré sur la recherche et non sur l’innovation. La volonté de séparer ces deux concepts tient compte, notamment, de l’impact budgétaire non négligeable qu’aurait un élargissement du dispositif. Mais nous sommes bien conscients de la difficulté qu’il y a à tracer avec précision la frontière entre les concepts en raison de la continuité du processus entre la recherche fondamentale, le passage à la pratique et la pré-industrialisation.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. S’agissant des prototypes, la documentation du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche datant de 2009 est particulièrement ambiguë. Sur une page, on nous explique que les prototypes sont éligibles au crédit d’impôt recherche. Mais à la page suivante, on suggère le contraire. Comment peut-on accepter ce genre de documents ? Comment les services qui vérifient l’éligibilité des dossiers peuvent-ils travailler correctement dans ces conditions ? C’est ce genre d’éléments qui conduisent les banques à nous répondre « Ce n’est pas à nous de démontrer que nous avons tort. Démontrez-le nous ». J’ai travaillé vingt-cinq ans dans le secteur bancaire et je n’y ai pas vu un seul chercheur en France. Lorsqu’il s’agit de bénéficier du crédit d’impôt recherche, les services fiscaux en dénombrent 1 500 !

Mme Marie-Christine Lepetit. Je ne sais pas ce que vous ont dit les banquiers, aussi je ne peux le commenter. Le fait que les banques n’apportent pas la preuve que leur dépense correspond bien à de la recherche est conforme aux règles classiques de l’administration de la charge de la preuve dans les contentieux fiscaux.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous privilégiez la recherche à l’innovation, et il est vrai que la frontière entre les deux types d’activité n’est pas toujours facile à établir. Certaines dépenses de recherche et développement éligibles au crédit d’impôt recherche ne figurent pas au sein des dépenses liées à des inventions brevetables au sens du brevet européen : les programmes d’ordinateur, les méthodes mathématiques, les conseils d’assistance informatique par exemple. Considérez-vous que ces dépenses vont favoriser la recherche en France ? Y a-t-il des évolutions sur le caractère éligible de ces dépenses aujourd’hui ; doivent-elles vraiment le rester demain ?

Mme Marie-Christine Lepetit. La notion de novation me semble importante, et ayant visé en 2004 des instructions sur ce sujet, j’ai constaté que les logiciels peuvent dans certains cas comporter de véritables novations. Aussi on ne peut l’exclure ou l’admettre a priori. Cet exemple est justement un cas difficile et un agent des impôts ne peut trancher la question.

Le législateur a créé le rescrit fiscal qui est une très bonne disposition : c’est par ce moyen qu’il faut tenter de résoudre les difficultés au cas par cas et sécuriser tout le monde, y compris le budget de l’État, car il m’est impossible de rédiger une instruction précisant que l’expérimentation de tel type nouveau de logiciel présente un caractère suffisamment novateur pour que les dépenses afférentes soient considérées comme éligibles. On peut clarifier, mais seul le spécialiste consulté par l’entreprise, et connaissant l’état de l’art, peut en décider. Nous touchons la limite de ce qu’un dispositif fiscal peut faire. D’où l’intérêt de ces guichets d’ingénieurs qui pourront préciser l’éligibilité au cas par cas.

Sur la modification de la fiscalité en 2008 : on est passé d’un mécanisme très compliqué lié à l’évolution de la dépense de recherche (croissance ou décroissance) à un mécanisme « tout volume ». La France se distingue aujourd’hui par ce système, les autres pays ayant gardé des dispositifs liés à l’évolution de la dépense ou une combinaison des deux dispositifs. Cette réforme est une très grande avancée, notamment parce que l’on a permis aux entreprises de calculer leur crédit d’impôt à l’avance. On n’est plus obligé de se préoccuper de l’évolution de sa dépense de recherche, ce qui est une très grande facilitation.

La deuxième grande avancée de 2007, applicable en 2008, est la suppression du plafond antérieur du crédit d’impôt recherche : toutes les dépenses de recherche effectuées en France bénéficient d’un subventionnement. Ceci va à coup sûr entraîner une progression de l’effort global de recherche. Ce dispositif, en rendant le territoire réellement attractif pour la dépense de recherche, va contribuer à structurer le tissu économique français. Nous escomptons que le fait pour les entreprises grandes, moyennes ou petites, françaises ou étrangères, d’installer des unités de recherche en France va contribuer à une ré-industrialisation de certaines régions. Au-delà du seul effet sur la progression de l’effort de recherche, nous aurions alors un effet sur la croissance de l’économie grâce à un taux d’industrialisation peut être un peu supérieur. L’ensemble de ces effets va dans le sens d’une meilleure compétitivité de notre pays.

Ces objectifs sont-ils atteints aujourd’hui ? C’est trop tôt pour le constater, surtout que 2009 a été une année très atypique.

Les chiffres définitifs de l’effort de recherche en 2008 publiés il y a quelques jours font apparaître une forte croissance des montants et des effectifs d’entreprises bien répartis entre petites et grandes entreprises… Si l’on considère que nous sommes seulement au début de l’application du dispositif, l’évolution est très favorable.

Le rapport du sénateur Gaudin émet des critiques et on entend un certain nombre de propositions. Il sera peut être nécessaire pour améliorer ou maîtriser le risque budgétaire de faire évoluer à nouveau le dispositif, mais il me semble, en ma qualité de directeur de la législation fiscale, que la stabilité serait une bonne nouvelle, car il y a déjà eu beaucoup de modifications depuis 2003 et les entreprises ont besoin de cette stabilité qui est aussi une forme de visibilité et de sécurité. Le mûrissement est souhaitable.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le but du crédit d’impôt recherche est-il d’augmenter l’effort de recherche ou de diminuer la pression fiscale sur les entreprises ? Si l’on considère la liste des dix plus gros bénéficiaires du crédit d’impôt recherche, on constate à quel point cela peut constituer un effet d’aubaine. En l’absence de ce dispositif, on peut penser que la recherche aurait eu lieu en France de toute façon.

Mme Marie-Christine Lepetit. Les deux effets doivent être recherchés, non seulement d’alléger la pression fiscale, les effets du crédit d’impôt recherche sur la recherche en France étant réels. Il n’est pas certain que les choses se seraient passées de la même façon hors crédit d’impôt recherche. Ce dispositif peut encourager le développement de la recherche en France. L’optimisation fiscale n’est pas toujours la motivation des chefs d’entreprise. Par ailleurs, la réforme du crédit d’impôt recherche vise à renforcer l’attractivité du territoire, afin d’éviter des délocalisations.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le crédit d’impôt recherche pourrait-il être fléché pour que les sommes retournent à la recherche ? Ce n’est pas une obligation aujourd’hui.

Mme Marie-Christine Lepetit. L’expérience que nous avons des clauses de remploi, qui ont déjà existé dans notre législation, c’est qu’elles créent des complexités très fortes pour un retour très modéré au profit de la collectivité, et les entreprises les utilisent très peu, ayant peur d’être contrôlées. Nous pensons que les clauses de réemploi tuent ou freinent les mécanismes de crédit d’impôt.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Les formules sont complexes, mais on pourrait imaginer le même type de rescrit allant dans ce sens de manière à ce que les sommes restituées par le biais du crédit d’impôt recherche viennent abonder la recherche. Le but n’est pas de créer des avantages fiscaux mais de faire progresser l’effort global de recherche vers la cible de 3 % du PIB. On peut craindre que le déficit de l’État se creuse d’un côté, que de l’autre les entreprises conservent leur site de recherche en France et continuent à délocaliser la partie industrielle de leur activité, auquel cas le système vertueux que vous décrivez ne se produira pas.

Mme Marie-Christine Lepetit. L’effort de recherche a diminué dans notre pays car l’activité industrielle s’est réduite. L’idée de subventionner la recherche pour profiter à la recherche n’est pas notre but. Nous avons adopté un objectif plus large ; or il ne faut pas tuer la possibilité de passer au stade du prototype, de l’innovation ou de l’installation de la ligne de production. Le choix que vous évoquez ne garantit pas un supplément de croissance.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Nous pensons que certaines entreprises auraient investi dans tous les cas de la même manière : c’est l’exemple de France Telecom ou de EADS. Cette dernière entreprise doit entreprendre des processus longs et coûteux de recherche : le crédit d’impôt recherche l’incite à le faire en France, et la direction a décidé de réinvestir dans la recherche chaque euro récupéré au moyen du crédit d’impôt recherche. Si EADS procède ainsi, on peut imaginer que ce système pourrait être généralisé à d’autres secteurs.

Mme Marie-Christine Lepetit. Il n’est pas certain que ce modèle convienne à beaucoup de secteurs.

M. Jean-Michel Fourgous. Le crédit d’impôt recherche a-t-il un effet positif sur la fuite des cerveaux, en particulier au cours de cette année de crise que nous avons traversée ? Contribue-t-il à offrir des postes de recherche attractifs à des chercheurs français de haut niveau ou à en attirer de l’étranger ? A-t-on constaté que des entreprises avaient renoncé à délocaliser leur unité de recherche grâce à ce dispositif ? Il est indispensable de faire du benchmarking fiscal pour évaluer notre dispositif. Vos services en ont-ils fait ?

Réfléchit-on en termes de stratégie ? Intègre-t-on dans les dispositifs l’intérêt des secteurs clés de l’exportation comme l’aéronautique ? La recherche sur le logiciel est cruciale en France : il faut l’aider à rester dans notre pays, d’autant plus que le numérique participera très largement, à hauteur de 50 % selon certaines études prospectives, à la croissance mondiale. C’est un des secteurs les plus créateurs d’emploi ces dernières années. Il faut que le crédit d’impôt recherche contribue au développement de ce domaine. Est-ce le cas actuellement ?

Mme Marie-Christine Lepetit. Le dispositif français du crédit d’impôt recherche est l’un des plus puissants du monde et notre système fiscal suscite l’attention, voire la jalousie de nos correspondants au sein de l’OCDE. Les autres pays sont intéressés par deux points : d’abord la puissance budgétaire du dispositif de crédit d’impôt, ensuite le fait que nous accordions un avantage fiscal assis sur tout le volume de l’effort de recherche. Certains pays envisagent de s’inspirer du régime français du crédit d’impôt recherche.

Par ailleurs, il convient d’observer que le taux marginal français d’impôt sur les sociétés, de 33,3 %, est l’un des plus élevé du monde. Le choix de la France a été de retenir un taux facial élevé, assorti d’incitations fiscales ciblées sur les entreprises à forte valeur ajoutée, avec un fort effet de levier. C’est le cas du crédit d’impôt recherche.

Les services fiscaux disposent de peu d’éléments statistiques sur les conséquences de la réforme du crédit d’impôt recherche pour les effectifs de chercheurs, comme, dans un autre domaine, sur l’efficacité du régime de faveur appliqué aux impatriés.

Je n’ai pas d’éléments à ajouter à mes précédentes déclarations concernant la définition de l’éligibilité des dépenses de logiciel au crédit d’impôt recherche. Un espace est à prendre, on peut progresser dans la précision en la matière, cela serait fort utile, mais il convient d’être prudent.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Je me félicite de la volonté politique, exprimée par Mme Lepetit, selon laquelle le dispositif de crédit d’impôt recherche serait en partie destiné à favoriser la localisation des activités en France. Cela étant, pourquoi continuer à subventionner les banques, qui n’ont pas besoin du crédit d’impôt recherche pour prospérer ?

Mme Marie-Christine Lepetit. Je n’ai pas exprimé la volonté politique du Gouvernement, j’ai pu approcher cette vérité en participant à des réunions en tant que fonctionnaire. Le dispositif du crédit d’impôt recherche est inspiré par deux préoccupations : développer la recherche et améliorer la compétitivité fiscale.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Un objectif de cette mission d’évaluation et de contrôle est justement de vérifier que le deuxième objectif n’a pas supplanté le premier.

Mme Marie-Christine Lepetit. Le crédit d’impôt recherche agit par un effet de levier fort et il laisse le choix au secteur privé d’effectuer des dépenses qui soient ou non de nature à diminuer le montant de l’impôt. Je pense que les banques réalisent bien de la recherche éligible au crédit d’impôt recherche, notamment pour la réalisation de logiciels.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour autant, ne serait-il pas souhaitable de tenter de limiter le coût du crédit d’impôt recherche en éliminant les dépenses correspondant en fait à une simple recherche d’optimisation fiscale ? Ainsi, on retient un forfait de frais de fonctionnement à hauteur de 75 % des frais de personnel ; or, ce type de coût représente le tiers de la dépense totale du crédit d’impôt recherche. N’est-ce pas excessif ?

Mme Marie-Christine Lepetit. Le taux forfaitaire retenu a le grand avantage de simplifier les calculs en pratique aussi bien pour les entreprises que pour l’administration. Il faut être attentif à ne pas affiner excessivement la prise en compte fiscale des dépenses éligibles, ce qui serait un élément de complication.

M. Olivier Carré, Président. Madame la directrice, nous vous remercions.

Audition du 1er juin 2010

À 17 heures 15 : M. Rodolphe Gintz, sous-directeur chargé de la 3ème sous-direction de la direction du Budget, et M. Stanislas Godefroy, chef du bureau de la Recherche et de l’enseignement supérieur

Présidence de M. Olivier Carré

M. Olivier Carré, Président. Pour la deuxième audition de cet après-midi, nous entendons M. Rodolphe Gintz, sous-directeur chargé de la 3ème sous-direction de la direction du Budget, et de M. Stanislas Godefroy, chef du bureau de la Recherche et de l’enseignement supérieur. M. le Rapporteur, vous avez la parole.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Si l’on vous disait que le crédit d’impôt recherche est utilisé pour diminuer la pression fiscale des entreprises, que répondriez-vous ?

M. Rodolphe Gintz. Ce n’est pas nouveau. Chacun s’accorde, y compris le conseil des prélèvements obligatoires, pour dire qu’il fait partie des éléments de notre législation contribuant à diminuer la fiscalité des entreprises.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Est-ce que c’était l’objectif ?

M. Rodolphe Gintz. Ça faisait partie des objectifs.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Quel était l’objectif de la loi : développer la recherche ou diminuer la pression fiscale ?

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Je vais compléter. Est-ce que les 4 milliards d’euros mis dans le crédit d’impôt recherche chaque année servent uniquement à diminuer la fiscalité des entreprises ?

M. Rodolphe Gintz. En ces termes, je dirais non. Il n’y avait pas uniquement un objectif de diminution de la pression fiscale.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Il faudrait tout de même clarifier la question de savoir s’il s’agit uniquement d’une dépense fiscale supplémentaire ou s’il a contribué à développer la recherche. Nous pouvons prendre une période suffisamment longue pour tirer les enseignements, par exemple la période 1992-2008.

En 1992, la dépense intérieure de recherche et développement représentait 2,33 % du PIB et, en 2008, cette dépense était de 2,07 %. Nous constatons donc une chute des dépenses de recherche. Par conséquent, jusqu’à la réforme, le crédit d’impôt recherche peut s’interpréter comme un simple avantage fiscal. Maintenant, il nous faut regarder ce qui se passe depuis la réforme de 2008.

M. Rodolphe Gintz. Pour juger de la pleine application du nouveau dispositif et de son effet sur les programmes de recherche, nous n’avons que l’année 2009 dont les chiffres complets ne sont pas encore disponibles, 2008 et 2009 étant de plus des années de crise. Pour l’avenir, il est encore difficile de faire des prévisions sur l’impact de la réforme sur la recherche et développement. On voit tout de même en 2008 une stabilisation des dépenses de R&D, malgré la crise qui peut conduire des entreprises à diminuer leurs dépenses de R&D. Le crédit d’impôt recherche a donc un impact réel.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous ne faites pas de prévisions mais des estimations. Pouvez-vous commenter les chiffres figurant dans les documents que vous nous avez transmis ?

M. Rodolphe Gintz. Les éléments fournis portent sur les mécanismes de restitution anticipée. La réforme de 2008 a eu pour conséquence une augmentation de la créance qui va atteindre 4 milliards d’euros. En l’absence de mesure de restitution accélérée, et si l’on prend comme dépense fiscale 40 % de la créance de l’année N, puis 10 % pour chacune des deux années suivantes et 40 % ensuite, on a une augmentation linéaire jusqu’en 2013, année pour laquelle la dépense doit avoisiner les 5 milliards d’euros. Or, deux mesures ont été prises dans la loi : la restitution accélérée en loi de finances rectificative pour 2008 et la restitution anticipée en loi de finances pour 2010. Ces deux mesures donnent une progression plus heurtée de la dépense du crédit d’impôt recherche : 5,8 milliards d’euros en 2009 et 4,2 milliards d’euros en 2010. Le résultat est qu’en 2009, le crédit d’impôt recherche devient la première dépense fiscale du budget de l’État.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Hors effet de ces mesures, la direction asymptotique vers laquelle tend la dépense, c’est 4 milliards ?

M. Rodolphe Gintz. Oui avec une augmentation annuelle liée au dynamisme de l’assiette. Dans le document que je vous ai transmis, cette augmentation est estimée à 100 millions d'euros par an ; il est difficile d’être plus précis, car l’assiette du crédit d’impôt recherche ne couvre pas toutes les dépenses de recherche et développement.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vos graphiques prennent-ils en compte pour l’avenir le maintien de l’anticipation de la créance pour les PME ?

M. Rodolphe Gintz. Non, afin de ne pas surcharger la présentation avec des effets croisés de trois restitutions différentes, mais on peut estimer qu’elle pourrait représenter une augmentation de l’ordre de 200 millions d’euros.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Que proposez-vous pour éviter les stratégies d’optimisation fiscale ?

M. Rodolphe Gintz. Plusieurs points posent question. Le premier porte sur le niveau du plafond. Le deuxième est l’absence de prise en compte des relations entre sociétés mères et filiales, qui peut inciter des grands groupes à l’optimisation de leur structure capitalistique en multipliant leurs filiales. Le troisième concerne la part forfaitaire des dépenses de fonctionnement. Le taux de 75 % me semble un peu élevé. Nous n’avons pas accès aux comptes des entreprises mais quand nous regardons les organismes de recherche, comme le CNRS, nous voyons des dépenses de fonctionnement d’environ 15 % du budget. Il faudrait donc engager une discussion avec le ministère de la Recherche sur cet aspect. Concernant les deux points précédents, les discussions ont commencé.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Si l’on proposait de retirer les banques du dispositif, quelle serait votre réaction ?

M. Rodolphe Gintz. 50 millions d’euros, ce n’est pas un très gros enjeu pour le crédit d’impôt recherche. De plus, exclure du dispositif de crédit d’impôt recherche les banques pourrait poser un problème au regard du droit communautaire. Toutefois, je doute que ce qui est communément appelé « recherche » dans les banques constitue intégralement de la recherche et développement au sens du crédit d’impôt recherche ou du manuel de Frascati.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Et sur le plafond, quelles sont vos pistes ?

M. Rodolphe Gintz. Nous avons engagé une réflexion consistant à établir différents scenarios en fonction du niveau de plafond : 100 millions d’euros semblent être un plafond assez élevé, des corrections à la marge concernant notamment le plafond et les dépenses de fonctionnement peuvent être envisagées. Pour autant, il faut conserver la stabilité d’ensemble du dispositif.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Et l’idée de supprimer la tranche de 5 % au-delà du plafond ?

M. Rodolphe Gintz. Cette suppression rapporterait d’après les estimations du sénateur Christian Gaudin 588 millions d’euros ; mais une suppression pure et simple semble difficile à envisager.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il a été évoqué de lier le crédit d’impôt recherche avec le niveau d’imposition globale de l’entreprise. Avez-vous réfléchi à cette question ?

M. Rodolphe Gintz. Même si nous n’avons pas ouvert de réflexion à ce sujet, je ne suis pas certain de la simplicité d’un tel dispositif. Parmi les pistes, un taux différencié en fonction de la taille de l’entreprise peut être intéressant. Toutefois, n’oublions pas qu’instaurer des seuils peut avoir des effets pervers pour les entreprises.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous abordé, avec le ministère de la Recherche, le sujet de la frontière, non évidente, entre recherche et innovation ? Les PME considèrent que l’assiette du crédit d’impôt recherche ne va pas assez loin dans le domaine de l’innovation.

M. Rodolphe Gintz. Nous n’avons pas discuté de ce sujet depuis quelque temps avec le ministère de la Recherche. Mais compte tenu des outils spécifiques destinés à aider l’innovation dans les PME, je ne pense pas que nous puissions considérer qu’il y aurait une lacune dans le dispositif. Les outils d’OSÉO me semblent mieux adaptés à l’innovation dans les PME qu’une extension à l’innovation du crédit d’impôt recherche.

M. Olivier Carré, Président. Lors de l’audition précédente, Mme Marie-Christine Lepetit considérait que l’un des atouts du crédit d’impôt recherche résidait dans la notion de foisonnement, qui suppose qu’il n’y ait pas de fléchage des aides. Les deux plaidoyers sont intéressants et, à la réflexion, les deux raisonnements sont plus complémentaires que contradictoires.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Qu’en est-il de la sous-traitance ? Est-ce qu’à travers le crédit d’impôt recherche, il n’y aurait pas une forme de financement des organismes qui bénéficient du doublement de la dépense ? Avez-vous observé, sur cette question, une évolution significative de la situation ? À la suite des auditions que nous avons déjà menées, nous avons compris que les entreprises, ont intérêt, pour des raisons de mécanique fiscale, à développer leur recours à la sous-traitance.

M. Rodolphe Gintz. Nous constatons effectivement dans les comptes des organismes de plus en plus de ressources provenant du secteur privé, à l’évidence grâce à cette mesure qui a été prise pour multiplier les ponts entre recherche publique et recherche privée.

M. Olivier Carré, Président. Est-ce que cela marche ?

M. Rodolphe Gintz. Cela s’observe dans les comptes, mais nous manquons encore de recul pour en mesurer les conséquences réelles. Il faudra notamment apprécier quelles sont les tâches sous-traitées, ainsi que la nature réelle des relations de sous-traitance. Il faudra davantage de temps pour mesurer l’efficacité réelle de ce phénomène en termes de politique publique.

M. Stanislas Godefroy. Le phénomène est assez lent car les entreprises doivent se rapprocher des organismes et apprécier dans quelle mesure ces derniers peuvent leur apporter des compétences. Nous constatons le développement d’un réel intérêt : les entreprises et les organismes font la démarche d’aller les uns vers les autres pour voir ce qu’ils peuvent s’apporter.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Pour le conseil d’administration d’un organisme de recherche, trouver un financement privé conduit-il à une réduction des financements publics ou est-ce un plus pour l’organisme ?

M. Rodolphe Gintz. C’est un plus pour les organismes car il n’y a pas de mécanisme de vase communicant conduisant à une réduction du financement public. Les financements publics ne sont pas remis en cause du fait de l’apport de fonds privés aux organismes de recherche.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quel sera le bon moment pour juger de l’efficacité du dispositif mis en place en 2008 ? Est-ce que ce sera en 2012 ?

M. Rodolphe Gintz. Inévitablement, la crise économique et la mesure de restitution anticipée prise dans le cadre du plan de relance sont deux paramètres liés qui interfèrent dans la lecture de la mise en œuvre du dispositif. Le rythme de croisière devrait être atteint vers 2013-2014, ce qui ne signifie pas qu’on ne pourra rien dire avant cette date. D’ailleurs, un audit de l’Inspection générale des finances est en cours. Il est bon que des dépenses fiscales d’une telle ampleur soient évaluées selon une fréquence raisonnable, peut-être pas tous les ans, mais au moins tous les trois ou quatre ans et que leurs effets puissent être documentés en continu par des indicateurs de performance.

M. Stanislas Godefroy. Le crédit d’impôt recherche doit être évalué d’ici juin 2011, comme l’ensemble des dépenses fiscales.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. De quels indicateurs d’évaluation disposez-vous ?

M. Rodolphe Gintz. Nous disposons de l’indicateur de performance prévu dans les documents budgétaires, qui mesure le supplément de dépense de recherche et développement par euro de crédit d’impôt recherche investi. Nous réfléchissons, avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, à l’évolution de cet indicateur qui ne semble plus totalement adapté au nouveau dispositif. Nous allons voir ce que va conclure l’Inspection générale des finances. En tout état de cause, je ne suis pas persuadé qu’un indicateur unique de performance, de périodicité annuelle, soit suffisant pour évaluer un dispositif de 4 milliards d’euros.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Nous vivons dans un pays étonnant : je suis surpris par le nombre d’organismes et de missions qui s’intéressent au crédit d’impôt recherche : le ministère du budget, l’Inspection générale des finances, le Sénat, l’Assemblée nationale, la Cour des comptes… Qui fera la synthèse de tous ces rapports ? Tout le monde – y compris la presse – évoque dans une grande cacophonie cette manne de 4 milliards d’euros.

M. Olivier Carré, Président. Compte tenu de l’objet de la MEC et de sa dynamique, nous sommes en position de réaliser cette synthèse. Nous bénéficions de l’éclairage de l’administration, de la Cour des comptes, nous votons le budget… Nous sommes typiquement dans une démarche d’appréciation et de fixation d’une doctrine. Il nous appartiendra de prendre nos responsabilités, le moment venu, sur la poursuite et l’ajustement du dispositif. C’est tout particulièrement votre rôle en tant que Rapporteur.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Indépendamment de cela, il faudrait évaluer le coût des études et des audits. C’est une vraie question.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour en revenir au sujet qui nous préoccupe, celui de la croissance des PME, est-ce que la réforme de 2008 répond bien au défi de cette croissance ?

M. Rodolphe Gintz. J’ai tendance à penser que cette réforme fait partie des éléments qui y contribuent. Le dispositif de rescrit, notamment, apporte un élément de sécurisation aux responsables de PME.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pensez-vous que le crédit d’impôt recherche et OSÉO soient bien complémentaires ?

M. Rodolphe Gintz. Je pense que oui. Le crédit d’impôt recherche seul ne résoudra pas tous les défis auxquels notre économie est confrontée, mais conjugué à l’apport d’OSÉO, au grand emprunt et à la mise en place des pôles de compétitivité, le dispositif français de soutien à la recherche et à l’innovation commence à ressembler à ce qu’il faudrait faire.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Que pensez-vous de l’évolution du nombre de rescrits ?

M. Rodolphe Gintz. J’ai été étonné par sa faiblesse, comparé au nombre de PME et de déclarations de CIR.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Nous avons seulement 286 rescrits pour 12 949 dossiers. Vous considérez que le rescrit devait apporter une sécurité juridique aux chefs d’entreprise ; or, on a plutôt l’impression que ces derniers s’en désintéressent…

M. Rodolphe Gintz. C’est surprenant en effet. Le dispositif n’est peut-être pas assez connu.

M. Olivier Carré, Président. Messieurs, merci pour votre contribution.

Audition du 1er juin 2010

À 18 heures 15 : M. Jean-Marc Fenet, directeur adjoint chargé de la fiscalité à la direction générale des Finances publiques

Présidence de M. Olivier Carré

M. Olivier Carré, Président. Nous accueillons maintenant M. Jean-Marc FENET, directeur adjoint chargé de la fiscalité à la direction générale des Finances publiques.

Je vous souhaite la bienvenue. Nous comptons sur vous pour nous apporter les éclairages détaillés sur l’exécution du crédit d’impôt recherche en 2008 et 2009, compte tenu notamment des mesures de trésorerie du plan de relance. Vous pourriez nous présenter les résultats constatés, après quoi les Rapporteurs vous poseront des questions d’approfondissement.

Monsieur le directeur, vous avez la parole.

M. Jean-Marc Fenet, directeur adjoint chargé de la fiscalité à la direction générale des Finances publiques. La direction générale des Finances publiques, la DGFIP, a repris les compétences de l’ancienne direction générale des impôts, ce qui l’amène à intervenir sur le crédit d’impôt recherche à trois niveaux. Elle intervient très en amont en cas de demande de rescrit, elle procède aux remboursements anticipés de créances de crédit d’impôt recherche (pour lesquels un formulaire en ligne était disponible dès le 2 janvier 2009), et en aval elle effectue, le cas échéant, des contrôles.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Lorsque les agents des impôts analysent un dossier, quels sont les éléments leur permettant d’apprécier l’éligibilité de la dépense au crédit d’impôt recherche ?

M. Jean-Marc Fenet. La DGFIP a pour tâche essentielle de procéder aux remboursements sur les demandes adressées soit à la direction des grandes entreprises, qui a son siège à Pantin, soit aux services déconcentrés des impôts. L’examen des dossiers donne alors lieu à un contrôle formel.

Dans le cas d’un rescrit, donc très en amont, bien avant l’engagement des dépenses, l’entreprise peut s’adresser non seulement au service des impôts mais également au ministère de la Recherche, à OSÉO, ou bien à l’ANR. Lorsqu’une demande de rescrit adressée à l’administration fiscale comporte des paramètres techniques ou scientifiques complexes, la DGFIP renvoie le dossier à l’un de ces trois organismes pour expertise. Sur le terrain fiscal, la DGFIP conduit un examen attentif de la compatibilité du dossier avec les règles en vigueur, par exemple elle s’interroge sur l’éligibilité des montants de masse salariale mentionnés. Les services peuvent donc remettre en cause les dépenses non éligibles, par exemple si l’entreprise a recours à un organisme non agréé ou si la masse salariale n’est pas éligible.

Le rescrit est un avis qui lie l’administration et qui sécurise donc l’entreprise en cas de contrôle, à condition que les paramètres n’aient pas évolué. Faute de réponse dans un délai de trois mois, l’accord de l’administration est réputé tacite. On observe qu’il n’y a eu que 286 rescrits en 2009 pour 13 000 demandes de bénéfice du crédit d’impôt recherche, ce qui est très faible malgré une augmentation par rapport à 2008.

En aval, l’administration peut procéder au contrôle fiscal du crédit d’impôt recherche, dans deux cas de figure. Le premier s’inscrit dans le cadre d’une vérification générale de comptabilité, c’est le cas le plus fréquent. Il faut rappeler que le crédit d’impôt recherche n’est pas le point d’entrée du contrôle fiscal et qu’un avantage fiscal ne constitue jamais un axe de contrôle. Le crédit d’impôt recherche est alors contrôlé parmi les autres éléments de la déclaration fiscale. Il est remarquable que, dans 80 % des cas, le redressement au titre du crédit d’impôt recherche est accompagné d’un autre motif de redressement. Comme pour le rescrit, l’administration fiscale analyse les dépenses mentionnées et la démarche de l’entreprise ; sur les aspects techniques et scientifiques (par exemple la différenciation entre la recherche développement, l’innovation ou l’invention d’un prototype) elle renvoie le dossier à l’expertise du ministère de la Recherche, d’OSÉO ou de l’ANR.

Le deuxième cas de figure est celui de contrôles dans le cadre de vérifications ponctuelles – une année-un impôt – où le crédit d’impôt recherche représente 14 % de l’ensemble de ce type de contrôle.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Comment vérifie-t-on que les dépenses de masse salariale correspondent à des collaborateurs ayant le statut, ou des activités, de chercheur ?

M. Jean-Marc Fenet. Un dossier récent me permet d’illustrer ma réponse : une entreprise avait imputé les dépenses salariales d’un directeur commercial qui exerçait simultanément des compétences techniques et commerciales, mais principalement commerciales. Ce salarié n’avait pas de diplôme valable et ne pouvait justifier d’une valorisation des acquis de l’expérience (VAE). De surcroît, l’entreprise avait eu recours à un institut non agréé. Pour ce dossier de crédit d’impôt recherche inférieur à 200 000 euros, l’inéligibilité était patente sur tous les plans.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Comment contrôlez-vous les profils de chercheurs dans les banques et quelle est la fréquence des contrôles ?

M. Jean-Marc Fenet. Sur le deuxième point, je ne dispose pas d’une vision globale des contrôles spécifiques aux banques ; je rappelle que l’administration fiscale réalise 52 000 contrôles externes d’entreprises, totalement déconcentrés. Il y a eu environ 300 contrôles de crédit d’impôt recherche, ceux portant sur les banques ne sont pas spécifiquement répertoriés mais devaient concerner probablement la catégorie des services aux entreprises. Les vérificateurs disposent d’une grille précise d’analyse de l’éligibilité des dépenses de salaires notamment pour les diplômés et la VAE.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Selon vous, que faut-il améliorer, notamment en matière d’information des PME, pour développer davantage la procédure du rescrit ?

M. Jean-Marc Fenet. Il y a très peu de rescrits portant sur le crédit d’impôt recherche, 286 sur environ 20 000 demandes tous types de rescrits confondus. Nous avons interrogé non seulement les entreprises mais également les experts comptables et les centres de gestion agréés qui sont nos correspondants habituels. Il apparaît que le recours au rescrit est soumis à deux appréciations qui en restreignent l’usage : d’une part les entreprises craignent qu’une demande conduise au contrôle fiscal ; c’est pourquoi la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 a prévu que l’on puisse s’adresser directement à l’un des trois opérateurs précités plutôt qu’à l’administration fiscale. D’autre part, cet usage pourrait être compris comme un moyen de mobilisation de créances auprès des banques, mais cette faculté se heurte à un certain nombre d’obstacles pratiques et juridiques. En effet, un rescrit constitue un engagement de l’administration sur une procédure mais non sur un montant d’assiette ou d’impôt, à la différence d’un agrément.

M. Alain Claeys, Rapporteur. On peut se demander s’il ne serait pas envisageable de faire porter le rescrit sur les dépenses engagées.

M. Jean-Marc Fenet. Si l’on se met d’accord plus tard et en « topant » sur un montant, ce n’est plus un rescrit mais un agrément, comme il en existe beaucoup en droit fiscal. Cette possibilité n’est pas ouverte dans ce cas, car cela n’a pas été conçu pour cela au départ. Il faut rappeler la logique initiale du système, qui prévoyait que le crédit d’impôt recherche n’était remboursable que la quatrième année suivant l’année de la dépense. En outre, si j’ai rappelé pour mémoire la question de la mobilisation des créances, c’est pour souligner qu’elle se pose beaucoup moins aujourd’hui dans la mesure où le crédit d’impôt recherche est remboursable chaque année. Elle redeviendrait d’actualité si le Gouvernement décidait de ne pas proroger à l’avenir le dispositif d’annualisation du crédit d’impôt recherche qui n’a été prorogé que pour un an.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. L’on peut se demander si le crédit d’impôt recherche ne serait pas un simple avantage fiscal quelque peu déguisé. Lors d’un contrôle fiscal, comment vos services peuvent-ils distinguer ce qui est de la recherche et ce qui n’en est pas ?

M. Jean-Marc Fenet. Nos vérificateurs n’entrent pas dans ces considérations, heureusement, et n’apprécient pas s’il y a effet d’aubaine ou non. Le rôle de la DGFIP est depuis 2008 de vérifier la conformité aux textes législatifs et réglementaires et donc l’éligibilité de la dépense au crédit d’impôt. Les débats sur les avantages acquis pour les grandes entreprises ou les PME existent, mais ce n’est pas notre rôle de prendre parti. C’est un dispositif très attractif, bâti aujourd’hui non plus sur des accroissements de dépense mais sur des valeurs absolues ; aussi n’est-il pas étonnant que beaucoup d’entreprises aient voulu en bénéficier. Nos vérificateurs ne regardent pas s’il y a effet d’aubaine et ne se donnent pas un rôle de justicier en matière fiscale.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les vérificateurs connaissent-ils des difficultés pour interpréter les textes ? Ceux-ci sont-ils suffisamment clairs ou faut-il leur apporter des clarifications ?

M. Jean-Marc Fenet. Le contrôle fiscal n’est jamais une partie de plaisir et il y a toujours des dossiers où on est à la limite et où la décision est difficile. Heureusement la procédure est contradictoire. Il est vrai que certaines entreprises critiquent le dispositif, car il est parfois difficile de tracer une frontière entre la recherche, l’innovation et le prototype : celle-ci ne pourra jamais être parfaitement distincte. La direction regrette seulement que les entreprises ne profitent pas suffisamment de l’offre de rescrit, qui est une qualité de service rendue aux entreprises : l’entreprise qui obtient un rescrit avant d’engager ses dépenses, après un échange avec Oséo, ou l’ANR et avec la DGFiP et suit l’avis qu’elle a reçu, bénéficie d’une réelle sécurité juridique. Nous faisons très fortement la promotion de ce rescrit comme pour les autres rescrits. De plus, considérant le travail des services, ce qui est fait en amont ne sera plus à faire en aval.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous les moyens d’y faire face ?

M. Jean-Marc Fenet. Oui.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le nombre de rescrits est faible : 300 sur 12 000 ou 13 000, c’est effectivement peu. Si l’on regarde le manuel guide publié par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, il semble qu’il y ait des contradictions d’une page à l’autre concernant les dépenses éligibles, par exemple dans le cas du prototype. Nous constatons un certain flou, ce qui est regrettable s’agissant d’une des premières dépenses fiscales de l’État.

Les derniers chiffres connus portant sur la part de la richesse nationale consacrée à la recherche montrent qu’elle a baissé de 2,33 % à 2,07 % entre 1992 à 2008, ce qui est inquiétant. Il est évidemment trop tôt pour connaître les retombées de la réforme de 2008, cependant on peut se demander si le « dopage » auquel elle conduit n’a pas pour effet d’annuler les dépenses de recherche qui auraient eu lieu spontanément, sans l’intervention du dispositif réformé. Plus on doperait la dépense de recherche, moins on obtient d’investissement ?

M. Jean-Marc Fenet. Je suis désolé de la réponse bureaucratique que je vais vous faire sur le premier point. Nos vérificateurs n’abordent pas ces questions ; elles relèvent réellement du conseil technique que vont recevoir les entreprises auprès du ministère de la Recherche, d’Oséo ou de l’ANR, et c’est heureux car nos vérificateurs n’ont pas la formation pour cela.

Il sera intéressant de voir les montants consacrés à la recherche pour l’année suivante et l’évolution de la courbe avec le nouveau dispositif. Il est clair pourtant que la réforme de 2008 vient bien en soutien de l’effort national de recherche et développement. En outre, la décision prise l’année dernière de procéder au remboursement d’un coup en 2009 du crédit d’impôt recherche pour tous les dossiers en instance depuis trois ans, a contribué, avec 6,4 milliards de remboursement y compris l’imputation, à restaurer la trésorerie des entreprises.

M. Jean-Pierre Lasbordes, Rapporteur. À travers les dossiers que vous avez traités, avez-vous constitué une liste des litiges dus à des ambiguïtés d’interprétation, et peut-on imaginer une mise à jour des documents sur lesquels se fondent les vérifications afin de lever au maximum ces ambiguïtés ?

M. Jean-Marc Fenet. En ce qui concerne le rescrit, il y a bien deux interlocuteurs, le technique et le fiscal. La question que vous évoquez relève du technique et nos services ne rentrent pas dans ces domaines.

M. Olivier Carré, Président. Merci pour votre contribution.

Audition du 2 juin 2010

À 16 heures 30 : M. Paul-Joël Derian, directeur de la Recherche et du développement du Groupe Rhodia

Présidence de M. Olivier Carré

M. Olivier Carré, Président. Nous terminons aujourd’hui nos travaux relatifs au crédit impôt recherche. Je suis heureux d’accueillir, au nom de la Mission d’évaluation et de contrôle, M. Paul-Joël Derian, directeur de la Recherche et du développement du groupe Rhodia. Trois députés sont chargés d’animer la mission : MM. Jean-Pierre Gorges et Alain Claeys, Rapporteurs spéciaux des crédits de la recherche au nom de la commission des Finances, et M. Pierre Lasbordes, Rapporteur pour avis sur les mêmes crédits pour la commission des Affaires économiques. M. Jean-Pierre Gorges nous prie d’excuser son absence, il est retenu dans l’hémicycle.

Comme vous le savez, la mission a entendu, à leur demande, le 27 avril dernier, des représentants syndicaux du groupe Rhodia. Ils ont en particulier souligné que le groupe aurait d’abord utilisé le crédit d’impôt recherche comme un simple apport de liquidités, sans l’affecter spécifiquement à la recherche. Ils n’ont pas caché que cette politique avait changé. Pour l’équilibre du débat, la mission a estimé indispensable d’entendre votre point de vue.

Nous aimerions avoir votre sentiment sur l’intérêt du crédit d’impôt recherche, sa facilité d’accès, son effet de levier pour la recherche et son effet sur l’emploi. Pouvez-vous nous présenter l’effort de recherche du groupe Rhodia et l’évolution de ses effectifs en la matière ?

M. Paul-Joël Derian, directeur de la Recherche et du développement du groupe Rhodia. J’occupe mes fonctions depuis 7 ans, j’ai donc vu les évolutions du crédit d’impôt recherche.

M. Alain Claeys, Rapporteur. À la suite du débat entre la direction de Rhodia et la CGT sur l’utilisation du crédit d’impôt, y a-t-il eu des recommandations du ministère, et de votre côté, un changement d’affectation ? La créance est-elle maintenant fléchée ?

M. Paul-Joël Derian. Il n’y a pas eu de recommandation du ministère, mais la créance a toujours été fléchée. En décembre 2007, l’affectation du crédit d’impôt pour 2008 était déjà prévue, et nous n’avons pas changé avec l’adoption de la loi de finances.

En revanche, à l’automne 2008, lors de la préparation de l’exercice 2009, nous avons pris en compte la mesure et l’avons intégrée dans le calcul de nos charges de recherche. Cela a permis de réduire le coût du chercheur en France. Ainsi, si l’on considère que la base 100 représente le coût moyen d’un chercheur en France aujourd’hui, ce coût est comparable à ceux de la zone Asie (95) et du Brésil (110). Il est beaucoup moins élevé qu’aux États-Unis (140) ainsi qu’en France avant la réforme de 2008 (140 à 150). C’est pourquoi le crédit impôt recherche a changé la politique d’évolution des emplois en France.

M. Alain Claeys, Rapporteur. D’après les représentants syndicaux, lors du comité central d’entreprise du 1er juillet 2008, vous auriez dit textuellement : « Maintenant, le crédit d’impôt recherche abaisse, au niveau du groupe, le coût total de la recherche. Et nous avons enregistré ce gain au niveau du groupe : c’est 12 millions de cash supplémentaire. »

M. Paul-Joël Derian. Il faut bien les enregistrer quelque part d’un point de vue comptable. Comme je l’ai expliqué, chez Rhodia, les coûts de la recherche sont centralisés puis réalloués sous la forme de forfait à chaque unité opérationnelle. Les variances sont enregistrées au niveau du groupe. Nous n’avons pas pu affecter cette somme aux entreprises pendant l’exercice 2008, mais nous l’avons fait en 2009.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Le crédit d’impôt recherche permet-il de diminuer le coût de la recherche ou de faire plus de recherche ?

M. Paul-Joël Derian. Je dirais les deux, mais on ne peut pas vraiment évaluer une réforme sur sa première année d’application. En revanche, comme il s’agit d’une mesure simple, on a mis moins d’un an à en comprendre l’impact. En 2008, il y a eu une décroissance des effectifs qui était prévue auparavant. Fin 2008 et en 2009, Rhodia a été très touché par la crise économique. J’aimerais illustrer l’effet du mécanisme du crédit d’impôt recherche vis-à-vis de la crise.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Auparavant, pouvez-vous nous éclairer sur les chiffres ? Toujours selon les syndicats, le montant du crédit d’impôt recherche perçu par Rhodia serait passé de 1 million d’euros, avant 2008, à 19 millions en 2008.

M. Paul-Joël Derian. Je vais vous donner les chiffres exacts. En 2006, le montant du crédit d’impôt recherche (pour un taux de 10 % en volume seulement) atteignait 9,699 millions d’euros. Il s’est élevé à 7,8 millions en 2007, 22,6 millions en 2008 – soit près d’une multiplication par trois, 19,4 millions en 2009 et il devrait atteindre 20 millions en 2010. Les syndicats ont probablement confondu avec des projets partenariaux sur lesquels il peut y avoir des subventions publiques françaises ou européennes.

Je souhaiterais vous montrer l’impact du crédit d’impôt recherche en cas de crise. En 2004, le groupe a subi une première crise de liquidités, et nous avons pris des mesures sur les frais fixes qui ont touché l’ensemble du groupe. En ce qui concerne la recherche et développement, nous avions décidé d’économiser 16 millions d’euros de frais fixes au niveau mondial, ce qui correspondait entre autres à 200 postes en équivalents temps plein. La France a vu ses effectifs diminuer de 165 ETP en recherche, supportant une très grande partie de l’effort du groupe.

En 2009, nous avons été à nouveau confrontés à une crise de liquidités, et nous avons pris des mesures de chômage partiel qui n’ont pas touché la recherche, grâce au crédit d’impôt recherche. Il n’y a eu aucune suppression de poste, et nous avons maintenu les embauches de jeunes docteurs – alors qu’il n’y a pas eu d’embauche dans le reste du groupe, pas de voyages, etc.

M. Olivier Carré, Président. C’est aussi grâce aux mécanismes de remboursement accéléré et anticipé.

M. Paul-Joël Derian. Oui, nous avons eu des créances soldées au premier semestre 2009 : sur 30 millions d’euros reçus, il y avait 10 millions d’euros d’arriérés.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Est-ce que le crédit d’impôt recherche a amélioré le partenariat avec des entreprises publiques ?

M. Paul-Joël Derian. Oui, nous avons trois unités de recherche avec le CNRS, dont deux en France et une aux États-Unis. Nous avons aussi des partenariats avec d’autres organismes. Nous consacrons 6 millions d’euros à la recherche mixte. En outre, nous confions des recherches à des organismes privés ou publics pour 1,6 million d’euros en 2008, 0,7 million en 2009 et 2 millions en 2010.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avec le CNRS, vous allez jusqu’aux brevets communs ?

M. Paul-Joël Derian. Oui.

M. Alain Claeys, Rapporteur. S’il y avait des améliorations à apporter à la législation, quelles seraient vos attentes ?

M. Paul-Joël Derian. Ce serait davantage de pérennité. Il faut prendre des mesures à long terme, car nous prenons des décisions pour un certain temps – par exemple lorsque nous créons un centre de recherche. Ainsi, le centre que nous avons récemment créé à Lyon regroupe des équipes qui se trouvaient auparavant en France, en Allemagne et en Italie. Nous avons engagé 13,2 millions d’euros sur 18 mois pour cette opération.

La notion de coût de recherche des chercheurs est fondamentale dans nos décisions dans le temps. En coût global, la recherche reste plus chère en France qu’aux États-Unis, au Brésil ou en Chine, en particulier du fait de la fiscalité. En revanche, le coût des emplois est très attractif grâce au crédit d’impôt recherche. Mais il nous faut être vigilants à l’égard des mesures prises à l’étranger, notamment dans des pays d’Asie comme la Chine ou la Corée.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous des difficultés pour qualifier les dépenses ?

M. Paul-Joël Derian. Oui, une clarification de la définition telle que contenue dans le manuel de Frascati serait bienvenue.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Votre groupe est-il concerné par le seuil de 100 millions d’euros de dépenses de recherche au-delà duquel le taux du crédit d’impôt recherche est ramené à 5 % ?

M. Paul-Joël Derian. Non, les dépenses de recherche en France du groupe Rhodia n’atteignent pas ce seuil.

M. Olivier Carré, Président. Quelle appréciation portez-vous sur l’éligibilité des dépenses de fonctionnement sur la base d’un forfait fixé à 75 % des dépenses de personnel ?

M. Paul-Joël Derian. Le mécanisme actuel a le double mérite d’être simple et correctement proportionné. Il permet un calcul forfaitaire sur la base du coût salarial individuel qui est connu. Il commence d’ailleurs à être imité par d’autres pays.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Certains praticiens estiment que seules 50 % des dépenses de fonctionnement réelles liées aux opérations de recherche devraient être prises en compte dans le forfait du crédit d’impôt recherche. Partagez-vous leur analyse ?

M. Olivier Carré, Président. Comment justifier cet écart entre la théorie et le ressenti ?

M. Paul-Joël Derian. Le coût global d’un chercheur en France atteint en moyenne 170 000 euros alors que son coût salarial moyen chargé s’établit à 94 000 euros, le ratio est donc de 80 % et non pas de 75 %. Et si on prend en compte les charges d’amortissement des équipements, le coût annuel moyen devient 186 200 euros par an, ce qui donnerait un surcoût de 98 % par rapport au coût salarial. Le calcul forfaitaire de 75 % proposé par la loi sur le crédit d’impôt recherche est donc en fait sensiblement plus faible que ce que nous observons sur la réalité des dépenses de fonctionnement de nos centres français.

M. Olivier Carré, Président. 100 000 euros ?

M. Paul-Joël Derian. L’ordre de grandeur est bon pour le coût salarial chargé, le montant réel est en fait un peu plus faible, il atteint 94 000 euros. Le coût complet est de 186 200 euros (170 000 hors amortissements). L’écart avec le coût salarial correspond aux coûts des laboratoires, des matériels, des produits chimiques, la dotation aux amortissements des équipements investis, etc… Grâce au crédit d’impôt recherche, le coût salarial net d’un chercheur ne dépasse pas 45 000 euros.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Cela représente à peine un tiers des dépenses de fonctionnement réelles !

M. Olivier Carré, Président. En réalité, le calcul s’effectue autrement, car la base salariale est appréciée au niveau de l’équipe.

M. Paul-Joël Derian. Il faut prendre en compte d’autres coûts induits, tels que les frais de déplacement, les prix des consommables utilisés, les frais de mise aux normes, les impôts et taxes, etc… Il y a des coûts fixes beaucoup plus importants dans les activités de recherche que dans les autres secteurs.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Utilisez-vous le crédit d’impôt recherche pour faire davantage de recherche ou obtenir un avantage fiscal ?

M. Paul-Joël Derian. Les deux. Mais l’objectif final est bien de faire plus de recherche : sur 2008, 2009 et 2010, nous aurons embauché près de 100 chercheurs. Nous avons notamment créé un centre international de recherche à Lyon spécialisé dans les matériaux et les plastiques techniques. Le solde est donc positif.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Mais vous en aviez perdu, auparavant ?

M. Paul-Joël Derian. Oui, je vous ai signalé tout à l’heure les mesures sévères prises en 2004. De surcroît, les réductions de postes peuvent également résulter de départs non remplacés ou de gains de productivité liés à l’évolution des techniques. Aujourd’hui, le bilan est cependant positif.

M. Olivier Carré, Président. Voyez-vous autre chose à ajouter ?

M. Paul-Joël Derian. Je veux souligner quelques points importants. Il est d’abord crucial de garantir la pérennité du dispositif de crédit d’impôt recherche. La mesure de remboursement rapide – l’année qui suit la dépense – devrait être confortée et pérennisée pour tous les acteurs, et pas seulement les PME, afin d’éviter le recours à l’escompte de la créance auprès d’une banque.

Il faut également demeurer attentif aux mesures comparables qui pourraient être mises en œuvre à l’étranger. Ainsi la France et le Canada sont-ils bien positionnés. Cependant le Brésil vient de créer une forme de crédit d’impôt recherche tandis que la Chine et la Corée y travaillent.

Enfin, un bilan s’inscrit nécessairement dans la durée. Grâce au crédit d’impôt recherche, les mentalités ont changé et la France est considérée comme un lieu valable pour l’implantation d’activités de recherche.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Faites-vous appel à des cabinets extérieurs pour établir votre déclaration de crédit d’impôt recherche ?

M. Paul-Joël Derian. Oui, nous travaillions déjà avec le cabinet Alma à l’époque où le dispositif était beaucoup plus complexe.

M. Olivier Carré, Président. Allez-vous maintenir cette collaboration alors que le crédit d’impôt recherche a été simplifié ?

M. Paul-Joël Derian. La question se pose à chaque renouvellement du contrat. Il faudra que nous y réfléchissions.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous envisagé de recourir au rescrit fiscal ?

M. Paul-Joël Derian. Il se trouve que Rhodia-Recherche est agréé par l’administration fiscale…

M. Olivier Carré, Président. Ce n’est pas exactement la même chose. Le rescrit consiste à consulter à l’avance l’administration fiscale.

M. Paul-Joël Derian. Non, nous n’utilisons pas le rescrit fiscal.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Est-ce que vous connaissiez l’existence de ce rescrit ?

M. Paul-Joël Derian. Non, il faudrait solliciter le directeur fiscal du groupe sur cette question. À quoi s’applique le rescrit fiscal ?

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il consiste à solliciter l’administration fiscale avant le lancement d’un projet pour vérifier son éligibilité au crédit d’impôt recherche. Celle-ci a trois mois pour répondre, à compter du dépôt de la demande. Si l’administration fiscale vous répond dans les délais, elle vous précise si le projet peut bénéficier ou non du crédit d’impôt recherche ; en l’absence de réponse, le projet est considéré comme éligible.

M. Paul-Joël Derian. Le crédit d’impôt recherche est un dispositif assez simple ; nous ne ressentons pas le besoin de consulter systématiquement l’administration fiscale. Par ailleurs, le délai fixé à trois mois ne serait pas adapté à nos besoins car nos projets sont montés sur plusieurs années. Il ne faudrait pas que le rescrit aboutisse à alourdir la conduite de ces projets.

M. Olivier Carré, Président. Nous vous remercions.

Audition du 2 juin 2010

À 17 heures 15 : M. Vincent Drezet et Mme Florence Toquet, secrétaires nationaux de l’Union SNUI SUD Trésor Solidaires

Présidence de M. Olivier Carré

M. Olivier Carré, Président. Nous accueillons maintenant M. Vincent Drezet et Mme Florence Toquet, secrétaire nationaux de l’Union SNUI SUD Trésor Solidaires.

Les rapporteurs de notre mission d’évaluation et de contrôle sont Messieurs Alain Claeys, Pierre Lasbordes et Jean-Pierre Gorges, lequel, retenu dans l’hémicycle, vous prie de bien vouloir excuser son absence. M. Jean-Pierre Cossin, conseiller-maître à la Cour des comptes, nous accompagne dans nos auditions de ce jour.

Madame, Monsieur, vous avez la parole pour une appréciation d’ensemble sur le crédit d’impôt recherche, après quoi les rapporteurs vous poseront leurs questions.

M. Vincent Drezet, secrétaire national de l’Union SNUI SUD Trésor Solidaires. Nous tenons tout d’abord à vous remercier. Le sujet du crédit d’impôt recherche (CIR) nous tient particulièrement à cœur et nous sommes par conséquent heureux de pouvoir nous exprimer devant vous. Nous sommes d’autant plus enclins à le faire que nous publions aujourd’hui un rapport sur ce sujet après avoir mené, il y a quelques semaines, une consultation relative au CIR, notamment dans les services de contrôle.

Dans ce rapport, nous constatons un renforcement du pilotage de la politique fiscale par la dépense fiscale. En matière d’impôt sur les sociétés, le CIR est le dispositif le plus coûteux : au-delà de l’augmentation conjoncturelle liée à la mise en œuvre du plan de relance de l’économie, il est structurellement amené à croître. Le nombre de bénéficiaires a ainsi fortement augmenté, une évolution en lien direct avec les mesures d’élargissement de l’assiette décidées en 2007 et applicables à compter de 2008.

Nous ne sommes porteurs d’aucun dogme anti-niches fiscales. L’essentiel est de savoir comment celles-ci sont utilisées, si les dispositifs s’avèrent efficaces et si le rapport coût/efficacité est positif. L’analyse montre que la part des aides directes baisse au profit du CIR, ce qui témoigne de la volonté de favoriser un type particulier de recherche.

Ce constat nous interpelle en tant que syndicat puisque nous sommes en contact avec les organisations actives au sein du ministère de la Recherche, telles que le collectif « Sauvons la recherche ». En effet, nous estimons qu’il est essentiel au débat public de savoir quel type de recherche est favorisé. Dans le cadre du contrôle fiscal, cet aspect est particulièrement prégnant, les services ayant un certain ressenti à ce sujet. Ainsi, à notre sens, le dispositif s’apparente davantage à un produit d’attractivité fiscale qu’à une aide directe en faveur de la recherche. Enfin, nous soulignons que l’explosion du CIR est inévitable eu égard aux règles d’assiette actuelles.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel regard portez-vous sur la réforme de 2008 ? Quels en sont les éléments positifs, quels en seraient les aspects négatifs ?

M. Vincent Drezet. Du fait de la nature même du contrôle fiscal, nous manquons encore, à l’heure actuelle, d’une vision globale de la réforme de 2008. Toutefois, nous pouvons vous dire que le contrôle fiscal de l’ancien crédit d’impôt recherche était difficile et que ses règles étaient très complexes. Désormais, c’est plutôt la satisfaction qui prime : pour les PME notamment, le mécanisme est plus facile à maîtriser et à comprendre dans ses grandes lignes. Nos services confirment ce constat.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous avez donc le sentiment que les PME se sont davantage appropriées le dispositif ?

M. Vincent Drezet. Elles le comprennent mieux, mais toutes ne demandent pas à en bénéficier pour autant. Elles reçoivent le message politique de simplification de l’outil mais ne le maîtrisent pas forcément si elles ne sont pas assistées en ce sens.

Dans notre champ de compétences, nous constatons que la peur du contrôle fiscal est en train de s’affaiblir. Statistiquement, le crédit d’impôt recherche n’est pas un axe de contrôle. Par ailleurs, le dispositif est de moins en moins contrôlé au regard du volume global des opérations de contrôle. Nous observons également des opérations de rachat de PME menées pour gonfler le montant du crédit d’impôt recherche.

Il y a eu une véritable explosion des mesures fiscales dérogatoires et des dépenses fiscales, toutes assorties de conditions souvent complexes. Ceci n’a pas simplifié le contrôle fiscal, tout en conduisant le contribuable à s’interroger sur le fondement de l’impôt et sur sa légitimité. Sur le crédit d’impôt recherche, on sent qu’il existe une véritable ingénierie de l’optimisation fiscale qui sait parfaitement jouer d’une assiette souple, pour ne pas dire permissive.

Toutefois je le redis, notre analyse de la réforme de 2008 est encore incomplète, faute d’un recul suffisant.

M. Olivier Carré, Président. Pouvez-vous nous exposer un cas pratique de détournement, sans citer une entreprise en particulier ?

M. Vincent Drezet. Par exemple, une société qui bénéficie du crédit d’impôt recherche en France va payer le résultat de ses études, le droit d’exploiter un brevet, à une société du même groupe installée à l’étranger, si possible dans un territoire au régime fiscal plus attractif. En effet, il n’existe aucune obligation quant à la localisation en France du résultat des études. La recherche a bien été effectuée en France, ce qui est l’un des objectifs du crédit d’impôt recherche, mais l’assiette est optimisée, tout à fait légalement en l’espèce, pour renforcer la compétitivité micro-économique de l’entreprise et non l’économie de la connaissance telle que défendue par la stratégie de Lisbonne. Au total, nous avons parfois l’impression d’un résultat perdant-perdant pour la collectivité avec une recherche pas forcément innovante et un transfert de bénéfice, légal, à l’étranger.

Lorsque que l’on analyse certains projets, on peut éprouver des difficultés à savoir si celui-ci est innovant ou pas. Ainsi, une société effectuant des recherches pour développer un logiciel ne s’inscrit pas dans une démarche d’innovation stricto sensu.

Il existe par ailleurs de vraies stratégies de détournement, avec des dépenses indûment comptabilisées dans l’assiette. Mais ceci est un autre problème.

M. Olivier Carré, Président. Je comprends votre sentiment concernant le premier point que vous avez exposé. Le but du crédit d’impôt recherche est-il de favoriser la croissance ou la recherche ? La réponse est de nature politique. Sur le second point, la différence entre recherche et innovation : ce débat a fait l’objet de plusieurs interrogations de la part de nos rapporteurs. De votre point de vue de contrôleur, que faudrait-il améliorer ou préciser pour clarifier les choses ?

M. Vincent Drezet. La limite théorique semble claire. Mais les compétences des contrôleurs fiscaux et la manière dont l’information circule entre le ministère de la Recherche et notre administration ne nous satisfont pas et ne permettent pas un contrôle efficace du crédit d’impôt recherche, lequel fait intervenir un aspect fiscal et un aspect « recherche » visant à déterminer le caractère innovant ou non d’un projet. Nos missions sont différentes : alors que nous contrôlons le crédit d’impôt recherche, le ministère de la Recherche a plutôt tendance à le promouvoir. Il y a là une discordance qui empêche de réaliser un contrôle complet du crédit d’impôt recherche ex post.

Sur le caractère innovant, j’ai pris à dessein l’exemple de l’informatique car dans ce domaine, nous risquons de nous trouver face à de nombreux contentieux. Il peut y avoir des avancées innovantes en matière informatique mais il y a aussi du pur développement de logiciels qui ne saurait être considéré comme innovant.

M. Olivier Carré, Président. Quelles seraient, selon le praticien que vous êtes, les pistes d’amélioration à explorer ?

M. Vincent Drezet. À l’évidence, il est crucial d’améliorer les procédures de contrôle entre les services fiscaux et les services du ministère de la Recherche. Le crédit d’impôt recherche étant promu par ce ministère, nous avons le sentiment que son accord est systématiquement délivré. Or nous n’avons pas les compétences techniques pour contrôler le fond des dossiers. Les directions régionales de la technologie, quant à elles, ne semblent pas toujours disposer des moyens humains pour opérer des vérifications. On en reste parfois à un simple contrôle de forme.

Mme Florence Toquet, secrétaire national de l’Union SNUI SUD Trésor Solidaires. En effet, les retours d’information des services font état de contrôles de pure forme et non de contrôles de fond des dossiers. Toute la partie scientifique est reportée vers le ministère de la Recherche.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Ce constat est-il particulièrement vrai pour les PME ?

Mme Florence Toquet. Pas uniquement. Nous sommes confrontés au même problème dans le cadre du contrôle des grandes entreprises, notamment dans le domaine informatique.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Comment éviter cela ?

Mme Florence Toquet. Ainsi que Monsieur Drezet l’a souligné, il conviendrait de travailler davantage avec le ministère de la Recherche et d’harmoniser nos pratiques afin d’aller plus au fond des dossiers.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le problème n’est-il pas à rechercher au niveau des dépenses éligibles au crédit d’impôt recherche ?

Mme Florence Toquet. Il existe effectivement des effets d’aubaine, notamment au niveau de l’assiette. Toutefois le vrai problème est ailleurs : l’avis du ministère de la Recherche prime tandis que nous n’avons aucun retour en matière de pièces justificatives ou d’informations qui permettraient d’apprécier la réalité des éléments présentés dans le dossier. Ainsi, certaines personnes ont pu se voir indûment attribuer le statut de chercheurs. Dans ce type de cas, on peut s’interroger sur la portée de la vérification opérée ex ante.

M. Olivier Carré, Président. En d’autres termes, vous pointez le manque de compétences du ministère de la Recherche.

Mme Florence Toquet. En aucune manière, Monsieur le Président. Nous constatons simplement que nos objectifs ne sont pas les mêmes. Le ministère de la Recherche a vocation à promouvoir la recherche au sens large : recherche fondamentale, recherche appliquée et innovation. Or, dans ces deux derniers champs, les frontières sont extrêmement fluctuantes et nous ne disposons pas des compétences ou des éléments pour les apprécier de manière fine.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous voulez dire que certaines dépenses qui relèveraient davantage de l’innovation sont prises en compte dans le crédit d’impôt recherche ?

Mme. Florence Toquet. Tout à fait.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quelles solutions ou quelles pistes de réforme proposez-vous ?

M. Vincent Drezet. Une vérification coordonnée entre les services fiscaux et les services du ministère de la Recherche constituerait un premier progrès. Ils pourraient additionner leurs compétences et croiser leurs approches de manière efficace. Le ministère cherche toutefois à promouvoir le crédit d’impôt recherche, ce qui peut le mettre en porte-à-faux lorsqu’il s’agit d’en limiter l’usage.

Une deuxième piste d’amélioration serait la réforme de l’assiette du crédit d’impôt. Il paraît excessif d’évaluer les dépenses de fonctionnement, de manière forfaitaire, à 75 % des dépenses de personnel. L’assiette actuelle ouvre également la porte à des déclarations de conjoints comme stylistes dans le secteur de la mode ou à la requalification d’ingénieurs informaticiens comme chercheurs, à l’occasion du rachat de leur société.

M. Olivier Carré, Président. Comment les services fiscaux traitent-ils ces situations ?

M. Vincent Drezet. Ils procèdent à la requalification inverse, mais cela peut faire naître des contentieux. Dans ces cas aussi, les services des impôts seraient mieux armés s’ils agissaient dans le cadre d’un contrôle conjoint. Faute de preuve certaine, aucun redressement n’est en effet possible.

Mme Florence Toquet. J’ajoute que les services des impôts opèrent dans des délais contraints et qu’ils ne contrôlent d’ordinaire l’usage du crédit d’impôt recherche qu’à l’occasion de vérifications générales.

M. Vincent Drezet. L’exemple me vient également à l’esprit de séminaires organisés à grands frais sous un libellé scientifique, alors qu’ils recouvraient des séminaires d’entreprise classiques. De manière générale, une vérification efficace suppose un contrôle ciblé, un travail en amont, un suivi des résultats et une approche qualitative. Seule une meilleure programmation peut permettre de contrôler de manière efficace l’usage de ce crédit d’impôt accordé sur simple déclaration.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Sur l’assiette, que proposeriez-vous ?

M. Vincent Drezet. Plutôt qu’une approche forfaitaire en pourcentage pour les dépenses de fonctionnement, je fixerais un plafond en euros, différent selon le secteur. Cela serait plus juste, même si cela aurait l’inconvénient de rendre le dispositif moins simple. En l’état actuel des textes, les jeunes entreprises innovantes sont cependant désavantagées.

M. Olivier Carré, Président. Est-il des sujets sur lesquels vous travaillez déjà avec d’autres ministères ?

M. Vincent Drezet. Je n’en vois pas. À l’intérieur même des ministères des Finances et du Budget, la coopération avec la direction générale des Douanes et des droits indirects n’est déjà pas toujours optimale. Il ne faut cependant pas oublier que tous les organismes publics signalent aux services fiscaux les fraudes qu’ils détectent.

M. Olivier Carré, Président. Ne coopérez-vous pas avec le ministère de la Culture lorsque vous contrôlez le recours au dispositif Malraux sur les monuments historiques ?

M. Vincent Drezet. La classification d’un bien immobilier comme monument historique s’impose à nous de plein droit.

Mme Florence Toquet. Dans le cadre des contrôles, les présomptions de fraude sont souvent difficiles à établir. S’en tenir à un contrôle des pièces paraît en outre insuffisant.

M. Vincent Drezet. Sur ce dernier point, un contrôle conjoint n’apporterait pas par lui-même d’amélioration.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Quelle utilité les rescrits peuvent-ils avoir ?

M. Vincent Drezet. Ils supposent une vérification au fond du ministère de la Recherche. Ils ne doivent pas remplacer les contrôles, même s’ils peuvent les alléger en créant une présomption favorable à l’entreprise.

Mme Florence Toquet. L’avis du ministère de la Recherche s’impose en effet à nous.

M. Vincent Drezet. Le rescrit soulève les mêmes problèmes que le reste du contrôle, par exemple s’il définit la recherche innovante. Comment vérifier que les entreprises rapportent correctement cette qualification à leur activité ?

M. Alain Claeys, Rapporteur. Je ne sais trop ce que peut être la recherche innovante, je tracerais plus volontiers une frontière entre recherche et innovation. À cet égard, je rappelle que beaucoup de PME jugent que cette dernière est définie de manière trop restrictive.

M. Vincent Drezet. En ce cas précis comme dans le domaine tout entier, c’est l’avis des gens du métier qui nous fait défaut.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il existe une procédure particulière du contrôle sur demande du crédit d’impôt recherche qui peut être mise en œuvre avant le dépôt de la déclaration. Cette procédure a-t-elle été utilisée ?

M. Olivier Carré, Président. Quelles sont les statistiques ?

M. Vincent Drezet. À ma connaissance, les statistiques sont inférieures à la dizaine, de l’ordre de deux ces dernières années. Les entreprises privilégient le rescrit, plus simple et plus rapide. Elles ne veulent pas subir un contrôle fiscal à leur propre demande.

Dans les deux cas, que ce soit le contrôle sur demande ou le rescrit, il s’agit d’avantage de notre point de vue d’une approche de type audit fiscal ou prestation de service. Cela correspond à une évolution profonde du contrôle fiscal dans tous les secteurs, particulièrement visible concernant le crédit d’impôt recherche. Il existe une véritable promotion du rescrit qui fait que leur nombre va bientôt croiser celui des rectifications de crédit d’impôt recherche. Cette montée en puissance du rescrit n’est pas en soi choquante. Ce qui est davantage choquant, c’est le manque d’axe ou de cap donné au crédit d’impôt recherche ou plus généralement au contrôle fiscal.

Pour revenir au contrôle sur demande, il me semble que cette procédure n’est guère plus utilisée par ailleurs, en ce qui concerne le droit d’enregistrement par exemple. Il s’agit d’un dispositif qui est venu s’ajouter à l’offre de services de la direction générale des Finances publiques, mais qui marche peu.

M. Pierre Lasbordes. Peut-on considérer que les banques font véritablement de la recherche ?

Mme Florence Toquet. Mon expérience antérieure du contrôle du crédit d’impôt recherche dans le domaine de la banque et de l’assurance me donne le sentiment qu’il s’agit là d’une question effectivement problématique. À l’époque un certain nombre de dossiers contenant des dépenses qui nous étaient présentées comme éligibles au crédit d’impôt recherche ne l’étaient pas vraiment. Je ne crois pas que la situation ait changé depuis.

M. Olivier Carré, Président. Êtes-vous en train d’évoquer plus particulièrement le cas du secteur de l’assurance ?

Mme Florence Toquet. Disons que je me suis interrogée au sujet de la crise financière et du rôle joué par le développement d’outils informatiques et de modèles mathématiques financiers. Je me suis demandée si certaines entreprises exerçant dans le domaine des banques et des assurances n’avaient pas assimilé le développement de ces modèles mathématiques à de la recherche et utilisé ainsi le dispositif du crédit d’impôt recherche.

M. Olivier Carré, Président. C’est précisément la question posée.

Mme Florence Toquet. Je n’ai pas la réponse à cette question. Il faudrait peut-être interroger la direction des Vérifications nationales et internationales.

M. Olivier Carré, Président. À quoi correspondait le crédit d’impôt recherche des banques que vous contrôliez ?

Mme Florence Toquet. Il s’agissait d’applications informatiques diverses. Certaines visaient à améliorer le service rendu aux usagers. J’ai le sentiment que ces dernières années, il s’agit d’avantage du développement de nouveaux modèles mathématiques qui ont permis certaines innovations financières et qui sont peut-être passées dans le cadre du crédit d’impôt recherche.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Avez-vous connaissance du nombre de contrôles qui concernent les banques spécifiquement sur le crédit d’impôt recherche ?

Mme Florence Toquet. Il s’agit de davantage de contrôle induit. Les banques sont contrôlées pour d’autres raisons.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. J’ai la sensation que ces statistiques ne se trouvent nulle part. J’avais interrogé en son temps M. Francis Mer sur la relation entre le nombre d’entreprises qui avaient bénéficié d’un crédit d’impôt recherche et celles qui avaient fait l’objet d’un contrôle fiscal. Il a fallu un an avant que je n’obtienne ces informations, qui montraient d’ailleurs une corrélation. Même si vous contestez cette analyse, il n’en demeure pas moins que les entreprises le ressentent ainsi.

M. Vincent Drezet. Effectivement, il suffit qu’une entreprise soit contrôlée après avoir bénéficié du crédit d’impôt recherche pour que toute la région soit au courant. Mais le contrôle fiscal bénéficie d’une image qui est largement supérieure, malheureusement, à son efficacité réelle. Je le rappelais dans mon propos liminaire : le crédit d’impôt recherche engendre quelquefois la peur du déclenchement du contrôle pour certaines PME.

Il convient d’évoquer également les cas de restructurations, des holdings. La plupart du temps, il s’agit d’opérations légales. Cela concerne à nouveau les règles d’assiette relativement permissives. Encore une fois, il ne s’agit pas de porter un jugement trop négatif sur le crédit d’impôt recherche.

M. Olivier Carré, Président. Votre expérience concrète en termes de vérification nous intéresse et nous aide à mieux comprendre la réalité des choses.

M. Vincent Drezet. Il ne s’agit pas de contester le caractère douloureux d’un contrôle pour une PME qui a construit son plan financier et fiscal. Cela fait partie de la pédagogie du contrôle fiscal. Au-delà du crédit d’impôt recherche et plus généralement, nous sommes soucieux de la complexification introduite dans le contrôle fiscal par tous les dispositifs de dépense fiscale. Pour le contribuable de bonne foi qui subit un contrôle, ce qui n’est évidemment pas agréable à vivre, pas plus que pour les services chargés du contrôle fiscal, il s’agit de la bonne application de la norme fiscale, de choix fiscaux qui s’imposent à tous.

M. Olivier Carré, Président. Que pensez-vous du recours aux conseillers fiscaux extérieurs ?

M. Vincent Drezet. Nous devrions être les conseillers fiscaux publics gratuits pour l’ensemble de la population. On peut considérer que nous le sommes et les campagnes d’information du public y participent. Il conviendrait d’y mettre plus de moyens.

Le problème qui se pose aux petites et moyennes entreprises est celui de la sécurité juridique en matière fiscale. Toutes n’ont pas les moyens de s’offrir les conseils qui permettraient d’obtenir cette sécurité juridique fiscale. Je signale à ce propos qu’un grand nombre de cabinets de conseil font appel à l’expertise de l’administration fiscale et refacturent ensuite ces prestations à leurs clients. L’État pourrait s’interroger sur une éventuelle réglementation de la rémunération des cabinets de conseil. Il est clair qu’avec des taux rémunération à hauteur de 15 %, voire davantage dans le cas d’assistance à l’occasion de contrôle fiscal, ces conseils ne sont pas accessibles à toutes les entreprises. La réponse pourrait être apportée par le service public fiscal.

M. Olivier Carré, Président. En fait, l’État paye !

M. Vincent Drezet. De fait, la collectivité paye. J’insiste sur le fait que ce travail de conseil à destination des PME devrait être celui de l’administration fiscale.

M. Olivier Carré, Président. C’est un peu l’objet du rescrit.

M. Vincent Drezet. La tendance du rescrit et des prises de position formelle de l’administration est intéressante. Mais compte tenu de l’état actuel des services fiscaux, des réformes en cours, des suppressions d’emplois, des objectifs assignés en hausse, des contentieux, des effets de la crise, cette fonction n’est pas correctement assumée. Cela me fait penser au livret fiscal entreprise lancé il y a quelques années par la direction générale des Impôts pour améliorer les relations avec le contribuable. Cela n’avait pas bien fonctionné, et sur ce type de mesures comme sur d’autres, une des frustrations provient du manque de temps donné aux agents pour expertiser les dossiers, afin de prendre des positions qui leur seront opposables, et de fournir gratuitement les conseils aux contribuables. Par ailleurs, les cabinets de conseil font leur travail et il est vrai que l’État paye une partie de leur rémunération. Si le produit était moins attractif ou plus simple, ces cabinets se déplaceraient peut-être sur d’autres champs.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Je m’interroge sur ce que peuvent avoir de plus ces cabinets de conseil, du point de vue juridique ou technique, qui leur permet de proposer le crédit d’impôt recherche à des entreprises en s’offrant une rémunération de 15 %. Avez-vous connaissance de leur mode de fonctionnement, de leur formation ? Cela pourrait être une inspiration pour les pouvoirs publics.

M. Vincent Drezet. Comme le signalait M. Carré, certains de nos anciens collègues peuvent faire partie de ces cabinets. À l’évidence donc, certains cabinets bénéficient d’une solide expertise passée, publique ou privée. Ils possèdent également une solide expertise juridique et disposent d’un réseau très important, y compris à l’international. Enfin, les produits « clés en main » vendus à certaines entreprises en fonction de leur profil, à partir d’études de marché spécifiques et d’ingénierie très poussée, à des fins d’optimisation fiscale, sont en constante évolution.

Il ressort des contacts établis avec les avocats fiscalistes, notamment à propos d’affaires concernant les paradis fiscaux, que nos compétences sont équivalentes. Cependant, la logistique et l’offensive commerciale avec des produits « clés en main » sont des aspects très importants qui nous différencient. Les services fiscaux reçoivent les dossiers et les expertisent. Ils ne sont pas dans des positions d’offre de service en indiquant ce qui serait profitable à l’entreprise.

Mme Florence Toquet. Par ailleurs les entreprises ont souvent la crainte du contrôle ultérieur et ont du mal, même s’agissant des PME, à consulter l’administration fiscale. Il ne faut pas sous-estimer ce phénomène. Enfin, dans le cadre du rescrit, il faudrait peut-être que le service qui procède au contrôle des conditions du rescrit soit différent de celui qui l’a prescrit.

M. Olivier Carré, Président. Il me reste à vous remercier.

Audition du 2 juin 2010

À 18 heures 15 : Table ronde de représentants d’entreprises : M. Éric Thiercelin, délégué général du Syndicat de l’instrumentation de mesure, du test et de la conversion d’énergie dans le domaine de l’électronique (SIMTEC), M. Benoît Neel, vice-président d’Agilent Technologies, M. André-Michel Ballester, président-directeur général de Sorin Group et M. Alain Ripart senior vice-président et directeur scientifique de Sorin Group

Présidence de M. Olivier Carré

M. Olivier Carré, Président. Merci à vous tous, représentants de l’industrie électronique et de la technologie médicale, d’être venus. Il s’agit de secteurs très importants pour notre économie. Nous avons déjà entendu un certain nombre de personnes sur le crédit d’impôt recherche, de tous horizons. Nous aimerions connaître votre avis sur ce crédit d’impôt, ses avantages et inconvénients. En quoi la réforme de 2008 a-t-elle fait évoluer votre comportement ? Comment peut-on distinguer effet d’aubaine et effet structurant ? Comment voyez-vous l’évolution du dispositif, étant donné qu’il s’agit d’une dépense fiscale extrêmement importante, puisqu’elle représente 4 milliards d’euros aujourd’hui ?

Mais au préalable, chacun pourrait-il se présenter ?

M. Éric Thiercelin. Je suis le délégué général du Syndicat de l’instrumentation de mesure, du test et de la conversion d’énergie dans le domaine de l’électronique (SIMTEC), syndicat d’entreprises affilié à la Fédération des entreprises électriques, électroniques et de communications.

M. Benoît Neel. Je suis président d’Agilent Technologies, société qui travaille dans le test et la mesure électroniques, et qui résulte du détachement au sein d’une filiale (spin-off) des activités de Hewlett-Packard dans ce domaine. Je suis également président du SIMTEC.

M. André-Michel Ballester. Je suis président-directeur général de Sorin Group, entreprise franco-italienne spécialisée dans les technologies médicales, en particulier les pacemakers, ou défibrillateurs implantables.

M. Alain Ripart. Je suis directeur scientifique de Sorin Group.

Mme Anne-France Duong. Je suis responsable du contrôle de gestion de la division Sorin CRM.

Mme Martine Ponorski. Je suis directrice de la communication de Sorin Group.

Mme Anne Mazoyer. Je représente le cabinet de relations publiques qui assiste Sorin Group.

M. André-Michel Ballester. Le groupe Sorin est très performant en matière de technologies médicales cardiovasculaires. Nous avons une nouvelle implantation à Clamart, de 500 employés, dont 30 % travaillent sur de la recherche et du développement. La recherche est un facteur déterminant de croissance pour notre entreprise. En 2009, 18 % du chiffre d’affaires du groupe a été investi dans la recherche. Cette même année, notre effort de recherche et développement a crû de 18 %.

Le crédit d’impôt recherche est une incitation à faire plus de recherche, et à localiser la recherche en France. Il permet aussi de développer des partenariats public-privé entre ingénieurs et médecins, avec des organismes comme l’INSERM ou des CHU.

Sorin Group est numéro 1 dans le secteur des pacemakers en France et numéro 2 au Japon. En revanche, notre groupe est peu présent aux États-Unis.

M. Éric Thiercelin. Le SIMTEC regroupe 54 entreprises qui totalisent entre 350 et 400 millions d’euros de chiffre d’affaires. Il s’agit de PME et d’entreprises de taille intermédiaire dans le domaine du test et de la mesure électronique. Nous sommes membre de la Fédération des industries électriques, électroniques et de communication (FIEEC), qui tient en ce moment même un salon où sont exposées les nouveautés. Dans ce secteur, il est indispensable d’innover. Ce n’est pas un effet de mode, cela fait partie des gènes de l’industrie électronique. C’est indispensable à la survie d’une entreprise sur un horizon de 5 ans.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La distinction entre recherche et innovation est-elle difficile ? Est-ce que l’éligibilité des dépenses au crédit d’impôt recherche pose problème ?

M. Éric Thiercelin. Nos entreprises trouvent que le crédit d’impôt recherche est un bon dispositif mais ont du mal à distinguer entre ce qui est éligible et ce qui ne l’est pas. Quand elles présentent des dépenses de recherche et développement, on leur en refuse certaines sans qu’elles comprennent pourquoi.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Combien d’entreprises font appel au rescrit ?

M. Éric Thiercelin. Je ne sais pas, je crois qu’elles le font peu car elles redoutent que cela suscite des contrôles fiscaux.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Nous avons reçu des vérificateurs des impôts, et ils nous ont dit le contraire. Il faut utiliser le rescrit !

M. Olivier Carré, Président. Cela permet de sécuriser votre déclaration en cas de contrôle.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Et l’entreprise peut passer également par OSÉO pour le rescrit.

M. Benoît Neel. Agilent technologies a une filiale française qui bénéficie du crédit d’impôt recherche. La maison-mère américaine a décidé de laisser le centre de recherche implanté à Montpellier. Le crédit d’impôt recherche est en effet un atout majeur pour l’attractivité de la France.

Les entreprises devraient davantage utiliser la recherche académique. Par ignorance, elles ne le font pas suffisamment. Nous collaborons déjà avec la recherche publique, mais sans profiter du crédit d’impôt recherche.

M. Olivier Carré, Président. Est-ce que les développements de programmes décidés à l’échelle mondiale sont rapatriés en France ?

M. Benoît Neel. Non. Les décisions se prennent souvent en fonction des salaires et des charges sociales.

M. André-Michel Ballester. La filiale française de Sorin dirige les activités pacemakers au niveau mondial, avec 1 000 employés dans le monde. Le crédit d’impôt recherche n’est pas le premier critère : ce qui justifie notre implantation en France, c’est avant tout les possibilités de collaboration avec par exemple le laboratoire d’électronique et de technologie de l’information (LETI), centre de recherche appliquée en microélectronique et en technologies de l’information, dépendant du Commissariat à l’énergie atomique (CEA). En 2009, nous avons investi 45 millions d’euros dans la recherche de Sorin SAS, alors que le montant du crédit d’impôt recherche (3,6 millions d’euros) a diminué. Il n’y a pas d’effet d’aubaine.

L’autre facteur d’attractivité de la France est la performance de sa médecine en cardiologie. Notre recherche et développement s’effectue toujours sur la base d’une collaboration entre les médecins et nos ingénieurs.

Le crédit d’impôt recherche nous a permis d’embaucher cette année deux docteurs. Il nous permet aussi de faire de la recherche « amont ».

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Tout va bien alors. Il ne faut rien changer…C’est également le cas en matière d’innovation ?

M. Éric Thiercelin. OSÉO fonctionne bien mais il demeure difficile pour les entreprises de communiquer avec ses services, de s’y retrouver dans son organisation aussi.

La vraie difficulté pour les PME, en particulier les plus petites d’entre elles, comme cela a été rappelé lors des États-généraux de l’industrie, réside dans la rencontre des financements, qui existent, et des projets, qui ne manquent pas non plus. Elle peut s’expliquer par des divergences d’horizons temporel bien compréhensibles entre le banquier et le porteur de projet.

Les projets sont parfois aussi jugés trop risqués par les financeurs ; dans ce domaine, le crédit d’impôt recherche permet souvent de boucler des dossiers de prêts qui seraient rejetés sans lui.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Considérez-vous que le périmètre du crédit d’impôt recherche est satisfaisant ?

M. André-Michel Ballester. Cette distinction entre innovation et recherche n’est pas une terminologie que nous employons dans les entreprises.

M. Alain Claeys, Rapporteur. N’y a-t-il pas une lacune dans le dispositif de financement ?

M. André-Michel Ballester. Le crédit d’impôt recherche est un outil bien adapté. De son côté, OSÉO est un bon partenaire mais son métier se réduit à consentir des avances remboursables alors que les PME innovantes ont souvent besoin de fonds propres. Le Fonds stratégique d’investissement va peut-être permettre d’y remédier.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Comment appréhendez-vous le seuil des dépenses de fonctionnement fixé à 75 % des dépenses de personnel ?

M. André-Michel Ballester. Au sein de l’entreprise, nous veillons à détailler semaine par semaine les heures passées par les ingénieurs sur des projets éligibles au crédit d’impôt recherche. Cela impose de consentir un véritable effort en matière de contrôle de gestion.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Je vous ai posé cette question car nous recevions hier des représentants de la direction du budget.

M. André-Michel Ballester. L’année dernière, le seuil de 75 % nous a permis de couvrir 62 % des dépenses réelles.

M. Alain Ripart, senior vice-président et directeur scientifique de Sorin Group. En réalité, nous sous-estimons l’effort de recherche éligible au crédit d’impôt recherche car les petits projets ne sont pas déclarés, compte tenu de la lourdeur de la procédure.

M. Benoît Néel. Pour illustrer cette situation, au niveau de la filiale, le montant des dépenses de recherche était de 680 000 euros et 17 % ont pu répondre aux critères d’éligibilité.

M. Alain Claeys. Le crédit d’impôt rechercher est-il un outil de recherche ou d’optimisation fiscale ?

M. André-Michel Ballester. Ce n’est pas comme cela qu’un groupe optimise sa fiscalité ! En 2009, les dépenses de recherche ont augmenté pour atteindre 45 millions d’euros alors que, dans le même temps, les remboursements de crédit d’impôt ont baissé d’un million d’euros.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Comment expliquez-vous cette diminution ?

M. Alain Ripart. Nous conduisons des projets de recherche longs – d’une durée de six ou sept ans, en moyenne – mais lorsque ceux-ci entrent en phase d’industrialisation, les remboursements de crédit d’impôt recherche diminuent.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Êtes-vous d’accord avec ces calculs ?

M. André-Michel Ballester. Oui. À titre personnel, je nourris quelques craintes quant à la pérennité du dispositif. Pour notre groupe et pour l’ensemble des entreprises qui en bénéficie, cette pérennité est capitale car ce sont des emplois qui sont en jeu.

M. Benoît Néel. Je peux vous le confirmer. L’horizon de nos projets est également de 5 à 10 ans.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quelle est la taille moyenne des entreprises adhérant à votre syndicat ?

M. Éric Thiercelin. Ce sont exclusivement des PME. La plus grosse est Agilent.

M. Benoît Néel. Nous employons 220 personnes en France.

M. Éric Thiercelin. Parmi nos 64 membres, seule une douzaine utilise le crédit d’impôt recherche.

M. Alain Claeys. C’est relativement peu. Les autres membres sont-ils éligibles à ce dispositif ?

M. Éric Thiercelin. Cela dépend des entreprises. Toutes ne pourraient pas bénéficier de ce crédit d’impôt. Cependant, certaines pourraient y prétendre et n’en profitent pas, par méconnaissance, bien souvent.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les PME participent-elles aux pôles de compétitivité ?

M. Benoît Neel. Pas suffisamment à ce jour. Il faudrait valoriser davantage cette participation.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous des propositions d’amélioration du dispositif ?

M. Benoît Neel. La principale amélioration résiderait dans une simplification des formalités, en particulier pour les PME. Celles-ci rencontrent des difficultés dans leurs démarches administratives, par exemple dans le domaine du logiciel. Je citerai l’exemple du formulaire administratif 4A41-12.

M. André-Michel Ballester. Il faut reconnaître que le recours au crédit d'impôt recherche représente pour les entreprises une charge administrative assez lourde. Les relevés d’activité hebdomadaires renseignés par nos ingénieurs indiquent que deux à trois heures sont consacrées chaque semaine à des tâches liées au crédit d’impôt recherche. Nos auditeurs, notamment ceux du cabinet Price Waterhouse Coopers, nous ont aidé à mettre en place un système de traitement, qui est géré en interne, sans recours à des cabinets. C’est un système lourd. En la matière, les simplifications sont par principe bienvenues.

M. Alain Ripart. S’agissant de la participation des ETI au dispositif du crédit d’impôt recherche, nous nous en tenons aux règles du manuel de Frascati. Nous évitons donc de prendre des risques sur des petits projets. Nous tenons compte aussi de l’importance du travail administratif lié au crédit d’impôt recherche.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Préférez-vous, dans ce cas, avoir recours au rescrit fiscal ?

M. André-Michel Ballester. Pour les petits projets, le rescrit se caractérise également par une lourdeur certaine. De fait, nous avons une pratique assez conservatrice, consistant à ne pas inclure ces projets dans l’assiette des mesures pour lesquelles le crédit d’impôt recherche est sollicité. S’il y avait une procédure simplifiée, cela pourrait être une amélioration pour nous.

M. Éric Thiercelin. Les PME, qui souvent, ignorent ce qu’est un rescrit, n’osent pas écrire à l’administration fiscale. Pour elles, le rescrit nécessite donc le recours aux services d’un avocat, ce qui est coûteux.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Analysez-vous le crédit d’impôt recherche comme un outil de relocalisation en France d’activités de recherche et développement ?

M. André-Michel Ballester. Notre groupe conduit des activités de R&D dans des États qui ont adopté des mesures proches du crédit d’impôt recherche, tels l’Italie et le Canada. Mais ces mesures sont plus modestes. En Italie, le volume financier du dispositif est environ deux fois moins important que celui du crédit d’impôt recherche. De plus, l’enveloppe budgétaire est prédéterminée : les premiers arrivés sont donc les premiers servis.

Les dispositifs d’incitation sont d’autant plus efficaces qu’ils sont pérennes. De ce point de vue, le crédit d’impôt recherche permet le rapatriement en France d’activités de recherche et développement jusqu’alors effectuées à l’étranger, le développement de R&D nouvelle en France, ainsi que le développement de partenariats public-privé. Ce dernier point est particulièrement important, car le savoir se situe en amont, dans les universités ; un outil qui incite les entreprises à travailler avec les universités est donc un bon outil.

M. Benoît Neel. Le caractère pérenne du dispositif est en effet particulièrement important.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quelle appréciation portez-vous sur le plafonnement de l’assiette du crédit d’impôt recherche à 100 millions d'euros ?

M. André-Michel Ballester. Notre appréciation ne saurait être fondée, car notre assiette n’excède pas 15 millions d'euros.

M. Olivier Carré, Président. Je vous remercie.

Audition du 2 juin 2010

À 19 heures 15 : M. Hervé Amar, directeur général d’Alma Consulting Group, M. Abbas Djobo, directeur du pôle innovation, et M. Bruno Coulmance, directeur technique du pôle innovation

Présidence de M. Olivier Carré

M. Olivier Carré, Président. Nous vous remercions d’avoir accepté de participer à nos travaux. Le rapport est préparé par Messieurs Alain Claeys, Pierre Lasbordes et Jean-Pierre Gorges, lequel, retenu dans l’hémicycle, vous prie de bien vouloir excuser son absence. M. Jean-Pierre Cossin, conseiller-maître à la Cour des comptes, est également présent.

M. Hervé Amar, directeur général d’Alma Consulting Group. Pour commencer, je me permets de vous présenter notre société. Créée en 1986, Alma est une société qui dénombre 1 600 emplois dont 1 300 en France. Ses domaines d’activités sont notamment le financement et l’accompagnement de l’innovation. Elle intervient également sur la réduction des charges fiscales et sociales, l’accompagnement des entreprises dans leurs politiques d’achats et d’assurance. Alma est implantée dans douze pays, en Europe et au Canada. Nous réalisons 271 millions d’euros de chiffre d’affaires au niveau mondial. En ce qui concerne le crédit d’impôt recherche, Alma a été sélectionné pour son expertise par le gouvernement espagnol et l’accompagne dans sa réflexion stratégique sur ce sujet.

Pour l’essentiel, notre modèle économique repose sur une rémunération au succès. Par ailleurs, nous veillons à ce que les économies générées par nos conseils n’aient aucun impact social au sein des entreprises, en termes de restructuration, de réorganisation ou de licenciement.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quelle est la typologie des entreprises qui font appel à votre concours pour monter un dossier de crédit d’impôt recherche ? Sont-ce des PME, des grandes entreprises ?

M. Abbas Djobo, directeur du pôle innovation. Je tiens à préciser qu’en ce qui concerne le pôle innovation, nous intervenons de manière globale et pas seulement sur le crédit d’impôt recherche. Nos interventions portent sur d’autres dispositifs : des subventions, des partenariats, des valorisations d’actifs …

M. Alain Claeys, Rapporteur. Y compris sur les partenariats public-privé ?

M. Abbas Djobo. Exactement. Nous orientons nos clients vers la bonne ressource, le laboratoire adapté pour leur recherche et développement et contribuons ainsi à la collaboration public-privé.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous beaucoup de sollicitation sur ce sujet des PPP ?

M. Abbas Djobo. Oui, mais surtout en termes d’adéquation à la demande des entreprises : quel est le laboratoire qui est en mesure de répondre à mes besoins de R&D ?

Pour revenir à votre question initiale, nous intervenons auprès de tous les types d’entreprises. Les PME et ETI – entreprises de taille intermédiaire – représentent environ 70 % de nos clients, les grands groupes environ 30 %.

Nos activités concernent à la fois les activités R&D très innovantes, et celles plus classiques, qui contiennent cependant de la recherche et du développement.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Le fait de préconiser des laboratoires, dans le cadre de partenariats public-privé, signifie-t-il que vous possédez une base de données des laboratoires classés par thèmes ?

M. Abbas Djobo. Il ne s’agit pas de base de données au sens strict du terme. Il s’agit plutôt d’un recueil de données, issu de vingt années d’expérience dans le domaine du crédit d’impôt recherche. D’autre part, nous travaillons en collaboration avec des partenaires qui nous donnent accès à des outils, des plateformes d’échanges, qui au-delà du partenariat public-privé, permettent aux entreprises de répondre à leurs besoins de R&D.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le dispositif mis en oeuvre en France, réformé en 2008, est présenté comme l’un des meilleurs du monde et contribue à l’attractivité du territoire. Or, au regard du rapport d’évaluation que vous nous avez transmis, cela ne semble pas aussi évident : 13 % des entreprises estiment que le crédit d’impôt recherche a eu un effet positif favorisant l’implantation de nouveaux centres de R&D en France alors que 80 % répondent que cela n’a pas eu effet.

M. Abbas Djobo. En ce qui concerne les nouvelles implantations, c’est exact. Mais l’attractivité doit aussi être appréciée au niveau du départ des centres de recherche vers l’étranger. Il s’agit en quelque sorte d’une attractivité défensive. Les laboratoires sont restés en France parce que le crédit d’impôt recherche existait. Mais l’attractivité est réelle. L’Agence française des investissements internationaux estime qu’une quarantaine de centres de R&D se sont installés en France en 2009, du fait notamment de l’existence du crédit d’impôt recherche.

M. Hervé Amar. La réforme a modifié la réflexion d’un certain nombre de grands groupes. Le coût de la R&D est apparue plus faible en France qu’auparavant et la compétitivité s’en est trouvée renforcée par rapport à des pays « exotiques ». La proximité du centre R&D par rapport au siège social, la sécurité de l’implantation en France ont été considérés également comme des avantages comparatifs.

M. Abbas Djobo. Pour conforter cette analyse, je peux citer le témoignage d’une entreprise qui nous a affirmé que selon elle, le crédit d’impôt recherche était l’outil qui avait remis la France dans le jeu. La France est redevenue attractive dans les investissements de R&D sur le plan international. Sans ce dispositif, la part de la recherche basée en France, de l’ordre de 65 % pour cette entreprise aurait été réduite.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les motivations des entreprises qui vous sollicitent varient-elles selon leur typologie ? Concrètement, peut-on dire qu’une PME vient véritablement pour financer de la recherche alors qu’un grand groupe privilégie les aspects fiscaux ?

M. Hervé Amar. Je pense qu’il s’agit de la même problématique avec des organisations différentes. Dans le cadre d’une PME, le dirigeant qui n’a pas la connaissance et les ressources fiscales, comptables, financières, nécessaires pour constituer son crédit d’impôt recherche a forcément un besoin d’accompagnement.

Le grand groupe a effectivement besoin d’être sécurisé d’un point de vue fiscal, mais aussi compte tenu de son organisation, avec la recherche et développement d’un côté, la fiscalité et la finance de l’autre. Le sujet en question a la particularité d’être à cheval entre les deux. Le fond est de la R&D, de la science, de la technologie ; la forme, ce sont des textes juridiques, fiscaux, financiers sur lesquels il existe un besoin d’interprétation et de bonne compréhension. Faire dialoguer dans un grand groupe ces deux types de services n’est pas chose aisée.

Monter un dossier de crédit d’impôt recherche dans une PME nécessite un accès aux informations : combien de temps y consacrer, comment monter le dossier …

M. Alain Claeys, Rapporteur. En ce qui concerne la période 2007-2010, quelles ont été la destination des créances reçues par l’entreprise ? Ont-elles augmenté ou stabilisé l’enveloppe recherche ? N’ont-elles pas rejoint le budget général du groupe ou de l’entreprise ?

M. Bruno Coulmance, directeur technique du pôle innovation. Selon notre enquête, pour 55 % des entreprises, le crédit d’impôt recherche réformé a permis, dans un contexte de crise, d’augmenter les investissements de R&D. Il s’agit d’un témoignage important. Le crédit d’impôt recherche a servi d’amortisseur fort des effets de la crise. De nombreux clients nous ont indiqué que le crédit d’impôt recherche leur avait évité des plans sociaux, des mesures de chômage partiel ou des licenciements et avait permis la mise en œuvre de davantage de projets de R&D. Même si l’augmentation des dépenses en R&D est restée modeste en 2008, elle a existé.

M. Olivier Carré, Président. S’agit-il de l’effet du crédit d’impôt recherche ou des mesures d’accélération du paiement, d’un effet de trésorerie ?

M. Bruno Coulmance. Les deux conjugués ont eu un rôle très important. À très court terme, la restitution immédiate du crédit d’impôt recherche, a eu un effet de bouée de sauvetage pour la majorité des entreprises. Actuellement cela perdure. Les entreprises y sont très attachées et estiment à 70 % que le crédit d’impôt recherche réformé est un excellent dispositif ; conjugué à la restitution immédiate, l’effet positif est démultiplié.

M. Hervé Amar. Des entreprises nous ont indiqué que la crise leur avait fait perdre 50 % de leurs effectifs, du fait du manque de commandes. Certaines ont opéré un virage stratégique et en ont profité pour investir dans la R&D afin de ne pas licencier, grâce au crédit d’impôt recherche. Sans lui, ces entreprises auraient licencié ou fermé.

Pierre Lasbordes, Rapporteur. La simplification du crédit d’impôt recherche en 2008 vous a-t-elle fait perdre des clients ?

M. Hervé Amar. Non. Nous avons au contraire constaté un accroissement du nombre de clients, car un plus grand nombre d’entreprises ont pu en bénéficier. D’autre part, la campagne de communication autour de ce dispositif a permis à de nombreuses entreprises d’apprendre à connaître l’existence du crédit d’impôt recherche. Les difficultés rencontrées par ces entreprises, le temps nécessaire à y consacrer ont poussé un certain nombre d’entre elles à recourir aux conseils des entreprises spécialisées.

Pierre Lasbordes, Rapporteur. Est-il pertinent de vous poser la question de ce qui permettrait de rendre le crédit d’impôt recherche plus simple, plus accessible aux entreprises, car ce n’est peut-être pas votre intérêt ?

M. Bruno Coulmance. Les modalités de calcul du crédit d’impôt recherche ont été énormément simplifiées, notamment l’apurement des parts en accroissement négatif reportables qui étaient très complexes à gérer.

Néanmoins, il existe encore bon nombre de dépenses éligibles au crédit d’impôt recherche qui sont restées affectées par les mêmes limitations qu’auparavant. Par exemple, l’instruction administrative précise que les cotisations patronales obligatoires sont éligibles au crédit d’impôt recherche, mais pas la taxe sur les salaires. Toute une série de dispositions vient perturber la lisibilité du dispositif par les entreprises. De mon point de vue, la simplification pourrait concerner la valorisation des dépenses liées au crédit d’impôt recherche qui aujourd’hui sont assez complexes à comprendre, du fait de la superposition de dispositions réglementaires successives au fil du temps.

M. Hervé Amar. Il existe un autre souci au sujet de l’éligibilité d’un projet de R&D au crédit d’impôt recherche. Pour les entreprises, la définition de la R&D renvoie au manuel de Frascati, très documenté, et dans lequel se trouvent tous les exemples utiles de projet de R&D, permettant de juger de leur éligibilité au crédit d’impôt recherche. La difficulté pour les entreprises est la différence entre la « définition Frascati » et celle de l’administration fiscale qui a largement évolué. Frascati n’est plus la référence. Revenir à la « définition Frascati » permettrait aux entreprises d’être assurées que leurs dépenses, que leur projet correspond bien aux trois familles de la R&D.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La définition du champ des dépenses n’a pas changé depuis 2001.

M. Hervé Amar. Elle a changé dans l’interprétation qui en est faite par les organismes de contrôle.

M. Olivier Carré, Président. Pouvez-vous nous donner quelques exemples d’interprétations contradictoires de la part de l’administration ?

M. Bruno Coulmance. Le problème est que les textes qui réglementent les champs d’activité éligibles au crédit d’impôt recherche contiennent des « copier-coller » incomplets du manuel de Frascati. De fait, ces extraits tirés du manuel perdent toutes leurs nuances hors de leur contexte global. Prenons l’exemple des prototypes de recherche. Tout le monde admet qu’ils sont éligibles. Or les textes régissant le crédit d’impôt recherche excluent de son assiette les prototypes de validation de conception. On est dans une zone grise difficilement qualifiable par l’entrepreneur. Aujourd’hui, les administrations de contrôle peuvent appliquer à la lettre les textes relatifs au crédit d’impôt recherche sans pour autant se référer aux définitions nuancées du manuel de Frascati.

M. Olivier Carré, Président. Dans ce domaine, les contrôleurs fiscaux regrettent de ne pas avoir suffisamment d’appui de la part de leurs collègues du ministère de la Recherche.

M. Hervé Amar. Le ministère de la Recherche est de plus en plus présent lors des phases de contrôle. L’expert mandaté par ce ministère va appliquer strictement les textes relatifs au crédit d’impôt recherche sans rentrer dans l’analyse économique de la R&D. Or, pour reprendre cet exemple, les prototypes de validation de conception sont bien subordonnés à un travail de R&D et sont d’ailleurs appréciés, dans la comptabilité analytique de l’entreprise, comme un travail de R&D.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Si l’on prenait le manuel de Frascati pour référence, y aurait-il un élargissement des dépenses éligibles au crédit d’impôt recherche ?

M. Coulmance. En théorie, non. Les ministres responsables du crédit d’impôt recherche ont clairement dit que ces dispositions reposaient sur les définitions de l’OCDE en matière de recherche, et donc sur le manuel de Frascati. Il faut toutefois étoffer la référence qui en est faite dans les textes d’application afin d’en saisir toutes les nuances. Les prototypes de validation de conception, pour peu qu’ils s’inscrivent dans une démarche R&D, seraient alors clairement éligibles, sans aucune ambiguïté.

Par ailleurs, des pans entiers de la recherche sont à l’heure actuelle totalement ignorés par le crédit d’impôt recherche : ainsi dans le domaine des sciences humaines et sociales.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Est-ce que le pourcentage forfaitaire fixé à 75 % des dépenses de fonctionnement est réaliste ? Est-il surévalué ?

M. Hervé Amar. En réalité, il est probablement sous-évalué. Un tel taux ne permet de prendre en compte que les salaires, plus une majoration limitée, inférieure au coût induit par l’environnement. On ne peut introduire aucun coût relatif aux matières premières utilisées. Une entreprise ne peut donc en pratique valoriser son investissement en matière première dans son crédit d’impôt recherche.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le ministre du Budget n’a pas la même interprétation que vous.

M. Hervé Amar. Pourtant le coût complet d’un salaire de chercheur est largement supérieur à 75 %, une fois ajoutées les charges induites par son environnement, comme les coûts liés à l’informatique par exemple.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le secteur bancaire et financier fait-il appel à vos services ? Le cas échéant, est-il aisé d’identifier les dépenses éligibles au crédit d’impôt recherche dans ce domaine d’activité ?

M. Bruno Coulmance. Certaines entreprises du secteur font effectivement appel à nous. Il n’est pas spécialement difficile d’identifier les dépenses de R&D, les critères et conditions d’éligibilité étant les mêmes que pour les autres activités.

M. Olivier Carré, Président. Par exemple ?

M. Bruno Coultance. Les modélisations du comportement des clients entrent dans le champ du crédit d’impôt recherche. Il ne s’agit certes pas de science dure ou de technologie mais ces travaux sont éligibles. Un rapport du ministère de la Recherche indique très clairement que les travaux de recherche menés dans le domaine banque finance sont éligibles au crédit d’impôt recherche et décrit ces travaux. En l’espèce, il reprend le manuel de Frascati.

M. Hervé Amar. Les banques et assurances recrutent des docteurs, des ingénieurs, des mathématiciens, travaillent avec des centres de recherche et des universités. Elles font bel et bien de la recherche !

M. Olivier Carré, Président. Toute la question est de savoir si la finalité de ces travaux est leur intérêt propre ou l’intérêt d’autrui à travers les produits qu’elles vont proposer...

M. Hervé Amar. Si vous me le permettez, je souhaiterais aborder la question des partenariats entre grands groupes et PME et la manière de les favoriser.

M. Alain Claeys, Rapporteur. C’est le rôle des pôles de compétitivité. Nous avons d’ailleurs mené une mission d’évaluation et de contrôle sur le sujet l’an dernier. Par ailleurs n’oublions pas que les PME ont parfois la crainte d’être absorbées par les grands groupes.

M. Hervé Amar. Il peut exister une certaine méfiance. Toutefois, selon nous, le crédit d’impôt recherche peut aider à développer de tels partenariats. Il faudrait utiliser les mêmes mécanismes incitatifs que ceux des partenariats public-privé.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Travaillez-vous sur les brevets ?

M. Hervé Amar. Tout à fait.

M. Olivier Carré, Président. Je vous remercie.

Les auditions consacrées par la MEC au crédit d’impôt recherche sont terminées, à moins que nos rapporteurs souhaitent des auditions complémentaires. En tout état de cause, ils se rendront le 9 juin à la Société générale, afin d’avoir une vision plus concrète des efforts de recherche dans le secteur bancaire et financier.

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1 () La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

2 () Loi de finances pour 2008 n° 2007-1822 du 24 décembre 2007.

3 () Ces dépenses correspondent aux achats de l’année d’équipements nécessaires à la réalisation des travaux internes à la R&D ainsi que les opérations immobilières réalisées sur la même période.

4 () http://www.consilium.europa.eu/ueDocs/cms_Data/docs/pressdata/fr/ec/71026.pdf

5 () Article 87 de la loi de finances pour 2004.

6 () Article 22 de la loi de finances pour 2006.

7 () Article 91 de la loi de finances rectificative pour 2006.

8 () Article 69 de la loi de finances pour 2008.

9 () Livre blanc du MEDEF – décembre 2009, page 20.

10 () « La désindustrialisation en France », Cahiers de la DGTPE, février 2010. Le phénomène de désindustrialisation, qui touche la France comme l’ensemble des économies développées, peut être caractérisé par trois transformations concomitantes : un recul de l’emploi industriel, un recul de la contribution de ce secteur au PIB et une forte croissance du secteur des services marchands.

11 () La décomposition est effectuée en distinguant les secteurs suivants : Industrie chimique, Industrie pharmaceutique, Fabrication de machines et équipements, Fabrication de machines et appareils électriques, Fabrication d'équipements radio, télé et communication, Fabrication d'instruments médicaux, de précision, d'optique, Véhicules motorisés, remorques et semi-remorques, Construction aéronautique et spatiale, Autres secteurs industriels, Services informatiques, Services de transport et de communications, Autres services, Autres secteurs.

12 () États généraux de l’industrie, rapport final, 1er février 2010, page 24.

13 () Note de veille n° 173 – avril 2010 : R&D et structure des entreprises : une comparaison France/États-Unis.

14 () Bilan annuel de l’Agence française pour les investissements internationaux, 2009 : http://www.invest-in-france.org/Medias/Publications/982/Bilan09_FR.pdf.

15 () Site de l’AFII : www.invest-in-france.org: « La France, à l’écoute des entreprises innovantes, propose le meilleur crédit d’impôt recherche d’Europe ».

16 () À la double condition que le contrat de travail soit à durée indéterminée et que l’effectif salarié total de l’entreprise ne soit pas inférieur à celui de l’année précédente.

17 () Rapport au Parlement sur le crédit d’impôt recherche 2009, mars 2010 - Enquête du MESR, pages 42 et 43.

18 () Réponse au questionnaire de la MEC : « Les données nécessaires ne sont pas disponibles et impliquent la réalisation d’études spécifiques ne permettant pas de répondre dans le délai imparti ».

19 () Note n° 50, janvier 2009, Les effets économiques de la réforme du crédit d’impôt recherche en 2008.

20 () Loi de finances rectificative n° 2008-1425 du 27 décembre 2008.

21 () La dépense fiscale est estimée à partir de la créance en utilisant les clefs de passage (de la créance à la dépense) constatées avant la réforme avec une hypothèse de croissance de la créance de 100 millions d’euros par an à partir de 2012 : 40 % d’une créance au titre de l’année n est imputée sur l’IS de l’année n+1 ; 10 % d’une créance au titre de l’année n est imputée sur l’IS de chacune des années n+2 et n+3 ; le solde, soit 40 %, est imputé ou remboursé en année n+4.

22 () Données établies par le MESR en mars 2010 pour répondre au questionnaire de la MEC, communiquées aux Rapporteurs en juin 2010.

23 () Le CIR est subordonné au dépôt d’une déclaration spéciale, faite sur le formulaire n° 2069 A.

24 () Rapport de M. Gilles Carrez, n° 1794 déposé le 2 juillet 2009.

25 () Commission élargie sur le projet de loi de finances pour 2010, audition de Mme Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, sur les crédits pour 2010 de la mission « Recherche et enseignement supérieur » au cours de la séance du lundi  9 novembre 2009 à 15 heures.

26 () http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=nomenclatures/naf2008/naf2008.htm

27 () L’article 22 de la loi de finances pour 2006 a relevé de 5 % à 10 % le taux du crédit d’impôt calculé sur le volume des dépenses, diminuant celui de la part en accroissement de 45 % à 40 %. Le plafond du crédit d'impôt recherche a été relevé de 6,1 à 10 millions d’euros et le plafond spécifique à la recherche sous-traitée de 2 à 10 millions d’euros, à condition qu’il n’existe pas de lien de dépendance entre le donneur d’ordre et le sous-traitant. Enfin, les dépenses relatives aux jeunes docteurs sont désormais retenues pour le double de leur montant et les frais de fonctionnement y afférents portés de 100 % à 200 % ;

28 () L’article 91 de la loi de finances rectificative pour 2006 avait porté le plafond du crédit d’impôt recherche à 16 millions d’euros. De plus, l’article 15 de la loi de finances pour 2007 a supprimé le plafond applicable au frais de prise et de maintenance des brevets et élargi l’assiette aux frais de prise, de maintenance et de défense des certificats d’obtention végétale.

29 () Holdings, autres sociétés mères percevant le CIR pour le compte de leurs filiales et sociétés de recherche et développement.

30 () Sociétés pour lesquelles une réaffectation n’a pas été possible.

31 () La catégorie « Autres services » comprend notamment les services de l’audiovisuel, les services de production d’eau et assainissement, les services d’édition imprimerie et reproduction, les services de transports…

32 () Discours prononcé à Marignane le 4 mars 2010.

33 () Note de veille n° 173 – avril 2010 : R&D et structure des entreprises : une comparaison France/États-Unis.

34 () Note d’information 09-27 : R&D : le potentiel des entreprises de taille intermédiaire

http://cisad.adc.education.fr/reperes/telechar/ni/ni0927.pdf.

35 () Note d’information n° 10-05 – MESR.

36 () Au regard des chiffres publiés par le MESR, les dépenses de personnel recherche en 2008 = 7 059,26 M€ dont 77,134 M€ relatives aux jeunes chercheurs (soit 1 % des dépenses de personnel) soit 6 982,126 M€ hors dépenses consacrées à l’embauche de jeunes chercheurs..

Montant des dépenses de fonctionnement en appliquant un forfait de 75 % = 5 214,226 M€

Montant des dépenses de fonctionnement en appliquant un forfait à 33 % = 6 982,126 * 0,33 = 2 304,101 M€

Différence entre 75 et 33 % : 2 910,125 millions d’euros

Economie réalisée : 2 884,670 * 0,3(hypothèse d’un CIR = 30% des dépenses déclarées) = 865,401 M€.

37 () Rapport d’information de M. Christian Gaudin, fait au nom de la commission des Finances du Sénat sur le bilan de la réforme et l’évaluation de la politique du crédit d’impôt recherche, 25 mai 2010, doc. Sénat n° 493.

38 () http://media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/CIR/38/7/CIR04-10_147387.pdf.

39 () Manuel de Frascati – Méthode type proposée pour les enquêtes sur la recherche et le développement expérimental, OCDE, 2002.

40 () Article 136 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie.

41 () Ainsi, l’enquête menée relative à l’impact du CIR sur l’attractivité de la France pour les activités de R&D des entreprises multinationales (rapport publié en mars 2010) repose sur un sondage auprès de 700 entreprises pour lequel seulement 165 entreprises ont répondu.


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