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N° 3114

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 janvier 2011.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

en conclusion des travaux de la rencontre Parlement-IFRI, le 22 décembre 2010,

sur « l’État du monde à la fin de l’année 2010 »

M. Axel PONIATOWSKI

Président

INTRODUCTION 5

I – LE MONDE EN 2010 7

A) PROPOS INTRODUCTIFS 7

1) M. Thierry de Montbrial, directeur général de l’IFRI 7

2) M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat 9

3) M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale 11

B) DÉBAT AVEC LA SALLE 13

II – TABLE RONDE : PROCHE ET MOYEN-ORIENT 21

A) PROPOS INTRODUCTIFS 21

1) M. Jean François-Poncet, sénateur, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat 21

2) M. Jean Glavany, député, membre de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale 23

3) M. Etienne de Durand, directeur du Centre des études de sécurité de l’IFRI 28

B) DÉBAT AVEC LA SALLE 32

III – TABLE RONDE : LA GOUVERNANCE MONDIALE 37

A) PROPOS INTRODUCTIFS 37

1) M. Hervé Gaymard, député, membre de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale 37

2) M. André Vantomme, sénateur, membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat 39

3) M. Jacques Mistral, directeur des études économiques de l’IFRI 41

B) DÉBAT AVEC LA SALLE 43

CONCLUSION 47

Mesdames, Messieurs,

Le présent rapport d’information a pour objet de publier les débats d’une rencontre, qui s’est déroulée le mercredi 22 décembre 2010, entre, d’une part, les commissions des affaires étrangères de l’Assemblée nationale et du Sénat, et, d’autre part, l’Institut français des relations internationales.

J’ai eu l’honneur de présider cette réunion avec M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, mais l’idée originale de cet événement appartient à M. Thierry de Montbrial, directeur général de l’Institut français des relations internationales, dont il est aussi le fondateur. L’IFRI est un centre, indépendant et sans but lucratif, de recherche sur les questions internationales, l’un des seuls centres français qui dans ce domaine puisse rivaliser avec les organismes étrangers les plus réputés. Ce laboratoire d’idées réunit une trentaine de chercheurs permanents français et étrangers et de très nombreux chercheurs associés. En 2009, il a organisé plus de 200 conférences et publié 11 ouvrages ainsi que 170 notes et études numériques.

Les parlementaires, même les plus expérimentés, ont besoin des experts ; il est d’ailleurs fréquent que les différents organes du parlement français fassent appel à eux. Dans d’autres démocraties, tout particulièrement dans les pays anglo-saxons, la collaboration entre le Parlement et les organismes de recherche est quasi-institutionnalisée. Pourquoi ne pas donner à cette collaboration un caractère public ? Pourquoi ne pas la consacrer sous la forme d’un colloque réunissant des parlementaires, des experts et un public averti ?

Par ailleurs, les commissions des affaires étrangères des deux assemblées, depuis plusieurs années, ont multiplié les rapports d’information sur les questions internationales. Depuis le début de la législature, la commission que je préside en a publié 21 et 6 en 2010. Ce colloque était une occasion de faire connaître ce travail à un public averti et de confronter les analyses des uns et des autres.

Tel était le sens de cet événement qui a réuni à l’Assemblée nationale plus de 200 personnes (231 très exactement), correspondants de l’IFRI, c'est-à-dire, des chercheurs, des responsables de tous horizons, des diplomates de toutes nationalités, de simples particuliers passionnés d’international.

Le programme comportait un thème général – l’état du monde à la fin de l’année 2010 – et deux tables rondes sur deux sujets plus spécifiques : le Proche et Moyen-Orient et la gouvernance mondiale.

Les pages qui suivent rendent compte, je crois, de la qualité des échanges et de l’intérêt de cette expérience qui, à mon sens, mériterait d’être renouvelée avec d’autres instituts.

I – LE MONDE EN 2010

M. le président Axel Poniatowski. C’est un honneur pour moi d’ouvrir cette première rencontre entre le Parlement et l’Institut français des relations internationales, l’IFRI. Je remercie M. Thierry de Montbrial d’avoir eu l’idée de cet événement. Les travaux parlementaires se nourrissent très largement des réflexions de nos meilleurs intellectuels, et ceux de l’IFRI sont parmi les plus sollicités, mais il était opportun que ces relations soient en quelque sorte officialisées et que le Parlement mette en bonne lumière l’apport particulier de l’IFRI à sa réflexion sur les sujets internationaux. Ce sera aussi l’occasion pour les commissions des affaires étrangères des deux assemblées de dialoguer avec un public averti, que je remercie d’être venu en nombre, et je souhaite que cette rencontre amorce une série de rendez-vous réguliers propres à enrichir la réflexion collective.

Je salue la participation de mes collègues du Sénat – M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, M. Jean François-Poncet et M. André Vantomme –, de MM. Hervé Gaymard et Jean Glavany, anciens ministres et membres de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, ainsi que des experts de l’IFRI, MM. Jacques Mistral et Étienne de Durand.

Je cède la parole à M. Thierry de Montbrial pour introduire notre débat.

A) Propos introductifs

1) M. Thierry de Montbrial, directeur général de l’IFRI

Je vous remercie, monsieur le président, d’avoir donné suite à ma suggestion d'organiser cette rencontre entre le Parlement et l’IFRI. Je limiterai mon propos liminaire à quelques remarques générales, en m’abstenant de les développer.

Si je cherche à caractériser le monde actuel, je le décrirai comme multipolaire, hétérogène et global, mais en insistant sur son hétérogénéité, sa caractéristique la moins souvent soulignée ; elle signifie que nous devons accepter les différences, y compris dans l’énoncé des valeurs.

Le fait le plus frappant de l’année 2010 a été l’affaiblissement des États-Unis. Je ne me hasarderai pas à déterminer à ce stade si cet affaiblissement est temporaire ou s’il marque le début d’un cycle plus long, comme s’est étendu sur plusieurs décennies le déclin de la Grande-Bretagne – dont les historiens ont observé qu’il était perceptible dès la fin du XIXe siècle, même si le moment le plus symbolique en a été le coup de tonnerre de la dévaluation de la livre sterling en 1931.

Quoi qu’il en soit, l’année 2010 n’a assurément pas été brillante pour les États-Unis, dont la situation économique demeure très précaire. Je ne m’appesantirai pas sur l’ampleur de déficits dont les Américains eux-mêmes commencent à s’inquiéter, et je me bornerai à mettre l’accent sur deux autres points majeurs. En premier lieu, outre que M. Obama connaît une situation difficile dans son pays, son administration a montré son incapacité à faire progresser le dossier des relations israélo-palestiniennes, comme le nouveau président s’y était courageusement engagé. Les États-Unis y ont perdu en prestige. En deuxième lieu, une polémique s’est ouverte sur la situation en Afghanistan et sur son évolution possible, et le moins que l’on puisse dire est que la plupart des experts ne sont pas optimistes. La question se pose en particulier de savoir si l’on n’a pas perdu de vue les objectifs de la guerre menée là-bas. En 2001, le but visé était de combattre Al-Qaida ; quel est-il aujourd’hui ?

Le problème afghan demeurera insoluble s’il n’est pas traité dans son contexte – c’est-à-dire aussi longtemps que les relations entre l’Inde et le Pakistan ne seront pas apaisées, ce qui renvoie à la question du Cachemire. Mais on ne peut non plus imaginer le régler tant qu’on laissera en l’état la question iranienne. D’une certaine manière, à l'autre extrémité du Moyen-Orient, le conflit afghan fait pendant au conflit israélo-palestinien.

En Asie de l’est, on assiste à la montée en puissance de la Chine, qui s’est accentuée en 2010. En octobre dernier, lors de la troisième édition de la World Policy Conference organisée par l’IFRI à Marrakech, Mme Fu Ying, vice-ministre chinoise des affaires étrangères, a eu une phrase qui donne à réfléchir : « Jamais, a-t-elle dit, la Chine et le Japon n’ont été puissants en même temps ». De son côté, M. Henry Kissinger a souligné que la Chine ne disposait que d’une très mince expérience dans le domaine des relations internationales. De fait, à mon avis, Pékin a commis une erreur en surréagissant lorsqu’un de ses chalutiers a été arraisonné par les gardes-côtes japonais en mer de Chine orientale. Ce faisant, il a catalysé les craintes des pays de la région, en particulier du Japon qui a entrepris de réviser sa politique de défense, qu’il s’agisse de ses capacités d’armement ou de ses relations avec les États-Unis.

J’en viens à la situation économique. Sur un plan général, la crise n’est pas réglée et l’économie mondiale est encore très vulnérable. Le système financier international demeure fragile, les risques de protectionnisme ne sont pas négligeables et, en dépit des efforts entrepris dans le cadre du G20, l’accord ne se fait pas sur la manière d’assurer la gouvernance économique mondiale.

La crise de l’euro reflète à son échelle le problème général de l’économie mondiale. Imaginer qu'un éclatement de la zone euro pourrait tout résoudre est une illusion : un instant de réflexion suffit à comprendre que la crise en serait aggravée. D'autre part, dès la constitution de cette zone, les économistes avertis savaient qu’il y manquait une gouvernance économique indispensable dans la mesure où elle ne constituait pas ce qu’on appelle une « zone monétaire optimale » ; celle-ci reste à construire et, comme toujours dans l’histoire européenne, on ne progresse que sous la contrainte, poussé par la crise. Or – mais cela ne vaut pas seulement pour l’Europe et pour l’économie, il en va de même en matière de sécurité internationale – nous souffrons de l’absence d’un cadre analytique commun. Je suis ainsi frappé de voir que certains défendent un keynésianisme simpliste selon lequel l’augmentation des dépenses réglerait tout – une thèse qui occulte les effets du déficit et de la dette.

Enfin, s’agissant de l’Afrique, j’appelle l’attention sur le fait que, pour la première fois dans l’histoire des Nations unies, le Conseil de sécurité a pris position sur le résultat d’une élection, c’est-à-dire sur un problème interne à l’un de ses pays membres. Ce faisant, l’Organisation a mis sa crédibilité en jeu : si M. Laurent Gbagbo quitte le pouvoir et que M. Alassane Ouattara lui succède à la présidence de la Côte d’Ivoire de manière relativement paisible, la communauté internationale aura certes marqué un point, mais s’il en va autrement…

2) M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat

La crise financière, les migrations, la prolifération nucléaire et le terrorisme sont autant de facteurs qui ont crée ou attisé des foyers d’instabilité en cette année 2010.

La crise financière a déstabilisé les économies de l'Europe : après l’Islande et la Grèce, puis le Portugal, l’Espagne est maintenant menacée, et peut-être d’autres pays latins... Les déficits abyssaux des finances publiques et un endettement majeur exigeaient des mesures correctrices, qui sont de moins en moins acceptées par la population. L’Union européenne est fragilisée car elle a du mal à établir une gouvernance économique commune, à tel point que l’on débat à présent, au sein de la zone euro, du maintien même de la monnaie unique.

Le phénomène migratoire fait que l’on assiste à des réactions xénophobes dans des pays précédemment réputés pour leur modération : les Pays-Bas ont ainsi voté dans un sens assez droitier et extrémiste, de même que la Suède, ce dont nous n’avions pas l’habitude. Les réactions sont très fortes en Suisse aussi ; en France comme au Royaume-Uni, l’immigration devient un argument politique.

S’agissant du terrorisme, si Al-Qaida « canal historique » semble plus ou moins contenu, la firme est désormais franchisée. Sa succursale « AQMI » est particulièrement active et nocive en Afrique occidentale et au Yémen. Des cellules dormantes ont été réactivées et ont projeté des attentats en Europe et aux États-Unis. Les infiltrations terroristes et fondamentalistes rendent très préoccupante la situation dans tout l'espace qui va de Dakar à la côte somalienne.

En matière de prolifération nucléaire, l’Iran pratique assidûment la politique du stop and go, prétendant négocier tout en continuant de s’équiper. De même, la Corée du Nord fait souffler le chaud et le froid ; ce pays cherche peut-être un contact direct avec les États-Unis mais, plus sûrement, on voit que le Traité de non-prolifération est en danger. Nous devons tout mettre en œuvre pour empêcher l’Iran d’acquérir l’arme nucléaire car s’il le fait, tous les pays du Proche-Orient voudront également s’en doter et la situation deviendra incontrôlable.

J’ajoute qu’un épisode climatique a eu des conséquences politiques considérables : les violentes inondations qui ont ravagé le Pakistan ont déstabilisé ce pays. À l’occasion de cette catastrophe, la faiblesse de l’État est apparue de façon évidente ; l’efficacité est venue de l’armée et d’associations fondamentalistes, ce qui a aggravé le discrédit de l’administration civile.

L’année 2010 a aussi été celle de la modification des équilibres internationaux. Je distinguerai dans le monde des pôles de croissance, des pôles de stagnation et des pôles en voie d’affaiblissement. Au nombre des pôles de croissance, je citerai bien sûr l’Inde et la Chine, qui ont connu une croissance économique spectaculaire : de 7,7 % pour la première, de 9,1 % pour la seconde. On sait la solidité monétaire de la Chine, principal prêteur des États-Unis et qui se refuse, en dépit de toutes les pressions, à réévaluer le yuan. Cette force financière permet une formidable expansion commerciale et industrielle mais aussi le développement de capacités militaires et navales nouvelles. La Chine intervient désormais partout – en Afrique surtout sur le plan économique, mais aussi dans l’océan Indien et, comme l’a rappelé M. de Montbrial, en mer de Chine. Incontestablement, ce pays passe à l’offensive. Et comme l’Inde aussi tente d’étendre son influence sur les pays voisins, cela peut, un jour, mener à une confrontation.

Le Brésil est un autre pôle de croissance sous la houlette du Président Lula, l’ancien pays émergent est devenu une grande puissance.

Au nombre des pôles en stagnation, je citerai les États-Unis dont M. de Montbrial a décrit la situation, mais aussi la Russie, qui traverse une phase néo-nationaliste : elle a repris de l’influence en Ukraine, elle essaye de neutraliser la Géorgie et, en dépit de la politique de reset, continue de dénoncer dans l’OTAN un facteur d’instabilité. Mais la rente pétrolière masque mal l’obsolescence de l’industrie nationale, l’insuffisance des équipements, la faiblesse de la démographie et celle, relative, des forces armées. La Russie n’est plus la superpuissance qu’elle fut.

L’Europe est quant à elle, incontestablement, un pôle affaibli, fortement éprouvé par la mondialisation. J’ai dit la difficulté des États européens à s’accorder sur une gouvernance économique commune. Mais la politique extérieure et la politique de sécurité et de défense communes tardent à se mettre en place. Les pays européens ne parlent pas d’une même voix sur les problèmes internationaux – on le voit pour le Moyen-Orient, et des divergences s’expriment même sur la conduite des opérations en Afghanistan. Les États-Unis montrent une désaffection assez marquée pour l’Europe, qui n’a pas davantage de crédibilité aux yeux de la Russie et des pays émergents. En bref, on a le sentiment que, pour la plupart de nos partenaires mondiaux, l’Union est bien davantage un marché qu’une puissance. Ce constat affligeant appelle des réactions de notre part.

Qu’en est-il enfin de la France en 2010, vue de l’étranger ? S’adapte-t-elle à la mondialisation ? Notre compétitivité industrielle est insuffisante ; le poids de notre dépense publique impose de redresser les comptes sociaux, ce qui est à la fois très difficile à réaliser et très difficile à faire accepter par la population. Sommes-nous capables de réformer, comme nous le devons, notre système éducatif et notre sécurité sociale ? Sommes-nous, pour tout dire, capables d’accepter les sacrifices qu’impose le redressement de notre économie ?

S’agissant de la France au sein de l’Union européenne, le couple franco-allemand saura-t-il donner un nouvel élan à la constitution d’une Europe-puissance ? Le tête-à-tête entre la France et le Royaume-Uni en matière de défense exclut-il une politique européenne de sécurité et de défense ? Sur le fond, l’accord existe-t-il sur la nécessité d’une telle politique ?

Par ailleurs, que reste-t-il de la « Françafrique » si souvent dénoncée ? Ce qui se passe en Côte d’Ivoire et au Sahel n’est-il pas le signe qu’en dépit de la francophonie, notre influence sur ce continent n’est plus ce qu’elle était ?

Enfin, la France a-t-elle gagné à réintégrer l’OTAN ? Avoir pris le commandement allié « Transformation » de l’Alliance lui permet-il d’exercer son influence, notamment militaire ? Ou bien, en acceptant d’entrer dans le schéma de défense anti-missile balistique, n’avons-nous pas fait une concession majeure aux États-Unis, au détriment de notre industrie de défense et de notre vision stratégique propre ?

3) M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale

J’axerai mon propos sur les aspects sécuritaires de la situation mondiale. L’année qui s’achève n’a pas apporté de démenti flagrant à un constat banal que beaucoup d’observateurs ont fait avant moi : nous sommes passés en quelques années d’un monde bipolaire, tendu certes mais prévisible et stable, à un monde fragmenté, imprévisible, instable et, à beaucoup d’égards, plus dangereux que le précédent. Le chaos s’est-il installé durablement ou un nouveau système international est-il en gestation ? Ce nouveau système, s’il voit le jour, parviendra-t-il à garantir notre sécurité ?

Quitte à paraître alarmiste, je dirai que les menaces se précisent et se rapprochent chaque jour. Les citoyens européens en ont insuffisamment conscience ; ils demeurent principalement préoccupés par les sujets de politique intérieure, ce qui ne facilite pas le maintien des budgets de défense et de sécurité aux niveaux requis. Or l’Europe ne pourra conjurer tous les périls et jouer un rôle sur la scène internationale en utilisant exclusivement la méthode douce – le soft power. Seuls le Royaume-Uni, la France et la Grèce consacrent plus de 2% de leur PIB à leur outil militaire, en dépit de contraintes budgétaires de plus en plus lourdes ; leurs partenaires européens sont toujours dans une logique de désarmement, à contre-courant des tendances qui prévalent partout ailleurs.

Certes, l’OTAN reste et restera pendant de longues années un acteur essentiel car elle est la seule organisation de défense qui dispose d’une capacité de projection efficace. Il faut donc se féliciter des résultats du dernier sommet de Lisbonne. L’Alliance atlantique, après la crise irakienne, est à nouveau sur les rails et les relations avec la Russie se sont stabilisées. Cependant, un bouclier anti-missile, nécessaire en soi, ne saurait dispenser d’un renforcement des capacités militaires européennes et il est consternant que la politique européenne de défense ne progresse pas, exception faite de la coopération bilatérale franco-britannique, récemment réaffirmée.

En effet, les risques de prolifération nucléaire sont loin d’être réduits et la lutte contre le terrorisme loin d’être gagnée. De très nombreux États sont fragilisés par leur sous-développement, par leur démographie, par leurs tensions internes et par la diffusion de pratiques frauduleuses – je pense en particulier au trafic de drogue qui gangrène certains États d’Amérique latine et sape la stabilité de certains pays africains devenus pays de transit, au point que, selon certains experts, il constitue aujourd’hui, pour ce dernier continent, un danger plus grand que l’islamisme radical.

Nous traiterons au cours de notre première table ronde du Proche et du Moyen-Orient. Cette zone concentre en effet tous les motifs d’inquiétude : risque de prolifération nucléaire, terrorisme, montée de l’islamisme intégriste, blocage persistant du conflit israélo-palestinien, trafic de drogue… Mais nous aurions pu aussi nous focaliser sur les États du continent africain qui demeurent soumis à des risques élevés de guerre civile ou même sur l’Amérique latine, qui en dépit du spectaculaire essor de son économie, ne vient pas à bout des narcotrafiquants. Les incidents qui ont opposé récemment les deux Corées nous rappellent également que la guerre froide n’est pas complètement terminée.

Ces questions ne sont pas nouvelles. Ce qui est nouveau, c’est que nous sommes désormais sans beaucoup d’illusions. Après la chute du Mur de Berlin, les Européens ont nourri l’espoir que la communauté internationale – en fait les États-Unis – parviendraient à traiter le cas des « États voyous » et des « États faillis ». La paix paraissait accessible au Proche-Orient. La croissance repartait de plus belle un peu partout et le fameux « consensus de Washington » triomphait. Un nouvel ordre international, dominé par les démocraties occidentales, semblait à portée de main.

Cet espoir s’est évanoui. Comme l’a souligné M. de Montbrial, l’affaiblissement économique des États-Unis a été précédé par un affaiblissement stratégique. De toute façon, la sécurité du monde ne peut reposer sur la seule capacité d’un « État gendarme », même hyperpuissant. L’approche utopiste et unilatéraliste de Georges W. Bush a échoué ; celle de Barack Obama a le mérite d’être plus réaliste mais ses résultats se font attendre.

Alors que les États-Unis s’essoufflent, les pays émergents sont dans une forme économique éblouissante. Leurs taux de croissance ont à peine souffert pendant la crise économique. Leurs dépenses militaires, portées par cette expansion, progressent résolument ; ainsi, selon certains analystes, le budget militaire de la Chine croîtrait de 15 % par an et pourrait rattraper celui des États-Unis dans dix ans. Les diplomaties de ces pays émergents s’affirment partout dans le monde.

Ces États peuvent contribuer à régler des problèmes ou à apaiser des tensions que les vieux pays ne peuvent plus gérer seuls : ainsi, tout récemment, à Cancún, ils ont sorti de l’ornière les négociations sur le réchauffement climatique. Mais leur irruption sur la scène internationale peut aussi compliquer le jeu. L’initiative turco-brésilienne sur le dossier du nucléaire iranien l’a montré, qui a perturbé et compliqué l’action de la communauté internationale.

Alors que les publications de Wikileaks confirment la transparence de la politique étrangère des États occidentaux, chancelleries et experts s’interrogent d’ailleurs quant aux ambitions internationales et régionales de ces États émergents. Ils se demandent par exemple si la Turquie n’est pas en train de réviser ses choix stratégiques traditionnels et si ces changements sont une conséquence de l’enlisement des négociations d’adhésion à l’Union européenne ou si, plus gravement, ils résultent de l’évolution de la société turque et de la tentation « néo-ottomane » de ses élites. Des interrogations similaires valent pour le Brésil, pour l’Inde et, naturellement, pour la Chine.

Aussi longtemps que ces incertitudes n’auront pas été levées, il sera sans doute très difficile de définir une nouvelle gouvernance mondiale. Le G20 a fait preuve d’une efficacité qui tranche avec la lourdeur de la mécanique onusienne et c’est en partie grâce à lui que le système financier mondial a été sauvé de la faillite et que les États ont globalement bien résisté à la tentation protectionniste. Dans l’idéal, les membres du G20 devront un jour élargir leurs discussions aux questions de sécurité ; mais cela suppose l’instauration d’un climat de confiance entre tous, et donc beaucoup de temps.

En cette fin 2010, la démocratie progresse plutôt dans le monde, mais les facteurs d’incertitude et de troubles également. Nous sommes entrés dans une période mouvante, dans une phase de mutations propice à l’instabilité. Je ne suis donc guère plus optimiste que M. de Montbrial et M. de Rohan.

Tous ces sujets appellent un débat, que M. de Montbrial animera.

B) Débat avec la salle

M. Thierry de Montbrial. Avant de donner la parole à ceux qui le souhaitent, je tiens à souligner l’importance de la démarche conjointe du président Lula et du Premier ministre turc, M. Erdoğan. Beaucoup plus qu’un grain de sable dans un rouage, c’est le signe que des pays devenus des puissances moyennes adoptent une attitude gaullienne. En réalité, le gaullisme se trouve maintenant dans ces pays-là ! Le président Axel Poniatowski s’est interrogé sur les causes de l’évolution de la Turquie. Selon moi, elle est liée au moins pour partie à sa croissance économique, qui atteint de 6 à 7 % selon les années. De même, la croissance économique du Brésil est équivalente à celle que nous avons connue lors des Trente Glorieuses. Il faut donc s’attendre à des changements radicaux dans la gouvernance mondiale.

M. Alain Dangeard, président du conseil d'administration de MEED SA (Matières premières, Eau, Environnement, Développement SA). Je suis surpris de n’avoir rien entendu dire de la détérioration des ressources naturelles, pourtant sous-jacente à beaucoup des difficultés signalées par M. Poniatowski. L’Inde, en particulier, est très fragilisée par cette dégradation.

M. Thierry de Montbrial. Cette question cruciale est à la fois nouvelle et très ancienne – rappelons-nous les débats du Club de Rome à ce sujet, dans les années 1970. À ce jour, le progrès technologique a permis de démentir toutes les prévisions pessimistes, sans exception. Je ne dis pas que le problème n’existe pas, mais que l’urgence qu’il y a à le résoudre doit être appréhendée avec nuance. En revanche, la rivalité entre les États est certaine, et la concurrence pour s’approprier les ressources qui se manifeste partout – en Afrique entre la Chine et l’Inde, mais aussi au Brésil – est une donnée géopolitique essentielle.

À cela s’ajoutent des préoccupations environnementalistes croissantes. Or, nous n’avons aucune expérience de la négociation, à l’échelle mondiale, sur les problèmes climatiques. Comment près de deux cents pays peuvent-ils négocier efficacement sur des questions d’une extrême complexité, et par ailleurs assez mal définies ? C’est un débat en soi, sur lequel nous reviendrons au cours de la troisième table ronde.

Mme Imen Hazgui, journaliste à easybourse.com. Je suis consciente qu’aucun de vous n’est devin ; pourriez-vous cependant nous dire quels seront, selon vous, les principaux risques qu’il nous faudra affronter pendant l’année à venir ? Par ailleurs, quelle pourrait être l’évolution de la crise de la dette souveraine dans la zone euro en 2011 ?

M. Thierry de Montbrial. Nous traiterons spécifiquement de la gouvernance économique dans notre dernière table ronde. Je me limiterai pour l’instant à dire que le flottement doit cesser. Face à des spéculateurs prêts à profiter de toutes les faiblesses du leadership des États, l’Union européenne doit montrer clairement sa détermination, non plus par des discours mais par des décisions propres à régler le problème. Pour le reste, comme dans toute situation chaotique – « non linéaire », diraient les mathématiciens –, on ne peut jamais prévoir avec exactitude quand un événement se produira. Il en est de la dette comme des tremblements de terre : on sait quelles sont les failles, on sait que la catastrophe se produira un jour et où, mais l’on ne sait en déterminer la date avec précision. Ainsi, la Corée du Nord s’effondrera un jour, mais nul ne peut dire quand. De même, je ne me souviens pas que quiconque ait, en 1988, imaginé que deux ou trois ans plus tard l’Union soviétique n’existerait plus et lorsqu’on demande maintenant aux habitants des anciennes républiques soviétiques quand ils ont pris conscience de ce qui se profilait, ils répondent tous n’avoir compris qu’au tout dernier moment que l’empire était en train d'éclater.

M. le président Axel Poniatowski. Pour apprécier quels peuvent être les principaux risques à venir, il faut d’abord définir de quel point de vue on se place car les choses sont très différentes selon qu’on les envisage depuis la France ou l’Europe, ou depuis d’autres régions du monde. Cela étant, les priorités que s’est fixées le Président de la République en prenant la présidence du G20 définissent en creux ces risques.

Il a d’abord dit la nécessité de réformer le système monétaire international pour en améliorer le fonctionnement ; il conviendra donc de cerner les dispositifs destinés à compléter l’accord de réglementation bancaire Bâle III, qui marque un progrès important mais encore insuffisant. Le Président de la République souhaite ensuite que l’on parvienne à stabiliser le prix des matières premières – ce qui renvoie à la question précédemment abordée des ressources naturelles. Les fluctuations de leur cours ont en effet un impact ravageur sur les pays en développement, avec des conséquences pour l’intégration, pour la sécurité et aussi pour la diffusion du fondamentalisme, qui trouve sa source dans la pauvreté.

Enfin, le Président de la République a souligné la nécessité d’un meilleur fonctionnement des institutions internationales. Je suis plus pessimiste que M. de Montbrial à ce sujet, considérant pour ma part que l’ONU a déjà démontré son inefficacité dans de nombreuses situations. Comment imaginer que 192 États parviendront à trouver un consensus alors que l’organisation qui les réunit est conduite à prendre des positions contraires aux intérêts de certains d’entre eux ? C’est dire l’utilité du G20, dont la création a été l’une des très grandes initiatives prises en 2009. On ne mesure pas encore toute la portée de cette décision majeure.

M. Josselin de Rohan. Les risques recensés en 2010 resteront sans nul doute d'actualité en 2011 car il n’y a pas de solution miracle à des problèmes endémiques. Le terrorisme, notamment le terrorisme fondamentaliste à connotation islamiste, demeurera une des menaces majeures auxquelles nos sociétés sont exposées. Ce risque se manifeste singulièrement en Afrique : la Somalie a déjà implosé ; le Soudan est en passe d’éclater, partition qui pourrait être exploitée par les mouvements fondamentalistes ; AQMI se renforce dans les pays du Sahel… D'autre part, si, demain, les forces coalisées quittaient l’Afghanistan en pliant bagage sans crier gare, le risque est patent que s’y constitue un Al-Qaida « nouvelle manière », comme le redoutent le Pakistan, l’Inde et la Chine. Enfin, l’incertitude atomique demeure. Si l’Iran continue ses préparatifs, un moment viendra où les États voisins voudront se prémunir contre ce risque ; nous entrerons alors dans une période très périlleuse.

M. Thierry de Montbrial. La référence à l’Afghanistan me donne l’occasion de préciser mon propos sur l’impossibilité de donner la date précise de la réalisation d’une menace. Si, un jour, cent soldats américains sont tués d’un coup, ou vingt soldats français, cet incident pourrait provoquer un mouvement d’opinion tel que le retrait des troupes coalisées en serait précipité ; on peut d’ailleurs imaginer que la partie adverse cherche à provoquer un tel épisode. C’est un exemple de ce que l’on peut connaître l’existence d’un risque sans être en mesure de définir la date à laquelle il prendra corps.

M. Dimi Panitza (Fondation Bulgarie libre et démocratique). Comment l’Union européenne peut-elle laisser s’éterniser le problème chypriote, d’une part, et l’absurde et scandaleux problème du nom de la Macédoine, d’autre part ? Le non-règlement de ces questions suscite des tensions nationalistes croissantes en Macédoine mais aussi au Kosovo, contraint Chypre à l’immobilisme et empoisonne les relations internationales. À propos de Chypre, l’Union européenne a maintenant une occasion unique de se faire entendre par la Grèce : on lui donne 100 milliards et on lui demande de régler la question dans les 90 jours !

M. Thierry de Montbrial. J’ai quelques doutes à ce sujet…

M. Josselin de Rohan. L’affaire chypriote gêne en effet considérablement la diplomatie européenne. Ainsi, nous ne parvenons pas à créer un comité où siégeraient, pour traiter des problèmes communs, le Secrétaire général de l’OTAN et la Haute représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, la Turquie s’opposant absolument à cette création du fait de la question de Chypre. De même, Chypre s’oppose par l’intermédiaire d’autres pays, dont la Grèce, à ce qu’Ankara adhère à l’Agence européenne de défense ; pourtant, la Turquie joue un rôle majeur pour la défense européenne. Le blocage est total, et on ne peut le surmonter, les règles qui régissent l’Union européenne exigeant l’unanimité pour les décisions dans ce domaine.

S’agissant de la Macédoine, la situation est en effet grotesque : les Grecs n’acceptent même pas de reconnaître une « République de Macédoine du Nord », dénomination que les Macédoniens sont pourtant prêts à accepter. Il faut donc se contenter de ce sigle absurde d’ARYM, pour « Ancienne République yougoslave de Macédoine ». C’est l’exemple de ces petits cailloux dans la chaussure qui empêchent d’avancer !

M. Jacques Jessel, ministre plénipotentiaire honoraire. Comme M. de Rohan l’a indiqué tout à l’heure, les pays européens divergent sur bien des questions de politique internationale. Dans ces conditions, que peut-on attendre du pseudo-ministre européen des affaires étrangères, et du corps diplomatique de plusieurs milliers de personnes dont il disposera ? Que se passera-t-il quand les Européens ne seront pas d’accord entre eux ? S’attacheront-ils ensemble à dégager des positions communes ? La nouvelle institution tranchera-t-elle dans un sens ou dans l’autre, ou bien devra-t-elle se taire tant que ces divergences subsisteront ?

M. le président Axel Poniatowski. Sans avoir de réponse à cette question, j’aimerais vous soumettre quelques éléments de réflexion.

Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, dont nous fêtons le premier anniversaire, on ne peut qu’être frappé par la montée en puissance du Conseil européen et par la baisse d’influence parallèle de la Commission. Il n’était pas évident, il y a douze mois, que cette évolution serait aussi rapide. M. Van Rompuy s’est bien plus affirmé sur la scène européenne qu’on ne pouvait s’y attendre. Il exerce une action positive, qui impressionne favorablement les observateurs. Je n’en dirais pas forcément autant de Mme Ashton...

Sans avoir supplanté M. Barroso, M. Van Rompuy exerce sur lui un ascendant dans bien des domaines. La baisse d’influence de la Commission est assez frappante, et finalement positive. On voit bien que le Conseil européen est en train de prendre le pas sur elle. Le dernier exemple en date est le courrier adressé par M. Sarkozy et Mme Merkel au sujet de l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’espace Schengen. Sur ce sujet très important, la décision ne pouvait être prise qu’à l’unanimité, mais force est de constater que le Conseil européen a immédiatement fait obstacle à l’entrée de ces deux pays. Nous assistons donc à un rééquilibrage institutionnel.

La situation me paraît très différente pour ce qui est du service diplomatique européen : il faut faire attention à ce que sa montée en puissance ne soit pas trop rapide. Il y a des efforts importants à réaliser dans le domaine consulaire – on pourrait notamment aller beaucoup plus vite dans la constitution de consulats communs pour traiter des questions administratives, et non économiques. Je suis, en revanche, beaucoup plus réservé sur la création d’ambassades communes.

M. Thierry de Montbrial. À un journaliste qui me demandait tout à l’heure ce que je pensais de Mme Ashton, j’ai répondu que je pensais le plus grand bien de M. Van Rompuy ! C’est un homme remarquable, comme on a pu le mesurer lorsqu’il était Premier ministre de Belgique : pour réussir dans cette fonction comme il a su le faire, il fallait de très grandes qualités diplomatiques

On ne peut pas avoir un président européen doté d’une trop forte personnalité. Il faut quelqu’un qui sache arrondir les angles, qui soit un très bon diplomate tout en étant ferme, et c’est manifestement le cas de M. Van Rompuy.

Sur le fond, je pense qu’il faudra encore des décennies, dans le meilleur des cas, pour que l’Union européenne dispose d’une politique étrangère commune. Nous aurons déjà bien avancé si nous parvenons à réduire progressivement nos divergences et à nous présenter moins divisés sur la scène internationale. Nous nous serions entretués sur une question telle que la décomposition de l’ex-Yougoslavie au début du XXe siècle – nous avons d’ailleurs failli en arriver là dans l’entre-deux-guerres. Pour le moment, nous limitons les dégâts, ce qui n’est pas rien, même si cela peut être frustrant pour quiconque a une vision ambitieuse de l’Europe.

M. Josselin de Rohan. L’Union européenne a essuyé un échec cuisant aux Nations unies : on lui a refusé le statut d’observateur au motif qu’elle était une non-puissance et qu’elle n’avait donc pas le droit de s’exprimer. On nous a demandé pourquoi l’Union ne serait pas représentée en tant que telle au sein du Conseil de Sécurité. Or, on connaît la réponse des Français et des Britanniques à une telle question. Même avec la meilleure représentation diplomatique du monde, il faudra du temps pour avancer s’il n’y a pas de volonté politique forte pour donner l’impulsion.

Ne versons pas, pour autant, dans le pessimisme. Restons modestes. Jusqu’à présent, le pays qui exerçait la présidence tournante parlait au nom des autres au sein des Nations unies – il en avait le droit. L’Union ne peut pas participer aux travaux de l’ONU en tant que coordinatrice des Etats membres, mais ce travail se fait déjà dans la coulisse : les Européens parviennent à parler d’une même voix dans 97 % des cas, à l’UNICEF par exemple, ou sur un sujet tel que la faim dans le monde. Une coordination s’opère donc aujourd’hui de façon empirique, et je pense que nous finirons bien par aboutir, un jour, à une politique européenne commune. J’observe d’ailleurs que, sur la plupart des grands problèmes, l’accord se fait déjà souvent à une majorité de 21 ou de 26 pays sur 27. Il y a certes des questions sensibles, mais c’est généralement dans le détail que les Européens divergent.

Par conséquent, ne soyons pas exagérément pessimistes. Si nous sommes trop ambitieux, en revanche, nous ne pourrons qu’être très déçus.

M. Xavier de Villepin, ancien sénateur. Ma question concerne la Chine. Après la récente déclaration des Japonais, qui vise ouvertement la Chine et la Corée du Nord, comment analysez-vous les relations entre ces pays ? Ne pensez-vous pas que beaucoup d’États asiatiques partagent l’inquiétude des Japonais et qu’il en résultera une forte demande à l’adresse des États-Unis, pour qu’ils continuent à jouer un rôle important en matière de défense dans cette région ?

M. Thierry de Montbrial. Si vous le permettez, je décomposerai la question en plusieurs aspects.

Tout d’abord, comment interpréter l’attitude de la Chine ? Comme je l’indiquais dans mon exposé introductif, les Chinois ont commis une erreur en surréagissant. J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec plusieurs personnalités chinoises qui le reconnaissent, mais qui, dans le même temps, appellent l’attention sur l’existence, dans leur pays, d’un problème intérieur à propos duquel ils vont jusqu’à prononcer le mot « nationalisme ». Après avoir, dans un premier temps, encouragé les manifestations antijaponaises à la suite de l’affaire du sanctuaire de Yasukuni, les autorités chinoises ont d’ailleurs dû freiner des quatre fers en constatant qu’elles étaient débordées. Ce problème intérieur très délicat serait susceptible de s’aggraver en cas de crise économique, le seul antidote étant alors d’alimenter ce nationalisme. L’équation est donc très complexe.

Du moins y a-t-il en Chine un vrai leadership, qui me paraît tout à fait remarquable à bien des égards. Ce n’est malheureusement pas le cas au Japon : ce pays ne parvient pas à s’extraire d’une Constitution qui a été adoptée dans les circonstances que l’on sait, et qui entrave toute action un peu complexe. Il me semble, par ailleurs, qu’a joué un très fort sentiment d’humiliation au Japon, dans l’affaire du chalutier. La décision de viser la Chine et la Corée du Nord est le fruit de considérations objectives, mais aussi d’éléments psychologiques. Un sentiment de peur se réveille un peu partout, et je pense que la diplomatie chinoise ne pourra pas éviter de traiter cette question.

Comme le soulignait Henry Kissinger, la Chine manque d’expérience dans le domaine des relations internationales, du fait de son histoire particulière. Si l’on ajoute à cela le problème intérieur que je mentionnais et tous les facteurs d’instabilité, la situation de l’ensemble de l’Asie de l’est peut légitimement susciter des inquiétudes : des dérapages très forts pourraient un jour se produire.

M. le président Axel Poniatowski. S’agissant de la menace militaire chinoise, je rappellerai qu’historiquement la Chine n’est jamais sortie de ses frontières et que, de ce point de vue, elle n’est pas très expansionniste. Depuis l’édification de la Grande muraille, elle ne cherche pas tant à envahir ses voisins qu’à se protéger. J’ajoute que les Chinois ne sont pas un peuple guerrier : en 1979, ce colosse n’a pas réussi à venir à bout des forces vietnamiennes. Cela tempère les inquiétudes que l’on peut avoir dans ce domaine. Cela étant, je trouve très bien que le Japon prenne un certain nombre de dispositions et revoie sa politique de sécurité en adoptant un Livre blanc.

Pour moi, le problème chinois est plutôt celui du protectionnisme. Même si ce n’est pas vraiment dans l’air du temps, j’estime que nous sommes allés beaucoup trop loin, surtout en matière de transferts de technologies, dans notre ouverture à la Chine. L’Europe est aujourd’hui le marché le plus ouvert au monde en raison de la politique de la Commission européenne qui va à l’encontre de certains de nos intérêts. J’espère que l’affirmation politique du Conseil européen contribuera à un rééquilibrage. Quand on a découvert, il y a un mois, le prototype du C 919, premier avion commercial chinois, on a eu l’impression de voir l’A 320 ! Airbus nous dit que ce n’est pas très grave, que l’important est de conserver une avance technologique. Or, il me semble que c’est une erreur de croire que nous maintiendrons toujours cette avance.

Je le répète : je trouve personnellement que nous sommes allés trop loin. La Chine exploite naturellement ses armes principales, qui sont ses réserves de change et sa croissance. Dans le même temps, force est de constater que de grandes sociétés françaises, comme Danone et Schneider, ont perdu bien des plumes en Chine, y compris la propriété de certains brevets. Dans ce domaine-là, comme en ce qui concerne la présence de la Chine en Afrique et comme sur la question des ressources naturelles, nous devons réagir beaucoup plus vigoureusement, et cela au niveau européen.

M. Josselin de Rohan. S’il y a un pays qui a peur de la Chine aujourd’hui, c’est l’Inde, comme le reconnaissent officieusement ses responsables, même s’ils prétendent, en public, que les relations entre les deux pays sont parfaitement harmonieuses et que tous les différends ont été aplanis. Il y a là une source de conflit potentiel en Extrême-Orient : la Chine et l’Inde sont deux puissances en forte croissance, avec des ambitions qui risquent de se heurter dans la même zone géographique.

Par ailleurs, je ne partage pas l’analyse d’Axel Poniatowski sur la valeur militaire des Chinois. Ceux qui se sont battus contre eux en Corée ont gardé un souvenir cuisant de leur comportement sur le terrain, et les Indiens se rappellent bien que les troupes chinoises ont quasiment atteint le Gange en 1962. Or, les Indiens ne sont pas de mauvais soldats, loin s’en faut. En cas de conflit militaire, l’Inde aurait vraiment des raisons d’être inquiète.

M. Thierry de Montbrial. L’heure est venue de conclure cette table ronde. Nous avons couvert beaucoup de terrain, même si nous aurions pu aller plus loin encore.

À propos de l’Inde, par exemple, on pourrait évoquer la question du Pakistan, qui a toujours été proche de la Chine, et le demeure. Traditionnellement proche de l’URSS, puis de la Russie, l’Inde s’est rapprochée des États-Unis – à moins que ce ne soient ceux-ci qui se soient rapprochés d’elle – en grande partie pour faire contrepoids à la Chine. Dans le même temps, on constate qu’elle se rapproche de nouveau de la Russie, qui se rapproche elle-même des Etats-Unis. On assiste donc à une redistribution générale des cartes, qu’il vaudra la peine de suivre attentivement dans les années à venir.

Nous en venons maintenant à la deuxième table ronde, présidée par Josselin de Rohan.

II – TABLE RONDE : PROCHE ET MOYEN-ORIENT

A) Propos introductifs

1) M. Jean François-Poncet, sénateur, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat

Il y aurait beaucoup à dire sur les évolutions profondes des sociétés du Moyen-Orient. Mal connues, elles sont en rapport aussi bien avec la démographie ou avec la religion qu’avec la situation politique de la région. Comme je n’ai pas le temps d’aborder ces différentes questions, je concentrerai mon propos sur les deux problèmes cruciaux que sont le problème palestinien et le problème posé par le programme nucléaire iranien.

Le problème palestinien empoisonne les relations entre l’Occident et les pays arabes du Moyen-Orient depuis près d’un demi-siècle. On peut considérer qu’on se trouve aujourd’hui dans une impasse définitive, bien que les États-Unis s’efforcent de contourner l’obstacle. Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a refusé de décréter un moratoire sur l’implantation de colonies dans les territoires destinés à revenir aux Palestiniens en Cisjordanie, et cela a conduit le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, à refuser toute négociation, ce que l’on peut comprendre. Il est, en effet, difficile de conduire une négociation sur un territoire dont les contours peuvent changer en cours de discussion par la décision d’une seule des parties. Par conséquent, il n’existe plus aujourd’hui de négociations entre les Palestiniens et Israël.

Pour autant, le président américain n’a pas renoncé. Je rappelle qu’il a fait de la paix au Moyen-Orient une de ses priorités, et ce dès son élection, ce qui est une nouveauté, ses prédécesseurs ayant généralement attendu la dernière année de leur mandat pour aborder ce problème délicat. Il reste qu’il n’a pas obtenu des Israéliens le moratoire sur l’extension de la politique de colonisation, ce qui prouve qu’Israël est de plus en plus indépendant de Washington. Les négociations bilatérales étant interrompues, les États-Unis conduisent des négociations séparées avec les deux parties, en essayant de les amener à préciser leurs positions en vue de les rapprocher.

L’extension des colonies israéliennes en territoire palestinien crée sur le terrain une situation telle que la solution dite « des deux États » – un État palestinien vivant en paix à côté d’un État israélien – devient une perspective de moins en moins crédible. Les colonies israéliennes fragmentent un territoire palestinien dont la continuité et la cohésion sont de plus en plus compromises, réduisant d’autant les chances d’une négociation entre les deux parties.

Cette situation inextricable conduit les Palestiniens à changer de stratégie pour se tourner vers les Nations unies. Cette stratégie de remplacement consisterait à obtenir de l’ONU – il pourrait s’agir du Conseil de sécurité si les Américains n’opposent pas leur veto – qu’elle reconnaisse un État palestinien dans les frontières de 1967. Datant du dernier affrontement militaire entre Israël et le monde arabe, celles-ci sont en effet les seules à être internationalement reconnues ; en outre, c’est au-delà de ces frontières que la politique de colonisation israélienne se développe.

Sur quoi peuvent porter les négociations, si elles reprennent d’elles-mêmes ou si les Américains réussissent à les désembourber ? C’est évidemment sur le repli des colonies les moins « consistantes », les trois ou quatre principales, au sein desquelles se concentre la majorité des Israéliens installés en Cisjordanie, étant alors considérées comme définitives et intégrées au territoire d’Israël, en contrepartie de compensations territoriales accordées au futur État palestinien, sous la forme d’échanges de territoires de superficie égale.

Le Premier ministre palestinien, Salam Fayyad, qui est un homme tout à fait responsable et capable, développe depuis longtemps une politique consistant à tourner le dos à une négociation avec les Israéliens, car il ne pense pas qu’elle puisse aboutir, et à construire pierre par pierre un État palestinien dont il demandera le moment venu la reconnaissance par les Nations unies. Cela ne résout pas le problème immédiat, mais cela crée une situation susceptible de gêner beaucoup Israël, qui y est naturellement très opposé.

L’autre branche du mouvement palestinien, le Hamas, qui est affilié aux Frères musulmans d’Egypte, refuse toute négociation avec Israël, dont il nie l’existence, conformément à la position qui était celle du mouvement palestinien jusqu’à ce que celui-ci décide, sous l’influence de son directoire, de s’engager dans la négociation. La division territoriale s’ajoutant à la division politique, le Hamas contrôle Gaza tandis que l’Autorité palestinienne contrôle la Cisjordanie. Bien qu’il refuse de s’intégrer aux négociations, on peut penser que le Hamas n’aurait guère d’autre possibilité que de s’y rallier si elles débouchaient sur une solution jugée acceptable par l’opinion publique palestinienne.

Voilà donc où nous en sommes : une négociation paralysée, des tentatives américaines de mener des négociations bilatérales pour faire évoluer les positions, et une situation qui devient de plus en plus impossible à régler sur le terrain.

J’en viens au deuxième problème majeur, qui est moins ancien bien qu’il se pose maintenant depuis plusieurs années, à savoir le programme nucléaire iranien. Les Iraniens ne se cachent pas de poursuivre un programme d’enrichissement d’uranium, mais ils prétendent que c’est à des fins civiles, affirmation que personne, au sein de la communauté internationale, ne prend au sérieux pour différentes raisons, dont une me paraît relativement convaincante : les Iraniens ne disposent pas d’installations capables d’utiliser l’uranium enrichi à des fins civiles ! Pourquoi dès lors enrichir cet uranium ?

Ce programme nucléaire se trouve sous la supervision de l’AIEA, l’Agence internationale de l’énergie atomique, dont les inspecteurs ont le droit de visiter les installations – du moins celles que les Iraniens leur ouvrent. Or, ils ne les ouvrent pas dans leur totalité. De là à penser qu’il existe des sites cachés, où l’Iran mène des programmes qu’il ne veut pas révéler, il n’y a qu’un pas, franchi par beaucoup.

À cela s’ajoute une autre donnée, relativement plus récente : il existe maintenant des doutes sur le fonctionnement de ce programme nucléaire. Afin d’enrichir l’uranium – à 95 % pour des fins militaires–, il faut utiliser des milliers de centrifugeuses. Or, ces appareils sont fragiles et d’utilisation délicate. D’après nos informations, ils fonctionnent très mal en Iran : il semble qu’un virus informatique se soit introduit dans leur programme, leur faisant « perdre la tête » et les rendant ainsi inutilisables. Ce virus s’est-il développé tout seul ? Des services de renseignement étrangers malintentionnés l’ont-ils implanté ? Personne n’est capable de le dire.

La seule certitude est que les hypothèses retenues, il y a deux ans, dans le rapport de la commission des affaires étrangères du Sénat, doivent être revues. Après avoir consulté le Commissariat à l’énergie atomique, nous avions estimé que l’Iran posséderait l’amorce d’un petit arsenal nucléaire utilisable vers l’année 2015. À la lumière des informations nouvelles que je viens d’évoquer, on peut se demander si cette conclusion est encore valable. Personnellement, je ne le crois pas, et je ne me risquerais pas à faire des prévisions sur la manière dont les Iraniens parviendront à résoudre leurs difficultés actuelles. Tout ce que l’on sait, c’est que les centrifugeuses sont des machines très délicates, qu’il en existe de diverses générations, et que celles dont dispose l’Iran viennent de Corée du Nord. Il semble donc que ce pays en reste au stade du bricolage, en se heurtant encore à beaucoup de difficultés.

2) M. Jean Glavany, député, membre de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale

Je suis très heureux que nous traitions des relations internationales dans cette belle maison qu’est l’Assemblée nationale, car c’est chose rare malgré les efforts déployés par notre président Axel Poniatowski : nous parlons plus souvent du contrôle du patrimoine des députés que la guerre en Afghanistan ! C’est sans doute ce que l’on appelle la revalorisation des droits du Parlement… Je suis donc heureux de contribuer à rétablir un équilibre.

Si l’on m’a demandé de traiter plus particulièrement du dossier afghan, c’est sans doute parce que j’ai présenté avec Henri Plagnol, il y a deux ans, dans le cadre d’un rapport d’information, 25 propositions pour dessiner « un chemin pour la paix » en Afghanistan – insupportable prétention, dira-t-on peut-être. Pourquoi donc avions-nous élaboré cette sorte de plan de paix ? Nous avions pensé qu’au précepte « si tu veux la paix, prépare la guerre », il n’était pas absurde d’opposer le suivant : « puisque tu fais la guerre, prépare la paix ». La responsabilité des politiques est, en effet, de préparer l’avenir, y compris et peut-être surtout en Afghanistan.

Le contexte a bien sûr évolué depuis lors. Bien qu’elle ait été entachée de fraudes nombreuses et avérées, la réélection du président Karzaï n’a pas conduit à l’éruption de violence que beaucoup pouvaient légitimement redouter au vu des tensions constatées au cours des mois précédents. Les élections législatives, organisées il y a deux mois, se sont également déroulées sans violence particulière. On peut d’ailleurs regretter que leurs résultats aient été largement occultés par la presse occidentale alors qu’ils mériteraient d’être regardés de plus près : il semble qu’il n’y ait pas de majorité très claire au sein du nouveau Parlement et que l’influence des Pachtouns s’y trouve singulièrement érodée.

Au plan militaire, l’OTAN est intervenue dans le sud du pays au début de l’année 2010 avec les opérations Moshtarak, dans la province du Helmand, et Hamkari, à Kandahar. Il est trop tôt pour en tirer un bilan définitif, mais on ne peut que constater, à court terme, la réaction sans précédent des insurgés, qui a fait de 2010 l’année la plus meurtrière, depuis le début du conflit, pour la coalition comme pour les forces de sécurité afghanes. Cela étant, il faut savoir raison garder devant ce genre de statistiques : l’accroissement des opérations militaires lié au surge américain entraîne ipso facto un accroissement des pertes.

Sur le fond, les grandes interrogations demeurent. Quel avenir pour le processus de réconciliation nationale ? Quelles missions pour les forces internationales ? Quels objectifs retenir pour reconstruire le consensus entre Occidentaux sur la légitimité de leur présence ? Quelle stratégie régionale mettre en œuvre pour aider l’Afghanistan à affirmer sa souveraineté sur son propre territoire ?

Il est très difficile de dire si le rapport des forces entre les insurgés et la coalition a changé. Les talibans continuent à s’appuyer sur leurs bases pakistanaises de Quetta et de Peshawar, d’où ils organisent leurs actions au sud et à l’est de l’Afghanistan. Par ailleurs, des liens subsistent entre Al-Qaida et une partie des insurgés, notamment avec le réseau Haqqani et les fidèles du mollah Omar. Toutefois, la coalition affirme que le surge commence à produire certains effets et que le terrain est mieux tenu – j’y reviendrai.

La pression exercée par les insurgés contraint à la négociation. Plus personne, même les Américains, ne se cache plus d’entretenir des contacts avec les talibans. Les discours officiels ont heureusement renoncé à la fiction des talibans « modérés », mais la question posée reste inchangée : quels sont les insurgés susceptibles de participer à la reconstruction du pays dans le cadre de la Constitution afghane ? Comme toujours, la position du président Karzaï est équivoque : il continue à tenir un discours très critique à l’égard des Occidentaux, ce qui est payant au plan intérieur, mais il recherche aussi l’aide internationale et il tend la main aux talibans, sans dire clairement ce qu’il attend d’eux. La Loya Jirga de juin dernier s’est, en effet, contentée de fixer le principe d’une réconciliation, sans apporter de précision sur son contenu.

Dans cette situation, qui est d’une complexité politique toute afghane, si j’ose dire, les Occidentaux se trouvent en porte-à-faux. Sous la pression d’une partie des Démocrates américains, le président Obama a annoncé un retrait des troupes dès 2014. Comme vous le savez, il s’agit en réalité de la date à laquelle le processus de passation de pouvoir aux autorités afghanes devrait recommencer : il n’existe toujours pas de calendrier de retrait définitif, nul ne pouvant faire un tel pari sur l’avenir. Reste que cette annonce n’a fait que brouiller davantage l’image du conflit afghan dans l’opinion publique. En 2001, l’intervention militaire et la victoire qui avait suivi n’avaient été rendues possibles que grâce à un consensus très fort au plan international et au plan national : tous partageaient l’objectif de mettre fin à un régime indirectement responsable des attentats du 11 septembre. Depuis lors, les Occidentaux ont compris qu’une victoire en Afghanistan ne pourrait pas être de nature militaire, et le consensus a disparu. Au demeurant, comment parler de victoire quand on ignore les objectifs poursuivis ?

Je le répète, il existait en 2001 un consensus international et national – en France, la décision d’envoyer des troupes en Afghanistan dans le cadre de la coalition avait été prise par le Président de la République, Jacques Chirac, en accord avec le gouvernement de Lionel Jospin. Les premiers succès ont été extrêmement rapides : le gouvernement taliban a été emporté en quelques mois, et des coups ont été portés contre les camps d’entraînement d’Al-Qaida. Depuis, nous nous trouvons dans une situation d’enlisement objectif, qui n’a été remis en cause qu’avec l’élection du Président Obama, et nous faisons face à un dissensus politique, qui n’est pas encore spectaculaire, mais qui n’en est pas moins réel : personne n’est capable d’énoncer clairement et simplement ce que nous faisons en Afghanistan.

Les avancées réalisées depuis deux ans sont extrêmement maigres. La position arrêtée lors du dernier sommet de l’OTAN, à Lisbonne, est très difficile à mettre en œuvre : le transfert progressif des responsabilités aux forces de sécurité afghanes à partir de 2014 n’est pas envisageable sans un progrès décisif en matière de développement. En effet, ces forces ne pourront pas triompher d’une insurrection issue de la principale minorité ethnique du pays, les Pachtouns, si la population ne ressent pas d’améliorations tangibles dans sa vie quotidienne. Or, le développement de l’Afghanistan continue d’accuser un retard considérable. La conférence organisée à Kaboul en juillet dernier a décidé de faire passer la part de l’aide internationale versée directement au gouvernement afghan, et non aux ONG, de 20 à 50 %. Cette mesure peut favoriser la prise de responsabilité des autorités sur l’ensemble du territoire, mais elle soulève des questions impossibles à éluder en matière de lutte contre la corruption, y compris au sein du clan Karzaï.

À ce sujet, permettez-moi une digression : on porte en Europe un jugement sévère sur l’arrogance française. Le multilatéralisme en général, et en Europe en particulier, exige au contraire une grande humilité comme le savent ceux qui ont participé à des Conseils européens, surtout depuis qu’ils se tiennent à 27. Je n’ai aucune sympathie pour le président Gbagbo ni pour son attitude actuelle, mais je m’étonne que certains se demandent tout haut comment il a pu être déclaré vainqueur par un Conseil constitutionnel désigné par lui et par son parti politique – comme si une telle situation ne pouvait se produire nulle part ailleurs ! Quand on dénonce la corruption du président Karzaï, il va également de soi, sans doute, que rien de tel ne saurait exister dans les pays occidentaux ! Il faut faire très attention quand on porte un jugement, sur la scène internationale : il peut vous revenir en boomerang !

J’en reviens au développement économique de l’Afghanistan : chacun sait qu’il passe par une lutte plus efficace contre la production et le trafic de drogue. Si les régions faiblement productrices sont désormais exemptes de toute culture de pavot, les régions traditionnelles de culture voient leur niveau de production inchangé. Les liens entre drogue, insurrection et terrorisme sont très étroits, et on peut se demander si l’on n’assiste pas à la naissance de deux Afghanistan, l’un au nord, où les Pachtouns sont très minoritaires et où l’insurrection est assez faible, et l’autre au sud et à l’est de Kaboul, où les insurgés, majoritairement pachtouns, accroissent leur puissance.

Tout cela doit nous conduire à élargir notre vision du conflit afghan : les Pachtouns sont présents en Afghanistan et au Pakistan, même s’ils le sont proportionnellement davantage dans le premier pays. Malgré leurs différences, ces populations connaissent des difficultés comparables et subissent les mêmes pressions islamistes, qui voient dans leurs souffrances un terreau favorable. C’est donc au Pakistan que se trouve une des clefs du conflit afghan.

Je voudrais compléter les propos de Thierry de Montbrial sur le double jeu du Pakistan, qui est effectivement lié à la recherche d’une « profondeur stratégique » par ce pays et à la hantise de l’effet de tenaille que pourrait exercer l’Inde. Il est vrai que les responsables politiques pakistanais que j’ai rencontrés mesurent presque au mètre près la taille des bâtiments de la représentation diplomatique indienne à Kaboul. La question de la « profondeur stratégique » et le conflit pakistano-indien ont une répercussion considérable, mais le double jeu pakistanais est également lié à la ligne Durand, qui marque la frontière afghano-pakistanaise, et à la hantise du Pachtounistan, coupé en deux par cette même ligne. Si on doit reconnaître cette frontière comme éternelle, aussi bien du côté pakistanais que du côté afghan, il faudrait élaborer dans le même temps une sorte de mode opératoire, question qui inquiète beaucoup les Pakistanais.

Avec Henri Plagnol, nous appelions de nos vœux la tenue d’une conférence internationale rassemblant l’ensemble des parties prenantes au conflit afghan, en vue de garantir la neutralité de ce pays. Y serait associé, tout d’abord, le Pakistan, dont la lutte contre les talibans reste ambiguë : son armée et ses services spéciaux, l’ISI, semblent mettre autant d’ardeur à combattre les talibans pakistanais qu’à encourager les talibans afghans. Devraient également participer à cette conférence parrainée par les Occidentaux l’Inde, qui entretient à Kaboul la plus grosse représentation diplomatique en termes d’effectifs ; l’Iran, qui voit dans le conflit afghan un moyen de gêner l’influence américaine, mais qui souhaite aussi réduire les flux de drogues transitant par son territoire ou s’y arrêtant – pour ne pas parler des flux d’immigration, dont l’ampleur est considérable – ; la Turquie, dont le rôle devrait être encore renforcé dans la coalition, ainsi que l’Arabie saoudite et la Chine.

Le conflit afghan agit, selon moi, comme un révélateur : un révélateur de la faiblesse des Occidentaux, dont la puissance militaire ne permet plus de résoudre les crises qui les concernent ; un révélateur de la continuité des conflits, le soutien pakistanais aux talibans étant vu comme un moyen de gagner une « profondeur stratégique » face à l’Inde ; un révélateur de la nécessité de prendre en compte les populations dans le cadre des négociations internationales. Si ce conflit peut être gagné, ce n’est qu’en rendant aux Afghans un pays reconstruit.

Permettez-moi de conclure par trois réflexions personnelles.

J’entendais hier le Premier ministre, François Fillon, rendre un hommage public aux soldats français blessés au cours des opérations en Afghanistan. L’armée française a perdu, vendredi dernier, deux soldats, ce qui porte les pertes à 52 morts depuis le début de l’intervention en 2001. Voici ce que le Premier ministre a déclaré : « Ces soldats sont morts dans l’accomplissement d’une mission juste et noble. Les soldats de la France luttent là-bas à la lutte contre le terrorisme international et à la défense de la démocratie ». Je voudrais bien qu’il en soit ainsi. Or, je suis frappé par l’extraordinaire décalage entre les discours officiels et la réalité. On ne lutte plus contre le terrorisme en Afghanistan, ou alors indirectement. On lutte contre lui au Pakistan, au Yémen, au Sahel, mais il n’y a plus de bases d’entraînement d’Al-Qaida en Afghanistan. Quant à défendre la démocratie dans ce pays, il me semble qu’il y a d’autres chantiers qui s’offrent à nous dans le monde.

Ma deuxième réflexion concerne la situation militaire. Je suis en contact permanent avec des officiers ayant servi en Afghanistan : certains pour les avoir connus sur place, tel un colonel de chasseurs alpins que j’ai rencontré sur la FOB Tora et avec qui je continue à échanger, car nous avons une grande connivence intellectuelle ; d’autres pour la simple raison que je suis élu d’une circonscription comptant deux régiments qui servent régulièrement en Afghanistan, le 1er régiment de hussards parachutistes (1er RHP) et le 35e régiment d’artillerie parachutiste (35e RAP). Tous me disent que la situation militaire s’améliore : on tient mieux le terrain. Je veux bien le croire, mais je me rappelle aussi ce que me disait un autre officier français pour qui j’éprouve à la fois de l’admiration et de la tendresse, mon père. Ce vieux général à la retraite n’a pas servi en Afghanistan ; il s’est contenté, si j’ose dire, de participer à la libération de la France avec le père d’Axel Poniatowski, qui était un de ses compagnons d’armes, et de combattre en Algérie. Il m’a toujours dit, et il continue à le faire, que cette dernière guerre était gagnée d’un point de vue militaire. Il avait sûrement raison – c’est mon père, après tout. Mais l’histoire nous a appris qu’on peut gagner une guerre militairement, et la perdre politiquement.

Ma troisième réflexion concerne le retrait de nos forces. Le mot est tabou : il ne faut surtout pas l’employer. Les enquêtes d’opinion montrent pourtant que les Français demandent ce retrait, sans virulence, mais massivement. Si nous n’en parlons pas ouvertement, d’autres le font, comme les Canadiens et d’autres membres de la coalition. Il faut être cohérent : si nous ne sommes pas une force d’occupation et si nous n’avons pas vocation à rester éternellement en Afghanistan, comme le veut le discours officiel, il faudra bien procéder, un jour, au retrait de nos troupes. J’espère que vous ne me trouverez pas exagérément provocateur si je vous dis que ce jour a déjà beaucoup tardé.

3) M. Etienne de Durand, directeur du Centre des études de sécurité de l’IFRI

Je traiterai à mon tour de l’Afghanistan en commençant par rappeler quelle est la situation et quelles sont ses causes principales, avant d’analyser la stratégie adoptée par l’OTAN au cours des deux dernières années – quels sont ses succès et quelles sont ses limites ? J’évoquerai enfin les perspectives qui s’ouvrent devant nous.

La situation est difficile. La première raison des déboires actuels est le flou dans la définition des objectifs. L’objectif initial était de chasser les talibans de Kaboul, et donc Al-Qaida d’Afghanistan, puis on a amorcé le processus politique de Bonn et on s’est arrêté là. Entre 2002, date à laquelle les principaux objectifs ont été atteints, et 2008, il ne s’est quasiment rien passé du côté occidental.

Le deuxième problème est qu’un processus institutionnel a été imposé du haut vers le bas, avec des élections et l’adoption d’une Constitution, suivant une logique très occidentale assez mal adaptée à la réalité du terrain afghan.

Un troisième problème de fond résulte des désaccords entre les Européens et les Américains, ces derniers étant partis en Afghanistan pour faire du contre-terrorisme, tandis que nous faisions du maintien de la paix dans les rues de Kaboul. J’en veux pour preuve que deux chaînes de commandement distinctes ont existé jusqu’en 2008 : la Force internationale d’assistance et de sécurité, la FIAS, et Enduring Freedom. Même s’il y avait des forces spéciales dans ces deux cadres, les missions étaient largement séparées et on en a payé le prix.

Un quatrième facteur est la priorité donnée par l’administration de George Bush à l’Irak, ce qui s’est traduit au quotidien par des insuffisances en matière de forces spéciales, de financements, de compétences déployées et, plus globalement, d’effectifs militaires. Si l’on avait appliqué les mêmes ratios qu’au Kosovo et en Bosnie, il aurait fallu engager 450 000 hommes en Afghanistan, alors que les Américains n’en ont déployé qu’entre 25 000 et 30 000 en 2002. Il en résulte que nous n’avons jamais tenu le terrain complètement, surtout à l’époque que je viens d’évoquer. Tout cela explique qu’une insurrection ait pu se développer et que la situation se soit enkystée. Car il s’agit bien d’une véritable insurrection, organisée aussi bien au plan militaire qu’au plan politique. Même s’il ne faut pas en exagérer la force – ce n’est pas le Vietminh –, il reste qu’elle n’a pas été suffisamment prise au sérieux pendant longtemps. Tout cela a également convaincu le Pakistan, en tout cas certains segments de l’armée et des services pakistanais, l’ISI, de changer d’attitude : à partir de 2005, ces différents acteurs ont de nouveau apporté un soutien direct aux talibans et aux autres groupes d’insurgés.

Un dernier problème est que nous n’avons pas été suffisamment fermes, les Américains au premier chef, à l’égard du gouvernement d’Hamid Karzaï et d’Hamid Karzaï lui-même.

Il est très difficile de lire la situation aujourd’hui : les indicateurs pointent, en effet, dans plusieurs sens dans un contexte de guerre contre-insurrectionnelle. On compte, par exemple, moins d’attaques avec des engins explosifs improvisés (IED) qu’au cours des deux dernières années, car les Américains ont consacré des efforts considérables et en grande partie couronnés de succès au démantèlement des réseaux ; on observe, en revanche, davantage d’attaques directes, menées avec des fusils d’assaut et des RPG, contre les bases de l’OTAN, ce qui traduit une audace plus grande de la part des insurgés. Je le répète : les indicateurs sont souvent ambigus.

La situation s’est un peu améliorée autour de Kandahar à la suite de l’opération mentionnée par M. Glavany, mais elle a fortement empiré dans le nord – on y compte certes moins de Pachtouns, mais ils y sont tout de même présents, notamment autour de Kunduz où nos alliés allemands n’ont pas été très efficaces, c’est le moins qu’on puisse dire.

J’en viens maintenant à la stratégie de l’OTAN, et à ses forces et faiblesses. Par-delà les effets de rhétorique, on peut dire que cette stratégie a été redéfinie entre le début de l’année 2009 et le début de l’année 2010, pour l’essentiel depuis les États-Unis, où de véritables débats ont eu lieu à la faveur de différentes évaluations, telles que le rapport du général McChrystal. Il est malheureux que les Européens n’aient pas davantage participé à cette redéfinition, mais c’est largement leur faute.

Les nouveaux objectifs ont gagné en modestie, plus personne ne parlant de transformer l’Afghanistan en une Suisse de l’Asie centrale – tout cela appartient à la rhétorique de la précédente administration américaine. Cependant, le débat ne porte pas tant sur les finalités que sur les méthodes : la question est de savoir si l’on peut faire du contre-terrorisme avec succès et surtout de manière durable sans s’engager dans la contre-insurrection. En d’autres termes, suffit-il d’éliminer les membres d’Al-Qaida et leurs affidés en les repérant de loin, sans s’investir sur place ? La réponse est clairement négative : on ne peut pas avoir de renseignement militaire de qualité sans être présent sur place. C’est toute la difficulté.

La stratégie adoptée à la suite du rapport McChrystal consiste à s’engager dans la contre-insurrection en se concentrant sur la population, et non plus sur l’ennemi – il s’agit de protéger la population et de la séparer de l’ennemi, comme on l’a déjà fait dans de nombreux conflits, notamment en Algérie et au Vietnam, mais généralement très tard, si tard même qu’on a perdu les conflits en cause. C’est une stratégie qui demande du temps, qui exige beaucoup de moyens, et qui a l’inconvénient de conduire, au moins dans un premier temps, à davantage de pertes civiles. Le dernier rapport de l’ONU fait ainsi état de 30 % de pertes civiles supplémentaires cette année, étant précisé que ces pertes civiles sont imputables, dans 80 ou 90 % des cas, aux insurgés et non à la coalition – c’est là une amélioration par rapport aux années précédentes.

La définition d’objectifs et de priorités, aux niveaux politique et militaire, et l’engagement de moyens militaires, financiers et civils importants – surtout de la part des États-Unis – permettent à cette stratégie de porter ses fruits.

Mais il faut aussi compter avec un certain nombre de faiblesses. Sur le plan militaire, la concentration des forces – et l’insuffisance des effectifs – ne permet pas de couvrir tout le terrain. Dans un pays rural comme l’Afghanistan, les insurgés se déplacent dans les zones non tenues par les Occidentaux. Les forces sont concentrées sur les grands axes et les grandes villes – c’est une stratégie qui avait été utilisée par les Soviétiques en leur temps.

Par ailleurs – et c’est la deuxième faiblesse –, la stratégie dite de « contre-insurrection » recouvre bien des opérations de contre-terrorisme, visant la destruction des cellules d’Al-Qaida, des réseaux afghani ou des réseaux talibans, en Afghanistan comme en Pakistan. En 2009, les Américains ont mené plus d’une cinquantaine d’attaques de drones armés de l’autre côté de la frontière, soit autant que sous l’ensemble des deux mandats Bush. En 2010, le nombre d’attaques s’élève à 117, sans compter les attaques menées par la CIA. Cela entraîne un coût politique certain au Pakistan. Cette logique est difficile à marier efficacement avec celle de la contre-insurrection, qui a pour but de protéger la population. Il est par ailleurs impossible, en raison de risques trop élevés, d’utiliser les méthodes qui ont fait autrefois leurs preuves, comme celle consistant à disperser les soldats et les faire vivre au milieu de la population. On parle de contre-insurrection, mais cela ne correspond pas toujours à la réalité du terrain.

Quant au développement des forces de sécurité afghanes, qui constitue une porte de sortie à moyen terme, beaucoup d’interrogations subsistent, en particulier en ce qui concerne la police. Alors que les Américains ont beaucoup accéléré le processus, il n’est pas certain que l’on puisse associer quantité et qualité et produire en quelques mois 100 000 militaires qui soient fiables. D’autre part, le financement de l’armée afghane dépasse de loin les revenus actuels et les revenus à horizon prévisible de l’État afghan, ce qui implique que l’Occident le prenne en charge ad vitam aeternam. De ce point de vue, le DDR (désarmement, démobilisation et réinsertion) des combattants afghans, pose aussi problème.

Dans le domaine de la gouvernance et du développement, nous tâtonnons encore. Les sommes que nous déversons actuellement constituent, cela a été dit, le premier facteur de corruption. En outre, nous avons pris beaucoup de retard en matière de gouvernance ; les structures judiciaires et pénales ne sont toujours pas en place, alors que le besoin est criant et qu’il fait l’objet de demandes répétées de la population.

Sur le plan idéologique, nous ne parvenons pas à opposer un narrative au discours simpliste des talibans et des autres mouvements d’insurgés, qui mêle nationalisme et islamisme pour dénoncer les « envahisseurs infidèles ».

Enfin, sur le plan politique, la stratégie de contre-insurrection apparaît ambitieuse au regard de ce que les politiques de nos différents pays sont prêts à accorder – je pense en particulier aux tensions entre la Maison Blanche et l’état major, qui ne sont pas appelées à disparaître. En face, les talibans ont une solution facile : il leur suffit d’attendre. Comme l’écrivait Raymond Aron, ne pas perdre, pour l’insurgé, c’est déjà gagner.

Quelles sont les perspectives de sortie de guerre ? La situation actuelle est bloquée. Les Occidentaux, dont le nombre diminuera progressivement, resteront au moins jusqu’en 2014, très probablement au-delà, sous la forme de conseillers et d’appuis aériens. Ce n’est pas demain que les pick ups talibans entreront dans Kaboul ; mais il n’y aura pas pour autant de grand succès militaire occidental – ce n’est généralement pas le lot des guerres de contre-insurrection, du moins dans leur première phase. Par ailleurs, la nouvelle majorité républicaine à la Chambre des représentants rend l’hypothèse d’un retrait rapide des forces américaines improbable.

Quels sont les facteurs déterminants pour la suite ? Le Gouvernement Karzaï doit acquérir aux yeux de sa population un minimum de légitimité et de compétence, sans quoi la sortie de crise, qu’il s’agisse d’une victoire sur l’insurrection ou d’une réconciliation nationale via des négociations, ne pourra avoir lieu. Ce d’autant plus que les insurgés, qui avaient encore le dessus en 2009, ne sont pas incités à négocier et ne le veulent pas – les conditions qu’ils posent sont tout bonnement inacceptables.

L’attitude du Pakistan est un point clé. Schizophrène, Islamabad souhaite que les troupes restent, puisqu’il demeure dépendant financièrement de l’Occident, tout en voulant la défaite de l’OTAN – les Pakistanais, qui utilisent les mouvements islamistes radicaux à l’étranger, comme au Cachemire, gagneraient ainsi un vassal à Kaboul. Mais ils n’ont pas non plus intérêt à ce que les nouveaux maîtres d’un Afghanistan radicalisé soient talibans : ceux-là, même s’ils ont besoin des services pakistanais, détestent les Pakistanais. Tout dépendra donc du calcul coût-bénéfice que feront ces derniers.

La situation politique aux États-Unis est le dernier élément déterminant. Comme je l’ai dit, les élections du mid-term rendent une décision de retrait rapide peu probable. Mais le coût financier de cette guerre, très élevé pour les États-Unis, ainsi que l’état de l’armée américaine et les taux de réengagement – certains soldats ont déjà servi plus de cinq ans en Afghanistan et en Irak – seront décisifs à long terme.

Dire que la solution n’est pas militaire, mais politique, est naïf. Dans cette partie du monde, faire la guerre, c’est négocier. Ne serait-ce que pour améliorer notre position de négociation, aussi bien avec les Pakistanais qu’avec les différents mouvements d’insurgés, il faudra probablement continuer à faire la guerre.

Beaucoup de patience sera nécessaire. La stratégie utilisée actuellement est récente, puisqu’elle n’a été adoptée qu’en 2008. Auparavant, nous, les Français, nous faisions du maintien de la paix dans les rues de Kaboul.

Par ailleurs, contrairement à ce que d’aucuns décrivent, ce n’est pas la grande guerre : en Algérie, dix soldats français mouraient quotidiennement ; à ce jour, les pertes humaines sont bien moindres qu’en Bosnie. Il est vrai que 2010 aura été l’année la plus meurtrière pour la coalition, avec 700 morts. Mais les troupes sont plus nombreuses et s’aventurent dans de nouvelles zones. Il faut donc donner un minimum de temps à cette stratégie ; il a fallu aux exemples historiques de contre-insurrection entre huit et quinze ans pour réussir.

B) Débat avec la salle

M. Charles Rizk, ancien ministre de la justice du Liban. J’ai été ministre de la justice du Liban de 2005 à 2008, période à laquelle a été créé le tribunal international spécial sur l'assassinat du Premier ministre Rafiq Hariri.

Monsieur François- Poncet, vous avez évoqué, à raison, les liens entre les frères musulmans et le Hamas. Il conviendrait aussi de parler des liens entre la Syrie et le Hamas – dont le directeur se trouve à Damas. Dans la mesure où l’on ne fait la paix qu’avec son ennemi, il est légitime de se demander si la paix ne passe pas d’abord et avant tout par la Syrie. En Israël, où la position vis-à-vis du Golan est en train de changer, l’idée que la négociation avec la Syrie est un préalable à toute négociation avec les Palestiniens semble progresser. Qu’en pensez-vous ?

M. Jean François-Poncet. Les Syriens étaient des acteurs majeurs de la région du temps de Hafez al-Assad, mais je ne suis pas persuadé qu’ils occupent aujourd’hui une position centrale sur la question palestinienne. Ce pays doit sa stabilité intérieure – la minorité alaouite au pouvoir le sait bien – à l’affirmation constante de son soutien indéfectible à la cause arabe. Cela ne prédispose pas les Syriens à jouer un rôle d’arbitre ; il ne semble pas qu’ils s’y soient beaucoup employés, d’ailleurs. Leur relation avec le voisin du Nord demeure leur principale préoccupation. Malgré l’évacuation, le Liban continue de les obséder. Le problème palestinien ne constitue pas une priorité, mais seulement une façon d’asseoir leur crédibilité auprès des autres pays arabes.

M. Charles Rizk. Je pensais surtout au Golan.

M. Jean François-Poncet. Le Golan est essentiel pour les Syriens. Mais à ma connaissance, Israël ne s’est pas encore montré disposé à négocier. Je ne pense pas que, sur ce point, la coalition de droite, qui surveille et bride Benjamin Netanyahou, puisse faire montre d’ouverture.

Il y a bien une négociation, celle qui est conduite par la Turquie. Ce pays joue un rôle croissant dans l’ensemble du Moyen-Orient. La Turquie s’efforce d’avoir de bonnes relations avec toutes les parties, à telle enseigne que l’on ne sait pas toujours de quel côté elle penche. Elle établit des contacts à la fois avec Israël et la Syrie. Je n’ai pas le sentiment que le Golan soit pour le moment un objet de négociations.

M. Thierry Liscia, chargé de mission à l’Agence française de développement. Les Occidentaux déversent des tombereaux de financements sur la Palestine, officiellement afin de renforcer l’autorité palestinienne. Avec 3 milliards de dollars pour 4 millions d’habitants – 750 dollars par habitant –, la Palestine est la région la plus aidée du monde. À titre de comparaison, un habitant de la République démocratique du Congo perçoit 23 dollars. De son côté, et contrairement à la Convention de Genève, Israël ne finance pas l’occupation. On en arrive donc à se demander si ces centres de santé, ces écoles, ces systèmes d’adduction d’eau, ces routes – qui, parfois, contournent les colonies–, tous financés par les Occidentaux, ne contribuent pas à légitimer l’occupation. Insidieusement, l’aide internationale contribuerait ainsi à tuer à petit feu l’idée d’un État palestinien.

D’où mes questions. Ne faut-il pas se décider à sortir de l’« illusion d’Oslo » ? Comment la situation peut-elle évoluer ? Cette évolution passe-t-elle par la poursuite des financements européens, par l’amplification des mouvements de la société civile contre l’occupation, ou encore par l’action des salafistes au sud de la bande de Gaza ?

M. Jean François-Poncet. Il est exact que l’autorité palestinienne vit des subsides qui lui sont accordés, en partie par les États-Unis, principalement par les Européens. Peut-on en déduire que cette aide légitime un certain nombre de déviations ? Il est vrai qu’Israël se démet de l’obligation qui lui est faite par la réglementation internationale de financer l’occupation, et transfère la charge aux Occidentaux, qui l’acceptent. Mais comment ceux-ci pourraient-ils faire autrement ? Ils ne peuvent laisser les Palestiniens sans moyens – même les recettes douanières tombent dans l’escarcelle israélienne. Je ne vois pas très bien comment sortir de cette contradiction. Ma réponse n’est sans doute pas satisfaisante, mais si la situation au Moyen-Orient l’était, elle ne ferait pas l’objet d’une table ronde !

M. Olivier Carré, député. Pourriez-vous faire un point sur la situation en Irak, que personne n’a évoquée ce soir ?

M. Jean François-Poncet. La situation en Irak, même si elle est meilleure qu’elle n’a été, reste fragile. Cela dit, sur le plan de la sécurité, la situation s’est améliorée. Il fut un temps où les Américains, qui comptaient alors 150 000 hommes sur le terrain, bien plus qu’en Afghanistan aujourd’hui, étaient complètement embourbés. Grâce au surge, décidé par Bush, ils ont réussi à maîtriser la situation, faisant baisser le nombre d’attentats de 90 %. Le retrait des troupes, ainsi que le Président Barack Obama s’y était engagé, a commencé. Il devrait, en principe, être total, mais les autorités irakiennes demanderont peut-être aux Américains de prolonger leur séjour.

Sur le plan politique, des élections nationales et provinciales se sont déroulées sous contrôle occidental. Elles sont considérées comme régulières. Il a fallu pas moins de huit mois pour dégager une majorité à l’Assemblée, qui reste très divisée. Les chiites ne s’entendent pas entre eux et le Premier ministre, Nouri al-Maliki, un homme à poigne, s’appuie sur une coalition branlante. Il a eu besoin des 40 voix que lui apportait Moktar al-Sadr, ce citoyen irakien qui a donné beaucoup de fil à retordre aux Américains et qui poursuit aujourd’hui des études religieuses en Iran pour devenir ayatollah. Nouri al-Maliki, qui n’a pas encore attribué tous les portefeuilles du gouvernement, était davantage maître de la situation avant les élections qu’il ne l’est aujourd’hui. Il existe désormais une démocratie irakienne, qui repose sur des élections sincères, mais qui, malheureusement, ont débouché sur un parlement divisé, cette division affaiblissant le régime.

Sur le plan économique, l’Irak est, grâce à ses importantes réserves pétrolières, potentiellement très riche. Il faudra néanmoins des efforts considérables pour mettre en valeur le sous-sol, dont les prospections ont été complètement stoppées depuis les drames qu’a connus ce pays.

Par ailleurs, le Président de la République a fait une halte à Bagdad, laquelle a été très appréciée des Irakiens. Plusieurs grandes sociétés françaises cherchent, à raison, à s’implanter sur le territoire.

M. le général Thierry Ollivier, commandant du centre de doctrine au ministère de la défense. Je commande le Centre de doctrine d’emploi des forces (CDEF) à l’École militaire ; à ce titre, je voudrais évoquer la relation que nous entretenons avec les États-Unis. Nos soldats, sur le terrain afghan, ont noué des liens très étroits avec les Américains : la brigade française est sous le commandement d’une division américaine et de nombreux officiers sont insérés dans l’état-major qui commande les opérations. Pour ma part, j’échange régulièrement, dans un esprit de fraternité et de camaraderie, avec mes homologues américains sur la difficulté des opérations et la façon de les mener ensemble. Je serais curieux de savoir si les hommes politiques que vous êtes, à titre personnel ou dans vos responsabilités, entretiennent le même type de relations et échangent avec leurs homologues sur la stratégie conduite en Afghanistan. C’est la deuxième fois que je participe, ici même, à un colloque sur la stratégie : les Américains y sont toujours décrits comme lointains, conduisant seuls leur propre guerre.

M. Jean Glavany. Je suis, moi aussi, très frappé par ce décalage. J’ai pu constater à plusieurs reprises sur le terrain, y compris sur la base avancée de la FOB Tora où la cellule de renseignement accueille Américains et Français, cette fraternité d’armes que vous évoquez. Une telle coopération n’existe pas au niveau politique. Certes, nous pouvons avoir, les uns et les autres, des contacts avec les politiques américains ; Henri Plagnol et moi-même nous sommes rendus, dans le cadre de notre mission, aux États-Unis, où nous avons notamment rencontré les équipes de Barack Obama, qui, contrairement à l’administration Bush, sont dans une démarche de questionnement.

Mais ce qui importe, c’est de savoir si, au sein de l’OTAN, les décisions politiques sont aussi partagées qu’elles le sont sur le terrain. En France, il n’y a pas eu de révision stratégique assumée, sauf peut-être celle qui a été imprimée par l’arrivée de Barack Obama, et que nous nous sommes contentés de suivre. Il n’y a pas eu de décision politique française. Sans doute faut-il y voir une faille de notre démocratie. Le Parlement, de ce point de vue, a de sacrés progrès à faire. Il faut se battre pour évoquer ces questions. Alors que nous sommes en guerre, le dernier débat dans l’hémicycle sur l’Afghanistan remonte à plus d’un an !

M. Hervé Gaymard, député. Je saisis l’occasion pour saluer l’excellent travail du CDEF, hélas trop confidentiel. Nous n’avons pas une culture de la recherche stratégique dans notre pays et il serait très profitable, monsieur le président de la Commission des affaires étrangères, d’organiser des séminaires conjoints entre parlementaires et chercheurs.

III – TABLE RONDE : LA GOUVERNANCE MONDIALE

A) Propos introductifs

1) M. Hervé Gaymard, député, membre de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale

Peut-être vaut-il mieux lire les écrivains voyageurs, comme Nicolas Bouvier et son merveilleux Usage du monde, plutôt que de compulser les statistiques pour comprendre le monde dans lequel nous vivons.

Évoquer la gouvernance mondiale, c’est se situer à la charnière entre la réflexion théorique, sur le système mondial et son organisation, et la pratique de la négociation internationale. Il se trouve qu’en tant que ministre de l’agriculture et ministre de l’économie et des finances, j’ai eu l’occasion de participer à de nombreux sommets européens ou mondiaux.

Je garde ainsi de la cinquième conférence ministérielle de l’OMC, en septembre 2003, un très grand souvenir. Elle se déroulait à Cancun, sur cette langue de sable placée exactement entre l’Océan, et ses requins, et la lagune, infestée de caïmans… Les hôtels internationaux étaient encerclés par les forces de sécurité, qui tenaient à respect les nombreux manifestants altermondialistes. Outre le décor, j’ai été frappé par deux choses.

Après que le ministre hôte eut sanctionné l’échec de cette énième session ministérielle – nous étions, déjà, et comme aujourd’hui encore, à la veille du succès du cycle de Doha –, Robert Zoellick, le négociateur américain, a repris la parole pour expliquer, sans dissimuler sa joie, que sa porte était ouverte pour la conclusion d’accords commerciaux bilatéraux. Une façon de célébrer l’échec du multilatéralisme. Plus tard, lors d’un échange que j’avais avec lui, Youssef Boutros Ghali, le négociateur égyptien, a noté que le propre du « G20 » des pays émergents et de certains pays en voie de développement qui se constituait alors – il ne s’agit pas du G20 de la gouvernance économique – n’était pas de concilier les intérêts nationaux, par ailleurs fort divergents, mais de se poser comme symbole du changement dans un système bâti après 1945.

Quelques années avant la crise de 2008, qui a agi comme révélateur, il s’agissait d’un signe annonciateur de cette aspiration à une nouvelle gouvernance mondiale. Cela faisait suite à la création de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), organisme discret mais très intéressant, et précédait la création, par sept États d’Amérique latine, de la Banque du Sud comme alternative à la Banque mondiale. Nous ne sommes plus dans le monde de 1945, ni même dans celui qui suivit la chute du Mur de Berlin. Il nous faut aujourd’hui inventer une nouvelle organisation et une régulation mondiale différente.

Cet état de fait me conduit à poser plusieurs questions. Existe-t-il une aspiration commune à une gouvernance mondiale ? Quel est le contexte ? Quel est le souhaitable ? Quel est le possible ou le probable ?

On pourrait penser qu’il existe une aspiration commune à une gouvernance mondiale, mais elle recouvre beaucoup de positions ambiguës. Au reste, comme le disait le cardinal de Retz, on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment.

Ainsi, les États-Unis n’ont jamais été favorables à une gouvernance mondiale – ni des partisans farouches du système onusien, sauf en 1950, au moment de la guerre de Corée – et ont toujours privilégié l’adhésion « à la carte » aux différentes agences des Nations unies. C’est l’attitude qu’ils ont observée durant le processus de Kyoto.

Les Européens, pour leur part, apparaissent depuis 1945 comme des citoyens du monde angéliques, voulant le Bien, pétris de « moraline » comme aurait dit Nietzsche, et toujours prêts à tendre l’autre joue avant même d’avoir pris la première gifle. Ils privilégient le multilatéralisme.

Les pays émergents réclament évidemment une nouvelle gouvernance mondiale, et une place au banquet. Ce sont les éléphants de la Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France, de Jacques Prévert : le jour où ils viendront reprendre leur ivoire, il ne faudra pas être surpris d’entendre craquer les billards. Mais les voix sont discordantes. La Chine ne respecte pas les décisions prises par les organisations internationales, comme le montre son attitude envers les rogues states – le Zimbabwe, le Soudan ou la Corée du Nord – ou son refus de satisfaire aux obligations de l’OMC. Le Brésil est plus respectueux, mais il est tenté, comme la Thaïlande, de défendre ses intérêts nationaux dans les négociations sur le commerce, au détriment des autres pays émergents. La question est donc beaucoup plus compliquée qu’il n’y paraît.

Le contexte est celui de la montée des puissances émergentes et des mutations économiques, démultipliées par la crise de 2008. Le G8, qui est devenu le G20, a pris depuis 2008 des initiatives extrêmement intéressantes en matière financière – régulation bancaire, révision des normes bancaires Bâle III, paradis fiscaux. De leur côté, les émergents se sont réunis à Ekaterinenburg en 2009 puis à Brasilia en 2010 ; l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud ont créé le forum de dialogue IBSA. Le Fonds monétaire international (FMI) a enfin commencé à réformer ses quotes-parts, ce qui lui permet de représenter un peu plus justement l’équilibre du monde. À la Banque mondiale, les votes égalitaires, qui ne sont pas directement liés à l’appel de fonds et donc à la richesse des pays, ont été multipliés par deux. Toutes ces initiatives constituent des avancées, qui tiennent compte du nouvel état du monde.

Quel est le souhaitable ? Nous avons à traiter différents « paquets ». Le premier paquet concerne les questions politiques et stratégiques – nucléaire, rogues states, terrorisme et piraterie. Ces questions sont traitées tant bien que mal, souvent au cas par cas, par l’ONU et par l’OTAN.

Le deuxième paquet est relatif aux questions touchant à la régulation financière, au système monétaire international, mises au menu du G20 par la présidence française, font l’objet d’une attention plus grande qu’autrefois.

S’agissant de l’environnement et du climat – il s’agit d’un troisième paquet –, un processus complexe et technique s’est mis en place depuis la conférence de Rio. Les politiques s’y sont ralliés, en se rendant à la clôture du sommet de Copenhague, même si celui-ci n’a pas été un succès ; quant à la conférence de Cancun, elle a débouché sur un certain nombre d’avancées. Dans ce domaine, une diplomatie nouvelle émerge, même si l’effectivité des décisions n’est pas encore mesurable.

On parle moins du dernier « paquet », pourtant capital, qui concerne l’alimentation, la santé, les normes, le travail, le développement, l’énergie et le commerce. Dans cet ensemble, on constate une balkanisation des institutions – OMS, FAO, OMC, OIT…–, voire une absence d’institutions ad hoc. La question que pose le nouvel ordre mondial n’est pas celle du commerce en tant que tel, mais celle plus globale consistant à savoir comment nourrir la planète, comment ne pas gaspiller nos ressources, comment améliorer l’allocation énergétique. Mais nous vivons encore avec l’idée que l’« avantage comparatif » est un paradigme indépassable. Pour ma part, je suis convaincu que cette question ne doit pas être laissée aux économistes ; elle est fondamentalement politique et surplombe toute l’action de l’OMC. Cette théorie de l’échange international doit être revisitée par le politique. En effet, aujourd’hui, nous n’avons pas d’autres choix que José Bové, The Financial Times ou The Economist, soit deux visions du monde qui ne permettent pas de répondre aux enjeux auxquels nous sommes confrontés.

2) M. André Vantomme, sénateur, membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat

En préparant la conclusion de mon intervention, je voulais trouver, à la veille des fêtes de fin d’année, des raisons de rester optimiste. Je n’y suis pas vraiment parvenu, et les orateurs que je viens d’entendre me confirment dans cette impression.

L’adoption de la Charte des Nations unies a fondé les bases du droit international. Soixante-cinq ans plus tard, que constatons-nous ? L’émergence de nouvelles puissances, l’apparition de la multipolarité, le creusement des inégalités, la multiplication des enjeux économiques majeurs, la croissance de la démographie, le risque de prolifération nucléaire, la suprématie de la logique financière… On en arrive à ce paradoxe : aujourd’hui, l’ordre mondial, c’est le désordre.

Notre système mondial est régi par des chartres, des règlements internationaux censés garantir les droits civils, économiques, politiques, sociaux et culturels de l’ensemble des habitants de cette planète. Mais il n’en est rien : les inégalités se creusent, les famines et la malnutrition persistent, les droits de l’homme sont attaqués de toutes parts, les catastrophes sanitaires continuent de frapper…

L’ONU, cœur de la gouvernance mondiale, perd son pouvoir. L’espace financier monétaire s’autonomise du contrôle public et subordonne l’économie productive à la logique spéculative. Les questions de paix et de sécurité sont sous-traitées par l’ONU. Des groupes – G8, G20 –, réunissant les pays les plus puissants, s’emparent des questions fondamentales alors qu’ils sont dépourvus de toute personnalité juridique et que leur légitimité pose question. Même s’il continue à fonctionner, son organisation, fondée sur la règle de l’unanimité, le condamne à ne pas trouver de solution : le multilatéralisme a vécu.

Force est de reconnaître que l’aide au développement n’a pas atteint tous ses objectifs. Les progrès des technologies, de l’information et de la communication rendent plus évidentes encore les disparités. Les divergences se font jour entre les pays engagés dans une dynamique de croissance économique rapide et ceux qui restent pauvres et marginalisés.

Alors que l’interdépendance internationale s’est accrue et que les grandes questions communes à l’humanité – « les biens publics mondiaux » que sont la lutte contre le réchauffement climatique, contre les grandes pandémies, pour la préservation de la biodiversité – émergent dans le débat politique, on s’aperçoit que les pays en voie de développement détiennent une partie de la solution. Dans cette optique, L’OCDE consacre plus de 100 milliards de dollars à l’aide publique au développement, laquelle est distribuée sous forme de dons ou de prêts et sous certaines conditions. Par ailleurs, les acteurs de l’aide au développement sont multiples : Union européenne, organisations internationales, société civile et les ONG, collectivités territoriales. C’est la raison pour laquelle il est impératif de veiller à la cohérence de l’architecture internationale et de promouvoir des mécanismes de mise en cohérence des institutions multilatérales et bilatérales existantes. Au travers d’un schéma cadre de la coopération, auquel le Parlement a oeuvré, la France a défini ses propres règles et des objectifs semblables à ceux de la communauté internationale.

La première des priorités est la prévention des crises et des conflits. Le terrorisme ayant tendance à installer ses bases dans les zones de non droit, le renforcement économique et politique de certaines régions du monde constitue l’une des réponses de la communauté internationale aux questions de sécurité.

Pour ce qui est de la lutte contre la pauvreté, la réflexion internationale a progressé. Les objectifs du millénaire pour le développement, au nombre de huit, ont été définis. Mais si certains résultats sont probants, des lacunes demeurent et le rythme de résolution des problèmes n’est pas toujours satisfaisant. Ces insuffisances sont douloureusement ressenties, notamment en Afrique subsaharienne, et favorisent l’émergence du terrorisme.

Ces dernières années, la communauté internationale a pris conscience de l’interdépendance entre les États et de la nécessité d’une réponse collective. En matière d’environnement, la notion de biens publics mondiaux est apparue. Toutefois, une réponse collective est difficile à mettre en œuvre : ainsi, la réduction des gaz à effet de serre et des émissions de CO2 supposent l’adoption de nouveaux comportements, aussi bien de la part des pays développés que des pays émergents. Appelés à rechercher des modèles économiques respectueux des nouvelles préoccupations environnementales, ces derniers font valoir que la situation actuelle n’est pas de leur fait, et que les solutions imposées vont à l’inverse du développement auquel ils aspirent et que leur population réclame. Une réponse à ce problème se trouve dans les mécanismes de compensation mis en place dans le cadre du protocole de Kyoto. Cependant, notons à cet égard que le protocole de Kyoto n’a pas été ratifié par tous les pays – à commencer par les États-Unis –, et que la conférence de Copenhague s’est soldée par un échec. Néanmoins, la récente conférence de Cancun laisse entrevoir quelques espoirs.

La gravité des problèmes auxquels nous sommes confrontés exige des analyses communes, des initiatives qui nous rassemblent et des efforts financiers majeurs. La France parviendra-t-elle un jour à consacrer 0,7 % de son PIB à l’aide au développement ? Aura-t-elle les moyens de passer de 10 milliards à 17 milliards en 2015 ? Je vous laisse le soin de répondre.

3) M. Jacques Mistral, directeur des études économiques de l’IFRI

S’agissant de gouvernance économique mondiale, les différentes démarches se rangent sous deux grands chapitres : l’approche idéaliste à laquelle incline la France qui dispose, en la matière, d’un avantage comparatif, et l’approche réaliste. Une meilleure gouvernance économique mondiale est souhaitable. C’est ainsi que les économistes apportent leur contribution à cette réflexion et voient bien – ils ne sont pas tous aveugles – qu’il faut corriger les nombreuses défaillances des marchés, point de vue qui est désormais plus répandu qu’il y a une quinzaine d’années.

Les États et les institutions internationales doivent, eux, veiller à produire des biens publics globaux en quantité suffisante. Or, en matière de sécurité alimentaire, de lutte contre le réchauffement climatique, de santé des populations, l’offre de biens publics globaux est insuffisante, voire dramatiquement insuffisante.

Enfin, les interdépendances se sont multipliées, et une approche intergouvernementale est nécessaire dans un nombre croissant de domaines, le rôle des agences, bien qu’incontestable comme dans le traitement du SIDA, ne pouvant pas suffire. De plus, pour tous ces problèmes – la crise économique, le chômage, les pandémies ou encore le climat – l’urgence est de mise. Selon l’adage bien connu, les problèmes économiques globaux appellent des solutions globales.

Devant un tel constat, l’idéalisme est une tentation car il invite à échafauder l’architecture institutionnelle qui traitera efficacement les problèmes une fois porté un diagnostic précis. Les choix politiques européens portent la marque d’une telle conception. Par exemple, dans la préparation lors du sommet de Copenhague, les délégations européennes ont manifestement surévalué leur capacité à rallier à leurs thèses un nombre suffisant de nos partenaires, persuadées qu’elles étaient que la dynamique était bien engagée.

Le bilan de l’année écoulée – la conférence de Cancun n’a que très partiellement racheté l’échec de Copenhague et les négociations commerciales n’ont toujours pas abouti – conduit à envisager une autre manière d’aborder les problèmes de la gouvernance économique mondiale : le réalisme. Toutes les négociations montrent que toute politique reste locale. Cette formule, très courante à Washington, est le reflet d’une réalité universelle. Chacun définit sa politique en fonction de ses propres impératifs. Cette vérité restreint la portée des négociations internationales et les ambitions des tenants de la première approche.

La crise économique dans laquelle nous sommes plongés accentue le contraste entre les réalistes et les idéalistes, puisque ce sont les États qui sont montés en première ligne pour intervenir dans l’urgence. Dès lors, les intérêts nationaux sont revenus sur le devant de la scène et la confrontation en a été ravivée sans que la croissance puisse aider à trouver des terrains d’entente et à faire émerger des solutions bénéfiques pour tous les participants – il suffit à cet égard de penser aux précédents rounds des négociations commerciales internationales.

D’un côté, la position idéaliste est séduisante sur le plan moral et politique, mais elle risque de pécher par manque d’efficacité ; de l’autre, l’approche réaliste, dictée par l’observation froide des réalités politiques, ne mène pas toujours très loin. Entre ces deux approches, le pragmatisme doit trouver sa voie. À cet égard, le G20 offre un beau terrain de réflexion en ce sens qu’il a produit des résultats encourageants – même s’il a montré les limites de l’exercice.

Le G20 est une création extrêmement encourageante au regard du projet de gouvernance mondiale puisqu’il a permis de répondre sur les plans macroéconomique, monétaire et financier tout en préservant la liberté des échanges et l’esprit de coopération dont la disparition, dans les années trente, avait été un des facteurs les plus dramatiques de l’aggravation de la crise. En contrepoint, on voit bien que, depuis la fin de la phase aiguë où il s’agissait d’empêcher le désastre, on voit bien que, depuis Pittsburgh et Toronto, Séoul même, les résultats sont en deçà des espérances de voir le G20 cesser de n’être qu’un instrument de gestion de crise, tel le G7 des ministres des finances, pour prendre un certain leadership du gouvernement de l’économie mondiale. Nous sommes au milieu du gué. J’en veux pour preuve deux exemples.

Sur le plan microfinancier, la réglementation financière a significativement changé depuis les sommets de Washington et de Londres, des progrès très significatifs ont été faits. Et ceux qui parlent de « G Vain » devraient changer de lunettes dans la mesure où ils tiennent pour rien Bâle III, le conseil de stabilité financière, la lutte contre les paradis fiscaux, ou encore la création de conseils de risques systémiques aussi bien aux États-Unis que dans l’Union européenne. Ce sont autant de pas significatifs qui n’auraient pas été franchis sans le G20. Mais les chantiers qui nous attendent sont beaucoup plus délicats : le traitement des banques too big to fail dont l’existence risque de conduire à une répétition des crises du passé, l’amélioration de la supervision des marchés de dérivés, la séparation ou non entre banque d’investissement et banque de dépôt. Sur tous ces points, la convergence risque de se faire attendre.

Sur le plan macrofinancier, c'est-à-dire les questions monétaires internationales, j’exprimerai un point de vue plus positif que la moyenne, et pas seulement parce que le Président de la République a indiqué que c’était une priorité de la présidence française. Certes, sur ce terrain, le G20 a été dramatiquement absent : alors que les déséquilibres globaux sont jugés comme l’une des composantes ayant concouru au déclenchement de la crise, les communiqués du G20 sont pratiquement muets sur le sujet – une ou deux phrases après Pittsburgh, tout au plus. Dès lors, pourquoi être optimiste ? Tout simplement, à cause d’une convergence d’intérêts qui offre de réelles opportunités à la présidence française : les États-Unis sont menacés de voir se tarir le flux d’investissements étrangers, ce qui les placerait dans une situation dramatique ; les Chinois n’ont pas intérêt à hypothéquer la valeur future de leurs avoirs en dollars et en euros ; les Européens, après les troubles qu’ils ont connus cette année, n’ont pas intérêt, eux, à voir évoluer la situation financière des États-Unis dans un sens où l’euro redeviendrait une valeur refuge, aux dépens de l’emploi et de l’industrie chez eux. C’est cette concordance qui est de nature à susciter un optimisme mesuré.

B) Débat avec la salle

M. Alain Dejammet, Ambassadeur de France. Avant le G20, le G7 et le sommet des pays industrialisés ont été tentés de jouer un rôle politique. Mais qui se souvient de leurs déclarations ? Par ailleurs, le G20 est pénalisé par sa composition puisqu’il ne compte qu’un seul pays africain, l’Afrique du Sud – sur cinquante-quatre – et un seul pays arabe, l’Arabie Saoudite. Et, si Youssef Boutros-Ghali s’est exprimé, c’est qu’il était invité en tant qu’ancien fonctionnaire du Fonds monétaire international, mais il ne représente pas l’Égypte au G20. Il subsiste également un obstacle juridique dans la mesure où la contrainte universelle reste dans les mains du Conseil de sécurité, pour ne rien dire de la difficulté politique créée par les pays émergés, plutôt qu’émergents, comme la Chine, qui le considèrent comme le cadre exclusif de leur action. Dans ce contexte, quelle réforme envisager et quel rôle le G20 peut-il véritablement jouer sur la scène politique internationale ?

Sur le plan économique, une régulation du cours des matières premières semble souhaitable, qui irait à rebours du libéralisme effréné et du dogme des avantages comparatifs. Or le sujet avait été traité dans un cadre onusien, dans une négociation impliquant plus de 100 pays, la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement, à Nairobi, avec, pour résultat, la création d’un fonds commun de régularisation des cours des matières premières. Cette expérience peut-elle servir ?

M. Hervé Gaymard. Je partage complètement la remarque sur l’absence de l’Afrique au sein du G20, surtout si l’on anticipe l’évolution du poids démographique de ce continent dans les vingt ans qui viennent. C’est l’un des talons d’Achille du G20 actuel.

Par ailleurs, dans les projets de la présidence française du G20, figure la création d’un secrétariat qui, s’il n’était pas pléthorique, serait le premier pas vers une institutionnalisation plus grande de ce cénacle. Une structure permanente lui permettrait sans doute de jouer un rôle politique plus important.

Reste à savoir comment articuler le G20 et le système onusien. Une chose est de faire des déclarations résolues à l’occasion du G20, une autre est d’assurer l’application des positions de principe.

M. Jacques Mistral. Dans mon domaine de compétence, le même problème d’articulation se pose entre le G20 des ministres des finances et la tutelle du Fonds monétaire international. Historiquement, le conseil prévu dans les statuts du Fonds n’ayant jamais vu le jour, ce sont les ministres des finances du G7 qui ont joué le rôle de tuteur en se réunissant avant le conseil du Fonds qui se tient au printemps et à l’automne. Aujourd'hui, la situation devient absurde parce que le successeur du G7 finances pour les questions monétaires internationales est le G20. Il y a donc deux instances de vingt ou vingt-quatre ministres : le G20 travaillant pour les chefs d’État et le conseil du FMI et de la Banque mondiale. Il y a là un terrain propice que la question de la création du conseil, proposée traditionnellement par la France, devienne le moyen de répondre au besoin évoqué par Hervé Gaymard de concilier la structure G20 avec les instances onusiennes.

M. Jianping Zhang, journaliste à The Epoch Times. Le journal pour lequel je travaille a son siège à San Francisco, et il est diffusé en dix-sept langues. En français, il s’agit de La Grande Époque. Mes questions concernent la Chine dans la mesure où je travaille pour la version chinoise.

Il y a quelques jours, j’ai rencontré un dissident politique chinois, l’un des anciens dirigeants des étudiants de la place Tien An Men, qui a fait ses études à Paris et réside désormais aux États-Unis. Il souligne que, ces dernières années, les politiques occidentaux se sont attachés surtout au développement économique de la Chine, mais que, tout récemment, certains hommes politiques ont perçu que le problème soulevé par le régime chinois ne se pose pas qu’en termes de concurrence économique et culturelle. L’enjeu porte aussi sur les valeurs portées par un régime d’essence dictatoriale. Quelle est votre opinion sur ce point ?

La Chine a connu un développement considérable depuis maintenant trente ans. Mais, parallèlement, elle continue à persécuter ses citoyens : les Tibétains, les Ouïgours et les dissidents politiques. Depuis onze ans, elle s’en prend tout particulièrement à la mouvance bouddhiste Falun Gong : selon un rapport de l’ONU et des organisations de défense de droits de l’homme, des milliers de pratiquants auraient été tués. En septembre dernier, Mme Valérie Boyer, députée UMP de Marseille, a déposé une proposition de loi visant à lutter contre le tourisme de transplantation d’organe et dont l’exposé des motifs cite nommément les membres du Falun Gong comme victimes des prélèvements d’organes organisés par le gouvernement chinois. Pensez-vous que le régime chinois constitue un partenaire durable ?

M. André Vantomme. Il faut rappeler que nous sommes attachés à des valeurs qui sont partagées par la communauté internationale. Malheureusement, il est clair que, dans certains cas, des violations des règles et des comportements inadmissibles sont constatés. Nous ne sommes pas indifférents à de telles situations, et l’attribution du prix Nobel de la paix à un dissident chinois cette année peut apparaître comme une dénonciation des atteintes aux droits de l’homme. Pour autant, ces prises de position n’excluent pas le réalisme : c’est à la démocratie interne de procéder aux corrections qui s’imposent, et il ne nous revient pas de choisir les dirigeants chinois. Mis à part des dénonciations et quelques actions, il n’est pas possible d’ignorer un pays qui compte 1,4 milliard d’habitants, et ce même s’il comporte des aspects négatifs.

M. Wassim Nasr, étudiant à l’Institut des relations internationales et stratégiques. Rien n’a été dit sur la gestion de l’Arctique, qui est pourtant une pomme de discorde entre alliés. L’Europe a-t-elle une ligne de conduite ou un plan en la matière ?

M. le président Axel Poniatowski. Je regrette que M. Rocard, qui est le grand spécialiste, ne soit pas ici pour vous répondre. Les commissions des affaires étrangères du Sénat et de l’Assemblée l’ont auditionné et il est passionnant. Nous n’avons pas grand-chose à vous apprendre. À la différence de l’Antarctique qui appartient à la communauté universelle, l’Arctique est partagé entre les puissances riveraines. Nous pourrons vous faire parvenir les comptes rendus des auditions.

M. Alain Dangeard, président du conseil d’administration de MEED SA. Je félicite M. Gaymard pour son excellent exposé qui a posé les problèmes de fond. Mais il ne faut pas oublier que l’urbanisation est un facteur déclenchant.

M. Thierry de Montbrial. En guise de conclusion, je tiens à féliciter les présidents Poniatowski et de Rohan de cette initiative qui repose sur l’idée que les Parlements sont importants en matière de politique étrangère. En France, on croit qu’elle constitue le domaine réservé de l’exécutif et que les parlementaires ne comptent pas. Je suis d’un avis tout autre, pour au moins deux raisons. D’une part, la démocratie évolue et les parlementaires doivent aussi oser jouer leur rôle dans ce domaine. D’autre part, l’Assemblée nationale et le Sénat comptent en leur sein des personnalités très expérimentées – nous l’avons constaté ce soir – et mènent des travaux considérables : leurs rapports sont là pour en témoigner, et ils sont insuffisamment utilisés.

Quant à l’IFRI, il est reconnu comme l’un des dix premiers think tanks hors États-Unis. Nous sommes les seuls en France et nous sommes le numéro un en Europe. Nous avons à la fois des experts de haute volée tels qu’Étienne de Durand et Jacques Mistral et des réseaux très étendus qui ne se superposent pas nécessairement à ceux des parlementaires ou des hommes politiques. D’où l’intérêt de ces rencontres.

Je considère que cette première expérience est une réussite et elle devrait déboucher sur une publication commune compte tenu de la qualité des interventions. Tenir une telle réunion un 22 décembre pouvait passer pour une gageure mais nous avons rempli la salle, qui plus est, avec nombre de personnalités. C’est un second point encourageant.

CONCLUSION

M. le président Axel Poniatowski. Je vous remercie tous d’être venus et je me demande si nous ne consacrerons pas notre prochaine réunion au rôle de la diplomatie parlementaire, qui n’est pas du tout envisagée de la même manière dans les pays anglo-saxons et dans les pays latins. N’hésitez pas à nous écrire pour nous faire part de vos remarques et de vos suggestions puisqu’il s’agit d’une première rencontre entre les universitaires, experts et les politiques que nous sommes. J’espère vous retrouver l’année prochaine.

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La commission a autorisé la publication de ce rapport d’information au cours de sa réunion du mercredi 26 janvier2011.


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