Accueil > Documents parlementaires > Les rapports d'information
Version PDF
Retour vers le dossier législatif


N° 3307

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 avril 2011

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES

sur la sécurité et le financement des réseaux de distribution
d’
électricité

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Jean PRORIOL

Député,

en conclusion des travaux d’une mission d’information présidée par

M. Jean GAUBERT (1)

Député.

——

La mission d’information sur la sécurité et le financement des réseaux de distribution d’électricité est composée de : M. Jean Gaubert, président ; M. Jean Proriol, rapporteur ; M. François Brottes, M. Jean Dionis du Séjour, M. Claude Gatignol, Mme Pascale Got, M. Jean-Claude Lenoir, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Daniel Paul et M. Francis Saint-Léger.

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 7

CHAPITRE I.— UNE AMÉLIORATION FRAGILE DE LA SÉCURITÉ DU RÉSEAU APRÈS UNE DÉGRADATION SANS PRÉCÉDENT 13

I.— UN CONSTAT UNANIME : LA DÉGRADATION DE LA QUALITÉ DE L’ÉLECTRICITÉ 13

A.— LA BIENVEILLANCE EN SURSIS DES USAGERS VIS-À-VIS DE LEUR RÉSEAU ÉLECTRIQUE 13

B.— UNE DÉGRADATION BIEN RÉELLE 16

1. Une dégradation qui n’est pas imputable aux seuls éléments extérieurs au gestionnaire de réseau 16

2. Des inégalités inacceptables 24

II.— UN DIAGNOSTIC PARTAGÉ : UN RÉSEAU FRAGILISÉ PAR MANQUE D’INVESTISSEMENTS 27

A.– L’EFFET À RETARDEMENT DE LA DIMINUTION DES INVESTISSEMENTS DANS LE RÉSEAU DE DISTRIBUTION 27

1. Une diminution incontestable de l’effort financier du gestionnaire du réseau de distribution dans les années 1990-2000 27

2. Une diminution qui s’expliquait par l’absence de cadre incitatif ou contraignant 32

B.– DES POINTS FAIBLES BIEN IDENTIFIÉS 35

1. Le réseau de distribution français : un réseau très étendu et rural 35

2. Une priorité : la sécurisation du réseau en moyenne tension 37

3. Un réseau en basse tension qui ne doit pas être négligé 43

III.— UNE PRISE DE CONSCIENCE SUIVIE D’EFFETS POSITIFS 44

A.— UNE PRISE DE CONSCIENCE DE L’ENSEMBLE DES PARTIES PRENANTES SUIVIE DE MODIFICATIONS DU CADRE LÉGISLATIF ET RÉGLEMENTAIRE 44

1. De nombreux rapports qui ont fait l’effet d’un « électrochoc » 44

2. Le renforcement des obligations du gestionnaire de réseau en matière de maintien de la qualité de l’alimentation électrique 46

a) Des obligations contractuelles anciennes 46

b) Une obligation législative nouvelle : le maintien d’une « qualité régulière » 46

c) Le « décret qualité » 47

3. Le TURPE : un cadre de régulation qui rémunère équitablement les investissements du gestionnaire de réseaux 48

B.— UNE TRAJECTOIRE D’INVESTISSEMENTS ACTUELLE QUI TENTE DE RATTRAPER LE RETARD ACCUMULÉ 51

1. Des résultats en matière de réponse aux événements climatiques exceptionnels 51

2. Une reprise incontestable des investissements dans le réseau de distribution 52

CHAPITRE II : UNE POURSUITE DU RÉTABLISSEMENT DE LA QUALITÉ EN SURSIS 57

I.— UNE CROISSANCE DE LA CONTRIBUTION DES AUTORITÉS CONCÉDANTES BENEFIQUE AU RENOUVELLEMENT DU RÉSEAU DE DISTRIBUTION 57

A.— LE POINT DE VUE DU GESTIONNAIRE DU RÉSEAU : DES AUTORITÉS CONCÉDANTES QUI CONSACRENT TROP D’EFFORTS AU RÉSEAU EN BASSE TENSION 57

1. Des collectivités concédantes qui se substituent au gestionnaire du réseau de distribution 57

2. L’opportunité des investissements des autorités concédantes contestée par ERDF et la CRE 60

B.— UNE CRITIQUE DE L’ACTION DES AUTORITÉS CONCÉDANTES QUI NE RÉSISTE PAS À L’ÉPREUVE DES FAITS 63

1. Des investissements utiles au rétablissement de la qualité 63

2. L’exercice difficile du pouvoir de contrôle du concessionnaire par l’autorité concédante 71

II. — LE MONTANT DES INVESTISSEMENTS DU GESTIONNAIRE DU RÉSEAU DE DISTRIBUTION EN QUESTION 77

A.— DE NOUVEAUX DEFIS A RELEVER PAR LE GESTIONNAIRE DU RÉSEAU DE DISTRIBUTION 77

1. Les énergies renouvelables, ou comment permettre à des milliers de producteurs décentralisés d’injecter de l’électricité sur le réseau 77

2. La voiture électrique, ou comment permettre à des millions de foyers de recharger leur véhicule à la même heure et en un temps restreint 79

3. Le développement des réseaux intelligents, ou comment permettre à chacun de maîtriser sa consommation 79

B.— UN SYSTÈME QUI NE CONTRAINT PAS L’ACTIONNAIRE D’ERDF À ACCORDER A SA FILIALE LES MOYENS SUFFISANTS À L’EXERCICE DE SES MISSIONS 81

1. Un montant des investissements d’ERDF fixé par EDF en deçà de la trajectoire TURPE 81

2. Les justifications avancées par la maison mère 84

C. — NI LE « DISPOSITIF QUALITÉ », NI LA RÉGULATION INCITATIVE N’INTRODUISENT DE SANCTIONS SIGNIFICATIVES EN CAS DE DÉGRADATION DE LA QUALITÉ 86

1. Un « dispositif qualité » inutile 87

2. Une régulation incitative qui ne prend pas en compte la situation des extrêmes 89

SIX PROPOSITIONS POUR DONNER UN AVENIR AU RÉSEAU DE DISTRIBUTION 91

EXAMEN EN COMMISSION 97

CONTRIBUTION DE M. DANIEL PAUL (GROUPE G.D.R.) : UNE SITUATION NÉE DE LA LIBÉRALISATION ET DE LA LOGIQUE FINANCIÈRE 113

TABLE RONDE SUR L’ÉVOLUTION VERS DES RÉSEAUX D’ÉLECTRICITÉ INTELLIGENTS ET LA CONVERGENCE AVEC LES RÉSEAUX DE COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES 115

ANNEXES :

LE RÉSEAU DE DISTRIBUTION D’ÉLECTRICITÉ EN SUÈDE : COMPTE RENDU DU DÉPLACEMENT DE LA MISSION D’INFORMATION À STOCKHOLM 139

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 143

Mesdames, Messieurs,

La distribution d’électricité est un service public qui s’adresse directement au citoyen. Relié aux installations de production d’électricité par le réseau de transport, le réseau de distribution est le segment local du réseau électrique, qui alimente les consommateurs de faible puissance. A l’image du réseau routier, il dessert tous les foyers français et parcourt l’ensemble du territoire grâce à un maillage très fin.

La place du réseau de distribution dans le système électrique français

L’électricité est produite dans des centrales de production électrique, comme les centrales thermiques, nucléaires ou hydrauliques ; elle peut également être fournie par des capacités de production dites « décentralisées », comme les installations éoliennes ou photovoltaïques.

Afin d’éviter les « pertes en ligne » lorsque l’on achemine de l’électricité sur les distances importantes, l’électricité produite par les centrales est d’abord acheminée par le réseau de transport. Géré par RTE (Réseau de Transport d’Électricité), il comprend des lignes en très haute tension (225 000 et 400 000 volts), et des lignes en haute tension (principalement 63 000 et 90 000 volts).

Une fois parvenue à proximité de son point de consommation, l’électricité est transformée en électricité en moyenne tension, ou tension HTA (15 000 et 20 000 volts). Cette transformation intervient dans les postes sources, points de départ du réseau de distribution géré par ERDF et les distributeurs non nationalisés. L’électricité peut être distribuée en moyenne tension à certains clients industriels ; pour les autres clients, dont les particuliers, elle est convertie en basse tension (BT) par des postes de transformation HTA/BT avant d’être livrée.

Le réseau de distribution est une infrastructure lourde et incroyablement étendue : il est constitué de 1 293 400 kilomètres de lignes – contre seulement 100 000 kilomètres pour le réseau de transport –, 2 210 postes sources, 742 700 postes de transformation HTA/BT et dessert 34 millions de foyers.

On retrouve cette dimension à la fois nationale et locale dans l’organisation du service public de la distribution d’électricité. Celui-ci repose sur un équilibre historique complexe mais cohérent.

L’histoire de l’électrification commence à la fin du XIXème siècle, mais ne concerne dans un premier temps que les grandes villes. Pour répondre au problème du financement des réseaux électriques en zone rurale, la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d’énergie établit le principe des concessions publiques communales ou intercommunales de distribution d’énergie. C’est le point de départ de l’implication des collectivités territoriales dans la distribution d’électricité. Jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, la gestion du réseau est assurée par des compagnies privées contrôlées par des autorités concédantes locales. Face à la persistance des réticences des compagnies privées à desservir des territoires « non rentables », elles se regroupent en 1934 au sein de la Fédération des collectivités concédantes et régies (FNCCR) et poussent à la création du Fonds d’amortissement des charges d’électrification (FACÉ).

La nationalisation des compagnies électriques par la loi n°46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz constitue une rupture très nette : l’avènement d’un opérateur unique nécessite de refonder en profondeur les relations entre le gestionnaire du réseau et les collectivités concédantes. Electricité de France devient le seul concessionnaire possible sur 95% du territoire français – le reste du territoire est couvert par les distributeurs non nationalisés (DNN), qui sont maintenus par la loi de 1946 ; le rapport se concentrera sur la situation des territoires soumis au régime de la concession, où la distribution de l’électricité est assurée par ERDF.

La nouvelle loi a pour effet de diminuer le pouvoir des collectivités concédantes. Certes, le système des concessions est maintenu. Selon M. Marcel Boiteux, qui participa à la mise en place du nouveau système, il était nécessaire de maintenir un lien fort avec les collectivités locales, pour répondre au plus près aux attentes des citoyens. Le FACÉ est également préservé, car le financement des réseaux ruraux n’est pas achevé. Néanmoins, les concessions de distribution d’électricité procèdent d’un régime particulier, car elles sont attribuées à un concessionnaire unique, EDF, sans mise en concurrence. De fait, les cahiers des charges des concessions sont davantage des dispositions réglementaires que des contrats administratifs. Selon Guillaume Bouvier, « cette étatisation était à la fois un objectif de rationalisation, de rentabilisation des investissements, de normalisation des techniques et le fruit d’une volonté politique née de la convergence des intérêts et des valeurs des militants syndicaux de la CGT, soucieux de la création d’une entreprise publique dont le statut des électriciens et gaziers constitue un modèle social, [et] du modèle de développement industriel centralisé des gaullistes »2. Surtout, la présence d’un opérateur unique présente un avantage indéniable : il permet de mettre en place un mécanisme de péréquation au niveau national. Comme le courrier, l’électricité est distribuée au même prix à n’importe quel utilisateur. Le coût des investissements dans les concessions rurales est compensé par l’activité des concessions urbaines. La mission affirme son attachement au système de la péréquation, qui perdure tel quel aujourd’hui, et sur lequel repose l’universalité du service public de la distribution d’électricité.

Les distributeurs non nationalisés (DNN) et le fonds de péréquation de l'électricité

La loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz a exclu de la nationalisation les sociétés de distribution à économie mixte dans lesquelles l'Etat ou les collectivités publiques possédaient la majorité, ainsi que les régies, les coopératives d'usagers et les sociétés d'intérêt collectif agricoles (SICAE).

De telles sociétés perdurent aujourd’hui sous l’appellation de « distributeurs non nationalisés », ou encore d’ « entreprises locales de distribution » (ELD). Il existe aujourd'hui quelque 160 distributeurs non nationalisés, sous la forme d'établissements d'économie mixte, de régies ou de SCAE. Certains ont une taille relativement importante, comme Électricité de Strasbourg, l'Usine d'électricité de Metz, la Régie des Deux-Sèvres, la Soregies (Vienne) ou Gaz Électricité de Grenoble. D'autres ont une dimension beaucoup plus modeste, ne desservant qu'une ou quelques petites communes rurales.

Ces distributeurs non nationalisés assurent la distribution d'environ 5% de l’électricité dans près de 2500 communes.

La loi du 8 avril 1946 a également créé un fonds de péréquation de l'électricité ayant pour vocation de compenser en partie l'hétérogénéité des conditions d'exploitation entre les différents distributeurs. En effet, selon les réseaux et la structure de la population, la rentabilité de l’activité diffère, alors que les tarifs sont les mêmes sur tout le territoire. Ainsi, les distributeurs les mieux lotis contribuent à l’équilibre des moins rentables.

Le fonds est administré par un conseil dont la principale fonction est d'approuver les paramètres de la formule de péréquation appliquée à chaque distributeur. Après avis du conseil, un arrêté conjoint des ministres chargés de l'énergie, du budget et de l'intérieur, fixe chaque année la valeur de ces paramètres.

La loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité a confirmé le rôle du fonds de péréquation de l'électricité. Sa fonction est de répartir entre les distributeurs les charges qui découlent des missions d'exploitation des réseaux. Le décret n° 2004-66 du 14 janvier 2004 relatif au fonds de péréquation de l'électricité précise les modalités de fonctionnement du fonds ainsi redéfini.

La libéralisation du marché de l’électricité constitue un autre bouleversement important. A partir des années 1990, deux phénomènes contribuent à modifier l’équilibre historique sur lequel repose le service public de la distribution d’électricité. Le premier est l’ouverture de la société EDF vers les marchés internationaux. L’opérateur national doit désormais concilier ses obligations de service public et les exigences propres aux groupes privés. Le second est l’évolution du droit interne sous l’impulsion des directives communautaires.

La séparation entre EDF et ERDF

L’indépendance d’ERDF vis-à-vis de la maison mère EDF s’est mise en place consécutivement aux directives européennes de libéralisation des marchés de l’énergie, ouvrant le marché de l’électricité à la concurrence.

La directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne du 19 décembre 1996 a été transposée par la loi n°2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité. Cette loi rappelle les missions du service public en matière d’électricité, dont fait partie la « desserte rationnelle du territoire national par les réseaux publics de transport et de distribution d’électricité ». Elle introduit dans le droit français la séparation des activités de fourniture d’électricité, ouvertes à la concurrence, et de réseau, qui demeurent sous le régime du monopole. Le nouveau cadre repose sur le principe d’accès non discriminatoire au réseau électrique pour tous les utilisateurs. En effet, le groupe EDF, entreprise verticalement intégrée, à la fois fournisseur et chargée de l’exploitation des réseaux, ne doit pas utiliser sa situation de monopole sur le segment de l’acheminement de l’électricité pour avantager ses installations de production aux dépens de celles de ses concurrents. Le respect du principe est contrôlé par la Commission de régulation de l’énergie, qui « veille en particulier à ce que les conditions d'accès aux réseaux de transport et de distribution d'électricité et de gaz naturel n'entravent pas le développement de la concurrence ».

Les obligations en matière de séparation entre fournisseur d’électricité et gestionnaire de réseau sont particulièrement fortes s’agissant du réseau de transport : la directive impose l’indépendance « sur le plan de la gestion » du transporteur. Suite à la loi du 10 février 2000, EDF crée, en juillet 2010, une direction autonome dédiée à la gestion du réseau de transport de l’électricité, « EDF-RTE » (Réseau de Transport Électrique). S’agissant du réseau de distribution, le « premier paquet » de libéralisation ne prévoit que la dissociation comptable des activités de réseau et de fourniture d’électricité.

La deuxième directive européenne 2003/55 du 26 juin 2003 impose la séparation juridique entre la maison mère et les gestionnaires du réseau de transport et de réseau de distribution. Pour ce dernier, la possibilité est ouverte de reporter cette séparation au 1er juillet 2007. La loi de transposition n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières dispose :

« Lorsqu'une entreprise d'électricité ou de gaz exploite, sur le territoire métropolitain, un réseau de distribution desservant plus de 100 000 clients et exerce une ou plusieurs autres activités dans le même secteur, elle constitue en son sein un service chargé de la gestion du réseau de distribution, indépendant, sur le plan de l'organisation et de la prise de décision, des autres activités ».

En application de la loi est créée EDF Réseau Distribution (ERD). La loi prévoit également la séparation juridique du gestionnaire de réseau de transport de l’électricité (RTE).

La loi n° 2006-1537 du 7 décembre 2006 relative au secteur de l'énergie procède à la séparation juridique d’EDF Réseau Distribution vis-à-vis de sa maison mère. Elle définit les missions du gestionnaire de réseau, prévoit le transfert des biens et obligations liés à l’activité de distribution aux filiales, et adapte les mesures d’indépendance fonctionnelle qui accompagnent la séparation juridique. L’activité de distribution d’électricité du groupe EDF est finalement filialisée le 1er janvier 2008, avec la création d’ERDF, société anonyme autonome d’EDF, constituée d’un conseil de surveillance et d’un directoire.

Le système actuel résulte d’un mariage du régime issu de la loi de nationalisation de 1946, qui conciliait lui-même le principe de péréquation nationale et le maintien du rôle des collectivités locales, et de la libéralisation du marché de l’énergie.

*

* *

L’état du réseau de distribution a longtemps été une question qui ne préoccupait pas le politique, mais deux phénomènes l’ont placé sur le devant de la scène depuis le début des années 2000. L’impact catastrophique des tempêtes Lothar et Martin de décembre 1999 a conduit les pouvoirs publics à se pencher sur la question de la sécurisation du réseau de distribution face aux aléas climatiques. La succession d’événements d’ampleur exceptionnelle – Klaus et Quentin en 2009, Xynthia en 2010 –, a contribué à alimenter le débat sur les fragilités du réseau de distribution.

Le second phénomène propre aux dix dernières années est l’augmentation du ressentiment des usagers face à la durée des coupures subies. L’électricité, bien de première nécessité, devrait être un service « invisible » du fait de sa fiabilité. Pourtant, un nombre croissant d’usagers se plaint de la dégradation de la qualité de l’électricité dont ils disposent. En réponse aux préoccupations des citoyens, la mission a souhaité aller au-delà de la problématique de la résistance du réseau aux aléas climatiques. Ce rapport s’interroge ainsi sur la question plus générale de la « qualité de l’électricité », qui fait référence à l’évaluation du service dont bénéficient les usagers. La notion de qualité recouvre la durée des coupures et leur fréquence, ainsi que la tenue de l’onde de tension.

Le présent rapport montre que le mécontentement relatif à la qualité de l’électricité ne traduit pas des exigences croissantes de la part des usagers, mais une dégradation bien réelle du service qui leur est rendu. Les facteurs qui expliquent cette dégradation sont également clairement identifiés : il s’agit principalement de la diminution des investissements sur le réseau depuis les années 1990. La représentation nationale s’est donc interrogée sur les mesures à mettre en œuvre afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs que par le passé. Il est nécessaire de garantir au distributeur les moyens suffisants pour investir sur le réseau de distribution d’électricité, infrastructure publique majeure que l’on doit préserver.

CHAPITRE I.— UNE AMÉLIORATION FRAGILE DE LA SÉCURITÉ DU RÉSEAU APRÈS UNE DÉGRADATION SANS PRÉCÉDENT

I.— UN CONSTAT UNANIME :
LA DÉGRADATION DE LA QUALITÉ DE L’ÉLECTRICITÉ

Face aux plaintes croissantes des citoyens relatives à l’augmentation constante des coupures d’électricité, la Commission des affaires économiques a proposé la formation d’une mission d’information sur la sécurité et le financement des réseaux de distribution. Les travaux que nous avons menés ont eu pour premier objectif de quantifier ce ressenti partagé, et de vérifier qu’il correspondait à une vision réaliste de la situation.

A.— LA BIENVEILLANCE EN SURSIS DES USAGERS VIS-À-VIS DE LEUR RÉSEAU ÉLECTRIQUE

Le ressenti des membres de la mission est corroboré par un sondage réalisé par l’IFOP, à la demande de la FNCCR, (Fédération nationale des collectivités concédantes et régies) auprès des usagers et portant sur leur degré de satisfaction vis-à-vis de la fourniture d’électricité et de gaz (3). Leur sentiment est partagé par la plupart des élus locaux : alors qu’en 2004, les maires n’étaient presque jamais interpellés sur la question des coupures d’électricité, ils sont désormais 7 % à considérer que ce phénomène se produit « souvent ». Certes, ce pourcentage est inférieur lorsqu’on interroge les particuliers et les chefs d’entreprise, mais le point de vue des maires, qui jouent le rôle de relais des plaintes de leurs administrés, illustre la montée de cette préoccupation.

PART DES USAGERS QUI SONT SOUVENT TOUCHÉS
PAR DES COUPURES DE PLUS D'UNE MINUTE

Question posée : En ce qui concerne l’électricité vous arrive-t-il de constater chez vous, dans votre entreprise ou dans votre commune, des pannes, c'est-à-dire des coupures de plus d’une minute ?

Source : Sondage IFOP pour la FNCCR

Selon le graphique suivant, le mécontentement relatif au nombre de coupures a augmenté de trois points entre juin 2006 et janvier 2008 chez le « grand public », et de huit points chez les maires entre juin 2006 et mars 2010.

PART DES USAGERS QUI CONSIDÈRENT QUE LES COUPURES
SONT TROP NOMBREUSES

Question posée : Au cours des deux dernières années, diriez-vous que les coupures d’électricité ont été trop nombreuses ?

Source : Sondage IFOP pour la FNCCR

Enfin, l’appréciation globale des utilisateurs du réseau d’électricité sur la fiabilité et la sécurité du réseau est de moins en moins bienveillante.

FIABILITÉ ET SÛRETÉ DES RÉSEAUX
(ABSENCE DE COUPURES, CHUTES DE TENSION)

Question posée : Concernant votre fourniture en électricité, sur une échelle de satisfaction allant de 0 à 10, où vous situez-vous pour la fiabilité et la sûreté des réseaux, 0 signifiant que vous êtes très mécontent et 10 que vous êtes très satisfait ?

Source : Sondage IFOP pour la FNCCR

Les entreprises sont les plus exigeantes et les plus sensibles à la variation de la fiabilité des réseaux. L’opinion des particuliers est moins sévère : la note obtenue par les réseaux est élevée, mais la tendance à la dégradation se dessine nettement sur les six dernières années. Sans doute cela reflète-t-il le degré d’exigence croissant des particuliers : leurs attentes en matière de qualité de l’alimentation ne portent plus seulement sur la durée des coupures, mais aussi sur les variations de tension, car celles-ci peuvent affecter leur utilisation d’équipements ménagers et électroniques.

TAUX D’ÉQUIPEMENT DES MÉNAGES FRANÇAIS EN 2008 (%)

Source : d’après données INSEE

B.— UNE DÉGRADATION BIEN RÉELLE

1. Une dégradation qui n’est pas imputable aux seuls éléments extérieurs au gestionnaire de réseau

Le sentiment des Français qui transparaît au travers de ce sondage correspond à une appréciation réaliste de la situation. Alors que les années précédentes avaient été marquées par une amélioration sensible, on observe, depuis 2001, une détérioration de la qualité de la fourniture d’électricité, mesurée par le fameux « critère B ».

Le « critère B », principal indicateur de la continuité de l’alimentation électrique

Le « critère B » est la durée moyenne annuelle de coupure par utilisateur des réseaux publics de distribution raccordé en basse tension (BT). Il ne tient compte ni de la puissance souscrite ni de la consommation et est calculé sur l’ensemble des concessions gérées par ERDF.

Le critère B est subdivisé selon l’origine des coupures :

Figure 1 : Catégories de coupures couvertes par les différents "critères B"

Source : CRE

Comme l’illustre le graphique suivant, le temps de coupure moyen toutes causes confondues (TCC) sur le réseau électrique français est passé de 400 minutes en 1980 à environ 50 minutes à la fin de la décennie 1990. Les Français ont donc bénéficié d’une amélioration considérable de la qualité de l’alimentation de l’électricité au cours de ces vingt années, ce dont on doit se féliciter.

ÉVOLUTION DU "CRITÈRE B TCC" DEPUIS 1980
SUR LE PÉRIMÈTRE DES CONCESSIONS D'ERDF

Source : ERDF, cité par la CRE

Mais, depuis 2000, le nombre moyen de coupures augmente tendanciellement, à un rythme d’environ 4,5 minutes par an. Cette augmentation peut paraître faible sur longue période : la qualité d’alimentation dont un consommateur français dispose en 2011 est bien meilleure que celle dont il pouvait bénéficier durant la décennie 1980, mais la mission souligne que le rythme de dégradation actuel a conduit à un doublement de la durée de coupure sur une décennie. Ainsi, on ne peut se satisfaire d’un niveau de qualité qui est revenu au niveau que l’on connaissait au début des années 1990.

Selon le rapport de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) sur la qualité de l’électricité (4), « du point de vue du gestionnaire de réseaux, la vision « utilisateur » donnée par le « critère B TCC » et la fréquence des coupures sont insuffisantes pour couvrir les enjeux industriels sous-jacents. En effet, le « critère B TCC » confond deux informations complémentaires de la performance des réseaux : d’une part, la fiabilité des réseaux au quotidien ; d’autre part, la sécurisation des réseaux face aux incidents climatiques exceptionnels ». Or, il semble à la mission que c’est précisément ce que la CRE nomme vision « utilisateur » qui importe, car les conséquences des coupures pour celui-ci sont indifférentes à leur origine. Certes, l’usager sera sans doute plus compréhensif s’agissant d’une coupure engendrée par une violente tempête ; il n’en jugera pas moins qu’une durée de rétablissement pouvant aller jusqu’à une semaine est bien trop longue à supporter, lorsqu’on sait à quel point l’électricité est un bien de première nécessité.

Néanmoins, pour bien cerner les phénomènes à l’origine d’une telle dégradation de la qualité, il est intéressant de se pencher sur les différentes décompositions du critère B.

Depuis 1999, la France a connu plusieurs événements climatiques de grande ampleur qui ont mis le réseau de distribution à rude épreuve.

Le réseau électrique français face aux aléas climatiques

Une succession d’événements climatiques de grande ampleur :

– Lothar (26 décembre 1999) et Martin (28 décembre 1999), tempêtes qui ont entraîné la coupure de quatre millions de clients, pour une électricité non distribuée de 415 GWh. Les coûts de réparation et de reconstruction du réseau de distribution ont été évalués à un milliard d’euros ;

– l’épisode de neige collante du Massif Central (14 décembre 2008) ;

– Klaus (24 janvier 2009) et Quentin (10 février 2009), tempêtes qui ont respectivement privé 1 700 000 et 924 000 clients d’électricité ;

– Xynthia (28 février 2010),tempête touchant 1,3 million de clients et 37 % des clients de Charente-Maritime ; 34 départements ont eu plus de 10 000 clients touchés.

Des événements climatiques de plus en plus fréquents ?

Le rapport Bellec (5)constate qu’au cours des trente dernières années, le nombre de tempêtes et de fortes tempêtes augmente légèrement en France métropolitaine, mais sans que cette augmentation soit statistiquement significative. S’agissant des trente prochaines années, Météo France, consulté par la mission Bellec, considère qu’il n’existe pas de moyen de confirmer ou d’infirmer l’hypothèse d’une augmentation du risque tempête en France à partir des modèles relatifs au réchauffement climatique.

Une prise en compte statistique contestée

Pour qu’une tempête soit considérée comme un « événement exceptionnel », elle doit répondre à la définition suivante :

« Dans le cadre de la régulation incitative de la continuité d’alimentation, sont considérés comme des événements exceptionnels : (…) les phénomènes atmosphériques d’une ampleur exceptionnelle, au regard de leur impact sur les réseaux, caractérisés par une probabilité d’occurrence annuelle inférieure à 5 % pour la zone géographique considérée dès que, lors d’une même journée et pour la même cause, au moins 100 000 consommateurs finals alimentés par le réseau public de transport et/ou par les réseaux publics de distribution sont privés d’électricité » (6).

Entrent donc dans cette catégorie les tempêtes Lothar et Martin de 1999 et Klaus de janvier 2009.

ERDF juge ce filtre trop contraignant car l’indicateur intitulé « hors évènement exceptionnel » reste sensible aux aléas climatiques. Lors d'aléas majeurs comme Klaus ou Xynthia, le caractère exceptionnel de l'événement peut être reconnu sur certaines unités mais pas sur d'autres. Ainsi le temps de coupure dû aux tempêtes récentes, n’a pas été totalement exclu du critère « B hors incident exceptionnel ». A titre d'exemple, en 2010, l'impact de la tempête Xynthia sur le critère B toutes causes confondues est de 32 minutes. Dans ces 32 minutes, 24 proviennent d’unités ayant été classées en « incident exceptionnel », mais 8 proviennent d'unités non classées en événement exceptionnel et donc intégrées au critère « B hors incident exceptionnel ».

La définition des événements exceptionnels entraîne des conséquences financières : comme c’est le critère B hors « événements exceptionnels » qui est pris en compte dans le dispositif de régulation incitative de la qualité (7), les coupures liées à des « événements remarquables » entrent bel et bien dans le calcul des performances réalisées par ERDF. S’agissant des seuils fixés par le « décret qualité »(8), ils s’entendent hors « circonstances exceptionnelles ».

La mission considère, en accord avec la définition de la CRE, que la définition des tempêtes doit être assez stricte ; en effet, le réseau de distribution doit être capable de résister à des événements climatiques de grande ampleur grâce à des politiques de sécurisation.

Néanmoins, l’effet de tels événements n’explique pas à lui seul la baisse constatée de la qualité de l’électricité. Lorsque l’on soustrait l’incidence des « événements climatiques exceptionnels », on constate que la qualité de l’alimentation électrique connaît une baisse tendancielle du même ordre :

FIGURE 2 : ÉVOLUTION DU CRITÈRE B HIX DURANT LA DÉCENNIE 2000
SUR LE PÉRIMÈTRE DES CONCESSIONS D’ERDF

Source : ERDF

Alors que le temps de coupure moyen hors événements exceptionnels avait atteint un niveau plancher sans précédent de 43 minutes en 2002, il a presque doublé depuis. La CRE met en valeur la contribution importante des coupures pour travaux à la dégradation actuelle de la qualité : comme le montre le graphique suivant, le temps de coupure pour travaux, illustré par les aires foncées, est passé de moins de 10 minutes jusqu’en 2007 à une vingtaine de minutes en 2008 et 2009.

CONTRIBUTION DES TRAVAUX DANS LA FORMATION
DU CRITÈRE B HIX DEPUIS 2000

Source : ERDF, cité par la CRE

Toujours selon la CRE, « cette dégradation ne devrait pas durer car elle était due à l’élimination des transformateurs contenant des traces de PCB, opération qui ne peut se dérouler sous tension. Dès 2011, le « critère B travaux » devrait donc revenir aux niveaux antérieurs ».

IMPACT DU PLAN DE REMPLACEMENT DES TRANSFORMATEURS POLLUÉS AUX PCB SUR LA DURÉE DES COUPURES POUR TRAVAUX EN RÉGION RHÔNE-ALPES BOURGOGNE

(en minutes)

2007

2008

2009

« Critère B travaux »

13

22

26,4

Contribution du plan PCB dans le « critère B travaux »

2,4

8,2

12,1

Source : ERDF, cité par la CRE

Cependant, les conditions d’interventions lors des travaux d’élagage devraient contribuer à la hausse de la durée moyenne des coupures. Une circulaire des ministères du travail et de l’agriculture de 2009 imposerait en pratique d’intervenir hors tension dès que les branches sont à moins de trois mètres des conducteurs. Un décret et un arrêté devraient être pris prochainement, renforçant les obligations de recours aux travaux hors tension lors des opérations d’élagage, pour des raisons de sécurité au travail. ERDF estime que les nouvelles dispositions réglementaires entraîneraient 30 000 coupures supplémentaires, majoritairement dans les départements ruraux les plus boisés. Consciente des contraintes que des règles de sécurité strictes font peser sur le gestionnaire du réseau de distribution et, par conséquent, sur la qualité de l’électricité de l’usager, la mission ne considère pas moins la préservation de l’intégrité des travailleurs sur le réseau comme une priorité.

Les travaux sur le réseau de distribution

Le remplacement des transformateurs contenant des traces de PCB

Selon le rapport d’information de M. Philippe Meunier (9), les polychlorobiphényles (PCB) sont des produits toxiques qui s’accumulent dans la chaîne alimentaire en cas de rejet dans l’environnement et sont classés parmi les polluants organiques persistants. ERDF est de loin l’entreprise qui détenait le parc d’équipements contaminés le plus important. L’inventaire initial comprenait pas moins de 449 400 appareils potentiellement pollués, dont 256 800 transformateurs dits « haut de poteau » (modèle H 61) et 192 600 transformateurs de cabine. Depuis 2006, la mise en conformité aura concerné plus de 68 000 transformateurs, dont 25 000 équipements retirés du réseau en 2010. ERDF prévoyait de respecter la réglementation fin 2010.

La politique de maintenance d’ERDF

Le rapport de la CRE souligne que 58 % des incidents sur le réseau sont le fait de causes que des travaux antérieurs n’auraient pu endiguer. La majorité des travaux relève donc de la maintenance « curative ». S’agissant de la maintenance « préventive », les décisions sont prises grâce à plusieurs supports logiciels. Une part importante des dépenses de maintenance préventive concerne des opérations d’élagage :

ÉVOLUTION DES DIFFÉRENTS POSTES DE DÉPENSE DE MAINTENANCE SUR LE RÉSEAU EN MOYENNE TENSION

ÉVOLUTION DES DIFFÉRENTS POSTES DE DÉPENSE DE MAINTENANCE SUR LE RÉSEAU EN BASSE TENSION

Source : ERDF, cité par la CRE

Les travaux sous tension

ERDF privilégie les travaux sous tension, notamment sur le réseau en basse tension, afin de diminuer l’impact des opérations de maintenance sur le temps de coupure moyen des utilisateurs. Toutefois, deux raisons peuvent justifier le recours aux travaux hors tension : d’une part, certaines opérations ne peuvent s’effectuer sans couper le courant ; d’autre part, toute intervention sous tension doit être menée par un intervenant disposant d’une formation adéquate et d’outils agréés. Or, selon le rapport de la CRE, « au niveau national, ERDF admet que les effectifs dédiés aux travaux sous tension ont baissé au rythme des investissements de 1995 à 2005. Néanmoins, la tendance de ces effectifs est aujourd’hui stable ». La CRE ajoute que ERDF refuse de confier les travaux sous tension à ses prestataires.

Toutefois, là encore, cet élément « perturbateur » n’explique pas à lui seul la hausse du temps de coupure : on constate une croissance du « critère B incidents », visible sur les aires claires du graphique ci-après.

Enfin, entre 2000 et 2009, les défaillances du réseau public de transport ont été à l’origine de 6,4 % du temps de coupure mesuré par le critère B TCC, et ne peuvent donc être considérées comme responsables de la dégradation de la qualité de l’alimentation électrique subie par les usagers. De l’avis de toutes les personnalités auditionnées par la mission, le réseau de transport français présente des résultats tout à fait satisfaisants.

Ainsi, la décomposition du critère B selon l’origine des coupures montre bien que les éléments sur lesquels le gestionnaire n’a aucune prise – c'est-à-dire les événements exceptionnels, les coupures pour travaux et les défaillances du réseau de transport –, ne contribuent que partiellement à l’augmentation de la durée des coupures constatée. Cela signifie que l’état des réseaux s’est donc bel et bien dégradé.

ÉVOLUTION DU CRITÈRE "B INCIDENTS" DEPUIS 2000 SUR LE PÉRIMÈTRE DES CONCESSIONS D'ERDF

Source : ERDF, cité par la CRE

Alors que les coupures provoquées par les « autres causes » sont stables à un niveau inférieur à 20 minutes, la durée de celles provoquées par les défaillances de matériel ou les causes climatiques non exceptionnelles connaît une augmentation sensible.

2. Des inégalités inacceptables

Les travaux menés par la mission ont confirmé l’intuition initiale : en moyenne, la situation du réseau se dégrade. Mais il faut pousser plus loin l’analyse. Les chiffres publiés par le gestionnaire de réseau de distribution et la CRE, et repris par les différents rapports sur le sujet, ne traduisent pas assez un aspect essentiel de la dégradation de la qualité : celle-ci est très inégalement répartie sur le territoire. Ce constat se retrouve dans les résultats du sondage reproduits ci-dessus : si le niveau de satisfaction envers les réseaux est globalement élevé, c’est parce qu’il existe en définitive peu de personnes pour lesquelles la qualité de l’électricité est un problème. Les zones urbaines, notamment, sont particulièrement privilégiées de ce point de vue. En revanche, pour certains ménages, les coupures d’électricité constituent un réel problème et se produisent souvent. La mission est consciente des difficultés liées à la sécurisation et à la réparation d’une ligne de montagne, par exemple, notamment durant les épisodes de neige collante, mais elle souhaite mettre en valeur les conséquences parfois graves que des coupures peuvent engendrer dans de telles régions. Pour un foyer dans lequel on compte des jeunes enfants ou des personnes âgées, ne pas pouvoir bénéficier de chaleur durant plusieurs jours consécutifs d’hiver est une situation inacceptable. Ainsi, la mission met en garde contre la trop grande importance accordée au « critère B », qui masque les enjeux réels liés à la qualité de l’alimentation électrique.

Les disparités géographiques sont considérables : avec 31 minutes de temps de coupure moyen en 2010 (critère B TCC), Paris bénéfice d’un très haut niveau de qualité. En 2010, sept départements d’Île de France sur huit font partie du « Top 10 » des départements en matière de qualité de l’électricité. Mais que penser de la situation de la Charente-Maritime (429 minutes), de l’Indre (543 minutes) ou du Loir-et-Cher (772 minutes) ? Ces trois cas ne sont pas isolés : quatorze départements affichent une durée annuelle moyenne de coupures supérieure à trois heures. Les écarts étaient encore plus marqués en 2009 : alors que le temps de coupure moyen d’un habitant de Paris d’élevait à 25 minutes, celui d’un habitant des Landes s’élevait à 4144 minutes, soit un peu moins de trois jours.

LES DIX DÉPARTEMENTS QUI BÉNÉFICIENT DES TEMPS DE COUPURE LES MOINS ÉLEVÉS (EN MINUTES)

2010

2009

1. Paris

2. Val-de-Marne

3. Seine-St-Denis

4. Hauts-de-Seine

5. Côte-d'Or

6. Val-d'Oise

7. Essonne

8. Alpes-Maritimes

9. Yvelines

10. Hérault

31

32

35

38

44

46

49

51

53

56

1. Paris

2. Seine-St-Denis

3. Hauts-de-Seine

4. Val-de-Marne

5. Meurthe-et-Moselle

6. Ardennes

7. Essonne

8. Aube

9. Marne

10. Rhône

25

32

32

36

47

49

51

51

52

58

LES DIX DÉPARTEMENTS QUI SUBISSENT DES TEMPS DE COUPURE LES PLUS ÉLEVÉS

2010

2009

1. Loir-et-Cher

2. Indre

3. Charente-Maritime

4. Indre-et-Loire

5. Var

6. Ariège

7. Loiret

8. Cher

9. Vendée

10. Dordogne

772

543

429

420

406

395

337

311

285

266

1. Landes

2. Gers

3. Lot-et-Garonne

4. Pyrénées-Orientales

5. Dordogne

6. Tarn-et-Garonne

7. Gironde

8. Ariège

9. Pyrénées-Atlantiques

10. Tarn

4 144

3 059

1 145

983

887

857

833

747

642

610

Source : ERDF

Les chiffres les plus élevés, comme ceux rencontrés dans les Landes, le Gers et le Lot-et-Garonne en 2009, traduisent le plus souvent l’impact de fortes tempêtes. Mais de telles inégalités ne reposent pas uniquement sur les effets des événements climatiques exceptionnels ou sur des facteurs conjoncturels. La carte suivante présente la valeur moyenne du critère B HIX (c'est-à-dire hors événements exceptionnels et hors défaillances du réseau de transport) entre 2005 et 2009 :

CRITÈRE B HIX, MOYENNE 2005-2009

Source : ERDF

Si les écarts de valeur sont moins marqués – un seul département connaît un temps de coupure supérieur à trois heures –, on n’en distingue pas moins une opposition claire entre le Centre et le Sud-Ouest d’une part et la région Île-de-France et le Nord-Est d’autre part.

De tels chiffres témoignent donc de l’existence d’une « fracture électrique » qu’il convient de résorber.

II.— UN DIAGNOSTIC PARTAGÉ : UN RÉSEAU FRAGILISÉ PAR MANQUE D’INVESTISSEMENTS

Les élus locaux, à travers la FNCCR, comme l’État et l’autorité de régulation, se sont interrogés sur les causes d’une telle dégradation de la qualité de l’électricité. Pourquoi a-t-on connu un recul subit durant la décennie 2000 alors que les vingt années précédentes avaient été marquées par des progrès considérables ? Le diagnostic a été clairement établi : la diminution des investissements dans le réseau de distribution à partir des années 1990 est à l’origine de ce recul.

A.– L’EFFET À RETARDEMENT DE LA DIMINUTION DES INVESTISSEMENTS DANS LE RÉSEAU DE DISTRIBUTION

1. Une diminution incontestable de l’effort financier du gestionnaire du réseau de distribution dans les années 1990-2000

Comme le montre le graphique suivant, repris par la plupart des rapports sur le sujet et évoqué par l’ensemble des acteurs, les investissements d’ERDF dans le réseau de distribution ont connu un pic de plus de 3,2 milliards d’euros au cours de l’exercice 1992 qui n’a plus jamais été atteint depuis. Entre 1993 et 2004, ils ont été divisés exactement par deux, atteignant un plancher de 1,6 milliard d’euros.

ÉVOLUTION DU MONTANT DES INVESTISSEMENTS D'ERDF
ET DU CRITÈRE B HIX

Source : ERDF, cité par la CRE

Les chiffres qui ont servi à la construction de la courbe ci-dessus comptabilisent la totalité des investissements du gestionnaire du réseau. Il est vrai que l’ensemble de ces investissements contribue à l’amélioration de la qualité de l’alimentation. Toutefois, afin de mieux isoler la part relevant de décisions prises par le gestionnaire du réseau, on retranche les investissements dits « imposés ».

Les investissements d’ERDF sont classés selon leur finalité en 5 catégories

1. Les investissements dits « imposés », comprennent le raccordement des utilisateurs (coûts de branchement et d’extension) et les déplacements d’ouvrage pour voirie ;

Les autres catégories regroupent les investissements dits « délibérés » :

2. Les investissements délibérés de « renforcement des réseaux » visant à lever les contraintes électriques de tension ou de courant ;

3. Les investissements délibérés de « sécurité, environnement et obligations réglementaires » contribuant, notamment, au remplacement des transformateurs contenant des traces de polychlorobiphényles (PCB), au versement du cofinancement des ouvrages entrant dans le cadre de l’« article 8 » du cahier des charges des concessions (amélioration esthétique des ouvrages), au programme de mise à la terre des neutres (MALTEN) et à d’autres actions liées à l’environnement et à la sécurité ;

4. Les investissements délibérés destinés à la « qualité de la desserte » qui regroupent les actions de sécurisation, dont notamment le Plan aléas climatiques, les actions de renouvellement et d’autres actions liées à la fiabilité et à la réactivité du réseau face aux incidents ;

5. Les investissements délibérés de « moyens d’exploitation, systèmes d’information, logistique » contribuant, notamment, à l’achat des véhicules, des matériels et de l’outillage, ainsi qu’à l’amélioration des systèmes d’information cartographiques.

Les investissements « imposés » et « délibérés » constituent deux enveloppes indépendantes. En 2008, chacune d’elles a représenté, approximativement, la moitié des investissements d’ERDF. Si les investissements relatifs à la « qualité de la desserte » sont les seuls à avoir pour unique finalité la continuité d’alimentation, les cinq catégories d’investissements présentées ci-dessus contribuent à l’amélioration du niveau de la qualité d’alimentation, y compris les investissements « imposés ».

Lorsque l’on comptabilise uniquement les investissements « délibérés », la diminution des montants investis dans le réseau de distribution est encore plus marquée : ceux-ci ont été divisés par trois entre 1992 et 2004.

INVESTISSEMENTS DÉLIBÉRÉS D'ERDF ENTRE 1980 et 2010

Source : ERDF

Selon les courbes présentées, la diminution des investissements se traduit mécaniquement par une dégradation de la qualité des réseaux, mais l’effet est différé. Durant la décennie 1990, l’amélioration du critère B se poursuit, alors que les investissements commencent à décliner. Il faut attendre l’année 1998 pour percevoir les effets des restrictions imposées. Ceci traduit la forte inertie de l’activité du gestionnaire du réseau qui, par nature, n’incite pas celui-ci à investir. En effet, un accroissement de l’effort financier ne produira des effets notables sur la qualité que plusieurs années après ; à l’inverse, une baisse brutale des investissements sera sans conséquence immédiate pour l’usager.

La comparaison des performances des réseaux européens corrobore les conclusions tirées du graphique précédent, tout en les illustrant sous un autre jour. En première analyse, le réseau français présente un bon « rapport qualité – tarif ». La part « acheminement »  soit l’addition de la rémunération du gestionnaire du réseau de transport, RTE, et du gestionnaire de réseau de distribution, ERDF  du tarif français est l’une des plus faibles d’Europe, tout en permettant un niveau de qualité plus qu’honorable. Toutefois, il semble à la mission que ces résultats masquent un état de fait dont on ne peut se réjouir : si les tarifs sont bas, c’est parce que la France s’est reposée sur des résultats excellents en termes de qualité obtenus les années précédentes.

Source : Données Eurostat, second semestre 2009.

PERFORMANCE DES RÉSEAUX DES PAYS EUROPÉENS EN FONCTION DU PRIX D'ACHEMINEMENT ACQUITTÉ PAR LES CONSOMMATEURS

Données

– Eurostat, second semestre 2009 pour le prix de l’électricité, données retraitées

– « Quatrième rapport d’évaluation et de comparaison de la qualité de l’électricité en Europe », document du Conseil des régulateurs européens de l’énergie (CEER).

Le graphique précédent illustre deux phénomènes. D’une part, la France est le pays dont le tarif d’acheminement est le plus faible au second semestre 2009 parmi les 14 pays présentés. En comparaison, la performance des réseaux français sur la période 1999-2006 est bonne, car le nombre de minutes perdues est parmi les plus faibles. Ces chiffres confirment sans doute le constat selon lequel la bonne performance des réseaux durant les années 1990 a incité les distributeurs à diminuer les investissements dans les réseaux. Une telle diminution n’a pas encore altéré de façon irréversible la qualité de l’alimentation électrique en France, mais cela pourrait bien ne pas durer. D’ailleurs, la France est le seul pays avec l’Autriche où l’on note une tendance claire à la hausse du nombre de minutes non distribuées.

D’autre part, l’Allemagne conjugue la meilleure qualité de réseau d’Europe et un tarif d’acheminement élevé. Toutefois, notons que celui-ci n’est pas le plus élevé d’Europe, les consommateurs du Danemark, de l’Autriche et de la Norvège acquittant un tarif supérieur, d’environ 6,50 euros pour 100 kWh. Sans doute cela traduit-il de la part de ces pays la volonté d’accroître la qualité des réseaux d’électricité en leur attribuant une masse financière plus importante. Toutefois, comme le remarque le rapport Hauet (10), rédigé pour le compte de la FNCCR, la baisse des investissements dans le réseau n’est pas propre au cas français : les réseaux allemands ont connu un pic d’investissements de 4,1 milliards d’euros en 1993, avant de tomber à un point bas de 1,6 milliard d’euros en 2003.

Sources :

Les données relatives à la part acheminement du prix de l’électricité sont extraites du document Eurostat suivant :

http://epp.eurostat.ec.europa.eu/cache/ITY_OFFPUB/KS-QA-10-022/EN/KS-QA-10-022-EN.PDF

Les prix de l’électricité reportés sont ceux du second semestre 2009.

Les données relatives au nombre de minutes perdues sont issues de l’étude du Conseil européen des régulateurs de l’énergie (Council of European Energy Regulators, CEER) :

http://www.energy-regulators.eu/portal/page/portal/EER_HOME/EER_PUBLICATIONS/CEER_ERGEG_PAPERS/Electricity/2009/C08-EQS-24-04_4th%20Benchmarking%20Report%20EQS_10-Dec-2008_re.pdf

Ne sont inclus dans le graphique que les pays dont les valeurs des deux variables sont renseignées, ce qui restreint le champ d’étude aux 14 pays suivants : Allemagne, Autriche, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Hongrie, Italie, Norvège, Pologne, Portugal, Royaume-Uni et Suède.

Construction :

L’étude du CEER fournit les données relatives aux temps de coupures de courant par usager entre 1999 et 2006. Nous désirions retenir un chiffre par État membre sur l’ensemble de la période. Or, si l’on avait retenu systématiquement le chiffre le plus récent, on aurait pris le risque de sélectionner un point aberrant, non révélateur de la tendance générale du pays. Nous avons donc élaboré la procédure suivante :

– pour les pays dont les chiffres sont constants sur l’ensemble de la période, le chiffre retenu est la moyenne 1999-2006 (ou sur les années renseignées pour les pays dont nous ne disposons pas de données pour l’ensemble de la période)

– pour les pays dans lesquels on remarque une tendance claire, croissante ou décroissante, on retient le dernier chiffre, si celui-ci s’inscrit dans la tendance (retenir la moyenne aurait « écrasé » la tendance générale).

Précautions d’interprétation :

Les chiffres des coupures sont antérieurs à ceux des prix. La relation de causalité, si elle existe, s’exprime donc dans ce sens uniquement. Ces graphiques ne représentent donc pas l’efficacité des dépenses effectuées dans les réseaux. En revanche, ils reflètent sans doute l’importance de la variation des dépenses consacrées aux réseaux en réaction aux performances atteintes en matière de qualité de l’électricité.

2. Une diminution qui s’expliquait par l’absence de cadre incitatif ou contraignant

La mission s’est interrogée sur les raisons qui ont expliqué la baisse subite des investissements d’ERDF dans les réseaux de distribution. Il apparaît aujourd’hui que cette diminution s’est inscrite dans la stratégie de l’entreprise gestionnaire de ces réseaux, qui n’a pas été encadrée par des dispositions législatives ou réglementaires suffisamment contraignantes.

Le renouvellement et la sécurisation des réseaux de distribution s’inscrivent dans un temps long, c’est pourquoi il est nécessaire d’élargir l’analyse des cycles d’investissements au-delà de la dernière décennie.

ÉVOLUTION DES TARIFS RÉGLEMENTÉS ET DES INVESTISSEMENTS ÉLECTRIQUES EN FRANCE SUR LA PÉRIODE 1955-2010 (€ 2007)

Source : ERDF

Le graphique précédent illustre un phénomène fondamental : jusqu’à une période récente, la gestion des réseaux d’électricité n’était pas un enjeu séparé du pilotage global du système électrique français. L’acteur en situation de monopole sur les deux segments, l’exploitation des réseaux et la fourniture d’électricité, procédait à un lissage des investissements sur le long terme, en liaison avec les tarifs de l’électricité, de façon à limiter l’augmentation de la facture du consommateur.

On remarque par exemple que la période allant de 1973 à 1984 a été marquée par un programme d’investissements considérable dans le domaine de la production, qui a permis la construction du parc nucléaire français actuel. Parallèlement, les investissements dans le réseau se sont fortement réduits et ont été reportés sur la période ultérieure, allant de 1983 à 1992. La mission considère que de telles décisions d’investissement ont procédé d’une planification bénéfique pour le consommateur français.

En revanche, l’évolution des courbes entre 1992 et 2005 interpelle les membres de la mission. On assiste à une diminution conjointe des investissements du gestionnaire du réseau et du fournisseur d’électricité, qui a certes favorisé l’abaissement constant des tarifs d’électricité pour le consommateur, mais a contribué à la fragilisation des réseaux de distribution d’électricité et des capacités de production. Rattraper le retard accumulé pourrait s’avérer très coûteux. Selon le rapport Hauet précité, le « vieillissement [des réseaux de distribution] est la conséquence d’une politique d’investissements qui, après avoir connu un pic en 1992, s’est effondrée (…). On verra plus loin qu’ERDF s’est engagée dans une politique de reprise de ces investissements, mais le retard cumulé est à l’évidence important. Nous estimons aux environs de six milliards d’euros le déficit cumulé d’investissements qui a pu être engrangé à la fin 2008 (en euros 2009) par rapport à une base d’investissements délibérés qui aurait vraisemblablement dû se maintenir aux environs de 1,5 milliard d’euros par an au minimum ».

Les personnes auditionnées ont avancé deux explications à cette baisse subite des investissements. D’une part, il est probable que l’on ait sous-estimé les conséquences d’une diminution des investissements en termes de sécurité et de qualité de l’alimentation en électricité. Parvenu à d’excellentes performances en 1992, on a considéré que l’on pouvait ramener les investissements à leur niveau antérieur. D’autre part, avant que le TURPE ne soit mis en place, le pilotage des investissements dans le réseau souffrait d’un problème de fond : le gestionnaire du réseau était structurellement incité à sous-investir dans l’infrastructure dont il avait la charge. En effet, renouveler le réseau n’améliorait pas le résultat opérationnel de l’entreprise ; de tels investissements, notamment en zone rurale, n’étaient pas rentables. De plus, comme nous l’avons vu précédemment, l’effet d’un sous-investissement ou, au contraire, d’une politique d’investissement ambitieuse, n’est pas immédiat, mais différé ; ainsi, une équipe de direction « vertueuse » n’obtiendrait des résultats tangibles en matière de qualité que plusieurs années après sa décision A l’inverse, une équipe de direction qui déciderait de ne pas investir suffisamment pourrait se prévaloir d’un maintien des performances du réseau à court terme.

Selon l’expérience personnelle des membres de la mission, le désintérêt des équipes de direction d’EDF pour la distribution d’électricité s’est traduit, sur le terrain, par une évolution des critères de notation des agents sur le terrain. Alors qu’auparavant la variation du critère B était le critère de notation principal des chefs de centre d’EDF, un tel critère a progressivement disparu. A une politique de management du personnel d’EDF qui n’a pas encouragé l’amélioration de la qualité s’est ajouté un recours de plus en plus marqué à la sous-traitance. L’externalisation des travaux sur le réseau a contribué à la perte des compétences des agents et de la connaissance du terrain, ainsi qu’à la dépréciation du dialogue avec les élus.

La mission constate donc que la politique mise en place par le gestionnaire du réseau de distribution durant les années 1990 est à l’origine de la dégradation de la qualité que nous connaissons aujourd’hui. L’inertie inhérente à la gestion d’une infrastructure aussi lourde qu’un réseau électrique incite au pessimisme : si l’on constate un regain d’intérêt très net pour le rétablissement de la qualité au sein de l’actuelle direction d’ERDF, les progrès ne pourront être constatés que dans quelques années.

B.– DES POINTS FAIBLES BIEN IDENTIFIÉS

Le réseau actuel est l’héritier de la trajectoire des investissements antérieurs. Certains segments sont particulièrement vulnérables et sont à l’origine des mauvais résultats rencontrés.

1. Le réseau de distribution français : un réseau très étendu et rural

La qualification du réseau de distribution d’électricité français repose sur la distinction urbain-rural. Or, il existe deux manières différentes de définir la ruralité :

– la définition FACÉ (11) : le « régime rural » correspond à un ensemble de communes pour lesquelles les autorités concédantes exercent une part de la maîtrise d’ouvrage ;

– la définition INSEE : une unité est considérée comme urbaine lorsqu’elle présente un tissu bâti continu comptant au moins 2 000 habitants.

Nombre de communes

Communes < 2000 habitants

Communes > 2000 habitants

Total

FACÉ - Zone électrification rurale

24 367

1 126

25 493

FACÉ - Zone électrification urbaine

4 903

3 504

8 407

Total

29 270

4 630

33 900

Proportion de la population concernée

Communes < 2000 habitants

Communes > 2000 habitants

FACÉ - Zone électrification rurale

20 %

6 %

FACÉ - Zone électrification urbaine

5 %

69 %

Source : ERDF

Les chiffres suivants, présentant l’étendue du réseau de distribution sous le périmètre des concessions gérées par ERDF, adoptent la définition INSEE de la ruralité :

 

km de lignes en moyenne tension

Total km en moyenne tension

 

Réseau souterrain

Total
aérien

Total
souterrain

%

dont
CPI
12

rural (nombre d'habitants < 2 000)

279 281

97 326

26 %

2 129

378 058

urbain (nombre d'habitants > 2 000)

76 910

154 529

67 %

26 027

229 988

National

356 191

251 855

41 %

28 156

608 046

 

Km de lignes en basse tension

Total km en basse tension

Réseau aérien

Réseau souterrain

Nu

% Nu
sur total

Torsadé

Total
aérien

Total
souterrain

%

rural (nombre d'habitants < 2 000)

58 777

16 %

207 449

266 135

90 347

25 %

357 464

urbain (nombre d'habitants > 2 000)

40 519

12 %

112 315

152 925

176 006

54 %

327 949

National

99 296

14 %

319 764

419 060

266 353

39 %

685 413

Source : ERDF

Ils illustrent une caractéristique importante de la topologie d’un réseau de distribution : la longueur du réseau électrique d’un pays sera d’autant plus importante que l’habitat est dispersé. En France, les zones rurales représentent un quart de la population française pour environ la moitié de la longueur du réseau électrique. En moyenne, le raccordement d’un habitant rural requiert une longueur de fil bien plus élevée qu’un habitant urbain, ce qui a pour conséquence de rendre plus coûteuse l’amélioration de la qualité d’alimentation d’un usager rural. Cela ne signifie pas pour autant que celui-ci ne doive pas bénéficier pas du même service que les autres usagers.

2. Une priorité : la sécurisation du réseau en moyenne tension

L’état des lieux des faiblesses du réseau de distribution est dressé de façon unanime par l’ensemble des acteurs du système de l’électricité : le réseau HTA, qui joue un rôle central dans la tenue de la qualité de l’électricité, est pourtant fragilisé.

L’analyse de la pyramide des âges du réseau de distribution français apporte un éclairage intéressant, car elle fait ressortir les différentes périodes d’investissement du gestionnaire de réseau et l’évolution des priorités en matière de renouvellement des lignes.

PYRAMIDE DES ÂGES DES RÉSEAUX EN BASSE ET MOYENNE TENSION SOUS CONCESSION D'ERDF

Source : ERDF, cité par la CRE

La dépose des lignes HTA a crû linéairement jusqu’au milieu des années 1980, ce qui a contribué à l’amélioration considérable du niveau de la qualité de l’alimentation. Ensuite, l’investissement dans les lignes basse tension a pris le relais, jusqu’en 1992, date à laquelle nous avons daté le début du désinvestissement dans le réseau. Comme le relève le rapport de la CRE, « à cette époque, l’amélioration de l’alimentation des usagers les moins bien alimentés orientait la politique industrielle menée par le distributeur et ses sous-traitants. Cette politique, également menée en vue du développement du chauffage électrique, contribua à une nette amélioration de la qualité d’alimentation, mais eut deux conséquences subsidiaires : cette politique structura fortement la pyramide des âges des réseaux publics de distribution. Elle se traduisit par un développement significatif des réseaux électriques, d’abord en HTA, puis en BT ; sa déclinaison par centre de distribution engendra des niveaux de qualité différenciés selon les départements ». Si le rythme de dépose est désormais supérieur à celui du début des années 2000, la progression est presque essentiellement captée par la pose de réseau en BT souterrain. L’examen de la pyramide des âges du réseau français plaide donc pour une relance de la dépose du réseau en HTA, dont le dernier mouvement important de renouvellement est plus ancien que celui du réseau en BT. Durant la dernière décennie, 60 % des déposes se sont concentrées sur les réseaux en BT ; aujourd’hui, alors que 87 % des réseaux en BT ont moins de 25 ans, ce pourcentage tombe à 56 % en HTA.

Renouveler le réseau HTA est nécessaire à l’amélioration du niveau de qualité dont bénéficie l’utilisateur moyen, mesuré par le « critère B ». En effet, le réseau français est bâti selon une architecture radiale, fondée sur un réseau d’ossature. Le graphique suivant montre que la dégradation de la continuité de l’alimentation tient principalement à l’augmentation des incidents en HTA : le réseau en HTA se trouvant en amont du réseau en BT, il est responsable de 80 % des coupures, contre seulement 7 % pour celui-ci.

CONTRIBUTIONS DES DÉFAILLANCES SUR LES RÉSEAUX BT ET HTA A LA FORMATION DU CRITÈRE B TCC

Source : FNCCR

Ce constat est encore plus marqué en matière de sécurisation des réseaux contre les événements climatiques. L’importance des coupures liées au réseau moyenne tension a été clairement identifiée lors de la tempête de 1999, comme le montre le tableau suivant tiré du rapport Piketty-Trink (13) :

Composante amont défaillante

Energie non distribuée (MWh)

Haute tension (RTE)

111 (27 %)

Moyenne tension (HTA)

298 (72 %)

Basse tension (BT)

6 (1 %)

Total

415

Source : rapport Piketty-Trink

On note la place centrale du réseau en moyenne tension dans la tenue de l’alimentation électrique, qui se retrouve lors des événements climatiques ultérieurs :

Origine de l’interruption

Lothar-Martin

(1999)

Neige collante Massif central

(décembre 2008)

Klaus

(janvier 2009)

Quentin

(février 2009)

Haute tension (RTE)

27 %

1,0 %

14 %

1 %

Moyenne tension (HTA)

72 %

98,8 %

85 %

94 %

Basse tension (BT)

1 %

<0,2 %

0,6 %

5 %

Source : rapport Bellec

A ce titre, la question de l’enfouissement des réseaux en HTA doit être posée. Deux constats plaident en faveur de cette méthode : en premier lieu, alors que le réseau en HTA aérien représente 61 % du réseau HTA total, il est à l’origine de 73 % du temps de coupure ; en second lieu, comme le relève le rapport Bellec, c’est la chute des arbres qui a causé le plus de dégâts lors de la tempête Klaus ou encore lors d’un épisode de neige collante dans le Massif central.

ORIGINE DES INCIDENTS SUR LE RÉSEAU EN MOYENNE TENSION
LORS DE LA TEMPÊTE KLAUS (JANVIER 2009)

Source : ERDF, cité par le rapport Bellec

ORIGINE DES INCIDENTS HTA LORS DE L'ÉPISODE "NEIGE COLLANTE
DANS LE MASSIF CENTRAL" (DÉCEMBRE 2008)

Source : ERDF, cité par le rapport Bellec

Par ailleurs, le choix du réseau aérien en HTA présente l’inconvénient majeur de rendre nécessaire l’élargissement des tranchées d’élagage. Il faut parfois éloigner les arbres d’environ vingt mètres de part et d’autres des lignes pour s’assurer qu’ils ne tomberont pas sur les lignes. Dans certains cas, il est possible de préférer un tracé aérien plus long mais qui contourne les zones boisées, à condition que le surcoût lié à l’allongement du tracé soit inférieur à celui de l’enfouissement.

Faut-il enfouir les réseaux d’électricité ?

Le taux d’enfouissement du réseau français se situe dans la moyenne inférieure des États membres de l’Union européenne :

Source : CEER

Cette comparaison ne signifie pas nécessairement qu’il faille accroître le taux d’enfouissement du réseau de distribution français. D’une part, le passage d’une structure aérienne à une structure souterraine nécessite des travaux importants. D’autre part, l’amélioration de la fiabilité des réseaux par enfouissement n’est pas systématique : le type de réseaux présentant la meilleure fiabilité, le fil torsadé, est aérien.

FIABILITÉ DES DIFFÉRENTS TYPES DE RÉSEAUX

Source : d’après les données transmises par ERDF

L’enfouissement présente deux avantages indéniables : la diminution de la gêne paysagère et l’invulnérabilité aux aléas climatiques liés au vent ou à la neige.

Il n’est pas pour autant dépourvu d’inconvénients, en premier lieu desquels le coût. Selon le rapport Bellec, le coût de l’enfouissement d’une ligne en HTA est compris entre 50 et 100 euros par mètre. Le différentiel est encore plus élevé s’agissant du réseau en BT : alors que le coût moyen d'enfouissement d'une ligne existante est de 150 euros par mètre en incluant les reprises de branchement (90 euros par mètre hors reprises), le coût moyen de pose d'une ligne de câble torsadé est de 48 euros par mètre.

Les inconvénients ne sont pas seulement financiers, ils sont aussi techniques : les câbles souterrains sont soumis à certains aléas climatiques comme les inondations ou les températures élevées – ces phénomènes sont néanmoins plus prévisibles que les tempêtes et permettent au GRD d’anticiper, le cas échéant, les moyens d’intervention. L’accrochage des câbles lors de travaux d’entreprises de terrassement est fréquent, bien que les entreprises soient tenues de déclarer leur intention de travaux auprès du concessionnaire. Les réseaux souterrains nécessitent un élagage strict de la surface à l’aplomb des réseaux, empêchant toute construction ou tout développement de végétation, ce qui pose problème en milieu forestier. Enfin, le temps requis pour réparer un incident sur un câble souterrain est 4 à 5 fois plus important que pour remédier à une avarie sur une ligne aérienne, car la localisation du défaut est plus difficile et les travaux à mettre en œuvre sont plus lourds, notamment en zone urbaine.

Au vu de ces divers éléments, la mission considère qu’il n’existe pas de « solution unique » au problème de l’enfouissement. Tout au plus peut-on poser comme règle d’ordre général les principes suivants :

– l’enfouissement du réseau en HTA, qui présente de réels avantages en matière d’amélioration de la qualité de l’électricité, doit être privilégié à l’enfouissement du réseau en BT ;

– s’agissant du réseau en BT, le câble torsadé doit être privilégié dans les zones rurales ne présentant pas d’intérêt touristique ou naturel ou lorsque le maître d’ouvrage choisit la pose en façade.

3. Un réseau en basse tension qui ne doit pas être négligé

Le réseau en BT n’est pas, selon les chiffres transmis par ERDF, la cause principale de la dégradation du critère B. Toutefois, deux éléments viennent tempérer ce constat. D’une part, les réseaux en BT à fils nus constituent les « points noirs » du réseau électrique français. Leur fiabilité est deux à trois fois plus faible que celle des autres types de fils. Vingt départements concentrent 60 % du stock total de fils nus BT :

LONGUEURS DE FILS NUS BT DANS DIFFÉRENTS DÉPARTEMENTS

Source : ERDF, cité par le rapport Hauet

D’autre part, l’amélioration du réseau en BT est indispensable à la réduction des inégalités géographiques en matière de qualité de l’électricité.

En conclusion, l’architecture du réseau de distribution français confère un poids important aux ossatures en moyenne tension dans la qualité de l’alimentation électrique. C’est pourquoi il est nécessaire de mettre en œuvre des plans de sécurisation des lignes en HTA. Toutefois, le réseau en BT, dont dépendent les clients « en bout de ligne » des zones rurales, ne doit pas être négligé. En d’autres termes, si l’on peut espérer du renforcement du réseau en HTA une amélioration du critère B, la réduction des écarts types géographiques ne passera que par la poursuite des efforts sur le réseau en BT.

III.— UNE PRISE DE CONSCIENCE SUIVIE D’EFFETS POSITIFS

A.— UNE PRISE DE CONSCIENCE DE L’ENSEMBLE DES PARTIES PRENANTES SUIVIE DE MODIFICATIONS DU CADRE LÉGISLATIF ET RÉGLEMENTAIRE

1. De nombreux rapports qui ont fait l’effet d’un « électrochoc »

Les deux tempêtes successives de décembre 1999 ont constitué le déclencheur d’une réflexion importante sur la sécurité des réseaux électriques. Elles ont motivé la constitution de plusieurs missions qui ont dressé un diagnostic complet des réseaux et chiffré des plans de sécurisation.

Le rapport Piketty-Trink, remis au secrétaire d’État à l’industrie le 10 mai 2000, soit quelques mois seulement après l’épisode de tempêtes, a posé, le premier, les bases du débat. Constatant que les coûts liés aux défaillances du système électrique seraient compris entre 35 et 40 milliards de francs, et que la probabilité d’occurrence d’un nouvel événement de même ampleur serait de 25 % au cours des 15 à 30 prochaines années, le rapport estime que le programme de sécurisation des réseaux ne devrait pas s’élever à plus de 15 à 20 milliards de francs (2,8 à 3,6 milliards d’euros 2009) soit le coût actualisé de futurs dommages probables, sans quoi l’importance économique accordée aux tempêtes serait surévaluée. Toutefois, ce programme de sécurisation devrait être complété d’un plan de remise à niveau du réseau, dont les tempêtes ont révélé les faiblesses. S’agissant du réseau de distribution, l’addition des deux programmes amènerait le montant des efforts de sécurisation à 22 à 29 milliards de francs (entre 4,1 et 5,4 milliards d’euros 2009) sur 15 ans, dont près de 6 milliards (1,1 milliard d’euros 2009) pour la basse tension.

Le second rapport Piketty-Trink, complément au premier, daté de janvier 2001, chiffrait le programme de sécurisation complémentaire à un montant annuel de 395 millions d’euros 2009 sur le réseau de distribution.

A la suite de l’épisode de neige collante qu’a connu le Massif central en décembre 2008 et des tempêtes Klaus et Quentin de janvier et février 2009, le ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire a sollicité une nouvelle mission d’inspection, en avril 2009. Le rapport Bellec dresse un diagnostic actualisé de l’état des réseaux face aux événements climatiques, mais ne propose pas de plan d’action chiffré.

L’étude réalisée pour le compte de la FNCCR et connue sous le nom de « rapport Hauet » fait elle aussi suite à la tempête Klaus du 24 janvier 2009. Parue le 10 septembre 2009, elle apporte non seulement le point de vue des autorités concédantes, propriétaires du réseau de distribution dans le périmètre de leurs concessions, mais aussi deux nouveaux éléments par rapport aux rapports précédents : une comparaison avec la situation allemande et un chiffrage de trois scénarios différents d’investissements dans les réseaux.

Enfin, le rapport de la CRE, très récent puisqu’il date d’octobre 2010, ne se concentre pas sur la seule thématique de la sécurisation des réseaux14 et s’inscrit dans le constat plus général de la diminution de la qualité de l’électricité.

L’ensemble de ces rapports, dressant des constats globalement convergents, a contribué à l’intégration progressive de la notion de qualité dans le droit français et à la reprise des investissements sur le réseau de distribution.

2. Le renforcement des obligations du gestionnaire de réseau en matière de maintien de la qualité de l’alimentation électrique

a) Des obligations contractuelles anciennes

De 1987 à 1995, EDF a renforcé sa politique de qualité avec la mise en œuvre d’engagements et d’objectifs repris dans les cahiers des charges des concessions. Ceux-ci varient d’une concession à l’autre, mais l’on peut citer une clause type, inscrite dans l’annexe de ces cahiers des charges :

« Ainsi, annuellement, aucun usager ne doit subir plus de :

– 6 coupures longues [supérieures à 3 minutes, dues à des incidents sur le réseau HTA]

– 30 coupures brèves [comprises entre 1 seconde et 3 minutes]

– 70 coupures très brèves (ré-enclenchements rapides) [inférieures à 1 seconde]

– 11 % de chute de tension pour la BT et 7 % pour la HTA

– 3 heures de coupures cumulées

– 1 heure de coupures pour travaux (HTA et BT) »

b) Une obligation législative nouvelle : le maintien d’une « qualité régulière » 

Parallèlement à la parution des rapports successifs sur le sujet de la sécurité des réseaux de distribution et de la qualité de l’électricité, le législateur a progressivement pris conscience des deux phénomènes propres à la décennie 2000 : la détérioration de la qualité de l’alimentation électrique et l’évolution vers un contexte institutionnel défavorable à l’investissement dans les réseaux. Ainsi, il a jugé nécessaire de renforcer les obligations contractuelles qui s’imposent au concessionnaire.

L’article 60 de la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique a modifié la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, en introduisant l’article 21-1 suivant :

« I.- Le gestionnaire du réseau public de transport et, sans préjudice des dispositions du sixième alinéa du I de l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales, les gestionnaires des réseaux publics de distribution d'électricité conçoivent et exploitent ces réseaux de façon à assurer une desserte en électricité d'une qualité régulière, définie et compatible avec les utilisations usuelles de l'énergie électrique.

II.- Un décret, pris après avis du comité technique de l'électricité, de la Commission de régulation de l'énergie et du Conseil supérieur de l'énergie, fixe les niveaux de qualité et les prescriptions techniques en matière de qualité qui doivent être respectés par le gestionnaire du réseau public de transport et les gestionnaires des réseaux publics de distribution. Les niveaux de qualité requis correspondants peuvent être modulés par zone géographique.

Dans le respect des dispositions du décret précité, le cahier des charges de concession du réseau public de transport, les cahiers des charges des concessions de distribution mentionnées à l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales et les règlements de service des régies fixent les niveaux de qualité requis.

III.- Lorsque le niveau de qualité n'est pas atteint en matière d'interruptions d'alimentation imputables aux réseaux publics de distribution, l'autorité organisatrice peut obliger le gestionnaire du réseau public de distribution concerné à remettre entre les mains d'un comptable public une somme qui sera restituée après constat du rétablissement du niveau de qualité.

Un décret en Conseil d'État définit les modalités d'application du présent article, notamment les principes généraux de calcul de la somme concernée visée au présent III, qui tiennent compte de la nature et de l'importance du non-respect de la qualité constaté. »

c) Le « décret qualité »

Le décret d’application n° 2007-1826 du 24 décembre 2007 relatif aux niveaux de qualité et aux prescriptions techniques en matière de qualité des réseaux publics de distribution et de transport d’électricité, dit « décret qualité », et l’arrêté du 24 décembre pris en application du décret n° 2007-1826 fixent les principes et la procédure de contrôle de la qualité de l’électricité.

Le dispositif a fait l’objet d’un régime probatoire du 28 juin 2008 au 28 décembre 2009, compte tenu de la difficulté rencontrée par l’administration pour fixer des seuils à leur juste niveau. Une mission d’évaluation du dispositif réglementaire menée par M. Philippe Aussourd à la demande du ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, et présentée le 27 octobre 2009, a présenté des recommandations qui ont été intégrées au dispositif(15). L’arrêté du 18 février 2010 modifiant l’arrêté du 24 décembre 2007 fixe les nouveaux seuils en vigueur.

Le dispositif réglementaire prévoit que la qualité est jugée insuffisante lorsque la part des « utilisateurs mal alimentés » d’un département dépasse un certain pourcentage.

– S’agissant de la tenue de tension, un utilisateur est dit « mal alimenté » lorsque la tension qu’il reçoit s’éloigne de ± 10 % par rapport à sa valeur de référence sur une base de 10 minutes. Le nombre d’usagers mal alimentés ne doit pas représenter plus de 3 % des usagers ;

– S’agissant de la continuité d’alimentation, pour ne pas être considéré comme « mal alimenté », un usager ne doit pas subir, dans une même année, hors événements exceptionnels, un nombre de coupures longues ou de coupures brèves ou une durée cumulée de coupures longues qui excèdent un seuil fixé par l’arrêté d’application. La part maximale des usagers mal alimentés est fixée à 5 %.

SEUILS DÉFINISSANT UN USAGER "MAL ALIMENTÉ" AU SENS DE L'ARRÊTÉ DU 18 FÉVRIER 2010

Zones

Nombre de coupures longues par année

Nombre de coupures brèves par année

Durée cumulée annuelle des coupures longues

Zone A (1)

4

12

6 heures

Zone B (2)

5

20

10 heures

Zone de base (3)

7

40

20 heures

Zones non différenciées(4)

6

35

13 heures

Autres zones (5)

Réservé

Réservé

Réservé

(1) Communes des agglomérations de plus de 100 000 habitants

(2) Communes des agglomérations dont la population est comprise entre 10 000 et 100 000 habitants

(3) Autres communes

(4) zones où le niveau de qualité n’est pas différencié par zones

(5) Corse, DOM, COM, Mayotte

Le « dispositif qualité » permet donc de faire respecter des niveaux planchers de qualité.

3. Le TURPE : un cadre de régulation qui rémunère équitablement les investissements du gestionnaire de réseaux

Depuis la création du TURPE, en 2001, le mécanisme juridique de financement des investissements prend en compte la nécessité d’investir dans les réseaux de distribution et couvre donc les efforts effectués par le gestionnaire du réseau de distribution.

Le Tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE)

Institué par la loi du 10 février 2000, le TURPE (tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité) est la part de la facture d’électricité acquittée par le consommateur consacrée au financement des réseaux de transport et de distribution d’électricité. Le tarif d’acheminement acquitté suit le « principe du timbre poste » : il est le même pour tous les consommateurs. Il est fixé par décision ministérielle sur proposition de la CRE. Le TURPE 3 est actuellement en œuvre depuis le 1er août 2009, pour une période de 4 ans.

Le TURPE est construit selon le principe de la couverture des coûts exposés par le distributeur :

CALAGE DU NIVEAU DU TURPE (MOYENNE 2009-2012)

Source : ERDF

Un mécanisme permet d’ajuster la rémunération annuelle d’ERDF pour tenir compte des évolutions non anticipées des charges compensées par le TURPE : il s’agit du compte de régulation des charges et des produits (CRCP). Les nouvelles règles de fonctionnement du CRCP mises en place dans le cadre de TURPE 3 assurent désormais un apurement annuel du CRCP, alors qu’il n’était réalisé qu’en fin de période tarifaire avec TURPE 2. Toutefois, cet apurement s’effectue dans la limite de ± 2 %.

Par exemple, le solde du CRCP à la fin 2009 à apurer via l’ajustement tarifaire du 1er août 2010 était de – 466 M€. Compte tenu de la limitation à ± 2 %, l'apurement n'a pu dépasser 214 M€. Les coûts engagés par ERDF ne seront donc compensés intégralement qu’avec retard.

Cette couverture s’effectue comptablement par l’intermédiaire de la « base d’actifs régulés » (BAR). La BAR est calculée à partir de la valeur nette comptable des actifs gérés par le gestionnaire de réseau. Tout investissement supplémentaire réalisé par ERDF, qui renchérira la valeur de ces actifs, sera intégré à cette BAR et rémunéré à un taux garanti de 7,25 %, en ligne avec ceux pratiqués en Europe. En revanche, la BAR diminue du montant des dotations aux amortissements. Enfin, les investissements réalisés pour les collectivités concédantes sont intégrés à la BAR ; ils diminuent d’autant la rémunération annuelle du capital mais accroissent la rémunération du gestionnaire de réseau tout au long de leur durée d’amortissement.

Source : ERDF

La recherche de la qualité de l’alimentation en électricité via la mise en place du TURPE ne passe pas seulement par une rémunération équitable des investissements. En effet, le mécanisme de compensation intégrale des coûts a pour effet pervers de ne pas inciter le GRD à diminuer ceux-ci. C’est pourquoi le TURPE 3 inclut une incitation à la maîtrise des charges d’exploitation jugées maîtrisables, qui représentent 44 % des charges totales. Le décret prévoit une trajectoire d’évolution de ces charges, 50 % des gains de productivité réalisés par le gestionnaire de réseau au-delà de la cette trajectoire sont conservés par ERDF. Par exemple, si les charges sont inférieures de 50 M€ à la trajectoire prévue, le tarif baissera de 25 millions d’euros Ainsi, le bénéfice de l’amélioration de la performance sera partagé pour moitié entre le consommateur via une baisse du tarif et ERDF, qui profite d’un tarif supérieur aux coûts réellement engagés. La mission comprend qu’une telle régulation soit mise en place pour éviter que ne s’installe une logique inflationniste, mais déplore le fait qu’elle incite ERDF à pratiquer des pressions sur ses sous-traitants ou à pratiquer des suppressions de postes qui produiront, à terme, des effets négatifs sur la qualité du service offert à l’usager.

Le système de bonus/malus s’applique également aux performances d’ERDF en matière de qualité de l’électricité : la CRE a fixé à ERDF des objectifs en matière de continuité d’alimentation et de qualité de service à l’utilisateur. La durée moyenne de coupure cible est de 55 minutes en 2010, puis de 54 minutes en 2011 et 52 minutes en 2012, hors événements exceptionnels. Si le gestionnaire de réseaux ne parvenait pas à les atteindre, sa rémunération serait diminuée.

A l’issue d’une décennie de débats sur la sécurisation des réseaux, le cadre légal a considérablement évolué pour prendre en compte la nécessité de contraindre le gestionnaire de réseaux à réaliser de bonnes performances en matière de qualité. Cette évolution a produit des effets notables : depuis 2004, on assiste à un redressement des investissements dans les réseaux et l’on peut donc espérer une amélioration du service rendu aux usagers dans les prochaines années.

B.— UNE TRAJECTOIRE D’INVESTISSEMENTS ACTUELLE QUI TENTE DE RATTRAPER LE RETARD ACCUMULÉ

1. Des résultats en matière de réponse aux événements climatiques exceptionnels

De l’avis de la plupart des personnalités que la mission a auditionnées, le gestionnaire du réseau a effectué des progrès importants en matière d’intervention en cas d’événements climatiques exceptionnels. Selon le graphique suivant, le rythme de réalimentation des usagers touchés par la crise s’est amélioré entre les tempêtes de décembre 1999 et celles de janvier-février 2009.

Source : ERDF

Néanmoins, ces événements ne sont pas absolument comparables ; par exemple, la tempête Klaus fut très violente, mais a touché une zone moins étendue que Xynthia.

Il est intéressant de constater que les améliorations des performances d’ERDF dans la gestion des événements exceptionnels sont parallèles à la mise en place de dispositifs d’ordre réglementaire contraignants.

D’une part, suite aux conséquences des tempêtes de 1999, ERDF et l’État ont signé un Contrat de service public en 2005. ERDF s’est engagé à assurer la réalimentation d’au moins 90 % des clients dans un délai de 5 jours, y compris en cas d’événement climatique exceptionnel d’une ampleur similaire à celui subi en décembre 1999.

D’autre part, le dispositif dit « 2 % - 6 h » a été instauré par le décret n° 2001-365 relatif aux tarifs d’utilisation des réseaux de transport et de distribution d’électricité. Il prévoit un abattement consenti aux utilisateurs du réseau public en cas d’interruption de la fourniture d’électricité supérieure à 6 heures. Cet abattement forfaitaire s’établit à 2 % du montant annuel de la part fixe du TURPE par tranche de 6 heures de coupure continue. Le tableau suivant indique le montant des abattements versés par ERDF au titre des exercices 2008 à 2010 :

Année

Montant des abattements

2008

969 190 €

2009

15 944 415 €

2010

4 866 719 €

Source : CRE

Selon le rapport Bellec, le dimensionnement financier du dispositif « 2 % - 6 h » apparaît relativement pertinent : « les sommes en jeu sont suffisamment importantes pour avoir un effet incitatif sans cependant affecter l’économie générale d’ERDF ».

Cet encadrement réglementaire et financier  a sans doute contribué aux bonnes performances du gestionnaire en matière de gestion des événements exceptionnels, mais il est sans commune mesure avec le dispositif mis en place par le législateur suédois16.

2. Une reprise incontestable des investissements dans le réseau de distribution

Tout investissement du gestionnaire de réseaux accroît désormais la base d’actifs régulés, qui est rémunérée au taux de 7,25 % dans le TURPE.

En pratique, selon la CRE, le TURPE 3 est construit en intégrant « la trajectoire d’investissements dite de redressement ciblé de la qualité (…). Ce scénario ambitieux comporte 20 % d’investissements supplémentaires dédiés à la qualité de la desserte sur la période 2009 à 2012 ». Les investissements financés par ERDF devraient s’élever à 11,9 milliards d’euros sur la période tarifaire soit, en rythme moyen annuel, une hausse de 45 % par rapport à 2008. Cette enveloppe comprend 3,3 milliards d’euros au titre de la qualité de l’alimentation.

DÉPENSES D’INVESTISSEMENT RETENUES LORS DE L’ÉLABORATION DU TURPE 3

Année

Investissements financés par ERDF, hors financement de tiers

(en millions d’euros)

2009

2 588

2010

2 732

2011

2 786

2012

3 770

Total

11 876

Source : CRE

Une telle dépense représente 1,5 % de la facture d’électricité moyenne des ménages durant l’ensemble de la période tarifaire ; sur une facture de type 6kVA, correspondant au cas d’un ménage ne se chauffant pas à l’électricité, l’impact s’élève à 4,50 euros par an consacrés à l’amélioration de la qualité.

Nous reproduisons ci-dessous le graphique présenté précédemment, afin de souligner l’inversion, depuis 2003 de la tendance à la diminution des investissements.

ÉVOLUTION DU MONTANT DES INVESTISSEMENTS D'ERDF ET DU CRITÈRE B HIX

Source : ERDF, cité par la CRE

Grâce à une reprise incontestable des investissements engagés, ERDF met en œuvre différents programmes visant à résorber les fragilités du réseau français :

1. Le Plan aléas climatiques, lancé en juin 2006 en application du Contrat de service public signé entre EDF et l’État sur la base des préconisations du rapport Piketty-Trink. Les objectifs de dépose de lignes sont calibrés en fonction de l’inventaire des risques portant sur le réseau HTA :

CLASSEMENT DES LIGNES HTA PAR NIVEAU DE RISQUE

Source : ERDF Plan aléas climatiques 2006

– le plan aléas climatiques devrait consacrer 2,3 milliards d’euros sur 10 ans pour réduire la vulnérabilité des réseaux aux phénomènes climatiques extrêmes

– 33 000 kilomètres de réseaux HTA à risque avéré (25 500 km d’ossatures et 7 500 km de dérivation) seront traités ;

– les actions menées sont les suivantes : restructuration de certaines lignes HTA en zone rurale, enfouissement des lignes fragiles ou en zone boisée, limitation des conséquences des inondations, renouvellement des câbles urbains susceptibles de défaillances lors de canicules ;

– l’objectif final est d’assurer la réalimentation de 90 % des utilisateurs en moins de 5 jours en cas de tempête comparable à celle de 1999. Le risque moyen des réseaux en HTA doit être divisé par un facteur 5 en 10 ans.

2. La résorption des « fils nus »

– Il reste environ 100 000 kilomètres de « fils nus », sur un total de 420 000 kilomètres de réseau BT aérien ; la moyenne d’âge des réseaux « fils nus » est de 44 ans ;

– le rythme de dépose est de 4 200 kilomètres/an, dont 1 100 kilomètres/an sous maîtrise d’ouvrage ERDF.

3. Le remplacement des réseaux en câble papier imprégné (CPI)

– les réseaux CPI conjuguent obsolescence (près de 40 ans de moyenne d’âge) et technologie peu adaptée ; 30 000 kilomètres de réseau sont toujours en CPI ;

– l’objectif de dépose est de 1 500 kilomètres/an pendant 10 ans, pour un coût envisagé de deux milliards d’euros.

4. Le renouvellement du réseau HTA

ERDF voudrait renouveler 100 000 kilomètres de réseau, soit 28 % de la longueur totale du réseau en HTA, en 15 ans, ce qui correspondrait à un rythme de dépose de 6 400 kilomètres/an ; le coût envisagé est de neuf milliards d’euros.

TRAJECTOIRE D'INVESTISSEMENTS PRESSENTIE PAR ERDF
AU TITRE DE LA QUALITÉ

Source : ERDF, cité par la CRE

La mission se réjouit d’un tel constat. La montée progressive d’un débat public sur le sujet de la sécurisation des réseaux d’électricité et l’évolution de la régulation de l’activité du gestionnaire de réseaux ont produit des effets tout à fait bénéfiques. Néanmoins, il ne faut pas s’attendre à un redressement immédiat de la qualité. Compte tenu de l’effet de retardement décrit plus haut, les usagers ne pourront bénéficier des fruits du redressement des investissements que dans quelques années.

CHAPITRE II : UNE POURSUITE DU RÉTABLISSEMENT DE LA QUALITÉ EN SURSIS

I.— UNE CROISSANCE DE LA CONTRIBUTION DES AUTORITÉS CONCÉDANTES BENEFIQUE AU RENOUVELLEMENT DU RÉSEAU DE DISTRIBUTION

A.— LE POINT DE VUE DU GESTIONNAIRE DU RÉSEAU : DES AUTORITÉS CONCÉDANTES QUI CONSACRENT TROP D’EFFORTS AU RÉSEAU EN BASSE TENSION

1. Des collectivités concédantes qui se substituent au gestionnaire du réseau de distribution

Depuis la fin des années 1980, les collectivités concédantes ont accru leur rôle en matière d’investissements sur le périmètre de leur concession. Cette possibilité leur est ouverte par l’article 9 du cahier des charges des concessions qui confère aux collectivités concédantes des zones rurales un pouvoir important en matière de maîtrise d’ouvrage sur le réseau en basse tension :

RÉPARTITION DE LA MAÎTRISE D'OUVRAGE ENTRE L'AUTORITÉ CONCÉDANTE ET LE CONCESSIONNAIRE SELON LE
CAHIER DES CHARGES DES CONCESSIONS

Source : CRE

Les travaux sous maîtrise d’ouvrage des collectivités concédantes sont financés principalement à travers les programmes du Fonds d’amortissement des charges d’électrification (FACÉ).

L’électrification rurale

Le régime d’électrification rurale

Le régime d’électrification rurale se distingue du régime urbain par la responsabilité de la maîtrise d'ouvrage des travaux sur le réseau de distribution. Dans le régime rural, la maîtrise d'ouvrage et le financement des investissements sur le réseau sont à la charge de la commune ou de la collectivité (syndicat d'électrification rurale regroupant plusieurs communes ou syndicat départemental) ou d'une régie ou SICAE ou SEM à qui la commune a délégué cette maîtrise d'ouvrage. En revanche, dans le régime urbain, la maîtrise d'ouvrage et le financement sont en totalité à la charge du distributeur (ERDF ou régie ou SICAE ou SEM).

Les communes placées sous le régime de l’électrification rurale sont celles définies par la circulaire interministérielle agriculture/industrie du 22 avril 1971 : ce sont les communes ne comportant aucune agglomération d'au moins 2000 habitants et ne faisant pas partie d'une agglomération multicommunale d'au moins 5 000 habitants en référence au recensement général de la population de 1968. Bien que ne répondant pas à la définition précédente, certaines communes ont été maintenues sous le régime de l'électrification rurale. Inversement, d'autres communes, bien que répondant à la définition précédente, ont opté pour le régime urbain, soit individuellement, soit dans le cadre départemental à la demande du conseil général. Paris et les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne sont également en régime urbain.

Le Fonds d’amortissement des charges d’électrification (FACÉ).

Le FACÉ a été créé par la loi de finances du 31 décembre 1936 sur proposition de la FNCCR et du sous-secrétaire d’État aux travaux publics et aux mines, Paul Ramadier. Son rôle était de compenser l’insuffisance des travaux d’électrification en zone rurale des sociétés d’électricité. Dix ans plus tard, Paul Ramadier, en tant que rapporteur du texte sur la nationalisation du secteur de l’électricité et du gaz, défend le principe d’une maîtrise d’ouvrage des réseaux électriques en basse tension accordée aux collectivités locales en zone rurale. Le FACÉ devient ainsi un outil de solidarité permettant d’apporter une aide financière aux communes relevant du régime de l’électrification rurale.

Le statut du FACÉ est régi par le décret n° 47-97 : c’est un organisme placé sous l’autorité du ministre chargé de l’énergie et administré par un « Conseil » composé de représentants de l’État, des conseils généraux, des collectivités concédantes soumises au régime de l’électrification rurale, d’ERDF et des distributeurs non nationalisés.

Les aides du FACÉ sont financées par les contributions des gestionnaires des réseaux publics de distribution. L’assiette des contributions est le nombre de kilowattheures distribués à partir des ouvrages exploités en basse tension. La contribution versée – 0,165 centime d’euro par kilowattheure en zone urbaine, 0,033 centime d’euro par kilowattheure en zone rurale – est cinq fois supérieure en zone urbaine, de façon à assurer une péréquation financière à destination des communes du régime rural (17). Cette contribution alimente un compte spécial dans les écritures d’EDF.

Les aides versées par le FACÉ se sont élevées à 552 millions d’euros en 2010. Elles sont réparties en trois tranches : la « tranche AB » est le programme dit « principal », consacré aux travaux d’extension et de renforcement ; la tranche C, créée en 1992 concerne les travaux d’ « environnement », c'est-à-dire majoritairement l’enfouissement des réseaux ; la tranche S finance les travaux de sécurisation du réseau. La répartition entre les départements des aides attribuées dans le cadre du programme principal du FACÉ s’effectue au prorata du coût total de résorption des « départs mal alimentés ».

Selon le graphique suivant, les investissements sous maîtrise d’ouvrage des autorités concédantes ont été multipliés par un facteur supérieur à deux entre 1980 et 2000, alors que les investissements du distributeur connaissaient une réduction brutale.

TRAJECTOIRE D’INVESTISSEMENTS D’ERDF ET DES CONCÉDANTS DE PUIS 1980

Source : CRE

L’évolution inverse des deux trajectoires a conduit à une situation dans laquelle les investissements délibérés du gestionnaire du réseau sont inférieurs aux investissements sous maîtrise d’ouvrage des collectivités concédantes. Celles-ci contribuent désormais massivement aux travaux sur le réseau :

MONTANT DES REMISES D’OUVRAGES AU CONCESSIONNAIRE

Source : FNCCR

2. L’opportunité des investissements des autorités concédantes contestée par ERDF et la CRE

La hausse des investissements sous maîtrise d’ouvrage des collectivités concédantes fait l’objet de critiques de la part du gestionnaire du réseau. Tout d’abord, celui-ci souligne la forte croissance de l’enfouissement des réseaux en BT à partir du début des années 1990. Or, cette action n’est pas un gage d’amélioration de la qualité : le câble torsadé, bien moins onéreux, présente une meilleure fiabilité que le câble souterrain. Le souterrain conserve encore actuellement la faveur des autorités concédantes :

ÉVOLUTION DES POSES ET DÉPOSES DE RÉSEAU EN BT

BT

Aériens fils nus

Souterrain

Torsadé

Pose (km)

Dépose (km)

Pose (km)

Dépose (km)

2001

120

5 062

9 116

5 117

2002

73

7 908

9 319

4 923

2003

28

4 758

9 271

4 045

2004

21

4 557

9 507

3 713

2005

18

4 734

9 301

3 411

2006

14

4 330

9 558

3 600

2007

12

4 592

9 382

3 351

Source : ERDF, cité par le rapport Bellec

La pose de câble aérien torsadé a été divisée par cinq depuis le milieu des années 1990, jusqu’à ne représenter plus que 26 % des poses de lignes en BT. A contrario, le rythme de pose de câble en souterrain se maintient.

En outre, toujours selon ERDF, l’accroissement de la part de l’investissement des collectivités concédantes dans le montant total des investissements, favorise le réseau en BT rural, au détriment de la HTA. Pourtant, compte tenu de sa contribution prépondérante à la fiabilité de l’ensemble du réseau de distribution, il serait préférable d’investir prioritairement sur le réseau HTA. La répartition actuelle n’est donc pas adaptée au besoin d’amélioration de la qualité.

 

Rural (définition FACÉ)

Urbain

Part du réseau total

58 %

42 %

Nombre de clients desservis

25 %

75 %

Durée de coupure hors incidents exceptionnels et hors RTE

170

55

Part des investissements délibérés

BT

HTA

Total

BT

HTA

Total

32 %

17 %

49 %

25 %

26 %

51 %

Source : ERDF

ERDF conteste par ailleurs le raisonnement selon lequel la fréquence des coupures sur le réseau rural justifie cette répartition. Le réseau urbain, qui dessert 75 % des Français et la plupart des entreprises, devrait concentrer l’essentiel des investissements sur le réseau.

Sur les deux points précédents, la CRE partage l’opinion d’ERDF : « la maîtrise d’ouvrage des collectivités rurales n’a ni pour objet ni pour effet l’amélioration de la continuité de l’alimentation ». Ainsi, elle déplore l’accélération récente de la part « investissements » des redevances de concession, qui a augmenté de 54 % entre 2004 et 2009, ainsi que, dans une moindre mesure, la hausse des programmes du FACÉ, de l’ordre de 17 % sur la même période :

PART "INVESTISSEMENTS" DES REDEVANCES DE CONCESSION SUR LA PÉRIODE 2004 À 2009

MONTANT TOTAL TTC DES TRAVAUX AUTORISÉS PAR LE FACÉ SUR LA PÉRIODE 2004 À 2009

Source : ERDF, cité par la CRE

Enfin, un argument supplémentaire est évoqué par le rapport Bellec : les taux de remboursement dont bénéficient les collectivités à travers les aides du FACÉ et la redevance « R2 » sont élevés. La prise en charge directe par le FACÉ correspond à 65 % du montant toutes taxes comprises des travaux réalisés et la deuxième composante de la redevance des concessions, la redevance « R2 », s’élève à environ 5 %, ce à quoi s’ajoutent les remboursements de TVA.

B.— UNE CRITIQUE DE L’ACTION DES AUTORITÉS CONCÉDANTES QUI NE RÉSISTE PAS À L’ÉPREUVE DES FAITS

1. Des investissements utiles au rétablissement de la qualité

Aux critiques adressées par ERDF, les collectivités concédantes opposent plusieurs arguments.

Premièrement, les montants des travaux financés par le FACÉ ont augmenté à un rythme proche de l’inflation. Selon le rapport Bellec, « l’évolution des investissements des collectivités n’est en réalité que le reflet de l’évolution du budget du FACÉ, qui se caractérise par une grande stabilité en termes réels. Le montant des travaux financés par le FACÉ est en effet passé de 460 millions d’euros en 2000 à 536 M€ en 2009, soit une augmentation de 17 %, en ligne avec l’inflation ». On ne note donc pas d’accélération incontrôlée du montant des programmes du FACÉ. Seule la redevance R2 augmente à un rythme soutenu mais elle devrait diminuer au cours des prochaines années.

Deuxièmement, les collectivités concédantes doivent appliquer des politiques dont la maîtrise leur échappe. Par exemple, les branchements chez les particuliers se font en technique monophasée jusqu’à 12 kW de puissance souscrite. Ceci est cohérent en zone deux puisque le distributeur ERDF peut facilement « équilibrer » les phases c’est-à-dire reporter la charge entre les différents utilisateurs, optimisant de ce fait l’utilisation du réseau.

Il en va tout autrement dans les secteurs d’habitat dispersé, sur lequel s’exerce principalement la maîtrise d’ouvrage des collectivités concédantes, où l’alimentation ne dessert qu’un abonné. Dans ce cas le monophasé revient à n’utiliser qu’une phase sur trois et à solliciter un renforcement dès que la phase est saturée. Le recours au triphasé serait bien plus adapté : il permettrait une alimentation régulière, sans préjudice pour l’abonné, tout en limitant très largement les investissements.

Les installations de pompes à chaleur en bout de réseau provoquent les mêmes phénomènes : elles diminuent la demande énergétique totale mais augmentent le recours à l’électricité en provoquant de surcroît un appel de puissance important au démarrage. Le résultat est une demande injustifiée économiquement de renforcement. En Côtes-d’Armor, par exemple, leur incidence n’est pas neutre : en 2009, le syndicat d’électrification y a consacré 2,3 millions d’euros sur une dotation FACÉ de 10 millions d’euros et, en 2010, 1,7 million d’euros sur la même dotation soit 20 % du total.

Troisièmement, les travaux pour des motifs « esthétiques » ne représentent pas la partie la plus significative des travaux financés par les collectivités concédantes. S’agissant du FACÉ, la tranche C, le programme « environnement », est stable à 120 millions d’euros en 2009 et 2010.

PROGRAMMES DU FACÉ

 

2008

2009

2010

Δ2009

Tranche A/B

Programme « principal » : travaux extension et renforcement

348

358

354

-4

Tranche C

Programme « environnement » (1992)

116

120

120

0

Tranche S

Programme « sécurisation » : résorption des lignes BT fils nus vulnérables aux intempéries (2005)

55

58

58

0

Tranche S’

Eradication des fils nus de faible section (2010)

-

-

20

20

Programmes principaux

519

536

552

+16

Programme spécial sécurisation

-

-

0

+20

Enveloppe travaux aidés

31

47

581

+34

Soit une aide financière attribuable

Taux d’aide de 65 % du montant TTC des travaux

345

356

378

 

Source : ERDF

S’agissant des investissements financés par le biais du mécanisme de l’article 8 du cahier des charges des concessions, concernant des travaux à visée environnementale et esthétique, ils représentent seulement 7 % à 9 % du montant total des travaux des collectivités concédantes.

DESTINATION DES INVESTISSEMENTS DES COLLECTIVITÉS CONCÉDANTES

Source : FNCCR

De plus, si les investissements sont effectivement réalisés sous maîtrise d’ouvrage des collectivités concédantes, ils le sont généralement sur proposition d’ERDF. Quant aux investissements « article 8 », ils proviennent d’accords-cadres nationaux entre la FNCCR et ERDF, fixant le montant de la participation d’ERDF à ces travaux à hauteur de 40 %, les 60 % restant étant pris à la charge des collectivités concédantes.

Par conséquent, il est faux de considérer que ce sont les collectivités concédantes qui favoriseraient des choix dispendieux, en contradiction avec la « bonne » solution technique. Bien au contraire, elles sont tout autant attachées à l’efficacité de la dépense publique.

Quatrièmement, l’ampleur des investissements réalisés sur le réseau en basse tension, dont, rappelons le, dépendent les usagers « en bout de ligne », s’explique par les faiblesses importantes que ce segment comporte. Ainsi, la survivance de 100 000 kilomètres de conducteurs nus sur les 600 000 kilomètres de réseau en basse tension n’est pas acceptable, et l’on ne peut que se réjouir du rythme rapide de dépose de ces fils peu robustes. Si les collectivités territoriales n’avaient pas œuvré à son renouvellement, le réseau serait dans un état pire que ce qu’il est actuellement. Certains syndicats vont désormais à l’encontre du contenu des contrats de concession et se substituent au concessionnaire en réalisant la très grande partie des travaux sur leur réseau, dont le renouvellement. La frontière qui sépare aujourd’hui les concessions de distribution d’électricité du régime de l’affermage est très ténue. En outre, la croissance des programmes du FACÉ et des redevances R2 remet effectivement en cause l’équilibre du TURPE 3 ; mais ça ne relève pas de la responsabilité des collectivités concédantes, qui n’ont pas été parties prenantes à l’élaboration du tarif.

Cinquièmement, les investissements dans la basse tension n’empêchent aucunement le concessionnaire de répondre à ses obligations sur le réseau en moyenne tension. Les investissements réalisés sur le réseau en basse tension n’entrent pas en concurrence avec les autres investissements sur le réseau. Considérer qu’il faut cesser de laisser les collectivités concédantes investir sur le réseau dont elles ont la charge, sous prétexte que le réseau géré par le gestionnaire du réseau de distribution est, lui aussi, en mauvais état, relève d’un raisonnement pour le moins critiquable. Si les collectivités concédantes ne s’étaient pas préoccupées de l’état des réseaux, l’effondrement des investissements aurait été encore plus marqué que ce qu’il a été.

Selon les autorités concédantes, les efforts d’investissements dans les réseaux sont insuffisants pour assurer leur renouvellement. Le rapport Hauet exprime l’opinion de la FNCCR sur ce point :

TRAJECTOIRE DES INVESTISSEMENTS QUALITÉ ET SÉCURISATION

Investissements « qualité » = investissements délibérés – investissements pour l’adaptation aux charges des réseaux et investissements pour la sécurité, l’environnement et les obligations réglementaires (dont programme PCB)

Investissements « sécurisation » = investissements « qualité » – investissements d’amélioration de la qualité courante (dont remplacement des équipements pour cause d’obsolescence).

Source : « rapport Hauet »

La reprise des investissements constatée à partir de 2005 est fragile et les montants effectivement dépensés restent inférieurs aux efforts annoncés. Selon le rapport Hauet, s’agissant des investissements de sécurisation notamment, « prévus par le Plan aléas climatiques 2009 au niveau moyen de 230 millions d’euros par an pour les dix ans à venir, on peut les comparer aux recommandations qui ressortaient des rapports Piketty : 395 millions d’euros par an sur quinze ans, s’ajoutant aux cent trente millions d’euros par an recensés avant 1999. On voit que, malgré l’effort additionnel prévu par le Plan aléas climatiques, nous sommes très loin des recommandations de l’après tempête 1999 et des chiffres pris comme référence dans l’accord « Réseaux électriques et environnement » 2001-2003 ».

ÉVOLUTION DU RENOUVELLEMENT DES LIGNES

Source : « rapport Hauet »

Le rythme de dépose sur le réseau en basse tension est supérieur à celui qui a cours sur le réseau en moyenne tension :

LONGUEURS DES LIGNES POSÉES EN 2010

 

Pose
souterrain HTA

Pose
souterrain BT

Pose
Torsade BT

rural (nombre d'habitants < 2 000)

5 185

3 826

1 930

urbain (nombre d'habitants > 2 000)

3 603

3 744

840

National

8 788

7 269

2 770

Source : ERDF

Cela ne signifie pas pour autant qu’une importance trop grande est accordée à la basse tension, mais au contraire que la moyenne tension ne bénéficie pas d’efforts suffisants, comme en atteste la non réalisation des objectifs fixés, ou encore le fait que la contribution des défaillances sur le réseau en HTA à la durée moyenne de coupure augmente.

UN RYTHME DE DÉPOSE ENCORE INFÉRIEUR ÀUX OBJECTIFS FIXÉS

kilomètres/an

Cible

2010 (réalisé)

2011 (Estimations)

Câbles papier imprégné

1 500

685

1 000

Réseau en moyenne tension aérien

6 400

4 700

4 900

Réseau en basse tension à fils nus

n.d.

4 200

n.d.

Source : ERDF

Entre 2000 et 2009, la contribution des incidents sur le réseau BT dans la durée moyenne de coupure a été ramenée de 16 % à 7 %, la contribution du réseau HTA passant elle de 72 % à 80 %  avec, il est vrai, d’importantes variations.

Le rétablissement de la qualité de l’électricité pour l’ensemble des usagers passera donc par le maintien de l’effort actuel sur le réseau en basse tension, conjugué à un rétablissement net des investissements sur le réseau en moyenne tension.

Sixièmement, contrairement à ce qui est allégué, les collectivités concédantes contribuent, sur leurs fonds propres, et pour un montant important, aux travaux qui sont réalisés sous leur maîtrise d’ouvrage, à travers les taxes locales sur la fourniture d’électricité. L’ensemble du produit de celles-ci n’est pas affecté aux travaux d’électrification, mais les taxes prélevées par les syndicats d’électrification s’élevaient tout de même à 421 millions d’euros en 2009, montant auquel il faut ajouter les taxes prélevées par les départements dont certains les reversent aux syndicats. Le graphique suivant montre que les ressources fiscales propres des collectivités territoriales ont contribué pour près d’un tiers au financement des travaux sous leur maîtrise d’ouvrage.

RÉPARTITION DES SOURCES DE FINANCEMENT DES TRAVAUX RÉALISÉS SOUS MAÎTRISE D’OUVRAGE DES COLLECTIVITÉS CONCÉDANTES EN 2007

Source : FNCCR

Les taxes locales sur la fourniture d’électricité

La réforme des taxes locales sur la fourniture d’électricité

Afin de mettre le droit français en conformité avec la directive européenne 2003/96/CE du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité, la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (NOME) a réformé le régime des TLE. Ce n’est plus un pourcentage du montant de la facture qui constituera l’assiette de la taxe mais la consommation d’électricité elle-même, exprimée en mégawattheures, à l’exclusion de la part abonnement

A partir de 2012 (un régime transitoire est prévu en 2011), les tarifs de la TLE départementale seront fixés à 0,25 euro par mégawattheure pour une puissance souscrite comprise entre 36 et 250 kVA et 0,75 euro par mégawattheure pour une puissance inférieure à 36 kVA

A ces tarifs est appliqué, à l’initiative du conseil général, un coefficient multiplicateur unique compris entre 2 et 4. Par conséquent, le tarif de la TLE départementale ne pourra être inférieur à 0,50 euro par MWh, soit le minimum défini par la directive 2003/96/CE précitée. Quant à la TLE communale, son tarif sera fixé en appliquant aux montants de la TLE départementale un coefficient multiplicateur unique compris entre 0 (pour les communes n’ayant pas de TLE et ne souhaitant pas en instituer) et 8.

Une ressource fiscale importante pour les collectivités territoriales

En 2009, le produit des taxes locales sur la fourniture d’électricité s’est élevé à 1,740 milliard d’euros. 740 millions d’euros (42,5 %) ont été prélevés au profit des communes, 567 millions (32,6 %) au profit des départements, 421 millions (24,2 %) au profit des syndicats (intercommunaux ou mixtes), 7 millions au profit des régies personnalisées et 5 millions (0,3 %) au profit des communautés de communes ou d’agglomération. S’agissant des communes, 7 016 d’entre elles perçoivent directement la taxe, tandis que 23 741 appartiennent à un groupement qui a institué et perçoit la taxe. Il existait donc 5 925 communes sur le territoire desquelles n’était pas perçue de part communale de taxe sur les fournitures d’électricité.

D’après les informations transmises par le Gouvernement aux parlementaires lors des débats sur la loi NOME, la charge devrait demeurer identique pour les ménages et la recette globale ne devrait pas être impactée par la récente réforme des taxes locales d’électricité. Ainsi, les recettes fiscales générées par cette taxe constituent une enveloppe financière conséquente

Seule une partie des recettes fiscales prélevées est effectivement utilisée pour les travaux d’électrification.

Il s’agit principalement des taxes prélevées directement par les syndicats en charge de la distribution d’électricité, soit 421 millions en 2009. En effet, selon l’article L. 5212-24 du code général des collectivités territoriales :

« Lorsqu'il existe un syndicat intercommunal exerçant la compétence d'autorité organisatrice de la distribution publique d'électricité ou que cette compétence est exercée par le département, la taxe prévue à l'article L. 2333-2 peut être établie par délibération du syndicat ou du département ou du département s'il exerce cette compétence, et perçue par lui en lieu et place des communes dont la population est inférieure ou égale à 2 000 habitants ou dans lesquelles la taxe est perçue par le syndicat au 1er janvier 2003. Pour les autres communes, cette taxe peut être perçue par le syndicat ou le département en lieu et place de la commune si elle est établie par délibérations concordantes du syndicat ou du département, s'il exerce cette compétence, et de la commune ».

Les syndicats d’électrification ayant pour mission unique de gérer le service public de l’électricité, ces taxes sont affectées pour la très grande majorité aux travaux d’électrification (18).

Par ailleurs, certains départements reversent au syndicat départemental d’électrification une partie ou la totalité de la taxe qu’ils ont collectée.

Enfin, soulignons que de tels investissements ne sont pas supportés par le gestionnaire du réseau de distribution. En effet, les aides du FACÉ sont certes financées par une contribution de celui-ci sur le nombre de kWh distribués à partir des ouvrages exploités en BT, mais elles entrent dans les charges couvertes par le TURPE, tout comme les redevances versées aux collectivités concédantes. De plus, la valeur des ouvrages remis gratuitement est intégrée à la base d’actifs régulés et rémunérée au taux de 7,25 % sur l’ensemble de sa durée de vie. Néanmoins, en pratique, il est indispensable que les redevances versées durant la période tarifaire aient été bien évaluées au moment de l’élaboration du TURPE. Dans le cas contraire, la différence entre l’estimé et le réalisé repose sur le gestionnaire du réseau, car les redevances ne font pas partie des charges prises en compte par le mécanisme du CRCP.

2. L’exercice difficile du pouvoir de contrôle du concessionnaire par l’autorité concédante

L’épisode de diminution de la qualité, que l’on peut qualifier de rupture historique, a accru la nécessité pour les collectivités concédantes de se préoccuper de l’état du réseau. A ce titre, l’importance croissante de leur maîtrise d’ouvrage n’est pas suffisante : le contrôle de l’action menée par le concessionnaire est également un axe essentiel de leur rôle d’autorité concédante.

Un tel contrôle est pourtant difficile à assurer. De telles difficultés ne sont pas nouvelles, mais ne constituaient pas un enjeu majeur dans un contexte d’amélioration constante de la qualité de l’électricité distribuée. Elles prennent une résonance nouvelle ces dernières années, en réponse à deux phénomènes. D’une part, sous l’impulsion de dispositions incitatives, les autorités concédantes se regroupent à la maille départementale. Alors que l’atomisation des maîtres d’ouvrages et des concédants constituait une réelle difficulté pour ERDF, la départementalisation devrait rendre le dialogue avec les élus plus aisé.

La départementalisation des syndicats d’électrification

L’article 33 de la loi de 2006 relative au secteur de l’énergie, issue d’un amendement de notre rapporteur, et modifiant l’article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales, renforce le mouvement vers le regroupement du pouvoir concédant à l’échelle départementale en chargeant les préfets d’engager la procédure de création d'un syndicat de communes ou d'un syndicat mixte pour l'exercice de ces compétences sur l'ensemble du territoire départemental ou sur un ensemble de territoires départementaux contigus.

Des incitations financières ont été mises en place pour accompagner ce mouvement :

– ERDF accorde des suppléments de redevances aux syndicats départementalisés, la redevance versée au titre d’un contrat unique étant supérieure à la somme des redevances touchées par les communes individuellement ;

– les aides octroyées par le FACÉ sont également majorées lorsqu’elles sont versées à un syndicat départemental.

Sur les 85 syndicats départements, 45 sont aujourd’hui départementalisés au sens de la concession de distribution et de fourniture de l’électricité, un certain nombre d’autres départements étant en cours d’évolution.

CARTOGRAPHIE DE LA DÉPARTEMENTALISATION

Source : FNCCR, 2010

D’autre part, dans une situation où le concessionnaire est considéré comme « défaillant », le concédant souhaiterait contraindre le concessionnaire à respecter ses obligations contractuelles.

Tout d’abord, les informations fournies par le concessionnaire sur la concession dont il a la charge sont en général trop succinctes.

Dès 2001, la Cour des comptes suggère une exacte comptabilisation de la valeur des réseaux. « L’importance des investissements exigerait une exacte comptabilisation de la valeur immobilisée des réseaux. Or, les contrôles opérés font apparaître, sur ce point, d’importantes divergences entre les actifs respectifs du concédant et du concessionnaire. Dans le cadre de l’ouverture progressive du marché de l’électricité et bien que la fin des concessions de distribution ne constitue pas une hypothèse d’actualité, la compétence reconnue aux collectivités territoriales en la matière gagnerait à s’accompagner d’une meilleure connaissance de leur patrimoine » (19).

Le rapport de la Chambre régionale des comptes d’Île-de-France, plus récent, montre, à travers l’exemple de la concession parisienne (20), que la situation ne s’est pas améliorée. Par exemple, la globalisation de lignes de compte pour plus de 21 % du total des produits dans le compte d’exploitation ne permet pas de s’assurer que tous les produits sont bien comptabilisés. S’agissant des biens de retour, aucun inventaire n’est prévu juridiquement, seul un état des lieux sommaire est effectué. La propriété des postes sources, par exemple, dont l’enjeu financier s’élève à 260 millions d’euros, est revendiquée par les deux parties.

La concession de la ville de Paris

Le contrôle de la Chambre régionale des comptes (CRC) d’Île-de-France sur la concession parisienne

La concession parisienne comporte la particularité de lier le service public de distribution d’électricité et la fourniture d’électricité au tarif réglementé de vente sur le territoire de la commune.

Le contrôle de la Chambre régionale des comptes a relevé le caractère trop lacunaire des données transmises par ERDF à la Ville de Paris. Elle a également déploré la faiblesse des investissements sur le réseau : « Leur niveau accuse un net fléchissement depuis 1993, malgré une légère reprise sur les deux dernières années. Le montant cumulé des amortissements et des provisions pour renouvellement en fin de concession est élevé, atteignant respectivement, en 2007, 1 113,4 M€ et 426,5 M€ et témoigne du vieillissement des installations ».

Des évolutions du contrat de concession consécutives aux remarques de la CRC

Le contrat de concession entre la ville de Paris et ERDF, datant de 1955, a été prolongé de 15 ans (21) de gré à gré en décembre 2009. L’avenant apporte des modifications substantielles en introduisant une plus grande concertation entre la Ville et ERDF notamment en matière d’investissements.

ERDF est seul responsable de la totalité de la maîtrise d’ouvrage des investissements sur le réseau concédé. En contrepartie, ERDF a pris en compte les « fortes attentes de modernisation du patrimoine de la concession » exprimées par la Ville de Paris et de « meilleure prise en compte des objectifs définis par la municipalité en matière de développement durable, et notamment son plan climat ».

De nouveaux indicateurs sont prévus, relatifs aux travaux, au patrimoine, aux éléments et à la qualité du service rendu à l’usager. L’avenant oblige ERDF à transmettre à la Ville de Paris une extraction annuelle de sa base d’application comptable centralisée de valorisation du patrimoine, IRIS. Enfin, le concessionnaire devra élaborer en concertation avec la Ville un schéma directeur, décliné en programmes d’investissements quadriannuels. Des programmes annuels de travaux de 30 à 40 millions d’euros seront fixés. Ce programme inclut les renouvellements, et prévoit des sanctions financières sont prévues si un programme d’investissement n’est pas achevé. L’indemnité de fin de contrat a été réévaluée et ERDF ne constituera plus de provisions pour renouvellement.

De manière générale, les informations transmises par ERDF au travers des comptes rendus d’activité de concession (CRAC) ne suffisent pas à l’exercice par le concédant de sa mission de contrôle. Ce constat est corroboré par le rapport de la CRE, selon lequel « le cadre du modèle de cahier des charges de concession de 1992, même s’il a été revisité en 2007, ne permet pas [aux collectivités concédantes] de réaliser leur mission de contrôle comme elles l’entendent, notamment en ce qui concerne les enjeux de continuité de l’alimentation. Ainsi, ERDF ne communique pas toujours au concédant les chiffres que celui-ci estime nécessaire à son action de contrôle ». La CRE relève toutefois que « les demandes des autorités concédantes outrepassent parfois le cadre du cahier des charges de concession » et conclut donc à des responsabilités partagées. D’un côté, l’évolution de l’organisation d’ERDF, de l’autre, les nouvelles préoccupations énergétiques et écologiques des collectivités locales, complexifient les rapports entre les deux parties, et devraient être accompagnées d’une « adaptation des relations concessives (…) ».

Un pouvoir de contrôle inscrit dans la loi et les contrats de concession

L’article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales, dans sa version antérieure au 14 juillet 2010, dispose :

« Les autorités concédantes précitées assurent le contrôle des réseaux publics de distribution d'électricité et de gaz. A cette fin, elles désignent un agent du contrôle distinct du gestionnaire du réseau public de distribution.

Chaque organisme de distribution d'électricité et de gaz tient à la disposition de chacune des autorités concédantes précitées dont il dépend les informations d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique utiles à l'exercice des compétences de celle-ci, dans les conditions prévues par les dispositions de l'article 20 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité et de l'article 9 de la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l'électricité et au service public de l'énergie. Il communique chaque année, notamment, la valeur brute, la valeur nette comptable et la valeur de remplacement des ouvrages concédés ».

La loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 dite « Grenelle 2 » puis la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 dite « NOME » ont sensiblement accru les obligations du concessionnaire en matière d’information du concédant. Désormais :

« Ces informations comprennent également, dans des conditions fixées par décret, les données permettant d'élaborer et d'évaluer les schémas régionaux du climat, de l'air et de l'énergie et les plans climat-énergie territoriaux prévus par les articles L. 222-1 à L. 222-3, L. 229-25 et L. 229-26 du code de l'environnement ainsi qu'un bilan détaillé de la contribution du concessionnaire aux plans climat-énergie territoriaux qui le concernent. Chaque organisme de distribution d'électricité et de gaz transmet à chacune des autorités concédantes précitées un compte rendu de la politique d'investissement et de développement des réseaux prévue au 1° du II de l'article 13 de la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières. Sur la base de ce compte rendu, les autorités organisatrices établissent un bilan détaillé de la mise en œuvre du programme prévisionnel de tous les investissements envisagés sur le réseau de distribution. Ce programme prévisionnel, qui précise notamment le montant et la localisation des travaux, est élaboré à l'occasion d'une conférence départementale réunie sous l'égide du préfet et transmis à chacune des autorités concédantes ».

Ces nouvelles dispositions sont encore trop récentes pour évaluer leur effet sur les relations concessives.

L’article 32 du cahier des charges des concessions définit les modalités pratiques d’un tel contrôle :

« Les agents de contrôle désignés par l’autorité concédante peuvent à tout moment procéder à toutes vérifications utiles pour l’exercice de leur fonction, et en particulier effectuer les essais et mesures prévus au présent cahier des charges, prendre connaissance sur place, ou copie, de tous documents techniques ou comptables. Ils ne peuvent en aucun cas intervenir dans la gestion de l’exploitation ».

Toutefois, du fait du manque de moyens humains et du caractère lacunaire des informations transmises par le concessionnaire, l’exercice du pouvoir de leur pouvoir de contrôle par les autorités concédantes est complexe. L’AEC, Association pour l’expertise des concessions, est encore insuffisamment mobilisée.

De plus, l’organisation désormais régionale d’ERDF complique le dialogue avec les élus. La dimension centralisatrice de la réforme a entraîné une perte de connaissance du terrain par les équipes d’ERDF, et un éloignement des autorités concédantes. La pénurie de moyens humains et le manque de coordination entre les équipes locales et les collectivités ont notamment perturbé la gestion des épisodes d’intempéries. Par ailleurs, les membres de la mission déplorent le fort turn-over des directeurs territoriaux, dont c’est le rôle de relayer les demandes des concédants. Une telle instabilité ne favorise pas l’instauration de liens de confiance avec les élus et, par voie de conséquence, l’adoption de décisions communes. Ces mêmes directeurs territoriaux sont souvent non opérationnels, car chaque région ne comporte qu’un seul directeur territorial disposant de l’autorité sur les réseaux. Les membres de la mission notent toutefois que l’arrivée de la nouvelle équipe de direction s’est traduite par un progrès sur ce point puisque, désormais, les autorités concédantes peuvent communiquer avec le directeur territorial en charge des réseaux de la région, même si celui-ci n’est pas leur directeur territorial référent.

Le plus important concerne sans doute les décisions d’investissements sur le périmètre de la concession, auxquelles l’autorité concédante n’est pas assez associée. Là encore, l’exemple de la concession parisienne correspond à une réalité généralement partagée. Aucune précision sur les variations entre les prévisions et les réalisations d’investissements n’est fournie ; une baisse des dépenses n’est généralement pas justifiée. De plus, comme l’ont constaté les membres de la mission, le gestionnaire de réseaux se fonde sur son propre logiciel, GDO – Gestion des ouvrages –, pour programmer ses programmes de renouvellement ; or, il s’avérerait que ceux-ci ne correspondent pas nécessairement à des priorités pour les usagers, ni même à quelque impératif technique. Quoi qu’il en soit, en tant que propriétaires du réseau de distribution sur le périmètre de leur concession, les communes ou syndicats d’électrification souhaiteraient être associés aux décisions d’investissement du gestionnaire de réseaux, qui ont un effet direct sur la qualité de l’électricité dont bénéficient leurs habitants.

En conclusion, les autorités concédantes contestent l’idée selon laquelle les investissements auxquels elles procèdent constituent une mauvaise utilisation de l’argent du gestionnaire du réseau de distribution. En tant que propriétaires de ce réseau, elles s’inquiètent de la dégradation des performances de celui-ci, et désireraient par conséquent être davantage associées aux décisions prises par le concessionnaire ; de plus, elles mettent en œuvre les actions de renouvellement nécessaires sur le segment du réseau dont elles ont la charge.

II. — LE MONTANT DES INVESTISSEMENTS DU GESTIONNAIRE DU RÉSEAU DE DISTRIBUTION EN QUESTION

Si les critiques qu’il adresse aux collectivités concédantes ne sont pas légitimes, il faut toutefois reconnaître qu’ERDF fait face à un contexte financier contraint. D’une part, les ressources financières dont l’entreprise dispose doivent être affectées à l’intégration au réseau d’éléments nouveaux. D’autre part, les moyens d’action d’ERDF sur l’enveloppe financière globale qui lui est allouée sont limités, car c’est la maison mère, EDF, qui fixe le programme d’investissements de sa filiale.

A.— DE NOUVEAUX DEFIS A RELEVER PAR LE GESTIONNAIRE DU RÉSEAU DE DISTRIBUTION

L’une des missions du distributeur est de faire évoluer le réseau dont il a la charge en réponse aux innovations technologiques. Or, la période actuelle se caractérise par le développement progressif de trois éléments nouveaux, dont l’intégration au réseau se traduira par une évolution de l’architecture de celui-ci. Il faut toutefois faire attention à ne pas surestimer la rapidité et l’importance du processus en cours.

1. Les énergies renouvelables, ou comment permettre à des milliers de producteurs décentralisés d’injecter de l’électricité sur le réseau

Principal « élément perturbateur », les énergies renouvelables remettent en question le schéma traditionnel du système électrique allant de la centrale de production d’électricité vers le consommateur. Alors que, selon ERDF, les réseaux de distribution avaient été, depuis très longtemps, « optimisés » pour faire face à la demande d’électricité émanant des consommateurs, la production décentralisée d’électricité requiert des travaux supplémentaires de raccordement et de renforcement.

La mission est consciente du poids financier qu’a représenté pour ERDF le raccordement de ces nouvelles installations de production au réseau au cours de l’année 2010, et ce d’autant plus que l’accroissement de la charge due au raccordement des énergies renouvelables n’avait pas été anticipé.

En millions d’euros

2007

2008

2009

2010

Coût du raccordement des ENR

50

74

105

249

Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que les niveaux de dépenses engagées en 2010 ne devraient plus être atteints, et ce pour deux raisons. D’une part, depuis l’adoption de la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, dite « loi NOME », le producteur doit désormais prendre à sa propre charge le raccordement de son installation, laissant la seule partie renforcement à la charge du distributeur22. D’autre part, s’agissant du photovoltaïque, les volumes de raccordement annuels plafonneront en 2011 et 2012 puis connaîtront une diminution sensible avec l’épuisement de la file d’attente actuelle.

PUISSANCE ANNUELLE CUMULÉE DES INSTALLATIONS
PHOTOVOLTAÏQUES INSTALLÉES

Hypothèses :

- Selon le rapport issu de la concertation Charpin23, la file d’attente des projets non touchés par le moratoire représente 3 000 MW ; avec un taux de perte de 50 %, ce sont 1 500 MW qui devront être installés en 2011 et 2012 ; au-delà du 9 juin 2012, ces projets perdront le bénéfice de leur tarif ;

- Le raccordement des projets en file d’attente se répartit uniformément sur les années 2011 et 2012

- La trajectoire de 500 MW annuels n’est pas réévaluée en 2012.

Seule mesure aggravant la charge pesant sur le gestionnaire de réseaux, l’obligation de reporter trimestriellement les nouvelles demandes de raccordement nécessitera une mobilisation de moyens humains importants.

2. La voiture électrique, ou comment permettre à des millions de foyers de recharger leur véhicule à la même heure et en un temps restreint

Deuxième « élément perturbateur », la voiture électrique rend nécessaire la pose de prises au sein des habitations des particuliers, mais surtout le renforcement du réseau, qui devra être dimensionné pour supporter des appels de puissance importants concentrés géographiquement et temporellement. ERDF anticipe une croissance rapide du parc français des voitures électriques et, par conséquent, des coûts sur le réseau importants :

 

2015

2020

Parc français de voitures électriques

1 000 000

2 000 000

Nombre de prises installées, dont :

domicile/travail

Voirie/ parking charge normale

Voirie/ parking charge rapide

975 000

900 000

60 000

15 000

4 400 000

4 000 000

340 000

60 000

Investissements correspondants (M€)

BT

HTA et postes sources

405

320

85

1 900

1 500

400

Source : ERDF

Toutefois, la voiture électrique n’a pas encore atteint la maturité technologique suffisante pour être déployée à grande échelle ; les perspectives de développement à court terme sont pour l’heure limitées. Notamment, le coût des batteries et la faible autonomie des modèles proposés constituent des obstacles de taille.

3. Le développement des réseaux intelligents, ou comment permettre à chacun de maîtriser sa consommation

Enfin, le gestionnaire de réseaux devra accompagner le développement des réseaux dits « intelligents ». Leur aptitude à la communication permettra l’échange de données entre les différents acteurs du système électrique et l’interactivité, au service de la qualité de l’alimentation et de l’efficacité des réseaux. L’intelligence injectée modifiera-t-elle sensiblement le rôle des gestionnaires de réseaux et leurs décisions d’investissements ? Dans le cadre de la mission d’information, une audition plénière de la Commission des affaires économiques s’est tenue sur ce thème (24). Il en ressort que ni la répartition des compétences entre les acteurs, ni l’équilibre financier du système ne devraient être bouleversés.

S’agissant du financement du déploiement des compteurs communicants, il faut bien distinguer en fonction de l’usage qui sera fait de ceux-ci. Ils permettront au gestionnaire de réseaux de réaliser des économies par le biais de la télé-relève ou de la facturation en temps réel. Par conséquent, le financement du programme Linky par le TURPE devrait être remis en question. ERDF pourrait tout aussi bien procéder à un endettement à hauteur de quatre milliards d’euros – soit le coût estimé du déploiement de trente-cinq millions de compteurs – qui serait remboursé à travers les économies de charges d’exploitation générées. Cette solution a d’ailleurs été évoquée par des représentants d’EDF lorsqu’ils ont été interrogés sur la politique de l’actionnaire vis-à-vis de sa filiale : alors que l’endettement n’est pas envisagé pour d’autres types d’investissements qui ne dégageraient pas de marges suffisantes, il l’est pour le compteur communicant, dont les retombées économiques pour le distributeur seront certaines.

Ce sont les services proposés « à l’aval du compteur », liés à la maîtrise de la demande d’énergie par le consommateur qui constituent la principale nouveauté des « réseaux intelligents » tels qu’on les entend aujourd’hui. Or, ils relèvent davantage des producteurs d’électricité que du distributeur. Ils devront donc être financés à travers les contrats de fourniture d’électricité.

Les principaux investissements à la charge du distributeur se situeront en fait « à l’amont du compteur » et concerneront l’adaptation du réseau et des postes sources aux nouvelles technologies utilisées. Ils correspondent à des travaux de modernisation mis en œuvre depuis quelques années déjà. D’ailleurs, ERDF et RTE, pour la partie transport, reconnaissent que les réseaux dont ils ont la charge utilisent déjà des applications intelligentes par l’intermédiaire du courant porteur en ligne (25).

En conclusion, la mission considère qu’il ne faut par surestimer le coût de l’évolution des réseaux de distribution vers davantage d’intelligence et de décentralisation. Les charges correspondantes, liées au raccordement et à au déploiement de nouvelles technologies électroniques, ne diffèrent pas sensiblement de celles qui sont traditionnellement supportées par le gestionnaire de réseaux.

Pris séparément, ces trois éléments ne représentent pas des charges insurmontables, mais la modernisation du réseau dans son ensemble représente pourtant un poids financier certain. Celui-ci ne sera pas supporté par le gestionnaire du réseau de distribution. En effet, non seulement l’évolution vers les réseaux du futur s’effectuera probablement lentement, mais les coûts supportés par le gestionnaire de réseaux sont intégralement compensés par le mécanisme tarifaire. S’agissant du financement du raccordement des énergies renouvelables, par exemple, le traitement comptable est similaire à celui des remises d’ouvrages gratuites par les autorités concédantes. La valeur des travaux réalisés est intégrée à la base d’actifs régulés, en contrepartie d’une diminution du TURPE versé lors de l’année de la réalisation. Ainsi, l’investissement sera amorti tout au long de la durée comptable de l’ouvrage.

Certes, le mécanisme d’apurement du CRCP conduit à nuancer ce propos. Le fait qu’il ne puisse s’ajuster au-delà du seuil de 2 % repousse à l’année suivante le remboursement à ERDF des sommes engagées. Comme l’illustre l’exemple de l’explosion des demandes de raccordement d’installations photovoltaïques, certaines charges ne peuvent être correctement prédites. Mais les évolutions qui affecteront les réseaux ne seront pas supportées financièrement par le gestionnaire du réseau in fine.

Il demeure toutefois un véritable problème : les moyens accordés au gestionnaire du réseau de distribution lors de l’élaboration de son programme d’investissements ne sont pas fixés à hauteur des besoins nécessaires à la réalisation de ses missions. En pratique, celui-ci doit donc arbitrer entre les différents investissements à réaliser.

B.— UN SYSTÈME QUI NE CONTRAINT PAS L’ACTIONNAIRE D’ERDF À ACCORDER A SA FILIALE LES MOYENS SUFFISANTS À L’EXERCICE DE SES MISSIONS

1. Un montant des investissements d’ERDF fixé par EDF en deçà de la trajectoire du TURPE

En rémunérant équitablement le capital du gestionnaire du réseau, le TURPE a largement contribué à la reprise des investissements constatée depuis 2004. Il n’en reste pas moins qu’il ne contraint pas le gestionnaire du réseau à effectuer les investissements nécessaires au rétablissement de la qualité de l’électricité.

Lors de l’élaboration du TURPE, la CRE retient l’une des trajectoires d’investissements proposées par ERDF. Pour TURPE 3, le régulateur a privilégié, le scénario dit de « redressement ciblé de la qualité », soit le plus favorable à l’amélioration de la qualité.

S’agissant du réseau de transport d’électricité, la trajectoire du TURPE et les programmes annuels d’investissement de RTE sont fortement liés. En effet, l’article 14 de la loi 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, dispose que le gestionnaire du réseau de transport « élabore chaque année, à cet effet, un programme d'investissements. Ce programme est soumis à l'approbation de la Commission de régulation de l'énergie qui veille à la réalisation des investissements nécessaires au bon développement des réseaux et à leur accès transparent et non discriminatoire ».

En revanche, s’agissant du réseau de distribution, rien n’oblige le gestionnaire du réseau à réaliser la trajectoire d’investissements prévue par le TURPE, car le programme d’investissement présenté par le gestionnaire de réseaux n’a pas besoin d’être approuvée pour être mise en place. Que le tarif prévoit une trajectoire d’investissements ambitieuse n’est donc pas une condition suffisante au renforcement des efforts financiers sur le réseau.

En réalité, le problème ne provient pas tant du gestionnaire du réseau que de son actionnaire. C’est le conseil de surveillance d’ERDF qui détermine le montant d’investissements dans les réseaux à travers l’approbation du Plan à moyen terme (PMT) national. La trajectoire d’investissements fixée par le TURPE constitue une enveloppe maximale, prise en compte lors de l’élaboration du PMT, mais qui peut ne pas être atteinte.

Les montants d’investissement engagés par ERDF sont bel et bien inférieurs à la trajectoire du TURPE. La CRE a prévu un montant total des investissements sur la période tarifaire quadriennale de 11,9 milliards d’euros, soit un rythme moyen annuel de trois milliards. En comparaison, selon un communiqué de presse d’ERDF relatif aux résultats financiers de l’entreprise, le montant des investissements pour l’année 2010, pourtant en croissance de 10,7 % par rapport à l’exercice 2009, s’est élevé à 2 560 millions d’euros.

DIFFÉRENCE ENTRE LA TRAJECTOIRE D’INVESTISSEMENTS FIXÉE PAR LE TURPE ET LES INVESTISSEMENTS ENGAGÉS

En millions d’euros

2009

2010

Cible TURPE

2 588

2 732

Investissements réalisés

2 313

2 560

Différence

275

172

Source : ERDF et CRE

Selon la délibération de la CRE portant sur la proposition de la Commission de régulation de l’énergie du 26 février 2009 relative aux tarifs d’utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité, le TURPE 3 permettra « à ERDF de dégager une capacité d’autofinancement qui devrait couvrir ses investissements. En tenant compte de la trésorerie disponible, ERDF n’aura pas besoin de recourir à l’emprunt, sous réserve de la politique de dividendes qui sera menée par son actionnaire.

Le tarif ne suffit pas à lui seul à garantir la réalisation de tous les investissements nécessaires. En effet, l’évolution de l’endettement et la politique de remontée des dividendes à la maison mère décidées par l’actionnaire pourraient entrer en concurrence avec les investissements prévus pour améliorer la qualité sur les réseaux ».

Le cycle décisionnel des investissements d’ERDF

Depuis la réforme de l’organisation d’ERDF, le pilotage des investissements s’effectue à l’échelle régionale ; auparavant, le nombre trop important de centres rendait difficile un tel pilotage. Le directoire d’ERDF a élaboré en 2008 un projet industriel, social et sociétal (PINSSO), définissant une stratégie nationale sur plusieurs années. Le PINSSO est décliné dans les plans régionaux d’initiatives stratégiques et managériales d’efficacité (PRISME), sur la base desquels sont élaborés les plans moyen terme régionaux (PMT), à horizon de 3 ans glissants. La construction des budgets régionaux fait l’objet d’une négociation avec les services centraux.

Le PMT national, élaboré par le comité exécutif d’ERDF, fait la synthèse des PMT régionaux.

Les investissements et les dépenses de maintenance font l’objet d’un suivi technique et financier, à partir d’une vingtaine d’indicateurs.

Depuis la filialisation de la distribution au sein du groupe ERDF, en 2008, le montant des dividendes versés par ERDF à la maison mère s’est élevé à 448 millions d’euros :

MONTANTS DES DIVIDENDES VERSÉS PAR ERDF À EDF

En millions d’euros

2008

2009

2010

EBITDA26

2 473

2 146

2 438

Dividendes

227

162

59

Ratio dividendes/EBITDA

ERDF

RTE

Groupe EDF

9 %

17 %

15 %

8 %

13 %

12 %

2 %

22 %

13 %

Source : EDF

EDF met en avant un ratio dividendes sur EBITDA faible dans le cas du distributeur, comparé aux ratios constatés dans le cas du transporteur ou du groupe EDF. Soulignons toutefois en réponse que les remontées de dividende représentent un prélèvement des recettes tarifaires au profit des investissements de la maison mère EDF, même dans des proportions limitées.

EDF ne peut donc invoquer le TURPE comme preuve de sa volonté d’accorder à ERDF des moyens suffisants pour investir dans le réseau. Bien au contraire, le caractère non contraignant du TURPE sert les intérêts de la maison mère, qui désire limiter les investissements de sa filiale.

2. Les justifications avancées par la maison mère

Si la maison mère du gestionnaire du réseau de distribution considère qu’il est préférable de procéder à des remontées de dividende pour investir ceux-ci dans des activités plus profitables, le distributeur ne pourra s’y opposer. EDF considère toutefois qu’il existe deux raisons qui expliquent ses choix d’actionnaire.

En premier lieu, la rémunération de la BAR ne serait pas assez élevée, ce qui expliquerait notamment qu’EDF refuse que sa filiale s’endette.

L’activité de gestion d’un réseau d’infrastructures lourdes est une activité de long terme qui repose sur des cycles. Elle repose donc généralement sur de l’endettement : le gestionnaire recourt à des financements extérieurs durant les phases d’investissement, puis rembourse les dettes contractées avec les revenus générés par ses investissements. Or, l’actionnaire d’ERDF considère que sa filiale ne doit pas s’endetter pour financer des investissements.

Plus précisément, lorsque la mission les a interrogés, les représentants d’EDF ont d’abord expliqué suivre le principe de bonne politique selon lequel les dépenses d’exploitation et de maintenance, qui ne dégagent pas de marges nouvelles, doivent être autofinancées. Les membres de la mission ont opposé deux réponses à cet argument : en premier lieu, on peut difficilement qualifier les investissements sur le réseau, comme par exemple l’enfouissement, d’opérations de maintenance ; en second lieu, le TURPE est justement construit pour rémunérer les investissements du gestionnaire réseau en dégageant une marge de 7,25 %. EDF a finalement reconnu que la raison pour laquelle elle refusait un endettement de sa filiale était que la rémunération fixée par la CRE dans le TURPE 3 n’était pas suffisante, au regard de ses propres critères financiers. En effet, le taux de rémunération effectif des capitaux, de l’ordre de 5 %, serait inférieur au taux de 7,25 % affiché par la CRE.

En conséquence, la maison mère aura tendance à limiter les investissements de sa filiale pour faire remonter des dividendes, qui pourront être réinvestis dans les activités de production d’électricité, plus rentables, ou utilisés au désendettement du groupe. Rappelons que la dette d’ERDF, contrairement à celle de RTE, est consolidée dans celle du groupe EDF. Ce dernier a donc tout intérêt à limiter l’endettement d’ERDF pour ne pas déprécier les « ratios » financiers présentés sur les marchés.

Le moindre intérêt des énergéticiens pour le secteur de la distribution n’est pas propre à la France : certaines entreprises européennes du secteur de l’énergie, comme Vattenfall en Suède (27), procèdent à un recentrage de leurs activités sur la production. Ces cessions doivent permettre aux entreprises de services publics, autrement appelées utilities, de disposer de plus grandes marges de manœuvre financières pour conquérir les marchés en développement où la demande d’énergie croît fortement.

En second lieu, toujours selon EDF, le mode de fixation des tarifs réglementés de vente est défavorable aux fournisseurs d’électricité.

Jusqu’au 31 décembre 2015, ceux-ci demeureront « intégrés ». Aux termes de la loi du 10 février 2000 sur le service public de l’électricité, ils sont construits par l’addition des coûts de production d’EDF, appelés « part énergie », et des coûts d’acheminement, c'est-à-dire le TURPE, mais l’arrêté tarifaire ne fixe que le niveau du tarif global.

Le TURPE étant fixé par l’autorité de régulation28, indépendante, la « part énergie » constitue alors la variable d’ajustement du tarif. Si le tarif réglementé est fixé en deçà du coût total supporté par le distributeur et le fournisseur, celui-ci verra ses marges diminuer.

EDF considère justement que les marges de son activité de production sont menacées par une augmentation de la part acheminement. Lorsque les membres de la mission ont demandé aux représentants d’EDF s’ils accepteraient que les investissements d’ERDF soient soumis à l’approbation de la CRE, ils ont déclaré qu’ils y étaient prêts, pour autant que les tarifs intégrés révèlent effectivement l’addition des coûts d’acheminement et des coûts de l’énergie.

En tant qu’entreprise verticalement intégrée, EDF dispose d’une solution alternative : compresser le niveau du tarif d’acheminement de façon à rétablir les marges de son activité de fourniture d’électricité. Cela passe par une diminution de l’enveloppe financière accordée à ERDF : si le niveau des investissements diminue, l’augmentation de la valeur de la BAR sera contenue, ce qui diminuera les charges de capital couvertes par le TURPE lors des prochaines périodes tarifaires.

En conclusion, EDF avance deux explications à son refus d’accorder des moyens importants à sa filiale. Celle-ci ne peut donc investir à hauteur de ce qu’il serait nécessaire, compte tenu de l’état des réseaux. L’usager moyen n’est pas lésé : il profite d’une politique de modération de sa facture d’électricité globale sans que la qualité de l’électricité dont il dispose soit altérée de façon sensible. Mais la situation est particulièrement inacceptable pour l’usager qui subit des coupures à répétition.

La mission considère que les explications avancées par EDF ne sont pas recevables. D’une part, le niveau du tarif intégré est suffisant pour financer les investissements dans le réseau sans diminuer la marge de l’activité de production d’EDF. D’autre part, les investissements dans le réseau ne doivent pas être guidés par une logique de rentabilité. Si tel était le cas, l’usager des zones rurales serait inévitablement condamné à subir des coupures d’électricité répétées.

C. — NI LE « DISPOSITIF QUALITÉ », NI LA RÉGULATION INCITATIVE N’INTRODUISENT DE SANCTIONS SIGNIFICATIVES EN CAS DE DÉGRADATION DE LA QUALITÉ

En réponse à la stratégie de l’actionnaire EDF, une façon de s’assurer que le distributeur consacre des efforts suffisants au réseau serait de mettre en place des sanctions en cas de dégradation constatée de la qualité. De telles sanctions ont été introduites en droit français, mais elles ne participent en rien à la résorption de la « fracture électrique ».

1. Un « dispositif qualité » inutile

En inscrivant le maintien de la qualité de l’alimentation comme l’une des missions du distributeur, le législateur comptait contraindre celui-ci à investir un montant suffisant dans les réseaux. Toutefois, ces nouvelles dispositions ont été en grande partie privées de leur caractère contraignant par les textes d’application.

Malgré les évolutions consécutives au rapport Aussourd, il apparaît que les seuils fixés en matière de continuité de l’alimentation ne sont pas correctement calibrés. Selon la CRE, « les méthodes d’évaluation de la continuité d’alimentation restent inchangées et continuent d’exclure des mesures contraignantes une fraction des utilisateurs du département : pour 5 % d’entre eux, le projet d’arrêté permet toujours que les valeurs limites de coupures longues ou brèves ne soient pas respectées. Cette disposition risque de concerner chaque année les mêmes utilisateurs. Afin de garantir la protection de tous les utilisateurs contre un niveau de qualité trop faible, une mesure efficace serait de contraindre le gestionnaire de réseaux, sur chaque maille de contrôle, à améliorer la qualité pour les clients les plus mal servis. Ainsi, une part des investissements sur les réseaux serait directement orientée vers l’amélioration des parties des réseaux publics d’électricité les plus affectées par des défauts » (29). La FNCCR, dans sa contribution additionnelle au rapport Aussourd, considère également que les seuils fixés ne sont pas assez stricts, car ils correspondent déjà au niveau de qualité rencontré sur le réseau de distribution.

En outre, l’adoption des préconisations présentées par ERDF ne va pas dans le bon sens : suite à la mission d’évaluation, le pourcentage maximum de clients « mal alimentés » s’agissant de la tenue de tension, qui était de 5 %, a été porté à 3 % – la proposition d’ERDF était de 3,5 % –, alors que les seuils définis pour la continuité de l’alimentation n’ont pas été abaissés. Le gestionnaire du réseau redoutait que des critères de continuité plus contraignants n’accroissent le poids relatif de la continuité d’alimentation au détriment de la tenue de la tension. Surtout, selon ERDF, il ne faudrait pas priver le « décret qualité » de son utilité : avec un durcissement des critères de continuité, la majorité des départements dépasseraient au moins une fois le seuil, ce qui nécessiterait de mettre en œuvre des plans d’amélioration sur la quasi-totalité de la zone de desserte d’ERDF. « A ressources apportées par le tarif données, le dispositif n’entraînerait pas de réallocation des ressources et donc de réduction des disparités entre les territoires ».

Le dispositif réglementaire de la qualité révèle en fait un arbitrage clair en faveur de l’usager moyen. Selon le site Internet de la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), « le dispositif réglementaire concernant la qualité « minimale » de l’électricité a été conçu pour améliorer progressivement les réseaux de distribution dans les zones où ces réseaux sont relativement les plus faibles, tout en veillant à ce que les investissements ainsi orientés plutôt vers les zones rurales ne se traduisent pas par une détérioration de la qualité déjà atteinte dans les zones plus urbanisées ». Par conséquent, les seuils ont été fixés de façon à ne pas modifier l’équilibre actuel des décisions en matière d’investissements. Alors qu’il existe un nombre significatif de concessions dans lesquelles le gestionnaire du réseau de distribution ne répond pas à ses obligations contractuelles, il n’en existe aucune dans laquelle le « dispositif qualité » ne soit pas respecté.

Enfin, lorsque le GRD ne remplit pas ses obligations, l’article 21-1 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité dispose que l’autorité concédante peut contraindre celui-ci à lui remettre une somme qui sera restituée lors du rétablissement du niveau de qualité :

« III.- Lorsque le niveau de qualité n'est pas atteint en matière d'interruptions d'alimentation imputables aux réseaux publics de distribution, l'autorité organisatrice peut obliger le gestionnaire du réseau public de distribution concerné à remettre entre les mains d'un comptable public une somme qui sera restituée après constat du rétablissement du niveau de qualité.

Un décret en Conseil d'État définit les modalités d'application du présent article, notamment les principes généraux de calcul de la somme concernée visée au présent III, qui tiennent compte de la nature et de l'importance du non-respect de la qualité constaté. »

Le décret précisant les modalités de calcul de la somme en question n’a pas été publié, ce qui prive le décret du 24 décembre 2007 de sa valeur normative.

Aucun contentieux n’a été introduit par les collectivités concédantes jusqu’à présent, mais le risque existe : elles pourraient très bien invoquer devant le juge administratif le non respect des obligations contractuelles par le concessionnaire. Les membres de la mission considèrent qu’il faut à tout prix éviter que le contentieux devienne un mode de résolution des conflits, ce qui passe par un « dispositif qualité » contraignant.

En conclusion, au vu des seuils fixés par le dernier arrêté, le « dispositif qualité » est inutile. Les conséquences sont importantes : en l’absence de sanctions financières ou de moyens de contraintes, rien n’oblige le gestionnaire du réseau à consacrer des moyens importants pour les concessions les plus défavorisées. La maison mère ne fixera donc pas pour objectif à ERDF de réduire les inégalités en matière de qualité ; bien au contraire, la persistance de telles inégalités représentera des économies substantielles pour le groupe EDF, ce qui explique la propension de l’actionnaire à réclamer à sa filiale une baisse de ses investissements.

2. Une régulation incitative qui ne prend pas en compte la situation des extrêmes

La régulation incitative, présentée comme l’un des moyens d’améliorer le service apporté à l’usager, n’apporte pas la solution à ce problème. Ses défenseurs considèrent qu’en limitant les montants en jeu, le mécanisme actuel ne permet pas d’apporter la preuve de l’efficacité du dispositif. Le montant des incitations au titre de la qualité de service pour la période allant du 1er août 2009 au 30 juin 2010 s’est ainsi élevé à 125 000 euros, la valeur absolue de l’incitation annuelle en matière de qualité de l’électricité étant de toute façon plafonnée à cinquante millions d’euros.

Mais, au-delà de l’enjeu du calibrage du dispositif, la mission considère que la régulation incitative présente des inconvénients de fond et n’est donc pas favorable à son approfondissement. Tant que le versement de pénalités ou de primes sera conditionné à la réalisation d’objectifs mesurés par le « critère B », le gestionnaire de réseaux orientera ses investissements en priorité vers les lignes en moyenne tension, au détriment des lignes en basse tension. Ceci aura donc pour conséquence d’accroître la qualité pour le client moyen, mais ne résoudra en rien la situation des « points noirs » du réseau. La poursuite de la régulation incitative de la qualité, si elle advient, devra, a minima, se traduire par le choix d’un indicateur alternatif ou complémentaire prenant en compte la situation des usagers les plus défavorisés.

En conclusion, le TURPE est un nouveau cadre de régulation fondé sur l’incitation ; mais il se révèle insuffisant lorsqu’il s’agit de contraindre l’actionnaire du distributeur à accorder des moyens à celui-ci pour investir, notamment dans les zones les plus touchées par les coupures. Le « décret qualité » aurait pu remédier à ces insuffisances en posant des objectifs ambitieux de qualité adossés à des sanctions financières importantes ; mais les seuils fixés par l’arrêté d’application le rendent inutile.

Dans de telles conditions, le gestionnaire du réseau ne pourra donc pas remplir ses missions, qui sont nombreuses : restaurer la qualité en zone rurale, tout en maintenant celle des zones urbaines, investir dans le renouvellement des portions vétustes des réseaux tout en développant leur intelligence, procéder aux branchements et aux renforcements nécessaires à l’intégration des énergies renouvelables tout en raccordant les habitants de nouvelles zones pavillonnaires.

La mission est favorable à la mise en place de mécanismes qui contraindraient EDF à accorder à sa filiale, ERDF, les moyens financiers suffisants pour investir dans les réseaux de distribution. Un rétablissement pérenne de la qualité ne pourra pas s’opérer tant que le distributeur fonctionnera avec des moyens si contraints.

SIX PROPOSITIONS POUR DONNER UN AVENIR AU RÉSEAU DE DISTRIBUTION

Proposition n° 1 : Introduire un nouvel indicateur pour mesurer la « fracture électrique »

La mesure des disparités géographiques en matière de qualité d’alimentation de l’électricité est le parent pauvre de la statistique électrique française. L’ensemble du discours sur la fiabilité des réseaux de distribution est construit sur la base du critère B ; or, celui-ci ne représente que la situation de l’usager moyen. La mission est donc favorable à l’introduction d’un critère supplémentaire : l’écart-type de la durée moyenne annuelle de coupure.

Cette proposition est conforme aux préconisations de la CRE, qui souhaiterait réhabiliter le « critère G », indicateur destiné à mesurer l’alimentation des usagers les moins bien desservis. Utilisé dans les années 1980 pour guider l’investissement en faveur de la qualité, cet indicateur était construit par agrégation de différents critères de qualité, entre autres le nombre annuel d’utilisateurs en BT subissant plus de 6 coupures, le nombre annuel d’utilisateurs en BT subissant plus de 3 heures de coupure sur incident en moyenne tension, l’écart entre la durée annuelle moyenne d’interruption pour travaux et l’objectif déterminé pour 1995.

L’introduction d’un tel indicateur est d’autant plus nécessaire que le critère B possède désormais une consistance juridique, à travers le dispositif de régulation incitative de la qualité instauré par la CRE. Il importe donc de faire évoluer ce cadre défavorable aux utilisateurs qui subissent la dégradation de la qualité de l’électricité la plus importante.

Proposition n° 2 : Renforcer le « dispositif qualité »

La mission a constaté l’insuffisance des mécanismes mis en place pour contraindre EDF à accorder à sa filiale, ERDF, les moyens financiers suffisants pour investir dans les réseaux de distribution.

Trois solutions ont été examinées :

1. La première consiste à soumettre le programme d’investissement du gestionnaire du réseau de distribution à l’approbation du régulateur. Le régime en vigueur pour le réseau de transport serait ainsi étendu au cas de la distribution.

Une telle mesure aurait un avantage indéniable : les investissements destinés au rétablissement de la qualité ne seraient plus la variable d’ajustement sur laquelle la maison mère jouerait pour faire remonter du dividende.

En revanche, soumettre le programme d’investissements à l’approbation de la CRE confèrerait à celle-ci un pouvoir important ; or, ce qui est possible dans le cas du réseau de transport, qui est la propriété de RTE, ne l’est pas dans le cas d’ERDF, qui gère les réseaux appartenant aux collectivités territoriales. Il faudrait donc associer celles-ci au processus d’approbation mené par la CRE.

2. La deuxième vise à approfondir le dispositif de régulation incitative introduit par la CRE dans le TURPE.

Une telle solution présenterait deux inconvénients. D’une part, la CRE se fonde pour l’instant sur le « critère B » pour définir les objectifs à atteindre par le gestionnaire du réseau. Celui-ci n’est donc pas incité à améliorer la situation des extrêmes, dont nous avons vu qu’elle posait le plus de problèmes. D’autre part, un pouvoir important serait, là encore, transféré à la CRE, sans que les collectivités territoriales puissent être associées à l’élaboration du dispositif.

3. C’est pourquoi la mission est favorable à une troisième option : le renforcement du « dispositif qualité ».

Une telle mesure donnerait aux collectivités territoriales un moyen d’action réel envers le gestionnaire du réseau si celui-ci ne remplissait pas ses obligations en matière de qualité.

L’évolution du « dispositif qualité » passe par :

– un rehaussement des seuils définis par l’arrêté d’application du 18 février 2010, de façon à les rendre plus contraignant ; ainsi, le dispositif réglementaire ne se contentera pas de garantir un niveau de qualité « plancher », obligera le gestionnaire du réseau de distribution à s’inscrire dans une perspective d’amélioration de la qualité ;

– la publication du décret prévu par le III de l’article 21-1 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, permettant aux collectivités concédantes d’obliger le concessionnaire à remettre entre les mains d'un comptable public une somme qui sera restituée après constat du rétablissement du niveau de qualité.

La mission réitère son souhait de mettre en œuvre un mécanisme qui contraigne le gestionnaire du réseau à se préoccuper du service de chacun des usagers.

Proposition n° 3 : Achever la départementalisation du service public de la distribution d’électricité

L’achèvement de la départementalisation doit prendre deux directions.

En premier lieu, le mouvement de départementalisation des autorités concédantes bénéficie à l’ensemble des acteurs du système de distribution d’électricité. Le dialogue entre les élus et le gestionnaire du réseau de distribution s’en trouve renforcé. De plus, dans le cadre d’un réseau interconnecté, la gestion du réseau ne peut se faire commune par commune. La réalisation des travaux et l’attribution des fonds du FACÉ doivent donc s’inscrire dans une logique départementale, qui correspond davantage à la réalité technique du réseau.

C’est pourquoi la mission est favorable à l’approfondissement du mécanisme de bonifications et de pénalités financières mis en place par le Conseil du FACÉ. L’année 2010 s’est déjà révélée fructueuse : l’annonce des futures pénalités a eu pour effet la disparition de trois cents maîtres d’ouvrages sur un total de plus de huit cent.

Le dispositif de bonus-malus mis en place par le FACÉ pour favoriser la départementalisation

Le Conseil du FACé du 1er décembre 2009 avait acté le principe d’un dispositif de bonus-malus à appliquer aux dotations accordées à chaque département. Pour 2011, le Conseil du FACé propose la mise en place du système de pénalités suivant :

 pénalité de 10 % pour les départements qui, en dépit de leurs efforts ou en raison d’une volonté affichée de ne pas se regrouper, ont un taux de regroupement inférieur à 75 % des maîtres d’ouvrage dans un même EPCI. Quatorze départements sont dans ce cas à fin octobre 2010 ;

 pénalité de 5 % pour les départements qui ont amorcé leur regroupement au cours de l’année 2010 ou auparavant mais qui, malgré leurs efforts, ont un taux de regroupement compris entre 75 % et 90 %. Trois départements sont dans ce cas à fin octobre 2010 ;

 pas de pénalités pour les départements qui sont parvenus à un taux de regroupement supérieur ou égal à 90 %. Leur situation sera examinée au cours de l’année 2011.

En second lieu, les « conférences départementales » prévues par la loi NOME doivent permettre aux collectivités concédantes d’exercer plus aisément leur pouvoir de contrôle sur le concessionnaire.

Les conférences départementales prévues par l’article 21 de la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (loi NOME), modifiant l’article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales sont des instances de concertation au niveau local en matière d’investissement dans les réseaux de distribution, visant à remédier au « manque de communication et de transparence des gestionnaires vis-à-vis des autorités concédantes ». Elles représentent un premier pas en matière de réforme de la programmation des investissements dans le réseau de distribution.

La procédure mise en place se déroulera ainsi :

– première phase : établissement d’un programme prévisionnel d’investissement dans le cadre d’une conférence départementale sous l’égide du préfet de département ;

– deuxième phase : transmission par les distributeurs du compte rendu de la politique d’investissement réalisée ;

– troisième phase : établissement d’un bilan de la mise en œuvre du programme prévisionnel par les autorités concédantes ;

Par ces dispositions, le législateur reconnaît aux autorités organisatrices de la distribution d’électricité les mêmes droits que ceux octroyés par la loi aux autorités organisatrices des services publics d’eau et d’assainissement en termes d’information, par le délégataire, sur la programmation des investissements incombant à ce dernier.

Il conviendra de veiller à la stricte mise en œuvre de ces dispositions dans un délai réduit. De plus, elles devront s’entendre dans un sens extensif : le distributeur ne se contentera pas de transmettre un compte rendu, mais devra associer les autorités de distribution aux différentes décisions d’investissement en amont. La concertation sera l’occasion pour chaque autorité concédante de faire valoir ses priorités en matière de politique énergétique locale.

Enfin, le concessionnaire devra transmettre les données relatives à l’état patrimonial de la concession qu’il exploite. A ce titre, l’avenant n° 6 au contrat de concession d’électricité de la Ville de Paris contient une stipulation intéressante : il oblige ERDF à transmettre à la Ville de Paris une extraction annuelle de sa base d’application comptable centralisée de valorisation du patrimoine, IRIS.

Proposition n° 4 : Faire du Conseil du FACÉ une instance de discussion nationale des investissements sur le réseau

A la différence du réseau de transport d’électricité, le réseau de distribution est la propriété des collectivités concédantes ; celles-ci ont toujours été associées de façon étroite à sa gestion. Aussi, le régulateur ne peut être le seul interlocuteur du distributeur au niveau national lors de la négociation du programme d’investissements de celui-ci. La participation des collectivités concédantes est indispensable, compte tenu du caractère local du service public de la distribution d’électricité.

C’est pourquoi la mission préconise que l’élaboration du TURPE soit précédée de l’adoption d’une stratégie dite « stratégie nationale pour le réseau de distribution ». Le Conseil du FACÉ, qui rassemble toutes les parties prenantes au système de la distribution, constitue une structure particulièrement adaptée, pour autant qu’il représente équitablement les collectivités territoriales. Les élus constituent en effet les garants de l’intérêt de l’usager.

Il pourra par ailleurs bénéficier de la remontée des conclusions des « conférences départementales » prévues par la loi NOME.

La stratégie nationale pour les réseaux de distribution, établie pour la durée de la période tarifaire, définirait :

–  l’objectif de qualité à atteindre à la fin de la période tarifaire, exprimé à l’aide du critère B et du critère alternatif mesurant les inégalités d’alimentation entre les usagers, ;

– les programmes de sécurisation à mettre en œuvre prioritairement pour atteindre un tel niveau de qualité ;

– les modalités d’intégration des énergies renouvelables, le développement des réseaux intelligents ou de tout autre facteur d’évolution du réseau de distribution.

De cette stratégie commune se déduirait mécaniquement l’enveloppe globale consacrée aux investissements sur le réseau. Elle devrait être prise en compte par la CRE, qui dispose de la compétence de fixation du TURPE.

Proposition n° 5 : Introduire un mécanisme d’affectation des taxes locales sur la fourniture d’électricité

La mission souhaite préserver les moyens financiers à dispositions des collectivités concédantes pour investir sur leur réseau. A ce titre, elle exprime son attachement le plus fort au FACÉ, dont les programmes financent une part importante des travaux sur le réseau. Elle propose également l’introduction d’un mécanisme d’affectation des taxes locales sur la fourniture d’électricité aux travaux d’électrification.

Dans le droit en vigueur, seule une partie des recettes fiscales prélevées est effectivement utilisée pour les travaux d’électrification. Dans un contexte de hausse généralisée des prix de l’énergie, les contributions acquittées par le consommateur d’électricité devraient être affectées au financement des réseaux. Ainsi, à facture constante, les ressources disponibles seraient plus importantes.

De plus, en période de restrictions budgétaires, un nombre croissant de départements cesse de reverser une partie de ces taxes aux syndicats d’électrification, qui voient leurs ressources diminuer subitement. Une telle affectation serait de nature à limiter ce risque qui pèse sur leurs ressources.

Toutefois, compte tenu du contexte budgétaire contraint des collectivités territoriales, le mécanisme d’affectation ne concernera que la moitié des recettes fiscales générées par les taxes locales sur la fourniture d’électricité. D’autre part, la notion de « travaux d’électrification » devra être entendue de façon extensive : les actions de maîtrise de la demande d’énergie, comme par exemple la rénovation thermique des bâtiments, pourraient être éligibles à un tel financement.

Proposition n° 6 : Lancer une réflexion sur la couverture tarifaire des charges de capital afin de favoriser l’endettement du gestionnaire du réseau

L’endettement d’ERDF est une solution qui doit être envisagée s’agissant d’investissements de longue durée. Il permettrait de financer des travaux sur le réseau, dont la nécessité se fait sentir immédiatement, tout en lissant les hausses de tarif sur les années futures.

Pourtant, la maison mère, EDF, ne veut pas qu’ERDF recoure à l’emprunt car elle considère que la couverture des charges de capital par le TURPE n’est pas suffisante.

La mission appelle donc l’attention du régulateur sur la possibilité de faire évoluer le mode de calcul du TURPE. Celui-ci pourrait offrir davantage de sécurité et de visibilité aux gestionnaires des réseaux de transport et de distribution sur la rentabilité de leurs investissements.

*

* *

L’équilibre historique sur lequel a été construit la distribution publique de l’électricité repose sur le maintien conjoint de la péréquation nationale, dont les autorités européennes nous ont indiqué qu’elle n’était pas menacée, et du régime des concessions. Au terme de ses travaux, la mission souhaite réaffirmer le rôle central des collectivités locales, qui ont reçu, par la loi du 15 juin 1906, toujours en vigueur, la propriété du réseau de distribution. Pour qu’elles continuent d’apporter une contribution importante au réseau, il est essentiel de préserver les ressources dont elles disposent.

Cette mission a également mis en valeur la complexité des mécanismes de financement au sein du groupe EDF. Si la gestion du réseau de transport d’électricité ne reçoit aucune critique, les relations financières entre EDF et ERDF sont à clarifier. Il apparaît que la nouvelle direction d’ERDF, qui a accentué le redressement des efforts en faveur du renouvellement du réseau, se heurte à l’insuffisance des moyens dont elle dispose pour investir.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 5 avril 2011 la commission des affaires économiques a examiné le rapport d’information de M. Jean Proriol sur la sécurité et le financement des réseaux de distribution d’électricité.

M. Serge Poignant, président. Mes chers collègues, nous voici réunis pour procéder à l’examen du rapport d’information sur la sécurité et le financement des réseaux de distribution d’électricité et de gaz.

Cette mission a été lancée par mon prédécesseur, M. Patrick Ollier en mai dernier. Elle répondait aux demandes émanant de nos collègues, qui constataient avec inquiétude l’augmentation des plaintes de nos concitoyens relatives au nombre de coupures d’électricité. Outre le président, M. Jean Gaubert, et le rapporteur, M. Jean Proriol, neuf commissaires composent ainsi la mission : MM. Claude Gatignol, Jean-Pierre Nicolas, Francis Saint-Léger et Jean-Claude Lenoir pour le groupe UMP, Mmes Frédérique Massat et Pascale Got ainsi que M. François Brottes pour le groupe socialiste, M. Daniel Paul pour le groupe GDR et M. Dionis du séjour pour le groupe Nouveau centre.

Arrivée au terme de ses travaux, la mission aura certainement dressé un diagnostic de l’état du réseau de distribution français : la dégradation de la qualité de l’électricité constatée par les usagers est-elle bien réelle ? Si tel était le cas, quelles sont les solutions que vous avez envisagées pour remédier à la situation ?

M. Jean Gaubert, président. Nous avons commencé à travailler sur ce sujet depuis plusieurs mois déjà. Tous les membres de la mission n’ont pas pu être présents à toutes les auditions, qui furent nombreuses. La plupart étaient là lorsqu’ils le pouvaient, mais je dois dire qu’un petit noyau de « fidèles » s’est dégagé : M. le rapporteur, évidemment, mais aussi Mme Frédérique Massat, M. François Brottes, M. Daniel Paul, ou encore M. Jean-Pierre Nicolas.

Nous avons assez rapidement écarté du champ de la mission les réseaux de distribution de gaz, car ils relèvent de problématiques différentes. Lorsque l’on parle de sécurité des réseaux de gaz, on entend la sécurité des « biens et des personnes », et non celle des réseaux en eux-mêmes. En outre, la question qui nous a préoccupés, la qualité de la desserte de l’ensemble du territoire, ne se pose justement pas dans le cas des réseaux gaziers, pour lesquels il n’existe pas d’obligation légale de desserte de tous les citoyens, contrairement au cas des réseaux d’électricité.

La sécurité des réseaux d’électricité fait référence à la continuité et à la qualité de l’électricité distribuée. Nous avons tous en mémoire les grands épisodes que nous avons connus au cours des dix dernières années : les tempêtes Lothar et Martin de 1999, Klaus et Quentin de 2009, Xynthia en 2010, ou encore les épisodes de neige collante. Pour la petite histoire, la mission devait se rendre dans les Côtes-d’Armor en décembre pour étudier les problèmes liés aux « fils nus », mais le déplacement a dû être annulé en raison d’importantes chutes de neige. Cela montre bien qu’il n’y a pas qu’en montagne que l’on connaît des épisodes de neige collante… La plupart de ces aléas climatiques sont classés dans la catégorie des « événements exceptionnels » ; le rapport analyse cette notion et montre qu’il existe un débat entre le gestionnaire du réseau, ERDF (Électricité réseau de distribution France), et le régulateur, la Commission de régulation de l’énergie (CRE), sur leur définition. Confrontés à la fréquence croissante des épisodes venteux, on ne peut plus considérer qu’ils sont de nature exceptionnelle, car cela inciterait à ne pas mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour que le réseau puisse y résister.

Nous constatons une dégradation indéniable de la sécurité des réseaux, qui dure maintenant depuis une décennie. Le temps de coupure moyen, que l’on appelle le « critère B », a baissé durant la décennie 1990, puis a augmenté depuis le début des années 2000. C’est un constat qui est partagé par tous les interlocuteurs que nous avons rencontrés. Une telle dégradation est corrélée à la diminution des investissements du gestionnaire du réseau. Plus précisément, l’augmentation du temps de coupure s’explique par une baisse des investissements dont on peut dater le début en 1993 ; les effets de celle-ci ne se sont fait sentir que quelques années plus tard. Le temps de coupure moyen actuel est environ le même que celui du début des années 1990 : ce qui a été gagné dans une décennie a été perdu dans l’autre.

Mais il y a pire. Le temps de coupure moyen cache beaucoup d’inégalités, ce que ce rapport s’attache à montrer. Il existe une ligne de clivage qui oppose, schématiquement, d’un côté la région parisienne et les grandes agglomérations, qui bénéficient d’un temps de coupure bas, de l’autre, les départements de montagne, mais aussi ceux du Centre de la France, qui subissent des temps de coupure élevés. À l’intérieur de ces départements, les zones urbaines ne sont pas trop concernées : ce sont surtout les zones rurales, qui peuvent compter des interruptions de courant allant jusqu’à plusieurs jours. De telles inégalités territoriales sont encore trop méconnues. C’est pourquoi nous proposons d’introduire un indicateur qui permette de mesurer les écarts à la moyenne. Je rappelle qu’il est plus facile et moins coûteux d’agir en faveur ceux qui sont déjà bien servis, parce qu’ils sont plus nombreux.

Revenons au sujet des investissements : alors qu’ils s’élevaient à 3,2 milliards d’euros en 1992, ils n’étaient plus que de 1,6 milliard en 2004. Ces chiffres sont éloquents… Cela montre d’ailleurs que la responsabilité de la dégradation de la qualité de l’électricité n’incombe pas aux opérateurs de terrain, qui ont travaillé avec les moyens dont ils disposaient. D’autres choix ont été faits à l’époque, qui favorisaient plutôt le développement à l’international que le réseau de distribution. S’ajoute un recul des dépenses d’entretien, en particulier d’élagage. Lors d’une tempête, ce ne sont pas les fils qui se décrochent des poteaux, mais les arbres qui tombent sur les fils. Il faut reconnaître que cela arrangeait à la fois ceux qui ne voulaient plus que l’on touche à leurs arbres et EDF, qui voyait ses charges se réduire.

Je voudrais également signaler les conséquences lourdes de certains choix techniques en matière d’investissements. Il s’agit d’une part du monophasé en bout de réseau, privilégié par EDF : on ne se sert que d’un fil sur les trois ; quand le fil unique est saturé, on est alors obligé de tirer un nouveau câble, tout ça pour n’utiliser, une fois de plus, qu’un seul fil. Les impacts financiers de tels choix sont très élevés et l’on doit s’en alarmer. Le triphasé ne représente pas une charge beaucoup plus importante pour le consommateur ; y recourir systématiquement engendrerait des économies d’argent public considérable. D’autre part, la généralisation des pompes à chaleur, d’ailleurs souvent en monophasé, a l’avantage d’entraîner une diminution de la consommation d’énergies fossiles, et l’inconvénient d’accroître la consommation d’électricité. Surtout, le démarrage d’une pompe à chaleur requiert un fort appel de puissance, ce qui oblige à redimensionner les fils en conséquence. Pour illustrer le poids que cela représente pour la collectivité, je prendrai l’exemple du département des Côtes-d’Armor, que je connais bien : sur dix millions d’euros de crédits octroyés par le FACÉ (Fonds d’amortissement des charges d’électrification), deux millions, soit 20 % du total, ont été consacrés aux travaux nécessaires au démarrage des pompes à chaleur. On pourrait sans doute citer des chiffres comparables dans d’autres départements.

Venons-en au débat sur la responsabilité respective des collectivités locales et d’ERDF en matière d’investissements. Je ne voudrais pas entrer dans cette polémique, mais je rappellerai tout de même que, parallèlement à la baisse des investissements du gestionnaire du réseau, les collectivités concédantes ont doublé leurs propres investissements entre 2004 et 2010. Ceux-ci sont financés pour une part seulement par des prélèvements sur les recettes tarifaires d’ERDF, le reste provenant de ressources propres des collectivités locales, notamment les produits de la taxe locale sur la fourniture d’électricité. Au moins 420 millions d’euros, soit le montant des taxes prélevées directement par les syndicats d’électrification, sont affectés aux travaux sur le réseau.

Autre débat : où sont les problèmes ? ERDF considère qu’ils sont sur le réseau en moyenne tension (HTA), ce à quoi je répondrai que depuis vingt ans, déjà, la HTA est pointée du doigt. Que n’a-t-on investi avant ? La dégradation de l’état des réseaux HTA est indéniable, mais il ne faut pas oublier que le réseau en basse tension (BT), comporte encore cent mille kilomètres de fils nus, situés principalement dans l’Ouest de la France. De plus, les longs réseaux qui desservent les habitations isolées ou les exploitations agricoles ne doivent en aucun cas être négligés si l’on veut diminuer les inégalités en matière de qualité de l’électricité.

Dans un rapport récent, la CRE considère que la gouvernance est la clé du problème. Cette analyse me semble un peu exagérée, même si l’on constate effectivement que les relations entre les collectivités locales, propriétaires des réseaux, et le concessionnaire sont devenues plus difficiles depuis un certain temps. La déstructuration de l’organisation territoriale des services de la distribution d’électricité, du fait, sans doute, de la filialisation d’ERDF, et de nouvelles politiques de management, a également contribué à de telles difficultés. Certains agents se sentent découragés, même si l’on peut noter une amélioration récente sur ce point.

Enfin, je voudrais évoquer certains changements qui sont intervenus. En premier lieu, avec la filialisation d’ERDF au sein d’EDF, on peut désormais distinguer quels sont les investissements de chacune des branches du groupe. Auparavant, on ne pouvait savoir quels étaient les montants qui étaient engagés sur le réseau, et les programmes d’investissements annoncés étaient souvent bien loin de ce qui était réalisé. La filialisation, associée à l’introduction du mécanisme du TURPE (tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité), ont permis de clarifier les flux financiers. Pour autant, on n’a pas la certitude que la totalité des investissements prévus par le TURPE est dépensée. En particulier, sur les deux premières années du TURPE actuel, la trajectoire des investissements d’ERDF est inférieure à la trajectoire prévue par le TURPE : celle-ci était fixée à 2 588 M€ en 2009 et 2 732 M€ en 2010, alors que les investissements réalisés ne s’élevaient qu’à 2 313 M€ et 2 560 M€. La différence était donc de 275 M€ en 2009 et 172 M€ en 2010. ERDF ne peut donc pas se réfugier derrière l’argument selon lequel elle serait mal rémunérée, car la CRE, dans sa grande bonté, a accordé à ces investissements un taux de rémunération de 7,25 %.

En second lieu, la loi du 10 février 2000 dispose que le gestionnaire du réseau de distribution doit offrir une desserte d’une « qualité régulière ». Or, les textes d’application, qui ont péniblement été pris, admettent qu’il existe trois zones de qualité en France et que celles qui sont plus éloignées des centres urbains pourraient être plus mal traitées que les autres. Les pénalités sont de toute façon si peu coercitives que ces dispositions sont tout à fait inutiles. Je signalerai qu’à l’inverse, la Suède, où nous nous sommes rendus dans le cadre de la mission, a mis en place un système de sanctions bien plus coercitives qui semble fonctionner.

Je passe maintenant la parole à M. le rapporteur Jean Proriol, qui complétera mes propos.

M. Jean Proriol, rapporteur : Je ne reviendrai pas sur le diagnostic. Je rappellerai qu’il y a déjà eu dans ce domaine plusieurs rapports intéressants que je vous invite à lire, si ce n’est déjà fait. J’en citerai au moins trois, tout en relevant qu’ils sont globalement convergents. Tout d’abord, celui de Jean-Pierre Hauet, au titre de la FNCCR (Fédération nationale des collectivités concédantes et régies), établit un diagnostic de l’état des réseaux et présente une comparaison européenne fort intéressante. Ce rapport est sorti suite aux tempêtes de 1999 et du 24 février 2009. Le deuxième rapport a été rédigé par Gilles Bellec, ingénieur des Mines, mandaté par le ministère de l’Industrie. Cet ingénieur explique que la moyenne tension, que l’on appelle « HTA », est centrale en matière de qualité, car c’est sur cette portion du réseau que 80 % des coupures sont décomptées. Moins de 10 % de celles-ci sont provoquées par des défaillances sur le réseau en basse tension, la différence étant due au réseau de transport. Sur la moyenne tension, les coupures viennent principalement de sa partie aérienne, encore très importante, puisqu’elle est longue de 360 000 kilomètres. On voit donc bien sur quel segment du réseau nos efforts devront porter.

Le rôle des acteurs est un peu compliqué dans notre système français. Quatre acteurs principaux sont en jeu : la maison mère, EDF, sa filiale détenue à 100 %, ERDF qui est gestionnaire de la distribution, la Commission de régulation de l’énergie (CRE), l’autorité de régulation, et les collectivités territoriales, qui ont titre d’ « autorités organisatrices de la distribution ».

On constate immédiatement qu’une filiale qui dépend à 100 % d’une maison mère est forcément dans la dépendance, bon gré, mal gré. Cela est évident dans le choix des investissements. Par contre, les autorités concédantes, qu’il s’agisse de syndicats d’électrification ou de collectivités qui sont de grandes communes (par exemple, la Ville de Paris), ont plus de latitudes pour décider de leurs investissements puisqu’elles sont décentralisées, à la différence d’ERDF qui est centralisée au niveau national. Il y a donc deux niveaux d’intervention qui devraient coopérer davantage qu’ils ne le font actuellement. Le rapport Bellec indique que les autorités concédantes sont des acteurs très dynamiques sur le plan financier. Ses auteurs les accusent cependant de privilégier les investissements finançant la descente des 4 fils nus de nos bourgs et de nos villages dans les fourreaux des tranchées – autrement dit de construire des réseaux souterrains, non pas toujours pour des raisons de sécurité mais pour des raisons d’esthétique. Mais l’on ne voit pas pourquoi nos compatriotes ruraux pourraient supporter les toiles d’araignée que sont les fils qui traversent nos places publiques alors que dans le monde urbain, il y a bien longtemps que tout cela a été enterré. On peut se demander si un tel reproche est bon ou mauvais ; toujours est-il que c’est parce qu’on a enterré les réseaux dans nos collectivités que l’on souffre beaucoup moins des coupures sur la basse tension. On ne peut pas nous reprocher de l’avoir fait tout en refusant de reconnaître que l’on y a gagné, y compris en termes de sécurité, même s’il faut parfois freiner le souhait des habitants lorsque le jeu n’en vaut pas la chandelle. Dans ses conclusions, le rapport Bellec préconise, pour sécuriser le réseau de distribution électrique, d’enfouir le réseau en moyenne tension. Actuellement, c’est ERDF, et non les collectivités concédantes, qui est en charge de ce réseau et qui doit pouvoir conduire en ce domaine une stratégie d’investissements à long terme, sans pour autant sacrifier la basse tension à la haute tension.

Il y a quatre segments : la production, le transport, la distribution et la fourniture. Depuis quelques années, on peut s’adresser à ERDF, qui a le monopole de la distribution et qui doit garantir une bonne qualité de service, non seulement pour les clients finaux, mais également pour les fournisseurs, que ce soit EDF ou des sociétés privées.

Enfin, le troisième rapport est celui de la CRE qui constate au cours des dernières années une augmentation de la durée moyenne de coupure, dont les autorités concédantes se sont souvent inquiétées. Elle conclut en disant que les investissements dans les réseaux sont nécessaires et qu’il faut privilégier les réseaux de haute tension, renouveler ou remplacer les réseaux aériens ou à fils nus, tout en résorbant les points noirs qui sont le plus souvent situés au niveau des derniers mètres de réseau aboutissant dans nos hameaux. La CRE préconise donc un dialogue renouvelé entre le gestionnaire des réseaux (ERDF) et les autorités concédantes.

Venons-en à présent à nos propositions.

Nous partons du constat que le « critère B », l’indicateur utilisé pour mesurer le nombre de coupures ne nous paraît pas toujours assez significatif. Il correspond au temps de coupure moyen toutes causes confondues (TCC) : jusqu’à l’an 2000, il a baissé, puis il s’est mis à augmenter et a désormais atteint une certaine stabilité. Nous pensons qu’il faut aussi mesurer la situation des « extrêmes » pour résoudre les problèmes auxquels ils font face : la mesure des disparités géographiques en matière de qualité de l’alimentation en électricité est le parent pauvre de la statistique électrique française ! Nous pourrions nous inspirer, par exemple, de l’ancien « critère G », qui mesurait l’alimentation des usagers les moins bien desservis. Nous proposons un système permettant de mesurer de façon plus précise les écarts moyens là où il y a le plus de difficultés. Un tel indicateur est d’autant plus nécessaire que, désormais, le critère B acquis a une consistance juridique à travers le dispositif de régulation incitative de la qualité instauré par la CRE.

La proposition n° 2 vise à contraindre l’actionnaire EDF à accorder à sa filiale, ERDF, des moyens suffisants pour résorber les inégalités territoriales en matière de qualité de l’électricité. Il n’est pas normal que la trajectoire d’investissements d’ERDF soit systématiquement inférieure à celle du TURPE.

Trois solutions ont été examinées.

La première vise à soumettre le programme d’investissement du gestionnaire du réseau de distribution à l’approbation du régulateur, ce qui revient à étendre le régime en vigueur pour le réseau de transport au cas de la distribution. Cette solution présente un avantage : les investissements réalisés correspondraient effectivement à la trajectoire d’investissements prévue par le TURPE. Les montants consacrés au rétablissement de la qualité ne seraient plus une variable d’ajustement. Elle présente aussi un inconvénient : la mission a estimé que cette solution octroyait à la CRE un pouvoir trop important ; les collectivités territoriales doivent être associées aux décisions en matière d’investissement.

La seconde vise à approfondir le dispositif de « régulation incitative de la qualité » introduit par la CRE dans le TURPE. Cela présente deux inconvénients : d’abord, la CRE se fonde pour l’instant sur le seul « critère B » pour définir les objectifs à atteindre par le gestionnaire du réseau, ce qui n’incite pas celui-ci à améliorer la situation des points extrêmes ; en outre, là encore, cela transfère à la CRE un nouveau pouvoir, sans que les collectivités territoriales puissent être associées à l’élaboration du dispositif.

La mission est donc favorable à une troisième option : le renforcement du « dispositif qualité ». Une telle mesure donnerait aux collectivités territoriales un moyen d’action réel envers le gestionnaire du réseau si celui-ci ne remplissait pas ses obligations en matière de qualité. Cela passe par deux évolutions du cadre réglementaire. D’une part, un rehaussement des seuils fixés par l’arrêté d’application du 18 février 2010 : le dispositif réglementaire ne se contentera pas de garantir un niveau de qualité « plancher », mais contraindra le gestionnaire du réseau de distribution à s’inscrire dans une perspective d’amélioration de la qualité. D’autre part, la publication du décret prévu par le III de l’article 21-1 de la loi n°2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, permettant aux collectivités concédantes d’obliger le concessionnaire à remettre entre les mains d'un comptable public une somme qui sera restituée après constat du rétablissement du niveau de qualité.

Les propositions n° 3, 4 et 5 ont pour objet de conforter la place centrale des autorités concédantes dans le service public de la distribution de l’électricité.

La proposition n° 3 vise à achever la départementalisation, processus qui est déjà bien engagé. Le regroupement des collectivités concédantes profite à l’ensemble des parties prenantes car le niveau départemental est plus adapté que la maille concessive lorsqu’il s’agit de gérer le réseau de distribution. Deux moyens doivent être soutenus : le dispositif d’incitations financières mis en place par le FACÉ pour favoriser le regroupement des autorités concédantes ; la mise en œuvre des « conférences départementales » introduites par la loi NOME. Celles-ci permettront d’établir un dialogue réel entre les autorités concédantes et le gestionnaire du réseau, sous l’autorité du préfet. Elles devront également faciliter la communication d’informations entre les parties. Les collectivités concédantes manquent encore trop souvent de données sur l’état de leurs concessions.

La proposition n° 4 part du constat selon lequel les collectivités concédantes ne sont pas associées à la discussion tarifaire et à la programmation des investissements. Et on leur reproche ensuite de procéder à des investissements qui n’étaient pas prévus !

C’est pourquoi la mission préconise que le Conseil du FACÉ élabore un document de portée nationale, nommé « stratégie nationale pour le réseau de distribution », avant que ne soit fixé le TURPE.

Enfin, la proposition n° 5 vise à préserver les moyens financiers dont disposent les collectivités concédantes pour investir. Outre les programmes du FACÉ, qui se révèlent indispensables au maintien de l’état du réseau basse tension, les taxes locales sur la fourniture d’électricité doivent servir au financement des travaux d’électrification.

Le produit des taxes locales sur l’électricité s’est élevé à 1,7 milliard d’euros en 2009, dont seulement 420 millions d’euros prélevés directement par les syndicats d’électricité. La différence dépend du bon vouloir des communes ou des départements, qui peuvent ou non l’affecter au réseau.

La mission considère donc que, dans un contexte d’augmentation des prix de l’énergie, les contributions acquittées par le consommateur doivent aller aux réseaux. Nous proposons que la moitié, au moins, des taxes locales sur la fourniture d’électricité prélevées par les départements et les communes soit affectée à des travaux d’électrification.

Enfin, la proposition n° 6 soulève le problème de l’endettement du gestionnaire du réseau de distribution.

L’endettement peut constituer une solution intéressante pour financer des investissements de long terme.

Mais EDF refuse qu’ERDF s’endette, car le taux effectif de rémunération des investissements par le TURPE serait inférieur au taux de 7,25 % affiché par la CRE. Par ailleurs, ce taux de 7,25 % ne vaut que pour la période tarifaire courante, rien ne dit qu’il sera maintenu à ce niveau. Or, un plan d’investissements se met en œuvre sur une durée supérieure à quatre ans.

L’objet de cette proposition est d’attirer l’attention du régulateur sur ces questions. Le tarif doit offrir de la visibilité et de la sécurité aux investisseurs.

L’équilibre historique sur lequel a été construite la distribution publique de l’électricité repose sur le maintien conjoint de la péréquation nationale et du régime des concessions à la française. Les autorités européennes nous ont indiqué qu’il n’était pas menacé, et l’on ne peut que s’en réjouir. La mission souhaite réaffirmer le rôle central des collectivités locales, qui ont reçu, par la loi du 15 juin 1906, toujours en vigueur, la propriété du réseau de distribution. Pour qu’elles continuent d’apporter une contribution importante au réseau, il est essentiel de préserver les ressources dont elles disposent, c’est pourquoi nous sommes attachés au maintien des programmes du FACÉ.

Cette mission a également mis en valeur la complexité des mécanismes de financement au sein du groupe EDF. Si la gestion du réseau de transport d’électricité ne reçoit aucune critique, les relations financières entre EDF et ERDF sont à clarifier. Il apparaît que la nouvelle direction d’ERDF, qui a accentué le redressement des efforts en faveur du renouvellement du réseau, se heurte à l’insuffisance des moyens dont elle dispose pour investir.

M. Jean Gaubert, président. Enfin, je voudrais évoquer brièvement une question qui nous préoccupe tous : l’avenir du régime des concessions à la française. La France a une organisation particulière par rapport à d’autres pays européens, puisque les concessions sont départementales ou communales tandis que le concessionnaire est national. Ce n’est pas le cas de l’Italie, qui a une concession nationale et un concessionnaire national.

La péréquation ne pourra être maintenue que si le système des concessions perdure. Si celui-ci était modifié, les acteurs des concessions bénéficiaires engageraient des dépenses superflues de manière à ne pas payer de contribution au fonds de péréquation. Même les acteurs des concessions déficitaires seraient incités à faire des dépenses en comptant sur une compensation. La péréquation ne peut donc fonctionner que s’il y a un concessionnaire unique, ou quasi-unique comme c’est le cas actuellement puisque ERDF gère 95 % du réseau, sans quoi nous tomberions dans une logique inflationniste.

La Commission européenne lance une initiative sur les concessions. Nous avons rencontré le Commissaire européen au marché intérieur, M. Michel Barnier, pour savoir si le système français de concessions de distribution était concerné par ce projet de directive. Il nous a assurés que ça n’était pas le cas. En effet, les concessions de distribution ne seraient pas des concessions au sens du droit communautaire, car il n’y a pas de transfert de risque vers le concessionnaire, grâce à l’existence du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE).

En Suède, où nous nous sommes rendus dans le cadre de la mission, des pénalités très fortes existent et produisent un effet dissuasif certain. En matière de développement de réseaux intelligents, si l’on excepte l’obligation qui est faite de communiquer à chaque consommateur une facture mensuelle calculée à partir de sa consommation réelle et non à partir d’une estimation, la Suède n’est pas plus avancée que la France. Nous avons visité un quartier qui pourrait être équipé d’un réseau intelligent en 2020 mais nous n’avons pas eu d’explication claire sur le fonctionnement de ces réseaux.

M. le président Serge Poignant. Le compte rendu de la table ronde sur les réseaux intelligents que nous avons tenue le 9 mars dernier figure en annexe du document que vous avez remis.

Je vous remercie pour ce rapport, qui comprend des éléments extrêmement intéressants de comparaison, notamment sur les dividendes, sur les temps de coupure à Paris et dans d’autres régions. J’ai bien noté que la mission était favorable à la mise en place de mécanismes qui contraindraient EDF à accorder à sa filiale ERDF les moyens financiers suffisants pour investir dans les réseaux de distribution. En ce qui concerne la proposition n° 5, qui vise à introduire un mécanisme d’affectation des taxes locales sur la fourniture d’électricité, une mesure législative est-elle nécessaire ?

M. Jean Gaubert. Tout à fait, M. le président.

M. François Brottes. Je remercie le président et le rapporteur pour la qualité de leur travail, d’autant plus que j’ai été à l’origine, avec mon groupe, de la demande de constitution de la mission d’information. J’aurais souhaité pouvoir la présider mais j’avais trop d’engagements par ailleurs, je regrette également de ne pas avoir pu participer à la réunion au cours de laquelle la mission a adopté ses conclusions car nous avions en même temps une réunion de commission.

Je soutiens toutes les conclusions de la mission, sauf celle qui concerne la départementalisation. Il convient, comme le souligne le rapport, de clarifier la répartition des rôles entre EDF et ERDF. D’autre part, l’intervention de la CRE et l’existence du TURPE ne permettent pas de répondre à tous les défis en matière de réseaux. Un rapport non public de la CRE a fait état de difficultés. Vous avez évoqué la notion de trajectoire d’investissements, je pense que le rapport devrait être lu avec intérêt par les régulateurs.

M. le rapporteur a évoqué l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité, qui fragmenté celui-ci en quatre segments, et nous ne partageons sans doute pas le même avis sur cette question. Je constate en effet que les réseaux se sont dégradés de manière concomitante. Il faut d’autre part améliorer les relations entre les collectivités territoriales et ERDF, en renforçant les échanges, ainsi que la cohérence des actions, dans l’intérêt de la qualité du réseau et du service. Je ne suis pas favorable à la départementalisation mais à un réseau uni de transport et de distribution, ce qui existe dans d’autres pays européens. Trois problèmes se posent. Il s’agit tout d’abord de la distribution d’électricité, sujet bien traité dans le rapport, qui indique les failles et les points forts du système. Le deuxième problème concerne la péréquation, qui ne peut être que nationale, puisqu’il existe des départements riches et des départements pauvres. La départementalisation favoriserait la volonté d’indépendance des départements, et la tendance à prendre en charge l’ensemble des services liés à l’électricité, au-delà de la distribution. Il s’agit d’une dérive que je tiens à dénoncer. Enfin, le développement des énergies renouvelables, produites localement, induit une évolution de la structure du réseau. Désormais, l’électricité ne « descend » plus seulement de la centrale vers l’usager, mais remonte également sur le réseau. Cela implique une approche nationale.

En conclusion, ce rapport aborde des problèmes essentiels et j’espère qu’il ne restera pas lettre morte.

M. Alain Suguenot. Je tiens également à saluer la qualité du rapport. Au-delà des propositions sur la sécurisation du réseau et l’enfouissement, je pense que le rapport ne met pas assez l’accent sur les contradictions d’EDF, qui depuis des années appelle nos concitoyens à réduire leur consommation électrique, alors même que des campagnes publicitaires successives les invitent à recourir au chauffage électrique, qui est un élément de fragilisation du système. Comme le recommande le rapport, il est nécessaire de renforcer la sécurité du réseau, grâce à l’enfouissement et au renforcement des critères de qualité. Du fait de la structure arborescente de notre réseau, le maillage est insuffisamment résilient. Lorsqu’une ligne est défaillante, l’ensemble du réseau peut basculer. Pour supprimer un tel risque, il faudrait développer un type de réseau différent, dit  « maillé » ou « bouclé », mais cela suppose de lourds investissements. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un rapport technique, il conviendrait de dégager des pistes permettant de réduire la vulnérabilité du système. Je souscris aux propos du rapporteur concernant le financement et la nécessité d’une mesure législative afin de mettre fin à la situation actuelle, dans laquelle il n’est pas possible de recourir à l’emprunt en raison des règles qui régissent les relations entre EDF et ERDF. Enfin, je crains qu’il y ait une dichotomie entre la péréquation et la concession.

M. Daniel Paul. Il s’agit d’un rapport d’une grande qualité, qui reflète un travail approfondi d’investigation et d’analyse. De nombreuses études ont été publiées ces dernières années sur la problématique des réseaux. Il est frappant de constater que le recul des investissements dans les réseaux de distribution remonte à 1992, date à partir de laquelle a été lancée la libéralisation. C’est également à partir de cette date qu’a été fait le choix de réorienter les investissements, qui n’étaient déjà plus seulement dirigés vers la production, mais vers la croissance externe. Nous nous souvenons tous des « aventures sud américaines » de la fin des années 1990 et du début des années 2000. Nous avons par la suite précisé que la mission d’EDF devait concerner exclusivement la plateforme européenne mais cela a été remis en cause. EDF a recommencé à mener des opérations lourdes, notamment aux États-Unis, alors qu’elle était une entreprise 100 % publique et intégrée. Le rapport ne met peut-être pas assez cette problématique en évidence mais il est vrai qu’il ne s’agit pas précisément de l’objet de la mission.

Enfin, l’exemple de la Suède est éclairant car la situation de ce pays est similaire à la nôtre. Les producteurs ne sont pas incités à investir dans le transport, en raison des faibles rendements et des risques climatiques. La Suède a mis en place un système coercitif, avec des pénalités financières lourdes, afin que les entreprises privées réalisent des investissements, avec la possibilité d’une obligation d’enfouissement du réseau. L’association des propriétaires de maisons individuelles, qui compte tout de même 700 000 adhérents dans un pays de moins de dix millions d’habitants, nous a indiqué qu’en quelques années le prix de l’électricité avait été multiplié par trois, alors que rien ne le justifie au plan économique puisque l’électricité est exclusivement d’origine nucléaire et hydraulique. L’association nous a expliqué que ce sont l’ouverture à la concurrence d’une part et la création de la bourse nordique d’autre part qui expliquent cette flambée des prix. Notre diagnostic depuis plusieurs années est confirmé.

Je ne suis pas certain que les mesures proposées soient suffisantes, le risque étant d’aboutir à un engagement minimal des opérateurs, qui laisseraient les collectivités territoriales faire face aux dépenses supplémentaires nécessaires. Je voterai donc le rapport tout en y apportant une contribution soulignant cette interrogation.

M. Philippe Armand Martin. Je tiens à féliciter la mission pour son travail et pour son orientation en faveur du renforcement de la qualité de la distribution dans nos campagnes par le recours à l’enfouissement. Dans la mesure où l’État dispose des moyens pour imposer des obligations de qualité aux entreprises du secteur, comment peut-on veiller à ce que les clients résidentiels aussi bien que les entreprises disposent d’une électricité de qualité à un prix raisonnable et transparent ?

Mme Frédérique Massat. Je rejoins tout à fait les conclusions du rapporteur et du président de la mission. Il faut souligner le fait que le gestionnaire du réseau, ERDF, reconnaît la dégradation des réseaux mais qu’il met en avant le coût des investissements relatifs à l’intégration des énergies renouvelables, les réseaux intelligents et la voiture électrique pour justifier la nécessité d’opérer des choix, tout en écartant le recours à l’endettement pour de tels investissements jugés non rentables. J’ajoute que cette dégradation est également due à la stratégie d’ERDF consistant à vider les territoires des personnels compétents et à sous traiter le suivi des pannes à une entreprise privée parfois éloignée et sans connaissance des sites.

Force est de constater que l’ambiance n’est pas au beau fixe entre collectivités concédantes et gestionnaires de la distribution et il faut espérer que les conférences départementales créées par la loi NOME permettront d’améliorer les relations. J’espère toutefois que ces conférences, placées sous la responsabilité du préfet, n’auront pas pour effet de renforcer le poids d’ERDF au détriment des collectivités concernées. Je souhaite également appeler l’attention sur la situation du Fonds d’amortissement des charges d’électrification (FACÉ), qui est en danger alors qu’il s’agit d’un outil important pour l’électrification des zones rurales.

Je suis d’accord avec les propositions de la mission mais il aurait sans doute été utile, suivant l’exemple de la Suède, de prévoir des pénalités plus élevées à l’encontre du distributeur en cas d’indisponibilité. On a en effet pu constater que l’obligation d’indemniser les usagers en cas de coupures prolongées a eu pour conséquence de pousser les entreprises suédoises gestionnaires du réseau de distribution à moderniser celui-ci. Dans la mesure où le décret « qualité » a fait la preuve de son inutilité, il apparaît indispensable de se donner les moyens de contraindre ERDF à procéder à de tels investissements. Il est également nécessaire de renforcer les moyens de contrôles de la concession par la collectivité concédante afin de parvenir à la transparence en ce domaine.

M. William Dumas. En ma qualité de maire d’une commune appartenant à un syndicat départemental d’électrification, alors qu’existent par ailleurs beaucoup de syndicats primaires, je tiens à souligner que les conclusions du rapport vont assurément dans la bonne direction. Force est de constater que la situation était plus facile à gérer avec EDF qu’avec ERDF. La départementalisation va assurément permettre d’améliorer la situation dans des départements ruraux comme le mien où l’on trouve beaucoup de syndicats primaires, qui ne font pas le poids face au concessionnaire.

J’aurais toutefois souhaité un étalement des mesures dans le temps pour éviter les problèmes que pourraient générer les contraintes du FACÉ. Par ailleurs, je suis tout à fait d’accord avec l’obligation d’affecter les taxes locales d’électrification à la réalisation de telles opérations.

La départementalisation est souhaitable, je souhaite toutefois que la situation des syndicats primaires se résolve de manière moins brutale avec le FACÉ. Je souhaite également que la conférence départementale permette d’obtenir davantage d’informations de la part d’ERDF, qui bénéficie aujourd’hui d’une position de force.

Enfin, je constate une dégradation de la qualité de la fourniture d’électricité et je considère à ce titre que l’enfouissement est la meilleure solution.

M. Louis-Joseph Manscour. Tout en soulignant la qualité de ce rapport je ne peux que regretter l’absence de tout développement relatif à la situation en Outre-mer qui est pourtant beaucoup plus préoccupante qu’en métropole. La conjonction des difficultés techniques et de la grève des agents a ainsi récemment été à l’origine d’une rupture d’alimentation de plus de 20 000 foyers pendant douze heures.

D’une manière plus générale, la situation aux Antilles se caractérise par un déficit structurel puisque la capacité de production électrique installée est de l’ordre de 450 MW alors que la demande se situe à hauteur de 500 MGW, et augmente à un rythme de 5 % par an. Quelles solutions peut-on dès lors envisager pour contraindre EDF à remplir ses obligations à l’égard des usagers ?

M. Jean Proriol, rapporteur. S’agissant du climat des discussions avec les différentes parties prenantes, il est indéniable que les non-dits et les propos lénifiants n’ont pas manqué, mais cela n’est pas vraiment nouveau.

J’ai bien noté que le concept de départementalisation suscitait quelques réserves de la part de François Brottes. Il s’agit en réalité d’un transfert de compétences des autorités concédantes, les communes, à un syndicat départemental, et non au conseil général. Cette réforme peut se heurter à certaines réticences au plan local mais la question est en voie de règlement avec la mise en place de compensations financières.

Il est clair que le FACÉ est une façon de redistribuer du haut vers le bas, nous y sommes donc tout à fait favorables et il n’est nullement question de remettre en cause un instrument créé en 1936 par Paul Ramadier et qui a fait preuve de son utilité.

Pour répondre à Monsieur Paul, je précise que la hausse du coût de l’électricité en Suède n’est pas uniquement liée l’ouverture à la concurrence mais également à la baisse du coefficient de disponibilité de leurs centrales nucléaires, qui est tombé à 63 % en 2009.

Monsieur Suguenot met en valeur l’utilité d’un système maillé comme celui de l’Allemagne, plus fiable que le système français, qui est construit en arborescence, notamment en zone rurale. Sur le plan des principes, le maillage est sans doute supérieur mais il est aussi beaucoup plus coûteux.

Les smart grids pourraient permettre d’améliorer la qualité de service puisque le gestionnaire connaîtrait très précisément la localisation de la panne. ERDF développe d’ailleurs le concept de réseau « auto cicatrisant », par analogie avec le champ médical.

S’agissant du prix de l’électricité, notre mission n’a porté que sur la part acheminement de celui-ci, qui est un tarif régulé décidé par le Gouvernement sur proposition de la CRE.

Par ailleurs, la loi contraint en principe le distributeur à maintenir un bon niveau de qualité, mais les dispositions législatives ne sont pas toujours appliquées car les textes réglementaires sont insuffisants pour rendre cette contrainte effective.

Force est de constater, avec Madame Massat, la fin de l’organisation en districts, en subdivisions et en centres, au profit d’une régionalisation des services d’ERDF. Par ailleurs, ERDF demande à présent aux municipalités de déléguer un conseiller municipal référent qui interviendrait en cas d’incident sur le réseau. Toutefois, des progrès doivent être signalés : nous ne sommes plus aujourd’hui dans une logique de suppression systématique de postes selon une logique strictement comptable, partant du haut vers le bas. ERDF nous a indiqué procéder à des réorganisations de ses équipes en fonction des difficultés constatées sur le terrain.

Louis-Joseph Manscour a justement souligné que nous n’avions pas abordé la question de l’Outre-mer. Jean Gaubert et moi-même sommes tout à fait prêts à nous rendre dans les Antilles. Cela étant dit, nous avons bien noté qu’il convenait d’atteindre une puissance supérieure, mais cette question relève davantage, me semble-t-il, de la production que de la distribution. Par ailleurs, il serait souhaitable qu’en Martinique, les crédits du FACÉ soient consommés. De manière générale, nous sommes nombreux à avoir du retard dans la consommation des crédits, ce qui conduit à des reports d’année en année.

M. Jean Gaubert, président. Je regrette également que nous n’ayons pu nous rendre en outre-mer, mais, de manière générale, nous n’avons pas eu la possibilité d’effectuer le moindre déplacement, que ce soit en France ou à l’étranger, hormis une visite d’une journée en Suède. Je confirme que la Martinique est l’un des départements les plus en retard dans la consommation des crédits. À cet égard, il convient de mobiliser ERDF au même titre que les collectivités territoriales. Pour revenir sur les propos tenus par Monsieur Brottes, je tenais à préciser que la départementalisation n’était pas en cause. La coopération intercommunale est toujours positive, pourvu qu’elle parvienne à instituer, de manière démocratique, des règles favorables à l’ensemble des collectivités du département. Par ailleurs, Daniel Paul a rappelé à juste titre que, lorsque les projets de libéralisation du marché ont été divulgués, EDF, sachant qu’elle perdrait des parts de marché en France, a réorienté une partie de ses investissements vers l’étranger. Il est vrai également que des investissements hasardeux ont été menés depuis 2003, mais cela n’entre pas dans le champ de notre rapport. Pour répondre à Mme Massat, EDF nous a indiqué qu’elle était favorable au recours à l’endettement pour l’installation des compteurs Linky, dans la mesure où ces investissements s’amortiront progressivement, mais que, pour le reste, elle souhaitait s’endetter en faveur d’activités plus rentables que le réseau proprement dit.

M. Serge Poignant, président. Messieurs, je vous remercie pour ce travail approfondi, qui a été salué par tous les groupes. Après avoir entendu l’ensemble des interventions, qui ont constitué un débat riche et approfondi, nous allons procéder au vote sur la publication de ce rapport. Mais, au préalable, je sollicite votre autorisation pour que le titre du rapport soit ainsi rédigé : « rapport d’information sur la sécurité et le financement des réseaux de distribution d’électricité ». En effet, ainsi que Monsieur Gaubert l’a expliqué au début de la réunion, la mission d’information n’a pas abordé le thème du gaz.

La Commission autorise à l’unanimité la publication du rapport ainsi intitulé.

CONTRIBUTION DE M. DANIEL PAUL (GROUPE G.D.R.)

* * *

Une situation née de la libéralisation et de la logique financière

Le rapport met fort justement en évidence la réduction des investissements dans le réseau de distribution, à compter de 1992.

Or, c’est à cette époque que tous les monopoles publics commencent à se lancer dans des opérations de croissance externe, préludes à la libéralisation qui allait exploser dans tous les secteurs, sous la pression de la Commission européenne et avec la collaboration des gouvernements nationaux. Le secteur de l’électricité est évidemment en première ligne.

Ce sera le début des « aventures » de l’entreprise publique EDF, loin de son territoire historique, en concurrence avec d’autres opérateurs, privés ou publics. Opérations lucratives ou non, elles font entrer EDF dans la mondialisation et ouvrent l’ère de la concurrence, en Europe même.

La Commission Roulet allait pourtant conclure à une vocation strictement européenne d’EDF en souhaitant la fin des opérations situées hors de notre continent. Conclusions bafouées rapidement, par le gouvernement et la direction d’EDF.

Ce sera ensuite le changement de statut d’EDF, la transformation de l’entreprise publique en société anonyme, avec l’Etat pour principal actionnaire, la séparation juridique du réseau de distribution de la maison mère, séparation scellée par la création d’ERDF, société anonyme, filiale d’EDF.

Dans cette situation, conséquence directe de la libéralisation, le risque continue d’exister qu’EDF ne laisse pas à sa filiale les moyens nécessaires aux investissements sur le réseau de distribution.

Aussi, tout en prenant acte des propositions de la mission pour que le gestionnaire du réseau ait les moyens de ses missions, je pense que la logique financière actuelle porte en elle le risque d’une insuffisance des moyens d’investissements d’ERDF et que la vigilance devra être permanente, à tous les niveaux.

Un autre risque serait que les clients d’EDF aient à supporter une augmentation de leurs factures, au titre de la maintenance et de l’amélioration du réseau, tandis que les bénéfices de la maison mère et donc les dividendes versés à l’Etat et à ses actionnaires seraient protégés

Cette préoccupation rejoint évidemment celle qui fait suite à l’application de la loi NOME : tout fait craindre une augmentation forte des tarifs de l’électricité, qu’il s’agisse d’améliorer la sûreté et la sécurité des moyens de production ou de favoriser le développement des énergies renouvelables. Raison de plus pour ne pas accepter de ponction supplémentaire sur les clients-usagers, au titre de la distribution, mais aussi de la loi NOME dont l’application entraînera une augmentation automatique et considérable des tarifs – de l’ordre de 30% en 5 ans – et dont je continue, avec les députés communistes et du parti de gauche, à demander l’abrogation pure et simple.

Daniel PAUL,

député de Seine Maritime (PCF/GDR)

TABLE RONDE SUR L’ÉVOLUTION VERS DES RÉSEAUX D’ÉLECTRICITÉ INTELLIGENTS ET LA CONVERGENCE AVEC LES RÉSEAUX DE COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES

Lors de sa réunion du 9 mars 2011, la commission des affaires économiques a tenu une table ronde sur l’ « évolution vers des réseaux d’électricité intelligents et la convergence avec les réseaux de communications électroniques », avec la participation de M. Laurent Schmitt, vice-président d’Alstom Power, Smart Grid Solutions, Mme Michèle Bellon, président du directoire d’Electricité Réseau Distribution France (ERDF), Mme Christine Le Bihan-Graf, directeur général de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et M. Philippe Lucas, directeur normalisation et développement d'écosystèmes d’Orange-France Télécom.

M. le président Serge Poignant. Notre Commission des affaires économiques a créé une mission d’information sur la sécurité et le financement des réseaux d’électricité dont le président est M. Jean Gaubert et le rapporteur M. Jean Proriol – retenu aujourd’hui dans sa circonscription. Elle a pour objet, d’une part, de dresser l'état des réseaux de distribution d'électricité en France et d’étudier les raisons de la dégradation de la qualité de la fourniture d'électricité constatée au cours de la décennie 2000, et, d’autre part, d’examiner le type d'actions à mener et le montant des financements nécessaires au rétablissement du niveau de qualité à son niveau antérieur.

Nous avons souhaité organiser la présente table ronde car ces différents points comportent un aspect prospectif important : le développement des réseaux intelligents, ou smart grids, qui modifieront les caractéristiques des réseaux futurs. Investir aujourd'hui sans prendre en compte ces évolutions pourrait s'avérer inefficace et coûteux. De plus, les smart grids complexifieront le système électrique actuel en s'appuyant sur les technologies de l'information et de la communication. Nous comptons dans nos rangs quelques spécialistes de cette question, notamment Mme Laure de La Raudière.

J’ajouterai que je me suis personnellement intéressé à l’intégration de la production l’électricité d’origine renouvelable dans les réseaux et à la gestion de la pointe de consommation électrique, questions sur lesquelles, avec M. le sénateur Bruno Sido, j’ai remis un rapport au Gouvernement.

Préalablement aux exposés des intervenants, je souhaiterais poser quelques questions d'ordre général.

Sur quelles technologies les smart grids pourront-ils reposer ? Quels sont les procédés et les projets en cours de développement ?

Quelles améliorations les smart grids apporteront-ils à la qualité et à la sécurité des réseaux ? À quel prix ? Qui financera les investissements correspondants ?

Doit-on s'attendre à une concurrence ou à une convergence entre réseaux d'électricité et de communications électroniques au cours des prochaines années ?

M. Laurent Schmitt, vice-président d’Alstom Power, Smart Grid Solutions. Je suis en charge, au sein du groupe Alstom, du développement de l’offre smart grid. Il s’agit, pour notre groupe, d’un projet stratégique car il touche à chacune de ses trois grandes activités : la production d’énergie, avec en particulier l’intégration des énergies renouvelables dans les réseaux de transport et de distribution, ce qui soulève notamment la question de la flexibilité des moyens de production ; la transmission d’énergie, domaine plus particulier d’Alstom Grid, entité, acquise auprès d’AREVA, spécialisée dans l’équipement des réseaux de transport et dans les systèmes de dispatching et de contrôle des réseaux de transport et de distribution – il s’agit de ces « tours de contrôle » utilisées dans le monde du transport et de la distribution, qui gèrent l’optimisation et la sécurisation en temps réel des flux d’énergie dans les réseaux ; enfin, avec Alstom Transport, le smart grid intéresse notamment l’intermodalité, ce qui inclut, par exemple, les questions soulevées par l’intégration du véhicule électrique dans les infrastructures de transport urbain ainsi que les synergies potentielles dans la gestion de l’énergie nécessaire à ce type de transport et aux villes.

Nous avons défini trois grands segments technologiques rattachés au smart grid. D’abord celui des équipements et des postes électriques qui sont les actionneurs du smart grid et qui permettent de prendre des décisions et d’optimiser les réseaux. Alstom est très présent en France dans ce domaine des gros équipements par l’intermédiaire de deux grands sites, l’un dans la Région Rhône-Alpes, autour de Villeurbanne, spécialisé dans les équipements à haute et très haute tension, et demain dans les équipements d’électronique de puissance utilisés pour la transmission de l’électricité en courant continu à haute tension, l’autre dans la région parisienne, à Massy Palaiseau, où nous travaillons en particulier sur le pilotage des moyens de production, sur les technologies de l’information (IT) liées aux réseaux, et sur la conversion de l’énergie, en relation avec son stockage dans les réseaux et l’utilisation potentielle de batteries connectées à ceux-ci.

Alstom prend donc à bras-le-corps le thème du smart grid. Notre entreprise est très internationale, notamment en matière de dispatching et de centres de contrôle. Aux États-Unis, 50 % de l’énergie est pilotée par des logiciels d’origine Alstom. Nous y disposons d’un centre d'excellence à Redmond, dans l’État de Washington.

Nous sommes donc impliqués dans le lancement de démonstrateurs de réseaux intelligents à travers le monde et nous essayons d’en tirer un premier retour d’expérience industrielle qui permette non seulement de définir un modèle économique propre à ces nouvelles technologies, mais aussi de réfléchir à l’évolution du rôle de nos clients et donc à l’impact de notre technologie.

M. Philippe Lucas, directeur de la normalisation et du développement d’écosystèmes de France Télécom Orange. Je suis en charge, au sein de France Télécom Orange, de la normalisation et du développement d’écosystèmes, dans une entité appelée Études stratégiques et partenariats.

Le smart grid peut, selon nous, relever de trois grands secteurs : l’amont du compteur intelligent, où les questions relèvent plutôt d’acteurs comme Alstom et Schneider Electric ; le compteur intelligent lui-même, dont se préoccupe la CRE et où les approches sont différentes selon les pays européens ; enfin, l’aval du compteur, où ce qui peut être fait dans les foyers de consommateurs intéresse plus particulièrement France Télécom Orange pour une gestion intelligente des réseaux électriques.

Nous n’avons pas l’ambition de concurrencer quiconque en amont. Nous savons très bien compter des octets et des bits, mais pas du tout des kilowattheures. Nous n’avons donc pas l’intention d’intervenir dans ce domaine. En revanche, en aval, nous pouvons peut-être proposer des choses.

À cet égard, deux sujets nous semblent intéressants : la gestion des pics de consommation et la gestion de l’énergie au sein du foyer. Nous y voyons un important gisement d’économies d’énergie potentielles si l’on peut apporter au client final des éléments nouveaux de visualisation de sa gestion électrique. Ce thème émerge à peine car les divers acteurs de la filière électrique, disposant de systèmes dits propriétaires, cherchent à se développer séparément. Il est donc difficile de fédérer les différents opérateurs autour de la gestion électrique du foyer afin de mettre en place des innovations communes. Or les opérateurs de télécommunications peuvent apporter ici une valeur ajoutée, compte tenu de la nécessité de bâtir des écosystèmes associant plusieurs types d’intervenants dans les équipements et services au sein du foyer.

La gestion du pic de consommation peut être en partie traitée par la mise en place de compteurs intelligents, qui permettront de définir des paliers tarifaires optimisant la consommation. Mais on reste là dans une approche générale alors que l’on pourrait encore progresser dans cette voie en individualisant mieux les consommations électriques au moyen de ce que l’on appelle, chez Orange-France Télécom, la « porte numérique ». Je m’explique.

Un foyer comporte aujourd’hui plusieurs portes : la première, classique et physique, permet d’entrer dans la maison ou dans l’appartement ; la deuxième, électrique, se situe au niveau du compteur – il en existe d’autres du même type, pour l’eau et pour le gaz ; une dernière, numérique, fait entrer dans le foyer les réseaux de télécommunications et ADSL. Si, demain, cette dernière porte peut être utilisée à titre complémentaire pour mieux gérer la consommation d’énergie, il faut qu’elle soit sécurisée, afin que les données transitant par elle ne soient pas dévoyées. Les opérateurs de télécommunications peuvent apporter leur contribution en la matière.

France Télécom estime que l’intervention des différents acteurs doit être complémentaire et non concurrente. La question est donc de savoir ce que chacun apporte.

Derrière la porte numérique, on peut fixer une « énergie box ». En plus de la connexion ADSL, et intégrable à terme, cette boîte remplirait des tâches que l’on peut juxtaposer en trois couches.

Elle pourrait d’abord être connectée à certains équipements électriques, comme une chaudière, une machine à laver ou des appareils électroniques. Nous appelons cela la « couche de connectivité locale », aujourd’hui presque exclusivement dépendante de systèmes propriétaires, ce qui empêche les industriels de développer certains produits et services qui exigent un système ouvert. Il faut donc la définir, ce qui entraînera probablement la fixation de normes, sur lesquelles les industriels devront s’accorder. La plupart des acteurs concernés sont ceux de l’énergie et de la domotique. C’est pourquoi, la Fédération française des télécoms (FFT) a commencé à travailler sur ce thème avec celle des industries électriques, électroniques et de communication (FIEEC).

La deuxième couche est celle du middle ware car elle permet de télécharger des applications supplémentaires, proposées par des « développeurs », exactement comme on le fait sur un iPhone. De la même façon, il faut qu’elle soit commune aux différents intervenants, permettant ainsi une gestion locale de l’énergie.

La troisième couche, celle des services, c’est-à-dire des applications choisies par les consommateurs, échappe à nos discussions, car elle relève de la concurrence des initiatives privées, dont, naturellement, les « développeurs » parlent peu entre eux.

Nous avons décidé, au sein de la Fédération française des télécoms, de travailler ensemble sur ce projet de normes, car le monde dans lequel un opérateur imposait ses propres choix est maintenant révolu. Nous nous situons aujourd’hui dans une perspective d’ouverture et donc de normalisation. Notre objectif consiste à décrire un cadre normatif dans lequel l’écosystème se développera afin de mettre en place les conditions nécessaires à la gestion locale de l’énergie.

Mais la boîte dont nous parlons peut faire bien davantage que gérer la consommation d’énergie du foyer : par exemple gérer la domotique et d’autres services à venir, ce qui fera sa valeur ajoutée. On pourra donc mutualiser un outil, c’est-à-dire le rendre utilisable par un certain nombre d’acteurs, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent dans notre système vertical.

Elle devrait aussi contribuer à la gestion du pic de consommation. Afin de supporter une gestion plus statistique en aidant à lisser la consommation énergétique des foyers, il nous faut la maîtriser de manière dynamique.

Notre objectif est donc bien de développer un écosystème intégrant une forte valeur ajoutée dans la gestion du pic.

Mme Michèle Bellon, président du directoire d’ERDF. Avec le smart grid, nous employons un jargon américain alors que les réseaux français sont intelligents depuis une quinzaine d’années. En effet, c’est à la suite des grands black-out, ces coupures de courant massives intervenues dans le nord-est des États-Unis et en Californie, qu’est apparu ce concept. Or, depuis longtemps, la France avait, à l’initiative de l’Union pour la Coordination de la Production et du Transport d'Électricité (UCPTE), interconnecté les réseaux européens afin de gérer l’équilibre entre l’offre et la demande au niveau du continent.

La notion de smart grid n’en est donc que l’extrapolation dans un secteur de l’énergie qui évolue rapidement.

Au stade de la distribution, des évènements climatiques, comme les tempêtes Lothar et Martin de la fin 1999, ont montré le besoin d’une plus grande réactivité pour réalimenter l’ensemble des clients. Et le degré d’exigence de ceux-ci a beaucoup augmenté s’agissant de la qualité de l’alimentation : elle ne porte plus seulement sur la durée des coupures, mais aussi sur les variations de tension, car celles-ci peuvent affecter l’Internet, dont la plupart des foyers sont équipés, provoquer des pannes d’ascenseur, perturber le fonctionnement des billetteries… Dès lors que le courant électrique s’interrompt ou qu’il est, simplement, de moindre qualité, des dysfonctionnements affectent les PME et PMI et, d’une façon plus générale, toute l’économie nationale.

L’économie de l’énergie a beaucoup évolué. De nouveaux besoins sont apparus. Rendue possible par la déréglementation des marchés, la faculté existe désormais de changer de fournisseur. De nouvelles technologies ont émergé. Se sont développées des énergies renouvelables, comme le photovoltaïque et l’éolien, dont le caractère intermittent et difficilement prévisible, affecté de fluctuations considérables, y compris dans une même journée – à la différence d’énergies telles que l’hydraulique, la biomasse et le biogaz – a abouti à multiplier les émetteurs sur le réseau de distribution. Aujourd’hui, plus de 150 000 producteurs décentralisés, dont la taille varie entre 3 kilowatts et 140 mégawatts, sont raccordés au réseau de distribution d’électricité.

Une ressource difficilement prévisible soulève le problème du renforcement des réseaux, dimensionnés en fonction de l’hypothèse dans laquelle tout fonctionne simultanément. Elle pose aussi celui de la conduite du réseau, car l’électricité ne se stockant pas, il faudrait pouvoir dispatcher la production de certaines installations. Ainsi, le photovoltaïque produit beaucoup dans la journée, mais pas au mois de janvier à 19 heures.

Parallèlement, apparaissent les véhicules électriques avec une perspective de deux millions d’exemplaires en 2020. Il faudra, là aussi, trouver des solutions en termes de réseau.

La notion de réseau intelligent ne résulte donc pas d’une idée de laboratoire d’inventions ou d’ingénieurs soucieux de rendre les choses plus complexes, mais de la nécessité de faire face à la multiplication des émetteurs et aux besoins issus de modes de consommation de plus en plus diversifiés et exigeants. Il y a encore dix ans, il suffisait de connaître les températures extérieures du lendemain pour prévoir l’ampleur de la consommation électrique. Il nous faut maintenant mieux piloter les réseaux.

Le distributeur ERDF n’a pas donc pas attendu le concept de smart grid pour commencer, depuis plus de dix ans, à équiper son réseau de capteurs mesurant la qualité de l’électricité, notamment dans les postes sources, comme d’un certain nombre d’organes de manœuvres télécommandés (OMT) permettant de rétablir le courant dans les meilleures conditions en cas d’aléa climatique ou de défaillance du réseau. L’étape suivante consiste à disposer de compteurs communicants afin qu’aux deux extrémités des câbles, nous puissions bénéficier de la vision la plus complète possible de ce qui se passe sur le réseau. À cet effet, il convient de mettre en place des systèmes permettant de gérer l’équilibre entre l’offre et la demande au niveau de la moyenne et de la basse tension.

Les smart grids représentent une architecture complexe qu’il faudrait scinder entre son aspect amont, visant l’optimisation des réseaux – les grids – et le smart home, aspect aval qui concerne le compteur. Il s’agit en effet de deux concepts totalement distincts, mais avec une interface commune qui est le compteur communiquant.

Nous nous sommes donc penchés sur la question dans cet esprit, étant encore rappelé que nous pratiquons les réseaux intelligents depuis près de quinze ans ainsi que je l’ai indiqué. Dans nos centres de conduite, une trentaine d’agents régionaux sont affectés à ces missions. On parle le plus souvent des réseaux sous l’angle de leur architecture et de leur maintenance, rarement sous l’angle de leur pilotage et de l’équilibre entre l’offre et la demande. Exactement comme si on parlait d’un avion en ne considérant que sa carlingue et ses ailes, à l’exclusion du cockpit et de toute l’électronique qu’il renferme.

Nous comptons, en amont, sur nos agents de conduite et, en aval, d’une part sur les compteurs communicants afin de bénéficier d’une connaissance de l’état du réseau à tout moment, d’autre part sur nos logiciels d’autocicatrisation. Ces derniers permettront d’identifier le tronçon défaillant et de calculer rapidement quels autres réseaux peuvent intervenir en secours. Ceux-ci font l’objet d’un maillage autorisant une dérivation dans les meilleurs délais, un peu comme un itinéraire bis. De la sorte, nos clients doivent le moins possible ressentir la perturbation, et nous pouvons ensuite effectuer les travaux de réparation en temps masqué.

La première étape de développement réside dans le compteur communicant. Nous sommes maintenant en fin d’expérimentation, ayant déjà installé 250 000 compteurs.

Les courants porteurs en ligne (CPL) communiquent avec des concentrateurs et, de là, avec le système d’information central par général packet radio service (GPRS). Pour ce faire, nous sollicitons les trois principaux opérateurs français – Orange, Bouygues et SFR –, en fonction de la qualité de leur desserte sur le site du concentrateur, afin de remonter l’information vers le centre de pilotage du réseau.

Nous avons choisi cette formule en vue de minimiser les coûts d’investissement et, plus encore, les coûts d’exploitation. Elle permet, en effet, de regrouper, par grappes, toutes les informations fournies par les compteurs de façon à minimiser le nombre des transmissions. C’est ainsi que, si la décision de généralisation du système est prise pour 35 millions de compteurs, nous prévoyons 750 000 concentrateurs, ce qui réduit d’autant le nombre de communications, évitant à la fois un coût important et un risque de saturation. La majorité des distributeurs européens d’électricité ont fait le même choix.

Nous continuons à travailler au développement des CPL, en étant aujourd’hui au protocole G1, considérant comme particulièrement prometteur le protocole G3 dont la mise en service industrielle devrait intervenir dans trois ou quatre ans et permettre de transmettre les informations beaucoup plus rapidement.

Nous sommes engagées dans un certain nombre d’opérations pilotes : à Nice, l’opération Nice Grid est destinée à gérer l’équilibre entre production solaire, stockage et utilisation ; dans l’Est de la France nous nous intéressons à l’énergie éolienne ; dans le département de la Réunion, nous sommes associés à un partenaire, afin de gérer l’équilibre entre offre et demande dans un système isolé, c’est-à-dire non interconnecté ; enfin dans les îles bretonnes où se manifeste le même besoin de sécuriser la qualité d’alimentation des zones éloignées des sources énergétiques.

Nous travaillons aussi, au sein d’une association des distributeurs européens que nous avons créée voilà un peu plus d’un an, sur différents démonstrateurs. À ce titre, nous avons obtenu de la Commission européenne qu’elle subventionne un projet appelé Grid for EU, comportant six pilotes – en République tchèque, en Italie, en France, en Espagne, etc. –, mené en partenariat avec nos collègues distributeurs des autres pays de l’Union. C’est là un élément indispensable à la modernisation de nos réseaux.

Nous nous situons dans le domaine régulé : l’aval du compteur ne nous concerne pas, mais notre compteur communicant apportera une aide à ceux qui offriront des services aux consommateurs.

En amont, il nous revient de préparer l’avenir pour bénéficier de réseaux robustes : le choix du CPL s’inscrit dans cet objectif.

Mme Christine Le Bihan-Graf, directeur général de la CRE. La Commission de régulation de l’énergie est très engagée dans la réflexion sur le développement des smart grids. Elle avait organisé, en 2010, le premier colloque international sur ce thème.

L’ensemble des orateurs ici présents me paraissent d’accord sur l’essentiel.

Les réseaux sont certes déjà intelligents, mais ils ne le sont jamais assez. Nous avons, en la matière, un grand défi à relever. Le pilotage des réseaux se complexifie, car ceux-ci sont soumis à de fortes contraintes : l’intégration des énergies renouvelables, la gestion de la consommation de pointe, l’augmentation de la consommation et l’apparition de nouveaux usages. En l’état, les réseaux ne peuvent répondre à l’ensemble de ces défis. Comme il serait déraisonnable de dimensionner un réseau en fonction du pic de consommation, il faut l’optimiser, ce qui implique de le rendre plus intelligent.

Cette intelligence implique convergence et complémentarité – nullement leur concurrence, pas plus que leur substituabilité – entre, d’une façon générale, les nouvelles technologies d’information et de communication (NTIC) et la gestion électrique. On pourrait, en effet, pousser le raisonnement jusqu’à son terme et se demander si l’on ne peut pas se dispenser de Linky, le compteur intelligent, en exploitant au mieux les réseaux de communication électronique.

L’intelligence des réseaux signifie seulement qu’ils peuvent communiquer entre eux, échanger de l’information, étant bidirectionnels et numériques. Aujourd’hui le pilotage des réseaux se fait en aveugle puisque le pilote ne bénéficie pas de remontées d’informations sur ce qu’il advient dans le réseau. En disposer est désormais une nécessité. C’est bien pourquoi l’ensemble des pays européens a développé – l’Italie depuis plus de dix ans – ou développe, des systèmes de comptage intelligent.

Mais, pour que le concept de smart grid ne se limite pas à son aspect de marketing, il faut revenir aux fondamentaux, qui apparaissent clairement si l’on distingue l’amont de l’aval.

L’amont s’applique au monopole régulé, l’aval concerne ce qui fait l’objet d’une concurrence, domaine dans lequel la France compte des entreprises énergéticiennes championnes comme Alstom, Schneider Electric, Legrand, et bien d’autres. Elles sont le fer de lance de l’excellence française dans le domaine des applicateurs et des démonstrateurs. Nous n’en sommes plus au stade de la recherche-développement, mais déjà à celui de la mise en œuvre. Derrière le smart grid, se dessine un projet industriel français au service de notre économie et de l’emploi local.

En amont du compteur, le smart grid offre, pour la première fois, la possibilité de compter réellement la consommation effectuée. Aujourd’hui, le consommateur ne compte pas vraiment : à la différence du plein du réservoir de sa voiture, dont il connaît le montant, il ne sait pas à combien s’élève sa consommation électrique mensuelle, étant soumis à ce qu’on appelle « le profilage ».

De plus, on ne comptera plus seulement l’énergie consommée, mais également celle que l’on injecte dans le réseau, ce qui est fondamental en matière d’énergies renouvelables pour le pilotage de l’équilibre entre l’offre et la demande.

Le compteur est d’abord un capteur. Si on les multiplie, ils pourront communiquer entre eux. Nous saurons dès lors sur quel point du réseau existe éventuellement un facteur de stress, une faiblesse, une anomalie qu’il convient de pallier.

Les smart grids constituent un premier élément permettant de déterminer les investissements prioritaires afin de renforcer ou d’améliorer les réseaux.

Le capteur permet également de détecter les pannes. Plus vite elles sont détectées, plus vite elles sont réparées, sans déranger le consommateur chez lui, grâce notamment aux dérivatifs dits autocicatrisants.

Les smart grids permettent non seulement d’améliorer la qualité du service – réaliser de la télé-relève sans solliciter le consommateur, changer le niveau de souscription de puissance par exemple –, mais aussi celle de l’alimentation en détectant et en réparant plus vite les pannes, réduisant d’autant la durée des coupures, indicateur fondamental de la qualité du système.

Il ne faut pas opposer trop rapidement le coût des investissements dits de qualité et celui des investissements dits de développement, car les smart grids relèvent des deux catégories. Ils représentent une manière habile de renforcer la qualité en optimisant le fonctionnement plutôt qu’en démultipliant les investissements sur les réseaux.

En amont, les smart grids reviennent donc à mieux compter, à optimiser l’équilibre entre l’offre et la demande, enfin à améliorer la qualité des réseaux et des services. Leur développement doit être jugé à l’aune de ces trois grandes finalités.

En aval, il faut laisser aux entreprises innovantes la possibilité de présenter des offres, aujourd’hui beaucoup plus complexes que celles auxquelles les énergéticiens classiques étaient habitués. Auparavant, on vendait un produit, en réfléchissant seulement à sa problématique tarifaire. Demain, on vendra aussi des services, tels que ceux proposés par la boîte multiservices. Certaines entreprises offriront, par exemple, des services énergétiques associés à des services de maintien à domicile des personnes âgées ou handicapées, ou encore à des services de domotique.

En aval du compteur, s’ouvre donc toute une réflexion sur les services complémentaires, par l’intermédiaire d’un gestionnaire d’énergie permettant de faire évoluer la finalité des réseaux électriques autour de la maîtrise de la demande d’énergie, de la « décarbonation » de l’énergie, de « l’effacement diffus », du « passage de la pointe », qu’elle soit locale ou nationale. Se dessine de la sorte un champ d’innovations extrêmement riche pour les industriels. La gestion de l’installation électrique de l’habitation cesse d’appartenir à un distributeur en situation de monopole, dont la compétence s’arrête au compteur, pour être ouverte à la concurrence.

Le coût du projet des smart grids est très difficile à chiffrer. Très complexe, mais pas davantage que ne le furent Internet ou le téléphone portable, il implique une multitude d’acteurs. European electricity grid initiative a estimé, pour la seule France, le montant des investissements nécessaires à 15 milliards d’euros, dont 4 milliards pour le déploiement des compteurs intelligents du projet Linky. Ce coût doit être appréhendé en valeur relative, car il faut en déduire les frais qui, de toute façon, auraient été engagés en raison de l’obsolescence des compteurs actuels : la nécessité de remplacer les vieux compteurs bleus et les compteurs communicants anciens. Un compteur Linky coûte 20 euros de plus qu’un compteur électronique blanc, or un compteur s’amortit sur vingt ans, soit une charge supplémentaire d’un euro par compteur et par an. Il nous faut raisonner non en coûts pleins mais en différentiel de coûts.

Le développement des smart grids apporte aussi des bénéfices non monétisables, notamment en terme de qualité de services. Son coût est moindre que celui qui ressortirait d’un renforcement global de la qualité des réseaux existants. Enfin, il faut comparer celui-ci aux coûts annuels supportés par les gestionnaires de réseaux qui, pour RTE et ERDF, s’élèvent à 4 milliards d’euros cumulés par an.

Existe-t-il une alternative, technique et financière, au moyen des systèmes que nous connaissons, au déploiement des smart grids ? On pourrait penser à une substituabilité des systèmes de télécoms aux systèmes électriques. Au stade actuel de notre réflexion, il apparaît que c’est une fausse bonne idée.

D’abord parce que les technologies de télécoms, dont Internet, ne permettent pas d’offrir les mêmes fonctionnalités que le comptage évolué et que le réseau intelligent, notamment la plus simple, à savoir que le compteur doit compter et facturer de l’énergie. Or, c’est sur la base de ce comptage et de cette facturation en temps réel que l’on peut placer des espoirs quant au changement de comportement des usagers vis-à-vis de leur consommation électrique.

Ensuite, le gestionnaire de réseaux ne dispose pas de la maîtrise de l’infrastructure de communication. Pour recourir aux technologies correspondantes, il lui faudrait donc payer la location de fibres optiques ou du boîtier Internet, ce qui représente un coût extrêmement important, bien sûr répercuté sur le consommateur, la loi imposant aux tarifs de couvrir les coûts.

Par ailleurs, s’agissant de la protection des données personnelles, les technologies de type fibre optique offrent moins de garanties que les technologies telles que le CPL, car le gestionnaire de réseaux devrait partager des informations avec les opérateurs de télécoms. Et plus on partage d’informations, plus il est difficile de les protéger contre des esprits malveillants.

Enfin, une étude réalisée par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (ARCEP) intitulée « Développement de la fibre optique et coût par utilisateur », a chiffré celui-ci à 2000 euros, soit 70 milliards d’euros pour 35 millions de foyers, à comparer au coût du développement des smart grids tel que nous l’avons évoqué.

La problématique de sécurisation de l’information est essentielle pour la conduite du projet de smart grids et de comptage évolué. Elle représente un point crucial dans les discussions avec les consommateurs car les nouvelles technologies ne s’acclimateront que si elles bénéficient de la confiance de celui-ci dans la fiabilité des systèmes de protection des informations qui le concernent. Cette préoccupation s’intègre dans le projet Linky tel que mené avec Atos Origin.

M. le président Serge Poignant. Merci pour ces éclairages complets et importants car ils conditionnent l’avenir.

Vous avez mentionné, en plus de la gestion, de la qualité et de la sécurité des réseaux, le comportement social du consommateur pour la maîtrise de l’énergie. La confiance constitue, en effet, un élément important. Il est également essentiel que le consommateur dispose d’un maximum d’accès aux services afin de pouvoir être lui-même responsable.

Mme Laure de La Raudière. Les smart grids ouvrent une nouvelle ère pour la gestion de la production et de la consommation d’électricité, qu’elle soit collective, avec la maîtrise du pic, ou individuelle dans chacun des foyers.

Les enjeux sont considérables. Ils vont faire apparaître de nouveaux métiers, de nouveaux modèles économiques et donc de nouveaux entrants sur le marché de l’énergie. Même s’il existe peu de possibilités, comme cela vient d’être dit, pour les acteurs de télécoms de prendre possession des systèmes de comptage, on découvre néanmoins les ambitions des entreprises Google et Microsoft qui envisagent des investissements très importants sur ce marché. Elles estiment qu’elles peuvent en maîtriser la gestion en aval grâce à la dissémination de leurs serveurs dans le monde entier dont il leur faut aussi optimiser la consommation d’électricité. Elles peuvent offrir, aussi bien aux entreprises qu’aux particuliers, un arbitrage en faveur du meilleur prix et de la meilleure gestion de l’électricité. Fournir de nouveaux services de ce type valoriserait les compétences qu’elles ont déjà acquises dans ce domaine, et d’autant plus facilement qu’elles disposent, par exemple en France avec 35 millions d’internautes, d’autant d’interfaces avec les consommateurs. Elles pourraient donc se positionner entre ceux-ci et les producteurs.

La Fédération française des télécoms espère, elle aussi, tenir une place entre le consommateur et le distributeur d’énergie.

Quel est, en la matière, l’état de la réflexion du secteur de l’énergie dans les autres pays européens ? Où en sont les études engagées en France en vue d’une normalisation au niveau européen ? Peut-être cette normalisation imposera-t-elle un certain type de marché, en fermant des possibilités d’investissement à certaines catégories d’opérateurs potentiels.

De nombreux acteurs sont concernés : les consommateurs, les producteurs, distributeurs et fournisseurs d’énergie, de télécommunications et de services en ligne, les industriels… À qui profiteront les nouvelles technologies ? Et comment doit-on s’organiser en France pour s’assurer qu’elles bénéficieront aux consommateurs comme aux entreprises ?

Quelles sont vos attentes par rapport à l’État ? Et comment pouvons-nous vous aider à faire en sorte que la valeur ajoutée reste en France ?

M. François Brottes. Méfiez-vous des réseaux intelligents : ils pourraient, demain, vous prendre pour des imbéciles !

D’une façon générale, ne sommes-nous pas en train de réinventer le fil à couper le beurre ? Je suis un peu atterré en vous écoutant, venant d’une région où Merlin-Gerin est née avant Schneider Electric, où le Laboratoire d'électronique et de technologies de l'information (LETI) est né en même temps que le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), et où l’on a parlé de domotique bien avant que cela devînt à la mode.

Dans tout ce que j’ai entendu, je n’ai en effet perçu aucune invention majeure, qu’il s’agisse des usages ou des technologies. L’innovation principale réside dans l’effet marketing autour de la deuxième convergence, qui concerne effectivement les smart grids, étant rappelé que la première consistait à mettre sur le même support de la vidéo, du son et du téléphone. On s’était alors demandé s’il ne fallait pas marier le CSA avec l’ARCEP. Si l’on ajoute la CRE, il n’existera plus qu’une seule autorité de régulation, ce qui autorisera quelques économies …

Les technologies sont étroitement liées et ce n’est pas nouveau. Ce qui l’est, c’est l’accroissement de la complexité d’usage : on intègre les énergies renouvelables, on se préoccupe plus qu’avant d’économiser l’énergie, la concurrence se développe et chacun, dans le jeu, veut jouer sa partition et gagner de l’argent. Le problème ne se posait évidemment pas quand il n’existait qu’un seul opérateur.

Où se situe, dans cette affaire, l’intérêt du consommateur ? Cherchez l’erreur ! Qui va essayer de tirer du dispositif se mettant en place la part la plus grande de la valeur ajoutée ? C’est évidemment l’objectif des différents acteurs représentés ici, qui ne sont pas des philanthropes. Or, là où la valeur ajoutée est la plus grande, est aussi l’endroit où l’on embobine le plus le consommateur en lui proposant tout un lot de prestations dont il n’a pas forcément besoin, mais dont le paiement assure les marges commerciales. Tel est le mode de fonctionnement des grandes surfaces : il n’y a là rien de nouveau.

Nous saurons donc comment nous payons, mais nous ne saurons plus ce que nous payons. On multiplie les offres et les paiements correspondants, mais tout est forfaitisé sur de longues durées. Le consommateur est loin d’utiliser tout ce qu’on lui fait ainsi acheter. Déjà, dans les télécommunications, les factures deviennent exponentielles et les ménages ne parviennent plus à les régler.

Je suis donc extrêmement inquiet de la mode des smart grids qui apporteraient la solution à tout alors qu’ils existent presque depuis la nuit des temps, qu’il n’y a pas véritablement de saut technologique, mais seulement des acteurs qui ne veulent plus s’en tenir à un rôle de fournisseur sur les étagères de RTE ou de ERDF : espérant gagner de l’argent, ils souhaitent se positionner désormais en offreurs de multiservices au moyen des différents réseaux existants, notamment de téléphone et d’électricité – je comprends parfaitement leur logique de développement d’entreprise.

Nous avons bien compris que les technologies pouvaient désormais se marier et, ainsi, proposer davantage de services, fournis par un plus grand nombre d’opérateurs. Le fait que des entreprises comme Alstom, Schneider Electric ou France Télécom Orange s’impliquent ne me rassure ni ne m’inquiète, mais me conduit à penser que des enjeux économiques et commerciaux très importants devront donner lieu à rémunération de la part du consommateur.

Les arguments avancés par la CRE pour qu’on ne confonde pas les télécommunications et la fourniture d’électricité relèvent autant de la prise en compte des technologies que du souci de préserver le pré carré de chaque instance de régulation. Nous avons déjà vécu cela entre le CSA et l’ARCEP.

Je remercie à cette occasion notre président d’avoir invité tous les acteurs concernés pour qu’on puisse en parler.

Mon inquiétude est donc à la fois sociale, politique et économique.

Toute la question, qui nous est posée en tant que responsables politiques, est de savoir si l’évolution technologique que vous nous avez décrite va dans le sens de l’intérêt du consommateur et d’une bonne visibilité de ce qu’on va lui proposer. Je n’en suis pas sûr.

Il y a, d’une part, un effet de mode et, d’autre part, des modèles économiques qui vont changer. Les effets de mode existent et, en l’occurrence, il n’y a rien de nouveau sous le soleil si ce n’est que les modèles économiques et les positionnements des différents acteurs changeront pour aller chercher la valeur ajoutée où elle se trouve, l’objectif des fournisseurs étant de savoir qui mangera l’autre.

Nous sommes donc à la croisée des chemins : les coûts augmenteront pour le consommateur sans pour autant que les services rendus soient au rendez-vous.

M. le président Serge Poignant. Je n’en pense pas moins que l’intérêt des smart grids est réel tant pour la gestion des réseaux que pour le consommateur.

M. Jean Gaubert. Monsieur Lucas, gardez le terme d’« écosystème » pour la Commission du développement durable et parlez plutôt d’« environnement économique ». Pourquoi, si ce n’est pour paraître intelligent, mettre des mots à la mode à toutes les sauces alors qu’ils sont en fait impropres ?

Le projet Linky est-il adapté aux enjeux dont nous avons parlé alors que l’on entend parfois dire qu’il est déjà obsolète ? S’il doit permettre à ERDF de gérer correctement son réseau, il doit également offrir des services supplémentaires aux consommateurs, notamment s’agissant de la connaissance de leur consommation afin qu’ils puissent mieux la gérer. Quoi qu’il en soit, faute d’argent, nombre d’entre eux s’en débrouillent depuis longtemps comme ils peuvent en bouchant les ventilations de leur maison plutôt qu’en ouvrant les radiateurs.

S’agissant du fonctionnement du réseau, il ne faudra pas expliquer qu’après les tempêtes et accidents de toutes sortes, les pannes à venir seront le fait des ordinateurs.

Par ailleurs la possibilité, pour un consommateur, de consulter son compteur n’aurait aucune incidence. Or, si les ingénieurs trop sûrs d’eux me font douter, ceux qui doutent m’incitent en revanche à leur faire confiance : les ordinateurs du Pentagone, de Bercy et de l’Elysée devaient être parfaitement sécurisés et ils ont pourtant été piratés. Il faudra donc prendre les mesures qui s’imposent pour se prémunir contre les intrusions.

Madame Le Bihan-Graf, je ne suis pas d’accord avec vous lorsque vous affirmez que les réseaux intelligents mettront fin aux problèmes du réseau câblé. Celui-ci, en effet, a vieilli et il est loin d’être partout en excellent état. Le premier ne suppléera donc pas le second et il me semble délicat de prétendre que des économies d’investissements seront réalisées.

De plus, si l’amortissement en valeur relative du projet Linky représente un euro par an par compteur et pendant vingt ans, il n’en reste pas moins qu’à ce jour ERDF ne peut pas ou ne veut pas emprunter, ce qui obère les investissements en faveur de la qualité matérielle du réseau.

Mme Michèle Bellon. Il nous est tout à fait possible d’emprunter.

M. Jean Gaubert. Je ne suis pas sûr que l’actionnaire principal soit d’accord.

Enfin, vous ne pouvez arguer qu’un tel système reviendra moins cher que la fibre optique puisque celle-ci doit être de toute façon installée sur l’ensemble du territoire. Comment donc réaliser des économies en associant les deux ? C’est leur complémentarité qui importe, non leur mise en concurrence.

M. Daniel Fasquelle. Je trouve détestable cette manie consistant à utiliser systématiquement des termes anglais alors que notre belle langue permet de nous exprimer clairement – les Québécois parlent, par exemple, non de smart grids mais de réseaux de distribution d’électricité intelligents. Si les Français ne défendent pas leur langue, qui le fera ?

Si, en la matière, les intérêts des opérateurs sont évidents – la lutte contre le réchauffement climatique y gagnera également –, je m’inquiète des retombées effectives pour les consommateurs car le manque de concurrence sur ce marché est flagrant. Comment donc articuler complémentarité et concurrence ? J’entends parler de compteurs intelligents mais qui en aura la maîtrise et qui proposera de les installer ? Je ne vois pas trop l’intérêt de cette opération s’il s’agit du fournisseur historique qui dispose aujourd’hui et pour un certain temps encore d’un monopole. Bien entendu, il en ira différemment si une offre diversifiée voit le jour.

La domotique permet aujourd’hui de répondre aux problèmes posés par la dépendance des personnes âgées. Avez-vous intégré cette donnée dans votre réflexion ?

Enfin, la détention d’informations sensibles étant de plus en plus importante, quelles mesures entendez-vous prendre pour protéger la vie privée des clients et éviter que ces dernières ne tombent entre de mauvaises mains ?

Mme Frédérique Massat. Comme M. Gaubert, je fais partie de la mission d’information sur l’état des réseaux et je considère que la présence de réseaux intelligents n’impliquera pas moins le maintien et l’amélioration de la qualité des réseaux de distribution. Nous nourrissons d’ailleurs quelques inquiétudes quant aux priorités qui seront établies et aux financements qui seront déployés à cette fin.

La CRE a lancé un nouvel appel d’offres concernant l’étude technico-économique portant sur le projet de système de comptage développé par Linky. Outre qu’elle devra confirmer les fonctionnalités envisagées par ERDF pour la généralisation du compteur, trois points devront être évalués : la quantification des impacts sur le tarif du tarif d'utilisation du réseau public d'électricité (TURPE) ; l’évaluation des gains apportés par ce système notamment s’agissant de la maîtrise de demande d’énergie ; l’identification des effets de son déploiement sur les investissements concernant la chaîne électrique. Je note que l’appréciation du service rendu aux consommateurs n’a pas été clairement identifiée et qu’il sera particulièrement nécessaire de travailler à garantir la protection des données confidentielles de ces derniers.

Enfin, Google, soucieux de pénétrer le marché des smart grids avec son logiciel PowerMeter, aurait approché ERDF et son compteur communicant Linky. Info ou intox ?

Mme Michèle Bellon. C’est faux.

M. Jean-Pierre Nicolas. S’il est compréhensible que les smart grids puissent contribuer à améliorer la qualité des réseaux vous avez également prétendu, Madame Le Bihan-Graf, qu’ils permettraient de réaliser des économies d’investissements. Or, selon les travaux de la commission sur l’état des réseaux électriques, celles-ci ne joueront qu’à la marge pour résoudre les problèmes liés à la dégradation de la continuité de fourniture – le fameux critère B – en dépit des investissements réalisés par ERDF.

Par ailleurs, nous avons bien compris la dichotomie entre smart grids et smart home.

Le benchmarking étant toujours précieux, quels avantages en termes de réseaux et de clients le groupe ENEL a-t-il retiré de la mise en place des smart grids ? Quels retours avons-nous, en France, de l’expérimentation de 150 000 compteurs communicants ? Avez-vous en particulier mesuré le niveau d’acceptabilité sociale des consommateurs ?

Mme Marie-Lou Marcel. La mise en place de ces réseaux intelligents est présentée comme inévitable pour favoriser la baisse des pics de consommation, éviter les pannes et limiter les pertes en ligne. Or, je la trouve inquiétante car sous couvert d’efficience et de meilleure gestion de l’énergie, des risques n’en sont pas moins présents.

Le contrôle de la consommation pourrait ainsi tendre à la création d’une sorte de compte épargne énergie que nul client ne pourra dépasser une fois que sa consommation aura été définie. De plus, un tel contrôle pourrait conduire à une restriction d’approvisionnement d’énergie en cas de baisse de la consommation d’un usager. Une nouvelle fracture semblable à celle qui existe pour le numérique pourrait également se faire jour entre des usagers informés, regroupés dans des zones urbaines où les fournisseurs sont plus nombreux, et des usagers isolés vivant dans des territoires ruraux ou semi-ruraux. Une confiance aveugle à l’endroit de ces réseaux dits intelligents pourrait aussi entraîner un « bug » catastrophique. Enfin, ce nouveau marché profitera aux opérateurs au détriment des usagers avec, à terme, comme nous l’avons vu dans le domaine de la téléphonie, la mort du service public de l’énergie. Qu’avez-vous à répondre à ces inquiétudes ?

M. Alain Suguenot. Notre débat, si vous me passez la formule, est un peu « édénique » : à Ève qui demandait à Adam s’il l’aimait, celui-ci répondit qu’il n’avait guère le choix. C’est également notre cas : une directive européenne impose la mise en place de ces réseaux, si complexe soit celle-ci. De surcroît, M. Brottes l’a dit, chaque acteur essaiera de gagner de l’argent et le consommateur, s’il manque de vigilance, risque d’être un peu victime de ce nouveau système. Quand le compteur intelligent sera-t-il donc généralisé ?

Par ailleurs, je ne suis pas d’accord avec Mme Le Bihan-Graf : il n’est pas possible d’opposer les infrastructures existantes aux technologies de l’information et de la communication, car nous avons besoin des deux.

Enfin, le déploiement de ce projet nécessitera plusieurs années et le parcours sera semé d’embûches. À l'instar du protocole IP relatif aux réseaux personnels sans fil, la mise en place de normes spécialisées sera nécessaire afin de faire fonctionner ce nouveau maillage coordonné et indépendant. Quand seront-elles donc effectives ?

Mme Geneviève Fioraso. Je suis solidaire de la plupart des propos tenus par mes collègues.

Dans l’agglomération grenobloise, nous menons une opération pilote en matière de réseaux intelligents dans le cadre de l’aménagement d’un nouveau quartier. Nous essayons donc d’anticiper ce que pourrait être une gestion intelligente de l’énergie tant en ce qui concerne les transports que le chauffage à partir des usages des habitants. Or, vous abordez ce problème d’une manière technocratique ou commerciale. Comme l’a dit M. Brottes, des services et des forfaits seront rapidement proposés sans que l’intérêt de l’usager soit très clairement défini tandis que ce dernier aura le sentiment que Big Brother espionnera ses faits et gestes. Il serait bon d’en revenir aux fondamentaux : économie d’énergie, modulation de cette dernière en fonction de son impact sur le climat, modification des usages, gains pour les consommateurs et, notamment, les plus modestes d’entre eux.

À ce propos, notre programme comprend 35 % de logements sociaux : si leurs habitants ne s’y retrouvent pas et s’il s’agit seulement de constituer une nouvelle manne pour les prestataires de services, ce n’est même pas la peine d’installer de tels réseaux. Il faut éviter qu’une nouvelle fracture numérique se creuse et vous devez impérativement remédier à un gros problème de communication qui va jusqu’à remettre en cause notre expérimentation.

Enfin, pourquoi le raccordement au réseau de l’énergie photovoltaïque est-il vingt fois plus long et compliqué en France qu’en Allemagne ? Une amélioration est-elle envisageable ?

M. Jean Dionis du Séjour. Si la mise en place de ces réseaux constitue globalement une bonne nouvelle, comment entraînera-t-elle des économies d’énergies incontestables pour le consommateur ? Alors que les dépenses des ménages explosent, c’est en effet le pouvoir d’achat qui est au cœur du débat, bien plus que les questions écologiques ! Je suis d’accord avec Mme Fioraso : sur ce plan-là, les choses ne sont pas claires.

De plus, ces quinze dernières années, les stratégies d’investissement d’EDF ont parfois été contrastées tant à l’étranger que, après 2005, dans notre pays - suite aux différentes intempéries, l’entreprise avait juré qu’elle investirait considérablement dans les réseaux. De la même manière, l’installation des compteurs intelligents – qui nécessitera quatre milliards – est aujourd’hui considérée comme déterminante. Les sommes en jeu étant très importantes, quelles sont les priorités de l’opérateur historique et quel sera leur calendrier ?

M. le président Serge Poignant. Qu’attendez-vous, Messieurs Schmitt et Lucas, du développement de ces réseaux et comment vos entreprises respectives s’y préparent-elles ?

En permettant un réel pilotage des coupures de fourniture, les compteurs intelligents constitueront une véritable avancée. Le consommateur, c’est essentiel, doit également pouvoir maîtriser sa consommation et réaliser ainsi des économies – c’est d’ailleurs la raison d’être de cette audition.

M. Laurent Schmitt. Alstom s’intéresse bien entendu beaucoup plus à l’amont qu’à l’aval des réseaux smart grids, l’intégration des énergies renouvelables étant en l’occurrence un enjeu central du débat.

Précisément, c’est nous qui avons livré le système de dispatching et de gestion du réseau danois, lequel comprend 15 % d’énergies renouvelables dont, pour moitié et par intermittence, de l’éolien. Les smart grids n’y constituent plus aujourd’hui un enjeu d’optimisation économique pour les particuliers mais il se situe au cœur de la vie quotidienne. Equilibrer la part de l’éolien passe par la gestion de la pointe, mais également par la production, la modernisation du stockage et bien d’autres éléments constitutifs des réseaux intelligents pouvant aussi avoir un effet de levier.

Nos cycles d’investissements technologiques étant de dix à vingt ans, nous sommes aujourd’hui convaincus de la validité de tels réseaux : parce que les éléments essentiels des usages futurs y sont inclus – je songe aux véhicules électriques et aux énergies renouvelables –, leur déploiement plus ou moins intense sera nécessaire en fonction des contraintes de chaque pays.

L’Union européenne évalue à 15 milliards les volumes de marché et des opportunités. Dans le cadre du GIMELEC, regroupement de 230 fournisseurs d’équipement, systèmes, services et solutions électriques, nous avons rédigé un Livre blanc où nous estimons que le marché des technologies d’efficacité énergétique s’élève aujourd’hui à 25 milliards et qu’il doublera d’ici dix ans. Si des acteurs industriels sont d’ores et déjà présents sur l’ensemble de la chaîne, nous sommes quant à nous très actifs afin de créer et de fédérer une filière industrielle – nous souhaitons aider EDF et ERDF à fournir des technologies pour les smart grids en France, mais également soutenir cette filière de manière qu’elle puisse faire des offres de consortium à l’étranger.

M. Lucas a évoqué les standards « aval », les standards « amont » relevant plutôt des énergéticiens dans le cadre du groupe de standardisation International Electrotechnical Commission (IEC). Alstom y est partie prenante aux États-Unis au sein du National Institute of Standards and Technology (NIST) et en Europe via TNI-Europe, ETSIS ou ENELEC, où nous discutons des réseaux intelligents. Si la convergence des standards entre les États-Unis et l’Europe est importante, la Chine réalise de tels investissements sur ses réseaux dans le domaine des énergies renouvelables qu’elle parviendra bientôt à susciter ses propres champions nationaux.

Nous réalisons donc des investissements importants de l’ordre de plusieurs centaines de millions – vous comprendrez que je ne me montre pas plus précis compte tenu du caractère stratégique de ces chiffres et de l’utilisation que pourraient en faire nos principaux concurrents que sont ABB-Siemens et General Electric -, l’Europe - la France en particulier - et les États-Unis constituant nos deux principaux centres stratégiques de recherche et développement.

M. le président Serge Poignant. Il est important qu’un industriel rappelle ces enjeux nationaux et internationaux et combien nos entreprises, dont le savoir-faire est connu, sont bien placées comme en atteste d’ailleurs le remarquable Livre blanc réalisé par le GIMELEC.

M. Philippe Lucas. Si la gestion de l’énergie à la maison constitue la première étape pour s’assurer que l’ensemble des acteurs de la chaîne développe une vision plus cohérente que par le passé – c’est ainsi que le « boîtier domotique » succédera à terme à la simple energy box –, il n’est pas moins vrai qu’à ce jour, nous ne savons pas exactement quels seront les services que nous pourrons vendre à nos clients. Dans les prochaines années, nous procéderons donc à des expérimentations afin de connaître leurs attentes.

Un mandat européen a été publié la semaine dernière concernant la normalisation des smart grids à partir duquel le CEN-CENELEC et l’ETSI travailleront. Élaboré avec l’ensemble des acteurs, il répond assez bien aux problèmes qui se posent en la matière, les premières normes devant être définies dans les deux prochaines années.

Quelles que soient les interrogations sur la gestion intelligente de l’énergie, la concurrence internationale est d’ores et déjà réelle. Si ce sont d’abord les Américains qui ont réfléchi aux smart grids, les Européens et les Chinois leur ont ensuite emboîté le pas. Précisément, le système de normalisation chinois est national, mais le marché intérieur de la Chine est tel qu’il pourrait être internationalisé dans les années à venir. L’Europe a donc intérêt à se positionner sur un plan technologique, le rapprochement avec les États-Unis étant quant à lui important pour parvenir à constituer un marché suffisant, garant d’un bon développement. J’ajoute qu’en la matière nous devons nous méfier d’une éventuelle dispersion de l’Europe dû au caractère disparate de la situation des différents États qui la composent, lequel ne favorise pas l’émergence de normes communes.

Mme Michèle Bellon. Mme Fioraso a raison, nous devons revenir aux fondamentaux, et vous avez été nombreux – M. Brottes, Mme Massat, M. Dionis du Séjour, M. Jean Gaubert – à insister sur l’intérêt des consommateurs. Pour ERDF, l’essentiel est d’abord d’alimenter tous nos clients en électricité dans des conditions optimales de qualité. Depuis 2005, nos investissements ont ainsi significativement crû : par rapport à 2010, où ils avaient augmenté de 10 % comparativement à l’année précédente, ils augmenteront de 300 millions en 2011 pour atteindre 2,820 milliards indépendamment de ceux dédiés aux smart grids. Les investissements technologiques – capteurs, organes de manipulation à distance – contribuent à la qualité du réseau et, en particulier, au rétablissement de l’électricité dans les meilleurs délais possibles pour le client ce qui constitue pour nous, entreprise de service public, une priorité absolue. Il ne convient donc pas d’opposer ces investissements à ceux dédiés aux smart grids car ils sont complémentaires.

M. Jean Dionis du Séjour. La contrainte financière n’est-elle pas réelle ?

Mme Michèle Bellon. Il en va de l’amélioration de la qualité du réseau et des services rendus aux clients. Nous continuerons donc à investir dans les réseaux, mais avec les technologies actuelles.

À la fin de la semaine dernière, nous avons participé à une réunion avec les représentants de quatorze pays européens et les présidents des dix-neuf distributeurs les plus importants qui sont au service de plus de 200 millions de clients. Nous avons réalisé un large tour de table sur les smart grids et sur les compteurs communicants. L’Italie en a déployé 30 millions, essentiellement pour réduire « les pertes non techniques », c'est-à-dire les fraudes – la réduction de ces dernières, notamment au sud du pays, a permis de financer la totalité des installations. Moins sophistiqués que les nôtres, ils ne permettent pas de faire de la maîtrise de la demande d’électricité (MDE), de lancer des impulsions ou de proposer des offres tarifaires permettant de différencier pointe et heures creuses. En Suède, tous les clients disposent de compteurs communicants dont le relevé mensuel est exact et non estimatif, ce qui évite les surprises d’ajustement de fin d’année. La facture comprend de surcroît la consommation des treize derniers mois avec un graphique très pédagogique. Grâce à cela, le consommateur suédois a retrouvé la confiance.

S’il n’est pas facile d’alimenter tous les clients dans des conditions optimales de qualité compte tenu notamment du nombre de kilomètres qui les sépare parfois les uns des autres dans les zones rurales et de leur masse dans les zones urbaines, les compteurs nous permettront de connaître l’état du réseau. L’expérimentation que nous avons réalisée a d’ailleurs été satisfaisante en démontrant que nous étions capables d’en déployer massivement et de les installer dans de brefs délais, mais aussi de valider les processus de déploiement ainsi que le temps de pause – lequel s’élève à 29 minutes contre une estimation initiale de 35 minutes dans notre business plan – et, enfin, de vérifier l’acceptabilité sociale, point particulièrement important puisque le développement des compteurs communicants a d’abord été interrompu en Hollande avant d’être relancé, seuls 2 % des clients refusant finalement à ce jour un tel équipement. Toujours en matière de benchmarking, hors la Suède et l’Italie, différentes expériences pilotes sont menées avec des installations allant de 10 000 à 100 000 compteurs. L’Espagne devrait devenir le troisième pays européen – hors la France – à en déployer massivement. Aux États-Unis, un peu plus de huit millions de compteurs communicants assez semblables aux nôtres ayant été installés, je peux vous garantir que Linky se situe à la pointe du développement technologique. Les constructeurs français sont d’ailleurs prêts à doubler ou à tripler la capacité de leurs usines à Montluçon ou Chasseneuil-du-Poitou et des fournisseurs tels que SAGEMCOM se préparent à développer des usines dans le sud de la France.

J’ajoute que notre compteur a été conçu en parfait accord avec la CRE puisque c’est elle qui a animé le groupe de concertation visant à en définir les fonctionnalités. Tel quel, il permettra, en aval, d’offrir un certain nombre de possibilités pour réaliser de la MDE et de l’« effacement de la pointe » tandis qu’en amont des champions français comme Alstom/Schneider interviendront dans nos centres de conduite pour automatiser nos réseaux.

Par ailleurs, nous discutons avec la Russie et la Chine. Même si ce dernier pays progresse très vite, son retard en matière de réseaux est très important puisqu’avec une mise en service d’une ou deux centrales par semaine les Chinois ont privilégié la construction d’outils de production. Les audits que nous avons réalisés avec State Grid dans les provinces de Jiangxi et de Guangxi montrent également qu’ils n’ont pas pensé aux redondances de réseaux et de centres de conduite, lesquels sont bien moins équipés que les nôtres. De ce point de vue, le marché potentiel de nos industriels est important et les Chinois ne manquent pas de nous solliciter : outre que leur intérêt pour les compteurs communicants est réel, ils sont prêts à construire des usines pour en fabriquer. Cependant, je le répète, ils sont loin d’avoir notre avance – ils se satisferaient même de pouvoir comptabiliser leurs consommations d’électricité ! Comme ils sont passés au téléphone mobile en sautant quasiment l’étape du poste fixe, ils en viendront directement aux compteurs communicants sans avoir vraiment utilisé les compteurs électromécaniques.

En France, un tel système permettra d’améliorer la qualité de l’électricité, de réduire les micro-coupures ainsi que les délais de réalimentation, de garantir la variation de tensions dans des plages acceptables pour les PME et PMI – ce qui augmentera l’attractivité de nos territoires. La modernisation du réseau est donc indispensable afin notamment de sécuriser la qualité de l’alimentation.

Par ailleurs, M. Brottes a raison, le cryptage des informations constitue un problème important et nous y travaillons intensément. Même si je m’interroge sur l’intérêt qu’il y aurait à pénétrer un tel système, la prudence s’impose et nous devons garantir que le niveau de cryptage évolue aussi rapidement que les performances des pirates. Quoi qu’il en soit, le système est évolutif et s’adaptera en permanence aux nouvelles technologies et aux nouveaux besoins.

Enfin, en matière de normes, les industriels français sont très présents et très actifs – plus précisément, nous le sommes quant à nous auprès de SENELEC en particulier. Une compétition est d’ores et déjà engagée avec les Chinois et les Américains et il y a urgence à nous mobiliser. En tant que patriote, je considère que la France a pour une fois une véritable longueur d’avance qu’elle se doit de préserver.

Mme Christine Le Bihan-Graf. Nous partageons le constat d’une dégradation de la qualité sur les réseaux de distribution, dégradation qui implique, comme l’a souligné Mme Bellon, des investissements très importants. À cet égard, se demander à qui profite le développement des réseaux intelligents ne doit pas faire oublier la question de la contribution de ces réseaux au renforcement de la qualité. Faire des réseaux intelligents n’évite pas en effet des investissements dans les réseaux de distribution eux-mêmes : la qualité à laquelle l’usager est le plus sensible a en effet trait au temps de coupure, et la qualité de l’alimentation est bien une problématique qui ne peut être séparée de celle du développement des réseaux intelligents. D’ailleurs – ainsi que Mme Bellon l’a également indiqué –, les pays qui passent directement d’un réseau très vétuste à un réseau intelligent sont ceux qui rencontrent le plus de problèmes en matière de qualité d’alimentation sur les réseaux. Aussi ne faudrait-il pas opposer trop rapidement des investissements qui seraient de qualité en termes de distribution et des investissements qui seraient, eux, quelque peu superfétatoires car ne portant que sur des soucis d’innovation de pays riche.

J’en viens à la question du service public, car se demander là encore à qui profitent les nouvelles technologies est quelque peu ambivalent : on a en effet l’impression d’entendre : « à qui profite le crime ? ». En l’occurrence, il n’y a pas de crime ! Ce que nous avons en tout cas essayé de faire – sans doute insuffisamment –, c’est d’obtenir la confiance du consommateur afin qu’il adhère au projet. Sans cette confiance en effet, on se retrouvera comme dans les années soixante, où l’ordinateur devait remplacer le professeur, ou comme dans les années soixante-dix avec la domotique ou la voiture électrique : cela ne se fera pas. Pour qu’un projet d’innovation aboutisse, il faut la confiance de l’ensemble des parties prenantes.

À cet égard, je crois n’avoir jamais laissé entendre que les problématiques de maîtrise de l’énergie n’étaient que des problématiques de riches, même si, lorsque l’on est à 3 kVA de consommation, il est difficile de faire des économies d’énergie, car l’usage de l’électricité est alors contraint : on ne peut ni toujours manger froid, ni arrêter de se chauffer. Il faut donc que le consommateur trouve un intérêt dans le projet pour qu’il y adhère, ce qui nous ramène à la question de savoir en quoi le consommateur est intéressé au projet.

Ce que nous avons essayé de faire dans les groupes de concertation, a été justement de réfléchir, avec les consommateurs, aux fonctionnalités du compteur dans sa composante de service public relevant du monopole et du gestionnaire du réseau de distribution, sachant que tous les services que pourra offrir la concurrence viendront en plus. Sans doute nous offrira-t-on alors, comme toujours dans notre société de consommation, des services dont nous n’aurons pas besoin et auxquels malheureusement nous souscrirons, ce qui aura pour effet de renchérir le coût final, mais peut-être les entreprises offriront-elles aussi des services auxquels nous n’avions pas pensé et qui pourraient se révéler moins coûteux que d’autres investissements par ailleurs consentis. Je reprendrai à cet égard l’exemple du maintien des personnes âgées à domicile.

L’entreprise Legrand a développé des démonstrateurs permettant de comparer le coût de certains services de maintien à domicile par rapport à celui de la construction d’une place en EHPAD. Des représentants de collectivités locales, notamment dans la Creuse, ont ainsi pu réaliser, en travaillant avec cette même entreprise, que des services offerts par des gestionnaires d’énergie pouvaient permettre d’aborder de manière différente la question de l’intérêt du consommateur dans le système. Si les nouveaux services ne seront pas tous nécessairement considérés comme d’intérêt général, l’intérêt du consommateur – qui devra bien évidemment se prononcer sur ces services – est bien au cœur du système.

Dans ce contexte, l’évaluation de l’expérimentation Linky permettra de vérifier si les fonctionnalités du projet, conçues pour être au service du consommateur, sont vraiment fonctionnelles, si leur coût ne dérive pas et si elles sont suffisantes pour atteindre leur objectif, à savoir la maîtrise de l’énergie et la meilleure efficacité énergétique.

M. le président Serge Poignant. Il me reste à vous remercier, Mesdames, Messieurs, pour cette discussion fort intéressante et qui nous sera très utile.

LE RÉSEAU DE DISTRIBUTION D’ÉLECTRICITÉ EN SUÈDE

COMPTE RENDU DU DÉPLACEMENT DE LA MISSION D’INFORMATION À STOCKHOLM

1. Un réseau qui comporte trois niveaux

Le réseau suédois est géré par des entreprises qui sont propriétaires du réseau sur le périmètre de la concession qui leur est attribuée. Le régulateur suédois, Energimarknadsinspektionen (El), est l’autorité concédante. Initialement créée en 2005 comme une entité autonome au sein de l’Agence suédoise de l’Énergie, EI est une agence de régulation de l’État indépendante depuis le 1er janvier 2008.

Le réseau de transport relie les grandes installations de production, principalement les centrales hydrauliques du Nord du pays, aux bassins de consommation, situés dans le Sud de la Suède, par des lignes à très haute tension (220 – 400 kV). La compétence d’entreprises suédoises comme ABB dans le domaine de la transmission repose sur cette organisation nationale historique et sur une tradition marquée des lignes haute tension. Le réseau de transport est la propriété d’un établissement public, Svenska Kraftnät, qui est également responsable de l’équilibre du système (dispatching).

Contrairement au réseau français, le réseau suédois comporte un échelon régional intermédiaire, qui concerne les lignes d’une tension comprise entre 20-40 kV et 130 kV, soit l’équivalent de la moyenne et de la haute tension du réseau français. Cinq opérateurs sont chargés de la distribution de ce segment du réseau, parmi lesquels on compte les trois « majors » du secteur de l’électricité en Suède : Vattenfall, entreprise possédée à 100% par l’Etat suédois, Fortum, société finlandaise, et E.ON, opérateur allemand.

Enfin, le réseau local est fragmenté en 194 concessions géographiques, sur lesquelles opèrent 172 gestionnaires différents. Plus de la moitié du réseau est gérée par des entreprises qui desservent moins de 10 000 usagers. On assiste néanmoins à une consolidation rapide du secteur : le nombre de concessions, qui était de près de 300 en 1996, a rapidement diminué. En effet, l’activité de gestion du réseau n’est pas très rentable, ce qui met en péril les plus petites entreprises : en 2009, les entreprises suédoises du réseau ont réalisé 2,3 milliards d’euros de recettes contre 2,0 milliards de dépenses, soit un résultat net de 300 millions d’euros et un bénéfice de 4,72 % du capital. La plupart des distributeurs sont désormais des filiales des trois grands groupes d’électricité. La stratégie de l’énergéticien public Vattenfall est, toutefois, de céder ses activités de distribution, comme en témoigne la vente de son réseau allemand (9 700 km de lignes, 19 millions de consommateurs) pour 810 M€ au Belge Elia en mars 2010.

Certains réseaux sont la propriété des communes, mais il n’existe pas de lien direct entre les limites administratives et les limites des concessions : deux opérateurs locaux différents peuvent desservir une même commune.

2. Une absence de péréquation tarifaire

La redevance d’utilisation du réseau représentait 18 % du coût de l’électricité en 2010 :

DÉCOMPOSITION DE LA FACTURE D’ÉLECTRICITÉ D’UNE HABITATION INDIVIDUELLE (CONSOMMATION MOYENNE DE 20 MWH)

Source : El

Chaque gestionnaire de réseau fixe son propre tarif d’acheminement. Il y a donc une péréquation à l’intérieur de chaque concession, mais les écarts entre les différents tarifs proposés sont assez importants.

RÉPARTITION DES 290 COMMUNES SUÉDOISES SELON LE TARIF D’ACHEMINEMENT ACQUITTÉ SUR LEUR TERRITOIRE (€/KWH)


Source
 : El

Le régulateur suédois, El, exerce un contrôle sur ceux-ci. Selon la procédure actuelle, il compare le tarif imposé par le distributeur à celui d’un « concurrent fictif ». Le bénéfice de l’opérateur ne peut pas être supérieur à 5,6%. A partir de 2012, pour se conformer aux directives européennes, la comparaison entre les tarifs constatés et les tarifs du « concurrent fictif » se feront ex ante.

Les sanctions à disposition du régulateur en cas de tarifs abusifs sont de deux types. Les sanctions économiques peuvent prendre la forme de remboursements – durant les deux dernières années, quinze entreprises ont dû rembourser leurs clients pour un montant total de quatorze millions d’euros –, ou d’amendes. Quant aux sanctions administratives, elles peuvent aller jusqu’à la révocation de la concession.

3. La mise en place d’un dispositif de sanctions en cas de coupures : un succès

A l’image du réseau français, le réseau suédois a été dévasté par des tempêtes de grande envergure. Gudrun, en 2005, et Per, en 2007, ont fait d’autant plus de dégâts que la Suède est un pays qui est recouvert par une surface de forêts importante (67% du territoire). Plus de 660 000 usagers furent privés d’électricité, pour des durées pouvant aller jusqu’à six semaines !

En réaction à la tempête Gudrun, le Parlement suédois, dont la mission a rencontré des représentants, a introduit un dispositif de sanctions très dissuasives, pour obliger les entreprises concessionnaires à effectuer les investissements nécessaires à la sécurisation du réseau. Depuis le 1er janvier 2006, un système d’indemnisation directe en cas de coupures longues de plus de 12 heures est imposé par loi sur l’électricité. Pour une coupure comprise entre 12 heures et 24 heures, le gestionnaire doit rembourser 12,5% du coût annuel de l’abonnement à l’usager, au dessus du seuil minimal de 90 € et pour un montant maximal de 300% du coût annuel de l’abonnement dans le cas de plusieurs coupures. Depuis le 1er janvier 2011, aucune coupure supérieure à 24 heures, ayant pour origine une cause définie sous le contrôle de l’opérateur, n’est autorisée en Suède.

Cette évolution a produit les effets escomptés. Après la tempête Per, les usagers indemnisés se sont partagés un montant de 60 millions d’euros versés par les entreprises de distribution. Le nombre de coupures comprises entre 12 heures et 24  heures a fortement diminué : 155 332 en 2007, 83 562 en 2008 et 12 581 en 2009, pour les cinq plus grands opérateurs. Les coupures supérieures à 24  heures ont atteint : 202 456 en 2007, 24 838 en 2008 et 3 581 en 2009. D’autre part, les parlementaires notent avec satisfaction une reprise des investissements sur le réseau, et notamment de l’enfouissement. Toutefois, comme l’illustre le graphique suivant, cet accroissement des efforts financiers à destination du réseau, lié en particulier à l’interdiction des coupures supérieures à 24  heures dès 2011 et à la pose de compteur de télé-relève, a eu pour corollaire l’augmentation de la redevance d’utilisation du réseau suédois. Cette hausse est, par ailleurs, due à de nouveaux investissements sur le réseau de transport qui s’élèvent à 450 M€ sur la période 2009-2011, générant une augmentation de 32% de la redevance du réseau de transport en 2010.

Source : El

4. Une avance suédoise en matière de smart grids à relativiser

Depuis 2003, le distributeur a obligation de poser des compteurs dotés de dispositifs de télé-relève. Ainsi, chaque consommateur dispose d’une facture mensuelle, rendue obligatoire depuis le 1er juillet 2009, calculée à partir de sa consommation réelle, et non à partir d’une estimation. La mission ne remet pas en cause les progrès induits par cette mesure, mais considère qu’ils ne sont qu’une première étape vers la mise en œuvre de réseaux réellement intelligents. En particulier, un pas de mesure mensuel ne paraît pas suffisant pour que le consommateur puisse gérer sa consommation ou que les fournisseurs mettent en place des services « en aval du compteur ».

Les membres de la mission ont également pu assister à une présentation du nouveau projet de quartier « vert », Norra Djurgården. Celui-ci est sous-tendu par un volontarisme politique indéniable, notamment de la part de la mairie de Stockholm. Pour autant, la phase de réalisation du premier smart grid suédois à grande échelle, n’est pas encore lancée.

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

AUDITIONS INDIVIDUELLES

– DGEC

M. Pierre-Marie Abadie, directeur

– M. Maurice Méda et M. Michel Lapeyre, anciens vice-présidents de la CRE

– ERDF

Mme Michèle Bellon, présidente du directoire

Mme Sylvie Billion, directrice financière

Mme Catherine Halbwachs, directrice des relations institutionnelles

– SERCE

M. Bernard Vadon, président

Mme Anne Valachs, directeur général

– GDF Suez

M. Henri Ducre, membre du comité exécutif, directeur de la Branche énergie France

M. Georges Liens, directeur stratégie développement régulation Branche infrastructures

M. Florent Bergeret, responsable Développement & Intégration Production électricité France

M. Éric Heitz, délégué aux relations avec le Parlement et les cabinets ministériels

– POWEO

Mme Nathalie Dostert, directeur des relations avec les opérateurs de réseaux

Mme Dorothée Coucharriere, directeur des affaires institutionnelles et européennes

– Direct Énergie

M. Fabien Choné, directeur général

Mme Anne Barbarin, directrice des affaires réglementaires

M. Éric Wagner, directeur réseaux de distribution

– CRE

M. Philippe de Ladoucette, président

Mme Christine Le Bihan, directeur général

Mme Marie-Solange Tissier, commissaire

M. Didier Laffaille, chef du département technique de la Direction de l’accès aux réseaux

– FNEM-FO

M. Jacky Chorin, secrétaire fédéral

M. Vincent Hernendez, délégué syndical central ERDF

M. Jacques Huguet, représentant syndical au CCE d’ERDF

– CLCV

Mme Reine-Claude Mader, présidente

– CFE-CGC

M. Christian Taxil, secrétaire général

M. Hervé Quatrelivre, administrateur salarié ERDF

M. Alexandre Grillat, administrateur salarié EDF

– ANROC

M. Guillaume Tabourdeau, délégué général de l’ANROC

M. Denis Mathieu, directeur général d’URM Metz

M. Jean-Jacques Jouanguy, directeur général de Gérédis Deux-Sèvres

M. Christophe Chauvet, directeur général SICAE de la Somme & du Cambraisis (SA)

– UFC-QUE CHOISIR

M. Gérard Barbier, administrateur

Mme Caroline Keller, chargée de mission Énergie

– FACÉ

M. Jean-Pierre Château, directeur

– GRDF

Mme Laurence Hézard, directeur général

M. Jean Lemaistre, directeur stratégie finances

M. Thierry Prouteau, directeur des affaires publiques et européennes

– CFDT - FCE

Mme Marie-Hélène Gourdin, secrétaire fédérale

M. Philippe Lebre, délégué syndical central ERDF

M. Jean-Luc Rigo, délégué syndical central GDF

– FNME – CGT

M. Bruno Bosquillon

Mme Marie-Claire Cailletaud

M. Decocq Olivier

– FNCCR

M. Xavier Pintat, président du conseil d’administration

M. Pascal Sokoloff, directeur général des services

– ADEME

Mme Virginie Schwarz, directrice exécutive des programmes

– Syndicat départemental d’électricité des côtes d’Armor

M. Joël Lamboley, vice-président

– M. Marcel Boiteux, président d’honneur d’EDF

– Mairie de Paris

M. Denis Baupin, conseiller de Paris, adjoint au maire, chargé du développement durable

– M. Michel Francony, ancien président du directoire d’ERDF

– GIMELEC

M. Frédéric Abbal, président du Gimélec, président de Schneider Electric France

– EDF

M. Jean Louis Mathias, directeur exécutif groupe en charge de la certification des activités France

Mme Corinne Fau, directeur financier

M. Marc Espalieu, directeur coordination des actifs régulés

M. Patrice Bruel, délégué aux régulations

M. Bertrand Le Thiec, directeur adjoint aux affaires publiques

– RTE – Visite du Centre national d’exploitation du système (CNES)

TABLE RONDE SUR L’ENJEU DU RACCORDEMENT
DU PHOTOVOLTAÏQUE

– EDF

M. Patrice Bruel, délégué aux régulations

M. Michel Matheu, direction ENR

M. Bertrand Le Thiec, directeur adjoint Affaires publiques

– SER

M. André Antolini, président du SER

M. Jean-Philippe Roudil, délégué général

M. Arnaud Mine, président de SOLER (commission du SER), Groupement français des professionnels du solaire photovoltaïque, et président d’Urbasolar

Mme Nathalie de Lacroix, consultante, cabinet Fractal

– ERDF 

M. François Abkin, secrétaire général

M. Jean-Luc Huet, conseiller auprès du président

– FNCCR

M. Alexis Gelle, chef des services du développement des réseaux d’électricité et de gaz et de l’éclairage public

M. Charles-Antoine Gautier, chef du service du contrôle des concessions d’électricité et de gaz.)

M. Daniel Belon, directeur adjoint, chef du département Développement durable

– DGEC

M. Pierre-Marie Abadie, directeur

M. Louis Sanchez, chef du bureau réseaux électriques

M. Nicolas Barber, chef du bureau des énergies renouvelables

DÉPLACEMENT EN SUÈDE
31 MARS ET 1ER AVRIL 2011

– Ambassade de France en Suède

M. Joël De Zorzi, Ambassadeur de France en Suède

M. Olivier Rousseau, chef du Service économique régional

M. Laurent Clavel, conseiller financier pour les pays nordiques, Service économique régional

M. Julien Grosjean, attaché Environnement, énergie et agriculture, Service Économique régional

– Parlement suédois – Rencontre des parlementaires de la Commission des Affaires économiques

M. Lars Johansson (Parti social-démocrate)

Mme Carina Adolfsson Elgestam (Parti social-démocrate)

M. Börje Vestlund (Parti social-démocrate)

M. Jonas Jacobsson (Parti du rassemblement modéré)

– Ministère suédois des Entreprises, de l’Énergie et des Communications

M. Daniel Johansson, Secrétaire d’État à l’Énergie

Mme Pernilla Winnhed, directrice de la Direction de l’Énergie

– Agence suédoise de régulation de l’énergie (Energimarknadsinspektionen)

M. Kolessar, directeur des analyses techniques

– Visite du projet pilote « Smart Grid » du quartier durable de Norra Djurgården

M. Tomas Wall, directeur de la recherche et du développement, Entreprise Fortum

– Association nationale des propriétaires d’habitations individuelles (Villaägarnas riksförbund)

M. Hans Lemker, directeur

M. Jakob Eliasson, responsable des questions énergétiques

1 () La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

2 () Enjeux géopolitiques autour de la distribution d’électricité en France, Guillaume Bouvier, Hérodote, n° 110, La Découverte, 3e trimestre 2003

3 () 6ème baromètre « Les Français et l’énergie », mars 2010

4 () Rapport sur la « qualité de l’électricité », Diagnostics et propositions relatives à la continuité de l’alimentation électrique, octobre 2010

5 () Rapport relatif à la limitation de l’impact des événements climatiques majeurs sur le fonctionnement des réseaux de distribution d’électricité, rapport du Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies et du Conseil général de l’environnement et du développement durable, Gilles Bellec, Ingénieur général des Mines, Bruno Sauvalle, Ingénieur en chef des Mines, Henri Boye, Ingénieur en chef des Ponts, des eaux et des forêts, et Michel Rochas, Ingénieur général des Ponts, des eaux et des forêts, 1er juin 2010.

6 () Délibération sur la proposition de la Commission de régulation de l’énergie du 26 février 2009 relative aux tarifs d’utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité

7 () Cf. infra

8 () Cf. infra

9 () Rapport d’information de la Commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, présenté par M. Philippe Meunier, Le Rhône et les PCB : une pollution au long cours, enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 25 juin 2008

10 () Etude technique sur la fragilité des réseaux publics de distribution d’électricité face aux événements climatiques majeurs, étude réalisée pour le compte de la FNCCR (Fédération nationale des collectivités concédantes et régies), 10 septembre 2009

11 () Fonds d’amortissement des charges d’électrification

12 () Câbles papier imprégné : il s’agit des câbles de première génération, installés à partir des années 1960 et jusque dans les années 1980, qui mettaient en oeuvre une technologie d’isolants, notamment en papier imprégné d’huile. Leur taux de défaillance étant important, les CPI sont peu à peu remplacés par des câbles à isolant synthétique

13 () La sécurisation du système électrique français, rapport du Conseil général des Mines, M. Gérard Piketty, Ingénieur général des Mines, M. Claude Trink, Ingénieur en chef des mines, M. Renaud Abord de Chatillon, Ingénieur général des mines, mai 2000

14 () Au sens strict du terme, la « sécurisation » des réseaux fait référence à la résistance de ceux-ci aux aléas climatiques

15 () Rapport de la mission en charge du suivi du dispositif règlementaire relatif à la qualité de l’électricité, octobre 2009

16 () Pour plus de précisions, se reporter au compte rendu du déplacement de la mission en Suède.

17 () Arrêté du 10 décembre 2010 relatif à la contribution annuelle des gestionnaires de réseaux publics de distribution d'électricité au Fonds d'amortissement des charges d'électrification pour l'année 2010

18 () Notons toutefois la possibilité ouverte par l’article 14 de la loi n° 2009-431 du 20 avril 2009 de finances rectificative pour 2009, modifiant l’article L. 5212-24 du code général des collectivités territoriales : « Afin de financer la réalisation ou le fonctionnement d'un équipement, des fonds de concours peuvent être versés entre le syndicat d'électricité et les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale membres après accords concordants exprimés à la majorité simple du comité syndical et des conseils municipaux ou des organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale concernés ».

19 () Le service public de distribution de l’électricité et l’intercommunalité, Rapport public annuel de la Cour des comptes, 2001

20 () Rapport d’observations définitives, Ville de Paris, Délégation du service public de distribution de l’énergie électrique dans Paris, 30 août 2010

21 () La Ville peut stopper le contrat en 2019, au moment où le Syndicat Intercommunal de la Périphérie de Paris pour l'Electricité et les Réseaux de Communication (SIPPEREC) devra aussi renouveler son contrat.

22 () Article 11 de la loi NOME, modifiant l’article 4 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 : « Toutefois, s’agissant du raccordement d’une installation de production d’électricité, la contribution versée au maître d’ouvrage précité couvre intégralement les coûts de branchement et d’extension des réseaux, que ces travaux soient réalisés sous la maîtrise d’ouvrage des autorités organisatrices de la distribution publique d’électricité mentionnées à l’article 2 ou celle des gestionnaires de ces réseaux, conformément à la répartition opérée par le contrat de concession ou par le règlement de service de la régie. »

23 () Rapport de la concertation avec les acteurs concernés par le développement de la filière photovoltaïque, Jean-Michel Charpin, inspecteur général des finances, Claude Trink, ingénieur général des mines, Raphaël Contamin, Olivier Teissier, Nicolas Barber, Julien Marchal, rapporteurs, 17 février 2011

24 () Pour plus de précisions, se reporter au compte rendu de cette audition, joint au rapport.

25 () Pour plus de précisions, se reporter au compte rendu de cette audition, joint au rapport.

26 () L’EBITDA (Earnings before interest, taxes, depreciation and amortization) est une notion de comptabilité anglo-saxonne que l’on peut rapprocher de l’excédent brut d’exploitation. « L'excédent brut d'exploitation est le solde entre les produits d'exploitation et les charges d'exploitation qui ont été consommées pour obtenir ces produits. Il correspond donc au résultat du processus d'exploitation, et diffère du résultat d'exploitation dans la mesure où il ne prend pas en compte les dotations aux amortissements et provisions pour dépréciation d'actif. Très proche de l'excédent de trésorerie d'exploitation, l'EBE est une variable-clé de l'analyse du compte de résultat » (Dictionnaire Vernimmen)

27 () Pour plus de précision, se reporter au compte rendu du déplacement de la mission en Suède joint en annexe.

28 () Dans le droit en vigueur, le TURPE est fixé par décision ministérielle sur proposition de la CRE ; toutefois, cette procédure évoluera avec la publication de l’ordonnance de transposition des directives du 3ème paquet de libéralisation du secteur de l’énergie : la CRE sera désormais compétente pour calculer et délibérer sur le niveau du tarif, le Ministre conservant la possibilité de demander une « nouvelle délibération » s’il estime que le tarif fixé par la CRE ne tient pas compte des orientations de politique énergétique qu’il aura fixées préalablement

29 () Avis du 14 janvier 2010 sur le projet de modification de l’arrêté relatif à la qualité


© Assemblée nationale