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N° 3602

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 29 juin 2011.

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET À L’ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES SUR le temps partiel

PAR Mme Marie-Jo ZIMMERMANN

Députée.

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La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de :

Mme Marie-Jo ZIMMERMANN, présidente ; Mmes Danielle BOUSQUET, Claude GREFF, Geneviève LEVY, Bérengère POLETTI, vice-présidentes ; Mme Martine BILLARD, M. Olivier JARDÉ, secrétaires ; Mmes Huguette BELLO, Marie-Odile BOUILLÉ, Chantal BOURRAGUÉ, Valérie BOYER, Martine CARRILLON-COUVREUR, Joëlle CECCALDI-RAYNAUD, Marie-Françoise CLERGEAU, Catherine COUTELLE, Pascale CROZON, Marie-Christine DALLOZ, Claude DARCIAUX, Marianne DUBOIS, Odette DURIEZ, M. Guy GEOFFROY, Mmes Arlette GROSSKOST, Françoise GUÉGOT, M. Guénhaël HUET, Mme Marguerite LAMOUR, M. Bruno LE ROUX, Mmes Gabrielle LOUIS-CARABIN, Jeanny MARC, Martine MARTINEL, Henriette MARTINEZ, M. Jean-Luc PÉRAT, Mmes Josette PONS, Catherine QUÉRÉ, MM. Jacques REMILLER, Daniel SPAGNOU, Philippe VITEL.

INTRODUCTION 5

CHAPITRE IER : LE TRAVAIL À TEMPS PARTIEL EST UN FACTEUR AGGRAVANT DES INÉGALITÉS PROFESSIONNELLES 7

I. UN CONSTAT QUI FAIT L’UNANIMITÉ 7

A. LE TEMPS PARTIEL EST MAJORITAIREMENT RÉSERVÉ AUX FEMMES 7

1. Le développement du temps partiel a toujours concerné principalement les femmes 7

2. Cette forme de sous-emploi s’est accrue pour les femmes avec la crise 10

B. LE TEMPS PARTIEL N’EST PAS LA BONNE RÉPONSE AUX OBLIGATIONS FAMILIALES QUI PÈSENT SUR LES FEMMES 12

II. LE TEMPS PARTIEL EST DEVENU UN MODE DE GESTION DE LA MAIN- D’œUVRE 13

A. UNE GESTION PLUS FLEXIBLE POUR LES EMPLOYEURS 13

B  DES CONSÉQUENCES LOURDES POUR LES FEMMES 15

1. La précarité et parfois la pauvreté 16

2. Des horaires atypiques 19

3. L’absence de certains droits sociaux 21

4. Le déficit de formation 22

5. L’effet retard sur les retraites 23

CHAPITRE II : L’ENCADREMENT JURIDIQUE TROP PEU CONTRAIGNANT REND NÉCESSAIRE UNE APPROCHE NOUVELLE 25

I. UN CADRE JURIDIQUE TROP PEU CONTRAIGNANT 25

A. UN ACCÈS À L’EMPLOI QUI SE REFERME COMME UN PIÈGE 25

1. Un accès au marché du travail facilité pour les femmes qui se transforme en sous-emploi 25

2. Des droits et des garanties qui souffrent de plus en plus d’exceptions 27

3. De trop rares accords collectifs 30

4. Des dispositions intéressantes mais souvent inabouties 32

a) En matière de retraites 32

b) Sur la priorité pour les postes à temps plein 33

c) Sur le bilan d’étape professionnel et le passeport formation 34

II. LA NÉCESSITÉ D’UNE APPROCHE NOUVELLE 36

A. LES ACCORDS COLLECTIFS DOIVENT ÊTRE NÉGOCIÉS AU NIVEAU DE LA BRANCHE D’ACTIVITÉ 36

B. LE RECRUTEMENT À TEMPS PARTIEL DOIT DEVENIR MOINS ATTRACTIF POUR LES ENTREPRISES 37

1. Un encadrement juridique plus contraignant 38

a) L’obligation de justifier un recrutement à temps partiel 38

b) Le renforcement de la priorité d’embauche des salariés à temps partiel sur des postes équivalents à temps complet 39

c) L’introduction d’une durée légale minimum de temps de travail. 40

d) Le versement d’une prime de précarité au départ d’un salarié à temps partiel 40

e) La majoration pour heure complémentaire dès la première heure dépassant la durée contractuelle 40

f) L’obligation de surcotiser pour l’assurance vieillesse si le salarié en fait la demande 41

g) Supprimer les dérogations autorisant des interruptions de plus de deux heures de la journée de travail 42

h) Supprimer les dérogations permettant de réduire le délai de prévenance pour les changements d’horaires et de durée du travail 42

2. Décourager les abus du temps partiel 42

C. AMÉLIORER LES CONDITIONS D’ACCÈS AUX ALLOCATIONS CHÔMAGE ET À LA RETRAITE À TAUX PLEIN 42

1. Le droit au chômage en cas de pluralité d’employeurs 42

2. La retraite à taux plein à 65 ans 43

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 45

SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS ADOPTÉES 51

ANNEXE 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA DÉLÉGATION 53

ANNEXE 2 : COMPTES RENDUS DES AUDITIONS 55

MESDAMES, MESSIEURS,

Le code du travail définit le salarié à temps partiel, comme étant celui dont la durée du travail est inférieure à la durée légale ou à celle fixée conventionnellement pour la branche d’activité ou l'entreprise.

Ce type d’emploi à temps partiel est souvent présenté comme un moyen pour les femmes de concilier une activité professionnelle avec leurs obligations familiales lesquelles leur incomberaient presque naturellement.

Mais y a-t-il vraiment un choix lorsque les femmes travaillent à temps partiel faute de solution pour garder les enfants ou soigner un ascendant, pour mieux supporter des conditions de travail trop pénibles ou pour éviter un licenciement ?

Et puis il y a toutes les autres, celles à qui seule cette forme de sous-emploi est offerte dès l’embauche et qui, paradoxalement, en raison des horaires décalés ou atypiques qui leur sont imposés, ne peuvent pas avoir une vie de famille normale.

Les conséquences préjudiciables sont multiples pour les femmes, en termes de salaires, de carrières, d’horaires, de droits sociaux et de retraites, au point que certains observateurs assimilent contrats à temps partiel et contrats précaires.

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale, avait déjà dénoncé, dans des rapports de 2004 et de 2007, les lourdes menaces que faisaient peser le travail à temps partiel sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Des recommandations avaient été formulées, notamment sur la nécessité pour les entreprises, d’appliquer la disposition introduite par la loi du 21 août 2003 sur les retraites permettant de cotiser sur la base d’un temps plein, ou encore sur le respect du principe de la priorité des salariés à temps partiel pour l’attribution des emplois équivalents à temps plein.

La majorité de ces recommandations n’ayant pas été suivie d’effets significatifs et la situation des femmes à temps partiel continuant de se dégrader, la Délégation a décidé de procéder à un nouvel examen de ces questions en limitant cette approche au secteur privé.

La Délégation constate aujourd’hui, après avoir procédé à une série d’auditions, une aggravation de la situation et un recul des droits. L’absence de négociation collective dans les branches professionnelles les plus utilisatrices du temps partiel rend inopérantes certaines avancées législatives et parallèlement les accords d’entreprises, peu protecteurs, utilisent toutes les dérogations possibles, aux règles plus favorables aux salariés, autorisées par le code du travail.

En trente ans, nous sommes passés de 1 500 000 salariés à temps partiel à 4 600 000, dont 82 % de femmes.

Il faut enrayer cette progression excessive du travail à temps partiel contraint constatée principalement dans les secteurs du commerce, de l’hôtellerie, de la restauration et des services aux particuliers et aux entreprises.

Plusieurs propositions sont formulées pour rendre dissuasive l’embauche à temps partiel et renforcer les droits de celles qui ne peuvent l’éviter.

Il existe une véritable urgence sociale pour les pouvoirs publics à affronter ces questions et à permettre à plus de 3 millions de femmes de sortir de l’enfermement dans la précarité et au-delà dans la pauvreté. Pour qu’elle puisse être correctement traitée, la question du travail à temps partiel doit être déconnectée de celle de la conciliation, pour les femmes, entre vie familiale et vie professionnelle.

CHAPITRE IER :
LE TRAVAIL À TEMPS PARTIEL EST UN FACTEUR AGGRAVANT DES INÉGALITÉS PROFESSIONNELLES

Dans tous les pays, plus de 80 % des salariés qui travaillent à temps partiel sont des femmes. Même lorsque c’est un « choix » lié aux contraintes familiales, il s’accompagne de salaires, de promotions et de retraites partiels. Le paradoxe est que, lorsqu’il est « contraint » et imposé par l’employeur, le temps partiel peut très souvent devenir incompatible avec les besoins de la famille en raison des horaires atypiques auxquels il est associé dans certains secteurs. De plus, les salaires toujours très faibles qui sont versés aux femmes qui travaillent à temps partiel ne contribuent pas à faciliter la vie familiale.

I. UN CONSTAT QUI FAIT L’UNANIMITÉ

Une citation extraite d’un ouvrage de Mme Françoise Milewski (1), économiste, résume parfaitement la situation : « Si le temps partiel contraint permettait d’accéder au temps plein, si les emplois à durée limitée permettaient d’accéder aux emplois stables, si la faible qualification pouvait être surmontée par la formation professionnelle et l’évolution vers d’autres métiers, on s’interrogerait moins sur la précarité ».

A. LE TEMPS PARTIEL EST MAJORITAIREMENT RÉSERVÉ AUX FEMMES

Qui dit « temps partiel » pense « femme ». C’est une évidence rappelée par Mme Margaret Maruani, sociologue, entendue par la Délégation. Mais le corps social, parce qu’il considère que, finalement, le sort des femmes est de subir des situations qui seraient jugées inacceptables pour les hommes, trouve cette équation normale, alors qu’elle est proprement inacceptable tant dans son principe que dans ses conséquences.

1. Le développement du temps partiel a toujours concerné principalement les femmes

Le développement du temps partiel n’est pas nouveau. Il tient au cumul de plusieurs facteurs. L’emploi du secteur tertiaire a progressé en longue période. Or ce secteur emploie proportionnellement plus de femmes et plus de salariés à temps partiel que l’industrie. La politique économique visant à lutter contre le chômage en développant le temps partiel puis à alléger les charges sociales des entreprises sur les bas salaires a concouru à développer les offres d’emploi à temps partiel dans les années 1990 et jusqu’en 2002.

Les femmes et surtout les moins qualifiées d’entre elles, ont été les principales concernées par ces formes d’emplois, soit à défaut d’une meilleure offre, soit pour faire face à leurs obligations familiales.

Le travail à temps partiel est plus ou moins flexible, multiforme, diversifié et de durée variable, mais il est toujours majoritairement féminin et ce dans toute l’Europe.

Dans l’Europe des Quinze (2) en 2010, 38 % des femmes et 9 % des hommes travaillent à temps partiel et le taux de féminisation du travail à temps partiel dépasse les 80 %.

Dans quatre pays d'Europe du Nord, près de la moitié des femmes actives travaillent à temps partiel : 46 % en Allemagne, 44 % en Autriche, 43 % au Royaume-Uni et aux Pays-Bas le ratio est de 76 %.

Avec de tels pourcentages on doit considérer que le temps partiel tend à se substituer à l’emploi à taux plein.

En France, le travail à temps partiel est un phénomène assez récent. Son essor date du début des années 1980 : de près de 1,5 million d'actifs travaillant à temps partiel en 1980, on est passé à 4,6 millions aujourd'hui.

En 2004, 30 % des femmes actives en France étaient salariées à temps partiel, mais ce pourcentage est en progression principalement pour les jeunes femmes qui entrent sur le marché du travail.

Le tableau ci-après retrace l’évolution de la population active féminine et du travail à temps partiel féminin entre 1975 et 2010.

On constate qu’en moyenne, le travail à temps partiel féminin s’est stabilisé autour de 30 % entre les années 2005 et 2009. Une reprise de la progression semble amorcée en 2010, l’emploi à temps partiel progressant parallèlement à l’augmentation du taux d’activité des femmes.

CROISSANCE DE LA POPULATION ACTIVE ET DÉVELOPPEMENT DU TRAVAIL
À TEMPS PARTIEL FÉMININ (FRANCE 1975-2010)

 

Croissance de la population active féminine

Développement du travail à temps partiel féminin

 

Effectifs
(en milliers)

Taux d’activité
(en %)

Effectifs
(en milliers)

Part dans l’emploi (en %)

1975

8 246

39,2

1 340

16,4

1980

9 189

41,7

1 487

17,2

1985

10 081

44,0

1 938

21,8

1990

11 042

46,3

2 220

23,6

1995

11 793

47,9

2 833

28,9

1997

11 979

48,1

3 052

30,9

2005

12 896

64,6

3 554

30,7

2006

13 025

64,7

3 592

30,3

2007

13 158

65,0

3 651

30,8

2008

13 297

65,3

3 658

30,1

2009

13 465

65,9

3 598

29,6

2010

13 603

66,2

3 725

30,6

Source : Bordes et Gonzalez-Demichel [1998], pour les années 1975-1997. Puis Eurostat, Enquêtes sur les forces de travail, données trimestrielles, extraction 2010 (premier trimestre).

Un point important mérite également d’être signalé concernant l’âge des femmes qui travaillent à temps partiel.

Contrairement à une idée répandue, ce n'est pas chez les femmes de 25 à 49 ans, période correspondant à l’éducation des enfants, que le travail à temps partiel est le plus fréquent. Dans la plupart des pays de l'Europe des Quinze, ce sont les femmes âgées de plus de 50 ans qui connaissent les plus forts taux de travail à temps partiel. La moyenne européenne s'établit, en 2010, à 39,4 % pour les 50-64 ans et à 69,8 % pour les plus de 65 ans alors qu'elle se situe à 35,7 % pour les femmes de 25 à 49 ans. Dans certains pays comme le Danemark, la France, le Portugal, la Suède, la Grèce et la Finlande, c'est dans la tranche 25-49 ans que l'on trouve les plus faibles pourcentages de femmes travaillant à temps partiel.

Cette indication permet de remettre en cause la présentation du temps partiel comme un choix principalement effectué par les femmes pour concilier vie professionnelle et vie familiale. Cela ressort également de l’enquête « Emploi 2005» de l’INSEE, selon laquelle, seuls 35,4 % des salariées travaillant à temps partiel évoquent des raisons familiales (pour s’occuper des enfants ou d’un autre membre de la famille). Pour 30,7 % d’entre elles, la raison invoquée est l’impossibilité de trouver un emploi à temps plein.

Le tableau suivant relatif au travail à temps partiel selon l’âge en France en 2010 confirme cette donnée.

TRAVAIL À TEMPS PARTIEL* SELON L’ÂGE, EN FRANCE, 2010 (en %)

 

Hommes

Femmes

15-24 ans

13

35,3

25-49 ans

4,7

29,6

50-64 ans

7,8

31

65 et plus

49,0

58,9

Total

6,5

30,6

*Au sens du BIT (temps partiel subi par des personnes qui souhaitent travailler davantage)

Source : Eurostat, Enquête sur les forces de travail, extraction 2010, données trimestrielles (premier trimestre).

Mme Françoise Holder, présidente du comité égalité hommes-femmes du Medef, a indiqué à la Délégation que le comité qu’elle préside s’intéresse naturellement au temps partiel, en tant que discrimination potentielle à l’égard des femmes, tout en ajoutant que le sujet est largement culturel.

Il résulte des données ci-dessus que, sans nier l’aspect culturel des inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes le problème est aussi largement économique.

2. Cette forme de sous-emploi s’est accrue pour les femmes avec la crise

Le taux d’emploi à temps partiel des femmes a augmenté durant la crise, tandis que celui des hommes n’a connu qu’une petite augmentation et reste très faible.

Selon la lettre de l’OFCE du 26 mai 2010 (3), la part du temps partiel dans l’emploi des hommes reste très faible parmi les 25-49 ans (4,4 % en moyenne en 2009). Elle est plus élevée (7,8 %) chez les plus de 50 ans et en hausse sensible en 2009. Elle atteint 13,4 % chez les jeunes hommes, mais n’a pas augmenté dans la période récente.

En revanche, pour les femmes, la part du temps partiel dans l’emploi s’est accrue à tous les âges. Parmi les 25-49 ans, à l’inverse des hommes, alors qu’elle avait reculé entre le début de 2007 et la fin de 2008, elle est de 28,5 % en moyenne en 2009 ; parmi les plus de 50 ans, elle augmente comme pour les hommes, et atteint 31,6 % ; elle augmente surtout parmi les jeunes, où elle passe de 32,1 % à la fin de 2008 à 38,6 % à la fin de 2009.

Le temps partiel semble jouer un rôle d’amortisseur pour les femmes en période de fort chômage ; évidemment, le taux d’emploi à temps complet des femmes et principalement des jeunes femmes régresse, dans le même temps, depuis le début de 2009.

L’écart des taux d’emploi à temps plein entre les hommes et les femmes est ainsi de 10 points.

Le tableau ci-dessous présente le temps partiel selon le sexe et la durée du temps partiel en 2009.

Il en ressort que, en moyenne en 2009, 16,2 % des femmes ayant un emploi travaillent à temps partiel entre 15 et 29 heures par semaines et que 82 % des personnes travaillant à temps partiel entre 15 et 29 heures par semaine sont des femmes.

TEMPS PARTIEL SELON LE SEXE ET LA DURÉE DU TEMPS PARTIEL
(EN 2009)

 

Femmes

Hommes

Ensemble

Part des femmes
(en %)

Temps complet

70,1

94,0

82,7

40,3

Temps partiel (1)

29,9

6,0

17,3

81,9

dont :

       

Moins de 15 heures

4,8

1,1

2,8

79,7

De 15 à 29 heures

16,2

3,2

9,4

82,0

30 heures ou plus

8,7

1,5

4,9

84,0

Ensemble

100

100

100

47,5

Source : INSEE, enquêtes Emploi du 1er au 4e trimestre 2009.

(1) : Y compris les personnes n’ayant pas déclaré d’horaires habituels.

Champ : France métropolitaine, population des ménages, personnes en emploi de 15 ans ou plus.

Le développement des formes d’emploi flexibles et précaires, tels que les contrats de courte durée (CDD) ou les contrats à temps partiel, contribue au retour de la pauvreté laborieuse et cette pauvreté peut être considérablement aggravée par la situation familiale. C’est notamment le cas pour les familles monoparentales dont les chefs de famille sont très majoritairement des femmes.

Dans son rapport global de 2011 à la 100e session de la Conférence internationale du travail (4), le directeur général du Bureau international du travail (BIT) a fait observer que : « Depuis la crise, la communauté internationale accorde de plus en plus d’attention à la réduction des importants déficits budgétaires et dettes publiques accumulés dans un grand nombre de pays. Toutefois, de nombreuses voix se sont élevées pour inciter à la prudence, craignant que les mesures d’assainissement, à savoir l’augmentation des impôts et la réduction des dépenses publiques, ne compromettent la reprise, ne précipitent les pays dans une plus profonde récession et n’exacerbent les inégalités au sein de la population active ».

B. LE TEMPS PARTIEL N’EST PAS LA BONNE RÉPONSE AUX OBLIGATIONS FAMILIALES QUI PÈSENT SUR LES FEMMES

Les contraintes familiales sont souvent avancées pour justifier le choix du temps partiel d’autant que pour une femme cette démarche est considérée comme normale.

Cette logique repose sur un schéma familial, de plus en plus contesté par les femmes, selon lequel, au sein du couple le salaire de la femme est un salaire d’appoint et qu’il revient « naturellement » à la mère de famille de prendre en charge en totalité ou pour une très large part les soins aux enfants et également aux ascendants.

Cette situation est très largement décrite dans un rapport (5) du Conseil économique, social et environnemental (CESE) de 2008.

Selon ce rapport, plus de vingt ans après la première loi sur l’égalité professionnelle, le conflit « travail-famille » continue d’influer négativement sur les trajectoires de carrière des femmes.

Le CESE fait état d’une étude de 2003 de Mme Dominique Méda sur le thème « pourquoi certaines femmes s’arrêtent de travailler à la naissance d’un enfant » selon laquelle, la moitié des femmes qui s’arrêtent de travailler à la naissance d’un enfant déclarent qu’elles auraient souhaité continuer, si leurs conditions d’horaires de travail, de garde des enfants et la répartition des tâches au sein du couple avaient été autres.

Ce recours au temps partiel est donc le plus souvent, pour les femmes, un choix par défaut.

Le CESE précise que dans le secteur privé, le retrait temporaire du marché du travail se paie effectivement cher puisqu’on observe qu’à niveau de formation comparable, les femmes qui ont pris un congé parental jusqu’à ce que leur enfant atteigne l’âge de trois ans et sont de nouveau actives occupent des postes moins qualifiés et ont des conditions d’emploi moins favorables (davantage de temps partiels courts et subis ou de CDD) que celles qui sont restées en poste.

Une enquête du centre d’études et de recherche sur les qualifications (CEREQ) (6) révèle que l’arbitrage effectué par un certain nombre de mères au détriment de leur investissement professionnel comporte une part de risque en cas de séparation. En effet, au terme de la septième année de vie active, 30 % des mères séparées sont sans emploi et seules 54 % ont un emploi à temps plein.

On peut également citer Mme Marie Duru-Bellat (7) : « En fait, le temps partiel libère du temps... pour la famille et non pour la femme. Il constitue donc une façon de concilier emploi des femmes et division du travail entre les sexes et consacre la priorité que les femmes, de fait, doivent donner à leur famille et partant le caractère secondaire, contingent, de leur emploi par rapport aux contraintes de leur rôle familial ».

Selon tous les interlocuteurs de la Délégation, le passage à temps partiel entraîne presque automatiquement un ralentissement dans le déroulement de la carrière et un accès aléatoire aux postes de responsabilités pour les cadres.

L’obtention d’un poste de management est quasiment impossible pour une femme cadre dont le temps partiel est inférieur aux 4/5 de la durée légale de travail et la proportion de femmes cadres d’entreprise occupant des postes à temps partiel n’évolue pas : 11 % des effectifs cadres féminins en 2002 comme en 1995.

La bonne réponse n’est donc pas de développer le temps partiel pour les femmes mais de tout mettre en œuvre afin de permettre aux deux parents de s’investir également dans le travail et dans la prise en charge des enfants, sans que l’appartenance à l’un des deux sexes ne les prédestine à une voie particulière.

II. LE TEMPS PARTIEL EST DEVENU UN MODE DE GESTION DE LA MAIN-D’œUVRE

A. UNE GESTION PLUS FLEXIBLE POUR LES EMPLOYEURS

L'enquête de l’INSEE sur l’emploi en France, édition 2010, dénombre 3,7 millions de femmes travaillant à temps partiel et 870 000 hommes seulement.

La pratique du temps partiel est très inégalement répartie dans les professions et les catégories sociales. Elle est particulièrement concentrée dans certains groupes socioprofessionnels : entreprises de nettoyage, commerce et grande distribution, services à la personne, hôtellerie et restauration. Ces secteurs constituent les bastions de l'emploi féminin sous qualifié.

Plus de la moitié des femmes travaillant à temps partiel sont des employées et dans la catégorie des ouvrières, une femme sur deux, à temps partiel, fait des travaux de ménage.

En se développant, le travail à temps partiel n'a fait que renforcer la concentration des emplois féminins dans un nombre réduit de professions et de secteurs d'activité.

Dans ces différents secteurs et pour les salariées concernées, il ne peut être question d’un choix. Ce sont des emplois à temps partiel à l’initiative de l’employeur pour lequel ce type d’emploi est devenu la norme.

Comment expliquer cette situation ? Pourquoi embaucher deux caissières avec des durées de travail de 16 heures chacune plutôt qu’une seule à plein temps ?

La question se pose d’autant plus que la loi du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail a supprimé l’abattement de 30 % des cotisations patronales pour les contrats à temps partiel. À l’inverse, depuis la loi du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi, les cotisations à la charge de l'employeur au titre des assurances sociales font l'objet d'une réduction dégressive pour les salaires inférieurs à 1,6 SMIC ce qui pourrait encourager les recrutements à temps plein.

Plusieurs explications ont été avancées devant la Délégation.

Cette forme d’emploi est devenue un mode de gestion de la main-d’œuvre car elle confère de la flexibilité dans l’organisation des horaires, permet de développer des horaires atypiques (le matin tôt, la nuit, le dimanche…) et participe au phénomène général d’intensification des charges de travail.

Les secteurs concernés sont très féminisés et constituent les maillons faibles de la négociation syndicale et de la défense des salariés.

De nouveaux secteurs ont été signalés comme recourant à cette forme d’emploi concentré sur un petit nombre d’heures. Cela concernerait, par exemple, les téléopératrices dans les centres d’appel et les techniciennes dans les laboratoires d’analyses médicales. Pour ces dernières cette organisation du travail serait de surcroît source de déqualification car leur fonction se réduirait à effectuer des prises de sang tôt le matin sans pouvoir utiliser le reste de leurs compétences sur une journée complète.

Le temps partiel permet des gains de productivité horaire grâce à une forte concentration d’activité sur de courtes périodes et une intensité de travail qui ne pourrait pas être fournie pendant un temps plein pour des raisons de pénibilité.

Les syndicats de salariés ont tous indiqué à la Délégation que bien souvent, à un salaire partiel ne correspond pas une charge de travail partielle et que le travail à temps partiel est donc associé à une intensification de l’activité et du rythme des tâches. Les salariés à temps partiel seraient plus exposés aux troubles musculo-squelettiques et au stress que les autres salariés.

Enfin les heures complémentaires effectuées dans le cadre d’un emploi à temps partiel coûtent moins cher que les heures supplémentaires pour un temps plein puisque l’article L. 3123-19 du code du travail prévoit que la majoration de salaire de 25 % ne s’applique qu’au-delà du dixième de la durée du contrat. Par exemple pour une durée contractuelle de 20 heures la majoration ne sera versée qu’à compter de la 22ème heure de travail. Cette disposition apporte encore davantage de flexibilité sans contrepartie.

Le temps partiel sert également de variable d’ajustement pour réduire la masse salariale sans licencier en cas de difficultés économiques. Des exemples ont été évoqués devant la Délégation, de plans sociaux proposant le travail à mi-temps pour un grand nombre de salariés comme alternative aux licenciements « secs ». Cette solution est le plus souvent retenue pour éviter le chômage tout en sachant que la perte de revenu correspondante ne sera pas indemnisée sous la forme par exemple d’un « chômage partiel ».

La généralisation de cette stratégie managériale de substitution des emplois stables par des emplois précaires permet de faire supporter par les salariés les risques inhérents à l'activité de l'entreprise.

Ce mode de gestion entraîne de lourdes conséquences pour les salariés concernés qui sont le plus souvent des femmes qui forment, selon certains observateurs, un sous-salariat précaire, disposant de revenus réduits, privé de certains acquis sociaux et bien souvent enfermé à vie dans cette situation.

Les représentants de la CFDT ont indiqué à la Délégation qu’il convenait de distinguer les situations où le temps partiel est une contrainte liée à l’activité de l’entreprise et celles où il s’agit d’un confort pour l’employeur qui veut une main-d’œuvre servile, disponible et qui organise l’imprévisibilité des horaires afin de la fragiliser et de l’empêcher de trouver un autre emploi à temps partiel.

Selon une étude de 2007 de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère des Affaires sociales, seulement 9 % des salariés à temps partiel sont dans la catégorie « poly-employeurs ».

Mme Ghyslaine Richard, représentante de la CGT, a estimé devant la Délégation que le temps partiel était devenu le mode d’entrée dans la vie professionnelle, même pour les personnes qualifiées : psychologues, technicien (ne) s de laboratoire, enseignant(e) s, etc.

B  DES CONSÉQUENCES LOURDES POUR LES FEMMES

Le temps partiel contraint ne permet ni d’accéder au temps plein, ni de cotiser pour une retraite décente, et bien souvent il ne permet tout simplement pas de vivre.

Dans le meilleur des cas, lorsqu'il est « choisi », le temps partiel introduit une discontinuité dans les cycles de vie professionnelle des femmes par des périodes de retrait partiel de l'activité. Dans la pire des situations, quand il est subi, il repousse une partie des femmes actives vers le sous-emploi et la pauvreté.

1. La précarité et parfois la pauvreté

Le temps partiel est devenu pour les femmes un mode d’entrée privilégié sur le marché du travail. Lorsque cette situation se prolonge parfois sur toute la carrière et qu’elle est associée à des salaires horaires inférieurs au SMIC, il suffit d’un événement tel qu’une rupture conjugale pour basculer dans la pauvreté.

Selon le CESE dans le rapport précité, quelle que soit l’année considérée au cours de cette décennie, 75 % de l’écart des salaires provient des différences de structures des emplois, le facteur le plus important étant la durée du travail. Le temps partiel est responsable à hauteur de 12 % de l’écart entre les salaires féminins et masculins, soit presque la moitié de l’écart total qui est de 25 %. Les caractéristiques des emplois (profession, secteur...) sont responsables d’un décalage de 8,5 %.

Le travail à temps partiel pèse donc très fortement sur les salaires, non seulement parce que le salaire est partiel mais également parce que les salaires horaires des travailleurs à temps partiel sont plus bas que ceux des travailleurs à temps plein.

Une étude d'Eurostat de 1997 citée par Mme Margaret Maruani montre que le salaire horaire des salariés à temps partiel s'établit à 85 % de ceux des personnes travaillant à temps plein en Suède, 71 % en France, 69 % en Espagne et 60 % au Royaume-Uni.

Les derniers chiffres dont on dispose pour la France, produits par l’INSEE, montrent l’importance de cet écart conformément au tableau ci-après.

SALAIRE HORAIRE À TEMPS PLEIN ET TEMPS PARTIEL

(en euros)

 

Temps plein

Temps partiel

2002

11,60

9,49

2007

13,04

10,92

Source : « Les salaires en France, édition 2010 ». Fiche thématique INSEE.

De surcroît, les revenus mensuels du travail à temps partiel sont bien souvent très bas puisqu’ils s’appliquent à des emplois peu ou pas qualifiés, et donc mal rémunérés.

Dans un rapport du 8 juillet 2009 (8), Mme Brigitte Grézy, inspectrice générale des affaires sociales, écrit qu’en 2007, la moitié des salariés à temps partiel déclaraient percevoir un salaire mensuel net, primes et compléments compris, inférieur à 800 euros par mois. Ce salaire est en moyenne de 926 euros par mois contre 1 801 euros pour ceux à temps complet.

Mme Grézy ajoute que la faiblesse des salaires à temps partiel est liée aux faibles durées de travail (23,5 heures en moyenne) et au type d’emploi. La moitié des salariés à temps partiel subi gagne moins de 700 euros et leur salaire moyen est à peine supérieur aux deux tiers de celui des autres personnes à temps partiel.

Le tableau ci-après présente les pourcentages de salariés à temps partiel (hommes et femmes) en 2007 par type d’employeur, par nature du contrat, par catégorie socio-professionnelle et par secteur d’activité.

On observe que les pourcentages de temps partiel sont particulièrement élevés pour les contrats à durée déterminée (CDD), les intérimaires et les contrats aidés (56 %) et pour les personnels de services directs aux particuliers (49,8 %).

QUELQUES CHIFFRES CLÉS DE L’EMPLOI À TEMPS PARTIEL EN 2007

 

Proportion de
salariés à temps partiel

Part dans
l'ensemble
des salariés à temps partiel

Part dans l'ensemble des salariés

Type d'employeur

     

État

Collectivités locales

Hôpitaux publics

Particuliers

Entreprises publiques, privées, associations

14,3

26,1

19,7

53,0

15,7

10,5

11,1

3,9

12,0

62,6

13,1

7,6

3,6

4,1

71,6

Ensemble

18,0

100,0

100,0

Statut

     

CDI et titulaires de la fonction publique CDD et intérim

Contrats aidés

15,8

26,9

56,0

76,5

18,4

5,1

86,2

12,2

1,6

Ensemble

18,0

100,0

100,0

Catégorie socio-professionnelle

     

Cadres

9,2

8,0

15,7

Cadres de la fonction publique, prof, intellectuelles et artistiques

Cadres d'entreprises

15,9

5,2

5,1

2,9

5,8

9,9

Professions intermédiaires (p.i.)

14,7

20,7

25,4

dont p.i. de l'enseignement, de la santé, de la fonction publique et assimilés

dont p.i. administratives et commerciales des entreprises

24,1

12,2

13,8

5,3

10,3

7,8

Employés

32,1

59,6

33,4

Employés de la fonction publique

Employés administratifs d'entreprises

Employés de commerce

Personnels des services directs aux particuliers

23,5

26,7

32,8

49,8

15,8

12,0

9,3

22,5

12,1

8,1

5,1

8,1

Ouvriers

8,2

11,7

25,6

dont ouvriers qualifiés

dont ouvriers non qualifiés

5,3

13,5

5,0

5,6

17,1

7,4

Ensemble

18,0

22,3

100,0

Secteur d'activité

     

Agriculture, sylviculture, pêche

18,1

1,4

1,4

Industrie

6,0

5,5

16,4

Industries agricoles et alimentaires

Industrie des biens de consommation

Industrie automobile

Industries des biens d'équipement

Industries des biens intermédiaires

Énergie

10,3

7,5

2,8

3,9

4,8

9,8

1,4

1,1

0,2

0,7

1,5

0,6

2,4

2,6

1,4

3,5

5,5

1,0

Construction

5,8

1,9

5,8

Tertiaire

21,5

91,2

76,4

Commerce

Transports

Activités financières

Activités immobilières

Services aux entreprises

Services aux particuliers

Education, santé, action sociale

Administration et activités associatives

18,7

7,8

12,5

16,2

15,6

41,1

25,9

19,3

13,6

2,1

2,4

1,2

11,3

18,4

28,6 13,6

13,1

4,7

3,5

1,4

13,1

8,1

19,8 12,7

Ensemble

18,0

100,0

100,0

Source : Enquête Emploi en continu 2007, INSEE

De l’avis de nombreux spécialistes de l’emploi et du travail, la forte progression des bas et très bas salaires (moins de 629 euros) constatée depuis le début des années 1980 ainsi que leur forte féminisation sont étroitement liées à la multiplication des emplois à temps partiel.

Parallèlement à la croissance du travail à temps partiel, on voit donc se profiler une catégorie de travailleurs pauvres c'est-à-dire de personnes qui ne sont ni chômeurs, ni « exclus », ni « assistés », mais qui travaillent sans parvenir à gagner leur vie. Dans leur grande majorité, ces gens sont des femmes qui travaillent à temps partiel.

Un dernier point mérite d’être soulevé : il s’agit de l’impact du revenu de solidarité active (RSA) sur le développement du temps partiel.

Le RSA introduit par la loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008, qui bénéficie à plus de 1,8 million de foyers en France est adossé au temps partiel et très partiel.

Pour un célibataire sans enfant, le RSA représente 317 euros pour un SMIC à tiers-temps, 251 euros pour un SMIC à mi-temps et presque plus rien pour un SMIC à temps plein. Le RSA a institué un complément de salaire pour les travailleurs à temps partiel et les entreprises seront enclines à multiplier les emplois à temps partiel et surtout très partiel puisque leurs salariés peuvent bénéficier d'un complément de salaire financé par la solidarité nationale.

2. Des horaires atypiques

Lorsque le temps partiel est imposé, les horaires sont généralement d’une grande instabilité, voire atypiques.

Ainsi que le décrit Mme Françoise Milewski (9), dans les services de nettoyage, les femmes ont souvent des horaires courts et cumulent plusieurs employeurs ou plusieurs lieux d’emploi. Dans l’hôtellerie et la restauration, la saisonnalité des activités conduit à une grande diversité des contrats et des horaires. Dans la grande distribution, les caissières ont des horaires irréguliers qu’elles maîtrisent difficilement et l’amplitude journalière est d’autant plus grande que l’on intègre les interruptions de service, en général trop courtes, dans les grandes villes, pour regagner son domicile.

Dans les secteurs d’aide à la personne, les horaires sont souvent atypiques. La situation est particulièrement défavorable dans les très petites entreprises de service : une femme sur deux est à temps partiel, le plus souvent en CDD, avec une durée moyenne de travail de 20,5 heures par semaine, voire moins.

Dans ces cas, le temps partiel se conjugue alors avec des difficultés accrues d’articulation entre vie professionnelle et familiale, a fortiori pour les mères seules. Par ailleurs, les horaires atypiques, de nuit, le week-end ou tôt le matin et tard le soir, sont très fréquents dans ces secteurs.

Le tableau ci-dessous met en relief des critères caractéristiques des horaires atypiques, certains visibles tel que le travail de nuit, d’autres invisibles telle que l’impossibilité de modifier des horaires en cas d’imprévu, l’absence de repos 48 heures consécutives. Il établit que la proportion de femmes qui subit ces contraintes invisibles est toujours supérieure à celle des hommes.

PROPORTION DE SALARIÉS EN HORAIRES ATYPIQUES

(en %)

Hommes Femmes

Les formes visibles des horaires atypiques

Travail de nuit

20,4

6,4

Travail le samedi

49,1

45,1

Travail le dimanche

27

22,5

Horaire habituel supérieur à 40 h

28,6

14,7

Horaires de fin de travail après 19 h 30

14,3

11,8

Les formes invisibles des horaires atypiques

Proportion de salariés qui ne peuvent modifier leurs horaires en cas d’imprévu

39,6

43,2

Absence de repos de 48 h consécutifs

19,1

22,8

Travail plus d’un samedi sur 3

26,2

32,2

Travail plus d’un dimanche sur 3

12,2

12,7

Impossibilité d’interrompre le travail

25,4

32,2

Coupure supérieure à 3 h

2,6

5


Source : Enquête emploi INSEE, supplément conditions de travail 1998 actualisé

Mme Rachel Silvera, lors de son audition par la Délégation, a signalé un exemple de bonne pratique de la part d’un employeur, qui mériterait d’être développée. Il s’agit du programme piloté par la ville de Rennes, dont les personnels de nettoyage, surtout des étrangers et des femmes seules, travaillaient en temps partiel court, très tôt le matin et très tard le soir. Un accord a été possible, moyennant une réforme de l’organisation, pour les faire travailler pratiquement à temps complet, sur des plages horaires supportables dans la journée. Mais il a fallu pour cela convaincre le personnel de la mairie, afin qu’il accepte de rencontrer, pendant ses heures de travail, des personnes qui venaient d’un univers différent et qu’il ne voyait jamais auparavant.

Selon Mme Marie-Line Brugidou, déléguée nationale de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC), il importe de légiférer sur les horaires que subissent les femmes travaillant dans le secteur de la grande distribution.

3. L’absence de certains droits sociaux

Dans un avis du 29 janvier 1997 sur Le travail à temps partiel, le Conseil économique et social appelait de ses vœux la ratification par la France, dans les délais les plus rapides, de la convention n° 175 sur le travail à temps partiel, adoptée par l’Organisation internationale du travail le 24 juin 1994. Cette convention n’a toujours pas été ratifiée à ce jour. Elle a pourtant le grand mérite de poser le principe d’une reconnaissance aux salariés à temps partiel de droits équivalents à ceux des salariés à temps plein. Son article 6 stipule en particulier que « les régimes légaux de sécurité sociale qui sont liés à l’exercice d’une activité professionnelle doivent être adaptés de manière à ce que les travailleurs à temps partiel bénéficient de conditions équivalentes à celles des travailleurs à plein temps se trouvant dans une situation comparable ; ces conditions pourront être déterminées à proportion de la durée du travail, des cotisations ou des gains ou par d’autres méthodes conformes à la législation et à la pratique nationales ».

On ne peut que constater aujourd’hui la persistance d’un certain nombre de restrictions quant à l’accès aux droits sociaux des salariés les plus précaires.

En l’état actuel de la réglementation, pour bénéficier du dispositif d’assurance chômage, il convient d’avoir effectué 910 heures de travail durant les 22 derniers mois, soit 10 heures 30 hebdomadaires. En dessous de ce seuil, une personne perdant son emploi ne sera pas indemnisée, alors qu’elle aura néanmoins cotisé. Ainsi, les plus précaires des salariés à temps partiel travaillant un très faible nombre d’heures peuvent se trouver durablement exclus de l’accès au dispositif s’ils ne parviennent pas à atteindre ce quota.

Or on sait qu’en 2009, 4,8 % des femmes à temps partiel (soit environ 200 000 femmes) travaillaient moins de 15 heures par semaine.

De plus, la perception des allocations chômage n’est ouverte qu’en cas de perte d’au moins 30 % du salaire total antérieur. De ce fait, un salarié cumulant plusieurs emplois à temps partiel qui perd l’un de ceux-ci ne percevra pas d’allocation de chômage si cette perte ne représente, par exemple, que 25 % de son salaire total antérieur.

Les seuils existants pour le versement des prestations en espèces conduisent également à exclure de leur bénéfice les salariés effectuant un très faible nombre d’heures de travail.

Pour percevoir des indemnités journalières pour un arrêt de travail de moins de 6 mois il faut avoir travaillé 200 heures sur 3 mois, soit environ 16 heures hebdomadaires. Pour un arrêt de travail de plus de 6 mois, il faut avoir travaillé 800 heures sur les 12 mois précédant l’arrêt de travail, dont 200 heures au moins au cours des 3 premiers mois.

Pour percevoir des prestations en nature en cas de maladie ou de maternité, il faut :

—  avoir travaillé au moins 60 heures (soit environ 15 heures par semaine) ou avoir cotisé sur un salaire au moins égal à soixante fois le montant du SMIC horaire, pendant un mois civil;

—  ou avoir travaillé au moins 120 heures ou avoir cotisé sur un salaire au moins égal à 120 fois le montant du SMIC horaire, pendant trois mois civils ou un trimestre ;

—  ou avoir travaillé au moins 1 200 heures, ou avoir cotisé sur un salaire au moins égal à 2 030 fois le montant du SMIC horaire, pendant douze mois.

Selon les indications fournies à la Délégation par Mme Geneviève Bel, la CGPME considère qu’il faut inciter les entreprises à ne pas embaucher des salariés à temps partiel en dessous du seuil requis pour l’ouverture des droits sociaux.

4. Le déficit de formation

Mme Margaret Maruani a fait observer à la Délégation que le temps partiel, outre qu’il est néfaste pour les carrières, est producteur de déqualification.

Selon cette sociologue, un même travail, selon qu'il est effectué à temps plein ou à temps partiel, n'a pas la même valeur sociale, la même reconnaissance, la même qualification. Le clivage temps plein / temps partiel est un véritable clivage social qui distingue et classe les salariés en même temps qu'il hiérarchise la valeur du travail.

Le travail à temps partiel pénalise la carrière des femmes.

Un autre facteur tient à la faiblesse voire à l’absence de formation qui pénalise le plus souvent les salariés les moins qualifiés dans leur ensemble.

Le taux d’accès global à la formation continue des salariés à temps partiel (plus de 82 % de femmes, rappelons-le) est de 28 % contre 38 % pour les salariés à temps complet. Toutefois, si pour les cadres ou les salariés exerçant une profession intermédiaire, être à temps partiel n’implique pas nécessairement un moindre accès à la formation continue, tel n’est pas le cas pour les employés et les ouvriers.

Ainsi, lorsqu’ils sont salariés à temps partiel, le taux d’accès à la formation professionnelle est inférieur de 10 points pour les employés administratifs d’entreprise, 6 points pour les personnels de services aux particuliers et les employés de la fonction publique, 4 points pour les employés de commerce et les ouvriers non qualifiés.

Pour reprendre l’expression de M. Thierry Tréfert représentant de la CFDT entendu par la Délégation : comment un salarié travaillant douze heures sur six jours, deux heures par jour, avec des horaires qui changent chaque semaine, peut-il s’engager dans une formation ou trouver un deuxième emploi ?

Il en résulte une impossibilité de surmonter le manque de formation initiale, la difficulté à professionnaliser certains emplois de service et un enfermement définitif dans des tâches répétitives et sous-qualifiées.

5. L’effet retard sur les retraites

Les inégalités face à la retraite sont une reproduction des hiérarchies et des segmentations qui parcourent le monde du travail. Comment avoir une pension décente quand on a eu une vie professionnelle hachée par le chômage, les petits boulots et le temps partiel ? Comment imaginer avoir un revenu de remplacement suffisant quand, pendant des années, on a travaillé à temps partiel pour des salaires inférieurs au SMIC ?

Dès 2004, le rapport (10) d’activité de la Délégation, dénonçait les effets très négatifs du temps partiel sur les retraites des femmes et formulait des propositions qui sont malheureusement restées sans effet comme cela sera évoqué dans la suite du présent rapport.

Les mêmes critiques peuvent être répétées aujourd’hui après l’adoption de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites.

Les femmes, arrivées sur le marché du travail à temps partiel dans les années 90, cumulant de faibles temps partiels et des périodes d’inactivité ou de chômage, parviendront à l’âge de la retraite dans vingt ou trente ans. Contraintes de travailler au-delà de soixante ans et plus longtemps que les hommes, pour améliorer le niveau de leur retraite faute de carrières complètes, elles ne bénéficieront que de très faibles retraites, du minimum contributif ou de l’allocation de solidarité pour personnes âgées.

Les femmes ne sont en effet que quatre sur dix à liquider leur retraite avec une carrière complète c'est-à-dire en ayant la durée de cotisation requise pour bénéficier du taux plein, alors que c’est le cas pour huit hommes sur dix.

De plus les modalités de calcul de la retraite sur la base du salaire annuel moyen des vingt-cinq meilleures années tend à désavantager les salariés à temps partiel du secteur privé. Pour les salariés ayant travaillé de longues années à temps partiel et pour ceux qui ont eu une carrière incomplète, les périodes de temps partiel entrent dans le calcul du salaire annuel moyen et diminuent d’autant le niveau de la pension.

Le Conseil d’orientation des retraites avait souligné en 2002 ces difficultés : « Pour les salariés du secteur privé, la condition de durée pour avoir droit au taux plein avant 60 ans ne tient pas compte du temps partiel sauf pour des activités de très courte durée ou des niveaux de rémunération faibles (un mi-temps au SMIC pendant un trimestre civil suffit pour valider ce trimestre). Le salaire porté au compte pour le régime général est tributaire du temps partiel et peut influer sur le niveau de la pension s’il rentre dans les années servant au calcul du salaire annuel moyen, ce qui devient plus fréquent, le nombre des meilleures années prises en compte passant de 10 (générations 1933 et précédentes) à 25 (générations 1948 et suivantes). »

Plus de neuf ans plus tard, les retraites des femmes représentent toujours la moitié de celles des hommes.

Selon les chiffres fournis par Mme Margaret Maruani, pour les droits directs, acquis en contrepartie des années d’activité professionnelle, la pension moyenne est de 692 euros pour les femmes contre 1 535 euros pour les hommes. Si l’on s’attache à comptabiliser le montant total de la retraite, soit les droits directs complétés par les pensions de réversion et autres avantages, on arrive à 1 625 euros pour les hommes et 979 euros pour les femmes.

Dans le rapport précité sur les femmes face au travail à temps partiel, le CESE, fait état de projections réalisées à l’aide du modèle de micro-simulation Destinie de l’INSEE fondées sur l’hypothèse d’une poursuite de la hausse des taux d’activité des femmes. Selon ces projections, les pensions de droit direct des femmes de la génération 1965-1974 seraient encore inférieures de 32 % à celles de leurs homologues masculins et ce, sans compter les facteurs pénalisants que constituent le travail à temps partiel, les formes particulières d’emploi, le risque de chômage ou d’interruption d’activité auxquels les femmes demeurent plus exposées.

À l’horizon 2040, les pensions de retraite globale des femmes âgées de 65 à 69 ans seraient encore inférieures d’un quart à celles des hommes.

Les deux principales raisons qui expliquent ces écarts de pension de droit direct entre les hommes et les femmes, à savoir des carrières plus courtes et des rémunérations plus faibles, sont fortement corrélées à l’exercice d’une activité à temps partiel pendant tout ou partie de la vie active.

CHAPITRE II : L’ENCADREMENT JURIDIQUE TROP PEU CONTRAIGNANT REND NÉCESSAIRE UNE APPROCHE NOUVELLE

Le cri d’alarme lancé depuis plusieurs années par de nombreux chercheurs, par des responsables politiques et par les syndicats sur la dégradation de la situation économique de certaines catégories de femmes et sur le rôle néfaste du travail à temps partiel, doit être entendu et des réponses appropriées mises en œuvre sans délai.

Actuellement 80 % des salariés à bas salaires sont des femmes et 74 % de celles qui ont des bas salaires occupent des emplois à temps partiel. Selon Mme Françoise Milewski, économiste, cette proportion est d’environ 10 points supérieurs à son niveau du début des années 1990.

Tout le monde s’accorde pour anticiper le très fort développement des emplois de services à la personne. Il s’agira très probablement d’emplois essentiellement occupés par des femmes à temps partiel et souvent à horaires atypiques. Si rien n’est fait pour professionnaliser ce secteur, avec des emplois plus stables, de plus longue durée, de gros efforts de formation et des rémunérations prenant en compte les compétences et les qualifications, il y a fort à parier que, dans dix ans, les inégalités entre les femmes et les hommes se seront accrues et la précarité des femmes se sera aggravée.

I. UN CADRE JURIDIQUE TROP PEU CONTRAIGNANT

A. UN ACCÈS À L’EMPLOI QUI SE REFERME COMME UN PIÈGE

1. Un accès au marché du travail facilité pour les femmes qui se transforme en sous-emploi

Depuis l’ordonnance de 1982 qui a élaboré un statut juridique du travail à temps partiel dans le souci d’encourager et de protéger cette forme individuelle d’emploi, de nombreuses modifications législatives et réglementaires sont intervenues, pour répondre aux préoccupations de lutte contre le chômage qui se développait au début des années 90. Il s’agissait d’offrir, en allégeant le coût du travail, de nouvelles possibilités d’emplois à des travailleurs au chômage, ou des possibilités d’insertion ou de réinsertion sur le marché du travail.

Afin d’inciter les employeurs à la création d’emplois à temps partiel, la loi du 31 décembre 1992, puis la loi du 20 décembre 1993 et le décret du 5 avril 1994 ont mis en place un abattement porté à 30 % des cotisations patronales de sécurité sociale, sur la base d’une certaine durée hebdomadaire du travail comprise entre 16 et 32 heures (relevée à 18 heures en 1998, afin de ne pas inciter aux temps partiels courts).

Ces dispositions se sont appliquées aux embauches à temps partiel et aux transformations d’emplois à temps plein en emplois à temps partiel, sous réserve d’être en présence de contrats à durée indéterminée.

D’après une étude de la DARES, entre 1992 et 2002, 500 000 entreprises ont signé près de deux millions de contrats à temps partiel et 300 000 emplois nouveaux auraient ainsi été créés entre 1992 et 1999.

Mais au fil du temps cette forme d’accès au marché du travail est devenue, dans certains secteurs et pour beaucoup de femmes un statut définitif qui s’apparente à du sous emploi.

Selon Mme Pascale Coton, secrétaire générale adjointe de la CFTC, qui s’est exprimée devant la Délégation, les entreprises ont détourné le temps partiel de son objectif initial, à tel point que la femme est une variable d’ajustement, au premier chef dans le secteur du commerce.

Le sous-emploi au sens du Bureau international du travail (BIT) recouvre, d’une part, les personnes qui ont un emploi à temps partiel, qui souhaitent travailler plus d’heures sur une semaine donnée et qui sont disponibles pour le faire, et d’autre part, les personnes ayant involontairement travaillé moins que prévu (chômage technique).

Le tableau ci-après retrace le sous-emploi dans l’emploi total selon le sexe depuis 1990. Il en ressort que, en moyenne en 2009, plus d’un million de femmes connaissaient une situation de sous-emploi, ce qui représentait 8,3 % de l’emploi total féminin.

Pour apprécier le temps partiel contraint, on utilise l’indicateur du sous-emploi, en prenant en compte le nombre de personnes qui travaillent à temps partiel et qui souhaiteraient travailler davantage et sont disponibles pour le faire. Mais il convient de préciser que de nombreuses femmes salariées à temps partiel dont les horaires sont dispersés au cours d’une semaine et souvent imprévisibles d’une semaine à l’autre, ne sont pas en mesure d’accepter un autre emploi et ne sont donc pas comptabilisées dans les statistiques du sous-emploi.

Comme l’a indiqué à la Délégation, Mme Rachel Silvera, c’est la raison pour laquelle, de très nombreux rapports aboutissent à la conclusion que le temps partiel est plutôt le résultat d’un choix.

Ainsi que le mentionne la CGPME, il est souhaitable de compléter l’information statistique existante en distinguant mieux le travail à temps réduit à l’initiative du salarié et le temps partiel imposé à l’embauche.

SOUS-EMPLOI DANS L’EMPLOI TOTAL SELON LE SEXE DEPUIS 1990

 

Population en sous-emploi

(en milliers)

Taux de sous-emploi dans l’emploi total

(en %)

 

Femmes

Hommes

Ensemble

Femmes

Hommes

Ensemble

1990

637,9

263,5

901,4

6,4

2,0

3,9

1991

591,3

272,3

863,5

6,0

2,1

3,7

1992

638,2

257,7

895,8

6,4

2,0

3,9

1993

810,5

421,1

1 231,6

8,0

3,3

5,4

1994

943,5

412,8

1 356,3

9,4

3,3

6,0

1995

984,0

434,7

1 418,7

9,6

3,4

6,2

1996

1 012,8

453,1

1 465,9

9,8

3,5

6,3

1997

1 099,0

412,0

1 511,1

10,7

3,2

6,5

1998

1 098,3

416,2

1 514,5

10,5

3,2

6,5

1999

1 077,0

452,0

1 529,0

10,1

3,5

6,5

2000

1 040,1

376,9

1 417,0

9,5

2,8

5,9

2001

984,3

354,3

1 338,6

8,8

2,6

5,4

2002

923,8

316,2

1 240,1

8,1

2,3

5,0

2003

909,6

298,1

1 207,7

8,0

2,2

4,9

2004

971,0

310,8

1 281,9

8,5

2,3

5,2

2005

978,1

328,6

1 306,7

8,4

2,5

5,2

2006

1 004,5

322,3

1 326,9

8,5

2,4

5,3

2007

1 083,3

332,4

1 415,6

9,0

2,5

5,5

2008

945,5

298,8

1 244,3

7,7

2,2

4,8

2009

1 018,9

406,7

1 425,6

8,3

3,0

5,5

Source : INSEE, enquêtes Emploi, données corrigées de la rupture de série en 2002.

2. Des droits et des garanties qui souffrent de plus en plus d’exceptions

L’encadrement du temps partiel avait été sensiblement modifié par la loi du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail. Cette loi avait abrogé le temps partiel annualisé et modifié la définition du temps partiel afin de mettre en conformité la législation française avec la directive européenne de 1997 (11).

Selon l’article L. 3123-1 du code du travail, est considéré comme travailleur à temps partiel tout travailleur dont la durée de travail est inférieure à la durée légale ou à la durée fixée conventionnellement au niveau de la branche ou de l’entreprise, mais il n’existe pas de limite légale minimum de la durée de travail.

En ce qui concerne l’organisation des horaires, la Cour de cassation a jugé (12) que le salarié qui se trouve placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devra travailler et qui doit se tenir constamment à la disposition de l’employeur ne peut être considéré comme un travailleur à temps partiel. Dans un autre arrêt (13), la Cour avait admis que, lorsque l’employeur prévoit un tableau sur lequel sont indiquées les périodes de travail et les disponibilités des salariés avec des possibilités de mises à jour par les salariés, on est bien en présence d’une organisation du travail à temps partiel.

Conformément à l’article L. 3123-14 du code du travail, le contrat à temps partiel doit mentionner la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois.

Cette obligation ne s’applique pas aux salariés des associations et entreprises d'aide à domicile et, depuis la loi du 20 août 2008 (14), un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou éventuellement de branche, peut écarter l’application de l’article L. 3123-14 et définir les modalités d'aménagement du temps de travail et organiser la répartition de la durée du travail sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l'année.

La loi de 2008 précitée a modifié les dispositions du code du travail en matière de durée du travail en conférant un rôle central à l’accord collectif et, notamment, à l’accord d’entreprise pour l’aménagement du temps de travail.

La loi du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail, avait introduit des possibilités de modulations des durées de travail pour les salariés à temps partiel, tout en maintenant des limites importantes. La durée du travail hebdomadaire pouvait, au cours de la période, varier entre une limite haute et une limite basse mais l'écart entre chacune de ces limites et la durée stipulée au contrat de travail ne pouvait excéder le tiers de cette durée. Par exemple pour un contrat de 20 heures hebdomadaires, la modulation s'opérait au maximum entre des semaines à 12 et à 26 heures.

La loi de 2008 introduit plus de flexibilité dans cette modulation. Désormais il est possible par un accord d’entreprise de faire varier, sur une période pouvant aller jusqu'à l'année, la durée du travail du salarié à temps partiel.

La loi n'exige plus que l'accord comporte des limites à la modulation et un salarié à temps partiel peut voir sa durée hebdomadaire de travail varier entre 0 et 35 heures si l'accord ne fixe pas d'autres limites. Le cadre général reste évidemment la durée légale du travail (35 heures par semaine ou 1 607 heures par an en cas de temps partiel aménagé sur l'année).

L'accord doit prévoir les modalités de communication et de modification de la répartition de la durée et des horaires de travail. La loi prévoit que ce délai de prévenance en cas de changement de durée ou d'horaires ne peut être inférieur à 7 jours à défaut de stipulations contraires.

Dans le même ordre d’idées, l’article L. 3123-16 du code du travail, prévoit que l’horaire de travail du salarié à temps partiel ne peut comporter, au cours d'une même journée, plus d'une interruption d'activité ou une interruption supérieure à deux heures. Toutefois, une convention ou un accord collectif de branche ou un accord d'entreprise ou d'établissement peut déroger à ces dispositions, soit expressément, soit en définissant les amplitudes horaires pendant lesquelles les salariés doivent exercer leur activité et leur répartition dans la journée de travail, moyennant des contreparties spécifiques et en tenant compte des exigences propres à l'activité exercée.

Lorsque l’exception devient la norme, la règle perd son sens et malheureusement la Délégation a pu constater que, dans de nombreux cas, la règle plus protectrice édictée par la loi était écartée pour imposer des horaires et des conditions de travail qui peuvent être préjudiciables à la santé et à l’équilibre personnel des femmes concernées.

Dans les entreprises à main-d’œuvre essentiellement féminine, sous-qualifiée et à temps partiel, qui sont le maillon faible de la représentation syndicale, les aménagements locaux du temps de travail risquent de privilégier les besoins de l’entreprise sur les difficultés des salariées.

La loi de 2008 a également contribué à aménager le dispositif des heures complémentaires d’une façon à la fois compliquée et défavorable aux salariés à temps partiel.

Les heures complémentaires sont les heures effectuées au-delà de la durée fixée par le contrat de travail mais dans la limite de la durée légale.

Elles sont limitées au cours d'une semaine, d'un mois ou de la période sur laquelle s'effectue la répartition du temps de travail (un an maximum) en application de l'accord collectif applicable dans l'entreprise, au dixième de la durée prévue au contrat, ou au tiers de cette durée si un accord de branche étendu ou un accord d’entreprise le prévoit (articles L. 3123-17 et L. 3123-18 du code du travail).

Dans ces limites, les heures complémentaires sont rémunérées au taux normal. 

Seules les heures complémentaires effectuées au-delà du dixième de la durée hebdomadaire ou mensuelle ou annuelle fixée au contrat de travail sont majorées. Chacune de ces heures complémentaires est majorée de 25 % (article L. 3123-19 du même code).

Pour les contrats de travail à temps plein, les majorations pour heures supplémentaires s’appliquent dès la première heure de dépassement de la durée légale du travail.

La Cour de cassation dans un arrêt du 7 décembre 2010 (15), a considéré que la disposition de l’article L. 3123-17 selon laquelle le nombre d'heures complémentaires accomplies par un salarié à temps partiel au cours d'une même semaine ou d'un même mois ou sur la période prévue par un accord collectif ne peut être supérieur au dixième de la durée hebdomadaire ou mensuelle ou annuelle de travail prévue dans son contrat, est d’ordre public. En conséquence il ne peut y être dérogé par un avenant au contrat qui augmenterait temporairement la durée contractuelle initiale du travail et dispenserait l’employeur de verser des heures complémentaires. Toutes les heures effectuées au-delà du dixième de la durée contractuelle, qu’elles soient imposées par l'employeur ou qu'elles soient prévues par avenant au contrat de travail à temps partiel en application d'un accord collectif, sont des heures complémentaires.

3. De trop rares accords collectifs

Mme Sophie Mandelbaum, secrétaire confédérale de la CFDT, a signalé deux accords collectifs qui améliorent la situation des salariés tout en répondant aux besoins de l’entreprise.

Ainsi, les employeurs du commerce alimentaire ont signé avec les syndicats un avenant à la convention collective nationale de 2008, dans lequel ils s’engagent à améliorer la prévisibilité du temps, à organiser la polyactivité pour faciliter la construction d’un temps plein, à limiter le morcellement du temps partiel s’il se révèle incontournable.

En 2001, l’Union professionnelle des artisans (UPA) a signé un accord par lequel elle s’engage à chercher les modalités d’organisation des services de remplacement afin de permettre aux salariés de partir en formation.

On peut rappeler les accords signés dans la grande distribution mettant en place l’organisation des horaires en « îlots de caisse » évoqués dans le rapport de la Délégation de 2004 précité.

Par exemple l’îlot de caisse, dans le magasin Carrefour Bercy, est composé sur la base du volontariat, d’environ 25 hôtes et hôtesses, aux profils différents (célibataires, mères de famille, étudiants). Il reçoit du chef de caisse le planning et les contraintes prioritaires. Au-delà des horaires fixes, chacun positionne ses horaires modulables et le choix du jour de repos en fonction de ses préférences personnelles communiquées à l’avance. Un animateur négocie les aménagements nécessaires pour respecter le planning.

Mais il faut déplorer que ces accords qui visent à valoriser le travail à temps partiel soient si rares.

Dans un très récent rapport (16) sur l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et familiales, l’inspection générale des affaires sociales, a analysé 136 accords collectifs sur l’aménagement du temps de travail afin de mesurer la prise en compte de l’articulation des temps et les modes d’organisation du temps de travail en termes d’horaires aménagés, de modulation, de forfait jours, de compte épargne temps et de temps partiel.

Il en ressort que c'est la flexibilité qui est privilégiée dans ces accords, par un rappel des contraintes du marché et de la nécessité de réagir à la concurrence, grâce à un recours à différentes formes d'organisation du temps de travail permettant de disposer de souplesse, de réactivité et de délais courts d'adaptation. 14 % seulement des accords analysés aménagent le recours au temps partiel et les modalités de réversibilité, avec un délai de prévenance de deux ou trois mois.

Le rapport précise que de nombreux accords s'appuient, dans leur préambule, sur une motivation défensive au regard de la crise et de la préservation des emplois et demandent des efforts d'adaptation particuliers sous la forme de faibles délais de prévenance en cas de modification des rythmes de travail, voire de renonciation à des contreparties en temps de repos.

Mme Isabel Odoul-Asorey, assistance confédérale à la CGT-FO, a indiqué avec force devant la Délégation, que depuis 2007, Force ouvrière demandait l’ouverture d’une négociation nationale interprofessionnelle consacrée à l’égalité professionnelle, qui traiterait de la question de l’articulation entre vie personnelle et vie professionnelle mais aussi et surtout de celle du temps partiel.

4. Des dispositions intéressantes mais souvent inabouties

a) En matière de retraites

La loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites a prévu, pour les salariés du secteur privé à temps partiel, la possibilité de cotiser sur la base d’un temps plein avec l’accord de l’employeur. Cette disposition (article L. 241-3-1 du code de la sécurité sociale) devait permettre, notamment, aux travailleurs qui passent du temps plein au temps partiel de maintenir l'assiette de leurs cotisations destinées à financer l'assurance vieillesse, à la hauteur du salaire correspondant à l’activité exercée à temps plein.

Dans le rapport d’activité de 2004 précité, la Délégation proposait, afin que cette disposition ne reste pas illusoire, que les accords collectifs prévoient la prise en charge par l’employeur des cotisations patronales sur la base du temps plein, lorsque le salarié à temps partiel en fait la demande. Il était également souhaité qu’une contribution financière puisse être apportée par l’État sous forme d’un allégement du supplément des cotisations qui en résulte.

Mais le décret n° 2005-1351 du 31 octobre 2005 subordonne la prise en charge par l’employeur de tout ou partie de la part additionnelle de la cotisation salariale à un accord écrit de l’employeur figurant dans le contrat de travail initial ou dans un avenant (article R.  241-0-3 du code de la sécurité sociale) ce qui est très rarement le cas.

La loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites a instauré une information générale sur le dispositif des retraites et prévoit, notamment, que l’assuré doit être informé des conditions d’application de l’article L. 241-3-1 du code de la sécurité sociale relatif à la surcotisation.

L’article L. 161-17 du code de la sécurité sociale a ainsi été modifié pour disposer que : « Dans l’année qui suit la première année au cours de laquelle il a été validé une durée d’assurance d’au moins deux trimestres dans un des régimes de retraites légalement obligatoires, l’assuré bénéficie d’une information générale sur le système de retraite (…) Cette information rappelle la possibilité, prévue par l’article L. 241-3-1, en cas d’emploi à temps partiel (…) de maintenir à la hauteur du salaire correspondant au même emploi exercé à temps plein l’assiette des cotisations destinées à financer l’assurance vieillesse. »

Cet article prévoit également que les assurés bénéficient à leur demande d’un entretien portant notamment sur les droits qu’ils se sont constitués dans les régimes de retraite légalement obligatoires, sur les perspectives d'évolution de ces droits, compte tenu des choix et des aléas de carrière éventuels et sur les possibilités de cumuler un emploi et une retraite, ainsi que sur les dispositifs leur permettant d'améliorer le montant futur de leur pension de retraite.

Il reste que très peu d’accords ont été signés en application de la loi du 21 août 2003 et donc que très peu de salariés à temps partiel disposent de la possibilité d’améliorer leur future retraite.

Par ailleurs la loi de 2010 sur les retraites a introduit, grâce au vote d’un amendement soutenu par la Délégation, une disposition selon laquelle la négociation annuelle sur les objectifs d’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes (article L. 2242-5 du code du travail) porte également sur l'application de l'article L. 241-3-1 du code de la sécurité sociale et sur les conditions dans lesquelles l'employeur peut prendre en charge tout ou partie du supplément de cotisations.

Cette obligation imposée par la même loi aux entreprises de plus de cinquante salariés, sous peine de pénalités, de négocier un accord relatif à l’égalité professionnelle sur la base d’un rapport sur les situations comparées (RSC), risque d’être privée de toute efficacité par l’adoption d’un projet de décret d’application très restrictif.

Mme Geneviève Bel, vice-présidente de la CGPME (17) et présidente de la Délégation aux droits des femmes du CESE, a indiqué à la Délégation que, pour l’organisation patronale qu’elle représente, il importait d’atténuer les effets négatifs du temps partiel sur les retraites des femmes. Il est notamment souhaitable d’encourager la possibilité de cotiser sur la base d’une assiette à temps plein et d’informer systématiquement les intéressées sur les conséquences du temps partiel sur le niveau de leur future pension.

b) Sur la priorité pour les postes à temps plein

L’article L. 3123-8 du code du travail dispose que « les salariés à temps partiels qui souhaitent occuper ou reprendre un emploi à temps complet (…) ont priorité pour l'attribution d'un emploi ressortissant à leur catégorie professionnelle ou d'un emploi équivalent. » L'employeur doit porter à la connaissance de ces salariés la liste des emplois disponibles correspondants.

La jurisprudence retient que cette priorité d’embauche à temps plein est applicable aussi bien pour les cas de création d’emploi à temps plein, que pour une libération d’emploi. L’employeur s'expose, s'il ne respecte pas cette priorité aux versements de dommages et intérêts.

Un accord cadre du 6 février 2008 relatif au temps de travail à temps partiel, en son article 4, fait état de cette priorité d’accès aux emplois à temps complet, au bénéfice des salariés titulaires d’un contrat de travail à temps partiel.

Mais le code du travail ne prévoit pas de sanction spécifique au non-respect de cette priorité d'emploi et dans un arrêt du 18 janvier 2011 la cour d’appel de Limoges, a considéré que le seul manquement de l'employeur en matière de priorité d'accès à un poste à temps complet n'était pas d'une gravité suffisante pour lui rendre imputable la rupture du contrat de travail.

La jurisprudence a, par ailleurs, précisé certaines modalités de cette priorité :

– la priorité pour l'attribution d'un emploi au profit d'un salarié à temps partiel n'est valable que pour un emploi relevant de sa catégorie professionnelle ou un emploi équivalent (cour d’appel de Limoges, 10 mai 2010) ;

– la demande d'une salariée souhaitant profiter de cette priorité n'est soumise à aucun formalisme particulier (arrêt de la Cour de cassation du 2 juin 2010 (18)) ;

– un salarié peut exercer cette priorité pour tous les postes qui lui permettent d’augmenter sa durée du travail, y compris si le poste en question correspond à un emploi à durée déterminée (arrêt de la Cour de cassation du 24 septembre 2008)(19).

Malheureusement, tous les interlocuteurs de la Délégation interrogés sur cette question, ont indiqué que les entreprises respectaient assez peu cette obligation ce qui explique l’enfermement, souvent définitif, de très nombreux salariés à temps partiel dans cette forme de précarité.

c) Sur le bilan d’étape professionnel et le passeport formation

Le rapport d’activité de 2007 de la Délégation (20) préconisait l’engagement d’une réflexion de la part des pouvoirs publics et des partenaires sociaux sur le problème de la formation professionnelle des femmes travaillant à temps partiel (recommandation n° 2).

L’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail a souligné la grande importance de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) pour la sécurisation des parcours professionnels.

Cet accord a prévu, en son article 6, une nouvelle prestation dénommée bilan d’étape professionnel destiné à inventorier de manière prospective et à périodicité régulière les compétences des salariés. Les partenaires sociaux ont été invités à déterminer les conditions de mise en œuvre de ce dispositif qui paraît particulièrement adapté aux travailleurs à temps partiel.

La loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie (article 12) a introduit les articles L. 6315-1 et suivants dans le code du travail, afin de rendre obligatoire la mise en place dans les entreprises du bilan d'étape professionnel et du passeport formation.

Article L. 6315-1 du code du travail

« À l'occasion de son embauche, le salarié est informé que, dès lors qu'il dispose de deux ans d'ancienneté dans la même entreprise, il bénéficie à sa demande d'un bilan d'étape professionnel. Toujours à sa demande, ce bilan peut être renouvelé tous les cinq ans. Le bilan d'étape professionnel a pour objet, à partir d'un diagnostic réalisé en commun par le salarié et son employeur, de permettre au salarié d'évaluer ses capacités professionnelles et ses compétences et à son employeur de déterminer les objectifs de formation du salarié. Un accord national interprofessionnel étendu détermine les conditions d'application du bilan d'étape professionnel. »

Article L. 6315-2 du code du travail

Il est mis à disposition de toute personne un modèle de passeport orientation et formation qui recense :

1° Dans le cadre de la formation initiale, les diplômes et titres ainsi que les aptitudes, connaissances et compétences acquises, susceptibles d'aider à l'orientation ;

2° Dans le cadre de la formation continue :

― tout ou partie des informations recueillies à l'occasion d'un entretien professionnel, d'un bilan de compétences ou d'un bilan d'étape professionnel ;

― les actions de formation prescrites par l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1 ;

― les actions de formation mises en œuvre par l'employeur ou relevant de l'initiative individuelle ;

― les expériences professionnelles acquises lors des périodes de stage ou de formation en entreprise ;

― les qualifications obtenues ;

― les habilitations de personnes ;

― le ou les emplois occupés, le service civique et les activités bénévoles effectués, ainsi que les connaissances, les compétences et les aptitudes professionnelles mises en œuvre dans le cadre de ces emplois, de ce service civique et de ces activités.

L'employeur ne peut exiger du salarié qui répond à une offre d'embauche qu'il lui présente son passeport orientation et formation. Est illicite le fait de refuser l'embauche d'un salarié en raison de son refus ou de son impossibilité de présenter son passeport orientation et formation.

Un décret en Conseil d'État détermine les modalités de mise en œuvre du présent article.

Certains accords de branche, tel que celui de la métallurgie, ont déjà mis en place pour les salariés exerçant leur activité à temps partiel, un bilan de compétences accessible de plein droit et assorti d’une priorité d’accès à un stage de professionnalisation.

Les pouvoirs publics doivent encourager la généralisation de ce type d’accord et la mise en œuvre des dispositions nouvelles afin que le bilan d’étape professionnel devienne un droit effectif pour les salariés et particulièrement pour les femmes qui travaillent ou envisagent de travailler à temps partiel.

Selon la CFDT, il serait opportun d’augmenter l’allocation de formation versée aux salariés en congé individuel de formation afin de prendre de compte les frais de gardes d’enfant et donc faciliter l’accès de ces formations de reconversion aux femmes chargées de famille.

II. LA NÉCESSITÉ D’UNE APPROCHE NOUVELLE

Tout ce qui précède a convaincu la Délégation qu’aucune évolution significative ne viendra améliorer la situation des femmes en sous-emploi, et que l’accélération du temps partiel contraint ne sera pas enrayée, si la logique juridique qui prévaut aujourd’hui n’est pas inversée.

A. LES ACCORDS COLLECTIFS DOIVENT ÊTRE NÉGOCIÉS AU NIVEAU DE LA BRANCHE D’ACTIVITÉ

Si l’on peut admettre que les règles en matière de durée et d’organisation du travail peuvent relever prioritairement de la négociation entre les partenaires sociaux, cette négociation, en la matière, doit se situer au niveau de la branche d’activité et non de l’entreprise, afin de ne pas priver les salariés des entreprises dépourvues de représentants syndicaux, de toute possibilité de faire valoir leurs droits.

Mme Geneviève Bel, vice-présidente de la CGPME, a indiqué à la Délégation que le niveau de négociation pertinent en vue d’éventuels aménagements de la législation actuelle n’était pas le niveau national mais la négociation de branche.

Il faut donc revenir sur certains aspects de la loi du 20 août 2008 qui se sont révélés particulièrement préjudiciables aux femmes qui travaillent à temps partiel.

Le législateur a modifié la hiérarchie traditionnelle des normes conventionnelles en faisant prévaloir les accords d’entreprises sur les accords de branche y compris antérieurs à la loi.

Le résultat en matière d’aménagement du temps de travail et des horaires est que, selon des enquêtes rapportées notamment, par Mme Margaret Maruani, des vendeuses, des femmes de ménage, des caissières, travaillent deux heures le matin, trois heures l’après-midi, parfois le soir et le samedi. Souvent, elles ignorent combien de temps et selon quels horaires elles vont travailler le lendemain ou la semaine suivante. Comment concilier vie professionnelle et vie familiale, quand on n’a pas la maîtrise de ses horaires ? Quelle précarité plus grande que de ne pas savoir ce que l’on va gagner à la fin du mois ?

La Délégation souhaite que ce type d’accord soit négocié au niveau de la branche d’activité et non au niveau de l’entreprise et dans des limites fixées par la loi.

Lorsque la loi confère aux partenaires sociaux la responsabilité de définir les règles applicables, notamment sur la durée et l’organisation du temps de travail, elle doit fixer des limites encadrant les accords à venir, afin de garantir le respect des droits destinés à protéger la santé, la sécurité et la qualité de vie des travailleurs.

Enfin, lorsque la loi édicte une règle aussi importante que la possibilité pour les salariés à temps partiel de bénéficier, pour déterminer l’assiette de leurs cotisations vieillesse, de l’équivalent d’un salaire à temps plein, cette règle doit être obligatoire et ne pas souffrir d’exception ou de dérogation.

La Délégation considère que le sort réservé actuellement aux femmes qui subissent des conditions de travail et de revenus inacceptables liées à la multiplication du travail à temps partiel et très partiel, est un problème social majeur.

Actuellement la réponse des pouvoirs publics consiste à faire jouer la solidarité nationale pour atténuer les effets de cette précarisation galopante par exemple avec le RSA pour compléter un salaire trop bas ou avec le versement du minimum contributif (608,15 euros par mois pour les personnes qui ont obtenu la totalité des trimestres requis) aux retraités dont les pensions sont trop faibles. Une femme sur deux affiliée au régime général d’assurance vieillesse voit sa pension portée à ce minimum contributif contre un homme sur quatre.

Une meilleure réponse consisterait à rappeler les entreprises à leurs responsabilités et à imposer des règles sociales plus contraignantes.

La Délégation considère indispensable que les partenaires sociaux entament, dès à présent, des négociations sur les bas salaires et la réduction des emplois à temps partiel.

B. LE RECRUTEMENT À TEMPS PARTIEL DOIT DEVENIR MOINS ATTRACTIF POUR LES ENTREPRISES

La Délégation considère qu’il faut mettre un terme à cette stratégie managériale qui se développe dans les secteurs d’activité recrutant essentiellement de la main-d’œuvre féminine peu qualifiée, qui consiste à remplacer des emplois stables par des emplois précaires ce qui permet d’ajuster plus facilement la masse salariale et d’obtenir plus de flexibilité dans les horaires.

Il convient de rappeler que la contribution des femmes à la croissance de l’emploi s’est faite, pour l’essentiel, à temps partiel, aux Pays-Bas, en Belgique, en Allemagne et un peu plus tard en France. Cela signifie que là où le travail à temps partiel progresse de façon importante, il mord sur la croissance de l’emploi à temps plein. Par exemple, en France, entre 1975 et 2008, sur les 3 831 000 emplois créés, les deux tiers, soit 2 663 000, l’ont été à temps partiel. Pour les femmes, sur les 3 762 000 emplois créés, près de 70 %, soit 2 287 000, l’ont été à temps partiel.

Pour ces raisons la Délégation propose une série de mesures le plus souvent de nature législative qui visent à la fois à rendre le travail à temps partiel moins attractif pour les entreprises et à améliorer les conditions de travail des salariés concernés.

1. Un encadrement juridique plus contraignant

L’objectif de ces diverses propositions est de renchérir le travail à temps partiel pour les entreprises et donc de les inciter à y renoncer et à faire en sorte que les embauches à temps plein redeviennent la norme.

Il ne s’agit pas de supprimer le temps partiel mais d’enrayer son utilisation systématique.

Les mesures proposées visent à réduire les nombreuses injustices dont sont victimes les femmes qui travaillent à temps partiel et qui ont été décrites dans la première partie de ce rapport.

Elles concernent l’obligation de justifier les recrutements à temps partiel, l’interdiction de recruter des salariés à temps plein pour des emplois équivalents à ceux occupés par des salariés à temps partiel, l’interdiction de proposer des contrats avec des durées de travail inférieures à 20 heures, le versement d’une prime de précarité au départ d’un salarié à temps partiel, la majoration pour heure complémentaire dès la première heure dépassant la durée contractuelle, et l’obligation, si le salarié en fait la demande, de retenir pour les cotisations à l’assurance vieillesse la base d’un salaire à temps plein.

a) L’obligation de justifier un recrutement à temps partiel

Une comparaison utile a été faite à ce sujet avec les contrats à durée déterminée (CDD) pour lesquels le code du travail (article L. 1242-2) exige que la conclusion d’un tel contrat réponde à plusieurs conditions. Il ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire en remplacement d’un salarié empêché ou pour répondre à un accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise.

Le contrat de travail à durée indéterminée et à temps plein est la norme et le code du travail va au bout de cette logique en prévoyant des exceptions à condition qu’elles répondent à des situations précises qui peuvent être, le cas échéant, contestées devant le juge.

Le contrat à temps partiel est également un contrat exorbitant du droit commun que plusieurs interlocuteurs de la mission ont qualifié de contrat précaire.

L’article L. 3123-14 du code du travail exige la forme écrite pour un contrat de travail à temps partiel et la mention de ses principaux éléments tels que la qualification du salarié, les éléments de la rémunération, la durée hebdomadaire ou mensuelle.

À défaut de contrat écrit le contrat est réputé être à temps plein, de même la jurisprudence considère que si le temps de travail est supérieur au tiers de la durée contractuelle (limite fixée par le code du travail), le contrat à temps partiel peut être requalifié en contrat à temps plein. Cela confirme la spécificité du contrat à temps partiel et justifie qu’il doive également répondre à des situations spécifiques qui peuvent être le choix du salarié ou l’impossibilité, justifiée, pour l’entreprise de conclure un contrat à temps complet.

Il est ainsi proposé de compléter l’article L. 3123-14 en indiquant que : « Le contrat de travail du salarié à temps partiel est un contrat écrit qui comporte la raison de son usage ».

b) Le renforcement de la priorité d’embauche des salariés à temps partiel sur des postes équivalents à temps complet

Il a été de nombreuses fois répété devant la Délégation que l’article L. 3123-8 du code du travail qui dispose que les salariés à temps partiel qui souhaitent occuper ou reprendre un emploi à temps complet sont prioritaires pour l'attribution d'un emploi équivalent à temps plein offert par l’entreprise, n’était pas ou mal appliqué.

La jurisprudence de la Cour de cassation corrige parfois cette réticence des employeurs à appliquer cette priorité d’embauche mais ce n’est pas suffisant.

Mme Françoise Holder, représentante du MEDEF, a considéré devant la Délégation, que lorsqu’il s’agit de temps partiel choisi – pour des raisons correspondant à une période de la vie, qui peuvent être la présence de jeunes enfants, mais aussi celle de parents vieillissants –, il paraissait nécessaire d’aider les femmes à préparer leur sortie de ce statut et de leur permettre si elles le souhaitaient d’accéder à un travail à temps plein, dans leur branche ou ailleurs.

La Délégation considère qu’il faut être plus volontariste et qu’il est possible là aussi de s’inspirer d’une interdiction posée par le code du travail. L’article L. 1251-9 de ce code édicte que dans les six mois suivant un licenciement pour motif économique, il est interdit de faire appel à un salarié temporaire au titre d'un accroissement temporaire de l'activité.

Pour le temps partiel, la proposition consiste donc à interdire le recrutement d’un salarié à temps plein pour un type d’emploi, lorsqu’au sein de l’entreprise, un ou plusieurs salariés à temps partiel exercent un emploi équivalent et ont manifesté par écrit leur désir de travailler à temps plein.

La charge de la preuve sera renversée et il appartiendra à l’employeur de démontrer l’impossibilité de ne pas respecter cette obligation.

c) L’introduction d’une durée légale minimum de temps de travail.

La Délégation a constaté que, faute d’une durée minimale d’activité ou d’un minimum de versements de cotisations, certaines employées à temps partiel n’avaient pas droit aux prestations sociales d’assurance maladie-maternité et de chômage ; or, il n’existe pas de durée minimale d’activité pour les contrats de travail à temps partiel.

Afin d’assurer à tous les salariés à temps partiel l’accès aux droits sociaux et de leur garantir un revenu minimum, la durée minimum légale de travail pourrait être fixée à 20 heures par semaine.

Une exception doit cependant être mentionnée concernant les recrutements par des employeurs particuliers pour lesquels il semble difficile de modifier les règles actuelles.

d) Le versement d’une prime de précarité au départ d’un salarié à temps partiel

De l’avis de nombreux interlocuteurs de la Délégation, le contrat de travail à temps partiel peut être assimilé à un contrat précaire.

Il est donc proposé de s’inspirer de l’article L. 1243-8 du code du travail selon lequel le salarié CDD a droit, à titre de complément de salaire, à une indemnité de fin de contrat destinée à compenser la précarité de sa situation. Cette indemnité est égale à 10 % de la rémunération totale brute versée pendant la durée du contrat.

e) La majoration pour heure complémentaire dès la première heure dépassant la durée contractuelle

L’article L. 3123-19 du code du travail prévoit que la majoration de salaire de 25 % ne s’applique qu’à compter des heures complémentaires accomplies au-delà du dixième de la durée fixée au contrat de travail, contrairement aux majorations d’heures supplémentaires pour les salariés à temps complet qui interviennent dès la première heure au-delà de la durée légale.

De surcroît l’article L. 3122-2 du code du travail, modifié par la loi du 20 août 2008, prévoit qu’un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche peut définir les modalités d'aménagement du temps de travail et organiser la répartition de la durée du travail sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l'année.

Il en résulte pour les contrats à temps partiel que le contingent d’heures complémentaires peut être évalué annuellement et les majorations payées en fin d’année.

Cette flexibilité est évidemment défavorable aux salariés dont les salaires sont très bas et qui ne perçoivent pas de majoration d’heure complémentaire si la durée du travail lissée sur l’année ne dépasse pas de plus de un dixième la durée contractuelle annuelle.

Il est donc proposé de modifier l’article L. 3123-19 du code du travail afin que la majoration soit appliquée dès la première heure complémentaire effectuée au cours d’une période qui ne peut être supérieure au mois.

f) L’obligation de surcotiser pour l’assurance vieillesse si le salarié en fait la demande

La Délégation a constaté que l’article L. 241-3-1 du code de la sécurité sociale introduit par la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites qui prévoit la possibilité de la prise en charge par l’employeur des cotisations patronales additionnelles sur la base du temps plein, lorsque le salarié à temps partiel en fait la demande, ne faisait l’objet d’aucun accord d’entreprise.

Pourtant la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites a rappelé que l’information générale sur le système de retraite doit indiquer, notamment, la possibilité, prévue par l’article L. 241-3-1, en cas d’emploi à temps partiel de maintenir à la hauteur du salaire correspondant au même emploi exercé à temps plein l’assiette des cotisations destinées à financer l’assurance vieillesse.

Cette possibilité essentielle pour permettre la constitution d’un droit à la retraite décent n’étant pas mise en œuvre, il convient de la rendre obligatoire.

La proposition consiste à modifier l’article L. 241-3-1 en remplaçant la formulation « peut être » maintenue à la hauteur du salaire correspondant à l’activité exercée à plein temps par la formulation « est » maintenue si le salarié en fait la demande.

L’information de ce droit nouveau devra être portée à la connaissance des salariés au moyen d’une disposition de leur contrat de travail.

g) Supprimer les dérogations autorisant des interruptions de plus de deux heures de la journée de travail

L’article L. 3123-16 du code du travail indique que l’horaire du salarié à temps partiel ne peut comporter, au cours d'une même journée plus d’une interruption d'activité ou une interruption supérieure à deux heures. Mais il peut être dérogé à cette règle par un accord collectif de branche ou un accord d’entreprise.

La proposition consiste à supprimer cette possibilité de dérogation ouverte par l’article L. 3123-16 du code du travail.

h) Supprimer les dérogations permettant de réduire le délai de prévenance pour les changements d’horaires et de durée du travail

L’article L. 3122-2 du code du travail prévoit que le délai de prévenance des changements de durée et d’horaires de travail est fixé à sept jours, sauf stipulations contraires dans l’accord d’entreprise ou l’accord de branche.

Il est proposé de supprimer dans l’article cette possibilité de dérogation.

2. Décourager les abus du temps partiel

Le recours systématique aux emplois à temps partiel pour bénéficier d’une main-d’œuvre flexible et peu coûteuse doit être découragé.

C’est pourquoi la Délégation propose de supprimer les allègements de cotisations patronales accordées sur les salaires inférieurs à 1,6 fois le SMIC (articles L. 241-13, L. 242-1 et D. 241-7 et suivants du code de la sécurité sociale), à l’encontre des entreprises qui multiplient les recrutements à temps partiel.

C. AMÉLIORER LES CONDITIONS D’ACCÈS AUX ALLOCATIONS CHÔMAGE ET À LA RETRAITE À TAUX PLEIN

1. Le droit au chômage en cas de pluralité d’employeurs

La perception des allocations chômage n’est ouverte qu’en cas de perte d’au moins 30 % du salaire total antérieur. De ce fait, un salarié cumulant plusieurs emplois à temps partiel qui perd l’un de ceux-ci ne percevra pas d’allocation de chômage si cette perte ne représente par exemple que 25 % de son salaire total antérieur, ce qui est considérable.

Il est donc proposé, pour les salariés à temps partiel ayant plusieurs employeurs, de supprimer la condition de perte d’au moins 30 % du salaire total antérieur pour percevoir les indemnités de chômage.

2. La retraite à taux plein à 65 ans

La faiblesse des retraites perçues par les femmes, inférieures de 40 % en moyenne à celle des hommes, s’explique par des carrières incomplètes, morcelées et mal rémunérées.

Dans le secteur privé, les années travaillées à temps partiel pénalisent lourdement les femmes dès lors qu’elles entrent dans les 25 meilleures années prises en compte pour le calcul de la pension.

Leurs droits sont souvent incomplets au moment où elles aspirent à cesser de travailler et la menace de la décote les oblige à continuer jusqu’à l’âge où elles pourront bénéficier d’une retraite à taux plein.

Avant l’adoption de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, 36 % des femmes liquidaient leur retraite à 65 ans contre 12 % des hommes.

C’est pourquoi le report de l’âge de la retraite à taux plein de 65 à 67 ans pénalise encore un peu plus les femmes dont la vie professionnelle a souvent été marquée par beaucoup de dureté.

La Délégation considère qu’il faut revenir sur cette disposition qui pénalise particulièrement les femmes et ramener à 65 ans l’âge de la retraite à taux plein.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

Au cours de la réunion de la Délégation, ouverte à la presse, du mercredi 22 juin 2011, la Présidente de la Délégation a présenté ses propositions sur le temps partiel.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Dans deux rapports d’activité, en 2004 et en 2007, la Délégation avait dénoncé la responsabilité du travail à temps partiel dans les inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes.

Des recommandations avaient été formulées, notamment sur la nécessité pour les entreprises d’appliquer la disposition introduite par la loi du 21 août 2003 sur les retraites permettant de cotiser sur la base d’un temps plein, ou encore sur le respect du principe de la priorité des salariés à temps partiel pour l’attribution des emplois équivalents à temps plein.

La majorité de ces recommandations n’ayant pas été suivie d’effets significatifs et la situation des femmes à temps partiel continuant de se dégrader, notamment en termes de revenus, d’évolution de carrière, d’horaires, de formation et de retraite, la Délégation a décidé de procéder à un nouvel examen de ces questions.

Notre décision a également été motivée par l’annonce qu’a faite Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale, à l’occasion des 15 ans de l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, en décembre 2010, que son ministère organiserait, à la fin du mois de juin, une table ronde sur le travail à temps partiel dans le cadre de la concertation sur l’égalité professionnelle.

Depuis, le sujet de cette table ronde a évolué ; le thème traité sera celui du partage des responsabilités professionnelles et familiales. Pour autant, les problèmes liés au temps partiel devraient tout de même être évoqués le 28 juin.

C’est pourquoi il était important que la Délégation examine dès aujourd’hui, et avant le bouclage définitif du rapport qu’elle rendra sur cette problématique, les nouvelles propositions en matière de temps partiel, lesquelles sont beaucoup plus exigeantes que les précédentes.

Il faut savoir en effet qu’en trente ans, nous sommes passés de 1 500 000 salariés à temps partiel à 4 600 000, dont 82 % de femmes.

La moitié des salariés à temps partiel déclare percevoir un salaire mensuel net, primes et compléments compris, inférieur à 800 euros par mois.

Aujourd’hui, le recrutement à temps partiel est devenu la norme dans certains secteurs d’activité employant du personnel majoritairement féminin et sous qualifié. Mais il est également de plus en plus fréquent pour les jeunes filles qualifiées qui entrent sur le marché du travail pour la première fois ; pour elles, le risque est sérieux d’être maintenues dans ce statut pendant longtemps.

Le temps partiel s’adressait à des femmes entre 30 et 50 ans ; il était choisi par elles pour des raisons liées à l’éducation des enfants. Maintenant, des temps partiels inférieurs à 15 heures sont proposés aux femmes en début de carrière, ce qui a des conséquences sur leurs droits sociaux et leurs futures retraites. Cette situation très inquiétante est un élément central dans la question de la répartition du temps professionnel entre les hommes et les femmes.

Certes des femmes font le choix volontaire de travailler à temps partiel. On peut cependant se demander, comme le fait la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME), si un temps partiel choisi n’est pas toujours, pour partie, subi. En tout état de cause, comme le prévoit la loi sur les retraites, il convient que la femme qui a fait ce choix soit correctement informée sur ce qui l’attend en fin de carrière

Partant du constat que le cadre juridique actuel est trop peu contraignant et que l’emploi à temps partiel, qui a pu constituer un moyen d’accès au marché du travail pour les femmes, se referme aujourd’hui sur elles comme un piège, la Délégation propose une approche nouvelle.

Les propositions qu’elle présente visent donc à rendre dissuasive l’embauche à temps partiel et à renforcer les droits de celles qui ne peuvent l’éviter.

Il est de la responsabilité du législateur de s’inquiéter des problèmes futurs qui se poseront immanquablement à ces femmes au moment de leur départ à la retraite. Un positionnement politique sera nécessaire sur cette question à l’occasion des élections présidentielles ; le temps partiel étant essentiellement un temps féminin, son encadrement doit exprimer le respect pour les femmes.

C’est pourquoi ces propositions ne sont pas réservées à la Délégation ; elles sont mises, si l’on peut dire, sur le marché des propositions qui seront présentées aux femmes en 2012.

La première proposition est la suivante : les accords collectifs sur la durée et les horaires de travail doivent être négociés au niveau de la branche d’activité. Il s’agit d’une proposition émanant de la CGPME. Elle devra s’imposer à toutes les branches d’activité qui recourent au temps partiel.

Nous formulons ensuite une série de propositions visant à ce que le temps partiel devienne moins attractif pour les entreprises.

La première consiste à introduire l’obligation de justifier un recrutement à temps partiel.

La deuxième appelle à renforcer la priorité d’embauche des salariés à temps partiel sur des postes équivalents à temps complet.

La troisième est d’imposer une durée légale minimum de temps de travail.

La quatrième est de rendre obligatoire le versement d’une prime de précarité au départ d’un salarié à temps partiel.

La cinquième consiste en une majoration pour heure complémentaire dès la première heure dépassant la durée contractuelle.

La sixième est l’obligation de surcotiser pour l’assurance vieillesse si le salarié en fait la demande. Il s’agit certainement de la mesure phare car trop de femmes partant à la retraite se retrouvent avec des pensions inférieures au minimum vieillesse. Le législateur doit se soucier de ce problème dès maintenant.

La septième consiste à supprimer les dérogations autorisant des interruptions de plus de deux heures de la journée de travail. Les horaires de travail des femmes à temps partiel sont en effet répartis dans la journée d’une façon inadmissible.

Dans la même perspective, la huitième proposition consiste à supprimer les dérogations permettant de réduire le délai de prévenance pour les changements d’horaires et de durée du travail.

Un troisième axe de travail serait de décourager les abus du temps partiel et le recours systématique à cette forme d’emploi, parfois pour de très courtes durées de travail.

Enfin, nous formulons encore deux propositions tendant à améliorer les conditions d’accès aux assurances chômage et à la retraite : il conviendrait d’ouvrir un droit au chômage en cas de pluralité d’employeurs et de garantir une retraite à taux plein à 65 ans.

L’ensemble de ces propositions peut s’inscrire dans le cadre d’un projet présidentiel.

Mme Danielle Bousquet, vice présidente. Je soutiens toutes ces propositions.

La question de l’emploi salarié des femmes s’est posée à compter des années soixante. Depuis, le développement du temps partiel n’a pas favorisé l’emploi féminin.

Le temps partiel correspond, de fait, à des durées de travail inférieures à des mi-temps.

Instauré pour les mères de famille, il a été encouragé par les politiques publiques de droite comme de gauche. Or, aujourd’hui, la grande majorité des femmes concernées ont moins de 25 ans ou plus de 55 ans, et les horaires imposés – très tôt le matin ou très tard le soir – ne sont pas compatibles avec une vie de famille.

L’argument selon lequel 35 % des femmes choisiraient le temps partiel parce qu’elles sont mères de famille est donc fallacieux. Il camoufle le fait que le temps partiel des femmes est une variable d’ajustement qui a conduit à la multiplication de ce qu’on appelle maintenant «  les jobs féminins », à savoir des emplois sous payés.

Pauvres aujourd’hui, ces femmes le seront encore plus demain car elles recevront des pensions de retraite inférieures de 40 % à celles des hommes.

Le législateur doit tenir compte de ces situations.

N’oublions pas que nous serons nombreuses à vivre jusqu’à 95 ans. Face au risque de la grande dépendance, les femmes qui auront travaillé à temps partiel seront complètement démunies.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La CGPME est d’accord pour reconnaître la nécessité d’introduire plus de lisibilité dans les règles organisant le temps partiel.

Il convient d’alerter les pouvoirs publics sur cette question gravissime pour une majorité de femmes. Le thème choisi pour la table ronde à venir – le partage des responsabilités professionnelles et familiales – montre que nous n’avons pas obtenu satisfaction, puisque le temps partiel ne sera qu’un élément du débat. Nous comptons beaucoup sur les intervenants à cette réunion pour qu’ils fassent part de la précarité croissante des femmes concernées.

De son côté, la Délégation organisera, à la rentrée, avec la Délégation aux droits des femmes du Conseil économique, social et environnemental (CESE) une table ronde sur le temps partiel. Nous prendrons contact avec la Délégation aux droits des femmes du Sénat pour l’associer à nos débats. Nous pourrons également convier les syndicats et des chefs d’entreprise. Ces derniers commencent d’ailleurs à prendre conscience des difficultés.

Il est temps de prendre des décisions pour anticiper les problèmes. Au cours du débat sur les retraites, nous avions tous su montrer que la question de la retraite des femmes était centrale ; nous devons faire de même sur le problème du temps partiel.

Je lance donc un appel à tous ceux qui auront des responsabilités en 2012 pour que des engagements portant sur l’encadrement du temps partiel soient pris. Tout doit pouvoir être mis sur la table et discuté car, à travers cette question, c’est la place des femmes dans la société qui est en jeu.

M. Jean-Luc Pérat. Parmi les propositions présentées, deux me paraissent particulièrement importantes.

La première relative à une durée légale minimum de temps de travail me semble fondamentale. Cette règle sera un pilier pour une meilleure organisation du temps partiel.

La seconde porte sur la surcotisation obligatoire pour l’assurance vieillesse. C’est une garantie pour l’avenir. Je remarquerai cependant que la proposition lie cette procédure à une demande exprès du salarié. Mais encore faut-il que ce dernier soit informé de cette possibilité par l’employeur. Il me semble que l’information devrait faire l’objet d’un écrit signé par les personnes concernées. On sait que les paroles s’envolent mais que les écrits restent.

Mme Danielle Bousquet, vice présidente. Si je suis favorable à la fixation d’un nombre minimum d’heures de travail, j’attire votre attention sur le problème des aidants familiaux. Il faut distinguer la situation des employés en entreprises et celle des personnes employées par des particuliers.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le rapport mentionne les exceptions qu’il conviendra d’aménager à cette règle.

Mme Edwige Antier. La proposition portant sur la majoration pour heure complémentaire dès la première heure dépassant la durée contractuelle me semble importante car très souvent un temps partiel au 4/5ème se transforme en un 6/5ème sans augmentation de salaire.

La proposition relative à la surcotisation est également intéressante. Il me semble cependant que le conjoint pourrait, lui aussi, cotiser en complément pour préparer la retraite de sa femme ; c’est en effet elle qui s’est occupée des enfants.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Les femmes sont trop pénalisées par le temps partiel. Un travail fouillé et pointu est donc nécessaire de notre part pour ne plus permettre une telle exploitation.

Je mets aux voix les propositions de la Délégation.

Les propositions relatives au temps partiel sont adoptées à l’unanimité.

*

* *

Au cours de sa réunion du mercredi 29 juin 2011, la Délégation a adopté le rapport sur le temps partiel.

SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS ADOPTÉES

1. Les accords collectifs sur la durée et les horaires de travail doivent être négociés au niveau de la branche d’activité et les partenaires sociaux doivent entamer au plus tôt des négociations sur les bas salaires et la réduction des emplois à temps partiel.

RENDRE LE RECRUTEMENT À TEMPS PARTIEL

MOINS ATTRACTIF POUR LES ENTREPRISES

2. L’obligation de justifier un recrutement à temps partiel.

3. Le renforcement de la priorité d’embauche des salariés à temps partiel sur des postes équivalents à temps complet.

4. L’introduction d’une durée légale minimum de temps de travail.

5. Le versement d’une prime de précarité au départ d’un salarié à temps partiel.

6. La majoration pour heure complémentaire dès la première heure dépassant la durée contractuelle mensuelle.

7. L’obligation de surcotiser pour l’assurance vieillesse si le salarié en fait la demande.

8. La suppression des dérogations autorisant des interruptions de plus de deux heures de la journée de travail.

9. La suppression des dérogations permettant de réduire le délai de prévenance pour les changements d’horaires et de durée du travail.

10. Sanctionner les abus du temps partiel et le recours systématique à cette forme d’emploi par la suppression de certains allègements de charges.

AMÉLIORER LES CONDITIONS D’ACCÈS

AU CHÔMAGE ET À LA RETRAITE

11. Pour les salariés à temps partiel ayant plusieurs employeurs, supprimer la condition de perte d’au moins 30 % du salaire total antérieur pour percevoir les indemnités de chômage.

12. Revenir à la retraite à taux plein à 65 ans.

ANNEXE 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
PAR LA DÉLÉGATION

—  Mme Sophie Mandelbaum, secrétaire confédérale responsable de la délégation « femmes » à la Confédération française démocratique du travail (CFDT), et de M. Thierry Tréfert, secrétaire confédéral en charge du temps de travail

—  Mme Pascale Coton, secrétaire générale adjointe de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), accompagnée de Mme Marie Abdali, conseillère technique

—  Mme Rachel Silvera, économiste, maître de conférences à l’Université Paris-Ouest Nanterre (Paris X)

—  Mme Marie-Françoise Leflon, secrétaire nationale de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC) et de Mme Marie-Line Brugidou, déléguée nationale, chargée des droits des femmes et des discriminations au sein du secteur emploi

—  Mmes Ghyslaine Richard, Sabine Reynosa et Christine Guinand, représentantes de la confédération générale du travail (CGT)

—  Mme Isabel Odoul-Asorey, assistante confédérale à la Confédération générale du travail – Force ouvrière (CGT-FO)

—  Mme Margaret Maruani, sociologue, directrice de recherche au CNRS

—  MEDEF : Mme Françoise Holder, présidente du comité égalité hommes-femmes, Mme Audrey Herblin, directrice de mission à la direction des affaires publiques, et Mme Ophélie Tailly, chargée de mission à la direction entreprises et société

—  CGPME : Mme Geneviève Bel, vice-présidente de la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME), présidente de la Délégation aux droits des femmes du Conseil économique, social et environnemental (CESE)

ANNEXE 2 : COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

Audition de Mme Sophie Mandelbaum, secrétaire confédérale
responsable de la délégation « femmes » à la Confédération française démocratique du travail (CFDT) et de M. Thierry Tréfert, secrétaire confédéral en charge du temps de travail


(procès-verbal du 4 mai 2011)

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La Délégation vous souhaite la bienvenue.

Le travail et la place des femmes dans la société constituent des enjeux majeurs. Nos auditions sur le travail à temps partiel sont d’autant plus d’actualité que se tiendront, au mois de juin, des tables rondes sur le sujet.

Aujourd’hui, le temps partiel est un handicap pour les femmes : même choisi, il est subi car néfaste pour le niveau de leur retraite. N’oublions pas que 82 % des personnes qui travaillent à temps partiel sont des femmes !

Alors que nous avions préconisé dès 2004 que le temps partiel ne soit pas un frein au temps plein, un grand nombre d’entreprises en font un usage tel que les femmes qui souhaitent compléter leur temps de travail ne le peuvent pas.

Comment pensez-vous possible de garantir que le temps partiel, même choisi, n’entraîne pas de conséquences négatives pour la carrière des femmes et, surtout, pour leur retraite ?

Mme Sophie Mandelbaum, secrétaire confédérale responsable de la Délégation « femmes » à la CFDT. Pour la CFDT, la problématique du temps partiel est liée à la structuration de l’emploi et nous nous y intéressons à plusieurs niveaux.

D’abord, nous vérifions si, dans les branches professionnelles, le temps partiel est une contrainte liée à l’activité de l’entreprise ou un confort pour l’employeur qui veut une main-d’œuvre servile, disponible, et qui organise l’imprévisibilité des horaires afin de la fragiliser et de l’empêcher de trouver un autre emploi, à temps partiel ou à temps plein. Lors de la négociation de 2008 sur le marché du travail, nous avons examiné les différentes formes de contrats, en particulier atypiques.

Ensuite, nous regardons si le temps partiel, même contraint, est une réelle solution pour les salariés. Si les femmes y ont recours faute de pouvoir bénéficier d’un mode de garde des enfants ou des personnes âgées, il ne peut évidemment nous satisfaire. C’est pourquoi nous considérons que le temps partiel n’est pas la réponse au problème de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Dans les négociations dans les entreprises et les branches, nous privilégions l’organisation du travail apte à apporter de la souplesse aux salariés tout en répondant aux besoins de l’entreprise. Ainsi, les employeurs du commerce alimentaire ont signé avec les syndicats un avenant à la convention collective nationale de 2008, dans lequel ils s’engagent à améliorer la prévisibilité du temps, à organiser la polyactivité pour faciliter la construction d’un temps plein, à éviter le morcellement du temps partiel s’il se révèle incontournable.

Nous travaillons également à la sécurisation du parcours des salariés à temps partiel dans les services à la personne. En effet, en deçà d’un certain volume d’heures, les salariés n’acquièrent pas suffisamment de droits à la protection sociale et à la formation. Nous privilégions les pistes permettant de concilier accumulation des droits et concentration des éléments du contrat de travail dans une seule structure ou chez un employeur unique. Dans ce secteur, les salariés attachent beaucoup d’importance à la relation individuelle et ne désirent pas nécessairement travailler dans des associations leur imposant de limiter leur intervention à quinze minutes par personne âgée. Nous menons ce travail avec les fédérations concernées. Nous examinons par ailleurs dans certains secteurs d’activités les modalités d’organisation des groupements d’employeurs susceptibles de garantir des conditions de travail plus sécurisantes pour les salariés, tout en veillant à ce que ce type d’organisation n’entre pas en concurrence avec les entreprises d’intérim qui accordent certains droits aux salariés.

En 2001, l’Union professionnelle des artisans (UPA) a signé un accord par lequel elle s’engage à chercher les modalités d’organisation des services de remplacement afin de permettre aux salariés de partir en formation.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Les auto-entrepreneurs sont-ils une piste ?

Mme Sophie Mandelbaum. Nous cherchons en priorité à sécuriser le travail des salariés pour leur permettre d’acquérir des droits.

Mme Colette Langlade. De nombreuses femmes qui n’avaient pas suffisamment d’heures en tant qu’aide à domicile ont créé leur auto-entreprise.

Mme Sophie Mandelbaum. Les salariées que nous rencontrons sont surtout utilisatrices du chèque-emploi-service-universel, le CESU.

L’accord National Interprofessionnel de janvier 2008 sur le contrat de travail, puis celui de novembre 2008 sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences nous ont donné l’occasion de mettre en évidence le besoin des salariés d’être aidés dans la gestion de leur parcours. En effet, peut-on parler d’un choix lorsque le salarié n’est pas informé des conséquences à terme d’une forme d’emploi qu’il choisit? Les femmes savent-elles à quel point leur décision de passer à temps partiel pour élever leurs enfants aura un impact sur leurs droits à la retraite ? Il est nécessaire de réfléchir aux moyens de rendre l’information accessible au bon moment, par exemple à l’occasion d’une déclaration de grossesse.

Le bilan d’étape professionnel, que nous avons négocié et obtenu, doit maintenant devenir un droit effectif pour les salariés, plus particulièrement pour ceux qui travaillent à temps partiel ou optent pour le congé parental d’éducation.

M. Jean-Luc Pérat. Le temps partiel peut être choisi, par exemple par les personnes souhaitant travailler le matin pour pouvoir s’occuper de leurs enfants l’après-midi. Mais, dans la mesure où il est peu ou pas structuré, il me semble indispensable d’instaurer un accompagnement des salariés afin de les aider à mieux s’organiser et, surtout, à mieux se défendre.

L’organisation des services à la personne devrait, à mon sens, être revue. D’autres prestations que la toilette, les repas, etc., peuvent en effet être proposées, comme le repassage et le nettoyage. Un certain nombre d’organisations y réfléchit.

Enfin, quid de la formation ? Pourquoi ne pas imaginer des unités de valeurs, qui pourraient déboucher sur une validation des acquis ?

Mme Sophie Mandelbaum. S’agissant de la formation, la revendication de la CFDT porte à la fois sur le bilan d’étape professionnel, le passeport formation et l’adaptation de l’offre de formation. Les entreprises désireuses de rééquilibrer l’accès à la formation entre les hommes et les femmes cherchent des formations plus accessibles géographiquement et compatibles avec les contraintes des vies professionnelle et familiale des femmes.

Selon la CFDT, il est impératif de penser autrement le travail à temps partiel. Les techniciennes de surface, par exemple, pourraient intervenir en journée, comme certaines le font déjà à Rennes. Il ne s’agit pas tant d’adopter de nouveaux dispositifs législatifs que d’oser imaginer d’autres configurations d’activités. Il faut savoir faire preuve de créativité.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Si vous entendez imposer certaines cotisations aux employeurs de salariés à temps partiel, la voie législative s’impose.

Mme Sophie Mandelbaum. Idéalement, nous considérons le travail à temps partiel comme un passage. Mais, comme pour la pénibilité, nous privilégions la voie de la négociation pour faire reconnaître la nécessité de mesures renforcées afin d’aider les salariés à sortir de ces formes d’emplois.

Les salariés à temps partiel ont moins accès à la formation. Y remédier renvoie au co-investissement, mais aussi à l’augmentation de l’allocation formation dans la mesure où les salariés engagent des frais pour les gardes d’enfants. Or, nous avons beaucoup de mal à obtenir cette augmentation dans les négociations de branches.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Les employeurs doivent prendre conscience qu’ils doivent contribuer au financement des retraites des femmes travaillant à temps partiel !

Mme Marie-Noëlle Battistel. Quelle est la place de la pluriactivité dans le temps partiel ?

Menez-vous par ailleurs une réflexion sur le travail saisonnier ?

M. Thierry Trefert, secrétaire confédéral en charge du temps de travail. Il existe deux catégories de saisonniers : ceux qui font les deux saisons et dont c’est le métier et ceux qui travaillent occasionnellement, comme les étudiants pendant les vendanges. La CFDT s’en occupe depuis de nombreuses années, par notre « campagne Saisonniers ». Un bus sillonne toute la France l’été depuis au moins 10 ans.

En ce qui concerne le commerce, un accord sur le temps partiel a été conclu avec la grande distribution où, comme le montre une de nos études, les salariés à temps partiel ne pensent pas toujours la même chose que nous, en particulier parce qu’ils ne sont pas informés des conséquences de cette forme d’emploi sur le niveau des retraites.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. À Auchan, les salariées sont favorables à ce que l’on appelle les horaires en îlots, mais elles n’anticipent pas les conséquences de cette organisation sur leur évolution de carrière.

M. Thierry Trefert. Beaucoup de nos revendications portent sur la pluriactivité, qui renvoie à l’organisation du temps partiel, à la formation et à l’évolution de carrière. Dans la mesure où une personne travaillant à temps partiel peut avoir plusieurs employeurs, le passeport formation devrait selon nous être obligatoire. En effet, que se passe-t-il si le premier employeur accorde la formation, mais pas le deuxième ? La formation est toujours soumise à l’accord de l’employeur que je sache ! Comment un salarié travaillant douze heures sur six jours, deux heures par jour, avec des horaires qui changent chaque semaine, peut-il trouver à s’engager dans une formation ou trouver un deuxième emploi ?

Pour lever ces freins, pour dissuader les employeurs de faire ce qu’ils veulent et de considérer que leurs salariés sont taillables et corvéables à merci, des solutions doivent être apportées par la voie législative. Nous proposons plusieurs pistes. D’abord, un minimum d’heures pour un salaire décent – dans la grande distribution, nous avons passé un accord sur 25 heures. Ensuite et surtout, une organisation et une sécurisation du temps partiel afin que les horaires ne changent pas tous les jours. À cet égard, notre accord avec Monoprix permet aux salariés de travailler soit le matin, soit l’après-midi et, ainsi, d’organiser leur vie personnelle, notamment de garder leurs d’enfants, ou d’avoir un deuxième employeur afin d’améliorer leurs revenus.

En un mot, il faut cadrer le temps partiel.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je pense que l’organisation du temps partiel passera obligatoirement par la voie législative.

Le temps passé dans les transports en commun en région parisienne est aussi un frein pour les personnes travaillant à temps partiel désireuses de compléter leurs heures de travail. C’est pourquoi Auchan, par exemple, a proposé à ses caissières le remplissage des rayons comme travail complémentaire.

Mme Sophie Mandelbaum. Selon une étude de 2007 de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), 9 % des salariés à temps partiel sont dans la catégorie « poly-employeur ».

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Autrement dit, 91 % ont un seul temps partiel !

M. Thierry Trefert. Peu de branches ont franchi le pas de la pluriactivité.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Les syndicats se saisissent davantage de ce problème aujourd’hui. À nous maintenant de prendre nos responsabilités.

Mme Colette Langlade. La loi de modernisation de l’économie n’a-t-elle pas eu des conséquences néfastes sur les conditions de travail des salariés dans la grande distribution, du fait de la refonte du calcul du prix des produits et des marges arrière ?

M. Jean-Luc Pérat. N’oublions pas que les intermittents du spectacle travaillent aussi à temps partiel.

L’accompagnement des employeurs et des salariés est bien une nécessité. À cet égard, les groupements d’employeurs ne constituent-ils pas une piste importante ? Ne pourrait-on par ailleurs imaginer une sorte de bonification permettant aux salariés de ne pas être pénalisés par leurs années de travail à temps partiel ?

M. Thierry Trefert. Dans la grande distribution, le temps partiel a toujours été utilisé comme variable d’ajustement des plannings. Un salarié à temps partiel refuse rarement de faire des heures complémentaires au risque que son employeur ne lui en propose plus.

La première variable d’ajustement utilisée par les employeurs est la masse salariale.

La dégradation des conditions de travail à temps partiel s’explique également par les changements d’habitudes de consommation. Pour la première fois, la grande distribution voit son chiffre d’affaires diminuer et détruit des emplois. Certes, l’installation de commerces du type Carrefour Market dans les centres villes crée des emplois, mais elle détruit ceux des commerces installés avant eux…

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Les conditions de travail à temps partiel dans les Lidl et autres Leader Price qui s’installent dans les centres villes sont pires que dans les grandes surfaces comme Carrefour et Auchan qui, elles, prennent en compte la problématique.

M. Thierry Trefert. L’instauration des allégements de charges à l’année, et non plus au mois, a eu un impact très important sur les masses salariales. In fine, ce sont les salariés qui se retrouvent pénalisés, les employeurs cherchant à réduire leur masse salariale par tous les moyens. Cette situation devrait inciter à réfléchir aux conséquences des lois qui sont votées.

Mme Sophie Mandelbaum. Lors des négociations annuelles obligatoires, tous les négociateurs n’avaient pas connaissance des dispositions relatives à la possibilité de surcotisation pour les salariés à temps partiel. À chaque fois que nous avons porté cette mesure, nous nous sommes heurtés à un refus ou à un silence.

De la même manière, le rattrapage salarial pour les femmes est une obligation, mais lorsque nous abordons le sujet, on nous répond que ce n’est pas le moment car c’est la crise !

La surcotisation pour temps partiel est en revanche négociée et appliquée dans le cadre des accords seniors. Lorsque les employeurs veulent inciter ces salariés seniors à passer d’un temps plein à un temps partiel, ils savent faire le nécessaire. On ne voit pas pourquoi il n’en serait pas de même pour les femmes qui subissent cette forme d’emploi.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Les employeurs ont recours à toutes les astuces pour faire croire que l’égalité entre hommes et femmes existe déjà !

Merci beaucoup.

Audition de Mme Pascale Coton, secrétaire générale adjointe
de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC),
accompagnée de Mme Marie Abdali, conseillère technique



(procès-verbal du 10 mai 2011)

Mme la présidente Marie-Zo Zimmermann. Nous accueillons à présent Mme Pascale Coton, secrétaire générale adjointe de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), qui va nous parler de la situation des femmes en France et du projet de décret d’application de l’article 99 de la loi sur les retraites.

Mme Pascale Coton, secrétaire générale adjointe de la CFTC. Une version de ce décret a été présentée la semaine dernière aux syndicats, qui l’ont rejetée. À cette occasion, j’ai exposé à M. Éric Aubry, conseiller social du Premier ministre, ma position sur la situation des femmes, qui est aujourd’hui en pleine régression, dans le domaine professionnel comme dans leur vie quotidienne. Si le Gouvernement ne tape pas du poing sur la table pour faire respecter les règles par tous, à commencer par les entreprises, les femmes continueront à être malmenées et à se heurter à des difficultés d’intégration dans la société.

Après plusieurs années de travail – la CFTC dénonce les inégalités salariales entre les hommes et les femmes depuis trente-huit ans ! –, les syndicats avaient réussi à faire tomber certains tabous, mais ils sont privés de ce qui leur est dû. La seule solution est de pénaliser les entreprises, même si nous ne sommes même pas sûrs que cela remédiera aux inégalités salariales, car les entreprises réussissent toujours à trouver des biais. Ainsi, elles ont détourné le temps partiel de son objectif initial, à tel point que la femme est une variable d’ajustement, au premier chef dans le secteur du commerce.

Afin de gérer leurs coûts sans être interpellées par les syndicalistes sur l’égalité homme femmes, les conditions de travail, les horaires atypiques, la garde des enfants, etc., certaines entreprises font travailler 49 femmes à 22 heures par semaine, afin de rester juste en deçà de la barre des cinquante salariés. Le code du travail leur permet ainsi de s’affranchir des règles et d’agir à leur guise. Quantité de femmes exercent pratiquement un double emploi : des responsables de rayon ou des hôtesses de caisse se voient proposer, par exemple, la gestion du magasin pendant trois mois pour passer à 35 heures –mais être payées sur cette base au bout du troisième mois seulement – ; mais passé ce délai, l’entreprise met en avant leur fatigue, leurs difficultés à concilier temps de vie personnel et professionnel et donc leur intérêt à revenir au temps partiel…

Pour la CFTC, les entreprises qui abusent du temps partiel non choisi doivent impérativement être sanctionnées. Les conséquences de cette forme d’emploi sur la retraite des femmes sont connues ! Les gouvernants doivent le comprendre : notre pays occupe le 116ème rang mondial en termes d’égalité entre les hommes et les femmes ; si rien ne change beaucoup de femmes seront mises au ban de la société.

L’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes ne remplit pas vraiment son rôle et il faut remettre en route le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle, mais pas en 48 heures, comme cela vient d’être fait, pour étudier dans la précipitation un décret !

Les femmes et les jeunes sont les catégories qui ont le plus payé le prix de la crise et l’annonce d’une autre grave crise pour la fin de l’année est donc particulièrement préoccupante.

C’est dans le cadre de la concertation sur les retraites que j’ai particulièrement ressenti cette régression dont les femmes sont victimes. Leur situation ne serait pas un problème, nous a-t-on dit, dans la mesure où elles peuvent, elles aussi, être très diplômées et accéder à des emplois de cadres supérieurs ! En ont-ils donc assez de nous entendre parler des femmes ? Ou pensent-ils – et la réalité est plutôt là – qu’elles vont se fatiguer et finir par se taire ? Pour la première fois, en tant que militante, je me suis demandé jusqu’où cela pouvait aller…

Aujourd’hui, je ne vois aucun espoir transparaître des projets politiques. J’ai été stupéfaite par la façon dont a été traité l’article 99 de la loi sur les retraites. Le projet de décret prévoit des pénalités variables et non obligatoires !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. L’article 99 de la loi sur les retraites énonce : « Les entreprises d’au moins 50 salariés sont soumises à une pénalité à la charge de l’employeur lorsqu’elles ne sont pas couvertes par un accord relatif à l’égalité professionnelle ou, à défaut d’accord, par les objectifs et les mesures constituant le plan d’action. Les modalités de suivi de la réalisation des objectifs et des mesures de l’accord et du plan d’action sont fixées par décret. (…) Le montant de la pénalité est fixé par l’autorité administrative, dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État, en fonction des efforts constatés dans l’entreprise en matière d’égalité professionnelle ».

Qui plus est, le projet de décret pose en préalable que la pénalité est appliquée « s’il y a lieu » ! Autrement dit, puisque ce sont les inspecteurs du travail qui devront constater les efforts, on pourra attendre dix ans car aucun délai n’est fixé et que l’Inspection du travail manque de moyens !

Mme Catherine Coutelle. La loi n’est pas assez contraignante. Pour les seniors, il n’y a pas cette modulation.

Mme Pascale Coton. Nous avions demandé une pénalité de 1 %. Dans le décret, ce 1 % devient un maximum. Nous l’avons donc refusé.

Tous les syndicats ont d’ailleurs voté contre le décret lors de la réunion du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle qui n’a qu’une voix consultative, le MEDEF s’abstenant, mais la presse s’en est très peu fait l’écho.

En fait, il n’y a pas de volonté politique pour faire vraiment progresser l’égalité professionnelle.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann Pour faire bouger les journalistes, je vous propose de nous mettre d’accord avec les syndicats pour envoyer, à bref délai, des communiqués à la presse.

Je poserais bien une question au Gouvernement, mais cela m’a été refusé au moment de la discussion de la loi sur les retraites.

Il faudrait également réécrire l’article 99 de la loi !

Mme Pascale Crozon. Grâce à une proposition de loi reprenant l’ensemble du dispositif !

Mme Catherine Coutelle. L’article sur l’égalité professionnelle n’aurait pas dû figurer dans de la loi sur les retraites ! C’est une carotte qui nous a été tendue !

Mme Pascale Coton. Pour la CFTC, cette disposition comme celle sur la pénibilité n’auraient pas dû figurer dans cette loi.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Cette disposition a été inscrite à l’article 99 parce que le délai fixé par la loi de 2006 n’était pas respecté !

Mme Pascale Coton. Notre syndicat va interpeller tous les candidats à la présidence de la République auxquels nous demanderons des réponses concrètes sur les inégalités salariales, le partage du temps, la conciliation des temps de vie, etc.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Profitez-en pour reprendre les réponses faites par les candidats pendant la campagne présidentielle de 2007 !

Mme Pascale Coton. Oui, nous ferons le bilan de toutes les promesses faites à l’époque.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Comment voyez-vous l’évolution des choses à propos de cet article 99 ?

Mme Pascale Coton. Je ne sais pas…

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je ne comprends pas pourquoi le décret mentionne uniquement trois indicateurs portant sur la situation respective des femmes et des hommes : salaire médian ou salaire moyen, durée moyenne entre deux promotions, et exercice de fonctions d’encadrement et décisionnelles…

Mme Pascale Coton. Il faut un maximum de transparence pour savoir comment sont remplis les rapports de situation comparée (RSC). Autrement dit, il est nécessaire de savoir qui contrôle les chiffres dans et à l’extérieur de l’entreprise.

Une entreprise peut commettre un délit d’entrave en refusant de communiquer son RSC aux syndicalistes. Néanmoins, en tant de crise, même un délégué syndical n’a plus la garantie d’avoir son travail le lendemain ! Il y a une pression terrible !

Mme Catherine Coutelle. Ce n’est pas sur le RSC que les syndicats se battront le plus !

Mme Pascale Coton. Effectivement.

Bref, nous sommes très déçues.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Cela étant dit, l’abstention du MEDEF sur le décret constitue un signal fort. Il est clair que les droits des femmes régressent.

Mme Pascale Coton. Les droits des femmes régressent dans les entreprises et dans la société en général. Selon moi, les choses ne vont pas depuis deux ans, comme si on avait enclenché la marche arrière…

M. Louis Schweitzer ancien président de la Halde, avec qui j’ai beaucoup travaillé sur les discriminations à l’encontre des femmes, avait l’habitude de me dire que ce sujet me touche davantage parce que je suis une femme. Mais très rapidement, il a pris conscience à quel point j’avais raison !

Ce matin encore, on pouvait lire sur les murs du métro Nation des insultes à l’égard des femmes !

Si les entreprises n’appliquent pas les règles sur l’égalité, il ne faut pas s’étonner que ces messieurs s’expriment chez eux en toute liberté et n’importe comment ! Regardez les chiffres de ces six derniers mois sur les violences faites aux femmes !

Nos unions départementales et locales reçoivent de plus en plus de femmes qui viennent parler des problèmes auxquels elles sont confrontées dans leur foyer. Depuis quelque temps, nous recevons même au standard de la CFTC des appels de femmes battues par leur conjoint ! Récemment, grâce à nos relations avec des associations, nous avons aidé une femme qui avait fui son foyer avec sa petite fille que son mari voulait faire exciser.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le projet de décret officialise le manque de respect à l’égard des femmes.

Mme Pascale Coton. À l’égard de toutes les femmes ! C’est un irrespect total !

Lors des négociations sur les retraites, je suis parfois sortie du ministère du travail avec les larmes aux yeux ! À propos du niveau de retraite des femmes qui se sont arrêtées de travailler pour élever leurs enfants, on nous a dit : « Ce n’est pas notre faute si certaines d’entre elles ont fait ce choix de vie » ! De tels propos sont démoralisants et, aujourd’hui, je n’ai plus les mots, les arguments…

Mme Pascale Crozon. Sur les marchés, je rencontre des femmes qui vivent seules avec 600 euros de retraite par mois, autant dire dans des conditions misérables ! Certaines sont obligées de vendre leur maison, qu’elles ont achetée avec leur mari aujourd’hui décédé, car elles ne peuvent plus en assumer les charges !

Sur ce sujet, les réponses apportées par les ministres, aujourd’hui même dans le cadre des questions d’actualité, sont révoltantes !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Effectivement, c’est honteux !

Selon vous, que peut-il ressortir des tables rondes qui se tiendront, à l’initiative du Gouvernement, sur le temps partiel ?

Mme Colette Langlade. Le temps partiel n’est qu’une des thématiques, un sous élément. La question semble être celle de la répartition du temps.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Autrement dit, toujours les mêmes généralités.

Mme Pascale Coton : Il faut que nous regardions cela de près. Le temps partiel est devenu le poison des femmes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. En 2004, alors que Mme Gabrielle Simon était secrétaire générale adjointe de la CFTC, j’ai rédigé un rapport sur le travail à temps partiel des femmes en prévoyant que dans les cinq années à venir, des difficultés apparaîtraient. J’avais raison, en 2011, on se retrouve face à ce problème.

Le rapport du Conseil d'orientation des retraites a affirmé qu’on se dirigeait vers une égalité entre les hommes et les femmes, mais je n’ai pas compris comment il peut affirmer cela.

Si les réunions des différents acteurs, en juin, ne devaient porter que sur le partage des temps, ce serait à désespérer !

Mme Colette Langlade : C’est pourtant ce gouvernement qui, à l’occasion du 15ème anniversaire de l'Observatoire de la Parité a proposé de tenir de pareilles tables rondes tripartites. Mais on ignore les sujets qui y seront abordés. S’agira-t-il du temps partiel, des salaires des femmes, de leur formation professionnelle ?

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann D’après ce que dit le ministère, il s’agit de réunir les partenaires sociaux sur la question du temps partiel.

Certains n’ont compris les conséquences du temps partiel sur les retraites des femmes qu’à l’occasion de la loi sur les retraites.

Mme Pascale Coton. La réponse qui nous a été donnée à ce sujet était, en substance, qu’il fallait faire beaucoup d’enfants pour rattraper les retards de cotisation ! 

Tout cela relève de la communication, mais quand on proteste, on nous taxe de féminisme.

Mme Pascale Crozon. Il faudrait préciser ce qu’est le féminisme. Pour moi, il se définit comme la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes. C’est une idée qui peut fédérer les initiatives, en particulier celles des associations.

Mme Pascale Coton. À l’occasion du congrès de la CFTC, qui se tiendra au mois de novembre, à Poitiers, sera édité un texte intitulé : « Prends ta vie en main ». Prendre sa vie en main doit être possible pour tous, jeunes, femmes ou vieux. Ce texte est très ambitieux, il se place dans une perspective de trois à six ans. Chaque chapitre explique comment faire et met les politiques devant leurs responsabilités.

Il est inutile d’espérer intégrer les femmes dans les syndicats et les engager dans la politique si on leur donne rendez-vous pour dans 10 ans.

Mes activités de bénévole à la Croix-Rouge me montrent à quel degré de misère de plus en plus de femmes en sont réduites. Il s’agit en majorité de femmes âgées de plus de 70 ans et dont les retraites sont insuffisantes pour vivre.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann Tous les responsables des associations caritatives à Metz, qu’il s’agisse des Restos du cœur, du Secours populaire ou du Secours catholique, disent que le nombre de femmes qui viennent dans leurs lieux d’accueil, simplement pour manger un bol de soupe, est en très forte augmentation.

Mme Pascale Coton. Beaucoup de femmes se retrouvent au ban de la société.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann Les jeunes ont la vie devant eux. Mais une femme âgée de 70 ans n’a plus rien à espérer.

Mme Pascale Crozon. On constate aussi un recul sur la question de la contraception. Marina Vlady et Françoise Fabian en ont récemment parlé à la télévision. Elles sont prêtes à se mobiliser sur le sujet de l’IVG.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Moi aussi !

Je vais donc envoyer des mails aux syndicats. Il faut inonder la presse. J’en prends la responsabilité en tant que présidente de la Délégation aux droits des femmes, ce qui n’empêche pas les initiatives individuelles. Je propose de lancer notre action de communication la semaine prochaine.

Audition de Mme Rachel Silvera, économiste, maître de conférences
à l’Université Paris- Ouest Nanterre (Paris X)



(procès-verbal du 11 mai 2011)

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Madame Silvera, nous avons déjà eu l’occasion de vous entendre. Merci d’avoir bien voulu revenir à la Délégation nous parler du temps partiel.

Mme Rachel Silvera. Merci de cette nouvelle invitation. Je suis ravie de constater qu’au fil des années, la concertation grandit entre le monde de la recherche et le monde de l’action. À terme, cela portera ses fruits.

Quand on parle du temps partiel, il est très important de prendre conscience que les situations qu’il génère sont très hétérogènes : entre la caissière à temps très réduit, et la (ou le) fonctionnaire à 80 %, il y a deux mondes. Pour autant, certaines caractéristiques sont communes à ces deux situations : un salaire partiel, des promotions partielles, des évolutions de carrière ralenties et des retraites partielles.

Choisi ou non, le temps partiel a des répercussions à longue échéance, que les intéressés – notamment les jeunes femmes – ne réalisent pas. En 2004, lorsque je suis venue devant vous, je ne le percevais pas autant. Mais depuis le débat sur la réforme des retraites de l’année dernière, il est clair que les salariés qui optent pour un temps partiel doivent se projeter sur le long terme. Il faudrait absolument organiser une campagne pour les alerter sur ce point.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. J’ai déposé et fait voter, dans le projet de loi sur la réforme des retraites, un amendement instituant une obligation d’information.

Mme Rachel Silvera. Tout ce que l’on a pu dire dans les années quatre-vingt-dix se confirme : le travail à temps partiel reste la forme d’emploi la plus féminisée, qui a connu le développement le plus rapide depuis les années quatre-vingts. Il représente toujours environ 30 % de l’emploi féminin et seulement 6 % de l’emploi masculin. La féminisation du temps partiel reste une caractéristique européenne. En France, 82 % des travailleurs à temps partiel sont des femmes.

Avant la crise récente de 2008, plusieurs experts avaient remarqué une stagnation du temps partiel dans notre pays : il ne dépassait pas le seuil des 30 %, alors même que dans d’autres, il décollait au-delà des 40 %. Mais depuis 2008-2009, les données de Pôle emploi montrent qu’il y aurait, depuis la crise, deux figures : d’un côté, un chômage masculin plus visible, et de l’autre, une précarité plus développée chez les femmes, en raison d’une reprise du temps partiel. Vous pouvez vous reporter aux récents travaux de Françoise Milewski de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) relatifs à l’effet de la crise sur l’emploi des hommes et des femmes. Ceux-ci mettent en évidence un ralentissement du taux de chômage des jeunes femmes par rapport au taux de chômage des jeunes hommes, qui s’accompagne, malheureusement, d’un accroissement très rapide du temps partiel chez les jeunes filles : de 32 à 38 % depuis la crise. Ces données sont pour nous très inquiétantes : d’une part, la réussite scolaire des filles ne leur profite toujours pas ; d’autre part, le temps partiel ne correspond pas forcément à l’âge des contraintes familiales, puisque les jeunes femmes visées ont moins de vingt-quatre ans et n’ont pas, ou ont peu d’enfants. Il s’agit donc là d’un temps partiel contraint.

Nous avons publié dans notre revue Travail, Genre et Sociétés, un dossier intitulé « Maudite conciliation ». J’y fais un tour d’horizon de ce qui se passe dans tous les pays européens. Vous y trouverez des données récentes sur la question du temps partiel comme opportunité possible.

La moyenne européenne est à l’heure actuelle de 31,1 % de l’emploi des femmes. En France, elle est un peu en dessous, mais elle dépasse largement 40 % dans six pays – Royaume-Uni, Suède, Autriche, Allemagne, Belgique et Pays-Bas – et même 75 % aux Pays-Bas.

Le temps partiel reste beaucoup plus faible dans les pays du Sud, et surtout dans les nouveaux pays entrants, où il n’est pas un modèle. Néanmoins, en Espagne et en Italie, il a augmenté et dépasse au moins 20 %.

Je distingue cinq logiques différentes du temps partiel – reprises dans le rapport du Conseil économique et social sur le temps partiel, l’année dernière – qui cohabitent parfois au sein d’un même pays.

Première logique : le temps partiel a été, ou est encore, un moyen d’intégrer les femmes au marché du travail – comme aux Pays-Bas. Il résulte d’un compromis social passé entre mouvements de femmes, syndicats et entreprises, pour que l’accès des femmes au travail ne se fasse pas à plein temps.

Cette logique, différente de celle de la France, s’explique aux Pays-Bas par la prégnance d’un modèle très traditionnel et par le fait que l’émancipation des femmes n’y passe pas forcément par le travail. Travailler à temps plein n’est pas le modèle idéal par rapport à leur situation personnelle et familiale. Elles ont donc revendiqué que les ménages passent à un salaire et demi lorsque, en raison des contraintes économiques, un seul salaire n’a plus suffi. Et elles ont plutôt réussi puisque, dans ce pays, les tâches sont davantage partagées au sein des couples

La deuxième logique est commune à l’ensemble des pays : le temps partiel répond à un mode de gestion de la main-d’œuvre et à la demande de certaines entreprises dans certains secteurs : la grande distribution, le nettoyage, les aides à la personne et, dans une moindre mesure, l’hôtellerie-restauration. Il permet en effet de limiter les coûts liés aux fluctuations d’activité. Mais les secteurs concernés sont très féminisés et constituent les maillons faibles de la négociation et de la défense des salariés. De tels compromis n’auraient jamais été possibles dans des secteurs plus industriels et plus représentés d’un point de vue syndical.

La troisième logique est celle de la politique de l’emploi. Le dispositif du temps partiel vise alors à « enrichir le contenu de la croissance en emplois ». La France a donné l’exemple en recourant, notamment, aux exonérations de charges sociales. L’Europe a encouragé cette tendance. Pendant toute une période, l’emploi s’est développé sans que l’on s’interroge vraiment sur sa qualité, essentiellement sous la forme du temps partiel.

Cette logique de la politique de l’emploi a suscité l’intérêt des entreprises. Mais contrairement à ce que pensait l’État, le temps partiel s’est développé, par effet d’aubaine, dans les secteurs où il existait déjà. Il a très peu mordu dans les secteurs plus industriels et plus masculinisés, et le taux de temps partiel des hommes est resté extrêmement faible.

La quatrième logique répond à une pénurie de places d’accueil des enfants, face à un modèle culturel encore « familialiste ». Que ce soit ou non un choix, comme au Pays-Bas, le temps partiel est essentiellement destiné aux mères. En Allemagne, en Autriche, en Belgique et aux Pays-Bas, on est encore très loin de couvrir l’ensemble des besoins des familles en matière d’accueil des jeunes enfants. Cela dit, les modes d’accueil reflètent aussi les choix de société. En France, où ils sont relativement développés, l’école maternelle correspond au modèle d’une famille où les deux parents peuvent travailler, même à plein temps. Ce n’est pas le cas chez certains de nos voisins où le modèle et la pression sociale sont tels que les mères, même les cadres, n’ont pas le choix de pouvoir travailler à temps plein. En ce sens, nos voisines sont moins gâtées que nous.

La cinquième logique est malheureusement rare : le temps partiel est vraiment un choix d’aménagement des horaires, à certaines phases du cycle de vie. Aux Pays-Bas, une loi votée en 2006 permet à un salarié de demander d’allonger ou de réduire son temps de travail en fonction de ses choix personnels ; c’est sans doute une des raisons qui font que 75 % des Hollandaises travaillent à temps partiel. En France, il y aurait beaucoup à dire sur la question.

Pour compléter vos informations sur le temps partiel en France, je vous invite à consulter la dernière édition de l’ouvrage « Travail et emploi des femmes » de Margaret Maruani. Elle y confirme que le temps partiel, dans son développement actuel, correspond surtout à des emplois peu qualifiés et à des horaires atypiques, morcelés, décalés, peu compatibles avec une vie de famille « normale » – situation expérimentée et racontée par Florence Aubenas dans son ouvrage « Le quai de Ouistreham ».

Les durées du travail sont en moyenne de 23 heures, mais avec une frange importante aux deux extrémités. Certains salariés, notamment des femmes, travaillent moins de quinze heures par semaine.

Les rémunérations sont extrêmement faibles.

En termes horaires, l’écart est de 18 %, du fait de la structure des emplois, moins qualifiés dans le temps partiel que dans le temps complet.

En termes mensuels, les travaux sur les bas et très bas salaires ont montré que l’écrasante majorité des personnes qui gagnent moins de 800 euros par mois travaille à temps partiel. Et la plupart du temps, ce sont des femmes.

On considère bien souvent que cette situation est compensée au niveau des ménages, parce que les femmes qui travaillent à temps partiel ne vivent pas forcément dans des ménages pauvres. En supposant que le salaire de leur conjoint leur permet d’échapper à la pauvreté, on perpétue l’idée que le salaire féminin n’est un salaire d’appoint, ce qui justifie que la femme, même à travail égal, puisse gagner moins qu’un homme.

Je suis en train de préparer un ouvrage sur l’histoire et la persistance de cette idée du salaire féminin comme salaire d’appoint, qui renvoie à l’image de l’homme, père ou mari, subsistant aux besoins de la femme. Or une telle image est fausse : aujourd’hui, même à bas salaires, dans plus de 60 % des cas, la rémunération de ces femmes est vitale à leur ménage, soit parce qu’elles sont seules – famille monoparentale – soit parce que leur conjoint gagne très peu.

Contrairement à ce que l’on espérait, le temps partiel ne gagne pas parmi les postes qualifiés et très qualifiés. Être cadre à temps partiel reste quasiment impossible dans notre société. D’où ce paradoxe : des femmes, souvent peu qualifiées, qui voudraient travailler davantage, ne se voient proposer qu’un temps partiel ; d’autres, très qualifiées, avec de grandes responsabilités professionnelles, qui souhaiteraient mieux gérer leur temps, ne l’obtiennent pas.

On a tendance à dire – pour reprendre l’exemple du début – que la caissière n’a pas eu le choix de travailler autrement qu’à temps partiel, tandis que la fonctionnaire l’a fait par choix personnel. Je voudrais remettre en cause temps cette opposition temps contraint/temps choisi.

Pour apprécier le temps partiel contraint, on utilise l’indicateur du sous-emploi, en prenant en compte le nombre de personnes qui sont à temps partiel et qui souhaiteraient travailler davantage. On note alors que seulement 27 % des personnes sont dans ce cas. Voilà pourquoi de très nombreux rapports aboutissent à la conclusion que le temps partiel est plutôt le résultat d’un choix.

Le problème est que l’on se contente de demander aux salariés s’ils souhaitent travailler davantage. On ne leur demande pas pourquoi ils ne souhaitent pas travailler davantage, ni ce qui les amènerait à travailler davantage, comme : un mode d’accueil convenable pour les enfants le mercredi, supportable financièrement par le ménage ; un conjoint, ou un conjoint qui travaille moins ; de meilleures conditions de travail, etc. Ces questions n’étant jamais posées, on apprécie mal ce qui relève ou non d’un choix. De fait, parmi les personnes qui demandent un temps partiel, nombreuses sont celles qui le font par contrainte, notamment parce qu’elles n’ont pas, pour leurs enfants, de mode d’accueil correspondant à leur situation.

J’appartiens, en tant experte française, au réseau « Genre et emploi » de la Commission européenne. Chacun d’entre nous y a été chargé d’une petite étude sur le système périscolaire de son pays. J’ai rencontré quelques difficultés, car il n’existe pas de données harmonisées, les collectivités territoriales jouissant d’une liberté quasi totale en la matière. Malgré tout, j’ai pu consulter une enquête réalisée par la Direction de la recherche, des études, de l’évolution et des statistiques (DREES) d’où il ressort que les Français sont assez chanceux : existence de l’école maternelle, grande amplitude horaire, cantines pour 60 % des enfants, etc. Chez certains de nos voisins, la famille doit se débrouiller dès deux heures de l’après-midi.

Reste que les enfants ne vont pas forcément à l’étude le soir ou au centre de loisirs le mercredi et pendant les petites vacances. Il arrive souvent que leur mère soit amenée à adapter ses horaires, même lorsqu’elle travaille à temps plein – par exemple, elle sera infirmière de nuit et pourra garder ses enfants le mercredi. Mais choisir un temps partiel pour s’adapter aux contraintes familiales n’est pas non plus forcément l’idéal.

Les contraintes familiales sont souvent avancées pour justifier le choix du temps partiel, d’autant que, pour une femme, la démarche est considérée comme « normale ». Or il arrive qu’un tel choix s’explique, en fait, par l’usure ou la difficulté des conditions de travail : passer à temps partiel est ainsi le moyen de « souffler ». Mais dans l’entreprise, cela ne se dit pas. La situation est encore plus délicate pour les hommes, qui ne peuvent même pas utiliser l’argument des contraintes familiales, toujours suspect en ce qui les concerne. Voilà pourquoi, même s’ils en ressentent le besoin, ils ont du mal à accéder au temps partiel.

Je terminerai par quelques suggestions.

Premièrement, mieux connaître les salariés qui demandent à travailler à temps partiel, et les raisons pour lesquelles ils le font. On pourrait se pencher plus particulièrement sur le mode de garde des enfants quand il s’agit de mères, ou sur les conditions de travail du salarié quand on s’aperçoit qu’elles sont peut-être liées à leur demande de temps partiel. Par ailleurs, pour que le temps partiel se diffuse autrement et soit mieux adapté aux besoins des parents, il faut faire en sorte qu’il puisse être davantage utilisé par les pères – ils ne sont encore que 6 % à y recourir. Cela suppose que l’on poursuive le travail déjà engagé sur la question de la parentalité et que l’on réfléchisse à des modes d’accueil et à des aménagements du temps compatibles non seulement avec les contraintes familiales, mais aussi avec les contraintes et les choix personnels.

Deuxième suggestion : en finir avec le temps partiel subi. Je ne comprends toujours pas pourquoi le travail précaire bénéficie de primes de précarité, alors que le temps partiel subi, avec des horaires décalés et des conditions de travail difficiles, etc. n’est pas apparenté à une forme de précarité. Je suggère que l’on travaille réellement sur cette question. Le rendez-vous sur le temps partiel subi, prévu en novembre 2007 à la Conférence sociale tripartite, n’a jamais eu lieu.

Il est temps d’envisager, soit d’accorder une prime aux salariés victimes de ce temps partiel, ce qui risque de le faire perdurer, soit de faire payer aux entreprises qui en abusent une surcotisation, laquelle pourrait contribuer à ouvrir des droits pour les personnes à temps partiel, au moment de leur retraite. Il faudrait engager une vraie négociation en s’intéressant à ce qui existe déjà dans certains secteurs. Ainsi, la grande distribution a commencé à réfléchir à une réduction des temps de pause et à l’allongement du temps partiel par le biais de la polyactivité. Dans certaines entreprises, les caissières peuvent, à certains moments de la journée, passer au libre-service, remplir les rayons ou exercer une autre activité pour allonger leur temps de travail. La CGT m’a dit qu’elle était farouchement opposée à cette polyactivité, qui ne s’est accompagnée d’aucune revalorisation salariale, alors même que les secteurs concernés sont plutôt en bonne situation économique. Pour les chercheurs que nous sommes, la polyactivité est un plus, dans la mesure où elle peut motiver les salariés, en leur donnant davantage de responsabilités. Mais ce n’est pas forcément ce qu’ils souhaitent. Il conviendrait donc de mieux accompagner ces démarches.

Troisièmement, renforcer l’accès aux droits sociaux pour tous les salariés à temps partiel – notamment pour ceux qui sont sous ou autour des quinze heures hebdomadaires –, d’autant que les réformes des retraites n’ont pas favorisé leur situation. Certes, en 2003, il avait été question de leur permettre de cotiser sur la base d’un temps plein, moyennant un abondement de l’entreprise. Mais il me semble que cet outil n’a pas été utilisé. Sans doute est-il inefficace et trop coûteux – au moins pour le salarié.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. On pourrait imaginer de légiférer sur le sujet.

En tout cas, la loi sur les retraites a eu le mérite de montrer que si on n’accompagne pas les salariés à temps partiel pendant qu’ils sont en activité, il faudra le faire au moment où ils prendront leur retraite.

Mme Rachel Silvera. Il est exact que cette loi a révélé bien des choses.

Je suggérerais également de renforcer les droits du temps partiel long, et notamment de donner, comme le fait la loi hollandaise d’adaptation des horaires, la possibilité à tout salarié de retravailler à temps plein. C’est déjà le cas dans la fonction publique, où le salarié à temps partiel bénéficie même d’une petite bonification. En améliorant les conditions du temps partiel, on attirerait d’ailleurs sans doute davantage d’hommes – dans l’hypothèse bien sûr où l’on décide de renforcer cette forme d’emploi, et même si je ne suis pas convaincue que ce soit le meilleur choix.

Je regrette que la préretraite progressive soit « passée à la trappe », car c’était une idée formidable – maintien des seniors au travail, tutorat pour éviter la perte de leurs savoir-faire et de leurs compétences, etc. Elle serait peut-être difficile à mettre en œuvre aujourd’hui, dans le contexte actuel de financement des retraites. C’eût été pourtant une bonne façon de prendre en compte l’usure et la fatigue des seniors.

Enfin, il serait bon de s’appuyer sur les bonnes pratiques des entreprises et de se constituer une « boîte à idées » à partir de ce qui peut se faire de positif dans ce domaine. Je pense, notamment, au programme piloté par la ville de Rennes, dont les personnels de nettoyage, surtout des étrangers et des femmes seules, travaillaient en temps partiel court, très tôt le matin et très tard le soir. Il a été possible moyennant une réforme de l’organisation, de les faire travailler pratiquement à temps complet, sur des plages horaires supportables dans la journée. Mais il a fallu convaincre le personnel de la mairie, pour qu’il accepte de rencontrer, pendant ses heures de travail, des personnes qui venaient d’un univers à part et qu’il ne voyait jamais.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Dès 2004, nous avions recommandé que l’on mène une réflexion sur les personnels d’entretien.

Mme Rachel Silvera. C’est ce qui a été fait à Rennes, où l’on a pu observer une baisse de l’absentéisme et une augmentation réelle de la productivité.

La démarche est encore plus délicate quand le ménage est externalisé. Ce n’est pas le cas de Rennes, mais c’est celui de la plupart des grandes structures, où les salariés ont tendance à se défausser sur l’entreprise de nettoyage quand on leur parle de modifier les horaires du personnel d’entretien. Il est donc urgent que les entreprises de nettoyage discutent – et passent des conventions – sur la façon dont elles peuvent s’organiser avec les entreprises donneuses d’ordre pour améliorer les conditions de travail et aménager les horaires de ces personnels.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. En 2004, j’étais déjà motivée par les problèmes liés au travail partiel. Aujourd’hui, je le suis davantage encore, car la situation ne s’est pas améliorée. Nous devons même nous attendre à d’énormes difficultés, au fur et à mesure que ces salariés prendront leur retraite. Je pense notamment à la génération des femmes qui ont choisi de travailler à temps partiel, tout de suite après les lois Aubry.

Lorsque nous l’avions auditionnée, Mme Milewski nous avait parlé d’un article traitant des effets de la crise sur les femmes…

Mme Rachel Silvera. Il ne peut s’agir que d’une publication de l’OFCE, que vous pouvez trouver en ligne.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous allons la consulter, car il est de notre responsabilité d’accompagner les femmes.

Je vous remercie.

Audition de Mme Marie-Françoise Leflon, secrétaire nationale
de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale
des cadres (CFE-CGC) et de Mme Marie-Line Brugidou, déléguée nationale, chargée des droits des femmes et des discriminations
au sein du secteur emploi



(procès-verbal du 18 mai 2011)

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Mesdames, nous souhaitons vous entendre sur la problématique du temps partiel, mais aussi sur le décret d’application de l’article 99 de la loi sur les retraites, dont une version a été présentée aux syndicats, qui l’ont rejetée.

Mme Marie-Line Brugidou, déléguée nationale, chargée des droits des femmes et des discriminations au sein du secteur emploi, de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC). Le compte rendu du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, à la réunion de laquelle les syndicats ont participé pour étudier le décret d’application de l’article 99 de la loi sur les retraites, ne nous a pas été communiqué. La CFE-CGC n’accepte pas ce décret.

En outre, nous avons cru comprendre que les tables rondes sur le temps partiel prévues en juin porteront, non pas, comme nous le demandons, sur le temps partiel et la « conciliation des temps de vie », mais sur le « partage des responsabilités familiales entre hommes et femmes », le but étant, nous le devinons, d’impliquer les pères en leur faisant accepter le congé de paternité !

Pour la CFE-CGC, le temps partiel est un sujet prioritaire. Nous demandons une table ronde sur ce sujet depuis 2004. En effet, un grand nombre de femmes travaille à temps partiel dans la grande distribution, les commerces et les services à la personne, certaines d’entre elles étant obligées d’avoir deux emplois à temps partiel, en supportant des horaires déments, pour bénéficier d’un salaire « complet » !

La grande distribution propose souvent vingt-deux heures de travail par semaine. En outre, le travail décalé dans ce secteur est fréquent, par exemple de neuf à onze heures, puis de quinze à dix-neuf heures, ce qui oblige les femmes vivant en région parisienne à faire garder leurs enfants, alors qu’elles gagnent la moitié d’un SMIC !

C’est pourquoi la CFE-CGC est favorable à la surcotisation pour les retraites sur la base d’un temps plein.

Mme Marie-Françoise Leflon, secrétaire nationale de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC). La surcotisation impose un accord d’entreprise négocié, mais elle implique également un surcoût très élevé pour les grandes entreprises, si bien que celles-ci n’y sont généralement pas favorables.

Mme Marie-Line Brugidou. Si les entreprises sont réfractaires à la surcotisation, c’est surtout parce que celle-ci implique une discrimination positive. L’Europe pourrait être amenée à « retoquer » une telle disposition, comme elle l’a fait pour les trimestres supplémentaires en matière de retraite accordés uniquement aux femmes.

Mme Marie-Françoise Leflon. Pourquoi, en effet, les entreprises proposeraient-elles ce dispositif aux seuls salariés à temps partiel ?

Mme Marie-Line Brugidou. Jusqu’à présent, seuls deux ou trois accords d’entreprise ont été conclus.

Mme Pascale Crozon. Pourquoi certaines femmes choisissent-elles un temps partiel ?

Mme Marie-Line Brugidou. Lorsque le temps partiel est un choix personnel, les femmes recherchent essentiellement du temps pour elles et leur famille : au départ, cette forme d’emploi leur permet de s’occuper de leurs enfants petits ; ensuite, elle offre une qualité de vie.

Aujourd’hui, il faut trouver une solution pour éviter que toutes les femmes concernées ne se retrouvent dans une situation de très grande précarité à l’âge de la retraite. Songez que certaines d’entre elles vivent avec seulement 800 euros de retraite par mois.

Une piste existe, même si elle est plus facilement applicable à l’encadrement, généralement bénéficiaire du forfait jour : il s’agirait de convertir, à la demande du salarié et avec l’accord de la hiérarchie, les congés et les primes exceptionnelles en jours dans l’année. Pour ce faire, il faudrait un accord global sur le temps partiel.

Mme Marie-Françoise Leflon. Pour aller au-delà de la loi, le temps partiel dans les grandes entreprises doit toujours passer par un accord.

Mme Marie-Line Brugidou. Dans les PME et les TPE, il est parfois plus facile de négocier avec la hiérarchie.

Mme Pascale Crozon. La situation des femmes à temps partiel, probablement non subi, dans une grande entreprise où travaille également leur conjoint, est différente de celle des femmes employées dans la grande distribution selon un mi-temps contraint et des horaires morcelés. C’est surtout aux secondes que je pense.

Mme Marie-Line Brugidou. Je vous rejoins, mais n’oubliez pas que les femmes arrivent rarement à la retraite encore mariées. De nos jours, les divorces sont légion, et 37 % des élèves de maternelle vivent avec un seul de leurs parents. Les femmes seules ont des difficultés pour acquérir un logement et elles sont de plus en plus nombreuses à se retrouver en colocation l’âge de la retraite venu. Certes, il faut protéger les femmes de façon différente suivant leur situation, mais il convient aussi de les protéger dans leur ensemble.

En ce qui concerne les femmes travaillant dans le secteur de la grande distribution, il importe à mon avis de légiférer sur les horaires.

Mme Pascale Crozon. Nous savons depuis longtemps que les divorces et les temps de travail contraints ont de très lourdes incidences sur les retraites des femmes. Ces dernières sont de plus en plus nombreuses à vivre avec 700 euros de retraite par mois. Le rapport du Secours catholique à ce sujet est édifiant !

C’est pourquoi nous préconisons, avec Marie-Jo Zimmermann, un dispositif qui existe en Angleterre et en Allemagne : le partage des points. Dans un plan retraite, l’homme et la femme pourraient cumuler leurs points (mi-temps et temps plein), puis les partager au moment de leur divorce.

Mme Marie-Line Brugidou. Selon moi, beaucoup de temps a été perdu. Il faut maintenant légiférer sur le temps partiel pour éviter à ces femmes de sombrer dans la précarité au moment de la retraite.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous avions pensé au partage des points en 2004, année où nous avons légiféré sur le divorce, les épouses du premier mariage se retrouvant bien souvent dans une situation dramatique.

Quant au décret, je ne l’accepte pas tel qu’il vient d’être rédigé ! Je me désolidarise totalement de ce genre de prêchi-prêcha ! C’est une question de conscience.

Selon Pascale Coton, de la CFTC, auditionnée la semaine dernière, il traduit une régression des droits des femmes ! Françoise Milewski, de l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, m’a téléphoné ce matin pour m’alerter sur la nécessité absolue de nous mobiliser.

Notre Délégation tient à la tenue des tables rondes sur le temps partiel prévues en juin. Ce sujet échappe au clivage gauche-droite : il est impératif de sauver ce qui peut encore l’être – au moins pour la génération des femmes de quarante à cinquante ans.

Mme Marie-Line Brugidou. Nous avons rencontré Roselyne Bachelot-Narquin, signataire du décret : elle nous a dit travailler actuellement sur la dépendance…

Il ne faut pas que le décret soit publié ! Tout le monde doit se mettre en ordre de bataille : les syndicats, les associations, la droite, la gauche.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je propose, tout d’abord, que les syndicats rédigent, au plus tard la semaine prochaine, un communiqué commun pour interpeller le Gouvernement sur le décret. La Délégation fera également une tribune.

Je préconise, ensuite, de lancer un appel solennel exigeant, au regard des promesses qui nous ont été faites depuis dix ans, des propositions concrètes sur le temps partiel. À cet égard, la voie législative s’impose.

Mme Marie-Françoise Leflon. L’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes figure à l’ordre du jour de l’agenda social des partenaires sociaux, avec Mme Parisot, durant le second semestre. La problématique du temps partiel pourra être intégrée aux négociations, mais il y aura de fortes pressions du patronat. Par conséquent, la voie législative semble effectivement s’imposer.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. À mon avis, ce n’est pas Roselyne Bachelot-Narquin qu’il faut convaincre, mais Xavier Bertrand.

Mme Marie-Line Brugidou. Je suis étonnée car il avait donné des signes de bonne volonté. Ainsi, depuis 2007, les partenaires sociaux ont réussi à tenir des tables rondes sur le temps partiel et sur l’accession des femmes aux postes à responsabilité. Aujourd’hui, malheureusement, le décret vient réduire à néant tout ce travail.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La proposition de loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle, dans sa rédaction initiale, prévoyait à l’article 6, que le rapport écrit sur la situation comparée des conditions générales d'emploi et de formation des femmes et des hommes dans l'entreprise, soit joint au rapport annuel du conseil d’administration ou du directoire.

Le Sénat a supprimé cette disposition mais le rapport de situation comparée est resté inscrit dans la loi du 27 janvier 2011, c’est pourquoi je fondais de grands espoirs dans le décret d’application de l’article 99 de la loi portant réforme des retraites.

Mme Marie-Line Brugidou. Il y a trois sujets : le décret, le temps partiel et la nouvelle expression « partage des responsabilités familiales ». Certes, l’égalité par le partage ne peut se faire qu’avec les hommes, mais la priorité est-elle celle-là ? Pour la CFE-CGC, il faut d’abord régler les deux premiers dossiers.

Nous sommes bien évidemment favorables à un congé de paternité de deux ou trois mois, à l’image des modèles suédois ou danois. Néanmoins, battons-nous d’abord pour le respect des femmes : pour qu’elles retrouvent, par exemple, leur poste à leur retour de congé de maternité, comme le prévoit la loi !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Lors de son audition, Pascal Coton nous a fait comprendre que les femmes étaient de nouveau confrontées au sexisme à l’état pur.

Mme Marie-Line Brugidou. Depuis 2004, la loi a imposé aux entreprises le rapport sur la situation comparée (RSC), le rattrapage salarial et des dispositions en matière de promotion des femmes. Il s’est ensuivi une discrimination positive dans les entreprises, si bien que certaines femmes nous ont demandé de ne plus nous occuper d’elles pour ne plus avoir à affronter les hommes.

Aujourd’hui, on constate comme une marche arrière : les hommes en ont assez de nous entendre revendiquer des droits ; aucun problème ne se pose, selon eux, dans la mesure où les femmes ont bénéficié des rattrapages salariaux et peuvent désormais accéder à des postes d’encadrement. Mais ils oublient de dire que les entreprises devraient continuer à traiter le problème au fond, afin d’éviter que ne se creusent de nouveaux écarts de salaires et de permettre aux femmes d’avoir leur place dans le management intermédiaire et supérieur.

Le label « Égalité professionnelle » traduit une vraie démarche des entreprises. Le RSC, lui, est obligatoire et n’est pas un sujet de fond pour elles, ce qui explique ce nouveau dérapage.

Pour finir, le décret mentionne seulement trois indicateurs obligatoires du RSC. Il prévoit en outre quatre « motifs de défaillance » permettant à l’employeur de justifier le non-respect de la loi ; or 90 % des entreprises sont concernées par un de ces quatre thèmes. Au total, nous avons travaillé pour rien durant les dernières années !

Mme Marie-Françoise Leflon. Nous rédigerons un communiqué d’ici à la fin de la semaine.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Mesdames, nous vous remercions.

Audition de Mmes Ghyslaine Richard, Sabine Reynosa
et Christine Guinand, représentantes de la CGT



(procès-verbal du 25 mai 2011)

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Mesdames, je vous remercie d’avoir accepté de participer à cette audition. La situation qui prévaut dans notre pays, en matière de temps partiel, est grave. Votre point de vue de syndicalistes nous sera précieux.

Mme Sabine Reynosa. En novembre 2010, M. Xavier Bertrand avait annoncé, pour 2011, une table ronde sur le temps partiel. Si celle-ci n’avait pas lieu, il n’y aurait pas là de quoi s’étonner. Mme Roselyne Bachelot, quant à elle, avait annoncé une conférence sur l’articulation des temps. Celle-ci se tiendra à la fin du mois de juin, et je pense que la question du temps partiel y sera abordée.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le temps partiel est en effet un des thèmes possibles du deuxième séminaire sur l’organisation du travail, organisé dans le cadre de cette conférence et présenté ainsi par le ministère : « Le partage des responsabilités familiales et professionnelles peut être facilité par des dispositifs structurants, relevant des conditions d’organisation de travail. Les méthodes de management, sensibles à l’articulation entre vie familiale et professionnelle, le recours aux temps partiels ou encore le télétravail sont autant de thèmes pouvant faire l’objet de discussions. »

Mme Ghyslaine Richard. Traiter du partage des responsabilités familiales et professionnelles amène à aborder la question de la parentalité. De fait, au mois de mars, plusieurs interventions ministérielles ont concerné la parentalité masculine. Certes, parler de la parentalité est fort louable. Mais c’est aussi un moyen de détourner l’attention d’autres questions qui fâchent, ainsi que nous l’avons dénoncé dans l’un de nos communiqués.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je l’ai moi-même relevé lors d’une interview. Avant de s’intéresser à la parentalité ou au télétravail, il faut s’attaquer aux problèmes posés par le temps partiel. Arrêtons de tourner autour du pot !

Mme Ghyslaine Richard. Certains députés sont très intéressés par le télétravail. Lors d’une audition portant sur la famille et le travail, M. Mariton m’a demandé ce que j’en pensais.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Lorsque je prends le TGV tôt le matin, à sept heures vingt-cinq, je suis impressionnée par le nombre de cadres qui s’activent déjà devant leur ordinateur. Mais ce n’est pas comptabilisé dans leurs heures de travail.

Mme Christine Guinand. Vous pouvez assister aux mêmes scènes, après vingt et une heures, dans le métro.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. On imagine bien à quoi le télétravail risque de mener ! Mais revenons au temps partiel.

Mme Ghyslaine Richard. Je vous remets d’ores et déjà le texte que j’avais préparé. En effet, je ne reviendrai pas sur les données chiffrées qu’il contient, dans la mesure où je sais que vous les avez obtenues lors de précédentes auditions.

Dans le contexte de crise que nous vivons aujourd’hui, le temps partiel gagne du terrain : non pas en milieu, mais en début et en fin de carrière. Les jeunes femmes, mais aussi les jeunes hommes, sont embauchés à temps partiel ; les femmes qui se retrouvent au chômage ne se voient proposer qu’un temps partiel – par exemple comme aides familiales. L’étude à laquelle je me réfère, et qui date de 2009, constatait déjà une différence par rapport à 2008. Nous la devons à Françoise Milewski et Rachel Silvera, dont je vous invite à consulter les travaux.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le fait, pour les jeunes gens, de commencer par un temps partiel, constitue un handicap pour la suite de leur carrière.

Mme Sabine Reynosa. D’autant qu’il est très difficile de passer d’un travail à temps partiel à un travail à temps plein.

Mme Ghyslaine Richard. Le temps partiel est devenu le mode d’entrée dans la vie professionnelle, même pour les personnes qualifiées : psychologues, technicien (ne) s de laboratoire, enseignant(e) s, etc.

Mme Christine Guinand. Dans les laboratoires, par exemple, les prises de sang étant concentrées tôt le matin ou en fin de journée, les laboratoires offrent aux jeunes techniciennes des contrats à temps partiel sur les créneaux horaires correspondants. Il s’agit d’adapter le temps de travail à la demande de la clientèle – et non plus au travail lui-même. Ces techniciennes travaillent donc de façon parcellisée, sans que leurs compétences soient reconnues puisqu’on ne leur demande que de faire des prises de sang.

Mme Sabine Raynosa. Dans certains centres d’appel, les téléopératrices sont renvoyées chez elles lorsque l’on considère qu’il n’y a plus suffisamment de travail pour le reste de la journée.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Ne pas observer de délai de prévenance est illégal !

Mme Ghyslaine Richard. Je voudrais m’arrêter sur un autre phénomène, que l’on passe sous silence : l’intensification du travail. Un récent arrêt de la Cour de cassation me semble significatif à cet égard : dans le cadre de leur contrat de travail, des femmes de ménage disposaient d’une heure pour nettoyer une cage d’escalier ; l’entreprise leur notifia la mise en place d’un nouveau planning, établi sur la base de quarante-cinq minutes par cage d’escalier ; elles dénoncèrent ce qu’elles considéraient comme une modification de leur contrat de travail, mais furent déboutées. Pour le juge, on ne pouvait pas parler de modification du contrat dans la mesure où ce nouveau planning n’avait eu aucune répercussion sur leur rémunération, ni sur leur temps de travail. Mais il en aurait eu sur leur rythme de travail, sur leur vie et sur leur santé.

Le temps partiel se traduit souvent par l’intensification du travail. Par exemple, lorsqu’une salariée choisit de passer à temps partiel, il n’est que rarement prévu de diminuer sa charge de travail ou de la remplacer lors de ses absences.

Des études de la fin des années quatre-vingts ont montré que les personnes qui travaillaient à temps partiel étaient aussi productives que celles qui travaillaient à temps complet. De fait, la salariée qui prend son mercredi pour s’occuper de ses enfants – ce qui l’amène à travailler à 80 % – devra traiter autant de dossiers qu’auparavant.

Mme Sabine Reynosa. Les enquêtes sur la santé au travail ont mis en évidence que les salariés à temps partiel étaient plus exposés aux risques psychosociaux et aux troubles musculo-squelettiques, tout en étant moins sollicités par la médecine du travail.

Mme Christine Guénand. Les personnes travaillant à temps partiel cumulent les handicaps. Elles fournissent le même travail que les autres, en étant moins payées. Leur déroulement de carrière est moins favorable. Certains postes – en particulier d’encadrement ou de direction – leur sont fermés. Et bien sûr, leur niveau de retraite s’en ressent.

Mme Sabine Reynosa. Sans compter qu’il leur est beaucoup plus difficile d’avoir accès à la formation.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. À ce propos, je déplore que le décret d’application de l’article 99 de la loi portant réforme des retraites ne mentionne que trois indicateurs relatifs à la situation respective des hommes et des femmes : le salaire moyen ou médian, la durée moyenne entre deux promotions, et l’exercice de fonctions d’encadrement et décisionnelles. Les propositions de formation n’y figurent pas, alors qu’elles sont décisives dans l’évolution d’une carrière.

La CGT a des propositions sur le temps partiel.

Mme Ghyslaine Richard. Nos propositions tendent à renchérir le temps partiel, pour éviter qu’il ne devienne un mode de gestion du personnel. Nombreuses sont en effet les entreprises qui choisissent d’y recourir pour faire des économies.

En premier lieu, nous suggérons de conditionner l’octroi d’allégements de cotisations ou d’allégements fiscaux, à la réduction du temps partiel dans l’entreprise.

En deuxième lieu, nous préconisons que les employeurs supportent des cotisations sociales équivalentes à celles d’un temps plein. Ils devraient, au moins, acquitter celles qui permettent d’obtenir les droits sociaux : indemnités de chômage, de maladie et de retraite. Aujourd’hui, le salarié qui ne travaille que quinze heures par semaine n’en bénéficie même pas.

Mme Sabine Reynosa. Au moment de la crise, lorsque les salariés – majoritairement des hommes – de l’industrie se sont retrouvés au chômage partiel, ils ont été indemnisés. Mais pour la plupart des femmes, le travail à temps partiel n’est qu’une forme de chômage partiel pérenne, dans la mesure où l’on ne leur propose rien de mieux. Pourquoi ne bénéficieraient-elles pas du même type d’indemnisation ?

Avec la loi TEPA, il est plus avantageux de proposer des heures complémentaires défiscalisées que d’augmenter le temps de travail à temps partiel. Pourquoi ne pas majorer les heures complémentaires, à l’instar des heures supplémentaires ?

Mme Ghyslaine Richard. De telles mesures rendraient le temps partiel beaucoup moins attrayant pour les entreprises et les amèneraient à regarder le marché du travail d’une autre manière.

En troisième lieu, les notions de prorata temporis devraient être supprimées. Un salarié à temps partiel prend des congés et touche des primes « à temps partiel ». Or il devrait avoir les mêmes droits qu’un salarié à temps plein.

Mme Sabine Reynosa. Les salariés en CDD et les intérimaires bénéfcient de primes de précarité. Or le travail à temps partiel est une forme de précarité ! Parmi les salariés touchant de très bas salaires, 80 % sont des femmes. Et parmi ces femmes, 74 % travaillent à temps partiel et n’auront qu’une toute petite retraite dans vingt ans.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Dans mon rapport de 2004, j’avais prévu que les premières difficultés apparaîtraient en 2009 ou en 2010, moment à partir duquel la situation ne ferait qu’empirer. Il est urgent de s’attaquer au problème. De toute façon, si l’on n’oblige pas les entreprises à accompagner les femmes travaillant à temps partiel, l’État devra, dans quelques années, prendre des mesures de compensation en leur faveur.

Mme Ghyslaine Richard. En quatrième lieu, il conviendrait de travailler sérieusement la question de l’articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle en développant, non pas le temps partiel, mais les services d’accueil des jeunes enfants et d’aides à la personne.

Les femmes sont plus particulièrement concernées par la prise en charge de la dépendance : d’une part, elles doivent faire face à la perte d’autonomie de leurs parents ; d’autre part, quand elles travaillent dans ce secteur, elles sont le plus souvent employées à temps partiel.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Dans le secteur de la petite enfance, leur statut est plus enviable.

Mme Ghyslaine Richard. En effet. Pendant longtemps, l’État a eu la volonté de favoriser l’accueil des jeunes enfants dans des structures comme, par exemple, les crèches municipales. Mais aujourd’hui, plus rien ne bouge : le plan « petite enfance », qui devait aboutir à la création de 200 000 places de crèches entre 2007 et 2012, s’est traduit, en 2010, par la création de 20 000 places seulement ; depuis vingt ans, 25 000 places d’écoles maternelles ont été supprimées. Les parents n’ont bien souvent d’autre solution que de recourir aux services de l’assistante maternelle, laquelle, de son côté, travaille à temps partiel, recevant des enfants deux heures le matin, deux heures l’après-midi, etc.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Que pensez-vous des crèches d’entreprises ? Je peux vous citer l’exemple de celle que j’ai soutenue, et qui est le fruit d’un partenariat entre la caisse d’allocations familiales, la communauté de communes et certaines entreprises ayant pris des berceaux. Cette crèche est, notamment, très appréciée des employés de PSA. Elle accueille en effet les enfants entre quatre heures du matin et minuit, voire la nuit, pour prendre en compte les horaires de travail des parents.

Mme Ghyslaine Richard. C’est une formule très particulière. Elle a surtout été utilisée par les hôpitaux, qui ont fini par l’abandonner. Aujourd’hui, il n’y en a presque plus.

Mme Christine Guénand. J’en ai moi-même bénéficié, et je reconnais que de telles crèches peuvent présenter de l’intérêt.

Mme Ghyslaine Richard. Nous serions plutôt favorables à la création de crèches publiques, proches du domicile des parents. Si la crèche est liée à l’entreprise, ce sera toujours celui qui y travaille qui amènera l’enfant à la crèche et qui le ramènera le soir. En outre, si ce parent quitte l’entreprise, l’enfant n’aura plus de place d’accueil.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Dans l’exemple que je vous ai donné, la crèche n’est pas gérée par l’entreprise, mais par la communauté de communes. Ainsi, sur soixante places, une quinzaine est occupée par des enfants des employés de PSA, et le reste par des enfants habitant sur la communauté de communes.

Mme Pascale Crozon. Je suis pessimiste concernant la garde des jeunes enfants : d’abord, nous manquons de crèches et d’assistantes maternelles ; ensuite, les collectivités locales étant taxées de plus en plus lourdement par l’État, elles auront de plus en plus de difficultés à financer des structures d’accueil.

En outre, les enfants ne sont plus acceptés à l’école à deux ans ou deux ans et demi. Ils restent donc en crèche jusqu’à trois ans, ce qui réduit d’autant le nombre de places disponibles pour les plus petits. Dans ma circonscription de Villeurbanne, l’académie voulait même que les écoles maternelles n’accueillent que les enfants ayant atteint trois ans en début d’année. Cela supposait de garder en crèche certains enfants de plus de trois ans, alors que celle-ci n’est manifestement plus adaptée à leur âge. Mieux vaudrait rendre obligatoire l’école maternelle à partir de trois ans.

Mme Ghyslaine Richard. S’agissant de l’accueil des jeunes enfants, on peut parler, sinon d’un recul, du moins d’un gel.

Les employeurs, considérant que leurs charges sociales sont trop importantes, voudraient bien se débarrasser du paiement des cotisations familiales, lesquelles constituent une source de financement des structures d’accueil de la petite enfance. Ils sont prêts à acheter quinze places dans la crèche qui se crée, mais pas à augmenter de 0,5 % leurs cotisations familiales.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Serait-il question de supprimer les cotisations familiales des employeurs ?

Mme Ghyslaine Richard. C’est dans l’air du temps. Nous devrions nous battre pour les maintenir, voire les augmenter : aujourd’hui, elles ne sont plus que de 4,1 % – contre 16 % il y a quelques années.

Il faut bien reconnaître que la réduction des cotisations sociales des employeurs, non seulement n’a pas permis de créer de l’emploi, mais a contribué à en dégrader la qualité – développement du travail précaire et à temps partiel.

Mme Pascale Crozon. Le recours aux assistantes maternelles présente des inconvénients. Par exemple, lorsque celles-ci sont absentes, elles ne sont pas remplacées et les parents doivent trouver d’autres moyens de faire garder leurs enfants. Il en va différemment dans les crèches.

Mme Sabine Reynosa. Les crèches familiales – qui constituent un intermédiaire entre les crèches collectives et les assistantes maternelles – assurent un relais en cas d’absence. Il faut dire que ce sont elles, et non pas les parents, qui paient les nourrices.

Mme Pascale Crozon. De toute façon, le nombre d’enfants que les nourrices peuvent garder est limité.

Mme Ghyslaine Richard. Nous nous sommes d’ailleurs opposés l’année dernière au projet de décret de Mme Morano, qui porte ce nombre à quatre.

On peut s’étonner que dans notre pays, nous soyons très exigeants vis-à-vis des personnes qui s’occupent de nos enfants ou des personnes dépendantes, mais que nous ne voulions ni les reconnaître, ni les payer. Leurs qualités sont considérées comme innées et on ne leur demande ni compétences particulières, ni diplômes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il me semble pourtant que les employeurs ont fait des efforts pour former les personnes travaillant dans les services d’aide à la personne.

Mme Ghyslaine Richard. Une convention collective a en effet été signée en ce sens. Mais sa portée est limitée, dans la mesure où la demande est très forte dans ce secteur, et où les associations connaissent de graves difficultés. En effet, qui les finance ? Les caisses régionales de retraite, les mairies, les conseils généraux… ou les personnes âgées elles-mêmes, lesquelles sont souvent des femmes qui touchent de petites retraites.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il n’y a pas là de quoi être très optimiste.

Mme Ghyslaine Richard. Notre pays est fier de son taux de natalité. Mais je tiens à tirer la sonnette d’alarme : devant les difficultés rencontrées pour faire garder leurs enfants, vivre et se constituer une retraite décente, les femmes finiront par avoir moins d’enfants.

Mme Christine Guinand. Déjà, le fait que la maternité constitue un frein à la carrière repousse l’âge de la première grossesse chez les femmes qualifiées et limite, en conséquence, le nombre de leurs enfants.

Mme Sabine Reynosa. Les gynécologues s’inquiètent d’ailleurs de ces maternités tardives – accroissement du nombre de fausses couches et d’accouchements prématurés.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Mesdames, je vous remercie.

Mme Ghyslaine Richard. Je vous enverrai par mail l’ensemble de nos propositions.

Audition de Mme Isabel Odoul-Asorey, assistante confédérale
à la Confédération générale du travail – Force ouvrière (CGT-FO)



(procès-verbal du 31 mai 2011)

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Isabel Odoul-Asorey, assistance confédérale à la CGT-FO, qui va nous parler du temps partiel.

Pour la Délégation, le temps partiel est au cœur de la problématique de l’égalité entre les hommes et les femmes. Il est en effet une des causes de la précarité à laquelle sont confrontées de plus en plus de femmes au moment de leur retraite, d’autant que le nombre des familles monoparentales est en croissance exponentielle et que l’égalité salariale n’est toujours pas appliquée !

J’espère donc que la table ronde du 28 juin abordera en priorité cette problématique et non les stéréotypes liés au partage des temps et aux congés parentaux !

Mme Isabel Odoul-Asorey, assistance confédérale à la CGT-FO. Je sors précisément d’une table ronde consacrée aux congés familiaux…

Je suis l’assistante de Marie-Alice Medeuf Andrieu, secrétaire confédérale à Force ouvrière, en charge de l’égalité, qui n’a pu venir aujourd’hui.

Depuis 2007, Force ouvrière souhaite l’ouverture d’une négociation nationale interprofessionnelle consacrée à l’égalité professionnelle, qui traite de la question de l’articulation entre vie personnelle et vie professionnelle, mais aussi et surtout de celle du temps partiel.

Ce dernier est pour nous un levier très important pour l’égalité professionnelle, mais plus largement pour tout salarié. Nos militants en parlent énormément : du fait de ses conséquences sur les salaires, la protection sociale et les retraites, il est une source de précarité pour l’ensemble des salariés concernés, en particulier les femmes et les jeunes, un grand nombre de personnes cumulant même des précarités lourdes : jeune, femme, non qualifiée, mère de famille…

L’investissement de Force ouvrière dans le domaine du temps partiel s’articule autour de deux priorités : résorption du temps partiel contraint et amélioration des droits et garanties des salariés. À cet égard, la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail a marqué un véritable recul au regard de la flexibilité.

Dans certains secteurs professionnels, comme la grande distribution, le temps partiel est devenu la norme d’embauche.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. C’est aussi le cas de l’hôtellerie-restauration et des aides à la personne.

Mme Isabel Odoul-Asorey. Nous avons identifié plusieurs pistes d’amélioration de la réglementation, qui pourraient être abordées dans le cadre des négociations collectives.

D’abord, le droit du travail va au bout de sa logique en matière de CDI, qui constitue la norme, en limitant les recours aux CDD, mais pas au temps partiel. Autrement dit, si ce dernier est devenu une norme à l’embauche, c’est parce que la réglementation le permet. Nous proposons donc que les entreprises qui y ont recours le motivent et le justifient.

Il ne s’agit pas tant de supprimer le temps partiel – les entreprises peuvent en avoir besoin à certaines périodes, et nous prenons acte de l’existence d’un « temps partiel choisi » –, que de permettre aux syndicats de connaître les raisons pour lesquelles l’entreprise y a recours à l’embauche et pourquoi elle ne peut faire autrement. Certes, les comités d’entreprise doivent être consultés en la matière, mais ils ne peuvent peser autant que les syndicats dans les négociations.

Ensuite, beaucoup de salariés à temps partiel travaillant dans les TPE et PME, dépourvues de représentant du personnel, nous pensons que la négociation collective doit se dérouler au niveau de la branche.

Par ailleurs, le droit du travail prévoit une durée maximale, mais pas une durée minimale de travail, qui permettrait pourtant de freiner en amont le recours au temps partiel et de garantir en aval aux salariés une protection sociale. Si cette avancée était obtenue non par la loi, mais par la négociation collective, elle pourrait être adaptée aux différents secteurs d’activité.

La réforme des retraites a d’ailleurs ouvert dans le code de la sécurité sociale la possibilité – hélas méconnue – pour les employeurs de participer à la surcotisation, les salariés à temps partiel pouvant d’ores et déjà cotiser à temps plein.

Cela pose la question de l’information. D’ailleurs, les négociations se sont rarement emparées du sujet, qu’il faudrait certainement intégrer dans une démarche plus globale sur le temps partiel. En tout cas, pour nous, c’est par la négociation collective que les choses pourront progresser.

Par ailleurs, un salarié à temps partiel qui demande à accéder à un emploi à temps plein qui se libère bénéficie d’une priorité d’embauche. C’est aussi en raison d’un manque d’information que ce dispositif est rarement appliqué. Nous proposons donc que les institutions représentatives du personnel soient informées des postes à temps plein disponibles dans l’entreprise.

J’ajoute que le régime fiscal des heures complémentaires liées au temps partiel est différent de celui des heures supplémentaires. L’employeur a généralement intérêt à embaucher sur la base d’un temps partiel quitte à payer des heures complémentaires. Cette inégalité accroît la flexibilité, qui renvoie au problème des délais de prévenance.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Les femmes qui travaillent dans les îlots de caisse chez Auchan m’ont expliqué que le délai de prévenance de six semaines leur est fort utile, par exemple pour prendre des rendez-vous médicaux. La loi devrait fixer un délai de prévenance raisonnable, ne serait-ce que pour permettre aux salariés d’occuper un second emploi.

Mme Isabel Odoul-Asorey. D’autant plus que le dialogue social a reculé avec la loi du 20 août 2008 : désormais, l’employeur peut mettre en place un temps partiel modulé sans apporter les garanties obtenues par l’accord collectif.

Ainsi, le temps partiel est synonyme de précarité, mais aussi de flexibilité. Les salariés à temps partiel subi aimeraient travailler plus pour gagner plus, mais elles ne peuvent cumuler un deuxième emploi.

Le temps partiel est généralement choisi par des personnes désireuses de s’occuper de leurs enfants. C’est pourquoi il nous semble intéressant d’aborder la problématique dans le cadre d’une négociation portant sur l’articulation entre vie personnelle et vie professionnelle.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Mais cela limitera la réflexion.

Mme Isabel Odoul-Asorey. J’en conviens : le temps partiel est un sujet à part entière.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Si la situation n’évolue pas, dans quinze ou vingt ans, de nombreuses femmes seront confrontées à de très grandes difficultés au moment de leur retraite. Elles subiront de plein fouet les conséquences du temps partiel – qu’elles peuvent avoir choisi pour élever leurs enfants –, mais aussi de leur divorce – sachant que le nombre de séparations augmente.

J’attends toujours le rendez-vous que j’avais demandé au ministre des affaires sociales en 2003 pour l’alerter sur le problème. En matière d’égalité hommes femmes, le temps partiel est, avec l’égalité salariale, le sujet le plus mal traité : les ministres doivent aujourd’hui prendre leurs responsabilités.

Mme Isabel Odoul-Asorey. D’autant que, comme l’a montré notre congrès de février, cette forme d’emploi fait un retour en force !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Selon un syndicat que nous avons auditionné récemment, les débuts dans la vie professionnelle prennent souvent la forme d’un temps partiel.

Mme Isabel Odoul-Asorey. Selon nous, il s’agit d’un contrat précaire, au même titre que le CDD.

En outre, les répercussions de son récent développement sont devant nous. Selon l’étude de l’INSEE « France, portait social 2010 », que Marianne a reprise en février, 6 millions de salariés, soit un sur quatre, gagnent moins de 750 euros par mois : 58 % sont des femmes et les deux tiers ont occupé un ou plusieurs postes à temps partiel.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Avez-vous demandé que la table ronde de juin soit consacrée au seul temps partiel ?

Mme Isabel Odoul-Asorey. Nous ne sommes pas allés jusque-là car nous manquons de visibilité. Les tables rondes préparatoires réunissant associations, interlocuteurs sociaux et administration, on peut penser que celle de juin ne portera pas sur la seule thématique du temps partiel...

Par conséquent, il faut pousser à la discussion sur le sujet, d’autant qu’il rejoint un autre problème tout aussi crucial, celui de la dépendance.

Avec la réforme des retraites, 200 heures payées au SMIC donnent droit à un trimestre validé, mais le temps partiel laminera le montant des pensions…

En conclusion, l’encadrement des pratiques des entreprises en termes de recours à cette forme d’emploi est une nécessité absolue.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Faut-il légiférer ?

Mme Isabel Odoul-Asorey. Aux termes du code du travail, le temps de travail dans l’entreprise est discuté au sein du comité d’entreprise ou dans le cadre de la négociation collective. Nous ne manquons donc pas d’occasions de négocier. Certes, très peu de branches l’ont fait.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Merci beaucoup, madame.

Audition de Mme Margaret Maruani, sociologue, directrice de recherche
au CNRS



(procès-verbal du 1er juin 2011)

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Merci, madame, d’avoir accepté cette audition.

En 2004, lorsque la Délégation a publié son rapport sur le temps partiel, notre ambition était de faire évoluer la situation. En 2010, au moment de la discussion sur la réforme des retraites, nous nous sommes aperçus que la période passée à travailler à temps partiel pénalisait les femmes au moment de l’ouverture de leurs droits. Aujourd’hui, sept ans après notre rapport, pratiquement aucune de nos recommandations n’a été suivie d’effet. Et je crains fort qu’aucune des tables rondes qui devraient se tenir à la fin du mois ne soit consacrée au temps partiel.

Force est de constater que la question n’est pas suffisamment prise en compte, alors même qu’elle est au cœur de la problématique de la carrière des femmes. Quel est votre point de vue ? Avez-vous des propositions à nous transmettre ?

Mme Margaret Maruani. Madame la présidente, ce fut un vrai plaisir pour moi de répondre à votre invitation.

Je sais que, pour vous, le travail à temps partiel est une question centrale, sur laquelle je travaille moi-même depuis des années. Malheureusement, la situation n’évolue pas. Je ne pourrai rien vous livrer de nouveau depuis ma précédente audition, si ce n’est quelques données actualisées, qui figurent dans le document que je vous ai remis.

Il y a longtemps que je tire la sonnette d’alarme : le temps partiel nuit gravement à l’égalité entre les hommes et les femmes.

En Europe, le temps partiel est un phénomène, multiforme, contrasté et diversifié. Il occupe les trois quarts des femmes actives aux Pays Bas, contre un dixième en Grèce. Il concerne aussi bien des salariés qui ont opté pour une réduction individuelle de leur temps de travail que d’autres, qui se sont résignés à prendre un petit emploi de quelques heures, plutôt que de se retrouver au chômage.

Nous pouvons relever malgré tout quelques constantes.

Premièrement, dans toute l’Europe des Quinze, qui dit « temps partiel » pense « femmes » : en 2010, 38 % des femmes et 9 % des hommes travaillaient à temps partiel. Les Pays-Bas sont le seul pays où la proportion des hommes est relativement importante, puisqu’elle y atteint 25 %. Mais cette importance est à relativiser, dans la mesure où, chez les femmes, la proportion est de 76 %.

Globalement, le taux de féminisation du temps partiel dépasse en Europe les 80 %. Cela étant, une coupure géographique nette marque les frontières : ce mode de travail est massivement le fait des femmes de l’Europe du Nord ; il est beaucoup moins fréquent dans l’Europe du Sud ; en France, il se situe entre les deux.

Dans les pays qui ont connu un développement important du temps partiel, la contribution des femmes à la croissance de l’emploi s’est faite, pour l’essentiel, à temps partiel, aux Pays-Bas, en Belgique, en Allemagne et en France. Cela signifie que là où le travail à temps partiel progresse de façon importante, il mord sur la croissance de l’emploi à temps plein. Par exemple, en France, entre 1975 et 2008, sur les 3 831 000 emplois créés, les deux tiers, soit 2 663 000, l’ont été à temps partiel. Pour les femmes, sur les 3 762 000 emplois créés, près de 70 %, soit 2 287 000, l’ont été à temps partiel.

Deuxièmement, contrairement à une idée très répandue, ce n’est pas chez les femmes en âge d’avoir et d’élever des enfants – de 25 à 49 ans – que ce mode de travail est le plus fréquent. Dans la plupart des pays européens, il concerne d’abord les femmes âgées de plus de cinquante ans. De fait, la répartition du travail partiel y était, en moyenne, en 2010, de 35,7 % chez les femmes de 25 à 49 ans, de 39,4 % pour les femmes entre 50 et 64 ans et de 69,8 % au-delà de 65 ans. Au Danemark, en France, au Portugal, en Suède, en Grèce et en Finlande, les plus faibles pourcentages de femmes travaillant à temps partiel concernent les femmes de 25 à 49 ans. Le travail à temps partiel n’est donc pas la solution idéale plébiscitée par les mères de famille.

Cela étant, le temps partiel recouvre des réalités sociales très différentes : pour une part, il correspond à la volonté des femmes ; pour une autre une part, il est le produit des choix faits par les employeurs. Mais à l’heure actuelle, on ne sait pas apprécier cette répartition.

Au sein de l’Europe, la France fait figure d’exception.

Le travail à temps partiel est apparu plus récemment dans notre pays que chez nos voisins. Son essor ne date que du début des années quatre-vingt – environ 1,5 million de salariés en 1980, près de 4,6 millions aujourd’hui. Il n’est pas une composante de la croissance de l’activité féminine dans notre pays comme ce fut le cas en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas, où il a permis aux femmes d’entrer dans le salariat. Dès les années soixante, les Françaises avaient afflué sur le marché du travail, mais par le biais du temps plein. C’est en ce sens que je considère que le développement du travail partiel en France constitue un recul.

Entre les années quatre-vingt et 2000, avec la crise de l’emploi et sous l’impulsion de politiques fortement incitatives, les mesures se sont succédé. Quels que soient les gouvernements, l’objectif était le même : encourager l’emploi à temps partiel en accordant des aides financières aux employeurs qui y recouraient. À droite comme à gauche, on favorisa les créations d’emplois à temps partiel, car il était « bon pour les femmes ». C’est en ce sens que Nathalie Cattaneo parle de l’« immunité politique » du travail à temps partiel.

En 2010, selon la dernière enquête « Emploi » dont nous disposons, 4 600 000 personnes, dont 3 700 000 femmes (31 % des salariées) et 870 000 hommes (6 % des salariés), travaillaient à temps partiel. Les hommes avaient moins de 25 ans (étudiants, stagiaires, jeunes en début d’insertion professionnelle) ou plus de 60 ans (préretraités). Les femmes appartenaient à toutes les classes d’âge. Et ce n’est pas entre 25 et 49 ans que leur proportion était la plus forte, mais avant 25 et après 60 ans.

De récentes recherches, menées en 2009 par Valérie Ulrich, et appuyées sur l’enquête « Emploi » de 2005, viennent renforcer cette idée. Interrogés sur les raisons qui les avaient amenés à travailler à temps partiel, 31 % seulement des salariés (hommes et femmes) avaient évoqué des raisons familiales (6,8 % chez les hommes et 35 % chez les femmes.) La raison principale était qu’ils n’avaient pas trouvé d’emploi à temps plein.

En revanche, ce qui ne se dément pas, c’est l’adéquation entre travail féminin à temps partiel et concentration des emplois. En effet, cette pratique est très inégalement répartie selon la profession et selon les catégories, et se concentre dans un petit nombre de groupes socioprofessionnels : plus de la moitié des femmes à temps partiel sont des employées ; parmi les ouvrières à temps partiel, une sur deux fait des travaux de ménage pour des entreprises de nettoyage ; enfin, dans le secteur privé, lorsqu’elles ne font pas des travaux de ménage, ces femmes sont vendeuses ou caissières. En fait, le travail à temps partiel s’est surtout développé dans les secteurs qui constituent les bastions de l’emploi féminin peu qualifié.

Les métiers où le travail à temps partiel est le plus répandu sont, dans leur écrasante majorité, des métiers très féminisés, peu ou pas qualifiés : femmes de ménages, ouvrier(e) s du nettoyage, caissier(e) s, assistantes maternelles, aides à la personne. En se développant, le travail à temps partiel n’a fait que renforcer la concentration des emplois féminins dans un nombre réduit de professions et de secteurs d’activité.

Pour autant, les statistiques dont nous disposons ne rendent pas compte de la diversité des situations. Elles amalgament, dans une même catégorie statistiques et sémantique, le mercredi libre des fonctionnaires et le petit emploi de quelques heures de la caissière de supermarché. Or ce ne sont pas les mêmes femmes, ce n’est pas la même réalité sociale, ce n’est pas le même travail à temps partiel : dans le premier cas, il s’agit d’un travail à temps réduit, d’un aménagement individuel, à l’initiative du salarié ; dans le second cas, il s’agit d’un emploi partiel, créé à l’initiative de l’employeur. Ces deux situations n’ont rien à voir. Mais comment les distinguer?

La notion de choix, qui paraît évidente au premier abord, ne me semble pas la plus pertinente. En effet, certaines femmes peuvent choisir de travailler à temps partiel pour faire face à des contraintes familiales, pour mieux supporter leurs contraintes professionnelles – je pense notamment aux infirmières – ou pour éviter d’être licenciées. Dans ces conditions, si subjectives, peut-on parler de choix ?

Prendre en compte l’origine du temps partiel, qui est une donnée objective, me semblerait plus pertinent et devrait nous permettre de savoir pourquoi nous sommes passés, en trente ans, de 1 500 000 à 4 600 000 salariés à temps partiel.

Nous sommes encore dans l’incertitude, car nous ne disposons pas encore de toutes les données chiffrées. Néanmoins, des travaux menés par des chercheurs de la DARES nous apportent un début de réponse.

À partir de l’enquête « Emploi du temps » de l’INSEE, Jennifer Bué a tenté de distinguer le temps partiel d’embauche, le temps partiel choisi pour les enfants, ou le temps partiel choisi pour d’autres raisons. Le temps partiel d’embauche, proposé par l’employeur, était majoritaire : 52 % des réponses – dont 49 % pour les femmes et 70 % pour les hommes. Le temps partiel choisi pour s’occuper des enfants était minoritaire : 30 % des réponses – dont 34 % pour les femmes et 6 % pour les hommes. Cela confirme mes propos précédents.

Nous savons également que la forte croissance du travail à temps partiel ne s’explique pas par sa progression dans la fonction publique, où le dispositif est régulé, où les salariés peuvent choisir de se mettre à temps partiel puis, éventuellement, de revenir à temps plein. Il s’explique par sa progression dans le commerce, l’hôtellerie, la restauration, les services aux particuliers et aux entreprises. Dans ces secteurs, la plupart des vendeuses, caissières, femmes de ménage n’ont pas choisi de travailler à temps partiel, mais ont accepté le sous-emploi pour ne pas rester sans emploi.

Ce qui se passe dans le commerce est de ce point de vue très éclairant. De nombreux chercheurs ont travaillé dans ce secteur, et j’ai moi-même enquêté, il y a plusieurs années, dans la grande distribution. Nous sommes tous arrivés au même résultat : si le temps partiel y a pris une aussi grande place, c’est parce que le recrutement s’y fait d’emblée à temps partiel. Par la suite, certaines embauches seront transformées en temps plein, le temps partiel servant, en quelque sorte, de période d’essai.

Dans d’autres secteurs, la pression du chômage peut prendre la forme plus brutale d’un chantage au licenciement. Dans un certain nombre d’entreprises, quand arrive le temps des licenciements, interviennent de « providentielles » propositions de travail à temps partiel.

Il y a bien longtemps, j’avais mené une enquête dans une entreprise aux prises avec un problème de « sureffectifs ». Les salariés se virent proposer trois solutions : soit une « charrette » de 146 licenciements secs, soit une réduction du temps de travail à 35 heures sans compensation salariale, soit un travail à mi-temps pour 260 salariés. Les syndicats optèrent pour la dernière solution. Dans la semaine, l’ensemble des femmes de l’usine – et seulement les femmes – reçut une lettre où on leur demandait de choisir entre le mi-temps ou le licenciement. Toutes se prononcèrent pour le mi-temps.

Ni les patrons ni les responsables du personnel n’avaient voulu me recevoir, mais j’ai pu discuter pendant des heures avec les représentants syndicaux ; je voulais notamment savoir pourquoi 260 « personnes » étaient devenues 260 « femmes ». J’ai fini pas obtenir cette réponse de l’un d’entre eux : « J’ai eu trois enfants. Au moment de l’accouchement, c’est ma femme qui est allée à l’hôpital, ce n’est pas moi. » Il voulait dire par là que le travail à temps partiel était naturellement féminin, tout autant que la maternité. Pour lui, c’était évident.

Les femmes qui avaient été mises d’autorité à temps partiel le vivaient mal. L’une d’elle m’a même confié : « Depuis que je suis à mi-temps, mon mari n’arrête pas de me dire : « Ça ne te gêne pas de manger, toi qui ne travailles pas ? Tu ne gagnes rien, mais tu bouffes ! » On a dit que le travail à temps partiel permettait de concilier vie professionnelle et vie familiale, mais on n’a pas dit à quel point il pouvait être destructeur, ni à quel point les salaires influaient sur les rapports de domination au sein de la famille. Ainsi, pour beaucoup de femmes, le travail à temps partiel est une violence qui leur est faite, un mode de travail qu’on leur impose et qui a de graves conséquences pour elles.

Voyons maintenant dans quelles conditions travaillent les salariées à temps partiel.

Comment se définit leur temps de travail, sur la journée, la semaine et le mois ? Le temps partiel est généralement associé à la flexibilité des horaires de travail et à la souplesse du temps de l’activité. Qu’en est-il dans la réalité ?

On peut considérer que les femmes qui ont demandé de passer à temps partiel et qui savent qu’elles peuvent revenir à temps plein ont fait un véritable choix qui leur apportera de la souplesse dans leur emploi du temps – je reprends l’exemple des femmes de la fonction publique, qui sont libres le mercredi. Mais ce n’est pas le cas de la majorité des femmes qui travaillent à temps partiel.

Quand le travail à temps partiel s’établit à l’initiative de l’employeur, la gestion du temps quotidien et des horaires échappe bien souvent aux salariées. Dans la pratique, il s’agit de vendeuses, de femmes de ménage, de caissières, qui travaillent deux heures le matin, trois heures l’après-midi, parfois le soir et le samedi. Souvent, elles ignorent combien de temps et selon quels horaires elles vont travailler le lendemain ou la semaine suivante. Comment concilier vie professionnelle et vie familiale, quand on n’a pas la maîtrise de ses horaires ? Quelle précarité plus grande que de ne pas savoir ce que l’on va gagner à la fin du mois ? Si flexibilité et la souplesse il y a, c’est du côté des employeurs, et pas du côté de ces femmes.

Les études menées par l’OCDE, en France et en Europe, montrent bien que le travail à temps partiel s’accompagne souvent de longues journées de travail, avec des horaires décalées, de longues semaines s’étendant jusqu’au week-end, voire des horaires variables d’un jour à l’autre. Les femmes concernées n’ayant que de petits salaires, elles acceptent de travailler dans de telles conditions, même si leur vie familiale s’en trouve complètement déstructurée.

En outre, un travail à temps partiel n’est pas reconnu comme un travail à temps plein. Il n’a pas la même valeur sociale et n’est pas payé de la même façon.

Le problème est double : les salaires horaires des travailleurs à temps partiel sont plus bas que ceux des travailleurs à temps plein. Des études d’Eurostat ont montré, en 1997, que le salaire horaire des travailleurs à temps partiel s’établissait à 85 % de celui des personnes travaillant à temps plein en Suède, à 71 % en France, à 69 % en Espagne et à 60 % au Royaume-Uni. En France, en 2007, des enquêtes ont prouvé que la moyenne des salaires horaires à temps plein était de 13,04 euros ; contre 10,92 euros à temps partiel. Par ailleurs, les revenus mensuels du travail à temps partiel sont très bas, parce que le travail est partiel et s’exerce sur des postes peu ou pas qualifiés.

En France, les données sur les salaires mensuels du travail à temps partiel sont récentes. Il a fallu attendre des années pour les obtenir. Moi-même, qui ai siégé au Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, j’ai très souvent demandé, en vain, combien les salariés à temps partiel touchaient à la fin du mois ; les statisticiens faisaient la sourde oreille.

Les premiers travaux, ceux de Christel Colin, datent de 1997. Ils montrent que les salariés à temps partiel perçoivent des salaires très bas. En 2007, leur salaire moyen mensuel était de 926 euros, contre 1 801 euros pour ceux qui travaillaient à temps complet.

Inévitablement, le travail à temps partiel nous amène à traiter de la pauvreté laborieuse et des bas salaires, sur lesquels se sont penchés Sophie Ponthieux et Pierre Concialdi. De fait, la forte progression des très bas salaires est étroitement liée au travail à temps partiel.

L’INSEE mesure la pauvreté laborieuse non pas par individu, mais par ménage : les travailleurs pauvres sont ceux qui travaillent dans un ménage pauvre. Elle calcule les revenus du ménage et les divise par le nombre de personnes et donc d’unités de consommation. Dans ces conditions, les hommes sont en majorité ; il s’agit, la plupart du temps, d’ouvriers qui touchent un salaire voisin du SMIC, et dont la femme ne travaille pas ; plus ils ont d’enfants, plus ils risquent de rentrer dans cette catégorie. Mais si on se base sur les bas salaires, les femmes sont en majorité ; il s’agit alors de femmes qui travaillent à temps partiel.

Sophie Ponthieux est en train de travailler sur une mesure individuelle de la pauvreté laborieuse. Notre débat, « M. Gagnepain et Mme Gagnepetit », tournera autour de cette problématique. Intellectuellement, je n’arrive pas à comprendre comment la pauvreté laborieuse peut être mesurée à l’échelle du ménage, et non de l’individu, puisqu’il s’agit d’apprécier la pauvreté issue du travail.

Cette question de la pauvreté laborieuse renvoie à celle du sous-emploi, lequel concerne les personnes qui travaillent moins que ce qu’elles souhaiteraient, et a été mesuré par l’INSEE à partir de 1990. À l’époque, la France comptait 901 000 personnes en sous-emploi, dont 638 000 femmes et 263 000 hommes. En 2010, elle en comptait 1 560 000, dont 1 080 000 femmes et 480 000 hommes. Et il ne s’agit d’ailleurs là que du sous-emploi visible déclaré – certaines personnes, comme les femmes de ménage, sachant qu’elles ne pourront jamais travailler à temps plein, ne se donnent pas la peine de se déclarer en sous-emploi.

La progression du sous-emploi a été en partie masquée par la modification de la définition du sous-emploi. Depuis 2007, en effet, sont recensées en sous-emploi les personnes qui déclarent travailler moins qu’elles ne le souhaiteraient, et être disponibles dans la semaine suivante pour travailler davantage. Sinon, elles disparaissent des statistiques du sous-emploi. Mais de nombreuses femmes, notamment en raison de leurs contraintes familiales, ne peuvent pas être immédiatement disponibles. Voilà pourquoi, entre 2007 et 2008, le nombre de personnes en sous-emploi a diminué de près de 200 000. Cette exigence de disponibilité immédiate a réduit les chiffres du sous-emploi, comme elle avait d’ailleurs réduit ceux du chômage : on dénombrait 1 416 000 personnes en sous emploi en 2007, contre 1 247 000 en 2008 : 332 000 hommes en 2007, contre 300 000 en 2008 ; 1 083 000 femmes en 2007, contre 947 000 en 2008.

Ces chiffres nous invitent à sortir le travail à temps partiel d’un débat qui serait principalement centré sur l’aménagement du temps de travail. C’est sur le salaire, et plus généralement sur les conditions de travail, qu’il faut raisonner. En France, les salariés pauvres sont plus nombreux que les chômeurs. Il a fallu attendre longtemps pour connaître les données établissant cet état de fait. Je crains qu’il ne faille attendre encore longtemps pour qu’elles soient prises en compte dans le débat social. Le sous-emploi, la pauvreté laborieuse individuelle concernent massivement les femmes. Or, sur ces questions, la tolérance sociale reste très forte.

Au bout de cinquante ans de croissance continue et soutenue de l’activité féminine, l’essor du travail à temps partiel a fait régresser le mouvement d’homogénéisation des comportements d’activité féminin et masculin. Il a contribué à institutionnaliser un mode d’emploi féminin et à généraliser des formes d’activité réduite. Dans le meilleur des cas, lorsqu’il est demandé – je ne dis pas choisi – par les femmes, il favorise la discontinuité des cycles de vie professionnelle des femmes. Dans le pire des cas, quand il est subi, il repousse une partie des femmes actives vers le sous-emploi et la pauvreté. Et tout cela aura des conséquences au moment de leur retraite.

Les inégalités face à la retraite sont une sorte de décalque des hiérarchies et des segmentations qui parcourent le monde du travail. Comment avoir une pension décente quand on a eu une vie professionnelle hachée par le chômage, les petits boulots et le temps partiel ? Comment imaginer avoir un revenu de remplacement suffisant quand, pendant des années, on a travaillé à temps partiel pour des salaires inférieurs au SMIC ?

Quelle que soit la manière de compter, les retraites des femmes représentent à peu près la moitié de celles des hommes. Et les écarts entre les retraites des hommes et des femmes sont plus importants que les écarts de salaires.

La pension moyenne, si l’on s’en tient à la retraite de droit direct, c’est-à-dire à ce qui est acquis en contrepartie des années d’activité professionnelle, est de 692 euros pour les femmes, contre 1 535 euros pour les hommes. Si l’on y rajoute les pensions de réversion et les autres avantages, elle atteint 979 euros pour les femmes et 1 625 euros pour les hommes. L’écart se réduit, mais il demeure. Ajoutons à cela que les femmes partent plus tard à la retraite parce qu’elles ont moins d’années de cotisation mais que, leur espérance de vie étant plus longue, elles émargent plus longtemps aux caisses de retraite.

Il conviendra de mesurer l’impact du travail à temps partiel sur la retraite des femmes. C’est sans doute lui qui fait que l’écart du montant des retraites entre les femmes et les hommes est bien plus important que l’écart de leurs salaires.

En conclusion, ce qui caractérise aujourd’hui la situation des femmes, au-delà même du travail à temps partiel, c’est qu’elles sont plus instruites et plus diplômées que les hommes à 20 ou 25 ans, moins qualifiées et moins bien payées qu’eux dès qu’elles arrivent sur le marché du travail, et bien plus pauvres quand sonne l’heure de la retraite. J’entends souvent qu’une telle situation finira bien par s’arranger, avec le temps. Mais elle dure depuis trente ans, et je n’y crois pas.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. C’est désespérant. Mais pourquoi tarde-t-on à s’attaquer au temps partiel, qui constitue le cœur du problème ?

Mme Margaret Maruani. Nombreux sont ceux qui considèrent encore que le temps partiel est un bienfait pour les femmes. L’image de la fonctionnaire, mère de famille épanouie, qui a choisi de se libérer le mercredi pour s’occuper de ses enfants, perdure. Que cette femme existe, je n’en disconviens pas. Mais cela ne saurait justifier les salaires misérables des caissières.

D’autres considèrent que le temps partiel finira par se masculiniser. Une telle idée est fausse et ne s’est vérifiée nulle part. Cette forme d’emploi n’intéresse pas les hommes ; elle est réservée aux femmes.

Mme Claude Greff. Les données incontestables dont nous disposons aujourd’hui n’ont pas suffi à faire prendre conscience de la réalité du travail à temps partiel, et l’on continue à assimiler celui-ci à la maternité. Il faudrait déconnecter le temps partiel de la maternité, insister sur le fait que son développement est le résultat de la stratégie des employeurs, qu’il conduit à la pauvreté des femmes et ne concourt pas au bien être général.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il est fondamental en effet ne de plus lier temps partiel et maternité. D’ailleurs, on peut ne pas avoir d’enfants et choisir de travailler à temps partiel.

Mme Claude Greff. Certes, mais il s’agit là d’un temps partiel choisi, qui n’entre pas vraiment dans nos préoccupations. Ce qu’il nous faut dénoncer, c’est le recours au temps partiel féminin comme variable d’ajustement de l’emploi.

Mme Margaret Maruani. Pour un précédent ouvrage, j’ai étudié les débats parlementaires qui ont conduit au vote des lois de 1980. J’y ai lu que le temps partiel concernait les hommes et les femmes … et une phrase plus loin, que le temps partiel permettait aux femmes de concilier vie professionnelle et vie familiale.

Mme Danielle Bousquet. Je pense qu’aujourd’hui, les arguments ne seraient pas très différents.

Mme Margaret Maruani. Pour éviter ce genre d’arguments, parlons plutôt des salaires et des retraites que le temps partiel permet de toucher.

M. Jean-Luc Pérat. Nous avons mis en place des contrats aidés de 20, 24, 30 heures, pour accompagner certains publics vers l’emploi. Je pense maintenant qu’il eût sans doute mieux valu proposer des contrats aidés à temps plein. Cela dit, a-t-on étudié le pourcentage des personnes heureuses de travailler à temps partiel ?

Mme Margaret Maruani. Je ne connais pas d’enquête de satisfaction sur le sujet. Il est clair que les caissières, les vendeuses, les femmes de ménage dont nous avons parlé souhaitent travailler davantage. Elles font partie des personnes qui se déclarent en sous-emploi.

M. Jean-Luc Pérat. Le fait de passer à 35 heures par semaine ne perturberait-il pas leur vie quotidienne ?

Mme Margaret Maruani. Peut-être, mais le problème ne se pose pas en ces termes : la plupart de ces femmes ont été embauchées sur des postes créés à temps partiel, indépendamment de leur situation familiale.

Pour qu’on puisse la traiter, la question du travail à temps partiel doit être également déconnectée de celle de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.

M. Jean-Luc Pérat. Ne pourrait-on pas inciter les employeurs à proposer un travail complémentaire aux salariées à temps partiel ? Par exemple, les caissières pourraient ranger les produits dans les rayons ou procéder à leur inventaire.

Mme Margaret Maruani. D’une manière ou d’une autre, il faudra réguler davantage le travail à temps partiel. Nous savons qu’au bout d’un certain moment, un employeur est obligé de faire passer en CDI un salarié embauché en CDD. Pourquoi ne pas décider qu’au bout d’un certain moment, un salarié à temps partiel a le droit de passer à temps plein ? Cela changerait tout. Aujourd’hui, un employeur peut créer deux emplois à mi-temps, au lieu de créer un emploi à temps plein ; il y a de quoi rester pantois.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il ne faut plus laisser dire que le travail à temps partiel est un travail d’appoint, ou qu’il permet au moins d’avoir du travail. Il faut dire qu’il sert aux entreprises …

Mme Margaret Maruani. …et que celles-ci ne peuvent pas faire tout ce qu’elles veulent.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous allons devoir légiférer en ce domaine, où la compassion n’est pas de mise. Je vais faire comprendre à Mme Roselyne Bachelot l’importance qu’il y aurait à débattre du temps partiel à la fin de ce mois, en mettant en avant des arguments basés sur les salaires et sur les retraites.

Madame Maruani, je vous remercie.

Audition de représentantes du MEDEF : Mme Françoise Holder, présidente
du comité égalité hommes-femmes, Mme Audrey Herblin, directrice
de mission à la direction des affaires publiques, et Mme Ophélie Tailly, chargée de mission à la direction entreprises et société



(procès-verbal du 15 juin 2011)

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Merci, madame, d’avoir accepté notre invitation.

En 2004, la Délégation aux droits des femmes avait produit un rapport sur le travail à temps partiel, après avoir auditionné à ce sujet l’ensemble des syndicats et le Medef. J’avais mis l’accent sur le problème de la retraite des femmes qui, après avoir opté pour le temps partiel entre 30 et 40 ans, ne retrouvent jamais de travail à temps plein. Ma crainte était justifiée car de nombreuses femmes qui ont eu un tel parcours se retrouvent aujourd’hui en situation de précarité.

C’est pourquoi j’ai proposé à la Délégation une nouvelle réflexion sur le temps partiel, mais ce que j’entends aujourd’hui m’inquiète plus encore. En effet, si en 2004 le travail à temps partiel correspondait le plus souvent au moment de l’arrivée d’un enfant, maintenant il se pratique aussi en début de carrière. Je tire donc la sonnette d’alarme, d’autant qu’il s’agit très souvent de temps partiel subi. Quel est le point de vue du Medef sur cette question ?

Mme Françoise Holder, présidente du Comité égalité hommes-femmes du Medef. Le Comité égalité hommes-femmes du Medef s’intéresse naturellement au temps partiel, en tant que discrimination potentielle à l’égard des femmes. Le sujet étant largement culturel, nous devons surtout nous attacher à faire évoluer les mentalités. À cet égard, le rôle des entrepreneurs est crucial ; mais il faut aussi agir en amont, à l’université comme dans le contenu des manuels scolaires.

Le travail du Comité s’organise autour de plusieurs axes.

Tout d’abord, nous essayons de valoriser la mixité en « déféminisant » ou « masculinisant » certains métiers. Nous travaillons également sur la réforme du congé de maternité, qui deviendrait un « congé de naissance » pouvant être pris en partie par le père. Tous les choix sont respectables, aussi bien celui d’une femme qui veut s’arrêter un ou deux ans pour élever ses enfants que celui d’une autre qui souhaite reprendre son travail rapidement après la naissance ; il faut donc trouver des formules souples. Peut-être même faudrait-il laisser la possibilité d’utiliser une partie de ce congé de « parentalité » au cours des trois premières années de l’enfant, en fonction des besoins, par exemple pour pouvoir prendre un après-midi pour l’emmener chez le médecin.

Par ailleurs, il ne peut plus y avoir comme autrefois une frontière étanche entre la vie professionnelle et la vie familiale. Il faut faire en sorte que les femmes ne soient pas systématiquement exclues du monde professionnel entre 25 et 35 ans parce qu’elles ont des enfants, et à partir de 45 ans parce qu’elles entrent dans la catégorie des seniors – problème que je connais bien car je m’investis dans une association, Force Femmes, qui s’occupe de retrouver du travail aux femmes de cet âge. Les femmes ne peuvent pas être contraintes à faire leur carrière sur dix ans! Nous devons donc éliminer les obstacles auxquels elles se heurtent.

Le troisième point est lié au précédent : nous essayons de faciliter l’exercice des responsabilités professionnelles et familiales.

En quatrième lieu, nous luttons contre les discriminations directes et indirectes subies par les femmes, dont la presse se fait l’écho. Des discriminations inacceptables persistent dans de nombreuses entreprises.

Enfin, le Medef a élaboré un Manifeste pour un nouveau management et se propose d’être exemplaire dans son management interne...

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Mme Parisot lui a fait faire de grands progrès !

Mme Françoise Holder. Nous sommes sur le bon chemin, en effet.

Par ailleurs, nous vous devons une très grande avancée, dont je vous remercie : les quotas de femmes dans les conseils d’administration – même s’ils sont parfois difficiles à atteindre.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. C’est une loi pédagogique. Maintenant, le fait qu’il y ait peu de femmes dans un conseil d’administration donne mauvaise conscience.

Mme Françoise Holder. J’en viens au travail à temps partiel, sujet qui concerne 75 % des femmes. Il est assez difficile de faire la différence entre le temps partiel non choisi et le temps partiel choisi, par exemple pour s’occuper des enfants le mercredi. Il existe même quelques entreprises vertueuses qui accordent aux femmes un trois-quart de temps en sachant qu’elles accompliront leur travail exactement de la même façon, et donc en leur conservant leur salaire et leur statut.

Lorsqu’il s’agit de temps partiel choisi – pour des raisons correspondant à une période de la vie, qui peuvent être la présence de jeunes enfants, mais aussi celle de parents vieillissants –, il nous paraît nécessaire d’aider les femmes à préparer leur sortie de ce statut. Nous souhaitons que les entreprises mettent en place un système de tutorat – que l’on pourrait aussi bien appeler parrainage ou marrainage –, assorti d’une formation quasi-obligatoire, afin de permettre aux femmes qui le souhaitent d’accéder à un travail à temps plein, dans leur branche ou ailleurs.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. C’est une proposition très novatrice, dont je vous félicite ! Le Medef ne tenait pas ce discours en 2004.

Mme Françoise Holder. Une idée me tient particulièrement à cœur, et je n’aurais pas accepté de présider cette commission si je ne m’étais pas sentie soutenue en cela par Laurence Parisot : il faut établir des passerelles pour toutes les personnes qui le souhaitent. Et il faut s’abstenir de stigmatiser celles qui font tel ou tel choix : élever ses enfants, ce n’est pas ne rien faire ! Mais il faut permettre aux femmes d’évoluer dans leurs choix, selon les âges de la vie. J’en suis un exemple.

Nous lançons une autre idée : nous aimerions que les DRH établissent un certificat validant les périodes d’interruption de carrière pour s’occuper d’un enfant.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Dans la loi portant réforme des retraites, nous avons décidé que désormais, les indemnités journalières de congé maternité seraient prises en compte dans l’assiette de calcul des pensions de retraite.

Mme Françoise Holder. Certes, mais d’un point de vue psychologique, il serait bien que par ailleurs, une validation figure sur le CV. C’est une idée à affiner.

Les entreprises peuvent aider les femmes de diverses manières, notamment par la création de crèches d’entreprise – qui peuvent être mutualisées dans les PME – ou par la délivrance de chèques emploi service pour payer la crèche ou la femme de ménage. Si on n’aide pas les femmes à revenir vers le travail, il est clair, étant donné qu’elles assument plus de 80 % des tâches ménagères, qu’elles ne reviendront pas. Certains pays anglo-saxons le font beaucoup mieux que la France, notamment par la mise en place des conciergeries d’entreprise.

D’une façon générale, il nous paraît essentiel de favoriser les aménagements de la vie professionnelle. On dit parfois que les femmes sont leurs pires ennemies ; certes peu sont candidates pour siéger dans un conseil d’administration ou occuper un poste de cadre supérieur qui les obligera à voyager dans tous les pays du monde ou à assister à des réunions qui commencent à 18 heures… Mais pourquoi, dans notre pays, les réunions se tiennent-elles toujours à l’heure où les femmes voudraient pouvoir s’occuper de leurs enfants ?

Les mêmes considérations font que certains métiers, comme l’enseignement ou la magistrature, sont largement féminisés – à tel point qu’il a quelques années, l’École nationale de la magistrature, qui recrutait 80 % de femmes, a pris des dispositions pour masculiniser ses promotions.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Serait-il possible, selon vous, d’envisager une prime de précarité pour les salariés contraints au temps partiel ?

Mme Françoise Holder. Il serait difficile de systématiser une telle mesure. Il ne faut pas alourdir encore les charges des entreprises, d’autant qu’accorder une prime aux personnes employées à temps partiel en ferait des assistées. Mieux vaut assouplir le code du travail et la base horaire, afin de rendre plus facile le passage d’un régime à l’autre. Nous préférons aider ces personnes à retrouver un emploi à plein temps, en espérant que la reprise de l’économie le permettra. Ce sont dans les PME, et même dans les TPE, que l’on peut attendre le plus de créations d’emplois ; c’est pourquoi Laurence Parisot a demandé récemment à la Commission européenne de créer un poste de commissaire dédié aux PME.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Permettez-moi d’insister sur le cas des femmes qui ne réussissent pas à sortir du temps partiel et qui, parfois, effectuent un très petit nombre d’heures. J’ai rencontré il y a quelques jours une jeune femme de 25 ans, titulaire d’un DESS d’histoire de l’art, qui travaille 14 heures par semaine dans un musée. Quelle retraite percevra-t-elle ?

Mme Françoise Holder. Précisément, il ne faut pas l’enfermer dans sa situation actuelle, mais lui ouvrir des possibilités pour en sortir.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Devons-nous légiférer pour interdire aux employeurs de recourir à ce point à la « souplesse » du temps partiel – qui aboutit à la précarité ?

Mme Françoise Holder. Je ne peux pas penser qu’une jeune femme de 25 ans travaillera 14 heures jusqu’à 62 ans !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Soit, mais le législateur doit-il s’en mêler ? J’ai interrogé le directeur du musée : il a reconnu qu’il était plus intéressant d’utiliser des guides à temps partiel, qui d’ailleurs sont employés par une entreprise sous-traitante.

Comment le Medef pourrait-il inciter les TPE et PME à ne pas entrer dans ce processus ? Votre proposition d’assouplir le code du travail m’inquiète un peu…

Mme Françoise Holder. Quel est l’intérêt pour le directeur du musée d’avoir cinq guides qui travaillent 14 heures, plutôt que deux à temps plein ?

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La flexibilité : cela permet par exemple d’organiser plusieurs visites au même horaire.

De notre part, ne rien faire, c’est cautionner un système qui va exploser dans les quarante ans qui viennent, quand les personnes concernées partiront à la retraite. La réforme des retraites de l’année dernière a mis en évidence la situation particulièrement difficile de certaines femmes. En tant que législateur, nous avons une responsabilité pour l’avenir : que sera la retraite de femmes qui auront occupé un emploi à temps partiel dès le début de leur carrière ?

Mme Françoise Holder. En attendant de trouver un temps plein, elles peuvent cumuler deux temps partiels.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Souvent, ce n’est pas possible car les horaires sont dispersés dans la journée : lorsque nous avons fait notre étude en 2004, nous avons constaté que les temps partiels proposés par les grandes surfaces ne pouvaient pas être complétés par un deuxième. Certaines grandes enseignes, sensibilisées à ce problème, ont fait en sorte de fournir des emplois du temps compatibles avec un deuxième temps partiel – au moins en province, où le problème des transports ne se pose pas comme en région parisienne. Mais il y a aussi le problème des horaires changeants.

Mme Françoise Holder. Nous allons soumettre cette question à la commission sociale du Medef et essayer de vous faire des propositions concrètes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Très volontiers. Je ferai moi-même quelques propositions, notamment la négociation d’accords au niveau des branches.

Je suis particulièrement inquiète pour le secteur de l’aide à domicile, où l’on propose très souvent des emplois à temps partiel, assortis d’une grande souplesse.

Mme Françoise Holder. Je n’ai pas une vision angélique des chefs d’entreprise, mais je déplore qu’ils aient été ainsi salis dans les médias à cause de quelques présidents du CAC 40 et de leurs parachutes dorés. Beaucoup d’entre eux ont des salaires tout à fait normaux, quand ils ne signent pas de cautions sur leurs biens propres… En général, quand ils en ont la possibilité, ils font en sorte d’avoir des salariés heureux. Pourquoi n’offriraient-ils que des temps partiels s’ils peuvent proposer des emplois à plein temps ? Cela dépend naturellement de la situation économique. Essayons donc d’améliorer l’état du marché du travail avant de légiférer – sauf pour régler d’éventuels abus. On ne peut pas obliger le dirigeant d’une PME à proposer un temps complet si son chiffre d’affaires ne le lui permet pas ! On ne peut pas davantage lui demander de verser une prime aux salariés employés à temps partiel.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je suis heureuse de pouvoir dialoguer avec vous ; les choses ne s’étaient pas passées de la même façon avec le Medef en 2004. Nous allons vous adresser nos propositions, puis nous vous rencontrerons à nouveau, peut-être avec les représentants de la commission sociale du Medef, afin que nous puissions avancer.

Mme Françoise Holder. Les services à la personne, que mon association s’attache à développer à travers le micro-entreprenariat, sont aussi des services rendus à la société. Il faudrait les organiser ; dans ce domaine, plusieurs temps partiels peuvent aboutir à un temps plein.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. On pourrait imaginer que les entreprises, après négociation, adoptent une charte dans laquelle elles prendraient des engagements, notamment en faveur de l’accès au temps plein.

Merci beaucoup pour cet échange.

Audition de Mme Geneviève Bel, vice-présidente de la Confédération générale du patronat, des petites et moyennes entreprises (CGPME), présidente
de la Délégation aux droits des femmes du Conseil économique, social
et environnemental (CESE)



(procès-verbal du 22 juin 2011)

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Merci d’avoir accepté d’être auditionnée sur le temps partiel, qui est au cœur de la problématique de l’égalité entre les hommes et les femmes.

Mme Geneviève Bel. Il me semble qu’une table ronde devrait être organisée à la fin du mois.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. En effet, seulement elle ne portera pas sur le temps partiel, contrairement à ce qui avait été annoncé en décembre dernier : on y traitera du partage des responsabilités professionnelles et familiales.

Mme Geneviève Bel. Elle fait donc suite au travail de Brigitte Grésy sur le sujet.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Mais quand on n’a pas résolu un premier problème, on ne se précipite pas sur le suivant ! Voilà pourquoi je me suis dispensée d’aller aux séances de préparation de cette table ronde et que, le 28 juin, je resterai dans ma circonscription. Je n’ai d’ailleurs aucune envie d’entendre les mêmes discours que ceux que l’on nous sert depuis dix ans. Faire de la figuration ne m’intéresse pas.

Mme Colette Langlade. N’appartenant pas à la Délégation de l’Assemblée, je n’ai pas reçu d’invitation.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Toutes les femmes parlementaires auraient dû en recevoir une.

Mme Geneviève Bel. La Délégation du CESE n’en n’a pas reçu non plus.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je suggère que les trois délégations aux droits des femmes, du CESE, du Sénat et de l’Assemblée, organisent, en septembre ou en octobre, une grande table ronde sur le temps partiel.

Mme Geneviève Bel. Je suis d’accord. Cette table ronde pourrait se tenir au CESE.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous y serions en terrain neutre. En période électorale, c’est préférable. Vous présideriez cette table ronde, et nous serions à vos côtés.

Pourriez-vous maintenant reprendre votre casquette de vice-présidente de la CGPME et nous donner la position de votre organisation sur le temps partiel ?

Mme Geneviève Bel. Pour la CGPME, le temps partiel a des aspects positifs. Il peut favoriser l’accès à un premier emploi pour des personnes qui n’ont pas forcément de formation, ou qui ont une formation inadaptée aux demandes formulées dans le cadre du marché du travail. Il peut aussi convenir à des hommes ou à des femmes, surtout des femmes, qui ne souhaitent pas exercer un temps plein, pour des raisons familiales, personnelles ou autres. Il est, d’une façon générale, un élément de souplesse aussi bien pour les entreprises que pour les salariés.

Vous m’aviez demandé de vous faire l’état des lieux du temps partiel exercé par les femmes. Je vous l’ai envoyé. Depuis, nous avons obtenu les statistiques de 2009, ce qui nous a permis de l’actualiser.

Avec 17,6 % en 2009, le taux d’emploi à temps partiel en France reste légèrement inférieur au taux moyen européen, qui était cette même année de 18,8 %. Il est également inférieur à ce taux moyen européen si l’on inclut le secteur public, où l’emploi à temps partiel est plus utilisé que dans le secteur concurrentiel.

Plus précisément, le taux d’emploi à temps partiel en France est supérieur à celui de l’Italie ou de l’Espagne.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Mais quel est, dans ces deux pays, le pourcentage d’activité des femmes ?

Mme Geneviève Bel. Je ne dispose pas de ces éléments, mais je peux vous envoyer un tableau sur le sujet.

Les taux de temps partiel des pays du Sud (notamment ceux de la Hongrie et de l’Italie) sont faibles, et ceux des pays du Nord élevés. Celui des Pays-Bas est même de 45 % et a tendance à augmenter pour les hommes comme pour les femmes ; le recours au temps partiel, qui est d’ailleurs fréquent chez les hommes, y est surtout encouragé par le Gouvernement

Le taux d’emploi des femmes travaillant à temps partiel est en France de 32 %, ce qui nous semble tout à fait correct par rapport aux autres pays d’Europe, où il est en général plus élevé.

Mais, en France, le travail à temps partiel a un genre. Il est très majoritairement féminin : 83 % des 5 millions d’actifs à temps partiel sont des femmes.

Le travail à temps partiel peut être ou choisi ou subi. Mais quand il est choisi, c’est parfois parce que le salarié n’a pas le moyen de travailler autrement.

M. Jean-Luc Pérat. Dans ces conditions, c’est du temps partiel subi.

Mme Geneviève Bel. Certes, mais il n’est pas déclaré comme tel et cela n’apparaît pas dans les statistiques. Voilà pourquoi j’aimerais avoir des statistiques qui rendent mieux compte de la réalité.

Les salariés en temps partiel subi, pour reprendre l’expression technocratique, sont ceux qui recherchent un autre emploi pour travailler davantage. Le taux communément établi est de 30 %. A contrario, 70 % des salariés à temps partiel ne souhaitent pas travailler davantage.

Le problème du temps partiel subi est essentiellement celui des femmes, surtout d’origine étrangère, entrant dans la catégorie du temps partiel « imposé à l’embauche », pour reprendre l’expression utilisée par la DARES dans une de ses enquêtes.

Il s’agit en partie d’un « temps partiel d’insertion pour les jeunes femmes peu qualifiées ». C’est en ce sens que je disais tout à l’heure que le temps partiel pouvait avoir un aspect positif : il offre un accès à l’emploi à certaines personnes qui, sinon, n’auraient pas de travail.

En outre, selon cette même enquête de la DARES, près de 30 % des salariés à temps partiel « imposé à l’embauche » peuvent choisir l’organisation de leurs horaires, ce qui limite leurs contraintes.

On peut donc raisonnablement penser qu’un peu plus de 20 % des salariés employés à temps partiel, dont une large majorité de femmes, sont réellement sous le régime du « temps partiel subi », entendu au sens strict.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Ces statistiques correspondent à celles du sous-emploi : sont recensées comme personnes en sous-emploi les salariés qui demandent à travailler davantage et sont disponibles immédiatement. Or de nombreuses personnes à temps partiel, en raison de la dispersion et de l’imprévisibilité de leurs horaires, ne peuvent pas s’engager à travailler davantage dès le lendemain matin. Ce mode de calcul fait chuter le nombre de personnes à temps partiel qui souhaitent augmenter leur durée de temps de travail, comme nous l’a très bien expliqué Mme Rachel Silvera. Le taux de 30 % que vous nous avez cité est sûrement sous-évalué. Mais nous ne disposons pas d’autres statistiques, qui permettraient de connaître le nombre des personnes qui, si elles le pouvaient, souhaiteraient travailler davantage.

Certains chefs d’entreprises, comme le PDG d’Auchan que j’ai rencontré hier, réfléchissent aux moyens d’augmenter le nombre d’heures des salariées à temps partiel.

Mme Geneviève Bel. Jérôme Bédier a aussi travaillé sur cette question. Lorsque je l’avais interrogé, il m’avait parlé des îlots de caisse et de la polyvalence.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le recours à la polyvalence figurait dans mon rapport de 2004. Auchan avait déjà proposé aux caissières de compléter leurs horaires en remplissant les rayons. Aujourd’hui, l’entreprise étudie d’autres formules.

Mme Geneviève Bel. Elle fait de la formation.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il est bon en effet qu’une caissière puisse faire autre chose que de remplir les rayons. Certains groupes essaient de faire en sorte que ces salariées accèdent à des postes de responsabilité.

Mme Geneviève Bel. La Fédération des entreprises du commerce et de la distribution a créé un trophée de la formation pour des personnes qui, auparavant, travaillaient à temps partiel. J’ai moi-même remis le premier de ces trophées. Cela m’a semblé très bien. La polyactivité ne doit pas se limiter à associer travail en caisse et mise en place des produits sur les rayons, d’autant plus que ce peut être très fatigant pour les intéressées – qui, dans ce cas, perdent leur temps de pause. Il est donc important de leur proposer une formation.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le PDG d’Auchan m’a proposé de rencontrer des femmes travaillant à temps partiel. Lorsque nous nous rendrons à Lille pour visiter le réseau des Ruches, nous pourrons aussi nous rendre au magasin Auchan.

Le temps partiel est ma grande préoccupation. C’est par lui qu’il faut commencer. Voilà pourquoi je suis tellement en colère après la journée du 28 juin sur le partage des responsabilités professionnelles et familiales.

Mme Geneviève Bel. Le principe est que le partage des responsabilités limitera le travail à temps partiel.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Même dans le dernier numéro du journal Femme Actuelle, le plus lu par les femmes, un sociologue remarque que s’il faut travailler au partage des responsabilités, il faut d’abord s’attaquer au temps partiel, qui contribue à la précarité des femmes.

Mme Geneviève Bel. Le temps partiel est-il en recrudescence ?

Entre 1999 et 2005, il n’a pas connu de progression marquante. Mais ensuite, à en croire l’INSEE, il a commencé à remonter. Le phénomène s’explique en grande partie par la multiplication des postes liées au traitement de la dépendance – les emplois d’aide à domicile, occupés à 90 % par des femmes. On peut donc imaginer que la tendance va se poursuivre.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Avez-vous observé un développement des emplois à temps partiel, en début de carrière, sur des horaires très courts ?

Mme Geneviève Bel. Oui. Or en dessous de 15 heures, ces emplois n’ouvrent aucun droit.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Est-ce lié à la libéralisation du temps de travail et à la loi de 2008, dont nous n’avons pas mesuré les conséquences ?

Mme Geneviève Bel. Je ne sais pas. En tout cas, nous constatons une augmentation de ces emplois, même si nous ne disposons pas encore de statistiques sur le sujet. Cela dit, de nombreux étudiants travaillent à temps partiel.

Nous avons également noté une très forte augmentation du temps partiel en fin de carrière. Le phénomène concerne surtout des femmes qui veulent pouvoir aider des personnes de leur famille. Il faut dire que l’on encourage, par ailleurs, le maintien à domicile.

Mme Colette Langlade. Quels sont les autres secteurs où sévit le temps partiel subi, en dehors des aides à domicile et de la grande distribution ?

Mme Geneviève Bel. Je vous invite à vous reporter au tableau qui figure dans le document que je vous ai transmis : le secteur tertiaire concentre 91 % des salariés à temps partiel – dans les collectivités locales, les services aux entreprises et aux particuliers, la grande distribution, l’hôtellerie et la restauration, etc. ; par ailleurs, le temps partiel est en train de se recentrer sur six catégories socio-professionnelles, qui sont les plus féminisées. En 1983, celles-ci rassemblaient 52 % des femmes et, en 2002, 61 % d’entre elles.

Le temps partiel subi est-il un moyen d’insertion pour les jeunes femmes qui ne sont pas diplômées ? C’est assez net pour les femmes d’origine étrangère, qui sont surreprésentées dans les emplois à temps partiel d’embauche à horaires très courts : plus d’une sur cinq effectue moins de 15 heures par semaine – ce qui n’ouvre aucun droit.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Lorsqu’une salariée travaille 15 heures dans un endroit et 15 heures dans un autre, quelle est la durée de travail prise en compte ? Deux fois 15 heures ou 30 heures ?

Mme Geneviève Bel. 30 heures, pour les droits sociaux. En revanche si elle perd un des emplois qui correspondait à moins de 30 % de ses revenus, elle ne touchera pas d’indemnité de chômage à la suite de la perte cet emploi.

Ces seuils auront des conséquences négatives sur la retraite de ces salariées, qui ont pourtant travaillé et cotisé. Il faut y faire attention.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je l’ai dit dès 2004. En procédant à des projections, je m’étais rendu compte qu’une femme qui travaillait à temps partiel risquait de toucher moins de retraite qu’une personne qui, n’ayant pas eu d’activité professionnelle, bénéficiait du minimum vieillesse.

Il faudra bien mettre les entreprises qui utilisent le temps partiel face à leurs responsabilités. De toutes façons, un jour, quelqu’un devra payer.

Mme Colette Langlade. Les femmes qui travaillent à temps partiel sont souvent des mères de famille qui rencontrent des problèmes pour faire garder leurs enfants ou assurer leur suivi scolaire. Connaissez-vous le profil de ces personnes ?

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La femme à temps partiel vit souvent dans une famille monoparentale.

J’ai découvert qu’il existait des programmes de télévision spécialement conçus pour les enfants dont la mère partait travailler tôt, dès cinq ou six heures du matin. Quand ils se réveillent, la télévision leur sert de nounou ou de compagnon de jeu !

Mme Geneviève Bel. J’en viens aux politiques menées par les entreprises en matière de temps partiel.

Comment responsabiliser ces entreprises ? Nous ne pensons pas que la négociation nationale interprofessionnelle soit le niveau pertinent. Selon nous, c’est par les accords de branche que l’on améliorera la situation.

M. Jean-Luc Pérat. À partir de quand le travail à temps partiel ouvre-t-il des droits ?

Mme Geneviève Bel. 10 heures 30 pour l’assurance chômage et 15 heures pour les droits sociaux et la retraite.

M. Jean-Luc Pérat. Ne pourrait-on pas décider qu’un temps partiel ne peut pas être inférieur à 15 heures ?

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. C’est une de mes recommandations.

M. Jean-Luc Pérat. Il faudrait accompagner la personne qui travaille à temps partiel, ne serait-ce que pour l’aider à préparer sa retraite.

Mme Geneviève Bel. En fait, il n’existe que deux solutions : ou bien il n’y a plus de seuil et toutes les sommes cotisées sont prises en compte ; ou bien on ne peut pas travailler moins de quinze heures par semaine – mais je ne connais pas tous les métiers, et je ne sais pas si c’est possible.

Vous m’aviez demandé également si les entreprises pratiquaient les surcotisations volontaires pour les salariés à temps partiel.

Nous n’avons pas de statistiques sur le sujet, et nous n’avons pas entendu parler de PME qui auraient adopté un tel système. Mais il importe en effet d’atténuer les effets négatifs du temps partiel sur les retraites des femmes, par exemple en informant systématiquement les intéressées sur les conséquences qu’aura cette modalité de travail sur le niveau de leur pension.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La loi sur les retraites comporte une disposition allant dans ce sens. Maintenant, il faut l’appliquer.

Mme Geneviève Bel. Dans ma PME, chaque fois qu’une jeune femme me demandait un congé parental, je lui expliquais quelles en seraient les conséquences. Ce n’était pas obligatoire, mais je tenais à la prévenir.

On peut également limiter les effets négatifs du temps partiel sur la retraite des femmes : en encourageant la possibilité de cotiser sur une assiette à temps plein – en cas de travail à temps partiel choisi ; en permettant aux salarié(e) s dont l’activité à temps partiel est réduite de capitaliser les cotisations versées qui, en l’état actuel des choses, sont perdues.

Enfin, la CGPME tient à souligner l’importance de la « conciliation entre le travail à temps partiel et la vie familiale des salariés » et propose plusieurs pistes d’amélioration :

Encourager le « temps partiel choisi » en respectant la priorité d’accès à l’emploi à temps plein qui vient de se créer ou de se libérer dans l’entreprise, pour les salariés à temps partiel de cette même entreprise.

Favoriser l’information sur l’ensemble des mécanismes inclus dans le dispositif de formation professionnelle continue, notamment sur la VAE (validation des acquis et de l’expérience), conformément aux objectifs affichés dans la loi du 4 mai 2004 et, d’une façon générale, favoriser l’accès à la formation professionnelle.

Développer, sous réserve de l’examen de sa faisabilité pratique, l’idée d’un bilan de compétences au retour de congé parental, puisque ce sont surtout les salariées peu qualifiées qui rentrent dans la catégorie du temps partiel subi.

M. Jean-Luc Pérat. Faire valider ses acquis ou son expérience constitue un véritable chemin de croix ! L’avez-vous proposé à des salariés ? Sont-ils allés jusqu’au bout de leur démarche ?

Mme Geneviève Bel. Je l’ai proposé deux fois à des salariées qui me semblaient avoir du potentiel. Il leur a fallu environ huit mois, mais elles sont allées jusqu’au bout Cela dit, je reconnais qu’il est indispensable d’accompagner les salariés dans leur démarche de VAE.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. J’ai longtemps conseillé la VAE jusqu’au jour où j’en ai découvert la complexité.

Mme Geneviève Bel. Malgré tout, certains organismes peuvent apporter une aide précieuse aux salariés.

Autres pistes d’amélioration : engager un processus d’entretien spécifique à mi-parcours du congé parental ; je l’ai fait, et cela m’a paru très bien : la salariée se sent à la fois considérée et concernée par l’entreprise.

Encourager la polyactivité pour éviter le morcellement de la journée, tout en veillant au respect des temps de pause.

Recenser et diffuser les « bonnes pratiques ». Je tiens à vous donner l’exemple de SANI, une PME spécialisée dans le nettoyage, qui est implantée près de Strasbourg. Cette entreprise a établi un répertoire des compétences acquises par ses salariés et propose à ses clients non seulement des prestations de nettoyage, mais d’autres prestations que peuvent assurer certains de ses salariés : entretien d’espaces verts, décoration intérieure, services à la personne, etc. Cela a permis d’augmenter l’amplitude des horaires qui, dans le secteur du nettoyage, est assez limitée. Maintenant, pratiquement tous les salariés travaillent à temps plein.

Créer des bourses d’emploi pour favoriser les passerelles entre temps partiel et temps plein, en offrant aux bénéficiaires un accompagnement personnalisé, mis en œuvre en partenariat avec Pôle Emploi, l’AFPA et les chambres consulaires.

Développer les différentes formules de regroupements d’employeurs.

Aménager l’organisation du temps de travail, tout en tenant compte des spécificités des entreprises.

Il convient de promouvoir des initiatives expérimentées avec succès par plusieurs entreprises dans le cadre d’accords collectifs sur l’égalité professionnelle : aménagement des horaires de réunions, marges de modulation individuelle, offre de services divers – selon la taille de l’entreprise.

Compléter l’information statistique existante en distinguant mieux travail à temps réduit à l’initiative du salarié, et « temps partiel imposé à l’embauche ».

Développer et diversifier les modes d’accueil des enfants, en privilégiant les modes d’organisation souples et adaptables et en développant les partenariats entre les collectivités locales, les caisses d’allocations familiales et les entreprises.

Enfin, il faut inciter les entreprises à ne pas embaucher des salariés à temps partiel en dessous du seuil requis pour l’ouverture de certains droits.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je vous remercie pour ces propositions, qui vont un peu dans le même sens que les nôtres.

1 () La précarité des femmes sur le marché du travail, Lettre de L’OFCE n° 26330 juin 2005.

2 () Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Danemark, Irlande, Royaume-Uni, Grèce, Espagne, Portugal, Autriche, Finlande, Suède.

3 () N° 318.

4 () Conférence de Genève du 1er au 17 juin 2011.

5 () Les femmes face au travail à temps partiel.

6 () Enquête génération 1998, Regards sur le parcours professionnels et la situation familiale. Bref n° 241, mai 2007.

7 () L’école des filles. Quelle formation pour quels rôles sociaux, L’Harmattan, 2007.

8 () Rapport préparatoire à la concertation avec les partenaires sociaux sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.

9 () Les inégalités entre les femmes et les hommes : les facteurs de précarité, ministère des Affaires sociales, 2005.

10 () Rapport d’information n° 1924 (octobre 2003-juillet 2004).

11 () Directive 97/81/CE concernant l’accord cadre sur le travail à temps partiel.

12 () Cass, soc., 25 février 2004.

13 () Cass, soc., 9 juillet 2003.

14 () Loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail.

15 () Cass. soc. n° 09-42315.

16 () Rapport n° RM2011-084P juin 2011.

17 () Confédération générale des petites et moyennes entreprises.

18 () Cass, soc, 2 juin 2010, n° 09-41395.

19 () Cass, soc., du 24 septembre 2008, n°06-46292.

20 () Rapport d’information n° oct. 2005-février 2007.


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