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N° 4431

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 mars 2012.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

sur « La situation sécuritaire dans les pays de la zone sahélienne »

et présenté par

MM. Henri PLAGNOL et Francois LONCLE

Députés

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INTRODUCTION 7

I – LE SAHEL, UNE RÉGION EN DANGER ET SOURCE D’INSÉCURITE 9

A – UNE RÉGION FRAGILE 9

1 - Trois pays parmi les plus pauvres 10

a) Des indices de développement parmi les plus faibles 10

b) Des perspectives de développement structurellement compromises par la démographie 12

c) Sécheresse, désertification et stress alimentaire continu 15

2) Une région confrontée à de multiples facteurs d’instabilité 17

a) Des ressources naturelles disputées 17

i) un sous-sol riche en ressources naturelles 17

ii) un carrefour énergétique convoité 19

b) La question touareg 20

i) un peuple morcelé entre plusieurs États 20

ii) un conflit quasi ininterrompu 22

iii) la nouvelle rébellion de 2012 23

c) Le Sahel, au cœur des grands trafics 25

i) le trafic de drogue 25

ii) les autres trafics 27

d) L’impact de la crise libyenne 29

i) le retour des mercenaires 29

ii) la Libye, un arsenal géant ouvert à tous les vents 30

B – AQMI, UNE MENACE SUPPLÉMENTAIRE POUR LE SAHEL 32

1) Histoire d’AQMI 32

a) Du GIA au GSPC 32

b) De l’internationalisation du GSPC à l’avènement d’AQMI 33

c) L’extension de la violence au Sahel 34

2) Organisation et fonctionnement d’AQMI 37

a) Structure d’AQMI 37

b) Le financement des activités d’AQMI 39

c) Les membres d’AQMI : effectifs et recrutement 40

d) Les liens tissés par AQMI avec les populations locales 42

3) AQMI, une menace grandissante pour l’Afrique 43

a) AQMI, un fardeau économique pour le Sahel 43

i) une logique d’évitement 43

ii) une présence étrangère désormais confrontée à de lourdes contraintes de sécurité 45

b) AQMI, une tentation pour les jeunes Touareg ? 46

c) AQMI, un modèle pour la secte Boko Haram ? 47

C - AQMI, UN PIÈGE POUR LA FRANCE ? 49

1) Une haine tenace à l’égard de notre pays mais une violence jusqu’ici cantonnée au continent africain 49

2) Ne pas tomber dans le piège d’AQMI 50

II – RÉTABLIR LA SECURITE DANS LE SAHEL 53

A - ADOPTER UNE STRATÉGIE COHÉRENTE FACE AUX PRISES D’OTAGES 53

1) Rationaliser nos méthodes et notre dispositif pour sauver nos otages 53

a) Mener des négociations efficaces 53

i) un secret nécessaire 53

ii) des initiatives parallèles ? 54

b) Savoir riposter 55

i) intercepter les preneurs d’otages chaque fois que cela est possible 55

ii) faire preuve d’une plus grande fermeté. 57

c) Maintenir une présence adéquate sur le terrain 57

i) forces prépositionnées, opérations extérieures et présences plus discrètes 57

ii) une reconfiguration qui ne doit pas nuire à l’efficacité du dispositif 59

2) Réduire le risque de nouvelles prises d’otages 60

a) Une présence française mieux sécurisée 60

b) Le piège des rançons ? 61

B - COMBATTRE AQMI PLUS EFFICACEMENT 62

1) Une plus grande mobilisation des Etats sahéliens est nécessaire 62

a) L’indéniable implication du Niger et de la Mauritanie 62

i) la Mauritanie 62

ii) le Niger 63

b) Vers la fin des ambiguïtés algériennes et maliennes ? 64

i) l’Algérie 64

ii) le Mali 65

2) Une meilleure coopération régionale dans le domaine de la sécurité est indispensable 67

a) des initiatives locales insuffisantes 67

b) un soutien international incontournable 69

i) la France, un appui capital 69

- le rôle central de la DCSD 69

- coopération de sécurité intérieure 71

- coopération militaire 71

- le refus algérien 72

ii) les Etats-Unis, une présence significative 73

iii) vers une plus grande internationalisation des réponses à la crise sahélienne ? 74

- l’Union européenne 74

- Les Nations Unies 75

3) Décrédibiliser AQMI 77

C – SOUTENIR LE DÉVELOPPEMENT DE LA RÉGION 78

1) Le développement, condition de la stabilité de la région 78

2) L’aide au développement dans la région sahélienne 80

a) Les principaux partenaires bilatéraux des pays du Sahel 80

b) Principaux axes de la coopération française dans la région 82

c) Les apports des bailleurs multilatéraux 84

3) L’indispensable cohérence de l’action 85

a) L’importance d’une vision intégrale des problématiques pour garantir l’efficacité d’une réponse globale et cohérente 85

b) Les réponses 87

c) Ne pas accabler le Sahel : la problématique des zones rouges 91

CONCLUSION 97

EXAMEN EN COMMISSION 99

ANNEXES 105

Annexe 1 - Liste des personnalités rencontrées 107

Annexe 2 - Eléments chronologiques depuis la création du GSPC, en 1998 111

Annexe 3 - Les principaux membres du GSPC et d’AQMI 117

Annexe 4 - Les ressortissants français otages d’AQMI : 121

Mesdames, Messieurs,

Prises d’otages, assassinats de nos compatriotes et d’Occidentaux, nouvelle rébellion touareg, dispersion d’armements divers à la suite de la révolution libyenne, essor de trafics en tout genre, sécheresse et risque élevé de crise alimentaire… Depuis plusieurs années – et le rythme s’est accéléré tout au long des travaux de la mission d’information –, le Sahel ne cesse d’occuper une place privilégiée dans l’actualité internationale. Au-delà des problématiques classiques d’une région particulièrement défavorisée, il doit faire face à de nombreuses menaces qui pèsent sur sa stabilité globale, la plus médiatique mais aussi la plus dangereuse étant certainement une organisation terroriste très déterminée, Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI), qui a réussi à s’y installer durablement.

La commission des affaires étrangères ne pouvait se tenir éloignée d’un tel sujet. La sécurité de la zone sahélienne est sans nul doute une question très grave à laquelle la France est aujourd’hui confrontée. Elle concerne non seulement nos intérêts dans cette région du monde mais touche aussi l’existence de nos concitoyens. Plusieurs d’entre eux y ont perdu la vie et six Français y sont encore retenus en otages dans les conditions matérielles et psychologiques les plus éprouvantes. S’agissant d’un enjeu géostratégique majeur, face à une menace très concrète qui se joue des frontières et qui touche à la paix et aux intérêts de divers pays, il faut apporter une réponse efficace qui ne peut être que régionale et concertée.

Nos travaux nous ont conduit à auditionner un grand nombre de personnalités et d’experts de la région mais aussi des ex-otages. Nous avons été en Algérie, au Mali et en Mauritanie, des Etats qui sont directement confrontés à AQMI. S’agissant du Niger, qui est également en première ligne, nous avons pu rencontrer le nouveau Président, Monsieur Issoufou, lors de son investiture à Niamey et à Paris, son Premier ministre, au mois d’octobre dernier. Nous nous sommes également rendus au Sénégal et au Burkina Faso, deux pays qui sont aussi des acteurs importants dans la région.

Nous avons choisi de bâtir notre rapport sur deux axes. Nous avons d’abord dressé un état des lieux le plus précis possible de la situation sécuritaire actuelle du Sahel. Cela nous a ainsi permis de relever le réel danger que court et fait courir, aujourd’hui, cette région. Logiquement, nous avons ensuite essayé de recenser les différentes façons d’y remédier en explorant trois pistes. En premier lieu, la nécessité de traiter le plus efficacement possible le problème de nos compatriotes retenus en otages, et ce en adoptant une stratégie cohérente face aux enlèvements. En deuxième lieu, l’obligation de combattre plus efficacement AQMI, car nous nous sommes rendus compte que si des progrès avaient été accomplis, beaucoup reste à faire, notamment en ce qui concerne la coordination régionale des renseignements et de l’action militaire. Enfin, rien ne sera possible sans mobiliser davantage de ressources avec le soutien de l’Union européenne et des bailleurs internationaux au service du développement économique, social et humain d’une zone particulièrement déshéritée.

I – LE SAHEL, UNE RÉGION EN DANGER ET SOURCE D’INSÉCURITE

A – Une région fragile

Le Sahel est une région immense, qui s’étend de l’Atlantique à la mer Rouge, à la charnière des zones sahariennes au nord et des savanes au sud. Il forme un arc du Sénégal au Soudan, comprenant le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad. Dans son acception la plus large, on y inclut également tout ou partie de la Mauritanie, de l’Algérie, du Nigeria ainsi que l’Erythrée.

Zone humide

Zone semi aride

Zone subhumide

Zone aride

Zone sèche

Zone hyper aride

Le Sahel, entre le 12e et le 20e parallèles (1)

Il s’agit d’une région aux caractéristiques bien marquées : au plan climatique tout d’abord, avec l’alternance entre une saison humide estivale, courte, au cours de laquelle les précipitations sont rares et violentes, orageuses, et une saison sèche hivernale, de huit à dix mois ; au plan humain, ensuite, avec dans la partie septentrionale de la zone, des populations nomades et pastorales, pratiquant la transhumance et le commerce caravanier, et d’autres, au sud de la région, d’agriculteurs sédentaires. Aux portes du Sahara, le Sahel est aussi, voire surtout, une région victime de la sécheresse et de la désertification qui n’a cessé de s’étendre depuis des décennies, entraînant réduction des cheptels, famines endémiques, diminution des terres arables.

La région sahélienne est donc de celles qui cumulent un grand nombre de handicaps qui influent non seulement sur la capacité des Etats à lutter contre les périls sécuritaires mais aussi et avant tout sur leur développement économique et social.

1 - Trois pays parmi les plus pauvres

On ne peut dans ces conditions entamer cette analyse sans rappeler certaines données, très étroitement liées aux problématiques qui nous intéressent ici. La situation des trois pays sahéliens est pour le moins préoccupante et les perspectives ne sont pas de nature à tempérer les inquiétudes.

a) Des indices de développement parmi les plus faibles

Les trois pays au cœur du terrain d’action d'AQMI sont aujourd’hui parmi les plus pauvres du monde. Sur l’indice de développement mondial, la Mauritanie occupe le 159e rang, le Mali le 175e rang et le Niger le 186e.

Non seulement ils réunissent tous les trois les critères pour figurer dans la catégorie des pays les moins avancés, PMA, mais ils présentent aussi chacun des indices de développement inférieurs à la moyenne constatée dans les pays d'Afrique subsaharienne, région dans laquelle figurent 33 des 48 PMA recensés. Alors que l’indice de développement moyen mondial, tous critères confondus, est en 2011 de 0,682 et celui de l’Afrique subsaharienne de 0,463, ceux des trois pays sahéliens considérés sont respectivement de 0,359 pour le Mali, de 0,453 pour la Mauritanie et de 0,295, seulement, pour le Niger, pays le plus pauvre des trois, en avant dernière position générale : seule la République démocratique du Congo est plus mal classée, avec un indice de 0,286. (2)

Le tableau ci-dessous résume en quelques lignes l’ampleur des défis qui assaillent les pays du Sahel, quelque critère que l’on prenne en compte : des taux extrêmes de mortalité infantile, seuls cinq pays étant moins bien classés que le Mali sur ce plan (3; des taux d’alphabétisation parmi les plus faibles, compte tenu de durées moyennes de scolarisation très brèves, par exemple inférieures à deux ans au Niger ; des revenus moyens par habitant également très bas, 47 fois inférieurs à ceux des Français en ce qui concerne le Niger, et des populations parfois, comme au Mali, majoritairement sous le seuil de pauvreté.

Indices et critères de développement

Mali

Mauritanie

Niger

France

Indice de développement humain

0.359

0.453

0.295

0.884

Indice de développement (rang mondial)

175

159

186

20

Dépenses de santé (en % du PIB)

2,9

1,6

2,8

8,7

Mortalité enfants de – de 5 ans (/ 1000 naissances)

191

117

160

4

Espérance de vie à la naissance (en années)

51,4

58,6

54,7

81,5

Dépenses en éducation (en % du PIB)

4,4

2,9

4,5

5,6

Durée moyenne de scolarisation (en années)

2,0

3,7

1,4

10,6

Taux d’alphabétisation des adultes

26,2

57,5

28,7

n.d.

PIB par habitant (en $ constants de 2005)

1 077

1 751

626

29 578

Population vivant sous le seuil de pauvreté (en %)

51,4

21,2

43,1

n.d.

Indicateurs internationaux de développement humain (sélection) (4)

En d'autres termes, les pays sahéliens sont à l’évidence mal positionnés sur les enjeux du développement. En témoignent leurs performances en matière d’Objectifs du millénaire pour le développement, OMD. Selon les informations disponibles auprès des bureaux locaux du PNUD, dans la plupart des cas, les indicateurs montrent des retards tels que les progrès ne seront pas suffisants d’ici à 2015 pour que les trois pays atteignent l’ensemble des différents objectifs définis par l’Assemblée générale des Nations Unies, voire même les principaux d’entre eux.

S’agissant de la Mauritanie, le dernier rapport disponible des Nations Unies note que le pays est sur la bonne voie pour six des onze cibles des Objectifs du Millénaire faisant l'objet d’un suivi dans les pays en développement. « Par contre, la Mauritanie n’est pas en bonne position pour les cinq autres cibles, à savoir les quatre cibles relatives à la santé et la cible relative à un environnement durable », ajoutant aussi que « malgré les progrès accomplis au cours des dernières années, le pays affiche toujours un niveau faible de développement humain. Selon les données publiées dans le Rapport mondial sur le développement humain  2006, la Mauritanie occupait alors la 153ème place » (5).

Le gouvernement du Mali a également fait de l’atteinte des OMD le cœur de sa politique. Il « affiche des progrès notables dans les secteurs de l’accès à l’eau salubre, de l’éducation et de la santé, bien que dans le secteur particulier de la santé il reste encore beaucoup à faire » selon l’analyse du PNUD (6). Plus précisément, il est actuellement « peu vraisemblable que le Mali réussisse à réduire de moitié d'ici 2015 la proportion de sa population dont le revenu est inférieur au seuil de pauvreté » (7) (OMD1) ; de même, les résultats obtenus sur les objectifs en matière de scolarité apparaissent-ils difficiles à maintenir durablement, cependant que les progrès en matière de santé maternelle sont également insuffisants pour atteindre la cible de l’OMD5.

Enfin, le PNUD indiquait que, au Niger, « au moment où nous entamons la nouvelle année 2012, en dehors de la réduction de la mortalité infantile, la lutte contre certaines maladies comme le VIH Sida et dans une moindre mesure la scolarisation primaire pour tous, force est de constater que la plupart des OMD au Niger seraient difficiles à atteindre en 2015, à politique inchangée. L'OMD1 sur l'extrême pauvreté et la faim est celui qui accuse le plus grand retard du fait du caractère structurel de la pauvreté et de la malnutrition au Niger. Ces deux dimensions n'ont pas connu de changements notables entre 1990 et 2010 pour des raisons d'ordre climatique, social, politique, culturel et économique. Et pourtant, l'atteinte de tous les autres OMD passe d'abord par une réduction signification de la pauvreté et l'éradication des crises alimentaires cycliques. » (8)

b) Des perspectives de développement structurellement compromises par la démographie

Les raisons ci-dessus avancées pour expliquer les retards du Niger dans l’atteinte des OMD se déclinent de maintes façons. Ce pays est de ceux qui n’ont pas encore entamé, ou bien modestement, leur transition démographique (9). Le nombre d’enfants par femme y est encore de 7,2. Il s’agit du taux de fécondité le plus élevé au monde, nettement supérieur au taux de fécondité africain moyen de 5,5, sachant aussi que le respect du scénario selon lequel l’Afrique sera peuplée de 1,8 milliard d’habitants en 2050 suppose un taux de natalité de 2 enfants par femme à cette échéance. Le Mali, avec un taux de 6,4, arrive au deuxième rang, la Mauritanie étant mieux placée, avec un taux de 4,6 (10). En d'autres termes, si l’Afrique, d’une manière générale peu densément peuplée, doit affronter un défi démographique majeur, « phénomène sans équivalent dans l’histoire de l’humanité » (11), celui qui est posé dans cette région est particulièrement aigu, puisque la population de l’ensemble de la bande sahélienne devrait doubler d’ici à 2040 pour atteindre 150 millions d’habitants. Les répercussions seront fortes et violentes sur les équilibres internes (12) actuels, fragiles, et auront consécutivement un impact très négatif sur les capacités des Etats à réaliser les réformes nécessaires au développement. Pour le Niger en situation de famine chronique, le défi peut paraître insurmontable : « 80 % de la population vit de l’élevage et de l’agriculture. Avec 15 millions d’habitants et un espace national où seulement 15 % des terres sont arables, ce pays sahélien connaît aujourd’hui une situation de famine chronique. (…) Les prévisions de l’ONU promettent au Niger (…) 46 millions d’habitants en 2050. Même une improbable " révolution verte " aux rythmes indiens ne permettrait pas d’accompagner une telle explosion démographique. » (13)

Peuplement au Sahel (14)

A ces quelques remarques initiales pourraient s’ajouter d’autres aspects étroitement liés à ces problématiques : ceux de l’exode rural et de la croissance exponentielle des villes (15) ; ceux, consécutifs, des services sociaux à développer, de la gestion de la rareté des ressources naturelles, - eau, environnement, d'ores et déjà à l’étiage -, ceux des conditions d’éducation et d’emploi d’une jeunesse innombrable : on estime ainsi que la population active potentielle du Niger fera plus que doubler d’ici à 2030, passant de 7,61 millions de personnes en 2010 à 16,525 millions. (16) En 2030, ce sont 670 000 nouvelles arrivées sur le marché de l’emploi qui, chaque année, seront enregistrées au Niger, contre 285 000 aujourd’hui. Les données sont comparables au Mali : les arrivées annuelles sur le marché de l’emploi seront de 434 000 en 2030 contre 278 000 aujourd’hui. Le fait que « alors qu’au cours des deux dernières décennies les économies africaines ont cru au même rythme que le reste du monde, le taux d’informalité de l’emploi a continué à augmenter dans la quasi-totalité des pays, passant au Burkina Faso de 70 % de l’emploi non agricole dans les années 1980 à 77 % en 1994, ou encore au Mali de 63,1 % dans les années 1970 à 78,6 % dans les années 1980 pour atteindre 94,1 % à la fin des années 1990 » (17), prouve que les conditions ne sont pas encore remplies, loin s’en faut, pour que la stabilité garantissant un développement économique et social pérenne soit acquise.

D’une manière plus générale, on a relevé également que « la croissance démographique a provoqué une énorme pression sur les ressources naturelles. Celle-ci se manifeste notamment par les défrichements pour les besoins agricoles, le déboisement pour l’obtention du bois de chauffe, et l’absence de périodes de jachère assez longues. Il en résulte principalement l’érosion par les vents et par les eaux. À ce phénomène, il faut ajouter les changements climatiques et notamment les phénomènes de sécheresse aiguë comme en a connus le Sahel. » (18)

Cette région de l’Afrique est en effet de celles qui, au cours des dernières décennies, ont le plus souffert de la sécheresse qui a parfois profondément affecté les structures sociales, comme en Mauritanie où la perte des cheptels a bouleversé le pays, sédentarisant des populations nomades. En désorganisant les activités humaines elle a très rapidement provoqué une « véritable révolution sociale, économique et politique » (19). La période plus contemporaine ne semble pas devoir inverser cette tendance.

c) Sécheresse, désertification et stress alimentaire continu

En effet, aux alternances de périodes humides et sèches que le Sahel a régulièrement connues au cours du dernier siècle, succèdent désormais des sécheresses graves et durables qui, outre leur intensité, repoussent les limites des zones humides vers le sud. Cela a notamment été le cas au milieu des années 1980. A cet égard, après une reprise partielle des précipitations dans les années 2000, malgré tout insuffisantes, 2011 a été marquée par un net déficit pluviométrique qui, entre autres choses, a entraîné la chute de 40 % des productions agricoles mauritaniennes. Selon les projections, cela devrait s’aggraver à l’avenir, dans le contexte de réchauffement climatique. Or, comme le souligne un récent rapport, « les changements climatiques constituent une menace de taille pour la croissance du secteur agricole et l’atteinte de la sécurité alimentaire dans l’espace UEMOA. C’est l’ensemble des écosystèmes terrestres, côtiers, marins et des systèmes humains qui seront affectés par les effets négatifs du changement climatique. » (20)

Zones à risque agro climatiques en zone UEMOA et sous-région ouest-africaine (21)

Plusieurs facteurs se combinent. En premier lieu, s’agissant d’une région où l’agriculture est essentiellement pluviale, la vulnérabilité des activités agricoles, au demeurant peu mécanisées et d’un rendement assez faible, est évidente. Les conséquences de la désertification sont par ailleurs multiples, tant sur l’environnement que sur les populations, le Sahel étant par ailleurs l’une des principales zones affectées à ce titre. En d'autres termes, si l’équilibre fragile entre population et disponibilités alimentaires a toujours été menacé au Sahel, terre de famines récurrentes s’il en est, les années 1990-2000 ont été particulièrement difficiles (22). Le futur paraît d’autant plus redoutable que le réchauffement climatique aura des effets majeurs sur les activités agricoles : baisse considérable du rendement de certaines productions, céréales ou sorgho (- 10 % au Niger d’ici à 2050) ; augmentation d’autres, tel le riz, à cette réserve près que seules 4 % des terres arables sont irriguées ; réduction drastique des pâturages et détérioration des conditions pastorales : déficit fourrager, problèmes d’abreuvement, augmentation des mouvements de transhumance, soit autant de facteurs qui concourent à exacerber les conflits entre exploitants agricoles et éleveurs (23), pour ne pas mentionner les conséquences régionales en termes de migrations, saisonnières ou durables.

L’avenir paraît donc compromis, qui voit un problème de la faim, d'ores et déjà structurel, des perspectives climatiques et pluviométriques défavorables cumuler leurs effets avec ceux des projections démographiques que l’on a indiquées. Il l’est d’autant plus qu’un pays comme le Niger, dont plus de 90 % du potentiel total des terres agricoles cultivables sont exploités, n’est plus autosuffisant depuis 1975 et importe chaque année une part croissante de son alimentation (24). Ce n’est pas seulement l’avenir qui se voit hypothéqué par ces perspectives : le présent est d'ores et déjà très critique. En témoignent les appels actuels, depuis plusieurs mois, à une action conjointe dans la région du Sahel lancés par les agences des Nations Unies, les gouvernements des pays touchés et les principaux bailleurs de fonds, pour conjurer le « risque élevé de famine et de malnutrition causé par l'effet combiné de la sécheresse, des prix élevés des denrées alimentaires, des déplacements et des conflits » (25). La situation est comparable à celle-ci en Mauritanie, dont le potentiel agricole est des plus faibles, avec moins de 1 % des terres cultivées, un élevage extensif peu productif et un déficit alimentaire périodique de quelque 70 à 80 % selon les années en termes de volume global, par rapport aux besoins estimés à 450-500 000 tonnes annuelles. La production céréalière couvre à peine le tiers des besoins du pays.

La Commission européenne estime à 12 millions le nombre de personnes aujourd’hui menacées de famine dans le Sahel et prévoit d’intensifier son assistance alimentaire au cours des prochains mois. Elle a très récemment augmenté le montant de ses fonds alloués à la crise alimentaire au Sahel à hauteur de 275 millions d'euros. Pour sa part, Josette Sheeran, Directrice exécutive du Programme alimentaire mondial (PAM), déclarait très récemment que « les besoins des millions de personnes touchées par la sécheresse dans le Sahel sont énormes » et que la crise actuelle peut se transformer en catastrophe. Le PAM compte fournir une assistance alimentaire à quelque 8 millions de personnes au Niger, Tchad, Mali, Sénégal, Burkina Faso, Mauritanie et Cameroun, soutenant notamment des programmes nutritionnels auprès d'un million d'enfants de moins de 2 ans et 500 000 femmes enceintes et allaitantes qui seront en proie à la malnutrition dans les mois à venir. La fréquence des sécheresses est désormais telle que les communautés n'ont pas le temps de se remettre des crises alimentaires précédentes, leurs économies sont épuisées et leur bétail n'est pas reconstitué.

2) Une région confrontée à de multiples facteurs d’instabilité

a) Des ressources naturelles disputées

Si les sécheresses, la désertification, une agriculture peu productive et de fréquentes crises alimentaires contribuent à faire du Sahel une des régions les plus pauvres du monde, le sous-sol de la région est, pourtant, très riches en ressources naturelles.

i) un sous-sol riche en ressources naturelles

Pétrole, gaz, fer, phosphate, étain, uranium, or, bauxite… Le sous-sol des pays de l’arc sahélien regorge de ressources, même si toutes sont loin d'être exploitées et si de larges pans du territoire doivent encore être explorés.

En Mauritanie, par exemple, les exportations de minerai de fer et d’or ont représenté 2,2 milliards de dollars en 2011, soit une hausse, en valeur, de 12,8% par rapport à 2010, année qui avait elle-même connu une hausse de 41% par rapport à l’année précédente. En 2011, la production d’or a dépassé la barre des 500 millions de dollars et les investissements actuellement en cours d'une société canadienne, Kinross Gold Corporation, annoncent une production d’un million d’onces par an à partir de 2014. Ce pays produit également 7000 barils de pétrole par jour – un chiffre en baisse par rapport aux années passées – mais plusieurs sociétés pétrolières, dont Total et Petronas, ont entrepris des programmes d’exploration de nouveaux gisements.

En ce qui concerne le Mali, sa production aurifère, qui avait fait la réputation de l’empire malien pré-colonial, est la troisième du continent après celles de l’Afrique du Sud et du Ghana. L’or est ainsi la troisième source de revenus d’exportation de ce pays après le coton et le bétail sur pied. Le Mali dispose de gisements identifiés de minerais de fer, de bauxite, de phosphates et de marbre.

Les ressources du Niger sont plus limitées et consistent surtout en d’importants gisements d'uranium. Ce minerai représente aujourd’hui près de la moitié des exportations du pays. Son exploitation a débuté à la fin des années 60, par la COGEMA, l’ancêtre d’Areva. Le site d’Arlit devînt rapidement la plus grande mine d’uranium à ciel ouvert au monde et, au début des années 80, son activité fournissait 40 % de la production mondiale. Après une période de déclin du fait de l’affaiblissement des extractions et de la chute des cours d’uranium, la reprise de ces derniers et l’évolution de la demande ont relancé l’intérêt de la prospection et l’annonce de nouveaux investissements. La mine d’Imouraren, exploitée par Areva, entrera en exploitation à partir de 2013 et devrait permettre de produire 5000 tonnes d’uranium par an sur 25 ans, conduisant ainsi le Niger à se placer au 2ème rang mondial des pays producteurs de ce minerai. Du pétrole est également présent dans le sol nigérien. Des projets sont en cours avec des sociétés chinoises pour l’exploitation du champ d’Agadem et l’acheminement du pétrole vers la zone de Zinder où sera construite une raffinerie d’une capacité de 20.000 barils par jour.

Les pays voisins des Etats du champ sont dans la même situation. Tel est le cas, par exemple, du Tchad qui est, lui aussi, riche en pétrole. Ce secteur a profondément modifié l’économie locale avec la mise en valeur de gisements pétroliers à Doba, en 2002, qui, sur fond de hausse des prix du brut, a multiplié les ressources budgétaires du pays par huit. En 2008, l’exploitation pétrolière, conduite par Exxon Mobil, a généré des recettes atteignant presque la moitié du PIB national. En outre, les explorations menées par un consortium pétrolier sino-tchadien et le lancement de travaux d’exploitation ouvrent de nouvelles perspectives de profits pour ce pays.

ii) un carrefour énergétique convoité

Riche en ressources, le Sahel est, par ailleurs, placé à un endroit stratégique du continent africain. Par lui passent plusieurs couloirs d’acheminement de ces ressources et cette situation décuple sa valeur aux yeux des grandes puissances.

Le contrôle des lieux de production est un enjeu majeur. Comme vos Rapporteurs l’ont relevé à propos du Tchad et de la Mauritanie, le potentiel pétrolier de la région suscite de vives convoitises et conduit à des investissements croissants en provenance de l’étranger. La France elle-même, longtemps seule au Niger, pour extraire l’uranium, doit aujourd'hui faire face à une sérieuse concurrence. Au cours des dernières années, le Gouvernement du Niger a accordé de nombreux permis d'exploitation à des sociétés canadiennes, chinoises, australiennes, russes, indiennes, sud-africaines… provoquant ainsi une « rupture » avec les pratiques antérieures et incitant la France à mieux assurer son approvisionnement en uranium dans ce pays.

Au-delà de l’exploitation des ressources, le contrôle de leur circulation est également un motif de vives rivalités au cœur de l’arc sahélien. Une « géopolitique des tubes » (26) se dessine jour après jour, dans le but de sécuriser les couloirs d’approvisionnement en matières sensibles, énergétiques et minérales. Les États-Unis et la Chine s’impliquent particulièrement dans cette entreprise, au risque de mener des actions concurrentes exacerbant leurs relations. Les premiers, par exemple, ont un projet d’oléoduc désenclavant le pétrole tchadien à travers le Golfe de Guinée. La Chine, elle, souhaiterait relier les champs pétrolifères tchadiens à ses oléoducs au Soudan, pays dans lequel elle est déjà très présente. Quant à l'Union européenne, elle porte un vif intérêt au projet du « Trans-saharian Gas Pipeline », un gazoduc devant relier le Nigeria à l’Algérie pour alimenter l’Europe. Cet ouvrage devrait traverser, sur 4 128 km, le Nigeria (1 037 km), le Niger (841 km) puis l’Algérie (2 130 km) et permettre l'acheminement de 20 à 30 Gm³ par an, principalement vers l’Europe. Son coût est aujourd’hui estimé à plus de 10 milliards de dollars, montant auquel il convient d’ajouter 3 milliards de dollars supplémentaires pour la construction d’infrastructures destinées à permettre la collecte du gaz au Nigeria. En juin 2009, les gouvernements de l’Algérie, du Niger et du Nigeria ont signé un accord visant à la construction de ce gazoduc d’ici à 2015.

Source : http://www.developpement-durable.gouv.fr

Dans ce contexte de rivalités accrues et interventions de puissances étrangères qui estiment, à juste titre, que leurs intérêts stratégiques sont en jeu, le Sahel doit incontestablement faire face à un facteur d’instabilité non négligeable.

b) La question touareg

Un des autres facteurs d’instabilité de la zone sahélienne est la question touareg. Vivace depuis les années 60, elle n’a jamais pu être vraiment apaisée et menace à nouveau la région d’un conflit meurtrier impliquant potentiellement plusieurs États.

i) un peuple morcelé entre plusieurs États

Les Touareg sont un peuple berbère dont la zone de peuplement s’étend sur près de 2,5 millions de km², à cheval sur cinq pays : le Mali, le Niger, l’Algérie, la Libye et le Burkina Faso. Leur nombre varie selon les estimations. Ils seraient entre 1 et 3 millions, la plupart – près de 85% – vivant sur le territoire du Mali (85%) où ils représenteraient 10% de la population. Ils formeraient également 20% de la population du Niger. La langue tamasheq, ciment de l’identité touareg, est une composante du berbère. Sur le plan religieux, les Touareg sont majoritairement des musulmans sunnites.

Pendant des siècles, le peuple touareg a été organisé en neuf confédérations. Chacune était dirigée par un chef, l’amenokal et était composée de plusieurs tribus, elle mêmes divisée en castes. Maîtrisant parfaitement le vaste territoire sur lequel il était présent, le peuple touareg a pu s’ériger en un acteur majeur de l’économie du continent africain grâce au commerce caravanier trans-saharien qui servait de lien entre l’ensemble des régions périphériques. Que ce soit pour le transport de produits en provenance des rives de la Méditerranée, des oasis du désert, du Moyen-Orient ou du sud du Sahara, les Touareg étaient incontournables. Et en raison de la nature même des moyens de transport utilisés et de l'espace disponible relativement limité dans les caravanes, ils tendirent à se spécialiser dans les articles de luxe qui, occupant peu de place, n’en détenaient pas moins une grande valeur marchande.

Cette organisation, qui avait permis une gestion rationnelle et efficace de vastes territoires, a souffert de la période coloniale. Au XIXème siècle, les premiers contacts avec les missionnaires et voyageurs européens se passèrent mal et donnèrent lieu à de nombreux accrochages. La France réussit à asseoir son autorité au début du XXème siècle au prix, notamment, de la désagrégation des confédérations touareg, d’un combat intense contre de grandes rebellions et de la création de multiples chefferies artificielles plus faciles à contrôler. L’indépendance des États africains, dans les années 60, ne permit pas d’améliorer le sort du peuple touareg dont le territoire se trouva morcelé entre plusieurs Etats aux frontières arbitraires héritées de l’ancienne puissance coloniale.

Zone de peuplement touareg (27)

ii) un conflit quasi ininterrompu

Divisés, minoritaires dans chacun des nouveaux États, considérés avec suspicion et étroitement surveillées par les autorités, les Touareg ne tardèrent pas à se révolter de nouveau. Au Mali, les années 1963 et 1964 sont marquées par la rébellion, contre le pouvoir central, des Kel Adrar, des tribus touareg issues d’une des neuf confédérations traditionnelles. Mené par des moyens traditionnels et rustiques, ce mouvement est durement réprimé par la jeune armée malienne qui emploie des armes bien plus modernes et meurtrières. Au Niger, les tribus touareg sont également victimes de la dictature de Seyni Kountché qui dirige le pays de 1974 à 1987. Contrairement à ses voisins, la Libye adopte une politique beaucoup plus conciliante – mais non sans arrière-pensées – à l’égard des Touareg. A partir de 1976, le colonel Kadhafi accepte de leur accorder le statut de « réfugiés politiques » et, en 1980, il ouvre des camps d’entraînement militaire à leur intention. Les guerriers touareg découvrent alors les véhicules 4x4 et la Kalachnikov qui remplacent désormais le chameau et la traditionnelle épée. Lors des grandes sécheresses sahéliennes des années 70 et 80, Kadhafi, qui se veut le protecteur des Touareg, ouvre ses frontières et accorde facilement un permis de travail d’une durée illimitée et va même jusqu’à naturaliser nombre de réfugiés.

Dès lors, l’histoire du peuple Touareg, au cours des vingt dernières années n’a pas été épargnée par les violences. Au Niger, la mort du dictateur Kountché, en 1987, permet une nouvelle approche de la question touareg et suscite le retour de nombreux exilés. Cependant, face à un afflux massif de jeunes désœuvrés, les autorités changent d’attitude et cantonnent les réfugiés dans des camps. En mai 1990, à la suite de nombreuses arrestations, des jeunes se soulèvent, attaquent et pillent une gendarmerie. La répression est terrible et fait des dizaines de victimes. Cet épisode, connu sous le nom de « massacre de Tchin-Tabaraden », déclenche une révolte touareg au Niger qui dure cinq années, jusqu’aux accords de Ouagadougou entre les autorités nigériennes et les rebelles. Le processus de paix, confirmé par un deuxième accord, à Alger, en 1997, prévoyait, en échange d’une dissolution des forces rebelles, une intégration progressive des Touareg dans les services publics et un début de décentralisation. Mais la mise en œuvre de ce plan fut un échec. En dépit de plusieurs années d’apaisement, l’intégration et la réinsertion des combattants ne réussirent pas et le développement économique demeura bloqué. Autant de facteurs favorables à une réapparition de la rébellion touareg au Niger, en 2007, avec le MNJ (Mouvement des Nigériens pour la Justice). Après avoir infligé quelques revers aux forces armées, en 2008, la rébellion n’a plus menée d’action de grande ampleur et s’est fractionnée en deux nouveaux mouvements. Au Mali, le Mouvement populaire de libération de l'Azawad (28) (MPLA), fondé en 1988 par de jeunes touareg aguerris en Libye, déclenche une insurrection en 1990. Si des massacres sont commis par les autorités maliennes et conduisent à l’afflux de plus de 100.000 réfugiés en Algérie et en Mauritanie, un cessez-le feu est malgré tout conclu en 1991 (accords de Tamanrasset) qui débouchent, en 1992, à la signature du « pacte national », lequel prévoit, entre autres, comme au Niger, une plus grande décentralisation et l’intégration de combattants rebelles dans les forces régulières. En 2006, une seconde rébellion force l'État malien à de nouvelles négociations avec les touareg, lesquelles aboutissent à l'accord d'Alger du 4 juillet 2006.

iii) la nouvelle rébellion de 2012

Si les dernières années ont été marquées par un certain apaisement, les évènements récents, au Mali, ne peuvent qu’inciter au pessimisme.

En effet, la chute du colonel Kadhafi a provoqué le retour massif d’environ 1000 à 4000 Touareg d’origine malienne et nigérienne – réfugiés dans les années 90 ou émigrés récents ayant combattu la révolution libyenne – dans leurs pays respectifs. Or, ces « vétérans » ne sont pas revenus les mains vides mais avec leurs armes, des véhicules et une grande expérience des combats. Tous les « ingrédients » favorables à une reprise de la violence étaient donc réunis et, immanquablement, il a suffi de quelques mois pour que les craintes d’une nouvelle rébellion s’avèrent fondées. Ainsi, le 16 octobre dernier, deux mouvements touareg, le Mouvement national de l’Azawad (MNA) et le Mouvement touareg du Nord Mali (MTNM) ont fusionné pour donner naissance au Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). Formé de jeunes intellectuels, de militants politiques, de guérilleros et d’anciens combattants « libyens », cette nouvelle organisation revendique, selon son chargé de communication, « le droit de la population de l’Azawad au libre choix de son mode de gouvernement, à l’autodétermination et, si elle le souhaite, à l'indépendance » (29). Après une manifestation, à Kidal, le 1er novembre 2011, le MNLA a entrepris des actions de plus en plus violentes jusqu’à affronter directement et très violemment l’armée malienne à partir du 17 janvier 2012. Les troupes du MNLA – qui ont même revendiqué avoir abattu un Mig 21 ! – n’ont pas hésité à attaquer des casernes et ont réussi à s’emparer de plusieurs villes dont Aguelhok où plusieurs dizaines de soldats de l’armée régulière ont été massacrés. Les exactions commises à cette occasion laissent même planer un sérieux doute quant à la participation de combattants d’AQMI, l’organisation terroriste qui, comme vos Rapporteurs vont avoir l’occasion de le souligner longuement, constitue une des principales menaces pour la sécurité dans le Sahel aujourd’hui. En tout état de cause, la situation demeure confuse car il semblerait même qu’un autre mouvement que le MNLA soit impliqué. Il s’agirait d’Ansaar Eddine, un groupe d’inspiration islamiste dirigé par Iyad Ag Ghali, un ancien diplomate malien d’origine touareg réputé proche d’AQMI et ayant fréquemment servi d’intermédiaire dans des remises de rançon.

Cette reprise de la rébellion est très inquiétante. Elle a un coût humain évident puisqu’elle a jeté sur les routes et les pistes des milliers de réfugiés dans une situation d’extrême précarité et qui menacent d’exercer une pression insoutenable – si on ne les aide pas – sur les Etats voisins. Selon le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), à la fin du mois de février 2012, 130.000 personnes environ avaient été déplacées. L’afflux le plus important de réfugiés a été enregistré au Niger (environ 30.000), devant la Mauritanie (23.000) et le Burkina Faso (17.500). En outre, cette crise a des répercussions au cœur même de Bamako. Les Maliens du Nord y sont, par exemple, de plus en plus pris à partie. De même, à la suite des défaites infligées à une armée parfois en déroute, des épouses de soldats ont manifesté leur colère et des scènes de pillage et de pogroms ont pu être constatées dans le pays. Cette situation quasi-insurrectionnelle au Mali est très préoccupante à quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle prévu à la fin du mois d’avril 2012.

Il semble, par ailleurs, que la rébellion bénéficie d’un soutien populaire sans précédent. Surtout, pour la première fois, elle fait état de visées séparatistes explicites, ce qui n’avait jamais été le cas auparavant. La France n’est pas favorable une telle issue et a appelé à un cessez-le-feu immédiat ainsi qu’à un dialogue politique entre les différentes parties, ce qui déplaît fortement aux autorités maliennes qui y voient là une reconnaissance du MNLA.

Guerre, exactions, crise politique, crise humanitaire, crise diplomatique… La nouvelle rébellion touareg revêt tous ces aspects. Si elle perdure et s’accroît, elle sera source d’une très forte instabilité pour toute la région, laquelle, de surcroît, deviendra un « terrain de jeu » encore plus favorable pour AQMI. Vos Rapporteurs ne peuvent dès lors que conseiller à chacun d’apporter la plus vive attention au devenir de cette crise et à faire de sa résolution une des priorités de notre action en Afrique. Tout en respectant la souveraineté du Mali et en n’exerçant aucune ingérence sur ses affaires intérieures, la France peut avoir un rôle à jouer dans le rapprochement des différentes parties. Vos Rapporteurs ont pu constater l’image favorable dont jouit encore aujourd’hui notre pays auprès de bon nombre de Touareg. En dépit du passé colonial, la France a joué un grand rôle dans la connaissance de ce peuple et les travaux de Charles de Foucauld constituent certainement l’exemple le plus célèbre de ce lien privilégié. Lors du déplacement de la mission d’information à Alger, vos Rapporteurs ont pu rencontrer un député touareg qui, avec beaucoup d’émotion, exprima son attachement pour notre pays. Autant d’éléments qui sont loin de disqualifier la France dans la recherche de solutions pacifiques au conflit naissant entre les forces maliennes et le MNLA.

c) Le Sahel, au cœur des grands trafics

Si le Sahel s’avère être un véritable « hub » énergétique, il en va de même en matière de trafics et de contrebande. Les routes caravanières transsahariennes séculaires sont devenues un lieu de passage privilégié pour de nombreuses filières criminelles qui font désormais du Sahel une plaque tournante de plusieurs trafics.

i) le trafic de drogue

Le Sahel est devenu, depuis quelques années, un espace de transit pour le trafic de stupéfiants. Aux portes de l’Europe – premier marché de consommation mondiale –, la région est moins dangereuse que les routes plus directes entre les zones de production d'Amérique latine et le continent européen. En effet, au début du XXIème siècle, les cartels colombiens ont été supplantés par les cartels mexicains sur le marché nord-américain, au demeurant saturé et ne rapportant plus suffisamment. Ils se tournèrent alors vers le marché européen. La voie directe d’approvisionnement n’étant pas opportune, ils empruntent la « Highway 10 », soit le 10ème parallèle, et pénètrent par l’Afrique de l’Ouest pour fournir l’Europe. Mais l'Amérique du Sud n’est pas la seule région d’où est originaire la drogue qui transite par le Sahel : cocaïne et héroïne en provenance d'Afghanistan passent aussi par cette zone. Les marchandises remontent, ensuite, vers l’Europe, empruntant des itinéraires clandestins à travers le Tchad, le Mali et le Niger.

Les routes de la drogue en Afrique (30)

Véritable « hub » du trafic de stupéfiants, le Sahel a pour « atout » le fait d’être peu surveillé et peu contrôlé par les Etats de la région. A cet égard, la fameuse affaire du Boeing d’« Air Cocaïne » a été très révélatrice de l’incurie des gouvernement locaux. En novembre 2009, un Boeing 727, sans doute venu du Venezuela, a atterri en plein désert, dans le nord du Mali, non sur une piste d’aéroport mais sur une grande étendue plate grossièrement remblayée. Déchargé de la cocaïne qu’il transportait, l’avion, embourbé, n’a pu redécoller et les trafiquants y mirent le feu afin d’effacer toutes traces. Des câbles diplomatiques révélés par Wikileaks indiquent que cet avion avait été loué au Venezuela, était immatriculé en Arabie Saoudite mais volait sous licence – périmée depuis plusieurs mois – délivrée par la Guinée-Bissau. Selon ces mêmes sources, ce vol clandestin aurait également bénéficié de protections en haut lieu au sein de l’administration du Mali. Une enquête a néanmoins été menée par la justice de ce pays et à conduit à l’arrestation et à inculpation de trois personnes – un Français, un Espagnol et un Malien – en juin dernier.

ii) les autres trafics

Si le Sahel est devenue une nouvelle plaque tournante du trafic de drogue, d’autres entreprises criminelles trouvent également un grand intérêt à cette région de l’Afrique. Ainsi le Sahara est-il également devenu un « hub » pour le trafic de déchets toxiques, de pétrole, de voitures, de médicaments, de cigarettes, d’armes, de migrants... Ces trois dernier méritent une attention particulière eu égard à leur importance, aux enjeux qu’ils revêtent et à leur implication dans la situation sécuritaire générale du Sahel.

La contrebande de cigarettes à travers le Sahel est une pratique fort ancienne. Son montant est difficilement chiffrable mais se compterait en plusieurs centaines de millions d’euros par an. Les marchés visés par ces trafics sont d’abord ceux du Maghreb, de l’Égypte et du Moyen-Orient et les cigarettes proviennent d’usines de contrefaçon – au Nigeria notamment – ou ont été détournées des circuits officiels. Cette contrebande très rémunératrice intéresse fortement les groupes terroristes locaux qui, s’ils ne s'impliquent pas directement, imposent un « service de protection » aux contrebandiers contre une dîme sur la marchandise. Vos Rapporteurs auront l’occasion de souligner la forte implication de Mokhtar Belmokthar, un des responsables d’AQMI connu sous le nom de « Mister Marlboro », dans le trafic de cigarettes au Sahel.

L’« océan sahélien » (31), en outre, est idéalement placé en ce qui concerne l’immigration clandestine vers l’Europe. En dépit des mesures pour endiguer ce phénomène et des actions de coopérations entreprises avec les gouvernements de la région, le Sahel continue d’être un lieu de passage obligé pour des milliers de migrants, et ce, en dépit des risques encourus.

Les principales routes de l'immigration clandestine
entre l'Afrique et l'Europe 
(32)

Les pays de transit sont alors confrontés à une criminalité qui vit des filières d’immigration illégale et à un afflux de réfugiés lorsque les tentatives pour rejoindre l’Eldorado européen échouent.

Vaste zone grise, l’arc sahélien est aussi un lieu idéal pour le trafic d’armes. L'approvisionnement est rendu facile grâce aux multiples conflits périphériques qui, lorsqu’ils s’éteignent ou baissent d’intensité, fournissent de nombreuses armes aux trafiquants de la région. En dépit d’une convention signée en 2006 dans le cadre de la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l’ouest) (33) qui prohibe le transfert de telles marchandises, il est aisé de se procurer, au Sahel, à peu près tous les armements conventionnels possibles : pistolets automatiques italiens, kalachnikovs russes ou chinoises, pistolets mitrailleurs israéliens, mitrailleuses lourdes, mortiers, grenades voire canons antiaériens, missiles antichars ou sol-air ! Cette « ouverture » du Sahel au commerce illégal des armes est un véritable facteur d’insécurité pour l'ensemble de la région. Elle contribue à équiper les groupes terroristes locaux et appuie le développement des foyers de contestation, telle la rébellion touareg qui renaît au Mali. De surcroît, elle constitue un arsenal à portée de mains des bandes criminelles en Europe et n’est pas étrangère à la relative banalisation des armes de gros calibres sur notre continent. En 2011, la Libye est venue renforcer ce marché mortifère avec la dispersion des stocks détenus auparavant par les forces de sécurité libyennes. Il y a là matière à inquiétude et vos Rapporteurs ont choisi de traiter spécifiquement les conséquences, pour la région sahélienne, de la crise libyenne.

d) L’impact de la crise libyenne

La crise libyenne et la chute du colonel Kadhafi ont eu – et ont toujours – un effet très déstabilisateur sur la situation sécuritaire au Sahel. En effet, le retour de personnes ayant vécu en Libye, essentiellement des Touareg, et la prolifération de nombreuses armes auparavant détenues par les forces libyennes suscitent une réelle inquiétude et constituent une menace sérieuse pour l’avenir de la région sahélienne.

i) le retour des mercenaires

Comme vos Rapporteurs l’ont précédemment indiqué, la Libye a été, depuis les années 70, une terre d’accueil pour les Touareg. Nombre d’entre eux ont acquis la nationalité libyenne et ont servi dans les forces armées. La chute du colonel Kadhafi a privé les Touareg d’un protecteur. Elle leur a aussi fait perdre leur plus grand soutien financier, la Libye ayant jusqu’alors financé leurs précédentes rébellions et ayant également permis à de nombreux Touareg de trouver un emploi sur son sol. Assimilés à l’ancien régime, les Touareg présents en Libye sont rapidement devenus indésirables et, privés d’une importante source de financement, ont été conduits à retourner dans leurs régions d'origine. Par exemple, on estimait, fin novembre, que plus de 2000 combattants étaient déjà rentrés dans la seule ville de Tombouctou. Un tel afflux d’hommes, généralement âgés entre 20 et 40 ans, qui ont perdu leur travail et se retrouvent sans moyens pour subvenir aux besoins de leurs familles, ne peut rester sans conséquence dans des régions pauvres et fragilisées. La reprise de la rébellion touareg, au cours des dernières semaines, n’est bien évidemment pas étrangère à ce retour massif de Libye. Le désœuvrement des ces individus offre également un terreau idéal pour les développement de la criminalité, voire du terrorisme en lien avec les organisations sévissant déjà dans la région (34). D’autant plus que les hommes qui ont fui la crise libyenne ne sont pas revenus les mains vides. Pickups, mitrailleuses lourdes et autres armements ont constitué un dangereux bagage dont la fourniture a été facilitée par la transformation de la Libye en une armurerie à ciel ouvert.

ii) la Libye, un arsenal géant ouvert à tous les vents

Lors de la crise libyenne, les stocks d’armes accumulés sous le régime du Colonel Kadhafi ont rapidement été à la source d’un trafic d’armes sans précédent. Les matériels ont ainsi été distribués, pillés puis abandonnés ou sont restés sans surveillance durant le conflit. Certains dépôts ont été partiellement délocalisés vers des endroits non prévus à cet effet tels que des bâtiments civils, des écoles, ou des hôpitaux, rendant encore plus aisé l’accès à ces armes. A cet égard, le témoignage effarant d’un journaliste français à Khochoum Al-Akhir est édifiant :

« Presque à mi-chemin entre Syrte et Waddan, une piste part sur la gauche. Elle s'enfonce dans un canyon assez large avant de déboucher sur une série de bunkers roses au toit plat de 150 à 200 m2. On en compte au moins 86, plus ou moins remplis d'armes de toutes catégories: obus de mortier, de tanks ou d'artillerie; bombes aériennes de 250, 500 voire 900 kg ; lance-roquettes; missiles antitanks à tête explosive remplie de Semtex et de TNT ; missiles à guidage thermique ou laser ; roquettes Grad – l'arme la plus prisée et la plus terrifiante de la guerre libyenne –, empilées comme des mikados… L'inventaire donne le tournis. Il suffit de se baisser pour ramasser des armes, essentiellement soviétiques mais aussi françaises. Au fond, quelques hangars recèlent des missiles sol-air récents, dont une trentaine de S-300 russes d'une portée de 120 km, ou des sol-sol.

« Les hangars, intacts, ont été visités et vidés en partie ou en totalité. Malgré le pillage, il reste des dizaines de milliers de tonnes de munitions. Le site semble n'avoir jamais été bombardé. Par précaution, les troupes kadhafistes avaient sorti des milliers de caisses, jetées à la hâte dans la plaine afin d'éviter d'offrir une cible trop facile, semble-t-il. Beaucoup sont encore fermées et intactes.

« Le lieu aurait été occupé par les troupes rebelles de la mi-septembre, début du siège de Syrte, à la mort de Kadhafi, le 20 octobre. Que sont devenues ces armes ? Une partie a dû servir à bombarder Syrte, mais une autre doit se trouver dans des entrepôts à Misrata, Zentan, Zliten ou Zaouïa. Près de Syrte, des chercheurs de Human Rights Watch ont découvert "au moins 14 caisses vides ayant contenu un total de 28 missiles SA-24", un missile sol-air portatif russe très sophistiqué, ainsi que des missiles sol-air SA-7 intacts.

« Aujourd'hui encore, le site de Khochoum Al-Akhir ("le dernier promontoire", en arabe) est ouvert à tous les vents. Quand on demande aux nouvelles autorités de Joufra pourquoi il n'est pas gardé, elles répondent qu'il dépend de Syrte. Et à Syrte, il n'y a plus personne, ou presque. » (35)

Les armements disséminés ont profité, de façon opportuniste ou dirigée (c'est-à-dire après commande), à certains trafiquants locaux pour être propagés, ensuite, en dehors de la Libye. Au fur et à mesure du déroulement du conflit et du pillage des dépôts, les services de renseignement présents sur place ont pu constater une augmentation du nombre de pick-up et de camions chargés d’armement partant de Libye à destination des pays voisins et au delà. Il semble ainsi que ces matériels militaires ont eu pour destination l'environnement proche de la Libye mais aussi le Nigeria ainsi que le Proche-Orient, via l'Égypte. L'essor des actions meurtrières de la secte islamiste Boko Haram n’est d’ailleurs pas étranger à cette dissémination incontrôlée d’armes de guerre.

Un type d’armes présentes en Libye et ayant pu faire l’objet d’un périlleux trafic a particulièrement inquiété vos Rapporteurs : les Manpads (36), c'est-à-dire les missiles sol-air portables. Généralement de conception russe, ses engins sont capables d’abattre un avion civil en vol, en particulier aux moments critiques que constituent les phases de décollage et d'atterrissage. Aux mains de terroristes, en particulier les katibas d’AQMI, ces armes peuvent s'avérer redoutables et causer de lourdes pertes civiles, même si, heureusement, l’âge et les mauvaises conditions de stockage de nombreux Manpads permet d’envisager que ceux-ci sont aujourd’hui hors d’usage. Dès lors, quelle attitude adopter face à cette menace ? A court terme, des mesures ont été prises, comme des patrouilles de véhicules militaires locaux, pour sécuriser les abords des aéroports sahéliens lors des décollages et des atterrissages des vols sensibles. L’efficacité d’un tel dispositif est loin d’être parfaite, notamment lorsque le relief, l'obscurité ou un manque de moyens de communication efficaces ne permettent pas une surveillance adéquate des lieux. A plus long terme, les autorités libyennes, grandement aidées par les États-Unis, le Royaume-Uni et la France ont entrepris de procéder à un inventaire et à la destruction des Manpads en excès ou en mauvais état. La connaissance des stocks de ces armes létales passe aussi par la minutieuse reconstitution des contrats d'approvisionnement. C’est là un immense travail qui implique, parfois, de se replonger dans des archives vieilles de 40 ans.

De par ses conséquences – afflux de mercenaires et dissémination d’armements –, la crise libyenne constitue, lui aussi, un facteur supplémentaire de déstabilisation du Sahel. Des pays de la zone, comme le Mali, ou certaines puissance membres du Conseil de Sécurité de l’ONU, telles que l'Afrique du Sud, la Chine ou la Russie, ont ouvertement critiqué l'intervention militaire contre le régime du colonel Kadhafi, laquelle, selon eux, aurait été gérée de façon irresponsable, sans se soucier des répercussions néfastes sur la région. Un tel reproche est excessif : une grande partie des défis auxquels fait face le Sahel existait déjà avant la crise en Libye. Mais il n’en demeure pas moins que l’évolution de ce pays est source d’inquiétudes pour l’avenir du continent africain.

B – AQMI, une menace supplémentaire pour le Sahel

1) Histoire d’AQMI

a) Du GIA au GSPC

Le nom d’AQMI – « Al Qaida au pays du Maghreb islamique », traduction littérale de « Tanzim Al-Qâ’ida bi-Bilâd Al-Maghrib Al-Islâmi » – apparaît pour la première fois le 24 janvier 2007. Ce jour-là, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) troque son nom pour cette nouvelle appellation, parachevant ainsi son allégeance à l’organisation d’Oussama Ben Laden décidée quelques mois plus tôt, le 11 septembre 2006.

Le GSPC est né en 1998 (37), en Algérie, à la suite d’une scission du Groupe islamique armé (GIA), le mouvement terroriste créé en 1992 dans la foulée de l’annulation des élections législatives par les militaires algériens. Au cours des années 90, le GIA se compromet dans les pires massacres collectifs de toute la guerre civile. Le pire est atteint dans la nuit du 22 au 23 septembre 1997 lorsque plus de 400 habitants de Bentalha, un village à 15 kilomètres au sud d’Alger, sont massacrés à la hache. Ces exactions provoquent un large mouvement de réprobation dans les rangs du GIA. Hassan Hattab (38), l’un de ses commandants, entre alors en dissidence et créé, en septembre 1998, le GSPC dont l’objectif premier consiste à atteindre directement le pouvoir ou ses représentants. Il concentre dès lors ses actions sur les forces de sécurité algériennes en épargnant autant que possible les civils. Logiquement, la loi de « concorde civile » promulguée par le président Bouteflika en juillet 1999 (39) échoue à convaincre le GSPC de déposer les armes. Au contraire, l’organisation terroriste, en plus d’être le principal groupe armé dans le maquis algérien, étend son action au désert et renforce ses capacités logistiques en accueillant en son sein, dès juillet 2000, Mokhtar Belmokthar et ses hommes. Belmokhtar a séjourné pendant un an et demi en Afghanistan et au Pakistan au début des années 90. Il revient en Algérie en pleine guerre civile et est rapidement chargé de créer une cellule clandestine dans le sud de l’Algérie. Il se spécialise alors dans le trafic de cigarettes importées de l’Afrique noire à destination du Maghreb et reçoit très vite le sobriquet de « Mister Marlboro ».

b) De l’internationalisation du GSPC à l’avènement d’AQMI

Le 11 septembre 2001 marque un tournant dans l’histoire du GSPC. Dans un premier temps, Hattab profite de l’énorme retentissement des attentats contre le World Trade Center et contre le Pentagone pour relancer la lutte armée en Algérie et susciter le ralliement d’autres groupes terroristes. Cependant, sa stratégie défensive et strictement algérienne suscite des critiques croissantes au sein même du GSPC. Une aile « internationaliste », portée notamment par deux commandants de l’organisation, Nabil Sahraoui et Abdelmalek Droukdal, plaide pour une extension du djihad en dehors des frontières algériennes. L’invasion de l’Irak par les Etats-Unis, en mars 2003, renforce les tenants de cette posture et, quelques mois plus tard, en août 2003, Sahraoui et Droukdal renversent Hattab. Sahraoui devient alors le nouvel émir du GSPC. Il est tué dans un accrochage avec l’armée algérienne en juin 2004 et Droukdal lui succède à la tête de l’organisation terroriste.

Le nouvel émir du GSPC vouant une profonde admiration pour Al-Zarqaoui, le chef d’Al Qaida en Irak (40), il se rapproche de lui et lui envoie des centaines de combattants en provenance de tout le Maghreb et préalablement entraînés dans les maquis algériens. Cette collaboration permet à Droukdal d’asseoir son autorité sur ces troupes et, de surcroît, elle aguerrit nombre de combattants maghrébins qui pourront ensuite utiliser leur expérience dans la lutte contre le pouvoir algérien. Pour remercier le GSPC et affermir les liens entre ce dernier et son organisation, Al-Zarqaoui, en juillet 2005, fait kidnapper et exécuter deux diplomates algériens en poste à Bagdad. Ce rapprochement spectaculaire incite alors Droukdal à demander l’affiliation du GSPC à Al Qaida. Il est soutenu, dans cette démarche, par Al-Zarqaoui qui avait emprunté la même voie à la fin de l’année 2004. Oussama Ben Laden confie la gestion de ce dossier à son bras droit, l’Egyptien Al-Zawahiri. Al Qaida souhaitant étendre ses réseaux vers l’Afrique du Nord, elle trouve un intérêt à accéder à la requête de Droukdal dont l’organisation a pour avantage de disposer de véritables sanctuaires en Algérie, fait preuve d’un grand dynamisme en lien avec son engagement anti-américain en Irak et est, en outre, susceptible de servir de marchepied pour mener des actions sur le sol européen. Aussi, après plusieurs mois de négociations, Al-Zawahiri annonce-t-il officiellement, le 11 septembre 2006 – la date n’est pas choisie au hasard –, l’allégeance du GSPC à Al Qaida.

A l’image de ce qui s’est passé lors de l’avènement d’Al Qaida en Irak, héritière des groupe armés d’Al-Zarqaoui, l’affiliation du GSPC à Al Qaida doit se traduire par un changement de nom. C’est chose faite le 24 janvier 2007 lorsque Droukdal annonce la transformation du GSPC en « Al Qaida au pays du Maghreb islamique »

c) L’extension de la violence au Sahel

L’avènement d’AQMI ne consiste pas uniquement en un changement d’appellation. Il correspond aussi à l’apparition d’une nouvelle stratégie de combat qui fait pleinement entrer l’ex-GSPC sur la scène djihadiste mondiale. A ce titre, l’année 2007 est marquée par une violence inouïe, en particulier avec l’introduction, en Algérie, de la méthode de l’attentat suicide largement utilisée en Irak. Le 11 avril, des kamikazes font exploser leurs voitures près d’un commissariat de police et du siège du Gouvernement à Alger. 33 personnes sont tuées. Le 11 juillet, une attaque suicide contre une patrouille militaire, à l’est d’Alger, cause la mort de 8 soldats. Le 6 septembre, à Batna, un attentat kamikaze vise la foule attendant la visite du Président Bouteflika, tue 25 personnes et fait une centaine de blessés. Le 11 décembre, un double attentat frappe, à Alger, l’immeuble du Haut commissariat aux réfugiés et celui du Conseil constitutionnel. 67 personnes sont tuées et 177 sont blessées.

Cependant, la folie meurtrière d’AQMI ne doit pas cacher le fait que, très vite, cette organisation, contrairement à ce qu’avaient envisagé Ben Laden et Al-Zawahiri au moment de son affiliation à Al Qaida, se révèle incapable de dépasser sa logique algérienne et de mener des actions sur le sol européen. Ainsi, en dépit des efforts en ce sens, AQMI ne parvient pas à fédérer les groupes djihadistes présents au Maroc, en Tunisie ou en Libye. Certes, des Maghrébins sont passé par ses camps d’entraînement mais plus pour aller en Irak que pour combattre en Afrique du Nord. De même, en décembre 2006, quelques semaines avant son changement de nom, le GSPC tente d’infiltrer une trentaine de combattants en Tunisie mais ceux-ci sont rapidement démasqués et neutralisés, soulignant une fois de plus l’échec du mouvement terroriste à embraser le Maghreb. En ce qui concerne d’éventuelles actions en Europe, le bilan est nul. AQMI n’a jamais réussi à toucher le territoire européen en raison, notamment, de l’efficacité de la coopération policière et de la fin du « Londonistan » consécutive aux attentats de juillet 2005 dans la capitale britannique. Cette incapacité à atteindre la rive nord de la Méditerranée conduit alors AQMI à reporter sa violence meurtrière sur la présence étrangère en Afrique du Nord. Sont ainsi touchés, par une vague d’attentats, les expatriés travaillant en Algérie (41). Par ailleurs, fin 2007, les hommes de Belmokhtar assassinent quatre Français dans l’est de la Mauritanie et la menace qu’ils font peser sur le Paris-Dakar, qui doit s’élancer quelques jours après cet attentat, conduit à l’annulation de la course et à son transfert en Amérique latine. Le 8 juin 2008, AQMI parvient à tuer un ingénieur français, à Lakhdaria, à l’est d’Alger, au prix de la mort de onze civils algériens tués par l’explosion de deux voitures piégées.

Parallèlement à cette incapacité à être pleinement à la hauteur du label « Al Qaida », AQMI doit faire face à une réponse plus efficace des forces de sécurité algériennes qui avaient été prises de court, dans un premier temps, par la vague d’attentats de 2007. La violence terroriste chute alors sur de nombreux pans du territoire algérien et AQMI concentre essentiellement ses actions dans les trois provinces de Bouira, Tizi Ouzou et Boumerdès, surnommées le « triangle de la mort » par la presse locale.

Dès lors, pour compenser les revers du djihad local, ses échecs maghrébins et le fait que le territoire européen demeure hors de sa portée, AQMI en vient à voir dans le flanc sud de l’Algérie la seule alternative pour concrétiser ses aspirations internationales. Certes, une pratique terroriste existait dans la zone sahélienne avant l’avènement d’AQMI. En février 2003, par exemple, le GSPC avait procédé au spectaculaire rapt de 32 touristes européens (42) dans le Tassili (sud-ouest algérien). Le commando d’une vingtaine d’hommes, dirigé par Abderrazak El-Para, avait réussi à échanger la libération des 31 otages (43) contre une rançon de 5 millions de dollars, assurant ainsi une célébrité accrue au GSPC et faisant du rapt un mode d’action privilégiée du terrorisme sahélien. Mais l’extension des activités d’AQMI au Sahel va prendre une tournure encore plus violente sous l’influence de la lutte entre deux de ses « émirs » dans cette région : Belmokhtar et Abou Zeid. Le premier est connu pour son implication dans un trafic de cigarettes entre l’Afrique noire et le Maghreb. C’est le chef historique d’une katiba, c'est-à-dire un bataillon, qui compte environ 80 membres et il est davantage considéré comme un homme d’argent que comme un religieux. Abou Zeid, lui, est un contrebandier algérien qui organisait des trafics entre la Libye et l’Algérie. Après avoir passé quelques années dans le GIA, il gagne le GSPC puis rejoint AQMI en montant progressivement en grade. Il devient le chef d’une katiba d’environ 120 membres et est parfois nommé, de par son ambition et sa cruauté, le « Al-Zarqaoui du Sahel ». Les deux hommes sont en concurrence au sein d’AQMI et la spirale de la violence qui meurtrit la zone sahélienne résulte de cette rivalité qui va être à l’origine d’une surenchère échappant largement à Droukdal lui-même (44) :

- le 14 décembre 2008, Abou Zeid fait enlever, au Niger, deux diplomates canadiens, le représentant du secrétaire général de l’Onu et son adjoint. Ils sont libérés quatre mois plus tard ;

- le 22 janvier 2009, quatre touristes européens sont enlevés, dans l’est du Mali, par des groupes criminels qui les revendent à Abou Zeid. Trois d’entre eux – ressortissants suisses et allemands – sont libérés mais le quatrième, un Britannique, Edwin Dyer, est assassiné quelques mois plus tard ;

- le 8 août 2009, Belmokhtar, lequel ne peut rester inactif face aux actions de son « rival », envoie un kamikaze se faire exploser devant l’ambassade de France en Mauritanie ;

- la rivalité entre Abou Zeid et Belmokhtar s’emballe à l’automne 2009 avec, du côté du premier, l’enlèvement, au Mali, de Pierre Camatte et du côté du second, le rapt, en Mauritanie, d’un couple d’Italiens et de trois humanitaires espagnols. Tous ces otages sont libérés au cours de l’année 2010 ;

- le 19 avril 2010, une bande criminelle enlève, au Niger, un Français, Michel Germaneau. Il est remis à Abou Zeid, lequel n’entame aucune négociation et opte pour une épreuve de force qui conduit à la mort de l’otage ;

- dans la nuit du 15 au 16 septembre 2010, Abou Zeid récidive en dirigeant l’enlèvement de 7 expatriés (5 Français, 1 Togolais et 1 Malgache) sur le site minier d’Areva, à Arlit, au Niger ;

- réagissant aux succès de son rival, en passe de gagner complètement les faveurs d’Al Qaida, Belmokhtar, organise l’enlèvement de deux jeunes Français, au Niger, le 7 janvier 2011. Les deux otages sont tués le lendemain lors de l’intervention de l’armée française pour les libérer ;

- le 2 février 2011, Abou Zeid fait enlever une touriste italienne dans le sud de l’Algérie, par un groupe armé de 14 combattants. Les accompagnateurs algériens de l’otage sont tous libérés au bout de quelques heures ;

- le 24 novembre 2011, AQMI enlève deux citoyens Français, à Hombori, dans le nord-est du Mali (45). Le lendemain, l’organisation terroriste récidive à Tombouctou en s’emparant de trois touristes européens (46) et en tuant un ressortissant allemand qui essaye de résister aux preneurs d’otages. Si Belmokhtar semble être à l’origine du premier rapt, Abou Zeid serait, lui, l’instigateur du second.

L’histoire d’AQMI montre donc qu’un mouvement terroriste essentiellement centré sur l’Algérie, le GSPC, a peu à peu changé de nature pour devenir une organisation étendant ses activités sur le territoire de plusieurs Etats et capable de mener des actions spectaculaires de plus en plus violentes. Le danger ne concerne plus les seules autorités algériennes : les intérêts étrangers sont également visés et les attaques sont largement relayées par la presse internationale. Cette efficacité dans la terreur, AQMI la doit beaucoup à une organisation et un mode de fonctionnement qui lui assurent suffisamment de souplesse et d’autonomie.

2) Organisation et fonctionnement d’AQMI

a) Structure d’AQMI

Eu égard à la nature des activités d’AQMI, il n’y a pas d’organigramme officiel régulièrement mis à jour de cette organisation. Si déterminer sa structure n’est donc pas chose aisée, il est néanmoins possible d’en établir les « grandes lignes » en particulier au travers des communiqués de ses dirigeants et des revendications d’attentats passés (47).

Tout d’abord, il est important de souligner que, comme Al Qaida (la « maison mère »), AQMI (une des « filiales ») est structurée autour de serments d’allégeance. En effet, il est pratique et rassurant d’employer des termes relevant du domaine de l’entreprise ou de l’administration, mais ils ne correspondent pas vraiment à la réalité. L’organisation de la « nébuleuse » terroriste repose plutôt sur des liens individuels plus conformes à la tradition arabo-musulmane : on prête allégeance à un chef et, par conséquent, on se met à son service dans le cadre d’une logique tribale, tout en conservant une grande autonomie.

Comme nous avons eu l’occasion de l’indiquer précédemment, à la tête d’AQMI se trouve Abdelmalek Droukdal, son « émir national ». Celui-ci était déjà à la tête du GSPC depuis 2004 lorsque cette organisation terroriste est devenue « Al Qaida au pays du Maghreb islamique », en janvier 2007. AQMI n’ayant bien évidemment pas de siège officiel, il est difficile de savoir où réside Droukdal, mais il semble qu’il se cache aujourd’hui dans le nord de l’Algérie.

La zone d’action d’AQMI étant très étendue, le territoire sur lequel elle évolue a été divisé en quatre régions. Un tel découpage n’est pas nouveau : le GSPC était déjà structuré en une dizaine de zones, les deux dernières correspondant au Sahel (zone n° 9) et à l’étranger (zone n° 10).

La région « Centre » correspond aux zones 1, 2 et 3 de l’époque du GSPC, soit Alger et sa banlieue, la Kabylie et la Côte orientale de l’Algérie. C’est la région la plus active car elle regroupe le plus grand nombre de combattants (3 katibas représentant entre 500 et 800 selon les estimations). Ses commandants seraient établis dans les Aurès.

La région « Ouest », la moins active, recoupe les anciennes zones 4 et 8 du GSPC soit la partie occidentale du territoire algérien jusqu’au Maroc, ainsi que le sud-ouest du pays. Dépendante de la région « Sud », elle sert essentiellement à l’approvisionnement en armes.

Correspondant aux zones 5, 6 et 7 du GSPC, la région « Est » est, elle aussi, très dépendante de la zone sud et accueillerait moins d’une centaine de combattants.

Enfin, la région « Sud » est, aujourd’hui, la plus médiatique, car elle est au cœur des enlèvements de ressortissants étrangers et autres attaques terroristes menés par AQMI au cours des derniers mois. Cette région est l’héritière de la zone n° 9 du GSPC et couvre le Sahel. Historiquement, elle a été le terrain de prédilection d’Abdelkader Belmokhtar dont la katiba, dénommée Al Moulathamine (48) et composée d’une centaine d’hommes, a sillonné le nord du Mali et la Mauritanie depuis les années 90. Une autre katiba a progressivement émergé. Créée par Abderrazzak El-Para en 2003 et dirigée, depuis son arrestation, en mars 2004, par Abou Zeid, la katiba Tareq Ibn Zyad (49) affiche ses ambitions par une série d’actions à la fois violentes et largement disséminées sur tout le Sahel. La rivalité croissante entre les commandants de ces deux katibas – qui, on l’a vu, est à l’origine de la spirale inflationniste de violence dans la région – conduit Droukdal, l’« émir national » d’AQMI, à désigner Yahya Djouadi à la tête de la branche sahélienne de l’organisation. Djouadi confirme la répartition du territoire en deux zones d’activité : à l’ouest, celui traditionnellement contrôlé par Belmokhtar, qui va du sud-ouest algérien au nord du Mali et de la Mauritanie ; à l’est, la zone d’influence d’Abou Zeid s’étendant de la région de Timétrine aux confins du Tchad en passant par le nord du Niger. Djouadi est cependant aujourd’hui isolé – sans pour autant pouvoir être arrêté – dans le sud de l’Algérie par l’armée. Son influence en souffre, ce qui laisse le champ libre à Belmokhtar et Abou Zeid pour agir comme ils l’entendent dans leur zone respective voire, parfois, dans celle du rival.

Ce découpage en quatre zones, d’apparence si administratif, ne doit pas leurrer. Les frontières de ces territoires ne sont pas toujours clairement définies. Surtout, ces zones ne sont pas de taille et d’importance équivalentes. Les zones « est » et « ouest » sont largement secondaires – voire en voie de disparition – par rapport aux zones « centre » et « sud ». Cette dernière, comme nous l’avons vu, revêt une très grande importance au regard des aspirations internationalistes d’AQMI et la région « centre » est placée au cœur de la lutte contre le pouvoir algérien.

b) Le financement des activités d’AQMI

Vos Rapporteurs ont constaté qu’AQMI n’éprouve aucune difficulté pour se financer.

Chronologiquement, la première des ressources financières d’AQMI provient de ce que certains appellent le « gangstero-djihadisme », c'est-à-dire le recours à des crimes et délits de droit commun afin de financer le jihad. Ce n’est pas une nouveauté : la première fatwa autorisant le financement du djihad par des activités illicites remonte au début des années 90. Le GIA, « ancêtre » d’AQMI, n’hésitait pas à recourir à de telles méthodes. En 2001, une fatwa d’un maître à penser du salafisme maghrébin, l’Egyptien Abou Bassir al-Tartousi, a légitimé le recours au vol, à la contrebande et au racket, si cela sert le djihad. Dans cette perspective, AQMI a conservé de cette époque des méthodes relevant de l’organisation mafieuse. Le racket, les braquages de banques, l’extorsion de fonds, les trafics de drogues, de cigarettes ou d’être humains ont été largement mis en œuvre et demeurent encore très répandus. Le surnom « Mister Marlboro » de Belmokthar n’a pas été attribué par hasard ! Son rival, Abou Zeid, pourtant lui-même ancien contrebandier, a dénoncé l’importance prise par ces trafic illicites aux yeux de l’islam. En 2008, il a provoqué la réunion d’un « conseil des chefs » qui a tranché en sa faveur et a privilégié des financements plus « respectables » : la dîme et la prise d’otage.

La dîme s’apparente à une sorte d’« impôt révolutionnaire » dû par les filières de contrebande transitant par les territoires contrôlés par AQMI. Officiellement, les katibas ne doivent pas être partie prenante du trafic et le montant de la dîme varie selon que le convoi est escorté ou non. Frapper d’un « impôt » le passage de la drogue est donc parfaitement, admis tant que la marchandise a pour destination finale les pays des « infidèles ».

La prise d’otage a, elle aussi, fait l’objet d’une tentative de légitimation par AQMI. Les otages ne sont pas considérés comme tels, mais comme des prisonniers de guerre. Le droit islamique autorise ceux qui les détiennent à s’en servir comme monnaie d’échange, pour faire libérer d’autres prisonniers ou demander une rançon. La première prise d’otage à l’encontre de ressortissants étrangers a été l’enlèvement des 32 otages européens, dans le Tassili, en février 2003. On l’a vu, 31 d’entre eux ont été libérés contre, semble-t-il, une rançon de 5 millions de dollars. En septembre 2010, lors d’un débat aux Nations Unies consacré à la stratégie antiterroriste mondiale, un conseiller du président Bouteflika a même indiqué que les pays occidentaux avaient versé, jusqu’alors, près de 150 millions d’euros à AQMI contre la libération d’otages. Si ce chiffre est sans doute exagéré, il n’en demeure pas moins que depuis les premières prises d’otages dans la région, les katibas ont engrangé des millions d’euros. Le prix d’une libération serait probablement, aujourd’hui, de l’ordre de 2,5 millions d’euros par personne et cette somme serait soumise à une pression inflationniste constante. Les prises d’otages sont donc devenues le moyen privilégié par AQMI pour s’assurer une source de financement conséquent permettant de mener le combat djihadiste. En pratique, le mode opératoire retenu est simple : des bandes criminelles complices signalent la présence de ressortissants étrangers aux katibas d’AQMI, lesquelles « passent commande » ou envoient des équipes légères et mobiles qui procèdent elles-mêmes à l’enlèvement.

c) Les membres d’AQMI : effectifs et recrutement

Vos Rapporteurs ont été surpris de constater la relative faiblesse des effectifs d’AQMI. Evidemment, aucun chiffre officiel ne permet d’établir la taille réelle de cette organisation. Toutefois, les données qui circulent dans le milieu du renseignement laissent penser qu’entre 500 et un millier de terroristes, essentiellement répartis entre les katibas du Sahel et celles du nord de l’Algérie, sont membres d’AQMI.

Héritière du GIA et du GSPC, AQMI reste fondamentalement une organisation algérienne. Certes, son projet revêt une dimension internationale, mais ses cadres sont algériens. Droukdal, l’ « émir national » d’AQMI est né près de Blida en 1970. Djouadi, en théorie à la tête de la région « Sud », est lui aussi algérien, tout comme Belmokhtar et Abou Zeid, les deux commandants rivaux des katibas sahéliennes. Les cadres originaires d’un autre pays sont donc très rares. Parmi eux, Abdelkarim al-Targui, qui sévit dans la région « Centre », est d’origine malienne et est surnommé « le Touareg », bien que cette appellation ne paraisse pas fondée. Il semble que ce soit une personnalité montante au sein d’AQMI et on lui attribue souvent la volonté de créer une troisième katiba dans la région « Sud ».

Sous les ordres de cadres essentiellement algériens, les combattants d’AQMI ont, en majorité, la même nationalité, mais l’organisation accueille également des Mauritaniens, des Marocains, des Libyens, et aussi des Maliens et des Nigériens. La katiba de Belmokhtar, par exemple, serait composée d’un tiers de Mauritaniens, sur un effectif d’un peu plus d’une centaine d’hommes. Encore faut-il distinguer, lorsqu’on tente d’évaluer les effectifs d’AQMI, ceux qui appartiennent vraiment à cette organisation et ceux qui composent les bandes gravitant autour d’elle. Entendu par la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale le 11 mai 2011, M. Soumeylou Boubèye Maiga, le ministre malien des affaires étrangères, a ainsi déclaré que les effectifs d’AQMI au Mali, peuvent être « estimés entre 250 et 300 personnes », mais « que les effectifs réels des combattants se situent plutôt autour de 100 auxquels il faut ajouter ceux qui vivent de l’activité » de l’organisation. Quant aux Touareg du Nord du Mali, ils semblent encore étrangers aux activités salafistes même si, comme vos Rapporteurs auront l’occasion de le souligner, il convient de rester vigilant sur ce point.

L’origine sociale des hommes d’AQMI est généralement très modeste. L’enrôlement dans les groupes terroristes est favorisé par l’exclusion, le chômage et la frustration face à l’enrichissement de certains qui contraste avec les difficultés qu’éprouve la majorité. Par opposition à des élites jugées corrompues et inefficaces, la mouvance terroriste peut trouver un terreau favorable à l’endoctrinement et au recrutement de nouveaux combattants. Même les plus diplômés, lorsque leur avenir apparaît compromis par l’absence de perspectives, peuvent être tentés de choisir la voie du jihad et la dimension « héroïque » qu’elle revêt. De surcroît, l’attrait de la nébuleuse terroriste a bénéficié, au cours des années 2000, de l’impact du conflit au Proche-Orient et de l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis.

Quel que soit leur milieu d’origine ou les raisons profondes de leur engagement, les terroristes d’AQMI font tous preuve d’un fanatisme exalté. C’est là que leur extrême dangerosité prend naissance car, comme a pu le dire le directeur général de la sécurité extérieure à vos Rapporteurs, « ils n’ont pas peur de mourir car ils sont déjà morts dans leur tête ». Leur fanatisme les conduit à éprouver une grande haine pour l’Occident, notamment la France. Aux yeux de cette organisation, notre pays cumule les raisons de se faire détester : passé colonial, soutien à Israël dans l’acquisition de la bombe atomique, présence en Afghanistan et dans certains pays musulmans africains, appartenance à l’OTAN, lois sur la laïcité… Abou Zeid, par exemple, refuse de parler le français, la langue du colonisateur (50). Ce fanatisme a un prolongement matériel : il permet aux hommes d’AQMI de supporter la vie dans le désert et le maquis. Vos Rapporteurs ont pu recueillir le témoignage de M. Pierre Camatte et de Mme Françoise Larribe, anciens otages, qui ont pu involontairement les côtoyer pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, et qui ont souligné l’aspect très spartiate des conditions de vie des katibas.

d) Les liens tissés par AQMI avec les populations locales

L’étude du fonctionnement d’AQMI conduit également à s’interroger sur les relations entretenues par cette organisation avec son environnement direct. Le Sahel n’est pas vide. Des communautés y sont établies depuis des siècles et vos Rapporteurs ont constaté que des liens se sont progressivement noués entre les katibas et les populations locales, chacune y trouvant son intérêt.

Du côté d’AQMI, il serait illusoire de vouloir se couper des habitants de la bande sahélienne. Originaires pour l’essentiel de l’Algérie, les membres de l’organisation terroriste ne sont pas chez eux dans le nord du Mali et les régions alentours. Ils ont besoin de la connaissance du terrain qu’ont les populations nomades. Ils en dépendent également au plan logistique, en particulier pour s’approvisionner en eau, en vivres ou en essence.

Pour tisser des liens avec ces populations, AQMI n’a pas eu besoin de faire usage de la violence. Il lui a sufi de déployer une stratégie de « séduction » reposant notamment sur l’essor de l’économie locale et de nombreux services rendus aux habitants. « AQMI achète de tout aux commerçants locaux : du carburant, des pneus, des pièces de rechange, des céréales, de la farine, du sucre, du thé, voire même des armes… » (51). Comment, dans ces conditions, des territoires confrontés à un fort sous-développement et à une pauvreté extrême auraient-il pu résister à l’attrait suscité par AQMI ? D’autant plus que ce dernier, au-delà d’être un client riche et fidèle, a su profiter de l’absence de toute structure publique pour occuper un terrain laissé à l’abandon par des Etats défaillants et, ainsi, s’enraciner durablement.

Aujourd’hui, des familles entières vivent de l’argent sale d’AQMI. Les djihadistes ne représentant aucune menace directe pour la population locale, celle-ci n’a pas de raison évidente de s’investir dans la sécurisation du territoire. Au contraire, en montrant qu’il est possible de gagner beaucoup d’argent en peu de temps par le biais de rançons de plus en plus élevées, AQMI a fait des émules et n’a aucun mal à sous-traiter l’enlèvement d’otages à des groupes locaux. Il semble ainsi que l’enlèvement de deux Français, à Hombori (Mali), en novembre 2011, ait été le fait d’un jeune Touareg ayant séjourné dans le même hôtel qu’eux et qui les aurait ensuite « revendus » pour plus de 30.000 euros à AQMI (52).

De telles dérives ont été facilitées par la perte d’autorité des chefs traditionnels des communautés arabo-berbères de la région, démunis face à l’attrait croissant exercé par AQMI. De surcroît, cette organisation a su tisser des liens de sang par des mariages entre ses cadres et des jeunes filles locales. L’exemple vient de haut puisque Mokhtar Belmokhtar est connu pour avoir épousé une femme originaire de Tombouctou.

Liens économiques, liens sociaux, liens familiaux… AQMI a parfaitement tiré profit de l’abandon de vastes zones de la bande sahélienne pour s’y implanter durablement et en faire un véritable « fief ». Ce n’est donc pas seulement l’immensité du territoire sur lequel AQMI évolue qui rend difficile le combat contre cette organisation. C’est aussi son enracinement et l’absence d’hostilité d’une grande partie de la population à son égard.

3) AQMI, une menace grandissante pour l’Afrique

Au-delà des violences directes et physiques contre ses cibles favorites que sont les autorités algériennes et les occidentaux, AQMI constitue également une menace sérieuse pour l’avenir de la zone sahélienne et les régions périphériques. Cette organisation, en effet, exerce une influence néfaste sur le développement économique de toute la zone. Elle favorise aussi l’essor de la criminalité et du grand banditisme, en particulier parmi les populations touareg. Enfin, elle offre d’effrayantes perspectives d’extension de la violence terroriste, notamment au Nigeria, avec la secte Boko Haram.

a) AQMI, un fardeau économique pour le Sahel

Les attentats et les prises d’otages commis par AQMI, associés à l’incapacité des gouvernements à y mettre un terme, ont, en quelques années, anéanti le climat sécuritaire de la région sahélienne. La violence et l’insécurité ont dissuadé nombre d’investisseurs et autres acteurs économiques d’intervenir dans une zone qui, confrontée à un sous-développement chronique et une extrême pauvreté, n’avait certainement pas besoin d’endurer une telle épreuve.

i) une logique d’évitement

La première conséquence de la dégradation sécuritaire au Sahel a été de faire de cette région une zone à éviter. Un des cas les plus spectaculaires de mise en œuvre de cette logique a été l’annulation du rallye Paris-Dakar, en janvier 2008. Peu de temps après l’assassinat de quatre Français, en Mauritanie, le 24 décembre 2007 et la mort de trois soldats mauritaniens le lendemain, AQMI publia un communiqué menaçant ouvertement l’épreuve sportive dont le tracé passait par la Mauritanie. Les services de renseignements confirmèrent la réalité de la menace, ce qui incita les organisateurs de la course à l’annuler et à la transférer sur le continent sud-américain. Si le gouvernement mauritanien déplora cette décision qui privait la région d’une manne substantielle, les autorités françaises saluèrent sa sagesse.

Aujourd'hui, le Sahel fait clairement partie des zones que le ministère français des affaires étrangères déconseille « formellement ». La rubrique de « conseils aux voyageurs », sur son site internet, recense les risques encourus par les citoyens français partout dans le monde. Les États peuvent alors être classés – entièrement ou partiellement – en zone rouge (« formellement déconseillés »), orange (« déconseillés sauf raison impérative d’ordre familial, professionnel ou autre ») ou, sans couleur particulière, ne présenter aucun risque particulier sans exclure, pour autant une vigilance normale. La plus grande partie du Sahel est aujourd’hui classée en zone rouge, le reste étant situé en zone orange.

La plus grande partie du Sahel est aujourd’hui en zone rouge (53)

Si les cartes successives des risques au Sahel défilaient à vitesse accélérée, cela ressemblerait à un rideau rouge tombant et chassant progressivement les zones oranges, elles-mêmes chassant les zones neutres. A chaque attaque terroriste, le ministère des Affaires étrangères a étendu la surface des zones formellement déconseillées. Bien évidemment, les zones concernées souffrent beaucoup de ce classement qui, nous le verrons, n’est peut-être pas toujours judicieux. Vos Rapporteurs, lors de leurs déplacements en Afrique, ont pu recueillir les témoignages teintés d’amertume et de mécontentement des autorités des pays et des régions placés en « zone rouge ». Le tourisme a ainsi été réduit à néant alors même que des territoires entiers dépendaient quasi exclusivement de cette unique ressource. Au Niger, par exemple, Agadez, qui vivait largement dans les années 70 à 90 des revenus directs et indirects de l’hôtellerie, de la restauration, de l'artisanat… se trouve aujourd’hui privée du flux de touristes qui lui était vital. Tombouctou, la « perle du désert » malienne, se trouve dans la même situation de désespoir et de marasme économique, à la suite de l’évacuation de tous les touristes européens, fin novembre 2011, consécutive à l’enlèvement d’un Suédois, d’un Néerlandais, d’un Britannique et de l’assassinat d’un ressortissant allemand. Mais le tourisme n’est pas le seul secteur qui souffre du classement en « zone rouge » de la plus grande partie du Sahel. Nombre d’ONG, de coopérants ou chercheurs ne peuvent plus se rendre sur place, contribuant encore plus aux difficultés et au sentiment d’abandon des habitants de la région.

ii) une présence étrangère désormais confrontée à de lourdes contraintes de sécurité

Deuxième conséquence des attaques d’AQMI : le renchérissement de la présence étrangère qui s’avère pourtant indispensable. Certaines activités ne pouvant quitter la région, leur maintien a pour contrepartie l’adoption de mesures de sécurité particulièrement lourdes. Tel est le cas, par exemple, de la production d’uranium, au Niger. Le secteur est vital pour ce pays : l’extraction de ce minerai représente 90 % des exportations du pays et est donc, quasiment, l’unique générateur de ressources, en devises, pour le Niger. Mais ce secteur revêt aussi une importance stratégique pour la France. Areva y a opéré d’importants investissements, en particulier sur le site d’Imouraren, dont les ressources en uranium sont estimées à 180.000 tonnes et pour lequel la société a dépensé plus de 1,2 milliard d’euros. Depuis plusieurs années, Areva et l’Etat nigérien ont pris conscience de la nécessité de sécuriser les activités minières dans la région. A l’été 2010, les coûts de sécurité et de protection des sites d’Areva avait plus que doublé par rapport à 2008. Malheureusement, les mesures prises n’ont pas empêché la spectaculaire prise d’otages d’Arlit, dans la nuit du 15 au 16 septembre 2010. Après cette attaque, un plan global de protection des implantations d’Areva au Niger a été mis en place et vérifié par le Quai d'Orsay. Les bases vie et les bases travail sont désormais toutes mises sous protection et les employés sont escortés en permanence hors des zones sécurisées. Un système de couleurs évolutif sur quatre niveaux, réexaminé sur une base hebdomadaire, a été mis en place pour appréhender la menace. L’organisation est centralisée par une coordination de la protection à Niamey qui reste proche tant de la direction générale d’Areva Niger que des autorités locales et du ministère de la défense nigérien. Un tel dispositif, lourd et coûteux, n’est pas un cas unique. Aujourd’hui, vingt-cinq entreprises françaises travaillent dans les trois pays du Sahel, dont seize en zone orange et neuf en zone rouge. Comme Areva, ces neuf entreprises ont été autorisées à travailler sur la base d’un plan de sécurité qu’elles ont dû présenter au centre de crise du ministère des affaires étrangères, lequel a donné son accord, une fois recueilli l’avis de toutes les administrations intéressées.

b) AQMI, une tentation pour les jeunes Touareg ?

Officiellement, il n’existe aucun lien organique entre AQMI et les Touareg. L’idéologie de la mouvance terroriste salafiste n’a jamais trouvé d’écho auprès des populations touareg. Bien que majoritairement musulmans sunnites depuis les invasions arabes du VIIème siècle, les Touareg ne revendiquent pas l’islam comme élément de leur identité, ce rôle étant surtout détenu par leur langue, le tamasheq. Les Touareg sont donc traditionnellement modérés et ne se retrouvent pas dans le fanatisme d’AQMI dans lequel ils voient plus un problème algérien que sahélien. A certains moments, une certaine animosité les a même opposés. En 2006 et 2007, par exemple, les services algériens ont fourni des armes aux Touareg pour lutter contre AQMI, provoquant à l’époques quelques accrochages. Plus récemment, des groupes touareg de retour de Libye semblaient décidés à « nettoyer » la région et à en chasser les katibas d’AQMI, lesquelles, prenant la menace au sérieux, ont rapidement quitté leurs bases.

Toutefois, il semble aujourd’hui que les relations entre Touareg et AQMI soient plus apaisées, voire en voie de nette amélioration. Pour les premiers, c’est tout d’abord une nécessité tactique. Privés du soutien de Kadhafi et engagés dans une nouvelle rébellion contre les autorités maliennes, il ne serait pas judicieux, de leur part, d’affronter simultanément les katibas salafistes. Par ailleurs, il semble que des Touareg ont pu participer à des opérations d’AQMI, notamment à l’enlèvement de ressortissants étrangers sur le site minier d’Arlit, au Niger. Les motifs de ces rapprochements seraient multiples. Il n’est pas exclu que de jeunes Touareg, échappant au contrôle des plus anciens, soient séduits par le discours anti-occidental d’AQMI, à un moment où l’image de la France est très dégradée, car celle-ci est perçue comme une puissance exploitante. Surtout, AQMI, dont les effectifs ne sont pas élevés, a besoin de soutiens logistiques (chauffeurs, convoyeurs…) et d’intermédiaires pour mener à bien ses actions. Dès lors, les Touareg, qui vivent dans des régions isolées et sous-développées, peuvent être attirés par un grand banditisme très rémunérateur. Grâce aux rançons payées pour libérer les otages, AQMI dispose de moyens considérables et travailler avec les katibas peut s’avérer rentable et permettre de faire vivre de nombreuses familles.

S’il devait prospérer, le rapprochement entre AQMI et des communautés touareg constituerait une menace sérieuse pour le Sahel. Les Etats de la région éprouvent de grandes difficultés à combattre le terrorisme salafiste. Le Mali voit apparaître un nouveau front, celui de la rébellion touareg. Dans ce contexte, il est facile d’imaginer le chaos que pourrait susciter une alliance entre AQMI et les Touareg. Dès lors, il convient d’apporter une grande attention à l’avenir de ces derniers et à l’attitude que les gouvernements maliens et nigériens adoptera face aux revendications actuelles des mouvements touareg.

c) AQMI, un modèle pour la secte Boko Haram ?

En haoussa, une langue du nord du Nigeria, Boko Haram signifie que l’éducation occidentale est un pêché (54). Une organisation porte ce nom. Elle a été fondée en 2002, à Maiduguri, dans le nord-est du pays, par Mohammed Yusuf, un prédicateur fondamentaliste. Prônant l'instauration d'un émirat dans le nord, musulman, du Nigeria, Boko Haram, véritable secte islamiste, exige un respect strict de la charia. A sa création, elle s’attaque aux bars, aux églises mais aussi aux administrations. En 2009, Mohammed Yusuf est capturé par l’armée nigériane et tué en prison. Dès lors, la secte se radicalise et étend son action au-delà de la seule partie septentrionale du pays. Si, en 2010, elle avait commis une dizaine d’attentats, elle en a perpétré plus d’une centaine en 2011. Depuis quelques semaines, Boko Haram a entrepris une série d’actions sanglantes contre des chrétiens et leurs églises. Ainsi, au cours du seul mois de janvier 2012, elle a tué plus de 250 personnes. Ces attaques ont eu pour effet de fortement médiatiser la secte alors même que jusqu’ici, elle a tué beaucoup plus de musulmans que de chrétiens(55). En tout état de cause, ces violences sont dans la logique du message anti-occidental que souhaite véhiculer Boko Haram. Elles sont aussi liées à son désir d’accélérer la chute du pouvoir nigérian, incarné par le président Goodluck Jonathan. Ce dernier, un chrétien, a, en plus, le « défaut », aux yeux de la secte, d’être originaire du sud du pays qui, majoritairement chrétien, est la partie la plus développée et la plus favorisée du Nigeria.

Cette violence qui embrase le Nigeria rappelle la fragilité d’un pays qui a déjà traversé de lourdes épreuves(56). Surtout, elle pourrait trouver à s’épanouir encore plus si se confirment les connexions qui semblent s’être formées entre Boko Haram et AQMI. En effet, au cours des derniers mois, de nombreux indices en faveur de cette thèse se sont accumulés. Les responsables de la secte ont déjà affirmé, par le passé, leur « affiliation » à AQMI. Sur un plan plus opérationnel, l’enquête sur l’enlèvement de deux jeunes Français, à Niamey, en janvier 2011, a révélé que certains ravisseurs, tués par les forces françaises, avaient été en contact tant avec des membres de Boko Haram qu’avec des djihadistes d’AQMI. Plus récemment, en janvier 2012, les autorités des Etats sahéliens, réunis à Nouakchott, ont réaffirmé la réalité des liens entre les deux organisations. Quoiqu’il en soit, la radicalisation et l’explosion de violence entreprise par la secte nigériane au cours des derniers mois interpelle et rend très probable sa connexion – ou tout au moins une coopération accrue – avec AQMI. A ce titre, il n’est pas anodin de relever qu’en juin dernier, Boko Haram a, pour la première fois, employé la technique de l’attentat suicide, à Abuja, contre le siège de la police. Il convient également de souligner que ce déchaînement de violences est intervenu peu après l’éclatement de la crise libyenne et la dissémination d’armes qui a suivi. Boko Haram a très certainement profité de cette opportunité pour acquérir de nouveaux matériels meurtriers.

La folie meurtrière de la secte nigériane hypothèque grandement l’avenir de la région. La création d’un arc terroriste en Afrique qui irait de la Mauritanie au Nigeria et se prolongerait, ensuite, vers la Somalie, ne peut qu’inquiéter tous ceux qui s’intéressent à l’avenir du continent et à son développement. Un pays comme le Niger, par exemple, déjà confronté à AQMI, se trouve aujourd’hui dans une situation très embarrassante au regard de la montée en puissance de Boko Haram. Certes, pour le moment, la secte est essentiellement un problème nigérian mais plusieurs facteurs lient le sort du Niger et celui du Nigeria. Tout d’abord, une grande communauté de population. Les Haoussas, ethnie qui a vu naître Boko Haram, représentent environ la moitié de la population du Niger. En outre, 85% de la population nigérienne vit dans un couloir compris entre 100 et 150 km au nord des 1600 kilomètres de frontières avec le Nigeria. Sur le plan économique, le Niger est très dépendant de son voisin du sud, lequel est son premier fournisseur d’électricité et une de ses principales sources d’approvisionnement en produits agricoles(57). En sens inverse, le Nigeria est le débouché privilégié pour la production du Niger (bétail vendu sur pieds, légumes…). Il fait également partie des destinations traditionnelles de migration – durable ou saisonnière – de travailleurs nigériens qui génèrent, en retour, des transferts financiers indispensables à la survie des familles restées au Niger.

Une extension de la violence de la secte nigériane sur le territoire nigérien poserait donc un défi considérable aux autorités de Niamey, dont les modestes ressources en matière de sécurité sont déjà largement mobilisées aux frontières nord du pays, face à AQMI. Pour l’heure, la situation semble encore sous contrôle et Boko Haram, à ce jour, n’a mené aucune attaque en territoire nigérien. Ce dernier semble plutôt utilisé comme zone de repli du fait de sa proximité, de la porosité de la frontière et des liens humains établis de part et d’autre. Il n’en demeure pas moins qu’il faut rester vigilant et que vos Rapporteurs tiennent à exprimer leur inquiétude quant à l’évolution du Niger au regard des actions que pourra commettre Boko Haram.

C - AQMI, un piège pour la France ?

1) Une haine tenace à l’égard de notre pays mais une violence jusqu’ici cantonnée au continent africain

La France est une des cibles prioritaires d’AQMI, laquelle éprouve une très forte haine pour notre pays. Ce sentiment n’est pas nouveau : le terrorisme islamiste des années 90 a frappé, à de nombreuses reprises, les intérêts français (58), que ce soit sur son sol (attentats à la bombe de 1995 et 1996), ou en Algérie (détournement de l’Airbus d’Air France en 1994, assassinats de plusieurs compatriotes dont l’évêque d’Oran, en 1996…). Les motifs de cette violence étaient avant tout historiques et politiques. La France était l’ancienne puissance coloniale et elle était accusée de soutenir le régime algérien que combattaient les islamistes.

Au cours des années 2000, les raisons de détester la France se sont multipliées. Au-delà du passé et des liens tissés avec les autorités locales, la France a été – et est toujours – accusée de tous les maux par la mouvance islamiste. Elle est d’abord visée pour sa participation à la lutte antiterroriste et sa présence en Afghanistan. Lui est également reprochée sa laïcité et l’adoption de lois la défendant, telle celle interdisant le port du voile intégral dans l’espace public. Perçue comme une ennemie de l’islam et des musulmans, la France doit, dès lors, être punie tant pour ce qu’elle fait que pour ce qu’elle est. Par rapport aux années 90, les critiques dépassent le seul cadre algérien et émanent même du plus haut sommet d’Al Qaida. Ainsi Oussama Ben Laden a-t-il, à deux reprises, menacé spécifiquement notre pays et les Français, une « attention » rare réservée auparavant aux seuls Etats-Unis. Une première fois, le 27 octobre 2010, il a lié le sort des otages capturés à Arlit à la politique française en Afghanistan. Puis, quelques mois avant sa mort, le 21 janvier 2011, il somma nos troupes de se retirer de ce pays au risque de lourdes représailles « sur différents fronts, à l’intérieur comme à l’extérieur de la France ». Al-Zawahiri, qui a longtemps été son adjoint et est théoriquement, aujourd’hui, à la tête d’Al Qaida, n’est pas en reste. En 2007, par exemple, il a appelé à « nettoyer les terres du Maghreb islamique des enfants de la France et de l’Espagne ». En 2009, il affirma que notre pays devrait payer en raison des débats sur le foulard et le niqab, la France étant de surcroît, selon lui, l’ennemie jurée de l’islam… depuis Napoléon Ier. Evidemment, ce fanatisme se décline aussi dans le discours d’AQMI. Les récits des anciens otages des katibas sahéliennes montrent que la critique de notre pays revient sans cesse. « Les avions militaires occidentaux qui survolent la région sont surnommés « Sarkozy » par les hommes d’AQMI, qui déchargent à l’occasion quelques rafales de mitrailleuses 14,5 mm en l’air contres les aéronefs hors de portée pour souligner leurs opinions » (59). Vos Rapporteurs ont également indiqué le refus prêté à Abou Zeid, le chef d’une des katibas qui sévit dans le Sahel, de prononcer tout mot français, la langue des infidèles et ennemis de l’islam.

Cette haine idéologique et verbale à l’égard de l’étranger et de la France en particulier a malheureusement dépassé le seul stade de la rhétorique. Inévitablement, elle a engendré de nombreuses actions, parfois meurtrières, que vos Rapporteurs ont eu l’occasion de déplorer. Toutefois, il convient de constater que ces violences sont restées, jusqu’ici, cantonnées au seul continent africain. AQMI, ni, d’ailleurs, aucune autre branche d’Al Qaida, n’a jamais pu frapper le territoire français. Le dernier attentant islamiste sur notre sol remonte à 1996. Al Qaida n’a pas non plus été en mesure de frapper un autre pays européen, depuis les attentats de Londres de juillet 2005. En ce sens, l’ « internationale » terroriste a échoué. Les services de police et de renseignement occidentaux ont réussi à contrer plusieurs actions terroristes et à démanteler, à temps, des cellules implantées un peu partout en Europe (60).

2) Ne pas tomber dans le piège d’AQMI

Outre son incapacité à étendre le djihad dans le monde et en Europe en particulier, Al Qaida a subi de lourds revers dans la seconde moitié des années 2000 et au début de la présente décennie. En Irak, la mort de son chef, Al-Zarqaoui, tué par les Etats-Unis, en 2006, a été accompagnée d’un tarissement du flux de combattants en provenance du monde arabe et de l’effondrement de son rêve d’instituer un « Etat islamique » dans ce pays. En Arabie saoudite, la branche saoudienne d’Al Qaida a été brisée dès 2005. Au Pakistan, l’organisation a fait l’objet de bombardements incessants. Nombre de ses cadres y trouvèrent la mort, le dernier en date étant Badar Mansoor, un Pakistanais qui était le chef opérationnel d'Al Qaida au Pakistan. Il a été tué, le 8 février 2012, par le missile d'un drone américain à Miranshah, dans le Waziristan du Nord. Toutefois, la perte la plus considérable pour Al Qaida, celle qui symbolise le plus l’échec de ses tentatives de djihad global, est sans nul doute la mort d’Oussama Ben Laden, tué par les forces spéciales américaines, à Abbottabad, au Pakistan, le 2 mai 2011.

Ces revers n’ont pas été sans conséquence sur AQMI. En quelques années, cette dernière a vu se déliter l’organisation à laquelle elle avait prêté allégeance en 2006, qui avait fondé de sérieux espoirs en elle et pour laquelle elle avait été susceptible de servir de marchepied pour mener des actions sur le sol européen. L’aura d’AQMI n’en est que plus menacée. Si, par le passé, elle pouvait attirer de jeunes Maghrébins pour aller combatte en Irak, sa capacité d’attraction est aujourd’hui quasi-nulle. Combattre le pouvoir algérien est loin d’être porteur ! Repliée au Sahel et incapable de frapper l’ Europe, AQMI s’est donc engagée dans une fuite en avant désordonnée dont la haine de l’Occident est un moteur. Ses différentes katibas, plus ou moins rivales, se sont engagées dans une spirale de violence mêlant à la fois des considérations idéologiques et des nécessités plus prosaïques, telles que le recours au « gangstero-djihadisme » pour se financer.

Aussi, le piège pour la France serait-il, aujourd’hui, de répondre aux provocations et de favoriser une escalade. Une présence accrue et un déploiement massif des forces françaises sur le terrain satisferaient AQMI car cela permettrait de magnifier sa confrontation contre les « croisés » plutôt que contres les armées des pays musulmans. Composée de fanatiques meurtriers mus par une haine tenace, AQMI représente un danger réel. Et cette menace doit être combattue. Mais cette lutte doit être menée avec raison en s’appuyant sur les Etats de la région et en s’assurant de ne pas aggraver l’instabilité d’une zone sahélienne déjà très vulnérable. En tout état de cause, combattre AQMI ouvertement et uniquement par les armes ne serait pas une réponse appropriée et s’inscrirait dans la logique d’affrontement de civilisations que cette organisation terroriste entend promouvoir.

II – RÉTABLIR LA SECURITE DANS LE SAHEL

A - Adopter une stratégie cohérente face aux prises d’otages

1) Rationaliser nos méthodes et notre dispositif pour sauver nos otages

a) Mener des négociations efficaces

i) un secret nécessaire

Négocier avec des preneurs d’otages est une tâche difficile qui requiert compétence et discrétion. Il revient aux services français, au premier rang desquels la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), de mettre en œuvre les moyens adéquats pour parvenir à libérer nos compatriotes détenus dans le monde et au Sahel en particulier (61). Par deux fois, au cours des dernières années, la voie de la négociation a permis de libérer des otages français détenus par AQMI : M. Pierre Camatte, en février 2010 et Mme Françoise Larribe, un an plus tard. Vos Rapporteurs ont eu l’occasion de les entendre tous les deux et leurs témoignages respectifs, poignants, ont montré l’horreur de leur détention, tant sur le plan moral que matériel. Mais interrogés sur les conditions ayant conduit à leur libération, aucun d’entre eux n’a pu apporter de réponse précise et certaine, en raison du secret qui entoure le processus de négociation.

En dépit de cette discrétion officielle, il est admis que les katibas d’AQMI conditionnent la libération de leurs otages à de lourdes exigences politiques et financières. Dans le premier cas, il s’agit, généralement, de demandes tendant à la remise en liberté de terroristes incarcérés, dans le second cas, du versement de rançons pouvant atteindre des montants très élevés. Répondre favorablement à ces demandes n’est pas sans conséquence et soulève de légitimes interrogations. Comme vos Rapporteurs auront l’occasion de le souligner ultérieurement, il est possible d’y voir un encouragement à d’autres enlèvements et l’instauration d’un « cercle vicieux » dont il sera impossible de sortir(62). Aussi, peu après la libération de M. Pierre Camatte, un de vos Rapporteurs avait-il interrogé le Gouvernement pour connaître les circonstances exactes de celle-ci et obtenir des précisions sur les pressions exercées par la France pour que le Mali rende leur liberté à quatre terroristes détenus dans ses prisons. Le Gouvernement avait éludé la question estimant que, « dans un souci d'efficacité et dans l'intérêt même des huit (63) otages français encore détenus dans le monde, il [était] nécessaire de rester discret sur le détail des actions entreprises par la France et qui ont amené à cette libération ». De plus, « dévoiler tout ou partie des processus de négociation ou de renseignement mis en oeuvre dans la libération de notre compatriote [risquait] de compliquer, voire de compromettre, les actions actuellement en cours au profit de nos autres ressortissants encore otages » (64).

Cette absence de réponse est gênante, car un parlementaire ne peut se satisfaire du refus d’un ministre d’apporter les précisions qu’il demande. Elle est cependant légitime eu égard aux enjeux que revêt un processus de négociation, à partir du moment où on a décidé d’y recourir et de discuter avec les preneurs d’otages. En revanche, la contrepartie de ce secret doit être un sérieux et une efficacité irréprochables. Or, on peut se demander si ces qualités n’ont pas fait défaut au cours des derniers mois.

ii) des initiatives parallèles ?

A la fin de l’année dernière, la presse a fait état d’initiatives parallèles et obscures s’apparentant plus à un mauvais roman de gare qu’à une vraie négociation(65). En effet, à la fin du mois de novembre 2011, Jean-Marc Gadoullet, un Français, pris par erreur pour un terroriste ou un bandit, a été blessé par l’armée malienne, à la sortie de Gao. Selon certains journaux, qui ont pu l’interroger, il négociait secrètement, depuis septembre 2010, la libération des otages d’Arlit. A ce titre, il était en contact régulier avec Iyad Ag Ghali, un ancien chef rebelle touareg « converti » au djihadisme, et tant par cet intermédiaire que directement, aurait été, à plusieurs reprises, en contact avec Abou Zeid. M. Gadoullet serait un ancien officier du service action de la DGSE. Il aurait également joué un rôle primordial dans la libération de trois des otages d’Arlit (66). Son action de négociation visant à faire libérer les quatre autres otages aurait été compliquée par l’apparition d’une équipe concurrente dirigée par Guy Delbrel, un ex-cadre d’Air France et disposant, semble-t-il, de contacts auprès des chefs d’Etats d’Afrique de l’Ouest.

Avant même que M. Gadoullet ne soit blessé, la presse avait commencé à faire état de rivalités entre négociateurs. L’accrochage intervenu avec l’armée malienne a alors conduit à un étalage d’informations surprenantes faisant notamment état de menaces de mort entres équipes concurrentes et d’éventuels détournements d’argent. Il est difficile d’établir avec précision le degré de véracité de ces faits. Tout comme il est n’est pas possible de savoir si l’un des deux protagonistes était mandaté par la DSGE ou travaillait pour celle-ci. Si tel était le cas, la publicité donnée à cette affaire traduirait un inquiétant dysfonctionnement dans le processus de négociation. Mais vos Rapporteurs, qui ont eu l’occasion de rencontrer le directeur général de la sécurité extérieure, savent que la France peut compter sur des hommes et des femmes sérieux, motivés et compétents peu enclins à occuper le devant de la scène. L’étonnant « déballage » public des mois de novembre et décembre derniers contraste avec leurs méthodes éprouvées. Il serait très dommageable que des négociations parallèles aient pu gêner leur travail. En tout état de cause, il conviendra de faire un bilan exhaustif de ces épisodes lorsque, espérons-le, la négociation aura abouti.

b) Savoir riposter

i) intercepter les preneurs d’otages chaque fois que cela est possible

Si la négociation avec les terroristes est souvent hélas, in fine, la seule solution possible – en dépit des effets néfastes du paiement de rançons, que vos Rapporteurs auront l’occasion d’aborder ultérieurement – d’autres solutions ne sont pas à exclure. En témoigne le cas de Michel Germaneau. Enlevé par AQMI le 19 avril 2010, son sort a alors été lié à la remise en liberté, par l’Algérie, d’un ancien dirigeant terroriste et à l’abrogation, par la France, de la loi interdisant le port du niqab sur la voie publique. Deux exigences inadmissibles traduisant un net raidissement par rapport aux prises d’otages précédentes (67) et conduisant légitimement à s’interroger sur les desseins des terroristes. Ce sont d’ailleurs ces doutes légitimes, mais aussi des informations précises sur l’état de santé de Michel Germaneau qui ont conduit les forces françaises à intervenir pour essayer, en vain, de le sauver (68).

La négociation étant un processus incertain, il est souhaitable de l’éviter en arrêtant le plus en amont possible une prise d’otages. Or, mettre un terme à un enlèvement commis par des hommes armés et fanatisés est une opération délicate qui devrait, en théorie, relever de la seule compétence des Etats de la région. Toutefois, les forces de sécurité locales étant peu équipées et mal préparées, notre pays a le devoir de les former (69) et, en attendant qu’elles soient pleinement opérationnelles, est susceptible d’intervenir au cas par cas avec l’accord des gouvernements concernés. Les forces spéciales françaises prépositionnées dans plusieurs pays du Sahel constituent alors un outil privilégié pour mener à bien ce genre d’actions. Dans le cas où l’autorité politique donne l’ordre d’intervenir, il revient au chef d’état major des armées de commander les opérations, assisté, dans cette tâche, par le sous-chef « opérations » de l’état major et le centre de panification et de conduite des opérations. Les ordres donnés sont exécutés par le détachement des forces spéciales présent sur place, lequel peut bénéficier, en soutien, des moyens de nos forces prépositionnées ou en opérations extérieures sur le continent.

Toutefois, si ce schéma de commandement est clair et si divers plans d’opérations ont été préparés à l’avance en fonction de différents scenarii possibles, mettre un terme à une prise d’otages d’AQMI est une mission risquée et délicate dont l’issue demeure très incertaine. Vos Rapporteurs ont en mémoire l’échec de la tentative pour sauver Vincent Delory et Antoine de Léocour, enlevés le vendredi 7 janvier 2011, à Niamey. A l’initiative du pouvoir politique, nos forces spéciales ont monté, en une dizaine d’heures, une opération d’envergure visant à intercepter les terroristes et à libérer nos deux jeunes compatriotes. A cette fin, trois hélicoptères en provenance de Ouagadougou transportant deux groupes de commandos du 1er RPIMa furent mobilisés et parvinrent à rattraper le convoi d’AQMI qui avait été étroitement surveillé, jusque là, par un Bréguet Atlantique 2 basé à Niamey. Au cours de l’assaut deux des terroristes furent tués mais aussi deux gendarmes nigériens qui avaient également pris en chasse le convoi mais dont la présence, sur le terrain, était ignorée des forces françaises. Vincent Delory et Antoine de Léocour périrent également lors de l’intervention dans des circonstances qui n’ont pas pu, à ce jour, être pleinement établies (70).

Cette opération est bien évidemment un échec puisque son but était de libérer nos deux compatriotes et que celui-ci n’a pas été atteint. Pour autant, cet échec ne doit pas disqualifier, à l’avenir, ce genre d’interventions. La décision de conduire un assaut n’a pas été prise à la légère et en aucun cas nos soldats n’ont reçu pour ordre d’abattre les terroristes au mépris de la vie des otages. La douleur et la colère des familles des deux victimes qui se manifeste aujourd’hui est compréhensible mais il est inexact d’affirmer que l’opération menée par nos forces spéciales n’aurait eu pour seul but que de « sacrifier » deux otages ayant une faible valeur car jeunes, étudiants et n’appartenant pas au monde des médias. Il ressort des auditions menées par la mission que jamais un tel « calcul » cynique n’a été effectué par les autorités françaises.

ii) faire preuve d’une plus grande fermeté.

Lorsqu’on visionne le film de l’intervention des forces françaises contre le convoi qui détenait Antoine de Léocour et Vincent Delory, il apparaît que des terroristes prennent la fuite et qu’ils ne sont pas inquiétés. Le journaliste commentant la scène indique que nos soldats n’ont pas reçu d’ordre en ce sens et qu’ils doivent donc se contenter de les laisser partir. Une telle explication est parfaitement plausible. Au cours de la précédente législature, un de vos Rapporteurs travaillant sur les violences commises à l’encontre des journalistes et correspondants de guerre, avait déjà eu l’occasion de déplorer le manque de fermeté de plusieurs Etats – dont la France – qui omettent trop souvent de saisir la justice ou de poursuivre les responsables(71). Un « droit de suite » doit être exercé chaque fois que cela est possible. Si nos forces armées présentes dans le Sahel viennent à obtenir des informations indiquant qu’une intervention est possible contre une katiba avec un risque réduit de mettre en danger la vie d’éventuels otages ou si ces derniers ont été libérés et sont hors de danger, il faut agir et frapper. Il en va de la crédibilité de notre pays, mais aussi de la prévention de la réitération d’actes terroristes.

c) Maintenir une présence adéquate sur le terrain

i) forces prépositionnées, opérations extérieures et présences plus discrètes

La capacité d’action de l’armée française contre les katibas d’AQMI dépend étroitement de leur répartition sur le terrain. Intercepter un convoi de preneurs d’otages entre le lieu de l’enlèvement et la zone de refuge est, nous venons de le voir, une tâche délicate. Mais celle-ci est rendue encore plus complexe de par l’immensité du territoire sur lequel nos forces sont susceptibles d’intervenir. AQMI évolue dans une région semblable, de par la taille, à un quadrilatère qui relierait Londres, Moscou, Odessa et Rome (72) ! C’est là un « terrain de jeu » très commode pour des terroristes désireux d’échapper aux poursuites. Par exemple, en à peine dix heures, un pick-up peut couvrir une distance de près de 800 kilomètres ! Il est donc indispensable que nos moyens militaires soient suffisamment proches des zones sensibles pour pouvoir intervenir si l’ordre leur en est donné.

A cet égard, les forces françaises présentes, à long terme, sur le sol africain sont un indéniable atout pour notre pays. Ces forces sont principalement de deux types : soit elles sont prépositionnées, c'est-à-dire qu’elles sont installées à titre permanent sur le territoire d’un pays ami ; soit elles relèvent d’opérations extérieures et ont vocation, une fois celles-ci terminées, à rentrer dans leur totalité en France.

En Afrique, les Forces prépositionnées sont basées à Djibouti, au Gabon et au Sénégal. Elles représentent un total d’environ 3500 militaires

EFFECTIFS DES FORCES PRÉPOSITIONNÉES EN AFRIQUE A LA FIN DE 2011 (73)

 

Terre

Air

Marine

Autres

Total fin 2011

Djibouti

750

462

209

741

2 162

Sénégal

97

68

52

215

432

Gabon

553

49

0

381

983

Total

1400

579

261

1337

3577

Le déploiement de forces françaises dans le cadre d’opérations extérieures concerne le Tchad, la Côte d’Ivoire et la République centrafricaine. Au total, 1650 militaires français étaient déployés, en janvier 2012, dans ces trois pays.

Par ailleurs, quelques Etats africains accueillent de faibles effectifs militaires français pour répondre à des besoins de formation. Certains acceptent aussi la présence discrète de soldats et d’aéronefs relevant du commandement des opérations spéciales, dans le but d’assurer la réponse la plus efficace possible contre la menace terroriste.

L’ensemble de ces moyens permet de mettre en œuvre, sur court préavis, des capacités de renseignement et d’intervention pouvant être utilisées contre AQMI. Par exemple, très rapidement après l’enlèvement des cinq Français et des deux étrangers, à Arlit, en septembre 2010, la France a pu déployer au-dessus de la zone des avions patrouille maritime Atlantique 2, en provenance notamment de N'Djamena et du Sénégal. Ces avions peuvent rester en vol pendant près de 18 heures et sont parfaitement adaptés à surveiller le désert, les immensités sableuses offrant des conditions assez proches de celles rencontrées au-dessus des océans. C’est de ce même type d’avion – basé temporairement à Niamey – qu’a été filmé l’accrochage entre les forces françaises et les terroristes d’AQMI qui avaient enlevé Vincent Delory et Antoine de Léocour, à Niamey, en janvier 2011. La mission Epervier, au Tchad, revêt également un grand intérêt puisque, à l’instar des autres forces françaises présentes dans la région, ses moyens sont susceptibles d’être utilisés en soutien des opérations menées dans la zone, notamment grâce à sa capacité de transport tactique (avions C160 Transall).

ii) une reconfiguration qui ne doit pas nuire à l’efficacité du dispositif

Depuis plusieurs années, la présence militaire française en Afrique fait l’objet d’une importante réorganisation. Jusqu’en 2008, par exemple, notre pays entretenait des forces prépositionnées en Côte d’Ivoire. L’Opération Licorne a permis de rapatrier, en France, les 484 soldats du 43ème Bataillon d’Infanterie de Marine qui étaient présents de manière permanente sur le sol ivoirien. Au Sénégal, la France devrait, à l’avenir, déployer un maximum de 300 militaires – contre 1200 il y a encore quelques années – chargés de missions de formation et de coopération avec l’armée locale. S’agissant du Tchad, la place des militaires français, présents depuis le début des années 1980, est particulière car bien qu’ayant le statut d’opération extérieure, notre dispositif s’apparente plus à celui de forces prépositionnées. Aucun agenda n’a été fixé, pour l’heure concernant l’évolution de cette mission, mais une réduction de nos forces n’est pas à écarter.

Cette reconfiguration a été préconisée par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 et prescrit par la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014. Selon ces deux textes, la réorganisation de notre dispositif en Afrique devait reposer essentiellement autour de deux pôles, l’un à l’ouest et l’autre à l’est du continent. Le recentrage de notre présence au cours des dernières années a donc été engagé dans cet esprit mais, heureusement, la logique du Livre blanc et de la loi de programmation n’a pas été appliquée intégralement. Vos Rapporteurs tiennent à relever le grand intérêt que revêtent nos forces prépositionnées et le handicap que provoquerait la création de deux grands « hubs » de part et d’autre de l’Afrique, avec une présence fortement réduite entre les deux. Au-delà de simples considérations opérationnelles, l’intérêt, pour notre pays est également financier : maintenir des forces prépositionnées coûte nettement moins cher que d’affréter, le jour où c’est nécessaire, avions et navires pour ramener des effectifs en nombre suffisant. Aussi doit-on saluer l’accord de défense récemment conclu par la France et la Côte d’Ivoire, idéalement placée au sud du Sahel. Cet accord devrait permettre, après l’opération Licorne, le maintien de 300 militaires français chargés de la formation de l’armée ivoirienne mais aussi d’apporter une contribution significative dans la lutte contre le terrorisme. En tout état de cause, vos Rapporteurs soulignent l’attention qui devra être portée à l’actualisation du Livre blanc sur la Défense nationale qui devrait intervenir en fin d’année 2012 ou au début 2013. D’ores et déjà, un travail de mise à jour du contexte international et stratégique a été entrepris par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, lequel mentionne à plusieurs reprises le risque que fait peser l’arc sahélien sur la sécurité des Français (74). Il importera de veiller à ce que le Livre blanc et la loi de programmation militaire à venir tiennent comptent de cette menace, en prônant le maintien d’une présence militaire adéquate en Afrique.

2) Réduire le risque de nouvelles prises d’otages

Réduire le risque de nouvelles prises d’otages au Sahel passe d’abord par une sécurisation optimale de la présence française dans cette région. Mais elle peut également résider dans une nouvelle approche de la réponse apportée aux demandes de rançons formulées par les terroristes.

a) Une présence française mieux sécurisée

Si la présence française a considérablement décrue au Sahel du fait de l’extension des zones « rouge » et orange »(75), elle n’a pas pour autant disparu. Certaines activités ne peuvent quitter la région et le Quai d’Orsay, par l’intermédiaire, notamment, de son centre de crise, a pris des mesures destinées à sécuriser au mieux les Français qui continuent d’y vivre. C’est notamment le cas des ONG et des missions de coopération décentralisée des collectivités territoriales, nombreuses dans le Sahel. Elles ont fait l’objet de plusieurs actions d’information et de sensibilisation au risque terroriste. C’est aussi le cas des entreprises qui font l’objet d’un suivi régulier et avec lesquelles un dialogue a été engagé pour définir, au mieux, les mesures de protection du personnel expatrié, quand bien même celles-ci coûtent cher (76). Il a ainsi été demandé aux sociétés françaises présentes dans les zones sensibles de produire des plans de sécurité qui ont ensuite été instruits par le ministère des Affaires étrangères et les autres administrations concernées. La première et principale entreprise concernée par ce dispositif a été Areva. L’examen de son plan de sécurité – le plan Milan – a duré six mois avec, notamment, plusieurs missions sur place. Ce plan a été approuvé et est aujourd’hui en cours de déploiement avec une augmentation progressive des effectifs. Le nombre d’expatriés français employés directement par Areva, au Niger, s’élève aujourd’hui à 25 personnes. Fin 2012 ou début 2013, la société devrait en compter environ 300, avec une montée en puissance liée à l’ouverture du site d’Imuraren.

Bien évidemment, l’efficacité de cette sécurisation va aussi dépendre de l’implication des forces de sécurité locale. Il faut du personnel formé, équipé et sachant intervenir. Le Quai d’Orsay mène une coopération active en la matière avec les pays de la région. Si des progrès ont été réalisés au Mali, cela s’avère plus compliqué au Niger, qui interdit – même après les prises d’otages d’Arlit de septembre 2010 – le port d’armes à feu aux employés de sociétés privées, en particulier par crainte que ces armes profitent aux mouvements touareg.

b) Le piège des rançons ?

Comme vos Rapporteurs l’ont souligné, il est difficile d’obtenir des précisions sur les conditions dans lesquelles ont eu lieu les libérations d’otages par AQMI. En revanche, il est vraisemblable que d’importantes rançons ont été à chaque fois versées. Depuis l’enlèvement de 32 touristes européens dans le sud de l’Algérie, en février 2003, AQMI a réussi à amasser un imposant trésor de guerre, en expansion constante du fait d’exigences toujours plus élevées. Mais au-delà d’avoir su percevoir le potentiel financier des prises d’otages, AQMI a aussi réussi à alimenter de vives tensions diplomatiques concernant l’attitude à adopter face à ses exigences financières. En effet, le paiement des rançons est un acte qui divise et qui est à l’origine de sérieuses controverses entre puissances occidentales et les Etats sahéliens. D’une part, céder aux terroristes revient à les financer et, donc, in fine à soutenir leurs actions. D’autre part, avec la spectaculaire inflation des demandes de rançons constatée au cours des dernières années (77) s’est répandue l’impression qu’une vie étrangère vaudrait bien plus qu’une vie sahélienne. Une telle approche a des effets dévastateurs auprès des populations locales. Particulièrement précaires, elles comprennent difficilement qu’une telle masse d’argent alimente directement les auteurs des violences, au détriment de ceux qui en ont le plus besoin.

Dès lors, de nombreux Etats ont publiquement fait état de leur refus de payer toute rançon. C’est le cas, notamment, des pays du champ (Algérie, Mali, Mauritanie et Niger). C’est également le cas du Royaume-uni et des Etats-Unis. Le Conseil de sécurité des Nations-Unies a également pris position, en 2009, en faveur du non paiement des rançons réclamées par les mouvements terroristes(78). Une telle attitude relève d’un choix politique fort qui, bien sûr, peut être difficile à assumer. Abou Zeid a ainsi exécuté un otage britannique, Edwin Dyer, le 31 mai 2009, à la suite du refus du gouvernement du Royaume-Uni de payer la rançon qu’il demandait. La règle du non paiement serait alors parfois détournée, en recourrant à des intermédiaires ou par le biais d’assurances privées qui, en versant eux-mêmes une rançon, n’engagent pas la responsabilité des Etats impliqués.

Vos Rapporteurs constatent que la France, dont les autorités n’ont jamais officiellement et publiquement proscrit le paiement de rançons, est aujourd’hui le pays le plus touché par les enlèvements au Sahel. Or, la position – ou plutôt l’absence de position – de la France est un élément qui brouille le message de fermeté qu’elle souhaite faire passer en entretenant, en Afrique, un dispositif militaire prépositionné assez discret mais réactif dont elle n’hésite pas à faire usage. Il serait sans doute souhaitable qu’une réflexion s’engage rapidement sur l’opportunité d’un changement d’attitude vis-à-vis des demandes de rançon, dans le but notamment d’assécher les sources de revenus des groupes terroristes, mais aussi d’anéantir toute incitation aux prise d’otages. Comme pour nos alliés, ce choix serait difficile à effectuer et pourrait, dans certains cas, être douloureux. Mais il est certainement inévitable pour mener à bien le processus d’éradication de la violence au Sahel.

B - Combattre AQMI plus efficacement

1) Une plus grande mobilisation des Etats sahéliens est nécessaire

Si la France et les puissances occidentales ont un rôle à jouer, en particulier en matière de formation et d’appui logistique, la lutte contre AQMI relève avant tout des Etats sahéliens. Indépendants, ils sont ceux qui connaissent le mieux le terrain et c’est leur responsabilité première de s’opposer aux katibas qui, à partir de leur territoire ou sur ce dernier, commettent des actes terroristes et ont recours à la violence. De surcroît, AQMI doit d’abord être combattue au niveau local, car toute intervention directe et massive d’Etats étrangers à la région ne peut que conforter la mouvance terroriste dans sa rhétorique anti-occidentale et accroître l’instabilité.

Cependant, vos Rapporteurs ont pu constater que, dans les faits, les Etats sahéliens ont des niveaux d’implication différents et des attitudes parfois quelque peu ambiguës.

a) L’indéniable implication du Niger et de la Mauritanie

i) la Mauritanie

La Mauritanie est probablement le pays qui a été le plus efficace et le plus actif militairement contre la menace que représente AQMI. A ce titre, elle est devenue une cible privilégiée pour les cellules terroristes et a connu de nombreuses attaques au cours des dernières années, notamment l’assassinat de quatre touristes français à Aleg (décembre 2007), la mort de douze militaires mauritaniens (septembre 2008), l’assassinat d’un citoyen américain à Nouakchott (juin 2009), un attentat suicide contre l’ambassade de France (août 2009), l’enlèvement de trois ressortissants espagnols sur la route reliant la capitale à Nouadhibou et de deux touristes italiens près de la frontière malienne (novembre et décembre 2009), mais aussi la tentative d’attentat contre une caserne militaire (août 2010) et celle contre l’ambassade de France et la présidence de la République (février 2011).

Vos Rapporteurs saluent la volonté du président Abdel Aziz de faire de la lutte contre AQMI une priorité, au même rang que d’autres préoccupations telles que le développement économique et social du pays. Cette lutte a ainsi été organisée sur deux niveaux. Sur le plan des idées, tout d’abord, le fait que la Mauritanie soit une République islamique a permis de mobiliser la population sur la base d’un « djihad contre le djihad » d’AQMI. Au niveau opérationnel, ensuite, les autorités mauritaniennes reconnaissent leur obligation morale et leur responsabilité de sécuriser leur vaste territoire. A cette fin, elles ont défini une « stratégie de défense dynamique et offensive » qui vise à ne tolérer aucune zone de non droit et à ne pas s’interdire des actions en dehors du territoire comme l’a montré une opération dans la forêt de Wagadou, en juin 2011 (79). L’armée mauritanienne coopère également avec les forces françaises et a eu l’occasion de mener à plusieurs reprises des opérations conjointes(80).

Cette politique – qui coûte cher à la Mauritanie – a permis d’inverser la tendance et de freiner grandement les attaques d’AQMI contre des cibles mauritaniennes. Aujourd’hui, une attaque frontale des katibas contre les forces armées ou de sécurité semble exclue. Les autorités locales restent, cependant, en alerte et savent que le risque zéro n’existe pas, le danger pouvant notamment venir d’un véhicule suicide qui viendrait cibler un poste isolé ou un endroit symbolique, telle que la présidence de la République.

L’implication de la Mauritanie doit également être soulignée dans le domaine judiciaire. Au cours des derniers mois la police a procédé à plusieurs arrestations d’hommes soupçonnés appartenir à AQMI, certains étant impliqués dans le meurtre des quatre Français, en décembre 2007, d’autres dans l’enlèvement de deux Espagnols et d’une Italienne, près de Tindouf (Algérie), en octobre 2011. En janvier 2012, les autorités mauritaniennes ont également collaboré avec la justice française en acceptant qu’un juge anti-terroriste français entende, dans sa cellule de la prison de Nouakchott, un détenu soupçonné d’appartenir à AQMI et d’avoir été en contact avec des membres du commando djihadiste qui avaient pris en otages Vincent Delory et Antoine de Léocour. Enfin, le gouvernement mauritanien est sur le point de créer un pôle judiciaire de lutte anti-terroriste qui devrait améliorer le traitement de ces affaires, mais aussi servir d’appui institutionnel aux demandes d’entraide pénale émanant de magistrats français.

ii) le Niger

Comme la Mauritanie, le Niger n’est pas épargné par AQMI. En témoignent les enlèvements de l’envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies, M. Robert Fowler, et de son assistant, le 14 décembre 2008 et de quatre touristes européens, en janvier 2009, près de la frontière avec le Mali. Par la suite, les événements se sont dramatiquement accélérés avec un attentat suicide contre une garnison, en mars 2010 et une série d’enlèvements en moins d’un an : Michel Germaneau (le 20 avril 2010), les sept otages d’Arlit (le 16 septembre 2010), Vincent Delory et Antoine de Léocour (le 7 janvier 2011).

Depuis ces prises d’otages, le Niger n’a fait l’objet d’aucune attaque ou d’une tentative d’attaque contre des intérêts étrangers. Il est parvenu, jusqu’ici, à éviter toute installation permanente de groupes liés à AQMI même si les katibas terroristes continuent encore d’utiliser son territoire pour circuler, en particulier du nord du Mali vers la Libye.

Aidé par la France, qui a accru son aide après les enlèvements d’Arlit, le gouvernement nigérien fait preuve de bonne volonté dans la lutte contre le terrorisme, et ce, en dépit de moyens limités(81). Il a, par exemple, répondu présent aux demandes de notre pays de mieux sécuriser nos postes diplomatiques et les départs et arrivées de certains vols sensibles tels ceux d’Air France. Il contribue grandement à la reprise des activés d’Areva sur le site d’Imouraren, malgré le poids que cela représente sur ses effectifs militaires(82). Le Niger s’est également équipé de deux petits avions d’observation bimoteurs DA42 qui lui donne des moyens de surveillance, quand bien même ceux-ci sont fort insuffisants, eu égard à l’immensité de son territoire. De même, l’armée nigérienne parvient parfois à intercepter des convois et à assurer, malgré tout, une certaine présence dans le nord du pays. Vos Rapporteurs soulignent enfin que le Niger s’est fixé pour objectif, d’ici 2012, de mettre sur pied deux bataillons – soit 1200 hommes – dédiés à la lutte contre AQMI.

b) Vers la fin des ambiguïtés algériennes et maliennes ?

i) l’Algérie

L’Algérie et AQMI sont intimement liés par l’histoire, la géographie et la sociologie. L’organisation terroriste, héritière du GIA et du GSPC, y est née et ses cadres sont encore aujourd’hui essentiellement algériens (83). De même, les salafistes sont encore aujourd’hui actifs dans le nord du pays, y compris à proximité de la capitale. Vos Rapporteurs ont constaté que les autorités algériennes cherchent à établir une différence entre les actions d’AQMI sur le sol algérien et celles des katibas sahéliennes. Parmi les personnes rencontrées lors du déplacement de la mission dans ce pays, certaines ont fortement minimisé les connexions entre ces deux « fronts » et toutes ont insisté sur la nécessité d’avoir deux approches.

Sur le plan opérationnel, l'Algérie avance, au rang de ses succès, la victoire remportée contre le terrorisme intérieur qui a fait tant de ravages dans les années 90 à l’époque du GIA. En effet, en une dizaine d’années, les effectifs de ce dernier sont passés de plus de 20 000 à moins de 500 combattant et la violence est aujourd’hui beaucoup moins répandue qu’elle ne l’a été par le passé. En revanche, les efforts pour affronter AQMI dans le sud du pays n’ont pas été aussi intenses, comme si l’Algérie n’avait pas forcément été mécontente d’avoir relégué à la marge, dans le Sahara et chez ses voisins, une partie des effectifs terroristes. Les autres Etats sahéliens, qui attendent beaucoup d’un Etat algérien plus riche qu’eux, regrettent ce désengagement. Il est incontestable que, jusqu’à présent, l'attitude de l’Algérie face à la menace représentée par AQMI sur son flanc sud a été ambiguë et a pu confiner au double, voire triple langage. Par exemple, elle assure prendre au sérieux cette menace, mais s'affirme résolument contre toute action concertée impliquant l'armée algérienne hors de son territoire (84) et déclare, en même temps, que l'inaction malienne et les incertitudes en Libye sont une menace directe pour sa sécurité. De même, il est frappant de constater que l'organisation géographique de l'outil militaire algérien, de loin le plus important de la région, traduit un fort conservatisme dans la pensée stratégique, car entièrement tournée vers la « menace » que représenterait le Maroc.

Pourtant, l’Algérie a des atouts évidents pour contribuer à combattre plus efficacement AQMI. Outre sa proximité « historique » avec cette organisation et des moyens supérieurs à ceux de ses voisins, ses services secrets disposent d’un réel savoir-faire en matière de lutte antiterroriste qui leur a permis d’arrêter de nombreux djihadistes ces dernières années. Aussi vos Rapporteurs émettent-ils le souhait que l’Algérie s’engage plus intensément dans la lutte contre les katibas sahéliennes d’AQMI. Il semble que des efforts aient récemment été entrepris en ce sens puisque des manoeuvres communes avec l’armée malienne ont été organisées, juste avant le déclenchement de la nouvelle rébellion touareg.

ii) le Mali

Le Mali est historiquement considéré comme le maillon faible de la lutte contre AQMI, et désigné comme tel par tous ses voisins. Un des principaux reproches formulé à son encontre serait qu’il aurait délibérément choisi de préserver le pays utile, c’est à dire le sud, où sont concentrés les ressources majeures, comme le coton, par exemple, au détriment d’un nord trop grand, méconnu et peuplé, entre autres, de Touareg réputés hostiles au pouvoir de Bamako. Dans les faits, il est indéniable que la situation sécuritaire dans le nord du Mali s’est fortement dégradée ces dernières années avec, récemment, deux spectaculaires enlèvements qui ont fortement ému le pays. Le premier s’est produit le 24 novembre 2011, à Hombori, et a visé deux Français, Serge Lazarevic et Philippe Verdon (85). Le second eut lieu le lendemain, à Tombouctou où AQMI s’est emparé de trois touristes européens et a tué un quatrième qui essayait de résister. A l’occasion de ces deux affaires, la presse malienne fut très critique à l’égard des autorités locales, coupables, selon elle, de laxisme, voire d’irresponsabilité. Selon certains journaux, les preneurs d’otages étaient parfaitement identifiables et poussèrent la provocation jusqu’à parader à Tombouctou dans leurs pick-up !

Plusieurs facteurs jouent en défaveur du contexte sécuritaire malien actuel. Tout d’abord, on ne peut que déplorer, dans ce pays, un niveau de corruption très important, supérieur sans doute au reste d'une région pourtant fortement touchée par ce phénomène. Il est ainsi inutile de rappeler que le nord du Mali est considéré comme une plaque tournante du trafic de drogue vers l'Europe, notamment de la cocaïne sud américaine. En second lieu, les forces armées maliennes, essentiellement originaires du sud du pays, sont inadaptées et montrent rapidement leurs limites lorsqu’elles sont envoyées dans les régions désertiques septentrionales qu'elles ne connaissent pas. Enfin, de manière plus ciblée, vos Rapporteurs constatent que l’attitude du Président de la République malienne, Amadou Toumani Touré concentre les critiques les plus virulentes. Celles-ci vont de la simple apathie à des accusations beaucoup plus graves faisant état d’un « pacte » conclu entre le chef de l’Etat et AQMI.

L’honnêteté oblige à nuancer ces reproches. En ce qui concerne l’implication des forces militaires maliennes, s'il est avéré que les bases logistiques des katibas d'AQMI se trouvent bien au nord du Mali, notamment dans l'Adrar des Ifoghas, l'armée a malgré tout subi des pertes importantes en les combattant. De plus, le très faible niveau de développement de l'Etat malien, combiné à la division historique entre le Sud, contrôlé par Bamako, et le Nord, en proie aux révoltes touareg depuis l'indépendance, rend difficile la conduite de toute opération militaire efficace. Par ailleurs, le Mali ne s’accroche pas, contre toute raison, à sa souveraineté et sait faire des concessions : il a récemment accepté l'intrusion d'armées étrangères, en l'occurrence mauritanienne, sur son territoire, lorsqu’elles poursuivaient des terroristes. Enfin, s’agissant plus particulièrement des critiques visant le Président Amadou Toumani Touré, là aussi de fortes nuances doivent être apportées. Tout d'abord, la décision de nommer un nouveau ministre des affaires étrangères, M. Soumeylou Boubèye Maïga, en avril 2011, a rassuré tous les observateurs et convaincu les Occidentaux que l'Etat malien avait choisi de prendre en charge plus frontalement la lutte contre AQMI (86). Ensuite, le Mali a choisi de se doter d'un plan national très ambitieux de développement pour rapprocher le Nord du niveau atteint par le reste du pays. Surtout, la politique malienne est contrainte par la question touareg : avant même que n’éclate à nouveau la rébellion, il était très risqué de lancer des offensives militaires dans une région très peu intégrée à l'ensemble du territoire malien. Il est bien évidemment inenvisageable, aujourd’hui, pour le Mali de combattre deux fronts simultanés, un contre AQMI et l’autre contre les rebelles touareg.

En tout état de cause, 2012 va être une année charnière pour le Mali. Non seulement, la crise touareg, mais aussi l’élection présidentielle prévue, pour l’instant, à la fin du mois d’avril – et à laquelle le Président Amadou Toumani Touré ne pourra participer en vertu de la Constitution actuelle – vont déterminer l’avenir du pays et sa capacité, ou non, à faire face au défi terroriste.

2) Une meilleure coopération régionale dans le domaine de la sécurité est indispensable

AQMI se joue des frontières. Les Etats sahéliens doivent combattre cette organisation, mais ils ne peuvent le faire tout seuls. La coopération dans le domaine de la sécurité est donc un enjeu majeur pour l’avenir de la région et il apparaît que la menace d’AQMI a, peu à peu, provoqué une prise de conscience et des comportements nouveaux parmi les acteurs régionaux. Ces initiatives locales sont, cependant, loin d’être suffisantes et doivent être soutenues par la communauté internationale, laquelle mène déjà plusieurs initiatives en ce sens.

a) des initiatives locales insuffisantes

La coopération régionale dans la lutte contre le terrorisme au Sahel est un processus difficile. Elle butte sur les faibles moyens des Etats de la région, mais aussi sur des méfiances historiques, culturelles et politiques, ainsi que sur d’inévitables rivalités territoriales et les craintes d’atteinte à la souveraineté nationale. Les moyens disproportionnés de l’Algérie, par exemple, ont toujours provoqué des tensions, alors que paradoxalement, ses voisins lui reprochaient son désintérêt vis-à-vis de son flanc sud. Comme vos Rapporteurs l’ont souligné, le Mali a toujours été considéré comme le maillon faible de la lutte contre AQMI et a essuyé de vives critiques de la part des autres Etats du champ, estimant qu’il ne s’occupait pas assez de ce problème ou qu’il faisait de mauvais choix. A cet égard, Alger et Nouakchott reprochèrent vivement au Mali sa décision de relâcher quatre membres d’AQMI pour obtenir la libération de l’otage français Pierre Camatte. De même, pendant longtemps, les relations de la Mauritanie et du Niger avec leurs voisins ont été brouillées, en raison des critiques qu’avaient soulevées les coups d’Etat ayant permis aux présidents Ould Abdel Aziz et Issoufou d’arriver au pouvoir (87).

En dépit de ces freins réels à une meilleure coopération locale, quelques initiatives louables ont été entreprises.

Au niveau diplomatique, tout d’abord, les autorités de chaque Etat de la zone n’hésitent plus (88) à se parler, que ce soit dans le cadre d’échanges bilatéraux ou lors de conférences multilatérales. Plusieurs réunions se sont tenues à Alger, en mars 2010, à Bamako, en mai 2011 puis de nouveau à Alger en septembre dernier et ont, à chaque fois, conclu au besoin d’une coopération accrue mais aussi à la nécessité de ne plus payer de rançons lorsque les terroristes parviennent à capturer des otages.

Sur le terrain, le dialogue entre pays sahéliens ne s’est pas traduit par des actions de grande ampleur et d’une efficacité significative. Il est néanmoins permis de saluer les accords bilatéraux conclus entre certains Etats et autorisant la poursuite de terroristes sur le territoire d’un autre Etat (89). De même peut-on se féliciter d’un début de coopération opérationnelle entre le Mali et l’Algérie constaté il y a quelques semaines, juste avant que ne survienne la nouvelle rébellion touareg. Il convient également de souligner l’organisation d’une opération militaire menée conjointement par la Mauritanie et le Mali, le 24 juin dernier, dans la forêt de Wagadou, située sur le territoire malien et qui semble avoir permis de rassembler de nouvelles informations sur la présence d’AQMI au Sahel (90). Plus intéressante a été la création, en avril 2010, d’un état major commun aux pays du champ (Algérie, Mauritanie, Niger et Mali). Cette structure est aujourd’hui installé en Algérie, à Tamanrasset, et est connue sous le nom de CEMOC (Comité d’Etat major conjoint). Dotée d’un centre de renseignement à Alger, elle a pour objectif de mieux coordonner les actions des quatre Etats concernés et d’arriver à mener des opérations conjointes sur le territoire de chacun d’eux. La direction du CEMOC échoit, à tour de rôle, à un militaire issu d’un des pays participants. Si, sur le papier, cette structure, unique en Afrique, montre une réelle volonté de progrès et une détermination affirmée face à la menace d’AQMI, elle est encore loin d’être opérationnelle. Ni une intervention militaire commune d’envergure ni même des patrouilles conjointes et régulières ne sont, encore aujourd’hui, envisageables.

b) un soutien international incontournable

Les faiblesses du processus de coopération dans le domaine de la sécurité engagé par les Etats du Sahel rendent nécessaire l’appui de la communauté internationale, en particulier des pays disposant des moyens et d’une expérience suffisants en la matière. A ce titre, la France et les Etats-Unis apportent une assistance majeure qui reste cependant discrète, afin ne pas faciliter la rhétorique islamiste qui ne pourrait qu’exploiter une présence trop visible des puissances occidentales dans la région. Mais Français et Américains ne sont pas seuls et d’autres acteurs tentent également d’apporter des solutions aux problèmes que rencontre le Sahel dans le domaine de la sécurité.

i) la France, un appui capital

Parce qu’elle est historiquement et culturellement très présente dans la région mais aussi parce qu’elle est la principale cible du terrorisme salafiste au Sahel, la France apporte, en matière de sécurité et de défense, un appui indispensable aux Etats du champ, à l’exception toutefois de l’Algérie qui n’accepte pas l’aide de l’ancienne puissance coloniale.

- le rôle central de la DCSD

L’aide de la France avec les Etats sahéliens en matière de sécurité intérieure passe par des actions de formation des cadres mais aussi des unités. Elle se traduit également par un soutien matériel et des missions de conseil avec, notamment, la mise à disposition de coopérants. Il revient à une direction du ministère des Affaires étrangères, la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD), de mettre en œuvre cette coopération structurelle avec les Etats étrangers, dans les domaines de la défense et de la sécurité, intérieure et civile. La DCSD existe sous sa forme actuelle depuis 1998, mais l’idée même de sa mission est apparue au moment de l’indépendance des Etats africains, au début des années 60.

La DCSD est composée de diplomates, de militaires, de policiers et d’experts de la sécurité civile. De par la nature de ses missions, elle travaille en étroite concertation avec les ministères de la Défense et de l’Intérieur. A ce titre, sur le plan militaire, elle est complémentaire de la coopération opérationnelle que mènent l’État-major des armées, les différentes armes et la Gendarmerie. En ce qui concerne la sécurité intérieure, son action s’ajoute à celle de la direction de la coopération internationale (DCI, ex-SCTIP) du ministère de l’Intérieur.

Un des outils privilégiés des missions de coopération de défense et de sécurité menées par la DCSD sont les écoles nationales à vocation régionales (ENVR). Créés en 1997, elles sont aujourd’hui au nombre de seize réparties dans dix Etats africains (91). Elles ont été créées par des conventions bilatérales, dans le but d’aider un pays à développer une école militaire spécialisée ouverte aux autres pays de la région. Dans les faits, le pays hôte fournit le terrain, les bâtiments, les moyens et l’encadrement nécessaires au fonctionnement général de l’école. La France, elle, apporte son soutien technique et l’expertise nécessaire au contenu des formations et, en contrepartie de cette aide, le pays hôte accepte l’accueil de stagiaires en provenance d’autres pays d’Afrique. Plus de 15.000 stagiaires ont été formés depuis le lancement du réseau et chaque année, environ 2.400 élèves originaires d’une trentaine de pays, passent par les ENVR. Les formations proposées abordent un large éventail de domaines, tous liés à la sécurité ou à la défense : formation militaire générale ou spécialisée, santé, déminage, maintien de l’ordre, police judiciaire, génie, protection civile, sécurité maritime...

Le réseau des ENVR (92)

- coopération de sécurité intérieure

Outre les ENVR, l’aide en matière de sécurité intérieure passe aussi par le Fonds de solidarité prioritaire (FSP) du ministère des Affaires étrangères, qu’anime également la DCSD. Cet instrument a pour vocation de financer, à travers des projets pluriannuels, l’appui apporté par la France à des pays jugés « prioritaires ». Deux de ces projets ont particulièrement intéressé les Etats du champ. Tout d’abord, le projet « Justice et sécurité en région sahélo-saharienne », plus connu par son acronyme « JUSSEC », a été mise en place en juillet 2009 pour une durée trois ans. Il a pour objectif d’améliorer la lutte contre AQMI et la criminalité organisée à travers le renforcement des moyens judiciaires et des services de police et de gendarmerie. Le deuxième projet, plus récent, est « AFORMA » (« Appui à la formation de la police et de la gendarmerie en Afrique »). Doté de 1 million d’euros sur trois ans, ce projet vise à opérer un renforcement structurel (politique de recrutement et de formation) des forces de sécurité intérieure de neuf pays partenaires et prévoit la création d’un vivier pérenne d’experts capables de prendre en charge efficacement la formation des polices et des gendarmeries africaines dans un certain nombre de domaines, dont la préparation aux opérations de maintien de la paix.

Concrètement, quelles actions de coopération de sécurité intérieure sont menées par la France auprès des Etats du Sahel ?

En ce qui concerne le Niger, notre aide s’est élevée à 1.080.000 euros en 2011 et s’est notamment traduite par la mise à disposition de deux coopérants de la Gendarmerie et de deux experts techniques internationaux de la police. 270.000 euros ont été engagés dans le cadre du programme JUSSEC, ce qui a permis de soutenir le Niger dans sa volonté de créer un pôle judiciaire anti-terroriste, à l’image de ce qui existe dans notre pays.

Dans le domaine de la sécurité intérieure, le Mali est éligible, lui aussi, à plusieurs projets du FSP dont JUSSEC et AFORMA. En 2011, un effort a été entrepris pour soutenir la gendarmerie et la garde nationale maliennes à hauteur, respectivement, de 80.000 et de 86.000 euros. Les actions ont notamment porté sur du conseil de haut niveau, la formation des cadres et des unités.

S’agissant de la Mauritanie, 531.000 euros ont été consacrés, en 2011, à la coopération de sécurité intérieure, principalement dans le domaine de la formation et le renforcement des capacités de la gendarmerie, de la police et de la protection civile.

- coopération militaire

En matière de défense, la coopération de la France avec les pays du champ passe par trois canaux principaux : la mise à disposition de coopérants, l’attribution d’une aide logistique directe et des actions de formation qui se traduisent soit par l’accueil de stagiaires en France soit en ENVR.

Actions de coopération de défense menées par la DCSD, en 2011,
à l’égard du Niger, du Mali et de la Mauritanie 
(93)

 

Montant de l’aide de la DCSD

(en millions d’euros)

Nombre de coopérants mis à disposition

Montant de l’aide logistique directe

(en euros)

Stagiaires

Niger

3,18

13

345.000

21 en France

66 en ENVR

Mali

3,65

14

255.000

7 en France

63 en ENVR

Mauritanie

1,75

7

198.000

13 en France

13 en ENVR

Plus concrètement, s’agissant de la formation, l’armée française a formé, en Mauritanie, depuis la fin de 2009, un millier de soldats appartenant aux unités d’intervention (groupements spéciaux d’intervention – GSI) qui sont régulièrement engagées contre les katibas sahéliennes. Cette action n’est pas étrangère aux bons résultats de la Mauritanie dans la lutte contre le terrorisme puisque ce pays a réussi, à ce jour, à repousser AQMI hors de ses frontières et, comme nous l’avons vu, a même mené des actions préventives dans la forêt malienne de Wagadou. Notre armée de l’air a également un rôle à jouer en Mauritanie, en aidant à former pilotes et mécaniciens appelés à opérer sur les trois Embraer 312 Tucano dont dispose ce pays. Ces avions, d’origine brésilienne, sont parfaitement adaptés pour remplir des missions d’observation, voire d’appui au sol. Un soutien similaire est assuré auprès du Niger qui dispose d’une modeste aviation légère destinée à l’observation des frontières et des territoires désertiques. En ce qui concerne le Mali, qui accueille, sur son territoire, deux ENVR, vos Rapporteurs regrettent que les autorités de ce pays aient tardé à engager contre AQMI leurs 800 soldats formés par les instructeurs français.

Outre ces missions de formation, la nécessité de maintenir une présence militaire française adéquate en Afrique conduit notre pays à coopérer également avec les Etats sahéliens, à travers des opérations ponctuelles contre AQMI. Par exemple, après les enlèvements d’Arlit, en septembre 2010, le Niger aurait accepté que la France envoie une centaine de membres de ses forces spéciales et les deux armées ont mené des opérations conjointes dans la région.

- le refus algérien

Si les actions de coopération menée par la France avec le Niger, le Mali et la Mauritanie ont une indéniable consistance, tel n’est pas le cas avec l’Algérie pour qui les relations avec notre pays demeurent complexes et teintées de méfiance. Les Algériens refusent catégoriquement qu’une puissance occidentale vienne se fixer militairement et durablement sur son flanc sud ce qui, pourtant, n’est pas dans l’intention de la France qui reconnaît, au contraire, la responsabilité première des Etats du champ dans la lutte contre AQMI. Cette attitude s’explique, bien évidemment par le passé commun qui lie l’Algérie et notre pays. Et à quelques mois du cinquantenaire de l’indépendance algérienne, il est peu probable que des progrès interviennent dans le domaine de la coopération militaire entre les deux Etats. Ainsi, à l’exception des réunions semestrielles de l’initiative 5+5 défense (94), il n’y a aucun contact entre les forces militaires françaises et algériennes. Heureusement, les services de renseignement intérieur des deux pays semblent entretenir de bonnes relations, mais il est néanmoins regrettable qu’aucune coopération n’ait pu être établie, sur le plan militaire, entre la France et l’Algérie.

ii) les Etats-Unis, une présence significative

Comme la France, les Etats-Unis sont présents au Sahel, même s’ils ont également choisi une relative discrétion, en n’intervenant pas directement et massivement contre AQMI. Leur intérêt pour cette région date du début des années 2000 et la « guerre contre le terrorisme », mais il a été encore plus renforcé, ces derniers mois, du fait des conséquences sécuritaires de la crise libyenne. D’après les informations recueillies par vos Rapporteurs, les relations entre les Etats-Unis et la France s’agissant de la coopération militaire au Sahel sont très bonnes et reposent sur une confiance mutuelle, comme le montre, par exemple, l’accueil d’un officier de liaison français au sein du commandement militaire américain pour l’Afrique, l’USAFRICOM. De surcroît, l’action des deux pays peut être complémentaire : c’est le cas vis-à-vis de l’Algérie, laquelle, pour les raisons évoquées précédemment, accepte plus facilement de tendre la main aux Etats-Unis qu’à la France.

Le principal outil des Etats-Unis au Sahel est le « partenariat trans-Sahara pour l’anti-terrorisme », plus connu, dans la région, sous le nom de TSCTP, son acronyme anglais (95). Il a été instauré en 2005 et a pris le relais de l’initiative « Pan Sahel » qui, lancée en 2002, était un programme du Département d’Etat américain qui avait pour but d’assister le Mali, le Niger, le Tchad et la Mauritanie dans la lutte contre les groupes terroristes et de contrebande opérant sur et entre leurs territoires. Par rapport à cette initiative, le programme TSCTP concerne cinq Etats supplémentaires (Maroc, Algérie, Tunisie, Sénégal et Nigeria) et est doté d’un budget de 100 millions de dollars par an. Son volet militaire vise le terrorisme et les violences extrémistes et implique notamment une coopération régionale accrue, ainsi qu’un partage du renseignement entre les différentes forces de sécurité. L’aspect formation n’est bien évidemment pas exclu. En Mauritanie, par exemple, les Etats-Unis, comme la France, travaille à l’amélioration des capacités des « groupements spéciaux d’intervention », particulièrement aguerris, ensuite, pour combattre AQMI. Ils font de même au Mali avec les ETIA (Echelons tactiques interarmes) et viennent de céder gratuitement à l’armée malienne 70 véhicules, ainsi que des moyens de transmission.

Mais un des éléments les plus intéressants de la contribution des Etats-Unis à la coopération militaire en Afrique est la tenue régulière d’exercices de grande ampleur et réunissant les forces armées américaines, africaines et de certains pays membres de l’OTAN. Ces manœuvres, appelées « Flintlocks », se sont déroulées pour la première fois au Sahel en 2005 et rassemblèrent, à l’époque, des militaires en provenance du Mali, de Mauritanie, du Niger, d’Algérie, du Tchad, d’Algérie, du Sénégal, d’Europe, ainsi qu’environ un millier de soldats des forces spéciales américaines. Le dernier exercice de ce type a été « Flintlock 11 », organisé à Dakar en février 2011. Son objectif a été de développer une notion commune de partage du renseignement entre les différents Etats participants, mais aussi d’impliquer davantage d’acteurs civils dans la lutte contre le terrorisme. « Flintlock 12 » aurait du se tenir entre le 27 février et le 18 mars 2012 au Mali, mais les combats entre forces maliennes et rebelles touareg ont convaincu les Etats-Unis de le reporter.

iii) vers une plus grande internationalisation des réponses à la crise sahélienne ?

- l’Union européenne

En dépit de son importance stratégique pour l’Europe, le Sahel a longtemps pu paraître lointain à certains Etats européens. Or, la multiplication des attentats et des prises d’otages ne visant pas uniquement des ressortissants français a suscité un intérêt accru pour la région et une prise de conscience sur les risques qu’elle encourait mais aussi sur ceux qu’elle faisait courir.

En octobre 2010, trois mois après la mort de Michel Germaneau et quelques semaines après les enlèvements d’Arlit, le Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne demanda l’établissement d’une politique concrète et rapide pour le Sahel. Le service d’action extérieure de l’Union européenne a alors défini une « Stratégie européenne pour la sécurité et le développement dans le Sahel », communément appelé « Stratégie Sahel » qui a pour objectif d'aider les pays de la région à travers 4 axes stratégiques : le développement, la bonne gouvernance et le règlement des conflits internes ; la politique et la diplomatie ; la sécurité et l’État de droit et, enfin, la prévention et la lutte contre l'extrémisme violent et la radicalisation. Ce plan, doté de 600 millions d’euros, traite donc des différents domaines dans lesquels les pays du Sahel éprouvent les plus vives difficultés comme, par exemple, le développement et la sécurité. Il est envisagé qu’il permette la réalisation d’actions, tant à court terme (moins de 3 ans) qu’à plus long terme (entre 5 et 10 ans).

La mise en œuvre de cette stratégie européenne pour le Sahel suscite toutefois des inquiétudes. A ce jour, en particulier s’agissant de son volet « sécurité », il y a beaucoup de mots, mais peu d’actions concrètes semblent envisagées. Certains ont mis en cause le manque d’intérêt de Catherine Ashton pour cette question (96). Quelle que soit la réalité de ce reproche, il est indéniable que l’Union européenne, contrairement à quelques-uns de ses membres, comme la France, a tardé à prendre des mesures concrètes pour lutter contre AQMI et œuvrer au rétablissement de la sécurité dans le Sahel.

Toutefois, il convient de relever que le Conseil des affaires étrangères du 1er décembre dernier a laissé entrevoir la possibilité de mener des missions, au Sahel, dans le cadre de la PSDC (97). Les réticences de certains États membres, ainsi que le manque de réactivité du service diplomatique européen (SEAE), mais aussi la grave crise que traverse actuellement le Mali risquent toutefois de retarder quelque peu la prise de mesures concrètes dans ce domaine.

- Les Nations Unies

Le Conseil de sécurité des Nations Unies a récemment fait preuve d’un intérêt croissant pour la situation sécuritaire du Sahel. En janvier 2012, il a successivement entendu M. Said Djinnit, Représentant spécial du Secrétaire général pour l’Afrique de l’Ouest et M. Lynn Pascoe, Secrétaire général adjoint des Nations Unies aux affaires politiques, au sujet d’une mission d'évaluation menée au Sahel. A la suite de ces réunions, le Conseil de sécurité, pointant, entre autres, « la menace terroriste des groupes Boko Haram et Al Qaida dans le Maghreb islamique (AQMI) » a souligné l’urgence d’actions coordonnées et d’ « une approche intégrée de l'ONU dans la région du Sahel, qui prenne en compte les dimensions sécuritaire, humanitaire et de développement » tout en se promettant « de continuer à suivre de près la situation dans » cette région (98).

Même si le chemin qui relie les mots de la diplomatie internationale à la réalité du terrain est souvent long et incertain, vos Rapporteurs se félicitent que le Conseil de sécurité se saisisse de la question sahélienne. Les Nations-Unies ont un rôle à jouer dans cette crise eu égard à leur universalité et à leur neutralité. En effet, à ce jour, l’ONU est la seule organisation internationale qui accueille tous les Etats du Sahel, les Etats voisins de la zone et ceux particulièrement visés par la menace terroriste. En dehors de l’Union africaine, aucune structure africaine ne regroupe aujourd’hui l’ensemble des pays concernés par les problématiques sahéliennes. Par exemple, le Nigeria et le Niger sont membres de la CEDEAO, le Tchad est membre de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, tandis que la Mauritanie et l’Algérie sont membres de l’Union du Maghreb arabe. De surcroît, aucune des structures de l’ONU présentes dans la région – le Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest, le Bureau régional des Nations Unies pour l’Afrique centrale ou la Mission d’appui des Nations Unies en Libye – n’a un mandat qui couvre l’ensemble de la région du Sahel et les multiples défis auxquels il doit faire face.

Pour autant, « élever » la question sécuritaire du Sahel au niveau du Conseil de sécurité des Nations Unies n’est pas sans risque. Ainsi que l’ont montré les premiers débats consacrés à ce sujet, les Etats qui étaient opposés à l’intervention en Libye ont tendance à rendre celle-ci principale responsable des problèmes actuels du Sahel, ignorant délibérément leur antériorité et oubliant aussi que le colonel Kadhafi ne s’était pas privé d’inonder la région d’armes diverses. Si de telles discussions doivent revenir sans cesse lorsque la situation du Sahel est évoquée, il est inutile d’espérer des mesures concrètes et rapides de la part du Conseil de sécurité… Un deuxième risque inhérent à une « internationalisation » de la crise sahélienne serait d’abonder dans le sens de ceux qui en sont à l’origine. En effet, lorsque le Conseil de sécurité évoque publiquement et spécifiquement AQMI et Boko Haram n’est-ce pas faire une publicité démesurée à des groupes composés de quelques centaines de combattants qui, certes, menacent la stabilité de toute une région mais qui, eu égard à leur rhétorique anti-occidentale, ne peuvent que tirer profit d’une telle exposition ? Il y a là un équilibre difficile à trouver, mais il est indispensable de ne pas perdre de vue cet enjeu.

Au delà du Conseil de sécurité, une institution des Nations Unies doit rapidement agir pour préserver la sécurité du Sahel ou, tout au moins, pour faire forte qu'elle ne se dégrade pas de manière encore plus dramatique : le Haut commissariat pour les réfugiés (HCR). Comme vos Rapporteurs l'ont indiqué, la reprise de la rébellion touareg a provoqué, ces dernières semaines, un afflux de réfugiés du Mali vers les pays voisins. C'est là un facteur aggravant pour l'instabilité chronique de la région puisque les Etats d'accueil sont loin d'avoir les capacités suffisantes pour faire face à cet afflux, a fortiori à un moment où survient une forte sécheresse et où une nouvelle crise alimentaire n'est pas à exclure. Il convient d’apporter la plus grande attention à la question des réfugiés qui ont fui le Mali et, en la matière, de par ses missions et son expérience, le HCR est incontournable. Vos Rapporteurs se félicitent que des mesures aient déjà été prises. Ainsi, le HCR, dans l'urgence, a commencé à procéder à la distribution de vivres et d'autres articles essentiels et a entrepris la réhabilitation d'un camp (le camp de Mbéra) qui avait déjà accueilli des Touareg dans les années 1990 et qui, de ce fait, compte plusieurs points d'eau et des structures qu'il convient seulement rénover. Le HCR a également affrété, à la mi-février 2012, plusieurs camions et avions cargo pour acheminer des milliers de tentes. Cela est néanmoins insuffisant. Aussi le HCR vient-il de lancer un appel de fonds de 35,6 millions de dollars afin de couvrir les besoins de 85.000 personnes jusqu'à juillet 2012(99). La situation est très tendue et le sera encore plus si le conflit naissant s’enlise ou devient plus intense. L'action du HCR est essentielle à la « survie » de la région et doit dès lors être suivie et soutenue dans les semaines et les mois à venir.

3) Décrédibiliser AQMI

Au-delà de ses aspects policier et militaire, la lutte contre AQMI peut également revêtir un volet plus « psychologique ». Envisager une approche uniquement « sécuritaire » ne peut être que contre-productif si, en parallèle, il n’y a pas d’éradication de l’idéologie qui a permis que se développe la menace terroriste.

Dans le prolongement des propos de vos Rapporteurs sur une éventuelle évocation du sujet par le Conseil de sécurité des Nations Unies, il importe tout d’abord de remporter, face à AQMI, la bataille de la communication. Cette organisation terroriste, en dépit de ses effectifs réduits et d’un mode de vie spartiate, a réussi à s’assurer une publicité sans commune mesure avec son poids. Ses enlèvements spectaculaires et audacieux et la mise en scène de films au cours desquels témoignent les otages ont ainsi permis à AQMI d’acquérir une notoriété mondiale qui, de surcroît, ne peut pas nuire à son attrait auprès de certains apprentis djihadistes. Face à ces méthodes redoutablement efficaces, les Etats cibles – notamment la France – n’ont pas défini de politique de communication claire et réfléchie. Trop souvent, cette dernière dépend uniquement de l’actualité des prises d’otages et des assassinats et accorde trop de place à l’émotion ou à une rhétorique guerrière qui, une fois de plus, ne peut que satisfaire la logique belliqueuse des terroristes.

Insister sur la réalité mafieuse d’AQMI est également un axe possible pour décrédibiliser cette organisation auprès des populations sahéliennes. Bien souvent, les médias du monde arabo-musulman décrivent les violences qu’elle commet ainsi que son discours haineux sans en dénoncer l’ineptie ou la dimension crapuleuse. Par exemple, la seule présence de ressortissants français en Afrique est souvent qualifiée, par AQMI, de survivance de la période coloniale et d’atteinte à l’islam, justifiant dès lors, à ses yeux, les exactions commises. Il est donc nécessaire de répondre à ce discours par l’intermédiaire de relais locaux, tels que les autorités politiques ou religieuses. Cette stratégie d’influence doit conduire à la dénonciation des pratiques criminelles et mafieuses d’AQMI, mais aussi combattre les arguments religieux qu’elle avance. La tâche sera d’autant plus aisée que l’islamisme radical n’est pas naturellement présent au Sahel, région plutôt tolérante en matière religieuse.

Mais décrédibiliser AQMI consiste également à rendre cette organisation inutile dans la vie des habitants du Sahel. Face à des Etats défaillants et à des économies dévastées, les terroristes ont souvent réussi à faire vivre des milliers de personnes par le biais, entre autres, de leurs trafics divers. C’est là un des enjeux des politiques de développement que vos Rapporteurs vont maintenant aborder.

C – Soutenir le développement de la région

La coopération internationale pour le développement de la région sahélienne ne sera évidemment pas l’instrument qui permettra d’éradiquer AQMI. Cela étant, le développement économique et social du Sahel est un élément clef pour la stabilité de la région et consécutivement, pour sa sécurisation. Plus les conditions du développement seront assurées, plus les jeunes, arrivant chaque année sur le marché du travail trouveront un emploi à la mesure de leurs qualifications, et plus la tentation de l’alternative terroriste pourra être conjurée.

Le constat d’échec de cinquante ans de coopération au développement au Sahel ne doit pas conduire au renoncement. Si cette appréciation peut paraître brutale – mais les pays de la région seraient-ils dans un état de pauvreté aussi terrible si l’aide au développement avait véritablement été efficace ? –, vos Rapporteurs plaident néanmoins pour ne pas laisser les pays sahéliens à leur sort. L'APD doit jouer un rôle majeur, aujourd’hui plus que jamais. Il importe de tirer le bilan des coopérations bilatérales et multilatérales et de tracer les perspectives d’avenir.

1) Le développement, condition de la stabilité de la région

Ce n’est pas faire injure à l’altruisme et au dévouement inlassable des ONG sur le terrain africain que de rappeler que l’aide au développement est aussi une politique publique destinée à conforter la stabilité internationale. Dès le début des années 1960, lorsque les Nations Unies lancèrent la « Première décennie des Nations Unies pour le développement », la dimension apaisante du développement était soulignée : « le développement économique et social des pays économiquement peu développés est non seulement d’une importance capitale pour ces pays, mais aussi essentiel pour la paix et la sécurité internationales (…) ». Les Nations Unies n’ont ensuite cessé d’alerter sur les risques d’un monde déséquilibré, dans lequel « tandis qu’une partie de l’humanité vit dans le confort et même dans le luxe, une autre partie, de loin plus nombreuse, végète dans une misère extrême. (…) Partout, la jeunesse est en effervescence (…) » et, le fossé séparant les riches des pauvres n’ayant cessé de s’élargir, « cette situation déplorable a contribué à accroître la tension dans le monde. » (100)

En conséquence, l’aide n’est pas seulement une exigence morale, c’est aussi un outil qui contribue à la stabilité du monde et répond aux intérêts et à la sécurité de tous. Il convient de remédier à la pauvreté parce qu’elle est insupportable, mais aussi parce qu’elle est facteur de déstabilisation.

Ce lien historiquement établi entre sécurité nationale, stabilité du monde et aide au développement n’a pas disparu. Non seulement il a été au cœur des réflexions qui ont inventé l'APD au sortir des indépendances, mais il a toujours servi de fil conducteur aux politiques menées, et il a été notablement réactivé au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, alors que la décennie précédente avait vu l’aide diminuer considérablement après la chute du mur de Berlin. C’est la raison pour laquelle les réformes des systèmes d’aide récemment entreprises, aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, par exemple, en ont fait une priorité politique, partie intégrante de la diplomatie, et l’ont articulée avec les instruments et les institutions de sécurité nationale. Ces réformes confirment que l’aide est considérée comme « l’un des instruments de gestion des conflits, que ce soit de façon préventive ou synchrone, ou encore lors des périodes de reconstruction » dont il est « évident que l’un de ses mandats prioritaires sera à l’avenir de contribuer à la construction d’une architecture internationale de sécurité. » (101)

L’approche de la France est identique. Le Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France indiquait ainsi que « l’aide publique au développement est une composante à part entière de la politique étrangère de la France, qui doit contribuer à ses grands objectifs : favoriser une mondialisation équilibrée, renforcer la paix et la sécurité en luttant contre la pauvreté et le sous-développement, appuyer nos stratégies d’influence. Les objectifs d’aide doivent être clarifiés et pleinement assumés. » (102) Ultérieurement, le Livre blanc « Défense et sécurité nationale » souligna à son tour que « les problèmes de l’Afrique ont des incidences directes sur nos intérêts : immigration clandestine, radicalisation religieuse en terrain musulman et développement de sectes fondamentalistes en terrain chrétien, implantation des groupes terroristes se réclamant d’Al Qaida, apparition de nouvelles routes de la drogue, trafics d’armes illicites, réseaux de prolifération, blanchiment d’argent et risques sanitaires. » (103) La situation au Maghreb était notamment analysée comme porteuse d’un « risque de déstabilisation découlant des facteurs internes (…) D’ici quinze ans, et au-delà, seul le développement économique, politique et social peut prémunir la région contre de tels risques. » (104) Une vigilance internationale s’impose et la conclusion du Livre blanc précisait que « l’amélioration du système international passe par une meilleure corrélation entre l’aide au développement et les stratégies de sécurité internationale et nationale. L’aide au développement participe de la prévention. » (105)

Plus récemment, enfin, le Document cadre de coopération, qui définit la politique française d’aide au développement pour la décennie à venir, a entériné ces pistes de réflexion en soulignant que « la construction d’un monde plus sûr et la réduction des tensions en agissant sur leurs causes structurelles sont des enjeux essentiels du développement. Par sa coopération, la France entend contribuer à traiter les situations qui sont des menaces, potentielles ou avérées, contre la stabilité de ses partenaires. Ce faisant, elle contribue à la sécurité internationale et à celle des citoyens français. » (106)

2) L’aide au développement dans la région sahélienne

Le Sahel, région pauvre s’il en est, est logiquement l’objet de l’attention des bailleurs internationaux et reçoit depuis toujours une manne financière extrêmement importante.

a) Les principaux partenaires bilatéraux des pays du Sahel

Le premier aspect à relever est que les partenaires bilatéraux des pays sahéliens sont nombreux et, dans la majorité des cas, très généreux. Tendent aujourd’hui à se détacher comme acteurs majeurs dans la région les Etats-Unis et la France, tant par les volumes qu’ils engagent que par les secteurs qu’ils couvrent, mais aussi le Canada, les Pays-bas et l’Allemagne, qui contribuent fortement à l'APD délivrée au Mali, à la Mauritanie et au Niger.

Le Royaume-Uni a en revanche récemment décidé de se retirer de la région : lors de la révision de la politique bilatérale d’aide au développement qu’il a effectuée en mars 2011, le gouvernement de David Cameron a choisi un recentrage drastique de l’action du DFID qui n’interviendra plus que dans 27 pays au maximum, dans lesquels l’intervention du Royaume-Uni présente un avantage significatif. Les pays sahéliens sont directement touchés par cette révision politique puisque le désengagement des programmes bilatéraux sera effectif au plus tard en 2016. C’est le cas du Niger, pour lequel le Royaume-Uni n’intervient d'ores et déjà plus qu’à travers des contributions aux organismes multilatéraux, Banque mondiale, Banque africaine de développement et Commission européenne, tout en restant prêt pour une réponse humanitaire d’urgence si besoin était, tout en continuant de travailler avec d’autres donateurs sur la problématique des urgences humanitaires dans le Sahel (107). Cela étant, si le Royaume-Uni préfère laisser aujourd'hui un pays comme la France intervenir sur un terrain qu’elle connaît mieux que lui et où son avantage comparatif est supérieur, c’est parce qu’il n’y avait jamais été très présent.

Les pays les plus actifs dans la région par leurs contributions bilatérales ne sont pas uniquement européens. En 2009, l’OCDE a identifié 18 pays membres de son Comité d’aide au développement, CAD, comme donateurs au Mali. Ils lui ont apporté en tout quelque 548 millions de dollars. Les Etats-Unis, par exemple, engagent des crédits considérables. Le Mali est en Afrique subsaharienne l’un des pays cibles du Millenium Challenge Corporation, et il a reçu à ce titre quelque 123 millions de dollars en 2010 (108) répartis sur les domaines suivants : paix et sécurité, 5,5 millions ; gouvernance démocratique, 5,5 millions ; éducation et santé, 70,4 millions ; économie, 41,2 millions, dont 33 pour le secteur de l’agriculture. L’assistance américaine au Mali n’a par ailleurs cessé d’augmenter ces dernières années, après avoir stagné entre 50 et 60 millions de dollars annuels entre les années 2005 et 2008 (109). Le Canada et les Pays-Bas sont aussi, traditionnellement, des bailleurs très importants pour le Mali, puisqu’ils étaient en 2008 les premiers contributeurs de l'APD reçue par ce pays : les contributions d’Ottawa ont dépassé les 99 M$ en 2008 et se sont montées à 81,5 millions de dollars en 2009, cependant que celles des Pays-Bas frôlaient ces deux années-là les 80 millions, après avoir même dépassé les 100 M$ en 2005, légèrement supérieure à l’aide de la France. L’Allemagne fournit également une aide importante à Bamako, qui a également dépassé celle de la France en 2009, avec un apport total de plus de 54 millions de dollars. Le Japon, la Suède, l’Espagne, ou le Luxembourg, sont également des donateurs significatifs au Mali, dans une mesure toutefois moindre, pour des montants respectivement de 35,5 millions de dollars, 28,9 millions de dollars, 24,3 millions de dollars et 22,8 millions de dollars Dans l’ensemble, les secteurs qui reçoivent les aides bilatérales les plus importantes sont le secteur productif –  agriculture en premier lieu et de très loin –, suivi de l’éducation, de la santé, de l’eau et de l’assainissement.

L’assistance fournie par les Etats-Unis au Niger est dix fois moins importante que celle qu’ils apportent au Mali, avec un peu moins de 19 M$, répartis sur les mêmes secteurs, plus de la moitié de ces crédits étant destinée à l’économie, et le quart à la santé et à l’éducation. Elle est plutôt en diminution, à la différence de ce qu’il en est pour le Mali. En 2009, un total de 19 pays membres du CAD ont versée des contributions d’APD au Niger, pour un montant global de 255,6 millions de dollars Le Japon a fourni une aide supérieure à celle des Etats-Unis, d’un montant total de près de 40 millions de dollars, devant la Belgique, 26,3 millions, l’Espagne, plus de 22 millions et l’Allemagne, près de 21 millions(110). Selon les données du CAD, ce sont les secteurs des infrastructures sociales qui constituent la priorité des acteurs bilatéraux : la santé, l’éducation, l’eau et l’assainissement sont les trois domaines qui reçoivent les crédits les plus importants, près de 123 millions de dollars à eux trois. L’agriculture nigérienne reçoit la quasi-totalité des fonds que les bailleurs destinent au secteur productif.

Toutes contributions confondues, parmi les 14 donateurs bilatéraux qui lui ont fourni une aide totale de 143,1 millions de dollars, c’est l’Espagne qui, en 2009 selon les données de l’OCDE (111), était devant la France le premier bailleur de la Mauritanie, avec près de 45 millions de dollars, contre un peu plus de 30 millions fournis par notre pays, suivi par les Pays-Bas (26,5 millions de dollars). La coopération au développement que les Etats-Unis apportent aujourd’hui à ce pays représente un peu moins de 7 millions de dollars pour l’essentiel (4 millions), consacrés à la santé. Les données du CAD de l’OCDE montrent également que les donateurs destinent majoritairement leurs crédits à l’éducation, à la santé et à l’aide alimentaire, et que l’on note une tendance à leur diminution sur les dernières années.

b) Principaux axes de la coopération française dans la région

Comme on le voit, la France ne joue pas un rôle mineur dans cette région où elle a une responsabilité et des liens particuliers, compte tenu de l’histoire. Les trois pays sahéliens sont parmi les quatorze pays prioritaires de l'APD de la France, tels que définis par le CICID de juin 2009.

Selon les données communiquées à vos Rapporteurs par le MAEE et l’AFD, la coopération entre la France et le Mali a fait l’objet d’un Document cadre de partenariat pour les années 2006-2010. Pour cette période, cinq objectifs avaient été définis, articulés sur le cadre stratégique de lutte contre la pauvreté, (CSLP), adopté par le Mali en 2002. Les objectifs définis en commun ont été les suivants : la lutte contre la pauvreté et l’atteinte des Objectifs du millénaire pour le développement, avec les secteurs prioritaires de l’éducation et de la formation, de l’eau et de l’assainissement, ainsi que celui de la sécurité alimentaire ; le développement économique, avec des appuis au secteur productif, notamment aux filières agricoles, aux services financiers (micro-finance en particulier), aux coopérations décentralisées et aux actions des ONG, ainsi qu’à l’insertion socioprofessionnelle des jeunes dans les grandes villes, et particulièrement à Kayes, principale région d’origine des Maliens de France ; la maîtrise du français a aussi été un axe majeur de la coopération bilatérale, particulièrement dans le système scolaire, de même que, plus largement, l’environnement francophone, dans les domaines culturels et audiovisuels. La consolidation de la gouvernance, enfin, a constitué un thème majeur, articulé sur le soutien à la réforme et à la modernisation de l’Etat malien dans la perspective de l’établissement d’un environnement stable et sûr, nécessaire au développement du pays. A cet égard, étaient notamment prévus des actions de consolidation et de modernisation de l’état civil, de modernisation de la gestion des finances publiques et un soutien à la loi d’orientation agricole. 80 % des crédits de la coopération bilatérale ont porté sur les « secteurs de concentration », à savoir l’éducation et la formation, l’eau et l’assainissement et l’appui au secteur productif.

S’agissant des thématiques concernant plus particulièrement la sécurisation du pays, on peut relever plusieurs axes : dans le cadre du « Programme spécial pour la paix, la sécurité et le développement du nord », PSPSDN, défini par le gouvernement malien, la France apporte un montant global de 3 millions d’euros, complété par une aide budgétaire de quelque 5 millions ; un FSP « renforcement de la gouvernance au Mali » est alimenté à hauteur de 1,4 million d’euro. Cela étant, l’essentiel des financements de la France, que ce soit via l’AFD ou le MAEE, portent sur des projets d’éducation, de santé et d’hydraulique. Au total, l'APD de la France au Mali a représenté en 2010 près de 58,6 millions d’euros.

A l’instar du Mali, la coopération française en Mauritanie a fait l’objet d’un DCP qui a globalement couvert les mêmes axes prioritaires. En d'autres termes, des programmes sectoriels ont concernés en premier lieu l’éducation et la formation, l’eau et l’assainissement, ainsi que l’environnement et la biodiversité. Les questions de santé, d’infrastructures et d’agriculture ont également été privilégiées. Enfin, des programmes ont concerné les thématiques de la gouvernance, et d’autres ont porté sur les aspects culturel, linguistique et universitaire. Ainsi, en 2010, la France a engagé une aide globale de plus de 24,3 millions d’euros, d'ores et déjà en tout ou partie décaissés, qui portent sur divers aspects tenant à l’accès aux services de base (hydraulique ; infrastructures au niveau des collectivités locales ; éducation ; électricité) ; de nouveaux projets sont en cours d’instruction notamment en matière énergétique (hydraulique et solaire) ; sur l’amélioration de la gouvernance et de la cohésion sociale à Nouakchott, le renforcement de l’Etat de droit via l’amélioration de la gouvernance économique et financière. Il faut insister ici sur le caractère vital de la coopération en matière de francophonie. Lors de leurs déplacements, l’attention de vos Rapporteurs a été alertée sur cette dimension de notre aide bilatérale. Il y a en effet aujourd’hui un fossé générationnel, notamment au niveau de l’encadrement militaire, mais aussi dans le domaine de la justice ou au sein de l’université, entre ceux qui maîtrisent le français et les autres. Réussir à le combler participe à la fois du combat contre le fondamentalisme et contribuera incidemment à résoudre certains problèmes de commandement.

Enfin, la coopération bilatérale française au Niger reprend dans l’ensemble les mêmes priorités stratégiques, sans surprise, dans la mesure où les problématiques auxquelles sont confrontés les pays sahéliens sont identiques. Un DCP, couvrant la période 2006-2010, a concentré la coopération bilatérale française sur les trois mêmes secteurs : éducation, santé, eau et assainissement, ainsi que sur trois axes complémentaires : le renforcement de l’Etat et la décentralisation, l’enseignement supérieur et la recherche, la promotion de la diversité culturelle dans le cadre de la francophonie. La France est également présente dans le domaine crucial de la sécurité alimentaire.

En 2010, l'APD bilatérale française a représenté quelque 37,7 millions d’euros qui ont en partie bénéficié aux régions septentrionales du pays. Il en est ainsi des programmes en matière de santé et d’éducation, qui sont d’envergure nationale. Les actions en matière de gouvernance visent à une gestion des finances publiques, cependant que les projets actuellement en phase d’instruction portent essentiellement sur les secteurs de la santé, des infrastructures, de la formation professionnelle et, plus modérément, sur le gouvernance démocratique.

c) Les apports des bailleurs multilatéraux

Selon les données publiées par le CAD, les institutions multilatérales sont également des acteurs particulièrement actifs dans la région sahélienne. Sans atteindre les montants des contributions bilatérales, elles sont toutefois conséquentes.

Le Mali recevait en 2009 quelque 420 millions de dollars de leur part. La plus grosse contribution était celle de l’AID de la Banque mondiale, près de 167 millions, suivie des apports des institutions de l’Union européenne, près de 102 millions et de la Banque africaine de développement, BafD, plus de 60 millions de dollars. Les organisations du système des Nations Unies interviennent de manière plus modeste, pour un total cumulé de près de 39 millions de dollars, à la charge de l’UNICEF (14,7 millions), du PNUD (11,1 millions), ainsi que du PAM (3,3 millions) et du FNUAP (2,6 millions). Dans l’ensemble, ces contributions multilatérales sont relativement stables et réparties entre près d’une quinzaine d’organisations.

La situation était relativement semblable au Niger qui recevait la même année quelque 216 millions de dollars de la part des organisations internationales, à cette réserve près que ce sont les institutions européennes qui apparaissaient comme les premiers contributeurs, avec un total de plus de 67 millions, devant l’AID de la Banque mondiale, un peu moins de 39 millions de dollars, suivie de la BAfD (26,9 millions de dollars). Les institutions onusiennes finançaient des activités pour un total de 32,4 millions de dollars, soit, en proportion, considérablement plus qu’au Mali. C’est encore l’UNICEF qui était le premier donateur onusien, avec plus de 18 M$ devant le PNUD (8,8 millions de dollars).

Enfin, la Mauritanie ne recevait que 135 millions de dollars en 2009 de la part des institutions internationales de développement. L’AID et les institutions européennes apportaient des budgets sensiblement équivalents, respectivement de 38 millions et de 35,7 millions, suivies de la BafD, pour près de 30 millions de dollars. Toutes les autres organisations internationales intervenaient pour des montants considérablement plus modestes. Ainsi, l’ensemble des institutions du système des Nations Unies apportaient un total de 12,2 millions de dollars, l’essentiel à la charge du PAM (4,9 millions), traduisant ainsi la prédominance de l’urgence de la question alimentaire sur les problématiques de développement. Les programmes du PNUD ne représentaient que 1,9 million de dollars.

Cela étant, il faut relever que l’aspect humanitaire prend aujourd’hui une dimension particulière, compte tenu des craintes actuelles de famine que vos Rapporteurs ont soulignées et de l’urgence d’y faire face. L’Union européenne y est notamment sensibilisée. La présidence danoise de l’Union européenne a récemment organisé une rencontre des grands donateurs, - pays membres, Etats-Unis, Canada et Japon -, pour renforcer les engagements en faveur de la résolution de la crise alimentaire qui s’annonce, cinq pays sahéliens - Burkina-Faso, Tchad, Mali, Mauritanie et Niger -, ayant lancé un appel à l’aide internationale. Kristallina Georgieva, commissaire européenne chargée de l’aide humanitaire, a annoncé que l’Union porterait son aide aux pays du Sahel à 123,5 millions d’euros, sachant que l’aide globale nécessaire dans les prochains mois pour couvrir les besoins se situe autour de 700 millions d’euros. La Commission appelait ses partenaires à une action rapide.

3) L’indispensable cohérence de l’action

a) L’importance d’une vision intégrale des problématiques pour garantir l’efficacité d’une réponse globale et cohérente

Les enjeux sahéliens ont indéniablement pris une dimension nouvelle avec l’irruption d’AQMI sur la scène régionale. La réactivation, ces tout derniers mois, de la rébellion touareg, a renforcé, s’il en était besoin, la question sécuritaire. En d'autres termes, aux problématiques « classiques » du développement économique et social, s’ajoutent pour les pays sahéliens des aspects qui compliquent considérablement la donne.

Par ailleurs, d’un point de vue économique, l’Afrique, et notamment le Sahel, est toujours dans un modèle préindustriel reposant très largement sur l’agriculture. Nous sommes ici dans une situation où la dynamique du développement économique est encore faible ; une région où les populations rurales sont généralement isolées, faute de réseau routier suffisamment développé, où l’afflux en zone urbaine de jeunes désoeuvrés crée des tensions, lesquelles existent aussi et augmentent en zone rurale avec le développement des trafics de drogue dans les couloirs de passage ; où l’apparition d’une narco-élite est possible, la drogue restant le principal facteur de criminalité ; une région devenue particulièrement instable, enfin, où AQMI, phénomène exogène de criminalité, dont les katibas sont fondamentalement mafieuses, accroît les problèmes et les difficultés des populations locales. La qualité de la réponse sociale est par conséquent importante, même si le substrat religieux sahélien, de l’avis général, n’est pas favorable à AQMI au Sahel. Il est donc essentiel que les stratégies de lutte sur le terrain tiennent compte de l’influence possible d’AQMI, notamment vis-à-vis des populations touareg. A cet égard, l’équilibre des aides entre les populations cibles est un aspect essentiel, afin d’éviter qu’elles ne suscitent ou entretiennent les ressentiments toujours possibles des uns envers les autres.

Au-delà de ces aspects, il est aussi essentiel de travailler en amont. Si, comme il est avéré, AQMI se finance des trafics régionaux, - de drogues, de 4x4, de cigarettes, d’êtres humains, d’armes -, il apparaît essentiel d’avoir une approche sur la question de son financement même. En conséquence, c’est sans doute également hors du Sahel stricto sensu qu’il peut être opportun, sinon indispensable, d’intervenir. C’est l’Afrique de l’ouest qui est la porte d’entrée des multiples trafics qui minent aujourd’hui le Sahel. Ce sont la Guinée-Bissau, la Gambie, le Liberia et la Sierra Leone qui sont ici en première ligne.

Sans doute des stratégies régionales de lutte contre ces trafics seraient ici particulièrement pertinentes, afin de tarir le plus en amont possible du Sahel les sources de financements d'AQMI. Certes, aucun des Etats de la zone ouest-africaine, trop faibles et trop pauvres (112), n’a la maîtrise de son espace maritime, ni les moyens de combattre seul les trafics, et il faut les soutenir. Mais il semble difficilement contestable que la mise en place, au niveau régional, des moyens humains et matériels importants que justifie la situation est indispensable.

Enfin, AQMI se nourrit aussi de la faiblesse et de la fragilité des Etats qu’il mine et il s’agit aussi d’un terrain sur lequel il importe d’intervenir.

Comme on le constate sur la carte ci-dessous, les Etats sahéliens couvrent à eux trois une superficie supérieure à celle que formerait un rectangle ayant pour largeur la distance d’Oslo à Rome et pour longueur celle de Brest aux rivages de la mer Caspienne ! Il va de soi qu’un tel espace rend illusoire toute idée de contrôle effectif des territoires concernés. Quand bien même les structures étatiques maliennes, mauritaniennes et nigériennes seraient performantes, ce contrôle leur serait difficile, eu égard aux conditions topographiques extrêmes d’une région désertique et fort peu peuplée.

Le théâtre des opérations (113)

En d'autres termes, les Etats sahéliens n’exerçant pas un contrôle étroit de l’ensemble de leurs territoires et il peut difficilement en être autrement. On prend conscience, dans ces conditions, que aussi bien les rebelles touareg aujourd’hui que le petit millier de recrues au sein des katibas d’AQMI ne peuvent qu’être insaisissables sur un tel terrain d’action.

On mesure au vu de ces éléments l’impératif d’une réponse globale et la difficulté de sa mise en œuvre.

b) Les réponses

En conséquence, il est tout d’abord essentiel d’articuler les stratégies de sécurité et de développement, en ayant toutefois conscience que l’idée selon laquelle développement et emploi entraîneront une baisse du terrorisme n’est évidement pas suffisante, comme vos Rapporteurs l’ont souligné plus haut : la réponse développementaliste, dont l’efficacité tarde à monter en puissance et la puissance des forces externes, notamment celles liées aux trafics en cours dans la région, l’interdisent.

Il importe en premier lieu que l'APD sache s’adapter à cette évolution des réalités de terrain et les prenne en compte. En ce sens, le Document cadre de coopération au développement publié par le ministère des affaires étrangères et européennes en 2011 a parfaitement analysé le genre de situations auxquelles fait face le Sahel : « La prévention des crises suppose de prendre en considération quatre catégories de risques porteurs de violence et de conflictualité, qui peuvent d’ailleurs être liés : les fractures entre communautés dans un même espace national et régional et les grandes inégalités entre groupes sociaux (…) ; les guerres civiles, (…) qui peuvent avoir un effet de contagion régionale ; les grands trafics (drogues, armes, êtres humains…) ainsi que le brigandage maritime qui se développent là où les Etats n’ont pas la capacité d’assurer le contrôle de leur territoire et de leurs frontières ; le terrorisme transnational : il est fréquent que les mouvements terroristes se nourrissent de la frustration des populations privées de perspective de développement. Ces mêmes mouvements installent leurs bases dans des zones de non droit, où l’autorité de l’Etat est affaiblie voire inexistante (Etats faillis). » (114) On reconnaît dans cette énumération nombre des sujets qui affectent les pays sahéliens.

De son côté, la stratégie pour la sécurité et le développement publiée par l’Union européenne en septembre 2011 répond précisément à ces exigences. Elle est articulée sur une même vision : le caractère indissociable de la sécurité et du développement. Elle insiste sur le nécessaire renforcement des capacités des Etats dans le domaine des actions essentielles des pouvoirs publics dont la fragilité est vue comme influant négativement sur la stabilité de la région, sur la réduction de la pauvreté comme sur les menaces qui pèsent sur la sécurité, les deux phénomènes étant en progression. En outre, les problèmes sahéliens étant transfrontaliers et étroitement liés, la stratégie européenne défend une approche « régionale, intégrée et globale », présentée comme seule en mesure de permettre des progrès pour chacun des problèmes spécifiques. En conséquence, l’Union européenne considère qu’il faut renforcer les capacités étatiques en matière de sécurité et de maintien de l'ordre, mais aussi améliorer les divers aspects tenant à la gouvernance : institutions publiques plus fiables, administrations répondant davantage de leurs actes, capables d'offrir aux populations des services de développement de base et d'apaiser les tensions internes.

Sur cette base, l’Union européenne a défini un certain nombre de lignes d’action : l’articulation entre bonne gouvernance, développement et règlement des conflits internes : il s’agit de « contribuer au développement social et économique général au Sahel ; encourager et soutenir le dialogue politique interne dans les pays de la région afin de permettre des solutions locales durables aux tensions sociales, politiques et ethniques subsistantes ; renforcer la transparence de l'administration (…) ; promouvoir les capacités institutionnelles ; rétablir et/ou renforcer la présence administrative de l'État, notamment dans le nord du Niger et du Mali ; contribuer à créer des opportunités économiques et éducatives pour les communautés locales ; désenclaver les régions où l'insécurité règne (…) ; et atténuer l'incidence des effets du changement climatique. » L’Union européenne entend ensuite « promouvoir une vision et une stratégie communes pour les pays concernés afin qu'ils puissent s'attaquer aux menaces transfrontalières qui pèsent sur la sécurité et remédier aux problèmes de développement par un dialogue soutenu au plus haut niveau ; engager un dialogue renforcé sur la sécurité et le développement au Sahel avec les différents partenaires (y compris les pays du Maghreb, les organisations régionales et la communauté internationale en général). » Elle vise aussi à « renforcer les capacités des États concernés dans les domaines de la sécurité, du maintien de l'ordre et de l'État de droit afin de leur permettre de lutter contre les menaces et de s'attaquer au terrorisme et au crime organisé d'une manière plus efficace et spécialisée en lien avec les mesures de bonne gouvernance afin d'assurer le contrôle de l'Etat. » Enfin, sur un plan plus immédiat contre AQMI, l’Union cherchera à « contribuer à renforcer les capacités des sociétés à lutter contre l'extrémisme ; offrir aux groupes sociaux marginalisés, en particulier aux jeunes vulnérables à la radicalisation, des services sociaux de base et des perspectives économiques et d'emploi ; aider les États et les acteurs non étatiques légitimes à élaborer et à mettre en oeuvre des stratégies et des actions destinées à lutter contre ces phénomènes. »

Aux yeux de vos Rapporteurs, compte de la gravité de la situation sur le terrain et de l’urgence, il serait opportun de confier à un Représentant spécial de l’Union européenne pour le Sahel la tâche de pilotage et de coordination de cette stratégie. L’Union européenne a actuellement huit représentant spéciaux chargés de promouvoir les politiques de l’Union et de défendre ses intérêts dans diverses régions et pays troublés, comme le Caucase, le Soudan ou l’Afghanistan. Ils contribuent activement aux efforts régionaux et internationaux en faveur de la paix, de la sécurité et du développement. La complexité des problématiques et l’importance des enjeux justifient la nomination d’un haut responsable garantissant la mise en œuvre rapide de la stratégie qui a été définie et sa coordination avec les autres intervenants multilatéraux.

Cela étant, si l’approche qui combine les multiples aspects du sous-développement sahélien est indispensable, elle doit aussi articuler des solutions nationales, élaborées et mises en œuvre avec l’appui de la communauté internationale. L’arrivée massive, dans les proportions que vos Rapporteurs ont indiquées, des jeunes générations sur le marché du travail pendant les vingt prochaines années, le problème de la sécurité au nord du Mali, la question des mécanismes de gouvernance tant au plan national que local, pour apporter des solutions aux populations quant à l’accès aux services de base, aux infrastructures - routières notamment -, à la justice, à la police judiciaire, aux douanes, aux questions sécuritaires, sont autant de sujets essentiels qui doivent être, avant tout, débattus par les populations des pays, entre le nord et le sud notamment.

Dans cet ordre d'idées, en août 2011, le Mali a lancé le programme spécial pour la paix, la sécurité et le développement au Nord, PSPSDN. Alliant développement et sécurité, le PSPSDN dispose d’un budget total de 48 M€, appuyé par l’Union européenne, le PNUD, la Banque mondiale, les États-Unis, l’Espagne, la Suisse, la Belgique, le Royaume-Uni, l’Algérie, le Canada et le Danemark. La France en est le premier contributeur avec 3 millions d’euros. La stratégie choisie consiste à renforcer progressivement la position de l’État dans les zones du Nord Mali afin de garantir une présence et un contrôle permanents sur le long terme. Les fonds seront investis intégralement dans les infrastructures de sécurité, de justice et des projets sociaux, dans les régions du Kidal, de Gao, de Tombouctou, d’Abeibara et de Ber, destinées à devenir des pôles de sécurité modèles. Une attention particulière est portée à l’appui aux populations locales, avec la création de nouveaux centres de santé et de nouvelles représentations de l’administration d’État à travers préfectures, sous-préfectures et hôtels de ville. Il est prévu que le programme fasse appel à une dizaine d’entreprises maliennes, pour relancer l’économie par l’emploi de main d’oeuvre et par le commerce.

Si le PSPSDN, ambitieux, génère beaucoup d’attente et fait notamment consensus auprès de la communauté internationale, à commencer par l’Union européenne, le reproche lui est fait, au niveau local, de viser en fait à la remilitarisation du Nord Mali, ce qui suscite nombre de critiques et inquiétudes. Au demeurant, il semble que les avancées soient encore très lentes.

De son côté, la France travaille opportunément sur ces questions : un programme de renforcement de la gouvernance démocratique au Mali, qui vise à renforcer les communautés dans leur gouvernance locale, a été initié par la coopération au développement de notre pays. Les enjeux sont majeurs, auxquels certains pays se sont d'ores et déjà attelés avec l’aide internationale : en 2008, a ainsi été lancé le Programme d’appui à la jeunesse malienne, mis en œuvre par des équipes maliennes de Gao et de Tombouctou ; il vise surtout le secteur touristique et fonctionne par micro-crédits. De même peut-on indiquer un programme de formation professionnelle à Tombouctou centré sur le secteur hôtelier, financé par l’AFD. La coopération décentralisée permet, à ce titre, un appui aux collectivités locales, alors même que la décentralisation est un vecteur favorable à la création d’un appareil administratif et politique efficace et, in fine, à l’amélioration de la gouvernance. Plus largement, la France a aussi mis en place un fond de solidarité ministérielle, FSM, afin de renforcer la justice et la sécurité en zone sahélo-saharienne, qui concerne les trois pays. Dans le même esprit, on peut signaler que l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, (ONUDC), s’est engagé à jouer un rôle dans l’aspect régional et pénal de l’Office central de gestion des trafics à Niamey, et a également financé une plateforme sécuritaire pour les trois Etats sahéliens et le Burkina-Faso, - les questions sécuritaires et de développement devant être traitées simultanément, car elles restent étroitement liées.

Si les Etats-Unis se sont préoccupés un temps de la question des pays d’Afrique de l’ouest et ont fait croiser un navire de guerre au large des pays de la zone, il importe de ne pas oublier que la CEDEAO est une organisation régionale bien équipée, efficace et qui dispose de certains moyens militaires. Il pourrait par conséquent être opportun de l’associer à la gestion et à la surveillance des eaux territoriales ouest africaines par où transitent les livraisons de drogue latino-américaine. La CEDEAO a en outre développé un cadre régional de promotion de la bonne gouvernance, de la paix et de la sécurité, ainsi qu’une stratégie de lutte contre le trafic des stupéfiants et le crime organisé, que l’Union européenne soutient au moyen de ses instruments régionaux et sectoriels.

Le Document cadre, encore une fois, a également mis l’accent sur cet aspect en soulignant que « dans les situations de fragilité, d’instabilité ou de conflictualité, la première priorité est donc de renforcer la légitimité des Etats dans leur capacité à remplir leurs missions régaliennes de contrôle du territoire national, de maintien de la sécurité et de l’Etat de droit, d’exercice de la justice et du pouvoir à l’échelon local. Cette légitimité s’appuie également sur la fourniture effective des services de base au profit des populations (santé, éducation, approvisionnement en eau et assainissement...) ainsi que des acteurs économiques, moteurs du développement (construction et entretien d’infrastructures de transport, fourniture d’énergie…). » (115)

Au-delà des questions des infrastructures, de l’appui à la fourniture des services sociaux, de l’ensemble des aspects touchant au développement économique et social, un aspect essentiel traduit l’importance de l’axe institutionnel dans les priorités de l’aide apportée aux pays sahéliens. Il est mis en évidence par la seule lecture de la carte reproduite ci-dessus et tient à l’immensité des territoires.

En conséquence, il est indispensable de travailler sur les questions de renforcement des capacités institutionnelles des Etats et de consacrer une part importante de l'APD à ces aspects. Au-delà des axes sécuritaires, des moyens policiers et militaires, la lutte contre la corruption devrait être privilégiée, de même que l’appui aux mécanismes permettant une gouvernance économique et financière transparente.

c) Ne pas accabler le Sahel : la problématique des zones rouges

Cela étant, l’impact de ces solutions étant évidemment à envisager sur le moyen ou long terme, vos Rapporteurs souhaitent enfin aborder la question des « zones rouges », dont l’incidence est plus immédiate.

Il n’est évidemment pas question pour vos Rapporteurs de dire que le ministère n’est pas dans son rôle en attirant l’attention de nos concitoyens candidats au voyage sur les risques qu’ils peuvent être amenés à courir dans une région troublée. Néanmoins, il importe de savoir raison garder et de faire preuve d’une cohérence dont on est au regret de dire qu’elle fait aujourd'hui défaut.

En effet, il faut rappeler que, jusqu’à aujourd'hui, AQMI n’a encore pas commis le moindre attentat aveugle dans aucun des trois pays sahéliens. L’organisation s’est limitée à attaquer des intérêts français et à enlever, et parfois tuer, un certain nombre de nos ressortissants. Aucun acte de terrorisme aveugle n’a cependant été commis ni même tenté par AQMI au Mali, en Mauritanie ou au Niger, en partie aussi parce que les services de sécurité ont parfois su les déjouer à temps, comme cela a été le cas à Nouakchott. Malgré tout, les trois pays ont été classés en zone rouge pour la majeure partie de leur territoire et orange pour le reste, de façon indiscriminée, sans tenir compte ni des mesures de sécurité que les autorités nationales, notamment en Mauritanie, ont prises et qui ne sont pas sans avoir eu une certaine efficacité et montrer quelques résultats sur le terrain. Le tarissement du tourisme qui a résulté des mesures prises par le gouvernement français est une catastrophe économique et sociale pour les populations de la région qui en tiraient jusque-là des ressources essentielles, cf. le Pays dogon ou l’Adrar mauritanien.

Il est essentiel, selon vos Rapporteurs, que le ministère des affaires étrangères revienne sur le zonage auquel il a procédé d’une manière que l’on peut qualifier d’excessivement prudente. Au demeurant, il serait opportun d’introduire plus de cohérence dans ces classifications qui handicapent certains pays.

En effet, à l’inverse du Mali, de la Mauritanie et du Niger, le Maroc a été victime il y a quelques mois d’un attentat terroriste extrêmement meurtrier : le bilan de la bombe jetée contre le restaurant Argana sur la place Jemâa El-Fna, haut lieu touristique de Marrakech, a été de 17 morts et de 20 blessés. Néanmoins, à ce jour, le site du ministère des Affaires étrangères et européennes est encore loin de déconseiller de se rendre au Maroc : rappelant qu’aucun pays au monde ne peut être considéré comme étant à l’abri du risque terroriste, le site se borne à indiquer que « considérant la menace renouvelée d’Al Qaïda contre les intérêts étrangers au Maghreb, français notamment, l’attention des ressortissants français résidant ou désirant se rendre au Maroc est appelée sur la nécessité de faire preuve de vigilance et de respecter strictement les consignes de sécurité figurant sur ce site », notamment dans les lieux publics ou de rassemblement et de se tenir à l’écart des rassemblements et des mouvements de foule.

En d'autres termes, il y a aux yeux de vos Rapporteurs d’un côté excès, de l’autre insuffisance. Il est urgent de relever la limite de la zone rouge qui n’a cessé ces derniers mois de descendre toujours plus au sud. Si la situation au Mali, qui a notablement évolué ces dernières semaines est plus délicate, celle de la Mauritanie en premier lieu ne justifie sans doute plus cette classification et le gouvernement mauritanien s’active à faire lever ce qu’il considère comme des sanctions. Tout dernièrement, début février 2012, le ministère mauritanien du tourisme a d’ailleurs affrété un charter de 150 personnes du secteur touristique, notamment français, à l’occasion du deuxième festival des villes anciennes, afin de bien marquer son complet désaccord avec la prudence française. Le gouvernement mauritanien considère que les circonstances qui ont motivé ces mesures ont considérablement évolué : les services de sécurité maîtrisent bien mieux le territoire et tout particulièrement les zones de parcours touristiques autour d’Atâr et de Chinguetti, grâce aussi à l’implication active des populations locales dont l’économie a été sinistrée. Pour sa part, le Premier ministre du Niger, Rafini Brigi, avait également indiqué à vos Rapporteurs les réserves de son gouvernement sur ces mesures et insisté sur la pénalisation économique et sociale qui en résultait, notamment sur les activités touristiques locales.

Au-delà de l’aspect économique qui a un impact sur les populations locales, les actions de coopération au développement sont également touchées : ainsi, France volontaires a-t-elle dû retirer ses volontaires sur le terrain. Les ONG et les municipalités qui mènent des actions de coopération décentralisée ont également été amenées à réduire leurs activités. A ne pas revenir sur ces décisions, qui sont aujourd’hui devenues excessives, la France ruine d’une certaine manière l’effet des politiques d’aide au développement qu’elle met en œuvre, en tarissant les ressources économiques, au demeurant faibles, des populations que ses programmes de coopération soutiennent par ailleurs.

Il est donc urgent, aux yeux de vos Rapporteurs, qu’elle révise ses jugements et desserre maintenant l’étau qui les étrangle.

CONCLUSION

Les facteurs d’instabilité qui se conjuguent aujourd’hui au Sahel sont d’une gravité exceptionnelle qui justifie que cette région du continent africain soit l’une de nos toutes premières priorités.

Aux défis du développement qui compromettent l’avenir des populations de la région, s’ajoutent les menaces sécuritaires immédiates qui affectent directement les intérêts de notre pays et de nos compatriotes.

Vos Rapporteurs ont tenté de définir les quelques axes qui leur semblent devoir être au cœur de la réflexion. Il convient tout d’abord de rétablir la sécurité dans le Sahel en renforçant la coopération entre les Etats de la région et la France.

La présence française sur le terrain doit en premier lieu être sécurisée pour éviter de nouvelles prises d’otages. Une réflexion est nécessaire pour mettre fin à l’engrenage des rançons qui représentent des sommes considérables constituant la principale ressource d’AQMI. Tout en prenant garde d’éviter le piège d’une guerre frontale avec AQMI, et en concertation avec les pays directement concernés, la France ne doit jamais s’interdire a priori l’usage de la force. S’agissant du terrorisme, l’impunité est intolérable.

En second lieu, la coordination régionale est d’une importance capitale. L'éradication du terrorisme au Sahel passe, en effet, par un renforcement de la coopération entre tous les pays de la zone. La France, principale cible d'AQMI, doit y jouer un rôle central. Il convient également d'internationaliser davantage les réponses données à la crise que traverse cette région. L’Union européenne devrait notamment nommer un Représentant spécial pour le Sahel pour accélérer la mise en œuvre de manière plus déterminée de la politique qu’elle a récemment définie en partenariat avec les Etats de la région.

Cela étant, l’approche préventive doit être renforcée pour empêcher les marchandises acheminées par contrebande de parvenir au Sahel. Il faut en effet arrêter à la source les trafics de cigarettes, de drogue, d’êtres humains… qui sont de véritables cancers pour toute la zone. Les stratégies doivent par conséquent veiller à intégrer des actions en amont du Sahel proprement dit, pour tarir les ressources que l’organisation terroriste retire des trafics qui lui permettent de suppléer aux carences de l'économie locale et fournir une activité aux habitants.

Il convient aussi de définir une politique de communication claire qui viserait à décrédibiliser AQMI et révéler son ambivalence, ses pratiques crapuleuses, en particulier auprès de certaines franges de la population sahélienne séduites par son discours radical et anticolonial. Dans cette perspective, il est vital de soutenir davantage la Francophonie, que ce soit dans l’enseignement ou dans l’aide aux médias francophones. Il faut répondre à la demande des Etats en ce qui concerne la mise en place de modules de rattrapage dans l’apprentissage du français à destination plus particulièrement des militaires, des magistrats et des universitaires.

Une plus grande cohérence est aussi nécessaire en ce qui concerne les mesures que la France prend elle-même. En particulier, vos Rapporteurs appellent à une révision de la politique indiscriminée de zonage en rouge des territoires sahéliens qui affecte directement les populations. Cette politique aboutit à interdire toute action humanitaire et de coopération dans une région qui a tant besoin de l’aide de la France et de la communauté internationale. Elle revient clairement à faire le jeu d'AQMI en isolant davantage les populations en les privant de ressources, notamment touristiques.

Les réponses sécuritaires doivent veiller soigneusement à ne pas contredire les efforts que la communauté internationale fait parallèlement en faveur du développement économique et social de la région, sans lequel aucune stabilité durable ne peut raisonnablement être envisagée sur les moyen et long termes.

La tâche est d’une ampleur peu commune. Les mesures qui ont été prises par notre pays ces derniers mois, celles que l’Union européenne et la communauté internationale ont définies, vont dans le bon sens. Elles appellent à une cohérence renforcée et à des efforts accrus.

Pas plus que la famine, AQMI n'est pas une fatalité pour le Sahel. L'une comme l'autre doivent être combattues, de manière résolue, constante, efficace. Il est encore possible, à condition d’agir de façon déterminée dans la durée, d’éradiquer l’AQMI dont les ressources humaines et logistiques demeurent limitées.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission examine le présent rapport d’information au cours de sa séance du mardi 6 mars 2012 à 9 heures 30.

Après l’exposé des co-rapporteurs, un débat a lieu.

M. Jean-Paul Lecoq. Votre rapport éclaire remarquablement une situation très complexe, mais je m’étonne que vous n’ayez pas fait de parallèle avec l’Afghanistan, où Al Qaida est née puis a prospéré grâce aux revenus provenant du trafic de drogue et à des complicités locales. On retrouve des points communs au Sahel. Pourriez-vous nous préciser quel intérêt les Touareg trouvent dans la complicité avec AQMI.

Certaines des personnes récemment prises en otage travaillaient pour des ONG intervenant dans des camps de réfugiés sahraouis. Ces derniers abritent des milliers de jeunes gens qui n’ont jamais connu la vie hors des camps et qui ne voient pas d’avenir pour leurs revendications. Alors qu’ils connaissent la culture touareg, qu’ils appartiennent à des populations habituées à vivre dans le désert et qu’ils ont en eux un fort potentiel de violence, tournée notamment contre la France, qu’ils voient comme ayant une responsabilité dans le non-règlement de la question sahraouie, ne peut-on pas craindre qu’ils deviennent aussi des acteurs de la situation troublée du Sahel ?

Par ailleurs, auriez-vous des informations sur le rôle que jouent les services de renseignements dans la zone ? Quels sont les plus présents ? Suivent-ils les mouvements des groupes terroristes grâce aux images satellites ?

M. Serge Janquin. Merci pour ces exposés, qui vont au cœur du sujet. Henri Plagnol a indiqué que la France devait éviter de s’exposer directement et François Loncle a appelé à une présence discrète mais efficace : comment atteindre cet objectif ? Comment concilier discrétion et efficacité ?

Je m’étonne du silence de ces exposés à propos de l’Union africaine. Il est vrai qu’elle se heurte constamment à la difficulté de régler des conflits opposant l’Afrique « maure » et l’Afrique noire, mais c’est pourtant à elle de s’en charger et elle ne doit surtout pas être écartée des tentatives de règlement de ces conflits.

Il y a quelques années, j’ai remplacé notre défunt collègue Henri Cuq à la tête d’une délégation du groupe d’amitié France-Mali en mission à Bamako au moment de l’enlèvement de Michel Germaneau. J’ai été consterné de constater l’absence de ligne directrice du ministère des affaires étrangères. Le Premier ministre malien de l’époque avait, au nom du président de la République, invité la délégation à effectuer une visite : l’ambassadeur de France estimait qu’il était inopportun de répondre favorablement à cette invitation, mais nous n’avons finalement obtenu un avis officiel – négatif –, que la veille et seulement à la suite d’une intervention, bienvenue, du président de l’Assemblée nationale auprès des plus hautes autorités françaises.

Il est vrai que la France s’expose toujours à des accusations de néo-colonialisme : le seul moyen de régler ce problème consiste à laisser le premier rôle à l’Union africaine, quitte à lui apporter notre aide, à conduire un dialogue avec elle ; c’est elle qui doit être l’opérateur unique, pas les Etats occidentaux.

M. Jean-Michel Boucheron. Au Sahel, comme les co-rapporteurs l’ont indiqué, nous sommes confrontés à du « mou », car les pouvoirs locaux ne contrôlent rien, et à du « peu transparent », car les vrais acteurs restent invisibles. Les co-rapporteurs sont néanmoins parvenus à mener un travail très intéressant.

Je tiens à souligner, d’une part, que la commission consultative du secret de la défense nationale, qui comprend des parlementaires, est habilitée à visionner le film de l’opération visant à libérer les deux Français enlevés dans le nord du Mali en novembre 2010, et, d’autre part, qu’un combat contre AQMI et les preneurs d’otages est mené sur place depuis longtemps.

Dans la phase actuelle du conflit, les Touareg contrôlent le nord du Mali : avez-vous le sentiment qu’ils veulent avancer jusqu’à Bamako ? Très récemment, on a senti un raidissement des Touareg vis-à-vis d’AQMI : intuitivement, diriez-vous que c’est passager ou que les Touareg pourraient avoir la capacité de régler le problème du terrorisme d'AQMI ?

M. Robert Lecou. Comme Jean-Michel Boucheron, je perçois la situation au Sahel comme un mélange de « mou » et de « peu transparent ». Elle est surtout très sensible. En tant que président du groupe d’amitié France-Mali, j’ai des contacts avec des représentants légitimes de la population du nord du Mali. Ils font leur possible pour obtenir que cette population soit secourue, obtienne de l’aide alimentaire et un soutien lorsqu’elle doit se déplacer pour fuir le danger. Sa situation est alarmante et ne doit pas être oubliée. Il faut bien avoir à l’esprit le fait que toute la population du nord du Mali ne soutient pas le terrorisme ; de très nombreuses personnes, parmi lesquelles certaines m’ont fait parvenir leur témoignage, ont dû se réfugier dans les pays voisins, ce qui crée des difficultés. L’Etat malien est démocratique mais je ne suis pas sûr qu’il prenne la mesure de la gravité de la situation de ces populations. Je m’interroge sur sa capacité à discuter avec les représentants légitimes du peuple touareg, au moins pour faire face à l’urgence humanitaire. Le reste du monde ne doit pas abandonner les populations du nord du Mali au profit des intérêts du sud.

M. André Schneider. Je félicite à mon tour mes deux collègues et les remercie pour leurs propos qui font écho aux conclusions douloureuses d’un travail de la commission politique de l’Assemblée parlementaire de la francophonie que je préside, sur la situation de crise dans l’espace francophone. S’il est vrai que la France n’est plus aujourd’hui en capacité d’agir autrement que discrètement en Afrique, la francophonie, elle, peut demeurer un espace de dialogue avec les pays de langue française. Elle est en outre perçue comme un espace de protection pour les pays non francophones qui aujourd’hui souhaitent y adhérer.

Nous devons faire le pari que l’Afrique sera le continent du XXIème siècle sinon nous manquerons un rendez-vous avec l’histoire. C’est aussi une nécessité face aux risques de contagion de tous les trafics qui y ont cours, qu’il s’agisse de drogue, d’êtres humains ou d’organes.

Je remercie une nouvelle fois les rapporteurs d’avoir conforté mes convictions et de m’avoir fourni des arguments supplémentaires.

M. Michel Terrot. Je félicite également les rapporteurs et souhaite revenir sur deux points évoqués par François Loncle et sur lesquels j’ai régulièrement interpellé le ministre au cours de cette législature.

Le premier concerne le dispositif Epervier au Tchad dont le Livre blanc prévoyait la disparition dans un délai non déterminé. J’admets que la présence sur place n’est pas la seule méthode pour lutter contre le terrorisme. Il me semble néanmoins que cela serait pure folie que de dépouiller ainsi notre dispositif sur le terrain et de baisser la garde dans une région aussi sensible. Je me félicite donc que ce point de vue soit repris dans le rapport.

En second lieu, la France apparaît aujourd’hui comme un bailleur de seconde zone, y compris dans les pays de tradition française, contrairement par exemple à l’Espagne en Mauritanie. C’est la conséquence d’une politique contre laquelle je me suis battu durant ce mandat selon laquelle l’aide multilatérale est privilégiée au détriment de l’aide bilatérale. Il est temps d’ouvrir les yeux et d’inverser ce choix en favorisant de nouveau l’aide bilatérale comme le font les autres pays européens.

Je regrette que sur ces deux sujets, malgré les promesses, les choses n’aient guère avancé.

M. Jacques Myard. J’approuve entièrement les deniers propos de Michel Terrot. Nous devons cesser de consacrer autant d’argent à l’aide multilatérale qui au surplus profite in fine à des sociétés anglo-saxonnes.

Je me félicite de ce rapport qui me semble annonciateur de la volonté française de renouer avec l’Afrique. Il convient désormais de confirmer par des actes cette reconnaissance bienvenue de l’importance de l’Afrique.

Je rappelle que la prise d’otage dans cette région du monde est une pratique ancestrale. La rançon est considérée comme un moyen habituel de transaction. Certes le discours islamiste vient s’ajouter à cette tradition. Mais le Sahel a toujours été instable et n’a jamais été pacifié.

En matière de prise d’otages, la négociation est un piège pour les démocraties. Ces peuples ne négocient pas entre eux. Ils considèrent la négociation comme un aveu de faiblesse. Dans le même temps, il faut préserver la vie des otages. Le choix est difficile.

Pourquoi voulez-vous une fois encore mêler l’Union européenne à ce que font les Etats au Sahel ?

Je rappelle à M. Loncle que François Mitterrand a envoyé les forces spéciales françaises en Afghanistan dès l’entrée des Soviétiques. Au Sahel aussi, la France est présente et très active depuis le début.

La zone rouge n’est pas trop importante. Elle correspond à une zone d’incertitude totale parce qu’elle n’est pas pacifiée, que le mouvement y est permanent et que les terroristes ont beaucoup appris…

Ce serait mortifère pour la défense nationale que de transmettre les documents classés « secret défense » en vue d’un procès. Je m’élève contre la judiciarisation des actions de guerre.

M. Henri Plagnol, co-rapporteur. Pour répondre d’abord à M. Lecoq, il existe des similitudes entre l’Afghanistan et le Sahel si l’on raisonne du point de vue du djihad islamique et de l’opposition à l’occident qu’il véhicule. Cependant, la comparaison s’arrête là, compte tenu des caractéristiques géographiques et des modes de vie très différents. C’est d’ailleurs ceux qui se réclament du djihad qui cherchent à imposer cette approche planétaire et nous avons intérêt au contraire à raisonner à l’échelle régionale, particulière. Quant à la collusion entre les Sahraouis et AQMI, on ne peut exclure qu’elle se produise un jour mais l’Algérie veille et cela explique que cela ne se soit pas produit jusqu’à présent.

J’ai été sensible aux remarques de MM. Schneider et Lecou. Concernant la situation tragique du nord du Mali, le président ATT nous avait fait part de ses inquiétudes. Il ne souhaitait pas militariser la lutte car il connaît son pays et sait que l’armée n’est pas la bienvenue au nord. C’est un Etat nation extraordinairement fragile que le Mali. Concernant l’appel au secours, la France a un rôle essentiel à jouer car elle est, me semble-t-il, le seul interlocuteur acceptable par les deux parties. Notre diplomatie doit donc s’activer si l’on souhaite éviter l’éclatement. Les Touareg iront-ils jusqu’à Bamako ? Je ne saurais dire. Ils veulent régler la question sécuritaire mais ce serait alors remettre en cause la carte de la région. La France doit soutenir une autre voie tout en montrant qu’elle comprend la situation des Touareg et la détresse qui est la leur.

S’agissant de la francophonie, c’est un facteur important car la lutte en cours est aussi culturelle. AQMI milite contre le français. Le président mauritanien nous a dit qu’il serait crucial de mettre en place des outils à destinations des magistrats et des militaires appartenant à la génération des 35-50 ans car se posent aujourd’hui des problèmes de commandement. Promouvoir la francophonie, c’est développer une approche différente et une ouverture. Il faut privilégier des actions ciblées en direction de certains milieux stratégiques de l’Etat.

M. François Loncle, co-rapporteur. Je vous remercie pour votre écoute et vos compliments et répondrai sur les autres points. D’abord, en réponse à la remarque de M. Janquin sur la manière de concilier l’efficacité et la discrétion, il s’agit en grande partie du rôle du renseignement. Je renouvelle l’affirmation selon laquelle nos services sont remarquables et font un travail efficace. De plus, contrairement à ce que l’on observe en matière de coopération militaire entre les quatre pays de la région, l’action est bien coordonnée entre ces pays et avec le notre et les Etats-Unis.

Concernant le recours à l’Union africaine, le vœu de son implication serait recevable si elle était dotée de moyens considérables. Lors d’une mission avec M. Terrot à Addis Abeba il y a quelques années, nous avions émis le souhait qu’il en soit ainsi, mais tel n’est pas le cas encore aujourd’hui. Si elle avait les mêmes moyens que l’Union européenne, on aurait des résultats. La CEDAO, plus équipée, disposant de plus de moyens et plus opérationnelle car regroupant moins de pays, ne doit pas non plus être négligée.

Concernant la traque des responsables des enlèvements, nous regrettons qu’un droit de suite ne soit pas exercé chaque fois que cela est possible.

Par ailleurs, affirmer qu’il y a du « mou » partout est démenti par l’exemple mauritanien qui atteste qu’il y a des nuances avec aussi une excellente surveillance des frontières.

M. Jean-Michel Boucheron. C’est tout à fait juste pour la Mauritanie.

M. François Loncle, co-rapporteur. Je ne crois pas pour ma part que les Touareg iront jusqu’à Bamako. En revanche, le climat dans la capitale est extrêmement tendu, y compris avec une dimension raciale, entre les communautés. La situation est d’autant plus délicate que le pays est en période électorale, ATT ne se représentant pas. Je souscris aux observations de M. Terrot sur l’aide au développement. Tant pour la France que l’Union européenne, il nous a été dit que des efforts seraient faits pour donner plus aux populations du nord par rapport à d’autres pays qui n’en ont pas un besoin évident.

Enfin, je répondrai à M. Myard que si l’instabilité est ancienne dans la région, il s’agissait auparavant de crimes crapuleux alors qu’aujourd’hui ont tue au nom de l’intégrisme.

Puis la commission autorise la publication du rapport d’information, après que le Président Axel Poniatowski eut précisé que la Commission aura ainsi, sous la treizième législature, publié trois rapports sur l’Afrique.

ANNEXES

Annexe 1

Liste des personnalités rencontrées

(par ordre chronologique)

1) A Paris

– MM. Stephane Gompertz, directeur d'Afrique et de l'océan Indien, et Serge Mostura, directeur du Centre de crise, ministère des affaires étrangères et européennes (20 janvier 2011)

– M. Bernard Bajolet, coordonnateur national du renseignement (3 février 2011)

– M. Laurent Bossard, directeur, secrétariat du Club du Sahel de l’Afrique de l'Ouest /OCDE (17 février 2011)

– MM. Wallace Bain et Robert Kaneda, conseillers auprès de l’ambassade des Etats-Unis en France (10 mars 2011)

– M. Erard Corbin de Mangoux, directeur général de la sécurité extérieure (31 mars 2011)

– MM. Alain Antil, chercheur et responsable du programme Afrique subsaharienne à l’IFRI, et Charles Grémont, chercheur, membre du Centre d’études des mondes africains (CEMAf) (19 mai 2011)

– Général Jean-Michel Chéreau, directeur de la protection du patrimoine et des personnes, Areva (26 mai 2011)

– M. Pierre Camatte (9 juin 2011)

– M. Jean-Pierre Filiu, professeur associé à Sciences-Po (chaire Moyen-Orient) (23 juin 2011)

– MM. Falilou Fall, responsable du pôle économique, Luc Briard, chargé des questions de gouvernance et de développement, Direction générale de la mondialisation (DGM), ministère des affaires étrangères et européennes, et Yves Gueymard, conseiller de coopération et d’action culturelle au Mali (30 juin 2011)

– M. Brigi Rafini, Premier ministre du Niger (5 octobre 2011)

– Amiral Edouard Guillaud, chef d’état-major des armées, Général de corps d’armée Didier Castres, sous-chef d’état-major « opérations » de l’état-major des armées, M. Jean-Marie Magnien, conseiller diplomatique du chef d’état-major des armées et Colonel Pascal Facon, chef du bureau Afrique de l’état-major des armées, conseiller Afrique du chef d’état-major des armées (8 décembre 2011)

– Mme Françoise Larribe (19 janvier 2012)

2) en Mauritanie, au Sénégal et au Mali

a) à Nouakchott (du 1er au 3 mai 2011)

– Son Exc. M. Michel Vandepoorter, ambassadeur de France en Mauritanie

– Réunion avec les chefs de service de l’ambassade : M. François Dall’Orso, Premier Conseiller ; Lieutenant-Colonel Jean Betsch, attaché de défense ; Commissaire Jean-Luc Peduzzi, attaché de sécurité intérieure ; M. Jean-Philippe Sauvageot, chef de la mission économique ; M. Gilles Lainé, directeur de l’AFD ; M. Julien Rouyat, responsable par intérim du service de coopération et d’action culturelle)

– M. Ahmed Ould Daddah, président du RFD, chef de file de l’opposition

– Déjeuner avec les ambassadeurs européens et le Délégué de l’Union européenne

– Général Ghazwani, chef d’état major national

– M. Ould Abdel Aziz, Président de la République

– M. Ahmed Ould Idey Ould Mohamed Radhi, ministre de la défense nationale

– M. Hamadi Ould Baba Ould Hamadi, ministre des affaires étrangères et de la coopération

– Son Exc. Mme Jo Ellen Powell, ambassadrice des Etats-Unis

b) à Dakar (4 mai 2011)

– Son Exc. M. Nicolas Normand, ambassadeur de France au Sénégal

– MM. Stéphane Barbier, Laurent Correau et Serge Daniel, journalistes

– M. Sidy Sall, président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale

– M. Ousmane Ngom, ministre d’Etat, ministre de l'intérieur

– Général Olivier Paulus, commandant des forces françaises du Cap-Vert

c) à Bamako (du 4 au 7 mai 2011)

– Son Exc. M. Christian Rouyer, ambassadeur de France au Mali

– M. Vincent Hommeril, Premier conseiller, ambassade de France

– Colonel Jean-Paul Battesti, attaché de défense, ambassade de France

– M Daniel Goutté, conseiller direction de la coopération internationale, ambassade de France

– M. Frédéric Guiod, attaché de sécurité extérieure, ambassade de France

– M. Patrick Mazounie, consul général de France à Bamako

– M. Diongounda Traoré, président de l’Assemblée nationale

– M. Soumeylou Boubeye Maïga, ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale

– Son Exc M. Mohamed Ould Hanana, Ambassadeur de Mauritanie au Mali

– Petit-déjeuner de travail avec les ambassadeurs de l’Union Européenne (Danemark, Belgique, Espagne, Pays Bas, Allemagne, Suède, Royaume Uni) du Canada et des Etats-Unis

– Général de Brigade Amidou Sissoko, chef d’état major particulier du président de la République du Mali

– M. Amadou Toumani Touré, Président de la République

3) au Burkina Faso (M. François Loncle) (février 2011 et 6 février 2012)

–  M. Roch Kaboré, président de l’Assemblée nationale

– M. Arsène Bongnessan Yé, ministre d’Etat chargé des réformes politiques

– M. Blaise Compaoré, Président de la République

4) en Algérie (du 13 au 15 septembre 2011)

– Son Exc. M. Xavier Driencourt, ambassadeur de France en Algérie

– M. Abderrazak Mokri, vice-président du mouvement de la société pour la paix

– M. Abdelkader Messahel, ministre délégué aux affaires africaines et maghrébines

– M. Abdelhamid Si Afif, président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée populaire nationale

– M. Kamel Rezzag-Bara, conseiller à la présidence de la République pour les questions de terrorisme

– M. Noureddine Zerhouni, Vice-Premier ministre

– Dîner avec les ambassadeurs du Maroc, du Mali et de Mauritanie en Algérie

– Dr Eliass Boukra directeur exécutif adjoint du Centre africain d’études et de recherche sur le terrorisme.

Annexe 2

Eléments chronologiques depuis la création du GSPC, en 1998

1998

16 septembre : naissance officielle du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), à la suite d’une scission au sein du Groupe islamique armé (GIA). Hassan Hattab et Abderrazak El-Para s’imposent respectivement comme émir national et numéro deux du GSPC.

1999

13 juillet : promulgation de la loi de « concorde civile » en Algérie. Le GSPC y répond par la violence.

2000

Juillet : Mokhtar Belmokhtar rejoint le GSPC, assurant ainsi un important soutien à cette organisation terroriste grâce à ses réseaux de contrebande dans la zone saharienne.

2001

11 septembre : attentats aux Etats-Unis. Les premières divergences idéologiques au sein du GSPC apparaissent. Si certains, comme Droukdal, soutiennent ces attaques, d’autres, autour de Hattab, s’y opposent.

2003

4 janvier : en Algérie, attaque d’un convoi militaire à la veille de la visite d’une délégation américaine ayant pour objet la coopération dans la lutte anti-terroriste. 43 morts.

Février : enlèvement de trente-deux Européens par un commando dirigé par El-Para. Un otage décède durant la détention. Les 31 autres sont libérés entre les mois de mai et août 2003 contre, semble-t-il, une rançon de 5 millions de dollars.

Mars : début de la guerre en Irak. Deux conceptions s’opposent, au sein du GSPC, quant à l’attitude à adopter : l’aile « localiste », portée par les fondateurs du GSPC, dont le seul objectif est de renverser le gouvernement algérien, et l’aile « internationaliste », portée notamment par Droukdal, favorable à l’extension du djihad à l’international.

Août : l’aile « internationaliste » du GSPC s’impose. Nabil Sahraoui remplace Hattab à la tête de l’organisation.

2004

Juin : Sahraoui est tué par l’armée algérienne au cours d’une embuscade en Kabylie.

Août : Droukdal est nommé émir national du GSPC. Il cherche à opérer un rapprochement avec Al Qaida à travers des opérations plus impressionnantes. Des liens sont tissés avec Zarqaoui, notamment par l’envoi de combattants en Irak. Droukdal parvient à recruter des Mauritaniens, des Marocains, des Tunisiens, des Libyens, des Maliens ou encore des Nigériens.

2005

4 juin : attaque d’une caserne mauritanienne quelques jours avant l’exercice Flintlock 2005. Le bilan est 18 morts et 15 blessés. Pour l’opération, une centaine d’hommes a été réquisitionnée par le GSPC.

2006

7 juin : mort de Zarqaoui dans un raid américain au nord de Bagdad.

11 septembre : utilisant la date symbolique du 11 septembre, Al-Zawahiri, numéro deux d’Al Qaida, proclame l’allégeance du GSPC à son organisation.

10 décembre : en Algérie, attentat contre deux bus de la firme algéro-américaine Brown Root & Condor. Les bus transportaient les employés vers l’hôtel Sheraton d’Alger. 2 morts.

2007

24 janvier : le GSPC devient Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI). Ben Laden désigne la France comme principale cible d’AQMI.

3 mars : à Hayoun, en Algérie, attentat à la bombe contre un bus transportant des travailleurs russes de Stroitransgaz, chargés d’aller installer des conduites de gaz. L’attaque fait quatre morts dont un Russe.

21 mars : le tribunal de Tizi-Ouzou condamne Droukdal, par contumace, à l’emprisonnement à vie.

11 avril : deux voitures piégées conduites par des kamikazes explosent presque simultanément. L’une visait les bureaux du Premier ministre, à Alger, la seconde visait le siège de la police de Bab Ezzouar, à l’est de la capitale. Les deux attaques font 33 morts.

11 juillet : un kamikaze fait exploser un camion contre une patrouille militaire près de la caserne de Lakhdaria (Algérie). 8 soldats sont tués.

6 septembre : à Batna, en Algérie, un kamikaze se fait exploser dans une foule attendant la visite du Président Bouteflika. Le bilan est de 25 morts et une centaine de blessés.

8 septembre : à Dellys, en Algérie, un attentat à la voiture piégée contre une caserne de garde-côtes fait 34 morts et une quarantaine de blessés.

21 septembre : moins de 24 heures après un communiqué d’Al-Zawahiri appelant à « débarrasser le Maghreb des Français installés dans les anciennes colonies d’Afrique du Nord », attentat suicide contre un bus transportant des employés d’un groupe français de travaux publics. 9 blessés.

22 septembre : Hassan Hattab se rend aux autorités algériennes.

11 décembre : à Alger, double attentat contre les bureaux du HCR et du Conseil constitutionnel. 67 morts et 177 blessés.

24 décembre : en Mauritanie, assassinat de 4 touristes français. La course « Paris-Dakar » est annulée peu après.

2008

22 février : en Tunisie, enlèvement d’un couple de touristes autrichiens. Les otages sont menés dans le nord du Mali via la Libye et le sud de l’Algérie. Une rançon de 2 millions d’euros aurait été payée par l’intermédiaire de Touareg.

19 août : attentat-suicide contre une école de gendarmerie à l’est d’Alger (43 morts) et explosion d’une bombe au passage d’une patrouille de police, près de Skikda, dans le nord-est de l’Algérie (12 morts).

14 décembre : enlèvement de deux diplomates canadiens au Niger. Ils sont libérés, au Mali, le 21 avril 2009.

2009

22 janvier : enlèvement de quatre touristes européens à la frontière du Mali et du Niger (deux Suisses, une Allemande et un Anglais). L’otage britannique est assassiné par Abou Zeid, au mois de mai suivant, après le refus du Royaume-Uni de payer la rançon.

23 juin : à Nouakchott, assassinat d’un ressortissant américain accusé de prosélytisme chrétien.

4 juillet : au Mali, attaque d’un convoi militaire. Une vingtaine de soldats est tuée et trois sont enlevés. Des armes sont saisies et des véhicules détruits. AQMI accuse le président malien de soutenir les « croisés occidentaux » dans la guerre contre Al Qaida.

29 juillet : dans le nord de l’Algérie, 14 soldats meurent dans l’attaque de leur convoi.

8 août : à Nouakchott, attentat suicide contre l’ambassade de France. Deux gendarmes français et une passante mauritanienne sont légèrement blessés.

26 novembre : enlèvement de Pierre Camatte, au Mali. Il est libéré le 23 février 2010 peu après la libération de quatre salafistes par le gouvernement malien. Cet enlèvement réaffirme l’ambition d’AQMI de viser la France et envenime la concurrence entre Abou Zeid et Belmokhtar.

29 novembre : en Mauritanie, enlèvement de trois Espagnols. Un otage est libéré au mois de mars 2010 après, selon AQMI, s’être converti à l’islam. Les deux autres sont libérés le 23 août 2010.

18 décembre 2010 : en Mauritanie, enlèvement d’un couple d’italiens qui sont libérés le 16 avril 2010.

2010

19 avril : enlèvement de Michel Germaneau, au Niger, qui est ensuite détenu au Mali.
Le 22 juillet 2010, l’armée française intervient pour le libérer mais l’opération échoue. Deux jours plus tard, AQMI affirme avoir exécuté l’otage. Les causes du décès de Michel Germaneau ne sont toutefois pas clairement établies et une mort naturelle due aux conditions de vies difficiles est toujours envisagée.

30 juin : 11 gendarmes algériens sont tués dans une embuscade.

15-16 septembre 2010 : enlèvement de sept expatriés (5 Français, 1 Togolais et 1 Malgache) sur le site minier d’Areva, à Arlit, au Niger. Le 19 novembre, AQMI demande à Paris de négocier directement avec Ben Laden et de retirer ses troupes d’Afghanistan. AQMI exige aussi l’abrogation de la loi sur le port du voile intégral dans les lieux publics. Le 24 février 2011, trois otages (Mme Françoise Larribe, l’unique Française du groupe et les deux étrangers) sont libérés. AQMI réclamerait désormais 90 millions d’euros à la France pour la libération des quatre otages restant.

2011

6 janvier : attentat contre l’Ambassade de France au Mali. Un jeune Tunisien fait exploser une bombonne de gaz devant l’ambassade. Deux passants sont blessés. Interpellé, le terroriste déclare avoir été entraîné par AQMI mais avoir voulu « faire un coup seul ».

7 janvier : enlèvement, à Niamey, d’Antoine de Léocour et de Vincent Delory. Ils sont tués le lendemain, lors d’une opération militaire franco-nigérienne pour les libérer.

2 février : enlèvement d’une touriste italienne dans le sud de l’Algérie.

15 avril : attaque d’un poste militaire à l’est d’Alger. 14 morts.

2 mai : mort d’Oussama Ben-Laden.

24-29 juin : à l’ouest du Mali, dans la forêt de Wagadou, affrontements entre l’armée mauritanienne et AQMI. Plusieurs terroristes sont arrêtés. Le bilan officiel est de 2 morts et de 5 blessés du côté de l’armée et d’une quinzaine de morts du côté d’AQMI. Le raid confirme l’acquisition d’armes et de munitions par AQMI en territoire libyen.

24 novembre : enlèvement de deux ressortissants Français, à Hombori, au Mali.

25 novembre : à Tombouctou, enlèvement de trois touristes européens (un Suédois, un Néerlandais et un Britannique disposant également de la nationalité sud-africaine). Un ressortissant allemand essaye de résister aux preneurs d’otages. Il est tué durant l’attaque.

2012

17 janvier : reprise de la rébellion touareg au Mali, à l’origine du déplacement de plus de 130.000 réfugiés en quelques semaines. Peu après le début de la rébellion, des dizaines de soldats maliens sont tués à à Aguelhok, dans le nord-est du pays. Certains indices permettent d’envisager qu’AQMI aurait participé à l’assaut.

Annexe 3

Les principaux membres du GSPC et d’AQMI

En italique : nom de naissance ;

En gras : nom le plus souvent employé ;

Entre parenthèses : autres noms ou surnoms.

Hassan Hattab (Abou Hamza). Né en 1967 à l’Est d’Alger, il est issu d’une famille aisée. Quatre de ses frères s’engagent dans le GIA. Il accompli son service militaire à l’école des parachutistes de Biska où il rencontre Abderrazak El-Para. Il intègre le GIA dans les années 1990 et fonde le GSPC en 1998. En 2003, il est écarté de la tête de cette organisation par Nabil Sahraoui, lequel est ensuite remplacé par Abdelmalek Droukdal, en 2004. Hattab se rend aux autorités en septembre 2007 pour se rallier à la politique de réconciliation du Président Bouteflika. Tout au long de la première moitié des années 2000, de très nombreuses rumeurs – souvent attribuées à des conflits au sein du GSPC – courent sur sa mort. Responsable de l’assassinat de l’ex-Premier ministre Kasdi Merbah en 1993, il est aujourd’hui placé en résidence protégée. Opposé au ralliement du GSPC à Al Qaida, il chercha à pousser d’anciens membres du GSPC à la reddition. Il devient plus tard bénéficiaire des lois de la Charte de la réconciliation nationale.

Abderrazak El-Para (Amari Saïfi, Abou Haydara, Abou Haidar Al-Aurasi). Né en Algérie en 1966, il s’engage dans les troupes aéroportées des forces spéciales de l’Armée nationale populaire (ANP), d’où son surnom d’« El-Para ». C’est à l’armée qu’il rencontre Hassan Hattab. Il déserte et rejoint le maquis algérien. Il se rend dans de nombreuses katibas lors de la scission du GIA pour rallier des « Afghans » aux rangs de Hattab et du GSPC. En 2003, il organise l’enlèvement de 32 touristes européens en Algérie. Particulièrement suivi par les Etats-Unis, il est arrêté au Tchad en mars 2004, extradé en octobre 2004 par les autorités libyennes puis remis à l’Algérie. Le 25 juin 2005, il est condamné par contumace116 à la réclusion à vie pour « création d’un groupe terroriste armé ».

Abdelmalek Droukdal (Abou Moussab Abdelwadoud). Il est né en 1970 à Meftah près de Blida en Algérie. En 1993 il obtient un diplôme d’ « ingénieur d’Etat en génie mécanique » et rejoint le GIA en 1994 pour y faire une rapide ascension, devenant bientôt le conseiller de Hassan Hattab. Il fait partie des « Afghans », ces algériens partis combattre en Afghanistan lors de l’invasion de l’URSS. Fervent partisan du rapprochement avec Al Qaida, il devient numéro deux du GSPC sous Nabil Sahraoui au départ de Hattab. Il se spécialise dans le maniement des explosifs, la communication, la propagande et la formation des jeunes recrues. Il participe à l’élargissement du GSPC dans le Sahel en se rapprochant de l’émir de Mokhtar Belmokhtar. Il devient l’émir national du GSPC en 2004 puis mène l’organisation jusqu’à la déclaration d’allégeance à Al Qaida en 2007 pour devenir le leader incontesté d’AQMI. Il s’inspire de l’Egyptien Al-Zawahiri, bras droit de Ben Laden, et du leader d’Al Qaida en Irak, le Jordanien Al-Zarqaoui. Dans une interview au New York Times, Droukdal affirme : « Le plus important est de sauver nos pays des tentacules de ces régimes criminels, qui ont trahi leur religion et leurs peuples. Parce qu’ils sont tous les sécrétions de la colonisation qui a envahi nos pays pendant deux siècles et permis à ces régimes de gouverner ». Il se cacherait aujourd’hui dans le nord de l’Algérie.

Mokhtar Belmokhtar (Khaled Abou Al-Abbas, Laouar : le Borgne). Il est né en 1972 à Ghardaïa, à 600 km au sud d’Alger. Il séjourne pendant un an et demi en Afghanistan et au Pakistan au début des années 1990 où il s’entraîne dans des camps militaires et côtoie des moudjahidin. Grand connaisseur d’Al Qaida et de ses dirigeants, il revient en Algérie en pleine guerre civile et rejoint les rangs du GIA. Il est rapidement chargé d’aller former une cellule clandestine dans le sud du pays où il se spécialise dans la contrebande, notamment de cigarettes, ce qui lui vaut le surnom de « Mister Marlboro ». Il épouse une femme originaire de la tribu arabe des « Berabiches » au nord du Mali, et noue des liens avec des contrebandiers en se sédentarisant au Sahel. Entre 1994 et 1995, Belmokhtar rencontre plusieurs fois Ben Laden et Al-Zawahiri à Khartoum en voyageant à travers Niger et Mali. Reprochant, semble-t-il, au GIA de trop « dévier » de la doctrine salafiste, il intègre le GSPC de Hattab en 1998. Cependant, il rejoint rapidement les rangs de Droukdal et Sahraoui contre Hattab et souhaite l’allégeance à Al Qaida. Depuis 2006, il est chef de la katiba Al Moulathamine (les voilés), s’étendant jusqu’au nord du Mali et en Mauritanie et essentiellement composée de jeunes maliens et mauritaniens. A la tête de la région « Sud » avec Abou Zeid, il reste très indépendant vis-à-vis d’AQMI tout en étant essentiel à l’organisation par ses nombreux trafics. Belmokhtar est considéré comme un homme d’argent plus qu’un religieux, contrairement à Abou Zeid, mais reste malgré tout très proche et attaché à l’idéologie d’Al Qaida. Il est le véritable numéro deux d’AQMI et suppléant potentiel à Droukdal. Sa rivalité avec Abou Zeid laisse penser qu’en cas de prise de pouvoir par Belmokhtar, une scission au sein d’AQMI serait à prévoir.

Abou Zeid (Abid Hammadou). Né en 1965 dans le sud de l’Algérie, il devient membre du Front islamique du Salut (FIS) puis du GIA avant de rejoindre le GSPC, à sa création, en 1998. Peu éduqué mais fanatique, il est, en concurrence avec Belmokhtar, l’un des seuls membres d’AQMI en lien direct avec la cellule mère d’Al Qaida à travers Al-Zawahiri. Abou Zeid s’impose au sein d’AQMI comme le numéro un de la katiba Tarik Ibn Zyad, laquelle aurait été créée par El-Para sous le GSPC, dans le but d’établir un camp sur les hauteurs du Tassili, dans le Sahara algérien, avant d’être affiliée à la région « Sud » d’AQMI. Abou Zeid est avant tout un religieux, un guide spirituel. Il est le premier à avoir exécuté un otage, le Britannique Edwin Dyer, le 31 mai 2009, à la suite au refus du Royaume-Uni de payer la rançon demandée.

Yahia Djouadi  (Yahia Abou Amar, Abou Alla). Il est né en 1967 à 450 km à l’ouest d’Alger, à Sidi-Bel-Abbès, où sont revenus des combattants d’Afghanistan dans les années 1980. Il fonde son propre groupe, « le groupe salafiste combattant », qu’il dirige jusqu’à sa fusion avec le GSPC en 2005. Second chef de l’ancienne zone n° 9, Djouadi devient le bras droit d’Abdelmalek Droukdal dès la déclaration d’allégeance à Al Qaida. Il participe à de nombreux attentats et enlèvements, notamment l’enlèvement d’un couple de touristes autrichiens, le 22 février 2008, au sud de la Tunisie. Droukdal l’envoie dans la région « Sud » d’AQMI afin d’unir Abou Zeïd et Belmokhtar, dont les rivalités sont croissantes. Officiellement nommé leader de cette région, il est écarté du pouvoir par l’ANP qui l’isole au sud de l’Algérie, sans pour autant l’arrêter. Il est aujourd’hui relativement inactif au sein d’AQMI.

Abdelkarim Targui (Ahmed Targui, Abdelkrim le Touareg). D’origine malienne, il est considéré comme le seul membre touareg d’AQMI occupant un poste important. Néanmoins, il semblerait que son surnom de « Touareg » ne soit pas justifié et qu’il n’appartienne, en réalité, à aucune tribu touareg. Actif dans la région « centre », il rejoint Abou Zeid dès la montée en puissance de la katiba de ce dernier et devient son lieutenant. Il organise pour lui l’enlèvement de Michel Germaneau. Il aurait été nommé par Droukdal pour négocier les échanges avec les cartels de la drogue colombiens en octobre 2010. Personnalité montante au sein d’AQMI, on lui attribue souvent la volonté de fonder une « troisième katiba » aux côtés de Belmokhtar et Abou Zeid dans la région « Sud ».

Annexe 4

Les ressortissants français otages d’AQMI :

Au 6 mars 2012, six Français étaient encore détenus par AQMI.

● Quatre d’entre eux ont été enlevé à Arlit (Niger), dans la nuit du 15 au 16 septembre 2010. Il s’agit de :

M. Daniel Larribe, expert en technique minière ;

M. Thierry Dol, ingénieur de génie civil ;

M. Pierre Legrand, volontaire international en entreprises ;

M. Marc Ferret, technicien.

Trois autres otages, enlevés en même temps qu’eux, ont été libérés en février 2011. Il s’agit de :

Mme Françoise Larribe, française, épouse de M. Daniel Larribe ;

M. Jean-Claude Rakotoarilalao, malgache, ingénieur ;

M. Alex Kodjo Ahonado, togolais, technician.

● Les deux autres otages français détenus par AQMI ont été enlevés à Hombori (Mali), le 24 novembre 2011. Il s’agit de :

M. Serge Lazarevic

M. Philippe Verdon

1 () Source : Mehdi Taje, « Vulnérabilités et facteurs d’insécurité au Sahel », in « Enjeux ouest-africains », n° 1, août 2010, Note publiée par le Secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO/OCDE)

2 () Source : PNUD : http://hdrstats.undp.org/fr/indicateurs/103106.html

3 () Sierra Leone, Guinée Bissau, RDC, Afghanistan et Tchad.

4 () Tableau construit selon les données statistiques 2011 disponibles des Nations Unies, http://hdr.undp.org/fr/donnees/profils/ 

5 () http://www.undp.mr/omd/PNUD%20et%20OMD%20en%20Mauritanie.pdf En d'autres termes, au vu des dernières données indiquées plus haut, la Mauritanie aurait même régressé au classement mondial…

6 () http://www.ml.undp.org/mdgmali.htm

7 () 77 % de la population malienne vivent avec moins de 2 dollars par jour.

8 () http://www.pnud.ne/ne_omd.htm ; plus de 60 % de la population nigérienne vivent avec mois de 1 dollar par jour.

9 () La première phase de la transition démographique se produit lorsque la mortalité chute sans baisse de natalité, engendrant un fort accroissement naturel. La seconde phase désigne le passage où la fécondité baisse également pour s’équilibrer à peu près avec la mortalité.

10 () http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SP.DYN.TFRT.IN/countries?display=default

11 () Jean-Michel Severino et Olivier Ray, « Le temps de l’Afrique », Odile Jacob, mars 2010, page 22.

12 () Mehdi Taje, « Vulnérabilités et facteurs d’insécurité au Sahel », in « Enjeux ouest-africains », n° 1, août 2010, Note publiée par le Secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO/OCDE).

13 () Jean-Michel Severino et Olivier Ray, op. cit., page 32. Les données ne sont pas fondamentalement différentes au Mali, où l’indice de fécondité actuel est de 6,5.

14 () Source : Mehdi Taje, « Vulnérabilités et facteurs d’insécurité au Sahel », ibid.

15 () Par exemple, outre le fait que la croissance démographique du Mali est très importante, plus 3,6 % par an, Bamako est la sixième ville du monde en terme de vitesse de croissance ; les services et infrastructures urbains ne peuvent suivre ce rythme.

16 () Raphaël Beaujeau, Michael Kolie, Jean-François Sempere et Christine Uhder, « Transition démographique et emploi en Afrique subsaharienne : comment remettre l’emploi au cœur des politiques de développement », Collection « A savoir », n° 5, MAEE/AFD, Avril 2011, page 180.

17 () Raphaël Beaujeau et autres, op. cit., pages 92-93

18 () Raphaël Beaujeau et autres, op. cit., page 77.

19 () Jean-Robert Pitte, « La sécheresse en Mauritanie », Annales de Géographie. 1975, n° 466. page 656.

20 () Banque ouest africaine de développement (BOAD) « Changements climatiques et sécurité alimentaire dans la zone UEMOA : défis, impacts, enjeux actuels et futurs », rapport final, juillet 2010, page 27.

21 () Source : Banque ouest africaine de développement (BOAD), op.cit., page 23.

22 () On relève notamment des épisodes en 1990-91, 1995-96, 1997-98, 2000-2001 et 2002-2003.

23 () Banque ouest africaine de développement (BOAD), op. cit., page 35.

24 () Pierre Ozer, Yvon-Carmen Hountondji, Abdoul Jelil Niang, Salifou Karimoune, Ousmane Laminou Manzo, Marc Salmon, « Désertification au Sahel : historique et perspectives », Bulletin de la société géographique de Liège, avril 2010, page 82.

25 () http://www.un.org/french/newscentre/, dépêche du 15 février 2012.

26 () Mehdi Taje, « Vulnérabilités et facteurs d’insécurité au Sahel », in « Enjeux ouest-africains », n° 1, août 2010, Note publiée par le Secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO/OCDE).

27 () Le Monde diplomatique (http://www.monde-diplomatique.fr/cartes/touaregs)

28 () L’Azawad correspond à la partie septentrionale du Mali.

29 () cité dans http://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/01/25/dans-le-nord-du-mali-les-touareg-du-mnla-lancent-un-nouveau-defi-arme-a-l-etat_1634378_3212.html

30 () Source : http://www.cartografareilpresente.org/article571.html

31 () Expression employée par M. Mehdi Taje, géopoliticien et chargé d’études africaines à l’Ecole militaire.

32 () source : http://news.bbc.co.uk/2/hi/europe/6228236.stm

33 () Convention de la CEDEAO sur les armes légères et de petit calibre, leurs munitions et autres matériels connexes, signée à Abuja le 14 juin 2006.

34 () Voir infra p. 47.

35 () Christophe Ayad, Le Monde, 2 novembre 2011

36 () Man Portable Air Defense Systems.

37 () Pour la chronologie du GSPC et d’AQMI, voir l’annexe 2 du rapport.

38 () Voir l’annexe 3 du rapport : biographie des principaux membres du GSPC et d’AQMI.

39 () Cette loi proposait une amnistie aux membres de groupes armés n’ayant pas commis de crime de sang ou de viol.

40 () A la tête du principal groupe armé attaquant les forces de la coalition en Irak, le Jordanien Al-Zarqaoui fait allégeance à Ben Laden à la fin de 2004 et son organisation prend alors le nom d’ « Al Qaida au Pays des deux fleuves » ou, plus communément, « Al Qaida en Irak ». Faisant usage d’une propagande efficace, il parvient à recruter des milliers de combattants et, très vite, mène des opérations d’une grande violence qui font de lui une véritable icône du jihad mondial. Il est tué en juin 2006 lors d’une attaque américaine.

41 () Sont notamment visés, par des attentats successifs, les employés d’une filiale d’Haliburton (décembre 2006), des Russes (mars 2007), des Chinois (juin 2007) et des Français (juin 2007).

42 () 16 Allemands, 10 Autrichiens, 4 Suisses, 1 Néerlandais et 1 Suédois.

43 () Une des otages était, entre temps, décédée.

44 () Précisions qu’AQMI a nié être à l’origine de l’enlèvement de 2 coopérants espagnols et d’une Italienne, le 23 octobre 2011, dans un camp de réfugiés sahraouis près de Tindouf, dans le sud-ouest de l'Algérie. En début d’année, cette prise d’otage a été revendiquée par un groupe jusqu’alors inconnu, le MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le Djihad en Afrique de l’Ouest) qui menace la France « qui est contre les intérêts de l’Islam ».

45 () Plusieurs journaux ont fait état de sérieux doutes quant à la raison exacte de la présence, au Mali, de ces deux citoyens français. Se disant « géologues », nos deux compatriotes semblent avoir eu un passé trouble dans les zones instables d’Afrique et des Balkans. Bien évidemment, quelle que soit la réalité de ces faits, cela n’atténue en rien le caractère inadmissible et insupportable de leur détention et l’impérieuse nécessité de les libérer.

46 () Un Suédois, un Néerlandais et un Britannique disposant également de la nationalité sud-africaine.

47 () Les chercheurs qui étudient le fonctionnement d’AQMI doivent, cependant, prendre soin, de faire la part des choses entre les revendications et communiqués « sincères », d’un côté, et les « fanfaronnades » relevant de la pure propagande, de l’autre.

48 () Littéralement : « les voilés ».

49 () Nom du conquérant de l’Espagne médiévale.

50 () Sur la haine d’AQMI, voir également infra, p. 49.

51 () Mali : les autorités traditionnelles face à la menace Aqmi, Jeune Afrique, 12 août 2011.

52 () AQMI et ses rançons à 100 millions d’euros, interview de Serge Daniel, Slate Afrique, 1er mars 2012.

53 () site internet du Ministère des affaires étrangères.

54 () On reconnaît dans « Boko » la trace du mot anglais « book » signifiant « livre ». « Haram » est un mot arabe qui signifie « interdit ». Dès lors, tous les livres, sauf le Coran, sont interdits car ils représentent l’éducation occidentale honnie.

55 () Depuis sa création, elle a assassiné de nombreux imams modérés qui dénonçaient son fanatisme et sa folie sanglante.

56 () En 1966, des pogroms dans le nord majoritairement musulman avaient fait plus de 40.000 morts et provoqué le départ, vers le sud, de près de 2 millions de réfugiés. Ces événements avaient été à l’origine de la guerre du Biafra, entre 1967 et 1970, laquelle avait fait plus de 3 millions de morts.

57 () En céréales, en particulier en cas de sous-production au Niger.

58 () Heureusement, de nombreuses actions ont pu être déjouées à temps par les services (projets d’attentats lors de la coupe du monde de football de 1998 ; contre le marché de Noël de Strasbourg, en 2000…).

59 () Le Monde, Les pays du Sahel en quête d’une riposte aux enlèvements revendiqués par AQMI, 13 décembre 2011.

60 () « Complot transatlantique » déjoué, à Londres, en août 2006, démantèlement, en 2007, par la police allemande, d’une cellule qui avait planifié des attentats contre l’aéroport de Francfort et la base de Ramstein…, arrestation, en 2008, d’un jeune Français converti à l’islam qui projetait un attentat à la voiture piégée contre le siège de la DCRI…

61 () Voir l’annexe 4 : liste des ressortissants français otages d’AQMI.

62 () Voir infra page 61.

63 () Ce chiffre est aujourd’hui de 7.

64 () Question de M. François Loncle à M. le ministre des Affaires étrangères et européennes (question publiée au JO le 2 mars 2010, p. 2219, réponse publiée au JO le 15 novembre 2011, p. 11973).

65 () Voir notamment les articles de Jean-Philippe Rémy (Otages du Mali, Les secrets d’une négociation, Le Monde du 9 décembre 2011, p. 23), Nathalie Prévost (Des otages et des barbouzes, Le Journal du Dimanche, 27 novembre 2011, p. 14) et Patrick Forestier (Otages français Niger : Rivalités entre Négociateurs, Paris-Match, 9 novembre 2011).

66 () Mme Françoise Larribe, M. Jean-Claude Rakotorilalao (malgache) et M. Alex Kodjo Ahonado (togolais).

67 () Enlevé au Mali le 26 novembre 2009, M. Pierre Camatte a été libéré le 23 février suivant au prix, selon toute vraisemblance et même si le Gouvernement ne l’a jamais reconnu, de la libération de quatre combattants d’AQMI détenus au Mali.

68 () Michel Germaneau a été enlevé le 19 avril 2010 au Niger, par la katiba d’Abou Zeid. Il aurait ensuite été détenu au Mali. L’armée française est intervenue, pour le libérer, le 22 juillet 2010. L’opération fut un échec. Michel Germaneau n’a pas été retrouvé et les ravisseurs ont, peu de temps après, annoncé sa mort. Les circonstances de ce décès demeurent cependant floues. Il a peut-être été exécuté par ses ravisseurs. Très malade du cœur et en rupture de médicaments, il n’a peut-être pas survécu, non plus, aux difficiles conditions de sa détention.

69 () Pour les actions de coopération en matière de sécurité et de défense entre la France et les Etats sahéliens, voir pages 69 et suivantes..

70 () L’intervention des forces françaises a été filmée par l’Atlantique 2 qui patrouillait à 4000 mètres d’altitude. Ce film a été diffusé, dans une version semble-t-il amputée d’une minute, au cours d’une émission de TF1. Cette « coupe » a été justifiée par le classement secret défense de la partie manquante dont le visionnage aurait permis de déterminer les capacités exactes du dispositif de surveillance de nos Atlantique 2... alors même que les images diffusées permettent déjà de se faire une nette idée de ces capacités. Vos Rapporteurs ont, à plusieurs reprises, demandé au ministère de la défense de pouvoir visionner ce film dans son intégralité et il leur a été opposé, à chaque fois, une fin de non recevoir. Il est, par conséquent, difficile d’établir avec certitude les circonstances du décès de nos deux jeunes compatriotes. Le parquet anti-terroriste de Paris a ouvert une enquête judiciaire et les familles se sont portées partie civile. Un rapport d’expertise demandé par la justice précise que la mort de Vincent Delory ne serait pas due à l’impact d’une balle mais aurait été causée par l’incendie du véhicule dans lequel il se trouvait.

71 () Rapport d’information n° 2935 de MM. Lellouche et Loncle, Commission des affaires étrangères, 8 mars 2006.

72 () Voir infra, p. 87, la carte très révélatrice sur « le théâtre des opérations ».

73 () Source : Rapport spécial de M. Louis Giscard d’Estaing sur le budget opérationnel de la défense, projet de loi de finances pour 2012, page 60.

74 () (http://www.sgdsn.gouv.fr/IMG/pdf/Doc_preparatoire_LBDSN_2012.pdf)

75 () En septembre 2010, le Quai d’Orsay a demandé à l’ensemble des ressortissants français (résidents, expatriés, missionnaires et touristes) de quitter la région.

76 () Voir supra p. 45.

77 () AQMI exigerait 90 millions d’euros pour libérer les 4 derniers otages enlevés à Arlit, en septembre 2010 ! Soit près de deux fois le montant annuel de l’aide bilatérale française au Mali.

78 () Résolution 1904 (2009), adoptée par le Conseil de sécurité à sa 6247ème, séance, le 17 décembre 2009, http://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/1904%282009%29 .

79 () La forêt de Wagadou est une zone frontalière de la Mauritanie, située dans la région de Nara, au Mali. Ce raid a été mené par l’armée mauritanienne, en coopération avec son homologue malienne.

80 () Voir infra p. 72

81 () Lors de l’intervention des forces spéciales françaises contre le convoi détenant Vincent Delory et Antoine de Léocour, deux gendarmes nigériens furent abattus par nos soldats. Très mal équipés en matériel de transmission, ces gendarmes n’avait pu avertir leur commandement qu’ils avaient pris en chasse les terroristes et les militaires français, supposés agir en étroite collaboration avec l’armée nigérienne, ignoraient leur présence.

82 () 600 soldats nigériens sont affectés à ce travail de sécurisation du site d’Areva.

83 () Cette « dimension algérienne » n’est d’ailleurs pas étrangère au fait que, pendant longtemps, et même encore aujourd’hui parfois, certains Etats sahéliens aient considéré AQMI comme un problème relevant uniquement de leur grand voisin, minimisant d’autant leur responsabilité dans la gestion de la crise.

84 () L'argument juridique avancé, à savoir l'existence d'un article de la Constitution algérienne interdisant les interventions militaires hors du territoire, n'est pas parfaitement convaincant, dans la mesure où personne n'en a proposé l'amendement.

85 () La presse malienne a ultérieurement fait état de l’arrestation du commando qui a enlevé nos deux compatriotes.

86 () Ancien ministre de l’Intérieur, M. Maïga dénonçait, avant sa nomination, le déficit de prise de conscience des autorités maliennes vis-à-vis du terrorisme.

87 () En Mauritanie, les généraux Abdel Aziz et Ghazouani, déjà auteurs d’un coup d’Etat en 2005, ont « récidivé » le 6 août 2008. Le premier a, par la suite, été élu président de la République avec près de 53 % des vois au premier tour. Au Niger, le président actuel, M. Issoufou, a été élu en mars 2011 à l’occasion d’un processus de transition entamé par un coup d’Etat survenu le 18 février 2010 contre le président Tandja.

88 () Par exemple, la Première visite officielle du Président mauritanien Abdel Aziz à Alger a eu lieu en décembre dernier.

89 () Le Mali accorde aux troupes mauritaniennes un droit de poursuite sur son territoire contre les éléments d'AQMI.

90 () Même si cette intervention semble avoir aussi créé une certaine frustration chez les militaires mauritaniens, qui ont accusé leurs homologues maliens de ne pas avoir réellement participé à l'opération. En retour, l’armée malienne se serait plainte de n’avoir été prévenue que quelques heures avant l’attaque, Nouakchott craignant d’éventuelles fuites…

91 () Voir notamment le numéro 268 (hiver 2012) de la revue de la DCSD, « Partenaires sécurité défense », consacrée aux ENVR.

92 () Source : ministère des affaires étrangères.

93 () Sources : données fournies par le ministère des affaires étrangères.

94 () L’initiative « 5+5 défense » est un partenariat regroupant 5 pays européens (France, Italie, Malte, Portugal et Espagne) et 5 pays nord-africains (Algérie, Libye, Mauritanie, Maroc et Tunisie). Elle a été lancée en 2004 et est conçue comme un forum servant la coopération multilatérale de défense en Méditerranée occidentale. Les thèmes abordés jusqu’à présent ont été la surveillance maritime, la sûreté aérienne, la contribution des forces armées à la protection civile en cas de catastrophe majeure, ainsi que la formation des personnels.

95 () Trans-Sahara Counter Terrorism Partnership.

96 () Même si Mme Ashton, Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a reçu les ministre des affaires étrangères des quatre Etats du champ le 8 décembre dernier.

97 () La politique de sécurité et de défense commune (PSDC) donne à l'Union européenne la possibilité d'utiliser des moyens militaires ou civils destinés à la prévention des conflits et à la gestion des crises internationales.

98 () http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=27484

99 () Le HCR entend pouvoir couvrir les besoins d’eau, de nourriture, d'installations sanitaires, de soins de santé mais aussi d'éducation.

100 () Cf. les résolutions 1710, 2626 de l’Assemblée générale des Nations Unies.

101 () Jean-Michel Severino et Olivier Charnoz, « Les mutations impromptues, état des lieux de l’aide publique au développement », Afrique contemporaine, n° 213, juin 2005-1), page 30.

102 () « La France et l’Europe dans le monde, Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France, 2008-2020 », page 85.

103 () « Défense et sécurité nationale, Le Livre Blanc », Odile Jacob/La Documentation française, juin 2008, page 46.

104 () « Défense et sécurité nationale, Le Livre Blanc », ibid., page 48.

105 () « Défense et sécurité nationale, Le Livre Blanc », ibid., page 67.

106 () MAEE, Direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats, « Coopération au développement : document cadre », 2011, page 20

107 () DFID, «Bilateral Aid Review: Technical Report», mars 2011, pages 5-6.

108 () http://www.usaid.gov/policy/budget/cbj2010/2010_CBJ_Book_2.pdf

109 () Comité d’aide au développement, OCDE, « Répartition géographique des ressources financières allouées aux pays en développement ; versements, engagements, indicateurs par pays ; 2005 – 2009 », 2011, page 174.

110 () « Répartition géographique des ressources financières allouées aux pays en développement ; versements, engagements, indicateurs par pays ; 2005 – 2009 », page 192.

111 () « Répartition géographique des ressources financières allouées aux pays en développement ; versements, engagements, indicateurs par pays ; 2005 – 2009 », op. cit., page 176.

112 () A titre d’exemple, le PIB de la Guinée Bissau est équivalent au coût de 6 tonnes de cocaïne sur le marché européen.

113 () Source : Etat-major des armées.

114 () « Coopération au développement : document cadre », op. cit., page 20.

115 () « Coopération au développement : document cadre », op. cit., page 20.

116 Ce jugement par contumace semble avoir été justifié par le fait que la procédure judiciaire avait été engagée avant qu’El-Para ne soit arrêté et remis aux autorités algériennes.


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