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Commission d’enquête chargée d’étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d’avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social

MERCREDI 3 SEPTEMBRE 2014

Séance de 15 heures 

Compte rendu n° 6

Présidence de
M. Alain BOCQUET, Président

Audition de M. Gérard Terrien, président de la chambre régionale des comptes d’Île-de-France, et de Mme Francine Dosseh, magistrate

    L’audition débute à quinze heures.

    M. le président Alain Bocquet. Depuis de très nombreuses années, les liens entre les collectivités territoriales et les associations sont étroits, et plus encore du fait du désengagement de l’État. Il nous est donc apparu que le regard porté sur ces liens par une chambre régionale des comptes serait utile à la réflexion de notre commission.

    Deux thèmes paraissent particulièrement importants à cet égard : la portée du contrôle exercé par les collectivités sur l’usage de leurs concours, en espèces ou en nature, par les associations qui en bénéficient ; la situation des associations directement soumises au contrôle de la chambre régionale, à la lumière des dernières années écoulées : gestion financière, gestion de l’emploi salarié ou bénévole, fiscalité, concurrence avec les activités du secteur lucratif.

    Monsieur le président, madame, nous aimerions connaître votre expérience et votre point de vue sur les problématiques nouvelles qui pourraient se poser, dans le cadre de la situation que nous connaissons. Mme Dumas, rapporteure de notre commission, mes collègues et moi-même serons sans doute amenés à approfondir le débat.

    Avant de vous entendre et conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

    (M. Terrien et Mme Dosseh prêtent serment)

    M. Gérard Terrien, président de la chambre régionale des comptes d’Île-de-France. Avant d’en venir au fond du sujet, je souhaiterais vous présenter le cadre dans lequel nous contrôlons les associations relevant de la loi de 1901.

    Il est rare que nous contrôlions directement les associations. Nous le faisons le plus souvent à travers le contrôle des collectivités territoriales. De fait, sur les cinq dernières années, nous n’avons pas contrôlé plus d’une douzaine d’associations subventionnées en Île-de-France, associations tant sportives qu’intervenant dans la politique de la ville, dans le domaine culturel, dans l’éducation, la gestion des œuvres sociales des personnels des collectivités territoriales – ce qui est un sujet important dans le secteur associatif – ou la gestion d’équipements. En revanche, dans le cadre de l’examen de gestion des collectivités territoriales, nous sommes fréquemment amenés à nous pencher sur les relations de ces collectivités avec les associations, particulièrement au regard de l’application des dispositions légales relatives aux seuils de 23 000 et de 153 000 euros, et de la façon dont les collectivités s’assurent du contrôle de ces associations. Nous l’avons fait une trentaine de fois au cours de cette même période.

    Le dispositif de contrôle applicable au champ régional n’est pas obligatoire, mais facultatif : il peut être ouvert par une chambre, de sa propre initiative ou à la demande du préfet ou du président de la collectivité territoriale.

    Les moyens de contrôle sont très importants. Dès qu’un concours financier dépasse 1 500 euros, la chambre peut intervenir et contrôler l’organisme. Si celui-ci tient un compte d’emploi de la subvention, nous pouvons nous limiter à l’examen de ce compte. Toutefois, très peu d’associations tiennent ce genre de compte. Nous ne contrôlons pas les petites associations. Le nombre d’associations recevant des subventions importantes est très faible – en Île-de-France, jusqu’à un million d’euros, elles sont 250 000 ; au-delà d’un million d’euros, un peu moins de 2 000 ; et au-delà de cinq millions d’euros, leur nombre est encore plus limité. Cela explique que nos contrôles sont assez ciblés.

    Le contrôle d’une association ressemble à celui d’une collectivité territoriale : contrôle des comptes, de la gestion, des opérations de commande, contrôle des liens avec la collectivité, et éventuellement contrôle de la gestion du personnel. Mais, au vu de l’échantillon que nous avons examiné, nous n’avons pas tiré de conclusions générales.

    Le rapport tendant à la création de cette commission d’enquête avait souligné le caractère hétérogène du secteur associatif. Dans la pratique, nos contrôles portent davantage sur des secteurs précis – culturels, sportifs, etc. Nous sommes rarement saisis d’un examen de gestion d’une association en tant que telle. Encore une fois, c’est plutôt à l’occasion de l’examen de gestion des collectivités territoriales que nous intervenons, notre prisme principal étant non pas l’association elle-même, mais la subvention touchée par celle-ci et la collectivité territoriale qui lui verse cette subvention. À l’occasion de cet examen, nous regardons les liens qui existent entre elles : la constitution des dossiers de subvention, la façon dont ces dossiers sont instruits et le contrôle de la collectivité territoriale.

    Nous sommes conscients que le seuil, fixé à 23 000 euros, par la loi d’avril 2000 – ou plutôt le décret de 2001 – pour une convention d’objectifs entre la collectivité territoriale et l’association est assez bas. Nous nous assurons que cette obligation légale est respectée. Il est fréquent que des subventions supérieures à 23 000 euros soient versées sans convention ; nous en faisons l’observation. En général, les collectivités territoriales se mettent rapidement en conformité avec la loi.

    Notre contrôle s’effectue sous le prisme financier, ce qui est logique, et donc sous le prisme des dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales. La Cour des comptes va rendre, en octobre prochain, son deuxième rapport sur les collectivités territoriales. Au plan national, nous sommes contraints d’étudier ce dispositif de finances locales dans le cadre de la loi du 17 décembre 2012, des engagements de la France et de la loi de programmation des finances publiques, et donc d’apprécier l’évolution des finances locales dans le cadre général de la perspective de redressement des finances publiques.

    En 2013 – et l’Observatoire des finances locales a fait le même constat il y a quelques semaines –, malgré une progression plus rapide des dépenses de fonctionnement que des produits de fonctionnement au plan national aussi bien que régional, il n’y a pas eu de diminution substantielle des subventions de fonctionnement au plan national. Pour les communes, le rythme est resté élevé – autour de 9 % des dépenses de fonctionnement d’ensemble. Bien sûr, en Île-de-France, des collectivités territoriales attribuent des subventions à hauteur de 1 à 2 % de leurs dépenses de fonctionnement quand d’autres vont jusqu’à 13 ou 14 %. Cela relève de la liberté d’administration des collectivités territoriales. Pour les intercommunalités, les subventions de fonctionnement ont progressé moins vite en 2013 qu’en 2012. Sans doute n’est-ce pas leur priorité ; sans doute aussi leur est-il plus facile d’intégrer une moindre progression des subventions dans leur démarche de maîtrise des dépenses. Pour les départements, le montant des subventions est resté quasiment stable, mais pour les régions, au plan national, les subventions ont faiblement diminué en 2013 par rapport à 2012.

    Le message que nous cherchons à faire passer aux collectivités territoriales est que, si elles veulent continuer à investir – ce qui nous paraît nécessaire au regard du poids de leur investissement dans la formation brute du capital fixe national –, elles doivent maîtriser leurs dépenses de fonctionnement. Au risque de vous choquer, quand nous procédons à des examens de gestion et à des analyses financières, nous indiquons aux collectivités qu’elles peuvent faire des économies en réduisant les subventions, sachant qu’elles ont des dépenses de fonctionnement extrêmement importantes : charges de personnels, dépenses d’action sociale et aides sociales, etc.

    Nous ne portons pas de jugement de valeur sur le secteur associatif. S’il paraît une voie d’externalisation de l’action des collectivités territoriales, le réexamen des subventions versées offre aussi des pistes d’économies. Cela relève évidemment des seules décisions des collectivités territoriales et de leur assemblée délibérante. Nous ne sommes jamais sollicités pour donner ce type d’appréciation, mais nous laissons entendre qu’il est important d’examiner l’utilité sociale du secteur associatif.

    Enfin, j’observe qu’à l’occasion de nos contrôles, nous rencontrons des situations extrêmement variées. Mais je vais laisser Francine Dosseh vous en parler.

    Mme Francine Dosseh, magistrate à la chambre régionale des comptes d’Île-de-France. Mon propos portera sur les quelques enseignements tirés de la trentaine d’examens de gestion de collectivités effectués ces dernières années, dans le cadre desquels le thème des relations avec les associations a été abordé. Je rappelle qu’il n’y a pas de contrôle systématique, par les chambres régionales des comptes, des associations subventionnées et que le critère des subventions n’entre pas non plus systématiquement en ligne de compte, ni dans la programmation de la chambre ni dans le plan de contrôle. Ces rapports ne constituent donc pas un échantillon, mais ont valeur d’exemple.

    En premier lieu, nous avons constaté que la tendance relevée au niveau national se confirmait, en tout cas pour les communes – il s’agit essentiellement d’examens de gestion de communes : l’effort financier consenti en faveur des associations est maintenu, voire augmenté, en pourcentage par rapport aux dépenses globales de fonctionnement. Nous avons observé un ou deux cas de diminution, mais cette diminution n’était qu’apparente : elle était due à des circonstances exceptionnelles, comme, par exemple, la reprise en régie directe de l’activité « petite enfance », auparavant assurée par une association.

    En deuxième lieu, de nombreuses aides indirectes en nature sont peu ou pas recensées, peu ou pas valorisées, y compris dans des collectivités de taille importante. Près de la moitié des rapports que nous avons étudiés critiquaient l’absence de recensement ou de valorisation correcte des aides en nature. Cela nous conduit à penser que l’effort réel des collectivités territoriales – en tout cas des communes – en faveur du monde associatif est plus important que les chiffres formellement affichés dans les documents obligatoires. C’est ainsi qu’il faut y ajouter les services que les collectivités mettent de plus en plus souvent à la disposition des associations à travers les maisons des associations, pour les aider au quotidien dans leur gestion et leur administration. La plupart du temps, ces services ne sont pas valorisés, pour des raisons de comptabilité analytique ou de nomenclature figurant dans les instructions comptables. Il faut dire qu’il n’est pas toujours facile d’identifier les coûts de personnels, de locaux et les frais de fonctionnement liés à une telle activité. Pour en avoir une vision globale, il faudrait parvenir à consolider les différents aspects de l’aide des collectivités au milieu associatif.

    En troisième lieu, les communes que nous avons contrôlées, qu’elles comptent quelques milliers d’habitants ou plus de 100 000, continuent toutes de verser à une multitude de petites associations des subventions de montants modestes. Nous n’avons pas constaté une diminution dans le nombre des associations subventionnées. Cela témoigne probablement d’une volonté de maintenir un tissu associatif de proximité, malgré le risque de saupoudrage – critique souvent présente dans les rapports – et la lourdeur de gestion de centaines de subventions de quelques centaines d’euros.

    Quelques exemples tirés des rapports : la Ville de Paris subventionne quelque 2 400 associations chaque année, dont la moitié pour un montant inférieur à 4 000 euros ; la commune de Boulogne en subventionne à peu près 200, dont une trentaine seulement reçoit plus de 23 000 euros, soit le seuil de la convention d’objectifs ; Nanterre verse annuellement 200 subventions, dont quatorze sont supérieures à 23 000 euros, et Montreuil 400 subventions, dont quarante supérieures à ce seuil ; à Sarcelles, il y en a douze sur 160. La moyenne annuelle des subventions constatée sur quelques communes est de 1 200 euros à Fontenay-sous-Bois, où 200 associations sont subventionnées, de 2 000 euros à Ivry-sur-Seine et de moins de 1 000 euros pour 43 % des subventions versées à Antony. C’est dire que persiste dans les communes la volonté de subventionner des associations très locales pour des petits montants et des petits projets.

    J’en viens au contrôle par les collectivités de l’utilisation des fonds qu’elles versent aux associations.

    De plus en plus de collectivités ont structuré et centralisé professionnellement les services chargés d’instruire et de gérer les subventions aux associations, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années. Parallèlement, elles ont généralisé l’utilisation de modèles types, de dossiers normés de demande de subventions, y compris pour les petites associations.

    L’utilisation de ce type de documents, qui s’appuient parfois sur les dossiers CERFA, plus ou moins adaptés, ou sur les documents types de l’État pour les conventions supérieures à 23 000 euros, devrait donner une base suffisante à une collectivité pour assurer un contrôle minimum sur l’utilisation des fonds versés aux associations. Dans ce cadre, les associations sont en effet amenées à produire leurs comptes, leurs rapports d’activité, etc. Or, en réalité, très peu de collectivités exercent un contrôle effectif sur les subventions, y compris quand ces dernières sont d’un montant important : soit que les conventions d’objectifs ou les documents d’attribution de subventions ne répondent pas aux exigences imposées aux bénéficiaires ; soit que les bénéficiaires produisent des documents qualitativement ou quantitativement insuffisants pour pouvoir vraiment procéder à une analyse, sans que les collectivités aient exigé d’eux qu’ils remplissent leurs obligations ; soit que, finalement, les collectivités n’analysent pas les documents reçus, peut-être par manque de moyens.

    Quoi qu’il en soit, la chambre rappelle dans ses rapports la nécessité, pour les collectivités, d’opérer un contrôle sur les subventions qu’elles versent, ainsi que le prévoit d’ailleurs le code général des collectivités, la convention ne faisant, finalement, que rappeler cette exigence. Ce contrôle doit être exercé par des personnels délégués soit propres à la collectivité, soit extérieurs à celle-ci. Il peut être exercé sur pièces et sur place, ce qui est un moyen de voir ce que font concrètement les associations.

    Compte tenu de la très grande dispersion des subventions versées, la chambre, tout en rappelant la nécessité d’exercer ces contrôles, insiste sur le fait que ceux-ci doivent être proportionnés aux enjeux. Ainsi, les moyens que nécessiterait d’engager le contrôle de mille associations qui auraient reçu 500 ou 800 euros de subvention seraient disproportionnés par rapport aux enjeux. Le contrôle est nécessaire et il appartient à la collectivité de l’exercer effectivement, mais il ne peut pas être systématique et doit être justifié par des enjeux financiers ou autres.

    Pendant toute une période, les chambres ont constaté que certaines associations étaient des démembrements des collectivités, qui externalisaient ainsi certains services. C’est une observation que nous faisons de moins en moins avec les restructurations opérées par les collectivités.

    M. Gérard Terrien. Comme vient de le dire Francine Dosseh, on ne voit pratiquement plus de cas de gestion de fait, comme dans les années 1990. Les associations de démembrement, dans lesquelles les élus sont partie prenante, présentent en effet beaucoup de risques de type conflits d’intérêts et prise illégale d’intérêts. Évidemment, nous nous assurons, et le corps préfectoral le fait également, qu’il n’y a pas de participation au vote quand il y a des intérêts. Vous avez d’ailleurs récemment adopté des textes renforçant le dispositif existant.

    Nous essayons également de mettre en garde les collectivités sur quelques risques plus simples.

    L’imprécision de la convention d’objectifs peut avoir des conséquences dommageables, notamment lorsque la collectivité veut retirer la subvention à l’association. Selon la jurisprudence du Conseil d’État, cela ne sera juridiquement pas possible s’il n’y a pas de conditions suspensives ou résolutoires ou si l’association a fait complètement autre chose des fonds et que la convention ne l’a pas prévu – cela n’aura pas le caractère d’une dépense obligatoire pour l’association.

    La qualification pénale est assez marginale, mais un risque plus récent est au cœur de votre sujet : l’action en comblement de passif, si jamais les dirigeants de la collectivité territoriale, de droit ou de fait, ont eu connaissance de difficultés financières de l’association et ont influé sur des choix de gestion qui se sont révélés mauvais. C’est arrivé avec une association de handball à Nice et avec une autre association sportive à Sarreguemines. Dans ce dernier cas, la collectivité, qui avait poussé l’association, dont elle connaissait les difficultés financières, à contracter un emprunt de 150 000 euros, avait brutalement interrompu les subventions qu’elle lui versait. L’association s’était retrouvée en situation de liquidation, mais la collectivité avait été considérée comme fautive. Le département de la Dordogne également s’est retrouvé, à l’occasion de la procédure de liquidation judiciaire d’une association, impliqué de fait dans la création, l’objet et le financement de cette association.

    Cela se produit rarement, mais quand cela arrive, les conséquences peuvent être extrêmement graves en termes financiers, mais aussi en termes d’image. Il faut dire que la souplesse du schéma associatif est telle que certains pensent que l’on peut s’autoriser tout type de liens. Voilà pourquoi nous insistons sur la nécessité de clarifier les liens entre la collectivité et l’association.

    Jusqu’à l’adoption de la loi du 31 juillet 2014 sur l’économie sociale et solidaire, de nombreuses collectivités locales préféraient – et on le comprend – adopter des logiques de marché public plutôt que des logiques de subvention, en raison du risque lié à l’incertitude de la réalisation de la prestation par l’association. Cela dit, les chambres n’avaient pas fait de la requalification des subventions en commande publique leur cheval de bataille.

    Si l’on peut attendre de la définition de la subvention inscrite dans la loi sur l’économie sociale et solidaire qu’elle clarifie les choses, cela n’empêchera pas toutefois une association qui n’a pas eu de subvention d’aller devant le juge administratif en parlant plutôt de prestation de service, ni les usagers ou les citoyens de continuer à contester. Je pense que l’on est face à deux types de dispositions contradictoires : d’un côté, la loi d’avril 2000 sur les relations de l’association et de la collectivité, et de l’autre, le cadre général de la commande publique fixé au plan national et au plan communautaire.

    Mme Françoise Dumas, rapporteure. Pensez-vous qu’il soit nécessaire de revoir le lien entre les collectivités et les associations, en fonction des différents types d’activité ? Comment rendre ce lien plus pérenne et assurer une meilleure protection des deux parties ? Ne pensez-vous pas que certains secteurs d’activité sont plus fragiles que d’autres ?

    M. Gérard Terrien. Les associations du secteur social et médicosocial sont soumises au code de l’action sociale et de la famille. L’encadrement est donc très lourd. Pourtant, il arrive que personne ne contrôle vraiment les acteurs. En effet, la plupart du temps, leur mécanisme de financement n’est pas celui du monde associatif mais, comme tout le secteur social, un mécanisme de financement par la tarification. Nous avons récemment vu, dans le Val d’Oise, des associations pour adultes et jeunes handicapés, certes supervisées et contrôlées par le département, mais que l’on pourrait qualifier comme étant « dans une situation de non-maîtrise ». De la même façon, le secteur sportif a, lui aussi, ses contraintes propres, et il faudrait sans doute en préciser le fonctionnement.

    Il est vrai que nous sommes face à une très grande hétérogénéité : certaines associations sont des relais de la collectivité, d’autres réalisent des politiques publiques – par exemple, la politique de la ville. En outre, si le cadre associatif est extrêmement souple, le cadre comptable de l’association est simple mais son cadre fiscal très compliqué. Il faudrait sans doute essayer de cadrer les différents types d’activité et de faire un recensement, secteur d’activité par secteur d’activité, pour apprécier le poids de l’intervention.

    Quand nous faisons un contrôle sur des associations d’œuvres sociales des personnels locaux ou sur une association sportive, nous ne sommes pas du tout dans le cadre juridique. Nous craignons tout particulièrement les associations pluri-actives, avec des activités marchandes et des activités non marchandes. La chambre a mené, il y a quelques années, des travaux sur l’association Léonard de Vinci, à Nanterre, et ce fut très compliqué des points de vue comptable, de fiscalité et de gestion.

    Il serait important de pouvoir croiser des critères et de disposer de schémas plus précis. Certes, un code associatif selon les activités irait à l’encontre de la liberté d’association. Mais après tout, cela existe pour les sociétés et pour d’autres secteurs économiques.

    M. Régis Juanico. Pour faire des économies, ce n’est pas forcément sur le montant ou la nature des subventions qu’il faut jouer, mais sur la constitution des dossiers de subvention qui mobilisent beaucoup de moyens humains et financiers – souvent, entre collectivités locales, départements, régions et communes, ce ne sont pas les mêmes, même si des efforts ont été faits pour concevoir des modèles types.

    Prenez l’exemple du CNDS (Centre national pour le développement du sport) : la constitution et l’instruction des dossiers mobilisent, d’un côté, 250 fonctionnaires des services déconcentrés de l’État, et, de l’autre côté, des milliers de bénévoles qui passent des heures à remplir le même dossier chaque année. Il faudrait simplifier la procédure des dossiers de subvention et passer à leur dématérialisation. En l’absence de modification, on ne devrait pas avoir à produire les mêmes pièces justificatives tous les ans. La convention pluriannuelle d’objectifs répond à un souci de sécurisation, dans la durée, du financement des associations. En outre, elle serait également le moyen de faire des économies. Avez-vous des préconisations à faire à ce propos ?

    J’insisterai ensuite sur l’importance de la clarification des compétences pour les relations entre les associations et les collectivités locales. Si les montants sont faibles, c’est parce que les intérêts sont différents – communaux, départementaux, régionaux, nationaux, parfois – et finissent par se croiser. Le deuxième projet de loi sur la décentralisation prévoit de maintenir une clause de compétence générale sur le tourisme, la culture et le sport. Pour le moment, le mouvement associatif n’est pas concerné. Le Parlement en discutera.

    La clarification des compétences des collectivités devrait permettre de voir qui finance quelles associations et pourquoi. Pour le tourisme, la culture ou le sport, il faudra bien, à un certain moment, confier le chef de filat à un territoire suffisamment vaste – pourquoi pas la région ? – pour assurer coordination et harmonisation et éviter que les différents niveaux de collectivité ne se chevauchent. Là encore, avez-vous des préconisations à faire ?

    Mme Francine Dosseh. S’agissant des formalités et de l’énergie qu’implique un dossier de demande de subvention, un effort a été fait, et les collectivités sont fortement incitées à utiliser les modèles types qui ont été créés pour les subventions versées par l’État. Mais cela relève évidemment de la libre administration des collectivités. Certaines ont rationalisé et simplifié les formalités en utilisant leur propre modèle, ou en adaptant le modèle de l’État.

    Le modèle CERFA et les conventions types pour les subventions de plus de 23 000 euros ont été pensés pour simplifier les dossiers, pour éviter les redondances et faire en sorte que certaines pièces ne soient fournies qu’en cas de modification – des statuts, par exemple. Certes, la chambre ne s’intéresse pas forcément, quand elle contrôle une collectivité, aux dossiers individuels, mais à la gestion, au traitement et à l’instruction des subventions. Pour autant, dans la trentaine des dossiers que nous avons regardés, il nous est clairement apparu que les collectivités avaient bien le souci de simplifier les choses, ne serait-ce que parce que l’hétérogénéité des dossiers de demandes leur pose des problèmes dans leurs propres services et entraîne des coûts d’instructions beaucoup plus élevés.

    Par ailleurs, la dématérialisation progresse. Aujourd’hui, presque toutes les demandes de subventions adressées à la Ville de Paris sont faites en ligne. Il a fallu procéder progressivement, en faisant preuve de pédagogie, tout particulièrement auprès des petites associations. À terme, le traitement des quelque 2 000 dossiers se fera. en ligne, depuis la demande jusqu’à l’attribution de la subvention.

    M. Gérard Terrien. Nous nous interrogeons à propos du seuil des 23 000 euros, qui date de 2001. Peu de seuils financiers n’ont pas bougé en treize ans. Certaines collectivités, pour des subventions dépassant largement 23 000 euros, ne demandent pas de conventions d’objectifs ; d’autres en demandent pour des montants moindres. La loi s’applique donc de façon variable, mais il faut reconnaître que 23 000 euros constitue un seuil assez faible. Faut-il le relever ? Cela simplifierait peut-être les choses.

    S’agissant de la clarification des compétences, nous sommes bien conscients de l’intérêt de regarder les associations importantes, notamment les associations culturelles. Nous avons récemment contrôlé en Île-de-France plusieurs théâtres de la petite et de la grande couronne. Il est évident que, sans le concours de la commune, du département, de l’intercommunalité, de la région, de l’État – assez peu, il faut le reconnaître – et d’un certain nombre d’acteurs, le dispositif de l’association culturelle ne fonctionne pas.

    Je connaissais la proposition consistant à conserver un mécanisme de clauses de compétence générale. C’est vrai que cela suppose qu’il y ait un chef de file. Autrement, on se retrouve dans la logique du guichet et personne – sauf ceux qui reçoivent les documents et les analysent – ne sait à combien de guichets l’association est allée se présenter, ni quel est son financement public. Des associations culturelles peuvent être financées à 80 %, la billetterie ne dépassant pas 15 à 20 %, mais ce peut être un choix d’équilibre d’exploitation. Il est néanmoins certain que si l’on ne sait pas si les salles sont pleines, si la jauge est utilisée, si l’objectif de quatre-vingt-treize représentations dans l’année est tenu, bref s’il n’y a pas de contrôle derrière, cela n’a que l’apparence d’une politique culturelle.

    Mme Bernadette Laclais. Vous avez signalé que le seuil de 23 000 euros n’a pas été réévalué depuis sa mise en place. Entre les associations qui recourent peu aux subventions et celles qui y font appel pour une part plus ou moins importante de leur budget, les situations sont extrêmement différentes, dans le domaine culturel ou dans le domaine sportif. Une association peut même être le bras séculier de la collectivité pour organiser tel ou tel festival.

    Le seuil de 23 000 euros pour la conclusion d’une convention ne fait pas l’unanimité et l’on peut s’interroger sur sa pertinence. Les évolutions et la pratique actuelle n’incitent-elles pas à l’instauration d’autres types de seuil et à passer des conventions financières à des conventions d’objectifs ?

    M. Jean-René Marsac. Vous avez dit qu’il n’y avait plus ou très peu de situations de gestion de fait et moins d’associations à caractère parapublic. Il me semble pourtant que l’on en voit encore beaucoup sur nos territoires.

    On voit également se développer le phénomène d’interpénétration des collectivités locales au sein des conseils d’administration des associations. Ce n’est pas tant le fait des collectivités que celui des associations, qui font pression pour que des élus viennent siéger dans leur conseil, croyant, par ce biais, organiser un partenariat plus efficace. Je ne suis pas certain que ce soit le cas, ni même que ce soit le moyen, pour les collectivités, d’exercer un véritable contrôle sur l’association. Je pense même que l’on introduit ainsi de l’ambiguïté.

    N’y aurait-il pas lieu de clarifier les choses, s’agissant notamment du statut des conseillers municipaux ou adjoints siégeant, au titre de leur collectivité, au conseil d’administration de telle ou telle association ? Il me semble que cette interpénétration s’est amplifiée ces dernières années. Il suffit de voir les listes de délégations qui sont soumises au vote du conseil municipal en début de mandat.

    M. Éric Straumann. Jusqu’où faudrait-il élever le seuil de 23 000 euros ? 50 000 ? Avez-vous des chiffres à nous proposer ?

    Ne faudrait-il pas aussi envisager de relever le seuil de 153 000 euros, celui qui entraîne l’obligation de recourir à un commissaire aux comptes ? En effet, les frais d’expertise comptable ont évolué. Je connais une association transparente qui doit verser 8 000 euros à ce titre, ce qui paraît disproportionné.

    Enfin, on ne parle plus beaucoup aujourd’hui des subventions versées aux structures de sport professionnel, comme les clubs de football. Il y a pourtant encore des collectivités qui versent des subventions tout à fait conséquentes à de telles structures et associations.

    M. Jean-Louis Bricout. Dans ma collectivité, je veille à la gestion des subventions et je regarde la décomposition des recettes : celles qui proviennent d’aides publiques, celles qui proviennent des adhérents qui pratiquent une activité sportive ou culturelle dans l’association, et celles que va chercher l’association – effort, bénévolat, manifestations, voire sponsors. Avez-vous quelques données sur la participation publique à la recette totale des associations ?

    M. le président Alain Bocquet. À y regarder de près, les subventions ne représentent qu’une petite partie au regard de l’aide matérielle apportée par les collectivités. Ma commune subventionne 200 associations. Mais si on y ajoute l’occupation des salles, les moyens mis à leur disposition pour les fêtes qu’elles organisent, cela représente dix ou quinze fois plus. Certes, il est difficile d’apprécier cette aide multiple et diverse. Quoi qu’il en soit, dans ma commune, si on devait parler d’abus, il tiendrait davantage de l’aide que des subventions accordées aux associations.

    Par ailleurs, certaines associations font du bénéfice et ne le disent pas. Pouvez-nous éclairer sur les règles existantes en pareil cas ?

    Mme Francine Dosseh. À propos des seuils réglementaires, nous constatons – et nous en faisons souvent l’observation – que les conventions d’objectifs et de moyens sont purement formelles et ne sont signées que pour satisfaire à l’obligation légale : le plus souvent, ce sont des conventions types dans lesquelles l’objet n’apparaît pas ou est rédigé de façon tellement vague que cela n’a aucun sens. En toute hypothèse, cela est dû à la rigidité du seuil de 23 000 euros, et l’on peut se demander si ce montant est suffisamment élevé.

    Les chambres essaient de raisonner plutôt en termes de risques, en considérant la dépendance de l’association aux fonds publics et le risque qui en découle pour elle en cas de défaillance ou de diminution des subventions, qui sont renouvelées chaque année par une assemblée délibérante. Outre les critères de ce type, elles regardent ce qu’il peut y avoir derrière ce formalisme, qui ne permet pas de se faire une idée de l’activité concrète de l’association. Celui-ci est peut-être simplement lié à la contrainte que représente le fait de remplir une convention ou de faire un compte rendu avec de vrais indicateurs – déjà difficiles eux-mêmes à trouver. Reste que les pouvoirs publics devraient réfléchir aux moyens de faire respecter les obligations sans les vider de leur sens.

    M. Gérard Terrien. S’agissant de la gestion de fait et des associations transparentes, c’est le problème de l’automobiliste qui freine juste avant le radar. Aujourd’hui, on connaît bien la jurisprudence des chambres et de la Cour, qui a été très commentée, ainsi que la jurisprudence du Conseil d’État sur l’association transparente, qui doit remplir quatre critères cumulatifs. Pour ma part, je crois qu’il y a réellement une interpénétration, mais que celle-ci ne justifie pas l’emploi, par les juridictions financières, d’une procédure de gestion de fait. Il s’agit d’une procédure extrêmement lourde dont il est bien difficile de sortir. C’est ainsi que celle concernant Mme Richard, maire de Noisy-le-Grand, qui avait été engagée dans les années 1990, vient à peine de se terminer, après recours devant la Cour européenne des droits de l’homme et toutes les juridictions possibles et imaginables. Nous sommes donc désormais très prudents, et nous préférons insister – comme la loi que vous avez votée l’an dernier – sur les conflits d’intérêts. En cas de prise illégale d’intérêts, malheureusement, le juge pénal est amené à intervenir, ce qui est plus lourd de conséquences pour les intéressés.

    Le seuil de 153 000 euros a été institué en application de l’article 10 de la loi de 2000 sur la transparence des aides octroyées par les personnes publiques. Il est exact qu’il peut être onéreux de recourir chaque année à un commissaire aux comptes – surtout si les comptes sont de qualité, sincères et aisément certifiables.

    Nous avons eu l’occasion de travailler sur les subventions versées aux associations de sport professionnel. Cela dit, nous le faisons de façon indirecte, par exemple lorsque des garanties d’emprunt sur le stade de football ont été accordées ou en cas de contournement des règles légales. Les garanties d’emprunt sont très faciles à donner, totalement indolores, mais cela fait très mal quand on les fait jouer. Aujourd’hui, il n’y a plus grand-monde pour contrôler les garanties d’emprunt, en dehors des conseils municipaux, des conseils généraux ou des conseils régionaux. Du côté des préfets, le contrôle est assez léger ; de notre côté, nous intervenons a posteriori, quand la garantie a été accordée.

    J’insiste un peu sur ce que disait Francine Dosseh. Vis-à-vis des collectivités territoriales, nous essayons de ne pas être dans une démarche administrative – seuils, traitement des dossiers – mais plutôt dans une démarche d’analyse de risques. Cela implique tout de même parfois d’examiner les comptes de l’association et la part de la subvention. Si celle-ci représente 90 % des recettes totales de l’association, au moindre soubresaut, c’est la mort pour l’association. Sans compter les risques encourus par la collectivité locale, que j’évoquais tout à l’heure. Cette dernière doit vraiment réfléchir et ne pas mettre l’association dans une situation ingérable en baissant brutalement sa subvention d’une année sur l’autre. Cela n’est pas important si l’association est subventionnée à hauteur de 1 500 euros, mais si elle l’est à hauteur de 150 000, 200 000, 300 000 ou 500 000 euros, il en va tout autrement.

    Enfin, la participation publique sur les recettes totales d’une association est extrêmement variable. Cela dépend des conventions d’objectifs et de l’attitude de la collectivité : pousse-t-elle, ou non, l’association à générer des recettes, dans la mesure où celle-ci le peut ?

    Mme Francine Dosseh. Un taux important de fonds publics dans le budget d’une association qui aurait du personnel constitue un risque si la subvention publique diminue. L’association doit faire face à des charges fixes si elle emploie du personnel permanent. La diminution de la subvention publique par une commune qui a des contraintes financières peut ne pas avoir de conséquences importantes, si ce n’est d’obliger l’association à réduire ses activités. Mais la situation peut devenir très critique si l’association, par exemple, emploie cinq personnes de façon permanente. En fait, il faut croiser les critères. Tout dépend de la structure, de l’activité et du fonctionnement de l’association. Nous examinons tous ces critères pour en tirer des observations.

    M. Gérard Terrien. L’aide matérielle est un réel sujet, qui concerne la gestion de la collectivité locale elle-même. D’abord, il est important que l’assemblée délibérante sache ce qui se passe ; ce n’est pas aux seuls services d’accorder des facilités sur les salles, la logistique ou le matériel. Ensuite, dans le cadre de la gestion de son patrimoine, la collectivité locale doit décider si elle va, ou non, le mettre gracieusement à disposition des associations ou si elle va chercher à le valoriser. Mais en a-t-elle, elle-même, une bonne connaissance ?

    Un point très positif du droit des subventions, qu’elles soient financières ou en nature, c’est qu’il n’y a pas de contestation possible de la non attribution et de l’inégalité de traitement. Bien sûr, cela relève du discours juridique, et le discours politique est tout autre. Je suppose qu’au sein d’une collectivité locale, il est difficile de justifier pourquoi telle association qui a à peu près le même objet qu’une autre est la seule à bénéficier de certaines facilités pour louer des salles, du matériel, ou à bénéficier d’autres soutiens.

    Enfin, monsieur le président, vous avez évoqué les associations qui faisaient des bénéfices. Il faut reconnaître que la gestion des fonds associatifs est très compliquée. Je me souviens d’avoir voulu, à titre non professionnel, dissoudre une association qui n’avait plus d’objet et qui avait un tout petit peu de fonds : il a été très difficile de les répartir correctement.

    Il est certain que la collectivité qui subventionne fortement une association doit s’assurer que celle-ci ne thésaurise pas. Il arrive, en effet, que certaines associations pratiquent en quelque sorte la pluriannualité et thésaurisent chaque année quasiment toute la subvention, finissant par disposer d’une trésorerie importante.

    Vis-à-vis de ces associations, la démarche que nous adoptons relève plus de l’analyse de risques. Après avoir étudié la situation de l’association, nous recevons ses dirigeants et nous les interrogeons sur leur objet associatif. Sont-ils en train de le réaliser ou sont-ils en train de thésauriser ? Quand on a beaucoup de fonds, beaucoup de trésorerie, on a tendance, en tant que dirigeant associatif, à perdre de vue l’objet de l’association. C’est le piège dans lequel était tombé le président de l’ARC.

    M. le président Alain Bocquet. Monsieur le président, Madame, je vous remercie pour votre participation à nos travaux.

    L’audition s’achève à seize heures cinq.

    .——fpfp——

Membres présents ou excusés

    Commission d’enquête chargée d’étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d’avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social.

    Réunion du 3 septembre 2014 à 15 h 

    Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Bocquet, M. Jean-Louis Bricout, M. Guillaume Chevrollier, Mme Françoise Dumas, M. Régis Juanico, Mme Bernadette Laclais, M. Jean-René Marsac, M. Frédéric Reiss, M. André Schneider.

    Excusés. – M. Martial Saddier, Mme Sophie Dion, M. Philippe Vitel.

    Assistait également à la réunion. M. Eric Straumann