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Commission d’enquête chargée d’étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d’avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social

JEUDI 4 SEPTEMBRE 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 10

Présidence de
M. Alain BOCQUET, Président

– Table ronde consacrée aux associations caritatives, réunissant Mme Florence Delamoye, déléguée générale d’Emmaüs France ; Mme Hélène Beck, directrice administration-finances du Secours catholique ; Mme Henriette Steinberg, secrétaire générale du conseil d’administration et secrétaire nationale du Secours populaire français, accompagnée de M. Anthony Marque, secrétaire national du Secours populaire français ; M. Jean-Pierre Caillibot, délégué général adjoint des Petits Frères des pauvres ; M. Patrick Doutreligne, délégué général de la Fondation Abbé Pierre ; M. Olivier Berthe, président des Restos du cœur ; M. Pierre-Yves Madignier, président du mouvement ATD Quart Monde

    La table ronde débute à neuf heures trente.

    M. le président Alain Bocquet. Mesdames, messieurs, je vous souhaite la bienvenue au sein de notre commission d’enquête et je vous remercie de prendre part à cette deuxième table ronde « sectorielle », consacrée aux associations caritatives – étant entendu que la Fondation Abbé Pierre n’est pas une association loi de 1901.

    Dans une société frappée de plein fouet par la précarité et la désespérance sociale, les organismes que vous représentez jouent un rôle essentiel, aux côtés de l’État et des collectivités locales. Si, comme on le dit parfois, le secteur associatif est en crise, pour les plus démunis de nos concitoyens, la crise s’ajoutera à la crise, ce qui n’est pas acceptable.

    Nous attendons de vous un panorama sans fard des difficultés que vous rencontrez dans votre action quotidienne, y compris dans vos relations avec les acteurs publics, et des pistes de solution pour le législateur.

    Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

    (Mmes Florence Delamoye, Hélène Beck, Henriette Steinberg et MM.  Jean-Pierre Caillibot, Patrick Doutreligne, Olivier Berthe et Pierre-Yves Madignier prêtent successivement serment.)

    Mme Florence Delamoye, déléguée générale d’Emmaüs France. Sachez tout d’abord que nous nous sommes réunis hier afin de mettre en commun nos arguments et de nous accorder sur plusieurs problèmes graves à propos desquels nous souhaitons vous alerter. Par-delà leurs spécificités, en effet, les acteurs du monde associatif savent se concerter, ce qu’ils doivent de plus en plus faire aujourd’hui afin de se montrer le plus efficaces possible. Si un seul élément nous réunit, c’est, au-delà du lien social que nous tissons, cette volonté d’efficacité dans l’élaboration de nos projets sociaux et de nos réponses aux besoins des personnes en difficulté.

    Emmaüs France, qui représente le mouvement Emmaüs sur le territoire français, se compose de 283 groupes réunissant 18 000 acteurs : bénévoles, salariés et – c’est notre particularité – compagnons et compagnes d’Emmaüs. Les ressources du mouvement Emmaüs s’élèvent à 469 millions d’euros au total, provenant pour partie de subventions et pour partie de produits de vente, puisque nous avons une activité économique importante ainsi que des activités dites de bailleurs sociaux. Il importe de souligner que nous ne sommes pas faits d’un bloc : au sein de notre mouvement coexistent des activités et des types de structure très hétérogènes. Ainsi, le mouvement Emmaüs est composé à 80 % environ d’associations loi de 1901, auxquelles s’ajoutent des coopératives – des formes de SCOP (sociétés coopératives participatives), des SCIC (sociétés coopératives d’intérêt collectif) –, une fondation – la Fondation Abbé Pierre – et une SA HLM. Ce qui reflète la diversité du monde associatif en général, laquelle est à la fois une richesse et, dans certains cas, une difficulté.

    Ce qui nous rassemble, c’est la volonté qui nous anime de répondre aux besoins sur le terrain, dans l’ensemble du territoire. Simplement, nous adaptons nos réponses aux besoins différents que nous avons identifiés. Parmi nos formats d’intervention, on trouve ainsi communautés, comités d’amis, structures d’insertion par l’activité économique (IAE), associations de lutte contre le mal-endettement, actions sociales dans le domaine du logement, dont certaines, particulières, liées au mal-logement, et actions d’urgence. Fruit de notre histoire, et parfois de celle des personnes qui ont créé les structures, cette diversité permet de répondre à des besoins émergents.

    Ce qui m’amène à insister sur un point qui vous paraîtra peut-être banal, mais qui est essentiel à nos yeux : laissez-nous l’espace nécessaire à l’innovation sociale et économique dont le monde associatif s’est déjà montré capable et dont il doit pouvoir continuer de faire preuve au cours des années à venir !

    Voici plus précisément nos revendications et nos sujets d’alerte.

    Non aux carcans administratifs ! Le choc de simplification, annoncé par le Gouvernement, est indispensable car, dans le monde associatif, ces carcans, sans toujours être gage de sécurité pour les pouvoirs publics, entravent considérablement notre capacité d’action sur le terrain.

    Non à la normalisation ! Notre diversité est notre richesse : c’est elle qui nous permet de répondre aux différents besoins de personnes en grande difficulté. Il est donc contraire à l’intérêt général de tenter de nous uniformiser sous prétexte de faciliter notre traitement administratif.

    Oui, en revanche, à l’exigence de sérieux et aux contrôles, dont aucun d’entre nous ne conteste la légitimité, à l’heure où le monde associatif gagne en professionnalisme et en capacité d’adaptation.

    Nous regrettons que nos actions soient si souvent appréciées selon des critères quantitatifs plutôt que qualitatifs. Je songe par exemple au nombre de personnes sorties d’une structure après un parcours de six mois : il ne signifie pas qu’au terme de cette période elles aient réglé tous leurs problèmes sociaux, sanitaires, de logement et d’emploi. Seuls des critères qualitatifs permettent de savoir si, en répondant à leurs besoins fondamentaux, nous leur avons permis de progresser et de franchir une nouvelle étape. Ne pas en tenir compte dans l’évaluation conduit à des résultats aberrants. De ce point de vue, nous sommes plutôt satisfaits de l’amélioration apportée par la réforme de l’insertion par l’activité économique, qui accorde à ces critères une place croissante. Ne perdons pas de vue que des tableaux de chiffres ne sauraient suffire lorsque la situation d’une personne est en jeu. Notre terreau est humain, nous créons du lien social en luttant contre l’isolement d’une population en marge, comme vous l’avez souligné dans votre rapport préparatoire. Comment mesurerait-on l’isolement d’une personne par des critères uniquement quantitatifs ?

    La loi sur l’économie sociale et solidaire (ESS) parue cet été nous satisfait quant à sa démarche, mais son contenu nous inquiète. Le danger est grand, en effet, de faire naître un monde associatif à deux vitesses : d’un côté, l’ESS de conviction, que nous représentons, fondée sur un véritable projet social et vouée à aider les personnes en grande difficulté ; de l’autre, de nouveaux entrants incarnant une ESS de l’opportunité, c’est-à-dire de grands groupes pouvant bénéficier des financements qui nous sont en principe destinés. Nous vous demandons d’être particulièrement attentifs à ce risque de dévoiement. Ne banalisons pas ce secteur, qui n’est pas une solution comme une autre mais fournit le terreau de véritables alternatives et de nouvelles réponses aux besoins. Nous ne cherchons pas à être protégés, mais à faire reconnaître notre spécificité et les solutions qu’elle nous a permis de proposer, afin de préserver celles-ci.

    Voilà pourquoi nous attendons de l’État un plan ambitieux de développement des achats publics pour l’ESS, des clauses sociales d’insertion renforcées et un programme également ambitieux de soutien aux achats solidaires ou responsables du secteur privé. Il faut nous reconnaître une place privilégiée en la matière puisque nous répondons à des besoins que le privé « classique » ne peut satisfaire.

    Enfin, il est important que nos financements soient sécurisés par le biais des subventions et de leur pluriannualité. On s’oriente aujourd’hui vers une logique d’appels à projets ; outre que ceux-ci devraient de toute façon être précédés d’une large concertation et assortis de critères qualitatifs afin d’éviter une politique du « moins-disant », nous leur préférerions des « appels à idées ». Laissez le monde associatif proposer des solutions pour répondre aux besoins immédiats, en favorisant l’innovation, moyennant une obligation non de résultats – inenvisageable lorsque l’humain est en jeu –, mais d’analyse et d’étude.

    Mme Hélène Beck, directrice administration-finances du Secours catholique. Au nom du Secours catholique, je remercie Mme Marie-George Buffet d’avoir identifié les difficultés du secteur associatif dans son rapport et souhaité que des propositions soient formulées pour y remédier. Nous remercions également le président, la rapporteure et tous les membres de la commission d’enquête de se consacrer à ce sujet particulièrement important.

    Rappelons, en effet, que le secteur associatif compte 1,3 million d’associations et emploie 1,8 million de salariés, auxquels s’ajoutent 16 millions de bénévoles qui donnent 1,7 milliard d’heures de leur temps. La valorisation de ces heures de bénévolat représente, selon le mode de calcul utilisé, 20 à 40 milliards d’euros qu’il convient d’ajouter aux 85 milliards d’euros de budget du secteur. Cela confirme son importance politique, économique et sociale. En outre, le secteur est dynamique puisqu’il a progressé de 2,8 % par an entre 2008 et 2011, progression ralentie par la crise à laquelle il a toutefois résisté mieux que d’autres.

    Pourtant, les associations ne sont pas épargnées par les difficultés nées de la crise. Le contexte économique et social accroît les besoins de services associatifs, surtout dans le domaine social, alors que les financements publics sont en retrait et que la générosité privée, particulièrement importante dans notre secteur, peine à prendre le relais. Comme cela vient d’être dit, nous craignons la concurrence nouvelle d’entreprises privées qui ne seraient pas animées des mêmes convictions que nous.

    J’en viens au Secours catholique, association loi de 1901 qui soutient et accompagne 1,5 million de personnes en France, auxquelles s’ajoutent 2,5 millions de bénéficiaires de l’action internationale que nous menons dans 74 pays. Le Secours catholique a créé l’Association des cités du Secours catholique qui accueille, accompagne, héberge et loge 10 000 personnes. Nous avons également participé à la création du réseau Tissons la solidarité, qui, au titre de l’insertion par l’activité économique, accueille 1 900 femmes dans le cadre de contrats aidés, auxquelles s’ajoutent 300 personnes qui les accompagnent.

    En termes économiques, le Secours catholique bénéficie de 150 millions d’euros de ressources financières auxquels il faut ajouter 190 millions correspondant à la valorisation du bénévolat. L’Association des cités est dotée de 55 millions d’euros, dont 85 % de financements publics. Il y a 1 000 salariés au Secours catholique et 900 au sein de l’Association des cités, outre ceux du réseau Tissons la solidarité.

    Dans toutes nos activités d’accueil des personnes, nos charges administratives se sont alourdies. Ainsi, pour obtenir l’habilitation à délivrer l’aide alimentaire, il faut remplir des formulaires contraignants qui sont autant d’entraves à la relation. La domiciliation des personnes, la mise en œuvre du droit au logement opposable en sont d’autres exemples. Ces charges sont de plus en plus difficiles à supporter pour les bénévoles, désireux de nouer une relation d’aide. De même, alors que les demandes de subvention sont normalement formulées dans un document CERFA unique, il arrive que l’on nous réclame d’autres informations qui nous obligent à constituer un nouveau dossier.

    Pour ces raisons, nous avons formulé des propositions très concrètes de simplification administrative, conformément à un souhait aujourd’hui répandu.

    Toutes les structures d’hébergement sont concernées par la baisse des financements publics. L’Association des cités a naturellement fait en sorte de réduire ses coûts en conséquence. Par ailleurs, l’exonération du versement transports l’a privée de 400 000 à 500 000 euros par an, portant son déficit – que le Secours catholique se charge de combler – de 1 à 2 millions d’euros.

    Nous proposons donc que l’on revienne à l’exonération du versement transports demandée par la FNARS (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale) et par l’UNIOPSS (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux).

    L’importance du financement par la générosité privée constitue une particularité du secteur caritatif et humanitaire au sein du monde associatif : pris dans son ensemble, celui-ci n’en dépend qu’à 4 % alors que la proportion atteint 80 % pour le Secours catholique. En la matière, nous reprenons les propositions formulées par le Haut Conseil à la vie associative pour développer le financement privé des associations dans le rapport qu’il a remis à la ministre Valérie Fourneyron. Nous sommes particulièrement intéressés par les propositions suivantes.

    Premièrement, relever le seuil d’assujettissement aux impôts commerciaux afin de développer le secteur lucratif. Aujourd’hui inexistant au Secours catholique, celui-ci nous aiderait à financer notre action sociale s’il pouvait représenter 3 % de notre activité au lieu d’être limité par le seuil de 60 000 euros de recettes annuelles. Il est gênant que ce seuil soit appliqué au Secours catholique, association unique sur tout le territoire, de la même manière qu’à chacune des fédérations qui composent d’autres organismes associatifs.

    Deuxièmement, faciliter la création de foncières. Le Secours catholique et son réseau partenarial ont envisagé de créer une telle structure, qui permettrait de faire appel à l’investissement solidaire des donateurs – à distinguer du don –, à l’heure où les financements publics sont contraints et où, pour l’Association des cités du Secours catholique, le besoin de nouveaux établissements se fait pressant. Nous demandons donc l’allégement des contraintes liées à cette forme juridique, notamment la nécessité de posséder la qualité de commerçant. Puisqu’il manque des logements sociaux, aidez-nous à les développer.

    Troisièmement, pour que les entreprises, en particulier les PME et TPE, puissent nous financer plus facilement, nous souhaitons que l’avantage fiscal lié au mécénat s’applique jusqu’à 10 000 euros, au-delà desquels le plafond actuel de 5 ‰ du chiffre d’affaires serait maintenu.

    Une dernière chose. Pour accomplir sa mission initiale – créer du lien social, œuvrer à l’insertion et à l’inclusion sociales –, le Secours catholique devrait pouvoir montrer son action, celle de ses bénévoles, dans les médias et dans l’enseignement public, afin de la faire reconnaître.

    Mme Henriette Steinberg, secrétaire générale du conseil d’administration et secrétaire nationale du Secours populaire français. J’irai à l’essentiel, en reprenant les différents objectifs énumérés dans l’intitulé de la commission d’enquête.

    Pour que le Secours populaire français – et nos collègues et amis ici présents – puisse « assurer ses missions », la représentation nationale doit exercer une vigilance de tous les instants afin que nous soyons respectés ès qualité, c’est-à-dire en tant qu’association indépendante, dont l’objet social est clair, qui exerce ses activités par le bénévolat, en toute indépendance et en en recherchant les moyens matériels et financiers auprès de toutes les bonnes volontés, qu’elles soient personnes physiques ou personnes morales.

    À cet égard, lorsque nous recourons à la générosité publique, nous avons à en rendre compte, de même que de l’ensemble des entrées et sorties, d’abord devant nos membres, lors de nos assemblées générales et congrès, ensuite devant la puissance publique et tous ceux qui s’y intéressent au travers de la publication de nos comptes au Journal officiel. Que nous soyons respectés ès qualités implique que le temps et les moyens que nous consacrons à cette tâche soient budgétés dans les actions elles-mêmes, afin de ne pas peser en frais généraux sur l’activité générale de nos bénévoles et de nos salariés.

    Être respectés ès qualités, cela signifie encore ne pas devoir justifier partout et sans cesse que les personnes que nous soutenons et qui viennent nous rencontrer, ou à la rencontre desquelles nous allons, sont « vraiment » dans la détresse, « vraiment » dans la difficulté, « vraiment » menacées d’expulsion, « vraiment » incapables de payer leur chauffage, la cantine de leurs enfants, l’eau, les assurances, « vraiment » en carence alimentaire, ou à la limite, « vraiment » dans l’impossibilité de consulter médecins, dentistes, ophtalmologistes – la liste n’est pas exhaustive et n’aborde pas l’accès aux loisirs, aux vacances et aux sports, pourtant garanti par la loi-cadre de 1998.

    Le temps que les bénévoles et les salariés de nos structures, dans l’ensemble du territoire, passent à répondre en permanence à ce type de demandes, de questions, de formulaires, de statistiques pourrait être utilement consacré aux plus de 2 millions de personnes que nous avons soutenues en 2013 et qui s’annoncent plus nombreuses encore en 2014.

    Et ne nous dites surtout pas que la simplification administrative ou la dématérialisation des données vont résoudre ces problèmes. Nous savons que toute apparente simplification, toute dématérialisation des données et absence de papier se traduisent pour les associations par l’explosion des coûts informatiques et, pour les personnes aidées, par de plus grandes difficultés à exercer un recours lorsqu’elles possèdent des droits qui n’ont pu être appelés. Les identifiants, les mots de passe, comment pensez-vous que puissent y accéder des personnes qui n’osent même plus aller chercher leurs recommandés à la poste, si du moins elles ont reçu l’avis dans leur boîte aux lettres, à supposer qu’elles en aient encore une ?

    Pour ce qui est de proposer des réponses concrètes et d’avenir, la puissance publique sous toutes ses formes – locale, nationale, européenne – devrait contribuer financièrement aux coûts techniques induits par l’activité associative – locaux d’accueil, moyens de transport, équipements technologiques – à la mesure de ce que lui coûterait l’absence de notre activité sur tout le territoire. Notre comptabilité analytique, consultable – et consultée, notamment par les conseillers de la Cour des comptes – en fait foi.

    Autrement dit, nous ne demandons pas des moyens supplémentaires en soi : pour pouvoir exercer nos missions, nous demandons que la puissance publique finance ce qui est de son ressort. Nous l’invitons à ne pas faire des déductions fiscales dont bénéficient les

    donateurs une variable d’ajustement qui se substituerait à ce qu’elle doit elle-même financer. Nous connaissons la valeur du temps de travail des bénévoles, et nous ne le vendons pas selon une forme de marchandisation au rabais qui ferait de nous le sous-traitant masqué d’une puissance publique qui n’en peut mais. La considération de l’intérêt général, dont la puissance publique est le garant, suppose que celle-ci en mesure le prix sans se défausser. Cette mesure n’est pas seulement financière, et, surtout, ne saurait se limiter au court terme : elle doit inclure les conséquences de la désespérance et leur coût social, de la protection de l’enfance aux suicides d’adolescents, de l’incompréhension du chômage, qui touche des catégories toujours plus importantes de personnes de tous âges et de toutes compétences, à l’économie souterraine.

    Le Secours populaire est une union d’associations implantées dans tout le territoire, avec près de 3 000 adresses physiques identifiables dans nos régions, départements, communes de toutes tailles. Nous sommes d’autant plus sensibles à l’idée de « rayonne[ment] dans la vie locale et citoyenne » et de « confort[ation] du tissu social » que notre organisation décentralisée, forte de plus de 80 000 animateurs collecteurs, donne à chacune et à chacun sur le territoire la capacité d’agir, seul ou à plusieurs, pour empêcher la progression de la pauvreté, de la misère et de l’exclusion en recherchant par la collecte populaire les moyens matériels d’aider à faire face.

    De même, nous savons – mais sans doute ne le faisons-nous pas assez savoir – que l’activité même du Secours populaire sert l’économie locale, au travers de nos achats de produits et services, comme de ceux des populations que nous soutenons, lesquelles sont pauvres, voire très pauvres, mais pas strictement démunies de toute ressource. Nous certifions que ce type d’activité n’est pas délocalisable. En outre, le soutien alimentaire à plus de 2 millions de personnes dans notre pays est indissociable de l’activité du secteur agro-alimentaire et de celui du transport, qui assure les livraisons. Ce soutien permet aussi aux familles de payer leur loyer, ce qui contribue à l’équilibre des budgets des bailleurs sociaux territoriaux. Nous sommes là au cœur du tissu social.

    Certes, tout cela est difficile à quantifier, d’autant qu’il convient d’y ajouter l’investissement sur l’avenir, grâce auquel les personnes touchées par la précarité peuvent retrouver leur dignité et sortir durablement de la situation dans laquelle elles se trouvent à un instant de leur vie. On sait qu’en permettant aux personnes en difficulté de rechercher de l’argent et de s’investir pour tel ou tel objectif qu’elles font leur, en France, en Europe et dans le monde, on leur rend confiance en elles et le goût d’agir et de peser sur les conséquences des drames. Ce travail invisible, aujourd’hui non mesuré, concourt à long terme à leur dignité, et le tissu social en est enrichi.

    Enfin, par le mouvement Copain du monde que nous développons en France, en Europe et dans le monde, nous contribuons directement à ce que les enfants d’aujourd’hui deviennent les citoyens de demain. En même temps, nous rendons l’espoir à leurs parents, à leurs frères et sœurs, nous combattons tous les obscurantismes d’où qu’ils viennent et nous exerçons notre mission d’éducation populaire. Nous permettons aux enfants de France de rencontrer des enfants d’autres pays du monde et de découvrir ainsi que les conditions de vie sont partout différentes mais qu’il est possible d’agir pour les améliorer. Nous souhaitons que la puissance publique fasse de même, sans plus envisager de chercher à diminuer les déductions fiscales des donateurs qui ont choisi par leurs dons de favoriser l’avenir, dans notre pays comme sur tous les continents.

    M. Jean-Pierre Caillibot, délégué général adjoint des Petits Frères des pauvres. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, merci de nous permettre de faire ici état de notre grande préoccupation.

    Fondée en 1946, l’association Les Petits Frères des pauvres compte aujourd’hui 10 000 bénévoles, qui accompagnent 10 000 personnes de plus de cinquante ans en situation d’isolement, de précarité et de pauvreté. Elle dispose d’une trentaine de maisons d’accueil, d’hébergement et de vacances. Son budget s’élève à 50 millions d’euros, dont 80 % proviennent de dons et de legs.

    J’aimerais vous soumettre trois propositions destinées à soutenir les organisations, à revitaliser l’engagement associatif des citoyens et à remédier à une évolution de la réglementation qui est trop rapide pour nos bénévoles.

    Je soulignerai au préalable qu’une association se caractérise par une double dimension : d’une part, sa raison d’être et l’intérêt de ceux qu’elle accompagne ; d’autre part, son pouvoir de mobilisation de nos concitoyens autour du bénévolat. Or on s’intéresse souvent au premier aspect – notre action et nos publics – au détriment du second, c’est-à-dire du bénéfice sociétal propre à la dynamique que nous créons. Il faut le rendre plus visible.

    Le projet associatif a sa spécificité. Souvent, on met à notre disposition des outils qui ne sont pas adaptés à notre secteur. Ainsi, l’obligation que l’on nous impose d’instaurer des dispositifs de contrôle ou d’évaluation des prestations issus du secteur entrepreneurial témoigne d’un décalage qui masque l’essentiel : le lien social que nous sommes en mesure de tisser. C’est à nous d’y travailler, mais les pouvoirs publics peuvent nous y aider. Voici comment.

    Tout d’abord, il est exact que nous sommes confrontés aujourd’hui, par obligation légale, à des questions touchant au contrôle interne, aux systèmes d’information, à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, aux risques psychosociaux, à la gestion du patrimoine, qui ne sont pas au cœur de nos projets initiaux. Voici donc ma première proposition : si la puissance publique pouvait intervenir, soit directement auprès des acteurs associatifs, soit auprès des fédérations censées nous soutenir, afin de nous venir en aide dans ces domaines, cela nous permettrait de consacrer les fonds dont nous disposons à notre action plutôt qu’à ces thématiques extrêmement technocratiques qui nous posent de graves problèmes. Car nous consacrons des sommes significatives à ces dispositifs, certes nécessaires – nous devons être visibles –, mais nous le faisons au détriment de notre action et des publics qu’elle vise.

    La complexité parfois insupportable des aides européennes, des dossiers administratifs émanant non seulement de l’État, mais de chaque département – sans vouloir le moins du monde remettre en cause la décentralisation –, peut aller jusqu’à empêcher l’action de nos concitoyens comme de nos organisations. Le formulaire CERFA pourrait par exemple valoir pour l’ensemble des départements. Nous pourrions citer maints exemples de nos difficultés à obtenir des financements du fait de la diversité des politiques menées dans chaque département.

    Notre deuxième proposition tend à revitaliser l’engagement associatif des citoyens. Je l’ai dit, en mobilisant des millions de citoyens, les associations contribuent très fortement au lien social. En rendant le secteur plus visible dans les médias, comme le suggère le Secours catholique, on incitera un plus grand nombre de nos concitoyens à le rejoindre. Il faut un engagement qui passe par une promotion grand public, laquelle pourrait, comme les campagnes de prévention, être soutenue par les pouvoirs publics. MONALISA, acronyme de Mobilisation nationale contre l’isolement des personnes âgées, nous montre l’exemple, celui de l’engagement citoyen de la société civile comme celui du soutien apporté par la puissance publique.

    S’agissant de l’évolution trop rapide de la réglementation, nous avons formulé plusieurs propositions dans le cadre du projet de réforme de l’administration, car les choses sont extrêmement complexes pour tous les acteurs du monde associatif. Il faut évidemment développer la formation, mais les bénévoles qui accompagnent les personnes en grande précarité, comme ces personnes elles-mêmes, doivent pouvoir se repérer dans cette jungle. L’accès au droit est très compliqué, ce qui est inacceptable. Un exemple : la réforme des retraites a manifestement été mal intégrée par les organismes sociaux que sont la Caisse nationale d’allocations familiales et la Caisse nationale d’assurance vieillesse, de sorte qu’un nombre croissant de personnes qui ne touchent plus l’allocation d’adulte handicapé ou le revenu de solidarité active en raison de leur âge se retrouvent sans ressources pendant une durée parfois insupportable. Bref, un travail colossal de simplification administrative et de cohérence entre acteurs publics reste à accomplir.

    Enfin, le modèle entrepreneurial des appels à projets n’est pas adapté à la créativité et à l’innovation. Il nous empêche de prendre des risques, ce que nous devrions au contraire pouvoir faire non pas seuls, mais avec nos partenaires, avec les différentes institutions que sont l’État et les collectivités territoriales.

    M. Patrick Doutreligne, délégué général de la Fondation Abbé Pierre. Monsieur le président, merci de nous avoir conviés à cette table ronde bien que, comme vous l’avez dit, la Fondation Abbé Pierre s’y distingue par son statut. En politique – tel sera, en effet, le registre de mon intervention –, les vérités sont éphémères, de sorte que, si j’ai juré de dire la vérité, il ne peut s’agir que de la vérité d’aujourd’hui.

    La mission de la Fondation Abbé Pierre est triple. D’abord, nous interpellons les pouvoirs publics et la population à propos des problèmes de logement en France, par notre rapport annuel sur l’état du mal-logement en France, nos communiqués de presse, nos auditions régulières à l’Assemblée nationale et au Sénat sur des projets ou des propositions de loi. Ensuite, nous aidons les associations locales, confrontées aujourd’hui à de grandes difficultés, à monter des projets pour lutter contre le sans-abrisme, le mal-logement ou l’isolement qui résulte d’un habitat dégradé ou absent. L’année dernière, nous avons ainsi appuyé plus de 676 projets. Enfin, nous développons l’innovation, spécificité du secteur associatif aujourd’hui menacée, comme vient de le souligner mon collègue.

    Revenons sur quelques éléments de contexte. Le désengagement des pouvoirs publics – qui s’explique notamment, mais pas uniquement, par des raisons économiques connues de tous – est extrêmement problématique pour les associations, qui ne peuvent s’appuyer que sur les financements publics et sur la générosité de nos concitoyens. Ce recul de l’intervention publique survient alors même que la demande augmente avec la paupérisation et la fragilisation des ménages, depuis 2008 surtout, comme vous le confirmera le président des Restos du cœur. Cet effet de ciseau est très préoccupant. Comment pouvons-nous répondre à ces besoins croissants alors que le soutien financier des donateurs se maintient dans la plupart des cas mais n’augmente pas à due proportion, et que celui des pouvoirs publics diminue nettement ?

    Deuxième constat : la dérive de la logique des appels d’offres. On a confondu la nécessaire professionnalisation du monde associatif, dans laquelle nous nous sommes d’ailleurs engagés, et la reprise des règles du marché libéral. Celle-ci est une erreur, car l’action associative en général n’est pas née de l’initiative des pouvoirs publics en vue de résoudre un problème : ce sont les associations qui, confrontées à ce problème sur le terrain, ont expérimenté des solutions qu’elles ont ensuite pu proposer aux pouvoirs publics. En l’oubliant, on renonce à l’esprit de création, d’innovation et à la capacité d’adaptation des réponses aux besoins rencontrés. Car, lors d’un appel d’offres, c’est au contraire l’administration qui, pour résoudre un problème, définit un cahier des charges et instaure une mise en concurrence. Or, sans être opposées à la concurrence, les associations sont aujourd’hui en quête de cohérence afin d’élaborer des solutions communes, ainsi qu’en témoigne le nombre de collectifs associatifs qui se créent, à rebours de l’époque, il y a trente ou quarante ans, où chacune se cantonnait à son public cible.

    Le troisième phénomène à prendre en considération est la massification de la pauvreté, dont vous êtes tous conscients, mais aussi de la fragilisation, que la population ne mesure pas suffisamment. Actuellement, huit emplois sur dix proposés sur le marché sont atypiques – contrat à durée déterminée, emploi à temps partiel, intérim, stages, emploi en alternance –, mais le monde du logement ne s’est pas adapté à cette situation, les bailleurs continuant d’exiger trois fiches de paie, des ressources au moins équivalentes à trois fois le montant du loyer et des contrats à durée indéterminée. Bref, des pans entiers de notre économie sont en décalage par rapport à l’évolution économique et sociologique du pays.

    J’insisterai particulièrement sur quelques-unes des propositions déjà formulées. D’abord, la fiscalité des dons. Ce n’est pas la première fois que Bercy essaie de nous faire croire que le don fait partie des niches fiscales, qu’il souhaite limiter comme les précédents gouvernements. C’est absurde ! Comment peut-on mettre un investissement immobilier sur le même plan que le don à des associations qui se consacrent à la solidarité en matière alimentaire, vestimentaire, immobilière ou sociale ?

    S’agissant de la foncière, dans un pays où il manque 500 000 à 900 000 logements mais dont le Gouvernement ne vise en la matière que les classes moyennes et les classes moyennes supérieures – abstraction faite du logement social qui ne suffit pas –, il est nécessaire d’aider nos organisations à chercher des solutions pour les personnes très défavorisées, modestes, ou les personnes âgées qui ont très peu de ressources. Dans ce domaine, la Fondation Abbé Pierre a le même projet que le Secours catholique, un peu plus avancé – mais, là encore, nous sommes complémentaires et non pas concurrents mais complémentaires.

    Enfin, c’est un peu bêtement que l’on a abandonné purement et simplement le service militaire, que je ne regrette pas en tant que tel, mais dont les vertus de brassage social étaient indéniables. Il aurait pu être très avantageusement remplacé par un service civil destiné à une bonne partie de la population. Pour les jeunes, être confrontés au sein de nos associations à un public qui n’a pas eu la chance de jouir d’un milieu social protecteur constituerait un moyen extraordinaire de comprendre ce qu’est la vraie vie, l’esprit de solidarité et de mesurer ce qu’ils peuvent apporter à la société au-delà de leur réussite individuelle, que l’éducation nationale et le monde de l’entreprise se chargent bien assez de promouvoir.

    Nous ne sommes ni des quémandeurs ni des pleureurs. La population nous sollicite, les pouvoirs publics nous adoubent en nous félicitant de ce que nous faisons, mais ce genre de compliments ne nous intéresse guère. Ce que nous voulons, c’est qu’ils préservent nos statuts ainsi que notre capacité d’innovation et de soutien aux plus fragiles de nos concitoyens, dans un contexte socio-économique extrêmement difficile qui ne va pas s’améliorer dans l’immédiat. Je l’ai appris sur les bancs de l’école, c’est l’honneur de la République que de s’occuper des plus faibles. Dans cette mission, les pouvoirs publics ne peuvent se défausser sur le secteur associatif ; ils peuvent s’appuyer sur nous, nous aider, mais ils ne sauraient se désengager.

    M. Olivier Berthe, président des Restos du cœur. Beaucoup de choses ont été dites ; j’apporterai quelques compléments.

    Les Restos du cœur sont bien connus : nous avons accueilli plus d’un million de personnes l’an dernier et servi plus de 130 millions de repas grâce à nos 67 500 bénévoles. Mais nos actions vont bien au-delà de la seule aide alimentaire : nos 110 points d’accueil, nos maraudes, nous permettent par exemple d’établir 40 000 contacts hebdomadaires avec les gens qui vivent dans la rue. Nous employons 1 700 personnes en contrats aidés, et nous logeons 1 800 personnes. Nous sommes la deuxième association pour l’aide au départ en vacances ; nous réalisons de l’accompagnement scolaire, nous facilitons l’accès à la justice…

    Comme l’a souligné le rapport de Mme Marie-George Buffet, ces actions associatives renforcent le tissu social. J’insisterai moi aussi sur le fait qu’il faut s’intéresser à la qualité plutôt qu’à la quantité : les associations, ce sont des millions de contacts humains dans l’année, désintéressés, hors de toute hiérarchie sociale. Nous parlons à des populations que personne d’autre ne connaît, a fortiori n’aide.

    Mais des menaces pèsent sur notre secteur. L’effet ciseaux que nous subissons a déjà été mentionné. Les besoins augmentent : les Restos du cœur aidaient 800 000 personnes il y a cinq ans, nous en sommes à un million aujourd’hui. Notre budget alimentaire est passé de 96 à 121 millions d’euros, notre budget non alimentaire de 28 à 40 millions. Dans le même temps, les aides publiques n’ont cru que de 100 000 euros, c’est-à-dire qu’elles ont en proportion diminué de 7 %. Or l’afflux vers nos associations ne va pas s’arrêter demain. Le chômage augmente, et nous savons que c’est souvent dix-huit à vingt-quatre mois après avoir perdu leur emploi que les gens se tournent vers nous : mécaniquement, nous devrons donc accueillir plus de personnes pendant au moins deux ans ; la reprise, si jamais elle survient, ne touchera pas d’abord ces populations fragilisées.

    Pendant le même temps, nos moyens diminuent : les aides publiques se stabilisent ou même baissent, je l’ai dit ; il est aussi de plus en plus difficile d’obtenir la mise à disposition gratuite de locaux ou des aides au transport. Quant aux dons, ils sont stables – au mieux, car la crise touche aussi les donateurs.

    Le bénévolat augmente, mais le bénévolat de compétences diminue : le travail des associations devient de plus en plus complexe, et certains jettent l’éponge. Les bénévoles cherchent le contact humain, beaucoup ne souhaitent pas exercer de responsabilités administratives.

    Cette question de la complexité croissante touche toutes nos actions. Au niveau européen, un nouveau fonds d’aide aux plus démunis a certes été créé ; mais son règlement est très complexe, et même si difficile à mettre au point que rien n’est encore arrivé dans nos entrepôts ! Dans tous les domaines, la législation est de plus en plus compliquée : c’est le cas des règlements sanitaires, de la réforme en cours de l’IAE… La loi sur l’accessibilité des bâtiments nous obligera à réaliser d’importants travaux, mais nos budgets n’y suffiront pas.

    Enfin, nous sommes menacés par le manque de confiance. Les lois ne cessent de changer, et on ne cesse de nous demander de rendre plus de comptes : nous estimons normal de rendre des comptes, mais a posteriori ! Les discours que l’on entend parfois sur l’assistanat, sur les contrôles renforcés, tout comme les effets d’annonces de certains responsables risquent de faire perdre confiance dans les associations. Si les donateurs privés, si les collectivités territoriales perdent confiance dans notre action, la diminution des dons et des aides s’accélérera.

    Voici donc quelques suggestions. Tout d’abord, l’aide alimentaire ne doit pas être comprise comme une simple aide d’urgence, mais comme une action qui contribue pleinement à l’inclusion sociale. Nous regrettons que la question de l’aide alimentaire n’ait pas été intégrée au plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale : il faudrait l’y réintroduire. Il faudrait également consolider les ressources existantes, et notamment maintenir les aides logistiques des collectivités territoriales ; il nous semblerait souhaitable que les aides publiques soient proportionnelles aux besoins. Imagine-t-on de réduire la masse salariale en fonction de l’évolution du budget d’une collectivité ? Il serait également judicieux de diversifier les ressources, par exemple en luttant contre le gaspillage et en développant les dons en nature. Je souligne d’ailleurs que nous négocions depuis dix-huit mois des moyens de faciliter les dons agricoles, mais que, malgré notre travail et un début de mise en œuvre de dons de produits laitiers, nous n’avons pas encore abouti. Il est grand temps que les choses s’accélèrent.

    Il faudrait entretenir la confiance et réduire la complexité administrative. Enfin, cela a été dit, il faut continuer à encourager l’expérimentation. C’est bien de la diversité et de l’innovation que le monde associatif tire sa force ; c’est ce qui permet à l’action des associations d’être complémentaire de celles des pouvoirs publics, même si la première a aujourd’hui tendance à se substituer à la seconde… Si nous perdons la capacité d’expérimenter, alors nous risquons à très court terme de voir des associations réduire leur activité, voire disparaître. Des populations entières n’auront alors plus d’interlocuteurs, et des territoires entiers seront désertés ; nous risquerons aussi une chute vertigineuse du bénévolat, car les bonnes volontés se décourageront, et une chute des dons. C’est une spirale très dangereuse, car on risque alors de voir apparaître d’autres acteurs, et d’autres activités, officielles ou non.

    J’ai juré de dire toute la vérité, la voici : le tissu social, aujourd’hui, est abîmé. Un tissu élimé dans les coins, on n’y prête pas attention ; puis il se déchire pour de bon, et finit par tomber en lambeaux à la moindre bourrasque. On nous dit alarmistes, on nous dit que nous avons toujours trouvé des solutions. Mais aujourd’hui, je n’exclus plus que, dans les mois qui viennent, nous en arrivions à des situations vraiment graves.

    M. Pierre-Yves Madignier, président du mouvement ATD Quart Monde. ATD Quart Monde a été créé par des personnes très pauvres pour détruire la misère. Notre mouvement est resté fidèle à cette idée : toutes nos actions sont construites par des personnes très pauvres pour des personnes très pauvres.

    Nous sommes en accord avec ce qui a déjà été dit et partageons les inquiétudes qui ont été exprimées.

    Nous sommes aux côtés de ces gens que vous croisez tous les jours, mais qui doivent parfois vous paraître bien étranges. On voudrait les aider, on ne sait pas comment faire. Le projet du père Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde, était bien de rejoindre les plus pauvres. Celui qui va au fin fond d’un département très rural pour rencontrer les plus pauvres et leur permettre de cheminer vers la citoyenneté a chez nous autant d’importance que le délégué général.

    Nous parlons donc d’un endroit très précis, et cette parole est peut-être comme le zéro que l’on rajoute parfois après certains chiffres : nous espérons que nos mots donneront du poids à ceux de nos amis ici présents. Les plus pauvres, ce sont ceux qui ont raté tous les trains, ceux que Marx appelait le « sous-prolétariat »… Il faut les écouter, car ils savent des choses que personne d’autre ne sait. Ils savent, par exemple, qu’avec les minima sociaux on ne peut pas accéder au logement social.

    Il a été question de service civique, et alors on pense souvent à des jeunes gens riches qui pourraient aider les pauvres. Mais là aussi, il faut écouter les personnes très pauvres, rejetées de tous, car elles veulent aussi pouvoir donner quelque chose à la société et construire un projet citoyen. Ce sont des personnes qui doivent briser l’enfermement, échapper à la honte. Elles ne sont pas reconnues et souvent ne se reconnaissent pas elles-mêmes. L’un de nos rôles doit être de combattre les idées reçues.

    Lors de l’université populaire d’ATD Quart Monde, à Lyon, en 2012, l’un de nos militants avait découvert qu’il contribuait financièrement au fonctionnement de la République – il ne payait bien sûr pas l’impôt sur le revenu, mais il payait la TVA. Il en était très fier. Les plus pauvres ne connaissent pas la Constitution. Ils ne connaissent pas l’article 40… Mais ils placent beaucoup d’espoir dans la société et dans ses élus. Cet espoir, vous le prenez parfois en pleine tronche, dans vos permanences, parce que celui qui espère peut être maladroit, voire agressif – mais il ne faut pas s’y tromper : c’est de l’espoir. Je me souviens d’une femme qui, à cette même université populaire, s’était levée pour raconter sa vie, une histoire de vie vraiment difficile ; et elle a ajouté : « j’étais vraiment dans la m*** : j’ai écrit au Président de la République, et il m’a répondu ! »

    L’action des associations est citoyenne. Aujourd’hui, j’y insiste, beaucoup de grandes administrations ne savent pas comment les dispositifs que vous avez votés sont mis en œuvre. Les gens qui savent, à l’inverse, ne sont pas toujours organisés pour le dire – je le dis souvent aux présidents d’associations.

    Je me retrouve entièrement dans ce qui a été dit, en particulier sur la nécessité de laisser les associations innover au lieu de les enfermer dans des appels à projets. Ceux-ci sont conçus par des gens très intelligents, mais qui ne sont pas au cœur de la réalité ! Les propos de mes collègues sont de l’or pour vous, décideurs : les associations doivent être entendues.

    Mme Françoise Dumas, rapporteure. J’ai été, dans une première vie professionnelle, assistante sociale, puis responsable d’un service de protection de l’enfance : je n’en mesure que mieux l’impressionnante responsabilité qui nous incombe. Nous devons vous entendre. Vous nous rappelez combien il est important d’avoir foi en l’homme et en l’humanité.

    Pourriez-vous évoquer plus longuement l’esprit associatif qui vous anime ? Nous ne devons jamais perdre de vue le sens de nos actions : pourquoi est-on bénévole, pourquoi s’engage-t-on dans la vie associative ?

    Vous avez également peu évoqué la question du territoire. Avez-vous imaginé des outils spécifiques pour adapter vos actions à la réalité de chaque territoire ? Ne faut-il pas inventer un nouveau maillage des territoires ? Nous devrions, je crois, aller vers une plus grande complémentarité des associations et éviter des redondances. J’entends bien sûr vos propos sur les appels à projets : il faut en effet toujours replacer l’homme au centre de chaque action.

    Mme Isabelle Le Callennec. Merci de vos interventions : ce que vous dites, en effet, nous l’entendons aussi dans nos circonscriptions, puisque nous fréquentons beaucoup les responsables locaux de vos associations.

    Madame Delamoye, quels sont les besoins émergents dont vous parlez ?

    Lors de la discussion de la loi sur l’ESS, il a beaucoup été question de simplification, et il est prévu qu’une mission soit confiée à Yves Blein, son rapporteur, sur ce thème. Quels sont vos interlocuteurs sur ces sujets ? Vos propositions sont-elles suivies d’effet ? Vous le savez, les auditions sont fréquentes et les rapports nombreux, qui aboutissent souvent aux mêmes conclusions : où sont les freins ?

    J’apprécie énormément l’expression d’appel à idées. Il faut opérer cette véritable révolution culturelle. Manifestement, avec les appels à projets, nous sommes sur une très mauvaise pente : il faut agir tout de suite pour stopper ce mouvement.

    S’agissant de la générosité privée, les pistes que vous proposez sont intéressantes. Il va de soi que ces dons ne doivent pas être considérés comme une niche fiscale.

    Enfin, sur les dons agricoles par exemple, vous mentionnez des blocages : quels sont-ils ?

    M. Jean-Louis Bricout. Je vous remercie, moi aussi, de vos interventions : vous décrivez en effet la réalité que nous rencontrons dans nos circonscriptions.

    La loi sur l’ESS a étendu le statut de volontaire associatif. Cette mesure est-elle déjà efficace ? Prévoyez-vous de communiquer sur ce point ? Lors des débats sur cette loi, il a été longuement question de la pré-majorité associative : quelle est votre position sur ce sujet ?

    Quelles sont vos relations avec les collectivités territoriales ? Dans les zones rurales, plusieurs associations interviennent souvent simultanément : avez-vous mis en place des échanges de fichiers, des partages d’informations ?

    Je suis très sensible à l’action d’Emmaüs dans le domaine de l’économie circulaire. C’est un gisement de croissance important, et les associations ont un rôle à jouer. Avez-vous noué des partenariats avec d’autres associations spécialisées ?

    M. Frédéric Reiss. Vous nous avez fait une démonstration magistrale de ce que peut être l’engagement citoyen. Et nous avons bien entendu votre plaidoyer contre l’alourdissement de vos charges administratives.

    Remarquez-vous des changements dans les territoires, notamment avec la montée en puissance des intercommunalités ? De nombreuses initiatives existent, notamment les épiceries sociales : fonctionnent-elles bien, selon vous ?

    Le service civique ne dure aujourd’hui souvent que sept à huit mois, et même parfois moins. Cela représente-t-il un problème pour vous ? Les contrats d’avenir vous ont-ils rendu service ?

    Vous soulignez l’importance pour vous de la générosité privée : la recherche de donateurs constitue-t-elle pour vous une grosse charge de travail ?

    Mme Bernadette Laclais. Merci de vos interventions, précises et techniques, mais qui n’oubliaient pas la question des valeurs et des symboles.

    Sur la baisse des moyens mis à votre disposition par les collectivités territoriales, disposez-vous de chiffres qui permettraient d’évaluer l’ampleur du phénomène ?

    Vous avez peu évoqué les relations entre les associations, comme vos relations avec les centres communaux d'action sociale (CCAS) et les services sociaux en général. Est-ce parce que tout se passe bien ? Quelles difficultés rencontrez-vous, si vous en rencontrez ?

    La question de la simplification vous semble-t-elle pouvoir être traitée à l’échelle des associations, ou bien devrait-elle être intégrée à un plan plus vaste de lutte contre la pauvreté ?

    M. Régis Juanico. Je vous remercie pour la grande qualité de cette table ronde. Nous devons vous entendre, et entendre vos inquiétudes, pour vous aider concrètement. Ensemble, nous pouvons gagner, comme l’a montré votre combat exemplaire sur le programme européen d’aide aux plus démunis.

    Le modèle de l’appel à la générosité publique pour financer les associations doit absolument être préservé. Nous avons jusqu’ici réussi à faire échec aux tentatives de Bercy de remettre en cause les réductions d’impôt liées aux dons : nous continuerons. Je rappelle que cette dépense fiscale s’élève à 2 milliards d’euros chaque année.

    Quant au seuil de lucrativité, nous avons présenté des amendements lors du récent collectif budgétaire : adoptés en commission, ils ont été refusé en séance publique par Bercy. Nous recommencerons en 2015 !

    Vous parlez de la loi sur l’ESS et des craintes qu’elle suscite. Si je puis me permettre cette citation papale, n’ayez pas peur ! (Sourires.) Vous êtes 2 millions d’acteurs de l’économie sociale et solidaire, et l’étude d’impact estime – certes de façon approximative – à 5 000 le nombre d’entreprises prêtes à aller vers votre secteur. Les critères sont très restrictifs : c’est donc un modèle économique qui restera très particulier. Je crois plutôt que vos valeurs contamineront le modèle économique classique des entreprises !

    Cette loi sur l’ESS comportait de nombreuses mesures destinées à aider les associations. Elles sont perfectibles, et vous pouvez nous y aider. Mais la loi vise notamment, je le souligne, à renverser la tendance qui voit les commandes publiques et les appels à projets prendre le pas sur les subventions.

    Le service militaire n’était plus, en 2011, un lieu de brassage social – le brassage social, c’est l’Éducation nationale qui s’en charge aujourd’hui ! Pour nous, l’essentiel est de favoriser l’engagement des jeunes, notamment grâce au service civique.

    Enfin, s’agissant du versement transport, je sais qu’il existe des inquiétudes. Des mesures ont été votées, à l’initiative d’Yves Blein. Nous attendons un rapport du Gouvernement pour le mois d’octobre. Je veux, là encore, vous rassurer : nous souhaitons que les situations acquises ne soient pas remises en cause.

    M. André Schneider. Je vous ai écoutés avec une très grande émotion. Ces personnes ont d’abord besoin de dignité, d’exister et d’être utiles, pour se reconstruire : c’est un message qu’il faut entendre.

    Malheureusement, le rôle des responsables est de choisir. Quelles sont pour vous les priorités ?

    M. Jean-René Marsac. Ancien responsable associatif moi-même, j’ai l’impression d’entendre ce que je disais moi-même il y a trente ans, sur la complexité, sur la lourdeur des tâches administratives, sur le découragement des bénévoles ! Mais la situation, je crois, s’aggrave. Il faut une révolution culturelle des services de l’État, qui doivent travailler autrement avec le secteur associatif : la question de l’innovation n’est pas du tout prise en considération par les pouvoirs publics.

    Il faudrait mieux former les hauts fonctionnaires, qui ne sont pas du tout préparés au dialogue avec le secteur associatif, qui ne sont pas prêts à accepter que des bénévoles associatifs représentent aussi l’intérêt général. Bien sûr, les administrateurs apprennent sur le tas, mais que d’énergie perdue ! C’est un problème de culture, de formation, peut-être d’organisation des services de l’État.

    Enfin, on entend en Europe une petite musique nouvelle : l’entreprise sociale pourrait être, selon certains, un nouveau modèle économique ; entre l’État-providence en voie de disparition et le secteur associatif trop fragile, trop hésitant, elle construirait une économie pour les pauvres, mais selon des modèles strictement entrepreneuriaux et financiers. On peut s’en inquiéter.

    M. Patrick Doutreligne. L’introduction du monde commercial dans les secteurs où nous intervenons est très préoccupante. Ainsi, les compagnies de distribution d’eau proposent parfois aux collectivités locales de prendre en charge – en plus de la distribution d’eau – les aires d’accueil des gens du voyage, secteur où l’on se précipite rarement pour intervenir, vous en conviendrez. Mais ensuite, la gestion de ces aires par ces entreprises privées est catastrophique ! Nous avons donc quelque raison de nous inquiéter.

    De même, le secteur des aides à la personne, appelé à devenir très important avec le vieillissement de la population, attire des intervenants qui créent – dans les secteurs réservés au monde associatif – des associations que nous appelons Canada Dry : ce sont juridiquement des associations, mais elles n’ont pas de vrai projet associatif, social, humain. Nous avons constaté ce phénomène dans les centres de transit des demandeurs d’asile.

    Les relations avec les CCAS peuvent bien sûr varier du tout au tout. Parfois, cela se passe extrêmement bien ; à certains endroits, nous participons même au conseil d’administration, ce qui est très positif. Mais, là aussi, nous nourrissons quelques inquiétudes : ainsi, de plus en plus souvent, les CCAS limitent voire refusent la domiciliation des personnes, qu’ils renvoient alors aux associations. À Marseille, par exemple, la situation est dramatique : plus de 1 200 personnes font appel à nous pour les domicilier. Les associations ne doivent pas être le dernier recours des pouvoirs publics quand ceux-ci ne jouent plus leur rôle !

    Enfin, une réflexion sur le statut des bénévoles serait bienvenue. Il faudrait en particulier organiser leur protection vis-à-vis de Pôle Emploi : j’ai vu des gens radiés parce qu’ils prenaient des responsabilités associatives, ce qui est une dérive manifeste.

    Mme Florence Delamoye. Le sens de notre engagement est pour nous d’une telle évidence que nous ne l’avons peut-être pas évoqué assez clairement. Nous sommes un rassemblement de personnes convaincues qu’un projet collectif peut être mené en adéquation avec l’intérêt commun. Les communautés Emmaüs, qui vivent de la collecte de dons et de la revente, sont un bon exemple d’un tel projet. Le compagnon en est un acteur majeur. Par son activité, il fait vivre la communauté, il la crée et lui permet de gagner une véritable reconnaissance. À bien y réfléchir, il est extraordinaire que nous parvenions à trouver les capacités de mener de tels projets collectifs à but non lucratif grâce à l’esprit associatif.

    Les revenus générés sont destinés à faire vivre la communauté. Lorsque des recettes dépassent les besoins, les surplus alimentent la solidarité locale, régionale et internationale d’Emmaüs et servent par exemple à financer les prêts à taux zéro consentis par SOS Familles Emmaüs afin d’éviter le mal-endettement. Les acteurs qui s’investissent auprès d’Emmaüs sont donc des militants, et l’intérêt pécuniaire n’est pas la principale motivation de leur engagement. Cette caractéristique différencie le milieu associatif du secteur dit concurrentiel au sujet duquel vous avez voulu nous rassurer. J’avoue que mes craintes persistent, mais je suis prête à dialoguer sur cette question.

    Le monde associatif joue un rôle de vigie. Il repère en amont les évolutions sociales. Si, dans un premier temps, nous sommes le plus souvent pris au dépourvu, dans un second temps, les associations tentent de répondre collectivement aux nouveaux besoins. Les familles monoparentales, les retraités pauvres, les jeunes en rupture familiale n’ayant jamais travaillé sont par exemple de plus en plus nombreux.

    Il nous appartient de réagir en proposant des solutions innovantes. Nous l’avons fait en mettant en place le travail à l’heure qui permet à des personnes qui se trouvent dans la rue de travailler une, deux, trois ou quatre heures. Le travail conjoint entre les maraudeurs et des chantiers d’insertion a donné de véritables résultats. De la même façon, l’accueil de personnes sortant de prison dans la ferme de Moyembrie, en Picardie, constitue un succès reconnu par les magistrats locaux. Les personnes accueillies peuvent reprendre une activité économique réelle au sein d’une AMAP, prendre le temps de construire un projet personnel et professionnel, et retrouver la réalité et l’autonomie. Dans tout le pays, Emmaüs France accueille aussi de très nombreuses personnes parfois mineures exécutant des travaux d’intérêt général (TIG) décidés par un tribunal. À notre avis, mais c’est aussi celui des magistrats, cette alternative à l’incarcération est un outil formidable et constitue un moyen citoyen et efficace pour réinsérer un individu dans la société.

    Concernant tous les publics que je viens d’évoquer, je note que les « besoins émergents » ne datent plus d’hier. Les années ont passé et aucune solution n’a pourtant encore été apportée à ces problèmes. L’expérimentation est nécessaire ; elle ne peut réussir sans confiance.

    Emmaüs a disparu de la filière papier-carton, dans laquelle il jouait un rôle important il y a près de soixante ans. Nous savons donc parfaitement que rien n’est acquis, ce qui ne nous gêne pas. Nous considérons en revanche que la loi relative à l’économie sociale et solidaire peut faire courir des risques aux associations et aux coopératives. Les secteurs qu’elles investissent sont en général peu rentables : ce fut le cas des meubles ou du textile. Mais lorsque les filières en question commencent à rapporter de l’argent, les entrants affluent et nous ne nous sentons pas toujours assez protégés. Les verrous existent nous avez-vous dit. Certes, mais à nos yeux, ils sont insuffisants. Prenez les écarts de salaires : dans les entreprises du secteur de l’économie sociale et solidaire, ils pourront aller de un à sept, alors qu’entre le plus bas et le plus haut salaire versé par Emmaüs, il n’y a qu’un facteur 2,86 – et, chez nous, il n’est pas question que cela change !

    L’économie circulaire est pour nous fondamentale. Au travers du marché de seconde main et du recyclage, nous nous positionnons donc aussi sur une problématique environnementale essentielle.

    Mme Hélène Beck. L’association avec les plus pauvres pour construire une société plus juste et fraternelle constitue le sens de la mission du Secours catholique.

    Il nous semble nécessaire aujourd’hui de promouvoir dans la société civile la vie associative et l’engagement au nom de l’intérêt général. La formation de tous devrait permettre de comprendre ces enjeux. Pour notre part, nous voulons redonner une dignité à ceux que nous accueillons et les intégrer dans notre projet.

    Nous avons proposé des mesures de simplification au sein du Haut Conseil à la vie associative. Le Secours catholique ressent en la matière un réel besoin d’autant que la complexité administrative constitue une charge pour les équipes sur le terrain qui peut même les inciter à se désengager. En effet, les bénévoles qui viennent à nous pour offrir un lien social s’engagent rarement dans le but de remplir des bordereaux !

    En matière de besoins émergents, nous souhaitons co-construire des réponses avec les pouvoirs publics. Nos associations peuvent à coup sûr faire des propositions différentes de celles qu’avancera le secteur entrepreneurial. Laissez-nous la possibilité d’élaborer des projets avec les personnes que nous accueillons et que nous connaissons ! Nous saurons apporter des solutions parfaitement adaptées au terrain qui n’auront rien de théoriques.

    Le Secours catholique est souvent présent au sein des centres communaux d’action sociale (CCAS). De façon générale, nous y travaillons correctement en coordination avec d’autres associations.

    Parmi les innovations sociales que nous avons expérimentées, il faut signaler que l’association des cités du Secours catholique a désormais une expérience en matière de centre éducatif fermé. Il est essentiel que les jeunes concernés puissent connaître autre chose que la violence, et qu’ils quittent le circuit judiciaire dans lequel ils sont précocement entrés. Laissez-nous la possibilité de mener de telles actions et de mettre en œuvre les valeurs que nous défendons !

    Les 65 000 bénévoles du Secours catholique s’occupent directement des personnes que nous accueillons. Leur présence permet de gommer les différences entre accueillants et accueillis. Elle permet de vivre ensemble le projet associatif et de créer des groupes de partage, des activités conviviales, des relations différentes comme dans nos épiceries sociales et nos boutiques solidaires. Nous souhaitons aussi accueillir des jeunes volontaires qui ont une réelle facilité pour créer des liens d’amitiés et pour aider à la construction de projets. Avec eux, tous ensemble, nous voulons montrer le chemin d’une société plus fraternelle et solidaire.

    Mme Henriette Steinberg. Nous n’avons aucun problème avec l’institution CCAS en tant que telle. Au quotidien, nous avons en revanche la surprise de recevoir fréquemment, dans nos permanences d’accueil, de solidarité et de relais santé, des personnes auxquelles une assistante sociale a délivré un ticket donnant « droit à » telle ou telle prestation alors qu’elle-même, apprenons-nous lorsque nous lui téléphonons, n’a pas pu agir faute de moyens. De même, il y a un problème lorsqu’un conseil d’administration de CCAS s’interroge non sur la façon dont il peut aider ceux qui en ont besoin, mais plutôt sur la meilleure façon de priver une famille d’une prestation au nom de prétendus abus ! Pour notre part, nous refusons de jouer ce jeu-là.

    Certaines épiceries sociales sont parfois des courroies de transmission des municipalités. Lorsque ces épiceries rencontrent des difficultés, il est souvent fait appel au Secours populaire. Nous estimons qu’il s’agit d’un mélange des genres.

    Les associations pourraient-elles se réunir pour délivrer une parole unique ? Nous estimons, pour notre part, qu’il est utile et efficace d’agir ensemble sur des sujets qui nous réunissent. Nous avons ainsi réussi à infléchir les positions de l’Union européenne concernant l’aide alimentaire – il s’agit d’ailleurs d’un succès remarquable qui devrait être bien mieux valorisé. En revanche, il n’aurait guère de sens que les associations se fondent en un organisme unique. Demande-t-on aux partis politiques ou aux députés de se fondre en un objet unique mal identifié ? Si nous sommes respectés en tant qu’associations, c’est parce que nous veillons à préserver notre indépendance. Et, si nous avons montré que nous savions converger dans une démarche commune et obtenir des résultats ensemble, nous ne pouvons être responsables que pour les seuls engagements que nous prenons, et nous ne pouvons pas nous engager pour les autres.

    Une question parfois soulevée d’une façon que je qualifierai de subliminale a trait aux personnes en difficulté qui, aux dires de certains, émargeraient auprès de plusieurs associations. Je rappelle que le nombre total de repas délivrés annuellement par l’ensemble de nos associations ne correspond même pas à un repas quotidien pour chacune des personnes en grande difficulté, qui auraient pourtant droit à deux et même à trois repas par jour. Nous en sommes loin, et nous n’avons jamais entendu parler de quelqu’un qui serait mort d’indigestion pour avoir fréquenté à la fois les Restos du cœur et le Secours populaire ! L’idée qu’il nous faudrait nous réunir pour vérifier que personne ne vient manger deux fois est à la fois contraire à la réalité que nous constatons sur le terrain, et à l’opposé de nos pratiques qui consistent à accueillir ces personnes, à parler avec elles, et à créer un lien. Ceux qui imaginent que les abus constituent un véritable problème se trompent.

    M. Jean-Pierre Caillibot. Les CCAS permettent de révéler des publics parfois invisibles que nous ne connaissons pas. Ces acteurs sont donc importants et constituent le terroir de la mobilisation citoyenne.

    Nos associations qui gèrent des lieux de vie et d’accueil sont soumises à des réglementations de plus en plus complexes en matière de sécurité et d’hygiène. Bientôt, nous ne serons même plus en mesure d’y faire cuire deux œufs sur le plat en y ajoutant un peu de gruyère ! Peu à peu se créent des structures aseptisées qui creusent des fossés infranchissables pour les personnes en difficultés qui veulent cheminer avec nous. Il faut absolument réintroduire de l’humain.

    Les seniors jouent un rôle majeur dans l’engagement citoyen. Parce que l’on ne peut pas vraiment plaquer le modèle de l’entreprise sur le monde associatif, il serait toutefois utile d’instituer un espace d’acculturation pour les jeunes retraités. Le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement en cours d’examen devrait permettre de créer un service public senior qui pourrait constituer une solution cohérente.

    M. Olivier Berthe. Je reprends à mon compte tout ce qui a été dit par Mme Steinberg concernant les collaborations locales. J’ajoute que l’on commence à voir certaines collectivités exiger que nous leur fournissions la liste des personnes que nous accueillons, et d’autres menacer de nous retirer des subventions si nous n’entrons pas dans le cadre qu’elles ont choisi. Cela va très loin ! Il faut veiller à ce que les élus locaux n’outrepassent pas leurs pouvoirs. La liste des personnes que nous accueillons n’a pas à leur être communiquée, même si elle peut faire l’objet d’échanges avec les travailleurs sociaux assermentés.

    Madame Le Callennec, j’ai juré de dire la vérité : c’est Bercy qui bloque les dons agricoles. Et il ne s’agit pas des ministres. J’ai rencontré deux ministres des finances sur le sujet, M. Moscovici, puis M. Sapin : ils sont enthousiastes sur le sujet. Le ministre de l’agriculture, M. Le Foll, est sur la même longueur d’onde, et M. Ayrault, à l’époque Premier ministre, s’était prononcé il y a un an en faveur de cette idée. Le blocage ne vient donc pas du pouvoir politique mais d’une administration centrale qui considère que l’opération serait coûteuse. Certes, l’incitation fiscale que nous demandons – il en existe une pour les dons d’argent – pourrait coûter quelques millions, mais l’effet de levier serait considérable. Vous connaissez désormais l’un des freins qu’il faut desserrer pour que ce dossier avance plus rapidement.

    Je vous soumets une idée concernant le bénévolat. Cet été, les médias ont largement évoqué la possibilité pour un salarié de donner du temps à un collègue – temps de congés et de RTT. Cela concernait l’aide aux personnes handicapées ou aux enfants malades, mais un tel outil pourrait aussi permettre d’éviter que le bénévolat n’attire que les retraités. Si nous ne facilitons pas l’accès des actifs au bénévolat, nous portons atteinte à la diversité du monde associatif, c'est-à-dire à sa capacité d’écoute et d’ouverture.

    Parce que les fruits et les légumes produits dans la cinquantaine de jardins des Restos du cœur ne sont pas vendus mais donnés aux centres de distribution, des financeurs nous ont refusé leur aide au motif que, sans recettes, nous n’entrions pas dans leurs modèles. Pour trouver des financements faut-il que nous vendions ce qui est produit dans nos propres jardins, et que nous achetions à d’autres ce dont nous avons besoin dans nos centres de distributions ? Il est absurde de vouloir faire entrer tout le monde dans le même moule.

    Il est vrai que l’appel à la générosité publique génère des frais. La Cour des comptes est particulièrement vigilante et exigeante en la matière. Concernant les Restos du cœur, ces frais s’élèvent à 4 % des dons pour l’appel, la gestion, l’enregistrement du chèque et l’envoi du reçu fiscal. Ce chiffre très modéré montre l’efficacité du modèle associatif et doit susciter la confiance.

    Monsieur le président, nous sommes tous allés à l’essentiel et, si vous le voulez bien, comme vous nous l’avez suggéré, nos sept associations compléteront leurs réponses par écrit.

    M. le président Alain Bocquet. Bien volontiers ! Je vous suggère en particulier de nous présenter tous vos arguments concernant la marchandisation progressive de certaines activités. Pour ma part, je partage vos analyses alors que je suis confronté localement à un cas concernant la gestion des aires destinées aux gens du voyage, activité qui peut devenir d’autant plus rentable que c’est la puissance publique qui paie.

    N’hésitez pas à réfléchir et à inventer de nouvelles solutions ! La co-construction exigera éventuellement de modifier la loi ou les textes existants. La commission d’enquête pourra présenter des propositions en ce sens.

    Peut-être pourriez-vous aussi décrire plus précisément, en donnant des exemples circonstanciés, les tracasseries administratives auxquelles vous êtes confrontés ?

    Enfin, il me semblerait judicieux que vous apportiez quelques précisions concernant le statut du bénévole et du bénévolat dans le secteur spécifique qui est le vôtre car les associations sportives ou culturelles n’auront pas nécessairement la même approche.

    Mesdames, messieurs, nous vous remercions vivement. Nous sommes particulièrement heureux de vous avoir reçus.

    La table ronde se termine à midi cinq.

    ——fpfp——

Membres présents ou excusés

    Commission d’enquête chargée d’étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d’avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social.

    Réunion du 4 septembre 2014 à 9 h 30

    Présents. –M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Bocquet, M. Jean-Louis Bricout, M. Guillaume Chevrollier, Mme Françoise Dumas, M. Régis Juanico, Mme Bernadette Laclais, Mme Isabelle Le Callennec, M. Jean-René Marsac, M. Frédéric Reiss, M. André Schneider.

    Excusés. – M. Martial Saddier, Mme Sophie Dion, M. Philippe Vitel.