Accueil > Commission d'enquête chargée d'étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit

Commission d’enquête chargée d’étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d’avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social

MARDI 9 septembre 2014

Séance de 17 heures 

Compte rendu n° 12

Présidence de
M. Alain BOCQUET, Président

Table ronde sectorielle « Associations du secteur sanitaire, social et médico-social » :

– M. Dominique Balmary, président de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS) ;

– M. Florent Gueguen, directeur de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS), et M. Samuel Le Floch, chargé de mission ;

– M. Yves-Jean Dupuis, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne (FEHAP), et Mme Adeline Leberche, directrice du secteur médico-social de la FEHAP ;

– M. Didier Arnal, directeur général adjoint de la Fédération nationale des associations gestionnaires au service des personnes handicapées (FEGAPEI) ;

– M. Yves Verollet, délégué général de l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles (UNA), et M. Nicolas Pailloux, conseiller « Politiques publiques » ;

– Mme Françoise Kbayaa, présidente adjointe de l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (UNAPEI), et M. Thierry Nouvel, directeur général de l’UNAPEI.

    L’audition débute à dix-sept heures cinq.

    M. le président Alain Bocquet. Mesdames, messieurs, le secteur non lucratif de solidarité, autrement dit les associations sanitaires et sociales, est essentiel pour veiller aux intérêts des personnes vulnérables et fragiles. Il a vocation à mettre en œuvre, aux côtés de l’État et des pouvoirs publics territoriaux, des politiques sociales efficaces et bien adaptées aux besoins des populations.

    Nous souhaitons vous entendre sur la situation de votre secteur d’activité, sur les difficultés que vous rencontrez, sur votre expérience de la crise du monde associatif et sur les pistes de solutions que vous pourriez éventuellement nous suggérer.

    Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je dois préalablement vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

    (Mmes Françoise Kbayaa et Adeline Leberche et MM. Dominique Balmary, Florent Gueguen, Samuel Le Floch, Yves-Jean Dupuis, Didier Arnal, Yves Verollet, Nicolas Pailloux et Thierry Nouvel prêtent serment)

    M. Dominique Balmary, président de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS). Monsieur le président, je vous remercie de nous avoir invités à témoigner devant votre commission sur les difficultés du monde associatif. L’UNIOPSS, association plus que sexagénaire, regroupe environ 20 000 établissements et services qui interviennent dans le domaine du handicap, de la santé, des personnes âgées, de la famille, de l’enfance, de l’exclusion, etc. Nos adhérents emploient 750 000 salariés et un million de bénévoles.

    Nous connaissons tous les difficultés, notamment financières, que traverse depuis plusieurs années le monde associatif, mais, comme je n’oublie pas que j’ai été, dans une vie antérieure, délégué à l’emploi au ministère du travail, j’insisterai sur celles qui ont trait à l’emploi en soulignant d’abord un paradoxe qui me paraît résumer assez largement les problèmes de notre secteur.

    Le Gouvernement conduit, avec le Parlement, une politique de l’emploi : baisse du coût du travail, invitation aux partenaires sociaux à négocier sur différents sujets, notamment sur la mise en place du pacte de responsabilité et de solidarité…, mais, depuis de nombreuses années déjà, on oublie que le monde associatif, en particulier le monde associatif de la solidarité, est un formidable réservoir d’emplois – d’emplois permanents et, de surcroît, non délocalisables. Ces emplois correspondent à une demande sociale que nous avons de plus en plus de mal à satisfaire tant elle croît en raison de la situation que connaît notre pays, du vieillissement de la population, de l’accroissement du nombre de familles monoparentales, de la nécessité de rendre notre société plus accueillante aux personnes handicapées ou vieillissantes et de celle de réduire les inégalités dans l’accès aux soins. Le nœud du problème se situe dans la solvabilisation de cette demande.

    Or, plutôt que d’investir dans ce secteur où le moindre euro accordé au monde associatif contribue à la création d’emplois, les pouvoirs publics, qu’il s’agisse de l’État ou des collectivités, se désengagent financièrement, ce qui conduit à l’inverse à la destruction d’emplois. Certaines décisions pénalisent les associations. Nombre d’entre nous subissent depuis plusieurs années une réduction des subventions qui sont généralement accordées par l’État, mais aussi par les collectivités territoriales qui ont pris son relais mais qui ont vu elles aussi leurs ressources se restreindre. Les perspectives de réduction des dotations accordées aux collectivités territoriales ne font qu’amplifier nos inquiétudes. Tous les secteurs sont touchés : l’hébergement des personnes en difficulté et sans abri, les actions de prévention que conduisent notamment les municipalités, les services à domicile sur lesquels, je pense, M. Verollet reviendra. Alors que le monde associatif créait des emplois il y a encore quelques années, le nombre d’emplois est maintenant globalement stabilisé, voire en baisse sensible dans nos secteurs.

    De surcroît, on impose au monde associatif des charges nouvelles, ce qui est assez curieux. Par exemple, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) est réservé aux entreprises du secteur lucratif ou à certaines petites associations, ce qui fait que les associations moyennes ou grandes se trouvent confrontées à une concurrence inédite dans les domaines sanitaire ou médico-social, où le secteur lucratif s’est développé depuis longtemps déjà. Il y a là une rupture d’égalité qui me paraît tout à fait anormale.

    Avant l’été, nous avons également subi sans explication la suppression de l’exonération du versement transport, qui nous était acquise depuis trente ans environ. Certains d’entre nous sont ainsi confrontés à une dépense supplémentaire alors que nos budgets sont déjà extrêmement fragiles. Nous ne comprenons pas comment le Gouvernement peut alourdir de la sorte les charges des associations. Comble du paradoxe – et M. Verollet le dira sans doute encore mieux que moi : alors que nos politiques veulent que l’on réduise, pour des motifs économiques que l’on comprend, les durées de séjour dans les établissements hospitaliers et médico-sociaux, ils diminuent dans le même temps le montant des crédits accordés aux services d’aide à domicile. Il semble que personne n’ait voulu jusqu’à présent prendre conscience de cette contradiction. Cette politique entraîne une perte d’emplois dans le secteur associatif de la solidarité alors que, je le répète, la demande croît.

    Autre inconséquence : on ne prend jamais en compte les externalités négatives de cette politique ou absence de politique de l’emploi en direction du mode associatif ; or, s’il n’y a plus d’hébergements en volume et qualité suffisants, si les actions de prévention – en particulier celles qui sont destinées aux jeunes – se réduisent, les conséquences seront coûteuses pour l’État, ne serait-ce qu’en termes de sécurité. Mais on ne les chiffre pas. Il n’est pas certain que la cohésion sociale et la confiance du pays dans ses autorités s’en trouvent améliorées.

    Tout cela nous surprend d’autant plus que nous avons signé avec le Gouvernement, au mois de février dernier, une charte d’engagements réciproques qui indique clairement que la relation entre la puissance publique, tant nationale que territoriale, et le monde associatif est une relation de partenariat. Or nous avons le sentiment que nous en sommes encore très loin. Une charte de cette nature avait déjà été signée en 2001, sous le gouvernement de Lionel Jospin. Elle a été reprise, améliorée et modernisée au début de cette année, mais nous avons le sentiment que le partenariat n’est toujours pas à l’ordre du jour et que le Gouvernement et les pouvoirs publics n’ont pas une politique de l’emploi qui correspond aux besoins généraux du pays, et plus particulièrement à ses besoins sociaux.

    M. Florent Gueguen, directeur de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS). La FNARS regroupe 900 associations œuvrant dans le champ de la lutte contre l’exclusion. On distingue dans ces activités deux pôles dominants : d’une part, les actions d’hébergement, d’accompagnement des personnes sans abri, assurées essentiellement par les centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), par tous les dispositifs d’accueil des personnes en situation de grande exclusion, par les centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) et par l’ensemble des services d’accueil associatifs destinés à ces mêmes demandeurs d’asile ; d’autre part, l’insertion par l’activité économique, principalement à travers les chantiers d’insertion.

    Cette audition est pour moi l’occasion d’insister, à la suite de M. Balmary, sur les très fortes tensions budgétaires supportées par le secteur associatif, particulièrement par celui de la lutte contre l’exclusion. Ainsi, en ce qui concerne l’hébergement d’urgence, nous subissons depuis plusieurs années une sous-dotation systématique du budget opérationnel de programme (BOP) 177, budget de quelque 1,2 milliard d’euros. En effet, les crédits inscrits dans la loi de finances initiale sont toujours en deçà de l’exécution des crédits de l’année précédente alors même que, chaque année, le nombre de personnes qui appellent le 115 en vue d’obtenir un hébergement dans nos établissements augmente de 10 % environ. La loi de finances initiale pour 2014 ne fait pas exception à cette règle puisque les crédits d’hébergement inscrits sont inférieurs de 5 % aux crédits exécutés en 2013. Cette insincérité budgétaire oblige l’État à accorder des rallonges multiples en cours d’année, ce qui déstabilise totalement le secteur. Mes adhérents sont composés d’associations qui ne savent pas si leurs places d’hébergement pourront rester ouvertes au-delà de trois mois, s’ils pourront continuer de suivre les personnes qui sont remises à la rue à chaque printemps – puisque l’État continue de développer les plans hivernaux bien qu’on sache depuis longtemps que la dangerosité de la rue est aussi forte l’été que l’hiver. Il y a donc un contexte anxiogène très fort lié à un très mauvais pilotage des crédits d’hébergement. Il faudrait au minimum que la loi de finances initiale prenne en compte l’ensemble des dépenses constatées l’année n – 1.

    La tension budgétaire est liée également aux dysfonctionnements maintenant connus des fonds européens. La FNARS est concernée principalement par le Fonds social européen (FSE) et le Fonds européen pour les réfugiés (FER). Ces fonds, en particulier le FSE, sont devenus une terrible machine bureaucratique pour le secteur associatif. Des contrôles disproportionnés interviennent deux ou trois ans après que l’action a été réalisée, des crédits sont versés deux à trois ans, parfois plus, après que l’action a démarré. Résultat : seules les grandes associations, celles qui ont de la trésorerie, peuvent faire face à ces périodes de non-financement. Actuellement, un grand nombre d’adhérents ne sollicitent plus le FSE bien que les crédits nationaux soient en contraction et les besoins immenses. Le mécanisme de contrôle est ingérable et la mobilisation de ces fonds requerrait la création de postes administratifs dans nos associations. De surcroît, cette année sera « blanche » pour nous car nous sommes entre deux programmations FSE. Les plateformes d’accompagnement des demandeurs d’asile sont ainsi privées de crédits FSE alors que ces associations sont financées à 50 % par l’Union européenne. Bref, il faut revoir toute cette mécanique qui nous déstabilise.

    Autre tendance inquiétante : le développement de la commande publique par rapport à d’autres modes de financement, notamment la subvention. Nous constatons un accroissement de 10 % par an de la part des marchés publics dans le financement des associations, ce qui représente pour celles-ci une perte de leur capacité d’initiative et d’innovation dans la mesure où elles sont soumises, dans le cadre de la commande publique, à un cahier des charges souvent fermé, à l’élaboration duquel elles n’ont pas nécessairement été associées. La commande publique contribue ainsi à une réduction du fait associatif, et entraîne une mise en concurrence et une perte d’autonomie. Or cette capacité d’autonomie est évidemment très importante. Sur ce point, la FNARS défend le conventionnement en matière de subventions. Or, si la loi relative à l’économie sociale et solidaire comporte une avancée avec la définition qu’elle donne de la subvention, nous constatons que celle-ci devient un mode de financement minoritaire dans le secteur social.

    La fiscalité également est défavorable à l’emploi associatif. Comme vous le savez, le CICE ne bénéficie pas au secteur associatif alors que, comme l’a fort bien dit M. Balmary, les associations sont créatrices d’emplois d’utilité sociale reconnue et contribuent à la lutte contre le chômage et à la croissance dans notre pays. Certes, il y a bien eu un abattement de la taxe sur les salaires, mais cette mesure ne bénéficie qu’aux petites associations. Or ce sont les grandes qui embauchent le plus. Elles ne bénéficient pas non plus du CICE alors qu’elles sont souvent en concurrence avec le secteur privé sur un certain nombre de prestations. Ce crédit d’impôt a donc créé une situation de concurrence déloyale, qui n’a pas été totalement compensée par l’abattement que je viens de citer.

    M. Balmary a évoqué la suppression de l’exonération de la taxe transport, taxe qui se monte à 2 % des salaires. Pour le secteur de la lutte contre l’exclusion, cette mesure se soldera par le versement de 100 millions d’euros aux autorités organisatrices de transports, ce qui est totalement inacceptable. Les CHRS, donc les crédits d’hébergement de l’État, vont ainsi financer les rames du RER ! Bien évidemment, les associations vont continuer à demander soit leur exonération, soit la compensation par l’État de cette charge nouvelle – en ce qui nous concerne, nous n’avons d’ailleurs pas d’autre choix puisque le secteur de la lutte contre l’exclusion est financé à 100 % par l’État. Toute taxe nouvelle doit être compensée, sinon nous serons obligés de fermer des places d’hébergement, de supprimer des emplois, ce qui serait tout à fait scandaleux.

    Un mot pour finir sur la gouvernance du secteur associatif. La FNARS plaide, avec d’autres associations, pour une implication beaucoup plus forte dans cette gouvernance des personnes que nous accompagnons. Cette demande est confortée par le plan quinquennal de lutte contre la pauvreté, qui fixe notamment comme priorité la participation des usagers et des personnes accompagnées aux instances de décision. Nous avons engagé des actions visant à faire entrer des personnes accompagnées dans les conseils d’administration. C’est le cas à la FNARS et chez un grand nombre de nos adhérents, soucieux de reconnaître plus fortement l’expertise des personnes qui bénéficient de nos prestations.

    M. Yves-Jean Dupuis, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne (FEHAP). Je commencerai par rappeler le poids économique de nos associations : ce sont environ 38,5 milliards d’euros qui sont consacrés au secteur social, médico-social et sanitaire, soit un peu plus de 45 % des dépenses ou des recettes du secteur associatif. C’est dire la considération qu’il convient de lui accorder dans toute réflexion sur l’avenir du secteur associatif.

    Cela fait de nombreuses années que ce secteur contribue à l’amélioration de notre système de protection sociale. Si l’on remonte au XIXe siècle, on peut même dire qu’il est à l’origine de ce système. S’il s’est toujours adapté, cette adaptation est de plus en plus difficile depuis ces dix dernières années, et il s’agit maintenant de revoir les organisations, les modes de fonctionnement interne de nos associations.

    Notre secteur est en crise en raison de la crise économique actuelle, mais ce n’est pas le seul facteur à l’origine de ses difficultés. En effet, dans le cadre de la décentralisation, le transfert des subventions de l’État aux associations vers les collectivités locales n’est pas neutre. Jusqu’à présent, les associations ont fait face, mais nous vous transmettrons des documents qui montrent que ces transferts n’ont pas été complets.

    Le partenariat noué avec la puissance publique est actuellement surtout centré autour des départements, même si des accords ont été conclus avec l’État. Je fais miens les propos de M. Gueguen sur la transformation des subventions publiques en commande publique, évolution qui pose aujourd’hui de vrais problèmes d’adaptation de nos organisations. Jusqu’à présent, nous vivions dans un système ascendant, c’est-à-dire qu’il s’agissait d’abord de résoudre les problèmes constatés sur un territoire, problèmes que les associations faisaient ensuite remonter aux services de l’État et des collectivités locales. Or, avec la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST), le mouvement s’est inversé : il est devenu descendant, les pouvoirs publics exerçant une contrainte forte pour que soit mise en œuvre, au moyen de la commande publique, toute une série d’actions sans que soit nécessairement prises en compte les évolutions nécessaires de la protection sociale.

    D’autre part, se pose aujourd’hui à nous un problème de ressources humaines. Nous rencontrons des difficultés pour recruter les personnes dont nous avons besoin car notre secteur est de moins en moins attractif. Du fait de nos contraintes financières, en effet, les salaires que nous versons sont tels que les salariés rechignent à venir y travailler et ont parfois intérêt à se tourner plutôt vers le secteur public ou commercial. Les études que nous avons réalisées au niveau de la branche qui regroupe la plupart des acteurs du secteur social et médico-social montrent que plus de 41 % des établissements ont du mal à recruter des infirmières et des aides-soignantes. Du coup, il devient impossible de faire fonctionner les salles de soins – on les fait dysfonctionner plutôt que fonctionner. Lorsqu’il n’y a plus d’infirmières pour couvrir les besoins dans les structures de prise en charge des personnes âgées dépendantes, on met ces structures en difficulté. Le problème est le même s’agissant des masseurs-kinésithérapeutes qui devraient s’occuper des malades revenus à leur domicile : comme un masseur-kinésithérapeute n’est pas obligé de travailler dans une structure collective et qu’il peut visser sa plaque dès qu’il a son diplôme, rares sont ceux qui acceptent de travailler à des tarifs acceptables pour les malades, avec des restes à charge supportables. Les difficultés sont également grandes en ce qui concerne le corps médical, en raison des écarts entre le secteur non lucratif et les autres – j’y reviendrai tout à l’heure.

    À ces problèmes de recrutement vient s’ajouter le besoin de disposer de personnels de plus en plus qualifiés, car les prises en charge sont de plus en plus lourdes. Le maintien à domicile des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, par exemple, nécessite des personnels de plus en plus formés et professionnels. Or les moyens financiers qu’exigerait leur formation ne sont pas toujours présents.

    On assiste, dans le meilleur des cas, à des concentrations, à des regroupements d’associations en raison des difficultés de fonctionnement de certaines d’entre elles, souvent de petites associations. Le danger, c’est de voir les structures non lucratives en difficulté reprises par des structures commerciales. On le constate malheureusement de plus en plus. Comme l’a indiqué le directeur de la FNARS, le secteur commercial est aujourd’hui présent dans le secteur social et médico-social, et commence à l’être dans celui du handicap. Un regroupement multisectoriel nécessite d’autre part des accompagnants internes chargés de la professionnalisation. Or, là encore les moyens sont insuffisants, d’où des difficultés d’adaptation. Enfin, les lourdeurs dans nos organisations s’aggravent en raison de la multiplication des textes législatifs et réglementaires que nous n’avons pas la capacité de « digérer », d’où un risque juridique pour un grand nombre de nos établissements. Mais cette multiplication de textes permet à l’administration d’ouvrir le parapluie en cas de difficulté…

    La gouvernance de nos organisations est assurée par des bénévoles, qui y consacrent une grande partie de leur temps. Ce sont des « passeurs » : ils sont là pour assurer la pérennité d’une association, voire pour accroître son activité, puis ils passent le témoin pour que la structure puisse continuer à vivre. Dans le secteur associatif, certaines structures existent depuis plusieurs dizaines d’années, voire depuis quelques siècles, elles font partie de l’histoire de la France. Mais, en raison des difficultés financières et des responsabilités importantes qui pèsent sur nos organisations, nous avons de plus en plus de mal à attirer de jeunes administrateurs, de sorte que 70 % de ceux qui sont en place ont plus de soixante ans, 72 % d’entre eux s’étant engagés depuis plus de cinq ans et presque tous étant des retraités. La difficulté de renouveler cette gouvernance vieillissante est grave pour l’avenir : si nous n’en triomphons pas, nous risquons de voir bien des associations péricliter demain. Bien sûr, nous travaillons en interne pour essayer de mobiliser et d’attirer des jeunes, mais ce n’est pas facile.

    D’autre part, nous avons l’impression qu’il est difficile pour les autorités de l’État et pour leurs structures décentralisées de gérer un triptyque et qu’en France, on ne parvient à travailler que dans un cadre binaire : c’est soit le public, soit le privé commercial. Dès que l’on essaie de mettre en avant, dans le secteur sanitaire, médico-social et social, un troisième acteur pourtant historiquement le plus ancien, le secteur non lucratif, il semble que guettent aussitôt des difficultés de fonctionnement. Ainsi, dans le secteur sanitaire, la direction générale de l’offre de soins (DGOS) semble avoir bien du mal à gérer à la fois une structure publique et un secteur non lucratif, alors même que ce dernier est en totalité dans le secteur public hospitalier et que 99 % des médecins qui travaillent dans nos établissements sont en secteur 1 – ce qui n’est pas le cas à l’hôpital public et ce qui fait de nous les vrais garants du service public hospitalier. Le même constat vaut pour d’autres activités entrant dans le champ médico-social. Dans le même temps, le secteur commercial prend pied dans ces domaines où le secteur non lucratif est dominant. Sa stratégie consiste souvent à procéder par étapes, en prenant des parts de marché peu intéressantes financièrement dans un premier temps, mais qui le deviennent dans un parcours de soins global quand il s’est assuré une clientèle captive.

    Enfin, pour compléter le propos de MM. Balmary et Gueguen, il faut insister sur les écarts considérables qui marquent le traitement fiscal des différents secteurs. Il a été question du CICE, mais on pourrait également mentionner la taxe d’habitation et la taxe foncière : nos établissements non lucratifs doivent en effet acquitter ces impôts locaux alors que l’hôpital public en est exonéré. L’activité étant la même, nous revendiquons le même traitement.

    Jusqu’à présent, des aides étaient accordées dans les zones de revitalisation rurale. Or ces crédits ont disparu, ce qui a entraîné une diminution du nombre d’emplois dans ces secteurs en grande difficulté, notamment dans le Massif central et les Pyrénées.

    Au-delà de l’aspect financier qui est important, il convient que l’administration procède à un rééquilibrage entre les différents secteurs – public, privé non lucratif, voire commercial si commercial il doit y avoir. Il est important que le secteur non lucratif soit pris en compte correctement. Or ce n’est pas le cas : dans les statistiques nationales de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), il est tantôt rattaché au secteur public, tantôt au secteur commercial.

    M. Didier Arnal, directeur général adjoint de la Fédération nationale des associations gestionnaires au service des personnes handicapées (FEGAPEI). La FEGAPEI est une fédération d’employeurs gestionnaires et un acteur de santé présent aux niveaux régional, national et européen. Elle regroupe un peu plus de 400 associations qui emploient 120 000 salariés au service de 240 000 personnes.

    Nos organisations ont certainement besoin de voir leur statut précisé et en tout cas clarifié, pour sortir de situations parfois difficiles. En effet, nous avons les obligations d’un service public – et c’est ce que nous souhaitons – tout en ayant un statut d’employeur privé avec toutes les obligations que cela comporte. Nous n’avons pas une délégation de service public clairement établie et qui fixe la responsabilité ou les engagements des uns et des autres.

    Nos associations font depuis de nombreuses années beaucoup d’efforts de rationalisation, de mutualisation, d’organisation, bref d’efficience. La question se pose néanmoins de la pérennisation d’un certain nombre d’entre elles, y compris de grandes associations. Parfois le secteur privé est là pour prendre le relais et des solutions sont trouvées ou bricolées, mais la question demeure. Les raisons en ont été rappelées à l’instant. La première est bien sûr financière. À cet égard, je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit à propos des transferts entre l’État et les collectivités locales. Notre secteur a fait et continue de faire un travail considérable de professionnalisation pour offrir une prise en charge et un accompagnement de qualité. Il sera fortement concerné par les départs à la retraite nombreux qui interviendront dans les dix ans à venir, ce alors que nous nous heurtons aux difficultés de recrutement évoquées par M. Dupuis – difficultés paradoxales dans le contexte actuel de chômage. Il nous faut trouver la capacité d’être attractifs pour des personnels formés, de qualité, compétents.

    Les alternatives en matière de financement ne sont pas nombreuses. Le recours au mécénat, par exemple, ne fait pas partie de la culture française ni de celle de nos organisations. Quant aux financements européens, y recourir suppose de triompher d’un véritable maquis administratif et de contraintes nombreuses.

    Si l’on peut comprendre l’esprit qui a présidé aux transferts de subventions de l’État vers les collectivités, le résultat n’est guère satisfaisant. De plus, ces dernières années, le recours aux marchés publics est venu se substituer à la subvention pour une partie de notre secteur. Or ce n’est pas du tout le même mode de financement. Quand il y a subvention générale, il y a un contrat, une relation et la subvention est généralement reconduite, ce qui permet un développement dans la durée. Les marchés publics ont un caractère beaucoup plus aléatoire même s’ils portent sur plusieurs années et, dans ce domaine, la concurrence est de plus en plus rude – tous les arguments valent !

    Pour notre fédération, la question de la pérennisation de nos organisations, et donc de leurs fonds propres, est une préoccupation quotidienne. Les associations qui œuvrent dans le secteur sanitaire, social et médico-social sont de tailles très diverses et la nature de leur activité est également variée, d’où des besoins différents de l’une à l’autre, mais elles ont en commun d’être tenues d’offrir des services de qualité, ce qui suppose des financements. Nous regardons avec beaucoup d’intérêt les dispositions adoptées dans le cadre de la loi relative à l’économie sociale et solidaire, notamment la création de fonds dédiés auprès de la Banque publique d’investissement (BPI). Il ne faudrait pas que, comme avec le CICE, notre capacité à solliciter ces fonds soit limitée ou que nous soyons déclarés non éligibles. Sur ce point aussi, nous serons très vigilants.

    À considérer la liste des lois adoptées depuis 2002, le carcan administratif s’est fortement resserré autour de notre secteur. Cette réglementation était sans doute nécessaire mais, aujourd’hui, il convient d’observer une pause.

    Jusqu’à présent, nos partenaires étaient, d’un côté, l’État et les agences régionales de santé (ARS) et, de l’autre, les conseils généraux. En ce qui concerne l’État, j’ai compris que les choses restaient en l’état et c’est très bien. Mais quid des départements ? Nous aimerions savoir rapidement qui seront, demain, nos interlocuteurs et quelle sera l’organisation.

    Beaucoup a été fait ces dernières années pour répondre aux besoins de places nouvelles mais, depuis 2008 ou 2009, il n’y a que peu d’appels à projets pour la création de nouvelles structures. Les besoins sont pourtant là et il s’agit pour nous d’un sujet de préoccupation relativement important.

    Tout notre secteur a maintenant vingt ou trente ans, voire davantage, d’où un patrimoine qui commence à devenir vétuste et qu’il conviendrait par conséquent de mettre aux normes, et pas seulement aux normes administratives. Nous pourrions pour partie bénéficier des financements qui pourraient être dégagés dans le cadre de la transition énergétique, afin d’isoler les bâtiments par exemple. La piste mérite en tout cas d’être creusée pour que nous bénéficiions de ces dispositifs à l’égal d’autres.

    M. Yves Verollet, délégué général de l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles (UNA). L’UNA fait partie de la branche de l’aide et des soins à domicile ; sur les 220 000 salariés qui relèvent de celle-ci, ses 900 associations en emploient un peu plus de 80 000. Selon les prévisionnistes, le secteur était appelé à devenir un gisement d’emplois mais, même si nous ne désespérons pas qu’il en soit ainsi, nous constatons plutôt une stagnation de ce point de vue depuis deux ou trois ans. Toutefois, la situation de nos concurrents du secteur lucratif privé n’est guère meilleure, ce qui montre que le problème n’est pas circonscrit aux associations. Il est plus global.

    L’idée selon laquelle le secteur associatif en général et le secteur de l’aide à domicile en particulier auraient des difficultés parce qu’ils seraient mal gérés doit de toute façon être balayée. L’ensemble de la branche, et pas seulement l’UNA, a fait d’énormes efforts depuis une dizaine d’années dans le cadre de plans de modernisation, soutenus par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) qui a dégagé à cette fin une enveloppe dont le montant a été distribué par l’intermédiaire des conseils généraux ou des fédérations d’aide à domicile. Et comme nous consacrons plus de 2 % de la masse salariale à la formation professionnelle, nos salariés sont de plus en plus qualifiés…

    Nos difficultés sont bien connues. Elles tiennent en premier lieu au fait que nous avons dans notre secteur de l’aide et des soins à domicile plusieurs interlocuteurs – la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS), etc. – et sommes soumis à plusieurs modes de réglementation, mais que nous ne disposons pas de véritable gouvernance nationale. On pourrait penser que la CNSA joue ce rôle, mais tel n’est pas le cas. Elle n’intervient financièrement que de façon marginale : le coût des plans de modernisation que j’évoquais à l’instant est estimé à une centaine de millions et ce n’est pas sur le fondement de ce montant qu’on peut piloter un secteur. D’autre part, si elle redistribue aux conseils généraux la part nationale des crédits d’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et de prestation de compensation du handicap (PCH), elle n’intervient pas autrement dans la gestion de ces deux prestations.

    Nous souffrons aussi de l’éclatement de l’action sociale entre les différents conseils généraux, qui pratiquent des tarifications différentes. Notre secteur est également caractérisé par l’existence de régimes réglementaires très divers, un régime d’autorisation et un régime d’agrément, qui contribuent encore à la différenciation des tarifications. S’agissant de l’autorisation, par exemple, il n’y a pas véritablement d’échelle nationale des coûts et l’on relève, dans des départements tout à fait comparables et pour les mêmes activités, des tarifications allant de 18 à 23 euros de l’heure.

    S’ajoutent à cela les difficultés croissantes rencontrées par les conseils généraux pour financer leur part de l’APA et de la PCH – qui est en moyenne de 70 %. Or, depuis des années, ces prestations sociales contribuent majoritairement au financement de notre secteur et ces difficultés ont bien sûr des répercussions à la fois sur les personnes en perte d’autonomie et sur nos services.

    Nous espérions beaucoup des mesures en faveur de l’emploi annoncées par le Gouvernement. Las, le CICE ne nous concerne pas ! J’y reviendrai.

    Toutes ces difficultés nous conduisent à avancer un certain nombre de propositions.

    Tout d’abord, nous préconisons d’aller vers un régime unique d’autorisation, auquel seront soumis le privé comme l’associatif, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs – cette proposition se retrouve dans les récents rapports de deux sénateurs et de la Cour des comptes. D’autre part, avec l’Assemblée des départements de France, les fédérations d’aide à domicile ont, depuis 2010, entamé un travail en vue de refonder les relations entre leurs services et les conseils généraux et ont fait des propositions pour réformer la tarification. Nous souhaitons que, dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, le législateur s’empare de ces deux sujets afin de lancer le débat et d’aboutir à un système plus satisfaisant que le système actuel.

    Nous connaissons l’état des finances publiques, mais nous serons attentifs à la bonne affectation de la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie (CASA), créée pour la prise en charge de la dépendance et pour l’instant affectée au fonds de solidarité vieillesse. L’année dernière, de nombreuses interventions ont été nécessaires pour qu’une partie en soit consacrée à un troisième fonds d’urgence. Il conviendrait que la CASA soit dès le début de l’année 2015 mise au service d’un secteur qui souffre durement.

    S’agissant toujours du financement, je reprendrai la proposition de la Cour des comptes d’un débat sur l’ensemble des aides fiscales accordées au titre des services à la personne. Ne faudrait-il pas réduire ces incitations ou les plafonner plus strictement lorsqu’elles concernent des services de confort en contrepartie d’un effort plus accentué en faveur des services aux publics fragiles, tels que la petite enfance et les personnes en perte d’autonomie ? La Cour, dans son dernier rapport, avait présenté trois propositions visant à faire une économie de 1,3 milliard d’euros. Il nous semblerait intéressant de reprendre cette idée.

    Enfin, une proposition de l’UNA, mais largement partagée, consisterait à créer un fonds d’investissement et de garantie qui permettrait de mieux organiser notre secteur.

    Pour remédier à l’absence de gouvernance nationale, nous souhaitons que la CNSA soit dotée de prérogatives claires pour piloter ce secteur. Nous nous interrogeons également sur la gouvernance locale et sur son évolution. Dans le premier projet de loi Delaunay figurait l’idée d’une gouvernance territoriale, qui a disparu de la version actuelle. Nous aimerions que les parlementaires nous disent comment le secteur sera organisé au niveau local, ce qu’il adviendra des conseils généraux et si nos services seront rattachés, au cas où ceux-ci disparaîtraient, aux intercommunalités, à une fédération d’intercommunalités ou aux agences régionales de santé (ARS). Sur ces sujets, nous avons tout entendu ! Pouvez-vous nous assurer que la réforme ne créera pas plus de difficultés qu’il n’y en a actuellement ?

    S’agissant du CICE, nous avons fait, dans le cadre de l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (UDES), une proposition que nous avons présentée aux services de la Présidence, du Premier ministre et des ministères concernés, lesquels l’on jugée intéressante, semble-t-il : celle d’une réforme du barème de la taxe sur les salaires. Nous allons vous la soumettre à nouveau dans le cadre du futur projet de loi de finances, l’idée étant que, parallèlement au CICE, il convient d’aider le monde associatif à tenir lui aussi son rôle dans la création d’emplois.

    M. Thierry Nouvel, directeur général de l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (UNAPEI). Je commencerai par rappeler que ce sont les associations telles que celles que fédère l’UNAPEI qui apportent 90 % des réponses dont ont besoin les personnes handicapées, et cela autrement qu’en gérant des dispositifs. Elles ont donc un rôle sociétal essentiel.

    Elles contribuent à l’élaboration des politiques publiques en faveur des personnes handicapées. Leurs administrateurs et bénévoles participent activement à l’ensemble des instances locales – aux commissions d’accessibilité par exemple –, départementales – dans le cadre des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) –, régionales – conférences de territoires, conférences régionales de la santé et de l’autonomie – et, bien sûr, nationales. Cet investissement est très lourd à supporter et les difficultés de recrutement soulignées par Yves-Jean Dupuis constitue naturellement pour nous un problème majeur. Il reste que, sans la participation et l’implication des bénévoles, il n’y aurait pas de politique du handicap dans notre pays, car tout dans ce secteur repose sur le fait associatif.

    Je ne veux pas remettre en cause la nécessité d’impliquer dans cette politique les personnes handicapées et leurs représentants, qui sont des bénévoles associatifs. Pour ce qui nous concerne, ce sont très majoritairement des parents. Mais c’est, je le répète, un investissement important, qui représente souvent, pour le président d’une association de dimension départementale, plus qu’un temps plein. Il est difficile de trouver des gens qui se consacrent à ce point à une association et nous nous heurtons nous aussi au problème du renouvellement de nos adhérents : jouent contre nous l’allongement des carrières, dû au recul de l’âge du départ à la retraite, ainsi qu’à d’autres facteurs, sociétaux par exemple, mais aussi à l’alourdissement des responsabilités qui incombent aux dirigeants. Le président d’une association qui gère plusieurs établissements est le responsable et l’employeur de 1 000 ou 2 000 salariés, parfois davantage, ce qui suppose des compétences et une solide formation. Il est donc nécessaire d’engager une réflexion sur le sujet.

    Le congé de représentation facilite la participation aux différentes instances, mais ce dispositif ne s’adresse qu’à un public très restreint, essentiellement des fonctionnaires, qui peuvent ainsi bénéficier de neuf jours par an. Il n’existe rien de tel dans le secteur privé. De plus, les instances en cause se limitent aux instances officielles ; en sont exclus les nombreux groupes de travail qui émanent de celles-ci. Le temps que consacrent les dirigeants à leurs missions n’est en tout état de cause pas pris en compte. En prenant exemple sur ce qui se pratique dans le domaine syndical, nous souhaiterions donc qu’une réflexion s’engage sur le financement du temps associatif consacré par ces dirigeants à leurs missions de quasi-service public.

    Ces dernières années, la relation entre pouvoirs publics et associations a totalement changé. Nous assistons à une institutionnalisation de l’association, qui devient le prolongement, l’outil, l’instrument des pouvoirs publics locaux, départementaux, régionaux – plus rarement – et nationaux.

    Auparavant, les associations avaient un projet et se mettaient en quête d’un financement. Aujourd’hui, c’est l’inverse : c’est l’administration qui a le projet et qui demande à des associations, en les mettant en concurrence, de le mener à bien. La dynamique est totalement inversée et la concurrence importante. Ce renversement de situation fait que, lorsqu’on s’engage aujourd’hui dans une association, on devient un simple prestataire de la puissance publique. Nous sommes d’accord sur la nécessité de rationaliser, d’appliquer des normes, mais nos associations le font régulièrement et procèdent à des regroupements, consentent à des mutations.

    Compte tenu de ce partenariat d’un nouveau modèle, nous nous demandons comment nous pourrons attirer des bénévoles, sauf à n’accueillir que des « notables » uniquement soucieux de décrocher le titre de président d’association. Le phénomène existe, certes, il y a même des associations de notables – vous en connaissez tous –, mais notre engagement est d’une tout autre sorte. Il est avant tout social. En effet, tout ne repose pas sur le financement public : comptent beaucoup l’accueil, l’écoute des familles confrontées à des difficultés, ce que n’assure pas la puissance publique. J’invite votre commission à réfléchir à cette inversion de la relation entre puissance publique et associations : le risque est qu’à terme elle tue l’envie d’un engagement bénévole.

    Pour ce qui est du financement, dans le secteur du handicap, les crédits proviennent pour 50 % de l’État et de l’assurance maladie, pour 40 % des conseils généraux et pour les 10 % restants de fonds propres associatifs ou de la participation des personnes concernées.

    Chacun le sait, nos finances publiques s’érodent. Ainsi, sur les cinq dernières années, la part du budget des établissements et services d’aide par le travail (ESAT) financée par l’État a diminué de 80 millions en euros constants. Ce sont 5 % des crédits qui ont ainsi fondu, ce qui a des conséquences sur l’action des ESAT ou sur leur développement. Les exemples du même ordre sont nombreux.

    Les difficultés de financement peuvent conduire les associations à des procédures de redressement judiciaire, ce qui ne se produisait pas auparavant, sans doute parce que nous étions protégés. Certaines même sont en liquidation judiciaire, notamment dans le secteur de l’aide à domicile, mais le secteur du handicap connaît lui aussi des difficultés financières.

    Les clignotants passent donc à l’orange, voire au rouge, et nos difficultés sont d’autant plus grandes que, de plus en plus, dans le cadre des appels à projets, la puissance publique nous demande d’importantes mises de fonds initiales. La part de l’association dans le projet de financement va croissant. Or la mobilisation de fonds propres est de plus en plus délicate, d’où, de plus en plus fréquemment, les appels à la générosité du public ou l’engagement dans des activités autres : le financement de la politique publique en faveur du handicap apparaît condamné à se diversifier.

    Le secteur marchand commence à s’introduire dans le domaine du handicap. Nous savions que le phénomène existait, parce que 100 millions d’euros partent tous les ans en Belgique pour financer des établissements dans ce pays. Or, aujourd’hui, les opérateurs belges viennent en France et les conseils généraux financent des établissements qui ont un objectif commercial. Nous n’avons rien contre les Belges, d’autant que ces 100 millions d’euros financent des emplois au bénéfice de Français handicapés obligés de chercher ailleurs ce que notre pays ne leur offre pas, mais cela conduit à s’interroger sur notre politique du handicap. Nous préférerions que l’on finance des emplois en France plutôt qu’en Belgique.

    Puisqu’on a évoqué les charges nouvelles qui pèsent sur les associations, je dirai que la suppression par le Parlement de l’exonération de versement transport dont bénéficiaient la plupart des associations est un véritable scandale. Durant l’été, j’ai mené une enquête auprès des 550 associations que fédère l’UNAPEI. Sur 113 qui m’ont répondu, 62 m’ont déclaré qu’elles étaient jusqu’à présent exonérées de cette taxe. Pour notre seul secteur, ce sont 8 millions d’euros qu’il va falloir débourser. Toutes les associations du secteur sont concernées, à des degrés divers. L’impact est colossal. Ce qui est hallucinant, c’est que vous puissiez affirmer que vous compenserez cela dans le budget des établissements en augmentant leurs dotations. De qui se moque-t-on ? Chacun sait que les budgets des établissements ne bénéficient d’aucune augmentation. Cette année, dans la loi de finances comme dans la loi de financement de la sécurité sociale, les taux directeurs dans le secteur du handicap et dans le secteur médico-social seront au mieux nuls, sinon négatifs, compte tenu des contraintes budgétaires. Les associations vont devoir faire face. J’ai fait le calcul : 8 millions d’euros répartis entre soixante associations, cela représente plus de 200 emplois en masse budgétaire !

    De surcroît, nous avons découvert que la mesure allait être étendue, à l’échelon régional, même là où il n’y a pas de transports urbains ! Ainsi des établissements qui n’étaient pas assujettis à ce versement en l’absence de transports vont désormais subir une ponction de 0,55 % sur leur masse salariale… Lorsque le Parlement vote des lois, il faut qu’il en mesure l’impact sur le secteur associatif – je pense par exemple au CICE, dont nous ne pouvons pas bénéficier. Nous sommes des entreprises comme les autres, mais nous sommes peut-être moins entendus que d’autres…

    J’en viens au mode de tarification des établissements et des services et à la relation que nous avons avec l’administration, avec les ARS et avec les conseils généraux.

    Dans notre secteur, nous avons deux types de procédures : l’une classique, complètement obsolète, et ce qui s’appelle le contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM), dispositif souple et intelligent qui permet de se projeter, de se fixer des objectifs, de parvenir à des mutualisations. Si ce n’est que, progressivement, on change la donne.

    Alors que le gestionnaire était auparavant responsable de sa gestion, des excédents comme des déficits, on nous a annoncé, il y a un an, qu’en cas d’excédents, ceux-ci nous seraient repris. À la limite, il s’agit d’argent public, mais on est loin de la « prime au bon gestionnaire » ! La conclusion est que mieux vaut faire des déficits ou, à tout le moins, ne pas faire d’excédents. Pourquoi élaborer des modes de tarification qui imposent des carcans, qui ne laissent aucune liberté au gestionnaire ? L’objectif d’une association n’est pas de réaliser des bénéfices ou de garder sous le coude les excédents ! Ceux-ci vont servir à compléter, à améliorer les réponses qu’elle apporte. Nous ne sommes pas là pour constituer des réserves ou pour distribuer des dividendes.

    Les ESAT sont, pour partie, sous CPOM, ce qui permet de déroger au mécanisme des tarifs plafonds. Mais voici qu’aux termes d’une nouvelle circulaire, tout en restant sous CPOM, ils seront désormais soumis aux tarifs plafonds. La contradiction est totale entre les règles édictées par l’administration et le peu de liberté dont nous pouvons disposer en matière de gestion.

    Bref, il faut totalement revoir la nature de la relation entre la puissance publique et les associations gestionnaires dans le secteur du handicap.

    Mme Françoise Dumas, rapporteure. Vous représentez un secteur qui ne peut pas être assimilé à celui des toutes petites associations traditionnelles : vous entrez dans une logique de plus en plus concurrentielle, que l’on peut éventuellement dénoncer, mais aussi dans une logique de prestations. Vos interventions sont soumises à l’évolution des besoins des populations, ce qui appelle des prises en charge et des moyens diversifiés, à quoi s’ajoutent des histoires associatives extrêmement diverses.

    Dans une précédente vie, j’ai, en tant qu’élue locale, longtemps contrôlé les établissements médico-sociaux et je mesure combien il est compliqué de passer d’une logique associative visant à répondre à un besoin social sur un territoire donné à une logique de grandes associations.

    Nous serons peut-être amenés, pour la rédaction de notre rapport, à vous solliciter à nouveau pour élaborer des propositions précises tenant compte de l’évolution législative. Nous avons voté la loi relative à l’économie sociale et solidaire et nous sommes aujourd’hui en plein débat sur l’adaptation de la société au vieillissement. Puis viendra le projet de loi de finances. Si l’on ajoute à cela la réforme territoriale, il est très difficile pour nous, législateur, de vous dire aujourd’hui de quelle façon seront distribués tous les champs d’intervention du médico-social. Il s’agit d’une mutation qui est certainement très difficile à vivre pour vous, tant les incertitudes sont nombreuses. Notre rôle est de vous écouter et de prendre en compte vos besoins tout en nous adaptant à la réalité de la situation et à la raréfaction de l’argent public.

    Vous avez parlé de la formation, de la qualification des administrateurs et de leur vieillissement. Pour autant, ce sont des gens qualifiés parce qu’en règle générale, l’investissement associatif est lié à l’investissement que l’on a eu dans sa vie professionnelle. Il faut, compte tenu de l’allongement de la vie, valoriser cette richesse, car c’en est une que la possibilité de mettre son expérience professionnelle au service d’associations comme les vôtres. Cela étant, pour rajeunir, pour diversifier, pour parer au risque de disparition des associations ou à leur fusion, comment voyez-vous l’évolution du bénévolat ? Accepteriez-vous l’idée d’une mise à disposition par les entreprises de personnes qualifiées, dans le cadre d’une forme de mécénat, ou cela vous paraît-il inadapté à votre champ d’intervention ?

    D’autre part, n’est-il pas possible de continuer à avancer dans toutes les formes de mutualisation ? La disparition des petites associations peut être vécue difficilement, mais n’est-il pas nécessaire de faire évoluer les prises en charge et les spécialisations ne sont-elles pas indispensables ? Certes, les petites entreprises s’en trouvent fragilisées, mais quelles sont les autres possibilités pour préserver à la fois la liberté associative et la qualité des prestations ?

    Vous avez parlé de regroupements multisectoriels : comment comptez-vous procéder ?

    Enfin, comment voyez-vous l’évolution des différentes conventions collectives de votre secteur, notamment les deux principales ? Là encore, les différences sont considérables avec l’ensemble des autres secteurs professionnels. Ces conventions ont-elles contribué à vos difficultés budgétaires ou fait entrave à des mutations nécessaires ?

    M. Jean-Noël Carpentier. Le message que j’ai entendu en tant que député, c’est celui d’un secteur confronté à de grandes difficultés et, de ce point de vue, la dernière intervention était poignante. Il nous revient de réfléchir à la façon de répondre à vos attentes, celles, non d’associations culturelles, sportives ou ludiques, mais d’un secteur qui touche au cœur de la société, qui s’adresse aux corps comme aux esprits. Vous venez en appui au système social français.

    Notre commission d’enquête est chargée « d’étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle ». Selon vous, monsieur Nouvel, ces difficultés s’aggravent-elles à un rythme accéléré et la crise financière vous semble-t-elle en être la cause, vos partenaires faisant défaut tour à tour par une sorte d’effet domino ?

    Notre société vous paraît-elle répondre mieux qu’hier aux besoins sociaux, monsieur Balmary, ou bien avez-vous le sentiment d’une dégradation dans le champ de votre activité ?

    M. Jean-Pierre Allossery. Je rencontre nombre d’associations comme les vôtres sur mon territoire : toutes ont un problème de trésorerie, souvent dû au versement en retard des subventions. Bénéficiez-vous de subventions pluriannuelles qui vous assureraient une certaine visibilité ?

    Ne pourrait-on étendre au domaine social une pratique que j’ai expérimentée dans d’autres domaines – sport et culture – et qui consiste à verser, en début d’année, 75 ou 80 % de la subvention ? Cela ne résout pas tous les problèmes, mais je pense que ce serait très bénéfique sur le terrain.

    M. Régis Juanico. Étant l’un des auteurs du rapport sur la fiscalité du secteur non lucratif et, avec Yves Blein, l’un des auteurs de l’amendement sur le versement transport, je voudrais apporter deux précisions.

    La question du versement transport a été évoquée lors d’auditions auxquelles vous avez participé, organisées en vue de notre rapport sur la fiscalité du secteur non lucratif : à cette occasion, des associations faisant l’objet d’un redressement nous avaient alertés sur les risques de contentieux. Certes, nous légiférons en fonction d’une vision un peu générale et, en l’espèce, nous avions sans doute peu d’éléments en matière d’étude d’impact, mais notre amendement visait à sécuriser le périmètre de l’exonération du versement transport pour les acteurs de l’économie sociale et solidaire, en faveur d’associations affiliées dont la position était fragile et dont certaines faisaient l’objet d’un redressement. Le dispositif adopté dans le projet de loi de finances rectificative n’entre pas en vigueur pour le moment. Nous avons décidé, après concertation avec vous, à Matignon, qu’un rapport du Gouvernement serait remis avant le 15 octobre pour mesurer très concrètement les conséquences de cet amendement afin de pouvoir éventuellement corriger, si nécessaire, le périmètre qui y est défini dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2015.

    Bien entendu, notre objectif n’est pas de rendre redevables du versement transport des associations ou des acteurs de l’économie sociale et solidaire qui, jusqu’à présent, ne l’étaient pas. Au contraire, l’objectif est, j’y insiste, de sécuriser l’exonération. Soyez donc assurés que nous allons, en lien avec vous, suivre cette affaire de très près !

    Il est exact que 93 % des associations employeuses, qui ne sont pas fiscalisées, n’ont pas droit au CICE. Nous avions évalué l’impact de ce crédit d’impôt et la distorsion de concurrence entre le privé lucratif et le privé non lucratif à environ un milliard d’euros. Nous avons constaté que l’application de dispositifs fiscaux très différents entre les deux secteurs n’entraînait pas de grosses distorsions de prix pour l’usager. S’agissant du CICE, en revanche, il y a une distorsion de concurrence.

    Nous avons proposé une mesure qui n’a pas été, pour le moment, suivie d’effet, mais je pense que la modulation de la taxe sur les salaires est une piste qui mérite d’être creusée lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2015. En effet, 40 % de cette taxe proviennent du secteur médico-social, contre 30 % pour les banques et les sociétés d’assurances – et le problème est dès lors que la mesure favorisera le médico-social, mais aussi les banques.

    M. Thierry Nouvel. Effectivement, la crise que nous connaissons aujourd’hui a un effet domino. Nous sommes financés essentiellement par le produit de l’impôt et nous savons fort bien que l’argent public se raréfie. Cela étant, nous étions déjà en difficulté avant que ne commence la crise, mais le phénomène s’amplifie : entre 2008 et 2013, le budget des ESAT a diminué de 5 % en euros constants et à nombre de places autorisées constant. Avant la crise, je l’ai dit aussi, aucune association de notre réseau n’était placée en redressement judiciaire ni même menacée de l’être. J’explique donc notre situation par la restriction du financement public, aggravée par des contraintes de gestion de plus en plus pesantes : nous n’avons plus droit à la moindre erreur, qui se paie très cher, surtout pour les petites associations qui n’ont plus aucun filet de sécurité faute de trésorerie suffisante.

    Pour autant, c’est un choix que d’offrir des réponses de proximité grâce à de petites associations n’ayant pas une grande activité gestionnaire. Dans le domaine de la protection juridique par exemple, si l’on veut être vraiment indépendant, il ne faut pas être à la main d’une plus grosse association qui propose de l’hébergement et du soin, parce qu’il ne faut pas que la personne sous tutelle ou curatelle soit prisonnière d’un seul opérateur. Les modes d’organisation ne sont pas neutres en l’espèce.

    M. Dominique Balmary. La société répond-elle aujourd’hui de façon adéquate aux besoins de ses membres ? Oui et non. Bien que gascon, je fais cette réponse de Normand, car le premier constat que l’on peut faire, c’est que, depuis une trentaine d’années ou peut-être davantage, nous sommes confrontés à une évolution très importante des besoins en matière d’action sociale, consécutive à l’évolution de la démographie et à celle de nos structures sociales. La demande adressée à nos associations est de plus en plus celle de prestations de service individualisées : nos compatriotes souhaitent une personnalisation de l’accompagnement, des conseils professionnels, des conseils familiaux, etc. Elle se fait aussi de plus en plus complexe, ne se bornant pas à la solution d’un problème particulier – de niveau de vie, de consommation, d’accueil de la petite enfance, etc. D’où le choix, pour les propositions que nous avons faites au Gouvernement l’an dernier et dont est issu le plan de lutte contre la pauvreté, d’examiner l’ensemble des problèmes liés à celle-ci et donc aussi bien les questions de revenu que de santé, d’éducation ou de logement, etc. Bien évidemment, la tâche en devient plus difficile.

    La puissance publique – État et collectivités – et le monde associatif – les opérateurs – doivent tirer les conséquences de cette évolution. La première doit travailler à une osmose beaucoup plus grande entre des politiques qui, très souvent, communiquent peu entre elles. Le second doit s’organiser également de manière à mener une action transversale, en développant l’intersectorialité. Nous commençons à le faire mais, d’un côté comme de l’autre, d’immenses progrès restent à accomplir. Nous vivons encore sur des schémas de l’action sociale hérités de la Libération, avec une organisation en grands silos : le handicap, les personnes âgées, la famille… L’administration est organisée de cette façon et, par voie d’imitation, le secteur associatif également. Nous devons décloisonner tout cela, ce qui sera difficile, mais, selon moi, indispensable.

    M. le président Alain Bocquet. Merci à tous de ces contributions, des plus riches et intéressantes.

    L’audition s’achève à dix-huit heures quarante-cinq.

Membres présents ou excusés

    Commission d’enquête chargée d’étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d’avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social.

    Réunion du 9 septembre 2014 à 17 h 05

    Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Pierre Aylagas, M. Alain Bocquet, M. Jean-Noël Carpentier, Mme Françoise Dumas, Mme Hélène Geoffroy, M. Régis Juanico.

    Excusés. – M. Jean-Luc Bleunven.

    Assistaient également à la réunion.  – Mme Martine Faure, M. Christophe Premat.