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Mission d’information sur les relations politiques et économiques entre la France et l’Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au Sud Caucase

Jeudi 24 novembre 2016

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 016

Présidence de M. François Rochebloine Président

– (Audition de M. Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale, et de Mme Emma Lavigne, chargée de recherche Europe et Asie centrale, de Reporters sans frontières)

– (Audition de Mme Anne Castagnos-Sen, responsable des relations extérieures pour Amnesty International France)

Audition de M. Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale, et de Mme Emma Lavigne, chargée de recherche Europe et Asie centrale,
de Reporters sans frontières

La séance est ouverte à douze heures trente.

Présidence de M. François Rochebloine, président

M. le président François Rochebloine. Nous sommes heureux d’accueillir M. Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale, et Mme Emma Lavigne, chargée de recherches Europe et Asie centrale, de Reporters sans frontières (RSF).

Cette organisation non gouvernementale (ONG) se donne pour objectif de défendre la liberté de la presse et la protection des sources d’information des journalistes partout dans le monde. Il me semble que le respect scrupuleux des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, dont la liberté de la presse, est un facteur primordial pour la construction de relations équilibrées et durables, elles-mêmes sources d’une paix authentique. C’est pourquoi, madame, monsieur, en accord avec notre rapporteur Jean-Louis Destans, j’ai souhaité votre venue devant notre mission.

Reporters sans frontières porte un jugement sans nuances sur l’Azerbaïdjan. Votre site internet classe le pays au 163e rang mondial sur 180 pour la liberté de la presse – en 2002, il était 101e sur 134. Dans votre galerie des « prédateurs de la liberté de la presse », vous écrivez : « Non content d’avoir anéanti toute espèce de pluralisme, le président Ilham Aliev mène depuis 2014 une guerre impitoyable contre les dernières voix critiques. » Et encore : « S’ils résistent aux pressions, aux tabassages, aux tentatives de chantage ou de corruption, les journalistes et blogueurs indépendants sont jetés en prison. Les médias libres sont asphyxiés économiquement ou fermés manu militari (Radio Azadlig). Dernière trouvaille pour atteindre les journalistes qui continuent de travailler en exil : faire condamner des membres de leur famille, en général pour trafic de drogue. » Je remarque que certains des procédés de pression que vous citez ont été autrefois utilisés en Europe de l’Est, notamment en Pologne, et seraient donc – ce qui ne saurait les justifier – un héritage de l’époque soviétique. Les accusations que vous portez ainsi sont particulièrement graves. Aussi souhaiterions-nous obtenir à leur propos des précisions et des justifications.

Pourriez-vous également nous donner un aperçu de la législation sur la presse en vigueur en Azerbaïdjan, qu’il s’agisse du statut des entreprises de presse, de la législation pénale et notamment de la définition de la diffamation, ou encore des pratiques administratives qui encadrent, voire restreignent, la publication des organes de presse ?

M. Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de Reporters sans frontières. Je vous remercie de nous donner l’occasion d’évoquer devant vous la situation catastrophique de la liberté de la presse en Azerbaïdjan. Cet État occupe effectivement le 163e rang mondial sur 180 pour la liberté de la presse, ce qui se passe de commentaire, et la répression n’a fait qu’y croître au cours des dernières années, notamment depuis la dernière élection présidentielle, fin 2013. Elle s’est particulièrement accentuée en 2014, année au cours de laquelle les principaux défenseurs des droits de l’Homme et grands journalistes indépendants ont été jetés en prison, les autres ayant été contraints à l’exil ou au silence.

On a constaté une petite accalmie au début de l’année 2016, alors que l’Azerbaïdjan commençait sans doute à ressentir une pression venant de l’extérieur – je pense notamment à une résolution assez ferme du Parlement européen sur la situation des droits de l’Homme en Azerbaïdjan. Un projet de loi a également été déposé au Congrès américain, envisageant, sur le modèle de la loi Magnitski qui concernait la Russie, des sanctions ciblées – gels d’avoirs et interdictions de visa – à l’égard de personnalités qui se seraient rendues coupables de violations des droits de l’Homme en Azerbaïdjan. Ce projet de loi, qui n’a pas encore été débattu, semble cependant avoir déjà fait mouche.

Enfin, lorsque le président Aliev a manifesté le souhait de participer au sommet nucléaire qui devait se tenir à Washington à la fin de mars 2016, l’Administration américaine a conditionné sa présence à certains progrès relatifs aux libertés en Azerbaïdjan, notamment la libération des prisonniers politiques les plus emblématiques. Le régime azerbaïdjanais a accédé à cette demande en libérant les principaux prisonniers politiques, et c’est à cette occasion que la journaliste d’investigation Khadija Ismaïlova, ancienne directrice du service azerbaïdjanais de Radio Free Europe et journaliste d’investigation de grand renom – elle a été récompensée par de nombreux prix à travers le monde –, a été libérée. D’une manière générale, le nombre de journalistes, blogueurs et collaborateurs de médias emprisonnés a légèrement décru pour s’établir aujourd’hui à huit.

Derrière ces concessions de façade, aucune amélioration durable n’a été apportée à la situation de la liberté de la presse, qui reste toujours aussi critique, avec un pluralisme réduit à néant. La situation s’est même encore tendue à la suite de la tentative de coup d’État en Turquie de cet été. Les autorités azerbaïdjanaises étant très proches du pouvoir turc, elles ont trouvé, en invoquant la nécessité de s’attaquer à la mouvance Gülen – cet opposant au régime turc exilé aux États-Unis et désigné comme responsable de la tentative de coup d’État en Turquie –, un prétexte pour lancer une nouvelle vague d’arrestations. Dans ce cadre, de nombreux blogueurs et militants de l’opposition ont été arrêtés, ainsi que le responsable financier du dernier journal d’opposition, Azadlig, ce qui a des conséquences très concrètes pour ce journal.

M. le président François Rochebloine. Quelles actions votre organisation a-t-elle engagées lors de l’arrestation de Faïg Amirov, directeur financier du journal Azadlig, accusé de complicité avec le mouvement de Fethullah Gülen ?

Mme Emma Lavigne, chargée de recherche Europe et Asie centrale de Reporters sans frontières. Nous avons publié à deux reprises des communiqués de presse et nous sommes entrés en contact avec Dunja Mijatović, de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui a adressé un courrier aux autorités azerbaïdjanaises : elle attend toujours une réponse et, si rien n’est fait, elle exprimera une position publique.

Alors que l’état de santé de M. Amirov est critique – il est atteint d’une maladie chronique de l’estomac –, les soins de première nécessité, et même une nourriture adéquate, lui sont refusés : il a perdu vingt kilos en deux mois, et nous sommes très inquiets à son sujet.

Son arrestation s’est effectuée au motif qu’il était en possession de deux livres – qui ne sont pourtant pas interdits en Azerbaïdjan, et à la rédaction desquels ont participé des personnes haut placées – alors que, d’après lui, c’est la police qui a mis ces volumes dans sa voiture. De toute façon, il est probable que ce chef d’inculpation sera bientôt remplacé par un autre, puisqu’une enquête a été ouverte sur de possibles financements illégaux d’Azadlig. Du fait de son arrestation, le journal ne dispose plus de la signature nécessaire pour les transactions avec la banque – la signature du nouveau directeur financier, nommé par intérim, est refusée –, ce qui fait que les créanciers ne peuvent être payés : le journal a donc très vite cessé de paraître. M. Ali Rzayev, rédacteur en chef adjoint d’Azadlig, également responsable du site internet et de tous les contenus, a dû fuir pour Strasbourg, où il a fait une demande d’asile, et même les personnes qui avaient passé des petites annonces dans le journal ont été inquiétées : on leur reproche d’avoir participé à une entreprise de publicité déguisée.

M. Seymour Khazi, autre célèbre plume d’Azadlig, a été condamné début 2015 à une peine de cinq ans de prison pour hooliganisme aggravé : il aurait agressé un passant avec une bouteille d’eau – alors qu’il n’aurait, en réalité, fait que se défendre face à une provocation.

M. le président François Rochebloine. Avez-vous réussi – vous ou certains de vos confrères journalistes – à entrer en contact avec M. Khazi depuis qu’il est emprisonné ?

M. Johann Bihr. Il est très difficile de le contacter directement, mais nous communiquons avec son avocat et d’autres journalistes mobilisés pour le défendre. Presque partout dans le monde, nous nous appuyons sur un réseau de correspondants – nous en avons dans 150 pays. Si, en Azerbaïdjan, notre correspondant doit rester incognito – ce qui en dit long sur l’état de la liberté de la presse dans ce pays –, il n’en constitue pas moins une importante source d’information.

Nous sommes également en contact étroit avec Khadija Ismaïlova, cette grande journaliste d’investigation, aujourd’hui fortement mobilisée pour obtenir la libération de Seymour Khazi. Une plainte a été déposée auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour violation du droit à un procès équitable, en particulier du droit à la défense. Saisie de cas similaires, la CEDH a presque systématiquement prononcé des condamnations en faveur de journalistes emprisonnés en Azerbaïdjan. Le commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Nils Muižnieks, s’est lui-même joint en tant que tierce partie (third party) aux plaintes des journalistes concernés – ce qui est exceptionnel – dans trois dossiers ayant tous abouti à des condamnations prononcées par la CEDH pour violation systématique du droit au procès équitable et du droit à la défense. Il est à noter que la situation des journalistes emprisonnés en Azerbaïdjan est tout à fait comparable à celle des défenseurs des droits de l’Homme en général.

Mme Emma Lavigne. Il est déjà arrivé que des journalistes meurent dans les prisons azerbaïdjanaises faute d’avoir reçu des traitements appropriés à leur état – la dernière fois remonte à 2009 –, c’est pourquoi nous sommes très inquiets pour Faïg Amirov.

M. Johann Bihr. Le journaliste décédé en détention en 2009, Novruzali Mammadov, était rédacteur en chef du journal Tolishi Sado, une publication ayant pour objet de défendre la minorité persanophone talysh. Son successeur a lui aussi été arrêté et a passé près de cinq ans en prison avant d’être libéré à l’occasion de l’amnistie dont ont bénéficié plusieurs journalistes au début de 2016.

Les journalistes qui ont été libérés vivent souvent sous une épée de Damoclès. Dans bien des cas – notamment celui de Khadija Ismaïlova –, ils ne bénéficient que d’un sursis, systématiquement assorti d’une interdiction de voyager et, de facto, d’une interdiction d’exercer leur profession, sans parler de la menace de retourner en prison au moindre geste considéré comme suspect. Les libérations effectuées en 2016 constituent donc une ouverture très limitée, d’autant que les arrestations de journalistes sont toujours monnaie courante.

Pour ce qui est de la liquidation du pluralisme, ce que vous avez relevé sur notre site internet correspond effectivement à la réalité. Le secteur audiovisuel azerbaïdjanais est totalement sous contrôle.

M. le président François Rochebloine. Combien le pays compte-t-il de radios et de télévisions ?

M. Johann Bihr. Je ne connais pas les chiffres exacts, mais il existe plusieurs dizaines de chaînes de télévision et plusieurs centaines de stations de radio. Les rares radios indépendantes du pouvoir ont toutes été écartées de la bande FM en 2009. La principale d’entre elles, le service azerbaïdjanais de Radio Free Europe, a été fermée manu militari à la fin de 2013 à l’issue d’une descente de police et d’une mise sous scellés de ses locaux – ce qui rappelle une pratique actuellement courante en Turquie pour de nombreux médias. Tous les collaborateurs de cette station ont été convoqués très régulièrement par le parquet dans le cadre d’enquêtes sur de prétendus abus de pouvoir – c’est à ce titre qu’a été poursuivie Khadija Ismaïlova.

La tactique la plus courante depuis plusieurs années est celle consistant à étouffer économiquement les médias critiques. Ainsi l’un des journaux indépendants au plus fort tirage, qui paraît sous le titre de Zerkalo en russe et d’Ayna en azéri – ce qui signifie « miroir » dans les deux langues –, a-t-il été contraint de fermer en mai 2014. Pour obtenir ce résultat, les autorités font en sorte de contrôler totalement le réseau de distribution. Dans nombre de cas, notamment celui d’Azadlig, le réseau de distribution de presse cesse de verser aux journaux le produit de leurs ventes. Ce produit est au demeurant déjà fort maigre, lesdites ventes étant entravées de différentes manières. Ainsi la réfection à neuf des kiosques de la capitale a-t-elle été l’occasion d’en faire disparaître la presse indépendante. De même, la vente par les crieurs de rue et dans le métro est désormais interdite.

Un autre moyen de faire pression sur les journaux est le contrôle exercé par l’État sur le marché publicitaire. Les entrepreneurs qui prendraient le risque de faire publier de la publicité dans des journaux critiques savent qu’ils feraient immédiatement l’objet de représailles, c’est pourquoi ils s’en abstiennent.

M. le président François Rochebloine. Des entreprises françaises font-elles de la publicité dans les journaux azerbaïdjanais ?

M. Johann Bihr. Dans la presse azerbaïdjanaise en général, mais pas dans les journaux indépendants – du moins, pas à ma connaissance. Un journal comme Azadlig n’a donc pas accès aux annonceurs, ce qui le prive d’une partie de ses revenus. Comme vous l’a dit Mme Lavigne, les autorités font aujourd’hui pression sur les personnes ayant publié des petites annonces dans Azadlig, en leur reprochant d’avoir participé à un financement illégal du journal.

M. le président François Rochebloine. De quoi les journaux d’opposition vivent-ils, si le pouvoir les prive de toutes leurs ressources ? Bénéficient-ils de financements extérieurs ?

M. Johann Bihr. Il existe un fonds d’État pour le développement de la presse, qu’Azadlig percevait avant d’être privé de cette ressource il y a environ deux ans. La principale source de financement des médias indépendants provient de l’extérieur, en l’occurrence de mécènes plus ou moins intéressés à leur cause. Cela constitue cependant un modèle économique extrêmement fragile, ce qui explique qu’Azadlig ait dû renoncer à sa publication papier. Depuis, il ne reste plus aucun titre de presse véritablement critique, mais seulement certains journaux entretenant une attitude ambiguë à l’égard du pouvoir – je pense notamment à Yeni Müsavat, proche du parti du même nom. Évidemment, il faut tenir compte du fait que le tirage de la presse papier est en chute libre, comme dans le reste du monde. La plus grande partie de la population, qui n’a pas toujours accès à internet, ne peut que regarder la télévision contrôlée par l’État et lire les journaux locaux, distribués selon un système d’abonnement contraint – encore un héritage de la période soviétique – et n’a donc pas accès à une information indépendante.

On assiste cependant à un bourgeonnement des médias en exil, déclenché notamment à la suite de la vague de répression accrue de 2013 et 2014. Les journalistes qui n’avaient pas été emprisonnés ont été contraints à l’exil et ont lancé, de là où ils ont trouvé refuge, de nouveaux médias. Ainsi le rédacteur en chef d’Azadlig, Ganimat Zahid, qui vit à Strasbourg, a-t-il créé un programme diffusé par satellite, intitulé Azerbaycan Saati – « L’heure azerbaïdjanaise » –, récemment converti en une véritable chaîne de télévision, Turan TV, qui émet en Azerbaïdjan en passant par un satellite turc – pour le moment, les studios sont à Strasbourg et les moyens techniques en Turquie. De même, le célèbre blogueur Emin Milli, exilé à Berlin après avoir été emprisonné durant plusieurs années, a-t-il lancé une télévision en ligne, Meydan TV.

Ces deux personnalités majeures de l’opposition font l’objet d’un harcèlement touchant leur famille, y compris des personnes très éloignées, avec lesquelles elles n’ont pratiquement aucune relation. Un cousin et un neveu de Ganimat Zahid ont été condamnés en juin 2016 à six ans de prison sur des accusations fallacieuses de détention de drogue. Quant à Emin Milli, il a été désavoué publiquement par vingt-trois membres de sa famille, contraints de signer une lettre ouverte où était formulée la demande de ne pas être associés à la traîtrise de leur parent.

Mme Emma Lavigne. Le cousin et le neveu de Ganimat Zahid condamnés à six ans de prison ont, eux aussi, dû se résoudre à un désaveu public dans l’espoir d’obtenir une grâce et d’être libérés.

M. Jean-Louis Destans, rapporteur. Vous nous dites que huit journalistes sont emprisonnés et que des procédures visent ceux qui essaient de s’exprimer depuis l’étranger, mais pourriez-vous nous donner quelques informations générales sur le monde de la presse en Azerbaïdjan – je pense aux activités des médias, au nombre total de journalistes et à la proportion de ceux faisant partie de l’opposition ?

À quelle préoccupation du pouvoir répond la répression exercée sur les journalistes d’opposition ? En d’autres termes, s’agit-il de faire taire une presse d’idées contraires à celles du pouvoir, ou une presse de dénonciation des abus et de la corruption ?

La pression du pouvoir s’exerce-t-elle également sur les réseaux sociaux, ou l’accès à internet est-il facile en Azerbaïdjan ?

La presse étrangère est-elle présente en Azerbaïdjan, par le biais de correspondants ou de titres diffusés ?

Enfin, le 20 avril 2016, Meydan TV, réputée pour ses enquêtes journalistiques, a annoncé que le procureur général d’Azerbaïdjan avait ouvert une enquête criminelle contre elle. Avez-vous des informations sur l’état d’avancement de cette enquête ?

M. Johann Bihr. La diffamation est passible de prison, et les dispositions relatives à cette infraction ont encore été durcies récemment, notamment en ce qui concerne la diffamation sur internet. Nous appelons évidemment à la dépénalisation de la diffamation, étant toutefois précisé que les persécutions pénales contre les journalistes empruntent rarement la voie des poursuites judiciaires telles que nous pouvons les connaître, mais plus souvent la forme de procès montés de toutes pièces sur la base de charges fantaisistes – celles de hooliganisme et de détention de drogue étant les plus fréquemment invoquées.

Je n’ai pas de données précises en tête au sujet de la presse et du nombre de journalistes en Azerbaïdjan, mais nous allons faire des recherches et vous transmettrons ces renseignements dès que possible. Si la population azerbaïdjanaise est bien plus réduite que celle de la Turquie, par exemple, on compte tout de même plusieurs milliers de journalistes en Azerbaïdjan, dont les journalistes indépendants et d’opposition forment la portion congrue.

Bien avant 2013, les journalistes étaient déjà soumis à de très fortes incitations à ne pas être trop critiques. Ainsi existe-t-il en Azerbaïdjan un système d’attribution de logements aux journalistes, hérité de l’époque soviétique, dont sont exclus ceux qui refusent de se plier aux exigences des autorités – des barres d’immeubles entières, appartenant à l’État, sont ainsi réservées aux journalistes faisant preuve de loyauté à l’égard du pouvoir. Avant que la répression ne se durcisse il y a quelques années, la corruption était un moyen très employé : plutôt que de punir les récalcitrants, il s’agissait de récompenser ceux qui acceptaient de se taire. Pour toutes ces raisons, les journalistes d’opposition sont aujourd’hui très peu nombreux, et leur sentiment d’isolement d’autant plus grand que les autorités ont réussi à instaurer un climat de méfiance généralisée : le journalisme est une profession divisée, où la solidarité professionnelle existe peu. Il existe un conseil de la presse ayant théoriquement vocation à défendre les journalistes et à trancher les questions de diffamation en dehors du système pénal, mais, dans les faits, ce n’est qu’un organe de contrôle et de pression aux mains du pouvoir.

La presse étrangère est peu présente en Azerbaïdjan : on n’y compte que quelques rares correspondants permanents, appartenant aux plus grandes agences de presse internationales, telle l’AFP – ici aussi, on perçoit les effets de la crise de la presse.

M. le rapporteur. Les correspondants étrangers présents en Azerbaïdjan exercent-ils leur profession en toute liberté ?

M. Johann Bihr. Ils sont peu nombreux, mais je n’ai pas eu connaissance de pressions exercées récemment sur eux. La plupart du temps, les journalistes étrangers viennent en reportage en Azerbaïdjan, sans y être basés. C’est notamment le cas de nombreux journalistes basés en Turquie, qui font des allers-retours entre les deux pays, ou, dans une moindre mesure, de correspondants basés à Moscou ou en Asie centrale.

Pour ce qui est de la présence de titres de la presse étrangère dans les kiosques, je crois qu’elle se limite à un ou deux titres russes disponibles à Bakou.

La presse azerbaïdjanaise comprend des titres indépendants, parmi lesquels il y avait jusqu’en 2014 Zerkalo, un journal ne s’attachant pas spécialement à dénoncer le pouvoir, mais qui pouvait aussi bien se montrer très critique vis-à-vis des politiques mises en place par les autorités, notamment en matière de politique étrangère, que rapporter des nouvelles jugées positives, ou donner la parole à des représentants des autorités. Elle comporte aussi des médias d’opposition, s’attachant à dénoncer les abus des autorités, notamment en matière de corruption. Au sein de la presse indépendante, Khadija Ismaïlova est une journaliste d’investigation qui, sans servir une cause politique particulière, brasse des masses de documents de la Cour des comptes et d’autres institutions, et démontre ainsi que le Président de la République et ses proches ont fait main basse sur des pans entiers de l’économie, dont ils ont accaparé les secteurs les plus rentables : des proches du Président de la République ont ainsi, par l’intermédiaire de sociétés offshore, le monopole dans le secteur de la téléphonie mobile.

Le régime exerce la même pression à l’égard des deux types de presse, cherchant à faire taire toute critique et toute investigation indépendante. Quant à la motivation, elle est un peu plus difficile à établir en l’absence de menace réelle contre un pouvoir bien établi. Le président Ilham Aliev a succédé à son père, Heydar Aliev, qui avait aussi été chef du KGB de la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan dans les années 1960. Le boom économique azerbaïdjanais, consécutif à la construction de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC), consolide encore les ressources, la stabilité et les amitiés extérieures de ce régime.

À mon avis, cette campagne de répression est alimentée par un sentiment d’impunité : les autorités font taire toutes les voix critiques parce qu’elles sentent qu’elles peuvent le faire ; elles ne s’arrêteront que quand elles ne le pourront plus. En 2011, dans la foulée des printemps arabes, des manifestations de quelques centaines de personnes avaient eu lieu au centre de Bakou pour protester contre le régime. Elles avaient été vite réprimées, bien avant de prendre l’allure de camps de tentes à la Maïdan. De tels mouvements sont totalement inenvisageables en Azerbaïdjan où il n’y a vraiment pas de menace directe de soulèvement populaire. La répression s’abat parce que c’est possible. Les réseaux sociaux ne sont pas systématiquement censurés, mais ils peuvent l’être, au besoin, comme ce fut le cas lors des manifestations de 2011 et 2012. Les autorités sont tout à fait capables de bloquer l’intégralité de Facebook ou de YouTube.

Mme Emma Lavigne. En Azerbaïdjan, la diffamation est passible de trois ans de prison. Depuis 2013, cette mesure a été étendue aux contenus d’internet. En outre, l’usage d’un pseudonyme est en passe de devenir une circonstance aggravante dans toutes les affaires de diffamation ou de contenu jugé illégal par les autorités. Toute atteinte à l’honneur et à la dignité du président est passible d’une peine de deux ans de prison. Un amendement a été déposé le 15 novembre dernier, afin d’étendre l’application de la mesure à la sphère internet.

M. le rapporteur. L’opposition et les contestataires sont-ils très actifs sur les réseaux sociaux ?

M. Johann Bihr. Certains blogueurs d’opposition utilisent Facebook, mais les quelques mouvements constitués, qui étaient actifs sur ces plateformes, ont été décapités. C’est le cas de Nida, un mouvement fondé par de jeunes partisans de la démocratisation du pays. Plusieurs groupes de ce type fournissent les plus gros contingents de blogueurs emprisonnés. Précisons que les activistes politiques ne sont pas comptabilisés dans les statistiques de Reporters sans frontières, puisque nous ne recensons que les personnes emprisonnées du fait de leurs activités dans le domaine de l’information. Plusieurs dizaines de blogueurs activistes politiques sont actuellement emprisonnés.

En ce qui concerne Meydan TV, l’enquête suit son cours : les collaborateurs de la chaîne continuent à être convoqués au parquet et la plupart de ceux qui sont encore en Azerbaïdjan ont interdiction de quitter le territoire. Le but principal de cette enquête étant de faire pression, il n’est pas évident qu’elle aboutisse un jour à un procès.

M. le président François Rochebloine. Quelle signification revêt, selon vous, le moratoire appliqué aux condamnations pour diffamation ?

Le journaliste indépendant Rasim Aliev est mort à Bakou le 9 août 2015, des suites d’un passage à tabac. Il avait dénoncé publiquement le comportement provocateur d’un footballeur azéri qui avait brandi un drapeau turc au cours d’une rencontre opposant son équipe à une équipe chypriote. Le 1er avril dernier, un tribunal de Bakou a condamné les auteurs de ce crime à des peines de neuf à treize ans de prison. Que pensez-vous de ce jugement qui semble en contradiction avec les pratiques que vous déplorez ?

M. Johann Bihr. En effet, le cas de Rasim Aliev est assez particulier dans la mesure où ses agresseurs directs – le footballeur et des membres de sa famille – ont été condamnés. C’est un fait rare, et donc à noter, puisque la règle générale est plutôt l’impunité pour les auteurs de violences contre les journalistes.

En 2005, aucune enquête crédible n’a été diligentée quand Elmar Huseynov, rédacteur en chef de Monitor, le principal journal indépendant de l’époque, a été tué. Même chose dans le cas de Rafiq Tagi, dont on a célébré hier le cinquième anniversaire de la mort. Journaliste laïc, critique notamment à l’égard du régime iranien, il a été poignardé à Bakou en 2011.

Un fait intrigant relie Rasim Aliev à Rafiq Tagi : ils ont tous les deux fait l’objet de négligences médicales graves avant de succomber à l’hôpital – le même – où ils avaient été admis. Ni l’un ni l’autre n’était dans un état désespéré à son arrivée ; tous les deux ont commencé par aller mieux avant de décéder brutalement. Rafiq Tagi avait même accordé plusieurs interviews à la presse sur son lit d’hôpital et avait quitté l’unité de soins intensifs. A priori, son état était satisfaisant lorsque, brutalement, il est mort d’une hémorragie interne.

Rasim Aliev est également mort d’une hémorragie interne. Si ses agresseurs directs ont été emprisonnés, il subsiste des zones d’ombre, notamment sur ce qui s’est passé dans cet hôpital. Alors que Rasim Aliev avait été roué de coups, le médecin qui l’a examiné n’a pas diagnostiqué de déplacement de côte. Or c’est une côte déplacée qui a percé des organes et causé l’hémorragie. C’est une négligence étonnante.

Rasim Aliev était très engagé au sein de notre organisation partenaire en Azerbaïdjan, l’Institute for reporters’ freedom and safety (IRFS). Comme toutes les autres organisations de soutien des médias, l’IRFS a été fermé durant l’été 2014 sur la base d’accusations concernant son financement, et en application de lois, directement inspirées de la législation russe, qui entravent les activités des ONG. Lorsque, en août 2014, un mandat d’arrêt avait été lancé contre lui, le directeur de l’IRFS, Emin Huseynov, s’était caché chez Rasim Aliev, puis s’était réfugié à l’ambassade de Suisse où, les autorités azerbaïdjanaises étant au courant de sa présence, il était resté bloqué pendant près de un an, avant d’être exfiltré l’été dernier par les autorités helvétiques.

Des doutes subsistent sur les causes de sa mort. Les auteurs des coups en sont-ils les seuls responsables ? On n’en est pas certain, mais on ne peut rien affirmer. Les faits restent assez troublants. La condamnation du footballeur et de ses proches n’est pas totalement satisfaisante. En tout cas, elle ne doit pas gommer le fait que l’impunité est la règle en ce qui concerne les assassinats, agressions ou enlèvements de journalistes. Il arrive en effet que des journalistes soient enlevés par les services de sécurité. Seymour Khazi, qui est actuellement emprisonné, a été enlevé en 2011 et on lui a fait subir un simulacre d’exécution. Alors qu’il couvrait les manifestations, il a été emmené dans une voiture où on lui a mis un sac sur la tête et un pistolet sur la tempe. Pendant toute la journée, on lui a dit qu’il devait arrêter de faire ce qu’il faisait. Il a finalement été relâché le soir, au bord d’une route.

Quant au moratoire sur la diffamation, il date de 2005 et n’a plus aucune portée pratique. La persécution des journalistes prend désormais des formes plus fantaisistes que les attaques en diffamation.

M. le rapporteur. Vous avez indiqué au tout début de votre intervention que l’Azerbaïdjan était au 163e rang sur 180 pays dans votre classement pour la liberté de la presse, ce qui m’a étonné. Je ne le voyais pas aussi mal classé, aussi près de la Corée du Nord. Comment élaborez-vous ce classement ? Quels critères retenez-vous ?

M. Johann Bihr. Pour établir notre classement mondial, nous recensons d’abord les violations de la liberté de la presse tout au long de l’année, en nous appuyant sur nos organisations partenaires sur le terrain. La mort de Rasim Aliev a ainsi pu peser sur le rang de l’Azerbaïdjan. Toutefois, le paramètre « violations de la liberté de la presse » est moins important pour nous que le questionnaire que nous adressons, dans chaque pays, à divers interlocuteurs – journalistes, professeurs de journalisme, universitaires, observateurs –, et qui porte sur plusieurs thèmes : le pluralisme, l’indépendance, le cadre légal, l’environnement, la qualité des infrastructures soutenant la production de l’information. Par environnement, nous entendons le climat dans lequel évoluent les journalistes : font-ils l’objet de menaces, de manœuvres d’intimidation ou autres ? En matière de qualité des infrastructures, nous nous intéressons notamment aux efforts consentis par les autorités pour rendre internet accessible ou pour permettre aux journaux d’être édités. Tous ces critères sont pondérés, les principaux étant le pluralisme et l’indépendance.

La même méthodologie est appliquée dans tous les pays et, au cours des dernières années, l’Azerbaïdjan n’a cessé de reculer dans le classement. Dans cette zone de l’ex-URSS, le pays reste mieux classé que l’Ouzbékistan et le Turkménistan qui occupent respectivement la 166e et la 178e place. En revanche, il s’est fait devancer par le Kazakhstan qui est désormais en 160e position. La Géorgie, au 64e rang, distance les autres pays de la zone, quand l’Arménie est 74e. La Turquie occupait la 151e place au mois de mars, et sa position ne va pas s’améliorer. La Russie figure à la 148e place, et la Corée du Nord est 179e sur 180.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. Vous avez évoqué le sentiment d’impunité qu’éprouve le pouvoir en place par rapport à la population d’Azerbaïdjan. Pensez-vous qu’il éprouve le même sentiment vis-à-vis de la communauté internationale, en dépit des récentes condamnations de la CEDH et des pressions exercées par les États-Unis ?

M. Johann Bihr. Tout à fait, et cela, me semble-t-il, explique dans une large mesure la répression qui s’abat actuellement sur les voix critiques. Nous ne sommes pas aveugles et nous comprenons très bien que des intérêts économiques et stratégiques lient l’Azerbaïdjan à ses partenaires, notamment occidentaux. Les autorités azerbaïdjanaises jouissent d’autant plus d’un sentiment d’impunité qu’elles ont pu penser s’en tirer à bon compte avec les libérations symboliques du printemps dernier : la pression a baissé alors qu’elle avait enfin commencé à monter au tournant de l’année 2015-2016.

Depuis la libération des principaux prisonniers politiques et de Khadija Ismaïlova, les pressions n’ont pas été renouvelées, du moins de manière publique. Nous avons au contraire l’impression d’en être revenus au business as usual. Dans ce contexte, il nous semble d’autant plus important de rappeler que, malgré de menus changements de façade, aucune amélioration concrète n’est notable en Azerbaïdjan en ce qui concerne la situation des droits de l’Homme en général et de la liberté de la presse en particulier.

Pourtant, on l’a constaté au début de l’année, les pressions fonctionnent. Le peu qu’on arrive à obtenir, c’est grâce à des pressions. Les partenaires de l’Azerbaïdjan ne doivent pas les alléger, au contraire, après ces quelques libérations. Le Congrès américain envisage des sanctions – gel des avoirs et retrait de visa – ciblées sur certaines personnes impliquées dans des violations des droits de l’Homme. Ce sont des sanctions qui semblent faire peur à l’Azerbaïdjan tout en ne nuisant pas à la population dans son ensemble ou au bien-être économique.

La manière dont les autorités azerbaïdjanaises appréhendent leurs relations avec l’étranger est marquée par l’héritage soviétique : elles fonctionnent en termes de rapport de force. Essayer de s’attirer les bonnes grâces de Bakou n’est pas un gage de bonnes relations avec ce pays. D’un strict point de vue d’investisseur, on peut d’ailleurs s’interroger sur la fiabilité d’un partenaire qui maquille ses statistiques et fait taire toute investigation sur la réalité économique du pays. Le soutien à ces voix indépendantes est de l’intérêt même des partenaires de l’Azerbaïdjan, y compris de la France.

M. le président François Rochebloine. À ce propos, que pensez-vous de l’attitude de la France ? Les gouvernements successifs en ont-ils fait assez ?

M. Johann Bihr. Les autorités françaises ne font pas suffisamment pression sur l’Azerbaïdjan. Nous leur sommes très reconnaissants d’octroyer des visas à des journalistes ou à des défenseurs des droits de l’Homme qui sont en danger, et qui peuvent ainsi gagner notre pays pour y déposer des demandes d’asile. C’est important, et il faut continuer de le faire. Dans ce cadre-là, nous avons des échanges de bonne tenue avec les autorités françaises. Cependant, en matière de plaidoyer politique, il conviendrait d’être beaucoup plus ferme et critique vis-à-vis des exactions commises par les autorités azerbaïdjanaises.

M. le président François Rochebloine. Vous pensez que le business empêche de le faire ?

M. Johann Bihr. Oui, à l’évidence. Certains pays, comme les États-Unis, parviennent à maintenir des liens économiques et stratégiques avec l’Azerbaïdjan, tout en ne se privant pas d’appeler un chat un chat en matière de violations des droits de l’Homme. Nous n’appelons évidemment pas à cesser de dialoguer et de commercer avec l’Azerbaïdjan ; la situation des droits de l’Homme peut tout à fait s’inscrire dans le cadre d’un dialogue sincère. L’Azerbaïdjan respectera d’autant plus la France qu’il n’aura pas l’impression d’être face à un partenaire insincère, qui cache certains points de vue. Nous appelons à une diplomatie beaucoup plus claire.

Nous n’ignorons pas que des messages peuvent être passés en sous-main. Au cours des dernières années, les relations entre la France et l’Azerbaïdjan se sont intensifiées et les visites d’État se sont multipliées dans les deux sens : le président Ilham Aliev vient à Paris et le président François Hollande va à Bakou chaque année. Cette intensification des relations devrait aller de pair avec un dialogue honnête sur la situation des droits de l’Homme en Azerbaïdjan. Leyla Yunus, militante des droits de l’Homme, avait été faite chevalier de la Légion d’honneur par François Hollande, à l’occasion de l’une de ses visites. Elle avait malgré tout été emprisonnée quelques mois plus tard.

M. le président François Rochebloine. Elle est restée près de deux ans en prison !

M. Johann Bihr. En effet, dans un état de santé déplorable, souffrant de diabète !

M. le président François Rochebloine. Nous avions demandé sa libération.

M. Jean-François Mancel. Notre éminent rapporteur a déjà posé ma première question sur votre classement que je trouve un peu étonnant : l’Italie est 77e, et la France, qui donne des leçons de morale à tout le monde, 45e. Une appréciation sur la France me paraît bizarre : les Français doutent de plus en plus de la vérité que disent les journalistes, est-il indiqué sur votre site. Tout cela est assez relatif !

M. le rapporteur. Quel est le premier du classement ?

M. Johann Bihr. La Finlande.

M. Jean-François Mancel. Vous dites d’ailleurs que la plupart des pays du secteur sont très mal classés.

Ma deuxième question va plus loin : qu’est-ce qui m’oblige à vous croire ? Sur tous les cas concrets que vous avez évoqués, l’État azerbaïdjanais dit exactement le contraire.

Enfin, je connais bien l’un de vos cofondateurs, Robert Ménard, qui fut secrétaire général de RSF de 1985 à 2008. Il m’est arrivé de croiser le fer avec lui : il était à l’extrême gauche, alors qu’il est maintenant maire d’extrême droite d’une ville de France ! Cela montre bien le caractère très subjectif de tout ce que vous pouvez dire. Si j’avais auditionné Robert Ménard il y a quinze ans, il n’aurait certainement pas dit ce qu’il dit aujourd’hui.

M. le président François Rochebloine. C’est valable pour beaucoup d’hommes politiques !

M. Jean-François Mancel. Mais à l’époque il était journaliste, et, en l’occurrence, c’est le journaliste cofondateur de RSF qui nous intéresse. Je m’interroge sur le caractère très subjectif de ce que nous entendons et qui n’est étayé par rien de très solide. Pour chaque sujet que vous abordez, on peut apporter un éclairage totalement opposé.

M. le président François Rochebloine. Du moins les questions sont-elles clairement posées, et c’est bien tout l’intérêt de cette mission.

M. Johann Bihr. Vous n’êtes pas sans savoir que Robert Ménard n’a plus aucun lien avec RSF depuis 2009. Sur la situation de la liberté de la presse en Azerbaïdjan, je pense qu’il vous aurait dit la même chose que nous aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, son parcours politique lui appartient et n’a aucune incidence sur RSF.

Quand vous dites qu’il n’y a rien de solide dans nos informations, vous m’étonnez quelque peu : on peut porter des jugements et des appréciations, mais on peut difficilement contester des faits précis tels que l’emprisonnement des journalistes cités ou la fermeture de toutes les organisations de défense de la liberté de la presse en Azerbaïdjan. J’entends bien que les autorités azerbaïdjanaises disent exactement l’inverse. Cela nous fait d’ailleurs rire de voir à quelle fréquence le président Ilham Aliev se vante sur les réseaux sociaux – notamment sur Twitter –, de la liberté de la presse qui règne dans son pays.

Il n’en reste pas moins que certains faits sont têtus. Qui sont les assassins de Rafiq Tagi et d’Elmar Huseynov ? Je ne les connais pas, et les autorités azerbaïdjanaises non plus. Peut-on apporter la preuve des faits d’extorsion de fonds et d’abus de pouvoir dont a été accusée la plus grande journaliste d’investigation azerbaïdjanaise ? De quelle influence bénéficie donc le « lobby arménien » – dont nous faisons évidemment partie – pour contraindre la CEDH à condamner l’Azerbaïdjan pour tous les emprisonnements de journalistes que nous avons cités ? Qu’est-ce qui oblige le commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe à s’associer, comme il le fait très rarement, aux plaintes de défenseurs azerbaïdjanais des journalistes ou des droits de l’Homme ?

Hélas, des faits solides attestent de la réalité de la répression en Azerbaïdjan. Entendons-nous bien : nous n’en tirons aucun bénéfice et aimerions beaucoup que cela change. Notre organisation existe depuis trente ans et a un statut consultatif auprès des Nations unies, mais, c’est vrai, rien ne vous oblige à nous croire. Cependant, je vous invite à auditionner des journalistes et des défenseurs des droits de l’Homme azerbaïdjanais. Ils vous diront la même chose que nous, si ce n’est pire. Plusieurs d’entre eux vivent en France, et nous vous communiquerons avec plaisir les coordonnées de Ganimat Zahid, rédacteur en chef d’Azadlig, et de quelques-uns de ses collègues, comme Agil Khalil, un journaliste qui a fait l’objet de trois tentatives d’assassinat en 2007 et 2008, alors qu’il n’avait que dix-huit ou dix-neuf ans. Les témoins ne manquent pas pour vous raconter les expériences qu’ils ont vécues.

M. Jean-François Mancel. Connaissez-vous l’Azerbaïdjan ?

M. Johann Bihr. J’y suis allé quelquefois.

M. Jean-François Mancel. Pour ma part, j’y vais très souvent et je n’y vois pas les mêmes choses que vous.

M. Johann Bihr. Je serais fort étonné que vous y trouviez beaucoup de médias critiques ! Nous avons un correspondant sur place depuis vingt ans. Il ne s’agit pas de contester le fait que l’Azerbaïdjan est une république laïque, par exemple, mais là n’est pas l’objet de la discussion, me semble-t-il.

M. le président François Rochebloine. Nous vous remercions pour votre contribution à nos travaux et pour ce que fait RSF au niveau international, en Azerbaïdjan et dans tous les pays.

Audition de Mme Anne Castagnos-Sen, responsable des relations extérieures pour Amnesty International France

M. le président François Rochebloine. Nous sommes heureux d’accueillir Mme Anne Castagnos-Sen, responsable des relations extérieures pour la branche française d’Amnesty International.

Il est sans doute inutile de faire une présentation détaillée d’Amnesty International dont l’action en faveur des droits de l’Homme est connue de tous. Comme l’indique son site internet, celle-ci se décline sur le triple registre de l’enquête sur les atteintes aux droits de l’Homme, des pressions sur les autorités politiques et les entreprises pour faire cesser ces atteintes, et de l’assistance aux personnes pour la revendication de leurs droits fondamentaux.

Madame, notre mission d’information a pour objet les relations politiques et économiques entre la France et l’Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au Sud Caucase. Je considère, pour ma part, que le respect scrupuleux des droits de l’Homme et des libertés fondamentales est un facteur important pour la construction de relations équilibrées et durables, elles-mêmes sources d’une paix authentique.

Aussi, notre mission souhaiterait connaître votre appréciation de la situation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales en Azerbaïdjan, les actions concrètes que vous menez actuellement en relation avec ce pays et votre appréciation sur les perspectives d’une évolution positive vers un respect réel des droits de l’Homme et des conditions propres à y parvenir. Nous aimerions aussi avoir des informations sur la situation effective des organisations non gouvernementales (ONG) dans ce pays, dont on nous a dit qu’elle avait connu récemment une dégradation manifeste.

Bien entendu, il vous sera possible, si vous le souhaitez, de compléter les réponses que vous allez nous donner aujourd’hui en nous adressant des informations et des documents complémentaires. Je suis cependant obligé d’appeler votre attention sur le fait que le calendrier politique général de cette fin de législature ne nous laisse pas beaucoup de temps.

Mme Anne Castagnos-Sen, responsable des relations extérieures pour Amnesty International France. Monsieur le président, je vous remercie d’avoir invité Amnesty International à faire part de ses préoccupations et de ses recommandations devant votre mission d’information.

La section française d’Amnesty International travaille depuis plusieurs décennies sur l’Azerbaïdjan. Ceux de nos chercheurs qui sont plus particulièrement chargés du dossier du Caucase sont basés à Londres. J’avais sollicité la venue de celui qui effectuait les missions sur place, mais il ne peut plus le faire aujourd’hui, puisque nous n’avons plus accès au pays…

M. le président François Rochebloine. Pour quelle raison ?

Mme Anne Castagnos-Sen. Nous n’avons plus accès au pays depuis les Jeux européens de Bakou…

M. le président François Rochebloine. Étiez-vous présents lors des Jeux ?

Mme Anne Castagnos-Sen. Non, c’est à cette époque que nous sommes devenus persona non grata dans le pays. Notre dernière mission date de mars 2015. Nous avons alors publié un premier rapport essentiellement axé sur la liberté d’expression et les prisonniers d’opinion. Nous avons rendu un second rapport en juin 2015, à la veille des Jeux européens de Bakou. Il était prévu que nous nous rendions à Bakou pour le lancement du rapport et pour y rester plusieurs semaines, afin de suivre les Jeux. Malheureusement, nous avons été interdits de séjour. Les autorités azerbaïdjanaises ont fait savoir à notre secrétariat national que nous n’étions pas les bienvenus. Nous avons donc annulé le voyage.

Six mois après, le 7 octobre 2015, nous avons fait à nouveau une tentative de déplacement dans le pays, avec deux chercheurs de nationalité géorgienne, qui n’avaient donc pas de problème de visa. Ils ont pris l’avion, mais, lorsqu’ils se sont présentés à l’aéroport, ils ont été expulsés.

M. le président François Rochebloine. Sans aucune explication ?

Mme Anne Castagnos-Sen. Aucune. Notre secrétariat demande régulièrement aux autorités azerbaïdjanaises la motivation de cette décision, sans jamais recevoir de réponse. Nos collègues de Human Rights Watch ont eux aussi été expulsés en 2015.

D’habitude, Amnesty travaille sur le terrain : pour qu’ils soient impartiaux et disposent d’une plus grande marge de manœuvre, nos chercheurs ne sont pas basés dans le pays, mais se rendent sur place pour effectuer des missions. C’était le cas en Azerbaïdjan. Comme nous y sommes aujourd’hui interdits de séjour, nous sommes obligés de travailler à partir de témoignages recueillis par des opposants en exil ou, en faisant preuve d’une extrême prudence, par nos contacts restés en Azerbaïdjan, dont la plupart ne veulent pas témoigner à découvert dans nos rapports. Soit les noms sont changés, soit ils ne sont pas mentionnés.

En ce qui concerne les modes de répression, les parents et la famille proches des opposants en exil sont de plus en plus harcelés, menacés, détenus, interrogés… On a observé cette année une aggravation de la répression. Depuis qu’une chape de plomb s’est abattue sur la société civile, on s’en prend aux réseaux sociaux, aux médias et on contrôle internet.

Je comprends vos contraintes de calendrier, monsieur le président, mais j’avais demandé s’il était possible de reporter cette audition de quelques jours, car, le 5 décembre prochain, nous recevons M. Turgut Gambar, défenseur azerbaïdjanais des droits humains qui vit encore dans le pays et que nous accueillons dans le cadre de notre action « 10 jours pour signer », organisée autour du 10 décembre, jour anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. M. Gambar vient témoigner de la situation de la société civile dans son pays et plaider la cause de deux de ses amis blogueurs du mouvement prodémocrate Nida, qui sont détenus. J’ignore si vous aurez la possibilité de le recevoir dans les prochains jours. Nous avions aussi demandé à nos chercheurs s’ils pouvaient être présents, mais ils n’étaient pas disponibles aujourd’hui.

M. le président François Rochebloine. Vous pourrez éventuellement nous communiquer un compte rendu de l’entretien que vous aurez avec M. Gambar.

Mme Anne Castagnos-Sen. Nous avons déjà pris rendez-vous pour lui le 6 décembre, au Quai d’Orsay, avec la direction des Nations unies et la direction géographique compétente du ministère des affaires étrangères.

Nous vous avons remis un dossier contenant de nombreux éléments sur des cas individuels et la liste des quatorze prisonniers d’opinion que nous avons établie en recoupant les informations, en nous documentant, avec la prudence bien connue d’Amnesty International, auprès de leur avocat ou de leur famille. Mais nous savons que nous sommes très en dessous de la réalité : tous nos partenaires en Azerbaïdjan font plutôt état de soixante-dix prisonniers d’opinion.

Au cours des dernières années, le gouvernement azerbaïdjanais a consenti d’importants efforts pour redorer son blason, en vain si l’on en juge par les récentes réactions de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), de l’Union européenne ou du Conseil de l’Europe. Des investissements considérables ont été réalisés pour donner l’image d’un pays moderne, dynamique, et attirer les investisseurs étrangers, y compris français, en organisant notamment de très grands événements sportifs et culturels : Eurovision en 2012, Jeux européens de Bakou en juin 2015, Grand Prix d’Europe de Formule 1 en juin 2016. Chaque fois, de même que dans les périodes électorales qui jalonnent la vie politique, sinon démocratique, du pays, on assiste à une recrudescence des arrestations et de la répression à l’encontre de la société civile. Il y a un lien évident entre ces événements internationaux, sportifs ou culturels, et la répression.

M. le président François Rochebloine. Au contraire, ce devrait être positif pour le pays.

Mme Anne Castagnos-Sen. Ces événements sont positifs, mais c’est l’occasion, pour les opposants, les journalistes, les militants des droits de l’Homme, de manifester leur mécontentement et de donner un écho international à leurs critiques, car la présence de nombreux journaux et médias étrangers offre aux voix critiques de la société civile, aux journalistes, aux opposants azerbaïdjanais, une véritable caisse de résonance. Il est donc logique que la politique répressive tente de museler ces voix et de mettre les opposants derrière les barreaux au moment où ils pourraient s’exprimer. C’est sans doute la raison pour laquelle Amnesty et Human Rights Watch n’ont pas été autorisés à rentrer dans le pays depuis les Jeux européens de Bakou, soit depuis dix-huit mois.

Le pays reste fermé à toute observation extérieure indépendante sur son bilan en matière de droits humains. Nous avons, bien sûr, salué le décret ordonnant, le 17 mars 2016, la libération de 148 prisonniers, d’autant que, sur la liste, figuraient douze de nos prisonniers d’opinion. Dans le même temps, notre rapport, publié en juin et intitulé Revolving doors, fait état du principe des « portes-tambours », c’est-à-dire qu’on libère certains prisonniers tandis qu’on en réincarcère d’autres. Sur ce rapport, figure le nom des personnes incarcérées depuis mars 2016.

Ces libérations ont eu lieu à la suite de très vives pressions internationales, les détenus étant, pour la plupart, d’éminents opposants, et dans un contexte économique de plus en plus difficile pour le pays, la baisse du prix du pétrole ayant entraîné une forte hausse des prix et une baisse du pouvoir d’achat. Il y a donc un grand risque de contestation sociale. Les autorités tentent de faire croire à une sorte d’équilibre, mais c’est de la poudre aux yeux.

Plusieurs facteurs assombrissent le tableau. Puisqu’elle n’était pas autorisée à travailler en toute indépendance, l’OSCE, pour la première fois depuis l’indépendance du pays, a refusé d’observer l’élection d’octobre 2015 et a suspendu ses activités sur le terrain. La Commission européenne a également annulé une mission pour laquelle elle avait posé comme préalable la libération de certains prisonniers.

Vous avez sans doute entendu parler de la réaction, le 21 novembre dernier, du Secrétaire général du Conseil de l’Europe, devant le refus de la Cour suprême azerbaïdjanaise d’annuler les condamnations qui pèsent sur M. Mammadov. Dès 2014, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) avait déclaré que cette détention était contraire à la Convention européenne des droits de l’Homme, ce qui aurait dû être suivi d’effet, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe ayant ensuite demandé la libération de M. Mammadov.

M. le président François Rochebloine. Cette affaire va être inscrite à l’ordre du jour de la prochaine réunion du Comité des ministres du Conseil de l’Europe.

Mme Anne Castagnos-Sen. La situation est très tendue, alors même que le Conseil de l’Europe est une organisation politique intergouvernementale qui s’efforce a priori d’arranger les choses de l’intérieur plutôt que d’arriver au point de rupture. Le Conseil de l’Europe s’est déjà retiré d’un groupe de travail sur la question des droits humains, parce qu’il a estimé ne pas être en capacité d’œuvrer correctement dans cette enceinte. On arrive là à un nouveau point de rupture, ce qui, malheureusement, accrédite tous les constats que font, depuis des années, des organisations comme la nôtre.

La situation des ONG et des associations est très inquiétante. Selon les informations dont nous disposons, quasiment toutes les associations de défense des droits humains ou des droits fondamentaux – par exemple d’assistance juridique aux victimes – sont dans l’incapacité de travailler. Elles ont été fermées, les bureaux sont sous scellés, les comptes et les avoirs des organisations gelés, leurs dirigeants harcelés, intimidés, voire incarcérés. Les douze prisonniers libérés en mars dernier sont dans l’incapacité absolue de reprendre leurs activités. Leur condamnation n’a pas été annulée, mais certains l’ont vue commuée en une peine avec sursis, et elle reste donc comme une épée de Damoclès au-dessus de leur tête. Leurs avoirs et comptes personnels ont été gelés. Enfin, on leur interdit en général toute fonction publique. Pour des journalistes ou des avocats, c’est, de fait, une mort économique.

On est dans une situation où toute voix critique indépendante, qu’elle soit médiatique ou associative, est dans l’incapacité absolue de se faire entendre dans le pays. Pour répondre à la question liminaire que vous m’avez posée, monsieur le président, on constate une véritable aggravation de la situation.

Pour ce qui concerne Amnesty, nous avons perdu quasiment tous les contacts que nous avions sur place depuis des années. Soit ils sont en détention, soit ils ont été libérés, mais ils sont dans l’incapacité de prendre contact avec nous. Nous avons beaucoup de mal à maintenir le lien que nous avions noué avec eux depuis de nombreuses années.

Par ailleurs, il y a eu, cette année, nombre de nouvelles arrestations. Des obstacles législatifs ont été posés en 2009, puis en 2013, en ce qui concerne l’enregistrement et la légalisation du travail des associations, ainsi que leur activité en toute liberté.

Dès 2009, la loi a introduit l’obligation d’enregistrer les dons faits aux associations auprès du ministère de l’intérieur. Je vous laisse imaginer le caractère dissuasif de cette disposition auprès des donateurs… C’est, là encore, la marque d’une volonté de paralyser économiquement toute association ou faire taire toute voix libre et critique.

En 2013, de nouveaux amendements ont visé à limiter le montant des dons aux associations et obligé le destinataire du don à être également le titulaire du compte bancaire, ce qui veut dire qu’on ne peut pas verser de dons sur le compte bancaire d’une association, mais qu’on peut le faire sur celui d’un président d’association. Il y a un vrai risque de corruption et de détournements de fonds : or ce sont des accusations classiques portées à l’encontre des militants des droits de l’Homme et des dirigeants d’association. Certaines associations, qui refusent que les dons soient versés sur le compte de leurs dirigeants, sont dans l’incapacité de se financer. C’est un grand classique, et pas seulement en Azerbaïdjan : quand on veut empêcher les ONG de travailler, on légifère pour les étrangler économiquement.

La loi concernant l’enregistrement des dons est extrêmement rigoureuse et appliquée de façon totalement arbitraire. Certaines organisations tentent, depuis des mois, voire des années, de se faire enregistrer auprès du gouvernement sans aucun succès et sans que les refus soient motivés.

S’agissant des cas sur lesquels nous avons pu nous documenter, les dirigeants d’associations, les journalistes, les opposants politiques sont sous le coup d’accusations forgées de toutes pièces, qui répondent toutes à la même logique. Pour ce qui est du trafic de stupéfiants, nous avons la preuve avérée que les policiers, lorsqu’ils arrêtent quelqu’un, glissent dans ses poches, dans sa voiture ou dans sa maison, un peu d’héroïne. Et c’est toujours le même schéma. Il est tout de même troublant que tous les dirigeants d’associations et opposants politiques soient des trafiquants de drogue… Les accusations de fraude, d’évasion fiscale ou d’activité illégale des entreprises sont d’autres grands classiques. Portées à l’encontre de toute voix critique à l’égard du gouvernement, elles ne reposent sur rien.

Tous les avoirs et comptes personnels sont gelés et la plupart des personnes qui ont été libérées sont encore sous le coup d’une interdiction de voyager : elles ne peuvent donc pas quitter le pays. Telles sont les accusations et les sanctions classiques imposées aux défenseurs des droits humains, au sens très large du terme – j’y inclus les opposants politiques, les journalistes, les dirigeants associatifs et les blogueurs.

En ce qui concerne les cas emblématiques, vous avez sans doute entendu parler d’Intigam Aliev, qui fait partie des personnes libérées le 28 mars 2016. Sa peine a été commuée en cinq ans de prison avec sursis. Il est donc toujours sous le coup de sa condamnation, il ne peut pas voyager sans autorisation et ses avoirs ont été gelés.

M. le président François Rochebloine. Avez-vous des contacts avec ces personnes ?

Mme Anne Castagnos-Sen. Nous avons des contacts avec sa famille et ses avocats. Amnesty International France n’a pas de contact avec Intigam Aliev en personne, mais je pense que nos chercheurs en ont. Nous avons eu un contact direct ou indirect avec toutes les personnes dont je vous parlerai aujourd’hui et toutes celles qui sont recensées dans nos rapports. Cela fait des années que nous sommes en contact avec ces éminents opposants, comme Intigam Aliev ou Ilgar Mammadov.

S’agissant d’Intigam Aliev, nous avons des informations directes et recoupées. Il est le fondateur d’une organisation très connue, la Société pour l’éducation juridique, qui propose un soutien juridique aux victimes de violation des droits humains. Aujourd’hui, il ne peut exercer aucune activité publique. Il a été condamné à une amende de 45 000 dollars et on l’empêche de travailler comme avocat, qui est son métier à l’origine.

Rasul Jafarov s’est fait connaître de la communauté internationale au moment de l’Eurovision, en 2012, avec la campagne « Chanter pour la démocratie ». Puis il a lancé son association, Sport for Rights, c’est-à-dire « Le sport pour les droits », à la suite de quoi il a été détenu à la veille des Jeux européens de Bakou pour éviter qu’il puisse lancer sa campagne « Le sport pour les droits ». Lui aussi a été victime de fausses accusations, condamné à une peine de prison de six ans et demi et à une amende de 5 000 dollars. Il a été libéré grâce au décret de 2016, mais sa condamnation n’a pas été annulée, ses comptes bancaires ont été gelés et son association Sports for Rights n’a pas pu être enregistrée. Il a « bénéficié » d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme déclarant sa détention arbitraire, puisque fondée sur ses seules activités pacifiques concernant la liberté d’expression.

Khadija Ismaïlova, journaliste et directrice du service azerbaïdjanais de Radio Free Europe – lequel a été fermé depuis –, enquêtait sur des affaires de corruption au plus haut niveau de l’État, et y compris sur la famille présidentielle. Elle a été arrêtée en 2014, puis libérée en 2016. Elle est sous le coup d’une interdiction de voyager et d’exercer une activité dans le domaine public. Sa condamnation n’a pas été annulée, mais commuée en une peine de trois ans et demi de prison avec sursis.

Ilgar Mammadov, dirige Republican Alternative (REAL), l’un des rares groupes d’opposition qui subsiste. Cela étant, à chaque élection, qu’il s’agisse de l’élection présidentielle ou des législatives d’octobre 2015, ou encore du référendum constitutionnel de septembre dernier, tous les partis d’opposition qui existent sur le papier, mais qui ne sont pas représentés au Parlement, sont systématiquement empêchés de faire campagne et n’ont pas accès aux médias, qui sont tous sous contrôle gouvernemental. Les législatives de 2015 ont été boycottées par les partis d’opposition.

J’ignore ce qu’il en a été pour le référendum sur des modifications de la Constitution, le 26 septembre dernier, mais je crois que le taux de participation n’a pas dépassé 30 %, ce qui est très faible (1).

M. le président François Rochebloine. Seulement ?

Mme Anne Castagnos-Sen. La loi prévoit un taux de participation de 25 % pour que le référendum soit validé. Les modifications ont donc été adoptées, avec une extension importante des pouvoirs du Président et des moyens supplémentaires de muselage et de répression envers la société civile. L’objectif général est de faire taire la société civile dans toutes ses composantes.

Il y a deux modes de répression « nouveaux » ces dernières années. Il s’agit, d’une part, de la répression en ligne. Après s’être assurées du contrôle quasi total de l’expression dans la sphère publique, les autorités resserrent l’étau sur tous les espaces d’expression en ligne. Facebook, notamment, est sous étroite surveillance. Les responsables des sites internet sont régulièrement menacés de sanctions, voire d’arrestations. Des sanctions et des amendes sont imposées aux auteurs de toutes les critiques en ligne. Les sanctions vont des intimidations et menaces à la détention administrative arbitraire de courte durée, et elles peuvent aller jusqu’à la détention pure et simple.

Je parlerai tout à l’heure des deux cas particuliers dont nous nous occupons. Je voudrais évoquer, dans le cadre de notre action autour du 10 décembre, les cas particulièrement emblématiques de deux jeunes blogueurs du mouvement Nida, le mouvement des jeunes démocrates, Giyas Ibrahimov et Bayram Mammadov.

M. le président François Rochebloine. Compte tenu du temps qui nous est imparti, nous n’allons peut-être pas évoquer les cas individuels, car nous souhaiterions vous poser des questions après votre intervention.

Mme Anne Castagnos-Sen. Le dossier que je vous ai transmis est assez complet. Vous y trouverez des éléments d’information concernant ces cas.

J’ai oublié de préciser que, la plupart du temps, les allégations de mauvais traitements, autrement dit des passages à tabac, ne sont jamais confirmées par des médecins légistes. Les demandes des avocats et des familles pour qu’un médecin légiste indépendant ait accès aux détenus ne sont jamais acceptées, mais les avocats constatent fréquemment des traces de coups sur leurs clients.

Le second élément nouveau, d’autre part, c’est le harcèlement et les arrestations de proches et de parents concernant les opposants en exil. Le journaliste Ganimat Zahid a été détenu quatre ans en Azerbaïdjan avant de quitter son pays en 2011 et de se réfugier en France, où il a créé une chaîne de télévision par satellite et un journal en ligne. Le 20 juillet 2015, un de ses neveux et son frère ont été arrêtés et contraints de signer des aveux selon le scénario déjà décrit : on a glissé de l’héroïne dans la poche de l’un d’eux durant le transport au commissariat et on a « trouvé » de la drogue en perquisitionnant dans la maison et la voiture de l’autre. L’un encourt une peine de douze ans de prison pour détention d’héroïne et l’autre attend encore son procès.

Leurs avocats ont également constaté des irrégularités manifestes au regard même du droit azerbaïdjanais, qui n’est déjà pas très libéral, et ce notamment dans la manière dont ont été menées les perquisitions : l’avocat commis d’office n’était pas présent, il n’y avait qu’un seul témoin au lieu des deux requis, et, dans l’un des cas, le témoin était un chauffeur de taxi qui passait par là et a été forcé de signer le protocole de perquisition.

En conclusion, les recommandations d’Amnesty International sont la libération immédiate et inconditionnelle des prisonniers d’opinion. Amnesty distingue prisonniers d’opinion et prisonniers politiques. Les prisonniers d’opinion sont des personnes qui ont exercé pacifiquement leurs droits à la liberté d’expression, d’association, d’opinion. Pour les prisonniers politiques, qui ont pu recourir à la lutte armée, Amnesty International demande bien sûr un procès équitable, mais non une libération inconditionnelle et immédiate.

Nous demandons que, pour toutes ces personnes, y compris celles qui ont été libérées, les condamnations soient annulées et les interdictions levées, qu’elles soient en mesure d’exercer leurs métiers et d’exprimer leurs opinions, fussent-elles critiques envers le président ou sa famille.

Nous demandons la restauration d’un environnement sûr pour l’ensemble de la société civile – défenseurs des droits humains, journalistes, militants associatifs –, ainsi que la garantie de procès équitables, ce qui est loin d’être le cas. Nous demandons notamment que ne soient plus reconnus des aveux obtenus de force, sous la contrainte, voire sous la torture, et que les jugements soient revus lorsqu’il est avéré qu’ils s’appuient sur des preuves fausses, forgées de toutes pièces. Ce sont là des garanties de procès équitable conformes aux normes internationales.

Enfin, nous demandons aux partenaires de l’Azerbaïdjan et à la communauté internationale de porter en toutes circonstances ces messages auprès des autorités du pays, soit en bilatéral, soit au sein des enceintes multilatérales.

Tel est le tableau général que nous brossons du pays. Malheureusement, nos observations vont nettement en s’aggravant.

M. Jean-Louis Destans, rapporteur. Merci pour cette présentation, assez accablante pour l’Azerbaïdjan. À quelle place se situe ce pays dans votre classement annuel ? Pouvez-vous dresser un tableau de la région du Caucase et des ex-Républiques soviétiques ?

Il existe une certaine ambivalence dans le pouvoir azerbaïdjanais, qui, d’un côté, cherche à s’ouvrir aux démocraties occidentales, sur le plan non seulement économique mais aussi culturel, et, de l’autre, présente la situation que vous décrivez, où tant la législation que les pratiques s’aggravent. En même temps, le pouvoir politique azerbaïdjanais n’est pas menacé. Cette ambivalence résulte-t-elle de pratiques anciennes héritées du pouvoir soviétique ou bien cela correspond-il à une réelle volonté du régime d’écraser toute forme de contestation ?

Mme Anne Castagnos-Sen. Amnesty International n’établit jamais de classement, que ce soit dans son rapport annuel ou dans d’autres publications, par principe et parce que, de toute façon, les paramètres à prendre en considération sont très compliqués. Ainsi, lors d’élections au Conseil des droits de l’Homme, au Conseil de sécurité ou dans d’autres enceintes, nous ne demandons jamais à ne pas voter pour tel ou tel pays. Nous demandons aux États électeurs de veiller au respect d’un certain nombre de critères, mais nous ne nous prononçons pas pour ou contre des pays. Je défends cette position, car le classement et les comparaisons pourraient donner à penser que, ici ou là, la situation n’est pas si grave. Nous avons des chercheurs dans tous les pays, y compris en France, mais ce n’est pas notre rôle d’établir des comparaisons.

M. le président François Rochebloine. En France, il n’y a pas de problème avec la liberté de la presse.

Mme Anne Castagnos-Sen. Non, mais vous connaissez peut-être les alertes que nous avons lancées sur la mise en œuvre de l’état d’urgence ou la situation des Roms. Dans chaque pays, nous essayons de porter un message permettant d’améliorer la situation des droits humains.

Je pense qu’il y a une certaine cohérence dans la logique politique de l’Azerbaïdjan. Ce pays cherche à redorer son blason à l’international et avait jusque là les moyens économiques de le faire. Mais une contrainte économique pèse sur lui : il doit s’ouvrir à l’extérieur, et il déploie des efforts considérables pour attirer les investissements étrangers. C’était très frappant aux Jeux européens de Bakou : c’est la première fois que le pays d’accueil d’une grande manifestation sportive finance intégralement les déplacements et le séjour de toutes les équipes. Cela a coûté très cher.

M. le président François Rochebloine. Avez-vous le chiffre ?

Mme Anne Castagnos-Sen. Non, mais je peux le retrouver. Cela nous avait beaucoup frappés.

Le régime azerbaïdjanais est encore très marqué par le régime soviétique et il existe une crainte réelle que l’ouverture économique s’accompagne d’ouverture démocratique et de plus grandes libertés pour la population, ce que le pouvoir ne souhaite en aucun cas. En conséquence, l’ouverture économique s’accompagne en réalité d’un accroissement de la répression. On observe également cela dans d’autres pays. Il se produit un effet de balancier extrêmement toxique qui ne correspond pas du tout à la manière dont, en France, nous voyons l’ouverture économique. Jamais Amnesty International ne demande le boycott, économique ou sportif, d’un pays. Nous demandons au contraire que l’ouverture économique s’accompagne d’une amélioration équivalente en matière de droits humains et de libertés.

Je ne peux vous répondre sur la politique régionale, car je n’ai pas les compétences, mais je me renseignerai auprès de nos chercheurs et nous vous adresserons une note.

M. le président François Rochebloine. L’Azerbaïdjan, comme d’autres pays dans cette région du monde, est une jeune République, qui n’a que vingt-cinq ans. On a tendance à nous dire que, si les droits de l’Homme sont certes respectés en France, cela n’a pas toujours été le cas et cela a pris du temps. Que pensez-vous d’une telle remarque ?

Certains soutiennent également que les atteintes aux libertés publiques ne touchent qu’un nombre limité de personnes militantes et se produisent dans une relative indifférence de la société civile. Qu’en pensez-vous ?

Parmi les condamnations et les autres actes de persécution que vous avez constatés, certains ont-ils pour origine l’invocation de faits de corruption ?

S’agissant des Jeux européens de Bakou, Amnesty International a publié un rapport intitulé Azerbaïdjan : Les Jeux de la répression. Quelles ont été les répercussions de cette publication dans les États qui ont participé aux jeux, de la part des autorités politiques comme des milieux sportifs ?

Enfin, avez-vous noté des points positifs pour l’Azerbaïdjan, malgré votre rapport « accablant », pour reprendre le terme de notre rapporteur ?

Mme Anne Castagnos-Sen. Si l’on commence à tenir le raisonnement que l’Azerbaïdjan est une jeune République et que cela a pris deux siècles à la France pour reconnaître les droits de l’Homme, on ne fait plus rien pour aucun pays. Ce n’est pas du tout notre analyse. Je ne pense pas non plus que les personnes actuellement détenues soient sensibles à l’argument selon lequel l’Azerbaïdjan respectera les droits humains dans cent ans.

M. le président François Rochebloine. Vous avez souligné qu’Amnesty International n’établissait pas de classement, mais indiquez-vous tout de même si les choses vont dans le bon ou dans le mauvais sens ?

Mme Anne Castagnos-Sen. Oui, mais ce n’est pas en comparaison avec d’autres pays. Pour l’Azerbaïdjan, indépendamment de la libération, que nous avons saluée, des douze prisonniers d’opinion documentés par Amnesty, les choses vont clairement dans la mauvaise direction. Nous n’avons pas qualifié cette libération de poudre aux yeux, car elle est importante pour les personnes libérées, mais, si elles ne sont plus détenues, elles ne sont pas encore libres de voyager, et plusieurs autres de leurs droits fondamentaux sont violés. En outre, des arrestations continuent d’avoir lieu, tout aussi graves.

Le fait que la répression ne touche qu’un certain nombre de gens est quelque chose que nous entendons dans beaucoup de pays. Ce n’est pas faux, il n’y a pas d’arrestations massives en Azerbaïdjan, mais je ne suis pas convaincue que la population ne soit pas sensible à la répression. Il n’existe du reste aucune enquête sérieuse sur ce point. Il n’y a qu’à voir les difficultés qu’a rencontrées quelqu’un comme Élise Lucet pour enquêter en Azerbaïdjan. En tout état de cause, l’absence de médias indépendants, de société civile, d’associations capables de défendre les droits fondamentaux et d’apporter un soutien juridique aux victimes touche beaucoup plus de gens que ceux qui sont directement privés de liberté. Cela fait tache d’huile. Imaginez que nous n’ayons plus en France d’associations, de médias indépendants…

M. le président François Rochebloine. Il y aurait des manifestations !

Mme Anne Castagnos-Sen. Vous demandez également si, parmi les accusations portées contre la société civile, on trouve des faits de corruption. Certains sont accusés de détournement de fonds, ce qui n’est pas exactement la même chose, mais je n’ai pas trouvé de condamnation pour corruption dans les cas que nous avons documentés. Les accusations pour détournement de fonds sont quant à elles facilitées par la loi sur les ONG qui oblige à verser les dons sur les comptes personnels des dirigeants.

En France, notre publication sur les Jeux de Bakou a été médiatiquement très bien reçue, ce qui n’était pas gagné, car l’Azerbaïdjan est un peu le trou noir des médias français. Nous avons travaillé conjointement avec la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) et Human Rights Watch, avec qui nous avons mené toutes nos démarches médiatiques et de plaidoyer. Nous avons rencontré l’Assemblée nationale, la ministre Mme Fourneyron, le Quai d’Orsay. Dinara Yunus, la fille de Leyla et d’Arif, qui étaient encore en prison à l’époque, elle-même réfugiée aux Pays-Bas comme ses parents aujourd’hui, nous accompagnait. Notre satisfaction est que, chaque fois que les Jeux européens de Bakou ont été traités, les médias ajoutaient au volet sportif la question des droits humains.

M. le président François Rochebloine. Avez-vous envoyé votre rapport au journal L’Équipe ?

Mme Anne Castagnos-Sen. Nous avons envoyé un communiqué de presse à tous les médias, mais je ne saurais dire si L’Équipe l’a repris ou non.

Nous avions contacté le président du comité d’organisation, qui nous a répondu en citant la charte olympique et en expliquant que le comité veillerait à son respect, mais nous n’avons pas eu de rendez-vous. Le rapport a été très bien reçu en Allemagne, il a été assez bien couvert dans les pays européens, mais je ne sais pas ce qu’il en est au-delà.

Nos espoirs sont fondés sur les pressions que peuvent exercer des États comme la France en bilatéral. C’est un axe cardinal de notre action. Nous ne demandons pas de rompre les relations diplomatiques, de cesser d’investir ou de boycotter un pays, car cela risquerait d’avoir des conséquences dramatiques pour les populations, mais nous espérons que des pays amis pourraient obtenir des effets positifs. Nous ne croyons pas que le fait de ne pas aborder les questions qui fâchent soit le meilleur moyen de faire avancer les choses.

M. le président François Rochebloine. Certains avaient prôné le boycott des Jeux olympiques en Chine. Je trouve personnellement qu’il aurait été regrettable de ne pas nous rendre à ces jeux et que nous avons bien fait d’y aller, en affirmant un certain nombre de choses par ailleurs.

Mme Anne Castagnos-Sen. La politique de la chaise vide n’est en effet pas ce qu’il faut. J’ai davantage confiance dans les pressions que peuvent exercer des États « amis » et les instances multilatérales telles que le Conseil de l’Europe, et je ne crois pas trop à une soudaine prise de conscience du Gouvernement azerbaïdjanais.

M. Jean-François Mancel. Nous divergeons, madame, mais je salue avec respect votre présentation de grande qualité, ainsi que votre engagement.

Vous affirmez votre espoir que la France dise des choses à l’Azerbaïdjan, mais vous avez aussi dénoncé la France comme un pays liberticide, dans les lois qu’elle a adoptées à la suite des attentats de 2015. Comment pouvons-nous donner des leçons aux autres alors que votre institution souligne que nous avons voté des lois liberticides à la quasi-unanimité ?

Vous dites aussi que le référendum a porté atteinte aux droits fondamentaux. Ce référendum prolonge le mandat du Président de cinq à sept ans : nous avons longtemps eu un mandat présidentiel de sept ans en France, il a été réduit à cinq ans et beaucoup disent aujourd’hui que sept ans ce n’était pas si mal. Le référendum donne aussi au Président la possibilité de dissoudre le Parlement : or le Président de la République française a le droit de dissoudre l’Assemblée depuis 1958. Dans tous ces domaines, il est possible de présenter une interprétation négative comme une interprétation positive ; c’est subjectif.

Je ne nie pas que l’Azerbaïdjan puisse progresser en matière de démocratie, mais, avec seulement vingt-cinq années d’indépendance, après soixante-dix ans de soviétisme et des décennies de tsarisme, on peut tout de même prendre un peu de temps.

M. le président François Rochebloine. Je salue, comme notre collègue, le travail que vous conduisez dans le monde entier. Heureusement qu’Amnesty International existe.

Mme Anne Castagnos-Sen. Le référendum constitutionnel s’inscrit dans un mouvement répressif général, dans une série de lois qui vont toutes dans le même sens ; il ne faut pas le considérer isolément.

Je ne suis pas sûre que nous ayons employé le terme de « liberticide » pour la France mais peu importe. Quand nous parlons avec des diplomates, ils nous disent qu’il est important que d’autres disent : « Vous n’êtes pas non plus parfaits », car cela permet des échanges. Nous pouvons, les uns et les autres, faire des pas et progresser.

M. le président François Rochebloine. Merci, madame, pour cet échange et, encore une fois, continuez votre action !

La séance est levée à douze heures quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Mission d’information sur les relations politiques et économiques entre la France et l’Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au Sud Caucase

Réunion du jeudi 24 novembre 2016 à 10 h 30

Présents. - M. Jean-Louis Destans, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Jean-François Mancel, M. François Rochebloine, M. François Scellier

Excusés. - M. Jean-Luc Bleunven, Mme Véronique Louwagie, M. Marcel Rogemont

1 () Ultérieurement, Mme Castagnos-Sen a indiqué s’être rendu compte de ce qu’elle avait fait une erreur, en mentionnant un taux de participation à la mi-journée. Le taux de participation au référendum, sur la base des résultats officiels, s’établit à 69 %.