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Mission d’information sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi

Jeudi 19 juin 2014

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 4

Présidence de M. Olivier Carré, Président

–   Audition, ouverte à la presse, de M. Bruno Rousselet, chef du service de la gestion fiscale à la Direction générale des finances publiques (DGFiP), de M. Bruno Mauchauffée, sous-directeur « fiscalité des entreprises » à la Direction de la législation fiscale, de Mme Catherine Brigant, sous-directrice « missions foncières, fiscalité du patrimoine et statistiques » à la gestion fiscale, et de M. Laurent Martel, sous-directeur « professionnels et action en recouvrement » à la gestion fiscale

–   Présence en réunion

M. Yves Blein, rapporteur. La mission d’information sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) va aujourd’hui procéder à l’audition de M. Bruno Rousselet, chef du service de la gestion fiscale à la Direction générale des finances publiques (DGFiP), M. Bruno Mauchauffée, sous-directeur « fiscalité des entreprises » à la Direction de la législation fiscale, Mme Catherine Brigant, sous-directrice « missions foncières, fiscalité du patrimoine et statistiques » à la gestion fiscale, et M. Laurent Martel, sous-directeur « professionnels et action en recouvrement » à la gestion fiscale.

Messieurs, madame, vous occupez une place stratégique dans la mise en place du CICE et allez donc pouvoir nous éclairer sur sa mise en place et le fonctionnement de ce dispositif et sur son appréciation en termes quantitatifs et qualitatifs.

M. Bruno Rousselet, chef du service de la gestion fiscale à la Direction générale des finances publiques (DGFiP). Je veux commencer en vous assurant qu’en ce qui concerne les chiffres, nous vous fournirons, dans un esprit de transparence et d’ouverture, tous ceux dont nous disposons – dans les limites de leur faiblesse intrinsèque, sur laquelle nous nous expliquerons. Nous avons bien senti la très forte attention du politique sur ce dispositif et avons mis en œuvre une gestion la plus impeccable possible, de manière à pouvoir renseigner régulièrement le Gouvernement et le Parlement.

Cela dit, le CICE n’est pas un objet nouveau : ce n’est qu’un crédit d’impôt prenant sa place dans des chaînes de gestion qui, tant pour l’impôt sur les sociétés que pour l’impôt sur les revenus, comportent d’autres dispositifs – d’une moindre ampleur budgétaire, mais fondés sur un mécanisme voisin. Pour le CICE, nous nous sommes appuyés sur l’expérience que nous avions de dispositifs similaires. En fait, parler du crédit d’impôt implique de faire référence à deux impôts, l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés, deux impôts de nature très différente puisque l’un est autoliquidé tandis que l’autre est établi sur rôle à partir des déclarations des usagers. Cette division réapparaîtra constamment dans notre propos : nous vous parlerons alternativement de la façon de gérer en impôt sur le revenu et en impôt sur les sociétés et, en termes de résultats, raisonnerons sur le principe de deux branches distinctes à additionner.

En matière d’impôt sur le revenu, comme c’est le cas pour tout autre crédit d’impôt, il appartient à la personne estimant avoir droit au CICE de faire figurer les éléments de référence dans sa déclaration de revenus. Les déclarations de revenus récemment déposées par les contribuables, qui correspondent au premier exercice du CICE, sont en cours de saisie – à moins qu’elles n’aient fait l’objet d’une télédéclaration – et vont être présentées aux systèmes de taxation, qui procéderont durant l’été aux calculs nécessaires avant d’administrer le crédit d’impôt sous forme d’une ligne figurant dans l’avis d’impôt sur le revenu. Cette ligne fera apparaître une diminution de l’impôt dû sur d’autres revenus – ceux du bénéfice de l’entreprise, ou tout autre revenu du foyer fiscal. Si cette réduction est supérieure à ce qui est dû par ailleurs, il fera l’objet d’une restitution. La restitution peut concerner des entreprises soumises à deux régimes distincts : l’un prévoyant une simple imputation sans restitution, l’autre, dans la quasi-totalité des cas, prévoyant une restitution immédiate.

En résumé, les choses vont se dérouler ainsi : la taxation est effectuée durant l’été et les avis sont adressés à l’automne, immédiatement suivis de leur traduction concrète en termes de trésorerie pour l’entreprise concernée – impôt à payer ou restitution à obtenir. De ce point de vue, nous sommes très pauvres en statistiques : ce n’est qu’à l’issue du cycle complet de taxation et de mise en rôle que nous établirons, comme nous avons l’habitude de le faire, des statistiques détaillées que nous pourrons vous communiquer.

M. le rapporteur. Vous nous dites que les avis d’imposition ou de restitution parviendront aux intéressés à l’automne. Pouvez-vous être plus précis en termes de dates ?

M. Bruno Rousselet. Nous sommes confrontés à un problème de complétude des données mais je pense que, dès septembre, nous devrions disposer de l’état statistique 1507 représentatif des deux premières émissions intervenues durant l’été. Même si d’autres émissions viendront compléter le dispositif ultérieurement – jusqu’au début de l’année prochaine, avec des émissions de régularisation –, nous disposerons fin août, début septembre d’une indication statistique très fiable, puisque elle concerne traditionnellement 95 % à 99 % des usagers.

Le dispositif relatif à l’impôt sur les sociétés est totalement différent. Il concerne des entreprises de plus grande taille, généralement assistées par des experts-comptables et d’autres professionnels du chiffre. Les grandes dates fiscales du calendrier de ces sociétés sont celles de la taxation potentielle du bénéfice de l’année en train de se constituer, suivie, en mai suivant, du solde donnant lieu à la liquidation complète de l’impôt sur les sociétés, comprenant la défalcation des éventuels crédits d’impôts – notamment le CICE – et l’ajustement, sous forme d’un solde à verser par le contribuable ou d’une restitution à percevoir de la part de l’administration – ladite restitution pouvant elle-même être de deux natures différentes : restitution d’acompte ou crédit d’impôt tenant compte des acomptes réglés l’année précédente.

Au 15 mai 2014 les entreprises ont déclaré des exercices clos au 31 décembre 2013, les premiers au titre desquels ils pouvaient faire jouer les masses salariales concernées par le CICE. Nous avons suivi ceci au moyen des relevés de solde, exposant le détail du calcul par l’entreprise de son impôt sur les sociétés, de l’imputation des crédits d’impôt – dont le CICE – et des acomptes versés, pour parvenir au solde – consistant en un nouveau règlement ou une restitution. De ce point de vue, les entreprises s’auto-administrent : il n’y a pas d’intervention de l’administration dans la détermination du crédit d’impôt.

Toutefois, dans certaines situations, pas si rares compte tenu de l’importance du dispositif du CICE, l’impôt est tellement faible – c’est notamment le cas pour les entreprises déficitaires – que, même en l’absence d’acomptes, on aboutit immédiatement à une restitution, ce qui peut s’assimiler à un impôt négatif. Il s’agit alors pour l’entreprise concernée d’une démarche de nature contentieuse : elle doit manifester sa volonté de se voir restituer le crédit d’impôt. Afin de rendre les choses plus faciles, nous avons prévu deux procédures dépendant de la taille de l’entreprise – donc, indirectement, de la facilité qu’elle aurait à réaliser cette opération. Pour les entreprises de plus grande taille, il est prévu un relevé leur permettant de demander de manière globale le remboursement des crédits d’impôt – qu’il s’agisse, entre autres, du crédit d’impôt recherche ou de celui relatif à l’apprentissage. En ce qui concerne les plus petites entreprises, nous avons publié un document orienté plus spécifiquement vers le CICE, afin que le contribuable ne connaissant pas le fonctionnement du dispositif puisse calculer très facilement son crédit d’impôt, en appliquant un taux de 4 % à sa masse salariale. Ce document, prévu pour les cas les plus simples, comporte une case qu’il suffit de cocher pour demander la restitution du crédit d’impôt. Dès réception de ce document – sous forme papier ou électronique –, nos services instruisent la demande très rapidement et procèdent à la restitution. L’expérience montre qu’à l’exception de quelques très rares cas de refus de la part de l’administration – justifiés, par exemple, par une demande formulée deux fois –, la restitution est effective en quelques jours, sous forme d’un virement adressé à l’entreprise.

Mme Catherine Brigant, sous-directrice « missions foncières, fiscalité du patrimoine et statistiques » à la gestion fiscale. Les chiffres que je vais vous donner sont tirés de photographies prises par la direction générale des finances publiques. Au 31 mai 2014, date correspondant au relevé de solde déposé à l’appui des déclarations de résultat et concernant l’impôt sur les sociétés, la créance déclarée par 334 000 entreprises était d’un peu moins de 7 milliards d’euros ; au 6 juin 2014, le montant des imputations était de 1,7 milliard d’euros et le montant des restitutions traitées de 700 millions d’euros. Les chiffres progressent évidemment de semaine en semaine et, au 13 juin dernier, la créance déclarée venait juste de dépasser les 7 milliards d’euros, pour un montant de restitutions de 800 millions d’euros. Comme vous le voyez, le mécanisme n’a pas encore produit tout ce qu’il doit offrir aux entreprises, mais les chiffres que je vous ai donnés sont les plus récents dont nous puissions disposer.

Vous avez souhaité que vous soient communiqués des résultats ventilés par secteur d’activité, ce qui n’est pas aisé à faire dans le cadre d’une communication orale car cela impliquerait de fastidieuses énumérations. Je peux tout de même vous indiquer le montant minimal et le montant maximal du CICE dont ont pu bénéficier les entreprises : certaines entreprises se sont vu restituer un euro de CICE, tandis que le montant le plus élevé perçu par une entreprise était supérieur à 670 000 euros.

M. Alain Fauré. Ce montant de un euro paraît très étonnant. Comment l’expliquer ?

M. Bruno Rousselet. Par le hasard arithmétique, tout simplement : il suffit que le montant du crédit d’impôt soit supérieur d’un euro à celui de l’impôt dû initialement.

Mme Catherine Brigant. Je précise que ce chiffre, certes étonnant à première vue, m’a été confirmé, preuve à l’appui, par le chef comptable d’un service des impôts des entreprises.

M. le président Olivier Carré. Pouvez-vous nous indiquer également le montant minimal et le montant maximal des créances déclarées par les entreprises ?

Mme Catherine Brigant. Nous ne disposons pas de ces chiffres. Je vais voir comment les obtenir, mais ils présentent en tout état de cause un intérêt limité du point de vue des statistiques, dans la mesure où ils se rapportent uniquement aux créances déclarées à ce jour, et non à l’ensemble des entreprises concernées par le CICE.

Mme Christine Pires Beaune. Le montant total des créances déclarées que vous nous avez indiqué, à savoir 7 milliards d’euros, correspond-il seulement à l’impôt sur les sociétés, ou également à l’impôt sur le revenu ?

M. Bruno Rousselet. Ce chiffre correspond seulement à la partie impôt sur les sociétés, car nous ne disposons pas encore des chiffres de la partie impôt sur le revenu.

Mme Catherine Brigant. Je confirme que ma source est celle des relevés de solde IS.

M. Laurent Martel, sous-directeur « professionnels et action en recouvrement » à la gestion fiscale. Et des entreprises ayant clôturé leur exercice à la date du 31 décembre 2013.

M. Bruno Rousselet. Effectivement, seules les entreprises intéressées par le dispositif, et ayant clôturé leurs comptes à la date du 31 décembre, ont pu être prises en compte. Les autres viendront compléter au fur et à mesure les chiffres dont nous disposons.

Mme Catherine Brigant. Pour ce qui est de la répartition par activité des imputations et des restitutions, ce sont les industries manufacturières qui arrivent en tête à ce jour, avec les entreprises de construction et celles ayant pour objet de vendre et de réparer des automobiles et des motocycles : comme on le voit, il s’agit des entreprises dont la politique salariale constitue le cœur de cible du CICE – ce dispositif étant plafonné, pour ce qui est de la masse salariale concernée, à deux fois et demie le montant du SMIC.

M. Bruno Rousselet. Nous vous transmettrons des documents au sujet de ces statistiques sectorielles, en émettant toutes réserves méthodologiques quant à la répartition. Ainsi, quand un groupe est multi-activités, sur quel secteur le CICE unique du groupe va-t-il porter ?

Mme Catherine Brigant. La grande question, lorsqu’on est en présence d’un groupe, est de savoir qui va bénéficier, in fine, de la restitution ou de l’imputation à l’issue de l’application du mécanisme du CICE. Certes, c’est la tête de groupe qui, déposant la demande et le relevé de solde, doit normalement disposer du « cash », mais tout dépend ensuite de la convention de groupe qui a été passée pour son attribution. Cette question de nature non fiscale fait partie de la réflexion actuellement menée dans le cadre du comité de suivi du CICE, auquel je participe moi-même.

M. Bruno Rousselet. Le montant de 7 milliards d’euros qui vous a été indiqué résulte de la simple constatation d’une activité déclarative de l’entreprise, avec le risque d’erreur qu’induit une telle référence – mais, comme je l’ai déjà dit, les entreprises sont souvent entourées par des professionnels du chiffre. Les autres chiffres indiqués – 700 millions d’euros de restitution et 1,7 milliard d’euros d’imputation – sont, quant à eux, des imputations vérifiées au moyen d’une chaîne – la plupart du temps automatique, mais faisant parfois également intervenir un agent vérifiant, par exemple, que l’ordre d’imputation des crédits correspond bien à ce que souhaite l’administration –, et ce n’est qu’une fois tous les contrôles effectués que l’on incrémente les compteurs. Cette procédure de vérification administrative justifie le décalage, qui peut paraître étrange, entre le montant de 7 milliards d’euros déclarés et celui de 1,7 milliard d’euros imputés – mais du fait de l’application du principe d’autoliquidation, l’argent, lui, se trouve déjà en possession de l’entreprise, ce qui répond bien à la préoccupation exprimée sur le plan politique lors de la réflexion ayant présidé à l’élaboration du dispositif.

M. Alain Fauré. Le CICE a été instauré au 1er janvier 2013. Comment peut-on savoir si les premières entreprises à avoir clôturé leurs comptes à partir de cette date, et qui n’étaient pas toujours bien informées, ont correctement effectué leurs déclarations ? Un suivi a-t-il été mis en place ?

M. Laurent Martel. L’administration a communiqué à grande échelle auprès des entreprises, qui ont fait l’objet, de l’été 2013 au printemps 2014, de plusieurs campagnes de mass mailing visant à leur expliquer le fonctionnement du CICE. Par ailleurs, les experts-comptables ont été destinataires d’un message d’information, et une hotline a été mise en place à leur intention. En dépit de toutes ces mesures et de la simplicité des formalités déclaratives, on constate encore quelques erreurs de déclaration, ce qui n’a rien d’étonnant pour un dispositif nouveau, qui nécessite toujours un temps d’apprentissage. Comme c’est souvent le cas lors de la première année de fonctionnement d’un dispositif, les services administratifs sont sollicités plus qu’ils ne le seront lors des années à venir : ainsi, il n’est pas rare qu’ils soient amenés à revenir vers telle ou telle petite entreprise pour lui faire remarquer qu’après avoir déclaré du CICE, elle n’a pas réclamé la restitution à laquelle elle aurait pourtant droit.

M. Alain Fauré. J’ai pu constater qu’au moins jusqu’en septembre dernier, un certain nombre d’experts-comptables de mon département ne maîtrisaient pas encore très bien le mécanisme du CICE et que des chambres de commerce et d’industrie et des unions patronales se plaignaient du caractère lourd et fastidieux du dispositif – ce qui n’incitait évidemment pas les entreprises à y recourir. Pouvez-vous nous préciser quelles démarches d’information ont été entreprises auprès des petites entreprises – les grandes étant généralement mieux informées ?

M. Laurent Martel. Dès le 7 janvier 2013, le portail de l'économie et des finances a ouvert le site internet du Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi qui, à l’adresse www.ma-competitivite.gouv.fr, comportait des rubriques très détaillées sur les formalités déclaratives du CICE. Du 1er au 20 mars 2013, une campagne d’information à destination du grand public a été mise en place dans la presse quotidienne nationale et régionale. Enfin et surtout, à compter de mars 2013, se sont tenues dans tous les départements au moins une ou deux réunions d’information auprès des réseaux consulaires et des organisations patronales locales, ayant pour objet de sensibiliser ces intermédiaires et de relayer l’information. Comme vous le voyez, il y a donc eu, dès le premier trimestre 2013, une vaste mobilisation faisant appel à différents vecteurs d’information. En revanche, force est de reconnaître qu’à l’approche de l’échéance déclarative, les experts-comptables se posaient encore beaucoup de questions au sujet du CICE, et que la hotline a été fortement mise à contribution à ce moment.

Mme Christine Pires Beaune. J’imagine que le mécanisme de restitution est simple : l’entreprise reçoit un courrier adressé au chef d’entreprise, accompagné d’un chèque ou d’un virement. Mais comment les choses se passent-elles quand il y a imputation ?

M. Laurent Martel. En cas d’imputation, l’entreprise doit renseigner le montant du CICE qu’elle entend imputer sur son impôt sur les sociétés, qu’elle connaît forcément, puisque c’est à partir de ce montant qu’elle, ou son expert-comptable, a calculé son solde d’IS. La restitution, elle, se fait effectivement par virement, et ne donne lieu à l’envoi d’un courrier à l’entreprise que lorsque sa demande est rejetée en tout ou en partie.

M. Bruno Mauchauffée, sous-directeur « fiscalité des entreprises » à la Direction de la législation fiscale. Pour en revenir aux entreprises clôturant en cours d’année et ayant pu être prises de court en 2013, je veux rappeler que le CICE est calculé sur l’année civile – en l’occurrence, sur toute l’année 2013. La liquidation du crédit d’impôt n’étant intervenue qu’en 2014, elles ont disposé de toute l’année 2013 et des premiers mois de 2014 pour s’approprier le dispositif.

M. Alain Fauré. Il faut tout de même reconnaître qu’il n’était pas toujours facile pour les entreprises de déterminer leur imputation, et de suivre celle-ci, lorsqu’elle devait se faire sur deux exercices différents.

M. Bruno Mauchauffée. Le mécanisme est calqué sur celui du crédit d’impôt recherche et sur les obligations déclaratives des réductions de charges.

M. Laurent Martel. Les entreprises concernées peuvent également s’appuyer sur les déclarations qu’elles ont faites auprès des organismes sociaux, incluant une récapitulation à l’échelle de l’année civile – le contrôle et le recoupement entre nos bases et celles des organismes sociaux est ainsi plus commode. Quant aux entreprises appliquant les règles des allégements dits Fillon pour calculer leur masse salariale, elles peuvent également se reporter à leur déclaration relative à ce dispositif, puisque la période de référence est la même.

Mme Annie Genevard. Pour ce qui est de la ventilation par secteur d’activité, vous nous dites que les industries manufacturières arrivent en tête, ce qui est plutôt une bonne chose dans la mesure où les activités de production constituent l’une des cibles du CICE. Sans entrer dans le détail, pouvez-vous nous dire quel type d’industrie manufacturière est concerné en priorité ? S’agit-il, par exemple, de l’industrie lourde ou de l’industrie de pointe ? En matière de commerce, les grandes et moyennes surfaces occupent-elles une place prépondérante ?

Mme Catherine Brigant. La DGFiP ne peut répondre à ces questions, trop fines pour que nos systèmes soient capables de recueillir des informations à leur sujet : la maille de notre connaissance des secteurs d’activité ne correspond qu’aux codes INSEE des entreprises. Vous pourrez, me semble-t-il, obtenir des réponses à vos demandes auprès de l’INSEE dans le cadre de l’enquête récurrente qu’elle mène auprès de certaines entreprises. Si je me souviens bien, elle dispose d’un panel de 4 000 entreprises lui permettant de savoir comment s’opère au plan national la ventilation par secteur d’activité.

Mme Annie Genevard. Je comprends que vous ne puissiez nous fournir les éléments que j’ai évoqués, mais ceux-ci sont indispensables. En effet, l’intention politique justifiant la mise en œuvre du CICE est de soutenir certains secteurs d’activité, et nous devons savoir s’il y a adéquation entre le dispositif instauré et l’évaluation de son efficacité économique.

M. le président Olivier Carré. Je rappelle tout de même qu’il existe un comité de suivi : M. Pisani-Ferry et les économistes qui l’entourent vont surveiller l’évolution du dispositif. Par ailleurs, j’insiste sur le fait que nous n’avons aucun recul sur le CICE, qui en est encore à l’année zéro de son application : nos conclusions seront forcément partielles. Ce que nous devons mettre en évidence, ce sont les éléments qui, techniquement, ressortent d’ores et déjà comme des freins ou des anomalies pouvant donner lieu à simplification. Il sera procédé à une analyse historique, mais le moment n’est pas encore venu pour cela.

M. Joël Giraud. J’aimerais savoir si vous disposez de statistiques actualisées sur l’engagement des banques commerciales en matière de préfinancement. Avez-vous obtenu, au titre du comité national de suivi, des explications de la part de la fédération bancaire française au sujet d’un montant d’engagement qui nous paraît singulièrement modeste ? Toujours sur le même point, disposez-vous d’outils de contrôle sur la sélection des dossiers par les banques privées ?

Par ailleurs, la loi de sécurisation de l’emploi impose certaines obligations à l’entreprise, notamment celle de tenir les représentants du personnel informés de l’utilisation du CICE, conçu pour soutenir l’investissement et l’emploi. Avez-vous élaboré une doctrine en matière de sanction des entreprises ayant fait une utilisation abusive des sommes obtenues dans le cadre de ce dispositif ? Est-il éventuellement prévu de récupérer la trésorerie utilisée et, le cas échéant, selon quelles modalités ? La rapporteure générale du budget a déposé un amendement sur ce point dans le cadre de la loi de finances rectificative, disposant que, lorsqu’une entreprise bénéficie d’un remboursement de créance au titre du crédit d’impôt du CICE, le Trésor public procède au remboursement sur le compte bancaire de la société, et non sur le compte bancaire des associés. Avez-vous déjà procédé à des remboursements de créances relatifs au CICE sur des comptes bancaires privés plutôt que sur des comptes d’entreprises ? Le cas échéant, de quel montant ?

M. le président Olivier Carré. Cette question a fait l’objet hier d’un long débat en commission des finances ! Pouvez-vous nous faire bénéficier de votre éclairage ?

M. Bruno Rousselet. Pour les sociétés de personnes, dont les résultats sont imposés comme l’un des revenus du foyer fiscal de l’entrepreneur, le CICE est intégré dans la somme des crédits d’impôt dont bénéficie le foyer fiscal concerné, au même titre que ceux obtenus, par exemple, pour l’emploi d’un salarié à domicile ou du fait de la présence d’enfants au collège ou au lycée. Le CICE se trouve ainsi fondu dans le dispositif global d’impôt sur le revenu et, lorsqu’un virement est effectué à ce titre, il se présente sous la forme du versement d’un solde tenant compte du calcul effectif du CICE et des acomptes précédemment versés, éventuellement dans le cadre d’un paiement de l’impôt par mensualisation. En l’état actuel, je serais bien incapable de distinguer, dans le flux financier émis, ce qui l’est au titre du CICE. Si le législateur exige que l’on soit en mesure de distinguer ce qui correspond au CICE, on devra sortir de la logique de l’IR, avec un versement effectué à part sur le compte désigné à cet effet par le foyer fiscal. Comme vous le voyez, une telle exigence irait très loin.

M. le président Olivier Carré. Hier, en commission des finances, nos craintes concernaient plutôt le cas de sociétés de plus grande dimension dont la fiscalité est rattachée aux personnes, comme les sociétés civiles. Mme la rapporteure générale estime que les sommes en jeu peuvent alors ne pas être négligeables.

M. Bruno Mauchauffée. Entre l’impôt sur le revenu du chef d’une entreprise individuelle assujettie à l’IR, et celui de cette même personne privée, il ne saurait y avoir de distinction. L’amendement défendu par Mme la rapporteure générale visait les sociétés de personnes qui sont fiscalement transparentes. Chacun des associés paie l’impôt à proportion de ses droits et bénéficie du crédit d’impôt qui est calculé au niveau de l’entreprise. Le CICE ne peut être attribué à l’entreprise qui n’existe pas fiscalement.

M. le président Olivier Carré. C’est le cas par exemple pour les sociétés civiles de moyens (SCM).

M. Alain Fauré. Quoi qu’il en soit, le CICE est bien versé sous condition qu’existe une entreprise ayant une activité réelle et des salariés. Personne n’est susceptible d’avoir accès au crédit d’impôt sans cela. En outre, les montants concernés sont sans doute très faibles.

M. Laurent Martel. Au 31 décembre 2013, le total des cessions de créances notifiées à la DGFiP s’élevait à 1,4 milliard d’euros au profit de 11 314 entreprises – dont environ 900 millions d’euros pour OSEO au profit de 11 000 entreprises, et 505 412 000 euros pour d’autres établissements de crédit au profit de 574 entreprises. Des décalages chronologiques dans nos calculs respectifs expliquent les différences entre ces chiffres et ceux que les représentants de Bpifrance pourraient vous avoir communiqués la semaine dernière.

M. Christophe Castaner. Les banques sont essentiellement intervenues pour leurs très gros clients alors que Bpifrance a géré le cas des petites entreprises, ce qui n’est pas sans conséquences sur le coût de traitement des dossiers.

La mesure de l’effet du CICE sera d’autant plus complexe qu’aux effets de substitution et de compétitivité s’ajoute, en période de tension pour les entreprises, un effet revenu.

Sur le terrain, la DGFiP constate-t-elle que l’antienne de « l’usine à gaz » prospère concernant le CICE ? Est-elle partenaire des comités régionaux de suivi qui aurait dû être mis en place ?

M. Laurent Martel. Comme le montrent les chiffres, nous ne constatons pas de réticences de la part des entreprises à l’égard du CICE. Si le taux de déclarations en anomalie est anormal par rapport à celui des autres crédits d’impôts, cela s’explique par la nouveauté du dispositif.

Les contribuables sont heureusement surpris par la rapidité du service rendu : aucune manifestation d’impatience ou de mauvaise humeur n’a été constatée. Les services ont reçu la consigne d’être compréhensifs : ils contactent les entreprises qui négligent de réclamer la restitution de CICE, ou celles dont l’assiette salariale enregistrée par les organismes sociaux est très différente de celle déclarée à l’administration fiscale.

M. le président Olivier Carré. Vous ne nous dites rien des comités de suivi régionaux ?

M. Bruno Rousselet. À vrai dire vrai, je n’en ai entendu parler qu’à trois reprises : dans la loi, dans une question écrite parlementaire, et dans deux courriers de députés.

M. Joël Giraud. La loi a oublié de désigner un chef de file ce qui ne facilite pas leur création.

M. le président Olivier Carré. Le comité de suivi national pourrait donner une impulsion en la matière.

M. Guillaume Bachelay. Les grands groupes affectent à leurs filiales le CICE qu’ils perçoivent selon une convention de groupe. La technique fiscale ou réglementaire permet-elle de vérifier l’effectivité de cette répartition ?

M. Bruno Rousselet. La pratique selon laquelle l’impôt sur les sociétés des différentes sociétés intégrées remonte à la société mère pour être pris en masse rend invisible à nos yeux la répartition de la fiscalité au sein du groupe, qu’il s’agisse des montants à payer ou du bénéfice de crédits d’impôts. Les comités de suivi peuvent évidemment interroger tel ou tel sur la prise en compte par sa convention de groupe intégré de la répartition du CICE, mais cette dernière est hors la vue de la fiscalité.

M. Guillaume Bachelay. Nous retiendrons que l’adaptation des conventions de groupe peut aussi avoir un coût.

M. Alain Fauré. Quelle sera l’incidence pour les entreprises de la réduction des charges salariales liées au CICE ?

Mme Catherine Brigant. Cette évaluation ne relève pas de la DGFiP mais plutôt de l’INSEE. Le comité de suivi s’intéresse au sujet même si le recul nécessaire manque pour mener une réflexion utile et produire des données sérieuses.

M. le président Olivier Carré. Je rappelle que si les charges salariales constituent bien l’assiette qui permet de calculer le montant du CICE, ce dernier dispositif ne diminue par leur montant dans les comptes de l’entreprise.

M. Razzy Hammadi. Les données dont vous disposez vous permettent-elles d’anticiper l’attitude d’acteurs qui bénéficieront du CICE mais aussi d’exonérations sur les cotisations sociales ? Le cumul de « l’exonération Fillon » et du CICE nous donne-t-elle des pistes en la matière ?

Quelles différences d’approche avez-vous constaté selon la structure salariale des entreprises concernées ? Il n’est par exemple pas innocent que l’industrie aéronautique plaide pour que le plafond d’éligibilité soit porté de 2,5 à 3,5 SMIC.

M. Laurent Martel. L’instruction des dossiers par nos services ne permet malheureusement pas de vous apporter une réponse utile concernant l’articulation entre crédit d’impôt et exonérations de cotisations sociales.

Les agents instruisent de façon particulièrement vigilante les demandes de restitution provenant des PME en raison des risques de fraude plus élevés. Nous connaissons en conséquence ces entreprises bien mieux que les autres sur lesquels je ne me prononcerai pas à ce stade.

M. le rapporteur. A ma connaissance, les conventions de groupe sont contrôlées par les commissaires aux comptes, et elles répondent à une obligation de permanence de méthode qui empêche les évolutions au gré de la fiscalité.

Une évolution de la réglementation risque de nous obliger à comptabiliser les crédits d’impôt comme des dépenses dans les comptes des États. Cette évolution modifierait-elle la structure et la nature d’un dispositif qui permettait jusqu’alors de constituer une trésorerie de manière plus « douce » qu’en passant par des allégements de charges ?

M. Bruno Mauchauffée. La DGFiP traite les groupes comme des entités uniques ; elle ne connaît pas les conventions qui lient les filiales à leur société mère. Nous partons du principe que la société mère, qui détient obligatoirement 95 % du capital de ses filiales, leur restitue le CICE dans l’intérêt du groupe.

Contrairement à l’allégement de charges dont l’effet est immédiat, le CICE n’est pas restituable instantanément mais imputable durant trois ans. La « chronique » budgétaire de ces deux dispositifs est donc très différente : le coût complet du CICE ne pèsera sur les finances publiques que d’ici quatre ans.

M. Laurent Martel.  Même si les crédits d’impôts doivent être considérés comme des dépenses, il reste à savoir s’ils seront constatés l’année de contraction de la dette fiscale. Les développements en la matière sont suivis par la direction générale du Trésor.

M. le rapporteur. Si le CICE devait être considéré comme une dépense, me confirmez-vous qu’il faudrait ajouter 20 milliards d’euros à la charge de l’État ?

Mme Catherine Brigant. Le débat porte sur la différence entre dépenses et moindres recettes. Si les restitutions immédiates sont traitées par la DGFiP au titre des remboursements et dégrèvements dans un programme de dépenses, leur « chronique » d’imputation spécifique nous amène à ne pas les considérer comme telles. Cette logique est parfaitement défendable sur le plan fiscal et comptable. Une procédure de modification de la « norme dépenses » qui intégrerait les crédits d’impôts dans les dépenses créerait, en quelque sorte, une comptabilité par anticipation.

La véritable question reste à mon sens de savoir ce que comprennent les comptes de l’État en termes d’engagements, et, sur ce plan, les choses sont parfaitement claires. Le CICE est d’ores et déjà valorisé dans les engagements de l’État : même si les montants en question ne sont pas des engagements au sens comptable, ils sont publiés en annexe des comptes de l’État et transmis aux parlementaires.

M. Razzy Hammadi. Rassurez-nous : rien ne nous oblige l’année prochaine à considérer comme des charges l’ensemble des engagements relatifs au CICE ?

M. le président Olivier Carré. Le bureau de la commission des finances créera sans doute un groupe de travail pour analyser la situation car les conséquences d’une telle évolution ne seraient pas neutres.

Une moindre recette de 1 % diminue de un point les prélèvements obligatoires alors qu’une augmentation de 1 % de la dépense publique ne modifie par le niveau de ces prélèvements. L’alternative n’est pas anodine. La modification par Eurostat de certaines de ses normes peut avoir un impact considérable sur les comptes publics français et sur les trajectoires que nous nous sommes fixées – 3 à 4 % de PIB pourraient être concernés.

M. Alain Fauré. Il ne fait à mes yeux aucun doute que les moindres recettes ne sont pas des dépenses. Le problème peut à la rigueur se poser en ce qui concerne les entreprises qui, faute de payer un impôt supérieur au montant du CICE auquel elles ont droit, reçoivent directement de l’argent.

M. le rapporteur. Afin d’établir des comparaisons avec les chiffres que vous nous avez fournis, pouvons-nous savoir combien notre pays compte d’entreprises souscrivant une déclaration de résultats soumise à l’impôt ?

Mme Catherine Brigant. Elles sont 1,4 million pour ce qui concerne l’impôt sur les sociétés, et 1,7 million pour l’impôt sur le revenu. Parmi ces dernières, 840 000 le font au titre des bénéfices industriels et commerciaux, 550 000 pour des bénéfices non commerciaux, et 270 000 pour des bénéfices agricoles.

M. Alain Fauré. Certaines entreprises perçoivent-elles des montants de CICE qui vous paraissent astronomiques ? Des noms circulent dans la presse ; nous aimerions que vous puissiez nous citer quelques cas.

M. le président Olivier Carré. Mon cher collègue, je ne suis pas certain qu’il soit possible d’obtenir ces noms de la part de l’administration fiscale. Nous pouvons en revanche avoir connaissance de montants.

Mme Annie Genevard. Mme Brigant a déjà parlé de 670 000 euros !

M. le président Olivier Carré. Ce montant équivaut à une somme remboursée et non à un montant imputé !

Mme Catherine Brigant. Je me permets de vous rappeler que le secret professionnel et fiscal s’impose aux personnes que vous auditionnez ce matin. Celles qui l’enfreindraient seraient personnellement passibles de sanctions pénales. Cela dit, nous ne disposons pas des noms d’entreprises que vous nous demandez.

M. Christophe Castaner. Les noms qui ont circulé dans la presse sont logiquement ceux des entreprises françaises disposant des plus importantes masses salariales, et qui proposent les salaires les plus bas. Il n’y a donc rien d’étonnant à y retrouver des entreprises de la grande distribution comme Auchan et Carrefour ou La Poste. Sur la base de la structure des entreprises, l’identification des gros bénéficiaires du CICE est donc aisée ; l’INSEE pourrait parfaitement effectuer ce travail.

Considérez-vous qu’il existe un fort risque de fraude dans les déclarations relatives au CICE ? Leur portez-vous à ce titre une attention toute particulière ?

M. Laurent Martel. Le risque existe, notamment pour les demandes de restitutions. Une entreprise sans salarié pourrait tenter d’obtenir un remboursement avant de disparaître. Un système de contrôle a été mis en place qui permet de comparer la masse salariale déclarée au titre du CICE et celle enregistrée par les organismes sociaux. En cas d’écart de plus de 10 % entre les données fiscales et sociales, l’entreprise concernée doit fournir un bordereau récapitulatif de cotisations sociales.

À l’automne, nous disposerons aussi d’une liste complète récapitulant les écarts anormaux entre l’assiette CICE et celle des organismes sociaux. Elle permettra non seulement d’opérer un contrôle des restitutions et des imputations, mais aussi, dans le cadre de notre mission d’appui et de conseil, de solliciter les entreprises qui, ayant droit au CICE, ne l’auraient pas réclamé.

M. le rapporteur. Combien d’entreprises le CICE devrait-il concerner à terme ?

M. Laurent Martel. L’estimation est d’autant plus difficile que nous ne disposons que de l’exercice par année civile. Au total, un million d’entreprises devraient être éligibles au CICE.

M. le président Olivier Carré. Madame, messieurs, nous vous remercions.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi

Réunion du jeudi 19 juin 2014 à 9 heures

Présents. - M. Éric Alauzet, M. Guillaume Bachelay, M. Yves Blein, M. Florent Boudié, M. Christophe Castaner, M. Alain Fauré, M. Hugues Fourage, Mme Annie Genevard, M. Joël Giraud, M. Razzy Hammadi, Mme Christine Pires Beaune, Mme Eva Sas

Excusés. - M. Xavier Breton, M. Philippe Kemel, Mme Véronique Louwagie, M. Patrick Vignal, M. Éric Woerth