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Mission d’information sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi

Jeudi 26 juin 2014

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 5

Présidence de M. Olivier Carré, Président

–   Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Houdebine, chef du service des politiques publiques à la Direction générale du Trésor

–   Présence en réunion

M. le président Olivier Carré. Nous entamons notre troisième séance d’auditions de la mission d’information sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Nous entendons ce matin M. Michel Houdebine, chef du service des politiques publiques à la Direction générale du Trésor, ainsi que ses collaborateurs, M. William Roos et M. Pierre Lissot. Messieurs, nous avons entendu la semaine dernière vos collègues de la Direction générale des Finances publiques sur les aspects budgétaires et fiscaux, et nous voudrions vous entendre aujourd’hui sur les conséquences macroéconomiques du CICE, telles que vous les anticipez, sachant que le contexte a évolué depuis son instauration.

M. Michel Houdebine, chef du service des politiques publiques à la Direction générale du Trésor. Nous présenterons le dispositif du CICE et son articulation avec les dispositifs existants et avec ceux qui sont actuellement en discussion devant l’Assemblée nationale (projet de loi de financement rectificatif de la sécurité sociale pour 2014), ainsi que quelques éléments d’évaluation, sous un angle macroéconomique. Il s’agit toutefois d’une évaluation ex ante, puisque nous disposons pour l’heure de très peu de données de terrain. L’essentiel des résultats que je présenterai ont été produits à l’automne 2012, et quelques-uns entre l’automne 2012 et l’automne 2013, à partir de données des années précédentes.

Vous connaissez le dispositif, ainsi que le contexte dans lequel il a été décidé, à la suite du rapport remis par Louis Gallois au Premier ministre (Pacte pour la compétitivité de l’industrie française). Le principal motif du choix d’un crédit d’impôt a été d’éviter une imputation sur les cotisations sociales employeurs hors régime général, qui n’étaient pas suffisantes pour permettre la baisse de six points des charges qui était envisagée. Le CICE participe à l’allègement du coût du travail, en lien avec les allègements de charges sociales prévus par le Pacte de responsabilité : les 6 % d’allègement du CICE s’ajoutent aux allègements généraux dégressifs sur les salaires compris entre 1 et 1,6 SMIC, renforcés par le Pacte, et à l’allègement des cotisations sur les salaires compris entre 1 et 3,5 SMIC, également prévu par le Pacte. Si l’on cumule leurs effets, l’allègement du coût du travail au niveau du SMIC est légèrement supérieur à 35 %. Je rappellerai la distribution des revenus sous-jacente à ces dispositifs : environ 80 % des salaires sont versés en dessous de 2,5 SMIC.

Le CICE prolonge une politique initiée il y a 20 ans avec les allègements « Balladur », et poursuivie avec les allègements « Juppé » et les allégements « Aubry ». L’objectif de cette politique est de faire baisser le coût du travail au niveau du SMIC. Mais le CICE innove en prévoyant des allègements de charges jusqu’à des niveaux de rémunération relativement élevés.

Observons le niveau du coin fiscalo-social en France et en Allemagne en 2013 – soit avant le Pacte de responsabilité. Je rappellerai que le coin fiscalo-social désigne la différence entre le coût du travail pour l’entreprise et la rémunération effective du salarié après déduction des cotisations employeurs, des cotisations salariés, de l’impôt sur le revenu, de la CSG, etc. En l’absence de rigidité sur les salaires, les niveaux de coin fiscalo-social entre la France et l’Allemagne sont légitimement comparables car le niveau de rémunération peut s’ajuster en fonction de la négociation entre le salarié et l’employeur, et des éléments de fiscalité. En bas de barème, la situation est très différente en France et en Allemagne : la France a un coin fiscalo-social nettement plus progressif, ce qui est dû à l’existence du SMIC en France. Au milieu de la distribution des salaires, les niveaux des coins sont relativement proches ; le CICE a contribué à rapprocher le niveau du coin français de celui de l’Allemagne, voire à le rendre inférieur à celui-ci. Sur la fin de la distribution, les niveaux de coins divergent, avec un coin français supérieur au coin allemand. Toutefois, il y a très peu de salariés à ce niveau de rémunération, et le niveau de prestations ouvert à ce niveau de rémunérations est plus important en France qu’en Allemagne, notamment en matière d’assurance maladie (à partir de 4 000 euros, en Allemagne, il est possible d’opter pour un service privé, qui est a priori plus favorable à ces salariés, alors qu’en France il y a solidarité entre les niveaux de rémunération élevés et les niveaux de rémunération faibles), et en matière de retraites.

La montée en charge des décaissements du CICE devrait être progressive. Les créances sont générées par l’entreprise chaque année au titre de ses salaires de l’année précédente : à partir de 2013, les entreprises créent de la créance, puis celle-ci fait l’objet d’un décaissement progressif par l’État. Par ailleurs, le taux du crédit d’impôt passe de 4 % en 2013 à 5 % en 2014. Les décaissements atteindraient ainsi près de 9 milliards d’euros en 2014, environ 16 milliards d’euros en 2015, près de 18 milliards d’euros en 2016 et un peu plus de 20 milliards d’euros en 2017. Ces données reposent sur des estimations datant de l’automne 2012, sur la base des déclarations annuelles de données sociales de 2011.

L’effet attendu d’une baisse du coût du travail réalisée par une réduction des cotisations est une hausse de la demande de travail de la part des entreprises. Cette hausse de la demande résulte de trois mécanismes :

– La baisse du coût du travail rend l’embauche comparativement plus intéressante pour l’entreprise, par substitution de travail au capital. Cependant, les effets de cette baisse diffèrent selon le niveau de qualification des salariés. Pour le travail très qualifié en particulier – par exemple dans le secteur de la recherche et développement –, on a tendance à dire que cette substitution est très faible, voire s’inverse : il y a complémentarité entre le travail et le capital. L’exemple type est celui du crédit impôt recherche, qui comprend à la fois une baisse du coût du travail et une baisse du coût de l’investissement.

– De plus, on constate un effet de volume : les coûts de production baissant, l’entreprise peut diminuer ses prix, ce qui augmente la demande des ménages et des entreprises, et par conséquent l’activité et l’emploi.

– Enfin, la baisse du coût du travail entraîne la rentabilisation d’activités auparavant non rentables, ce qui augmente également l’activité des entreprises et l’emploi.

L’allègement du coût du travail est supposé produire un effet plus important sur l’emploi lorsqu’il est réalisé au niveau du SMIC. Cette différence d’impact s’explique par l’effet du salaire minimum sur l’équilibre du marché du travail. L’équilibre du marché du travail se réalise de la façon suivante : du côté de la demande de travail, à un niveau de salaire donné, l’entreprise choisit un niveau d’embauches ; plus le salaire est élevé, moins l’entreprise tendra à embaucher. Du côté de l’offre de travail, les salariés sont d’autant plus disposés à travailler que la rémunération du travail est élevée. L’équilibre du marché du travail se situe à l’intersection de la courbe retraçant la demande de travail et de celle retraçant l’offre de travail. Cet équilibre décrit à la fois le niveau d’emploi qui en résulte, et le niveau de salaire correspondant.

En l’absence de salaire minimum, l’effet du CICE est de diminuer le coût du travail, ce qui augmente la demande de travail de la part des entreprises, entraînant la fois une hausse de l’emploi et une hausse des salaires. En revanche, si l’allègement intervient au niveau du SMIC, c’est un autre équilibre qui se réalise : au lieu d’une augmentation du salaire, on observe une stabilité du salaire, au niveau du SMIC, et un effet plus important sur l’emploi. L’effet des allègements sur l’emploi est donc plus important au niveau du SMIC.

Ces raisonnements sont confirmés par la littérature empirique : on observe bien un effet plus important des allégements du coût du travail aux environs du SMIC qu’à des niveaux de rémunération plus élevés. Cela tient aux variations de l’élasticité de l’emploi selon son coût : entre 1 et 1,5 SMIC, l’élasticité se situe à 0,90. Chaque fois que le coût du travail baisse de 1 % dans cette tranche de rémunération, l’emploi augmente de 0,9 %. Autour de 2 SMIC, l’effet sur l’emploi est plus faible, de seulement 0,2 %. Ces résultats sont partagés, en France, par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), l’Observatoire français des conjonctures économiques et la Direction générale du Trésor.

En termes de conséquences sur l’activité, le coût du travail calculé par l’INSEE augmente depuis 2008 jusqu’au premier trimestre de 2013 ; si l’on n’avait pas instauré le CICE, on aurait observé une poursuite de l’augmentation continue du coût du travail. Pendant sa phase de montée en charge, le CICE a ainsi permis de maintenir le coût du travail à un niveau stable.

Le CICE participe à la restauration des marges des entreprises. On a observé en effet que la baisse d’activité économique avait entraîné une moindre réaction du marché du travail que celle observée précédemment. Il s’en est suivi une dégradation des marges des entreprises. Le CICE fait baisser la part des rémunérations du travail dans la valeur ajoutée. Le Pacte de responsabilité et de solidarité ajoutera ses effets au CICE.

Les modélisations macroéconomiques permettent de synthétiser ces différents paramètres. La baisse du coût du travail a plusieurs effets : une baisse des prix avec un effet sur la demande internationale, une augmentation de la demande en France et une augmentation de l’emploi ; une hausse des marges des entreprises entraînant l’augmentation des investissements, celle de la demande, et l’amélioration de la qualité des produits ; enfin, une hausse de l’emploi.

L’évaluation transmise au Parlement dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2012, à l’automne 2012, prévoyait l’augmentation de l’activité, des exportations, des importations et de l’emploi. La prévision était celle d’une création d’environ 400 000 emplois en moyenne annuelle. Ces éléments sont à peu près corroborés par la note de conjoncture de l’INSEE de mars 2013 qui fait état de la création de 300 000 à 400 000 emplois. On ne peut échapper à une certaine marge d’incertitude mais l’ordre de grandeur de l’effet du CICE en matière d’emploi est partagé par les observateurs.

À la suite du rapport Gallois, il est intéressant de mesurer la compétitivité de la France, prix comme hors prix. La mesure de la sensibilité des exportations aux prix met en évidence que la France occupe une position médiane entre les pays champions, la Suisse, l’Allemagne et le Royaume-Uni, et les autres. Cependant, il est nécessaire de renforcer la compétitivité-prix mais également de compléter cette politique par une stratégie de montée en gamme des produits.

L’impact du CICE en fonction du secteur d’activité présenté à l’automne 2012 constitue une description statique de la réalité. L’industrie représente environ 20 % du CICE pour 4 milliards d’euros. On constate des différences modérées de distribution des salaires par secteurs entre les différentes branches même si les secteurs des services aux particuliers et des services aux entreprises sont caractérisés par des rémunérations faibles. Il est donc difficile de faire un barème ciblé vers l’industrie.

Les coûts salariaux dans les services sont déterminants pour les prix de production dans l’industrie. Il ne faut pas cibler le CICE uniquement sur l’industrie car l’industrie consomme des services marchands à hauteur de la moitié de ses coûts de production. De surcroît, le coût unitaire des consommations intermédiaires de services dans l’industrie a augmenté plus fortement que celui du travail entre 1990 et 2012.

Enfin, le CICE versé au secteur protégé de la concurrence internationale peut bénéficier également à l’industrie directement ou via les consommations intermédiaires de services.

M. Patrick Hetzel. Vous avez évoqué une baisse d’élasticité de l’emploi aux salaires au-delà d’un certain niveau. Il n’est pas certain que l’on reste à l’avenir sur la même tendance. Que faire pour traiter la question des emplois très qualifiés ? A-t-on par ailleurs mesuré l’élasticité du coût du travail au plan international ?

M. Éric Alauzet. Deux questions simples : quel est selon vous l’argument le plus décisif en faveur du CICE ? Quel est le plus grand non-sens que vous ayez entendu sur le CICE, dans les débats politiques en cours ?

M. Philippe Kemel. Un débat est fréquent : le CICE profite-t-il plutôt aux grandes ou aux petites entreprises ? Il faudrait aussi poser la question de la productivité du travail et mesurer les efforts d’investissement des entreprises qui peuvent être sans effet sur l’emploi.

M. le président Olivier Carré. Vous avez présenté une projection de l’évolution du coût budgétaire du CICE qui met en évidence que cette dépense sera supérieure aux 20 milliards d’euros annoncés.

M. Michel Houdebine. C’est la conséquence de l’indexation de la masse salariale.

M. le président Olivier Carré. Le raisonnement porte sur le coût du travail mais le CICE est un produit hybride qui repose sur le coût du travail quant à son assiette mais son versement affecte l’autofinancement des entreprises. Il faudrait que le débat ait lieu sur la nature de ce dispositif.

Par ailleurs, il est habituel de mesurer l’impact macroéconomique du CICE hors financement mais on constate des effets négatifs des mesures de financement sur l’emploi. Comment mesurer le solde de l’impact macroéconomique en prenant en compte le financement ?

S’agissant des écarts de compétitivité, je suis perplexe sur les effets annoncés compte tenu de la sortie de crise des pays du Sud de l’Europe. L’accroissement de l’écart de compétitivité attendu avec les pays du Sud n’est probablement pas au rendez-vous. On constate, notamment en Espagne et au Portugal, la diminution du coût du travail et des investissements massifs dans l’automobile et les machines-outils. Il convient donc de surveiller de près la fameuse demande internationale adressée à la France, qui risque fort de diminuer.

M. le rapporteur Yves Blein. Quand pensez-vous que nous pourrons disposer de données statistiques fiables sur le CICE et non plus seulement de projections ?

M. Michel Houdebine. Vous posez la question de l’élasticité du travail très qualifié dans un contexte international. Il s’agit d’environ 5 000 personnes en France, personnes très qualifiées, et qui sont intégrées au marché international du travail. En vérité, on sait peu de choses de cette population, mais nous avons l’intuition qu’elle est fortement sensible aux rémunérations, même si la masse salariale n’est pas le seul facteur de leur comportement. Si l’on prend l’exemple des footballeurs, ils sont extrêmement sensibles à leur rémunération.

S’agissant du coin fiscal français, il n’est pas radicalement différent de celui qu’on observe en Allemagne par exemple. Il est un peu plus élevé. Encore une fois, les services qui sont en face ne sont pas les mêmes. La santé est pour l’essentiel privée, pour les hautes rémunérations en Allemagne, et la retraite aussi. Les coins fiscaux de la France et de l’Allemagne sont à mon sens, pour l’essentiel, assez proches désormais. L’objectif du Gouvernement est de faire baisser le coût du travail autour du SMIC parce que c’est là que le rendement est le plus fort en termes de création d’emploi. C’est d’autant plus le cas que la situation actuelle est marquée par un ralentissement de l’activité et une hausse importante du chômage, de manière durable : il y a donc un risque de trappe à inactivité, de chômage de longue durée, contre lequel il faut lutter de la manière la plus efficace possible, dans la phase actuelle.

Mais nous avons aussi un problème de compétitivité. Il est compliqué d’obtenir, avec ce type d’outils, un effet univoque, très spécifique, sur la compétitivité : on essaie donc d’avoir un instrument aussi transversal que possible de manière à améliorer la compétitivité de l’économie française, sans cibler un secteur particulier, car on ne sait pas bien quel sera le secteur qui permettra à la France de s’insérer mieux qu’aujourd’hui à l’international. Cela peut aussi bien être un secteur des services.

Sur la question du non-sens, je crois que ces éléments sont dans le débat. Il y a toujours un focus sur l’un ou l’autre des aspects. La Direction générale du Trésor a tendance à mettre plus l’accent sur l’emploi, mais sans occulter les questions de compétitivité. Mais il est également possible d’avoir un focus différent. Je ne crois pas qu’il y ait dans le débat de non-sens complet. Ce n’est jamais qu’une question de tonalité sur l’appréhension du dispositif. L’essentiel des débats autour du dispositif sont légitimes. Pour le reste, c’est une question de hiérarchisation des objectifs.

Sur la comparaison entre les grandes et les petites entreprises, je me demande s’il n’y aurait pas, dans le rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective, une évaluation de leurs gains respectifs en matière de CICE. Pour faire simple, comme les grandes entreprises paient davantage, elles vont bénéficier davantage du CICE en proportion de leur masse salariale.

Ensuite, s’agissant de la productivité du travail, nous avons du mal à la prendre en compte dans nos modèles, qui sont keynésiens : à chaque fois qu’une entreprise investit, il en résulte un accroissement de la demande, sans que la nature du produit fabriqué soit radicalement changée. Il ne s’agit donc pas de la compétitivité hors coût ou de la productivité au sens où vous l’entendez. On n’observe donc pas de rupture dans le comportement des entreprises, mais on constate déjà des comportements de ce type. Point positif, il y a une certaine liberté de choix pour les entreprises : on utilise les marges soit pour faire de l’investissement, soit pour faire de l’emploi, soit pour les deux, puisque ce n’est pas incompatible. Je crois à ce titre utile de rappeler l’enquête de l’INSEE, qui essaie de mesurer la proportion des entreprises qui utilisent le CICE pour tel ou tel emploi. C’est très fastidieux, puisque c’est déclaratif, et que c’est la première fois qu’une telle enquête est réalisée, mais cela permet de voir que tous les canaux sont utilisés, et différemment selon les entreprises.

M. le président Olivier Carré. Dans ces enquêtes, il semblerait que la question n’ait été posée qu’une seule fois. L’INSEE va la reposer à l’automne mais il faut que des séries soient faites !

M. Michel Houdebine. Il est prévu que l’exercice soit répété, et s’agissant d’un dispositif annuel, il est normal que la question ne soit pas posée tous les trimestres, afin de ne pas alourdir la tâche des entreprises.

Ensuite, sur la question de savoir si le CICE équivaut à une baisse du coût du travail, notre réponse est, à ce stade, plutôt affirmative, même si j’entends les arguments qui pourraient conduire à modérer ce diagnostic. En effet, l’Autorité des normes comptables a autorisé les entreprises à inscrire le CICE dans leurs comptes au niveau du coût du travail. Mais cela reste optionnel, et il faudra voir ce que les entreprises auront fait effectivement. Nous avons également réalisé des entretiens bilatéraux avec des directeurs des ressources humaines, afin de savoir comment ils appréhendaient ce dispositif dans l’interaction avec les filiales. Leur message a été de dire qu’ils l’utilisent comme des baisses de cotisations. Voilà donc les deux éléments qui nous font pencher plutôt dans ce sens.

Cela dit, dans le cadre du Comité de suivi, nous avons également vu des avocats fiscalistes, qui nous ont dit que, dans la phase d’appropriation, les choses étaient peut-être plus compliquées, car le CICE arrive plutôt au niveau du groupe, et la filiale est parfois un peu loin. Mais j’avais retenu des auditions que cet effet jouait essentiellement à court terme, lors de la phase d’apprentissage. On ne sait pas à quelle vitesse cet apprentissage va s’effectuer. Sur la base d’entretiens avec des directeurs des ressources humaines, notre sentiment était que cette phase était plutôt rapide, mais les autres entretiens laisseraient à penser qu’elle n’est peut-être pas si rapide que cela. Nous avons essayé de tenir compte de cela dans notre évaluation. La première année, nous faisons jouer l’effet baisse de charges pour seulement la moitié.

M. le président Olivier Carré. Cela peut altérer l’élasticité que vous avez anticipée en matière d’effet sur l’emploi, dans la mesure où plusieurs types de comportements sont possibles de la part de l’entreprise. Même si au bout du compte, cela revient au même, il y a quand même un effet qui peut altérer vos prévisions, par rapport à une baisse directe des charges.

M. Michel Houdebine. Ce ne sera pas via l’élasticité à proprement parler que cela jouera. Celle-ci est structurelle à l’économie française. En revanche – et l’INSEE a écrit à ce sujet dans sa note de conjoncture de mars 2013 –, dans la mesure où l’appropriation est plus lente au départ, il est possible qu’il n’y ait, dans un premier temps, qu’une hausse des bénéfices de l’entreprise, au lieu d’une baisse de cotisations. Cette hausse des bénéfices ne sera pas immédiatement perçue comme une baisse du coût du travail.

À mon sens, le débat porte moins sur les effets à terme que sur la vitesse pour parvenir à ces effets. Le débat que nous pouvons avoir avec l’INSEE d’un point de vue technique porte davantage là-dessus que sur autre chose, puisque, comme je vous le disais tout à l’heure, les effets à terme obtenus par l’INSEE sont similaires à ceux que nous avions pu anticiper.

Enfin, je n’ai pas rappelé les estimations sur la question du financement, pour une raison simple. Le CICE doit être financé notamment par une hausse de la TVA et une fiscalité environnementale, votée par le Parlement dans le projet de loi de finances pour 2014. Je n’ai plus en tête les effets que l’on peut attendre sur l’activité de ces deux éléments. Mais ce qu’il faut retenir, d’un point de vue économique, est que ces deux hausses de fiscalité sont les moins distorsives et les moins néfastes pour l’activité. La TVA est le moins distorsif des impôts existants, puisqu’elle ne pèse pas directement sur le coût des facteurs. De même, la fiscalité environnementale pèse pour l’essentiel sur les importations, même si elle est reportée pour une part sur les personnes qui vendent des produits contenant du carbone.

M. le président Olivier Carré. La hausse de la fiscalité environnementale, telle qu’elle a été votée en loi de finances pour 2011, pèse surtout sur le pouvoir d’achat, car la hausse de la tonne de carbone va impacter le prix du diésel, et les prix de tous les carburants.

M. Michel Houdebine. Pour financer le CICE, une fiscalité de type carbone est plus adaptée, car au lieu de peser sur les facteurs de production nationaux, elle augmente le coût d’utilisation des intrants carbonés. Une partie de la fiscalité est reportée sur les importations, même si, évidemment, il reste une partie sur l’économie nationale. À court terme bien sûr, quoiqu’il arrive, cela joue sur le pouvoir d’achat.

Ces deux éléments sont faciles à identifier. En revanche, il est plus difficile de dire quelle est l’économie en dépenses qui va financer le reste de la montée en charge du CICE. L’ensemble du paquet d’économies de 50 milliards d’euros contribue à financer le CICE, le Pacte de responsabilité et la baisse du déficit. Mais il reste à savoir si le financement proviendra des collectivités territoriales, de l’État ou des prestations sociales. Or on ne saura jamais dire si c’est telle économie en dépense qui est fléchée sur le financement du CICE. Or les effets économiques peuvent être assez différents : avec des économies sur les investissements publics, le multiplicateur s’élève environ à l’unité, mais est nettement plus faible sur les prestations générales, avec un multiplicateur de l’ordre de 0,4, même s’il faut nuancer, puisque cela dépend si l’on diminue les prestations à destination des plus pauvres ou des plus riches. Nous avons essayé de faire des évaluations, sans savoir à quelles économies en dépenses correspondrait le financement du CICE. En réalité, on ne le saura jamais vraiment.

M. William Roos, sous-directeur des politiques économiques à la Direction générale du Trésor. Pour faire simple, on perdait avec le financement autour de 2020 environ 0,5 point de PIB et 70 000 emplois. On retrouve dans ce qui avait été transmis au Rapporteur à l’automne 2012 un effet CICE financé de 300 000 emplois contre 380 000 pour un CICE non financé.

M. le président Olivier Carré. Je vous remercie de ces éclairages.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi

Réunion du jeudi 26 juin 2014 à 9 heures

Présents. - M. Éric Alauzet, M. Guillaume Bachelay, M. Yves Blein, M. Olivier Carré, M. Patrick Devedjian, M. Patrick Hetzel, M. Philippe Kemel, Mme Christine Pires Beaune

Excusés. - M. Florent Boudié, M. Alain Fauré, M. Joël Giraud, Mme Arlette Grosskost, Mme Véronique Louwagie

Assistait également à la réunion. - M. François André