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Mission d’information sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi

Mercredi 10 juillet 2014

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 10

Présidence de M. Olivier Carré, Président

–  Audition conjointe, ouverte à la presse, de représentants des organisations patronales : M. François Soulmagnon, directeur général, et Mme Laetitia de La Rocque, directrice des affaires fiscales de l’Association française des entreprises privées (AFEP), accompagnés de M. Nicolas de Warren, directeur des affaires institutionnelles d’Arkema, et de M. Xavier du Colombier, directeur général de Solvay France ; M. Geoffroy Roux de Bézieux, vice-président du MEDEF, accompagné de M. Alexandre Saubot, directeur général du groupe Haulotte, et de M. Yves Dubief, dirigeant de Tenthorey

–  Présence en réunion

M. le président Olivier Carré. Le débat sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) est encore présent dans les esprits et les effets du dispositif ne trouvent une traduction dans les comptes des entreprises que depuis quelques semaines. Cependant, nous avons souhaité recueillir les premières réactions des chefs d’entreprises et de leurs organisations professionnelles.

M. Geoffroy Roux de Bézieux, vice-président du MEDEF. Le MEDEF est évidemment favorable à toute évaluation des dispositifs. Néanmoins, comme vous l’avez indiqué, le CICE commence à peine à faire sentir ses effets sur les comptes des entreprises et en tout cas, pour beaucoup d’entre elles, pas encore sur leurs comptes en banque. Dans le monde des TPE et des PME, et surtout dans la période de tension extrême que nous vivons, on raisonne principalement en cash. Pour de nombreuses entreprises, le CICE ne sera effectif en trésorerie que dans trois ans, ce qui influe sur sa perception.

Il n’en reste pas moins que nous soutenons le dispositif. Même s’il faut prendre en compte l’évolution d’ensemble des prélèvements obligatoires depuis trois ans, il est de très grande ampleur. Il approche sans doute les 20 milliards d’euros, mais nous attendons un chiffrage plus précis de la part de Bercy. Il va donc dans la bonne direction, celle qu’indiquait le rapport Gallois, et contribue à restaurer les marges, notamment dans les entreprises où le coût du travail pèse de façon importante.

S’il est trop tôt pour dresser un bilan, on peut néanmoins signaler que les comptes d’exploitation des TPE et PME font plus ressortir les prélèvements fiscaux globaux que le coût du travail. L’approche du CICE par les grandes entreprises et les ETI est plus analytique. Cela dit, les montants de prélèvements obligatoires sont relativement fongibles dans les comptes d’une entreprise. Celle que je dirige enregistrera quelque 115 000 euros de CICE – le salaire moyen dans le secteur des télécommunications est relativement élevé – pour un peu moins de 500 millions d’euros de chiffre d’affaires et 12,5 millions de masse salariale. Dès lors, la discussion menée il y a quelques semaines en comité d’entreprises a été rapide : la somme n’aura pas d’utilisation définie, elle servira seulement à restaurer une petite part de notre marge.

Alors que des critiques contre sa complexité apparente s’étaient élevées y compris au sein des organisations patronales, les remontées de nos adhérents montrent que le dispositif s’avère assez simple à utiliser. Les demandes d’avance à la Banque publique d’investissement (BPI) fonctionnent plutôt bien, même si celle-ci a mis un peu de temps à se mettre en ordre de marche.

Dans les PME cependant, la crainte psychologique du contrôle du fisc ou de l’URSSAF demeure, bien qu’elle soit en l’occurrence injustifiée.

Peu d’entreprises font appel au préfinancement, ce qui s’explique mal étant donné les tensions sur les trésoreries. Celles qui le font ne rencontrent pas de problèmes particuliers.

Le Trésor public verse assez rapidement les remboursements de CICE. À l’inverse, on nous signale de nombreux retards dans les remboursements de TVA et de crédit d’impôt recherche (CIR). Il s’agit peut-être d’une conséquence de la mobilisation des effectifs des services fiscaux autour du CICE.

Comme le montrent les études d’intention, les usages du dispositif sont très variés : reconstitution de trésorerie, investissement, augmentations de salaires… Tout dépend de la situation de l’entreprise, de sa taille, de son secteur. Il est donc difficile de tirer des conclusions. Mais la position du MEDEF est claire : tout fléchage coercitif, ex post ou ex ante, de l’utilisation du CICE serait totalement contre-productif, tant les situations des entreprises sont variées.

Sans méconnaître les polémiques au sujet de la grande distribution, de La Poste, etc., nous considérons qu’il serait très difficile de détourer l’outil pour le mettre plus encore au service des secteurs exposés à la concurrence internationale. Il y a certes quelques « effets de bord » indésirables, mais chercher à restreindre le dispositif aux sociétés exportatrices serait s’exposer à des effets pervers inverses. Dans l’automobile, par exemple, les multiples sous-traitants ne sont pas eux-mêmes exportateurs alors que leurs donneurs d’ordre le sont, et les mettent en concurrence avec des fournisseurs situés partout en Europe. De même, un fournisseur de solutions de centres d’appels n’est pas lui-même exportateur, ce qui ne l’empêche pas d’être soumis à la concurrence des centres d’appels offshore. Dans cette industrie où la main-d’œuvre représente 70 % du prix de revient, une baisse de 6 % du coût du travail a un impact significatif.

On nous a également signalé un effet pervers sur certains contrats en cours, notamment ceux qui ont été passés avec la puissance publique : du fait de l’introduction du CICE, les prix sont revus à la baisse, ce qui entraîne la perte du gain sur les marges.

J’évoquerai pour terminer les discussions avec les instances représentatives du personnel, qui se déroulent de façon plutôt satisfaisante. Le dispositif ouvre un débat sur la compétitivité de l’entreprise et le coût du travail. Cette transformation du dialogue social en dialogue économique nous semble aller dans le bon sens.

M. Alexandre Saubot, directeur général du groupe Haulotte. Le groupe Haulotte est une ETI industrielle qui fabrique des nacelles élévatrices. Il exporte 85 % de sa production. Il emploie 1 500 personnes, dont une petite moitié en France. Son chiffre d’affaires de l’année dernière était d’un peu moins de 350 millions d’euros. Au titre de 2013, le CICE est légèrement supérieur à 450 000 euros. Pour 2014, avec le taux de 6 %, nous l’évaluons à un peu moins de 700 000 euros. Cela signifie que plus de la moitié de notre masse salariale française qui avec les charges s’élève à 30 millions d’euros n’est pas concernée. En effet, au-delà des équipes de production, notre siège est situé en France, de même que la recherche et développement, les services d’achats et tous les services à haute valeur ajoutée, pour lesquels la limite à 2,5 SMIC est relativement basse.

En termes de bénéfices, nous faisons partie des entreprises qui ont connu une crise profonde, si bien que nous toucherons le CICE au mieux en 2016, et sans doute en 2017 au titre de l’année 2013, sachant que nous bénéficions d’un peu de CIR qu’il nous faut imputer également. Une règle posée par Bercy prévoit que le CICE ne peut s’imputer sur les acomptes, mais seulement sur le solde de l’impôt sur les sociétés (IS) tel qu’il est établi l’année qui suit l’exercice concerné. Ainsi, pour peu que le CICE de l’année consomme le solde, le CICE de l’année précédente est reporté sur le solde de l’année suivante. J’y insiste donc : pour une entreprise industrielle comme la nôtre les premiers montants seront versés au mieux au printemps 2016, plus vraisemblablement au printemps 2017.

Le préfinancement, quant à lui, suppose que l’on fasse une démarche supplémentaire. Les PME de moins de 50 millions de chiffre d’affaires étant remboursées du CICE l’année suivante, il n’est guère intéressant pour elles d’engager une procédure pour un montant qu’elles toucheront de toute façon neuf mois après en moyenne. Les demandes émanent surtout de petites entreprises en grande difficulté. Les banques – y compris la BPI – peuvent alors se montrer réticentes, car la garantie de ce type de créance n’est pas absolue en France en cas de procédure de liquidation ou de redressement. C’est ce qui explique que moins de 1 milliard d’euros ont été versés l’année dernière au titre du préfinancement pour 10 milliards récupérables.

Des entreprises comme la mienne, qui bénéficie d’un financement d’une centaine de millions d’euros auprès des banques, ne s’engageront pas spontanément dans une procédure relativement lourde pour 450 000 euros.

D’une manière plus générale, s’il est très positif de me rembourser de l’argent qu’on m’a pris tout au long de l’année précédente, je crois néanmoins que j’en aurais fait meilleur usage si on ne me l’avait pas pris !

Je sais bien que la transformation du CICE en baisse de charges sociales est un exercice complexe, aussi bien du point de vue du budget de l’État que de celui du périmètre des bénéficiaires. Cela étant, le chef d’entreprise – à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’une petite entreprise – surveille avant tout sa trésorerie, et constate qu’il continue à acquitter tous les mois les mêmes charges sociales. L’idée de lui faire remplir une déclaration à la fin de l’année pour lui rembourser une portion de ces montants au mois de mai de l’année suivante n’est pas, économiquement et psychologiquement parlant, la plus efficace qui soit, même si l’effort de l’État est significatif.

M. Yves Dubief, dirigeant de Tenthorey. Le groupe textile Tenthorey, situé dans les Vosges, réalise 10 millions d’euros de chiffre d’affaires, dont environ 25 % à l’exportation directe. Dans ce secteur particulièrement exposé à la concurrence internationale, il emploie cinquante-cinq personnes, pour une masse salariale chargée légèrement inférieure à 2 millions d’euros. Nos comptes enregistrent un CICE de 47 000 euros. Puisque nous sommes une PME et que nous sommes fiscalement déficitaires, nous avons obtenu le versement de ce montant le 4 juin dernier, dans le délai prévu de trois semaines. Nous avons également reçu dans des délais normaux 60 000 euros au titre du plafonnement de la contribution économique territoriale (CET). Dans ce domaine, donc, nous sommes satisfaits du fonctionnement des services fiscaux.

Après discussion avec les partenaires sociaux – sachant que, dans une entreprise de cette taille, le dialogue est quotidien –, nous avons utilisé le montant du CICE au titre de 2013 pour embaucher une commerciale supplémentaire en novembre dernier.

Nos interrogations portent sur la pérennité de cette mesure : que se passera-t-il après 2015 ? Les politiques d’investissement ou de recherche et développement ne se traduisent dans les performances et les comptes de l’entreprise qu’au bout de cinq ans. Nous avons donc besoin de visibilité.

M. François Soulmagnon, directeur général de l’Association française des entreprises privées (AFEP). Si les entreprises ont accueilli favorablement le CICE, c’est qu’il s’agissait pour elles, après le rapport Gallois, d’un premier pas allant dans le bon sens. La question de la compétitivité et du coût du travail était enfin prise en compte.

Le pacte de responsabilité et de solidarité poursuit le même objectif avec des moyens différents, ce qui compliquera les évaluations : lorsqu’il existe plusieurs outils, il devient difficile de déterminer lequel produit tel effet.

Il nous a néanmoins semblé de bonne méthode d’interroger nos entreprises pour recueillir une appréciation préliminaire.

Des soixante-deux réponses que nous avons obtenues, il ressort que le temps de mise en œuvre est une des limites du dispositif. L’astuce budgétaire de départ, qui visait à faire apparaître dès 2013 l’effet du CICE dans les comptes des entreprises, a largement manqué son but faute de confiance. Dans les faits, les premiers versements ont lieu cette année et les grandes entreprises n’en bénéficieront que dans trois ans. Les décisions seront donc prises au mieux cette année, et ne porteront leurs effets que les années suivantes.

La deuxième limite du dispositif réside dans son articulation avec les politiques économiques menées depuis plusieurs années. L’augmentation des prélèvements depuis 2011 occulte une grande partie de l’effet positif du CICE, cinq entreprises interrogées estimant même qu’elle lui est supérieure. L’annualisation de la réduction Fillon, le versement transport, les dispositions relatives aux cotisations vieillesse viennent brouiller encore plus le message en matière de prélèvements sociaux. Quant à la fiscalité, elle a continué à augmenter jusqu’à cette année, avec la prorogation de la contribution exceptionnelle sur l’IS.

Une troisième série de critiques porte sur l’absence de ciblage du dispositif. Pour 21 % des entreprises qui nous ont répondu, l’effet du CICE est inférieur à 1 % de la masse salariale ; pour 40 % d’entre elles, il est compris entre 1 et 2 % ; pour 24 %, entre 2 et 3 % ; pour 14 %, il est supérieur à 3 %. Dans l’industrie, l’effet est encore plus limité : inférieur à 1 % pour 20 % des entreprises, entre 1 et 2 % pour 54 % d’entre elles. Le CICE apparaît, dès lors, comme un outil parmi d’autres.

Je veux aussi souligner l’ambiguïté d’un dispositif visant à abaisser le coût du travail par un crédit d’impôt sur l’IS, alors que l’articulation entre coût du travail et impôt est loin d’être directe. Les filiales françaises de groupes étrangers ont du mal à expliquer cela à leurs maisons mères !

Autre ambiguïté, la commission des finances de l’Assemblée nationale constate une baisse du rendement net de l’IS en raison notamment de l’effet du CICE. Cependant, le CICE n’est pas une niche à proprement parler : c’est un moyen de paiement de l’IS. Et l’on ne saurait le comptabiliser deux fois, une fois sous forme de baisse d’IS, une fois sous forme de baisse du coût de travail. Les entreprises, d’ailleurs, ont souvent du mal à l’envisager sous ce second aspect.

Au plan macroéconomique, le CICE produit deux effets : d’abord, comme l’a relevé l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), sur le redressement des taux de marges, auquel il contribuerait à hauteur de 1,1 point au début de 2014 ; ensuite sur l’indice du coût du travail. Celui-ci présente une courbe en U, ce qui semble démontrer que le CICE creuse une « poche » temporaire, mais que l’effet salaire poursuivra ensuite sa trajectoire haussière supérieure à l’évolution de la productivité dans les grandes entreprises. Si cette hypothèse se vérifiait, cela signifierait qu’une partie du CICE est bien recyclée en salaires.

M. Xavier du Colombier, directeur général de Solvay France. Le groupe chimique Solvay, coté au CAC 40, est très engagé dans le développement durable et dans les solutions bas carbone. Du fait de notre fusion avec Rhodia, la France est désormais notre premier pays en termes d’activité. Nous y avons 7 000 employés, soit un quart des effectifs du groupe, répartis sur quinze sites industriels, et nous y réalisons 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires. La production française est exportée à 80 %. Nos grands concurrents sont allemands – BASF – et américains – Dow Chemical et DuPont.

En France, le montant de notre masse salariale est du même ordre que celui de notre facture énergétique annuelle, soit 370 millions d’euros. Étant une industrie à consommation intensive d’énergie, nous sommes très exposés à la concurrence internationale. Les facteurs de compétitivité et les coûts de production sont extrêmement importants.

Dès le départ, le groupe Solvay s’est montré très favorable aux conclusions du rapport Gallois et au choc de compétitivité, notamment en ce qui concerne la préconisation d’une baisse des charges sur les salaires jusqu’à 3,5 SMIC. Selon nos calculs, l’impact d’une telle mesure sur notre compétitivité et sur nos coûts aurait été significatif. Compte tenu des salaires élevés pratiqués dans notre secteur, le CICE plafonné aux salaires inférieurs à 2,5 SMIC ne représente que 1,1 % de baisse du coût du travail. Pour 2013, c’est donc un montant de 3,8 millions d’euros que nous inscrivons dans nos comptes pour le recevoir dans trois, voire quatre ans. Si le seuil avait été placé à 3,5 SMIC, la mesure aurait touché 75 % de notre masse salariale, contre moins de 40 % avec 2,5 SMIC.

La mise en œuvre du dispositif s’est avérée complexe : il aura fallu allier les responsabilités et les compétences des fiscalistes, des responsables sociaux, des services de ressources humaines, et croiser les bases de données internes. Il n’est pas certain, d’ailleurs, que nous ayons mis en place absolument toutes les procédures internes permettant de s’assurer de cette synchronisation.

Pour nous, le CICE est une créance de l’État que nous comptabilisons dans les charges de personnel, selon le conseil que nous ont donné les experts. Il est affecté au besoin en fonds de roulement (BFR) afin d’améliorer nos résultats et nos marges.

M. le président Olivier Carré. Est-ce parce que vous n’avez pas à payer d’IS ?

M. Xavier du Colombier. Il y a deux raisons. D’abord, nous épuisons le bénéfice du crédit d’impôt recherche – cette mesure a beaucoup plus d’impact pour nous. Ensuite, étant donné la situation de la chimie, notre résultat pour 2013 a été faible, voire négatif.

Le dialogue avec les instances représentatives du personnel est engagé en comité d’entreprise et en comité central d’entreprise. L’interprétation de la législation sociale prête à débat : dans quelle mesure notre obligation de consultation et d’information des organisations syndicales s’applique-t-elle pour des sommes que nous ne toucherons que dans trois ans ? Cela dit, nous avons partagé l’information.

Le CICE étant assimilé à une baisse de charges de personnel dans notre comptabilité, il peut constituer un signal positif pour les investisseurs. Mais, pour les fiscalistes et les responsables des ressources humaines, ces 3,8 millions d’euros pèsent peu par rapport aux hausses décidées en matière de déductibilité des intérêts d’emprunts, de taxe carbone, de fiscalité environnementale ou de charges sociales. Nous sommes donc favorables à une simplification. Une baisse des charges serait plus claire qu’un crédit d’impôt, et plus facile à expliquer au conseil d’administration. Nous préconisons aussi un recalibrage de la mesure. Dans notre cas, son extension aux salaires inférieurs à 3,5 SMIC triplerait son montant. Enfin, il serait souhaitable que l’on accélère la mise en œuvre des mesures annoncées dans le pacte de responsabilité et de solidarité, notamment celle qui concerne la baisse des charges patronales jusqu’à 3,5 SMIC à partir de 2016.

Nous n’avons pas demandé de préfinancement, car le coût de cette procédure ne se justifie pas au regard du montant attendu dans trois ans.

M. le président Olivier Carré. Le crédit d’impôt recherche dépend d’éléments de fiscalité verte, notamment du prix de la tonne de carbone, qui est en forte augmentation. Les industries chimiques en sont-elles affectées ?

M. Xavier du Colombier. Le rapporteur Yves Blein, président du groupe d’études Industrie chimique, vous répondrait mieux que moi. L’application de la taxe carbone est modulée en fonction de la situation des industries et des secteurs. Dans la mesure où nous sommes déjà identifiés en tant que secteur exposé à la concurrence internationale dans le cadre du marché européen du carbone, la taxe fait l’objet d’un plafonnement pour les sites déjà répertoriés par la Commission, de manière à leur éviter une double peine. Mais toutes les entreprises ne figurent pas dans la liste de la Commission, si bien que beaucoup de PME et d’ETI de la chimie subissent des effets significatifs. Cela dit, le ciblage du CICE est pour nous le sujet principal.

M. le président Olivier Carré. Certes, mais il faut aussi financer le CICE, ce qui crée un danger de cannibalisation du dispositif.

M. François Soulmagnon. En outre, les entreprises qui travaillent en contact direct avec le consommateur n’ont souvent d’autre possibilité que de répercuter la hausse de la TVA sur leur prix.

M. Geoffroy Roux de Bézieux. Les entreprises du secteur des télécommunications ont absorbé intégralement plusieurs de ces augmentations, dont la dernière, en prenant sur des marges déjà amoindries pour d’autres raisons.

M. Nicolas de Warren, directeur des relations institutionnelles d’Arkema. Premier groupe chimique français, Arkema emploie 6 685 personnes sur le territoire national, soit 48 % de ses effectifs ; il n’y réalise que 11 % de ses ventes, mais 42 % de ses productions – pour un solde exportateur de 1,8 milliard d’euros –, 48 % de ses investissements et 80 % de sa recherche et développement. Nous avons embauché 187 personnes l’an dernier en France, soit l’équivalent de 2,8 % des effectifs qui y sont établis. Notre taux de marge, selon la définition INSEE – excédent brut d’exploitation rapporté à la valeur ajoutée –, est de 33 % dans notre pays contre 52,5 % dans le reste du monde.

Notre masse salariale en France se monte à 320 millions d’euros, pour 165 millions de charges sociales, dont le taux atteint ainsi 52 % de la masse salariale. Le CICE, compte tenu de son plafonnement, concerne 36 % de cette masse salariale et représente, au taux de 4 %, 4,5 millions d’euros. Cela équivaut à une baisse de 1,4 % des charges, de sorte que leur taux s’en trouve ramené à 50,6 % et le taux de marge augmenté de 0,2 %. L’élévation du plafond jusqu’à 3,5 SMIC se traduirait par une baisse de charges de 2,6 % et un CICE de 8,2 millions d’euros.

La rémunération annuelle brute au sein du groupe est élevée, compte tenu du niveau de qualification requis ; tous les salaires sont supérieurs au SMIC et très peu sont inférieurs à 1,5 SMIC.

En 2013, le CICE efface 42 % de l’ensemble des hausses fiscales et sociales intervenues depuis 2011. Le solde de ses effets conjugués avec le pacte de responsabilité et la baisse des cotisations familiales devrait, au regard de la hausse des prélèvements, s’avérer positif à partir de 2016. La décroissance nette des charges par rapport à 2010 deviendrait ainsi effective – sous réserve d’une baisse de la contribution sociale de solidarité des sociétés – après 2017.

À 90 %, et avec un décalage de trois ans, le CICE de 2013 sera affecté à la reconstitution de notre fonds de roulement, compte tenu de la situation déficitaire de la société mère. Le comité d’entreprise a par ailleurs librement décidé, dans une filiale bénéficiaire, d’affecter 8 % de ce crédit d’impôt à l’acquisition de véhicules électriques. Enfin, à défaut d’usage spécifique dans une autre filiale, nous avons décidé de consacrer 2 % du CICE à la réduction du résultat distribué à la société mère.

M. Yves Blein, rapporteur. Le CICE a-t-il un effet de compétitivité pour vos entreprises ? Vous permettra-t-il, en régime de croisière, de faire baisser vos prix, et donc de renforcer vos capacités d’exportation ?

M. Alexandre Saubot. En régime stabilisé – soit à un taux de 6 % en 2014 –, le CICE équivaut à 0,2 % de marges et représente un peu moins de 700 000 euros. Il est chimérique de vouloir retracer l’emploi d’une telle somme dans le cas d’une dépense d’une centaine de millions d’euros. Nous l’avons formellement affecté à la recherche et développement, si bien que nous en percevrons les bénéfices dans trois ans au mieux, mais plus probablement dans quatre ou cinq ans.

Il faut aussi prendre en compte l’éventuelle contribution des fournisseurs : une diminution de charges aurait eu un effet direct sur nos coûts, car elle aurait fait baisser celui de l’intérim ; au lieu de quoi, bien qu’étant les utilisateurs des salariés concernés, nous devons passer par une négociation. Je ne suis donc pas sûr que le CICE ait vocation à augmenter les marges des sociétés d’intérim, en tout cas sur les personnels qu’elles mettent à disposition des entreprises.

M. Geoffroy Roux de Bézieux. La question d’une transformation du CICE en baisse de charges soulève deux questions. La première est celle du montant : entre une baisse de charges de 100 et un crédit d’impôt de 100, il y a une différence d’un peu plus de 20 %. À cette considération budgétaire s’ajoute le ciblage de la mesure, puisque les cotisations sont payées par les entreprises redevables de l’IS et soumises à la concurrence, mais aussi par les associations et un certain nombre d’établissements publics : sur la répartition des 9 milliards de baisse de cotisations entre les unes et les autres, Bercy ne nous a pas apporté de réponse. Aussi le MEDEF préconise-t-il de laisser vivre le CICE, avant de le transformer ultérieurement en une baisse de cotisations pérenne.

M. Nicolas de Warren. Le CICE est un signal positif dans un environnement international très ouvert ; sa pérennisation est donc importante. Comme je l’ai indiqué, il représente un surcroît de marge de 0,2 %, qui amorce ainsi une réduction d’écart avec les marges réalisées à l’étranger, dont j’ai rappelé les chiffres.

Peut-être faudrait-il cibler certaines réductions de charges sur le travail posté, qui concerne de nombreux secteurs industriels exposés à la concurrence : un tel dispositif existe en Belgique depuis deux ou trois ans.

M. François Soulmagnon. Nous avons sondé nos adhérents sur l’usage du CICE. Sur soixante-deux réponses, 42 % déclarent qu’il sera affecté à l’investissement, 22 % à la formation, 9 % au fonds de roulement, 15 % à la création ou au maintien d’emploi et seulement 4 % à la baisse des prix.

M. Guillaume Bachelay. Je retiens les remontées positives, notamment de la part du MEDEF, sur les relations des entreprises avec la BPI.

Des précédentes auditions, il ressort que les filiales profitent moins du CICE que les maisons mères : en tant qu’institutions prescriptrices, avez-vous sensibilisé les têtes de groupe sur ce point ?

Confirmez-vous des tensions – certes marginales –, s’agissant du CICE, entre donneurs d’ordre et sous-traitants ?

Le gain de compétitivité coût, auquel vise le CICE, doit être complété par une montée en gamme qualitative : c’est le sens de certains investissements que l’on a évoqués. Cela fait-il aussi partie des prescriptions adressées à vos adhérents ?

Enfin, on a parlé de signal, mais trop de branches sont restées à la traîne pour mettre en œuvre le pacte de responsabilité et de solidarité – cela a été rappelé lors de la conférence sociale.

M. Éric Alauzet. En dehors de ses effets psychologiques, le dispositif, au vu des chiffres évoqués, ne semble pas de nature à réorienter les stratégies d’entreprise.

M. le président Olivier Carré. Il faut prendre en compte l’ensemble des prélèvements.

M. Éric Alauzet. Quels pourraient être les effets de bord du ciblage ? La transformation du CICE en allégement de charges était, à l’origine du pacte de responsabilité, une option ouverte par le Président de la République et le Premier ministre. Il serait dommage que cette option, qui s’offrait à vous, n’ait pas été retenue au seul motif d’un écart budgétaire modeste – 20 milliards d’euros pour le CICE contre quelque 25 milliards pour une baisse de charges, selon vos suggestions.

Enfin, quelle appréciation les organisations de salariés avec lesquelles vous êtes en relation font-elles du CICE ?

Mme Clotilde Valter. La consultation du comité d’entreprise sur l’usage du CICE a-t-elle fait l’objet d’une prescription auprès de vos adhérents ? Cette concertation a-t-elle été courante ?

M. Geoffroy Roux de Bézieux. Le fait est que la BPI fonctionne bien, y compris pour les investissements en capital-risque – mais c’était déjà le cas d’Oséo.

Sans ouvrir un débat sémantique, je veux rappeler que le MEDEF n’est pas prescripteur. Confédéral, il s’apparente à une pyramide inversée. Nous pouvons bien entendu donner des conseils à nos adhérents, mais nous nous en faisons surtout l’écho.

Nous avons effectivement eu des remontées sur l’utilisation du CICE pour la renégociation de contrats par les donneurs d’ordre ; les cas excessifs me semblent cependant avoir été réglés par la médiation de la sous-traitance.

Les échanges de lundi avec le Président de la République et le Premier ministre ont allumé une polémique sur la lenteur des branches à engager la négociation sur le pacte. Le MEDEF estime plus significatif de comptabiliser le nombre de salariés d’ores et déjà concernés par celle-ci, en l’occurrence 9 millions selon les chiffres dont je dispose sur les 12 millions appartenant à nos entreprises adhérentes. En tout état de cause, outre qu’il est somme toute logique d’attendre le vote du Parlement, un certain nombre de branches parmi les plus importantes – et pas seulement l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) – ont engagé la négociation.

Je souscris à ce qui a été dit sur le signal : pour 50 %, la reprise économique tient à des facteurs psychologiques, pour les ménages comme pour les entreprises, dont le taux de trésorerie est assez élevé. Le rapport d’activité de Mme Prost, médiatrice nationale du crédit, relève ainsi un phénomène d’autocensure, par manque de confiance, dans les demandes de crédit. Les discours de Président de la République le 31 décembre et le 14 janvier ont eu un effet positif, malheureusement altéré par d’autres annonces ou initiatives.

C’est en effet le surcoût pour les finances publiques qui a empêché la transformation du CICE en allégement de charges : pour les entreprises, de moindres charges tous les mois sont évidemment préférables à un remboursement au bout d’un ou trois ans – le bémol du périmètre mis à part. S’agissant des effets de bord, nous craignons qu’un ciblage trop étroit ne crée de la complexité. M. de Warren a fait une suggestion sur le travail posté, mais un grand nombre d’entreprises bel et bien soumises à la concurrence internationale n’y ont pas recours, notamment dans le secteur des hautes technologies.

Le MEDEF est ouvert à la concertation au sein du comité d’entreprise, mais celle-ci est souvent informelle. Quoi qu’il en soit, nous avons engagé le débat avec les partenaires sociaux.

M. Xavier du Colombier. Notre groupe a été très impliqué dans la mission Gallois sur la compétitivité. Le problème central, que le ministre du redressement productif avait lui aussi pointé, est celui de la pérennité de l’industrie française. Nous sommes bien placés pour en parler, puisque le groupe Solvay a également des sites en Allemagne et aux États-Unis. Pour un site chimique implanté en France, le prix du gaz est trois fois plus élevé que pour un concurrent américain, et celui de l’électricité, de 30 à 35 % plus élevé que pour un concurrent allemand. Nous faisons des efforts en matière d’efficacité énergétique et de productivité, mais, même si nous sollicitons l’aide des pouvoirs publics, ce n’est pas nous qui fixons les prix de l’énergie. Les salaires sont par ailleurs assez élevés, et l’on n’envisage pas de les baisser. Bref, toute mesure tendant à améliorer notre compétitivité coût est bonne.

Pour un groupe tel que Solvay, le rehaussement du plafond jusqu’à 3,5 SMIC – que ce soit à travers un allégement de charges ou un crédit d’impôt – aurait des effets aussi bénéfiques que le CIR, véritable choc de compétitivité pour le maintien de centres de recherche en France – récemment, il a justifié le rapatriement à Saint-Fons d’équipes de recherche jusqu’alors installées dans la banlieue de Milan.

M. Alexandre Saubot. Dans notre entreprise comme dans la plupart des autres, j’imagine, les institutions représentatives du personnel sont régulièrement saisies de ces sujets, quelles que soient les obligations légales. Ajouter à l’ordre du jour une ligne spécifique pour le CICE serait un peu artificiel au regard des sommes en jeu : 500 000 euros, pour nous, c’est approximativement le coût d’une dépréciation de 1 centime du dollar.

M. François Soulmagnon. C’est la maison mère qui détient la créance induite par le CICE, bien qu’il profite aux filiales via les conventions fiscales. De fait, les filiales l’utilisent, puisqu’elles en font état, comme les têtes de groupe, dans les questionnaires de justification qui nous sont remontés.

La médiation interentreprises nous a par ailleurs alertés sur les problèmes évoqués entre donneurs d’ordre et sous-traitants ; nous avons fait passer des messages, et les choses semblent s’être apaisées. La principale difficulté concerne les contrats publics, établis en fonction d’un indicateur de l’INSEE qui intègre le CICE.

M. Guillaume Bachelay. Tout cela confirme les observations de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

M. François Soulmagnon. Comme le MEDEF, nous appelons à une inscription du CICE dans la durée, même si notre préférence va clairement à une baisse de charges, car elle a des effets immédiats.

M. le président Olivier Carré. Le CICE, que vous avez accepté, vous donne une créance sur l’État avec un, voire trois ans d’avance, si bien qu’une baisse de charges immédiate représenterait une double dépense fiscale pendant plusieurs années : cela paraît inenvisageable au plan budgétaire.

M. François Soulmagnon. Comme l’avait souligné ici même M. Pisani-Ferry, le basculement ne pourrait être que lent et progressif, nous en sommes conscients ; c’est pourquoi nous souhaitons le maintien du CICE.

Sur l’appréciation par les comités d’entreprise et les organisations syndicales, les informations sont en cours dans les bases de données. À ce stade, les retours sont encore peu nombreux, d’autant que les sommes en jeu sont intégrées dans des éléments comptables plus larges.

M. Nicolas de Warren. Le groupe Arkema a intégré les informations relatives au CICE dans la base de données unique, constituée le 4 juin dernier, et les a inscrites à l’ordre du jour du comité central d’entreprise (CCE) économique annuel le 26 juin ; analysées par un comité de suivi, elles ont également fait l’objet d’un guide transmis à nos filiales, auxquelles a été laissé le choix de l’affectation. L’usage du CICE a fait l’objet d’un vote formel du CCE, qui a rejeté le choix proposé : résultat habituel au vu de notre structure syndicale – où la CGT représente 40 %. Il ne faut donc pas y voir un signe de défiance.

La compétitivité repose aussi sur la durée du travail. Dans notre entreprise, les opérateurs postés – au nombre de 1 800 – travaillent, en France, 1 495 heures dans l’année, contre 1 775 en Allemagne et 2 080 aux États-Unis. Rapportés aux salaires chargés, ces chiffres donnent un coût horaire qui explique les écarts de compétitivité.

M. le président Olivier Carré. Le sujet a déjà été longuement débattu.

M. le rapporteur. M. Saubot pourrait-il revenir sur l’explicitation des mécanismes respectifs du CIR et du CICE ?

M. Alexandre Saubot. À l’origine, le mécanisme du CICE devait être calqué sur le CIR, imputable sur les acomptes de l’impôt soldé l’année suivante. Si, par hypothèse, le CICE annule l’impôt, les acomptes devront quand même être versés pendant quatre ou cinq échéances : les bénéfices de la mesure ne se font alors sentir qu’au moment de liquider l’impôt, l’année suivante. Les dispositions prises par Bercy rendent en effet impossible l’imputation sur les acomptes, ce qui peut encore différer la restitution d’une année supplémentaire si elle porte sur deux exercices.

M. Geoffroy Roux de Bézieux. En somme, l’État s’endette à terme auprès des entreprises sans que cet endettement soit rémunéré.

M. Alexandre Saubot. Faire supporter de la dette par des petites entreprises qui se financent à 5 % plutôt que par l’État qui le fait à 0,5 % est un mauvais calcul pour le pays.

M. le président Olivier Carré. On l’avait observé il y a deux ans.

M. François Soulmagnon. Beaucoup d’entreprises nous interrogent sur le sujet. Selon Bercy, l’imputation sur les acomptes est juridiquement possible. Une clarification est donc souhaitable.

M. Alexandre Saubot. Ce n’est pas la loi qui pose problème, mais les instructions de Bercy.

M. le président Olivier Carré. C’est pourquoi nous essaierons de faire respecter l’esprit de la loi.

Messieurs, je vous remercie.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi

Réunion du jeudi 10 juillet 2014 à 11 heures

Présents. - M. Guillaume Bachelay, M. Yves Blein, M. Olivier Carré, M. Christophe Castaner, M. Hugues Fourage, M. Razzy Hammadi, M. Philippe Kemel, Mme Christine Pires Beaune, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Pascal Cherki, M. Joël Giraud, Mme Véronique Louwagie