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Mission d’information sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi

Jeudi 17 juillet 2014

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 14

Présidence de M. Olivier Carré, Président

–  Audition conjointe, ouverte à la presse, de M. Benjamin Ferras, inspecteur des affaires sociales à l’IGAS ; de M. Xavier Timbeau, directeur du département « Analyse et prévision » à l’OFCE ; de M. Paul Zagamé, directeur scientifique de SEURECO-ERASME, accompagné de M. Gilles Koléda, chercheur ; de M. François Magnien, sous-directeur de la prospective, des études économiques et de l’évaluation à la direction générale de la compétitivité de l’industrie et des services (DGCIS) et de M. Benjamin Gallezot, directeur général adjoint à la DGCIS., .

–  Présence en réunion

M. le président Olivier Carré. Merci, messieurs, d’avoir répondu à notre invitation. Nous avons souhaité vous auditionner pour déterminer s’il existe des éléments permettant d’affirmer que le CICE est plus ou moins efficace que ne l’aurait été une diminution des charges sociales – et, plus généralement, pour recueillir vos avis au sujet de ce dispositif.

M. Benjamin Ferras, inspecteur des affaires sociales à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Les éléments que je vais vous exposer sont issus des travaux du Haut conseil du financement de la protection sociale, réalisés en février dernier avec le concours des administrations que vous avez auditionnées, alors que tous les arbitrages portant sur la solution technique à retenir n’avaient pas encore été rendus. Il s’agissait de comparer les dispositifs du CICE et de l’allégement général en termes de gestion et de champ d’application et d’envisager les modalités d’un rapprochement éventuel. Plusieurs scénarios ont été envisagés : celui qui consiste à développer le CICE et à supprimer l’allégement général et, à l’inverse, celui qui consiste à développer l’allégement général et à supprimer le CICE. Vous m’entendez aujourd’hui en tant que membre que l’IGAS, mais je précise que seul le rapport public engage les membres du Haut conseil.

Vous m’avez adressé trois questions portant sur la comparaison entre le CICE et l’allégement général, je vais m’efforcer d’y répondre.

La première différence entre les deux dispositifs réside dans le fait qu’ils donnent lieu à des réductions de prélèvements ne s’effectuant pas au même rythme : elles sont annuelles pour le CICE, mensuelles ou trimestrielles pour l’allégement général, ce qui n’est pas sans incidences en termes de trésorerie pour les entreprises. Le dispositif du CICE prévoit un système de remboursement anticipé pour certains redevables, ainsi que la possibilité de cession ou de nantissement, qui ont un impact budgétaire très fort sur certains éléments de la loi de finances. À titre d’exemple, pour un salaire versé en janvier 2013, le redevable à l’impôt sur les sociétés ne recourant pas au dispositif de cession ou de nantissement mais bénéficiant du CICE à la date de dépôt de sa déclaration ne percevra qu’en mai 2014 la réduction à laquelle il peut prétendre, alors que cette réduction sera effectuée dès février 2013 pour le bénéficiaire de l’allégement général. Un cas d’école, permettant de situer la borne haute du dispositif, est celui d’une entreprise qui, non éligible au dispositif de remboursement anticipé et n’ayant pas opté pour la cession ou le nantissement, présenterait systématiquement un solde créditeur à l’impôt sur les sociétés (IS) ou à l’impôt sur le revenu (IR): pour un salaire versé en 2013, cette entreprise ne bénéficierait d’un remboursement qu’au terme de trois exercices fiscaux, c’est-à-dire qu’elle recevrait en 2017 de la part de l’administration fiscale un virement correspondant à l’ensemble des crédits stockés en 2014, 2015 et 2016.

Les deux dispositifs aboutissent à une prise en compte fiscale totalement différente. Alors que le CICE joue directement sur le résultat de l’entreprise, l’allégement général conduit, toutes choses égales par ailleurs, à augmenter les assiettes de l’IR, de l’IS et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, avec un effet retour évalué à 20 % à 25 % de recettes supplémentaires pour le seul IS. Ensuite, l’effet des deux dispositifs sur les comptes des entreprises et sur les comptes publics est à analyser sur deux années distinctes – N pour l’allégement général et N + 1 pour le CICE. Enfin, on aboutit à des impacts budgétaires différents – pour la présentation « loi de finances », et non dans le cadre de la comptabilité consolidée au sens du traité de Maastricht.

Sur les comptes des entreprises, le CICE et l’allégement général ont également des conséquences très différentes. L’allégement général est un dispositif de droits constatés, avec une comptabilisation « au fil de l’eau » dans les comptes des entreprises et des organismes sociaux ; il est financé par des recettes fiscales affectées définitivement aux régimes concernés, et les effets se font sentir dès l’exercice de mise en œuvre : autrement dit, l’allégement mis en place durant l’exercice N trouve une traduction budgétaire en loi de finances et en loi de financement de la sécurité sociale dès cet exercice N. En revanche, pour ce qui est du CICE, on a une comptabilisation en année N pour les entreprises mais en N + 1 en comptabilité nationale et en loi de finances.

D’un point de vue budgétaire, la chronique que l’on peut établir pour les trois ans à venir en prenant en compte le passage du taux de 4 % à 6 % en 2014 et l’intégration progressive des remboursements fait apparaître des minorations de recettes – dues à la diminution des recettes d’impôt et aux remboursements effectués au bénéfice des redevables éligibles – de 9,76 milliards d’euros pour 2014, 15,76 milliards d’euros pour 2015 et 17,3 milliards d’euros pour 2016, pour un coût économique annuel évalué à un peu plus de 20 milliards d’euros.

Les champs d’application du CICE et de l’allégement général sont par nature différents: peuvent prétendre au CICE les redevables de l’IS ou de l’IR pour tout ou partie de leur activité – il s’agit d’un crédit d’impôt – et à l’allégement général, les employeurs au titre de leurs salariés affiliés obligatoirement à l’assurance chômage ainsi que des catégories complémentaires relevant de certains régimes spéciaux. En revanche, sont exclus du bénéfice des deux avantages l’État et les collectivités territoriales, les travailleurs indépendants pour leurs cotisations dues à titre personnel, ainsi que les particuliers employeurs – mais pas les sociétés de service à la personne qui, elles, peuvent bénéficier de l’un ou l’autre des dispositifs. Par ailleurs, le CICE induit des différences de traitement entre les structures à but lucratif et les structures à but non lucratif, ces dernières ne bénéficiant pas du CICE car n’étant par principe pas soumise à l’impôt sur les bénéfices ; un rapport parlementaire a d’ailleurs traité de ce sujet.

Enfin, le CICE et l’allégement général obéissent à des modalités différentes en termes de cumul et de conditionnalité. Le CICE peut être cumulé avec tout allégement social ou avantage fiscal ; compte tenu de son objet, il fait l’objet d’un dispositif de suivi spécifique destiné à s’assurer de la destination des fonds dégagés via le crédit d’impôt. Quant à l’allégement général, son application est exclusive de tout autre dispositif d’allégement – à l’exception de la déduction forfaitaire majorée au titre des heures supplémentaires pour les employeurs de moins de vingt salariés – et de tout régime de déclaration forfaitaire du travail effectué par les salariés ; l’allégement général implique également une obligation de négociation annuelle sur les salaires, ainsi qu’un dispositif de pénalités dans le cadre des contrats de génération, qui peut aboutir à la remise en cause des allégements en cas de non-respect des règles posées par les lois et règlements.

On constate naturellement une différence majeure de niveau et de progressivité du barème en fonction de la rémunération. Alors que le CICE concerne tous les salariés rémunérés jusqu’à 2,5 SMIC et s’applique à un taux unique, l’allégement général concerne les salariés rémunérés jusqu’à 1,6 SMIC et s’applique à un taux dégressif, l’avantage maximum étant consenti au niveau du SMIC : moins 28,1 points de cotisations pour les entreprises de moins de vingt salariés et moins 26 points pour celles de vingt salariés et plus. Toutes les autres modalités de calcul sont coordonnées, hormis certains éléments figurant dans les documents qui vous seront remis.


Le graphique de gauche, qui fait apparaître en abscisse le niveau de rémunération – en nombre de SMIC – et en ordonnée le taux d’exonération montre bien le caractère dégressif du taux de l’allégement général, par opposition au taux unique du CICE. Celui de droite montre les effets des allégements généraux et du CICE pour les entreprises de moins de vingt salariés d’une part, pour celles de vingt salariés et plus d’autre part, et la courbe en pointillé l’évolution du montant cumulé des deux dispositifs : 40 milliards d’euros.

Les modalités déclaratives des deux dispositifs sont particulières. En principe, pour déclarer une cotisation sociale, on indique un nombre de salariés et l’assiette de rémunération correspondante, à laquelle on applique un taux. Mais cette présentation n’est pas possible dans le cas du CICE pour lequel le calcul doit être fait dans une déclaration spécifique, parallèlement aux éléments à renseigner dans le bordereau récapitulatif de cotisations, la déclaration annuelle des données sociales et le tableau récapitulatif des cotisations, ce qui constitue un élément de complexité, donc de fragilité – le même problème se pose du reste pour l’allégement général puisque le bénéfice trimestriel ou mensuel doit être déclaré via le bordereau récapitulatif de cotisation (BRC), et le cumul via la déclaration annuelle de données sociales (DADS) et le tableau récapitulatif de fin d’année, ce qui a dérouté bon nombre d’employeurs.

Les modalités de contrôle sont, elles aussi, particulières : compte tenu du fait qu’il est assez technique et qu’il donne lieu à de fréquentes modifications de ses modalités de calculs, l’allégement général donne lieu à un nombre important de redressements. Notons toutefois qu’à la différence d’un contrôle fiscal, un contrôle de l’URSSAF peut aussi entraîner le règlement par celle-ci d’avantages que l'employeur n’aurait pas fait valoir : du coup, ces redressements constituent la première source de remboursements effectués au profit des employeurs. Du fait de la montée en charge progressive du CICE, son dispositif de contrôle est en cours de mise au point, mais il est d’ores et déjà à noter que les URSSAF et l’administration fiscale seront amenées à échanger au sujet des dossiers donnant lieu à contrôle, tout redressement de l’assiette de cotisation pouvant avoir un effet sur l’assiette de CICE et vice versa.

Des calculs ont été effectués en février dernier par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) afin de déterminer les impacts respectifs du CICE et de l’allégement général.


Le diagramme ci-dessus montre le taux d’exonération apparent, c’est-à-dire le niveau d’avantage dont bénéficie une entreprise par rapport au niveau de l’assiette déplafonnée. Pour les entreprises de neuf salariés et moins, le ratio est de 4,5 % pour le CICE et de 7,3 % pour l’allégement général ; pour les entreprises de 2 000 salariés et plus, les rapports s’inversent : le CICE leur profite à hauteur de 3,3 % contre 2,3 % pour l’allégement général.

Nous avons réfléchi à différents scénarios d’évolution du CICE et de l’allégement général.

Le premier est celui d’une extension du CICE via une hausse de son taux ou de son champ – aujourd’hui limité à 2,5 SMIC. Dans ce cas, nous aurions une hausse des remboursements et des recours aux cessions et nantissements, ainsi qu’une hausse des montants inscrits en loi de finances ; il n’y aurait pas de bénéfice mensuel ou trimestriel dans les conditions actuelles de remboursement, et pas non plus de dégressivité, contrairement à ce que permet l’allégement général.

Le deuxième scénario est celui d’une extension du CICE combinée à une réduction ou une suppression de l’allégement général. Un problème clé se pose alors, celui de l’année de changement : soit on envisage le cumul au cours de la même année, ce qui implique de payer deux fois en loi de finances, soit on écarte l’idée de cumul, ce qui amène à faire supporter un décalage d’un an aux trésoreries des employeurs, ce qui serait d’autant plus lourd de conséquences pour eux que les conséquences s’en feraient sentir dès l’exercice N dans les comptes des entreprises.

Le troisième scénario est celui d’un abandon pur et simple du CICE, qui amène à se pencher sur la problématique de sa suppression et de l’accompagnement des employeurs et des établissements de crédit qu’il faudrait alors mettre en place ; cette hypothèse se traduirait, outre les conséquences sur les comptes des entreprises, par des effets sur les lois de finances constatés, toutes choses égales par ailleurs, jusqu’à l’exercice N + 3.

Trois possibilités seraient alors envisageables pour l’année de transition. Premièrement, celle d’une année blanche, avec l’allégement actuel en exercice N, l’allégement modifié en N + 1 et la suppression du CICE au titre des rémunérations de N ; ainsi, en N, les employeurs n’auraient plus que l’ancien allégement. Deuxièmement, celle d’une année de perception concomitante des avantages, avec la mise en place du nouvel allégement dès N et le maintien du CICE payé en N au titre des rémunérations versées en N-1, ce qui implique un double coût en loi de finances. Troisièmement, celle d’une année de transition, avec un dispositif ad hoc devant être pensé au regard de celui de crédit d’impôt et des problématiques de rétroactivité de la loi fiscale qui s’y rattachent, compte tenu des possibilités de remboursement, de cession ou de nantissement.

Le quatrième scénario est celui d’une extension de l’allégement général. Pour ce qui est des cotisations patronales de sécurité sociale, les marges de manœuvre au niveau du SMIC sont particulièrement étroites : ainsi les cotisations de sécurité sociale non exonérées recouvrées par l’URSSAF – hors cotisations accidents du travail et maladies professionnelles – s’établissent-elles à 0,15 % pour les entreprises de moins de dix salariés, 0,15 % pour les entreprises de dix salariés à moins de vingt salariés, et 2,25 % pour les entreprises de vingt salariés ou plus. Cela oblige à regarder au-delà des seules cotisations de sécurité sociale pour envisager un allégement s’étendant aux champs du logement, du transport et de la protection sociale obligatoire, ce qui ne serait pas sans poser problème, mais dont le total offre des marges plus substantielles : en février, pour un salarié travaillant trente-cinq heures rémunérées au SMIC, le total des cotisations et contributions patronales s’établit à 11,86 % pour les entreprises de moins de dix salariés, 12,36 % pour les entreprises de dix salariés à moins de vingt salariés, et 15,86 % pour les entreprises de vingt salariés ou plus.

Une éventuelle extension de l’allégement général rend donc nécessaire une analyse différenciée des prélèvements selon leur nature et les institutions qui en bénéficient. Pour ce qui est des cotisations patronales de sécurité sociale affectées au régime obligatoire de base, le dispositif est maintenant rodé. Pour les cotisations et contributions affectées à des organismes de protection sociale gérés paritairement en revanche, se pose la question de leurs modalités de recouvrement : actuellement, les allégements sont gérés par les URSSAF et les caisses de la Mutualité sociale agricole, mais si l’allégement était étendu, un nouveau réseau de recouvrement devrait être mis en place.

En écho aux discussions ayant eu lieu au sujet des relations financières entre l’État et la sécurité sociale, une extension de l’allégement général conduirait à élaborer des mécanismes de financement ou de compensation budgétaire tenant compte de l’attachement témoigné par les régimes paritaires à leur autonomie financière, donc garantissant leur neutralité comptable et de trésorerie, ce qui impliquerait des versements mois par mois ou trimestre par trimestre. Les cotisations actuellement recouvrées par l’URSSAF hors sécurité sociale comprennent la contribution solidarité autonomie (CSA), qui serait susceptible d’entrer dans le champ de l’allégement ; la contribution au Fonds national d’aide au logement (FNAL), qui ne poserait que la difficulté relative au seuil entre le taux s’appliquant aux entreprises de moins de vingt salariés – 0,10 % – et celui s’appliquant aux entreprises de vingt salariés et plus – 0,50 % ; la contribution à l’assurance chômage (UNEDIC) et la contribution au Fonds de garantie des salaires (AGS) ne posent plus les problèmes techniques existant avant la création de Pôle emploi, puisque les URSSAF recouvrent désormais pour le compte de l’assurance chômage et de l’AGS ; enfin, la contribution versement transport (AOT), qui bénéficie aux collectivités territoriales, pose un problème particulièrement difficile dans la mesure où chaque collectivité territoriale est amenée à définir le taux qu’elle souhaite appliquer sur telle ou telle circonscription. Au total, ces contributions patronales recouvrées par les URSSAF s’établissent à 4,7 % pour les entreprises de moins de dix salariés et pour les entreprises de dix salariés à moins de vingt salariés, et à 5,10 % pour les entreprises de vingt salariés ou plus.

Pour ce qui est des prélèvements recouvrés par d’autres réseaux, la contribution de retraite complémentaire (ARRCO) et la cotisation AGFF non-cadres s’élèvent respectivement à 4,58 % et 1,20 % quelle que soit la taille de l’entreprise concernée ; la contribution de participation à la formation professionnelle présente des taux hétérogènes ; la taxe d’apprentissage, la contribution au développement de l’apprentissage et la participation à l’effort de construction donnent lieu à des taux de prélèvement homogènes – à ceci près que cette dernière ne s’applique qu’aux entreprises de vingt salariés et plus. Au total, on aboutit à des marges de 7,01 % pour les entreprises de moins de dix salariés, 7,51 % pour les entreprises de dix salariés à moins de vingt salariés, et 8,51 % pour les entreprises de vingt salariés ou plus.

J’insiste à nouveau sur la nécessité de respecter la neutralité comptable et de trésorerie, ainsi que sur le fait que, si le recouvrement est un métier parfaitement maîtrisé par les URSSAF et les caisses de MSA, ce n’est pas forcément le cas des autres réseaux. Par ailleurs, si l’on raisonne pour le moment en termes d’exonération de niveau de cotisation ou de taux, il est permis de se demander si d’autres approches ne pourraient être envisagées, consistant à raisonner en termes de versements acquittés par l’entreprise : en fonction de sa situation, un salarié donnerait lieu à un allégement de cotisations d’un montant déterminé. Il existe deux façons de mettre en œuvre cette voie alternative : soit en retenant un plafonnement par salarié ou par établissement, soit en procédant à une déduction globale des montants dus, établie en fonction de la situation de l’entreprise concernée. Un tel procédé permettrait de se baser non plus seulement sur une exonération de cotisations patronales, mais sur l’ensemble des cotisations – patronales et salariales – dont l’employeur est redevable en droit commun et sur les réductions auxquelles il peut prétendre pour chacun de ses salariés. Ce mode de calcul serait sans doute plus lisible pour les employeurs que les formules actuellement appliquées ; cela étant, il nécessiterait de calibrer le dispositif afin d’éviter les reversements au bénéfice des employeurs – car en mettant en place un système comportant l’établissement de chèques de remboursement, on entrerait dans une tout autre logique, celle des aides à l’emploi.

M. Benjamin Gallezot, directeur général adjoint, à la direction générale de la compétitivité de l’industrie et des services (DGCIS). La DGCIS, qui est représentée au sein du Haut conseil du financement de la protection sociale, suit régulièrement les travaux de celui-ci. Force est de reconnaître que notre système est encore compliqué, avec de multiples prélèvements sociaux – chacun avec un taux et une assiette différents – et de nombreux organismes gestionnaires. Ceci constitue une réelle problématique du point de vue microéconomique – celui des entreprises, auquel s’intéresse la DGCIS. Même si certains partenaires sociaux restent attachés au compartimentage actuel, tout ce qui pourra être fait en vue d’une simplification sera utile.

En ce qui concerne le choix entre CICE et allégement général de cotisations sociales, deux éléments sont à prendre en compte. L’un, d’une grande importance dans la stratégie du Gouvernement, est l’effet différé ou non des dispositifs, et les calendriers des gains pour les entreprises et de l’impact budgétaire ; l’autre est constitué par les plages de cotisations et leurs effets sur les différents types d’entreprises. Sur ce point, la DGCIS a insisté sur la nécessité de ne pas se limiter à des allégements portant sur la plage allant de 1 à 1,6 SMIC, ce que permet le CICE, et considère que la future extension des allégements jusqu’à 3,5 SMIC est un élément positif.

M. Xavier Timbeau, directeur du département « Analyse et prévision » à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Je vais, pour ma part, plutôt m’attacher à décrire les aspects macroéconomiques en m’appuyant pour cela sur des travaux conduits en collaboration avec la DGCIS et le Haut conseil du financement de la protection sociale, avec le concours de différentes équipes, notamment celle de SEURECO-ERASME, dirigée par Paul Zagamé, et celle de la Direction générale du Trésor. Je ne vais pas faire un compte rendu de ces travaux, mais simplement évoquer les éléments que nous en avons tirés, qui ont donné lieu à une publication distincte.

Je commencerai par rappeler un élément de contexte, à savoir ce qui a motivé la décision de mettre en œuvre le CICE.


Comme le montre le graphique ci-contre, le taux de marge brute des entreprises françaises a chuté de façon spectaculaire lors de la crise qui a commencé en 2007-2008, et ne cesse de se dégrader depuis, à l’exception d’une légère remontée au premier trimestre 2012 ; cette remontée n’est pas attribuable au CICE puisqu’en comptabilité nationale, le CICE n’a pas d’effet sur le taux de marge des entreprises, mais seulement sur leurs résultats.


Le diagramme ci-dessous, qui décrit la décomposition sectorielle de l’évolution du taux de marge entre 2007 et le premier trimestre 2014, montre que la dégradation des taux de marge est largement répartie. Contrairement à ce que l’on entend parfois, l’industrie n’est pas la plus touchée : certains secteurs des services marchands, qui jouent un rôle important en matière d’emploi, le sont eux aussi durement.

La question s’est posée de savoir s’il valait mieux centrer le CICE sur la compétitivité, donc sur les entreprises exposées à la concurrence internationale, comme le préconisait le rapport Gallois, ou plutôt favoriser l’emploi et pour cela cibler les bas salaires et les secteurs de services, comme le pensait la DG Trésor.

Le tableau ci-dessous, qui retrace l’évolution depuis 1949, montre la chute du taux de marge à partir de 2007-2008 ; les mouvements plus anciens tiennent à des causes historiques, notamment les effets de la désinflation.


Reste que l’observation sur une période aussi longue pose une difficulté, celle du changement de nature et de champ de certaines entreprises – notamment dans le service public, mais également dans le secteur agricole –, qui modifie largement la notion de taux de marge et son calcul. En revanche, il est intéressant d’observer que la diminution du taux de marge s’accompagne d’une augmentation des dividendes et autres rémunérations de la propriété, ce qui semble conforter une hypothèse ayant donné lieu à de vifs débats, selon laquelle il y aurait en France un problème de coût du capital, et non pas seulement de coût du travail. Une récente publication de l’INSEE invaliderait cette hypothèse, dans la mesure où elle met en évidence une baisse de la rémunération de la propriété ; cependant, les données sur lesquelles elle s’est basée pouvant être considérées comme insuffisamment précises, on considère que le débat n’est pas encore définitivement tranché, et qu’il ne pourra l’être que lors des prochaines versions de la comptabilité nationale : il subsiste sur le solde exact des revenus de la propriété une incertitude de l’ordre de 20 milliards d’euros, ce qui est considérable.

Autre élément à prendre en considération : l’évolution de la compétitivité. Le graphique ci-dessous montre l’évolution du coût salarial unitaire en France, en Allemagne et dans d’autres pays européens par rapport à la moyenne de la zone euro, marqué par un mouvement de déflation salariale au cours de la grande récession qui a débuté en 2007-2008.


Le graphique ci-dessous, bien qu’il néglige les effets de champ, assez importants, liés au fait que le nombre d’entreprises éligibles à l’impôt sur les bénéfices est évidemment inférieur à celui des entreprises qui paient des cotisations sociales, donne une image assez exacte du cumul et du profil des différents mécanismes d’exonération : allégements Fillon, CICE et allégements supplémentaires de cotisations familiales, introduits dans le cadre du pacte de responsabilité.


La différence entre les différents dispositifs, outre les effets de champ, tient à leur impact sur l’emploi, compte tenu du fait que l’élasticité de l’emploi aux allégements de charges diffère selon le niveau de l’emploi.

Il est intéressant de se pencher sur le ciblage sectoriel du CICE. Sur les 20 milliards d’euros de coût budgétaire du CICE, 4,4 milliards d’euros vont à l’industrie – cela représente 22 %, ce qui est plus que la part de l’industrie dans la valeur ajoutée, estimée à 10 %

M. le président Olivier Carré. Elle a récemment été révisée à 13 %.

M. Xavier Timbeau. En tout état de cause, elle est supérieure à la part de l’industrie dans la valeur ajoutée, ce qui montre bien qu’il y a un ciblage sur l’industrie, même si une grande partie du CICE est éligible aux services marchands.

D’après les simulations effectuées par l’OFCE, le CICE devrait se traduire par un gain de 150 000 emplois d’ici à cinq ans. Cette évaluation dépend d’un certain nombre de facteurs, les paramètres les plus critiques étant les effets de compétitivité et les élasticités-prix rapportées au coût du travail et au coût de production, les effets de substitution – car on modifie le coût relatif du travail et du capital – et l’effet du financement, qui est négatif. Les effets de substitution et de compétitivité impliquent la prise en compte d’un autre paramètre important : l’élasticité de l’emploi à son coût, qui conditionne à la fois la substitution et les évolutions de coûts en fonction du niveau de salaire. L’OFCE a fait le choix de retenir une élasticité forte – de l’ordre de 1 – au niveau du SMIC et, en moyenne, une élasticité de l’ordre de 0,6 pour l’ensemble de la distribution des salaires, ce qui signifie que l’élasticité relative aux salaires élevés est faible – entre 0,3 et 0,4.

J’appelle votre attention sur le fait qu’il existe aujourd’hui un consensus assez large – y compris avec l’administration – au sujet de ces élasticités. Toutefois, ce consensus est basé sur des éléments empiriques assez fragiles, et je me dois de mentionner l’existence d’estimations beaucoup plus fortes, notamment celle faite récemment par les économistes Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo qui, pour leur part, retiennent une élasticité au niveau des bas salaires très supérieure à 1, ce qui a des conséquences importantes en matière d’impact des politiques de baisse du coût du travail – cela a notamment conduit à considérer que ces politiques soient autofinancées. Leur estimation procède d’une méthodologie contestable dans la mesure où le calcul lui servant de base, qui porte sur un événement très particulier et une catégorie très spécifique d’entreprise, est difficilement généralisable à l’ensemble de l’économie. À l’inverse, certaines estimations d’inspiration macroéconomique concluent à des élasticités plus basses. Ces différences d’appréciation doivent conduire à une certaine prudence, les données dont nous disposons actuellement étant encore insuffisamment démontrées.

Le pacte de responsabilité était plutôt ciblé sur les bas salaires. Une fois son financement pris en compte, on aboutirait, pour un coût de 9 milliards d’euros, à un impact sur l’emploi de l’ordre de 60 000 à 80 000, venant s’ajouter à celui du CICE qui, lui, coûte 20 milliards d’euros – cela répond en partie à vos interrogations sur l’efficacité du dispositif.

M. le président Olivier Carré. C’est surtout dans cinq ans que nous pourrons juger de l’efficacité du dispositif.

M. Xavier Timbeau. L’évaluation que je vous présente est effectivement réalisée a priori. Comme vous le voyez, elle montre un rapport d’un peu moins d’un à deux pour l’efficacité, et d’un peu plus d’un à deux pour le coût : les allégements de charge semblent donc un peu plus efficaces que le CICE en matière d’emploi. L’impact sur le commerce extérieur est légèrement différent, le CICE produisant pour sa part un gain de 6 milliards d’euros sur la balance courante à terme.

M. Paul Zagamé, directeur scientifique de Seureco-ERASME. Nous vous remercions de permettre à Seureco-ERASME de présenter ses travaux, effectués à la demande du ministère de l’économie et plus précisément de la DGCIS.

Vous remarquerez une petite divergence d’appréciation entre l’OFCE et Seureco-ERASME sur les effets du CICE, qui s’explique notamment par l’utilisation de modèles différents. Nous avons eu recours à NEMESIS, un modèle économétrique élaboré par un consortium européen au cours d’un processus où nous avons joué le rôle de coordinateur. Ce modèle est assez semblable, du moins à court et moyen terme, à celui utilisé par l’OFCE et au modèle MESANGE utilisé par la Direction générale du Trésor. Il se caractérise cependant par deux spécificités : d’une part, il est sectoriel et détaillé – trente secteurs d’activité sont analysés séparément ; d’autre part, ce n’est pas simplement un modèle économétrique dit keynésien, mais un modèle prenant en compte, sur le long terme, des propriétés d’offre basées sur le renouveau des théories de la croissance, du progrès technique et des investissements réalisés dans ce domaine – je pense notamment aux investissements en recherche et développement, ainsi qu’aux nouvelles technologies de l’information et de la communication –, ce qui ouvre la possibilité d’infléchir à long terme le taux de croissance de l’économie par des politiques d’innovation. Ces propriétés dites de croissance endogène, mises en évidence par les travaux de la United Nations University - Maastricht Economic and Social Research Institute on Innovation and Technology (UNU-MERIT), sont d’une importance telle que l’on considère qu’elles ont renouvelé les théories de la croissance.

L’équipe de Seureco-ERASME est partie du principe selon lequel le CICE devait être considéré comme une baisse du coût du travail – nonobstant certaines subtilités relatives à l’étalement de ses effets dans le temps – et s’est interrogée sur les réactions possibles des entreprises face à cette baisse. Cinq réactions peuvent être envisagées : l’entreprise peut baisser ses prix de production, donc accroître sa compétitivité ; elle peut embaucher, c’est-à-dire procéder à une substitution capital-travail ; elle peut accroître ses marges de profit et affecter les sommes ainsi dégagées soit à l’investissement, soit à la distribution de dividendes ; enfin, elle peut augmenter les salaires de ses employés, ce qui se fait à l’issue de la négociation qui s’instaure pratiquement à chaque fois que la mise en œuvre d’une politique se traduit par l’amélioration de la situation de l’emploi.

Le problème de NEMESIS – en réalité, celui de la plupart des modèles –, c’est qu’il ne décrit pas tous les comportements, en particulier ceux relatifs à l’investissement et à la distribution de profits. En effet, dans un modèle de moyen et long terme, l’investissement est nécessairement une relation technique entre la production, la demande et le coût des facteurs de production, où l’investissement peut simplement faire l’objet d’une modulation de son échéancier, sans que l’augmentation des profits se traduise par une augmentation de l’investissement. C’est l’une des différences entre NEMESIS, modèle annuel, et le modèle utilisé par l’OFCE, à dimension trimestrielle. Seureco-ERASME a donc dû bâtir des scénarios complémentaires allant au-delà du comportement spontané prévu par le modèle.

Le scénario le plus spontané du modèle est celui dans lequel le taux de marge sur les coûts est considéré comme une constante, la baisse de coût étant intégralement répercutée sur le prix de production : si les coûts de production diminuent de 3 %, le prix baisse de 3 %. Le deuxième effet spontané du modèle est l’embauche par effet de substitution à la baisse de coût du travail dans la fonction de production. Enfin, le troisième effet consiste en une augmentation des salaires réels à moyen et long terme ; cet effet important sur la courbe des salaires procède d’une sorte d’indexation des salaires sur la réduction du chômage.

Ce premier scénario fait apparaître, à l’horizon 2022, des effets positif sur l’emploi – plus 337 000 –, le produit intérieur brut – plus 0,66 % – et le solde extérieur en valeur – plus 0,32 point de PIB, soit environ 7 milliards d’euros, ce qui correspond à peu de chose près aux chiffres de l’OFCE. En revanche, les estimations de Seureco-ERASME et de l’OFCE divergent au sujet des effets sur l’emploi et le PIB. Selon le modèle NEMESIS, le premier scénario a pour effet d’augmenter le solde extérieur en valeur de 0,18 point de PIB, et le PIB en volume de 0,08 %. Autrement dit, on devrait assister, dans les premières années de mise en place du CICE, à une baisse de la consommation due au fait que le dispositif est financé par trois sources, à savoir l’augmentation de la TVA – passée de 19,6 % à 20 %, et de 7 % à 10 % – pour 7 milliards d’euros, la mise en œuvre d’une taxe écologique pour 3 milliards d’euros – ce qui représente environ 14 euros par tonne de CO2 –, et une réduction des dépenses publiques de l’ordre de 10 milliards d’euros, touchant à la fois l’investissement des administrations publiques, les demandes de consommation intermédiaire de ces administrations, mais également les prestations sociales – la masse salariale du secteur public restant inchangée. La baisse de pouvoir d’achat va se traduire par une diminution de la demande intérieure, ce qui fait que la consommation va ralentir. Il en sera de même pour l’investissement, du fait d’une substitution capital-travail en faveur du travail.

Pour en revenir aux chiffres de 2022, un solde extérieur en valeur en augmentation de 6 ou 7 milliards d’euros est beaucoup plus important, en termes de compétitivité, lorsque le PIB en volume est en augmentation de 0,66 % que lorsque cette augmentation n’est que de l’ordre de 0,2 % – car, mécaniquement, la croissance du PIB induit des importations qui vont nuire au solde extérieur. Dans la situation qui nous intéresse, le fait que l’augmentation du PIB soit très supérieure à l’amélioration du solde extérieur montre que les agents intérieurs, notamment les ménages, ont récupéré sur la période 2015-2022 l’intégralité de la perte de pouvoir d’achat subie dans les suites immédiates de l’introduction du CICE.

Dans un modèle de ce type, chaque diminution du chômage se traduit par une impulsion sur les salaires s’expliquant par les mécanismes de l’économie dite moderne, qui veulent que des renégociations salariales aient lieu dès que des profits sont enregistrés. L’élasticité du taux de croissance du salaire par rapport au niveau de chômage va se trouver diminuée de moitié : à la fin de la période considérée, on ne va pas constater de perte de pouvoir d’achat des ménages, mais la récupération sera plus lente. Si les résultats sont bien meilleurs sur l’emploi, c’est en raison d’un effet de substitution plus important, ainsi que des gains réalisés en matière de productivité.

En fait, trois élasticités différentes – celle portant sur la demande de travail, l’élasticité volume-prix du commerce extérieur et l’élasticité de la courbe de salaire, c’est-à-dire de la récupération salariale – vont à elles seules déterminer le résultat en sortie de modèle.

L’élasticité du commerce extérieure est source d’insatisfaction car nous estimons, d’une manière générale, que les élasticités sont sous-estimées par les travaux économétriques qui, pour la plupart, relient les flux du commerce extérieur au prix – la demande mondiale restant constante dans les simulations. L’élasticité permet de calculer l’accroissement de l’export dû à la baisse de prix, l’effet « qualité » n’étant pas pris en compte à ce jour. Or, par le jeu de cet effet – l’Allemagne et les pays du nord le savent bien –, un bien de meilleure qualité, fruit de l’innovation, peut être vendu plus cher à l’extérieur. Il s’instaure ainsi une relation positive entre prix et flux de l’export, qui nuit à l’appréciation de la compétitivité-prix. Sur la question, nous avons fait faire une thèse qui va être prochainement soutenue, et avons bien l’intention d’introduire dans notre modèle ces nouvelles élasticités, plus fortes que les précédentes.

À cette première insatisfaction vient s’ajouter un deuxième regret, celui de voir les effets du CICE s’éroder progressivement au fil du temps. La chronique 2015-2022 montre deux phases : une première période de transition, difficile pour tout le monde, puis une période où les choses vont mieux, qui constitue généralement l’occasion de redistribuer ; mais si on laisse jouer le modèle jusqu’à l’infini, on s’aperçoit que plus le temps passe, moins le dispositif produit d’effets, la hausse des salaires finissant par avoir raison des gains de productivité. Cela me rappelle ce que l’on a observé dans les années 1980 à propos des effets des mesures de dévaluation sur la compétitivité. Lorsqu’on diminue le coût du travail et que l’on augmente la TVA, on pratique une « dévaluation fiscale », consistant à abaisser le coût du travail – les exportations n’étant pas concernées par la TVA. Or on a remarqué que toutes les dévaluations non accompagnées de mesures plus structurelles sont vouées à l’échec à plus ou moins brève échéance. Sur la base de variantes réalisées pour le compte de la Commission européenne, nous aurions souhaité – nous ne l’avons pas fait faute de temps, mais peut-être pourrons-nous le faire ultérieurement – tenter de combiner les effets du CICE à des investissements en matière de modernisation, donc de productivité, afin de déterminer de quelle manière les effets positifs du CICE pourraient être préservés dans le temps.

M. le président Olivier Carré. Avez-vous introduit dans votre modèle l’impact des investissements d’avenir mis en place depuis quatre ans ?

M. Paul Zagamé. Non, il n’en a pas été tenu compte.

M. Benjamin Gallezot. Je souhaite préciser que l’une des courbes les plus importantes est celle présentée par Xavier Timbeau sur l’évolution du coût du travail dans différents pays, très significative en dépit des divergences pouvant résulter de l’utilisation de tel ou tel modèle. Par ailleurs, Paul Zagamé a, à juste titre, souligné l’importance des effets autres que macroéconomiques, à savoir ceux dus à la négociation salariale, aux réformes structurelles et à l’innovation.

Le CICE est concomitant à la prise de conscience par les entreprises, surtout les plus grandes, que les gains de compétitivité passent aussi par les accords pouvant être conclus au cas par cas, avec leurs salariés, sur les modalités d’une évolution des salaires préservant la compétitivité. Sur ce point, les responsabilités ont été partagées au cours des dix dernières années, l’État ayant à assumer ses décisions en matière d’évolution des prélèvements obligatoires, tandis que les entreprises sont responsables des politiques salariales qu’elles ont mises en œuvre. Je pense surtout aux grandes entreprises, que l’on peut estimer en partie responsables d’un effet inflationniste touchant l’ensemble de l’économie, dû à une évolution mal maîtrisée des salaires – souvent financée par un transfert du coût correspondant sur leurs sous-traitants, ce qui entraîne des délocalisations –, alors que la préservation de la compétitivité ne les empêcherait pas d’être bien portantes, bien au contraire. Le mouvement de hausse des salaires se fait essentiellement au profit des personnels techniques, notamment dans les grandes entreprises du secteur industriel, qui ont besoin de personnels qualifiés – alors que les PME, qui disposent de marges beaucoup plus faibles, ont de plus en plus de difficultés à recruter ces personnels qualifiés. Cela dit, les entreprises commencent à prendre conscience du fait qu’elles ont une responsabilité dans ce domaine, ce qui laisse espérer que, nonobstant les incertitudes portant sur l’élasticité de la courbe de salaire, les effets bénéfiques du CICE ne vont pas se trouver annulés du jour au lendemain par des augmentations salariales.

En ce qui concerne la politique de compétitivité hors coût, j’estime que la mise en œuvre, concomitante à celle du CICE, de programmes utilisant les crédits des investissements d’avenir, d’impôt recherche, d’innovation, d’amélioration de la capacité productive, se révélera forcément bénéfique sur le long terme, même si cela n’apparaît pas dans les simulations pour 2015-2016. C’est un bon moment pour agir sur les deux fronts. Ces éléments adjacents, qui n’apparaissent pas dans les modèles, doivent s’interpréter comme des facteurs positifs ayant vocation à accentuer les bons résultats qui y figurent, et à renforcer la confiance qu’on peut leur accorder.

M. Gilles Koléda, chercheur au sein de l’équipe Seureco-ERASME. Nous sommes tout disposés à étudier ces éléments pourvu qu’on nous le demande. En l’occurrence, notre mission consistait à analyser le dispositif du CICE. Le modèle NEMESIS est sectoriel : il comporte trente secteurs d’activité différents qui, en plus de l’agriculture, de la construction et des secteurs non marchands, comprennent dix-neuf secteurs industriels et huit secteurs dédiés aux services. Une présentation détaillant les résultats de chacun de ces trente secteurs n’étant pas envisageable, nous avons réagrégé certains secteurs pour former trois blocs de secteurs d’emploi : l’industrie, la construction et les services marchands. Sur les 20 milliards d’euros de CICE, l’industrie bénéficie de 4,3 milliards d’euros d’allégements, soit 21,4 % – ce qui représente plus que sa part en valeur ajoutée, mais exactement sa part dans la masse salariale ACOSS : elle ne paraît donc pas privilégiée par le dispositif. Si l’emploi est prioritairement créé dans l’industrie, c’est parce que les premiers effets du CICE consistent en une amélioration de la compétitivité : dans cette optique, l’industrie est amenée à embaucher lorsqu’elle gagne des parts de marché. Le secteur de la construction mobilise 1,9 milliard d’euros, tandis que les services marchands concentrent l’essentiel des crédits – 13,9 milliards d’euros, soit 69,3 %.


Je vais m’efforcer de répondre aux questions que vous avez posées à Seureco-ERASME en m’appuyant sur certains résultats de notre modèle. Pour ce qui est de l’effet du CICE sur la compétitivité des entreprises françaises par rapport à celle de leurs concurrents européens et non européens, il faut se pencher sur les détails de l’amélioration du solde commercial. Le diagramme ci-contre montre que sur les 7 milliards d’euros d’amélioration du solde commercial, 5 milliards d’euros environ, soit les deux tiers, se font au profit de nos concurrents européens.

Une autre question posée était celle de l’appréciation que Seureco-ERASME porte sur le ciblage du CICE ; en particulier, le dispositif bénéficie-t-il bien aux entreprises exposées à la concurrence internationale ?


Le tableau ci-contre montre que la masse salariale ACOSS représente environ 520 milliards d’euros, et que le salaire moyen en points de SMIC diffère assez nettement en fonction des secteurs – l’industrie offre un salaire moyen de 2, quand les services aux entreprises sont à 1,73, les services mixtes à 2,45, la construction à 1,45 et les services aux particuliers, qui emploient bon nombre de gens non qualifiées, à 1,25.


Le diagramme ci-contre montre que, dans la plupart des secteurs, le bénéfice du CICE occupe une juste part dans la masse salariale – même si certains secteurs très privilégiés par le dispositif d’allégements ciblés sur les bas salaires, tels la construction ou les services aux particuliers, vont bénéficier un peu moins que les autres du CICE.


Le diagramme ci-dessus reprend en abscisse le salaire moyen du secteur en points de SMIC et en ordonnée le taux d’extraversion du secteur – c’est-à-dire le rapport entre exportation et production. La taille des pastilles est proportionnelle à la masse salariale du secteur. On voit qu’il existe deux grands types de secteurs, correspondant chacun à deux ciblages possibles : si l’on souhaite cibler la compétitivité, il faut viser les secteurs industriels représentant entre 30 000 et 150 000 emplois – notamment la chimie, les biens électriques et la pharmacie – avec des salaires compris entre 1,6 et 3,5 SMIC. Si l’on souhaite plutôt cibler l’emploi, il faut viser les secteurs où les salaires sont inférieurs à 1,6 SMIC, ce que l’on a fait avec les allégements Fillon.

Il ressort de l’examen de ces éléments que le ciblage du CICE est moyen : il tombe au milieu, ne privilégiant ni la compétitivité – 2,5 SMIC sont insuffisants pour cela – ni l’emploi. C’est, en fait, un consensus politico-social visant avant tout à être accepté du plus grand nombre – comme c’était également le cas du pacte de responsabilité, prévoyant 4,5 milliards d’euros pour les salaires inférieurs à 1,6 SMIC et autant pour les salaires compris entre 1,6 et 3,5 SMIC. Au demeurant, cette absence de ciblage n’a rien d’étonnant si l’on considère que, comme son nom l’indique, le CICE est destiné à favoriser aussi bien l’emploi que la compétitivité.

Il nous était également demandé de préciser ce que nous savions de l’effet du mode de financement choisi, en particulier sur le pouvoir d’achat des ménages et la consommation. Pour répondre à cette question, je m’appuierai sur des simulations auxquelles Seureco-ERASME a procédé la semaine dernière en vue de cette audition, et dont nous assumons l’entière responsabilité – la DGCIS en étant, quant à elle, totalement exonérée. Cela dit, les résultats de ces simulations vont dans le même sens que celles réalisées sous l’égide de la DGCIS en 2012 et évoquées tout à l’heure par Paul Zagamé – à la différence près que le contexte économique de 2014 s’est dégradé, ce qui fait que la base – en termes de population active et de PIB – et les résultats sont moins élevés.

Nous nous sommes posé, au préalable, une question sous-jacente, à savoir quel peut être l’effet de la baisse des dépenses publiques comme moyen de financement de ce type de mesures. Les pouvoirs publics ont souvent hésité, au cours des années précédentes, entre une hausse portant sur la TVA et une augmentation de la CSG – parfois même de la taxe écologique. Ce qu’il y a eu de nouveau avec le CICE, c’est l’idée selon laquelle on pouvait peut-être répartir son financement entre une hausse des taxes et une réduction des dépenses publiques. Le scénario d’un CICE financé pour moitié par des hausses de TVA et pour moitié par des baisses de dépenses publiques montre qu’en 2022, on aurait un PIB en volume de 1,06 %, 316 000 emplois et un solde extérieur en valeur à 0,28 point de PIB. Un tel scénario se révèle moins inflationniste que d’autres, puisqu’il n’y a pas de report de la hausse de la fiscalité sur les prix ceux-ci s’affichant à moins 1,45 % en 2022. Le consommateur national se retrouve donc, en dépit de la hausse limitée de TVA et de la réduction d’un certain nombre de prestations sociales, avec un pouvoir d’achat relativement préservé dans la mesure où les prix à la consommation restent très bas.

Ce scénario est à comparer avec celui d’un CICE entièrement financé par des hausses de TVA : dans ce cas, il apparaît que les prix à la consommation sont un peu plus orientés à la hausse, et que la consommation, donc le bien-être des ménages, est un peu en deçà de ce que l’on obtient en finançant une partie de la mesure par des réductions de dépenses publiques. Seureco-ERASME considère donc qu’il est préférable que le CICE soit financé en partie par des baisses de dépenses, un tel mode de financement, moins inflationniste, semblant assurer une plus grande pérennité du système.

M. le président Olivier Carré. Aujourd’hui, le débat politique porte en grande partie sur le décalage dans le temps des effets de retour d’une politique de l’offre par rapport à des injections sur la demande, ainsi que sur l’effet récessif à court terme, compensé dans un second temps par une meilleure structuration de l’outil productif.

M. Benjamin Gallezot. Les premières simulations présentées intégraient le mode de financement, donc l’effet que vous évoquez.

Mme Eva Sas. Il me semble que les interventions de Xavier Timbeau et Paul Zagamé, que je remercie pour leur clarté, comportaient quelques divergences, notamment sur le chiffrage relatif à l’emploi. Certes, les échéances ne sont pas tout à fait les mêmes, mais alors que l’OFCE évoque 145 000 emplois dans cinq ans, Seureco-ERASME parle de 165 000 emplois en 2017 et 316 000 en 2022. Cet écart d’évaluation étant relativement important, j’aimerais savoir à quoi il est dû.

Par ailleurs, j’ai entendu dire tout à la fois que le CICE ciblait le secteur industriel et qu’il ne ciblait pas de secteur en particulier : que faut-il en déduire ?

Enfin, je m’inquiète de vous avoir entendu dire que le gain sur le solde extérieur était réalisé essentiellement au détriment de nos partenaires européens, ce qui semble confirmer que l’Europe se trouve actuellement plongée dans un système de compétition déflationniste – même si je sais qu’il y a là une sorte d’évidence mathématique, l’essentiel du commerce extérieur français se faisant avec nos partenaires européens.

M. Paul Zagamé. Le CICE permet un gain immédiat de compétitivité sur les autres pays européens en raison du fait que nous avons un marché unique et que les gains de compétitivité s’obtiennent beaucoup plus rapidement dans un tel cadre. Mais à plus long terme, il n’y pas de différentiel sur ce point entre nos concurrents européens et ceux du reste du monde.

M. le président Olivier Carré. D’un point de vue méthodologique, sur quels éléments l’appréciation des éléments de compétitivité des pays non européens s’effectue-t-elle ? S’agit-il de facteurs historiques, ou d’éléments plus récents ?

M. Paul Zagamé. Cette appréciation s’effectue sur la base d’estimations économétriques.

M. le président Olivier Carré. Autrement dit, toutes choses égales par ailleurs en ce qui concerne l’Espagne, le Royaume-Uni et l’Italie, par exemple.

M. Paul Zagamé. En tout cas, il n’y a pas de réaction des autres pays à la mise en œuvre du CICE. Mais rien ne dit qu’il en sera de même d’ici à 2022.

Mme Eva Sas. J’en viens à mes deux dernières questions. Premièrement, avez-vous procédé à des évaluations différentes en fonction du poids de la fiscalité écologique ? Je me souviens qu’en comité permanent pour la fiscalité écologique, nous avions pris connaissance d’évaluation de la Direction générale du Trésor montrant que le financement par la fiscalité écologique était plus favorable que d’autres en termes de croissance et donc d’emploi.

Deuxièmement, je me demande si j’ai bien compris M. Gallezot lorsqu’il a semblé dire que l’augmentation des salaires était trop importante en France, ce qui nuisait aux effets du CICE.

M. Éric Alauzet. Monsieur Ferras, j’ai été un peu étonné par les chiffres que vous nous avez donnés. Ainsi, en ce qui concerne l’impact du CICE sur les petites et grandes entreprises, vous avez cité des taux apparents d’exonération de 4,5 % pour les plus petites entreprises et de 3,3 % pour les plus grosses, alors qu’on nous avait jusqu’alors fait état d’un différentiel plus important, de l’ordre de 5 % pour les plus petites et de 2,5 % pour les plus grosses.

Deuxièmement, en ce qui concerne l’hypothèse où l’on étendrait l’allégement général, je ne comprends pas pourquoi vous conservez la cible actuelle du dispositif, à savoir les salariés rémunérés jusqu’à 1,6 SMIC : ne serait-il pas possible de dépasser cette limite pour pratiquer des allégements sur des salaires plus importants, éventuellement jusqu’à 4 ou 4,5 SMIC ?

M. Paul Zagamé. Pour ce qui est des divergences pouvant résulter de l’application du modèle de l’OFCE et de celui utilisé par SEURECO-ERASME, je vous dirai que nous appliquons un grand principe déontologique, celui d’éviter de regarder – publiquement, du moins – ce que font nos concurrents : nous n’avons donc pas scruté les résultats avancés par l’OFCE avant de nous rendre à cette audition. Pour avoir évoqué cette question avec Xavier Timbeau il y a deux ou trois ans, je crois que nous nous référons à des élasticités un peu différentes, notamment sur le commerce extérieur : alors que nous prenons pour base une élasticité de l’ordre de 0,5 par rapport aux prix français, l’OFCE fait référence à un taux un peu plus faible – du moins était-ce le cas à une certaine époque.

Une deuxième raison est susceptible de jouer, c’est l’élasticité en matière de demande du travail : Seureco-ERASME prend pour base un taux de l’ordre de 0,4 ou 0,5, alors que celui utilisé par l’OFCE est un peu moins élevé. Une troisième raison peut résider dans le rebond inflationniste mis en évidence par la courbe de Phillips.

Comme vous le voyez, il n’y a pas de réponse évidente à cette question. J’ajouterai d’ailleurs que nous analysons nos chiffres sur une période de neuf ans – 2013 à 2022 – alors que l’OFCE les regarde sur une période beaucoup plus courte, ce qui peut expliquer une partie de la différence entre nos évaluations respectives.

M. Xavier Timbeau. Cette question est très importante, d’une part parce qu’elle exprime une incertitude, d’autre part parce que nous renvoie à une problématique de méthode. De ce point de vue, les travaux qui avaient été conduits par le Haut conseil du financement de la protection sociale, mais aussi ceux effectués par la DGCIS, revêtent une grande importance, car ils sont susceptibles de nous permettre de comprendre ces différences ainsi que de déterminer leur origine. Aux raisons citées par Paul Zagamé, j’en ajouterai une quatrième : les gains de productivité pouvant être obtenus grâce aux crédits « recherche et développement » – étant précisé qu’il s’agit là plutôt d’un effet de long terme.

La DG Trésor n’a pas rendu publique son évaluation, mais je crois savoir qu’elle est plus basse que la nôtre. Celle de l’OFCE est un peu plus élevée, et celle de Seureco-ERASME l’est encore davantage. Je conçois qu’un écart de 30 % entre deux évaluations puisse poser problème aux décideurs publics mais je ne suis pas d’accord avec Paul Zagamé quand il affirme que nous nous interdisons de comparer nos résultats : en réalité, nous le faisons souvent, et les divergences ne sont pas rares… Nous devons rester modestes et, quand nous ne disposons pas d’éléments de preuve incontestables, ne pas hésiter à rappeler qu’il ne s’agit que d’estimations – ce que les Anglais appellent educated guess – et non de certitudes.

À mon sens, le principal problème vient de la notion d’élasticité du travail à son coût, en particulier du profil de cette élasticité. J’espère que la DG Trésor me pardonnera de parler de son travail en son absence, mais je me souviens qu’au sujet de l’impact de l’augmentation d’un point du SMIC, en recourant à la même modélisation et en ayant neutralisé tous les autres effets, le simple fait de ne pas prendre la même base concernant l’élasticité du travail à son coût et la diffusion de l’augmentation du SMIC à la distribution des salaires avait conduit à obtenir deux résultats variant du simple au triple, à savoir la perte de 50 000 emplois pour la DG Trésor, quand l’OFCE concluait à une perte de 15 000 emplois.

Au demeurant, cela n’a rien d’étonnant quand on sait que ce paramètre n’est pas basé sur des évaluations empiriques solides. Les économistes Cahuc et Carcillo retiennent une évaluation très forte de cette élasticité, alors que l’OFCE se réfère à des évaluations beaucoup plus prudentes basées sur des raisonnements macroéconomiques, ayant constaté que prendre pour base de calcul l’évaluation de Cahuc et Carcillo aboutirait à des résultats « délirants ». Il faut savoir que, si au lieu de retenir une valeur de 0,4 pour l’élasticité du travail à son coût, on retient une valeur de 0,45, cela se traduit par une différence de l’ordre de 10 %, sur l’évaluation de l’impact d’une mesure sur l’emploi – une différence qui peut se trouver encore amplifiée si l’on examine un profil d’emploi spécifique.

Je veux également évoquer la question de l’évolution des salaires lors de la mise en place d’un dispositif tel que le CICE. Les salariés parviennent-ils à récupérer, notamment par le jeu de la négociation, la baisse du coût du travail induite par une baisse des charges sociales ? Au contraire, adhèrent-ils à l’idée d’un pacte les conduisant à renoncer à récupérer à leur profit la marge que les entreprises se voient offrir au niveau du coût du travail par la mise en œuvre du CICE ? Parmi les éléments entrés en considération pour limiter l’assiette du CICE aux salaires n’excédant pas 2,5 SMIC figurait l’idée qu’à partir de ce niveau de salaire, la part des baisses de charges sociales récupérée par les salariés est censée être plus élevée – du fait que le marché du travail est, pour les salariés concernés, beaucoup plus concurrentiel et se caractérise par un taux de chômage beaucoup plus bas. C’est ce qui a conduit à cibler le CICE sur les salariés de l’industrie percevant moins de 2,5 SMIC et qui n’ont pas un grand pouvoir de négociation. Si de tels éléments peuvent sembler peu importants à première vue, leur intégration dans les modélisations se traduit pourtant par des effets significatifs en termes d’impact sur l’emploi. Plutôt que de chercher à savoir si l’une de nos méthodes d’évaluation est meilleure que les autres, nous devons avoir constamment à l’esprit que les simulations auxquelles nous procédons sont faites à partir de paramètres comportant parfois une grande marge d’incertitude.

M. Benjamin Gallezot. La DGCIS a souhaité mettre plusieurs types de simulations à la disposition des décideurs publics, ce qui l’a conduite à commander des travaux d’évaluation du CICE à la fois à l’OFCE et à Seureco-ERASME, qui utilisent des modèles différents. Pour ce qui est du différentiel par rapport à d’autres pays, force est de constater au cours des dix dernières années en Allemagne – notre premier concurrent sur un grand nombre de produits – une dynamique salariale plus élevée qui, en conjonction avec la dynamique des prélèvements obligatoires, a créé un différentiel.

Un deuxième effet est à relever, ayant plutôt une origine sectorielle ou située dans les chaînes de valeur : la politique salariale accommodante pratiquée par les grands groupes – notamment en raison du fait que le besoin de personnels qualifiés se fait sentir à la suite d’externalisations et de délocalisations – est susceptible d’avoir, par répercussion, des effets sur d’autres acteurs de l’économie, notamment les PME, dont certaines risquent de se trouver en difficulté. Un tel phénomène est particulièrement avéré dans le secteur de la métallurgie. Cela étant, vous ne devez pas déduire de ce que je viens de dire que la DGCIS estime que les salariés français devraient être moins payés : mon propos est bien plus nuancé que cela !

M. Yves Blein, rapporteur. Je voudrais demander à M. Zagamé si une analyse agrégée des différents dispositifs – investissements d’avenir, crédit d’impôt recherche, allégements de charges, CICE – modifierait sensiblement les projections de Seureco-ERASME, en particulier en ce qui concerne le nombre d’emplois attendus.

M. Paul Zagamé. Cette question très importante rejoint la remarque formulée tout à l’heure au sujet du relais de ces dispositifs par la mise en œuvre de politiques actives en faveur de la recherche et de l’innovation. Il peut être intéressant de s’interroger sur la meilleure façon de combiner des mesures de différentes natures pour optimiser les effets résultant de la mobilisation de fonds publics. Ce travail, qui met en œuvre les propriétés de croissance de long terme fondées sur l’innovation et le progrès technique déjà intégrées à certains modèles, serait lourd, mais réalisable.

La conjugaison de mesures telles que le crédit d’impôt recherche et les investissements d’avenir est de nature à apporter des réponses plus durables à une bonne partie des problèmes auxquels est confrontée l’économie française. Nous avons réalisé pour le Bureau des conseillers de politique européenne (BEPA), rattaché à la Commission européenne, une étude montrant que les problèmes macroéconomiques de tous les pays pouvaient être diagnostiqués en comparant l’évolution de la productivité du travail aux salaires réels. Cet outil constituant un indicateur de crise très efficace permet de constater qu’en Grèce, au Portugal et en Italie, les gains de productivité du travail avant la crise étaient très faibles.

M. Gilles Koléda. Pour ce qui est de la question portant sur la fiscalité écologique, vous avez vu que la simulation à laquelle nous avons récemment procédé portait sur un CICE financé à parts égales par une hausse de la TVA et par une diminution des dépenses publiques, alors que dans la simulation de 2012, le financement incluait 3 milliards d’euros de taxes écologiques pour 3 milliards d’euros de TVA. Les résultats de 2012 étant meilleurs, il est permis de penser qu’il est préférable de recourir à un tel mode de financement – à tout le moins, le financement au moyen de taxes écologiques ne paraît pas plus distorsif que celui basé sur la TVA.

M. Benjamin Ferras. Le Haut conseil du financement de la protection sociale a testé les trois modèles utilisés par la DG Trésor, Seureco-ERASME et l’OFCE, à savoir respectivement MESANGE, NEMESIS et e-mod.fr, et souligné dans un rapport les avantages, les limites et les inconvénients de chacun de ces modèles. Les données présentées par taille d’entreprise et par secteur d’activité ont été obtenues à partir d’un indicateur annexé chaque année aux lois de finances, rapportant la masse salariale déplafonnée – les salaires distribués – à la masse salariale exonérée. Si la présentation qui vous a été faite se rapportait à l’allégement général, on peut appliquer le comparatif à tout type d’allégement, en procédant ou non à un zonage géographique : c’est un outil efficace qui permet une bonne entrée en matière avant de passer à des approches plus précises. La seule réserve que l’on puisse émettre au sujet de cet indicateur – comme d’autres, d’ailleurs –, c’est qu’il est basé sur la masse salariale du secteur privé ACOSS et ne prend donc pas en compte la masse salariale du secteur agricole – mais cela ne semble pas très significatif à long terme.

Par ailleurs, M. Alauzet a souhaité savoir si l’on pouvait envisager une extension de l’allégement général aux salaires situés au-delà de 1,6 SMIC. La réponse est oui, les seules interrogations portant sur le point d’entrée – faut-il retenir la valeur d’un SMIC, à temps complet ou éventuellement à temps partiel ? –, sur le profil de dégressivité que l’on souhaite adopter – pour le moment, on calibre les allégements de manière à ce que l’avantage maximal en numéraire figure d’abord en entrée de barème, puis se retrouve au milieu une fois que le dispositif est monté en charge –, ainsi sur les conséquences à en tirer sur le type de cotisations que l’on exonère. Aller au-delà de 1,6 SMIC sur la base d’un allégement des cotisations sociales et d’autres prélèvements annexes complique un peu l’analyse.

M. le président Olivier Carré. Je vous remercie pour tous ces éclaircissements.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi

Réunion du jeudi 17 juillet 2014 à 11 heures

Présents. - M. Éric Alauzet, M. Guillaume Bachelay, M. Yves Blein, M. Olivier Carré, M. Patrick Hetzel, Mme Christine Pires Beaune, Mme Eva Sas, M. Patrick Vignal

Excusés. - M. Florent Boudié, M. Richard Ferrand, M. Joël Giraud, Mme Véronique Louwagie