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Mission d’information sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi

Jeudi 11 septembre 2014

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 20

Présidence de M. Olivier Carré, Président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Bruno Lucas, président de la commission économique de la Fédération française du bâtiment (FFB), M. Jean-Luc Mermillon, directeur fiscal, et Benoît Vanstavel, directeur des relations institutionnelles..

M. le président Olivier Carré. Quel est le point de vue des adhérents de la Fédération française du bâtiment (FFB) sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) ? Comment est-il utilisé ? Avez-vous des suggestions à nous faire ?

M. Bruno Lucas, président de la commission économique de la Fédération française du bâtiment. Au départ, le CICE nous a surpris. Cet outil nouveau nous a d’abord paru plus complexe que les traditionnelles baisses de charges sociales. Nous avions en outre peu l’habitude du mécanisme du crédit d’impôt. Très vite, toutefois, les chefs d’entreprise que nous sommes ont vu les avantages techniques et financiers du dispositif, dont les effets n’ont pas été très décalés dans le temps, mais au contraire quasi immédiats, grâce au préfinancement, notamment grâce à la Banque publique d’investissement (BPI). Il faut bien souligner que le CICE n’est pas, comme on l’entend, un cadeau fait aux entreprises, mais une très bonne première étape vers la baisse généralisée des coûts de l’entreprise.

Le CICE nous paraît donc extrêmement positif : la main-d’œuvre est bien le facteur le plus important pour le secteur du bâtiment, et l’effet de levier est pour nous très fort. Le fait qu’il s’agisse d’un crédit d’impôt a, de plus, un effet psychologique qu’il ne faut pas négliger : arrivant en fin de compte d’exploitation, il a un effet de reconstitution de marge, à la différence d’une baisse des coûts de production, qui se traduirait automatiquement pas une diminution de nos prix de vente. C’est en quelque sorte l’équivalent d’une remise de fin d’année.

L’activité du bâtiment, vous le savez, a connu une baisse très sensible, de l’ordre de 16 % à 20 % depuis quatre à cinq ans. Or la baisse de l’emploi est sans commune mesure avec celle de l’activité : au cours des cinq dernières années, nous n’avons perdu que 7 à 8 % d’emplois en équivalent temps plein, principalement des intérimaires. Les chefs d’entreprise sont confiants et attendent la reprise ; ils ont donc fait d’importants efforts de formation, et il serait absurde de licencier des collaborateurs formés – en particulier, quand le label RGE (reconnu garant de l’environnement) est en voie de généralisation. Le CICE a permis de financer plus de formations et de garder davantage de collaborateurs.

Nous attendons donc du Gouvernement qu’il pérennise ce dispositif, qui est une très bonne première étape vers une baisse d’ensemble des charges, tout comme d’autres mesures prévues – baisse des cotisations patronales à la branche famille, amélioration du dispositif « Fillon » d’allègements généraux sur les bas salaires, simplification des normes… Tout cela concourt à une diminution des coûts de construction.

Nous souhaiterions toutefois une simplification du préfinancement, ainsi qu’une diminution de son coût. Nous avons parfois un peu de mal à comprendre la nécessité de supporter les coûts de préfinancement, puisqu’il s’agit après tout d’argent que l’État nous doit… Nous avons des charges fixes, notamment des frais d’expert-comptable, et elles sont plus élevées pour les TPE et PME que pour les entreprises plus importantes : on peut estimer qu’elles se situent entre 2 et 3 %. On pourrait donc imaginer que ces coûts de préfinancement puissent être déduits des acomptes d’impôt sur les sociétés (IS), par exemple.

S’agissant du suivi et de l’évaluation, nous trouvons tout à fait normal que l’efficacité du dispositif soit mesurée ; il nous paraît sain de rendre des comptes aux instances représentatives, ou tout simplement à ses collaborateurs – qui voient bien eux-mêmes que l’emploi diminue moins que l’activité, et donc que l’entreprise puise dans ses réserves. Il ne s’agit pas de se justifier ! Cela permet même, au contraire, de combattre l’idée qu’il s’agisse d’un cadeau fait aux entreprises.

Le secteur du bâtiment a ouvert des négociations sur le Pacte de responsabilité et de solidarité, et nous y avons inclus le suivi du CICE. Je n’ai pas connaissance de difficultés majeures à ce sujet.

M. Xavier Breton. Le préfinancement, expliquez-vous, est plus cher pour les petites entreprises. Y a-t-il d’autres différences d’effets et d’utilisation du CICE en fonction de la taille des entreprises ?

M. Bruno Lucas. Les grands groupes, voire les grosses PME, ont apprécié beaucoup plus rapidement l’utilité du CICE, qui était bien plus difficile d’accès pour les petites entreprises, lesquelles ont dû, en outre, se tourner vers des interlocuteurs nouveaux, telle la BPI. Les organisations professionnelles ont conseillé leurs adhérents sur ces sujets, et, aujourd’hui, le CICE entre dans les mœurs.

Il a surtout été utilisé pour l’investissement et la formation – j’ai déjà cité le label RGE, qui devient indispensable et suppose une formation. Pour certaines petites entreprises, enfin, le CICE a été aussi un apport de trésorerie, qui a permis de passer un cap difficile. Nous avons été touchés par la loi de modernisation de l’économie (LME), et certains se sont retrouvés pris en étau entre les délais de paiement de leurs fournisseurs et ceux de leurs clients.

M. Guillaume Bachelay. Les professions du chiffre se sont-elles mobilisées aux côtés de vos adhérents, notamment les TPE et PME, pour anticiper ou faciliter l’usage du CICE ?

M. Bruno Lucas. À partir d’une certaine taille, les entreprises disposent de leurs propres structures : vous avez donc raison de mentionner les TPE et PME. Nous avons assez peu de retours sur ce point. Dans un premier temps, je l’ai dit, le principe et le mode opératoire du CICE ont souvent été mal compris, même s’il a été finalement plutôt facilement mis en œuvre. Les organisations professionnelles ont proposé un accompagnement.

Les problèmes rencontrés par les entreprises, en particulier par des TPE, ont plutôt concerné des problèmes financiers : faire une situation, une attestation, cela a un coût. Nous devrions sans doute travailler avec les experts comptables et les centres de gestion agréés pour faciliter ces processus.

M. Éric Alauzet. Le CICE a-t-il servi à investir, à moderniser l’outil de travail ?

Avec le pacte de responsabilité et de solidarité et le CICE, a-t-on atteint un équilibre où chacun trouve son compte ?

M. Bruno Lucas. Le taux d’investissement augmente, mais – et c’est encore plus vrai pour les TPE et PME, c’est-à-dire pour 90 à 95 % de nos entreprises –, le cœur de notre production, ce sont nos collaborateurs et leurs savoir-faire. Les changements technologiques étant nombreux, l’investissement va naturellement en priorité à la formation.

De plus, dans l’ensemble, le bâtiment investit moins qu’auparavant dans son matériel, qui est de plus en plus souvent loué – ce qui nous permet de disposer de matériel performant, bien contrôlé et bien suivi.

Je ne peux pas vous fournir de données sur les grandes entreprises, mais elles tiennent le même discours.

Le CICE, outil important mais plus inhabituel que d’autres mécanismes, a eu moins d’impact sur les TPE et petites PME, en partie parce que, comme je l’expliquais, le crédit d’impôt est moins immédiat et moins facile à utiliser. Les baisses de charges sont mieux comprises, mieux connues, et seront bénéfiques pour toutes les activités. Mais le CICE s’inscrit maintenant dans un ensemble – modification des dispositifs « Fillon », baisse des cotisations famille, baisse de l’IS… –, ce qui devrait atténuer les distorsions en fonction de la taille des entreprises. Nous en arrivons donc à un équilibre.

Mme Christine Pires Beaune. Les emplois qui ont disparu étaient surtout, avez-vous dit, des emplois d’intérimaires. Les contrats d’apprentissage ont-ils également servi de variable d’ajustement ?

M. Bruno Lucas. La diminution de nos effectifs, qui a été de 5 % environ, s’est plutôt faite par un moindre renouvellement des départs en retraite. Il y a eu assez peu de plans de licenciements collectifs, même si, bien sûr, il y en a toujours trop. Cependant, le nombre d’intérimaires a diminué de 13 % en équivalents temps plein, ce qui est encore nettement moins que la baisse de l’activité.

L’apprentissage fait partie de nos gènes : dans le bâtiment, c’est la voie royale. On peut devenir chef d’entreprise en ayant commencé comme apprenti. Je n’ai pas l’impression que l’apprentissage ait servi de variable d’ajustement. Cela demeure une priorité des chefs d’entreprise. Mais, vous le savez, le Gouvernement a pris sur ce sujet des mesures très négatives.

M. Jean-Luc Mermillon, directeur fiscal de la FFB. Le crédit d’impôt pour l’embauche d’un apprenti a été très fortement limité. Les conséquences ont été très fortes, et cette mesure a été comprise par certains comme l’expression d’un mépris pour cette voie d’accès aux métiers du bâtiment.

M. Benoît Vanstavel, directeur des relations institutionnelles de la FFB. Le nombre d’apprentis dans le bâtiment est passé de 100 000 à 75 000 : c’est une chute considérable.

M. Bruno Lucas. Mais ces problèmes ne sont pas liés au CICE.

M. le président Olivier Carré. Merci d’avoir répondu à nos questions.