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Mission d’information sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi

Jeudi 11 septembre 2014

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 22

Présidence de M. Olivier Carré, Président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Gérard Vincent, délégué général de la Fédération hospitalière de France (FHF), et de M. Yves Gaubert, responsable du pôle finances

M. le président Olivier Carré. Nous recevons maintenant la Fédération hospitalière de France (FHF).

M. Gérard Vincent, délégué général de la Fédération hospitalière de France. La FHF, qui représente les hôpitaux et les maisons de retraite publics, estime que l’avantage octroyé au secteur hospitalier commercial avec le CICE est très injuste. Compte tenu de l’état des finances publiques, un tel cadeau nous paraît même scandaleux ! Nous ne voyons pas en quoi les cliniques privées participent à la compétitivité du pays : les seuls établissements de santé qui participent au rayonnement international de la France sont les hôpitaux publics, en premier lieu les centres hospitaliers universitaires (CHU).

Les cliniques privées ont, en réalité, bénéficié d’un effet d’aubaine : elles ont été incluses dans le dispositif, comme toutes les autres entreprises commerciales. La ministre des affaires sociales et de la santé a considéré, à juste titre, que cet avantage était injustifié. Cependant, contrairement à ce que le Gouvernement a alors annoncé, l’effet du CICE n’a pas été entièrement compensé pour le secteur public. Dans la mesure où l’enveloppe hospitalière votée par le Parlement par le biais de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) est unique, tout avantage consenti à l’un des deux secteurs l’est finalement au détriment de l’autre.

En 2013, avec un taux de CICE à 4 %, le crédit d’impôt théorique du secteur privé s’élevait à 160 millions d’euros. Or l’ajustement tarifaire auquel il a été procédé pour neutraliser cet avantage n’a été que de 20 millions. Il en est donc résulté un avantage net de 140 millions. Il s’agit d’une moins-value de recette pour l’État, aberrante dans le contexte actuel.

En 2014, le phénomène s’est aggravé. Avec un taux de CICE passé à 6 %, le crédit d’impôt théorique a été estimé à 240 millions d’euros. Or l’ajustement tarifaire n’a été que de 37 millions d’euros, ce qui fait un avantage net pour le secteur privé de 203 millions d’euros. Pour les années 2013 et 2014, les cliniques commerciales ont donc obtenu un avantage fiscal de 343 millions d’euros. Dès lors que le Gouvernement lui-même estimait cet avantage injustifié et qu’il avait décidé de le neutraliser, il aurait fallu le neutraliser totalement. Telle est la position de la FHF, sachant qu’il existe un écart relativement important, de 1,5 point, entre la croissance naturelle des charges hospitalières à effectifs constants – estimée par le ministère des finances à 3,5 % – et la progression de l’ONDAM voté par le Parlement – qui s’établit à environ 2 %.

M. le président Olivier Carré. Le taux calculé par Bercy est-il bien celui de la croissance naturelle des besoins ?

M. Gérard Vincent. Non, des charges, c’est-à-dire des dépenses.

M. le président Olivier Carré. De quel pourcentage augmente la demande de soins ? En regard, comment les ressources évoluent-elles ? Êtes-vous obligés de consentir des efforts de productivité pour faire face à la croissance des besoins tout en respectant les plafonds de dépenses autorisées ?

M. Gérard Vincent. Nous devons en effet faire des efforts de productivité. Le taux de croissance naturel des charges à effectifs constants est estimé par Bercy à 3,5 %, le chiffre calculé par la FHF étant légèrement inférieur. Ces charges sont, entre autres, l’énergie, les contrats d’assurance, les repas. Quant aux effectifs hospitaliers, en réalité, ils diminuent.

S’agissant de la demande de soins, mesurée en nombre de séjours, elle augmente de 2 à 3 % par an. Savoir si cette augmentation est justifiée ou non, c’est un autre débat, très important, qui renvoie à l’évaluation de la pertinence des séjours et des actes. Nous savons que nous opérons des patients que nous ne devrions pas opérer. Cela se produit d’ailleurs beaucoup plus fréquemment dans les cliniques commerciales que dans les hôpitaux publics, où les chirurgiens ne sont pas rémunérés à l’acte. Nous disposons de statistiques qui montrent des différences très fortes entre départements en ce qui concerne la prévalence des actes chirurgicaux.

M. le président Olivier Carré. Les représentants de la FHP nous ont expliqué que la croissance des dépenses dans leur secteur était inférieure à celle de l’ONDAM. Ils parviennent donc à réaliser des gains de productivité.

M. Gérard Vincent. C’est également notre cas, sinon nous serions tous en déficit ! Or le déficit des hôpitaux publics n’est pas excessif – c’est presque « l’épaisseur du trait » : il s’est établi à 340 millions d’euros en 2013, dernière année connue à ce stade.

M. le président Olivier Carré. Y compris l’Assistance publique — Hôpitaux de Paris (AP-HP) ?

M. Gérard Vincent. Oui, il s’agit du déficit de l’ensemble des établissements de santé publics, y compris l’AP-HP, qui est notre premier adhérent. Ce déficit est très concentré : la situation financière de quarante à cinquante établissements en explique 80 %. L’hôpital public n’est donc pas un « bateau ivre » : il est géré, sa dépense est tenue. Son déficit représente 0,5 à 0,6 % de son « chiffre d’affaires ». Encore une fois, ce n’est pas excessif, même si c’est toujours trop. Ce déficit a d’ailleurs tendance à croître, et cela risque d’être le cas cette année encore. Le seul moyen de le réduire est de faire des économies sur les achats et des économies de personnel. L’enjeu de l’hôpital public, c’est d’y parvenir sans dégrader la qualité des soins ni porter atteinte aux conditions de travail, ces deux aspects étant liés pour partie. Cette politique est déjà menée depuis plusieurs années et va être poursuivie, malgré des tensions sociales de plus en plus fortes : lorsque les directeurs d’hôpitaux remettent en cause les dispositions excessivement avantageuses contenues dans les accords de réduction du temps de travail signés en 2002, parfois sous la pression du gouvernement de l’époque, cela tangue beaucoup dans les établissements. Et si les directeurs ne sont pas soutenus, ils ne peuvent pas aller jusqu’au bout.

Dans ce contexte, l’impact du CICE n’est évidemment pas neutre. Je le répète : l’avantage de 343 millions d’euros sur deux ans octroyé aux cliniques commerciales nous paraît totalement injustifié. Je suppose que les représentants de la FHP que vous avez reçus ont invoqué la dureté des temps et les difficultés croissantes du métier, ce que l’on peut comprendre. Mais il convient de rappeler à combien s’élève le taux de rentabilité des cliniques commerciales.

M. le président Olivier Carré. Du fait de leur statut commercial, elles paient des impôts.

M. Gérard Vincent. Espérons-le, en effet !

M. Yves Gaubert, responsable du pôle finances de la Fédération hospitalière de France. En 2013, les cliniques commerciales ont bénéficié d’un avantage financier indiscutable : les tarifs de prise en charge de leurs actes par l’assurance maladie sont restés stables, alors que ceux qui s’appliquent aux hôpitaux publics ont baissé. En 2014, les choses sont équilibrées : les tarifs ont évolué d’un pourcentage identique pour l’un et l’autre secteur.

Dans le même temps, l’activité des hôpitaux publics a crû beaucoup plus rapidement que celle des cliniques privées : celles-ci perdent des parts de marché, en raison notamment des dépassements d’honoraires qu’elles pratiquent.

La situation économique des cliniques privées aurait éventuellement pu être une raison objective de leur accorder l’avantage que représente le CICE. Cependant, d’après les Comptes nationaux de la santé, pour les 84 % de cliniques qui ne sont pas déficitaires – un petit nombre d’entre elles connaît en effet des difficultés financières –, le taux de rentabilité financière s’établit à 11,4 % en moyenne. Pour certains types d’établissements tels que les cliniques psychiatriques, il frôle même les 20 %. Les cliniques commerciales constituent donc un secteur très lucratif pour les actionnaires et les investisseurs financiers, notamment internationaux.

M. Yves Blein, rapporteur. La FHF regroupe non seulement les hôpitaux publics, mais aussi les cliniques privées à but non lucratif.

M. Gérard Vincent. Oui.

M. Yves Gaubert. À une nuance près : sont également adhérents de la FHF des établissements de santé privés à but non lucratif dits « sous objectifs quantifiés nationaux (OQN) », qui relèvent du secteur commercial.

Les établissements de santé dits « ex-dotation globale » regroupent les hôpitaux publics et une grande partie des cliniques privées à but non lucratif. Les établissements de santé dits « sous OQN » sont aussi des cliniques privées à but non lucratif, mais leur mode de financement est très différent : les tarifs qui leur sont appliqués n’ont pas du tout le même périmètre, une partie de l’activité étant payée directement par l’assurance maladie aux praticiens – médecins, chirurgiens, anesthésistes, biologistes, radiologues, etc. Il s’agit essentiellement d’anciennes cliniques commerciales qui ont été reprises sous un statut à but non lucratif, mais qui ont conservé leur système de financement. Elles continuent, du point de vue juridique, à relever du secteur commercial, mais ne peuvent pas, du fait de leur statut, émarger au CICE.

Cela n’est d’ailleurs pas du tout neutre pour les établissements « ex-dotation globale » : non seulement ceux-ci n’ont pas bénéficié du CICE, mais une partie de leur enveloppe a été utilisée pour compenser la perte économique sèche que subissaient les établissements « sous OQN ». La somme est relativement modeste, sans commune mesure avec les 343 millions évoqués précédemment, mais elle est venue s’ajouter au problème.

M. Yves Blein, rapporteur. Le fait que le secteur privé bénéficie du CICE crée-t-il des écarts de compétitivité ? Au détriment de qui ? Qui en supporte les conséquences au bout du compte ? Ou bien cela permet-il simplement aux cliniques privées d’améliorer leur fonds de roulement et la rémunération de leurs actionnaires ?

M. le président Olivier Carré. Vous vous placez du point de vue de la puissance publique et estimez que l’avantage conféré au secteur privé est injuste. Cependant, l’État ne vous a pas dit : « Nous n’augmenterons pas votre enveloppe, parce que nous sommes obligés de financer le CICE. » M. Gaubert vient d’évoquer un « dommage collatéral », mais de faible ampleur. Je pose donc la même question que le rapporteur : quel est l’impact réel pour vous du point de vue économique ?

M. Gérard Vincent. Je réagis en tant que citoyen : compte tenu de la situation de notre pays, je trouve choquant que l’on confère un tel avantage à un secteur florissant en termes de rentabilité pour les actionnaires. Certes, cela ne regarde peut-être pas la FHF.

Cela crée-t-il des distorsions de compétitivité ? En tout cas, cela pénalise le service public hospitalier. Le Gouvernement avait estimé que l’avantage représenté par le CICE devait être neutralisé par le biais des tarifs appliqués aux cliniques privées. Or cette neutralisation n’a pas été totale : il reste un gain net de 343 millions d’euros sur deux ans pour le secteur privé. Si la neutralisation avait été totale, ces 343 millions d’euros auraient été affectés au service public.

M. le président Olivier Carré. En êtes-vous sûr ?

M. Gérard Vincent. L’ONDAM voté par le Parlement est ventilé entre les établissements de santé. L’ONDAM étant actuellement insuffisant pour financer la reconduction des moyens, on peut penser que cette somme aurait été disponible pour le secteur public : au lieu de baisser, les tarifs appliqués aux hôpitaux publics seraient probablement restés stables. C’est en cela que nous sommes touchés.

Mme Christine Pires Beaune. D’après vous, 16 % des cliniques privées connaissent des difficultés financières. Or, d’après la FHP, elles sont 30 %. Quel est le bon chiffre ?

M. Gérard Vincent. Je vous renvoie aux chiffres officiels de la Commission des comptes de la sécurité sociale.

M. Yves Gaubert. Les chiffres que j’ai cités sont extraits des Comptes nationaux de la santé publiés au début de cette semaine. Les chiffres qui se rapportent au secteur privé concernent l’année 2012 ; ceux qui se rapportent au secteur public, l’année 2013.

Mme Christine Pires Beaune. La FHP nous a expliqué que les cliniques privées avaient été « victimes » d’une baisse des tarifs, au titre de l’ajustement visant à neutraliser partiellement l’impact du CICE. Malgré cette baisse, il reste une différence entre les tarifs appliqués respectivement au secteur privé et au secteur public.

M. Gérard Vincent. Pour la plupart des pathologies, les tarifs appliqués aux cliniques privées sont inférieurs à ceux qui sont appliqués aux hôpitaux publics, mais cela s’explique par une différence de périmètre. Si l’État avait neutralisé l’impact du CICE en totalité, les tarifs appliqués aux cliniques privées auraient baissé bien davantage.

M. le président Olivier Carré. Et la part des ressources disponible pour le secteur public aurait été plus importante. Toutefois, la Sécurité sociale aurait aussi très bien pu garder la différence pour elle.

M. Yves Gaubert. Nous disposons de données très précises pour l’année 2014. Avant l’impact du CICE, les tarifs MCO – médecine, chirurgie, obstétrique – appliqués aux cliniques privées ont augmenté de 0,5 %, alors qu’ils sont restés à leur niveau antérieur pour les hôpitaux publics. Après l’impact du CICE, les tarifs MCO ont évolué de manière identique pour les deux secteurs : ils sont restés stables.

M. le président Olivier Carré. Merci, messieurs.